LA

CRISE AGRICOLE

DANS SES RAPPORTS

LA BAISSE DES PRIX ET LA (ilJESTIOX MONETAIRE

LA

CRISE AGRICOLE

DANS SES KAPPORTS

LA BAISSE DES PRIX ET LA QUESTION MONÉTAIRE

I). ZOLLA

Lauréat de rriistitul,

Professeur l'Ecole de Grignon et à l'Ecole libre

des Sciences politiques.

OiisToge couronné par i Académie des Sciences morales et politiques [Prit liossi).

a

PARIS

MASSOX ET C% ÉDITEURS

LIHI4A1KES DE l' ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, Houlovard Saiiit-(îpi-inaiii

(jdB

OCT 1 0 t9j2

A MA MERE

En témoignage de mon respect et de ma reconnaissante affection.

LA CRISE AGRICOLE

DANS SES RxVPPORTS

AVEC LA BAISSE DES PRIX ET LA QUESTION MONÉTAIRE

INTRODUCTION

On trouvera dans cette Introduction le plan que nous avons adopté, c'est-à-dire la succession et Tenchaîne- ment logiques des divers chapitres.

En premier lieu nous exposons et nous analysons les faits ; nous remontons ensuite aux causes qui les expliquent. Nous montrons les conséquences si diverses des phénomènes économiques qui constituent ou provoquent la Crise agricole. Enfin, nous nous demandons quels remèdes peuvent en atténuer les effets.

Ce sont les quatre divisions de cet ouvrage.

Qu'est-ce que la Crise agricole ? Premières distinctions à faire.

Depuis tantôt vingt-cinq ans on parle de la crise agricole. Il n'est pas inutile, au début d'une étude qui

ZoLLA. La Crise agricole. i

2 lyTRODUCTION

s'y rapporte, de chercher à préciser ce qu'on entend par ce mot.

Une pareille expression désigne évidemment un état de malaise, de trouble, de crainte et de souffrance. Il s'est opéré un changement dans la situation des agri- culteurs, et ce changement les affecte douloureuse- ment.

Ici une distinction s'impose. Nous avons la fâcheuse habitude de donner le nom d'agriculteurs à tous ceux qui coopèrent à la production agricole. Le public est ainsi disposé à confondre les chefs d'exploitation, qui sont des patrons, des entrepreneurs de culture, et, par suite, de véritables industriels, avec les collaborateurs salariés connus sous le nom d'ouvriers, de domes- tiques, de chefs de culture, etc., etc. Cette confusion est regrettable à plus d'un titre. L'ouvrier agricole ne doit pas plus être confondu avec l'entrepreneur de cul- ture que le salarié de l'industrie avec le propriétaire d'une usine et l'ingénieur qui la dirige. A un point de vue très général et très élevé, on peut dire que les intérêts des patrons industriels sont liés à ceux de leurs ouvriers. Il n'en est pas moins vrai que ces intérêts sont parfois opposés, et les dissentiments ou les luttes retentissantes qui se produisent entre employeurs et employés, nous révèlent clairement l'antagonisme de ces deux catégories de « travailleurs » et de « produc- teurs )).

Pourquoi en serait-il autrement dans l'industrie agri- cole ? Pourquoi, dès lors, donner le même nom à des hommes dont les fonctions, la fortune, l'instruction et la situation sociale sont évidemment différentes ?

QU EST-CE QUE LA CRISE AGRICOLE? 3

La crise agricole, notamment, affecte-t-elle de la même façon tous les agriculteurs ?

Les salaires, par exemple, ont-ils subi une réduction égale à celle qui affecte les profits des entrepreneurs de culture ?

Cet état de malaise, de trouble, de crainte et de souf- france appelé « crise », présente-t-il les mêmes carac- tères lorsque Ton étudie la situation des salariés et celle des patrons agricoles, celle des locataires d'héri- tages ruraux appelés fermiers ou métayers, et celle des petits propriétaires-cultivateurs ?

Cette question comporte certainement une réponse négative. Non, la « crise » n'a pas affecté de la même manière la situation financière et matérielle de ces trois grandes catégories d' « agriculteurs ». Cette distinction est fondamentale. Elle se rattache tout à la fois aux causes et aux effets de la crise agricole. Elle permet d'en étudier la haute portée sociale.

Quand on parle d'une crise agricole., on semble, enfin, viser uniquement les agriculteurs. C^est une vue trop étroite. L'observation des faits actuels et l'étude des phénomènes analogues dans le passé, nous apprennent bien vite que les propriétaires fonciers qui amodient ou afferment leurs domaines ruraux sont atteints par une crise agricole. Tout le monde sait, en \ réalité, que depuis quelques années le revenu des biens- [ fonds ruraux a diminué en France.

Les exceptions à cet égard confirment la règle.

D'autre part, la réduction des revenus nets habituels a exercé une action sur la valeur vénale de ces mêmes biens. Les propriétaires qui ne cultivent pas eux*

4 I.\TIiODUCTIOy

mêmes, mais qui « donnent en location » leurs terres, constituent par conséquent une dernière catégorie de personnes dont la crise actuelle modifie la situation. Quand nous étudierons les efïets et les causes de la crise agricole, il y aura donc lieu de rappeler la qua- druple division que nous indiquons dès à présent. Les entrepreneurs de culture, les propriétaires cultivateurs, les propriétaires de biens-fonds affermés ou amodiés, et enfin les salariés, seront l'objet d'études successives destinées à montrer dans quelle mesure ils ont à souf- frir d'un état de choses nouveau, et pour quelles raison ils s'en trouvent diversement affectés.

Les caractères de la crise agricole.

Les caractères de la crise que nous traversons ne diffèrent pas seulement quand il s'agit de fermiers, de métayers, de petits propriétaires, etc., etc. Ils varient également avec la nature des produits agricoles et, par conséquent, avec les régions dans lesquelles ces pro- duits sont habituellement obtenus. Nous aurons, par conséquent, à marquer les différences qui s'observent d'une extrémité à l'autre de notre pays et à rechercher les causes qui les expliquent.

Ces différences correspondent à des caractères spé- ciaux.

Mais il est un caractère très général et non plus spé- cial que nous devons indiquer immédiatement, car il mar([ue la différence profonde qui sépare la crise agri- cole actuelle des difficultés passagères ou même des désastres et des fléaux. La crise agricole est, avant

LES CARACTERES DE LA CRISE AGRICOLE 5

tout, une crise économique. Elle se rapporte à des questions financières, à la réduction des profits, à la baisse des loyers agricoles, à la question si obscure des prix de revient dans leur rapport avec les prix de vente, et non pas à l'état des récoltes que des intem- péries, des maladies nouvelles auraient pu diminuer.

Sans doute finvasion phylloxérique constitue un évé- nement d'une si grande importance qu'elle a provoqué une crise dans les régions viticoles. Mais cette crise dont la cause est bien connue ne saurait être confondue avec la crise agricole elle-même, dont les effets se sont fait sentir dans la France entière.

S'il s'agissait de la rareté de certaines récoltes, la crise agricole eût été restreinte à quelques régions, à (juelques pays tout au plus. Après les années d'épreuve, on eût traversé de nouveau une période de prospérité et d'abondance. Rien n'eut changé, ni le prix des den- rées, ni les bénéfices attachés à l'exploitation du sol, ni la valeur locative des terres.

C'est précisément l'inverse que nous ol)servons. . Depuis vingt ans, la masse des produits agricoles obte- nus chaque année a certainement augmenté ; nous avons réalisé d'incontestables progrès. Notre sol est mieux travaillé, mieux fumé, plus intelligemment sollicité à produire, parce que l'on a tenu compte de ses aptitudes naturelles ; il est devenu plus fécond. Nos animaux domestiques sont à la fois plus nombreux, mieux con- formés, plus pesants, et en somme plus productifs. Nous avons triomphé du phylloxéra, reconstitué en grande partie nos vignobles ravagés, lutté avec succès contre des maladies nouvelles. Le perfectionnement de

6 INTRODUCTION

notre outillage mécanique et la prédominance de plus en plus marquée des cultures fourragères ont réduit les frais de main-d'œuvre. Nos voies de communication de toutes catégories sont plus nombreuses. Dans bien des cas, les tarifs de transport ont subi sur nos chemins de fer des réductions notables. L'esprit d'association s'est développé dans nos campagnes. Les syndicats agricoles, les sociétés coopératives de production ren- dent sur mille points des services signalés. Il n'est pas jusqu'à l'instruction agricole que l'on n'ait répandue avec la plus louable persévérance, sinon avec le succès le plus éclatant.

Et pourtant le public agricole ne cesse de faire entendre des plaintes. Les profits agricoles ont diminué et la baisse du prix des terres s'est accentuée.

Cette situation n'est pas spéciale à la France. On nous la signale en Angleterre, une commission offi- cielle vient précisément d'étudier les effets et de recher- cher les causes de cette crise agricole dont tout le monde parle. Dans l'Europe entière, les mêmes signes de malaise s'observent et les mêmes plaintes retcn- \ tissent. Aux États-Unis, nos concurrents si redoutés I paraissent souffrir du même mal. La crise agricole est donc très générale. C'est encore un de ses caractères jles plus saillants.

La crise agricole, la baisse des prix et des profits.

Nous pouvons dire dès à présent qu'un phénomène économique de la plus haute importance et d'une remar- quable généralité coïncide avec cette crise et l'explique en partie.

BAISSE DES l'IlIX ET DES PROFITS 7

Nous voulons parler de la baisse du prix des pro- j duits agricoles. i

Cette baisse est le fait capital que nous avons à étu- dier tout d'abord. Nous allons suivre les fluctuations des cours avant d'en rechercher les causes ou d'en montrer les effets.

Mais, si intéressante que soit l'étude des fluctuations de prix, elle ne nous fournira pas tous les renseigne- ments dont nous avons besoin.

La baisse des prix n'agit sur les profits qu'à la con- dition de réduire les recettes. Or, les recettes brutes du cultivateur ne sont affectées par la baisse ou par la hausse que s'il s'agit de produits effectivement vendus. Il faut donc chercher à savoir quels sont les produits du sol portés sur les marchés et les distinguer avec soin des denrées qui constituent de véritables matières premières transformées dans l'exploitation et vendues lorsque cette transformation a été opérée.

Il est clair, par exemple, que la plupart des fourrages ne sont point vendus. Ils servent d'aliments. Le bétail les transforme en viande, en lait, en laine, et ils sont vendus sous cette forme spéciale. Les denrées con- sommées immédiatement par les chefs d'exploitation, leur famille et leur personnel salarié ne sont point non plus portées sur le marché et les variations de leur prix n'affectent pas les recettes brutes de l'entrepreneur de culture ou ses profits.

Voilà déjà une première question à étudier. Ce n'est pas la seule.

L'augmentation de la production peut atténuer, dans une certaine mesure, l'effet de la dépression des cours.

ISTRODUCTIOy

En tout cas, la diminution du produit brut cultural est moins marquée si les quantités récoltées augmentent pendant que le prix de vente s'abaisse.

Il y a donc lieu de se demander si les progrès tech- niques réalisés en France depuis vingt ans n'ont pas eu précisément pour conséquences un développement appréciable de la production. Ce développement doit avoir d'autant plus d'importance qu'il est plus rapide, plus marqué et qu'il porte sur des denrées produites par masses plus considérables.

C'est encore une seconde question intimement liée au problème de la crise agricole. 11 est impossible d'apprécier et de mesurer les conséquences réelles de la baisse des prix sans tenir compte des circons- tances qui se rapportent à l'augmentation de la produc- tion.

Mais en revanche, le développement rapide de la pro- duction n'a-t-il pas provoqué ou précipité la baisse des cours? L'analyse des faits serait incomplète si nous n'examinions pas cette question.

Voici maintenant une autre série de faits à étudier :

Quand on parle de la baisse des prix, on songe exclu- sivement aux cours des produits que vendent les agri- culteurs.

Pourquoi ne tiendrait-on pas compte également de la baisse des denrées ({u'achètent les cultivateurs et qui sont de véritables matières premières ? Est-il indiffé- Bent, par exemple, que le cours des engrais industriels se soit abaissé ou que le prix des résidus industriels tels que les tourteaux alimentaires, ait diminué ? Evi- demment non ! ïl en est de même en ce qui concerne

LA BAISSE DES Plil.Y ET DES PROFITS <)

la valeur des machines et outils que nos agriculteurs ont intérêt à acheter.

Il y aurait lieu de se demander également si la baisse des salaires et des loyers agricoles ne vient pas réduire, à son tour, les dépenses, diminuer par conséquent les prix de revient et compenser partiellement, au moins, la contraction des recettes brutes.

Nous pensons, toutefois, que la question des salaires et celle des variations du prix des terres doivent être étudiées à part, en môme temps que les conséquences ou elFets de la baisse des prix et de la crise agricole. Voici, enfin, un. autre problème d'autant plus intéres- sant qu'il a été jusqu'à présent moins étudié et moins bien compris.

Il n'est pas douteux que la crise agricole ne se tra- duise, en définitive, par une diminution des profits attachés à la culture du sol et à l'emploi des capitaux cVexploilalioii :

Quelle est donc la répercussion d'une baisse des prix de vente et de la contraction des recettes brutes, qui est la conséquence de cette baisse, sur les profils cultu- raux?

Suffit-il de réduire les dépenses dans la proportion où. sont réduites les recettes brutes pour réaliser les mêmes profits ? La baisse ou la hausse la plus légère des cours ne peut-elle pas, au contraire, abaisser ou élever rapidement la valeur du produit brut cultural et exercer immédiatement une influence considérable sur le montant des profits ?

Qui ne voit l'intérêt exceptionnel de ce problème ? La solution qu'il comporte peut éclairer d'un jour

lo lyTRODUCTION

nouveau la question de la crise en montrant quelle est la portée d'une baisse des prix amenant une contraction immédiate des recettes brutes, alors même que les dépenses correspondantes pourraient être réduites dans des proportions analogues.

On ne saurait donc trop mettre en lumière la réper- cussion des fluctuations de prix sur les profits cultu- raux.

C'est là, en vérité, le fond môme de la question des crises agricoles ou industrielles provoquées par des variations de prix.

Les causes de la crise. La concurrence étrangère.

En étudiant le mouvement des prix, les variations du produit brut des exploitations rurales et la répercussion de ces phénomènes économiques sur les profits cultu- raux, nous allons surtout constater ou analyser des faits presque immédiatement visibles.

C'est là, aux yeux du public, vuie tâche aisée et une besogne presque stérile.

« Tout le monde, nous dira-t-on, sait que le prix des produits agricoles a diminué et que les profits culturaux se sont abaissés. Quelle est la cause de cette baisse? N'est-ce point la concurrence étrangère ? N'est-ce point la démonétisation de l'argent, la rareté de l'or, la con- currence des pays à étalon d'argent? Voilà ce qui nous intéresse, car en déterminant exactement la cause du mal dont nous souffrons, il sera possible, sans doute, d'en montrer le remède, w

LES CAUSES DE LA CRISE ii

Nous serons donc amenés à parler des faits écono- miques qui expliquent la baisse des prix.

En premier lieu, il nous faudra signaler la concur- rence. C'est elle que l'on accuse tout d'abord, car la concurrence, étrangère ou intérieure, n'est jamais vue d'un bon œil par le producteur. Mais ici une distinc- tion est nécessaire.

Comment la concurrence étrangère se manifeste-t-elle ; quels sont les faits qui la révèlent?

Ce sont évidemment les importations étrangères (i) qui révèlent par leurs variations l'influence probable de la concurrence extérieure sur le cours des produits nationaux.

Il y aura donc lieu d'étudier nos importations agri- coles principales, celles qui se rapportent notamment aux céréales et au bétail, et de suivre la marche simul- tanée de ces importations et des prix. Beaucoup de per- sonnes admettent sans discussion que la baisse du ])lé en France résulte immédiatement de l'accroissement de nos importations et qu'il en est de même pour le bétail. Il est tout au moins permis de vérifier l'exactitude de cette affirmation et de se demander si, à d'autres époques, les variations de prix observées ont coïncidé avec le développement ou la réduction des importations étrangères.

Est-il vrai, par exemple, que le prix d'un produit agricole comme le froment ait diminué lorsque les impor- tations étrangères augmentaient, et se soit relevé, au

(i) Ou qualifiées telles, car nos slalislicjucs considèreul comme pro- duits étrangers ceux qui viennent de nos colonies. Il est bon de signaler cette définition tout administrative.

12 INTRODUCTION

contraire, lorsque les importations diminuaient? Est-il exact que le cours de la viande ait fléchi dans noire pays quand les entrées de bétail étranger étaient consi- dérables et qu'il ait augmenté quand ces importations diminuaient?

Disons-le tout de suite : ces deux affirmations si faci- lement acceptées, ces déductions logiques, mais fort imprudentes, ne sont nullement confirmées par Tétude des faits dans notre pays.

Le cours du blé a diminué rapidement en France sous la Restauration, et il est resté fort bas pendant long- temps, bien que nos importations fussent à cette époque insignifiantes ou nulles.

Le prix du froment a augmenté rapidement de i85o à 1875 et à ce moment les importations augmentaient aussi .

Depuis vingt ans, nos importations de blés étrangers se sont fort peu développées, et, cependant les cours ont fléchi dans une proportion considérable. Le cours de la viande a légèrement diminué, lui aussi, et pour- tant nos importations de bétail ont subi une réduction incontestable.

Ce ne sont ni des affirmations ni même des expli- cations ; ce sont des faits que tout le monde peut étu- dier et constater comme nous. Il suffit pour cela de relever les prix du blé ou de la viande sur nos marchés et de suivre en même temps la marche des importations. Ceux qui voudront bien ne pas nous accuser immédia- tement de soutenir une thèse paradoxale auront toute- fois le droit de nous demander quelle est la cause ou bien quelles sont les causes des variations de prix observées.

LA QUESTION MONÉTAIRE i3

Rien de plus juste ; et nous nous efforcerons préci- sément de montrer tout d'abord que les variations de prix ne sauraient être attribuées à une seule cause.

La complexité des phénomènes économiques doit faire écarter les solutions simples et les affirmations catégo- riques. La hausse ou la baisse des prix est la résultante d'un très grand nombre de faits. Or, la concurrence étrangère et le chiffre des importations ne sont pas les seuls faits dont on doive tenir compte. lien est d'autres, extrêmement importants, que l'on ne saurait négliger.

La question monétaire.

La plupart des économistes admettent aujourd'hui que la hausse générale du prix des produits agricoles durant la période iSSo-iSjo peut être attribuée partiellement à l'aiUux d'or qui se produisit au même moment.

Nous aurons à discuter une opinion du même genre, à propos de la baisse actuelle qui s'est fait sentir depuis 1873 ou 1880.

Beaucoup de personnes supposent que la démonéti- sation de l'argent et la suspension de la frappe libre de ce métal après 1870 ont provoqué une baisse énorme du métal blanc. D'autre part, ils admettent que l'or restant seul chargé du rôle monétaire qui était rempli précédemment par les deux métaux précieux, a pu devenir plus rare. Cette rareté ou cette « appréciation » a déterminé, suivant les mêmes personnes, une baisse générale des prix.

Les bimétallisles ne se contentent pas d'affirmer que la rareté de l'or est la cause de la baisse ; ils demandent

i4 jy'JIWDUCTION

qu'on rouvre les hôtels de monnaie, et notamment les nôtres, à la frappe libre de l'argent. La hausse des prix et la prospérité seraient, à leurs yeux, les consé- quences immédiates de cette politique monétaire. A vrai dire, les bimétallistes désireraient qu'une conférence internationale fixât le rapport nouveau qui servirait à établir le pouvoir d'achat réciproque des deux métaux monétaires devenus désormais capables de se suppléer l'un l'autre et de solder les dettes de pays à pays.

11 nous faudra encore étudier ce problème. D'avance nous pouvons dire que nous repousserons les solutions extrêmes. Nous n'admettrons point que la démonétisation de l'argent, et sa baisse prodigieuse, aient été sans aucune influence sur les prix. Il nous a paru impossible de démontrer que l'or avait conservé la même puissance d'acquisition. Cette incertitude doit nous faire douter ; et nous estimons qu'il est sage de ne point se prononcer en ce moment d'une façon catégorique. Peut-être, en effet, l'or est-il aujourd'hui plus « apprécié », ce qui expliquerait en partie, mais en partie seulement, la baisse générale des prix. Remarquons, d'ailleurs, que le développement extraordinairement rapide de la pro- duction de l'or depuis 1892 rendra, dans une dizaine d'années, F « appréciation » de l'or tout à fait hypothé- tique ou chimérique (i). ( Quant au rêve des bimétallistes, nous le croyons bien } décevant, et sa réalisation nous apparaît comme très \ dangereuse.

Attendons, d'ailleurs, qu'une conférence internatio-

(i) Voir à ce propos larliclc de M. de P'ovillc public dans la Revue des Deux Mondes (i5 novembre 1898) : « L'or du Klondyko. »

LA QUESTION MONÉTAIRE i5

nalc se soit prononcée sur Topportiinité de la reprise de la frappe du métal blanc.

Mais voici, maintenant, un autre problème qui se pose. La démonétisation et la baisse de Targ-ent n'ont pas eu seulement pour conséquence 1' « appréciation de l'or ». Il ne faut pas oublier, dit-on, que si la plupart des nations d'Europe sont, en droit ou en fait, monométal- listes-or, certains pays sont restés monométallistes- argent (i).

Or, la concurrence des pays à étalon d'argent a, dit- on, pour effets :

De nous inonder do produits à vil prix achetés dan-s ces pays aux prix cV autre fois avec un métal qui a perdu 5o p. loo de sa valeur-or ;

i" De rendre impossibles les exportations des pays à étalon d'or forcés de vendre leurs produits deux fois plus cher en monnaie d'argent, puisque ce métal est déprécié de 5o p. loo par rapport à son change en or.

C'est encore une affirmation dont nous étudierons [ la valeur et la portée. A nos yeux, elle équivaut simple- ment à une hypothèse qui est d'ailleurs, fort souvent en contradiction manifeste avec la réalité.

Il est possible que la dépréciation brusque de l'unité monétaire d'argent dans des pays comme l'Inde ait abaissé momentanément le prix en or des produits exportés. Mais les conclusions catégoriques et les déduc- tions logiques de ceux qui attribuent la baisse des prix à la concurrence des « pays blancs » ne doivent point être acceptées sans discussion. Il en est de môme en ce

(i) Cependant la frappe de l'argent est suspendue dans l'Inde depuis 1893, et le Japon a adopté l'étalon d'or.

i6 lATEODUCnON

qui concerne les pays à circulation fiduciaire soumis au régime du papier-monnaie.

On n'a point établi que le prix des denrées agricoles cultivées exclusivement dans les pays à étalon d'argent eut toujours baissé depuis vingt ou vingt-cinq ans; la marche des cours en or n'est nullement parallèle à celle de l'argent coté en or.

Il n'est pas davantage démontré que le prix des den- rées produites dans les pays à étalon -d'or soit resté fixe ou ait augmenté.

L'Agriculture et l'impôt.

Mais à quoi bon, dira-t-on, chercher si loin la cause d'une crise qui résulte en grande partie des injustices fiscales dont l'agriculture est victime ? L'industrie agri- cole est accablée par l'impôt. Elle acquitte de ce chef de 25 à 3o p. ICO de son revenu, et ce tribut écrasant est une des causes de la crise agricole, si ce n'est pas la seule.

En réalité cette opinion ne repose que sur des calculs dépourvus de toute valeur scientifique. Après avoir dressé la liste de toutes les taxes directes ou indirectes qui frappent la terre, les bâtiments ruraux, et la popu- lation agricole tout entière, on en calcule le montant annuel d'une façon tout arbitraire. Mais cela n'est rien. L'ensemble des impôts directs ou indirects acquittés par la population agricole ne peut être prélevé que sur ses revenus. C'est donc au total des revenus agricoles, profits, gages, salaires, fermages, récoltes partagées en nature, qu'il faut comparer le total correspondant des charges fiscales. Et c'est précisément ce que l'on ne

L AGRICULTURE ET L'IMPOT 17

fait pas. On se contente de confondre le revenu net de la population agricole avec l'ensemble du revenu net imposable de la terre qui n'en représente qu'une frac- tion. Cette erreur enlève toute valeur et toute portée à l'opinion de ceux qui considèrent la crise agricole comme une conséquence de l'énormité des charges fiscales imposées aux populations rurales.

Les véritables causes de la crise agricole.

Le développement de la production dans le monde et la transformation des moyens de transport.

Après avoir étudié la baisse et recherché les causes qui l'expliquent, nous ne serons pas encore parvenus à l'ormuler des conclusions définitives. Nos solutions auront plutôt été des solutions négatives.

Quels sont donc les faits décisifs; quelles sont les transformations nouvelles dont les conséquences se traduisent depuis vingt ans par une baisse si remarquable et si générale du prix des denrées agricoles ? Ces faits et ces transformations se rapportent au développement de la production agricole dans le monde et aux trans- ports.

Nul phénomène économique n'a eu, sans doute, plus d'influence sur la marche des prix.

C'est ce que nous essaierons de prouver.

Il nous sera impossible d'exposer, même en les résu- mant, tous les faits relatifs à la production agricole et aux transports. Nous nous efforcerons, tout au moins, d'indiquer les principaux, ceux qui sont plus topiques et plus frappants. Nous nous garderons bien, en tout

ZoKLA. La Crise agricole. 2

lyTRODVCTION

cas, d'isoler les faits relatifs au développement de la

production sans indiquer le lien si étroit qui rattache

Faccroissement des récoltes de tout genre et des den-

1 rées de toute espèce aux transformations des moyens

de transport. Ces deux questions sont si intimement liées

qu'on ne saurait les séparer si l'on veut les bien étudier.

Dans les pays neufs particulièrement, et aux États-Unis

» que nous connaissons mieux, c'est la réduction des

\ tarifs de chemin de fer ou des frets qui explique le déve-

I loppement des cultures.

Malgré la baisse des principaux produits agricoles, non seulement en Europe, mais dans l'est des État-Unis, la culture du blé et l'élevage du bétail sont restés lucra- tifs pour les agriculteurs du centre et de l'ouest, />rt/"ce que la réduction des frais de transport a compensé, au moins partiellement, la baisse des cours pratiqués sur les grands marchés.

Il en résulte que dans les États qui sont encore de grands producteurs de froment, on n'observe pas une baisse de prix analogue à celle que l'on constate dans notre pays ou même dans l'est des États-Unis.

Le contraste est môme, parfois, saisissant.

Cette observation, appuyée sur des statistiques nom- breuses et précises, nous paraît présenter un très grand intérêt et une portée très générale.

Les mêmes phénomènes ont pu se produire dans d'autres pays nouvellement mis en culture, et ils nous font comprendre pourquoi le développement rapide de la production agricole n'a pas été arrêté par la baisse des cours cotés en Europe ou sur les marchés d'expor- tation de ces pays eux-mêmes.

CONSÉQUENCES DE LA CRISE AGRICOLE 19

Les conséquences de la crise agricole. Sa haute portée

sociale.

La baisse des prix et la crise agricole n'ont pas seu- lement une très grande importance économique; elles ont également une haute portée sociale. La situation nouvelle faite aux propriétaires fonciers et aux entre- preneurs de culture est toute différente de celle des salariés ruraux.

Depuis fort longtemps au moins dix ans nous avons recueilli, notamment, des informations précises sur la marche des loyers agricoles, des profits et des salaires dans notre pays.

Le contraste est frappant entre la baisse si rapide des I fermages^ qui a été la conséquence (i) de la réduction v générale des profils culturaux et Vétat stationnaire, l sinon la hausse des salaires.

L'enquête récente de 1899,, qui vient d'être publiée, nous paraît avoir atténué la baisse réelle, mais inégale, des fermages et exagéré la réduction des salaires.

Cette réduction des salaires nous semble d'autant plus singulière que le document officiel signale une hausse pour les gages des domestiques de ferme, hausse importante :

(i) Nous considérons en effet la baisse des loyers agricoles comme une conséquence de l'abaissement des profits réalisés par les agricul- teurs. M. Levasseur dit avec raison : « Le fermier paie, en boime jus- tice, l'usage de rinslrumcnt pour ce qu'il rapporte. » 1/ Agriculture nu. r Étals-Unis, par E. Levasseur, 1894, p. 73.

INTRODUCTION

Hausse des gages 188M802.

Maîtres, valols 28 p. loo

Laboureurs et charretiers 36

Bouviers, bergers 20

Servantes de ferme 33

Nos informations personnelles (i) nous permettent de conclure que la baisse des salaires a été exceptionnelle. En Angleterre, la crise agricole a sévi, on n'observe pas non plus des réductions de salaires ruraux, sauf exceptions. Les nombreux rapports publiés sur « VAgri- cultural dépression » signalent également le constraste que présente la situation des ouvriers ou domestiques comparée à celle des « landpwners » ou des « tenants «.

L'enquête agricole française de 1892 nous parait optimiste dans ses conclusions relatives à la baisse des loyers agricoles.

Sur ce point encore, nos informations personnelles nous ont donné des résultats différents, sauf pour les régions de l'Ouest l'on observe parfois môme des hausses de prix sur des terrains schisteux et grani- tiques (2).

L'état stationnaire des fermages est également certain

(i) Indépendamment des notes pi'iscs par nous, il nous a été possible de faire relever par des jeunes agriculteurs, les salaires, les gages, les profits et les fermages dans un grand nombre de régions. Ces rensei-^ gncments, empruntés à la comptabilité des cultivateurs, nous paraissent puisés à des sources sûres. Nous possédons ainsi une centaine de mono- graphies.

(2) Il est très curieux et insti'hjctif de noter que dans le Royaume- Uni on constate les mêmes faits quand il s'agit des terres appartenant aux mêmes formations géologiques.

Il y aurait sur ce point une élude technique et économique à faire qui serait d une grande portée.

LES REMEDES PROPOSES ai

dans des régions d'herbages comme le Nivernais. Ailleurs, nous avons relevé les loyers agricoles des domaines appartenant aux hospices de Sainl-Qiientin, du Mans, d'Angers, de Rouen, etc., etc. La baisse dépasse largement ao p. loo en moyenne depuis 1880 jusqu'à 1896.

En résumé, la crise agricole a été surtout pénible pour les entrepreneurs de culture et les propriétaires ' de bien amodiés ou affermés. A cet égard, elle a eu une portée sociale qu'il est intéressant de signaler. J

Les remèdes proposés et la véritable solution.

« A l'heure actuelle, dit-on, les prix de vente des produits agricoles sont tombés au-dessous des prix de revient, et cela est surtout vrai pour les céréales. Une pareille situation ne saurait se prolonger sans entraî- ner la ruine des agriculteurs. 11 convient par consé- quent de prévenir un pareil désastre. C'est la baisse des cours qui a provoqué une crise redoutable ; c'est donc la baisse qu'il s'agit de limiter, d'arrêter; c'est la hausse des prix qu'il faut obtenir. L'adoption du régime protecteur s'impose et c'est la concurrence étrangère qu'on doit écarter. »

Nous avons déjà parlé de ce remède en étudiant l'effet qu'a produit sur les cours le régime de protec- tion douanière établi depuis près de dix ans dans notre pays. Il nous semble qu'il sera inutile d'insister. Les ' droits de douane ont atténué les effets de la baisse des prix, mais ils n'ont pas provoqué une hausse suffisante puisque de tous côtés les plaintes retentissent. ^

\

i2 INTRODUCTION

Ce remède a, d'ailleurs, les plus grands inconvénients. Une hausse artificielle impose aux acheteurs des sacri- fices ; elle provoque, parfois, une augmentation de la production qui rend inutiles les droits de douane établis sur les produits étrangers. C'est ce que l'on constate, notamment, dans notre pays pour le froment et le vin.

La solution de la crise et celle du prol)lème de la production agricole nous semble tout autre. Le prix de revient, dit-on, a dépassé le prix de vente. Eh bien ! Ce n'est pas la hausse des prix qu'il faut provoquer c'est l'abaissement des prix de revient qu'il s'agit d'obtenir.

Toutes les ressources dont nous disposons, tous les moyens d'action qui sont en notre pouvoir doivent être employés dans ce but. Applications et diffusion des découvertes scientifiques récentes, développement ou perfectionnement de l'outillage mécanique agricole, groupement de plus en plus fréquent des agriculteurs en vue de faciliter les recherches expérimentales et l'amélioration des méthodes de production, exportation des produits, développement des opérations de crédit réel ou personnel, telle est, suivant nous, la solution véritable du problème très redoutable et très grave (|ui se pose aujourd'hui. Cette solution correspond à une conception économique générale.

La protection n'est qu'une forme du monopole, une méthode spéciale d'arriver à obtenir une répartition des richesses que l'État impose par la loi. C'est une modalité de l'idée socialiste et une application de la doctrine de l'Etat Providence.

A cette théorie et à cette doctrine nous croyons qu'il est utile d'en opposer une autre. Le rôle de l'Etat ne

LES REMÈDES PROPOSÉS 'l'i

doit pas consister à répartir la richesse selon telle ou telle conception considérée comme supérieure ; ce rôle doit consister à faciliter la libre production de ces richesses et surtout leur développement.

Nous sommes convaincus que la question sociale ! qu'on trouve au fond de toutes les questions écono-l miques ne peut être résolue, si jamais elle doit Fêtre 1 que par Taccroissement des richesses produites et circu- lant librement.

La protection douanière, n'accroît pas la masse des / richesses; elle en modifie simplement la répartition./ C'est pourquoi nous ne la considérons pas comme une/ solution définitive. Elle ne constitue qu'un expédient' économique ou politique.

L'association libre des efforts individuels, l'applica- tion de plus en plus féconde de la science et des recherches expérimentales d'ordre technique commer- cial ou financier représentent au contraire des moyens d'actions de l'homme sur les choses, des méthodes de production assurant le développement de la richesse et une solution définitive.

CHAPITRE PREMIER

LA BAISSE DE PRIX DES PRINCIPAUX PRODUITS AGRICOLES DEPUIS VINGT ANS

Il est utile de distinguer, tout d'abord, deux catégo- ries de produits agricoles : les denrées végétales; '>!* les denrées d'origine animale.

Le produit brut de lagriculture française n'est pas, en effet, constitué uniqu(ïmentpardes produits végétaux. Sur un total Ae dix milliards àe recettes brutes annuelles, les animaux de ferme, et de basse-cour, le lait et ses dérivés, la laine, la soie, le miel et la cire assurent aux producteurs agricoles un revenu de plus de trois mil- liards de francs ! En étudiant les variations de prix des principaux produits agricoles nous ne saurions donc laisser de côté les denrées d'origine animale.

Nous verrons, en outre, que les fluctuations des cours n'ont pas affecté de la même manière ces deux catégories de produits agricoles. La baisse a été beau- (;oup plus sensible pour la première que pour la seconde. 11 en résulte que selon l'importance relative des recettes brutes provenant des denrées végétales ou des produits d'origine animale, les effets de la crise agricole ont été tout différents. Ces conséquences ont été particu-

26 LA BAISSE DES PU IX

lièrement graves et douloureuses, par exemple, dans les régions à céréales; elles ont été beaucoup moins sensibles dans les régions d'élevage. La double étude à laquelle nous allons nous livrer est donc entièrement justifiée.

I Les produits végétaux

I. LE FROME>'T

Parmi les denrées végétales, il y a lieu de citer, en pre- mière ligne, les céréales et notamment le froment dont la baisse a soulevé tant d'émotion.

En prenant comme terme de comparaison les cours pratiqués durant la période 1876- 1880, nous relevons les variations suivantes pour le prix de l'hectolitre de blé en France par périodes quinquennales.

Prix du froiiiont Varialioiis

par hccloliire (2). p. 100.

fr. c. 1876-1880 22 3o 100

1881-1885 tgSi 87

1886-1890 1829 82

1891-1895 1692 7:)

1896 1482 66

1897 18 85 84

1898 1990 89

1899 i5 35 68

1900 i4 77 66

Si nous ramenons à loo les prix de la période quin- quennale 1876-1880, nous voyons que la baisse s'est progressivement accentuée. Elle atteint la proportion de yj p. 100 depuis 1876-80 jusqu'à 1891-95. Cette

(i) Chiffres cniprunlc's au Bulletin du Ministère de l'Agriculture.

LES PRODUITS VEGirr AUX 'l'j

dépression a été souvent plus marquée durant certaines années de bas prix et notamment en 1894, 1890 et 1896. L'année 1897-98 a été marquée, au contraire, par une brusque élévation des cours, et l'année 1898-99 par une baisse énorme.

Nous montrerons plus tard à quels faits économiques et agricoles sont liées ces fluctuations. Ajoutons dès à présent que le prix du blé en France a été évidemment et certainement modifié par les remaniements succes- sifs de notre régime douanier. Avant i885, les blés étrangers n'étaient frappés à la frontière que d'un simple droit fiscal ou de statistique. A partir de i885, le Parlement a voté une taxe protectrice de 3 francs par quintal. Ce droit fut successivement porté à 5 francs en 1887 Gt à 7 francs en 1894.

Le but ouvertement poursuivi par le législateur était le relèvement des cours.

Ce but n'a pas été atteint puisque le prix du froment a constamment fléchi, mais les taxes protectrices ont atténué la baisse. Les droits de douane imposés aux blés étrangers ont soutenu les cours au-dessus du niveau normal résultant de la libre concurrence. Rien n'est plus facile que de le prouver. Il suffit pour cela de comparer les prix du froment, en France, aux cours pratiqués en Angleterre, pays le blé n'est frappé d'aucun droit de douane.

Cette comparaison va nous permettre, en outre, de montrer que la baisse du froment a été un phénomène général (i).

(i) Les chiffres du tableau ont été empruntés : pour la France,

28

LA BAISSE DES PRIX

Prix de l'hectolitre de blé en France et en Ansslcterre.

PÉRIODES

Prix.

Prix .

Écart entre

TRIENNALKS en France.

en Angleterre.

les deux cours

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fr. c.

fr. c.

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1877-1879

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21 10

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1878-1880

22 63

1930

3 33

1879-1881

22 33

19 10

3 23

1880-1882

22 23

19 3o

293

1881-1883

2098

1890

208

1882- 1884

1947

17 10

2 37

i883-i885

1790

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2 20

I 884-1 886

17 16

14 3o

286

i88)-i887

1729

i3 8o

349

1886-1888

1798

i3 70

428

1887-1889

1848

i3 8o

4 68

1888-1890

1879

i3 40

5 3o

1889-1891

1936

14 10

526

1890-1892

1916

14 20

4 9*^

189 1-1893

18 33

i3 4o

493

1892-1894

16 54

Il 40

5 14

1893-1895

i5 38

io3o

5 08

1893-1896

1481

10 3o

4 5i

1895-1897

16 02

1 1 3o

472

Ce tableau présente une singularité. Au lieu de rele- ver les cours annuels, nous les avons groupés de façon à constituer des moyennes triennales successives qui ne diffèrent les unes des autres que par les chiffres relatifs à l'année nouvelle. Cette méthode a l'avantage d'atténuer les brusques variations tout en laissant voir la tendance générale des cours à s'élever ou à s'a- baisser. Dans les documents anglais, il en est fait

aux statisliques officielles et notaininent au Bulletin du Ministère de l Agriculture ; pour rAiigletcrre, au.K mercuriales publiées par le Board of Agriculture.

LES PRODUITS VEGETAUX

29

un fréquent usage (i), et nous l'avons adoptée ici. Il est visible que les cours du froment se sont gra- duellement abaissés en Angleterre comme en France. La baisse est môme plus rapide et plus marquée chez

Aimées gKèSgSàgii^giSlèÉS? ( 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 t i 1 1 1 1

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nos voisins, surtout à partir de i885. 'L'écart moyen existant entre les cours français et anglais s'accentue à la même époque. C'est très certainement une con- séquence de l'application des droits de douane qui ont atténué la baisse dans notre pays.

(i) Voir notamment les Rapports de la Commission royale chargée de procéder à une enquête sur la crise agricole.

3o LA BAISSE DES PRIX

Le graphique que nous insérons ici retrace, d'ailleurs, avec fidélité, le double mouvement des cours. Les deux premières courbes s'abaissent ou s'élèvent presque toujours simultanément et marquent clairement la ten- dance à la dépression graduelle des prix. La troisième courbe, qui en figure l'écart, s'élève rapidement à partir du moment le froment étranger est frappé en France d'un droit de douane (période 1 883- 1 88 5).

Conclusion. En résumé, depuis vingt ans, le prix du froment a subi en France une réduction moyenne de !i5 p. 100, et cette baisse a pu atteindre 34 p. loo en 1896 et 1900, lorsque les cours sont tombés au niveau le plus bas que l'on ait constaté depuis la fin du xviii'' siècle (i).

Enfin, l'examen des cours pratiqués en Angleterre nous prouve que la dépression caractéristique des prix du blé dans notre pays n'est pas un phénomène isolé dépendant de causes locales.

II. AUTRES CÉRÉALES

D'ailleurs, les autres céréales ont subi en France une dépréciation analogue à celle du froment. Qu'il s'agisse du sarrasin, cultivé plus spécialement dans l'ouest, du maïs, qui est surtout récolté dans le sud-ouest et le sud-est, de l'orge et de l'avoine, dont faire géogra- phique est très étendue, les mêmes causes générales paraissent avoir agi et déterminé une baisse notable.

(i) Voir la courbe relative au prix de riieclolitrc de blé en France, tracée par M. Levasseur.

LES PRODUITS VEGETAUX

3i

Voici les variations de cours que nous relevons pour la dernière période de vingt- cinq ans (1876-1900).

Prix moyen de Vheclolitre des principales céréales autres que le froment en France.

1877-1880 1881-1885 1880-1890 1891-1893 1890-1900

fr. c.

fr. c.

fr. c.

fr. c.

fr. c.

Sciglo . .

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II 90

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Orge. . .

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II 83

10 70

10 40

10 58

Sai'rasin .

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II 77

jo 3o

10 27

10 53

Maïs. . .

i5 52

1469

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12 86

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Avoine . .

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880

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En comparant les cours de la première période (1877- 80] à ceux de la dernière (1896- 1900), on trouve que la baisse ressort à :

32 LA BAISSE DES PRIX

■26 p. 100 pour le seigle.

19 p. 100 pour l'orge. *

20 p. 100 pour le sarrasin. 19 p. 100 pour le maïs.

14 p. 100 pour l'avoine.

Pour montrer la généralité de ce mouvement, nous comparerons encore les prix anglais aux cours français en groupant les uns et les autres par périodes trien- nales successives qui diffèrent seulement par les chiffres relatifs à la dernière année.

Pour plus de clarté, nous ramenons à 100 les cours de la première période 1876-78.

Voici les résultais qui se rapportent à Forge et à l'avoine :

Cours de large et de l avoine en Angleterre et en France (1876-1896).

.

ORGE

AVOINE

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Périodes Iricimalos. France.

Angleterre.

France .

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1876-1878 ... 100

100

100

100

1877-1879

98

99

97

94

1878-1880

97

93

96

90

1879-1881

94

86

94

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1880-1882

97

84

96

87

1881-1883

90

83

93

85

1882-1884

89

82

91

83

i883-i885

85

80

88

8i

I 884-1886

82

76

87

78

1885-1887

79

71

83

73

1886-1888

78

69

82

68

1887-1889

78

68

83

66

1888-1890

81

71

87

69

1889-1891

84

72

88

73

1 890-1 892

82

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76

1891-1893

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1893-1895

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66

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 33

le froment. Nous voyons que pour l'une et l'autre la baisse des cours est manifeste.

En France, elle est moins accentuée qu'en Angleterre, mais cet écart peut être attribué en grande partie à l'influence des droits de douane qui frappent les impor- tations étrangères dans notre pays.

III. INFLUENCE DE CERTAINS PRODUITS SUR LA PROSPÉRITÉ DE l'iNDUSTRIE AGRICOLE

Avant de poursuivre l'étude de la marche des prix relatifs aux denrées végétales, il nous faut rechercher, maintenant, quels sont précisément les produits dont les variations de cours ont pu exercer une sérieuse influence sur la prospérité de l'industrie agricole.

Nous empruntons au volume de l'enquête officielle de 1892, publié en 1898, le tableau qui résume les valeurs des diverses productions végétales.

Valeur de la production (i) végétale en France.

Valeur eu francs (millions).

Céréales grains 3.354

paille i.3i3

Grains alimentaires autres que les céréales 94

Pommes de terre 670

Fourrages annuels, prairies arlilicielles et

racines i-^og

Produit des prairies naturelles et herbages 1.237

Produit des cultures industrielles .... 373

Produits des vignes goS

Produits de l'horticulture, cultures maraî- chères, potagères, arborescentes de ver- gers 867

Produits des bois et forêts 289

Total. . . . 10.61 1

(i) Enquête agricole de 1892. Introduction, p. 44o.

Zoi.LA. La Crise agricole. 3

34 i-A BAISSE DES PRIX

Nous faisons les plus expresses réserves au sujet de la valeur scientifique et de la portée économique d'un pareil tableau. La seule indication que nous ayons l'intention d'y puiser se rapporte à l'importance de certaines productions végétales.

Il est clair que les céréales viennent au premier rang. C'est d'ailleurs pour celte raison que nous en avons parlé tout d'abord. La statistique officielle fait toutefois une distinction intéressante. La valeur des grains est comptée à part de celle des pailles. Or, nous avons négligé de parler plus haut de ce dernier produit. Cette omission est toute volontaire. La paille constitue, en effet, dans l'immense majorité des cas, un moyen de production et non pas un produit destiné à la vente. Sans doute, il y a des exceptions à cette règle ; notam- ment aux environs des grandes villes, beaucoup d'agri- culteurs vendent leurs pailles et achètent des fumiers. La baisse du prix des pailles a donc eu, parfois^ une certaine importance économique. On peut ajouter même que l'usage de la tourbe comme litière a réduit dans une certaine mesure les demandes de pailles et contri- bué à la dépréciation de cette denrée.

Il n'en est pas moins vrai qu'en règle générale la paille est et reste un « immeuble par destination » que les fermiers ne sont pas autorisés à vendre. Elle cons- titue tout à la fois un aliment et une matière première, puisqu'elle sert à la fabrication des fumiers. Comme ali- ment, la paille peut remplacer, dans une certaine mesure, le foin. La paille hachée et mêlée aux racines décou- pées, aux pommes de terre, etc., constitue le com- plément d'une ration. 11 n'est donc pas étonnant que

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 35

le cours des pailles suive la même marche que celui des foins.

Nous avons pris soin de relever les cours du marché de Paris d'après les mercuriales que publie le Journal cC agriculture pratique. On voit qu'il s'est produit une baisse depuis 1881 jusqu'à 1887. Les cours se relèvent parallèlement, en 1888, à la suite d'une mauvaise récolte de fourrages ; puis ils s'abaissent encore jusqu'en 1890. Les années de sécheresse 1872 et 1893 provoquent un renchérissement brusque, mais les prix retombent ensuite au niveau le plus bas que l'on ait observé.

En définitive, il y a eu baisse, et cette dépression n'est pas négligeable. Nous avons souvent entendu les fermiers des environs de Paris se plaindre de la dimi- nution de recettes qui en était la conséquence.

Toutefois, quand on calcule les moyennes quinquen- nales relatives à la période 1 881- 1896, la compensation se fait entre les années de hauts et de bas prix.

PRIX

des 500

kil.

à Paris

Foin.

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Taille?

fr.

IV.

63 »

40 »

5 2 »

32 »

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40 »

i88i-i885 1886-1890 1891-1895

Quant aux années de bonnes récoltes fourragères^ 1896, 1897, elles sont marquées par une baisse de 14 p. 100 relativement aux foins, et de 3o p. loo relative- ment aux pailles, si l'on compare les cours de ces deux années aux moyennes quinquennales i88i-85.

Il ne faudrait pas, d'ailleurs, exagérer la portée de

36 LA BAISSE DES PRIX

cette baisse, en admettant même qu'elle ne fût pas acci- dentelle, et nous saisissons l'occasion qui se présente de rappeler un principe général.

Les variations des cours n'intéressent l'agriculteur que si elles se rapportent à des denrées destinées à la vente. Les produits qu'il consomme sur place, sans les acheter, et ceux qu'il transforme avant de les vendre ne rentrent donc pas dans le cadre d'une étude sur les fluc- tuations des cours. A coup sûr, il n'est pas indifférent que les aliments consommés par le cultivateur, sa famille et son personnel haussent ou baissent de prix. Ces variations peuvent réagir sur la nature, la compo- sition et la quantité de ces aliments. Mais, au moins momentanément, le produit brut agricole n'est directe- ment aff'ecté que par les fluctuations de prix se rappor- tant aux denrées habituellement portées sur le marché.

Voici, maintenant, des denrées destinées à être trans- formées dans l'intérieur des exploitations pour obtenir un \)Yoà\\\\. nouveau ; il est clair que nous avons seule- ment à nous préoccuper des variations de prix relatives à ce dernier produit et non à la matière première que l'on a employée pour le fabriquer.

Nous montrerons tout à l'heure l'intérêt et la grande portée de ces observations.

Dès à présent, nous en trouvons l'application. La statistique officielle nous indique, dans le tableau précé- dent, la valeur des fourrages et des racines fourragères ; la valeur du produit des prairies naturelles et même des herbages^ c'est-à-dire des prairies pâturées. Or, il est presque évident, croyons-nous, que le foin, les racines et surtout l'herbe verte, consommée sur place, des lier-

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 87

bages, ne constituent pas des denrées de vente, mais des moyens de production.

Sans doute les agriculteurs vendent des foins et des racines fourragères, mais la plupart du temps ces den- rées sont consommées à la ferme. Ce sont des aliments que le bétail transforme, et leur valeur, c'est-à-dire ici leur prix, n'a pas pour nous un très pressant intérêt. Nous allons donc nous borner à fournir quelques indications sur la marche des prix. En ce qui concerne :

1" Les grains alimentaires autres que les céréales;

Les pommes de terre ;

3" Les plantes industrielles, et notamment les bette- raves à sucre ;

4"^ Le vin ;

Les bois.

Si intéressantes que puissent être les fluctuations des cours se rapportant aux produits de l'horticulture, il nous paraît impossible de les préciser, dans l'état actuel de nos connaissances.

IV. LES GR.UNS ALIMENTAIRES AUTRES QUE LES CEREALES

Fèves, haricots ^ pois ^ lentilles^ etc. La statistique agricole de 1892 nous indique les variations de prix suivantes depuis 1882 :

PRIX MOYEN

par hectolitre. BAISSE

1882 1892 p. 100

fr. c. fr. c.

Fèves et féveroUes . 19 3 1 i5 06 22 p. 100

Haricots , , . . . 3o 20 2282 a5

Pois 26 80 21 97 19

Lentilles 29 98 29 o3 4

38 LA BAISSE DES PRIX

La baisse accusée par ces chiffres varie de 4 à aS p. loo Elle ne présente pas une importance comparable à la dépression du cours des céréales parce que les quan- tités auxquelles s'appliquent les cours dont nous par- lons sont réellement très faibles, 4 à 5 millions d'hec- tolitres tout au plus. Encore faut-il remarquer que les féverollessonten partie utilisées pour l'alimentation des animaux domestiques.

LES POMMES DE TERRE

La pomme de terre a une importance commerciale singulièrement plus grande. Non seulement elle cons- titue un alliment que tout le monde recherche, mais les usages industriels de la pomme de terre sont nom- breux. La fabrication de la fécule, qui est elle-même une matière première pour la glucose, exige l'emploi d'une masse considérable de tubercules.

La statistique décennale évalue à 6 fr. 4^ en 1882, et à 4 fr. 33 en 1892 le prix moyen du quintal. La baisse serait donc égale à 2 fr. 09 ou à 32 p. 100.

Dans un pays l'on produit des quantités considé- rables de pommes de terre, en Allemague, la baisse des prix a été très sensible depuis vingt ans. M. Leroy- Beaulieu la signalait, il y a quelques années, dans un article de V Économiste français (i).

« Une des denrées qui ont le plus baissé, ce sont les pommes de terre. Sur les places de Magdebourg, de Stettin, de Breslau, de Berlin, les pommes de terre, si

(i) Numéro du 4 avril 1896 : De l'inanité des campagnes himéial- listes, par P. Leroy-Bcaulieu.

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 39

Ton prend, non pas une seule année, mais les trois années 1893, 1894 et 189D, et qu'on les compare aux trois années 1879, 1880 et 1881, de façon à éviter l'in- fluence d'une année particulièrement mauvaise, ont fléchi de 3o à 4o p. ïoo. »

Nous avons relevé les prix du quintal de pommes de terre variété dite Hollande sur le marché de Paris, et voici les chiffres que nous avons trouvés pour les moyennes des périodes 1882-85 et 1895-98 :

Ir. c. ,

i88'i-i885 1280 ; Prix du quinlal

„„„„ qq'iIo pommes de terre

1895-1898 8»'2, dite .. Hollande .

' à Paris.

Diiré ronce. ... 3 89 ,

La baisse relative serait donc égale à 3o p. loo.

VI. CULTURES INDUSTRIELLES

11 y a lieu de distinguer:

i" Les cultures de plantes oléagineuses ;

2** Les cultures des plantes textiles ;

3" La culture de la betterave à sucre.

La culture des graines oléagineuses n'a plus qu'une médiocre importance. Tout le monde sait que l'usage du pétrole et du gaz d'éclairage est devenu général. Les huiles destinées à être brûlées ne sont donc plus aussi nécessaires.

Quant aux huiles comestibles et à celles que l'on uti- lise dans l'industrie, elles sont directement concurren- cées par les produits obtenus en traitant les graines étrangères de sésame, d'arachide, de coton, etc., etc.

L'olive est produite, en Algérie , en Tunisie, en Espagne, en Italie, en Grèce, en Dalmatie, etc., etc.

4o LA BAISSE DES PRIX

Il est donc très naturel que le prix de nos graines oléagineuses, de colza de navette, d'œillette, de camelinè de lin, et les fruits de l'olivier ou du noyer aient subi une dépréciation marquée depuis vingt ans.

Sans entrer dans de longs détails, bornons-nous à indiquer les variations de prix des graines de colza sur un des principaux marchés français, celui de Douai.

Voici les moyennes triennales relatives aux cours du quintal depuis 1877 :

Prix des 100 kil.

dos graines de colza

à Douai.

fr. c.

1877-1880 23 42

1882-1885 22 52

1887-1890 18 12

1895-1898 1594

De la première à la dernière période, la baisse abso- lue est de 7 fr. 48 ou de 3i p. 100.

Il en est de même pour nos plantes textiles. La réduc- tion des surfaces cultivées en lin et chanvre nous prouve clairement que la culture en est à la fois moins utile et moins lucrative :

SURFACES CULTIVÉES EN HECTARES Chanvre. Lin.

1840 176.000 98.000

i852 laS.ooo 80.000

1862 160.000 io5.ooo

1882 63. 000 44 -000

1892 ........ 39.000 25.000

La culture de la betterave à sucre présente un intérêt plus sérieux, bien qu'on ait exagéré son importance. En fait, cette culture est concentrée presque exjulusive-

LES PRODUITS VEGETAUX 4i

ment dans six départements ; elle n'ocupe pas plus de 2;70.ooo hectares.

La législation de 1884 fait porter l'impôt non pas sur le produit fabriqué mais sur la matière première, c'est- à-dire sur la betterave. Une savante complication de nos dispositions légales et une adroite distinction entre les rendements présumés et les rendements réels ont obligé les cultivateurs à augmenter rapidement la richesse saccharine de leurs betteraves. On peut dire que le prix de vente des racines dépend surtout de cette richesse et varie dans des limites assez étendues selon que le rendement en sucre atteint ou dépasse la proportion à partir de laquelle les fabricants réalisent un profit additionnel sur les « indemnes », c'est-à-dire sur le poids du sucre qui dépasse le rendement légal présumé. Cet excédent est resté longtemps non taxé, bien qu'il pût être vendu au même prix que le sucre ayant effectivement acquitté le droit de consommation. Aujourd'hui encore, cet excédent est moins fortement taxé et la différence de droit correspond à un boni de fabrication.

Le prix des betteraves a donc, actuellement, un caractère artificiel; il est lié intimement au régime fis- cal des sucres. Cette solidarité a évidemment pour objet et pour conséquence d'intéresser les producteurs de betteraves au maintien d'une législation favorable aux intérêts des fabricants.

Voici, d'après l'administration des Contributions indirectes, le prix de vente des bette raves depuis 1 881 (1) :

(1) Voir le document officiel publié par l'administi'ation des Conlii-

4u

LA BAISSE DES PRIX

Prix moyen de la tonne de betteraves et rendements en poids de betteraves à l'hectare.

(Evaluation de l'administralion des Contributions indirectes.)

CAMPAGNES

PRIX

RENDEMENT

PRODUIT

sucrières des betteraves

des betteraves

brut.

par t.OOO k.

[lar liectare.

par hectare

fr. c.

kilos.

fr.

1881-1882. . . 2087

33.793

700 »

1882-1883

2099

34.928

729 »

1883-1884

■20 64

35.356

727 »

1884-1885

1908

31.289

592 »

i885-i886

22 73

29.457

667 »

1886-1887

23 97

3 1 . 900

762 »

1887-1888

26 26

22 .469

586 »

1888-1889

27 55

24.537

673 »

1889-1890

3098

32.364

998 »

1890-1891

2476

29.319

723 »

1891-1892

26 33

25.199

660 »

1892-1893

2698

25.6o5

688 »

I 893-1 894

28 20

23.863

671 »

1894-1895

2597

29.553

764 »

1895-1896

2643

26.424

696 »

1896-1897

24 3o

27.400

665 »

1897-1898

2597

27.700

719 »

1898-1899

3o 24

25.700

777 »

1899-1900

3007

27.800

834 »

Le graphique suivant montre encore plus clairement si c'est possible que la législation de 1884 a élevé les prix de vente sans augmenter à beaucoup près dans la même mesure le produit brut par hectare.

Les rendements ont, en effet, diminué parce que Ton imposait aux agriculteurs la culture des racines très riches en sucre. L'élévation des prix n'a pas toujours compensé la réduction des quantités récoltées.

butions indirectes : Les fabriques de sucre et leurs procédés de fabri- cation. Bulletin de statistique du ministère des finances, année 1895, II, p. 65o, et années suivantes.

LES PRODUITS VÉGÉTAUX

43

D'ailleurs, les prix que nous citons plus haut pour la tonne de betteraves constituent des moyennes. En fait,

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les recettes correspondantes des cultivateurs ont varié avec la richesse saccharine de leurs racines.

Pour marquer avec plus de précision les fluctuations de cours, nous avons relevé les prix de vente de cinq exploitations agricoles du département de l'Aisne avant

44 LA BAISSE DES PRIX

et après l'application de la loi de 1884. Ces renseigne- ments n'auraient aucune valeur si nous ne les complé- tions pas en indiquant les poids des betteraves récoltées. Les racines riches en sucre ne donnent pas, en effet, des rendements aussi considérables que les betteraves moyennement riches. Il en résulte que la recette totale peut être plus faible avec des betteraves riches qu'avec des betteraves de richesse moyenne, bien que le prix de vente par tonne soit plus élevé pour les premières que pour les secondes.

CulUire des betteraves dans cinq fermes de l'Aisne (1880-1897).

RKNDEMEJiT

PRIX

PRODUIT

BRUT

à riiectaro.

par tonne.

à l'heclare.

kilos.

fr. c.

fr.

i88o-i885. .

. . 42.000

21 »

882

»

1886-1896. .

. . 34.000

•24 40

829

»

1897. .

. . 34.800

28 »

994

»

Il est vrai que nous ne constatons pas une baisse de prix par tonne de betteraves vendue, mais le produit brut a baissé parce que le rendement moyen a diminué.

Nous ne nous croyons cependant pas en droit de généraliser. Il est fort possible qu'en certains points l'élévation des prix ait compensé la diminution des ren- dements.

La crise qui atteint l'industrie sucrière est, d'ailleurs, fort grave. Nous Tavons étudiée ailleurs (i). Disons seulement que le prix des betteraves diminuera fort probablement d'ici quelques années.

(1) Voir Annales de l'Ecole des Sciences politiques, 1898. La ques- tion des sucres par D. Zolla.

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 45

Il ne faut pas oublier, non plus, que la betterave est souvent utilisée pour la fabrication de l'alcool. On compte dans notre pays un grand nombre de distilleries agricoles. Les variations de prix des alcools nous intéressent donc au môme titre que le prix de la bet- terave elle-même. En relevant les cours de l'alcool 3/6 à 90 degrés, nous avons obtenu les moyennes sui- vantes :

Prix de riieclolitrc (I) ji dalcool à 90°.

fr. c. 1877-1880 5969

i883-i885 5o25

1887-1890 41 09

1895-1898 33 o5

La baisse constatée est très considérable. Elle atteint, de la première à la dernière période, 26 fr. 64, ou

44 P- *oo-

On voit combien est sensible la dépression des cours pour les produits que nous avons étudiés jusqu'ici.

En est-il de môme pour les autres denrées d'origine végétale dont la production a une importance considé- rable en France, et notamment pour les vins et les bois ?

C'est ce que nous allons nous demander maintenant.

VII. LE VIN

Nous ne saurions oublier, dans cette revue rapide, un des produits les plus importants : le vin. Le vin €st une des richesses de la France et la plus impor-

(i) Il s'agit ici, bien entendu, des cours de l'alcool avant le paiement des droits de consommation ou de dénaturalion.

46

LA BAISSE DES PRIX

tante de ses productions végétales après les céréales. Tout le monde sait que le phylloxéra a malheureusement dévasté ou détruit successivement depuis vingt ans les vignobles français. Il était naturel que ce désastre exerçât une influence très marquée sur le prix des vins, et des vins ordinaires principalement. Les cours se sont, en effet, relevés d'une manière très sensible malgré le développement rapide des importations étrangères.

Nous empruntons aux publications officielles de l'administration des contributions indirectes les chiffres qui se rapportent :

i" A nos récoltes annuelles;

Aux prix de vente (détail).

Récoltes des vins et prix de vente au détail relevés par l'administration des Contributions indirectes (1876-if

876

877 878

879 880 881 88 i 883 884 885 886 887 888 889 890 891

RKCOLTKS

Millions illicclolit es.

41

56

48

•2 5

•^9 34 3o 36 34 28

25

24 3o

23

27 3o 29

PRIX DE VENTE

au détail par hectolitre.

fr. c. 5i 10 58 80 61 40

63 60

74 10 73 80

76 3o

77 70 76 10

75 60

78 » 7960 7950

78 » 7040 81 »

79 »

LES PRODUITS VÉGÉTAUX 4?

RÉCOLTES PRIX DE VENTE

ANNÉES au détail

par hectolitre. Millions

d'hectolitres. fr. c.

1893 5o 77 60

1894 . 39 70 »

1895 26 70 »

1896 44 74 »

1897 32 73 »

A mesure que nos récoltes diminuaient, les prix augmentaient.

Nous nous sommes livrés, pour établir ce fait, à une longue enquête. En relevant les prix de vente des vins produits dans le Languedoc, dans le Bordelais, dans la Bourgogne et le Beaujolais, on constate que les cours se sont relevés à mesure que la production diminuait (i). C'est le trait caractéristique d'une première période durant laquelle nos vignobles successivement ravagés ou détruits par le phylloxéra n'étaient pas encore reconstitués.

Depuis quelques années, cette œuvre de reconsti- tution est presque achevée ; les vignes récemment plantées sont devenues productives. L'augmentation des récoltes a été considérable et soudaine dès que les circonstances atmosphériques sont devenues favorables. En 1898, la production ne dépassait pas encore 32 mil- lions d'hectolitres. Brusquement elle s'élève à 47 mil- lions en 1899, à 67 millions en 1900. Les prix baissent alors et la crise inévitable se produit. Il ne saurait être question de l'étudier ici. La « mévente » des vins cons-

(i) Voir notre série d'études publiée dans les Annales agronomiques, 1899, t. XXV, p. 145 et seq.

48 LA BAISSE DES PRIX

titue un phénomène économique spécial que l'on ne doit pas confondre avec une crise agricole générale.

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VIII.

LES BOIS

Les bois constituent également un élément fort impor- tant de notre production agricole. Nous possédons 9.500.000 hectares de forêts dont le rendement annuel s'élève en totalité à 27 millions de mètres cubes. Il est superflu d'insister sur l'importance de ces chiffres. La statistique agricole décennale de 1892 constate en ces termes la réduction du prix des bois. « Depuis 1882 est survenue une baisse générale des produits ; elle peut être approximativement mesurée par les « Index Num-

LES PRODUITS VÉGÉTAUX .49

bers » dressés par M. Sauerbeck, de la Société de sta- tistique de Londres, « Index Niimbers » qui sont repré- sentés par 86 en 1880 et 71 en 1892, le nombre 100 exprimant le niveau moyen des prix de 1 869-1 877 ; c'est donc un abaissement de i5 p. 100, On peut admettre que cet abaissement a été de i4 p. 100 pendant la période de 1881-1892. »

Il nous a paru intéressant de rechercher si les coupes de forêts faites en France avaient subi cette réduction de prix. Pour le savoir, nous nous sommes adressés notamment à un grand propriétaire de bois qui possède des forêts dans le centre de la France et dans la Fran- che-Comté. Il résulte de la comparaison faite du pro- duit des coupes de taillis que le prix de ces coupes a diminué de 10 à 12 p. 100 depuis vingt ans. Ce n'est là, sans nul doute, qu'une indication : pour étudier la marche du prix des bois, il faudrait distinguer les diverses catégories de bois d'industrie, de bois d'œuvre, de résineux, etc., etc.

On devine sans peine les difficultés et les lenteurs d'une pareille enquête. Nous nous bornerons ici à men- tionner une baisse générale et moyenne qui n'est pas inférieure à 10 p. 100 mais a pu s'élever plus haut.

IX. CONCLUSION GÉNÉRALE

Il nous est possible, maintenant, de formuler une conclusion générale à propos des variations de prix des denrées végétales.

Ces variations se sont toutes produites dans le même sens et c'est une baisse que l'on constate. Celle-ci a

ZoLLA. La Crise agricole. 4

5o LA BAISSE DES PRIX

été particulièrement sensible pour certaines céréales et notamment pour le froment. Ce phénomène est d'au- tant plus intéressant que les grains représentent la denrée de vente la plus importante, celle qui assure dans une grande partie de la France les principales recettes brutes du cultivateur.

Toutefois, la baisse ne peut exercer une influence sur le produit brut qu'en ce qui touche les céréales effectivement vendues. Ce serait commettre l'erreur la plus grave que de considérer comme une perte ou une diminution des revenus agricoles, la réduction de valeur qu'a subie l'ensemble des céréales produites. Signalons, dès à présent, cette erreur si souvent commise. La même observation doit être faite à propos des autres produits végétaux dont la baisse de prix a été très marquée ; les pommes de terre par exemple.

En revanche, la plupart des graines oléagineuses et presque tous les bois sont effectivement vendus. La diminution de leur prix n'a pu qu'aggraver, sur divers points, la crise agricole.

Il en est de même pour les alcools fabriqués dans nos fermes.

La situation de la culture des betteraves à sucre nous paraît dangereuse et trop intimement liée à celle du marché des sucres. Le prix de la betterave peut dimi- nuer demain dans des proportions énormes si le cours des sucres vient à fléchir. A cet égard, il y a lieu de redouter les plus graves mécomptes. Nous sommes forcés d'exporter plus de la moitié des quantités de sucre fabriquées dans nos usines. Le jour le marché étran- ger nous sera partiellement fermé, la culture de la bette-

^£■5 PRODUITS D'ORIGIXE AMMALE 5i

rave sera très sérieusement menacée dans notre pays.

La crise viticole est toute récente ; elle doit être rat- tachée à une surproduction momentanée qu'ont provo- quée des circonstances atmosphériques exceptionnelle- ment favorables. Néanmoins, l'augmentation de notre production tient aussi à des causes permanentes et en particulier à la reconstitution de nos vignobles. La baisse du prix des vins n'est donc pas un phénomène passager. 11 y a lieu d'en tenir compte et de la prévoir.

Examinons, maintenant, la marche des cours relatifs aux produits d'origine animale.

II Les produits d'origine animale.

Pour nous rendre compte, tout d'abord, de l'impor- tance relative des éléments qui constituent notre pro- duction d'origine animale, nous reproduisons, ci-des- sous, le tableau qu'en a dressé l'administration de l'Agriculture (i).

Production animale (valeurs en millions de francs).

PRODUITS VALEURS

Animaux français aballus ou

exportés 1.763 millions de francs.

Lait I 211

Laine 48

Volailles, lapins, œui's, etc. 3 16

Cocons de vers à soie. ... 32

Miel et cire i6

Travail des animaux de trait. 2.946

Fumier 832

1

Total. . . . 7.204 millions de f.-ancs. (i) Enquête agricole de 1892. Introduction, p. 44o-

52 LA BAISSE DES PRIX

Une première observation est indispensable. Il nous paraît impossible de songer sérieusement à faire figurer dans le produit brut agricole le travail des animaux de trait et le fumier. La valeur de ce travail est représentée uniquement par celle des récoltes que les façons cul- turales ont permis d'obtenir. Une partie des récoltes a servi, en outre, à la nourriture des animaux vendus ou des produits d'origine animale portés sur le marché par les cultivateurs. Compter à la fois la valeur des produits et la valeur du travail qui a permis de les obtenir, c'est évidemment compter deux fois la même chose. 11 y a un siècle que Lavoisier (i) s'est attaché à faire cette démonstration.

Le fumier n'est pas non plus un produit; c'est un résidu industriel, un moyen de production, mais non un produit et encore moins une denrée destinée à la vente (2). Les agriculteurs achète'nt parfois du fumier; il leur est interdit d'en vendre quand ils sont loca- taires, et en fait ils n'en vendent jamais.

La valeur du fumier se confond avec celle des récoltes.

]. LK BKTAIL ET LA VIA>DK

Ces réserves faites, nous voyons immédiatement que le principal élément du produit brut d'origine animale est représenté par les animaux de boucherie élevés en France, abattus, ou exportés.

(i) Rapport à rAsscmbléc conslituante sur la production territoriale du royaume.

(2) La valeur du travail des attelages et celle des l'umiers sont, d'ail- leurs, retranchées du produit brut par la statistique oflîciellc.

LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 53

La valeur de ces animaux dépend surtout du cours de la viande. 11 nous reste donc à étudier les variations de prix qui se rapportent à cette dernière. Nous emprun- tons au Bulletin du Ministère de V Agriculture les chiffres suivants relatifs au prix moyen du kilo de viande pour le bœuf, le mouton et le porc dans la France entière.

Variations de prix du kilo de viande ( hœiif, mouton, porc) dans la France entière ; par périodes (/uine/uennales. Pcriotk's. Hretif. Mouton. Poi'c.

ff. c. fr. c. fr. c.

18-7-1880 .... I 6a I 80 I 65

i88i-i885 .... I 61 I 83 i 64

1888-1890 .... I 49 17'^ I 48

1891-1895 .... I 59 I 83 I 54

1896-1903 .... I 57 1 83 I 5o

En prenant comme ternie de comparaison les prix de la période 1877-1880, nous voyons que les cours de la der- nière série (1896-1900) sont fort peu diminués, excepté en ce qui concerne le porc. A la vérité, nos moyennes masquent des fluctuations très accusées qui se sont pro- duites durant ces vingt dernières années.

Pour mettre en évidence ces variations, nous plaçons sous les yeux du lecteur le graphique de la page (54) qui retrace avec fidélité le mouvement des cours pour le bœuf, le mouton et le porc.

Les oscillations sont évidemment très accusées, mais, dans leur en&emble, les courbes ne nous révèlent pas une tendance à la baisse comparable à celle que l'on observe pour les céréales. Les cours ont fléchi en 1880 et 1881 ; mais ils se relèvent en i883, 1884. La baisse s'accentue de nouveau en 1887 et 1888: puis nous observons une hausse rapide de 1890 à 189?.. Enfin, la

54

LA BAISSE DES PRIX

sécheresse de 1893 provoque une dépression marquée des cours qui est suivie d'un relèvement. Toutefois, depuis 1895, une baisse nouvelle s'accuse et sera peut- clro suivie d'une hausse.

En somme, le prix de la viande n'a pas suivi la même marche que le cours des céréales et des autres produits végétaux. Il reste plutôt stationnaire, bien que l'on ait observé des dépressions brusques et prolongées. Cette dépression est très accusée depuis trois ans.

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Une pareille conclusion a évidemment une très grande importance. Nous signalons les faits sur lesquels elle s'appuie en nous réservant d'en rechercher la signi- fication et d'en montrer la portée. Toutefois, les varia- tions du prix de la viande présentent un si grand intérêt que nous voudrions les étudier encore d'une autre façon et comparer, notamment, les fluctuations des cours sur les marchés français et anglais.

LES PRODUITS D' ORIGINE ANIMALE 55

Eludions d'abord la marche des prix en France.

En groupant les moyennes annuelles de manière à constituer les prix moyens de périodes triennales suc- cessives, on obtient les résultats suivants pour le kilo de viande nette, première qualité, sur le marché de la Villette, à Paris. Nous empruntons les prix annuels au relevé des opérations du marché de la Villette que publie le Bulletin du Ministère de l'Agriculture.

Prix du kilogramme de viande nette (i^° qualité) sur le marché de la

Villette. Périodes. Bœuf. Moulon.

fc. c. fr. c.

1879-188 1 I 69 I 97

1880-1882 I 67 201

1881-1883 I 71 206

1 882-1884 I 73 207

i883-i885 I 69 I 98

1884-1886 I 60 I 87

1885-1887 I 5o I 77

1886-1888 I 45 I 77

1887-1889 143 I 81

1888-1890 . I 5o I 95

1889-1891 j 55 2o3

1890-1892 I 57 2 04

1891-1893 '. I 54 I 95

1892-1894 I 56 I 94

1893-189J I 57 I 96

1894-1896 I 57 2 »

1895-1897 I 5o I 92

1896-1898 I 46 I 85

1897-1899 I 44 I 84

1898-1900 I 43 1 89

Les oscillations ont ici moins d'amplitude ; le mouve- ment des prix est plus continu et une tendance à la baisse se manifeste, surtout pour la viande de bœuf, depuis la période 1879-1881 jusqu'à 1898-1900. Cette

56 LA BAISSE DES PRIX

baisse est de 7 p. 100 pour le bœuf et de 4 p- 100 pour la viande de mouton.

En Angleterre, la baisse est plus accusée. Nous avons également groupé les cours qui se rapportent à la viande de i""" qualité sur le « Metropolitan Market » de Londres,

Voici les résultats obtenus. Nos moyennes, calculées en francs, se rapportent également au kilogramme. Pour opérer les conversions nécessaires, nous avons admis que le shilling équivalait à i fr. 25, et la livre anglaise (Lb.) à 45^^ grammes.

Prix du kilogramme de viande de bœuf et de mouton pour la première qualité sur le Metropolitan Market, à Londres.

Périodes. Bœuf. Mou Ion.

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1877-1879

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La baisse est ici beaucoup plus accusée, ainsi que Hous le disions tout à l'heure.

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LES PRODUITS L'ORIGINE ANIMALE

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Prix du Bœuf

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Prix du Mouton

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Notre graphique relatif aux prix anglais et français le montre clairement.

Sans doute, nous observons encore des inflexions marquées analogues à celles qui caractérisent le graphi-

58 •/-4 BAISSE DES PRIX

que des cours français; mais ces inflexions sont moins accusées; les courbes des prix ne se relèvent pas à Londres aussi haut qu'à Paris après les périodes de baisse.

Il nous paraît très vraisemblable que les droits de douane établis en France sur le bétail vivant et les viandes importées peuvent expliquer ces différences.

Remarquons, en outre, que le prix de la viande de i'"'' qualité [i) est sensiblement plus élevé, par kilo, sur le marché de Londres. L'écart entre les prix anglais et français était très sensible jusque vers i89:>., c'est-à-dire jusqu'au moment notre tarif douanier a été remanié et les droits sur la viande et le bétail vivant singulière- ment rehaussés.

Conclusion. En résumé, le prix de la viande n'a pas subi, en France, une baisse comparable à celle du froment ou môme des autres céréales; les cours sont plutôt stationnaires. En étudiant les fluctuations des moyennes triennales, nous obtenons les mômes résultats et nous aboutissons aux mêmes conclusions qu'en exa- minant la marche des prix annuels.

On observe, cependant, une tendance marquée à la baisse sur des marchés francs comme celui de Londres. Il est vraisemblable que rinfTuence de nos tarifs protec- teurs se fait sentir, et l'on doit admettre que les cours suivront en France une marche analogue.

(.) 11 y aura lieu de voir en efTet si le prix des viandes de dernière qualité a suivi la même marche. Nous examinerons cette question un peu plus loin.

LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE

H

En tous cas, sur le marché de Paris, la baisse est sensible depuis 1894 pour les viandes de i""" qualité. Nous verrons qu'il n'en est pas de môme pour d'autres.

Influence de la qualité des viandes sur les variations de prix. Enfin, il est fort intéressant de savoir si les

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Prix, du Bœuf

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à Paris e- à. Londreao o

viandes de qualité inférieure n'ont pa& subi une baisse plus accentuéeque la viande de i'" qualité.

Le graphique ci-dessus répond à cette question. On voit qu'en efïet la viande de dernière qualité (Inferior quality), sur le Métropolitain Market de Londres, a

6o LA BAISSE DES PRIX

baissé de prix plus rapidement que la viande de i""" qua- lité. Cette dernière n'est plus directement concurrencée par les viandes de conserve ou les quartiers importés sur les navires pourvus de chambres iVigorifiques. Les viandes de dernière qualité sont, au contraire, directe- ment exposées à cette concurrence.

Voici, d'ailleurs, les écarts de prix que nous relevons, pour le bœuf et le mouton, entre la première et la der- nière qualité (i).

Ecarts de prix par kilogramme entre les viandes de première et dernière qualité, à Londres . Pi^i-iodcs. Bœuf. Mouton.

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(i) Ce que nous appelons ici viandes de dernière qualité sont des viandes parfaitement saines d'ailleurs mais cotées « Inferior quality » sur le Metropolitan Market. // s'agit de viande provenant d'animaur élevés en Angleterre .

LES PRODUITS D'ORIGJyE A MM A LE 6i

Notons avec soin que les écarts de prix augmentent à mesure que l'on se rapproche de Tépoque actuelle. Cela lient précisément à ce fait que les viandes de qualité infé- rieure baissent plus rapidement de prix que les autres.

Les viandes de choix représentent une denrée de luxe réservée aux plus fortunés. Pour les gens de fortune modeste, les viandes importées ou les catégories infé- rieures des viandes provenant d'animaux anglais cons- tituent un aliment à bas prix relativement.

En France, nous n'observons pas le même phénomène. La marche des prix, pour les deux catégories de viande, est presque semblable. Enfin, au lieu d'augmenter, l'écart de prix entre les qualités diminue d'une façon apprécialjle. Il en résulte que les classes relativement pauvres n'ont pas bénéficié dans la même mesure qu'en Angleterre de la baisse des prix. Il y a plus. Nous avons montré précédemment que le prix de la viande de i'" qualité était resté longtemps plus élevé à Londres qu'à Paris. A partir de 1892, au contraire, l'écart entre les prix diminue jusqu'à devenir nul. Il nous parait cer- tain que nos tarifs de douane ont soutenu les cours, en France, pendant que les prix continuaient à baisser en Angleterre.

Le graphique (p. 5y) met clairement ce phénomène en évidence.

Pour les viandes de dernière qualité, il en a été de môme. Les prix cotés sur le Metropolitan jNIarket, à Londres, ont baissé très rapidement. A partir de la période 1884-1886 ils tombent au-dessous des cours fran- çais. En outre, l'écart s'accentue à mesure que l'on se rapproche de la période actuelle. Nos prix restent à peu

62 LA BAISSE DES PRIX

près stationnaires tandis que les cours de Londres sont en baisse.

C'est ce que montre le graphique de la page 09.

Pour les viandes de i""* qualité consommées par. les classes riches, nous sommes ainsi arrivés à relever le niveau de nos cours, qui sont aujourd'hui semblables ou supérieurs aux cours cotés à Londres. Pour les viandes I de la dernière qualité, consommées par les classes pau- vres, nous avons obtenu ce résultat singulier, d'en \élever le prix beaucoup au-dessus des cours anglais.

Il nous paraît fort probable, nous le répétons, que nos droits de douane frappant le bétail, les conserves, les viandes congelées, etc., etc., ont amené ce résultat.

En ce qui concerne spécialement les intérêts du pro- ducteur agricole, il est visible que l'état stationnaire du prix des viandes de la dernière catégorie, en France, leur est favorable.

Voici, d'ailleurs, à titre de document, le tableau des cours pratiqués à Paris sur le marché de la Villette, et à Londres sur le Metropolitan Market, pour les viandes fraîches de la dernière qualité.

Il s'agit de viandes provenant d'animaux élevés et abattus, soit en France, soit en Angleterre.

Prix, par kilogramme des viandes de dernière qualité, à Paris et à

Londres.

BŒUF MOUTON

Périodes. Paris. Lomircs. Paris. Londres,

fr. c. fr. c. fr. c. fr. c.

1879-1881 I 23 I 5o 1 38 I 90

1880-1882 I 20 I 52 I 61 I 98

1881-1883 I 27 I 5o I 80 208

1882-1884 I 32 I 47 I 84 -2 05

LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 63

Périodes.

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1884-1886

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I 62

I 20

II. LE LAIT

Le lait est, après la viande, le principal élément du produit brut d'origine animale. Nos vaches laitières produisent 77 millions d'hectolitres de lait dont la valeur moyenne serait de o fr. 16 le litre d'après la statistique agricole de 1899.. Cette énorme quantité est utilisée en partie pour la fabrication des beurres et des fromages. On consomme le reste à l'état de lait frais. Nous n'avons pas de renseignements précis analogues à des mercuriales en ce qui touche le lait frais. Il est fort probable que le prix de cette denrée a peu varié depuis quinze ou vingt ans. Peut-être même a-t-il aug- menté au lieu de diminuer. Les exigences de la clientèle riche sont plus grandes; le souci de l'hygiène est plus général; les sacrifices faits pour se procurer du lait de très bonne qualité sont à coup sûr plus visibles. L'usage de vendre du lait garanti pur dans des vases scellés s'est

64 LA BAISSE DES PRIX

répandu, au moins à Paris et dans les grandes villes. Ailleurs, nous n'avons jamais observé une baisse. Le prix du litre de lait frais oscille entre i5 et aS centimes, la moyenne est de 20 centimes en province.

III. LE BEURRE

Le beurre est un produit très important." Depuis quel- ques années, sa valeur tend à diminuer et Ton parle bien souvent de la mévente des beurres ; c'est le terme consacré. Une distinction est ici nécessaire. Le cours des beurres fins ne nous paraît pas avoir baissé. En relevant les mercuriales du marché de Paris, nous avons trouvé les moyennes suivantes qui se rapportent aux produits dits d'Isigny, fins et demi-fins

Prix du kilogramme de beurres ditu d Isigiiy à Paris.

BlîURKI': FIN Bi:URRIi DEMI-FIN

Périodes, Miiiima. Maxima. Miniina. Maxima.

1880-1883. . . 1894-1897. . .

Ainsi nous observons une hausse très visible et non pas une baisse. Les beurres ordinaires fabriqués dans de bonnes conditions semblent, cependant, avoir subi une réduction de prix depuis quelques années. Voici, par exemple, les prix obtenus par une laiterie coopéra- tive de la Vendée qui expédie son beurre aux halles de Paris :

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LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 65

Les beurres ordinaires de Bourgogne ont sul)i à Paris une baisse de prix plus marquée. En comparant les cours des mois de grosse production, juin, juillet, août, septembre nous obtenons la moyenne suivante :

PRIX

du kilo à Paris.

fr. c.

189a 207

1893 -i 09

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1895 I 68

1896 I 70

1897 I 70

1898 I 83

11 y a donc eu baisse ; mais cette baisse ne dépasse pas 7 à 8 p. 100.

En Angleterre, la baisse constatée est encore plus faible. Voici les cours que nous relevons et qui se rap- portent : i^à la valeur moyenne des beurres importés ; 1" au prix du beurre venu de France :

Prix des beurres importés eu Augleterre (i). Prix par iOO iiilos (2 c\\ls).

Valeur niojciiuc. Beurre français.

fr. fr.

1886 264 280

1887 264 270

1888 266 270

1889 266 272

1890 260 270

1891 272 284

1892 274 278

1893 274 286

1894 262 276

1895 25o 268

(i) Voir : Royal Commission of Agriculture. Fiual Report, p. 77, ZoLLA. La Crise agricole. 5

66 LA BAISSE DES PRIX

Val ou r nioyciino. iJciirrc français.

fr. fr.

1896 (l) 202 »

1897 245 »

En prenant comme termes de comparaison les années 1886 et 1897, on constate une baisse de 19 francs par quintal, ou de 7 p. 100 seulement, en ce qui concerne la valeur moyenne des beurres importés dans le Royaume-Uni.

IV. LES rROMAGP:S

Les fromages constituent une part très importante des produits de la laiterie. Nous donnons ci-dessous le cours des gruyères dans les fruitières du Doubs et du Jura :

PRIX du quiiilal de gruyère

dans les fruitières du Doul)S et du Jura.

fr. 1876-1880 142 »

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1886-1890 120 »

1891-1895. . i34 »

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On voit que les cours se sont abaissés jusqu'en 1890. Ils se relèvent ensuite, peut-être sous l'influence des droits protecteurs votés en 1891 et appliqués en \^Ç)'>.. Mais, en somme, les variations ne sont pas très accu- sées. Depuis 1876-1880 jusqu'à la période 1886-1890, la baisse ne dépasse pas i5 p. 100.

(i) Voir pour les prix moyens en 1896 et 1897, Board of Agriculture^ Agricultural Returns, 1897, p. 139.

LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 67

Nous ne pouvons songer à suivre les fluctuations de prix des fromages si divers consommés en France. Les courtes indications qui précèdent nous paraissent, d'ailleurs, suffisantes pour montrer que les variations de cours n'ont pas eu comme résultante une baisse accentuée analogue à celle que Ton constate pour la plupart des denrées végétales.

V. LA LAINE

La laine, qui est un produit important, a subi, au contraire, une baisse très marquée ; depuis 1876 jusqu'à i883, notamment, le cours des laines a diminué de plus de 3o p. 100.

11 en a été de môme en Angleterre pour les laines pro- duites dans le pays aussi bien que pour les laines importées. Voici, à titre d'exemple, les variations de prix de deux catégories de laines, variations qui mon- trent la généralité du mouvement de baisse et l'iinpor- tance considérable de la réduction de prix :

Prix par livre (453 gr) en francs (i).

LAINES ANGLAISES LAINES IMPORTÉES

Soutlidowii. Liuco!n. X -Zélandc. Auslralie.

fr. c.

fr. c.

fr. c.

fr. c.

1876. . ..

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I 5o

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1878. . .

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I 40

I 40

1879. . .

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I 40

I 40

(i) Voir Final Report on Agi icultiiral Dépression, p. 75. Londres,

68

LA BAISSE DES PRIX

LAINES ANGLAISES LAINES IMPORTEES

Soullidown. Lincoln. N.-Zélando. Australie.

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fr. c.

fr. c.

fr. c.

1880. ... I 40

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080

En France même, les prix des laines indigènes ont l)aissé de i4 p. 100 depuis i885 jusqu'à 1895 :

Prix du quintal de laine en France (i).

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1886

1887

1888

1889

1890 ,

1891

1892

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fr. 164

i57 160 i54 i54 i54 178 144 144 141

La laine est certainement un des produits agricoles (!oiil le prix a diminué le plus rapidement depuis vingt-

[i) Enquête agricole de 1892. lulroduclion, p. 3 12.

LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 69

cinq ans. Celte baisse n'est pas inférieure à 5o p. loo. Ilfaiitnoter, d'ailleurs, que cette tendance est très mar- quée depuis fort longtemps. On peut dire que le cours des laines s'abaisse depuis le commencement de la Res- tauration (i).

Avant de terminer ce long chapitre, il ne nous reste plus qu'à parler de trois produits d'importance inégale : la soie, le miel et la cire dont la valeur ne laisse pas que d'être assez élevée en France.

VI. LES COCONS

Les cocons de vers à soie ont subi depuis quinze ans une baisse très marquée. Le prix du kilogramme qui s'était élevé très souvent à 5 francs de 1870 à 1880, tom- bait ensuite à 3 fr. 5o. Depuis 1892, ces cours ont encore fléchi :

fr. e

1892 3^5

1893 434

1894 2 60

1895 282

1896 2 56

Cette baisse explique les plaintes si vives des sérici- culteurs français, qui ont réalisé des profits de moins en moins élevés.

VII. LE MIEL ET LA. CIRE

Le miel et la cire n'ont pas subi une baisse analogue; les cours restent stationnaires depuis dix ans, et cette

(i) Voir à ce sujet le tableau graphique publié en 1880, par M. César Poulain, ancien président de la Chanîbre de commerce de Reims, Paris, Guillauniin.

70 LA BAISSE. CONCLUSION GÉNÉRALE

particularité nous montre combien sont diverses les influences qui s'exercent sur le prix des produits agri- coles. La résultante de toutes les causes différentes est une baisse générale, mais parfois aussi un état station- naire des cours.

Voici les fluctuations de prix du miel et de lu cire depuis i885 jusqu'à 1895, d'après l'enquête agricole de 1892.

PRIX PAR KILO

Miel. Cire.

fr. c. fr. c.

i885 I 42 2 28

1886 I 42 2 18

1887 I 39 2 21

1888 I 39 2 38

1889 I 39 2 27

2 2

1890 I 40

1891 I 52 2 24

1892 1 49 ^19

1893 1 42 2 20

1894 I 41 212

Conclusions générales. La baisse des produits d'origine végétale et animale. Nous venons d'étudier successivement les variations de prix des principaux produits d'origine végétale ou animale. Un phénomène économique de la plus haute importance se dégage nettement de cet examen : c'est la baisse des prix. En revanche, cette baisse est très inégale. Les produits végétaux ont baissé de prix beaucoup plus rapidement que les produits d'origine animale, et en outre, la dépréciation des denrées végétales a été beaucoup plus marquée. Nous constatons, enfin, une extrême diver- sité dans les fluctuations de prix des produits agricoles.

LES PRODUITS D'OIUGIXE ANIMALE /i

La dépréciation du froment est bien plus marquée que celle de Tavoine ; les prix des laines ont diminué de ;")o p. loo en France, tandis que le cours de la viande et du bétail ne subissait guère qu'une dépression de 4 ^ 9 p. ICO.

Il résulte de ces différences que la l^aisse des prix a exercé une influence décisive sur les profits lorsque la production locale, dans nos régions agricoles, a porté sur des denrées plus spécialement affectées par la baisse. La crise agricole n'a ni les mômes caractères ni la môme intensité dans les régions à céréales et dans les centres d'élevage, dans les départements essen- tiellement viticoles et dans ceux la production laitière a pris un développement plus rapide.

Nous aurons soin de signaler plus tard ces diffé- rences qui se traduisent, notamment, par des variations de la valeur du sol. 11 était utile de déterminer la cause des contrastes qui s'observent. Cette cause principale est évidemment la diversité des fluctuations de prix relatives aux principaux produits vendus par le cultiva- teur et constituant les grosses recettes des exploitations rurales.

Avant d'étudier cette question, c'est-à-dire avant d'examiner les conséquences de la baisse générale des prix, nous devons toutefois nous demander si le déve- loppement de la production agricole dans notre pays n'a pas jusqu'à un certain point atténué les effets de la baisse. Il est clair, en effet, qu'une augmentation rapide des récoltes et des rendements peut compenser par- tiellement une baisse des prix.

D'un autre côté, nous devrons chercher à savoir si

72 LA n Aïs SE DES PRIX

raugmentatioiî très rapide de la masse des produits agricoles obtenus ne peut pas expliquer la baisse que l'on observe.

Ce sont ces deux problèmes que nous allons main- tenant nous efforcer d'étudier et de résoudre.

III

La baisse des prix et l'augmentation de la production

en France.

Avant d'étudier, disions-nous plus haut, les consé- quences de la baisse du prix des principales denrées agricoles, il est indispensable de nous demander si l'augmentation des récoltes n'a pas compensé jusqu'à un certain point la diminution des cours.

Sans nul doute, tout accroissement des rendements et de la production, en général, suppose une augmen- tation des dépenses. Les façons culturales mieux faites ou plus nombreuses, l'emploi d'engrais complémen- taires, une sélection plus attentive des semences, etc., etc., exigent des avances plus considérables.

Il en est de même pour la production d'origine ani- male. L'accroissement du poids, du nombre, de la qua- lité des animaux et de leur productivité suppose des dépenses plus élevées relatives au choix des reproduc- teurs et à l'alimentation.

Mais dans tous les cas, le développement de la pro- duction n'est possible que s'il est lucratif; l'augmenta- tion des dépenses a donc été largement compensée par celle des recettes. On ne saurait admettre, un seul ins- tant, qu'en produisant une masse plus considérable de

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTIOX 7^

denrées, nos agriculteurs aient, d'une façon générale, fait des sacrifices stériles. C'est le contraire qui nous paraît vrai.

Tout progrès technique doit avoir pour conséquence un excédent de recettes, déduction faite des dépenses nouvelles que le progrès entraîne avec lui.

Il est donc parfaitement permis, nous le répétons, de se demander si la baisse récente des prix n'a pas eu comme correctif une augmentation de notre production agricole.

I. En ce qui concerne, notamment, les céréales, le doute ne semble pas permis. Le développement de la production a corrigé ou atténué TefTet de la baisse du prix. D'après la statistique décennale de i89'2, on cons- taterait un excédent moyen annuel de production assez considérable en comparant les deux périodes décen- nales, 1876-85 et 1886-95.

Voici les chiffres qui se rapportent à ces deux séries d'années, pour les grains seulement :

PUODUCTION ANNUELLE TOTALE

Céivalcs. 187C-I885 1886-180d

Fromeiil . . , Seigle . . . Orge .... Méteil ... Avoine . . . Maïs cl millel Sarrasin . .

En définitive, les augmentations ou diminutions de production moyenne seraient les suivantes :

Millions

d'hectolitres.

01.6

107. 1

24.9

23.5

18.3

17. 1

6.2

4.4

80.7

87.2

9-7

9-9

10. 0

9.3

74

LA BAISSE DES PRIX

Froment

Seigle

Orge

Méteil

Avoine

Maïs et niiilct. . . Sarrasin

Totaux.

Augmcnlation

Diuiinution

Millions

d'Iiectolit

rcs.

5.3

»

»

1.4

»

1.2

»

1-7

6.5 o.i

»

11.9

Les augmentations portent sur le iroment, chose fort importante, et sur l'avoine. Elles s'élèvent à plus de

La Production du hlé en France de i83o à 1900

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7 millions d'hectolitres, déduction faite des réductions qui se rapportent aux autres céréales. Malheureusement, il paraît établi par la statistique officielle que si les quantités récoltées ont augmenté, cet excédent atténue la baisse des prix sans la compenser. Voici quelles

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 70

seraient les différences de valeurs obtenues en appli- quant à la production moyenne totale les prix afférents à chaque période.

Diminution de valeurs entre les périodes 1876-1883 et 1 886-1 895 pour les récolles *.

Millions de francs.

Fi'omcut 290

Seigle 83

Orge 5o

Méteil 43

Avoine

Maïs et millet

Sarrasin 28

L'Administration de l'Agriculture conclut en ces termes : « La valeur des céréales (les grains seulement) récoltées durant la période 1886- 1893 a donc été infé- rieure par an, en moyenne, de 546 millions à celle de la période 1876-1885. »

Nous faisons, tout d'abord, les plus expresses réserves à propos du mot « valeur » qui est ici employé et pour- rait faire supposer que, toutes les céréales étant desti- nées à la vente, les recettes des cultivateurs ont dimi- nué de 546 millions ; cela ne serait pas exact. Nous l'avons fait voir dans un autre chapitre (p. 35).

En tout cas, il est évident que la valeur totale de notre récolte de céréales eût subi une réduction plus forte encore si l'augmentation de la production n'avait pas atténué dans une certaine mesure la baisse des prix qui se rapporte à chaque hectolitre.

Ajoutons^ enfin, que la surface consacrée aux céréales.

(i) Voir Introduction à l'enquête agricole de 1892, p. 104.

76 LA BAISSE DES PRIX

et notamment au froment, iia cependant pas augmenté. Elle a plutôt légèrement décru d'après la statistique officielle.

Le développement de la production est donc bien à une augmentation des rendements.

2. Après les céréales, nous savons que les pommes de terre constituent un des principaux éléments du produit brut d'origine végétale. Nous constatons encore un développement de la production qui corrige les effets de la baisse. Les rendements par hectare se sont notamment élevés de 75 à i5o quintaux par hectare entre 1882 et 189a. Cette augmentation, jointe à l'exten- sion des surfaces cultivées, qui ont passé de 1.337.000 à I.474-O00 d'hectares, explique l'accroissement de valeur correspondant à notre production totale. Cette valeur attribuée aux pommes de terre ne s'élevait qu'à 648 millions de francs en 1882 ; elle atteint 670 millions en 1892. Bien entendu, cette valeur ne correspond ici qu'à une donnée statistique sans rapport immédiat avec la réalité. L'ensemble de notre récolte de pommes de terre n'est pas davantage l'objet de ventes effectives que l'ensemble de notre récolte de céréales.

Nous constatons simplement que l'hectare de pommes de terre produisait, en 1882, 70 quintaux valant en moyenne 6 fr. 42, d'après les évaluations officielles. Le produit brut moyen par hectare s'élevait à 481 francs. En 1892, io5 quintaux valant chacun 4 fr- 33 donnent encore un produit de 4^4 francs. La diminution des recettes brutes n'est donc égale qu'à 27 francs, et la baisse relative n'atteint que 5 p. 100.

3. Nous négligerons diverses productions d'un

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 77

moindre intérêt pour nous occuper immédiatement des betteraves à sucre.

Il suffira, d'ailleurs, de rappeler les conclusions aux- quelles nous nous sommes arrêtés à propos de la baisse des prix.

Le cours des betteraves à sucre est intimement lié à leur richesse saccharine. La législation fiscale oblige les fabricants à traiter des racines assez riches pour que le poids de sucre extrait réellement dépasse le ren- dement « légal ». C'est pour cette raison que le prix de vente des betteraves augmente très rapidement à partir d'un certain degré de richesse. En revanche, il est démontré que les rendements en racines par hectare cultivé diminuent quand la richesse de la betterave augmente. 11 en est résulté que le produit brut moyen par hectare évalué en argent ne s'est pas accru ou s'est faiblement accru, depuis 1884, malgré l'augmenta- tion du prix moyen de la tonne des racines.

Jusqu'à présent, la baisse a été, du moins, prévenue. Le produit brut, loin de diminuer, a plutôt augmenté légèrement sur quelques points.

4. Nous ne croyons pas devoir signaler les progrès de la production relatifs aux produits maraîchers. Les évaluations, à cet égard, sont bien difficiles. Pour les produits maraîchers de grande culture, la statistique de 1892 constate, il est vrai, une augmentation des valeurs créées ; mais cet accroissement correspond à une extension des surfaces, et, de plus, la moitié de la plus- value devrait être attribuée au développement de la cul- ture des pommes de terre, dont nous avons déjà parlé. Quant aux jardins maraîchers proprement dits, l'Admi-

LA BAISSE DES PRIX

nistration de FAgriculture ne peut nous fournir aucune indication relative à Taccroissement de la production.

5. Nous pouvons, au contraire, noter les variations de la production du cidre, dont la fabrication est évi- demment liée à Tabondance des récoltes de pommes. La production du cidre est de plus en plus abondante, bien que l'on obtienne des différences très marquées selon les années considérées. Les moyennes quinquen- nales sont les suivantes :

Production du cidre.

MillioBS d'hectolitres. 1876-1880 8.6

1881-1885 i5.6

1886-1890 8.8

1891-1895. . 19.0

1896-1900 i5.i

6. 11 y aurait, semble-t-il, quelque imprudence à parler du développement de la production en ce qui concerne le vin. Tout le monde sait combien ont été ter- ribles les ravages du phylloxéra. Nos vignobles détruits ont été pourtant reconstitués avec une rapidité qui tient du prodige. Nous ne savons s'il faut louer davantage la ténacité, le courage ou l'habileté de nos viticulteurs. Depuis quelques années l'augmentation des récoltes a été extraordinaire.

Voici quelles ont été les moyennes quinquennales relatives à nos récoltes depuis 1876 jusqu'à 1895.

Millions (]"hectolitros. 1876-1880 40.4

i88i-i885 32.8

1886-1890 26.0

1891-1895 34.9

1896-1900 44.6 -

LE DEVELOPrEMENT DE LA PRODL'CTIOX 79

Durant la première période, nos vignes n'étaient pas encore détruites. Les années 1879 ®^ 1880 avaient seules témoigné par rabaissenientsubitdes récoltes de l'étendue des ravages déjà constatés.

Durant les dix années suivantes, le phylloxéra achève son œuvre de destruction ; mais, en même temps, la reconstitution du vignoble est commencée, surtout dans tes départements du Midi à grosse production.

Enfin, durant la dernière période, un accroissement appréciable de la production nous est révélé par l'élé- vation de la moyenne quinquennale 1896-95. La récolte exceptionnelle de 1898 explique, sans doute, ce relève- ment, mais le chiffre de notre production s'élève, cepen- dant, ensuite à 44 millions d'hectolitres de 1896 à 1901. C'est la moyenne la plus élevée que l'on ait constaté depuis vingt-cinq ans.

7. Au premier rang parmi les éléments de notre richesse agricole, il faut placer le bétail. Nous pouvons constater avec satisfaction une augmentation notable des efl'ectifs et surtout un accroissement marqué du poids des animaux domestiques. Depuis 1882 jusqu'à 1892, l'augmentation du nombre des représentants de l'espèce bovine et de l'espèce porcine a été la suivante :

Tétcs.

Espèce bovine 711.000

Espèce porcine 274.000

C'est un fait très important. Il est vrai que l'on constate les diminutions suivantes :

Tôiei.

Espèce chevaline 43. 000

Espèce ovine 2.693.000

8o LA BAISSE DES PRIX

L'Administration de l'Agriculture a raison de faire observer que la réduction du nombre des moutons est due surtout aux progrès et à l'intensité de la culture, à la suppression des jachères et des parcours, au défri- chement des landes et à leur boisement, et enfin au développement de la petite culture, qui a plus d'intérêt à entretenir des vaches laitières que des moutons. 11 conviendrait même d'ajouter que la diminution du nombre des ovidés est un phénomène très général, hors de France, dans les pays bien cultivés.

En outre, deux faits viennent corriger les consé- quences que l'on pourrait être tenté d'attribuer à la réduction des effectifs.

Le poids de chaque animal s'est accru depuis vingt ans. C'est un effet de la sélection intelligemment prati- quée et d'une meilleure alimentation. Les bons éleveurs se sont même attachés et ont réussi à. obtenir des animaux dont le rendement en viande nette fiit de plus en plus considérable. Enfin, l'on est même parvenu à augmenter la proportion des morceaux de première et deuxième catégorie. Ce n'est donc pas seulement le poids de viande fourni par chaque animal qui a augmenté ; la qualité de cette viande s'est trouvée également améliorée. Il faut noter aussi que nos ovidés, mieux sélectionnés et mieux nourris, étant plus précoces, peuvent être abattus plus jeunes. Avec des effectifs réduits, il est donc possible que nos agriculteurs livrent à la consommation autant d'animaux qu autrefois, et surtout autant de viande. Toutes ces transformations correspondent à d'incontes- tables progrès techniques ; elles peuvent atténuer, dans une mesure appréciable, les conséquences de La baisse

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 8i

des prix. Ceci est d'autant plus important que Thabileté de nos éleveurs et les progrès de la science zootech- nique ont permis d'obtenir les mêmes résultats en ce qui concerne les animaux des espèces bovine et porcine. Quant aux augmentations de poids constatées depuis 1882 jusqu'à 1892, elles s'élèvent, d'après la statistique officielle, à i53 millions de kilogrammes, déduction faite des diminutions qui paraissent correspondre à la réduction de nos effectifs pour les chevaux et les mou- tons. Nous disons avec intention que la réduction des effectifs/;(7/'rt/7 seulement correspondre à une diminution de poids. Pour les moutons, notamment, ce que nous avancions au sujet de l'accroissement du poids vif par bête justifie notre hésitation.

La statistique officielle nous fournit, d'ailleurs, un argument.

Voici quelle a été l'augmentation du poids net en viande des animaux français abattus ou exportés, depuis 1882 jusqu'à 1892 :

AUGMENTATIONS

du poids net en viande

Absolues. Rflatiïes.

Millions de kilog. p. 100

Bœufs, vaches, taureaux .... -iS 4 5

Veaux 246 i5

Moutons et brebis o5 o5

Agneaux, chevreaux 04 3 o

Porcs 95 4 24

Totaux-moyennes. . . . 149^ » »

Nous constatons une augmentation du poids de viande fourni par les animaux de l'espèce ovine, malgré la diminution des effectifs . Quant aux animaux des espèces

ZoLLA. La Crise agricole. 6

82 LA BAISSE DES PRIX

bovine et porcine, il est clair qu'ils Iburnissent une quantité de viande largement supérieure à celle que Ton avait cru pouvoir constater dix ans auparavant. Les observations que nous faisions plus haut à propos des progrès accomplis dans l'élevage sont encore confir- mées par la statistique officielle. Nos animaux domes- tiques destinés à la boucherie sont plus précoces; leurs poids par tête est aujourd'hui plus considé- rable; leur rendement en viande s'est élevé, et la qua- lité de cette viande a été améliorée. Enfin, leur valeur moyenne par tète n'a pas diminué malgré la baisse du prix de la viande. Voici les chiffres que nous fournit, à cet égard, U statistique agricole de 1892:

Valeur des animaux français abattus et exportés en 1882 et 1893.

PAR TÈTE TOTALE

1882 1892 1882 1892

fr. fr. Millions de francs.

Bœufs, vaches, lauroaux. . 871 38i 763 780

Veaux 69 80 223 282

Moutons, brebis 3o 33 i58 191

Agneaux, chevreaux. ... 10 i5 22 26

Porcs . 116 93 461 456

Totaux 1-629 1.734

Il ne semble donc pas que la valeur de notre produc- tion en viande ait diminué. En supposant même que les conclusions de la statistique oflicielle soient trop opti- mistes, il n'est pas moins démontré que les recettes brutes provenant du bétail de boucherie n'ont point diminué dans la même mesure que le produit brut végé- tal. Or, quelle est l'importance relative du bétail de boucherie par rapport à Vensembla des produits d'ori-

LE DÉVELOPPEMEyT DE LA PRODUCTION 83

gine animale efFectivement vendus ? La statistique ofïi- cielle nous apprend que les ventes effectuées en 1892 étaient les suivantes :

Millions de francs.

Animaux de boucherie i . 763

Lait (et SOS transformations) 1.261

Laine 48

Produits de la basse-cour 3i6

Cocons de vers à soie 32

Miel et cire 16

Total. .... 3.426

Le bétail vendu pour la boucherie représente 5i p. 100 du montant de ce produit brut considérable qui s'élève à 3 milliards 4^6 millions de francs. Bien que les prix se soient abaissés, les recettes brutes de l'agri- culture n'ont pas éprouvé, de ce chef, une réduction notable parce que la quantité et la qualité des pi oduits ont toutes deux augmenté.

8. Le lait constitue, après le bétail de boucherie, l'élément principal du produit brut d'origine animale, dont il représente plus du tiers (36 p. loo). Or, la sta- tistique décennale récemment publiée évalue à i,25i millions de francs la valeur de la production du lait(i).

En 1882, cet élément important des recettes agri- coles n'était évalué qu'à 1,1 57 millions de francs. L'aug- inentation du nombre des vacheslaitières, et, sans doute, l'accroissement des rendements par tète, explique, croyons-nous, l'élévation du produit brut. Nous sommes obligés, cependant, de faire quelques réserves.

La statistique officielle î^évalue à 21 millions d'hecto-

(i) Y compris le lait des chèvres et brebis.

84 LA BAISSE DES PRIX

litres la quantité de lait utilisée pour la fabrication des fromages (lait de vaches).

La production des beurres s'élève à 182 millions de kilos, correspondant sans doute à l'emploi de 33 mil- lions d'hectolitres de lait, à raison de 20 litres par kilo de beurre. Or, la valeur des beurres et fromages, c'est-à-dire celle des 54 millions d'hectolitres de lait qu'ils représentent, ne s'élève, nous dit-on, qu'à 428 mil- lions de francs. D'autre part, la production totale de lait est égale à 77 millions d'hectolitres valant i .223 mil- lions. 11 en résulte que 33 millions d'hectolitres vendus ou consommés par les agriculteurs ont une valeur de 1.223 4^3 = 860 millions de francs. Cette estimation porte le prix du litre de lait à 24 centimes, chiffre que nous croyons exagéré. C'est d'ailleurs une simple réserve utile à faire. Il n'en est pas moins vrai que notre production de lait s'est accrue; nous croyons que la qualité même de nos fromages et surtout de nos beurres a été améliorée. Enfin le produit brut corres- pondant n'a pas diminué et c'est le point important.

Conclusion. En définitive, il est établi que notre production s'est accrue depuis une vingtaine d'années. A cet égard, les progrès réalisés sont remarquables. Malheureusement ce développement ne peut compenser la baisse des prix dans tous les cas et notamment pour les céréales.

11 nous reste à savoir si l'augmentation des récoltes et des produits ne peut pas expliquer en partie la baisse des cours. C'est ce que nous allons examiner très rapi- dement dans le chapitre suivant.

LA PRODUCTION ET LES PRIX 85

IV

La production intérieure et les prix.

Les variations des prix ne dépendent pas exclusive- ment, comme on paraît le croire fort souvent, de la con- currence étrangère et du chiffre des importations.

Elles sont intimement liées à l'augmentation ou au déficit momentané des récoltes ou, pour être plus exact, de la production intérieure.

C'était là, autrefois, une vérité presque évidente par elle-même. Les transports étaient longs et coûteux. On observait, donc, des écarts de prix très considérables pour une même denrée, comme le blé, dans les régions différentes d'un pays. Nos compatriotes souifraient de la disette en Bourgogne, alors que la récolte de grains était satisfaisante dans le Languedoc ou la Picardie. Pour provoquer des mouvements effectifs de denrées, des échanges entre provinces, il fallait que la différence des cours compensât, et au delà, les frais de transport qui restaient toujours très élevés. L'amplitude des fluc- tuations de cours était considérable et résultait des variations accidentelles de la production.

Il semble qu'aujourd'hui tout soit changé à cet égard grâce aux merveilleuses transformations des moyens de transport. Le nivellement des prix a été, en effet, la conséquence de l'abaissement du coût de transport, grâce aux chemins de fer, ou de la réduction des frets maritimes. Cela est vrai, non seulement quand on con- sulte au même moment les mercuriales des différents

86 LA BAISSE DES PRIX

marchés d'un pays, mais encore lorsque Ton examine la cote des diverses places de l'Europe pour une même marchandise.

Dans son beau livre sur la Transformation des moyens de transport, M. de Foville a montré, par exemple, que Técart entre les cours du froment à New-York, à Odessa, à Londres, etc., avait rapidement diminué. Ce qui est vrai pour le blé, dont on parle volontiers, ne Test pas moins pour les autres produits agricoles.

On peut dire, sans exagération, \^our certaines denrées agricoles tout au moins, qu'il faut tenir compte, aujour- d'hui, des quantités offertes et demandées sur le marché du monde. Des variations *de prix môme légères chan- gent la destination des produits qui affluent toujours les cours sont plus élevés. Les droits de douane eux-mêmes sont loin de limiter ou de restreindre tou- jours les importations. Dans les pays soumis au régime protecteur, les cours se trouvent simplement surélevés; la hausse compense fort souvent pour les importateurs les taxes à acquitter, et cette barrière une fois franchie, les denrées étrangères pénètrent dans Fintérieur du pays.

Nous ne songeons donc point à nier la réalité de ce phénomène économique important que l'on appelle le nivellement des cours.

En revanche, nous croyons qu'il serait impossible de contester l'influence qu'exerce, aujourd'hui encore, la production intérieure sur la marche des prix.

Les variations simultanées des récoltes et des cours du froment sont, à cet égard, tout à fait caractéris- tiques. Les prix baissent rt la suite d'une belle récolte;

LA PnODUCTIOX ET LES PRIX Prix pan hectolitre.

87

Récoltes en millions d'hectolitres.

CD oa co *fl o o

»o ro

88 LA BAISSE DES PRIX

ils s'élèvent au contraire quand la production a diminué. Ce n'est pas un phénomène observé un petit nombre de fois. Il s'agit bien d'une répercussion normale et régulière de la production sur les prix. On constate, aujourd'hui encore, que les cours subissent l'influence des récoltes.

Pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le graphique ci-joint (voy. p. 87). Depuis i852 jusqu'à 1 898, les deux courbes qui se rapportent au prix de l'hectolitre et aux récoltes présentent des inflexions opposées. L'une s'élève quand l'autre s'abaisse.

Il est certain que ni la rapidité et le bon marché des transports, ni le développement extraordinaire de la production du froment dans le monde ne compensent et n'effacent entièrement l'action exercée par les varia- tions de nos récoltes sur les cours.

On pourrait donc soutenir avec quelque raison que l'augmentation graduelle mais ininterrompue de la pro- duction en France explique la baisse des prix. Cette hypothèse ne nous paraît pas admissible. L'accroisse- ment de la consommation du froment est notamment plus rapide que le développement de la production. En outre, on n'observe point une hausse bruque et très marquée du chiffre de nos récoltes au moment les cours ont commencé à fléchir. La baisse se fait sentir aussi bien pour les céréales dont la production a diminué en France, comme le seigle et l'orge, que pour le fro- ment dont la récolte moyenne a augmenté. La produc- tion des textiles et des graines oléagineuses a subi une réduction très notable et pourtant les cours de ces denrées se sont abaissés rapidement depuis vingt ans.

LA PRODUCTION ET LES PRIX 89

Le développement incontestable de notre production en viande et en lait est également trop faible pour per- mettre de lui attribuer la baisse que Ton constate en ce qui concerne au moins le bétail. A l'étranger, dans des pays cultivés depuis de longs siècles, le développement

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de laproduction agricole n'explique nullementla marche des prix. En vérité, il nous semble inutile d'insister. Ce n'est point l'augmentation des récoltes, en France, et, d'un façon générale , l'abondance extraordinaire des produits qui peuvent avoir provoqué la dépression des prix. Il est vrai que pour certains produits comme les céréales, le vin et le bétail, on observe des hausses ou des baisses accidentelles et passagères. C'est l'abon- dance ou la faiblesse des récoltes qui expliquent les

90 LA BAISSE DES PRIX

variations de prix des céréales. C'est l'abondance ou la rareté des fourrages qui expliquent, d'autre part, les (luctuations delà valeur marchande des animaux domes- tiques.

Le prix du bétail diminue quand le cours des four- rages s'élève, parce que les agriculteurs ne peuvent plus nourrir leurs animaux et les vendent au même moment; il s'élève, au contraire, quand les fourrages, sont abondants et à bas prix parce que l'on peut garder le bétail, le nourrir aisément, ou môme élever un plus grand nombre d'animaux.

La valeur des porcs varie avec celle des pommes de terre, qui conslitiient leur principal aliment

Mais ce sont des fluctuations de prix essentielle- ment accidentelles et passagères. Elles ne sont point comparables à celles que nous observons depuis vingt ans. La hausse succède, d'ailleurs, à la baisse quand il s'agit de ces accidents économiques qui résultent des influences atmosphériques. Or, nous constatons, au contraire, une tendance marquée, un mouvement presque continu dans le sens de la baisse quand nous étudions la marche des prix depuis. 1870 ou 1880.

V

La baisse du prix des matières premières de l'industrie agricole.

I. Il ne faut pas se borner à constater les varia- tions de prix des objets que produisent et vendent les agriculteurs. Ce serait une vue trop étroite des phé-

LA BAISSE DES MATIERES PREMIERES 91

nomènes économiques qui se rapportent à la crise agri- cole. Nous devons tenir compte des fluctuations de prix qui concernent les matières premières de l'indus- trie rurale.

L'agriculture a pour objet, comme l'industrie propre- ment dite, d'opérer des transformations . La terre et la plante sont à vrai dire des machines comparables quoique non semblables aux machines industrielles.

La terre transforme réellement les matières premières qu'elle renferme ou qu'on lui confie et les met à la disposition des plantes. Ces matières premières sont les substances organiques ou minérales qui doivent devenir solubles et être absorbées par les radicelles de végétaux. Les engrais, tels que les nitrates, les phos- phates, les sels de potasse ou de chaux, sont des matières premières. 11 en est de même pour une foule de matières fertilisantes qui sont des résidus industriels (tourteaux, noirs de rafiinerie, sulfate d'ammoniaque provenant des usines métallurgiques, débris de peaux, de cornes, de chifTons de laine, etc., etc.).

La terre n'est pas, ainsi qu'on l'a cru longtemps, un agrégat de substances inertes : elle renferme une foule d'organismes vivants. Quand on incorpore au sol les engrais, ces organismes les transforment et élaborent la matière alimentaire qu'utilisera la plante. Aujour- d'hui, il est presque toujours avantageux et, par consé- quent utile de compléter la terre arable au moyen de fumures qui sont précisément constituées par des rési- dus industriels ou des engrais organiques et minéraux.

Les variations de prix de ces matières premières, dites fertilisantes, offrent donc un très grand intérêt. Or, il

92 LA BAISSE DES PRIX

est certain que la plupart des engrais industriels, ou des résidus dont nous parlons, ont baissé de prix depuis quinze ou vingt ans. Voici, par exemple, le nitrate de soude, qui est le principal engrais azoté et de beaucoup le plus employé.

D'après les recherches de Sauerbeck, le statisticien anglais bien connu, le cours du nitrate de soude aurait varié de la façon suivante :

Prix ramené à loo pour la période 1867-1877.

1867-1877 100

1877-1887 85

1887-1893 67

Il se serait donc produit une baisse de 33 p. 100 en moins de vingt ans.

C'est un pointfort important, non seulement parce que le nitrate de soude est très souvent employé, et qu'on en vend dans notre pays d'énormes quantités, mais surtout parce que le cours de cet engrais azoté règle le prix de l'unité ou kilo d'azote renfermé dans une foule d'autres engrais ou résidus industriels achetés sur analyse.

Nous avons relevé les cours du nitrate de soude en France depuis 1877. Voici les prix cotés pendant des périodes triennales différentes (i) :

Prix des loo kilos de nitrate de soude.

fr. c.

1877-1880 37 5o

i88-2-i885 Si 36

1887-1890 a4 21

1895-1898 '9 72

(i) Mercuriales du Journal à! Agriculture pratique.

LA BAISSE DES MATIERES PREMIERES gS

Depuis la première série d'années 18^7-1880 jusqu'à la période 1890-1898, la baisse est de 17 fr. ou de 47 p. 100.

La valeur marchande des autres engrais azotés a subi une dépression analogue. C'est un fait d'une impor- tance considérable et qu'on ne paraît pas avoir mis sufïisamment en lumière.

Voici maintenant un autre engrais, d'un usage très répandu, le superphosphate de chaux (i). En prenant comme type le superphosphate d'os, et en considérant seulement des sels d'égale richesse en acide phospho- rique, nous avons obtenu les moyennes suivantes rela- tives aux prix cotés en France :

Prix des loo kilos de superphosphates d'os.

fr. b.

1877-1880 17 43

1882-1885 l5 70

1887-189.) i5 »

1895-1898 891

De la première à la dernière période, nous constatons une baisse de 8 fr. Sa par 100 kilos ou de 48 p. 100. Il est assez curieux que cette dépréciation soit presque égale à celle qu'a subie le nitrate de soude.

Tout le monde sait également que de nombreux et importants gisements de phosphates ont été découverts en France, en Algérie et en Tunisie. Les craintes mani- festées par quelques publicistes mal informés à propos de la rareté des phosphates, sont purement chimériques.

(l) Le produit appelé superphosphate est obtenu en traitant le phos- phate de chaux des os, ou des phosphates minéraux par l'acide sulfu- rique. Le prix de l'acide sulfurique exerce une influence sur la valeur des superphosphates, etc., etc...

94

LA BAISSE DES PRIX

Nous pouvons être assurés que rinclustrie agricole se procurera l'acide phosphorique nécessaire aux récoltes dans des conditions de prix qui seront de plus en plus satisfaisantes.

Aimées nrtr-icocoeoeoojeo oooocooo

Soseocooococôâ

r. B0H£J.MAkiS Se.

Ce qui se passe pour les nitrates de soude et les phosphates de chaux peut être constaté à propos des autres matières fertilisantes ou des résidus industriels. Leur valeur est en effet réglée par celle du kilo d'azote ou d'acide phosphorique qu'ils renferment.

Il nous paraît inutile d'insister.

Quant aux plantes mêmes, dont la valeur comme agents de transformation peut être fort variable, il est hors de doute que leur productivité a été accrue par un meilleur choix des semences. Or, nos agriculteurs se procurent aujourd'hui à bien meilleur compte qu'autre- fois et avec toutes les garanties désirables, quand ils savent les exiger, ce qu'on appelle des semences /pw/ri-, sélectionnées, et de qualité excellente au point de vue des facultés germinatives.

La baisse des prix est donc ici favorable, dans une

LA BAISSE DES MATIÈRES PREMIÈRES 9^

certaine mesure, aux intérêts des agriculteurs. Il y a lieu de noter ce fait, qui n'est point sans importance.

Le bétail de rente ou de irait doit être également con- sidéré comme un agent de transformation industrielle. Or, le prix des résidus industriels employés comme aliments a certainement diminué plus rapidement que le prix du bétail lui-même. On peut, aujourd'hui, cons- tituer des rations alimentaires qui permettent éga- lement d'utiliser des matières de faible valeur ou de rendre plus assimilable des substances employées jus- qu'ici presque exclusivement. Nous pouvons substituer encore des aliments bon marché à des aliments d'un prix élevé pour abaisser le prix d'entretien de nos ani- maux de ferme. L'emploi de plus en plus répandu des tourteaux, du maïs, des féverolles, etc., etc., à la place de l'avoine pour l'alimentation des chevaux de trait, est un fait connu de tous ceux qui s'intéressent à ces questions. L'agriculteur peut ainsi, et pourra surtout, profiter de ces découvertes scientifiques pour abaisser le chiffre des dépenses de nourriture en ce qui con- cerne les animaux de ferme. Cette réduction des dépenses sert de contre-partie à l'abaissement des recettes brutes provoqué par l'avilissement du cours des produits vendus. La baisse des denrées agricoles a eu pour les cultivateurs et pour les propriétaires une double conséquence : elle a réduit les profits culturaux et les fermages. Une des méthodes les plus sûres d'at- ténuer les effets de la crise consiste précisément à faire un usage intelligent des engrais qui ont baissé de prix.

Quant aux moyens financiers, ils peuvent être tri^s

96 LA BAISSE DES PRIX

divers. C'est une question de crédit. A nos yeux, ce problème devrait être résolu par une association plus intime entre les propriétaires fonciers et leurs loca- taires, fermiers ou métayers.

2. Les engrais et les aliments destinés au bétail ne sont pas les seules marchandises achetées par les agri- culteurs et dont la baisse soit favorable à leurs intérêts.

Ainsi les machines agricoles ont diminué de prix assez rapidement depuis 1870 jusqu'à 1892. Un spécia- liste bien informé, M. Ringelmann, a confirmé sur ce point nos conclusions personnelles en nous disant que celte baisse pouvait être évaluée à i5 ou 20 p. 100.

Malheureusement, les tarifs protectionnistes de 1892 ont modifié la marche des prix, et ont provoqué depuis dix ans une hausse équivalente, d'après les informations puisées à de bonnes sources par le même auteur (i).

Enfin, l'usage même des machines agricoles peut, dans beaucoup de cas, être considéré comme diminuant le prix de revient de certaines productions ou les dépenses qu'elles exigent.

M. Leroy-Beaulieu fait remarquer avec raison, dans son Traité cVécoiwmie politique^ que les appareils et machines utilisés en agriculture ne concourent pas seulement à l'augmentation des récoltes, mais encore à la diminution des frais de culture ou de semailles (2).

En résumé, la baisse générale des prix n'est pas un mal sans compensations, comme on affecte trop souvent

(i) M. Ringelmann est professeur de mécanique agricole à l'Institut agronomique et directeur de la station d'essai des machines agricoles, à Paris .

(2) V. t. I, Réfutation des arguments de M. Gide, relativement à la productivité des machines agricoles.

LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 97

de le croire. Sans nul doute, les profits agricoles sont moins élevés aujourd'hui qu'il y a vingt ou vingt-cinq ans, mais, toutefois, il est impossible de ne pas cons- tater que la réduction de valeur des produits achetés par l'agriculture atténue la crise dont elle souffre.

VI

Erreur relative à, Tinfluence qu'a exercée la baisse des prix sur les recettes brutes des cultivateurs

I. Nous avons consacré plusieurs chapitres de ce travail à l'étude des variations de prix de nos princi- paux produits agricoles. En règle générale, c'est, à coup sûr, une baisse que l'on a observée depuis vingt ans dans notre pays. Il reste à déterminer la portée de ce phénomène économique.

A ce propos, beaucoup d'écriyains, d'administrateurs et d'hommes politiques commettent, croyons-nous, une erreur d'observation et de raisonnement qui est singu- lièrement grave.

« Le froment, disent-ils, a perdu depuis quelques années 25 p. loo de sa valeur marchande. Or, nous récoltons annuellement loo millions d'hectolitres qui valaient autrefois 2 milliards et ne représentent plus aujourd'hui que i.Soo millions. L'agriculture française perd donc 5oo millions.

« Nous produisons chaque année du seigle, de l'avoine, etc., de la paille, du foin, des racines, etc. L'ensemble de ces récoltes valait 10 milliards. Aujour- d'hui, les prix ont baissé de 20 p. 100 et la valeur de la production agricole n'atteint plus que 8 milliards.

ZOLLA. La Crise agricole. 7

98 LA BAISSE DES PRIX

« L'agriculture française a donc perdu encore 2 mil- liards ! »

Il y a une erreur. Puisque Ton parle ici des prix et de leurs variations,' on ne songe évidemment qu'aux opérations commerciales dans lesquelles les cours et les prix jouent un rôle capital, et notamment aux ventes. Or, les agriculteurs ne vendent point tout ce qu'ils pro- duisent.

Ils ne vendent, en règle générale, ni leurs fourrages, ni leurs racines fourragères, ni l'avoine qui est con- sommée par leurs chevaux, ni l'orge et les pommes de terre que le bétail reçoit comme aliments, ni les semences qui servent à produire une récolte nouvelle. Gela est de toute évidence. Les productions du sol que le bétail utilise et transforme pour donner du lait, de la viande, de la laine et des peaux ne sont nullement vendues. Comment, dès lors, admettre que les variations de prix et la baisse., notamment, puissent intéresser l'agriculteur en exerçant une influence immédiate sur le montant de ses recettes brutes ou de ses proiits .? La hausse ou la baisse des prix n'affecte donc la situa- tion financière de l'agriculture que si cette hausse ou cette baisse porte sur le cours des denrées effectivement vendues.

Parmi les productions végétales, quelles sont les denrées destinées à la vente?

Pour le savoir, examinons les principaux éléments du produit brut d'origine (i) végétale. Voici tout d'abord les céréales :

[i) Yorr l'Enquèle décennale de 1892»

LA liAfSSE ET LES RECETTES BRUTES 99

PRODUCTION EN 1 892

Grains PailLs

(millions ^millions

d heclolitrcs). de qninlaux).

Froment ii7-1 i47-^

Seigle 24.3 34-8

Orge i5.8 12.4

Méteil 4-2 5.4

Avoine 86.8 61.7

Maïs 9.3 6.6

Sarrasin 10. i 9.1

Millet 0.3 o.i

Pour les grains de froment, il y aurait lieu de tenir compte des semences représentant près de i4 millions d'hectolitres, et de la consommation personnelle des cultivateurs, dont nous parlerons bientôt. Quant à la paille de froment, elle est, en grande partie, consommée dans les exploitations rurales. Celle que Ton vend n'est utilisée, dans les villes, bourgs et villages, que pour la nourriture des chevaux, ânes et mulets, seuls animaux de trait qu'emploient les particuliers, les com- merçants, les industriels, les entreprises de transport et Farmée. Nous exagérons certainement en supposant que la moitié de la paille de froment est effectivement vendue et que les deux tiers des grains sont portés sur le marché.

Le seigle est surtout consommé parles populations agricoles pauvres du centre et de l'est de la France. Ses usages industriels sont rares et les grains qui ne servent pas à Falimentation de l'homme sont utilisés pour la nourriture du bétail. En tenant compte des semences, on ne saurait sans doute admettre que plus de la moitié du seigle récolté soit l'objet d'une vente. Quant à la paille, très estimée, il est possible que

lOO LA BAISSE DES PRIA'

les trois quarts en soient livrés au commerce et à Fin- ci us trie.

L'orge donne un produit de i5 à i6 millions d'hecto- litres de grains. Cette céréale n'est utilisée, en France, que pour la fabrication de la bière. Or, nous produi- sons à peu près 8 millions d'hectolitres de bière dont la fabrication exige tout au plus l'emploi de 8 millions d'hectolitres d'orges françaises. En tenant compte des semences (1.700.000 hectol.), on voit que sur une pro- duction totale de 16 millions d'hectolitres, le tiers de la récolte, soit 5 millions d'hectolitres est utilisé pour la nourriture du bétail. Il en est de même pour la paille.

Le méteil sert exclusivement à la nourriture des cul- tivateurs et la paille est fort probablement utilisée dans les exploitations rurales.

L'avoine est, au contraire, une denrée de vente, mais ce serait exagérer que d'évaluer à plus de la moitié la part des grains et des pailles portée sur le marché. En outre, il faut tenir compte des semences (18 millions d'hectolitres au moins). L'agriculture ne vend donc guère plus de 38 millions d'hectolitres de grains et de 3o millions de quintaux de paille.

Le maïs sert surtout à la nourriture du bétail et des volailles, ou à la consommation des cultivateurs (sud- ouest et sud-est de la France). La paille, c'est-à-dire les « spatlies » qui enveloppent l'épi, n'a pas d'usages industriels. On ne vend donc pas le tiers de la produc- tion annuelle de grains et de paille.

Le sarrasin est consacré presque exclusivement à l'alimentation du bétail, des volailles, et à la nourriture des cultivateurs dans nos régions granitiques et schis-

LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES lOl

teuses. Les ventes ne portent sans doute pas sur plus du tiers de la récolte en grains. La paille, de très mau- vaise qualité, n'est pas vendue.

En résumé, si nous tenons compte à la fois des semences et de la consommation des cultivateurs, de leur famille et du personnel, nous pensons que les frac- tions des récoltes effectivement livrées au commerce sont les suivantes :

Grain-. raille.

ij-i

,/.

l/.

3/4

1/3

»/3

,/a

i/.

1/3

1/3

1/3

o

Froment . . . Seigle ....

Orge

Avoine .... Maïs et niilK'l. Sarrasin . . .

Certes, les proportions que nous venons d'indiquer dans le tableau précédent peuvent paraître arbitraires et par conséquent critiquables. En tout cas, il est cer- tain qu'une fraction très importante de nos récoltes de céréales est utilisée dans les exploitations rurales l'orge, le seigle et leurs farines, le maïs, le sarrasin, l'avoine, les pailles et les sons de toute origine servent à l'alimentation du bétail ou des animaux de basse-cour, aux litières^ etc.

Nous comptons en France dans nos domaines ruraux :

2.794.000 chevaux. 217.000 mulets. 368. 000 ânes. 13.708.000 bovidés. 21. II 5. 000 ovidés. 7.421.000 porcs. 1. 81 5. 000 chèvres.

102 LA BAISSE DES PRIX

Ces animaux consomment évidemment une masse énorme d'aliments et, parmi ceux-ci, figurent des grains et des pailles. La litière, que l'on doit regarder comme une des matières premières des fumiers, est presque toujours constituée par des pailles. A l'inverse, les grains ou pailles vendus par les agriculteurs ne servent qu'à la nourriture des animaux de trait entretenus hors des exploitations rurales. Ces animaux sont assurément beaucoup moins nombreux que ceux dont l'agriculture utilise les services.

Il n'est pas moins certain qu'une partie notable des grains récoltés sert à la nourriture du cultivateur, de sa famille et du personnel. Or, nous comptons en France, d'après l'enquête de 1892 :

2.199.000 propriétaires cultivateurs. 1. 061. 000 fermiers. 344 000 métayers.

Total. 3.604.000

En multipliant par quatre le nombre de ces chefs de famille, nous obtenons le total des bouches à nourrir, total qui s'élève à 14.4^6.000 personnes. 11 faut, en outre, faire état de i. 832. 000 domestiques et servantes nourris par leurs maîtres.

On peut donc admettre que plus de 16 millions de personnes consomment des grains qui ne sont pas portés au marché ou que l'on rachète ensuite sous forme de farines et de pain. Sans doute, on peut dire que le cultivateur achète son pain et vend son grain. En fait, cette vente qui constitue un double échange n'a pas toujours lieu. L'agriculteur donne au boulanger du blé, du seigle et il reçoit du pain.

LA BAISSE ET LES RECETTES lilll TES io3

Dans toutes les hypothèses, la baisse des prix irinté- resse pas le producteur agricole, quand il consomme immédiatement ses grains, les échange contre du pain, ou les rachète sous cette dernière forme. On peut tout au plus soutenir, dans ces deux derniers cas, que les frais de mouture ou de panification sont parfois trop élevés.

Conclusions. En résumé, si nous tenons compte à la fois :

Des céréales utilisées comme semences ;

Des grains et pailles servant à Talimentation du bétail et des animaux de basse-cour ;

Des grains consommés par les cultivateurs, leur famille et le personnel nourri à la ferme, il est possible d'évaluer le montant des ventes effectivement réalisées. D'une période à l'autre, ces ventes ont évidemment varié tant au point de vue des quantités qu'au point de vue des valeurs.

Elles ont varié au point de vue des quantités, car le chiffre de notre production s'est élevé depuis vingt ans.

Elles ont varié au point de vue des valeurs, car le prix de chaque hectolitre de grain a, au contraire, diminué.

Pour tenir compte de ces deux facteurs, nous com- parerons entre elles les périodes décennales 1876-1885 et 1886-1893, en tenant compte à la fois des récoltes et des cours moyens annuels officiellement établis.

Voici tout d'abord les chiffres qui se rapportent à la production totale et aux valeurs correspondantes.

// s'agit seulement des grains.

io4

LA BAISSE DES PRIX

PRODUCTIO>

' VALEUR

totale

de la i»roduclion

totale

annuelle

annuelle

(Millions d'iicctoli

ta).

(Millions

de francs.)

-^

.—' ■^—

^^-— i

1876-1885 1886-1893

1876-1885

1886-180:)

Froment . .

ICI. 9 1

07.1

2.176

I

.885

Seigle . . .

24.9

23.5

358

274

Orge. . . .

18.3

17. 1

23l

180

Avoine . . .

80.7

87.2

787

760

Maïs et millel

9-7

9-9

148

125

Sarrasin . .

10. 0

9-5

i37

99

245.5

254.3

3.827

3.323

En utilisant les coefficients proposés plus haut qui se rapportent aux quantités effeclivemeut vendues, nous obtenons les résultats suivants :

Froment . , Seigle . . . Orge. . . . Avoine . . . Maïs et millet Sarrasin . .

QUANTITES

effectivement vendues. (Millions d'hectolitres.)

correspondantes. (■Millions de francs.

1876-1885 1886-1895 1876-1885 1888-1895

68.0 12.4

6.1 40.3

3.2

3.3

74.8 II. 7

5.7 43.6

3.3

3.2

1.451 179

77 393

49

4^

2. 191

1.287

137

60

38o

41 33

1.938

La réduction des valeurs correspondant aux quan- tités effectivement vendues ressort, ainsi, d'une période à l'autre :

à 164 millions de francs pour le blé.

i3

pour le seigle.

pour l'orge.

pour 1 avoine.

pour le maïs et millet.

pour le sarrasin.

Total

253 millions de francs.

LA BAISSE ET LES RECETTES UIIUTES io5

La diminution de recettes s'élèverait seulement à a53 millions de francs, et non plus à 5o4 millions, comme le ferait supposer l'évaluation portant sur les chiffres de la production totale.

Quelle est, d'autre part, la valeur des pailles vendues et quelle réduction ont subie les recettes provenant de ces ventes ?

Sans entrer dans de longs détails, nous supposerons :

Que cette valeur est égale au tiers de la valeur des grains, proportion voisine de celle qu'indique l'Admi- nistration de l'Agriculture :

S4° Que la baisse des prix les a affectées dans la même mesure que les grains.

La diminution de recettes serait alors représentée par 84 millions de francs.

Ainsi, dans l'espace (Je vingt ans, depuis 1876 jus- qu'à 1896, le produit des ventes réalisées effective- ment et portant sur les céréales ou les pailles, a subi une réduction maxima de 337 millions de francs. Il est clair, d'ailleurs, que ce chiffre a lui-même varié en même temps que les récoltes et les cours. Nous n'avons pas, d'ailleurs, la prétention d'évaluer avec une rigou- reuse précision les effets de la baisse des prix.

Ce que nous tenions à signaler, c'est une erreur d'observation.

Il n'est pas exact que nos cultivateurs aient vu dimi- nuer leurs recettes dans la proportion baissaient les prix de tous les produits du sol et notamment des grains ou des pailles.

2. Cherchons, maintenant, s'il en est ainsi pour d'autres éléments de la production végétale.

io6 LA BAISSE DES PRIX

L'importance relative de ces éléments est clairement indiquée par les valeurs qui leur sont attribuées. L'en- quête de 1892 nous fournit les chiffres suivants, qui' vont permettre de comparer la valeur des fourrages à celle des céréales :

VALEURS

en millions de francs.

^, , 1 i' (irains 3.354 )

Céréales. * 4.667

' l'ailles i.3i3 )

Fourrages annuels, prairies artilî-

cielles cl racines i-Sog )

Prairies naturelles et herbages . . T.aS- j

Voilà, notamment, le groupe des plantes fourragères, dont la production totale, y compris celle des her- bages, est officiellement évaluée à 2 milliards 74^^ mil- lions de francs. Il est certain que la plupart de ces four- rages ne sont pas vendus ou môme ne peuvent pas l'être. On ne vend pas les herbes que broutent les troupeaux après la seconde coupe des foins ; on ne vend pas davan- tage, sauf de rares exceptions, les racines fourragères. Ce sont les animaux de ferme qui utilisent et transfor- ment tous ces aliments. Les agriculteurs ne vendent que du foin et quelques betteraves consommées par les vaches laitières des « nourrisseurs » de nos grandes villes.

Quels sont les animaux nourris en dehors des exploi- tations rurales? On ne peut guère faire état que des chevaux de trait.

Or, l'agriculture ne possède pas plus de 2 millions de chevaux adultes. Il nous paraît bien difficile d'ad- mettre que les particuliers, l'industrie, le commerce, les entreprises de camionnage ou de transport, et, enfin,

LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 107

Tarmée, emploient un nombre de chevaux supérieur à celui-là. Or, deux millions de chevaux ne reçoivent cer- tainement pas plus de 60 millions de quintaux de foin, à raison de 3. 000 kilos par cheval et par an.

Les prairies naturelles et herbages produisent déjà 127 millions de quintaux ayant une valeur de 1.200 mil- lions en chiffres ronds. L'agriculture ne vend donc pas, au maximun, plus de 60 millions de quintaux valant, peut-être, 600 à 700 millions de francs. Cette somme représente le quart de la valeur attribuée aux produc- tions fourragères par l'Administration de l'agriculture.

Les variations de prix n'ont pu exercer une influence sur les recettes du cultivateur que dans la mesure des ventes ont été réellement effectuées. En ce qui concerne les fourrages de toute nature, une très faible part de la production totale est portée sur le marché. Il est même, à ce propos, fort important de remarquer que la transformation des fourrages par les animaux permet d'obtenir des produits spéciaux dont le prix est resté presque stationnaire depuis vingt ans, tandis que le cours des denrées végétales subissait au contraire, une baisse très marquée.

Nous terminons ici les observations qui se rapportent à l'action réelle qu'exerce la baisse des prix sur les recettes provenant de la production végétale.

Nous pourrions, il est vrai, chertdier à évaluer la con- sommation des cultivateurs, de leur famille et de leur personnel en ce qui concerne le vin, les fruits, les bois, etc., etc.. C'est toutefois une tâche délicate, et rien ne serait plus difficile que de calculer cette con- sommation avec quelque précision.

lo8 LA BAISSE DES PRIX

Ce que nous avons dit à propos des céréales suffît à montrer que la baisse des prix n'affecte pas l'ensemble de la production.

3. La même conclusion s'applique aux produits d'origine animale, et notamment à la viande de bou- cherie et au lait qui représentent 67 p. 100 du produit brut total.

On peut discuter, à propos de la consommation des producteurs agricoles, de leur famille et de leur per- sonnel. Rien de plus difficile, à coup sur, que de l'évaluer avec précision. Ce que l'on ne saurait nier, c'est que la consommation personnelle des propriétaires-cultiva- teurs, des fermiers, des métayers et des domestiques ou ouvriers nourris à la ferme n'est pas négligeable.

La viande et le lait, le fromage et le beurre con- sommés dans l'exploitation par l'entrepreneur de culture sa famille et son personnel ne sont point vendus. Cela est de toute évidence.

Les variations de prix, en ce qui concerne des pro- duits consommés par le producteur, n'affectent pas immédiatement ses recettes. Tout à l'heure, nous por- tions à 16 millions le nombre des chefs d'entreprise, des membres de leur famille et des salariés qu'ils nour- rissent. Abaissons encore ce chiffre à i3 millions, ce qui représente le tiers de la population française. Admet- tons même que la consommation du groupe professionnel ainsi visé ne s'élève qu'au quart de la consommation moyenne des Français. 11 n'en résulte pas moins que le douzième des animaux abattus et du lait consommé n'est point destiné à la vente.

Enfin, nous ne pouvons que répéter ce que nous disions

LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 109

plus haut en parlant du travail des animaux et des fumiers considérés comme des éléments du produit brut agricole d'origine animale.

Ni le travail mécanique du bétail de trait, ni les fumiers ne sont des produits. On ne vend pas le travail des bœufs ou des chevaux utilisés dans les exploitations rurales. On ne vend pas davantage les fumiers, qui sont des « immeubles par destination » (art. 524 du Code civil).

Il n'existe point de cours relatifs à ces services et à ces denrées. Si l'on attribue au travail et au fumier un prix quelconque, ce n'est qu'un artifice de compta- bilité, une simple évaluation variant, hélas ! au gré de ceux qui ont une thèse à défendre.

Ces prix introduits dans la tenue des comptes en partie double sont purement fictifs et nécessairement arbitraires. Il servent trop souvent de base à des calculs sans valeur se rapportant aux prix de revient de tels ou tels produits. Hormis le cas un cultivateur loue des attelages et achète des fumiers, le prix du travail des animaux et des engrais de ferme ne saurait donc nous intéresser.

VII

La baisse de prix des denrées agricoles, les recettes brutes et les profits.

I. Personne n'ignore que la crise agricole doit être attribuée à la baisse du prix des principaux produits vendus par nos cultivateurs et notamment à la baisse des céréales. Le froment, dont on parle si souvent à ce

LA BAISSE DES PRIX

propos, a subi une réduction de prix de 36 p. loo depuis 1878 jusqu'à 1896. On peut dire, il est vrai, que la dépression des cours n'a pas toujours été aussi forte. Le blé a singulièrement augmenté de prix en 1897. D'autre part, Favoine, le seigle, l'orge, le maïs, etc., n'ont pas subi la même dépréciation. Enfin, les produits d'origine animale : viande, lait, fromage, beurre, etc., conservent parfois les mêmes valeurs. A tout le moins, on ne constate pas de baisse comparable à celle que subissent le blé et la plupart des produits végé- taux.

D'autres faits corrigent également ou atténuent les effets de la baisse. Nos rendements se sont élevés, nos méthodes culturales se sont perfectionnées ; le prix des matières fertilisantes a diminué. Les dépenses de cul- ture ont elles-mêmes été réduites, grâce à l'emploi des instruments mécaniques et surtout au développement des cultures fourragères.

Gomment peut-on expliquer cependant la persistance d'une crise générale? Gomment sejustifient les doléances des agriculteurs ? N'est-il pas incontestable que les profits attachés à l'exploitation du sol ont rapidement diminué et que cette réduction explique la vivacité des plaintes ?

Nous sommes ainsi amenés à étudier un des pro- blèmes économiques les plus intéressants et les plus mal connus : celui qui se rapporte à l'influence de la baisse des prix sur les profits agricoles.

Nous disions tout à l'heure que nos cultivateurs avaient pu atténuer les effets de cette baisse :

En augmentant les rendements ;

LA BAISSE ET LES PROFITS m

En réduisant les dépenses.

Ce sont deux hypothèses favorables. Supposons, cependant, qu'elles soient toutes deux exactes.

Voici une exploitation Ton n'a constaté qu'une réduction de lo p. loo portant sur le chiffre du produit brut total. En même temps les dépenses ont diminué de lo p. loo.

« Dans ce cas, dira-t-on, les profits sont restés les mômes, puisque les frais se sont abaissés dans la même proportion que les recettes. »

C'est là, en vérité, une erreur grossière ; mais l'opi- nion que nous reproduisons est si communément et facilement acceptée qu'il est utile de la combattre. Non ; il n'est pas vrai que le chiffre des profits reste constant quand les dépenses diminuent dans la même proportion (jue les recettes. En fait, les profits décroissent, au contraire, dans la même proportion que les recettes et les dépenses. Il suffit de réfléchir un moment pour s'en convaincre.

Supposons les recettes égales à loo et les frais égaux à 80. La différence constituant le profit est représentée par :

Si les dépenses et les recettes diminuent de 10 p. 100, nous obtenons comme profit :

90 7'-^ =: 18

Les bénéfices ont diminué également d'un dixième. Ceci n'est que l'application d'un théorème d'arithmé- tique bien connu :

112 LA BAISSE DES PRIX

« Quand on multiplie ou quand on divise les deux termes d'une dilïerence par un nombre, la diflerence se trouve multipliée ou divisée par ce nombre. »

Notre hypothèse n'est d'ailleurs exacte que dans un petit nombre de cas. La plupart du temps, les dépenses n'ont pas diminué dans la même proportion que les recettes.

Admettons une réduction de lo p. loo sur le produit brut et de 5 p. loo sur les frais.

Les profits s'élèveraient comme plus haut à

lOO 80 ^ 10

Ils ne sont désormais égaux qu'à :

90 76 r= 14

Et l'on voit qu'ils ont diminué de 33 p. 100.

Ainsi, une baisse de prix entraîne une diminution de 10 p. 100 du produit brut; pour compenser cette baisse de recettes, un cultivateur s'efforce de réduire ses dépenses, et il les diminue, en effet, d'un vingtième. Eh bien, malgré ses efforts, les profits se trouvent réduits d'zf/i tiers.

Mais voici maintenant une autre hypothèse. La baisse des prix a été brusque, l'accroissement des rendements est très faible ; la réduction des dépenses est nulle. Et c'est là, qu'on le remarque bien, l'hypothèse qui permet d'expliquer l'intensité de la crise actuelle, aussi bien que la généralité et la violence des plaintes qui se font entendre.

Depuis i85o ou i855 jusqu'à 1875, le prix des den- rées agricoles s'est toujours élevé. Rien ne faisait près-

LA BAISSE ET LES PROFITS ii3

sentir une baisse. Sans doute, il n'était point indiffé- rent à cette époque d'augmenter la masse des produits portés sur le marché ou de réduire les dépenses de culture. Toutefois, nulle nécessité pressante ne se fai- sait sentir. Les moyens d'action eux-mêmes faisaient défaut. On ne connaissait encore, d'une façon suffisante, ni l'usage d'engrais complémentaires, ni l'importance du choix des semences. Les hommes placés à la tête de nos exploitations rurales appartenaient à une géné- ration qui avait ses habitudes et ses traditions. H leur a paru naturel et prudent de continuer, tout d'abord, à cultiver le sol comme ils l'avaient cultivé jusque-là.

La baisse qui survint brusquement les a donc pris à l'improviste. Beaucoup d'entre eux ont attendu une hausse nouvelle; ils se sont plaints sans rien changer au système de culture suivi jusque-là et dont une longue expérience paraissait avoir consacré le mérite. Aucune circonstance favorable, aucun effort ne vient atténuer les effets de le baisse. Le produit brut diminue et les dépenses restent les mêmes. Dans ces conditions, la plus faible réduction de prix portant sur les principales denrées de vente a exercé une influence considérable sur le montant des bénéfices.

Le même exemple et le même calcul vont nous le prouver. Supposons le produit brut d'une ferme égal à ICO et les dépenses correspondantes s'élevant à 80. Le profit est représenté par la différence :

100 80 = 20 Une baisse de prix de 5 p. 100 seulement réduit les

ZoLLA. La Crise agricole. s

ii4 l^A BAISSE DES PRIX

recettes à gj, sans que les dépenses aient diminué. Le profit s'abaisse à i5 et se trouve ainsi réduit de aS

p. lOO.

Une baisse de lo p. loo frappant les recettes brutes diminuerait de moitié les bénéfices. Ce n'est là, peut- on dire, qu'un simple calcul théorique. Dans la réalité les choses se passent-elles ainsi? Assurément non; mais notre calcul montre du moins clairement quelle peut être la portée économique de la baisse des prix.

Voici, maintenant, un exemple pris sur le vif. 11 s'agit d'une ferme située dans le département de l'Aisne.

Cette exploitation a une surface de 200 hectares, ainsi répartis :

Froment 60 hectares.

Avoine 3o

Seigle 5

Fourrages 78

Betteraves 2 5

Pommes de terre 2

Total. . . 200 hectares.

Indépendamment du froment qui constitue Xdi princi- pale denrée de vente, il existe un troupeau de mou- tons de 5oo têtes, des vaches laitières et des porcs. Vingt-cinq chevaux servent aux travaux culturaux. Toute l'avoine récoltée est utilisée pour leur nourri- ture.

Le capital d'exploitation s'élève à loo.ooo francs.

Durant la période 1 876-1 880, les recettes et les dépenses étaient les suivantes :

LA BAISSE ET LES PROFITS Il5

i" Recettes.

Froment (i.3oo quintaux à 3o fr.). . . 39.000 fr.

Seigle (100 quintaux à 18 fr.) 1.800

Betteraves (800 tonnes à ii fr.). . . . 16.800

Laines (1.400 kilos à i fr. 80) .... 2.5ao

Ventes de moutons et agneaux .... i-770

Produit de la vacherie 2,i5o

Produit de la porcherie 900

Produit de la basse-cour 45o

Tolal. . . 65.370 fr.

Dépenses.

Fermage 18.000 fr.

Impôts et assurances a.aoo

Entretien et frais généraux 'i.3oo

Domestiques et nourriture 8.5oo

Travaux à la tâche 12.000

Semences achetées 4 3oo

Acliat d'aliments pour le bétail .... 1.700 Amortissement du bétail de trait et achats

d'animan.v 2.5oj

Total. . . 5i .5oo fr.

En définitive, les profits étaient réprésentés par l'écart suivant :

Recettes 63.370 fr.

Dépenses 5i.5oo

Profit. . . 13.870 fr.

La situation du fermier était bonne sans être bril- lante.

Dix ans après, le froment est vendu 22 francs par quintal au lieu de 3o francs; le seigle i5 francs au lieu de 18 francs. Quant aux autres recettes, elles n'ont guère varié. Le prix des betteraves a passé de 21 à 27 francs la tonne, mais les rendements se sont abaissés

Iiff LA haïsse des prix

et les produits bruts ne se sont élevés que de quelques centaines de francs.

En résumé, la diminution des recettes ressort à :

1 . 3oo quintaux de blé vendus 22 fr. au lieu de

3o f'r 10.400 fr.

100 quintaux de seigle vendus 1 5 fr. au lieu de

18 fr 3oo

Total. . . 10.700 fr.

Dès lors, les recettes et les dépenses sont respecti- vement :

Recettes 54.670 fr.

Dépenses 5i.ioj

Prodls. . . 3. 170 fr.

Les bénéfices s'élevaient à 13.870 francs ; ils tombent à 3.170 francs seulement, et diminuent ainsi de 77 p. 100.

Or, la baisse du froment ne s'élevait qu'à 26 p. 100 et celle du seigle à 16 p. 100, mais ici, ce sont moins les proportions que les chiffres absolus qui nous inté- ressent.

Un capital de 100.000 francs, administré par le fer- mier, lui permettait de réaliser i3.5oo francs de profits. Quelques années plus tard ces bénéfices tombent à 3.000 francs. Une pareille somme ne suflit point à rémunérer un capital aussi important et à indemniser le fermier des risques que comporte la culture.

Nous verrons bientôt comment il a été possible d'abaisser le chiffre des dépenses en diminuant la part du produit brut attribué au propriétaire. Cette question est assez importante pour qu'on l'étudié avec soin. En ce moment, nous nous demanderons simplement pour-

BAISSE ET LES PliOFJTS 117

quoi la baisse du froment a exercé une influence aussi décisive sur le chifl*re des profits. Cela tient évidem- ment à ce fait que les recettes provenant du blé cons- tituent la plus grosse part du produit brut total. Dans l'exploitation dont nous venons de parler, les ventes de froment représentaient 59 p. 100 des recettes durant la période 1876-1880. La baisse des prix a donc porté sur la principale denrée de vente.

On voit très nettement quelle a été la répercussion de la baisse des prix : sur le produit brut ; y" sur les profits.

Etait-il possible de cultiver désormais d'autres céréales dont le prix restait relativement plus élevé ? C'est ce que nous allons nous demander, car cette question présente, en efi*et, un intérêt considérable.

2. Voici la moyenne des cours relatifs à deux céréales en 1877-1880 et durant la période 189 1-1896 :

Prix de l hectolitre.

1877-1880

1801-J89;i

fi-. c.

fr. c.

FVoinent

-li 3o

16 9'2

8 80

Avoine . .

Q qi

La baisse des cours ressort à 24 p. 100 pour le blé et à 12 p. looseulement pour l'avoine. La conclusion est fort simple, dira-t-on : « Faites de l'avoine et non du blé. » Eh bien, nous croyons que cette solution n'est pas acceptable, et l'on n'a pas été tenté de substituer dans nos fermes l'avoine au blé parce que cette substitution eut été désastreuse.

Malgré la baisse qui l'a frappé, le blé estencore lacéréale qui donne, à l'hectare, le plus gros produit brut. Voici,

ii8 LA BAISSE DES PRIX

par exemple, les chiffres officiels que nous emprun- tons à la statistique décennale de 1892. On entend, ici, par produit brut, la valeur obtenue en multipliant le rendement (grain et paille) par les cours moyens de l'année 189?..

Produit bpul Cér<5alcs. par lioclare (1892).

fr. c.

Froment 38o »

Seigle wjS »

Orge 247 ')

Avoine 244 »

Maïs 243 »

Sarrasin '77 "

Aucune céréale ne donne un produit brut en argent

aussi élevé que le froment. L'écart est môme sensible ;

il dépasse loo francs par hectare. Substituer l'orge, le

seigle ou l'avoine au froment, ce serait donc réduire le

produit brut et aller, par conséquent, au-devant d'un

désastre. Les frais de culture des céréales inférieures

ne sont guère moins élevés et, par conséquent, la plus

légère réduction des recettes brutes correspondrait,

nous l'avons prouvé, à une baisse énorme des profits.

Il faut donc continuer à faire du blé, si toutefois l'on

persiste à cultiver des céréales sans réduire la surface

qui leur est consacrée. Nous soulignons ces derniers

mots, parce qu'il est, en effet, possible de réduire la

surface consacrée aux céréales et cela sans diminuer nos

récoltes totales.

Nous aurons l'occasion d'insister sur ce point ; mais signalons, dès à présent, une des conséquences les plus importantes de la supériorité que présente le froment au point de vue des recettes brutes réalisées.

LA BAISSE ET LES l'ROEITS l'.g

C'est, eu réalité, cette supériorité qui explique le prodigieux développement de la culture et de la produc- tion du blé dans le monde, depuis vingt ans. Les « Far- mers » américains, les Fellahs de l'Egypte ou les paysans de Russie font du blé et surtout du blé, parce que le produit brut de cette culture dépasse les recettes obtenues en cultivant d'autres céréales. Il en est ainsi partout ; et partout aussi on ne pourrait substituer au blé une autre céréale, sans abaisser la valeur de la récolte et réduire les profits.

Quant aux conséquences du développement de la production du froment comparé à l'extension de la cul- ture des autres céréales, elles sont singulièrement inq)orlantes.

La baisse des cours du blé est certainement l'effet du développement rapide de la production. Et pourquoi le seigle, Favoine, Forge ou le sarrasin n'ont-ils pas subi la même dépréciation, si ce n'est précisément parce ([u'on n'a pas eu autant d'intérêt à en étendre la culture ?

Tous ces faits économiques qui ont une aussi haute por- tée sont expliqués par la curieuse influence qu'exercent les variations du produit brut sur le montant des profits. Dans ces conditions, les questions de pure technique agricole restent au second plan. On aurait pu, sur les mêmes sols, sous les mêmes climats, avec les mêmes capitaux d'exploitation, produire de l'orge, de l'avoine ou du maïs. Les dépenses de culture auraient même été plus faibles ; mais en revanche le produit brut eût été sensiblement moins élevé et le bénéfice net de l'opéra- tion se fut abaissé, peut-être, jusqu'à devenir nul.

Dans les régions à céréales, c'est le froment qui est

J^o LA BAISSE DES PRIX

la principale denrée de vente. La baisse de prix qui raffecte a donc eu sur le produit brut et les profits une répercussion immédiate.

Toute dépression des cours portant sur une produc- tion principale ou même sur la seule production d'une région aurait les mêmes conséquences.

3. Observons, maintenant, ce qui se passe dans les exploitations la production est variée et dans les- quelles les produits d'origine animale ont une impor- tance prépondérante.

Nous voici, par exemple, dans le Limousin, pays d'élevage. Une métairie de hectares donne les pro- duits suivants (i) :

Année 1894- iSg^.

Receltes provenant du bétail, déduction faite des

animaux achetés et des aliments importés. . . 4-5'2a 85

Total. . . 4.5-22 85

2"^ Recettes végétales : 74-9 hectol. de seigle à

10 fr. 5o 791 70

3** Recettes végétales : 44-5 hoctol. d'avoine, à

9 fr. 3o 4i6 10

Total. . . 1 . 207 80

Il y a lieu de tenir compte des engrais achetés et dont la valeur doit être retranchée du produit brut végétal, soit à soustraire .... 161 85 Il reste en définitive : produit d'origine animale . 4-522 85 Produit végétal i.o45 85

Total. . . 5.568 70

Les dépenses payées par le propriétaire et son

métayer s'élèvent, d'autre part, à 702 85

Le bénéfice net à partager s'élève, en conséquence,

à la somme de 4-865 85

(i) Ces chiffres ont été puisés dans les livres de compte d'un pro- priétaire .

LA BAISSE ET LES PROFITS lil

Les comptes se rapportent à Tannée agricole 1894- 1895. Cherchons quelles auraient été les recettes quinze ans auparavant.

Les recettes d'origine animale eussent été les mômes, le cours du bétail n'ayant pas sensiblement varié;

Les recettes d'origine végétale n'auraient diminué qu'en raison de la vente du seigle dont le cours s'éle- vait à i5 fr. 10 par hectolitre au lieu de 10 fr. 5o.

Le cours de l'avoine reste le même.

Quant aux dépenses, nous les supposerons égales.

Dans ces conditions nous trouvons :

I. Recelles quinze ans tiuparavanl :

i'' Produits d'origine animale \.^-ii 85

Produits d'origine végétale 1.385 i5

Total. . . 5.908 »

II. Dépenses 701 »

Bénélice net . . . 5 . 206 » Le bénéfice de Tannée 1894-1895 sélevanl à . . . 4 855 85 La différence en baisse s'élèv? à 3.;o 1 5

Ainsi, durant l'espace de quinze années, la réduction des profits ne dépasse pas ici 34o francs, correspondant à une diminution de 6,5 p. loo.

Cette baisse est presque insignifiante. Deux faits expliquent la faible variation des profits : i" la prépon- dérance des produits d'origine animale qui n'ont pas subi de dépréciation ; la très médiocre importance du seul produit végétal qui ait diminué de prix, c'est-à- dire du seigle.

Cet exemple nous fait comprendre, en outre, pourquoi la crise agricole a été bien moins grave dans les pays d'élevage, comme le Limousin, que dans d'autres

1-2% LA BAISSE DES PRIX

régions, et notamment dans les régions à céréales.

Nous constaterions les mêmes faits et nous abouti- rions aux mêmes conclusions en étudiant les variations simultanées du produit brut agricole et des profils dans un pays d'élevage ou d'engraissement comme le Niver- nais.

On voit donc quelle est la très curieuse inttuence exercée par les variations de prix sur les recettes brutes et les profits.

Dans nos régions à céréales, la baisse des prix des grains a provoqué une crise redoutable. La réduction des profits a été considérable bien que la dépréciation des céréales n'ait pas dépassé 20 à 25 p. 100.

Dans nos régions d'élevage, la crise agricole n'a pas été très redoutable parce que, les recettes brutes ayant fort peu fléchi, les bénéfices culturaux n'ont pas subi de réduction soudaine et marquée.

Ces faits sont d'ailleurs connus, et nous n'avons nul- lement la prétention de les signaler pour la première fois. Il nous a paru, cependant, intéressant et utile d'étudier avec quelque précision la répercussion des variations du prix des produits agricoles sur les recettes brutes et les profits.

On ne saurait comprendre sans cela la nature et les caractères de la crise agricole.

4. Nous avons montré, jusqu'à présent, les consé- quences de la diminution du produit brut résultant d'une baisse des prix.

L'hypothèse inverse n'est pas moins intéressante à étudier.

Une hausse des prix de vente élève, en effet, rapide-

LA HAUSSE ET LES PROFITS 1*3

ment la valeur du produit brut des cultures et exerce immédiatement une action décisive sur le montant des profits. Cette influence est même d'autant plus marquée que les principaux éléments de dépenses, tels que les fermages et les salaires, ne subissent pas la môme hausse, au moins pendant la période de début (i).

L'étude des faits observés à différentes époques de notre histoire met clairement ce phénomène en évidence.

Reprenons l'exemple théorique cité déjà plus haut et représentons : par loo, par 80, les recettes et les dépenses d'un domaine rural. Le profit est équivalent à :

100 ^80 =: -lO

En supposant les dépenses constantes, ce qui est parfaitement admissible au début d'une période de hausse, nous voyons que si les recettes sont majorées de 5 p. 100, par suite de l'élévation des prix, le profit devient égal à :

io5 80 =r 25

11 a donc augmenté de 25 p. 100.

La hausse des profits eslcinq fois plus forte que celle des cours !

Si la hausse des produits, et, par suite, celle des recettes brutes, est de 10 p. 100, le profit s'élève à :

110 80 = 3o

L'augmentation relative des bénéfices est de 5o p. 100.

(i) Ceci osl surtoul vrai pour les salaires. Voir à ce sujet les inté- ressantes observations faites à cet égard p;u' M. Levasseur, pour la période i85o-i86o, dans son livre sur la Question de lor.

124 LA HAUSSE DES PRIX

Remarquez, en outre, que pour obtenir un pareil résultat, le cultivateur n'a eu besoin, ni de modifier les méthodes culturales, ni d'accroître les rendements, ni de chercher à réduire ses dépenses ! Sans difficulté, sans efforts, Fagriculteur voit l'aisance remplacer la gêne, et la prospérité effacer jusqu'au souvenir de la crise passée. Que faut-il pour cela? Une hausse légère. Est-il même nécessaire que ce mouvement ascen- sionnel des prix entraîne tous les cours ? En aucune façon ! Il suffit dans les régions à céréales que le cours du blé s'élève ; dans les pays d'élevage ou d'engraisse- ment, que la valeur de la viande augmente de quelques centimes par livre; dans les départements viticoles, que le prix du vin augmente de quelques centimes par litre !

Or, cette augmentation si légère et pourtant si bien- faisante des prix de chaque hectolitre de froment, de chaque livre de viande ou de chaque litre de vin ne passera-t-elle pas inaperçue, ne sera-t-elle pas insigni- fiante pour le consommateur ?

Qui donc saura et voudra voir clair (i), en démon- trant, par exemple, qu'un modeste droit de douanes, simplement compensateur., provoquera une hausse et que le producteur recevra précisément à titre de subven- tion ce que le consommateur lui donnera sans s'en douter en payant quelques centimes de plus par kilo ou par litre son pain, sa viande et son vin ?

Nous n'avons pas, d'ailleurs, à traiter ici la question

(i) M. Levasseur a eu le courage de dire la vérité à ce propos dans son livre plein de faits et si exact dans ses appréciations : [.'Agricul- ture aux Etats-Unis. p. 433.

LA HAUSSE ET LES PROIITS laS

des droits de douane el de leur incidence. Les dévelop- pements c[ue ce sujet comporte trouveront leur place ailleurs.

Le phénomène économique d'une si haute portée que nous voulions mettre en lumière, c'est l'influence de la hausse des prix sur la marche des profits. Est-il besoin de dire que celte influence d'une hausse générale et persistante n'est pas spéciale aux profits agricoles ? Voilà pourquoi la « haasse » est saluée avec enthou- siasme par tous ceux qui voient grossir leurs gains, de même que la « baisse » est considérée comme la plus fâcheuse et la plus redoutable calamité par tous les industriels qu'elle atteint si douloureusement dans leurs intérêts.

Voilà aussi ce qui nous explique pourquoi les agri- culteurs, ou ceux qui parlent en leur nom, attachent une importance extrême aux questions économiques. Les recherches des agronomes, les découvertes les plus surprenantes et les plus fécondes pour l'avenir sont loin d'attirer au même degré l'attention du public agricole, et cela est aisé à comprendre.

Pour le cultivateur, la production n'est qu'un moyen. Le but véritable de son labeur persévérant, c'est le pro- fit. Or, celui-ci ne varie point seulement avec les capi- taux dont dispose l'agriculteur, avec les débouchés ouverts, avec les perfectionnements des procédés tech- niques ou avec les rendements eux-mêmes. Ce sont les fluctuations des prix qui font varier le produit brut et élèvent ou abaissent en même temps le chiffre des profits.

CHAPITRE DEUXIEME

LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

I

Les importations de produits agricoles et la baisse des prix.

Les importations étrangères exercent-elles une influence sur les prix? Il semble que ce soit une question oiseuse.

« N'est-il pas certain et presque évident, nous dira- t-on, que la concurrence étrangère a pour conséquence une baisse des cours ? Or, la concurrence étrangère se manifeste et s'exerce au moyen des importations. On ne peut donc pas douter de l'action que doit avoir l'importation d'un produit sur le cours de cette denrée à l'intérieur du pays importateur.

« Bien entendu, il s'agit ici de denrées importées, capables de concurrencer directement les marchandises produites dans le pays elles sont vendues. »

Nous n'ignorons point que telle est, en effet, l'opi- nion de beaucoup de personnes ; mais nous la croyons fausse.

Pour que les importations étrangères fassent baisser les cours, il parait, tout d'abord, nécessaire que les marchandises offertes et vendues soient cotées à un

128 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

prix moins élevé que les denrées semblables produites dans le pays importateur. Or, cette inégalité de prix, à qualité égale, n'est point certaine, a priori. Il peut se faire, tout simplement, que l'importation serve à combler le déficit accidentel ou normal de la production inté- rieure dans le pays qui achète des denrées étrangères. Pourquoi ne serait-ce pas, dans ce cas, le cours du pays importateur qui réglerait celui des marchandises impor- tées? Admettre immédiatement que les étrangers sont en état de produire des denrées agricoles ou de fabriquer des produits industriels en si grandes quantités et à des prix si bas qu'ils puissent envahir nos marchés et pro- voquer la baisse, c'est faire une supposition toute gra- tuite que rien ne justifie a priori.

Les variations de prix sont à coup sûr réglées par les lois de l'offre et de la demande. Est-il évident que la concurrence étrangère tende toujours à augmenter l'offre plus rapidement que la demande ne se déve- loppe ? En admettant que ce soit une vérité, encore faudrait-il la démontrer, car cette vérité n'est pas évi- dente par elle-même.

Il n'est pas non plus évident et certain, comme on affecte de le croire, que l'étranger soit toujours en état de produire ou de fabriquer à plus bas prix que nous.

La question des prix de revient est, notamment, une des plus difficiles et des plus obscures que l'on puisse avoir à résoudre. Les agriculteurs l'ont surabondam- ment prouvé, puisqu'ils ne sont jamais parvenus à s'entendre sur le prix de revient de leurs principales productions.

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX 129

Tout le monde a entendu dire qu'il était impossil)le de produire, en France, du blé avec profit, quand le cours de cette céréale tombait au-dessous de 20 francs l'hectolitre. Il n'en est pas moins vrai que depuis quinze ans les prix se sont abaissés au-dessous de ce niveïiu sans que la production et les surfaces ensemencées aient diminué. Nous ne croyons pas, cependant, que les agriculteurs perdent, chaque année, une somme impor- tante en continuant à faire du froment. On a mal calculé le prix de revient, et surtout l'on n'a pas songé que, toutes les opérations culturales étant étroitement liées les unes aux autres, il était singulièrement difficile ou même impossible, d'isoler une culture pour déterminer un prix de revient spécial.

Mais, nous dira-t-oii encore, pouvez-vous nier l'in- fluence qu'a exercée sur les prix le développement pro- cUgieux de la production agricole ou industrielle dans le monde depuis vingt ou trente ans ?

Non, certes, nous ne songeons nullement à nier ou même à contester cette influence. Nous y songeons si peu qu'au besoin nous nous efforcerions de prouver que la baisse du prix des produits agricoles est surtout expli- quée par le développement rapide de la production dans le monde entier et par la réduction des frais de trans- port.

Oui, il est même fort probable que nos importations exercent, aujourd'hui, une influence marquée sur le mouvement des prix. Mais cela tient à ce que l'accrois- sement extraordinaire et récent de la masse des produits récoltés dans toutes les parties du globe a augmenté TofFre très rapidement.

ZoLLA. Lu Crise tigrlcole. o

i3o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Gela tient encore à ce fait que la rapidité et la facilité des communications ont permis d'apporter, sans frais exagérés de transport, sans pertes et avaries, les mar- chandises produites à quelques milliers de lieues du pays qui devait les consommer.

Voilà quelles sont les transformations dont Tinfluence explique la marche des prix, au moins dans la plus large mesure ; mais ces transformations sont récentes, et la conséquence apparente des importations, c'est-à-dire la baisse des prix, est elle-même un phénomène récent. Nous n'avons pas constaté autrefois cette consé- quence en ce qui touche l'industrie agricole , et il n'est pas vrai que les importations aient fait toujours baisser les prix. La période actuelle ne diffère pas essentiellement des autres périodes qui l'ont précédée depuis la seconde moitié du xviii" siècle. Aujourd'hui encore, il n'est pas possible de soutenir que toute augmentation des importations ait immédiatement pour conséquence une baisse des prix, ou que toute diminu- tion des entrées ait pour effet de relever le niveau des cours. Quand on étudie la marche simultanée des impoi'- tations et des cours, pour une même denrée, comme le blé et le bétail, on observe^ au contraire, que les importations augmentent toutes les fois que les prix s'élèvent et quelles diminuent si les cours viennent a baisser.

Le public a donc tort quand il attribue immédiate- ment la baisse à l'augmentation des importations. Ce n'est pas seulement la masse, la quantité des produits importés, pendant une ou plusieurs années; qui peut expliquer les variations des cours. Les mêmes impor-

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i3i

tations auraient pu se produire à une autre époque, sans provoquer de baisse ou sans coïncider avec une hausse si, d'autre part, les conditions de la production et des transports dans le monde n'avaient pas rapide- ment changé.

Enfin, les prix ne varient pas seulement sous l'in- fluence de la concurrence étrangère.

Est-ce que les récoltes n'exercent pas également une action marquée et très rapide sur les fluctuations des prix? Le déficit révélé par la moisson de 1897 n'a-t-il pas eu pour conséquence d'élever en France le cours du froment ? A l'inverse, il nous paraît certain que la baisse extraordinaire constatée en 1894, 1895 et 1896 doit être attribuée beaucoup moins à la concurrence étrangère qu'à des récoltes de blé exceptionnellement abondantes dans notre pays.

En résumé, pour mieux préciser le caractère et dis- cerner les causes de la crise agricole actuelle, qui est intimement liée à la baisse des prix, il nous semble indispensable d'étudier les variations simultanées des importations et des cours.

Prenons comme exemple le prix du blé, et cherchons ({uelles ont été les fluctuations simultanées des cours d'une part et des importations d'autre part. Il est clair que si les importations étrangères agissent réellement et tendent à faire fléchir les prix, nous devons cons- tater :

Des importations fortes quand les prix sont bas ;

2" Des importations faibles quand les prix sont élevés.

Voici une période de baisse ; elle commence en 1820

lii LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

pour finir en i85o. Quel était le cours du blé en 1820 ? Ce terme de comparaison nous est indispensable.

Depuis 1791 jusqu'à 1820, les moyennes quinquennales ont été les suivantes ; nous les indiquons ici pour bien montrer qu'il ne s'agit pas d'une hausse momentanée due à une série de mauvaises récoltes (i) :

PRIX

VFUiODES de riicctolilre

de blé.

h. c.

1791-1795 27 5o

1796-1800 20 80

i8oi-i8o5 21 76

i8o6-i8io 18 II

1811-181) 24 08

18 16-1820 25 33

Depuis 1791 jusqu'en 18 19, les blés étrangers n'ont pas été taxés à l'importation, et cependant, le prix moyen de la période de trente ans (1791-1820) s'élèveà 22 fr. 93. En 1819, l'échelle mobile est votée ; des droits élevés et variables frappent les blés étrangers ; ces droits augmentent lorsque les prix baissent, de façon à devenir prohibitifs quand le cours du blé tombe au- dessous de i5 francs l'hectolitre.

Voici maintenant les variations simultanées des importations et des prix après le vote de la loi protec- trice :

(i) D'ailleurs, le prix des produits agricoles a constamment augmenté depuis la fin du règne de Louis XV jusqu'en i8i5. Voir à ce sujet les Etudes que nous avons publiées sur l'histoire de la propriété fon- cière depuis le commencement du xvii'' siècle jusqu'à nos jours. {Annales de V Ecole des Sciences politiques, 1893 et 1894; cl Annales agronomiques, 1888-1889.)

LES IMPORTATIONS ET LES PRIA' i33

PRIX IMPORTATIONS PKRIODKS par (milliers

hoctolilro. d'hcctolilresV

fr. c. 1791-1820 2 2 9'J »

1820 19 i3 49^

1821 17 79 442

1822 i5 59 »

1823 17 52 »

1824 l6 22 »

1825 i5 74 »

1826 i5 85 »

1827 18 21 44

1828 22 o3 85o

1829 22 59 1.207

Ainsi, les importations tombent à zéro depuis 1822 jusqu'à 1827 ; la concurrence étrangère ne peut donc exercer aucune influence sur les cours, et cependant ces derniers tombent à i5 ou 16 francs, alors qu'ils s'étaient élevés jusqu'à 22 fr. 93, depuis 1791 jus- qu'à 1820. Il est vrai que les prix se relèvent en 1828 et 1829, mais les importations augmentent au même mo- ment.

A partir de i83i, les cours sont encore fort bas ; le niveau moyen dépasse cependant celui que nous avons indiqué depuis 1820 jusqu'à 1828. Aussi les importa- tions, bien loin cVavoir diminue', se sont-elles dévelop- pées.

PRIX IMPORTATIONS PÉRIODES par (milliers

hectolitre. d'hectolitres).

fr. c. l83l-i8f5 18 II I.I2I

i836-i84o 19 81 804

1841-1845 19 6i 1.193

1846-1830 19 87 3.25a

i34 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Les mauvaises récoltes des années 1846 et 1847 déter- minent une augmentation imprévue des importations ; mais c'est un événement extraordinaire.

En résumé, les prix restent au-dessous du niveau atteint depuis 1 791 jusqu'à 1820 et les importations étran- gères, entravées d'ailleurs par des droits de douane, ne peuvent être accusées d'avoir provoqué la baisse.

Après i85o, nous entrons dans une période de hausse presque générale. Les cours montent brusquement et les importations s'élèvent en même temps.

l'KIX IMPORTATIONS PÉRIODES par (milliers

lieclolilre. d'hectolitres).

fr. c.

i856-i86o 'il 76 3.3i3

i86i-i865 io 40 4- 721

1866-1870 2 2 40 5.7'^2

1871-187") 23 70 8.431

Il n'est aucun de ces faits qui ne soit en contradiction avec l'hypothèse de l'influence des importations étran- gères sur les cours.

Ces derniers restent bas lorsque les importations sont faibles, et ils s'élèvent au moment les importa- tions augmentent. C'est précisément le contraire de ce qui devrait se produire si la concurrence étrangère avait toujoui's pour eff'et d'abaisser les prix.

En présence de ces faits, et en s'appuyant sur une expérience de quarante ans, il est impossible d'affirmer que ce sont les importations qui ont fait baisser les prix du blé, depuis 1820 jusqu'à i85o, et que ce n'est pas davantage la diminution de ces entrées qui a pu amener le relèvement des cours entre i85o et 1875.

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i'î5

Cette observation s'appliqiie-t-elle seulement à la France, et sommes-nous en présence d'un phénomène exceptionnel ?

En aucune façon. L'exemple de l'Angleterre nous le prouve clairement. Les coni-laws de i8i5 avaient inter- dit l'importation du froment quand le prix du « quarter » n'atteindrait pas 88 shellings. Ce cours, qui correspond à 34 francs l'hectolitre, fut très rarement atteint à par- tir de 1820, de telle sorte que les importations restèrent insignifiantes ou furent nulles jusque dans les années qui précédèrent l'abrogation àe'S, corn-la\\'s (1846-1849).

Voyons-nous cependant les prix s'élever tandis que les importations diminuent au point de devenir nulles ? En aucune façon.

Voici le prix moyen du froment en Angleterre par hectolitre jusqu'à 1810 :

PRIX do PÉRIODES riiectolilrc de blé

eu Auglçlerre.

fr. c.

1800-1810 36 41

1810-1820 39 27

i820-i83o a5 70

i83o-i84o 24 44

i84o-i85o 24 »

Après i85o, les droits de douane sur les blés étran- gers ont été abolis, les importations augmentent rapi- dement.

IMPORTATIONS PRIX

PÉRIODES de blé de

en Angleterre. l'heclolilre.

millions de quinl. fr. c.

i856-i86o 9.3 22 84

i86i-i865 13.9 20 34

1866-1870 i5.8 23 27

1871-1875 21.8 23 27

l'iG LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Sans doute, la brusque suppression des droits de douane prohibitifs a provoqué une baisse ; mais celle-ci est hors de proportion avec Ténorme accroissement des importations étrangères. Il s'est même produit une hausse depuis i865 jusqu'à 1870, bien que les entrées de froment eussent passé de i4 à 22 millions de quin- taux.

Nous pouvons donc répéter que, sans nie]' le moins du monde, en thèse générale, l'influence des importa- tions sur les prix, il est prouvé, par l'étude des faits, que ces importations n'ont pas toujours pour consé- ([uence une baisse de prix. D'autres causes peuvent agir qui relèvent les cours ou les font monter.

Enfin, l'augmentation de la production dans le monde n'avait pas été assez considérable et rapide, la réduction des frais de transport n'avait pas, non plus, été assez- sensible pour que le niveau moyen des cours du froment s'abaissât encore.

Les observations précédentes visent seulement le blé ; mais nous pouvons signaler les mêmes faits et tirer les mêmes conclusions de leur examen à propos du bétail.

Depuis 1820 jusqu'à 1840, nos importations de bétail sont restées insignifianLes.

A-t-on vu, cependant, le prix de la viande augmenter? Tout au contraire, il a diminué.

On pourrait dire, il est vrai, que la paix a rendu l'éle- vage plus facile et la production plus abondante. Il nous semble bien difficile de soutenir que cette seule cause ait provoqué la baisse jusqu'en 1840 ou i85o.

LES IMPORTATIOXS ET LES PRIX 13;

^'oic^ (railleurs quels ont été les cours de la viande (i) :

PRIX ANKKES du kilo de viande ;i Paris.

B(Eiil'. Mouton.

fr. c. fr. c.

l8l'3 I l3 I i;

1814 I 08 I O)

181 5 I 08 I 07

I8I6 I 08 I 20

I8I7 I 09 I 19

1818 1 10 I 24

I8I9 I 07 II)

1820 » 96 I 08

1821 » 97 I 01

1822 » 89 » 90

1823 » 87 » 93

1824 » 86 » 94

1825 » 91 » 92

182G »" 93 I 01

1827 » 98 I 02

1828 I 06 I 07

1829 I 04 I 07

Ainsi, à partir de 1820, la baisse est visible. Après i83o, elle est encore assez marquée, et, à partir tle 1841 jus([u'en i852, les prix restent encore fort bas.

PRIX .MOYEN PHIUODES (le kilo de viando à Paris.

Bœuf. Mouton.

fr. c. fr. c.

1813-1820 I 09 I l5

i820-i83() » 94 » 99

i83o-i84o I » I 14

i84o-i85o I o5 I 17

i8jo » 87 02

18 )i » 84 I 09

i8)2 )) 86 I 04

(i) Voir l'ouvrage de M. Block, de l'Institut, intitulé : Statistique de la France; 2 vol., Paris, Guillaumin.

i38 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

En i853, la hausse commence à se manifester et ne cessera que trente ans plus tard, en i883.

Les importations de bétail ont-elles pourtant diminué ? En aucune façon. Elles se sont accrues, au contraire, avec une extrême rapidité. En voici la preuve. Nous indiquons simultanément le prix du kilogramme de viande et les importations étrangères pour le bœuf et le mouton.

Variations simultanées des prix et des importations (i) pour le bétail

en France.

PÉRIODES Prix du kilo Importations Prix du kilo Importations

de bœuf. (milliers de de mouton (milliers de

tôtes\ tctcs).

fr. c. Ir. c.

i83o-i84o. .

I »

32

I 14

i34

i84o-i85o. .

. I o5

44

I 17

i35

i83o-i86o. .

I i3

93

I 3o

260

1860-1870. .

I 3i

180

1 46

869

1870-1880. .

I 56

194

I 73

i.5i7

Il est clair que les importations, loin de diminuer, ont augmenté à mesure que les prix s'élevaient. On ne saurait donc soutenir que les importations ont fait baisser les cours.

Les entrées de bétail étranger augmentent ou dimi- nuent selon que le prix de la viande s'élève ou s'a- baisse.

L'élévation des cours provoque l'importation d'un

(i) Les chiffres relatifs aux importations ont été empruntés au tableau inséré dans la Statistique agricole de 1892, Introduction, p. 290 et seq. Ces chiffres diffèrent quelque peu de ceux que 1 on trouve dans d'autres publications ofilcielles.

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX iSg

nombre plus considérable d'animaux; la baisse des cours produit un effet opposé. Elle restreint les impor- tations.

A partir de 1880, nous entrons dans une période nou- velle.

Le prix du froment baisse rapidement en F'rance, et cependant les importations augmentent fort peu. Exa- minons, par exemple, des moyennes décennales de façon à atténuer l'influence des bonnes et des mauvaises récoltes. Nous trouvons :

PEItlODES

187I-1880 1881-189O 189I-1897

IMPORTATIONS

PRIX

de froment

de

(nii lions d liectol.)

de riioctoliire,

fr. c.

12.9

i3.4

23 »

18 80

l3.5

16 89

Ainsi, les importations étrangères s'accroissent avec une extrême lenteur^ et pourtant, les prix fléchissent très rapidement.

Pour le voir plus clairement encore, il suffit de ramener à 100 les importations et les prix de la pre- mière période 1871-1880 :

PÉRIODES IMPORTATIONS PRIX

1871-1880 loo 100 »

1881-1890 io3 81 »

189I-1897 104 73 »

Tout le monde sait que la dernière période 1 891- 1897 a été marquée par deux années de mauvaises récoltes.

l/fO

LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Pr-ù)C^ en. Francs.

,•*- »o »c hj is) le

■«>■ O, 0;^i Oo^ O «-kj to'^i-.Oj-^Co'û O

ImportcUxOTis en,. Aimions- et' fiectoUtrekS- .

M ï=- Cri <>iM Ce'-O s

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i4i

1891 et 1897. Comparée à la première décade 1871- 1880, cette série d'années 1891-1897 ne présente, cepen- dant, qu'une augmentation d'importation de 4 P- 100. En revanche, les prix ont fléchi de 27 p, 100.

Est-ce une apparence ou le résultat d'un groupe- ment déchiffres destiné à masquer la vérité ?En aucune façon.

Il suffit, pour le premier, de tracer deux courbes retraçant avec fidélité les fluctuations simultanées des prix et des importations. Les deux courbes de ce graphique suivent la même marche. Les importa- tions s'abaissent et se relèvent en même temps que les cours.

Depuis 1879, les importations de froment ont même diminué. Elles retombent, en 1896, au niveau le plus bas que l'on ait constaté depuis 1872, et les prix, cepen- dant, s'abaissent graduellement.

Les choses ne se passent point autrement en ce qui concerne le bétail.

Nous avons \x\ que depuis i83o jusqu'à 1880 les prix s'étaient toujours élevés, pendant que les importations s'accroissaient.

A partir de i883, les cours de la viande s'abaissent et les importations diminuent en même temps.

Voici le tableau des variations simultanées de prix de la viande et des importations :

1^2

LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Variations simultanées du prix de la viande et des importations de bétail en France *.

i«79 1880 1881 i88'2 i883 1884 i885 188G 1887

1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896

OVIDES

BOVIDÉS

Priv

du kilogramme

(le mouton.

Importations

(milliers de

tètes).

Prix du kilogramme de bœuf.

Importations

(milliers do

tôtes).

fr. c.

fr. c.

I 96

2.029

I 75

253

I 98

2.085

I 69

196

I 97

I .721

I 64

i5o

2 09

2.166

1 70

194

2 l3

2.289

1 8i

2l5

I 99

2. 109

I 69

176

I 84

1.956

I 59

l52

I 79

1.629

I 53

i54

I 70

1.259

I 39

99

I 82

i.5i3

I 44

74

I 92

2.348

I 45

81

1 12

I 142

1 61

99

2 07

I 171

I 60

82

I 95

1 .401

I 52

36

I 86

1.195

1 5o

20

2 o3

1.993

I 66

201

2 01

1.786

1 56

149

I 96

1.342

I 5i

86

I 80

1.364

I 44

58

La conclusion à tirer de ces faits est très importante. Il est visible que les entrées de bétail diminuent quand les prix baissent. Le graphique de la page i43 le démontre avec la dernière évidence.

On doit donc, d'une façon générale, admettre que la baisse du prix des principaux produits agricoles, en France, n'est pas due immédiatement et exclusivement au développement des importations étrangères.

(i) Le cours de la viande est celui du kilo de viande nette, première qualité, sur le marché de la Villelte, à Paris. Les importations sont exprimées en nombre de tètes, d'après les documents officiels. Voir notamment l'enquête agricole de 1892, lac. cit.

LES IMPORTATIONS ET LES PRIX

II

43

8881- 988t- ^i881- S881- 0881- 81.81- 9181- ■litSl- 2L8X- 0£8l- 8981- 998T- ■WBI- S981- 098T- 898T- 9S8T- •li98T- SS8t-

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i44 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

II

La crise monétaire et la baisse des prix.

Nous devons oxposer ici une théorie fort intéres- sante relative à l'influence qu'a pu exercer la « crise monétaire » sur la baisse des prix. Beaucoup de per- sonnes admettent que la démonétisation de l'argent et la suppression de la frappe libre de ce métal après 1876 ont provoqué une baisse énorme du métal blanc. D'autre part, elles admettent aussi que l'or restant seul chargé du rôle monétaire qui était rempli précédemment par les deux métaux précieux, a pu devenir plus rare. Cette rareté ou cette « appréciation » a déterminé, suivant les mêmes personnes, une baisse générale des prix.

Nous allons résumer cette discussion, reproduire impartialement l'opinion de ceux qui attribuent la baisse des prix à la démonétisation de l'argent, à la réduction de la valeur de ce métal en or, et à « l'appréciation » de ce dernier. Nous présenterons ensuite nos conclu- sions personnelles.

I, LA BAISSE DE l'aRGENT ET l'aPPRÉCIATION DE l'oR

Il n'est pas douteux que le cours de l'argent évalué en or ait diminué très rapidement depuis trente ans.

Pour le démontrer nous n'avons qu'à relever le prix de l'once d'argent à Londres :

l'rix do rargonl en or, il Londres.

Pence-or.

1871 60. 5o

1875 56.87

1880 52.25

i885 48.62

1890 47-68

1893 33.12

LA CRISE MONÉTAIRE M^

A partir de 1893, la dépréciation de l'argent prend les proportions d'un véritable effondrement. Deux nou- veaux faits expliquent cette crise récente. Une loi datant du 28 février 1878, obligeait le Trésor des Etats- Unis à acheter chaque mois, pour le monnayage, 2 mil- lions d'onces d'argent, soit 746.000 kilos par an(i)~ Cette masse énorme de métal blanc ne parut pas encore suffisante aux propriétaires des mines d'argent et à leurs associés politiques. Une seconde loi du i4 juillet 1890 porta à 1.700.000 kilos le poids d'argent qui dut être acheté parle Trésor américain. En 1898, on abro- gea cette loi qui avait entraîné les plus graves abus, bien qu'elle contribuât à soutenir le cours du métal blanc. Brusquement la cote de Londres tomba de 40 à 33 pence-or ! Enfin, l'Inde anglaise, qui est un pays monométalliste-argent, assurait un très large débouché au métal chassé d'Europe par les mesures dont nous avons parlé. Il est probable que 700.000, et peut-être 800.000 kilos d'argent venaient s'y faire monnayer (2). Pour relever le cours en or des roupies d'argent, l'Angleterre suspendit la frappe de ces monnaies

(i) M. Leroy-Baulieu fait remarquer avec raison, dans son Traité d économie politique (t. III, p. 299), que ces achats d'argent compen- saient la fermeture des Hôtels de monnaie d'Europe à la frappe de l'argent, et contribuaient par conséquent à soutenir le cours de ce métal.

(2) M. de Foville dans son rapport sur l'administration des monnaies 1897 (Annexes, p. 219), nous apprend que l'on a frappé dans l'Inde les quantités d'argent suivantes :

Millions de roupies.

i8;)5-i856— i864-i865 908

1865-1866—1874-1875 5l2

1875-1876-1884-1885 648

Or, la roupie pèse ii gr. 66 d'argent.

ZoLLA. La Crise agricole. lo

i46 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

(juin 1893), Le prix de Tonce d'argent s'abaisse aussi- tôt à Londres et tombe à 29 pence-or ! Il n'est donc pas égal à la moitié de la cote correspondant à l'an- cien rapport —r-r . En d'autres termes, i kilo d'or pou- vait s'échanger en 1893, contre plus de 3i kilos d'argent, tandis que vers 1870, il ne permettait d'en acquérir que i5 kil. 5oo !

La dépréciation inouïe de l'argent par rapport à l'or est un phénomène bien établi, dont personne, d'ailleurs ne conteste la réalité. Cette dépréciation coïncide avec la fermeture de ses anciens débouchés.

Pendant la période décennale qui a précédé la démo- nétisation de l'argent par l'Allemagne, la frappe de l'argent avait, en Europe, l'importance suivante :

kil.

Allemagne 256. 000

France 179.000

Belgique 157.000

Italie 166.000

Pays-Bas 171.000

1.029.000

De plus, les Etats-Unis, les Etats Scandinaves, la Russie, l'Inde, etc., etc., absorbaient des quantités considérables de métal blanc. Tous ces débouchés ont été successivement fermés. L'argent a perdu son ancien rôle monétaire. Chassé d'Europe, il est mainte- nant chassé également de l'Inde. Est-il donc étonnant que son prix ait baissé par rapport à l'or, qui conserve seul le rôle de métal monétaire international?

C'est précisément le rôle actuel de l'or qu'il s'agit maintenant d'étudier pour arriver à montrer comment

LA CRISE MO y ET Al RE i47

la crise monétaire actuelle peut avoir exercé une influence si décisive sur la baisse des prix.

II. LA RARETÉ RELATIVE DE l'oR

Avant la démonétisation de l'argent par l'Allemagne et avant la suspension de la frappe dans les pays de l'union latine, en Russie, dans l'Inde, etc., etc., il est évident que les deux métaux monétaires, l'or et l'ar- gent, pouvaient servir à régler les échanges internatio- naux et à fixer le niveau moyen des prix.

Aujourd'hui, l'on ne peut plus se servir de l'argent puisque ce métal n'est accepté qu'avec la réduction énorme qu'il subit par rapport à l'or.

C'est en or que sont cotés tous les cours, et comme ce métal n'a pas été produit en plus grande quantité (i), comme, d'autre part, il remplit seul, à cette heure, le rôle qu'il jouait avec l'argent il y a vingt ans, on ne peut guère se refuser à reconnaître qu'il est devenu plus rare.

(i) Il s agit ici de la production jusqu'en i888 ou 1890. Depuis cette époque, la production s'est accrue au contraire avec une grande rapi- dité, ainsi que le montrent les dernières lignes du tableau suivant :

Poids d"or (production annuelle).

kilos.

i856-i86o U01.750

i86i-i865 i85.o57

1866-1870 195.026

1871-2875 173.904

1876-1880 166.095

i88i.i885 153.643

1886-1890 169.862

1891-1895 245.175

1886-1900 ..... 387.866

i48 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

On peut dire, il est vrai, que les instruments de crédit, tels que les lettres de change, billets à ordre, chèques, virements décompte, billets de banque, etc., etc., rem- placent la monnaie, et suppléent à son insuffisance.

« La rareté de l'or, dit-on, n'est qu'une hypothèse « contredite par les faits ; on a suppléé à son insuffi- « sance et à celle de l'argent par les instruments de « crédit qui remplacent les métaux précieux. S'il s'agit « d'éteindre une dette contractée par un Français à « l'égard d'un Anglais, d'un Russe ou d'un Américain « des Etats-Unis, c'est avec une lettre de change ou « un chèque que cette dette sera acquittée. Le dévelop- « pement de ces affaires de banque rend de moins en « moins utile le rôle de la monnaie, et celui de l'or par « conséquent ; il vient compenser la réduction des « espèces métalliques en circulation. »

Cette conclusion n'est pas à l'abri de toute critique. En réalité, les instruments de crédit ne remplacent pas la monnaie au point de vue de la fixation du niveau des prix. Ces derniers sont représentés par une cer- taine quantité du métal qui est généralement accepté dans les échanges ; les instruments de crédit expriment des sommes qui doivent être définitivement payées en monnaies métalliques parce que ces espèces monétaires possèdent seules les qualités d'une monnaie ; elles seules permettent d'éteindre une dette qui est toujours payable en or ou en argent et stipulée payable de cette façon seulement.

Dans son Traité d'Economie politique, Joseph Garnier a fort bien expliqué ce rôle des instruments de crédit, à propos du billet de banque.

LA CRISE MONETAIRE l49

« Il supplée, dit-il, à la monnaie, à beaucoup d'égardy mais il ne la remplace pas absolument, et il ne la reni-* place i[\\Q provisoirement. Partout il intervient, on le reçoit comme titre de créance sur la banque, comme promesse d'un payement futur et rapproché en espèces; c'est un instrument perfectionné propre à transmettre la créance sans pouvoir l'éteindre. La monnaie, au con- traire, est une recette définitive qui éteint les obliga- tions. La monnaie est une marchandise intermédiaire douée de valeur intrinsèque ; le billet est un signe inter- médiaire qui n'a de valeur qu'autant qu'il peut donner droit à des espèces métalliques. Si le billet de banque comme les autres effets, diminue l'emploi de la mon- naie et tend à déprécier un peu sa valeur^ il n'attaque en rien les qualités intrinsèques du métal. Celui-ci con- serve les propriétés qui le font rechercher de tout le monde, et la spéculation se hâte de le ramener aux lieux elle l'avait rendu plus rare et plus cher. Quand donc on dit que les billets de banque remplacent la monnaie, on n'a raison que dans une certaine mesure et pour une certaine proportion ; on fait une méta- phore qu'il ne faut pas prendre à la lettre ; et, quand on raisonne sur l'émission et la circulation de ces titres comme sur l'émission et la circulation des écus, on ne tarde pas à errer grossièrement (i). »

Ce que Joseph Garnier dit des billets de banque reste vrai pour les autres instruments de crédit. Certes, les lettres de change et les chèques épargnent l'emploi de la monnaie métallique, mais celle-ci doit toujours,

(i) Traité d'économie politique, par J. Garnier, 5" édition, p. 349-

iio LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

en définitive, balancer les soldes. Si on les accepte en paiement, c'est parce que l'on croit pouvoir se pro- curer de la monnaie par leur intermédiaire, et le métal précieux dont ils représentent un certain poids reste le véritable régulateur des prix. A la moindre alerte, on s'adresse aux banques publiques ou privées pour con- vertir en monnaie métallique les billets qu'elles ont émis ou les effets de commerce qu'elles escomptent. Toutes les crises commerciales sont caractérisées par les demandes de remboursement en espèces et l'es- compte eu monnaie des lettres de change. Aujourd'hui, l'or est le seul métal ayant, dans les pays d'Europe et aux États-Unis, un pouvoir libératoire illimité. Tous les prix sont évalués en or. L'existence des instruments de crédit ne saurait empêcher l'or d'être plus rare qu'autrefois, puisqu'il joue seul le rôle que l'argent pouvait remplir autrefois avec lui. La rareté relative du métal jaune est donc bien certaine.

Notons de plus que si le développement de l'usage des instruments de crédit avait suppléé à l'insuffisance de l'or, ce ne serait pas une baisse de prix mais une hausse que l'on constaterait. J. Garnier le fait remar- quer lorsqu'il dit : « Le billet de banque diminue l'emploi de la monnaie et tend à en déprécier un peu la valeur. »

Ces instruments de crédit et toutes les opérations de banque destinées à économiser l'emploi de la mon- naie étaient en usage avant 1873, c'est-à-dire avant la baisse des prix. En 1880, un statisticien bien connu, M. Giffen, dit que les procédés adoptés pour remplacer la monnaie étaient aussi perfectionnés depuis i85o

LA CRISE MONETAIRE ui

jusqu'à 1873, période de hausse, que depuis 1873 jus- qu'à nos jours, période caractérisée par une baisse générale (i).

Il faut également tenir compte de ce fait important : Les échanges sont devenus plus importants et plus nombreux depuis vingt-deux ans. La population des nations commerçantes s'est accrue ; par conséquent, la masse de monnaie nécessaire aux transactions inté- rieures et surtout aux affaires internationales est devenue plus considérable. Or, nous le savons, la production de l'or est restée stationnaire (1875-1890) précisément au moment son emploi exclusif est devenu indis- pensable, puisque l'argent a perdu son rôle monétaire pour tomber au rang de simple marchandise.

Enfin, il faut tenir compte d'un troisième fait qui a une grande importance. Dans l'état de crise permanente se trouvent aujourd'hui le commerce, l'industrie et l'agriculture, les grandes banques publiques ont besoin de posséder dans leurs caisses des masses considé- rables du seul métal qui ait cours dans le monde, c'est- à-dire de l'or. En France et en Allemagne, l'accumula- tion d'une grosse réserve d'or est une nécessité politique. L'éventualité d'une guerre rend indispensable cette thésaurisation. Nulle monnaie autre que la mon- naie d'or ne permettrait, en effet, d'opérer immédiate- ment des achats à l'étranger.

Mais, d'un autre côté, les réserves puissantes qui s'élèvent à plusieurs milliards (a) ne proviennent pas

(i) Voir l'article de M. Giffen dans la Conlemporary Res'iew, juin i885. Trade dépression and lo»' priées.

(2) A l'heure actuelle, l'encaisse métallique de la Banque de France

r52 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

d'un Stock nouveau. Pour s'en convaincre, il suffit de noter les quantités d'or monnayées chaque année. Ces quantités sont très faibles, et môme, parfois, elles sont nulles. En France, par exemple, la frappe de l'or a été considérable depuis i85o jusqu'à 1870. Elle atteignait le plus souvent, chaque année, un demi-milliard. Or, voici les quantités monnayées depuis 1879 :

Frappe de l'or en France (i).

Frappes totales Refontes.

Millions de francs. Millions do franc*.

Ï879 24.5 »

1880 » »

1881 2.1

i88-2 3.7 »

i883 ,, ,,

1884 » »

i885 0.2 »

1886 23.5 »

1887 24.6 »

1888 0.5 »

1889 17.4 8.2

1890 20.6 II. 9

1891 17.4 12.7

1893 4.5 4.6

1893 5o.9 3.5

s'élève à un chiffre qui n'avait pas été encore atteint depuis le com- mencement du siècle, soit 2 milliards 464 millions (1901).

(i) En revanche, depuis 1898, la frappe a rapidement augmenté jus- qu'en 1899. En voici la preuve :

Millions de francs.

1894 9.8

1895 108.0

1896 II 2.0

1897 221 .0

1898 177.0

1899 54.0

1900 3o.o

Voir Rapport de l'Administration des monnaies (1901).

LA CRISE MONÉTAIRE i53

Depuis 1879 jusqu'à 1893, la frappe totale n'a jamais dépassé 5o millions, et encore faudrait-il retrancher de ce total 3 millions et demi de refontes ! La frappe de l'or a diminué dans la proportion de 10 à i depuis vingt- cinq ou trente ans. En Angleterre, dans ce pays affluent les métaux précieux, et existe le plus grand marché d'or qu'il y ait au monde, la frappe est devenue insignifiante. De i853 à 1872, elle s'élevait à plus de 125 millions de francs par an; durant ces dernières années, elle s'ahaisse au quart de ce chiffre. Parfois même, elle est nulle !

Frappe de l'or en Angleterre (i).

Millions do francs.

1H79 »

1880 100

i88i »

1882 »

i883 26

1884 57

i885 7^)

1886 »

Movenno .... 3-2

^i) Depuis 1886 la frappe s'est accrue rapidement :

Millions de francs.

1887 47

1888 5o

1889 187

1890 192

1891 168

1892 347

1893 23l

1894 395

1895 120

1896 44

1)4 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Dans la plupart des pays d'Europe ou du monde le monnayage de l'or a diminué. Voici les chiffres empruntés aux tableaux du D"" Sœtbeer, (Nous opérons la conversion des marcs en francs.)

Monnayage do l'or (l). Frappe de l'or.

iMillions de francs.

l8)l-l88") 841

1886 441

1887 597

1888 65o

Il s'est donc produit au moins momentanément une diminution de la frappe de l'or. Elle tombe de 841 millions de francs (i85i-85) à 44^ en 1886.

L'augmentation des réserves des grandes banques publiques a, peut-être, appauvri la circulation inté- rieure de chaque Etat, et par suite la circulation moné- taire du monde entier.

Il faut tenir compte également de l'emploi industriel de l'or, des exportations en Orient, du frai (2) des monnaies, des pertes. Sœtber et M. Giffen estiment que la quantité d'or laissée libre pour le monnayage est presque nulle !

(i) Après 1888, les chiffres du monnayage sont les suivants (Voir rapport de Foville. Annexes, p. 34i).

Millions de francs.

1889 840

1890 745

1891 595

1892 860

1893 I . 160

1894 I . i35

1895 i.i55

1896 975

(2) On désigne ainsi la perte résultant de l'usure des pièces.

CRISE MONÉTAIRE i55

Comment se refuser à admettre, en présence de pareils faits, que Tor soit devenu plus rare ? Mais cette rareté relative a pour conséquence nécessaire une augmentation de la puissance d'acquisition du métal jaune, et, par conséquent, la baisse des prix. Qu'est-ce aujourd'hui que le prix d'une marchandise, si ce n'est, en effet, le poids d'or que cette marchandise permet d'acheter ? Et si l'or a augmenté de pouvoir d'achat, n'est-ce pas dire, en d'autres termes, qu'il en faut moins pour se procurer la même denrée ou que cette dernière a baissé de prix ?

Cette explication d'une crise générale soulève, cepen- dant, une objection maintes fois opposée à ceux qui attribuent l'effondrement des cours à la rareté de l'or. « La baisse des prix » n'est pas, dit-on, un phénomène général. Certaines marchandises ont haussé, d'autres ont baissé. Si la crise attribuée à une augmentation du pouvoir d'achat de l'or était réellement une crise moné- taire, tous les prix auraient subir la même réduc- tion. Or, il n'en est rien. L'explication fournie n'est donc pas satisfaisante. »

En réalité, cette objection ne porte pas. Des causes différentes et agissant en sens inverse peuvent avoir pour résultat une hausse, une baisse, ou un état station- naire des cours. Les faits économiques sont extrême- ment complexes, et soumis à l'influence de phénomènes fort nombreux.

Pendant la période de hausse qui s'étend de i855 à 1875, le perfectionnement des procédés de fabrication a pu enrayer ou annuler l'élévation des cours. De nos jours, les terrains bâtis peuvent augmenter de valeur,

i56 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIA

alors que le territoire agricole diminue de prix. Les salaires ne varient pas dans la même mesure et le même sens que le cours des denrées alimentaires. Une série de mauvaises récoltes peut augmenter le prix du blé, du vin, des fourrages ou des autres produits agricoles ; les caprices de la mode font varier ceux des productions industrielles, soumises à la loi de l'offre et de la demande. Ces contrastes et ces apparentes con- tradictions ne prouvent pas autre chose que Texistence des causes nombreuses dont l'action sur les cours s'ajoute ou se retranche, s'unit ou s'annule, comme les forces naturelles dont les effets particuliers ne sau- raient être niés, bien que leur résultante définitive nous étonne et nous déconcerte.

La colonne de mercure d'un baromètre peut s'élever, bien que la pression de l'air reste constante, si l'action de la température dilate le métal. Dira-t-on, cepen- dant, que la pression atmosphérique n'a pas pour effet de faire monter ou descendre la colonne de mercure ;'

Il en est de même lorsqu'il s'agit des phénomènes économiques et non plus de phénomènes physiques on chimiques. Ce ne sont pas telles ou telles variations de prix qu'il s'agit de noter, mais les variations géné- rales et moyennes d'un nombre considérable de mar- chandises. Or, nous l'avons prouvé, la baisse des prix est un phénomène général dont il est impossible de nier l'existence.

Les exceptions observées sont toutes expliquées par l'action de causes particulières ; elles ne prouvent nullement que la rareté de l'or n'ait pas provoqué l'abaissement général du niveau des prix.

LA CRISE MONÉTAIRE iSy

Nos conclusions personnelles. Nous nous sommes efforcés d'exposer avec une exacte impartialité les argu- ments que Ton peut, raisonnablement (i), invoquer pour prouver que la baisse des prix doit être rattachée à une contraction monétaire. La valeur de ces argu- ments est fort inégale. Sans doute, la dépréciation de l'argent doit être attribuée en grande partie au pro- digieux développement de la production de ce métal depuis vingt-cinq ans.

Production annuelle (2). de l'argent.

Millions de francs.

1805-1870 1.339

1871-1875 1.969

1876-1880 10.979

i88i-i885 i3.3o7

1886-1890 16.937

1 891-189) 2 j.461

11 serait même puéril de nier Tinfluence d'un pareil accroissement de production sur le prix en or du métal blanc. On a fait observer qu'autrefois, de 4761 à 1780, puis de 1781 à iS-io, le rapport du poids de l'or extrait des mines au poids d'argent s'était abaissé jusqu'à

~ et -— . C'est un fait incontestable : mais si, depuis il 49 ' ' 1

1881 jusqu'à 1890, ce rapport est plus élevé et remonte à ou , il n'en est pas moins vrai que les quantités

IQ 21 * 1 J

(i) 11 nous semble certain, en effet, que les bi-mélallistes sont en dehors de la vérité et ne raisonnent point comme des hommes de science.

(2) Voir rapport de M. de Foville déjà cité (1898), p. 327.

i58 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

absolues, c'est-à-dire la masse de métal blanc jetée dans la circulation est vingt ou trente fois plus considérable qu'elle ne Tétait dans la seconde moitié du xviii® siècle ou dans les trois premiers quarts du xix°.

Un pareil phénomène explique donc la baisse de l'argent, sans compter que ce métal constitue une monnaie encombrante (i).

Il nous paraît, toutefois, prudent de tenir compte d'un fait aussi visiblement important que la suspension do la frappe en Europe à partir de 1876, dans les pays de l'union latine, et de la démonétisation du métal blanc depuis 1873. Nous ne sommes pas en état d'affirmer que la fermeture des ateliers monétaires dans plusieurs grands pays n'a pas exercé une influence, c'est-à-dire n'a pas précipité et consacré la baisse de l'argent. 11 nous paraît raisonnable de douter et de tenir compte d'un pareil fait.

Voici, maintenant, quelle est la question importante et délicate :

L'or possède-t-il aujourd'hui une puissance d'acqui- sition plus grande qu'il y a vingt-cinq ans, parce qu'il est relativement plus rare ?

11 nous paraît également impossible de répondre catégoriquement : « Non, cela n'est pas ! » Nous croyons que personne ne peut démontrer la fixité du pouvoir d'achat du métal jaune.

On trouve à coup sûr d'autres explications à la baisse générale sinon universelle des prix. Ainsi, M. Leroy-

(i) Voir le Traité d'Economie politique de M. Leroy-Beaulicu, t. III, p. 277. « Supériorité de l'or comme monnaie, etc. »

LA CRISE MONÉTAIRE iSg

Beaulieu dit avec raison : « La baisse des prix vient de l'abondance de la production, de la réduction des prix de revient, du perfectionnement de l'outillage commer- cial et de la diminution des frais de transport (i). »

Nous ne sommes pas moins convaincu que lui de l'action décisive de ces transformations économiques sur les variations des cours. Mais est-il défen^^lu de penser qu'à ces causes de baisse, la rareté relative de l'or a pu s'ajouter et faire fléchir les prix ?

Il ne s'agit point de nier l'essor extraordinaire de la production agricole dans le monde depuis trente ans, mais d'admettre que la démonétisation de l'argent a rendu l'or plus rare parce qu'elle a, désormais, conféré au seul métal jaune le pouvoir de balancer les dettes internationales des grands pays civilisés. A propos de l'afflux d'or qui se produisit en Europe de i85o à 1870, M. Leroy-Beaulieu émet l'opinion suivante (2) :

« D'un autre côté, l'or n'était pas la seule monnaie du monde civilisé ; l'argent, comme on le verra, non pas dans tous les pays, mais dans plusieurs des principaux pays, avait un pouvoir libératoire égal à l'or; il existait entre les deux métaux, dans ces pays, un rapport légal qui, malgré les fluctuations que nous étudierons, était maintenu en ce sens que les hôtels des monnaies restèrent constamment ouverts à la frappe des deux métaux sur la base de ce rapport légal.

« Il résulte de cet ensemble de circonstances que, dans la recherche de l'influence qu'a pu avoir cet

(i) Economiste français, 1896, p. 419.

(2) Traité d'Économie politique, t. III, p. 207.

i6o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

accroissement de la production de l'or dans cette période, il ne faut pas comparer isolément les quantités d'or produites dans ces vingt-cinq années aux quan- tités de ce métal préalablement existantes ; il faut réunir la production des deux métaux précieux dans cette décade et la comparer à l'ensemble du stock des deux métaux précieux préalablement existants. »

Et l'auteur conclut :

« On saisit ainsi les causes qui ont fait que l'énorme accroissement de la production de l'or de i85i à 1870 n'a amené autant qu'on peut en juger, qu'une assez faible dépréciation de ce métal... »

Admettons, en effet, que cette dépréciation ait été assez faible ; il n'en est pas moins certain qu'elle s'est produite et qu'on n'en conteste pas l'influence sur la marche des prix en général.

Brusquement, en 1873 et durant les années suivantes, l'argent est démonétisé ; la frappe en est interdite, non point dans tous les pays du monde, mais en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Suisse, etc., etc. Quelques-unes, les grandes nations commerçantes, et non des moins riches, sont devenues en fait monométallistes-or.

Il ne faut donc plus u comparer isolément les quan- tités d'or produites depuis 1876 aux quantités de ce métal préalablement existantes ».

Il faut rapprocher, plutôt, la production de l'or de la production des deux métaux précieux et de l'ensemble du stock de ces deux métaux monétaires qui possé- daient également, autrefois, un pouvoir libératoire illi- mité.

LA CRISE MONÉTAIRE i6i

Ace moment même, la quantité d'or extraite annuelle- ment restait stationnaire. En voici la preuve :

Production annuelle

de l'or dans le monde (1).

Milliers de kilos.

1866-1870 196

1871-1875 173

1876-1880 166

1881-1885 l53

1886-1890 »... 169

La production de l'or a môme momentanément fléchi, alors que son rôle monétaire devenait singulièrement plus important, non seulement parce que le métal jaune cessait d'être lié au métal blanc de façon à constituer une même masse, mais encore parce que le mouvement général du commerce prenait une importance sans cesse croissante.

Est-il donc impossible que l'or ait été « apprécié », suivant l'expression à la mode, ou, en d'autres termes, que son pouvoir d'achat ait augmenté ?

On nous accordera qu'il est permis de douter. S'il nous paraît singulièrement téméraire ou même dérai- sonnable d'attribuer à 1' « appréciation » de l'or une influence précise sur les prix, on ne saurait, en revanche, l'écarter absolument sans admettre qu'elle ait eu une importance quelconque.

Il est, suivant nous, possible et probable que cette cause a agi dans le même sens que le développement de la production, la réduction des prix de revient, l'abaissement des prix de transport, etc., etc.. Les

(i) Rapport de Fovillc déjà cité, p. 829.

ZoLLA. La Grise agricole. 11

i62 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

variations de prix constatées depuis vingt ans, et notamment la baisse générale, sont les résultantes de ces diverses transformations économiques.

Faut-il, pour cela, regretter qne Ton n'ait pas maintenu l'ancien rapport légal de -^ dans un pays comme la France, et autorisé la frappe des pièces de 5 francs sans limitation ?

Nous repoussons, cela va sans dire, une pareille interprétation de notre pensée et une semblable con- clusion.

La solution proposée par les bimétallistes ne nous paraît ni satisfaisante ni même acceptable un seul ins- tant. La déchéance de l'argent et sa dépréciation sont consommées. Les discussions et les conférences rela- tives au bimétallisme sont simplement oiseuses, et donnent tout au plus une satisfaction platonique aux « Inflationist » ou au public protectionniste qui voit avec dépit les cours fléchir malgré le relèvement des droits de douane.

Il est inutile de nous étendre sur ce point; aussi bien avons-nous hâte de signaler, soigneusement, en termi- nant l'augmentation rapide et considérable de la pro- duction et du monnayage de l'o/' durant ces dernières années.

Depuis 1891, les quantités extraites ont été les sui- vantes :

Milliers de kilos.

1891 196

1892 220

1893 236

1894 272

i«95 299

LA CRISE MONÉTAIRE i63

Milliers (Je kilos. 1896 301

1897 355

1898 i3i

1899 461

1900 385

Voici, d'autre part, pour servir de terme de compa- raison, la production moyenne annuelle de i85i à 187;").

i85i-55 199 milliers de kilogr.

i856-6o 20I

i86i-65 i85

1866-70 195

1871-75 173

La production de l'or dépasse donc actuellement celle que l'on constatait entre i85o et 1870. 11 est môme pos- sible que les quantités extraites dans quelques années soient encore plus considérables.

Nous ne saurions prétendre que la hausse des prix sera la conséquence immédiate ou prochaine de cet afflux de métal jaune. En tous cas, il y aura une cause de fermeté des cours ou de limitation de la baisse actuelle.

II. LA CONCURRENCE DES PAYS A KTALON D ARGENT

Voici maintenant un autre problème qui se pose. La démonétisation et la baisse de l'argent n'ont pas eu seu- lement pour conséquence V appréciation de l'or. 11 ne faut pas oublier, dit-on, que si la plupart des nations d'Europe sont, en fait, ou en droit, monométallistes-or, certains pays sont restés monométallistes-argent (i).

(i) Cependant la frappe de l'argent est suspendue dans l'Inde depuis 1893 et le Japon a adopté l'étalon d'or.

i64 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Or, la concurrence des pays à étalon d'argent a pour effets :

De nous inonder de produits à vil prix achetés dans ces pays aux prix d'autrefois, avec un métal qui a perdu 5o p. loo de sa valeur-or ;

2" De rendre impossibles les exportations des pays à étalon d'or forcés de vendre leurs produits deux fois plus cher en monnaie d'argent, puisque ce métal est déprécié de 5o p. 100 par rapporta san change en or.

Telle est, résumée en quelques lignes, une théorie séduisante, consistant en un certain nombre d'hypo- thèses dont il s'agit d'étudier la valeur. Nous avons pré- cisément examiné ce problème dans les Annales agro- nomiques il y a quelques années (i), et il nous paraît inutile de nous répéter. Nous nous contenterons, aujour- d'hui, de reproduire les conclusions de notre étude.

« i^ On a soutenu, a priori^ que la dépréciation de l'argent avait eu pour conséquence une baisse égale du change en or des monnaies d'argent de l'Orient.

<( Cette hypothèse n'est pas entièrement exacte, notamment en ce qui touche la « roupie » indienne. La dépréciation de cette monnaie (valeur en or) reste infé- rieure à celle du métal blanc.

2" On a prétendu, également que les cours cotés en monnaies d'argent, dans les pays à étalon blanc, n'avaient pas varié.

Cette hypothèse n'est point vérifiée par l'expérience. Des fluctuations très marquées ont été, au contraire, observées dans l'Inde, et la hausse des cours compense

{1) Ann.agron., t. XXI clXXll. Laqueslioii monétaire, par D. Zolla.

LA CRISE MONÉTAIRE l65

partiellement la baisse du change de riinitc monétaire.

« y Beaucoup de personnes admettent a priori que les exportations des pays à étalon d'argent se sont rapidement développées, de telle sorte que les énormes quantités de marchandise ainsi jetées sur les marchés à étalon d'or ont déterminé la baisse des prix.

« Cette conséquence, déduite d'une théorie abstraite n'a pas été vérifiée.

« Enfin, on a dit que la baisse du change rendrait difficiles ou impossibles les exportations des pays à étalon d'or vers les pays à étalon blanc. Cette consé- quence est également en contradiction avec les faits. Les importations dans l'Inde des marchandises provenant des pays à monnaie d'or se sont accrues ; l'augmen- tation de leur valeur totale en monnaie d'argent com- pense la baisse du change, et les excédents d'exporta- tions de rinde dans les pays d'Europe ont même diminué, durant ces dernières années.

« Tels sont les traits saillants du commerce extérieur d'un grand pays à étalon d'argent comme l'Inde, w

On voit avec quelle réserve il convient d'accepter les conclusions, trop absolues et trop pessimistes, de ceux qui croient pouvoir attribuer la baisse générale des prix en Europe à la concurrence des pays d'Orient l'argent constitue l'étalon monétaire.

Sans doute, l'étude des faits relatifs au commerce extérieur de l'Inde ne saurait permettre de porter un jugement définitif sur les conséquences économiques de la baisse du change dans les pays à étalon d'argent. Mais, restreinte et limitée, notre enquête montre tout au moins les dangers des solutions que le public accepte

i66 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

comme définitives. Elle prouve clairement, croyons- nous, que la baisse de l'argent n'a pas exercé sur le prix des produits agricoles européens, concurrencés par ceux de l'Inde, l'influence qu'on a tant exagérée pour pouvoir expliquer l'impuissance des tarifs protec- teurs.

Quelle est donc, en définitive, la cause de la baisse dont nous souffrons ? Cette cause n'est point unique. Le développement extrêmement rapide de la produc- tion est le trait caractéristique de la période que nous traversons. Dans le monde entier, la quantité des pro- duits agricoles obtenus s'est accrue ; partout, au môme moment, les moyens de communication sont devenus plus nombreux et les frais de transport moins élevés. L'activité industrielle des vieux pays, le besoin crois- sant de s'ouvrir des débouchés nouveaux a précipité ce mouvement et accéléré le développement de la produc- tion agricole dans les colonies. Pour devenir des con- sommateurs de produits européens, les peuples de l'Orient et les colons de la métropole doivent donner quelque chose en échange. Que pourraient-ils fournir, si ce n'est précisément des denrées alimentaires ou des matières premières capables de faire concurrence aux produits similaires de l'Europe ? Dans notre empire colonial, devenu aujourd'hui si étendu, n'est-ce pas la production agricole que l'on s'efforce de développer, non seulement pour suffire aux besoins des colons eux-mêmes et des populations indigènes, mais encore pour rendre possibles les échanges des produits colo- niaux contre ceux de la mère-patrie ?

La baisse des prix résulte nécessairement de ces faits.

L'AGRICULTURE ET L'IMPOT 167

Elle est également liée à l'augmentation du pouvoir d'achat de l'or, et, dans une certaine mesure, à la baisse du change dans les pays à monnaie dépréciée. Il n'est pas possible d'assigner à ces causes diverses leur importance relative. Prétendre que l'une de ces causes agit seule et se refuser à reconnaître l'action qu'exer- cent toutes les autres, c'est commettre la plus grave erreur.

III L'Agriculture et l'Impôt.

Un certain nombre de publicistes et d'hommes poli- tiques ont accrédité, à ce propos, une légende : l'agri- culture, selon eux, serait accablée par l'impôt. Voici comment on peut résumer cette opinion.

« Le cultivateur est la bête de somme du budget. Nous avons cherché ce que chaque industrie, ce que chaque classe de contribuables paye pour loo de son revenu. A la suite de ces recherches, des chiffres ont été produits à la tribune qui jettent un grand jour sur les inégalités de notre régime d'impôts V Agricul- ture est plus chargée que toutes les autres branches de notre activité nationale.

u Voici ces chiffres accusateurs :

La propriété rurale (l'auteur disait tout à 1 heure l'agriculture), non compris les impôts de con- sommation, paye . '^j p. 100

La propriété immobilière urbaine payait en 1889 . 17

Les valeurs mobilières 4.7

Le commerce et l'industrie i3

Les salaires, les gages et les traitements .... 7

i68 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

« De tels chiffres prennent notre régime fiscal en fla- grant délit d'iniquité ! »

Un homme politique très connu calculait ainsi les charges de l'industrie agricole :

Contribution sur la propriété non bâtie. . 196 millions.

bâtie. ... 3o

personnelle et mobilière . . 61

portes et fenêtres 3o

Prestations 58

Impôts du timbre et de l'enregistrement . 355

721 millions.

Quant au revenu net agricole, correspondant à ces charges fiscales, il s'élèverait, d'après la même per- sonne, à 2.645 millions, et l'agriculture acquitterait sous forme de taxes 27 p. 100 de son revenu !

Ce calcul est inexact pour deux raisons :

L'auteur ne tient pas compte de toutes les charges fiscales et notamment des impôts indirects autres que ceux du timbre et de l'enregistrement ;

2** Il évalue à 2.645 millions le revenu net agricole, c'est-à-dire l'ensemble des revenus de la population qui acquitte les impôts dont le montant est précédemment indiqué. Ce chiffre de 2.645 millions est inexact, et bien inférieur au total véritable des revenus de la population agricole. L'erreur ainsi commise conduit l'auteur à une conclusion fausse.

Nous ne pouvons pas songer à étudier cette question dans ses détails; nous avons, d'ailleurs, publié à ce propos, un travail étendu (i). Contentons-nous d'en reproduire les conclusions.

(i) Voir nos Etudes d'économie rurale. Paris-Masson, 1896.

V AGRICULTURE ET L'IMPOT 169

Nous estimons que les charges fiscales de la popula- tion agricole peuvent être ainsi évaluées :

Impôts directs 142.800.000 fr.

Droits de timbre et d'enregistrement. 101.200.000

Impôts des boissons 65.3oo.ooo

Autres impôts indirects et produit

des monopoles de l'Etat 3'}4iooooo

Total. . . . 663.400.000 fr.

Pour savoir quel est le poids relatif de ces impôts, il est, maintenant, indispensable de déterminer avec une approximation suffisante les différents revenus sur les- quels ils sont prélevés. Nous ne parlons ici, jjien entendu, que des revenus provenant de la terre, de sa location ou de son exploitation, des gages et des salaires. S'il nous fallait chercher à déterminer la richesse véri- table des agriculteurs, supputer le nombre des valeurs mobilières françaises ou étrangères qu'ils possèdent, y joindre le total des dépôts faits dans les caisses d'épar- gne, et la hauteur des piles d'écus rangés dans les armoires, nous ne pourrions pas aboutir à une conclu- sion. Nous aurions également pour devoir, de tenir compte des impôts qui peuvent grever la richesse acquise, comme la taxe de 4 P* loo sur le revenu des valeurs mobilières. Un pareil travail est au-dessus de nos forces.

Nous croyons simplement que les revenus visibles de la population agricole sont constitués : par la valeur locative (ou revenu net) des propriétés rurales, déduction faite des charges déjà calculées qui la grèvent; par les profits réalisés par les entrepreneurs de cul- ture^ propriétaires-cultivateurs, fermiers et métayers ;

170 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

par les salaires et gages prélevés eux aussi sur le produit brut de l'agriculture. Nous laissons de côté la valeur locative des habitations occupées par les journa- liers propriétaires. Ce revenu sera compensé par une omission toute volontaire que nous ferons tout à l'heure en négligeant les charges relatives aux droits de muta- tion ou transmission f|ui s'y rapportent.

Or, le revenu net des propriétés non bâties s'élevait, en 1879, à 1 milliards 645 millions de francs. En faisant subir à cette somme une réduction de 26 p. 100 pour tenir compte très largement des effets de la crise actuelle, il reste, environ, 1.984 millions. On doit ajouter à cette somme 35o millions correspondant à la valeur locative des bâtiments ruraux dont les charges ont été comptées à part (i).

Les revenus de la propriété rurale s'élèvent donc très vraisemblablement à 2.334 millions de francs. Déduction faite des impôts montant à 286 millions, il reste seulement un revenu disponible de 2.048 millions.

D'autre part, les bénéfices des entrepreneurs de cul- ture sont évalués dans l'enquête agricole de 1882 à i.i55 millions de francs. Nous réduirons ce chiffre de 25 p. 100, pour tenir compte des conséquences de la crise actuelle. Enfin, les gages et salaires, évalués en 1882 à 4.i5o millions, n'ont probablement pas subi de diminution sensible ; nous conserverons le chiffre de 4 milliards.

(i) Nous ne discutons pas ici la question de savoir si les bâtiments ruraux ont une valeur locative distincte de celle des terres. Ayant tenu compte de l'impôt sur les propriétés bâties qui grève les bâtiments ruraux, il nous paraît logique d'évaluer ici leur revenu.

L'AGRICULTURE ET L'IMPOT 17'

En résumé, les revenus disponibles de la population agricole nous paraissent être les suivants :

francs.

Revenu des propriétaires 2.048.000

Prolits des exploitants 867.003

Gages et salaires 4.0:0.000

Total. . . . 6.915.000

Comparées à ce total, les charges fiscales, évaluées par nous à 662 millions, représentent 9,5 p. 100 des revenus, profits et salaires, prélevés sur le produit brut de Tagriculture française.

Il nous semble que l'on pourrait maintenant examiner la question des droits de transmission relatifs à la pro- priété rurale. S'il ne nous paraît pas démontré que ces droits, beaucoup trop élevés malheureusement, doivent être retranchés du revenu net des héritages ruraux, nous sommes d'avis qu'ils grèvent l'ensemble des revenus des propriétaires et de la population des cam- pagnes. On peut, en tout cas, les comparer aux revenus que nous venons de calculer; c'est là, un renseigne- ment utile et intéressant. Or, les droits de transmission et de mutation par décès se rapportant aux immeubles s'élevaient, en 1892, à 24^ millions.

La valeur des propriétés non bâties étant à peu près double de celle des propriétés bâties, nous comp- terons les 2/3 de ce chiffre à la charge des revenus agricoles. On obtient ainsi i63 millions, en chiffres ronds. Si l'on ajoute i63 millions aux 662 millions déjà indiqués, les charges fiscales de la population rurale s'élèvent à 825 millions de francs et représen-

172 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

tent 11,9 P- ïoo des revenus de la propriété rurale et de l'agriculture.

En admettant môme que cette proportion soit trop faible, et nous ne le pensons pas, on est loin d'arriver à ces conclusions bizarres et douloureuses auxquelles ont abouti ceux qui voudraient nous faire voir dans l'agriculteur la « bête de somme » du budget. Pas plus que le propriétaire rural, l'agriculteur n'abandonne au fisc le quart de son revenu. Notre législation finan- cière, malgré ses imperfections et ses erreurs ne doit pas être accusée de la monstrueuse iniquité qu'on lui reproche. Nous avons la ferme conviction qu'une répar- tition réellement équitable des impôts ne fait pas peser, en général, un trop lourd fardeau sur nos populations rurales.

En tous cas, il nous paraît impossible d'admettre un seul instant, que l'énormité des charges fiscales de l'agriculture ait été la cause de la crise récente que nous étudions en ce moment. Ces charges ne sont pas excessives, et d'autre part elles ne se sont pas accrues depuis vingt-cinq ans.

IV

Le développement de la production agricole dans le monde et la transformation des moyens de trans- port.

Ces deux questions sont si intimement liées l'une à l'autre qu'il nous paraît difficile de les étudier séparé- ment. Le développement de la production agricole eût été, en effet, presque impossible dans la plupart des

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS ij'i

« pays neufs » si les agriculteurs n'avaient pu faire transporter leurs denrées jusqu'au marché le plus proche, ou jusqu'au port le plus voisin. L'utilité / / d'une route, d'un canal, d'un fleuve, d'un railvvay, d'une flotte marchande, est presque évidente par elle- même.

L'élévation des prix de transport a été également, pendant fort longtemps, un obstacle insurmontable iau développement de la production agricole, dont les élé- ments sont constitués par des marchandises lourdes et encombrantes relativement à leur valeur.

Une denrée comme le blé, qui vaut ou valait sur les marchés européens de 20 à 3o francs le quintal, ne sau- rait être impunément grevée de frais de transport très élevés. 11 en est de môme pour les vins et les textiles communs, les graines oléagineuses, les bois d'œuvre ordinaires, et à plus forte raison pour le bétail dont le rendement en viande ne dépasse guère 5o p. 100, ou pour la viande elle-même, qui ne saurait être trans- portée à de grandes distances si l'on ne dispose pas à la fois d'appareils perfectionnés qui en assurent la conservation, et de moyens de transport rapides et peu coûteux.

Des tarifs élevés ou des frets considérables ne lais- sent pas aux producteurs agricoles une marge de profits assez large pour qu'ils puissent mettre en valeur des territoires nouveaux.

Pour arriver à doter un pays comme les Etats-Unis d'un réseau de chemins de fer, pour perfectionner les moteurs, réduire les dépenses de construction des navires à vapeur, etc., etc., il a fallu faire de longs

174 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

efforts, trouver les applications d'un nombre considé- rable de découvertes scientifiques ; il a fallu, même, attendre que Ton eût épargné et groupé des capitaux énormes; à cet égard, le talent des financiers n'a pas été moins utile que celui des ingénieurs, et le déve- loppement de la richesse générale a seul permis de faire les avances que nécessitait l'outillage mécanique dès « pays neufs ».

A la suite d'une évolution de plus en plus rapide, de transformations incessantes et, en somme, de progrès scientifiques, industriels, commerciaux et financiers simultanés, les conditions anciennes de la production agricole dans le monde ont été brusquement changées.

Nous disons : brusquement ; car cela est vrai. Le der- nier progrès réalisé, la dernière transformation accom- plie, tout change brusquement.

I. Voyez ce qui s'est passé pour les Etats-Unis. On ne comptait dans cet immense pays que 48.000 kilo- mètres de chemins de fer en 1860 (i).

Voici la progression que l'on observe à partir de cette date :

1870 83. 000 kilomètres.

1875 119.000

1880 149.000 -

i885 206.000

1890 -267.000

1895 291.000

Ces milliers de kilomètres de railways ne servent point seulement à assurer le transport des marchandises dans les vieux Etats anciennement colonisés. Le chemin

(i) Voir le Statistical ahstract ofihe United-States.

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 173

de fer s'enfonce dans Fouest ; après avoir dépassé le centre (i), il va jusque dans la vallée du Mississipi, et plus loin encore, dans les plaines du Dakota. La popu- lation s'accroît; elle se porte en même temps vers l'ouest. Ce que Ton appelle les centres de population se déplacent dans ce sens. Le lien est visible entre le déve- loppement du réseau ferré et celui des surfaces mises en culture.

Les frais de transport diminuent pendant que la pro- duction agricole se développe.

Voici, par exemple, les frets (r>.) par le canal depuis Buffalo, à Textrémilé du lac Erié, jusqu'au port de Ncm- York, en utilisant l'Hudson-River :

PHIX ANNÉES du transport

du bushel (3| de blé.

cpnls(4). 1870 9.1

1875 7-3

1880 6 5

i885 3.8

1890 3.8

1895 2.2

En prenant comme point de départ le port de Chicago, la décroissance du fret jusqu'à New-York n'est pas moins certaine :

(i) Expression consacrée par l'usage aux États-Unis, mais qui n'est pas exacte au point de vue géographique.

(2) Statislical ahslract of the United-Stales. Voir aussi les divci-s Annual Reports of Board of Trades, pour New-York, Buffalo, Chi- cago, Saint-Paul, Uululh, etc., etc.

(3) Le bushel équivaut à 36 litres environ.

(4) Le cent est la centième partie du dollar dont la valeur varie de 5 francs à 5 fr. 25 en or; mais ici nous avons tenir compte des variations de change du dollar-papier, entre 1862 et 1878.

176 LES CAUSES DE BAISSE DES PRIX

PRIX du transport du bushel AN'>'ÉES de blé par les lacs

et le canal.

cents.

1870 17. II

1875 11.43

1880 12. 27

i885 5.85

1890 5.87

1895 4. II

Quant aux prix de transport par mer depuis Chicago jusqu'aux ports européens, il est lui-môme devenu très faible. Si nous prenons comme point d'arrivée les docks de Londres, nous relevons les frets suivants par 100 livres (45 kil. 3oo) :

FRETS

A?iNÉES de Chicago à Londres.

cents. 1886 40

1887 39

1888 38

1889 »

1890 35

1891 42

1892 34

1893 37

1894 32

1895 33

Ce dernier chiffre de 33 cents par 100 livres de blé correspond à 3 fr. 70 par quintal.

Sans nul doute, ce prix de transport n'est pas celui qui grève le froment américain du lieu de production^ c'est-à-dire de la ferme elle-même, jusqu'au marché européen. Il faudrait tenir compte en outre des dépenses qui incombent au « farmer » américain pour amener son blé jusqu'à un grand entrepôt de céréales, véritable port de mer, comme Chicago ou Duluth. On oublie trop

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 177

souvent de faire cette observation et ce calcul, qui sont, cependant, singulièrement importants.

Néanmoins la réduction des prix de transports inté- rieurs depuis les villes des grands lacs jusqu'aux ports atlantiques est incontestable et l'on ne saurait se refuser à en admettre toute l'importance économique.

En outre, la multiplication si remarquable des voies ferrées dans les «-randes réofions à céréales des Etats- Unis et la mise en culture des terres qui bordent ces voies ont permis de réduire également les dépenses de transports intérieurs.

La conséquence fort naturelle de l'augmentation des surfaces cultivées aux Etats-Unis et de la réduction simultanée des frais de transport a été le dévelop- pement extrêmement rapide de la production agricole.

Il y a lieu, toutefois, de faire ici une observation. La population s'est accrue aux Etats-Unis, comme dans beaucoup d'autres « pays neufs ». Nous devons tenir compte de l'accroissement de consommation coïncidant avec l'augmentation de laproduction. G'estlà, d'ailleurs, une observation générale d'un très réel intérêt. Il est même indispensable d'insister sur le développement parallèle de la consommation et de la production. Si, dans les régions nouvellement cultivées du globe, l'ac- croissement de la population avait été égal à celui de la production, on comprendrait difficilement que les exportations agricoles fussent devenues possibles et, a fortiori, assez considérables pour provoquer une baisse générale des prix.

D'autre part, l'augmentation de la population dans les vieux pays n'a-t-elle pas été assez rapide pour que

ZoLLA. La Crise agricole. ri

178 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

la consommation absorbât les excédents de production des territoires nouvellement cultivés ? Dans ce cas^ la demande serait restée égale h l'offre et le développe- ment de la production des céréales ou des autres den- rées agricoles ne saurait expliquer la baisse de leur prix.

Nous signalons avec impartialité cette hypolhèse ; elle constitue, aux yeux de quelques statisticiens, une objection sérieuse opposée à ceux qui voient dans le développement rapide de la production agricole, depuis vingt ans, la cause principale de la baisse des prix et de la crise agricole.

C'est ainsi que sir R. GifFen constate tout d'abord un accroissement considérable de la population dans le monde, et le compare au développement de la produc- tion agricole (i).

Voici le tableau dressé par lui :

Augmentation de la population, de la surface cultivée en céréales,

du nombre des têtes de gros bétail,

des moutons et des porcs, depuis vingt ans [dans le monde).

Population

Surface cultivée en blé

orge.

avoine

seigle

Têtes de gros bétail

moutons .

porcs. . .

Il y a

Aujour-

AUG.MENTATION

vingt ans.

d'iiui.

absolue.

p. 100

(Millions

d'habitants.'

366

462

96

26

(Millions d'acres.)

i33

i58

25

19

43

45

2

5

81

104

23

28

io5

100

5

5

(Millions de têtes.)

i54

211

57

37

4o5

478

71

18

80

lOI

21

26

(i) The real Agricultural development of the last Uventy years, by sir R. Giffen. Appendix to the final Report of Commissioners apointed to inquire into subject of Agricultural dépression, p. 73 et seq., Londres, 1897.

LA PRODUCTIOy ET LES TRANSPORTS 179

On voit, par exemple, que la population s'est accrue de 26 p. 100, tandis que la surface cultivée en blé n'a augmenté que de 19 p. 100. Sir R. GifFen en conclut que la baisse des prix du froment lïest pas due à un développement considérable de la production relative- ment à l'accroissement du nombre des consommateurs. Il admet, au contraire, que la consommation aurait s'accroître plus rapidement que la production puisque le chiffre de la population a augmenté de 26 p. 100 tan- dis que la surface cultivée en froment n'augmentait que de 19 p. 100.

Quelle serait donc la cause de la baisse des cours du blé ?

Sir Giffen admet que l'on consomme aujourd'hui moins de blé, mais, en revanche, plus de viande. Il y aurait substitution d'un aliment à un autre aliment, et ce phénomène serait expliqué par le développement général de la richesse.

Le nombre des têtes de gros bétail s'est accru, en effet, de 87 p. loo, pendant que la population humaine augmentait de 26 p. 100 seulement.

C'est une vue ingénieuse, mais nous ne croyons pas qu'elle soit juste, ou du moins entièrement juste.

Voici, en effet, avec quelle rapidité les Etats-Unis ont développé leurs exportations de froment grains et farines après avoir gardé ce qui était nécessaire à la consommation intérieure :

l8o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

EXPORTATIONS annuelles de froment PÉRIODES des Étals-Unis

(grains et farines).

mill. d"hoctol.

1860-1869 6.2

187O-1879 18.3

1880-1889 ,. 44.3

1890-1896 5o.6

Comparons, maintenant, le mouvement de la popu- lation aux chiffres des exportations de froment :

POPULATION MOYENNE EXPORTATIONS

des de froment

deux années extrêmes. (millions d'hectolitres).

PÉRIODES p. 100 p. 100

Absolue. on Absolues. en

1800-1800. 1800-1809.

1860-1869. ... 35 100 6.2 100

1870-1879. ... 44 1^5 18.3 295

1880-1889. ... 56 160 44.3 714

1890-1896. ... 66 188 5o.6 816

Il est clair que Taccroissement des excédents de pro- duction exportés a été plus rapide que le développe- ment de la population.

On peut dire^ maiiitenaiit^ que la demande est restée égale à V offre puisque les énormes exportations de fro- ment des États-Unis ont trouvé des acheteurs.

C'est l'évidence même ; et sur ce point, sir R. Giffen a certainement raison.

Mais il s'agit de savoir si la consommation du fro- ment, comme celle de beaucoup d'autres produits agri- coles, ne s'est pas développée parce que de grandes quantités de denrées jetées au même moment sur le marché du monde ont déterminé une baisse qui a solli- cité les demandes.

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i8l

Il est donc fort possible que les choses se soient passées de la façon suivante :

« Le développement des voies de communication coïncidant avec l'augmentation de la production a déterminé un apport considérable de denrées agri- coles sur les marchés des vieux pays riches et pro- voqué une baisse qui a sollicité et étendu la consom- mation.

« Ces débouchés une fois ouverts , et lesfrais de transports s'abaissant, en môme temps, la production' s'est développée de plus en plus rapidement, provoquant une baisse nouvelle en sollicitant la demande avec un succès croissant. »

On serait probablement, arrivé assez vite au point la baisse des prix sur les lieux de production aurait découragé les agriculteurs et arrêté le développement de | la culture ; mais la décroissance simultanée et rapide des frais de transport a permis de payer les denrées assez cher pour que la mise en valeur de nouvelles régions restât possible parce qu'elle était encore lucra- tive.

Nous trouvons une confirmation très intéressante d& cette hypothèse dans l'étude de la marche des prix à Y Ouest des États-Unis.

Ces variations de cours n'ont point été sembla- bles à celles que l'on observait au même moment dans les Etats de l'Est ou sur le marché de New- York.

Quel a été par exemple, le prix du bushel (i) de blé

(i) Bushel d'environ 36 litres.

iSa LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

en or (i) depuis 1867 jusqu'à 1894, dans TEtat de Pensylvanie, qui est un des vieux États de TEst ancien- nement colonisés ?

Les prix indiqués sont ceux des principaux mar- chés.

PRIX

du boisseau de blé PÉRIODES (en or) '

en Pensylvanie.

dollar-or.

1867-1873 i.35o

1874-1880 1.161

1881-1887 0.998

1888-1894 0.847

En ramenant à 100 les chiffres de la première période, on obtient les résultats suivants :

PÉRIODES PRIX

1867-1873. , 100

1874-1880 85

1881-1887. . .' "73

1888-1894 62

Ainsi le prix du froment a baissé de 38 p. 100 depuis la première période jusqu'à la dernière.

Cela prouve-t-il que dans les États américains^ et notamment dans Vouest^ il en ait été ainsi? Nallement ; et voici, par exemple, les observations observées dans Vlowa. Il s'agit ici encore des cours pratiqués sur les principaux marchés ruraux :

(i) Les prix sont cotes d'après la valeur du dollar en or, de façon à éliminer les causes d'erreur provenant des variations du change depuis 1862 jusqu'en 1878. Nous indiquons plus loin les sources auxquelles nous puisons.

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i83

PRIX

du boisseau de blé (en oc).

PKRIODES - ' ~ ^-

dollar-or p. 100.

1867-1873 0.725 100

1874-1880 0.734 lOI

1881-1887 0.690 95

1888-1894 0.724 100

Dans cette région, la valeur absolue du boisseau de froment est plus faible qu'en Pensylvanie ; il faut tenir compte, en effet, du coût de transport depuis les lieux de production jusqu'aux grands marchés de l'est, mais la marche des prix est toute différente.

On n'observe plus de baisse!

La réduction des frais de transport, a probablement, compensé la diminution sur les marchés de l'est, les blés de Cîowa sont portés.

Ce qui nous autorise à le supposer, c'est que les différences constatées entre les prix du blé en Pensyl- vanie et dans l'iowa diminuent rapidement.

En voici la preuve :

PKI.V

eu dollar-or du boisseau PÉRIODES J"" ^^^- DIFFÉRENCES

New -York. lowa.

1867-1873 i.35o 0.725 0.625

1874-1880 0.161 0.734 0.427

188 1 -1887 0.998 0.690 0.408

1888-1894 0.847 0.724 O.I23

Le contraste curieux qui s'observe entre la marche des prix dans l'iowa et la Pensylvanie, peut être cons- taté également si l'on prend comme exemples l'Etat de New- York à l'est et le Minnesota à l'ouest.

Voici les prix du boisseau de blé dans ces deux

i84 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

régions et les différences relevées entre eux depuis 1867 jusqu'à 1894.

PRIX

eu dollar

-or du

boisseau

de blé,

DIFFÉRENCES

.^-.'^d

^

Xew-York

Miiiucsola.

1.434

0.723

0.709

i.i8i

0.790

0.392

I .OO'l

0.716

0.286

0.912

0.685

0.226

PERIODES

1867-1873 1874-1880 1881-1887 1888-1894

Il est clair que les cours du froment sont restés presque stationnaires dans le Minnesota pendant qu'ils diminuaient rapidement dans l'Etat de New-York. On voit également que les écarts de prix subissent des diminutions considérables à mesure que l'on se rap- proche de la dernière période.

Il est fort probable que la réduction des frais de transport explique ce nivellement des prix.

Prenons, enfin, comme exemple, un autre Etat de l'ouest dans lequel la baisse du blé ait été plus mar- quée.

Voici la marche des cours dans l'Illinois et l'Etat de New-York :

PÉRIODES

1867-1873

1874-1880

1881-1887

1888-1894

Pour rendre plus visibles les variations de prix, nous ramènerons à 100 les cours de la première période :

PRIX

en dollai

•-or

du

boisseau

New-York,

do

blé.

Illinois.

DIFFÉRENCES

1.434

0.987

0.447

1.182

0.911

0.271

1 . 002

0.824

0.178

0.912

0.714

0.198

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i85

PÉRIODES NEW-YORK ILLINOIS

1867-1873 100 100

1874-1880 82 9i

1881-1887 69 85

1888-1894 63 72

Il est visible que la baisse a été plus rapide et plus accentuée dans Test que dans l'ouest, dans l'Elat de New-York que dans Flllinois. La réduction des prix de transport peut certainement expliquer ce contraste. Voici en effet, quels ont été les frais de transports de Chicago (Illinois) jusqu'au port de New-York :

FRAIS DE TRANSPORT

PÉRIODES par boisseau de blé

en cculs (valeur or) (1)

1867-1873 17 100

1874-1880 12 70

1881-1887 10 58

1888-1894 8 47

Cette rapide diminution des « railways tariffs » et des frets ne s'applique pas seulement aux grains.

Comparons les prix de transport pour le bétail de Chicago à New-York, à deux dates fixes, 1880 et 1897 ('-^) :

(i) La valeur or du dollar en papier a varié dans des limites éten- dues depuis 1862 jusqu'à 1878. Nous empruntons les chiffres relatifs à la valeur or et les indications relatives aux prix des céréales, à un travail très intéressant de M. Powers, Commissionner oflahor of the State of Minnesota. Voir Fifth biennal Report of the bureau of labor of the State of Minnesota (i 895-1896).

(2) Au cours d'un récent voyage aux Etats-Unis, nous avons réuni un grand nombre de documents sur ces questions. On peut consulter également : Statistical abstract of the U.S.; Year-Book of the départ, of agr., et les Rapports annuels des chambres de commerce (Board of trade) des grandes villes de l'est ou de l'ouest américain.

i86 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

PRIX EN CENTS

par 45 kil. BAISSE

1880 1897 p. 100.

Gros bétail 55 28 49 p. loo

Porcs 43 3o 3o

Moutons 65 3o 53

Quartiers de bœuf .... 88 45 48

Ces réductions sont considérables, elles varient de 3o à 53 p. 100 dans Fespace de dix-sept ans ! La décrois- sance des tarifs sur voie ferrée est également remar- quable. Voici, encore, à titre d'exemple et de document, les variations des prix moyens de transport par mille (1610 mètres) et par tonne sur les grands réseaux amé- ricains.

PRIX pai' tonne cl pai" nulle.

1880 189G

cents. cents.

!'■'' compagnie 1.36 o.8tj

'±*^ 1.20 0.94

3" 0.87 0.66

0.83 0.60

^^ 0.75 0.55

6* 0.91 0.56

0.75 0.G6

0.86 0.42

9" 1-54 0.74

lo'^ 1.20 I.OI

Il suffit de comparer les chiffres inscrits dans ces deux colonnes, sur une même ligne horizontale, pour constater la réduction, parfois énorme, des tarifs de transport.

Conclusion. Une conclusion s'impose, en présence de ces transformations des moyens de transport et de leurs prix :

LA PRODUCTIOy ET LES TRANSPORTS 187

Nous croyons que la production agricole des régions nouvelles n'a pas été limitée et môme brusque- ment arrêtée par la baisse des prix sur les marchés des pays importateurs.

La réduction des tarifs et des frets a compensé cette baisse des prix et le développement de la mise en valeur des territoires ouverts à la colonisation ne s'est pas trouvé arrêté.

Dans un pays comme la France ou l'Angleterre, nous n'observons pas de pareils faits. Le territoire est trop resserré et les écarts de prix désormais trop faibles de régions à régions pour que la situation du producteur agricole ne soit pas immédiatement affectée par une baisse de prix constatée sur divers points et qui devient aussitôt générale.

Il n'en est pas de même dans des « pays neufs », des distances considérables séparent les centres de production des entrepôts principaux ou des ports.

Dans ces pays, la réduction des frais de transport explique fort bien le développement presque continu de la production agricole.

L'influence exercée par les faits sur la marche géné- rale des prix nous paraît certaine.

C'est l'action combinée du développement de la production et de l'abaissement des frais de transport qui explique la baisse des cours.

2. Les observations et conclusions qui précè-j dent se rapportent surtout aux États-Unis, mais, en^ fait, elles ont une portée générale. C'est, toujours, le développement ou l'amélioration des moyens de trans- port et la réduction des frais correspondants qui

i88 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

l'ont entrer en scène des pays producteurs nouveaux.

Voici l'Inde, dont il a été si souvent parlé à propos de la concurrence des pays à étalon d'argent.

« Jusqu'à l'ouverture du canal de Suez, dit M. 0. Gonor, le commerce du blé de l'Inde était impossi- ble. La durée et les frais de transport par la route du cap de Bonne-Espérance avaient pour conséquences d'exagérer le prix de revient du blé indien à son arrivée dans les ports d'Europe et d'exposer cette marchandise aux pertes résultant des charançons (i). »

J usqu'en 1 880, Bombay et Kourrachi ne sont pas encore reliés par un railway à la grande région de céréales du nord-ouest ; les exportations ont lieu par Calcutta et restent faibles. Elles se développent seulement après 1881, lorsque le canal de Suez est ouvert, et quand les voies ferrées du nord sont achevées.

EXPORTATION

EXPORTATION

PÉRIODES

de blé indien.

PÉRIODES

do blé indien.

1873 . . .

Millions de quint.

1888-1889

Milliers de quint 8.800

1877 . . .

3.000(2)

1889-189O .

6.800

ï88i-i88ii .

9.900

189O-189I .

7. 100

1882-1883 .

7.900

1891-189'i .

i5. 100

1883-1884 .

10.400

1892-1893 .

7.400

i884-i885 .

7.000

1893-1894 .

6.000

i885-i886 .

lo.Soo

1894-1895 .

3.400

1886-1887 .

II .100

1895-1896 .

5.000

1887-1888 .

6.700

Il ne faut pas exagérer l'importance de ces exporta- tions, et surtout il n'est pas permis d'en attribuer

(i) Review of the trade of India (1891-1892). (2) Suppression des droits d'exportation.

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 189

exclusivement le développement à la dépréciation de l'argent. Mais on voit que les transformations des moyens de transport ont exercé sur la production agri- cole de l'Inde leur influence habituelle.

Malgré la baisse des prix du blé sur les marchés d'exportation comme Bombay, Calcutta et Kourrachi, la culture de cette céréale reste possible ; l'exportation n'est pas négligeable. Dans certaines régions, comme le Pendjab, l'on a fait de grands travaux d'irrigation, la surface cultivée en froment s'est môme accrue :

SURFACE PÉRIODES culliv<:'e en blé (i)

dans le Pendjab

Millions d'acres (40 ares).

1888-1889 6.9

1890-1891 6.2

1892-1893 7.0

1893-1894 8.2

1894-1895 8.0

Bien que la situation de l'Inde ne soit nullement comparable à celle des Etats-Unis, la population peut s'étendre sur d'immenses espaces restés sans cul- ture, il n'est pas impossible que l'on constate dans cer- taines régions de l'empire des Indes une diminution rapide des frais de transport, qui compense, au moins partiellement, la baisse du prix des blés à l'exportation.

Voici d'autres renseignements empruntés à un article très intéressant de M. G. Michel dans l'Économiste fran- çais (i I août 1894).

Le tableau suivant résume les réductions successives

(1) Voir Appendix to final Report of Commissioners on Agricultural dépression, p. 95. (Renseigacmeuts fournis par VIndia office, de Lon- dres.)

igo LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

subies par les frets dans la direction de l'Inde et de la Chine au départ de Marseille. Ces réductions permet- tent sans doute de préjuger de celles qu'on a observées pour les voyages en sens inverse :

87 a 873 874 873 876

877 878

879

FRHT par 1.000 kil.

francs.

325 260 216

223

2o3

191

i83 159 171

883 884

886 887 888

FKET par 1.000 kil.

francs. iSg i5o 142 107

91

104 98 94 86

3. Il n'est pas, non plus, permis d'oublier que le développement de la production du froment a été consi- dérable dans d'autres pays que les Etats-Unis et l'Inde. Les exportations constatées se sont accrues rapidement depuis 1870. Le Chili et la République Argentine sont aujourd'hui des pays exportateurs.

Sans entrer dans de longs détails, nous nous conten- terons de résumer les chiffres relatifs aux exportations du Canada, de l'Australie, du Chili et de la République Argentine, en regard de ceux qui se rapportent aux États-Unis et aux Indes.

Excédents d'exportations de froment {grains et farines], en quintaux, des pays ci-après {millions de quintaux) :

République

Années.

Etals-Unis.

Canada.

Indes.

Auslralic.

Chili.

Argentine.

1870 .

. 14.4

»

))

»

»

»

1875 .

20.7

I .2

0.5

I .2

»

»

1880 .

50.7

3.4

I.I

1.8

»

»

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS

191

République

nnées.

États-Unis.

Canada.

Indes.

Australie.

Chili.

Argentine.

1881 .

33.3

2.5

3.7

1-7

))

»

i88'i .

39.0

1.8

10. 0

1.6

1.4

M

i883 .

3o.3

3.0

7.2

1.6

»

))

1884 .

36.1

0.8

10.6

3.1

»

»

i885 .

36.1

0.4

7-9

3.5

I . I

0.8

i886 .

25.7

I . I

10.6

0.2

1.3

0.4

1887 .

41.8

1-9

II. 3

1 .2

1 .2

2.4

1888 .

32.6

t>-9

6.9

3.3

0.9

1.8

1889 .

24.3

»

8.9

0.2

0.4

0. 2

1890 .

3o.o

»

7.5

3.6

0.3

2.4

1891 .

29.0

0.8

i5.6

))

1-7

3.9

1892 .

60.7

2.8

79

»

1.6

4.9

1893 .

52.2

•^■9

6.5

0.4

1.8

10.6

1894 .

44.7

30

3.8

0.4

1 . 2

16.6

1895 .

39-4

2.4

5.4

»

0.8

10.8

1896 .

34.2

2.7

»

»

1.4

6.8'

Dans la République Argentine, notamment (i), le déve- loppement de la production a été prodigieux depuis quelques années,

ANNÉES PRODUCTION

Milliers de quintaux

1889 456

1891 7900

1892 9. 400

1893 20. i6o

1894 . 32. 160

Les pays dont nous venons de parler sont devenus exportateurs depuis peu de temps, ou du moins leurs envois n'ont acquis une très grosse importance que depuis peu d'années.

(i) Voir les modifications fournies dans le Filial Be port on Agricul- tural dépression, p. 58, Londres, 1897.

192 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX

Il ne faut pas oublier qu'en Europe môme, la Russie, la Hongrie, les pays du Danube peuvent jeter sur leurs marchés des masses considérables de froment.

Nous avons à tenir compte également des exportations de TEgyple, de l'Algérie et de la Tunisie.

Or, le développement parallèle de la production et de Texportationpour ces divers pays n'est certes pas négli- geable.

Voici quelques indications à cet égard.

EXCÉDENTS MOYENS AÎNNUELS

exportés des pajs ci-après (milliers de quintaux).

Russie

Auli'icli(î-Hongiio Roumanie . . .

Serbie

Bulgarie .... Egypte .... Algérie .... Tunisie ....

L'augmentation est presque toujours très notable d'une période à l'autre.

Gomment de pareils faits n'auraient-ils pas exercé une influence sur la marche des prix du blé ?

4. Nous nous sommes jusqu'à présent occupé surtout du froment parce que l'on attache une impor- tance toute spéciale aux fluctuations de son prix. Mais le développement de la production des autres den- rées agricoles n'a pas été moins remarquable à cer- tains égards que l'accroisseinent des récoltes de fro- ment.

.877-1882

1887-t8y2

17.614

■iS .910

913

4.103

3.5oi

7.884

'ii6

595

1.585

3.092

800

226

738

I .730

i38

i38

LA PRODUCTION ET LES J RANSPORTS igS

Sans doute, la culture des autres céréales n'a pas pris la même extension. Nous avons signalé la raison de cette préférence accordée au froment. Cette céréale est celle qui permet d'obtenir par hectare le produit brut le plus élevé et les profits nets les plus considérables dans la plupart des cas.

En revanche, on a vu augmenter la production des pommes de terre. Sir R. Giffen évalue à 3o p. loo le seul accroissement des surfaces cultivées.

La culture de la betterave à sucre a pris également un si grand développement que la baisse du prix du sucre ou de l'alcool en a été la conséquence visible.

Il en est de même pour la plupart des textiles et des graines oléagineuses, surtout dans les pays extra-euro- péens.

Les ravages du phylloxéra ont diminué la production des vignobles français, mais on a étendu la culture de la vigne en Italie, en Espagne^ en Algérie et en Tuni- sie, etc., etc.

En 1894, année de récolte moyenne, la production des principaux pays était ainsi évaluée :

Millions d'iiectolilres.

Frauco Sg.o

Algérie 3.6

Tunisie o . i

Italie 24.5

Espagne 24.0

Portugal 1.5

Autriche 4.0

Hongrie 2.0

Allemagne '. . 5.0

Russie 3.5

Turquie et Chypre 1.8

Suisse 1.8

Grèce . 1.3

ZoLLA. La Crise agricole. i3

194 LA PRODCCriON ET LES TRANSPORTS

Cette abondance effraie nos viticulteurs, qui s'effor- cent d'écarter les vins étrangers du marché français.

Avant le développement des voies ferrées, le trans- port des vins était fort coûteux. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Quant aux frets maritimes, ils sont extrê- mement réduits. M. G. Michel cite, à ce propos, des exemples très curieux. Ainsi la barrique de Bordeaux valant de loo à i5o francs est transportée en Angleterre pour 2 fr. 5o ou 3 francs. Or, cette barrique contient 220 litres : le prix du litre est donc majoré dans des pro- portions quasi infinitésimales. On peut juger par de la modicité des frets en ce qui concerne les transports des vins italiens, espagnols et autres.

Les bois communs eux-mêmes, bois de chêne, de hêtre, de sapin, etc., peuvent être transportés aujour- d'hui à bas prix des lieux de production sur les marchés de vente.

D'immenses forêts qu'il était impossible d'exploiter autrefois sont soumises depuis vingt ans à un aména- gement régulier. Au cours d'un récent voyage d'études en Bosnie, nous avons visité de véritables forêts vierges de résineux, de bois blancs et de chênes qui sont sou- mises à des coupes régulières, parce que l'on a cons- truit les chemins forestiers, établi les chemins de fer qui conduisent ces bois en Autriche ou du côté des ports de l'Adriatique.

Les mêmes transformations des moyens de transport ont permis de livrer à la consommation des richesses forestières d'une puissance plus grande encore. Aussi voyons-nous diminuer le prix des bois. Nos proprié- taires forestiers se plaignent de cette baisse. L'admi-

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS igS

nistration des forêts signale une réduction de i5 p. loo portant sur le prix des coupes domaniales. On voit en même temps le fer remplacer les bois dans les cons- tructions, et cette concurrence spéciale va probable- ment précipiter la baisse d'un produit agricole fort important.

Les fruits eux-mêmes peuvent être transportés à de grandes distances sans que les frais élèvent démesu- rément le prix de ces denrées.

Nous avons acheté à Londres au mois de juin, et dans l'est des Etats-Unis au commencement de juillet, des poires et des raisins de Californie, dont le prix était fort raisonnable (o fr. oy5 à o fr. lo la pièce pour les poires, o fr. 5o à o fr. 70 la livre (453 grammes) pour les raisins).

En vérité, il n'est guère de miracles, en ce genre, que la rapidité des transports et la modicité de leur prix ne puissent opérer.

5. Les mêmes observations s'appliquent à la pro- duction et aux transports des produits d'origine ani- male.

L'élevage du bétail et le commerce de la viande ont pris depuis 1870 un développement extraordinaire.

Dans les pays neufs, on n'a pas tardé à s'apercevoir que le bétail pouvait donner des profits ; mais les frais de transport rendaient ces profits incertains et ne per- mettaient de se livrer à l'élevage qu'auprès des voies ferrées ou des ports d'embarquement.

La laine et les peaux, d'un transport plus facile, ont été les premiers articles et d'exportation. L'Aus- tralie, la Nouvelle-Zélande, la colonie du Gap, la

196 LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS

République Argentine ont augmenté leurs envois avec

une extrême rapidité. A l'heure actuelle, les -^— des ^ 100

laines employées en Angleterre sont des laines étran- gères et 70 p. 100 de ces dernières viennent de FAus- tralasie.

La réduction des prix de transport sur voies ferrées ou par bateaux à vapeur a permis d'importer en Europe du bétail, des viandes, des beurres, des fromages. 11 n'est pas jusqu'à la crème qu'on n'expédie en ce moment de Nouvelle-Zélande en Angleterre pour y être barattée à l'arrivée et servir à la fabrication du beurre.

Rien de plus curieux que d'étudier la transformation qui s'est opérée dans le commerce du bétail étranger en Angleterre.

Avant 1876, c'était l'Europe qui fournissait les -^ des animaux vivants (i) importés dans le Royaume-Uni. Les États-Unis et le Canada ne pouvaient pas encore entrer en scène. D'année en année cette situation se modifie :

NOMBRE POUR 100

des animaux vivants importés

en Angleterre.

ANNÉES - ,

Etats- Hépubl.

Unis. Canada. Argentine. Europe.

1876 O I O 99

1880 40 12 O 48

i885 37 18 o 45

1890 60 19 o 'Il

1895 67 23 9 I

Est-il donc possible, aujourd'hui, sans frais exagérés,

[i) Il s'agit du gros bétail (caille).

LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 197

d'amener sur les marchés de Londres, de Liverpool ou de Glasgow, des bœufs vivants ? La réponse n'est point douteuse. Nous avons fait, nous-même, le voyage de Londres à New-York sur un navire ayant une vitesse moyenne de 24 '•^ ^5 kilomètres à Fheure, et qui ramène à chaque voyage, de New-York à Londres, 5oo bœufs vivants et l'équivalent de 5oo autres animaux dépecés en quartiers et conservés dans des chambres frigori- fiques. Quant aux frais de transport depuis Chicago jusqu'à Londres, ils peuvent être ainsi établis par tête d'animal.

fr. c.

Transport sur rails Chicago-New-York. . . 3) »

Nourriture à bord du navire i5 »

Fret New-York-Londres 5o »

Frais divers •!"> »

I '2 5 »

Le total varie généralement de ii5 à i4o francs.

Remarquons qu'il ne s'agit pas ici de quelques envois de faible importance. Voici, à des dates différentes depuis 1876 le nombre de têtes de gros bétail importées dans le Royaume-Uni :

1876 •271.000

1880 389.000

i885 373.000

1890 642.000

1893 41 5. 000

On peut observer des faits analogues en ce qui con- cerne les moutons vivants et les viandes fraîches pro- venant des Etats-Unis, de l'Australie, de la République Argentine, etc., etc.

Voici à titre d'indications les poids de viandes de

198 LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS

moutons envoyées en Angleterre et provenant d'Aiis- tralasie ou de la République Argentine (en tonnes) :

RÉPUBLIQUE ANNÉES AUSTRALASIE ARGENTINE

i88-2 ... ; i.85o »

i885 16.900 5.600

1890 44.83o 21.750

1895 83.55o 35.730

Nous avons signalé les eli'ets de ces importations sur les cours des viandes de dernière qualité (i).

6. Il nous paraît inutile de reproduire ici les sta- tistiques relatives au développement de la production du beurre et des fromages dans les colonies anglaises, comme la Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, etc., etc.

Insistons seulement sur un fait qui a la plus grande importance.

On croit communément en France que dans les régions nouvellement cultivées comme le Far-West américain, on cultive seulement du blé. C'est une erreur. Même dans le Dakota, au milieu de la vallée de la rivière Rouge, on varie les cultures qui se succèdent les unes aux autres. Bref on a adopté un assolement. En outre, l'élevage du bétail prend chaque année une importance croissante. Ce bétail vit sur les jachères, fume le sol et en utilise les productions spontanées pendant une partie de l'année.

Dès que les voies de communications ont été multi- pliées et les prix de transport réduits, la production du blé devient de moins en moins importante quant aux

(i) Voir notre chapitre sur la baisse de prix des produits d'origine animale.

LA PRODUCTION &T LES TRAySPOIÎTS 199

surfaces ensemencées, et c'est encore au bétail que Ton demande des produits plus abondants, des profits plus élevés.

Ges combinaisons intelligentes permettent de réduire le prix de revient du blé et de compenser l'insuffisance des recettes qui proviennent de sa culture.

Elles permettent également d'obtenir des récoltes, d'ailleurs médiocres, nous les avons vues, mais assez régulières, sans épuiser le sol.

Autour des villes de l'ouest, près des voies ferrées, s'établissent des fromageries, des beurreries, quelque- fois même des ci'èmeries l'on sépare la crème du lait. La crème seule est ensuite expédiée dans des établissements voisins pour y être travaillée.

GOiNGLUSlOxN GÉNÉRALE

Il nous reste maintenant à formuler nos conclusions, et cette tâche nous parait relativement facile.

Peut-on admettre, en effet, que la prodigieuse trans- formation à laquelle nous assistons depuis vingt ans, en ce qui concerne la production agricole et les trans ports, soit restée sans effets sur le cours des produits ?

Cette opinion est certainement dépourvue de toute valeur scientifique.

En supposant que des causes spéciales, telles que « l'appréciation » de l'or aient exercé une influence dans le même sens, il nous paraît certain que le déve- loppement rapide de la production agricole et la réduc- tion des frais de transport ont provoqué la baisse des prix et donné naissance à la crise agricole.

CHAPITRE TROISIEME

LES REMÈDES

Il ne suffît pas évidemment, de rechercher et de signaler les causes de la Crise Agricole. Le public désire, surtout, savoir quels remèdes on peut y apporter.

L'un des premiers et le plus souvent préconisé n'est autre que la protection douanière. On Ta indiqué maintes fois depuis les débuts de la crise, c'est-à-dire, depuis vingt-cinq ans et les agrariens en ont partout exigé l'application.

Nous allons donc étudier les effets qu'ont produit dans notre pays les modifications de notre législation douanière.

La législation douanière et la crise agricole.

On s'est efforcé dans notre pays de relever le cours des grains, en frappant à l'entrée les céréales étran- gères. Ce résultat n'a pas été atteint puisque l'on cons- tate que les prix ont fléchi, mais le législateur est cependant parvenu à limiter ou à atténuer la baisse, car le niveau moyen des prix est plus élevé en France que dans les pays comme l'Angleterre les grains pénè-

202 LA PROTECTION DOUANIÈRE

trent sans acquitter de droits de douane. Ces droits établis en France et successivement relevés ont donc exercé une influence sur les cours. Ainsi nous avons montré, à propos des variations de prix du blé (i), qu'il existait un écart entre les cours du froment à Paris et à Londres. Cet écart, qui s'ajoute aux prix français et les rehausse artificiellement, est évidemment variable. Il augmente ou diminue, soit avec l'importance des droits de douane établis et remaniés depuis i885 jusqu'à 1894, soit avec l'abondance des récoltes françaises. Parfois, cet écart de prix est supérieur au montant du droit de douane. Dans ce cas, le système, dit protecteur, déter- mine une hausse artificielle qui constitue, chose curieuse, une prime à l'importation ! A l'égard du producteur de blé, orge, avoine, etc., le droit de douane équivaut à une subvention. Celle-ci est proportionnelle, évidem- ment, au nombre d'hectolitres vendus par l'agriculteur. Il en résulte par conséquent que les agriculteurs plus largement subventionnés sont ceux qui vendent les plus grosses quantités de céréales et notamment de fro- ment.

Ces faits étant connus et constatés sans discussion, il est assez facile de calculer le montant de la subven- tion annuelle accordée sous une forme indirecte et spé- ciale aux producteurs de blé. Notons, tout d'abord, que ces derniers ne vendent pas leur récolte tout entière. Ils en conservent une partie ou ils l'utilisent pour obtenir une récolte nouvelle.

Il est facile de faire cette double démonstration.

(i) Voir chap. i*^"", page 26 et suiv.

LA PROTECTION DOUANIÈRE uoi

Nos fermiers, nos métayers ou nos propriétaires-cul- tivateurs mangent, en effet, du pain blanc, pour la plu- part, tout au moins; enfin ils nourrissent leurs domesti- ques. Ces mêmes agriculteurs sont, en outre, obligés soit de mettre en réserve, soit d'acheter les semences indis- pensables, pour « emblaver », c'est le terme consacré les 7 millions d'hectares consacrés à la culture du froment dans notre pays.

Les semences, à elles seules, représentent environ i4 millions d'hectolitres de froment.

11 est moins aisé d'évaluer la consommation person- nelle des entrepreneurs de culture, celle de leur famille et de leurs domestiques. Tous ne consomment pas du froment, cette céréale noble. Pour quelques-uns, le maïs, le blé noir ou sarrasin, et le seigle représen- tent la nourriture habituelle. Essayons cependant d'éva- luer la consommation de froment.

On comptait en France (1892) :

Propriétaires cultivant exclusivement

leurs biens 2.199.000

Fermiers. 1.061.000

Métayers 344-000

Domestiques 1.832. 000

Total. . . . 5.436.000

Ce sont des « travailleurs agricoles », comme l'in- diquent nos statistiques et pour avoir le chiffre de la famille correspondant à leur nombre, il faut multiplier ce dernier par i,65, ce qui donne 8.969.400 personnes.

Admettrons-nous qu'il existe en France, 5.436. 000 -f- 8.969.400 = 14.405.400 personnes produisant et con- sommant en même temps du froment? En aucune façon.

204 LA PROTECTION DOUANIÈRE

Sous le nom d'agriculteurs on comprend, en effet, beau- coup de travailleurs et de producteurs de denrées agri- coles qui ne cultivent pas de céréales. Est-ce que parmi nos propriétaires-agriculteurs on n'en compte point qui sont jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, tous gens qui travaillent la terre mais qui n'ont jamais fait germer un grain de blé ? Est-ce que dans le midi de la France et, en particulier, sur le littoral méditerranéen, il n'existe pas des milliers de propriétaires qui cultivent à peu près exclusivement leurs vignobles?

Si l'on voulait calculer le nombre réel des producteurs de blé et surtout le nombre de ceux qui produisent plus de froment qu'ils n'en consomment, il faudrait retrancher probablement 3 ou 4 millions du chiffre de 14 millions que nous indiquions tout à l'heure. Pour ne rien exagérer ou atténuer, nous le conserverons néan- moins, car nous allons tenir compte tout à l'heure, très largement, de la population qui assure ou complète sa nourriture avec d'autres céréales que le froment.

Quelle est, en effet, la consommation moyenne annuelle d'un Français en blé! Elle est, nous apprend la statistique officielle, de 2 hectolitres 5o litres. Eh! bien, admettons seulement le chiffre de 200 litres, soit un cinquième en moins, puisque certains agriculteurs se nourrissent de blé noir, de maïs, etc., etc.

Pour i4 millions de personnes, la consommation s'élève à 28 millions d'hectolitres au minimum. En ajoutant ce nombre à celui qui correspond aux semences employées, soit i4 millions d'hectolitres, on trouve un total de 42 millions. Or, notre production moyenne en froment s'étant élevée annuellement de 1882 à 1892,

LA PROTECTION DOUANIÈRE 2o5

par exemple, à 109 millions d'hectolitres, si Ton en déduit 42 millions absorbés par les semences et la nourriture des entrepreneurs de cultures, de leurs familles ou de leurs domestiques, il reste seulement 67 millions d'hectolitres. Tel est l'excédent disponible que les producteurs de blé peuvent vendre et pour lequel la protection dont ils jouissent se traduit par une élévation du prix de vente. Cette plus-value est variable, mais on peut la calculer en relevant les écarts constatés entre les cours du froment en Angleterre et en France, depuis l'établissement d'un droit de douane de 7 francs dans notre pays (1894).

Nous avons déjà fait ce calcul. Nous le reprodui- sons :

Écarts

entre les cours anglais

et français

par liectolitrc Je Ivomont.

fr. c. 1893-189Î 5 08

1894-1896 4 5i

1895-1897 4 72

Moyenne. ... 4 77

L'écart moyen ressort à 4 fr- 77- En multipliant par ce nombre l'excédent disponible de 67 millions d'hecto- litres que vendent réellement les producteurs de blé, on trouve 819 millions de francs. Pour 7 millions d'hec- tares cultivés en froment, cette somme représente une prime annuelle de plus de 4^ francs par hectare.

Tel est le résultat financier de protection doua- nière, visiblement favorable aux intérêts des produc- teurs de froment et des propriétaires ruraux. Il serait possible de faire le même calcul en ce qui concerne la

206

LA PROTECTION DOUANIERE

prime accordée à la culture des céréales autres que le blé.

Nous nous contenterons de parler de la législation douanière applicable au bétail et de son influence sur le prix de la viande.

Notre législation douanière a beaucoup varié depuis une quinzaine d'années en ce qui concerne le bétail. La politique protectionniste lui a été appliquée, ainsi qu'elle l'avait été sous la Restauration et le Gouverne- ment de Juillet.

Voici le tableau de ces variations jusqu'en 1892.

Droits de douane par tête.

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Tarif de

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Tarif de

Tarif de

Tarif de

Tarif

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Le tarif de 1892 est le suivant

Bœufs et vaches. Moutons ....

10 fr. par loo kilog. de poids vif. i5 5o

En outre, les viandes sont frappées de droits s'éle- vant à 32 francs par quintal pour le mouton ; à 12 francs pour le porc ; à 25 francs pour le bœuf, à 25 francs éga-

LA PROTECTION DOUANIÈRE

207

lement pour le lard, et à 3o francs pour le bœuf salé. Nous avons dit, à propos des importations dans leur rapport avec les prix, ce que l'on avait constaté, à l'égard des variations des cours depuis 1820 jusqu'à 1897.

Prix de la viande de 5"'« (jualiié à Paris et à Londres (1879-98).

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Prix du Mouton

à PôLris •._—..-• à. Londreso -o

Fig. 14.

Pendant la Restauration le cours de la viande est resté très bas malgré l'établissement des droits protecteurs. Il en a été de même sous le Gouvernement de Juillet. A partir de i853 la hausse se produit et s'accentue, bien que le tarif nouveau ait abaissé les droits de douane.

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LA PROTECTION DOUANIÈRE

Prix de la viande de i'" qualité à Paris et à Londres (1877-97).

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Depuis i885, les prix ont fléchi malgré l'élévation des droits, et le tarif protectionniste de 1892 n'a pas relevé

LA PROTEC TION DOUANIÈRE 209

les cours. Mais il s'est produit pour le bétail la hausse relative dont nous parlions plus haut à propos du blé. Nos cours sont certainement un peu moins élevés qu'ils ne l'étaient en i883, par exemple, c'est-à-dire avant le relèvement douanier ; mais la baisse est moins sen- sible qu'elle ne l'eût été si l'on n'avait pas entravé l'importation du bétail vivant, des viandes congelées, des conserves, etc., etc.

Nous avons montré que le prix des viandes de pre- mière et surtout de dernière qualité avait subi à Lon- dres une dépression qui les faisait tomber au-dessous des cours pratiqués à Paris, C'est là, sans doute, une conséquence des mesures de protection douanière. L'influence de ces dernières ne nous paraît pas dou- teuse. Nous payons notre viande et surtout la viande de dernière qualité un prix plus élevé qu'il ne le serait si le législateur n'avait pas relevé successivement les droits à l'importation. Les producteurs bénéficient de cette difterence. C'est une autre subvention qui équi- vaut, d'autre part pour les consommateurs, à l'établis- sement d'un impôt de consommation.

De 1880 à 1900, une baisse de plus de 5o centimes par kilogramme se produit à Londres pour la viande de bœuf, première qualité ; elle est à peu près égale pour la viande de mouton. Cette baisse n'atteint pas en France aS centimes pour le bœuf et i5 centimes pour le mouton. Les viandes de seconde et troisième caté- gorie ont subi en Angleterre une baisse plus accentuée (|ue celle dont nous parlons plus haut ; en France, au contraire, les prix sont restés stationnaires.

Nous croyons pouvoir affirmer que la protection doua-

ZOLLA. Crise agricole. 14

210 LA PROTECTION DOUANIÈRE

nière a soutenu les cours français et déterminé une hausse relative de o fr. aS par kilogramme de bœuf et de ofr.3o par kilogramme de mouton viande nette. Ce que nous disons ici du bœuf est vrai, bien entendu, pour tous les animaux de l'espèce bovine. En d'autres ter- mes, les producteurs ruraux vendent leur bétail plus cher qu'ils ne le vendraient si les importations étran- gères n'étaient pas taxées. Cette hausse relative équi- vaut, croyons-nous, à une subvention de o fr. aS par kilogramme de viande de bœuf et o fr. 3o par kilo- gramme de mouton.

Or, voici quelle est la quantité de viande provenant de bœufs ou moutons français :

Bœufs millions de kilog. 543

Mouton ii3

Total 656

Sans tenir compte des autres viandes, dont le poids est à peu près égal, la hausse dont nous avons parlé correspond à i35 millions pour le bœuf et à 34 millions pour le mouton, soit loo millions, par an, pour ces deux produits.

Conclusion. En résumé, il est certain que la légis- lation douanière nouvelle, inaugurée en 1892, a exercé une influence décisive sur les prix des principaux pro- duits agricoles. Elle a provoqué une hausse relative en ce sens qu'elle a atténué et limité une baisse plus accen^ tuée.

Sans tenir compte des autres denrées d'origine ani- male dont les cours ont pu être rehaussés par l'appli-

LA PROTECTION DOUANIERE 211

cation de notre tarif douanier, nous trouvons que l'agri- culture reçoit sous forme de subvention indirecte, cor- respondant à un impôt de consommation payé par les populations non agricoles :

i" 268 à 335 millions pour le froment;

^^ 169 millions pour i catégories de viandes, les autres espèces étant, d'ailleurs, bien supérieures, en poids, à la consommation des producteurs.

Le total s'élèverait à 437 ou 5o4 millions de francs.

Est-il permis de soutenir que l'agriculture n'a pas été suffisamment protégée ?

Cette protection n'a malheureusement satisfait per- sonne, parce que les agriculteurs ne se rendent pas compte exactement des avantages qui leur ont été con- cédés. La baisse absolue des cours est un fait précis, aisé à vérifier, qui masque la hausse relative qu'a pro- voquée l'établissement des tarifs protecteurs.

D'ailleurs, les bénéfices réalisés dans la culture ont diminué, parce que les recettes brutes obtenues se sont abaissées.

Comment un fermier qui gagne moins d'argent aujourd'hui qu'il y a vingt ans pourrait-il se déclarer satisfait, c'est-à-dire suffisamment protégé ? D'autre part, personne n'ignore que la réduction des profits cul- turaux a eu pour conséquence la baisse des fermages.

La valeur locative du sol représente une fraction des recettes brutes. Quand les prix des denrées subissent une baisse, le produit brut diminue et la valeur en argent de la part réservée au propriétaire se trouve réduite dans la même proportion.

Les propriétaires fonciers ne sont pas moins mécon-

212 LA PROTECTION DOUANIERE

tents que leurs tenanciers et ils ne sauraient admettre que la protection dont ils jouissent se traduise par une diminution de leurs revenus. Or, c'est le résultat qu'ils constatent et tous les raisonnements du monde ne sauraient leur faire admettre qu'ils bénéficient d'une protection efficace, puisque leur fortune a diminué. Rien ne peut les empêcher de penser et de dire que la richesse de la France a décru, puisque la valeur locative et vénale de leurs domaines se trouve réduite.

Rien ne saurait prouver plus clairement que la pro- tection douanière n'est qu'un expédient économique et politique.

La protection des intérêts agricoles.

Pour atténuer les effets de la crise, l'industrie agri- cole aussi bien que la propriété foncière nous parais- sent avoir été singulièrement favorisées et protégées par le législateur depuis vingt ans. C'est ce qu'il est aisé de démontrer sans contester bien entendu les titres que pouvaient avoir propriétaires et agriculteurs à la sollicitude bienveillante qui leur a été témoignée.

Cultivateurs et propriétaires-cultivateurs bénéficient, tout d'abord, de certaines immunités fiscales dont le privilège leur a été concédé ou maintenu. La loi du i" décembre 1887 exonère de l'impôt foncier les ter- rains nouvellement plantés en vigne ; celle du 8 août 1 890 accorde aux propriétaires ruraux un dégrèvement d'im- pôt foncier de i5 millions, et, le 21 juillet 1897, la loi de finances concède encore des remises totales ou par- tielles sur la contribution foncière des petites pro-

LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 2i3

priétés non l)âties. Ce dernier dégrèvement repré- sente, à lui seul, une somme de 20 millions.

La loi sur les boissons du 29 décembre 1900 maintient le privilège des bouilleurs de cru.

Il est clair que les propriétaires ou cultivateurs con- tinuent également à n'acquitter aucun droit de circula- tion pour les boissons qu'ils consomment dans leurs exploitations.

L'abolition des droits d'entrée et de vente au détail, et la réduction des droits d'octroi communaux n'ont pu que favoriser indirectement leurs intérêts en facilitant la vente de leurs produits.

L'industrie agricole continue à profiter d'une exemp- tion d'impôt en ce qui concerne les patentes. Après avoir posé en principe dans l'article premier de la loi du 1 5 juillet 1880 que tout Français qui exerce en France une industrie est assujetti à la contribution des patentes, le législateur prend soin (art. 17) d'exempter expressé- ment les « laboureurs et cultivateurs ».

Nous sommes, certainement, hostiles à toute aggra- vation des charges fiscales actuelles de l'industrie agri- cole très éprouvée par la baisse considérable du prix de ses produits. L'établissement d'une patente agricole nous paraîtrait donc souverainement impolitique et nous ne combattrions pas avec moins d'énergie tout impôt sur le revenu atteignant les profits agricoles ; mais il nous paraît, au contraire, très légitime de constater que l'agriculture bénéficie d'une faveur spéciale. Il est d'au- tant plus utile de le faire remarquer qu'un certain nombre de personnes sont disposées à l'oublier. On va même jusqu'à soutenir que l'agriculture acquitte, elle aussi, sa

2i4 LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES

patente spéciale sous forme d'i/npot foncier. Cette opi- nion ne nous paraît nullement fondée, et il suffit de se reporter aux textes fondamentaux relatifs à la contribu- tion foncière ou aux patentes pour le démontrer (i).

Indépendamment des immunités fiscales dont l'indus- trie agricole a été favorisée, il faut tenir compte des subventions directes et indirectes dont elle bénéficie.

Les primes accordées à la culture du lin et du chanvre représentent des primes directes ; il en est de même pour celles qui doivent favoriser la sériciculture. Les premières figurent un budget pour a ooo ooo francs, et les secondes pour 4 228 000 francs.

Les bonis de fabrication et les primes d'exportation allouées aux fabricants de sucre par diverses lois depuis 1884, ont eu pour objet, nous a-t-on maintes fois assuré, de relever le prix d'achat des betteraves. Les cultivateurs ont bénéficié ou devaient profiter paraît- il des sacrifices énormes imposés aux contribuables en général. Il s'agit donc de primes indirectes, et en tout cas, d'une protection visiblement accordée à la culture. Ces primes seront distribuées encore pendant un an, au moins ; nous avons donc le droit d'en parler. L'Etat a versé plus de 800 millions depuis dix-sept ans pour favoriser en même temps les producteurs de bette- raves et les fabricants de sucre; il serait impardonnable de passer sous silence de pareils témoignages d'intérêt accordés à l'agriculture.

Toutes ces mesures n'ont eu, pourtant qu'une influence

(i) Voir pour plus de développements : uos Etudes d'économie rurale, Paris, Masson, 1896.

LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 20

bien médiocre sur la situation générale de l'industrie agricole.

Ce sont des palliatifs, des encouragements, des satis- factions accordées à des réclamations pressantes et bruyantes et non pas des solutions définitives.

Les primes accordées à la culture du lin et du chanvre n'ont point empêché cette production de décliner.

La législation sucrière a eu pour conséquence un développement trop rapide de notre production ; elle a provoqué une crise spéciale qui aura pour sokition un remaniement complet de notre régime fiscal applicable aux sucres.

En voici l'explication :

De 1884 à 1900, notre production a doublé tandis que la consommation intérieure restait stationnaire.

C'est là, semble-t-il, une bizarre anomalie, mais rien n'est plus naturel et plus logique que cette situation.

La loi de 1884 accordait aux fabricants de sucre des « bonis » de fabrication représentés, qu'on le remarque bien, par des remises d'impôt. La taxe frappant les sucres consommés n'était pas acquittée par tous les sucres produits. Cette taxe portait non pas sur le sucre fabriqué mais sur la betterave. Un rendement légal de 7 ^^, 700 par 100 kilos de betteraves était imposé au fabricant qui payait l'impôt de 60 francs par quintal de sucre d'après cette hypothèse légale.

Mais tout le sucre extrait réellement par lui de 100 kilos de betteraves, au delà de 7''^, 750, bénéficiait d'une remise ou détaxe égale :

A 3o francs par quintal pour toute la quantité de sucre extraite au delà de 7^^,750 jusqu'à io''^,5oo.

2i6 LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES

2" à 3o francs également pour la moitié du sucre extrait au delà de io^^,5oo,

Ces remises d'impôt permettaient néanmoins au fabri- cant de vendre son sucre détaxé au même cours que le sucre qui avait acquitté le droit plein, Le bénéfice du fabricant était donc égal, exactement, à l'impôt dont il lui était fait remise, et ce bénéfice était ainsi cC autant plus grand que V impôt était lui-même plus élevé^ ou que les quantités fabriquées dans l'usine étaient plus consi- dérables, à la condition bien entendu, que les rende- ments réels des betteraves traitées fussent toujours supérieurs, le plus largement possible, au rendement légal.

De une triple conséquence résultant de l'applica- tion de la loi de 1884

Inculture de betteraves riches, pour que le rendement réel en sucre dépassât le rendement légal, ^^^,^^0, à partir duquel des remises d'impôts accroissaient le béné- fice industriel du fabricant ;

Q." Accroissement des quantités de betteraves traitées et du poids de sucre produit, puisque les bonis alloués étaient proportionnels, toutes choses égales d'ailleurs, à la production de l'usine :

3" Maintien d'un impôt élevé sur le sucre consommé, puisque le boni était égal à une fraction de cet impôt.

Cette dernière observation a une importance capitale. Oui, la loi de 1884, accordant des remises d'impôt sous forme de a bonis », avait imposé du même coup l'élé- vation de la taxe de consommation. Abaisser cet impôt, c'était réduire le « boni »; le supprimer, c'eût été faire disparaître tout « boni » alloué au fabricant.

LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 217

Comprend-on maintenant pourquoi la consommation restait stationnaire, pendant que la production s'accrois- sait ?

Une taxe de 60 francs par quintal frappant un produit le sucre qui valait de 3o à 82 francs, en triplait la valeur et arrêtait, du même coup, le développement de la consommation intérieure.

D'autre part, cette taxe très élevée favorisait la pro- duction et la stimulait, en accroissant l'importance des « bonis » de fabrication.

Enfin, l'état stationnaire de notre consommation inté- rieure a rendu indispensable l'exportation de nos sucres, et à l'accroissement des quantités fabriquées correspond, alors, logiquement, l'accroissement des quantités expor- tées à l'étranger.

Cette nécessité d'exporter est même devenue si pres- sante que nous avons donné, en 1897, ^ ^^^ fabricants des primes directes d'exportation lorsque leurs concur- rents, abaissant les cours sur les marchés étrangers, grâce aux primes directes ou indirectes dont ils béné- ficiaient enx-mêmes, ont rendu cette mesure indis,pen- sable.

Aujourd'hui, il est vraisemblable que les primes d'ex- portation, aussi bien que les « bonis », vont être sup- primés à l'étranger et en France.

Comment pourrons-nous prévenir et atténuer la crise qui nous menace ? Comment trouverons-nous le moyen d'assurer l'écoulement des 5 ou 600 000 tonnes repré- sentant l'excédent de notre production actuelle, si tou- tefois cette production doit rester aussi élevée?

Nous ne le savons pas encore.

2i8 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES

La législation sucrière protectrice, si souvent vantée par les intéressés n'a donc été, elle, aussi qu'un expé- dient économique et politique; elle n'est pas conforme à la nature des choses et aux intérêts permanents de l'agriculture. Ce n'est môme pas une solution partielle et acceptable de la crise agricole. D'ici quelques jours elle va, d'ailleurs, être modifiée.

Les solutions définitives

C'est la baisse des prix qui a provoqué la crise agri- cole. Une hausse pourrait donc l'atténuer, en arrêter les effets, ou même faire succéder à une période d'épreuves une ère de prospérité.

Aujourd'hui, le développement de la production dans le monde et le bon marché des transports rendent cette hausse fort peu probable à moins qu'un brusque afflux d'or ne vienne agir, comme en i85o, sur le niveau général des cours et les rehausser. L'énorme et rapide développement de la production du métal jaune, un moment arrêté par la guerre du Transvaal, permet d'accepter cette hypothèse.

Dans ce cas, le relèvement des cours aurait pour conséquence l'augmentation des recettes brutes de l'entrepreneur de culture et la hausse des profits. Ce sont les capitalistes agricoles, fermiers et propriétaires qui souffrent aujourd'hui de la crise; ce sont ces mêmes personnes qui profiteraient de l'élévation des prix et des bénéfices culturaux. Mais si le prix des denrées agricoles et les profits industriels du cultiva- teur s'élevaient à ce moment, il n'en résulterait nulle-

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 219

ment que la masse générale des produits fut accrue et que la richesse publique augmentât.

Tout autre est Tinfluence que peuvent exercer le perfectionnement des moyens de production et l'abais- sement des prix de revient. Ce sont des solutions définitives, des progrès acquis et durables, ayant pour conséquence Faccroissement des richesses produites et non pas une modification passagère de leur réparti- lion entre ces citoyens.

Dans Tordre économique et financier, l'association, sous toutes ses formes ; dans Tordre industriel et tech- nique l'application des données de la science contrôlées par l'expérience; telles sont les solutions de la crise agricole. Il n'y en a pas d'autres.

Nous ajouterons, cependant, que pour arriver à obtenir rapidement cette transformation des méthodes de production il est indispensable que les hommes ins- truits, actifs et disposant des capitaux suffisants s'in- téressent aux choses de la terre. Leur collaboration peut avoir la plus haute portée économique et sociale. Nous ne saurions mieux faire, à ce propos, que de reproduire ici les conclusions de notre étude sur l'Agriculture Américaine.

« Dans nos vieux pays, disions-nous on ne trouve que trop rarement des propriétaires hardis qui se mettent à l'œuvre, dirigentla culture de leurs domaines, résident sur leurs terres, et jouent le rôle du Yankee de l'ouest américain. A nos yeux, la terre est un place- ment de père de famille. On achète une ferme ou une métairie, ou plutôt, on les achetait pour asseoir solidement sa fortune et la mettre à l'abri des fluctua-

220 LES SOLUTIONS DEFINITIVES

tions de cours des valeurs mobilières, ou des revers qui peuvent atteindre les hommes dont tout l'avoir est engagé dans « les affaires ».

Dès lors, la principale, sinon l'unique préoccupation du propriétaire bourgeois, c'était de toucher régulière- ment ses fermages ou sa part de récolte, de réparer les bâtiments de son domaine quand cela était indispen- sable, — ou de surveiller son tenancier, si besoin était, pour qu'il cultivât « en bon père de famille », comme dit le Gode civil.

Ainsi compris, le rôle d'un propriétaire ne laisse pas que d'être utile. La location môme d'un domaine bien entretenu, pourvu de bâtiments suffisants, de pailles, de fourrages, et souvent aussi d'animaux domestiques, est, en réalité, une opération de crédit. Le propriétaire met à la disposition des cultivateurs un capital cinq ou six fois plus considérable que la fortune du fermier. Quand il s'agit du métayer, c'est même le propriétaire qui fournit tout ce qui est indispensable à la culture. L'action directe et l'influence exercée par un pro- priétaire français sont pourtant moins marquées que celles du propriétaire américain formant, dirigeant, et créant, en quelque sorte, son domaine rural. A plus forte raison, la différence est, plus sensible entre le propriétaire français et le « farmer » américain de riowa, de l'Indiana, de l'Illinois, États déjà colonisés depuis trente ou quarante ans et il existe une foule de cultivateurs propriétaires du sol qu'ils exploitent.

A quoi tiennent ces différences? Ce sont les mœurs qui les expliquent.

En France, nous avons encore le plus profond dédain

LES SOLUTIONS DEFINITIVES iii

pour la profession d'agriculteur. Nous confondons, sans réflexion comme sans raison, Tentrepreneur de culture, c'est-à-dire l'industriel agricole qui dirige une exploitation, avec le domestique ou le manœuvre. Aux yeux des citadins ignorants qui sont esclaves de leurs préjugés, un agriculteur ne peut être qu'un rustre, un serf de la glèbe courbé sur le sillon, et pour tout dire, « un paysan )). En vain essaiera-t-on de faire com- prendre même aux « gens du monde » qu'un agricul- teur ne doit pas plus être confondu avec un manœuvre qu'un directeur d'usine avec son ouvrier. En vain répéterez-vous qu'il est tout aussi honorable et diffi- cile — de bien faire pousser du blé ou d'élever intelli- gemment des animaux, que de fabriquer du sucre ou des bonnets de coton ! Vous ajouteriez même que la profession d'agriculteur exige, pour être exercée avec talent et profit, tout autant d'instruction que celle de commerçant, d'industriel, ou de fonctionnaire, qu'un agriculteur peut être un galant homme de toutes façons, que sa situation le rend indépendant, lui assure une existence souvent très large, une vie active et saine... Ce serait peine perdue. Le préjugé est là, vivant, majes- tueux, ridicule, mais respecté.

Oh ! s'il s'agissait d'un ingénieur, d'un fonctionnaire, d'un attaché au cabinet de d'un auditeur, d'un ins- pecteur, sa position de fortune, son utilité sociale, son indépendance et par conséquent sa véritable dignité d'homme fussent-elles moins hautes, personne n'hési- terait à le classer dans la catégorie des gens du monde, de ceux qui ont une « situation ». L'agriculteur n'a pas de situation, il n'est pas « coté ». Le propriétaire

222 LES SOLUTIONS DEFINITIVES

n'est lui-même accepté qu'à la condition de vivre à la ville sans déroger, c'est-à-dire sans trop s'intéresser à ses domaines, si ce n'est à l'automne... quand on chasse. S'il est très riche, on lui pardonnera de se faire éleveur ou d'engraisser ses bœufs, mais on le traitera « d'original », mot indulgent qui excuse sa folie en lui donnant un vernis de bon ton.

Indépendamment du préjugé qui existe dans notre pays à l'égard des agriculteurs, il faut noter une autre opinion concernant l'agriculture.

Beaucoup de gens croient qu'il est impossible de réaliser des profits sérieux en cultivant la terre. La preuve ? C'est que les capitaux consacrés à l'achat d'une propriété rurale ne rapportent que 2,5 ou 3 p. loo E<n vérité, c'est se moquer du monde et raisonner d'étrange sorte !

La terre louée par un propriétaire qui ne la cultive pas donne un faible revenu par rapport à son prix d'achat. C'est vrai; mais cela prouve tout simplement que la concurrence des acheteurs a élevé graduelle- ment le prix de cette valeur de tout repos, et que l'on paie très cher un faible revenu pour être sûr ou à peu près de ne pas perdre le capital lui-même.

Cela ne prouve rien en ce qui touche le profit agri- cole c'est-à-dire le gain réalisé par l'agriculteur au moyen des capitaux qui servent à faire produire le sol ou à utiliser ses récoltes au moyen des animaux de la f^rme : or, ce capital « d'exploitation » donne un revenu p. loo trois ou quatre fois plus élevé que celui du propriétaire. Si ce dernier touche 2,5 ou 3 p. i oo ; l'agriculteur obtient y, lo ou i5 p. loo. Voilà la vérité.

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 223

Il n'en est pas moins vrai, très malheureusement, que les deux préjugés dont nous venons de parler, exercent sur le sort de notre agriculture une détestable inlluence.

Ils détournent des champs les activités et les capi- taux qui devraient s'y porter pour le plus grand profit de notre pays. Nous ne tirons pas de notre sol les richesses qu'il pourrait nous donner. Nous condamnons à une vie étroite, sans indépendance, parfois même sans dignité, des hommes jeunes, actifs, intelligents, qui chercheront une « place » au lieu de vivre libres, heureux, en contribuant à développer la fortune de leur pays.

Il faut rendre aux Américains cette justice que nul préjugé n'existe dans leur esprit au sujet de l'agricul- teur et de l'agriculture. Un homme qui était hier ban- quier, médecin, avocat, ingénieur ou négociant, ne croira jamais déroger en devenant» farmer ». La qua- lité d'homme du monde leur paraît résulter moins de la profession qu'on exerce que de l'éducation, de l'élévation des idées et de l'étendue des connaissances.

Beaucoup des hommes d'état américains ont été des agriculteurs. Aujourd'hui on semble voir sans étonne- ment, un « farmer » ministre de l'agriculture et ses antécédents ne paraissent pas nuire à son autorité ou diminuer son prestige.

Ce qui caractérise, d'ailleurs, la société et la vie sociale américaine c'est l'extrême instabilité des situa- tions. Tel homme qui se trouve aujourd'hui négociant, sera demain agriculteur ou homme politique. Les cul- tivateurs ne forment donc pas une classe ils se

224 LES SOLUTIONS DEFINITIVES

trouvent enfermés. Demain, le fonctionnaire ou le médecin qui a acheté une ferme, ne trouvera pas de locataires et sera forcé de la cultiver lui-même, d'ins- taller des métayers sur son domaine, d'y créer au besoin une usine ou d'y exploiter un moulin. Com- ment dès lors traiter dédaigneusement de « paysan » l'homme que l'on voyait la veille dans un cabinet d'affaires et qu'on retrouvera dans un salon six mois plus tard !

En France, un propriétaire habitué à toucher régu- lièrement ses fermages les voit diminuer brusquement. 11 se tourmente si sa ferme ne trouve pas preneur, il accuse le ciel et la terre, demande à grand cris la protection de l'État et invoque ses droits à la stabi- lité, à la régularité de ses revenus, voir même à leur augmentation, signe certain de la prospérité publique.

Aux Etats-Unis, cet état de crise et d'instabilité ne suscite pas tant d'émotion et ne provoque pas tant de plaintes. Les propriétaires agissent au lieu de parler et ils s'occupent de tirer parti de leurs terres au lieu de demander à l'Etat de les protéger.

Sans doute, il serait facile de citer en France des propriétaires actifs et aux États-Unis des hommes non- chalants. Cependant, tous les observateurs impartiaux conviendront qu'on se désintéresse trop dans notre pays et surtout qu'on s'est trop désintéressé jus- qu'à présent des choses de la terre. Mais, dira-t-on, tous les propriétaires n'ont pas le temps de s'occuper de leurs domaines, et d'ailleurs quand une exploitation rurale est bien affermée à un tenancier solvable, qn y a-t-il à faire ?

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 22$

Cette dernière observation est fort juste, et nos réflexions ne visent pas le propriétaire d'un domaine confié à un directeur actif, suffisamment riche et habile. Il existe malheureusement des milliers de fermes qui ne sont pas dans cette situation. Si leurs possesseurs ne peuvent ou ne savent pas les exploiter avec profit, qu'ils s'adressent à des ingénieurs agricoles sortis de nos écoles, qu'ils se groupent entre eux pour constituer une surface cultivée assez étendue et réduire les frais d'administration. Le jour l'on voudra entrer dans cette voie on réussira. Mais il faut avoir le courage et l'intelligence de rompre avec les préjugés régnants. Il faut oser, et envisager avec calme la situation nouvelle de notre agriculture européenne.

Ce ne sont pas les procédés de culture usités aux Etats-Unis qu'il convient d'imiter ou de copier servi- lement. C'est l'énergie, l'initiative, la hardiesse et l'esprit d'entreprise de nos rivaux, qu'il est indispen- sable de posséder pour ne pas succomber misérable- ment dans la lutte engagée avec eux.

On compte en France plus de a.iooooo proprié- taires cultivant eux-mêmes leurs héritages. Ce n'est pas à eux que s'adressent nos observations, ils souffrent d'ailleurs beaucoup moins de la crise agricole que les fermiers, les métayers et les propriétaires qui se contentent de louer leurs terres. Enfin, beaucoup de propriétaires cultivateurs, dans le Midi notamment, dirigent effectivement leurs domaines à l'aide d'un régisseur ou d'un maître valet.

Nous pensons surtout aux grands et moyens proprié- taires, à ceux qui possèdent des métairies, trop sou-

ZoLLA. La Grise agricole. i5

•i26 LES SOLUTIOiyS DÉFINITIVES

vent abandonnées aux soins d'un tenancier sans con- naissances et sans ressources suffisantes.

Nous songeons également à ceux qui ne peuvent pas louer leur terre ou qui sont forcés de subir des réduc- tions de fermage considérables.

Dans la plupart des circonstances il y aurait lieu de modifier les systèmes de culture suivis par les culti- vateurs, de tracer un nouveau plan, d'en suivre et d'en modifier rapidement Texécution suivant le cours des denrées. Il est impossible aujourd'hui de cultiver la terre de France avec profit comme on la cultivait il y a trente ans. Peu importe que ce soit un malheur : nous sommes forcés de subir cette transformation. Eh bien, dans une situation nouvelle, il faut employer des procédés nouveaux et utiliser un personnel ayant d'au- tres traditions et d'autres connaissances.

Hier c'était des céréales qu'il convenait de cultiver : demain ce sera l'élevage, l'engraissement, la production laitière qu'il faudra préférer. En tenant compte de l'aptitude naturelle des terres, c'est la variété des pro- ductions qu'on s'attachera à réaliser pour atténuer dans quelques cas les effets de la baisse des cours, ou pro- fiter, au besoin, de leur hausse momentanée,

Se produit-il une élévation du cours des fourrages, des pailles et autres aliments du bétail, il faut savoir substituer à ces denrées des résidus industriels ali- mentaires pour pouvoir porter sur les marchés, les pro- duits dont la vente deviendra avantageuse.

Une baisse du bétail maigre devra être l'occasion d'un achat, les variations des cours détermineront éga- lement le choix des animaux de la race bovine, ovine et

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 'î-i-J

'porcine, dont on préférera Félevage ou dont on prati- quera momentanément l'engraissement.

Joignez à ces conditions économiques et commer- ciales les recherches relatives à l'emploi des engrais, à l'irrigation, au drainage, au choix des semences, à l'op- portunité des façons culturales, à l'usage des meilleurs instruments, à l'utilisation intelligente du personnel ouvrier, et vous pourrez comprendre combien doit être désormais délicate la tâche d'un cultivateur éclairé sachant cultiver avec profit.

La meilleure méthode d'enseignement et de vulgari- sation des connaissances techniques agricoles, c'est l'exemple. Quels ne seraient pas la portée et l'effica- cité des méthodes introduites et le développement de richesse obtenu dans vingt ou trente mille domaines en France, si les propriétaires voulaient s'en occuper ou confier la direction de ces entreprises à un personnel actif, instruit et expérimenté.

Depuis cinquante ans nous cherchons en France la solution d'un problème financier, celui du crédit agricole. C'est surtout au profit des fermiers et des métayers qu'il paraît utile d'organiser le crédit rural.

Aux Etats-Unis, cette question n'a pas le même carac- tère, bien qu'elle soit encore plus importante.

Les cultivateurs étant presque toujours propriétaires peuvent se servir de leurs terres pour constituer un gage. Dans la plupart des cas, l'agriculteur trouve du crédit auprès des banquiers qui n'hésitent pas à com- manditer un « l'armer » ou son colon. Ce sont des opérations courantes.

En France, nos grands et moyens propriétaires n'em-

228 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES

pruntent pas pour cultiver puisqu'ils ne cultivent guère ; et d'autre part il ne leur vient pas à la pensée de prêter quelque argent à leurs fermiers ou métayers. Cela se comprend à la rigueur, car ils ne pourraient ni contrôler l'emploi, ni apprécier les avantages de ces prêts.

S'ils consentaient, au contraire, à s'intéresser aux choses agricoles ou s'ils confiaient l'administration de leurs domaines à des hommes compétents, ils pour- raient emprunter au besoin sur hypothèque et employer à la culture des sommes qui seraient productives. Le problème du crédit rural aurait été ainsi partiellement résolu.

L'union étroite, l'association intime du propriétaire et de l'exploitant toutes les fois que ce dernier n'est pas lui-même propriétaire, voilà, croyons-nous, le remède efficace de la crise actuelle qui atteint surtout le loca- taire ou le possesseur d'une exploitation affermée.

Nous avons dit et nous répétons que l'on souffre comme nous aux Etats-Unis de la baisse des produits agricoles. C'est l'énergique initiative des propriétaires qui a permis d'en atténuer les effets. En France on ne parviendra à obtenir les mêmes résultats qu'en usant du même moyen.

Il faut que les fils de nos propriétaires acquièrent une solide instruction agricole et qu'ils dirigent eux- mêmes la culture de leurs domaines après avoir fait un stage dans des exploitations biens choisies.

Toutes les fois que cette solution ne peut être adoptée, les propriétaires devront avoir recours à des directeurs techniques, à de véritables ingénieurs agricoles qui exploiteront directement ou surveilleront l'emploi des

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 229

capitaux confiés à des fermiers et à des métayers.

Aujourd'hui cette idée nouvelle aura le sort de tout ce qui est nouveau; on ne l'acceptera pas. Les gens du monde nous traiteront d'utopiste, mais le jour leurs revenus diminueront au point de devenir nuls, le jour ils auront constaté sur différents points, le succès de cette idée et la réalisation de cette chimère, ils sorti- ront de leur torpeur et ils comprendront qu'il est sage de s'occuper de leurs affaires ou de confier ce soin à ceux qui sont capables de les préserver de la ruine.

« C'est là, nous dira-t-on, une boutade d'écrivain pes- simiste. Nous triompherons de la concurrence étran- gère par nos tarifs de douane. N'avez-vous pas dit vous-même que les Américains faisaient moins de blé depuis quelque temps et qu'ils ne pouvaient guère exporter plus du quart de leur production. Le déve- loppement de leur population les obligera quelque jour à réduire ce chiffre de leurs envois et le cultiva- teur européen sera sauvé. »

Ces espérances nous paraissent hélas bien chiméri- ques. Laissons de côté, la question des tarifs de douane qui est surtout une question politique, et parlons de la concurrence américaine. Il est vrai que sur certains points la culture du blé a disparu ou a perdu de son importance aux Etats-Unis. Mais en revanche on étend cette culture à mesure que l'on défriche de nouvelles terres. En réalité la production se développe. Quant aux exportations elles ne diminuent pas, elles changent de forme. Au lieu d'exporter du froment en grains, il arrive souvent que Ton expédie des farines.

23o

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES

Examinez à ce propos les trois graphiques que nous mettons sous les yeux du lecteur.

Le premier se rapporte à la production et à l'expor- tation; depuis quelques années sans doute les récoltes sont bien supérieures aux expéditions, mais il est visible que ni les unes ni les autres ne décroissent.

Voici maintenant le double graphique qui se rapporte

Million:

Ctf *■ C O) -J 03 es

d hecto I i t res

aux exportations du froment en grains et à celles des farines, les dernières augmentent graduellement. Les premières suivent les oscillations des demandes en Europe, mais rien n'accuse et ne fait prévoir une réduction sensible et prolongée. S'il est exagéré d'at- tribuer à la concurrence améruaine seule, la baisse du froment, on ne saurait en revanche nier l'importance de ce facteur économique. Ce que nous disons du blé est vrai pour les autres céréales et le bétail. Et puis, nous le répétons, on parle beaucoup des Etats-Unis, parce que le public a été très frappé des récits merveil- leux relatifs au Far-West et aux immenses champs de

LES SOLUTIONS DÉFINITIVES

aSi

blé. Mais c'est le monde entier, qui aujourcriiiii déve- loppe sa production agricole. Les vieux pays eux-

mêmes cherchent à augmenter la productivité de leur sol dans l'espoir de se suffire à eux-mêmes et de com-

232 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES

penser la baisse du prix des denrées par Taccroisse- ment des rendements. Les colons européens vont en Asie, en Afrique, en Océanie demander à des terres nouvelles de nouveaux produits qui font à leur tour concurrence à l'agriculture de la mère-patrie.

Les pessimistes et les sophistes disaient à ce propos : « Tout est perdu, nous sommes ruinés! » 11 serait vrai- ment étrange que l'abondance des richesses fut une cause de ruine, et que les hommes mourussent de faim parce qu'ils auraient produit trop de blé, de maïs, de lait ou de viande. La vérité est tout autre.

Quelle différence existe-t-il entre la France, les Etats- Unis ou tout autre pays neuf au point de vue de la production agricole? Notre terre est aussi fertile, notre climat est plus favorable, nos salaires ruraux sont moins élevés, nos voies de communications sont plus nom- breuses, notre richesse acquise plus considérable; enfin nous n'avons pas besoin de chercher au loin des con- sommateurs. Notre situation n'est donc pas aussi péril- leuse qu'on veut bien le dire.

Le sol dira-t-on est d'un prix plus élevé en France! Gela est vrai, mais cette circonstance prouve simple- ment que sa culture permet de réaliser plus de profits. Le revenu et le prix des terres baisseront, d'ailleurs, en France et en Europe, si ces profits viennent à dimi- nuer encore.

Ce sont les propriétaires fonciers qui supporteront le poids de la crise agricole, et parmi eux, les plus dou- loureusement frappés seront les possesseurs soumis au régime du fermage et du métayer. . Qu'ils perdent donc leurs illusions et se mettent à

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 233

l'œuvre. Nous avons indiqué le remède, c'est à eux de l'appliquer résolument.

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE AGRICOLE

La baisse des prix et la crise agricole n'ont pas seu- lement une très grande importance économique. Elles ont également une haute portée sociale qu'il est intéres- sant de dégager. A l'heure actuelle, il est malheureuse- ment certain que la baisse du prix des produits ruraux a eu pour conséquence la réduction des profits attachés à l'exploitation du sol. Quelles sont maintenant les con- séquences de cette réduction des profits réalisés par les entrepreneurs de culture ? Il semble logique qu'elle ait eu une répercussion immédiate : sur la valeur des terres ; sur les salaires et les gages des travail- leurs manuels.

La baisse des loyers agricoles ou du prix des terres doit être, en effet, une conséquence de la diminution des profits parce que le fermier ou l'exploitant paye l'usage de l'instrument pour ce qu'il rapporte.

La baisse des salaires paraît être aussi une suite légi- time de la réduction des profits et des revenus des propriétaires.

Eh ! bien, l'observation des faits ne confirme nulle- ment cette dernière hypothèse. Elle nous apprend que si les revenus fonciers et le prix des terres suivent de très près les oscillations des profits industriels attachés 7 à l'exploitation du sol, en revanche, la rémunération du travailleur manuel subit d'autres influences, est régie en quelque sorte, par d'autres lois, et s'élève len- /

'234 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE

tement durant les périodes de hausse, tandis qu'elle diminue plus lentement encore durant les périodes de baisse et de crise.

Le contraste est frappant entre la baisse si rapide des fermages qui a été la conséquence de la réduction géné- rale des profits culturaux et Tétat stationnaire^ ou la hausse des salaires. C'est ce que nous allons essayer de démontrer.

Aujourd'hui, tout le monde sait que les prix de fer- mage diminuent. Voici, pour préciser les faits, les variations du revenu en argent de vingt- sept domaines ruraux situés dans la Somme et dans l'Aisne :

1875 152.990

1884 112.440

1894 107.090

En vingt ans la baisse s'élève à 47.900 fr. ouà3i p. 100.

Voici, maintenant, soixante-cinq domaines et marchés de terre situés dans le département de l'Aisne. Citons, au hasard, les prix de location par hectare en 1880 et 1896 :

Prix de location par licctaro. 1880 1896

30

\

\

\' 11°

i 12^

francs.

francs

I03

70

109

78

87

75

116

80

106

70

75

60

99

70

109

60

104

45

107

70

123

75

108

75

1.248

828

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 235

Depuis seize ans, la baisse des revenus fonciers atteint 29 p. 100 en moyenne.

Nous pourrions multiplier les exemples et aller de région en région. Sauf exceptions, la même observation peut être faite. i

Il résulte de très nombreuses recherches poursuivies \ par nous depuis dix ans, que les terres labourables ont baissé de prix en France et que cette baisse s'élève à 20 ou 25 p. 100 si l'on compare les revenus actuels aux valeurs locatives constatées il y a quinze ou vingt ans.

Certes, il y a des exceptions à cette règle. Et nous venons de le dire. La nature des cultures et surtout des aptitudes culturales des terres expliquent les différen- ces qu'on observe, mais la baisse des loyers agricoles n'en est pas moins un phénomène très général.

La marche des salaires est toute différente. La rému- > nération du travailleur manuel a toujours augmenté l depuis le commencement du siècle, et elle n'a pas dimi- / nué depuis quinze ou vingt ans, malgré la réduction des profits de l'entrepreneur de culture.

Voici, par exemple, les salaires des ouvriers non nourris employés dans une ferme de l'Aisne.

fr. c. 1820-1840 I 25

i84o-i85o I 5o

i85o-i86o I 75

i86o-i865 2 »

1865-1870 2 25

1870-1880 2 35

1880-1890 2 5o

1890-1895 2 5o à 2 75

On pourrait dire, il est vrai, que les salaires en argent

236 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE

n'ont pas assuré aux ouvriers une situation matérielle plus satisfaisante, parce que le prix de la nourriture s'est élevé jusqu'au début de la période actuelle.

Il n'en est rien. En effet, les salaires des journaliers nourris à la ferme se sont accrus depuis 1880 et ils n'ont pas diminué depuis cette époque.

En voici la preuve :

Salaire des ouvriers nourris.

fr. c.

i83o-i84o « 75

1 840-1 85o » 75

i85o-i86o I »

i86o-i865 I 25

1865-1870 I 35

1870-1880 I 5o

1880-1890 I 5o

1890-1895 1 60

Il est à peine besoin de faire remarquer l'importance sociale des faits que nous signalons. A une époque il est de mode de « flétrir » le capitaliste, rien n'est plus instructif pour les esprits éclairés et impartiaux que de constater la fixité et même la hausse des salaires au moment les revenus des propriétaires décroissent.

Cette observation présente déjà un très grand intérêt. Il est encore utile de montrer que la part du produit brut des cultures attribuée au cultivateur et au proprié- taire sont très faibles aujourd'hui et ont décru rapide- ment depuis quelques années. Grâce à l'élévation des salaires, la fraction réservée aux travailleurs manuels est au contraire très importante. Rien ne prouve mieux l'erreur des socialistes lorsqu'ils affirment que sur le produit du travail la part de l'ouvrier est de plus en

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 237

plus petite tandis que celle du capitaliste grossit tou- jours.

Pour serrer de plus près la réalité, nous allons faire la monographie d'une exploitation rurale et emprunter nos chiffres à la comptabilité d'un agriculteur,

La ferme dont il s'agit est située dans le département de l'Aisne. Sa position est excellente. Une route dépar- tementale et une route nationale la bordent ou la traver- sent et facilitent les charrois.

D'autre part, le domaine est pourvu d'excellents che- mins d'exploitation. Une sucrerie a été établie non loin de et reçoit les betteraves que produit le fermier : ce dernier peut également y prendre livraison des pulpes qui serviront à l'engraissement des bœufs. Les con- dilions économiques sont donc à ces divers points de vue tout à fait favorables. Les terres ont une surface de 200 hectares d'un seul tenant. Leur qualité est bonne. Le prix total de location s'élève à i i.ooo francs, soit un peu plus de 5o francs par hectare.

La répartition de la surface entre les diverses cultures «st la suivante :

Betteraves à sucre 60 hectares.

Blé 45

Seigle lo

Avoine

Prairies artificielles 3o

Prairies naturelles 10

Pommes de terre et divers . . 5

Le fermier s'est efforcé d'élever les rendements qui sont très bons, notamment pour les céréales. Il obtient ■25 quintaux de blé à l'hectare, soit 33 hectolitres en

238 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE

chiffres ronds ; 2^ hectolitres de seigle ; 60 hectolitres ou exactement 3o quintaux d'avoine, et aS.ooo kilogs de betteraves riches.

La moitié de l'avoine produite est consommée par les animaux et notamment par 18 chevaux de trait. La récolte de 3 hectares de seigle est également réservée pour la consommation intérieure. Enfin, les coupes de prairies, les pommes de terre, etc., servent d'aliments et ne font pas partie du produit brut, c'est-à-dire des valeurs exportées et constituant une recette en argent.

Les semences devraient être régulièrement retran- chées du montant de ce produit. Mais le cultivateur les achète, il les fait figurer parmi les dépenses. Nous en parlerons tout à l'heure.

Voici maintenant, pour l'année 1896, le détail des recettes provenant de la vente des produits végétaux :

fr. c.

i.5oo tonnes de betteraves à 24 ti' "26.000 »

I.I25 quintaux de blé à 18 tV. 5o 20.812 jo

iio quintaux de seigle à 10 t'r. 7 . . . . 1.400 »

600 quintaux d'avoine à i5 l'r 9.000 »

Total 67.212 5o

Tous les ans on engraisse 20 bœufs et vaches. Leur poids moyen au début de l'engraissement atteint 600 kilos. L'augmentation de poids vif pendant la période d'engraissement est de 100 kilos. Pour les 20 bêtes soumises à ce régime le gain obtenu est de 2 000 kilos représentant à o fr. 85 par kilo une recette de 1.700 francs.

Voici le détail des opérations qui se rapportent au

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE aSg

troupeau de moutons : 200 brebis mères sont achetées, environ 3o francs pièce, et revendues 56 francs après avoir donné 180 agneaux; enfin 80 moutons coûtant 35 francs par tête sont vendus 5o francs.

En résumé, les recettes argent peuvent être ainsi éta- blies :

fr. c.

Plus-value sur brebis, 200 à 26 fr 5. 200 »

Vente de i8o agneaux à 22 fr 3.960 »

Plus-value sur les moutons, 80 à i5 fr. . . 1.200 »

Laine i.5oo »

Total 11.800 »

Les principaux articles de recettes sont donc les sui- vants :

fr. c.

Produits végétaux 67.212 5o

Produits d'origine animale i3.56o »

Total 80.772 5o

C'est un produit total apparent. Pour obtenir le produit brut réel, c'est-à-dire le montant des valeurs créées dans l'exploitation, il faut en retrancher la valeur des moyens de production.

Retranchons donc :

Ir. c.

Semences 5.964 »

2" Engrais industriels 18.667 »

Aliments achetés pour animaux 11.680 »

Total 3 1.3 II ))

Le véritable produit brut de l'exploitation ne s'élève ainsi qu'à 80.772 3i .3i i = 49-4'3i francs; on a 247 francs par hectare. Ce n'est pas un chiffre considéra- ble et il pourrait sans doute être accru en modifiant le système de culture adopté.

24o LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE

Voici le relevé des dépenses dont il est nécessaire de faire état pour arriver à déterminer les profits.

fr. c.

Fermage 1 1.600 »

Frais généraux 8.900 »

Main-d'œuvre 20.903 »

Amortissement des chevaux de trait .... 2.200 »

Total 43.403 »

Les bénéfices représentent la différence entre le pro- duit brut corrigé et les frais que nous venons d'indiquer ils s'élèvent donc à 6. 1 26 francs.

Le capital engagé dans l'exploitation atteint sans doute 80.000 francs. Cette somme placée en valeurs sûres pourrait assurer à 3 p. 100 un revenu de 2.400 francs. Le chiffre total des profits n'étant que de 6.162 francs, on voit que, déduction faite de Tintérôt de 3 p. 100 des capitaux engagés et exposés par lui, le cultivateur n'obtient à titre de rémunération person- nelle que 3.762 francs. C'est un résultat fort médiocre et nous sommes persuadé qu'il pourrait être plus bril- lant si la ferme était mieux conduite.

Voici en tout cas de quelle façon est réparti le produit brut :

Part du propriétaire 23.4 P- 100.

Part du cultivateur 12.4

Part de la main-d'œuvre 4'^ 2

Divers 22.0

Total 100. o p. 100.

Les dépenses de main-d'œuvre représentent 4'*^ p- 100 du produit brut, fraction bien supérieure à celle qui cor- respond au fermage (23 p. 100) et aux profits du cultiva- teur (12 p. 100), ou même à ces deux parts cumulées.

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 241

Depuis vingt ans, le revenu du propriétaire a diminué de 40 p. 100, et les bénéfices de l'exploitant ont baissé plus rapidement encore. Les salaires ont, au contraire légèrement augmenté d'une façon absolue, et la part réservée aux travailleurs dans la production totale s'est accrue sans que la quantité de travail fournie soit deve- nue plus grande. La répartition des richesses agricoles a donc été modifiée dans un sens favorable à l'ouvrier ou au domestique rural.

C'est une des conséquences des plus intéressantes de la crise agricole actuelle au point de vue social. La crise dont souffrent les agriculteurs et les propriétaires n'a fait, d'ailleurs, que hâter l'évolution sociale qui est toute favorable aux intérêts des travailleurs manuels, tandis qu'elle nuit aux capitalistes.

En consultant la comptabilité d'un agriculteur de l'Oise, nous avons pu suivre les transformations succes- sives des sytèmes de culture et leur influence sur la répartition de la production agricole.

En i85o , le produit brut par hectare s'élevait à 125 francs seulement. Le fermage atteignait francs et représentait près du tiers de la production. D'autre part, le salaire moyen d'un ouvrier était de o fr. 80 par jour.

Quarante-cinq ans plus tard (1890) le produit brut a doublé et atteint 260 francs. Le prix de fermage reste le même, mais ne représente plus que le sixième du mon tant des valeurs créées. Quant au salaire journalier du travailleur rural, il est de i fr. 60 et a augmenté, par conséquent, de 100 p. 100.

Voici un autre exemple que nous empruntons égale-

ZoLLA. La Crise agricole. i6

242 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE

ment à la comptabilité d'un agriculteur, lauréat de la prime d'honneur dans le Loiret.

En cherchant quelle a été l'augmentation moyenne de tous les gages et salaires depuis i85i jusqu'à 1893, on trouve les chiffres suivants :

Salaires et gages.

^ francs.

i85i-i86o 100

1891-1893 . i53

En revanche, le prix de fermage par hectare passait seulement, dans le même intervalle, de 53 francs à 63 francs, de telle sorte que ses variations peuvent être ainsi traduites :

Prix de fermage. - francs. '

i85i-i86o loo

1891-1893 ii3

Quant à la part de propriétaire dans le prix brut, elle a diminué de 20 p. 100. Nous trouvons en effet :

Produit brut par hectare Fermage par hectare . .

i85i-i86o

1891-1893

^ ^^---^^ ^^

"~- ^-— ' ^

Chiffres absolus

Chiffres absolus

p. 100.

p. 100.

3oo 100

770 100

53 17.6

63 8.1

La part du propriétaire représentait, il y a quarante ans, 17. 6 p. 100 du produit brut ; elle n'est plus aujourd'hui que : 8. I p. 100.

La diminution dépasse donc 5o p. 100.

j II est utile de comparer ces faits avec les hypothèses

des socialistes qui disent, comme Henri Georges : « La

, rente progressera pendant que les salaires baisseront.

\ Du produit total, le propriétaire prendra une part de

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE M'a

plus en plus grande, le travailleur une part de plus en plus petite. »

On peut affirmer sans exagération que l'expérience inflige à ces prédictions pessimistes un complet démenti.

La rente du sol a baissé, la part du propriétaire a diminué au lieu de s'accroître, et les salaires seuls se sont accrus ou sont demeurés stationnaires au milieu de la crise qui affecte si douloureusement les capitalistes ou les entrepreneurs.

TABLE DES IMATIERES

] Pages.

Intkoductio.n 1 à .23

Qu est-ce que la crise agricole ? Premières distinctions à

faire i

■Les caractères de la crise agricole 4

La crise, la baisse des prix et des profits 6

Les causes de la crise. La concurrence étrangère lo

La question monétaire i3

L'agriculture et l'impôt i6

Les véritables causes de la crise agricole 17

Les conséquences de la crise. Sa portée sociale 19

Les remèdes proposés et [la vraie solution 21

CHAPITRE PREMIER

LA BAISSE DE PRIX DES PRINCIPAUX PRODUITS AGRICOLES

DEPUIS VINGT ANS aS

I. Les produits végétaux 25

I. Le froment a6

II. Autres céréales 3o

III. Influence de certains produits sux* la prospérité de l'in-

dustrie agricole 33

IV. Les grains alimentaires autres que les céréales. ... 37

V. Les pommes de terre 38

VI. Les cultures industrielles 39

VII. Le vin 45

VIIL Les bois 48

IX. Conclusion générale 49

IL Les produits d'origine animale 5i

1 Le bétail et la viande 5a

II. Le lait 63

246 TABLE DES MATIERES

III. Le beurre 64

IV. Les fromages 66

V. La laine 67

VI. Les cocons 69

VII. Le miel et la cire 69

III. La baisse des prix et l'augmentation de la production

en France 7'^

IV. La production intérieure et les prix 85

V. La baisse du prix des matières premières de lindustrie

agricole 9*^

IV. Erreur relative à l'influence qu'a exercée la baisse des

prix sur les recettes brutes des cultivateurs 97

VII. La baisse des prix des denrées agricoles. Les recettes

brutes et les profits i^9

CHAPITRE DEUXIÈME

LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX 127

I. Les importations de produits agricoles et la baisse des

prix i'-^7

II. La crise monétaire et la baisse des prix '44

I. La baisse de l'argent et l'appréciation de loi' i44

II. La rareté relative de l'or '47

III. La concurrence des pays à étalon d'argent i6i

III. L'Agriculture et l'impôt 167

IV. Le développement de la production agricole dans le

monde et la transformation des moyens de transport. 172

CHAPITRE TROISIÈME

LES REMÈDES 199

La législation douanière et la crise i99

La protection des intérêts agricoles '^ ' "^

Les solutions définitives '^'8

LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE AGRICOLE ■ï\i

É V H E r X , I M I' U I M E m E II E CHARLES H E R I S S E Y

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HD Zolla, Daniel

194.5 La crise agricole dans ses

Z7 rapports avec la baisse des

prix et la question monétaire

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