s JO U R N A L M ISÏO 211 X Q xr 3Ë. d’un Voyage fait aux Iles MalouÏnés en 1763 & 1764, pour les reconnaître , & y former un établijjèmcnt ; ET de deux Voyages au Détroit de Magellan, ave£ une Relation fur les Patagons. r ' PAR DÔM PE R NET Y, Abbé de l’Abbaye de Burgel , Membre de l’Académié Royale des Sciences & Belles - Lettres de Prude, Affocié correfpondant de celle de Florence, et Êibliothe'cairé de Sa Majefté le Roy de Prude* TOME I. A BERLIN, Chez ETIENNE de BOÜRDEAUX, Libraire du Roy & de la Cour Titre pour Iss pages i ad 4®3* perclus. PRÉFACE. **=> £ ** * f i - » f * r f ' *’> * : r V v ' Ë,a découverte & la reconnoif- lance des Iles Malouines ont paru fi intérelîantes , qu’ayant appris celle que nous en fîmes en 1764, les Anglois crurent devoir y former un établiffement, malgré la pofleffion que nous en avions pril'e, au nom de la Couronne de France. Ils prirent des précautions extraordinai¬ res pour les préparatifs de ce Voyage, qui a excité l’attention de toute l’Eu- )( 2 rope. IV p R É F À G E. rope. Le Chef d Efcadre Byi on fut chargé du commandement de deux Navires, te Dauphin, & la Frégate le Tanier, pour cette expédition. On leur envoya dans la luite la floride , pour leur porter des provifions de toutes efpeces. Nous avions pris poffeffîon de ces Iles au commencement d’ Avril; tems auquel le Dauphin etoit encoie iur le chantier,: & nous en partîmes le 8 du même mois, pour retourner en Fran¬ ce , où nous débarquâmes le 26^ de Juin. Les Anglois ne mirent à la voile que quelques jours apres.^ Ils partirent du Port Defire le 4 Décem¬ bre, & dirigèrent leur route vers la partie du Sud de la prétendue Ile de Pepys, au 48 degré de latitude mé¬ ridionale , & firent , fans fuecès , plu- fieurs tentatives pour découvrir cette Ile Ils furent donc obligés, (difent-ils, page 69 du Voyage autour du Mon¬ de, fait en 1764 & *ur le Vail- l'eau Anglois le Dauphin,) d aban¬ donner cette recherche, bien perlua- PREFACE. V dés de l’impoffibilité de trouver cet¬ te Ile prétendue. Le 22 du même mois de Décem¬ bre, étant dans le Détroit de Magel¬ lan, à cinq lieues de diftance de la Terre de Feu, ils découvrirent de la fum ée, qui s’élevoit de différens en¬ droits, fur la côte oppofée, qui eft celle des Patagons. Ils s’en appro¬ chèrent, jetterent l’ancre, à environ un, mille de terre, & y virent dif- tinQrement des hommes à cheval, qui leur faifoient des lignes avec leurs mains. En approchant de la côte, des marques fenfibles de frayeur fe ma* nifefterent fur le vifage de ceux qui y alloient aborder dans le canot, lorf- qu’ils apperçurent, fur le rivage, des hommes d’une taille prodigieufe (ibid. page 73.) Le Commodore, excité par l’idée de faire une découverte au fujet de ces Patagons, dont l’exiften- ce étoit depuis longtems, en Angle¬ terre, un fujet de converfation, fauta x 3 le VI PREFACE. le premier à terre , & fut fuivi ;par fes Officiers & les Matelots bien ar¬ més, & s y mit en état de défenfe. Alors les Sauvages accoururent à eux, au nombre de deux cents environ, les regardant avec l’air de la plus grande furprife , & fondant , en ob- lervant la difproportîon de la taille des Anglois avec la leur. Le Commodore leur ayant fait ligne de s’affeoir, ils le firent ; alors il leur paffa au cou des colliers de grains d’émail, & des rubans & dis¬ tribua à chacun un de ces petits coli- • lîchets. Leur grandeur eff fi extraor¬ dinaire, que même affis ils etoient encore prefqu’auffi hauts que le Commodore debout, (pag. 77*) Leur taille moyenne leur parut être d’environ huit pieds , & la plus haute de neuf pieds & plus. *) Us nem- Le Commodore , dit la même Relation, (Préface page LXI.) eft un homme de fix pieds de haut. Il eft à obferver , que le pied d’Angleterre a près d’un pouce de moins que le pied de Roi francois. PRÉFACE. VU Remployèrent aucune mefure 'pour s’en affurer ; mais nous avons , difent- ils, des raifons de croire que nous di¬ minuons leur grandeur, plutôt que nous ne l’exagérons (p. 78-) La tail¬ le de leurs femmes eft auffi éton¬ nante que celle des hommes; & leurs enfans ont les mêmes propor¬ tions. Les femmes avoient des col¬ liers & des bracelets, (p. 79) Leurs vêtemens étoient faits de peaux de moutons du Pérou ; leur couvraient les épaules , & defcendoient jufqu aux genoux. La plûpart étoient montés à cheval , avant notre defcente ; mais ils en étoient defcendus , & avoient laide leurs chevaux à quelque diftan- ae. Ces chevaux paroiffent être fore vîtes à la courfe , mais leur grandeur n’étoit pas proportionnée à celle des hommes qui les montoient, & ils pa- roiffoient d’ailleurs en affez mauvais état. (p. 85-) Us nous parurent être d’un caratlere doux, & amical, (p. 83)- Parmi les Anglois étoit le Lieute¬ nant Cummins; les Patagons parait- )( 4 foient VIII PRÉFACE. foient furtout le voir avec plaifir, à caul'e de la grande taille , qui étoit de fix pieds dix pouces. Quelques uns de ces Indiens lui frappèrent fur l’épaule: & quoique ce fut pour lui faire careffe, leurs mains tomboient avec tant de pefanteur , que tout l'on corps en étoit ébranlé. Le 23 du même mois, les An- glois s’étant avancés dans le Détroit, découvrirent, fur l’ile Ste.|Elifabeth, plufieurs Sauvages, qui leur firent des lignes. Les hommes & les fem¬ mes étoient de moyenne ftature , & bien -faits. Ils avoient les cheveux noirs; leur peau naturellement oli¬ vâtre paroilfoit roulfe parce qu’ils fe colorent le corps d’un enduit de terre rougeâtre, mêlée avec de la graille, ils ont pour vêtemens des peaux de veaux marins, de Loutres, ou de moutons du Pérou, coulues enfemble , & formant une piece d’en¬ viron quatre pieds & demi en quarré. Ils portent des bonnets faits de peaux d’oifeaux, avec les plumes , & ils ont aux P R E FACE. IX aux pieds des peaux, qui leur tien¬ nent lieu de fouliers. Quelques unes des femmes avoient des ceintu¬ res faites également de peaux; mais aucune n’avoit de bonnet, & on les dilfinguoit par un collier de coquil¬ lages. (p. 92.) Enfin, après s’être pourvus de bois & d’eau au port Famine, les Anglois en partirent le 5 Janvier 1765, ayant fait route à l’Eft, ils i'ortirent du Détroit, & eurent conqoiflance de terre le 13 du même mois. Le len¬ demain, ils entrèrent dans une Baye très commode, dans laquelle fe trou¬ vent plufieurs petites Bayes & diff'é- rens havres, au troifiéme defquels ils donnèrent le nom de Port Fgmont. L’entrée de cette Baye eft au Nord, a un demi- mille de largeur, & a de¬ puis fept jufqu’à treize brades, fur un fond fangeux, (p. 121.) Le 23 de Janvier, le Commodo¬ re prit pofleffion de toutes ces Iles au nom de la Couronne d’Angleterre, )( 5 & & en partit le 27, fans y avoir formé aucun établiffement. Ces Iles font au 51 degré 21 minutes de la latitnde méridionale, & au 66 degré 10 mi¬ nutes de longitude occidentale, (p. 134.) Après avoir côcoyé les terres* ils retournèrent au Détroit de Ma¬ gellan, On peut voir, par les détails de cette Rélation Angloife , & par ceux de mon Journal , que nous avions re¬ connu les Iles Malouines & que nous y avions formé un établiffement, un an moins quelques jours avant que les deux Navires du Chef d Efcadre Byron les euffent leulement apper- çiies. Dans le teins même que ces deux Vaiffeaux y abordèrent, . Mon¬ iteur de Bougainville y etoit déjà retourné, & après avoir apperçu du Fort où il étoiti mouillé, ces deux Vaiffeaux Anglois, il mit à la voile pour le Détroit de Magellan, ou ils fe trouvèrent enfemble, comme on le verra à la fin de mon Journal. Xi PRÉFACE. Je fuis entré dans _ le détail de cette expédition Angloife fur les Iles Malouines, pour mettre le public en. état de reconnoître le droit incontel- table de poffeffion de la Couronne de France fur ces lies, contre les prétendons abufives des Anglois. J’ai rapporté auflî en abrégé la rélation qu’un des Officiers du Vaif- feau du Capitaine Byron a fait impri¬ mer au fujet des Patagons Géans; afin que l’on puiffe la comparer avec ce qui en eft dit dans les extraits des Journaux des Capitaine François , qui ont vû, St fait un plus long lé’our avec ces Patagons , que n’ont fait les Anglois. Cette coinparaifon prou¬ vera aux perlonnes incrédules, & a ceux qui ont trop d’amour propre, pour vouloir paroitre feulement igno¬ rer ce qu’ils n’ont jamais appris, ou qui, par ce principe, fe font un de¬ voir de nier tout ce qu’ils n’ont pas vû, qu’il çxifte neanmoins une race d’hommes dont la grandeur & 1 énor¬ mité du corps apprennent à ces incré¬ dules XII PREFACE. dules vains & luperbes, qu’ils fe trouvent réduits à nôtre que les moins petits dans la race des Nains. On connoiffoit peu le Détroit de Magellan. Les rélations que nous en avions jufqu’à préfent, quoique multipliées, étaient fufpeftes; les ob- fervations , ou peu exaétes, ou peu connues: ce qui m’a déterminé à donner celles de nos deux Capitaines François, & la Carte de ce Détroit, corrigée fur leurs obiérvations. Je m’étais propofé de ne donner de fuite dans mon Journal, que ce qu’il renferme d’hiftorique, ou d’ob- fervations capables d’intéreffer tous les Leéteurs , & de renvoyer à la fin, pour ceux qui ont la marine à cœur, tout le détail des vents, des latitudes, des longitudes, & autres chofes, qui n’intéreiïent ordinairement qu’un Na¬ vigateur, J’avois en conféquence marqué tous ces détails à renvoyer à la fin. Le Libraire en étoit averti; mais lans doute qu’il oublia d’en don- P RÉFACE, XIII donner avis à l’Imprimeur. Celui-ci ayant donc imprimé plufieurs feuil¬ les fans avoir égard à mon delfein, le Libraire a penfé qu’il falloir con¬ tinuer l’impreffion, telle qu’elle étoit commencée , vû qu’il eft libre au Lec¬ teur de palier ces détails, & de ne s’occuper que de ce qu’il y a d’hifto- rique. On peut conjecturer; il eft mê¬ me très vraifemblable que les Iles Ma- louines faifoient autrefois partie de la Terre des Patagons, & de la Terre de Feu. Elles en auront été féparées par quelques violens tremblemens de terre , qui aura donné entrée aux eaux de la mer dans une gorge , que ces tremblemens de terre auront creu- •fée , & aura formé dans la fuite le canal, qui fépare ces lies de la Terre- ferme. Cette conjecture eft d’antant plus probable, que la Terre de Feu a pris fon nom des volcans, que l’on a Cru y voir; & qu’à quelques lieues de l’endroit des lies Malôuines, où nous avons formé l’établiffement, les hau- » teurs, XIV PREFACE. • Vf teurs & les vallées annoncent aftez clairement, par le dérangement des lits des pierres de taille, & par le dé- fordre avec lequel ces pierres font entalfées , que ce défordre eft reffet de quelques tremblemens de terre. Voyez ce que j’en rapporte dans mon Journal, page 52g. Mais ce qui furprendra le Le&eur, eft qu’un terrein auffi étendu que le font les lies Malouines ne fe foie point trouvé habité par des hommes, ni par les quadrupèdes que l’on rencontre fi communément fur la Terre des Patagons ; & que la petite Araignée à grandes jambes, qu’en France nous nommons Fauçheujè , & le petit Grelot brun appellé Cri -cri, qui fe tient auffi dans les cheminées, foient les deux leuls infeétes que nous y ayons vûs. Il eft moins éton¬ nant que l’on n’y trouve aucune efpece de Reptiles; puifque les Rela¬ tions des Voyageurs nous affurent que que l’on n’en voit point fur les Ter¬ res du Chily, à TOueft de la Terre XV PRÉFACE. des Patagons ; & que ces Terres font {î tuées fur le même parallèle que les îles Malouines. Une autre motif m’engage enco¬ re à croire que les Iles Malouines te- noient jadis à la Terre des Patagons. On ne voit point d’arbres aux Iles Malouines, & toute la côte de l’Eft des Patagons, & de la Terre de Feu, en eft dépourvûe jufqu’â environ lieues en avant dans les terres, où l’on commence à trouver des ar¬ bres. Depuis-là jufqu’â la côte, on ne rencontre que quelques arbuftes & des bruyères. On en trouve de fem- blables aux Iles Malouines. Les dé¬ couvertes que les Anglois, qui s’y font établis plus à i’Oueft, pourront faire dans cette partie, nous éclai¬ reront davantage fur tous ces articles. Les Efpagnols fubftitués à nos Fran¬ çois dans l’établilfement de l’Eft, nous mettront au fait de l’autre partie. On peut compter fur Fexa&itudc des Plans & des Cartes, ainfi que fur * XVI P R É F A C E. fur les figures des animaux inferéés dans les Planches de mon Journal. La Carte que je donne de Rio de la Plata , eft d’autant plus intéreffante, quelle. a été levée avec tout le foin polfible, & qu’on n’en avoit point encore de cette Riviere, dont la na¬ vigation eft fi dangereule. L’origi¬ nal de cette Carte étoit au moins du double plus grand ; le Graveur l’a ré¬ duite contre mon intention. J’ai donné un Dictionnaire des termes de marine, mêlé avec la Table des ma¬ tières, pour mettre au fait de leur lignification la plupart des Lecteurs, qui n’en connoiiîent pas l’ufage. DIS- « DISCOURS PRÉLIMINAIRE. a Paix ayant été conclue an mo¬ yen de la ceffion que la France avoit faite de tout le Canada à P Angleterre, Monfieur de Bougainville, Chevalier de St. Louis, & Colonel d* In¬ fanterie, fè mit en tête de dédommager la France de cette perte , s’il étoit poffible, parla découverte des Terres auftrales, & des Isles confidérables qui fe trouve- roient fur la route. La le&ure du Voya¬ ge de F À mirai Ànfon, autour du Monde, fixa fes idées, pour la reconnoiffance des Isles Malouïnes; le détermina à commen- A a cer v I I I I 1 I _ II If. I « r< DISCOURS cer par là fon expédition, & à y former un établiffement. Il fit part de fon pro¬ jet au Miniftere , qui l’approuva. Four l’ exécuter , Mr. de Bougainville fit conf- truire, à fes fraix, une frégate & une cor¬ vette, à S. Malo, fous la direction des Sieurs Guyot du Clos, & Chénart de la Gyraudais, qui dévoient les commander fous fes ordres. Mais voulant rendre utile l’exécution de fon projet, & ayant penfé que je pouvois y contribuer, il me prbpolà, fur le point de fon départ de Paris, d’entreprendre ce Voyage avec lui. Peu de jours après je reçus les ordres du Roy, par une lettre de Mr. le Duc de Choifeul, Mmiftre de la Marine , pour m’embarquer avec Mr. de Bougain¬ ville. Je fis auffitôt mes difpofitions pour ce voyage de je parus avec lui pour S. Malo. , r Tous ceux qui font au fait de la poii- tion des Isles Malouïncs, applaudiront au projet de Mr. de Bougainville ; mais peu de perfonnes ont entendu parler de ces Isles, parce qu’elles étoient prefque incon¬ nues. Quelques Navigateurs les avoient vues; je'crois cependant pouvoir aflurer que perfonne, avant nous, ny avoit abor- WCj PRELIMINAIRE. T dé, au moins dans la partie de ces Isles, où nous femmes defcendus. Il eft donc à pro- pos de donner une idée de leur décou¬ verte , en rapportant ce que quelques Au¬ teurs accrédités en ont dit. Frézier, dans fa Relation du Voyage de de la Mer du Sud, in 4. Paris 1716. page 264. s’exprime en ces termes : 5,Sij’aifup- primé, dans cette Carte , des terres ima- ginaires, j’en ai ajouté d’efFeéHves, par les 5, S 1 dégrés de latitude, ausquelles j’ai don- 3iné le nom d 'Isles nouvelles , pour avoir été „ découvertes depuis l’année 1700. la plû- 3, part par les Vaiffeaux de S. Maîo Je „ les ai placées , fur les Mémoires du Mau- 5, repas & du S. Louis, Vaiffeaux de la 5, Compagnie des Indes , qui les ont vûës „ de près; de même ce dernier y a fait de 3, l’eau dans un étang , que j’ai marqué 53 auprès du port S. Louis. L’eau en étoit 3, un peu rouffe de fade , au relie bonne 5) pour la Mer. L’un de l’autre ont parcou- 3, ru différens endroits ; mais celui qui les „ a côtoyées de plus près , a été le St. Jean- 3, Baptifte , commandé par Doublet du Ha- „ vre, qui cherchoit à paffer dans un en- „ foncement qu’il voyou vers le milieu. 3, Mais ayant reconnu des Isles baffes près- A 3 que 6 D SC O U R S 55 que à fleur d’eau } il jugea à propos de revirer de bord. Cette fuite d Isles font celles que Fouquet de St. Malo découvrit, qu’il appella du nom d’Anican „fon Armateur. Les routes que j’ai tra- cées5 feront voirie giffement des terres, „ par rapport au détroit de le Maire , d ou 3) fortoit le St. Jean-Baptifte, lorsqu’il les 3, vît; & par rapport à la Terre des Etats, „ dont les deux autres avoient eu connoif „ fance, avant que de les trouver. „ La partie du Nord de ces Terres, ,3 qui eft ici fous le nom de Cotes de ÏAf- ^fomption, a été découverte le iC Juillet 33 de l’année 1708. par Poré *) de St. Malo, 33 qui lui donna le nom du Vaifl'eau qu il „ montoit. On la croyoit une nouvelle. ♦ 3, Terre •) Il paroit que Pore ne connoiflbit pas le gifle- ment des Côtes des Patagons, ni celui des Isles Nouvelles ou Malouïnes : ou qu il avoit mal fait fon point. En effet ces Isles ne font qu’à 90 ou ICO lieuës du Detroit de Magellan : comment auroient elles donc été éloignées de 100 lieues a i’Oueft de la Côte de l’Aflomption, ainfi nom- - mce par Poré. S’il avoit eu connoiflance du oiffement des Isles Malouïnes, il auroit vû clai¬ rement par la latitude & la longitude de la côte qu’il parcouroit, qu’elle ne pouvoit être autre que celle de ces Islek PRELIMINAIRE. 7 ^ Terre éloignée d’environ cent lieüës à l’Eft des Isles nouvelles dont je parle.; „ mais je n’ai point fait de difficulté de la „ joindre aux autres, fondé fur des rai¬ nions convaincantes. . „ La première, c’efl: que les latitudes 3, obfervées au Nord &>au Sud de ces Is- 3, les, & le gifiêment des parties connues, „ concourent parfaitement bien au même point de réunion, du côté de l’Eft, fans 33 qu’il relie du vuide entre deux. La fe- 3, coude, c’eft qu’il n’y a point de raifon 5> d’eftimer cette côté à PEU des Isles d’A- .,3 nican. Car Mr. Gobien du St. Jean, qui 3, a bien voulu me communiquer un extrait 33 de fon Journal, eftime qu’elle ell au Sud ■5, de la Riviere de la Plata *); ce qui étant A 4 „ pris *) L’eftime de Mr. le Gobien du Sr. Jean eft fan (le ; puisqu’il inet cette côte cle i’Aftomption âu Sud de Rio de la Pista; & qu’y ayant atterri, com¬ me lui, & au même endroit, fuivant la Carte de « de Fiezier, notre eftime nous donnoit alors environ 64 dégrcs & demi de longitude Occi* dentale, méridien de Paris, & l’embouchure de Kio de la Plata, 56" 30'ft ce qui rejette l'endroit de la côte ou Mr. ie Gobien & nous avons atter¬ ri, 8 degrés plus au Sud-Oueft; à fait, à peu près, l’erreur que l’Auteurjlu Voyage de l’Amiral *» A mon , (page 73) attribue à la Carte de Frezier, &r la pofitjon de la Côte des Patagons. s DISCOURS „ pris à la rigueur, ne pourroit l'éloigner à „ l’Eft que de deux ou trois dégrés , c’eft- „ à -dire 2 s ou 30. Lieues. *) Mais la di- „ verfité des eftimes eft toujours une mar- „ que d’incertitude. La première fois qu’ils „ virent cette Côte, en venant de l’Isle „St. Catherine, (au Brefil) ils l’eftimerent „ par 329. dégrés; & la fécondé, en venant „ de la riviere de Plata, où les vents con- „ traires les avoient contraint d’aller rela- „ cher, après avoir tenté de paffer le Cap „ Horn, ils la jugèrent par 322 degrés, & „ fuivant quelques uns 324. fur les Cartes 3, de Pieter Goos, dont nous avons fait re- „ marquer les erreurs, page 28- Ainfi ou „ doit y avoir peu d’égard. Cependant, „ comme ils y avoient de la confiance, ils fe „ crurent fort loin de la terre ferme , & fe 3, comptant trop à l’Eft, ils coururent auflî „ 300 lieues trop à l’Oueft dans la Mer du „ Sud, de forte qu’ils fe croy oient courir » fur *) En reculant de 3 dégrés plus 1 1 Oueftda cote de l’Affomption , elle fe trouve en effet plus con¬ forme à notre eftime, qui éloigne notre atter- riflement de quatre dégrés , ou environ , plus à TOueft, qu’il ne le feroit fuivant la Carte de Frézier , faite fur l’extrait que lui avoit fourni Mr. le Gobien, de fon propre Journal» PRELIMINAIRE. 9 i, fur la Guinée, lorsqu’ils atterrirent à Ylo. „ Maislatroifieme & convaincante, c’eftque „ nous <3c nos camarades avons du pafler 3) par deflus cette nouvelle Terre, fuivant » la longitude où elle étoit placée dans la » Carte Manufcrite; & qu’il eft morale- „ ment impoflible qu’aucun navire n’en » eût eu connoiffance, étant longue d’en- „ viron to lieues E. S. E. & O. N. O. Ainfî 3y ü ne refte plus aucun lieu de douter que „ ce ne fut la partie du Nord des Isles Nou- i> velles , dont le tems découvrira la partie t> de' l’Oueft, qui eft encore inconnue. „ Ces Isles font fans doute les mêmes 3> que le Chevalier Richard Hawkins dé- couvrit en 1*93. étant à l’Eft de la Côte „ déferte, par les ço dégrés. 11 fut jette, 33 par une tempête, fur une Terre incon- „ nue 1 il courut le long de cette Isle envi- »ron 60 lieues, & vit des feux, qui lui fi- rent juger qu’elle étoit habitée. *) A f MJus- •) Je ne fçai fi les Isles que la Chevalier Richard Hawkins apperçut en 1593. par les 50 degrés à l’Eft de la Côte déferte des Patagons, four la partie du Nord des Isles nouvelles, ou Maloui- net. Nous avons couru cette Cote au moins 60 lieues comme lui t & nous n'y avons apperçu au- ao DISCOUR S ,, Jusqu’ici on a appelle ces Terres les Jsies Sebaldes , parceque l’on croyoitque ’’ les trois qui portent ce nom dans les Cartes, étoientainfi marquées à volonté, ’ faute d’une connoiffance plus parraite. Mais le Vaiffeau l’Incarnation, commande ” par le Sieur Brignon de St. Malo, les a ’’ reconnues de près par un beau tems , en ,, 1711. àlafonie de Rio- Janeiro. Ce fontef- fcftivement trois petites Isles, *) d’envi- ron demi-lieuë de long, rangées en tnan- ' p-le comme elles font marquées dans les v B y v\o_ aucun feu, ni autre apparence d’habitation, quoique nous n en fuffions affez fouvent éloi¬ gnes que d’une demie lieue , ou une lieue. *) A notre atterriflement nous découvrîmes trois Isks, d’environ demi- lieue de long; allez éle¬ vées, & placées à peu près en triangle, comme on dit que le font les Isles Sebaldes. Cette ref- femblance de pofilion & de figure nous les fit prendre alors par las Isles Sebaldes; mais nous avons découvert tout auprès quelques petites ïs- les planes, & presqu’à fleur d’eau, dont il aefi: aucunement parlé dans les Journaux du Sieur Brignon, ni dans les autres Journaux qui font mention des Isles Séhaldes. Ayant enfuite, peu d’heures apres découvert d’autres élévations les unes derrière les autres , nous jugeâmes que ces - k trois PRELIMINAIRE, n n Cartes. Iis n’en pafîerent qu’à trois bu „ quatre lieues, 8c ils n’eurent aucune con- noiffance de terre, quoique par un tems „ très fin j ce qui prouve quelles font fë- ,3 parées des Isles nouvelles, au moins de „ fept à huit lieuës.tc Dans le Mémoire préfentê à la Com¬ pagnie des Indes par le Sieur de Lozier-Bou- vet en 173Ç. pour quelle lui facilitât les mo¬ yens de reconnoître les terres découvertes par Gonneville , il y rapporte, entre autres avantages de rétabliffement que Ibn y fe* roit trois Isles rfctoîent pas îes Scbatdes ; mais des Isles un peu avancées de la grande des Malouï- nes, & nous eûmes lieu de nous confirmer dans cette opinion. Si ces trois Isles étoient en effet les Sébaldes, elles ne feroient éloignées de la terre,' ou grande îsle, que de deux lieuës, & non de 7 à 8j comme le dit Frezïer. Voyez la Carte de notre route le long de la côte Cependant, dans les deux voyages de l'Aigle, & de la fiute du Roy l’Etoile, qui ont reconnu de nouveau ces trois Iles, en allant des îles Malouïnes au Dé¬ troit de Magellan, l’Aigle en 176$, & i’Aiglç avec lia flûte l’Etoile en 1766. Ces deux Na¬ vires n’ont point trouvé d’autres Iles que ces trois, & les ont regardées depuis comme étant les Sebaldes. roir après cette reconnoiffance, les occa- iions de lier un commerce dire£t avec les Efpagnols de la Riviere de la Plata, & les Portugais du Brefil. 11 allure même que les Vaiffeaux en allant, relâcher à ces Terres Auitrales , s ecarteroient très peu de leur rou¬ te ordinaire, pour les Indes. Par rétabliffement que nous venons de faire aux Isles Maîouïnes , *) nous mettons la Compagnie des Indes, & tous les Navi¬ gateurs François, dans la lituadon la plus favorable pour remplir ces deux objets* Les Isles Maîouïnes font beaucoup moins au Sud: le climat en eft bien plus tempé¬ ré; elles font plus à portée de Rio de la plata, & du Brelü; plus dans le voifinage des Terres Magellaniques , ôc de telles des Fatagons ; avec les habitans desquels il fe- ioit d’autant plus aifé de lier un commerce, qu ils connoilîënt déjà les Européens par celui qu ils font avec les Efpagnols. Quelle eft en effet la pofition des terres Auftrales découvertes par Monfieur deGon- neville, Gentilhomme Normand? En 1503. ayant *) Depuis ce Journal écrit, la France a cédé les lies Maîouïnes à l’Eïpagne. PRELIMINAIRE. t* ayant armé à Honfleur , il en parti au mois de Juin , pour les Indes Orientales. Après avoir doublé le Cap de Bonne Êfpérance, 8c avoir été pris d’un coup de vent, au¬ quel des calmes fuccéderent, il ne penfa plus qu a gagner quelques terres, où il pût fç remettre des fatigues de la Mer. Il eut le bonheur d’en découvrir, qu’il nomma In¬ des Méridionales . Il y refta fix mois, pen¬ dant lesquels il radouba fon Vaiffeau, traita avec les Naturels du Pays, & ménagea fi bien leur amitié, que leur Roy, nommé Arofca, lui donna fon fils Effomeric, pour faire le voyage de France, à condition, qu il le lui rameneroit dans 20 Lunes. Gon- neville mit à la voile le 3. Juillet 1 y 04. char¬ gé des produftions du pays. Il rencontra dans la Manche un Corfaire Anglois , qui le prit, & le mena à Grenefai. Ce contre- tems fut caufe qu’il n’arriva en France qu’en ifOf. où il fit fes plaintes, 8c fà déclara¬ tion à ls Amirauté de Honfleur. On ne profita pas alors de la découverte de Mr. de Gonne ville; lequel, pour dédommager EfTomeric, à qui il ne pou voit tenir parole, lui fit époufer une de fes parentes, 8c lui laiffa en mourant une partie de fes biens. Le 14 DISCOURS Le Sieur Bouvet, qui avoir quelques notions de cette découverte, préfenta fon Mémoire à la Compagnie des Indes. Elle lui fit armer deux Navires, l’Aigle & la Marie, fur lesquels il partit de 1 Orient le ï9 Juillet 1738- H arriva le 26 Novembre par les aç degrés de latitude Méridionale, & les 344 de longitude, Méridien François. H commença à y trouver cie la brume, qui ne les quitta presque plus tant que les deux Vaiffeaux furent enfèmble. Souvent elle était fi êpaiïïe que dans 1 Aigle on ne voyoit pas la Marie, à une portée de fufil ; de fa¬ çon qu’ils eurent toutes les peines du mon¬ de à ne pas fe féparer. Le 3 Décembre, par les 39 deg. 20 min. de latitude, & les 3ïf de longitude, ils commencèrent a voir dix Goémon, 3c plus d’Oifeaux qu’à l’ordinaire , ce qui leur fit P enfer qu’ils n’etoient pas éloignés de terre, ils prirent toutes les précautions requifes en pareil cas. Le ç > ils; fe trouvèrent par les 42 deg. 40 min. de latitude & les 3Ï4 dé de longitude. Le 7, par les 44 de lat. & 3 5 ï? de longitude. Le 10, par les 44 & le pre¬ mier Méridien, où plufieurs Géographes plaçoient le Cap des Terres Auflfales. Le 12. ils fefaifoient par le 7 d. de longitude; PRELIMINAIRE, if fe iç, par les 48 d. fo min. de latitude égaie à celle de Paris, & par les 7 de longitude. Iis virent alors des glaces , ce qui étoit pour eux un indice certain de Terre. Ils virent même la couleur de Peau de la mer chan¬ gée , beaucoup de plongeons, & beaucoup d autres oifeaux, dont plufieurs battoient de l’Aîle ? comme les oifeaux de Terre Ils appercurent auffi des Pinguins, oifeaux amphibies, dont on trouvera la defcription dans ce Journal. A mefure quils avancè¬ rent vers le Sud, les glaces fè multiplièrent. Le 16, ils virent encore des Pinguins, & un Loup marin; la brume & les glaces les empêchèrent d’élever les 74 dég.de latitude avant le dernier Décembre. Enfin le pre* mier Janvier, vers les 3 heures après midi, ils apperçurent une Terre fort haute, cou ¬ verte de neige, & très embrumée, qu’ils prirent pour un gros Cap/ & qu’ils nom¬ mèrent le Cap de la Circoncijïon. II eft, fuivant la rélation du Sieur Bouvet, par les 54 deg. de latitude Méridionale, <3c les 27 à 28. de longitude, méridien François. Le G ils virent une quantité prodigieufe d’ori féaux, d’un très -beau blanc, & gros com¬ me des pigeons : ils crurent voir la terre à une ou deux lieues. Le lendemain 3 ils ap^ 1 ; ‘ per- i 5 en les faifant reconnoître , fort propres a ” cet effet. L'un eft l’ik Pepys *) à 47 de la-, , titude Sud , & fuivant le Docteur Halley* v _ rnnnrr liPlVPQ dll CclD blHOC 3 lUf lies -de Falkland, a la latitude ue 5 1 « peu près au Sud del'Isle Pepys. Cette ■ dernière a été découverte par le Capitai- ” ne Cowley, dans fon Voyage autour du Monde? en ï68<3- Il nous a reprefente }> eette lie comme un lieu très -commode? ” pour y faire de l’eau &du bois; & où il y a un très -bon pGit, capable de contenir plus de mille vaiffeaux en toute fureté. Il dit de plus qu elle abonde > , en oifeaux, & que comme les cotes J„ en font de] roc &. de fable, il s y uou- „ ve* 55 55 55 ‘ L. e», •*» -*• •j Dans le fécond Voÿogeaux Iles Maluuïnes, Mu ' de Bougainville a cherché inutilement, pendant plufieuvs jours, cette prétendue Ile Pepys ; la mê¬ me recherche n’a paa été moins vaine, dans le rçoificme,. PRÉLIMINAIRE, ii 5 ve , fans doute, grande quantité de ,, poiflbns/c tf ' » - ^ 1 • Ce raifonnement paroît être une pure conjefture, & très bazardé de la part du Capitaine Cowley. Il eft aifé de s’en con¬ vaincre par la ledturë de fi Rélation, puis- qu’il y dit en propres termes que le gros tem s f empêcha dyy defcendre , ri ayant pu met¬ tre fa chaloupe à la mer . S’il Fa vûë en effet, ce n*eft donc qu’en paffant, comme plu- fleurs Navigateurs ont fait de beaucoup d’au¬ tres Iles & Terres, qui nous font encore inconnues, tant pour la qualité & les pro¬ ductions du terrein, que pour le véritable giffemenr de leurs côtes. Puisque ce Capi¬ taine n’y eft pas defcendu, comment peut- il fçavoir fi c’eft un lieu commode pour fai¬ re de l*eau? Il n’y a peut-être point d’eau douce. Quant au bois , nous y avons été trompés fur les apparences , en courant la Côte des Iles Malouïnes : nous avons cru en voir, & après y être défendus, ces ap¬ parences ne nous ont donné en réalité que des glajeux; efpece de jonc ou plante à longues feuilles, plattes & étroites, qui s’é¬ lève en motte de trois pieds au moins, & dont les feuilles en touffes font , en sele- B 3 vaut 22 DISCOURS vant au deffus de la motte, une hauteur de 6 à 7 pieds. Voyez l’extrait du Journal du St. Alexandre Guyot à la fin de cette Rélation. „ A l’égard des Tsîes de Falkland, elles „ ont été vûës, continue l’Amiral Anlbn, de „ plufieurs Navigateurs François & Anglais. „ Frézier les a miles dans la Carte à lexu'e- „ mité de 1 Amérique Méridionale, fous le ,, nom d t Nouvelles Iles. Woods Rogers, „ qui courut la côte de N. E. de ces lies „ en 1708, dit qu’elles s’étendent environ la „ longueur de deux degrés ; qu elles font „ compofées de hauteurs, qui defoendent „ en pente douce les unes devant les autres; „ que le terrein en paroît bon , & couvei t „ de bois; (voyez ce que nous venons de di¬ re à ce fu jet, dans la remarque précédente,) & que fuivant les apparences il n’y man- , que pas de bons ports. L’un & l’autre de ces endroits eft à une diftance convenable du Continent; & à en juger par leurs la¬ titudes, le climat y doit être tempère. 11 1 eft vrai qu’on ne les connoit pas allez bien pour pouvoir les recommander, comme ’ des lieux de rafraîchiffement à des Vaif- ” féaux deftinés pour la Mer du Sud, mais ’ l’Amirauté pourroit les faire reconnoître a ” « pe» 1 PRELIMINAIRE. 2$ 5, peu de fraix ; il n’en coûteroit quun voya^ ‘ „ ge d’un feul Vaifleau: & fi un de ces en- 5> droits fe trouvoit, après cet examen , pro- 3, pre à ce que je propofë, il n’eft pas conce- v vable de quelle utilité pourroit être un lieu » de rafraîchiflement, aufli avancé vers le ^ Sud 5 & aufïï près du Cap Horn. Le Duc ,, & la Ducheffe de Brifîol ne mirent que 3 s „ jours,' depuis qu’ils perdirent la vûe des j, lies de Falkland , jusqu’à leur arrivée à jjl’Ile de Juan Fernandez, dans la Mer j, du Sud y & comme le retour en eïl en- j, core plus facile, à caufe des vents d’Oueft ^ qui régnent dans ces parages, je ne don- jj te pas qu’on ne puiflTe faire ce Voyage „ des Iles de Falkland à celle de Juan Fer. j, nandez, aller & revenir, en un peu plus de jj deux mois.“ Si Wood’s Rogers n’a couru que J a Côte N. E. des lies de Falkland, ou Ma- louïnes , comment peut- il fçavoir fi ces Iles ne s’étendent qu’environ la longueur de deux degrés? Nous n’avons couru qu’u¬ ne partie des côtes de la grande Ile, & nous avons trouvé qu’elle s’étendoit plus de trois, depuis l’Eft jusqu’au Nord-Oueft. Nous avons remarqué qu’elle eft en effet B 4 com- ^ V 24 DISCOURS compofée de hauteurs qui defcendent en pente douce les unes devant les autres ; mais le terrein ne nous a, jamais paru" couvert de bois, quoique nous Payons côtoyé de fort près: nôusV avons même toujours douté qu’il y en eût , parce que nous n’a¬ vons pu çn découvrir pendant le féjour que que nous y avons fait, tant au premier Voyage, qu’aux deux fuivans. JOUiRNAL HISTORIQUE • • . - ' ■ ■•}'•,' de mon Voyage aux Iles Maloumest avec les obfervations que fai faites fur les Habit ans , fur T Hi foire naturelle des lieux que fai par co: Je partis de Paris le 17 Août 1763. ^ . 1 1 f! \ • t j||fe à deux heures après - midi. Etant arrivés à Pdntçhar train , nous nous y arrêtâmes pour y attendre Mr. d’Âr- boulin, alors Adjûiniftrateur général des Pos¬ tes de France, qui retournait de fa terre de Montigny à Palis*: Mr. de Bougainville fon Ne veu vouloir ^entretenir fur les arran- gemens à prendre pour les fraix & les dé- penfes relatives à la conftruétion des deux fré¬ gates, & au voyage que nous allions entre¬ prendre: Mr. d’ArbouIin y étoit entré pour beaucoup. Nous l'attendîmes jusqu a près de fèpt heures ; il parut enfin ; & après une conférence d’environ une heure, il prit la route de Paris, & nous , celle de Saint Malo. B f Nous 26 JOURNAL' Nous courûmes les deux nuits, & les jours fuivans. Après nous être feulement arrê¬ tés quelques heures vers le midi, pour Jaiffer palier la chaleur, qui étoit exceffive, & faire câbler à Rennes une de nos roues* dont les rayons vouloient abfolument quit¬ ter le moyeu, nous arrivâmes à Beaufé¬ jour fur les deux heures après minuit, le Dimanche ~2o. Beauféjour eft une mai- fon de campagne très -jolie, fituée à lu¬ ne des extrémités de St. Servant. Mr. Bougainville de Nerville, coufin germain de Mr. de Bougainville, y étoit arrivé cinq jours avant nous, & nous y attendoit. Nous ne bûmes qu’un verre de cidre, 8c nous courûmes à nos lits, ayant plus en¬ vie de dormir que de manger. Mr. Duclos Guyot, choifi pour com¬ mander la Frégate l’Aigle, fous les or¬ dres de Mr. de Bougainville, vint nous trouver à Beauféjour, avec quelques uns des Officiers qui dévoient s’embarquer avec nous. Je pafTai mon tems à voir la Ville de St. Malo, celle de St. Ser¬ vant, & les environs jufqu au 25, que nous nous tranfportames au port deSolidor, pour la cérémonie du Baptême de nos deux 3 ré- 27 HISTORI au E- gates; qui s’eft faite folemnellement, fui- vant l’tifage. Tous les Officiers & les Ma¬ telots qui dévoient s’y embarquer , étoient à bord. M. N. Chapelain & Dire&eur de l’Hôpital de St. Sauveur, de la Ville de St. Malo, célébra la Meffe dans la Frégate l9 Aigle, & fit toutes les cérémonies accou¬ tumées en pareilles circonftances. Les deux Frégates, mouillées l’une près de l’autre, firent une fàlve generale au commencement de la Meffe, & une fécondé falve à la fin, pendant la priere pour le Roy. Le lendemain, Dom Jamin, Prieur des Bénédi&ins du Monaftere de St. Benoit, avec lequel j etois fort lié pendant qu’il pro- feffoit la Théologie à Paris dans l’Abbaye de St. Germain des Près, nous traita à diner, Mr. de Bougainville, Mrs. Duclos Guyot, Chênart de la Gyrandois, de Belcourt Lieu¬ tenant d’infanterie, l’Huillier de la Serre Ingénieur, & moi. Nous fîmes porter à bord nos malles, nos lits, & les autres chofes néceffaires pour le voyage ; de le 29 nous couchâmes à bord. On continua d’embarquer toutes les provi- fions jusqu’au premia* de Septembre. Dès Dès les cinq heures du] matin le vent de Nord-OueR s’étant élevé affez bon frais, nous avons quitté Solidor *) fur la Frégate X Aigle de 100 hommes d équipage, mon* têe de 20 canons , percée pour 24, com¬ mandée par le Sr. Duclos-Guyot, de St, Ivlalo, Capitaine de Brûlot, accompagnée de la Corvette le Sphinx > de 40 hommes d’équipage, montée de huit canons & fix pieniers, commandée parle Sr, Chêiiart delà G'yraudais, de St. Malo, Lieutenant dé Fré¬ gate, l’une & l’autre fous les ordres de Mr* de Bougainville, Chevalier de St. Louis, Colonel d’infanterie, & Capitaine de VaiC feau : nous avons mis en rade de Rance ou de St. Malo, fur les 10 heures du matin. Nous n’attendions quun vent favorable poiu appareiller le lendemain deux de Sep¬ tembre. lorsque trois ou quatres perfonnes de St. Ma! o formeront dés difficultés à l’A: mirauté Ru notre départ. Mr. de Bougain¬ ville en ayant eu avis , fe tranfpona à St. Malo, fe prêfenta à F Amirauté , ^répondit à tout de maniéré que le jugement fut pro¬ noncé à fon avantage. Ayant penfé néan¬ moins • . 3. • 1 •'!* *) Solidor eft le nom du -port, de Su Servant, où Ton confirait les Navires. H 1 S T O R I Ct H R 29 moins qu’il étoit à propos d’en informer le Miniftere, il fit partir un Courier chargé de fes dépêches, à deux heures du matin, la nuit du Samedi au Dimanche 4 du mois. Ce Courier, qui étoit fon domefti que, ht tant de diligence , qu’il fut de retour à St, Malo avec les réponfes, la cinquante -neuviè¬ me heure après fon départ, .. ^ *. *. j t ’ i". » v, . . Sur le foir du S , jour de la Nativité de la Vierge, le vent s étant montré au Sud-, Sud-Queft, les ordres furent donnés pour défeffourcher j ce que nous fîmes à une heu¬ re après minuit j de Ton appareilla fur les 6 heures £ du matin, les vents continuant 1- -- ' ■ i- if'" bon. frais.. Nous avons fait route le 95 & après la patte du Décollé, le vent ayant tourné au Sud-Oueft , & de plus en plus à rdueft, à mefure que nous approchions du Cap Fré- hel *} nous avons mouillé fur le midi. La Corvette le Sphinx a fait la même manœu-. vre que nous, de a mouillé à N. N. E. en-. viroa é io1 *y Ce Cap eft à 5 lieues de St. Maio. Le fond eft de fable vafeux & herbier. Au S. E. la Tour des Hébiens, la pointe de St. Caft au S. O. & 4 Château de la Late au N» Q. Voyez en la Pi. i. 30 JOURNAL viron à deux Cabhires. Nos deux Fréga¬ tes fe trouvèrent alors dans le même mouil¬ lage ou fe placèrent les Anglois dans l’Afc faire de St. Cad, où ils furent fi maltraités, dans la defcente qu’ils y firent. Ce mouil¬ lage n’eft point du tout affuré, & beaucoup de Navires y ont péri. Les Vents d’O. S O. & d’O. N. O. ont régné le dix & le onze avec beaucoup de violence : il a tombé de la pluye & de la grêle; ce qui nous a obligé d’amener nos baffes vergues, mâts de hune, & de raffraî- chir de tems en tems nos amarres. On a même été contraint de filer trente brades du cable de Stribord. Le 12, les vents ont régné de TOueft- Nord-Oueft au Nord, toujours grand frais, avec force grains, le mer très-groffe. A minuit lèvent eft un peu tombé, mais la mer a continué d’être groffe. Sur les fix heures du foir nous avons vu un Na¬ vire fous quatre voiles majeures, faifant route pour St. Malo. Lèvent a changé le 13 du N. N. O. ail N. E. bon frais, la mer toujours groffe, avec de la pluye & quelques grains. La mer HISTORIQUE. |t \ mer a commencé à tomber fur les onze heures du matin $ à s heures du foir, elle eft devenue belle, le vent étant au N. petit frais. On a guindé les mâts de hune & baffes vergues. Le Navire que nous avions vû la veille allant à St. Malo a repaffé, fur les huit heures , pour la Manche , deftiné, dit- on, pour Bordeaux. Peltier, Pilote Côtier de St. Malo, nous a apporté 17 bar¬ riques d eau & des légumes. J’ai mis alors dans un petit tonneau ténant environ cin¬ quante pintes d’eau , une drogue de Mr. Sé¬ guin, pour préfèrver l'eau de corruption dans les voyages de long cours. Un Chi- mifte avoit donné une autre compofition à Mr. de Bougainville pour la même fin. C etoit une pâte gnfàtre, qui fembioit être compofée de terre glaife & de poudre d’an¬ timoine crud. Quelques uns difoient qui! y avoit un mélange de Mercure crud. Mr. de Bougainville ne me rayant montrée qu'à bord de la Frégate, je nai pas eftàyé d’en fane l’analyfe. Sur Pin-certitude de ce qui entroit dans cette compofition, lVlr.de Bougainville ne fè mit pas beaucoup en peine pour en faire Y épreuve. Mais , com¬ me je fçavois ce qui formoit celle de Mr. Séguin /qui n eft autre choie que del’efprit » J O U R N A t de fcly & qu’en préfervant l’eau de cor¬ ruption , il la fendoit même lalutaire , & propre a prévenir, & à guérir le Scorbut, je n’héfitai pas à en faire leffai. On verra dans la fuite ce qui en a réfulté. Le 14 le vent ayant régné du N. au N. O. & par intervalles au N. N. O. il a fait beau tems jusques à 4 heures du matin* Alors le tems s’eft engraijje par une efpe- ce de brouillard, & il a plu jufques à 8 heures, que le vent sert élevé bon frais; ce qui nous a obligé d’amener nos baffes vergues, & mâts de hune. Vers midi le tems a calmé, là mer eft tombée, & l’après-midi a été belle. L’Officier dé Quart, ayant voulu commander à deux Acadiens Paflàgers d’aider à la manœu¬ vre, le fils refufa d’agir, & le fit avec un ton qui détermina l’Officier à en porter fès plaintes à Mr. de Bougainville, qui le pria de n’y pas faire attention, & en parla à l’Acadien. Celui-ci reçut l’avis d’affez mauvaife humeur; mais promit cependant de travailler comme les autres , au moins dans les cas de befoin. Dans la foirée le vent a paffê au N. & N. N. E* A deux heures après ml ^ nuit HI S T0 3R I dU E. 33 nuit, "le vent étant au N. E. nous ayons viré fur notre ancre daffourche d'Ebe: Elle, étoit à bord à > heures. Nous avons enfuite guindé nos baffes vergues & nos mâts de hune, embarqué notre canot, vi¬ ré fur notre fécond ancre, & appareillé ftir lès 9> heures. Le Vent étoit Nord pe¬ tit frais. Au lignai d’appareillage le Sphinx a appareillé, demi - heure après nous, & nous avons louvoyé, ^our nous élever de deffus la côte. A midi-, nous étions N. 8c S. de St, Jacut, environ à une lieue & -1- '--v ' 4' ‘ • ■ ' - -4 , Depuis hier midi » les vents ayant varié, nous ayons été obligé de tenir la route du Nord - Oueft jufqu’à cinq heures du matin, & à midi nous avons relevé le Cap Fré hel au S. S. E. 4. deg. le Cap d’Arquis, au¬ trement de l’Abbaye de St. Brieux au S» o.&s.o. is. Le lendemain 16, nous avons été obli¬ gés de fane beaucoup de bords, parce que le vent étoit toujours variable, petit frais, & la mer calme par fois. Sur les 8 heu¬ res dufoir, nous avions le Cap Fréhel au S. J S, E. environ à deux lieues. Nous avons continué de louyoyer toute la nuit, C &lê * 34 JOURNAL & le matin jufqu’à midi , pour prendre les marées plus avantageules; mais (ans pref que rien gagner. A fix heures du foir le 17- nous nous fommes approchés de Jerfey; mais ne pouvant doubler cette Ile, .nous avons viré à courir fur l’O. £ S. O. le plus gros Rocher des Mmquiers au S. E. A minuit, la mer nous prenant en tra¬ vers, & craignant les Rochers nommés les Liégeons, nous avons viré bâbord amu¬ re iufqu’à deux heures que nous avons re¬ pris les amures à (tribord. Alors nous avons eu connoiffance du feu du fanal de Fréhel, diftant d’environ 4 lieues. Nous avons continué la même bordée le 1 8, jufques à fix heures du matin. Mais voyant toujours les vents contraires, & ne faifant que louvoyer au ^ milieu des ro¬ chers dont toute cette côte eft hériflee ; on a pris la parti de relâcher. Nous avons donc arrivé; le Sphinx en a fait de mê¬ me, & à midi nous étions E. & O. du fanal de Fréhel, à un tiers de heuë ou en¬ viron. Le calme eft venu enfutte, en dou¬ blant le château de la Latte, la mer nous a fait dériver, & nous avons eu bien de H I S T O R I Q^U E. 3r k peine à le regagner. Cependant nous avons mouillé à deux heures après midi. Comme la mer étoit fort tranquille, & le vent affez doux, dès les 9 heures du matin, Mr. Bougainville, Mr. de Belcourt, l’Huillier, Donat; de la Gyraudais Cap! du Sphinx & moi, nous avions été à File Agôt, où nous comptions tuer quelques La¬ pins 3 mais nous n’en vimes que deux pen¬ dant près de 3 heures que nous la par¬ courûmes. Comme je n’a vois d autre châiïe à faire que celle des plantes, ou autres chofès curieufes, qui pouvoient fè trouver fur mes pas , je m’amufai à amaf- fer des graines de raves ou raiforts fam vages, & quelques coquillages. Vers Pheu- re de midi , la faim commença à fè faire fentir, on navoit rien tué, & la chaife ne pouvoir nous fournir dequoi dîner; nous rimmes confèil, & la réfolution fut prife d’aller demander à dîner au Prieur del’Ab- baye de St. Jacut. Nous montâmes aufli- tôt dans notre Canot; & nous arrivâmes à cette Abbaye fur les deux heures. Le Prieur & les autres Bénédictins mes Con¬ frères nous y firent Paccueil le plus gra- deux, & nous fer virent à dîner avec le même empreffement qu’ils avaient mon- C 2 tré trô le 6 de ce même mois y que nous y avions été cinq à fix avec le Prieur des Bénédi&ins de St. Malo. Celui de St. Jacut étoit venu dîner à bord de l'Aigle le 13, & Mr. de Bougainville avoir fait les chofes on ne peut pas mieux. Au fortir de table à St. Jacut, je fis reffouve- nir le Prieur de l’offre qu’il nous avoit faite des légumes de leur jardin. Il nous permit, de la meilleure grâce du monde, d’en emporter ce que nous voudrions , & nous chargeâmes notre Canot de .choux, Ôc de porreaux. X Le 19, à quatre heures du matin, le tems parut bon pour appareiller par un vent d’O. S. O. & nous levâmes l’anere à neuf heures, mais le vent repaffa au S. O. & le calme fuccéda. Il fallut laifler re¬ tomber l’ancre fous barre. Deux navires paflerent fur les dix heures, faifant route pour le Ras. A une heure après midi, le lendemain, nous avions embarqué nos Canots, le vent au S. S. O. bon frais, & le tems à grains. Nous étions fous voiles à trois heures. ‘ Après avoir doublé la pointe du Château de la Latte, nous trouvâmes , le vent 3? H I S T O R I Q^U E. vent au N. O. & les deux Navires, qui avoient pafTé le matin , venoient relâcher. Nous y fouîmes retournés aufîî; 8c fur les f heures nous avons mouillé & afFour- ché à la voile; le Sphinx en a fait de mê¬ me. De ces deux Navires , l’un étoit def tiné pour Breft, lautre pour Cayenne. Le Capitaine de celui-ci vint nous rendre vi- fite ; & comme il avoit mouillé fous un feul ancre, 8c un peu trop près de terre, notre Capitaine lui fit remarquer qu’il cou* roit de grands risques, s’il venoit quelque grain violent. Etant retourné à fon bord, il profita de cet avis, 8c affourcha, après s’être un peu éloigné de terre. A neuf heures du foir, il vint un grain violent qui lui fit fentir la necefîîté de cet avis. Pendant la fougue de ce grain, qui dura environ une bonne demi -heure, l'A¬ cadien dont j’ai parlé ci-devant fe tenoit les bras croifés fur le gaillard, 8c regai - doit tranquillement faire la manœuvre, Mr. de Bougainville Payant vu dans cet état, ne put s’empêcher de lui en faire des reproches. L’Acadien fe retira fous le pont, fans répondre; mais y étant avec fon époufe , fon pere , 8c les deux autres familles Acadiennes, auffi Ipaffa gérés,- il C 3 leur 38 JOURNAL leur marqua hautement fon mécontente¬ ment, voulut leur perfiiader de faire com¬ me lui j & qif enfin ils ne s’étoient pas en¬ gagés , ni embarqués pour faire la manœu¬ vre, mais comme volontaires & pacager s; qifil aimeroit mieux être relié en France, quer.de s’être embarqué à ces conditions* Tout ce difcours fut rapporté à Mr. de Bougainville, qui en fut piqué; & il avoit raifon. Ces familles Acadiennes étoient à St. Servant, & à St. Maîo, de¬ puis que les Ànglois nous avoient enle¬ vé l’Acadie. Le Roi leur donnoit, à la vérité, une fomme par tête, à peu près comme aux troupes réglées; & ces fa¬ milles n’avoient guéres d’autre relfource que cette elpece de lolde, 8c le travail de leurs mains. Mr. de Bougainville leur avoit propofé de les prendre à fon bord, de les tranfponer dans un pays où il leur donnerait des terres en propriété, & mille autres avantages, qu’ils ne pouvoient efpérer en France. Il leur avoit même fait faire des avances en effets & en ar¬ gent. Sur le rapport qu’on lui fit des dilcours de cet Acadien il dit: il n’y a qu’à les remettre à terre, & les renvoyer H - à St, 39 H I S T O R I QU E. à St. Servant; puisque la mifere leur plaît, qu’ils aillent y vivre miferables. Ce difcours fut rendu aux autres familles, & fit tant d’impreffion fur leur efprit, que les fem¬ mes & filles fe mirent à pleurer; les hommes firent des reproches à l’Acadien qui >y avoit donné occafion, & la divifion fè mit entre eux. Mr. de Bougainville en fut bientôt informé. Le lendemain 2ï, après la priere, il les fit tous venir dans fa Dunette; & leur dit: Il en eft parmi vous de mécontens, fâchés de s’être em¬ barqués avec moi. Je n’exige pas de vous que vous foyez obligés à la ma¬ nœuvre comme matelots; je ne vous ai pas pris fur mon bord comme gens en¬ gagés pour cela; mais auffi je ne vous y ai pas pris, pour refter oififs, & ne pas donner la main dans le befoin. Vous êtes les maîtres de vous retirer à St Maio, à St. Servant, ou dans quelqu autre lieu que bon vous femblera; & vous n’avez qu’à parler: on vous mettra à terre fur le champ. L’Acadien & Ton pere déclarèrent qu’ils aimoient mieux retourner à St. Servant. Les deux autres familles demandèrent 4 C 4 con- 40 JOURNAL continuer le voyage. Dès l’après-midij on débarqua près de St. Caft le pere, le fils & fon époufe, avec tout ce qui leur appartenoit; 8c Mr. de Bougainville leur laifla par charité les avances d’argent qu’il leur avoir obtenues du Roy. Les deux autres familles furent charmées de cette féparation ; elles fe félicitèrent de ce dé¬ part. La femme avoir une humeur un peu acariâtre; le mari en étoit fi ja¬ loux, qu’il ne la quittoit prefque pas un inftant; il obfèrvoit jufqu’à fes moindres geftes; 8c auroit infailliblement troublé la bonne intelligence qu’ils defiroierit ré¬ gner entre eux. Cette unon s eft mainte¬ nue parfaite entre les deux familles qui ont fait le voyage avec nous, & que nous avons débarquées 8c établies aux îles Malouïnes. Elles étoient compofées Tune du mari, de fon époufe, de deux enfans, l’un garçon âgé de trois ans, l’autre fille âgée d’un an, 8c des deux fours de la femme, l’une âgée de 20 ans, l’autre de 17. La fécondé famille confiftoit dans le mari, la femmme, un garçon de 4 ans, 8c la four de la femme, âgée de 16 ans. La femme étoit prête d’accoucher lorfque nous fcm- H I S T O R I Q U E. 41 femmes partis de ces Iles pour retourner en France. 23 Septembre. Dès le matin, les vents,’ qui la veille avoient paiïe du N. N. O. au N. E. tour¬ nèrent à T E. N. E. petit frais. Ayant pa¬ ru bons Sl conftans, Mr. Duclos notre Ca¬ pitaine fit mettre le pavillon en berne pour rappelicr notre chaloupe & notre canot, qui êtoient à terre, la chaloupe pour faire de Peau , le canot pour amener lesv mate¬ lots, & les femmes qui lavoient le linge. Mr.de Bougainville, Mr. de Belcoitrt, Mr. L’huillür & Mr. Donat, avoient été à k chaflè , près de deux lieues avancés dans les terres, & comptoient venir dîner au Château de la Latte, où Mr. Mauclair nandant, de celui de notre Frégate: on es lui dit: & on fe fouhaita réciproque- nent un bon voyage. Ce Navire étoit lu port d’environ 300 tonneaux, n avoit joint de batterie de canons, de étoit monté l’une cinquantaine d’hommes. *• î a-' i Dans la nuit fuivante, nous efluyâmes quantité de grains de vent, mêlés de pluie, que nos Marins appelaient Hou - zées. Ces grains affez violens nous obli¬ gèrent de mettre fous différentes voilures, 5c de faire des ris à nos voiles. Nous X - - - r ferrâmes les huniers de mîmes en cape fous la grande voile feulement, pendant une grande heure de demie. A deux heures, Ee vent étant un peu tombé, nous appa¬ reillâmes notre mifene de nous mimes le grand hunier dehors. Sur les dix heu¬ res du matin, nous appercûmes plufieurs Navires dans différens airs de vent, mais qui tenoient tous à peu près la même bor¬ dée que nous. La Mer fut agitée toute la journée, de nous ne finies, füivant no¬ tre 4 j O UR N A L tre eftime, qu’onze lieues & demie dans les 24 heures. Nous étions , fuivant la latitude obfervée, à 4ï deg. 41 m. & n deg. 14 min. de longitude eftimée. Mardi 28* Pendant la nuit il plut aflez fort, Sc la mer continua d'être fort agitée 5 mais le vent étoit aflez bon pour notre route. Prefque à la pointe du jour, nous décou¬ vrîmes quelques Navires; peu d’heures^ après, nous en comptâmes jufqu a douze*' qui couroient fur TE. S. E. basbord ad vent; quelques uns tribord; à la diftance d’environ quatre lieues de nous. Un de ces Navires nous parut beaucoup plus gros que les autres. Nous jugeâmes que c’étoit, fans doute* une Frégate qui con- voyoit les autres Navires. A midi, on a eftimé la longitude de notre pofition à 13 deg. 16 min. La latitude obfervée étoit 44 deg. 39 min. 6c nous avions fait vingt-trois lieues 6c demie dans les 24 heures. Le 29, nous fines 29 lieues 6c demie; & nous nous trouvâmes à 42 deg. 5 6 m. de latitude obfervée, 6c 1 f deg. f min. de 47 H I S T O R I QLÜ E. de longitude eftimée. Le 30 nous fîmes encore plus de chemin, & quoiqua peu près avec un vent d’égale force que les jours précédens, & avec la même voilure, nous fîmes trente -fix lieues, en route* Lat. Eft. 41 =44, long. 16=49. 1 Oftobre. Dès le foir, le tems nous menaçoit do¬ rage; mais nous en fumes quittes pour quelques grains allez violons, mêlés de pluye, avec une Mer très houleufe. Nous mimes deux fois à la cape pendant la nuit. Sur les cinq heures du matin, le vent fauta en fougue du S. S. O. au N. O. de ma¬ niéré que nous nous vîmes contrains de carguer toutes nos voiles 5 nous fîmes route fous les deux Pacfï; & peu de tems après (bus le grand Hunier. Le vent paflà à FO. N. O. & nous ne pûmes pas prendre hauteur à midi. Lat. eft. 41 = 38 Long. 17=20. Route O. | S. O. Chemin 9 lieues. 5 m. eft. 16 dcg. 2. Dès le matin nous avons apperçu deux Navires, le tems continuant à grains & à pluye, & parfois calme, après des ora¬ ges, 4$ JOURNAL ges, qui avoient duré toute la nuit. Sur les neuf heures* ayant découvert un Na¬ vire démâté* nous avons porté deffus, dans le deflein de lui donner tous les fe« cours qui dépendroient de nous. Nous lui avons, parlé à dix heures. C'étoit un Navire marchand Hollandois, qui nous a dit être d’Amfterdam; qu’il ver.oit de Curafoî, & qu ayant reçu un coup de vent à cent lieues environ des Bermudes, il avoir été obligé de couper fon mât d’Arri- mon, &fon grand mât. Nous lui avons de¬ mandé s’il avoir befoin de quelque chofe; il nous a répondu qu’il avoir cinq Dames Françoifes à fon bord, qu’ils menoient en France; mais qu’il ne pouvoit mettre fon canot à la Mer. Nous lui avons fait en¬ tendre que nous en partions, que nous n’y retournerions pas de plulieurs mois, & que nous ne pouvions pas nous char¬ ger de ces Dames; mais que s’ils avoient befoin d’agreils, ou d’autres chofes, de venir lgs chercher. Ils ont répété qu’ils ne pouvoient mettre leur canot à la mer. Elle étoit en effet affez groflé; & n’ayant pas ofé y expofér le nôtre, nous leur avons iouhaité un plus heureux voyage, & con¬ tinué notre route au S. O. £ O. A midi nous HISTORIQUE 49 nous nous fommes trouvés à 40 deg. f 2 min. de latitude Nord obfervée, 40 5 <; de lat* eftimée, 18=23 de longitude efti- mée; & dans les 24 heures nous avons fait 1 f lieuës f Von. eft. 1 f . la Route a vallu te S. S. O. 3 OSÏofat, Sur les fept heures du matin^ nous avons vû un Navire qui paroiffoit faire même route* que nous. Il étoit à quatre lieuës & demie ou environ de diftance. A mi* di, nous avons eftimé notre latitude à 39 deg. 2ç min* obfervée 39 deg. 18 min. & la longitude 19 deg* 41 min. Chemin eftimé 31 lieuës f. Route a vallu le S. S. O. î S. Le lendemain nous Savons rien eu de particulier. Nous avons eftimé la latitude 37d.£m. L’obfervée étoit de 37=465 la Ion* gitude 2t deg. io min. & le chemin efti* mê des deux jours précédens a été de 73 Heuës. La mer continua d’être grofte la foirée^ & julques vers les deux heures après minuit. ■fs Au point du jour, nous avons eu con- noiffance d’un Navire. Nous étions dans D les 5° JOURNAL. les parages où les Saktins font quelque¬ fois leurs courtes ; 6c nous fçavions qu ils avoient en mer une Frégate, nommée 1 Oi- ieauj de 36 canons, 6c de 300 hommes d'équipage, que les Anglois avoient ven¬ due aux Saletins. Ceux-ci en avoient doir Bé le commandement à un Capitaine Pn>* vençal, Renégat, homme de mer & bra¬ ve. Iis avoient auffi une corvette de 12 canons, & de cent hommes dequipage. En ccnféquence, le Commandant de nos ùeux Frégates avoir donné fes ordres, pour quelles pufi'ent agir de concert, en cas d’attaque. Le rôle de combat etoit affiché; les canons & les armes etoienr en état; chacun fe mit au pofte qui lut étoit marqué, & nous portâmes deiius. On étoit convenu que fi c’étoit la Frégate Saletine, le Sphinx arborerait pavillon An- «iois & paraîtrait faire tous fes efforts, pour Ve retirer fous le canon de la Frégate Saletine , pour éviter de tomber entre nos mains. OUS , a r* • • arborer pavillon François, 6c faire mine de pourluivre le Sphinx, en lui tirant des coups de canon, comme pour lui dire d’ame¬ ner Lorfque la Frégate Saletine fe feroit trouvée contre le Sphinx 6c nous, le Sphmx .de- HIS T O RI QUE ri devoir arborer pavillon François, & Taf- furer alors de toute là bordée; de façon que la Saletine le fèroit trouvée entre deux feux. On efperoit, par cette manœuvre, fuppléer au nombre, & la maltraiter par un combat vigoureux, au point de l’obli¬ ger à fe rendre. Nos équipages étoient braves, & mon- troient un air gay & déterminé. Ils avoient en effet beaucoup de confiance dans la fcienoe, & la bravoure de nos Capitaines, & des autres Officiers, avec lesquels ils avoient fait des courfes dans dans la guerre derniere, & fous lé com- fnandement desquels ils avoient fait beau¬ coup de prifes, & avoient même enlevé, à l’abordage, quelques navires Anglois. À » - t ' ' . “ ' ' A meflire que nous approchions du* Navire que nous avions découvert, on crut reconnoitre qu’il étoit de conftruftion Angloifè. Mais comme nous fçavions que les Anglois en avoient vendu plu- fieurt aux Saletins; & que, malgré que nous portions deflus, il ne mettoit point de pavillon, nous crûmes que ce pouvoit être un Navire Saletin qui venoit à la découverte. Alors nous lui tirâmnes un . ; D 2 coup JOURNAL coup de canon; & nous avançâmes fur lui. Il n’arbora point encore de pavillon. Nous lui tirâmes un autre coup à bou¬ let , dont il feritit peut-être le vent. Il mit alors on panne pendant un moment, & porta enfuite fur nous , fans pavillon. Quand il fut aflez près il arbora pavillon Anglois ; & vint pafler fi près de nous que Ton reconnut le Capitaine pour être celui de Guernefey, qui avoir fervi de Pi¬ lote -côtier aux Anglois, lorfque dans la derniere guerre, ils avoient fait leurs def centes à Cancale & a Su Caft. On lui fit, en langue Françoife, les queftions or¬ dinaires , fçavoir d’où il êtoit, doù il ve- noit, où il alloit, & comment il nom- moit fon navire. Il ne répondit rien. Mr. de Belcourt prit le porte-voix, lui fit les mêmes queftions en langue An- gloife, aflaifonna fon difcours de termes énergiques de marins ; & ajouta que lui Capitaine du navire Anglois auroit mé¬ rité qu?on Peut coulé à fond, pour avoir tant tardé à mettre fon pavillon, même après avoir fbuffert deux coups de canon. Pour lors il répondit en Anglois, & sex- ciifa fur ce que fou pavillon s’étoit trou¬ vé embarraflè dans fes marchandées. C e- toit H I S T O R I Q^U E., f3 toit un navire Marchand, à deux mâts, qui venoit, nous dit -il, de Lisbonne, & allait à File St. Michel, Tune des Açores. Il étoit alors fept heures du matin. A midi -nous nous trouvâmes par les 3? d. 48 min. de latitude eftimée, 3î = ço, de latitude obfervée; 22=19, de longitude; & nous avions fait 44 lieues dans les 24 heures. La route a vallu le S- J S. S. O. 2 deg. O. Dans l’après-dîner il a calmé par fois. 6. ■ La mer a été affez belle, & l’obfer- vation nous a dnnné 34 deg. ? de latitu¬ de; l’eftimation 34=6, Si de longitude 23 = 37. nous avons fait 40 lieues 2 tiers. La route a vallu le S. O. f S. 3 deg* S. 7* Nous avons eu de la brume & du beau tems à l’alternative; mais toujours fvoiles hautes, bon frais. Latitude efhmée Nord 32 = 3 r, obfervée 32=26. Longi¬ tude efhmée 24=41. Chemin cinglé 36 lieues; la route a vallu le S. O. -* S. 4 d. O. Pendant I après- dîner Si la nuit fuivante, il y a eu quelques petits grains, & un peu de pluye. Von. eft. 1 3 deg. N. O. D 3 8* Le 8- Le calme ayant fuccédé le matin, nous avons mis notre grand canot dehors* pour aller chercher Mr. de la Giraudais, Capitaine du Sphinx. Il eft venu à no¬ tre bord fur les fept heures. Mr. de Bou¬ gainville 6c Mr. Duclos notre Capitaine* ont eu une conférence avec lui. Il a re¬ çu des ordres pour le rendez-vous, en cas de féparation, 6c des vues exaélement deflinées, des terres où nous devons rel⬠cher, 6c de celles que nous comptons ren¬ contrer dans notre route. Mr. de la Gi- raudais eft retourné à fon bord * (ur les neuf heures. A midi, nous avons eftime la latitude 31 = 17. la longitude 24=? 7 6c l5obfervation a donné 31 = 17 de lati¬ tude. Chemin eftimé 23 li. §. Au fo- leil couchant, nous avons trouvé douze degrés 30 min. de variation* 6c la route a vallu le S. £ S. O. 9- Toute la foirée, le vent fut très foible ôc toujours variable > avec quelques grains pluvieux, auxquels fuccédoit un calme tout plat, de maniéré que nous fumes obligés de faire plufieurs routes, 6c à ? midi midi nous n’avions fait, depuis 24 heures, que 3 lieues 4» Nous nous trouvâmes, par Feftimation, à 31 deg. 14 min. de la¬ titude, également que par Fobfèrvation. La longitude était de 2 s deg*. 1 min. Jufqua aujourd’hui, la route a vallu le S. S. O. Variât, ohferv. occ. 12= 3°« N* O. Chemin 21 f. : ' / 10. Le calme a continué, avec un tems brumeux, & des grains de pluye- Au- lever du fbleil, la variation a été de 12 d. 19 min. à midi la latitude obfervée 31 = 1 g ; Feftimée 3 1 = 6, la longitude 24= 3 6 > & le chemin que nous avons fait n’a été que de 8 lieues 4. la route a vallu 15E. N. E. 3 deg. E. . 11. Continuation de brume & de calme. Les courans paroiflent ici porter au Nord; ce que Ton peut conjecturer des différences, qui fe font trouvées entre hier ôc aujour- dhui dans l’eftimé & Fobfèrvation; puis- qu’ayant fait 7 lieues 4 de route, notre eftime nous a donné 31 = 8 de latitude, 23 = 66 de longitude, & Fobfèrvation 31 = 12 de ht. la route a vallu FE. 4 S. E. 4 deg. S, * f6 JOURNAL 12» Nous avons eu beau tems, mais -un très petit frais du Sud-Eft, julqua dix heures du matin, que nous avons couru fur TOueft. A midi, nous nous fommes trouvés, par eftime, a 30 ^=56* de latitude de longitude, & i’obferyation nous a donné la latitude* Chemin dix lieues ? ; la route a vallu le S. E« i E. 3 d. E. Après midi le vent s’eft élevé peu a peu, & a tellement augmenté fur les neuf heures du loir » que la mer eft devenue très - greffe , avec de grandes lames de TO, N* O* cequi nous a fait mettre tan¬ tôt à la cape, tantôt fous les baffes voiles» A neuf heures du matin, la mer étant tombée, nous avons pris trois poiffons, nommés Bonites . Une quinzaine, avec deux Dorades, alloient & venoient de ftri- bord fur l’arriere du Navire. Nous y ap- perçumes aufli quelques autres poiflons, nommés Pilotes . On en prit un à la foui¬ ne j les Bonites furent prifes à la ligne, ar¬ mée d’une figure de poiffon volant. Eh les pefoient chacune environ 20 livres, le Pilote navoit que huit pouces de long. Nous historique. Nous faifions alors route au Sud; à midi nous étions par eftime à 30=28 de latit. 23=27, de longitude, & Fobfervation ne nous a donné que 30= 2 ç. de latit. Che* min 9 lieues la route a vallu le S. 3 deg, O. Aujourdhui 14, nous avons en beau tems, mais avec un très -petit frais du N. O. à FO. La latitude obfervée s’eft trouvée de 29^ ff. la latitude eftimée 29=19. la longitude 23 = 10. & à midi nous avions fait dans les 24 heures 3° lieues, La route S- E. S. 3 deg. S, Nous efpérions trouver j à ce degré de latitude, les vents alizés, dont nous n’a* vions eu encore aucunes nouvelles. Quel¬ que uns de nos Marins , qui avoient beau¬ coup couru les mers, nous avoient dit qu’on les trouvait communément fous ce para- Jelle, Mr. de Bougainville en étoit fi im¬ patient , qu’il ne fortoit jamais de là Dm nete, fans aller confulter le compas. Il lui fallut cependant bien prendre le tems com¬ me il venoit. Sur les deux heures après * midi , la Cor¬ vette le Sphinx , qui étoit plus à TEfi que nous, a réveillé notre attention, en met* D f tant if 1 y-* J pi i ilf >1 1 f8 JOURNAL. tant pavillon blanc au mât de Mifene, ce qui était un Signal convenu , de connoif- fance de Terre. Nous avons répondu de de même, 6c nous avons reconnu que ce- toit File de Palme, la plus feptentrionale, .& la plus occidentale des lies Canaries. Elle nous reftoit à FEft-Sud-Eft du com¬ pas, 6c nous paroiffoit, à environ iç ou 18 lieues de diftance, telle qu’elle eft re- préfentée dans la figure de la première planche. Nous en découvrions en même terns tems une autre plus au Sud-Oueft, pré- lëntant à peu près la figure B. La connoiffance de ces terres a fervi a corriger les points pris 6c efhmes, St nous avons reconnu que nous étions à environ 20 lieuës plus Oueft que notie eftime. U* Le vent avoit régné à FOueft jufqua onze heures du foir, le vendredi 14 avec un tems nébuleux, 6c un peu de pluy e : il paffa enfuite au N. O. 6c au N. N. O. jufqu au N. N. E. bon petit frais; par fois quelques petits grains jufqu à midi que la latitude du relèvement étoit 28 = 3$* % H I S T O R I Q^U E. f9 Y - Latitude eftimée 27=21* Latit. obfervée 27=20. Longit. du départ 21 = 30, ou du point de relèvement. Longit. eftimée 22=1. Chemin eftimé - 3 2 lieues §. Variation eftimée N. O. 1 1 deg. 1 6» Jufqu’à aujourd’hui midi, les vents ont toujours varié du N. E. au N. O. pa£ faut par le N. mais petit frais. Latit. eftimée N. 26=0. - - obfervée 25 = 5^ Longit. eftimée 22=22. Chemin eftimé 24 L. f. La route a vallu le S. J. S. O. 1 deg. S. Variât, eftimée 10=30. N. O. Au lieu de vents alizés, ils ont toujours varié du N. O. à FO. S. O. bon frais; par fois quelques grains, & de la brumaille. Sur les trois heures après midi, nous avons fait fignal à la Corvette le Sphinx, que nou$ allions continuer notre route à bonnes voi¬ les ; ce que nous n’avions pas encore fait depuis notre départ, afin de ne pas nous féparer d’elle. Le Sphinx marchoit beau¬ coup moins bien que nous, & avoit re- ar* tardé notre route au moins d’une centaine de lieues. Nous n’avions pas voulu nous En féparer plutôt, pour nous prêter un fecours mutuel, en cas que nous euffions rencontré les Saletins. Actuellement que nous Tommes hors des parages où ils croifent, nous avons pris le parti daller devant, pour arriver plutôt au rendez- vous du lieu de relâche; afin que tous les rafraîchiflemens dont le Sphinx pour- roit avoir befoin, fe trouvent prêts à fon arrivée, & que notre féjour n’y foit pas prolongé- Après que le Sphinx a eu répondu à notre lignai, nous avons mis quelques voiles de plus auvent, avec bon frais, & fur les lix heures du foir, il nous ref- toit derrière trois lieues au moins- Au coucher du Soleil, nous avons trouvé 13 degrés de variation. J7< Ce matin lundi, nous n’avons plus eu con- noiffance du Sphinx , & fuivant l’eftime la Latitude itoit N. 24=29. Longitude - » 22 = 14. Latit. obfervée 24=28- Chemin eftimé 3° L. La Route le S. j = 3° E. i8- Le H I S T O R I aU E. 6t 18. Le vent ayant changé de l’O. S. O. au S. S. O. très-pecit frais, avec un teins brumeux, & une mer houleufe, le houl venant très -gros du Nord, un autre houl prefque auffi gros venant del’Oueft, nous avons été toute la foirée & une partie de la nuit, l’amure à (tribord, & l’autre moitié à basbord ; ce qui a continué juf- qu’à midi, que la route a vallu le S. o. i o. Latit. eltimée N- étoic 24= 17. - * oblèrvée 24= 16. Longit eftim. 22—33. Chemin ellimê 7 L. Vers les cinq heures après midi du 18, nous avons vûs quantité de Poiifons volans, & deux gros Oifeaux. Le vent a régné du S. O. au S. S. E. paflant pat le Sud petit frais, avec beau tems, mais la mer toujours agitée du gros houl, ve¬ nant du Nord , cependant un peu moins fort qu’hier: ce qui nous a contraint de prendre notre route à l’Queft, fur les quatre heures après-midi. 19* Depuis ce matin julqu’à midi, la mer a continué d’être houleule, éc nous avons fait 62 ' : \ JOUR N A L fait même route , avec un vent fî* foible que, dans les 24 heures, nous n’avons fait que 16 lieues. Latitude eftimée N. 24= 5. - — obfervée 24=10. Longit. 23=2^. Route l’O. J S. O. Beaucoup de poiffons volans ont con¬ tinué à fe montrer. Ils étoient gourfuh vis par des Thons & des Dorades, qui s elançoient trois ou quatre pieds hors de Feau pour les faifir. Nous avons tendus plufieurs hameçons pour en prendre ; mais ils n’ont pas mordu. La Variation occafe s’eft trouvée de 10 d. 30 20. r Après tous ces gros houls, le vent a régné de l’Oueft-Sud-Oueft au S. S. O. fi petit frais, que le calme a fuccédé, dès le matin de jeudi 20, avec un peu de pluye par orage. Surles huit, heures le vent a pafle à l’O. & O. N. O. jufquà midi, que k rovtte S. S. E. 4 deg. S. Latitude eftimée N. 23=^0. « - obfervée 23 = ^2. Longitude 23 = 17. Chemin eftimé 7 lieues. Ces H I S T O R I QV E. €s Ces calmes, & ces vents toujours va¬ riables & foibles, ne nous promettoient pas une courte traverfée. Nous comment cions tous à nous impatienter de ne pas voir régner ces vens alizés, fi commodes & fi defirés. Mr. de Bougainville ... fur- tout fe récrioit fur ce que les Navigateurs difent que ces vents ne manquent jamais dans ces parages. Puisque nous faifions l'expérience du contraire, il fe promettoit bien, difoit-il, de donner, de retour à Pa¬ ris, un Mémoire à l’Académie des Scien¬ ces, pour prouver la non-exiftence de ces vens alizés ; damoins le peu d’elpérance que les Navigateurs doivent avoir de leur exiftence habituelle. Sur le foir, le vent a changé du Nord-Oueft, à FEft-Nord- eft, avec un ciel très-ferein; mais le cal¬ me a continué, & la furface de la mer- étoit comme celle d’un étang agitée par le vent le plus leger; ce qui a perfévéré jufquà midi de ce jour. ai. : Latitude eftimée 23=7- — - obfervée 23=7. Longit. eftimée 23 = 28- Chemin en route S. £ S. O. 1 deg- 30 m. O. 1$ lieues -J. . • .,jy Tout JOURNAL .v Tout le refte du jour nous avons vûs beaucouq de PoifTons volans, de Bonites, de Dorades & de Thons leurs ennemis. Le vent a tourné au N. E. & enfuite à l’E. N. E. avec allez bon frais, & la mer belle. ) 22. ^ ; Le matin l’on nous a à préfentê envi¬ ron une dixaine de poiffons volans , qui çn voulant palier fur la Frégate, avoient donné dans les voiles , & étoient tombés dedans le Navire. On les a fervis à dî¬ ner: nous les avons trouvés très -bons, & très délicats. J’en ai confervé un pour le peindre au naturel, on en trouvera la figure. PI. I. fig- 4* Ce poilïon eft, dans ces parages, d’urt beau bleu fur le dos, qui s’atfoiblit ou s’é¬ claircit infenfiblement jufqu au bas du ven¬ tre, qui eft d’un bleu argente. Ses deux ailes font deux nageoires allongées, qui- s' 'étendent en longueur dans le plus grand nombre jufques à la queue , dans d autres jufqu’ à la moitié du corps feulement > quoique le poiffon foit de même forme, même grofleur & même longueur. Celui dont on voit ici la .figure , avoit environ dix pouces de l’extrémité de la tête à celle de la queue. Latin Nord eftimée 21 = 22. — — obfervée 21=25. Longitude - - 23=^7. Chemin cinglé - 36 IL}. Route S. } S. O. 3. 4 O. Au coucher du foleil la variation $’eft trouvée de 8 degrés 30 min. Continuation de vent de l’E. N. E. au N. N. E. ce qui nous a fait faire bonne route au S. |S O. 1 deg. O. Latitude eftimée 19 = 36. — — ob£ 19 = 34. Longit. 24 = 22. Chemin 3 6 li. §•. Variât, obf occafe 9 = 30, N. O. : Dans l’après-midi , voyant beaucoup de Thons, quelques Matelots fè font mis avec un harpon à l’avant de la Frégate, & ont pris un de ces portions, qui pefbic 72 livres. En l’examinant de près, j’ap- perçus fur fes oreilles quelques animaux, qui y étoient attachés & pour ainfi dire, collés. On en voit la figure de grandeur naturelle dans la Tl. L fig- f & 6,. la E fig. * *6 JOURNAL *- Ag. D eft le deffus de ranimai, qui étoit comme un compofé de cordes à boyaux prefque .transparentes. Deux petits points noirs, placés au deffus de la gueule B, formoient fes yeux. Us le tient cram¬ ponné au moyen de deux jambes C, & de deux autres beaucoup plus menues D. Je puifai de l’eau de mer, & je^ la mis dans un gobelet de verre bien lave, pour y conferver cet animal en vie, & y voir fes mouvemens. Japperçus dans cette eau un point noir, que je pris dabord pour un atome de pouiffiere. Lorsque je vou¬ lus l’enlever avec le bout du doigt, je vis l’atome prétendu fuir mon doigt, & na¬ ger entre deux eaux. J’obfervai fes mou¬ vemens, & je reconnus un être vivant, dont la ftru&ure extérieure étoit, dans fa grandeur naturelle, telle quon la voit dans la PL I. fig. 7- C’étoit une efpece de cylindre formé par dix anneaux , fi légers & fi tranfparens , qu’il falloir placer le go¬ belet entre la lumière & l’œil de l’obferva- teur, pour l’appercevoir. Il nageoit au moyen de deux filets allongés B B, & de deux autres prefqu imperceptibles C, qui en fe raccourciffant, de reprenant leur longueur naturelle, imprimoient au- eylin- H I S T O R I dU E. tf7 dre arnielé le mouvement d'un appeau de caille ; ou d’un fouflet à poudre de Perru¬ quier. Le corps A étoit violet vers Q & d’un brun clair vers B B. * _ Nous avons vû aufli une grande quan¬ tité dé poiffons volans, & pris à l’hame¬ çon, une Bonite, & un Pilote, que j’ai peint au naturel. On en trouvera la figu¬ re PI. I. fig. g. Les Naturalises prétendent, fans doute fur le rapport de quelques Marins, que le Pilote précédé toujours le Requin; que c’effpour cette raifon qu’on a donné à ce poiflbn le nom de Pilpte, comme s’il di- ngeoit la route de l’autre. J’ai obfervé quelquefois un on deux Pilotes devant, ou auprès de chaque Requin que nous avons pêché; mais nous avons vû fouvent des 1 ilotes fans Requin , comme des Requuis fans Pilotes. te Pere Feuillée page 173. confond le Pilote avec le Siiccet , & ne fait qu'un poiflbn des deux. „ Les Requins , dit - il, font accompagnés de petits poiflons, qui leur font inféparables , de qui ai- ment mieux périr avec eux, que de les abandonner 5 ils leur font toujours lut* ^ 2 )5 ^ t, 6S .JOURNAL ? l’avant, à une diftance telle, que les l'clVcU-lL, «• _ „ Requins ne les fçauroient prendre; ce qui leur a fait donner le nom de Pth- ” tes. Nous ne primes aucun Requin, - a ~\ _ _ 1 1 OUÏ ?3 tes. i>üub ne - - - fans avoir trouvé de ces petits poillons «collés fur leur dos, par le moyen 4u- _ ne pellicule jaunâtre, camlagmeufe, de „ figure ronde, qu'ils ont au deiius de leur tête, laquelle a une infinité de pe¬ tits trous remplis de fibres, qui leur fervent, félon toutes les apparences, à ” tirer de la peau du Requin quelque fubftance pour leur nourriture. V 25 *1 i t • > Il ne donne que trois rangs de dents au Requin , dont dit- il , un de ces rangs, cft compofé de dents triangulaires, oc plus longues que les autres; j’en ai comp¬ té Tept rangs, toutes mobiles, & triangu¬ laires, dans la geuie de tous les Requins que nous avons pris. Les Succets na- voient pas non plus le fuccoii ion } mais de figure longue arrondie, tel quon le voit dans la fig. que j’en donne ci -après. 24* Ce matin 24, le beau tems a continué, & les mêmes vents ont régné. Ce font enfin ceux que l’on nomme vents alizés; qui H I S T G R I au E. 6$ qui font compris fous les noms de tous ceux qui foufflent depuis le Sud-Sud-Eft julqu’au Nord -Nord -EU: inclufîvement, en jpaflant par FEft. Ce font les plus fa¬ vorables pour la Navigation des Vaiffeaux qui partent d’Europe pour l'Amérique mé¬ ridionale, les Isles lits 6c fous le vent, 6c Golfe du Mexique. Par ces vents nous avons fait route au S. S. O. 6c nous nous fouîmes trouvés à midi par Latit. Nord eftimée 17=44. — — obfer vée 17 = 47. Long, eftimée 24=51. Chemin en route 3 8 lieues. Route S. \ S. O. 3 deg. O. Laprès-midi, mêmes vents du N. N. jE. à 15E. N. E. bon frais, la mer belle, quoiqu’un peu houleufe, beau tems, tou¬ tes les voiles hautes, bonnettes haut 6c bas, jufqu’à ce matin. | 25. Sur les huit heures nous avons eu jconnoiffance de terre à ftribord. A midi, on a jugé que cette terre étoit l’Ile de Bonne - Ville, ou Bonne -Vûê, nommée fur les Cartes Bonavifta, Fune des Iles du Cap Vérd, fituée au Nord -EU de celle E 3 de j 7© JOURNAL de San- Jago ou Saint Jacques, la plus grande 3c la plus peuplée de toutes. L Ile de Bonne -Vide *) nous reftoit au N. O. à neuf lieues ou environ. Sa forme , dans notre pofition à fon grand égard, nous a paru telle qu’on la voit Pl. I. fig- 9* Latit. Nord eftimée iï=4<>* — — obf. if=43- Longitude eftim. 2ï=22. Chem, eftim. 42 i* Route S. J S. O. 3 deg. O. Il a paru alors que nous étions près de 20 lieues plus Eft que l’eftime. « Longit. du relèvement 23 = 39. Variation N- O. 9 degrés. Alors les vents ont régné du N. E.; au N. N. E. bon frais, avec beau tems, ce qui nous a facilité la connoiffance d’une autre Ile du Cap-Verd, fur les quatre heures de l’après-midi. 2 6. Cet- t t r • r i J t- ..*» - .-4 ' > *) Elle’ eft, comme les autres, abondante en chevaux fauvages , en chevres, & en plufieurs au¬ tres animaux, malgré Ton terrein pierreux & ftérile. Elle fe montre de fort loin , à cauia de fes montagnes blanches. Cequi lui a faii donner fon nom* 7* H I S T O R I Q^ U E. 26. Cette Ile eft celle de May, nommée dans les Cartes Ile de Mayo , dont le ter- rein eft aufti pierreux & ftérile. Il y a cependant quantité de taureaux, de va¬ ches, de chevres, d’ânes. Elle produit beaucoup de fel. L’air y eft chaud & mal-fain. Elle nous reftoit, la pointe la plus Sud au S. CX | O. la pointe la plus Nord O. | S. O. du compas & nous paroifToit comme la fig. 10 de la PL I. la préiente. On a gouverné alors au Sud £ Sud- Oueft. Hier à midi , l’obfervàtion faite avec le quart de nonante, a donné 1^=42, laquelle répond très -bien au relèvement de File de Bonavifte: ce point nous met par la longit. de 23 = 30, ce qui fait une différ. à l’O. d. 1 =43. Latit. N. eft. 13=43. — — obf. 1 3 =42 Vcn. 8d. N. O. Long. 24=24. Chemin eftimé 43 lieues. Route S. S. O. 3 deg i S. 27- Toute la nuit il a fait des éclairs; ce qui nous menaçoit d’orage pour la mati¬ née; mais nous en avons été quittes pour E 4 un 72 JOURNAL un tems fombre, une mer greffe, & un grain à dix heures & demie. A peine ce grain a-t-il été paffé, qu*il s’eft élevé un orage à TE. S. E. dont la menace nous a contraint de ferrer nos bonnetes, d’ame¬ ner, & de carguer nos huniers & notre grande voile; mais fa durée a été très- courte. A midi, on ne put prendre hau¬ teur. Route S. 3 = if O. Latitude N. eftimée 11 = 17. Longitude eft. 24=34. Chemin * 48 1. §• Variation eft. 7. N. O. Vers les trois heures après-midi, nous avons pris une Bonite, qui pefoit qua¬ rante livres. Les vents ont régné de l’E. N. E. au N. N. E. petit frais, le tems toujours fombre , avec un peu de pluyç* la mer affez belle, & nous avons tenu la route du S. i S. O. jufqu’à aujourd’hui midi. Elle a vallu le S. 3 = 1 1 O. 2g. Latit. N. eftimée 9=4 6. Longitude 24=40. Chemin - 30 1. Le tems fombre & couvert qui avoit empêché de prendre hauteur, s’eft éclairci par H I S T O R I QU E. 7j par un orage accompagné d’unç pluye adondante, qui a duré depuis midi]juC qu’à deux heures Sc demie. Alors le vent a paffé au N. O. petit frais, enfuite au N. & N- E. fur les cinq heures & de¬ mie, que forage a recommencé au S. E- Nous avons cargué Sc fèrrê le fond de nos huniers , & nous fommes reliés en cape fous le petit foc. Il a venté grand frais, & il eft tombé force pluye, accompagnée de beaucoup d’éclairs, mais de peu de ton¬ nerre. Le calme a fuccédé làns ceffer de pleuvoir, jufques à dix heures Sc demie du foir, qu’il s’eft élevé un vent de N. O. il a paffé par le N. au Nord -EU; Les éclairs ont continué dans le Sud -EU, toute la nuit. 29. Toute la matinée du Samedi 29, a été fombre, & à midi nous avons eftimé la route le S. s deg. O, Latitude N. - 9=7* Longit. - * 24=44* | Chemin * 13 lieues. Continuation d’oragé& de pluye après^ midi, ce qui nous a fait tenir en capey toutes les voiles carguées Vers le loir, le calme a fuccédé, enfuite un très -petit E f frais 74 JOURNAL frais depuis le N. N. E. au N. O. qui a pafle au S. E. par le N. Nous n’avons ce* pendant pas quitté la route du S. \ S. O* & le teins a été fombre toute la nuit, 30. Le Dimanche 30 au matin, le tems s’eft éclairci ; les vents ont pafle, bon frais, à TE. S. E. & pour en profiter nous avons mis les bonnettes haut & bas. Sur les huit heures du matin , Pierre Lainez, Moufle de St. Malo, âgé d’evi- ron 12 ans, ayant pafle à lavant du Na¬ vire, eft tombé à la mer, fans que l’on àît fçu comment. Le fécond Maître qui revenoit de l’avant fur 1 arriéré, 1 ayant apperçu le long du bord de flribord, a crié fur le champ qu’il y avoit un hom¬ me à la mer. Nous filions alors quatre nœuds, & nous avions vent largue. Auf- fitôt on a jetté à la mer un grand banc de bois , qui étoit fur le gaillard d’arrié¬ ré, & tout ce qui s’eft trouvé fous la main de planche ou autres chofes furna- geantes, pour donner à ce Moufle la fa¬ cilité de s’accrocher à quelqu’une de ces chofes, & de pouvoir fe foutenir fur l’eau, en attendant que l’on pût aller le cher- HISTORIQUE. chercher. Tout l’équipage s’eft mis en mouvement; on a cargué une partie des voiles; on a mis les autres vent deflus vent dedans, 8c Ton a fait toutes les manœuvres pour mettre en travers, 8c arrêter le Navire dans là courfe. Là plûpait font montés au grand mats, d’au¬ tres fur nos dunettes, pour obferver, & découvrir l’endroit où pourroit être ce Moufle. On a mis enfuite le canot à la mer, quoiqu’agitée d’un gros houl : fix Matelots robuftes 8c le Maître font descen¬ dus dedans le canot, & ont cherché ce Moufle, jufqu’à une demi -lieue du Na¬ vire, à droite & à gcuche, partout ou l’on a cru pouvoir le rencontrer; mais inutilement. Après environ trois quarts d’heure, on a rappellé le canot, qui efl: revenu à bord avec beaucoup de peine. On Ta rembarqué, & nous avons conti¬ nué notre route. On a fait enfuite l’appel de l’équipa¬ ge pour fçavoir quel étoit l’homme qui nianquoit; car on ignorait encore que c’étoit le Moufle, que je viens de nom¬ mer. Il fut le feul qui ne fe montra pas. On fit la recherche dans fon ha¬ mac 8c dans le tout le navire, 8c n’ayant pas y6 JOURNAL i S pas trouvé ce Pierre Lainez, il fut aifê de conclure que c’étoit lui qui s ’étoit per¬ du. Le tems devint beau fur les onze heures, & à midi la route corr. S. J S» O. 2=if. S. • I ; Ladt. N. eftimée 8=2t. : 1 — — obfervée 8=21. Différence N. *9* Longitude eftimée — 1 f* Corrigée * — 4- Chemin • 2i li. f. Après avoir chanté les Vêpres, ftif les quatre heures après midi, on a ven¬ du, à l’enchere, les hardes du Moufle dé¬ funt, dont on avoitfait l’inventaire le ma¬ tin. Mr. de Bougainville, notre Comman¬ dant, a prefque tout acheté, & les a diftribuées, en préfent, aux Moufles qui étoient le moins en état de s’en procurer. La vente a monté à une cinquantaine d’écus. 11 y a eu quelques grains la nuit fui vante; Sc nous avons continu^ notre route du S* \ S. O* & Sud 5 dei grés Oueft. , . V i - 31. 4 ’ •* v 2» • Des grains, & de l’orage qüi fe font fait fentir de tems en tems, nous ont obli- HISTORIQUE. 7? .obligés de carguer quelque fois, jufqu’à midi que la route a vallu le S. i — 30 O. Latitude N. eftimée c>— 43- — — obfervée 6=49. Longit. <* 27—17* Chemin - 29 li. -j* Variation eftimée 7 deg. N. O» Les grains & les orages ont conti¬ nué; comme par foucade, toute Faprès- midi, & la plus grande partie de la nuit. A chaque, grain fuccédoit un calme prêt que entier. Dans ces intervalles nous ayons pris, en moins de deux heures, deux Requins , qui pefoient environ cent livres chacun. Ils. a voient l’un & l’autre des poiffons: cramponnés fur leur corps, près de la tète. On nomme ces poiffons Succets. J’en ai peint un au naturel, eir deux figures , pour faire voir le côté du fuccoir : qui T eft fur la tête. Voyez les fig. il & 12 de la planche I. L’autre figure 12. de la même planche repréfènte le même poiffon du côté du ventre. Il avoit fept pouces de long. -T Quelques heures avant, une centat ne de Marfouins dont on trouve la fi¬ gure dans:* là planche II. fig. 1. vin¬ rent fe promener à une portée de _pifto- kt 78 JOURNAL * let du Navire, & fembloient y être vë* nus pour nous divertir. Ils faifoient des bonds finguliers hors de l’eau. Plufieurs, dans ces cabrioles, fautoient au moins trois à quatre piés de haut, & tournoient jufques à trois tours en l’air, comme s’ils àvoient été à la broche dans toute leur lôngueur. On peut juger delà qu elle eft la force de ce poiflon. „ i Novembre. De tous les vents qui ont amené ces grains, celui qui a le plus régné eft l’E. S. E. Il a toujours été accompagné d’u¬ ne pluye abondante, quoiqu’il fut allez foible. La route a vallu le Sud £ S. O- ^ deg. O. & dans les 24 heures nous n’avons fait que 9 lieues , Latitude N. eftimée 6=29. Longit. - - 2f = 23- : La Route S* \ S. O* 2 deg* O* Toute la foirée, il y a eu quelques vents variables , mais li légers qu’ils étoient pref- qu’infenftbles, de entremêlés de calmes tout plats de maniéré qu’aujourd’hui e! avi t ' 0 . 2. . ( A midi nous n’avions fait que 6 lieufif % Route S. S. O. f deg. S. J La» H I ST O R I ao E. 79 Latitude eftimée t=o. — — obfervée 6 — > . Longitude eftimée 25=29- Sur les trois heures après-midi, il s’eft élevé de la partie du Sud-Eft un orage très -vif, avec une pluye abondante. On a cargué promtement toutes les voiles, excepté celle de mifene. Pendant cet orage, un Matelot m’apporta un poifton volant, de huit pouces 8c demi de lon¬ gueur, qui venoit de fe jetter fur le gaib lard d’avant. Nous avions vû avant Fo¬ rage différentes troupes de Thons & de Bonites, en fi grand nombre qu’il fem- bloit y en avoir un banc. Ils fautoient hors de l’eau, 8c faifoient écurner la mer, comme s’ils s’étoient livré un combat. 3m Du Sud-Eft le vent a paffé au S. S.. E. petit frais, 8c calme fuivis de grains, pluye 8c orages avec des éclairs, mais; fans tonnerre. Nous avons toit joui s tenu la bordée du Sud, jufquà midi. 1 1 Un Requin de moyenne grandeur, 8c dit poids d’environ cent -cinquante livres, eft venu le promener fur 1 arriéré du Na- . i- vire. JO J O U R N A L vire. Il a mordu à l’émerillon, auflîtôi qu’on le lui a préfenté. Lorfqu’il étoit déjà enlevé hors de l’eau, il s’eft donné' une fècoufle, qui Ta dégagé de l’émeril- lon moyennant un morceau de là m⬠choire ; qu’il a laiffé pour gage* Sans s’é¬ tonner ni le rebuter de cet échec, le Re- quin ayant apperçu le même morceau de lard, qu’on lui avoit tendu pour appât, la première fois, la gloutonnerie l*y a rappellé; & en effet il a gobé, & le lard, & le morceau de fa mâchoire; fans être accroché par l’émerillon. On a mis un autre morceau de lard; le Requin avoit, fans doute, bon appétit; il eft revenu pour le failir. Mais, comme il faifoit dans ce moment, un calme plat, que d’ailleurs ce poilfon n’eft pas d’une nourri-/ ture faine, ni appetilfante, au lieu de chercher à la prendre, on s’eft amufé près d’une heure à lui laifter flairer hap¬ pât, Lorfqu’il vouloit lengeuler, on le retiroit promtement de l’eau; ce que l’on a répété une douzaine de fois au moins,, fans qu’il foit arrivé au Requin de s’é¬ lancer hors de l’eau pour la fàifir: ce que l’on dit cependant qu’il fait ordinaire-., ment. e | . & HISTORIQUE. st Je ne lai pas vu non plus, fè tourner lür le dos pour engouler happât; mais feu¬ lement le tourner tant foit peu fur le cô¬ té. Mr. de Bougainville, pendant cet amufement, lui a tiré deux coups de fu- iil à balle ; mais , foit qu’il l’aît manqué, quoique prefqu’à bout portant, foit que la balle n’aît pu pénétrer la peau du poif- fon, le Requin ne s’en eft pas ému da¬ vantage ; Il a continué de roder autour de 1 appât, & a enfin avallé ce fécond fans avoir été accroché. Un grain étant fur- venu , on a laiflé le Requin pour s'occu¬ per ailleurs. Nous étions alors par la Latit. N. obfervée f — 38. - - eftimée s = 41. Longit ellim. 2^=47. Chemin 1 1 lieues. Route le S. O. J S. 1 deg. S. Dans la foirée, le vent a pafle au S. S. O. le tems toujours fombre, avec grains & pluye abondante, la Mer calme excepté un gros houl fourd, qui nous furprenoit fouvent, parce qu’il ne fe montroit guere à la furface de la mer, qu’au moment qu'il fe faifoit fentir, & qu’il caufoit de grands roulis. F 4. Ce JOURNAL r Ce matin nous avons tenu le plus près du vent, avec même tems quhiet a midi la route a vaîlu le S. O- ï > 4 deg- O. Latitude eftimée 4=54* Longit- eftimée 26 — 22. Chemin lu Continuation d’orages, grains & pluye, avec un vent de S. E ou S. S. E ce qm ne nous a pas cependant empeche de te¬ nir la bordée du Sud, parce que le vent Soit fi foible, que 1» ^voiles banoien quelquefois contre les mats. C etoit pro nroment un calme. Nous avons vu oirnté de Bonites & de Thons; mais aucun n’a mordu aux hameçons que nous avons tendus. Les Oifeaux de mer fe font auffi montrés en allez grand nombre. J* Du Sud-Sud-Eft le vent a fauté ce matin a l’E. S. E. mais il y a relie tres- peu de tems, & il faifoit fi peut frais que deüuis hier midi nous n avons fait que dix lieues, les différentes routes compri¬ mes. Route a vallu le S. O. S3 HISTORI QUE. Latitude eflimée 4=33. - obfervée 4=29. Longitude 26=43. Toute la fbirée & une grande partie de la nuit, les vents ont été variables du S. S. E. au S. E. petit frais, & prefque toujours calme, de tems à autre, calme tout plat, accompagné de beaucoup de pluye. e. Vers l’Aurore, le vent sert élevé petit frais a PE. N. E» avec une pluye abon¬ dante: après quelle a eu celle, quantité de poillons, & de gros oilèaux, fe font monti es, 3c nous avons tenu la bordée de basbord amure jufqu’à midi que la Route a vallu le S. O. 3 deg. S. Latitude eflimée N. 4=6. Longit. 27= ir. Chemin en toutes routes 8 1. f. Jufqua 8 heures du foir, le vent a va¬ rié duj N. E. au S. E. petit frais, Sc toujours de la pluye. A dix heures , un petit grain, qui a éclairci le tems. Quel¬ ques étoiles lë font alors montrées. Nous n’en avions pas vû depuis cinq a lix F 2 purs, g4 JOURNAL jours , le tems ayant toujours été fombve & couvert. - 1 7* Ce matin, le Soleil s’efl: levé allez beau, mais au milieu de quelques nuages épars. Avant que de paraître, les rayons dardes fur ces nuages , préfentment un des plus beaux afpe&s du monde, par la variété & l’éclat des couleurs. J ai été, -on ne feu, i«, plus, mortifié dé ne pouvoir peindre une aurore femblable, qui aurait fait un des plus brillans tableaux. Je n ai -pu conferver qu’une très-foible efquille d’un foleil couchant , que nous avions ad¬ miré tous, pendant près d’une demi- heu¬ re- Mais il n’eft pas poffible d en pre- fenter avec des couleurs à la gomme un tableau, fur lequel on puiffe s en former une idée exaéle. Ces couleurs font trop mattes , & ne ^auraient exprimer le bril¬ lant & l’éclat que les rayons du ioleil répandent fur les bords des nuages. Les couleurs à l’huile l’exprimeraient, ians doute, beaucoup moins mal; mais je nen avois pas: & d’ailleurs il faudrait un ha¬ bile peintre pour faire un tel tableau , & je ne le fuis pas. La route corrigée, le S. O. \ S. La- H I S T O R I QJJ E. g* Latit. N. eftimée 3 = 3 g. — — obfervée 3 = 35- Longit. eft. 27= 1 >. Corrigée 27=19. Sur la correction faire de notre eftiine par la hauteur prife à midi , nous avons corrigé à 2 1 lieues 4 le chemin cinglé que nous avions eftimé être de 18 lieues 4. Le beau tems ayant continué avec une chaleur vive, on a fait faire branle -bas > pour faire fécher les hardes de l’équipage, qui avoient été toutes mouillées pendant ces jours pluvieux. Cette humidité des hardes eft une caufe prochaine du fcorbut & de plufieurs autres maladies, bien plus que la nourriture faiine que l’on donne aux Equipages. Un Capitaine ne fçauroit avoir trop d’attention à entretenir la pro¬ preté parmi l’équipage, & à faire prendre l’air aux hamacs, aux quadres 6l c. s’il vent prévenir les maladies. Notre Capi¬ taine ma fait faire cette obfervation fur fa propre expérience, dans les divers voya¬ ges qu’il a faits à la Chine, aux Indes, au Pérou de en Canada. Il a toujours eu , me difoit - il, cette attention , à laquelle, jointe au choix des bons alimens, il attri- buoit le peu de maladies dont fes équE F 3 pa- $6 JOURNAL A pages ont été affligés pendant lis voya¬ ges. ; ; ' 1 L’après-midi, nous avons vû un gros oifeau nommé Goellan par les uns, & Caignard par les autres. Sur le foir, une hirondelle eft venue feule fe percher fur la vergue du grand mats, elle volloit en* core ce matin autour du Navire. 8- Pendant la nuit, plufieurs poiffons vo¬ lants fe font jettés à bord de notre Fré¬ gate. Us étoient tous de Tefpece de ceux qui ont les j nageoires qui leur fervent d'ailes , longues jufqu’à la queue. Depuis hier , même vent de l’E. S.| E. au S. E. bon frais, & beau tems, excepté quelques grains légers accompagnés d un peu de pluye. Un gros houl du Sud nous a empêché de faire autant du che¬ min que nous aurions pu en cingler; car la mer étoit d’ailleurs allez belle. A midi l’eftime nous a donné, route le S» S. O* 3 = 30 S. Latit. N. eft. J = ï8* — - — obf. 2=4* Voi1.eft.3-d.N.O. Longit. 27= s o. Chemin eflimé 32 lieues. Bon H I S T O R I QU E- 87 Bon frais & beau tems pendant la foi- rée, parfois cependant quelques petits grains, & la mer un peu groffe, avec un gros houle qui venoit du S. S. E. pendant que le vent regnoit du S* E. § Sud. 9* Il y a eu quelque peu de pluye pen¬ dant la nuit; mais la matinée a été affez belle, & nous avons toujours tenu la bordée basbord , 'amure à bonne voiles, jufqu’à midi que nous étions. Latit. N. eftimée 0=^4. — — obfervée o=f4. Longit. 29 = 3- Chemin eftimé 27 li. Route S. O. J. S. 30 min. S. Variation occafe obf. 2=30, N. O. Pendant la foirée.le vent a continué au S. E. bon petit frais ; avec quelques grains & la mer très-houleufe. Nous avons continué la route du plus près, ramure à basbord à bonnes voiles. Sur les cinq heures du 9, un oifeau, à peu près gros comme un pigeon, mais plus allongé, étant venu fe percher fur la vague du mâts de Mifene, un Mate- F 4 lot 58 JOURNAL Jot l’a pris à la main. Cet oifeau , que 3 ai peint, moitié grandeur naturelle, 6c dont on voit la figure! pl. IL fig- 2. eft d’un brun clair -rougeâtre, prefquede cou¬ leur de noifette. Les plus grandes plu¬ mes des ailes 6c de la queue font d’un brun plus foncé, même un peu noirâtre. Son bec eft noir, droit, percé de part en part au milieu , menu avec un petite grof- feur en deflous, aufli long que la tête de l’oifeau. Le deffus de la tête eft blanc près du bec, 6c d’un blanc perlé de plus en plus foncé jufqu’au cou, qui eft affez long pour la groffeur. Ses pattes font d’un gris noir, palmées comme celles de la Poule d’eau. Après avoir fait de cet oi¬ feau l’ufage que nous dirons ci -après, Monfieur de Bougainville me le donna pour le peindre. Je le mis dans une pe¬ tite armoire de ma Dunete , où je le trou¬ vai le lendemain bien vivant, 6c fi peu effarouché de fe voir pris, que l’ayant pofé fur ma table, il s’y plaça dans l’atti¬ tude, où je l’ai peint. Je lui préfentai de la nourriture; il mangea; toujours accrou¬ pi, 6c demeura ainfi pendant trois jours; ce qui me donna tout le tcms de le pein¬ dre au naturel Quelques uns de nos ma¬ rins 89 H l S T O R I QU E. rins on dit que c’étoit une efpece de fou parce qu’il s’étoit laiffé prendre à la main, & qu’il étoit apprivoifé auffitôt que pris; mais il n’avoit cependant pas le bec de corbeau, ce qui a fait donner au fou le nom de Canard à bec étroit. Nos Ma¬ rins donnoient auflï le nom de fou à un Oifeau prefque femblable ; mais qui a le bec recourbé à peu près comme le Per¬ roquet. Le matin, fur les dix heures, la mer ayant paru moins bleue qu a l’ordinaire, 8i fa couleur d’un vert -blanchâtre, qui s’étoit manifeftée , étant encore la même à fix heures du foir, on foupçonna que ce pouvoir être l’etfet du voiünage de quel¬ que terre , ou quelque haut fond ; on prit le parti de jetter la fonde à la mer, on fila cent-vingt braffes (600 pieds) & l’on ne trouva pas de fond. Nous fumes par là débarraffés de l’inquiétude que nous avions ; inquiétude fondée fur l’erreur des Cartes, qui, prefque toutes, reculent à FOuéft la côte du Brefil, près de cinquante lieues plus loin que les obfervations de nos Marins ne les mettent. On étoit dé¬ terminé à jetter la fonde une fécondé fois, li la mer eût confervé cette couleur blan- F S châ- 90 journal: châtre; mais, comme le lendemain matin ou lui trouva ià couleur bleue ordinaire, nous continuâmes notre même route fans avoir fondé. Depuis fept à huit jours, les Maîtres* les Contremaîtres, & les Matelots, qui, dans d’autres voyages avoient paffé la li¬ gne, s’étoient difpofés à cequils appellent la cérémonie du Baptême , qui fe donne de la part & au nom du Bon- homme la Li¬ gne , à tous ceux qui ne font pas paffée, fans diftinftion de grade , ni de qualité , & fans exception de perfonne. 11 étoit près de fept heures, & nous étions à fcuper5 lorfque nous entendîmes claquer un fouet; qui nous annonça l’arri¬ vée du Courier du Bon-homme la Ligne; ce qui fe pratique toujours la veille de la cérémonie du Baptême, dont je viens de parler. C étoit le Maître Canotier, en courier très - proprement mis. Il heurta à la porte de la Chambre: on demanda qui heurtoit? Ceft, répondit-il, un en¬ voyé du Bon - homme la Ligne , Seigneur, 6c Préfident de ces parages. Qu’on lui ouvre, dit Mr. de Bougainville. On ou¬ vrit, l’envoyé mit pied à terre* entra, & H I S T O R I au E. 91 là monture refta à la porte. Cette mon¬ ture étoit formée de deux Matelots, atta¬ chés lun à Fautre cul contre cul, mar¬ chant à quattre pattes. L’un avoit fur la tête un faubert *) pour repréfenter la queue de l’animal; Fautre en avoit auffi un, pour former la crinière, & un mafque de carton figuré en tête de Cheval. Les har- nois, étoient le pavois du grand canot, ceft-à-dire un tapis ou grande bande d’étoffe bleue, parfemée de fleurs ;de lys d’étoffe jaune. L’Envoyé ayant’ été introduit adrefla la parole à notre Commandant: en ces ter¬ mes : Le Seigneur Préfident de ces Parages , Je Bon- homme la Ligiîe , ayant appris que Mr. le brave Chevalier de Bougainville, Commandant de la Frégate l’Aigle, y étoit arrivé, m’a ordonné, ,de venir le fàluer jde fa A ?_• *) Le Faubert efî une efpece de ba!ay, compofé de- fils de carret » noues enfemble par un bout, attaché à un manche de bois gros & long comme un bâton. Ces fils de carret font pris des vieux cordages; ainfi noués & liés en¬ femble, ils répréfentent à peu près une grolTe & longue queuë de chevaL Ce balai fert à éponger l’eau de deflus le gaillard & les ponts, quand on les lave & qu’on les nettoye. 92 JOURNAL fa part, lui témoigner la joye qu’il’ relient de fa venue, lui fouhaiter une bonne fanté Sc 'lui remettre une lettre, dans laquelle mon Maître exprime lui -même fes .fenti- mens. Mr. de Bougainville lut la lettre, qui étoit conque en ces termes: Brave Cheva¬ lier, vos hauts faits ont rendu le nom Fran¬ çois très -célébré dans le Canada : N dre ré¬ putation eft parvenue dans les parages de ma domination , fur les ailes de la Renommée , & votre nom eft en telle vénération dans le cœur de mes fujets , que les Dorades , les Bonites , les Thons Cf les Marfouins ayant apperçu la Frégate l'Aigle que vous com¬ mandez, font venus en bandes , ni annoncer dès - hier votre arrivée . Ils ont exprimé la joye que votre préfence a répandu dans leurs cœurs , par les bonds Cf les faut s multi¬ pliés , quils ont fait longtems en pajfant au¬ près de votre Navire . Je vous envoyé cet Ambaffadeur pour vous témoigner la mien¬ ne, en vous remettant la préfente , Cf f eft- pere vous dire moi -même demain , com¬ bien je fuis charmé de la vif de que vous me rendez . Signé Le Bon -homme la Ligne. A la 93 HISTORI QU E. A la ?4 minute du T. degré de lati¬ tude, longitude 29 degrés 3 min. de ma domination feptentrionale, le 9 Novem¬ bre de Fan 7763. de mon régné. Mr. de Bougainville dit enfuite à l’En¬ voyé qu’il comptoit avoir l’honneur de fe préfenter le lendemain devant le Bon¬ homme, & de lui faire fa réponfe de vive voix. Que l’on donne un coup à boire au Courier, ajouta -t- il, & que l’on ait foin de fon cheval: il doit -être beau; faites l’entrer; je fuis curieux*, de le voir. On l’introduifît; il fit des cabrioles, il piaffa, battit du pied à dit pofer une baignoire pleine d’eau de mer, & des féaux: on tendit à bâbord & à ftribord une corde nommée la ligne , qui fert à fonder; & le tambourin battit pour faire aflèmbler tout le monde fur le mê¬ me peut fe repofer fur l’eau, fans y périr, com¬ me il arrive à ceux qui n’ont pas 1 habitude d y vivre. Ses jambes font courtes , groftcs & ra- maflees. Ses pies ne font pas palmés, mais armés de grifes fortes & aigues. On en voit qui ont neuf piés d’envergure du bout d u- ne aile au bout de l’autre. Au moyen de la grandeur de fes aîies déployées, il fe foutient facilement en l’air, en leur donnant un mou¬ vement prefqu’infeniibîe. Il s’élève quelquefois fi haut que l’œil le plus pénétrant le perd de vûe. Lorfqu’il s’approche des Navires, il vol¬ tige autour des girouettes , s’en éloigne & s en rapproche bien des fois ; mais fans fe pofer. Sa grofleur eft à peu près celle d’une poule. Son l'egard eft perçant & afturt. 11 fond fur là proye 1WE » H « M •' ■'» \ r * * lOURNAL me gaillard. Le tems étoit fort propre à la cérémonie: car il faifoit très -chaud. On plaça auprès de lèfcalier qui defcend à la chambre, un banc couvert du par vois, qui avoit fervi, la veille, de capara¬ çon à la monture du courier; <$c l’on dit pola ainfi un fiege, ou Thrône, au Sei¬ gneur Préfident de la Ligne, à fon Chan¬ celier & au Vicaire qui devoit adrni- niftrer le bâtême. Tout le monde étant aflemblé, on de¬ manda de la grande hune, avec un por¬ te voix j Comment nomme - 1 - on le Navire > que proye avec une viteffe incroyable , & s’en fiific avec Tes griffes & fon bec , dont la partie fupé- rieure eft arquée. Les mâles ont une membra¬ ne rouge & boutonnée, qui leur defcend du bec jufques vers le milieu du cou. Les plumes du ventre font d’un gris blanc, qui le fait pa- roître blanc à une certaine hauteur. Celles du dos & des allés font brunes. Il vit de poiffons volans , qu’il faifit adroitement en rafant la fur- face de la mer, lorfqu’its volent, pour éviter d’être la proye des Bonites à des autres poil* fons leurs ennemis. On dit qu il pourluit aufli les Goëlans, & les autres oifeaux de mer, pour leur faire dégorger les poiffons qu ils ont avallés, & pour s’en fuifir lui -meme. J* HISTORI aU & 97 que je vois là -bas ^ dans mes pavages ? On le nomme V Aigle ? répondit le Capitaine. — Qid le commande ? — Mr. le Che valier de Bougainville. — J’en fuis charmé ; je le verrai avec pîaijîr dans ma fociétê , avec les cérémonies accoutumées . Je reçus hier de fes nouvelles ; & je vais lui en marquer ma fa- tisfa&ion , en defiefidant dans fin N avive > avec toute ma Cour. A la bonne lient e , ré* pondit Mr. de Bougainville. (Expreffion marine , pour dire que Ton a entendu Tin* ter* Je ne fcaî trop pourquoi on a nommé Frégate cet oifeau-là, amoins que ce ne Toit par compa- raifon de la vitelfe de fon vol avec la legereré des Navires qui portent le meme nom , & qui or¬ dinairement lont meilleurs voiliers que les autres. N’ayant pu en voir de plus près que le haut du mâts, je ne puis en donner le defcription que d’après ceux qui en ont vûs & touchés. Le Fere Labat, (Nouveaux Voyages, Tom. VI. pag» 395.) ajoute à ce que j’en ai dit, que cet oi- feau a les yeux noirs 8c grands. 11 defcend rarement à terre, 8c fe tient perché, parce que la grandeur de fes ailes, 8c l’efpace qu’il lui faut pour les mettre en mouvement, lui donne- roient trop de difficultés pour s’élever de terre. Il dit que les plumes du dos 8c des ailes de cet eifeau font noires, groües 8c fortes ; que celles G qui terrogation, 6c qu’on y applaudit en don¬ nant fon contentement.) Dans le moment , un Matelot , ayant pour tout habillement une culotte gau- dronnée, fur les épaules une peau de mou¬ ton avec fa laine, barbouillé de rouge 6c de jaune par placards, un bonnet fur. la tête, fait suffi de pe'au de mouton peinte, furmonté de deux cornes de bœuf, parfe- mé de quelques morceaux de bois noircis, de plumes de dindes 6c de poules 3 la poi- tri- qui couvrent Te'floinach & les cuiffes, font plus délicates ik moins noires: celui que jlai décrit» eft peut-être la femelle, ou un jeune, j’en tuai, ajoute -t- il, quelques uns dans file où nous étions, pour avoir leur graiffe. .... On dit que cette graiffe eft admirable pour les dou¬ leurs de la goûte - fçiatique , pour les engourdif- femens des membres, & autres accidens, qui arrivent par des humeurs qui ne circulent pas. On doit faire chauffer la graille; & pendant qu’elle efr iur le feu, faire de fortes fri&ions fur la partie affligée; afin d’ouvrir les pores, & mê¬ ler de bonne eau de vie , ou de l’efprit de vin avec cette graiffe, au moment que l’on veut en faire l’application. On peut mettre un papier broüillard imbibe de ce mélange, fur la partie, avec des comprefîés & une bande, pour les tenir en état. 99 H I S T O R I CLU E. trine; les bras, le ventre, les jambes & le vifage également barbouillés de rouge & de jaune, détrempes a 1 huile, et une gran¬ de mouftache noire* C-e Matelot amli ac* coûtré defeendit de la grande hune par les hautbans de bâbord, ayant une chaîne de fer autour de corps , en façon de ceinture. 11 en tenoit le bout d une main 5 de 1 au¬ tre il portoit le croc du coq, qui ieit à ti¬ rer la viande de la marmite. Six Moufles le précédoient nuds, peints de jaune, & de rouge depuis les pieds jufques par deffus la tete, les uns pai pla¬ cards , les autres par bandes croifées à la maniéré des Sauvages. Arrivés fur le gaillard, le Matelot les rrangea, leur fit mettre le pouce lur la iene ou corde tendue, & les contraignit le danfer, au fon du tambourin, pendant in demiquart d’heure* Us s’approchèrent aifuite de la baignoire , & le Matelot leur jetta quelques féaux d’eau fur la tete. Alors on annonça la defeente du Sei¬ gneur Fréfident de la Ligne, par des hari¬ cots blancs, que l’on jetta en guue de Ja- p-ées de la grande hune fur le gai.iaa. Le Bon- homme la Ligne, précédé de toute G 2 100 JOURNAL fa Cour, prit la même route que le Mate¬ lot & les Moufles 3 il defcendit lentement, Sc majeftueufement. Sa Cour étoit com- pofée du fécond Maître, des Contremaîtres, du Pilote, & du Canonier. Le premier Maître repréfentoit le Bon -homme la Li¬ gne. 11 étoit couvert de peaux blanches de mouton avec leur laine , coufues enfem- bie, pour former un habillement d’une feule piece. Son bonnet de même étoffe lui defcendoit jufques fur les yeux. Un paquet d’étoupes mêlées avec la laine, lui lervoit de perruque, & de barbe. Il avoit un nés poftiche de bois peint. En guife de cordon il portoit d’une épaule à lau- tre un chapelet de pommes de racage, groffes comme des œufs d’oyes. Les gens de fi fuite étoient affublés à peu près de même, excepté que quelques uns avoient les bras les jambes nues, peintes de rouge & de jaune ainfi que le vifage, décoré de grandes mouffaches noi¬ res, & de longs nés poftiches de bois. L’un portoit une maffe, ou caffe - tête à la Sauvage, l'autre un arc, celui-là une ha¬ che, celui-ci un calumet. Auprès du Sei¬ gneur Préfident étoit fon Chancelier 7 por¬ tant IOÎ H I S T O R I Q.U E. tant fon Sceptre, fait d’une efpece d’écou- villon (infiniment qui fert à laver le canon, quand on le rafraîchit après qu’il a tiré.) Le Maître Canotier , habillé en femme , de fardé avec du gros rouge à l’huile , fe te- nok auprès du Bon -homme, qui Tappel- loit fa fille. Le Vicaire à fon côté étoit vêtu d’une efpece de robe de toile, pleine de brais de de gaudron; une corde grolte comme le pouce, lui fervoit de ceinture. Il portoit un bonnet carré de carton noirci, un masque de même, une étole de toile, peinte en rouge, & tenoit un livre à la main. Un Moufle ayant un Donnet carre rouge & noir, un autre Moufle portoit un encenfoir de bois, auquel étoit des ficelles en façon de draines, de de l’autre main un réchaut avec du feu pour mettre les parfums, compofés de brais de de gau¬ dron. Un troifieme Moulfe tenoit un arc & une flèche ; enfin un quatrième portoit un bafiin de un pot à l’eau plein d eau de mer pour fervir au Baptême. Tout ce monde defeendu fur le gail¬ lard, de 1 équipage y étant aflemblé, le Seigneur Préfident demanda à parler au Commandant, qui fe préfenta aulfitôt pour le recevoir. Soyez le bien venu ; je fuis char - G 3 ™ê 1 02 JOURNAL mé de vous voir , Mr. le Chevalier , dit le Bon* homme la Ligne: exeufez-moi fi je ne vous fais pas de longs complimens ; fai la poitrine fifoihle , qiià peine puis -je parler • TW# foyez pas furpris ; je fuis âgé de 7763. ans ; je ne puis même prefque plus écrire . chargé mon Secrétaire de le faire pour moi • &F voila une lettre , qui fuppléera à ce que j' aurais pu vous dire , tfzVz/* que 772011 Chancelier. Je fuis defeendu de mon Pa¬ lais exprès pour vous recevoir dans ma fo- cieté. ffefpere que vous ne ferez pas diffi¬ culté de vous foumettve à la cérémonie du Baptême en ufage pour cet effet . Mr. de Bougainville prit la lettre, la lut, <$c lui répondit: à la lonne heure. Il fàlua en- fuite la fille du Bon -homme; Sc après la¬ voir félicité d'avoir une fille fi jolie, il s’approcha de la Ligne, ou corde tendue. Les Officiers du Bon -homme l'y accom¬ pagnèrent, 8c le Seigneur Fréfident fut s’aiTeoir fur fon thrône pavoifé, ainfi que fa fille & fon Chancelier. Les Officiers lièrent le pouce de la main gauche de Mr. de Bougainville fur Ligne, avec un ruban rouge. Nous nous y plaçâmes enfuite en rang d’oi¬ gnon, Mrs. de Nemlle, de Belcourt, L’huiL / H I S T O R I Q.U E. 103 L’huillier & moi, & on nous attacha aufli le pouce de la main gauche avec Je même ruban. Ayant un air grave, & fon livre a la main, le Vicaire s’approcha de Mr. de Bougainville. A la gauche du Kaim étoit le Porte -Sceptre du Sr. lrelident, a fa gauche deux Moufles en Sauvages, l’un porcoit une affiette couverte d ue ler- viete pliée, pour recevoir le tribut, qu Us appellent rachat , parce que Ion le con¬ tente de verfer un peu d’eau de mer fur la tête de ceux qui fe rachètent, au ieu de les plonger dans la mer, comme l^on fait quand on donnera ca^e. ) ^ *\ La cale eft une punition, que l’on fait J à ceux de l’équipage, qui font convaincus a- voir volé, blasphémé, ou excité quelque le- volte. 11 y a deux fortes de cale, l’ordma.re & la feche. La cale ordinaire confifte a con. attire le criminel vers le piatbord, ou pafle-avan , au deffous de la gronde vergue. Là «» 1,1 paffe un bâton entre les jambes fur leque on le fait offeoir, pour le foulager. U embraffe un cordage attaché à ce bâton , & qur pâlie par "ne poulfofufpendneàun des bouts delaver- gue. Trois ou quatre Matelots Ment cette corde, le plus promptement qu’ils peuvent, jufqu’à ce qu’ils ayent guindé le patient ^ I04 JOURNAL Mou/Te tenoit un arc d’une main, & de 1 autre un encenfoir. C'étoit un morceau de bois, creufé en forme d'écuelle à trois anfes, fufpendue à trois bouts de corde. On ne plonge plus dans la mer pour don¬ ner le Bapteme j parcequ’on a fait ré¬ flexion que cette cérémonie deviendroit très - dangereufe , à caufe des Requins qui pourroient roder autour du Navire, & emporter une cuiffe au moins à celui qui aurait le malheur d’en être mordu. On a fubftitué à ce baptême celui de la bagne, ou baignoire, fur le bord de la¬ quelle on fait afleoir celui qui ne s’eft pas hauteur de la vergue. Ils lâchent enfuite le cordage tout à coup, ce qui précipite le crimi- îuinel dans la mer. Quelquefois pour augmen¬ ta la peine en augmentant la rapidité de la chute , on lui attache un boulet de canon aux pies. Ce fupplice fe réitéré autant de fois que la fentence le porte; ce qui va mime jufquesàcinq. On l’appelle cale feche , quand le criminel eft fus- pendu à une corde raccourcie de maniéré, que dans fa chûte , il ne defcend que iufqu’à la fur- face de l’eau, &n’eft pas plongé dans la mer. C eft une efpece deftrapade. Ce châtiment eft rendu public par un coup de canon , pour aver¬ tir tous ceux de l’Efcadre d’en être les fpefta- leurs. * r H I S T O R I CL U E. ïos pas racheté , ou à qui Ion veut faire pièce; comme nous le verrons ci -après.. Les chofes ainü difpofëes, le Vicaire dit à Mr. de Bougainville: „ Pour être 5, reçu dans la noble & puiffante focieté „ du Seigneur Préfident de la Ligne , il 5> faut prendre , au préalable, quelques en- 55 gagemens , que vous promettrez dob- „ ferver. Ces engagemens n’ont pour ol> J5jet que des chofes raifonnables. A la bonne heure , répondit Mr. de Bougain- 5 ville. Promettez -vous 3 dit alors le Vi- ’ caire, d’être bon Citoyen, & pour cet M effet de travailler à la population, & de ? G ? „ne Les Hollandois pratiquent une autre cale » qu’ils appellent h grande cale . Pour la donner, ou conduit le coupable au bord du Navire, on lui lie une corde au milieu du corps. Un bout de cette corde eft attachée au bord du VaitTeau . ou au bout de la vergue amenée ; l’autre bout palTe fous la quille , & eft tenu de l’autre coté du Navire par quelques uns des plus torts & des plus robuftes Matelots. On met quelque cliofe de pelant autour du corps, ou aux pics du criminel, pour le faire plus enfoncer dans l’eau. Le coupable étant jette à la mer , à 1 ordre qu eu donne le Quartier -Maître, ceux qui tiennent la corde ïo6 JOURNAL ^ ne pas laifler chômer les filles , toutes oj les fois que Toccafion favorable s’en 5, préfentera? — Je le promets. — Pro- 3, mettez-vous de ne jamais coucher avec la 3) femme d’un marin? — Je Je promets. — Promettez - vous de faire prendre les mêmes engagemens , & d’employer les ;7 mêmes , ou de femblables cérémonies, „ à l’égard de ceux qui n auront pas paffé la Ligne, quand ils s5y trouveront avec ,, vous? — Je le promets?0 Mettez donc la main -fur ce livre facré, en témoigna¬ ge de vos engagemens. Mr. de Bougain¬ ville y toucha fur une eftampe, qui repré- fen- corde au bord oppofé, la tirent le plus vîte qu’ils peuvent, de forte que le patient paffe rapidement fous la quille. On réitéré autant de fois que la fentence le porte. Ces cbatimens font rudes, & dangereux pour la vie - même ; furtout la grande cale. Car le moindre défaut de diligence, ou d’sdreflé, de la part de ceux qui tirent la corde, ou quel- qu’autre accident, peut être caufe que celui que l’on tire fe rompe un bras , eu une jambe, & même le cou, ou quelqu autre partie du corps froiffée contre la quille. Aufli met- on cette cale au nombre des peines capitales. Nos Matelots François regardent les deux autres au moins comme infamantes. HISTORIQUE. 107 fentoit , un Génie ou Ange & une jeune fille qui s’embrasent tendrement. Ceit celle de la 47- page du livre qui a pour titre Sentiment d’un Chrétien , touche de l'amour de Dieu. Au bas de cette eftam- pe eft écrit: quis mihi det te fratrem rneum fugentem ttbera matris meœ, ra¬ ve viam te foris, Ef deofculer te. Cant. g. Le Vicaire fut rendre compte au Seigneur Préfident, de la Ligne des engagemens de Mr. de Bougainville: & le Bon -hom¬ me répondit: dignus efl intrare in nofiro declo corpore • admît t ntnv . Alors le t- caire retourna à Mr. de Bougainville, & lui dit- Le Seigneur Préfident de la Ligne vous mge digne d eue admis dans la io- ciété dont ü eft le Chef, & m’a char¬ gé de vous y recevoir par l adminUtra- don de fon Baptême. Comment vous nommez-vous? Louis, répondit Mr. de Bougainville. Hé bien; Ego, nomme Re- verendifmi Domini Dominj Sf Serempm Pnejidentis Æquatoris, te, Lndovice, admitio in focietate ejus. En prononçant ces pa¬ roles, il lui verfa fur la tête quelques o-outtes d’eau de mer. On délia le pouce de Mr. de Bougainville, qui mit de l’argenqdans l’alîiette, fous la ferviette, 0*4 io8 JOURNAL 8c le Vicaire l’encenfa. On paffa à Mr. de Nerville à qui le Vicaire fit les mê¬ mes queftions; 8c ainfi fucceffivnm ent aux autres Pafiàgers 8c Officiers avec les mêmes cérémonies. Etant parvenu à un Garde-Marine ou Pilotin, alfez mauvais fujet, 8c haï de presque tous, le Vicaire lui dit que le Seigneur Préfident ordonnoit qu’il fut reçu avec toutes les cérémonies en ufa- ge. En conféquence, il lui pofà un bout de fon étole fur la tête, marmotta quel¬ ques paroles, 8c puis lui fit baifer cette étole peinte à l’huile tout fraîchement. Il prit enfuite du noir à Fhuile dans un pe¬ tit pot, que tenoit un Mouffe, 8c lui en appliqua au front & aux joues. On le délia de la Ligne, 8c on le conduifît à la bagne, fur les bords de laquelle étoit pofé, dans des entailles, un bâton fur le¬ quel on le fit afîeoir. A peine s’y fut- il placé que Ton retira prefiement le b⬠ton, 8c le Pilotin fe trouva le cul enfon¬ cé dans Peau, dont la bagne étoit à de* mi pleine. A cette bagne eft auffi ajufté une corde, de maniéré qu en en tirant un un bout, au moment que le Catécume* w ne H I S T O R I Q.U E. 109 enfonce dans la bagne, cette coide le faifit par le milieu du corps , & l’y tient afliijetti, fans qu’il puiffe s'en débarraffer, que lorfqu’il plait de lui donner le liber¬ té. Dès que le Pilotin s’en trouva faifi, on lui barboüilla de noir & de rouge toute la tête & le vifage: on lui verfa au moins cinq ou fix (eaux d eau lut la tête: puis on le lailla aller. On en vint enfuite à deux Demoifel- les Acadiennes, auxquelles le Vicaire de¬ manda fi elles étoient pucelles? elles ré¬ pondirent, oui. Promettez- vous, leui dit- il enfuite, de ne pas manquer à la foi conjugale , fi vous epoufez un JVlarin. La promelfe faite, il leur mit tant fiait peu de noir au front, au nez, aux joues & au menton; & apres leur avoir verfe de 1 eau fur la tête, elles fe retirèrent. La four de l’une des deux s’étoit cachée pour n’ê- tre pas expofée à recevoir de l’eau fin¬ ie corps* On la trouva , de 1 on voulut la contraindre à venir recevoir le baptê¬ me; mais le Vicaire averti qu’il y avoir des raifons pour qu elle ne s expofat pas au batême de l’eau , lui dit qu il le con¬ tenterait de lui mettre des mouches aux vifage. Elle fe préfenta, & il tint pa- 1 10 JOURNAL 1 rôle. Deux femmes mariées ne furent' pas baptifées, parce, que leurs enfans dans le bas âge qu'elles ne pouvoient pas aban¬ donner y crioient 6c fe cachaient par la peur que leur inipiroïent les figures gro- tifque des gens de la fuite du Seigneur Préfident de la Ligne. Quelques autres furent enfuite bapti- fês & barbouillés de noir 6c de rouge, mais on ne les fit pas placer fur la ba¬ gne; parce qu’ayant commencé à jetter quelques féaux d’eau fur les baptifésq ceux- ci , pour avoir leur revanche en jet- terent auffi. Ceux qui a voient été moüil- lés, voulurent mouiller les autres; ce fut à qui plus en jetterait; de façon que tous ceux qui fe trouvèrent fur le gaillard fu¬ rent aufii moüillés que s'ils étoient tombés dans la mer. On ne fe contenta pas de s’i¬ nonder d’eau; ceux qui a voient été noircis frottèrent leur vifàge à celui des autres qui ne l’étoient pas; tout l’Equipage ou pres¬ que tous furent ainfi barbouillés, 6c ils ne ceUerent la farce, que lorsqu’ils en furent las. Ce contretems fit perdre au Bon -homme, 6c à fa faite une partie du tribut^ que lui auraient payé quelques uns de deux, qui ne furent pas bapufés avec III H I S T O R I QU E. avec les cérémonies ordinaires. Le refte de la foirée fe paffa en danfes, & à dif-. férens jeux. ' Cette farce eft en ufage dans les Na» vires de toutes les Nations etc 1 Emope qui paffent fous la Ligne. ^ Mais il n’y a pas d’uniformité déterminée pour les cé¬ rémonies ufitées en ce cas - là. Chaque Nation en imagine de conforme à fon gé¬ nie & à fon caractère. Chaque Navire fe comporte même dans cette occaüon, luivant le plus ou moins d eipiit de ceux qui y prélident. Quelquefois celui qui baptife donne à chaque baptifé un nom pris de quelque Baye? de quelque Cap, ou de quelque Morne remarquable fur une lie, ou for une côte; mais on tâche d'affortir ces noms de maniéré qu ils ex¬ priment le caractère , 1 humeur , la figure ou l’inclination de» celui, ou celle, à qui on le donne. En général on appelle cette cérémonie le Baptême ou le rachat: le baptême, à caufe de 1 eau ciont on inonde ceux qui paffent la Ligne pour la premie-- re fois; le rachat, à caufe du tribut que. payent ceux qui ne veulent pas être mon¬ dés Ce tribut eft ordinairement volon¬ taire de la part de celui qui paye. que- que fois ce font les farceurs - même qui fimpofent, en gardant néanmoins la pro¬ portion convenable aux facultés des Tri¬ butaires. Quand ils n’impofent pas le tribut en argent, c’eft en vin, en eau de vie? en jambons, & autres chofes de cette efpece; quand le Capitaine du Navire, qui n’en eft pas plus exemt que les au¬ tres, paffe la Ligne pour la première fois. Lorfque le Navire dans fa route ne doit pas p a fier la Ligne, mais feulement le Tropique, ceux des Equipages qui l’ont déjà pafle , ne voulant pas perdre ce droit de tribut, fe font avifés de nommer le Tropique, le fils aîné du B on ‘homme la Ligne , héritier préfomptif de fies droits , Ils jouent en conféquence, au paffage du Tropique, la même farce que les autres fous l’Equateur. Ils ont même imaginé de faire cette cérémonie, quand un Na¬ vire double, pour la première fois, le Cap St. Vincent, pour palfer le Détroit de Gibraltar. Les Navires qui vont à les pêche de la Morue, obfervent la même pratique, lorfquils approchent du Grand banc de Terre-Neuve. Les vents regnerent dans l’après-midi au S. E. ôc au S. E. i S. aifez bon petit frais. H I S T O R I Q^U E. nj frais» Sur le foir le tems devint un peu nébuleux; mais quelques petits grains Sc un peu de pluye le nettoyèrent. ii Novembre* Pendant la nuit il a fait beaucoup de* clairs fans tonnerre, & la mer étoit agitée d’un gros houl venant du S. E. Nous avons tenu la route au S. O. J S. 4 deg, 30 min. S* elle nous a vallu par eftiine dans les 24 heures le S. O. 2 deg. O. Chemin 26 £ lieues Latit. eftimée Sud 1 = 14» — — obfervée x~C. Longit. 2s~ s 2. Variation ortive N* O» 30 minutes. À midi nous avons viré de bord, le Cap à FE. 1 N. E. Sur les fix heures du loir, le vent étant revenu au S. E. nous avons repris notre route, en remettant bâbord amure* Quelques grains ont fait palier le vent du S. E. à FE. S. E. bon frais ce matin. Ï2* Nous avons fait route S. | S. O. f d. a vallu le S. 5 deg. O* H La- 1 14 JOURNAL. Latit. obfervée Sud i = 4^* - eftimée i = f4« Longitude . 29= s Chemin li. J* Continuation de beau tems, le vent à LE. i S. E. bon frais , la mer allez belle, quoiquavec un gros houl du S. S.^ E. ce qui nous a fait aller au plus près, à bon¬ nes voiles* 13. Ce matin, fur les 8 heures, nous avons vû un de ces Oifeaux nommés Frégate. Il a fuivi le Navire, & a voltigé autour de la girouette, pendant près d’une heure. La Route a vallu le S. S. O. s deg. O. Latitude obfervée 3 — 2o- — — eftimée 3 = 27- Longitude 3° = 2§* Chemin Variât, ortive N. O. Toujours vent à l’E. S. E- puis à l’E. bon frais, beau tems, mais la mer agi¬ tée d’un houl du S. E. qui a continué ce maün Lundi. 3 8 li» t- ■ 7 3 minutes. 14. Nous avons fait bonnes voiles , & gouverné au Sud cinq dégrés. L’eltimé H I S T O R I Q^U E. nf Sc l’obfervation ont fait foupçonner que les Marées , ou les Courans, portent ici au S comme la remarqué l’Auteur du Voya¬ ge de l’Amiral Anfon. La route a yallu le S. f deg. O. Latit. eftimée Sud - obfervée Longit. Chem. corr. Chemin eftimé 33 lieues. f=6. T =20. 30=39. 41 1. 1 T* Le bon frais a continué l’après-midi, de TE. à TE N. E. beau tems, la mer belle, & bonnes voiles, les bonnetes mêmes grayées, gouvernant au S. J S. O. Sur les 8 heures du foir, un oifeau fembiable à celui dont j’ai donné la figure PL IL fig 2. s’eft laifle prendre à la main fur ma Dunete. On l’a fermé dans une loge à poules. IT# Ce matin un des Contremaîtres Payant tiré de fa prifon, pour le mettre fur fon poing, l’oifeau a pris fon effbr, & s’eft envoilé. Peu de tems après nous avons vû une Frégate ÿ cet oifeau a rodé autour de la girouette, & a paru la becquetter plus d’une fois. Même- obfervation fur H 2 les n6 JOURNAL * \ les Courans que le jour précédent. Route S. i S. O. Latitude eftimêe S. 7 — — — obfervée 7 = 20. Longitude 31=3* Chemin eftimé 36 lieuès* — — - corrigé 40 §• L’obfervation faite au coucher du So¬ leil a donné un degré de variation N. b. Continuation de bon frais de IL N. beau tems & la mer belle, nous avons gouverné au S* S. O bas, ainfique ce matin Mercredi. 1 6* A midi nous nous femmes trouvés moins Sud que mon point , par la raifon, fans doute, dont j’ai parlé ci-devant. Route Latit. obfervée 9 = 1 8- _ _ eftllimée 9 — Longitude 31==*?‘t Chpmtn 4^ i* Variation eftim. 2 deg. 30 min. N. E. Toute la foirée le vent a continué à PE. n! E. fur le foir U a paffé à l’E. S. E. Il a calmé enfuite, & nous avons con¬ tinué notre route au S. S. O- avec un tres- petit frais. Le tems étant enfoue devenir HISTORI Q^U E. 117 fombre, il s’eft élevé un petit grain avec de la pluye. A midi aujourd’hui Nous eftimions être par la Latitude Sud ]qz=$6. ■ - obfervée 10= î8- Longit. eftim, 32 = 38. Route le S. S. O. Chemin 3 ç lieues. Variation 3 deg. N. E. 28* Depuis hier midi le vent a régné Eft & E. S. E. bon frais 5 beau tems, la mer beîle; toutes voiles dehors; même les bon- netes. L’obfervation a donné un diffé¬ rence confidérable de Feftime. Latitude eft. Sud 12 = ) 6. — - obfervée j 3 = 6. Longit. corrigée 33 = 32. Chemin corrigé 44 1 Route S* S. O. Variation occafe Nord -Eft a deg. Le vent a continué petit frais & varia¬ ble de TE. à l’E. S. E. beau tems mêlé de tems à autre de quelques petits grains, accompagnés d’un peu de pluye. H 3 19. L’ob- JOURNAL x 1 8 L’obfervation nous a donné à midi 26 min. de différence. Route S. S. O. Latit. eft. S. 14=36. - obf. 1 s = 2. Von. eft. z— 30. Long.corr. 34=22* Chem. corr. 43 1. - eftimé 32 1. f. Julques à préfent nous nous femmes trouvés dans ce climat comme au mois de Mai en France , les matinées & les foi- rées même affez fraiches, malgré que nous foyons fous la Zone torride. Nous n’a¬ vons efliiyé aucunes de ces chaleurs brû¬ lantes, dont tant de Voyageurs fe plai¬ gnent dans leurs Rélations. Il eft vrai que depuis que nous avons pafle la Li¬ gne équinochale, nous avons toujours eu au moins un peu de vent, que nous n’a¬ vons point été furpris de calmes, & que les nuages nous ont garantis des rayons du Soleil. Soit propreté, foit que notre Frégate fut neuve, nous n’avons pas été inquiétés de ces infeéles , dont parlent les mêmes Rélations. Il n’y a eu ju£ qu’ici aucun malade dans l’Equipage. Pour contribuer à entretenir la fente, tous les foirs, après -fouper, on fait dan- fer H I S T O R I ClU E. 119 fer les les Matelots fur le gaillard d’arrié¬ ré Ils font même fi portés à la joye, qu’ils jouent à la main chaude, au che¬ val fondu, à faire courir la favate, & le fiflet, ou enfin à quelque autre jeu, qui donne de Fexercice , & nourrit la gayeté. Quelques uns , allez comiques de leur na¬ turel, s’habillent, fe mafquent fous des figures les plus grotefques, & fe préfen- tent fuccelîivement, on entrent par ban¬ des, fur le gaillard , où ils danfent des Me¬ nuets, des Contredanfcs, des Gavottes Al¬ lemandes, Angloifes & Matelotes. La plupart ont appris ces danfcs, pendant qu’ils étoient prifonniers de guerre dans les ports de la Grande Bretagne. Le plus grand nombre s’en eft échappé aux rifques de leur vie, dans des Vaiffeaux neutres, dans des bâteaux de pêcheurs, & même dans des petits canots, qu’ils enlevoient des ports. Plufieurs mont alluré que les Anglois favorifoient ces fuites, tantôt en traitant pour le palfage de ces prifonniers avec les Capitaines des Vaifleaux neu¬ tres ; tantôt en leur vendant leurs bâteaux# Quelques uns prêtoient des habits pour le déguifement , d’autres avançaient de l’argent , d’autres en donnoient par chari- H 4 120 JOURNAL. té, Vautres enfin les chargeoient de let¬ tres de recommandation pour leurs amis de Londres, on pour ceux des Ports où ils penfoient que ces Prifonniers pourroient s'embarquer avec moins de rifques. Ils faifoient plus encore; pour leur faciliter tin certain bien-être dans les prifons où ils étoient détenus, ils les encourageoient par des libéralités, payoient très généreu- fement les petits ouvrages de main, que quelques-uns de ces prifonniers faifoient. jufqu a acheter d’eux des petites figures de la Vierge, de Saints <$cc. faites de bois, fculptées aufîî mal qu’on peut le faire avec un couteau & un canif, & quand on ne l’a pas appris. Un de nos Matelots qui s9en mêloit, m’a dit plus d’une fois, qu’on les lui payoit la valeur d’un écu de trois livres, & qu’on lui recomman- doit feulement de ne s’en pas vanter parmi les Anglais. Belle leçon d’huma¬ nité & de charité! La gayetê & la propreté font des chofes auxquelles les Capitaines devroient donner beaucoup d’attention. Elles ne contribuent pas peu à prévenir toutes les maladies j qui affligent ordinairement les Marins. Ceft dans la même vue, que HISTORI QU E tu l’on doit toujours mêler un peu de vi¬ naigre dans l’eau qu’ils boivent journeîle- mène 5 & que l’on met dans un tonneau, nommé charnier. On mettoit celle de la chambre, ou que Ton fervoit à la table des Officiers, dans de grands vafes de terre, au fond defquels on avoit mis des petits cailloux à la hauteur d’un demi-pié on davantage. Après qu’elle avoit été tranfvafée des tonneaux dans ces grands vafes, nommés jarres , expofés à l’air fur le gaillard, ou auprès, on les y laif foit dépurer pendant trois ou quatre jours, avant que d’en boire. On prétendoit que ces cailloux en attiroient le limon. * Il eft bon d’obfèrver que beau que nous avons embarquée à St. Malo, n’a pas fouffert la moindre altération, comme il ar¬ rive ordinairement entre les deux Tropi¬ ques. Le bifeuit s’efl: également très -bien confervé. 11 n’y a eu que quelques choux marinés, & quelques petits tonneaux de daubes de veaux, qui ayent été un peu gâtés: ce qui, vraifemblablement , doit être plûtôt attribué au défaut d’apprêt qu’au climat des Tropiques. H f 20» I.Ç 20. Le vent a continué à TE. N. E. & à VE. ce matin Dimanche 20. la mer belle, toutes les voiles dehors, faifant route du S. S. O. du compas. A huit heures du matin nous avons pris un Marfbuin , pe- fànt environ 100 livres. Je Fai peint au naturel , fans cependant garder de propor¬ tion pour la grandeur. On le voit à la fi¬ gure I. Planche IL On nous en a fervi un plat à diner, & je lai trouvé, ainli que plulieurs autres convives, beaucoup moins mauvais que Ton ne le difoit. *) J’a* *) Plusieurs regardent le Marfouin, comme une efpece de Baleine, & le nomment suffi SoufleuT • Il y en a différentes efpeces. Les uns ont le dos gris prefque noir, & le ventre d’un gris beaucoup plus clair. D’autres font d’un gris prefque blanc, ce qui leur a fait donner le nom de Marfouins blancs • Ceux que nous avons pris , & dont je donne ici la figure , avoient la tête faite , non commet le grouin d’un cochon, mais prefque fèmblable à la tête d’un oifeau, revêtue d’une peau épaiffe & grife, ainfi que le bec armé d’un bout à l’autre de dents ai¬ gues, blanches & de la tonne de celles du brochet. Ils avoient une ouverture (A) fur la tête par laquelle iis lançoient de 1 eau, après quoi, il en fortoit de l’air, qui rendoit un fou à peu* H I S T O R I Q^U E. 123 J’avois fait l’anatomie de la tête & des na¬ geoires , que je voûtais conferver. Mais les ayant fiifpendues fur nos Dunetes, près du bâton de Pavillon , quelques Matelots, en faifaut la manœuvre, les firent, par mégarde, tomber à la mer. A midi la hauteur prife a donné. Latit. obfervée Sud 16=44. - eflimée 16=43. Longitude corr 35 = 10. Route eflimée le S. S. O. 4 deg\ O. Chemin - 37 lieues Variation eflim. 3 deg. N. E. De k peu près femblable au grognement d’un Coc- chon. Leur queue ctoit difpofée horifontale- ment, contre l’ordinaire des autres poiftbns, chez qui elle eft perpendiculaire, quand ils font pofes fur le ventre. Elle fert fans doute de point d’appui au Marfouin pour s’élancer li haut hors de l’eau*, & lui donner la facilité de faire en fair les tours de broche, dont fai parlé dans un autre article. Il leur fuffit, pour cela, de s’appuyer plus fur un côté de la queuë que fur l’autre, en s’élançant. De cette difpoft- tion de leur queue vient apparemment auiïi leur maniéré de nager , comme s’ils fortoient de l’eau, & s’y replongeoient I l’alternative. Celui, dont je donne ici la défeription, (& tous ceux que nous avons pris lui teüêmbloient,) eft. 124 JOURNAL. De l’E. N. E, ou le vent avoît régné depuis midi, il a paffé au Nord, bon pe¬ tit frais, beau tems, mais la mer agitée d’un allez gros houl venant du Sud-Eft. Ayant apperçu un changement de cou¬ leur dans l’eau de la mer, on a pris le parti de jetter la fonde: précaution d’au¬ tant plus néceffaire dans les parages oii nous fournies, que Ton ne peut gue- res compter lur les Cartes* Les Hollan- doi- eft, je penfe , de l’efpecç de ceux que l’on nomme Morne de Mer. Car la partie autcrieu- re de la tête fe termine en bourlet près de la racine au mufeau, ou bec, & y forme comme les bords d’un coqueluchon. U a le dos noir⬠tre & le ventre d’un gris de perle, un peu jaunâtre, moucheté de taches noires & d’autres gris de fer. U a trois nageoires arquées & très - cpaiCfeS , une far le dos, deux autres fous le ventre. Elles font, ainfi que la queue, re¬ couvertes d’une membrane, ou peau grofle, & çpaiffe , laquelle enlevée , lûiflfe apercevoir cinq cartilages blancs, difpofés comme les doigts de la main , & articulés en phalanges. Les Marfouins vont prefque toujours en troupes, & nagent de front, comme s’ils étoient rangés eu ordre de bataille. 11 femblent aller chercher U vent. Nous avons remarqué qu’ils pre- noient H I S T O R I QJJ E. i2ç doifes rapprochent les côtes du Brefil à l’Eft près de 60 lieues plus que les Cartes Françoifes. Nous nous trouvons d’ailleurs, fuivant notre eftime, & la hauteur du So¬ leil obfervée, au travers, ou bien près des bancs de rochers & de gravier nom¬ més los Abrolihos, dont la longueur, 3a largeur & le giffement ne font pas allez exactement connus, ni déterminés dans les Cartes , pour que l’on puiffe s’y lier. On jetta donc la fonde, fur les 7 heu¬ res ï du foir. Nous filâmes cent -trente- cinq noient toujours leur route du côte d’où le vent s’élevoit peu de tems après qu'ils avoient palîê< 11 n’tft point de poiffon qui ait, peut-être au¬ tant de force que le Marfouin, proportionelle- ment à fa groffeur. Dans le nombre de ceux que nous avons harponnés , deux ou trois fe font débsraffées du harpon, foit en fe déchirant le dos, foit en brifant le harpon- même; quoi- que la barre de fer, dont il éioit compofé, fût greffe comme le pouce. Ceux que nous avons pris ont toujours forcé cette barre» & l’un d’eux 1 avoit tordue , comme le commencement dune vis. La chair de ce poiffon exhale une odeur lî forte & fi tenace , que mes mains, après l’ana¬ tomie que j’en ai faite, ont confervé cette odeur plus de trois jours, quoique je les euffe lovées bien des fois avec du vinaigre. 11 en eft de même de celle du Requin» 12 6 JOURNAL cinq brafies de ligne, (ans trouver de fond. Un moment après, un troifiéme de ces oifèaux, dont 3 ai donné la figure dans k Pi. IL fig. 2. & que je croit être un de ceux que Ton nomme ai féaux du Tropique , vint fe pofer fur le bâbord du gaillard d’arriere, où on le manqua. Il fit le tour du Navire, & s’étant pofé à bâbord fur le gaillard d’avant, un Mate¬ lot l’y prit à la main. On l’enferma dans une loge de la cage à poules, dans le deffein de lui attacher le lendemain un ruban au Col, fur lequel on fe propofoit d’écrire: j ai été pris fur la Frégate Françoife r Aigle le 20 Novembre 1763. à la hauteur de 1 6 deg. 44 min. longitude 3Ç= 10, & re¬ mis en liberté le 21 au matin . A minuit on a fondé une féconde fois, iàns trou¬ ver de fond. 21. Ce matin lundi 21. fur le fix heures un des Maîtres ayant voulu examiner l’oifeau pris la veille, ne l’a pas tenu avec afîëz de précaution; il lui a échappé, <3c nous a privé du plaiiir que nous aurions en de lui attacher le ruban dont j’ai parlé. Depuis que nous avions donné la liberté au fécond de cette eipece d’oifeaux, tous les H I S T O R I ClU E. 127 foirs for les huit heures, il en venoit un roder & voltiger autour de nos Dunettes. A midi la route à valiu par eftime le S.. S. O. 4 deg. 30 m. O. Latitude eftimée Sud 18 = 33. Longitude — 36=7. Chemin 40 li. Variation eftimée 4 deg. 30 min. N. E. De l’Eft-Nord-Eft le vent a paffé au N E. bon frais, avec un tems iombre, & la mer aftèz belle. Ayant encore re¬ connu du changement dans la couleur de la mer, dès le matin du même jour 21, & ayant continué toute la journée , on a jette la fonde à huit heures du foir. A 3Ç brades on a trouvé fond, & la fonde a raporté du corail, des morceaux de co¬ quillages & de la pierre pourrie. A dix heures on a fondé de nouveau , & Ton a trouvé même fond à 30 brades. A mi¬ nuit aujourd’hui 22. On a fondé fans trouver fond: à deux heures encore fondé, & à 40 brades mê¬ me fond que ci-devant. A 4 heures, fans fond Le Banc des Abrolhos s’étend plus au Sud que ne le marque la Carte Françoife. U 128 journal; Il faut obferver que Y Auteur du Vo¬ yage de l’Amiral Anfon, fe trouvant dans la même latitude & même longitude elii- mées, avoit fonde & trouvé même fond que nous, ce qui nous a un peu fervt de renfeignement. Cette différence de fonde fucceflîve avec fond & fans fond eft d’autant plus à remarquer, que nous n’avions pas changé de route à l’eftime dune demi -lieue 3 que depuis midi nous faifions la route du S. O. du compas, jufquà fept heures & trois quarts que nous avons fondé: enfuite celle de S. £ S. O. jufqu’à dix heures, puis celle du Sud jufquà minuit, que nous femmes revenus au S. S. O* après avoir fait deux Heues deux tiers; à deux heures trouvé fond, & à quatre, faffant même route, & même chemin de cinq à cinq mille & demi par heure, fans fond. A midi nous avons obfervê le Soleil au Zenit, & nous n’avons pu quefii- mer la hauteur. Nous avons même ob- fervé quelques minutes après que nous avons eu dépaffé le Soleil, & lorfque nous avions l’ombre au Sud. On a donc eltimé I2J HISTORIQUE. La latitude Sud 19=48. — — obferyée 20== ri. Longitude 37=4* Chemin eftimé 30 li. f . Route S. O. J S. 3 deg. O. Environ les trois heures après-midi, nous avons fait lignai à un Navire que nous voyions depuis quelques heures, par¬ ce que nous penfions que ce pouvoir être la Corvette le Sphinx. Il fembloit venir à nous, & faifoit route Q S. O. Alors nous avons diminué de voiles pour Y at¬ tendre. Mais voyant qu’il ne répondait pas au lignai, & ayant obfervé qu’il ria- voit que deux mâts, nous avons jugé que c’éroit un Senau Négrier, qui alloit àRio- Janeyro. Le vent étoit au N. E. bon frais <3e beau tems, quoiqu’un peu (om¬ bre. Nous avons tenu la route du S. O. jufqu’à neuf heures du foir , que nous femmes revenus au S. O. J S. A minuit nous avons fondé, fans trouver fond. A quatre heures, nous avons jfait route au S. O. J O. & à fept heures du matin, au¬ jourd’hui Mercredi 23 Novembre. Nous avons vû la Terre du Brefil à S heures du matin dans l’Oueft & O. N. O. I en- I30 JOURNAL environ à quinze lieues de diftance. Nous fomtnes alors revenus au vent, pour ac- cofter cette Terre; mais, à dix heures, le tems s’étant engraiflë, nous l’avons perdue de vue. La mer nous ayant auffi^ paru changée, nous avons fondé Si trouvé fond de fable fin à quinze brades. A onze heu¬ res fonde de rechef, & trouvé même fond. A midi la route a valîu par eftime le S. O. O. 2deg i s min. O. Latitude eftimée Sud 21 = 34. - - obf douteufe 2 1 = S. Longitude eft. 38 = 96. Longitude corrigée, 43=0. Chemin eflimé 40 li. f. — — corrigé 94 - En pointant la carte on s’eft trouvé à foixante-dix lieues éloignés de la côte du Brefil, Eft Si Oueft de la pointe de Sud de l’entrée de la Riviere du Saint Efprit, en fmvant la longitude corrigée. Nous avions alors vue de terre: Si nous nous trouvons cependant foixante lieues plus- Oueft que Feftime: ce qui confirme les obfervations de F Auteur du Voyage de fAmiral Anfon, que les marées portent fur le Sud -Oueft. 11 eft donc très -à propos de fe défier de ces marées, ainfi que des Car- H I S T O R I Q^U E. i3r Cartes , furtout de la Françoife depuis la Ligne jufqu a Rio de la Plata. Notre première fonde pourroit bien avoir été faite fur un banc de fable, qui n'eft pas marqué dans la Carte Françoife, au large de terre, mais que l’on trouve dans la Carte Hollandoife de Wan-Cu- len , marqué bon fond , à H ou 1 6 lieues au large. Ceft celui où nous avons fondé à dix & à onze heures. Celle de Peter- Goos eft plus fure; une de Mr. Bua* che eft encore meilleure. Le vent étant enfuite du N. N. E. venu au N.E. bon frais, avec un tems brumeux, une mer très-groffe & brouillée, nous avons fondé de quart- d’heure en quart - d’heure, & fur les trois heures ne trouvant que neuf brades, nous avons mis le Cap au S. J S. O. Le fond ayant encore diminué, nous fommes revenus jufqu’au S. § S. E. pen¬ dant une demie heure, mais voyant que la mer diminuoit encore de profondeur, & que nous ne trouvions plus que fix braf fes d’eau , quoique nous portions au large, nous avons arrivé, diftant d’environ cinq ou fix lieues. Alors la pointe que j’ai pu diftinguer la plus près de nous, étoit la pointe qui s’avan¬ ce le plus à l’Eft dans cette partie, for¬ mant une Prefqu’île. Elle nous reftoit à l’O. i N. O. du compas, diftante d’envi¬ ron 3 lieues. Route depuis hier midi* par eftime, FO. J S. O. Chemin eftimé 19 K. Latitude eft. S. 26= ^7. - obfervée 26 = çg. Variât, occafe Longiteftimée 4^ = y 3.10=3 om.N.E* — du reîevem. 49 = 5 g . Ce qui quadre très -bien avec la vue de terre à midi. Nous avons enfuite continué la route du S. E. J S. jufques à quatre heures, avec un vent de Nord au N. N. E. bon frais , beau tems & la mer un peu hou- leufe. • Un Orage formé dans le Sud nous a donné des éclairs & un peu de tonnerre. Le vent eft enfuite tombé 7 étions deux lieues plus au large qu’hier au foir à huit heures. Ayant fraîchi vers les qua¬ tre heures & demie, nous avons viré le ‘ Cap à O. ISO. & O. S. O. pour accof- ter la terre. Mais voyant qu’à peine *. pouvions -nous doubler File de Gai, à huit heures nous avons fait un bord au large d’environ deux lieues; enfuite re¬ porté à terre. A midi nous étions entre File de Gai & la pointe de celle de Ste. Catherine. Le vent étant toujours du Sud au Sud -Sud -Oueft, nous nous fem¬ mes trouvés dans la néceffité de faire plufieurs petits bords, pour gagner le mouillage, où nous femmes arrivés à qua HISTORI QJU E. 139 quatre heures après midi, par les fix brades d’eau, fond de vafe verte très- coulante. Marques du Mouillage. Affourché Sud-Sud- Eft & Nord-Nord- Oueft. Dans cette Baye, qui forme un Canal autour de File St. Catherine, il y a trois Forts, & une batterie de Canon près du goulet, en arrivant à la Ville du côté de notre moüillage. Le premier Fort fe pré¬ fente à bâbord en entrant dans la Baye. Il eft placé fur une pointe de File , en de¬ dans dun petit îlot nommé File aux Per¬ roquets ^ au Nord -Eft \ Eft, & à FF.ft Nord -Eft. On le nomme le Fort de la jointe grojje . Un peu plus avant, & pref que vis-à-vis, eft le fécond Fort, fur un Ilot, près de la terre ferme, au Nord- Oueft \ Nord du Compas. On l’appelle, le Fort de File Sainte -Croix. En entrant il fe préfente bien, bâti en terraffes, fou- tenues par des arcades. Le Commandant y fait fon féjour. Le troifieme Fort plus avancé du côté de la Ville, eft aufîï placé fur un Ilot, diftant prefqif également delà terre -ferme , & de File: On le nom¬ me 140 JOURNAL me, le Fort de File Ratonne . On voit les plans de ces Forts dans la PI. IV. Nous étions mouillés entre ces trois Forts; & le Commandant nous fit entendre par des fignaux , que c’étoit le meilleur mouil¬ lage: Il avoit fes vûës; car le mouillage un peu plus avancé du côté de la terre ferme, eft beaucoup plus commode. En entrant dans la Baye, nous apper- qûmes le pavillon Portugais au milieu des bois, élevé au deffus des arbres, fur une hauteur de l’Isle, de placé de maniéré qu’il peut être vu des deux premiers Forts. On arbore fans doute ce pavillon dès que l’on apperçoit quelque Navire en mer, pour en donner avis aux aux Forts qui font dans la Baye. Car nous le vî¬ mes arborer, de on le retira, après que que nous eûmes mouillé, de falué le Fort de Ste. Croix. Avant que d’affourcher , étant au tra¬ vers de ce Fort, lequel ainfi que les deux autres, avoient arboré le pavillon Portu¬ gais, nous avons mis notre Canot à la mer, pour conduire au Fort Mr, Alexandre Gu- yot , notre fécond Capitaine , qui fçait la langue Portugaife , Ciluer le Commandant, & lui H I S T O R I CLU E. ï4î & lui demander, fi, au fàlut de notre Ca¬ non, il nous rendroit le fàlut coup pour coup. Le Commandant a fait accompa¬ gner Mr. Guyot à fon retour, par un Of¬ ficiers de la Garnifon du Fort, pour nous rendre la politefie, 6c voir qui nous étions. Dès quils ont été rendus à bord, nous avons mouillé, & falué le Fort de neuf coup de canon, qui nous ont été rendus en même nombre. L’Officier a foupé 6c couché à bord, pour aller le lendemain avec Moniteur Guyot faluer le Gouver¬ neur de cette partie du Brefil , qui fait fa ré- fidence dans une petite Ville, fîtuée au fond d’une anfe de Plie St Catherine, à cinq lieues au Sud de notre mouillage, 6c lui demander la permiffion de faire de l’eau & du bois. Le foir même, le Comman¬ dant du Fort de Ste. Croix nous envoya des rafraichiflemens ; 6c le lendemain dès les quatre heures du matin, Mr. Guyot partit avec l’Officier dans notre grand canot. Le Gouverneur, nommé Don Antonio Francifco de Cardofo y Menezes y Sou- za, Colonel 6c Chevalier de Chrift; d’u¬ ne très illuftre famille de Portugal, fit un accueil très gracieux à Mr. Guyot, 6c ac¬ corda tout ce que nous demandions. No- 143 JOURNAL Tv Notre canot partit de la Ville fur les neuf heures du matin , & ne put être de retour qu’à fept heures du foir, à caufe des vents contraires. Dès que les habitons de la côte eurent apperçu notre Frégate à l’ancre , trois ou quatre vinrent à bord , dans des Piro¬ gues, *) nous apportèrent des citrons, des oranges, & quelques choux. Le Commandant du Fort de Sainte Croix s’en étant apperçu, envoya des ordres dans toutes les Cafés **) avec défenfe de porter quoique ce fut a notre 1? regate, & mê- *) C’eft une forte de bateau fait d’un feul arbre creufé, dont les Sauvages de l’Amérique méridio¬ nale ont accoutumé de fe fervir. Certaines grandes pirogues ont des planches ajoutées, fur* tout au derrière , pour en clever les bords. Quelquefois ils y peignent des ligures de Sau¬ vages ou des grotefques. J’ai vu jufqu à douze hommes dans une de ces pirogues , que quelques uns nomment auffi firagues . On dit quil y en a de grandes, qui portent jufqu à cinquante perfonnes , avec leurs munitions de guerre &. de bouche. **) Les Cafés dont je parle, font desbâtimens, qui n’ont que le rez de chauffée , comme les maifons * de H I S T O R I dU E. 145 & même d’en approcher; de nous rien vendre , ni acheter de nous. Il envoya auflï des Soldats dans les Cafés les plus voifines, pour obferver la conduite des habitans à cet égard , & pour nous erm pêcher de nous répandre dans les envi¬ rons. Il nous faifoit à l’extérieur mille proteftations de bienveillance , & n’étoit pas avare de politefles. . * Sans doute que dès le moment de no¬ tre arrivée, il avoir dépêché une pirogue au Gouverneur pour lui en donner avis. Le lendemain matin, pendant que Mr. Guyot étoit en route pour aller voir le Gouverneur, l’Oïdor, ou Chef de la Juftice, arriva à bord de notre Frégate, pour faire un procès-verbal de notre mouillage > de la qualité & notre Navire, & des motifs qui nous avoient amenés. Mr. de Bougainville le fatisfit fur tous ces * , de nos Payfans de France. Ils font ordinare- ment couverts de cannes & de feuilles de Bana¬ niers, ou d'autres grandes feuilles d’une efpece de canne ou de rofeau. 11 n’y a pas commu¬ nément de cheminée. Les NégrefFes Efclaves apprêtent les mêts fur un feu allumé au milieu de leur appartement: de façon que la fumée - s’y répand par tout. 44 JOURNAL ces articles , Sc il repartit environ midi. Nous le fàluâmes, à fon départ, de fept coups de canon , que le Fort de Ste Croix nous rendit auffirôt. Après le diner, Mr. de Bougainville accompagné de Mrs. de Nervüle, de Bel- court & L’huillier de la Serre, fut voir la Commandant de ce dernier Fort. Ils y trouvèrent un Officier général de Rio Janeyro, détenu prifonnier depuis quatre ans, avec défenfe au Commandant lui laifler mettre le pied hors du Fort, pour navoir pas exécuté ponctuellement les ordres qu’il avoit reçus de la Cour de Lisbonne au fujet de l’expulfion des Je- fuites du Brefil, & pour les avoir favo- rifés. Ce Prifonnier a pour Intendant de fes affaires, & pour Sécretaire, un Por¬ tugais, homme d’efprit, qui avoit |été Page d’un Ambaffadeur de Portugal en France, & avoit demeuré quatre ans à Paris. Il fut charmé de revoir des Fran¬ çois , & fe fit un plailir de fervir de Tru¬ chement à Mr. de Bougainville. L atta¬ chement qu’il avoit pour cet Officier pri¬ fonnier, lui avoit fait facnher ta libeite, il s’étoiten fermé avec lui & lui tenoit com¬ pagnie. Cet Intendant accompagna Mr. HISTORIQUE. i4f de Bougainville j & les autres à leur re¬ tour. Dans le narré qu’il nous fit des cau- fès de la détention du Prifonnier, il le difculpa autant qu’il put, & nous dit et) prélènce même de deux autres Officiers, venus à bord avec lui;, qu’il étoit coupa¬ ble à la vérité de n’avoir pas exécuté les ordres de fa Cour , auffîtôt qu’il les eût re¬ çus; mais que l’Archevêque, qui favori- foit les Jéfuites, l’en avoit empêché, affil¬ iant qu'il avoit reçu des ordres contraires: & que lui; Officier Commandant, ne de¬ voir pas conféquemment exécuter les liens, qu’il n’en eût reçu la confirmation. Soit par refpeft pour l’Archevêque, foit par d’au¬ tres motifs que j’ignore, il mit trop de délai dans lêxécution, & en fut puni par la perte de fa liberté. Il voulut engager Mr. de Bougainville de fe charger d’un Mémoire juflificatif, pour le remettre à l’Ambaffadeur de Portugal en France, après notre retour, pour le faire paffer de là à la Cour de Lisbonne. Mais je penfe qu’il n’a pas été donné à Mr. de Bougainville. Lorfque Mr. Alexandre Guyot fît là vifite au Gouverneur, celui-ci l’invita, & h pria d’inviter de fa part à dmer pour le K 1 en- 14 6 JOURNAL lendemain , Mr. de Bougainville & les Of¬ ficiers ainfi. que les principaux Paflagers de notre Frégate. Nous partimes donc dès le matin Jeudi 3 Décembre, Mrs. de Bougainville, de Ner- ville , de Belcourt, Lhuillier , Alexandre Guyot, & moi, & nous nous rendimes, fur les une heure & demie après midi, à la Ville, dont le nom Portugais, s’inter¬ prète en François , Notre Dame de F exil y ou la Vierge exilée . Prefque tous les Officiers de la Garni- nifbn étoient venus au devant de nous fur le bord de la mer, pour nous recevoir. Ils nous accueillirent à la defcente de no¬ tre canot, avec toute la politefle imagina¬ ble, & nous accompagnèrent jufqùaü Gouvernement, au milieu de beaucoup de peuple- Le Gouverneur vint nous recevoir à la porte extérieure, & nous introduit dans une grande fàlle, où nous trouvâmes le couvert mis, & la table fervie. Le Gou¬ verneur, fon fils *) qui parle affez bien le *) Ce fils étoit Capitaine dans le Régiment du pere, & l’un des quinze enfans qu’il nous dît avoir H I S T O R I QJtJ E. 147 le François , le Major de la Place qui en fçait allez pour fe faire entendre, l Oidor, deux autres Officiers & un Pere Francifcain, dînèrent avec nous. Beaucoup d’autres Of¬ ficiers de la Garnifon fe tinrent debout, èc quelques uns nous fervirent. Ces Offi¬ ciers fervans le font; fuivant le dire d’un Officier de la Garnifon du Fort de S te» Croix y pour faire leur cour au Gouver¬ neur, qui les invite tour à tour à man¬ ger avec lui j & ils fe fervent les uns & les autres. Les mets étoient apprêtés à la mode du Pays* aflez mal pour des François. La foupe fe mangeoit à la fourchette, auffi ne fervït-on pas de cueillers. C’étoit une elpece de colle folide» Le pain, des plus mau- ôvoir eus, non de Ton époufe légitime, car il n’a jamais été marié, mais d’une ou plufieuri Maitreflfes» Ses autres enfans vivans font à Lisbonne, où ils ont, fuivant les loix, les mê* mes honneurs & les memes prérogatives que les enfans nobles & légitimes. Les bâtards y font, dit -on, Gentilshommes nés. Une des filles de ce Gouverneur a époufe un des Mi- niftres de la Cour de Portugal, & un autre de fes fils y occupe une des premières places. K a • ■> Î48 JOURNAL. mauvais, gris, lourd, gras ou plutôt une pâte, ayant la forme d’un petit pain rond d’environ trois pouces de diamètre, & d’un pouce & demi de hauteur, dont la fuper- ficie n’étoit qu’un peu deliéchée , & avoit à peine fenti le feu. L’intérieur n’étoit pas oeilleté , & reffembloit à cette bouillie confolidée de blé noir qui fait la nourri¬ ture de beaucoup d’habitans du Limolin, où on la nomme gallette. L’entremets étoit compofé de beaucoup de plats, tous apprêtés au fucre. Ils en mettent prefque dans toutes les faulles, ainfi que du Cartame , ou Heur de Saffran bâtard. Les aflietes étoient d’étain, mal écurées, Sc d une forme antique- Les cou¬ verts d’une très ancienne mode, mais d ar¬ gent, & très - pefans , ainfi que les plats, & quelques vafes pour boire, ayant la for¬ me d’un cylindre octogone , haut de fept à huit pouces. On nous fervit da- bord à boire dans de très petits verres, femblables à ceux où l’on buvoit autre¬ fois de la liqueur, montés fur un pié très élevé, & dont la coupe fe termine en pointe par le bas. Comme avec de tels vafes il eut fallu boire un coup au moins à chaque morceau que l’on mangeoit, j’en H I S T 0:R I Q^U E. 149 demandai un plus grand, pour pouvoir y mêler de l’eau avec le vin. Alors on m’apporta un de ces cylindres d’argent, plein d’eau & de vin. Une autrefois on me fervit plein un grand gobelet de crif- tal, le feui qui parut, & qui tenoit près. d’une bouteille, mefurede Paris. Les au- très convives furent fer vis de même. Ces grands vafes pafïoient de l’un à l’autre ju£ qu’à ce qu’il n’y reftoit plus de liqueur» Le vin étoit de Porto; 8l très -bon. * Après le diner on fit lever la nape; on refta autour de la table, pour pren¬ dre le caffé, Sc faire la convention. Je m’apperçus alors que le Pei;e Francifcain n’étoit plus dans la compagnie. Mon def- fein étoit de Taccofter pour raifonner avec lui fur le Pays, & fur fes habitans , dans la perfuafion que, lui ignorant la langue Françoifê, & moi la Portugaife, je pour- rois converfer avec lui en Latin. Je com¬ muniquai mon deffem au fils du , Gou¬ verneur: je lui demandai pourquoi ce Pere Francifcain s’étoit retiré. Il me ré¬ pondit que j’avois dû m’apperce voir , dès notre arrivée, que ce Pere affectait de s’é¬ loigner de moi, parce qu’il avoit prévu mon deffein ; que ne fachant pas le Latin, ‘ ' K 3 il lyo JOURNAL il avoit mieux aimé ne pas fe trouver avec moi, que d’avoir la confufion d’igno¬ rer cette langue. Cependant, ajouta- 1- il} c’eft un défaut qui lui eft commun avec prefque tous les autres Eccléfiaftiques de ces pays -ci. Pendant que l’on verfoit le caffé , une douzaine d’Officiers de la Garnifbn entrè¬ rent , & Ton nous régala d’un petit con* cert de mufïque inftrumentale. Plufieurs de ces Officiers jouèrent, les uns de la flûte traverfiere, d’autres du par deflusde flûte, d’autres du violon, un du violoncelle, & un d’une efpece de hautbois. Les mêmes jouèrent fucceffivement de divers inftru- mens. Deux Nègres donnèrent du cor; tous s’en acquittèrent fort bien. Us avoient prefque toutes les pièces de nos meilleurs Muficiens François. Les chanterelles des violons étoient des cordes defoye. Nous nous promenâmes enfuite dans la Ville, qui me parut compofée d’envi¬ ron cent cinquante maifons n’ayant que le rez de chauffée, & le toit par deflus. La Garnifon en occupe une partie, elle eft compofée de Blancs pour la plupart. Les autres habitans font prefque tous Nè¬ gres, H I S T O R I Q^U E. içï grès, ou Mulâtres; on en voit de toutes les nuances , depuis le noir jufqu’au blanc. Ces Mulâtres font le plus grand nombre dans les deux fexes, & font générale¬ ment d’une figure laide, & d’un air fam vage, comme s’ils venoient d’un mélange de Braüliens & de NégrefTes. Ils vont prefque tous piés nuds, tete nue nifon font vêtus de drap, & à la Françoife. Je fus même très furpris de voir, dans un pays auflï chaud, des Offi- tiers habillés d5un drap auflï groffier au moins que celui de nos Soldats. L’Oidor 6c les Officiers de juftice fo font diftinguer par une grande canne ou bâton, au par un rotin plié en cerceau, que les principaux portent au bras gau¬ che, au defliis du coude: les fubalternes le portent attaché à la boutonnière de la poche gauche de leur habit. r ; •?." •/»; '■»*:< ' ** ' . • < ■■ Les Efclaves vont nuds, à l’exception d’une culote ou caleçon pour les hommes, Sc quelquefois une très-mauvaife chemife; fouvent même ils ne font couverts que d’un fimple pagne autour des épaules. Il efl: rare d’en voir qui ayent une chemife, Sc une vefte. Mais , lorfqu’iis ont reçu leur liberté, ils peuvent porter l’habit & le man- H I S T O R I QU E. ïf$ manteau d étoffé, comme les Blancs. Les Négrëflès Efclaves font nues à l’exception d une bande de toile, quelles attachent par les deux bouts autour d’elles, & qui les cou¬ vre depuis la ceinture jufqu’à mi-cuiffes au plus. Etant libres , elles font comme les autres femmes, vêtues d’une jupe, 8c dur ne chemife dont le haut eft ouvert pal? devant, à peu près commes nos chemiles d’hommes : lorfqu’elles iortent de la maifon elles mettent un grand pagne; c eft une piece d’étoffe fine de laine, le plus fouvent blanche , 8c bordée d’un ruban d or , d ar¬ gent, de foye ou de fil, fuivant Tétât & les facultés de la perfonne. Cette piece d’étoffe a environ deux aunes de long fur .une de large. On Tajiifte de maniéré qu’un des angles fe trouve au milieu du dos, & produit un effet à peu près fem- blable à celui du coqueluchon des Grands Carmes. L’angle oppofé ^ s’affuble fur la tête; les deux autres, après avoir couvert les épaules 8c les bras, jufquau coude, viennent le croifer liir la poitrine, comme le mantelet de nos Dames Françoifes. Quelquefois auffi, au lieu de les croifer fur la poitrine, elles paffent ces bouts fous le bras , qui en eft couvert , & laiffent voir K ? ieitr m ;T 'JOURN AL 1 leur gorge. Cette maniéré de s'habille* eft.très incommode; il faut être fàns^ceffç à le rajufter tantôt fur la tête, tantôt fur les bras, parce qu’il fe dérange au moin: dre mouvement du corps. Les Portugaifes établies, ou nées dans l’Isle fainte Catherine, & fur les côtes de la Terre - ferme que nous avons parcourues1; font très blanches de peau, malgré la cha¬ leur du climat. Elles ont communément de grands yeux bien fendus; mais le vifa- ge peu coloré. Us vivent généralement, hommes & femmes , dans une grande oifi- veté; & laiffent à leurs efclaves le foin du ménage , <$c du peu de travail qui fè fait dans le pays, La terre leur produit pref- que tout ce qui leur eft néceffaire pout vivre, fans qu’ils fe donnent la peine de là cultiver. v • ' . r . Dans la Ville on ne voit prefqu’au- eunes boutiques de marchands. Je n’y apperçus que celle d’un Serrurier , &. cede -d’un Apotiquaire. Les Négreffes libres portent fur leurs têtes des fruits dans de ■grands paniers» pour les vendre par la Ville, ou fe tiennent accroupies aux coins •des rues, avec leurs paniers devant elles.; • Pen- H I S T O RI QU E. ïçf Pendant que nous étions agréable¬ ment occupés à entendre de la Mulîque^ Mr. le Gouverneur envoya chercher \m Perroquet fîngulier par la beauté & la Variété des couleurs de fôn plumage. Comme il vit que nous Fadmirions tous, il pria Mr. de Bougainville de l’accepter. Tout fon plumage, furtout la tête, le col, le dos & le ventre étoient parfemés de plumes, les unes d’un jaune de jon¬ quille, les autres d’un jaune dë citron 3 d’autres étoient d’un beau rouge de car¬ min, d’autres d’un rouge cramoifî: Et toutes entremêlées de plumes d’un verd plus ou moins foncé, 5c d’un bleu vif; particulièrement aux deux oreille^ Le Gouverneur nous dit que cette variété étoit due en partie à l’art, 5c en partie à la nature. Que lorfque cet oifeau eft fort jeune, & n’a prefque encore que les tuyaux des plumes fortis après le duvet, on lui arrache ces tuyeux en différent endroits, 5c qu’auffitât on inféré à la pla* ce une efpece de poifon en liqueur: que les plumes qui fuccédoient aux tuyaux venoient jaunes ou rouges, au lieu de vertes qu’elles fer oient venues naturelle¬ ment 5 mais que fur cent de ces oifeaux à qui •j J J O y R N A L ; à qui l’on faifoit cette opération, à peine cinq ou lix n’y perdoient pas la vie. . ~ ^ f i**- Le Gouverneur joignit à ce préfent une cinquantaine de peaux de Toucans, arrachées depuis le bec juiqu aux cuifïcs, & féchées avec les plumes, qui font par¬ tie couleur de citron, partie rouge- incar-, nat, & partie noires; par bandes trans- verfa lesd’une aîle à l’autre. Ce généreux Gouverneur promit auflï à Mr. de Bougainville deux Guaras vi¬ vais, l’un mâle, l’autre femelle; & offrit même de donner ceux qu’il nous mon¬ tra,' s'il n?en trouvoit pas d’autres avant notre départ de file. Le vent contraire l’ayant empêché de retourner à la Ville, la veille du jour que nous parûmes, il ne put accomplir fa promeflë. *. : *,'■ * .. • i . » - • -î- Cet oifeau eft gros comme une gran¬ de Pie de France. Il a le bec long, & recourbé par le bout 5 les cuiftes, & les piés longs. Les premières plumes qui le couvrent après qu’il eft éclos font noires. Cette couleur s’évanouit infenliblement, Si devient cendrée. Lorlqu il commence à voler, toutes fes plumes deviennent blan- HISTORIQUE. Ïf7 blanches: elles prennent enfin la couleur de rofe; & de jour en jour devenant plus rouges, elles acquierrent la couleur d’é¬ carlate la plus vive, qu’elles conlèrvent toujours. Quoique vorace, & vivant non feulement de poilïon, mais de toute autre chair qu’il ne mange qu’après l’a¬ voir trempée fouvent dans l’eau, il niche & pond les œufs fous les toiéls des mab fons, & dans les trous des murailles; comme nos Moineaux. Il vole en trou; pe; & les Sauvages employent fes plu¬ mes pour leurs ornemens de tête. Les deux que Moniteur le Gouverneur avoit promis à Mr. de Bougainville, commen- çoient à peine à rougir. Vendredi, deux de Décembre, on mit à terre les Acadiens, leurs femmes, leurs enfans & leurs belles -fceurs, & on les lo¬ gea dans une Café de la Terre - ferme, que le Commandant du Fort de Ste. Croix avoit fixée. Ils s’y font occupés à faire la leffive, & à laver le linge de. la Chambre, & celui de plufieurs Officiers de la Frégate. , . - - • -,r Le Commandant nous avoit indiqué «n endroit près de Ion Fort, -"pour faire de iî8 JOURNAL \ de l’eau & du bois. On y envoya l’é¬ quipage pour procéder à cette opération; mais, après plufieurs tentatives, on trouva beaucoup de difficultés pour puifer cette eau, qui couloit d’un petit torrent. D’ail¬ leurs une petite Baleine, depuis quelque tems échouée tout auprès, exhaloit une odeur fi puante, que l’on prit le parti de demander au Gouverneur la permiflîon de faire eau dans l’Ile. 11 l’accorda très- gracieufement , ainfi que celle de pêcher, de chafler, & de nous promener par tout où nous voudrions. Un habitant nous montra auprès de fa café l’eau de fource formant un petit ruiffeau, dans lequel T Amiral Anfon avoit fait fon eau, & un four bâti à quelques pas de là, depuis fept à huit ans, par des François qu’il y avoit auffi vûs en relâche. L’eau en eft très -bonne: nous nous en fommes pour- yûs abondamment. Quant au bois, nous l’avons fait dans l’endroit indiqué en ter¬ re-ferme, parce que le lieu eft des plus commodes pour cela. Après l’avoir cou¬ pé fur la pente de la montagne, il eft très aifé de le faire couler jiüque fur le bord -même de la mer, pour en charger les chaloupes. Prefque tout celui que nous H I S T O R I (IV E. ïfs> nous avons coupé éroit du Cedre, du Saüàfras , du Canelier, & du bois de Brefil, que Ton employé pour la teintu¬ re; Il y en avoit peu d'autres efpeces dans cet endroit. ‘ Après avoir dîné le Samedi 3 du mois, nous defcendimes en Terre -ferme, & nous nous promenâmes le long* de la côte, dans le deffein d’y chaffer. Nous trouvâmes deux ou trois foldats, poftés par le Commandant, dans la café la plus près de celle de nos Acadiens. Ils vou¬ lurent nous empêcher de paffer outre, df fant que le Gouverneur leur avoit don¬ né des ordres pour cela. Nous feignî¬ mes de ne pas entendre ce qu’ils nous difoient, parce qu’ils nous parloient en langue portugaife, & nous continuâmes notre route; ils ne firent pas de réfiffan- ce. En effet, le Gouverneur n’avoit pas donné de tels ordres, mais le Comman¬ dant du Fort de Ste. Croix. Nous avan¬ çâmes plus d une lieuë fur le chemin neuf auquel on travailloit , pour aller par terre à Rio-Janeyro, & le long de la IF fiere des bois, dont toutes les hauteurs font couvertes. Ils font fi touffus, qu’il n’eil poffible qu’aux bêtes fcroces & aux 160 JOURNAL îcrpens d’y pénétrer- On tua des Tou¬ cans *), des Perroquets, des Criards, des Tiepirangas & une Tourterelle. Dimanche 4, Mr. de Bougainville avec quatre ou cinq Officiers, fut diner chez le Gouverneur, qui nous avoit invité Jeudi dernier. Je reliai à bord pour dire la Meffe à l’Equipage. Ces Meilleurs y furent encore reçus & traités fplendide- ment. Le vent & la marée contraire les ayant empêché de revenir à bord ce jour là, malgré tous les efforts qu’ils fi¬ rent, ils prirent le parti de retourner à la Ville. Le Gouverneur les en avoit pré¬ venus, & avoit fait tout fon poflible pour les retenir. Il leur repréfenta les risques qu’ils couroient de s’expofer ainfi dans un canal remplis de hauts-fonds, de bancs de ; fable, & de roches, dont ils auraient toutes les peines du mondç à le garantir, s’ils fe trouvoient furpris par la nuit, dont l’obfcurité les empêcherait de voir 'les balifes plantées de diftance en dif- ftance pour indiquer le canal. Il s’étoit même propofe de leur donner le plâifii 1 d’un «j Voyeî la defeription de cet oifeau & des , après le Journal de ce relâche. H I S T O R I C E. Ht d’un Bal, & y avoit déjà invité plufïeirrs Dames, Epoufes des Officiers de la Garni* fon. Voyant la partie rompue par le dé¬ part de nos Meilleurs, il avoit déjà dé¬ mandé tous les invités. Sitôt qu’il eut ap¬ pris le retour de Mr. de Bougainville, & de ceux qui l’avoient accompagné? il en¬ voya au devant d’eux, & fans les en aver¬ tir, il fit de nouvelles invitations pour le louper, & le bal qui de voit fuivre. Le louper fini, auquel les Dames n’af fifterent pas; le Gouverneur, fans préve¬ nir nos Meilleurs fur le Bal, fe contenu ta de les engager à aller palier quelques heures dans la maifon d’un des Officiers, de la Garnifon , où il fe trouveroit, dit-il, j une affez jolie aflembîée. Nos Meilleurs y confentirent d’abord par compîaifanee; mais ils furent agréablement furpris d’y «, • - _ Tl • 1 /* les Portugais ont d’être extrêmement fut ceptibles de jaloufie, qu’ils enflent permis aux Dames de fe trouver ainfi dans de telles Aflemblées. On tint donc une ef- pece de Bal, où les Dames figurèrent çomme les Meffieurs , Sc l’on fe retira fur L les trouver pluheurs Dames, dont ils turent parfaitement bien accueillis. Ils ne s’é- toientpas imaginés, fur la réputation que 1 62 . JOUR N A L ks deux ou trois heures après minuit, très contens les uns des autres. Dans cette entrevue , Mr. de Bougain¬ ville fe plaignit au Gouverneur des pro¬ cédés du Commandant de Ste. Croix à notre égard. Il en obtint une permiflion générale de prendre tous les arrangemcns qu’il jugeroit convenables, pour lachaiïe, la pêche, pour faire de l’eau de du bois partout où nous voudrions. Mr. de Bou¬ gainville l’invita enfuite à venir diner à bord avec FOïdor de ceux des Officiers qu’il voudroit amener avec lui. En conféquence de cette permiflion, on a envoyé à la pêche prefque tous les jours, de notre Canot en ell toujours re¬ venu chargé de poifibns de bien des efpe- ces, de en aflèz grande quantité pour en diftribuer à tout ^Equipage. On voit la figure de quelques uns dans la Planche II. fig. 4. 7. de 8- On alioit auflî tous les jours à la chaffe, ou en Terre -ferme, ou dans l’Ile. On abandonna bientôt la première, parce que l’on n’y trouvait gueres que des Per¬ roquets, des Toucans de quelques Tourte¬ relles. Dans File, outre ces oifeaux, les Alouét- HISTORIQUE. 163 Alouettes de mer, les Pluviers, les Bé- caffines & quelques autres y étaient affez abondans. Soit par défaut de courage, foit par nonchalance , foit en effet par les îifques [qu’il y a à courir de la part des bêtes féroces, & des ferpens, qui font en grand nombre dans les bois Un jour que nous étions allés châtier dans File, & que nous nous étions parta¬ gés en différentes bandes , je fui vis , avec Mr* de Belcourt Sc fon DomeiHque> Te bord d’une anfe qui entre beaucoup dans les Terres, Sc que nous appellions h Ri¬ vière. Mr; de Belcourt s’amuia à tirer fur quelques oifeaux d’eau. En côtoyant tou¬ jours le bord, j’apperçus fur le fable les. traces fraîches d’un animal à quatre piés, qui, à en juger par ces traces, devoit être fort grand, 6c paroifloîent être celles d’un Tigre. Nous fuivimes ces tracés jufqu’à un endroit très -marécageux, où nous np- fames pas avancer, n’en connoiflant ni le fond ni la Carte. En retournant par le chemin où nous étions venus, japperçus Mr. de Belcourt qui venoit à nous. Je' lui montrai cette trace. O ' r i i f. . ii.i.v Il faut, me dit-il, que ce foit celle d’un animal que je n’ai qu’apperçu ici près qu’au moment qu il s enfonçoitdans les brouflailles. Il eft haut fur fes piés com¬ me HISTORIQUE. iè$ me le plus grand chien Danois , & d’une couleur grifâtre- 11 y èft entré par- là, allons -le chercher? Volontiers, lui répon¬ dis-je. Nous pénétrâmes comme nous pûmes, dans des brouflailles marécageufès, & fi remplie d’une'efpece d’Aloës piquant, dont les feuilles avoient quelquefois jul- qu’à cinq piés de hauteur, que nous eû¬ mes toutes les peines du monde à nous en tirer. Nous cherchâmes en vam 1 animal pendant près de deux heures : nous n’ap- percumes que le train de derrière unau tic, dont le poil nous parut d un giis verdâtre ; haut comme un chien barbet de la grande cfpece. Sa queue paroiiloit auffi verte que les feuilles des plantes dont il étoit environné. E le fembîoit o-roffe & longue comme celle d un Re¬ nard. Les brouflailles nous le dérobèrent au moment que Mr. de Belcourt alloit le tiref. • 11 faifoit alors une chaleur étouffante. Nous fimes halte, affis fur des bouts de branches, le dos appuyé contre un arbre. Nous avions qüelques oranges, oc du brl- cUit dp mer. Nous nous en régalâmes, étourdis fans celle par le lifflement des ferpens, dont nous-étions environnés; ce l 3 1C6 J O U R N A L qui nous obligeoit d*être toujours fur’ nos gardes avec le fabre nud à la main. Après ce déjeuné, dont nous avions grand beibm, nous continuâmes notre chaffe, & nous apperçumes une café fur la hau¬ teur où nous arrivâmes enfin; & y trou¬ vâmes Mr. de Bougainville, avec fon Do- irteftique. Deux Portugaifes , dont la fi¬ gure n’avoir pas de grands attraits, nous y reçurent, & nous montrèrent, pendant près de deux heures, un maintien très- aifé <5c des maniérés fort libres. Elles avoient un Perroquet privé, aflezbeau, & qui parloir bien. Nous leur propofames de l’acheter ; elles refuferent de s’en défai¬ re. Tout ce que nous avions leur faifoit envie, mouchoirs, couteaux, chapeaux, les fufiîs mômes & les fabres : elles nous demandoient tout fims façon, & fi nous avions voulu les en croire, nos habits 6c la chemijfe même ne nous auroient pas embarraffés dans le retour. Nous nous contentâmes de quelques oranges, 6c nous parûmes pour aller diner à bord. En rentrant dans le bois, nous nous fépa- rames encore de Mr. de Bougainville 6c de fon domefiique , fans le vouloir. Le chemin que nous primes, Mr. de Belcoiut 6c moi, HISTORIQUE. 167 & moi, nous conduifit dans un marais, où les arbres fe trouvèrent heureufement affez éloignés les uns des autres. Nous y vîmes plulieurs fcrpens de la grefieut du bas de la jambe; & d’autres plus pe¬ tits, les uns rougeâtres, les autres rouges & jaunes, quelques uns gris reffemblant affez à de très- greffes couleuvres; mais, loin de nous attaquer , ils fuyoient devant nous. Etant près d’arriver au canot , Mr. de Bel- court tira un oilèau, nommé lu Spatule, & hai caffa feulement une aile. Il le pnt & l’apporta à bord. C etoit un jeune, & tout fon plumage étoit de couleur de rofe tendre; Fextenlion du tuyau, d’où nàiffént les barbes des plumes des ailes, étoit d’un rofe vif» Ses jambes étoient hautes d’un pié, les cuiffes comprîtes , d’un blanc -gris ainft que les piés, qui étoient palmés, comme ceux des oyes. Son bec avoir lix pouces de longueur, plat tant la partie inférieure que la fupéneu- te, gris vers là racine, & blanc vers le bout; il commençait à s’élargir vers les deux tiers de là longueur, 8c fon extré¬ mité finiffoit en fpatule, de deux pouces 8c demi de diamètre dans la puis grande largeur. Nous le portâmes a bord, où m J O U R N A L. ' il vécut trois jours, au moyen de quel¬ ques petits poiffons, & de quelques mpr- ceaux de viande fraîche, qu’on lui fai¬ llit avaller de force; car il ne voulut pas manger de lui -même. Lorfque l’on approchoit de lui, il faifoit claquetter fon bec avec le même bruit que fi l’on frappoit deux palettes de bois l’une con¬ tre l’autre. Je le defîinai ainfi à mon aife, tel qu’on le voit dans la PI. II. fig. 3. Quelques uns de nos Marins lui don¬ naient le nom de Flamand ; mais- celui de Spatule, ou Palette, lui convient mieux à caufe de la forme de fon bec, bien dif¬ férent de celui du Flamand, qui eft pref- que fait comme le bec le plus ordinaire des oifeaux. Le lendemain, nous retournâmes dans file pour chafier l’animal que nous n’a¬ vions pu rencontrer la veille. Plufieurs pénétrèrent dans le même bois. Mr. Lhuillier y trouva un autre animal de la grolfeur de celui dont je viens de parler, mais ayant à peu près la forme & la couleur fauve du Lion. Il lui tira trois coups à balles, dont deux le percè¬ rent fans l’arrêter, & fans qu’il en fit un pas plus vite, ni plus rallenti. On le ■ * fuivit H I S T O R I Q^U E. X69 flii vit à la tracé du fang; mais il s’enfom ça dans les brouflailles , & on ne le vit plus. La chaleur étant très - vive, & n’ayant gueres plus que le tems qu’il nous falloir pour aller dîner à bord, on fe contenta .de tuer des Perroquets, des Pluviers, desTécaffines, <3t quelques au¬ tres oifeaux. Comme j’étois curieux d’a¬ voir un oifeau -mouche, dont j’en voyois, affez fouvent paffer autour de nos oreil¬ les, ne pouvant, ou ne fachant comment les prendre vivans, je hazardai de tirer un coup de fufil fur un qui voltigeoit comme un Papillon, & planoit de môme fur une petite branche d’arbre. Soit de peur, foit par l’air violemment agité par le plomb, le petit oifeau relia fur le coup. Après l’avoir cherché longtems, je le trouvai enfin mort fur une feuille de la même branche. On en voit la figure de grandeur naturelle dans la PL III. fig. i* Quelques - uns nomment cet oifeau Lifongere ou Becqiiefieurs , parce qu.il vol¬ tige fans cefle fur les fleurs, comme le Papillon, & qu’il en pompe également le fuc. Tout le volume de fon corps avec fes plumes, n’eft pas plus gros qu’une noifette commune. Il a la queue L s près 170 JOURNAL : près de trois fois plus longue que le corps; le cou allez petit, la tête propor¬ tionnée ^ 8c les yeux fort vifs. Son bec eft uil peu blanchâtre à la racine, 8c noir dans tout le relie , aulîi long que fon corps, menu 8c très pointu. Ses ailes font longues, déliées, très amples en pro¬ portion; f extrémité de leurs plumes at¬ teint jufqu’au tiers, on environ, de la queue. Elle eft, ainft que les ailes, d’un 15run pourpré. Le relie dit plumage d’un verd doré, comme li Ton avoit couché fur une feuille d’or, une couleur verte, prèfque tranfparente. Le col 8c la tête font d’un bleu turquin, également doré. Ces couleurs varient fuivant que la lu¬ mière y frappe plus ou moins vivemçnt. Quelquefois tout le plumage de cet oifeau paroît comme la gorge des pigeons, ou les plumes vertes des ailes des [canards fauvages; tantôt d’un beau bleu, tantôt d’un beau verd, tantôt d’un pourpre, qui fe marient toujours avec l’éclat d’un or vif, éclatant 8c bruni. La langue de cet oifeau en miniature, eft fourchue, relfemblante à deux brins de foye rou¬ ge. Ses piés font courts, noirs, armés d’ongles très 'longs. H I S T O R I CLU E- *7* Il y] m a de plulieurs efpeces, qui dif¬ férent en groffcur & en couleur. Un de la petite efpece , que j’ai confervé dans de l’eau de vie, a des plumes blanches, depuis la poitrine jufques à la queue. La couleur du relie de fon plumage eft femblable à celle des autres. r • ' *--» r ‘ V • I " t ‘ , y La femelle ne pond que deux œufs, de la groffeur d’un petit pois. Ils font leur nid fur les orangers, avec les plus petits fétus qu5ils peuvent trouver. L'ha¬ bitant Portugais auprès de la café duquel nous faifions notre eau, nous donna un de ces nids avec deux petits dedans, qui n’avoient encore que le premier duvet, 11 venoit de le prendre avec le pere & la mere, à deux pas de fon habitation. Nous le pofâmes fur un banc de pierre à la porte de la maifon, pendant que nous mangions une orange : à peine eûmes- nous le dos tourné, qu’un chat emporta le nid & les petits. Ces nids font dun travail admirable, & grands comme un petit écu. Les Braiiliens donnent à cet oilèau les noms de Guainumbi , Gidnam^ bi> Aratica , Aratarataguacu . Les Por- mgais le nomment PégafroL Nous î72 .H IJ O U R N K H - Nous en eûmes encore un d\m troî- fieme efpece , un peu plus grofté que ceft les que je viens de décrire, niais beau¬ coup moins que nos plus petits Roite¬ lets de l’Europe. Les plumes dé leur tête commencent vers le milieu de la partie fupérieure du bec. Elles font ex¬ trêmement petites à leur naiflance, ran¬ gées en écaillés , augmentant toujours en grandeur, jufqu’au déftlis de la tête, où elles forment' une petite hupe d’une beau¬ té fingulieré, par l’éclat de l’or qui y brille, 8c la variété des couleurs qui s’y diverfifient, félon qu elle e'ft frappée des rayons de la lumière, ou fuivant les dif¬ férentes pofitions de l’œil qui la regarde. Tantôt le plumage de cet oifeau paroît d’un noir égal à celui du plus beau ve¬ lours noir ; tantôt d’un verd naiiïànt, tan¬ tôt couleur d aurore. D’autres fois, c’eft' un drap d’or nuancé de toutes ces cou¬ leurs. Tout le dos eft d’un verd obfcur doré. Les grandes plumes des ailes font, d’un violet foncé, tirant quelquefois fur le pourpre. La queue eft compofée de' neuf plumes , auffi longues que tout le corps, 8c d’un noir mêlé de brun, de pourpre 8c de violet, dont le mélange • c'o? for- H 1,5 T © R fQÜ E. T7J forme Tafpeff: le plus agréable, futvant la pofiuon de : fpeclateutv Tout le deb fous du ventre eft aufli un mélange de noir, de violet, de verd & d’aurore , qui> frappent toujours différemment l’ccil do l’obfervatetir, fuivant que fiulêau ou lut, changent ' de point de .vue- te jais pp.ff n’eft pas- d’un noir plus vif & plus hpjtt lant que- l’œil, de cet oiièau , dont : »es> jambes font courtes, noires ainfl quelles piés, qui font compofés de quatre doigts* dont trois fur le devant, tous armés d’un ongle courbé , pointu & noir.,: très -long par proportion au refte duforps. Quand il vole, Tes ailes font un bourdonnement, à peu près femblable à celui de certaines; groflès Mouches, que nous voyons;, ep, France, voltiger de fleurs en fleurs. 11 tul- pendfbn nid entre les grandes herbes, à des branches d’Qrangers, ou de petits arbres., Dans nos Iles Françoifes oii le nomme Colibris, quelques uns Qiiinde les Elpa- , gnols Tomineios, parceque ,1e nid & l’oi- feau ne pefent qu’un Tornins . d Eipagne. . . En «rivant à bord, nous y trouvâmes un Efpagnol établi dans de pays, à qui, le jour- même que nous; mouillâmes, nous avions confié» un mouton affez ma-» lade. rt 174 v JOUR N A L lade, & très maigre, pour le reftaurer, en le failànt paître autour de fa café* Cet Efpagnol nous avoit apporté quel¬ ques cents d’huîtres. Elles étoient beau¬ coup plus groflès que les huîtres blan¬ ches de Saintonge : car leurs écailles, «voient au moins cinq pouces de diamè¬ tre. On n’en mange pas de plus- -grades & de meilleures en France. C’étoic une véritable crème nouvelle, pour le goût & la blancheur. Nous fîmes tout notre poffible pour engager FEfpagnol à nous découvrir le lieu où il les pêchoit: nous n’y réunîmes pas. Il nous promit feule¬ ment de nous en apporter encore 3 & ne tint parole que deux jours avant notre départ. Nous cherchâmes fa café inuti¬ lement, il nous l’a voit mal indiquée; & il garda notre mouton: mais il nous en dédommagea bien, au moment que nous appareillions, par quelques milliers d’oranges & de citrons, & par fept à huit cents des mêmes huîtres dont il nous fit préfent» : , ; Un Portugais étoit auffi venu à bord, dans une grande > & belle Pirogue, que Mr. Duclos-Guyot notre Capitaine avoit achetée pour Mr. de Bougainville, qui peu- j H I S T O R I QU E. *7S penfoit alors quelle feroit très -utile dans les Iles Malouines, que nous allions cher¬ cher Si reconnoître. Elle étoit armée de les pagaïes , ou Pagalles , comme les nomme le P.Labatdans fes nouveaux Voyages. Cette Pirogue étoit faite d’un feul tronc d’un arbre canelier creufë , de dix - neuf pieds & quelques pouces de longueur, fur trois pieds de large en dedans, Sa pfe£, qu autant de profondeur. Quelques uns de nos Officiers de terre. Sa de mer,> qui avoient été en Canada, fcavoient les manœuvrer. On s’en fervit pour la pêche. Mais, torique nous relâchâmes à Montevideo, Mr. de Bougainville la céda, à un Officier Efpagnol, pour la tomme de huit piaftres. Elle lui avoit coûté en-, viron dixhuit livres de France, Sur les quatre heures après-midi, nous, paflames en Terre -ferme 3 nous parcou¬ rûmes quelques Cafés de la côte, où nous limes provifion de Citrons, d’0:j ranges, Sa de quelques Ananas, que nous, trouvâmes meurs. Ce fruit, Sa la plante qui le porte, font connus aujourd’hui en Europe puifqueüe y vient affez bien.;; mais il s’en faut de beaucoup que ce„ fruit ait en France, même en Provence- & en I7S . 1 J O U R N A L & en Languedoc, la faveur 5c rôdeur fuave de celui du Brefil. Il y croit de lui -même fans culture, 6c en grande abondance. Il noircit & gâte les covk teaux avec lefquels on le coupe : ce qui péut-être a fait dire à quelques Auteurs que l’écorce de ce fruit eft fi dure, qu’elle en émouffe le tranchant. Il eft vrai que fi, après avoir coupé l’Ananas en tranches, on ne lave 5c on n’effuye pas bien le couteau, au bout de quelques heures la lame fe trouve altérée & rongée, pref-> que comme fi l’on y avoir mis de l’eau forte, un peu foible. Son jus ou fuc eft eft un favon excellent pour ôter les taches des habits. Celui du Brefil eft, dit-on,, un préfervatif contre le mal de mer. En me promenant, je cueillis quelques graines de Plantes, 6c des Grenadilles, avec un petit fruit, rouge couleur .de cinnabre , reffemblant aflez à la pomme d’ambur. Un Portugais, qui étoit avec nous, me le nomma Maracujn ; on en Voit la figure dans la PI. III. fig. 2. La plante qui le porte eft épinetife, la feuille approche beaucoup de celle du Stramo¬ nium fnriofum , mais elle eft plus petite. La pelure du fruit couvre une pulpe de deux HISTORI dV E. 177 deux lignes depaifteur, blanche & de la eonfiftance de celle de la pomme calville, d’un goût un peu doux, mais allez fade. Tout l’intérieur eft rempli d’une graine applatie , fémblable à celle du grand pi¬ ment, ou poivre long. Ce Portugais me dit que le fruit Maracuja ne fe mangeok pas, quoiqu’il ne lui connût pas de qua¬ lités dangereufes. -• La Grenadille du Brefil eft ronde, ce¬ pendant un peu applatie par les deux bouts, groffe comme un ceuf de poule* L’écorce en eft très -lifte, luifante en de¬ hors, & de couleur incarnate, lorfque le fruit eft dans fa maturité. En dedans elle eft blanche, & molle; fon épaiffeur eft d’environ une ligne & demie. La. fubftance qu’elle renferme eft vifqueufe, d’une faveur aigre-douce, rafraîchiffante, & cordiale. On peut en manger beau¬ coup , fans en reflèntir aucune incommo¬ dité. On y trouve une quantité de pe¬ tits grains ou pépins, faits à peu près comme la graine de lin, & moins durs . que ceux des grenades ordinaires. Tou¬ te cette fubftance eft féparée de l’écorce par une pellicule extrêmement fine. La plante qui porte ce fruit, grimpe le long M des 178 JOURNAL des arbres, & reffemble par fes feuilles Si par fa fleur à celle que Ton nomme fleur de la PajfioJt. Elle répand une odeur fort douce. Pour manger la Grenadille bonne, il ne fut pas la laiffer meuiir parfaitement fur la plante; elle s’y flétri- roit, &' deffécheroit. On la cueille un peu avant quelle fait meure, 6i on la garde quelques jours. Depuis notre arrivée au Brefil, nous cher¬ chions des Perroquets, 6i nous ne pouvions tn trouver de privés à acheter. Dans la courfe que nous avons faite , nous avons eu le bonheur de rencontrer quelques Portugais complaifans, qui en cédèrent un à Mon- fieur Lhuillier ; cet Officier en fit aufli avoir un à Mr. de Belcourt. De retour à bord, un Efpagnol qui partait un peu François, & dont les mers & le climat N f paf- paffent pour orageux; avant que de par¬ tir de Ste. Catherine,, notre Capitaine, toujours prudent & prévoyant, jugea à propos de fe munir de petits mâts de hu¬ nes & de perroquets, pour fervir de b⬠tons d’hyver. Il sadreffa pour cet effet au Negre affranchi, dont j’ai fait mention plus d’une fois. Il nous rendoit tous les fervices qui dépendoient de lui, de ,1a meilleure grâce du monde; & fit même propofer à Mr. de Bougainville de rem¬ mener avec lui; quil iroit par tout où nous voudrions le conduire. Il étoit fort, travailloit beaucoup; & Mr. de Bou¬ gainville auroit volontiers acquiefcé à fa demande, s’il îfavoit craint que les Por¬ tugais ne fe fuffent plaints, que nous avions été relâcher pour débaucher les Negres du Pays; & que ce bruit ou préjugé n’eût fait tort aux Navires Fran¬ çois , qui auroient été dans la fuite rel⬠cher' à Ste. Catherine. Ce Negre fut lui -même chercher dans la forêt les arbres qu’il crut les plus propres au deffein de notre Capitaine» Lorfqu’il les eut trouvé, il l’en avertit, .& nous y çpnduifit à travers les halliers, & les brouffailles au milieu defquels il H I S T O R I Q.U E. 203 falloir grimper fur la Montagne, pour parvenir à ces arbres, dans l’intérieur de la Forêt. Nous nous y tranfportames bien armés, en allez grand nombre, tant pour couper ces arbres que pour les tranl- porter jufqu’au bord de la mer. Nous rie rencontrâmes dans la; Forêt aucune bête féroce; mais feulement deux ou trois gros ferpens, que nous tuâmes. Chemin faifant, je coupai fept à huit cannes de Bambou, elpece de jonc noueux, dont les nœuds font uès rapprochés; & plus ils le font, plus les cannes en font belles. Ces Bambous étoient d’une jolie grolieur, haut de cinq pieds & demi à fix piés; mais malheureufement ils n’étoient pas à leur maturité. En féchant ils fe font ri¬ dés & devenus comme cannelés. Je le,s laiflai à St. Malp. Pour tranlporter ces bâtons d’hiver, il fallut les attacher avec des cordes, & les traîner, quelquefois même les faire pat fer par deflus des branches qui nous bar¬ raient le chemin. Nous étions fouvent contraints de le tracer, & de le faire a coups de hache. J’y remarquai des Pal¬ miers d’une hauteur prodigieufe, d’un pied environ de diamètre, & droits com¬ me 2o4 journal: me des joncs; une efpece d’arbre dont tout le tronc & les branches font cou¬ verts de petites excroiflances épineufes , de fix à huit 'lignes de diamètre dans leur -bafe , Taillantes de quatre ou cinq , & l’é¬ pine plantée au milieu en a jufqu’à qua¬ tre de longueur. L ecorce de cet arbre eft grife & reflemble à celle du Hêtre. Ne feroit-ce pas le même que, dans nos Iles Antilles , on nomme Bois épineux ? Dans la matinée du Mardi , un Mate¬ lot, après avoir coupé de l’herbe pour nos beftiaux, s’étant aflis auprès, les jambes nues, fut mordu près de la cheville du pié par un ferpent, long, nous a- t- il dit, d’environ Un pied & demi, de couleur jau¬ ne rougeâtre dilpofé par bandes. Il ne tint compte de cette morfure; & fi-tôt qu’il fut arrivé à bord, il dina copieufement, fans inquiétude, parce qu’ajouta- 1- il, j’a- vois faim. Une demi -heure après il lui prit un mal de cœur; & voyant fa jambe très -enflée & douloureufë, il vint m’en avertir. Je commençai par lui donner de la confiance, pour le guérir de la peur qui s’étoit emparée de fonefprit. Pendant que j’en donnai avis aux deux Chirurgiens de la Frégate, il vomit, ce qu’il réitéra H LS T O R I QU E. soç encore une ou deux fois dans l’intervalle d’une heure. Nous lui fîmes avaler deux gros de Thériaque mêlée avec dix goûtes d’eiprit volatil de fel armoniac, dans un verre de vin. On appliqua fur la playe déjà devenue noirâtre? après l’avoir fea- rifiée, un emplâtre de Thériaque pilée avec de l’ail. Le mal de cœur continua néanmoins; il vomit encore deux ou trois fois. On lui donna le même reme- de. Sur ces entrefaites vint à bord un Officier Portugais du Fort Ste. Croix, à qui nous racontâmes ce qui étoit arrivé. Le raport du Matelot, & la defeription du Reptile, firent juger à l’Officier, que ce ferpent étoit une des efpeces de ceux que les Nationaux nomment Jararaca. „ Son venin eft fi dangereux, dit -il, qu’il „ caufe une mort inévitable à ceux à qui 5, il n’excite pas le vomiflement dans les „ vingt -quatre heures. Mais, puifque vo- „tre Matelot a vomi, vous devez être „ rafluré fur fon compte. Continuez ce-' „ pendant de lui donner le même reme- „ de, & joignez -y un vomitif. Il y a „ plufieurs autres efpeces de Juraraca , dont il faut également fe défier; une „ fur tout , qui eft de couleur de terre, 20S JOURNAL „ ou de couleur cendrée, avec quelques rayes plus brunes fur la tête.“ Le len¬ demain, la noirceur de la playe n ayant pas augmenté, ni f enflure de la jambe, on donna l’émétique au Malade; on appli¬ qua un nouvel emplâtre iémblable au pre¬ mier. Dans la fuite il ne lui eft pas arrivé d’autres accidens; on a traité la playe com¬ me une playe ordinaire. On Ta auflî pur¬ gé deux fois, & il s’eft toujours bien porté. Aller dans les bois & les campagnes, c eft prefque toujours s’expoier à la morfure des reptiles dangereux, qui y font en grand nombre. Nous avons vû bien des fois des elpeces de filions ondoyés fur le fable du bord de la mer, formés par les traces des ferpens qui y avoient pafle. Si, lorfque l’on a eu le malheur d’en être mordu, on n’y remédie pas promptement, il faut s’attendre à mourir dans les douleurs les plus cruelles. Quel¬ ques elpeces, furtout celles des Jararacas, exhalent une odeur forte de mufc. Cette odeur eft d’un grand fecours à ceux qui le fçavent, pour fe garantir de leur fur. prife. Le feul Lézard que j’aye vu à file Sainte Catherine, pouvoit avoir deux piés de i HISTORIQUE. 207 de long, & trois pouces & demi, ou quatre de large. Sa peau étoit noire, tachée de blanc de la tête au bout de la queue. Le ventre étoit à peu prés de meme 5 mais le blanc y dominoit davantage ; au lieu que le noir & le blanc étoient diftribués prelqu’également par taches de figures ré- gulieres lur tout le refte du corps; là for¬ me étoit d’ailleurs celle de nos Lézards verds de France- Mr. de Nerville qui étoit avec moi, le difpofoit à lui tirer un coup de fufil, lorfque je reconnus que l’animal étoit mort. Nous nous en ap¬ prochâmes; mais comme il puoit déjà afliez fort, nous ne jugeâmes pas à pro¬ pos de l’examiner avec plus d’attention. Seroit-ce le Maboya , ou le Tejuguacu , ainfi nommé par les gens du Pays, & va par Pifon & Margraff? Le Serpent à fonnettes y eft très com¬ mun: là longueur va julqu’à trois piés, rarement pâlie -t -elle un demi pié de de plus. Sa couleur eft un gris de fer cendré, & régulièrement ondé. A l'ex¬ trémité de fa queue eft attaché ce que les Efpagnoîs nomment là Cafcabelie , & par la même raifon le ferpent Cafcabella. Gette Cafcabelle, qu’il nous a plu de nom- 202 JOURNAL nommer Sonnette, à caiife du bruit qu’elle fait, reffemble à la coffe des pois féchée fur la plante. Elle eft divifée de même en plufieurs articles, ou monticules, qui contiennent des offelets ronds, dont le frottement produit un fon allez femblable à celui de deux ou trois fonnettes un peu fourdes, ou grelots. Le jour que Mr. de Belcourt , & moi, cherchions dans le bois l’animal, dont nous avions vû les traces fur le fable, il nous fembloit entendre ce fon mêlé avec celui de liffiement; mais ce fon tenoit auflî beaucoup du bruit que font les cigales. La morfure de ce ferpent eft li dangereulè, que les habi- tans des Heux où il fe trouve, font bien heureux que la Nature ait donné à ce reptile un ligne qui les avertit de fon approche; làns quoi, là couleur différant peu de celle de la terre, il leur feroit bien difficile de n’en être pas furpris, & de l’éviter. On le nomme auflî Boicini - ninga . Pour nourrir les beftiaux que nous emmenions de l’Ile Ste. Catherine, nous finies provilion de tiges de Bananiers, dont nous remplimes tout le tour du gaillard d arriéré, tant en dedans qu’en de- H I S T O R I QJJ E. 209 dehors. Ce fourrage fe trouvoit plus com¬ mode pour le tranfport; parce qu’il tenoic moins de place, & faifoit par conféquent moins d’encombrement. D’ailleurs les prairies font fort rares dans cette Ile, ainft que fur la côte de la Terre -ferme, &' le peu d’herbe que s’y trouve, eft marêca- geufe. Il eut été difficile de s’en procu¬ rer une quantité fuffifante, laquelle mê¬ me n’étant pas à fon point de maturité propre à être confervée, fe feroit échauf¬ fée, 8c auroit fourni une très -mauv aile fubftance pour ces Beftiaux. Les tiges de Bananiers y fuppléerent parfaitement, tant parce qu’elles fe confervent très-bien, que parce qu’elles font fort nourriffan- tes. Il ne s’agiffoit que de les couper au couteau, & les bœufs, les moutons, les mangeoient avec avidité. Le Bananier eft une plante, dont la tige n’eft compofée que de feuilles roulées les unes fur les autres , d’un blanc rouge⬠tre en quelques endroits, jaunâtre & verdâtre en d’autres. Lorfque la racine pouffe un réjetton , il ne fort du bord de terre que deux* feuilles roulées Tune avec l’autre. Elles s’évafent en fe déroulant, pour faire place à deux autres, fortant du O mê- 1 même centre. Roulées comme les pre¬ mières, elles s’épanouiffent de même, 3c font fuivies de plufieurs, qui fe fuccédant, s’élèvent en hauteur, s’étendent en largeur, toujours ainli roulées, 3c compofent la ti¬ ge de cette plante arborée, qui monte à huit, dix 3c jufqu’à douze piés ; après quoi elle ne groffit plus. Alors les feuilles for- tent du haut 8c du milieu de la tige, à la¬ quelle elles ne tiennent que par une queue d’un pouce ou environ de diamètre; lon¬ gue d’nn pié, ronde d’un côté, de l’autre creufée en canal dans fon milieu. Cette queue continuée forme la nervure du mi¬ lieu de la feuille , qui a quelquefois juf¬ qu’à quinze, 3c dixhuit pouces de large, fur fix à fept piés de long. Cette feuille effc d’un beau verd par delîlis, 3c deffous d’un verd un peu gris, qui la fait paroître argentée. Son épaifiêur efl: celle d’un très -fort parchemin; mais fi délicateffe 3c fa grandeur, qui donne beaucoup de prife au vent, font quelle fe découpe en beaucoup de lanières. Elles partent de la nervure du milieu, s’étendent vers les bords, le long’ des petites nervures, qui ont la meme direèlion, de paroiflenc [es unes comme des rubans étroits de HISTORIQUE. 2it argentés, les autres comme des lanières de même couleur, attachés à cette ner¬ vure & roulés fur eux- memes. Lorfque le Bananier a pris fa hauteur naturelle , il a neuf à dix pouces de dia¬ mètre, & fa tige eft fi tendre, quoique les feuilles qui la compofent foient très -fer¬ rées les unes contre les autres, que l’on peut la couper aifément avec un couteau, & même prefque d’un lèul coup de fer- pe, en la prenant un peu de biais; par¬ ce que ces feuilles font gradés & pleines de fuc: aufli ne vient -il bien que dans les lieux gras & humides. Parvenu en état de porter fruit, il pouffe du centre de la fommité de fa tige, une autre tige d’environ un pouce & demi de diamètre , & de trois à qua¬ tre piés de long, qui fe couvre de dif- férens anneaux de boutons d un jaune tirant fur le verd. Un gros bouton en forme de cceur, de dix à fept pouces de long fur trois de diamètre, termine cette tige. H eft compofé de plufieurs pellicu¬ les couchées les unes fur les autres, dont l’extérieur eft rouge, & recouvert du¬ ne enveloppe forte, liffe de couleur gris de lin. La tige fe divife en quatre pour O a don- 212 JOURNAL donner iflue à à ce bouton. Cette tige eft d’abord droite; mais à mefure que les fruits fuccedent aux petites fleurs qui gar¬ nirent la tige par anneaux, le poids que que le fruit acquiert en groiïiflant, la fait courber infenfiblement, & pencher de plus en plus vers la terre. Dans nos Iles Antilles, on nomme cette tige, garnie de fruits, un Régime . j’ignore le nom que lui donnent les Por¬ tugais. Un régime contient quelquefois tant de Bananes , qu’il fufiîroit pour faire la charge d’un homme. Elles font atta- chées aux lieux qu’occupoient les fleurs. On coupe le Régime fltôt qu’on apper- çoit quelques Bananes changer leur cou¬ leur verte en jaune. On le (ufpend à l’air dans la maifon , & l’on mange le fruit à mefure qu’il meurit; ce que Ton con- noit, quand il commence à obéir fous le pouce , 6c qu’il jaunit. Nous en attachâmes au moins une vingtaine autour du gaillard d’arriere; 6c quelques uns de nos Officiers étoient fl friands de ce fruit, qu’ils en mangeoient prefque fans attendre qu’elles euflent affez de maturité. La Banane a près de deux pouces de diamètre; les plus longues, que j’ai vues n’en H I S T O R I Q.U E. -213 v n’en avoient que fix de longueur. Les deux bouts! font en pointe arrondie, & ià forme eft angulaire, mais avec des an¬ gles très - émoulfés. La pelure eft lifte? Toupie, épaiflè un peu plus que celle du¬ ne figue, & beaucoup plus folide. La pulpe eft dun blanc jaunâtre, de la con¬ fiance d’un fromage nouveau bien gras, & ayant fa crème; ou du beurre nouvel¬ lement battu. Aufli reffemble-t-elle à ce dernier, quand la Banane eft cuite. . » 1 \ • ‘ * ■’ •" ■ e Elle en a un peu le ,'goût ; mais comme fi on y avoir mêlé de la pulpe de coings un peu trop meurs. On prétend que c’eft une très -bonne nourriture. Four moi je n y trouvai rien d’admirable ; & j’en ai man¬ gé de crues & de cuites, de meures & non meures, poureffayer leur faveur. Nous avions bien déliré nous munir d’u¬ ne provifion de patates , & d’ignames; mais ces racines nétoient pas encore en état d’ê¬ tre tirées de terre. La Patate eft une efpe- ee de pomme de terre? ou de Topinam- bou, mais beaucoup plus délicate. ’ L'Igname ou Iniams eft une plante ram¬ pante, garnie de filamens, qui prennent racine, & fervent à la multiplier naturelle- O 3 ment 314 JOURNAL ment ; de maniéré que , fi Ton a pas foin de lui en ôter beaucoup, elle couvrira bientôt tout le terrein , dans lequel auparavant .on nen avoit mis qu’une ou deux* La tige eft quarrée, de la grofleur du petit doigt, ou environ. Ses feuilles ont la forme d un cœur , dont le bout eft allongé 6c pointu. Elles font d’un verd-brun, grandes, comme celles du Lapptt ninjov ou grande Bardanne* Celles qui font plus éloignées de la racine, font moins grandes; mais elles font liftes» groffes , 6c bien nourries , attachées deux à deux à la tige, par des pédicules courts, quârrés , un peu courbés* De la tige for* tent quelques épies de petites fleurs en for¬ me de cloche, dont le piftile devient une filique remplie de petites graines noires. On ne feme pas ordinairement ces graines, parce qu’elle vient de bouture beaucoup mieux 6c plus vite. On employé pour cela la tête du fruit, avec une partie de la tige qui le porte. La racine eft plus on moins groffe fui- vant la bonté du terrein qui la nourrit» Sa peau eft inégale , rude, épaiffe, dun violet foncé, 6c très -chevelue. Le dedans eft de la confiftance des Beteraves, dun blanc grifâtre, tirant quelquefois fur la cou- H I S T O R I CL U E. sty couleur de chair. On la mange apprêtée comme la Beterave, cuite dans l’eau, oit fous la braife, quelquefois avec la viande. Elle eft d’un bon goût, très-nourriffante Sc de facile digeftion* Les Negres & les Portugais l’aiment beaucoup. Un des deux Acadiens mariés que nous avions logés dans une café de la côte, étoit tourmenté d’un cours de ventre, qui avoit réfifté juiques là à tous les remedes que lui a voient; adminiftrés les deux Chi¬ rurgiens de notre Frégate. Le Negre af¬ franchi luipropofà de le guérir avec une pti- làntte, il eut peut-être réuffi, s’il avoit com¬ mencé à en ufer plutôt; car pour en avoir pris deux jours feulement, ü en étoit déjà beaucoup foulagé. Cette prétendue pü- fanne n étoit qu’une fimple décoéhon de bouts des bourgeons tendres, & de petits fruits du Goyavier , qui ne comniençoient qu’à être noués. Si ce fruit avoit été un peu plus avancé, peut-être auroient-ils produit un effet plus efficace. L’Acadien payant pas fait provifion de ces bourgeons, avant que de partir, il ne put en conti¬ nuer Fufage; ion mal le reprit des plus belles , & lui a continué jufqu’à une quin¬ zaine de jours avant notre départ des îles O 4 Ma- VS JOURNAL Malouïnes, où il commença à fe trouver mieux quelques jours après que nous Fy eûmes débarqué. La bonté de l’air, &, fans doute l’exercice qu’il y prit, le forti¬ fièrent de plus en plus, & il fe comptoit guéri à notre départ. Le même Negre avoit guéri en peu de jours la fceur de la femme de cet Acadien, nommé B émit , dont les jambes étoient devenues tellement enflées, quelle avoir beaucoup de peine à fè foutenir. On pré- tendoit que cette enflure étoit l’effet du fcorbut. Quoiqu’il en foit , elle fouffroit, difoit-elle, de grandes douleurs aux che¬ villes des piés , qui ceflerent après que lé Negre lui eut fait une fomentation de quelques herbes du Pays, bouillies dans de Peau pure. Elle fut guérie en fix ou fept jours. On m’a allure que ce Negre n’avoit employé que le Goyavier. Le Goyavier eft un arbre très -connu dans nos lies de l’Amérique. Ceux que Fon nommoit ainfi à File Ste. Catherine, n’a voient pas plus de huit piés de haut, & le tronc fept à huit pouces de diamètre: je n’en ai pas vû de plus gros. Son écor¬ ce étoit un peu plus blanche que celle du * / Pom- H I S T O R I Q^u E. 217 Pommier, fes branches s’êtendoient de la même maniéré , & fes fruits , qui etoient très - peu avancés , reflembloient à des •pommes qui ne font que nouées depuis un mois. Aux feuilles & à la forme de l’arbre je le pris d’abord pour un Coignaffier. ;On me dit que le fruit, dans fe maturité, eft excellent; &l’on me le dépeignit fetn- blable aux Goyaves de nos lies Antilles, quoique la defeription que le Pere Labat fait de l’arbre & de fes feuilles ne reffen** ble pas au Goyavier du Brefil. D ailleurs les Portugais attribuent au leur les mêmes propriétés que le Pere Labat donne à ce* lui de la Martinique. Le même Acadien étant de retour à bord fe trouva beaucoup incommodé d’u¬ ne petite tumeur qui lui étoit furvenue au gros orteil du pié gauche, depuis quel¬ ques jours. Cette tumeur augmentait, ainli que la douleur qu’elle caufoit. ^ Il la montra au Doffeur , (c’eft ainfi que Tort nomme le premier Chirurgien du Navire, & le fécond Major.) Celui-ci reconnut que c étoit un Nigun , ou Nigue , quau Pérou l’on nomme Pique. C’eft un Infecte fi petit, qu’il eft prefqu imperceptible. Vo¬ yez la defeription qu’en fait Mr. d Ulloa, t o ? dans •fii8 JOURNAL f dans fon Voyage du Pérou, & qui con¬ vient parfaitement à ce que nous avons vû à file Ste. Catherine. On guérit no¬ tre Acadien par l’extraftion du nid, & par l’application de la cendre de tabac. Les jambes de cet Infecte, dit l’Auteur que je viens de citer, n’ont pas le reiïort de celles des puces, ce qui n’eft pas une petite fa¬ veur de la providence, puifque s’il avoit la faculté de fauter, il n’y a pas de corps vivant dans les lieux où fe trouve cet In¬ fecte, qui n en fut rempli. Cette engean¬ ce feroit périr les trois quarts des hommes par les accidens qu’elle pourroit leur eau- fer. Elle eft toujours dans la poufliere, liirtout dans les lieux malpropres. Elle s’attache aux piés, à la plante -même & aux doigts. La Nigua perce li fiibtilement la peau qu’elle s’y introduit fans qu’on la fente. On ne s en apperçoit que lorfqu’elle com¬ mence à s’étendre. D’abord il n’eft pas dif¬ ficile de l’en tirer ; mais, quand elle n’y auroit introduit que la tête, elle s’y éta¬ blit fi fortement , qu’il faut fàcrifier les pe¬ tites parties voiftnes, pour lui faire lâcher prife. Si l’on ne s’en sapperçoit pas aJp fez tôt j rinfecte perce la première peau fans H I S T O R I QJU E- 2I9 fans obftacle, & s’y loge. Là il fuce le fang, & le fait un nid d’une tunique blan¬ che & déliée, qui a la figure d’une perle plate. Il fe tapit dans cet efpace de ma¬ niéré que la tête & les piés (ont tournés vers l’extérieur, pour la- commodité de fa nourriture, & que l’autre partie de fon corps répond à l’intérieur de la tunique, pour y dépofer fes œufs. A mefure qu’il les pond, la tunique s’élargit;. & dans l’intervalle de quatre à cinq jours , elle a julqu’à deux lignes de diamètre. U elt très-important de l’en tirer , làns quoi , cre¬ vant de lui -même, il répand une infinité de germes , lèmblables à des lentes , c eft- à-dire autant de Nigues, qui occupant bientôt toute la partie , caufent beaucoup de douleur, fans compter la difficulté de les déloger. Elle pénétrent quelquefois jufques aux os: & lorfque l’on eft parve¬ nu à s’en délivrer, la douleur dure jul¬ qu’à ce que la chair & la peau foieut entièrement rétablies. Cette opération eft longue & doulou- reufe. Elle codifie à féparer âvec la pointe d’une aiguille, les chairs qui tou¬ chent la membrane où réfident les œufs; ce qui n’eft pas aifê, fans crever la tu- ni" 220 ] O U R N A L r nique, & à quoi il faut donner toute fbn attention. Après avoir détaché jufquauX moindres ligamens, on tire la perle, qui -eft plus on moins groffe à proportion du féjour que flnfecte a fait dans la partie. Si par malheur la tunique creve, Inatten¬ tion doit redoubler, pour en arracher tou¬ tes les racines, & furtout pour ne pas laiffer la principale Nigue. Elle recom- menceroit à pondre avant que la playe fut fermée, & s’enfonçant dans les chairs, elle donneroit encore plus d’embarras à l'en tirer. On met dans le trou de la perle, un peu de cendre chaude de ta¬ bac mâché. Pendant les grandes cha¬ leurs, il faut fe garder avec un foin ex¬ trême de fe mouiller les piés. Sans cette attention, l’expérience a fait connoître que Ton eft menacé du Pafme , mal fi dange¬ reux qu’il eft ordinairement mortel. , Quoique flnfecte ne fe faffe pas fen- tir dans le tems qu’il s’infinue ; dès le len¬ demain il caufe » une démangeaifbn ar¬ dente, & fort douloureufe, furtout dans quelques parties telles que le deffous des ongles. La douleur eft moins vive à la 'plante du pie, où la peau eft plus épaifte. On 221 H I S T O R I Q_U E. On obferve que la Nigue fait une guerre opiniâtre à quelques Animaux, furtout au Cerde, quelle dévore par dev grés, & dont les piés de devant & de derrière fe trouvent tout percés de trous après fà mort. ■ La petiteffe de cet Infefte n’empêche pas qu’on n’en diftingue deux efpeces, l’une venimeufe, l’autre qui ne l’eft pas* Celle - ci reffemble aux puces par la couleur, & rend blanche la membrane où elle dé-: pofe fes œufs. L autre efpece eft jaun⬠tre; & fon nid couleur de cendre. Un de fes effets, quand elle s’eft logée à l’ex*> trémité des orteils, eft de cauler une in*; fiammation fort ardente aux glandes des* aines, accompagnée de douleurs aigues, qui ne finiffent qu’après l’extirpation des œufs. C’eft à Mr. de Juflîen que l’on doit la diftinftion des deux efpeces de Ni-* gués. Il eut, comme les autres Acadé¬ miciens François qui l’accompagnerenü au Pérou, le chagrin d’éprouver plufieurs fois ces douleurs , qu’ils n’ont pu ex-; pliquer. 14 Décembre. Ayant nos provifions à bord, le Mer¬ credi fur les dix heures du matin, le. vent 22Z JOURNAL vent étant au Sud, nous avons dêfafôur- ché, it- 33* JOURNAL, Celle de deffus, qui forme l’intérieur de bec, eft creufe: fes bords ou levres font découpés en maniéré de foie. La partie inférieure préfente la même forme que la fupé rieur e , mais un peu concave en deflbus. Ces deux parties égales dans leur longueur, s’emboëtent l’une dans l’au¬ tre, & diminuent infenfiblement jufqu’à l’extrémité, qui eft un peu courbée en deflbus & pointue. La langue eft une membrane blanchâtre, prèsqu’auffi longue que le bec, mais très -étroite, & très ap- pîatie. Elle n’a pas deux lignes au plus de large, & préfente une barbe de plu¬ me découpée ; fes yeux font ronds, beaux, vifs roit- on trompé moi. même, en me nommant, Pilote ) un poifîon qui n’eft pas celui qui doit porter ce nom ? Voyez en la %, dans la PI. I. % 8- Si nous avons vû des Requins fans être précédés de Pilotes, nous n’çn avons pris aucun, qui n’eût plufîeurs Succets cramponnés fur lui près de fa tête. Les Brafiliens nomment le Succet Iperuquibay & Piraquiba , les Portugais Piexepo ■ gador. Le plus grand que nous ayons pris avoit environ huit pouces de long , fur deux & demi dans fa plus grande largeur. Sa tête, longue de deux eft plate dans1 fa partie fupérieure, & relfemble au palais d’un bœuf, cannelé en tra¬ vers, HISTORI Q_U E. 33 3 l vifs & étincelans, enchaffés dans deux joues nues, couvertes d’une membrane azurée. Les uns ont l'Iris de l’oeil bleu- clair, environné d’un cercle blanc; d'autres Font tout noir. Il y en a de différentes efpeces, au moins différent -ils entre eux par la couleur du bec, & par celle des plumes. Le bec de quelques-uns eff verd avec un cercle noir St deux taches blan¬ ches vers fa racine- Le bec des autres eff noir, rouge en dedans, avec un cer¬ cle jaune verdâtre auprès de la tête. Ils font très -communs dans le pays. On nous affura que Ton y trou voit auffi beau¬ coup de Faifans; mais nous n’en avons pas vûs. Les Perroquets verds y volent en vers, qui y (èroit collé de maniéré que les bords n’y feroient pas adhérents. Ces cannelu¬ res font armées de pointes, (i dures & h folides qu’en les pafiant fur le bois , elles y font l’effet d’une lime fine. C’eft par leur moyen queleSuc- cet s’attache fi fermement auprès des ouyes & au ventre du Requin, qu il fe laide prendreavcc lui. On ne put meme l’en détacher qu’avec un cou¬ teau, ou un autre inftrument. La mâchoire infe¬ rieure eft plus longue que la fupérieure. Il a de petits yeux d’un jaune doré, la prunelle noire. Au lieu de dents, c’eft une infinité de petits tubercules affez folides. Auprès de ch a- p 5 que *34 JOURNAL en troupe, comme les Moineaux en Fran¬ ce. Nous en avons tué une afiez gran¬ de quantité, & nous les trouvions auflï bons que nos Pigeons de voliere. Les Lions, les Panthères, les Léopards, les Onces & les Tigres infeftent les Bois 3c y rendent les voyages dangereux. Heu- reufement ils ne s’approchent que très- rarement des habitations. L’eau des ri¬ vières eft d’une excellente qualité. Mais tous ces avantages font effacés par l'in¬ commodité d’un air très-mal-fain , qui eft vraifemblablement la caufe de la pâleur des Blancs qui habitent ce pays. De ces bois, où le Soleil ne pénétre jamais, s’élèvent fans ceffe des vapeurs groffieres, qui que ouye eft une nageoire triangulaire , longue d’un pouce, ou environ: deux autres auprès fous le ventre, qui fe joignent à leurs racines, & une fous le ventre ci fur le dos, qui régnent depuis le milieu du corps jufques à la queue. Sa peau eft lifte, gluante , comme celle de l’an¬ guille, & de couleur d’ardoife brune. Bien des gens fê font trompés, en prenant le dos du Succet pour le ventre , à caufe de la partie par laquelle il s’attache au Requin. Je l’ai cbfervé avec toute l’attention , dont j’ai été ca¬ pable, & je me fuis convaincu de l’enreur det Auteurs ; comme on peut le voir dans les %. il & 12. de la planche I. H I S T O R I Q^U E. 23f qui forment continuellement des brumes for le haut des montagnes dont File eft environnée. Les bas, qui font fort maré¬ cageux, en font également couverts de¬ puis fîx à fopt heures du foir, jufqu’à ce que le Soleil les ait diflïpées le lendemain for les huit heures du matin. Ces vapeurs ont fouvcnt une odeur de vaze, & la cir¬ culation de l’air n’y étant pas libre, elles femblent ne fe diffiper que pour faire place à celles qui leur iuccedent. Cet air mal¬ foin efl: fons doute au moins un peu cor¬ rigé par la quantité de plantes aromati¬ ques, dont l’odeur fuave fe fait femir à trois ou quatre lieues en mer, îorfque le vent de Terre y porte. Nos chiens nous annoncèrent l'approche des Terres au moins à cette diftance, en flairant de ce côté -là pendant près d’une demi -heure. Nous- mêmes en étions embaumés. Il efl à re¬ marquer que les cliiens font d’une gran¬ de reflburce dans un Navire, pour recon- noître les approches de terre. Tous les nôtres n’ont jamais marqué d’aller fur le paffe- avant, le long de la lice, ou fur le Gaillard d’avant, préfenter le nez & flai¬ rer du côté des Terres, ou même d’un Navire» quand nous en avons approché, à la 23 ' . . H I S T O R I Q^U E. 239 En quittant Monte -video fur la Riviè¬ re de la Plata, ou Rio de h P lata, la même chofe nous arriva pendant le cal¬ me qui nous furprit le jour de notre dé¬ part. La lumière que celles-ci répandoient, étant plus brillante & plus éclatante enco¬ re que celles des mouches de File Ste. Catherine; j’en mis quelques unes avec de l’herbe fraîche daus un gobelet de verre que je couvris d’un autre, & l’ayant fixé fur ma table, j’en approchai un livre, dans lequel, fans le fecours d’au¬ cune autre lumière , je lus avec beaucoup de facilité, quoique le caractère en fut très -menu. Dès le matin du lendemain j’en tirai une du gobelet, & l’ayant piquée d’une épingle, que je fichai en même tems dans le bois de la table, je la peignis. Elle avoit quatre lignes de large & onze 5c demie de long, y compris le chaperon de trois lignes, qui lui couvroit la tête. Quatre aîles s’étendoient fur fon corps. Les deux fupérieures étoient d’un beau noir velouté, avec une raye d’un jaune doré, près du bord extérieur. Elle re- gnoit depuis le cou jufques aux deux tiers 240 JOURNAL de la longueur de l’aîle. Le chaperon étoit tout entier de même couleur , excepté un gros point noir au milieu près du cou. Ce chaperon fiiivoit les mouvemens de la tête, qui étoit arrondie, & lui fervoit de casque: il débordoit d5une ligne tout au¬ tour. Deux antennes noires , délicates comme un cheveu fin, 8c longues de trois lignes, étoient placées fur le devant de la tête, au defilis de deux yeux noirs, peu fàillans, & fèmblables à de la fèmen- ce d’Amaranthe. Trois petites jambes également noires, fortoient des deux cô¬ tés du corps, tout couvert, dans cette par¬ tie, de petits poils fins très -courts, 3c d’un jaune orangé. La partie poftérieure étoit compofée de cinq anneaux , dont les deux les plus près du corps étoient noirs, revê¬ tus d’un poil court 8c velouté; les deux fuivans d’un poil doré, 3c le cinquième aufii large que deux autres enfemble, 3c qui terminoit le corps en pointe arrondie, étoit aufii couvert d’un poil noir velouté, mais un peu plus long que celui des au¬ tres anneaux. Ces anneaux navoient pas k folidité de ceux qui formoient le corps de la mouche précédente; ils fléchif foient fous le doigt , qui les prelToit mê- ^ me . ■ HISTORI QÜ E. 24 r me légèrement. La première n’envoyoic des rayons de lumière prefque que de la tête: celle-ci en répandoit de toutes les parties de fon corps, fi l’on en excepte la tête. Celles que j avois renfermées ;avec de l’herbe fraîche, ont vécu quatre jours, & ont confervé l’éclat de leur lumière presqu’aufii brillant jufqu’à leur mort. Avant que de quitter la Rade de Ste. Catherine, je dirai deux mots des Brafî- liens , fur le rapport du Premier Préfident du Confeil fouverain de Rio - Janeyro, dont j’ai déjà parlé. Je 11’ai vu manger de pain de grain que chez le Gouverneur de Ste. Catheri¬ ne. Dans toutes les habitations on y fuppléoit par la Caffave; qui eft une ef- pece de pâte cuite, faite de farine de la< racine de Manioc. Cette racine eft, dit- on, un grand poifon, quand on la man¬ ge crue. J’ai vu cependant des enfans occupés à en ôter l’écorce , pour en faire la Caffave, la manger crue fans en être incommodés. Quelques-uns a faifoient rôtir fur la braize, en enle voient enfuite Fécorce , & la mangeoient. a Je 24$ JOURNAL ~ Je n’ai vû dans File Ste. Catherine Sc aux environs des habitations de la Terre- ferme, qu’une eipece de Manioc. Laët, cité dans l’Hiftoirc des Voyages recueillis par l’Abbé Prévôt, dit qu’il y en a de diverfes efpeces, une entre autres parti¬ culière au Brefil, qui s’y nomme Aypi, & qui peut fe manger crue fans aucun danger. Qiielqiies Nations , de la race des Tapouyas , ajoute-t-il, mangent aitjfi cru le Manioc commun , qui eft un poifon pour toutes les autres , cf nen reffèntent aucun mal y parce qii elles y font accoutumées dès lenfance . Ceux cependant que nous avons vus en manger de cru, n’étoient pas de la race des Tapouyas. C etoit des enfans Blancs, dont les peres & me- res étoient Portugais. Les feuilles de ce Manioc approchent beaucoup, pour la for¬ me, des feuilles de la Pivoine. On en fait fécher les racines au feu fur des clayes & les ratifiant avec des pierres aiguifées , on en forme une farine, dont Fodeur tire fur celle de l’amidon. Cette farine fe met dans de grands pots, avec le foin de la remuer jufqu’à ce qu’elle s’épaiflifle, comme l’on fait en France avec la farine de blé noir. Ré- froi- H I S T O R I QJJ E. 243 froidie en confîftance d’une gelée folide, fon goût diffère peu de celui du pain blanc. Celle dont on fait provifîon dans les courfes 6c les guerres, eft beaucoup cuite, 6c par là fe trouve plus dure 6c plus fblide pont la commodité du tranfi port. Apprêtée avec du jus de viande, on en fait un mets qui approche du ris cuit au bouillon 6c au jus; 6c ce mets eft très - nourrifiant. Ces mêmes racines, pilées ou râpées fraîches, 6c avant que d’être paffées au feu, donnent un jus de la blancheur du lait, qui ne demande que d’être expofé au foleil pour s y coa¬ guler comme le fromage, & fait un bon aliment, pour peu qu’il foit cuit au feu. Cette maniéré de ratifier les racines de Manioc avec des pierres tranchantes eft celle des Bralîliens, qui n’ont pas la con*« noiflance des Arts méchaniques de l'Eu¬ rope. Les Portugais nés ou Amplement établis dans 111e Ste. Catherine 8c fur les Côtes de la Terre -ferme qui l’environ¬ nent, employent à cet effet une grande roue de bois, dont la furface extérieure des jantes eft creufée en canal. Ce ca¬ nal eft couvert d’une râpe de fer. On approche de cette râpe les racines, en Cl * ap- > - A £4Î JOURNAL appuyant un peu deffus, pendant quunë autre perfonne tourne la roue: ce qui pro¬ duit reffet d’une râpe à tabac. Cette ma¬ nœuvre avance beaucoup l’ouvrage, & expédie en peu de tems beaucoup de ra¬ cines. On ne confervoit pas le jus blanc qui découloit de ces racines, à mefure qu’on les rapoit. Ce jus fe perdoit dans un petit foffé, & s’écouloit fur la terre. On fait enfuite fécher ces racines, pour les réduire en farine & en faire la Caffa- ve. Elles fervent auflî aux Brafiliens pour la compofition de leur breuvage. Cette opération eit fort dégoûtante, ainfi que le breuvage même, pour ceux qui fçavent la maniéré dont il fe fait. Ce font les femmes qui font chargées de ce foin, furtout les vieilles. Lâêt en don¬ ne le détail Les loix de chaque Pays font les mœurs de ceux qui les habitent . c eit pourquoi les mœurs des. Nations font fi différentes les unes des autres. Com¬ me le climat y contribue auffi beaucoup, telle loi bonne pour la Norvège ne le ferait pas pour la Guinée. Les connoif fances acquifes chez les Peuples que nous nommons policés , ont été auffi la fourcë de L H I %S T O R I QU E. f f 4. -V - • * * * •*— A' ]L 4e beaucoup de loix qui ne font pas connues chez ceux qu5il nous a plu de nommer Sauvages. Chez les Brafiliens, avant le mariage, les filles i è livrent non feulement d'elles- > , . même, & fans honte, aux hommes libres, mais leurs parens les offrent au premier venu, & carèffent beaucoup leurs amans: de forte qu’il n’y en a peut-être pas une qui entre vierge dans l’état du mariage. Lorfqu’ elles font attachées par des pro- meffes, feule formalité qui les lie, on ceffe de les folliciter: elles ceffent même de prêter l’oreille aux Pollicitations d’in¬ fidélité. y, f L’unique éducation qu’ils donnent aux enfans regarde la Chaffè, la Pêche 8c la Guerre. Ils vivent d ailleurs paifiblement entre eux, & Ton y voit très -rarement des quérelles particulières. Si quelques- uns fe battent, on leur laide une entieie liberté de le fàtisfaire^ mais comme la .peine du Talion y eft rigoureufement 8c ions miféricorde obfervée, les parens font à celui qui a bleffé., les memes bleffures, 8c le tuent, s’il a tué fon adverfaire- Tout cela fe fait du confentement même des parens des deux parties , 8c fans réclama* 0^3 tion. * 2^ JOURNAL tion. Cette Loi eft vraifemblablemenfc la fource de la haine implacable quils confervent contre leurs ennemis déclarés. Si cette réglé étoit introduite parmi nous* verroit-on tant de quérelles vuidées par l’effufion du fang humain; on ne fe bat¬ trait gueres que de la langue ou de la plume. (• ' je p Mal à propos regarde -t- on* les Brafî- liens comme les hommes les plus cruels envers tous les autres ; ils ne montrent de la cruauté qu envers leurs ennemis connus. Et fi Ton en excepte quelques uns, en petit nombre, de certaines Nations, dont la fé¬ rocité approche un peu de celle des bêtes, peut - être pour avoir été trop longtems maltraités par leurs voifins , les1 Braliliens font très humains, furtout envers les Etran¬ gers, qu’ils accueillent très -bien, & de la maniéré dont Léry le rapporte : en voici le détail. Si l’on doit aller plus d’une fois à la même habitation, ou Village, il faut aller loger chez le MouJJacat ou pere de famille; parce que celui auquel on s’eft adreffé d’abord, s’offenferoit beaucoup de ce qu’on le quittât pour aller la fécondé fois chez H I S T O R I QJ1 E* *47 un autre- On doit loger conftamment chez le même. Dès que le Voyageur s’efl: préfenté à ta porte , le Mouflacat, ou autre chez le¬ quel on fe trouve, vous preffe de vous afleoir dans un Hamnch , ou lit de coton fufpendu en l’air, dans lequel on laiiïe le voyageur quelque tems, fans lui dire un mot. C’eft pour avoir le tems d’aflembler les femmes, qui viennent s’accroupir à terre autour du lit, les deux mains fir leurs yeux. L’attendriffement les faifit; elles laiflent couler quelques larmes de joye, &, toujours en pleurant, elles adret fent mille complimens flatteurs à leur hôte. „ Que tu es bon! que tu es vaillant! que „ nous t’avons d’obligation ! que tu as pris „ de peine à venir ! que tu es beau ! que ^ tu nous fais de plàifir d’être venu nous ” voir ! “ & autres femblables. Si l’étran¬ ger veut donner bonne opinion de lui, il doit répondre par des marques datten- driflement. Léry allure qu’il a vu des François; vraiment attendris & pleurer, dit - il, comme des veaux . Mais il con- feille à ceux qui n’ont pas le cœur fi fut ceptible de cette impreflion, (c’eft-à-dire, à la honte de nos Européens, qui fe pi* a 4 queni 248 / JOURNAL ; quent cependant, mais avec fi peu de rat¬ ion, d’avoir plus d’humanité que les Bra- filiens) de jetter, ou feindre de jetter quel¬ ques foupirs. Neft-ce pas nous repro¬ cher en peu de mots, que nous n’avons que le mafque de la politeffefie & de l’hof- pitalité ^ &que les Brafiliens en ont la réalité? Après cette première falutation, le Mouffacat, qui s ’étoit retiré dans un coin de la cabane, affe&ant de faire une flè¬ che, ou quelqu’autre ouvrage, comme s’il ne prenoit pas garde à ce qui fe paffe, s’approche, du lit, demande à l’hôte com¬ ment il fe porte, reçoit fa réponfè, & l’interroge fur le fujet qui l’amene. On doit iàtisfaire à toutes ces queftions , lorf- que l’on fçait la langue. Alors , fi l’on eft arrivé à pié, il fait apporter de l’eau, dont fes femmes lavent les piés & les jam¬ bes du Maiv : c’efl: le nom qu’ils donnent aux Européens. Enfuite il s’informe fi fon a beibin de boire ou de manger. Si l’on répond que l’on defire l’un & l’autre, il fait fervir fur le champ tout ce qu’il a de venaifon, de volaille, de poiffon <3t d’au¬ tres mets avec les breuvages du pays. Veut on palier la nuit dans le même lieu? Non feulement le Mouflacat fait ten- - ^ i H I S T O R I QU E. ?49 , < ' -*• gendre un bel Inis (hamach) blanc; mais, quoiqu’il fafle toujours chaud au Brefil, il prend le prétexte de l’humidité de la nuit, pour faire allumer autour de finis trois ou quatre petits feux, qui font entretenus pen¬ dant le fommeil du Mair , avec une forte de petit éventail , nommé Tatnpecoun , qui teffemble beaucoup à nos écrans. Le foir , dit Léry, qui l’avoit éprouvé lui -même, pour ne rien fouffrir de nuifi- ble au repos de l’hôte, on fait éloigner tous les enfans. Enfin, fe préfentant au réveil, il vient vous demander fi vous avez bien dormi, & des nouvelles de vôtre fanté. Lors- même que vous répondez d’un air fatis- fait, il vous dira, „repofez -vous encore, ' , mon Enfant, vous en avez befoin; car je vis bien hier au foir que vous étiez „ fatigué.^ C’eft l’ufage parmi les Euro¬ péens de leur faire dans ces occafions quelques préfens; 6c l’on ne doit jamais marcher, fans avoir dequoi leur en faire. On fe munit donc de quelques petites mar- thandifes, telles que des couteaux, desci- feaux, des petites pincettes à tirer le poil, {ils font dans l’ulàge, hommes 6c femmes, de s’arracher le poil de toutes les parties a ? du 2fô JOURNAL du eorps, les fournis feuls exceptés, des! peignes, de petits miroirs, des bracelets, de petits grains & des boutons de verre, enfin des hameçons pour la pêche* . On pourrait peut-être douter de cet* te conduite des Brafiliens à l’égard des Etrangers; mais on en fera aifément con* vaincu, quand on, fçaura que ces hom¬ mes, que nous traitons de barbares, à caufe de leur cruauté envers leurs enne¬ mis, ne font Ântropophages qu’a l’égard de leurs ennemis déclarés; qu’ils portent une grande affeftion à leurs amis, & à leurs alliés; & que, pour garantir ceux- ci du moindre déplaifir, ils fè fer oient hacher en pièces. Ce n’efi: pas envers les étrangers feu¬ lement qu’ils font tendres & affeâueux* Dans leurs maladies, les Brafiliens fe trait* tent mutuellement avec des attentions, & des égards fi humains, que s’il eft quefi ti-on d’une playe, le voifin fè préfente auffitôt pour fucer celle du malade, & tous les offices de l’amitié font rendus avec le même zele. La Religion n’a cependant point de part aux idées des Brafiliens, Ils ne con- noif- H I S T O R I CL U E. noiflent f aucune Divinité; ils n’adorent rien, & leur langue n’a pas même de terme qui exprime le nom ou l’idée d’un Dieu. Dans leurs fables on ne trouve rien qui aît du raport à leur origine, ou à la création du Monde. Us ont feule* ment quelque hiftoire, qui fenïble rappel- ler l’idée d’un déluge d’eau qui fit périr tout le genre humain, à la réferve d’un frere & d’une fceur, qui repeuplèrent la terre. Us attachent quelques idées de puilTance au Tonnerre, qu’ils nomment Tupany puifqu’ils le craignent, & croyent tenir de lui la fcience de l’agriculture. Il ne leur tombe pas dans l’efprit que cette vie puifle être fiiivie d une autre, & ils n’ont point de termes qui expriment le Paradis ni l’Enfer. Il femble cepen¬ dant qu’ils penfent qu’il refte quelque chofe d’eux après leur mort; car on leur entend dire que plufieurs d’entre eux ont été changés en Génies ou Démons qui fe ' réjouifient , & s’amufent à danfer dans des campagnes charmantes & plantées de toutes fortes d’arbres. Les Indiens du Brefil aiment paflionnes* ment les chiens de race Européenne; & ils les élevent pour la chafle» "Ceux du pays, JOURNAL .pays,- quoique femblables aux nôtre?, jconfervent toujours un caraélere fauvage 6c carnacier. Un Portugais nous en avoir fait préfent de deux, l’un élevé 6c déjà grand, l’autre encore fl jeune qu’il mar- choit à peine. On fut obligé de fe dé¬ faire fucceflivement de l’un Si de l’autre; parce que l’on s’apperçut que , malgré les çorreétions, ils étoient acharnés aux bre¬ bis 6c aux poules. Mais Mr. le Gouver¬ neur a voit donné à Mr. de Bougainville .deux chiens de chafle, frere 6c fœur, 41 ayant que quatre mois, 6c de la plus belle race Portugaife connue. Arrivés ïaux Iles Malouïnes, 6c les ayant menés à la chafle, ils arrêtoient naturellement, .6c fans avoir reçu aucune inftrudion. Mr. de Bougainville les a conduits en France, 6c en a fait préfent à un Sei¬ gneur de la Cour. Jeudi i? Décemlre. Sur les quatre heures 6c demie du 6matin , le vent étant au Sud-Sud-Eft pe¬ tit frais, le tems brumeux, nous avons viré fur notre ancre, enbarqué notr£ jpetit canot 6c la pirogue, puis appareillé fiir les fix heures. Nous avons fait rou- je entre l’Ile de Gai ,6c la pointe de celle ** ■ ' <**• «• . i • - j . i •• O V- A de H I S T O R I Q JJ E. de Ste Catherine. Il a fraîchi fur les neuf heures: le tems s’eft engraifle, la pluye eft tombée, & le tems s eft éclair¬ ci. A dix heures, nous avons relevé le milieu de 111e de Gai au N. IM. O# 8c la pointe au Sud de file Ste. Catherine, que nous voyions au S. \ S. E. fur la¬ quelle a été pris le point de départ, par la latitude ci-après, fuivant la Carte Fraiv çoife & le Méridien de Paris. * ^ * Latitude du départ 27=:: 23. < Longitude Mérid. de Paris 5OZIZO. Depuis ce tems il a fraîchi de plus en plus avec de la pluye : & à midi la route avalu depuis le relèvement, l’Eft 3 deg. Sud. n Latit. eft. Sud 27: — 22. Longit. 49 = 49- Variation N. E. Il : = 0. Grand frais enfuite de S. S. E. le tems gras & fombre avec pluye; ce qui nous a obligé de faire des ris dans nos huniers fur les trois heures, de ferrer le perro¬ quet de fougue A lept heures du foir nous avons dégrayé nos perroquets; âf dix heures ferré nos huniers, & cargué la grande voile pendant le cours d’un grain très -vif. - - 46. 3T4 JOURNAL 16. A deux heures, nous avons réappa* reillé, & mis les huniers dehors. Alors le vent a paffé à l’Eft; le calme a fuccé- dé, le beau tems eft venu, & nous avons viré de bord, le Cap au Sud- Oued & S. O. | S. jufques à quatre heures du matin, que le vent eft revenu au S. S. E. ce qui nous a fait revira’ de bord. Le beau tems a continué avec bon frais, la mer très- gro(Te, & à midi la route a Valu par eftime l’E. £ N. E. Latitude eft. Sud 27=14. Longitude eft. 48 “ 44* Chemin eftime 23 il* f • Le vent a régné du S. E. à TE. S. E. petit frais, beau tems, la mer fort houleufe. ISous avons tenu tribord amure jufques à quatre heures du foir, que les vents ont paffé au Sud -Eft. Depuis ce tems bon frais, & la mer plus groffe qu auparavant. Nous avons gouverné au plus près bâbord -amure jufqu’à midi du Samedi ï7- Que la route a valu par eftime le S. S* O* 2 deg. Oueff U HISTORIQUE. 2yç La variation ortive a été N. E. 13 — 50. Latit. eft. Sud 27—45. • — — obfervé# 27 47- Longit. 49=0. Chemin eftim. 10 1. f . Dans la foirée le vent a régné de l’Eft- Sud-Eft au Nord; ou un très -mauvais tems. Mais nous en avons vû une grande quantité dans les beaux tems, pendant que la mer eft ce que les marins appellent belle, fans que la tempête foit venue. On le dit encore des Alcyons , que Fon nomme aufli Paans , foit qu’ils puent en effet, foit par la rai- fon que Fon naime pas les voir, parce qu’on isê ' JOURNAL qu’on les regarde comme des oifeaux de mauvais augure. J’avoue que nous n’a¬ vons jamais vû des Alcyons fans qu’un gros tems ne foit furvenu. On voit les Quebranta - hueffos s’abaif- fer & fe foutenir à fleur d’eau, effleurer les lames, 8c en fuivre tous les mouve- mens, fans paroître remuer les ailes, qu’ils tiennent toujours développées 8c étendues, quand ils ne fe repofent pas fur les lames. Ils voltigent autour 8c très -près des Na¬ vires. Cet oifeau n’a pas le corps plus gros qu’un fort chapon ; mais les plumes lon¬ gues 8c ferrées, dont il eft couvert, le font paroître gros comme un coq- d’In¬ de. Son col efl: court & un peu cour¬ bé ; fa tête grofle, & un bec fi fmgulier que je l’ai peint. On le voit dans la PI. VIII. fig. 3- Ce bec efl: comme divifé en quatre ou cinq pièces. 11 a la queue courte, le dos élevé, les jambes baffes, les pié$ noirs 8c palmés , a trois doigts fur le de¬ vant, 8c un quatrième très-court fur le derrière , les uns 8c les autres armés d’on¬ gles noires, émouffées 8c peu longues. ^ Il y H I S T O R I au R 257 Il y des Quebranta-hueffos de plufieurs efpeces. Les uns ont le plumage blan¬ châtre, tacheté de brun obfcur, ou de roux, d’autres ont la poitrine, le deffous des ailes, la partie inférieure du col, & toute la tête d’une grande blancheur; mais le dos, le defl’us des ailes & la par¬ tie fupérieure du cou d’un rouge brun, moucheté de quelques marques d’un gris bleuâtre. Tel étoit celui que nous avons tué. Peut-être ne different-ils que par le fèxe, & non par l’efpece. Ils ont tous les ailes fort longues. Celles de celui que nous avons tué, avoient fept piés deux pouces depuis l’extrémité des plu¬ mes d’une aile jufqu’au bout des plumes de l’autre. On les trouve à plus de 300 lieues éloignés de toute terre; & l’on ne fçait pas quelles font les retraites d’où ils viennent, & où ils font leurs nids. Nous avons enfuite continué la route^ du Sud jufqu’à midi, qu’elle a valu le lir: 10. 25 = 35. 29 = 40. 49 = 24. *7ï. s. I S. O. Variation ortive N, E. Latit. eft. Sud - - obf, Longit. CJiein, eft. R Tou- JOURNAL Toujours vent de TE. N. E. variable au N. E. grand frais, & beau-tems, mais la mer groffe. Nous avons cepen¬ dant fait route à bonnes voiles, & ce matin Nous avons continué notre route au S. JS. O. jufqu’à midi quelle a valu par eftime le S. S. O. 13 — 0, N* E, 32 = 0. 32 — 2r. Variation ortive N. E, Lat. eft. S. — obfervée Longit. corrigée Chemin corr. — eftimé 50 = 41 Même Vent au N. N. E. bon frais juf- ques à huit heures du foir, qu’il a un peu calmé. Il a paffé au N. N. O. grand frais, beau tems & la mer grollè; le vent eft tombé peu à peu. A minuit le calme a augmenté juf- ques à cinq heures. Alors le vent s’eft élevé de TE. S. E. bon frais, & la mer étant toujours groffe, nous avons conti¬ nué notre route du S. S. O. y deg. O. jufqu’à midi quelle a valu par eftime le S. O. J S. y deg. 30 min. Oüeft. Va- HISTORIQUE. 2î9 Variation ort. N. E. Latitude eÜim. Sud — » — obf. Longit. Chemin eft. 12=0. N. E. 33 = 36. Depuis hier midi le vent a régné de PE, S. E. au Nord, avec beau tems, & la mer houleufe jufqu’à minuit. 21. Nous avons gouverné au S. S. O. ? deg. O. jufqu’à üx heures du foir, & depuis ce tems au S. O. \ S jufqivà mi¬ nuit. A huit heures du matin au S. O. | O. & de là à midi à PO. £ S. O. Variation Ortive N. E. 15 degrés. Suivant nos obfervations, les courant portent au Sud depuis la Ligne, lorsque le Soleil eft dans la partie méridionale; c eft ce qui caufè les différences de Pet time. Ce matin, la couleur de Peau de la mer nous ayant paru changée, nous avons pris le parti de jetter la fonde, & nous avons trouvé fond à quinze braffes. Ce haut fond pourroit bien être la queue du banc, qui eft à la pointe Sainte Marie. Air de vent eftimé des 24 heures S. O. 1 O, 1 deg. S. R 2 — — corrige Variation oceafe N. E. 37 I. i- 44 * Il deg. Le vent a régné du N. N. E. au N. grand frais, le tems fombre & brumeux, la mer groffe & fa couleur changée. Ris dans les huniers à fix heures du foir; fondé enfuite & trouvé if brades, fond de fable fin couleur de Ion. Ne pouvant voir la terre à caule de la brume, nous avons tenu le vent, en gouvernant au N. O. fondé enfuite d’heure en heure. A huit trouvé 28 braflès, & défait les ris; à dix heures à peu près même pro¬ fondeur; alors nous avons viré de bord le cap à l’E. & \ N. E. jufqu à trois heures du matin. Les courans continuent depuis Ste Catherine, à porter dans le S. S. O. 22. Le cap mis à O. £ N. O. le vent étant au Nord jufques à midi que la route a valu par eflime TOuefi: 1 deg. 30 m. S. Variation 01 tive N. E. 15=10. Latitude eft. Sud 34—43. 35 — 2. 55 — 20. 24 li. f. Sur H I S T O R I Q^U E. s6i Sur les deux heures nous avons vû la terre affez clairement. Elle nous reftoit fur le boffoir de bâbord. Gouverné auf- fitôt deflus, pour la bien reconnoître; les marées nous ont portés dans le S. S. E. de 14 à ïs minutes. C’eft à quoi Ion doit faire attention en cherchant l’en¬ trée de Rio de la Plata. Il convient de courir Nord. Après nous en être approchés, nous avons jugé que c’étoit la pointe la plus à LEft du Cap Sainte Marie. Voyant alors des terres plus au Sud, on a mis le cap au Sud-Oueft J O. & à fix heures nous avons reconnu Vile Lobos qui fe préfente comme dans la PL VI. fig* 1. & eft ainfi nommée de ce qu'elle eft uni¬ quement habitée par les Loups marins, qui y fourmillent. Approchés de plus près, nous avons gouverné au Sud \ Sud- Oueft, pour la ranger en dehors à une lieue & demie, & éviter une batture de roches à l’Eft de cette lie. Cette batture s’allonge près d’une lieue dehors. Com¬ me il faifoit obfcur, nous n’avons pas ap- perçu l’entrée du canal, qui forme Pile &, le port des Maîdonades; 6c nous avons avancé près de deux lieues de trop dans R 3 Rio 26z JOURNAL Rio de la P lata, ou la Riviere de la Plata, & y avons mouillé à huit heures du foir ; le milieu de File Lobos à lEft 8c E. \ S. E. la pointe du Cap Ste. Marie à FE. £ S. E. la pointe du S. O. de File Maldo- nade à FE. | N. E. La pointe la plus au Sud Oueft, qui longe les hauteurs, a Oueft 3 degrés Nord. La pointe de la Terre la plus au Nord; au Nord -Oueft. i 23. Ce matin, notre canot a été à terre, pour donner avis de notre mouillage au Commandant du Fort de File Maldonade. Mr. de Bougainville y étoit avec Mr. de Nervilîe, de Belcourt. L’huilîier & Ale¬ xandre Guyot notre fécond Capitaine. Ils ont demandé permiflïon de faire eau & vivres, ce que le Commandant a accordé de la maniéré la plus gracieufe. Il aver¬ tit même que notre mouillage n’étoit pas fi bon que celui de Fentrée du canal qui conduit au Port: que le mouillage au Port n’eft pas leur, 8c que nous ferions bien de quitter le noue: ce que nous nous propofons de faire, dès que le teins le permettra, 8c que le Commandant nous aura envoyé un Pilote Côtier. v Toute H I S T O R I au E. 2 63 Toute la Côte qui fe montre à nos yeux préfente des Dunes de fable baffes, & il n’y paroît dans l’éloignement que quelques hauteurs, appellées les Monta¬ gnes des Maldonnades, éloignées de la côte de quelques lieues. On n’y voit point darbres , mais beaucoup de trou¬ peaux de très -gros bceufs & de chevaux. L’argent & les peaux de bœufs font auffî tout le commerce du pays de la Plata. Venant de fEft, pour entrer dans Rio de la Plata, Pile de Lobos fe montre à O. S. O. du compas. Dès le matin du 23, le calme s’eft dé¬ claré avec un très -beau tems, & une chaleur très vive. Une grande partie de de l’Equipage s’étant miss à pêcher à l’ha¬ meçon, à peine la ligne étoit-elle à la mer, qu’on la retiroit avec un poiffon pris: Souvent autant de poiffons qu’il y avoit d’hameçons à la ligne. Il n’y en avoit que de quatre ou cinq fortes. Les uns étoient ceux que les Espagnols nomment Viagrios , & nos Marins Machoirans . Les autres étoient des Carandes ou Carangues des Roujfettes , des Demoifelles & des Ré- qiiins. Nous pêchâmes une Roulfette, une Demoifelle & deux petits Réquins. R 4 Le v . JOURNAL Le Machoiran a le ventre plat, & quelques barbes, comme le Barbillon; la tête grofte, la peau couverte de petites écailles brunes, & prefqu imperceptibles? à peu près comme celles de la Tanche; à la racine des nageoires, les plus près de la tête, eft une arrête taillée en forme de fcie, dont les dents font inclinées du côté du corps. Cette arête eft auffi longue que la nageoire, & a les mêmes mouvemens* Lorfque ce poifton veut fe défendre des autres poiiïbns ou du pêcheur, il drefle ces arrêtes, & les enfonce dans le corps des autres poiffons, dans la main de celui qui le pêche, ou dans ce qui l’environne> même dans le bois, s’il le peut, & y de¬ meure attaché. Cette piqueure eft veni- meufe. Auffi les pêcheurs fê tiennent -ils fur leur garde, quand ils pêchent. J’i¬ gnore s il y en a de plus gros que ceux que pous avons pris. Le plus fort avoit un pied <5c demi de longueur fur quatre pouces de large. Ce poifton eft d’un ex¬ cellent goût. La Carangue eft un poifton plat ex¬ cellent. On a péché une fi grande quan¬ tité d’une efpece de AV/r, qu après que tout 1 équipage en a été fourni pour ce jour, H I S T O R t ClÜ E. 26$ jour, 8c le lendemain, on a pris le parti de faler, & faire fécher le refte, de la façon dont on prépare la Morue feche, ou Merluche, à Terre-Neuve* Le plus gros de ces Bars étoit de la, grofi'eur & de la grandeur du Machoi- ran dont j’ai parlé- La Rottfietre & la De- moi (elle font des efpeces de Réquins ou Chiens de mer; ils leur reffemblent telle¬ ment qu’à la figure il eft aifé de s’y mé¬ prendre: elles a voient environ deux piés & demi de longueur. 24. Vers les trois heures du matin, il s’eft élevé un grand vent du Sud, qui a obli¬ gé! de mouiller une fécondé ancre fous barbe, & de mettre la grofle au mouil¬ lage. A cinq heures, ayant un peu calmé, on a reviré l’ancre & remis au boffoir, afin de nous trouver en état d’appareiller pour Montevideo . A fept heures, le vent ayant augmenté, nous avons remouillé notre fécondé ancre, par dix braffes, fond de fable fin vafeux. On a filé enfuite des deux cables, & Ton eft refté une partie de la journée en cet état. Dès le matin , fur la confiance du cal¬ me qu’il faifoit, Mr. de Bougainville efi re- R 5 tour- 265 JOURNAL tourné au Fort des Maldonnades, avec ceux qui l’y avoient accompagné la veille; tant pour y voir le pays, que pour y prendre des rafraichiffemens. Ils font re¬ venus, heureufement pour eux, entre fix & fept heures du foir. Nous venions de remettre l’ancre au boffoir fur l’appa¬ rence de calme. A peine y étoit-il, qu’il s’eft élevé un orage des plus violens à l’ho¬ rizon de la partie du Sud-Oueft. On ne peut rien voir de plus beau que le fpec- tacle que nous préfentoient les éclairs con¬ tinuels, & fans nombre, qui s'élançoient d’entre les Nuages , à mefure qu’ils mon- toient fur l’horizon. 11 étoit tout en feu, &, le feu d’artifice le mieux compofé, le mieux nourri & le plus varié , n’a rien de comparable à ce que le Ciel nous a pré- fenté pendant une heure. Nous ne foup- çonnions pas alors que nous en verrions dans peu un autre bien moins fatisfaifant- Mais notre Capitaine, qui en connoiffoit mieux le danger & les fuites, s’occupoit pendant ce teins -là à nous en mettre à couvert. Il fit haler toutes les vergues au vent, & les amena, ainfi que les mâts de hune & les perroquets, toutes voiles car- guécs & pliées. Nous HISTORI dU E. 267 ' Nous comptions que Forage pafîeroit à côté de nous: il paroifloit en effet en prendre le chemin ; mais en un inftant le vent le plus impétueux nous aflàillit; les éclairs & le tonnerre nous gagnèrent, HIS T O R I QV E. 375 On a enfuite reviré de bord pour courir fur r Oueft, le vent au N. N. O. à neuf heu- iss, le calme étant prefque plat, nous avons mouïUé par neuf brafles, fond de vafe. Le Monte- video nousreftoit à O. N. O. compas, diftant d’environ deux grandes lieues. Une demi -heure apres , nous avons expé¬ dié Monfieur Alexandre Guyot dans notre Canot, pour donner avis de notre arrivée au Gouverneur de Monte-video. * • ' !* , * 1 ‘J - , ■ A une heure après midi , il ü fraîchi de F Or N. O. enfuite de 1* O. Ces vents ont ■V * _ paffé en cahniole toute l’après-midi, juf- ques au N. E. paflant par le S. Nous avons levé notre ancre, appareillé, & fait route fur le Mont. 'J 3 Ci, L , . : Etant prêts de mettre dans la Baye fur les quatre heures & demie, le Capi¬ taine dun Navire Efpagnol, nommé la Ste. Barbe, eft venu à notre bord, de la part du Gouverneur, pour nous faire of¬ fre de fer vice , de nous piloter. Sur les cinq heures, nous avons mouillé dans la Rade, plus en dedans que le Navire Ef¬ pagnol, & à trois brafles, fond de vafe; après quoi nous avons falué la Citadelle de douze coups de canon, qui nous ont été rendus coup pour coup. - • r v S % Mar - 276 J O U R N A L Marques du moüïUage, Le Mont à Oueft \ Nord-Oueft Nord. Le clocher de l’Eglife la plus haute à FE. S. E. La pointe du moulin, autrement la pointe du dehois, au S. E. J S. L’île aux François qui eft au fond de la Baye, & fur laquelle il y a une maifon, au N. O. du compas. Dans les premiers jours de notre rel⬠che, on nâ été occupé que des arrange- mens à prendre avec le Gouverneur de Monte-video, pour ce que nous avions à y faire pendant notre féjour. Il parut d’abord trouver beaucoup de difficultés, tant à nous permettre la pêche le long de la côte , qu’à y laifler aborder notre chaloupé & notre canot. Il exigeoit qu’au préalable on lui donnât avis tou¬ tes les fois que l’on voudroit les envo¬ yer à terre, afin quil mît des Gardes dans l’endroit où ils aborderoient, pour y: refier ■ jufqu’au retour du canot, ou de te chaloupe, & empêcher que nousny fif- fions quelque commerce que ce fut* ^ N’imaginant pas trouver ces difficul¬ tés, dès le furlendemain de notre moüil- lagc on avoir expédié notre petit canot pour pêcher au bas du Mont* Le Gou- * ■ ver- H J S T O R I Q U E. 277 verneur qui en fut averti, donna ordre à deux Dragons de la Garnifbn de s’y tranfporter <3c de fàifir hommes,' canot 6c marchandées, fi Ton en a voit débar¬ qué. Mrs. de Bougainville, de Nerville, ,Guyot & moi, arrivâmes au Gouverne¬ ment un inftànt après cet ordre donné, dont le Gouverneur fit part à Mr. de /Bougainville. Le Gouverneur, qui crai- gnoit fans doute de ne pas bien s’expri¬ mer en françois, parloit en langue éfpa- :gnole, & avoit pour interprête un Pro¬ vençal établi dans la Ville depuis une quinzaine d’années. Ce Provençal nous rendit les intentions du Gouverneur, de maniéré à nous faire entendre qu’il n’étoit pas difpofé à nous rendre tous les fer vi¬ ces qu’il nous avoit offerts, & que nous avions lieu d’efpérer de lui. Ce n’étoit cependant pas fa façon de penfer; 6c il mous prouva des fentimens bien contrai¬ re dans la fuite de la conférence. Cet ordre qui fembloit confirmer l’in¬ terprétation du Provençal, ne fit point du tout plaifir à Mr. de Bougainville, qui en témoigna ion reffentiment à Mr. le Gouverneur à peu près en ces termes: 11 eft bien feprenant , Monfièury& eh S 3 mê- *7S JOURNAL même tems très difgracieux pour nous, de trouver chez les Efpagnols , nos ainis, des difficultés que nous n’avons pas éprouvées chez les Portugais avec lefquels nous étions en guerre, il n’y a que deux jours. Je m’en vai mettre à la voile, & j’en donnerai avis au Roi mon Maî¬ tre. Le Gouverneur répondit que fon intention n’étoit pas de nous défobliger, mais au contraire de nous rendre tous les fer vices qui dépendroient de lui; qu’il n’étoit pas le maître: que les Loix & les ordres de la Cour etoient de ne laiffer faire aucun commerce aux Navires qui n’étoient pas Efpagnols, ou authorifés de Cour pour cela, & même aux Efpa¬ gnols qui viendroient faire le commerce pour le compte des autres Nations; quu- ne Frégate de la Compagnie des Indes, ayant mouillé trois ans auparavant dans le même port, n’avoit fait aucune difficul¬ té de fe foumettre à ce qu’il venoit de propofer. Il y a une grande différence, répliqua Mr. de Bougainville, entre une Frégate marchande & une Frégate de guerre du Roi. Nous n’avons aucunes marchandées à commercer; & nous ne fommes venus que pour prendre des ra« fraî- H I S T O R I QJJ E, 2 -7f fraîchiffemens , attendre la Fregate le Sphinx, dont nous nous fournies féparés, &! à laquelle nous avons donné rendez- vous dans Rio de la Plata. — Dès que vous me répondez que Ton ne débarque¬ ra pas de marchandifes ; vous êtes maître de venir à terre & d’y envoyer toutes les fois que vous voudrez. Mais l’ufage éta¬ bli fût les loix, étant d’envoyer un Sol¬ dat ou Garde partout où les canots met¬ tent à terre, ne trouvez pas mauvais, je vous prie, que je m’y conforme: ceft pour votre tranquillité & pour la mien¬ ne y car je ne veux pas que ma Courait rien à me reprocher. D’ailleurs vous pouvez compter fur moi pour tout ce qui vous fera plaifir; car, indépendam¬ ment des ordres que j’ai de traiter les François avec les mêmes égards que les Elpagnols, j’y luis porté d’inclination. Ainli de part & d’autre on adoucit le ton: les Dragons eurent ordre de fe pré- fenter au canot & i’çxécuterent. Mr. le Gouverneur pria enlûite Mr. de Bougainville de lui permettre de pren¬ dre copie des ordres que le Roi de Fran¬ ce lui avoit donnés pour le Commande¬ ment de nos deuxFrégates ; parce qu’il étoit S 4 obli- 2S0 : JOURNAL obligé de Y envoyer à la Cour d’ Elpagne, avec le procès-verbal de notre mouillage. Mr. de Bougainville l’accorda très -volon¬ tiers: le refte de la conférence fe tint fur le ton de bienveillance, & Ton fe quitta bons amis. . . ; ■***,.' \ ? V Le Gouverneur avoit plus d’une raifon d’agir ainfi: il nous en dit quelques unes ; les autres ne furent pas difficiles à deviner. Don Jofeph- Joachim de Viana (ceft le nom de ce Gouverneur) âgé àftuellement, en 1763? d’environ quarante huit ans, Chevalier de Calatrave , Brigadier des Ar¬ mées de Sa Majefté Catholique, fut chargé par le Roi d’Efpagne, du commandement des troupes envoyées au Paraguay contre les Indiens, qui à l’inftigation, dit -on, des Peres Jéfuites, dominans dans le Pays, s’étoient révoltés, & refufoient de fe fou- mettre aux arrangemens pris par les Cours d’Efpagne & de Portugal, pour fixer les limites de leurs poffeflions ref- peftives. Don de Viana réuffit très-bien, & toutes fes opérations eurent un heu¬ reux fuccès, malgré les obftacles de tou¬ tes efpeces que lui oppoferent les Jéfui¬ tes. Ce n’étoit pas le moyen d’acquérir HJ S T;Q R I Q.U E. r2gi leur bienveillance: il fqavoit qu’il ne les avoit pas pour amis. Ils ont à Monte video un Hofpice, où ils ne font que deux Prêtres & un Fre- re Lai, qui, ainfi que leurs affidés, ont toujours les yeux ouverts, pour épier ce qui fe paffe , Si éclairer la conduite du ■ Gouverneur' dè cette ville. Celui de Buenos -ayres, qui eft Gouverneur géné¬ ral du Paraguay, favorife en tout les Pc- res Jéfuites, & ne le fait pas de fcrupule d’être leur efcîave, pour fervir d’inftru- ment à leur vengeance. Informés de la ïïiélinteîligence qu’ils ont peut-être fus- * citée entre ces deux Gouverneurs, ces Pe- res ne manqueraient pas d’informer celui de Buenos -ayres des démarches répré- henfibles de Don de Viana, s’il étoit capable d5en faire: il en eft très-perfua- dé. Homme eftimable par toutes fortes d’endroits; homme d’efprit, plein de con- noiffances dans l’art militaire; rempli de probité; n ayant rien de la hauteur que l’on reproche quelquefois aux Efpagnols, il s’efb acquis Feftime & la confidération de tous ceux qui le connoifî’ent. 11 n’y a quune voix fur fon compte, à laque!- 5 r le JOURNAL ]e les Jéfuites mêmes applaudiflènt, au moins en public. Ces Peres font plus de foixante dans leur Maifon de Buenos -ayres, que Ton affiire très -belle. L’hofpice de Monte¬ video neft qu’une petite Maifon, fans apparence, diftinguée de celles des autres Habitans, par une petite clo¬ che, placée dans une arcade de trois pieds ou environ de hauteur, élevée fur un des bouts du comble de la Maifon. Je n’en ai pas vu l’intérieur, quoique ces Peres m’ayent fait folliciter deux ou trois fois d’aller les voir. Le Provençal, dont j’ai parlé, m’en fit la première propor¬ tion chez Mr. le Gouverneur, & j’y donnai les mains; je promis d’y aller le lendemain, ou quelques jours après. Un Officier Efpagnol qui étoit préfent, en avertit Mr. de Bougainville, & lui repré- fenta qu’il ne convenoit pas que des François allaffent voir les Jefuites, après ce qui étoit arrivé depuis peu à Buenos- ayrès. Il raconta le fait à Mr. de Bou¬ gainville, & m’ayant enfuite pris à part: Vous êtes bon François, me dit -il, & vous venez de promettre d’aller voir les Peres Jefuites ! Vous n’y irez pas, ou vous re- HISTORIQUE, m renoncerez au nom François. Depuis environ fïx femaines , un Jefuite prêchant à Buenos -ayres, moi préfent, s’eft répan¬ du en inventives contre le Roy de Fran¬ ce, (*} contre celui de Portugal, la Répu¬ blique de Genes & les autres Puiflances qui ont malmené la Société : après un trait femblable, irez -vous voir les Jéfuites? Vous ne feriez pas plaifir à Mr. le Gou¬ verneur. Cette derniere phrafe me fie foupçonner quelque partialité dans lejdiC cours de P Officier: je fufpendis mon ju¬ gement. En Portant de chez le Gouver¬ neur, Mr. de Bougainville me raconta la chofe d après le même Officier; je lui pro¬ mis de ne pas aller aux Jéfuites, & j’ai tenu parole. Deux jours après j’eus occafion d’éclair¬ cir la vérité. Je m’en informai de deux Officiers Fipagnols, qui parloient bien la langue françoife , & qui dévoient s’em¬ barquer fur la Frégate la Ste Barbe, pour retourner en Efpagne. L’un étoit Colo¬ nel, l’autre Capitaine. Celui-ci fe nom- moit Simonetù Ils me confirmèrent le fait (*) Les inve£Hve$ qu’il dit du Roi de France en . particulier font fi indécentes qu’il vaut nuemi les taire que de les rapporter. J O U R N A L "fait fucceffivement , & ajoutèrent, que comme le Gouverneur général protégé ûbfolument les Jéfuites, il n’a tenu aucun ‘ compte de ce Sermon téméraire & imper¬ tinent; mais que des perfonnes de diftine- 'tion, de probité reconnue & titrées, en ont -fait dreffer un procès verbal, qu’elles ont •envoyé à la Cour d’Efpagne: qu’eux- •mêmes Officiers étoient chargés d’en por¬ ter un double à la même Cour. O Deux t * . (*) Ces deux Offiders font partis de Monte-video le même jour que r>ous. La Frégate fur laquel¬ le ils font, eft commandée par Don Pedre de Flo¬ res, & chargée de 15 à i^oqooo piaftres, de ) ' v quarante & tant de mille cuirs de Taureaux de de beaucoup d’autres Marchandifes; Elle étoit partie de Cadix en 1755 pour la Guinée, ar¬ mée pour le compte des Anglois, & devoit tranfporter des Nègre# à Buenos -ayres; mais n’ayant pas trouvé au Cap verd le Navire An¬ glois, qui devoit les lui fournir, Don Pedre de Flores continua fa route & fe rendit à Rio de la Plata. Il y étoit refté depuis ce tems-là, ou à Monte-video , pour ne pas courir les rifques d’ê¬ tre pris par les Anglois pendant la guerre derniè¬ re, étant chargé pour l’Efpagne. Sur les obfer- vations qu’il avoit recueillies pour faire la Carte * de cette riviere, & fur nos propres obfervations 1 "été rédigée la Carte qui forme la Planche V. H I S T O R I (TU E. 28t Deux ou trois jours après cette con- ; verfation, je fus voir un Eccléfiaftique, Aumônier d’une Frégate Efpagnole moti- illée dans le Port de Buenos -ayres depuis cinq mois j je le fçavois très porté pour les Jèfuites. On difoit même affez haute¬ ment qu’il étoit envoyé d’eux à Monte-' video, pour acheter tout ce qu’il pour-» roit des pacotilles qui fe trouveroient fur notre Frégate. Il fit en effet emplette de tout ce qu’on voulut lui vendre. : : Après le premier falut, il me deman¬ da pourquoi je n’avois pas été voir les1 Peres Jèfuites, qui m’en avoient fait prier ; & à qui je Pavois promis. Il eft vrai,' je Pavois /promis, lui dis- je ; mais on - m’a affûté qu’un de ces Peres a, depuis l peu, très - mal parlé du Roy de France mon Maître, dans un Sermon qu’il a pré- r ché à Buenos -ayres; & fi ce fait eft vrai, il; ne convient pas à un bon François i comme moi, daller voir les' confrères d un ’ Prédicateur téméraire. Vous étiez* fans * doute à ce Sermon, ajoutai -je; j’y étois; il eft vrai que ce Pere ménagea peu fes termes. — Que- dk -il donc en particu¬ lier du Roi de France? — Qu’il un ; tyran, un perfécuteur de PEglife & plu- fieurs 286 JOURNAL fleurs autres choies. Mais il faut leuf pardonner : c1 cft 1 effet du reffentiment qu’ont ces Peres de leur expullion de France. À peine eût -il fini que deux des trois Jêfuites de Monte-video entrèrent dans la chambre où nous étions l’Abbé, Mr. Mau- clair notre chirurgien «3c moi. Après nous avoir falués> un des deux Jêfuites m’adrel- fa la parole, difant qu’il étoit charmé de me voir; que fur ce que Jofeph (celt le nom du Provençal dont j’ai parlé) lut avoit dit, lui & fes confrères m’avoient attendu deux jours* U me demanda en- flûte pourquoi je n’avois pas tenu ma promeffe : )’ en ai dit la ration à Mr. l’Abbé, lui répondis -je, & il pourra vous la dire. — oh! je n’en fuis pas furpris; je fçai que les Bénédictins ne penfent pas bien, & qu’ils ne font pas de nos amis- — Vous vous trompez, lui dis- ie; s’ils ne penfoient pas bien, ils fe* rôta de TO amis. Ma réponfe ne fut pas de fon goût; il n’ajouta pas un mot; nous fit la révérence, & fe retira avec fon Compagnon. Same* y( ' * £ ' * HISTORIQUE» 287 » • Samedi 31. Entre les quatre & cinq heures du foir, nous ayons eu connoiftance dun Navire. On a d’abord jugé , à jla route qu’il faifoit, qu’il alloit à Buenos Ayres. Mais, comme nous attendions de jour à autre la corvette le Sphinx , à laquelle le rendez-vous étoit donné à Rio de la Plata, plufieurs ont foutenu que c’étoit elle. A mefure qu’il s’eft avancé, on l’a obfèrvé de plus en plus, & Ton s’eft confirmé dans cette idée au point de croire en être afluré. Mal¬ gré rincertimde, Mr* de Bougainville a expédié la chaloupe avec les Srs. Donac Sc le Roi Lieutenans pour la piloter. On sft || convenu avec eux des fignaux ,* on eur a donné des fufées & de la poudre pour les exécuter, & ils font partis fur ies ept heures. La nuit eft devenue noire, ' es vents contraires, la Mer un peu gro£ e, de maniéré que n’ayant pas apperçu ; eurs fignaux , ils nous ont jettés dans de l grandes inquiétudes. Le Sphinx nous tvoit reconnu aux fignaux convenus, & pour] ne pas nous perdre de vûe, il ne iaifoit que louvoyer, & faire des bor- lées, ce qui, joint à robfcurité, empê- ‘ :hoit .notre chaloupe de l’aborder. Elfe . . j _ _ _ _ . 588: JOURNAL • y parvint à minuit. Alors le Sphinx mouil-' la; & ayant appareillé le lendemain î Janvier qfy. Nous l’avons vu mouiller auprès de nous j fur les neuf heures du matin. On peut juger de la joye que fa préfence nous a caufé -, après deux mois & plus de féparation. On âvojt prévenu Mr. de la Giraudais de l’erreur des Cartes fur le gifïement dés côtes du Brefil; mais quoi¬ que nous fuffions fur nos gai des , peu s en étoit fallu que nous n’euffions échoué fur; le banc qui n’efl; pas marqué fur les Car¬ tes Frant;oifes. Ce banc fë trouvoit fur' la route, comme il s’étoit rencontré fur’ l4 noue: les Àbrolhos n’ont pas auffifitr les Cartes toute l’étendue quelles ont en effet ; tout cela nous fourniffoit de grands motifs d’être inquiets du retard dé fon arrivée, furtout après le féjour que nous avions fait à l’ lie Sainte Catherine. Sitôt que le Sphinx eût moüillé , Mr. de la Giraudais vint à notre bord dans notre Chaloupe, & nous dit, qu il a voit ère contraint de relâcher à Tçgny , fur la Côte .du Brefil, parce que, malgré Ja’ dé¬ fiance qu’ils avoient eu des Cartes, ils avoient touché aux Abroîhos”dans le fems H I S T O R I QUE. 289 qü5ils ' penfoient en être encore éloignés au moins de trente lieues. Ils fe trouve-- rent .defliis au milieu de la nuit, heureufè- ment dans un tems calme, de la roche fur la¬ quelle ils. toncheren t, etoit de pierre pourrie. Le Sphinx s étant arrête fur cette ro¬ che, pour éviter les fuites malheureufes du naufrage, ils montèrent à la hâte le Latteau de peche qu ils avoient, mirent à la mer la chaloupe de le canot,* & après avoir bien vifité le Navire, ils revinrent un peu de leur inquiétude, lorsqu’ils vi¬ rent qu’il n etoit pas endommagé. Autre embarras. Il falloit tirer le Sphinx de deffus cette roche: des que le jour pa^ rut, ils fe virent environnés de fembla- blàbles écueils; de à un demi- quart de lieue un Navire fans mât, de fur le côté. Jugeant alors qu’étant fur les Abrolhos, ils n étoient pas beaucoup éloignés de terre, Mr. de la Giraudais expédia le bat- teau vers la côte, pour avoir du fecours* Ils rencontrèrent plufieurs pirogues de pêcheurs Negres de Indiens. On leur parla la-langue Fortugaife, de fix d’entre eux confèntirent d’ aller à bord du Sphinx, où on les traitta bien. Us promirent tous les fecours qui étoient en leur pouvoir. T On *9° 3 O U R N AL ' Gn en garda deux, & l’on renvoya le? quatre autres dans le bateau,^ pour cher¬ cher leurs camarades de la Côte. Le len¬ demain ils revinrent accompagnés d’un nombre de pirogues. Avec leur lecours on vint à bout de dégager le Sphinx de deffus la roche, après qu’elle s’y fut re- pofée trois jours de fes fatigues. Mr. de la Giraudais en fut quitte pour le bateau de pêche, qui fe perdit. Ces Negres le pilotèrent jufquà Tog7iyy où, pendant lix jours, les habitans le traitèrent &fon équi¬ page avec toute l’humanité polnble, oc comme s’ils av oient été du pays -meme: ces habitans font cependant presque tous Negres ou Brefiliens. Après cette entrevûë, nous avons été à Monte-video faire au Gouverneur notre compliment fur la nouvelle année, ne f⬠chant pas que cette cérémonie ^eft ren¬ voyée, dans ce pays -là, au fixieme du mois, jour de l’Epiphanie. Il étoit occu¬ pé à tenir l’affemblée pour la nomination des Officiers de la Juftice. Ayant appris qu’après cette nomination, il devoit aller, avec tout le cortege, àl’Eglife paroiffiale, qu’ils nomment la Cathédrale , nous nous y fommes rendus, & nous l’avçns attendu J “ une H I S T O R I QU E api une bonne heure, debout, à l’ombre du¬ ne maifon, en caulànt avec une dixaine d’Officiers de la Garnilbn. A midi & de¬ mi il a paru au milieu des nouveaux Of¬ ficiers de la Juftice, ayant tous de grandes baguettes blanches à la main, dont iis fe fervoient comme de bâtons, pour sap, puyer en marchant. Il a traverfé la pla¬ ce qui eft vafte, au milieu de ces Offi¬ ciers, rangés fur une même ligne, ayant leur grand manteau noir & leur Rotin; comme l’Oidor de file Ste. Catherine. Nous fommes entrés dans l’Eglife après eux. Le Curé, que l’on nomme le Sigmr Fïcari, a dit la mefle; à la fin de laquelle nous avons falué le Gouverneur, qui nous a invité à dîner chez lui. Comme nous lui avions donné parole pour le dîner prié du lendemain , Mr. de Bougainville n’a pas accepté fes offres gracieufes, & s’elt ren* du à bord avec Mr. de Ner ville. Pour moi je reliai , comptant bien dîner chez le Signor Vicaire; Mr. Duclos notre Capitaine m’ayant dit la veille, que je ferois un vrai plaifir à ce Curé, & qu’ils en avoient parlé. Après avoir falué le Gouver¬ neur, je fus joindre le Vicaire à la Sacriffie, & je ne lui parlai pas du dîner. Nous forti- T % mes 29S JOURNAL - mes de l’Eglife avec les deux Officiers Efpagnols qui doivent s'embarquer fur la Ste. Barbe; nous raccompagnâmes un bout de chemin , fans aucune invitation à dîner chez lui; & je n’eus garde de m’inviter » _ _ G- nom- pliqua-t-il, aller avec Mr. le Colonel, dî¬ ner chez Mr. le Gouverneur. Comme je faifois beaucoup de difficultés , n’étant pas aflez connu pour me préfenter ainfi : Vous avez beau dire, vous y viendrez, me dit le Colonel, en me prenant par la main; je fçai que Mr. le Gouverneur m’en fçaura gré; & je fuis affûté qu’il vous en voudrait de m’avoir refufé. J’acquiefçai donc & j’y reçus en effet toutes fortes de demonf trations de politeffes & de bienveillance de la part du Gouverneur & de fon Epou- fe. Il parle le François allez .bien pour, le faire entendre; Ion Epoufe l’entend^ fans fçavoir ou plutôt fans ofer le parler. Mais fon Mari & le Colonel lui fervoiçnt dJ In¬ terprète. Elle eft Bifcayenne, de grande, HISTORIQUE. 293 -J tàflîe , bien faite, brune, mais ayant les traits trop mâles, d’ailleurs beaucoup def- prit & de vivacité, âgée de trente quatre à trente cinq ans. 2 Janvier, Dès' les' onze heures du lendemain lundi, Mr. de’ Bougainville, Mrs. deNer ville, de Belcourt , L’huillier, les deux Du clos frères, premier 6c fécond Capitaine, Donat premier Lieutenant,) de St. Simon, Ca¬ nadien, Lieutenant d’infanterie, de la Gy- raudais, Capitaine du Sphinx 6c moi, nous fbmm.es rendus chez le Gouverneur, où l’on nous a fervi un dîner aufli fplendide que le pays le permet; mais les mets y étoient apprêtés fuivant l’ufàge, c’eft-à-dire, là plupart avec de la graiffede bœufrafinée, qui leur tient lieu de beurre 6c d’huile; 6c afîàifbnnéde tant de piment, 6c de cartha- me que les viandes en font toutes couver¬ tes. On avoit cependant eu foin de ne pas mettre de ces épices fur tous les mets: aufli pkifîeurs ne mangèrent que de ces derniers. Les vins d’Efpagne 6c du Chili furent les fèuls préfèntés; les plats 6c les aflîettes étoient d^ârgent, il y en avoit aufli de porcelaine.. Une nappe très - courte cou- vroit la table, 6c les ferviettes étoient un T 3 peu m t ournal peu plus petites que des mouchoirs mé¬ diocres , frangées naturellement , ou pour parler plus correélement , effilées par les deux bouts. On y fervoit plat à plaé Lorfque Pon demandoit à boire, il falloir dire fi Pon vouloit de Peau ou du vin, ou les deux enfemble; parce que les Ef- pagnols ne boivent ordinairement que de Peau pendant le repas, à la fin duquel on apporte à chacun un grand verre de vin, fans même qu’on le demande. Quand on demandoit de 1 eau & du. vin* on les apportoit P un après 1 autre & il falloit les boire féparément* Le vin dit Chili a la couleur d’une médecine à la rhubarbe & au féné; fon goût en ap¬ proche affez. Il prend ce 'goût peut- être un peu du terroir, peut-être mifli des peaux de bouc gaudronnées dans les¬ quelles on le tranfporte. On n’en boit gueres d’autres dans tout le Paraguay. Ort fe fait bientôt à ce goût - là; & quelques jours après en avoir fait ordinaire, on? le trouve bon. ïl eft très - chaud fur Peftomach. Mais foit goût, foit fantaific* les Efpagnols préferoient celui de France que nous y avions porté. Le deffert n é- toit compofé que de confitures* Le pain, i; quoi- c H I S T O R I QjLJ E. 295 quoique fait d’excellente farine, n’étoit pas bon, parce qu’il eft mal levé & mal paitri: ils ne fç-avent pas le mieux bou¬ langer. Sur le fbir, Mr. de Belcoiirt, qui âvôit pris un logement dans la vilîè, fe trouva dans la compagnie d’un homme â lui inconnu, peut-être déguifé, & qui par- loit un françois - gafcon. Sufcité vraifem- blablement par les Jèfùites, qui s’étoient déjà informés des gens de nos Frégates dé la réputation militaire de Mr. de Bèlcôurt, cet homme lui propofa d’aller fervir au Paraguay, pour y former les Troupes. Afin de l’y déterminer, il lui promit dé la part des Jéfuites, les plus grands avantages. Mr. de Belcourt feignit d’y donner les mains, fans cependant s’engager en rien; & dès le lendemain, il eti fit part à Mr. de Bougainville. Celui-ci répondit que la politique, pourroit y trou¬ ver fon avantage : que s’il vouloir, par cette rnême politique fe facrifier pour le bien de l’Etat, il ferèit peut-être à prôpos d’é¬ couter ces propofitions. Mr. de Belcolut lui dit alors, qu’en cas qu’il prît ce par¬ ti, il faudroit que lui Mr. de Bougain¬ ville lui donnât un Certificat^ comme il V T 4 ny 2 96 :1 JOUR N A L n’y alloit que de fon confentement, & pour le bien préfumé de l’Etat. Le lendemain, le même inconnu re- nouvella à Mr. de Belcourt les mêmes proportions avec plus d’inftance, lui di- fant de fe déterminer promptement: qu’il ne devoit pas s’inquiéter de prendre fes hardes, ni autres chofes ; qu’on lui four* niroit tout ce qui lui étoit néceflaire; & que, pour que le Gouvernement Efpa- gnol n’en eût aucune connoiffance, on l’y conduïroit par des chemins inconnus aux Efpagnols, jufqu’au lieu où on Yéi tabliroit. Mr. de Belcourt lui demanda quels étoient le lieu & les avantages pro- pofés; mais l’inconnu n’ayant rien voulu déterminer & même pour mieux cacher fon jeu fans doute, lui ayant parlé iitr un ton peu favorable aux Jéfuites, Mr. de Belcourt lui déclara qu’il ne fe ren- doit pas à fes follicitations. Mais, com¬ me il àvoit à craindre le retour, il fe te¬ ndit fur fes gardes. Le foir-même, entre chien & loup, il fe trouva tellement fer¬ ré de près par trois hommes, qu’il fe crut obligé de tirer fon épee, & de la porter hors du fourreau, pour fe faire > pMTage, s’ils l’avoient entouré; ce qu’ils : HIS TORI au E. 297 ne firent pas. Il m’a raconté tout cela lui-même, & je l’ai donné ici de fon corn lentement. Vers les huit heures du foir, Mr. Mauclair , premier Chirurgien de notre Frégate, vint me dire qu’après avoir con- folté avec Mr. Baslé fécond Chirurgien & Mr. Frontgouffe Chirurgien du Sphinx, fur l’état aftuel du Matelot bleffé en tour¬ nant lé cabeftan pendant la tempête dont j’ai parlé, ils convenoient que fon mal empirait beaucoup , & que le malade de- mandoit lui - même à fe confeffer. Je defeendis for le champ, & le trouvant en effet très -mal, je l’écoutai en confeffion. Une heure après il perdit connoiffance ; fur les dix heures je lui adminiftrai l’ex¬ trême onftion, & à onze heures il tré- paffa. : . , . . . . Mardi 3. - ' * Le Mardi matin, après avoir averti le Vicaire, nous tranfportames le corps du Défunt dans le Canot. On le mit en dépôt au Corps de garde du Port, en attendant que le Vicaire vint le chercher. Il s’y rendit une heure après avec fon Sacrifiant. A fon arrivée, je lui T s fis . m jÔÜRNAL fis un compliment èn latin , auquel il hè répondit que par un De profundis. Il avoit un furplis à la Romaine, & une Etole; fon Sacriftain, féculier, avoit un jupon noir qui lui fervoit de fbutanne, & un furplis très - malpropre. Mr. Ducîos Guyot, fon frere Alexandre, fes deux fils, fix Matelots & moi fuivimes le convoi. A chaque détour le Signor Vicaire chanta * r U • /^ a 1 un Répond & une Oraifon, oc chanta une Méfié des Morts. Il* fit à ce Mate¬ lot rous les honneurs qu’il auroit pii faire au* Capitaine même, & le fit inhu¬ mer dans TEglife. L’Office fini, il nous donna à dîner, Ôt ne voulut prendre au¬ cune rétribution. Après dîner, j’ai été me prorpener au fond de Tanfe qui forme le Port, où nos gens faifoient de l’eau. J’ai parcou-. ru la côte 6c le terrain dans Pcfpérance d’y trouver quelques plantes, ou quel¬ ques coquillages curieux ; mais en vain. Je n’en ai rencontré qu’une feule dans fa maturité; la tige qui a huit à dix pou¬ ces de hauteur, & les feuilles font revê¬ tues d’un duvet blanc & court , fi ferré & fi épais qu’il dérobe la verdure à l’oeib J’én ignore le* nom & les propriétés, , a -k A deux H LS T O R I QtV E- A deux portées de fufil ou environ de l’Anfe ou Baye, font deux fontaines. Les gens du pays lavent leur linge à Kflufe de celle qui eft là plus près de la riviere. Il eft défendu de laver dans l’autre ; parce que c’eft celle où l’on va puifer l’eau que l’on boit dans la Ville* qui en eft éloigné d’une demi - lieuë. Cette fontaine eft bordee d un petit mur de pierres feches , de très -mal entretenir quoiqu’aux frais du Roy; tant les habi- tans font pareffeux , de peu loucieux de qui les touche même de plus près. ' Là, pafiânt devant cette fontaine, Je Vis trois bù quatre Mulâtres , qui y avoient amené des pierres fur une charette, at¬ telée de quatre gros taureaùx, de trois autres qui cbargeoient de 1 eait dans un tonneau , pour porter à la Ville. ^ Une Indienne ou Mulâtreffe de une Negrene s’étant approchées âufîi pour puifer de l’eau , un des Mulâtres, qui avoit tout l’air d’un' Indien Hifpanifé, prit la Né* greffe par la main, de tous deux fè mi¬ rent à danfer, pendant un gros quart* d’heure, la danfe nommée Calenda . Les Voyageurs en parlent beaucoup dans leurs Relations;, flsi tféxagerent pas quand $oo J O U R N A L ' quand ils difent que, fuivant nos mœurs, elle eft la plus lubrique de toutes les danfes. On croit qu’elle a été portée en Amé¬ rique par les Negres du Royaume d’Ar- da fur la côte de Guinée. Les Elpagnols la danfènt comme eux, dans tous leurs établiflemens de l’Amérique, fans s’en Faire le moindre fcrupule. Elle eil ce¬ pendant d’une indécence qui étonne ceux qui ne la voyent pas danfer habituelle¬ ment. Le goût en efl fi général 8c fi vif, que les enfans mêmes, dès qu’ils peuvent fe foutenir fur leurs piés, imi¬ tent en cela les perfonnes les plus avan¬ cées en âge. Elle fe danle au fon des inftrumens & de la voix, à deux ou plufieurs per¬ fonnes enfemble. Ils font dilpofés fur deux lignes, Tune devant l’autre, les hom¬ mes vis à vis des femmes. Ceux qui fe lalfent 8c les fpeélateurs font un cer¬ cle autour des danleurs 3c des joueurs d’in (Iranien s. Quelqu’un des A fleurs chante une chanfon, dont le refrein efl: répété par les fpeclateurs, avec des bat* temens de mains. Tous les Danfèurs tiennent les bras à demi levés, fautent, . L:. * > tour- ■Bl H I S T O R I au E. 30Î tournént, font des contorfîons du derriè¬ re, s’approchent à deux pies ou environ les uns des autres, & reculent en caden¬ ce, jufqu à ce que le fon de Finftrumenr, ou le ton de la voix, les avertifle de fe rapprocher. Alors ils fe frappent du ventre les uns contre les autres deux ou trois fois de fuite, & s’éloignent après en pirouettant, pour recommencer le mê¬ me mouvement, avec des gçftes tout ; à fait lacifs, autant de fois que le fbn de l’inftrument ou de la voix en donne le ligne. De tems en tems ils sentrelalfent lés bras, & font deux ou trois tours, en continuant de fe frapper du ventre, & fe donnant des baifers, fans perdre aucunement la cadence. On peut juger combien notre éduca¬ tion françoife feroit étonnée, & combien la pudeur eft bîeffée par cette danfe. Cependant les Rélauons de Voyages nous affurent qu’elle a tant de charmes pour les Efpagnois même de l’Amérique, & que Pufage en eft fi bien établi parmi eux j, "qù’éllé entre jufques dans leurs actes de dévotion: qu’ils la danfent dans FE-* glife & dans leurs Proceffions: que les Reiigieufes mêmes ne manquent guerés; de $0% JOUR N A L de la danfer la nuit de Noël, fur ud Théâtre élevé dans leur Chœur, vis-à-vis de la grille, qu’elles tiennent ouverte, pour faire part du fpectacle au peuple; mais elles n admettent point d’hommes pour danfèr avec elles. 4 Janvier. Le Mécredi, pendant que Mrs. de Bou¬ gainville & de Ner ville étoient allés chez Mr. le Gouverneur, l’inviter à dîner à bord de notre Frégate, pour le Diman¬ che fuivant, j’ai été voir un Officier, nommé Eeliay qui avoit été élevé en France, dans notre College Royal dç Pontlevoy , près de Blois. 11 m’avoit pro¬ mis quelques plantes curieufes, ou médi¬ cinales du pays, & quelques morceaux d’hiftoire naturelle. Quant à ce dernier article, il n’avoit rien qui méritât l’attem tion; mais j’y trouvai les plantes don; je vais donner la defcription; fon beau- frere, & lui, m’en dirent les noms, les propriétés & l’ulage. L’une nommée Méona, reffemble beau coup à du ferpolet; mais la feuille en cft ronde & d’un verd moins brun ; la ti¬ ge rouge , rampante, ■ prenant racine à cha- chaque noeud, donnant un lait blanc* comme le tithymale. La graine vient dans une gonfle fpirale , hériflqe j cette goufie ne contient quune graine jaunâtre, qui ci presque la forme d’un rein. Elle jette de là racine beaucoup de tiges branchues, qui fe répandent en rond fur la terre, com¬ me celles de la Renouée. Prife en infufion comme le Thé , elle guérit , difoient - ils» k rétention d'urine, comme par miracle. t Ebreno, ou Mio-mio, eft une plante, dont la tige eft prefque rampante, & ne: s’élève gueres que d’un demi pié. La- feuille eft plus menue que celle du fe¬ nouil; une très petite fleur herbeufe, ve¬ nant en bouquets, à peu près en ombel¬ le; la racine eft rouflatre en dehors, ayant, ainli que la plante, le goût de panais aro- matifé. Elle fe prend en infulion contre, les fluxions & les rhûmes. Je la croi- rois une elpece de Meum. Mots a la tige haute d’environ pied & demi, droite, ronde, branchue, & velue d’un gris un peu rougeâtre. Les feuilles font longues d’un pouce à yn pouce & un quart, larges feulement de trois à quatre lignes, d’un verd blan¬ châtre. velues comme la tige. Les fleurs * 1 w- « . .. * \ V > 304 JOURNAL } ; .... * ' naiffent une à une le long- des branches, compofées d’une feule feuille jaune, décou¬ pée en quatre, prefque fans odeur. Il leur fuccede une gouffe ou filique, delà grof- feur d’une plume de coq, longue d’un pouce, qui s’ouvre en quatre parties, lorsqu’elle féche, & biffe tomber des femences très -menues, pointues par les deux bouts, de couleur d’un gris brun. On la dit admirable pour les bleffures, les playes vieilles & récentes, appliquée feulement deffus. Monfieur Simoneti m’a dit qu après fix mois de traitement par les Médecins ' f j ' H I ST O R I Q^U E. sif üir nous. Nous imaginâmes alors que, fbupçonnant notre embarras, Mr. Duclos avoit envoyé la chaloupe au devant de nous. Nous le hélâmes ; point de réponfè. Mais la mer le p or toit fur nous avec tant de viteffe, que nous reconnûmes bientôt notre petit canot à la merci des vagues, & perfonne dedans. L’envie de le fau- ver nous fit changer notre route; nous fumes à fa rencontre, nous le joignimes, jettames deux hommes dedans avec des rames & un grapin, 6c nous nous difpofà- mes à reprendre notre route. Il pouvoir être alors huit heures & demie. Nos ef¬ forts furent inutiles contre la marée, la violence des vagues & du vent. Dans l’intervalle que nous avions jetté les deux hommes 6c les avirons dans le canot, nous avions dérivé plus de trois quarts de lieue, du côté de file au François, fituée tout près de la côte, prefque à l’oppofite de la Citadelle. L’obfcurité nous empêchoit de diftinguer la Terre, 8c à peine diftinguions-nous les fa¬ naux que l’onavoit mis à nos deux Frégates. V « v • . • , . i Voyant donc que nous nous en éloi¬ gnions de plus en plus au lieu d’en appro¬ cher, on îe détermina à porter fur la Ter¬ re, & l’on gouverna du côté où Ton pré- ftuna ?i6 . J O U R N A U II fuma que la Ville poùvoit être, car on ne jugeoit de fa fituation que pai^ deux lumières très éloignées Tune de 1 autre. Les lames qui venoient fe brifer contie le canot, y avoient déjà mis beaucoup deau, que nous jettions avec nos chapeaux, inondés & mouillés jusqu’à la peau, les Canotiers très fatigués ; Mr. de la Gyrau- dais, après avoir ramé près d’une heure, à voit pris le Gouvernail; nous ne fça- vions où nous étions ; <3c nous n avions pas d’eau de vie pour donner des forces & du courage. Dans cet embarras on penfa qu’il n’y avoit rien de mieux à faire que de laiffer tomber le grapin, pour donner aux Canotiers le tems de fe repofér. J endofïai alors une Redingotte que je trouvai fous ma main, 8c l’on donna les pavois aux Canotiers, pour s’en couvrir, & fc mettre M abri, non des vagues, puisque nous ne pouvions guere être plus mouillés que nous 1 étions; mais du vent qui nous échauffoit fi peu, que nous nous ferrions de près pour n’a- voir pas fi froid. Nous étions presque déterminés à paffer la nuit dans cet état; lorsque Mr. de la Gyraudais crut s apper- cevoir que nous ehafîions fur notre gra- HISTORIQUE. Bif pin. Il dit au Maître Canotier de met¬ tre la main fur Phanfiere, pour juger par le trémouffement , fi nous chaflions en effet. Le Maître Canotier penfa d’abord que le mouvement qu’il fentoit étoit l’effet desfècouflesque le canot recevoir des lames; mais bientôt après il reconnut fon erreur, & en avertit. On lui dit de fonder avec la Gaf¬ fe; il le fit; &ne trouva que trois piés d’eau, fond de roches dont toute la côte eft bor¬ dée, même affez avant dans la rivière. On borda les avirons, on leva le gra- pin & Ion nagea près d’un grand quart- d’ heure, toujours en fondant, &; toujours même fond. Enfin il fe préfenta un fond de vafe , & fèpt a huit pieds d eau. On alloit y mouiller, lorfque les Canotiers prévoyant qu’ils ne trouveroient pas la dequoi fouper, dirent que, puisqu’ils étoient en train , il falloir continuer & al¬ ler coucher à terre. Charme de voir leut réfolution , on porta fur une lumière, qut Ton imagina être celle du Corps de Gai de, placé au feul Port où l’on peut defeendre. Un moment après, chacun jettant les yeux de tous côtés pour nous reconnoi- tre, nous entre vimes une Goelette, que nous fçavions n’être pas mouillée fort ait lar- 3i8 JOURNAL A large. La vue de ce Navire ranima le courage, & Ton fit tant d’efforts, qu’ en¬ viron une grande demi - heure après, nous abordâmes au Port. L’Officier de garde fe préfenta pour nous reconnoître. Un autre Officier avec notre Maître Ca¬ notier furent envoyés pour donner avis au Gouverneur de notre retour à la Ville; parce que nous n’avions pu gagner notre bord. 11 nous fit faire fon compliment de condoléance , de prier en même tems daller fouper & coucher chez lui. Dans la crainte de l’incommoder, tant à caufe de l’heure, car il étoit minuit; qu’à caufe du nombre ; & d’ailleurs mouil¬ lés & faits comme nous étions, nous penfames qu’il valloit mieux aller trouver un François nommé Lacombe , de St. Flour en Auvergne, établi à Buenos- Ay- res, mais qui avoit auffi une maifon à Monte -video, déjà connu de plufieurs de nos Officiers, dont il avoit acheté beaucoup de marchandifes. Un Soldat de la Garde, qui parloir François, of¬ frit de nous y conduire. Au lieu de nous mener à la maifon ou logeoit Mr. Lacom¬ be; il conduifit à celle d’un ami de ce François, où ce Soldat l’avoit vu bien H X S T O R I QU E. 319 des fois. Nous heurtâmes près d’un quart d’heure, fans aucune réponfe. On répondit enfin; on ouvrit, 8c nous y trouvâmes Mr. de Belcourt couché : c’étoit là où il a voit pris fon logement. Pen¬ dant que c’étoit un tour badin qu’on lui jouoit , il ne fit qu’en rire. Pour nous qui nen avions pas trop envie, nous de¬ mandâmes la maifon de Mr. Lacombes que l’on nous indiqua. Nous en pre¬ nions déjà le chemin, lorsque nous ren¬ contrâmes Mr. le Gouverneur, qui ve- noit nous engager lui -même à ne pas prendre gîte ailleurs que chez lui. Alors ne pouvant le refufer, après les politefi fes de part 8c d’autre, nous nous ache¬ minâmes au Gouvernement. A notre arrivée tout le monde étoit levé, 8c la nappe mife. Nous voyant tous très mouillés, on nous offrit du lin¬ ge 8c des habits. Ceux qui avoient pris des Redingotes de bonne heure, fans dou¬ te moins mouillés que moi, refuferent des habits mêmes. Sur les inftances réi¬ térées que me fit Madame la Gouvernan¬ te, de prendre au moins une robe de chambre, je l’acceptai. C’en étoit une des fiennes, que je trouvai tant de diffi¬ cultés 2 20 JOUR N ; A. L cultés à vêtir, que le Gouverneur m’en donna une à lui. On nous fervit un fou- per impromtu très léger. On caulà beau- coup fur l’avanture ; on finit par une taf- fe de chocolat 3 & comme il étoit près de deux heures, on fongea à nous pré¬ parer des lits. On mit coucher Mrs. de Bougainville & de Nerville dans une petite chambre de la cour 3 où il n’y avoit dauties meu¬ bles que deux chaifes & deux lits, l’un dans une efpece d’alcove, formée par la plus fimple cloifon de bois; 1 autre étoit un lit de camp placé dans l’angle oppofé. Nous les avions accompagnés dans cet appartement; & je^ comptois palfer la nuit dans quelque gîte fembla- ble, lorfqu’une Négreife me tira par le bras & me fit figne de la fuiyre. Elle jne ramena dans la falle de compagnie, où je trouvai Madame la Gouvernante Sc une Négreife occupées à rapprochei, & à accoller des tabourets de Damas cramoili , qui décoroient auparavant e fond de cette falle- Ignorant ce qu elle vouloir en faire, je parfois pendant cet intervalle, avec Mr. le Gouverneur. Elle nous interrompit, & m’adreffant la pa- rôle: HISTORIQUE. 3at rôle: C’efl: pour vous, dit -elle, que j’ar¬ range ce lit j vous coucherez auprès de nous, & vous ne ferez pas le plus mal. Après lui avoir témoigné combien j’étois fenlîble à fon attention & à là politelfe je fis tout ce que je pûs pour l’empêcher de continuer à y mettre la main ; je ne pus rien gagner fur fon efprit: elle con¬ tinua, difant qu’elle y trouvoit fon pîai- fir dont on tranC porte les feuilles au T ucuman , au Pérou & meme en Efpagne- Il fouffre difficile¬ ment le tranfport- On aflure même que cette herbe prife fur les lieux, a je ne fcais quelle amertume qu’elle n’a pas ailleurs , 8c qui augmente fa vertu comme fon prix. La maniéré de prendre le Caacuys eft de remplir un vafè d’eau bouillante, & d’y jetter la feuille en poudre , & ré¬ duite en pâte. A mefure quelle fe dif- fout, le peu de terre qui peut y être refié, fumage affez pour être écumée. On pafle enfuite l’eau dans un linge, 8c l’ayant laifTé un peu repofer , on la hume avec un chalumeau. Ordinairement on n’y met point de Sucre; mais on y mê¬ le un peu de jus de citron, ou certaines paftilles d’une odeur fort douce- Quand on la prend pour vomir, on y jette un peu plus d’eau, que l’on laifle tiédir.- H I S T O R I dÜ E. 329 La grande fabrique de cetre herbe eft à la Villa ou la nouvelle Vil!aricay qui eft voifine des Montagnes de Mara- cayu, limées à l’Orient du Paraguay; vers les 2 s degrés, 2 s minutes de latitu¬ de Auftruale. On vante ce Canton pour la culture de l’arbre, mais ce n’cft pas fur les montagnes, c’eft dans les fonds marécageux qui les féparent. On en tire pour le Pérou feulement jufqu’à cent mille Arrobes pefant chacu¬ ne vint -cinq livres de feize onces poids de marc, & le prix de FArrobe eft de fept écus, ou 28 de France, ce qui fait deux millions huit cent mille livres. Cependant le Caacuys n’a pas de prix fixe, & le Caamini fe vend le double du Caaguazu. A Monte -video, ce der¬ nier, pendant que nous y étions en re¬ lâche, fè vendoit vingt -cinq livres, ou cinq piaftres FArrobe. Mr. le Gouver¬ neur nous en procura une à ce prix. Les Indiens établis dans les Provinces d’Uraguay 8c de Parana, fous le gou¬ vernement des Jéfuites, ont femé des graines de l’arbre, qu'ils y ont tranfpor- tées de Maracayu, & qui n’ont prefque pas dégénéré. Elles reffemblent à celle X f du JOURNAL du Lierre. Mais ces Indiens ne font pas d’herbe de la première efpece; ils gardent le Caamini pour leur ufage, & ven¬ dent le Caaguazu, ou Palos, pour payer le tribut qu’ils doivent à l’Elpagne. Les Efpagnols croyent trouver dans cette herbe un remede, ou un prélerva- tif contre tous les maux. Tout le mon¬ de eft d’accord fur fa qualité apéntive & diurétique, mais je ne voudrais pas être garant pour les Jéfuites , de toutes les propriétés qu'ils lui attribuent. Je croirais que la plus avérée, celle qu’ils prônent cependant le moins, eft de leur procurer, tous les ans, une lomme in¬ croyable d’argent. On raconte que, dans les premiers tems, quelques uns en ayant ufé avec excès, elle leur caufa une aliénation tota¬ le des fens, dont ils ne revinrent que plulieurs jours après. Mais il parait cer¬ tain qu’elle produit fouvent des effets oppofés entre eux, tels que de piocurei le fommeil à ceux qui font fujets à l’in- fomnie, & de réveiller ceux qui tombent en léthargie; d’être nourrilfante & pur¬ gative. T’W. H I S T O R I au E. 331 L’habitude d en ufer la rend nécef faire, & fouvent même elle fait trouver de la peine à fe contenir dans un ufage modéré , puifqu’on allure que l’excès eny- vre , 8c caufe la plupart des incom¬ modités que l’on attribue aux liqueurs fortes* Suivant M, d’Ulloa > l’Herbe du Pa« raguay fe nomme Maté au Pérou. Pour la préparer, dit -il, on en met une cer¬ taine quantité dans une Calebafle, mon¬ tée en argent, que l’on nomme auffi Maté y ou Totumo , ou Calabacito. On jette dans ce vafe une portion de de lucre , 8c l’on verfe une portion d’eait froide fur le tout, afin que l’herbe en pâte fe détrempe: enfuite on remplit le vafe d’eau bouillante; 8c comme l’herbe eft fort menue, on boit par un tuyau allez grand (on nomme ce chalumeau Bombilla) polir laifler partage à l’eau, mais trop petit pour en laifler à l’herbe. A mefure que l’eau diminue, on la re¬ nouvelle, ajoutant toujours du lucre, juf qu’à ce que l’herbe celle de furnager. Alors on met une nouvelle doze d’herbe. Souvent on y mêle du jus de citron, ou d’orange amere* & des fleurs odorifé¬ rant 33* JOURNAL «•- rantes. Cette liqueur fe prend ordinaire¬ ment à jeun : cependant plufieurs en ufent auffi l’après-dîner. Il fe peut que l’ufa- ge en foit falutaire; mais la maniéré de la prendre cft extrêmement dégoûtante. Quelque nombreufe que foit une Com¬ pagnie, chacun boit par le même tuyau .ou Bombiîle, & tour à tour, faifant ainfi paffer le Moté de l’un à l’autre. Les Chapetons (Efpagnols Européens) ne font pas grand cas de cette boiübn; mais les Créoles en font paffionnément avides. Jamais ils ne voyagent fans une provi¬ sion d’herbe du Paraguay; & ne man¬ quent pas d’en prendre chaque jour, la préférant à toutes fortes d’alimens, & ne mangeant qu’aprcs l’avoir prife. 1 Quelques-uns, dit Frézier (Relat. du Voyage de la Mer de Sud, page 228) appellent l'herbe du Paraguay , Herbe de K$t. Barthelétni ; parce qu’ils prétendent que cet Apôtre a été dans ces Provinces, où il la rendit faîutaire & bienfaifante, de venimeufe quelle étoit auparavant. Au lieu d’en boire la teinture féparé- ment, connue nous bûvons celle du Thé, ils mettent l’herbe dans une coupe, faite d’une Caiebaffe, armée d’argent qu’irtè ap- ■ ■H H I S T O R I E. 533 appellent -Afr/të Us y ajoutent du lucre, & verfent deffus de l’eau chaude, qu’ils boivent auffitôt, fans lui donner le tems d’infufprj parce quelle noircit comme de l’encre. Pour ne pas boire l’herbe qui fumage, on fe fert d’un chalumeau d’ar¬ gent, au bout duquel eft une ampoule percée de plulieurs petits trous: ainli la liqueur que l’on fuce par l’autre bout, fè dégage entièrement de l’herbe. On boit à la ronde , avec le même chalumeau , en remettant de l’eau chaude fur la même herbe, à mefure que l’on boit. Au lieu de chalumeau ou Bomhilla , quelques uns écartent l’herbe avec une féparation d ar¬ gent, percée de petits trous. La répu¬ gnance que les François ont montrée de boire après toutes fortes de gens, dans un pays où les vérolés font en grand nombre, a fait inventer l’ufage des pe¬ tits chalumeaux de verre dont on com¬ mence à fe fervir à Lima. Cette liqueur, à mon goût, eft meilleure qu le Thé: elle a une odeur d’herbe aftez agréa oie. Les gens du pays y font fi accoûtumés qu’il n’eft pas jufques aux plus pau¬ vres qui n’en boivent auj moins une fois le jour. Le 334 JOURNAL Le commerce de T herbe du Paraguay* ajoute cet Auteur* fe fait à Scitiui Fé, ou elle vient par la Riviere de la Plata, & par des charettes. Il y en a de deux for¬ tes: lune que l’on appelle Ferva de P a - losy 8c l’autre plus fine 8c de meilleure qualité, Hievbu de Cainini. Cette derniè¬ re fe tire des terres des Jéfuites. La gran¬ de confommation s’en fait depuis la Pnz jufqu’à Cusco, où elle vaut la moitié plus que l’autre, qui fe débite depuis le Potozi jufqu’à Paz. Il fort, tous les ans, du Pa¬ raguay pour le Pérou plus de 50000 Âr ro¬ bes; c’eft-à-dire 1250000 pefant de l’u¬ ne & de l’autre herbe , dont il y a au moins le tiers de Catnini* làns comptei environ 25000 Àrrobes de celle de Palos pour le Chily. On paye par paquet, qui contient fix ou fept Arrobes, quatre réaux de droit d’ Alcavala ; & les frais de la voi¬ ture de plus de fix cents lieues, font dou¬ bler le prix du premier achat, qui eft environ deux piaftres: de forte quelle re¬ vient au Potozi à cinq piaftres 1 Ai robe, ou 25 ffi de France. Cette voiture fe fait ordinairement par des charettes, qui por¬ tent 150 Arrobes, depuis Santa Fé jufqu’à Jujui, derniere Ville du Tucumân; & HISTORI QU E. 335 de là jufquau Potofi, qui en cil encore éloigné de cent lieues, on la tranfporte fur des Mules. J’ai remarqué que l'ufage de cette herbe eil néceilàire dans les pays des mines 5 & dans les Montagnes du Pé¬ rou , où les Blancs croyent l’ufage du vin pernicieux : ils aiment mieux ne boire que de l’eau de vie; & laiflent aux Indiens 6c aux Noirs le vin, dont ils s’accommodent fort bien. „ J’ai vu, à Monte -video, la vérité de la Rélation de ces deux Auteurs: & même à quelqu’heure du jour que vous vous préfentiez dans une maifon , vous trouvez quelqu’un qui prend du Maté, 6c qui ne manque pas de vous en offrir; même dans les plus grandes chaleurs. Car on leur a dit que cette infuiion rafraîchit, quelle aide à la digeflion , 6tc. Ordinai¬ rement le vafe où l’on prend le Maté, eft monté fur un pié, 6c adhérant à un plateau. J’en ai vû d’à peu près fembla- bles prefque dans toutes les maifons. Quelques habitans cependant avoient le vafe feul orné d’argent, à la main, fans le plateau. Il y a auffi des Bombilies dont le bout qui trempe dans la liqueur, a la forme d’une coquille d’huitre, quife- roit 33(î JOURNAL roit emmanchée au chalumeau par le haut de la charnière. Pendant que nous étions chez Mr. le Gouverneur, deux de nos Matelots dé- ferterent ; l’un que quelques uns dilbient être Maltois, d'autres Bifcayen. On l’ap- pelloit, par fabriquer, lEfpagnoi. Le fé¬ cond étoit bas Breton. On les fit cher¬ cher, mais inutilement. On a fçu depuis qu’ils s’étoient prêfentés pour s’enrôler à bord de la Frégate Efpagnole la Ste. Barbe; mais l’Armateur nous afTura qu’il les avoit rcfufés. Quelques jours après, il en déferta quatre du Sphinx, de un nommé Plaifance , jadis Dragon, qui avoit fervi en Canada, fous Mr. de Bou¬ gainville, de qui avoit fait beaucoup d’inflance pour s’embarquer avec nous, lorsque nous partîmes de St. Malo. Mr. de Bougainville l’avoit regardé jusques là comme un fort honnête homme, brave & courageux, propre à faire un bon ha¬ bitant de Colonie. Il lui avoit donné deux habits complets & d’autres hardes. Deux jours avant fa défertion, on lui avoit confie un fufil de une epée nche a vendre II dit qu’on les lui avoit volés. sS que fon dits fut vrai, foit qull les WttÊÊÊ 337 H I S TORIQUE. eût vendus, en effet, un habitant dit que Plaifance avoit vendu lepée à un domeffî- que d’un Officier. Plaifance voyant qu’on foupçonnoit fa fidelité, & s étant fort mal difculpê de faccufation , prit le parti de la fuite, dans la crainte d’être puni com¬ me fripon. Mr.le Gouverneur, à la fol- licitation de Mr. de Bougainville, qui avoit promis dix piaftres pour chaque Défer- teur quon lui améneroit, envoya des Dragons à leur pourfuite; mais ils n’en donnèrent aucunes nouvelles. Je penfe même qu on leur en auroit promis cent, qu’ils n’en auraient arrêté aucun; parce qu’il eft de l’intérêt de l’Elpogne qu’il refte le plus d’hommes poffible dans le pays, pour le peupler. Monte -video eft une Peuplade nou¬ velle. Il n’y a pas vingt -cinq ans, qu’il n’y avoit que quelques Gazes. C’eft ce¬ pendant le feul endroit un peu commode pour le mouillage des Navires qui re- piontent Rio de la Plata. Aujourd’hui c’eft une petite Ville, qui s’embellit tous les jours. Les rues y font tirées au cordeau, & allez larges pour palfer trois carolfes de front. On en trouve une vûë, que j’ai deffinée telle quelle fe préfentoit à bord Y de 338 JOURNAL de la Frégate l’Aigle, pendant notre mouillage Rentre le Mont & la Ville ; fui- vant le relèvement que j’ai donné ci-de¬ vant. Voyez cette vûe PI* VI. %• 2. Les maifons n’y ont que le rez de chauffée fous la charpente du toit. J en excepte une feule, lituée dans la giande Place, appartenant a 1 Ingénieur, qui y lo¬ ge, & qui l’a fait bâtir. Elle a un étage & une efpece de maniarde, a\ec un ai- fez longue fallie, qui fupporte un balcon au milieu de la façade. On voit le plan de cette Ville. PL VI. fig* 3* Chaque maifon bourgeoife eft ordinai¬ rement compofée d’une Salle, qui fert d'entrée , de quelques chambres pour cou- chi & d'»« cuiline, ft») où U y aît une cheminée , & où 1 on falle du feu. Ces maifons font donc proprement un rez de chauffée de quatorze ou quinze, piés de hauteur, y compris le comble. La piece d’entrée du Gouverneur eft une Salle d’un quarré-long, qui ne reçoit de jour que par une feule fenêtre affez pe¬ tite, avec un vitrage, moitié papier, moi¬ tié verre; le bas de la croifee ferme d aïs d’un bois poli. Cette Salle peut avoir quinze piés de large fur dix -huit de long- HISTORIQUE. 339 On pafie de la dans la Salle de Compagnie qui eft prefque quarrée, ayant plus de profondeur que de largeur. Au fond, vis- u * vis 1 unique fenetre qui feclaire, entre, tenue dans le goût de celle dont je viens de parler, & fermée par une grille de fer on voit une efpece d’eftrade large de fix’ pieds , couverte de peaux de Tigres. Au milieu eft un fauteuil pour Madame la Gouvernante , & de chaque côté fix tabou¬ rets, revêtus, comme le fauteuil, de ve¬ lours cramoifi. Toute la décoration con- fifte en trois mauvais petits tableaux, & quelques grands plans, moitié peints moitié colorés, encore plus mauvais quant à la peinture. Les fieges pour les hom¬ mes occupent les deux autres côtés de la Salle. Ce font des chaifes de bois à doflier fort élevé, de la forme de’ ces chaifes du tems de Henry IV. ayant deux colonnes tournées, pour accompagner un cadre qui orne le milieu, revêtu de cuir, eftampé en demi relief, ainfi que le fie- ge. La porte de communication de cette Salle a la chambre qui ftut, où couchent le Gouverneur & fon époufe, n’eft fer¬ mée que par une efpece de rideau de Tapiflerie, que nous nommons Chain- Y î Irure. 34° JOURNAL briere. Les deux angles de cette Salle, aux deux côtés de la fenêtre, font rem¬ plis, l’un par une table de bois, lur la- auelle eft toujours expofé le Cabaret a prendre le Maté; l’autre par une efpece d’armoire , furmontêe de deux ou trois rayons, garnis de quelques plats oc de Quelques taffes de porcelaine. , • s La Dame de la maifon eft la feule qui S’affeoit fur l’eftrade, quand il n’y a que des hommes en fa compagnie, à moins quelle n’en invite quelques uns à venir fe placer fur les Tabourets auprès d’elle. Ces Salles font d'ailleurs, généralement parlant, fans plancher & fans carrelage. On voit du dedans les rofeaux qui fou- jtiennent les tuiles de la couverture. Les Blancs ne font autre chofe que bavarder enfemble, en prenant du Maté, ou en fumant une Sigare *) ou Cigare. Les *) On ne fert pas de pipes à Monte -video, ni dans, les établiflemens Efpagnols en Amérique. Ils fument, ce que les François des lies Antil¬ les appellent fumer eu bous . Ces bouts que les Efpagnols nomment Cigares , ou Cigales , ou Si- gares, font de petits cylindres de lîx à fept pouces de long, & de cinq a fix lignes de dia¬ mètre, co m pôles de feuilles ds tabac roulées Funa H I S T O R ï Q^U E. 34i Les Marchands, 3c quelques Artiftes en crès petit nombre , font les fouis occupés dans Monte-video. Il n’y a point de bouti¬ ques apparentes, ni enfoigne qui les an¬ nonce, ni étalages extérieurs qui les indi¬ quent. Mais on eft alluré d’en trouver une lorfqu’on entre dans une maifon fkuée à l’angle formé par la rencontre de deux rues. Le même marchand vend du vin^ de l’eau de vie, de l’étoffe, du linge, de la clinquaillerie &c. On l’une fur l’autre, de la queue à la pointe. Ceux que j’ai vu fabriquer â Monte -video ne font fait que de deux ou trois feuilles au plus. Elles font rouiéés fort légèrement, afin de ikif fer un libre paffege à la fumée par les inter- Hicés que fe trouvent entre elles. Ordinaire¬ ment les deux bouts font liés d’un peu dé fil, qui empêche la feuille de fe dérouler, & l’on a foin, en fmifîant le cylindre, dé mouiller d’un peu de colle de farine très claire, la derniere extrémité, qui complété le rouleau. On allu¬ me un bout de ce cylindre, & l’on tient l’au¬ tre dans la bouche , pour infpirer enfuitie la fumée, comme l’on fait avec line pipe’ ordi« naire. |jn Efpàghol fte marche jamiis fans fa provîfîoii d« Cigare, qu’ils mettent en paquets de neuf dans une éfpece de petite gibeciere , ou fac de peau parfumée, un peu plus grand que nos *'■ Y 3 Eo*. 343 JOURNAL On ne voit dans les rites que des Blancs ou des Noirs, ou des Mulâtres à cheval, & des chevaux arrêtés aux por¬ tes des maifons, fans y être attachés. On pourroit bien nommer ce Pays -la l’Enfer des chevaux . On les y fait tra¬ vailler fouvent trois jours de fuite, tans leur donner à boire ni à mangei ; on les y tient attachés autant de tenis 5 & lans rien faire que quelques courfes du bout dune Portes -lettres. Jamais ils ne marquent furtout en fortant de table , de prcfenter des Cigares à leurs convives. 3Lt fumée en eft beaucoup plus douce que celle que Ion tire par le tuyau d’une pipe. J’ima¬ gine que le tabac dont ces Cigares font faites, eft d’une efpece plus douce que celui dont ils font des andouilles en forme de fufeau, pour prendre en poudre; ou ils lui donnent une préparation qui l’adoucit; laquelle confifte, je penfe , à faire tremper la feuille dans l’eau pen¬ dant quelques heures , avant que de les rouler* Car elles font mouillées lorfqu’ils en forment les cylindres. Nos Matelots, qui |fumoient du tabac en andouilles , fe plaignoient de fon acre- té, & difoient que la fumée detice tabac leur peloït la gorge. £es Elpagnols ne donnent pas au tabac la mê¬ me préparation que les Portugais du Brefib H I S T O R I QJJ E. 343 d’une rue à l’autre. Ce tems expiré, on les renvoie à la campagne, paître l’her¬ be qu’ils y trouvent. Celui qui les y a menés, les défelle, met la felle fur un autre, qu’il mene à la Ville, pour y être traité de même. Ce font néanmoins d’excellens ' che¬ vaux, qui ont confervé la bonté & la vi¬ vacité des chevaux Efpagnols, dont ils font fortis. Ils ont le pié extrêmement aflu- aufll n’eft-il pas, â beaucoup près, fi bon* Les Portugais, en le filant comme une corde, dont la groffeur n’excede pas un pouce de dia¬ mètre , l’hume&ent d’un peu d’eau de mer, mê¬ lée avec du fyrop de canne à fucre; ce qui l’entretient gras & frais. Celui des Efpagnols «fl toujours extrêmement fec; les andouilles ou fufeaux font d’une livre & demie, ou deux li¬ vres. Les Portugais mettent leur tabac filé en Rolle. Pour ce faire ils l’entortillent autour d’un morceau de bois gros comme le poignet, à la maniéré que l’on voit celui qui fe vend en France, fous les noms de tabac à fumer , ou tabac de cantine. Ces Rolles font depuis dix jufqu’à deux cents livres, & font enveloppés d’un cuir verd ou fans apprêts. Quoique le tabac du Brelil foit, peut-être, I» plus excellent qu’il y ait. perfonne, au moins au goût François, n’en prend de plus mauvais Y 4 en Ut' JOURNAL alluré , & font d’une agilité furprenante. Leur pas efï fi vif & fi allongé } quil égale le plus grand trot & le petit galop des nôtres. Quelques uns font meme fi légers que l’on ne connoît rien à leur com¬ parer. Leur pas confifte à lever en même tems le pié de devant & celui de derriè¬ re; & au lieu de porter le pié de dénié-- re dans l’endroit où ils avoient pofé celui de devant, ils le portent beaucoup pluà loin; vis à vis & même au delà du pié , - de en poudre que les Portugais de ce pays -U. Ils ne le râpent pas; ils le coupent en petits mor¬ ceaux, comme s’ils vouloient le fumer dans une pipe: ils le mettent enfuite fur une plaque de fer ou de cuivre, foutenue par trois piés fur un feu doux, où ils la laiflent fécher, jufqu à ce qu’il puifle être réduit en poudre. On le pile après cela dans un mortier , on le tamife ; & pour lui ôter l’odeur défagrcable de brûlé qu’il acquiert en féchant ainfi, ils y melent quelque odeur de fleurs, chacun fuivant celle qui lui plaît davantage. Ils préféroient telle¬ ment au leur celui que nous avions apporté de France, qu’en ayant une fois goûté il fal- loit que nous euflions presque fans celle 110s tabatières ouvertes. Mr. de Bougainville en fit préfent de deux livres à Mr. le Gouver¬ neur de l’Ile Ste. Catherine, dans une cave de porcelaine montée en argent. HISTORIQUE. ,i i ^ , de devant du côté oppofé; ce qui rend leur mouvement près du double plus prompt que celui des chevaux ordinai¬ res, & beaucoup plus doux pour le ca¬ valier. Ils ne font pas diftingués par leur beauté; mais on peut vanter leur légèreté, leur douceur, leur courage & leur fobriété. Les habitans ne font au¬ cune provifion de foin ni de paille pour nourrir ces animaux. Toute leur ref fource eft de paître aux champs toute l’année. Il eft vrai qu'il n’y fait jamais de froid à glacer ni les rivières ni les plantes. , \ J k • K fi 'j r ■ . Le Terrain des environs de Monte¬ video eft une plaine à perte de vue. Le fol eft une terre noire, forte, qui pro¬ duit abondamment fi peu qu’on la tra¬ vaille. Il n?y manque que des Cultiva¬ teurs, pour en faire un des meilleurs pays du monde. L’air y eft fain , le Ciel beau; les chaleurs n’y font pas excefli- ves. Le bois y manque, 6c l’on nen trouve que le long des rivières. C’eft là où fe tiennent les Tigres, les Léopards & les autres bêtes féroces. Les Tigres furtout y font en affez grand nombre, plus Y f gros. 345 J O U R N Al gros, & plus cruels que ceux d’A¬ frique. *) . Les Efpagnols de Monte-video, vivent, comme je l’ai déjà dit, dans une grande oifiveté. Ils font vêtus à peu près com¬ me les Portugais de l’Ile Ste. Catherine J mais ils portent allez communément des chapeaux blancs, dont les ânes rabattues ne leur parodient jamais affez grandes. Les femmes y font affez bien pour la taille & la figure; mais on ne fçauroit leur dire avec vérité quelles ont un teint de lys & de rofe; elles l’ont affez fu¬ mé, & communément les dents leur man¬ quent, ou ne font pas blanches. ^ Leur f ■„ * r • i ' . . f ; • ’ • • J * s .1 *) Mr. le Gouverneur en avoir |un élevé des le plus bas âge, dans la Cour du Gouvernement. 11 étoit attaché auprès de la porte d’entrée, avec une fimple courroye de cuir de taureau, paffée au cou. Les Dragons & les Doinefti- ques badinoient avec lui, fans qu’il donnât aucune marque de fa férocité naturelle. On le tournoit, on le tiroit, on le culbutoit, com¬ me l’on feroit un chat privé. Voyant qu’il pouvoir faire plaifir à Mr. de Bougainville, Mr. le Gouverneur le fit porter à bord, & le lui donna. On y fit conftruire une cage de madriers de fix pouces d’écarilfage ; & on l’a ■gardé une huitaine de jours. Au bout de ce ® ' tems, H I S T O R I QU E. 34? ? v » * * Leur habillement confifte, à l’exté¬ rieur, en un corfet blanc ou de couleur, fans ajuftement; bienfait à la taille, & dont les baftes ou basques defcendent de quatre doigts fur le jupon. Ce jupon eft dune étoffe plus ou moins riche, fuivant les facultés ou la fantaifie de celle qui le porte. Il eft bordé d’un galon ou d’une crépine d’argent, d’or, ou de foye, quel¬ quefois à double rang; mais fans falba¬ las. Elles ne portent point de coëffures de toile ni de dentelles. Un feul ruban* pafle autour de la tête tient leurs che¬ veux réunis fur le fommet ; d’où, en paflant fur le derrière de la tête , ils tom¬ bent en deux ou trois treffes fur le dos; quel- tems, il commença à mugir de tems à autre» & furtout la nuit. On craignit alors qu’il ne devint furieux, ou qu’en s’amufant, il n’engueu* lût le bras des Moufles, ou des enfans qui al- loieat le voir , Ôc qui paflbient quelquefois la main entre les madriers de fa cage. D’ail¬ leurs il falloit de la viande fraîche pour le nour¬ rir; & nous n’en avions pas de refte à lui donner. Ces confidérations déterminèrent Mr. de Bougainville h le faire étrangler. Il navoit alors que quatre mois: & fa hauteur, fur fes jambes, étoit de deux pies trois pouces. On peut juger de celle qu’il auroit acquife dan» fa grandeur naturelle. §48 JOURNAL : quelquefois julqu’à la jartiere. Les plus longs leur paroiffent les plus beaux. * Quand elles fortent, fouvent dans la maifon-même , elles paffent fur la tête une jiece d’étoffe fine, blanche 6c de laine, bordée d’un galon d’or, d’argent, ou de îoye. Cette piece d’étoffe , qu elles nom- ; tuent iquella ou mantille , couvre aufli les épaules, les bras, 6c defcend jufquau def fous de la ceinture. Elles croifent les deux bouts fur la poitrine, ou les paffent fous les bras, comme nos Dames Fran- çoifes font de leur Mantelet. Lorfqu el- * tes portent cette efpece de mantelet dans là maiforî, ordinairement elles ne le paf¬ fent pas fur la tête. Les payfannes du Poitou en portent à peu près de fembla- blés. Mais, dans les rues ôc à l’Eglife, les Efpagnoles arrangent cet ajuftement fur leur tête de maniéré qu’elles ne laiffent gueres voir qu’un oeil 8c le nez; dans la maifon, elles ne cachent fouvent pas même la gorge. Les femmes font chez elles avec au moins autant de liberté qu en France. El¬ les reçoivent la compagnie de très -bonne grâce , 6c ne fe font pas prier pour chan¬ ter, danfer, jouer de la Harpe, de la Gui- tarre H I S T O R I CL U E. 34* carre, du Tuorbe, ou de la Mandoline. Elles font en cela beaucoup plus complais fautes que nos Françoifes. Lorfqu’elles ne danfènt pas, elles fe tiennent affilés fur des Tabourets, placés, comme je lai dit, fur une efpece d’edrade au fond de 1$ Salle de compagnie. Les hommes ne peu¬ vent s’y placer qu’invités à le faire; & c’efl: une courtoifïe de faveur, qui fent uif peu la familiarité. La maniéré de danfér des Dames tient de l’indolence dans laquelle elles pafîent leurs jours, quoiqu’elles foient naturelle¬ ment fort vives. Dans la plupart de leurs danfes, elles ont les bras pendans, ou pliés fous la mantille, qu’elles nomment auffi Rébos. En danfant le Sapateo , une des danfes le plus ou ufàge , elles tiennent les bras élevés, & battent l’air avec les doigts , en les faifant claquer , comme l’on fait quelquefois en France en daniànt le Rigodon. Le Sapateo fe danfé fans chan¬ ger beaucoup de place, 8c en battant aL ternativement du bout du deffiis du pied & du talon. A5 peine femblent - elles re¬ muer. Elles paroiffent plutôt gliffer feu¬ lement le pied, que marcher en cadencé; ce qui vient de la légèreté & de là promp- b 3Î0 JOURNAL promptitude avec lefquelles elles re¬ muent les pieds. Le Gouverneur & les Militaires font habillés à laFrançoife, excepté qu'ils por¬ tent toujours un chapeau fur la tête , & fans poudre ni frifure , non plus que les femmes. Ils vivent auffi dans une gran¬ de oiliveté, ainfi que les autres Efpagnols, qui font habillés, à peu près comme les Portugais de l’Ile Sainte Catherine. Les gens du commun, les Mulâtres & les Negres, au lieu de manteau, por¬ tent une pièce d’étoffe rayée par bandes, de différentes couleurs, fendue feulement dans le milieu, pour paffer la tête. Elle tombe fur les bras & couvre jufques aux poignets. Par devant & par derrière elle defoend jufqu’au deflous du gras de la jambe, & eft frangée tout autour. On lui donne le nom de Poncho ou Chony. Tous le portent à cheval, & le trouvent beaucoup plus commode que le manteau & que la redingote. Mr. le Gouverneur nous en montra un, brodé en or & ar¬ gent au Chili, d’où ils en ont emprunté fufage, qui lui coûtoit trois cents & tant de piaftres. On y en fait du prix de deux mille. . HISTORIQUE. 3ft Le Poncho garantit de la pluÿe , ne fe défait pas au vent, fert de couverture la nuit, 3c de tapis en campagne. Où voit toutes ces figures PI. XV. La maniéré de vivre des Efpagnols eft très- (impie. Les hommes qui ne font pas occupés au commerce, fe lèvent très -tard, ainfi que les femmes. Les Efclaves , Négreffes ou Mulâtres, prépa¬ rent le Maté, pendant que les Maîtres s’habillent, & ils ont la bombille au bec prefque avant que d’avoir le pied dans la pantoufle. Les hommes relient enfuite les bras croifés, jufques à ce qu’il leur prenne fantaifie d’aller bavarder & fumer une cigale avec leurs voifins. On les trouve fouvent quatre ou cinq, debout à la porte d’une maifon, caufant &; fu¬ mant D’autres montent à cheval, & vont faire, non un tour de promenade aux champs, mais un tour de rue. Si l’envie leur prend, ils defcendent de che¬ val, fe joignent à la compagnie qu’ils rencontrent, caufent deux heures, fans rien dire, fument, prennent du Maté, re¬ montent fur leur cheval, qui, pendant ce teins -là, eft demeuré auprès deux im¬ mobile comme un cheval de bois, fans: 3f2 JOURNAL être attaché, & comme s’il eût été atten¬ tif à la converfation. Quelquefois on y voit autant de chevaux que d’hommes. Pour palier ce tems-là, les femmes demeurent affîfes fur un tabouret, au fond de leur Salle, ayant fous les piés d’abord une natte de rofeaux fur le pavé; & par deffus cette nate, des manteaux de Sau¬ vages, ou des peaux de Tigres. Elles y jouent de la Guitarre, ou de quel- qu’autre inftrument en s’accompagnant de la voix, ou prennent du Maté, pen¬ dant que les Négreffes apprêtent le dî¬ ner dans leur appartement. Vers midi & demi ou une heure, on fert le dîner; qui confifte en du bœuf accommodé de différentes façons, mai$ toujours avec beaucoup de piment & de fëfran. On y fert quelquefois des ra¬ goûts de moutons, qu’ils nomment Car¬ tier o,. & quelquefois du poiffon, rarement de la volaille, qui n’y eff pas commune. Le Gibier y abonde; mais les Efpagnols ne font pas gens de chaffe, elle les fati- gueroit. Le deffert eff compofé de con¬ fitures. D’abord après le dîner, Maîtres & Efclaves font ce qu’ils appellent, la Sieftai c ’efU H I S T O R I CLU E. m c’eft-à-dire qu’ils fe couchent, quelque¬ fois même déshabillés, & dans le lit, où ils dorment deux ou trois heures. Les ouvriers, qui ne vivent que du travail de leurs mains, ne fe refufent pas ces heu¬ res de repos. Cette bonne partie de la journée perdue, eft caufe qu’ils font peu d'ouvrage, & rend la main-d’œuvre ex- ceflïvement chere. Peut - être auflî cela vient -il de ce que l’argent y eft très commun. Il n’eft pas furprenant qu’ils foient in- dolens & fainéans. La viande ne leur coûte que la peine de tuer, écorcher &; couper le taureau pour l’apprêter. Le pain y eft à très-bon marché. Les peaux de taureaux & de vaches leur fervent à faire des lacs de toutes efpeces, à cou¬ vrir une partie de leurs maifons, & à mil¬ le autres chofes, pour lefquelles on em¬ ployé en Europe différentes fortes de m⬠tereaux. Ces peaux font fi communes, que l’on en trouve des lambeaux épars çà & là le long des rues peu fréquen¬ tées, dans les Places & lur les murs des jardins. On trouve peu de ces jardins cultivés, quoique chaque maifon ait le lien. On Z les âï4: JOURNAL ; les y laiffe en friche. Je n’en ai vû qu’un feul afiez bien entretenu , fans doute par¬ ce que le Jardinier étoit Angîois. Aufli les légumes y font rares. Celui que Ton y cultive le plus efi le Séfran ou Cartha- me , pour la foupe 8c les fauces. Il eft ordinaire parmi eux d’avoir une Maitreffe. Ceux qui en ont des enfans, leur donnent une efpece de légitimité, en reconnoiflant publiquement qu’ils en font les peres. Alors ces enfans héritent d’eux, à peu près comme les enfans légitimes. 11 ny a pas de honte attachée à la bâtar- dife; parce que les Loix autorifent cette jiaiflance, au point de donner aux bâtards même le titre de Gentilshommes: en quoi ces loix parodient plus conformes à l’hu¬ manité, qui ne font pas porter à l’inno¬ cent la peine de la faute du coupable. J’ai remarqué, en entendant la Mefle> que la chafluble n’eft compofée que de trois bandes d étoffé, coufues dans leur longueur, fans figure de croix. Celle du milieu différé feulement de couleur d’avec les deux autres. Pendant tout le tem$ de la Méfié, un habitant joue de la Har¬ pe, dans une tribune, fans doute pour tenir lieu d’Orgues. Je n’y ai vû de par- ticu- H I S T O R I QUE. 3ff ticulleres démonftrations de dévotion, que celle de fe fraper la poitrine affez fort à cinq ou fix reprifes, depuis le commen¬ cement du Canon jufqu’après la Com¬ munion. Le Rofaire y eft fort en ufiu ge; de c’eft prefque la feule priere qu’ils y font. Plufieurs le portent pendu au cou. Les Portugais de Ste. Catherine, Blancs, Noirs & Mulâtres, en a voient auffi prefque tous, les uns à Pextérieur, fur- tout les Noirs, les autres fous leurs ha¬ bits. Us ont auffi beaucoup de dévotion pour le fcapulaire du Mont-Carmel. Hom¬ mes & femmes en portent. Au moyen du Scapulaire de des Av ilia s ils fe croyent à Fabri de tous les périls, de en fureté pour leur falut éternel. Us ne font feru- puleux qu’à l’égard de l’extérieur des exercices de dévotion. Ces A villas qu’on leur voit pendus cou, font une efpece de châtaigne de mer, reflemblant à une feve plate de ronde, de la largeur d’un petit écu, de de deux lignes de demie d’épaiffeur ; la peau eft grenue 8 JOURNAL Farcin des chevaux. Ramaffez à la fin de F Automne ces tumeurs barbues ou efpeces de châtaignes d’églantier : pilez le ver que vous y trouverez, <3c faites le avaler au cheval dans un verre de vin , ou dans autre cho- fe; & le couvrez bien. Cheval fourbu. Faites lui avaler une ou deux cueil- lerées de fel commun dans un demi-feptier d’eau, c’efl-à-dire, dans une demi -livre d’eau commune. Fievres malignes . Appliquez fous chaque plante des pieds du malade une Tanche toute en vie* fans la fendre, ni lui faire aucun mal. Affujettiflez les avec des bandes de linge, ôtez -les au bout de douze heures, avec la précaution de ne pas refpirer s’il eft poffible l’odeur qu elles exhalent, & les enterrez promptement, ou jettez - les dans des commodités: le malade fera bientôt guéri. Efquinancie . Prenez gros comme un œuf de Vers de terre tous en vie j mettez - les entre, deux vieil- HISTORIQUE. 3,g9 vieilles mouffelines, & appliquez-Ies au¬ tres autour de la gorge, ànud, du malade. Renouveliez le remede de trois heures en trois heures pendant deux jours. Hémorragie du nez. • Mettez dans les deux narines , ou der- nere les deux oreilles du malade , une pincée de poil des parties naturelles d’un • fexe différent du malade j le fang s’arrête¬ ra prefqu’à l’inftant. Emplâtre immanquable pour faire fer - . - tir la petite vérole rentrée. 1 s % Prenez de la farine de fleurs de feigle *« délayez-Ia avec de l’eau de pluye, du verjus, un œuf frais & une demi -once d’orpiment bien pulverifé. Battez bien le tout enfemble: étendez -le fur du pa. pter brouillard. Saupoudrez de doux de 1 gérofle en poudre, & appliquez -ce cata- ' plafine fous la plante des piésj vous l’y bifferez vingt -quatre heures, de le jette¬ rez enfuite promptement au feu. f : - ; ' • } ;’ • ) •- . f Fleurs blanches , Pilez les feuilles de la piîolelle ou oreille de fouris: exprimez -en le lue à la ••• - • A a quam" 37o JOURNAL quantité de deux onces', que vous ferez avaler à la malade à jeun, dans un verre de bouillon, on de vin blanc. Vous réi¬ térerez cette potion quelques jours de lut¬ te après avoir commencé par purger la malade; qui ne fe nourrira que de vian- des de bon fuc, de ne fera point dexces. Ce remede, difoit-il, a guéri des femmes attaquées de ce mal depuis huit a dix ans, & cela en cinq ou fix jours. Pertes rouges des femmes. Faites griller for une affiette de terre neuve, ou fur la pèle du feu bien netoyée, une bonne pincée de poil des parties na¬ turelles d’un homme fain &'de bon âge. Reduifez-la en poudre & la faites avaler à jeun dans un verre de bon vin rouge. Pour les foppreffions on le donne dans du vin blanc. On peut réitérer le reine- de une fécondé fois. Ecrouelles & autres tumeurs fero- phuleufes. Appliquez - y une ou deux feuilles amorties de grand plantain. Renouve¬ lez cette application, avec de nouveau plantain, deux fois le jour. Pendant ce H I S T O R I Q_U E. 37I tems-là, faites prendre tous les matins à jeun une infufion chaude de feuilles de noyer, en façon de thé. Colique &> point de côté. Racine^ de Tournefol mife fous l’aif- felle du côté de la douleur. Dès qu’elle s’y eft échauffée , la colique ceffe. Eprou* vé fur un point de côté opiniâtre a îéufîi. Exoftofe. Applatiflez une balle, qui a tué un animal, & appliquez -la à nud fur le mal. Paralyfie. . Faites bouillir des raiforts dans de l’eau avec un peu de genievre, & faites en votre boiffon ordinaire. On peut mettre des raiforts dans la foupe au lieu d’herbes potagères. Ulcérés. Mâchez des crottes de brebis féches & appliquez - les en cataplafme fur le mal. Renouveliez foir & matin. Cancer & ulcérés. Mettez dans un pot de terre neuf un gros crapaut vivant, & par deffus deux A a 3 on- ?72 JOURNAL onces de fouphre en canon réduit en poudre. Lutez bien le pot, & calcinez- le tout au feu de roue. Appliquez la cendre fur le cancer. Cors ér verrues. Après les avoir égratignés, & enle¬ vé le durillon, frottez -les bien avec les champignons qui croifïent naturellement fur le fumier. - - | Tranchées après V accouchement. Faites cuire deux ceufs frais du jour, mettez dans chacun gros comme une ave¬ line de fucre en poudre , mêlez - le bien avec le jaune, & faites les avaler à l’ac¬ couchée, & par defïus un verre de bon vin mêlé d’un peu d eau. Faire finir les vuidanges. Jetiez dans deux verres d’eau bouil¬ lantes deux dragmes de fleurs de fou¬ phre, laiffez bouillir quelques minutes: coulez à travers un linge; mettez -y un peu de lucre , & faites avaler la liqueur. Amulette contre le mal caduc. Mettez dans un creufet une once de Mercure d’Efpagne, ou revivifié du cin- nabre, à un feu doux. Lorfque le Mer-: cure H I S T O R I QU E. 373 cure fera un peu chaud, 8c qu’il com¬ mencera à frémir, jettez-y une dragme d argent battu en feuilles, & remuez bien avec une verge de fer, un peu chaude. Tirez enfuite promptement le creufet du feu, ainfl que la matière du creuièt, 8c laiffez réfroidir. Renfermez cet amalga¬ me dans un petit fachet de peau forte de gands, bien coufue. Snfpendez-le au cou avec un cordon de maniéré qu’il tombe .fur le creux de l’efïomach, 8c l’y laiffez toujours. Avant que de le fufpen- dre, il faut obferver de faire faigner le malade à la veine céphalique, lorlque la Lune eft nouvelle. On réitéré enfuite la faignée les deux mois fui vans, au renou¬ vellement de la Lune. Goïtre. t ■t » Appliquez -y du fel commun bien defféché 8c un peu chaud. Lorfqu’il fera devenu humide, faites -le bien fécher 8c le réappliquez; ce que vous réitérerez jufqu’à guérifon. Tayes des yeux . Sang de dragon en larmes, AloÔs fuccotrin, Myrrhe, autant de l’un que de A a a l’av*- 374 JOURNAL l’autre , le tout en poudre ' bien fine. Délayez -en une quantité fuffifânte dans un jaune d’œuf frais, pour en former des emplâtres , que vous appliquez fur la tem¬ pe à côté de 1 oeil malade. Quand il tombera de lui -même, vous y en fubfti- tuerez un autre, jufquà guérifon. Douleurs de dents , les faire tom¬ ber fans douleur. Mettez dans le creux de la dent trois gouttes d’efprit de fel armoniac, & un petit tampon de coton par deffus. Cors aux f iés. Otez en le durillon, fans faire fài- gner, contre l hydrocéphale. Pilez dans un mortier de bois ou de pierre dix ou douze fommités de Vervei¬ ne, avec de la farine de feigle & cinq à fix blancs, ou davantage, d’œufs frais : on peut fupprimer la verveine. Formez- en un cataplafme, que vous appliquerez fur la nuque & les épaules, de maniéré qu'il couvre prefque toute l’omoplate. Mettez par ddliis une ferviette fine en quatre doubles , & laiflèz - le fix ou huit heures ; après lesquelles fi le malade n’efl pas gué-' ri, vous en appliquerez un fécond, fèm- blable, que vous y laifferez autant ou à peu près. Il eft extrément rare qu’il en faille un troifieme- On purge enfuite la perfonne. Il eft auffi bon pour les rhu- matifmes. • «r . • »* • / , * . . . . . ■ . , * . * • ' • * > Afihme humide , rhumes & maux de poitrine* Faites bouillir pendant une demi -heu¬ re dans une terrine , ou -cafferole bien nette, une livre de bayes de genievre bien meures & concaflées, avec une li¬ vre de beurre frais fans fel, & qui naît pas 38* JOURNAL pas été lavé. Coulez enfuite le beurre avec une forte expreffion des bayes de genievre. Ajoutez autant pefant d’ex¬ cellent miel à la colature, & faites cuire à très doux feu jufqu’à la confiftance de fyrop', que vous conferverez dans des pots de fayance. Vous en prendrez le matin à jeun , gros comme une petite noix, ou la valeur d’une cueillerée, le laiffant fondre dans la bouche, com¬ me une paftille. Vous en prendrez au¬ tant le foir, avant que de vous coucher. Quand le mal preffe, on peut en pren¬ dre autant, trois ou quatre heures après le dîner. Pour les Amples maux de poitrine, on peut fupprimer le genievre. Tous ces remedes ne m’ont pas été communiques par le Pere Francifcain dont j’ai parlé; mais ayant vû l’expérien¬ ce heureufe de prefque tous ceux que j’ai donnés ci- devant , j’ai été charmé de trouver cette occafion d’en donner la connoiffance au public, pour fon utilité. Le lendemain de la partie de campagne dont j’ai parlé, quatre Indiens ou Natu¬ rels H I S T O R I QU E. ssf . reîs du pays vinrent' fe préfenter chez- Mr. le Gouverneur, pendant que nous- étions avec lui à examiner la boufTole du Capitaine Mandillo. Dès que Mr. le Gou¬ verneur les apperçut entrer dans f à cour, il fit fermer la porte de fes appartenons. Nous lui en demandâmes la raifbn 5 S’ils entroient dans cette Salle, nous dit- il, elle feroit infeètée pour huit jours. Ils exhalent une odeur qui s’attache aux murailles mêmes. Cette odeur vient de, ce quils s’oignent le corps d’une certai-, ne huile, & de graiffe, pour fe garantir des infeftes. Ces Indiens, trouvant les portes fer¬ mées, s’approchèrent de la fenêtre où nous étions, & un d’eux tira d’un petit fac de peau de Tigre, un papier écrit & plié, qu’il préfenta. Mr. le Gouverneur le prit, & le lût. Il étoit écrit en lam gue Espagnole. C’étoit un Certificat par lequel plufieurs Gouverneurs Efpagnols y avoient déclaré fucceflî veulent, que ce-., lui qui en étoit poffeffeur, étoit de la ra¬ ce des Caciques, & lui -même actuelle¬ ment Chef de Village. Le Gouverneur le lui rendit, 8c T Indien lui demanda par ligne une feuille de papier, pour fubük tuer 384 JOURNAL tuer à celle qui enveloppoit auparavant le Certificat, parce quelle étoit coupée dans les plis, par vétufté: on la lui don¬ na. Vraifemblablement ces Indiens igno- roient la langue Efpagnole; car ils nen prononcèrent pas un feul mot. Un Of¬ ficier Efpagnol nous dit, qu’ils avoit par¬ lé la langue du Para, mêlée de celle des Indiens des Terres circonvoifines. ^ Ils navoient pour tout habillement, qu’une efpece de manteau compofé de plufieurs peaux de chevreuils avec leur poil, con¬ fies enfemble, pour former un quarré long, tel que pourroit être une ferviette' de table. Il eft attaché auprès des épau¬ le, avec deux -courroyes ; & produit l’ef¬ fet que l’on voit dans la fig« 4* de pi. VI. Le côté de la peau, qui ,tou- choit à la chair, eft blanc, & peint en rouge & en bleu gris, par quarrés, lo¬ sanges & triangles, dont l’afTemblage for¬ me divers compartimens, fuivant le goût, fous doute de celui, ou celle qui doit s’en fervir , ou qui le peint. Ces Indiens viennent allez fou vent dans la \ille, par bandes de cinq à lix, de huit à dix, & y amènent aufli leurs femmes. Leurs habitations ne font pas éloignées de Mon¬ te - vi- WÊÊÊÊBÊ T. HISTORIQUE. a, te -video, de plus de fix ou lept lieues. Il y viennent pour boire du vin & de Feau de vie. N’ayant pas parmi eux Fu- làge de l’argent monnoyé, ils donnent les petits fies de peaux de Tigre , leurs manteaux, quelquefois les peaux des ani- maux féroces qu’ils ont tués, mais plus ordinairement celles qu’ils ont confues en- femble, pour fe couvrir. Ils les donnent prefque pour rien; car ils livrent un de ces elpeces de manteaux compofë de huit peaux de chevrenils pour un Réau, qui vaut douze fols & demi, monnoye de France. Un fie de peau de Tigre, long de quatorze ou quinze pouces, & largç d’un pié, ne coûte qu’un demi Réau* Quand on veut avoir ces manteaux des Indiens, il fuffit de le prendre d’une main, & de préfènter un Réau, ou un demi Réau de l’autre. L’Indien dénoue suffi* tôt la courroye, prend la pièce d’argent, vous donne le manteau, ou le petit fie, & va nud tout de fuite, chez le premier marchand, boire du vin ou de l’eau de vie. . Leurs femmes font de même. Elle n ont pas ordinairement d’autres vêtemens que les hommes; mais on en voit quel- B b que- 385 JOURNAL quefois , qui fc couvrent les parties natu¬ relles avec un morceau du la même peau que leur habit, attaché à une courroye, qui leur paffe autour le la ceinture. Il eft défendu de leur vendre une quantité de vin, ou d’eau de vie, qui puiffe les enyvrer, dans la crainte que l’yvrelle ne leur faffe commettre quelques défor- tires. Mr. de Bougainville voulant don¬ ner un Réau à chacun des quatre qui fe préfenterent chez Mr. le Gouverneur; ce lui -ci le pria, par cette raifon, de ne leur faire préfent que d’un demi. Etant chez le Signor Vicaire, on nous avertit qu’il en venoit une troupe de huit à neuf, hommes ou femmes. L’Ecrivain de notre Frégate s’étant mis à la porte, avec un morceau de pain qu’il mangeoit, un de ces Indiens lui prit en paffant ce morceau de pain, s’arrêta un moment, le mangea en riant, & puis s’en fut joindre les au¬ tres fans rien dire. Ils avoient tous la tête «St les piés nuds, & n’avoient d au¬ tre vêtement que le manteau dont j ai parlé. Les uns le portoient fur 1 e- paule droite , ayant la gauche «St le bras du même côté nuds, les autres au con¬ traire. Us mettent le poil en dehors ou HISTORIQUE 387 en dedans, fuivant qu’il pleut ou que le îems eft beau. Ceu.x que j’ai vûs étoient bien faits; iis avoient le corps droit, la jambe & le bras bien tournés, la poitrine large & tous les mufcles du corps bien prononcés Les femmes étoient plus petites de beau¬ coup que les hommes, qui étoient tous de belle taille. Ces femmes avoient com¬ me eux un air vif, un vilàge arrondi, cependant iàns embonpoint, des yeux allez grands, pleins de feu, le front éle¬ vé, la bouche grande, le nez large & un peu applatd vers la pointe; les levres de moyenne grofleur & les dents blan- ches; les cheveux longs, noirs, durs & tombant négligemment autour de cou, quelquefois -même fur le front. Comme ils les oignent, ainli que le corps, de différens onguens , qui n’ont rien pourtant de plus fale, ni de plus malpropre que les pommades de ce pays -ci, ces cheveux lônt luifans, mais toujours mal arrangés. On dit qu’ils n’ont pas , dans le pre¬ mier âge , cette couleur de cuivre rou¬ ge bronzé, qu’on leur voit répandue généralement fur toute la peau. Sans doute que le climat, l’air qui frappe B b 3 iàns 388 JOURNAL fans ceffe fur cette peau, qui n’eft paà garantie par des habits , & les onctions ou peintures, dont ils fe barbouillent tout le corps, contribuent au moins beaucoup, à leur donner cette couleur. Cependant, comme il arrive également aux Nègres de ne pas naître avec la peau noire, qui leur eft pourtant naturelle, il pourroit bien être que la couleur rouge cuivrée des Indiens de l’Amérique méridionale leur fût naturelle. Les femmes font occupées à la culture- du Manioc, & à fa préparation pour en faire la Calfave, & leur boiffon ordinaire; aux affaires du ménage , qui ne confident qu’à coudre enfemblc les peaux de che¬ vreuils ou d’autres bêtes, dont les hom¬ mes & les femmes fe couvrent, & à pré¬ parer les alimens pour elles & les hom¬ mes , qui paffent tout le terns a la chaffe, ou à la pêche, ou à monter à cheval; auffi font -ils d’excellens cavaliers. Les Vieillards prélident à chaque Hameau de Cafés, & demeurent dans leurs habita¬ tions, avec les jeunes garçons & les fil¬ les qui n’ont pas encore la force de taire un’ travail un peu pénible. Mais toute la forme de leur gouvernement confine a relpe&er leurs Anciens. Ils * . > H I S T O R I Q.Ü E. 38<> * • j * Ils font extrêmement adroits dans Iè hianiment des Lacqs, des Lances & de l’Arc: rarement ils manquent leur coup avec le lacqs, à cheval même, en courant à toute bride. Un Taureau furieux, uii Tigre, tout autre animal, & l’homme* même le plus rufé ne leur échappent guè¬ re. Comme il faut que le licou, (c’efHe nom qu’on lui donne,) ferre l’animal qu’ils veulent fàifir, ils pouffent vivement leur cheval, pour le jetter de forte qu’il fe trouve pris, entraîné avec une viteffe, qui ne lui donne pas le tems de fe débar- raffer, ni de fe défendre. Dans leurs quérelles particulières, ils fe fervent mê¬ me de ces lacqs, & d’une demi -lance. La feule maniéré de fe dérober à ce licou, fi c’eft en pleine campagne, eft defe cou¬ cher tout du long à terre , auflîtôt qu’on le leur voit prendre à la main, & de s’y blottir , pour ne pas donner prife. On s’en garantit encore en fe collant , contre un arbre, ou contre un mur. Ces licous on lacqs font de cuir de taureaux, coupés autour de la peau. Ils tordent cette courroye; ils la rendent fou- pie, à force de la grailler ; & l’allongent en la tirant, lufcm’-a ne lui laiffer qu’un 390 JOURNAL demi -doigt de largeur. Elle ne laifle pas d’être ü forte, qu’un taureau ne peut la rompre , & qu’elle rélifte plus qu’une cor¬ de de chanvre, qui même feroit moins fouple, & ne pourrait pas être employée au même ufage. On ne peut guere avoir de peaux de Tigres & autres bêtes feroces que par les Indiens. Elles ne font cependant pas cheres, quoiqu’ allez rares a Monte -video. On en a une des plus belles pour deux ou trois piaftres. J'en achetai une de Ti¬ gre, très- belle, mais de moyenne gran¬ deur, & coufue en biffac, pour une piè¬ ce de huit. Les Indiens n’en tuent gue¬ re, quoiqu’ils les mangent; mais parce qu’ils ne fe fervent de ces peaux que pour les petits lacs dont j’ai parlé. Ils portent dans ces facs la caffave, qui leur fert de nourriture, & les fers de leurs flèches, qu’ils n’emmanchent au bout du rofeau, que lorsqu’ils veulent les tirer. Ce fer à la forme & la largeur d’une feuille de Laurier, dont les deux extrémités feraient très allongées. Us l’enfoncent dans le rofeau par un bout ou par l’au¬ tre indifféremment , parce que ce fer eft pointu & tranchant des deux côtés. Ces HISTORIQUE. 391 flèches font d’autant plus meurtrières , que le fer notant pas attaché folidement au rofeau, ce fer demeure dans la blefliire, quand on veut en retirer la flèche. Lorfqu’ils veulent lacer un animal, ils le pourfuivent, tenant la bride de leur cheval d’une main, & de l’aiitre le lacq; & courant au grand galop, ils le jettent au cou, aux jambes, ou aux cornes. Pour chafler un animal furieux ou féroce, ils le pourfuivent trois, quatre de compa¬ gnie ; chacun lui lace un membre, & puis fe féparent Fun allant à droite, l’autre à gauche; ce qui, roidiflant les lacqs, donne la facilité à un troifiéme d’appro¬ cher fans danger de l’animal, & de le tuer avec fa demi -lance, ou de le lier, pour Femmener avec eux. Les Indiens ont d’autres façons de chafler, qui font décrites dans les Réla- tions de différens Auteurs, furtout dans l’Ouvrage de Mr. Muratori fur le Pa¬ raguay. A propos de ce Pays -là, il eft bon d’avertir que Mr. Muratori n’a travaillé Ion ouvrage que fur les mémoires que lui ont fourni les Peres Jéfuites, ou des B b 4 gens # m JOURNAL gens à eux, par conféquent intérefles k ne pas inftruire le public de tout ce qui s’y paffe. Des Officiers Efpagnols de probité, envoyés par la Cour de Madrid au Paraguay, dans le teins des partages des poffeffions refpeétives des Cours d’E£ pagne & de Portugal, m’ont alluré , que tous les Imprimés qu’ils ont vû fur la conduite des Jéfuites dans ce Pays -là, tant à l’égard des Indiens que par rap¬ port aux intérêts de ces deux Couron¬ nes, étoient écrits même avec beaucoup de ménagemens pour les Jéfuites; Qu’un de ces Peres, Tun des principaux de ce Pays -là, avoit fait la réponfe fuivante, lui Officier préfent, à un des Officiers généraux Elpagnols, qui lui témoignoit là furprife des obltacles qu’eux Jéfuites oppofoient à l’exécution des arrangement concertés & arrêtés entre les deux Cours : J'ai lien plus lieu d'être étonné de ce que les deux Roy s s'avifent de faire des arran - gemenSy pour partager un Pays , qui ne leur appartient pas • Nous feuls Jéfuites T avons conquis ; nous feuls avons droit d' en difpofer , de le garder îf de le défendre envers tous contre tous • Je laiffe à pen- fer qu’elle doit être la conduite des Jé- fuf HISTORI Q;u E. 393 faites, avec de tels principes. Il eft cer¬ tain que les Indiens du Paraguay n’obéiC lent qu’aux Jéfuites, foit chez eux dans leurs familles, foit quand ils marchent en armes. Dernièrement, lorfque les Efpa- gnols ont affiégé & pris la Colonie du Saint Sacrement fur les Portugais, qui eft à une trentaine de lieues de Monte¬ video, les Elpagnols a voient à leur fe- cours environ mille Indiens, à la tête delquels étoit un Pere Jéftiite, qui les commandoit en chef, & 6ns les ordres duquel ces Indiens n’auroient pas fait un pas en avant, & nauroient pas tiré un îeul coup de fufil. Mr. le Gouverneur de Monte -video, qui commandoit les Ef- pagnols, & plufieurs autres Officiers qui s’étoient trouvés à cette attaque, m’ont dit, qu’ils étoient obligés de concerter les opérations avec le Pere Jéfuite, qui donnoit enfuite lès ordres en fon nom aux Indiens, campés féparémem des Ef- pagnols. Les Dragons font prefque les feu¬ les troupes de ce Pays -là. Leurs che¬ vaux font harnachés à la maniéré du Paraguay. Ils portent tous les P on* B .b .2-,' chos m JOURNAL chos *) qu’ils trouvent plus commode qufc le manteau pour le cavalier & pour le cheval. Les chevaux ne font pas ferrés. Les harnois font auffi bien différens de ceux que l’on employé en Europe. Ils pofent premièrement fur le cheval nud une grof- fe étoffe molle & d’un tiffu peu ferré, qu’ils nomment Schuaderos ; par deflus une • H ■ *) Le Ponchos eft, comme je l’ai dit, une pièce d'étoffe de la forme d’une couverture de lit, & de deux ou trois aulnes de long fur deux de large. S’habiller, c’eft pafter la tête dans l’ouverture faite au milieu. Il pend des deux côtés & par derrière comme par devant. On le porte à cheval & à pic. Les gens peu riches & les Negres ne le quittent qu'en fe couchant. Il ne nuit pas au travail , parce qu'on le retroufte par les côtés fur le dos: ce qui laide les bras & le devant du corps libres. A cheval, ce vêtement eft à la mode, même pour les deux fexes , fans diftin&ion de rang. Au refte la fimplicité du Ponchos n’empêche pas que l’on ne difeerne le rang & le fexe; l’exer¬ cice du cheval y eft fi commun qu’on eft iur- pris d’y voir aux femmes autant d’adreffe Si de legéreté qu’aux hommes. La différence qui fait diftinguer le rang & les deux fexes quant au Ponchos , fe trouve dans la fineffe , la lege* ïeté Si. la richefte de 1’ 'étoffe. H I S T O R I CLU E. 395 une fèngle, puis un cuir affez fort, de la largeur de la felle, de qui débordent fur la croupe, fert de houfle. On le nom¬ me Carneros. Sur ce cuir fe place la felle, faite comme les bâts de nos chevaux de charge, & par deffus une ou plufieurs peaux de mouton avec la laine, coufues enfemble, & peintes d’une feule ou de plufieurs couleurs. C’eft le Peilhon * Em fin une fécondé fangle ou foûventriere* pour afîujettir le tout fur le cheval. Les étriers font petits de étroits, parce qu’ils n’y mettent que le bout du foulier; de ceux qui vont piés nuds, n’y mettent que le gros orteil. Le mords de la bride efl de fer, tout d’une pièce, de fans boffettes. Les rê¬ nes font compofées de plufieurs petites courroies, entrelaffées en forme de cordons à pendules ou à fonnettes, de ont au moins fix piés de demi ou fept de lon¬ gueur, parce quelles fervent, en même tems, de fouet. Un demi - cercle de fer, pris de la même piece des barres dans lequel on paffe la mâchoire infé¬ rieure du cheval, produit le même effet que la gourmette. La partie du Carneros qui déborde la felle 3 & porte fut 59S JOURNAL fur la croupe, eft ordinairement goffréé en fleurons. Lundi 9. Mr. le Gouverneur, Madame la Gou¬ vernante, le Major des troupes <3c fon Epoufe font arrivés ce matin, fur le mi¬ di, à bord de notre Frégate l’Aigle, On les a traités à dîner le mieux quil a été poffible. L’air de mer ou le roulis du Navire , quoique prefque infenfible, a oc- çafîonné des 11 au fées & un mal -être à l’Epoufe du Major, au point de ne pou¬ voir boire ni manger autre chofe que deux Oranges, & de fe voir obligée de quitter la chambre où Ton mangeoit, pour aller refpirer l’air fur le gaillard. Cet inconvénient a un peu troublé la fête, & les a contraints de retourner à la Ville de très -bonne heure. En les accompagnant, nous avons fenti dans le canot une odeur des plus puantes, femblable à celle qu’exhale le ca¬ davre d’un animal mort depuis long- tems- Nous nous imaginâmes dabord qu’elle étoit produite par la corruption du corps de quelque taureau, tué & abandonné fur le vivage, d’où le vent H l; s T O R I d U E. 597 Fapportoit jufqu’à nous. Mr le Gouver¬ neur nous défabufa , 6c nous afFura que c’étoit une exhalaifon de l’urine d'un animal nommé Zorillos v en colere , ou u m pourfuivi par quelqu’autre animal. Le Zorillos eft de la grandeur d’une Belette, un peu moins long, d’un poil, fauve, plus clair fous le ventre, qui eft prefque gris. Deux Hgnes blanches s’é¬ tendent le long du dos, 6c forment, de-; puis le cou jufqu’à la queue, une figure prefque ovale. Cette queue eft bien four-, nie de poil, 5c l’animal la tient prefque toujours dreflee, comme fait F Ecureuil., Lorfqu’il fe fent pourfuivi, ou quil s’ir¬ rite , il lâche fon urine , qui infefte fair à plus dune demi- lieue, par une Qdeur de charogne prefqu’infupportable.. Nous avons fenti cette odeur deux ou trois fois, à bord même de notre. Frégate, quoiqu éloignée de terre d’u¬ ne bonne lieue 6c demie: il eft vrai que c’étoit par un vent de terre. Mr. Du- clos, notre Capitaine, nous en avoit aver¬ tit ; mais ne l’en avions pas cru fur fa parole. Le Curé de Monte -video nous confirma la cliofe, 6c fit préfent à Mr. Duclos d’une fourrure des peaux coufues v 398 JOURNAL de cet animal. Ces peaux u’ont pas de mauvaife odeur. Le Zorillos eft peut- être le même que la Bête puante , ou En¬ fant àu Diable du Canada, dont l’urine produit à peu près les mêmes effets. Le Chinche des parties méridionales de l'A¬ mérique a auflî beaucoup de raport avec le Zorillos. Un autre animal, fort commun dans les environs, & du côté de Buenos -Ay- res, eft le Tatu-apara, que nous nom¬ mons Tatou , les Efpagnols Armadillo , & les Portugais Encubertado. Comme il eft très -connu, je n’en ferai pas la def cription. Ximenez dit que les écailles du Tatou, réduites en poudre, de avalées au poids d’une dragme, dans une décoc¬ tion de fauge, provoquent une fueur fi falutaire, qu’elle guérit les maladies vénériennes; quelle fait fortir les épi¬ nes de toutes les parties du corps: 8c fui vant Monades liv. iç pag. 2 , les pe¬ tits os de la queue de cet animal gué- riffent la furdité. 10. Malgré les rifques qu’il y avoit à vendre des marchandées à Monte -vi¬ deo, HISTORIQUE. 399 deo, & malgré les difficultés que Ton trou voit à les débarquer, pour les fau- ver de la confifcation , plufieurs de nos Officiers, & des gens de l’Equipage, qui avoicnt fait des pacotilles, dans Fefpéran- ce de les vendre à 111e de France 402 JOURNAL Comme il eft de conféquence de profiter du quart -d’heure favorable que le vent préfente, furtout dans le relâche de Rio de Plata, où le mouillage eft fi dange¬ reux; voyant d’ailleurs que cette Bouf- ble ne pouvoit gueres nous fervir pour l’objet des Longitudes, Mr. de Bougain¬ ville prit le parti de la laifler chez le Gouverneur, & lui écrivit par le Capitai¬ ne d’une Goélette, pour le prier de con- ferver cet Infiniment, & de le lui faire tenir en France, quand le Gouverneur fer oit de retour en Efpagne *). Tout le , • y Il nous avoit dit qu’il comptoit partir fur la fin de l’année pour retourner en Europe. Mais nous avons appris à notre arrivée à Paris qu’il ne quitteroit pas fon Gouvernement fitôt.. Mr. de Grimaidi, Ambaffadeur d’Efpagne en France, a fait beaucoup de queftions à Mr, de Bougainville fur la conduite que ce Gouverneur a tenue à notre égard. Mr, de Eougainvillè ayant par fes réponfes rendu juftice à la pro¬ bité, & à l’exaélitude dans fon devoir, de Don: Jofeph- Joachim de Viana, l’Ambafladeur avoua que les Jcfuites & leurs amis avoient envoyés à Madrid des mémoires a la charge de ce Gou¬ verneur pour le de (1er vir auprès du Roi, le fai- re révoquer, &• en avoir un à leur dévotion. M*’. de Grimaidi a juflifîé Don de Viana. * Ce- H I S T O R I QU E. 4C3 1s refie du tems de notre relâche s’efl pafle aux préparatifs de notre départ. On a vifité les Frégates, & Ton a fub- ftitué aux mâts de Hunes <3c de Perro¬ quets les bâtons d’hyver *). Ayant em- barqué douze vaches ou geniffes, fix ju- mens, deux poulains, & deux chevaux hongres, douze chevres ou cheveraux, onze truyes & un verrat, quatorze ou quinze brebis, deux béliers, beaucoup de poules & canards; le 16 le Mardi. qui, aura empêché le Roi de lui accorder fou rappel auflitôt qu’il le defiroit. Les Gazettes nous ont appris que ce Gouverneur a été con¬ tinué dans le même lieu. *) Ce font des petits mâts courts que l’on met au lieu de ceux de Hune & de Perroquets , lorfque l’on va naviger dans des mers orageufes, afin de donner moins de prife aux vents. Nous ufa- mes de cette précaution , parce qu’aucuns de nos marins n’avoient été aux îles Matouînes où nous allions, & que notre Capitaine fçavoit bien par les Relations & par lui -même, que la mer n’efi: pas tranquille, & que les orages font fré- quens dans les environs du détroit de Magellan, où nous allions. Fin du I. Tome. » ijfe **<£>11 ’W^ik tèâfc SëîfcjrT^ fc* V,-; 70%^-ï&s 1 -'•i üyii