alps Ot Dereestt ohh a LE my 7 + » pn ere ys f H seat eats! Wells Maa Maret ed eye RE Nem) Pets ah od ilies tintin niin ee. Ue vi ot rer ere a 44 7 ovVeres ” 1 ie eh Grete rheuelan tt at rea tht ites tial > Be tert tenet sterar ete ben fete palate + o Seatitats rye etarel i + ' Sew oe ree pT ot Pgh etatrit brit bth te Partitit Ot We ‘i * i vie =e ot i ~~ 3 ene tess Treet cHtterett: vy att : alata? tetete td iti bas Btatera Sitti tei i vee ; Va A yay i aire 1a a") ie Ni i Oy. A AL, \ BUA aha is | » i . eA tem a lie , ‘ eer 7 ‘ ei tt 4 i . “Sree Ca wae ee Pi x | MEMOIRES COURONNES AUTRES MEMOIRES, ate WACADEMIE ROYALE DES SCIENCES , DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. - COLLECTION IN-8°.— TOME WHIT. BRUXELLES. _M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L ACADEMIE ROYALE. 1859. MEMOIRES COURONNES AUTRES MEMOIRES. A) a at : ru § + » ar) MEMOIRES COURONNES ‘ ET ' AUTRES: MEMOIRES, PUBLIES PAR LACADEMIE ROYALE DES SCIENCES. DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIOUE. COLLECTION IN-8°.— TOME WEEE. b BRUXELLES. M. HAYEZ. IMPRIMEUR DE L ACADEMIE ROYALE. 1859. CONSIDERATIONS SUR QUELQUES CLASSES DE COMPOSES ORGANIQUES Tome ET SUR LES RADICAUX ORGANIQUES EN GENERAL; FAR LOUIS HENRY, Docteur en sciences naturelles. (Présentée a la classe des sciences, le 4 avril 1857.) Vill. { CONSIDERATIONS SUR QUELQUES CLASSES DE COMPOSES ORGANIQUES ET SUR LES RADICAUX ORGANIQUES EN GENERAL. PREMIERE PARTIE. § I. —Le nombre des acides monobasiques actuellement connus en chimie organique est assez considérable. D’apres leur degré doxygénation plus ou moins élevé, nous pouvons les ranger en di- verses classes : dans la premiére (numériquement de beaucoup la plus étendue), nous plagons les acides qui, considérés dans leurs sels, ne renferment que trois équivalents d’oxygeéne; dans les au- tres, qui sont loin d’étre aussi riches, se répartissent ceux qui, dans le méme état, en contiennent 5, 7, 9, 14, etc., en général, la suite des nombres impairs. Entre tous les membres de ces différentes classes, quelque éloi- gnés quiils puissent étre dans leur composition, existe une simi- litude parfaite de fonctions. Quel est le lien qui sert a les rattacher mutuellement ? Com- ment peut-on les concevoir dérivés les uns des autres ? Soumis a l’action d’une solution aqueuse de potasse bouillante, ee) le cyanure d’hydrogéne se transforme en formiate d’ammoniaque. Des nitriles eu mieux les cyanures des radicaux multiples positifs organiques, placés dans les mémes conditions, se conduisent d’une maniére en tout semblable, ainsi que le constate le rapproche- ment des équations qui servent & exprimer ces réactions : H, @2N + 4HO = (NH*)O, C?(H) 0° —— A. cyanhydrique. A. formique. (C?H*), C2N + 4HO = ( NH‘) 0, C?(G*H®) O05 > ae —— Cyanure de méthyle. A. acétique. ( C‘HS), C2N + 4HO = (NH‘) 0, C? (C4HS) 08 — —_—_—_— Propionitrile. A. propionique- (CH), C2N + 4HO = (NH*) 0, C? (CYH) 05 = Benzonitrile. A. benzoique. Tandis que, dans le premier cas, nous obtenions de l’acide for- mique simple, dans les autres, nous avons, comme résultat, un acide composé. Les radicaux qui remplagaient lhydrogéne vis-a- vis du cyanogéne dans les nitriles, le remplacent également dans Vacide formique. Quand on a égard a ce mode de production, les acides acétique , propionique, benzoique, etc., ne peuvent s’appeler autrement ni mieux que méthyloformique , éthyloformique , phényloformique, ete. Devenus négatifs par la substitution de deux équivalents d’oxy- géne a deux équivalents d’hydrogéne, ces radicaux conservent toujours la propriété de s’unir au eyanogéne (1). Traités 4 chaud par une solution de potasse, ces nouveaux cyanures négatifs pour- ront-ils encore subir les mémes transformations qu’auparavant? C’est ce dont il nous est impossible de douter un instant, en pré- sence de l’équivalence fonctionnelle parfaite des composés a radi- (1) Jusqu’a présent, les cyanures négatifs constituent une classe de composés trés-peu connue et trés-peu étudiée : on n’a pas encore préparé le cyanure de benzoyle ni celui de cinnamyle, Des qu’on les soumettra a l’étude, on les ob- tiendra facilement 4 l’aide des chlorures bromacés et d’acides qui sont presque connus des maintenant. ——— (3) eaux positifs et des combinaisons correspondantes 4 radicaux né- gatifs. Les réactions suivantes semblent mettre cette équivalence suffisamment en lumiére : (C‘H5) O (C‘H®) O Laas K 0 + CHI = (CHS) 0 EK) 21220. (Williamson). ly 0 mee (C*H°0*) O of + CHO CL = upg) 9 | + KCL. - (Gerhardt). a) Pid, he esi iv CHET? } i" a rly = (CH) O KT Oh: (Williamson). it ) os (C‘H°0*) O ) . i} + CMHPO%, Cl = Craps f + Kl... (Gerhardt). (C4H®) 4 (C4H5), Cl + NEP is ae ee N SHG ea (Hoffmann). H C*HS0? CH#O?,Cl + NH = UH N + HCL... (Gerhardt). H Retr tO) (CHP) Oy tbe a ne 0 oso) a prsatic in har tin (Frankland). C*H*0*, Cl + HO + HO = (C*H*°0?)0, HO + HCl. .... (Gerhardt). © eye 5 O's (C7H”)O; HOP ISON. (Liebig). A. ey ’ C04, 2S0% = (C4H*0%)0, HO, 2S0°............. (Melsens). ———_ A. sulfacétique. En soumettant done un cyanure négatif, le cyanure d’acétyle, par exemple, au méme traitement auquel nous avons soumis les nitriles organiques que nous venons de citer, nous obtiendrons : (C4H*0"), C2N +- 4HO = (NH*) O, G?(C‘H*02)0°. Avec le cyanure d’éthyle, nous avions obtenu de l’acide formo- éthylique (propionique). Son correspondant négatif, le cyanure dacétyle, nous donne actuellement un acide formo-acétylique C? (C4H°0?) 0°,HO. La structure de ces deux produits est identique, et leur composi- (6 ) tion globale est équivalente, mais la distribution des atomes entre les éléments constitutifs C, H et O, a changé et la différence que l'on observe est identique a celle qui existe entre les radicaux qu’ils renferment en substitution a l’H de l'acide formique. L’introduction du R acétyle dans l’acide formique y a amené deux nouveaux équi- valents d’oxygéne qui, ajoutés aux trois équivalents primitifs de cet élément, en ont élevé le nombre jusqu’a cing. Nous voici done parvenus a passer, d’une manieére sensible et facile, d'un acide a trois équivalents d’oxygéne A un acide qui en renferme cing. Dans cet ordre d'idées, les cyanures négatifs nous apparaissent avec une signification nouvelle, comme les cyanures des R positifs représentent les nitriles des acides trioxygénés. Les cyanures des radicaux acides représentent les nitriles des acides quintioxygénés, Continuant 4 marcher dans la voie ol nous venons d’entrer, nous arriverons aux acides a sept équivalents d’oxygene. Dans ce but, nous ferons usage des cyanures 4 R : C’*H*—‘O* des acides quintioxygénés. Ces radicaux renfermant quatre équivalents d’oxy- géne, leur arrivée dans la molécule formique portera jusqu’a sept le nombre des équivalents de cet élément. Le cyanure d’anisyle nous donnerait, par la réaction suivante: C'SH705, C2N + 4HO = (NH‘)O, C2 (C'H704) OF = (NH4)O, C1H70% —_ — Cyanure d’anisyle. A. formo-anisique. un nouvel acide C'8H707, HO, dont il serait lui-méme le nitrile. En répétant le méme genre de réaction, nous pourrons, par les cyanures des acides a sept équivalents d’oxygéne, nous élever jus- qu’a ceux qui en renferment neuf, de ceux-ci 4 d'autres qui en contiennent dayantage, et ainsi de suite, en passant par toute la série des nombres impairs, Si au moyen d'un acide C** H*—' 0° nous pouvons obtenir une suite d’acides plus oxygénés , C2 +2107, C*@+4 H*—-1O7, C™+6H%*—109 etc, de méme aussi nous entrevoyons la possibilité de dériver, & l'aide a a (7) des cyanures ou des nitriles, dun acide polyoxygéné queleconque , C*H*—‘'O*, une série d’acides moins riches en oxygene : C2" —2 H2r— 102 —1, C2" —4 2x —1 22 —3, C2n—6 22—1 922-5» etc. Le nitrile d'un acide a sept équivalents d’oxygéne, soumis a Yaction de l’eau seule (1), nous fera descendre a un acide qui n’en renferme que cinq; et, par le nitrile de ce dernier, nous nous abais- serons yers un acide trioxygéné. - Tout ce que nous venons d’établir peut étre résumé dans les deux propositions suivantes : 1° Tout cyanure quelconque, CN, C*H™*—'O*, doit étre re- gardé comme le nitrile d’un acide plus oxygéné dont le radical est représenté par le symbole C"™*?H*—*O* *?; 2° Les cyanures acides sont les points d’attache qui servent a relier les unes aux autres les différentes classes d’oxygénation Wacides monobasiques. Nous joignons ici la liste aussi compléte que possible des acides polyoxygénés. Un coup deeil jeté sur ce tableau, nous permettra de faire quelques remarques assez importantes, et de signaler quelques rapprochements assez curieux. Plusieurs de ces termes renfermant, comme substitution a hy- drogéne formique, des radicaux connus, il serait dés maintenant possible de les dériver par les cyanures négatifs d’acides moins oxygénés. Sont dans ce cas : les acides pyruvique (formo-acétique), anisique (formo-pyrogaiacique ), phlorétique (formo-térébenthy- lique), coumarique (formo-toluique), ricinolique (formo-marga- rique), tous a cing équivalents d’oxygéne. Un semblable rapport relie Vacide opianique a J'acide véra- (1) Mis en présence de l’eau bouillante, le cyanure de benzoyle régéncre Vacide benzoique et dégage de l’acide cyanhydrique : C?N, CH5O? 4- 2HO = C?NH + C'H50°, HO. (Lichig et Weehler.) (8) trique, l'acide évernique a lacide Jécanorique. L’acide opianique nest que de l’acide formo-vératrique et l’acide évernique, de l’acide formo-lécanorique. Tableau général des acides polyoxygénés. RADICAUX ACIDES POLYOXYGENES. DACIDES TRIOXYGENES dont ils dérivent. EE —— Acides a 5 éq. d’oxygéne. CSESOSHIO ee es a C+Hs0:? ( acetyle). Ac. pyruvique (formo-acétique). OBES O St ie retrt ts) wie CsHs0:. Ac. pyromucique. Ac. méconique. : CHREOSHO WAS Seales epee C12?H802 (radical de l’acide). C12H503,HO (derive du styrol). (Scharling. ) CHO SHO. nfl. os : C14H702 (pyrogaiacyle.) Ac. anisique; Ac. formo-py- D=C2he rogaiacique. Ac. salicylique. aed sHO? (Gerhardt). J}. . . . C18H°02 (térebenthyle. ) SE eau | formo-te- ebenthylique). CASH AOS Oe coda green, Degas C18H702 (toluyle). Ac. coumarique (formo-toluique). GEHSOS HOP ewes see ket ae C1oHsO2, Ac. japonique. C29 Cls05,HO. Ac. perchloroxynaphtalique. | C2°oH+ C105,HO. Ac. chloroxynaphtalique. CisHsOe. C20Hs (NO4)? O5,HO (Erdmann). Ac. porphyrique. C°H!903,HO(Mason, Weld) . . C23H°0=, Ac. pitzoique. ee RADICAUX ACIDES POLYOXYGENES. B’ACIDES TRIOXYGENES dont ils dérivent. (OEE E OE aa ee SU ae C34H5502 (margaryle). Ac. ricinolique (formo-margarique). CZSHS=OS SHOT). S538 0: sci hs. ae C26H3302. Ac. lichenstearique. C+oH270,HO (Fehling) . . . . CssH2702, Resine dubaumedecopahu, colombo, etc. ( D=H: C4oH2905,HO (Johnston). . . . CssH2902. } Res. acide d’euphorbe, ladanum, ete. RE RAACO SHO) ah certuercha at 6) fh C26H1402. Ac. benzilique. Acides a 7 éq, d’oxygéne. CASHU OIA Ot Pat ciosn \wedahiond = 410 C12H702. ’ Ac. orsellique. D=C2H?. CREOUHO AS oes |.“ C44H902 Ac. veratrique ; évernique. CLEA) a C14H502 (benzoyle). Ac. parellique. C#0H3507,HO (Ethix et Williamson). Cs6H550? (stearyle). Ac. lithofellique. SELLE TUG 1 i aR meas ee th Ss C0902 (valeryle). Ac. térébilique. CseH707,HO (Kopp) - . . . . C3*H702. Résine a) du baume de Tolu. CS°H3°07,HO(Strecker).\ . . . . Ci0H 3902. Ac, hyocholalique. D= C?H?. C48H3707,HO (Id.) .) . . . . C44H3702. Ac. choloidique. Acides & 9 éq. d’oxygéne. CLA | Ue Se eae Ae C18H906, — C402, Ac. opianique (formo-veratrique). Varatryle. C+*H39°09,HO (Strecker). . . - C4202. Ac. cholalique. ( 10 ) RADICAUX ACIDES POLYOXYGENES. D’ACIDES TRIOXYGENES dont ils dérivent. Acides a diwers degrés d@’oxygénation. C8°H8°0,HO (Thompson). . . C72 H5902, . dammarique. Cs2Hts015,HO . - lecanorique. CHMOD. arteries > ok C28H1802. - usneique. OS BESO CHO ge See en ee) CxzHt50412, — C2302, - evernique (formo-lécanorique). lécanoryle C28H15045,HO (Warren; Dela Rue). CreHts02. - carminique. CPR HO. ee C20H#802 (camphyle). - erythrique. C##H!7024,HO (Laurent; Erdman). C24H1702. - euxanthique. Plusieurs de ces composés, appartenant & la méme classe acide doxygénation, ne différant mutuellement que par C?H?, font partie de la méme série homologue, et peuvent étre rapportés a des termes voisins des mémes séries d’acides trioxygénés. Dans ce cas se trouvent: 1° les acides salicylique, anisique et phlorétique qui se rapportent a des termes immédiatement voisins de la série acide C?" H?"—°0?; 2° Les acides orsellique et vératrique, qui correspondent aux radicaux C!?H7 0? et C!4H9 02 de la série C?"H*"—*0". L’on peut encore remarquer que les acides térébilique et litho- fellique doivent étre rapportés & des membres de la série des acides gras, le premier au valéryle, le second au stéaryle. § I.— Ainsi que nous l’avons déja fait observer, tout radical po- sitif devient négatif par la perte de deux équivalents d’hydrogéne ( 44) et l'adjonction a leur place de deux équivalents d’oxygéne. Tout alcool différe done de son acide correspondant, en ce qu'il ren- ferme deux équivalents dhydrogeéne en plus et deux équivalents d’oxygéne en moins. L’exactitude de ce rapport se vérifie pour tous les termes des séries des acides gras et aromatiques, dont les alcools sont connus. Le principe de ’homologie nous autorise a croire qu'il se maintient également entre les acides polyoxygénés et les alcools dont on peut regarder ceux-ci comme deérivés. La relation qui existe entre l’al- cool anisique et son acide (1) prouve, d’ailleurs, que l’extension que nous avons donnée 4 cette sorte de loi est légitimée par l’ex- perience. Partant de cette donnée, il nous sera possible de passer des acides polyoxygénés a leurs alcools, et de déterminer quelles sont ou plutét quelles seront les formules de composition de ces corps lorsqu'ils seront réalisés. ' Voici la liste de ces acides et des alcools correspondants : Tableau des alcools correspondant aux acides polyoxygénes. ACIDES | ALCOOLS. MONOBASIQUES ISOMERES. “TLCS CSA a C&H505,HO. Alcool pyruvique. Acide propionique. “UCTS RYDE tO a a C10H3505,H0. Alcool pyromucique. GEMtORHO). 6 f-. 2 acl C14H703,HO. Saligenine. Acide pyrogalacique. | C'6H903,HO. (Cannizzaro). . C'6H905HO. Alcool anisique. Acide terebenthylique. (1) €'®H70°, HO = acide anisique C'SH°0*, HO = alcool anisique. (Cannizaro et Bertagnini, dnn. de chimie et de physique, tome XLYII, 5° série, page 285.) ( 12 ) ALCOOLS. C'SH1105,HO Alcool phlorétique. C18H905,HO . Alcool coumarique. C!2H70°,HO? Alcool japonique. C2°H6Cl0>,HO . Alcool chloroxynaphtalique. C50H?!05,HO Alcool pitzoique. 55H5505,HO. Alcool ricinolique. C28H5503,HO. Alcool lichensteéarique. C4#0H?90>,H0. Alcool de la résine du Perou, Célonibn, C0H5!03,HO. Alcool de la résine d’euphorbe , ial num, etc. C*SH'505,HO. Alcool benzilique. C16H905,HO . Alcool orsellique. C'SH105,HO. Alcool yeratrique. C'SH705,HO . Alcool parellique. €40H5705,HO. Alcool lithofellique. C4H1405,H0 Alcool terebilique. ACIDES MONOBASIQUES ISOMERES. C!SH1103,HO (C!SH15 phoryle). C48H903,HO (C1SH‘2 cuminyle). C!2H70°,HO. Acide pyrotéerebique. C20H705,HO. C50H*103,HO. C36H5505,HO. Acide stéarique. C*SH%503,HO0. C40H2905, HO. Résine de la colophane. 40H3103,HO. C28H'503,HO. C16H903,HO. C'8H1108,HO. C!8H705,HO. Acide coumarique. €40H5703,HO. CMH1105 HO, ALCOOLS. €36H903,HO (Kopp) Résine alcool a) du baume de Tolu. C50H4105,HO. Alcool hyocholalique. C48SH5905, HO. Alcool choloidique. C2°H'!07,HO. Alcool opianique. C4SH407,HO. Alcool cholalique. C80H6!09, HO. Alcool dammarique. C2301 HO Alcool lecanorique. C58H17011,HO Alcool usnéique. 034H15013,HO Alcool évernique. C*SH15015,HO Alcool carminique. 052H!7015,HO Alcool érythrique. C#H!9019,HO . Alcool euxanthique. ACIDES MONOBASIQUES ISOMERES. C56H905, HO. C3H4105,HO. C4SH5905,HO. C20H1107,HO. C4SH4107,HO. CS9HS109, HO. C57H15011,H0. C58H17011,HO. C34H115015,HO. C2SH15015,HO. C52H17013,HO. (42119019, HO. L’examen de ce tableau nous révéle un fait d’isomérie des plus remarquables, et qui consiste en ce que tous les alcools affectent des formules tout 4 fait identiques A celles d’acides monobasi- ques: ainsi ’alcoo] pyruvique est isomeére avec acide propionique ; Valeool anisique avec Vacide térébenthylique; la saligénine avec ( 14 ) Vacide pyrogaiacique; alcool ricinolique avec Vacide stéarique ; enfin, la formule de l’alcool parellique est identique 4 celle de acide coumarique. La proposition suivante peut servir 4 énoncer dune maniére générale et 4 préciser ces intéressantes relations : Les alcools correspondant aux acides polyoxygénés sont d'une iso- mérie parfaite avec les acides immédiatement inférieurs, quant a Voxygénation. 8 III. — Les anhydrides monobasiques présentent une gradation dans l’oxygéne, suivant les nombres impairs, tandis que les an- hydrides bibasiques offrent une gradation semblable, suivant les nombres pairs. De 1& naissent diverses classes d’acides bibasiques earactérisées par la quantité plus ou moins considérable doxygéne que ces acides renferment. On a rattaché aux acides monobasiques trioxygénés, les acides bibasiques 4 six équivalents doxygéene, considérés dans leurs sels neutres. Quant aux autres acides biba- siques qui présentent un degré d’oxygénation plus élevé, ils n’ont encore aucune place marquée dans les classifications chimiques rationnelles. Essayons de la leur assigner. Soumis 4 l’action des oxydants énergiques, l’acide butyrique perd deux équivalents dhydrogéne, en méme temps qu'il en gagne quatre d’oxygéne, et se transforme en acide succinique (Des- saignes ). C®H804 + 60 = C8H*°08 + 2HO = C&H‘0®, 2HO + 2HO. Sil nous était permis de généraliser cette réaction, nous di- rions que tout acide monobasique C”H*"~*O* se transforme en son acide bibasique correspondant par la perte de deux équivalents WH et l’adjonction A leur place d’une quantité double d’oxygeéne. Cette formule, en méme temps qu’elle exprimerait le moyen de passer des acides monobasiques aux acides polybasiques et réci- proquement, constaterait la différence qui existe entre deux acides correspondants, différents en basicité. © Appliquons cette réaction aux acides polyoxygénés, nous yer- rons qu’aux anhydrides monobasiques 4 cing équivalents d’oxy- géne correspondent des anhydrides bibasiques qui en renferment Purr ae ( 15 ) huit; & ceux qui en contiennent sept, des bibasiques qui en ont dix, et ainsi de suite. A tout anhydride monobasique C*”H*—'O*~—' correspond un anhydride bibasique C*" H*—‘0* *+?. A cété des acides polyoxygénés, nous avons placé, dans le ta- bleau suivant, les acides bibasiques correspondants. On remar- quera facilement, en y jetant un coup d’eil, que bon nombre de ces acides bibasiques se rapportent a des composés bien connus. Acides bibasiques de différentes classes correspondant a des acides polyoxygénés. ACIDES ACIDES BIBASIQUES. MONOBASIQUES CORRESPONDANTS. A & équiwalents d’oxygéne. OUSeaEE Oy hace eee Cae ae C6H>05,HO. . mésoxalique. Ac. pyruvique. C1008,2HO . ese pom cif C10H505 HO. . eroconique. : Ac. pyromucique. C12H?08,2HO BaP . C'2H505,H0. + coménique. Ac, japonique? C8H?08,2H0. . tartronique. CSH408,2H0. - malique. C16HS08,2HO. . cholestérique. C??H1008 2HO? . sinapique, A 10 équivalents doxygéne. C8H4010. oHO. . tartrique. C20H1107,HO. Inconnu. ist: CALC): CS a D=C2H?2. . hemipinique. #811907, HO. \ Ac. vératrique. C12H 10010, 2HO (Strecker). Ac. lactique. ( 16 ) DEUXIEME PARTIE. § It. Par les considerations précédentes, nous avons 4 réunir dabord dans un seul faisceau, les acides polyoxygénés et 4 les ratta- cher ensuite aux acides trioxygénés. Nous avons signalé les com- posés qui, placés sur la limite de deux classes voisines, peuvent servir de transition de lune a l’autre. A cété de ces acides se pla- cent immédiatement des acides polybasiques et des alcools qui affectent séparément entre eux les mémes rapports que les acides auxquels ils donnent naissance. Nous avons pu de cette maniére constituer un systeéme de composés polyoxygénés ou toutes les parties s‘enchainent et se lient dune maniére assez étroite. Dans cette partie, nous nous proposons de nous occuper des anhydrides monobasiques trioxygénés et de leurs alcools. Au point de vue des rapports quiils affectent les uns a l’égard des autres, l'étude générale de ces produits est déja bien avancée. Ces acides et ces alcools viennent se ranger, pour la plupart, dans deux grandes séries homologues, celle des acides aromatiques et celle beaucoup plus nombreuse des acides gras. A cdté de cette derniére, on en distingue depuis quelque temps une troisiéme, ot l’on trouve les acides acrylique, angélique, pyrotérébique, dama- lurique, ainsi que l’acide oléique et ses congénéres. Nous désigne- rons cette derniére série sous le nom de série oléique, qui lui a déja été appliqué par d’autres chimistes. Les nitriles sont les de- grés qui servent a monter ou descendre dans ces séries verticales. Chacune d’elles prise isolément , constitue done un systéme com- plet. Quels sont les liens de parenté qui les unissent entre elles? c'est 14 un point sur lequel on se tait généralement, méme dans les ouvrages théoriques les plus récents. Nous allons tenter de combler cette lacune. Une étude sérieuse et attentive des réactions connues est de nature, pensons-nous, a nous faire admettre dune maniére légitime que les séries aroma- Oe pe Ewes (17 ) tique et oléique peuvent étre dérivées de la série des acides gras. Quoique les travaux importants qui ont été publiés depuis quel- ques années, aient déja donné lieu 4 des déductions remarquables, nous croyons quon n’en a pas encore tiré tout le parti possible. Soumis a action de loxyde argentique ou d’un de ses sels, le propylene iodé C® If>, 1, donne les éthers allyliques (Berthelot). Le toluene monochloré C* H’, Cl, chauffé avec la potasse aqueuse donne naissance & alcool benzoique (Cannizzaro). Le grand prin- cipe de Uhomologie nous porte a admettre que tout autre carbure hydrique, CH”, chloré, bromé ou iodé, en présence de certains oxydes métalliques, subirait, comme les deux précédents, le phé- nomene de la double décomposition , et produirait, comme résultat final, des composes alcooliques ou éthérés. Arrétons-nous un instant a ces réactions. Lalcool propylique a fourni, par l'intermédiaire du propylene , Valcool allylique; ces deu¥ alcools ont une histoire chimique d’une symétrie parfaite; ensemble des composés allyliques se déve- loppe, suivant un parallélisme non interrompu, & cdté de ceux de Valcool propylique, de Valeool éthylique, ete. Il est done bien rationnel d’espérer que cette similitude de fonction des alcools se maintiendra encore entre Jes carbures hydriques que l'on peut en dériver par déshydratation. Ainsi, en préparant Vallyléne iodé C° H%, I et en le soumettant, comme le propyléne, a laction des sels argentiques, il donnera incontestablement un alcool C°H5 0, HO et ses composés éthérés, Continuant sur C° H® 0, HO Je méme systéme de transformation que sur les deux premiers, on en dé- duira successivement un nouveau carbure hydrique C® H? et un nouvel alcool C5 H. Ici on est forcé de s‘arréter faute dhydrogéne, Si, au lieu de prendre pour point de départlalcool propylique , on avait choisi un alcool plus riche en hydrogéne, l’alcool nan- thylique, par exemple, nos déductions eussent pu recevoir une extension plus considérable. L’cenanthyléne monochloré ou mono- iodé C'* 14> Cl ett donné un aleool A radical C1*H'> correspon- dant 4 Vacide damalurique. En opérant sur ce composé la méme suite de réactions que Tome VIII. 2 ( 18 ) précédemment, on arriverait insensiblement, en passant par CHE, CUHU, Cl Ht, Cl’ H® & un earbure hydrique C!4H8 dont Valcool serait C4H70,HO et Pacide C!4 1505, HO. CUHS représente le toluene, C!*H70, HO Paleool benzoique et C415 05, HO son acide monobasique. Les développements que nous venons de donner nous autori- sent done a croire que, des différents termes aleooliques de la série C*™IH"*', on peut passer insensiblement aux différents termes C"1P"~! de la série oléique, C’*H’"—7 de la série aroma- tique. Aux alcools se rattachent de la maniére la plus intime les acides correspondants; entre lacide propionique et lacide acry- lique, la filiation est bien proche par les alcools; et nous en con- cluons que les différents termes des séries des acides aromatiques et oléiques peuvent étre dérivés des termes également carbonés de la série des acides gras. Cette conclusion est quelque peu hardie, sans doute, puisque, jusqueaaintenant, elle n’a encore recu qu'un commencement de sanction expérimentale. L’alcool propylique et son acide donnant naissanee, en passant par le propylene, A V’alcool allylique et a Vacide acrylique, est le seul fait positif de transition dune série a Yautre. Nous osons regarder cependant notre maniére de voir comme trés-rationnelle, parce quelle n’est que la généralisation de réactions bien connues. Comme ‘conséquence de la proposition que nous avons établie plus haut, on peut dire que lacide formique qui domine la série des acides gras, domine également les séries oléique et aromati- que qui en dérivent. Autour de ces séries vient se grouper la longue suite des acides mono et bibasiques des différents degrés doxygénation, et, dans cet ordre didées, i] nous apparait tout au sommet du vaste systéme dont il ‘est le générateur premier. Nous aurons plus loin 4 revenir et A-nous étendre plus longuement sur ce point. 2 ( 19 ) TROISIEME PARTIE. SI. Il y a déja longtemps que l'on a assimilé les carbures a nombre pair d’équivalents d’hydrogéne ou les halydes C*" H* aux hydrures de radicaux positifs C’”H**—*. Ces carbures hydriques monochlorés, bromés, iodés, représentent alors les chlorures, bromures et iodures de ces mémes radicaux alcooliques (1). Nous adoptons entiérement cette maniére de voir, et il ne nous sera pas difficile de trouver, dans Vhistoire chimique de ces com- posés, bon nombre de réactions qui viendront démontrer com- bien elle est Jogique et rationnelle. Nous appellerons ici encore 4 notre secours le propylene et le toluéne : M. Berthelot a parfaitement bien établi que le propylene iodé C°H*T est identique & léther allyliodhydrique C®H®, 1; sui- vant M. Cannizzaro, le chlorure de benzéthyle CH’, Cl (2) se comporte d’une maniére en tout semblable au toluene monochloré Ct’, Cl. Ce sont la deux faits d'une importance majeure et auxquels le principe de ’homologie vient encore donner une valeur nouvelle, en étendant le nombre des carbures auquel ce mode de réaction est applicable. Les halydes possédent la faculté d’échanger, lors- quiils sont mis en présence de Vacide nitrique, dans des circon- stances variables , un équivalent d’hydrogéne contre un équivalent (1) Cette seconde partie de la proposition n’est pas aussi yraie, ni aussi générale que Ja premiére. Les halydes C2" H2"+2 monochlorés ne sont qu’isoméres avec les chlorures des radicaux C2" H2" +1. Le formeéne et l’aceténe chlorés, C? H* Cl et C*H* Cl, ne sont pas les chlorures de méthyle et d’éthyle, mais seulement des hydrures de méthyle et d’éthyle monochlorés. Le chlore s’est substitué non pas 4 l’équivalent d’hydrogeéne libre, mais a un équivalent d’hydrogéne du radical. Cette sorte d’exception n’éte rien de leur valeur aux arguments que l’on peut alléguer pour montrer que les halydes C2" H sont bien réellement des hydrures CH —*, H. (2) dnn. de chimie ct de physique, 5"* série, tome XLV, page 468. ( 20 ) de nitryle NO#. Ainsi modifié, le carbure primitif C°*H** devient re (NO). Le groupement C*" H**~', quia la forme d’un radical positif, en a également les propriétés, car il est capable, ainsi que les radicaux @alcools, de remplacer Vhydrogéne dans l’ammoniaque. Que lon soumette, en effet, ces produits nitrés a l'action des agents réduc- teurs du sulfide hydrique (Zinin) ou de lacétate ferreux (Be- champ ); NO*# se transforme en NH?, qui s’associe a Ja place dun troisiéme équivalent d’hydrogéne, le groupement C*"H*—‘, et Pon obtient, en définitive , des ammoniaques composées C2” 2x4 \ H N, H comme si l’on avait fait réagir un iodure d’alcool sur Pammo- niaque elle-méme. La benzine, le toluéne, le xyléne, le cuméne, la naphtaline et le phtaléne nitrés sont autant d’exemples que nous avons a citer de ce genre de métamorphose. En réagissant sur NH®, les chlorures, bromures et iodures des radicaux positifs y introduisent, ainsi que nous venons encore de le dire, a la place de 'hydrogeéne simple, l'hydrogéne composé avec lequel ils étaient unis. Sous ce rapport, nous avons encore une nouvelle analogie a signaler entre les halydes monochlorés, ete., et les éthers halogénes. Le propylene iodé donne, avee NH, Vallylamine : c® He H } N_ (Berthelot) H / de méme que l’ether iodhydrique, dans les mémes circonstances, donne l’éthylamine : ? ci He Hi N. H La liqueur des Hollandais, ou plus rationnellement le chlorhy- drate Wethylene chloré C’H*, Cl se comporte de la méme ma- (21 ) niére. Chauffée pendant quelque temps en vase clos avec de Vammoniaque aqueuse, elle produit, par une double décomposi- tion qui s‘exerce entre NH® et C+H®, Cl de l’acétylamine : Cire ) H ( N_ (Natanson) (1). H Il nous est impossible de ne pas étendre cette réaction au buty- léne, a l'amyléne chlorés ou bromés, au stilbéne, & ia naphtaline ehlorés, tous halydes homologues ou isologues de l’éthyléne. Dans toutes ces circonstances, nous voyons done toujours se séparer des carbures hydriques C**H* du groupement C?" H*~', qui remplit absolument les mémes fonctions qu’un radical aleoo- lique. La conséquence logique d'un fait aussi général et aussi constant nest-elle pas que ces carbures hydriques doivent étre regardés comme des hydrures de radicaux positifs et que leur formule brute étant CH, leur formule rationnelle doit étre C2" 2-1 > H Les hydrogénes carbonés C*" H* qui peuvent donner naissance 4 des radicaux positifs C*"H**-' proviennent eux-mémes, par dés- hydratation, d’alcools a radicaux C” H* ** quils peuvent régénérer. L’éthyléne et le propylene se transforment en alcools éthylique et propylique par une action inverse a celle qui les avait produits, e’est-a-dire par hydratation (Berthelot.) (2). La parenté qui relie les radicaux positifs aux carbures hydriques est done bien proche et bien étroite. La théorie des radicaux de Lie- big, qui accorde tout aux premiers, et celle des noyaux de Laurent, qui donne tout aux seconds, ne different guére, dans le fond, l'une de Yautre par les résultats, et la distance qui les sépare n’est en réalité pas plus considérable que celle qui s’observe entre ’éthyle (1) Ann. de chimie et de physique , 3™ série, tome XLVI, page 111. (2) Idem, 5° série, tome XLIIL, page 585. ( 22 ) et le propyle, dune part, l’éthyléne et le propyléne, d’autre part. Tout carbure hydrique C* H*~‘ pouvant étre considéré comme un hydrate de radical d’aleool C* H**—', et tout alcool & radical Cc" H**—* pouvant donner lieu, par déshydratation, 4 un nouveau carbure C*” H**—?, la combinaison de ce double fait nous améne i formuler, comme conséquence, la proposition générale que voici : Tout radical binaire C" H* ** peut étre considéré comme le point de départ ou le générateur d’une suite de radicaux C0 H* + *-) et de carbures hydriques C™H*-), qui s’en déduisent par une déshydrogénation successive de plus en plus complete. Tachons de rassembler, dans un tableau unique, la suite de tous ces radicaux et carbures primaires et dérivés. (Voir le tableau ci- contre.) Ecrivons, les uns sous les autres, la série nombreuse des radicaux C*" H*"**, dont les alcools correspondent aux acides gras; & droite de chaque terme se placeront tous les dérivés moins hydrogénés. Nous voyons alors se former, 4 cdté de chaque terme de la série grasse C*"H’"* *, une suite horizontale, constituée alter- nativement par des carbures et des radicaux. Entre les dérivés radicaux et halydes des différents générateurs, par l’ablation d’un égal nombre d’équivalents d’hydrogéne, la méme différence con- tinuant toujours a se maintenir, de méme qu’entre deux termes voisins de la série primaire CH" **, nous voyons se former 4 cété de la série mére une suite nombreuse de séries verticales de radicaux et de carbures moins riches en hydrogéne. Les formules générales des différentes séries sont représentées pour les halydes par : C2n He yn H2 —2 Cz H2"- C2" H2a— 6 C2" H2n— 8 GPA F810. BUD, con om omit cnn on cone cane " uv me n sure cone cone cunt cone DES RADICAUX C*H"~* ET DES HALYDES G?H* DERIVE TABLEAL GENERAL DE LA SERIE C?H*"*' Page 22 “ue > a le - 7 eet con cn cma con ow De our on cou oon on on ou on on on | cone ont cur coon cone cont wn coon con con (e caus oun con ovr oun cu cons cunt oun con cone Ts Cy cnn con oun con con con ) own con cum} com cone cm = = = | ao eee = = } =! we oun own con c Coot ¢ crn con cunt cunt cunt curr cnt i 5 : con F Je i : : Sh ees | Se a 2 = 1 TT cou come con own or ¢ con con con con cm com, | con cur con | peat = | cen con 2 = — = us = - — —- u cont con con con con ou con conv on cn cor con com con | com on ! | wd 1 cane ca can can can cme con cam cen cont con oon con con cu oon oon cor _ = = —_—————_ = : at — “H com! our cum | oun “nt ¢ con cane ( com, | comm, | com cunt oun oon oun om, | ma : '. | | " on cure con can Hl cou con cone | cmn co, | caw con con Call on, oor all) our | | | —— = - — —_——_, — —— - | —-— — = = | Fi cnn com on com Fi c on c com con ae caw con coun’ ca cn con — — = = - — ; — - — } - = Set aa |e | an | a0 | aan u cue ou on oom on or cones cor cone, ou on cor cous oom, | con, | cat. con, | anit | me cons 5 | “taarests) 7 | | | | | | | | | n on ours car ou on cm | cow core, || comm ae cm our com me cane om com ot | | | | = ——— —— 2 — - ——— ~ ao — ——— T == say ans ‘ ours cums our on on on om | om ours on ours cone oe on om ou yt core ‘ ou on ou on = om our on am, one cure on ai P= ee wan ow — -—— - — ——<——— = =. 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C2" H2"—9 0? (série des acides aromatiques) (1). En méme temps que ces séries verticales apparaissent, nous en voyons d'autres s‘étendre horizontalement a chaque échelon de la série grasse : ce sont des séries de déshydrogénation, constituées alternativement par des radicaux alcooliques et par des halydes qui relient, comme nous l’avons yu, les termes correspondants de deux séries yerticales voisines. Outre ces deux sortes de séries caractérisées, les verticales par C? H?, les horizontales par H?, différences qui existent entre deux termes yoisins, notre tableau en fait apercevoir une troisiéme (1) Nous n’ignorons pas que, dans un travail publié, en septembre 1856, dans le Journal fiir praktische Chemie d’Erdman et Werther, M. Van Kerckoff, professeur de chimie a l’université de Groningue, a signalé de semblables séries. Dés longtemps ayant l’apparition de ce travail, nous avions été amené, par les déductions que nous avons exposées, a en admettre lexistence. M, Van Kerckoff nous montre, d’ailleurs, les séries nouvelles sans établir entre elles aucun rap- port de filiation. C’est cette différence qui existe entre nous, qui nous a décidé a conserver dans notre travail toute cette partie concernant les séries de déshydro- génation. ( 24 ) espéce intermédiaire entre les deux autres & la fois par leur posi- tion et par le rapport qui existe entre leurs membres: ce sont les séries diagonales ou de carburation, qui sont telles que deux radi- caux ou halydes voisins sont séparés lun de l’autre par C?. Leurs formules générales sont : C2" H (radicaux). C22 He C2" HS Cc?" H? C?" H®, etc. C2" H? (halydes), C2" H* Cz He C2 Hs Cen Hoe ete:, (1): Ces trois séries ont entre elles les rapports les plus intimes; les nitriles nous faisant passer d’un échelon 4 léchelon supérieur de la méme série verticale, relient deux séries voisines de déshydro- génation. Les halydes rapprochent l'une de l'autre les séries verti-~ eales contigués. Ces moyens, pris ensemble, nous aménent d'une série de carbu- ration vers sa voisine. De 1 résulte que tout radical queleonque, pris dans notre tableau, est dans une parenté bien prochaine avec tous ceux qui l’environnent, 4 quelque série quils appartiennent. Tous ces termes pris ensemble constituent done un véritable réseau 4 mailles de diverse nature qui peuvent ¢tre toutes rattachées les lines aux autres sans interruption. (1) Dans certaines décompositions ot l’on obtient un produit renfermant autant Whydrogéne, mais moins de carbone que le corps décomposé, on ne fait que descendre ces séries de carburation. L’exemple le plus intéressant que l’on puisse citer, est celui de la production du phtaléne nitré CH? (NO*) a aide de la nitronaphtaline €?° H? (NO‘) : C2°H7 (NO*) = G'°H? (NOt) — 2C*. Voir Dusart, Annales de chimie et de physique, 5™ sévie, 1. XLV, p. 552. { 25 ) Aux radicaux binaires inscrits dans notre tableau, nous avons rapporté les composés acides et alcooliques dont ils sont le pivot. Ainsi qu'il est facile de le remarquer, il est beaucoup de ces termes dont Vhistoire reste encore a faire; la. plupart sont totalement in- connus, plusieurs n’existent que dans les ammoniaques composées i état de substitution a lhydrogéne. La confection de ce tableau général nous a permis de placer, dans des séries dont ils font partie, une foule de composés qui, dans les ouvrages les plus récents et les plus complets, comme celui de M. Gerhardt, sont encore relégués au nombre des incertae sedis des classifications chimiques. Ce sys- teéme a eu pour résultat de nous faire apercevoir des rapproche- ments entre des corps trés-voisins, qui semblent, en apparence, trés-éloignés : nous nessayerons pas de les formuler; outre que cela nous entrainerait dans de trop longs développements, ils se montrent assez clairement par eux-mémes dans notre tableau. On remarquera facilement que toutes les séries sont loin d’étre bien déterminées. Outre les séries grasses oléique et aromatique dont nous avons déja parlé, on en apercoit dautres a Vétat de troncon, telles que la série C’?H’"~*, ot lon trouve un acide C!? HP 0%, HO (1) dérivant du radical C'? H7, obtenu du styrol par M. Scharling; lacide pyrogaiacique, Vacide térébenthylique, la phorone ou l’aleool phorylique (2), le camphre des laurinées, l’es- sence de semen-contra, l’essence de eubébe, ete. Dans Ja série C”H*"-*, on trouve Vacide chrysammique, la phtalidine, le styrone et le cinnamyle, Vessence d’estragon et la paraméine, les résines acides de Ja colophane, les acides pima- rique, sylvique et pinique de Laurent. Dautres séries ne possédent jusque maintenant gu’un seul re- présentant. Aux abords des divers étages de la série aromatique, on apercoit des tronecons assez ¢tendus de séries de déshydrogénation , consti- tués par 5, 4, 5 ou 6 membres. La plus importante de toutes les stries de cette espéce est celle qui commence au radical C29 H?! ou (1) Annales de chimie et de physique , 5° sévie, t. XLVI, p. 485. (2) Lies Bodart, Comptes rendus, 1856, p. 594. ( 26 ) , €20H!9 0? (rutyle), jusqu’a la naptaline C5°HS, tous les termes inter- médiaires sont représentés par des composes connus. On y trouve successivement le paramyléne, l’acide campholique, le menthene , le camphre de Bornéo, l’essence de térébenthine, le eamphre des laurinées, le cyméne, le thymol et acide cuminique, le parani- céne de S'-Evre, la paranicine, la naphtaline et le naphtyle. Un examen méme sommaire du tableau que nous avons con- struit, peut nous mettre au courant de la situation générale dans laquelle se trouve actuellement la chimie organique. Nous y vyoyons, en effet, que tous les composés connus viennent se grou- per autour des deux séries grasse et aromatique ou des séries con- tigués. Les explorations n’ont guére porté jusqu’a présent que sur une portion bien restreinte du vaste domaine de la chimie du car- bone. Si, dés maintenant que nous ne sommes encore qu’a l’entrée de cet immense monument chimique, élevé avec l'ensemble de nos radicaux, nous sommes déja frappés de la multiplicité des faits que nous connaissons, que sera-ce alors que nous en aurons parcouru tous les étages et toutes les allées? La pensée d'une telle yariété et la yue dune telle richesse de faits effrayeraient lintelligence qui aurait pris pour tache d’en aequérir la notion, si elle n’ayait a son usage le principe de l’homologie ayec lidée de la série, qui, comme un fil d’Ariane s’étendant dans le labyrinthe sans issue, le lui fera parcourir sans écart et sans peine. § II, Tous les radicaux dérivés de la série CH" ** nous pré- sentent cette particularité de composition de renfermer moins d’hydrogene que de carbone. Nous avons tout lieu de croire qu’a gauche comme a droite de la série mére C2" H®"*+, il existe aussi des séries de radicaux et de halydes ott l’on observe justement le caractére inverse, c’est-a-dire ou l’hydrogéne l’emporte sur le carbone. Nous rencontrons tout d’abord, dans ce cas, les hydrures des radicaux C” H’" +! de la série des acides gras : ce sont le forméne C? Hé, acéténe C# H®, Vhydrure de propyle, d’amyle, ete. Il y a quelque temps, M. Lallemand (1) annoneait avoir décou- (1) Voir 'Znstitut, 10 septembre 1856, n° 1184. ( 27 ) vert, en étudiant les dérivés chlorés du thymol, un carbure gazeux C4 H® qu'il appela, 4 cause de son isomérie avec le gaz des marais, biformene. Le carbure lui avait donné, par déshydrogénation et par hydra- tation, des aleools renfermant respectivement les radicaux C4 H?7 et C+ H®. Des expériences subséquentes et plus exactes (1) lui ont démontré que ce gaz n’était autre chose que du propyléne. Quoi quwil en soit de existence de ce produit, dont nous avions accueilli Vapparition avec une véritable satisfaction, autour de lui viennent se grouper plusieurs composés bien connus. Liacide tartronique C°H?0*,2HO est le correspondant bibasique d'un acide C&H70°,HO qui dériverait du radical C4H7. L’acide ma- lique C8H408,2HO, qui ne differe du précédent que par C?H? en plus, se rapporterait 4 un autre terme, C°H9, de la méme série. Au radical C4H®, nous pouvons rapporter un acide inconnu C8H707,HO dont le correspondant bibasique serait l’acide tartrique C8H4019, 2HO. Tout récemment, M. Debus a signalé, parmi les produits de Yoxydation de l’éther nitreux, deux nouveaux composés, les acides glycollique et glycoxylique (2), qui viennent naturellement se placer au nombre des dérivés des radicaux polyhydrogénés, L’acide glycoxylique bibasique, correspondant a l’acide C4H50°, HO, dérive de l’aleool C*H70,HO par oxydation. Vacide glycollique C*H*05,HO doit étre rapporté au radical C?H5 dont le forméne C?H* serait le carbure hydrique. La maniére dont la solanine de la douce-ameére C#? H®5 NO" se - eonduit vis-’-yis des iodures alcooliques (3) doit nous faire re- garder cet alealoide comme un amide primaire renfermant le ra- dical polyoxygene C*? H35 014, D’aprés les vues que nous avons exposées dans notre premiére partie, C45 155 O14 dériverait du radical C59 H35 0?, correspondant au radical positif C9 155, qui fait partie, comme C*H?, de la série (1) Annales de chimie et de physique, 5™° série, t. XLIX,, p. 148. (2) Idem, p. 216. (5) L’/nstitut, 1856, n° 1195, ( 28 ) polyhydrogéne C” H+", Si l'on regarde l'acide lactique comme un acide bibasique C!? H10 019, 2HO, ainsi que les recherches de Strec- ker (1) sur ses sels, semblent devoir nous le faire admettre, il correspondrait & un acide monobasique C!? 1307, HO qui se rap- porterait au radical C81! encore plus riche en hydrogéne que tous ceux dont nous venons de signaler les dérivés. La série des halydes C*" H® se trouve done placée au milieu dun ensemble de radicaux et de carbures hydriques qui peuvent en étre dérivés, dont les uns sont fortement carburés et les autres fortement hydrogénés. § IL. Comme il existe des acides. organiques polybasiques , il existe également des bases organiques ou alcools polyacides. C'est i M. Wiirtz que la chimie est redevable de l’acquisition de ce fait. Synthétisant les belles recherches de M. Berthelot sur les com- binaisons de la glycérine avec les acides, il ale premier proposé de les considérer comme un alcool triatomique (2). L’année derniére, il a découvert les aleools triatomiques qu'il a nommeés glycols. A Vheure qu’il est, le nombre de ces composés est encore trés- restreint. Les seuls glycols dont M. Wiirtz ait signalé l’existence sont les glycols éthylique a, 0‘, propylique oe O* et anylique gee 04. Nous y ajouterons l'acide oxyphénique que nous appellerons gly- col phénique : CR H‘ loeg TC begs (1) Das chemisches Laborat. d. Univ. Christiania , 1854, p. 47, et An- nales de chim. et de phys., 5™° série, t. XLII, p. 258. (2) Ann. de chim, et de phys., t. XLII, 5™° série, p. 492. (5) Des rapports de composition, en tout identiques , existent entre l’acide phé- nique et acide oxyphénique d'une part, l’alcool vinique et le glycol éthylique de autre. — L’alcool phénique jouant le réle d’une sorte d’acide, on comprend que son glycol jouisse de propriétés analogues, II serait intéressant d’étudier lacide oxyphénique a ce nouveau point de yue. (29 ) On ne peut citer en fait dalcools triatomiques que Ja glycérine allylique : ; OIE} 0, la triethyline : ua ieee (Williamson) et la triacétine acétylique : CH) gs ir (C#H502)5 ( OPE ica (Wurtz). Dans le systeme des idées nouvelles des chimistes francais et an- glais, qui est celui de M. Wiirtz, les glycols dérivent de deux mo- lécules d’eau : Es 0; la glycerine de trois molécules mo types dans lesquels deux ou trois équivalents d’hydrogéne sont remplacés par des radicaux biatomiques C?"H*, ou des radicaux triatomiques (?"H**—', Comment et pourquoi les radicaux peuvent-ils jouer le role dune molécule multiple @hydrogéne, c’est un point sur seer M. Wiirtz a gardé le silence. L’idée que nous nous sommes formée plus haut de Ja structure des halydes et des radicaux d’alcools nous parait de nature 4 com- _ bler facilement et naturellement cette lacune. Tout carbure hy- drique C*" H*" constitue, en effet, non pas une molécule unique, mais un systeme double CH’, ze un veritable hydrure déri- vant du type hydrogéne : Hy). | Véthyléne, le propylene, lamyleéne étant respectivement C4H7) CoH?) C'SH?) 1 OO Le lal i a ( 50 ) on concgoit quils puissent remplacer ’ Hl \ HS vis-a-vis de l’oxygeéne dans !’eau et jouer le méme role. — La for- mule du glycol éthylique devient alors : CtH® H oye ; O* au lieu de ¢ a ( H H’ } H 4). ) Of. Cette maniére de voir trouve d’ailleurs sa confirmation dans la nature méme de la réaction qui a servi & M. Wirtz pour arriver a ses aleools biacides. Voyons ce qui se passe lors de la formation du glycol éthylique. Il en a obtenu Ja diacétine en faisant réagir sur un équivalent diodure d’éthyléne deux équiyalents d’acétate argentique. C*H30? CH “44 [23.9 3 i oes! +2 ( ag ° = (ctH0?)? 0! + 2Ag1. D’aprés cette equation, la réaction est d’une assez grande sim- plicité ; les deux équivalents diode se combinent a l'argent; léthy- léne, qui leur était uni, va prendre, dans les deux équivalents con- jugués du sel, la place que le métal y occupait. — En réalité, le mouyement moléculaire qui s’exécute est beaucoup plus compliqué. Liodure d’éthyléne CI‘, I? n’est pas simplement C*H*I?; mais bien 'C! H1, HI, ainsi que nous devons bien ladmettre aprés les expériences décisives de M. Regnault (1). La double décomposition s’accomplit donc a Ja fois entre C4 5,1 et HI; Vargent est remplacé non pas en masse par C* H*, mais successivement par C* H® et par lH de acide iodhydrique. Nous appliquerons les mémes déductions aux radicaux triato- miques. Du propyle C® II’, nous avons successivement déduit, par déshydrogénation, le propylene C° H® et Vallyle C H5. Quand ona (1) dnn. de chim. et de phys., 2” série, . LIX, p. 567. ( 51 ) . en vue de représenter cette dérivation, le propyle doit sexprimer “par cette formule rationnelle : C&S H . Hu | Le radical allyle C6 H® pouvant donner lieu 4 une suite analogue, séerira : b C°HS H H Est-l étonnant maintenant qu'un radical qui peut se scinder de _ cette maniére puisse remplacer une triple molécule hydrogénée? _ Lallyle n’est done pas le méme dans lalcool allylique que dans la glycérine : dans le premier, il s'wnit en masse; dans le deuxiéme, il se fractionne quant a lH, pour pouvoir multiplier sa fonction substituante. Cette différence de fonctions doit s‘exprimer par unc différence correspondante de formule. Le sroupement C® H® dans Yaleool allylique sera représenté par (C°H); dans la glycérine, par c®HS | Tout radical C*H*~" peut done jouer a la fois le réle d’une -molécule unique ou d'une triple molécule, suivant la position que les divers équivalents d’hydrogéne occupent les uns & l’égard des autres. D’aprés cela, il serait en quelque sorte vrai de dire quil existe pas en réalité de radical polyatomique. § IV. De méme que l’on rattache des acides monobasiques aux aleools ordinaires, il nous semble que l’on doit rapporter es aci- des polybasiques aux alcools polyatomiques. Les acides bi- et triba- _siques correspondraient donc respectivement aux glycols et aux glycérines. Un radical (alcool monoatomique devenant radical d’acide mo- (1) L’allyle ve } de la glycérine peut toutefois reprendre la forme C*H® et redeyenir radical monoatomique. C'est ce qui se passe dans la production de _ Péther allyliodhydrique par l’action de Viodure de phosphore sur la glycérine. , ( 52 ) nobasique, en échangeant deux équivalents d’hydrogéne contre une égale quantité doxygéne, n’est-il pas naturel et logique de eroire qu'un radical de glycol deyiendra radical d’acide bibasique en gagnant deux fois deux ou quatre équivalents doxygéne, au lieu de quatre équivalents d’hydrogéne, et que l'introduction de trois fois deux, ou six équivalents d’oxygéne, dans un radical gly- cérique, au lieu de six équivalents @hydrogéne, le transformera en radical d’acide tribasique ? A cété de la série des acides bibasiques & radical C?” H2"-*O# se placera celle des glycols C” H*, acide oxalique vis-d-vis du glycol éthylique, Vacide nicotique de Barral C& H? 0%,2HO en face du glycol propylique, l'acide pyrotartrique 4 cété du glycol amylique. Liacide oxyphénique, qui fait partie de la série des glycols C*H"~*, correspond & la série des acides bibasiques aromatiques c™H™~" O', qui compte, comme représentants, l'acide phtalique. Les acides maléique, pyrocitrique et camphorique A radical Cc’ H’"-°O§ correspondent A des glycols C*"H2"—*. L’acide melli- tique et. bichloroquinonique de la série C*"H*’-*O' A une série de slycols C**H*"—‘, Au moment de la transformation d'un acide monobasique dans un acide bibasique, il y a done passage dune série de radicaux C*"H*"~* a une série renfermant des carbures hydriques "HH, Quand lacide butyrique, soumis 4 une oxydation énergique , passe a l'état d’acide succinique, on passe de la série CH?" +! dans la série C”" H?". ¥ ses 123506 Les acides aconitique > aes Vy 6 sf 0° et chélidonique Cae 0° He tribasiques, dériveraient respectivement des glycérines ci?H c4uqy7 ) He 0°, appartenant aux séries C*" H2"—°, C2" H™"-7, QUATRIEME PARTIE. S I. Lensemble des idées que nous venons dexposer nous a conduit insensiblement 4 quelques vues générales sur la structure des radicaux organiques que nous croyons pouvoir résumer sous le titre de : Théorie de Vemboitement des radicaux organiques. En se basant sur les réactions analytiques que présentent les acides trioxygénés, la production des nitriles, la mise en liberté des radicaux positifs par l’électrolyse de leurs sels, les chimistes ont été amenés 4 regarder les radicaux négatifs C H’"='O* comme dérivant du formyle par la substitution dun radical binaire a Véquivalent unique d’hydrogéne (1). L’acétyle n’est alors autre chose que du formo-méthyle, le valéryle du formo-butyle, le ben- zoyle du formo-phényle. La formule générale de ces radicaux C” H?"~'O*, rationnelle- ment analysée, devient C? (C*”—? H’"—*) O°. Nous ne croyons pouvoir mieux préciser la nature d’un sem- blable arrangement qu’en disant qu'il résulte d’un emboitement véritable et réel de deux radicaux lun dans autre. La disposition des diverses parties d’un fruit 4 noyau, d'une noix, par’exemple, nous fournit une image grossiére a la vérité, mais d'une exactitude parfaite de cette structure. (1) Nous avons essayé de prouver cette maniére de voir par la synthése, en substituant directement un radical alcoolique a lhydrogéne du formyle. Jus- qwici, nous n’y sommes pas encore parvenu. De l’éther formique chauffé, dans un tube scellé 4 la lampe, pendant une cinquantaine d’heures a la température de 100°, avec de l’éther iodhydrique, n’a donné aucun résultat : CHO, C? (H) 0° + CAH®,1 = HI + C4H°0, C? (C4H®) 0° = CHO" Tome VII. 3 ( 54 ) Appliquons cette comparaison a lacétyle : + iy > ry, Csr Bay i Methyle. ae C ; Ne oque ee Cos Formyle. Noix. Acétyle. Le méthyle C? H> oceupe la place du noyau; le groupe C? — 0, (formyle au moment de subir Ja substitution) en représente la coque. Le noyau et sa coque ensemble constituent le fruit, le mé- thyle avec son enveloppe constitue l’acétyle. Privons la noix de sa coque, nous verrons apparaitre le noyau ; enlevons a l’acétyle l’en- veloppe C? — O?, nous produirons le méthyle. Les radicaux C” H’”—*O* peuvent étre aussi dérivés du formyle. Ainsi que nous nous sommes efforcé de I’établir dans notre pre- — miére partie, le formyle ou I’H serait remplacé par le groupe- ment C*"—? H?"~* 0”, serait le représentant du radical d’acide trioxy- géné. La formule brute C” H’"—‘O*, qui devient d’abord C* (C*—* H*—') O°, se transforme ensuite en formule définitive, quand on veut y introduire la formule du radical qui s’est substitué 4 lH pour produire l’acide trioxygéné du formyle dans le symbole : c? [c? (29-4 H?—1) 07] 07. Le pyruvyle, qui n’est pour ainsi dire que du formo-acétyle , devient, en derniére analyse, du biformo-méthyle. Le méthyle , qui, dans l’acétyle, n’était recouvert que d’une seule enveloppe for- mique, est revétu dans le pyruvyle d’une seconde enyeloppe de méme nature. “SL es==== + pia Acétyle. ~ = > Se ~-- Pyruyyle. Pe dee ( 55 ) De cette facon, le méthyle est emboité dans le formyle pour produire Vacétyle, et ce radical lui-méme est une seconde fois emboité dans un nouvel élément formique pour devenir pyruvyle. L’emboitement est done ici bien réellement double. Supposons qua Taide du cyanure de pyruvyle, nous préparions lacide C8H07,HO : le radical de ce nouveau composé, eu égard a son mode de production, nest autre chose que du formo-pyruvyle ; mais, en définitive , il s'appellera triformo-méthyle. L’acte de sa préparation ne consiste done finalement que dans addition d'une troisiéme enveloppe C’— O? aux deux premiéres qui recouvraient déja le méthyle. L’emboitement est devenu triple. Un pareil arrangement peut étre figuré, pour le cas en question, par la formule : C? } C? [C2 (C?H®) 07] 0? 02. 3 On voit daprés cela qu’en partant d’un méme radical C?(C*"~* H**~*) 0*, on parvient a doublerle noyau primitif C"—?, H’"~! d’en- veloppes formiques C? —O? de plus en plusnombreuses, au fur et a mesure que l’on s’éléve par les eyanures négatifs vers des acides de plus en plus oxygénés, et par la & produire des emboitements successifs de plus en plus complexes. La dissection , s'il est permis de parler ainsi, des radicaux d’al- cools nous dévoilera une ‘structure en tout semblable 4 celle que nous venons d’exposer. Nous n’aurons pour cela qu’a suivre M. Rochleder, qui le premier a parfaitement bien fait ressortir cette maniére de voir (4). Comme le formyle C?HO? est Je point de départ des radicaux C*H*"~*0*, leméthyle est le prototype et le générateur des radicaux C*H?"*, et en général C” H*—'; l'éthyle n’est que du méthylmé- thyle, c’est-a-dire du méthyle C? (H) H?, C? (C? H5) H? qui s'est sub- stitué a un équivalent dhydrogéne dun autre individu de sa propre espéce. Le propyle, qui n’est prochainement que du méthyl- éthyle, devient en réalité du biméthylméthyle : C? (C? (C2H3) H2) IP, (1) Sttzungsberichte der Natur-Mathem. Wissenschaften. (Wien), 1855 , pages 852 et suiyantes ( 56 ) e’est-a-dire le résultat d'un double emboitement du méthyle dans lui-méme. En avaneant de plus en plusdans la série CH?" +", nous voyons a la fois les enveloppes C?—H? augmenter de nombre et Vemboitement se multiplier. Les séries des radicaux binaires ont done un développement paralléle a celui des séries des radicaux d’acides polyoxygénés, a la nature des enveloppes prés. Le noyau reste identique de part et dautre, mais les enveloppes, tout en étant équivalentes (gs ~s if C?— 02]? sont positives dans le premier cas, négatives dans le second. Quelque complexe que puisse étre l’emboitement, et quelque multiples que puissent étre les enveloppes au fond, il est toujours possible cependant de ramener un radical queleonque au type pri- mitif du fruit & noyau, c’est-a-dire & un emboitement simple et a une enveloppe unique. Le pyruvyle est tout aussi bien du formo- acétyle que du biformo-méthyle, le propyle du méthyléthyle que du biméthylméthyle. La complication de l’emboitement, la multi- plicité des enveloppes se reportent sur le noyau lui-méme: il y a done alors en réalité deux noyaux, l'un prochain composé, l’autre ultime simple. Tout autre radical C”"H*"—", placé a la téte d'une série verticale, peut étre regardé comme le noyau de tous les membres de cette série , comme le méthyle sert de noyau pour la série CH” *'. Cet emboitement que nous venons d’exposer a lieu, ainsi qu’on a pu le remarquer, a la fois par le C et !'H. Les idées que nous avons développées sur la maniére dont on peut concevoir la structure des vadicaux CH" *? et des halydes C* H*", nous améne 4 en définir un dune nouvelle espéce, ’emboitement par hydrogéne seul. Nous avons vu en effet que tout radical C” H’"*! doit étre regardé comme un vrai générateur dune série de radicaux C* H?"—!, C*H*—5, C*H?"—*, etc., et de carbures hydriques C*H?", cH"? CIP" * De C* H", nous sommes arrivé, par une suite de termes intermédiaires, jusqwau naphtyle C? I’. Prenons le naaphtyle comme noyau, e¢ recouvrons-le successivement d’enve- Se i ee Oe ee ey ( 57 ) loppes plus nombreuses dhydrogéne, nous arriverons, par des emboitements successifs, jusqu’au point de départ C* H*. Tout radical C* H?”** ou carbure C” H* est done le résultat de Vemboitement dune suite de radicaux ou decarbures qui dérivent dun méme noyau C*"H par l’addition d’enveloppes hydrogénées de plus en plus nombreuses. Ce dernier genre d’emboitement est celui que l'on remarque dans les noyaux des radicaux oxygénés dont nous ayons parlé plus haut. De tout ce que nous venons de dire, nous tirerons, comme conclusion, la proposition que voici : Tout radical peut étre regardé comme le résultat successif de Vemboitement les uns dans les autres et autour d’un méme noyau, une suite de radicaus de plus en plus simples, que Von peut faire apparaitre en les dépouillant , dans des circonstances varia- bles , de leurs enveloppes de complication. Quand on réfléchit que tous les radicaux des séries C*" H?"~* peuvent étre dérivés par déshydrogénation des différents termes de la série C" H*"*', et que tous les membres eux-mémes de cette série peuvent étre engendrés du méthyle C?H, on est amené a formuler cette proposition plus générale encore : Les radicaux organiques binaires ou ternatres dérivent du mé- thyle positif ow négatif (formyle) par un emboitement plus ou moins complexe avec lui-méme, emboitement qui a lieu par le C et VH simultanément ou par VH seul. Cette théorie de l’emboitement des radicaux organiques que nous venons d’exposer, est tout aussi bien la théorie de la com- plication de la molécule organique : car le résultat immeédiat de cet emboitement est la transition 4 un degré supérieur dans l’échelle de combustion. Si le passage de l’aldéhyde a Valcool, quiest possible dans la série aromatique, Pest également dans les autres, sien méme temps les cyanures des radicaux C*" H’"*! positifs peuvent régénérer les aleools, ainsi que les cyanures des radicaux négatifs régénérent leurs acides, nous aurons alors & notre disposition les moyens de ( 58 ) produire, a l'aide du meéthyle seul, tous les radicaux dérivés que nous avons signalés dans notre tableau général. Le cyanure de méthyle nous donnera l’acide acétique. Avee MM. Piria et Limpricht (1) nous préparerons l’aldéhyde acétique qui, d’aprés le procédé de M. Cannizzaro (2), nous fera obtenir Valeool vinique. Du cyanure d’éthyle, nous passerons a acide propionique, etc. En nous tenant toujours au méme systeme de réaction, nous nous ¢léverons successivement aux divers échelons de la série des radicaux C”” H*"**. De chacun de ces termes, nous dériverons, par une déshydro- génation successive, toute la suite des radicaux et des halydes par les carbures, avec lesquels nous préparerons des alcools, des éthers, des acides de toute variété, des ammoniaques composées, etc. En restant dans cet ordre didées, nous pourrions presque dire que toute matiére organique binaire ou ternaire nest que le mé- thyle condensé seul ou associé a Vea. Disons, avant de terminer, que nous n/attachons pas plus dimportance qu'il ne faut aux idées que nous avons essayé de (1) Suivant MM. Piria et Limpricht, on obtient l’aldéhyde d'un acide orga- nique en chauffant un mélange 4 équivalents égaux de son sel de chaux avec du formiate de la méme base : CaO, C?(H) 05 4- CaO, C“H5O?,0 = (Ca0)*, C204 +- C™4H50? } : H Ona ainsi obtenu les aldéhydes benzoique , cinnamique, anisique (Piria) , acé- tique, propionique, valérique, cenanthylique et caprylique. (Limpricht, 4nn. de ch. et de phys., 5™° série, t. XLVIII, pp. 115 et 118.) (2) M. Cannizzaro a signalé le premier ce fait de la production d’un alcool par Paction d’une solution alcoolique de potasse sur son aldéhyde : 2 (C'4H502,H) + KO,HO = CH70,HO + CHSO%,KO. On a ainsi obtenu les alcools aromatiques suivants : 1° Benzoique C'4 H7 0, HO, (Gannizzaro, Ann. der Chemie und Pharmacie, 1855, LXXXVIII, 129); 2° Cuminique €?°H'50, HO. (Kraut, 76., p. 547); 5° Anisique C5 H9 OS, HO. (Cann. et Butagnini, 7b., XCVIIN, p. 189.) ( 59 ) développer. Nous mignorons pas quiil y a plus de mérite et d/hon- neur dans la réalisation des faits que dans leur prévision pure et simple; mais nous savons également que, si Pun des éléments principaux des sciences physiques est la multiplicité des données positives, un autre élément non moins essentiel & leur existence réside dans l'unité résultant de ’enchainement de cette multitude de faits qui, de l’état de simple catalogue, les porte jusqu’au niveau si élevé d'un véritable systeme philosophique. Aprés l’expérience qui découvre les faits, c’est a Vintelligence 4 en déduire les idées générales qui doivent servir a les rassembler en une harmonieuse synthése. La découverte de phénomenes encore inconnus a certes une trés-large part 4 revendiquer dans l’avancement des sciences; mais l'apparition d'une théorie, d’un systeme nouveau n’est pas sans exercer aussi une influence bien puissante sur leur marche progressive. Toute idée nouvelle, méme lorsqu’elle n’est pas d'une applica- tion générale et immédiate, peut avoir son utilité et donner lieu 4 des recherches capables de nous mettre sur la voie de la vérite. Nous aurions atteint notre but si nos réflexions parvenaient a fixer l’attention de quelques chimistes et si elles étaient Poccasion de quelques travaux dont la science puisse s’enrichir et qui servi- raient 4 son avancement. APPENDICE. Depuis l’époque oW nous avons cu l’honneur de soumettre au juge- ment de Académie, notre travail sur les radicaux organiques en général (avril 1857), l'on a réalisé des réactions qui nous paraissent confirmer quelques-unes des idées que nous avons essayé d’y développer. Nous les | rapportons ici sans commentaire : 4° Bouilli, pendant quelques minutes, avec quatre fois son volume W@acide azotique faible, le glycol éthylique se transforme en acide oxa- lique (Wiirtz) (4): C,H, 0, +80 =C,0, H Hi, O, + 4HO0. 2 2° Parmi les produits de l’action du sodium sur l’eenanthyléne chloré, ou @une solution alcoolique de potasse sur le chlorure d’cenanthyléne , M. Limpricht a trouvé un nouveau carbure hydrique auquel il donne pour formule : C,,H,,, C,,H,,Cl, —2HC=C,,H,,. C,,H,,Cl — HCl= C,,H,, (2). M. Limpricht fait suivre son travail des réflexions suivantes : Wiirde , Z. B. der Kohlenwasserstoff C,, H,, sich wieder, mit 2Cl verbinden, wie es wohl warscheinlich ist, und sich bei anhaltendem kochen nit weingeistigem Kali wieder auf gleiche Weise zerselzen, so kiénnte man den Kohlenwas- serstoff C,, H,, erhalten, der dann auf gleiche Weise behandelt C,, Hy (isomerisch oder identisch mit Toluol), geben wiirde, u. s. w.; kurz die Mioglichkeit der Darstellung einer ganzen Reihe Kohlenwasserstoffe mit gleichbleibendem Kohlenstoff- aber abnehmendem Wasserstoff-gehalt wire (1) Comptes rendus , t. XLIV, p. 1506. (2) Ann. der Chem. und Pharm., B' CII, p. 83, Tome VIII. mS ( 42 ) dargethan und diese als Ausgangspunkt zur Darsteilung von Alkoholen betrachtet wiirden, nicht geringes Interesse darbieten (Juillet 1857). 3° Soumis A l’action de la lumiére solaire irréguli¢rement réfléchie, un mélange d’hydrure de méthyle et de chlore secs se transforme, au bout de quelque temps, en hydrure de méthyle monochloré C, H,, Cl., chi- miquement identique, avec le chlorure de méthyle (1). A l'aide de ee pro- duit de substitution, M. Berthelot est parvenu a obtenir Vesprit de bois et un grand nombre de ses combinaisons. 4° La série oléique C,, H2,-20, vient de s’enrichir d’un nouveau terme, l’acide crotonique C, H, 0,, qui se trouve dans Vhuile de croton | (Schlippe) (2). 5° Parmi les produits résultant de l’oxydation de Phuile de coco par Vacide nitrique, l’on rencontre un nouvel acide bibasique, Vacide lépar- gylique C,, H,,0;, qui vient se placer dans la série C, H,—»2 O,, entre les acides subérique et sébacique (Wirz.) (5). 51 janvier 1858. (1) Ann. de ch. et de phys., t. LI, p. 97. (2) Ann. der Chem. und Phys., B' CY, p. 1. (5) Tb., B' CIV, p. 257. FIN. REMARQUES CRITIQUES SUR DIVERSES ESPECES D’'ICHNEUMONS DE LA COLLECTION DE FEU LE PROFESSEUR J,-L.-G, GRAVEMIORST, me een 4 suivies D'UN COURT APPENDICE ICHNEUMONOLOGIQUE, Pp . EL. op f ar C. WESMAEL Kb rs (Mémoire présenté 4 la classe des sciences, le 6 mai 1858. ) Signaler V’erreur, c’est faire un grand pas sur le chemin de la yvéerité. Pacr or Réemusat , Lee se. nat., p. 90. Tome VIII. 1 AVANT-PROPOS. Il est peu d’entomologistes qui aient exercé leur patience et leur sagacité sur des sujets aussi difficiles que feu le profes- seur Gravenhorst. L’étude des Brachélytres et celle des Ichneu- monides auxquelles il a successivement consacré les loisirs de sa longue carriére, ont valu a ces parties de la science des ou- yrages qui en ont complétement changé la face, et d’ou date, pour elles, une ére de grandeur et d’importance a laquelle, avant lui, on ne les aurait pas crues destinées. Toutefois, dans notre siccle, la marche des sciences est rapide, et, une fois la route frayée par Gravenhorst, d’autres n’ont pas tardé a s’y précipiter; de sorte que, déja de son vi- vant, ses travaux sur les Coleoptera microptera, publiés de 1802 4 1806, ont été soumis 4 de nombreux remaniements , dont le résumé le plus complet est dui 4 Erichson. Sa colossale Ichneumonologia Europaea, mise au jour en 1829, aurait pro- hablement déja subi le méme sort, si sa date beaucoup plus récente, jointe 4 son effrayante étendue, ne l’en avait en partie préserveée. Passer en revue les réformes partielles dont l'Ichneumono- (4) logia Europaca a été, plus ou moins récemment, l'objet, ce serait m’écarter inutilement de mon sujet; car, excepté mes propres travaux , je ne pense pas qu'il en existe d’autres relatifs au genre Ichneumon de Gravenhorst, le seul dont j’aie 4 m’oc- cuper ici. Ce genre Ichnewmon, tel que l’a concu Gravenhorst, est non-seulement le plus étendu de tous, puisqu’il occupe le pre- mier volume en entier de son ouyrage, mais c’est aussi celui dont l'étude présente le plus de difficultés dans la délimitation des espéces, 4 cause des fréquentes differences de couleur entre les deux sexes. Si Gravenhorst, dans cette partie de son ceuvre, est arrivé a un résultat peu satisfaisant, on peut assigner a ses erreurs trois causes principales, qui sont, 1° de s’étre figuré que les deux sexes de chaque espéce doivent toujours avoir les derniers segments de l’abdomen colorés de méme ; 2° d'avoir négligé de verifier le nombre des arceaux du yentre pour la distine- tion des sexes; 5° de s’étre borné a des indications trés-super- ficielles et trés-incompletes sur la ciselure des surfaces. A Végard de la coloration, Gravenhorst n’a pas non plus compris l’importance qu'il peut y avoir 4 signaler l’existence ou l’absence d'un point blanc ou d'une linéole blanche aux orbites du vertex; cependant ce caractére coexiste générale- ment chez les deux sexes de la méme espéce. Comme il m’est arrivé trés-fréguemment, dans mes descrip- tions, de parler des orbites du vertex, il m’importe, pour éviter toute ambiguité, de déterminer quelle est la région des orbites qui correspond a cette expression, d’autant plus que ma ma- niére de voir différe un peu, a cet égard, de celle de Grayen- horst. Pour moi, le vertex est l’espace transversal, s’étendant d’un ceil a l'autre, ot sont situés les stemmates; entre les stemmates et les yeux sont les orbites du vertex; devant le stemmate an- Rat sidvatnieae ae: 2 (5 ) terieur se trouve le front, et immédiatement derriére les stem- mates postérieurs commence I’occiput. Récemment, j’ai aussi jugé convenable de désigner sous le nom d’inorbite (inorbitum) toute la région médiane de la face, ordinairement limitée de chaque cété par une impression ou une ligne longitudinale qui la sépare des orbites. Cet inorbite présente souvent des caractéres importants, soit par sa lon- gueur ou sa briéyeté, soit par sa protubérance. Aprés ces remarques préliminaires, qu'il me soit permis d’ajouter quelques lignes a |’égard des circonstances auxquelles est due la publication du présent opuscule. Dés l’'apparition de I’ Ichneumonologia Europaea, je me suis apercu que le travail de Gravenhorst sur le genre Ichneuwmon était entiérement a refondre, et, mettant la main 4 l’ceuvre, j'ai commencé sur ce sujet, en 1844, une série de publica- tions sans cesse alimentées par les matériaux que j’amassais successivement. Gravenhorst a-t-il jamais eu connaissance de mes travaux? Je Pignore; mais, pour ma part, je ne lui en ai adressé aucun, dans la crainte de troubler le repos de ses derniéres années en détruisant les illusions qu'il pouvait conserver sur la per- fection de son ceuvre favorite. Aprés sa mort, j’ai pensé que le moment était venu d’uti- liser de nouveau, au profit de la science, sa riche et précieuse collection, et de redresser en méme temps les erreurs de sy- nonymie qui s’étaient peut-étre glissées dans mes propres ou- vrages. J’ai done résolu de tacher d’obtenir communication d'un certain nombre d’exemplaires originaux extraits de cette collection, qui était devenue la propriété de l'Université de Breslau. Dans cette circonstance, si mes démarches ont eu une issue favorable, je me plais 4 déclarer que j’en suis particuliére- ment redevable 4 Vobligeante amitié de ’honorable président (6 ) de la Société entomologique de Stettin, M. Dorhn, qui a bien voulu user de son influence pour disposer M. le professeur Grube a accueillir favorablement ma demande. Je m’empresse également d’adresser mes remerciments a M. le D' Rotermund, chargé de la conservation des collections zoologitques , qui a mis les soins les plus empressés a satisfaire a mes desiderata, et qui voudra bien, j’espére, me pardonner les embarras que je lui ai causés. Aprés avoir obtenu l’autorisation que je sollicitais, il me restait 4 désigner, parmi les Ichneumons décrits par Graven- horst, les espéces dont je désirais avoir communication. Mon but principal étant de confirmer ou de rectifier la syno- nymie des espéces décrites par moi, je n'ai demandé a Breslau que celles dont les descriptions de Gravenhorst ne font pas ressortir les caractéres avec assez d’éyidence pour rendre, leur égard, toute erreur impossible, et, dans la plupart des cas, je me suis borné a réclamer l’envoi des types genwini, lors méme que Grayenhorst leur a adjoint une ou plusieurs variétés; car, en supposant cette adjonction entachée d’erreur, l'espéce genuina n’en posséde pas moins le privilége de con- server intact le nom imposé par l’auteur. Pour établir mon opinion sur chacune des espéces de Gra- venhorst qui me laissaient du doute, je dois aussi faire remar- quer que je n’ai eu 4 ma disposition qu'un seul individu ou bien un individu de chaque sexe; de sorte que ma responsa- bilité ne saurait s’étendre au dela de ce que j'ai eu sous les yeux. Du reste, j'ai conservé au genre Ichnewmon les limites fixées dans mon Tentamen, c’est-d-dire que je continue, d'une part, a en exclure les Crypturus et les Stilpnus de Gravenhorst, et, d’autre part, 8 y comprendre ses Trogus et la plupart de ses Hoplismenus. En terminant cet ayant-propos, je crois utile de donner ee) lexplication des abréviations sous lesquelles on trouvera cités mes travaux antérieurs sur le genre Ichneumon (1). Tentam. — Tentamen dispositionis methodicae Ichneumonum Belgii, 4845. (MémorREs DE L’ACADEMIE.) Mantis. — Mantissa Ichneumonum Belgit, 1848. ( BuLietins bE L’ACADEMIE.) Adnot. — Adnotationes ad descriptiones Ichnewmonum Belgii , 1848. (BULLETINS DE L’ACADEMIE.) Ich. Plat. Eur. — Ichneumones Platyuri Europaei, 1853. ( Buttetins ve L’ACADEMIE.) Ich. Amb. Eur. — Ichneumones Amblypygi Europaet, 1854. (ANNEXE aux BULLETINS DE L’ACADEMIE.) Ich. miscel. | — Ichneumonologica miscellanea, 1855. (BULLETINS DE L’ACa- DEMIE.) Ich. oti. — Ichneumonologica otia , 1857. (BuLLETINS DE 1’ACADEMIE.) (1) Les citations sont toujours faites d’aprés la pagination des exemplaires tirés a part. Bruxelles, le 6 mai 1858. REMARQUES CRITIQUES DIVERSES ESPECES D’ICHNEUMONS LA COLLECTION DE FEU LE PRORESSEUR J.-L.-C. GRAVENHORST, suivies D'UN COURT APPENDICE ICHNEUMONOLOGIQUE. ICHNEUMONOLOGIA EUROPAEA. PARS I. Subgenus ICHNEUMON Grav. SECTIO I. 1. I. MONTICOLA o%. Je n’ai pas demandé A Breslau communication de cette espéce, parce qu’elle m’était parfaitement connue; mais je crois devoir rappeler ici que, déja en 1841, j'ai annoncé que I'/. monticola est un male de Cryptus (Bullet. de V Acad. de Belg., t. VIII, 1" partie, p. 365). La femelle est colorée comme le male, et sa tariére est un peu ( 10 ) moins longue que la moitié de ’abdomen. — Jen ai pris, en Bel- gique, 5 males et 2 femelles. 4. I. NIGRITARIUS of, Var. 2? Lindividu regu de Breslau est la femelle de mon 1. pseudony- mus, conformément & la synonymie que j’en ai donnée (Tentam., 76, 74). — Cette espéce a été transportée plus tard parmi mes Amblyteles (Ich. oti. 51. 4) avee addition de plusieurs variétés. 5. I. renuicornis (genuinus). J'ai recu de Breslau les deux individus d’aprés lesquels Graven- horst a fait sa description; ils sont de sexe différent, et je les re= garde comme étant de la méme espéce que mon Platylabus niger. Le male est celui 4 qui Gravenhorst attribue un abdomen plus long et plus oblong; l’autre, 4 abdomen plus court et plus large, est la femelle. Contrairement A l’assertion de l’auteur, ils n’ont, nilun nil’autre, de point blanc aux orbites de l’occiput. Leur mé- tathorax a deux petites dents. La femelle a, prés du bout de l’écus- son, deux petits points d’un jaune sombre.— Mon Plat. niger Q a aussi sur l’écusson des vestiges de ces deux points pales, mais si peu apparents que je ne les avais pas apercus quand je I’ai décrit; quant au point blane que je lui ayais attribué au bout de l’abdo- men, c'est le résultat d'une illusion que j'ai expliquée ailleurs. — Je dois dire encore que j'ai regu de M. Boheman un Plat. niger 9 ayant toute l’extrémité de l’écusson jaunatre. D’aprés ce qui précéde, la synonymie de cette espéce deyra étre établie de la maniére suivante : PLATYLABUS TENUICORNIS. I. TENUICORNIS o°Q Gray. 1. 1415. 5 (exclusa var. 1). — Pav. niger Q Wesm. Tentam. 155. 3. — Prat. xicen 9 Wesm, Ich. Plat. Eur., p. 16. (11) 5. I. renuicornis, var. 1. Lindividu que j'ai recu appartient évidemment a une espéce différente de 'J. tenwicornis cenuinus. Je crois done pouvoir lui restituer le nom sous lequel Grayenhorst affirme l’avoir désigné précédemment, et, comme c’est une femelle de Platylabus, je lYappellerai : PLATYLABUS FUGATOR 9. Orbitis oculorum flavis; femoribus et tibiis anlicis rufotestaceis ; antennis gracilibus albo-annulatis; fronte scabricula et opaca. = 3 li. —I. rucaror Gray. Uebers. n° 2723. — 1. renuicornis var. 1. Gray. J. 115.5. — 1 femina. Caput latitudine thoracis, pone oculos rotundatum; fronte sca- bricula et opaca. Antennae longae et graciles, setaceae, apice cur- vatae. Thorax subopacus, subtilissime et confertissime punctatus ; scutello nitido punctato, ejus apice et postscutello scabriculis; me- tathoracis areola superomedia acute marginata, nitida, vix paulo longiore quam latiore, semiovali. Alae areola cubitali 2* deltoidea. Pedes mediocres, tarsis breviusculis. Abdomen longitudine et lati- tudine thoracis, subdepressum, apice truncatum; petiolo punctu- lato et subcanaliculato; postpetiolo quadrato angulis apicalibus rectis, spiraculis subprominulis, apice medio levi, lineolis duabus subtilibus elevatis;.segmento 2 opaco, gastrocoelis transversis , spatio interjacente et proxime postjacente scabriculo; segmento 5 subopaco; 4-7 levibus et nitidis, 5-7 brevissimis; segmento yen- trali ultimo breviusculo, apice truncato nec apicem abdominis attingente; terebra vix discernenda. Fuliginosoniger ; caput palpis sordide testaceis , mandibulis fuseis margine supero flavo; orbitis facialibus et frontalibus, externis- que in medio, anguste flavis. Antennae fuscae, articulis 11-44% albis. Thorax cum scutello niger. Alae stigmate et squamula fuscis, radice ( 12 ) testacea. Pedes picei, femoribus tibiisque anticis ferrugineis, ha- rum latere antico stramineo; tibiis intermediis, posticis subtus basin versus, sordide ferrugineis. Abdomen segmentis 2-4 margine apicali rufescente, 5-7 margine apicali summo membranaceo-albido. NV. B. — Les différences les plus saillantes entre cette espéce et la précédente (P. tenuicornis) portent : 1° sur la sculpture du front; 2° sur la forme de l’aréole supéromédiane du métathorax ; 5° sur la forme du dernier segment ventral. 6. I. NIGROCYANEUS. Lindividu regu de Breslau est un Platylabus femelle de méme espéce que mon P. armatus, dont il a en tous points la coloration, ainsi que l’armure du métathorax. La synonymie devra donc étre présentée ainsi : PLATYLABUS NIGROCYANEUS. I, nicrocyaneus Q Gray. I. 417. 6. — Prat. anmatus Q Wesm. Ten-— tam. 155. 2. — Ich. Plat. Eur. p. 15. Le male de cette espéce m’ayant été envoyé par M. le Dt Kriech- baumer de Munich, en voici la description : P. NIGROCYANEUS o% : Violaceus; caput palpis superne, puncto basali mandibularum, labro, orbitis facialibus et frontalibus, lineolaque in medio orbitarum externarum, albis. Antennae arti- culis 14-18 albis, subtus fusco-punctatis. Pedes antici femoribus e medio ad apicem, tibiis, et tarsorum articulo 4, antice albis; pedes intermedii antice femorum puncto apicali tibiisque albis. Abdomen — totum violaceum. = 4 li. 11. I. Biineatus. J'ai regu de Breslau : 1° un male et une femelle genuini de petite — taille; 2° une femelle genuwina de grande taille; 3° une femelle — var. 1, tiple ckcerapisee MERC Re ee et a a ee ~ cusiwe's i a “a eal die “} ol ia ( 43 ) 4° Les deux premiers, longs de 3 4 lignes, me paraissent étre de méme espéce que mon I. consimilis (Tentam. 22.2. 9. — Ich. oti. 8.3. 9); 9° La deuxiéme femelle, longue de 6 lignes, est d’une autre espéce; sous tous les rapports, elle est exactement comparable a mon J, bilineatus 2 var. 1. (Mantis. p. 12 et 13); 3° La femelle var. 1, longue de 5 lignes, a chaque caréne pré- scutellaire marquée d’un petit point blanchatre : c’est done pro- bablement une des variétés del’. lineator. Il résulte de ce qui précéde que, sous le nom d'J. bilineatus, Grayenhorst a confondu trois espéces différentes. 15. I. opricus. La description de Gravenhorst a été faite d’aprés deux males, Yun a palpes pales, l’autre a palpes noirs : c’est ce dernier qui m’a été envoyé de Breslau. Je regarde ce male comme appartenant a une espéce réellement distincte de I'J. gemellus n° 55; mais, n’ayant pas vu l’autre a palpes pales, il reste douteux pour moi si ce dernier est de méme espéce, ou si c'est un J. gemellus a écusson tout noir, comme ma var. 1, Tenlam. 55. 22. 45°". I. ALBIMANUS. Lindividu recu de Breslau est évidemment le male de mon Acolobus albimanus 9 (Tentam. 140. 2). Cest par erreur que la description de Gravenhorst indique, pour les pieds de derriére, arliculis TRiBus uLTimis tarsorum rufis ; car, dans son exemplaire unique, il n’y a que les articles 4 et 5 qui soient fauves, de méme que chez la femelle décrite par moi. Le caractére emprunté A Ja forme du chaperon et d’apreés lequel jai établi le sous-genre Acolobus, est encore moins distinct chez ce male que chez la femelle. (14 ) 16. I. rusenyus. Sous ce nom, j'ai regu de Breslau une femelle et un male appar- tenant & deux espéces trés-différentes. La femelle est ma var.4 du Diad. quadriguttatus 9 (Ich. miscel. 74, 2), Cest-a-dire une variété & écusson tout noir de V'I. guadri- guitatus Grav. 1. 178. 42. Le male a les spiracles du métathorax excessivement petits et circulaires, et doit probablement étre rangé parmi mes Ich. pneustici; mais il a des caractéres qui l’éloignent considérable- ment de tous les sous-genres établis par moi dans ce groupe; sa place définitive ne pourra dailleurs étre fixée que par la décou- verte de la femelle, restée jusqu’a présent inconnue. En atten- dant, je le désignerai provisoirement sous le nom d’Ectopius rubellus. La description de Gravenhorst présente une omission qui n’est pas sans importance a l’égard de la coloration : ce male a sous les yeux, contre la base des mandibules, une petite tache blanchatre qui n’est pas accidentelle, puisqu’elle existe aussi chez un second male appartenant 4 ma collection. D’un autre cdté, cette deserip- tion laissant beaucoup a désirer a l’égard des formes et de la sculp- ture, je vais tacher de suppléer 4 son insuffisance : Ectopius RUBELLUS co”. Puncto infra oculos, alarumque squamula et radice flavidis , stig- mate fusco; femoribus tibiisque rufis ; segmenti secundi margine summo castaneo. = 3 li. — I. rusetius Grav. |. 158. 16 (exclusa femina). — 2 mares. Corpus nitidum. Caput breve, vix latitudine thoracis, pone oculos rotundatum, stemmatibus majusculis; facie tramsversa, inorbito subquadrato convexiusculo, clypeo transverso sat fortiter conyexo, margine recto. Antennae filiformes, longitudine cor- poris. Thorax gibbulus, seutello valde protuberante, lateribus ( 15 ) marginato; metathorace breyi, abrupte truncato; areola supero- media latissima et brevissima, transyersolineari; areola postero- media maxima et plana; spiraculis circularibus minutissimis basa- libus. Pedes mediocres, tibiis longiusculis. Abdomen oblongum sericeum, thorace capiteque paulo longius; petiolo longo depres- siusculo, apicem versus sensim paulum incrassato; postpetiolo latitudine apicis petioli, quadrato lateribus rectis et spiraculis prominulis, levi et nitido, utrinque depressiusculo, disco subcon- yexo; segmento 2 multo longiore quam latiore, basin versus sensim valde angustato, subtiliter confertim punctato, ad utrum~- que angulum basalem lineola impressa margini externo subpa- rallela; segmentis sequentibus sensim longitudine decrescentibus. Alae stigmate majusculo, areola radiali lata oyalisublanceolata, areola cubitali 2? deltoidea, areola discoidali interna paulo ante discoidocubitalem ineunte (? semper). 18. I. cLEricus. Le male qui m’a été envoyé de Breslau, est de la méme espéce que mon Eristicus clericus & (Tentam. 13. 4). Aprés avoir établi le sous-genre Eristicus, jai proposé de le supprimer (Mantis. p. 7), et méme de changer le nom de les- péce (Mantis. p. 96); et enfin, j'ai manifesté intention d’en re- venir, pour le sous-genre et pour l’espéce, aux dénominations primitives (Ich. miscel. p. 54, not. (2)). Je me bornerai A expliquer Vorigine de ce dernier revirement d opinion relativement au nom de lespéce. Vers 1854, en parcou- rant par hasard les généralités du sous- genre Ichnewmon (Grav. I. pp. 102-106), je découvris que Yauteur, au commencement de la page 104, indique IJ. clericus comme une des espeéces dont l’ab- domen, plus long ct plus gréle que de coutume, a une certainc analogie de forme avec celui des Ischnus. Comme ce signalement pouvait s‘appliquer 4 mon Er. clericus o*, jen conclus dés lors que, probablement, ce dernier était de la méme espéce que VU. clericus Grav. ( 16 ) Quant a la valeur du sous-genre Eristicus, chacun est libre den juger comme bon lui semblera. 19. I. CANALICULATUS. Jai recu de Breslau le male genuinus et le male var. 1?. Le male genuinus est bien certainement un Cryptus, dont la téte est comparable par sa forme A celle de l’Echtrus reluctator o*. Les mandibules, le chaperon et la face sont faits d’aprés le type normal des Ichneumons. Les antennes sont un peu gréles. L’écus- son est médiocrement conyexe, oblong, un peu rétréci vers Vextrémité, sans traces de rebord latéral. Le métathorax ne s’éloi- gne du type des Ichneumons que par son aréole supéromédiane triangulaire; les spiracles sont trés-petits, circulaires, éloignés de Ja base. Aux ailes postérieures, la 2° nervure longitudinale est un peu plus arquée a la base que chez Jes Ichneumons (4). Il m’a été impossible d’apercevoir les spiracles du postpétiole de l'abdo- men; le 2™° segment n’a pas de gastrocéles. L’autre male est trés-différent : il est identiquement de la méme espéce que le Cryptus leucopsis Gray. Il. 467.52, dont je posséde plusieurs individus. Quoiqu’il y ait entre ces deux males d'importantes différences spécifiques, ils semblent cependant appartenir au méme type générique. Sauf la grosseur de la téte, les proportions des autres parties du corps sont a peu prés les mémes. La forme générale de Yabdomen et celle de ses divers segments ont beaucoup de res- semblance : cependant, le male genuinus a le 1° segment plus élargi vers lextrémité , et il y est arrondi sur les edtés; quant aux deux carenes de la base du 2™ segment, il n’y en a pas de traces chez la var. 4. — En parlant de ce dernier, page 142 , Gravenhorst dit : caput aliquanto latius est quam in specie genuina, ce qui me semble trés-inexact, puisque la téte est, au contraire, moins large , surtout en arriére. (1) Tentam., pag. 8, lin. 9-11. (17) 25. 1. BREVICORNIS. La femelle reeue de Breslau n’est pas un Ichneumon : e’est la méme espéce que l'Ischnus pulex 9 Grav. 652. 285. Je parlerai plus loin de cet Ischnus en faisant la revue des espéces de ce sous-genre. Pour le moment, je me bornerai a rele- ver ici une inexactitude dans la description de I’'/. brevicornis , dont les antennes n’ont pas le 5™° article fauve; on peut croire que cest le résultat d'une faute typographique, et que, au lieu de 5 rufo, il faut lire 15 rufo (pag. 147, lin. 5). SECTIO Il. 29°, J. TRANSFUGA. Dapres Vindividu recu de Breslau, cette femelle n'est pas un Ichneumon : elle est de la méme espéce que le Phygadeuon ce- phalotes 9 Grav. II. 644. 149. SECTIO If. 52. I. rossorius var. 5%. Ce male est, selon moi, une des nombreuses variétés de l’Amb. _. unigultatus (Tentam. 124%, 18), trés-voisine de VI. sibilans o* I. 528. 18 (Tentam. ibid. var. 7), auquel Gravyenhorst. lui-méme compare son J. uniguttatus 1. 510. 9. La description de Grayenhorst laissant 4 désirer, je crois devoir la présenter plus complete : Caput mandibularum medio rufo. Antennae totae nigrae. Thorax colli margine supero, linea ante alas usque ad collum ducta, lineo- laque infra alas, albis. Seutellum album. Alac stigmate rufo, squa- - Tome VIII. 2 ( 18 ) mula et puncto radicis albis. Pedes fulvi, coxis et trochanteribus nigris, illarum anterioribus puncto externo albo, posticis maculis duabus albis in latere supero; tarsis intermediis apicem versus subfuscis, posticis nigris, articulo 4 basi et 1-4 summo apice ful- vis. Abdomen segmento 4 margine apicali medio albido; 2 e basi ad medium badio, latera versus dilutiore , marginibus ipsis latera- libus nigris, margine apicali summo stramineo. Il est Aremarquer que les deux taches blanches des hanches de derriére ont absolument la méme forme et la méme position que chez l'un des males de ma var. 6 de Amb. wriguttatus. On re- trouve encore la méme coloration des hanches chez ma var. 9 (Ich. Amb. Eur. p. 29). 50. I. ALBOSIGNATUS. Ce male ne parait pas étre de méme espéce que celui que j/ai décrit sous le méme nom. I] en différe surtout par la forme de la téte, dont les cdtés sont un peu plus prolongés derriére les yeux ct sont presque droits. Ii appartient, d’ailleurs, ala méme division par son postpetiole enticrement ponctue. 54. 1. MULTICOLOR. ‘ Le male et la femelle, qui m’ont été envoyés de Breslau, ap- partiennent & deux espéces trés-différentes. La femelle est un Ichneumon de ma Division 1, ayant beaucoup d’analogie avec mon J. bilineatus 9, ainsi qu’avec les J. lineator, ferreus, etc.: c’est a elle seule qu’on peut conserver provisoirement le nom d’J. multicolor. Le male appartient a l'J. quaesitorius. Observations. — C’est par oubli que, dans aucun de mes ou- vrages, je n’ai fait mention de I'l. quaesttorius, qui, a la verite, n’a pas été jusqu’a présent trouvé en Belgique, mais dont j'ai regen suceessivement diverses femelles de M. Sichel, originaires de la Bretagne en France, de Mottier cn Savoie, du Piémont et de (19 ) Hongric. — Cest une espéce a aréole supéromédiane du méta- thorax carrée, 4 postpétiole aciculé, gastrocéles de largeur mé- diocre, qui appartient a Ja méme division que les J. grossorius , cessalor, quadrialbatus, ete., et que Yon peut signaler de la ma- nicre suivante : ICHNEUMON QUAESITORIUS Qo”. (Q) : Scutello, lineola infra alas, maculaque segmentorum 53-7 vel 4-7, albis; femoribus tibiisque omnibus et tarsis anterioribus rufis, illarum posticis apice nigris; antennis gracilibus setaceis albo- annulatis ; metathorace breviler bidentato. = 6-7 li. — Gray. J. 255. 24. —- 7 feminae. (o) : Scutelli macula, lineola infra alas; orbitisque facialibus, albis ; femoribus tibiisque omnibus et tarsis anterioribus rufis, illarum posticis apice nigris; metathorace breviter bidentalo. = 7 li, — I. mutticonor o* Gray. I. 168. 54. — 1 mas. oD. I. ruscatus. Le male recu de Breslau me semble étre de la méme espéce que mon I. computatorius o (Tentam. n° 44, p. 51, 02). Ia sous les quatre hanches antérieures un petit point blanc que Gravenhorst n/a pas apergu, et il ressemble surtout & ma var. 2, qui n’en dif- fére que par ses cuisses de derriére entiérement noires. Du reste, depuis la publication de mon Tentamen, je n’ai pu recueillir aucun document de nature A faire disparaitre le doute que j'ai exprimé a cette époque & l’égard de VI. computatorius o*. 57. I. rrucwaror. Ce male appartient & la méme espéce que mon Probolus alti- cola x, comme j'en ayais déji émis le soupcon antérieurement (Ich. Plat. Eur. p. 6), et il se vapporte exactement & ma var. | (bid. p. 9); il a un trés-petit point blane aux orbites du vertex ( 20 ) et un point blanchatre sur la radicelle des ailes, caractéres omis par Gravenhorst, qui, du reste, s'est fort bien apercu de la largeur du pétiole de ’abdomen (p. 472, lin. 6-7). Cependant, malgré la justesse de cette remarque relative a la forme du pétiole, c’est seulement apres avoir vu, de mes propres yeux vu, l’exemplaire d’aprés lequel Grayenhorst a fait sa descrip- tion de l'J. trucidator, que je suis resté convaincu de son iden- tité spécifique avee mon Prob. alticola ot. Comme on pourrait s’étonner que je n’aie pas acquis cette conviction plus tot, je crois devoir expliquer l’origine de ma longue incertitude. I] existe un opuscule , probablement fort peu connu, publié par Gravenhorst en 1829 (1), 4 l’occasion de Vinstallation de Henri Steffens, élu recteur de l'Université de Breslau pour l'année sui- vante, opuscule de 20 pages in-4°, dans lequel, comme l’annonce _ auteur, insunt monita quaedam de speciebus nigris Ichneumo- num. A moins d’avoir pris connaissance de cette ceuvre singuliére , il est impossible de se figurer le degré d’excentricité des opinions hasardées par Gravenhorst au sujet de la prétendue identité spé- cifique d’une foule d’Ichneumons des sections I-IV de son Ichneu- monologia Europaea. Cependant VI. trucidator y est conservé comme espéce distincte, avec annotation suivante : « Statura tota » graciliore, pedibus tenuioribus, parte antica segmenti primi » haud gibbosa, a reliquis speciebus hujus sectionis differt. » (P.45, n° 44.) Ce que Gravenhorst appelle pars antica segmenti primz, c'est pour moi le postpetiolus ; or, Pun des caractéres de mon sous- genre Probolus est précisément d’avoir le postpétiole surmonté dune gibbosité qui, 4 elle seule, représente Jes deux carénes de beaucoup d’autres Ichneumons (Fentam. p. 150. —- Ich. Plat. Eur. p. 5). Ainsi done, je le demande, en présence de l’assertion de Gravenhorst déniant au postpétiole de son I. trucidator Vexis- tence d’une gibbosité queleonque, comment aurais-je pu deyiner que ce dernier fit le méme que mon Prob. alticola *! (1) Par conséquent, la méme année que I’ Zchnewmonologia Luropaca, mais postéricurement, tec FAL Es a ig err ye. he Sa ras ( 21 ) 58. I. MONOSTAGON. Le male qui m’a été envoyé de Breslau est celui auquel Graven-: horst assigne un point blane de chaque cété du chaperon : il est de méme espéce que mon J. indagator « (Tentam. 84. 85. — Adnot. p. 6. — Ich. miscel. 59. 29); d’ou il résulte que ce der- nier devra changer de nom. 4A. I. ALBICILLUS. Le male recu de Breslau a une grande analogie de formes, de sculpture et de coloration avec les I. ferreus et restaurator, et, par la couleur des pieds, il semble leur étre intermédiaire. Je suis cependant porté A croire qu'il constitue une espéce distincte, parce que ; 1° il est un peu plus gréle, et la ponctuation de ’abdomen est un peu plus forte; 2° la ligne blanche des orbites externes se dilate brusquement au bas des yeux, ct forme ainsi une tache blanche qui s’étend sur toute la joue. Lopinion que j’émets ici 4 l’égard de I'l. albicillus a été consi- dérablement fortifiée par la réception, toute récente, d’un indi- vidu que m’a envoyé de Paris M. le D® Sichel, et qui a tous les earactéres de celui de Breslau: seulement, il a le milieu du cha- peron noiratre. 43, J. GEMELLUS. D’aprés le male recu de Breslau, cette espéce est la méme que jai décrite sous le nom df. albosignatus (Tentam. 835. 84. — Mantis. p. 41). Jai done commis une erreur qui doit étre cor- rigée. 47, I. DISSIMILIS. Jai reeu de Breslau une femelle de cette espeéce; j’avais aussi de- mandé communication du male décrit par Grayenhorst, mais il n’existe plus dans sa collection, ( 22 ) N’ayant eu, dans aucun de mes ouyrages, occasion de faire connaitre I’'J, dissimilis 9, jentrerai dans quelques détails sur les earactéres qui le distinguent. Habitus J. annulatoris Grav., sed terebra longiore. Antennae crassiusculae , apice non attenuatae, Metathorax spiraculis minutis, areola superomedia subsemielliptica, nitidiuseula. Abdomen post- petiolo vix subtilissime aciculato, sublevi; gastrocoelis perparum impressis, transverso-linearibus; terebra longitudine segmento- rum 5-7. — Affinis videtur etiam J. albicincto 9 Grav. (509. 215) et pracsertim nostro I. joculari 9 (Mantis. 52. 71°"). Scutello apice castaneo ; linea ad orbitas frontis, punctoque ad orbitas verticis, albidis aut testaceis; femoribus tibiisque rufis, pos- licis apice nigris; antennis albo-annulatis, = 5 li. Remarque. — C'est avec hésitation que Gravenhorst a déecrit son I. dissimilis o* comme étant l’autre sexe de la femelle du méme nom; je crois que c’était effectivement une erreur, d’autant plus que je serais assez disposé 4 regarder mon J, zephyrus (1) comme le véritable male de I’. dissimilis 9. D4. J. Luctuosus. Sous ce nom, j'ai recu de Breslau deux males, choisis parmi les genuini de la collection, savoir : 4° un individu 4 écusson presque tout blanc; 2° un autre A écusson blanc seulement a lextremiteé, Ces deux males appartiennent 4 deux espéces trés-différentes. Le premier, long de 7 lignes, est de la méme espéce que mon I. languidus o (Tentam. 52. 45). Le second, long de 6 lignes, est identiquement le méme que la var. 2 o de mon J. indagator (Tentam. 84. 85,— Adnot. p. 6). Ces deux males n’ayant, ni l'un ni l'autre, Je métathorax mar- qué d'une impression queleonque qui leur serait particuliére, javoue ne pas comprendre la signification de l’expression metatho- race impresso employée par Grayenhorst dans sa description. (1) Zeh. ot., p. 58, n° 59, ¥ 2 ry = ; a ( 25 ) En combinant les explications qui préeédent avee ce que j'ai dit plus haut au sujet de I'7. monostagon n° 58, la synonymie de mon I. indagator pourra étre présentée de la maniére suivante : ]. MONOSTAGON o%9. J. monostacon o” Gray, I. 172. 58. — I. inpacator o“9 Wesm. Ten- tam. 84. 85. Var. 1. © Wesm. Ibid. Var. 2.0°9 Wesm. Adnot., p. 6. — Ich. miseel. 59. 29. — 1. tue- TUOSUS o% (ex parte) Grav. 1. 200. 54. Var. 3. of Wesm. Ich. miscel. 59, 29. 58. [. runereus. Ayant décrit depuis longtemps les deux sexes de cette espéce (Amb. funereus. Tentam. 156. 5%), et étant bien certain de n’ayoir commis aucune erreur 4 leur égard, j’étais extrémement curicux de savoir ce que pouvait étre I'l. funereus o de Gravenhorst : cest donc du male seul que j'ai demandé communication A Breslau. L’exemplaire que j’ai recu sous le nom a’J. funereus o est une femelle de méme espéce que mon Amblyteles haereticus 9 (Ich. Amb. Eur. 46. 57). Plus tard, j'ai découvert qu’il faut probable- ment rapporter a Amb. haereticus 9 la var. 1 de lI. melano- gaster 9 de Gravenhorst (Ich. oti. 50. 5) : d’ou il semble résulter que cet auteur a décrit successivement, a quatre pages de distance, des individus de méme espéce et de méme sexe, comme s'ils étaient Wespéce différente et de sexe différent ! 59. J. pERsoNnATus. Jai recu de Breslau, par un premier enyoi, le male genuinus et, par un enyoi postérieur, la var. 1. Ayant eu limprudence de renvoyer l'un ayant d’avoir recu lautre, je me suis trouyé dans Vimpossibilité de les comparer entre eux, et je me suis ators ( 24 ) apereu, mais trop tard, que mes notes manuscrites, résultat de leur examen successif, n’ayaient pas le degré de précision nécessaire pour me permettre de décider si ces deux males sont réellement despéces différentes, comme je penche, cependant, a le croire. Dabord, ce qu’iil importe de remarquer, c'est que, chez ces deux males, le postpétiole de 'abdomen nest ni ponctué ni aci- culé; il est finement chagriné, comme chez la plupart des espéces de ma Division 5 (Tentam. p. 19). Le male genwinus a les gastrocéles sous forme de sillons trans- versaux, comparables 3 A ceux des J. castaneus, deletus, etc., et il ressemble beaucoup A ce dernier par la sculpture et l’aspect mat de tout le thorax; seulement I’aréole supéromédiane, qui est car- rée, est un peu luisante; I’écusson est trés-convexe ; mais au lieu d’étre tout blanc, comme le dit Gravenhorst, il n’a que la moitié terminale occupée par une tache carrée blanche. — Du reste, ce male me parait évidemment différent de mon J. tenebrosus o (Mantis. 51). Le male var. 1 a la base du 2™° segment de l’abdomen assez fortement rugueuse dans toute sa largeur, et ses gastrocéles, peu distinets , s’étendent transversalement de maniére 4 ne laisser entre eux qu’un intervalle assez étroit. La tache blanche terminale de l’écusson est un peu moins longue que large; elle est légére- ment teinte de fauve 4 son origine, et son extréemité est comme échanerée par un point médian noir. Ce male a une grande res- semblance de coloration, et méme de sculpture, avec mon J. tene- brosus o*; mais il semble avoir des formes moins allongées, et son postpétiole est plus court, plus large, et plus convexe dans le disque. — On peut aussi se faire une idée assez exacte de ce male en le comparant a certains individus de grande taille de I’'J. ochropis *; seulement ses pieds semblent un peu plus robustes. 60. I. LEUCcOcERUS. _ Sous ce nom, j’ai recu de Breslau un male et une femelle : ils appartiennent deux especes différentes. Le male est mon J, sinister o (Mantis. p. 15); dont jai décrit Ladi | J ¥] wes 4 = Ww Masa SE a Nis A ot ( 25 ) la femelle postérieurement (Ich. miscel, 9. 2) (1). L’exemplaire de Breslau différe du mien, 4° par un point blane sur la tégule des ailes; 2° l'aréole supéromédiane du métathorax est un peu plus longue et 4 bord postérieur presque droit; 5° le 4™° article des palpes maxillaires est presque tout blane; 4° le 1° article des an- tennes est enti¢rement noir (tandis que chez le mien, il y a en dessous wn trés-petit point basilaire blanchatre, et non pas deux, comme je lai dit abusiyement dans ma description). La femelle est de la méme espéce que celle que j’ai décrite sous le nom d’J. leucocerus (Tentam. 50. 18). Remarque. — Quant au veritable J. leucocerus & décrit par moi (/oc. cit.), je dois ajouter que, 1° il a souvent un point blane sur la tégule des ailes; 2° il a quelquefois les orbites externes sans lingole blanche et les palpes noirs. 65. J. SEMIORBITALIS. Le male genuinus qui m’a été envoyé de Breslau est de la méme espéce que mon J. computatorius o*. Il ne differe de ma var. 2 que par l’absence d’un petit point blane aux quatre hanches anté- rieures, et par la coloration un peu différente du 2™° segment de Yabdomen, différences sans importance en raison de la grande variabilité de cette espéce (Tentam. n° 44, p. 54). Jai dit plus haut (n° 55) que je regarde aussi I’, fuscatus comme étant le méme que mon J. computatorius o%; et il est ad remarquer que Gravenhorst a également soupconné que ses J. /us- catus et semiorbitalis deyaient étre réunis (p. 214, in nota). 65. I. LuGens. Le male recu de Breslau n’a aucune analogie spécifique avec la femelle décrite sous le méme nom par Grayenhorst. Ce male est un Amblyteles qui, sauf la couleur des segments (1) Dans ce dernier opuscule, au bas de la page 9, j’avais déja émis l’opinion que 7. leucocerus cM Gray. pourrait bien étre le méme que mon J, sinister of. ( 26 ) 2 et 5 de labdomen, ressemble beaucoup a I'l. nigripes Gray., tant par sa coloration que par ses formes et sa sculpture. Sous ces deux derniers rapports, il est aussi tout & fait comparable 4 l'Amb. conspurcatus o%, et on peut lui appliquer sans restriction les ca- ractéres assignés 4 ce dernier au commencement de la page 34 des Ich. Amb. Eur. — La description de Gravenhorst n’est pas par- faitement exacte en ce que le bord supérieur du cou est tout blane, ainsi que la tégule des ailes, et quil y a un point blane sur la radicelle; le 2° segment de l'abdomen a une légére teinte d'un chatain trés-sombre. Je dois encore faire remarquer que ce male ne manque pas Wanalogie avec la femelle décrite par moi sous le nom d’Ambh. bipustulatus (Ich. Amb. Eur. 59. 50), et d laquelle je n’ai assigné quune yaleur spécifique douteuse. Pour toutes les difficultés relatives aux Amb. unigultatus, ni- gripes, conspurcatus, ete., je renvoie aux Ich. Amb. Eur., ot jen ai longuement traité. Quant a I’. lugens 2 Grav., je persiste 4 soutenir quil a pour male celui que j’y ai réuni (Chasmodes lugens 90°, Tentam. 16. 2.) 68. I. pDELIRATORIUS. J'ai recu de Breslau un male et une femelle genwini qui appar- tiennent a deux espéces trés-différentes. Le male est mon Eupalamus oscillator x, conformément & la synonymie que j’en avais donnée ( Tentam. 14. 1 ). La femelle est de la méme espéce que celle de II. pistorius , n° 74, Gray. (Tentam. 81. 81. var. 1). 70. I. ruscipes. Je n’ai demandé communication que de la var. 2 déerite par Gravenhorst. Le male que j'ai regu n’a aucune analogie spécifique avec les genuini : il est identiquement de la méme espéce que mon Chas- nodes lugens ~ ( 27 ) La synonymie devra done étre ¢tablie comme suit : WWASMODES LuGENS. 0: J. lugens 9 Grav. SHADES | Bid ug ithe | mrtomis 16, 2. — — o:]. fuscipes o*, var. 2, Grav. § 72. 1. EDICTORIUS. Le male reeu de Breslau est le méme que ma var. 5 de lAmb. divisorius (Ich. Amb. Eur. 55. 43). A Vendroit cité, j’ai dit que mon exemplaire ne différe de celui de Gravenhorst que par l'absence d'une lJinéole blanche sous la base des ailes. Jen posséde aujourd’hui un deuxiéme individu qui présente la méme différence, mais qui est un peu plus petit. En outre, jen ai recu un troisiéme de Suéde, de M. Dahlbom; chez celui-ci, il y a une linéole blanche sous Ja base des ailes, et il diffeére encore des deux autres, 4° en ce quil a une linéole blanche aux orbites faciales; 2° les pieds intermédiaires ont lex- trémité des jambes presque complétement noire, et les tarses noirs; les jambes de derriére sont noires dans une plus grande étendue. — Il nest peut-étre pas inutile d’ajouter que le méme enyoi de M. Dahlbom contenait deux males genwini de Amb. divisorius de méme taille que la variété, ayant aussi tous deux une ligne blanche aux orbites faciales, et lun d’eux ayant égale- ment deux linéoles blanches prés de la base des ailes, ainsi qu'un point blane sur la tégule et la radicelle. 76. |. VESPERTINUS. Le male que j’ai recu de Breslau est bien certainement celui daprés lequel Gravenhorst a fait sa description, puisque, dans la liste denyoi, il est indiqué comme exemplaire unique. fl est done important de faire remarquer que la description est inexacte en ce quil y a un petit point blane sur la tégule des ailes et une linéole blanche sous leur base; de sorte que ce male a identique- ment la méme coloration que celui que j’ai indiqué comme var, 2 de TAmb, mesocastanus (Ich. miscel. 51. 4), et que jai déerit ( 28 ) d’aprés un individu reeu de M. Von Siebold. Du reste, je crois pouvoir persister dans l’opinion que j'ai émise a cette époque. Dans mon Tentamen (156. 54), j'avais rapporteé I'J. vespertinus ima var. 1 de ’Amb. funereus; cette synonymie doit étre an- nulée. (Voir Ich. Amb, Eur. n° 47, pp. 57-58. ) SECTIO IY. 78. I. SUBMARGINATUS. La femelle recue de Breslau est de la méme espéce que mon I. subreptorius 9 Ged miscel. 16. 10); ce dernier devra done changer de nom. Cette femelle a ’écusson et les deux taches anales de couleur jaune, comme les individus qui me sont venus de Suéde : c’est done & tort que Gravenhorst attribue 4 ces parties une couleur blanche. 79. I. SALICATORIUS. Le mile et la femelle qui m’ont été envoyés de Breslau comme genuini, appartiennent & deux espéces différentes. Le male me semble étre un J. ¢ocerus Grav. n° 124, analogue & sa var. 2, mais ayant le 2™° et le 5™° segment marqués de noir; il a un point blane sur le 5™° segment, et une grande tache blanche sur les 6™ et 7™°. Des trois femelles mentionnées par Gravenhorst, celle que j’ai recue a les orbites frontales jaunatres, et une linéole jaunatre sous la base des ailes; son abdomen a des gastrocéles trés-peu distincts; il est obtus au bout, noir avec une tache jaune sur le 7™° segment. — C’est un Amblyteles qui a la plus grande ressem- blance avec mon Amb. indocilis Q ( Tentam. 126. 20); cependant ses antennes ont les articles 4-8 un peu plus grenus, et ses jambes sont d'un jaune plus pur. Remarque. — Je vai pas demandé communication des yariétés ae ( 29 ) 1-5 décrites par Gravenhorst, lesquelles apparticnnent peut-etre toutes a autant d'espéces différentes. 80. I. microcervs. D’aprés la femelle que jai recue, cette espéce n'est qu'une variété de I'J. anator 9. Ses antennes ont un vestige d’anneau ferrugineux; elle a au sommet des orbites frontales une linéole blanche trés-petite, et en outre une linéole blanche sous la base des ailes. 85. I. Leucowenas. La femelle de cette espéce n’étant pour moi objet d’aucun doute, cest du male seul que j'ai demandé communication. Le male qui m’a été envoyé est une variété de I'l. punctus Gray., trés-voisine de ma var. 1 (Tentam. 49. 43) et n’ayant, par conséquent, aucune analogie spécifique avec I'l. leucomelas 9, dont jai indiqué depuis longtemps le yéritable male (Tentam. 87. 88). 85. I. QUADRIALBATUS. La synonymie de la femelle ne me laissant aucun doute, je n‘ai demandé communication que du male. Celui qui m’a été envoyé appartient a une tout autre espéce que la femelle. C’est un Ichneumon de ma Division 4, & postpé- tiole enti¢rement ponctué et a petits gastrocéles, qui n’est proba- blement qu'une variété de l'/. albosignatus Grav. n° 53; jen ai un individu de Belgique chez lequel le dos du 7™ segment, au lieu détre tout blanc, est noir ayec un petit point blanc, et qui semble ainsi indiquer le passage d'une espéce A autre. Observations. — Lorsque j'ai publié mes premiers ouvrages sur Jes Ichneumons, je ne connaissais pas le yéritable male de I'L. gua- drialhatus; aujourd hui jen posséde plusieurs individus, et je puis, par conséquent, compléter la connaissance de cette espéce. En prenant pour type spécifique la femelle, et en lui laissant le ( 50 ) nom imposé par Gravenhorst, je dirai que l'Z. quadrialbatus est une espéce voisine de I'l. gracilicornis et ayant, comme lui: {° l'aréole supéromédiane du métathorax rectangulaire; 2° le post- pétiole aciculé; 5° les gastrocéles larges et rugueux; 4° les picds’ assez gréles; 5° les antennes gréles et s¢tacées : T. QUADRIALBATUS 90%. (Q) : Scutello, maculaque segmentorum 6 et 7, albis; stigmate, femo- ribus tibiisque subgracilibus , rufis, harum posticis apice nigris ; antennis gracilibus selaceis albo-annulatis, saepe tricoloribus; postpetiolo aciculato; gastrocoelis majusculis. = 34-5 li. — J. quapriALBatus Q Gray. I. 252. 83 (excluso mare). — Wesm. Tentam. 42, 55. — 7 feminae. (o*): Scutello albo; antennis subtus, stigmate, femoribus tibiisque sub- gracilibus, rufis, harum posticis apice nigris; postpetiolo acicu- lato; gastrococlis majusculis. = 4-5 li. — 71. rossonius o% var. 2 Grav. I. 165. 32 (excluso mare Fennico). — 5 mares. Var. 1. 2: Segmentis 2 et 5 plus minus castaneis. = 4-5 li. — Wesm. Mantis. p. 18. — 4 feminae. Var. 2. 9 : Scutello nigro. = 5 li. — 1 femina. Var, 3. o% : Orbitis facialibus albis. = 5} li. — 1 mas. ? Var. 4. o% : Antennis rufis, superne fusco-punctatis. — Amb. CAME- Linus & Wesm. Mantis. p. 62. — Ich. Amb. Eur. p. 48. n° 39, —2 mares. Inter feminas genuinas oceurrunt haud raro individua segmen- tis 2 et 5 piceis, quae transitum ad var. 1 parant. In var. 1, antennae ut plurimum tricolores sicut in feminis ge- nuinis. In var. 2. 9, seutellum totum nigrum; antennae nigrae annulo albo; tarsi omnes rufi; abdominis segmentum 2 rufwm, lateribus et apice nigro-maculatum. Mas : Caput palpis apicem versus, interdumque mandibularum apice, rufis. Antennae subtus rufae, articulo 1 saepe toto nigro. Thorax interdum puncto subobsoleto rufo ante alas. Seutellum ( 51 ) album. Alae stigmate rufo; squamula et radice nigris, raro casta- neis. Abdomen nigrum, rarissime segmentorum 2 et 5 margine laterali castaneo-maculato. Mas var. 5, caeteris yix paulo major, a genuinis non differt nisi linea alba ad orbitas faciales. Quod ad var. 4. & spectat, dubium a nobis expressum oritur, non ex antennarum coloratione, sed e sculptura postpetioli qui minus regulariter aciculatus est quam in maribus genuinis, po- liusque subseaber yidetur. — Quidquid est, monere liceat, e mari- bus illis tribus dubie indicatis in Ich. Amb. Eur. n° 59 (var. 12), unum ad J. quadrialbatum genuinum referendum esse, alium unum (Belgicum scilicet) ad nostram praesentem var. 4; de tertio mare, nil cerli asserere audeo. 87. I. MoLironrivs. L’exemplaire qui m’a été envoyé de Breslau comme ¢étant I’. mo- litorius male de Grayenhorst, est une femelle de Amb. oratorius ayant les segments 1 et 2 de !abdomen entierement noirs. Cette yariété de YAmb. oralorius 2 west pas rare, et si elle n’a pas été mentionnée dans mon Tentamen (416. 5), c'est par suite dun oubli que j’ai réparé postéricurement (Ich. Amb. Eur. p. 14 ad finem). Quant a I'J. molitorius 9 de Gravenhorst, il le compare, et avec raison, 4 son I. confusorius 9, dont je le regarde méme comme une yariété (I. luctatorius 2 Tentam. 57. 51 var. 10), excepteé les indiyidus dont l’abdomen, d’un noir bleuatre, n’a qu'une tache blanche anale et qui appartiennent, je crois, 4 Ja méme espéce que la femelle de mon J. deliratorius (Tentam. 57. 28). Remarques. — En signalant ici la double erreur de Grayen- horst, quia donné, pour mile et femelle de la méme espéce, deux femelles Vespéces différentes, je n’entends pas décider quelle est celle de ces deux espéces que Linné a décrite sous le nom a, moli- lorius dans sa Fauna Suecica; car sa courte description peut s'ap- ( 52 quer a l'une et a l'autre (1), et elles se rencontrent toutes deux en Suede, comme j’en ai acquis la preuve par ma correspondance avec M. Dahlbom : dans un de ses envois, j’ai recu, sous le nom d'J. molitor Q Lin., la variété de Amb. oratorius 9 & segments 4 et 2 sans taches blanches; dans un autre envyoi, j’ai trouvé I'J. mo- itorius Q Gray., mais sans indication de nom. II parait que M. Boie -partage Yopinion de M. Dahlbom a l’égard de IJ. molitorius de Linné, puisqu’il a décrit sous ce nom, comme variétés, des Amb. oratorius (Entom. Zeit. 1855, p. 94, n° 18). Une opinion toute différente est celle de Christ, qui, sous Je nom df. molitor Lin., a décrit et représenté J. molilorius 9 Grav. (I. luctatorius 2 var. 10 mihi); la fig. 6 de la pl. XXXV est trés- reconnaissable, et la description (p. 348) est d'une exactitude irre- prochable. SECTIO V. 87>. J. pipymus. La femelle recue de Breslau est un Ichneumon de ma Division 2, qui, par la taille et l'ensemble des formes, a beaucoup de ressem- blanee avec mes J. bellipes ct medialis ; il ne manque pas non plus danalogie avec mon JL. tuberculipes, mais il n’a pas le moindre vestige de tubercule sous les hanches de derriére. — Les antennes sont contournées et un peu amincies vers le bout; laréole supé- romédiane du métathorax est rectangulaire, plus large que longue; le postpétiole est finement aciculé; les gastrocéles sont peu pro- fonds et de largeur médiocre. Je connais deux variétés de l'/. didymus qui ont le 2™* segment de l’abdomen entiérement noir et qui peuvent étre signalées ainsi: — Var. 1. 2 : Segmento 2 toto nigro. = 7 5 li. — 1 femina. Var. 2. 9 : Segmento 5 punclo albo, — Ceelera sicut in yar. 1. = (1) Cependant, si Linné avait eu sous les yeux un 4mb. oratorius, n’aurait-il pas apercu et signalé la couleur blanche, toujours trés-apparente, des orbites fvontales? § li. — 4 femina. Ambae varietates differunt praeterca a femina genuina, 1° orbitis et collo totis nigris; 2° initio tantum brevissimo lineae rufae ante alas. — In var. 2, macula alba segmenti 5 multo minor est quam duae sequentes. Aucune de ces variétés nest de Belgique : la var. 1 existe depuis plusieurs années dans ma collection, sans ¢tiquette dori- gine, et je dois l’avoir recue de France ou d’Allemagne; la var. 2 m’a été envoyée récemment par M. Sichel, comme originaire du nord de la France. 91. I. sILAceus. La femelle recue de Breslau est un Ichneumon de ma Division 2, qui me semble avoir plus d’analogie avec l'/. raptorius 9 qu’avec aucune autre espéce. Comme celui-ci, elle a Jes antennes un peu gréles et amincies 4 l’extrémité; les formes et les proportions de la téte, des pieds, du thorax et de ses aréoles sont les mémes. L’abdomen est largement arrondi sur les cotés , peu aigu au bout, et ses gastrocéles sont assez grands. A la fin de la description de Gravenhorst, au lieu de 5 et 6 ma- cula alba, il faut lire : 5-7 macula alba. 92. I. AmMONIUS. Jai recu de Breslau deux individus appartenant a I’. ammo- mius o* de Grayenhorst. Ces deux prétendus males sont deux femelles d’un Amblyteles despéce trés-voisine de I'l. sanguinatorius (autre Amblyteles femelle, dont Gravenhorst a aussi fait un male). — Voir Amb. occi- _ sorius ( Tentam. 122. 16). Jayais aussi demandé communication de I’. ammonius 9 Grav.; mais il ne m’a pas été envoyé. A en juger par la description, je suis & peu prés certain qu’il est de la méme espéce que mon J. ca~ loscelis 9 ( Tentam. 59. 52). Tome VIII. 3 ( 54 ) Quant a la var. 1. 9 Grav., bien que je ne Vaie pas vue, je la regarde comme d’espéce différente. , Au milieu de ce chaos, comme il est essentiel de pouvoir, A Yoecasion , s’exprimer d'une maniére intelligible, je préviens que je désignerai a Vavenir, 1° I'Z. ammonius % Grav. sous le nom d Amb. ammonius 9, 2° VI. ammonius 9 Gray. sous Je nom d’J. caloscelis 9. Jai dit plus haut que lAmb.ammonius @ est trés-voisin de VAmb. occisorius 9; en effet, leurs differences consistent seule- ment en ce que le premier a, 4° les joues un peu plus larges et plus conyexes, 2° les segments 4 et 5 entiérement noirs. 96. I. cAEpATor. La description de Grayenhorst indiquant quelques variations dans la coloration ct la taille de cette espéce, je préviens que jai recu de Breslau une femelle longue a peine de 4 lignes, ayant le chaperon et Jes joues noirs, l’extrémité du 4™° segment abdo- minal bordée de blanc, et la 2™° intersection parcourue par une ligne noire. Cette femelle appartient 4 ma Division 2 des Iehneumons. La téte est transversale, a peine un peu plus large que le thorax, arrondie ct rétrécie derricre les yeux; la face et le chaperon sont assez courts : les cdtés de celui-ci sont coupés un peu obliquement; Vinorbite forme une légére protubérance carrée. Les antennes sont un peu courtes, contournées et amincies vers l’extrémité. Le mé- tathorax n’a pas le moindre vestige de dents; ses spiracles sont linéaires, son aréole supéromédiane est en rectangle un peu allongé. L’abdomen a le postpétiole finement acieulé, les gastro- céles petits; son extrémité est aigué ct sa tariére assez gréle. 97. I. RApToRIUS. Vai recu de Breslau deux individus désignés comme les deux sexes de cette espéce, et portant chacun une étiquette destinée a les distinguer sous ce rapport. i ( 55 ) Le prétendu male est un Amblyteles femelle qui ne différe de lAmb. ammonius 9 (voir n° 92) que par l’existence de bandes blanches marginales sur les segments 4 et 5 de ’abdomen; de sorte que, par la forme de la téte, il ressemble 4 ce dernier, tandis que, par la coloration de l’abdomen, il se rapproche de mon Amb. occisorius 2. Cet assemblage de caractéres intermédiaires chez le prétendu male de I'l. raptorius me porte A croire que celui-ci et Amb. ammonius 2 doivent probablement é¢tre réunis & lAmb. occisorius 2, comme étant les femelles d’une seule et méme espéce, dont les joues, en raison méme de leur dilatation, sont sujettes d des modifications accidentelles (1), et dont les segments 4 et 5 de Vabdomen sont tantét bordés de blanc, tantot entiérement noirs. La femelle genwina de l'I. raptorius qui m’a été envoyée res- semble a celles que j'ai décrites sous ce nom (2) par les formes et Ja coloration générale, par les antennes amincies a l’extrémite , Yaréole supéromédiane du métathorax carrée, les pieds un peu gréles, le postpétiole aciculé, les gastrocéles ¢troits, ainsi que par la grandeur respeetive des trois taches blanches anales, dont la premiere est plus petite que les suivantes; mais sa taille est no- tablement plus forte (5+li.), et sa surface est plus fortement ponctuée. 98. I. GRACILICORNIS. Le male recu de Breslau est celui indiqué avec doute par Gra- yenhorst. Il différe de la description en ce quil a une linéole blanche aux.orbites du vertex, une ligne blanche aux orbites ex- ternes, l’extréme base du 4™° segment fauve vers les cétés, et pres de son bord terminal trois petits points blancs. (1) Lorsque, chez une espéce d’insecte , l’un des sexes possede, dans un organe ou une région , une exubérance de formes étrangere a l’autre sexe, la partie exu- bérante est souvent soumise 4 des oscillations de dimensions. Ainsi, chez le Lucanus cervus, la grandeur de la téte et des mandibules des males varie considérablement; il en est de méme des apophyses corniformes du prothorax ou de la téte chez Jes males du Geotrupes typhaeus, du Bolbocerus mobili- cornis , etc., etc. a (2) Tentam. 57. 44 (exclusis var. 4,5 el 6), ( 56 ) Ce male, qui n’a aucun rapport spécifique avec IJ. gracilicor- nis Q, est le veritable male de I'l. callicerus 9 Gray. (1). — Voir ci-aprés n° 150. L'I. gracilicornis 2 regu par le méme envoi ne différe en rien de ceux de Belgique. 4101. I. srcrneunarus. La femelle de cette espéce ne saurait étre confondue avec au- cune autre de la Section V de Gravenhorst, puisque c’est la seule qui ait les segments 6 et 7 de J'‘abdomen entiérement noirs. La téte est de la largeur du thorax, Juisante. Les antennes sont assez fortement amincies vers l’extrémité. Le mésothorax est lui- sant, a ponctuation excessivement fine sur le dos; le métathorax est moins luisant, 4 ponctuation trés-serrée , 4 spiracles linéaires , deux petites dents aigués; son aréole supéromédiane est étroite, rectangulaire , notablement plus longue que large; les aréoles de Ja face postérieure sont effacées. L’abdomen est oblong, pet aigu au bout, a gastrocéles trés-petits, 4 postpétiole légérement bica- réné et faiblement ponctué-aciculé; les segments suivants sans ponctuation distincte. Les pieds sont de grosseur médiocre. Parmi les détails de coloration omis dans la description de Gra- venhorst, je signalerai les suivants : 1° les 5 derniers articles des palpes maxillaires sont fauves, les mandibules ont une tache fauve avant le bout, les orbites frontales ont une ligne fauye qui s‘étend jusque sur le vertex. en s’y élargissant un peu; 2° le 1* article des antennes a son eété intérieur en partie fauye; 5° Ie bord supérieur du cou a une ligne transversale blanche subin- terrompue. Cette espéce appartient certainement 4 mon sous-genre Ich- neumon; mais, parmi les espéces de ce groupe, sa place naturelle me semble difficile 4 déterminer. (1) Ce male a été décrit par moi sous le nom d’/. plurialbatus , a une époque ou j’avais congu des doutes sur la synonymie del’/. callicerus Q: (Ich. miscel, n° 50.) ( 57 ) 141. T. ecrecius. La femelle décrite sous ce nom par Grayenhorst est un Am- blyteles que je regarde comme une espéce trés-distincte; pour les formes et la sculpture, il l’'a, avec raison, comparée a son J. pal- liator’us 9. — Les mandibules sont en grande partie fauves ;ily aun petit point fauve sur les angles du chaperon; devant les ailes, il y a une linéole fauve peu distincte; l’extréme base des jambes de derriére est noire. Le reste de la description est exact. 115. I. supinrerrvptus. Le male genuinus que j'ai recu de Breslau me parait étre une variété de Amb. wniguttatus, ayant 4 peu prés la méme colora- tion que mes var. 4, 5 et 6 (Tentam. n° 18, p. 125); les males de ma var. 6 ont aussi, sur le bord du 4"° segment, une ligne trans- versale blanchatre largement interrompue au milieu; mais ils ont les segments 5-7 enti¢rement noirs. 117. I. supcyLinpricus. J'ai recu de Breslau une femelle et un male. Pour se faire une idée des formes de la femelle, on ne sau- rait mieux la comparer qu’a l’Amb. occisorius 9 (I. sanguinato- rius Gr.). Elle en différe en ce que, 1° sa téte est notablement plus large que le thorax et plus renflée derriére les yeux; la tubérosité médiane de la face est plus large, plus courte et plus saillante; les tubérosités latérales sont aussi plus saillantes, lisses et trés-lui- santes; le chaperon a, dans le milicu, une fossette linéaire longi- tudinale assez profonde (peut-étre accidentelle); 2° les antennes sont plus gréles et a articles plus allongés; 5° le pétiole de l’abdo- men est un peu plus large, le postpétiole un peu plus long; I’ab- domen, depuis la base du 2” segment jusqu’a l’extrémité du 5™°, est parfaitement droit sur les edtés; le 2™° segment est un peu ( 38 ) plus long que large; les trois suivants sont carrés; le 6™* est arrondi sur les cétés et rétréci, et porte une grande tache blanche dorsale un. peu plus longue que large; le 7° est fortement comprimé (4), et son dos étroit porte une tache oblongue blanche; la tariére est un peu saillante; sous le ventre, les segments 2-4 ont un pli caré- niforme, et le bout du 6™° est trés-éloigné de Vorigine de la tariére. —En vertu de ces derniers caractéres, cette femelle appartient done 4 mon sous-genre Jchnewmon. Sous le rapport des tubérosités de la face et de la forme des pieds, la femelle de cette espéce a une certaine analogie avec lV Alomya ovator 9. Quant au mile, il me semble entiérement comparable 4 mon Amb. Gravenhorstit o*, mais il est un peu plus grand: c’est une opinion que j’avais déja émise & une époque antérieure. (Ich. Amb. Eur. n° 24, var. 5%). En tous vas, je regarde comme im- possible que ce soit le male de I’. subcylindricus 9. 125. I. RIDIBUNDUs. J’ai recu de Breslau un male qui est identiquement de la méme espece que ceux de Belgique décrits dans mon Tentam. 99.105. Cette espéce est sujette & varier, aussi bien par la taille que par les couleurs. En 1855, M. le D* Sichel m’en a enyoyé deux indi- vidus originaires de Hongrie, longs de 4 lignes; l'un d’eux était conforme a la description de Gravenhorst, excepté les jambes de derriére, qui étaient entiérement noires; l’autre était coloré comme mon male genuinus, mais il avait une tache blanche sur les han- ches de derriére. Dans ma revue des Ich. Amb. Eur. p. 65, j'ai annoncé que les Anisobas ont un tubercule en ayant du bord antérieur du méso- thorax, au milieu du sillon transversal du cou. Un tubercule ana- logue, mais plus petit, existe chez I'L. ridibundus, aussi bien chez la femelle que chez le mile, et c’est une nouvelle preuve que les (1) Comme Grayenhorst ne dit absolument rien de cette forme si remarquable, on serait porté a soupconner que c’est un état purement accidentel, (59 ) deux sexes, réunis par moi sous le méme nom dans mon Ten- tamen, appartiennent réellement 4 une seule et méme espéce. 124. J. iscnioxAntuus. Le male que j'ai regu de Breslau est un J. exulans Grav. n° 246 (1) sur le 7™° segment duquel une goutte de matiére blanche a formé une tache un peu asymétrique; je suis parvenu A enlever une partie de cette matiére, aprés l’avoir imbibée d’éther sulfurique, et je laurais fait disparaitre tout entiére si je n’avais jugé nécessaire de conserver a cet Ichneumon la preuve originaire de l’erreur de Gravenhorst. © 426. I. peceptor. Jai recu de Breslau un male et une femelle genuini, qui ap- partiennent 4 deux espeéces trés-différentes, et dont l’examen a pleinement confirmé mes prévisions : en effet, le male est mon I, vestigator & (Tentam. 90. 9%); la femelle est mon J. punctus 2 (Tentam. 49. 43). Je n’ai demandé communication d’aucune des variétés que Gra- yenhorst a décrites et parmi lesquelles il a bien certainement confondu diverses espéces. ( Voir J. dolosus , Ich. oti. n° 26.) Pour éyiter de nombreuses difficultés de synonymie, le meil- leur moyen est de supprimer complétement 4 l’avenir le nom dT. deceptor. 426°. I. sUBALBELLUs. La femelle recue de Breslau est un Platylabus qui ressemble beaucoup A un Plat. orbitalis 9 de petite taille (Tentam. 158. 8). Bien que Gravenhorst Jui attribue caput totum nigrum, un examen attentif y laisse découvrir une linéole pale aux orbites du front et un point pale contre la base des mandibules; aux pieds (1) Laephanes hilaris o, Tentam, 17. 1. ( 40 ) de derriére, l’extréme base des cuisses et l’extréme bout des tro- chanters sont blanchatres. 429. [. MILITARIS. Jai recu de Breslau le male et la femelle qui appartiennent a deux espéces trés-différentes. La femelle a identiquement les formes et la sculpture de IJ, extensorius Q, dont je l’avais regardée antérieurement comme une variété (I. extensorius var. 1, Mantis. p. 100). Je regarde le male comme appartenant & mon J. angustatus o* (Ich. miscel,n° 51, p. 4+). Il a une linéole blanche aux orbites de la face, un point blane aux orbites du front, une linéole blanche sous la base des ailes, et un trés-petit point blanc sur la tégule, tous caractéres omis dans la description de Gravenhorst. Pour l'avenir, je propose de conserver le nom dJ. militaris , en l’appliquant a la femelle seulement. 150. I. cALLICERUS. Le male et la femelle qui m’ont été envoyés comme genuini appartiennent 4 deux espéces différentes. La femelle se rapporte réellement & l'espéce que javais désignée sous son nom, dans mon Tentamen. Elle a sur le 5™° segment une bande blanche terminale qui n’est pas mentionnée dans la des- cription de Gravenhorst, de sorte que j’avais postérieurement changé son nom en celui d’J. plurialbatus. Le male est un individu de mon J. chionomus o*, comme je Yavais déjad soupconné dans mon Tentam. 94. 95. Il a les orbites de la face et les taches du chaperon blanches (et non pas jaunes); sous le 1° article des antennes, il a deux points blancs. En résumé, la synonymie doit étre établie de la maniére sui- vante : | D ¥ Dy EP Ee sete a ee ( 44 ) I. CALLICERUS. Femina, I. catuicerus 9 Grav. I. 343. 130 (excluso mare). I. catticenus Q Wesm. Tentam. 96. 101.— Adnot. p. 8, var. 1. 9. Was, I. craciLicornis & (?) Gray. I. 290. 98. Mas et femina, I. prurtacpatus Wesm. Ich. miscel. 39, 30 (deleta var. 4. 0°). De plus, comme j’ai récemment découvert des males analogues ama var. 1.9 (Adnot. p. 8), cette variété doit s’étendre aux deux Sexes : Var. 1. “9: Femoribus posticis vel posterioribus totis nigris, = 5}-4 li. — 2 mares et 1 femina. Apud unum ex his maribus, tibiae nigrae, anterioribus antice stramineis. Quant a la var. 1 o*, indiquée dans les Ich. miscel. p- 40, elle doit étre supprimée comme étant le résultat d'une illusion : l’exa- men de ces insectes ayant eu lieu pendant l’hiver, A la lumiére de | la lampe, une certaine transparence des angles du postpétiole leur a donné 4 mes yeux une teinte blanche, tandis qu’ils étaient en réalité fauves. 151. I. sexALBAtus. La femelle que j’ai regue de Breslau est celle qui avait été en- voyée 4 Gravenhorst du Piémont. C’est un Ichneumon de ma Division 6, et qui me semble étre de la méme espéce que mon I, sexalbatus (Tentam. 95. 99). Remarques. — Vai recu de diverses parties de l'Europe des fe- melles de !'J. sexalbatus, dont plusieurs ont. deux taches fauyes sur le chaperon, et en outre, mais plus rarement, le centre de la ( 42 ) face teint de fauve; les cuisses et les jambes de leurs 4 pieds anté- rieurs ont plus ou moins de noir. J’ai également regu des males dont la plupart paraissént se rapporter 4 la var. 4 de I'l. sedulus Gray., d'autres 4 la var. 5. En Belgique, je n’ai pu me procurer jusqu’a présent d’autre fe- , melle que celle indiquée dans mon Tentamen, laquelle différe de 2 toutes les autres par le 5™° segment de labdomen entiérement — fauve comme les quatre précédents, par ses 4 hanches antérieures de couleur chatain en dessous, et par ses cuisses de derriére en partie noiratres le long du cété antérieur. Les males que j’y ai réunis (Tentam. ibid. — Mantis. p. 46) et qui appartiennent a la var. 5 de I'l. sedulus Gray. ont aussi les segments 1-5-6 enti¢- rement fauves. Ce que je dois ayouer ici, c’est que je ne connais aucun carac- tére, ni de formes, ni de sculpture, propre a établir la limite entre I'l. sexalbatus et V'I. bilunulatus, de sorte qu’on en est réduit a invoquer uniquement la couleur des cuisses de derriére, fauves chez l'un, noires chez l’autre; et, méme sous ce rapport, on voit Ja limite s’effacer, puisqu’on rencontre des individus, des males surtout, dont les cuisses de derricre sont en partie fauves et en partie noires. Comme preuve de cette resemblance entre les deux espéces, je rappellerai que, 4 une époque anteérieure,, j'ai réuni a I'l. bilunulatus des males & cuisses de derriére entiérement fauves (Mantis. p. 49, var. &). D’un autre cété, je dois ajouter que si ces deux espéces ne sont — que des variétés d'une seule, il semble, cependant, qu’elles ne sont pas également propres aux mémes contrées, et que, la ott l'une d'elles abonde, l'autre est trés-rare ou manque compléte- — ment. En Belgique, c’est dans les bois de sapins de la Campine qu’on trouve I’J, bilunulatus en grand nombre, circonstance en accord avec les observations de M, Ratzeburg, qui a obtenu Je male des nymphes de la Noctua piniperda (Die Ich. der Forstins. I, 471. 37). Enfin, parmi les femelles recues du dehors et dont la coloration — a de l’analogie avec celle de I’. sewalbatus, j'en ai qui ont une — forte taille, les cuisses un peu plus renflées, les quatre pieds anté- Oa ial $4 Stee: & ( 45 ) rieurs presque entiérement noirs, les segments 1-3-4 chatain ; est-ce une autre espéce? WV. B. Vers la fin de sa description, Gravenhorst dit, 4 propos du 5° segment de l'abdomen : 5 interdwm basi et margine summo nigris; au lieu de nigris, il faut lire ru/is. 452. I. murtipictus. La femelle recue de Breslau est un Ichneumon de ma Division 2, qui me semble appartenir a une espéce différente de toutes celles que j'ai décrites. Si l’on excepte Ja couleur de I’écusson et la taille un peu plus forte, il a 4 peu prés l’aspect et le port de mon J. la- trator 9 (I. crassipes Grav.). La téte est de la largeur du thorax, légérement arrondie der- riére les yeux. Les antennes sont filiformes. L’aréole supéromé- diane du meétathorax est carrée. Le postpétiole est trés-élargi, trés-finement aciculé dans le disque, ponctué vers les cétés; les gastrocéles sont trés-peu profonds, transyerso-linéaires; les seg- ments 2 et 5 sont un peu déprimés. Quant a la coloration, il faut ajouter a Ja description de Graven- horst : Palpes maxillaires pales vers l’extrémité ; mandibules fauves avec Je bout noir; un point fauve orbital au niveau de l’orgine des _antennes; scapus fauve avec le cété extérieur noiratre; bord su- | - périeur du cou d’un roux pale. 155. I. svavis. La femelle que j'ai recue de Breslau se rapporte 4 mon J. ves- tigator 2 (Tentam. 90. 94). Elle m’a été enyoyée comme genuina; mais je crois que c'est par erreur, car ses antennes et ses pieds ont la coloration assignée par Grayenhorst a sa var. 1. Je ferai en outre remarquer que, @aprés la description de cet auteur, I'Z. swavis cenuinus a J’an- neau blane des antennes composé des articles 8-16, tandis que, _ chez tous les J. vestigator 9 de ma collection, cet anneau se ter- Mine au 15™ ou au 44 article, ( 44 ) Cette femelle, extraite de la collection de Gravenhorst, parait avoir été examinée par lui avec peu de soin; car il faut ajouter & sa description: 1° extréme bout des joues fauve; 2° bord du cha- peron fauve, surtout vers les angles; 5° une linéole orbitale fauve au niveau de la base des antennes; 4° un point orbital roux-pale sur le vertex; 5° bord supéricur du cou d’un fauve trés-sombre ; 6° des traces d'un point chatain sur le postscutellum. — On peut vérifier que tous ces caractéres se trouvent mentionnés dans la description de mon J. vestigator 9 (Tentam. loc. cit.) Je me crois en droit de conserver provisoirement 4 mon J. ves- tigator le nom que je lui ai donné, parce que I’J. suavis Genuinus de Gravenhorst est peut-étre d’une autre espéce que sa var. 4. En conséquence de ce que j'ai dit plus haut relativement au n° 426, la synonymie peut étre présentée ainsi: I. VESTIGATOR. I. VESTIGATOR ot Wesm. — I. pEcEPTOR o% Grav. I. vesticaror 2 Wesm. — I. suavis 9 var. 1 Gray, 154. J. Lepipus. J’ai recu de Breslau un male et une femelle genwini qui appar- tiennent certainement 4 deux espéces différentes. Le male est de méme espéce que I'I. lepidus o* de mon Tenta- men (98. 404). — Si, dans ma diagnose, j’ai indiqué simultané- ment I’. lepidus 9 Gray., c'est de pure confiance, car j'ai eu soin d’ajouter, a la page suivante : Femina miht nondum occurrit. Je regarde I’. lepidus Q Gray. comme devant étre réuni 4 I'l. sexalbatus Q, et, par la taille comme par la coloration, il se rap- proche beaucoup de la femelle de Belgique dont j’ai parlé dans mes annotations au n° 154. Remarques.— Depuis la publication de mon Tentamen, en 1844, je n’ai plus fait mention de I’. lepiduws dans aucun de mes autres ouyrages sur les Ichneumons. Je profiterai done de loeeasion qui ( 45 ) soffre ici pour exposer ce que, dans lintervalle, jai appris a Yégard de cette espéce. Je crois connaitre maintenant Ja véritable femelle de I’I. lepi- dus : elle ressemble extrémement a I'l. vestigator 9, mais elle s’en distingue, 1° par ses orbites du vertex enti¢rement noires; 2° par son front un peu plus convexe, luisant et finement ponctué ; tandis que l’J. vestigator 9 a toujours aux orbites du vertex un point fauve ou roussatre, et que son front est plus déprimé, plus mat, et fortement ponctué. Ces différences concordent avec celles qu on observe chez les males, I’J. vestigator o* ayant aux orbites du vertex un point blanc qui n’existe jamais chez I'L. lepidus o*. Quant a I'l. lepidus o*, jen ai découvert plusieurs variétés dont je vais esquisser les caractéres dans le résumé suivant : I. Lepipus. (o*) : Scutello et colli margine supero albis ; tibiis anterioribus, posti- carum basi et segmentis 1-4 rufis, 6 apice et 7 dorso albis. = 5-44 li. — Grav. I. 551. 154 (exclusa femina). — Wesm. Ten- tam. 98. 104 (exclusa femina). — 12 mares. (2): Scutello albo; pedibus rufis, femoribus tibiisque posticis apice nigris; segmentis 1-5 rufis, 6 et 7 dorso albis; antennis trico- loribus ; fronte nitida, subtiliter punctata. = 2 $ li., rarissime 54 li. —I. suavis 9 (genuinus)? Grav. I. 548. 155. — 6 femi- nae (1). Var. 1. o% : Tibiis posticis totis nigris = 4-4 1 li. — Tentam. ibid. — 6 mares. Var. 1”. o% : Segmenti 5 margine apicali albo; femoribus posticis rufis apice nigro.—=4 li.— Grav. Ibid. var. 4 (exclusa femina). — 1 mas. Var. 2. o*: Lineola alba ad orbitas faciales. = 5 + li. — 1 mas. Var. 5. & : Orbitis facialibus, et segmenti 5 margine apicali, albis. = 4 li. — 1 mas. (1) Voir mes annotations a ’/. swavis, n° 155. ( 46 ) Var. 4. o : Pedibus rufis, coxis badiis, femoribus tibiisque posticis apice nigris. = 5 li. — 1 mas. Var. 5. o*: Coxis rufo-maculalis. = 5 li. — 1 mas. Var. 6. 0% : Antennis albo-subannulatis. = 5 } li. — 1 mas. Var. 7. 0°: Antennis albo-annulatis ; coxis rufo-maculatis. = 4 li. — I, rauiax Grav. I, 554. 135. Femina : Caput palpis et mandibulis, interdum clypei margine, et rarissime inorbito , rufis. Antennae articulis 1-7-8 rufis, 6-7-8 interdum fuscis, 8-15 vel 9-14 albis. Thorax interdum colli mar- gine supero rufo; punctulo subobsoleto castaneo infra scutellum. Scutellum album. Alae stigmate squamula et radice rufis vel sub- fuscis. Pedes rufi; femoribus posticis apice , raroque latere postico fere toto, nigris; tibiis posticis apice nigris; tarsis posticis articu- lorum apice fusco vel nigro. Abdomen segmentis 1-5 rufis, 4 basi summa saepe rufa, 6 et 7 dorso albis. Apud omnes mares genuinos in Belgio lectos, antennarum arti- culus 1 totus niger. In var. 1, pedes, non solum postici, sed etiam anteriores, latius nigro-imbuti; abdominis segmentum 1 interdum totum nigrum vel apice rufum. In var. 1°, nostri speciminis femora postica e medio ad apicem nigra. Var. 2, praeter characterem indicatum, caeterum a genuinis non differt. . In var. 5, antennae subtus rufac articulo 1 stramineo, alarum — squamula puncto albo. In var. 5, pedes anteriores rufi, coxis subtus macula fusca; pos- tici nigri, coxis superne femorumque et tibiarum basi rufis. An- tennae subtus fuscoferrugineae articulo 1 rufo. Lineola alba infra alas. In var. 6, antennae nigrae articulis 16-18 superne albis. Pedes nigri; femoribus anticis apicem versus, tibiisque anterioribus , subtus rufis. Abdomen segmento 1 nigro, 2 et 3 rufis, 4 e basi ad medium rufo. Nostra var. 7 (1. fallax Gray.) medium tenet inter var. 3 et 6, . ( 47 ) AS5: Ie FALLAX. D'apres le male qui m’a été envoyé de Breslau, cette espéec n'est qu'une variété de I'l. lepidus. (Voir au n° 154, var. 7.) Si, comme il est probable, cet exemplaire est celui d’aprés le- quel Grayenhorst a fait sa description, il a imexactement compté les articles de l’'anneau blane des antennes, lequel se compose des articles 15-18, et non 15-17, suivant son assertion. SECTIO VI. 150. J. conraMINATUS. _ Le male que j'ai recu sous ce nom me semble n’étre qu'une variété de I'J. occupator Grav. — Les petites taches noiratres, dis- posées en série transversale prés du bord des 2™ et 5"° segments, ne sauraient ayoir, 4 elles seules, la valeur d'un caractére spéci- fique; et je suis d’autant plus porté a les regarder comme acciden- telles qu’elles ne sont méme pas enti¢rement symétriques et que, yers la droite, elles sont presque effacées. Si mon opinion a cet égard est fondée, il en résulterait que YJ. occupator présenterait, dans la coloration des derniers seg- ments de l'abdomen, les modifications suivantes : 1° Segmentis ulfimis totis nigris. — J. occupator (genuinus) Grav. I. 425. 166. 2° Segmento 7 macula alba. — Lx. occupator o* Wesm. Ten- tam. 17. 2. 5° Segmentis 5-7 albo-maculatis. — J. contaminatus Grav. I. 591. 150. 4° Segmentis 4-7 albo-maculatis. — J. occwpator var. 1 Gray. AAS. 166. Je dois prévenir que je nai pas vu cette derniére yariéte. ( 48 ) 152. J. MARGINEGUTTATUS. Le male recu de Breslau est de la méme espéce que mon Amb. novitius (Ich. Amb. Eur. 412. 11). En septembre 1854, j’en ai pris, pres de Bruxelles, un second individu qui se rapproche dayantage. de la description de Gravenhorst. Chez les males décrits par Gravenhorst, les segments 1-3 ont chacun deux taches jaunes; chez le male des environs de Bruxelles, les taches des segments 1 et 2 sont réunies et forment une bande jaune amincie au milieu, tandis que celles du 5™° segment sont étroitement séparées ; chez le male recu de M. Tischbein, les taches du 1° segment sont réunies, celles du 2™ sont étroitement sépa- rées, et celles du 5" manquent complétement. Mon Amb. novitius devra done prendre le nom d’Amb. margi- neguttatus. Une autre conséquence, c’est que la femelle décrite par moi (Tentam. 121. 11) sous le nom d’Amb. margineguttatus étant — d'une autre espéce, elle doit aussi changer de nom, et je la dési- gnerai a l'avenir sous celui d’Amb. restitutor 9. En comparant entre eux I'l. margineguttatus Gray. et mon Amb. novitius, on peut exprimer leurs differences mutuelles de Ja maniere suivante : AMB. MARGINEGUTTATUS. o GENUINUS: Segmentis 1-5 maculis duabus apicalibus flavis. — Grav. I. 595. 152. o@ var.: Segmentorum 1-5 maculis utrisque transversaliter coa- — litis vel subcoalitis ; segmento 5 interdum toto nigro. — — Amb. novitius Wesm. Ich, Amb. Eur. 12. 14. 155". I. ATRAMENTARIUS. Le male qui m’a été envoyé de Breslau nest qu'une variété de (49) lAmb. oratorius o , comme je l’avais soupgonne antérieurement (Ich, Amb. Eur. n° 12, p. 14). SECTIO VII. 160. I. perensorius. L'Ichneumon que j’ai recu sous ce nom n’est qu'une des nom- breuses variétés del’Amb. palliatorius o, et il est surtout voisin de I'l. erythropygus Gray., autre yarieté de l’'Amb. palliatorius ; mais, au lieu d’avoir le dernier segment de l’abdomen distincte- ment bordé de fauve, l’I. defensorius parait avoir ce segment tout noir, au moins au premier aspect; car une observation attentive permet de distinguer a son extrémité des traces d’un chatain sombre. Ma var. 5 de Amb. palliatorius (Tentam. n° 8, p. 119), dont jai négligé de donner une description suffisante , a les pieds iden- tiquement colorés comme ceux de IJ. defensorius, et il a égale- ment le métathorax marqué de deux petites taches fauves. Chez V'J. defensorius , les segments 2-4 de l’abdomen sont irre- guliérement marquetés de noiratre, coloration due évidemment } une infiltration accidentelle. Parmi ces taches, on’ doit seuleraen! considérer comme normales une linéole noire transversale sur lextrémité des 2™° et 5™ segments, et une tache transversale noire sur l'extrémité du 4™°. 161°. I. bisienatus. Jai recu de Breslau Je male n° 1 de Grayenhorst : ¢ 6s! tin ieh- neumon de ma Division 2 qui, sous le rapport des formes et des proportions des diverses parties du corps et de ses apy ordices, peut étre comparé au male de I'l. grossorius. Le métathorax est d'un noir presque mat sur les faces dorsale Tome VIII. 4 ( 50 ) et postéricure, ott il est couvert de points trés-serrés; sur les faces latérales, ou les points sont plus espacés, il est luisant; il a posté- rieurement deux dents trés-petites; ses spiracles sont linéaires ; son aréole supéromédiane est grande, un peu pluslarge que longue, subrectangulaire avec le bord postérieur droit et les angles anté- rieurs subarrondis. Son postpétiole est bicaréné, d'un noir mat, chagriné-subaciculé; ses gastrocéles sont assez profonds, un peu plus larges que l’espace interjacent, qui est aciculé. Comme il s’agit ici d’une espéce encore mal connue et dont le moindre caractére peut acquérir de l’importance en facilitant la découverte de la femelle, je crois utile de suppléer aux légéres © omissions ou inexactitudes que présente la description de Gra- venhorst 4 l’égard de la coloration : 1° Sur le chaperon, il y a des traces une petite tache sombre submarginale, un point noir au milieu de la base et une linéole noire dans chaque fossette ; sur la face, un point noir oblong au milieu du sommet; 2° Le bord supérieur du cou est jaune; laligne jaune devant les ailes se prolonge jusque prés du cou; 5° Les hanches de devant ont en dessous une tache jaune qui s’étend sur une partie du cdté. externe; celles du milieu ont un point jaune a langle externe ; 4° Le 2™° segment de l’'abdomen est bordeé de noir 4 la base, ainsi que sur les bords latéraux jusque vers le milieu; ja tache noire médio-subapicale est presque ronde; il y a au-dessus delle une paire de trés-petits points noirs; l’extréme bord est en- ‘iérement d’un ferrugineux sombre; la tache noire médio-subapi- eile du 5™ segment est tridentée, et elle est accompagneée de — chague edté, & une distance assez grande, d'un point oblong owatre; ’extréme bord est entiérement d’un ferrugineux sombre. Cet ichneumon ne serait-il pas le male de 'L. didymus 9? emurque. — Nayant pas vu l'l. bisignatus n° 2, je ne sais s'il _ esi dy lo méme espéce que le n° 1 : d’aprés la description, il y a entre cux Aon-seulement quelques différences de coloration, mais eneorc une différence de forme de abdomen. 162. I. Lucrarorivs 9. Il y a déja longtemps que jai indiqué comme la yéritable femelle de I'd. luctatorius o°, V'I. confusorius Grav. (1) (Tentam. 37. BA. — Mantis. p. 26 et 27); mais je n’avais pu donner aucun rensei- gnement sur les deux femelles qui ont été faussement attribuées h ce male par Gravenhorst, et qui, d’aprés la description, paraissent différer entre elles au point de faire douter si elles ne sont pas de deux espéces différentes. Aujourd’hui, c’est seulement en partie que je puis combler cette lacune, parce que l'une elles n’existe plus dans la collection de Breslau. Celle que jai recue est la plus grande des deux, a laquelle Grayenhorst assigne un point latéral du chaperon et les orbites internes jaunes, une longue ligne jaune devant les ailes, des taches jaunes aux quatre hanches anté- rieures, etc. Jen ai recu une semblable, mais un peu plus grande, de M. Kriechbaumer, de Munich. L’I. luctatorius 9 Gray. est done le type d'une espéce particuliére que je nommerai I. DISCRIMINATOR 9. Scutello , orbitis internis, lineis ad alarum basin, coxarum maculis, tarsis tibiisque flavis, harum posticis apice nigris ; segmentis 2 et 5 flavis, basi apiceque summis lituraque longitudinali media ferrugineis aut fuscis; antennis setaceis albo-annulatis. = 7i- 8 li. — I. tucrarorius 9 Grav. I. 444. 162. — 2 feminae. Habitus J. culpatoris Grav. — Caput et thorax confertissime punctata, subopaca. Caput latitudine thoracis, pone oculos valde et oblique angustatum. Scutellum gibbum , impressione longitudinali media. Metathorax spiraculis linearibus; areola superomedia sub- tiliter marginata, magna et rectangulari, quadrata vel paulo latiore quam longiore. Postpetiolus subtilissime et confertissime acicu- (1) Quand je parle des I. luctatorius o* et confusorius O de Gravenhorst , c’est dans une acception restreinte; car, sous chacun de ces noms, il me semble avoir confondu plusieurs espéces réellement différentes, bien que leur délimita- lion respective présente les plus grandes difficultés, ( 52 ) latus ; gastrocoeli profundi et rugosi, latitudine spatii interjacentis; apex abdominis valde acutus, terebra brevissime exserta. Pedes subgraciles. Alae areola cubitali 2° quinqueangulari. Caput palpis, mandibularum macula, labro, puncto laterali cly- pei, orbitisque facialibus et frontalibus flavis. Antennae articulis 12-16 albis, subtus nigro-punctatis. Thorax colli margine supero, linea longa ante alas et lineola infra alas flavis. Scutellum flayum. Alae subfumatohyalinae, stigmate castaneo, squamula et radice nigris puncto flavo. Pedes nigri; coxis anterioribus subtus partim et externe flayis, posticis superne flayo-maculatis; trochanteribus anterioribus apice flavis; femoribus anterioribus antice ferrugi- neis apice undique flavo; tibiis omnibus flavis, anticis postice linea rufescente, intermediis postice apice fuscis, posticis basi summa et apice nigris. Abdomen segmento 4 macula utrinque apicali fer- ruginea ; segmento 2 flavo gastrocoelis fuscis, linea longitudinali media margineque summo ferrugineo-tinctis ; 5 flavo, basi et mar- gine summis vittaque media fuscescentibus, praetereaque macula nigra in medio margine; 4 punctulo flavyo juxta angulos basales; 5-7 totis nigris. — Sic femzna e musaeo Vratislaviensi. Femina altera differt, 1° alarum stigmate nigro; 2° femoribus posticis basi et intra apicem anticum badiis; 5° macula fusea in margine medio segmenti 2 et in basi media segmenti 3 (reliqua horum segmentorum coloratione sicut in altero specimine). Remarque. — Ces femelles ayant toutes deux la méme impres- sion sur l’écusson, on ne peut pas croire quelle soit accidentelle. 166. I. occupartor. Le male que j'ai recu de Breslau, comme genuinus, a Yabdomen mutilé, les segments 6 et 7 manquant entierement; il a le 4™° seg- ment fauye dans son tiers antéricur. Du reste, apres l’ayoir com- paré a mon Exeph. occupator o%, je suis resté convaincu que ce dernier en est une yariété 4 7™ segment marquée dune tache d'un blanc jaunatre. (Voir l’J. contaminatus, n° 150). 168. I. viripatorivs. Comme je connaissais parfaitement le male, je n’ai demandé communication que de la femelle. Celle que jai recue est de la méme espéce que mon Amb. atratorius (Ich. Amb. Eur. 15. 14). La seule différence de coloration consiste en ce que, chez cette femelle, le 5°° segment de abdomen est marqué, pres de la base, dune raie transversale blanchatre dont les deux bouts n/attei- gnent pas les bords latéraux et sont un peu dilatés et arrondis : ce sont ces deux bouts ponctiformes qui se voient seuls chez la femelle que j'ai décrite, le reste de la raie étant complétement effacé. D’'un autre cété, Gravenhorst convient quil y a des fe- melles dont le 5"° segment est tout noir, ce qui ne peut laisser le moindre doute que I’J. viridatorius 9 ne soit de la méme espéce que celui qui a été décrit par Trentepohl, d’aprés lindividu con- servé 4 Kiel, dans la collection de Fabricius, sous le nom d’/. atratorius, de sorte que ce dernier nom doit lui étre restitué : I. arratorius Fab. (2) Fab. Ent. syst. 134. 8. — Syst. Piez. 56. 10. — Trentep. Isi. 76. 49. — Wesm. Ich. Amb. Eur. 15. 14. — I. viripatortus 9 Grav. I. 428. 168. (o*) [.-vintatorius o* Gray. Ibid. — Wesm. Mantis. p. 58. — Ich. Amb, Eur. 15. 13. Remarques. — D’aprés la description de Fabricius, il n’y a que les trois derniers segments de abdomen qui soient bordés de blane chez son J. atratorius , tandis que, d’aprés la verification de Trentepohl, ce sont les quatre derniers. Il est facile de s’expliquer erreur de Fabricius, quand on a sous les yeux un exemplaire semblable 4 celui que j’ai recu de Breslau; car, en raison de la contraction des derniers segments, les quatre bandes blanches sont tellement contigués qu'il faut un examen attentif pour ne pas se tromper sur leur nombre. Gravenhorst terminant la description de son J. viridatorius 9 ( 54 ) par ces mots : segmentis 4-7 PLeRuMQUE margine glauco, on doit en inférer que ces segments sont parfois entiérement noirs. Cette circonstance est de nature a expliquer comment il se fait que, chez les males, il y a constamment absence de bandes blanches sur les mémes segments. 175. I. pESIGNATORIUS. J'ai recu de Breslau, 1° une femelle et un male genwint, 2° un male de la var. 1. La femelle est identiquement de la méme espéce que celle que Jai décrite (Tentam. 29. 16). Ce quil importe surtout de remar- quer, c’est que cette femelle a, comme la mienne, wn grand point triangulaire blanc sur les orbites du vertex : 4 cet égard, la des- cription de Grayenhorst est trés-inexacte , puisqu elle indique im- plicitement que les orbites du vertex seraient enti¢rement noires chez les femelles. Du reste, en supposant que toutes les femelles de la collection de Gravenhorst soient semblables & celle qui m’a été envoyée, et en prenant celle-ci et la mienne de Belgique comme types de son J. designatorius 2, je puis certifier qu’elles different spécifiquement de mes J. sugillatorius 9 et guttiger 2, 4° par leur corps beaucoup plus luisant, 2° par leur front un peu plus excavé et ayant quelques traces de rides transversales, 5° par leurs an- tennes plus longues, 4° par leurs ailes plus grandes, 5° par leurs pieds plus longs et plus gréles, 6° par leurs gastrocéles plus pro- fonds, 7° par les intersections des segments 2-4 de labdomen plus profondes, 8° par la grandeur des taches blanches du vertex , 9° par l’existence de lignes blanches prés de la base des ailes. Le male genuinus recu de Breslau appartient & une autre espéce que la femelle. Il est du nombre de ceux qui ont deux points blancs au métathorax ; mais il est en désaccord avee la des- eription de Gravenhorst, en ce quil a 1° la tégule et la radicelle des ailes en grande partie blanches, 2° un point blane a la base externe des hanches de derriére, 5° un large anneau blanc aux tarses de derriére. Ce male a aux orbites du vertex un trés-petit point blane. ( 55 ) _ Parmi les Ichneumons males de ma collection qui sont analo- gues 4 celui que j'ai recu de Breslau, il y en a quatre pourvus d’un point blane 4 la base externe des hanches de derriére; deux dentre eux ont des taches au métathorax et sont exactement colorés comme le male de Breslau; un troisiéme n’a plus au méta- thorax que des vestiges de points blancs, et il a aux tarses de der- riére les articles 1-4 entiérement blancs; enfin, le quatriéme a le métathorax tout noir, et les articles 1-5 des tarses de derriére ponc- tués de blanc; ces quatre males ont une paire de points blanes sur chacun des segments 1-5 de l’'abdomen. Neuf autres males de ma collection ont Je métathorax, les hanches de derriére et les tarses de derriére enti¢rement noirs; mais les quatre tarses antérieurs ont toujours au moins leurs premiers articles lignés de blanc; un seul de ces males a encore 5 paires de points blanes sur abdomen; chez les autres, leur nombre diminue successivement, et se réduit i 4,3, 2 paires, ou méme 1 paire, comme je l’ai indiqué dans mon Tentamen. (1. guttiger 29. 15), ,et on voit aussi successivement samoindrir, puis disparaitre, les linéoles blanches prés des ailes, les points blanes de la tégule et de la radicelle des ailes , ainsi que ceux du cou, ete.; enfin ces treize males n’ont aux orbites du vertex quun petit point blanc, quelquefois méme effacé. Je les regarde tous comme appartenant a une seule et méme espéce, quelle que soit d’ailleurs l'abondance ou Ja diminution des marques blanches : ce sont méme les mieux dotés a cet égard, c’est-a-dire ceux a han- ches de derriére marquées d’un point blanc externe, qui prouvent invinciblement leur analogie spécifique ayee mon J, guttiger 9, dont 5 individus, sur 16 que je posséde, ont aussi aux hanches de derriére un point blanc conformé et situé comme chez les males. Le male de la var. 4 recu de Breslau est celui dont les antennes ont un large anneau blanc, ce qui lui donne une extréme ressem- blance avec I’J. sugillatorius o* Gray.; il en différe eependant par ses quatre larses antérieurs presque tout blancs et par une tache blanche 4 la base externe des hanches de derri¢ére; quant aux tarses de derriére et au métathorax, ils sont entiérement noirs. Le point blane des orbites du yertex est trés-petit, comme chez tous les miles dont je viens de parler. ( 56 ) Gravenhorst, sous sa var. 1, mentionne un autre male ayant un point blanc sur les articles 16 et 17 des antennes; j’ai un male de Belgique qui offre le méme caractére et qui, sous tous les autres rapports, est exactement coloré comme le male genuinus venant de Breslau. La conclusion de tout ce qui précéde, c’est que les males décrits par Gravenhorst sous le nom d’J. designatorius sont de méme espéce que mon J. guttiger, et que I'I. designatorius 9 du méme auteur est d’une espéce toute différente. Quel peut done étre le véritable male de Il’. designatorius 9 Grav.? Je suis porté & croire que c'est J. multiguttatus o (Grav. I. 456. 171) dont je posséde un individu. Si on le compare aux males de I’J. guttiger, il est facile de s’assurer que, 4° il a le front plus excavé et ridé partiellement en travers, 2° les antennes plus lon- gues, 5° le thorax plus luisant, 4° les pieds plus longs et plus gréles, 5° les ailes plus grandes, 6° les gastrocéles plus profonds, 7° les intersections 2-4 de l’abdomen plus profondes, 8° une grande tache blanche aux orbites du vertex; toutes différences analogues & celles que présentent les femelles. Quant aux diffé- rences de coloration des pieds entre I’. designatorius 9 et I'J. multiguttatus of, elles ne sauraient faire objet d'une sérieuse objection; car on pourrait en citer une foule d’exemples, tels que entre l'I. comitator et son male I’J. fasciatus, entre V'I. albogut- tatus et son male I’I. multicinctus, entre les deux sexes des Amb. negatorius, funereus, Panzeri, mesocastaneus , etc.; et, pour ce qui concerne les taches du thorax, entre les deux sexes de l’Hep. variegatorius , etc. Ainsi donc, mon épinion, bien que pouyant laisser des doutes sur sa valeur, se résume ainsi : J. MULTIGUTTATUS o*9, (ot) : L. motricutratus Grav. I. 456.174. (Q) : I. pestcnaronwus 9 Grav. I, 440, 173 (excluso mare). — Wesm. Tentam. 29. 16 (excluso mare). Remarques. — Dans Ja digression qui précéde, j'ai été amené a parler fréquemment de mon [. guttiger, quej’ai cité sous cenom, ef Sh ( 57) dans la crainte de répandre une nouvelle confusion sur le sujet obscur que j’avais 4 traiter. Quelques explications ultérieures & Yégard de cette espéce, ainsi que de mon J. sugillatorius, ne pa~ raitront probablement pas déplacees ici. D’abord, je commence par certifier que ces deux espéces, telles que jen ai circonscrit les limites dans mon Tentamen, sont, l'une et autre, pures de tout mélange, c’est-a-dire que chacune delles comprend bien réellement les deux sexes de la méme espéce. Mais, ce qui me parait aujourd hui tout aussi certain, c’est que, pour avoir consulté avec trop peu d’attention la description de lJ. sugillatorius de Gravenhorst, j’ai eu tort de le citer en entier comme synonyme du mien. En effet, 'J. sugillatorius Grav. se compose de males d'une espéce, et de femelles d’une autre espéce. Ll. sugillatorius 9 Grav. est le méme que I'l. sugillatorius Lin., et que mon J. guttiger 9; le male de cette femelle est I’'/. designatorius x Gray. et Lin., c’est-a-dire mon I. guttiger o*. LJ. sugillatorius o Gray. est d'une autre espéce, qui semble n’avoir été indiquée clairement par aucun auteur, et c’est le méme que jai désigné sous ce nom dans mon Tentamen; quant a la femelle que j’ai réunie 4 ce male, Gravenhorst ne I’a pas connue, pas plus que ses prédécesseurs. Cette espéce doit done prendre un nouveau nom, et, pour rappeler la teinte de son abdomen, je la nommerai J. cyaniventris. Mon opinion a l’égard de la synonymie de ces deux espéces se résume de la maniére suivante : J. SUGILLATORIUS Qo". (Q): I. sucmtarorivs Lin. Fau. Suec. 1578. — Grav. 1. 437. 172 (excluso mare). (o*): I. pestenarorwus Lin. Fau. Suec. 1595. — Gray. 1. 440. 173 (exelusa femina). 2 (: 1. curticen Wesm. Tentam. 25. 15. — I. curticen & Mantis. o pp. 13 et 104 (4). ~ (1) Ily a plusieurs années, j’ai recu de M. Dahlbom un mile et une femelle de cette espece sous le nom J. sugillatorius Lin. : je cite ce fait parce que ( 58 ) I. cyanivenTRis WeEsM. - (c*) : I. sucitatortus 0” Gray. I. 437. 172 (exclusa femina). et 1. suciLatorius Wesm., Tentam. 28. 14. Normalement, la femelle de cette derniére espéce n’a de taches blanches que sur les segments 2 et 5 de abdomen, et elles sont souvent subanguleuses; cependant, sur une centaine dindiyidus de ma collection, il y en a quatre qui ont un trés-petit point blanc prés de chaque angle du 1° segment; une seule en a des traces sur le 4"° segment, mais elle a le 4° tout noir (1). 178... CHALYBEATUS. J'ai recu de Breslau un individu de cette espéce que Grayen- horst a décrit comme étant un male, tandis que c'est un Ambly- teles femelle. ° Pour la taille, les formes générales du corps, des antennes et des pieds, il est comparable & Amb. sputator 9. L’écusson est fortement convexe; l’aréole supéromédiane, faiblement tracée, est grande, rectangulaire, un peu plus large que longue. Le post- pétiole, & carénes presque nulles, est finement chagriné; les gas- trocéles sont peu profonds, un peu rugueux, plus larges que espace interjacent, qui est chagriné; l’extrémité du dernier seg- ment ventral atteint & peine lorigine de la tariére, qui reste A découvert en dessous, mais ne fait aucune saillie au bout. Si on en excepte l’anneau des antennes, toutes les autres par- ties désignées comme blanches par Gravenhorst sont, en réalité, d'un jaune pale; il faut y ajouter : 4° Je bord supérieur du cou, 2° un vestige de point au milieu du bord antérieur des mesopleurae, 3° trois petits points au coté extérieur des hanches intermédiaires. —Les deux points jaunes du postpétiole sont assez grands, et ceux du 2™* segment sont plutdt des taches arrondies que des points. lopinion des entomologistes suédois n’est pas sans importance quand il s’agit des insectes décrits par Linné dans sa Faune de Suede. (1) A cet égard, la diagnose de mon Tentamen, p. 28, énonce une erreur que j'ai redressée dans les Emendanda, a la suite des Ich. miscel., p. 75. ( 59 ) Remarque. — Chez une seconde femelle de cette espéce , que m’a communiquée M. Kriechbaumer de Munich, l’aréole supéro- médiane est parfaitement carrée; la tégule et la radicelle des ailes sont jaunes avec le bord ferrugineux; les tarses de derriére n’ont que le 1* article jaune; le bord médio-apical du postpétiole est jaune, comme les deux taches latérales; celles du 2™° segment sont plus anguleuses. Le jaune est plus vif partout que chez lindividu de Grayenhorst. 179. I. supguTTatus. Le male et la femelle que j'ai recus de Breslau sont exactement conformes a la description, sauf un peu d’exagération dans l’in- dication de la taille. Je puis aujourd’hui pleinement confirmer ce que j’avais avancé avec doute dans ma Mantissa, a savoir qu I'L. subguttatus de Gravenhorst n'est qu'une variété de son I. fuscipes. Remarques. — J'ai regu de M. le D'Sichel un grand nombre d’in- dividus del’J. fuscipes, originaires de Hongrie et de Savoie. Quoique Ja plupart des femelles fussent des genuinae, il y en avait cepen- dant 4 postpétiole marqué de deux petits points blancs (J. sub- guttatus Gray.); il y en avait aussi 4 écusson tout noir, ayant Wailleurs tous les autres caractéres essentiels de I’J. fuscipes , et deux de ces derniers avaient, par leur ponctuation trés-fine et eur aspect mat, une entiére ressemblance avec mon J. periscelis 9 (Tentam. 32. 20), de sorte que celui-ci n’est probablement qu’une yariété de sculpture de l’J. fuscipes. Il faudrait done introduire dans ma Mantissa, page 9, les modifications suivantes : Var. 2. %2 : Scutello toto nigro. == 5-6 li, — 1 mas et 2 feminae. Var. 2 Q : Scutello toto nigro; corpore multo subtilius punctato. = 6-65 li. — I. periscetis 9 Wesm. Tentam. 32. 20. — I. patiirrons 9 Gray. I. 117. 7 (excluso mare). — 4 feminae. ( 60 ) SECTIO VIII. 196. I. Levcotomivs. Cette espéce est la méme que I'J. salutator 9 décrit par Boyer de Fonseolombe, et dont j’ai fait mention dans ma Mantissa, page 90, ou j’ai fait remarquer qu'elle a une petite dent au milieu du bord du chaperon. La femelle que j’ai recue de Breslau est en désaccord avec la description de Gravenhorst, en ce qu'elle a une ligne pale qui borde les orbites du front, du vertex, et une partie des orbites externes. D’aprés la description de l'auteur francais, et d’aprés les indi- vidus qu'il m’a envoyés, les cuisses sont tantét fauves, tantot mé- langées de noiratre; il mentionne encore d’autres variétés. La synonymie devra done étre établie de la maniére suivante : J. teucotomius 9 Grav. I. 479. 196.—I. sa.urator 9. Boy. de Fonse. Ann. de la Soc. Ent. de Fr., 1847, t. V, p. 402, n° 49. —Wesm. Mantis. p. 99. Remarques. — Boyer de Fonscolombe est porté a croire que son I. dissectus (Ibid. n° 54) serait le male de l'J. salutator. Quoique, 4d en juger d’aprés la description, cela paraisse assez probable, je ne puis rien certifier a cet égard, I’. dissectus n’existant plus dans les restes de la collection de l’'auteur, que M. Sichel a eu la com- plaisance de me communiquer. 197. I. microstictus. D’aprés la femelle recue de Breslau, cette espéce est réellement la méme que celle dont j’ai décrit les deux sexes, sous le méme— nom, dans ma Mantissa, page 37. Elle a fréquemment l’écusson tout noir, quelquefois aussi les orbites externes; les cuisses sont — souvent en partie noires, et l’étendue de la couleur noire sur les ( 61 ) premiers segments de l'abdomen est trés-variable. Outre les indi-: vidus que M. Dahlbom m’a envoyés de Suéde, j’en ai recu de M. Sichel, originaires du Piémont et de la Savoie, parmi lesquels une femelle mérite d’étre distinguée comme variété : Var. 1. 9 : Pedibus nigris. Pedes nigri, tibiis anticis subtus rufis; caput nigrum, puncto albo ad orbitas verticis; thorax absque punctis albis juxta basin alarum; scutellum totum nigrum. — Caetera sicut in plerisque genuinis. 200. I. ruscocASTANEUs. Le male que j’ai regu de Breslau est celui d’aprés Jequel Gra- venhorst a fait sa description; mais il est tellement mutilé qu'il est impossible d’en rien dire de certain : a la téte, il n’a plus que le chaperon, la face et les yeux, de sorte qu'il lui manque le front, le vertex et les eétés; 4 l’abdomen, il n’y a de complet que le 1™ segment; le 7™° manque en entier, ainsi que l'arceau ventral des autres. ‘ Le corps est généralement couvert d'une ponctuation trés-serrée. Toutes les aréoles du métathorax sont assez fortement dessinées, la superomédiane carrée avec un petit angle rentrant au milieu du bord postérieur; le pétivle est long, le postpétiole assez peu élargi, finement et un peu irréguli¢rement aciculé au milieu, ponctué vers les cotés; les gastrocéles peu marqués, étendus en longueur; Jes pieds médiocres; la 2™° aréole cubitale subdeltoide, la discoi- dale interne dépassant un peu la discoido-cubitale; enfin, si ce male avait le 7° segment de l’abdomen blanc, ce serait un J. sa- turatorius assez comparable a ma var. 2 (Tentam. 66. 62). 202. I. seminurus var. 1.9. Cette prétendue variété n’a aucune analogie spécifique avec TI. semirufus. C'est un Ichneumon de ma Division 2, ayant l’aréole ( 62 ) supéromédiane du métathorax & peu prés carrée, le postpétiole aciculé, les gastrocéles transyerso-linéaires et plus larges que Ves- pace interjacent, les antennes amincies vers l’extrémité. Le 7° segment de I’abdomen a une tache dorsale pale, assez peu distincte, et qui, pour cette raison, a échappé a l’attention de Gravenhorst. — Cette espéce devrait probablement prendre place prés de mon I. memorator. (Voir plus loin le n° 242). 903°. I. prRsEcuToR. Cette espéce est un Platylabus qui ressemble beaucoup au Plat. orbitalis , sans que j’ose cependant affirmer qu'il n’en soit qu'une variété, surtout a cause de la forme de sa 2™ aréole cubitale , qui est quinqueangulaire et assez largement tronquée (si toutefois cette forme n’est pas accidentelle). D’aprés le male recu de Breslau, il faut ajouter a la description de Gravenhorst: 1° bord supérieur des mandibules blane a la base; 2° une linéole blanehe au milieu des orbites externes; 5° un petit point blane sur la tégule des ailes; 4° une nuance d'un fauve sombre avant la base des jambes de derriére. 206. I. Arripens. Ce male me semble étre de méme espéce que I'I. xanthops n° 207. Je rappellerai ici que, dans ma Mantissa, page 78, j/ai indiqué l'J. canthops comme deyant probablement étre rapporteé au male de l Herpestomus facialis. 209. I. mesosticTUs. J'ai regu de Breslau le male genuinus de cette espéce : mon Apaeleticus longicornis n’en est qu'une variété A téte toute noire. Dans la description de son J. mesosticlus, Gravenhorst indique les hanches comme toutes noires, tandis que celles de devant ont en dessous un point pale, et que celles de derriére ont au-dessus un EL lA ES, aa ( 65 ) point fauve prés de la fossette articulaire. Ces caractéres, futiles en apparence, doivent ici leur importance a ce qu’on les retrouve chez mon Ap. longicornis o*, comme ma description en fait foi. En examinant IJ. mesostictus, je me suis apercu qu'il y a une dent sous l’extrémité de son chaperon : cette dent existe égale- “ment chez les deux sexes de Ap. longicornis; chez les autres espéces d'Apaeleticus que j'ai décrites, il n’y en a pas de trace. La synonymie de cette espéce devra done étre établie de la maniére suivante : AP. MESOSTICTUS. (o*): I. mesostictus Grav. I. 504. 209. — Ap. Loncicornis o* Wesm. Ich. miscel. 16. 2. (Q) : Ap. Loncicornis 9 Wesm. Ich. Plat. Eur. p. 54. WV. B. — Nayant pas demandé communication de la var. 4. de Grayenhorst, je ne puis pas répondre de son identité spécifique , bien que je la regarde comme trés-probable. 211. I. AvBinotatus. Le male genwinus que j’ai recu de Breslau ne saurait: étre rap- porté 4 aucune des espéces décrites par moi. Il appartient au groupe des Ich. Pneustici, et son port est celui de mes Diad. mitis et candidatus ; mais il a, au milieu du bord du chaperon , deux tubercules bien distincts; ses mandibules sont trés-rétrécies au bout, aigués (je crois cependant qu'il y a une trés-petite dent inférieure). Le métathorax est trés- -rugueux, assez luisant, & aréoles nettement dessinées, la supéromédiane penta- gonale, Ja postéromédiane excavée et ridée en travers. Le postpeé- tiole est finement ponctué; le 2"° segment a, un peu en arriére de Ja base, une impression linéaire transversale allant d’un bord 4 Pautre, et qui est comme partagée en quatre parties par 5 li- néoles élevées, dont une médiane, et une de chaque cété de celle-ci, 4 quelque distance. NV. B. Mest probable que la var. 1. de Gravenhorst appartient & unc autre espece. ( 64 ) 217. I. Ampuratorius. Ayant demande, a Breslau, communication des deux sexes de lI. amputatorius, je m’attendais 4 recevoir un male et une fe- melle genuint ; je ne sais pourquoi l’on m’a envoyé un male de la var. 4, et une femelle genwina, & moins que ce ne soit pour me donner une idée des deux limites extrémes de la taille de cette es- péce; car ce male est long d’environ 8 lignes, et cette femelle n’en a pas plus de 4 . Ils sont, d’ailleurs, de méme espéce que mon Amb. amputatorius (Tentam. 152. 28). Quant a ceux des males genuint & qui Gravenhorst attribue un metathorax subbispinus, ils sont peut-étre d’espéce différente. 219. J. messonius. ‘Sous ce nom, j’ai recu de Breslau un male et une femelle ap- partenant 4 deux espéces différentes. La femelle est parfaitement semblable 4 mon Amb. messorius (Tentam. 154. 54). Le male est un Amb. uniguttatus, voisin de ma var. 5 (Tentam. 424. 48), dont il différe 1° par la ligne blanche devant les ailes plus longue; 2° par une tache noire vers la base du 3™ segment de labdomen; 5° par la plus grande étendue de la couleur noire a toutes les cuisses. Il est & remarquer que Gravenhorst lui-méme (p. 534, nota) avoue que les males de son J. messorius ressemblent trés-fort a ceux de I'J. uniguttatus. 221. I. AvAcer. Cette prétendue espéce n’est qu'une variété de l'J. coruscator 0”, analogue a ma var. 1 (Tentam. 71. 68). ( 63 ) SECTIO IN. 228. |. procerus. Le male qui m’a été enyoyé est celui que Gravenhorst avait recu de Desmaret: outre la ligne blanche des orbites faciales, il a une linéole blanche aux orbites du vertex. C’est un Iehneumon de ma Division 6, par conséquent & postpétiole ponctué , et que je regarde comme de Ja méme espéce que mon I. derivator (Tentam. 92. 96). Remarques. — Dans mon Tentamen, je n’ai décrit que la te- melle de 1’. derivator; plus tard, m’étant aussi procuré des males, Jai changé opinion, et je Vai réuni a V1. bilunulatus (Mantis. p. 49, var. 6. 9). Depuis cette époque, ma collection s'est de nou- veau enrichie de plusieurs individus des deux sexes, parmi lesquels ily a des males dont l'extréme bout de l’écusson est blanc, earac- tére qui les rapproche encore dayantage de V'I. bilunulatus ". Cependant, outre la différence de taille, tous ces males different de PY. bilunulatus par leurs orbites externes entiérement noires; de sorte qu’il yaudrait peut-étre mieux restituer provisoirement a I'L. derivator son rang primitif d’espéce. 9250. J. apricus. Daprés le male que j'ai recu de Breslau, il faut ajouter a la des- eription de Grayenhorst : Palpes maxillaires blancs au coté supé- rieur, une tache blanche 4 la base des mandibules, labre blane, un point blane aux orbites du vertex. — L’aréole supéromédiane du métathorax est en demi-ovale; le postpétiole est dépourvu de earénes, et sa surface est finement chagrinée; les gastrocéles sont trés-petits; les arecaux du yentre 2-4 ont un pli caréniforme. Je regarde cet Ichneumon comme le male de la femelle que j'ai successivement désignée sous les noms d’Amb. speciosus et inter- sertor, de sorte que la synonyvmie deyra étre établie de la maniére suivante : Tome VIII. 5 ( 66) I. ApRicUs. (o*) : I. apricus Grav. I. 555. 250. (2) : Aus. srecrosus 9 Wesm. Tentam. 116. 6 (excluso mare). — Amp. INTERSERTOR Q,, Ich. Amb. Eur. 44. 34, Ce qui est bien certain, e’est que cette espéce n’est pas un Am- blyteles, et quelle doit étre rangée dans mon sous-genre Ichneu- mon; mais il me semble difficile de lui assigner une place dans aucune des divisions que j’y ai établies. 252. I. QUADRIANNULATUS. La femelle recue de Breslau appartient a une espéce qui mest inconnue, et qui a tous les caractéres du groupe des I. lineator, Serenus, ete., cest-d-dire de ma Division 1 des Ichneumons. Téte de la largeur du thorax, peu prolongée derriére les yeux, mais nullement rétrécie; mandibules et angles du chaperon fauves, orbites frontales blanchatres, une linéole blanchatre aux orbites du vertex, et une autre au milieu des orbites externes. Antennes filiformes. Thorax cylindrique, 4 dorsulum lisse et trés-luisant; écusson trés-déprimé, trés-lisse et trés-luisant; aréole supéromé- diane incomplete en ayant; spiracles linéaires. Pieds 4 cuisses un peu épaisses, lisses et luisantes. Abdomen a postpétiole aciculé- ponctué, gastrocéles profonds, leur intervalle assez fortement aciculé; le reste de ’abdomen lisse et lnisant. 257. I. PULCHRICORNIS. Cette femelle n’est qu'une variété de I'S. castaneus Gray., trés- yoisine de sa var. 4, p. 559. L’individu qui m’a été envoyé a deux points fauves au bout de l'écusson, et son postécusson est entiére- ment fauye. — J’en ai reeu un presque complétement semblable de M. Dahlbom. ( 67 ) 240. I. austriacus. J’ai recu de Breslau le male et la femelle, qui sont réellement les deux sexes de la méme espéce. Elle appartient au groupe de mes Ich. Pneustici en raison de la forme des spiracles du méta- thorax et de son aréole supéromédiane, et, par les mandibules, le chaperon, les antennes et les gastrocéles, elle a de I’analogie avec les Phoeogenes ; cependant, comme son écusson est protubérant, et comme jignore quelle est la conformation de l’extrémité de Yabdomen chez la femelle, je ne saurais Jui assigner de place cer- taine. — Cette espéce est facile 4 reconnaitre a Ja blancheur écla- tante de la radicelle et de l'extréme. base des ailes qui contraste avec le noir de la tégule; sous ce rapport, le texte de Gravenhorst doit étre corrigé, puisqu’il dit, au contraire, radice nigra, squa- mula alba. Chez les deux individus, il est impossible de reconnaitre la forme de la téte, dont les parties latérales et postérieure sont dé- truites; en outre, la femelle n’a plus, 4 l’'abdomen, que le 1°" seg- ment. Face et chaperon luisants, couverts de points assez serrés. Dor- sulum assez fortement convexe, trés-luisant et ponetué; écusson convexe, peu allongé, rebordé Jatéralement vers la base; méta- thorax luisant, plus rugueux chez le male que chez Ja femelle, 4 aréoles fortement dessinées, la supéromédiane grande, pentago- nale, aigué en avant, trés-luisante, a diameétres égaux chez le male, un peu allongée chez la femelle; la postéromédiane assez large, finement ridée en travers, un peu excavée chez la femelle. Pétiole peu allongé, postpétiole transversal, sans lignes élevées , entiérement ponctué chez la femelle, a peu prés lisse vers le milieu chez le male; gastrocéles du male assez profonds, transversaux et trés-rapprochés entre eux, ce segment aussi large que long; seg- ments 5-5 plus larges que longs, trés-finement ponctués. Pieds du male de grosseur médiocre; ceux de la femelle a cuisses renflées, jambes et tarses assez Jongs. Ailes 4 2° aréole cubitale quinquéan- gulaire. ( 68 ) Q41. 1. ELEGANS. La femelle recue de Breslau est mutilée, les segments 5-7 de l'abdomen manquant entiérement. Sous quelque rapport que j’aie pu l’examiner, je lui ai trouvé tous les caractéres de mon J. latrator 9 (I. crassipes 9 Gray.). En comparant la description de I’J. elegans avec celle de I'l. crassipes Gray., on peut s’assurer qu’elles sont identiques, sauf la couleur anale. Il se rencontre des J. crassipes qui n’ont de tache blanche que sur le 7™* segment : cette tache, peut-étre altérée ou moins dis- tincte que de coutume, a-t-elle échappé 4 attention de Graven- horst? A la fin de la description, auteur dit, au sujet du 4"* segment : 4 interdum basi nigra; au lieu de nigra, il faut lire rufa. Q44>. I. Betwus. L'individu recu de Breslau n’est pas un Ichneumon; il appar- tient au groupe des Cryptus. Jai cru d’abord que c’était une femelle dont la tariére était cassée ; Mais, aprés uy examen attentif, il me semble quil n’y a pas eu de mutilation, et qu’on apercoit une tariére fort gréle sous la eavité du dernier segment abdominal. Ce qui me porte surtout 4 adopter cette idée, c’est que cette femelle a une grande analogie de conformation avec les femelles de deux autres espéces de ma collection, qui n’ont pas non plus de tariére saillante. Ces trois espéces ont les antennes assez courtes et un peu ren- flées du milieu 4 l'extrémité. Elles doivent former un sous-genre particulier dans le groupe des Cryptus. ( 69 ) 242, J. Larrator 9. Lors de la publication de mon Tentamen, en 1844, j’avais déja la conviction que les males et les femelles réunis par Gravenhorst sous le nom d’/. latrator n’appartiennent pas a la méme espéce, et j'ai dés lors rapporté 4 mon J. haesitator 9 son I. latrator 9 GenuiNnus (Tentam. 56. 26). Quoique je regarde cette détermination comme exacte , j'ai cependant demandé a Breslau communication de cet J. latrator 9; mais il n’existe plus dans la collection de Gravenhorst. Une seconde femelle a été décrite par Gravenhorst sous sa var. 4, et c'est celle que l’on m’a envoyée. Cette femelle ne peut, pas plus que la premiére, étre réunie d I. latrator o*. La description en est inexacte 4 plusieurs égards : 1° les orbites frontales ont une ligne fauve trés-fine; 2° les antennes ont, au-dessus, les articles 5 et 4 d'un fauve obscur, 5-8 noiratres: au-dessous, l'article 5 fauve , 4-8 d'un fauve un peu plus sombre; 5° l’écusson est chatain avec la base noiratre; 4° les segments 4-6 de Yabdomen ont leur bord d'un fauve plus ou moins sombre , le 7° a une petite tache dorsale blanchatre. — L’aréole supéro- médiane est rectangulaire, un peu plus longue que large; post- pétiole aciculé; gastroceles transverso-linéaires A intervalle étroit. Si lon compare tous ces caractéres avec ceux de la femelle n° 202 var. 1 Gray., on restera conyaincu quiil n’y a d’autre différence que le plus ou moins de fauve aux articles 5-8 des antennes. Je pense done que ces deux femelles appartiennent & la méme espéce, et, pour rappeler la diyersité des noms qu’elles ont primitivement portés, je la nommerai I. POLYONOMUS 9. Scutello castaneo ; abdominis medio rufo, segmento 7 puncto subob- soleto albido; tibiis tarsisque rufis, illis apice nigris; antennis subgracilibus setaceis albo-annulatis ; areola superomedia rectan- qula ; postpetiolo aciculato ; gastrocoelis linearitransversis = 5 4 li. — J. uatrator 9 war. 4, Grav. 1. 575, 242, ( 70 ) Var. 1. @: Antennis tricoloribus. = 3 ;li.— |. semnurus 9 var. 1, Grav. I. 489. 202. 945. 1. CONFECTOR. La femelle recue de Breslau est de la méme espéce que mon Cen- teteres picticollis 9 qui, par conséquent, devra prendre le nom de Cent. confector. 244. 1. GUITULATUS. La femelle genwina recue de Breslau n’est pas enti¢rement con- forme 4 la description de Gravenhorst 4 laquelle il faudrait ajouter: lineola ad orbitas faciales et margine supero colli albis ; abdo- minis segmentis 5-7 margine summo, 5 etiam summa basi, rufis. Cette espéce est trés-voisine de mon Diadr. varicolor (Tentam. 211. 7); elle a, comme ce dernier, un vestige d’échancrure au milieu du bord du chaperon; elle a, en outre, vers le milieu du coté antérieur des cuisses de derricre, pres du bord inférieur, une petite impression linéaire, qui existe également chez une des deux femelles décrites dans mon Tentamen. Je crois cependant que l’espéce de Gravenhorst n’est pas la méme que la mienne, non-seulement parce que celle-ci manque de linéoles blanches prés des ailes et sur le cou, mais encore parce que I'/. guttulatus a : 4° Ja téte couverte dune ponctuation plus fine et plus serrée; 2° la limite entre le chaperon et la face plus nettement indiquée par une linéole transversale enfoncée, et les deux fossettes du cha- peron plus profondes. Sous ce double rapport, I'l. guttulalus res- semble davantage au Diadr. troglodytes, mais celui-ci a les an- tennes et les pieds moins gréles, et n’a pas de traces dincision au bord du chaperon. Remarque. — II est trés-probable que les var. 1 et 2 de Gra- venhorst sont des espéces différentes. Seca » mere ee Se ( 74 ) Q47. 1. GRAVIS. La femelle genuina, regue de Breslau, est un Dicoelotus, cest- 4-dire que son abdomen, entiérement ponctueé, n’a pas de gastro- céles; ses mandibules sont munies au bout de deux dents égales, et son postscutellum est marqué de deux fossettes, bien que celles-ci soient moins distinctes que chez les autres especes du méme sous- genre. Cette femelle ressemble 4 mon D. erythrostoma 9; mais son port est plus robuste et ses pieds plus épais; son chaperon est plus conyexe et moins large; l’aréole supéromédiane du métathorax est plus courte, elle a Ja forme d’un triangle équilatéral; l’aréole pos- téromédiane est plus large et beaucoup moins concave; le post- pétiole est une fois plus large que long. Les palpes sont blanchatres; le stigmate des ailes a un point blanchatre a Ja base. Le reste de la description est exacte. Remarque. — Il est probable que la var. 1 Gray. appartient & une autre espeéce. 248. I, FUMIPENNIS. La femelle genuina, regue de Breslau, est un Ichneumon de ma Division 6; elle se distingue de toutes les autres espéces de cette division par ses hanches de derriére, qui, en dessous, sont oblique- ment aciculées avec trois ou quatre lignes élevées, et, subsidiaire- ment, par absence d’un anneau blanc aux antennes. Sous tous les autres rapports de sculpture, ainsi que par les formes et la taille, elle est exactement comparable 4 mon J. derivator 9. Palpes blanchatres; mandibules et bord du chaperon fauves; une linéole blanche aux orbites du vertex; au milieu du bord su- périeur du cou deux petits points fauves peu distincts; un point blane sous la base des ailes; le 7"° segment de abdomen marqué d'une tache dorsale blanche un peu souillée, mais qui n’est nul- lement membranense. — La teinte enfumée des ailes, quia valu ( 72) son nom & cette espéce, est deyenue trés-peu distinete , probable- ment par suite de vetusteé. 250. I. parvubus. La femelle recue de Breslau n'a pas plus de 4 ligne; par son abdomen entiérement ponctué, sans gastrocéles, ete., elle appar~ tient 4 mon sous-genre Dicoelotus. 254. |. suBTILICORNIS. Jai recu de Breslau un male ct une femelle, comme genuint. Le male est un Phygadeuon. La femelle est de la méme espéce que mon Diadr, imbellis 9 (Tentam. 209. 5), qui devra, par conséquent, changer de nom. Remarque. — Croyant connaitre le véritable male de cette es- péce, je vais en joindre ici la description : DIADR. SUBTILIGORNIS o*. Segmentis 2-4 rufo-annulatis ; pedibus anterioribus, posticorum femoribus basi tibiisque medio, rufis; squamula et radice albidis == 2 li. — 2 mares. Habitus totus gracilis. Caput latitudine thoracis, facie subprotu- berante. Metathoracis areola superomedia quadrata. Postpetiolus aciculatus; segmentum 2 ante basin transverse subimpressum. Caput palpis rufescentibus. Antennae fuscac, subtus ferrugi- neae, articulo 1 toto nigro. Alae squamula et radice albidis, stig- mate sordide rufo. Pedes anteriores rufi, coxis basi tarsisque fuscis ; postici nigri, femorum basi tibiarumque medio rufis. Abdomen segmenti 2 apice et fascia ante basin rufis, 5 basi summa et apice rufis, 4 apice rufo. Ces deux miles ont une extréme analogie ayee mon Diad. pim- plarius ot (Mantis. p. 95); mais ee dernier est plus grand, et il a, aux quatre pieds antérieurs, Jes hanches et les trochanters blanes. AP, 252. 1. OpPRIMATOR. J'ai recu de Breslau une femelle et un male genwini qui appar- tiennent 4 deux espéces trés-différentes. La femelle est de méme espéce que mon Centeteres opprimator 9 (Tentam. 178. 5). Le male est un Phoeogenes auquel je donnerai le nom de PHOEOG. CONCILIATOR o%. Antennarum scapo, segmentis 2-4, pedibusque rufis, coxis et trochan- teribus anterioribus pallidis, femoribus tibiisque posticis apice nigris; squamula et radice albis; segmento 2 basi profunde im- presso. = 23 li. — I. opprimator o Gray. I. 595, 252. — 4 mas. Caput latitudine thoracis, subtiliter confertim punctatum, cly- peo levi, inorbito subelongato non protuberante. Metathoracis areola superomedia longa et angusta, posteromedia nullatenus concava. Abdomen latitudine thoracis, petiolo longo et gracili, postpetiolo eonvexiusculo parum dilatato; segmento 2 aeque lato ac longo, basi angustato, ibique profunde transverse impresso ; segmentis sequentibus latioribus quam longioribus. Pedes subgra- ciles. Alarum areola cubitalis 2* quinqueangularis. Caput palpis albidis, mandibulis fulvis. Antennae articulo 4 un- dique fulvo, sequentibus subtus fulvis, superne fuscis. Alae stig- mate fusco, squamula et radice albis. Pedes rufofulvi, anteriorum coxis et trochanteribus pallidis; posticorum coxis, femoribus api- cem versus, tibiisque basi et apice nigris, tarsis fuscis. Abdomen segmento 1 puncto apicali rufo, 2-4 rufis; 5 limbo rufo. 255. I. RUFICOXATUS. La femelle recue de Breslau est de la méme espéce que mon Dic. unipunctatus 9 (Tentam. 176.5. — Mantis. p.79). C’est une rectification que j'ai déja indiquée dans les Ich. ol/. p. 64, ot j'ai aussi déerit le male. ( 74 ) La femelle qui m‘a été envoyée différe de celles de Belgique, en ce qu'elle a les orbites enticrement noires et les hanches de der- riére entiérement fauves. 254. 1. acutus. La femelle recue de Breslau est un Phoeogenes dont les formes ont de l’analogie avec celles de mon Ph, cephalotes, mais qui con- stitue une espéce trés-distincte. A la description de Gravenhorst, il faut ajouter que le bord supérieur du cou est blane. 955. I. muTaBILis var. 5. Cette variété , indiquée avec doute par Gravenhorst, n’est pas un Ichneumon : c’est un male de Phygadeuon. 956. I. RUFILIMBATUS. Le male regu de Breslau est un Dicoelotus , probablement de la méme espéce que celui dont j'ai fait mention dans les Jch, miscel. 59. 2, et qui m’avait été envoyé, sous ce nom, par M. Von Sie- bold. Les aréoles du métathorax sont fortement marginées, la supé- romédiane est cordiforme, les aréoles postérieures sont réguliére- ment ridées en travers et la médiane est concave. Le postpétiole est ponctué, ainsi que les segments suivants ; gastrocéles nuls. 256. I. mitiGosus. Le male genuinus, recu de Breslau, est un Phoeogenes qui m’est inconnu. Sous le rapport de la coloration, ce qu'il a de plus remarquable, c'est que, aux pieds de derriére, les cuisses sont fauves & l’extré- mité et les jambes sont entiérement fauves. Téte de Ja largeur du thorax; aréole supéromédiane aussi longue ( 75 ) qué large, arrondie en ayant; postpétiole entiérement ponctué; base du 2™° segment occupée par une impression transversale nettement limitée et interrompue au milieu. j 258. I. PUSILLATOR. Jai recu de Breslau un male et une femelle genuint, qui me semblent appartenir 4 deux espéces différentes, Le male est de la méme espéce que I'L. xanthops Gray. (1), mais a écusson tout noir. Ce male est un de ceux 4 qui Gravenhorst assigne une face ‘toute blanche; il s’éloigne de la description en ce qu'il a: 1° le bout des joues blanc; 2° le 1°" article des antennes blanc en dessous; 5° une longue ligne blanche devant les ailes; 4° les 4 hanches et trochanters antérieurs blanes. — Il est possible que Gravenhorst ait fait la plus grande partie de sa description d’aprés Jes males qui ont seulement une tache faciale blanche, et que, pour ceux-ci, elle soit exacte ; mais, dans ce cas, il est probable quils sont d’une autre espéce, et peut-étre de la méme que la femelle. La qualifica- tion de crassiusculi ne convient pas non plus aux pieds du male que j’ai recu. — Je crois que la description est fautive a l’avant- derniére ligne de la page 605, ott, au lieu de duplo latiore et lon- giore, il faut duplo latiore et breviore. Quant & la femelle, je suis porté la regarder comme un Di- coelotus ; la face postéricure du métathorax est en pente un peu oblique, avec l’aréole médiane fortement concave. 260. 1. ERYTHROCERUS. Le male recu de Breslau est la var. 1 de Gravenhorst, le male genwinus n’existant plus dans sa collection. Cette var. 1 appartient 4 mon sous-genre Aethecerus ; mais elle ne se rapporte exactement A aucune des espéces que j'ai décrites , (1) Herpestomus facialis s Wesm. Mantis. p. 73. ( 76) de sorte que je crois convenable de lui laisser provisoirement le nom spécifique qu'elle porte. Remarque. — Dans ma Mantissa, page 89-90, jai dit que mon Oiorhinus pallipalpis x était probablement de laméme espéce que l'/. erythrocerus Grav., et que, par conséquent, le nom spécifique donné par moi devait étre changé. Aujourd hui, puisqu’il est cer- tain que ma conjecture était fausse, au moins pour la var. 4 de I’'/. erylhrocerus , et puisque, le male genwinus n’existant plus, toute verification est devenue impossible & son égard, je suis en droit de conserver a 10. pallipalpis son nom primitif. SECTIO X. 261. 1. rormosus. / Ce male est un Ichneumon de ma Division 2, qui a identique- ment la méme taille, les mémes formes et la méme sculpture de toutes les parties du corps que celui qui est décrit dans mon Ten- tamen, page 42-45, comme male de I’J. obsessor, et je suis con- vaincu quils sont, l'un et l'autre, de méme espéce, malgré la différence de coloration des antennes. Un autre male qui, sans que je l’aie vu, appartient probable- -ment A la méme espéce, est I'/. salicatorius o var. 4. Grav. n° 79. Si on compare la description de ce dernier 4 celle de l'J. formosus, on s’apercevra que la différence consiste seulement dans la colora- tion, 4° de l’écusson ; 2° des segments 2 et 5 de labdomen; sous ce dernier rapport, I’J. salicatorius ressemble & mon J. obsessor o*. Bien que je ne croie pas avoir commis une erreur en unissant I'/. obsessor o aux femelles du méme nom, malgré son éeusson noir, je n’ai jamais eu lidée que cette couleur de l’écusson dut étre, chez lui, considérée comme normale, et je me suis toujours attendu a la découverte d'autres males 4 écusson blane, comme les femelles. (77 ) 264. I. Fasricu. La femelle recue de Breslau est un Ichneumon de ma Division 2; elle est conforme a la description de Gravenhorst, excepté Jes orbites du front, qui ont une ligne blanchatre, et le postpétiole , qui a un point apical fauve. Quoique je n’aie plus sous les yeux I'l. melanocerus 9 (Ich. miscel. 19. 15), ma description, sauf la couleur des pieds, est si exactement applicable, quant au reste, a lJ. Fabricti, que je les crois, l'un et l'autre, de méme espéce. Tous les détails de sculp- ture que j'ai donnés, se retrouvent chez I'J. Fabrict. 265. I. incupiTor. La femelle geunina que j’ai recue de Breslau est de la méme espéce que mon I. similatorius 9 (Tentam. 94. 98). C’est un indi- vidu de la plus grande taille, sans linéole blanche sous les ailes, 4 hanches de devant fauves en dessous et les 4 postérieures ayant une teinte d'un fauve sombre (coxis rarius nigrobadiis Grav.), 4 euisses de derriére entiérement fauyes, segments de l’abdomen {1-4 fauves. Il est fort difficile de concevoir ce quia pu porter Gravenhorst a assigner a cette espéce pedes crassiusculi, a moins que Jes autres femelles décrites par lui comme genwinae ne soient despéce diffé- rente. ’ Remarque. — Je nai vu aucune des varietés de Gravenhorst. Daprés lopinion émise dans mon Tentamen, il est probable que mon I. chionomus 9 est confondu parmi les individus de la var. 1; quant 4 la var. 2, elle semble se rapporter & ceux de mes J. deri- vator 9 qui n’ont qu'une tache blanche au bout de l’abdomen. 266. I. ANALIS. La femelle recue de Breslau est de la méme espéce que mon J, analis (Mantis. p. 50); elle a Vinorbite chatain , et le bord supé- ( 78 ) rieur du cou fauve, caracteres mentionnés dans ma description et omis dans celle de Gravenhorst. 968. 1. LUTEICORNIS. La femelle recue de Breslau est un Phygadeuon. SECTIO XI. 270. I. NoBILITATOR 9. et 271. I. Lapiwator 9. En 1857, dans mes Jch. oft. p. 55, jai indiqué les erreurs que j'avais précédemment commises a l’égard de la synonymie de ces deux espéces en rapport avec les noms qu’elles portent dans Vou- yvrage de Grayenhorst; mais, 4 cette époque, je ne m’étais pas apercu que cet auteur lui-méme s'est probablement trompé dans lapplication du nom d’/. lapidator Fab. En effet, Fabricius (Znt..syst. Il. 160. 11) termine sa desecrip- tion de I'l. lapidator par ces mots : Pedes nigri, antici ferruginei, qui ne sont nullement applicables 4 1J. lapidator Gray. dont un des caractéres est d’ayoir les cuisses de derriére fauves. De plus, Trentepohl, quia trouvé, A Kiel, dans la collection de Fabricius, trois individus de son I. lapidator, les décrit comme ayant, tous trois, les pieds de derriére entiérement noirs, et comme étant, par conséquent, conformes a la description de lEnt. syst. (Isis, 1826, 77. 21); et eependant Gravenhorst cite aussi la des- cription de Trentepohl comme se rapportant a son J. lapidator 4 cuisses fauves! Sur quel fondement repose linterpretation de Gravenhorst ? Il ( 79 ) dit, 4 la p. 650, que Germar lui a transmis lexemplaire de la col- lection de Hiibner d’aprés lequel Fabricius a fait sa description; or, i] parait que cet exemplaire avait les cuisses fauyes, d’ou Graven- horst a conclu que la description de Fabricius est inexacte. Pour que cette preuve eut toute la portée que lui attribue Gra- venhorst, il faudrait qu’il fut incontestable que l’cxemplaire de la collection de Hiibner ett @ lui seul servi de type 4 la description de Fabricius; mais il en est tout autrement, puisque cet auteur ajoute, en note, variatl rarius antennis albo-annulatis. Il est done bien certain qu'il a fait sa description d’aprés plusieurs femelles , les unes a antennes toutes noires, les autres a antennes annelées de blane. Si, parmi ces diverses femelles, il en était une a cuisses fauves, a tort confondue avec les autres par Fabricius, il n’en reste pas moins vrai que Ja majorité d’entre elles devait avoir les cuisses noires, conformément a Ja description de lauteur et aux trois exemplaires de sa collection de Kiel. De la, je conclus que le nom a’I. lapidator Fab. doit s‘appliquer 4 Vf. nobilitator Grav. Quant a lJ. lapidator Gray., il me semble trés-naturel de lui conserver le nom d’J. melanocephalus qui lui a été donné par Gmelin, et dont application ne peut pas laisser le moindre doute , comme on peut sen assurer par la phrase caractéristique de cet auteur : Capile et abdomine conico albo-maculato nigris; orbila, vertice poslerius, antennarumque annulo albis ; thorace pepipusQuE RUFIS. Voici, en résumé, comment je propose d’établir la synonymie de ces deux espéces : 1. ListroDROMUS LAPIDATOR. I. vapwator Fab. Ent. syst. Il. 160. 114. 9. _- Syst. Piez. 84. 57. 9. — Trentep. Isis, 1826, 77. 24. 9. 1. xopmitator Gray. I. 627. 70. 9. Lisrr. capiator Wesm. Ich. Amb. Eur. 66. 2 (exclusa synonymia). Liste. nopititaror Wesm. Ich. oti. 55. 1. 9. { 80 ) 2. ListRODROMUS MELANOCEPHALLS. I. mevanocepnatus Gmel. Edit. Lin. 2687. 251.9. I. rapinaror Gray. [. 628. 274. Oo*. -- Wesm. Ich. oti. 55. 2. 9. 975. |. ERYTARAEUS. D’aprés la femelle recue de Breslau, cette espéce differe de mon. I. diserepator Q (Tentam. 102. 110), non-seulement par la colo~ vation des orbites, de ’écusson et des pieds, mais encore par ses antennes plus gréles et par sa téte un peu plus courte et plus oblique derriére les yeux. Remarque. — Ayant regu, en 1857, de M. Sichel, deux Ichneu- mons males qui sont évidemment Vautre sexe de VJ. erythracus Gray., je vais en donner la description : I. ERYTHRAEUS 0%. Rufus, abdominis apice nigro, ano albo; scutelli apice, antenna- rum annulo, facie et orbitis, pedibusque anterioribus sublus, albis; posticis partim nigris, tarsis albo-annulatis. =3-4 li. — 2 mares. Caput nigrum, ore et facie, orbitis frontis et verticis, temporibus- que et genis, albis. Antennae nigrac, subtus ferrugineae articulo | albo, 16-20 superne albis. Thorax rufus; linea abbreyiata meso- noti, regione circa scutellum, punctoque basali et apicali metatho- racis, nigris; collo, mesosterno, lineolis duabus ad basin alarum, et postscutello albis ; maculis duabus albidis subobsoletis juxta apicem metathoracis. Scutellum album basi rufa. Alae stigmate ru- fescente, squamula et,radice stramincis puncto albo. Pedes ante- riores pallide rufi, coxis et trochanteribus totis, femoribus et tibiis subtus, albis; femoribus et tarsorum articulis superne fusco-linea- tis; pedes postici coxis albis, superne nigro-maculatis, trochan- teribus albis basi nigra; femoribus piccis subtus rufis, geniculis puneto albido; tibiis subtus albidis, postice sordide rufis apiece 7 ( 81 ) nigro; tarsis nigris, articulis 3 et 4,5 basi, albis. Abdomen petiolo nigro, postpetiolo rufo; segmentis 2-4 rufis, 4 margine nigro; 5 nigro; 6 nigro apice albo; 7 toto albo; ventris segmentis 5, 6 et 7 nigris, hoc apice albo; 8 toto et valvis genitalibus albis. — Sic mas major. Mas minor differt : 1° capitis lateribus nigris linea orbitali alba ; 2° mesosterno maculis duabus nigris, metathorace toto rufo ; 5° pe- dum anteriorum coxis et trochanteribus puncto nigro; pedum pos- ticorum coxis nigris apice albo , femoribus tibiisque maximam par- tem nigris. Hab. in Pedemontio. Subgenus ISCHN US. Parmi les espéces décrites par Gravenhorst, les seules qui réu- nissent un ensemble de caractéres propres A les faire placer dans le méme groupe, sont ses Is. thoracicus, truncator, debilis , fili- formis. Quant aux autres espéces qui doivent en étre éliminées, je rap- pellerai que : 1° I'Is. unilineatus o est pour moi l’Amb. unilinea- lus 9 (Ich. oti. 47. 2); 2° les Is. porrectorius et sannio sont des males de Cryptus, et ont probablement pour femelle le C. asser- torius Grav. (Tentam. p. 245); 5° VIs. moestus est pour moi P'Ich. moestus (Ich. oti.6. 1); 4° V'Is. collaris est mon Diad. col- laris (Tentam. 209. 4). En examinant les Ischnus qui m’ont été envoyés de Breslau et, 4 cette occasion, ceux de ma collection, le hasard m’a fait décou- yrir dans ce sous-genre un caractére A ajouter & ceux que je lui avais déja assignés, et qui consiste en ce que la base du mésoster- num a, dans son milieu, wn rebord transversal élevé. Ce rebord n’est pas toujours facile A apercevoir, lorsque le pros- _ ternum et le mésosternum sont dans leur situation naturelle , c’est- _ a-dire quand l’extrémité de l'un est intimement appliquée contre la base de l'autre; mais il n’est pas rare qu’ils aient été acciden- Tome VIII. 6 ( 82 ) tellement écartés entre eux par l’épingle qui transperce linsecte : alors, si l'on regarde celui-ci de cété et contre le jour, le rebord du mésosternum se présente sous l’aspect trompeur d’une dent saillante et aigué. 279. Is. THORACICUS. Le male et la femelle recus de Breslau ont, comme ceux de Bel- gique, l’extréme base des jambes de derriére blanche, caractére omis dans la description de Gravenhorst. — Les femelles de Bel- gique ont l’écusson fauve a la base, quelquefois méme entiérement fauve. 280. Is. TRUNCATOR. La femelle recue de Breslau differe de la description de Grayen- horst en ce qu'elle al’extréme base des jambes de derriére blanche; mais, sous cette base, il n’y a pas d’anneau noir, ce qui la distin- gue de I'Is. thoracicus. D’aprés l’examen de cette femelle, je suis porté a croire que je n’ai pas commis d’erreur dans la détermination du male décrit sous le méme nom dans mon Tentamen, p. 215, n° 2. Cependant je ne puis rien affirmer 4 cet égard avec pleine certitude, parce gue, la femelle ayant accidentellement la téte fortement inclinée en arriére contre le thorax, il m’a été impossible d’en apercevoir exactement la forme. 981. Is. DEBILIS. Gravenhorst ayant décrit sous ce nom deux femelles diverse- ment colorées, j’aurais désiré les examiner toutes deux; malheu- reusement, l'une d’elles manque dans sa collection, de sorte que jai recu seulement celle quia l’écusson blanchatre et une ligne de méme couleur devant les ailes. Cet Ischnus appartient 4 une espéce trés-différente des deux précédentes : sa téte est lisse, trés-luisante et, au lieu d’étre sub- cubique, elle est plutot transversale. ( 85 ) 982. Is. FILIFORMIS. Le male recu de Breslau s’éloigne de la description de Graven- horst, en ce que, 4° le 1° article des antennes a en dessous un point blanc; 2° le bord supérieur du cou est marqué de deux points blanes; 5° il y a sous les ailes des traces d'une linéole blanche ; 4° les quatre hanches antérieures sont jaunatres en dessous, vers Vextrémité. 985. Is. PULEX. La femelle recue de Breslau est identiquement de la méme espéce que 'Ich. brevicornis Grav., comme je l’ai annoncé sous le n° 25. Elle différe de la description par une tache fauvye au milieu du bord supérieur du cou, et par une linéole fauye devant les ailes. Cette femelle s’éloigne de tous les autres Ischnus, 4° par son abdomen, dont le postpétiole est plus brusquement élargi, et dont le dernier segment est trés-court et obtus; 2° par la direction de sa tariére, qui est arquée vers le haut; 5° par ses antennes nota- blement plus courtes. L’importance de ces caractéres me semble suffisante pour jus- tifier l’établissement d’un sous-genre particulier que je propose de nommer : HETERISCHNUS. Abdomen apice obtusum, segmento ultimo brevissimo. Terebra sursum arcuata. (Caetera pleraque sicut in Ischnis.) HETER. PULEX 9. Is. putex Gray. I. 652. 285.—JIch. brevicornis Gray. I. 146, 25. ( 8% ) Subgenus BRACHYPTERUS. 291. Bracn. MEANS. Jai recu de Breslau lexemplaire d’aprés lequel Grayenhorst a fait sa description. Cet Ichneumon ressemble tellement a IJ. crassipes Gray. (1) par la taille, les formes, la sculpture et les couleurs, que, sans le singulier état des ailes, je n’hésiterais pas a le regarder comme de méme espéce; peut-étre cependant les premiers articles du fla- gellum des antennes sont-ils un peu plus courts et un peu plus epais. L’aréole supéromédiane du métathorax est en rectangle un peu plus long que large; le postpétiole est trés-finement aciculé; les gastrocéles forment deux légéres impressions transversales. Quant a certains caractéres signalés par Gravenhorst, tels que la protubérance de la face et la largeur du postpétiole, ils existent également chez son J. crassipes, et, chez celui-ci, il y a des indi- vidus dont le métathorax présente aussi des vestiges de deux pe- tites dents. Les ailes du Brach. means non-seulement sont courtes et 4 2™° aréole cubitale nulle, a mais elles semblent en outre un peu chiffon- nées; elles ont 4 peu prés l’aspect d’ailes qui (2) n’auraient pu s‘étendre pour acquérir leur ampleur normale. Je n’ai cependant aucune preuve qu'un arrét de développement dans les ailes, au moment de la derniére métamorphose , puisse entrainer 4 sa suite une modification de nervation aussi considé- rable; d’ailleurs, je me hate de dire que je posséde un second indi- yidu du Brach. means, trouvé dans un enyoi d’Ichneumonides de (1) Mon J. latrator 9 Tentam. 65. 58. (2) Une aile antérieure du Brachypterus means fortement grossie. et. A ( 85 ) Suéde provenant de M. Dahlbom, sous le nom d’/. scansorius Zetters. I] est dun quart plus petit que celui de Gravenhorst; les antennes ont les articles 1-5 fauves, 6 et 7 noiratres, 8-12 blanes ; le 4° segment de l’abdomen est entiérement fauve, et le 7™° seul a une tache blanche; pour tout le reste, comme pour les ailes, il if a parfaite ressemblance. Dans cette conformité de l'état des ailes chez deux individus de la méme espéce , on sera sans doute porté & voir la preuve d’un caractére normal plutét que la répétition d’une méme mons- truosité. Remarque. — M. le professeur Foerster, d’Aix-la-Chapelle, sans avoir eu connaissance du Brach. means, V’a placé en téte de la série des Pezomachus, sous le nom de Pterocormus means (Monog. der Gait. Pezom. p. 71). ( 86 ) ICHNEUMONOLOGIA EUROPAEA. PARS II. Subgenus MESOLEPTUS Grav. SECTIO Il. 15. M. LARVATOR. Le male regu de Breslau est de la méme espéce que mon Plat. varipiclus & (Ich. Plat. Eur. p. 25). Payais déja indiqué cette sy- nonymie dans les Ich. oti. 59. 5, en 1857. Subgenus HOPLISMENUS Grav. 5. H. picrus. J’ai recu de Breslau le male et la femelle qui appartiennent a deux espéces trés- différentes. Le male est mon Plat. rufus o (Tentam. 154. 1. — Mantis. p. 70. — Ich. Plat. Eur. p. 45. — Ich. miscel. 55. 2.) Il est rare que ce Platylabus ait Vextrémité de lécusson jaundtre comme Vindividu de Gravenhorst; il varie, d’ailleurs, considérablement a Pégard de l’étendue respective des couleurs fauve et noire sur les diverses régions du corps. La femelle est mon Ich. exornatus 9 (Tentam. 80. 80. — Ibid. p- 220. — Mantis. p. 59. — Ich. miscel. 56. 28). — Cet Ichneu- mon, dont j’ai regu un grand nombre d’exemplaires de Cortenae- ken, prés de Diest, varie beaucoup : on le trouve dans les bois de sapins, ( 87 ) 9. H. ALBINus. La femelle recue de Breslau est de la méme espéce que mon Plat. errabundus 2 auquel je Pavais rapportée avec doute (Mantis. p- 75). Elle a, comme mes exemplaires, le bord du 5™ segment blane; mais ses quatre jambes antérieures sont entiérement fauves, et celles de derriére sont fauves dans une plus grande étendue. 12. H. onpitatus. Le male recu de Breslau est, sans aucun doute, le véritable male de 1H. cothurnatus Grav. n° 14 (Plat. cothurnatus 9 Tentam. 157. 6). Le Plat. cothurnatus 9 n’est pas rare dans les bois de sapins , pres de Cortenaeken, et il est étonnant qu’on n’y ait pas encore pris le male. ( 88 ) COURTES ADDITIONS A MES DESCRIPTIONS ICHNEUMONOLOGIQUES. ... trahit qaodcumque potest, atque addit acervo. (Hor. Satir, 4.) Comme il est possible qu'un temps assez long s’écoule avant que je reprenne encore la loupe et la plume pour décrire des Ichneumons, je profite de l’impression du présent opuscule pour publier un trés-petit nombre de descriptions nouvelles, Subgenus ICHNEUMON (Div. 2). IcH. CEREBROSUS 9. Scutello albo; tibiis rufis, posticis apice nigris; segmentis 2 et 35 rufis, 6 et 7 macula alba; antennis subfiliformibus albo-annula- tis; metathoracis areola superomedia quadrata; postpetiolo aci- culato; gastrocoelis parvis ; TUBERCULO SUB COXIS PosTicIs. =D li, — 3 feminae. Habitus J. extensorii, confusorii Grav. ete. Caput palpis fuscis, mandibularum medio rufo. Antennae arti- culis 4-10 vel 6-10 subtus ferrugineis aut badiis, 11-15-16 albis. Thorax colli margine supero punctis duobus badiis, interdum ob- soletis. Scutellum album. Alae stigmate fulvo, squamula et radice nigris, areola cubitali 2° quinqueangulari. Pedes femoribus ante- rioribus apice rufis, anticis interdum rufis basi summa nigra; tibiis rufis, posticis apice nigris, interdum intermediis apice et posticis summa basi fuseis; tarsis anterioribus rufis, posticis vel ( 89 ) totis nigris, vel articulis 1 et 2 rufis apice nigro. Abdomen seg- mentis 2 et 5 rufis; 4 angulis basalibus vel lateribus totis rufis; 6 et 7 macula alba. Cette espéce n’a pas jusqu’a présent été trouvée en Belgique ; jen ai recu deux individus de M. Kriechbaumer, de Munich, dont lun sous le nom d’J. extensorius ; un troisiéme m’a été envoyé de Suéde, par M. Dahlbom. IcH. HAEMATONOTUS Q. Scutello et mesothoracis dorso castaneis; tibiis, seymentisque 1-5 rufis, 6 et 7 macula alba; antennis albo-annulatis ; postpetiolo aciculato, = 4 li. — 4 femina. Habitus I. extensorii, confusorw Grav., ete. — Caput vix latitu- dine thoracis, pone oculos rectum. Antennae crassiusculae (in nostro specimine apice mutilae). Metathorax areolis plerisque sub- tiliter marginatis, superomedia quadrata; spiraculis linearibus breviusculis. Alae areola cubitali 2* quinqueangulari. Pedes sub- crassiusculi. Abdomen oblongooyatum , postpetiolo subtilissime aciculato et lineis duabus elevatis; gastrocoelis transversis subli- nearibus, spatio interjacente fere latioribus; terebra vix exserta. — Affinis nostro I. Dahlbomi (Ich. ot. 29. 27), sed habitu toto robustiore, antennis pedibusque crassioribus, abdomine latiore , femorumque colore differt. _ Caput mandibulis macula rufa. Antennae articulis 10-14 albis, subtus ferrugineis. Thorax colli margine supero rufo; lineola cas- tanea subobsoleta infra alas; dorsulo castaneo, vitta abbreviata nigra. Scutellum et postscutellum castanea. Alae flavescentihya- linae, stigmate, squamula et radice rufis. Pedes femoribus anterio- ribus apice , anticis subtus etiam, rufis; tibiis tarsisque omnibus rufis, horum articulo 5 fusco. Abdomen segmentis 1-3 rufis; 5 punctulo apicali albo; 6 et 7 macula alba. Cet Ichneumon m’a été communiqué par M. Sichel, comme venant de la collection de M. Léon Fairmaire , de Paris. ( 90 ) Subgenus HOPLISMENUS. Hop.. LAMPROLABUS 9. Dans mes Ich. ot. p. 45-44, j'ai établi les caractéres de cette espéce aussi exactement qu'il était possible de le faire d’aprés examen dune seule femelle. Depuis lors, j’en ai regu une seconde, originaire du nord de la France, dont le postpétiole est assez for- tement chagriné, de sorte que l’expression postpetiolo sublevi em- ployée dans ma diagnose ne lui est pas applicable. Cependant les autres différences énumérées a la p. 44 subsistent, ¢’est-a-dire que, comparé a l'H. terrificus 9, lH. lamprolabus s’en éloigne : 1° par ses antennes un peu moins gréles et moins longues, et toutes noires; 2° par son mésothorax , qui est un peu moins mat; 5° par ses cuisses de forme moins linéaire; 4° par sa tariére plus courte. J’ai en outre recu un male, originaire des Pyrénées, ayant la coloration de lH. lamprolabus 9, excepté une linéole blanche aux orbites de la face, et que la sculpture du postpétiole ne saurait faire distinguer de lH. terrificus o*, mais dont les antennes sont un peu moins gréles. Ce male qu’on serait tenté de réunir 4 PH. lam- prolabus 9, présente, dans la conformation du pétiole de l'abdo- men, un caractére fort remarquable, dont l’expression petiolus bicoarctatus donnerait une idée assez exacte. En effet, son pétiole offre un léger étranglement 4 peu de distance de la base, puis, apres s’étre élargi en décrivant une courbe, il se rétrécit de nou- veau, de maniére a former un second étranglement a Vorigine du postpétiole. Ce pétiole est d’ailleurs parfaitement symétrique dans toute son étendue, et, de méme que chez l'H. lamprolabus 9, sa face supérieure est extrémement luisante et lisse, et subcanali- culée. J'ai peine a croire néanmoins que cette conformation du petiole soit normale, ou que, tout au moins, elle existe constamment dé- veloppée au méme degré. Du reste, si je suis entré dans ces dé- tails, c’est afin d’éyeiller l'attention des entomologistes qui seraient ( 94 ) en position d’étudier comparativement plusieurs males de cette espéce. Jajouterai que ce male porte, fixée a son épingle , une chrysa- lide de Lépidoptére diurne d’ou il est sorti, et qu'il se trouvait avec VH. lamprolabus 9 et des H. terrificus dans une boite d’ pie) monides recue récemment de M. Sichel. Subgenus AMBLYTELES. Ams. PANzERtI. Tentam. 156. 55. Post nostram var. 4, addendum : Var. 5. o : Similis genuinis, sed marginibus segmentorum concolo- ribus. — 1 mas. Caput orbitis facialibus albidis. Antennae subtus articulis 3 et sequentibus rufis, sensim obscurioribus. Thorax scutello sulfureo. Alae stigmate castaneo, squamula et radice nigris. Pedes femoribus rufis, anteriorum apice summo albido, posticorum nigro; tibiis albidis, apicem versus rufescentibus, posticarum basi et apice summis nigris; tarsis anterioribus albidis, posticis fuscis. Abdo - men segmento 4 nigro, 2 et 5 totis rufis, 4-7 totis nigris. AMBL. HOMOCERUS. Ich. Amb. Eur. 47. 38. Aprés la diagnose, il faut ajouter en supplément : Var. 1. 2 : Antennarum medio rufo. — 1 femina. Var. 2. & : Coxis posterioribus macula externa castanea.— 1 mas. La femelle de la vav. 1 a les articles 7-15 des antennes fauyes : cest la seule différence quelle présente avec les femelles genuinae. Chez le male de la var. 2, la tache chatain des quatre hanches ( 92 ) postérieures en occupe non-seulement les cétés, mais encore une faible partie du dessous. Pour ce qui concerne Jes hanches de der- riére, cette tache n’a, tant par sa situation que par sa grandeur, aucune analogie avec le point fauve ou chatain qu’on observe sou- vent chez l’A. camelinus au-dessus des mémes hanches, prés de la cavité ou s’articule le trochanter. Subgenus ANISOBAS. ANIS. FLAVIGER 9. Dans mon Tentamen (p. 220, n° 4), j’ai placé cette espéce, dont je ne connaissais que la femelle, & la suite de mes Hepiopelmus, en indiquant la forme toute particuliére de ses mandibules et de son chaperon. Plus tard (Ich. Amb. Eur. p. 64), je ’'ai mise en téte de mes Anisobas, auxquels elle ressemble davantage par le chape- ron, bien que ses mandibules soient trés-différentes; sa véritable place n’est done pas encore certaine. Depuis assez longtemps, je posséde aussi le male, dont la des- cription a été omise, par inadvertance, dans mes derniers opus- cules sur les Ichneumons. C’est une lacune que je vais combler ici: ANIS. FLAVIGER o%. Caput palpis , mandibularum medio, clypei apice et lateribus, fa- ciei orbitis et macula infra antennas, orbitis frontalibus, orbitisque externis angustissime , flavoalbis. Antennae articulo 4 subtus flavo- albo. Thorax colli margine supero, linea ante alas, lineolaque infra alas flavis. Scutellum pustulis duabus flavis. Alae stigmate et squa- mula fuscis, radice badia. Pedes anteriores coxis subtus flavido- maculatis , femoribus et tibiis antice ferrugineis; postici tibiis basi badiis. Abdomen nigrum, segmenti 2 margine summo rufo. = 4 li. ( 95 ) Subgenus HEPIOPELMUS. Hepio. Evpoxivs. Dans mon Tentamen (p. 142, n° 5), j'ai décrit sous ce nom un Ichneumon male dontje n’avais pas la femelle, et dont, par consé- quent, la place était douteuse, comme j’en ai prévenu au haut de la p. 144. En 1852, j’ai pris un second male de méme espece, et, en 1854, j’en ai recu un pris par M. Sichel aux environs de Paris. Je commencais a désespérer de jamais connaitre la femelle, lorsque, au mois d’aout 1857, j’en ai trouvé une prés de Bruxelles. Apres cette découverte, j’ai repris examen des caractéres de cette espéce, et, ayant comparée successivement a toutes celles de ma collection, je suis resté convaincu qu’elle n’a de rapports naturels avec aucune autre. Systématiquement, elle appartiendrait au groupe de mes Ich. Oxypygi; mais, pas plus dans ce groupe que dans les autres, je ne saurais lui assigner une place dans les sous-genres que j/ai établis, de sorte que j'ai di me résigner a en proposer un nouveau sous Je nom de (1) Subgenus HERESIARCHES. Carur breve, occipite pone stemmata abrupte declivi. Mandibulis angustis , apice acutis integerrimis. Labri margine medio dilatato. Clypei margine integro et mutico. Faciei margine infra antennas exciso. Antennis reminar valde longis et gracilibus, apice urcuatis et setaceis. (1) Téte de l'Heresiarches eudoxius 9 fortement grossie et vue par devant; les mandibules sont baillantes , afin de mettre en évidence leur forme, ainsi que celle du labre, ( 94 ) Tnorax scutello modice convexo. Metathoracis spiraculis linearibus. Metathoracis areola superomedia levissima et nitidissima , immarginata. Alarum areola cubitali 2* quinqueangulari. Pedibus mediocribus, unguiculis simplicibus. Aspomen petiolo longo et gracili. Postpetiolo subdeplanato, quadrato, aciculato, spiraculis subprominulis. Gastrocoelis linearibus et sublongitudinalibus. Terebra FeminaE breviter exserta, segmento ventrali ultimo ejus originem non altingente. La diagnose de I’Heres. eudoxius, telle qu’elle est rédigée dans mon Tentamen, laissant a désirer sous le rapport de lexactitude , et étant d’ailleurs incompléte, puisqu’elle ne s applique qu’au male, j'y substituerai la suivante : HERES. EUDOXIUS “9. Scutelli margine laterali, lineis et maculis thoracis, abdominis seg- mentorum margine, macula in angulis apicalibus anteriorum , anoque eborinis ; pedibus anterioribus basi albis, eorum femoribus subtus et tibiis, tibiisque posticis basi, stramineofulvis. ( Clypeo, facie et orbitis, scapoque sublus, eborinis .— Clypet lateribus et. orbitis eborinis ; antennis albo-annulatis 9) = 4 li. — Heri. Eu- poxius Wesm. Tentam. 142. 3. o%.— 3 mares et 4 femina. Pour les détails, je renvoie 4 la description que j’ai donnée du male dans mon Tentamen; les deux autres males que jai vus depuis lors différent seulement en ce que la couleur noire est plus étendue a la région postérieure des quatre cuisses antérieures. Quant a la femelle, sa coloration, comparée a celle des males, ne présente d’autres différences que celles indiquées dans la diagnose, excepté pour les hanches intermédiaires qui sont en partie noires ; ( 95 ) 4 quoi il faut ajouter que toutes les lignes et les taches blanches du thorax et de ’abdomen ont une légére teinte soufrée plus pro- noncée que chez les males. Subgenus PHOEOGENES. PHEO. MELANOGONUS. Lespéce désignée sous ce nom dans mon Tentamen (4182. 3) nest pas probablement la méme que l’'I. melanogonus cENnuinus de Gravenhorst que j'ai indiqué comme synonyme; car, d’aprés la description, celui-ci a sous les hanches de derriére une petite dent aigué (fauve ?), tandis que le mien a cette dent obtuse et noire. Je regrette de n’avoir pas demandé, 4 Breslau, communication de VI. melanogonus cenuinus : c’est un oubli A réparer plus tard. Latry Yoel : ' ne ty Pages. achypterus means 84 Ichneumon clericus. . . . . Hoplismenus albinus... . . 87 = conciliator . . . —_~ orbitatus..... 4b. — confector.... . — pichikg. = | 86 — contaminatus . umon aculus..... 74 — cyaniventris . . — TIEGE) Sang 64 — deceptor... . _— albicillus..... 21 — defensorius. . . . — albimanus.... 15 — deliratorius . . . _ albinotatus.... 65 — designatorius . . — albosignatus. .. 18 — didymus... . ammonius. . 55 — discriminator. . _— amputatorius .. 64 — dissimilis. . . . analig...... ris — edictorius ... . _ apricus..... 65 _ egregius. .. . arridens..... 62 — elegans... .. atramentarius.. 48 _ erythraeus. .. . austriacus.... 67 — erythrocerus. . . Bellus.. s... 68 — Fabricii ... . bicingulatus . 56 —_ fallixia,-.. >) bilineatus .... 12 — formosus. . . . ' bisignatus 49 _ fossorius. . . . brevicornis. ... 17 _ fugator..... caedator..... 54 — fumipennis. . . . eallicerus,... . 40 — funereus..... canaliculatus. .. 16 _ fuscatus ..... chalybeatus... 58 _ fuscipes ..... Tome VIII. 7 ( 98 ) Pages. Ichneumon fuscocastaneus. . 61 Ichneumon _—personatus.. . . Ee gemellus..... 21 — polyonomus. . . = gracilicornis. . . 55 — procerus..... — SrAaVISh. hee Vai 71 — pulchricornis. . . _ guttulatus. ... 70 = pusillator .... == incubitor. ... . 77 quadrialbatus . _— ischioxanthus .. 59 _ quadriannulatus . = lapidator.... . 78 - quaesitorius . . . —— Jatratorsevste rc 69 — raptorius. .... — lepidus...... 44 ridibundus. . . . — leucocerus .... 24 — robellis: 2% — leucolomius ... 60 — ruficoxatus. . . . = leucomelas.... 29 _ rufilimbatus .. . — luctatorius.... 51 -— salicatorius. . _ luctuosus..... 22 — semiorbitalis. . . _ lugensi = -. 7+ = 25 = semirufus..... luteicornis. . .. 78 —_— sexalbatus. ... — margineguttatus. 48 — silaceus . —_ mesostictus ... 62 _— Sissi cegs — messorius .... 64 — subalbellus. . . . = microcerus,... 29 — subcylindricus . — microstictus... 60 — subguttatus . .. — militaris..... 40 — subinterruptus. . - mitigosus .... 74 — submarginatus. . -- molitorius.... 51 — subtilicornis . . = monostagon. .. 21 == sugillatorius. . . — monticolla.... 9 = tenuicornis. . . . — multicolor. ... 18 = transfuga ... . — multipictus. ... 45 — trucidator... . - mutabilis..... 74 — vespertinus. . . — nigritarius.... 10 -- viridatorius . — nigrocyaneus .. 12 Ischnus GeDIlIS Tyee - nobilitator. .. . 78 — filiformis. . .. — occupator.... 52 — pulex score ee = “opprimator ... 75 — thoracicus. .. . -- Opies. . . 2... 15 — truncator..... — parvulus..... 72 Mesoleptus larvator .... . — persecutor.... 62 ‘ ( 99 ) TABLE ALPHABETIQUE Amblyteles homocerus . — Panzeri. Anisobas flaviger Heresiarches eudoxius . Hoplismenus lamprolabus . Ichneumon cerebrosus . — haematonotus . Phoeogenes melanogonus . FIN. NOTE a LES TREMBLEMENTS DE TERRE | EN 1856, AVEC SUPPLEMENTS POUR LES ANNEBS ANTERIEURES, PAR M. Atexis PERREY, x he PROFESSEUR A LA FACULTE DES SCIENCES DE DIJON. / (Presenté a la séance du 9 octobre 1858.) Tome VIII. 1 NOTE SUR LES TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1856, AYEG SUPPLEMENTS POUR LES ANNEES ANTERIEURES. La haute bienveillanee avec laquelle Académie m’a fait ’hon- neur daccueillir jusqu’ici mes recherches sur les tremblements de terre, nest pas seulement une faveur dont je doive étre recon- naissant, c'est aussi un encouragement a poursuivre mes travaux. Je ne crois done pouvoir mieux remercier l’Académie qu’en redou-. blant de zéle et d’activité. Mon premier catalogue annuel date de 1845; depuis lors, j’ai recueilli et enregistré tous les faits parvenus & ma connaissance. Je suis sans doute loin d’avoir noté toutes les manifestations du phénoméne. Isolé dans une ville de province, loin des grands centres scientifiques, j'ai éprouvé de grandes difficultés dans des recherches qui demanderaient qu’on put consulter tous les recueils consacrés a la science. Privé de cet auxiliaire important, j'ai cherché 4 me créer des correspondances sur de nombreux points du globe, et j’y suis assez heureusement parvenu. Plusicurs savants n’ont pas dédaigné de m/aider de leur bienveillant-et actif concours. Cependant, je suis forcé de l’avouer, dans ces derniers temps, le (4) zéle de mes correspondants s’est un peu ralenti. Toutefois, je ne désespére pas de pouvoir poursuivre des recherches que daignent encourager tant de savants. Dans la note que j’ai ’honncur de présenter aujourd’hui a l’Aca- démie, se trouvent les communications de MM. Fournet, de Lyon, W. Mallet, de Tuscaloosa, F. Pistolesi, de Florence, Llobet, de Bar- celone, Casiano de Prado, de Madrid, monseigneur l’archeyéque de Chambéry et le docteur Ami Boué, de Vienne. Qwil me soit permis de leur en renouveler ici publiquement mes remerciments, Je commencerai ma note par un supplément que je fais remonter alannée 1845, date de mon premier catalogue annuel. PREMIERE PARTIE. SUPPLEMENT. 4845. — 2 janvier, 1h. 15 m. du matin, 4 Manille, une secousse légére en deux vibrations distinctes séparées par un trés-court intervalle; la premiére a été instantanée , la deuxiéme a duré 9 se- condes. — Le 4, vers minuit, 4 Singapore et 4 Malacca, deux secousses. — Le méme jour, 9 h. du matin a2 h. du soir, éruption du Goentoer & Java. — Nuit du 5 au 6, dans Vile de Nias et dans une partie de la céte SO. de Sumatra, notamment 4 Baros, secousses désastreuses et 4 peu pres simultanées, quoique Baros soit 4 25 milles géogra- phiques du NNE. de Sitoli, situé sur la cote SE. de Nias. Elles eurent lieu 4 Baros 4 11 h. '/2 et & Sitohi vers minuit. Dans ces deux loca- lités, elles furent dirigées du SO. au NE., par conséquent, dans une direction perpendiculaire au grand axe de Sumatra. Faibles dabord dans Vile de Nias, elles augmentérent de moment en mo- ment, au point qu’on ne put plus en distinguer la direction; les choes se succédaient avec une rapidité telle que la terre était dans un tremblement incessant; ils se succédérent ainsi pendant neuf minutes, puis de deux en deux minutes jusqu’a 4 h. 4/2 du matin; alors survint une commotion plus violente encore que la premiére et qui dura six minutes. (6 ) Le tremblement diminua ensuite, et continua, mais légérement, pendant plusieurs jours. Les journaux frangais signalent le renou- vellement des secousses sur la céte occidentale de Sumatra pendant Ja journée du 11. Une portion du mont Horiffa, contigu au mont Goenoeng Sie Toli, ou Sitoli, avec toutes les fortifications de Benting et les autres constructions du gouvernement, furent entiérement détruites. Les arbres furent tordus et arrachés, la terre s’entr’ouvrit, et dans les crevasses profondes parut un liquide noiratre d’ou s‘échappaient des gaz. On n’entendit pas de bruits souterrains; étaient-ils étouffés par le fracas des maisons et des montagnes qui s’écroulérent? La soirée avait été magnifique, la mer était calme. Tout & coup, vers minuit et demi, une vague épouvantable s’avanca du SE. avee un bruit effrayant, et se répandant sur toute la eéte de Vile Nias, du cdté de Sitoli, entraina tout devant elle. Le yaste Kam- pong de Mego, 4 un mille du Goenoeng Sitoli, fut entiérement rasé. Les praws qui se trouvaient sur la riviére furent lancés sur les bords & 100 et 160 pas de leur ancrage. Dans le méme temps, une vague non moins terrible et accompagnée d'un bruit sem- blable 4 celui d'un ouragan, s’élanca sur Baros; elle venait du SO., cest-i-dire du edté de Nias. On retrouva plus tard trois vaisseaux dans les terres 4 une distance de 1,900 pieds du lieu ot ils avaient jeté Vancre. Du cdté du NE., ce tremblement s'est étendu jusqu’a Singapore et 4 Penang, du moins on a ressenti, dans ces deux localités, une légére secousse le 6, vers minuit et demi. La grande ile de Sumatra, située entre celles de Nias et de Penang, n’a-t-elle été affectée qu’a Baros? C’est peu probable. Cependant le fait n’est pas impossible, et mes nombreux mémoires présentent plus d'un exemple sem- blable dune région intermédiaire faisant pont, suivant la pitto- resque expression usitée en Amérique. Le 8, vers minuit, a Penang, secousse trés-légére, Le 8 encore, vers 2 h. ‘/2 du soir, 4 Singapore, secousses beau- coup plus sensibles dans les collines que dans la yallée, courtes et dirigées de PE, A 'O.; & Penang, elles le furent du N. au S. On a (#) remarqué que, apres ces diverses secousses, le temps devenait mau- yais et que, jusquau 45, on cut de fréquentes et fortes bourras- ques. — Le 16, nouvelle éruption du Bromo a Jaya. — Le 18, 14 h. 5/4 du matin, 4 Amboine, secousse violente. A 8 h., on avait entendu un bruit souterrain. — Le 25, 10 h. ‘/2 du matin, éruption du Gedé A Java. — 6 février, vers 11 h. du soir, magnifique éruption 4 Kyouk Phyoo, dans Vile de Ramri, sur les eédtes de l’Arracan. Elle dura jusqu’a 4 h. 4/2 du matin seulement. Ces éruptions se renouvellent, dit-on, une fois tous les deux ans et quelquefois annuellement. — Le 8, 2h. du matin, 4 Ahmedabad (Gudjerat ou Goojérat) , quatre secousses dans un espace de huit minutes; elles ont été lé- géres, locales, précédées d'un bruit sourd et dirigées du NE. au SO. — Dans la nuit du 17, au S. de Vile de Gili Genting vis-a-vis la céte SE. de Soemenep (ile Madoera), et, par conséquent, au N. du Reinggit, volcan de Java, deux rochers sortirent de la mer et s’éle- verent en peu de temps a deux pieds au-dessus de l’eau. Peu avant leur apparition, la mer formait une barre immense en cet en- droit. — Le 18, 2h. du soir, a Amboine, forte secousse du NE. au SO., suivant le grand axe de Jile. — Avant le 12 mars, une secousse dans le Decean. — 15 mars, 9 h. 3/4 du matin, a Amboine , deux autres secousses consécutives, fortes et horizontales. — Le méme jour, 9 h. du soir, 4 Kediri (Java), légére secousse précédée d'un bruit souterrain qui commenga par un roulement et finit par des détonations. — 4° avril, vers 4h. !/2 du matin, dans le Deccan, tremblement étendu. Le point le plus septentrional est Sholapore (Sulupur des cartes de Berghaus) par 17°40’ lat. N. et 75°43’ long. E. La secousse, précédée d’un bruit qui parut venir du SE. et a persisté deux mi- nutes, a été légére sous les tentes, mais beaucoup plus forte dans _les maisons, ot les platres des plafonds et des murailles sont tombés. A Muktul (16°45’ lat. N. et 75°15’ long. E.), vers 4 h. 5/4, simple tremblement accompagné d'un bruit sourd semblable & celui (8) dune voiture passant sur un pont de bois. Le mouvement a été plus fort 4 Singsoorgoor (du eété de Bellary) et 4 Shorapore (Sura- pur, lat. 16°45’ et long. 74° !/); il ne parait pas s’étre étendu jus- qu’a Hydrabad. A Bellary (lat. 15°5’ et long. 74°59’), vers 4h. 4/4, bruit ressemblant 4 celui de l’émission de ja vapeur; sourd d’abord, il a ensuite augmenté comme celui d'un tonnerre médiocre, en méme temps, le mouvement ondulatoire du SE. au NO. s’est accru et'a ébranlé tout le cantonnement. On regarde geese comme le point le plus fortement secoué. A Kurnool ou Kurnul (lat. 15°50’ et long. 75°47’, altitude ap- prochée 900: pieds anglais), vers 5 h. du matin, secousse de quel- ques secondes , aceompagnée d'un bruit semblable a celui @une dé- charge Wartillerie dans l’éloignement, qui a paru venir du NE. et s’éteindre au SO. Les détails manquent pour Belgaum ou Belgaom; on sait seulement que le tremblement y a été ressenti. Le point le plus méridional qui parait avoir été atteint est Hurrghur (lat. 14°30" et long. 75°59’). Vers 4 h., légére secousse avec bruit comme celui W@une voiture qui passerait & distance. — Le 6, tremblement dans les parties supérieures de ’Assam. A Jeypour, 8 h. 9 ou 10 m. du soir, forte secousse suivie, 4 ou 5 mi- nutes apres, d'une autre beaucoup plus violente et qui a duré deux minutes. Elle a paru dirigée de /E. 4 YO. Suivant quelques personnes, il y en aurait eu une troisiéme. A Sibsagur, vers 8 h. 1/2 du soir, plusieurs secousses trés-fortes pendant cing minutes, A Debrooghur, 8 h. du soir, une secousse trés-forte de 1’O. ou du SO. Elle a duré plusieurs minutes. Le 7, 4 minuit (ste), nouvelle secousse 4 Jeypour et & Debroo- shur. A 1 h. */4 (ste), autre secousse 4 Sibsagur. — Le 41; 8 h.5 m. du matin, 4 Landour (Himalaya, lat. 30°27’, long. 75°40’, altitude 2319 m.), secousse trés-forte du N. au S. et de 50 secondes de durée. Elle s'est étendue jusqu’a Hurdwar (lat. 29°52’, long. 75°50’) et aux environs de Delhi, & Mirout ou Merut (lat.'29°0’), ou elle a été légére. — Le 44,5 h. du matin, 4 Amboine, une secousse. — 15 mai, 8 h. 4/2 du soir, a Amboine, autre secousse violente et de quelques secondes de durée, (9) — 3 juin, vers 10 h. du matin, 4 Titalayah (a la base des col- lines Sikkim, sur la route de Darjeling), faible secousse de trois secondes, et dirigée du NE. au SO. — Le 15, 41 h. du matin, 4 Sibsagur, premiere secousse, forte et verticale. Le 16, 8 h. 15 m. du soir, a Jeypour, une des plus violentes qu on ait ressenties dans l’Assam. A Sibsagur, 8 h. 45 m. du soir, autre secousse violente. Le 17, 8 h. du soir, 4 Sibsagur, secousse trés-forte. Le mouve- ment, d’abord léger et ondulatoire , a été suivi d’un choc violent; a en juger par la position d'une horloge qui s’est arrétée, ib doit étre yenu du SO. ou de lO. — Nuit du 16 au 17, minuit et demi, 4 Colombo (ile de Ceylan), trois légéres secousses dans l’espace d’une minute et demie. — 28 juillet, 14 h. ‘/2 du soir, nouvelle éruption du Gedé. — Dans les derniers jours du mois, soulévement d’une ile nou- yelle, non loin de Ramri et de Chedooba, sur les cétes de lArra- can. Le feu, précédé d'un tremblement de terre et accompagné dun grand bruit, dura quatre jours (les 26, 27, 28 et 29). L’ile n’a paru que le second jour, entre Flat Rock et Round Rock, a peu prés sur emplacement du bane de sable appelé: False Sand. Elle a disparu au bout d’un mois. — 5 aout, 9 h. 4/2 du soir, 4 Amboine, une secousse. A 14 h, !/2, secousse nouvelle. Le 4, 2 h. du matin, autre secousse. Le 8, 7 h. 1/2 du soir, une quatriéme secousse faible. — Le 10, 4h. 4/2 du soir, 4 Darjeling (Sikkim), une secousse horizontale du NO. au SE. et de 20 secondes de durée. On I’a res- sentie 4 Patna et dans le Tirhut. — Nuit du 2 au3 septembre, dans l’Assam, une forte secousse. Le 5, 7 h. 4/2 du soir, autre secousse venant du S. et précédée dun bruit aérien. — Le 16, 1h. ‘/2 du soir, a Amboine, violente secousse du NE. au SO. — 5 octobre, éruption du Lamongan a Java. — Le 14, 41 bh. 4/2 du soir, i Padang (Sumatra), faible secousse. ( 40 ) Le 27, 1 h. du soir, autre secousse légere. — Le 30,7 h. 45 m. du matin, a Sandoway (Arracan), violente secousse du N, au S. et de 2 minutes de durée. On la sentie dans Vile de Ramri, mais légérement; elle a été plus forte dans celle de Chedooba, trés-pcu sensible dans les monts Youmah-dong et trés- violente i’ Gookheomg, sur le bord de Ja mer, a 90 milles au S. de ces montagnes. Suivant toutes les probabilités, on I’a sentic a Mol- mein ou Moulmein dans le Martaban. — 14 novembre, entre 4 et 5 h. du matin, 4 Gwahatty (Assam), une secousse. — Le 25, de 4h, */2 du matin a 8 h, du soir, éruption du Goen- toer a Jaya. — Le 29, 5 h. ‘/2 du matin, a Padang, deux nouvelles secousses du SE. au NO, —- 8 décembre, 10 h. du soir, 4 Padang, autre secousse légere. — Le 18, 4 h. 20 m. du soir, a Gwahatty (Assam), violente se- cousse avec bruit sourd du S. au N. — Le 21, 9 h. du matin, 4 Padang, nouvelle secousse faible. Le 27, & h. du soir, encore une secousse semblable. — Dans le courant de année, au cap de Bonne-Espérance , une Jégére secousse. — La méme année, dans ile de Bali, tremblement suivi d’une céruption de lave du volean Agoeng, dans la méme ile. 1844, — 15 février, midi un quart, 4 Tjandjoer (régence de Préanger, Java), deux secousses faibles et une forte. Depuis quel- ques jours, le temps était orageux. On éprouya aussi des secousses a Buitenzorg vers la méme époque. Le méme jour, 9 h. du soir, 4 Padang (Sumatra), faible secousse, et a 42h. de la nuit, secousse violente. Le 5 mars, midi, une légére secousse encore. — Nuit du 8 au 9 avril, dans Vile de Banda, secousse trés-forte précédée d'un bruit semblable a une décharge d’artillerie, que les habitants attribucrent 4]’écroulement dune partie du volcan. — 27 mai, 11 h. 4/2 du matin, 4 Padang encore , fort tremble- ment. — 18 juin, 5 h, du matin, nouvelle secousse violente. ( 11 ) _ — En juillet, derniére éruption du San-Miguel (San-Salvador), elle causa une grande terreur par suite @un grand nombre d’ou- vertures qui se déclarérent spontanément, laissant échapper des laves ardentes. L'Izalco est toujours en éruption. — Le 19 aout, M. Junghuhn passa au pied du Slamat (volean de Tegal A Java) et remarqua que la colonne de fumée que langait alors le volean, était beaucoup plus faible ne en 1859 et en 1840. Elle était & peine visible. — De septembre 4 la fin de l'année, ii Vile de Seroea (Mo- luques), forts bruits scuterrains. Le Gelelala était en éruption. Du 25 au 27 septembre, éruption du Semiroe & Java. Le La- mongan, au contraire, resta en repos pendant tout-ce mois. — 10 décembre, 2 h. 3/4 du matin, & Padang (Sumatra), vio- lente secousse ondulatoire. Les secousses signalées, depuis le 14 oc- tobre 1845, pour cette localité, ont été éprouvées par le docteur Stumpff. 4845.— Minuit du 11 au 12 janvier, 4 Selo, sur le col qui joint le Merbaboe au Merapi (Java), tremblement pendant deux minutes. — 5 février, 7h. 4/4 du soir, 4 Modjokerto et autres lieux voi- sins, 4 50 milles au N. de l’Ardjoeno (Java), trois secousses consé- cutives et horizontales du N. au S.; elles ne durérent que quelques secondes. D’aprés le témoignage des Javanais, c’était le premier tremblement qu’on y ressentit depuis 18 ans. — Le 8, 5h. 4/2 du soir, 4 Menado (Célébes), tremblement désas- treux. En 18435 et 1844, on y avait déja éprouvé de légéres se- cousses. Mais celle-ci commenga tout 4 coup avec une telle vio- Jence qu’on ne pouvait se tenir debout, et dura ainsi pendant 50 i 60 secondes; tous les meubles furent renyersés dans les maisons en bois; les murs en pierre du fort Amsterdam et des fortifications furent lézardés 4 Amoerang et 4 Tanawangko. Toutes les maisons en pierre des Chinois furent renversées; dans beaucoup d’endroits le sol s’affaissa ou s’entrouvrit; eau s’en échappa en grande quan- tilé et détruisit les ponts et les chemins; des éboulements eurent lieu dans les montagnes du Goenoeng, Talankaoe, Tomohon et G. Pangalombian; les monts Lokon et Kakas Kasang, dans le yoi~ ( 12) sinage desquels eurent licu les plus fortes secousses, se fendirent du haut en bas; des pierres et des arbres roulérent jusqu’a Tomohon. Les secousses continuérent ensuite pendant un certain temps; Ja derniére cut lieu le 17 février, 4 minuit, et ,comme les autres, fut précédée d'un bruit souterrain. Les crevasses du sol étaient encore visibles en 1848, dans la montagne de Lokon. Des sources donnaient alors moins d’eau qu’auparavant, quelques-unes méme étaient taries. — 5 mars, 10 h. 4/2 du soir, a Batavia, Buitenzorg, Tjandjoer et autres lieux, tremblement violent, surtout A Buitenzorg. Au zénith de Batavia, le ciel était pur, cependant Vhorizon entier fut illuminé par des éclairs au moment du tremblement, qui dura 57 secondes. Immédiatement aprés commenga I’éruption du Gedé. — 22 avril, éruption du Goenoeng Salassi 4 Sumatra. — 15 mai, dans l’aprés-midi, 4 Gorontalo (Célébes), tremble- ment violent qui dura 20 secondes. — 5 juin, 4h. /s du matin, 4 Padang (Sumatra), secousse trés- violente qui se propagea au SE. — Du 19 au 25, 4 Lukput (Delta de Indus), 66 secousses, dont quelques-unes avec ruines. — Le 29, 1 h. 4/2 du matin, 4 Padang (Sumatra), une nouvelle secousse qui se dirigea pareillement au SE. — 20 juillet, de 4 4/2 2 2 h. du soir, 8 Amboine, secousses ver- ticales qui se renouvelerent dans la soirée et dans la nuit, mais avec moins de force. Le 21, 6 h. '/2 du soir, deux nouvelles secousses violentes; des batiments en pierre furent endommagés. Plusieurs autres secousses légéres dans le jour. Les fiévres épidémiques, qui avaient suivi les secousses du 4° novembre 1855, des 18 janvier et 16 septembre 1845, reparurent encore cette fois dés le 22 juillet. — Le 50, 5 h. du matin, a Kediri (Java), forte secousse du S, au N. — 19 aotit, 1 h. du matin, 4 Padang (Sumatra), secousses vio- lentes pendant plusieurs minutes, et dirigées encore vers le SE. Le 20, 1 h. 4/2 du matin, plusieurs secousses fortes. A 4h. 5/4 du matin, autre tremblement léger. ee a le ee i. ( 15 ) Le 24, 1 h. ‘/2 du soir, léger tremblement. Le 12 septembre, midi et demi, nouyeau tremblement fort et dirigé au SE. Le 11 octobre, 8h. 4/2 du matin, violente secousse verticale. Le 2 novembre, 5 h. !/2 du matin, une secousse forte et plusieurs légéres dirigées encore au SE. Le 10, 7h. ‘/2 du matin, secousse légeére. Le 12, 7 h. !/2 du matin, forte secousse dirigée cette fois de l’E. a lO. , — Du 16 au 18, éruption du Merapi a Sumatra. — 15 décembre, 8 h. du matin, 4 Padang encore, autre se- cousse violente. — (Sans date mensuelle), a Jagu (Assam), tremblement qui parut venir des collines Cossya. 1846. — 20 janvier, 2 h. !/2 du matin, 4 Padang (Sumatra), violente secousse qui se propagea dans la direction du SE. — Le 25, 9 h. du matin, 4 Ternate, violent tremblement qui dura 1 ‘/2 minute. La mer monta tout & coup de quatre pieds et baissa aussi rapidement; ce phénomene se renouvela dix fois en une heure et continua jusqu’a 4 h. du soir. Pendant tout ce temps, Yeau des puits se tint & une trés-grande hauteur. Dans le S. de Vile on n’entendit qu’un bruit souterrain. Le navire anglais, le Rochester, ressentit ce tremblement 4 50 milles de Ja céte au NE. de Vile Mortay. — Le 26, 2h. du soir, & Blitar (Java), une secousse ressentic en méme temps, mais moins fortement & Kediri. — 12 mars, aux environs du yolean d’Orizaba (Mexique), deux fortes secousses. M. Heller, qui entreprit l’ascension de ce volean, le lendemain, l’a vu fumer plusieurs fois, mais il ne se souvient pas davoir remarqué des flammes. Vers la méme époque, ce voyageur a vu une montagne , au NO. de Tepetitian, lancer de Ja fumée. La nuit, elle paraissait tout en feu. Il la signale comme un volean encore actif, mais inconnu; il la place par environ 19°18" lat. N. et 99°43’ long. O. a peu prés au milieu, mais un peu 20. de Ja ligne qui joint le volean d’Orizaba au Coffre-de-Perote. ( 14) Le 15, 1h. du soir, & Padang (Sumatra), léger tremblement qui se propagea dans la direction du NO. et parut venir du pic d'Indrapoera. Le 14 avril, 10 h. '/2 du soir, nouveau tremblement léger et dirigé au NO. Cest le dernier signalé par le D" Stumpff. Le 27, 8 h. !/2 (sic), 4 Vile de Timor, tremblement sans dom- mages. — Nuit du 27 mai, 4 Krawang, au pied N. du Tangkoeban praoe, une secousse suivie de l’éruption du volean. Les 6, 7 ct 8 aout, M. Zollinger tenta l’ascension du volcan de Vile de Lombok. Mais il n’atteignit pas le Goenoeng Rindjanit , sommet sur lequel se trouve le cratere; il parvint seulement sur le G. Sankareau. De Ja fumée s’échappait dune crevasse percée dans le flane d'une colline conique qui se trouve au milieu dun petit plateau a PE. du G. Sankareau. — 2 septembre, 10h. du matin, commencement de l’éruption du Merapi, & Java, laquelle dura jusqu’au milieu d’octobre. — Le 29, 4h. du soir, & Pandjaloe, sur le lac du méme nom (rég. de Galoe, résid. de Cheribon, Java), tremblement de quelques secondes de durée. Le 50, 2 h. */2 du matin, les habitants ont été réveillés par un nouveau tremblement qui a duré 1 1/2 minute. — Le méme jour, midi trois quarts, 4 Batavia, tremblement léger. — Dans le courant du mois, légéres secousses a Buitenzorg. — 1 octobre, 2 h. du matin, 4 Batavia, légére secousse. Elle fut plus violente a Buitenzorg, ou elle dura environ une minute. — 24 novembre, 6h. 5 m. du matin, 4 Penggalengan, sur un plateau au SE. du Goenoeng Wajang (Java), nombreuses secousses verticales qui se succédérent rapidement. On entendit un bruit sou- — terrain, mais la Solfatare resta en repos. Cependant, la nuit pré- cédente, le ciel était pur, il était tombé une pluie de matiere fine , Jaquelle continua ensuite nuit et jour, sans interruption, jusqu’au 29, que le ciel redevint clair. Le vent soufflait violemment du S. — Le 8 décembre, 6 h. ‘/2 du soir, nouvelle secousse, légére, mais de longue durée. ( 15 ) — Le 25, dans Vile de Ternate, trois secousses dont les deux premiéres furent trés-fortes. Elles furent précédées d'un tonnerre souterrain. — Le 24, 5h. 55 m. du soir, a Penggalengan, nouvelle secousse violente , qui fit craquer les habitations. Le 29, midi 40 m., violente secousse qui, comme la précédente , ne dura que quelques secondes. Dans la nuit du 29 au 50, encore une légére secousse. Le 50, 5 h. 50 m. du soir, une nouvelle secousse fit trembler les maisons. 1847, — 20 janvier, 7 h. !/2 du soir, sur le plateau de Pengga- lengan, une secousse légére. Le 27,5 h. 4/2 du matin, une secousse nouvelle d’aprés M. Jun- ghuhn auguel j'emprunte ces détails. — Nuit du 417 au 18 mars, éruption du Gedé. J — Le 20, 6h. 4/2 du matin, 4 Banjoemas (Java), secousse trés- forte. Le méme jour, éruption du Slamat, volcan voisin, qui lanca, dans l'aprés-midi, une colonne de fumée trés-noire. Le 26, éruption du Lamangan qui était en repos depuis 1844. Elle dura jusqu’au 26 juin. — Du 25 septembre 4 la fin d’octobre, forte éruption du La- mangan. Le 28 septembre, a Batavia, une secousse légére qui, pourtant, fit arréter des horloges. — Du 16 au 18 octobre, éruption du Goentoer a Java. — Le 17, avant-midi, 4 Buitenzorg et dans les environs du Gede, légére secousse. La nuit suivante, le Gedé lan¢a de la cendre. — Le méme jour 17, entre 8 et 9 h. du soir, & Tjikalong et Pesawahan (rég. de Preanger, Java), une secousse. Le 18,4 h."/4, 4 4/2 et 8h. du soir, 4 Tjandjoer (méme régence), plusieurs secousses légéres. Le 19, nouvelles secousses légéres. Minuit du 28 au 29, 4 Pesawahan, tremblement nouveau. Le 29, 9 h. du matin, autre tremblement, qui se renouvela a midi et demi et dura trois secondes. On entendit un bruit sourd ( 16 ) : dans les entrailles de la terre, et les meubles tremblérent dans Ic Pasanggrahan. — 7 avril, 4 h. '/2 du matin, 4 Aenggalongan, légére secousse qui pourtant fit trembler les habitations. — 5 mai, 9h. 1/4 du soir, nouvelle secousse; les maisons trem- blérent pendant un quart de minute. Le 17,8 h. du soir, 4 Tjelatjap (Java), une secousse légére. — Nuit du 22 au 25 juin, au sommet du Slamat, volean de Java, plusieurs faibles secousses ressenties par M. Junghuhn. Elles faisaient trembler le rocher. Il tomba toute la nuit une pluie ex- trémement forte. — Du 10 au 12 septembre, M. Zollinger fit ’ascension du Goe- noeng Perswpoean, a Sumbawa. Du haut de cette montagne, il apercut directement, le matin, le G. Rindjanie (volean de Vile de Lombok), d’ou s’échappait une grande colonne de fumeée. Le 18, 7h. du soir, 4 Lapie (Sumbawa), tremblement de courte durée. Le 22, 3h. 4/2 du matin, & Bima (méme ile), une secousse. Le méme jour, vers 5h. du matin, 4 Lapie, tremblement nou- veau et plus violent; il dura 4 ou 5 secondes et parut venir de l'E. — Le 1 octobre, entre 4 et 5 h. du soir, par un ciel clair et sans nuages, M. Zollinger entendit un bruit sourd qui lui parut provenir du Goenoeng Apie (volcan situé dans Vile de méme nom a Ja pointe NE. de Sumbawa). Ce voyageur se trouvait alors sur la cote de Sumbawa, en face de ce volcan qui parait compléte- ment éteint.'Cependant, on y entend, de temps en temps, des bruits semblables au tonnerre, et 4 Bima, on considére le Goe- noeng Apie comme le foyer ot s eagieaapss les tremblements de terre qu’on ressent 4 Sumbawa. — Le 16, éruption du Goentoer (Java), laquelle dura‘le 47 et le 18. Le 17, 4h. 4/4 du soir, 4 Tjandjoer (Java), forte secousse qui se renouvela a 1 h. 4/2 et & 8 h. le méme jour. — Du51 octobre au 5 décembre, dans les iles Nicobar, secousses nombreuses et violentes. Le 51, 3 h. 4/2 du soir, par un ciel pur (la veille, la chaleur avait ee ‘ (0%) été étouffante), & Poelo Miloe, ilot voisin de la petite Nicobar, on entendit plusieurs détonations souterraines consécutives ; elles furent suivies de secousses qu’accompagna un bruit semblable a celui d'une trombe; e’était Vheure de la marée basse, et Ja mer monta tout 4 coup comme dans les plus hautes eaux. La premiére secousse renversa huit maisons. Un quart d’heure plus tard, nou- velle secousse et bruit semblables. On en compta encore une cen- taine dans le jour, puis elles se renouvelérent, avec divers inter- valles de repos, pendant dix-neuf jours, jusqu’au 18 novembre : beaucoup de secousses furent précédées d’explosions, et, pendant tout ce temps, Ja mer resta plus haute qu’ Vordinaire. Les secousses furent plus violentes encore dans l'ilot de Kondoel, situé dans le canal Saint-Georges, entre la grande et Ja petite Nico- bar; de grands blocs de rochers se détachérent des montagnes et entrainérent dans Jeur chute les arbres qu’ils rencontrérent sur leur passage; les maisons furent détruites; la mer s’¢leva de beaucoup au-dessus de son niveau ordinaire, les habitants furent obligés de séloigner des cétes, de se retirer dans l’intérieur et de se réfugier dans les foréts qui recouvrent les montagnes. Plus tard, on trou- vait encore, a une grande distance des cotes, de l'eau salée et une grande quantité de poissons de mer. Les crevasses qui s étaient faites dans le sol, restérent pleines d'une eau froide et saumatre. On rapporte que, 4 Ja premiére secousse, on vit s’¢lever du feu du sommet d’une des montagnes de la grande Nicobar. Le 16 novembre, on éprouva de nouveau de violentes secousses sur toute cette ile pendant dix minutes. Dans ile de Monthute, prés de Ja edte NE. de la petite Nicobar, le sol se fendit; les crevasses avaient deux pieds de large et douze de profondeur. Le 18, la nature sembla vouloir revenir au repos; cependant, le 5 décembre, on y éprouva encore quelques légéres secousses. Les iles ébranlées par ce tremblement sont comprises entre 6° /% et 7° 4/2 de lat. N. Dans les iles situées au N. de la petite Nicobar, 4 Vile Nancowry notamment, qui en est éloignée de 40 milles , on ne sentit que la premiére secousse du 51 octobre. La plupart de ces secousses ont paru dirigées du S. au N. Tome VIII. 2 ( 18 ) — Le 16 novembre, avant-midi, le méme jour ou les secousses manifestaient leur recrudescence aux iles Nicobar, un trem- blement violent ébranlait les parties occidentale et centrale de Java. A Batavia et dans Vile dOnrust, la premiére a eu lieu a 10 h. 18 m. du matin; elle a duré 8 secondes. La deuxieme, plus forte encore, 10 h. 25 m., était dirigée de VE. a 1'O.; e’étaient les plus violentes qu'on y ett senties depuis 1818, celles de 1854 exeeptées; des murs nombreux ont ¢té renyersés, plusieurs ont fourné, dit-on, comme autour d'un pivot vertical, sans tomber. A Buitenzorg, aprés 10 h. '/2, trois secousses violentes avec des intervalles de 5 4 10 minutes; dans le courant du jour, au S. du Gedé, plusicurs secousses qui se sont renouvelées a 6 h. du soir avec moins de violence. Ce tremblement s'est fait sentir dans beaucoup d’endroits de la régence de Préanger; entre 8 et 9 h. du matin, trois secousses ont fortement ébranlé les maisons en bois de Badjaran; les murs en pierre de la maison de lassistant-résident, 4 Soemedang, ont été tellement lézardés quelle resta inhabitable. On Ia senti également dans les résidences de Tégal, de Banjoe- mas, de Kadoe, de Samarang , de Rembang, par conséquent, dans tout lO. et le centre de Java. Il en a été de méme dans le SE. de Sumatra, dans le district de Lampang. A 10h. 58 m., une secousse légere; a 10 h. 48 m., vio- lent mouvement ondulatoire suivi, 4 des intervalles de 5 minutes, de deux fortes secousses du SE. au NO. Dans la résidence de Chéribon (Java), il y a eu des dégats consi- dérables. A 10 h. 45 m. (t. vrai; par conséquent, 20 m. plus tard qu’a Batavia), premiére secousse de 50 secondes, suivie de légers frémissements, puis d'une deuxiéme secousse. A 11h. 5m., violent mouyement ondulatoire du SO. au NE., pendant 61 secondes : on ne pouyait se tenir debout; les maisons et les arbres éprouvaient de violentes oscillations et un formidable bruit souterrain ajoutait 4 l'épouvante. Toutes les maisons en pierre, au nombre de 200, ont été ou renyersées ou renducs inhabitables. Le ciel était pur et lair calme. Le Tjerimai, situé dans le voisinage, est resté calme ; ( 49 ) le Goentoer, au contraire, plus éloigné, a vomi une colonne de fumée. Jusqu’A minuit, on compta 15 secousses, puis unc légere dans la matinée du 17. Mais de 6 4 9 h. du matin (le 17), les se- cousses se renouvelérent avec violence. Dans les régions montueuses des résidences de Kocningan, de Madjalengka et de Galoe, dont le sol est plus ou moins voleanique , notamment au pied du Tjerimai, on n’eut aucun dégat important i signaler, tandis qu'on éprouva de grands dommages dans les plaines de Chéribon , de Palimanan et d'Indramajoe, qui appar- tiennent aux formations tertiaire et d’alluvion, au NE., au N. et au NO. du volcan. Tous les bitiments en pierre des districts de Radjagaloe et de Palimanan, les fabriques de sucre des villages de Tanaradja, Pa- mangkiran, Ardjowinangoen et Glagamidan, ainsi que les princi- pales localités de la régence d’Indramajoe, comprise dans le delta marécageux de Tji Manoek, jusqu’A 16 milles plus loin, a Boeda- mati, devinrent des monceaux de ruines. A Tanavadja (district de Palimanan), le sol s’entrouvrit en 50 -endroits différents, il en sortit de ean mélée d’un sable fin et bleuatre (on dit quelle était chaude?). Dans les villages de Genting et de Persana, Je 1° 4 5 milles, le 2™° 4 8 milles au nord de Tanaradja, les crevasses vomirent du sable en telle quantité que le courant de la riviére en fut obstrué. A Boendamati, l'eau ainsi lancée forma des jets de trois pieds de hauteur. Des phénoménes analogues ont été observés & Indra- majoe. Les plus fortes secousses ont eu licu au NE., au NO. du Tjeri- mai, au pied du volcan, ot Yon a remarqué des crevasses de 600 pieds de long sur 3 4 4 pieds de large. Les secousses se sont continuées jusqu’au 27 décembre a Indra- majoe. En yoici le journal d’aprés M. S.-L.-P.-D. Niepce (1). Le 16, 11 h. 45 m., une secousse trés-forte; dans les 10 mi- nutes suivantes, 4 autres secousses encore plus violentes. A midi (1) Je Vemprunte au Watwurkundig tijdschrift voor nederlandsch Indie, t. HI, pp. 485-484, ( 20 ) 55 m., une secousse légére; 44 h. 5 m., une un peu plus forte; a 1h. 415 m., 5 h. 40 m. et 6 h. 5 m., trois secousses légeéres. De 9h. dusoir 45 h. du matin, le lendemain, diverses secous- ses; celle de 1 h. 50 m. fut Ja plus violente. Le 417, 5 h. 50m. du matin, une secousse légére; 6 h. 5 m., secousse légére; 6 h. 50 m., 2 secousses consécutives; 7 h. 0 m. secousse légére; 7 h. 50 m., secousse trés-longue; 4 h. du soir, secousse légére; 7 h. 45 m., secousse remarquable. Le 18, 1 h. 50 m. du matin, légére secousse. Le 20, 1h. 50 m., 8h. 45 m., 40 h. 50 m. du matin, et 1 h. du soir, quatre secousses légeéres. Toute la nuit on a entendu un bruit souterrain continuel, mais sans secousse. Le 24, 5 h. 50 m., midi et 2 h., 5 légéres secousses; a 5 h., une secousse trés-forte. Le 25, midi et demi, une secousse légére. Le 26, 6 h. 50 m., une secousse légére; 11 h. 50 m., 2 légéres secousses ; 2 h. 15 m. du soir, légére secousse; 8 h., secousse im- portante ; 10 h., secousse légére. Le 27, 4 h., secousse remarquable; 5 h. 50 m., deux secousses; midi, une secousse légére. Le 29, 1 h. du soir, une légére secousse. Le 9 décembre, 14 h. du soir, légére secousse de l’est & Pouest. Le 10, 14 h. 30 m. du matin, légére secousse de lest a l’ouest, et de 8 secondes de durée. Le 25,9 h. 30 m. du matin, deux secousses avec bruit souter- rain. Le 27, 8 h.50 m. du matin, une trés-forte secousse avec bruit souterrain. C’est la derniére signalée par M. Niepce. — Le 18 novembre, A la petite ile de Karimon Java, au nord de Djapara, deux fortes secousses. Le 25, 7h. du matin, légére secousse A laquelle en suecéda une trés-forte qui fit trembler les batiments; elles furent accom- pagnées d’un roulement souterrain. La derniére fut ressentie par le navire Elmina, qui se trouvait en rade. — 4 décembre, 8h. du matin, dans la régence de Kendal, rési- ( 21 ) dence de Samarang, pluie de cendre qui provenait probablement du Pakoeodjo, dans les montagnes de Dieng. Le 19, 6 h. 50 m. du soir et 6 h. 40 m., 4 Penggalengan, deux seeousses qui firent trembler assez longtemps le plancher de la maison ou se trouvait M. Junghuhn. Le 26, de 7 1/2 h. a 9 h. du soir, sur le plateau de Penggalen- gan, bruit souterrain. Le 27, 10 h. du matin, sur le méme plateau, une secousse on- dulatoire. (Sans date mensuelle). Dans les environs du volcan de Colima (Mexique), tremblement désastreux. Beaucoup de maisons ont été renversées 4 Colima et 4 Zapotlan. On n’y en avait pas éprouvé depuis, jusqu’en décembre 1852. 1848. — 7 janvier, 4 h. du matin, dans les résidences de Ba- gelen, Kadoe, Jogjakerta et Patjitan, tremblement du N. au S., violent surtout dans les derniéres régions. A 8 h. du matin, nou- velle secousse & Patjitan. Le 8, 9 h. du matin (29 heures plus tard), fort bruit souterrain au pied du Merapi, résidence de Jogjakerta. Le 12, 10 h. du soir, sur le plateau de Penggalengan, forte se-. cousse. Le 14, entre 9 h. 1/2 et 10 h. du soir, bruit souterrain, sourd et fort, sur tout ce plateau qui est élevé de 4,400 pieds au-dessus de la mer, et couvert de courants de laves sur son sol tertiaire. On m’a souvent assuré, dit M. Junghuhn, que, depuis quelques années, ce bruit, qu'il est impossible de déerire, tant il a un caractére par- ticulier, est trés-fréquent; il se renouvelle quelquefois tous les trois ou cing jours, surtout le soir et la nuit pendant le calme de la nature. — Nuit du 6 au 7 février, A Kediri et Patjitan, ainsi qu’a Pan- goel qui en est éloigné de 38 milles, forte secousse du N. au S. — Le 17,10 h. du matin, dans les résidences de Bezoeki et de . Banjoewangi, tremblement léger. — Le 17 encore, i Boleling, sur la eéte NE. de Vile de Bali et sur Ja edte S., 4 Kassiman, division de Badang , secousses violentes pendant environ trois minutes. Elles ont du ébranler toute Vile. ( 22 ) — 2 mars, 41 h. 4/2 du soir, 4 Penggalengan, tremblement. — 1 avril, 9 h. du soir, dans les résidences de Bonjoemas, Ba- gelen, Kadoe, Madioen, Kediri et Pasovrocan, fortes secousses. — 8 mai, le matin, une grande colonne de fumée s’éleva tout 4 coup du Gedé. ; Le 16, de 7 442 h. du soir, éruption du Keloet. Nous l’avons décrite dans le Bulletin de la société géolagique de France, 2” sér., t. XIII, p. 560. Nous y avons indiqué plusieurs secousses ressenties aux environs du volcan. — Du 4 juin, 5h. du soir, jusqu’au 7 aott, dans la régence d’Andjer et surtout a Tjiringin (résidence de Bantam), nombreuses et fortes secousses qui cependant n’ont causé aucun dommage. On les a aussi ressenties dans le district de Lampong & Sumatra. A Andjer, elles étaient, dit-on, dirigées de PE. 4 O.; on n’en donne pas le journal. A Tjiringin, on n’en a pas compté moins de 80, du 4 au 27 juin. Du 1° au 20 juillet, il n’y en a pas eu; mais on en a compté 22 dis- tinctes du 21 juillet au 7 aout. — Nuit du 4 au 5 juillet, dans la résidence de Kediri, trois se- cousses. — Le 29, 9h. 4/4 du soir, 4 Buitenzorg, légére secousse, suivant M. Buys-Ballot; M. Junghuhn la dit forte et indique 9 h. 1/2. — Le 4 aotit, le Semeroe (Java) lanca une colonne de fumée. Les 8, 9, 14, 16 et 48, a Vile Boeroe (Moluques), nombreuses secousses , sept furent trés-fortes et durérent quatre minutes. Le 18, 14 h. du matin, & Kediri (Java), deux secousses. — 2 septembre, 4 h. 1 m. 45s. du matin, 4 Batavia, et 4 h. 15 m. (ou simultanément, yu la différence de 5° en longitude), 4 Pekalongan, deux fortes secousses d’au moins 10 secondes de durée : on Jes ressentit aussi dans les résidences de Banjoemas, Bagelen; Buitenzorg et Bantam. A Batavia, elles eurent lieu du N. au S.; 4 Bantam, le mouvement fut ondulatoire du SO. au NE.; a Buitenzorg, il fut vertical et accompagné d'un tonnerre souterrain. Le 28, 4 Tjiringin (Bantam), nouvelles secousses trés-fortes et de 50 secondes de durée. — 17 octobre, 4 Menado (Célébes), tremblement violent accom- ne, ( 23 ) pagné d'un bruit souterrain semblable 4 celui d’un ouragan et se dirigeant de YE. 4 YO. Le volean du Klabat est 4 ’E. de Menado. — 6 novembre, 7 h. 4/2 du matin, a Vile Decima, prés Nanga- saki (Japon), une légére secousse du NNO. au SSE. et de 10 se- condes de durée. — Le 14, 8 h. du soir, 4 Tjiringin et Andjer (Java), secousses qui se renouyelérent trés-fréquemment pendant toute la nuit. Le 25, 6 h. du soir, nouvelles secousses qui se continuérent encore toute la nuit. Plusieurs furent trés-fortes. — 11 décembre, 8 h. 5/4 du matin, a Vile Decima (Japon), se- cousse du SSE. au NNO. et de 5 secondes de durée. — Le 16,7 h. du matin, 4 Kediri (Java), tremblement. — Le 25, 10 h. 27 m. du soir, 4 Vile Decima, nouvelle et forte secousse , du NO. au SE. et de 4 secondes de durée. — Le 27, 10 h. ‘1/2 du matin, dans la résidence de Tegal (Java) , légére secousse. — (Sans date mensuelle) Eruption du Bromo 4 Java. 4849, — Nuit du 5 au 4 janvier, dans la petite ile de Tajam que forme la riviére de Kapoeas, 4 Pontianak (Borneo), plusieurs se- cousses trés-fortes. . — 16 février, 5 h. 25 m. du matin, a Vile Decima (Japon), vio- lente secousse de l’'E. 4 ’O. et d'une minute de durée. — 19 mars, 2 h. du soir, 4 Tjiringin (Java), nouveau tremble- ment; jusqu’ 4 h. du matin, le lendemain, on n’a pas compté moins de 74 secousses dont plusieurs ont été trés-fortes. La méme nuit, secousses 4 Pandelang, Andjer et Serang dans la méme résidence. Plus tard, elles se concentrerent 4 Tjiringin, ou elles devinrent légéres et rares. — 26 avril, 5 h. ‘4/2 du soir, dans les résidences de Banjoemas , Bagelen et Kediri, trois secousses consécutives dont la derniére trés-forte, surtout 4 Kediri. Le 28, 11 h. 3/4 du matin, & Buitenzorg, tremblement d’environ 5 secondes de durée. — 5 mai, 6 h. 5m. du soir, 4 Vile Decima (Japon), violente se- cousse du S, au N. et de 5 secondes de durée. : Le 19,44 h. 4/2 du matin, deux nouvelles secousses trés-légéres. ( 24 ) — Le 28, 7h. 1/2 du soir, 4 Saparoca, sur Vile d’'Honimoa, 4 YE.'d’Amboine, plusicurs secousses; la premiére fut trés-forte ct dura 10 4 12 secondes; elles se renouvelérent ensuite, a des inter- valles de 8 840 minutes jusqu’a 4 h. 4/2 de la nuit. On en éprouva ensuite beaucoup d’autres jusqu’au 2 juin , mais plus rares et plus faibles. Toutes eurent lieu du SE. au NO. Les murs des égtises & Saparoea, Trouw et Oclat et du fort Duurstede furent fortement lézardés; sur le bord de la riviére de Taraka, pres d’Oelat, il y eut plusicurs crevasses dont une avait 276 pieds de long, 2 de large et 8 de profondeur. On ressentit en méme temps de légéres secousses 4 Amboine. — 28 juin, 7 h. 55 m.du matin, a Buitenzorg (Java), léger trem- blement. E.-S. (sic). — En juin (sans date de jour), sur un grand nombre de points de Ja Sicile, une secousse qui n’agita pas Cultanisetta, mais qui y fut annoncée par une éruption des petits voleans de Terrapilata. (Voy. la lettre de M. Ch,-S'-Claire Deville & M. Dumas, Comp. rend., t. XLII, p. 361.) — 7 aout, 2 h. 4/2 du soir, 4 Vile Decima (Japon), violente se- cousse horizontale du SE. au NO. et de 12 4/2 secondes de durée. Le 17, 5 h. 40 m. du matin, nouvelle secousse horizontale de YE. au SO, (sic), et de 20 secondes de durée. Le 12, 1 h. du soir, dans Ja résidence de Kediri, légéres se- cousses. , — 2 septembre, 2 h. ‘/2 du matin, 4 ile Decima (Japon), légére secousse horizontale du NE. au SO. — Du 15 au 45, le pic du Lamongan s'est écroulé. Un nouveau eratére s'est ouvert au-dessous de V’ancien sur le flane N. De juin 4 septembre, le volean avait été surmonté dune épaisse colonne de fumeée. — Le 15, dans Ja matinée, dans les résidences de Bagelen et de Banjoemas, deux légéres secousses. L’éruption du Merapi, qui avait commencé la veille, 4 14 h. du soir, dura jusqu’é 3 h. de l'aprés-midi. Vers 2 h. 5/4, il tomba une énorme quantité de pous- siére et de cendre, pendant un quart dheure, 4 Buitenzorg. — Le 16 au soir, & Santa Isabel, entre San Diego et Pembou- ( 25 ) chure du Rio Gila dans le Colorado (Californie du S.), une légére secousse, Le 22,5 h. du soir, 4 12 milles de Curisco Creek, dans le désert entre Santa Isabel et le Rio Gila, tremblement pendant une vio- lente tempéte. Le 28, 8h. 15 m. du soir, & Three Wells, 12 milles avant de traverser le Colorado, secousse ondulatoire de l'E. 4 l’O. Le mou- vement dura environ deux minutes. Ce sont les trois seules res- senties par l’expédition du lieutenant Whipple, du 11 septembre au 1 décembre (Hist. of Indian Tribes, t. 1, pp. 102, 107 et 109). — 6 octobre, le volcan de Poeloe Komba a Batoctara, par 7°48’ lat. S. et 125°34’'45” long. E., était en pleine éruption ; des colonnes épaisses de fumée s’élancaient du sommet, pendant que des cou- rants de lave se précipitaient jusqu’au bord de la mer. — Le 7, le pic de Lobetolle, sur Vile de Lomblen, par 8°12’ lat. S. et 425°45’ long. E., lancait beaucoup de fumée. — Le 19, dans Ja division de Bondowaso et dans les principales localités de la résidence de Besoeki, secousses du SO. au NE. Nuit du 22 au 25, dans la résidence de Kediri, une secousse. Le 25, 5 h. du soir, une nouvelle secousse. — 44 novembre, 4 h. ‘/2 du matin, 4 Buitenzorg, deux légéres secousses. Le 27, Sh. 1/2 du matin, éruption du Gamalama 4 Ternate. — 1 décembre, de 4 4 6 h. du soir, dans la résidence de Tegal , pluie de cendre provenant probablement du Slamat. — Le 50, dans Vile de Ternate, une secousse légére. 1850.— Nuit du 28 au 29 janvier, sur plusieurs points de la rési- dence de Banjoemas, deux secousses consécutives; la derniére a été forte. Quelques heures plus tard, une légére secousse 4 Tjelatjap. — 20 février, 11h. de la nuit, nouvelle éruption du Gamalama 4 Ternate. — Le 22, dans le sud de la ville du Lac Salé (Mormons), légéres secousses. — Nuit du 27 au 28, minuit 5/,, 4 Banka, légére secousse du NE. au SO. ( 26 ) -— 42 mars, a San Jose (Californie), une légére secousse. — Le 18 et le 20, 4 Amboine, nouvelle secousse violente. Le 27, une nouvelle épidémie se déclara, comme cela était déji arrivé 4 Ja suite de tremblements de terre précédents. — Le 25, le matin, 4 Bezaeki et Panaroekan (Java), forte se- cousse verticale. — 15 mai, a San Francisco (Californie), légére secousse. — Le méme jour, éruption du Mauna Loa. — Le 25, des colonnes de fumée s’élevaient encore du sommet le plus haut du Poeloe Komba (voir au 6 octobre 1849). — 6 juin, a Ternate, tremblement qui dura une minute et fut suivi d'une forte secousse ressentie en mer 4 50 milles anglais de la céte. — Le 28, a San Francisco (Californie), une légére secousse. — 50 juillet, 11 h. du soir, dans la résidence de Banjoemas, deux légéres secousses. — 2 aout, 8 4/2 h. du soir, le Poeloe Komba paraissait, */2 mille de distance, dans une violente activité. Le torrent de lave, dont on éyaluait la largeur a 100 pieds, descendait du sommet jusqu’a la edte orientale de Vile. — On savait 4 Amboine qu'il bra- lait depuis 5 ans. — Le 4, 4 Stockton et Sacramento (Californie), secousse vio- lente. — 44 septembre, a San Francisco et San Jose, violente secousse. — Le 20, de bon matin, dans la résidence de Madioen, trem- blement violent de Vest & Vouest et de quelques secondes de durée. Le 24, de grand matin, dans la résidence de Kediri, deux vio- lentes secousses précédées d’un bruit souterrain venant du SE., probablement du Keloet. Durée , quelques secondes; batiments en pierre lézardés 4 Kediri et 4 Ngrowo. — Nuit du 7 au 8 octobre, 4 Amboine, secousses avec bruit sou- terrain. Le 8, 41 h. ou 41 “/, h. du matin, nouvelle ct violente secousse qui endommagea les maisons. Le 9 et le 10, nouvelle secousse. ( 27 ) — Le 22, M. Bleeker fit l’ascension du Tankoeban Prahoe. Le Kawa Ratoe était 4 peu prés complétement en repos. Seulement il séleyait, en trois places du cratére, de petites masses de vapeurs qui ne montaient pas trés-haut. Un trou était rempli d’eau. En 41846, auteur n’ayait pas pu voir le fond a cause de la vase bouil- lonnante qui le recouvrait presque enti¢rement.— Le flanc oriental qui avait été dévasté par l’éruption de 1846 conseryait encore le méme aspect sombre. Quelques jeunes arbres commengaient A s’éleyer au milieu des trones brilés et morts. — Nuit du 14 au 15 novembre, et le 19, 10 h. du matin, deux nouyelles éruptions du volcan de Ternate. Le 28,10 h. du soir, 4 Ternate, secousse violente et de longue durée. — 50 décembre, A Ternate, secousse légére. 1851.— 24 janvier, 5 h. du soir, 4 Kediri, trois secousses con- sécutives, violentes, précédées d'un bruit souterrain du SE., parais- sant yenir du Keloet qui, depuis quelques jours, donnait des signes d activité. — 41 février, a Ternate, quelques secousses. — 14 mars, 7'/, h. du soir, 4 Painan et dans la division méri- dionale de Ja résidence de Padang (Sumatra), secousses ondula- toires trés-fortes, précédées d’un bruit souterrain et de 5 minutes de durée. Le 15, 4h. du matin, nouyelle secousse légére. — Le 50, 6 h. du soir, 4 Buitenzorg (Java), une secousse légére. — 2 avril, au Chili, tremblement sur lequel je me propose de reyenir. — 2 mai. Le Pocle Komba était encore en pleine éruption; dans des intervalles de 10 4 20 m., le flane oriental de la mon- layne paraissait tout en feu. — Le 3, midi et demi, 4 Buitenzorg, secousse un peu dou- teuse; mais 4 5 h. précises, secousse sensible du SO. et d’environ 8 4 10 secondes de durée. — Le 4,3h.8m. du soir, 4 Telok Betong, dans le district de Lampong (Sumatra), secousses horizontales du SO, au NE. pendant ( 28 ) 5 minutes, A 9 h. du matin, par un temps calme, la mer s’était élevée 4 une hauteur extraordinaire. Les derniéres secousses fu- rent les plus fortes. Elles furent suivies de rafales et de pluie. Le méme jour, 5 '/, h. du soir, 4 Batavia, quelques légéres se- cousses horizontales de quelques secondes de durée. — Le 15, 4 San Francisco (Californie), trois fortes secousses. Le méme jour, éruption de Mauna Loa. Le 17, 4 San Francisco, légére secousse. Le 28, 4 Salinas (on the Salinas, Californic), une secousse légére. . — 15 juin, 4 San Francisco, une forte secousse ressentie aussi i San Luis Obispo et San Fernando. — 25 juillet, 7. h. du matin, 4 Vile Decima (Japon), légére se- cousse horizontale de l'0. A VE., et de 2 ‘/, secondes de durée (1). — 27 aout, 4 Ternate, quelques secousses. —- Le 29, 2h. 55 m, du soir, 4 Batavia, secousse légére. — 29 septembre, de grand matin, dans la résidence de Banjoe- mas, légére secousse du SE. au NO. avec choc un peu vertical. — 5 octobre, vers 8 h. du soir, sur divers points de la méme résidence , une secousse trés-violente. — Le 8, a Ternate, quelques secousses. — Nuit du 20 novembre, 4 Amboine et dans les districts de Saparoea, Haroeko, Hila et Larieke, deux secousses. — 2 décembre, 4 Downieville (Californie), une secousse. — Le 20, 11 h. 55 m. du soir, 4 Amboine, tremblement fort, mais trés-court; 10 m. plus tard, deuxiéme secousse moins forte. — Le 31, 4 Downieville, nouvelle et forte secousse. 4852. — 9 janvier, 6 h. du soir, 4 Batavia, deux secousses trés- fortes et plusieurs autres faibles. Une secousse doit avoir eu lieu 16h. 9 m., car une pendule astronomique s’est arrétée sur cette heure. Leur direction parait avoir été perpendiculaire au méridien. (1) Les secousses que j’indique pour le Japon sont empruntées au JVeder- landsch meteor. Jaarbock, 1855; par M. Buys-Ballot. Les observations s’éten- dent d’octobre 1848 4 octobre 1851 inclusivement. J’aurais cru, d’aprés Koempffer et d’autres auteurs, les secousses plus fréquentes dans ce pays. ( 29 ) A Buitenzorg, le mouvement a été trés-violent. A Tjiringin (Ban- tam), 5 secousses trés-fortes et 4 légéres dans ]’espace d’environ 2 minutes; direction de l’E. a 1’0. avec bruit souterrain. A Serang (Bantam), une seule trés-violente. A Telok Betong, district de Lam- pong (Sumatra), le tremblement a eu lieu 46 h. 25 m. et a duré 5 minutes. Les secousses horizontales du SO. au NE. étaient fortes; il y a eu deux intervalles de repos. — A 8 h. du soir, mouvement extraordinaire de la mer. — Le 22, 10 h. 4/2 du soir, tremblement a Inspruck. Le 27, 6 h. du matin, 4 Kediri, quelques secousses précédées dun fort bruit souterrain du SO. Le méme jour, vers 7 h. du matin, dans la résidence de Madioen , quelques secousses de IE. 4 lO. dans la division de Patjitan, on a remarqué un bruit sourd et souterrain. — 5 février, 11 h. du soir, 4 Inspruck, tremblement qui s'est renouvelé a 4 h. du matin, le 6. — 12 mars, 9 h. ‘/2 du soir, a Tjiamis, résidence de Chéribon, trois secousses consécutives. — 28 mai, éruption du Gedé qui a lancé beaucoup de grosses pierres (de 2 4 12 pieds de diamétre) et de la cendre pendant 5 ou 10 minutes. Le sol frémit aux environs pendant l’éruption. Le 50 (48 h. aprés), tremblement violent qui ne s’étendit pas jusqu’a Buitenzorg, mais qui fut ressenti sur le Pandok Gedé. — 20 juin, 7 h. 1/4 du soir, a Tannah Datar, tremblement qui s'est étendu sur les XX et XIII Kottas, province de Padang (Suma- tra). On entendit d’abord un bruit souterrain qui dura 2 secondes , puis, une seconde aprés, une violente secousse qui dura 5 a 6 se- condes dans la direction du SSO. au NNE. Air calme. — Le 29, bruit au volean de Massaya (voy. au 8 ayril 1855). — 2 juillet, le matin, 4 Kediri (Java), une secousse du SE. — Le 9,5 h. 5/4 du soir, 4 Buitenzorg, tremblement en deux ou trois secousses du NO. au SE, et de 8 4 10 secondes de durée. Le 25, 2h. 40 m. du soir, 4 Feldkirch (Voralberg), secousse avec bruit. — Dans les derniers jours de juillet, le Poeloe Komba et les autres pics, au nombre de quatre, étaient en éruption, ainsi que le Batoe tara. ( 50 ) — 12 septembre, 10h. */¢ du soir, 4 Banjoemas (Java), quelques secousses du NNO. au SSE. — 15 octobre, vers 44 h. 4/2 du matin, et le 15, 8 h. 4/s du soir, & Banjoemas, Tjilatjap et Bandjarnegara, deux tremblements trés- forts, surtout le dernier. Pas de dommages. Le 15 encore, midi, dans la division de Galoc, résidence de Ché- ribon, une violente secousse du N. au S. Le méme jour, vers midi, 4 Keboemen, résidence de Poerwo- redjo, quatre secousses consécutives de l’E. 4 YO. Le 15, 8 h. du soir, nouvelles secousses trés-fortes; méme di- rection; murs lézardés. Le méme jour, 8 h. 15 m. du soir, dans la division de Galoc, trois secousses du N. au S. La derniére a été trés-violente. Le 15 encore, 7 h. 50 m. du soir, 4 Tagal , légére secousse du S. au N. ressentie aussi sur d'autres points de la résidence et 4 Ma- gelang. Vers 8 h., nouvelle secousse de méme direction. Vers la méme époque, 4 Poerworedjo et Koeloeardjo , secousses séparées par un intervalle d’enyiron deux secondes. Direction non déterminée. — Nuit du 20 au 21 novembre, vers minuit trois quarts, dans tout le S. de Java, jusqu’a Samarang, Dagelen ect Kadoe; bruit sou- terrain suivi d’un mouvement violent du sol, qui parait avoir duré une minute et demie, dans la direction du SO. au NE. Quelques per- sonnes prétendent méme qu'il a duré 5 minutes. Des murs ont été lézardés. Dans la partie orientale, on n’a éprouvé qu’une secousse légére de PE. a 10. On eroit que le mouvement avait son centre dans la régence de Préanger, ow il a été le plus violent. A Batavia, le balancier dune pendule astronomique était en repos 4 12h. 44 m., et une minute plus tard, il était en mouvement dans le plan N.-S. — Le 26, 6 h. 45m. du matin, & Soerabaja (Java), iégére secousse ressentie aussi 4 Sumanap. — Le méme jour, 4 San Simeon (Californie), onze secousses ; nombre égal 4 Los Angeles et San Gabriel. L’expédition qui allait du camp Yuma a San Diego, en éprouva & pew prés le méme nombre. Ce tremblement fut ressenti dans tout le pays 4 VE. et au (51 ) S. de San Luis Obispo, 4 San Diego et Colorado River, sur une étendue de 500 milles, et méme au S. du Colorado jusqu’a Guya- mas dans la province de Sonora. Pendant les six jours suivants, tout le S. de Etat de Californie fut ébranlé a de courts intervalles, et un volcan de bouwe fit érup- tion dans le désert de Colorado et un autre au S. de Colorado, visité par le major Heintzleman de !’expédition des Etats-Unis. —17 décembre, a San Luis Obispo, deux violentes secousses. Murs crevassés et renyersés. Pendant le mois de décembre, le S. et le centre de la Californie furent fortement agités par des secousses qui s’étendirent jus- quau 57™° paralléle. Elles continuérent jusqu’en janvier suivant, ct furent notées 4 San Joaquin jusqu’au 5 de ce mois. 1855. — 2 janvier, 4 Mariposa, San Francisco, Shasta et Bo- dego (Californie), une forte secousse. Le 5, a San Joaquin et Corte Maderia, une secousse. Le 7, 4 h. du soir, & Zuvelje, prés Ottocatz (Croatie), secousse du S. au N., durée 5 secondes. Le 16, entre 2 h. 4/2 et 2 h. 3/4 du matin, 4 Raun (Styrie infé- ricure), secousse avec bruit sourd; direction, E.-O.; durée 2 se- condes. La nuit suivante, choc moins fort, senti dans la plaine et non dans la montagne. Le 22, dans la soirée, 4 Hallen (Tyrol), secousse avee bruit. — 14 février, i San Luis Obispo, une légére secousse. — 1 mars, a San Francisco, une forte secousse ressentie aussi a San Luis Obispo et 4 Santa Barbara. — Le 50, 4 Smyrne, tremblement violent. — 8 avril, au volean de Massaya (Amér. centrale), ouverture dun nonveau cratére, sur le flane occidental; il en sortit d’épais nuages de yapeurs qui continuérent avec la méme force jusqu’en septembre suivant. En 1850, M. Squier le regardait comme éfeint; deux ans plus tard, le 8 juin 1852, on remarquait une espéce de bouillonnement dans les caux du lac de Massaya; il s’en dégageait des gaz qui sélevaient du fond avec une grande violence. Le 29 juin, ony ( 52) entendit des bruits souterrains semblables au roulement du ton- nerre; ils semblaient provenir de lintéricur de la montagne. — Le 24, a Humboldt-Bay (Californie), une légére secousse. Le 26, a Weaverville (Californie), trois secousses. — 16 mai, 4h. du matin, et le 18, 5h. du matin, dans le dis- trict de Singkel (Sumatra), secousses ressenties par M. Von Rosen- berg. On y avait éprouveé les tremblements de terre de 1842. — 2 juin, dans les plaines de San Joaquin (Californie), deux fortes secousses. , — 1" juillet, 4 Bosana (Croatic), troisitme secousse depuis Je 14% juin précédent. Le 12, a Yreka, Siskiyou-Co (Californie), une légére secousse. Le 20, dans l’aprés-midi, 4 Portland (Maine), tremblement. — 5 septembre, dans les plaines de San Joaquin et de Salinas (Californie), quatre secousses. Le 5, 11 h. du soir; le 7, 10 h. du matin; le 8, 4 h. 4/2 du matin et le 9,3 h. du matin, dans Je district de Singkel (Sumatra), nou- velles secousses ressentics par M. Yon Rosenberg. — 9 octobre, dans ’Herzégowine, tremblement. Le 18, 4 Chalcis et dans toute l’Alléque, nouvelles secousses. Le 20, 5 h. 4/: du soir, dans |! Herzégowine, deux légéres se- cousses précédées de bruit. Le 25, 4h. du matin, etle 25, 7 h. du soir, 4 Fiume, secousses. Le 25 encore, 4 Humboldt-Bay (Californie), trois secousses vio- lentes. Le 25, autre secousse légere. — Le 29, par 24° lat. N. et 121° 50’ long. E. (de Gr.?), le Sou- thampton, de la marine américaine , apergut un volean sous-marin en pleine activité 4 10 milles de Formose. « Les colonnes de fu- mée, dit le lieutenant Boyle, sélevaient 4 une hauteur extraordi- naire, ct tout le phénomeéne me rappelait celui dont j’avais été témoin sur les cdtes de Sicile lors de l'apparition de Vile Julia; seu- lement le spectacle était plus imposant et P’éruption plus violente , quoique, A cause des nuages de fumée, aucun courant de lave ne fit visible. La profondeur de Vecau était ici beaucoup plus consi- dérable que sur les cétes de Sicile, et cette profondeur seule aurait ( 35 ) sufli pour empécher de voir la lave. » La vigie, placée dans les hunes, crut d’abord que ces manifestations étaient dues a un na- vire 4 vapeur. Le Macedonian, qui passa dans cet endroit quelques jours aprés le Southampton, eut son pont et toutes ses voiles cou- verts d'une cendre blanche. — Dans le courant de septembre, a Tiflis (Géorgic), secousse de:7 secondes de durée. — 16 novembre, & San Jose (Californie), une secousse légére. Le 25, 4 San Francisco, une secousse. — Le 22, 5 '/2h. du soir, a Buitenzorg (Java), une secousse. — 11 décembre, a San Francisco et Mission Dolores , une légere secousse. Le 25, a Shasta City (Californie), une secoussc légére. — Le 29, a Bex (Vaud), une secousse. 1854. — 15 janvier, le Susquehannah doubla la pointe sud de Formose et observa de petits voleans dans deux endroits. Déja, en 1850, le lieutenant Jones, commandant le sloop de guerre la S'-Mary, de la marine des Etats-Unis, avait, par 20° 56’ lat. N. et 154° 45’ long. E., remarqué un phénoméne sembla- ble. Le navire, dans sa traversée des iles Sandwich 4 Hong-Kong , se trouva dans ces parages, la mer était calme et le vent modéré de lest. Tout 4 coup le vent tomba, la mer devint houleuse, lair brulant, et une partie de l’'équipage ressentit une forte odeur de soufre; on eut quelques coups de vent venant de divers points de Yhorizon; mais avant qu’on etit pu carguer les voiles, tout était redeyenu calme. Le tout dura 25 minutes 4 peu prés, et le vent dest recommenea 4 souffler comme auparayant. C’est 4 LONO. de ce point que se manifesta le phénoméne du 29 octobre 1855. — Le 19, 4 Bex (C. de Vaud), tremblement. — 2 ct 8 février, 4 Bex, deux nouveaux tremblements. — 41 mars, 5 h. 24 m. du soir, 4 Constantinople et dans les environs, fort tremblement. Les secousses se sont renouyelées & 7 h. et A minuit. Le 12, 4h. du matin, nouvelles secousses. Dans lV'intervalle qui séparait ces divers tremblements, on a observé de petits mouve- ments du sol. De vieux murs ont été renversés (M. Ritter.) Tome VII. 5 ( 54 ) — Le 20, 4 Stockton (Californie), une secousse. — Le 26, tremblement 4 Palerme. — Le 29, a Bex (Vaud), nouveau tremblement. — 4 et 5 avril, A Bex encore, nouvelles secousses. — Le 7,2 h. 50m. du matin, A Buitenzorg (Java), deux se- cousses légéres. Le 12, 4 3/4 (sic), autre secousse légére. — Le 29, 4 Santa Barbara (Californie), une légére secousse. — 24 mai, dans l’Ombrie (Etats-Romains), secousses. — Le 25, & Bex (Vaud), autre tremblement. — Le 51, 4h. 50 m. du matin, a Santa Barbara, trois secousses, la premiére accompagnée d’un bruit sourd, la deuxieme précédée dun bruissement comme A lapproche d’un coup de yent. Elles furent séparées par un intervalle de 4 45 secondes, La mer fut trés-agitée , mais il y eut peu de dommages. — 26 juin, A Plauer County (Californie), deux secousses légeres. — Le 28, 4 Bex (Vaud), tremblement. — 10 juillet, & Georgetown (Californie), une secousse. Le 14, une secousse encore. — 4 aot, de nuit, sur la eéte de Costa-Rica (Amér. centrale), deux violentes secousses & un court interyalle. Elles ébranlérent listhme entier, notamment Matina et Moni sur l’océan Atlantique et la edte de l’océan Pacifique : 8 Golfo Dolu, une grande étendue de terre tomba dans la mer. Il y eut encore de nombreuses se- cousses dans la nuit, mais elles furent légéres. — Le 25, vers 9 h. du matin, 4 Cozenza (Calabre), secousse on- dulatoire avec le rambo ordinaire. — Dans le courant du mois, a Ternate, plusieurs secousses avec bruit souterrain. — II y a eu aussi, A Batjan, un tremblement trés- fort. — 14 septembre, 4 Nevada (Californie), une secousse légeére. — Dans la nuit du 14, le Catapaxi a fait une éruption que nous avons décrite dans nos Documents sur les tremblements de terre au Pérou. — 21 octobre, 4 Monterey (Californie), une secousse légere. — Les 22, 25 et 24, a Bex (Vaud), nouvelles secousses. ( 35 ) — Le 26, a San Francisco, violente secousse, ressentie aussi & Benicia. Des navires prés du quai furent fortement secoués. — Ces diverses citations relatives 4 la Californie sont empruntées 4 M. Trask, on Earthquakes in California from 1842 to 1835. — Nuit du 28 au 29, tremblement 4 Odessa. — 25 novembre, a Brousse (Asie Mineure), tremblement assez long, mais sans dommages. — Le 29, 4 Bex (Vaud), dernier tremblement noté par M. de Charpentier et communiqué, quelques jours avant sa mort, 4 M. le D* Noeggerath qui les signale sans détails (Die Erdbeben in Wisp- thale, p. 35.) — 4 décembre, minuit, & Smyrne, tremblement sans dom- mages. — M. Dryer, de Portland, a fait ’ascension du mont Hood (Cali- fornie), en 1854. Lors de sa visite, de la vapeur et des gaz chauds se dégageaient sur plusieurs points du sommet. Il y avait eu depuis peu diverses éruptions de cendres. 1855. — 24 janvier, 4 h. 4/2 du matin, a Foerzberg (Transyl- vanie), secousse verticale avec bruit. On y avait ressenti celle du 25, 4 11 h. 4/2 passées du soir, comme a Kronstadt. — Le 26, entre 5 h. 5/4 et 6 h. du matin, a Villach (Carinthie), trois secousses de lO. aE. avee bruit sourd. A Arnoldstein, 6 h., une secousse du SE. au NO. et de 5 secondes de durée; a 6 h. 4/2, deux nouvelles secousses. A Weissbriach, 6 h., trois secousses. Dans la méme matinée, secousses a Tarvis, Saifritz , Malborgath , Pontafel, Weissenfels, Rotschach. Direction, O. a E. Le méme jour, 4 h. du soir, & Villach, nouvelle secousse. Celle du 18 mars suivant, 7 bh. 12 m. du matin, a été plus forte. On Ia ressentie 4 Klagenfurt (durée 9 a 10 secondes), Obervillach, Ferlach, Bleiberg, Liesenegg, Greifenberg, Arnoldstcin, Rosegg et Paterno, M. Boué signale les directions du N. au S., de 10. a 1B. et de YE.AVO., mais sans indication de lieu. — Le 28, 2 h, du matin, tremblement 4 Bucharest. Le méme jour, 10 h. 4/2 du soir, en mer, A 5 ou G6 milles de la baie de Simoda (Japon), une secousse de 15 4 20 secondes de durée. ( 36 ) : — 9 février, en Virginie (Etats-Unis), tremblement. — Le 20, en Savoie, tremblement (?). M* Varchevéque de Cham- bery ne me I’a pas signalé. — Le 22, 11 h. 40 m. du soir, 4 Smyrne, tremblement de VE. a lO. — Le 26, 9 h. 4/2 du soir, a Tréves, tremblement assez fort. — Le 28, tremblement 4 Vile de Chios. — 7 mars, 4 h. du matin, a Fiume, forte secousse de l’E. ATO. Durée, 8 secondes. —Le 8,4 h.57 m.'/2 du soir, & Plan (Bohéme), fortes se- cousses verticales qui durérent 2 A 5 secondes; le bruit était sem- blable 4 celui d'un char pesamment chargé et passant rapidement dans les rues. A 8 et a 9 h., nouvelles secousses. — Le 11, 8 h. 57 m. du matin, a Agram (Croatie), forte se- cousse du NE. au SO. — Le 12, a Pera (Gréce), tremblement. — Le méme jour, 4 Banda (Moluques), une légére secousse. — Le 15 et le 25, a Gorontalo, district de Menado (Célebes), trés-fortes secousses. Le 21, vers 10 h. 1/2 du matin, 4 Menado et Kema (Célebes), trés-fortes secousses. — Le 18, 7h. 5 m. (sic) & Murau (Styrie) et a Turrach, se- cousse du NE. au SO. avec bruit comme celui @une avalanche. — Le 20, 4 Mondovi et San Remo (Piémont), tremblement. Le 28, nouvelles secousses. — Le 51, 5 h. 50 m. du matin, a Constantinople, violente se- cousse non signalée par M. Verrollot. — 5 avril, a Gorontalo (Célébes), tremblement long et trés-fort. Le mouvement, d’abord vertical, deyint peu a peu horizontal. — Le 21, 4 Banda (Moluques), une forte secousse de VE. 4 V0. — Le 25, dans la matinée, 4 Ternate, tremblement violent qui se renouyela par intervalles jusqu’é 2 h. du soir. La direction, autant qu’on put la reconnaitre, était de l’E. 4 10. Quelques bati- ments publics et particuliers ont été endommagés. Le fort Dodinga a Halmaheira a besoin d’étre reconstruit. Les vaisseaux en rade ont senti le mouvement. (97 ) — 1 mai, vers 5 h. du matin, & Resina, tremblement faible, mais sensible au moment ou la lave du Vésuve commenea a couler. — Le 5, tremblement a Raguse. — Le 6, le D' Carl Hoffmann visita I’Irazu (Amér. centrale); le yolean langait beaucoup de vapeurs et faisait entendre de forts bruits souterrains. Un de ses compagnons, don Manuel Vedoya, qui avait visité le volean deux ans auparavant, lui assura qu’il s’y était opéré de grands changements. II supposait quils avaient eu lieu lors du tremblement de terre que nous avons cité plus haut’a la date du 4 aot 1854. Le D® Hoffmann a yu aussi trois fortes colonnes de fumée qui s élevaient du Turialba, volean voisin de l’Trazu. — Le 12, dans la matinée, 4 Ainboine, fort tremblement. — 12 juin, 7h. 15 m. du matin, & Buitenzorg, une trés-forte secousse de IE. 4 1’O. et de 5 secondes de durée. Le ciel était pur, le thermométre marquait 75° F. (22°85 C.) — Le 14, 14h. du matin, 4 Ternate, une secousse qui s'est renouyelée 4 5 h. du soir et dans la nuit a divers interyalles. Pendant six jours, on a encore ressenti des secousses de temps en temps; la direction était du N. au S., plusieurs cependant ont été verticales. On ne se rappelait rien de semblable depuis 1840. On les a ressenties au fort Dodinga 4 Halmaheira. Puis, elles se sont renouvelées, mais moins fréquemment jus- quau 14 juillet. — Le 21, 10 h. du matin et 3 h. du soir, 4 Kema (Célebes), trois secousses légéres. Le 24, 8 h. du matin, léger tremblement & Menado dans la meéme ile. — Le 26,1 h. du matin, 4 Tjilatjap (Java), deux secousses sé- parées par un intervalle d’environ 20 secondes. A Fringat, résidence de Kediri, elles furent trés-fortes et du- yéerent bien 4 4 5 minutes; la direction était du N. au S. Le ciel était clair et sans nuages; le thermomeétre marquait 72° F. Les se- cousses, Ccrivait-on, se sont fréquemment renouvelées, ces der- niers temps, dans Je voisinage du Keloed (le Klut); on ne cesse de se demander si ce yolean qui a ruiné tous les enyirons, il y a ( 58 ) quelques années, ne serait pas prés d’entrer en éruption. Suivant les Javanais, une éruption violente aurait lieu tous les 10 ans, ct si cette remarque est fondée, le moment d'une eatastrophe ne serait pas éloigné (1). Dans la nuit, il y eut encore huit secousses; des murs furent lézardés. Le 50 (4 jours aprés), dans l’aprés- midi, quelques secousses moins violentes. — Le 27,10 h. du matin, 4 Amoerang (Célébes), tremblement léger. — 7 juillet, dans Ia matinée, 4 Padang (Sumatra), secousses trés-fortes , mais sans dommages. — Le 12, dans la matinée, 4 Buitenzorg, une légére secousse. — Le 13, 11 h. /2 du matin et 9 h. 4/2 du soir, 4 Banda, faibles secousses de TE. al'0. La nuit suivante, vers minuit et demi, secousse plus forte qui se renouvela encore, mais trés-faiblement, 4 heure plus tard. Toutes deux furent encore de VE. AYO. — Le 14, 4h. du soir, 4 Ternate, tremblement extrémement ’ violent qui commenea par un choc vertical et finit par un mouye- ment horizontal. Il dura deux minutes et causa de grands dom- mages. Suivant des nouvelles du 27 juillet, les secousses s’y re- nouvelaient encore 4 de courts intervalles. Les secousses paraissent avoir été encore plus fortes 4 Tidore et Halmaheira qu’a Ternate. A Tidore, 25 maisons ont été ren- versées. On n’a rien observé de particulier dans le volean de Ternate. — Les 25, 26 et 27, 4 Lindau et Oberndorf (Allemagne), se- cousse. — Le 27, 4h. 12m. du matin, 4 Genéve , une secousse. On lit dans Messager du Midi, du 28 : « Hier, i 1 h. aprés midi, on a éprouvé & Valence une secousse oscillatoire delE. al’0. assez forte. » N’est-ce pas celle du 25? Le 28, 10 h. 55 m. du matin, 4 Genéye, secousse du S. au N. (?). (1) Le volean est resté calme en 1855 et 1856. ae se ( 59 ) Le méme jour, 4 h. 0 m. 53 s. du matin (t. astrom), 4 Milan, secousse qui dura une seconde et demie; elle s’est dirigée du NE. au SO. et a été ressentie a Come. ‘Vers 9 h. 55 m. du soir, a Cully (Vaud), trois légéres secousses. Le 29, dans l’apres-midi, tremblement 4 Odenwald et Stutt- gardt. Le 51, 4 Cuzola (Dalmatie), plusieurs secousses dans la jour- née. - — Dans les derniers jours du mois (aprés le 25), du cété de Velletri (Etats-Rom.), quelques secousses si faibles qu’on ne les a pas enregistrées. On n’y avait rien ressenti le 25. — On signale plusieurs secousses, a la fin du mois, dans les dis- tricts de Soemedang et de Soekapoera, régence de Préanger, entre autres : Le 29, 4 10 h. du matin; Le 50, 4 5h. du soir; Le 51, a 9 h. du matin; toutes furent verticales et durérent de 10 4 20 secondes. Celle du 50 fut plus forte a Tjikadjang et dans le voisinage du volean du Goentoer et du Papandayang. Du reste, le Goentoer, le Tjermei et le Slamat, qu’on put observer de loin, noffrirent rien de particulier. — 5 aout, midi, aux mémes lieux, nouvelle secousse verticale, mais plus violente. Le 9, au soir, dans toute la résidence de Chéribon, deux se- cousses consécutives du S, au N. Pas de dommages. — Le 22, probablement vers 11 h. du matin, la voute de l’église d’Ausserberg, village situé en face de Viége (Valais), s'est écroulée par l’effet d'une secousse. — Le 26, 4 Brousse, nouveau et violent tremblement. — 17 septembre, 4 Melbourne (Australie), teemblement. — 22 octobre, 4 Transnaki ou Taraknaki (Australie), une se- cousse qui a renversé plusicurs batiments. — Du 11 novembre au 5 janvier 1856, 4 Murcie, 4 Carthagéne et surtout aux villages de Librilla, Alhama et Inchola, placés 110. dune chaine dioritique appelée Carascoy, dix tremblements de terre au moins, dont la force, trés-intense dans les premiers jours, ( 40 ) a été en diminuant. La durée des secousses a été de 8 410 secondes; leur direction moyenne de VE. &O., quelquefois du N. au S. Les deux secousses les plus fortes ont été le 14 et le 25 novembre. L’aiguille de l’électrométre a offert de trés-fortes déviations et n’a repris sa position ordinaire, qu’apreés la secousse du 5 janvier. real parait, d’aprés M. Favre, qu'il y a eu peu de secousses a Viége (Valais), dans le milieu de novembre. Le 25, 8 h. 20 m. du soir, il y eut deux secousses assez fortes. — Le méme jour, a Brousse (Turquie), tremblement assez long, mais sans dommages. — Le 26, 4 Partrovillari, Melfi, Rapolla, Barile, Rioneri et Atella (Basilicate), plusieurs secousses. — Le 27, a Viége, vent chaud, suivi d’une pluie qui tomba sans discontinuer jusqu’au 28, 7 h. du matin. Pendant la soirée, trois détonations se firent entendre; & minuit et demi, un fort coup de tonnerre qui fut suivi, 4 h., d’un second coup accompagné d’é- clairs. De petites détonations leur succédérent jusqu’a 2 h., oti les secousses recommencerent. Dans l’espace de 5 minutes, deux fortes secousses et une détonation. A partir de ce moment, détonations et secousses ne discontinueérent pas, et jusqu’a 5 h. du matin, on en compta trente et wne. Une formidable secousse eut lieu enfin d 4. heures; il n’y eut pas de nouveau désastre. Le 28, deux détonations et dix dans la nuit. Aujourd’hui, écrivait-on le 29, nous n’avons encore rien en- tendu. — 4 décembre, minuit, & Smyrne, tremblement sans dom- mages. Le 6, 4 Truxillo (Amérique du S.), tremblement signalé sans autre détail. ; — Dans les premiers jours du mois, 4 Vicence, une secousse assez forte. — Le 18, 1h. 4/2 du matin, 4 Smyrne, secousse trés-violente du S. au N. et de 5 ou 4 secondes de durée. — Le 25 et le 25, 4 Zurich, secousses. — Le 26, 2 h. du matin, & Sion (Valais), une yiolente secousse accompagnée d'une forte détonation. ) homme est libre et ne reeconnait que Dieu pour son seigneur et maitre. La vie y est prisée ce quelle vaut: une halte d’un jour dans limmensité de espace et l’éternité de Ja durée. Cette tente qu'un coup de vent va emporter ne rappelle-t-elle pas la fragilité de la vie? Cette marche, enfin, sans tréve et sans repos, n’est-elle pas image de cette terre d’exil, de cette vallée de larmes ot | homme est condamné & manger son pain a Ja sueur de son front? Voila Ja race d Abraham, dont la pensée est frappée a lefligie du désert. Quel sera le caractére général de la poésie chez un tel peuple? Ce sera l'hymne enflammeé qui chante la gloire, la grandeur, la majesté de Dieu. Les cieux raconteront la gloire du Trés-Haut. Le eur de 'homme se fondra d’admiration et de reconnaissance de- vant les merveilles de la création et les bienfaits que la main divine répand sur la race bénie. Ce n’est pas Vart quil faudra chercher dans cette poésie grande et simple comme le désert, et, comme Jui, apre et brilante... Non, cette poésie est au-dessus’ de l’art, parce quelle est l’acte le plus important de la vie, Yhommage spon- tané, libre, impérieux de l’dme pénétrée de reconnaissance et dune sainte terreur pour le souverain maitre de Ja terre et des cieux. Rien ne sera laissé au hasard. Le doigt de Dieu se recon- naitra dans tous les événements de Ja vie. L’hymne de recon- naissance éelatera dans Je bonheur, les lamentations dans le malheur considéré comme une épreuve ou comme un chatiment. Tel sera le caractére de la poésie sacrée dans les psaumes de David et dans les chants des prophetes. Mais ov trouver Je principe de Vharmonie, du rhythme, de Ja cadence qui doit régler lessor de ces chants sublimes planant au- dessus de la sphere de l'art? Dans les meeurs primitives, dans le halancement alternatif et cadencé du chameau du désert; de 1a le parallélisme ou la division de la phrase poétique en deux mem- bres de forme symétrique. La conformation de la Judée, couverte de collines, de montagnes, de rochers cayerneux répercutant le son de la yoix; la pensée qui, pour doubler son énergie ou sa grace, et sineruster plus profondément dans la mémoire des hommes, jouit de se faire écho a elle-méme; le peuple qui, dans les cérémonies sacrées, est appelé a répéter en cheeur les accents ( 20 ) pieux sortis de ame du poéte : tout conspirait & perpétuer cette forme de consonnance rhythmique moins réguliére et moins ma- térielle que la prosodie des anciens et des modernes, mais plus favorable aux divins élans de la poésie religieuse. Le premier hymne qui jaillit de ’ame du peuple israélite est le cantique d’actions de graces chanté par Moise, son libérateur, aprés le passage de la mer Rouge. Il est plein de la grandeur de Dieu qui vient de sauver son peuple de Ja tyrannie des Pharaons par un miracle de sa toute-puissance. Avant de prendre posses- sion de la terre promise, la race d’Abraham va se retremper au désert et y dépouiller le vétement de l’esclavage. Aprés trois mois d’épreuve, ott Dieu nourrit Israél de la manne du ciel et de Peau du rocher, une voix se fait entendre sur le Sinai au milieu des éclairs et du tonnerre : c’est la voix du Dieu vivant qui parle a Moise, son prophéte. Peuple, 4 genoux; est ton Dieu qui tap- porte une loi, c'est Jéhovah qui t’a délivré de ’Egypte, et qui te rappelle 4 lui du sein de l'abjection. Il apparait yétu de gloire et d’épouvante. Sa voix fait trembler la terre et retentit dans l’abime. Malheur 2 toi si tu méconnais sa volonté sainte, car il ta choisi comme un vase de prédilection pour y déposer la parole de vie; que les entrailles des méres tressaillent de joic, si tu lui restes fidéle, car c'est de ta race que doit naitre celui en qui se réjoui- ront toutes les nations de la terre. Voila la civilisation hébraique : un Diew, une lot, un peuple uni par une commune origine et un commun espoir. C’est Dieu qui le gouverne par ses prétres, inter- prétes de la loi. La tribu de Lévi préside aux cérémonies du culte. La priére qui monte avec l’encens jusquaux pieds de l'Eternel , cest la poésie uniquement consaerée a célébrer les louanges de Dicu. Quand le peuple, sous la conduite de ses chefs, marche au combat, il invoque le Dieu des armées; sil triomphe, cest le bras du Dieu fort qui a balayé ses ennemis comme une paille légére : Gloire 4 Jéhovah au plus haut des cieux. Si le peuple est yvaincu, il courbe la téte sous le vent de la colére de Dieu, et expie ses fautes, le front eaché dans Ja poussi¢re et dans la cendre. Puis il éléve vers Jéhovah Ja voix de son repentir, le eri de ses douleurs. S'il oublie son Dicu pour se perdre dans les voies de ( 21 ) Viniquité, Dieu suscite du sein d'Israél quelque propheéte dont les eracles tombent comme une pluie de feu sur la race parjure. Pareil au cédre du Liban, limpie porte sa téte orgucilleuse jus- qu’au ciel; je n’ai fait que passer, dit ’Esprit de Dieu, il n’était déja plus. Malheur done a la race coupable; malheur a ce peuple ingrat qui méprise Dieu et ses prophetes.Voila la vie de ce peuple, et voila sa poésie. Dans la joie comme dans la douleur, tout se transformait en hymnes et en élégics sacrées. Les chants des poétes étaient desti- nés au culte divin, et la voix des prophétes était le tocsin d’alarme qui ramenait ce peuple au devoir par la crainte des vengeances célestes. La poésie était ainsi liée 4 tous les actes de la vie natio- nale. Les deux plus grands rois des Juifs, David et Salomon, étaient poétes; et l'un deux, David, le roi-prophéte, séleva dans ses chants 4 une hauteur telle que Pindare lui-méme nest qu'un eygne timide 4 cété de cet aigle de la Judée, La musique, voire méme la danse, était associée 4 la poésie, pour seconder l’essor de Venthousiasme lyrique. David touchait la harpe, et en tirait de si doux accords qu il endormait les douleurs de Satil. On voyait ce chantre sublime, dans l’élan d’une pieuse extase, danser au son de la harpe devant l’arche du Seigneur, les jours de grandes solennités religieuses. Il avait organisé des masses chorales d'une incomparable majesté. Quatre mille lévites , divisés en vingt-quatre cheurs, étaient destinés 4 relever la pompe des fétes publiques. Les cheurs étaient divisés en deux parties qui se répondaient alter- nativement. Les échos des montagnes retentissaient partout des louanges du Seigneur et des préceptes sacrés. « Représentez-vous, » dit Cantu, représentez-vous tout Israél distribué en deux vastes » cheurs, moitié sur le mont Hébal, moitié sur le Garizim, et le » Jourdain entre eux. Les lévites entonnent un psaume, et d » chaque verset, du haut de !'Hébal, la moitié du peuple répondait » malédiction ou bénédiction, du sommet du Garizim (1). » Telle est la destination de la poésie chez les Hébreux, tels sont les chants qui s’exhalent de l’dme d’un peuple choisi pour étre le phare de Ja civilisation. (1) Cantu, Hist. univ., 1°" vol, p 128, édition de Bruxelles, ( 22) Les psaumes de David, qui respirent tour & tour une foi robuste \ soulever les montagnes et & défier toutes les puissances de la terre; ’enivrement d'un triomphe dont Dieu seul est lVarbitre, et les cris déchirants de l'ame repentante qui expie ses fautes dans des larmes de sang et dans l’effusion de la priére; les psaumes ott la voix de Dieu méme résonne en accents qui font trembler la na- ture, depuis les hauteurs du ciel jusqu’aux profondeurs de Vabime, répondent 4 toutes les émotions de ame humaine et représén- tent, avec les situations du poéte, les joies, les douleurs, les gran- deurs, les faiblesses, les espérances, les défaillanees, les consola- tions, les regrets, les repentirs, les remords, les amours, les haines, les doutes, les terreurs, les désespoirs et la foi de !humanité. Mais tout s’y passe entre homme et Dieu; toutes les passions y sont divines; aucun encens n’est réservé A la créature. C'est done le ca- ractére de l'inspiration hymnique que révélent partout les Psaumes de David. A cété de Vhymne s‘exhale le chant plaintif de lélégie, écho des revers ot le roi-prophéte voit Ja main de Dicu s’appe- santir sur son front coupable. Mais bientét la priére s’¢léve des pro- fondeurs de l’Ame pour apaiser la colére du ciel. Toujours ’hymne se méle A l’expression des sentiments divers que les événements inspirent au poéte sacré. Il n’en faut guére excepter que le chant funébre du psalmiste 4 la mort de Saiil et de Jonathas, ou Pélégie seule s'épanche dans toute sa pureté mélancolique. Et aprés le régne glorieux de Salomon qui se distingua par sa sagesse ct qui créa les immortels proverbes, expression des plus hautes idées de esprit humain, présentant des régles de conduite, fruit dune longue expérience de la vie, on ne retrouve plus la poésie que dans la voix tonnante des propheétes qui gronde de loin en loin pour annoncer & ce peuple rebelle les malheurs qui l'attendent, ou dans les lamentations de Jérémie qui s’assied en pleurant sur les débris de la cité sainte, au milieu de ses rues désertes et de son temple détruit; tandis que sur les rives de !Euphrate, s‘éléve la voix plaintive et désolée des enfants de Sion réduite a lesclavage. Aprés avoir vainement cherché & ramencr le peuple au respect de la loi divine qui avait fait la prospérité d'Israél et qui seule pou- yait maintenir sa nationalité, les prophétes, au sein de la eapti- ( 25 ) vité de Babylone, ravivaient par de touchantes élégies le senti- ment national, et retrempaient, 4 Vécole du malheur, [énergie morale de ce peuple qui ne devait pas périr, puisque ec’était de la race de David que devait naitre le sauveur du monde. Les oracles des prophétes sont pleins de cet espoir, une des principales sources de Vinspiration hébraique, et lun des pivots de cette civilisation exceptionnelle. Toutes les cireonstances de la venue du Messie sont décrites en traits saisissants dans ces chants prophétiques dont aucune littérature n’offre d’exemples. Lihymne sacerdotal. forme done le caractére essentiel de la poésie hébraique. Si l’ode éclate dans le cantique de Moise comme dans celui de Débora, c’est toujours avee les élans enthousiastes de Vinspiration hymnique. Lélégie seule alterne avee Vhymne saeré. Aucun genre de poésie ne répondait micux A la fibre nationale, car la vie de ce peuple é la téte dure n'est qu'un long tissu d'infortunes amenées par ses continuelles révoltes et sa trop grande supériorité sur les autres peuples livrés A Vidolatrie. L’élégie dailleurs était naturelle aux Hébreux. Les races primitives ne connaissent pas ces contraintes morales quimpose esprit de convenance dans les sociétés raf- finées, et ne se font pas un mérite d'une stoique impassibilité. La sensibilité y éclate dans toute son énergie. Cette douleur vraie que Ja mort inspire est bientot congue comme un devoir; et quand celui dont la vie se retire tient par de puissants liens a la vie méme de Ja nation, tout un peuple doit éclater en sanglots. Lart alors vient en aide & la nature pour établir un courant sym- pathique dans la foule indifférente, mais si impressionnable quand elle a recu Vimpulsion, et ott la moindre étineelle devient en un clin d'wil un immense incendie. De la, linstitution de la plewreuse antique chargée de provoquer par ses gémissements la source des larmes dans tous les yeux. La voix de ces femmes élevées dans l'art de gémir est Ja baguette enchantée de Moise au rocher dlébron, faisant jaillir la source d’eau vive pour tout un peuple. Cest en Judée que prit naissanee cette institution qui deyait s¢tendre & toute lantiquité. Il ne faut pas chercher ailleurs le principe des chants lugubres de Dayid et des prophétes, et surtout des lamen- ( 24 ) tations de Jérémie. Si nous voulions montrer combien la civilisa- tion hébraique était supérieure & la nétre dans l’expression de la plainte et des regrets, il nous suffirait de rappeler ici un mot regu dans Ja langue pour caractériser le chant élégiaque, pour peu qu'il interrompe nos occupations prosaiques : Jérémiades. Maintenant que l’on connait lesprit de la poésie hébraique qui s‘élance en Dieu sans jamais méconnaitre la faiblesse humaine, il nous reste 4 faire comprendre les rapports de l'idée avee la forme sensible, et A voir dans quel arsenal l'imagination hébraique puise ses matériaux, pour sculpter lidée ou plutét pour la peindre. Mais avant de toucher cette question, il faut en effleurer une autre dun grand intérét pour Tart, et que notre plan nous empéche de passer sous silence, s'il nous défend de la développer. L’épopée et le drame existent-ils chez les Hébreux? oui et non; oui, comme poésie, non, comme art; je mexplique. L’essence de l’épopée c'est le récit, mais un récit d’événements héroiques d'une grande portée, oti la lumiére de lidéal se reflete sur la réalité en passant par le prisme de l’imagination. C'est le résumé des deux mondes : la terre et le ciel, ’humain et le divin. L’intervention sensible de la divinité dans les événements de la vie est lidéal de l’épopée, telle que nous la rencontrons dans Homére, comme ceuvre dart proprement dite. Or, les Hébreux , sans matérialiser V'infini, font partout intervenir la divinié dans les événements humains. N’est-ce pas du merveilleux que la création du monde ; le séjour de l'Eden; l'éducation de Fhomme par son créateur; la chute d’Adam, entrainant celle de sa race entiére; la promesse du Rédempteur; le déluge engioutissant Phumanité; la préservation miraculeuse de Noé, second pére de la race humaine; le sacrifice d’ Abraham dont un ange arréte le glaive prét 4 frapper, pour obéir a Dieu, son fils innocent; le feu du ciel consumant dans un vaste incendie deux villes coupables ; les visions et les apparitions successives de Dieu et des anges ’ Abraham, & Isaac, et surtout 4 Jacob, du haut de léchelle étincelante allant de la terre au ciel par laquelle montaient et descendaient les anges, et dans la lutte nocturne qui le fit sur- nommer Israél; les prodiges accomplis, en faveur du peuple hé- tres. ( 25 ) breux, depuis sa délivrance d’Egypte jusqu’d son entrée dans la terre promise, par la main de Moise, son libérateur et son légis- lateur, prophéte, poéte et historien tout a la fois, Moise a qui Dieu apparait dans le buisson ardent pour lui donner sa mission, et sur le Sinai dans un nuage de feu, au milieu du tonnerre et des éclairs, au son de Ja trompette, jetant la terreur dans le camp d'Israél au désert, pour dicter la loi 4 son peuple par Vorgane de son pro- phéte, et dans Ja colonne de nuée quj descendait devant le taber- nacle , o1 Dieu se montrait face a face a Moise, comme un ami parlant a son ami; enfin, tous ces dialogues entre Dieu et les chefs du peuple, et ces inspirations, ces oracles des prophétes envoyés du ciel pour annoncer les arréts du Trés-Haut; encore une fois, n’est-ce pas 14 du merveilleux, et un merveilleux d’autant plus saisissant qu'il se manifeste dans le domaine de la réalité, au lieu d’étre une simple fiction poétique, et quil simpose comme une foi au coeur et A Vimagination des hommes? Etait-ce Dieu lui-méme qui apparaissait ainsi 4 ses serviteurs? Nous répondrons tout & Pheure a cette question. Qu il nous suffise ici Wavoir établi Vexistence du merveilleux dans les événements dont I’Ecriture sainte nous offre le récit. Quant a ces événements eux-mémes, ils surpassent de cent cou- dées tous ceux qu Homére a chantés, car au lieu dintéresser un peuple, ils intéressent Vhumanité tout entitre, puisqwils renfer- ment histoire du monde primitif depuis sa création jusqu’a la naissance du christianisme. L’héroisme y grandit de toute la hau- teur de Dieu méme dont les héros sont les instruments. Que sont Achille et Ulysse i cdté de tous ees hommes divins qui se suecé- dent depuis Moise et Josué jusqu’au grand Machabée? N’est-ce pas ~ Wailleurs un poéme admirable que ce livre de Judith, oti la Jeanne WAre de la Judée arrache son pays dla servitude, en tranchant de sa main la téte d'Holopherne, chef des Assyriens? Rien West comparable 4 ce courage, sinon la sainteté de Phéroine dont Dieu lui-méme a dirigé le glaive. Et, au milieu de ces pages merveil- leuses remplies apparitions divines, de guerres, de triomphes , de prophéties, de malheurs, de liberté et de servitude, lame se repose sur les touchants épisodes de Joseph dont rien n’égale le ( 26 ) pathétique; de Tobie, ce héros de la charité dans Ancien Testa- ment; de Ruth enfin, cette héroine de l'amitié, dont la naive sim- plicité ne se retrouve dans aucune littérature. Il y a done dans la Bible une mine inépuisable que l’épopée future n’exploitera que pour affaiblir la réalité en y mélant la fiction. Car, remarquons-le bien, la fiction est le manteau demprunt dont Vart enveloppe la nature, pour en voiler la nudité aux yeux de imagination. Mais quand la vérité brille assez de son propre éclat, Part la dénature en s'efforeant 4 lembellir. Quant au drame, i] ne pouvait naitre, comme art, & aucune époque de la vie de ee peuple, parce que toutes les forces vitales étaient concentrées dans la réalité. Tout le développement de la vie nationale tournait autour de deux pivots : Dieu et sa Lor. Les fétes religieuses, berceau du drame, n’étaient pas un amusement frivole pour les Hébreux. On n’approchait de Dieu qu’avee crainte et tremblement. La religion judaique était une religion de terreur, et elle ne pouvait étre autre chose pour un peuple qui ne se lais- sait conduire que par la menace et les chatiments. Ses prophétes étaient tout A la fois ses poétes et ses guides. Les jeux de la seéne auraient juré avec la sainteté de leur ministére. La foi du Dieu de Jacob leur interdisait cette profanation. L’art dramatique, s'il ett été possible en Judée, se serait pro- duit sous le régne de Salomon. Mais deux causes ont mis obstacle X Véclosion du drame A cette époque: la premicre est la haute sagesse du roi luitméme qui eréa la poésie didactique dans les livres des Proverbes ct de | Ecclesiaste. La saison du drame est déja passée. L’esprit a atteint toute sa maturité, et ne peut plus porter que des fruits de sagesse. Cependant le Cantique des Can- tiques, admirable idylle qui exhale un parfum de naiveté, de pu- reté, de grace, de tendresse dont rien n’approche, forme un petit drame ott l'on retrouve non pas seulement la forme dialogique, mais limitation et la représentation méme de la vie. C'est un épi- thalame oi l'on peut observer les meurs des Hébreux dans la célébration des noces qui duraient sept jours, comme toutes leurs grandes eérémonics. On y a yu une allégorie mystique représen- tant union de Dieu avec son Eglise. Quoi quil en soit, on recon- ( 27 ) nait sous les traits de ces jeunes bergers Salomon et son épouse exhalant leur tendresse par des chants de douleur et de joie, selon quils sont séparés ou réunis. Un cheeur de jeunes vierges prend partau dialogue, et rappelle ce cortége de jeunes filles qui accom- pagnaient I’épouse dans les cérémonies nuptiales. Le drame ne se passe pas sous les yeux des spectateurs, et il n'y a 1a aucune action proprement dite; mais ]a mise en scéne de l'ceuvre elle-méme a déja les allures de la poésie dramatique. L’art seul est absent. Nous rencontrons encore la formesdialogique dans ce psaume XXII" qui fut chanté A Ja cérémonie de la translation de l'arche sainte sur la montagne de Sion. Mais pour consacrer A Dicu une demeure digne de lui, Salomon leva ce temple magnifique dont la construction fut le grand évé- nement de son régne. C'est la seconde cause qui s’opposa a l’avé- nement du drame. Le théatre du peuple juif, ce fut ce temple ot se e¢lébraient les fétes religicuses, et ot reposait l'arche dalliance, symbole de Ja protection divine. Cest sur le théatre de la réalité qwil faut chercher le drame hébraique, qui n’est autre que le drame de lhumanité. Y a-t-il rien nulle part qui puisse étre mis en parallele avec le poéme de Job? La scéne est un fumier ot un autre Prométhée est déchiré par le yautour du malheur; Ja décoration est le ciel du désert; les acteurs sont bhomme et Dieu. Du sommet des grandeurs, Job est plongé dans l’abime de la misére. Il acecepte dabord son sort avec résignation; mais des amis cruels lui reprochent son infortune et Vattribuent & ses crimes. Job proteste de son innocence et prend Dieu & témoin. L'injustice des hommes laigrit. I] passe tour a tour de Ja colére A Vindignation, de Vindignation au blasphéme, du blasphéme au repentir et a la résignation. Cest le spectacle de la vertu dans le malheur; mais ce malheur est une épreuve et non un chatiment. La sagesse divine, qui semble & Job une dérision dans la bouche de ses amis eruels, éclate bientOt a ses yeux ¢ton- nés, quand Dieu, pour foudroyer son orgueil, fait apparaitre au tribunal de la conscience les splendeurs de la eréation qui révélent 4 }homme son néant devant la puissance supréme. Job alors se soumet el expie dans la poussiére et dans la cendre son orgueil- ( 28 ) leuse innocence. Tous les éléments du drame sont li, excepté le mécanisme méme qui en fait une ceuvre dart. C'est la représen- tation idéale de la vie avec le dialogue, les personnages, les carac- teres, 'intérét, les mobiles et le but: terreur, pitié, admiration. Mais on n’y trouve pas, direz-vous, laction avec ses différentes péripéties? C’est vrai; mais cette action créée par Sophocle n’existe pas non plus dans Eschyle, qui n’en est pas moins le pére de la tragédie grecque. Lisez le Prométhée, lisez les Perses, vous n'y découvrirez qu'un sentimenttdéveloppé a occasion d'un fait indé- pendant de la volonté des personnages. Placez le mécanisme du théatre dans Je poéme de Job, et dites-moi si la révolte de Job sur sa paille forme un drame moins saisissant que la révolte de Pro- méthée attaché au sommet du Caucase? Il y aurait entre ces deux drames la différence de la réalité 4 la fiction, et c’est précisément 14 ce qui fait la supériorité de Job sur Prométhée. En commeneant cette étude sur la poésie hébraique, nous disions : la race d’ Abraham est marquée 4 l’effigie du désert. C’est que, en effet, la pensée de l'homme ne peut se soustraire 4 l’in- fluence du milieu ot s’exeree son activité. Toutes ses impressions lui viennent des sens. La nature extérieure se refléte dans le miroir de son imagination. La température de l’esprit est analogue ila température de lair qui nous entoure. De 1a la grandeur de la poésie du peuple d'Israél, qui s’éléve sans effort & la hauteur de l'infini. Les grandes images empruntées aux phénoménes cé- lestes avaient leur source dans V’aspect du désert. La tente des pasteurs avait servi de modéle au tabernacle ou reposait l’arche Walliance renfermant les tables de Ja loi avant la construction du temple. Quand les Israélites furent établis dans la terre de Cha- naan, ils conservérent les mceurs pastorales des patriarches et s'adonnérent presque exclusivement a lagriculture. C’était cette simple nature qui leur fournissait ces images dont la sublimité est dans le contraste frappant de Vidée et de la forme. Le style figuré consistait dans ’emploi de la métaphore , de la comparaison, de la prosopopée , de l'exclamation, de linterrogation, de Vallé- gorie et surtout de la parabole, forme essentiellement orientale destinée & rendre la vérité palpable. L’énergie , la chaleur du sen- ( 29 ) timent condensé dans des formules sentencicuses d'une cxtréme concision donnaient au langage figuré une incroyable audace. Les rochers et les montagnes, les fleuves et les torrents, le Liban avec ses cédres orgueilleux, le Carmel avec ses oliviers ct ses vignes , le Jourdain avec ses débordements, le Cédron avec ses eaux impé- tueuses, symbolisaient tour a tour la majesté, l’orgucil, la noblesse, la fécondité, la beauté, la grace, la colére et Vindignation. La vigne, Volivier, le grenadier, le palmier, le cyprés, les plantes aromatiques dans le régne végétal; les bétes fauves et les trou- peaux dans le régne animal: voila les objets de la nature physique auxquels le poéte demandait des images pour peindre sa pensce. Mais jamais ces images n’emprisonnaient dans un moule étroit ou un symbole grossier l'infini qui les dépassait de toute 'immen- sité de sa nature spirituelle. C’était pour animer sa penscée que le poéte donnait la vie & tous ces objets, mais nullement pour ravaler Vidée divine au niveau de la forme sensible. La religion défen- dait le culte des idoles. Si, pour peindre les sentiments de Dieu a Yégard de Vhomme, on lui attribuait une téte, des mains, des bras, des pieds, si méme on le faisait rugir comme un lion, ce nétait que par métaphore. Si, pour rendre sensibles léelat, la magnificence du Trés-Haut, on lui donnait un vétement de gloire , c'est qu'on ne concevait. rien de plus splendide et de plus solennel que les ornements des prétres dans les cérémonies du culte. Les poétes, fidéles 4 la loi morale, ne se Jaissaient pas prendre aux piéges de ces images. C’est la faiblesse de notre intelligence qui nous force a peindre Dieu sous des images anthropomorphiques. Les anges seuls connaissent la langue du ciel; nous ne pouyons, nous, parler que celle de la terre. Que faut-il penser maintenant des apparitions de Dieu dans l’Ancien Testament? Etait-ce Dieu lui-méme qui se montrait A lhomme dans sa nature divine? Non, ce n’était pas Dieu. Aucun homme sur la terre n’a yu la face de Dieu. Le Christ lui-méme n était visible que dans son humanité. Ce n’était que par ses actions quil manifestait sa divinité. Qu’était-ce done que ces apparitions de Ja Bible ? C’étaient des messages divins communiqués par un esprit céleste revétu d'une forme sensible, ou des visions miracu- (30 ) leuses au moyen desquelles Dieu faisait connaitre sa volonte a son peuple. Moise entendit la voix de Dieu sur Je Sinai; mais l'Ecriture sainte elle-méme nous dit que Dieu ne permit pas 4 son serviteur de voir sa face auguste. L'idée plane donc toujours au-dessus de la forme. Voyez Moise, les plus grandes merveilles ne l’étonnent pas; il semble assister aux conscils de Dieu. C’est pourquoi Ja pensée hébraique , dans ses manifestations , ne quitte pas la sphére du sublime. Il faut dire aussi que la langue hébraique était merveilleuse- ment propre d l’expression intuitive des sentiments divins, sans TVintermédiaire du symbole qui matérialise Ja pensée dans des formes plastiques. Cependant si les Hébreux ne matérialisent pas Yidéal, ils idéalisent Ja matiére, ou plutot leur sublime instinet leur fait saisir dans les choses les plus ordinaires lesprit divin qui anime toute la création. Ils ont ainsi tout Je merveilleux du panthdisme, sans en adopter les monstrucux symboles. Singulier peuple! Ja foule est grossiére : a chaque instant elle est préte a re- tomber dans l’idolatrie la plus sensuelle; mais la grande voix de ses prophétes réveille sans cesse en elle le sentiment de sa mis- sion, des promesses divines, de ses hautes destinées qui sont celles de ’humanité méme. Les prophétes ne sortent pas non plus de la réalité vulgaire en apparence ; mais leur intuition profonde y dé- couvre la loi providentielle, l’éternelle justice; et la description des phénoménes changeants de ce monde se transforme tout a coup en une perception surnaturelle et immediate des plus hautes vérités, ott s’évanouissent A la fois espace et la durée. Chaque mot est une image physique se prétant A une multitude de significa- tions dont I'analogie échappe 4 notre logique bornée. Les Hébreux procédent par association didées plutét que par déduction, Leur langue est plus physiologique que grammaticale. Cest dans Phis- toire, aussi bien que dans la nature, qu ils: voient et suivent Yac- tion de Ja Providence. Leur religion comme leur poésie est la tout entiére. Ils ne cherchent qu’d transporter le ciel sur terre, tandis que les Hindous ne cherehent qu’a transporter la terre au ciel. Rien de mystique chez les Hébreux; tout est réel, méme Vidéal. Leur faculté dabstraction est d’autant plus grande que labstrait me ( 51 ) et le concret se confondent dans le méme terme considéré sous deux aspects différents. Les racines trilittérales présentent déja un sens & lesprit avant de pouvoir se prononcer par lintercalation des voyelles. Et quand je dis voyelles, il ne faut pas s’y tromper; ce sont de simples signes modifiant lidée fondamentale qui réside, inflexible et immuable, dans la racine primitive. Ces racines la dé- fendant contre les caprices de imagination et les alterations du temps, en font un tissu granitique aussi solide que les rochers de la Judée, un vase incorruptible bien digne de contenir la parole de vie et de conseryer le parfum natif de la vérité révélée. L’aspi- ration, qui appelle le souffle prophétique, y domine. Le nom suflit a déterminer Vobjet; on y trouve peu de qualificatifs. Cette ab- sence d’éléments secondaires empéche lidée de s’affaiblir en se délayant, en se noyant dans un flux de paroles plus propres a flatter Voreille qué satisfaire Vesprit. De la, cette vivacité, cette énergie, cette élévation, cette audace, cette concision sentencicuse, eette simplicité enfin si favorables a lexpression lyrique des senti- ments les plus sublimes. Il n’y a que deux temps pour exprimer le passé, le présent et le futur; on dirait que le présent n’est rien pour les Hébreux. Ce peuple marche vers lavenir appuyé sur les traditions du passé. Son verbe est un pont jeté entre les deux rives du temps. Quel puissant véhicule, quel porte-voix de la yérité qwune langue qui n’a que l’éternité peur écho! La prospérite, loin dendormir les Hébreux, est pour eux un fardeau; ils se condamnent a étre malheureux. En vain lorage gronde sur leur téte : Pespé- rance est leur boussole. Leur poésie roule comme un torrent; elle ne coule pas majestueuse et tranquille comme un fleuve lim- pide. La Jangue hébraique, Ja plus lyrique de toutes celles qui furent jamais parlées sur la terre, est par cela méme Ja moins épique. C'est pour cette raison que les Hébreux, malgré les élé- ments épiques les plus remarquables, ne parvinrent pas a créer art de Pépopée. ( 52 ) DEUXIEME SECTION. LES ARABES. Les Arabes dont la langue est de la méme famille que celle des Hébreux , n’ont pas laissé non plus de véritable poéme épique (1); mais ce n'est pas uniquement au langage qu'il faut en attribuer la cause. En abordant la poésie des Arabes, nous devons déclarer qu'il nentre pas dans notre pensée de présenter autre chose qu'une vue d'ensemble sur le caractére de cette race patriareale. Si nous avons élargi le cadre de notre étude en ce qui concerne ’hébraisme, c’est pour deux raisons que vous admettrez aisément : d’abord la poésie sacrée joue un grand role chez les nations chrétiennes qui se rat- tachent aux traditions du peuple hébreu; ensuite nous avons pris connaissance par nous-méme des monuments de l'Ecriture sainte dans Ja langue ott ils furent éerits. Nous n’en dirons pas autant de la poésie arabe dont nous ne connaissons pas les sources originales. Notre exposé n’en sera pas moins conforme 4 la vérité. Il suffit de comprendre les meurs d'un peuple pour caractériser sa poésie. La vie errante des tribus arabes; leur nature, ardente comme le soleil et les sables brilants du désert; Yorgueil de la famille; la soif de la vengeance; le dévouement 4 lantorité des chefs; la générosité proverbiale cnvers les étrangers; le souvenir des bien- faits aussi vivace que celui des outrages; l'amour de l'indépen- dance et de la Jiberté, aussi chére que Ja vie; Vimpétuosité des désirs; le culte de la femme; Vattachement au coursier : voila le earactére ct les mours de lArabe. D’aprés cela, on peut juger ce que doit étre sa po¢sie. Brillante et monotone comme le désert, elle est Vimage de sa vie. Elle éclate en accents sauvages, en bonds impétucux comme Ja lave dun volcan. Tout y respire cette ficre 1) Le poéme d’Antar Jui-méme est une ceuvre épico-lyrique. ! I yriq 33 ) indépendance que donne la liberté a ces rois de l'espace. Le senti- ment peut y étre concentré comme la solitude , mais jamais com- prime par les convenances sociales que ne connait pas le désert. Grave et réveur quand il est seul, fougueux et emporté quand on le blesse dans sa dignité personnelle, plein d’un enthousiasme chevaleresque pour la beauté, vif et rapide dans Ja conversation , lArabe al imagination vagabonde comme le cheval ou le chameau, ses coursiers, ct ne connait aucun frein, aucune régle, aucune loi, sinon celle de son eaprice ou de sa volonté. Ce sentiment de l’in- dividualité libre doit imprimer a ses chants un caractére essen- tiellement lyrique. Mais les événements de sa vie sont des luttes incessantes de tribu & tribu, des querelles entre Jes familles qui allument des haines inextinguibles se transmettant de génération en génération, et dont la poésie éternise le souvenir, pour rappeler aux fils les exploits de leurs péres et entretenir dans leur coeur la soif de Ja vengeance, yolupté sanguinaire qui rend l’Arabe intré- pide et lui fait tout braver pour assouvir sa rage. Ces récits sont racontés sous la tente du check aux heures de loisir. Les audi-= teurs, assis en cercle, semblent écouter des yeux autant que des oreilles, autour d’un feu gu entretient la fiente du chameau; et, au milieu de toutes ces figures barbues et de ces teints bronzés, vous voyez le cheval avancer la téte, et le chameau accroupi, les jambes sous son ventre, allonger son cou gracieux, comme s’ils étaient avides d’entendre le récit d’aventures dont ils étaient aussi les héros. Les impressions sont si vives sur ces Ames ardentes et sauvages qu ils semblent assister aux exploits du guerrier, et quils se récrient d’admiration, de colére ou de compassion, 4 mesure que les différentes phases de laction se déroulent. Quelquefois, dans Ja chaleur du combat dont le récit les entraine, ils saisissent leur cimeterre comme s’ils étaient dans Ja mélée. I] existe done chez les Arabes du désert de yéritables poémes, mais ils forment des chants isolés dont les auteurs sont les guer- riers cux-mémes. Ce sont des euvres épico-lyriques. L’épopée pro- prement dite n’était pas dans Je caractére de cette race; car les Arabes nomades, vivant sous un gouvernement patriarcal ot chaque tribu était jalouse de son indépendance, ne pouvaient abjurer leurs Tome VIII. 3 ( 54 ) haines héréditaires, et se réunir en corps de nation. C’est pour le méme motif que le drame n’y fut pas cultivé. La poésie cependant était honorée parmi eux & l’égal de Ja va- leur guerriére, comme le prouvent les chants de ces héros qui racontaient eux-mémes leurs exploits. Quand un poéte surgissait dans son sein, c’était une féte pour la tribu. On eélébrait son ave- nement dans un banquet joyeux, et la merveille était proclamée au son de la trompette. Chaque année aux foires d’Okad, prés de la Mecque, les poétes se réunissaient pour s’y disputer le prix; et les chants des vainqueurs étaient suspendus en lettres dor a la Caaba, temple commun des tribus errantes. Ces Moallakas, an- térieures 4 Mahomet, sont des chants guerriers ou amoureux, pleins d’enthousiasme et de délire, ou la vengeance et l'amour s'exhalent en métaphores hardies, en hyperboles audacieuses en- tremélécs de proverbes et de sentences d'un style concis, a la maniére des Hébreux. Leur chantre national le plus célébre est Antar, i la fois poéte, amant et guerrier. I] ne faut pas chercher dans le potéme d’Antar, pas plus que dans les Moallakas, cet art qui a conscience des moyens dexpression qu'il emploie. La pas- sion, versée toute chaude sur le papier, ¢’est de la poésie, mais non pas de Vart. Le sentiment part comme une fléche, et s’éléve a une hauteur ot lambitieuse métaphore souvent ne peut Vat- teindre. Ces fougueux transports conservent done Je caractére du sublime, comme dans] 'Ecriture sainte. Mais ce n’est plus eette pro - fonde croyance en Dieu qui distingue les chantres sacrés. Et eepen- dant les Arabes sont aussi de larace d Abraham. Ils s’en font gloire dans leurs généalogies qui remontent a Ismaél, un des fils du grand patriarche, pére des Hébreux. Cette divergence des deux races n’est-elle pas le plus grand signe de la vocation d’ Abraham et des bénédictions dIsraél? La révélation primitive se perdit bientot parmi Jes Arabes, et le sabéisme, religion naturelle de limagi- nation orientale, qui nait de la contemplation du firmament dans les nuits étoilées, se substitua au culte du vrai Dieu. La notion monothéiste ne s'effaca pourtant pas, mais elle revétit des formes matérielles, comme dans le culte du feu du Zend-Avesta. Chaque tribu, chaque famille avail ses dicux. De grossiéres idola- aor; ( 38 ) tries se propagerent parmi eux sans laisser de traces profondes dans leur poésie, car il y avait dans leurs instincts religieux une certaine gravité peu favorable a Vintroduction du mythologisme poetique. Une révolution éclata au VII" siécle de notre ére, et, mettant fin 4 Vidolatrie, rétablit unité de Dieu chez les Arabes. L’homme qui se donna cette mission était Mahomet, appartenant a la tribu des Kor¢ischites, issue d’Ismaél et préposée a la garde de la Caaba, sanctuaire de l’Arabie dans la ville de la Meeque. Doué d'un génie éleyé, nourri des fortes méditations de la solitude, connaissant d ailleurs les doctrines de la Bible et de ’Evangile puisées & des sources apoeryphes, il se persuada qu'il était appelé 4 régénérer le monde, en ramenant 4 l'unité les croyances des différents peu- ples. Les Juifs n’attendaient-ils pas toujours leur Messie? Le Christ Jui-ménie n’avait-il pas promis l’arrivée du Paraclet ? Les pro- phetes antérieurs 4 Mahomet avaient préparé le monde A la vraie religion. Comme Jean fut le précurseur de Jésus, Jésus n’était-il pas le précurseur de Mahomet! Transporté dans une vision jus- qu’au tréne de l'Eternel, il y lut ces mots: Il n’y a pas d’autre Dieu que Dien, et Mahomet est son prophéte. 11 résolut dés lors de propager par le glaive la religion d’Allah, en exterminant partout Jes infidéles. La guerre sainte fut déclarée Pceuvre la plus méri- toire pour gagner le ciel. Celui qui se sert du glaive, périra par je glaive, dit !eriture sainte. Le moyen est atroce et immoral, la fin ne peut le justifier. Celui qui proclame, au nom de Dieu, de tels principes est un fou ou un imposteur. Mahomet pouvait croire 4 sa mission. La foi seule peut opérer des prodiges de perswasion comme ceux du faux prophete. Mais ses adeptes ont été le jouct des hallucinations d'un insensé, Pauvre raison humaine! Mahomet a déposé sa doctrine dans le Coran. Sa morale se ré- sume en deux mots: fatalisme et sensualisme. Aux soldats san- guinaires qui se jetaient sur Orient affaibli par les discordes intestines, les sectateurs de V'Islam s’écriaient : Devant vous sont les houris aux yeux noirs et au sein d’albatre, derriére vous Ven- fer. Le choix pouvait-il etre douteux pour ces races éneryées, quand il était appuyé par le glaive? Jamais religion plus attrayante ( 56 ) ne s’offrit aux sens dépravés de YThomme. Mais l’ame, mais la vertu étaient comptées pour rien dans le paradis de Mahomet. Qu’on juge aprés cela ce qu’a pu produire Ja civilisation musulmane! Au point de vue littéraire, le Coran est un imbroglio, ou sont entassés sans ordre les visions, les récits, les descriptions, les con- seils, les préceptes. La langue du Coran est le dialecte le plus par- fait de PArabie. Elle a servi de modéle aux écrivains futurs. Les descriptions sont parfois d'une grande magnificence et révelent dans l’auteur une imagination puissante. Apres Mahomet, la poésie fut noyée dans des flots de sang. Le despotisme sauvage de ses successeurs ne pouvait manquer d’étre fatal au génie littéraire. Plus tard, lorsque la paix suceéda a I’es- prit de conquéte dans les vastes royaumes des Abassites, la poésie reprit son essor. Haroun-al-Raschid et surtout Al-Mamoun mirent leur gloire a protéeger Ja littérature. Mais absence d'un fond na- tional changea les conditions de la poésie, qui se réduisit 4 une question de formes. L’ardente imagination des Arabes dédaigna Vharmonieuse simplicité de l'art gree et donna téte baissée dans Vambitieuse emphase du style figuré. Peu soucieux du naturel, ils voulurent éblouir par l’éclat des couleurs. La perfection a leurs yeux était dans l’entassement des métaphores les plus hardies, des hyperboles les plus outrées. La difficulté vaincue était leur triomphe. C’est la poésie des siécles de décadence. Elle resta lyri- que a cause du tour d’imagination des Arabes et de la corruption des meeurs qui rendaient les poétes incapables d’un travail sou- tenu. C’étaient des idylles et des odes amoureuses connues sous les noms de ghazéle et de casside formant une suite de distiques dont les premiers vers sont blancs, et dont les seconds riment en- semble. Il existe aussi chez les Arabes un riche écrin de petites perles peu connues en Europe et oubliées par la critique : les Maouals qui remontent au temps des Barmécides. Rien de plus original et de plus caractéristique des meeurs arabes que ee genre microsco- pique, la fois érotique et élégiaque. Tantot il tient de la romance francaise pour la mélancolie et la douceur; tantot il prend une teinte anacréontique pleine d’un gracieux enjouement. Le maoual ( 57 ) n’est que d’une strophe. Il a la touche naive de Gessner. C’est un petit tableau complet, renfermant un souvenir, une plainte, un message, un désir, une simple pensée, sur un air lent et expressif. Les Almées, ces bayadéres musulmanes qui sont de toutes les fétes, ne chantent que des maouals (1). Le drame aurait pu naitre sous Je regne d’Al-Mamoun, si les exploits des ancétres avaient encore exercé quelque prestige sur les imaginations énervées ; si les victoires de l’Islamisme avaient pu faire Yobjet des chants de la poésie; si, enfin, la foule désceuvrée navait de tout temps, parmi les Arabes, trouvé dans les récits cet aliment de curiosité publique que cherchent les autres peuples dans les plaisirs du spectacle. Le principe de Vindividualité était étouffé par le fanatisme; de 1a surtout labsence du drame. La race dIsmaél ne chantait autrefois que la guerre et l'amour. Et ces chants étaient d’autant plus spontanés que l’auteur était en méme temps le poéte et le héros, et n’écrivait que pour immor- taliser ses exploits. Au temps dont nous parlons, l’épée du Pro- phete a passé dans les mains des Tartares et des Tures; et les Arabes, déposant leurs instincts sanguinaires, ne songent plus qu’a senrichir par le commerce et a charmer leurs loisirs par la culture des lettres et des arts. Alors naissent ces Contes merveilleux ou limagination parcourt des pays fantastiques hantés par les génies et les fées. Le soldat n’est plus la qu'un objet d’épouvante. Les personnages qu’on y ren- contre sont des princes, des marchands, des moines, des esclaves et surtout des femmes. Les Arabes de tout temps, on le sait, ont youé un culte a la femme. Nous retrouverons., dans les romans de chevalerie, influence de ces contes, sous le rapport du merveil- leux et de la galanterie. L’art qui n’était pour rien dans la poésie primitive des Arabes est presque tout dans ce nouveau genre de récits. Ces habiles conteurs vous introduisent dans un dédale de combinaisons ingénieuses dont jamais Jeur imagination ne perd le fil. I] ne faut pas regarder les contes, écrits en prose pour lélasti- (1) Agoub, Egyptien, Zittér. orient. et frangaise. Paris, Werden, 1855 , pp. 13-59. ( 38 ) cité du récit, comme des cuvres de cabinet. C’étaient de vrais spectacles pour la foule rassemblée dans les lieux publics. En sorte que les conteurs sont les véritables comédiens de ce pays des songes. Le principal recueil de contes est connu en Europe sous le nom des Mille et une Nuits. Us existaient déja au X™ siécle, e’est-a-dire six siécles avant l’époque assignée a leur origine par M. Caussin de Perceval. Le conte d’introduction n’est pas emprunté au Joconde de lArioste, comme I’a cru le célébre orientaliste fran- cais. G, Schegel (1) a péremptoirement démontré que l'invention des Mille et une Nuits nappartient pas aux Arabes, mais aux Hin- dous, ce que M. de Hammer avait déja soupconné. Nous venons d’observer dans les races sémitiques la tendance i Vunité dans la religion, le gouvernement, la poésie o do- mine la forme lyrique. Chez les Hébreux, race théoeratique , Dieu est l’objet unique de la poésie; chez les Arabes , race patriar- cale, la religion n’a pas autant d’empire que la guerre ect l'amour, objets constants des chants épico-lyriques ou se réfléte la vie tour 4 tour sensuelle et sauvage de ces fils du désert, Tout autre est le caractére de Inde dont nous allons bientét parler. Mais auparavant effleurons le caractére de certains peuples de lAsie antérieure célébres dans lantiquité; et consacrons quelques pages aux Arméniens, peuple malheureux, mais bien digne din- térét. TROISIEME SECTION. Quelques peuples de VAsie antéricure. T,—LES MONARCHIES BABYLONIENNES ET ASSYRIENNES. Nous ne nous arréterons pas aux monarchies babyloniennes et assyriennes dont la puissance ne fut que d’un jour. Elevées par la conquéte, elles sont détruites par la conquéte. A peine Vhistoire (1) Hssais litt. et hist. de G. Schegel. Bonn, 1842, pp. 521 et suiv. ( 59 } a-t-elle assisté 4 leur fastueux triomphe, que déja elle entend derriére elle ces empires s’écrouler avee un lugubre fracas. Le despotisme des mages et des conquérants comprima lessor de la pensée. Les populations, semblables a un yil troupeau d’esclaves , passerent leur existence 4 construire et 4 décorer des temples et des palais, et 4 entretenir le luxe de ces orgueilleux dominateurs pressés de jouir de la vie, comme s’'ils pressentaient eux-mémes Vécroulement de leur fortune. I]. — Les PHENICIENS. Un autre peuple de l’Orient a eu sa grande part d‘influence sur les destinées de Vhumanité : ce sont les Phéniciens , originaires de lArabie heureuse qui, par leur commerce maritime sur la Médi- terranée et par leurs colonies, jouérent un rdle si important dans Yantiquité. Pour donner une idée de Vinfluence de la Phénicie sur la marche de la civilisation, il suffit de citer les noms de Tyr, Sidon et Carthage. La fiére indépendance de ces Anglais de l’antique Orient a préparé Vavénement des républiques. Et n’eussent-ils dautre titre 4 la reconnaissance de la postérité que la transmis- sion de lécriture a la Gréce, ce serait assez déja pour immorta- liser dans Vhistoire la race de Cadmus. Si ces peuples n'ont pas laissé de monuments poétiques, c'est que leur activité était uni- quement concentrée sur le commerce. Mais leur religion, mélange de superstitions voluptueuses et barbares empruntées 4 l’'Inde, J Egypte, a l’Assyrie, apporta de nombreux matériaux i la mytho- logie grecque. On peut s’en convaincre a la lecture des fragments qui nous restent de lhi¢rophante Sanchoniaton. Le monothéisme primitif a bientdt fait place a la déification des forces de la nature. Baal, leur idole, représentait le soleil; Melearté ou Moloch, roi de Ja terre, était leur Hercule, héros symbolique de leurs colonies ; Astarté était la déesse de la lune et de la guerre. Ce sont les Phé- niciens sans doute qui importérent dans l’ile de Samothrace le culte des Cabires , premier foyer de lumiéres dans la Gréce pélas- gique. ( 40 ) III. — Les syRIENs. ' Les Syriens formérent dés la plus haute antiquité un peuple commer¢ant ect agriculteur, tenant ainsi tout 4 la fois des Phéni- ciens et des Hébreux. Leur position entre la Méditerranée et /Eu- phrate était trop favorable au commerce maritime pour ne pas éveiller entre eux et leurs voisins une rivalité jalouse. Ces petits Etats presque indépendants de la Syrie, longtemps en guerre les uns avee les autres, étaient dévorés d'une soif insatiable de domina- tion. La race privilégiée d’Abraham était surtout antipathique aux Syriens, qui regardaient Ja Palestine d'un ceil d’envie. Mais les di- visions et les haines livrent bientot Ja Syrie entire au pouvoir des Assyriens et des Babyloniens. Les Perses, qui suecedent a ces puissants rois de |’Asie, englobent la nation syrienne dans leur co- lossal empire. Puis Alexandre, recueillant Vhéritage de Darius, se trouve maitre 4 son tour dune contrée trop désunie pour con- server son indépendance. A la mort du héros macédonien, la Syric devient un moment le jouet de ses généraux avides; quand enfin Séleucus, vainqueur d’Antigone, & la bataille dIpsus, établit le siége de son nouveau royaume au coeur de la Syrie. Aprés plus de deux siécles de domination, pendant lesquels ils éprouvent toutes les vicissitudes de la guerre, contre les Parthes, qui leur enlévent leurs possessions orientales, contre les Romains, qui convoitaient leur royaume, contre les Juifs, qwils subjuguent, mais qui s’affran- chissent sous les Machabées, les Séleucides, déchirés par la dis~ corde assise 4 leurs foyers, tombent épuisés sous le fer des Romains et abandonnent a leurs vainqueurs un pays appelé & peser bientét d’un grand poids dans les destinées du monde chrétien. Nous ne connaissons rien des productions de la Syrie antique , bien que la langue de cette nation soit aussi ancienne peut-¢tre que l’hébreu avec lequel elle est unie par d’étroits liens de pa- renté (1). Il n’y a rien 1a qui doive nous étonner : la Syrie a passé (1) Le Syro-Chaldaique est le dialecte dans lequel sont écrits les livres de Da- niel et d’Esdras. ( 44 ) par toutes les phases des civilisations orientale et paienne, adop- tant successivement la religion de ses maitres, et renong¢ant ainsi 4 son originalité propre. Monothéisme , sabéisme, magisme, poly- théisme, telles furent les différentes formes de ses croyances. Les civilisations hébraique, phénicienne, persane, hellénique, romaine, ont tour 4 tour exercé leur influence sur la Syrie. Mais le luxe et la mollesse, fruits des richesses accumulées par le commerce et la fertilité du sol, les dissensions intestines et les conquétes étran- géres n’ont pas permis Ala littérature de s’épanouir au milieu d'une nature néanmoins si riche et si variée. Mais quand se fut accompli en Judée le grand sacrifice dela croix, la ville de Séleucus, Antioche, devint le premier siége de la chré- tienté, par le pontificat de saint Pierre. C’est 1a aussi que naquirent saint Lue, saint Jean Chrysostéme, et, avant eux, ce poéte Archias qu'immortalisa Cicéron dans un de ses plus beaux discours. Nicolas de Damas, 4 l’époque de la venue du Christ, avait fait jouer avec grand suceés des tragédies malheureusement perdues. Ces auteurs profanes et ces écrivains sacrés se servirent du grec pour exprimer leurs pensées; car, depuis la domination des Séleucides, la langue des Hellénes était la langue classique de la Syrie. L'idiome national lui-méme s’était chargé de mots grees; c’est avec ce caractére nou- yeau qu’il se présente dans les ceuvres littéraires qui nous sont connues. Bardesane, aprés avoir célébré Jes louanges du christia- nisme, voua sa muse 4 l’hérésie des Gnostiques et répandit ses idées sous une forme populaire. Saint Ephrem, son contradicteur, composa en syriaque des chants nombreux et variés, pour agir sur lesprit du peuple et détruire l'effet du gnosticisme qui s'infiltrait comme un poison subtil dans toutes les intelligences. Aux V™ et VI"* siécles, les péres et les docteurs de I’Eglise, formés dans les écoles de Césarée, eréérent une véritable littérature syriaque , remplie de discussions métaphysiques et théologiques, mais peu féconde en wuyres poétiques, car le soin de défendre la religion naissante contre les assauts de lhérésie absorbait ces premiers apo- logistes du christianisme. Pendant qu'Héraclius, empereur d’Orient, jetait la division dans Eglise en consacrant le monothélisme, les Arabes s'emparérent ( 42 ) de la Syrie qui fut une de leurs premiéres conquétes. A lépoque des croisades , plusieurs Etats chrétiens s'y formérent; 5 mais bientot cette contrée fut réunie 4 Egypte par le sultan Kelaoun, pour devenir au XII™ siécle une province ottomane. Plusicurs fois la Syrie tenta vainement de se soustraire 4 l'empire des Osmanilis. Aujourd’hui je pays, habité par les Maronites, et les Druses, en- nemis déclarés des Turcs, est appelé & de grandes destinées dans Orient, L’avenir appartient aux Maronites, ces catholiques du Liban, dont l’existence remonte au V™ siécle de notre ére, alors que les chrétiens de Syric, restés fidéles a Eglise, se groupérent autour dun pieux solitaire, du nom de Maron, et éleyérent sur les, flanes de leurs montagnes ces monastéres, devenus le berceau d'une nation. Ce peuple laborieux, brave, hospitalier, aux mceurs patriarcales , ou, notre religion est mille fois plus respectée et mieux pratiquée qu’en Europe, s’étend tous les jowrs dayantage. Déja, sa. population dépasse le chiffre de deux cent mille ames. Tandis que l’empire ture s’affaisse sur lui-méme et s’éteint de vieil- lesse et de décrépitude dans son fanatisme suranné et son fatalisme énervant, une race jeune et vigourcuse, pleine de la séve du chris- tianisme, grandit dans l’exercice de toutes les yertus, et sera wn jour, nous n’en doutons pas, l'instrument providentiel de la régé- nération, de |’Orient. La langue des Maronites est le syriaque. De célébres orientalistes sortis de leur séminaire de Rome ont rendu de grands services a la science. Parmi les ceuvres. peu nombreuses qui s’élaborent au milieu des montagnes du Liban, la poésie n’a guére A reven- diquer que les hymnes de la liturgie. Les psaumes chantés en_ syriaque dans leurs églises ont été traduits par un de leurs sa- vants, Gabriel Sionite, qui professa au collége royal 4 Paris, au commencement du XVII" siécle. La poésie des Maronites est simple, vigoureuse, profonde, d’un ascétisme sévére et pénétrant. Les images sont audacieuses et grandioses comme le Liban. Nulle part les hymnes de David et des prophétes ne furent chantés, de- puis les Hébreux, avec une plus parfaite: consonnance. des lieux, du génie et de l’'ame d'un peuple. ( 43 ) QUATRIEME SECTION. LES ARMENIENS. Entre | Euphrate et la mer Caspienne, le Caucase et le Diarbeke sétend un pays que lhistoire, éblouie de la magnificence éphé- mére des grandes monarchies de l’Orient, semble avoir laissé dans lombre, et qui, par sa constance et ses malheurs, s’est fait une place 4 part dans les annales de !humanité. Parmi les races reli- gieuses du globe, aucune, aprés les Hébreux, ne mérite autant din- tcrét. Bien plus, éclairée de bonne heure des divines lumiéres de | Evangile, !Arménie serait aujourd’hui la premiére nation de lQvient, si ses querelles religieuses ne Pavaient livrée au pouvoir des fils de Mahomet. Pourquoi faut-il que cette terre, second ber- ceau du genre humain ou s’arréta, apres le déluge, l'arche de Noé sur le sommet de l’Ararat, montagne qui voyait a ses pieds ces riantes yallées maintenant stériles, hélas! habitées peut-étre par nos premiers peres, pourquoi faut-il que cette terre gémisse sous le joug des barbares, au licu d’étre le grand foyer de la civilisation orientale? Cest le secret de Dieu: nous ne pouyons pénétrer lave- nir; contentons-nous de jeter sur le passé un rapide coup d‘eil qui sullise & justifier nos regrets. L/histoire primitive de /Arménie est enveloppée de ténébres, dautant plus épaisses qu'un zéle outré mais nécessaire peut-étre fit disparaitre les traces de Pancienne idolatrie pour consommer la régénération de ce peuple dans les eaux du baptéme. Bien qu'elle diit 4 ses montagnes de conserver toujours des meeurs et des chefs indigénes, ! Arménie fut tour a tour tributaire des Babyloniens, des Assyricns, des Perses et des Romains, et laissa pénétrer dans son sein Ja religion de ses vainqueurs. En désertant la croyance au vrai Dieu professée sous le gouvernement patriareal, elle était devenue le jouet du despotisme , chatiment des peuples idolatres. A l’adora- ( 44 ) tion des dieux de Babylone enfantés par le sabéisme de la Chaldée, succéda le magisme ou le culte du feu de Zoroastre, quand l’Armé- nie fut soumise 4 la monarchie persane. La domination d’Alexan- dre le Grand, des Séleucides et surtout celle des Romains tendirent i implanter le polythéisme dans l’Arménie; mais le culte mystique du magisme avait plus d’attrait pour ce peuple contemplatif que le riant cortége des divinités olympiques. Une fusion s’opéra pour- tant dans les idées religicuses des Arméniens ; l’Inde elle-méme fit parmi eux des prosélytes. Mais le magisme, avant l’ére chrétienne, resta toujours le centre lumineux de leurs croyances. Que pouvait devenir, dans la sphére intellectuelle, un peuple qui se condamnait ’ étre le pale reflet du symbolisme persan, et dont la langue, non fixée par l’écriture, n’était qu’un jargon flot- tant composé d’éléments hétérogénes empruntés aux dialectes de YOrient et de la Gréece? Les anciens rois de Arménie souvent en guerre avec leurs voisins dédaignaient le culte des lettres et ne songeaient pas a la postérité. Quelques chants populaires conser- vés de génération en génération parmi les habitants des monta- gnes, voila les seuls monuments littéraires de l’antique Arménie. Le caractére épico-lyrique de ces chants nous est révélé par les hymnes consacrés a la Jouange de Vahakn, cet Hercule arménien, fils de Tigranes, allié de Cyrus contre Astyages, roi de Médie. Le culte du feu s’y manifeste déja 4 travers les brillants symboles du magisme. « Le ciel enfantait, dit un de ces chants populaires, la terre en- fantait, ainsi que la mer, couleur de pourpre. Les douleurs de Venfantement tourmentaient aussi le roseau rouge. De son extré- mité s’échappait une fumée, et bientot la flamme parut, et de cette flamme s’élangait un jeune homme 8 la cheyelure blonde. La flamme entoura ses boucles et voltigeait autour de sa barbe; ses yeux ct ses paupiéres étaient deux soleils (1). » Mais le peuple vivait dans lignorance et la superstition qui en est la compagne inséparable. L’art, la science, la civilisation, qui (1) Voir ’Arménie par Eug. Boré, dans Univers , ou histoire et description de tous les peuples. ag ( 45 ) brillaient 4 Athénes, Alexandrie, Rome, Césarée et Byzance, ne ver- saient pas leurs lumiéres sur ce pays tombé dans Ja barbarie depuis Ja domination des Parthes, quand tout 4 coup sortit de son sein un homme de génie, descendant de la famille royale des Arsacides, qui convertit !Arménie au christianisme, sous le régne de Tiri- date le Grand, au commencement du IV™ siécle. A peine saint Grégoire, /Illuminateur, eut-il propagé la doctrine du Christ dans son pays. que l’on vit ce peuple, jusque-Ja si obscur, s’élever, comme par miracle, au plus haut degré de civilisation intellectuelle et morale. Le V™ siécle fut lage d’or de la littérature arménienne qui ayait enfin trouvé sa langue dans les caractéres alphabétiques de saint Mesrob. Lhistoire fut surtout cultivée a cette époque par quelques écrivains d'un mérite éminent, ala téte desquels se place Moise de Khoren, dont nous naurions pas a parler ici, sil ne s’¢- tait révélé en méme temps comme un poéte inspiré dans cette sublime ¢légie qui termine son histoire, et ot il déplore, avec des accents si pathétiques, le sort de sa patrie ‘en proie a Vhérésie et privée deson indépendance. Les empereurs grees de Constantinople et les rois néo-persans s¢taient, en effet, partagé les dépouilles de ce malheureux peuple. Aux VI™ et VII™° siécles, une décadence prématurée frappa Ja littérature. Que pouvait produire un pays désolé par la guerre et de vaines disputes théologiques, ou il s’‘agis- sait de savoir si la divinité en Jésus-Christ n’était pas la cause effi- ciente des actions humaines, de maniére 4 déterminer l'unité de nature dans l'unité de personne? Le dogme, défini au concile de . Nicée contre Nestorius, venait d’étre de nouveau proclamé contre Eutychés, au concile de Chalcédoine. La haine des Arméniens con- tre les Grees, leurs oppresseurs, fit rejeter par eux le concile de Chaleédoine; et, tout en condamnant Eutychés, qui absorbait ’hu- manité dans la divinité de Jésus-Christ, ils s’obstinérent 4 inter- préter 4 leur maniére l'union hypostatique, et restérent séparés de l'Eglise catholique par Yadoption de l'unité de nature. C'est 1a, au point de vue de la civilisation et de la nationalité, la source de tous les malheurs de ’Arménie. On rencontre, aux VIII"° et IX™° siécles, des théologiens et des historicns célébres, mais ce n'est quau X™° siécle que la poésic ( 46 ) retrouve l’inspiration sacrée des premiers temps du christianisme, dans les élégies ct les hymnes de saint Grégoire de Nareg, le David arménien. Telle était la foi de la race de Grégoire 1Iiuminateur que, dans l’apaisement des luttes religieuses, sous les Pagratides, Ja poésie arménienne brilla comme un astre radieux au sein des ténébres amoncelées par lignorance et la superstition, et n’eut d’autre rivale au X™ siécle que l’épopée persane du mahonreétan Firdousi. Au XI™* siécle, les lettres, en Arménie comme en Europe, trouvérent un refuge dans les couvents. Saint Nersés le Graciewx, ce Fénélon de l’Orient,, esprit universel qui atteignit de plein bond tous les sommets, ouvrit le second age littéraire de la nation, age fécond en écrivains, parmi lesquels un petit nombre se distiitgua du vulgaire, par les qualités du style. Si le recueil de Fables publié en 1825 par M. Saint-Martin, date de ectte époque, il annonce deja la corruption du gout classique que précipite ’envahissement de l’'idiome vulgaire et les traductions d'auteurs latins pauvres de pensée et de style qui habituaient Ja langue aux constructions in- correctes. Rien ne détruit loriginalité littéraire comme les tradue- tions portant sur des langues dont l’analogie expose l’écrivain & mm calque servile. L’arménien qui appartient a Ja famille indo-germa- nique se préte mieux que toute autre langue a Vexercice de la traduction. I] peut suivre pas a pas Ja construction et les tournures srecques et latines. Ce systeme de traduction contribua a élever sans tatonnemrents Vidiome classique a une grande perfection de formes, dés le premicr Age littéraire; car ‘on ne traduisait alors que des modéles dignes d'étre imités. C’est par Eeriture sainte que la littérature arméniemne avait débuté; et la différence de l'arménien avee les langues sémitiques n’enlevait pas au nouvel idiome sa physionomie originale. Limitation des modéles grees fut également féconde. Mais, aprés le XII™ siccle, les traductions gatérent Ja Jan- gue en raison méme de leur fidélité. C’en était fait d’ailleurs de Ja civilisation arménienne, depuis que les Tures s’étaient emparés de ces contrées. C'est Europe désormais qui fera partout rayonner Ja pensée, au moyen de l'im- primerie. Le peuple arménien ressentit bientot aussi Theureuse influence de la presse. Grace 4 cette multiplication des livres, le ( 47 ) eélebre Méchitar, créateur du couvent de Saint-Lazare 4 Veniseé, provoqua un nouveau nrouvement littéraire en rassemblant tous les ouvrages qui formaient le trésor des lettres arménicnnes, et convertit son établissement en atelier littéraire d’ou sortirent un dictionnaire classique et des productions savantes embrassant toute Vhistoire religieuse, politique et littéraire du peuple arménien. Parmi ces productions, les seules qui appartiennent a la poésie sont les prieres du rituel et de la liturgie, et les traductions douvrages étrangers, comme la mort d’Abel de Gessner, le Pa- radis perdu, les Pensées de Young et les Meditations de Lamar- tine. Le regénérateur de la littérature arménienne avait pour but dopérer Ja réconciliation de lEglise arménienne avec l’Eglise d'Oc- cident, centre de Ja catholicité; sans renoncer pourtant au senti- ment national, et sans renier les gloires des pontifes, des patriarches et des saints qui ont illustré ’Arménie. Mais que peut un peuple qui a perdu son indépendance? L’Eglise arménienne produira en- core de grands hommes, des saints peut-étre; il y aura toujours des Arméniens, mais il n’y a plus d’Arménie. Ce tableau rapide nous a fait voir dans cette race caucasienne le earactére profondément religieux qui distingue les descendants d Abraham; de plus, ils sont adonnés au commerce comme les Juifs, les Phéniciens et les Syriens, et, comme les premiers, ils aiment a faire le trafic et 4 mener une vie errante. D’autre part, la langue arménienne n’a rien de commun avec les langues sémitiques et se rattache directement A la famille indo-germanique. Ce peuple tient done des deux races. Mais, par son génie poétique, il est exclusi- vement religieux ; car il ne faut pas compter le livre de Fables qu’on attribue 4 wn écrivain du XII siécle. Dans le domaine de Ja littérature, on ne trouve chez les Arméniens que histoire, d'un edté, la poésie sacrée, de Yautre. La traduction de la Bible au V"* siécle semble avoir définitivement fixé les tendances litté- raires de ce peuple. Majs, dans le genre lyrique, aprés David et les prophétes auxquels il ne faut rien comparcr, aucune littérature ne peut entrer en paralléle avec celle des Arméniens, pour Ja pro- fondeur mystique des sentiments, la tendresse pure et passionnée ( 48 ) de l’extase religicuse et l’élévation métaphysique des pensées. La poésie chrétienne en Europe n’a pas égalé le Charagan, ce riche écrin qui renferme les plus beaux diamants de la liturgie armé- nienne. Ce style oriental, tout resplendissant de figures aussi har- dies que brillantes , n’est pas toujours aisé 4 comprendre. Mais jamais le sentiment n’est étouffé sous le poids des métaphores. « Montagnes, réjouissez-vous , dit 'hymne biblique, en lhon- neur du patriarche saint Grégoire; réjouissez-vous toutes de la eloire éclatante réseryée au mont Sébouh, qui a servi de retraite a saint Grégoire , colonne lumineuse de la sainte Eglise d’Ar- ménie, lui dont elle se réjouit, 4 la gloire de la Sion céleste. ~» Quia sujet de se réjouir plus que le mont Ararat aux cimes escarpées? car dans ses flancs repose saint Grégoire, arche rédemp- trice du déluge de péchés qui couvrait /Arménie , et qui nous met pour toujours & l'abri de la fureur de ses flots. » Que le mont Sébouh, couronné d'une auréole lumineuse , se réjouisse 4 ’exemple du mont Sinai : c’est 14 quapparut larc-en- ciel de Valliance , saint Grégoire, au front éclatant de lumicre comme celui de Moise, et quia fait briller nos faces par la grace du Saint-Esprit (1). » Et 'hymne se poursuit sur ce ton dans des strophes étincelantes et enflammées qui rivalisent avec les chants du Roi-prophete. Au commencement de Ja messe, pendant que le eélébrant s’ha- bille, les cleres chantent dans le cheeur Phymne suivante : « O mystére profond ct incompréhensible, sans principes, au- dessus de nous, vous ayez orné les Principautés, dans la chambre nuptiale, d'une lumiére inaccessible, et vous avez entouré les cheeurs des Anges d'une gloire incomparable ! » Par un pouvoir ineffable, merveilleux, yous avez eréé Adam a l'image de votre souveraineté, et yous avez revétu de pompe et de gloire dans l’Eden, licu de délices. » Par la passion du Saint, votre Fils unique, toutes les créa- tures ont été renouvelées, ct homme est redevenu immortel et a été paré d'un vétement dont il ne pourra plus étre dépouillé. (1) Eug. Boré, ’Armenie , op cit. a ( 49 ) » Oesprit saint, Dieu, qui, sous la forme d'une pluie de feu dune ineffable fécondité, étes descendu sur les apdtres dans le cénacle sacré, répandez aussi sur nous votre sagesse, en méme temps que nous nous revétons de cette tunique ! » A votre demeure convient la sainteté, et puisque vous seul étes enyeloppé de splendeur et entouré d'une sainteté gloriecuse, ceignez-nous de vérité. » Vous qui avez étendu vos bras créateurs jusqu’aux étoiles, armez de force nos bras, afin qu’en soulevant nos mains nous puissions nous rendre intercesseurs auprés de vous. » Que le diademe qui ceint notre téte protége notre pensée, et que létole, qui porte le symbole de la croix, garde nos sens, étole semblable a celle d’Aaron, belle, brillante de fleurs d'or, pour l’ornement du sanctuaire. » O Dieu unique, véritable maitre souverain de toutes les créa- tures, qui nous avez revétus de la chape, symbole d’amour, pour nous rendre dignes ministres de yotre saint mystere ! » Conservez, roi céleste, votre Eglise inébranlable, et gardez en paix les adorateurs de votre nom. » Nous avons, contrairement a nos habitudes, fait ces citations , non-seulement pour donner un avant-gott de la poésie chré- tienne, mais pour faire entendre Jes derniers échos de 'hébraisme uni au christianisme dans une nation de lOrient, vieille comme la Judée, au moment ou notre imagination ya s’enfoncer dans les riantes galeries du polythéisme, si puériles pour la raison. On ne regrettera pas d’avoir lu ces extraits des hymnes de l’Ar- ménie peu connus parmi nous, et qu'une main amie a bien voulu mettre sous nos yeux. Nest-il pas d'un touchant intérét de rencontrer un des plus anciens peuples de l’Asie si profondément attaché a la foi chré- tienne, malgré ses malheurs et malgré l‘hérésie qui, durant tant de siécles, a déchiré son sein? Espérons quil n’est pas loin Je jour ot /Orient tout entier s‘in- clinera devant la croix du Rédempteur : Fiet wnwm ovile et unus pastor. Tome VII. h ( 50 ) CINQUIEME SECTION. 1. — Inve. Pénétrons maintenant dans cette riche contrée ott la nature semble avoir réuni tous ses charmes, toutes ses magnificences, toute sa majesté, pour inviter [homme a les reproduire dans le fidéle miroir de son imagination. Visitons !Hindoustan ou fut peut-¢tre le doux et riant Eden, et oublions, pour remonter a son radieux berceau, le triste spectacle que présente en ce moment une race qui fut la mére des sciences, des lettres et des arts du monde enticr, tant ancien que moderne. Si le désert marqua au front Jes Hébreux et les Arabes du sceau de Vunilé, la nature de lInde transmit a la race indo-européenne ou indo-germanique le génie de la variélé. Rien n’égale, en effet, la richesse de cette nature. Dominée par Himalaya, géant des monts, dont le front chargé de neiges va se perdre dans les nues (1) , Inde, s’étendant de collines en collines, couronnées de vastes foréts, sombre retraite des animaux sauyages, voit du sein de ses montagnes s épancher quatre grands fleuves et une multitude in- finie de rivieres, de torrents, de ruisseaux qui, apres avoir porté la fécondité dans des vallées d'une fertilité inouie, o& régne un printemps éternel, vont avec fracas se précipiter dans les abimes de Océan. Le Gange est le Jourdain de lInde, et le Mérou, une autre montagne de Sion. Le soleil indien est ardent, mais lom- brage des bois et des foréts, et la fraicheur des eaux en tempérent la chaleur et l’éclat. Des prairies immenses au gras paturage y nourrissent de nombreux troupeaux d'une beauté incomparable. Les fleurs et les arbres A fruits naissent et croissent sans culture. Deux fois l'année, les moissons se renouvellent, et la terre produit d’elle-méme le riz, principal aliment de ce peuple frugal. Des (1) En s’élevant 4 27,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. ‘Fey ( 51 ) plantes aussi belles qu‘utiles, le palmier, le nard, le lotos, s éleyent sur les collines ou sourient au bord des eaux. L’éléphant se pro- mene en roi dans les foréts et les vallons. L'Inde, enfin, est cette terre d Ophir qui fournissait a lantiquité Vor, les pierres pré- cieuses et lencens. Quel deyait étre Je caractere du peuple qui vivait sous ce riant climat, au milieu de cette riche nature? doux, simple, naif, yolup- tucux, contemplatif, mystique, idéaliste, religieux. La végétation intellectuelle y est analogue a la végétation matérielle. Cest le pays de limagination et de la réverie. Tout y est dune fécondité intarissable, d'une richesse luxuriante, dune variété inépuisable , mais tout sy méle et s’y confond : Vidéal et le positif, le naif et le monstrueux, la grace et Vhorreur. Les détails sont pleins de délica- tesse, | ensemble est grandiose, colossal, démesuré, comme les mo- numents gigantesques taillés dans le roc vif, et la chronologie fabu- Jeuse qui compte des millions d’années dans ses périodes divines. La langue sacrée des Hindous, le sanscrit, présente aussi cette varicté, cette richesse qui sont le caractére du sol, du ciel et du climat de ]Inde. Simple et réguliére dans ses constructions plus qu aucune autre langue; douée d'un heureux mélange de voyelles et de consonnes; d'une extréme liberté dans la formation et Ja composition des mots dont les racines s’étendent a l’aide de préfixes et @aflixes; dune richesse musicale incomparable dans la combi- naison et les modulations des sons vocaux, pas une nuance ne lui manque dans Ja manifestation des sentiments et des idées. Une flexibilité incroyable lui permet d’exprimer tour a tour l’énergie et la douceur, la terreur et la grace, les inspirations les plus su- blimes, les pensées métaphysiques les plus subtiles et les plus quintessenciées; enfin, tous les réves de limagination, toutes les émotions de l’dme et les formes les plus précises du style senten- cieux. Avee un tel instrument, ce peuple si merveilleusement doué deyait parcourir échelle entiére des conceptions humaines. Aussi, bien quil fat plus rapproché qu’aucun autre de la grande scéne de la création et de Ja révélation primitive, oublia-t-il bientot la notion monothéiste pour se perdre, en suivant les voies de Ja vo- ( 52 ) lupté ou de Vorgueil, dans un panthéisme matériel ou idéaliste qui tour 4 tour divinisa ]a nature physique et morale, ou, se dée- tachant de Ja réalité phénoménale dans laquelle il ne voyait qu’il- lusions (maya), identifia par l’abstraction l’étre humain avec l’Etre supréme. Le Dieu créateur, au lieu de tout tirer du néant, fut con- sidéré comme tirant tout de lui par voie d’émanation. C’était maté- rialiser Vidée de Dieu pour faire jaillir de son sein, comme les grandes sources du mont Mérou, le fleuve intarissable de l’étre qui, se divisant de canaux en canaux, finit par se confondre avec )’O- céan divin. De méme que « l’araignée file sa toile avee sa propre substance, » ainsi Brahma compose le tissu de la création. Cette conception, en s‘idéalisant, fait envisager les étres eréés comme de purs phénomeénes, et Dieu, la réalité substantielle, devient lunité absolue a l'état d’abstraction. Ce spiritualisme destructeur des formes est associé & la poésie dans les productions de Inde; mais il est l’antipode de la poésie, et ne peut étre mis en ceuvre que dans la vie pratique des anachorétes, et dans ces prescriptions morales destinées a purifier les mceurs, et dans ces exercices pieux par lesquels l’ame s’éléve vers I’Etre absolu. Le panthéisme matériel est la source de la mythologie des Hindous. Des que l’intelligence , sol- licitée par le sensualisme, s’éloigne des traditions pour identifier Dieu avee son ceuvre, le Créateur doit lui apparaitre sous des formes sensibles. C’est la mer se confondant avec ses eaux. Dieu contient l’univers et l’univers contient Dieu. En d'autres termes, le Créateur est le contenant, et la création le contenu. De 1a ces incarnations successives des principes cosmogoniques dans la tri- mourti ou trinité des Hindous. Brahma représente Ja création, Vichnou, la conservation, Siva, l'amour régénérateur et la des- truction des étres; de 14 la génération humaine substituée a la génération divine sous la forme du lingam ; de 1a toutes les forces et toutes les formes de la nature, depuis Jes montagnes jusqu’aux astres, et depuis Ja plante jusqu’é homme, converties en sym- boles divins; de 1a, enfin, ces théogonies ott tout devient Dieu, excepté Dieu lui-méme, selon l’expression de Bossuct. Nous avons suivi les déviations de la tradition primitive du Dieu créateur. Voyons ce que devient la tradition du péché ori- ( 55 ) ginel. L'homme est tombé. Comment pourra-t-il se régénérer? Par les sacrifices expiatoires et surtout par l’holocauste d’une vie exempte de souillure, disent Ja raison et Dieu. En passant par tous les degrés de l’échelle de l’étre, depuis animal jusqu’a Dieu, selon Ja mesure de ses fautes, dit la religion indienne. De la, la métempsycose qui aboutit encore au panthéisme. Quelles furent les conséquences de cette doctrine sur la civili- sation et la poésie des Hindous? D’abord elle consacra le régime des castes , dont Vorigine est sans doute dans Vinvasion et Ja sou- mission successives de différentes peuplades, mais dont la distine- tion est admise en téte du code de Manou, comme un dogme reli- gieux, par suite de la croyance 4 la métempsycose. Ces castes sont au nombre de quatre : les Brahmanes ou caste sacerdotale, inter- pretes des livres sacrés ou védas ; les Xathryas ou caste guerriére, subordonnée a la caste sacerdotale; le Vaiscias ou caste agricole ; les Soudras ou caste servile. Restent les Parias; mais ceux-ci sont mis au ban de la société; c’est la caste impure avec laquelle les autres n’ont aucune communication. Les Parias sortent évidem- ment d'une peuplade soumise par la victoire, ainsi que les deux derniéres classes privées de tout droit politique; mais la premiere, nétant pas chargée du pouvoir exécutif, n’est pas née dune tribu conquérante. C’est une race théocratique sans doute descendue des patriarches qui, par son origine mystérieuse, est regardée comme dépositaire de la révélation, et qu’on croit, par la sainteté de la vie, en communication directe avec la divinité. Les prérogatives des Brahmanes sont immenses. Interprétes de Ja religion et des lois, ils sont tout ’ la fois prétres, savants, astro- logues, juges, médecins , et forment le conseil de la royauté. Leur prestige tient surtout 4 leur grandeur morale. Ils sont aux yeux des autres classes les plus vertueux des hommes, et s’affranchis- sant, par la science et lextase, de la transmigration des Ames, ils ont le privilége de s’unir & la divinité. Ce sont eux qui prési- dent aux cérémonies religieuses et aux sacrifices expiatoires par lesquels l'dme cherche a se réhabiliter de ses fautes. La barriére infranchissable que la religion établit entre ces castes s‘oppose invinciblement au, progrés et condamne le peuple 4 un ( 54 ) abaissement irremédiable, car ce n'est qu’aprés Ja vie actuelle que lame peut, par une série de transmigrations; remonter 4 une con- dition meilleure. Les mariages perpétuent les castes. Aussi est-ce le plus grand des malheurs d’étre privé d’enfants. L’ame , ailleurs, avant d'en= trer dans le paradis (varga),a une derniére expiation & subir. Elle ne peut obtenir sa délivrance sans les suffrages mortuatres , satis- factions pieuses que les fils doivent 4 leurs péres. C’est 1A aussi qu'il faut chercher la cause du respect que 'Hindou professe pour la femme, source du salut. La femme, de son cété, » doit se dévouer corps et Ame & son mari, dans la vie et dans la mort. Ce dévouement va si loin que maintenant encore on voit des femmes étouffer leurs sentiments de méres pour se précipiter sur le biicher de leurs maris, coutume barbare qui dépasse les pres- _ eriptions des lois; car le code de Manou ne condamne Jes femmes qu’h un éternel veuvage, en leur rappelant qu’elles se doivent dé- sormais & leurs fils. Voyons maintenant comment la double influence de la métemp- sycose et du régime des castes a réagi sur la poésie. Les deux pre- miérés castes sont seules représentées dans les poémes de FInde, paree que, seules, elles ont en main les destinées de la nation et dirigent les événements. Tous ces poémes sont les fastes des prétres et des guerriers; ils sont évidemment écrits par les premiers, qui comptent la science parmi leurs attributions. Or, la science dans l'Inde e’est la poésie; car la religion mystique et symbolique, la philosophie, la morale et les lois, tout est confondu dans ces euvres encyclopédiques. Il est méme permis de conjecturer que si les Brahmanes n’étaient pas entrés en lutte avec les Xathrias, la poésie épique ne serait pas née chez les Hindous. Rien d’étonnant done si partout les anachorétes se mélent aux guerriers , et si Ja religion et la philosophie se rencontrent partout, & cété des exploits hé- roiques, dans les poémes indiens: Voila Vinfluence des castes. Celle de la métempsyeose gui s’y rattache, comme je lai démontré ; n’est pas moins frappante. C’est pour échapper Ala transmigration des ames que les Brah- = Fry ( 55 ) manes se plongent dans I’extase de la contemplation; c'est 14 la source de cet idéalisme, de ce spiritualisme élevé qui caractérise les grands monuments poétiques de l'Inde. La doctrine de la métempsycose a jeté sur tous ces poémes une teinte mélancolique. L’invention de la sloka, ou distique indien, par Valmiki, modulant sa voix sur les sons plaintifs d'un oiseau dont une main cruelle avait troublé les amours, n’est qu'un mythe gra- cieux inspiré par le génie de Ja mélancolie. Quand Ja vie humaine nest considérée que comme un grand sacrifice expiatoire dont ame est la victime au fond de sa prison de chair, toutes les fibres de la sensibilité doivent rendre des sons tristes comme le sort. Mais, sur cé fond de tristesse, la nature quisourit, comme le lotos sur le bord du torrent, répand la grace et Ja sérénité. Ce qui donne a la poésie indienne un charme incomparable, c'est la fraicheur, la naiveté, la grace, innocence, la tendresse des femmes mises en scéne dans les poémes et les drames de l'Inde. C’est 4 peine si épouse des Cantiques et 'Eve de Milton peuvent rivaliser avec les héroines de Kalidasa. Combien le réle de la femme devait étre important pour inspirer aux poétes de si ravissants tableaux! Enfin , la transmigration des Ames unie au panthéisme inspire a YHindou une sympathie universelle pour la nature animée, pour Jes animaux et les fleurs. C’est ce culte de la nature, c'est ce na- ‘turalisme qui donne aux poétes le sentiment du paysage, et qui rend les descriptions si attrayantes. Nous allons jeter un rapide coup d’cil sur les productions éton- nantes de l'Hindoustan. Elles ont été depuis peu révélées 4Europe. Bien des wuvres sans doute sont encore enfouies dans les sanc- tuaires, ou ensevelies sous les débris des temples brahmaniques. Ce que nous en connaissons suffit pour nous montrer le dévelop- pement complet de lorganisme poétique, suivant la loi que nous avons formulée dans |’exposition de nos principes : !hymne, l’épo- pée, Pode, le drame et les genres de Ja décadence. Nous trouvons d’abord les Védas, hymnes ou pri¢res qui re- montent i la plus haute antiquité, et oi Von respire encore les ( 56 ) parfums de I’Eden. Le Dieu créateur y est célébré avec un enthou- siasme et un spiritualisme voisins de la Bible. Ces livres sacrés, au nombre de quatre, contiennent la réyélation de Brahma. La per- sonnalité de Dieu n’est pas encore absorbée dans l’Océan de létre. Cependant, la confusion regne déja dans les doctrines; le poly- théisme symbolique y apparait, et avec lui le panthéisme, qui est au fond de toutes les doctrines philosophiques et religicuses de I'Inde. Ce qui étonne Je plus dans ces livres théologiques et litur- giques, c’est la poésie mélée a l’abstraction. A force de méditer sur les mysteres de la religion, les Ames contemplatives se sentent pousser des ailes, comme dit Platon, et sélévent par dela les cieux jusqu’a l’'infini. Le malheur est qu’en parcourant les régions de Vidéal, imagination perd de vue le réel, et , comme un navire sans boussole, voguant sur des mers inconnues, elle doit rencon- trer des écueils. De la erreur entée sur la vérité. Les traditions se perdent, et l’esprit n’a plus conscience de la réalité qu'il a sous les yeux. C’est ainsi que les Védas qui, 4 lorigine, consacrent le mo- nothéisme de la race patriareale, dont descendent les Brahmanes, dégénérent, peu a peu, en naturalisme pour se perdre enfin dans Yabime du panthéisme émanatistique. Linfluence des Védas sur la civilisation indienne fut immense. Cest de 1A que sortirent la religion, la littérature et les institutions sociales des Indiens. Le code de Manou lui-méme ne renferme que Ja formule législative des principes contenus dans les Védas. Ces livres sacrés sont le point de départ de toute la littérature indienne. Nous ne nous arréterons pas a toute cette encyclopédie connue sous le nom de Sastras dont les Vedas forment la premiére partie, ala fois dogmatique et poétique. On trouve dans les Sastras des théories sur la médecine, la musique, la guerre et les arts méca- niques qui n’appartiennent a la poésie que par la forme, et dont le fond éehappe 4 notre sujet. Dans cette encyclopédie sont réunis également les différents systemes philosophiques. Je dis les diffé- rents systemes, car il n’est pas un coin de la pensée que wait exploré la flexible et pénétrante intelligence de la race théocratique de l’'Inde. Le panthéisme qui y domine n’est que la synthése, le 4 confluent de tous ces systémes tour 4 tour réalistes, idéalistes , (357) athéistes, théistes, matérialistes et spiritualistes, ol. se manifeste clairement la lutte du Brahmanisme et du Bouddhisme dans la triple yoie des traditions, de l'étude de la nature et du principe mental. Quon ne croie pourtant pas que la poésie ait trouvé dans l'Inde les véritables formules scientifiques. C’est un vaste chaos ou toutes les traditions sont aflirmées. La cause et l’effet s’y confondent. Que peut-il sortir dailleurs d'une philosophie panthéistique, sinon le chaos? Ce qui empécha les Hindous de constituer un corps de doc- trine digne du nom de science, c'est imagination qui enveloppa leurs idées du voile de la fiction poétique. Ce n’est qu’a ce titre que nous touchons a leur philosophie dont l'influence sur la civilisation et la poésie fut si prépondérante. Les commentaires des Védas, que nous connaissons en partie par les Oupanizadas, VEzour Veda, le Pouranas, enfin le Dharma- Sastra ou code de Manou, loi civile et morale dont les préceptes sont exprimés dans une forme bréve et sentencieuse, voila des ouyrages qu'il est difficile de classer dans aucun genre, parce que la poésie est partout mélée a l’exposition et a la discussion dogma- tique. Nous voudrions les ranger sous la dénomination de poésie didactique. Mais ce genre est tellement répandu dans toute la litté- rature de l’'Inde, qu ‘il en fait véritablement le fond. Chose singu- liére, et qui peut seule expliquer la civilisation indienne: la didac- tique, qui, chez les autres nations, ne s'infiltre dans la poésie qu’aux époques de décadence, pénétra chez les Hindous dés l’épo-~ que des Védas, sans altérer en rien la fraicheur d'imagination des poémes puisés a cette source commune. Les Pouranas, légendes mythologiques ou la puérilité se joue & eété du sublime, sont la mise en ceuvre de ce symbolisme mons- trueux que l'on s’étonne de voir associé & une pureté limpide d expression dont la Gréce seule offrit plus tard le modéle. C'est une véritable débauche d'imagination. Les dieux métamorphosés en hommes et en animaux y prennent des proportions colossales. Au lieu d’abaisser, d’anéantir la forme devant l'idée divine, comme te font les Hébreux, les Hindous exaltent la forme et I’étendent démesurément pour l'égaler 4 Vinfini. La diyinité a des tétes , des ( 58 ) yeux, des bras, des mamelles par centaines, et ouvre une bouche qui contient l'univers et ou viennent s’engloutir le temps et les générations humaines. Le dicu Siva a cing tétes, un ceil au milieu du front, et de ce front fait jaillir un fleuve, quand il représente la fécondité. Il porte sur la poitrine un collier et sur Ja téte un diadéme de cranes humains; ses cheveux sont flamboyants et chargés de cendre , comme une forét incendiée; le feu s’échappe de sa bouche armée de défenses menacantes; de bideux serpents sont entortillés autour de ses bras et de ses flanes, quand il repré- sente la destruction. La déesse Ganga (personnification du Gange), en descendant du ciel, se trouve enlacée dans le labyrinthe de la chevelure de Siva, semblable aux foréts de | Himalaya. Dans son cours, le fleuve sacré trouble les sacrifices d’un Mouni qui l’en- gloutit et le rejette par Voreille (1). Voila le symbolisme indien. Il tend au sublime par la disproportion de la forme et de Pidée; mais il faudrait imagination complaisante des Indiens pour y veir autre chose que la charge ou Ja caricature des formes humaines, Je sublime du ridicule ou de Phorreur. Dans la réalité, ces monstres glaceraient d’épouvante; comme fiction, e’est le cauchemar dine imagination délirante ou le merveilleux puéril d'un peuple enfant obsédé de terreurs superstiticuses. Tous ces symboles sont tour a tour grandioses et gracieux , comme les objets qui les inspirent. La nature pose devant le poéte, et broie elle-méme les couleurs sur sa palette. ‘ Les Poémes épiques de l'Inde sont les archives nationales des Hindous contenant les traditions héroiques, religieuses et mythi- ques de ce peuple, vastes monuments élevés d’assise en assise par la main des siécles, sous l'inspiration des prétres. Ces traditions successives ont pu étre recucillies et coordonnées par quelques hommes de génic comme Valmiki et Viasa; mais chaque génération a eu sa part dans la construction de ces édifices imposants. Les Védas, ces quatre fleuves de la parole qui jaillissent du mont sacré ou Indra tient sa cour, vont, enrichis des ruisseaux et des torrents ott se réfléchissent de siécle en siécle les luttes gigantesques des (1) Voir Cantu, t. Ie, pp. 149 et 167. 5 RI pe th ( 59 ) dieux et des héros, déverser leurs flots chargés d’étoiles, d’azur, de sang et de fleurs dans ! Océan de Valmiki et de Viasa. Deux de ces poémes nots sont connus: ce sont le Ramayana et le Mahaba- rata, inearnations de Vichnou sous des formes humaines. Le premier de ces poémes raconte, dans un cadre symbolique, la conquéte de Inde méridionale et de Vile de Ceylan par Rama, fils de Dasarata, roi d’Ayodia ou Delhi. Liadversaire de Rama (Vichnou incarné) est Rayouna, prince des mauvais génies ou démons, noms donnés sans doute aux ennemis avec lesquels les Hindous étaient en guerre, comme aujourd’hui les Indiens révoltés appellent les Anglais, leurs maitres, semence du diable. Le héros du poéme, exilé par son pére, prend les habits d’anachoréte et fait pénitence dans le désert. De 14 les descriptions lyriques du spi- ritualisme mystique des Brahmanes et les sentences morales jetées au milieu du réeit des batailles. Il y a dans ce poéme des épisodes charmants. Le plus célébre est la mort d’Yaginadatta, out la ten- dresse paternelle sépanche en larmes si touchantes! II n’y a pas dans toute la littérature une scéne de famille plus affectueuse, plus pathétique, hormis Vhistoire de Joseph qui est au-dessus de la poésie et de lart. Le Mahabarata, épopée tellement vaste que les poémes d'Ho- mére ne sont que des fleuves 4 cété de cette mer de traditions mythologiques et historiques, est la grande guerre des dieux, des héros et des géants. Il faudrait des années pour lire cette oeuvre immense qui ne renferme pas moins de deux cent cinquante mil- lions de vers. Les épisodes y sont vastes comme des poémes; on y trouve tous Jes genres réunis : élégie, lyrisme,; drame, récit; deseription, dogme et systémes. Li sont racontés les deux plus grands faits de Vhistoire intérieure de PInde : Ja lutte des castes sacerdotale et guerriére, et la querelle entre les Koros et les Pan- dos, les premiers régnant a Ayodia, et les seconds, 4 Astinapour. Vichnou inearné sous la figure de Krisna prend parti pour les Pandos dépouillés de leurs Etats et leur assure la victoire. Au point de vue moral, le Mahabarata est bien supéricur aux poémes de lantiquité paienne. Si cette conception, dégagée des fables qui lenveloppent, appartenait & la Bible, on pourrait y ( 60 ) voir la figure du Nouveau Testament ou de Ja mission divine du Sauveur des hommes. Krisna, en effet, vient sur la terre accom- plir un grand sacrifice; il participe 4 toutes les miséres de ’hu- manité pour détruire le mal et présenter dans sa personne le mo- déle de Ja perfection morale. Plein de justice et de miséricorde, il demande a ceux qui veulent se faire ses disciples la foi et l'amour, le renoncement au monde et 4 soi-méme. Tout cela est mélé d'er- reurs grossiéres. Le panthéisme y est clairement professé. La con- templation mystique qui dédaigne l’action, et, ne voyant partout quillusions trompeuses, finit par devenir indifférente sur la mo- ralité des actes humains, voila l’écueil de ce spiritualisme raffiné. L’Espagne catholique nous a offert. les mémes aberrations dans le quiétisme de Molinos imité plus tard en France dans les Torrents de M™ Guyon. Quoi qu il en soit de ces erreurs, le Bagavad-Gita, épisode admirable du Mahabarata, prouve 4 toute évidence que la tradition primitive du Rédempteur promis au monde s’est con- servée dans l’Inde, au milieu des erreurs du panthéisme. On ren- contre parfois des idées si élevées sur la divinité et une morale si pure qu’on croirait lire ’Evangile. N’y a-t-il pas de quoi faire rougir les chrétiens dans ces paroles textuellement extraites du Bagavad-Gita ; « L’homme qui n’a dans ses ceuvres d’autre objet que moi, qui me regarde comme lEtre-Supréme, qui ne sert que moi seul, qui ne songe pas 4 son propre avantage, qui vit sans colére parmi ses semblables, sera & moi. » Voila pour l’amour de Dieu. « Celui qui domine ses passions , soumet son intelligence et se montre également doux en toute chose, sera uni a moi (1), dit Krisna ou Vichnou, le verbe de Dieu. » Voila pour la morale et Yamour des hommes. Soyons justes, la charité chrétienne était pressentie dans l'Inde mille ans au moins avant Jésus-Christ; in- clinons-nous respectueusement devant ces inspirations sacrées, car c’est la voix de Dieu méme entendue sur la scéne de I’Eden par les échos de Himalaya. Seulement, Ja charité chrétienne s’étend 4 Vhumanité tout entiére, et s’'adresse surtout aux déshérités de la fortune; tandis que la charité indienne est sans entrailles pour le (1) Voir Cantu, t. i", pp. 154 et 155. ( 641 ) malheureux qui expie, selon la doctrine de la metempsycose, des fautes commises dans une existence antérieure. A cété de cette poésie grave et sublime du Bagavad-Gita, se ren- contrent des récits pleins de Jarmes et de sang. L’épisode de Valo et de Damayanti est un des plus intéressants du poéme. C'est le récit d'un amour malheureux, pur, naif, noble et constant. Les paysages y sont grandioses et gracieux comme la nature hindou- stane; les aventures y sont fantasques ou terribles, les visions, éblouissantes. Liimagination seeptique de nos climats tempérés et de nos civi- lisations rationnelles ne peut sempécher de trouver puériles, étranges, extravagantes la plupart de ces conceptions symboliques de l’antique Orient. Mais ce quil y a de plus merveilleux dans toutes ces merveilles, c’est la simplicité avec laquelle imagination se joue au milieu de ce monde fantastique. C’est une poésie ot tout est contraste , et dont le charme réside dans I’expression naive des sentiments tendres plus encore que dans la magie des couleurs. Les épisodes du Mahabarata se chantaient ou se récitaient devant le peuple assemblé, comme histoire d’Hérodote aux grandes Pana- thénées; le Bagavad-Gita était lu comme un livre de dévotion dans les cérémonies religieuses, ce qui popularisait ces chants nationaux deyenus bient6t une mine inépuisable d’inspirations lyriques. L’Ode héroique, seconde phase du lyrisme, est donc née dans l'Inde aprés l’épopée, conformément 8 la loi des évolutions géné- riques de la poésie. Nous connaissons peu ces ceuvres lyriques. Nous en trouvons des traces dans les Powranas, les derniers des grands monuments littéraires de 'Inde ot limagination se livre aux conceptions les plus bizarres et les plus désordonnées , mais ott le style conserve encore ses développements harmonicux. Le naturalisme et Vidéalisme inspirent tour a tour et tout a la fois le lyrisme indien. Le vol en est hardi, car il franchit avec la rapidité de V’éclair V'espace de la terre au ciel. Ces chants brillent comme le glaive des combats, mais sont encore fondus au feu du sanc- tuaire. A cette époque ott Ja poésie religieuse et héroique fait place a linspiration personnelle, Inde produisit aussi des Elégies éro- ( 62 ) tiques et sentimentales, comme il était naturel 4 un peuple volup- tueux , tendre et mélancolique , ol la femme, depuis Apsara, nymphe céleste, jusqu’a la bayadére, incarnation de la grace, de Ja musique et de Ja danse, faisait le charme des yeux, de l'ima- gination et de lame. Ici encore la religion mélait ses ivresses mystiques 4 l‘ivresse de l’Ame et des sens. La Fable ou Yapologue convenait merveilleusement aussi au génie indien. La croyance au panthéisme et d la métempsycose se prétait aux métamorphoses allégoriques, et lesprit didactique pouvait sy donner libre carriére. L’Jtopadesa est le recueil le plus renommeé. C'est l'Inde encore qui donna naissance & Kalila et Dimna, livre de fables du brahmane Bilpai, devenu par les Arabes une des sources des fabliaux du moyen age. Le Drame préparé de longue main par les exhibitions choris- tiques et chorégraphiques des solennités religicuses, et aussi par les dialogues répandus dans les poémes épiques, surgit tout a coup dans toute sa splendeur a la cour de Vicramaditya, qui vivait un siécle ayant l’ére chrétienne. Cette époque marque l'apogée de la civilisation indienne et coincide avec le siécle d’ Auguste 4 Rome. La poésie est devenue un art ou tout est minuticusement régle. On ne peut se faire une idée des distinctions subtiles , des nuances, des divisions, des subdivisions établies par les docteurs indiens. La conduite de l’action, lintrigue, les conditions de temps et de lieu, la nature et les effets des passions, les qualités des person- nages selon le rang, lage et le sexe, le développement des carac- téres, les couleurs du style et les artifices de la versification, tout est soumis a des regles séveres, précises et inviolables. IL y a jus- qua cent quarante-quatre formes dhéroisme, et la diyinité a des millions de nuances. L’idéal de Ja femme se compose de vingt pres- tiges, parmi lesquels on trouve dincroyables raflinements de co- quetteric, Tout annonce une prompte décadence dans les meeurs et dans l'art. Mais, on le voit, c’est toujours le pays des contrastes, de la variété , de !immensité. Le drame comme toute Ja littérature indienne est d'origine céleste. C’est Brahma lui-méme qui le fit découvrir dans les Védas. La musique et la danse, ornements des cérémonies sacrées, vien- wig ( 65 ) nent aussi des dieux. Elles apportent au théatre leur divin pres- lige, et attestent par leur présence la destination religieuse du drame qui ne se jouait que pour lédification du peuple dans les circonstances solennelles, comme les fétes du culte, le mariage et la naissance des princes. Aussi voyez comme le double but reli- giecux ct national se fait jour de toute part. Les sujets sont tirés de la mythologie. Le héros principal est un dicu ou un roi appar- tenant a la mythologie, a l’épopée ou a histoire. Les Brahmanes, — et ceci est a remarquer au point de vue de la civilisation, — les Brahmanes s‘effacent deyant les rois, sans rien perdre pourtant de leur autorité sacrée. Les négociants, écartés du poéme épique, ont ici leur rdéle, ce quiréyéle un progrés dans les meeurs publiques. En vain voudrait- on argumenter des dialectes savants ou hors d’usage, pour établir que les deux premiéres classes scules pouyaient assister A ces repré- sentations. Si les principaux personnages parlaient le sanscrit, les femmes le prdcrit, les personnages inférieurs se servaient d'un patois qui devait étre la langue du peuple. L’orgueil des Brahmanes et des Xathryas aurait-il souffert ce langage, et la présence de ces personnages vulgaires sur la scéne, si ce genre de spectacle eut été interdit au peuple qui participait aux fétes publiques? Les repré- sentations dramatiques, il est vrai, se donnaient ordinairement dans la cour des palais pour les grands dignitaires de Etat; mais les spectacles s’ouyraient aussi les jours de foire et de réunions populaires. En faut-il davantage pour prouver notre assertion? Quoi qu'il en soit, le poéte indien ne fait pas du spectacle, comme les modernes, un simple aliment de curiosité publique. Les pas- sions tumultucuses et malsaines , les meurtres, les assassinats, les suicides ne yiennent pas troubler Vimagination et bouleverser le ceur. Ce n'est pas lagitation qu’on cherche dans I'Inde, c'est l'inac- tion, le repos, le bonheur. De Ja ces scénes domestiques pleines de tendresse , ces tableaux d'une naiveté pastorale, qui font res- sembler les drames 4 des idylles, mais & des idylles douces et mys- liques d’o s'‘échappe une titde atmosphére qui vous enyeloppe de rayons, de parfums et d'ivresse. Quelquefois passe un sombre nuage chargé de tonnerre et d’éclairs ; mais bientot le soleil raméne ( 64 ) son sourire, et le lotos de la feélicité présente a ses baisers sa corolle amoureuse. La tragédie grecque ou moderne avec ses catastrophes sanglantes ne pouvait convenir au drame indien. Les deux mobiles: terreur et piti¢, s’y retrouvent; mais les terreurs sont sacrées, et la pitié, au lieu de s’attacher 4 des malheurs sans reméde, ne. s’éveille qu’au spectacle d'une infortune passagére destinée a atten- drir Je spectateur par le tableau pathétique des vicissitudes hu- maines, mais nullement a laisser lame sous le poids d'une inexo- rable fatalité. La sérénité un moment troublée doit renaitre au dénowment dans livresse morale de la vertu récompensée. L'amour qui fait le fond de tous les drames indiens, mélange de platonisme et d’épicuréisme, s’exhale dans des épanchements de voluptueuse extase; mais l'amour adultére est banni de la scéne. Et si, aux yeux d'une morale sévére, les élans passionnés de Ja muse indienne peuvent paraitre encore répréhensibles, les poétes trouvaicnt leur excuse dans lindulgente tolérance d'une religion qui permettait ’ Vhomme de jouir des deélices de la vie comme d’une faveur divine. La distinction des genres, établie par l'art grec, n’était pas con- forme au tempérament des Hindous; et si nous avons trouve dans I'Inde les évolutions successives de Vidée poétique, c'est que cette formule constante est une loi de la nature en harmonie avec le développement de la civilisation des peuples. L-hymne, Vépopee , Vode, le drame, ne désignent que le caractére dominant de la poésie de I'Inde. Mais il y a de tout dans tout chez les Indiens, parce que 1] Je poéte ne prend que la nature pour guide. Ainsi la comédie est associée 4 la tragédie comme dans le drame moderne. Et qu’on ne simagine pas que ce soit un signe de décadence. Non, cest toujours le résultat de cette tendance au repos, a la tran- quillité, dont le climat de l'Inde faisait une loi a ses habitants. Aristote établit que la pitié et la terreur dans la tragédie se pur- gent une par l'autre; de méme les Hindous consacrent Vunion du rire avec les larmes pour empécher l’dme de se troubler au spectacle de Ja douleur. De 1a ces confidents (vita) et ces bouffons (vidoursaka), espéce de fous de cour chargés de rasséréner l’ho- rizon assombri des sitnations tragiques, en ramenant, par leurs seal Se kee =f eee pete ey wot wee eae ee ( 69 ) plaisanteries, Vauditoire au sentiment de la réalité. Cette confu- sion ou plutét ec mélange des genres aurait de quoi surprendre sans explication que nous yenons d’en donner; car les rhéteurs de Inde n’ont rien omis dans leurs classifications anatomiques; mais, loin de couper les ailes au génie, ils ont favorisé son essor en lui Jaissant le choix des moyens. L’exposition du sujet, au lieu de se faire en action comme dans Sophoele, se fait sous forme de prologue comme dans Euripide. Puis, aprés les compliments d’usage au public, au prince qui donne la représentation et & la troupe, un Brahmane invoque la divinite. Cest encore par une priére que finit Ja piéce, ear la religion pré- side & tous les actes de la vie. En sorte que le drame ressemble a une cérémonie sacrée, et que Je public sort du spectacle comme d'un temple oi lon va chercher Ja parole divine, cette nourriture de lame. Quoique lintrigue soit généralement simple et les péripéties bien enchainées les unes aux autres, les unités de temps ct de lieu existent pas dans ces vastes drames qui ont jusqu’a dix actes détendue, comprenant des événements d'une durée illimitée. Les wetes ne peuvent embrasser qu'un jour dans Jes préceptes des docteurs indiens, mais ils s’étendent jusqu’é une année entiére dans les ceuyres des poétes, et les entr’actes Jaissent s’écouler un interyalle immense, selon les besoins de laction qui parfois se fractionne ct perd son unité littéraire. Cependant, il est de régle dans le théatre indien que le dénotment doit sortir de action comme la plante sort de sa graine. Les faits dont l’accomplhisse- ‘ment échappe au temps preserit sont Ie plus souvent racontés par wh acteur. Les personnages, dont le nombre est considérable, s¢ font armoncer comme de simples visiteurs, au licu de se faire connaitre par le jeu des entrées et des sorties annoncées et moti- vées les unes par les autres, 4 mesure que se déyeloppent les diffé- rents incidents de Vaction. C’est l'art dans Penfance recourant a des expédients grossiers. Ce qu'il y a de plus remarquable, e’est le style qui se distingue par la pureté, l’élégance et Vharmonie. Les situations Lempérées s expriment en prose : c'est la langue du dia- logue. Quand la passion ou Vidée s’éléve, elle prend des ailes ¢ét devient cadenceée ; la versification est la langue des réflexions mo- Tome VILL. 5 ( 66 ) rales, des descriptions, des sentiments extatiques. Les vers ont de huit 4 vingt-sept syllabes (1). On Je voit, c'est toujours le pays de Ja variété , mais aussi de la disproportion. Il n'y a rien & dire concernant le mécanisme du théatre. A l'exception de la Sangita-Sala, ou salle de chant, dans les appar- tements des princes, la représentation se donnait le plus souvent dans les cours immenses des palais. Il ne parait pas qu'il y ait ja- mais eu de théatre proprement dit, avec l'appareil de costumes et de décorations de la scéne moderne. C’est en plein air, il est vrai, que s‘éleyait le thédtre grec, mais le mécanisme inventé ou per- fectionné par Eschyle n’existait pas dans I'Inde. Malgré l’étendue de leurs piéees, les poétes indiens sont loin d’égaler les Grees pour la {écondité du génie. C’est une preuve irré- cusable de la rareté, mais aussi de Ja solennité de ces représenta- tions scéniques. Nous ne possédons que trois drames de Kalidasa et trois de Bavahbouti, les deux premiers poétes dramatiques de l'Inde. Le roi Soudraka s’exerga aussi dans ce genre de poésic. Mais la tragédie la plus remarquable est Sakountala, qui a pour auteur Kalidasa, le plus beau diamant de la couronne de Vicrama- ditya. On peut mettre ce chef-d’ceuvre en paralléle avee ce que Ja littérature offre de plus parfait pour le fond comme pour la forme. Toutes les qualités de Kalidasa y sont en relief: naiveté, douceur, pureté, grace, délicatesse, tendresse, profondeur de sentiments exprimés dans un style d'une simplicité et d'une magnificence in- comparables. Aprés Kalidasa, le théatre indien entre dans sa période de dé- cadence par les descriptions 4 perte de vue des moindres détails de Ja nature et les raflinements d’une versilication démesurée. La morale se corrompt aussi parles exemples funestes des dieux de la mythologie indienne, ct la satire se glisse dans les croyances. Ce- pendant Bavahbouti résiste 4 la contagion, et, dans ses drames héroiques, s’éléve 4 une hauteur prodigieuse. Il est sombre et ter- (1) Plus tard, le nombre des syllabes alla jusqu’a cent quatre-vingt-qua- torze. ( 67 ) rible comme Ja voix du tounerre; sa parole brille comme léclair ou le glaive, et se précipite en flots orageux comme le torrent. C’est l’Eschyle de Inde; Kalidasa en est !Euripide. « La poésie de Bavahbouti, grandiose et passionnée , dit Lamartine , fait éclater un chaos sublime d’accords majestueux, semblable au géant des tem- pétes, qui, d'un pied dairain frappant les portes infernales, touche de son front le déme des cieux, et couvre de ses ailes obscures VOcéan, qui mugit et bondit sous sa puissance (1). » Nous venons de caractériser la dégénérescence du drame qui marque la décadence de l'art chez les Hindous, comme chez les Grecs. Tout est démesuré dans l'Inde. L’age dor de cette littérature présentait des conceptions gigantesques ; la décadenee n’offre plus que des bagatelles, mais ce sont encore des bagatelles gigantes- ques. Il n'y a plus d’autre mérite que celui de la difficulté vaincue. La science ici comme ailleurs tue la poésie. C’est le regne des phi- lologues, des rhéteurs, des critiques, des astronomes et des mathé- maticiens. Nous ne pouvons terminer ce court apercu sur la civilisation et la poésie indiennes, sans dire un mot de la religion de Bouddha et des monuments littéraires qu'elle a produits. Le bouddhisme, préché dans Inde au VI™ siécle avant notre ére par Cakyamouni, forme un des principaux événements de Vhistoire des Hindous. C'est maintenant la religion de la plus grande partie de l’Asie, depuis le Népaul jusqu’au Japon, en y comprenant le Thibet, la Chine et Ja Corée. I] ne peut done nous étre indifférent denvisager les prin- cipes fondamentaux de cette doctrine et de caractériser la littéra- ture nouvelle quelle a créée et que nous connaissons aujourd hui en partie, grace aux savants orientalistes d’Angleterre et de France. Le bouddhisme est le protestantisme indien dérivant du brahmanisme comme les Eglises réformées en Europe découlent du catholicisme. Si la religion de Bouddha avait su s’affranchir du panthéisme, je dis mal, de l'anthropolatrie et de la métempsycose, elle serait un acheminement au triomphe du christianisme en (1) Voir le Cours familier de littérature , p. 441. ( 68 ) Asie, car elle s’est manifestée comme une protestation contre le régime avilissant des castes. L’égalité et la fraternité étaient la base de sa réforme sociale; et sa morale douce et bienfaisante eon- tenait le germe des vertus chrétiennes. Mais le viee radical de la religion bouddhique est le nihilisme , c’est-d-dire ’anéantissement de Thomme considéré comme le but final de la seienee et de la vie, la délivrance des miséres et des douleurs qui affligent !huma- nité, Vaffranchissement de la métempsycose qu’on obtient par _ Vascétisme religicux. Plus dimmortalité done, et plus de Dieu dans le ciel, ear Bouddha, Vinteliigence supréme, représenté par un homme parvenu a lextinction de son étre dans le Nirvana ou le néant, est la personnification de Yathéisme. Il n’y a @ailleurs dans cette doctrine nicréation, ni Dieu personnel existant de soi, ni Providence. Et voila une religion professée par plus de dewx cents millions dommes en Asie! O nature humaine, jusques a quand seras-tu le jouet de limpos- ture et de Ja superstition? Pour déshériter fame de ses immortelles croyances, il a fallu arracher du eceur de Vhomme les passions, les affections, les dé- sirs. De la cette vie de privations ct de pénitence, cet ascétisme sévére qui imposent le respect a la foule, et tout cela pour aboutir au néant! D’un autre edté, Vhabitude de prendre la réalité pour une illusion produit Vindifférence sur les actes humains, et la morale se trouve désarmée devant la corruption. Quelle peut étre la source de cet attrait puissant qui porte des milliers d’anachorétes 4 renoncer & toutes les joies de la vie pour se plonger dans une contemplation stérile ou se perd la conscience du monde et de soi-méme? Cette source il ne faut pas laller cher- cher loin: c'est Vorgueil, ce vieil ennemi de VThomme, qui, par un étrange raflinement, se cache ici sous les haillons du mendiant afin de mieux éblouir les masses par le détachement apparent des grandeurs humaines. Lidéalisme contemplatif de Bouddha mentait trop a la nature. pour se soutenir 4 Vétat dabstraction. On comprit que cette divinité de chair qui s’évanouissait & la mort pouvait cesser quelque jour ( 69 ) de receyoir Pencens des mortels; et !imposture des prétres, pour mieux enchainer des populations ignorantes et crédules, éleva aux honneurs divins le grand pontife, représentant de Bouddha, Le PDalai-Lama, tel est son nom, cachant sa divinité au fond des tem- ples, estremplacé & sa mort par celui des hommes qui lui ressemble le mieux; et cette comédie se joue encore aujourd hui dans lombre des cloitres, au sein des populations dégradées qui attribuent au dieu le don de Vimmortalité. Ce n’est pas A ses dogmes, c’est a sa morale pleine de charité, non moins qu’a son ardent pros¢lytisme, que la religion de Bouddha dut sa rapide propagation dans l’Asie. Mais ce qui contribua sur- tout Asa popularité, e’est Pemploi des idiomes vulgaires dans la prédication, forme nouvelle donnée a Venscignement religieux par Cakyamouni. Et quand les sectateurs de Bouddha rédigérent en corps de doetrine Ja tradition orale du maitre et de ses pre- miers disciples, ils employérent le pracrit et le pdalt concurrem- ment ayee le sanscrit, pour mettre l’enseignement a la portée des classes inférieures. C’était 14 un actif moyen de propagande. Mais, dautre part, la prédication qui se débarrassait des formes savantes et de Ja versification des ceuvres brahmaniques, et la rédaction précipitée des premiers livres Bouddhiques firent naitre cette nou- velle littérature sous des conditions défavorables. C’est en vain que, pour lutter contre le brahmanisme, les Bouddhistes entassérent volumes sur volumes, ils ne surent que copier leurs rivaux dans Yart et dans la science. Lewr originalité ne se manifeste que dans les livres sacrés qui ont pour but de faire connaitre la doctrine du fondateur et histoire de sa vie. Les Pitakas renferment toute fa littérature primitive ou indienne du bouddhisme. Les Soutras , qui contiennent les discours , se divisent en deux parties. La pre- miére est celle qui offre le plus dintérét, parce qu'elle a été rédigée sous linspiration des entretiens du maitre. Les sentences versifiées s'y rencontrent mélées aux discours en prose. Il y ala du moins de la simplicité et du naturel. Mais les Sodtras développés , parmi lesquels se place la légende de Bouddha ou Lalita-Vistara , forment un incroyable tohu-bohu d’extravagances qui n’ont aucun ( 70 ) nom en littérature, mais qui servent & prouver par quelle fantas- magorie on captive limagination des peuples crédules et superti- ticux de |’Orient. Les myriades de dieux , de déesses et de démons enfantés par les cerveaux en délire des Brahmanes et des Boud- dhistes sont sans cesse éyoqués pour faire cortége a la divinité favorite et entretenir ainsi la dévotion des fidéles. Les légendes , remplies d’apparitions merveilleuses embrassant toutes les vies animales, humaines et divines de Bouddha et de ses saints, sont exposées dans des récits et des descriptions interminables qui exci- teraient un inextinguible rire chez les Occidentaux, s‘ils ne pro- duisaient bient6t un insurmontable ennui. La cause véritable de toutes ces exagérations, c'est le désir de dépasser le brahmanisme par la mise en scéne d'un meryeilleux sans égal. Le Latita-Vistdra présente cependant des chants de louanges (Gdthds), pleins d’élé- vation et d’enthousiasme, oti les Dévas , divinités brahmaniques, viennent consacrer la victoire de Cakya sur ses ennemis conjurés. Mais les croyances et les traditions primitives qui sont la séve méme de la poésie, et sans lesquelles ils n’y a ni lyrisme sacerdotal ni épopée, comment auraient-elles pu conserver leur prestige, dans une religion qui avait pour but de ruiner leur empire? En général, la langue des écritures bouddhiques est incorrecte, et elle le fut dés ’origine par suite des persécutions quendurérent les Bouddhistes sur le sol de l'Inde dont ils furent enfin chassés. Les images et les comparaisons sont fantastiques et sans réalité; la composition et le style, sans ordre, sans mesure, sans harmonie. Lart semble étranger a ces livres indigestes ot la prose est lourde et trainante, les vers, monotones et insipides. Au point de vue littéraire, le bouddhisme est done bien infé- rieur au brahmanisme. Mais, malgré le dégout qu'inspire l'étude d'une religion si absurde et si dégradante, on ne saurait trop en- courager les efforts des savants européens qui consument leur vie dans ce labeur ingrat, pourvu que lintérét de Ja civilisation les guide, et quils parviennent 4 fournir aux missionnaires chrétiens les moyens de porter & ces peuples, ensevelis dans les ténébres de la superstition, la humiére qui doit dissiper ces vains fantomes du paganisme oriental, , to Bc) L'age des créations poétiques est passé dans l'Inde, il ne re- viendra plus; cette civilisation stationnaire n’a plus rien 4 pro- duire. Le pouvoir sacerdotal, nécessaire pour guider les peuples dans les voies de la civilisation, ne peut conserver cette suprématie poli- tique sans étouffer 4 Ja longue la libre vitalité des peuples. Le progrés, nous l'avons dit, est produit par la liberté appuyée sur les traditions quelle renouvelle et vivifie ; sur la route du pro- grés, qui n’avance pas recule. Sans la liberté, les traditions se dé- naturent et laissent les peuples croupir dans linaction ou végéter dans Yabrutissement. Dieu seul est immuable, Jes peuples ne le sont pas impunément. D’un autre cdté, sans les traditions, la liberté pousse les peuples 4 l’'abime. Ces deux forces réunies assurent la stabilité des nations. L’Inde, avec ses castes, son panthéisme et sa métempsycose , devait déchoir et tomber dans la barbarie. Cette variété qui caractérise sa nature n’était pas un élément de progres; eétait le reflet de son climat et de sa vie intellectuelle. Mais les institutions enchainées a la tradition des Védas restaient frappées dimmobilité. Le bouddhisme, en détruisant les castes et établissant légalité sociale, pouvait régénérer l'Hindoustan ; mais l’anthropo- latrie et la métempsycose condamnaient 4 l'impuissance la religion de Bouddha. Les nations courbées sous le joug du Grand-Lama ne connaitront jamais, sans une forte secousse de l’Occident, les bien- faits de la civilisation. L'Inde est done dégénérée, et le principe de la liberté ne peut rajeunir cette séve éteinte; car Indien, asservi 4 ses coutumes surannées et barbares, rejette l’élément chrétien de la fraternité , qui, seul, pourrait lui rendre la vie. C’est un eadavre couché dans lorniére du passé, enveloppé du linceul de ses moewrs décrépites. Cest un peuple mort, il n’y faut plus penser. Et pourtant cette race, 6 néant des destinées humaines , cette ace a té Vinstitutrice de toute Pantiquité paienne. Tout ce quont produit la Perse, Egypte, la Gréce et Rome, dans le triple domaine de la religion, de la science et de Vart, était en germe dans la civilisation de VInde. Et notre Europe elle-méme, héritiére de Van- ( 72 ) tiquité dans Ja science et dans l'art, est redevable i l'Inde de tous les fruits que n’ont pas donnés la civilisation des races sémitiques, le moyen age et la liberté moderne. Il. — vran. Parmi les pays qui, dans l’antiquité, ont recueilli 'héritage des Hindous, la Perse, connue sous le nom générique d'Jran, doit étre ici mentionnée, car elle nous a laissé un des plus merveilleux produits de esprit humain: le Zend-Avesta de Zoroastre; sans compter les ceuvres relativement modernes nées sous le ciel de la Perse, Le monothéisme primitif, commun a tous les peuples de 'Q- rient, est devenu dans I'Iran le culte des étoiles professé par les mages qui forment la caste sacerdotale. Mais le panthéisme indicn s'est changé en dualisme dans la religion de Zoroastre ; Dieu, prin- cipe de la lumiére, est opposé aux ténébres, principe du mal. Les symboles grossiers ont disparu, il ne reste plus que le culte du feu purificateur, La croyance 4 la métempsyeose est également éteinte. Le Dieu eréateur, la chute de Thomme, Ja puissance du prince des ténébres, le sacerdoce exereé par une seule tribu, lattente d'un rédempteur précédé par une étoile, tels sont les principes religieux de l'Iran. Ne reconnait-on pas 1a de singuliéres anato- gies avec les dogmes des Hébreux? Ils avaient aussi, comme ceux, et plus qu’eux, horreur de lidolatrie. Rien d’étonnant done si Cyrus permit aux Hébreux de relever les murs de Jérusalem, aprés la captivité de Babylone. Aucun peuple n’avait conservé plus de traditions primitives que les Perses. La morale de Zoroastre était aussi d’une grande pureté; elle tendait a détruire partout Yempire du mal. La caste sacerdotale chez eux n’était plus un pouvoir oppresseur. Les forees vives de la nation pouvaient se développer, sous l'appui tutélaire d'une monarchie toute patriar- cale. La poésie ancienne des Perses était sentencieuse, comme les pro- ( 75 ) verbes de Salomon. Le livre du Droit Eternel (Dgiavidan khired) peut donner une idée du génie sage et pratique de V'Iran (1). Les livres Zends contiennent un recueil de fables de grand renom attri- buées & Lockman, YEsope de Ja Perse. Malgré ce tour d’esprit didactique, les Perses avaient l'imagina- tion riche et puissante. Leur mythologie révéle un culte poétique de la nature et des phénoménes lumineux qui la fait ressembler a PEdda de Ja Seandinavie. 1] y a autant de philosophie que de poésie dans les conceptions orientales : c'est un des traits les plus earactéristiques des eivilisa- tions de Orient. Les Perses antiques tiennent le milieu entre les Hindous et les Hébreux. ts ont plus dindépendance et de vivacité dans les images que les premiers, un caractére moins sauvage et moins sublime que les seconds. Ce qui les distingue surtout des peuples de lInde , eest quau licu de chercher leur idéal dans Ja spéculation méta- plivsique et la contemplation insouciante, ils le poursuivent dans Yaetivité morale et dans l’action. Nous voudrions dire un mot du Schah-Naméh de Firdousi , poéte mahométan du X™° siécle de notre ere, qui chanta les tra- ditions primitives de la Perse. Mais, quelle que soit la valeur de ce poéme, Vauteur était trop éloigné des événements quil youlait peindre pour leur conserver cette fraicheur native qui fait la vie de répopée. Malgré ce défaut capital, Firdousia su, par la foree de son génic, conserver a ses récits le caraetére antique de la monar- chie persanc,; mélange d’héroisme et de grace, ott on reconnait le double sang de VArabe et de (Hindou. Ce poéme manque d unite , mais non dintérét. Le style en est riche et brillant. La littérature persane devait tourner au lyrisme a l’époque ma- homeétane : la Perse, dépourvue dun fond national, ne laissant ax poles autre inspiration que ies voluptueuses langueurs dune vie motle et efféminée. Il n’y faut pas cherecher une séve vigou- (1) Voir le trayail de Sacy, dans les Mémoires de Vv Académie des inscrip- lions et belles-lettres, t. 1X, 1851. ( 74 ) reuse, mais les brillants caprices de la fantaisie orientale. Cepen- dant la grace embellit la verve amoureuse d’Ha/iz, le poéte de Chiraz, surnommeé avec raison |’Anacréon de la Perse. SIXIEME SECTION. L’EGYPTE. Tout fait penser que le peuple égyptien tire aussi de Inde son origine. Au monothéisme primitif succédent le panthcisme et la métempsycose. Les institutions ont pour base le régime des castes qui consacre Ja prépondérance des prétres et des guerriers. Mais quelle différence cependant entre le génie des deux peuples! Tandis que, chez l'un, tout devient poésie, méme la science; chez l'autre, tout devient science, méme la poésie. A quoi faut-il attri- huer cette divergence dans leurs aptitudes? au climat et a la diver- sité des races qui ont peuplé lEgypte. Il y a trop de disproportion et dextravagance, trop de petitesse et de grandeur dans les meeurs égyptiennes pour qu il n’y ait pas eu 1a quelque mélange de races, probléme qui malheureusement échappe aux investiga~ tions de Vhistoire. Quoi qu'il en soit, c'est en passant par l’Ethiopie que les colonies indiennes vinrent civiliser Egypte en établissant leur domination sur les naturels du pays. Quant au climat, si l'on en excepte la vallée du Nil que ce fleuve féconde par ses inonda- tions, il ne présente qu'un ciel torride sur un sable bruilant. La easte sacerdotale s'est concentrée dans l'étude des phénoménes célestes. C’était pour elle un but d’utilité : il fallait prévoir , par des observations astronomiques , le retour des débordements du Nil. On reconnait li le génie positif , scientifique, géométrique de cette race inhabile aux oeuvres imagination. La critique conjecturale , s‘autorisant d'un texte de Cicéron (1), a cru deyoir attribuer 4 Van- (1) Gens Agyptiorum quae plurimorum seculorum et eventorum me- moriam litteris continet. Cicéron. eS il st ogy = Od OPO ae ee Nae ah SD ye 2 (75 tique patrie des Pharaons des hymnes et des poémes comme chez la plupart des autres peuples de Orient. Rien n’a été découvert dans les caractéres mystérieux et indéchiffrables de cette écriture monumentale qu’on nomme Vhiéroglyphe. On se demande avec étonnement comment la littérature égyptienne a pu ségarer a travers les ages, alors que l’Inde nous a transmis la plus grande partie de ses euvres. L'immortalité que cherchaient les Egyptiens sous lenveloppe des momies et sur leurs audacieux monuments, lauraient-ils dédaignée sous la forme littéraire et auraient-ils dé- truit eux-mémes les souvenirs du passé pour ne pas livrer leurs secrets aux nations étrangéres? On Vignore. Peut-étre leurs pa- pyrus nous révéleront-ils un jour bien des trésors cachés. Atten- dons que la lumiére se fasse. Mais si le texte de Cicéron prouve qwils avaient écrit leur histoire , nous n’en pouvons rien conclure, quant leur poésie. L’esprit scientifique des prétres égyptiens a sans doute enfanté des systémes religieux et philosophiques bien différents du panthéisme grossier de la foule ; mais il n’y a, dans tout ce que nous savons de Egypte, rien qui ressemble a l’idéal poétique, rien, sinon les monuments de son architecture. Les poémes de l'Egypte, ce sont ces pyramides, ces obélisques, ces colonnes, ces temples , ces hypogées, quiattestent les immenses efforts de ce peuple pour échapper a Voubli. L’histoire générale de lart doit une attention toute spéciale aux ruines imposantes d'une architecture colossale; mais la poésie n’a pas a s'en occuper. Tout y est monotone et dune immobilité gigantesque qui cherche 4 défier le temps; tout y parle un langage muet qui écrase ja pensée. Ces prétres d’Egypte pouvaient devenir de grands pottes en contemplant les cieux, mais leur jalouse suprématie étouffait Yart au fond des sanctuaires. On cherche en vain, sur ces im- menses bloes de pierre, les traces de sueur de tant de générations qui se sont consumées dans ces constructions stériles : rien. Le contemplateur reste Ji stupéfait, pétrifié. C'est toute la poésie de Egypte, poésie éloquente dans son mutisme, car elle est le plus sublime témoignage du néant des choses humaines, ( 76 ) SEPTIEME SECTION. LA CHINE. Nous pourrions passer sous silence une autre nation de l’Asie qui fut sans influence sur la civilisation du monde; mais il n’est pas sans intérét de signaler ici les causes qui ont empéché Ja poésie de prendre un essor puissant chez un peuple aussi ancien que lInde, peuple enfant que le temps semble avoir dédaigné de détruire, en accumulant les ruines autour de lui: vous avez déja nommé la Chine. Aucune race ne présente une physionomie plus originale. Mais aussi voyez quel isolement : au nord, le désert, a louest, les montagnes du Thibet, a lest et au sud, une mer ora- geuse défendent Tentrée de la Chine aux peuples étrangers. Une seule partie du pays était & découvert entre le désert et les mon- tagnes. AussilOt une muraille longue de trois cents lieues, et plus haute 4 certains endroits que des montagnes de trois mille pieds, s éléve comme une barriére infranchissable pour protéger la Chine contre les invasions et le commerce des autres peuples. On recon- nait 1a ’égoisme de famille d'une race patriarcale qui ne veut vivre que de ses produits. Le pays est assez fertile pour suffire & Ven- tretien de ses habitants. C'est un peuple d’agriculteurs. L’empereur est le pére de la nation, et il est lui-méme /ils du ciel. Longtemps la eroyance en un seul Dieu fut ia religion de la Chine. L’empercur était le grand prétre; il offrait tous les ans le sacrifice d'un taureau noir, et le blé qui servait 4 pétrir le pain du sacrifice était récolté dans un champ sacré que le chef de I’Ktat cultivait de ses propres mains. La Chine ne connut point le prosé- lytisme des races théocratiques. Les moeurs primitives dégénéré- rent bientot dans des guerres intestines. Laotseu et Confucius, par leurs doctrines morales, s’efforcerent en vain de ramener le peuple Ri) a lantique sagesse. Enfin, Ja religion de Bouddha precipita la Chine dans labrutissement d’ou elle ne peut sortir que par une révolu- tion intérieure impossible 4 prévoir. Au milieu de toutes ses vicissitudes, ce peuple est resté fidéle a lesprit de famille. Mais, chose étrange et qui vaut bien qu’on y réfléchisse : Vesprit de famille, type de la société, a arrété les pro- grés de la civilisation intellectuelle en Chine. En voici la raison : Ja soumission filiale, pour étre efficace, doit étre fondée sur le senti- ment dun devoir librement accepté. Quand Venfant est devenu homme, i! doit rejeter ses lisi¢res, et ne pas oublier qu’en dehors du cerele de la famille il a d’autres devoirs a remplir par rapport & Dieu, a la société et a lui-méme. Or, le Chinois ne connait que la famille, !empereur, pére de la nation, et ses magistrats, les mandarins. Et son obéissance, loin d’étre celle @un homme, n'est pas méme celle d'un enfant; e’est celle d'un automate sans volonté personnelie. De 1a cette absence de dignité, cet esclavage des formes, cette politesse obséquicuse qui bannit toute spontanéité, tout sentiment vrai, toute générosité naturelle. Le Chinois obéit aveuglément a un vain cérémonial, a une étiquette minutieuse ot tout est réglé d’avance. Le corps social est une vaste machine dont lempereur fait mouvoir & sa guise les rouages humains. Les lois reposent surJa morale, mais une morale dont les maximes élevées restent sans influence sur les masses. Dans Ja pratique, tout se réduit 4 des formes puériles oh létre moral perd sa liberté. Le meérite se mesure a la ponctualité servile, 3 exactitude mathéma- lique des bonnes maniéres , de Vattitude, du geste et du costume. En dehors de ees démonstrations, dont linobservance est sévére- ment punie par les lois, le culte religieux est libre; mais le Chinois na gueére le temps d’y songer, car il ne s’appartient pas. Sa vie est un ya-el-vient continuel, une agitation sans tréve et sans repos. Au reste, nul lien puissant entre les hommes. Dans les relations commerciales, le plus rusé Femporte, et tous Jes moyens lui sont bons, pouryu qu il réussisse; il importe peu, en réalité, qu’on soit honnéte homme , pourvu quon soit un homme honnete. L’égoisme de famille desséche Je ceur, & ee point que chaque famille reste (78 ) isolée, sans noucr aucun de ces rapports de bon yoisinage qui font le charme de la vie sociale. Chacun vit chez soi et se suffit 4 lui- méme. L’obéissance passive exclut toute liberté. Le progrés est impossible chez une nation qui se refuse a entrer en communica- tion avec les autres peuples, et ot la religion des tombeaux défend a Vhomme de quitter sa patrie. La civilisation matérielle s’éleva rapidement chez eux a une grande puissance. Les trois inventions merveilleuses qui transfor- mérent l’Occident : Pimprimerie, la boussole, la poudre & canon, étaient connues en Chine bien ayant de se produire en Europe. Et Ja Chine est restée stationnaire, car elle ne yoyait dans ces mer- veilles que des joucts d’enfants. La nature sait pourvoir a tout. Elle erée des passe-temps pour les peuples qui contemplent éter- nellement les mémes scénes et qui ont renoncé aux grandes con- quétes de lintelligence. Voila la Chine. Quelle littérature pouvait sortir dune telle civilisation? une lit- térature souvent mesquine, puérile, compassée, mais ingénieuse et exacte, s'exercant sur des sciences positives et pratiques: philo- sophie morale, astronomie, mathématiques, agriculture, archi- tecture enfin. Mais Vidéal, mais le sentiment du beau n’est pas dans la nature du Chinois. Jamais nation ne fut plus prosaique. Partout ou il faut de Vart, ils mettent de Vartifice et du métier. Leur langue, dailleurs, ‘leur interdisait toute inspiration spon- tanée. Leur alphabet est une combinaison de figures hiérogly- phiques, isolées comme les familles chinoises, et dont la place est fixée avec une exactitude aussi rigoureuse que l’étiquette sociale. Chaque signe représente une idée, et rien ne peut y étre change. Ce sont comme autant de cases étiquetées dans lesquelles la pensée s’emprisonne sans pouvoir s’en dégager, L'inspiration personnelle n’y peut rien. Tout est lieu commun. H n’y a pas deux images pour exprimer la méme idée. C’est dans cette étude stérile que Véeri- vain consume ses facultés. Rien n’est libre, done rien n'est poétique, dans le vrai sens du mot. Flexibilité, mouvement, enthousiasme , ces mots ne sont pas chinois, parce quwils ont des ailes. Vous trouverez de la couleur, mais non du coloris. Les Chinois dédai- (79 ) gnent tout ce qui vient de limagination; ils ne visent qua Putile. Cependant Ja Chine a sa poésie, poésie numérique, spéculative , pythagoricienne, si je puis dire, faite pour plaire 4 des imagina- lions géométriques plutét qu’éthérées et sentimentales. Il nous reste un monument de l'ancienne littérature chinoise, les King, livres sacrés mis en ordre par Confucius, et qui con- tiennent en partie les doctrines morales de ce philosophe et de Laotseu, son prédécesseur. Un de ces livres, le Chi-king, est le reeucil des chants populaires de Ja Chine. On le devine, l'inspira- tion y est lyrique et épico-lyrique, comme Ja premiére floraison de l'art chez tous les peuples. Ces chants primitifs ne sont pas aussi froids et aussi décolorés qu’on pourrait le croire, & en juger par les productions d'un autre age. Il y a du sentiment et une grace naive dans ces détails souvent puérils. Les King ont une valeur morale bien supérieure a leur mérite littéraire. On y reconnait sans peine la main de Confucius. Le parallélisme régle la cadence de ces chants comme dans la poésie hébraique. Quant 4 lépopée, elle n’a pu naitre chez cette race patriarcale dont la plupart des événements furent des luttes intestines propres 4 alimenter le drame, mais nullement 4 produire le poéme épique. Leur conquérant, Chi-Ouang-Ti, fut un destructeur didées. C'est Jui qui avait fait briler tous les livres chinois. L’empereur Vout? , autre conquérant, fit écrire les annales du passé; mais la raison pratique des Chinois était formée. La muse sévére de histoire pouyait seule inspirer les littérateurs. Le génie épique, qui vit de fictions , est étranger 4 Vesprit chinois, qui ne vit que dans la réalité. Mais le drame, qui n’a jamais recu aucun encouragement public et auquel la poésie a toujours fait la guerre, s'est constamment reproduit en Chine avee une incroyable ténacité. Pourquoi ce genre de poésie est-il plus conforme que tout autre au tempé- rament chinois? parce quil est limitation de la vie réelle, Or, les Chinois, fins et profonds observateurs, sont versés dans la con- naissanee de lhumanitée. Is deyaient done réussir en ce genre, non au point de créer des euvres dart, mais des euvres de métier. ( 80 ) La scénique cependant est puérile et grossi¢re. Pour changer de lieu, on traverse la seéne 4 cheval sur un baton, et lacteur informe le public de Pendroit ou il est descendu. Le mérite de ces pices est tout entier dans Vintrigue habilement conduite et exactement ‘alquée sur la réalité, ce qui en fait de précieux tableaux de meurs. Les événements historiques y figurent, malgré la défense de mettre les empercurs et les magistrats en spectacle. Le plus sou- vent ee sont des intrigues de famille pleines d'incidents inattendus. Le mépris qu inspirent aux Chinois les ceuvres d imagination et les comédiens, assimilés aux bateleurs, n’ont pas permis Térection d'un théatre permanent. Cette bohéme dramatique va de provinee en province promener ses jeux scéniques; et Tempereur, pour se distraire des soucis du trone, rassemble parfois ces acteurs ambu- lants qui alternent avec les danseurs de corde et les marionnettes, spectacle si conforme aux usages de ces hommes étranges, vérita- bles marionnettes vivantes. De toutes les formes de Vart, celle qui devait étre eultivée avee le plus de prédilection est ce genre dépopée bourgeoise quon nomme roman. La raison er est encore dans ce réalisme ennemi de la fiction qui favorisa l’éclosion du drame. Quand les événements tournent ’ la prose, Uhistoire, dans la littérature sérieuse, et le roman, dans la littérature légere, sont les deux genres Je plus en faveur, l'un pour les esprits solides et laborieux, l'autre pour les esprits frivoles et les gens désceuvrés. L/histoire et le roman, embrassant toutes les faees de la réalité, satisfout ainsi les besoins intelleetuels des peuples qui n’ont pas ou qui n‘ont plus le sentiment de lidéal poétique. L’histoire assiste comme témoin aux événements qui se déroulent sur le theatre de la vie publique ot les personnages paraissent en costume officiel. Le roman se tient derri¢re la coulisse pour peindre les person- nages en déshabillé. C’est un indiscret qui écoute aux portes, pénétre dans le sanctuaire de la famille, et révéle les seerets de la vie privée. Trop souvent, hélas! dédaignant la vertu, il aime & hanter les mauyais lieux, se méle 4 orgie, et, dune plume avinée, tale au grand jour les honteux mysteres du eceur humain. ( 81 ) Le roman glisse done sur une pente fatale. Il est des genres, comme la tragédie, oti l’écrivain est foreé de se respecter lui-méme ; ici, pour trouver élément poétique, il faut le plus souvent mettre les personnages en révolte contre létat social et les faire voyager dans le pays des chiméres. C'est Ja le danger de cette nourriture malsaine qui dégoute de la vie réelle les natures impressionnables. La sécheresse dimagination des Chinois les défend contre ces écarts; et, bien que le dédain avec lequel le bon sens chinois accueille cette littérature banale laisse a l’écrivain une certaine liberté dallures, le roman chez eux est une peinture de meeurs publiques et privées sans danger pour la société. Leur police om- brageuse ne s'inquiéte nullement de ces intrigues inoffensives qui ne s écartent en rien des usages de la nation. Parmi ces usages, il en est que réprouve la morale universelle. C’est ainsi que le suicide, pour sauver son honneur et se débarrasser du fardeau de la vie, est regardé comme un devoir. Mais telle est la barbarie de ce peuple que ni Ja religion, ni la Joi civile ne défendent a Vhomme W@attenter a ses jours. Lintérét du roman chinois est dans la peinture fidele des meurs, mais surtout dans les situations qui mettent homme aux prises avec les vicissitudes de Ja destinée. Presque rien n’est accordé a limagination; mais les passions humaines y trouvent parfois de profonds accents. Cette littérature n’est done pas a dédaigner. Il y a 1a des scénes de famille qui n’ont de pendant que dans la Bible pour la naiveté, la pureté des caractéres et le pathétique des situations. Sous le rapport de l'exéeution, le roman chinois, dis- proportionné dans l'ensemble, abonde en détails ingénieux, mais dune minutie et d'une futilité exorbitantes. L’intrigue se noue et se dénoue ayec beaucoup d’adresse, mais on sent que le souffle de lenthousiasme-ne souléve jamais ces lourdes poitrines. Tout est froid, prosaique et compassé, sauf dans les moments ow parle la passion. Ce peuple ne sera jamais grand par l'imagination, mais sa raison pratique et sa civilisation matérielle pourraient l’élever A de hautes destinées, s'il consentait 4 échanger ses idées en méme temps que Tome VIII. 6 ( 82) ses produits avec l'Europe. Déja ses relations avec l’Angleterre | semblaient effacer peu A peu ses préjugés nationaux contre les étrangers. Et voila la guerre qui recommence entre ces deux peu- ples trop séparés de meurs et de principes. Tout est done remis en question. La guerre transformera-t-clle le caractére chinois? Cest demander si une nation qui a vécu plus de quatre mille ans sans changer d’esprit, peut se transformer au contact d'une civili- sation étrangére, quand la haine de l’étranger coule avec son sang dans ses veines. LIVRE SECOND. LE MONDE CLASSIQUE. PREMIERE SECTION. LA GRECE. 1.— Préliminaires. La Chine nous a fait perdre les sentiers lumineux de I’art; se- couons cette poussiére de la réalité vulgaire, et pénétrons dans la patie de Vidéal. La Gréce! a ce nom, quel homme d’imagination et de sensibilité peut s*empécher d’étre ému? C'est la mére de la poésie moderne, c’est la terre classique de la philosophie, des let- tres ct des arts. Saluons-la donc, et sans nous laisser éblouir, nous chrétiens, par cette Vénus de l'art, décernons-lui, autres Paris, Ja palme de la beauté. La beauté! c’est Ja définition de Vart grec. Chez les nations de !Orient que nous ayons parcourues, nous avons trouvé les éléments du beau : l'idée et la forme, mais par- tout Ja disproportion , extravagance, l’opposition, quelquefois la stérilité. Chez les Héebreux, Pidée emporte la forme; c’est le sublime ( 84 ) de Venthousiasme prophetique; chez les Arabes, c’est le sublime de lindépendance morale, puis les mille jeux artificiels de la forme; chez les Egyptiens, c’est le mystére de la pensée dans la forme architecturale aux proportions gigantesques; chez les Hin- dous, c’est le sublime dans lindéfini, le mysticisme religieux de la pensée et le symbolisme extravagant de Ja forme; chez Jes Chinois, cest lidée pratique et sans ailes appliquée 4 la morale. La Gréce seule réalise d'une maniére originale le grand probléme de Vart : Vharmonieuse union de Vidée et de la forme, sans sacrifier la réalité a la fiction, comme les Hindous; ni la fiction 4 la réalité, comme les Chinois ; enfin sans laisser planer lidée au-dessus de Ja forme, comme les Hébreux. Tachons de saisir la nature de lart grec qui forme essence de cette civilisation merveilleuse. L'idée divine, en Orient, soit qu'elle apparaisse directement a la conscience ou qu'elle se révéle a Vima- gination, en sincarnant dans un symbole, déborde la forme et rompt ainsi harmonie des deux termes qui constituent lidéal. Cest Vinfini, chez les Hébreux , l'indéfini, chez les Hindous, mais le fini, la perfection de la forme encadrant l’idée tout entiére Wexiste que chez les Grecs. Le domaine de l'imagination est désor- mais circonscrit. La forme sensible, au lieu de s’abaisser devant Vidée ou de s’étendre indéfiniment pour l’embrasser dans un sym- bole panthcistique, fait deseendre le divin dans Vhumain. Ce nest plus Dieu tel qu’il est congu en lui-méme par Jintelligence, ce nest plus Ja nature mateérielle divinisée, c’est la nature morale, c’est Lhomme deifié, le type humain substitué au type divin. L’an- thropomorphisme remplace le naturalisme. Plus de mystéres et plus de nuages dans la poésie. L’idéal se présente dans toute sa réalité plastique devant limagination du poéte. La religion devient un art, ou, pour parler plus exactement, il n’y a plus qu'une reli- gion, c'est la religion de Vart. Pour arriver Ja, il a fallu sacrifier Vidée divine 4 la forme sensible. Tout en admirant l'art classique, il faut savoir protester au nom de la conscience, car le type humain appliqué & la divinité n’est pas chez les Grees un type moral; et nous verrons ces idoles de chair, eréées par Homeére et sculptées par Phidias, faire rougir Vhumanité, en se plagant au- ( 85 ) dessus de la morale par un honteux privilége. Aussi, plaindrons- nous du fond du coeur ceux qui, se trainant ala remorque da passé, veulent imiter linimitable, si, guidés par les lumiéres de la civilisation, ils refusent de comprendre la transformation de art opérée par le déplacement des conditions de Vidéal dans la poésie moderne, et s ils gémissent encore de voir /!Olympe et le Parnasse _ détronés par le Calvaire. Assistons maintenant au développement de la poésie grecque dans ses rapports avec la civilisation. Le caractére de Ja race indo-germanique est la variété, disions- nous, en parcourant la civilisation de !Inde; et cette variété qui se refléte dans Ja mythologie et dans Yart, nous en avons trouvé le principe dans la nature du so! et du climat. Mais, a cété de cette yariété produite par la richesse d'une nature incomparable, !'Inde nous offrait le spectacle @un peuple porté a Vinaction et consu- mant sa vie dans une voluptueuse mollesse et dans les extases de la contemplation mystique : autre influence du climat, mais, aussi, de Vorgucilleux despotisme du pouvoir sacerdotal qui frappait dimmobilité toutes les institutions. C’est lexagération de cette suprématie théocratique qui, dans l’Assyrie et Egypte, a tenu Yart enchainé a lombre du sanctuaire. La Gréce, 4 la faveur d'une position géographique exception- nelle, unit A la variété intellectuelle le principe de Vactivité, du mouvement, de Ja liberté. Placée entre /Europe et l’Asie, pour relier les deux mondes : Orient et Occident, la tradition et Ja liberté, la triple Gréce avee ses trois mers, ses iles innombrables qui l'entourent de toute part, ses montagnes couvertes de foréts , ses vallées riantes et fécondes, ses fleuves aux bords enchantés, ses sites pittoresques, son climat tempéré entre le ciel brumeux du Nord et le ciel brilant des tropiques, était destinée 4 montrer ce que peut Vhomme, quand, éclairé par les traditions du passé, il prend une généreuse initiative, et suit Vimpulsion de la nature, en se livrant avee ardeur a son activité personnelle. La yoix des vents, des flots et des montagnes partout disait & Ja Gréce : indé- pendance et liberté. Wharmonieuse diversité du langage produite par la variété des ( 86 ) climats favorisait le rapide essor des idées. L’énergie du Nord et la douceur du Midi, l’abondance et la richesse de lOrient, la préei- sion et l’exactitude de l’Occident se combinérent a ce point dans la langue des Hellénes si féconde en dialectes, en combinaisons heu- reuses de voyelles, de consonnes, de diphthongues, de mots com- posés, que l’idiome national devint susceptible des plus habiles nuances de Ja pensée, du sentiment et du style, en gardant tou- jours ce sage tempérament entre la sécheresse et ’exubérance qui évite tous les écueils du génie littéraire. Grace a Ja richesse d’un tel instrument de communication intel- lectuelle, on vit s’établir bientot dans toutes les contrées de la Greéce , un courant d’idées qui transforma les traditions, les moeurs, les institutions, et fit tenter a l’esprit gree toutes les voies de la pensée. Le génie aventureux et entreprenant des insulaires était aussi favorable aux travaux de lintelligence qu’au commeree et a l'industrie. Resserrées dans un espace étroit, les différentes peu- plades des iles et des cétes maritimes devaient déborder les unes sur les autres; de la, ces migrations successives qui changent la face du pays et amenent I’établissement des colonies, un des plus puissants moteurs de la civilisation antique, Parmi ces colonies, il en est aussi qui Viennent de l’Orient et répandent, par le mélange des races, des idées nouvelles, un esprit nouveau. Heureusement pour la Gréce, ces éléments hétérogénes ne purent dénaturer son caractére original. Elle sut imprimer son cachet a ces emprunts étrangers, par le sentiment de la beauté esthétique, par lhar- monie de ses conceptions. Bien plus, ¢’est par sa réaction contre Orient que la patrie des Hellénes conquit son originalité artistique et sociale. Vous allez yoir. I]. — Temps primitifs ; le lyrisme sacerdotal, La premiére population de la Gréce était d’origine orientale. Sortis de l’Asie Mineure, les Pélasges s’étaient fixés dans la Thrace, et de 1A s’étaient répandus dans la Thessalie, l’Epire, la Béotie, l’Attique et le Péloponése. Un nuage épais, que la critique n’est pas doom az ( 87 ) parvenue A dissiper, dérobe 4 nos regards cette civilisation pri- mitive de la Gréce, Nous en savons assez néanmoins pour affirmer que la Thrace fut le berceau de la poésie grecque. La était la Piérie ou les Muses inspirérent les premiers chants. Au sud de la Thrace s‘élevaient ces montagnes, habitées par Jes dicux et les muses; 1Olympe, le Parnasse, le Pinde, l'Hélicon. La coulait le Pénée; 1a s étendait la vallée de Tempé. C’était aussi dans ces lieux qu’Apollon ayait yécu parmi les bergers, et que les géants avaient entassé Pé- lion sur Ossa. Nous ignorons Ja constitution intérieure des royaumes pélasgiques, mais nous sayons, par les constructions cyclopéennes de cette race agricole et par le caractére hiératique de ses chantres sacrés, que la caste sacerdotale y dominait comme en Orient. Olen, Musée, Linus, les Eumolpides sont des noms de mystagogues con- servés par les ages, mais dont il ne reste aucun monument poétique. Un seul de ces chantres, personnification éclatante d'une école de poétes, se présente 4 nous entouré d’une auréole de splendeur par la mythologie, mais tellement voilé par le double rideau des siécles et du sanctuaire, qu'il nous est impossible de distinguer clairement ses traits. Orphée, tel est son nom, fut un chantre civi- lisateur. Vraisemblablement initié aux mystéres des Cabires, dans Vile de Samothrace, il institua lui-méme des mysteéres dans la Pé- lasgie, en !honneur du Dieu supréme (Zeus) et des puissanees démiurgiques (la triade), Il abolit les sacrifices humains et établit des cérémonies expiatoires. Il cherchait surtout 4 éteindre les haines héréditaires et 4 pacifier des populations sauyages. De 1a ces prodiges qui représentent Orphée sur le Rhodope, la lyre thréi- cienne a la main, les yeux inspirés, contemplant le ciel, et rendant Jes animaux féroces et les arbres méme sensibles A ses divins ac- cords. Ces fictions merveilleuses sont évidemment lembléme de Yaction ciyilisatrice exereée par Orphée sur les habitants de la Gréce primitive. Ce chantre, ce pontife, ce poéte célébrait lori- gine du monde et l’ordre établi au sein du chaos; il inspirait aux hommes la sagesse et leur enseignait Jes lois de Ja morale. Ses chants étaient des hymnes monothéistes ou symboliques. Les premiers consistaient en priéres inyocatoires, dont Ja formule ait consaerée dans les initiations des mystéres, ot le grand ordon- ( 88 ) nateur des mondes, adoré sans voiles, apparaissait 4 lintelligence de l'initi¢é. Le monothéisme était donc la religion primitive des Pé- lasges, comme le prouve assez l’oracle de Dodone, centre religieux de toute la Gréce pélasgique. Mais l'influence orientale et aussi la faiblesse de esprit qui ne sait eroire d'une maniére irrésistible qu’a ce qui frappe les sens, créérent le naturalisme symbolique ot tous les attributs du Dieu supréme et les forces de la création furent personnifiés sous des emblémes qui finirent par usurper la place du Dieu créateur. C’est ainsi que naquit en Gréce le poly- théisme. Déji Olen avait introduit & Délos le culte d’Apollon et de Diane, le soleil et la lune, enfantés par Latone, e’est-a-dire les ténébres. Le culte de Cérés, déesse des moissons, remonte égale- ment A l’époque pélasgique. Le hiératisme orphique admit cette déification de la nature, dont la source n'est pas seulement dans le besoin de se représenter la divinité sous des images sensibles, mais aussi dans lignorance des lois physiques qui régissent la matiére. Outre ses hymnes d initiation, Orphée composa donc des chants symboliques réservés au culte public ou a la religion popu- laire, et c'est dans ces élans lyriques d’un pieux enthousiasme qu'il faut chercher les premiers bégayements de l'art grec, inséparable de la religion. Malheureusement, l’antiquité ne nous a pas légué les poémes d’Orphée déchirés par l’épée des Hellénes. Homére et Heésiode , représentants d’une autre civilisation, ne font pas mention du prétre de la Thrace. Mais, malgré l’assertion mal comprise d'Hé- rodote et de Cieéron, la personnalité d’Orphée appartient a lhis- toire. Hésiode, Arion de Méthymne, Terpandre, Pythagore , les stoiciens se transmirent, en le défigurant, Vhéritage de son dogmatisme. Les logographes et les écrivains du siecle de Périclés nous offrent des témoignages irrécusables de son individualité historique et de lélévation de son génie mystique. Plus tard, il devint, entre les mains des philosophes d’Alexandrie, la pierre angulaire du syncrétisme mythologique, opposé, par le néoplato- nisme, comme la plus redoutable machine de guerre, au christia- nisme naissant. On prétendait faire remonter jusqu‘au théologien de la Pélasgie la doctrine du Christ qui allait réduire en poudre (Se) l’édifice vermoulu du polythéisme. Les Péres de !'Eglise eux-mémes s‘emparérent de cette arme pour Ja retourner contre leurs adver- saires, en faisant d’Orphée le précurseur mythologique du Christ, et retrouvant en lui un écho de la tradition primitive perpétué i travers les siécles, pour rendre témoignage au Verbe éterncl, dont la parole venait réveiller le monde endormi a ’ombre de la mort. Ce n’est done pas sans raison que nous nous arrétons complaisam- ment sur la figure du premier grand civilisateur de la Gréce. Les poémes qui lui furent attribués par les Alexandrins ne sont revétus daucun caractére d’authenticité; on reconnait, cependant, le fond de sa doctrine sous cette enveloppe brillante, mais recherchée, manteau d’emprunt qui déceéle un siécle de décadence, et qui n'imite que par intervalle la simplicité candide et les plis sévéres de la robe du prétre. Un de ces poémes raconte sous une forme épique l'expédition des Argonautes. Orphée avait fait partie de cette périlleuse entreprise qui fut le premier éveil de Vactivité nationale des Grecs. Le chantre sacré de Ja Thrace vivait done au XIV" siécle avant notre ére, c’est-a-dire deux siécles apres cette premiére lutte des Hellénes contre les Pélasges qui avait ébranlé Yantique civilisation et replongé la Gréce dans la barbarie. C’est sur ces farouches vainqueurs qu Orphée exer¢ait son action civili- satrice, en méme temps qu'il consolait les vaincus par ses chants pieux. ' Dans le désordre produit par la migration des Hellénes, des colonies orientales étaient venues s’établir dans l’Attique, la Béotie et le Péloponése, sous la conduite des égyptiens Cécrops et Da- naiis, du phénicien Cadmus et du phrygien Pélops, qui donna son nom la Gréce méridionale. Ces colonies avaient apporté avec elles de nouveaux éléments de civilisation, dont l’empreinte devait rester dans la mythologie grecque comme dans les institutions des temps héroiques. Mais Ja stabilité orientale, due & la prépondérance du sacerdoce , seffacait de plus en plus. L’activité des Hellénes allait déchirer ce réseau mystérieux qui rattachait les institutions au sanctuaire et faisait du tréne le vassal de Vautel. Le baton du prétre devait se briser contre Je glaive du héros, La liberté était i ee prix, West ( 90 ) cette grande révolution qui donna son caractére a Ja brillante civilisation hellénique ainsi qu’é l'art lui-méme. N’allez pas croire, cependant, que le sacerdoce perdit son prestige; non: si le prétre cessa de présider aux destinées du peuple, si le culte public échappa 4 son influence, il conserva le culte secret par les mysteres; der- riére le voile du sanctuaire se cacha l’énigme de lavenir dont Thiérophante devint lVinterpréte, et le prétre se transfigura a trayers l’encens des autels. III. — Temps héroiques : VPépopée grecque. Etudions cette révolution des temps héroiques et la transforma- tion qu'elle fait subir 4 la poésie greeque. Les malheurs qui com- posent le mythe ou la légende dOrphée, sont & notre avis le symbole des persécutions de la race pélasgique. Son Eurydice , c'est la civilisation sacerdotale qu'il s’efforce vainement d’enraciner au coeur des Hellénes, et qui disparait dans l’abime, malgré la magie de ses chants. La mort tragique du divin poéte est la défaite du sacerdoce et l’extinetion de la race pélasgique dans les plaines de la Thessalie, sous ’embléme d'une vengeance exercée par les Bac- chantes venant troubler les mystéres du hiératisme orphique, ou par les femmes de la Thrace, furieuses de se voir dédaignées pour Eurydice. Une fois débarrasscée des entraves du mysticisme, la pen- sée grecque s¢lance 4 Ja poursuite de son idéal. Les tribus victo- rieuses se personnifient dans de grandes individualités héroiques qui deviennent des demi-dieux , et dont l'imagination embellit Vhistoire de récits merveilleux. Ces héros civilisateurs, sortis du sein de la barbarie, sont doués dune force prodigieuse, et sen yont purger la terre des monstres qui la désolent. Hercule, héros dorien, étouffe des serpents dans son berceau. Armé de sa redou- doutable massue, il combat les bétes féroces et les géants. Il prend part 4 expédition des Argonautes et délivre Thébes de la domi- nation d' Orchoméne. Ses douze travaux représentent les douze signes du zodiaque, et son nom devient la glotre de Vair, ("Heaxdjs). Le systéme épique est déja 1a tout entier, avec le principe de la —— ( 91 ) mythologie greeque : 'abaissement du régne animal que divinisait 1 Orient; les puissances de Ja nature subordonneées 4 |’étre moral ; le ciel lui-eméme inearné dans Yhomme. Voilé union des deux mondes, yoila l’'anthropomorphisme, voila l'art grec. Les institu- tions politiques et sociales se forment, mais l’esprit d’indépendance met encore une barriére entre les diverses tribus qui ont chacune un héros national a leur téte. La Créte, tour A tour habitée par les Pélasges et les Phéniciens, et conquise par les Doriens, fut le rendez-vous des dieux de l’Asie, yéritable pandémonium de la Gréce future. Non pas que chaque Etat n’eiit ses divinités tutélaires; mais ’Ida, ou Jupiter et Junon sunirent, enfanta ’olympe homérique, comme les lois de Minos , ce Manou de la Gréce, furent le type des législations helléniques. La sagesse de Minos le constitua, dans la mythologie, juge des enfers, avec son frére Rhadamanthe, dont le nom révele une origine égyptienne. L’Attique, colonisée par Cécrops, importateur du culte de Minerve (Haaads ‘Aéfvy), fut envahie au XV" siécle par les Ioniens, dont Je héros, Thésée, parvint 4 détroner la dynastie égyptienne, en s'unissant aux premiers habitants de race pélas- gique. Thésée abolit le régime des castes, affranchit ses concitoyens du tribut humiliant imposé par Minos, combat le Minotaure, les géants, les amazones, les centaures, et, mis au rang des immor- tels par la reconnaissance publique, cet autre Hercule étend le cercle des récits fabuleux qui alimentent la mythologie greeque. Thébes, ot Cadmus avait fondé sa dynastie au milieu d'une population pélasgique, devient, au XIV siécle, le thédtre du drame le plus terrible et le plus pathétique de l'antiquité. Victime dune horrible destinée, OEdipe monte au trone sur le cadavre de son pére, tué de sa propre main, et s’unit 4 celle qui lui a donné le jour, aprés avoir délivré sa patrie du sphinx dont il a deviné lénigme. Puni dans ses enfants de ses crimes involontaires, il est renyersé du pouvoir par Etéocle et Polynice qui régnent ensuite a sa place. Polynice, proscrit par son frére, rassemble une armée dans le Péloponése; sept princes conjurés viennent présenter la guerre sous les murs de Thébes; et les deux fréres tombent noyés dans le sang l'un de autre. Dix ans plus tard, les Epigones, des- ( 92°) cendants des sept chefs, animés par la soif de la vengeance, mar- chent contre Thebes qu’ils détruisent de fond en comble. Ces deux guerres et histoire dOEdipe, dont s’empareront les poétes, an- noncent un temps de barbarie, mais de barbarie héroique, ou Valliance des princes , ligués pour une cause commune, tend a for- mer Tesprit national, en donnant lessor a Ténergie vitale des farouches enfants de l’Hellénie. Les traditions achéennes renferment aussi des drames sanglants. Les Achéens, unis aux Danaides, régnaient dans l’Argolide et la Laconie, quand les deux fréres Atrée et Thyeste, fils de Pélops, semparérent du tréne de Mycéne. Jetons un voile sur tous ces crimes, sur toutes ces horreurs des palais d’Argos et de Mycéne. Tibére , Néron, Caligula, Domitien, Agrippine , Messaline, sont de pales figures auprés des Tantale, des Persée, des Atrée, des Thyeste, des Médée, des Egisthe, des Oreste, des Clytemnestre. C’est une suite d’assassinats, de parricides, d’adultéres et d'incestes qui font frémir. Ces héros n’étaient pas des hommes; c’étaient des monstres. Les poétes épiques, antérieurs 4 Homeére, s’attachaient a purger Ja terre de ces crimes, en soulevant le cceur de dégotit a la peinture de ces atrocités. Nous verrons plus tard par quel procédé les tra- giques grecs parvinrent A les représenter sans exciter ’horreur et sans révolter la conscience. Nous voici aux Jimites de la guerre de Troie. Avant de parler de cette céleébre entreprise, disons ce que l'art était devenu a cette époque. On s imagine communément, quand on n‘a pas la clef de Vhistoire, qu Homere a tout inventé. Vous allez voir qu'il n’a fait que reproduire, mais avec la liberté du génie. Les traditions hé- roiques que nous yenons dexposer ont fortement impressionné Vimagination grecque qui se plait 4 les embellir, en grandissant les héros a la taille des dieux. L’orgueil des rois, jaloux de leurs prérogatives au point d’usurper les fonctions du prétre, en asso- ciant en eux le double prestige du pouvoir et de la religion dans les cérémonies sacrées, attira dans les palais les chantres divins qui se firent les échos harmonieux des exploits du passé. Ces nouveaux aédes n’appartiennent plus au sacerdoce; ils célébrent encore les louanges des dieux, mais surtout la gloire des héros. Is ( 95 ) préludent a lépopée par des hymnes épiques ot lenthousiasme se méle au récit. Les mythes se multiplient, et de méme qu'on éleve les grands hommes au rang des dieux, on fait descendre les dieux parmi les hommes. On leur donne une physionomie et des traits particuliers. Les généalogies, les actions, les exploits, les aventures, les passions de homme composent le tissu de la vie de ces divinités taillées sur le bloc de Vhumanité, dans des proportions idéales, mais précises. Voila le systeme mythologique, consacré au temps de la guerre de Troie. La considération qui entoure le poéte (car tel est son nom depuis la création du genre épique) lui donne la conscience d'une mission sociale, C’est encore un sacer- doce, mais un sacerdoce laique qui ne peut plus porter ombrage aux grands. Des écoles de poétes s’établissent dans toute la Gréce. On y apprend la cithare et la phormine:, aussi bien que les secrets de la composition poétique. Thamyris, Phémius, Démodocus, tels sont les noms des plus renommeés de ces maitres dans l’art de plaire. Homére nous les a transmis dans l’Odyssée. Or, si lon ré- fléchit que deux siécles séparent le chantre de l'Jliade des événe- ments qu il raconte, on se persuadera aisément que bien des aédes et des rhapsodes ont existé avant lui. Sil est le plus grand des aédes épiques, il est loin d’en étre le premier. Au lieu de compo- ser des rhapsodies éparses, il créa lépopee: voila son génie. L’événement que chanta la muse d’Homére fut la guerre de Troie. Cette célébre entreprise, qui devait décider de lavenir de Ja Gréce, en lui donnant la conscience de ses forces et en créant Yesprit national, eut encore pour cause premiere la vicille rivalité des Hellénes contre Jes Pélasges. Les Troyens dans la Phrygic étaient en effet de méme race que les habitants primitifs de la Gréce (1). Le eri de guerre partit du Péloponése ot les Atrides, descendants du phrygien Pélops, dominaient 4 Myceéne et a Sparte. Mais les chefs de tous ces Etats indépendants des différentes par- ties de Ja Gréce n’auraient pas consenti a courir les chances péril- leuses dune longue guerre pour yenger un affront de famille, si (1) Il ne faut pas en juger par I’Znéide ot les Hellenes sous les murs de Troie sont appelés Pelasq/. ( 9% ) linstinet national weit enflammeé Je courage de ces fiers guer- riers. La haine des deux races avait provoqué déji des actes dhos- tilité et amené de terribles représailles. Tantale, par le rapt du troyen Ganiméde, avait fait expulser sa famille; Hercule avait tué Laomédon et enlevé sa fille; 4 son tour, Paris emporte Héléne sur les mers ct la conduit 4 la cour de Priam. L’heure de la vengeance a sonné. A lappel d Agamemnon et de Ménélas, cinquante sept chefs prennent les armes. Parmi eux on distingue, outre les deux Atrides, des rois vaillants: Achille de Phthia, Ajax de Salamine, Dioméde d’Argos, Ulysse dIthaque, Nestor de Pylos, Idoménée de Créte. Douze cents navires se rassemblent dans le port d’Aulis en Béotie. Pour apaiser les vents contraires, Agamemnon immole aux dieux sa fille Iphigénie. Aprés ce sacrifice, la flotte, montée par une armée de cent mille hommes, part pour l’Asic. Arrivés devant Troie, les Grecs mettent leurs vaisseaux a see sur le rivage, con- struisent leur camp sous les remparts de Pergame, et le combat s engage. Ici commence le poéme d’'Homere. La discorde se jette entre Achille et Agamemnon, qui vient d’enlever au chef des Myrmidons Briscis, son esclave. Achille se retire dans sa tente et refuse aux Grees Je secours de son bras. Chrisés, prétre d’Apollon, outragé par le prince des guerriers, implore Phébus, et le dieu a Tare d'argent descend du haut de !Olympe, en faisant résonner son carquois; ct, pendant neuf jours, la guerre ect la peste désolent le camp des Hellénes. Achille, de son edté, prie Thétis, sa mére, d’at- tirer sur l’armée Ja colére du puissant maitre des dieux, qui, dun mouvement de ses sourcils, fait treembler ’Olympe dans ses fonde- ments. Agamemnon, abusé par un fol espoir, présente la bataille aux Troyens. Ce n'est plus pour les Grecs qu'une longue suite de revers, malgré des prodiges de valeur. Partout Hector triomphe et proméne le carnage et incendie dans le camp et jusque sur les vaisseaux des Grecs que l'absence d’Achille réduit aux abois. En vain, les principaux chefs supplient l’impitoyable guerrier et sef- forcent de désarmer sa colére. Ni Nestor, qui, de sa lévre harmo- nicuse, laisse couler comme des flots de miel la douce persuasion, ni Ulysse, fécond en expédients, ne peuvent faire sortir Achille de (95 ) son inaction; leur éloquence se brise contre sa poitrine dairain. A la lueur de ‘incendie, Patrocle, l’ami du héros, sent gronder Vin- dignation et la pitié dans son cour. Il demande avec des larmes au fils de Pélée de lui permettre au moins de se revétir de ses armes invincibles et de combattre a sa place. Achille cede enfin a sa priére, et, plein de sollicitude pour cet ami si cher, il le suit avec toute son ame. Mais un funeste destin condamne le guerricr au trépas. Apollon lui enléve ses armes, et le malheureux Patrocle périt de Ja main d’Hector. Alors, une lutte acharnée se livre au- tour de son cadayre. On annonce a Achille que Patrocle n’est plus. Limpétueux guerrier, pleurant de rage et de douleur, sans armes, mais protégé par l’égide de Minerve, apparait terrible sur son vais- seau et jette un cri effrayant qui glace les ennemis d’épouvante. Le courage renait parmi les Grecs, et le corps de Patrocle est sauveé. Du fond de sa douleur, Achille entend la voix du sang qui l’ap- pelle 4 la vengeance. Il n’y a plus de place dans son cceur pour un autre sentiment. Il se réconcilic avec Agamemnon, car il sent que Yunion fait la force. L’Olympe intervient dans cette lutte supréme , et les dieux se partagent en deux camps, tandis que Jupiter, assis sur son tréne, contemple cette scéne de carnage. Achille, couvert des armes nouvelles que Vuleain lui a forgées, a Ja priére de Thétis , vole au combat. Son épée s’enivre de sang, et Hector, le meurtrier de Patrocle, tombe bientét sous ses coups. Sa rage ne pouvant s’assouvir, trois fois il fait trainer derriére son char, autour des murs de Troie, le corps ensanglanté de son rival. Apres les pompeuses funérailles de Patrocle, Priam vient supplier le meurtrier de son fils d’accorder a ses cheyeux blancs le cadavre dHector. Emu au spectacle attendrissant de la vieillesse et du mal- heur, Achille permet 4 Priam d’emporter les restes défigurés de son malheureux fils. Et les Troyens célébrent 4 Jeur tour, au milieu des gémissements et des sanglots, les funérailles du dernier soutien de sa patrie expirante. Tel est le plan, telles sont Jes grandes scénes de ITliade. On done Homére a-t-il puisé Vinspiration de ce poéme? dans la réalité des événements quil retrace, mais qu il dispose et idéalise avec le coup dail du génie. Le poéte, pour ne pas raconter les ex- ( 96 ) ploits des héros daprés ordre puremenut chronologique, ayait besoin de deux conditions indispensables : la perspective des éyé- nements et le prestige de l' imagination. Homere vivait, selon toute vraisemblance, vers Ja fin du XI™ siecle, c’est-a-dire plus de deux siécles aprés la guerre de Troie. Quel quait été le résultat de cette expédition, — car nous ne sayons pas historiquement si Troie fut réduite en cendres ou si un traité de paix fut conclu entre Jes deux peuples, pour mettre fin aux invasions pélasgiques, — la migration dorienne, antérieure au temps d'Homeére, avait acheveé la défaite de la race pélasgique et creusé désormais un abime entre lHellénie et lOrient. La civili- sation, chassée du continent par le retour des Héraclides, s’était réfugiée dans les iles de l’Archipel ou les Ioniens, sous la con- duite des fils de Codrus, avaient établi leur domination, La royauté s’'y ¢tait maintenue assez de temps pour voir fleurir la poésie et les beaux-arts A Vabri du tréne, sous ce beau ciel d'Tonie si favo- rable 4 imagination, et que la nature semblait ayoir eréé pour unir dans une indissoluble harmonie le génie idéal de l Orient et le génie plus positif de !Oceident. C’est dans ces climats qu’'Homere vit le jour, non loin du théatre de la guerre quil allait & jamais immortaliser par ses chants. Héritier des traditions héroiques déja célébrées par d’anciens aédes dans des rhapsodies isolées, il voulut encadrer dans un yaste poéme les principaux éyénements de la guerre de Troie. La colére d’Achille qui, peut-étre avant lui, for- mait une simple rhapsodic, devint le pivot de son épopée. Les exploits des héros grees étaient dans toutes les bouches. Homere n’ayait rien a inventer pour le fond; mais on était déja assez éloigné des événements pour permettre au poéte de grandir la figure de ses héros, pas assez pour lui donner le droit de les transformer en créations purcment imaginaires. C’est cette perspective qui enfanta Vidéal homérique, en laissant la fiction se jouer librement sur la palette du divin poéte. Limagination d Homere lui fit créer cette mise en scene drama- tique qui donne Jillusion de la réalité, et fixa ce merveilleux poé- tique qui méle le ciel a Ja terre, les dieux aux héros, pour captiver homme mental tout enticr daus un récit capable d’éveiller toutes 2 (97 ) les sympathies, d’éterniser le souvenir des traditions du passé, de former, enfin, l'esprit national des Grecs. Quel spectacle, en effet, pour un peuple impressionnable que ces luttes héroiques soute- nues en commun pendant dix années, pour assurer l'indépendance de la patrie ! Quwil était différent de cet autre spectacle que pré- sentait la Gréce au temps dHomeére, alors que tous ces guerriers yaleureux, au retour d'un long siége, ne retrouvaient plus que la discorde au sein de leurs Etats, et leurs sujets en proie a des divi- sions intestines fomentées par une noblesse ambiticuse et Jalouse. Alors la Gréce, affaiblie par les tiraillements et les révoltes, avait vu les descendants d'Hercule redescendre des hauteurs de la Thes- salie, pour faire la conquéte du Péloponése et détroner les Pélo- pides, achevant en quelque sorte la guerre de Troie par l’extinction des derniers débris de la race pélasgique. Et le divin Homerc, sentant saigner sa grande ame 4 la vue des déchirements de la Gréce, s’écriait : Ce n’est pas une bonne chose que le gouvernement de plusieurs; qu'un seul soit le maitre. C’était done pour raviver le sentiment national quil composait l’Jliade. La civilisation semi- barbare des temps héroiques, reproduite dans toute sa réalité plastique par la merveilleuse imagination dHomere, devait donner & son @uvre cette vitalité puissante qui immortalise Jes grands poémes. On a dit avee raison que la nature avait fait Homere; mais ce don de Ja nature, il Je doit a la civilisation de son époque. Cest cc que je vais vous démontrer. Aux temps héroiques, les moeurs des Grecs étaient formées, il est vrai; mais les habitudes, les cou- tumes, les usages n’étaient pas encore soumis des lois positives. Le heros ne connaissait d’autre loi que son instinct. Liberté, fierté, indépendance, passion, pesez ces mots : Vhéroisme est la tout entier, et avec lui la muse de I’épopée. La monarchie héréditaire , forme du gouvernement a cette époque, était tempérée par un conseil aristocratique que le roi consultait dans les grandes cir- constances, L’autorité royale avait plus d'importance dans la guerre que dans la paix, par la nécessité dune plus grande concentration de forces. Voila pourquoi Agamemnon est chargé de la conduite de Ja guerre. Mais voyez quelle liberté, quelle fierté, quelle indé- Tome VILL. 7 ( 98 ) pendance dans les rois qui forment le conseil de guerre. Aga- memnon porte atteinte a la dignité d’Achille. Dés lors, plus de soumission. Le fils de Pélée, n’écoutant que la vengeance, laisse péerir les Grecs sous le fer ennemi; il regarde avec impassibilite, que dis-je! avec une joie cruelle la défaite de ses compatriotes et le triomphe des Troyens. Il va jusqu’a désirer que tous les chefs tom- bent noyés dans leur sang, et quil ne reste debout qu’Achille et Patrocle. Vous détournez les yeux de cette barbarie, et vous yous demandez si la poésie est donc dans l’insensibilité? Non, Achille n’est pas insensible. Etudiez les mobiles de sa eonduite, et voyez-le dans les différentes péripéties du combat. Sil se con- damne d’abord a l'inaction, c’est qu il est trop sensible a outrage. Or, ot est Ja source de cet héroique défaut? Dans la supériorité naturelle de 'homme. Supposez Thomme avant sa chute; grand comme un Dieu, pourra-t-il se croiser les bras devant linjure? Sil peut souffrir un égal, souffrira-t-il un maitre qui, au lieu de se faire pardonner une autorité temporaire librement acceptée, vyoudra sarroger un pouvoir tyrannique? Non, il ne le souffrira pas. Voila Achille en face d’Agamemnon lui enlevant sa captive. Liinhumanité du héros est la vengeance d'un étre surhumain poussée jusqu’au délire de la dignité outragée. Mais ce héros serait Anos yeux un monstre de barbarie s'il n’obéissait qu’a Pamour- propre, et lintérét humain ne s’attacherait pas 4 leuvre du poéte. Rassurez-vous, Achille est homme. Autant il est sensible a Vinjure, autant il est sensible 4 l’amitié. Rien n’égale sa douleur quand on Jui apprend la mort de Patrocle, son ami. Ce cceur de bronze se fond alors comme la cire au soleil. On frissonne au tableau de cette effrayante doweur qui s’exhale en larmes, en cris, en sanglots. Ru- gissant comme une lionne a laquelle ona ravi ses petits, il se cou- vre de cendres, se roule dans la poussiére et s’arrache les cheyeux de désespoir. Faiblesse, mais héroique faiblesse qui honore !huma- nité, car elle a sa source dans le sacrifice de soi-méme pour un autre soi-méme, moitié de notre ame, et dont Ja perte fait saigner le cceur, comme si un poignard homicide nous arrachait la vie. On reconnait a le cri de la chair et du sang, et lon est ému jusquaux larmes, en dépit de cette fausse honte qui, dans nos civilisations = {a meé- ( 458 ) laneolie, en effet, n’est que le contre-coup du malheur sur lame | humaine. I] ne faut s’étonner que d'une chose, c'est qwil y ait si peu de poétes vraiment élégiaques. La raison en est sans doute que les poétes, au lieu de laisser crier en eux la fibre humaine, et douvrir leur ceur a la pitié, n’obéissent trop souvent qu’a Ja fantaisie, au despotisme des passions et & empire de circonstances ou l’Ame s’étourdit sur sa destinée. Simonide, doué par la nature dune sensibilité profonde, fut ’écho mélodieux des grandes infor- tunes. Les cris de la douleur ayaient retenti dans son ame et pro- duit dans l'art gree d'autres lamentations de Jérémie, sous le nom de Thrénes, dont lode & Danaé offre un admirable modéle. Aucun poéte lyrique, dans Vantiquité, ne s’éléve & un pathétique aussi sublime; aucun n’a pressé, comme Simonide, l’éponge du cceur humain, pour en faire jaillir tout ee qu'il contient de larmes. Mais le poéte qui chantait si dignement les malheurs de ’humanité, fut admirablement servi par les circonstances, car sa longue vie le rendit témoin de la terrible lutte que la Gréce eut a soutenir contre la Perse pour assurer son indépendance. L’Hellénie triomphante eut ses jours de victoire, mais aussi ses jours de deuil. Simonide, qui chanta les triomphes, fut aussi l'interprete de la douleur pu- blique. Il composa, en l’honneur des victimes de Marathon, une élégie qui dut faire tressaillir au fond de leur tombeau ces brayes morts pour leur pays. Ce chant funébre fut un double triomphe pour Simonide, car il exaltait la vaillance des Grecs et remportait sur le grand tragique Eschyle lui-méme, un des héros de la ba- taille, une victoire poétique dans un concours a jamais mémorable, Simonide fut Je chantre national de Ja Gréce. Plus heureux que Pindare, il ne se borna pas 4 chanter les vainqueurs des jeux Olym- piques, mais il eut linsigne honneur d’étre officicllement choisi pour célébrer les exploits de Marathon, des Thermopyles, de Sa- lamine et d’Artémisium. II faut lire le chant héroique quil consa- cra 4 la louange de Léonidas et de ses compagnons. Jamais la muse patriotique ne fit entendre de plus nobles accents, Le désastre des Thermopyles dans les vers de Simonide deyient un hymne triom- phal. « Leur tombe, dit-il, est un autel, » Simonide ne marchandait pas l’éloge. C’était sa qualité, et ¢’était 1 ( 159 ) son défaut, car il agenouillait sa muse aux pieds des grands qui recherchaient lencens de ses lowanges. C’est ainsi quil fut en fayeur aupres d'Hipparque, des Aleuades et des Scopades de Thes- salie, et des deux tyrans de Sicile: Théron d’Agrigente, et Hiéron de Syracuse, quil réconcilia, dit-on, au moment ou ils allaient se livrer bataille. Il passe pour avoir le premier fait méticr de pané- gyviste publie. I] dit lui-méme quil n’élait pas enclin a la cen- sure. C’était wn homme de lettres dans toute Vacception du mot. I appartenait, comme Stésichore, 4 une famille d’artistes qui vivait des produits de l’esprit. Aussi ne manquait-il jamais une occasion de tirer profit de ses talents, soit en chantant les gloires de la patric, soit en participant aux concours poctiques organisés dans toute Ja Gréce. Il ayait gagné cinquante-six beeufs et autant de trépieds, nombre prodigieux quand on songe que ce genre de prix lait réservé & des solennités religieuses qui ne se présentaient qu'une ou deux fois par an, Qu’on juge d’aprés cela combien Simo- uide dut remporter de triomphes! On ne saurait trop déplorer la perte de tous ces chants patriotiques. Nous ne connaissons ni ses hymnes aux dieux, ni ses péans chantés 4 Delphes en !honneur d’Apollon, ni ses hyporchémes, choeurs de danse, ni ses dithy- rambes en honneur de Bacchus. Parmi les fragments que nous possédons se trouvent quelques lambeaux des odes triomphales of Je poéte célébrait les héros des jeux publics, Depuis qu’on eut érigé des statues aux vain- queurs, la poésic fut appelée 4 embellir ces fétes de toute la pompe des représentations chorales de Stésichore. Simonide consacra la forme de ces chants héroiques en décrivant toutes les péripéties de la lutte et en prodiguant ses louanges, non-seulement aux yainqueurs, mais aux instruments de la victoire. Le poéte de Céos fut aussi le eréateur de PEpigramme comme genre liltéraire, L'épigramme wavait pas chez les anciens la méme destination que chez les modernes. C’était, conformément a |'éty- mologie du mot, une inscription sépulerale ou tumulaire. Rien ne sopposait dailleurs a ce que linseription fit une épigramme dans le sens moderne; |'épitaphe du poéte Timoléon en est la preuve, Mais ce west JA qu'une exception. Les épigrammes de Simonide ( 140 ) sont des monuments historiques. On connait celle de Léonidas et des trois cents héros des Thermopyles rapportée par Hérodote. « Passant, va dire 4 Lacédémone que nous reposons ici pour avoir obéi A ses lois. » Simonidea passé soixante ans de sa vie 4 répandre sur les noms glorieux de son pays des larmes et de ’encens; mais cette double face de son génie ne le fait pas connaitre tout entier. Un autre trait distinctif du caractéere de ce grand poéte, e’est la tendance philoso- phique qui perce dans tous ses chants. On dirait Solon méditant sur les malheurs de la vie et dirigeant l'éducation morale d'une génération féconde en tragiques événements, et toute meurtrie des coups du sort. L'instinet du poéte est réglé par la réflexion, par la raison pratique. Ce ne sont pas les événements de sa vie qui inspi- rent a Simonide ses sentiments et ses pensées, cest la contempla- tion des vicissitudes humaines et des événements de la vie pu- blique. C'est l’objectif rendu subjectif, dirait la philosophie. Partout la pensée philosophique se méle aux larmes élégiaques ou A l'en- thousiasme lyrique. On sent que Vesprit humain touche 4 sa ma- turité, et, derriére Simonide , on entrevoit Socrate qui va naitre. Cette préoccupation alourdit parfois son vol. Le eygne de Céos n'a ni le regard ni les ailes de l’aigle thébain. Si l’on fait abstraction des défauts de la décadence, on peut appeler ce poéte ’Euripide de la lyre; et, a certains égards, le Lamartine de l’antiquité, avec moins d’ampleur et d'universalité dans le génie, mais infiniment plus de précision et de science. Simonide est un savant; cest 4 lui que la Greéce doit le perfectionnement de son alphabet. Nous ne pouvous que mentionner ici ce Baccnytipe, neveu du poéte de Céos, que Gélon préférait 4 Pindare pour sa douceur, et qui, plus dune fois, disputa la palme au grand lyrique, dans les concours de la Gréce. La lyre d’Anacréon résonnait mieux sous ses doigts que la trompette héroique. I] entonna pourtant avec suecés Vhymne de la victoire aux jeux sacrés. Mais sa muse aimait 4 hanter les joyeux festins. Il n’avait rien du génie de Simonide, sinon la perfection de la forme et Ja tendance morale. / m 1 ( 444 ) Le gout de Ja poésie était si général parmi les Grecs que les athlétes eux-mémes n’étaient pas étrangers a la culture des lettres. TimoL£on Le Ruopien touchait la lyre de Ja méme main qui venait de manier le ceste. Couvert encore de Ja sueur poudreusce de la lutte corps a corps, il rentrait dans la lice pour prendre part aux luttes de Vesprit. Mais il conservait dans Jes exercices de la muse les allures brutales du pugilat. Ses vers étaient des coups de poing lancés 4 ses rivaux. L’épigramme de Simonide sur Timoléon nous donne la mesure des exeés de verve auxquels lenvie poussait le Rhodien. Parmi Jes grands hommes qui s‘illustrérent dans les guerres persanes, Aristide seul, par son désintéressement, mérita les éloges de Timoléon; il poursuivit tous les autres de ses traits sanglants. Thémistocle surtout fut le point de mire de ses attaques forcenées. La démocratie athénienne commeneait a payer par lingratitude la rancon de sa Jiberté. Tout ce qui s’élevait au-dessus du niveau de la foule devenait suspect 4 lombrageuse démocratie qui souf- frait impatiemment le joug de l’autorité. Et, eependant, elle ne fut grande que quand elle obéit a des chefs respectés. La monarchie tempérée ou le gouvernement des lois est lindispensable tutelle de la démocratie, par la raison que le souverain est intéressé A satisfaire les droits de tous pour assurer Je maintien de son auto- rité. Les ambitions cessent de convoiter le pouvoir, l’activité natio- nale se développe dans une double direction : les travaux de lesprit et les intéréts mateériels, c’est-a-dire tout ce qui fait la civi- lisation d'un peuple. Deja, sous les Pisistratides , ees zélés protec- teurs des arts, la poésic, dont le tiraillement des luttes politiques avait dispersé les forces, s'était organisée dans Athénes. C’est alors que les rhapsodes, dépositaires des chants homériques confiés a leur mémoire, avaient été conviés 4 raconter, dans Vordre de leur succession , Jes rhapsodies de I'Iliade et de l'Odyssée, & l’époque solennelle des Panathénées ou fétes communes de toute l’Attique en ’honneur de Minerve, divinité protectrice de la contrée. On sait aussi de quelles faveurs Anacréon et Simonide jouirent 4 Ja cour dHipparque. Mais Hipparque suivit les voies de la cor- ruption. Harmodius, sous prétexte de venger sa sceur, objet des ( 142 ) 2 convuitises du fils de Pisistvate, s'unit A Aristogiton pour mettre a — mort le tyran. Grande et terrible legon-pour les souveraitis qui 6u- Z tragent la morale! L'amour de la liberté inspira A Callistrate une chanson céléebre qui tint en éveil esprit démocratique. Partout, dans Jes festins, on chanta le scolie de Callistrate, dont voici le refrain de mort ¢ « Dans la branche de myrte, je porterai Pépée comme Harmodius et Aristogiton, quand, aux fétes d’Athéné, ils tuérent Je tyran et établirent Pégalité dans Athénes (1). » Vaine illusion pourtant, car Hippias vengea cruellement le meurtre de son frére; et quand Hippias fut renversé sous Ja main d'un Spartiate, Athénes eut a lutter contre sa rivale pour recouvrer sa liberté. Néanmoins le scolie fit fortune, et quand on se donnait rendez-vous a quelque festin, on disait: Allons chanter un Harmodius. Tous les poétes en renom s’exergaient dans ce genre, ou laliberté de l'inspiration s’épanchait en vers irréguliers, pleins des fumées de livresse. L’esprit des peuples s’y faisait jour avec plus de spon- tanéité peut-étre que dans tout autre genre de poésie. L'amour de la Jiberté inspirait les scolies athéniens ; ceux de la vaillante Sparte respiraient le feu des combats. Témoin, cette chanson d’Hybrias, sauvage et fougucuse comme lame des guerriers de la race d’Her-= cule. Les traditions fortement gravées dans le coeur des Doricns par Vorgueil du passé; le prestige des jeux publics ott se rendait — la Gréce entiére, les grands, pour assurer, par leur triomphe, de — nouyeaux titres de noblesse a leur famille, le peuple, pour consa- crer la victoire par ses applaudissements : voild la source de linspi- ration aristocratique des Doriens. Nous avons vu Stésichore, chargeant la lyre du poids de l’épo- pée, oublier sa personnalité pour faire revivre les traditions antiques; voyons Pinpane allier Pépopée au lyrisme, et méler ses sentiments personnels aux chants de gloire qu'il consacre & la louange des héros. J’en demande pardon aux admirateurs de (1) Voir Alexis Pierron, Histoire de la littérature greeque. | : . ( 145 ) Pindare, mais sans vouloir diminuer en rien sa réputation eolos- sale, il est regrettable, au point de vue de Ja civilisation, qu'un poéte de cette trempe n’ait pas senti dans son ame assez dé pa- triotisme pour mettre sa muse au service de indépendance na- tionale, et qu il ait préféré obéir 4 un enthousiasme de commande, en exagérant l'importance d'un genre de victoire auquel les chars et les coursiers avaient plus de part que les héros eux-mémes. Comme citoyen aussi bien que comme homme, Pindare était de beaucoup inféricur & Simonide, le Tyrtée et le Solon de la Gréce. Mais comme poéte, il éclipsa tous ses rivaux par cette heureuse audace qui lui fit parcourir dans ses chants de victoire tous les souvenirs du passé. Les digressions pindariques n’ont pourtant pas le caractere échevelé que certains poétes leur attribuent pout Jes faire servir de passe-port a leurs conceptions extravagantes. Pindare suit un plan tracé d’avance, et son désordre n'est qu’aj- parent. Au lieu de s‘arréter, comme la foule, 4 suivre tout haletant le char qui vole dans la carriére, lode pindarique attend le triom- phe; et quand les applaudissements ont éclaté, elle suit le vain- queur au pied de Vautel pour rendre graces a Ja divinité, ptis célébre dans la féte triomphale le vainqueur, sa famille, sa patrie, les dieux qui président 4 la victoire et en Vhonneur desquels sont établis les jeux sacrés. C’est ainsi que les traditions religieuses et nationales trouvent leur place dans ces chants. Et comme la forme du récit est essentielle 4 la mythologie, l’épopée s’allie 4 Penthou= siasme lyrique. Cependant l’épisode religieux ou héroique n'est au fond que lauréole du vainqueur, dont Ja figure rayonne & travers ce cadre splendide. D’autres fois !éloge du héros compose seul la trame de lode héroique. Mais c’est quand le vainqueur n’est pas suivi dans sa victoire par le cortége de ses aieux. Le ton et le style de Vode sont déterminés par sa destination. Vode dorienne, grave et solennelle, se préte aux développements épiques et emprunte le rhythme majestueux, et les formes larges et sévéres des chocurs de Stésichore. La le poéte s'efface devant Ja grandeur de son sujet. L’ode éolique, vive et légére, se joue au milieu des caprices de la fantaisie. C'est ici que Pindare met en relief sa personnalité, en s’entretenant avee son héros ou en Jan- ( 144 ) cant un défi aux poétes rivaux, dont il déprécie le style pour exalter le sien. L’ode lydienne, dun earactére doux et onctueux, se chantait au moment ou la procession s’avancait vers l’autel pour inyoquer la divinité protectrice. Les checurs stésichoriens faisaient Yornement de Ja féte ou du comos. Les poémes sans épodes étaient réservés a la procession du temple ou a Ventrée solennelle du vainqueur dans sa ville natale, ott la foule le suivait jusqu’au seuil du foyer paternel. Le lvrisme de Pindare ne ressemble done aucu- nement au lyrisme moderne. Son inspiration n’est généralement pas spontanée, car elle a sa source dans les événements exté- rieurs. Cependant le poéte conserve son indépendance vis-a-vis des grands. Il sait, quand il le faut, faire la lecon aux rois, revendi- quer les droits de ’humanité, jeter Veffroi du crime dans lame des tyrans, exalter enfin Ja vertu et les nobles dévouements. Sans avoir dans lesprit la tournure sentencieuse de Simonide, les vicis- situdes de la fortune lui arrachent des exclamations profondes qui annoncent un penseur habile 4 sonder les secrets du eceur humain. Nous avons regretté, en commencant l'appréciation de Pindare, que son patriolisme ne Peut pas entrainé a Ja glorification des héros de Vindépendance hellénique. Il faut dire ici, comme restriction, que la trahison des Thébains ne trouva pas en lui un apologiste, et que les vainqueurs des Perses eurent plus dune fois leur part de l’en- cens réservé aux vainqueurs des jeux publics. Ceux-ci savaient trop bien récompenser le talent, pour n’avoir pas droit aux éloges du poéte. Tous les princes du temps, et surtout les grandes familles de la Thessalie et les tyrans siciliens, le comblérent de faveurs. Toute sa vie ne fut quun long triomphe; et, sil fut parfois vaincu par ses rivaux dans les concours poétiques, il dut aisément sen con- soler par immense retentissement de ses hymnes héroiques, et par la gloire qui partout suivait ses pas. Pour nous, modernes, cette poésie est d'une étude pénible et laborieuse a cause de l’obscurite de ses allusions, de ses digressions, de ses métaphores, de ses allégories. Le peuple gree lui-méme ne pouvait guere comprendre Pindare, car il n’écrivait que pour Varistecratie, Nous ne disons rien de ses vers, dant il nous est im- ( 145 ) possible de découvrir la forme métrique uniquement appropri€e aux exigences de la mélopée. Nous ne connaissons du grand lyrique que ses odes triomphales ; ses autres poémes sont perdus, et, a ]’exception de quelques scolies, qui nous révelent la flexibilité de son talent, il ne reste que des fragments sans importance de ses dithyrambes, de ses chants re- ligieux, de ses thrénes , de ses hyporchemes. La perte des dithy- rambes est surtout regrettable; car le savant désordre de la muse pindarique deyait se produire avee tout son éclat dans Vivresse orgiastique des chants dionysiaques. Est-ce leur supériorité qui accorda aux odes triomphales le pri- vilége déchapper au naufrage du temps? Non, c’est le soin avec lequel les familles des vainqueurs célébrés dans les vers de Pindare conserverent et transmirent 4 leurs descendants le glorieux héri- tage de ces chants de victoire. V. — Sitcle de Périclés : Le pRamE, et subsidiairement Uepopée et Veélegie. Comme art, la poésie touche 4 son apogée, mais elle a perdu son ancienne mission civilisatrice , depuis quelle a cessé d’étre Vor- gane exclusif de la religion, de la philosophie, de la politique et de histoire. Chaque genre a désormais son domaine. La religion préside encore 4 Ja poésie; mais la philosophie, en portant les lu- miéres de Ja raison dans le domaine de Ja physique, a ruiné ’em- pire de la mythologie qui ne régne plus que sur limagination. Lorganisation de l’Etat a réglé la hiérarchie sociale et les rapports des citoyens entre eux. L’histoire a remplacé ’épopée, qui a perdu son empire depuis l’affaiblissement du merveilleux pourchassé par la philosophie. Maintenant que le mouvement des affaires absorbe lattention des citoyens et que les éléments de la richesse publique affluent de toute part, la poésie ne peut plus étre qu'un délasse- ment, wn plaisir artistique, un mets de haut gout, fait pour étre la pature intellectuelle d'un peuple amoureux du beau, le couron- nement enfin de Védifice brillant @une civilisation raffinée. H faut 4 une pareille époque un nouveau genre de poésie correspon- Tome VIII. 10 ( 146 ) dant au earactéere nouveau de la civilisation. L’art doit sortir de sa sphére idéale , et marcher sur le terrain de la réalité. Autrefois la divinité s’était faite homme dans le monde de l imagination, aujour- dhui, c’est l'art lui-méme qui se fait homme 4 Vimage de la société. Cette nouvelle incarnation de l'art, c’est l’action, c'est le drame. La tragédie précéde la comédie 4 cause du sérieux des événe- ments qui se déroulent sur la scéne de l histoire. La comédie ap- paraitra plus tard comme une vengeance de la morale publique flétrissant les abus d’une société eorrompue. La tragédie sortit du cheeur dithyrambique célébré en Vhonneur de Bacchus aux grandes Dionysiaques; c’est done la religion qui consacre encore ce nouveau baptéme de JVart. Le dithyrambe d’Arion était depuis longtemps en vogue. Simonide et Pindare Vavaient cultivé avee succes dans de mémorables concours, en y appliquant l'appareil imposant, la pompe chorale de Stésichore. La trinité artistique , composée de la poésie, de la musique et de la danse autour de l’autel de Bacchus, formait la plus éclatante ma- nifestation du génie lyrique. L’élément mythologique y figurait avec le cortége des satyres dont le dicu du vin était accompagne; mais le drame était en récit, au lieu détre en action. Un jour Thespis, pour faire diversion aux chants du eheeur, détacha de la légende de Bacchus un épisode qu'il fit représenter par un acteur. Un dialogue s’établit entre cet acteur unique et le cheeur. Ainsi commenca la tragédie du nom du bouc immolé a Bacchus. Mais ce drame épico-lyrique n’était qu'un interméde, et ne différait guére des Parthénies d’Aleman, drame-lyrique ou Ja personne et le personnage se confondaient dans l’expression d'un sentiment vrai. Thespis avait néanmoins jeté les fondements du drame en mettant en action un fait étranger ala personne de l’ac- teur. Ceci se passait au VI™ siecle, sous Pisistrate; et Solon, plus législateur que poéte en cette occasion, s était scandalisé de ee men- songe artistique qu'il craignait de voir sintroduire dans les lois. Thespis eut la hardiesse de chercher ses sujets en dehors de lhis- toire de Bacchus, innovation qui passa d’abord pour un saerilége et qui amena le proverbe sicyonien : Qu’y a-t-al ld pour Bacchus ? Cependant, le dialogue dramatique n’était pas encore inventé, puis- ( 147 ) que l'action ou lépisode n’était qu'une partie accessoire dans ces exhibitions choristiques , et n’avait pas encore une vie indépen- dante. Les Suppliantes d'Eschyle donnent une idée de cet embryon dramatique. Les successeurs de Thespis : Phrynichus, qui créa le premier les roles de femmes et prit parfois ses sujets dans lhis- toire contemporaine; Pratinus, qui passe pour linventeur du drame satyrique, et Cheerilus, leur rival, ne débarrassérent pas encore l'action proprement dite des entraves de la choristique. Ce perfectionnement fut Pceuvre dEschyle qui, par la création du dialogue dramatique, mérita détre appelé le pére de la tragédie. Eschyle mit en présence deux acteurs se répondant l'un a Vautre, sans toutefois éter au chur son role actif. Les deux éléments constitutifs du drame, le lyrisme et l’épopée, le cheeur et le récit, furent ainsi enlacés par Fanneau du dialogue dramatique pour former un genre distinct, ayant sa vie et son originalité propres. Quant au mécanisme théatral, Vhonneur de l’avoir perfectionné revient incontestablement 4 Eschyle, mais il est peu vraisemblable qu il lait inventé. Toute production mécanique est le résultat de divers essais couronnés par une main habile. Ce ne sont pas la de ces ceuvres qui sortent tout d'une piéce de Ja téte dun homme .de génie, comme Minerye du cerveau de Jupiter. On sait que la tragédie, dés le temps du cheur dithyrambique, se représentait dans Athénes aux grandes Dionysiaques, ef non dans les bourgs de lAttique, ce qui renverse l’opinion d’Horace et de Boileau sur l'histoire du tombereau ot Thespis promenait ses acteurs bar- bouillés de lie. Hest si naturel & quiconque yeut se donner en spectacle de monter sur une estrade, que linvention des tréteaux doit remonter jusqu’d Thespis, bien qu Horace l'attribue a Esehyle. Il en est de méme du costume : les personnages devaient se dis- tinguer de la foule. Le masque qui représentait Ja figure du dieu, et le cothurne qui donnait au personnage la grandeur imposante des étres surhumains, ont du étre inventés aussi dés cette époque. A lapparition d'Eschyle, il y avait déji dans Athénes un théatre en bois. Périclés fit construire un immense édifice en pierres qui contenait plusieurs milliers de spectateurs. Sur l'avant-scéne s’éle- vait la thyméle ou l'autel du sacrifice qui rappelait linstitution reli- ( 148 ) gieuse du drame et limmolation du boue 4 Bacchus, au temps de Vantique dithyrambe. Ce fut désormais pour Je cheeur un lieu de repos pendant J’action; le coryphée, du haut de cet autel con- verti en estrade , dominait la scéne, dirigeait les chants et les évo- lutions du cheeur, et prenait, au besoin, la parole en son nom. Les décorations naturelles étaient des palais, des temples, les coupoles dune ville dans le lointain, des montagnes, des rochers, des arbres et aspect de la mer; le théatre était a découvert et il n’y avait dautre lustre que le globe du soleil. Rien de magique, rien de féerique comme les représentations dEschyle dans le Promethée, ou /’Océan et la Terre viennent gémir aux pieds du Titan cloué au flanc du Caucase, et dans les Ewménides, ou cinquante Furies poursuivent Oreste de leurs torches enflammeées. On n’avait besoin de rideau qu’avant l’exécution de la piéce; car la présence conti- nuclle du cheeur sur la scéne rendait inutile Ja division en actes et entr’actes. De 1a aussi ces unités de temps et de liew sur lesquelles on a tant discuté, et que limitation classique a fait maintenir sur la scene frangaise, souvent en dépit de la vraisemblance; bien que ces régles, habilement observées, soient une perfection de plus, quand le sujet s’y préte. Le choeur était composé de jeunes gens de bonne famille qui venaient faire admirer leur talent de chanteurs et de danseurs. Les poétes a lorigine jouaient eux-mémes un role de leur choix; plus tard, ils laissérent ce soin aux acteurs de profession, qui étaient trés-estimés dans la Gréce. Linstitution religieuse du drame et le gout artistique des Grees expliquent assez cette estime qui entourait les gens de théatre; on sait qu’a Rome ils étaient notés d'infamie. Les grands talents, comme Roscius et Esopus, parvenaient seuls & se faire pardonner leur métier dhistrions. Les moeurs romaines ressemblaient aux ndtres sous ce rapport; c'est d’ailleurs la faute des comédiens eux-mémes qui, trop souvent, justifient par leur conduite le mé- pris dont ils sont l'objet. Les concours, établis avant la naissance d’Eschyle, entretinrent chez les Grees 'émulation dramatique. C’était une affaire d’Etat. Larchonte éponyme fournissait aux trois plus sérieux coneurrents ( 149 ) un cheur que le poéle exercait lui-méme, et dont le chorége, c’est-a-dire quelque riche citoyen, payait les frais de costumes et dentretien. On présentait aux concours dramatiques tantét quatre piéces ou tétralogie, dont trois tragédies et un drame satyrique sans liaison, tantéttrois piéces ou trilogie, formant comme les trois actes d'un méme drame. L’Orestie dEschyle, composée d’Agamemnon, des Choéphores et des Euménides, est une de ces trilogies. Du temps de Sophocle, et quand la comédie fut admise au concours, on se borna 4 Ja présentation d'une seule piéce, ce qui augmenta le nombre des concurrents. Le peuple lui-méme était juge du mérite poétique, 4 Vorigine; plus tard, on établit cing juges choisis par le sort, qui pronongaient l’arrét, aprés avoir invoqué les dieux. Voila Vinstitution tout 4 la fois religieuse et artistique du drame. On comprend qu'un genre de poésie, qui réclame tant de secours auxiliaires pour la mise en scéne et de si opulents loisirs de la part des spectateurs, ne peut s’épanouir qu’au sein de la paix, 2 lombre d'un gouvernement respecte, a l’époque, enfin, d'une civilisation parvenue a son apogée. Thespis vivait sous Pisistrate, et Sophocle, au siécle de Périclés : ces dates sont tout un argument. Nous avons dit que la poésie, a l’époque du drame, était devenue un délassement. Gardons-nous toutefois d’assimiler les représen- tations dramatiques de la Grece aux jeux de la scéne moderne, spectacles le plus souvent sans moralité, et ou s’assemble une foule déseuvrée, cherchant a se distraire des occupations monotones dune réalité vulgaire. Les représentations théatrales de la Gréce étaient de véritables événements, grace a Ja double solennité des fetes religieuses et des concours dramatiques, et grace aussi a la rareté de ces grands spectacles. Les héros tragiques, avant Eschyle, étaient les dieux et les demi-dieux de la mythologie. Déji cependant Phrynichus avait traité un sujet contemporain analogue aux Perses, et qui sinti- tulait : les Phéniciennes. Eschyle, dans son Prométhée, emprunte encore la figure d'un demi-dieu, mais e’est le bienfaiteur de hu- manité, Les autres sujets d'Eschyle : les Sept contre Thebes, les Suppliantes, VOrestie sont ces drames sanglants des dynasties ( 150 ) d’Argos, de Mycéne et de Thébes dont nous avons parlé en par- courant les temps héroiques. Tous ces faits racontés par Homére et les poétes cycliques furent exploités par la muse tragique depuis Eschyle jusqu’a Euripide. « Je ne donne, disait le pére de la tra- gédie, que les relicfs des festins dHomeres » Ces traditions qui allaient s’éteindre au milieu d'une société que Ja prose de la réalité commengeait 4 envahir, et dont l’activité se concentrait déja dans la sphére de la philosophie, de la politique et des intéréts positifs de la vie, ces traditions, dis-je, recevaient dans la tragédie la derniére sanction de l'art. Rien de plus tragique que ces san- glantes traditions de famille. L’épopée réclame des guerres étran- géres; le drame se nourrit de luttes intestines. La fatalité du mal- heur s’étendant aux diverses générations d'une méme famille, comme celles d’OEdipe et d Agamemnon, deyait alimenter la scéne tragique. Une seule fois Eschyle abandonna ces traditions pour mettre en scéne les ennemis des Grees. Les Perses étaient un sujet plus épique que dramatique peut-étre; et nous verrons plus tard Chee- rilus de Samos le revétir des formes de l’épopée. La difficulté était d’autant plus grande pour Eschyle, qu'il ne pouvait y intro- duire les chefs des armées greeques sans s’exposer 4 blesser la susceptibilité de Yombrageuse Athénes. Eschyle tourna la diffi- culté, mais non sans imprimer le sceau de l’épopée a la forme aussi bien qu’a la situation, par le récit du messager. II ne s’agissait pas d’ailleurs d’une expédition lointaine entreprise par les Grees , comme au temps de la guerre de Troic, car les Perses étaient venus apporter la guerre aux Grees jusque dans leurs foyers, en allumant le feu des guerres civiles par lor quils semaient sur leurs pas. Ce sujet se prétait donc aussi a la tragédie par ses limites étroites et son dénotment pathétique. Nous allons voir quelle fut l'influence des événements et des progrés de l’esprit humain sur la tragédie personnifiée dans ses trois grands représentants : Eschyle, Sophocle, Euripide. Escuye, né 4 Eleusis, l’'an 525 avant notre ére, était de la race de ces Eupatrides aux yeux desquels la bravoure militaire était la ( 451 ) premiére vertu comme le premier devoir. Il fut un de ces soldats valeureux qui verserent leur sang pour] indépendance de la patrie. Ii combattit 4 Marathon, a Salamine et 4 Platée. Blessé dans Ia premiére de ces grandes batailles, il se montra fier de ses nobles cicatrices. Le poéte 4 ses yeux s’effacait devant le soldat. On lisait sur son tombeau cette épitaphe écrite de sa propre main : « Sous ce monument repose Eschyle, fils dEuphorion. Athénien de nais- sance, il mourut dans les plaines fécondes de Géla. Le bois si eélé- bre de Marathon et le Méde a Ja longue chevelure diront s‘il fut brave; ils ’ont bien vu. » Ces paroles expliquent tout le génie dEschyle, génie bouillant, hardi, impétueux, respirant le souffle guerrier et mettant homme aux prises avec les forces de la nature. Initié de bonne heure aux mystéres d'Eleusis, sa patric, son intel- ligence fut pénétrée de ce mysticisme religicux dont la couleur sombre reflétait les malheurs du temps et qui, pour solution 4 l’énigme de Ja vie, ne trouvait qu'un mystére effroyable ou se lisait en caractéres de sang : fatalité. Les dogmes sévéres de la philosophie pythagoricienne avaient aussi contribué a donner cette forte trempe 4 lame du soldat de Marathon. Il ne faut pas juger Eschyle avec les préjugés de l’esprit de sys- téme. Il oceupe une place isolée dans l'histoire de l’art; il ne peut étre comparé qu’a Jui-méme. Le genre qu'il a créé porte son nom et s'est perdu avec lui. C'est ce qu’Aristote appelle la tragédie simple, par opposition a la tragédie implexe, telle qu’elle fut mise en guvre par Sophocle ct Euripide, et telle que les modernes l’ont adoptée. Pour comprendre la simplicité de ces pidéces, il faut tenir compte du lien trilogique qui les unissait, et du rdle de la fatalité, acteur supréme des tragédies d'Eschyle. L’homme dans Esehyle ne se fait pas 4 lui-méme son propre destin. Il ne peut rien changer & Ja situation qui lui est faite; il n’a de choix qu’entre la résignation et Ja révolte. La lutte de la volonté humaine avee la fatalité pré- sente done un double spectacle: si 'homme fléchit sous la main qui l'éerase, il laisse échapper le eri de la faiblesse et excite la pitié. Si, au contraire, il résiste 4 cette volonté de fer, il excite admiration. Dans les deux eas, nous éprouvons une invincible ( 152°) terreur. On concoit quelle simplicité doit régner dans laction. L’événement, étant soustrait a la puissance humaine, ne peut subir aucun changement, aucune péripétie. Ce n’est pas Vaction qu'il faut chercher ici. L’intérét réside tout entier dans l’attitude du per- sonnage vis-i-vis du destin. Le sentiment qu'il éprouve est soumis dans ses effets 4 une constante gradation; ce qui prouve, pour le dire en passant, qu’on peut intéresser sans prodiguer les coups de théatre, mais en frappant les coups de passion. L;homme reste libre dans ses actes, mais il arrive un moment fatal ou une main s'appe- santit sur lui et lui dit comme Dieu aux flots de la mer : « Tu n’iras pas plus loin. » C’est Ja nature qui se venge de lorgueil humain. Deux piéces d’Eschyle peuvent donner une idée complete du caractére de ses tragédies : les Perses et le Prometheée. La premiére nous présente le tableau de la désolation des Perses aprés la défaite de Salamine. C’est un monument élevé par le soldat-poéte a la gloire de son pays. Ici Lhomme sueccombe et s abandonne au désespoir. Tout l'artifice de la composition consiste 4 décrire dans toutes ses phases le sentiment de la douleur : pres- sentiments lugubres, inquiétude, angoisses avant l’événement; plaintes, déchirements, sanglots, désespoir aprés l’événement. Le Prométhée nous offre un autre spectacle : le supplice de Thomme de bien en révolte contre un pouvoir despotique. C'est le plus étrange et le plus sublime défi contre Vinjustice qui soit jamais sorti dune poitrine humaine. Ce fier Titan que rien ne peut abattre est livré sans défense a la rigueur du destin. On a beau le plaindre et le supplier de rendre hommage a une puissance que proclament ses douleurs; non, c’est en vain que la main du destin le tient enchainé au sommet du Caucase, un cri de désespoir ne déshonorera pas son triomphe. Tout son bonheur a lui est d’en- tendre le ciel en feu tonner sur son front, de sentir la terre trem- bler autour de lui et de voir 4 ses pieds la nature entiére contem- plant son supplice. Telle est la haute moralité de ces deux situations : Xerxés est puni de sa folle entreprise contre l’ind¢pendance de la Gréce; Pro- méthée est puni parce qu’il a ravi le feu du ciel pour en doter la terre. Mais le bienfaiteur de Vhumanité en résistant a la tyrannie ( 155 ) séléve au zénith de la grandeur morale. Eschyle est tout entier dans ces deux tragédies. On sent que cette muse sauvage, qui se plait au tableau des erandes catastrophes humaines, est née dans une époque de luttes et de bouleversements. De 1 ce caractére énergique, impétueux , sigantesque, cette grandeur des pensées et des sentiments unie & la simplicité des moyens, cette magnificence de spectacle, cette originalité de style, cette sonorité de mots, cette hardiesse d’ex- pression, cette sublimité dimages qui révélent une imagination puissante , une ame ardente et passionnée; mais aussi, cette bizar- reric de formes, cette exagération de couleurs qui annoncent un out encore imparfait. C'est un immense bloc de granit que la nature a taillé 4 fortes échancrures, pleines de saillies, mais dont Vart n’a pas arrondi Jes contours. Nul ne I’a surpassé néanmoins pour la vivacité et la verve du dialogue a deux, l’enthousiasme des chants lyriques, Ja vie qui circule dans ses récits et dans ses descriptions épiques. Enfin son talent d’exposition montre qu’il y avait en lui autre chose que l’instinct désordonné du génie. Aprés avoir composé soixante et dix tragédies dont il ne reste que sept, Eschyle, pour qui l'art était une mission sacrée, qui n’écrivait que pour relever le courage de ses concitoyens et leur inspirer la vertu guerriére, se vit éclipsé par Sopuocce. L’occasion était solen- nelle. Cimon et ses collégues venaient de ramener dans Athénes les ossements de Thésée. Is entrent au théatre salués par les accla- mations des spectateurs; l’'archonte Aphepsion les retient pour les faire juges du concours, et la palme est décernée & Sophoele. C’était Vavénement de la grande tragédie consacrée par le fils de Miltiade , par le héros de ’Eurymédon. La carriére dramatique de Sophocle correspond au régne populaire de Périclés. II est la bril- lante incarnation de ce siécle. Ce beau jeune homme qui avait été choisi pour diriger le choeur d’adolescents autour du trophée de Salamine, porta l'art tragique & sa perfection. L’accord de tous les citoyens sous Périclés, empire de la liberté unie a lautorité, amenaient dans l'art cette harmonie, cet idéal serein qui s’éclip- sera bientot comme un météore, mais auquel Pimagination greeque ( 154 ) avait trayaillé depuis Homére, Cette auréole de lidéal anthropo- morphique dont auteur de !’/liade avait entouré le front des dieux , Sophocle veut la transformer; et, mélant, dune main heu- reuse, les fleurons de l'art a ceux du génie, il en fait une couronne éblouissante de beauté qu'il pose sur la téte de homme. Ses per- sonnages sont d’une grandeur et d'une noblesse qui dépasse la réalité, mais ce sont des types humains. Sil’on sent que ’humanité n’atteint pas vulgairement cette perfection, on len sait eapable; et Pon sait gré au poéte d/avoir présenté a VThomme J image de ce qu'il deyrait étre. Les événements ici découlent de 4a volonté hu- maine. L’action dramatique est créée : les intéréts ct les passions sont en jeu; de leur choc jaillissent des contrastes servant 4 mettre en relief les caracteres qui se déyeloppent parallélement aux situa- tions. Cette complication dincidents qui se croisent et s’entre- croisent pour former un neeud qu'une derniére péripétie vient trancher, c’est ce qu’Aristote appelle la tragédie ¢mplexe. Deux acteurs ne suffisant plus 4 la marche progressive du drame, So- phocle en introduit un troisiéme et méme un quatriéme. Le cheur auquel Eschyle avait laissé un role actif n’est plus qu’un personnage moral exprimant les pensées que font naitre dans l’ame des spectateurs les différentes péripéties de laction. C’est I’élément populaire incarnant le double génie de la liberté et de l'autorité, La pensée marche: les guerres persanes sont passées; les masses ont cessé dagir sur les champs de bataille; Pidée des- cend sur la place publique et se méle a la foule. Le choeur tragique | recoit la mission de rétablir ’harmonie des puissances morales qui luttent sur Ja seéne. Un role plus large est accordé a Ja liberté humaine. La fatalité existe encore, mais elle porte sur les conséquences et non sur le principe des actes humains. OF dipe est malgré lui coupable de par- ricide et d'inceste, mais sa volonté n’est pour rien dans ces actes de Vhomme. La culpabilité matérielle est distinete de la eulpabilité morale. Le poéte de Colone posséde une grande connaissance du ceur humain, mais il fait du pathétique un usage modéré, La marche de ses tragédies est savante et réguliere; l’enchainement des scénes ( 155 ) est rigoureux. Discours, récits, tableaux, rien n’est déplacé ; tout est en harmonie parfaite avec la situation. Le dialogue est vif et serré, et met les caractéres en saillie par dhabiles oppositions. L’action se noue et se dénoue avec un art extréme. Sophoele est !Homeére du drame, et un Homeére qui jamais ne sommeille. Son exposition ne laisse rien 4 désirer; son style est pur, noble et clair, sa versification riche et harmonieuse. Son lyrisme d'une douceur, dune suayité pleine de charmes l’a fait surnommer avee raison l'Abeille attique. Sophocle a été couronné yingt fois dans sa vie. Son répertoire se composait de cent trente piéces; nous n’en possé- dons que sept parmi lesquelles se distinguent | Antigone, l OEdipe d Colone et surtout !OEdipe roi, chef-d’euvre du théatre an- tique. Chose remarquable, /’amour, absent des tragédies d’Eschyle, ne joue encore qu'un role secondaire dans Sophocle. La femme pour lui c’est Antigone, Vhéroine du dévouement filial et fraternel. L’a- mour nest done pas considéré par les anciens comme une pas- sion essentielle 4 la tragédie. Cette séyérité nous surprend tout dabord, dans une société si corrompue. Mais il suffit d'un mo- ment de réflexion pour en comprendre la cause, La femme, comme telle, n’avait a Athénes aucune dignité personnelle. On pouvait admirer son héroisme de citoyenne. Mais, dans la vie, elle n’était, comme aux temps héroiques, que l’esclave de homme. La cour- lisane seule était admise dans les réunions publiques. La mére de famille, victime dune jalouse surveillance, était condamnée aux humbles travaux du ménage, dans la prison de gynécée. Par inspi- ration artistique, plutot que par une chaste réserve, Sophocle comprit que, pour relever la femme, il fallait ouvrir son Ame aux nobles passions, et ne pas exposer sur la scéne les ardeurs sen- suelles d'un amour indigne de Vidéal tragique. Pour nous, chré- liens, lamour profondément enraciné dans le coeur peut devenir le plus puissant mobile des actions humaines, car la femme, désor- mais légale de Vhomme, joue un role immense dans notre des- tinge. Quoi qu'il en soit, l'amour, réduit aux proportions d'une intrigue vulgaire, n'est pas a la hauteur de la tragédie. Racine s’en est passé dans Athalie; et il n’en a pas moins eréé le chef-d’auyre ( 156 ) de la seéne francaise. Lidée morale, le spectacle des luttes su- prémes qui décident du sort des empires, les vicissitudes de la for- tune, les lecons que portent avee eux les événements : voila les grandes sourees de lintérét tragique auxquelles allaient s‘abreuver | Eschyle et Sophocle. Les femmes, qui n’étaient pas admises aux representations d’Eschyle, purent assister aux tragédies de So- phocle. C’est a cette innovation quil faut attribuer la présence de Vamour dans quelques piéces du poéte de Colone. Mais le grand tragique n’oublie jamais ce qu'il doit a cette partie de son audi- toire, dont la morale lui preserit de respecter la pudeur et la sen- sibilite. Les conditions du drame vont changer désormais, et le coeur humain sera mis 4 nu sur le théatre. Né 4 Salamine, pendant la bataille qui sauva la Grece du joug de l’étranger, ot Eschyle combattit en héros et ott Sophocle exerca ses premiers talents autour du trophée de la victoire, Eurt- pipe semble avoir puisé au sein de sa nourrice les larmes améres des catastrophes humaines dont son ame fut le réservoir intaris- sable. C’est le grand peintre des passions. Personne n’a ému avee plus de puissance les fibres les plus profondes de la sensibilité. Le pathétique chez lui n’est plus un moyen, cest un but. Il étale complaisamment toutes les faiblesses de 'humanité, pour exciter la pitié des spectateurs. La fatalité n’est plus dans ’événement, elle est dans Ja passion. Il prodigue les coups de théatre, mais ce nest pas pour éveiller la curiosité, c'est uniquement pour émou- voir. L’action n’est plus qu’un vaste cadre ow il jette la passion dans toute sa fi¢vreuse énergie. I donna par 14 le vertige au eceur des femmes que les meeurs publiques n’avaient pas habituées A tant d’émotions. Aussi, la premiére représentation de son Hip- polyte souleva-t-elle des murmures qui foreérent auteur 4 rema- nier sa piece. Euripide, malheureux en amour, passait pour l’en- nemi du sexe. Cependant il sut, aussi bien que Sophocle, créer de belles et touchantes figures de femmes, adorables de dévouement. Iphigénie, Polyxéne, Macarie, Electre, Evadné, Alceste peuvent soutenir Ja comparaison avec Antigone, Et si les angoisses et le ( 43% } désespoir de amour ont fait, plus dune fois, maudire a ses héros une passion cruelle dont ils étaient victimes , faut-il en accuser lq poéte , caché derriére ses personnages? Euripide corrompit la morale publique, en exposant les ravages des passions; mais il faut dire 4 son éloge que, loin de chercher a justifier ces faiblesses , son but supreme était d’en signaler les fatales conséquences. Nous venons de montrer, sous son plus beau jour, le génie tra- gique d'Euripide. Mais ce n’est 1a qu'une des faces de son talent si riche et si flexible. Il opéra toute une révolution dans l'art; et bien qu il soit contemporain de Sophocle, on Je considére comme ayant donné Je signal de la décadence. Aristote lui fait la part assez belle en lappelant le tragique des tragiques ; mais il ajoute qu il péche par la conduite de ses piéces. La critique moderne, se faisant ’écho des rancunes d’Aristo- phane, ne s'est pas bornée au jugement d’Aristote. Quels sont donc, & ses yeux, les défauts dEuripide? Il vise 4 leffet plus qu’a la vraisemblance ; il entasse les incidents et nuit ainsi 4 l’unité d’ac- tion; il abuse du prologue, pour faire connaitre aux spectateurs Vaction dont ils vont étre témoins, grossier expédient qui détruit lart de l’exposition ; ses récits par leur longueur appartiennent plus 4 l’épopée qu’au drame; il fait descendre le cheur a un role subalterne, en le désintéressant a Vaction; ses dissertations philo- sophiques sont souvent déplacées; ses discours prennent les allures dune rhétorique déclamatoire; il préte a ses héros les mceurs de ses contemporains, et non content de les humaniser, il les avilit; la divinité n’est plus qu'une machine (deus ex machind) agissant apres l’événement, et nest conservée que par respect pour des traditions que le public honore, et dont l'emploi est prescrit par la destination de Vart tragique. Nous n’hésitons pas a le dire, au point de yue de Vart grec, lous ces reproches sont mérités; mais au nom du progrés, de la raison, de Ja civilisation humaine, nous déclarons Euripide supé- rieur en intelligence, en sentiment, en influence morale, a ses deux devanciers. Sophocle ne lemporte dans l'art tragique que par ce got parfait qui sait habilement coordonner les parties et les condenser dans un tout harmonieux. ( 158 ) Le progrés est marqué par la déchéance du cheeur, par lidée plus pure de la divinité, l'élévation morale des pensées, l'analyse profonde des passions, la vérité des caractéres. Le cheeur, avant Eschyle, était tout le drame. Eschyle, en eréant le dialogue , avait conservé au cheeur son réle de personnage actif; Sophocle en avait fait un personnage moral exprimant les pensées que l'action pro- voque dans l’ame des spectateurs; Euripide le réduit au réle de figurant destiné 4 orner la seéne, a en varier les plaisirs, mais sans lien qui le rattache 4 laction. Dans l'art gree, e’est une décadence ; dans l'art tragique, en général, e’est le point de départ d’un pro- grés : car cette subalternité de réle conduit a la suppression d'un personnage multiple sans influence sur la marche de laction et dont les réflexions morales, grace & une plus grande diffusion des lumiéres, naitront d’elles-mémes dans lame des spectateurs. Ainsi l'intérét se concentrera tout entier sur l’action et le développement des passions tragiques. Malgré laltération constante que l’épuise- ment des matiéres et les progrés de la raison ont fait subir a la mythologie, il faut reconnaitre que les mythologues n’ont pas tort de reprocher amérement a Euripide le dédain qu'il affiche pour Jes divinités paiennes, le stigmate d'infamie qu'il leur attache au front. Mais nous, chrétiens, nous en félicitons le poéte. Il a contribué a ruiner le paganisme, en faisant rayonner aux yeux de la raison une image plus pure et plus sainte de la divinité. Il semble avoir entrevu la lumiére du vrai Dieu dont il eongut la nature spiri- tuelle, une et parfaite. Sans doute, il abuse des sentences morales sous lesquelles on reconnait le disciple d’Anaxagore et lami de Socrate. Cette préoceupation, qui lui a valu le surnom de philo- sophus de scend, nuit a la vérité des situations. Nous ne nous dissimulons pas non plus le danger des sentences jetées au milieu de la passion. Les maximes qui n’ont pas une portée générale sont également funestes, car elles deviennent un instrument de désorganisation sociale entre les mains des ambiticux et des so- phistes. Sauf ces restrictions, les pensées dEuripide sont mar- quées au coin de la profondeur et de l’élévation morale. Ces hors- deuvre, produits d'une époque de spéculations philosophiques, n’en sont pas moins des médailles précieuses dont le temps n’a pas ( 159 ) effacé ’'empreinte. Ce qui étonne, c'est que la philosophie, loin de glacer la verve du poéte, lui fait sonder d'une main plus stire les abimes du coeur humain. De 1 cette éloquence qui s’*épanche en flots pressés, tumultueux ou limpides, et qui ressemble malheu- reusement trop aux habitudes de Agora, a la vaine rhétorique des sophistes et des rhéteurs. Nous ne faisons pas comme d'autres un grief 4 Euripide d’avoir humanisé ses héros. Sous leur costume traditionnel, on sent battre des ceurs d’homme. Voila le progres. Ce n’est plus Vidéal grec, c’est Ja vérité humaine, et, quoi qu’on dise, le drame tragique ou comique est avant tout limitation de la réalité. Lidéal tragique n’est qu'un type incarnant tous les traits dun sentiment ou d’une passion dans l'individualité humaine. Le personnage n’en doit pas moins vivre, agir et parler comme un homme pris dans Ja nature. Ce n’est pas une abstraction; il faut que les spectateurs y reconnaissent un étre concret. Avant Euri- pide, on yoyait sur la scéne des héros déifiés; c’étaient des étres que Yon suivait de imagination bien plus que du cceur. L’auteur de l' Hercule furieux, au lieu d’élever ses héros a la taille des dieux, les fait descendre au niveau de !humanité. En entendant le eri déchirant qui sort de leurs entrailles, il n’est pas un spectateur qui ne dise : Voila !homme. C'est la le secret de cette puissance dintérét et démotion quEuripide posséde 4 un si haut degré. « Jai » peint les hommes tels quils devraient étre , Euripide, tels qu’ils » sont, disait Sophocle. » C’est le sentiment de Vidéal, d'un cété, cest le sentiment de la réalité, de Yautre, qui fit prendre cette direction opposée 4 deux génies contemporains. En s'inspirant des meeurs dégénérées de son époque, Euripide abaisse parfois ses héros 4 des réles indignes de la grandeur héroique; c’est vrai. Pour mieux émouvoir la pitié, il va jusqu’a les couvrir de haillons gor- dides. D’autres fois, il les convertit en gloutons voraces, comme dans Hercule furieux. Le défaut, ici comme ailleurs, est dans Pexeés; mais que voulez-vous? Tout éerivain est fils de son temps ; et, dans des siécles de progrés ou de décadence, pour peu qu'un gout sage ne régle pas lessor de imagination du poéte, linstinet de la liberté, comme un torrent, lentraine au dela des bornes du bon sens; et quand, autre Colomb, il a découvert des terres incon- ( 160 ) nues, il peut faire naufrage en abordant. Mais d'autres explora- teurs, armés de la boussole de l'art, suivent le sillon tracé par le génie, et mettent a profit ses découvertes. Liinfluence d’Euripide fut immense sur les destinées de la poésie dramatique. Aristophane le maltraita pour des raisons que nous signalerons tout A lheure; mais Ménandre le prit pour modele dans la peinture des meeurs. Sénéque marcha sur ses traces en introduisant la philosophie et la rhétorique sur la scéne, et n’imita que ses défauts quil eut le malheur d’exagérer encore. La seéne moderne suivit le systéme tragique du poéte de Salamine, a ce point quil est permis de le considérer comme le pére da théatre francais, fondé sur lanalyse des sentiments et des passions. D’au- tres influences, [Espagne et Sénéque, agirent sur Corneille, qui donna la noblesse sophocléenne a ses héros par le triomphe du devoir sur la passion; mais Racine, ¢ est Euripide moins ses dé- fauts. Voltaire, on le sait, fut entrainé par les circonstances a con- vertir la scéne en tribune philosophique pour travailler 4 ruiner des croyances indestructibles, comme le grand tragique gree avait ruiné des croyances vermoulues. Euripide est Je précurseur du drame moderne, tragédie bourgeoise dont les meeurs sont calquées sur le réel, et qui admet le grotesque 4 cété du séricux, le rire avec les larmes. Le drame moderne se rattache encore a Euripide par un autre cote : le dédain des régles et des routes battues. On peut Vaffirmer, aucun poéte, aprés Homére, n’exerca une aussi grande influence qu Euripide sur les destinées de la poésie; et de plus qu’Homére, il a deviné layenir par la hardiesse des concep- tions et la liberté du génie. Le plus souvent ses défauts ne sont que relatifs 4 Vart gree; a un point de vue général, ce sont des beautés. Son style, malgré les négligences et les exagérations que lui reproche Aristophane, est clair, coulant, facile, élégant et harmonieux. I] transmet fidéle- ment toutes les nuances de la pensée. Noble et familier, il tient le milieu entre la poésie et la prose; c'est le yéritable langage de Mel- pomeéne. Rien de merveilleux comme l'enthousiasme que cette poésie pro- voqua dans l'antiquité. Apres Ja défaite de Varmée de Nicias a Syra- ( 164 ) cuse, les soldats, jetés dans les carriéres ou vendus comme esclaves, racheterent leur liberté en récitant des vers d'Euripide aux Sici- liens. Athénes, prise par Lysandre a la fin de la guerre du Pélo- ponése, échappa a la destruction, grace au premier cheeur de la wagédie d’Llectre chanté dans un festin. Heureux le poéte qui, par ses vers, contribua au salut de sa patrie! C’est cet enthousiasme des Grees pour Euripide qui lui valut de laisser a la postérité onze tragédies de plus yu Eschyle et Sophocle, ses rivaux. Ces trois grands noms résument !’histoire du drame tragique que nous ne suivrons pas dans sa décadence, pour deux raisons: la perte des documents authentiques et la médiocrité des derniers représen- tants de la tragédie. Ion, Achéus et Agathon, contemporains des grands tragiques, tombérent rapidement dans loubli, malgré leurs succés d'un jour. Les fils des trois génies de la scene grecque conser- verent les traditions de leurs péres, mais le fardeau de la gloire paternelle, trop lourd pour leurs talents, étouffa leur renommée. Ce nest pas sans motif que nous mentionnons ces poétes de second ordre. lls prouvent avec quelle émulation la tragédie était cultivée, et nous laissent une grande lecon : c'est que le temps ne respecte rien, sinon le génie; encore ne le transmet-il souvent qu’en Jam- beaux. Les fétes de Bacchus ou les dionysiaques de la ville célébrées dans Athénes avaient enfanté la Tragédie. Les dionysiaques de la campagne , organisées 4 linstar des fétes de la ville, produisirent la Comédie par la liberté de leurs ébats. La, des acteurs barbouillés de lie, se promenant sur une charrette, insultaient les passants. Un feu croisé dinjures fut la forme primitive du dialogue comique. Susarion passe pour avoir le premier soumis a des régles eet élé- ment confus et grossier. C'est 4 Jui plutot qu’a Thespis quwil faut attribuer Vhistoire de la charrette, ce carnaval de vendangeurs joué dans les bourgs de l’Attique. Nous savons qu’aux fétes de Cérés i Eleusis il se passait quelque chose d’analogue 4 la folie burlesque des dionysiaques de la campagne. Toutes les fétes de Bacchus se terminaient dailleurs par un banquet appelé Comos ott ruisselait 4 grands flots le jus de la treille. Aprés lexéeution du dithyrambe , la procession des phallophores, pour féter dignement Tome VIIL. | | ( 162 ) le dieu du vin, s’'abandonnait au désordre de livresse, et s’échap- pait en joyeuses saillies, se dédommageant ainsi du sérieux de Ja représentation. La comédie est done sceur de la tragédie, mais celle-ci, eu égard a Ja gravité de la cérémonie religieuse , devait avoir le droit d’ainesse. Comme chant lyrique accompagné de danses, gestes et gambades, le chant du Comos est contemporain du dithyrambe. Mais la comédie dramatique est d’origine sicilienne. Les Siciliens, que nous avons vus si enthousiastes dEuripide , étaient doués du génie dramatique. C'est & Bpicharme qu Aristote attribue lintroduction de la fable dans le choeur comique. Cepen- dant la comédie littéraire est née dans l’Attique. Susarion y pré- luda par son dialogue satirique et injurieux. Mais sous cette forme grossiére, elle était répudiée par le bon gout du peuple athénien. La longue enfance de l'art comique doit étre attribuée 4 deux causes : le succés du genre tragique, d’abord; la raison d’Etat, en- suite. Les tyrans d’Atheénes, Pisistrate et ses fils, ne pouvaient per- mettre la censure publique de leurs actes. C’est au V™ siecle, quand triompha le principe démocratique, que la comédie s'intro- duisit dans Athénes. Accueillie sous les auspices de la démocratie , elle devait en suivre les vicissitudes. La comédie est un art athé- nien; aussi, comme genre, l’appelle-t-on comédie atlique. On distingue trois phases dans lhistoire de la comédie chez les Grees. La comédie ancienne avait un caractére agressif et person- nel, s’attaquant aux hommes d’Etat de la république, aux philo- sophes et aux poétes tragiques, livrant surtout a la risée publique les meneurs et les démagogues. Lamachus, sous le gouvernement des Trente, porta, an 40% ayant notre ére, un décret qui dé- fendit de traduire sur la seéne les personnages vivants. La comédie moyenne, forcée de s/absteninde politique, donne a sa critique un caractére plus général, sans pourtant renoncer 4 la satire; elle dirige ses traits sur d'autres victimes : ce sont les poétes sérieux et les philosophes qui, cette fois, alimentent la scéne comique. La loi se trouve éludée par des allusions si transparentes, qu'une nouvelle répression devient nécessaire. Alors apparait la comédie nouvelle, qui renonce a toute personnalité et se borne a la pein- ture générale des meeurs de la vie priyée. ( 165 ) Pour comprendre la comédie athénienne, il faut connaitre l’es- prit de ’époque. Nulle part, Vinfluence de la civilisation ne se fait aussi profondément sentir sur les tendances de Vart. Jetons done un coup d’eil rapide sur la société athénienne au temps de Péri- clés et d’Alcibiade. Les guerres contre les Perses avaient accumulé les richesses dans Athénes; un luxe effréné en fut la conséquence. C’est l’épo- que de la plus grande prospérité de ce peuple vif, impression- nable, avide des plaisirs de l’art. Sophocle et Phidias, par leurs chefs-d’ceuvre, avaient porté asa plus haute expression le génie de la forme. Périclés, modéle lui-méme pour la noblesse, l’élé- gance et la grace de sa personne et de son éloquence, donnait limpulsion aux beaux-arts, et employait les revenus publies a la construction de ces monuments fameux dont les ruines font encore Yadmiration du monde. Athénes, défigurée par la main barbare des soldats de Xerxés, semblait sortir de terre éblotiissante de splendeur, comme un immense panthéon de l’art. Les théatres, les temples, les édifices publics, étaient ornés de toutes les mer- veilles de l’architecture , de la sculpture et de la peinture. L’esprit courait les rues : c’était !époque socratique. L’amour des jouis- sances intellectuelles avait amené cette élégance de meurs, cette finesse de gout, connues sous le nom d’allicisme, dont le sel piquant releva Ja saveur des ceuvres littéraires. Comme le siécle de Louis XIV, avec lequel il a tant d’analogie, le siécle de Périclés fut le régne du bel esprit. Des femmes célébres par leur beauté et leurs talents, 4 la téte desquelles rayonnait Aspasiec, l’oraele de Périclés, rassemblaient autour d’elles élite de la société du temps : politique, philosophie, poésie, arts plastiques, rien ne leur restait étranger. On les voyait fréquenter les écoles des philosophes et des sophistes, pour se perfectionner dans l'art de plaire, pour s'entourer de toutes les séductions de Vimagination et de Vintelli- gence au service de la beauté. Et, en vérité, elles n’y réussissaient que trop, car bient6t Athénes ne fut plus qu’un vaste lupanar ou limmoralité n’eut plus de frein. Cette société si brillante en appa- rence était done rongée au fond par la gangréne du sensualisme. C'est Ja que devait aboutir ce culte de la forme quittant les régions ( 164 ) de Vidéal pour descendre dans le domaine de la réalité. La plume se refuse a retracer le tableau de la corruption de l’époque; et c’est une chose triste a penser, que l'art se soit prostitué lui-méme aux pieds de ces courtisanes, de ces hétaires dont on allait con- templer les charmes impudiques dans les ateliers des seulpteurs et des peintres qui s'appliquaient 4 immortaliser le marbre de cette chair publique. La religion elle-méme, par ses priapées et ses voyages a Cythere, consacrait, on le sait, cette immoralité révol- tante. N’est-ce pas aux priéres des courtisanes que l’on attribuait la victoire de Salamine? Les anciens d’ailleurs, nous l’avons dit, ne comprenaient pas l'amour, Ils n’adoraient de la femme que son corps; sils étaient sensibles aux charmes de lesprit, ce n’étail la pour eux que l'appat du plaisir. Ils semblaient ignorer que la femme ett une ame. Au milieu de ce dévergondage de meeurs qui éteignait dans les ames le feu du patriotisme, d'autres causes entrainaient la société grecque sur la pente d'une irremédiable décadence. Les élus de la richesse étaient en petit nombre; le reste des citoyens, dédaignant les occupations manuelles réservées aux esclaves, étaient en révolte perpétuelle contre l’autorité. Périclés, pour s’attacher la foule, mit en vigueur l'innovation d’Aristide, qui permettait a tous les citoyens de prendre part aux charges publiques. I] fit plus : il atta- cha un salaire a la fréquentation des assemblées publiques. Les masses déseeuvrées, s’établissant en permanence sur la place pu- blique, et fiéres d’exercer leurs droits de souveraineté, entravaient sans cesse la marche des affaires par leurs turbulentes prétentions. A chaque instant on voyait surgir de leur sein des accusateurs pu- blies ou sycophantes, diffamant les magistrats , et lear demandant compte de Jeur gestion. Cette foule oscillait au vent de la diseus- sion, et sinsurgeait a la voix des démagogues qui flattaient ses mauvais instincts, dans lintérét de leur ambition personnelle, Ou peut aisément se faire une idée du spectacle étrange qu offraient ces délibérations, quand on songe que les magistrats renouvelés tous les ans, 4 l'exception des aréopagistes, ne pouvaient rien ap- profondir et fournissaient ainsi de légitimes griefs contre ladmi- nistration des affaires. Proeés, jugements, délibérations , e’était la ( 165 ) toute existence des Athéniens. La vie publique, absorbant toute lactivité des citoyens, donnait une étonnante sagacité politique 4 ce peuple intelligent et prompt a saisir le coté vulnérable’ de ses magistrats. Enfin la dégradation des consciences et l’avilissement des caractéres furent portés au comble par le triomphe. des so- phistes. Ces charlatans cupides, consommeés dans art de per- vertir les plus simples notions de la morale, en econfondant le juste et l'injuste, ne tardérent pas a séduire la populace éblouie des artificieux détours dune éloquence qui enseignait les moyens de parvenir a la fortune. Ce renversement de Ja raison était le fruit de cette liberté sans bornes dont Périclés avait doté sa patrie : présent funeste qui devait aboutir a la ruine de la civilisation d’Athénes, en anéantissant toutes les forces vitales de la nation. C’en est fait dun peuple, quand le scepticisme s’assied en vain- queur sur les débris des antiques croyances. La Gréce n‘a-t-elle done pas dans son sein quelque citoyen assez courageux pour lutter contre ce débordement de passions anar- chiques, et essayer de retenir Etat sur le bord de l'abime? Cet homme s'est trouvé dans Anistopuane, le grand comique d’Athénes. Mais hélas! il était impuissant a redresser le sens égaré de ses con- citoyens. Périclés, par son ambition, avait allumé la guerre du Pdloponése. Un duel d mort était engagé entre le principe aristo- cratique et le principe démocratique représentés par Athénes et Sparte. Aristophane, dans ses comédies satiriques, sefforga d’é- touffer cette guerre impie qui armait l'un contre lautre deux peu- ples fréres dont les forces réunies avaient sauvé la Gréce de la domination persane. Le célébre comique dAthénes, qui apparte- nait au parti aristocratique, dirigea ses fleches contre les démago- gues. Il signala courageusement au peuple les abus de pouvoir, les basses intrigues de ses favoris et la sottise des délibérations. Il ne craignait pas d’exposer au carcan de la seéne le plus puissant me- neur de la république : le redoutable Cléon lui-méme, en l'appe- lant par son nom et donnant A l’acteur un masque qui reprodui- sail ses traits. Et ce peuple spirituel, par amour de lart, allait rire, i ses propres dépens, du portrait fidéle de ses momurs publiques. ( 166 ) Aristophane fit aussi, dans les Vuées, une guerre ouverte aux sophistes, ces ennemis du sens commun; mais malheureusement il choisit pour victime homme le plus sage et le plus vertueux de l'antiquité : Socrate. On s'est étonné a bon droit de yoir le so- phisme incarné dans Socrate, l’adversaire déclaré des sophistes. Cependant, au point de yue des traditions dont il se faisait l'in- trépide défenseur, le poéte n’avait pas tort; car le philosophe, en cherchant Dieu dans la conscience et la méditation des causes finales, détruisait dans son essence la religion antique et ébranlait les bases de l’Etat lui-méme fondé sur le polyth¢isme. Mais, au. point de vue de la raison, il faut condamner Aristophane. Les tra- ditions sont la base de la civilisation morale, mais elles se trans- forment par la liberté, source des progrés de lesprit humain. Il appartenait 4 Aristophane moins qu’a tout autre de préparer a Socrate le breuvage d’Anitus; car il se constituait le vengeur du patriotisme, et Ja vertu devait rester 4 l'abri de ses traits. Les dieux eux-mémes, dont le philosophe sapait la croyance, furent plus d’une fois immolés 4 l'impitoyable raillerie du poéte-citoyen. Quoi qu'il en soit, la mission qu'il sétait donnée était légitime : il voulait étre le restaurateur de la patrie et de l'art, cette autre patrie de imagination. Aprés avoir lutté contre les démagogues et les sophistes , au nom de Yordre public et du bon sens, il entreprit, au nom du bon gout, la censure des poétes qui avaient compromis l’idéal gree par la liberté de leurs conceptions. Euripide fut le point de mire de ses attaques. Il s’efforca de ruiner par le ridicule cette puissante réputation, en mettant en saillie des défauts souvent plus imagi- naires que réels. Il reprochait surtout au grand tragique l’élé- gance et la mollesse de son style, ses tendances morales, ses exa- gérations dans l'emploi du pathétique et ses déclamations contre les femmes, sa misogynie, pour employer l’expression aristopha- nesque. Nous ne reviendrons pas ici sur notre appréciation du génie dEuripide; il y a du vrai dans la critique du comique athé- nien, mais ce qui ne lest pas, cest son exagération exorbitante. Quelle que soit la grandeur d’Eschyle, il fallait l’4me aristocratique d’Aristophane pour lui assigner le premier rang dans la tragédie, ( 167 ) au-dessus de Sophocle lui-méme. Et puis, voyez l'inconséquence : Euripide est molesté pour avoir fait maudire la passion de amour a des personnages dont le désespoir troublait la raison; et Eschyle se yantait de n’avoir jamais peint un héros amoureux! L’auteur des Grenouilles nest done pas l’oracle du bon gout, et son jugement nest le plus souvent que l’expression de ses préjugés. La nouveauté le blesse ; son esprit ne sattache qu’au passé; il n’a pas entrevu lavenir. Son génie est l'antithése du génie dEuripide. fl y avait un abime entre ces deux hommes; ils ne pouvaient s‘entendre. C'est dailleurs autant et plus encore peut-étre par instinct que par prin- cipe qu’Aristophane attaquait le poéte de Salamine : les comiques sont ennemis des tragiques , comme le rire est ennemi des larmes. Sous le rapport moral, le comique était assez malavisé de s’en prendre 4 Euripide et méme aux sophistes; car ses satires politi- ques, philosophiques et sociales sont d’un eynisme révoltant, et nont pas peu contribué a consommer la décadence des mceurs athéniennes, J] faut, nous le savons, faire ]a part des vices de lépoque. Aristophane a voulu peindre la vie réelle dans toute sa hideuse nudité; mais rien ne peut justifier dans l'art un tel dé- yergondage. On aime a penser que les femmes étaient exclues de ces spectacles orduriers qui feraient rougir aujourd’hui les fronts les plus intrépides. Ah! si la femme honnéte, la citoyenne, la ma- trone avait pu étre admise dans la société des hommes! sa présence eit inspiré ce sentiment des conyenances qui fait le charme de la vie et impose Vhonnéteté du langage. La morale alors n’aurait pas du moins a déplorer le seandale des comédies d’Aristophane. Sauf ces restrictions, tout est 4 louer dans cette poésie qui révéle une extréme richesse dimagination et une singuliére originalité desprit. Aristophane a mis le fer dans les plaies sociales et en a sondé toute la profondeur, N’y cherchez pas de vaines déclama- tions ni des injures gratuites ; c'est image fidéle des hommes du temps. Sous ce rapport, ses pieces sont des comédies A caractére; mais au lieu détre un type, le earactére est un étre réel que tous les spectateurs peuvent coudoyer dans Ja rue ou sur la place pu- blique. C'est action qui fait le principal mérite de ces comédies. Le cheur représente cette foule tumultueuse, cette mer d hommes ( 168 ) aux flots agités que art du poéte transporte sur la seéne, an sor- lir de PAgora, Au double point de vue de la versification et du style, Aristo- phane est au niveau de Sophocle, de Pindare et d’Archiloque. Sa verye est inépuisable. I] s'est montré solide penseur et grand citoyen, dans ses chceurs surtout. Ce qui faisait la puissance du poéte comique, ¢ était cette partie du cheeur quon nommait la parabase, et ot lauteur, comme du haut de la tribune aux haran- gues, s'adressait directement au public pour lui communiquer ses pensées. La manicre d’Aristophane, dans la forme, est tout la fois savante et naive, de l'aveu de tous les critiques. Soit quiil raisonne ou qu’il se livre 4 l’essor impétueux du sentiment, toujours le style suit la pensée sans affectation comme sans faiblesse. Clair et rapide dans l’exposition ou le récit; vif et animé dans le dialogue, brillant et gracieux dans la description : c’est le modele le plus achevé du style attique. Aristophane a été surpassé dans la comédie; mais per- sonne, dans la satire, n’a déployé une telle puissance d' imagination. Nous ne connaissons pas les comédies d' Eupolis et de Cratinus, les prédécesseurs d’Aristophane. Nous savons seulement qu ils étaient aussi impitoyables que l’adversaire de Cléon. Eupolis fut, dit-on, vietime de ses attaques contre Alcibiade , qui le fit noyer pour se venger du ridicule dont linfortuné poéte l'accablait avee tant de raison. Eupolis était pourtant moins violent que Cratinus. Quant aux autres comiques, successeurs d’Aristophane , leurs cuvres ont complétement disparu, absorbées dans la gloire du prince des poétes de lancienne comédie. Dans ce siécle mémorable ow le drame parvint 4 une si grande perfection, la Poésie épique fut aussi cultivée par quelques poétes de mérite, dont les ceuvres sont perdues. L’heure de l’épopée était passée, L’action avait remplacé le récit; le merveilleux perdait de plus en plus son empire. Mentionnons seulement ici Panyasis, au- teur d'une Héracléide estimée pour la beauté de lordonnance et Vélégance du style; Cherilus de Sumos, qui mit en récit la seconde guerre médique sous le méme titre qu Eschyle : les Perses, Windil- ( 169 ) férence dont ce poéme fut Pobjet prouve assez que l’épopée avait fait son temps sous Périclés. Les fragments de Cheerilus ne sont pourtant pas & dédaigner pour Vintérét du récit ct la magnificence des descriptions. Antimachus enfin composa une Thébatde que les anciens placaient au premier rang apres lépopée homérique, et qui aurait passé pour une merveille si le poéte avait vécu a la méme époque que Vimmortel auteur de l’Iliade et de !Odyssée. L’Elégie au V" siécle est tout entiére, comme le lyrisme en gé- néral, dans les ceuvres des grands tragiques, Critias, Yun des trente tyrans, s’exerca aussi dans I’élégie; mais, fidéle 4 son réle politique, il se contenta de chanter, en homme dFtat plus qu’en poéte, les vertus des Spartiates, puis de lancer Vinvective a leurs ennemis et aux siens. Le régime des Trente fut fatal 4 lancienne comédie. La liberté avait péri dans ces luttes désastreuses dont Aristophane avait vaine- ment cherché 4 détourner ses concitoyens, et ou l’énergie des guerriers de Sparte devait finir par triompher de la mollesse et de Ja turbulence de la démocratie athénienne. Aristophane, l’adver- saire de la liberté 4 laquelle il avait di ses succés, se vit tout le premier foreé de renoncer d ses audacieuses personnalités, ainsi qua la faculté de faire Ja legon au peuple et aux gouvernants, dans Ja parabase, par la voix du coryphéc. Déja, dans ! Assemblée des femmes, il sétait contenté de stigmatiser, d'une maniére abstraite, les réveries des philosophes. Le déeret de Lamachus avait baillonné sa muse satirique. Cette transformation de Ja co- médie date spécialement de Vapparition ou plutot de Ja réappari- tion du Plutus, car le poéte avait di réformer sa piéce pour l'ac- commoder aux exigences de la loi. Le Plutus, comédie ou plutot allégorie morale, est le chef-da@uvre d’Aristophane et le point de départ de la comédie moyenne. Non-sculement les personnalités out disparu, mais encore la parabase et le choeur lui-méme qui ne pouvait plus vivre depuis qu’on lui avait enlevé le privilége de injure. L'immoralité de la scéne et du langage ne dépare plus cette piéce qui nen est pas moins spirituelle, vive et piquante, Le { 170 ) Plutus méritait de présider aux destinées nouvelles de la comédie. Et, sil se fut trouvé, parmi les successeurs d’Aristophane, des poétes de géitie capables de marcher hardiment et sagement dans cette voie féconde, nul doute que la comédie moyenne nett fourni quelques chefs-d’ceuvre de plus aux annales du théatre. Mais les nombreux comiques du IV™ siécle usérent leurs facultés dans la critique philosophique et la parodie burlesque des derniers poémes tragiques qu'il fallait laisser mourir de leur belle mort. VI. — Siecle de la philosophie : la comédie moyenne et la comedie nouvelle. Ce siécle de Platon, d’Aristote et de Démosthenes fut pourtant bien gloricux dans la prose philosophique et oratoire. Platon sur- tout, avee ce génie universel dont l’avait doté la nature. pouvait, sil avait voulu, imprimer un nouvel essor a la poésie, Il y re- nonea pour se vouer a |’étude de la métaphysique, ou il acquit une renommée gue vingt-trois siécles n’ont pas affaiblie. Aristote, génie encyclopédique, laissa sa trace dans toutes les voies de la pensée, y compris la poésie lyrique. Il fixa les régles et les limites des genres, et sa Poélique fait encore autorité de nos jours. Cette tendance scientifique frappa la poésie de stérilité. A Pexception de la comédie qui se modela sur le réalisme philosophique, tous les genres languissent tristement, sans que le génie d’Alexandre Jui- méme puisse les réveiller de leur assoupissement léthargique. Il ne faut attribuer ce sommeil de l'art qu’a la philosophie. La raison est ennemie de J’enthousiasme. La philosophie, quand elle s'est emparée de toutes les avenues de l’esprit, tarit la source de lin- spiration poétique. Les ciseaux de l’analyse coupent les ailes au génie. La fiction fuit devant la réalité; les croyances sont ébran- lées par Ja manie des démonstrations. L’esprit ne croit plus qu’é ce qu'il voit en lui-méme et dans Ja nature, dont il n’étudie plus les phénoménes que dans un but philosophique ou pratique. L’évi- dence, eet acte de foi de l’esprit, n’est bientot plus acceptée comme la base infaillible du raisonnement. Le témoignage de l'histoire est révyoqué en doute, et le seepticisme enyahit Vintelligence. Comment i ge i ae aces eS, (A741 ) youlez-yous que la poésie résiste 4 tant d’assauts? Nous devons le déclarer, malgré notre amour pour la philosophie entée sur la foi : jamais la poésie ne sera swur de la philosophie, Pourquoi? parce que la poésie vit de fictions ; la philosophie, de vérités intellectuelles, Lune procéde par intuition; autre, par abstraction. L’image re- jette lidée pure, comme lidée pure rejette limage. La raison n’est pas contemporaine de l'imagination; et instinct, source premiére de linspiration du poéte, peut-il jamais naitre sumultanément ayee la réflexion philosophique? Non, Vinstinct doit éclater avant la réflexion, sous peine d’étre refoulé dans les profondeurs de Yorganisme. On sait que la raison est l’antipode de la passion. Quest-ce a dire? Ja philosophie et la poésie ne peuvent donc pas vivre en face lune de l'autre? Oui, mais a deux conditions : e’est que la réflexion naisse aprés l’instinct pour en régler la fougue, et que union du monde physique et du monde moral sopére dans le sanctuaire de l’ame par l'intermédiaire du sentiment et de l'image. La pensée doit se transformer en sentiment; c’est lanneau qui unit lidée 4 Vinstinet: voila le fond de la poésie. La nature matérielle doit refléter la nature intellectuelle au moyen de l'image : voila Ja forme de l'art. La philosophie peut done s’allier & Ja poésie; mais la prédominance de Ja raison sur imagination détruit l’essence du beau et améne la décadence de l'art, qui se manifeste par la préoc- cupation exclusive de l’idée ou de la forme, et par le régne de la critique. La comédie seule peut fleurir, comme expression sociale, au siécle de la philosophie. C'est que ce genre n’a pas besoin, pour vivre, de sortir de la réalité. Avoir de esprit, de la finesse, de la pénétration , puis observer attentivement les meeurs et faire jaillir, par d habiles contrastes, les ridicules et les travers, résumer enfin sous une forme sentencieuse les lecons de l’expérience, les régles du sayoir-vivre et du sayoir-faire, la science de la vie en un mot, yoila lidéal de la comédie. C'est un genre essentiellement philoso- phique; et quand la philosophie n’empiéte pas sur les conditions du drame ct ne se perd pas dans les nuages, elle n'est jamais dé- placée dans la comédie. Nous dirons tout 4 Vheure ce que nous pensons de lessence méme du genre, sous le rapport poctique, ( 172 ) Avant de yoir mourir la pocsie dans les étreintes de la seience , jetons done un dernier regard sur la comédie dont Ja persistance prouve assez le caractére vif et spirituel du peuple athénien. Nous disions que les poétes de la comédie moyenne usaient leurs fa- cultés dans la eritique des ceuvres philosophiques. Les alexandrins n’ont compté dans le canon des classiques que deux des nombreux poétes de cette seconde phase de la comédie : AntipHANE et ALEXIS. Ces auteurs féconds, plus moralistes que poétes, savaient enfer- mer la pensée dans les mailles @un style serré. Les artifices de la forme leur étaient familiers, mais ce n'est déja plus de la poésie. Leurs sentences morales révelent un grand talent d’observation. Mais le second de ces poétes se vautra dans la fange du vice, et nadora d’autre divinité que le ventre quil appelait le pére et la meére des hommes. Bafouer la philosophie et aboyer contre les lois du devoir, ce fut tout son génie. La comédie allait expirer d'inanition, au milieu de ce matérialisme grossier, quand Ménanpre vint lui rendre la vie par la peinture des meeurs et la création de lintrigue dramatique. Sous ce rapport, aussi bien que pour la conception et le style, Ménandre est l’Euripide de la comédie. On dit : mais la comédie nouvelle est une déeadence, au point de vue social, car les moeurs de la vie privée ne pouvaientavoir pour les Grees Vintérét ni la puissance des satires littéraires , philo- sophiques et politiques d’Aristophane. A cela, il n’y a qu'une ré- ponse : linjure n’a jamais été un instrument d’amélioration sociale. Cest une arme funeste qui ne sert qua envenimer les plaies de Vhumanité. Et cest un progrés incontestable que celui qui con- siste 4 substituer 4 la satire personnelle la censure des vices et des travers de la société. Ce progrés moral, inauguré par le Plutus d’Aristophane, s’accomplit enfin dans la nouvelle école. Ceux qui confondent la comédie avee la satire ont raison de voir une déca- dence dans les transformations de l'art comique. Mais quand on réfléchit aux conditions du drame, qui n’est que limitation de la vie réelle, on n’hésite pas a placer Ménandre au-dessus d’Aristo- phane, dans l'emploi des ressorts de la vraie comédie. Maintenant que faut-il penser du genre lui-méme, au point de ( 175 ) vue de l'art? La peinture de la vie privée appartient-elle a Vidéal poctique? Oui, mais a lidéal renversé. Le beau est sérieux de sa nature; il nous porte a V’admiration. La comédie représente le revers de la médaille humaine : elle proyoque le rire; c’est la de- yiation des lois de notre étre, c’est le laid jeté en pature a la mali- gnité publique. Le laid idéalisé ou devenu type pour étre mieux immolé au ridicule et n’affichant aucun nom dhomme, voila la comédie inventée par Ménandre. Le but moral est, en définitive, la glorification du beau, le retour a lordre providentiel. C'est par ‘JA surtout que la comédie est poctique : Castigat ridendo mores. Nous ignorons quels furent les antéecédents de la comédic moyenne chez les Grecs. Mais il est probable que Jes mimes de Sophron, ce Syracusain du siécle de Denys le Tyran, ne furent pas sans influence sur cette direction nouvelle imprimée & la comédie. Les scénes dialoguées ott Sophron imitait avec tant de naturel le langage et les moeurs des gens du peuple, a ce point que Platon et plus tard Théocrite le prirent pour modéle, durent agir sur esprit des derniers poétes de la comédie moyenne, et préparer ainsi lheureuse innovation de Ménandre. Cependant les mimes de Sophron n’étaient pas des comédies, car ces scenes détachées, uni- quement destinées a Ja lecture, n’avaient entre elles aucun lien dramatique. Mais limpulsion était donnée. La patrie d' Epicharme venait une seconde fois inspirer le drame athénien. Née au milieu de circonstances défavorables, la comédie de Mé- nandre ne put aiteindre son complet développement. Le théatre de Bacchus était fait pour les évolutions du cheeur et les étourdis- sants débats de la place publique. Les seénes de la vie privée, jouces ainsi en plein air, n’avaient aucune vraisemblance. II fallait la finesse de govit du peuple athénien pour ne pas s’ennuyer A ce genre de spectacle dans une salle pleine des souvenirs d’Aristo- phane et dont les échos retentissaient encore des tumultes de VAgora. L'immoralité des intrigues était inévitable dans une so- ciété ot les moeurs étaient si corrompues. La citoyenne n’était pas plus admise ici qu’aux représentations satiriques d’Aristophane. Bien plus, la reclusion des femmes empéchait souvent le poéte douvrir sur la seéne les portes du gynécée, pour y montrer Ja (174 ) femme impliquée dans une intrigue qui la déshonorait aux yeux des spectateurs. C’étaient 14 des entrayes que ne connaissait guere Aristophane; car, se bornant 4 la censure de la vie publique, il pouvait faire paraitre sur le théatre l Assemblée des femmes, sans dévoiler Jes scerets intimes de Ja vie domestique. Quant & ces dis- tinctions de rang, si fécondes en contrastes dans la comédie mo- derne, ce n'est pas 4 la démocratie athénienne qu'il faut les de- mander. ' ; Lintrigue était simple, les caractéres peu nombreux, mais variés_ par dhabiles nuances, par d’ingénieuses combinaisons. L’intrigue roulait le plus souvent sur une étrangére qui se trouvait étre une Athénienne de bonne famille. Tout finissait, comme tout finit dans Ja comédie, par un mariage. Les caractéres ordinaires étaient le pére faible, avare ou impérieux; la mére sage, mais souvent hau- taine en vertu de sa dot; le fils prodigue, léger et corrompu, mais se piquant d’honneur et dhonnéteté; lesclave fripon aidant le fils a tromper son pére; le parasite, ce singulier personnage que l’on retrouve 4 Rome, et qui va se gorger de viandes et de vin a la table du riche, sans y étre invité, faisant la chronique scandaleuse du jour, pour payer, avec la fausse monnaie de ses bons mots, Phospitalité qu’on lui donne; le sycophante qui vit de calomnies ; le soldat fanfaron, fort en gueule et laclie dans les combats; la marchande deselaves et l’entremettéuse , gens sans foi ni pudeur qui spéculent sur Pimmoralité publique; enfin, la jeune fille pleine de coquetterie et d’artifices, mais souvent réduite & la misére et la supportant avec noblesse. On reconnait 1 les types de Plaute et de Térence. La seule indication de ces caractéres est tout un tableau de civilisation. Il n’y faut pas chercher ce qu’on a faussement ap- pelé l'amour platonique, enfant du christianisme. Nous l’avons déja dit : amour des sens et amour des enfants, e’étaient les seuls sentiments qu’inspirait la femme. Il y a done bien loin de Mé- nandre a Moliére, j’entends le Moliére du Misanthrope. Il y a entre eux la distance du paganisme au christianisme, et du talent au génie comique. Mais pour, la conception du plan, les pensées philosophiques et surtout la perfection du style, Ménandre, toutes proportions gardées , n’était pas infériewr 4 Moliére. Le diseiple de ; 2 DP IL 1 Li IO SING tT “(475 ) Théophraste et l’adepte d’Epicure, mais du veritable Epicure, avait sondé, d'un regard pénétrant, les faiblesses de ' homme, et ensei- gnait la résignation, le calme et I sérénité de lame. Sa philoso- phie, plus pure que eelle dHorace, répandait un baume consola- teur sur les plaies de ’humanité. On connait ce vers sympathique, tant de fois répété, que lui emprunta Térence : « Homo sum, humani nihil d me alienum puto. » Du sein d'un gracicux enjouement, cette poésie suave exhalait un parfum de mélancolie que l’on dirait descendu du Golgotha. Croirait-on qu’un paien ait pu enfanter cette pensée, une des plus chrétiennes qui soit jamais sortie d’un ceur dhomme: « Celui que les dieux aiment meurt jeune! » O Ménandre! pourquoi faut-il que tu n’aies pas vécu quelques siécles plus tard, et que le temps nait pas épargné tes ceuvres? PuiLémon, son émule, et souvent son vainqueur dans les con- cours dramatiques, aussi fécond que lui, mais d’un style plus sé- vére, était un vrai stoicien de l’école de Zénon, austere dans sa morale et trop indigné du spectacle de la corruption des hommes pour compatir, autant que Ménandre, aux miséres de Phumanité. Malheureusement la philosophic comprenait trop peu la destinée humaine pour opérer une réaction puissante sur les moeurs pu- bliques. Les grands principes de la conscience n’étaient professés par quelques esprits délite qu’au point de vue spéculatif, et res- taient sans influence sur la vie. Le peuple croupissait dans l’igno- rance et la superstition. Athénes, aprés trois siécles de eréation, perd le sceptre de la littérature en perdant sa liberté. Les écoles philosophiques étaient cependant prospéres. Les grammairiens et les critiques, précur= seurs des érudits d’Alexandrie, se livraient laborieusement A l'étude des textes anciens. Mais la poésie, égarée dans ce labyrinthe scien- lifique, ne peut plus retrouyer le fil d’Ariane de linspiration. Les philosophes n’écrivent pas pour la foule; ils ne s’adressent qu’aux initiés , et laissent aux sophistes les séductions de la forme. ( 176 ) On ne rencontre plus que deux vrais poétes, Timon et CLEANTHE, Yun, disciple de Pyrrhon, l'autre, de Zénon. Le premier, auteur des Silles, doué d'un esprit caustique, mit le feu A Védifice chancelant du dogmatisme avee les torches incendiaires de la satire. Il pour- suivit. de ses sarcasmes tous les grands noms de la philosophie. La réalité, en se vengeant de la chimére, atteignait le principe méme de Ja certitude; cest le suicide de Vintelligence par le poison cor- rosif du scepticisme. Timon fit son ceuvre de destruction avee un zele et un talent dignes d'une meilleure cause. Il n’est pas le seul de cette époque qui ait manié la satire, genre caractéristique des époques de décadence. Ménippe, avant lui, avait travaillé a dé- molir les eroyances philosophiques avec la verve mordante des philosophes cyniques. C'est Ménippe qui, par ses piquants meé- Janges de prose ct de yers, donna son nom A la célébre satire Ménippéee, éclose au milieu des guerres religieuses du XVI" siécle, en France. Le second des philosophes poétes qui jeta un dernier éclat sur la littérature athénienne est le stoicien Cléanthe. Il ne nous reste de lui quwun Hymne a Jupiter en vers hexametres ; mais, il faut le proclamer bien haut, c'est 14 une des plus sublimes inspirations de Vantiquité. Le Jupiter de Cléanthe n’est plus le roi de 1Olympe; c'est le Dieu d’ Abraham, c’est le Dieu des chrétiens, dont la lumiére est descendue, au milieu de la corruption universelle, dans lin- telligence de ce paien, trois siécles avant la naissance du Christ. Mais ce n’est qu'un éclair au milieu des ténébres du paganisme. Nous devons désormais dire adieu 4 cette brillante littérature athénienne qui entraine dans sa chute la poésie elle-méme pour faire place au régne de la critique. Suivons la civilisation greeque dans sa derniére étape, et transportons-nous a la cour des Ptolé-~ meées. VII. — Siecle des Ptolémées : La décadence. La décadence littéraire, qui commenga a la fin du V™ siécle par les écarts dEuripide et qui se continua dans le siécle suiyant par a OEE Rae yee a ( a7) Ja dégénérescence de la tragédie et la prédominance de la satire comique, grand dissolyant des croyances, fut enfin consommeée au IiI™ siécle sous la royauté des premiers Ptolémées. Alexandrie, le seul monument quil ait été donné au génie d’Alexandre de laisser aprés lui, Alexandrie, qui sera bientot le dernier rempart du paganisme expirant, devint au II™ siécle Vasile de Ja littéra- ture avant détre celui de la philosophie. Mais hélas! la science tua la poésie. C'est dans cette cité, assise sur les confins de deux mondes, ot ’Orient en donnant Ja main a l’Occident devait pré- parer Jes yoies au christianisme, que la muse paienne alla cher- cher son tombeau. Expliquons les causes de cette décadence. A la suite de Vinyasion gauloise et des guerres sanglantes que se livrérent entre eux les successeurs d’Alexandre le Grand, la civilisation grecque, réduite aux abois, s était réfugiée a la cour des souverains d’Alexandrie; mais elle se trouva bientot dépay- sée au milieu de ce confluent de /Europe et de VAsie qui sem- blait étre devenu le rendez-vous de tous les peuples. L’élément juif, qui deyait transformer peu a peu esprit européen, et Ja politique égyptienne mélée a cette brillante civilisation hellénique si ennemie du génie oriental, amencrent ume ¢trange confusion. Labsence dunité, produite par Vincohérence de tant d’¢léments disparates, l'extinction des traditions antiques, la perte de la li- berté, faisaient de Part un cadavre sans vie que n’animait plus aucun souffle créateur et quune troupe d’anatomistes, armés du sealpel de Ja eritique, allaient disséquer au profit de la science , mais au grand détriment du génie poétique. L’avénement de Ja seience dans Vart est toujours le signal de la décadence dans Ja poésie. Dieu nous garde cependant de méconnaitre les services rendus 4 la postérité par ces savants modestes dont Aristarque est la gloricuse personnification. Ils portérent la lumiére dans les ténébres de lantiquité par leurs ingénieux ct profonds commen- taires. Nous leur devons la conseryation et lintelligence des mo- numents du passé quils relevérent du sein des ruines et rétablirent dans leur intégrité, La Providence le youlut ainsi pour renouer la ‘chaine des Ages et marquer les étapes de esprit humain sur la route du progrés. Homeére, objet dun veritable culte a cette épo- Tour VILL. : 12 (278°) que, fut conservé, grace aux critiques alexandrins. II faut aussi payer un juste tribut de reconnaissance A cette génération de sou- verains qui employérent leurs trésors 4 la fondation de ces biblio- theques fabuleuses de quatre cent soixante et dix mille volumes, et réunirent & lombre du trone cette pépiniére de littérateurs et de savants voués a Venseignement des lettres au musée académique et universitaire d’Alexandrie. II est vrai que c’était la vanité plutot que l'amour des lettres qui poussait ces princes fastueux & déployer ce luxe scientifique. Leur rivalité avee les rois de Pergame, en bibliomanie, et la valeur quils attachaient aux livres venus par mer prouvent assez quelle pensée présida a ces immenses collec- tions. Nous ne faisons cette observation que pour aider 4 com- prendre comment la poésie s’éteignit au milieu de tant de richesses accumulées par le temps. Quelle pouvait étre la source de Vinspi- ration poétique dans un siecle ott les écrivains ne cultivaient la littérature que pour jouir de quelque emploi lucratif au museée , seul moyen de participer 4 la munificence du prince; ou ces hommes & la téte encyclopédique entassaient dans leur mémoire des mythes désormais sans crédit, vains ornements de I’esprit dont l'étude était une escrime intellectuelle incapable de remuer les fibres de 'ame; ott le présent n’offrait d’autre spectacle que celui des assassinats , des parricides, des incestes, jusque sur les mar- ches du tréne; ot adoration du souverain était le seul culte reli- gieux des poétes? Oui, la protection des princes dans de telles con- ditions doit étre fatale 4 Ja poésie. L'étude des modéles est féconde sans doute, A deux titres : comme moyen de s‘initier 4 Vart de la composition, et comme moyen de former son intelligence et son eccur par la méditation des grandes pensées et des grands sentiments. Mais pour celui qui ne sait lire ni dans son Ame ni dans le livre divin de Ja nature, qui ne sent pas bouillonner en Jui le flot sacré des croyances, et qui trouve la flamme éteinte sur Vautel de la patrie, il ne reste plus rien dans les monuments du passé, rien que le squelette de Tart. Le poéte pourra, comme un habile instrumentiste, faire vibrer sous ses doigts le clavier du style en combinant de mille facons les artifices du langage, mais ces notes ¢tincelantes ne sont plus que (479) les tours de foree du métier : la musique de Voreille, au lieu de la musique de l’ame. Quelque corrects que soient ces jeux de style, nous le répétons, ce n'est plus de la poésie. C’est a peine si lon a le courage de relever du sol ces branches mortes d'un arbre merveilleux que sa séve vigoureuse avait fait grandir jusqu’au ciel et qui avait jeté de si profondes racines dans le cur de neuf générations. Les versificateurs d’Alexandrie , — ne profanons pas la poésie en leur donnant le beau nom de poétes, — se distinguent par le vain étalage d'une érudition indigeste , ’abus des ornements my- thologiques, la recherche d'un style alambiqué ou tiré au compas dEuclide, un vrai funambulisme littéraire dont on peut admirer Ja dextérité, mais dont il faut, au nom de Tart, condamner l’em- ploi. Tous les genres furent cultivés par ces érudits; mais l’univer- salité, au lieu de masquer, ne fit que trahir davantage la stérilité du génie. Philétas, compatriote de Simonide, était estimé des Ro- mains dans | ’élégie. Nous ne pouvons pas controler leur jugement, car il ne nous reste rien de ces élégies tant vantées. En revanche, nous possédons des fragments de Callimaque; et en yérité, s'il faut juger de Philétas par son émule auquel son nom était associé dans l'admiration de Properce, nous n’ayons pas a revenir sur la sévérité de notre appréciation de la poésie alexan- drine. Callimaque, en effet, n’était qu'un versificateur habile; mais son lyrisme se perdait dans les raffinements d'un style plus brillanté que brillant, et dont !érudition fatigue méme les plus intrépides amateurs de mythologie. On peut s’en former une idée A Ja lecture de cette élégie que le docte Catulle a traduite et dont le titre seul fait connaitre la valeur : la chevelure de Béré- nice. Callimaque s’est livré, dans tous les genres, a ces exercices de littérature acrobatique, ot il fait, avee un aplomb impertur- bable, danser les mots sur Je vide de la pensée. Tout cela est fort inoffensif; nous le plaignons seulement d’avoir, dans ses hymnes, adoré les dieux avec Ja plume qui venait de tresser les boucles fantastiques de la chevelure de Bérénice, d’ou s’exhalait un parfum équivoque. Les dieux pouvaicnt se passer d'un tel encens. ( 180 ) Quant 4 Lycophron, nous ne pouvons guére en parler, nous navons pas eu Voccasion de le lire; mais nous nous en félicitons, car les OEdipes de la critique n’ont pas encore, parait-il, trouvé Ja solution des énigmes qu'il propose a l'admiration des hommes. Pour donner un échantillon de ses métaphores bizarres, il suflfit de rappeler quwil entendatt Veclair et voyart un eri; mais wallons pas nous en étonner, nous qui avons vu dans les airs les vibrations sonores et les zigzags lumineux du réveil des cloches! Cet assem- bleur de nuages, auteur d Alexandra, est la plus remarquable des nullités prétentieuses de cette pléiade tragique, composée de six autres noms dont les ceuvres sont inconnues, et que les Alexan- drins ont eu le tort de ranger parmi les classiques. Nous ajoute- rons, pour lédification de la postérité, que Lycophron passe pour Vinventeur de lanagramme, et de la poésie aux wufs et a la hache, nouveaux services rendus aux danseurs de corde de la Jit- térature. Le seul versificateur de ce siécle qui soit quelque peu poéte, c'est Apottonius, auteur des Argonautiques. Sans lui serait perdue la tradition de cette premiére des expéditions grecques, dont Orphée faisait partie. Les Argonautiques, poéme sans vie, ne manquent ni de grace ni d’élégance. La langue y est pure du moins, et lon n’y est pas abasourdi par cette avalanche dallégories inintelligibles qui dépare les ceuvres de Callimaque et de Lycophron. Apollonius fournit 4 Virgile le modéle de sa Didon. Un genre nouveau, eréé par les Alexandrins : la poésie didac- ique, marque mieux encore la décadence de la poésie que tout ce que nous avons passé en revue jusqu a présent. Deja, il est vrai, les philosophes-poétes : Xénophane, Parménide, Empédocle, Pytha- gore, sans compter Hésiode et les théologiens de l’école orphique, ayaient écrit en vers sur des matiéres philosophiques et morales, dans le but de propager leurs doctrines. Mais alors on ne connais- sait pas la prose, et les philosophes du VI™° siécle, malgré leur réaction contre le mythologisme , n’étaient pas dépourvus du feu sacré. Les Alexandrins, au contraire, dédaignant le langage vul- gaire de Ja prose, mirent en vers, par horreur du naturel et par amour de Ja difficulté, des traités scientifiques sur Ja physique . x / ( 181 ) Vastronomie et lanatomic; ec qui enleya fi la seience la clarté des pensées et du style, sans faire jaillir de ces descriptions techni- ques la moindre étincelle de poésie. Aratus fut célébre dans ce genre anatomique, fait pour plaire aux érudits de forte trempe qui peuplaient le musée d’Alexandrie et aspiraient a laisser leurs noms sur les rayons poudreux de la bibliothéque des Ptolémées, Grace i la traduction de Cicéron, Aratus échappa du moins a Youbli. Noublions pas, pour l'intérét historique qui s’y rattache, le genre microscopique de l'épigramme. Les Alexandrins devaient exceller dans ces piéces de courte haleine qui ne demandaient qu'un trait d’esprit et une forme lapidaire d'une correction irré- prochable. Ce genre eréé par Simonide et qui avait laissé partout ses traces sur les édifices, les statues, les tombeaux, les trophées, fut cultivé avee une singuliére prédilection au siecle des Ptolémées. Les littératures vieillies aiment a ciseler ces petits médaillons au lieu de statues. On écrivit des épigrammes sur tous les sujets et sur tous les tons, depuis l’épitaphe jusqu’a ’énigme, depuis la tristesse jusqu’a la plaisanterie, depuis la poésie jusqu’a la science. Il n’est pas jusqu’a la géométrie qui ne se soit prétée a ces laborieuses baga- telles. Tantot c’était un éclair, tantot une bulle de savon, selon le degré dinspiration de Vartiste. On en fit plus tard des recueils précieux pour lhistoire, et d'autres comme amusement littéraire , sous de petits noms coquets, comme ceux qu’on donne aujourd hui aux bluettes éphéméres de la poésie : guirlandes, corbeilles, bou- quels de fleurs. C’est ainsi que devait finir une littérature, dont les premiers monuments avaient été si gigantesques. Au résumé, la poésie alexandrine ne brille que par Vabsence dinspiration vérita- ble. C'est un squelette couvert du Jourd manteau de l’érudition mythologique. Le labyrinthe de Ja rhétorique et de la grammaire, ces poétes en connaissent les détours; mais le gout aussi bien que le génie est pour eux une lettre morte. Que leur reste-t-il done? de Vesprit, du talent, de l’érudition, En yoili assez pour faire la réputation ‘hommes sérieux qui savent rester dans leur sphere, Que ne se bornérent-ils 4 suivre les voies d’Aristarque, par quelque beau commentaire philologique? Ils ont préféré, sur des ailes de ( 182 ) cire, monter au ciel olympique malgré Minerve; ils ont eu le sort dTeare, et ils l’ont mérité. VII. — La poésie sicilienne. Tandis que les Alexandrins s’acharnaient 4 dépecer le cadavre gisant de la poésie grecque, la vieille terre de Sicile, la patrie d’Epicharme et de Sophron, retrempait dans Vobservation de la nature son génie créateur. A l’époque ou Archiméde s‘illustrait dans l'étude de la physique, Tufocrire inventait VJdylle, mais, pour cela, il avait du s’éloigner de la cour de Ptolémée Phila- delphe. Ce n’est qu’a cette condition qu'il lui fut donné de res- susciter la poésie couchée aux pieds des rois. Qu’est-ce que Vidylle? On la confond vulgairement avec la pas- torale; et, cependant, Théocrite applique ce nom a des poésies de tout genre. Si l’étymologie n’est pas un vain mot, idylle (cidSaacy) ne signifie pas autre chose que petit poéme, piéce fugitive, une miniature susceptible de tous les tons, gracieux lit de Procruste présentant tous les genres en raccourci. C’est bien ainsi que Ven- tendait Théocrite, car ses idylles renferment des morceaux lyriques et épiques sur des sujets tirés de la mythologie qu'il savait vivifier par la chaleur de son ame. Ici vous trouverez un mime a Ja ma- niére de Sophron; plus loin un épithalame, des épitres, des épi- grammes. Théocrite, en effet, poéte de haute lignée, avait reeu de la nature un génie flexible propre 4 tous les genres. Nous sayons méme qu'il s’était exercé dans l'élégie, Vhymne et la poésie iambi- que. C'est done une grave erreur de ne voir en lui qu'un peintre de la vie champétre. Ses ceuvres les plus parfaites ne sont pas ses Bucoliques. Mais la nouveauté de ce dernier genre ’a fait consi- dérer, en dépit de ses talents divers, comme un poéte pastoral, avant tout; 4 ce point que lidylle devint synonyme de bucoliques, d’églogues, de bergeries. Disons done ce que fut Théocrite dans ce genre qui n’avait pas de modéles ayant lui, et tachons de com- prendre le secret de sa supériorité sur ses imitateurs. La pasto- rale, peignant les mceurs des bergers, suppose une grande con- ( 183 ) naissance des sentiments, des usages, des habitudes de ces simples enfants de la nature. Non pas qu'il soit décent de les faire parler aussi rustiquement qu’on parle au village, car la poésie n’est pas un calque servile. Mais on fait erreur en dressant les bergers sur le modéle des gens de cour; et Boileau a raison quand, par une connaissance profonde de ses talents, il se refuse a s’entourer de hétres dans son cabinet, au milieu de Paris, pour « Faire dire aux échos des sottises champétres. » Les hommes qui appartiennent aux époques de haute civilisa- tion sont trop loin de la nature pour saisir ces émanations du sol ou tout est poésie. Lidéal de Vart n’est pas Vidéal de la nature. Lart choisit; la nature apparait sans voiles & ceux qui sortent de son sein et qui vivent en communication avec elle. Les héros dHomére sont grossiers pour ceux qui ne comprennent pas la sim- plicité de ces moeurs antiques ou homme, uniquement soumis aux lois de linstinct, ignore les convenances sociales et se montre tel quil est avee ses qualités et ses défauts naturels. Voila les meeurs que peignit Théocrite; et quand on songe qu‘il vivait a lépoque des Alexandrins, on ne peut assez admirer son génie. Seul des poétes bucoliques, il a fait vivre et parler de vrais bergers peints d'aprés nature, avec leurs passions violentes et Vidéal de leur existence, au milieu des troupeaux, des bois et des prairies, tantot insouciants, naifs et gracieux, tantot rivalisant dhabileté dans Jes combats de Ia flute, n’aspirant qu’’ ’honneur du triomphe, i l'amour de leurs belles, ala prospérité du troupeau dont ils sont les gardiens; vrais rois, moins les soucis du tréne, ayant pour sujets des chévres et des agneaux, pour sceptre, la houlette. La pastorale ainsi congue n’a de conventionnel que les formes de l'art; tandis que la délicatesse d'un gout rafliné, en remplagant le naturel par léléganee et la recherche, donne aux meurs champétres un air faux et emprunté qui jure avec la condition des personnages, et ne peut satisfaire que les hommes étrangers a la vie des champs. Théocrite, par son originalité, sa naiveté, sa simplicité, sa grace , est, nous le répétons, le seul poéte bucolique que la nature ait ( 184 ) inspiré. On a dit en comparant Homére & Virgile : c'est la nature quia fait Homére, c'est art qui a fait Virgile. Ce jugement s’ap- plique également & Théocrite comparé au poéte romain, son rival. Apres cela, il faut reconnaitre que Je grand poéte des champs nest pas plus sans défauts que ses bergers. Il y a parfois de Vin- décence et de la grossicreté dans ses tableaux; et Boileau fait bien de montrer entre Théocrite et Virgile le chemin de la perfection. Mais c'est un beau défaut que dimiter trop fidélement une nature poétique. Nous aimons mieux cette imperfection que les artifices dune nature conventionnelle, comme celle qui a servi de guide A Virgile, a Racan, & Ségrais et a Gessner. On se demande, néanmoins, avee une surprise bien légitime, quel a pu étre le but de Théocrite en faisant encenser Ptolémée Philadelphe par ses bergers; et lon reconnait sans peine qu’en laissant a ses patres toute la grossiéreté de leurs habitudes cham- pétres, il a voulu faire ressortir par le contraste la magnificence d'une cour dont il était lo de dédaigner les faveurs. Deux poétes siciliens, Bion et Moschus, suivirent la voie tracée par Théocrite. Mais nous ne connaissons rien de leurs bergeries. Leurs idylles, écrites avee talent, mais souvent dépourvues de naturel et de naiveté, ne sont que des chants funebres, des épi- thalames, des fragments épiques. Leurs soupirs, froidement ca- dencés, viennent rarement du cceur, et ressemblent trop aux larmes forcées de la pleureuse antique. IX. — Les deux derniers siécles avant notre ére. Désormais la Gréce asservie va passer aux mains de ses vain- queurs le flambeau de la civilisation. Les Grecs , toujours artistes, serviront de maitres aux farouches enfants de Romulus, et se ven- geront de la servitude en transformant, par leur esprit mobile et leur imagination brillante, le génie austére des Romains. Les deux derniers siécles avant notre ére sont frappés de stérilité., La civi- lisation greeque, comme un astre sorti de son orbite, a perdu son éclat. ( 185 ) Les deux poétes de cette époque, Nicandre et Meléagre, wont dui leur réputation qua la stérilité méme de leur temps. Le pre- mier, auteur didactique, d'une sécheresse désolante , bien qu il fut prétre d’Apollon, écrivit deux traités sur la médecine et un autre sur lagriculture, auquel Virgile a fait plus dun emprunt. Le se- cond, philosophe de la secte de Diogéne, a laissé des épigrammes et des chants idylliques qui ne manquent ni desprit ni de grace. Il composa, dit-on, le premier de ces recueils épigrammatiques connus sous le nom d'anthologies. On ne compte plus un seul poéte gree de la moindre valeur jusqu’au siécle des Antonins. C’est alors qu'un écrivain supérieur, produit dune civilisation a lagonie, vint par son scepticisme rail - leur porter le dernier coup aux croyances mythologiques et pré- parer malgré lui Je triomphe du christianisme : vous avez déjh prononcé le nom de Lucien. Ce Voltaire du paganisme laissa aussi dans la poésie des traces de son génie moqueur. La divergence opinion qui séparait les philosophes entre eux, les superstitions populaires, les secousses imprimées aux croyances antiques par la nouvelle doctrine descendue du ciel, telles furent les principales causes du scepticisme de Lucien. Mais son esprit était naturelle- ment enclin 4 la satire. Trouvant autour de Jui d’inépuisables aliments & sa verve caustique, il jeta sur tous les chemins de la pensée sa mordante ironie. On ne peut cependint le considérer comme un impie, car, 4 son époque, la mythologie était tombée en diserédit. Sil prit le christianisme pour une nouvelle superstition, eest que la doctrine du Christ luttait encore contre Vesprit paien, Lauteur des Dialogues des morts, en quittant la prose pour les vers, devait y apporter les allures vives et sarcastiques de son esprit. Les épigrammes que cite de lui ! Anthologie ne sont que des coups dépingle, car le seepticisme, quand il ne se pose pas en doctrine, n'est pas assez fort pour lancer des coups de foudre. Mais la plaisanterie de Lucien imprime déja i lépigramme ce caractére spirituellement agressif qu'elle conserva plus tard en France. Il est facheux que Lucien se soit moqué de l'art autant que de la philo- sophie, en faisant subir a la tragédie, 4 Pexemple d'un Syracusain ( 186 ) du temps de Théocrite, les ridicules métamorphoses du Goutteux tragique et du Pied léger. Lucien est vraisemblablement aussi Yauteur de la Luciade ou lAne d’or, roman satirique qui a servi de modéle & Apulée, et ot le sceptique de Samosate immole a sa verve railleuse les métamorphoses de Lucius de Patras et toutes ces superstitions ridicules empruntées aux fables milésiennes, venues de la Perse, au dernier siécle avant notre ére. Deux autres noms appartenant au temps des Antonins méritent d'étre ici mentionnés : Oppien et Babrius. Non pas que notre sujet nous force 4 parler de ces poétes restés en dehors du mou- vement de la civilisation. Mais lintérét que présentent tous les monuments de la littérature grecque est trop puissant pour rien omettre de ce qui touche a Ja poésie antique. D’ailleurs influence de la civilisation est si grande sur les ceuyres de lesprit humain, que quand le poéte n’obéit qu’a ses gouts personnels, vous pouvez étre stirs que les événements contemporains n'ont plus assez de vitalité pour agir sur son esprit. C’est ce qui est arrivé au temps out Oppien écrivit ses poémes didactiques sur la chasse, la péche etla maniére de prendre les oiseaux. Ce poste, mort a trente ans, était doué dune brillante imagination et d'une nature ardente. La jeunesse fut sa muse. Aucun écrivain gree ne répandit avec plus de prodigalité les fleurs du langage dans son style. Sil était plus sobre, il serait un modéle d'élégance et de richesse descriptive. Son exactitude scientifique l'a fait estimer des naturalistes. Aussi Buffon en tira-t-il de précicux documents pour son Histoire natu- relle. Nous avons peu de chose & dire de Babrius, car un mystére plane sur sa destinée comme sur celle d'Esope, le eréateur de l’'apo- logue. On ne sait trop si ce poéte ésopique a vécu au premier, au second ou au troisi¢me siécle de notre ére. On ignore méme s'il fut Gree ou Romain. Quoi qu'il en soit, le moine Planude, qui rédigea au XIV™ siécle notre recueil des fables @Esope, a puisé d pleines mains dans la collection de Babrius. Ce dernier, malgré le mau- vais gout qui dépare quelquefois ses apologues, s’est placé & cdté de Phédre par son esprit, sa finesse, la correction de ses vers ( 187 ) jambiques et le nerf de son style. Quant a Voriginalité des idées, nous ne pouvons pas en juger, car le riche trésor de fables aux- quelles chaque siécle, depuis Esope, avait apporté son tribut, est enseveli sous les ruines des ages. Ce n’est pas par ces jeux de l’esprit que la poésie greeque deyait clore sa longue et féconde carriére. Le génie du polythéisme allait s‘éteindre au foyer méme de l’ancienne civilisation hellénique. Quand le paganisme ruiné dans lesprit populaire par le sensua- lisme et la superstition, tenta de se réveiller de son lourd sommeil sous les assauts de la doctrine nouvelle qui transformait le monde au IV™* siécle de notre ére, Athenes , dont les écoles s’étaient per- pétuées par l’enseignement oral, vit surgir tout & coup dans son sein des maitres célébres, Plutarque, Syrianus et Proclus, qui furent les derniers des Grecs. Procius surtout recueillit dans son ame tout Vesprit de l'antiquité dans la double sphere philosophique et religieuse. Le syncrétisme de lécole néoplatonienne d’Alexandrie se condensa dans sa vaste intelligence. Ii voulut aussi rendre un dernier hommage aux dieux dont le culte allait disparaitre pour jamais. Ses hymnes, pleins de mysticisme et d’effusion lyrique, firent de Jui un poéte inspiré, comme ses traités philosophiques en avaient fait un profond penseur. Ce fut une bonne fortune pour la civilisation grecque de mourir ainsi dans le linceul de son an- tique gloire. Cette extinction fut presque pour l’art une apothéose. Oui, une apothéose, car si la mythologie perdit son empire dans les croyances, elie resta longtemps encore le culte de limagina- tion; Jupiter n’eut plus de fideles, mais Apollon et les neuf sceurs continuérent 4 recevoir l’encens des poétes. X. — Période byzantine : Les derniers poétes yrecs. Avee Proclus s’éteint, nous l’avons vu, la civilisation greeque. Cependant, sans parler des premiers romanciers qui puisérent dans les fables milésiennes des aventures amoureuses pleines de seandale, meélées aux conceptions les plus bizarres qu'ait pu en- ( 188 ) fanter Vimagination orientale ct paienne, la poésie épique, ee genre caractéristique de art gree, jeta ses derniers reflets sur la période byzantine. A cette époque de transition oti la mythologie épuisée rassemblait toutes ses armes dans sa lutte supréme contre le christianisme , ot les meeurs publiques avilies par un despotisme brutal et corrompues par Ja ruine des croyances, offraient un si triste spectacle, ot les esprits étaient en proie aux superstitions les plus monstrucuses et les plus incroyables, quelques poétes cherehérent a faire revivre les souvenirs homériques pour amuser la vieillesse déerépite dun peuple retombé en enfance, et dis- traire par les échos surannés de la mythologie des populations déja chrétiennes , qui entendaient mugir au loin le torrent des bar- bares de Orient et du Nord prét 4 noyer dans le sang ce monde dégénéré. Nous rencontrons dabord Quintus p—E Suyrne, surnommeé Ca- laber, parce que son poéme fut découvert dans un monastére de Calabre par Je cardinal Bessarion. Ce continuateur tardif dHo- mére, qui reprend a la mort d'Hector les événements de la guerre de Troie, n’a d’autre mérite que celui d'une habile imitation qui rappelle assez bien son modeéle. Cest beaucoup pour un auteur du IV“ ou du V™ siécle; car on ne sait pas au juste la date de sa vie. On croit que ce dernier des homérides n’a guére fait quwabréger les poémes cycliques. Quoi quil en soit, cest un vrai poéte celui qui, dans des siécles si peu littéraires, a su conserver tant de sim- plicité et de naturel. Malgré Vintérét qui s‘attache aux Paralipoménes, complément indispensable d Homére, —méme aprés le second livre de VEnéide, —Ja période byzantine vit naitre un poéte plus inspiré que Quintus; et, chose surprenante, ce fut un grammairien. Le poéme de Héro et Léandre, qui passionna Byron, est trop supérieur i lépoque ot il apparut et trop étranger aux habitudes d’esprit de son auteur pour que nous hésitions un seul instant 4 proclamer Must un poéte de génie. J’en suis faché pour ma thése et enchanté pour I’écrivain : & exception de certaines allures sophistiques et maniérées, ce poéme est d'un style si correct et dun charme si pénétrant quon v cherche yainement Vinfluence délétére du Bas- ( 189 ) Empire. Ce nest pas une ceuvre de longue haleine, il est vrai (1) : ee ne serait quun épisode dans les épopées d'Homére; ajoutons qu il tient du roman plus encore que du poéme épique. Néanmoins, cest un petit chef-d’ceuvre digne de figurer dans le panthéon classique de la Gréce. Il est a peine besoin de faire mention de quelques versificateurs égyptiens qui, comme Quintus, mais sans avoir son talent, ont repris en sous-ceuvre et par fragments les poémes cycliques. L’en- levement d’Héléne, de Coluthus, et la Prise d’Ilion, de Triphio- dore, sont des épisodes sans originalite, et n’offrent dintérét qu aux amateurs d’érudition mythologique. Les Dionysiaques, de Nonnus, ont une plus grande valeur littéraire par Vhabileté de la versification et la beauté de certains fragments. Mais, comme ensemble, c’est un poéme dune érudi- tion fastidieuse, n’en déplaise a M. de Marcellus, qui traite avec tant de faveur le savant mythologue de Panopolis, dans lintro- duction, dailleurs si intéressante ct si pleine de sagacité, de sa traduction récente des Dionysiaques. Cest Nonnus qui, devenu chrétien, éerivit en vers cette paraphrase de I’Evangile de saint Jean, ott malheureusement l’auteur substitue l’élégance ct la re- cherche a Ja simplicité et 4 Vonetion évangéliques. I] me reste a signaler ici trois romanciers, Héliodore , Longus et Achille Tatius, dont les deux premiers surtout sont trop connus en France pour quil nous soit permis de les oublier dans cette rapide énumeération des derniers représentants de la poésie grecque. Le Roman, cette dégénérescence de l’épopée, qui a sa source dans Jes ayentures merveilleuses de 'Odyssée, dans les contes orientaux nationalisés en Gréce par les fables milésiennes, et dans Jes intrigues de Ja comédie nouvelle, n’a produit qu'un tissu d'in- vraisemblances et de fantasmagories qu il faut répudier au nom de Part gree, mais qui présentent de curicux tableaux de moecurs négligés par Vhistoire. La piraterie, le brigandage, la magie, les scandaleuses amours s'y étalent dans toute leur bizarreric et toute leur impudeur. (1) Il n'a que quatre cents vers. ( 190 ) Il est facheux que les Amours de Théagéne et de Chariclée , malgré l'emploi des machines en usage, ne soient d’aucun intérét historique. Tout est fantastique dans les fictions romanesques d’Hé- liodore et tout y est faux dans les meeurs, paree que tout y est sans réalité. L’accent du eceur humain s’y fait parfois sentir, mais sans la traduction du naif et gracieux Amyot et sans la lecture passionnée d'Heéliodore, par Racine enfant, sous les ombrages de Port-Royal, l’ceuvre de l’évéque de Tricea n’aurait pas le moindre erédit en France. Longus eut la double fortune de trouver pour interprétes lini- mitable traducteur de Plutarque et P.-L. Courier. Daphnis et Chloé, sous la plume d’Amyot, semble une création gauloise. Et cependant rien nest plus maniéré que Longus, cet héritier de Callimaque , qui ne songe qu’a choquer les mots contre les mots pour en faire jaillir de brillantes étincelles, et dont les tableaux indécents et les maximes sophistiques ne sont rachetées par aucune qualité solide. Achille Tatius, ce dernier des Alexandrins , dont le style se res- sent moins des défauts de Ja décadence que celui d’Héliodore et de Longus, a su intéresser dans ses Amours de Clitophon et de Leu- cippe, roman plein d’ayentures invraisemblables encore, mais dune gaieté franche et d'un esprit ingénieux. La période byzantine fait done retentir les derniers échos de la muse épique dans des cuvres d’érudition mythologique, comme au temps de la décadence alexandrine, et dans des poémes en prose revétus d'un caractére sentimental. Ici les écrivains se placent en dehors du courant de la civilisation , et, au lieu de faire école (4), se livrent isolément aux exercices de la versification et du style. Linfluence de l’époque sur la poésie est toute négative; et, d'un autre cote, les poétes ont si peu de pouvoir sur leurs contempo- rains que leur vie méme est ignorée, et qu’on a peine a s’expliquer comment leurs ceuvres sont parvenues jusqu’a nous. Un seul genre a produit de véritables chefs-d’ceuvre dans cette période si dépourvue @originalité littéraire : ’épigramume ; mais le (1) On a youlu yoir dans Nonnus un chef d'école; mais il est permis d’en douler, méme apres la lecture de M. de Marcellus, (101 -} suecés de ce genre annonce l’extinction du génie poétique. L’An- thologie abonde en piquantes épigrammes qui datent du VI"™siécle, et dont plusieurs sont dues 4 l’historien Agathias. Ainsi finit la littérature greeque. Non pas qu'elle ait disparu pour jamais de la scéne de Vhistoire : le moine Planude, auteur des Fables ésopiques, Vivait, nous Yavons dit, au XIV™ siécle. Mais le polythéisme est écrasé sous les décombres de l’empire romain, et fait place au catholicisme triomphant. La littérature greeque avait duré vingt siécles depuis Orphée. Mais en réalité, depuis le temps dEnnius, Rome était le foyer de la civilisation paienne; la race de Romulus avait dérobé A la Gréce le feu sacré de Vart. DEUXIEME SECTION. ROME. I. — Preliminaires. Rome, dont lorigine était commune avec les Grees, — car ils descendaient aussi des Pélasges, premiers habitants du Latium, — fut le second berceau du polythéisme. Malgré cette conformité de eroyance , esprit romain était bien différent de Vesprit grec. Le génie des arts avait été le principe de la civilisation dans la Gréce ; le génie des armes et des lois fut celui de Ja civilisation romaine. Apollon est le véritable pére des Grecs; Mars, celui des Latins. Rome a deux passions: la gloire et le droit. Elle a juré de ne re- mettre l’épée dans le fourreau que quand elle sera reine du monde. Aussi Ja voyons-nous dés lorigine en lutte avec les peuples voisins qu'elle veut asservir. A Vintéricur, c'est un autre spectacle : la lutte des vainqueurs contre les yaincus , du patriciat contre la plébe. Les patriciens veulent conserver leurs priviléges; les plébéiens veulent conquérir leurs droits politiques et civils. Les Romains n’ont quun but : ja domination. Le fond de leur caractére, cest la grandeur, (-492. ) Faustérité, le désintéressement, l'amour de la patrie, idole a laquelle tout sera sacrifié; enfin, un attachement profond aux tra- vaux de la campagne. Les Cincinnatus, les Curius, les Fabricius, les Décius, les Régulus, Ices Manlius, les Brutus, les Caton, les Cicéron, voila les types immortels des Romains. Chez un peuple qui sacrifiait tout A /Etat: la religion, la famille, Vindividu, on comprend que tout deyait se rapporter aux intéréts de la cité. Aussi Yoriginalité romaine ne parvint-elle & se manifester que dans les genres les plus prosaiques : histoire qui retracait les exploits des armées; |’ éloquence qui ouvrait la carri¢re des honneurs; la juris- prudence qui interprétait les lois; la satire qui faisait Ja eritique des meeurs ct le genre didactique qui enseignait des vérités dex- périence et des faits d observation mateérielle. La vraie poésie chez Jes Romains est une plante étrangére importée par la conquéte. Rome était trop positive pour sélever de ses propres ailes A la sphére de l'art. Elle se fit imitatrice. Avant lintroduction de la poésie greeque, cest-a-dire dans les cing premiers si¢cles de Rome, on ne trouve aucune littérature ; car on ne peut appeler de ce nom ces espéces de Jitanies informes que chantaient au printemps les fréres arvales; ni les chants srossiers dont les Saliens, prétres de Mars, accompagnaient la cérémonie des boucliers dans les rues de Rome; ni les courtes inscriptions lapidaires, comme celle du tombeau de Scipion Bar- batus; ni les chants fescennins inventés par des laboureurs et qui n’étaient que des bouffonneries satiriques dans un rhythme inhar- monieux; ni ces satires triomphales que les vainqueurs devaient _ subir en montant au Capitole pour expier leur triomphe; ni ces folies burlesques importées de Campanie et d’Etrurie, qui, sous le nom d’Alellanes, suffisaient au gott barbare des anciens Ro- mains. La langue romaine qui se distinguera plus tard par la force, la concision, l’austérité, la majesté, n’est encore ici qu'un idiome rude et. grossier, sans aucune flexibilité littéraire. (195 ) II. — Les premiers poétes romains jusqu'au siecle d’ Auguste. Aprés la conquéte de Tarente et de plusieurs villes de la grande Gréce, un esclave grec, affranchi grace a ses talents, Livius An- dronicus, fit connaitre aux Romains quelques-uns des chefs- dmuyre dramatiques de la Gréce quil se contenta de traduire en vers saturnins, metre irrégulier des fréres Arvales et des Saliens que Liyius régularisa en le composant diambes et de trochées. Apres avoir doté Rome d'un théatre, a Vaide daffranchis et d’es- claves, ce qui contribua a diseréditer le métier dhistrion, Livius traduisit en vers saturnins l’Odyssée, avec assez de bonheur pour qu il nous soit permis de regretter la perte de cet ouvrage. Néyius, qui vint apres lui, fut le premier poéte national de Rome. Il était Latin par Ja naissance, par la langue, par le carac- tere, par les sentiments, par le tour d’esprit. Dans ses ceuvres tragiques, il fut imitateur dEuripide et d’Eschyle. Mais, dans la comédie, les Romains l’égalaient 4 Plaute. Livius n’avait mis en seéne que la comédie grecque,, comedia palliata; Névius créa la comédie romaine, comedia logata, dont le cadre seul appartenait ala Gréce. Névius était plébéien de cour et d’ame; aussi fut-il implacable contre l’aristocratie. Les Métellus et les Scipion surtout étaient en butte a ses attaques. C’est dans les prologues de ses comédies qu'il décochait ses traits les plus percants. Son poéme en yers saturnins sur la premiere guerre punique, premier essai de la muse épique 4 Rome, est la glorification de Régulus, le héros de cette entreprise. Malgré la difficulté oi se trouvait le poéte didéaliser des faits aussi récents, il était eependant par- yenu a embellir son ceuvre par linvention des détails. Quelques- uns des ressorts employés par Virgile, tels que l’arrivée d’Enée a Carthage, remontent a ce vieux poéte. Homére avait servi de mo- déle 4 Névius. Ne nous faisons pas illusion cependant : ce premier essai d’épopée n’est pas une wuvre dart, mais c'est une @uvre nationale concue par une dime romaine et écrite en vrai latin, wuvre qui eut un long retentissement dans le coeur ct l'esprit des Tome VILL 15 (19% ) Romains et qui devait contribuer a perpétuer la race des Régulus. Ennius, grec de Calabre, entreprit une autre épopée desti- née A retracer les exploits du peuple romain depuis son origine jusqu’a la seconde guerre punique. Ce poéme eut le malheur de naitre 4 une époque ot la langue latine n’avait pas encore dé- pouillé son ancienne rudesse. Mais ce qui nuisit surtout 4 loeuvre d'Ennius, c’est l'austérité méme du caractére romain pour qui la fiction n’avait nul attrait. « La mythologie greeque favorisait la fiction, comme le dit un critique (1). Le polythéisme romain était une religion austére. Au culte de la forme extérieure avait succédé le culte d’une énergie male et active. Le Jupiter des Romains, roi terrible, avait remplacé le Zeus dHomére, roi tout-puissant et voluptueux 4 la fois, dont la foudre s’éteignait au sourire de Junon. » Cette différence explique Vinfériorité a laquelle auteur des Annales était condamné dans l'emploi des machines épiques. Ennius a de beaux vers cependant, et son poéme brille par la peinture des caractéres, la rapidité du récit, énergie des des- criptions de batailles et la vigueur du style. Virgile lui-méme lui a fait plus d'un emprunt : mais ce n’est pas 1a encore une uvre dart, ce nest qwun poéme historique. Ennius avait composé un autre récit épique ot il célébrait son illustre protecteur, Scipion VAfricain. Quoique Rudien de naissance , Ennius avait done lame dun Romain; et il a bien mérité de sa patrie dadoption dont il a chanté dignement les gloires. Ennius peut étre considéré comme le pére de la poésie latine. Imitateur d'Homére dans l’épopée, il se fit traducteur des Grees dans la tragédic, et ses vers ne sont pas toujours indignes de ses modeéles. La gravité dEnnius se plia plus difficilement 4 la eomédie, ou, malgré l’élogieuse allusion de Térence qui le compte parmi les de- vanciers dont il se glorifie de suivre les exemples, auteur des Annales fut aussi loin des graces de Térence que de la yerve comique de Plaute. (1) Philaréte Chasles, Zableau de la litterature, dans l Lncyclopedie de M. Courtin. ( 495 ) Enfin, Ennius passe pour avoir eréé la satire, poéme essentiel- Jement romain. Quintilien attribue a sa patrie !invention du genre: Satira tota nostra est. Il faut s’entendre. La satire, quant au fond, est de tous les temps. Depuis sa déchéance, Vhumaniteé est féconde en vices, en ridicules, en travers. Quand !homme, roi déchu, se sent blessé dans son amour-propre, s'il tient une plume, il la trempe dans le fiel et en fait une fléche qu'il dirige contre son ad- versaire. Voila Ja satire iambique d’Archiloque. L’ancienne comédic attique était un poéme satirique, et Horace lui-méme regarde Eupolis, Cratinus, Aristophane comme les modéles de Lucilius. Les Silles, en Gréce , n’étaient que des satires, et celles de Timon étaient en vers hexamétres. Mais il est vrai de dire que la satire est le genre ott se manifeste dans toute sa vivacité loriginalité romaine. Les premiers bégayements de la muse romaine furent satiriques, comme le prouvent les chants fescennins qui, mélés aux danses étrusques, s’exprimérent en vers de différente mesure, mélange auquel on donna le nom de Satura, origine du mot satire. Ennius, tout en conservant le métre saturnin combiné avec liambe, fit la satire des ridicules et des vices avec une grande énergie. Le para- sile, personnage que nous retrouvons dans la comédie, est un des types qu Ennius, habile observateur, sut peindre en ‘traits plai- sants. Lucilius, qu'Horace regarde comme le yéritable inventeur de Ja satire, n’eut d’autre mérite que dappliquer au genre d’Ennius Thexametre libre et familier, auquel il imprima une violence ct une fougue dignes d'un Romain de la vieille roche. Pacuvius, neveu d’Ennius, se distingua dans la tragédie par la gravité des penscées et une grande énergie d’expression; il imita les Grees, mais sans se borner au role de traducteur. Les fragments de Pacuvius prouvent que ce poéte avait assez de force de concep+ tion pour imprimer son cachet personnel aux drames de la Gréce. Artivs, qui composa un grand nombre de tragédies aujourd hui perdues, était également doué d'un génie vigourecux. Comme son rival Pacuvius, il avait pris Eschyle pour modéle. Cette prédilec- tion suflirait, en Vabsence de tout document authentique, a ex- ( 196 ) pliquer le caractere de ces deux poétes en qui se personnifie la tragédie romaine, entre la fin des guerres puniques et le com- miencement des guerres civiles, ott Vart tragique séteignit sous des flots de sang humain, quand Marius et Sylla, sourds a la voix de la patrie, jouérent dans les rues de Rome ce terrible drame qui deyait se dénouer par la perte de la liberté romaine. Nous savons qu Attius avait mis sur la scene des sujets romains, entre autres son Brutus. Mais le public, ignorant et grossier, au lieu d'encourager ces premiers essais d'un théatre national, aban- donnait Je spectacle pour aller au cirque et & lamphithéatre as- sister a des combats de hétes féroces, ou pour voir mourir gracieu- sement les gladiateurs. C’était la le veritable drame qui convenait a ce peuple sanguinaire. Il n’avait pas assez de délicatesse pour gouter les plaisirs purs de Vart; il avait ’ame trop endurcie pour étre sensible 4 l’éloquence des grandes douleurs. Veut-on une preuve de l'inaptitude artistique des Romains? Un jeur on annonce une /wtte de chanteurs. A peine le chant commencé, la foule s’écrie quwon I’a trompeée. Les chanteurs comprennent et se mettent bra- vement a Jutter corps a corps. Aussitét les applaudissements écla- tent : voila le peuple romain. A la premiére représentation del Hécyre de Térence, le peuple quitta le theatre pour aller voir des lutteurs et un danseur de corde. A la seconde représentation, l’annonce d’un combat de gla- diateurs court dans la salle, et la foule de nouveau déserte le theatre. Cependant, quoi qu’en dise Quintilien, qui prétend que les Romains ont moins réussi dans la comédie que dans tout autre genre (1), il suffit de connaitre les premiers essais dramatiques, les chants fescennins et les fables atellanes , pour étre persuadés que les plaisanteries bouffonnes étaient du gottt des anciens Ro- mains, et que Ja comédie entrait dans les habitudes du peuple. Si, au point de yue moral, nous n’avons pas A regretter la perte des Atellanes, il n’en est pas de méme au point, de vue de la civilisa- tion; car ¢’était dans ces piéces qu’éelataient la verve et Voriginalité romaines. (1) In comedia maxime Claudicamus. (Quint., Znst. orat.) ( oi Les piéces de Pravre et de Ténence nous font connaitre la co- médie nouvelle des Grecs dont il ne reste que de rares fragments. C’est sous ce rapport surtout qu’elles nous sont précieuses. Cepen- dant, malgré limitation des Grecs, Plaute a conservé quelque chose de la gaieté bouffonne des Atellanes ; il a tant de sel, de mor- dant, de force comique, il réussit si bicn 4 exciter le gros rire de la foule, il est dailleurs si Romain dans les détails ou il montre un grand esprit d’obseryation, et dans le style quil emprunte au lan- gage de la plebe, quil faut le regarder comme le poéte le plus popu- laire de Rome. On doit regretter seulement la licence de ses plai- santeries qui prouvent combien était déja profonde, a l’époque des guerres puniques, la corruption romaine, corruption qui avait sa source dans les richesses accumulées par la conquéte. Si Plaute est le poéte du peuple, Térence, ce demi-Ménandre, selon l’expression de César, est le poéte de laristocratie. Trente ans 4 peine séparent les deux poétes, et, comme un bois raboteux sur leque! a passé la doloire, la langue rude de Plaute est devenue, entre les mains de Térence, police, pure, élégante et gracieuse. D’ou vient ce phénomeéne? Les rapports qui s’¢taient établis entre Rome et Carthage, d'un cote, et la Gréce, de l'autre, avaient élevé le ni- veau de la civilisation romaine , tant sous le rapport matériel que sous Je rapport moral. Les meurs étaient devenues élégantes et polies. La scéne devait s’en ressentir. Scipion et Lélius, qui don- naient le ton du bon gout, de Purbanité romaine, passent pour avoir mis la main aux comédies de Térence, esclave carthaginois affranchi du sénateur Térentius Lucanus. Voila le secret de la dif- férence du style des deux poétes. Je dis le style, car, sous le rap- port de la verve comique, Plaute l'emporte sur son rival. D’ailleurs Térence , et la morale lui en sait gré, ne demandait pas le suecés a ces plaisanteries de bas étage et de mauvais lieu qui déparent les comédies de Plaute. La décence, le bon gout, les bienséances so-~ ciales et thédtrales sont généralement observées dans le langage et la conduite des piéces. Cependant il ne faut pas se laisser prendre i cet appat trompeur; la corruption de Térence, pour étre plus raflinée que celle de Plaute, n’en est pas moins dangereuse, Les ( 198 ) charmes de l’imagination et les graces du langage ne peuvent servir de passe-port 4 l’immoralité. C’est au nom de Ja morale universelle que nous faisons ces réserves. Toutefois, la comédie romaine ne se proposait pas pour but de corriger les meurs, elle se bornait 4 divertir le peuple. Le castigat ridendo mores n’a jamais été a Rome quwune théorie sans efficacité. Ce n’était la devise ni de Plaute ni de Térence. Mais si l'imitateur de Ménandre n’a pas con- verti le théatre en école de meeurs, il n’en a pas fait non plus une école de perversité. La civilisation romaine autorisait les éearts de morale que se permet Térence; mais rien de ce qui avait droit au respect des Romains n’est livré 4 la risée publique. C’est une jus- tice A rendre au poéte, et c'est une legon pour nos auteurs dra- matiques qui, au scin du christianisme, cherchent le suecés dans le scandale et n’ont le plus souvent pour but philosophique que la réhabilitation du vice. Nous avons tout A lheure insisté sur lurbanité de Térence. Il faut le dire cependant: malgré le naturel du dialogue, il y a sous ce vernis d’élégance comme une couche de glace qui laisse le cceur froid, et qui n’était pas de nature a intéresser la foule. Aussi jamais le poéte favori de laristocratie ne put-il atteindre a la popularité de Plaute. La comédie, étant essentiellement une peinture de meeurs, doit nous offrir, plus que tout autre genre de littérature, de curieux renseignements sur les mours privées de lantiquité. L’autorité absolue du chef de famille entoure de respect la paternité, bien que les péres, dans leur.aveugle confiance, soient souvent victimes des ruses perfides de leurs fils et de leurs esclaves. Parfois aussi ils méritent d’étre immol¢s au ridicule quand, oubliant leur dignité, ils se font les rivaux de leurs fils auprés des courtisanes. Mais il est un cdté par lequel la comédie ancienne fait honte a la comédie moderne : ¢’est le respect pour la femme, je veux dire pour la citoyenne, pour la matrone. Jamais la comédic romaine n’étale a nos yeux ces intrigues adultéres, ces honteux marchés dont la scéne moderne est continuellement souillée, Ce n’était pas le ma- riage qu’on respectait, c'était la citoyenne ; car la femme, & Rome comme en Gréce, était Pesclave de ! homme, Mais la dame romaine, .— ( 489 ) du fond de ses appartements, se voyant souvent consultée sur Jes intéréts de l'Etat, avait trop @orgueil pour descendre au role de courtisane. C’est ce respect pour la famille qui, a Rome plus encore que dans Ja Gréce, réduisait la comédie a ces intrigues vulgaires ou les mémes personnages sont toujours en scéne, sans permettre aux poétes de dévoiler, aux yeux des spectateurs, les secrets in- times du foyer domestique. De 1a aussi !immoralité de ces spec- tacles ou lamour perd sa pudeur en perdant sa dignité sociale, La grande source de corruption était lesclavage. Les hommes esclaves, pour gagner l’affection de leurs maitres, se faisaient les pourvoyeurs de leurs plaisirs. D'un autre coté, les malheureuses eréatures que la conquéte réduisait a Pesclavage, et qui, souvent, réunissaient l’esprit a la beauté, étaient lobjet d'un indigne trafic de Ja part des marehands deselaves. La conquéte, amenant & sa suite le luxe et Vesclavage, et éveillant ambition, ce ferment des guerres civiles , creusait de plus en plus le tombeau ot allait s’en- sevelir la vertu romaine. La satire, instrument de discorde, qui apparait surtout aux époques out les croyances sont déja ébranlées, la satire fut un autre dissolvant entre les mains de Lucitius. Ami de Scipion, ce poéte aristocratique flagella les ennemis de l’Africain, ct servit sans le vouloir les intéréts de la pléebe, car ses principales victimes étaient dans les rangs des patricions. La satire de Lucilius était done per- sonnelle, toute pleine de noms propres, ct immolait sans pitié les citoyens sur lesquels tombaient ses traits mordants. La guerre civile était dans la littérature, elle ne devait pas tarder 4 descendre dans la rue. Néanmoins, lindignation de Lucilius était vertueuse. Cest la vertu romaine a l’agonie se débattant contre le scepticisme, mais, comme une lampe quis éteint, jetant avant de mourir une éclatante lueur. Lucilius proteste contre le vice et le flétrit avee une impitoyable énergie. Il tente un supréme effort pour retremper le caractére romain aux sources antiques. I veut rappeler les citoyens 4 leurs devoirs, mais le torrent de la corruption devait emporter cette digue impuissante, Quand la société est gangrenée, la satire ne fait quenyenimer la plaice. Pour neutraliser Veffet du poison ( 200 ) qui s’est glissé dans ses veines, il n’y a pas d’autre antidote que la religion. Or, Lucilius la poursuit aussi de ses ameéres railleries. Il ne s'apercoit pas qu’en attaquant les dieux il enléve la pierre angulaire de l’édifice social. Etonnez-vous encore du langage de Cieéron, quand il dit que deux augures, a cette époque, ne pou- yaient plus se regarder sans rire! La philosophic grecque eut sa part dans cette décadence des meeurs publiques et privées. En vain Je Sénat, 4 Finstigation de Caton l’Ancien, avait laneé contre elle un édit de proscription, pour protéger l’austérité des meurs nationales. Rentrée dans Rome, lors de l’ambassade des trois philosophes, elle pénétra de plus en plus dans les familles, avee les précepteurs auxquels les patriciens confiaient l'éducation de leurs enfants. L’engouement pour la belle langue des Hellénes était tel que Caton lui-méme, Caton octogénaire rougissait dignorer le gree et se voyait forcé de l'apprendre, pour ne pas rester en arriére du siécle dans la culture de l’esprit. On le comprend, Caton, et ce qui restait avec lui d’ames fortes, devait embrasser le stoicisme, cette déification de la volonté personnelle. Ceux qui ne pensaient qu’a jouir de la vie étaient partisans d’Epicure. Stoicisme et épicuréisme, pour le sens pratique des Romains, il n’y avait en Gréce que ces deux philosophies. Lucrice, poéte vraiment national, ame de feu, chanta la doc- trine épicurienne (de natura rerum), et sut, merveille de limagina- tion, rester poéte en tuant le sentiment religieux, source premiére de toute inspiration poétique. Les désolantes doctrines du maté- rialisme n’ont pas éteint en lui la flamme de lenthousiasme. On s'est demandé ayee raison comment Lucréce avait pu méler tant de poésie & exposition philosophique des théories d’Epicure; et sil fallait juger par lui de influence de la philosophie sur le génie poétique, on serait tenté de croire que le raisonnement est fayo- rable 4 Vinspiration. C’est la cependant une profonde erreur dans laquelle est tombé M. Villemain lui-méme. L’homme ne raisonne qu’a la condition d’étouffer en lui son imagination et son cceur. Notez qu il ne s’agit pas ici de lanalyse des sentiments, mais de ( 201 ) Vanalyse des idées. Il ne suflit pas de savoir revétir sa pensée de formes élégantes pour mériter le nom de poéte. Le sentiment et limage, voila la poésie. Si Vidée concue par Vesprit reste dans Yesprit, elle est philosophique ; elle devient poétique, quand elle a traversé le eceur en frappant Vimagination. Vous comprenez maintenant combien le scepticisme est anti-poétique, quand il dé- truit toute croyance et laisse lesprit indifférent devant le mystére de la destinée humaine. Cependant il y a une espéce de scepticisme qui, loin daffaiblir les facultés poétiques, les enflamme, les irrite, et fait subir a lame un vrai supplice de Tantale: c’est te doute qui a horreur de lui-méme et quis’efforce d’échapper a létreinte du désespoir, c'est le dégout de la société, cest le réve en révolte contre la réalité. Quand le scepticisme a pris ce caractére dans une ame de poéte, c'est la lutte de Satan contre Dieu, mais de Satan irrité de ’énigme de sa destinée et prenant Dieu pour l’incarnation du mal. Il s’est trouvé jusqu’é ce jour deux poétes de cette nature dans les annales de Vhumanité, Pun & la fin du paganisme, lautre au sortir de la révolution francaise : Lueréce et Byron. Nous n’avons i parler ici que du premier; le second aura sa place dans histoire des litté- ratures modernes. A une époque ow les dieux du paganisme n’étaient plus que les vains jouets de limagination et avaient offert exemple de tous les erimes, une raison calme, comme celle de Cicéron, pouvait encore se rattacher 4 la théorie platonicienne et croire 4 la Provi- denec; mais pour une ame de la trempe de Lueréce, dévorée par le scepticisme, il ne restait qu'un refuge : Pathéisme. Aprés cela qu’on nie encore la nécessité dune révélation! Lueréce répudia done la divinité qu'il faisait complice des maux innombrables de VThumanité, dont le contre-coup sur son ame ardente éelate en vers d'une si effrayante énergie. Mais ne vous imaginez pas que ce poéte soit sans croyance. Il est une divinité pour laquelle cet apotre de Yathéisme professe un culte profond, et cette divinité, eest la ature. Quand il en décrit les phéno- ménes, lorganisation, les cataclysmes, il n’a d’égal ni parmi ses devanciers, ni parmi ses successeurs pour la yvigueur et Véelat. ( 202 ) Virgile a plus de gout et une langue plus parfaite, mais il a moins dinvention, moins dimagination, moins de génie. En un mot, Virgile est plus artiste, il est moins inspire. Personne ne conteste a Lucréce sa force d’imagination. Mais qu’a donc inventé le sectateur d'Epicure? Sa philosophie est peu de chose et ne lui appartient pas en propre; c’est dans ses tableaux sur lorigine des sociétés, sur l'amour, sur les miséres de ?Phuma- nité, sur les transformations de la matiére, que se déploie Vorigi- nalité du poéte. Nous disions tantét que Lucréce était essentiellement national ; non pas quil ait chanté la patric, ce n’était pas 14 son but. Mais il est Romain par la langue rude, forte et fiére qu’il a faite pour les besoins de sa pensée; par son imagination imprégnée des couleurs de la nature ct du ciel d'Ttalie; par le genre didactique dont il est le créateur; et l'on sait que ce genre forme, avec la satire, le caractére original de la poésie romaine, poésie de décadence parfaitement en harmonie ayec les tendances positives de la race latine. Enfin, le partisan du matérialisme épicurien, en préchant, 4 exemple de son maitre, la modération des désirs, proscrit le luxe et la mol- lesse, comme un autre Caton. A ces différents traits on reconnait Vame et l'imagination d'un Romain. C’est en vain que Lucreee se nie lui-méme en niant l’ame humaine, il s’est immortalisé en pré- conisant la doctrine du néant; et si son génie avait recu la lumiére du christianisme, il est permis de croire que le disciple d' Epicure se serait incliné devant celui qui répandit son sang pour soustraire le monde & empire du mal. Ill. — Le siécle d’Auguste. L’épicuréisme, joint aux autres causes que nous avons préeé- demment signalées, avait efféminé les meeurs de Rome. On vou- lait jouir de la vie; on désirait la paix. La liberté, déja frappée a mort dans les champs de Pharsale, venait d’expirer avee lame de Brutus, 4 Ja bataille de Philippes oti Horace avait jeté son bouelier. Lasse enfin des guerres civiles, Rome se précipite dans les bras dAugusie qui concentre habilement en lui tous les pouvoirs. Une ( 205 ) nouvelle période commence, et lage d'or se léve pour la littéra- ture romaine. La poésie, qui ne peut fleurir qu’au sein de la paix, atteignit son apogée, sous Ja domination du premier des empe- reurs. Virgile, Horace, Ovide, Tibulle et Properce, voila la pléiade immortelle qui fit la gloire du régne d’Auguste, et dont ]’éclat dis- sipa autour de son tréne la fumée du sang répandu sous le trium- virat. Le lyrisme, l’épopée, l’élégic, la satire, la poésie pastorale, le poéme didactique et la tragédie, tels.sont les genres cultivés a cette époque glorieuse. Parcourons-les, et montrons ce qu‘ils furent sous l’influence de ce nouyeau milieu social. Vircixe, le plus grand poéte du siécle d’ Auguste, commenca par se faire imitateur de Théoerite, dans la pastorale, Mais ce siécle brillant n’était pas propre a ce genre de poésie ; aussi Virgile, mal- gréson génie, resta-t-il loin de son modele. C’est que la poésie pasto- rule, comme nous l'avons observé en appréciant Théocrite , est un genre simple et naif, nullement en harmonie avee une civilisation raffinée. Il faut tenir compte au poéte de ces obstacles, étrangers a Ja nature de son talent. Virgile devait absolument renoncer a intro- duire dans la poésie romaine les naivetés de la muse sicilienne. II fallait habiller d'un costume décent ces patres grossiers, rustiques enfants de la nature. De la ce langage poli, élégant, allégorique pour exprimer des sentiments vrais, mais jurant avec la condition des personnages ct la scéne de leurs simples et joyeux ébats. Les bergers de Virgile sont des bergers d’emprunt, des patres de fan- taisie derriére lesquels on entrevoit le poéte et méme le courtisan. Il cherchait 4 rendre dignes d'un consul les foréts et les bois. « Si canimus sylvas , silvae sint consule dignae, » Hormis ce défaut essentiel, la poésie des Eglogues est vivante , le style en est orné, abondant ct facile. On y reconnait déji ce pinceau magique qui plus tard allait faire de chaque vers un ta- bleau, Apres ayoir chanté les bergers, le poéte de Mantoue entreprit, ( 204.) a la sollicitation de Mécéne, les Géorgiques, ceuvre nationale, s'il en fut jamais. En effet, les Romains, dés leur origine, avaient tou- jours, grace & la fertilité du sol italien, montré une grande prédi- lection pour les travaux de Ja eampagne. L’agriculture et la guerre, voila les deux sources originelles du caractére romain. Cincinnatus cultivait son champ, lorsqu’on vint lui offrir la dictature; et aprés avoir assuré le salut de Rome, il déposa le pouvoir souverain pour retourner & sa eharrue. Voila le Romain. Combien le poéte des Bucoliques et des Géorgiques était loin de ce temps, unique dans histoire des peuples! Cependant il entrait dans les desseins d’Au- euste de raviver dans lesprit des Romains l'amour des champs. I fallait calmer lagitation fébrile causée par les guerres intestines qui avaient troublé lItalie. Il importait de faire prendre aux sol- dats des habitudes de paix, en ennoblissant & leurs yeux les tra- vaux de lagrieulture. Personne mieux que Virgile n’était fait pour célébrer la campagne. Navait-il pas, dés son berceau, respiré les douces émanations des champs? N’est-ce pas lui qui, au milieu de la cour d’Auguste, s‘éerie : O ubi campi! eri sublime ot Yame du poéte se révéle tout entiére, et qui contient tout un monde de sen- timents comprimés. Aussi les Géorgiques, poéme didactique ou la science de Caton est unie 4 linspiration d’'Hésiode et 4 l'art de Sophoele, sont-elles le chef-d’ceuvre de la littérature latine. Ce n’était pas assez d’avoir chanté les plaisirs et les travaux des champs, il fallait eneore, pour la gloire du régne d’Auguste , doter Rome d'un de ces monuments qui immortalisent 4 jamais les na- tions; il fallait une Epopée. Mais l'époque de Virgile était-elle fayo- rable 4 une telle entreprise? L’épopée primitive qui apparait dans la jeunesse des peuples, quand les croyances sont encore dans toute leur fraicheur et qu'un grand travail d’organisation a suscité des hérosimmortalisés par la reconnaissance publique, cette épopée était-elle possible & lépoque de la plus haute civilisation de Rome? La question ainsi posée est résolue. Mais je vais plus loin, et je dis que l’épopée primitive 4 Rome était impossible 4 aucune époque de son histoire. En effet, un peuple qui, 4 son berceau, n’a que des chants informes comme ceux des fréres arvales consacrés a la campagne. et ceux des Saliens ott Yon entend da peine quel- ( 205.) ques cris confus entre les choes des boucliers; un peuple qui ne tient en main que la charrue ou l’épée, qui sans se reposer jamais ne songe qua s’étendre au dehors, & conseryer ou conquérir ses droits au dedans; un peuple qui n/a pour littérature originale que le laconisme impératif des Douze Tables dont une des lois, des les chants fescennins, comprima Vessor de la liberté satirique; un peuple qui, aprés cing siécles de stérilité littéraire, renonce a son originalité pour marcher a tatons sur les traces des Grees, et dont la langue, au temps d’Ennius, était encore dans l’enfance; un peuple, enfin, dont la religion, soumise a PEtat, subit toutes les vicissitudes de la politique, et ou le prétre, signe fatal! est bientot en butte aux traits de la satire, un tel peuple peut étre grand dans Ja guerre, dans la politique et dans les lois; il peut méme voir surgir dans son sein des poétes accomplis, grace a Vhabile imitation des Grees et & amour de la patric; mais, 4 coup sur, il n’a pas le génie de l’épopée. Ah! si l'Etrurie avait pu triompher dans Rome, Italie eit trouvé du moins, dés le temps des rois, une langue toute faite et une religion respectée. Mais la race des Tarquins entraina dans sa chute l’Etrurie et sa religion. C’en est fait, le mer- yeilleux a perdu son empire, et Rome n’aura pas sa bible nationale. Quand Névyius entreprit son poéme sur la premicre guerre punique, la critique, analyse, la discussion avaient déja discré- dité les anciennes croyances. Le régne de Vhistoire avait com- mencé. Les événements racontés par le poéte étaient trop récents : la fiction deyait étre détronée par la réalité. Aussi Névius ne fit-il, a tout prendre, quune histoire en vers. Il faut en dire autant dEnnius qui chanta ou plutot raconta en yers les Annales de Rome depuis ses origines jusqu’au temps du poéte. Quelle foi Ennius pouvait-il ayoir dans le merveilleux plastique de l’épopée, lui, le tvaducteur d’Evhémére, ce philosophe sceptique qui faisait passer les dieux pour des personnages historiques déifiés? C’est en vain que les deux poétes cherchaient, en remontant aux origines de Rome, 4 unir la fietion A histoire; etait associcr des éléments disparates, et se condamner ainsi 4 manquer 4 Ja premiére loi de Vart littéraire : lunité de conception. Les grandes actions des Romains étaient assez héroiques pour inspirer Pépopée, mais les ( 206 ) anciennes croyances ayaient fait place 4 la mythologie greeque, et la seule divinité des guerriers romains était la patrie. Le mer- veilleux n’était plus que chose conventionnelle, et les grands évé- nements appartenaient au domaine de Thistoire. Les poétes qui youlaient chanter les exploits récents, ne pouvaient done pas donner carriére 4 leur imagination; et ailleurs, les républiques, éleyant et renversant tour 4 tour leurs-grands hommes, n’ont pas, sinon dans le lointain des ages, de ces gloires incontestées qui sidentifient avee les intéréts de la nation. Une rivalité de gloire s’établit entre les chefs qui recherchent pour cux-mémes un encens qui ne devrait briler que sur l’autel de la patrie; et le poéte pro- tégé par Vidole du jour est tenu & lui consacrer des chants qui n’ont plus dés Jors un intérét général. Virgile apparut & une époque plus favorable, car il y avait dans Rome un héros personnifiant la nation. Le réle de fondateur d’empire que jouait Auguste pouvait inspirer le poéte; mais pour Auguste, lempire c’était la paix. L’heureux monarque voulait jeter un voile sur les tristes événements qui lui avaient aplani la yoie du tréne. Le poéte devait done renoncer aux faits contem- porains. I] ne pouvait pas non plus chanter les victoires et les triomphes des temps glorieux de la république; il se serait exposé i réveiller dans les Ames l'amour de la liberté. Que devait done faire Virgile pour célébrer en méme temps Rome ct Auguste, la patrie et 'empereur. Assistons 4 la conception du poéte , ct obser- vons d’abord que deux hommes posent devant lui : Homere et Auguste. L’art romain étant Vart gree, la conception du poéte ne pouvait étre originale. Comment, dans une épopée nationale, se rattachant 4 la personne d’Auguste, admettre le merveilleux et le tissu de la fable homérique? Tel est le probléme a résoudre. Or, il y avait dans les origines de Rome une tradition qui considérait Enée, fugitif de Troie, comme le pére du Latium, comme le fon- dateur de la puissance romaine. La famille Julia prétendait tirer naissance d'lule, fils d’Enée. L’ancétre de Rome et d’Auguste est en méme temps un des héros de l’Jliade. Voila le sujet trouvé. Le poéte va faire voyager Enée sur les mers : ce sera une autre Odyssée. Puis il lui suscitera un rival dans Turnus, personnifica- ( 207. ) tion de l’Etrurie soumise aux Romains; et une série de combats terminés par le triomphe d’Enée vont sc livrer dans le Latium: ce sera une autre /liade. Le merveilleux placé dans le lointain qui le dérobe 4 Vhistoire sera mis en ceuvre, non comme une croyance intime du poéte, mais comme une convention littéraire favorisant Yessor de Vimagination poétique. La muse de Virgile, en nous initiant aux mystéres de la religion, nous montrera dans les en- fers les ombres des héros destinés & faire la gloire de Rome. Cette muse : « Bientdt yous Ja verrez, prodiguant les miracles, Du destin des Latins prononcer les oracles, De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrents, Et déja les Césars dans l’Elysée errants. » Par une heureuse fiction , !’épisode de Didon mettra dans le coeur de deux races une haine traditionnelle qui sera tout 4 la fois Je prétexte et Ja justification des guerres puniques. La splendeur de la ville éternelle éclatera enfin dans le saisissant contraste que les pottes aimaient A établir entre la Rome d’Evandre et la Rome’ d Auguste. Jamais conception ne fut plus savante, et Virgile, con- damné & limitation, ne pouvait mieux faire. Mais, on le com- prend, une telle épopée ne jaillit pas de source, cest une épopée savante, c'est une ceuvre dart, ce nest pas le résumé vivant des traditions dun peuple. Les époques de civilisation raflinée sont trop loin de la nature pour comprendre toute la naiveté des murs primitives. Le poéte Je mieux doué ne peut soustraire son imagination a l'atmospheére qui Ventoure. Tl sait @ailleurs que, pour plaire a ses contempo- rains, pour donner de la vie et de la vraisemblance a ses tableaux, il est contraint de reporter 4 ses héros les mocurs de ses contem- porains. Partout !épopée commet de ces anachronismes dont per- sonne na le droit de sétonner, sinon ceux qui confondent la poésie avec Vhistoire. C’est ainsi que Virgile convertit les compa- gnons d’Enée en vrais courtisans da palais d’Auguste; quiil fait combattre & cheval, au son de la trompette, les héros troyens, et montre les dieux 4 travers un nuage, comme il les voit dans son ( 208 ) imagination, au licu de les faire deseendre dans l'arene guerriere , pour les constituer arbitres suprémes des événements. Hormis ces nuances qui appartiennent a lépoque de Virgile, Vauteur de lEnéide n’a rien inventé; tout lui vient des Grees. Homerc, Euripide, Apollonius, Stésichore, Pisandre, Aratinus ct Leschés, yoila ses sources. Névius et Ennius lui ont aussi fourni leur contingent, lun pour le fond, lautre pour la forme. Il a tel- lement suivi pas & pas les modéles que lui présentait la Greece, qu il a négligé, chose regrettable, ces peintures caractéristiques de la vie champétre qu’on s’étonne de ne pas rencontrer parfois sous Vhabile pinceau du poéte des Eglogues et des Géorgiques. Sous le rapport de lVinvention, Virgile est done bien inférieur a Homeére; sera-t-il son émule dans l’exécution? C’est ce qui nous reste & examiner. Iei nous devyons tenir compte a la fois de Vin- fluence du milieu social et du génie particulier du poéte. Dans Ja description des batailles, Virgile est bien pale 4 edté d’Homeére. Le chantre de I'Tliade a fait la guerre, dit Napoléon; mais Virgile n’est quun régent de collége qui n’a jamais vu le feu. D’ott vient cette ‘infériorité? Du earactére du siécle d Auguste et du caractére du poéte lui-méme. Auguste, nous lavons dit, youlait fonder son empire dans la paix; c était un héros pacifique, ec n’était pas un guerrier. Il était méme dans sa destinée d'étre privé du génie de la guerre; car sil eut possédé Vhéroisme de César, Rome peut- étre ett encore enfanté des Brutus. Virgile, de son coté, était doux et sensible; avee une telle nature et dans de telles cireon- stances, auteur del Enéide ne pouvait trouver, pour chanter les batailles, ces accents énergiques et sublimes qguHomere trouvait en lui parce quil sentait dans son ame palpiter lame collective de la Gréce des temps héroiques. Ennius, Névius méme sont mieux inspirés que Virgile dans la description des batailles. Les mémes causes ont fait manquer a Virgile les caracteres de ses héros. Homere n’a pas inyenté son Achille; toute la Gréce re- disait ses exploits. Virgile a du créer son Enée, et sur quel mo- déle? Sur Auguste, voila le malheur. Son héros est un symbole, une abstraction; souvent il semble n’avoir pas dentrailles. Voyez- le quand il perd Créuse; voyez-le quand il quitte la malheureuse ( 209 ) Didon. Ainsi le youlait sa destinée, nous ne le contestons pas; nous disons seulement que Virgile, loin de faire de son héros un guerrier, n’en a pas méme fait un homme, excepté dans sa pusil- Janimité au milieu des périls, ou il ne sait quinvoquer Vénus sa meére, et dans son profond amour pour son pére et ses pénates : conformément & la tradition, et & esprit d’Auguste Jui-méme qui affectait un grand respect pour les institutions de Rome. Enée est partout le pius Eneas, cest-a-dire qu'il est linstrument docile des décrets du destin qui l’appellent a fonder la puissance romaine. Cest 14 la source de son insensibilité, de sa froideur, j allais dire de son immoralité; oui, de son immoralité: il doit quitter Créuse pour épouser Lavinie; il doit se faire aimer de Didon et labandonner apres l’avoir trompée, car les dieux lui défendent de rester a Car- thage; il doit enlever Lavinie a son fiancé, apres avoir envahi le territoire de Latinus; c'est a ce prix qu’il sera maitre du Latium. 1] triomphe, tout est dit. Tel est le droit romain. Op voit dans quel sens il faut entendre la piété dEnée. Virgile était réduit a des données confuses sur son héros dont Homére n’avait fait qu’es- quisser le caractére. C’était, nous le répétons, un personnage a créer, etle poéte était trop mal servi par les circonstances pour faire dEnée un type héroique. — Nous verrons pourtant dans cette méme terre d Italie, mais sous l'empire de circonstances plus fa- vorables, un poéte chrétien accomplir ce prodige de création, et Yon jugera si la piété véritable nuit 4 lhéroisme guerrier. C'est alors qu’apparaitra, par le contraste, toute Ja faiblesse du héros de lEnéide. — Virgile, en mettant Enée au niveau d’Auguste, devait, chose peu surprenante quand on y regarde de prés, anni- hiler complétement les compagnons d'Enée. Ces pales ombres ne sont pas des hommes; otez-leur l’épithéte conventionnelle, il ne reste plus rien, C’est que Ja personnalité d’Auguste doit tout effa- cer: il serait peu séant qu'il fut éclipsé par son entourage. Que Virgile est loin dHomére dont le moindre héros est encore un géant! Mais, me direz-vous, le chantre del’ Endide, a done manqué tous ses caracteres? Non, il a fait trois héros : Turnus, Pallas, Mézence. Enée v’a rien d'Heetor; Turnus, son rival, est taillé sur le bloc d Achille. Si Virgile s'est complu a faire de Turnus un Tome VIII. 14 ( 210 ) guerrier redoutable, c’est pour rehausser la victoire d’Enée, et par suite le triomphe de sa race. C’est bien; mais, avec tout le respect qu'on doit a Virgile, il faut avouer que le suceés d’Enée n’est pas vraisemblable, et ne s’explique que par la volonté des dieux. En verité, sans les dieux , Enée serait un héros pitoyable; non-seule- ment il n’est pas 4 Ja hauteur de sa destinée, mais il palirait méme 4 l'arriére-plan de l’épopée homérique. C’est dans les rdles de femme que Virgile a excellé. Ses héroines, a lexception de Lavinie, digne compagne d'un insensible époux, ses héroines rivalisent avec les plus belles eréations d'Homere. Sans doute, !Andromaque de Virgile n’est pas celle de lIliade ; mais, on I'a remarqué avee raison, elle est peut-étre supérieure 4 PAn- dromaque dEuripide. Il n’y a pas non plus, dans l'Enéide, de Nausicaa ni de Pénélope; mais Junon, le type divin de la femme impéricuse; mais Didon, la passion incarnée, imitation d Euripide, supérieure A l’original ; mais Camille, ce type de guerriére, légére, audacieuse et naive, dont la création appartient Virgile, voila des figures telles qu’on n’en retrouve plus aprés le poéte romain, si ce n’est dans la Jérusalem. Ou donc Virgile a-t-il trouvé le secret de cette supériorité? dans son ceeur. Ce n’est pas qu’on ne reconnaisse encore ici l’influence de la civilisation romaine. Cette influence, le poéte la subit malgré lui et sans le savoir peut-étre. Les sentiments généraux de lhu- manité sont les mémes. partout et dans tous les siécles, pourvu qu’on laisse la nature suivre librement son cours. Mais l’organisa- tion sociale influe sur le caractére particulier des individus. C’est ainsi que Junon et la reine Amata représentent Ja matrone im- périeuse, orgueilleuse, violente et revéche. Camille est une Ro- maine aussi, mais de la race des Virginie, des Lucréce, des Cornélie, pour la généreuse audace; avec quelque chose du beau sang de Nausicaa, pour la naiveté et la grace. Quant 4 Didon, le type en était dans Ja Médée; mais le soleil d'Italie et le volcan de } Etna sont dans ses veines. Les meeurs élégantes et polies de la cour d’Auguste se reconnaissent aussi dans les raffinements de cette passion. Si son époque lui défendait cette spontanéité, cette naiveté (C207) prime-sautiére qui caractérise les peuples dans l’enfance, Virgile sut néanmoins trouver le naturel et l’éloquence dans l'analyse pro- fonde, dans les nuances graduées des sentiments intimes. Sous ce rapport, le poéte Jatin semble appartenir aux temps modernes, Cest assez dire que la délicatesse et la sensibilité de son ame for- ment le trait caractéristique de son génie. C’est la la grande source de Vintérét quil sait répandre dans tous ses récits, dans tous ses tableaux. Enfin, ce qu’on doit louer en lui sans réserve, c’est lin- comparable beauté de son style, c’est cet éclat tempéré, c'est ce gout parfait ou la raison n’a jamais a relever les écarts de l!imagi- nation. Virgile, imitateur dHomeére, inférieur 4 son modéle en invention, lui est supérieur par la beauté du style et la perfection des épisodes. Le Romain n’est pas né artiste, et voila un Romain qui égale, qui surpasse méme, a force d’art, les plus grands poétes de la Gréce. Honneur a toi, Virgile! Ta race a joué les plus san- glantes tragédies sur le théatre de lhistoire; elle a promené par tout lunivers le ravage et la dévastation. Qu’est-il resté de tant de victoires? quelques ruines conservées par le temps pour attester la vanité des peuples. Mais ton art sublime, poéte harmonieux, lui a élevé un monument aussi impérissable que l’esprit humain. Le siécle d’Auguste vit surgir, 4 cété de Virgile, un autre poéte qui devint son émule par la flexibilité du génie. Il faut connaitre la civilisation romaine a cette époque pour comprendre Horacr dans l’Ode et la Satire. Les luttes patriotiques avaient cessé par la chute de Ja répu- blique. Auguste, investi de tous les pouvoirs, détourna I’activité des citoyens de l'intérét de la patrie sur leurs intéréts propres. C’est 4 ce moment que devait naitre la poésie lyrique ou se refléte la personnalité du poéte. Horace , ayant perdu ses biens pendant les guerres civiles, courtisa les muses par nécessité. Devenu I’ami de Mécéne, il rechercha les faveurs de la cour, faisant bon marché de ses sentiments républicains, mais faisant assez décemment sa volte-face. Dans les doux loisirs de Tibur, le poéte épicurien n’ou- blia pas ce qu'il devait & Auguste et d son ami Mécéne. Il leur consacra plusieurs de ses odes héroiques les plus remarquables. ( 242 ) Cependant, sa lyre harmonieuse sut, dans les moments d’enthou- siasme, sémouyoir au souvenir des yertus des Régulus et des Caton, et célébra gloricusement les héros morts pour la patrie. Mais sa philosophie ¢picurienne lui ferma la grande source de l'inspiration poétique : le sentiment religieux. Le poéte philosophe préche Ja moderation : Sil modus in rebus, morale toute négatiye qui consiste seulement a éviter tout excés pour jouir mieux et plus longtemps de la vie, Quand il lui arrive de déplorer Vimpiété et la dépravation de son siécle, nous trouvons la de grandes images; mais nous plaignons le poéte qui voit labime, et qui, loin de chercher a le combler, le creuse plus profondément par son ironie sceptique. Horace se proclame limitateur des Grees, mais jamais imitation ne fut plus originale. Le poéte romain frappe de son empreinte tout ce quil touche. C’est surtout dans les sujets pure- ment romains qu’éclate son originalité. Rien n’y sent l’effort, tout y respire ce naturel, cette facilité soignée qui décéle l'art le plus profond. Il y a dans le talent dHorace plus de réflexion encore que de spontancité. Le gout le plus exquis s allie en lui au génie le plus facile, le plus riche, le plus varié. Quant a J'inspiration, elle est vraie, elle est nationale, mais elle n’a pas le vol sublime dOrphée ni de Pindare. Horace vivait dans un siécle trop scep- tique, il était trop épicurien lui-méme pour monter sur les ailes de lenthousiasme jusqu’aux régions mystérieuses de lidéal religieux. Il se reconnait inférieur 4 Pindare, qu'il compare a un cygne s’éle- vant d'un vol audacieux dans les airs, et lui a une abeille butinant son miel sur les humbles fleurs de la rive. On peut dire pourtant qwil égale Pindare dans cette méme ode ou il se met au-dessous de lui. Nul poéte .n’a plus de cordes A salyre, il a parcouru toute la gamme des sentiments humains. Le lyrisme n’est qu'une des faces du talent si flexible d Horace. La satire en est une seconde, ct c’est la plus curieuse a étudier, au point de vue de la civilisation. Horace le satirique est en effet le siécle d’ Auguste incarné, Il aspire au bien-étre comme ses conci- toyens délivrés du cauchemar des guerres ciyiles. La religion au- trefois respectée n’est plus qu'un hochet, wn instrument de régne. Les esprits supérieurs ont depuis longtemps secoué ce joug. Le ( 243 ) peuple de son cété est livré 4 de viles superstitions qui le dégra- dent. La patrie , idole vénérée que la Rome de Caton portait dans son ceeur comme une divinité, la patrie n’est plus qu'un mot vide, sans écho dans ces ames dégénérées. Rome est morte, et la monar- chie d’Auguste s’éléve sur ce cadavre quelle enveloppe du man- teau dor de la poésie pour faire taire tous les regrets. Les ames fortes qui restaient encore vivaient dans le passé, et cherchaient dans le stoicisme un reméde aux maux présents. Les autres se dédlaraient sectateurs d’Epicure et ne songeaient qu’a savourer les joies de la vie. Les richesses avaient corrompu jusqu’a la moelle aristocratic romaine. On respectait cependant les bienséances; on se piquait d’urbanité, de littérature, de philosophie. C’était un raffinement délégance qui couvrait les plus vils penchants. Pour peu qu’on soulevat le masque, le vice apparaissait sous ses traits les plus hideux. Le peuple, livré a ses instincts grossiers, ne songeait plus 4 la république, et vivait dans lignorance et l'abrutissement. La satire, 4 pareille époque, ne pouvait plus avoir les accents indignés de Lucilius. Elle devait étre la peinture générale des ridi- cules et des vices. Et comme le caractére personnel d’Horace était en harmonie avec son siécle, il ne fallait pas attendre de lui de bien sévéres lecons. I aurait perdu son temps a reprendre la verge de Lucilius, car le vice avait pénétré toutes les couches de la société. Il n’y avait plus qu'une philosophie possible, celle de la modération, conforme ailleurs 4 esprit d Horace autant qu’d celui de Ja monarchie. Se sentant impuissant 4 arréter le mal, le poéte se contente de railler finement Jes travers.-Ce n’est done plus Yirritation, la violence souvent grossiére de Lucilius, c'est une verve brillante et légére, mais toujours polie qui sépanche en vers pleins de sel et de spirituelle malice, un esprit fin et moqueur qui se plait 4 immoler 4 sa gaieté vengeresse les ridicules du siécle. Ce sont des scénes grotesques oti le peuple-roi, dépouillant sa majesté historique, se montre 4 nous dans le va-et-vient de la foule, dans le péle-méle de ridicules et de vices qui se coudoient, au milieu de la place publique, sous les regards de Vobservateur. Le poéte ne cherche ni a instraire, ni 4 corriger, il ne veut qu’a- muser, {1 a trop de bon sens pour ne pas comprendre qu'il serait ( 244 ) ridicule i lui de déclamer effrontément contre des vices dont il est atteint lui-méme. Les satires d’Horace sont done le tableau fidéle des meeurs de son époque, et c’est a ce titre qu’elles sont précieuses pour l'histoire du temps. On I’a dit avec raison, elles tiennent lieu de la comeédie absente. Il nous reste a parler des épitres, genre quHorace a créé a Rome. Elles ne different pas des satires par le ton, qui est toujours celui d'une causerie élégante et aimable, mais par le fond des sujets. L’objectivité des satires est reléguée a larriére-plan dans les épitres ot la personnalité du poéte se manifeste dans les con- scils et les legons qu'il donne 4 ses contemporains, sur la morale et la littérature. La morale d’Horace, nous la connaissons. II s’est défini lui-méme, en s’appelant un pourceau du troupeau d’Epi- cure, bien qu'il ait toujours mis beaucoup de décence dans sa con- duite, et qu'un fond de générosité naturelle et d’indépendance de caractére l’ait défendu contre la sécheresse d'une philosophie égoiste. Il préche le désintéressement, l'indépendance, le dévoue- ment a l’amitié. Et s'il faut regretter qu'il ne se soit pas assez mis au-dessus de son siécle, il faut le louer du moins des efforts qu’il fait pour arréter son époque sur le penchant de labime ou elle glissait de plus en plus, en emportant les débris de tout ce qui fut Rome. S'il poursuit de ses railleries les travers de ses contempo- rains, il leur montre aussi, dans la culture des lettres et de la phi- losophie, le moyen de parvenir au vrai bonheur : la tranquillité de l’'Ame. Quelques-unes de ses épitres offrent un grand intérét didactique : ce sont les épitres du second livre, et surtout I’épitre aux Pisons sur lart poétique. La critique d’Horace est bien loin détre impartiale; il ne rend pas justice aux anciens poétes, A ses yeux, il n’y a d’autre poésie 4 Rome que celle d Horace et de ses émules du siécle d’Auguste. Si ce défaut dimpartialité nuit au cri- tique, il ne fait qu’aviver davantage l’esprit et imagination de l’écrivain. Mais ce n’est pas une raison suflisante pour amnistier le poéte de ses injustes préventions. Nous soupgonnons Auguste d’étre pour beaucoup dans ce dédain du passé dont il eraignait les idées. Le siécle d’Auguste, par son élégance et son urbanité, a produit Jes eeuvres les plus parfaites, mais non pas les plus romaines. ( 245 ) Les épitres d’Horace prouvent combien le gout des lettres était général a cette époque, mais elles nous donnent aussi le secret de linfériorité de ce siécle dans la poésie dramatique. Le moindre poétereau de Rome faisait sa tragédie. C’était un exercice a la mode; mais ce n‘était qu'un exercice destiné & amuser un cercle damis, et nullement propre a intéresser la foule. C’est pour dé- tourner les Pisons de cette manie du drame qu Horace entreprit cette épitre célébre qu’on a voulu bien a tort faire passer pour un poéme didactique. Les satires et les épitres nous montrent quels progres l’art avait accomplis, malgré la ruine des meeurs et des institutions romaines. J'ai tort de dire malgré Ja ruine des meeurs, ear l’art, chez les Ro- mains, ne pouvait fleurir que sur les ruines des antiques vertus. Le Romain, nous l’avons dit, n’était pas né artiste; l’'austérité de son caractére étouffait en lui le génie de l'art. Si quelques esprits délite sont parvenus A faire des chefs-d'ceuvre, c’est grace a l'imi- tation des Grees, et c'est la Gréce vaincue par les Romains qui, par une vengeance de la destinée, détréna lesprit romain. Il esta regretter seulement que les poétes de Rome aient trop sou- vent choisi pour modeéles les versificateurs d’Alexandrie, hommes consommeés dans la science mythologique, mais trop pauvres d/in- spiration pour ne pas égarer leurs imitateurs. C’est particuliérement dans Vélégie que Vinfluence des Alexan- drins se fit sentir 4 Rome. Examinons les productions de ce genre de poésie subjective, ou se reflétera d'une maniére non moins sen- sible que dans la satire le caractére de la société romaine. « Sous le ciel enchanteur de I'Italie, dit un critique, l’élégie oublia qu’elle était née parmi les gémissements et les larmes, et qu’un cyprés avait ombragé son bereeau. » La douleur et la joie, tel est, selon la définition d Ovide, le double sentiment que l’élégie exprime. Elle s’était faite en Gréce l’écho des calamités et des joies publiques; les Romains la consacrérent aux douleurs et aux ivresses de l'amour. Mimnerme, Callimaque et Philétas furent les modéles de Catulle, de Tibulle, de Properce et d'Ovide. L’élégie latine pré- sente le tableau de la corruption de Rome au siécle d’Auguste. C'est Pélégance du langage mise au service du sensualisme le plus gros- ( 216 ) sier. L’élégie érotique était le fruit naturel de cette époque. L’acti- vité romaine, refoulée sur elle-méme, devait, au sein de la paix, se consumer dans les ardeurs des passions brutales. La religion, seule gardienne de la pudeur, ne régnait plus sur les consciences. Mars avait cessé de recevoir l’encens des poétes qui n’adoraient plus que Vénus, non la Vénus olympique, mére d’Enée, mais la Vénus ter- restre sous les traits d'une courtisane. Ce siécle tant vanté n’était au moral qu’un bourbier fangeux recouvert d'un vernis délégance. La civilisation matérielle était grande sans doute, les richesses abondaient dans Rome. Mais le luxe, pére de la corruption, avait depuis longtemps amolli les ames, efféminé les meeurs; et l’austé- rité romaine n’était plus qu’un vain souvenir du passé. La matrone, fille, épouse et mére, était autrefois respectée. La patrie en danger sinspirait de ses conseils, recourait a ses priéres. On avait élevé des autels 4 la vertu des femmes. Mais la race des Porcia et des Cornélie était devenue celle des Fulvie et des Julie; bientét elle sera celle des Messaline. Quant 4 l’étrangére, l’affranchie, 1’es- clave, elles n’étaient rien devant la loi. I] n’y a point d’adultére avec « les femmes qui tiennent boutique, dit la loi, ou qui font trafic de marchandises. » La morale de Rome était purement légale. Que pouvait done étre l'amour en poésic, sinon le libertinage? Ce qui contribua beaucoup & cette dégradation de Vart, c’est que la femme était, comme en Gréce, exclue des entretiens des hommes, et n’était admise que dans les réunions de mauvais lieu. Gardons-nous, toutefois, de rendre les poétes responsables dun pareil état de choses; ils étaient paiens, ils vivaient dans une so- ciété dépravée : il faut encore, tout en se montrant sévéres pour leurs écarts, étre reconnaissant a ces poétes de ne pas avoir poussé la licence jusqu’é l'infamie, et d’avoir mis du moins une certaine décence dans l’expression de leurs déréglements. Ce ne sont pas leurs écrits qui ont corrompu leur siécle; ¢’est leur siécle qui a souillé leurs écrits. CatuL.e, eréateur de langue, habile imitateur des Grecs, est tout 4 la fois le premier lyrique et le premier élégiaque de Rome dans l’ordre chronologique. C’était un homme d’esprit, qui savait ( 247 ) mettre infiniment de grace et de finesse dans ses petits chefs- deeuvre lyriques, épigrammatiques et élégiaques. Mais le déver- gondage de l’époque I’a fait tomber, malgré l’élégance de ses vers, dans des obscénités révoltantes. Séparant le beau du bien, a l’en- contre de cet idéal sublime qu’avait si bien compris la Greéce, il ne rougissait pas d’avancer que si le potte devait étre chaste et pieux dans sa vie, ses vers n’avaient besoin d’afficher aucune retenue. On comprendrait plutot celui qui établirait en principe qu'il n’est pas nécessaire au poéte d’étre vertueux dans sa vie, pourvu qu'il le soit dans ses écrits. Nous y verrions une lacheté et une inconsé- quence, mais du moins un honnéte calcul; le principe de Catulle n’est que delhypocrisie associée 4 /impudence dans un froid calcul d’artiste de mauvais gout. A une pareille déclaration de principes, il suffit de répondre par le mot de Boileau : « Le vers se sent toujours des bassesses du cceur. + TIBULLE est passionné, lui; ce n’est pas un vulgaire libertin. Bien plus: quoique sa passion fut fondée sur linstinet, et non sur les qualités de lame, Tibulle avait, pour son siécle, ce qu’on peut appeler des murs. Aussi ses élégies respirent-elles comme un parfum de candeur, de douceur, de tendresse, de délicate sensi- bilité. I] éprouvait aussi cet amour passionné de Ja nature, un des signes révélateurs du vrai génie poétique; et, pour colorer cette nature, il lisait dans son coeur. Il avait le don de faire passer dans son style !harmonie de ses sentiments. C’est le plus parfait des élégiaques romains. I] faut ajouter que, pour le naturel, la grace, Ja spontanéité, il est sans rival dans la poésie latine. Propence, son émule, est le jouet d'un amour dimagination qui le tourmente, sans qu'il ait le courage de briser ses liens. La fougue des sens y éclate parfois dans des images peu décentes, mais l'art nest jamais oublié. Limitation des Alexandrins l’a égaré. Il se déclare lui-méme disciple de Callimaque et de Philétas. Il charge ses vers d’érudition mythologique; et alors méme qu'on le croi- rait sineérement passionné, une comparaison, une allusion, une ( 248 ) allégorie avertissent bientot le lecteur que tous ces vains élans ne sont que jeu d’artiste amoureux de son art plus que de sa belle, et mourant, comme dit Boileau, par métaphore. Rome est aussi Vobjet de ses chants. I] aime & montrer dans une suite d’anti- théses brillantes le contraste entre Phumble chaumiére d’Kvandre et les splendides palais de la cité des Césars. Quelle que soit la beauté du style de Properce, il est trop tendu, trop recherché, trop savant. Ce n’est pas encore le style de la décadence, mais on sent déja que cette littérature factice, élevée si haut tout 4 coup par le génie de quelques écrivains d’élite, va dépasser bientét les limites de l’art par l’excés de l'art méme., La poésie tend peu a peu a devenir un jeu d'imagination, car le sensualisme et le scepti- cisme tarissent toutes les sources de l’enthousiasme. Voici pourtant encore un grand poéte a la fin du régne d’Au- guste; mais pourquoi est-il tombé dans le piége que Jui tendait son génie? Nous avons reproché & Properce un style trop étudié; Ovine a le défaut contraire : son style est trop facile. C’est cette facilité, jointe & un défaut d’énergie dans la volonté, qui l’em- pécha, malgré ses éminentes qualités, d’étre un poéte complet. Son génie s'est trop efféminé au contact de la corruption du temps; il n’a pas connu le lime labor et mora. De la cette abondance stérile, ces redondances, ces répétitions fastidieuses, ces négli- gences, ces faux brillants, ces jeux de mots qui annoncent d’ail- leurs un défaut de gout et sont le signal de la déeadence dans la poésie. Et cependant, qui avait plus dimagination qu’Ovide , sil avait su Ja régler? S'il était possible 4 un homme de balbutier des vers en naissant, Ovide l’aurait fait. Il n’avait qu’é prendre la plume, et tout ce qu'il écrivait était vers. Virgile, sous ce rapport, le eédait a Ovide. Mais si rien ne manquait au poéte de Sulmone du edté de limagination, pas méme cette sensibilité organique qui en fait la perfection, pourquoi faut-il que son siécle ait détruit (harmonie de ses facultés, en étouffant son cceur sous un abject matérialisme? Il ne comprend pas l’amour, il ne le soupgonne méme pas. Au lieu de l'union des ames trouvant son complément dans l'union des corps, e’est pour lui du libertinage sans passion, ( 219 ) Vous trouvez dans ses vers de l’esprit souvent, de l' imagination toujours, du sentiment presque jamais. Tel est le caractére des élégies érotiques d Ovide, dans le recueil des Amours, I] choisit en- suite des sujets mythologiques, les Héroides ou des gémissements suecédent a des gémissements d'une pitoyable monotonie qui at- teste la pénurie du cceur, Enfin, un exil dont on ignore la cause léloigne de la cour d’Auguste pour le reléguer sur une terre bar- bare , aux derniers confins de l’empire du coté de l’Asie, a Tomes. La il compose ses 7'ristes ; et, 4 l'exception de la premiere piéce qui retrace dune maniére touchante la scéne de son départ, quelle monotonie dans ces ¢ternelles jérémiades ou lesprit tient la place du coeur! Quel abaissement de caractére dans ces louanges inté- ressées quil prodigue a ses persécuteurs : Auguste et Tibére! Les Pontiques adressées, sous forme d’épitres, & ses amis ont du moins une valeur historique; elles font connaitre Ovide et son époque, sous le rapport des meeurs privées et des relations sociales. Nous n/aurons point 4 nous étendre sur les poémes didactiques dOvide, non pas que le poéte s'y montre inférieur A lui-méme; Cest, au contraire, le edté le plus brillant de son génie. Mais parmi ces poémes, les uns sont dégottants de déprayation; les autres offrent peu dintérét sous le rapport social et ne sont que des monuments mythologiques et archéologiques. Les premiers roulent sur l'amour: Ars amandi et Remedium amoris. L’Art daimer, au dire des critiques qui ont eu le courage de remuer cette fange, cest lart de séduire, c'est le code du libertinage. Quand Ovide écrivit ses Amours, il était dans toute la fougue de la jeunesse, circonstance atténuante pour un paien; mais il avait quarante ans quand il publia l Art d’aimer : jugez d’aprés cela ce que devait étre son siécle! Ovide veut réparer ses torts en com- posant le Reméde d’amour’, et il ne fait que les aggraver; car les préceptes moraux qu'il jette au milieu d'un cloaque dimages et de pensées immondes, prouvent que sa corruption était réfléchie. I faut le déclarer, Ovide, malgré la dépravation de son époque, est un grand coupable, car il yoyait le bien : video meliora, et il avait conscience de son immortalité dans la gloire : nomenque erit indelebile nostrum. Il n’était pas assez dépourvu du sens moral ( 220 ) pour ignorer l'influence délétére de ses poémes ¢rotiqués sur les générations futures. Voila le mal. Ovide ne révoltait pas ses con- temporains dont Ja vie était plus corrompue que ses écrits. On devait méme lui savoir gré de colorer cette fange. Mais cette élé- gance est plus odieuse que la crapule; car celle-ci inspire le dé- gout, et celle-la devient l’attrait du vice. I] faut plaindre Boileau, lui si chaste, si sévére et si probe, d’avoir trouvé charmantes ces lecons immorales, dictées non par lamour, mais par le liber- tinage. Boileau est un artiste, il n’a pas connu lamour : il con- naissait pourtant le vice , car c’est lui qui a écrit ces vers : « Je ne puis estimer ces dangereux auteurs Qui de l'honneur , en vers, infames déserteurs , Trahissant la vertu sur un papier coupable, Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable. » Nous avons dit tantét qu’Ovide avait laissé des poémes sur l’ar- chéologie et la mythologie : ce sont les Fastes et les Métamor- phoses , Yun consacré aux traditions civiles et religieuses de Rome ; Yautre, aux changements de formes attribués aux ‘dieux et aux hommes. Les Fastes font connaitre les fétes du calendrier romain. C'est un savant ouvrage, mais il n’a pas d’autre mérite; car un poéme de récits légendaires auxquels personne n’ajoute foi ne peut, quelle que soit !imagination du poéte, contenir la moindre étincelle denthousiasme; c'est Poeuvre d'un pontife incrédule qui fait de son culte un jeu desprié pour amuser ses lecteurs. Les Métamorphoses, voila le chef-d’ceuvre dOvide. C’est par ce poéme qu'il mérite d'étre compté au rang des premiers poétes de Rome; non pas que ses défauts n’y apparaissent encore dans l'ensemble aussi bien que dans les détails. Ovide ne savait pas corriger ses ouvrages. Mais si l'unité n’y est pas parfaite, si les transitions man- quent parfois de naturel, si le style n’est pas exempt de négligence, les épisodes, malgré la monotonie des dénoiments similaires, y sont d'une rare beauté. Cependant linvention ne lui appartenait pas en propre. Nous ne nous arréterons pas plus longtemps sur cet ouvrage}; qu'il nous suffise de faire remarquer la prédilection des poétes de ce temps pour la mythologie. C’est un grand signe ( 224 ) de décadence pour une littérature que d’étre réduite 4 ces exer- cices d imagination, sans rapport avec la marche des sociétés. Ovide avait aussi fait une tragédie aujourd hui perdue, la Medée, qui était, avec le Thyeste de Varius, la meilleure des tragédies latines, au jugement de Quintilien, Ne concluez pas de la que la tragédie était populaire au siécle d’Auguste. Elle n’était, avons- nous dit, quun exercice littéraire a la mode dans les cercles élé- gants de l’aristocratic. Quand elle se produisait au théatre, elle pouvait, par l’attrait de la nouveauté, attirer un moment la foule qui retournait bientot a ses bateleurs et aux jeux sanglants du cirque. Pour compléter la physionomie du grand siecle littéraire de Rome, il faut dire un mot de Ja comédie bouffonne ou de la farce connue sous le nom de mime. Les mimes étaient de petites intri- gues entremélées de sentences morales, et accompagneées de gestes et de danses. L’auteur donnait le caneyas, l'acteur improvisait les paroles, Aussi le poéte jouait-il le plus souvent lui-méme. On com- prend ce que devait étre un dialogue improyisé. Le langage y était naturel, mais vulgaire et incorrect. C’est précisément ce qui fit la fortune de cette sorte de comédie burlesque. La comédie littéraire , pas plus que la tragédie, n’avait eu le privilége de charmer la foule, excepté le gros sel répandu dans les piéces de Plaute. Les mimes latins représentaient, comme les mimes de Sophron, les aventures de la rue et de Ja place publique, et remplacaient pour la foule la comedia togata. Les caractéres en étaient pris dans la populace, et s‘échappaient en quolibets et en plaisanteries grossi¢res qui de- vaient étre du gotit de ce peuple dont la poésie avait débuté par les chants feseennins. Laberius et Publius Syrus sont les cory- phées de ce genre qui prit naissance sous César. Les sentences qui nous restent de Publius Syrus sont des perles recueillies au milieu dun bourbier; car les mimes ne contenaient la plupart du temps que des seénes d'une immoralité révoltante assaisonnées dignobles plaisanteries. Et voild le spectacle qu’aimait 4 donner au peuple cet Auguste qui voulait passer pour le bienfaiteur du genre humain. A quoi servait done de tant proner les moeurs autiques, pour souf- ( 222 ) frir, que dis-je, pour encourager par sa présence de semblables turpitudes? Cependant Rome était satisfaite; les grands se conso- laient, au sein de l’opulence, de la perte de la liberté; le peuple avait des spectacles et du pain; les philosophes cherchaient le bon- heur dans lPorgueil d'une stoique indifférence, ou dans les joies d'Epicure; les poétes enfin doraient le joug du despotisme. Plus de grandes pensees, plus de grands sentiments. A quoi donc Vart est-il réduit? & l'art, c’est-a-dire au méticr. Ne cherchez pas ailleurs le secret de cette décadence dont nous allons étudier les causes dans leurs rapports avec la société. Et dabord, pourquoi la poésie s’est-elle maintenue si peu de temps 4 la hauteur oti l'avaient portée les auteurs du siécle d’Au- guste? Parce que cette poésic, fleur artificielle faconnée avec gout par quelques mains habiles, 4 limitation d’une plante étrangére, mais appropri¢e a sa destination patriotique, allait devenir un objet de luxe se chargeant peu a peu d’or et de diamants entassés péle-méle avec leurs scories par un gout extravagant. Tant que Ja grandeur de Rome fut lidéal des poétes, la po€sie eut un grand souffle, une puissante haleine. Mais Auguste, en donnant aux muses les féconds loisirs, leur avait aussi retiré leur indépendance par sa protection intéressée. Les poétes stipendiés par le prince s’étaient accoutumés & voir en lui la personnification de la patric, et lappat des récompenses était désormais le seul aiguillon du génie. Ovide en disgrace emporte dans son exil Ja grande poésie qui se meurt, exhalant, pour toute inspiration, une plainte impuis- sante. L’astre impérial s’éteint a son tour, et la poésie qui vivait de sa lumiére disparait pour un demi-siécle dans labime creusé par le despotisme sous le tréne sanglant des Césars. Pnépre seul, dans l’apologue, éléve une voix timide et, loin d’oser, comme le fera plus tard Juvénal, briser de Séjan la statue adorée, il se verra en butte aux persécutions de Podieux ministre de Tibére pour quelque allusion cachée sous le yoile de la fable, a Yadresse des ambitieux et des seélérats. Ce genre modeste avait seul le droit de se produire 4 ectte époque, et encore la main de la police venait-elle étoufter le moindre murmure contre les crimes é ( 225 ) dune tyrannie dautant plus ombrageuse quelle était plus cruelle. Nous ne pouvons nous arréter 4 Phédre dans cette revue rapide de la littérature latine; qu'il nous suffise den faire mention, en observant qu'il marque le premier degré de la décadence. Non que sa latinité soit entachée des vices gigantesques que nous aurons a signaler chez les poétes ultérieurs : son style n’est pas ambitieux ; et, pour le caractériser en deux mots, il est aussi clair que sobre, mais c'est tort qu’on vante sa pureté. On s’apercoit déja que Rome, devenue Ja capitale du monde, a accordé le droit de cité 4 des locutions qu’on chercherait en vain dans l’age d’or de la litté- rature romaine. L’abus des mots abstraits est un autre signe bien plus frappant de la dégénérescence du langage poétique, instru- ment dott fuit Vinspiration vraic, comme la liqueur s’*échappe d'un vase usé. Quoi quil en soit, Phédre avait bien choisi son genre; non-seulement parce qu'il portait moins ombrage que les autres au despotisme, mais encore et surtout parce qu'il était Je seul des genres secondaires cultivés par les Grecs qui n’etit pas encore été exploité par les poétes de.Rome. IV. — La premiere décadence et le siécle des Antonins. Nous disions tout a l’heure que la poésie était morte pour un demi-siécle ; elle tenta cependant de se réveiller, a différents inter- valles; mais, chaque fois, elle était écrasée sous le talon des Césars, de ces monstres sanguinaires, furicux ou imbéciles dont les noms sont l’éternel opprobre de l’espéce humaine. Aucune supériorité ne pouvait vivre en face des Tibéres, des Caligula et des Claude , qui n’avaient pour ministres que le poison, la confiscation, I’assas- sinat, la débauche. La poésie, ou plutét l'art des vers, semble sortir comme de Ja tombe, sous Néron, cet histrion couronné, et devient la passion des esprits cultivés du temps. Quelle pouvait étre, au milieu de l'abjection générale des caractéres et de la corruption universelle des meeurs, cette poésie qui s’étend de Sénéque & Ju- vénal? L’inspiration spontanée n’est plus possible, excepté dans la satire, quand elle trouvera un soupirail pour exhaler son indigna- tion vertueuse. ( 224 ) Les souvenirs du passé sont une autre source de poésie, mais oppression du moment doit la tarir. Le stoicisme, seule ressource contre la tyrannie, inspirera la haine contre le vice et rendra la yertu impossible par des maximes sans application dans la vie; ne pouvant apprendre a bien vivre, il enseignera l'art du suicide en faisant croire au néant; mais il détruira la poésie en substituant les froids calculs du raisonnement a l inspiration. Qu’est-ce done qui fera naitre l'enthousiasme? Sera-ce la reli- gion? Le scepticisme, lironie, la corruption, lont éteinte depuis longtemps dans lame. des Romains. Sera-ce la patrie? elle n/a jamais été que la cité, et maintenant la cité, c’est le monde, Quand la patrie est partout, elle nest nulle part; Rome n/a pas encore écouté la voix qui crie : tous les hommes sont freres ; Dieu est leur pére a tous, et. la patrie commune est le ciel. Sera-ce ’amour qui inspirera la poésie? Mais, 4 Rome, on ne connait plus que le liber- tinage le plus dévergondé. La vie du, peuple au moins ne peut-clle féconder le champ de la littérature? Mais jamais le peuple na compté que dans cette formule : Senatus populusque romanus. Aujourd’hui Rome n’apparait plus que sous les traits dun tyran cruel et dépravé devant qui l’on tremble, a qui méme on rend hommage de ses assassinats. Voila Vidole, voila le dieu qu’on en- cense, aux pieds duquel la poésie, pour avoir droit de vivre, doit sagenouiller, s’avilir, se prostituer jusqu’a ce que le tyran, fatigué de la grande voix des Muses, enyoie aux poétes lordre de mourir. Demandez & Sénéque, & Lucain, & Martial, ils vous répondront. La flatterie la plus éhontée est devenue, proh pudor! la muse inspiratrice des poétes de ce siécle. Limagination, suppléera-t-clle 4 Vabsence du sentiment? Et, si la poésie est vénale, l’art sera;t-il indépendant? Oui, l'art s’affran- chira de lesprit grec, mais pour obéir 4 de funestes influences qui détruiront son essence intime : 'harmonie du fond et de la forme. Les conditions des genres seront faussées. L’art ne sera plus qu'un jeu dimagination et se livrera aux tours de force du métier. L'exagération, voila le caractére de l'art dans la décadence. Quatre causes principales ont amené ce résultat : ’éducation, les lectures publiques, le gout de l’extraordinaire et l’influence de esprit étranger , du génie espagnol surtout. ( 225 ) Nous disons d’abord : l'éducation. Les empereurs , comme pour arrcter le libre essor de la pensée, avaient ouvert des écoles ot les srammairiens et les rhéteurs torturaient lintelligence de la jeu- nesse dans des discussions oiseuses ct des sujets sans application a Ja vie réelle, qui ne servaient qu’au triomphe d'un pédantisme sté- rile et déclamatoire, s’exercant sur des sujets mythologiques. La grammaire avait remplacé l'art littéraire; les artifices de la rhéto- rique tenaient lieu d’éloquence. Le droit lui-méme, dont l'étude faisait autrefois la gloire des Romains, le droit, privé de sa plus large base, la politique, n’était plus qu'un jeu desprit entre les mains des rhéteurs. Les discours d’école, roulant sur des hypo- théses pompeusement élaborées , mettaient le sophisme a la place du raisonnement, et faisaient perdre aux jeunes gens ce sens pra- tique qui distinguait autrefois les orateurs et les jurisconsultes de Rome. On comprend Jinfluence délétére de cette nourriture indigeste et malsaine sur Jame des poétes formés dans ces écoles. La philosophie stoicienne, avec ses sentences aussi froides que pré- tenticuses, venait en aide a cet enseignement sans entrailles. Les différents genres de poésie : tragédie, épopée et satire, ne faisaient que servir de canevas aux sentences, aux discours, aux descriptions pédantesques. C’était 4 qui !emporterait en tours de force dans ces joutes intellectuelles. Mais le sentiment vrai, mais la pensée vraie n’étaient plus du domaine de Ja littérature. Le triomphe littéeraire élait un défi que l’esprit jetait au bon sens, a la raison, au génie, en opposant 4 lor pur des grandes et nobles idées la monnaie de ses élucubrations emphatiques, monnaie éclatante et sonore, il est vrai, mais marquée d’une fausse empreinte. Les lectures ou récitations publiques navaient pas. peu con- tribué A donner A la poésie cette fatale direction. Les auteurs, qui Ctaient sans ressources, ne pouvaient répandre leurs ouvrages. Les bibliothéques, d’ailleurs, leur faisaient concurrence, en fournis- sant gratuitement des livres 4 la masse du peuple. I] ne restait aux poétes qu'un public restreint, composé d'amateurs et d’amis aux- quels Vauteur, dans des lectures publiques, demandait le baptéme littéraire. Ce qu’on recherchait dans ees cercles intéressés , ce n’é- tait pas la critique impartiale, ¢ étaient des applaudissements. La Tome VUII. 15 ( 226 ) déclamation des éeoles était transportée dans une nouvelle enceinte. Voila toute la différence. On ne négligeait rien pour captiver un pu- blic indifférent. Les éclats de voix, les coups de théatre, les tirades a effet, c’était 1a ce qui faisait la fortune d'un poéte. On n’avait pas a redouter le jugement des yeux; des que Voreille, fascinée par I’éclat des sons, avait prononcé, on était ce qui s’appelle un poéte a la mode. Disons-le, les lectures publiques furent le tombeau de la poésie. Tout conspirait a dénaturer l'art en outrant toutes les pro- portions. On sait que le peuple était compté pour rien dans Ia lit- térature. C’était Varistocratie qui lisait et payait les poétes. L’art ne pouvait songer qu’’ reproduire les movurs de l’aristocratie. Or, le luxe effréné des familles patriciennes avait créé pour Vimagination un besoin nouveau : le gout de lVextraordinaire. On était blasé sur tout ce que la nature peut offrir. Il fallait, pour dépenser royalement de colossales richesses, des festins d'une in- croyable magnificence , des parures orientales, des objets réunis- sant tout ce que l’imagination peut réver de splendeur, des monu- ments gigantesques et des voluptés raffinées. Voila Ja civilisation de Rome 4 cette époque. La poésie, devenue courtisane, devait suivre le torrent qui emportait les moeurs vers l'abime des désirs inassouvis. Elle accumula toutes Jes richesses du langage; et, lasse de suivre la nature, se jeta 4 corps perdu dans les sentiers tortueux d'un idéal égaré. Qui pouvait arréter Vart sur cette pente fatale, quand les poétes, arbitres du gout, étaient, par la nature de leur esprit, portés a la déclamation, a Venflure, 4 l’extravagance? Des six poétes les plus renommés de ce siécle : Sénéque, Lu- cain, Martial, Pétrone, Perse et Juvénal, les trois premiers étaient Espagnols, les trois autres étaient également des étrangers devenus Romains par Ja conquéte. Que faut-il de plus pour précipiter la décadence d'une langue que cette invasion de lesprit étranger, cette immixtion des locutions et des tournures hétérogenes dans Ja langue de Cicéron et de Virgile? Une famille espagnole, la fa- mille des Sénéque, 4 laquelle appartenait Lucain , tenait 4 Rome Je sceptre de la littérature. Le génie vigoureux, excentrique, enflé de Espagne était en harmonie avec les gotits extravagants des Romains de ce siécle. Ce 'n’était pourtant pas le génie de la volupté ( 227 ) qui inspirait la famille des Sénégue, il faut le dire a sa louange. C’étaient des ames fortement trempées, et puisant le mépris de Ja vie dans les vertueuses impossibilités de la morale stoicienne. La Tragédie deyenue, des le siécle d’Auguste, nous le savons, un exercice littéraire fort Ala mode, fut, sous le régne de Claude, cultivée par SEnEQuE le philosophe. La foule, avide de grossiers plaisirs , était moins que jamais disposée a gouter les jouissances de lesprit. Melpoméne, élevée a l’école des rhéteurs, choisit pour theatre la salle des lectures publiques; et ]a, prenant les grands gestes déclamatoires des orateurs en renom, elle joua tous les roles eréés par elle dans la Gréce, et, se transformant en furic échevelée, vociféra ses tirades sonores, chargées de maximes stoi- ciennes, au milieu des cris de désespoir, des torrents de sang et des cadavres quelle amoncela pour servir de piédestal a son impassibilité. Ce n'est plus ce développement des passions, cet enchainement harmonieux des scénes, cette variété des caracteres, cette vraisemblance des situations, cette vérité humaine, en un mot, qui avait porté si haut la tragédie grecque. C’est d’un bout a Yautre une suite de coups de théatre sans gradation, sans natu- rel, sans 4-propos. Les caractéres sont d’une monotonie insuppor- table. Hommes, femmes, enfants, vicillards, ils ne pensent qu’a assaisonner d’ambitieuses sentences les fureurs de leur langage. Les femmes n’ont plus d’entrailles, elles ne sont possédées que du démon de Ja luxure et de Ja rage, et montrent pour la mort un mépris inhumain. Partout l’on voit Sénéque derriére ses person- nages, et partout aussi l’époque ou il vivait. Les stoiciens, pour échapper aux miséres de la vie, aimaient 4 se familiariser, par la vue de spectacles sanglants, avec Ja mort qui, dans leur pensée , procurait aux hommes le repos du néant. Voila la morale de Sé- néque! La yertu, comme le vice, prend des proportions exagérées. Cependant, au milieu de ces déclamations furibondes, il n’est pas rare de rencontrer de grandes pensées et de grands sentiments. Et si ces piéces ne portaient pas le nom de tragédies, on trouverait beaucoup A admirer dans cette poésie vigoureuse et éclatante. Le style est tendu, emphatique, et fléchit sous le poids des méta- ( 228 ) phores. Mais, 4 part ces défauts de l’époque, il y a de l'art dans cette latinité savante, ot l'idée est parfois moulée dans de saisis- santes images. Les descriptions sont trop hautes en couleur et sor- tent 4 tout moment de la situation. L’auteur vise toujours a effet, et fait jaillir coup sur coup déblouissants éclairs; mais parmi ces éclairs, il en est qui laissent dans la pensée un éternel sillon. Les dialogues ne sont le plus souvent que des jeux d’esprit déplacés ; mais, dans les situations extrémes, le poéte trouve des traits d'un orgueil sublime qui éclatent comme la foudre au milieu des orages de la passion. Au résumé, Sénéque est un mauvais modéle, mais un poéte de gout peut y puiser d’heureux hasards d’expression. Racine, dans le récit de Théraméne, ]’a imité avec gotit, mais sans sauver Vinvraisemblance de la situation. Corneille, entrainé par son fier génie, s'est égaré en marchant sur les traces du tragique romain. « Decipit exemplar vitiis imitabile. » Nous ne parlons pas ici de lApocolokyntose ou métamorphose de Claude en citrouille, parodie burlesque ot Sénéque traine l’im- bécile empereur dans la boue, aprés layoir encensé pendant sa vie, La morale stoicienne ne préservait pas ses adeptes des plus honteuses dégradations de caracteére. Lucain, cette autre idole du grand Corneille, prouve mieux encore que Séneque ce que devient le génie quand le gout n’est pas la pour en régler lessor. L’auteur de la Pharsale a eu deux malheurs : le premier, de naitre dans cette famille des Sénéeque et sous ce régne de Néron ow les poétes deyaient, avant de se livrer librement 4 leurs inspirations, laisser garotter leur pensée dans les lourdes chaines d'une rhétorique contre nature, et plier leur langue aux artifices de la flatterie. Avec de telles habitudes desprit, on peut étre un écrivain ingénieux, un habile artisan de style, un savant versificateur, mais on n’est pas poéte, 4 moins que l’on n’ait recu de la nature les plus heureuses facultés. Lucain dut a sa jeunesse cette chaleur d’imagination que ne put lui enleyer la froide atmosphére des ¢coles. Mais sa plume était fagonnée aux longues déclamations sur des sujets stériles. Pour racheter l’exa- ( 229 ) gération du style, il faudrait un de ces sujets qui jaillissent spon- tanément de lame du poéte et trouvent un écho dans la foulc, parce quils répondent a ses sentiments. Lucain choisit l’épopée, alors impossible : ce fut son second malheur. A l’époque des Néron et des Domitien , deux genres seuls pouvaient étre cultivés avec succés : le panégyrique et la satire. En admettant méme que Lucain ett pu enfanter une épopée savante, A la maniére de Vir- gile, le sujet qu'il a traité ne lui permettait pas d’étre autre chose qu'un grand déclamateur. L’épopée est le résumé d'une civilisation. Elle ne peut raconter qu'un événement national, compris de tous et sympathique & tous. Il ne peut exister qu'une entreprise de cette nature : une guerre étrangeére contre un ennemi commun, et une guerre dot dépen- dent les destinées d’un peuple comme nation. Tels sont les évé- nements chantés par Homere et Virgile. Qu’a fait Lucain? il a chanté, je dis mal, il a raconté Ja guerre civile; il a pris pour héros Pompée et César : Ja lutte du peuple contre la noblesse. C’était s’aliéner une partie de Ja nation; car entre deux factions rivales, il faut, sous peine de refroidir son inspiration, que le poéte choisisse et soit homme de parti. Or, la personnalité du poéte détruit l'essence de l’épopée en Jui enle- yant son caractere national, populaire, universel. En outre, les guerres civiles appartiennent a l/histoire et sont trop connues pour acquérir ce prestige de l’éloignement si nécessaire a Ja fiction et a Yemploi du merveilleux. Ces événements tragiques qui représen- tent les citoyens armés contre les citoyens sont propres au drame, mais rapetissent, altérent, détruisent Vidéal épique. Un poéme concu dans de telles conditions est une cuvre manquée. La Phar- sale et la Henriade en sont des exemples frappants. Mais ce qui te toute valeur épique au poéme de Lucain, c’est qu'il se range du parti des vaincus, pour plaire 4 Néron, héritier de César, il est vrai, mais intéressé & flatter le patriciat, seul soutien du despo- tisme. Le héros de Lucain, c’est done Pompée, c’est-a-dire un général ordinaire, qu'une vaine fumée de gloire remplissait d'une satisfaction béate, sans que jamais il ait concu ni exécuté de hardis projets. Quand ce favori de la fortune fut en présence de César, ( 250 ) on vit ce que peut la vanité devant i'ambition, la routine devant Vactivité et le génie. Malgré lui, le poéte devait élever César au- dessus de Pompée; c’est 1a l'anomalie du poéme de Lucain. Les Romains de son temps étaient ennemis des guerres civiles, non par patriotisme, mais par découragement ct par amour de la paix qui leur permettait d’user leur vie dans la mollesse et la volupte. Lucain, pour flatter cette disposition des esprits, fit, non une épopée, mais une longue déclamation contre la guerre civile ou il montra : « De morts et de mourants cent montagnes plaintives; » ct représenta César comme un monstre aimant a s‘enivrer de car- nage; Pompée, comme un héros pacifique, généreux, ami de la république et de la liberté. La gloire de la guerre revenait donc a César. Aussi Lucain a-t-il marqué en traits d'une puissante énergie le caractére du conquérant. Seulement ses passions aristocratiques lui ont fait méconnaitre les grandes qualités du dictateur. La figure de Pompée serait intéressante, si l'on ne songeait combien étaient stériles ces regrets et cet amour d'une liberté qui n’eut pas moins péri dans Jes champs de Pharsale par la défaite de César que par son triomphe. La victoire de Pompée eit ramené l’ancien despo- tisme du patriciat; et, 4 tout prendre, le despotisme impérial était moins lourd pour le peuple. La Pharsale fut done une ceuyre essentiellement impopulaire , c’est-i-dire contraire au principe de l’épopée. Lucain, comme ar- liste, a-t-il été plus heureux? Son plan réyeéle-t-il le génie de la composition? Nullement. L’unité d’abord y fait défaut. Les événe- ments se succédent dans l’ordre chronologique. Apres la bataille de Pharsale, le poéte suit ses héros en Egypte, et ne s’arréte que quand il n’a plus rien a raconter. Ce poéme est une histoire en vers; seulement, e’est une mauvaise histoire qui ne fait connaitre ni les causes ni les grands mobiles de cette guerre, et qui ne jette aucune lumiére sur l’ayenir. On a dit, pour justifier Lucain, que sa mort prématurée l’avait empéché d’achever son ceuvre. Voici notre réponse : on ne recompose pas un poéme quand il est exé- ( 254 ) cuté, car on ne recommence pas l’inspiration. Le seul spectacle offert aux Romains dans la Pharsale, ec’est une horrible tuerie ou les couleurs du poéte dépassent de beaucoup la réalité. Lucain ne sait raconter que des détails sans importance et qui servent de prétextes a dinterminables descriptions. Les caractéres en général sont vigoureusement tracés. Mais il est regrettable que le poéte qui a la prétention de retracer des faits historiques ait faussé, par esprit de coterie, le caractére de César, en le dépeignant comme un tigre sanguinaire, alors que Je plus grand et le plus corrompu des Romains est un héros de clémence et de magnanimité. Lucain, fidéle & son éducation phi- losophique, n’a pas manqué de faire lapologie de Caton, théme ordinaire des laborieux enfantements oratoires des écoles. Pour Vauteur de Ja Pharsale, Caton est plus grand que les dieux eux- mémes, auteurs de tous les maux dont gémit la patrie. « Fictriz causa diis placuit, sed victa Catoni. » Linerédulité romaine devait rendre impossible l'emploi du mer- veilleux. L’auteur de la Pharsale, par mode d’acquit, fit apparaitre devant César, au Rubicon, une vieille femme représentant la pa- trie désolée. C’était se mettre peu en frais dimagination. D’autres fois, c'est la magie ou les présages, le plus souvent, c'est la For- tune qui joue le réle du merveilleux. Voila quel était & Rome Vétat des croyances. Quand la divinité n’a plus d’adorateurs, la super- stition prend sa place et vient s’asseoir sur ses autels. Sous Je rapport du style, Lucain est Je digne neveu de Sénéque. Cest une cymbale retentissante qui assourdit Voreille et Vimagina- tion. Il s’‘amuse 4 orner les plus minces bagatelles de mots pom- peux et emphatiques. Il en résulte un style cahoté, pesant, rocail- leux. C’est vigourcux et hardi; mais on finit par s'impatienter de voir le poéte, dans ses descriptions, entasser, au milicu d'une mer de sang, cadavres sur cadavres, comme les géants entassaient Pélion sur Ossa. I] ne faut pas lui demander V’analyse du cur humain; toute son étude est dans Valignement des phrases et dans le soin de dissimuler la stérilit¢ du fond sous la richesse ( 252 ) exubérante de la forme. I] n’abandonne Ja description qu’aprés avoir ¢puisé tous les détails. Notre si¢ele en ee point lui res- semble, avec cette différence seulement que Lucain y met plus de pédantisme et de prétentions; les modernes, plus de naturel et de sensibilité. L’abondance des détails dans la description est-elle done un vice essentiel du style? Nullement, Et quand on dit qu’il suffit de quelques mots aux poétes primitifs pour faire une description, on commet une erreur. Quelques mots suffisent pour les grandes lignes des objets, c’est-a-dire pour le dessin; mais pour la pein- ture, il faut marier, harmonier, nuancer les couleurs. Qu’on n’ou- blie pas la description du bowclier d’Achille dans lIliade. Nous sommes de l’avis de Francis Wey: Celui qui ne sait pas décrire ne sait pas écrire. Le défaut, comme toujours, est dans l’excés. I] ne faut décrire que ce qui mérite d’arréter la pensée, et n’admettre cet ornement que quand le sujet le demande. Tous ceux qui, comme Lueain, décriront pour décrire, seront rangés par la critique au nombre, non des écrivains, mais des fabricants de paroles; et au- dessus de leurs magasins littéraires, le bon got, de son doigt sé- vere, éerira cette enseigne : Recetle de la décadence. Lucain ne manque pourtant pas de grandeur. Plus d’une fois il a trouvé de males accents inspirés par l'amour de la patrie qui se fait jour encore dans Jes ceuvres capitales de cette époque, malgré la bassesse de l’adulation pour les monstres qui souillaient le trone. Si Lucain ayait vécu dans de meilleurs temps, si Jes écoles n’avaient pas dénaturé son génie poétique, il serait devenu un poéte de pre- mier ordre. Il ne lui a manqué que le gout pour étre l’émule de Virgile qu’il surpassait en imagination. On sait le sort de linfortuné poéte : il périt A vingt-sept ans, victime de Néron. C’est sans doute pour satisfaire la jalousie du tyran que Pétrone se fit le rival de Lucain en écrivant un nouveau poéme sur la guerre civile. Nous n’en connaissons qu'un fragment ou auteur se montre bon versifieateur, mais plus homme d'esprit que poéte. Dans le préambule de son poéme, il fait avee assez dhabileté la eritique des défauts si saillants de Lucain. Mais ee qui a rendu Pétrone cé- eS ee ee IS ena NS SI rT Ores Cee a haere: Pore ay ( 255 ) lébre, c’est cette étrange production qui porte le nom de Satyricon et dont le fragment de la guerre civile fait partie. Le Satyricon est Ja plus gigantesque débauche desprit et de meeurs qu'il ait été donné & Thomme dimaginer. Ce tohu-bohu ott tout est mélé : prose et vers, sérieux et bouffon, morale et voluptés, ee mon- strueux assemblage de toutes les infamies et de toutes les horreurs de Vhumanité liyrée aux plus hideuses saturnales de lorgie, ec est le tableau du regne de Claude et de Néron. Trimalcion est Vidéal du riche débauché de ’époque des Césars. Que d'autres admirent le talent du conteur; pour nous, détournons nos regards de cette boue, et écoutons du moins la morale protester contre tant d’op- probres par la voix de deux hommes quinspira la Némésis de la civilisation : Perse et Juvénal. Perse a fait le plus beau vers de lantiquité : « Que les tyrans, » dit-il, dans une priére adressée au souve- rain maitre des dieux et des hommes, « que les tyrans, pour prix de leurs forfaits, voient la vertu, et quils séchent de lavoir délaissée. » « Virtutem videant, intabescantque relictd. » Cet honnéte jeune homme, épris des males attraits de la vertu, passa sa vie loin du monde, dans I’étude de la morale stoicienne que lui enseigna Cornutus. Ses six satires roulent sur cette pensée : WNecessité de connaitre la morale stoicienne, pour étre sage, c’est- d-dire libre. C’est dans ce but qu'il attaqua les passions et les plai- sirs, ces éternels corrupteurs du genre humain. Mais les vertueuses déclamations de Perse furent malheureusement impuissantes sur Vesprit de ses contemporains. La cause de cette impuissance n'est pas seulement dans lirremédiable décadence des murs, elle est surtout dans linexpérience de l'auteur & qui manquait, non le ta- lent dobservation, mais la connaissance intime des moeurs de son épogue et des mobiles secrets des actions humaines. Rien de pra- tique dans ses conseils, tout est spéculatif. Perse est trop austére pour se méler a Ja foule comme Horace, et en étudier malicieuse- ment Jes vices et les travers. Ses souffrances ailleurs le retinrent ( 254 ) dans son cabinet, loin du commerce des hommes. De 1h tous Jes défauts de son style. Ii est obscur, car le poéte ne converse qu’avee Jui-méme et s'inquiéte peu s'il sera entendu. Il est graye, mais sans grace et sans enjouement; car il ne songe qu’a instruire, et semble ignorer que le poéte doit méler Vagréable 4 Vutile, pour trouver des lecteurs. Il est froid, car il n’a les yeux fixés que sur lidée spéculative qui créve image, ou ne la voit plus qu’ travers le brouillard d’une vision fantastique; la morale stoicienne faisant i homme un devoir d’étouffer la voix des passions bonnes ou mauvaises, le poéte trouve sa grandeur dans Jinsensibilité, et éteint, sous les glaces du raisonnement, le feu de l’enthousiasme. Cependant lheureuse inconséquence du eceur humain qui sait, malgré tout, secouer le poids du scepticisme, a inspiré 4 Perse un tableau d'une yivacité et d'une énergie incomparables; c'est le dia- logue entre l'avarice et loisivet¢é, si habilement imité par Boileau. On peut dire, pour cette fois, que l'intelligence de Perse a trouvé la verve poétique dans sa passion contre les passions, comme lesprit de Boileau dans la haine des sots livres. Ce n’est d’ailleurs qu'un éclair au sein @une nuit profonde. Le style de Perse est un chaos de métaphores disparates et prétentieuses qui ne par- viennent pas a dissimuler le vide de la pensée. C’est en vain qu'il alfecte la profondeur; plus on creuse le mot, plus les ténébres augmentent. Ses admirateurs prétendent quwils’entourait ainsi de mystéres pour échapper ala vengeance de Néron. Mauvaise excuse ! Les six satires de Perse ne contiennent pas que des allusions 4 Ja tyrannie. Et quand on écrit pour étre incompris, on ne mérite pas le nom d’écrivain. Ajoutons toutefois, comme correctif & la sévé— rité de ce jugement, que Perse et ses contemporains pouvaicnt sentendre i demi-mot. L’admiration de Lucain et de Quintilien était sans doute fondée sur autre chose que sur un vain bruit de paroles. Mais pour nous, le satirique de Volaterre est presque tou- jours impénétrable ; et il est & craindre qu’on ne perde son temps i broyer os pour en extraire la moelle. La satire entre les mains du disciple de Cornutus était devenue une tribune philosophique ; et les traits que, du haut de son isole- ( 255 )} ment, le poéte avait lancés contre de vaines abstractions, étaient tombés dans le vide sans atteindre aucune réalité. Juyénat releva ces traits impuissants; et, les trempant dans le fiel de son indigna- tion et dans le poison de son siécle, il en fit des fléches terribles qui, pénétrant jusqu’au coeur de la société romaine, en élargirent encore les plaies hideuses et sanglantes. On voudrait que l’éloquent poéte, en marquant dun fer rouge le front des Néron, des Claude, des Caligula, des Domitien, en étalant impitoyablement les vices de cette société perdue de débauches, la dégradation des carac- téres, l'indigne bassesse des uns, le faste insolent des autres, l'épouvantable corruption de tous, on voudrait que Juyénal ait pu arréter sur la pente de l'abime une nation qui, par les armes ct les lois, !éloquence, l’histoire et la poésie, avait jeté un si vif éclat sur le monde. Mais quand les traditions et Ja liberté ont disparu, ct qu il ne reste plus pour représenter un peuple que le vice cou- ronné, la satire, comme la comédie, ne fait que précipiter la dé- cadence des mceurs. Que faut-il penser de Juvénal comme poéte? Est-ce un homme convaincu, fonciérement vertucux, ou n’est-ce qu'un artiste de génie? Sur ce point, on n’est pas d’accord. Les allures déclama- toires d'un écrivain éleyé dans les exercices de I’école et rompu aux luttes de l’éloquence, occupation premiére de sa vie; l'ambi- tieuse emphase contractée dans les cercles littéraires ot se révéla son talent de poéte; ses relations avee Martial, enfin, lont fait soup¢eonner d’avoir moins d’indignation dans son ame que dans ses vers, et de tonner contre le vice plus par amour de l’hyper- bole que par amour de la vertu. N’a-t-il pas dit lui-méme : /acit indignatio versum! Oui, Juvénal était de ces esprits qui ne peuvent sassouvir d’hyperboles, Mais d’ou vient done cette brulante indi- gnation qui enflamme le poéte, et lui fait trainer le vice et le crime sur la claie de Vinfamie aux égouts de la littérature? N’est-ce 1a qu'une verve d'imagination imitant le mouvement de lame? Je ne sais, pour ma part, comment on a pu le penser. C’est wop Clever Vécriyain au détriment de Vhomme. Si Juvénal n’était qu'un ar- tiste , quel poéte de Rome le surpasserait en génie ? Nous sommes loin de nier aucune des qualités éminentes de Véerivain, Per- ( 256 ) sonne n'a composé avec plus dart que lui la trame du discours. Personne n’a dirigé avee une plus indomptable énergie de vo- lonté tous les fils de la pensée vers un but tracé d’avanee. Cha- cune des satires de Juvénal est une armée rangéc en bataille dont tous les traits partent au signal donné et portent vers le méme point: voila l’artiste, nous dit-on; oui, voild l’artiste. Mais croit- on qu'un poéte aussi maitre de sa pensée puisse trouver, sous sa plume, ce courant d'indignation qui nous émeut, nous en- traine, nous subjugue, s'il n’avait pas dans son dame vertueuse une source intarissable de colére contre le vice triomphant? C'est 4 tort dailleurs qu’on I’a accusé d’exagérer la corruption de ses contemporains. Ce n’est pas un peintre fidéle, a-t-on dit; nous le croyons aussi, mais nous l’entendons dans un autre sens: les couleurs de Juvénal restent en dessous de la réalité. Tacite et Suétone sont historiens; n’est-il pas avéré cependant que leurs tableaux de la Rome impériale sont aussi sombres que ceux du satirique? Aprés cela, ce n’est pas nous qui absoudrons Juvénal d’avoir aussi ertiment dévoilé tous ces honteux mystéres, ce cloaque d’im- mondices d’ou s‘échappent des miasmes méphitiques, et qu'il fallait laisser pourrir dans son ordure. Non, une ame sincérement éprise des chastes attraits de ]a vertu n’aurait pas étalé avec tant de com- plaisance toutes les turpitudes du vice. Mais n’allons pas juger en chrétien un paien plus vertueux d'inspiration et dinstinet que de principes et de pratique. Sans doute, Juvénal devait étre souvent inconséquent dans sa conduite. Ses relations avec Martial et les plaisanteries que celui-ci lui décocha dans une de ses épigrammes ne sont pas de nature 4 nous rassurer sur la vie privée du grand satirique. L’absence de tout principe vivifiant a réduit ses satires 4 n’étre que d’honnétes déclamations. Il connaissait et distillait lui-méme le poison, mais il ignorait l’antidote. Loin de respecter la religion , sans laquelle la morale n’est qu'un vain mot, il en fait Vobjet de ses railleries. D'autre part, ce qui diminue 4 nos yeux le mérite de ces audacieuses invectives, ¢’est qu’elles furent publiées sous Trajan, alors que le danger était passé et que les originaux avaient disparu ee a | ( 257 ) de la seéne de histoire. Il fallait donc au poéte moins de courage quon ne laurait cru d’abord, en songeant a l;ombrageuse tyrannie des premiers empereurs. Enfin, le malheur de Juvénal est d’avoir eu 4 retracer des meurs locales dont jamais, grace a Dieu, lhu- manité ne sera plus témoin. L’intérét de ces satires se borne done pour nous & lenseignement littéraire et philologique. Quand on youdra connaitre homme tel qu il est dans tous les temps, avec les petits ridicules et les travers d'esprit et de meurs dont il abonde, cest Horace et non Juyénal qu’on ouvyrira. MantiaL, ne trouvant pas dans son ame assez d’énergie pour aborder la satire, se contenta d’aiguiser l’épigramme. La culture de ce genre, nous l'ayons déja remarqué, est le plus grand symptome de l’épuisement de Ja poésie. Au siécle d Auguste, la manie des vers qui inondait Rome de poétes médiocres et annongait l’avéne- ment d'une poésie factice, avait déja mis en vogue l’épigramme , genre de courte haleine qui ne demande quune heure de verve; et quel homme n’a pas de ces instants dans sa vie? Quelques écri- vains d’élite avaient du moins trouvé dans l'amour de ia patrie et du prince, qui en était la personnification éclatante, une veine féconde d'inspiration poétique. Mais sous le régne des tyrans de Rome, il n’y avait plus, pour les cours honnétes, d’autre sen- ‘timent que le regret stérile du passé, ou lindignation satirique contre les horreurs du présent. L’étoile de l'avenir ne brillait pas dans l'imagination de ces poétes. Le poids du despotisme oppres- sait leur poitrine, et étouffait en eux tout généreux enthousiasme,. Martial, en cultivant l’épigramme, et rien que l’épigramme, se montrait artiste et homme desprit. Mais quel abaissement d’étre réduit 4 attaquer & coups d’épingle des vices qui font monter la rougeur au front de tout honnéte homme. Martial porte, plus que tous les autres, les traces de la corruption de son époque. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer de la bassesse ou de l'impiété qui lui faisait placer Domitien au-dessus de Jupiter, quand, dans ses épigrammes adulatrices, il écrivait, une main mercenaire, l'apo- théose du tyran. Ce n'est pas tout; Martial lui-méme se rend com- plice des désordres de son siécle par ses pensées et ses paroles ( 258 ) orduriéres. On ne doit pas s’exagérer sans doute Ja culpabilité du poéte, quand on songe au dévergondage du temps. Mais il ne faut pas, par amour de l'art, fermer les veux sur les écarts dun écri- vain qui, dans la moitié de ses piéces, se vautre dans la fange avec une aussi impertinente insoucianee. Malgré cette corruption d’es- prit, Martial a fagonné bien des perles de bon sens et de fine ob- servation, des traits d’une malice enfantine que reléve un style de bonne facture et généralement exempt de laffectation décla- matoire des poétes de la décadence. C'est un classique de l’école de Catulle, enfermant ses idées dans un moule étroit qu'il polit avee autant de soin que dhabileté, et ot il ne laisse dautre saillie que laiguillon inéme de la pensée. On ne reconnait Espagnol qu’a cer- tains provincialismes qui altérent Ja pureté du latin; le faux gout de son siécle l’'a porté parfois aux subtilités du bel esprit. Mais les caleuls déclamatoires des écoles et des lectures publiques ne pou- vaient avoir de prise sur ces petites miniatures satiriques destinées a étre lues en secret par un public étranger 4 esprit de systéme. Crest 1a quwil faut chercher Ja cause de cette simplicité, de cette precision, de cette concision, de cette clarté qui brillent dans les bonnes épigrammes de Martial. L’exemple quavait donné Martial, en renouant dans sa per- sonne Ja tradition classique, ne fut pas sans influence sur Ja réac- tion qui s’opéra contre l’école de Sénéque et de Lucain. Des ver- sificateurs de talent, dont les principaux sont Valerius Flaccus , Silius Italicus et Stace, arborérent franchement le drapeau du classicisme et se déclarérent imitateurs de Virgile. L'intention était excellente; mais que pouvait produire ce réveil tardif de la grande poésie, en l’absence de toute inspiration? L’école virgilienne resta done impuissante et prouva que limitation des modéles ne par- vient pas a féconder un champ stérile. On peut dérober aux maitres les procédés du style, mais non le secret de captiver ‘imagination et de remuer les curs. On peut magnifiguement draper le sque- lette de Vart, mais non lui rendre la vie. Les qualités classiques : Ja simplicité, le naturel, la précision, Ja netteté, n’appartiennent pas a une littérature épuisée; elles montreraient trop 4 nu le vide de la pensée et du sentiment. {i deet ee S ( 259 ) Chose étrange et instructive tout a la fois : les disciples de Vir- gile sont devenus , malgré eux, imitateurs des poétes d’Alexandrie! C'est le méme abus d’érudition mythologique, le méme luxe indi- geste d imagination, les mémes artifices de style. Valerius Flaccus amplifia les Argonautiques d’Apollonius, et ne paryint qu’a ren- ehérir sur les défauts de son modeéle. Silius Italicus, admirateur passionné de Virgile, raconta les guerres puniques dans un style beaucoup plus classique que les autres écrivains de l’école virgi- lienne. Il est méme poéte a de certains moments, mais c’est pour retomber bientot apres dans Je terre-a-terre de limitation servile. Silius était assez heureusement doué; et il etit été un vrai poéte, si le eulte qu il professait pour son maitre n’ett comprimé en lui Pessor de Vimagination. Stace, véritable improvisateur napolitain, broya sur sa riche palette les couleurs les plus brillantes avee une prodigalité qui fit illusion a ses contemporains. Stace était Vidole des salons de lee- ture. Personne n’obtint jamais de plus éclatants succés. Mais la postérité, qui ne se paie pas de mots, a fait justice de ces miséres littéraires qui ne s’adressent qu’a Voreille et aux yeux, et substi- tuent !harmonie et la peinture a Ja poésie de l’ame. L’auteur de la Thebaide a pu se vanter d’avoir vaincu Callimaque dans l’emploi des yieux oripeaux de la mythologie, et dans l'art de revétir les plus insipides bagatelles des plus splendides ornements de l'ima- gination; les Silves, sous ce rapport, peuvent servir de modéles aux funambules littéraires de nos jours. Apres la mort de Domitien, Rome, courbée aux pieds du tyran, semble se relever tout & coup et renaitre a la vie intellectuelle sous ces princes éclairés et bienfaisants qui se suecédent de Nerva i Mare-Aureéle, embrassant une période de quatre-vingt-quatre ans, qu'on nomme le Siécle des Antonins. C’est alors que brillérent dans la littérature les Tacite, les Quintilien, les Pline, les Suétone. La poésie eut aussi un moment de réveil. L’empereur Adrien lui- méme aimait 4 courtiser les muses. Mais si l'on en excepte Juvénal, qui publia ses satires 4 cette époque, aucun grand nom ne signale cette renaissance dans l'art des vers. Cependant, un esprit nou- ( 240 ) veau régnait a Rome, au siécle des Antonins; esprit de réaction contre le despotisme avilissant des Césars, Il y a dans les écrivains de ce temps je ne sais quelle amertume de pensée, quel dégout du présent, quel pressentiment de l'avenir qui éclatent en accents nobles et males. Dun autre cdté se manifeste un découragement qui témoigne de la corruption introduite par la tyrannie et de l’af- faissement du sens moral. Ainsi, les uns protestent, les autres cédent au torrent. Les premiers trouvent dans leur indignation une source de poésie qui féconde encore pour un temps les lettres romaines, L’érudition, la science forme alors le cachet de la litté- rature, en poésie aussi bien qu’en éloquence, en philosophie et en histoire. Mais ce n’est plus cette érudition stérile roulant sur des mots et de vains souvenirs mythologiques a la maniére des Alexan- drins; c’est la science des choses, I’étude des lois de l'art, l'analyse raisonnée, la critique, enfin, dans la plus large acception du terme. On le comprend sans peine: une littérature qui ne vise qu’a la science doit infailliblement s’égarer, ou rétrécir limagination et retomber dans une irremédiable décadence quand toute inspi- ration a disparu. C'est ce qui est arrivé a Rome sous le régne méme des Antonins. Néanmoins, grace a quelques hommes d’élite, Ja littérature romaine jeta dans ce siécle un dernier mais resplendissant éclat. Juvénal, comme poéte, et Tacite, comme historien, égalérent en génie et surpasserent en vigueur et en originalité les plus grands écrivains des siécles de Cicéron et d' Auguste. Si le gout parfois leur fait défaut, ne lattribuez qu’a énergie méme de leur inspi- ration satirique et a la dégénérescence du langage. V. — La seconde décadence. La grande poésie est désormais éteinte dans Rome. On ne trouve plus au II™*siécle de notre ére que des versificateurs sans meérite , comme Arianus; des orateurs, pales échos de Cicéron, comme Fronton; des grammairiens et des rhéteurs de talent, comme Aulu- Gelle; enfin, un romaneier africain, Apulée. Le génie pratique n’a ( 244 ) done pas encore abandonné Rome; mais le génie poétique qui s'alimente au foyer de la patrie et des croyances, le génie poétique qui ne vit dans le présent que pour le rattacher au passé et s’élancer librement dans Jes champs de l’ayenir, le génie poétique s'est retiré de cette société a Yagonie. Rome, sans le savoir, a travaillé ala civilisation du monde en recevant dans son sein toutes les nations quelle a vaincues; mais ce n’est pas elle qui en recucillera les fruits. Ce mélange tumultueux de peuples détruit le sentiment national qui avait fait la grandeur des Romains. La langue latine, autrefois si male et si savante, se corrompt de plus en plus par le contact des barbares. Les superstitions populaires ont remplacé les croyances. Rien n’égale la dépravation des caractéres et des meurs. L’'Ane d’or d'Apulée, roman burlesque dont tira parti Ceryanteés dans son Don Quichotte, représente cet état social. Au milieu de contes orduriers et de métaphores bizarres, cet ouvrage contient une des merveilles de l’antiquité : les Amouwrs de Psyche. Au III siécle, la protection de ’empereur Numérien, qui ambi- tionnait lui-méme les lauriers de la poésie, fit éclore deux poétes ou plutot deux versificateurs estimables : Vémésien et Calpurnius. Le premier cultiva la poésie didactique, et dans ses poémes sur la chasse, la péche, la navigation, marcha sur les traces de Virgile et d’Oppien. Les Pastorales de Némésien ne sont que de pales reflets des Eglogues. Celles de Calpurnius ont moins de mérite encore. Que venaient faire des bergers au milieu d’une société tremblante que l’ouragan du Nord allait emporter bientdt dans son tourbil- Jon dévastateur! Au IV™ siécle, tandis que le polyth¢isme entreprenait une lutte désespérée contre Ja doctrine chrétienne, on vit la poésie se cram- ponner conyulsivement 4 l’édifice en ruines de la mythologie. Claudien et Rutilius, les deux derniers poétes de Rome, firent retentir leurs vers sonores et vides, échos affaiblis du paganisme , au sein de populations déja courbées aux pieds de la croix, Le panégyrique, devenu Ja seule forme de l’éloquence a la cour des empereurs, habitués 4 la flatterie, le panégyrique, sous la plume de Claudien, enyahit la poésie. De 14 cette emphase renou- Tome VII. 16 ( 242 ) velée de Lucain dans une latinité qui conservait pourtant laccent des maitres. Théodose et Stilicon furent les idoles auxquelles Clau- dien prodigua son encens. La satire yint se méler a l’éloge, comme il est naturel dans l’apologie d'un héros dont la gloire est eontes- tée. De 1A ces invectives puissantes contre Rufin et Eutrope, ces deux détracteurs de Stilicon, Dans la sphére mythologique , Clau- dien écriyit ’Enlévement de Proserpine, son chef-dceuvre. Mais un poéme ou il ne s’agit que d’ayentupes fictives, auxquelles per- sonne ne croit plus, ne pouvait étre d'aucune influence sur la société contemporaine. Néanmoins, les succés du poéte furent im- menses. Sous les empereurs Arcadius et Honorius, sa statue, sur un décret du sénat, fut érigée dans le forum Trajan : ¢’était le but de son ambition d’homme de lettres. Mais, pour l’obtenir, il avait du sacrifier sa dignité, sa liberté, son indépendance, Rutilius, personnage politique qui ne fut qu’accidentellement poéte, fit, au commencement du V™ siecle, un voyage dans la Gaule, sa patrie, et il entreprit d’en retracer les impressions dans un poéme en vers élégiaques. C’est 1a qu'il s'abandonna tout entier a son fanatisme posthume pour le paganisme. [1 usa toutes les res- sources de son imagination et de son esprit au service d’une cause 4 jamais perdue. Les juifs et les moines furent particuliérement en butte 4 ses mordantes invectives. Cependant, quand il se livre sans contrainte et sans préjugés aux sentiments que font naitre en lui les miséres de l‘humanité, ses vers respirent je ne sais quelle mélancolie qu'on n’est pas accoutumé a rencontrer dans la poésie latine. Rutilius aimait passionnément sa patrie. Et quand il annonce quil va visiter son sol natal, cette Gaule en proie a la dévastation ct a la barbarie, il trouve dans son ame des accents d'une pro- fonde émotion. Mais c’est Rome qu il faut lui entendre célébrer, Rome dont il pressent Ja chute et quil embrasse dans un adieu supréme qui contient toute la magic des souvenirs et les larmes de Vhistoire. C’en est fait. L’épée d’Attila s’abaisse sur cette société dégénérée. Un nouveau sang coulera dans ses veines avec la séve puissante du christianisme. La croix s’éléye triomphante sur le faite du Capitole, fio Sa ~~~. ( 245 ) et la ville éternelle va présider encore , par l’empire de la foi, aux destinées de Phumanité. Maintenant qu’un art nouveau prend possession de l’esprit hu- main, montrons la différence qui sépare le monde paien du monde chrétien dans le domaine de la pensée et du sentiment. EPILOGUE. Considérations générales sur Vart chrétien et sur la poésie des peuples modernes. Le fond de l'art classique, e’est l'accord de lV'idée et dela forme dans la personne humaine idéalisée. Le divin est absorbé dans Yhumain. Lidée religieuse se meut tout entiére dans la sphére de Vart. La sculpture a réalisé ce type dans immobile sé¢rénité de Vidéal plastique. Mais la divinité, sous ses formes multiples, se prétant complaisamment au capricieux pinceau des poétes, et quit- tant !Olympe pour descendre aux plus honteuses faiblesses de Yhumanité, ne pouvait longtemps conserver son prestige. L’imagi- nation était satisfaite, mais la conscience protestait intérieurement contre cette prostitution de la divinité. Un rayon de la vérité yint luire dans l’ame de Socrate, et art gree fut atteint au coeur. Le choe fut si terrible que l’édifice de la société antique en fut ébranlé, Lame, en se repliant sur elle-méme, y trouva un vide immense, car les croyances populaires changées en ridicules superstitions disparaissaient comme de vains fantémes aux regards de la raison. Rome, en recueillant la civilisation greeque, ne put raviver les croyances. L'amour de la patrie seul inspira ses poétes. Mais quand Ja flamme du patriotisme fut éteinte au fond des eceurs, tout lien fut brisé entre Vindividu et l’Etat. Les Ames d’élite, se sentant op- primécs par un pouvoir tyrannique, s'abandonnérent aux joies déceyantes de la vie ou se eréérent une morale indépendante, en ( 244 ) se vengeant par la satire des monstrueux désordres de la société. Il était temps qu’un Dieu descendit sur la terre pour inoculer un principe nouveau dans les veines de ce cadayre de Phumanité en putréfaction. Le christianisme, en renouvelant le monde reli- gieux, est venu transformer la civilisation et Part qui en est le reflet. Désormais les vrais rapports entre ’homme et Dicu sont rétablis sur la base du devoir. L’'infini reprend ses droits sur l’ame humaine, le dieu d’Abraham est revenu parmi nous; mais, au lieu de demander au pére des croyants le sacrifice de son fils unique , il sacrifie le sien pour arracher Vhumanité a empire du mal. La loi d’amour remplace la loi de terreur; la pitié a désarmé la justice. L’Homme-Dieu, dans sa vie, ses souffrances et sa mort, devient le type de 'humanité. A l’ombre de la croix germeront toutes les vertus, tous les sacrifices, tous les dévouements. Une femme trois fois sainte, élevée a la dignité de mére de Dieu, réhabilitera toutes les filles d’Eve. Le sang des martyrs scellera la foi nouvelle et enracinera les croyances jusqu’au fond des entrailles humaines. L’homme enfin, racheté au prix du sang d’un Dieu, pourra lever ses regards vers le ciel et marcher sur la terre l’égal de tous, libre de tout esclavage , et soumis a Dieu seul, pére commun de Phu- manité. Liberté, égalité, fraternité, ces trois mots sublimes que, plus tard, une révolution égarée empruntera au christianisme en Je reniant, pour montrer clairement aux yeux de tous que Dieu fait sortir le bien du mal, liberté, égalite, fraternité, voila la tri- nité humaine destinée a transformer le monde, voila la formule nouvelle du progrés inauguré par le christianisme. L’homme dé- chu, mais régénéré par le Christ, devra lutter sans cesse contre Vesprit du mal. La vie est un combat dont le ciel est le prix. La terre est une yallée de larmes, la patrie est en Dieu, car lui seul peut combler l'immensité.de nos désirs. La mélancolie, la tristesse, voila le sentiment que le christianisme a mis au fond de lame humaine, en faisant de ce monde un lieu d’exil, et du ciel la véri- table patrie de ’homme. Déja ce sentiment de Ja mélancolie exis- tait dans l’antiquité. L’Inde en était pénétrée; mais ¢c’était la suite de sa croyance & la métempsycose; et, tandis que !Hindou, pour échapper a ses terreurs superstitieuses , se réfugie dans les volup- ( 245 ) tueuses langueurs du ciel d’Indra, le chrétien trouve un remede A ses tristesses dans les joies intimes d’une conscience stre de ses immortelles destinées, quand elle obéit 4 la volonté de Dieu. La seule terreur que l’ame éprouve c’est de tomber, par le crime, haletante, éperdue entre les mains du Dieu vivant dont la justice égale la bonté. La mort, ce passage terrible entre la vie et Véternité, est le douloureux mystére qui raméne homme & la vertu par la contemplation du néant des choses humaines, per- -pétue le souvenir des morts et nous fait respecter la vie de nos semblables. La personnalité humaine, qui disparaissait dans Yocéan du panthéisme indien ou qui était sacrifiée a Etat dans la société paienne, apparait pour la premiere fois dans toute sa puis- sance. La nature, auparavant divinisée par la race indo-germa- nique, se retire 4 Yarriére-plan du tableau ot régne la personne humaine dans toute sa dignité. L’ame est le foyer lumineux d’ot partent et ou viennent aboutir les rayons de tout ce qui fait la vie de ’humanité. Tous les sentiments sont ennoblis, 4 ce point que la soumission méme devient le saint orgueil de ’ame qui puise le prineipe de Vobéissance A la source divine. L’ime étant le centre de lunivers élargit indéfiniment la sphére des idées. Lyhomme prend possession de la nature, comme roi de la création. Il prétera Yoreille pour y entendre Jes voix de Dieu dans les mysteres des nuits et des cieux étoilés, dans les murmures des vents et des flots, dans la sublime horreur des tempétes et les silences recueil- lis des foréts; mais il ne confondra plus Dieu avec son cuvre, Yinfini avec le fini. Le beau dans la forme a cessé d’étre le but supréme de lame tourmentée de la passion de Vinfini. Le laid, le grotesque nest plus jugé indigne des représentations de lart, car Vidéal, tout entier dans l'ame, peut se refléter partout et sur tous les objets de Ja nature. La matiére n’est plus rien par elle-méme ; cest Vesprit qui la pétrit, la fagonne & son gré, comme le Dieu qui Ja eréa. L’homme achéve la eréation, non en la perfection - nant, mais en l’admirant. L’esprit humain ne peut aspirer a re- faire Pouvre de Dieu. Tout est bien dans la nature pour qui sait lire, avec le regard de VAme, dans ee livre divin dont les lettres ont été éerites par le doigt de Dieu lui-méme. ( 246 ) Le principal caractére d'une poésic fondée sur ce principe de la personnalité, c’est le lyrisme. Aussi l’essence de ce genre se retrou- vera-t-elle dans toutes les ceuvres de l’imagination moderne. L’idéal divin ne sera plus homme dépouillé des miséres de sa condition mortelle, passant sa vie dans les joyeux festins et les ivresses des sens, buvant le nectar et se nourrissant @ambroisie, pour échap- per 4 la mort et conserver une éternelle jeunesse. Le Dieu des chrétiens, pour donner l’exemple de toutes les vertus, s’est sou- mis A toutes les miséres, & toutes les angoisses, & toutes les souf- frances de ’humanité. Ou est done Vidéal chrétien? dans les pro- fondeurs de l’ame. Un mot le résume, un mot qui fait frissonner les mondes et les réunit dans une indissoluble étreinte : ’amoun; l'amour, sentiment inconnu aux anciens qui ne connaissaient que les instincts brutaux, et prenaient les dieux pour des étres jaloux, ne s'intéressant 4 Vhomme que quand il peut servir leurs desseins, et considérant sa prospérité comme une atteinte 4 leur bonheur. L'amour chrétien est !amour de Dieu pour les bienfaits qu’il nous prodigue, c’est ensuite l’amour des hommes, tous élevés a la di- gnité d’enfants de Dieu; et cet amour est tellement désintéressé qu'il regarde avant tout les malheureux auxquels il tend une main secourable. C’est, en un mot, la Charité, sentiment nouveau, et qui contient la loi et les prophetes. Un rayon de lamour divin illu- mine le front de la femme, aux regards de Phomme. L’amour de lame domine et purifie l’instinct. Une chaine de tendresse lie les membres de la famille qui donne l’exemple de toutes les vertus. Le principe de la personnalité, vivifié par amour chrétien, pro- duit la chevalerie. Puis, nous voyons l’activité intellectuelle se dé- tacher de la religion pour concentrer toute son énergie dans le domaine des intéréts humains. Le fond traditionnel disparait peu 4 peu, et la liberté, abandonnée a elle-méme, se livre a des con- ceptions bizarres. L’exagération de lesprit chevaleresque conduit AVesprit d’aventures; Vabsence didéal, au réalisme; absence de réalité, 4 la fantaisie. C’est la décadence de l'art chrétien quand il se sépare de ses divines croyances. Les principes qui nous ont guidé dans notre appréciation des littératures orientales et paiennes retrouvent leur application chez les peuples modernes, ( 247 ) Lhymne heébraique retentit sous la votite des temples chrétiens. Le chant populaire transmet les traditions primitives des peuples barbares dont le christianisme vient arréter le développement épique. Les grandes luttes d’ott dépend le sort des nations surgis- sent du choc des deux principes qui se disputent le monde : le christianisme et le mahométisme. C’est le régne de l’aristocratie héroique représentée par la féodalité. La chevalerie, avec ses aven- tures guerriéres et galantes, produit tout un monde fantastique qui proméne ses héros a travers les événements contemporains : les croisades, et les guerres contre les Maures en Espagne, fonde- ment de l’épopée au moyen age. Les explorations maritimes inspi- rent aussi la poésie épique; mais la grande source exploitée par les poétes chrétiens, c’est le monde surnaturel du christianisme. La Jutte du pouvoir temporel contre le pouvoir spirituel, les luttes théologiques et les guerres de religion, suscitées par la réforme, ont leur contre-coup dans l’épopée. Lesprit de liberté, se séparant des traditions religieuses et nationales, s’exerce dans différentes direc- tions, et fait éclater partout le sentiment de la personnalité, prin- eipe du lyrisme. De grandes découvertes : Yimprimerie , la bous- sole, la poudre 4 canon, donnent des ailes a Ja pensée et provoquent dans toute Europe une prodigicuse activité d’esprit. La monarchie triomphe et préside aux destinées de la civilisation. C’est Pheure du drame que tous les peuples cultivent avec une fiévreuse acti- vité. Le drame romantique, né au sein des mystéres du christia- nisme, trouve son principe dans l’énergie et Yindépendance du caractére individuel. Mais tandis qu'une partie de l'Europe, s’inspi- rant delle-méme, évoque sur la scéne ses grandes figures héroi- ques, la réforme, sapant la base des antiques croyances, détache les peuples de leurs traditions et raméne, Ala suite de la destruc- tion de empire gree dOrient, le culte littéraire de l’antiquité paienne qui, par un étrange anachronisme, envahit le domaine entier de Vintelligence. Limitation classique devient, chez plusieurs peuples, la pre- miére condition de tout art sérieux. Cette renaissance de Vanti- quité donne sa physionomie 4 l’art moderne, mélange de l'art gree et de Vesprit ehrétien. Mais quelle que soit, au point de vue de la ( 248 ) forme, la valeur des ceuvres inspirées par l'art antique, la littéra- ture ne peut vivre sans trouver autour d’elle le souffle inspirateur. Apres un siécle ott, sous les auspices de la monarchie et de l’Eglise, l'art moderne s’éleva a sa plus haute perfection classique, la ré- forme protestante et le retour du paganisme littéraire d’un cété, les abus du moyen age de l'autre produisent un siécle d'inerédulité funeste la poésie. Le régne de Ia philosophie et des sciences, signal de la décadence dans l'art, étouffe, sous la pression de Vidée, le sen- timent poétique bientot noyé dans les torrents de sang humain répandus sur l’échafaud réyolutionnaire et sur les champs de ba- taille de [Empire. Au sortir de ces tragédies et de ces épopées sanglantes dont nos péres furent les acteurs et les victimes, la poésie renait momentanément avec la monarchie régénérée, et se rattache aux croyances par horreur du scepticisme. Le despotisme des intéréts matériels détruit enfin Vidéal, qui n’est plus compris des masses. Chacun cultive l'art 4 son point de vue. On ne sent plus dans l’air aucun grand courant d’inspiration. Au milieu des téné- bres de lavenir, une lumiére apparait cependant : le grand prin- cipe de Ja fraternité chrétienne, rapprochant tous les peuples par les conquétes de l'industrie et de la science, réchauffe la poésie au foyer du ceeur humain, et attend le retour de la foi pour renou- veler une littérature épuisée. FIN. Page ERRATA. 4¢ ligne, en remontant, lisez : réduits a l'esclayage. ire 7e = lisez ; hebreu. en remontant, /isez ; nous offre un petit drame, etc. lisez: C’est une race théocratique, sans doute descendue des patriarches, qui, ete. en remontant, lisez : comme nous l’ayons démontre. lisez : les Pouranas. en remontant, lisez : Mais, on le yoit, l’Inde est le pays des con- trastes, etc. effacez : On le yoit. en remontant, lisez : ( Voir l’excellent travail de M. Felix Neve : le Bouddhisme et son fondateur.) en remontant, lisez: la police a toujours fait la guerre, ete. en remontant, lisez ; C’est ce que nous allons déemontrer. lisez : Nous n’entreprendrons pas, etc. en remontant, lisez: dans le but d’étendre, ete. lisez : consacra sa vieillesse 4 la poésie, etc. en remontant, lisez : Quand nous disons, ete. en remontant, /isez: pour nous servir, etc. lisez : s'exhala en strophes délirantes , etc. en remontant, lisez: placaient, bien au-dessus, ele. en remontant, lisez: Que les admirateurs de Pindare nous par- donnent, etc. lisez : nous ne pouvons nous défendre de regretter, etc. en remontant, lisez : ressemblaient assez aux ndtres, etc. lisez : (Voir Alexis Pierron , Hist, de la litt. grecque.) lisez : Si Euripide, etc.; dans la ligne suivante , e/facez : mais, lisez : sous les etreintes , ete. en remontant, lisez: Il nous reste a signaler, ete. en remontant, lisez: pour plaire a son siecle. en remontant, lisez: Mais, direz-vous , ete. en remontant, lisez ; les compagnons du heros. en remontant, lisez : reconnaissants. en remontant, lisez : Tibere. mettez un point apres cette phrase: Quand la patrie est partout , elle n’est nulle part. lisez : (Voir Cantu , Hist. universelle.) —P oor TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES. INTRODUCTION. Pages, Pages. Poésie de la décadence. . . . 12 La loi des éyolutions de Vorga- nisme poétique n’est pas ab- La patete dans sa nature et dans son origine 5 La civilisation’... at Z 5 Le lyvisme objectif : regmnis SOLUC «Wee 2s es AS HAP SOUIGUE He (ot eae Shel? 2 2D; Liidée dubeau . . . . 14 Trois civilisations doninage Phis- toire intellectuelle du monde : la théocratie, le polytheisme , levchristhanisme.. ¢s » a. KO L’épopée. . . 5 5 get Le lyrisme subjectif : P Ode igi! Le drame : la i et la Co- Le chant populaire ou le genre 3 La tradition et la liberté i a 9 ' LT ea de J) | LIVRE PREMIER. LE MONDE ORIENTAL. merr along PelMiNAes um “sy ts wrtheigce owing yh) = ue eo woo ndide Premiine section. — Les. Aebreuxr. | | Génie de Yunité. . 2 . . . 18 | Le parallélisme. . . 49 Le déserts® 2. Pe SAAD: Caractére de la éivitisation “hé- L’hymne, caractére fe la poésie braique.- .° . + 20 hébraique. . . . . . +109 | David et'les propheees | a ac | ( 252 ) Pages. L’élégie alternant avec hymne. 25 Poeme'de Job: 2) 7. 3) supe es Source de l’élégie chez les Hé- Sources desimages . . . . DREWXEy eres Mac. Beets Ue Images exprimant le surnaturel. L’épopée chez les Hébreux . . 24 Des apparitions divines dans!’ An- le'merveilleux. . . 5. % £#b: cien Testament. . . . . Le drame chez les Hébreux. . 26 Caractére particulier de la lan- Cantique des cantiques. . . 7%. gue hébraique . . . . . Deuxréme section.— Les Arabes. Caractere del’Arabe . . . . 52 Religion des Arabes . . . . Le genre lyrique mélé au genre Mahomet. ...-.)0\2) Scare eee EPIQHE SOR. te sien. ).e\) is ve igo Le.Canany a: (5 2 eee AMO HTURECIL ye) ie eat sy ae Le lyrisme artificiel . . . . L’épopée et le drame impossibles Les Maouals.” |." cvs eames chez les Arabes du désert . . 7b. Causes quiontempéchél’éclosion La poésie honorée chezles Arabes 54 du drame dans les royaumes Les Moallakas. . .°. . . 10. arabes: 3) 2, ! 2:0 eeeedeae ATLA AS Mies Series ls Y's) 1g Mie Ee Les contes arabes; leur origine. Sublime du sentiment. . . . tb. Tnorsizme section. — Divers peuples de V Asie antérieure, Les Babyloniens et les Assy- | Zee Syrians). (>. te eee TEENS RW [or ee Ne coe OO Lenrs vicissitudes... 25 2. Les Phéniciens . . . . = 59 Absence de littérature dans la Leur influence sur [Europe Syrie antique. . . . = .« RETOTNOS Se See eee ys Liltérature syriaque aux pre- Les Phéniciens inaugurent les miers siécles du christianisme. Mepubliquess 84 2 rs = 00s Les Maronites; leur avenir . . enrreleion Gee. i. a Banwyeg os 1040: QuatRiEMe section. — Les Armeéniens. Histoire primitive de ’'Arménie. 45 nienne, depuis la conyersion de Le magisme dans ]’Arménie an- cette contrée au christianisme. tiQUe: 4.9 oye. Sees eee 24) Les traductions épurent el alte- Le chant populaire chez les Ar- rent successivement la langue MIEHICNS Wiccan eer, hh wey ezanabO et le gotit littéraire des Armé- Coup d'il sur la littérature armé- MICDS ary eve 45 46 ( 255 ) Pages. Mouvement littéraire provoqué par Méchitar.: .- 3) 4.) + Caractére des Arméniens. Poésie sacrée chez les Armé- CinQuiEMmE Génie de la variété. Climat. . . Caractere du paiple Langue Panthéisme . La métempsycose. . . . . mes) Castes*..) hee Prérogatives des Beathoresies. Le progres arrété par le régime des castes . ; Respect pour la femme Influence des castes et de la mé- tempsycose sur la a des Hindous . Ne De la mélancolie dans la poésie indienne 5 Caractere des héroines ete les poémes et lesdrames de!’Inde. Amour de Ja nature = Monuments poétiques de I’Inde. Evolution compléte de l’orga- nisme poélique . . .. . Les Vedas iene: i> Le genre didactique . . . . Les Pouranas . ae Symbolisme gigantesque des Hindous . . . apa L’épopée chez les Hindous : le Ramayana et le Mahaba- niens 47 Extraits des hymnes ae li arniéiie ib. Conclusion section. — I. Z’Inde. 50 rata > ib. Eléyation des ised re ie ae 51 gavad-Gita . tb. Les contrastes abondent dans tes 52 poémes de I’Inde. 55 Lyrisme chez les Hindous . . ib. Elégie. ab. Apologue . Drame. : i ab. Minutieux raifiventents deny preé- 54 ceptes littéraires. . . . . Origine divine du drame indien. Progrés dans les mosurs publi- ab. ques 4 ’époque du drame. . Caractére serein de l’émotion 55 tragique . . L’amour dans le drame ice: ab. Union des contraires . ib. Constitution du drame ab. Style du drame . Absence de mécanisme théatral. ab. Kalidasa . : 3 ib. Décadence du drame iidien 57 Bayaiboutie.. 2.) ab. Décadence de l’art indien. Le bouddhisme, ses principes et ib. son infériorité littéraire Décadence morale et politique devinde’ . 0.) ‘ore ss ce Il. — Z’Jran. Le Zend-Avesta Dualisme substitué théisme. au pan- 72 Plus de métempsycose. . . Idées religieuses trés-avancées, ib. Pureté dela morale de Zoroastre. Pages. 47 48 49 62 ( 234 ) Pages Pages. BENLCNCES sok se, sheet eu sadms Le Schah-Nameh . . . . . 75 ANOOSUC bt om cecueitantoulin thee Posie lyrique... La guerrede Troie. . . . « 40. Evénements de l'Jliade . . . 94 La réalité transformée par la perspective des événements et limagination poétique. 95 L’esprit national inspire I'Iliade, 97 Régne de Vinstinct. . . » . @. La nature est la muse d’Homere. 99 En quoi consiste l'art du poéte. 100 Homére, peintre des batailles. . 7b. Meeurs héroiques . . . . « %b. L’homme est sacrifié au héros. 101 L'amour au temps de la guerre de Troie,... yas tae Respect pour la ica, stneotbe Hospitalité Pima | Simplicité des Grecs a ey ab. Homére dans la description . , 104 Le poéte recueille la mission ci- vilisatrice du prétre. . . 105 Systéme mythologique sur la base de l'anthropomorphisme. 106 Qualités de Vart grec fondé sur Vidéedubeau. . . . . . 107 ( 256 ) Pages. Odysseas se oe Oe 107 Période commerciale, maritime de la civilisation héroique. . 108 L'intérét ici s’attache a homme plus qu’au héros. . . . . 109 De la personnalité d’Homere. . 110 Ya-t-ildeux Homere?. . . . 112 Hesiodesact eas oh cette: Cen tema Epopée morale. . . . - . @b. Caractére d’Hésiode, poéte de Rranisitigit.- S.!Foe-. eyes EU: La Théogonie . . .« oy tus Guerre des dicux et des Beatie, 115 Morale d’Hésiode.. . . . . 7%. Les Travauz et les jours . . 116 Hésiode, profond observateur. . #0. Haine d’Heésiode contre les fem- MILER es eee ee ir es SOs Ecole d’Hésiode. . . . . . 117 Abolition de la royauté; lutte du peuple contre J'aristocratie prépondérante. . . . . . @d. Les rhapsodes dégénérés. . . 118 Poémes cycliques . . - . . 7%. L’hymne épique. . . . . . @. Les Amphictyonies. . . . . 119 Les jeux publics. . . . . . 0. lV. — Epoque d’ organisation sociale et d’affranchisse- ment ; le lyrisme subjectif . 120 Grand travail de la pensée phi- losophique et politique. . . @b. La poésie lyrique . . |. . . 10. Merpaucrereee seats.) tary. c.80. Liélégie . Gallinns/ yee et cere oles Tryrtee; A enema i, 80. Role de Tyrtée a Sparte , au mi- lieu des guerres Messéniennes. 7b. Mission sociale de Tyrtée. . . 7b. Archiloque et la satire jambique. 125 Pages. Avec Archilogue commence la ; poésie personnelle . . . . 124 Simonide d’Amorgos . . . . 125 Hipponax. . . . . eo dil L'fonie a la fin du Vii nigel. ib. Mimnerme: 7.1). 4.jpr) eee SolOpi aely yoy Pe=!\0 ake each Res Da Salamines i.) re ee ee ok EU Elégie sur Panarchie. . . . 197 Autres chants politiquesdeSolon. 76. Elégies morales. . . . . . 128 Son apologie. .. .... . ). . "40. Phocylide, poéte gnomique. . 7b. Théognis, représentant de l’aris- tocratien® 4 02/8 ie Debs Wapologue:.. «. .. +. =.) sr 60 Bsopevs 0) st tt ie oA on Ecole éolienne . . . . . . 4%. Aléée. s,. .\¢: >. Serieparceelol Sapphoups: « ss (eee cee eleles ATION er ‘ein sf, Noite, ce, | earner Es Ecole dorienne. . . . . . @d. Aleman ta tj). 3? oe eee Stésichore. . . . . . . . 104 Ibycus.)"n) ("Settee va wneeRe Loe Tasus'et'Cormne-. .: «40s Ecole ionienne . . . . . . 136 Anacréon, chansonnier . . . 2%. Il ne faut pas le juger par Ie re- cueil des odes anacréontiques. 7b. Simonide deCéos.. . . . . 157 Génie élégiaque de Simonide. . 7b. Elégie en I'honneur des victimes de Marathon}. “s "si" occu mules Simonide, chantre national. . bh, Création del’épigramme. . . 159 Esprit philosophique de Simo- Biden see. kA cane Bacchylide: ..;. +) Acakst emo eesUe Timoléon le Rhodien . . . . 141 Considérations politigues. . . 70. Le scolie de Callistrate . . . 142 EE Pages La chanson d’Hybrias . 142 Pindare . . . Sul Geely 2: Plan des odes secaitin bale 145 Du ton de lode héroique. . . 7%. Caractére de Vinspiration pinda- PUGH Cre 26 63.°'2) © fo) is qs eat Réputation de Pindare . . . %b. Obseurité de Pindare. . . . %b. Diversité de ses talents. 145 Pourquoi ses chants de victoire sont seulsrestésintacts. . . 7b. VY. — Siécle de Pericles : le pRame et subsidiairement l’e- popeeetVélégie. . . . . Wb. Civilisation de cette époque . . ib. La tragédie . Beole. 146 Le choeur dithyrambique. . . ib. Gihespis. .).) .. eS) eareD. Invention du Ralaia 147 Mécanisme du théatre. . . . 7b. Théatre de Péricles. . . . . tb. Les acteurs estimés dans laGrece. 148 Concours dramatiques. . . . ib. Caractere des représentations théatrales . : 149 Des héros et des sujets nes ES Os ree ee terara 12 Eschyle . . . 150 Son génie martial . . aineaial ' Son systeme tragique. . . . ib. La fatalité . .. ib. L'intérét n’est pas hate Paction, mais dans le sentiment. 152 Les Perses et le Prométhée . . ib. - Caractére de la poésie d’Eschyle. 155 SEIS wee ste SS. Eb. Apogée de l'art. grec. . . . tb. Systeme tragique de Sophocle . 154 Role du cheeur dans les trageé- dies de Sophocle. . . . . éb. Role delalibertéhumaine . . ib Tome VIII. ( 257 |) Pages. Mérite de Sophocle dans lexé- cution . Sea L’amour dans les staples de Sophocle . 155 Euripide . : . 156 Son génie pathétique . ib. L’amour dans les tragédies ’Eu- ripide . Ape eh tb. Révolution opérée dans le deatne par Euripide . : 157 Décadence de Part grec . © ib. Progrés dans les conditions gé- nérales du drame 158 Abaissement du choeur. ib. Idée élevée sur la diyinité ib. Esprit philosophique ib. Vérité humaine des caractéres . 159 Influence d’Euripide sur les des- tinées du drame . 160 Style d’Euripide. eee. Enthousiasme de !’antiquité pour Euripide ib. La comédie . 161 Susarion . : tb. Origine sicilienne . S17 MOAG2 Causes de la longue enfance de Part comique. ib. Les trois phases de la comma athénienne Pat Etat de fa société, a banner de la comédie. 165 Comédie ancienne . 165 Arislophane . ib. Son patriotisme . cee Guerre contre les démagogues . ib. Contre les sophistes 166 Contre Euripide. ib. Aristophane critique ab. Cynisme dAristophane 167 Poésie W’Aristophane . tb. Le choeur . tb. La parabase . 168 Aristophane offre le modele du style attique . Eupolis et Cratinus. Culture de l’épopée au siecle de Péricles L’élégie 4 la méme épogue . Le Plutus d’Aristophane . VI. — Siécle de la philosophie - la comédie moyenne et la co- meédie nouvelle . Le régne de la philosophie est funeste au génie poétique. ib. La comédie seule peut fleurir, comme expression sociale , au siécle de la philosophie. 171 Poétes de la comédie moyenne . 172 Ménandre et la comédie nou- velle. ef] st -& ib. La peinture de la vie privée ap- partient-elle a Vidéal poéti- que? . tb. Influence des mimes re Spire: 175 Situation défavorable a la comé- die nouvelle . ib. Intrigues et caracteres. 174 Supériorité de Ménandre. 7b. Philémon. : 175 Athenes perd son génie yitierind ib. Timon. 176 Cléanthe . ab. VII. — Siécle des Ptolemées : la decadence ib. Causes de la décadence . A lred Absence d’inspiration . sys! Un mot sur l'étude des modeles. 7b. Les yersificateurs d’Alexandrie . 179 Philétas . ib. Callimaque . ib. Lycophron . 180 Apollonius . ib. ( 288 ) Pages. . 168 ib. tb. . 169 ib. . 170 Pages Poésie didactique . . 180 Lépigramme » = . 238 | L’AnedorWApulée, . . . 241 Valerius Flaccus . . . . ~ 209 | Némésien et Calpurnius. . . 4b. Silius Italicus. . . - - - 259 | Claudien et Rutilius . . . . #b. Sains 5 VRS Or momma 1 Panégyriqucen vers. . . . 4b. Renaissance momentanée au sie- Eloges et invectives . . . . 242 cledes Antonins . . . . #b. Succés de Claudien . . . . 4. Fanatisme paien de Rutilius. . 76. V. — La seconde decadence . 240 Mélancolie de Rutilius . . . @b. Extinction de la poésie au Jl° Son enthousiasme pour Rome . 7b. Bieclene is! 2 2: sky Sees ates Fin du monde antique . . . 7%. EPILOGUE. Considérations générales sur lart Partchrétien: "aps 42 sa 249 chrétien et la poésie des peu- Nos principesretrouvent leur ap- ples modernes . . . . . 245 plication dans les littératures Différence de Vart antique et de chréliennes. . . . . . 246 FIN DE LA TABLE. DU PATRONAGE ~ CONDAMNES LIBERES, CORRESPONDANT DE L’ACADEMIE ROYALE, ETC. — (Présenté a la séance du 44 octobre {S88.) Yowe VIEL. i? ese ee ee Te Oe See cee, Sao ae DU PATRONAGE DES CONDAMNES LIBERES. 1. — Bur eT UTILITE DU PATRONAGE. — CONDITIONS ET GARANTIES AUXQUELLES IL DOIT ETRE SUBORDONNE. La question du patronage des condamnés libérés présente un grand intérét et acquiert incessamment une importance nouvelle. Jadis, les peines étaient presque exclusivement basées sur le principe de l’intimidation et frappaient les coupables d'un sceau dinfamie. Sous l’action de ce systéme, le condamné, a sa sortie de prison, restait exposé au mépris et a la répulsion de la société. Mais depuis que les lois pénales se sont adoucies et qu’elles tendent de plus en plus 4 faire prévaloir le principe de l’'amendement, il est devenu nécessaire de frayer aux libérés la voie qui doit les ramener aux habitudes et aux relations de la vie sociale. Le législateur, en comminant pour certaines offenses des peines temporaires, n'a pas entendu qu’elles pussent étre perpétuelles dans leurs effets. Tel serait cependant le résultat infaillible de toute condamnation si, lorsque la peine est expirée, le condamné ne trouvait pas un appui qui le mit 4 méme de reprendre place dans la famille et la cité. Envisagé sous ce rapport, le patronage est, pour ainsi dire, une cuvre de justice. (4) Considéré & un autre point de vue, le patronage revét un carac- tére dutilité publique qui ne peut pas non plus étre contesté. On sait combien les récidives sont fréquentes. D’aprés la statistique des prisons, elles s’¢lévent 4 57 sur 100 condamnés (4). Sans con-, (1) D’apreés la Statistique des prisons du royaume, pendant la période de 1851 a 1855, il existait ceite derniere année, sur une population de 5,494 con- damnés dans les maisons centrales, 5,008 récidivistes. C’est une proportion de 57 sur 100. Cette proportion varie de la maniére suivante dans chaque établisse- ment: RECIDIVISTES sur 400 condamnés. a Période Période de anteérieure 1830 4 1856.) a 1850. istes,. ETABLISSEMENTS. Mécidi Condamnés. Maison de foreea Gand . . ... . sur 1,090 — dereclusion a Vilvorde (1). . . — decorrection 4 Saint-Bernard. . — 1,775 — de détention militaire 4 Alost . . _ Quart? des jeunes délinquantsa Alost . . — 162 — _ _ 4 Turnhout . Maison pénitentiaire des jeunes déelinquants a StaHubert (remy ioe) 26 Maison pénitentiaire des femmes a Namur. Maison pénitent. des jeunes délinquantes BULACNOr ama Shere fees ecm ct egtets Toravx . Cre 3,008 sur 5,494 (1) Le grand nombre de récidivistes dans la maison centrale de Vilvorde, s’ex : phe par la destination de cet etablissement, qui recoil, outre les condamnés a a reclusion dont le nombre décroit chaque année, les condamnes récidivistes a l'emprisonnement correctionnel ayant deja subi anterieurement des condamna- tions criminelles, (2) La proportion des récidivistes 4 la maison pénitentiaire de S'-Hubert ne se rapporte qu’aux jeunes délinquants qui sont renvoyes dans le méme établissement. Il ne comprend pas les jeunes délinquants en état de recidive , qui, apres ayoir été détenus a S!-Hubert, subissent leur nouvelle peine dans d’autres prisons. Sur les 5,008 récidivistes, on en comptait 1,256 qui avaient subi antérieurement une seule condamnation (1,065 correctionnelles, 171 criminelles), et 1,772 qui (5) tester l’action des autres causes qui peuvent contribuer 4 amener ce triste résultat, il est évident que, dans un grand nombre de cas, il doit étre attribué a ’abandon dans lequel se trouvent les libérés, au préjugé qui les repousse, a la difficulté qu’ils éprouvent a pour- voir par leur travail a leur subsistance. J’en pourrais citer de nom- breux exemples, et les directeurs des prisons savent & quoi s’en tenir a cet égard. L’euvre du patronage est donc a la fois juste et nécessaire. Mais il ne suffit pas de poser le principe, il faut encore se préoc- cuper sérieusement de son mode d’application. L’efficacité du pa- tronage est subordonnée a des conditions qui, malheureusement, ont été trop souvent perdues de vue, ce qui explique l’insuccés des tentatives faites dans quelques pays pour réaliser les espé- rances de ses promoteurs. Parmi ces conditions, il faut citer en premiere ligne l’établisse- ment d'un bon systéme pénitentiaire organisé en vue de l’amen- dement des prisonniers. Le vice des prisons communes rejaillit forcément sur les malheureux qui y sont colloqués : on sait par- faitement qu’ils n’y deviennent pas meilleurs, et que, le plus sou- vent, ils en sortent plus dégradés et plus corrompus. Peut-on dés lors les reeommander en toute sécurité, et peut-on prétendre que les personnes bienveillantes, informées de leurs antécédents, les accueillent sans méfiance ? Il faut bien se lavouer : si le patronage des libérés présente- eneore tant de difficultés, si le préjugé qui les repousse est encore fréquent et vivace, cest surtout au défaut de garanties que pré- sente le régime des prisons qu'il faut l’attribuer. Les libérés eux-mémes ont la conscience de leur situation; ils doutent, les premiers, du patronage, et la plupart le repoussent spontanément lorsqu’il leur est offert. Les autres obstacles 4 l’action utile du patronage sont : 1° Le mode d’application de la surveillance de la police qui avaient subi deux ou plusieurs condamnations (1,597 correctionnelles, 575 cri- minelles). 249 avaient subi leur peine précédente 4 Gand; 200, a Vilvorde; 808, a Saint-Bernard; 561, a Alost; 151, 4 Namur; 68, a Saint-Hubert, et 1,171 dans. (autres prisons (Maisons de streté et darrét). (6) signale trop souvent le libéré a Vattention et 4 lanimadversion publiques ; 2° L’absence du systéme des libérations provisoires ou condi- tionnelles qui, en facilitant la réintégration des libérés dans la société, les soumet A une sorte d’épreuve intermédiaire, les inté- resse & se bien conduire et a éviter les occasions de rechute, et permet de les réintégrer immédiatement en prison, sils abusent de la faveur qui leur a été accordée. Je crois inutile, dailleurs, Winsister sur les avantages de ce régime transitoire, en me bor- nant A me référer au travail que j’ai publié naguére 4 ce sujet (4). Tant que ces obstacles ne seront pas écartés, il faut renoncer a la possibilité d’étendre l’ceuvre du patronage et d’en obtenir de bons fruits. L’applieation et l'extension de l’emprisonnement cellu- laire, en Belgique , suppriment heureusement l'une des principales objections, et ouvrent au patronage une perspective de succés. II. — ORGANISATION DU PATRONAGE EN BELGIQUE. — SES PHASES ET SES RESULTATS. Antérieurement A 1835, le patronage des condamnés libérés était abandonné a l’action individuelle. Plus tard, le gouvernement jugea utile de le confier aux commissions administratives des pri- sons pour peines et aux colléges des régents des maisons d’arrét et de justice (2). Des difficultés de toute espéce entravérent cette or- ganisation. Les commissions administratives, qui devaient com- mencer dans les prisons mémes le patronage des détenus a réin- tégrer dans la société, ne purent mettre que peu d’empressement a cette ceuvre morale, en J’absence d’auxiliaires qui continuassent leur ceuvre au dehors. On s’adressa, il est vrai, aux associations particuliéres et l’on obtint méme le concours de quelques-unes d’entre elles. Mais ces moyens étaient insuffisants, et le gouverne- ment se décida A eréer lui- méme un systéme complet de patro- (1) Des conditions d’application de Vemprisonnement séparé ou cellu- laire, Ul, § 5, p. 91 4115. Note, p. 157 et suivantes. (2) Arrété royal du 4 décembre 1855. (7) nage. L’arrété royal du 4 décembre 1855 fut abrogé et remplacé par des dispositions nouvelles qui consacrent le principe de l’éta- blissement, dans chaque canton judiciaire, d'un comité présidé par le juge de paix, auquel furent dévolues les attributions confiées auparavant aux commissions administratives des prisons. Celles-ci restaient seulement chargées de l’ceuvre du patronage intérieur ; le patronage extérieur était attribué exclusivement aux comités can- tonaux. Un arrété royal du 14 décembre 1848 détermine lorga- nisation et les attributions de ces comités, le mode d’exercice, les conditions d’admission a la faveur du patronage, les circonstances qui doivent déterminer sa cessation, et enfin les ressources des comités, et l’envoi des rapports et des renseignements. Une circulaire ministérielle du 12 septembre 1849, adressée aux gouverneurs des provinces, fait ressortir le caractére de la nouvelle organisation et trace les régles 4 suivre pour son application. « Le but du patronage, dit-elle, est de procurer aux condamneés , » a leur sortie de prison, un appui et une direction qui, le plus » souvent, leur ont fait défaut jusque-la. L’état de suspicion dans » lequel ils sont placés, la répulsion qu’ils inspirent généralement, » montrent la nécessité d’un intermédiaire bienveillant, qui faci- » lite leur réintégration dans les rangs de la société et qui, tout en » surveillant leur conduite, en soutenant et encourageant leurs » bonnes résolutions, en écartant, autant que faire se peut, les » causes qui pourraient amener leur rechute, les reléve a leurs >» propres yeux, comme aux yeux de leurs concitoyens, et apla- » nisse devant eux la voie qui doit les conduire 4 une existence » laborieuse et honnéte. » Il ressort de ces prémisses que I’ceuvre confiée au zéle et aux » lumiéres des comités de patronage est, avant tout, une ceuvre » morale ; l’appui matériel ne vient qu’en seconde ligne et comme » complément, pour ainsi dire, de action morale dans certains » cas déterminés. Cette action morale peut s’exercer de diverses » maniéres et se modifier 4 V’infini selon les circonstances. Ainsi, » les comités s’informeront si le libéré a des parents, des amis » des connaissances qui veulent s’intéresser 4 son sort et puissent » Ini étre utiles; ils s’efforceront de rétablir les relations de famille : (8) » si le libéré a exercé antérieurement une profession dans la loca- » lité, sil y a été employé dans un atelier, on avisera aux moyens » de le remettre dans la position qu‘il occupait avant sa condam- » nation; si le travail fait défaut dans Je canton, le comité, consul- >» tant les intéréts et l'aptitude du libéré, le recommandera au » comité d’un autre canton plus 4 méme de lui procurer de V’oc- » ¢cupation. Ce cas est prévu par l’art. 25 de l’arrété du 14 décem- » bre; toutefois, comme le prescrit l’art. 26, les comités veilleront » avec le plus grand soin a ce que les libérés ne fassent pas de » voyages inutiles sous prétexte de chercher de louvrage. Ils s’in- » formeront d’abord des chances que pourrait présenter leur » changement de résidence, et ne conseilleront et ne favoriseront » ce changement qu’aprés avoir recu a cet égard des renseigne- » ments satisfaisants. La nomination des patrons, prévue ou re- » commandeée par le § 3 de art. 10 de larrété royal, facilitera, » sous ¢e rapport, la tache du comité, en simplifiant sa correspon- » dance. Linstitution du patronage individuel, sous la direction et » le contréle du comité cantonal, forme le complément indispen- » sable du systéme adopté; elle offre le moyen d’associer l’inter- » vention de la charité privée a celle de la bienfaisauce publique. » Sans son concours, les comités cantonaux seraient bientét et » inévitablement absorbés par d’infinis détails qui ralentiraient et » neutraliseraient 4 certains égards leur action supérieure. » Chaque fois qu'un condamné témoigne le désir d’étre admis 4 la faveur du patronage a l’époque de sa libération, il est transmis d’avance au comité du canton ou il se propose de fixer sa rési- dence, un bulletin confidentiel, donnant les renseignements né- cessaires sur lorigine du libéré, le motif de sa condamnation, la nature et la durée de sa peine, les incidents de sa détention, son earactére et sa conduite en prison. . Le comité recoit en méme temps le surplus du pécule du libéré aprés prélevement de la somme jugée nécessaire pour qu’il se rende au lieu de sa destination. « Lart. 19 de larrété du 14 décembre, poursuit la circulaire, » en attribuant aux comités de patronage la faculté de disposer » du pécule des libérés, leur fournit une ressource précieuse dont (9) il ne faut user qu’avec prudence et diserétion. Ils en régleront scrupuleusement l’emploi, de la maniére la plus conforme aux intéréts des ayants droit, soit quils remettent ce pécule par petites portions aux libérés, ou bien a leurs femmes et a leurs enfants pour satisfaire 4 leurs premiers besoins, soit qu ils jugent utile ou préférable de l’affecter spécialement a leur pro- curer des métiers, des outils ou des matiéres premiéres. Ce n’est qu’exceptionnellement et en cas d’absence ou d’insuffisance du pécule, que les comités auront a assister pécuniairement les libérés & Vaide des subsides, des dons volontaires et des autres ressources qu’ils pourront avoir 4 leur disposition. » Mais, méme dans ce cas, cette assistance ne peut avoir qu'un caractére temporaire. Les libérés indigents doivent étre rangés dans la méme catégorie que les indigents ordinaires; c’est aux communes a pourvoir 4 leur soulagement et a leur entretien. » Linstitution du patronage est essentiellement distincte, sous ce rapport, de celle des bureaux de bienfaisance et des établis- sements de charité proprement dits. Les comités cantonaux doivent se borner 4 recommander les libérés indigents aux administrateurs de la bienfaisance locale, 4 faciliter, sil y a lieu, leur admission dans les dépots de mendicité, les hospices ou les hépitaux; mais dés leur entrée dans ces établissements, les libérés tombent 4 la charge des communes ou ils ont leur domi- cile de secours; l’action des comités de patronage reste pure- ment morale 4 leur égard; il ne peut en résulter aucune obli- gation pécuniaire. » Cependant, il peut étre posé une exception en ce qui concerne les femmes et les enfants des deux sexes. Placés a leur sortie de prison dans une situation toute particuliére, il peut y avoir lieu dadmettre en leur faveur certaines mesures, qui, dans aucun cas, ne peuvent étre appliquées aux libérés adultes du sexe masculin. Ainsi l’art. 21 de Varrété du 14 décembre veut que, en eas de nécessité, les commissions administratives des péniten- ciers des femmes condamnées et des jeunes délinquants puis- sent aviser provisoirement au placement de certains libérés, sauf 4 en donner immédiatement avis aux comités de patronage (40 ) » des cantons ou ces libérés auront respectivement leur domicile. » Sur cet avis, les comités cantonaux examineront sil y a lieu de » prolonger ce séjour ou de faire rentrer les libérés dans les » eommunes de leur domicile. Dans le premier cas, ils adresse- >» ront une proposition au ministre de la justice, en exposant les » motifs qui militent pour la prolongation du séjour; dans le » second, ils prendront telles mesures que pourront exiger les » circonstances. » Les comités de patronage peuvent étre chargés, en outre, de la ‘mise en apprentissage des enfants acquittés comme ayant agi sans discernement, mais retenus, conformément 2 l'art. 66 du Code pénal, pour étre élevés jusqu’a un certain age déterminé par le jugement. Le bénéfice de cette disposition peut étre appliqué, au besoin, aux jeunes libérés, et particuli¢érement 4 ceux d’entre eux qui sont privés de leurs parents ou dont la famille ne présenterait pas les garanties désirables. Quant aux ressources mises a la disposition des comités, elles se divisent en trois catégories : 4° Le montant des masses de sortie des libérés admis a la faveur du patronage. Cette ressource est la plus immédiate, mais elle est aussi toute personnelle ; les comités sont invités a en régler ’em- ploi de la maniére la plus conforme aux intéréts et la plus utile a la position des intéressés ; 2° Les subsides accordés par les provinces, les communes, les bureaux de bienfaisance, les dons volontaires ; 3° Les allocations portées au budget de l'Etat pour leuvre du patronage. « Ces trois catégories de ressources, » dit en terminant la cir- laire de 1849, « doivent servir en partie a pourvoir a l’entretien » des femmes et des jeunes délinquants libérés dans des maisons » de refuge et aux frais d’apprentissage ; en partie 4 donner aux » comités les moyens d’encourager leurs patronés lorsquwils se » trouvent dans une position exceptionnelle. Les comités ne peu- » vent pas compter sur lappui exclusif du gouvernement; ils » sefforeeront de pourvoir a leurs besoins a Vaide de leurs pro- » pres ressources. ake Wet eS Re ee ee Soa ea me os ee ( tl ) » En ce qui concerne le patronage lui-méme, l’administration » supérieure n’interviendra directement que pour des ceuvres » spéciales, telles que le placement de femmes dans des refuges, » et la mise en apprentissage des jeunes délinquants. » Telle est Yorganisation du patronage en Belgique. Voyons quels en ont été les résultats. Il y a dans chaque canton-un comité présidé par le juge de paix; mais, a part trois ou quatre exceptions, ces comités n’exis- tent que pour la forme; ils ne se réunissent pas, ils ne fonction- nent pas. Sans contester le zéle et intelligence des magistrats qui sont chargés de leur direction, on doit reconnaitre que ces magistrats ne possédent pas généralement les aptitudes spéciales et la volonté nécessaire pour accomplir la mission difficile et délicate qui leur est confiée. | Les comités cantonaux sont. restés isolés; les auxiliaires, les sociétés, les patrons sur lesquels ils devaient pouvoir compter ne se sont pas présentés ou n’ont pas été appelés; aucune tentative n’a été faite pour associer les femmes a leurs travaux en ce qui con- cerne particuliérement le patronage des libérés du sexe féminin. La tutelle des comités s’est bornée le plus souvent a recevoir les masses des libérés et & les leur remettre. Plusieurs juges de paix se sont méme plaints de devoir servir ainsi d'intermédiaires entre administration et des hommes qui les obsédent et dont il leur est souvent difficile de se débarrasser. Depuis dix ans qu’ils existent, aucune mise en apprentissage n’a été opérée par les comités aux termes de larrété du 29 sep- tembre 1848. Comme nous I’avons déja dit, les condamnés, au moment de leur sortie de prison, n’ont guére de confiance dans le patronage qu’on leur offre; ils connaissent linanité de ses promesses et se refusent d’ordinaire 4 y avoir recours. Les ressources mises a la disposition des comités ne sont nulle- ment en rapport avec les besoins auxquels ils devraicnt pourvoir. Le pécule des libérés a un emploi déterminé et invariable , c’est un simple dépot sujet a restitution. ( 12 ) Les subventions des provinces, des communes, les dons parti- culiers, font absolument défaut. Les exigences de la loi sur ‘la comp-~ tabilité de Etat ont enlevé aux comités le produit des amendes et des retenues opérées, A titre de punition ou autrement, sur les masses des prisonniers pendant leur détention, ainsi que celui des masses des condamnés décédés dans les maisons centrales, que leur assurait l'arrété du 14 décembre 1848. Reste la subvention de Etat, qui, portée d’abord & 40,000 francs annuellement, a été réduite, depuis 1855, 4 20,000 francs. En déduisant de cette somme 10,000 frances environ, affectés d’ordinaire aux écoles de réforme, 4 la maison pénitentiaire des jeunes délinquants 4 Saint- Hubert, au payement des frais d’entretien de quelques femmes et jeunes filles placées dans des refuges, on a tout au plus une dizaine de mille franes 4 répartir entre tous les comités du royaume. Malgré ses appels et ses instructions, le gouvernement a du se rendre a l’évidence et songer 4 modifier une institution qui mena- cait de s’éteindre dans sa fgrme actuelle, alors que la nécessité de sa conservation et de son extension devenait chaque jour plus urgente. Il adressa en conséquence, le 19 janvier 1857, une circulaire aux gouverneurs provinciaux pour les inviter 4 donner un avis sur un plan de réorganisation du patronage qui reposait essen- tiellement sur la substitution du principe de la charité libre et volontaire au principe de l’organisation officielle et exclusive. « Le » but que s’était proposé un de mes prédécesseurs, » dit le mi- nistre signataire de la circulaire, « par organisation du patronage » des condamnés libérés, n’a pas été atteint. Les résultats qu’a » produits cette institution, si utile cependant pour le grand » nombre de libérés qui existent dans le pays, sont en général » peu satisfaisants; d’une part, dans bien des cantons, le patro- » nage n’existe que nominalement; plusieurs comités ne fone- » tionnent pas, soit que les ressources leur fassent défaut, soit » quiils ne se pénetrent pas suflisamment de l’esprit de la mission » toute d’humanité qui leur est attribuée; d’un autre coté, la >» plupart des libérés répugnent a recourir a une institution en » Jaquelle ils n’ont pas confiance. Aussi depuis plusieurs années _ —— s ——— — = ( 45 ) > déja a-t-on reconnu la nécessité de réorganiser le patronage » afin de le rendre plus efficace. » Les réponses des gouverneurs et des députations provinciales A cette circulaire admettent presque unanimement le fait de la non- réussite de organisation officielle du patronage consacrée par l'ar- rété de 1848. Pour en faire ressortir le sens et la portée, je crois utile den présenter un court résumé. Province d’Anvers. — La députation approuve les bases pro- posées pour la réorganisation du patronage qui devrait étre confié, suivant elle, a la charité privée. Le gouverneur pense avec la dé- putation que la direction des comités de patronage ne devrait pas étre exclusivement attribuée aux juges de paix et a leurs greffiers. Les juges de paix ont aujourd’hui des attributions beaucoup plus étendues qu’autrefois; ces magistrats ne peuvent donc, comme ils le voudraient sans doute, consacrer 4 l@uvre du patronage toute la sollicitude qu'elle exige. Des raisons analogues et plus fortes en- core existent pour que l’on dispense les greffiers de remplir les fonctions de secrétaires des comités; la plupart sont, en méme temps, directeurs de ventes, et tout leur temps est absorbé par ces deux emplois. Il y a dailleurs un inconvénient plus sérieux & ce que le prési- dent et le secrétaire des comités appartiennent a lordre judiciaire. Les condamnés libérés ont aussi leurs préjugés; ils croient que le patronage ainsi organisé par le gouvernement est moins une insti- tution de bienfaisance et de protection, qu’un moyen de les tenir forcément sous les yeux et la surveillance de la police...... Pour ré- médier 4 cet inconvénient, il conviendrait au moins de laisser aux comités la faculté de composer et d’élire eux-mémes leur bureau..... .« Il serait 4 désirer que l’ceuvre du patronage fut confide A des associations charitables privées, constituées sur des bases ana- logues a celles de la société de Saint-Vincent de Paul. Le dévoue- ment pour les classes malheureuses est si généralement répandu dans toutes les classes de la société en Belgique, qu’on peut pré- voir que ces associations se constitueraient dans un avenir pro- chain, assurées qu’elles seraient du concours du gouvernement. Brabant. — Le gouverneur et la députation se bornent a criti- ( 14 ) quer en principe le patronage préventi/, et n’attendent aucun ré- sultat favorable de la réorganisation du patronage des condamnés libérés. Flandre occidentale. — « L’organisation actuelle des comités de patronage, dit la députation, est évidemment insuffisante, puis- que la plupart n’existent que de nom. Cela tient, croyons-nous, a deux causes : la premiére, 4 ce que l’institution étant cantonale , ses éléments sont trop dispersés et son action doit s’exercer dans un cerele trop étendu; — la seconde, a ce que les bureaux de bienfaisance n’ont pas été liés assez intimement a son existence. Généralement les membres des comités appartiennent aujourd hui a diverses communes, et ils ne songent guére a se déplacer pour venir en aide a des individus qu’ils ne connaissent que peu ou point, et dont, du reste, il faut bien le dire, ils ne se soucient que médiocrement. » Selon la députation, on pourrait se borner a inviter les bureaux de bienfaisance des localités les plus impor- tantes 4 s’adjoindre des personnes charitables dans le but spécial de venir en aide aux condamnés libérés. Le gouverneur partage eet avis. Flandre orientale. — « L’action des comités officiels ayant été peu efficace dans la plupart des cantons, la députation perma- nente pense qu'il pourrait étre utile de recourir d'une maniére plus directe et plus générale au zéle et a la bonne volonté des associations libres, pour remplir une mission toute de dévouement et d’abnégation. » Elle est aussi d’avis que la forme du patronage devrait varier selon l’age et le sexe des condamnés libérés. Le gou- verneur se rallie sans réserve a l’avis de la députation. Hainaut. — On a jugé a propos, dans cette province, de con- sulter les comités de patronage eux-mémes, les juges de paix et les commissaires d’arrondissement, sur le systéme actuel de patro- nage et sur les réformes dont il devrait étre lobjet. Les avis émis i ce sujet, quoique différant sur plusieurs points accessoires, sont cependant d’accord sur les points essentiels : on reconnait générale- ment que Vinstitution actuelle du patronage n’a pas produit les résultats qu’on en attendait; que, d’une part, les libérés répugnent généralement i invoquer son concours; et que, de l'autre, le pré- ( 15 ) jugé qui pése sur ces individus a leur sortie de prison neutralise les démarches et les efforts que lon peut faire pour effectuer leur placement. Les membres qui composent les comités sont trop éloi- gnés les uns des autres; on éprouve beaucoup de difficultés a les réunir. Absorbés le plus souvent par le soin de leurs affaires par- ticuliéres ou par leurs devoirs publics, le temps leur fait défaut pour s‘occuper efficacement d'une ceuvre qui demande des loisirs. Aussi la plupart des personnes et des autorités consultées se ral- lient-elles 4 la proposition de confier la mission du patronage a des associations charitables libres qui fonctionneraient avec le con- cours et sous l'impulsion du gouvernement. La députation provin- ciale, 4 son tour, sans se prononcer d’une maniére formelle, pense avec le gouverneur qu'il conviendrait de laisser aux administra- tions communales et aux bureaux de bienfaisance le soin de s’en- tendre pour choisir, parmi les différents moyens qui leur seraient indiqués dans une instruction spéciale émanant du gouvernement, ceux quiils croiraient devoir admettre pour que le patronage , aux différents degrés, soit exercé de la maniére la plus utile, avec ou sans le concours actif de ’autorité administrative supérieure, selon les ressources et les besoins de chaque localité. Province de Liége. — La députation remarque que le systéme proposé tend 4 substituer dans certaines limites la charité privée 4 action officielle. Or, ce principe , cette tendance dans une ceuvre de régénération morale, lui parait offrir des dangers. La charité privée est souvent plus zélée, plus active que l’assistance pu- blique, mais elle est inégale, parfois irréfléchie; elle s'inspire fré- quemment des sentiments religieux, fort respectables sans doute , mais trop exclusifs, et qui lui font perdre de vue le but proposé pour en poursuivre un autre. La députation est done davis qu'il n'y a pas lieu de changer les bases de lorganisation actuelle, et principalement de substituer la charité privée a laction officielle. Elle se prononce, toutefois, pour une réorganisation du patronage comme institution publique, et approuve lidée de diviser les libérés en catégories selon le sexe et lage, en les soumettant a des dispositions différentes. Selon le gouverneur, il y aurait une mesure qui contribuerait & maintenir Ja régularité désirable dans ( 16 ) Yaction des comités, ce serait de leur adjoindre un secrétaire , légérement rétribué, chargé des écritures et de la partie maté- rielle, occupations auxquelles on voit souvent ne se soumettre que difficilement des hommes dailleurs dévoués. Au rapport de la députation sont joints deux rapports particu- liers des comités de Liége et de Dalhem, qui font ressortir la né- cessité de recourir pour le patronage a lactivité et au zéle des associations particuliéres. Limbourg. — La députation et le gouverneur reconnaissent que Vorganisation du patronage , consacré par l'arrété royal du 14 décembre 1848, ne fonctionne que trés-imparfaitement et ne donne guére de résultats. Ils proposent de créer dans chaque com- mune du royaume un comité particulier, en déférant au bureau de bienfaisance les attributions du patronage. Province de Namur. — Selon la députation, si l’institution du patronage dans cette province ne donne pas tous les résultats qu’on en attendait, on ne doit pas uniquement l’attribuer 4 un vice d’or- ganisation, mais bien plutét 4 deux circonstances indépendantes de celle-ci: le défaut de ressources et le défaut d'individus a patronner, On pourrait, d’ailleurs, supprimer les comités des cantons ruraux qui sont absolument inutiles, et se borner a con- server ceux qui siégent aux chefs-lieux des provinces et des ar- rondissements administratifs. Il conviendrait de leur adjoindre des membres des commissions administratives des prisons, qui, grace 4 la connaissance qu’ils ont des détenus, pourraient rendre d’im- portants services. Luxembourg. — Le gouverneur se borne a annoncer l’envoi de lavis de la députation qui n’est pas parvenu. La conclusion & tirer de cette enquéte est qu'il faut modifier complétement l’organisation du patronage. D’aprés quels prin- cipes doit s’opérer cette réforme ? Pour élucider cette question et faciliter sa solution, nous croyons utile de consulter d’abord les faits et ’expérience dans quelques pays étrangers, ot nous trou- verons peut-ctre des modeles a imiter en Belgique. ee (17) ILJ. — ORGANISATION ET RESULTATS DU PATRONAGE DANS LES PAYS ETRANGERS. En France, la nécessité du patronage des libérés a été reconnuc depuis longtemps. Aprés avoir fait ressortir le nombre relative- ment considérable de récidives constatées parmi les jeunes délin- quants, M. Perrot, inspecteur général des prisons, s’exprime en ces termes (1): « Cette situation appelle instamment le frein et » Tappui des institutions de patronage; celles qui fonctionnent » aujourd’hui, et qui résident dans un petit nombre de sociétés » volontaires, font de louables efforts qui ne sont pas en propor- » tion avec l’étendue des besoins, et qui ne peuvent conjurer que » bien faiblement le danger. Une situation analogue inquiete et » préoccupe en ce moment les nations voisines..... Bientot le pa- » tronage, prévu et preserit par la loi de 1850 (2), recevra du (1) Rapport au Ministre de Vinterieur sur les prisons et établissements pénitentiaires pour Vannée 1855, p. vxx1. (2) Aux termes de la loi du 5 aout 1850, les jeunes délinquants, sans distinc- tion , doivent étre conduits dans des colonies pénitentiaires pour y étre éleyés en commun sous une discipline sévere, et appliqués aux travaux d’agriculture , ainsi qu’aux principales industries qui s’y rattachent. (Art. 5.) Les jeunes détenus des colonies pénitentiaires peuvent obtenir, a litre d’épreuve et sous les conditions déterminées par un reglement d’administration publique , détre placés provisoirement hors de la colonie. (Art. 9.) Ceux qui ont été condamnés a une peine plus grave ou qui ont été déclarés insubordonnés dans les colonies pénitentiaires , sont transférés dans des colonies correctionnelles établies en France ou en Algérie, et dont le régime est plus sévére, (Art. 16.) Tous les jeunes détenus, a I’époque de leur libération, sont placés sous le patronage de l’assistance publique pendant trois années au moins. (Art. 19.) Un réglement d’administration publique déterminera, 1° le régime discipli- naire des établissements publics destinés a la correction et & l'éducation des jeunes détenus; 2° le mode de patronage des jeunes détenus aprés leur libéra- tion. (Art. 21.) Cette loi s'appropric, on le yoit, le vésultat des expériences faites depuis Tome VIII. 2 ( 18 ) » réglement d’administration publique, en ce moment soumis au » conseil d’Etat, son organisation générale et définitive. Ce sera » le plus grand des bienfaits dont cette législation contenait le » germe, et sans lequel l’ceuvre entiére reste inachevée et ineffi- » cace. » Cette organisation ne se rapporte qu’aux jeunes délinquants. Quant au patronage des libérés adultes, il se borne jusqu’ici, en France, 4 existence d’une maison de refuge pour les femmes libé- rées. La Solitude de Nazareth, prés de Montpellier, a été fondée, il y a quelques années, par M. l'abbé Coural, aidé de la charité de quelques personnes bienfaisantes. On y recoit toutes les femmes qui, sorties de ]a maison centrale de Montpellier ou des autres pri- sons, demandent A y entrer, ainsi que les jeunes filles acquittées comme ayant agi sans discernement, qui sont détenues par voie de correction jusqu’a un age déterminé. L’établissement contient environ 200 pensionnaires. A la date de ’année 1852, 560 de ces infortunées avaient été rendues a leur famille ou placées chez des maitres honorables. Sur ce nombre, 6 seulement avaient de nou- veau failli (1). « On a remarqué, » dit M. Bérenger, « que depuis » la fondation de la Solitude de Nazareth, le nombre des femmes » rentrées par récidive dans la maison centrale de Montpellier, » qui, comme on le sait, regoit les condamnées de tous les dépar- >» tements du midi de Ja France, avait sensiblement diminué. » Il existe, en Belgique, deux établissements qui ont a peu prés le méme but : la Maison de refuge, qui forme, a certains égards, le complément de Ja maison pénitentiaire des jeunes délinquantes a Liége, et la Maison du Bon Pasteur, 4 Namur, ott Von place, dans certaines circonstances, les femmes libérées de la maison centrale établie dans la méme ville. Le patronage spécial des jeunes délinquants condamnés ou acquittés, en France, s’exerce dans quelques localités au moyen de sociétés constituées par la charité privée. Il existe de ces sociétés quelques années, et tend & appliquer a la France entiere les bienfaits réalisés par la société de patronage du département de la Seine. (1) Bérenger, De la répression pénale , de ses formes et de ses effets, p. 455 et suiy. (19 ) 4 Rouen, & Strasbourg, 4 Lyon, & Bordeaux, 4 Toulouse ct a Paris. Cette derniére, qui fonctionne depuis 1835 et qui aregu le privi- lége de la personification civile, a servi a certains égards de modéle a toutes les autres. Son premier fondateur a été M. Charles Lucas, inspeeteur général des prisons, et sa présidence a été attribuée dés Yorigine 4 M. Bérenger, président 4 la Cour de cassation. Elle étend son action bienfaisante aux enfants du sexe masculin, sortis de la maison d’éducation correctionnelle du département de la Seine (1), qui lui sont confiés par lautorité administrative, aux conditions réglées par le ministre de l’intérieur. L’euvre prit bientét un grand développement; elle institua une agence par les soins de laquelle les jeunes libérés sont placés dans des ateliers, selon leur aptitude et leur vocation. La société veille sur eux avec la plus grande sollicitude, et pour que cette surveil- lance soit exercée paternellement, elle donne a chaque enfant un patron, pris parmi ses membres. L’action du patronage dure trois ans, pendant lesquels il est pourvu par l'association 4 tous les besoins de ses jeunes pupilles. Ceux-ci forment deux catégories, celle des libérés définitifs et eclle des libérés provisoires. ; La société recoit les premiers A l’expiration de leur peine; a cet effet, le greffier de la Maison de La Roquette transmet d’avanee & l’agent de la société, les noms des enfants dont la libé- ration est prochaine, et la date de leur sortie. De cette maniére lagence n’est jamais prise au dépourvu, elle a le temps de trouver un atelier qui soit prét 4 recevoir Penfant, au moment ou il est rendu & la liberté. h La ecatégorie des libérés provisoires s¢ compose des jeunes détenus qui, par leur bonne conduite, ont mérité la faveur d’étre confics & la société, avant l’époque fixée par le jugement qui les a frappés. Pour s’éclairer 4 cet égard, elle délégue plusicurs de ses membres, qui, ayec lautorisation de l'administration, visitent souvent les enfants renfermés au pénitencier, les consolent, les encouragent, et, aidés des renseignements que le directeur et Pau- (1) Le pénitencier cellulaire de La Roquette. ( 20 ) monier de Ja prison veulent bien leur communiquer, désignent ceux d’entre eux qui leur paraissent dignes de recevoir le bienfait du patronage : alors, sur le rapport qui en est fait 4 un comité denquéte, leur liberté provisoire est demandée au ministre de l’in- térieur, qui la refuse rarement. Que si la conduite de l'enfant ne répond pas aux soins qui lui sont donnés, il est immédiatement réintégré au pénitencier, pour tout le temps qui est porté dans son jugement. La société s’occupe avec une égale sollicitude de ces deux caté- gories de libérés; pour rendre son action sur eux plus efficace, elle a fondé, en 1846, un asile oti ses jeunes pupilles sont re- cueillis lorsqwils manquent d’ouvrage. La, ils trouvent le loge- ment et la nourriture, jusqu’a ce qu'on ait pu les placer de nou- veau ; ils y trouvent aussi des conseils , et les legons que comporte leur degré dinstruction. — C’est aussi dans cette maison que sont logés agent général de lceuvre et les divers employés sous ses ordres, et que l’on a réuni les bureaux, le vestiaire, la lingerie, la literie, et tous les objets dont les enfants patronnés par l’institution viennent se pourvoir le dimanche. Chaque mois, ils sy réunissent, et, en présence du conseil dadministration, ils écoutent avee recueillement une instruction qui leur est faite par un des membres de la société; ils rappor- tent les livrets sur lesquels leurs maitres ont consigné, soit leur satisfaction, soit leur mécontentement; ils regoivent cen échange, ou des réprimandes paternelles, ou ce qu'on nomme des bons points, avec lesquels, tous les trois mois, ils peuvent acheter, a une vente faite 4 ’encan, en présence des membres du conseil, divers objets a leur usage. Les bons points sont la monnaie regue en payement. Lorsque le patronage est expiré, des prix sont accordés a ceux qui Jes ont mérités par une bonne conduite soutenue pendant sa durée. La société a habituellement 4 sa charge de 5004 400 libérés, dont la moitié environ Vest A titre définitif, et autre, 4 titre pro- visoire. Depuis sa création, elle a contribué & rendre 4 une vie honnéte et laboricuse prés de 5,000 jeunes gens qui, sans elle, seraient probablement devenus le fléau de la métropole. Aussi, la ~~. =< ee a ( 24 ) récidive, qui était d’abord de 75 p. Jo, est-elle deseendue 4 moins de 7 p. %o. Ces chiffres ont certainement leur éloquence ! Tout ce bien s’opére & peu de frais; les dépenses ordinaires atteignent rarement 50,000 frances, dont une partie est le produit des cotisations que les membres s’imposent et des libéralités de la famille impériale, et le surplus provient, soit de la subvention de 70 centimes par jour que le ministre de lintérieur accorde pour les libérés provisoires seulement, soit des allocations de la ville de Paris, si fortement intéressée 4 la prospérité d'une ceuvre qui est pour elle un gage de préservation et de sécurité. Paris posséde aussi une institution de patronage pour les jeunes filles libérées, sortant de la prison de Saint-Lazare. Elle a été fondée en 1857, avec le concours de M. de Metz, par une société de dames sous la présidence de M™ de Lamartine. L’établissement contient prés de 200 jeunes libérées; il est dirigé par des sceurs religieuses , sous inspection des dames du comité. Lorsque ces jeunes filles sont suffisamment préparées et corrigées, Ja société les place comme domestiques ou comme ouvriéres dans des maisons choisies avec soin; les dames leur servent alors de patronesses, les assistent de leurs conscils, de leurs encouragements et de leur maternelle surveillance. 700 jeunes filles environ, aprés avoir passé par la maison de réforme, ont ainsi recu, au dehors, la destination a laquelle chacune delles était propre, et ont, i peu d’exceptions pres, répondu, par Vhonnéteté de leur vie, aux efforts qui avaient été faits pour les ramener au bien. La société a pour se soutenir les mémes ressources que celle du patronage des jeuncs libérés : cotisations de ses membres, subvention du ministére de Vintérieur, secours de la ville de Paris et, en outre, produit du trayail de ses pupilles dans la phase de réforme (1). La colonie agricole de Mettray a organisé un patronage spécial pour les jeunes gens qui sortent de cet établissement. La direction des éeoles de réforme de Ruysselede et de Beernem, en Belgique, (1) Bérenger , De la répression pénale, etc. , pp. 259 et suiv. — Rapports de la société de patronage des jeunes détenus et des jeunes libérés du déeparte- ment de la Seine. 1844-1855. — Jules de la Marque, Patronage des jeunes détenus et des jeunes libérés , 1855, etc. ( 22 ) a eu recours au mMéme moyen avee un égal succes. Tl en est de méme a la maison de refuge de Liége, ob un comité de dames s'occupe du placement et de la surveillance des jeunes filles 4 leur sortie. Ce sont 1a des exemples qui font ressortir l’utilité de relier directement et d’annexer, pour ainsi dire, le patronage aux éta- blissements de réforme, dont il étend et complete ainsi le bienfait. En Angleterre, il existe aussi plusieurs maisons de refuge qui recoivent les condamnés libérés et notamment les enfants des deux sexes & leur sortie de prison, et s’efforcent de poursuivre et de compléter l’ceuvre de leur amendement. Mais en présence du chan- gement de législation pénale qui substitue, dans le plus grand nombre de cas, la servitude pénale & la déportation, et quia pour résultat de rejeter dans la société nationale, aprés une détention plus ou moins prolongée, beaucoup de malfaiteurs qui, aupara- yant, allaient se méler 4 la population des colonies, en présence , dis-je, de ce changement, on se préoccupe de plus en plus dans ce pays de la question de savoir ce que deviendront les libérés, et quels seraient les meilleurs moyens de leur venir en aide en garantissant la société contre leurs atteintes ultérieures. Dans une réunion récente de la société de Surrey pour la ré- forme des détenus libérés, présidée par lord John Russell, cet homme d’Etat s’exprimait en ces termes : « En ma qualité de se- » crétaire @’Etat de Vintérieur et de membre de Ja commission de » la prison de Pentonville, j’ai eu fréquemment loceasion de me » convaincre des difficultés qui assiégent ceux de ces infortunés » qui, au sortir de prison, ont pris la résolution et s’efforcent de » vivre honnétement. Lorsqu’un libéré, se trouvant dans ces » bonnes dispositions, cherche 4 pourvoir a sa subsistance par son » travail, il arrive souvent que ses anciens associés le surveillent » et le traquent sans relache , le considérent comme une proic » gwils ne veulent pas laisser échapper, et vont méme jusqu le » dénoneer & ceux qui seraient disposés 4 lui donner de Poecupa- » tion, comme un ancien criminel frappé par la loi pénale. II s’en- » suit que le malheureux, poursuivi de la sorte, reconnaissant » qu il lui est impossible de chercher son salut dans la yoie de » Phonnéteté, est conduit par le désespoir & se rejeter dans la oe - ( 25 ) » carriére du crime et 4 céder & la force des tentations dont il est » obsédé. » C'est surtout pour des individus de cette espéce que le patro- » nage est utile; et quand méme on m/affirmerait que dans neuf » cas sur dix louvre de bienveillance a manqué son effet, le » secours a été accordé en pure perte, si dans le dixiéme cas vous avez arraché le libéré & Yabime qui menacait de lengloutir, vous avez réussi 4 le mettre & méme de reprendre place dans la société et 4 raviver dans son ame le sentiment des hautes desti- nées auxquelles il est appelé par son Créateur, st, je le répéte, vous nen avez sauve quun sur dix, encore étes-vous ample- ment récompensé de vos efforts. » Lord Saint-Léonard, appuyant les paroles de lord John Russell, ajoutait: « Tous les moyens employés pour arréter les progrés du » erime sont bons; sous ce rapport, la société de Surrey a des » droits incontestables 4 notre appui. Si lon ne tend pas une main » secourable au condamné a sa sortie de prison, si on le voue A » Vabandon, il serait plus charitable d’en finir complétement avee » luien le tuant. (Jt would be more charitable to shoot him.) » i a a ee a La réunion, sous impression de ces discours , adopta, 4 Puna- nimité, Ja résolution suivante que lon peut considérer comme Yexpression de lopinion de la classe éclairée en Angleterre sur cet important sujet : « Nul systeme de discipline pénitentiaire ne peut effectuer une réforme permanente dans le caractére et la conduite des pri- » sonniers, si ce n’est a la condition de leur donner la possibilité » dabandonner, apres leur libération, leurs pratiques criminelles » et de reprendre leur position dans la société 4 Taide d'une » honnéte industrie. » Le comité de la Chambre des Communes chargé, en 1850, de constater le régime des prisons du royaume et de proposer les amé- liorations dont il le jugerait susceptible, exprima opinion, « qu'il » y avait lieu d’adopter un systéme d’encouragement pour la » bonne conduite, et dinculquer aux détenus des sentiments de » dignité personnelle, dindépendance et despérance dans lavenir, s » » (2) en éyvitant toutefois d’affaiblir et de dénaturer le caractére essen- tiel de toute peine d’emprisonnement. » « Cette suggestion du comité, » dit M. le colonel Jebb, inspec- teur général des prisons d’Angleterre (1), « a été mise en pratique par Vadministration depuis plusieurs années, et lon n’a rien négligé pour en assurer le succés. Il est toutefois essentiel, en éveillant et en entretenant dans l’ame du prisonnier l’espérance dun meilleur sort, de préparer en méme temps les moyens de la réaliser. Or, ce que demandent les condamnés, a l’époque de leur Jibération et de leur réintégration dans un monde dont ils ont été exclus pendant plus ou moins longtemps, c’est avant tout un refuge temporaire ou un moyen d’occupation, un appui et des conseils bienveillants qui les aident 4 franchir Ja barriére qui sépare la vie honnéte de la vie criminelle, et & persévérer dans leurs bonnes résolutions. Quelle que soit leur bonne vo- lonté, les employés des prisons sont impuissants pour remplir utilement cette mission d’humanité. Elle exige absolument le concours d’agences extérieures, et le zéle de sociétés qui se pro- posent pour but le patronage des libérés et leur reclassement dans la société. » Il existe déja plusieurs institutions, telles que le refuge de Manor-Hall et le pénitencier de Londres (London Reforma- tory), ou Von regoit les condamnés a leur sortie de prison, en vue deffectuer ou de compléter oeuvre de leur amendement. Ces institutions s’occupent en méme temps des moyens de pour- voir au placement des individus auxquels elles offrent momen- tanément un asile. » Dautres sociétés limitent leurs opérations & assistance des détenus libérés, sans accepter la responsabilité et la dépense de réformer préalablement ceux qui demandent leur concours. Le refuge d’Elisabeth Fry et les sociétés de patronage 4 Londres’ et 4 Birmingham, présentent des spécimens de ce dernier genre (institutions dont lutilité est incontestable et qui sont en voie (1) Report on the discipline of convict prisons, for 1856 and 1857. Lon- don, 1858, pL gm =| ( 25 ) » daceroissement (1). Elles peuvent particulicérement venir en » aide aux individus libérés des prisons pénales, et qui ont déja » été soumis Aun régime réformateur. Les refuges proprement dits » exercent une action plus large, qui convient surtout aux con- » damnés qui ne subissent que de courtes périodes d’emprison- » nement, en ce quils y sont soumis & une discipline & peu prés » semblable 4 celle des prisons pénales, destinées 4 préparer leur » rentrée dans la société. » Il serait difficile de se prononcer sur le plus ou le moins d’effi- » cacité de ces divers modes. Je suis toutefois d’opinion quil faut » chercher 4 obtenir la coopération des associations privées pour » mener a bonne fin l'ceuvre du patronage, et leur accorder a cet » effet une assistance proportionnée 4 leurs besoins et a leurs » efforts. Si ce systeéme pouvait étre établi sur une écheile assez » large, grace la charité intelligente et au zéle des membres des » associations, on trouverait bien vite les moyens et la méthode » nécessaires pour atteindre le but proposé. En ce qui concerne » les convicts, l’essentiel serait de déterminer le lien qu’il convient » détablir entre les prisons et les sociétés de patronage. » Lorsque l'on considére les dépenses occasionnées par Ja pour- » suite, le jugement, la détention et la libération d'un seul eri- » minel, on doit reconnaitre que les frais de patronage et de » placement, aprés la sortie de prison, seraient amplement com- » pensés par Ja simple réduction du nombre des rechutes ct des » récidives (2). Dans un grand nombre de eas, il en cotite autant (1) On compte en ce moment 10 sociétés ou institutions de patronage , savoir : celles de Surrey (1824) , Devon et Exeter (1856), Durham (1849), Worcester (1855), Birmingham (1856), Wakefield (1856), Glocester (1856), Glascow (1857), Kingston-on-Hull (1857) et Londres (1857). Une onziéme est en voie de formation a Leeds. Les unes étendent leur action aux libérés sans distinction d’age et de sexe, les autres la limitent soit aux hommes , soit aux femmes, soit aux enfants. Il existe 167 prisons dans les 52 comtés d’An- gleterre et du pays de Galles. II s’ensuit que le patronage fait encore défaut pour 157 de ces établissements. C’est 1a un vaste champ ouyert a la réforme. (2) Quelques renseignements statistiques suffisent pour faire ressortir la yérité de cette observation. En Angleterre et dans le pays de Galles, il a été incareéré , en 1856, 152,699 individus, dont 99,456 hommes et 535,563 femmes, Sur ce ( 26 ) » pour reprendre et réincareérer un libéré, que pour en sauver » cinquante. Envisagé done comme mesure préyentive, le patro- » nage donne la perspective d’effectuer un grand bien aux condi- » tions les plus économiques. » Les femmes condamnées en Angleterre, qui subissent leurs peines dans les prisons pénales administrées par le gouverne- ment, sont soumises &,un régime spécial qui établit une sorte de transition entre la détention et la vie libre, et tient lieu ainsi, a certains égards, de patronage. D’aprés un réglement approuvé par le secrétaire d’Etat de Vintérieur, le premier degré de disci- pline pénitentiaire est appliqué dans la prison de Milbank, le second dans celle de Brixton, le troisiéme dans le refuge de Ful- ham, ot sont admises les détenues qui, par leur conduite exem- plaire, se montrent dignes de cette faveur, et ot elles jouissent dun certain degré de liberté qui les prépare 4 rentrer dans la société. Un systéme analogue a été étendu, en Irlande , aux condamnés des deux sexes: aprés avoir passé successivement par divers stages, ceux d’entre eux dont l’amendement parait probable, sont admis, avant leur libération, dans un établissement intermédiaire ou lon pourvoit, autant que possible, & leur placement. Il serait intéressant d’étudicr dans tous ses détails Papplication de ce nou- veau systeme, qui n’en est encore dailleurs qu’d sa période d’essai (1). En ce qui concerne enfin les jeunes délinquants, on a institué depuis quelques années, en Angleterre, des écoles de réforme diri- gées , pour la plupart, par des associations particuliéres, qui s’oc- cupent non-seulement de la réforme de leurs pupilles, mais encore de leur placement lors de leur sortie (2). nombre il n’y avait pas moins de 56,604 récidivistes , qui avaient déja passé une ou plusieurs fois par les prisons. Les frais de poursuite représentent, la méme année, une somme de prés de 200,000 livres sterling (194,912 liv. 4 s. 8 d.); et les dépenses des prisons se sont élevées 4 515,917 liv.2 s. Total 710,829 liv. 6s, 8d. (pres de 18 millions de francs). (1) Voy. Fourth annual report of the directors of convict prisons in Ireland. Dablin, 1858. — Report on the discipline of convict prisons , for 1856 and 1857, by Col. Jebb : Trish convict prisons, p.90 et s. (2) On peut consulter diverses publications & ce sujet, et notamment le Philan- Ura S eer CO Cat eY 2. tes sahil , ae ee ee ( 27 ) L’Allemagne est entrée dans la méme voie. Il existe dans la plupart des Etats, des institutions et des sociétés de patronage qui embrassent un cerele plus ou moins vaste, mais qui, générale- ment, limitent leur action aux besoins des localités oti elles ont leur siége. Cependant, dans le grand-duché de Bade, ona, depuis quelques années, eréé une société de patronage pour les condamneés libérés , dont le bienfait s’étend au pays entier. Cette société, dont le siége est 4 Carlsruhe, a des comités correspondants dans les divers districts. Bien que composée d’éléments particuliers, elle a recu une sorte de sanction officielle du gouvernement qui lui facilite Yaccomplissement de sa mission. Les sections de district se constituent spontanément par l’asso- ciation des personnes qui se montrent disposées 4 participer a Yeuyre du patronage, et qui s’engagent, en conséquence, soit a payer une certaine rétribution annuelle, soit 4 remplir Voflice de patron. Chaque section est représentée et dirigée par un comité com- posé au moins de cing membres, y compris le président et le tré- sorier. Le comité peut s’adjoindre telles personnes qu il juge con- venable. Lorsque la section est constituée, elle en donne connaissance a -Yautorité administrative du district, qui, par Vintermédiaire du ministre de la justice, la met en rapport avec les directeurs des prisons pour peines. Le comité se réunit 4 des interyalles indé- terminés, sur la convocation de son président, pour soccuper des intéréts des libérés confiés 4 ses soins. Il recoit avis de la direction de la prison, chaque fois qu'un détenu, dont le terme de libération est prochain, et qui a son domicile ou V'intention de fixer sa résidence dans les limites de sa circonscription , témoigne le désir de profiter du bénéfice du pa- trope (The Philantropist and social science gazette), revue qui sert @organe aux associations et qui parait mensuellement 4 Londres. Voy. aussi la Notice sur les institutions de réforme dans le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de VIrlande, par sir Stafford Northcote. (Compte rendu des débats du Congrés inter- national de bienfaisance de Francfort-sur-le-Mein, 1857 1. IL, p. 580 et suiv.) ( 28 ) tronage. Le directeur de la prison transmet, dans ce cas, au comité l’ayoir ou le pécule du libéré, en méme temps que des renseignements aussi détaillés et aussi complets que possible sur ses antécédents, son caractére, sa conduite pendant sa captivité, ‘et son aptitude 4 Vexercice de telle ou telle profession. Le comité, aprés avoir recu ces renseignements, se met en rap- port avec le pasteur et l’autorité communale du domicile ou de la résidence du libéré, avee ses parents ou avec les personnes qui peuvent s'intéresser 4 sa position, pour obtenir leur appui ou leur concours. Si le libéré lui parait digne de protection, celle-ci est exercée soit directement par le comité, soit par un des membres de l’association , qui consent 4 remplir Voffice de patron. Selon les cas, on avise aux moyens de procurer au libéré de Poceupation, de le placer dans une maison de pauvres ou dans un hdpital, de le secourir momentanément au besoin, ou enfin de favoriser et de faciliter son émigration. Les patrons sont choisis parmi les personnes connues pour leur humanité et leur expérience; le patronage des femmes libérées est attribué de préférence a des dames. Les patrons exercent une surveillance bienveillante sur les individus confiés & leurs soins; ils les éclairent de leurs conseils et les avertissent ou les répri- mandent au besoin. En cas de mauvaise conduite d’un patronné, il en est donné avis au comité, qui peut lui infliger une punition ou le dénoncer a Vautorité locale, qui lui applique les peines de police. Les libérés qui n’ont pas sollicité le bénéfice du patronage, au moment de leur sortie de prison, peuvent toujours par la suite s'adresser au comité, qui statue sur leur demande. Lorsque le patronné change de résidence avec lautorisation de la police locale, le comité de patronage du district quil quitte, le recommande au comité du district quil va habiter. L’action du patronage ne cesse que lorsque le patronné est par- venu 4 se procurer une occupation réguliére et que sa position future parait assurée. Le comité peut proposer a lautorité supé- rieure Vadoucissement, la réduction ou méme la remise entiére de la surveillance de police, dans le cas ott le patronné, par sa bonne conduite soutenue, lui paraitrait digne de cette faveur. EE Pe i j : ( 29) L’exclusion du patronage peut avoir lieu pour cause dindignité. Cette exclusion est prononcée par le comité du district, aprés mure délibération, lorsque ses avertissements réitérés sont restés sans effet. Avis de l’exclusion est donné a lautorité du district ott le libéré a sa résidence. Les ressources des comités de patronage sont les suivantes : 4° Les épargnes des libérés, qui sont transmises aux comités par les directeurs de prisons 4 la condition, toutefois, de les appli- quer exclusivement 4 l’usage de ceux qui les ont faites ; 2° Les donations et les legs; 3° Le produit d’une quéte faite annuellement dans toutes les églises du district au profit de ’euvre; 4° Les rétributions ordinaires des membres de l'association. A la fin de chaque année, les membres de l’association, domi- ciliés dans le district, sont réunis en assemblée générale pour entendre le rapport du comité sur la situation de l'cuvre ct les résultats qu’elle a obtenus; prendre connaissance du résumé des rapports particuliers que les patrons doivent adresser annuelle- ment au mois de novembre; examiner et approuver les comptes, et se prononcer sur les propositions et les améliorations soumises aleurs délibérations. Le proces-verbal de l’assemblée générale est adressé au comité central de Carlsruhe, qui le transmet, & son towr, au ministre de la justice, dans le courant du mois de janvier. Un statut du gouvernement wurtembergeois, du 25 janvier 4857, approuve la constitution d’une société ayant un but ana- logue pour le Wurtemberg. Mémes efforts en Suisse. On peut citer notamment la société de patronage de Saint-Gall qui se rattache au pénitencier de la méme ville; son action inspire une confiance telle que tout libéré, recom- mandé par Je comité, trouve aisément un placement conyenable et des moyens d’existence. Sur un nombre de 658 individus patronnés par la société, depuis 1839, on ne compte que 10 p. wt) de récidiyes. On a remarqué que celles-ci étaient d’autant plus fréquentes que la durée de l’emprisonnement ayait été plus courte. ( 50 ) En Toscane, il existe aussi une société de patronage, qui étend son action bienfaisante sur tout le Grand-Duché, au moyen de comités locaux, et dont les résultats ne sont pas moins favora- bles (1). En Lombardie, 4 Milan, dans les Etats de l’ Amérique du Nord, New-York, Pensylvanie, Massachusetts, dans les Pays-Bas, ete., le patronage des condamneés libérés est organisé sur une échelle plus ou moins large. Dans ce dernier pays, la société pour lamé- lioration morale des prisonniers a ouvert récemment une maison de refuge, 4 Leyde, pour les jeunes délinquants a leur sortie de prison. Mais il me faut mettre un terme a cette énumération qui, si je la complétais, dépasserait les limites que je dois assigner &@ mon travail. Les renseignements qui précédent, suffisent d’ailleurs pour faire ressortir Vimportance que lon attache généralement, dans les pays étrangers, 4 l’ceuvre du patronage des libérés, et pour tracer la yoie qu’il importe de suivre en Belgique. IV. — Basks DE REORGANISATION DU PATRONAGE EN BELGIQUE. Linsueeés du patronage en Belgique, tel qu'il a été établi par Varrété du 14 décembre 1848, doit étre attribué principalement ison mode dorganisation. On I’a considéré comme une institution essentiellement publique et officielle, et le concours des particu- liers et des associations charitables lui a, dés lors, fait défaut. Nous avons vu qu il n’existe plus guére que pour la forme, et que lon est presque unanimement davis qu'il y a lieu de le reconstituer sur d’autres bases en appelant avant tout le concours de Ja charité privée. L’exemple de tous les pays et opinion des hommes les plus compétents se réunissent pour indiquer cette yoie comme la seule pratique et la seule efficace. (1) Socteté caritatevole di patrocinio per ¢ liberati dagli stabilimenti peni- tenziali del gran ducato di Toscana. Rapporto dagli anni 1854, 1855 e 1856. Firenze, 1858. ( 34 ) « Lacharit¢é, » dit Vhonorable président du comité de patronage du département de la Seine (1), « la charité ne se erée pas par » » » ordonnance, elle ne s'impose pas, elle veut étre libre dans ses allures; elle répugne & ce qu’on la soumette au controle de tel ou tel fonctionnaire, ou a ce qu'elle soit exercée de droit par ecux que désigne plutét leur position que leur sympathie pour les ceuvres qui relévent delle. » Et il ajoute : « Il suffirait au gouvernement de faire un appel a la bienfaisance des citoyens 5 eet appel serait certainement entendu. N’avons-nous pas en France (comme en Belgique) une admirable institution qui, formée sous les auspices de la religion, et sous linvocation d'un saint que le monde entier vénére, se consaere a toutes les muyres de charité? C’est la société de Saint-Vincent de Paul qui a des ramifications dans toutes les parties du territoire, et qui compte des représentants dans les plus humbles villages : peut-on douter qu’elle ne soit préte a appliquer a ce grand intérét d’humanité, ce dévouement dont son patron lui a donné de si glorieux exemples? » Sir Stafford Northcote, ancien membre du parlement, dans une notice communiquée au Congrés international de bienfaisance de Francfort-sur-le-Mein, sur les institutions de réforme en Angle- terre (2), aprés avoir fait ressortir le caractére de ces institutions dues 4 linitiative de la charité privée, s’exprime en ces termes : p- Ce que nous redoutons le plus, c’est Vesprit de centralisation. Que lEtat nous aide, quwil nous surveille, quil pose des prin- cipes dont nous ne puissions nous écarter, soit; mais si Etat, et je ne parle pas seulement du gouvernement central, mais aussi des autorités locales et municipales, — si l’Etat se méle trop de nos arrangements intérieurs, s'il s’efforce de traduire en formules légales les inspirations de la charité, il est 4 craindre que cette intervention directe ne produise beaucoup plus de mal que de bien, et n’entrave ce qu'il faudrait encourager. Quon (1) Bérenger, De la répression pénale, de ses formes et de ses effets 547. (2) Compte rendu des débats , t. 11, p. 595. ( 52 ) me permette de rappeler a cette occasion les paroles éloquentes dun écrivain distingué (M. Guizot) : Caractériser la charité chrétienne, a-t-il dit, c’est prouver qu'elle a absolument besoin de liberté : elle s’inquiéte d’autre chose encore que de venir en aide a Ja misére; elle a son but moral aussi bien que son objet materiel ; elle fait partie d'un ensemble de croyances, de senti- ments, de deyoirs, d’espérances qui aspirent & trouver aussi dans ses ceuvres leur satisfaction; lame des pauvres préoccupe le donateur charitable comme leur corps; il se préoceupe de sa propre ame a lui comme de celle des pauvres; il cherche le salut éternel des ames en méme temps que le soulagement des détresses de la terre. La charité chrétienne a done ses suscepti- hilités, ses exigences, ses nécessités particuliéres; elle a surtout besoin d’avoir confiance dans les agents de ses cwuvres, de les croire animés des mémes sentiments qui la possédent et dévoués aux mémes desseins..... L’entraver dans le choix de ses moyens d'action, c'est lui interdire son action méme; il faut qu'elle dé- termine elle-méme sa route pour étre sttre darriver a son but. Vous la paralysez. si yous prétendez lui prescrire les chemins par ot elle doit passer, Jes mains par lesquelles elle doit agir. » Cette opinion est aussi partagée par un savant légiste qui fait autorité en ces matiéres, M. Mittermaier, professeur a luniversité de Heidelberg (1). « Pour que le patronage, dit-il, porte des fruits » p- vraiment utiles, il importe qu'il soit exereé par des associations de charité libres qui, seules, sont & méme de vainere Jes craintes et les répugnances quinspirent les libérés, et d’écarter les diffi- cultés qui s‘opposent a Jeur rentrée dans la société..... Une insti- tution qui porte le cachet officiel, qui n’agit qu’en vertu d’ordres supérieurs, ot préyaut Vautorité des fonctionnaires, et qui n’existe que par eux ou avec leur concours, soumise a wn con- trole incessant, est frappée dans son germe dun vice irrémé- diable. Mais si I'Etat est intéressé 4 abandonner l’ceuyre du pa- tronage au zele des particuliers, il lui appartient néanmoins (1) Die Gefangnissbesserung (De la véforme des prisons). Erlangen , 1858 , 160. [a Sa ee eee ( 55 ) » dexercer a cet égard une action des plus utiles en approuvant » les statuts, en secondant les efforts et en attribuant la person- » nifieation civile aux associations. » Il importe, en effet, que organisation du patronage repose sur cette double base : la libre charité des particuliers et des associa- tions, le stimulant actif et le concours bienveillant de l’adminis- tration publique. La ou l'un ou V’autre de ces éléments essentiels ferait défaut, lceuvre manquerait des conditions nécessaires a son succés. L’administration ne peut pas plus se passer de laide de la charité que celle-ci ne peut fonctionner utilement sans Vassis- tance administrative. C’est en alliant ces deux forces et en évitant surtout qu’elles ne se contrarient réciproquement, que dans quel- ques pays on est parvenu a vaincre, au moins en partie, les ob- stacles contre lesquels on a échoué en Belgique (1). Lexemple donné par ces pays doit servir d’enseignement. On pourrait. prendre pour types de la nouvelle organisation du patro- nage en Belgique, la société instituée pour le département de la Seine, et les associations plus larges qui, dans le grand-duché de Bade et en Toscane, embrassent le pays entier. Grace aux moyens dinfluence dont dispose le gouvernement, il lui serait sans doute facile de déterminer un certain nombre de personnes charitables. et influentes 4 se réunir soit pour constituer une société générale avec des succursales dans les principales localités , soit pour former des associations distinctes et indépendantes les unes des autres , mais qui cependant correspondraicnt entre elles et se préteraient un mutuel appui. Dans lune et lautre de ces hypotheses, il serait également possible et désirable de rattacher a l’ceuvre certaines associations existantes, et surtout de lui conserver le concours des comités de patronage actuellement en exercice, qui remplissent avec zéle et intelligence leurs fonctions. Leurs membres ont acquis i cet égard une expérience précieuse quils n’hésiteraient pas sans doute 4 mettre au service de la nouvelle organisation. (1) Ce paragraphe a été ajoulé pour faire droit a une observation de l'un des honorables membres de Académie, chargé de examen du mémoire, qui trou- vait que j’attribuais une action trop large et trop exclusive a la charité privée en restveignant d’autant le concours nécessaire de administration. Telle n’était pas ma pensée, et j'ai cru utile de la mieux préciser. Tome VIII. 5 ( 54 ) Les sociétés, les succursales et les comités doivent ayoir leur siége dans les loealités ot se trouvent les prisons, de maniére pouvoir préparer l'action du patronage pendant la captivité méme au moyen de la visite des prisonniers dont ja libération est pro- chaine. Dans les prisons cellulaires surtout, ces visites auraient une influence des plus salutaires et viendraient compléter les autres moyens mis en ceuvre pour effectuer l’'amendement des détenus. Il est bien entendu, du reste, que les associations ou co- | mités ne pourraient avoir aceés dans les établissements qu’apreés avoir été agréés par le gouvernement, et quils contracteraient par 1a méme l’engagement de se conformer strictement aux réglements et aux instructions, et de faire rapport 4 l’administration des ré- sultats de leur mission. Le patronage des femmes doit étre confié de préférence, et au- tant que possible, 4 des personnes de leur sexe, soit que l'on con- stitue 4 cet effet des sociétés spéciales, soit que Yon adjoigne aux associations ou aux comités généraux des sections de dames, ou que l’on confie a celles-ci les fonctions de patronnesses. Il importe aussi que le patronage des jeunes délinquants soit distinct de celui des prisonniers adultes. Le motif de cette sépara- tion est puisé dans lintérét des enfants , qui ne peuvent, & aucun titre, étre assimilés aux individus qui ont failli en pleine connais- sance de cause; les premiers exigent ’emploi de mesures spéciales qui appartiennent 4 la sphere de la tutelle et de l'éducation, tandis que le patronage des seconds se rattache plus particuliérement a la sphére de la bienfaisance (1). On a soulevé la question de savoir & quelles conditions il conve- nait de subordonner le patronage. En régle générale , la premiére de ces conditions devrait étre que les libérés eussent donné, pen- dant leur captivité, des preuves d’amendement (2) et qwils solli- citassent eux-mémes le bénéfice de Vinstitution. Cependant, comme il peut arriver des cis ott le libéré qui, en sortant de prison, n’a (1) Ed. Duepetiaux, Des conditions application du systéme de Pempri- sonnement sépare. Bruxelles, 1857, p. 60. : (2) dem, pp. 58, 59. ( 53 ) pas demandé le patronage, se trouve plus tard dans la nécessité Winyoquer son appui, il convient, je pense, de ne pas poser a cet égard de régles et de limites trop absolues, et d’accorder aux asso- ciations ou aux comités toute liberté d’agir selon les circonstances et les besoins. La méme observation peut étre faite en ce qui concerne la durée de ’emprisonnement requise pour étre admis a la fayeur du pa- tronage. Dans tels pays, en Toseane par exemple, on a porte cette durée a six mois, dans d’autres, A trois mois seulement, tandis qu’en Belgique , l'admission a été strictement limitée jusqu ici aux condamnés qui subissent leur peine dans les maisons centrales. Il serait difficile de justifier cette sorte de privilége, alors surtout quun grand nombre de condamnés, méme A l’emprisonnement a long terme, sont journellement autorisés 4 rester dans les maisons de streté et darrét cellulaires. Quant au but et au caractére du patronage, aux moyens quil doit employer pour accomplir sa mission, aux ceuyres accessoires qu’il peut embrasser, on trouve toutes les indications nécessaires dans les statuts des associations que j’ai citées, ainsi que dans l’ar- rété du 14 décembre 1848 et dans la cireulaire du 12 septembre 1849, qui, a l'exception du caractére officiel attribué aux comités, sont entiérement conformes aux principes qu'il est a désirer de voir prévaloir en semblable matiére. J'insisterai seulement sur la nécessité d’attribuer, autant que possible, 4 chaque libéré un pa- tron particulier (1). C’est la la premiére condition de succes. Sous ce rapport il con- vient d’étendre le cadre des associations et d’y appeler les fabri- cants et méme les bons ouvriers disposés 4 tendre une main secourable aux infortunés qui, aprés avoir failli, s’efforcent de se relever et d’effacer le souvenir de leur faute. Il a été question plus dune fois d’ouyrir des asiles temporaires aux libérés, et diverses tentatives ont méme été faites pour réali- (1) Les statuts de la société de patronage de Toscane , du 2 octobre 1844 , contiennent une instruction détaillée concernant les altributions et les deyoirs des patrons. (Raccolta dordini, p. 262.) ( 56 ) ser ce projet. En France, la Solitude de Nazareth ; en Angleterre , le Pénitencier de Londres ; en Allemagne, le refuge de Kaisers- werth; en Belgique, la Maison de Refuge, a Liége, et la Maison du Bon Pasteur, i Namur, prouvent que ces institutions peuvent étre utiles et méme parfois nécessaires pour les femmes, au mo- ment de leur sortie de prison. I] en est de méme des institutions analogues eréées pour les jeunes délinquants et les jeunes libérés des deux sexes. Mais il est plus que douteux que le méme sys- téme puisse étre étendu avec avantage aux libérés adultes du sexe masculin. L’asile pour eux ne scraii le plus souvent que la prolon- gation de la captivité sous une autre forme et dans un autre lieu. Si Pon reconnait les avantages du régime cellulaire pendant ’emprisonnement pénal, on doit, pour les mémes raisons, préve- nir, autant que faire se peut, la réunion des anciens cellulés aprés expiration de la peine. Ce que l’on peut faire de mieux, e’est de disséminer au plus t6t des éléments dont l’agglomération pourrait entrainer de graves inconvénients. Sous ce rapport, les tentatives que feraient les sociétés de patronage pour fayoriser l’émigration des libérés amendés et pour leur ouvrir dans d’autres pays les per- spectives qui leur font défaut dans leur patrie, ces tentatives, dis- je, devraient étre particuliérement encouragées par le gouverne- ment. Enfin, organisation du patronage doit pouvoir se coneilier avec la surveillance de la police, en ce sens que celle-ci ne puisse jamais contrarier l’action bienveillante des patrons et soit obligée , au contraire, de lui préter son concours. A ce point de vue, on eomprendra la nécessité de modifier les régles prescrites pour cette surveillance, et surtout de ne pas la prolonger lorsqu’il serait reconnu quelle est devenue inutile. 1] m’a été impossible, dans ectte rapide esquisse, d'approfondir, ou seulement méme dindiquer sommairement toutes les ques- tions quise rattachent au patronage des condamnés libérés, toutes les mesures qui peuvent rentrer dans le cercle de son application. Mon but principal a été d’appeler Vattention sur lune des réfor- mes les plus urgentes, et de déterminer le gouvernement a re- (57 ) chercher Ja solution du probleme posé, en lui fournissant a cet { effet quelques éléments puisés & des sources dont l’autorité est incontestable. Ce but, je voudrais l’avoir atteint, car lexpérience | me dit tous les jours que, sans une bonne et complete organisation : du patronage a l’expiration de la peine, toutes les dépenses, tous les efforts que lon fait pour améliorer les prisons et pour mora- : liser les détenus ne conduisent qu’a des résultats incomplets. d FIN. TABLE MEMOIRES CONTENUS DANS LE TOME VIII. 1. Considérations sur quelques classes de composés organiques et sur les radi- caux organiques en général; par M. Louis Henry. 2. Remarques critiques sur diverses espéces d’Ichneumons de la collection de feu le professeur J.-L.-C. Gravenhorst, suiyies d’un court appendice ichneumo- nologique; par M. C. Wesmael. 3. Note sur les tremblements de terre en 1856, avec suppléments pour les années antérieures; par M. Alexis Perrey. 4. De Vinfluence de la civilisation sur la poésie; par M. Ferd. Loise. 5. Du patronage des condamnés libérés; par M. Ed. Ducpetiauy. PUBLICATIONS DE V’ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE. — Annuaire de Academic; {rea Dhme année. 1855-58; in-A8, Bulletins de Académie royale ‘des seiences et belles levees de- Bruxelles, tome Ia XU; in-8°. ; Bulletins de VAcadémic royale des sciences, des lettres et ‘des: beaux-arts de Belgique, tome XIII a HE — Qme série, tome I a AV; 4858; in-8e. annexe aux Bulletins de 1854, 1 vol. i in-8° — Prix > 4 francs. Nouveaux Mémoires dec PAcadémic royale des sciences et belles- ; lettres de Bruxelles, tome 1a XIX; in-4°. Mémoires de-VAcadémie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XX 4 XXX; in-4°. — Prix: 8 franes par volume, a partir du tome X. Mémoires couronnés par lAcadémic royale des sciences” et helles-lettres de Bruxelles, tome I a XV; in-4°. Mémoires couronnés et Mémoires des savants clrangers, tome XVI- a XVII; in-4°, : Mémoires couronnés et Mémoires des savants élrangers, publiés par PAcadémie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XIX AXXIX; in-4°. — Prix: 8 francs par volume, a partir du tome XII. Mémoires couronneés et autres Mémotres , collection in-8°, tome I a VIH.— Prix 4 franes par volume. Ribliographie académique, ou lisic des ouvrages publiés par les membres, correspondants ef associés résidents. 1834; za Bc oat in-18°. Wables des Mémoires des membres, des Mémoires ‘coupons et -des’sayants étrangers (1816-1857). 4 vol. in-48; 1858. Tables générales et analytiques du recueil des Bulletins de : PAcadémie royale des sciences , des lettres et des beaux- arts de ‘Bel- gique, tome 1a XX (1852 a 1856). 1858. : ’ Commission pour la publication des monuments de la littérature flamande. Der Naturen Bloeme van Jacob Van Macrlant, tome I pu- blié par M. Bormans. 1857; 1 vol. in-8°. i Rymbybel van Jacob Van Maerlant, tome Ie", publié par M. J. David. 18585 4 vol. in-8°. i Commission royale Chistoire. ; 2 Collection de Chroniques belges inédites, pubeaany par ordre du Gouvernement; 19 volumes in-4°. Compte rendu des séances de la Commission royale Vhistoire, + 3 ou Recueil de ses Bulletins, 16 yol. in-8° (1857-1849). — NOUvEME | we 2 série, tome | a X, in-8° (1858). 3 Annexes aux Bulletins, 5 yolumes in-8°, — 7 eee a i ee , i Ge eS ate st} erates ses \! alates \ vy oa sages pt riras tity Peay ts His ve ir shit Peters ait het aes rae eee of matt Neste real itt) Guitare Sine leita wien att SRR id ie cl, iin Wit) wrth ie & tee i Bas