http://www. archive. org/detailsilagrandepchede00bell ET DE LA MORUE. * \ LES FRANÇAIS A TERRE-NEUVE ET SUR LES COTES DE L’AMÉRIQUE DU NORD La Grande Pêche de la Morue À TERRE-NEUVE Depuis la découverte du Nouveau Monde par les Basques AU XIV° SIÈCLE PAR Adolphe BELLET, * C. ® A. Président de la Chambre de commerce de Fécamp, Conseiller du Commerce extérieur de la France, Armateur à la Grande-Pêche à Terre-Neuve. 2e ÉDITION PARIS AuGusrix CHALLAMEL, Énireur Rue Jacos, 17 Librairie Maritime et Coloniale. 1902 D and " : tv. ‘% DU MÊME AUTEUR LA LETTRE DE CHANGE — LES PROTÈTS LE CAUTIONNEMENT Derenne. — Paris 1888. LE CINQUANTENAIRE de la CHAMBRE DE COMMERCE DE FÉCAMP 1844-1894 L. Blairet et Ci. — Fécamp 1894. NOTES sur LA CAISSE DU COMMERCE DE FÉCAMP 1825-1844 L. Blairet et Cie, — Fécamp 1895. HISTOIRE MARITIME DE FÉCAMP ire PARTIE Les Grandes Pêches du hareng et du maquereau. I. Monmarché. — Fécamp 1896. 2° PARTIE Les Grandes Pêches de la baleine, du cachalot, du marsouin et de la morue, I. Monmarché. — Fécamp 1897. 3e PARTIE Le Commerce Maritime et les Institutions de prévoyance (en préparalion. RAPPORTS présentés au Congrès internalional des Pêches maritimes de Dieppe. A. Challamel, éditeur. — Paris 1899, “HS PAT von ès - : r UE i Le A 4 D | 4 k i Ed 2 24 RAA en F 2 Si ) Lt «7 - ; j | . is BR A » SE sr) ARE Le: Le F L 1"3: De CA data) pe S, os r . + : ; Lo F . _. « 2 r ” < Las 1 À p AA € Le L ? : #e ESA à , A À | | Hu | HAT | \ A NOT S Le SR CC AL CA 5, * 1” ’ | as + w dE æ 4 .# æ : e Mae ; |." ss . * u " : , 1 : * nt < (+ ss L CAT Le . 1:27 NA * > 4 j 1, En CR Fa : L! : AE + l LP L "rs: Ce +5 CM, » : : « : % (à : . J 15 > og LT : se 1 Éa LAS 4 LES ce 47 ee H Fo . 7 s re ? £ . “ té CT he É : pe alone Month anale 27" à À AVANT-PROPOS I. — Aussi vieille que le Monde Voilà véritablement l’industrie de laquelle on peut dire, sans crainte d’être taxé d’exagération, qu’elle est aussi vieille que le monde ! En effet, aussitôt que le premier être humain eut fait son apparition sur notre planète, et bien avant qu'il songeât à se vêlir, il ressentit les atteintes de la faim, et sa première préoccupation a été sans nul doute celle de se procurer la nourriture qui lui est nécessaire pour conserver son exis- tence. Or, bien que l’homme puisse s’accommoder en cer- taines régions des ressources que lui offre le règne végétal, il est impossible de nier que son organisation comme ses goûts en font un être essentiellement carnivore. Son pre- mier acte a donc été nécessairement une déclaration de guerre à tous les êtres du règne animal susceptibles de lui servir d'aliments et qu’il a pourchassés partout où il les a rencontrés, sur terre, dans les airs, comme au sein des eaux douces ou salées qui couvrent plus des trois quarts de son domaine. Par suite, si les historiens ont pu chercher à attribuer l'invention de l’agriculture et des autres industries primitives à tel ou tel autre peupie en particulier, on est obligé de reconnaître que la pèche comme la chasse sont contempo- raines de l’arrivée de l’homme sur la terre. L'homme a tou- Les Français dans l'Amérique du Nord. l AVANT-PROPOS Jours chassé et il a toujours pêché comme il a toujours mangé ; mais la pêche comme la chasse se sont profondé- ment modifiées avec le temps comme avec les besoins des individus; au furet à mesure que la société s’est formée, que “les familles sont devenues des peuples et que le commerce s’est développé. Le poisson est devenu un .objet d'échange comme le froment et le riz, une véritable marchandise qu'on a trafiquée de pays à pays, et la pêche qu'on en rit pour se le procurer se transforma progressivement en une indus- trie de premier ordre. L'habitant des côtes n’a plus pêché seulement pour se nourrir avec sa famille, comme il se contentait de le faire primitivement ; il s'est constitué insen- siblement le pourvoyeur de ceux qui vivent à l'intérieur des terres ; puis, comme certains poissons ne se montrent qu'à des époques déterminées, où on les trouve alors en grande abondance, pour disparaître ensuite pendant de longs mois, il a cherché les moyens de conserver, pour les jours de disette, les produits qu'il trouvait en excès dans les jours d’abondance. La préparation du poisson pour sa conservation devint donc le corollaire obligé de la pêche. Une autre conséquence, et non la moins importante, avait été la création de la nawi- gation, comme elle en est toujours restée la branche prins cipale. Il est hors de conteste en effet, que c'est pour poursuivre la proie convoilée, quelque gros poisson qu'il voyait lui échapper, que le premier marinier osa quitter le rivage où il était impuissant pour se risquer sur un tronc d'arbre ou tout autre objet flottant qui le rapprochait de son gibier.Ce fut là évidemment le premier bateau monté par le premier navigateur. Malgré tout l'intérêt que pourrait présenter l’étude d'une pareille question, nous avons la ferme conviction qu'il serait matériellement impossible d'établir d'une manière même approximative l’époque, le lieu et le peuple auxquels nous devons rapporter l'élévation de la pratique de la pêche au AVANT-PROPOS 3 rang d'industrie telle que nous venons de l’exposer et qui nécessita dès lors des associations de bras et des réunions de capitaux. Il y a lieu de croire au contraire que la transfor- mation s’est faite lentement et progressivement comme toutes les modifications apportées aux anciennes pratiques popu- laires. Le champ d'exploration qui s'offre à nos recherches dans la matière est aussi vaste que le domaine des pêcheurs est immense et que les espèces exploitées sont nombreuses et variées. Le terme général de pêche comprend en effet toute opération qui a pour but de capturer les animaux qui vivent habituellement dans l’eau sans appartenir pour cela à la classe des poissons. Tels sont, par exemple, dans l’ordre des cétacés, les baleines, cachalots, marsouins, etc., puis les phoques et les morses qui, comme les précédents, appar- tiennent aux mammifères. Les tortues et les grenouilles ont aussi reçu les honneurs de la pêche, ainsi que les crustacés comme le homard et un grand nombre de mollusques dont les principaux représentauts sont les huîtres et les moules pour aller jusqu’au corail qui tient presque autant du miné- ral que de l'animal. Si l’on y joint les variétés innombrables des poissons proprement dits, on comprend qu'il faudrait des volumes pour décrire les transformations suCCessives appor- tées aux différents modes de les prendre et de les préparer pour les livrer à la consommation. Notre ambition ne va pas aussi loin et nous nous proposons uniquement de tracer 1c1 une esquisse à grands traits de l’histoire de la pêche de la morue à Terre-Neuve où nos nationaux la pratiquent sans interruption depuis plus de cinq siècles et où Fécamp main- tient vaillamment notre vieille réputation normande en face de la concurrence étrangère. Si la France n’est pas le premier pays du monde où l'on ait élevé la pêche de la morue à l’état d'industrie nationale, elle a su, en tout cas, s'élever au premier rang des nations maritimes qui s'y sont livrées, et, malgré toutes ses tempêtes _ politiques, malgré les sombres jours de deuil qu'elle a tra- 4 AVANT-PROPOS versés, les désastres qu'elle a essuyés, et qui, à plusieurs reprises, ont ruiné de fond en comble et sa marine nationale et les immenses empires coloniaux qu'elle avait fondés, cette industrie déjà florissante, il y a quatre ou cinq siècles, s'est perpétuée à travers les âges et est restée aussi vivace qu'au premier jour. ù C'est précisément cette extraordinaire vitalité que rien n’a encore pu atteindre jusqu’à ce jour, qui exaspère et met en rage tous nos concurrents étrangers et surtout les Anglais ; c’est elle qui a amené la question du French-Shore, car ils savent que le maintien de nos droits de pêche sur les côtes de la colonie qu'ils nous ont enlevée en 1713, est la condi- tion sine qua non de l'existence de notre industrie morutière. II. — La Morue et ses Habitudes. PRINCIPAUX LIEUX DE PÊCHE En dehors du monde spécial des pêcheurs et des habi- tants du littoral où l’on prend encore de temps en temps quelques morues franches, grêlins, merluches et autres variétés du même genre, bien peu de gens connaissent sous sa véritable forme le poisson qui nous occupe ; le plus grand nombre ignore même totalement ses habitudes, de sorte que la majorité de ceux qui entendent parler de la pêche de Terre-Neuve ou d'Islande et de ses besoins, envisagent sous un jour tout à fait faux les diverses faces du problème si complexe de cette industrie maritime. | Cette ignorance si complète d'un poisson que nos bateaux rapportent cependant par millions tous les ans en France lient à ce que la morue livrée à la consommation est privée de sa tête, fendue, vidée, parée et habillée sur les lieux mêmes où elle a été prise avant d’être rapportée en France et vendue aux marchands en détail qui la tailladent à leur tour suivant les besoins de leur clientèle. Nous en dirons DR UC PPS OU CE SR CR NE ALES D Se es à de AVANT-PROPOS 5 donc quelques mots ici afin que l’on puisse suivre avec plus de clarté les explications théoriques dont nous pourrons avoir besoin d’entreméler notre récit. Toutes proportions gardées, on peut dire que la morue ressemble beaucoup au merlan, que tout le monde connaît, et qui appartient à la même famille ; mais elle est beaucoup plus grosse, puisque avec l’âge elle peut atteindre une lon- gueur de 1 mètre à 1 m. 50 et un poids de 40 à 50 kilog. Quelques marins assurent même qu'on en a pêché sur le FiG. 1, — Morue franche. grapd banc de Terre-Neuve qui mesuraient jusqu'à 2 mètres -de longueur et pesaient environ 200 kilog. Il y a peut-être un peu d’exagération dans ces récits de pêche, mais en fai- sant la part de cette exagération, il n’en reste pas moins établi, — et les grands naturalistes ont admis cette thèse, — que les individus arrivés à leur complet développement pré- sentent le poids et les dimensions des plus gros poissons. Au bout de combien de temps parviennent-ils à ces proportions démesurées ? On n’en sait rien encore : tout ce que nous pouvons dire c'est que ces morues monstres sont excessive- ment rares dans les parages où s'exerce l’industrie de nos marins, ou bien elles passent dédaigneusement à côté de l’ap- pât qui garnit leurs haims et que l'expérience de l’âge leur a appris à mépriser, En tout cas, le poisson que pêchent 6 | AVANT-PROPOS couramment nos lerre-neuviers ne pèse guère plus de 2 à 3 kilog. au sortir de l’eau avant d’être vidéet étêté ou décollé. Il est juste d'ajouter que le poids moyen du poisson pêché sur le Grand Banc et tous les autres parages de Terre- Neuve va en diminuant d'année en année et qu'il n’atteint pas aujourd'hui la moitié de ce qu'il était il y a cent ans. La morue est très vorace et fait une guerre acharnée à toutes les autres espèces de poissons, ainsi qu'aux mol- lusques et crustacés qu'elle rencontre sur son passage. Elle est servie en cela par des dents très aiguës dont le nombre, l'agencement et la mobilité rappellent les terribles mâchoires des requins contre lesquels elle a d’ailleurs à se défendre ; son estomac, qui atteint des proportions considérables si on le compare à la taille de l'individu, posséde des facultés digestives si actives qu’un crabe englouti tout vivant avec sa carapace y est réduit en bouillie en moins de six heures. II résulte de là que toutes les proies lui sont bonnes, quoi- qu'elle ait des préférences bien marquées et dont les pêcheurs doivent tenir compte dans le choix de l'appât dont ils boëttent leur ligne. Habitant toutes les mers et s’accommodant de tous les climats, la morue est essentiellement un poisson de fond qui vit de préférence au milieu des roches dont elle parcourt incessamment les sombres méandres en quête continuelle de nouvelles proies qu’elle dévore avidement sans pouvoir jamais assouvir une faim perpétuelle. La conformation par- ticulière de ses yeux lui permet d’habiter les profondeurs les plus considérables aussi bien que les sommets des hauts plateaux sous-marins que les navigateurs désignent sous le nom de Bancs. C'est donc au fond des mers qu'il faut l'aller chercher, car ce n’est qu'exceptionnellement qu'elle quitte ces fonds où elle séjourne habituellement pour suivre à l’oc- casion des bancs de harengs, de capelans ou d’encornets dont elle est très friande et qui viennent de temps à autre passer au-dessus d'elle, semblant ainsi l’inviter à quitter ses ds € ni LS 2 QE PT er r - nl ten -ne ir dé > Re CO, PO VE PES AVANT-PROPOS 7 sombres retraites ; mais elle redescend aussitôt que le banc est passé. Il ne faut cependant pas conclure de là que ce poisson aime à séjourner toujours dans les mêmes lieux sans jamais s’en écarter d'une façon notable. Bien au contraire, car, sans être un poisson véritablement migrateur que les variations de température poussent d’une région dans une autre, en suivant des routes immuables qui le ramènent au point de départ quand les conditions climatologiques qui lui conviennent s’y sont produites à nouveau, la morue aime beaucoup à se déplacer. Elle voyage par bandes innombrables qui quittent un fond pour un autre chaque fois qu’elle ne trouve plus dans le premier la qualité et la quantité de nour- riture qui conviennent à ses goûts ou que nécessitent les besoins d’une pareille multitude d'êtres voraces et toujours affamés. Ces habitudes ambulatoires lui font ainsi visiter successive- ment presque toutes les régions sous-marines qu'elle parcourt dans tous les sens sans qu'il ait été possible, jusqu'à pré- sent, de découvrir la véritable loi à laquelle elle obéit dans ses pérégrinations qui la conduisent cependant à peu près aux mêmes époques dans les mêmes parages. Toutes ces considérations, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas davantage nous conduisent à déterminer d’une façon à peu près mathématique les régions où peut s'exercer l'industrie de la pêche morutière. Il est établi par l’expérience et les recherches de natura- listes que l’on trouve la morue dans toutes les mers du globe qui s'ouvrent librement dans les grands Océans et qui n'ont pas été dépeuplées par une pratique immodérée et souvent même peu rationnelle de la pêche au filet traînant qui détruit jusqu'au fretin et bouleverse les roches où 1l pourrait trou- ver un abri salutaire pour s’y développer en toute sécurité. Mais dans cette immense étendue d’eau salée dont les richesses poissonneuses sont incalculables, 1l nous faut tout d’abord renoncer à l'exploitation de toutes les régions inter- 8 AVANT-PROPOS tropicales dont les eaux sont si chaudes et l'atmosphère tou- jours si chargée d'électricité que les germes de la corruption se développeraient dans les produits de la pêche avant même qu’on ait eu le temps de leur faire subir la préparation qui leur convient. Ce sont d’ailleurs ces raisons qui ont empêché de donner suite à différents projets qui avaient été formés d'aller pêcher la morue sur les bancs d’Arguin, du Cap Blane et les parages des îles du Cap Vert sur les côtes septentrio- nales d'Afrique où l’on avait rencontré ce poisson en aussi grande quantité qu’à Terre-Neuve ou sur les côtes de Nor- vège. Pour une raison toute opposée mais non moins péremp- toire, nous sommes également chassés des mers glaciales où les banquises, les ice-bergs, les glaces de toutes sortes et les tourmentes de neige presque continuelles y rendent la nawi- galion extrêmement périlleuse et la pêche matériellement impossible, malgré l'abondance extraordinaire du poisson qui s'y donne rendez-vous. Les lignes qu'on filerait dans ces eaux ne ramèneraient que d'énormes glaçons et les hommes ne pourraient résister bien longtemps aux rigueurs de la température, si leur bâtiment lui-même ne se trouvait pas quelque nuit broyé entre deux montagnes de glace, comme cela est arrivé Lant de fois à nos malheureux baleï- niers quand ils exploraient ces parages inhospitaliers, Il ne nous reste donc plus, pour exercer notre activité, que les régions tempérées des mers comprises entre les eaux chaudes des tropiques et les glaces polaires. Ce serait encore là une étendue très respectable sur laquelle toutes les flottes du monde pourraient se mettre à pêcher sans crainte de se gèner, si la trop grande profondeur ne venait à son lour y apporter un obstacle insurmontable sur près des 99 cen- tièmes de cette immense surface. Nous avons vu en effet que la morue est un poisson de fond ; on sait que la profondeur moyenne du bassin septentrional de l'Atlantique, entre la France et l'Amérique est d'environ 3,000 mètres, et l'on conçoil aisément qu'il soit impossible d'y aller chercher la a ds = AVANT-PROPOS 9 morue. D'ailleurs, en existe-t-il réellement à une telle dis- tance de l’air et de la lumière solaire ? Mais le fond de la mer est accidenté comme la surface des continents dont il n’est, en somme, que la continuation ; comme eux, il nous offre des vallées qui descendent jusqu'à 7,000 et 8,000 mètres séparées par de hautes montagnes dont les écueils, les groupes et chaînes d'îles nous montrent les sommets émergeant au- dessus de la surface des eaux. Plus loin, ce sont de hauts plateaux sur lesquels la sonde n'accuse qu'une centaine de mètres et qui portent le nom de Bancs. Le voisinage des côtes basses et sablonneuses est également peu profond, comme la plupart des mers intérieures, telles que la Manche, la mer du Nord, etc. C'est seulement dans ces mers peu profondes, sur ces banes et sur les côtes où le fond de la mer va s’abaissant en pentes douces, que peut s'exercer notre industrie. On com- prendra alors aisément que dans ces conditions les grandes pêcheries se trouvent singulièrement limitées. Nous possédions autrefois les pêcheries de la Manche où la morue franche et ses congénères se montraient aussi nom- breuses qu'on les trouve aujourd’hui sur le grand banc de Terre-Neuve. C’est donc chez nous que nous avons d’abord fait l'apprentissage du métier que nous sommes allés exer- cer depuis, si loin quand notre mer fut dépeuplée. L'Europe ne possède plus aujourd’hui que les pêcheries d'Islande, celles des côtes de Norvège et des îles Lo/ffoden ainsi que celles du Dogger’s Bank et des côtes d'Ecosse ou de la mer du Nord. L'Amérique septentrionale, beaucoup plus riche sous ce rapport que notre vieille Europe nous offre à l’est dans l'océan Atlantique une immense étendue de bancs excessivement poissonneux et si rapprochés les uns des autres qu'ils ne forment en réalité qu'une seule grande pêcherie s'exerçant à la même époque et par les mêmes procédés sur le Grand Banc de Terre-Neuve, le Banc à Vert, le Banc de Saint- Pierre, le Banquereau, le Banc de l'ile de Sable, ete. Elle 10 « AVANT-PROPOS fournit à elle seule plus de la moitié de l’énorme quantité de morue consommée annuellement dans tout le monde. Viennent ensuite les pêcheries de la Côte de Terre-Neuve, celles du Cap Brelon et du Golfe de Saint-Laurent où de l'ancienne Baie de Canada etc. A l’ouest, dans l'Océan Pacifique, se trouvent les pêcheries de l’île Vancouver, celles des Îles Aléoutiennes et de la mer de Behring, bien moins importantes que celles de la côte orientale. L'Asie, à son tour, nous offre ses pêcheries de la mer d'Okhotsk et des côtes du Japon qui sont d’ailleurs très peu exploitées. Il est à remarquer que tous ces fonds à morue sont situés dans l'hémisphère boréal, et que les plus riches se trouvent précisément dans l'Océan Atlantique où ils sont ainsi acces- sibles à nos marins, quoique déjà bien éloignés de nos ports d'armements. Mais la distance n'est point faite pour effrayer nos pêcheurs qui faisaient autrefois le tour du monde en poursuivant la baleine ; aussi les a-t-on vus partout, sauf cependant aux Loffoden. Partout, quand les circonstances le leur ont permis, ils ont tenté la fortune en y faisant au moins des essais qui n'ont pas toujours réussi, L'histoire de ces tentatives serait curieuse à recueillir, mais elle nous conduirait beaucoup trop loin. Nous voulons même limiter nos investigations aux pêcheries d'Amérique les plus anciennement connues de nos nationaux, et celles en même temps où sont engagés les plus gros intérêts de notre pays. nu 2: ** ut (l tr (l S | , | > Tr (ls CA He” f iX LES GRANDES PÊCHERIES de Morue de l'Océan Atlantique W 4 | D _Z > SN HT a | COSTES DE LA MER DE BASQUES d après une carte publiée en 1650 par N. Sanson d'Abbeville BISCAYE Fia, 2, fun E - 5 LL AREAS +. LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD LA GRANDE PÈÊCHE DE LA MORUE A TERRE-NEUVE CHAPITRE PREMIER LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES BASQUES FRANÇAIS ET L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS DE L'AMÉRIQUE DU NORD I. — La découverte de l'Amérique par les Basques Français. Les Français du littoral de la Manche, Normands, Bre- tons Picards et Boulonnois commencèrent évidemment à pêcher la morue dans leur mer, le Canal ou la Mer Bri- lannique comme ils l’appelaient. Pendant plusieurs siècles ils se contentèrent même d'exploiter les richesses de cette mer qui fut longtemps et à juste titre réputée comme la plus poissonneuse de toutes et la plus variée en ses produits de toutes sortes, parmi lesquels abondaient le hareng, le maquereau, le merlan et toutes les variétés de morues, sans compter les baleines, cachalots et autres monstres marins 14 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD qui y faisaient jadis des apparitions très fréquentes, ainsi que les marsouins dont il se faisait une pêche importante tant pour l'huile qu'ils rapportaient que pour leur chair qui élait très estimée et faisait même les honneurs des tables | royales. Bien qu'il ne s’agit pas encore d’une Grande Péche dans le sens qu'on donne aujourd’hui à cette dénomination, il n’en est pas moins vrai que dès les xr° et xnr° siècles il se faisait sur nos côles un commerce considérable de morue salée dont la pêche et la préparation s'étendaient à tous les ports du littoral et notamment à Dieppe, Harfleur, Honfleur, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp, etc. Mais peu à peu, par un phénomène dont il n’a pas été possible jusqu'ici de déterminer la cause exacte, et qui se reproduit de nos jours pour le maquereau comme pour le hareng, la morue se fit plus rare d’année en année et bien- tôt même elle finit par déserter presque complètement nos eaux pour s’arrêler dans la mer du Nord et limiter ses courses vagabondes au Pas de Calais. C’est alors que commencèrent, pour les pêcheurs de notre littoral, les voyages à Terre-Neuve. Quelle fut la cause de cette orientation qui peut paraître bizarre au premier abord si l’on songe à l’effroi insurmon- table qui saisissait alors la plupart des navigateurs quand des vents contraires les entraînaient dans l'Ouest de la Bre- tagne ou de l'Irlande, vers cet inconnu mystérieux qui dans leur ignorance superslitieuse, devait cacher les abîmes infer- naux ? L'interrogation se pose de même si l’on compare la route si longue qu'il fallait parcourir pour s’y rendre, avec la proximité de la mer du Nord, encore appelée Océan ger- manique, où le poisson était, à cette époque, aussi abondant qu'en Amérique. Il est cependant facile d'y répondre si l’on veut jeter un coup d'œil sur l’histoire politique et économique de ces époques lointaines. Les Hollandais, qui vivaient à peu près indépendants mais très pauvrement dans leurs marécages où ils disputaient nm bed. © ds. D Ds... sh +. n æ DS in LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES BASQUES FRANÇAIS 15 pied à pied à la mer le sol ingrat qu'ils habitaient, s'étaient fait, par la force même des choses, une spécialité dela pêche et leurs innombrables petits bateaux qui sillonnaient dans tous les sens l'Océan germanique s’en étaient attribué l’em- pire absolu et presque exclusif, chassant ou pillant les intrus qui osaient s’y aventurer et appuyant même par les armes les droits qu'ils s'étaient arrogés. De là ils s’avan- çaient jusque dans la Manche où ils livraient à nos marins normands de véritables batailles navales d’où, à la vérité, ils ne sortaient pas toujours victorieux. De cette façon les pêcheries d'Europe nous étaient entiè- rement fermées, puisque, pour se rendre à l’une quelconque d’entre elles, 1l eût fallu forcer le passage de la mer du Nord dont les Hollandais nous barraient la route. Fort heureusement, une autre voie nous était ouverte où les dangers que nous venons de signaler n’existaient pas, et où nous n'avions à lutter contre aucune autre concurrence étrangère. Depuis longtemps, les Basques avaient découvert les côtes de l'Amérique septentrionale et ils s’y rendaient régulièrement chaque année. Nous n’eûmes que la peine d'y suivre leurs traces et d’y transporter notre industrie. Comme les Normands de la Manche, les Basques qui habitaient le fond du golfe de Gascogne avaient pratiqué la pêche de la morue sur leur littoral où ils trouvaient également la sardine et le thon; mais leur pêche principale était celle de la baleine, du cachalot et des autres souffleurs qui sem- blaient affectionner tout particulièrement ces parages, et, aussi loin qu'on remonte dans leur histoire, on les voit se livrer à cette industrie dont beaucoup d'auteurs leur attri- buent la création. C'est en poursuivant ces monstres marins à travers les mers, poussant chaque année de plus en plus loin à mesure que leur gibier, fuyant devant eux, se rapprochait des mers glacées, que nos compatriotes découvrirent bien loin dans l'Ouest, une terre couverte de frimas dont les nombreuses baies leur offriréent de sûrs abris pour l'exercice de leur pro- _ sd D 5e Te A PR ES OS RS 16 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NURD 4 fession. Cette Terre Neuve n'était autre que l'Amérique du Nord. Déjà vers l'an 1001, un Européen, l’Islandais Biorn, allant chercher son père au Groënland, et poussé par une tempête dans la direction du Sud-Ouest avait débarqué sur une terre plate, couverte de bois, qui devait être le Labrador, c’est- à-dire une autre partie du continent américain. Retourné dans son pays d'origine, il avait organisé avec Leif, fils d'Eric Fi. 3. — Navire normand du xr siècle. Rauda, le colonisateur du Groënland, une seconde expédi- lion au cours de laquelle ils descendirent le long des côtes américaines jusqu'à une contrée à laquélle ils donnèrent le nom de Vinland (pays du vin) à cause de sa fertilité et des raisins sauvages qu'ils y rencontrèrent. Cette découverte n'eut pas d’autres suites, et celle première roule d'Amérique trouvée par les Northmans fut aussitôt oubliée, Il n’en fut pas de même de la découverte des Basques français. Ces hardis pêcheurs avaient en effet trouvé sur les côtes des Terres Neufves où ils avaient abordé par hasard, les baleines qu'ils espéraient y rencontrer, et les cétacés y élaient en si grand nombre qu'à partir de ce moment ils y LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES PBASQUES FRANÇAIS 17 retournèrent régulièrement chaque année exercer leur industrie. Mais comme nos compatrioles ne rapportèrent de leurs expéditions que du poisson salé ou séché, du lard, de l'huile, des fanons et du blanc de baleine au lieu de l'or, des perles, et des richesses de toutes sortes que les Espagnols de Chris- tophe Colomb trouvèrent quelques siècles plus tard aux Antilles ; comme, au lieu de pays ensoleillés et parés d'une végétation luxuriante comme ceux que visitèrent ces mêmes Espagols, ils ne purent parler dans leurs récits que des brumes, des glaces et des végétations rabougries qu'ils avaient seulement rencontrées, aucun enthousiasme ne les accueillit, et cette première découverte du Nouveau Monde passa pour ainsi dire inaperçue; la nouvelle n’en franchit guère le monde des pêcheurs qu'elle intéressait. Le roi de France était trop éloigné de ses sujets basques qui ne lui prêtaient d’ailleurs qu'une obéissance purement nomi- nale pour que l’écho de leurs découvertes parvint jusqu’à lui, el, comme ses possessions directes ne’ touchaient encore à aucune mer, il se désintéressait à peu près complètement des choses maritimes. Quant à l'aristocratie, elle était trop occupée de ses querelles intestines et de ses luttes contre la royauté pendant les loisirs que lui laissaient les Croisades pour pouvoir profiter des avantages que cette découverte pouvait leur offrir, de sorte que l'événement important qui venait de se produire se trouva réduit aux simples propor- tions d’un épisode commercial local dont les acteurs furent les seuls à bénéficier. Aussi, pour nous qui sommes intéressés dans cette grande pêche de la morue à Terre-Neuve dont les Basques furent les véritables inventeurs, c’est à ce premier atterrissage des baleiniers du Cap-Breton sur les côtes des Terres Neufves que nous devons faire remonter la véritable découverte du Nouveau-Monde, et l'établissement de la première route vraiment commerciale entre l'Europe et l'Amérique. Les Français dans l'Amérique du Nord, 2 18 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Malheureusement, il nous est encore impossible de pou- voir donner une date fixe à cet événement historique. Ce que nous pouvons aflirmer, c’est qu'il précéda d'au moins un siècle et demi la première expédition de Christophe Colomb, expédition qui ne fut d'ailleurs organisée par le navigateur génois que sur les indications d’autres Basques que le vent avait poussés aux Antilles vers 1480. « Environ ce temps », dit le R. P. Fournier dans son Traité d'Hydrographie, publié à Paris en 1667; « un pilote Basque, que quelques autres font Basque-Francçais, natif de Saint-Jean de Luz, d’autres Basque-Espagnol, qu'ils nômment Alonso Sanchez de Huelva, au Comté de Niebla, trafiquant avec un petit navire à Madère, de conserves et de sucre, comme il traitait des Canaries à Madère fut battu d'une si grande tempeste que n'y pouvant résister, il fut contraint de s’abandonner à la mer qui fut si grosse l'espace de 29 jours que durant tout ce temgs il ne put prendre hauteur par le soleil ni par les étoiles, voire la tempeste les empeschait de naviger et dormir tant elle estait grande. Mais enfin s'étant calmée par le changement de vent, ils se trouvèrent auprès d’une isle de laquelle on ne sçait pas bien le nom, on croit toutefois que c'est celle que nous appelons Saint-Domi- nique. Et ce qui est étrange est qu'il faut qu'il ait été porté là par un vent qui toutefois en cette navigation calme plutôt la mer qu'il ne l'irrite. Ce pilote abordé à terre prit aussitôt les éléva- tions et ne manqua pas de faire de bons mémoires de tout ce qui lui était arrivé : ensemble des choses qu'il avait vues. Et s'en retournant, il en fit un autre de celles qui lui arrivèrent depuis, Ayant fait aiguade et provision de bois, il se remit à la voile et ayant été plus longtemps qu'il ne pensait en cette navigation, l'eau et les provisions lui manquant, de dix-sept hommes qui étaient avec lui, il n’en arriva que cinq à la Tercière, du nombre desquels était le pilote qui s'en alla loger en la maison de Chris- tofle Coulomb, Genevois qui s'occupait à faire des cartes pour naviger. Cet excellent homme les reçut avec de grandes démons- trations d'amitié et leur fit tout le bon accueil qu'il lui fut pos- sible afin de s'instruire d’eux des choses qu'ils disaient leur être arrivées en un si long et étrange voyage. Mais quelque bon traic- D _— ST LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LÉS BASQUES FRANCAIS 19 ‘tement qu'il leur put faire, ils moururent tous affaiblis par tant de maux qu'ils avaient souffert. Ce fut sur les relations de ce pilote que Coulomb dut depuis former le dessein qu'il exécuta én -68 jours lorsqu'assisté des rois de Castille, il aborda aux Indes Occidentales. Quelques-uns disent que ce n'était pas à la Tercière où 1l demeurait, mais à Madère. » Déjà cette anecdote rapportée par le R. P. Fournier dont l'érudition est hors de conteste affaiblirait singulièrement l’auréole de gloire et de génie du marin génois qu’un enthou- siasmhe irraisonné éclos chez un peuple prompt à s’enflammer et ébloui à la vue de l’or qu'il rapportait, a sacré grand découvreur de continents, et qu’on se plaît à représenter assis au bord de l'Océan, les yeux perdus dans l’immensité qu'il cherche à sonder pour voir les terres que son cerveau génial a devinées au delà des horizons connus. Ainsi, Colomb n'aurait pas trouvé lui-même la route des Antilles, il n’au- rait fait que suivre une piste qui lui avait été indiquée et il serait parti avec la certitude matérielle de rencontrer un rivage où d’autres Européens avaient abordé quelques années auparavant. Il ne resterait plus que le conquérant, pour le compte de l'Espagne, des pays qui avaient été décou- verts avant lui. Mais pour revenir aux parages de Terre-Neuve, l’auteur de l'Histoire et Commerce des Colonies anglaises de l'A mé- rique seplentrionale, ouvrage publié à Londres en 1755, écrit à ce sujet : La pêche au Banc de Terre-Neuve a été pratiquée de tout temps par les Français et longtemps avant que les Anglais se fussent établis dans l’île de Terre-Neuve ; suivant les rapports des auteurs, les Basques fréquentaient ces parages avant que Christophe Colomb eût découvert le Nouveau Monde, Ainsi, d’après un auteur anglais dont nous citons l'opinion d'autant plus volontiers qu'il n’est pas dans l'habitude de nos voisins de nous attribuer l'honneur de découvertes que + PR NS ET É pi fade L or VOST, NN . ; : 1 r » De : * 20 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD nous n’aurions pas réellement faites, les Français pêchaient dans les parages de Terre-Neuve avant les voyages de Colomb aux Antilles, | Un autre Anglais, Wylfliet, attribue de même aux Fran- çais la découverte de l'Amérique du Nord. Fc. 4. — Nef du xv° siècle, Le R. P. Fournier, que nous avons déjà cilé, dit à ce sujet : L'an 1504, ainsi qu'il est porté dans l'Histoire de Niflet, et | dans Magin, les Basques, Normands et Bretons allèrent en la | Côte des Morues, dite le Grand Banc, vers le Cap-Breton. Voire il semble qu'ils y aient été bien auparavant, car dans une lettre écrite par Sébastien Gavot à Henri VII, roi d'Angleterre l'an 1497, ces terres sont appelées du nom d'/sles de Bacaleos, comme d'un nom assez Connu. | Or on ne peut douter que ce nom ne leur ait été donné par les Basques qui seuls en toute l'Europe appellent ce poisson Bacaleos ou Bacallos, et les originaires le nomment Apagé, Le RÉ 2 LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES BASQUES FRANÇAIS 21 Il est bien évident en effet que si les îles de Terre-Neuve portaient déjà le nom d'îles Bacaleos avant la première expé- dition anglaise de 1497, c’est que les Basques y étaient allés avant cette époque puisque eux seuls en Europe pouvaient leur avoir donné ce nom, qui n’est plus conservé aujourd’hui que par un tout petit îlot sur la côte orientale de Terre-Neuve, entre les baies de la Conception et de la Trinité. En même temps qu’ils baptisaient ainsi Terre-Neuve, l’île des Morues, ilsdonnaient aux terres du Sud-Ouest le nom qui lui est d’ail- leurs resté de Cap Breton, en souvenir de leur pays d’origine, le port du Cap Breton situé au nord de Bayonne dans les Landes. | Tous les anciens auteurs français, qui font autorité en matière d'histoire, sont d’ailleurs constants dans l'exposé de ces faits. De Lamare, dans son Traité de la Police, tome III, hvre V, et après lui R. J. Valin dans ses Commentaires sur l'Ordon- nance de la Marine de 1681, disent que l'honneur d’avoir créé l’industrie de la grande pêche de la morue à Terre-Neuve « est dû aux Français, principalement aux Basques du « Cap-Breton près Bayonne, qui découvrirent, cent ans avant « Christophe Colomb, l'Amérique septentrionale. Nous ne multiplierons pas ces citations, étant bien per- suadés qu’on finira certainement par découvrir quelque Jour, au fond de quelques vieilles archives des pays basques, un document original et authentique qui résoudra définitivement celte question. Il ne faut pas d’ailleurs s'étonner outre mesure de l'oubli dans lequel est tombé le souvenir des découvertes basques. Le même voile s’est étendu sur les voyages d’explorations auxquels se livraient vers la même époque les Normands français des côtes de la Manche. Jacques Savary, dans le Parfait Négociant publié à Paris - en 1721, écrit que «les Français ont découvert les premiers tous les païs que les Espagnols, Portugais, Anglais et Hol- landais possèdent aujourd'hui dans l'Amérique et dans « e. 22 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD l'Afrique. » et il énumère un certain nombre de pays où les Français allèrent trafiquer avant que les autres Européens n'y eussent abordé. IL est certain que les trésors rapportés par Colomb des voyages aux Indes occidentales éveillèrent la cupidité de tous les peuples maritimes de la vieille Europe et que, à partir de 1492, ce ne fut sur l'Océan qu’une envolée d'explo- rateurs de Loutes nations courant la mer dans tous les sens pour arriver les premiers dans une terre encore inconnue de leurs rivaux. Aussi ne voulons-nous retenir, parmi les exploits maritimes de nos compatriotes, que ceux qui ont eu lieu avant cette explosion soudaine du goût des voyages loin- lains, ceux qui ont été exécutés alors que, suivant l’expres- sion du R. P. Fournier, « tout le monde était persuadé que « ceux qui passaient outre le cap Non ne revenaient pas en « leur maison » . Aussi citerons-nous, à titre de curiosité, cette Relation des Côtes d'Afrique, appelée Guinée par Villaut, escuyer, sieur de Bellefond, écrite vers 1667 et que nous extrayons de l'Histoire des anciennes villes de France, de M. Vitet, car elle met en lumière la découverte des Côtes de Guinée par les Normands de Dieppe et de Rouen vers 1364, c'est-à-dire plus de dix ans avant que les Portugais n’y aient commencé leurs voyages. « Comme la France commençait à respirer, sous Charles V, des guerres et malheurs qu'elle avait souffert sous le roi Jean son père, les Dieppois, de tout temps adonnés au com- merce, attirés par le profit qu'ils y trouvaient et la commo- dité de leur havre, se résolurent aux voyages de long cours, de passer les Canaries, et de côtoyer l'Afrique. Pour cet effet, ils équipèrent, au mois de novembre de l'année 1364, deux vaisseaux du port d'environ cent tonneaux chacun, qui firent voile vers les Canaries, et arrivèrent vers Noël au Cap Vert, et mouillèrent devant Rio Fresco, dans la baie qui conserve encore le nom de Baie de France. « Au sortir du Cap Vert, qu'ils nommèrent ainsi, comme LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES BASQUES FRANÇAIS 23 j'ai dit, pour la verdure éternelle qui l’'ombrage, ils coururent le Sud-Est et arrivèrent à Boulombelle ou Sierra-Léone, ainsi que depuis l'ont nommée les Portugais ; de là 1ls passèrent devant le cap de Moulé d'où les habitants de ces deux places et de toutes les côtes furent fort étonnés croyant que tous les hommes étaient noirs ; ef enfin, ils s’arrêtèrent à l’em- bouchure d’une petite rivière près de Rio Sestos où est un village qu’ils nommèrent le Petit-Dieppe, à cause de la res- _semblance du havre et du village, situés entre deux coteaux. Là ils achevèrent de prendre leurs charges de morphi (ou d’ivoire) ét de ce poivre appelé malaguette. Et l'année sui- vante, 1365, à la fin de mai, furent de retour à Dieppe, ayant fait des profits qui ne se peuvent exprimer, n'ayant demeuré que six mois dans leur voyage. « La quantité d'ivoire qu’ils apportèrent de ces côtes donna cœur aux Dieppois d'y travailler, qui depuis ce temps ont si bien réussi qu'aujourd'hui ils se peuvent vanter d’être les meilleurs tourneurs du monde, en fait d'ivoire. . « Au mois de septembre suivant, les marchands de Rouen s’associèrent avec ceux de Dieppe, et au lieu de deux vais- seaux, en firent partir quatre, desquels deux devaient traiter depuis le Cap Vert jusqu'au Petit-Dieppe, et les deux autres aller plus avant pour découvrir les côtes. « La chose ne fut pas exécutée ainsi qu'on l'avait pro- jetée, car un de ces vaisseaux qui devait passer plus outre, s'arrêta au Grand Sestre, sur la côte dite Malaguette, y trou- vant une si grande quantité de ce poivre qu’il crut devoir en charger, et qu'il ne pouvait faire plus grand profit ailleurs. Il en prit sa charge, et l’autre passa plus outre. Le grand accueil et la douceur avec laquelle les habitants de ce lieu les reçurent, Joints à la rivière et à la richesse de ce poivre, firent qu'ils appelèrent ce lieu Paris. Les deux autres, cependant, faisaient leur charge sur ces côtes où ils avaient déjà été, et à trois semaines l’un de l’autre, retournèrent au bout de sept mois richement chargés de cuirs, d'ivoire et de ce poivre, qu'ils portèrent ensuite chez les autres nations, LC e. > pe | _e, Ce F- À _ TR = v La ” PRE TE] PRE Na Fic, 5, LA DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE PAR LES BASQUES FRANCAIS 25 « Le quatrième passa la côte des Dents, et poussa jusqu’à celle de l’Or d’où il en rapporta quelque peu, mais quantité d'ivoire. Comme ces peuples ne leur avaient pas fait si grand accueil que les autres, surtout ceux de la côte des Dents, qui sont très méchants, les marchands, sur le rapport de leurs commis, se bornèrent au Petit-Dieppe et au Grand- Sestre ou Paris, où ils continuèrent d’y envoyer les années suivantes, même une colonie, d’où vient qu’encore aujour- d’hui, le peu de langage que l’on entend de ces peuples est français. « Le grand profit quise trouva dans le débit de ce poivre donna envie aux étrangers de faire ces voyages, et d’aller eux-mêmes choisir ce qu'ils achetaieut des Dieppois ; c’est pourquoi, environ l'an 1375, dix ans après que nous y étions, ils commencèrent d'y traiter ; mais, voyant que les Français y avaient partout des loges, comme à Cap Vert, Sierra-Léone et Cap de Moulé, le Petit-Dieppe et au Grand Sestre, et que les Mores les aimaient de sorte qu'ils ne pouvaient souffrir les autres, 1ls quittèrent le commerce qu'ils reprirent par après et depuis ont toujours continué. « Comme le profit commença à diminuer par la grande quantité de marchandises que les Français et les étrangers apportaient de ces côtes, ceux de Dieppe et de Rouen réso- lurent de renvoyer au même endroit, plus bas, où seize ans auparavant le premier navire avait trouvé de l'or. « Pour cela, au commencement du règne de Charles VI en l’an 1380, ils équipèrent à Rouen un vaisseau du port d'environ cent cinquante tonneaux, appelé la Nofre-Dame- de-Bon-voyage, qui partit en septembre, quoiqu'il fut prêt longtemps auparavant, mais parce qu'ils avaient déjà remar- qué que les pluies qui tombent sur ces côtes aux mois de juin, juillet et août étaient très dangereuses, et causaient plusieurs maladies, dont il est mort beaucoup de monde dans leurs habitations. | « Ce vaisseau arriva vers la fin de décembre à la rade des lieux où, seize ans auparavant, ils avaient été. Les habitants, 26 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD qui avaient reconnu que dans les terres plus avancées ils recherchaient les marchandises qu'ils avaient achetées de nous, et que nous les traitions doucement, apportèrent quan- lité d’or, et ce vaisseau, neuf mois après, retourna à Dieppe richement chargé : ce fut ce qui commença de faire fleurir le commerce à Rouen. « L'année suivante, ils y envoyèrent jusqu'à, trois vais- seaux, qui partirent de Dieppe le 28 septembre, nommés la Vierge, le Saint-Nicolas et l'Espérance. La Vierge arrêta au premier lieu qu'ils appelèrent La Mine, pour la quantité d’or qui s’y apportait des environs. Le Saint-Nicolas traita à Cap Corse et Mouré au-dessous de la Mine, et l'Espé- rance alla jusques au Akara, ayant traité à Fantin, Sabou et Cormentin; dix mois après ils retournèrent et surent si bien persuader les marchands, leur vantant le pays, la dou- ceur des habitants et la quantité d'or que l’on en pourrait ürer, qu'enfin ils résolurent de s'y établir, et abandonner plutôt tout le reste. . « En 1383,ils y envoyèrent trois vaisseaux, deux grands et un petit, qui devait passer au-delà d’Akara, pour découvrir le reste des côtes ; les deux grands étaient lestés de maté- riaux propres à bâtir; étant à La Mine, ils firent une petite loge où ils laissèrent dix à douze hommes, et s'en revinrent encore richement chargés, dix mois après leur départ. « Mais le petit vaisseau qui voulait passer Cormentin et Akara ayant été emporté par les marées fut contraint de relourner et arriva trois mois auparavant les autres, avec la moilié de sa cargaison. « L'on le fit partir dans l'instant que les autres furent venus, pour porter des rafraîchissements à ceux qui étaient demeurés dans la nouvelle habitation de la Mine qui, en quatre ans, s’augmenta si fort par la grande colonie qui alla s'y établir, qu'ils y bâtirent une église que l’on y voit encore aujourd'hui. « Ces commencements étaient trop heureux, et les profits trop grands, pour avoir de longues suites. Les guerres - US NON FONDATION D'UN EMPIRE COLONIAL 27 civiles ayant commencé en 1410, le commerce dépérit avec la mort de quantité de marchands, et au lieu de trois et quatre vaisseaux qui parlaient tous les ans du port de Dieppe, c'était beaucoup quand, pendant deux ans, ils pouvaient en mettre un à la mer pour la Côte d'Or, et un autre pour le Grand-Sestre. Enfin, les guerres augmentant, ce commerce se perdit tout à fait. » IT. — Fondation d’un empire colonial français. Les premiers Français qui touchèrent les côtes d'Amérique élaient des pêcheurs et non des colonisateurs ; la découverte qu'ils avaient faite ne constituait, à leurs yeux, qu'un simple incident de voyage dont ils profitèrent pour relâcher et s'installer provisoirement dans une des baies de ces Terres- Neufves, à seule fin d'y exercer leur industrie avec plus de facilité. Armés pour la pêche à la baleine, et trouvant là, autant de ces cétacés, qu'ils le pouvaient souhaiter, ils ne pensèrent qu'à faire la chasse à leur gros gibier, à amener sur la grève les pièces qu'ils pouvaient capturer et à les dépecer là, bien tranquillement, pour charger leur navire de lard et de fanons. Puis, quand leur chargement fut complet ils levèrent l'ancre pour retourner en France avec l'intention de revenir chaque année. | | | Ils y retournèrent chaqué année en effet, mais la pensée ne leur vint pas de créer, si loin de leur pays d’origine, un établissement durable, car 1l aurait fallu, pour le garder et l'entretenir pendant leur absence, y laisser une partie de l'équipage, et le pays ne leur offrait pas assez d’attrait pour cela. D'ailleurs s'ils avaient créé cet établissement, perma- nent, qui les eût obligés à des frais plus considérables d’ins- tallation, ils auraient été forcés de se rendre toujours en ce même point de la côte des Terres-Neuves, d'où les baleines 28 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD auraient pu s'éloigner comme elles s'étaient déjà écartées des côtes de Biscaye et des Landes. Il en fut de même plus tard, quand ils y exploitèrent la morue. Ce poisson y était partout si abondant, que le point d'atterrissage importait peu aux pêcheurs et que la nécessité Fi. 6. — Caravelle du xvi° siècle, du choix d'une rade ne s'imposait nullement. D'un autre côté le commerce avec les indigènes d'un pays aussi pauvre n'offrait ni assez de bénéfices ni assez de sécurité pour que ces premiers navigateurs transatlantiques aient trouvé un avantage à établir avec eux des relations suivies. Pendant près de deux siècles, nos nationaux fréquentèrent donc régulièrement les parages de Terre-Neuve avant de chercher à s'y établir à demeure et ce ne fut qu'au com- mencement du xvi* siècle qu'eurent lieu les premières ten- tatives de colonisation proprement dite, - L PR NV T + 1 1 . ‘ 1 art Éd FONDATION D'UN EMPIRE COLONIAL 29 C’est en 1506 que nous trouvons les traces de cette pre- mière tentative dont 1l faut rapporter tout l'honneur aux Normands de Dieppe et de Honfleur. Pendant les premières années du xvi° siècle, dit M. Vitet dans son Histoire des anciennes villes de France, les Dieppois n'ayant pas encore l'expérience de cette impossibilité de former des établissements fixes dans les pays qu’ils découvraient, et conservant un souvenir séduisant des grands profits que leurs pères avaient tirés du Petit-Dieppe et de leurs autres comptoirs de Guinée, conçurent le dessein de tenter de semblables entre- prises. Ainsi nous voyons, en 1508, le sieur Ango, père du célèbre armateur, confier {a Pensée, un de ses navires, à un pilote nommé Thomas Aubert, pour aller fonder un établissement à la Terre-Neuve, dont les rives avaient été découvertes, quatre ans auparavant, par deux vaisseaux, l’un dieppois, l’autre breton, et qu'un pilote d'Honfleur, Jean-Denis, avait visitée depuis ce temps, en 1506. Thomas Aubert reconnut qu'on pouvait faire sur cette côte un grand commerce de pelleteries, que les mers qui la baignent offraient une abondance extraordinaire de pois- sons et surtout de morues. Ango, profitant de cet avis, renou- vela souvent ses expéditions vers cette côte, et en tira de beaux profits. Mais quant à l'établissement qu'ilavait essayé d’y fonder, il reconnut bientôt que ce n'était pour lui qu'une source de ‘dépenses, et ne tarda pas à l’abandonner. Bien que la guerre de Cent ans soit terminée depuis un demi-siècle et que la royauté ait eu le temps de se ressaisir et de se raffermir par les cruautés de Louis XI, ce fut encore avec la plus complète indifférence que le nouveau roi Louis XII vit se produire cette première tentative d’établis- sement des Français en Amérique. Il est vrai que ce prince avait alors les yeux tournés du côté de l'Italie où il croyait avoir des droits à faire voloir. Louis XII mourut en 1515 ; l'avènement de François Ie" fut comme le signal d’un réveil national pour la défense des intérêts de la France au delà des mers. À côté des immenses domaines que les Colomb, les Gama, les Vespuce avaient 30 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD apportés aux couronnes de Castille et de Portugal, celui qui fut le rival de Charles-Quint voulut avoir aussi sa petite colonie dans le nouveau monde. Dès l'an 1518, il envoya le baron de Lery en la terre des morues, pour y donner commencement à une habitation des Français. Celui-ci emportait avec lui {out ce qui était nécessaire pour faire de la vraie colonisation ; c’est-à-dire des outils pour défricher et cultiver la terre, des graines pour l’ensemencer et des bestiaux de France pour y établir l'élevage. Cette première expédition fut des plus malheu- reuses. Ayant longtemps demeuré sur mer, dit le R. P. Fournier, le Baron de Lery fut contraint, faute d'eay douce, de retourner sans rien faire après avoir déchargé en l’isle de Sable et Campseau son bestial, vaches et pourceaux qui y multiplièrent depuis tellement que cela servit grandement aux gens du marquis de la Roche qui, environ quatre-vingts ans après, demeurèrent là cinq ans entiers, sans aucun secours, ne vivant que de poisson et du laitage des vaches qu'ils y trouvaient, C'était vers cette même époque que les frères Parmentier parlaient de Dieppe pour commencer leurs voyages du Brésil et de la Guinée d'où ils doublèrent le cap de Bonne-Espé- rance pour se rendre aux Moluques. Six ans plus tard, en 1524, une seconde entreprise fut confiée à Jean Verazani, pilote florentin, mais cette fois encore il s'agissait beaucoup plus de découverte que de véri- table colonisation. Verazani, en effet, explora pour les rele- ver Loules les côtes de l'Amérique septentrionale qui étaient depuis longtemps fréquentées par les pêcheurs français, basques, bretons et normands, en poussant un peu plus vers le Nord, comme un peu plus vers le Sud, jusque dans la Floride et la Virginie, c'est-à-dire entre les 24° et 41° paral- lèles de latitude nord. Après avoir pris possession de ces terres ainsi que de l’île de Terre-Neuve au nom de son maître, Verazani avait l'in- JO TE d ' FONDATION D'UN EMPIRE COLONIAL a | tention, dit le R. P. Fournier, de pousser jusqu’au pôle nord quand 1l fut pris et mangé par les sauvages. En 1534, une troisième expédition fut confiée par Philippe de Chabot, amiral de France, à Jacques Cartier, pilote de Saint-Malo, pour consolider et étendre les possessions de la France au Canada et dans les pays environnants. Parti de Saint-Malo, avec deux bâtiments de chacun 60 tonneaux et montés par 60 hommes d'équipage, Cartier aborda à Terre- Neuve à peu près au point où Verazani avait terminé sa reconnaissance. De là, il se rendit dans la baie de Canada, entra dans le Saint-Laurent et prit possession du Canada au nom de la France. Dans ce premier voyage, il reconnut que Terre-Neuve était complètement séparée du continent amé- ricain. Six ans après, en 1540, il retournait dans les mêmes pays avec François de la Roque, sieur de Roberval, nommé vice-ro1 de toutes ces terres, auxquelles on commença à don- ner le nom de Nouvelle-France. Roberval et Cartier forüfièrent le cap Breton, qui, appa- remment, possédait déjà une colonie et ils s’avancèrent dans le Saint-Laurent jusqu'à sept ou huit lieues au delà du point où fut fondée depuis la ville de Québec, mais les grandes affaires de France les rappelèrent avant qu'ils eussent pu mener à bonne fin la mission dont ils avaient été chargés. En 1543, Roberval retournait à la Nouvelle France avec le pilote saintongeois Jean Alphonse. Les guerres de religion qui vinrent à cette époque ensan- glanter la France, en jetant les partis les uns contre les autres, mirent fin à ces expéditions au cours desquelles on n’avait pu que planter les jalons d’un établissement sérieux. Tant que durèrent ces dissensions, il ne fut plus question ni de colonies, ni d’expéditions d'outre-mer, seuls les pêcheurs continuaient d’y aller exercer leur pacifique indus- trie. C’est ainsi qu'en 1591 nous avons à enregistrer un voyage entrepris par le sieur du Court-Pré-Ravillon, parti sur son bateau le Bonaventure, pour faire le trafic des morses aux grandes dents, il découvrit plusieurs petites îles. Aus- 32 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD. sitôt qu'Henri IV fut affermi sur son trône, il confia au mar- quis de la Roche, gentilhomme breton, la direction d'une nouvelle expédition au Canada avec le titre de vice-roi qui avait déjà été porté par Roberval. Ayant échoué complètement par son imprévoyance, M. de la Roche revint en France et fut remplacé par Aymar de Chastes ayant pour lieutenant Samuel Champlain. De Chastes étant mort presque aussitôt, Champlain le remplaça en 1603, et, par son activité, son énergie et son intelligence, il sut organiser celte magnifique colonie dont il peut être regardé comme le véritable fondateur, En 1608, il avait jeté les fondations de Québec qui resta pendant de longues années la capitale de la Nouvelle France. Nommé gouverneur de la colonie en 1620, Champlain sut se concilier l'amitié des indigènes au milieu desquels il vivait et avec qui il fai- sait un commerce assez prospère. Allaqué par les Anglais qui s'élaient établis au sud de nos colonies, Champlain fut battu en 1628, Québec fut pris et le Canada perdu une pre- mière fois. Il nous fut rendu l’année suivante. Après Champlain, l’intendant Talon, que Colbert avait placé à la tête de l'administration de nos colonies d'Amé- rique et le comte de Frontenac s’efforcèrent d'y développer l’agriculture et d'y faciliter le commerce et la colonisation. Ils encouragèrent les missionnaires parmi lesquels se distin- gua surtout le père Marquette, ainsi que les explorateurs qui, comme Cavelier de la Salle, donnèrent à la Nouvelle-France une extension si considérable qu'elle ne larda pas à exciter la jalousie des Anglais. La Salle était venu très jeune au Canada, poussé par le goût du commerce et des voyages. En 1673, il avait remonté le Saint-Laurent jusqu'au lac Ontario et avait bâti, à la ren- contre du lac et du fleuve, le fort Frontenac. Il entra dès lors en relations avec les Indiens, étudia leur langue, leurs usages, se familiarisa avec la navigation des rivières. En réalité, son projet était de chercher une route plus courte vers la Chine et le Japon à travers le nouveau continent. En D LR SL mn 2 FONDATION D'UN EMPIRE COLONIAL 33 1677, La Salle vint en France, trouva un puissant appui auprès de Colbert, de Seignelay et du prince de Conti. Il reçut alors une commission pour découvrir la partie occi- dentale de la Nouvelle-France et pour y construire autant de forts qu'il voudrait. Il s’associa un brave militaire italien Tonti qui avait eu une main emportée en Sicile, au service de la France. Tous deux quittèrent La Rochelle en 1698, revinrent au fort Frontenac, puis remontèrent le lac Ontario jusqu'aux chutes du Niagara où ils construisirent un nou- veau fort. En 1679 ils reconnurent les lacs Erié et Michi- gan, malgré les Illinois inquiets de voir les Européens s’éta- blir auprès d'eux. L'audace et l’habileté de La Salle eurent raison de leur hostilité, car il n'avait qu'une vingtaine d'hommes à opposer à plusieurs milliers de guerriers. Il construisit même sur leur territoire le fort Crèvecœur. Il laissa Tonti à Crèvecœur, puis revint à pied, avec deux ou trois hommes, à travers un pays couvert de neige ou de glace, jusqu’au fort Frontenac, distant de près de 2,000 kilomètres. A son arrivée, La Salle apprit que son bateau le Griffon, avec lequel il avait exploré les lacs, avait péri avec son équipage, et dix mille écus de marchandises, qu'un bâtiment venant de France, chargé pour son compte, avait fait naufrage dans le golfe du Saint-Laurent ; bientôt après que le fort Crèvecœur avait été pillé par la garnison qu'il y avait laissée, et que les Indiens Iroquois avaient pris les armes et même assassiné l’un de ses compagnons, le P. Gabriel. La Salle ne se laissa pas abattre par les revers. Il reparlit de Frontenac, en août 1681, rejoignit Tonti sur le Michigan, et désormais à la tête d’une troupe de cinquante- quatre individus, 1l gagna la rivière des Illinois, par terre, la descendit jusqu’au fort Crèvecœur qu’il répara. En février 1682, il reprit la descente de la rivière des Illinois, qu’il appela Seignelay, et entra peu après dans le Mississipi auquel il donna le nom de Colbert. Il reconnut, en suivant le grand fleuve, l'embouchure du Missouri, celle de l'Ohio, et prit possession du pays en grande cérémonie, le 14 mars, en faisant planter Les Français dans l'Amérique du Nord 3 34 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD une croix et arborer les armes de la France. On était alors sur le territoire des Arkansas. Le 22 mars, il continua son voyage, entra sur le territoire des Natchez dont il prit éga- lement possession. Le pays, le climat, les productions, tout annonçait qu'on avait changé de latitude et qu’on approchait de la zone tropicale. Il arriva enfin dans le delta, où il divisa sa troupe en trois bandes qui s’engagèrent dans les trois bouches principales du fleuve, l’une sous sa direction, les deux autres sous celles de Tonti et du sieur d’Autray. L'eau qui était déjà saumâtre leur annonçait l'approche de la mer. Bientôt elle devint tout à fait salée, et le 9 avril, après une navigation de 1,400 kilomètres en canot, depuis le con- fluent des Illinois, ils débouchaient dans le golfe du Mexique. La Salle éleva une colonne sur laquelle il inserivit le nom de Louis le Grand, donna au Mississipi le nom de Saint-Louis et au pays qu'il venait de traverser celui de Louisiane. La Salle revint par le Mississipi et remonta l'Ohio, qui était la route la plus directe de la Louisiane au Canada. Il ne rentra à Québec que dans l'automne de 1683. Son voyage avait duré deux ans et trois mois. Cette époque marque l'apogée de notre puissance colo- niale en Amérique !. Par droit de découverte et de premier occupant, et sans qu'il en ait coûté beaucoup à son roi, la France possédait alors dans l'Amérique septentrionale un vaste empire colo- nial s'étendant depuis le détroit de Baflin à la baie d'Hudson jusqu'au golfe du Mexique dans toute la région des grands lacs et la riche vallée du Mississipi, Il comprenait notamment l'ile de Terre-Neuve et ses dépendances, l’île du Cap Breton et ses dépendances, l'Aca- die qui fut appelée plus tard la Nouvelle Ecosse, le Labra= dor et le territoire de la baie d'Hudson, le Canada ou Nou- velle France, le nouveau Brunswick et le Maine avec la | {. Quesnel, Histoire maritime de la France, Challamel, éditeur, : © FONDATION D'UN EMPIRE COLONIAL 35 1e qui s’étendait alors des monts Alleghanis aux 1es rocheuses. _ colonies anglaises étaient toutes resserrées dans > bande de territoire qui s'étend des monts Alleghanis 4 w) r le L h va dd PR TPE PU ET * ENT), 7e 1.3 LES PÊCHERIES FRANÇAISES aprés Le Traité d'Utrecht 1715 IA de se Le y Q Y fre Pa \ Lu Ca Île de sable Li ss “ r » nd . 5 À | cèt - ÿ K age M: À | : À 3 2 w FT cr ‘. Fe 4h i me, | d UE “. | / LA * ï BE De ne - à A » ss Ge ÈS eye me te tirent tn d ec + GE = CHAPITRE IT LE DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS D'AMÉRIQUE ET LE « FRENCH-SHORE » DE TERRE-NEUVE » Le voisinage des Anglais constituait pour notre colonie une menace permanente et un danger qui n'aurait peut- être pas existé si Cavelier de la Salle et après lui le Che- valier d’Iberville, en prenant possession de la vallée du Mississipi, ne leur avaient coupé le chemin de l'Ouest. Entou- rés de toutes parts, sauf du côté de l'Océan, par nos posses- sions, 1ls ne pouvaient s'étendre qu'à notre détriment et en nous faisant la guerre pour nous déloger de nos positions. Disséminés sur une étendue beaucoup trop vaste, nous n’y élions pas assez nombreux pour résister utilement à leurs attaques, qui allaient se faire de plus en plus nombreuses. Déjà, en 1629, ils s'étaient emparés de Québec où ils ne restèrent que trois ans; en 1666, ils envahissaient l’Acadie qu'ils rendirent l’année suivante. Avant de nous appartenir, l'Acadie avait été en partie colonisée par des Écossais, ce qui lui valut depuis le nom de Nouvelle Écosse : aussi nos ennemis se servaient-ils de ce prétexte pour revendiquer le pays; il en était de même du territoire de la baie d'Hudson où des Anglais s'élaient établis, vers le milieu du xvre siècle pour y faire la chasse du castor et d’où nous les avions délogés en 1710, Ainsi empêchés de se livrer à un commerce très fruc- tueux, jaloux aussi du monopole de la pêche de la morue que nous assurait la possession de tous les rivages fréquen- 38 LES FRANÇAIS DANS L’AMÉRIQUE DU NORD tés par ce poisson, ils ne perdirent jamais une occasion de nous y attaquer chaque fois que la guerre s'élevait entre les deux nations et même en pleine paix quand ils le pou- vaient faire sans crainte. Aussi les événements malheureux qui marquèrent la fin du règne de Louis XIV eurent-ils un grand retentissement dans la Nouvelle France d'Amé-. rique. La guerre- de Succession d'Espagne, qui dura treize ans, fut surtout désastreuse pour nous. Les traités signés à Utrecht en 1713, à Bade et à Rastadt en 1714, nous enlevèrent du même coup l'Acadie, le ter- ritoire de la baie d'Hudson et l'ile de Terre-Neuve avec toutes ses dépendances qui appartinrent désormais en toute propriété à l'Angleterre. Les îles Saint-Pierre et Miquelon, situées au sud de Terre-Neuve, étaient naturellement com- prises dans ces dépendances comme Belle-Ile, Groix, Fogo, etc., où il n'existait d’ailleurs aucune trace de colonisation française, Nos chasseurs de castor y perdaient deux des contrées les plus importantes où ils exerçaient précédemment leur industrie, mais les pêcheurs de morue étaient les plus direc- tement atteints par cette cession de l’île de Terre-Neuve, sur les côtes de laquelle ils avaient l'habitude de préparer leur poisson. Aussi les négociateurs français s'efforcèrent- ils d’atténuer ce préjudice en réclamant de l'Angleterre le droit de continuer à pêcher et à sécher sur une partie des côles de cette île, tout en reconnaissant que le sol appar- tiendrait en toute propriété aux Anglais. Ces réclamations furent admises par les plénipotentiaires anglais, et le droit de pêcher et de sécher nous fut concédé sur toute la côte septentrionale de l'ile de Terre-Neuve, depuis le cap de Bonavista à l’est et la pointe Riche à l'ouest, Les Anglais appelèrent celte partie du rivage le French- Shore c'est-à-dire la Côte française de Terre-Neuve. Nos droits sur ce French-Shore sont consignés tout au long dans l’article XIII du traité d'Utrecht dont voici le texte original; ce traité, comme ceux qui le suivirent, élant rédigé en langue française, Fe Dh L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS ET LE « FRENCH-SHORE » 99 Arricce XIII. — L'Isle de Terre-Neuve avec les isles adjacentes appartiendront désormais absolument à la Grande-Bretagne, et à cette fin le Roy Très Chrétien fera remettre à ceux qui se trouveront à ce commis en ce pais-là, dans l’espace de sept mois à partir du jour de l'échange des ratifications de ce traité, ou plus tôt si faire se peut, la ville et le fort de Plaisance et autres lieux que les Français pourraient encore posséder dans la dite isle, sans que le dit Roy Très Chrétien, ses héritiers ou ses successeurs, ou quelques-uns de ses sujets, puissent désormais prétendre quoi que ce soit, sur la dite isle et les isles adjacentes en tout ou en partie. Il ne leur sera pas permis non plus d'y forti- fier aucun lieu, ni d'y établir aucune habitation en façon quel- conque, si ce n'est des échafauds el cabanes, nécessaires et usités pour sécher le poisson, ni aborder dans la dite isle dans d’autres temps que celui qui est propice pour pêcher et nécessaire pour sécher le poisson. Dans la dite isle, il ne sera pas permis aux dits sujets de la France de pêcher et de sécher le poisson en aucune partie que depuis le lieu appelé cap de Bona-Vista jus- qu'à l'extrémité septentrionale de ladite isle, et de là en sui- vant la partie occidentale jusqu'au lieu appelé pointe Riche. Ainsi, et nous insistons sur ce point à cause des nom- breux incidents diplomatiques qui se sont produits depuis cette époque, relativement à l'usage de nos droits, en cédant l'ile de Terre-Neuve en toute propriété à l’An- gleterre nous conservions le droit d'y envoyer nos bateaux de pêche, d'y débarquer les équipages, d’y séjourner tout le temps que durait la saison de pêche, d'y édifier des cabanes et des échafauds pour y préparer le poisson comme auparavant. En un mot, nous nous interdisions simplement le droit d'y coloniser en bâtissant des villes ou des centres commerciaux, de nous y fortifier ou d'y établir une garnison. Or, si l’on veut se bien pénétrer de l'esprit du temps et de la façon dont s'établissaient alors les colonies, cette con- vention équivalait au partage pur et simple de l’île de Terre-Neuve entre les deux nations, avec l'interdiction pour les Français de se fortifier dans la partie qui leur était 40 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD dévolue. L'intérieur de l'île étant alors considéré comme à peu près inhabitable, et nos compatriotes n'y ayant fondé jusque là aucun établissement de quelque nature que ce soit, la Convention n'avait porté que sur les côtes qui seules représentaient une valeur commerciale et maritime, tant par les excellents mouillages qu'elles offraient aux navires que par l’industrie qui s'y exerçait. Ce qui nous restait en 1713 de la Nouvelle France con- stituait encore un vaste empire dont le trafic, consistant en pelleteries, castors, loutres, etc., en poisson salé, morues, blés, planches, etc., se faisait surtout par le Saint- Laurent et la baie du Canada. En s'emparant de Terre- Neuve et en s’y établissant dans la partie orientale, la plus rapprochée de l'Europe, nos rivaux ne pensaient pas seu- lement à partager avec nous le monopole de la pêche à la morue, ils voulaient surtout s'établir fortement sur la seule route qui nous restât pour nous rendre en Canada de façon à pouvoir nous la couper aussitôt qu'une rupture éclaterait entre les deux nations ; en nous interdisant le droit de nous forüfier dans la partie orientale qui nous était concédée, ils entendaient nous priver des moyens de nous ménager des renforts dans ces mêmes circonstances. Pour eux la question des pêcheries était tout à fait secondaire, | Mais peu à peu, leurs colons s'habituèrent à cette pêche | qu'ils avaient d’abord dédaignée, et quand, cinquante ans | plus tard, le traité de Paris nous enleva le Canada, l’île du | Cap Breton, et la partie occidentale de la vallée du Missis- sipi qui touchait aux colonies anglaises de la Côte Atlan- tique, la pêche nous fut expressément interdite sur les côles du Cap Breton et du Canada. Nos droits sur le « French-Shore » furent maintenus et | confirmés et, pour nous servir de point de relâche, l'Angle- | Lerre nous retrocéda les deux îlots rocheux de Saint-Pierre | et Miquelon situés au sud de l’île de Terre-Nevue presque | à la portée de ses canons. ! È $ H | : d t & L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS ET LE € FRENCH-SHORE » 41 Voici comment s'exprime à ce sujet le traité qui fut signé à Paris le 10 février 1763 : AnT. V.— Les sujets de la France auront la liberté de la pêche et de la sècherie sur une partie des côtes de l’île de Terre- Neuve, telle qu'elle est spécifiée par l'art. XIII du traité d'Utrecht, lequel article est renouvelé et confirmé par le présent traité. Et Sa Majesté Britannique consent de laisser aux sujets du Roi Très Chrétien, la liberté de pêcher dans le golfe Saint- Laurent, à condition que les sujets de la France n’exercent ladite pêche qu’à la distance de trois lieues de toutes les côtes appar- tenant à la Grande-Bretagne, soit celles du continent, soit celles des îles situées dans ledit golfe Saint-Laurent. Et, pour ce qui concerne la pêche sur les côtes de l’île du cap Breton, hors dudit golfe, il ne sera pas permis aux sujets du roi Très Chrétien d'exercer ladite pêche qu'à la distance de quinze lieues des côtes de l’île du cap Breton; et la pêche sur les côtes de la Nouvelle-Écosse ou Acadie, et partout ailleurs hors dudit golfe sur le pied des traités antérieurs. ART. VI. — Le roi de la Grande-Bretagne cède les îles de Saint-Pierre et Miquelon, en toute propriété, à Sa Majesté très Chrétienne, pour servir d’abri aux pêcheurs français. Et sa dite Majesté Très Chrétienne s'oblige à ne point fortifier lesdites îles, à n’y établir que des bâtiments civils pour la com- modité de la pêche, et à n’y entretenir qu'une garde de cin- quante hommes pour la police. Ce qui prouve bien cette préoccupation constante des hommes d'Etat anglais à nous priver de tout moyen de résis- tance, c'est celte clause d’après laquelle ils nous interdisent de fortifier Saint-Pierre et Miquelon et de n’y entretenir, pour la police qu'une garnison de moins de 50 hommes. En dehors de cela, le sol aride de Saint-Pierre et Miquelon, son climat excessif et l'inhospitalité des côtes qui n’offrent de véritable abri qu’à Saint-Pierre, étaient pour eux des sûrs garants que notre minuscule colonie ne pourrait jamais leur porter ombrage en se développant suffisamment pour faire con- currence à leurs propres nationaux. 42 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Cependant, leurs colons nous faisaient une guerre sourde dans les havres du « French-Shore », les plus rapprochés de leurs établissements et dont ils auraient bien voulu nous déloger. ; Aussi, quand le traité de Versailles vint mettre fin à la guerre de l'Indépendance américaine, la question du « French-Shore » fut de nouveau réglée entre les contrac- tants, et divers points restés jusqu'alors dans l'ombre y furent élucidés, pour fixer, d'une façon définitive les droits respectifs des Anglais et des Français. Jusqu'alors, en effet, si nos droits avaient été solennel- lement reconnus, il n'avait nullement été question des pêcheurs anglais et ceux-ci, profitant du mutisme des Traités à cet égard, prétendaient avoir aussi bien que nous le droit de pêcher sur la côte française. Le Traité de Versailles réduisit à néant ces prétentions des Terre-Neuviens en proclamant que les droits de pêche des Français sur le « French-Shore » sont exclusifs de la concurrence des pêcheurs anglais. L'acte principal du Traité est ainsi conçu : Ant. 4. — Sa Majesté le Roi de la Grande-Bretagne est main- tenu en la propriété de l’île de Terre-Neuve et des îles adja- centes, ainsi que le tout lui a été annexé par l'art. 13 du traité d'Utrecht, à l'exception des îles Saint-Pierre et Miquelon, les- quelles sont cédées en toute propriété par le présent traité à Sa Majonts Très-Chrétienne, Arr. 5. — Sa Majesté le Roi Très-Chrétien, pour prévenir les querelles qui ont eu lieu jusqu'à présent entre les deux nations française et anglaise, consent à renoncer au droit de pêche qui lui appartient, en vertu de l'art. 13 sus-mentionné du traité d'Utrecht, depuis le cap Bonavista jusqu'au cap Saint-Jean, situé sur la côté orientale de Terre-Neuve, par les 50 degrés de latitude septentrionale. Et Sa Majesté le Roi de la Grande- Bretagne consent de son côté que la pêche assignée aux sujets de Sa Majesté Très-Chrétienne, commençant audit cap Saint- Jean, passant par le nord et descendant par la côte occidentale L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS ET LE « FRENCH-SHORE » 43 | de l’île de Terre-Neuve, s'étende jusqu'à l'endroit appelé cap - Raye, situé au 47°50° de latitude, Les pêcheurs français jouiront de la pêche qui leur est assignée par le présent article, comme ils _ ont eu droit de jouir de celle qui leur est assignée par le traité … d'Utrecht. Ainsi, malgré les succès remportés par nos flottes dans - la dernière guerre, l'Angleterre trouvait le moyen de nous - dépouiller d’une partie de la côte qui nous appartenait | depuis soixante-dix ans; sous prétexte de rectification de . limites ou plutôt d'échange de littoral, elle nous enlevait . les baies les plus riches du « French-Shore », les plus faci- . lement abordables par nos pêcheurs rad d'Europe ou - revenant du Banc, et nous les remplaçait par une côte plus … éloignée et moins poissonneuse située dans l'Ouest. _ Tout l'avantage était donc pour elle. Par contre, elle nous rendait Saint-Pierre et Miquelon . sans nous imposer les:clauses humiliantes de l’ancien Traité: - Quant à l'exercice du droit de pêche, il fut réglé par un A Acte additionnel, dont voici le Texte . Le Roi, étant entièrement d'accord avec Sa Majesté Très Chrétienne sur les articles du fraité définitif, cherchera tous les moyens qui pourront non seulement en assurer l'exécution avec la bonne foi et la ponctualité qui leur sont connues, mais de plus donnera, de son côté, toute l'efficacité possible aux prin- cipes qui empécheront jusqu'au moindre germe de dispute à _ l'avenir. A cette fin, et pour que les pêcheurs des deux nations ne fassent point naître des querelles journalières, Sa Majesté Bri- tannique prendra les mesures les plus positives pour prévenir … que ses sujets ne troublent en aucune manière par leur concur- —. rence la pêche des Français, pendant l'exercice temporaire qui leur est accordé, sur les côtes de l'île de Terre-Neuve ; et elle fera retirer à cet effet les établissements sédentaires qui y seront formés. Sa Majesté Britannique donnera des ordres pour que les pêcheurs français ne soient pas gênés dans la coupe de bois 44 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD nécessaire pour la réparation de leurs échafaudages, cabanes et bâtiments de pêche. L'art. 13 du traité d'Utrecht et la méthode de faire la pêche qui a été de tout temps reconnue sera le modèle sur lequel la pêche s’y fera. On n'y contreviendra pas, ni d'une part ni de l’autre ; les pêcheurs français ne bâtissant rien que leurs écha- faudages, se bornant à réparer leurs bâtiments de pêche et n'y hivernant point ; les sujets de Sa Majesté Britannique, de leur part, ne molestant aucunement les pêcheurs français durant leurs pêches, ni ne dérangeant leurs échafaudages durant leur absence. Le roi de la Grande-Bretagne, en cédant les isles Saint-Pierre et Miquelon à la France, les regarde comme cédées afin de ser- vir réellement d’abri aux pêcheurs français, et dans la confiance entière que ces possessions ne deviendront point un objet de jalousie entre les deux nations, et que la pêche entre lesdites isles et celle de Terre-Neuve, sera bornée à mi-canal, . Donné à Versailles, le 3 septembre 1783, Jamais document ne fut plus clair ni plus précis que cette Déclaration du gouvernement anglais concernant la recon- naissance de nos droits et la manière dont nous en pouvions user. Si des contestations avaient pu s'élever antérieurement à 1783 au sujet des rapports pouvant exister entre les Anglais propriétaires du sol et les Français usufruitiers des baies et des graves, relativement aux conditions dans lesquelles pouvait s'exercer cet usufruit, il était désormais explicitement jugé que : Les Français seuls ont le droit de pêcher sur le « French- Shore » et que le roi d'Angleterre doit prendre loutes les mesures nécessaires les plus positives pour que ses sujets ne viennent point par leur concurrence troubler nos pêcheurs dans l'exercice de leur pêche sur toute l'étendue du liltoral qui nous est réservé. Les Anglais n'ont donc pas le droit de pêcher dans les eaux du « French-Shore » ni d'y conduire leurs bateaux qui pourraient troubler nos nationaux. Ils n'ont pas le droit d'édifier sur la côte française des L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS ET LE (Q FRENCH-SHORE » 45 établissements permanents ni, par conséquent, d'y fonder des villes ou des villages, comme on le leur a laissé faire par une tolérance préjudiciable à nos intérêts et qui a été l’une des causes des revendications des Terre-Neuviens. Les Français sont également autorisés à couper dans les forêts du littoral tout le bois qui leur est nécessaire pour la réparation de leurs cabanes et de leurs échafauds. Aucune restriction n’est apportée au droit de pêche des Français, n1 dans la manière de procéder, n1 dans la forme des engins, ni dans la nature des produits que peuvent nous offrir les eaux de Terre-Neuve, comme : morues; harengs, capelans, lançons, moules, coques de mer, homards et autres animaux vivant dans l’eau. C'est donc à tort que les Terre-Neuviens veulent s’oppo- ser à la pêche du homard par nos nationaux sous le falla- cieux prétexte que le homard n’est pas un poisson, et que la capture de cet animal ne constitue pas une véritable pêche. Au temps où furent signés les traités qui constituent nos üilres de propriétés du « French-Shore », le homard, comme l’écrevisse, était regardé comme un véritable poisson, et les naturalistes le rangeaient couramment dans la catégorie des « poissons à croûte », et l'expression « pêcher le homard », qui était alors la seule employée, a été conservée presque partout dans le monde des pêcheurs. Le seul point qui, dans cette question des homards, nous paraît hors de conteste, c’est l'interdiction aux Anglais de se livrer à cette industrie sur la côte réservée aux Français afin de ne point troubler ceux-&i dans l'exercice de leurs droits. Pendant près d'un quart de siècle, le traité fut exécuté loyalement. En conformité de la Déclaration de 1783, l'Angleterre avait interdit la colonisation de Terre-Neuve par ses propres nationaux ; elle leur défendait de défricher le sol, de faire des routes, de bâtir des maisons autres que des 46 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD abris provisoires, de clôturer des terrains, tout cela dans une zone large de six milles à partir de la côte. Ce n’est qu’en 1810 que la métropole commença à se départir de cette façon d'agir. Les guerres de la Révolution et de l'Empire vinrent jeter un peu de confusion dans l’état des choses ; mais les traités de 1814 et 1815 maintinrent purement et simplement les clauses des traités antérieurs. Bien mieux, par une proclamalion datée du 12 août 1822, le gouverneur anglais de l'Ile de Terre-Neuve ordonna aux habitants d'enlever, dans le plus bref délai, tous les établissements qu'ils auraient créés sur le littoral concédé à la France et d’en faire sortir tous les bateaux anglais qui y auraient élé amenés, de façon à ce qu'aucun empè- chement ne pût être apporté à l'exploitation de ladite pêche par les Français à qui les ofliciers et magistrats devaient prêter assistance en cas de besoin. Aucun acte international n’est venu, depuis lors, modifier les droits de la France, de sorte que nos pêcheurs devraient pouvoir aujourd'hui y exercer leur industrie avec Îles mêmes libertés qu’au siècle dernier. Les colons anglais ont cependant réussi à s'établir à demeure, sur plusieurs points de la côte française où on en compte plus de 15.000 à l'heure actuelle. Ils avaient profité des guerres du premier Empire pour commencer l'occupation du sol en l'absence des Français ; comme ils avaient pris possession des baies et des rivages où nos marins n'avaient pas l'habitude d’ aller pècher la morue, aucune réclamation ne fut faite par les armateurs et les intéressés ; le gouvernement français négligea de les éxpul- ser ou de les faire expulser par l'Angleterre, et, naturelle- ent, ils n'ont pas cessé de croître en nombre et en audace. Ils forment ainsi trois groupes principaux : le village de Saint-Georges, celui de Bonne-Baie et, le long du bras Hum- ber, à la baie des Iles, plusieurs centres de pêche tels que Pelipas-Cove, Birchy-Cove, etc. Devenue autonome, en 1854, par la concession d'un gou- ci L] À L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS ET LÉ € FRENCH-SHORE » #7 vernement responsable, la colonie anglaise de Terre-Neuve, qui se croit devenue une véritable puissance, supporte avec peine la servitude qui grève son patrimoine national au pro- fit des Français. Aussi, malgré la clarté des actes internationaux qui l'ont établie, malgré l'évidence des faits qui se sont passés de 1713à1854, elle nie que notre droit de pêchesur le « French- Shore » soit exclusif et ne veut tenir aucun compte de la déclaration de 1783 du roi GeorgesIIl. L'Angleterre semble avoir une attitude conforme aux traités qu'elle a signés avec la France et, à deux reprises, en 1857 et en 1884, elle a fait avec le gouvernement français des arrangements qui auraient au moins momentanément résolu la question ; mais le Parlement de Terre-Neuve a refusé son adhésion à ces nouvelles conventions, et alors la métropole n’a pas osé passer outre, de sorte que les actes susdits, bien que pro- mulgués de chaque côté de la Manche, sont restés à l’état de lettre morte. Voici les points principaux de la Convention qui fut signée à Londres le 14 janvier 1857. Arr. 1. — Les sujets français auront le droit exclusif de pêcher et de se servir du rivage pour les besoins de leur pêche pendant la saison spécifiée à l’art. 8 (du 5 avril au 5 octobre de chaque année). Arr. 5. — Les sujets français ont le droit d'acheter l’appât, hareng et capelan, sur toute la côte sud de Terre-Neuve, en y comprenant à cet effet les îles françaises Saint-Pierre et Mique- lon, en mer ou à terre, sur le même pied que les sujets anglais, sans que la Grande-Bretagne ou la Colonie puisse imposer aux sujets français ou anglais aucun droit ou restriction à l’occasion de cette transaction, ou sur l'exploitation dudit appât. Arr. 9. — Les officiers de marine française seront fondés à mettre en vigueur les droits exclusifs de pêche des sujets français, tels qu'ils sont définis à l'art. 1°, en expulsant les navires ou bateaux qui tenteraient de pêcher en concurrence, toutes les fois qu'il n'y aura pas, dans un rayon de cinq milles 48 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD marins, de croiseurs anglais en vue, ou dont la présence ait été notifiée, Arr. 10. — Le rivage réservé à l’usage exclusif des Français s'étendra jusqu'à un tiers de mille anglais dans l'intérieur à par- tir de la haute mer, entre Bonne-Baie et le cap Saint-Jean, à un demi-mille anglais. Arr. 11. — Aucun enclos ou construction anglaise ne pourra être fait ni maintenu sur le rivage réservé exclusivement aux Français, si ce n’est pour besoin de défense militaire ou d’admi- nistration publiqué.. 155... 20e Cet Honde ne Ces mesures comprennent le droit de déplacer la construction ou enclos, conformément aux stipulations qui précèdent. CHAPITRE Ill LA PÊCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE DEPUIS LA DÉCOUVERTE DU PAYS PAR LES BASQUES FRANÇAIS JUSQU'A NOS JOURS Afin de donner plus de clarté à cette étude et faire mieux ressortir la diversité des intérêts engagés dans la question des pêcheries de Terre-Neuve, il est nécessaire d'établir ici une distinction entre les différentes méthodes employées dans l'exploitation des richesses poissonneuses de ces fonds, et de faire deux sections bién nettement séparées de nos pêcheries d'Amérique. Elles ne sont en vérité que deux branches d’une même industrie, mais dans chacune desquelles les armements et les procédés de pêche sont non moins différents que les modes de préparation des produits qu’on en retire. L'une d'elles a son siège sur la partie du littoral de l’île de Terre-Neuve que nos traités avec l'Angleterre ont réser- vée à nos nationaux, ainsi que sur les côtes des îlots de Saint-Pierre et de Miquelon : c’est la Pêche sédentaire avec sécheries ou Pêche à la côte. L'autre se pratique au large sur les nombreux bancs que présentent ces régions et dont les principaux sont le Grand- Banc de Terre-Neuve, le Banc à Vert, le Banc de Saint- Pierre, les Banquereaux du cap Breton, etc.; elle se pra- tique aussi dans le golfe du Saint-Laurent, et principale- ment dans le voisinage du groupe des îles de la Madeleine : c'est une Pêche errante dont les produits sont préparés sur s Français dans l'Amérique du Nord. 4 50 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD le bateau et salés au vert; on lui donne le nom de Péche au banc. La Pêche à la côte fut la seule pratiquée à l’origine par les Basques qui commençaient, en arrivant dans ces parages, par mettre leurs navires à l'abri dans une des nombreuses rades que présentent les côtes si découpées de Terre-Neuve et du cap Breton. Puis, quand le bâtiment était en sûreté, une partie de l'équipage descendait dans les chaloupes pour pêcher avec des filets dans la rade choisie, tandis que l’autre partie, descendue à terre, préparait le poisson rapporté par les pêcheurs. Dès le commencement du xvi° siècle, comme on l’a déjà vu, les Normands et successivement les Bretons, les Rochel- lois, les Bordelais, les habitants des Sables d'Olonne sui- virent l'exemple des Biscayens, armèrent pour Terre-Neuve et les autres îles et côtes nous appartenant dans le golfe du Saint-Laurent. D'après M. de Lamarre, les principaux centres de pêche étaient la baie de Plaisance, occupée aujourd’hui par les Anglais, au sud de Terre-Neuve, et où l’on trouvait la morue la plus grosse et la plus nombreuse, les côtes du Chapeau- Rouge et du Petit-Nord en l'ile de Terre-Neuve ainsi que quelques points, la baie de Gaspé et celle des Chaleurs en la « Baye du Canada ». Pendant très longtemps, la côte du Petit-Nord, à Torre Neuve, resta en quelque sorte l'apanage des Bretons et des Malouins. Comme ils y allaient en très grand nombre dans un espace assez restreint malgré l'immense étendue des côles poissonneuses qui nous appartenaient alors, de nom- breuses contestations ne tardèrent pas à se faire sentir pour le choix des havres les plus propices et des grèves les plus favorables à la préparation du poisson. Les querelles dégé- néraient souvent en rixes et quelquefois en véritables batailles dont les naturels tiraient le plus clair profit. Pour faire cesser un état de choses aussi préjudiciable aux intérêts de tous et de chacun, les principaux négociants de minis. do CS tte béie D. nt. +. 2. D dE d' LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 51 Saint-Malo, intéressés dans cette affaire, convinrent entre eux d'un Règlement qui, approuvé dans l'assemblée géné- rale du 26 mars 1640, fut ensuite homologué au Parlement de Rennes, par arrêt du 31 du même mois. Ce Règlement, dont les principales prescriptions furent maintenues en vigueur jusqu’à la Révolution française, est le premier acte qui ait existé relativement à la police de la pêche de la morue à la côte, laquelle avait été jusqu'alors laissée absolument libre. Il ne concerna d’ailleurs, à l’origine, que la partie de la côte de Terre-Neuve fréquentée par les Bretons. Ce règlement portait en substance que celui des maîtres de navires qui arriverait et jetterait l'ancre le premier dans le « Havre du Petit-Maître », demeurerait amiral de la pêche, lequel, pour signal, mettrait l’enseigne sur son mât: qu'en cette qualité d’amiral, il pourrait choisir le havre qui serait le plus à sa convenance, ainsi que le galet qui lui serait nécessaire, en tenant compte du nombre d'hommes dont l'équipage serait composé ; qu'en conséquence, pour bien établir son droit d’amiral et fixer son choix, il serait tenu d'aller on d'envoyer à l« Échafaud du Croc » un papier ou tableau sur lequel il déclarerait le jour de son arrivée et le nom du hâvre qu'il aurait choisi; il devrait signer cette déclaration ou la ferait signer par quelqu'un de ses gens. Au fur et à mesure de leur arrivée à la côte du Petit- Nord, les autres maîtres de bateau étaient tenus de faire, sur le même tableau, la déclaration du jour de leur arrivée et l'indication du havre qu’ils choisissaient parmi les places inoccupées pour s’y établir et en faire l’exploitation. A cet effet, le tableau demeurait à l'Échafaud du Croc sous la garde d’un des hommes de l’amiral jusqu'à ce que tous les maîtres de navires y eussent été inscrits, avec les noms des havres et galets choisis et occupés par chacun d'eux; après quoi il était remis à l'amiral. Il fut décidé aussi par ce règlement que si quelque écha- faud était rompu par les sauvages ou autrement, les débris 52 LES FRANÇAIS DANS L’AMÉRIQUE DU NORD en appartiendraient à celui qui en devenait le propriétaire par le choix du havre où il était établi, avec défense à tout autre de s'en emparer et de les transporter Ro un autre havre, sur un autre galet. En même temps il fut expressément défendu aux capi- taines de jeter leur lest dans les havres sous peine de 400 livres d'amende. Grâce à ce règlement dont les contrevenants étaient punis d'une amende de 500 livres, au payement de laquelle la car- gaison et le navire lui-même pouvaient être affectés, la paix fut rétablie pendant quelque temps sur les côtes du Petit- Nord. Mais, des pêcheurs venus d’autres provinces de France et notamment de la Normandie et de l’Aquitaine vinrent remettre tout en suspens. Ceux-ci refusèrent d’obéir à un règlement qui avait été fait sans eux et les désordres recommencèrent comme auparavant. C'est probablement à cette époque que furent faites les nouvelles réglementations. Le gouvernement royal, en la personne de Louis XIV, intervint pour la première fois quand les armateurs et capi- laines de Saint-Malo et autres ports de Bretagne firent appel à son omnipotence contre les intrus des ports de Norman- die. Par un arrêt du Conseil, en date du 28 avril 1671; le roi déclara communs pour tous ses sujets qui iraient doré- navant pêcher la morue sur les côtes du Petit-Nord, le règlement du 26 mars 1640 et l'arrêt du Parlement de Rennes qui l'avait autorisé. Enfin intervint l'Ordonnance de la marine du mois d'août 1681, cette œuvre magistrale de Colbert qui codifia, en les élendant et les généralisant, les prescriptions du règlement de Saint-Malo de 1640. Le capitaine ou maître de bateau qui arrive le premier au havre du Petit-Maître conserve les prérogatives et attributions que lui donnait l'ancien règle- ment : on lui retire seulement le titre d’amiral. Les avantages ainsi attribués au premier arrivant exci- le U { LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 53 taient naturellement les capitaines envoyés dans ces parages pour y faire la pêche. Tant que durait la traversée, le voyage se faisait en flotte et, bien loin de se distancer en cours de route, les navires accidentellement isolés cherchaient à rejoindre le gros de la flotte qui s'élevait parfois à 250 voiles; mais, quand il n’y avait plus que quelques lieues à faire pour atterrir, les CORNPAHSeS commençaient et c'était à qui arri- verait le premier à à l’Échafaud du Croc, soit pour gagner la maîtrise qui y était attachée, soit pour s'assurer le choix d'un bon havre avec les échafauds et les galets qui en dépendaient. Alors, si le temps se montrait défavorable aux. voiles, les capitaines affrontaient la distance, le mauvais temps et les brumes, mettaient à l'envi leurs chaloupes à la mer avec leurs meilleurs matelots, forçant de voiles ou de rames pour se disputer la primauté de l’arrivée. IL en résulta de nom- breux sinistres qui finirent par atürer l'attention du Con- seil d'Etat du roi. : Une nouvelle ordonnance, rendue le 8 mars 1602, défendit très expressément aux capitaines des bateaux terre-neuviers d'envoyer leur chaloupe à la mer avant d’avoir mouillé, et ce, à peine de mille livres d'amende pour la première fois et de punitions corporelles en cas de récidive. Mais déjà commençaient les désastres qui marquèrent la fin du règne de Louis XIV et eurent pour conséquence la des- truction de notre empire colonial et la désorganisation de nos pêcheries d'Amérique. Auparavant, et pendant les longues années de paix maritime dont la France avait joui au cours du xvi' siècle, la liberté absolue avait été laissée aux armateurs à la pêche de la morue en Amérique; ils pouvaient quitter leur port d'embarquement et y rentrer quand bon leur semblait, sans avoir besoin pour cela d’une permission du roi ou de l’ami- ral. La guerre venue, les dangers que couraient les marins d'être attaqués par les ennemis dans ces parages éloignés ou dans les voyages d'aller ou de retour, forcèrent le gou- vernement à prendre des mesures de protection. Les capi- 54 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD taines qui voulaient se rendre à Terre-Neuve furent obligés de payer 3 livres par tonneau de jauge de leurs vaisseaux entre les mains du trésorier général de la Marine, lequel leur délivrait alors un passeport du roi, sans quoi il ne leur était pas permis d'aller à la pêche de la morue ; s'ils avaient F1G, 9, — Port-au-Choix., — « French-Shore », été rencontrés en mer par le capitaine commandant les vaisseaux d'escorte sans pouvoir exhiber ce passeport, leurs navires pouvaient être confisqués. Les navires de Honfleur, de Dieppe, de Fécamp et autres ports normands devaient prendre leurs passeports au Havre-de-Grâce. Quand vinrent les traités d'Utrecht, la France ne conserva plus de ses immenses et riches pêcheries d'Amérique, que le droit de pêcher, d'élever des échafauds et des cabanes temporaires pour y préparer, saler et sécher le poisson pendant la saison de pêche sur les côtes de Terre-Neuve . à DR. ANRT ir LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 35 depuis le cap de Bona-Vista jusqu'au cap Riche ; la pro- priété foncière de l’île et le droit de pêcher sur le reste de son littoral et non le moins poissonneux, passait aux Anglais. Alors ces derniers qui, jusqu'à cette époque, s'étaient désintéressés de cette industrie malgré tous les encourage- ments offerts par leur gouvernement se prirent tout à coup d’un beau zèle pour cette nouvelle branche de commerce et, profitant des avantages que leur donnaient les traités, ils firent à nos pêcheries morcelées une concurrence acharnée et très souvent déloyale. Pourtant, vers 1719, il partait ordinairement de France pour aller pêcher en Amérique deux flottes d’environ 250 voiles chacune; la première quittait les ports français au commencement de janvier et la seconde dans le courant du mois de mars; cela constituait un ensemble de 500 bâti- ments français dont les principaux ports d'armement étaient Rouen, Dieppe, Fécamp, Le Havre, Honfleur, Granville, Saint-Malo, Nantes, la Rochelle, les Sables d'Olonne, Bor- deaux et Bayonne. Tous les bateaux ne se rendaient pas à la côte de Terre- Neuve, car plus d’une centaine restait déjà sur les Bancs où ils trouvaient une tranquillité plus grande, et une autre centaine allait jusqu'à la baie de Gaspé, près de l’embou- chure du Saint-Laurent où la France possédait, depuis plus d'un siècle, des pêcheries au moins aussi riches que celles de Terre-Neuve et qui, comme elles, avaient attiré la con- voitise anglaise. Quoi qu’il en soit, et malgré les empiètements continuels de nos rivaux qui prenaient par la force en pleine paix, les baies que les traités nous avaient réservées, plus de 250 bateaux de pêche français continuaient d’aller prendre et préparer la morue à la côte de Terre-Neuve. Tout alla tant bien que mal jusqu’en 1744: mais alors les hostilités recommencèrent ouvertement avec l'Angleterre dont les forces navales ne faisaient que s’accroître, tandis que les LS Nid sr > 2 7: per ‘rue LE L'SReE LL 2 L Rbé ' L N'a LÉ OR PRE 56 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD nôtres diminuaient d'année en année ; tous les armements cessèrent. Un arrêt du Conseil d'État approuvant ce désarmement général à cause des risques évidents que ces bâtiments auraient courus en mer, déclara nuls et non avenus tous les engagements qui avaient pu être passés entre les arma- teurs, les capitaines et leurs équipages. La guerre ne fut pas longue; mais elle fut néanmoins J'occasion de nombreuses déprédations commises par les Anglais dans nos établissements des côtes de Terre-Neuve, du cap Breton et du Canada, et les choses étaient à peine remises en état qu'éclata la guerre de Sept Ans terminée par le désastreux traité de Paris en 1763. Le 10 mars 1763, d’après une dépêche de Choïseul à M. Mistral, commissaire général de la Marine, intendant- ordonnateur en Normandie au Havre, les armateurs à la pêche à la morue sont prévenus qu'ils peuvent expédier, sans craintes, leurs navires, soit à la côte, soit au bane, les hostilités étant cessées. IL y était observé que les capitaines ne peuvent, suivant le traité de Paris, faire la pêche qu'à trois lieues de toutes les côtes appartenant à la Grande- Bretagne soit du continent, soit des îles situées dans le golfe du Saint-Laurent. Ils ne peuvent non plus l'exercer sur les côtes de l'île du cap Breton, hors du golfe qu'à 15 lieues des côtes de cette île ; et sur les autres côtes, la pêche doit rester sur le pied des anciens traités, Les capi- laines sont prévenus également qu'ils peuvent aller à Saint-Pierre-et-Miquelon qui venait de nous être rendu, et dans la partie du Petit-Nord de l’île, comme ils le faisaient avant la guerre et surtout d’éviter toute discussion avec les Anglais. | Sur. la foi de cette dépêche, des armements eurent lieu dès cette année 1763; mais il paraît que les Anglais ne cédèrent point si facilement les havres et galets dont ils s'élaient emparés depuis que nos nationaux avaient cessé d'y aller; car nous lisons dans une autre lettre. du duc de Choiseul à M. Mistral, à la date du 22 mars 1764 : PER ON LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 57 . Je viens, Monsieur, de recevoir une lettre de M. le comte de Guerchy, par laquelle il me donne les assurances les plus posi- …… tives de la sûreté que trouveront les navires français qui iront à la pêche de la morue à Terre-Neuve. IL me marque que le temps de leur séjour pourra être aussi long que par le passé, sans — crainte d'éprouver aucune difficulté de la part des commandants — des frégates anglaises, que nos pêcheurs ne seront pas exposés à voir détruire leurs bateaux ‘ni à aucunes vexations qui ont été commises l’année dernière. Vous assurerez les armateurs d’une protection très expresse de Sa Majesté pour la pêche qu'ils vont faire cette année et d’une attention particulière de sa part à les faire indemniser des pertes qu'ils pourraient encore appréhender d'après ce quis'est passé l’année dernière. Par le même esprit, et — pour éviter les retards et les longueurs que les navires français pourraient éprouver pour la prise des havres, s'ils étaient obligés — d'aller faire cette prise à la baie du Croc, suivant l’ancien règle- “—…. ment, le roi les dispense cette année et jusqu'à un arrangement fixe, de se conformer à ce règlement, Sa Majesté leur permettant jusqu'à nouvel ordre de prendre la place dans les havres qu'ils trouveraient vuides, ainsi que cela se pratiquait en « Grande Baie », de manière que les places seront au premier occupant. Sa Majesté vous recommande de ne point gêner ou retarder le départ des bâtiments destinés pour cette pêche sous quelque pré- texte que ce soit ; attendu qu'il est important pour eux de pou- voir prévenir les Anglais sur les côtes de Terre-Neuve, afin d'y prendre les havres commodes pour la pêche. Vous aurez'soin de : communiquer cette lettre à tous les négociants de votre départe- ment qui peuvent être intéressés directement où indirectement dans les armements de Terre-Neuve. À : Signé : Le duc de Cnoiseur. ne Pour copie Signé : MisTraL. Mais les efforts de Choiseul devaient rester vains et chaque année les vexations se renouvelaient de la part des ‘Anglais chez quile goût de la pêche de la morue se dévelop- ‘pait avec une rapidité extraordinaire et inquiétante: pour l'avenir de notre industrie. tt À Vel GR 58 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Pour se défendre contre cet envahissement qui venait non seulement des ports de la Grande-Bretagne, mais encore et surtout de ses nouvelles colonies d'Amérique que la France avait cédées en 1713 et 1763, et d’où les anciens colons français avaient été transportés en masse pour laisser la place aux pêcheurs anglais, une grande enquête fut ouverte par le gouvernement de Louis XV. Le 17 avril 1769, une dépêche du duc de Praslin force les capitaines commandant les navires armés pour la pêche de la morue, soit à la côte, soit à la pêche errante sur le Grand-Banc à faire une Déclaration de retour donnant tous les renseignements sur les circonstances dans lesquelles . s’est effectuée la campagne de pêche. Ces déclarations devaient faire mention, pour les navires expédiés à la côte de Terre-Neuve : 1° Du port du navire et du nombre d'hommes d'équipage ; 29 Du jour d'arrivée sur la côte, de la manière dont on aura pris le havre, du jour qu’on y sera entré et du nombre de bateaux qu'on aura équipés pour la pêche, y compris les bateaux capelaniers ; 3° Du nom du havre que le capitaine aura occupé et du nombre de bateaux qu'il pourrait contenir; 4° Du nom des navires ayant occupé des places dans ce havre; 5° Du nombre des navires anglais ayant pêché dans le havre, en indiquant, si possible, s'ils venaient d'Angleterre ou des colonies; 6° Quelle quantité de morues sèches et vertes, d'huile et noues le navire aura rapportée, en comptant par quintaux de morue, poids de marc. Pour les navires armés à la pêche sur le Grand-Bance,les déclarations devaient contenir : Le nom et le port du navire; le nombre des hommes d'équi- page ; le jour de départ de France ; les différents lieux de relâche; le jour de l’arrivée sur le Grand-Banc; ce qu'on y a observé LA PÊCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 59 “ d'intéressant le jour du départ du Grand-Banc à Terre-Neuve : le jour de l'arrivée en France; le détail du chargement en obser- - vant de compter les morues vertes par milliers, compte juste, c'est-à-dire 50 poignées de morues au cent. + Choiseul ne s'était pas borné à une enquête dépourvue - de sanction ; comprenant que le seul moyen de se débar- - rasser des Anglais et de les déloger des havres du « French- Shore » qu'ils détenaient au mépris des traités consistait à - les occuper avant eux, et que d’ailleurs, pour conserver aux - pêcheurs français le privilège qui leur était concédé, il était - indispensable que nous usions de nos droits par une occu- pation effective de tous les havres de la côte, ce ministre - créades primes spéciales ou plutôt des gratifications en faveur - - des armaleurs qui consentiraient à aller pêcher dans cer- - Laïines baies dont la richesse en poisson avait excité la con- - voitise des Anglais qui s’y étaient établis à la faveur de la … guerre et refusaient de les rétrocéder aux Français. En 1767, une gratification uniforme de 500 livres avait - élé accordée aux navires, quels qu’aient été d’ailleurs le - tonnage et le nombre d'hommes d'équipage, qui s'étaient rendus dans lés havres de Toulinguet et de Grindespagne. Cette gratification ayant été jugée insuffisante par les armateurs qui ne se souciaient guère d'entamer avec leurs rivaux une lutte dans laquelle ils avaient tous les désavan- tages, une lettre du duc de Praslin, alors ministre de la marine, annonça à la date du 25 décembre 1767 que, pour l'année suivante, il serait payé aux navires qui consenti- raient à aller pêcher dans les havres de la côte comprise entre les caps Bona-Vista et Saint-Jean : 500 livres pour les équipages de 40 hommes et au- dessous ; 750 livres pour ceux de 40 à 60 hommes; 1.000 livres pour les équipages comprenant plus de 60 hommes. C’est en effet sur cette partie de la côte comprise entre le 24 F- ou VU NS — * Dh, en dd GET. ST Se li + Ps 3 LE où CR ù Pt 4 m2: Murs * . : - " . 60 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD cap Bona-Visla et le cap Saint-Jean dont les Anglais avaient occupé toutes les baies à la faveur de la guerre que la con- currence se faisait sentir avec le plus d'acharnement el que nos nationaux élaient le plus molestés. is Voici, d'ailleurs, à ce sujet une autre lettre de M. le duc de Praslin, chef du Conseil royal des Finances, ministre et secrétaire d'État de la marine, à M. Mistral, commissaire général de la marine, ordonnateur en Normandie : A Versailles, le 5 avril 1769. Pour assurer plus authentiquement, Monsieur, la reprise de possession des havres de Bona-Vista, Fouques et Toulinguet, Sa Majesté s'est déterminée à continuer cette année aux armateurs qui enverront leurs navires pour y pêcher, les encouragements qu'elle avait accordés l’année dernière : une gratification de 500 livres aux navires de 40 hommes et au-dessous, de 750 livres à ceux de 40 et 60 hommes et de 1.000 livres à ceux au-dessus de 60 hommes, pourvu qu'ils justifient à leur retour que c'est dans cette partie de la côte qu'ils ont fait la pêche. Vous aurez agréable d’en prévenir sur-le-champ les armateurs de Granville et de m'informer du nombre des navires qui auront cette destina- tion. = * Je suis, etc, Le duc de PrasLix. Tous ces efforts ne purent amener le résultat qu'on en espérait tirer, et, malgré leur bon droit, nos pêcheurs recu- lèrent devant l’intrusion anglaise abandonnant aux envahis- seurs les havres si poissonneux des baies de Bona-Vista et de Notre-Dame, c'est-à-dire toute l'étendue de la côte com- prise entre les caps de Bona-Vista et de Saint-Jean. | La tranquillité ne régnait guère plus sur les autres parties de la côte où, chaque année, des difficultés, des altercations et souvent des rixes s'élevaient entre les capitaines depuis que les havres et galets appartenaient au premier occupant, Un nouveau règlement fut alors élaboré au ministère de la marine et rendu applicable, dès la saison de pêche de té LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 61 1710, par une dépêche du duc de Praslin, en date du 11 mars de cette même année; il prescrivait en même temps aux capitaines de dresser le plan du havre dans lequel il aurait exercé son industrie, en y indiquant bien exactement la situation de chaque établissement avec la quantité de grave défrichée et l'augmentation dont elle pour- rait être susceptible. D'après ce nouveau règlement, l'inscription à l'échafaud du Croc était remplacée par un bulletin dont un seul exem- plaire imprimé était remis au capitaine au moment de son départ de France et qu'il devait remplir à l’arrivée par la désignation de la place choisie aussitôt que ce choix aurait élé fait parmi les places non encore occupées. Ce bulletin de prise du havre que le capitaine devait. conserver pendant toute la saison de pêche était remis par lui à l'arrivée au commissaire de marine de son département. En même temps, le capitaine fut dispensé de fournir à l'arrivée la déclaration de retour qu'exigeait de lui la dépêche ministérielle du 17 avril de l’année précédente. Un autre règlement non moins intéressant et non moins utile que nous devons au même ministre, est celui qui pres- crit la répartition des équipages naufragés entre les bâti- ments faisant la pêche dans le voisinage du lieu où s’est produit l’accident. En voici la teneur : RÈGLEMENT en cas de naufrage de navire lerre-neuvier du 24 décembre 1779. Article 1. — En cas de naufrages de quelques navires des- tinés pour la pêche de Terre-Neuve, soit dans le port d’arme- ment, soit en sortant, soit à quelques côtes de France ou d'ail- leurs, il sera défendu aux gens de l'équipage de se débander, s’absenter ou abandonner les capitaines ou officiers qui lui auront 62 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD succédé au commandement. 11 leur sera énjoint d'être soumis à leurs ordres et de travailler avec courage et exactitude au sauve- tage et bénéficièment des agrès, apparaux, ustensiles et dépen- dance desdits navires, à peine d'être poursuivis comme déserteurs et de restitution au profit des armateurs des avances reçues d'eux à titre de pot de vin. Art. 2. — Dans le cas expliqué au précédent article, l'arma- teur du navire aura la faculté d'équiper un ou plusieurs autres navires, et d'y placer les gens du navire naufragé qui seront tenus de s'y embarquer, de faire la pêche sans autres salaires que.ceux par eux reçus. Si mieux n'aime l’armateur les louer à un ou plusieurs autres armateurs pour la pêche, seulement, à la charge par ceux-ci de le rembourser des avances par luy payées; auquel cas, les gens naufragés seront également tenus de s'em- barquer et de travailler au service des nouveaux armateurs, sous les peines cy-devant exprimées. : Art. 3.— Au cas de naufrage à Terre-Neuve, soit sur les glaces, soit lors de l'attérage dans les havres, nul des gens de l'équipage du navire naufragé, ne pourra aussi sous quelque prétexte que ce puisse être, se débander, quitter ni abandonner le capitaine et officiers auxquels ils resteront soumis et suivront leurs ordres pour le sauvement et bénéficiement des agrès, apparaux, avitaillement, ustensilles de pêche et dépendance, même pour entreprendre ou continuer la pêche, soit avec les effets sauvés, soit avec ceux qui auraient été laissés précédemment à la côte, soit enfin avec ceux qui pourraient y être achetés ou empruntés; le tout pour le bien de la société, ou pour le compte de qui il appartiendra et sous les peines cy-devant énoncées. Art. 4. — Si le capitaine ou officiers du navire naufragé à la côte de Terre-Neuve, se trouvent hors d'état d'occuper et ali- menter les gens de l'équipage, ils les déposeront au capitaine amiral du havre le plus proche du lieu du naufrage, ou de celuy où ils aborderont, qui les recevra et les distribuera avec ce qui aurait pu être sauvé de vivres, tant sur son navire, que surles autres navires circonvoisins, jusqu’à la distance de dix lieues de chaque côté de son havre ou plus loin si le cas requiert, laquelle se fera avec justesse et égalité, à proportion du nombre des bateaux de pêche, pour qu'aucun navire ne se trouve surchargé, en faisant attention de répartir aussi également qu'il sera possible DL de SE Patte LA PÊCHE A LA CÔTE DÉ TERRE-NEUVE -63 les novices et les mousses avec les hommes utiles et plus capables de rendre service; et les capitaines auxquels le dit amiral les enverra, seront tenus de les recevoir et de les traiter comme les gens de leur équipage, parce qu'ils leur seront également soumis, ét travailleront comme eux à leur service : les dits capitaines remettront au dit amiral des vivres qu'il aura fournis aux dits naufragés avec leur liste, d'eux souscrite. Art. 5. — Si un navire naufrageait dans les glaces, le capi- taine qui aura sauvé l’équipage sera obligé d’en faire la réparti- tion le plus tôt qu’il sera possible sur les navires qu'il rencontrera avant de havrer, et de la manière qu'il est expliqué au précédent article, en observant de part et d'autre les mêmes règles. Art. 6. — S'il se trouve un ou plusieurs navires de la même société de celui naufragé et de quelque manière que ce soit, 1l sera permis au capitaine des navires de la même société de récla- mer le tout ou partie de l’équipage du navire naufragé, qui sera tenu de leur obéir et de faire la pêche avec eux et comme leurs équipages, pourvu toutefois que les dits capitaines aient ou puissent se pourvoir de vivres suffisans pour la subsistance des gens de leurs équipages et de ceux naufragés; et, au cas qu'ils ne puissent en prendre qu’une partie, ils l’auront de préférence, mais toujours à la charge par eux de prendre des novices et des mousses, à proportion des hommes capables et utiles, comme il est cy-devant expliqué afin que les autres navires ne se trouvent pas obligés de prendre un plus grand nombre qu'eux d'hommes de la dernière classe. Art. 7. — Il sera défendu à tous, capitaines, officiers et autres d'engager, séduire, soutirer, ni recéler les gens de navires nau- fragés, à peine de payer aux propriétaires desdits navires nau- fragés ou à leurs assureurs, au cas d'abandon, les gages reçus d'avance, et outre une amende de trois cents livres par chaque homme ainsi séduit et recélé ; et le matelot ainsi engagé sera au retour, puni de trois mois de prison, lesquelles peines ne pour- ront être remises ou modérées, sous prétexte de récompense de services, ni autrement. Art. 8. — Les capitaines qui auront reçu des gens naufragés à leur bord, seront tenus de les nourrir, de les ramener ou ren- _voyer, avec les provisions nécessaires et accoutumées, de même que les gens de leur propre équipage, lesquels seront insérés sur 64 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD un rôle séparé, où se trouvera le nom du navire naufragé, qu'ils certifieront véritable et en feront la remise au bureau de la marine du lieu de l'armement, Art. 9. — Si, après la pêche faite, un ou plusieurs navires fai= saient naufrage, que le plus grand nombre des autres navires fût déjà parti, et que ce qu'il en resterait ne pût, sans une perte con- sidérable, se charger des gens naufragés, il serait à désirer, en ce cas, que Sa Majesté voulût assigner une somme suffisante pour tourner à la subsistance, au passage en France de ses sujets, et à l'indemnité de la perte des morues, huiles et usten- siles que les capitaines seraient forcés d'abandonner à la côte, pour faire place, tant aux gens naufragés qu'à l'augmentation du nombre de barriques d’eau nécessaire pour l’avitaillement ; et ce, sur des procès-verbaux que les dits capitaines et leurs officiers seraient tenus d'en rapporter et de déposer, tant au bureau des classes, qu'au greffe de l'amirauté à leur retour en France, La lutte que les colonies anglaises de l’Amérique du Nord entamèrent en 1775 contre la métropole et qui se ter- mina en 1783 par l'indépendance des Etats-Unis, eut pour première conséquence de suspendre chez nous tout arme- ment de pêche pour la côte de Terre-Neuve, dont les eaux élaient parcourues en Lous sens par les croiseurs anglais. Les Français étaient intervenus directement dans la que- relle pour soutenir les revendications des colons anglo- américains, nos bâtiments de commerce et de pêche furent réputés de bonne prise par nos concurrents. La guerre fut d’ailleurs déclarée effectivement le 24 mai 1778 et l’Angle- terre s'empara de Saint-Pierre-et-Miquelon pour nous priver de la seule station qui nous restait dans ces mers, et d'où elle expulsa toutes les familles françaises qui s'y étaient fixées à la faveur de la paix pour se livrer à l'industrie de la préparation des morues. Il n'eût pas été prudent, en de pareilles circonstances, de tenter de séjourner sur les côtes de Terre-Neuve d’où les habitants, d'ailleurs, auraient infailliblement chassé nos nalionaux s'ils n'avaient pu les tuer ou les capturer avecleurs PNR ON NT TS NE [M depuis 1783 de Terre-Neuve LE FRENCH SHORE TaaT . LU TS Lt FAT LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 65 bâtiments. La protection que le gouvernement de Louis XVI offrait à nos marins eût été absolument illusoire. Il s’en suivit une suspension complète des armements pour la pêche sédentaire avec sécheries, et cette nouvelle suspension dura près de dix ans. Les pêcheurs anglais profitèrent de cet état de choses pours'emparer des meilleurs cantonnements du littoral précé- demment exploités par les Français et se forüfier en s’y établissant à demeure avec leurs familles dans ceux qu'ils détenaient déjà au mépris des traités et malgré les efforts déployés par Choiseul et ses successeurs. Partout ailleurs, les cabanes et les échafauds qu’ils ne purent occuper ou transporter furent saccagés ou détruits. Ils espéraient ainsi en avoir fini avec la concurrence française. Mais cette fois l'Angleterre fut battue, et son orgueil dut s’abaisser jusqu’à demander la paix qui fut signée à Ver- sailles en 1783. On eût pu croire que la France qui avait contribué si fort au succès de la guerre retirerait, au moins en échange des 133 millions dont elle s'était endettée à cette occasion, des avantages sérieux pour ses pêcheries d'Amérique. Ce fut le contraire qui arriva. Les îlots de Saint-Pierre et de Miquelon nous furent res- titués, c’est vrai; mais il ne restait plus rien de nos anciens établissements, et leurs propriétaires étaient totalement rui- nés. Quant au « French-Shore » de Terre-Neuve, sous pré- texte d’en faire une nouvelle délimitation qui préviendrait pour l'avenir les querelles entre pêcheurs des deux pays, l’Angle- terre sut garder pour ses nationaux les meilleures plages et ne nous laissa que les baies les plus ingrates et les plus exposées aux intempéries. Voici d’après un document du temps, les principaux points de la côte où s’exercèrent, pendant les dernières années du xvin® siècle, la pêche et la sécherie des morues par les marins français : 1] Les Français dans l'Amérique du Nord. 66 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD ÿ Côte Ouest. | Code Roy. Nouveau port. Saint-Georges. Anse de Barbacé. Port-à-Port. Ile Saint-Jean. Petit-Port. Nouveau-Férolle, : Baie de l'Are - Vieux-Férolle. Baie du Gouvernement. Baie Sainte-Barbe. Bonne Baie. Pointe de l’Ancre. Tête-de-Vache. Ingarnachoix. Baie de Haha. Cap d'Oignon. Baie aux Maures. . Le Kirpon. Baie du Nord. Les Criquets. Le cap Blanc. Baie de Saint-Lunaire. Ile Granchain. Petits-Bréhats. Anse verte, Grands-Bréhats. Anse de la Madeleine. Baie Saint-Antoine, La Crémaillère, Anse à la Soupe. Trois Montagnes. Les Petites-Oies. Ile de Fichet, Le Four. Petites îlettes. Grandes îlettes,. Les Grandes-Oies, Petits Saints-Juliens. Grands Saints-Juliens. Ile des Saints-Juliens. Le Croc. Anse aux Fleurs. Côte Est. Anse aux Millions. Belle-Ile. | Le cap Rouge. Anse du Pilier. La Conche. Boutitou, Les Aiguillettes, Le Gouffre, Les Canaries. Raincé. Le Dégrat-du-Cheval. Sans-fond, Fourché. Orange. Les Petites-Vaches. Les Grandes-Vaches, Anse du Petit, Cap Daim. La Fleur-de-Lys. Baie Verte. ’île à Bois. Anse aux Sonnettes, Pasquet. Le Grand. Conp'de-Hache: Le Petit-Coup-de-Hache. La Scie en. it LA PÊCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 67 Cette énumération ne renferme plus, on le voit, aucun des havres de la côte orientale compris entre les caps Bona- Vista et Saint-Jean pour l'occupation desquels le gouver- nement avait créé des primes spéciales. Les traités de 1783 avaient consacré cette spoliation de nos droits en limitant le F1G. 10, — Baïe du Gouverneur. — « French-Shore ». « French-Shore » au cap Saint-Jean sur la côte orientale. En acceptant cette clause définitive on croyait avoir fait la part du feu ; de fait, nos pêcheurs y gagnèrent une plus grande sécurité pour exploiter les havres qui nous restaient et où ils trouvaient encore plus d'espace qu'il ne leur en fallait pour pêcher et sécher tout à leur aise. Avec la paix, les armements côtiers avaient repris une nouvelle ardeur, les anciens établissements avaientété suc- cessivement relevés et mis en exploitation régulière. Chaque année, les navires bretons et granvillais, les seuls pour ainsi dire qui aient conservé entière la tradition de la 68 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD pêche à la côte au milieu de tous les événements que nous venons d’esquisser à grands traits, quittaient leurs ports d'armement dès les mois de février et mars, selon la date fixée par M. l'Amiral. Leur équipage était composé mi- parlie de marins destinés à la manœuvre du bâtiment et des embarcations, ainsi qu'à la pêche proprement dite de la morue, et mi-parlie de graviers, ouvriers absolument étran- gers à la marine et dont la destination était le nettoyage des graves, la réparation et l'entretien des échafauds et cabanes el la préparation à terre du poisson pêché par les marins. Cette répartition du travail entre deux groupes d'hommes ayant des aplitudes, des goûts-et des professions absolument distinctes, explique pourquoi les navires armés pour la pêche à la côte de Terre-Neuve présentent, à égalité de ton- nage, des équipages généralement doubles de ceux des navires qui arment uniquement pour la pêche au Banes etsi l'on voulait examiner la question au point de vue de la for- mation des matelots et du recrutement de la marine de l'État, il serait facile de reconnaître qu'il y a sans contredit on RAS plus considérable de véritables marins dans va navires qui font la pêche sur les Bancs. Voici maintenant quelques détails sur la manière qui n'a guère varié depuis, et suivant laquelle s'est exercée et s'exerce encore aujourd'hui la pêche sur le French-Shore de Terre-Neuve. | Aussitôt après qu'il est arrivé au heu de destination et quand le capitaine a pris possession du havre choisi confor- mément aux règlements en vigueur, le navire est mouillé sur ses ancres et désarmé. Tout l'équipage descend à terre et procède alors à l'amé- nagement de l'établissement que le capitaine du navire qui a fait la pêche à cette même place l’année précédente a. laissé lors de son départ pour la France en fin de campagne. Ces établissements qui, d'après les traités, doivent avoir un caractère exclusivement temporaire et n'être habités que pendant la saison de pêche, sont construits en bois ; ils P, Li * à __ LA PÈCHE À LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 69 se composent essentiellement d’un échafaud appelé aujour- d'hui chaufaud, espèce de wharf ou de plate-forme en planches, supportée par des poteaux ets’avançant assez loin dans la mer pour que les embarcations se livant à la pêche puissent y débarquer facilement leur poisson à toute heure F1G. 11. — Echafaud servant à la préparation de la morue sur le « French-Shore ». de marée. Une partie de cet échafaud, celle qui s'appuie sur la grève, est surmontée d’un hangar couvert sous lequel on procède à l'habillage du poisson, c'est-à-dire à sa pre- mière préparation. Autrefois, sur l'extrémité de l’échafaud qui regarde la mer étaient placées deux pièces de canon ou pierriers près des- quels se tenaient en permanence deux gardes canonniers pour défendre l'exploitation contre toute attaque, soit des naturels, soit des corsaires anglo-américains. ‘ À peu de distance du rivage se dressent des cabanes 70 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD également en bois servant d'abri à l'équipage et de remise au poisson préparé; elles protègent également, pendant les pluies, le poisson en cours de préparation. Enfin l'installation se complète par une grave ou grève, portion de rivage défrichée, nettoyée et couverte de gros cailloux ou galets sur lesquels on étend le poisson pour le faire sécher. Quelquefois, la grave en galets est remplacée par des claies en bois placées horizontalement sur des piquets élevés de deux à trois pieds au-dessus du sol. Tout le bois employé à cette construction pouvait être pris par nos pêcheurs dans l'ile même; ce privilège leur avait été concédé expressément par les traités; mais beau- coup de capitaines préféraient emporter de France les pièces principales qu'ils travaillaient pendant la traversée afin de ne plus avoir qu'à les poser à leur arrivée; ils gagnaïent ainsi un temps précieux pour la pêche. A l’origine les han- gars el cabanes furent couvertes par l'écorce des arbres qui croissaient sur le littoral, mais peu à peu l'usage s'établit de les couvrir en toile goudronnée. Pendant les périodes de paix complète (elles étaient mal- heureusement fort rares) il arrivait parfois que les capitaines, en prenant possession du havre qu'ils avaient choisi, trou- vaient en assez bon état l'établissement laissé par leur devancier el ils n'avaient que quelques légères réparations à lui apporter avant de s'en servir. Mais le plus souvent, soit pendant les périodes troublées de nos guerres maritimes avec l'Angleterre et la Hollande, soit même en pleine paix, dans les havres convoités par les Anglais, tout était brisé et saccagé aussitôt que nos pêcheurs avaient laissé la place pour rentrer en France, de sorte que le nouveau preneur ne trouvait plus à son arrivée que des débris plus ou moins utilisables. A part la grave que nos ennemis n'avaient pu ni emporter, ni détruire, il avait chaque année un établisse- ment complet à reconstituer avant de commencer sa pêche, Cela fait, la partie de l'équipage composée de véritables marins se réparlissait dans les chaloupes pour aller les uns LL é LA PÊCHE À LA CÔTE DE TERRE-NEUVE 3 71 s’approvisionner du capelan, du lançon et du hareng desti- nés à boetter les lignes, les autres pratiquer la pêche à la morue qu'ils prenaient soit à la ligne soit au filet. Ce der- nier mode a toujours eu plus de partisans parmi les pêcheurs de la côte, et il était presque exclusivement pratiqué sur les côtes de Terre-Neuve comme sur celles des îles Saint-Pierre et Miquelon à la fin du siècle dernier. - Fi, 12. — Travail de la morue au « French-Shore ». — Le tranchage. Le poisson rapporté chaque jour par les chaloupes pêchant soit à la ligne, soit au filet, était aussitôt livré aux ouvriers restés à terre et qui s'’occupaient de sa préparation pour le transformer en morue sèche. Pendant tout le xvrnr° siècle, cette préparation de la morue sèche dans les pêcheries françaises d'Amérique était peut- être plus longue et plus minutieuse que celle qui lui est donnée de nos jours, mais elle fournissait, par contre, des produits mieux préparés et se conservant plus longtemps. Nous signalerons, au passage, les grands traits de cette 72 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD préparation dont les diverses phases portaient le nom de soleils; il ne sera peut-être pas sans intérêt de la comparer avec la préparation actuelle que l’on trouvera plus détaitiés dans un chapitre ultérieur, Le premier jour, on étendait les morues sur la grave ou sur les vignots, après les avoir étestées, fendues, vidées, désossées et convenablement lavées, et on les laissait ainsi toute la journée, la chair en dessus : c’est ce qu'on appelait donner le premier soleil, Le second jour, ces poissons étaient de nouveau étendus les uns à côté des autres et recevaient le deuxième soleil jusqu'à midi; alors on les rassemblait trois par trois. Le troisième jour, une nouvelle exposition à l’air consti- tuait le roisième soleil qui se prolongeait jusqu'au soir, puis on rassemblait ces morues par tas de huit, appelés javelles. Venait ensuite le quatrième soleil qui ressemblait au pré- cédent, puis le cinquième à la suite duquel on rassemblait les morues en tas plus gros appelés moutons, Après le siriéme soleil, les tas de poissons formaient des piles d'environ 50 quintaux métriques, que l’on appelait meulons où mulons; ces piles restaient ainsi de dix à douze . jours sans être touchées. Au bout de ce temps, on élendait à nouveau les morues sur la grave pour refaire les piles de manière à placer sur le dessus les morues les moins sèches : cette nouvelle mani- pulation portait le nom de septième soleil. On recommençait la même opération d'étendage et de rem- pilage au bout de quinze jours, ce qui constituait le Auitième soleil, puis un mois après pour lui donner le neuvième soleil etenfin quarante jours plus tard pour le dixième soleil. Les der: nières piles restaient ainsi exposées à l'air pendant cinquante ou soixante jours sans être touchées à nouveau. On comprend facilement qu'avec une pareille prépara- ion, la morue, anciennement séchée à la côte de Terre- Neuve, jouissait d’une conservation suflisants pour pouvoir être expédiée et exposée à toutes les intempéries avant d'être LA PÈCHE À LA CÔTE DE TERRE-NEUVE M: À vendue et débitée dans les pays les plus chauds; mais la perte en poids devait être considérable. L'année 1793 ouvre une nouvelle ère d’hostilités entre la France et l'Angleterre, et cette dernière s'’empresse de mettre la main sur Saint-Pierre-et-Miquelon qu’elle occupe pendant neuf ans, empêchant ainsi toute industrie frauçaise sur les côtes de Terre-Neuve. Le traité d'Amiens, signé le 25 mars 1802 entre les belli- gérants, nous rend nos pêcheries pour en user comme avant la guerre avec l'espoir, de part et d'autre, d’une paix durable que les armateurs s’empressent de mettre à profit ; mais les anciens règlements qui concernent la pèche à la côte de Terre-Neuve leur paraissent surannés et ils en demandent un nouveau au ministre de la marine. Le 9 thermidor an X, le ministre prescrit aux armateurs des ports de Saint-Malo, de Saint-Brieuc et de Granville qui avaient l'intention d’expédier des navires à la côte de Terre- Neuve pour la pêche à la morue de se réunir à Saint-Malo, sous la présidence du commissaire de la marine, chef du service, dans ce port pour délibérer : 1° Sur le meilleur mode d'occupation des places de pêche ; 2° Sur l'emploi du filet dit hallope; 3° Sur les moyens de favoriser et d'encourager la fabri- cation de la rogue ; A ces diverses questions, l’Assemblée répondit en deman- dant au ministre de lui accorder : 1° Queles havres et grèves fussent concédés pour cinq ans et Urés au sort entre les armateurs avant le départ des navires pour la pêche ; 29 Que les armateurs fussent autorisés à laisser des gar- diens sur les places à eux échues ; 3° Que le filet dit hallope, ordinairement employé à la pêche du lançon et du capelan fût prohibé comme destruc- tif du fond de pêche et remplacé par la seine débordée au moulinet et non à terre; 74 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD - 4° Que la seine à morue fût toujours débordée au mouli- net et non à terre ; 59 Enfin que le gouvernement permit que les navires de pêche fussent commandés par des marins non reçus capi- taines au long cours. Cette délibération servit de base au Réglement du 15 plu- viôse an XI (4 février 1803). Le principe ancien de la possession des places de pêche par le premier occupant fut définitivement abandonné, les havres et les graves en dépendant durent désormais être tirés au sort avant le départ, à moins que tous les intéressés eussent pu s'entendre pour faire un partage amiable, et rester pen dant {rois ans la propriété du même concessionnaire. Aucun navire ne put recevoir ses expéditions pour la pêche à la côte de Terre-Neuve sans justifier qu'il était pourvu d’une grève. Tous lestrois ans, lesarmateurs ou leurs fondés de pou- voir spéciaux devaient se réunir en assemblée générale, à Saint-Malo, sous la présidence du chef du service maritime de ce port pour procéder au nouveau partage des places de pêche. Le litre de maître ou PAP de la péche, attribué par l'Ordonnance de 1681 au capitaine arrivé le premier, ainsi que les avantages qui en découlaient sont supprimés; mais les fonctions utiles qui étaient confiées au maître le plus diligent sont remises au capitaine le plus âgé dans chaque havre. La rupture de la paix d'Amiens, arrivée trois mois après, empêcha que la nouvelle législation reçût son exécution, les Anglais ayant de nouveau mis la main sur Saint-Pierre-et- Miquelon et confisqué les bateaux français qui avaient tenté de se rendre à la côte de Terre-Neuve. Ce fut seulement en 1815 que la France fut remise défi- nilivement en possession de sa colonie de Saint-Pierre-et- Miquelon et de ses pêcheries de la côte de Terre-Neuve. Deux nouveaux règlements spéciaux aux pêcheries de la ñ | A 4 | 3 | LM der, DT PTE LE" NIET | _. com thbftas SE Las + He, Y » LA PÈCHE A LA CÔTE DE TERRE-NEUVE me (À côte furent successivement publiés en 1815 et 1821, tous deux basés sur le règlement du 15 pluviôse an XI. … La durée de possession des places fut portée de trois à cinq ans et, pour rendre plus facile et surtout plus précise l’attribu- tion faite en France par voie de tirage au sort avant le départ, le Règlement de 1821 avait été précédé d’une reconnais- sance générale et officielle de tous les havres et places de péehe existant sur la partie des côtes de l’île de Terre-Neuve où s'étend le droit de pêche et sécherie des Français. Un nouveau règlement eut lieu en 1842 qui ne différait pas sensiblement du précédent. Enfin intervint le décret du 2 mars 1852 qui règle encore aujourd’hui la matière, sauf de légères modifications de détail. | Comme autrefois, la pêche à la morue dans les havres et bœes de Terre-Neuve se pratique de’deux manières, soit au moyen de filets, soit au moyen de lignes, Le seul filet permis par les Règlements est la seine ou senne. C’est un filet flottant qui, comme la senne employée à la pêche du hareng, est munie de flottes en liège à sa partie supérieure et qui est garnie de plomb sur la fincelle inférieure. Les dimensions sont laissées à la volonté de l’'armateur : 1l est seulement défendu de la déborder autre- ment qu'au moulinet, et sans jamais déborder à terre. De plus, les mailles de la seine à morue doivent avoir au moins 48m entre nœuds au carré, c'est-à-dire quand le filet est tendu. | On se sert également d’une autre seine appelée seine à capelan pour pêcher le hareng, le capelan et le lançon destinés à servir d’appâts dans la pêche à la ligne : les dimensions de ce filet, fixées par les derniers règlements, sont de 800 à 900 mailles en hauteur et de 30 brasses en longueur quandelles sont montées; comme pour la seine à morue la seine à capelan ne peut être employée autre- ment qu'au moulinet et sans jamais déborder à terre. Pendant longtemps on s'est servi, pour pêcher le capelan 16 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD. et le lançon, de filets traînants connus sous le nom d'hal= lopes et qui râclaient fortement les fonds sur lesquels on les. promenait, détruisant ainsi les œufs et le menu x l'emploi en est aujourd'hui sévèrement interdit. La pêche à la ligne se fait soit à la ligne à main, soit à la ligne de fond ou harouelle; mais la pêche aux harouelles, » autorisée sur là côte ouest, est interdite sur la côte est; aucun règlement ne s’est occupé jusqu ‘à ce jour de la lon- gueur ou de ia disposition de ces engins. Les armateurs et capitaines restent donc libres à ce sujet. En ce qui concerne les armements eux-mêmes, on les divise en trois catégories suivant la manière dont ils pra- tiquent la pêche, savoir : 1° Les côtiers ; 2° Les armements doubles ; 3° Les banquais avec sécheries à la côte. Les côtiers sont ceux qui, après avoir participé au tirage … au sort de Saint-Servan, font voile directement pour oceu- per la place qui leur a été dévolue par le sort et restent dans ce havre pour y pêcher, trancher, saler et sécher pendant toute la durée de la saison. Les armements doubles sont ceux qui font simultané= ment la pêche dans le havre assigné et sur le Grand-Bane ou l’un des banquereaux. Pour cela le bâtiment, en arrivant à la côte, y débarque une partie de son équipage qui se livre à la pêche et à la sécherie; puis, au lieu de mouiller dans le havre et de désarmer comme le font les côtiers, il fait voile avec la seconde partie de son équipage restée à bord pour aller pratiquer la pêche sur l’un des bancs avoisi- nants, pour rapporter ensuite le poisson à la sécherie, afin de lui faire subir les préparations nécessaires à sa conser- vation. Enfin les hanquais avec sécherie à la côte sont les bâti= ments qui font la pêche entière sur le Grand-Banc ou lun des banquereaux et ne vont à la côte que pour y faire sécher les produits de leur pêche. CHAPITRE IV LA PÊCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC Si les côtes de Terre-Neuve, du Cap Breton, du Canada et du Labrador étaient si poissonneuses que pendant quatre ou cinq siècles les morutiers dont le nombre allait sans cesse croissant, ont pu sans discontinuer y exercer leur profession, elles ne constituent cependant encore, malgré leur immense étendue, qu'une portion bien minime des lieux où l’on peut, dans ces mêmes parages, se livrer uti- lement à cette industrie lucrative. Dans cette partie occi- dentale de l'Atlantique nord, qui baigne les côtes des États- Unis et du Canada, le fond de la mer se relève considéra- blement pour former de hauts plateaux sous-marins, dési- gnés sous le nom de Bancs, sur lesquels la profondeur de l'eau varie entre 40, 60 et 80 mètres et ne dépasse pas 100 mètres. Sur tous ces points, les lignes des pêcheurs peuvent faci- lement atteindre les morues qui s'y trouvent en aussi grand nombre que sur les côles, ceux-ci n'ont pas manqué d'en profiter de bonne heure. Le plus important de ces plateaux, véritables îles sous- marines, est situé au sud-ouest de l’île de Terre-Neuve et porte le nom de Grand-Banc de Terre-Neuve ou sim- plement le Grand-Banc. Il a la forme d’un triangle équila- téral dont la pointe est tournée vers l'Amérique et la base vers l'Europe. Sa plus grande longueur, du nord au sud, en suivant le 52€ méridien ouest de Paris est d'environ 80 lieues marines ou 450 kilomètres ; sa plus grande largeur 78 LES FRANÇAIS DANS L' AMÉRIQUE DU NORD de l’est à l’ouest en suivant le 46% parallèle nord est de | 15 lieues, près de 400 kilomètres. Sa superficie est à | peu près égale à celle de l'ile de Terre-Neuve. C'est là le principal lieu de rendez-vous des Terre-Neu- viers français qui font la pêche en mer. Après avoir traversé le Grand-Banc pour se rendre à Saint-Pierre on rencontre successivement le Banc à Vert et le Banc de Saint-Pierre qui ne sont en réalité que la conti- Fic. 13, — La banquise sur le Grand-Banc. nuation du premier. Puis, vers le sud-ouest, les Bancs secon- daires de Misaine d’Artimon, et enfin le Banquereau et le Banc de l'ile de Sable, au large de la Nouvelle-Ecosse. Tous ces plateaux sont séparés entre eux par des fosses peu pro- fondes et relativement étroites, à tel point qu'on peut les con- sidérer comme faisant partie d'un même plateau sillonné de quelques vallées. Tout le long de ces bancs, du côté du sud, court le Gulf- Stream, cet énorme courant d’eau chaude sorti du Golfe du Mexique et qui, après avoir suivi les côtes des États-Unis, LA PÈÊCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC = 49 change brusquement de direction vers le banc de Nantuket à la hauteur du cap Cod pour se diriger de l’ouest à l’est vers les côtes d'Europe. Du nord descend le courant d’eau froide qui, partant du Spitzherg et longeant le Groenland charrie les icebergs détachés des glaces polaires et qui viennent se fondre au contact des eaux équatoriales. De ce croisement des deux courants, dont les tempé- ratures contrastent si fort, résulte pour les bancs de Terre- Fic, 14, — Glaces flottantes sur le Grand-Banc. Neuve un état météorologique tout particulier, où les brumes les plus intenses dominent pendant l'été et durent quelquefois des mois entiers, tandis qu’en hiver, alors que la différence de température des deux courants est moins accusée, ces brumes sont presque inconnues. Mais alors, le Grand-Banc au moins dans sa partie septentrionale, se couvre d’une immense couche de glace, la banquise, qui bloque l'entrée des rades de Terre-Neuve et rend-la navi- gation très périlleuse. Aussitôt que, venant du sud-est, on 80 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD a traversé le courant d'eau chaude, la température s’abaisse brusquement, et il n'est pas rare, jusqu'en mars et avril, d’être tout d’un coup assailli par une tourmente de neige, ou de voir le pont du navire, ses vergues, ses cordages et ses voiles se couvrir d'épais glaçons qui entravent les manœuvres. Puis, quand la banquise se disloque et se fond, les glaces flottantes, dont quelques-unes atteignent des dimensions colossales et affectent les formes les plus étranges, viennent à leur tour menacer la sécurité des bâti- ments mouillés ou errants sur le Grand-Banc qui n'ont pas toujours le temps de fuir pour éviter le péril. Il y avait cependant peu de sinistres à déplorer avant l'invention de la vapeur malgré la faiblesse des bateaux qui pêchaient sur le Grand-Banc, mais, depuis l'établissement des lignes de steamers rapides qui, pour aller de la Manche à New-York ou Halifax, trouvent plus avantageux pour eux de suivre l'arc de grand cercle qui coupe ce banc dans sa plus grande largeur, on n'en est plus à compter le nombre de nos infortunés banquais qui ont été coupés au milieu de la brume épaisse par ces courriers rapides qui passaient sans s'inquiéter des appels désespérés de leurs malheureuses victimes. Il est permis de supposer que comme les bancs étant silués tout près de l’île de Terre-Neuve, dont ils forment pour ainsi dire la continuation naturelle, les moruliers de la côte ont dû y tenter la pêche de très bonne heure et notamment quand la banquise leur fermait l'entrée des rades où ils voulaient se fixer. On sait, en effet, que les marins, de tous les voiliers, quand le calme ou toute autre cause vient les réduire à l'inaction, s’empressent de mettre les lignes à la mer pour se livrer à la pêche. Il n'en pouvait être autrement des morutiers ou des baleiniers qui se trouvèrent plus d'une fois dans les mêmes condi- tions devant Terre-Neuve. Ils pratiquèrent évidemment la pêche mixte bien longtemps avant de se risquer aux armements spéciaux pour une campagne entière sur le ET 5" titi di AS és à LA PÊCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 81 banc. Encore ces premiers armements mixtes ne durent-ils pas s’écarter bien loin des côtes où ils pouvaient toujours trouver un abri sûr D'après Anderson, ce fut seulement en 1536 que les Français armèrent le premier bateau qui fit la pêche de la morue exclusivement sur le Grand-Banc. D'un autre côté, comme nous l'avons déjà dit, l’auteur de l'Histoire et Com- merce des colonies anglaises de l'Amérique septentrionale affirme que la pêche au banc de Terre-Neuve a été pra- tiquée par nos nationaux longtemps avant que les Anglais se fussent établis dans l’île ; voulait-il parler par là de la première expédition anglaise conduite par Jean Cabot en 1497 et dans laquelle ce navigateur, cherchant la route des Indes par le nord-ouest pour le compte du roi Henri VII visita Terre-Neuve, le Labrador et le Canada ? C'est fort probable, et dans ce cas il faudrait faire remonter les origines de la pêche au Banc au commen- cement du xv° siècle. Nous ne pouvons cependant affirmer le fait que nous n'avons pu contrôler par aucun document plus explicite. Quoi qu'il en soit et même en nous en tenant à la date de 1536 donnée par Anderson il n’en resterait pas moins établi que, depuis plus de trois siècles et demi, les Normands français exploitent les fonds du Grand Banc ; il reste également hors de conteste que non seu- lement les Français furent les premiers à y envoyer leurs navires, mais encore qu'ils restèrent longtemps les seuls à explorer ces parages Depuis ces époques lointaines où tous les bancs qui flanquent les côtes de l'Amérique septentrionale du côté de l'Atlantique semblaient être notre propriété incontestée comme l’île de Terre-Neuve dont ils semblaient dépendre, nos compatriotes ont continué d'y aller pêcher la morue. Chaque année, une véritable armée de bateaux pêcheurs dont le nombre et le tonnage pouvaient varier suivant le degré de sécurité qu’ils rencontraient dans ces parages Les Français dans l'Amérique du Nord. 6 82 . LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD éloignés, quittaient les ports français de la Manche et de l'Atlantique pour aller pratiquer la pêche errante. Il fallait, pour empècher nos capitaines de partir, qu'une guerre déclarée avec l'Angleterre ne leur laissât que la cer- titude presque absolue d'une capture ou d’un incendie de leurs vaisseaux. Les risques de guerre étaient d’ailleurs beaucoup moins grands en pleine mer que sur le rivage et dans les baies d'où les ennemis voulaient nous chasser ; aussi l'histoire de la pêche sur le Grand-Banc est loin d'être aussi mouve- mentée et aussi documentée que celle des pêcheries de la côte. En dehors de certains épisodes absolument locaux, et qui ne présenteraient aucun intérêt dans une étude générale, nous trouverons cette histoire absolument vide de faits, et nous n’aurons guère à noter que les diverses phases qui ont marqué les transformations des engins et des méthodes. La législation elle-même ne nous a laissé que de rares doeu- ments, le législateur n'ayant pas eu à intervenir. Nul ne peut, en effet, s'attribuer un droit de souveraineté ou de police dans les eaux sur lesquelles $e pratique cette Grande- Pêche ni régler les rapports qui peuvent exister entre les équipages de nationalités si différentes qui ont fréquenté et fréquentent encore aujourd'hui les bancs de Terre-Neuve. Il eût fallu, pour établir une législation de la pêche en haute mer, arriver à une entente internationale qu'on n’a d'ailleurs jamais tentée parce qu'elle est impossible à obte- nir, D'un autre côté un règlement particulier, applicable aux seuls navires français, et qui eût nécessairement limité la liberté d'action de nos pêcheurs sur un point ou sur un autre, les aurait mis dans un état d'infériorilé ruineuse vis- à-vis de leurs concurrents élrangers, auxquels la même contrainte ne pouvait être imposée. C'est probablement ce que le législateur a compris, car, si haut que nous remontions dans l'arsenal de nos lois, nous n'y trouvons pas la moindre prescription qui ait tenté de régler LA PÊCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 83 soit la manière de pêcher, soit les engins dont les pêcheurs se sont successivement servis. Le petit nombre de dispositions législatives qu'on y rencontre sont relatives à la police générale des armements ét de la navigation ; elles sont d’ailleurs communes à toutes les entreprises de long-cours auxquelles les armements pour Terre-Neuve et ses bancs ont toujours été assimilés. C'est ainsi que l'Ordonnance de la marine du mois d’août 1681, confirmée par le Règlement du 5 juin 1717, voulait qu'il fût embarqué un chirurgien au moins sur chaque bâti- ment armé au long-cours ou faisant la pêche de la morue à Terre-Neuve. Ce chirurgien était tenu d’avoir les instruments nécessaires à l'exercice de sa profession, mais l’armateur devait fournir un coffre garni de drogues; ce coffre, ainsi que les instruments du chirurgien, devait être visité quelques jours avant le départ du bâtiment. C’est évidemment là qu'il faut aller chercher l’origine du coffre de pharmacie que chaque terre-neuvier est tenu d’embarquer, à défaut du chi- rurgien qui à disparu depuis longtemps de nos rôles d'équipage. A l’origine, en vertu du Règlement de 1717, le chirurgien devait, avant de pouvoir être embarqué comme tel, passer un examen devant deux maîtres chirurgiens dési- gnés à cet effet par l'amiral dans tous les ports du royaume. À Fécamp, le premier qui fut nommé à cet oflice était Pierre Olivier; sa nomination est faite au nom de Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, duc de Pen- thièvre, alors amiral de France, et porte la date du 1°" juillet 1718. Nous passerons en revue un peu plus tard les différents types de navires qui ont successivement été envoyés sur le Banc et qui ne différaient pas sensiblement d’ailleurs de ceux qui, aux mêmes époques, élaient expédiés sur les côtes. Le tonnage de ces bâtiments était généralement très faible, c’est ainsi que nous trouvons un grand nombre de caravelles jaugeant de 50 à 70 tonneaux et montées par 12 hommes d'équipage. Ceux qui atteignaient 90 tonneaux 84 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD - élaient montés par 18 hommes d'équipage, y compris les mousses dont le nombre fixé par les règlements devait être dans la proporlion de un pour dix hommes: M. Amédée Hellot, dans un opuscule intitulé : Le premier armateur de Fécamp à la pêche de Terre-Neuve en 1561, nous donne cependant le chiffre de 200 tonneaux comme jauge du navire de ce premier armateur, nommé Nicolas Selles. Il ne donne pas la composition de son équipage. La campagne de pêche de ces premiers terre-neuviers durait presque toute l’année; c'est ainsi que nous les voyons partir au commencement de février pour ne revenir qu’en décembre. Leur état-major était ainsi composé : 1° Un capitaine au long-cours, reçu en cette qualité après examen passé dans quelque amirauté du royaume ; 2° Un pilote hauturier, qui avait passé les mêmes exa- mens que le capitaine au long-cours, mais qui ne pouvait justifier au moment de l'examen que de trois années de navigation, au lieu des cinq années exigées pour le brevet - de capitaine : 3° Un maître d'équipage, choisi parmi les meilleurs mate- lots ; 4° Enfin un chirurgien, reçu et approuvé comme il a déjà été dit. L'obligation d'embarquer ainsi deux officiers reçus au long-cours sur chaque navire envoyé à la pêche de la morue créa de nouveaux besoins. Dès l'an 1629, une Ordonnance de Louis XIII avait décidé qu'une école d’hydrographie serait établie dans les principales villes maritimes du royaume, afin que le com- mandement des vaisseaux ne fût plus confié désormais qu'à des ofliciers instruits et experts en l’art de la navigation ; mais cette ordonnance resta lettre morte. L'Ordonnance de la Marine du mois d'août 1681 reprit la même proposition dans les termes suivants : « Voulant que « dans toutes les villes maritimes les plus considérables de d'en LA PÊCIE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC MS « notre royaume, il y ait des professeurs d’hydrographie « pour enseigner publiquement la navigation, » C'est en application de cette Ordonnance qui ne put, comme on le comprendra, recevoir immédiatement son entier effet que, en 1745, le duc de Penthièvre, amiral de France, envoya François de Boux à Fécamp pour y créer une école d’hydrographie. Conformément à l'ordonnance de 1681, les cours du pro- fesseur d'hydrographie étaient gratuits et ses appointements étaient payés sur les deniers de l'octroi de mer; l’école devait être ouverte au moins quatre jours par semaine ; mais le professeur avait droit de prendre trois mois de congé par an. L'article 5 de l'Ordonnance du 15 avril 1689 enjoignait au professeur d’hydrographie d'enseigner à ses écoliers : « l'abrégé de la sphère, la nature et l'usage des différentes « cartes, ladivision destemps, lenombre d’or, le cycle solaire, « l’épacte, les courants et marées, l’usage du compas et les « principes de la boussole. » L'article 6 concernait : « les « instruments qui servent à observer les astres, et les « moyens de faire un bon estime, la dérive d’un navire, la « variation de la boussole et la manière de l’observer et la « corriger. » L'article 7 parlait : « du calcul des routes par « le quartier de réduction, » L'article 8 de cette même Ordonnance portait que les pilotes entretenus dans le port étaient obligés d'assister, au nombre de deux, à toutes les leçons qui se donnaient, tant pour en profiter que pour aider le professeur dans son enseignement aux commençants, en instruisant ces derniers en arithmétique, termes de navigation, connaissance et usage des instruments nautiques, etc., de façon à ce que le pro- fesseur ne fût point arrêté dans son cours par des élèves trop faibles. L'article V du titre VIIL, livre II de l'Ordonnance de la Marine fait en outre l'obligation au professeur d’hydrogra- phie d'examiner avec soin, en présence des pilotes hauturiers, a dt End ne ad fi: ed de ne 3 86 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD - les journaux de navigation que ceux-ci devaient, à leur retour de voyage, déposer au greffe de l’amirauté de leur élablissement, afin de voir s'ils n'ont point erré dans leurs routes et leur faire reconnaître les causes de ces erreurs pour s'en corriger dans les voyages suivants, Les journaux de navigation ainsi corrigés élaient ensuite remis aux pilotes pour leur servir de guide au besoin dans d’autres opérations semblables. Louis XV se trouvait alors engagé depuis quelques années dans la guerre de succession d'Autriche, et la lutte maritime venait de commencer entre la France et les forces navales combinées de l'Angleterre et de la Hollande. Dès le 14 mars 1744, M. de Maurepas, le nouveau Ministre de la Marine, avisa les intéressés qu'il allait y avoir une déclaration de guerre avec l'Angleterre et le 20 mai suivant, un arrêt du Conseil d'État déclarait nuls et non avenus tous engagements intervenus avant la déclara- tion de guerre entre armaleurs, capitaines et matelols des bâtiments destinés à la pêche de la morue, tant au Banc qu’à la Côte de Terre-Neuve, et qui ne pouvaient plus quit- ter les ports français à cause des risques qu'ils auraient courus. Mais un certain nombre de navires élaient déjà par- tis de leurs ports d'armements au mois de janvier pour prendre leur sel dans les salins de l'Océan et notamment l'Isle de Rey et de là, se rendre directement sur le Bane, ou ils ne furent d’ailleurs nullement inquiétés et purent rentrer sains et saufs en France dans le courant du mois d'octobre. L'année suivante, les armements pour le Banc furent à peu près nuls, nos pêcheurs en effet n'avaient pas à se défendre seulement contre les vaisseaux de guerre anglais ou hollandais; les colons anglais de la Nouvelle-Écosse et des autres possessions marilimes appartenant à la Grande- Bretagne, avaient armé elles-mêmes pour leur propre compte une véritable flotte de guerre dans le but de chasser définitivement nos nationaux des territoires et surtout des rivages et desîles qu'ils possédaient encore dans l'Amérique LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 87 du Nord. Au mois de mars 1745, cette flotte alla attaquer l'ile du Cap-Breton et s'empara de Louisbourg qui comman- dait entrée du golfe du Saint-Laurent. - La paix fut rétablie par le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 18 octobre 1748, et en vertu duquel chacun des belligé- rants rendit ses conquêtes. Nos négociants recommencèrent aussitôt leurs armements et, dès le mois de février suivant, les pêcheurs reprenaient la route du Banc. A partir de cette époque, les petits bateaux se font plus rares et sont avanta- geusement remplacés par des navires d'une jauge dépassant cent tonneaux. C’est ainsi qu'en 1751, Fécamp expédiait pour la pêche deux bâtiments de 150 tonneaux et un autre de 120 tonneaux. En même temps que le tonnage de nos banquais s’aug- mentait, le personnel de leurs officiers se modifiait en s'élar- gissant. Aux quatre officiers que nous avons cités plus haut, le capitaine, le pilote, le maître et le chirurgien, viennent s'ajouter le saleur et l’étesteur; puis, dans les bateaux où la morue est préparée à la hollandaise et salée en tonnes, on trouve un contre-maître tonnelier comme officier non- marinier ; quelques grands navires de cette époque avaient aussi un contre-maiître charpentier avec le même titre que le précédent. Le 10 mars 1763, une dépêche du duc de Choiseul, alors ministre de la marine, fait connaître aux intéressés que les hostilités ont enfin cessé entre la France et l'Angleterre, et que les armateurs pourront, en toute sécurité, envoyer leurs bateaux pêcher la morue tant au banc qu’à la côte de Terre- Neuve. Sur la foi de cette assurance, les armements recom- mencent à partir de 1764, mais très timidement d’abord et avec des bâtiments d’un plus faible tonnage que ceux dont on s’élait servi avant la guerre. C'est ainsi que, pendant les dix ou quinze années qui suivirent, la jauge moyenne des banquais armés au port de Fécamp ne dépassa pas 80 tonneaux. Il en était assurément 88 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD de même dans les autres ports normands. Avec d'aussi petits navires, dans lesquels l'équipage dépassait rarement 18 hommes, on comprendra facilement qu'un état:major composé comme nous l'avons exposé plus haut, et compre- nant notamment deux officiers reçus au long-cours et un chirurgien, constituait une charge bien lourde pour l’arma- teur. Aussi, des réclamations se produisirent-elles de toutes parts. Ce fut surtout contre l'obligation d'embarquer des chi- rurgiens que la campagne fut menée avec le plus d'énergie ; car, avec les faibles appointements qui leur étaient offerts, ces praticiens se faisaient plus rares d'année en année, au . point que les armateurs avaient souvent beaucoup de peine à s’en procurer. Ces difficultés étaient d'ailleurs communes aux armateurs des navires marchands faisant le long-cours. Or, ceux-ci, faisant meilleur marché que nos pêcheurs des pre- scriptions de l'Ordonnance de la marine du mois d'août 1681, ainsi que du Règlement du 5 juin 1717 sur l'esprit duquel les commentateurs eux-mêmes n'étaient pas d’ac- cord, interprètent en leur faveur l'obscurité du texte de ce dernier document pour se dispenser, dans la plupart des cas, d’embarquer le chirurgien demandé. En présence de cet abus qui tendait à se généraliser, les réclamations des armateurs de Fécamp et des autres ports d'armement pour Terre-Neuve et le Banc eurent d'abord un résultat diamé- tralement opposé à celui qu'ils en attendaient. En effet, par une déclaration en date du 15 novembre 1767 confirmant et précisant l'Ordonnance de 1681, le roi’ rendit l'embarquement d'un chirurgien obligatoire pour tous les navires allant au long-cours ou à la pêche de la morue tant que l'équipage ne dépassait pas 50 hommes ; un second chirurgien était nécessaire pour un équipage de 51 hommes et au-dessus. Cela ne fit pas l'affaire de nos pêcheurs qui exposèrent alors au roi les difficultés et souvent même l'impossibilité absolue dans laquelle ils se trouvaient de se procurer ce sis bobtd. cit di. sé ss en Dé SR LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 89 chirurgien sans lequel le congé leur était refusé par l'ami- rauté. Il leur fut répondu par la lettre suivante : A Versailles, le 11 février 1769. J'ay reçu, Monsieur, avec votre lettre du 28 du mois dernier, la liste qui y étoit jointe des bâtimens du quartier de Fécamp qui doivent armer pour aller faire la pesche de la morüe verte sur le Banc de Terre-Neuve ; sur ce que vous m'avez marqué que les armateurs de ces navires ne purent trouver des chirur- giens pour embarquer, j'en ay rendu compte au Roy,et Sa Majesté a bien voulu qu'il ne fût point fait de difficulté de déli- vrer des expéditions pour ces bâtimens, quoy qu'il n'y soit point embarqué de chirurgiens; Sa Majesté consent qu'il en soit usé de même pour les autres navires que les négoçians seroient actuel- lement dans l'intention d’armer pour la même destination ; vous pouvez agir en conséquence, et ] écris aux officiers de l’amirauté de Fécamp au sujet des deux navires que le S' Bérigny fait actuellement armer, pour que, de leur côté, ils se conforment aux intentions de Sa Majesté, et je donne de semblables ordres aux officiers de l'amirauté de St Valery en C* pour ce qui con- cerne le navire que le S' Gautier doit armer pour la même des- tination ; il m'a paru qu'il pouvoit y avoir moins d'inconvénient à se relâcher pour ces navires de ce qui est porté par la décla- ration de Sa Majesté du mois de novembre 1767, concernant l'embarquement des chirurgiens ; Sa Majesté veut bien aussy que les navires en armement pour aller à Terre-Neuve faire la pesche de la morüe sèche puissent n’embarquer qu'un chirurgien quand l'équipage excéderoit le nombre de cin- quante hommes. Je sens bien que quelque avantage qu'il y eût de tenir strictement la main à l'exécution de la loy, il seroit peut-être convenable d'y apporter quelque modifica- tion pour les bâtimens destinés pour des climats tels que ceux où l’on va faire la pesche de la morüe, qui, étant plus sains, exposent moins les équipages à des maladies, et je suis très disposé à procurer au commerce tout ce qui peut tendre à le protéger et à l’encourager; on ne doit cependant pas perdre de vüe que dans le cours de la traversée pour aller faire Le sm. L.. ee” aline + w sh le LA b, RE 2 4 _à "4 L 6 Lt at LEZ, + nl D 7.2 Le LE : \ 2 DE ” 6 LA 1 à u 90 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD la pesche de la morüe verte, et, pendant le temps de la pesche, … indépendamment des maladies ordinaires auxquelles les équi- pages peuvent être sujets, comme ils le seroient à terre, il peut arriver des accidens qui exigent des secours prompts, et, que par rapport aux équipages des bâtiments qui vont faire la pesche de la morüe sèche, ces accidens peuvent encore se multiplier lorsque ces gens rendus à leurs destinations sont occupés à faire du! bois et à travailler aux échaffauts pour les secheries, et que, par ces raisons, un chirurgien sur chaque navire de cette der- nière espèce ne seroit peut être pas suflisant, ces équipages étant fort nombreux ; étant donc intéressant de ne pas exposer les gens de mer à manquer des secours nécessaires, il seroit à désirer que sur la quantité des bâtimens qui s'arment à Fécamp pour la pesche de la morüe verte, on embarquât, du moins, sur quelques- uns un chirurgien, afin que tous ces bâtimens étant rendus au lieu de la pesche, ces chirurgiens püssent, dans les occasions où leur Ministère deviendroit nécessaire, secourir ceux des gens de mer de ces équipages qui seroient dans le cas d'en avoir besoin. Je vous prie d'examiner si cet arrangement seroit praticable, et les moyens de l’effectuer de la manière la plus convenable, aux armateurs qui seroient dans le cas de contribuer tous en com- mun à la modique dépense qu'occasionneroient les embarque- mens de ces chirurgiens; vous examinerez aussi si un seul chi- rurgien doit être suffisant sur les navires qui vont à Terre-Neuve faire la pesche de la morüe sèche, quoy que les équipages excèdent cinquante hommes. Ces armateurs ont allégué que l'obligation d’embarquer dee chirurgiens est une charge qu'on impose au Commerce par la déclaration de 1767; de tout tems, ila dû en être embarqué sur ces navires de la manière expliquée par cette déclaration, et ce n'a été que par une suite d'abus qu'on s'en est dispensé; cet arrangement, loin de pouvoir être regardé comme une charge, doit, au contraire, être considéré, comme un avantage pour le Commerce même; puis qu'indépendamment de la conservation des hommes en général qu'il a pour objet, un armateur est personnellement intéressé à la conservation des gens de mer embarqués sur ces navires, et principalement lors- qu'il n'y en a qu'un petit nombre, parce que comme le travail est pour lors plus forcé, pour peu qu'il s’en trouve quelques-uns qui, par maladie, soyent hors d'état de remplir leur service sur le | « L L À à l LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC + 91 navire, l’armateur court risque de voir manquer les opérations de son commerce. Toutes ces considérations ne pouvant être trop examinées, vous me marquerez ce que vous en pensez après avoir bien pesé tous ces objets. _ Je suis, Monsieur, entièrement à vous. Signé : Le Duc DE PRAsSLIX. L'autorisation accordée par cette décision du ministre de la marine était exceptionnelle et applicable à la seule saison de pêche de 1769. Une solution définitive de la question ne tarda cependant pas à suivre. Elle autorisait les armateurs pour la pêche de la morue sur les bancs de Terre-Neuve à ne plus embar- quer de chirurgien, à l'avenir, dans les bâtiments dont les équipages n’atteindraient pas 20 hommes. Voici en quels termes cette décision fut portée à la connaissance des arma- teurs : A Marly, le 20 juin 1769. … J'ay rendu compte au Roy, Monsieur, des représentations faites par les négocians qui arment pour les pesches de la morüe, à l'effet d'obtenir une modification à la déclaration du 15 novembre 1767, concernant l'embarquement des chirurgiens, et des motifs qui, d’après les différentes observations que j'ay reçües en réponse aux éclaircissemens que j'avais demandés à ce sujet dans les ports où se font ces armemens, m'ont paru pou- voir déterminer à favoriser à cet égard, cette branche de com- merce, Sa Majesté a bien voulu que, pour cette destinatien seu- lement, on püût s’'écarter des dispositions de cette loy et qu'il continue d'en être usé par la suite dans chaque endroit comme ilse pratiquoit avant la dite déclaration. Vous pouvez, en consé- quence, n’exiger à l’avenir l'embarquement d’un chirurgien sur les navires destinés pour la pesche de la morüe verte que dans le cas où leurs équipages seroient de vingt hommes et au-dessus, à l'égard de ceux qui vont faire la pêche de la morüe sèche, quoy à 145 “Fi Lo ! LE LA AN, LL Cl | cgfind "2 D'LA j di di" v EN A TN. SET - AL Sr: FL on : à Étar x ‘Le Je Paul 92 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DE NORD que, pour le présent, il ne se fasse point d'armement de cette espèce dans votre département, comme il peut arriver que par. la suite il en soit fait quelques-uns, je vous préviens qu’il ne doit … non plus être fait aucune difficulté aux armateurs pour les obli- … ger à embarquer deux chirurgiens, Sa Majesté voulant bien aussy qu'ils puissent être expédiés avec un seul chirurgien, quoy que l'équipage soit de cinquante hommes et au dessus. Vous voudrez - bien, en ce qui vous concerne, agir dans cet esprit. Je suis, Monsieur, entièrement à vous, Signé : Le Duc ne Praszin. Pour les navires armés au commerce, et dans cette caté- gorie étaient rangés les terre-neuviers qui, en fin de cam- 1 pagne, transportaient la morue sèche de Saint-Pierre où de Terre-Neuve directement aux colonies, la question de | l’'embarquement du chirurgien ne fut réglée que plus tard … par une dispense accordée seulement aux bâtiments ayant un maximum d'équipage de 15 hommes, y compris les. mousses, La raison qui en fut donnée était que ces bâti- ments visitaient des pays à température excessive où les - maladies étaient beaucoup plus à craindre que sur le Banc de Terre-Neuve. | Après avoir retracé à grands traits, dans ce qui précède, l'histoire de la pêche au banc depuis son origine jusqu'à la fin du xvm siècle qui marque une véritable étape dans la marche ascendante de cette industrie, il nous semble intéressant de dire maintenant quelques mots sur les procédés employés pendant cette période de deux à trois siècles tant pour pêcher la morue que pour préparer les produits. Ces quelques détails sont d'ailleurs nécessaires pour faire ressortir l'importance des améliorations qui ont été progressivement apportées dans les procédés, et montrer que les armateurs comme les pêcheurs normands, bien loin de s’en tenir à la vieille routine, comme on les en accuse trop souvent à tort, se sont, au contraire, toujours préoc- cupés de perfectionner l'industrie morutière au double LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 93 point de vue de l'augmentation de la production et de laméhoration du sort des marins pêcheurs. Nous avons déjà dit que l’industrie de la pêche au banc diffère complètement, dans son ensemble comme dans ses détails, de celle qui est pratiquée par les côtiers. En effet, tandis que le poisson pris au filet dans les pêcheries de la côte de Terre-Neuve ou des îles Saint- Fi. 15. — Baleine en ballade sur le Grand-Banc. Pierre et Miquelon est aussitôt séché sur les graves de ces îles par une partie des équipages laissée à terre, les morues prises à la ligne sur le Grand-Banc et les banquereaux sont salées à bord du bateau pour être ainsi rapportées en France et livrées à des industriels qui leur ‘font subir la dernière opération. Mais ce qui caractérise surtout la pêche au banc, c’est que les navires côtiers, aussitôt arrivés à destination, sont désarmés et ancrés au fond des havres où ils trouvent un abri sûr pour toute la durée de la campagne ; la moitié de leur équipage reste continuellement à terre pour préparer 94 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD le poisson, et l’autre partie y rentre tous les soirs pour sé. coucher dans les cabanes, ne se livrant à la pêche que quand l’état de la mer le leur permet, de sorte qu'ils ne courent pour ainsi dire jamais aucun danger. Sur les … bancs, au contraire, le navire reste en pleine mer pendant toute la durée de la saison de pêche, exposé à tous les dangers que présentent ces parages. A moins de circonstances fortuites : de grosses avaries qu'il faut aller réparer à Saint-Pierre, le manque de sel ou l'impossibilité de se procurer de l’appât sur les fonds de pêche, beaucoup de navires ne quittent pas le banc avant d’avoir terminé leur pêche ; ils se contentent de se déplacer au fur et à mesure que le poisson disparaît pour le suivre dans ses courses capricieuses. À l'origine, les départs des ports d'armement avaient lieu en janvier et février, lorsque les Banquais allaient prendre leur sel à l’isle de Rey ou à Brouage ; ils s’effec- luaient seulement en février et mars, lorsque le sel était déjà à bord. Ce sel était arrimé en vrague ou en tonnes, selon que l’on voulait préparer le poisson au plat ou à la hollandaise. Le retour du banc s’effectuait en juillet quand le même bateau ne faisait qu'un voyage ; il avait lieu en décembre seulement, lorsqu'il faisait deux voyages dans la même saison, de sorte que la pêche se pratiquait surtout pendant les mois d'avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre ; quelquefois même, elle se prolongeait pendant une grande partie du mois de novembre. Plus tard, quand, après la guerre d'Amérique, on n’envoya plus sur le banc que de tout petits bateaux d’une jauge moyenne de quarante à cinquante tonneaux qui avaient été construits plus spécialement pour faire la pêche du hareng, et que l’on détournait ainsi de leur destination primitive, les départs n'eurent plus lieu qu'en mars et avril, c’est-à-dire quand la saison du hareng était terminée en Manche. Le retour s'effectuait aussi plus tôt, vers Ja fin d'août ou le commencement de septembre. LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC "95 D'après Sonini, dans son Histoire naturelle publiée à Paris, l'an XI de la République, nos pêcheurs attaquaient le banc par le sud, où 1ls commençaient à prendre la morue en mars et en avril ; puis, 1ls s'avançaient graduel- lement vers le nord en passant par l’est, et ils revenaient au sud vers les mois de septembre et octobre, en passant par le milieu du Grand Banc. Le même auteur nous donne des détails sur les appâts dont se servaient, à cette époque, nos banquais pour boetter leurs lignes. Il y en a une nombreuse variété parmi lesquels nous y voyons figurer des maquereaux salés, importés de Fécamp ou d'Angleterre, du hareng ét du capelan pêchés au début de la campagne dans les eaux de Saint-Pierre et Miquelon ou sur la côte du Petit-Nord de Terre-Neuve, des sardines du golfe de Gascogne, d'Espagne ou du Portugal, des oiseaux de mer pêchés à la ligne sur le banc comme de véritables poissons, enfin, des crustacés et des mollusques de toutes Sortes. « Nos marins ayant reconnu, dit-il, que les « morues étaient très friandes de coquillages, en pêchaient « pour embecqueter les hameçons. » Ce qui caractérise surtout celte longue période qui précéda la Révolution, c’est l'usage exclusif de la méthode connue sous le nom de Pêche errante avec des lignes de main que les hommes manœuvraient du bateau lui- même, pendant que celui-ci dérivait librement sous l’action du vent et des courants. Une fois arrivés sur le Grand-Banc, ils carguaient toutes leurs voiles, et chaque vaisseau attachait de côté la barre de son gouvernail, ce qui, d’après M. de Lamare, à qui nous empruntons ces détails : « le tient en état presque autant que s’il était à l'ancre . » Les charpentiers travail- lient alors à faire un échafaud le long d’un des côtés du navire et en dehors, à. moins que le beau temps n'eût permis à l'équipage de faire ce travail pendant la route. Ils posaient sur cet échafaud des tonneaux de la grosseur d’un 96 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD demi-muid, et qui venaient en hauteur jusqu'à la cein- ture. Chaque pêcheur, chaudement vêtu, prenait alors .——. mm Fic. 16, — Ancien navire terre-neuvier se livrant à la pêche errante sur le Grand-Bane, place dans un de ces tonneaux avec un grand tablier de cuir appelé cuirier qui lui allait depuis la gorge jusqu'aux genoux ; le bas de ce tablier se mettait par-dessus le ton= LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 09 neau et en dehors, pour faire en sorte qu'en tirant la morue , l'eau qui vient avec ce poisson, ne pénétrât point dans le tonneau où, par mesure de précaution, on avait encore établi un double fond. C'est de ce poste peu commode que le pêcheur lussait filer sa ligne, que la dérive du bateau entraînait lentement à peu de distance du fond, à portée des morues qui s’y trouvaient. FiG. 17. — Pêcheur à la ligne de main. Cette ligne de main consistait en une corde très forte, de la grosseur d’un tuyau de plume, longue de cent brasses et munie à son extrémité d'un plomb de huit à dix livres ; sur cette ligne principale et au-dessous du plomb s’attachait une corde plus fine, appelée empile, qui portait le haim ou hameçon et qui avait de six à dix mètres de longueur. Quelquefois, le plomb était traversé par une tringle d’acier d'environ trois pieds qui se tenait perpendiculaire à la direction de la ligne et à chaque extrémité de laquelle était frappée une empile portant un haim. Avant le départ de France, on donnait à chaque pêcheur dix à douze de ces lignes, avec des hameçons en nombre suffisant pour rem- Les Français dans l'Amérique du Nord. 7 hs AL nt À: Bed le. Ga Tr nt ten li: = D | , v 98 LES FRANÇAIS DANS L’AMÉRIQUE DU NORD placer ceux qui s’accrochaient au fond ou que les morues emporlaient avec elles quand l’empile n’était plus assez solide pour résister aux efforts que faisait le poisson pour s'échapper. 4T Lorsque le pêcheur avait filé sa ligne, il lui fallait la remuer tout le temps pour que le haim restât entre deux eaux et visible‘au poisson. ES e x] LEE D EUR ares ELA Fi sys SE" LENS ES ST 1 | - | He ARE + TRAT PL : 2 LI LAN. —… éd te * PP, = 2 … . LT F1G. 18. — Ancienne pêche errante sur le Grand-Bance Les pécheurs sont à l’intérieur du navire et garantis par un pavois, La première amélioration apportée à ce système fut l'installation, en dedans du navire, des barils dans lesquels se plaçaient les pêcheurs qui furent ainsi appuyés par devant à la lisse, et accotés par derrière au moyen d'une vergue pour qu'ils pussent résisler au roulis. Plus tard, on installa devant eux, à la hauteur de leur figure,un pavois de loile goudronnée, afin de les garantir un peu de la pluie, du vent et des autres intempéries, car ces installations se trouvaient toujours du côté du vent pour faciliter la pêche pendant la dérive et empêcher que les lignes ne se prissent sous le navire. LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 99 Lorsque la morue avait mordu, ce qu'il reconnaissait par les secousses qu’elle imprimait à la ligne, le pêcheur la tirait à fleur d’eau, la saisissait avec un petit crochet de fer nommé gaÿffot, et l’amenait à bord ; lorsque le poisson pris à l’hameçon était très gros, le ligneur se servait, pour le sortir de l’eau, d’un filet à main nommé manet ou truble. Une fois la morue hors de l’eau, celui qui l’avait prise Vattachait par le derrière de la tête à un petit instrument en fer, appelé élangueur, planté sur la lisse à côté du lhigneur ; puis il lui arrachaït la langue qu'il gardait par devers lui pour rendre compte de sa pêche le soir au capi- taine. Quelquefois aussi, quand il en avait besoin pour boetter sa ligne, il ouvrait le ventre du poisson, et en retirait les entrailles avant de le passer aux habilleurs chargés de lui faire subir les préparations nécessaires à sa conservation. Sur le pont du navire, derrière les pêcheurs, était disposée une grande table, ou, pour en tenir lieu, une sorte d’établi nommé étal. Un matelot, appelé éesteur, y posait la morue et lui coupait la tête. Une partie de ces têtes était mise à bouillir et formait la base principale de la nourriture de l'équipage pendant toute la durée de la campagne ; l’autre partie était jetée à la mer ou réservée pour servir d'appät. Le poisson ainsi décollé, l’éfesteur lui retirait le foie qu'il jetait dans un baril appelé foissiére où se prépa- rait l'huile connue sous le nom d'huile de foie de morue ; puis, il lui enlevait, s’il y avait lieu, les œufs ou rogues qui étaient salés à part dans des tonnes pour servir d’appât aux pêcheurs de Bretagne pour prendre la sardine. Enfin, il passait la morue à un autre matelot, appelé habilleur. Quand on voulait préparer la morue au plat pour être salée en grenier, ce dernier la fendait d’un bout à l’autre, enlevait l’arête dorsale et nettoyait la cavité abdominale en la lavant dans une baiïlle remplie d’eau de mer pour enleve er le sang qui y restait adhérent. 100 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DE NORD La morue était alors passée au saleur qui se tenait dans la cale pour lui donner son premier sel. Pour cela, il empilait les poissons les uns sur les autres, en séparant chaque lit par une couche de sel. Quand le poisson devait être préparé à la hollandaise pour être salé en tonnes, l'habilleur ne le fendait que jusqu’à l'anus, et n’enlevait qu’une partie de l’arête dorsale pour conserver, à la partie postérieure du corps, sa forme Fic. 19, — Le travail du poisson à bord. Préparation de la morue en tonne ou à la hollandaise. ronde ; il la lavait comme précédemment et la passait au saleur qui lui donnait son premier sel dans les tonnes où elles étaient pressées à l’aide d’un cric. Le soir, la pêche se terminait aux dernières lueurs du crépuscule, lorsqu'il n'était plus possible de distinguer les lignes. Chaque homme apportait alors au capitaine Îles langues qu'il avait coupées et qui donnaient le nombre exact des morues qu'il avait pêchées dans la journée ; ce nombre était inscrit par le maître. à. ï À ; 4 LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 101 _ Celui qui en avait le moins rapporté recevait comme punition la corvée de nettoyer les barils ou pares et de jeter les breuilles et les têtes à la mer pendant que les autres allaient se coucher. Lorsqu'une morue avait été prise en même temps aux lignes de deux pêcheurs, ce qui arrivait souvent à cause de la proximité de ces lignes et de la voracité du poisson qui se précipilait successivement sur plusieurs proies, elle était jugée appartenir à celui dont l’hameçon était le plus près de l'œil, parce que l’on présumait que l’'hameçon parvenu dans la gorge du poisson établissait la négligence de l’autre qui aurait dû sentir que la morue était prise et qu'il était bon de le punir de cette négligence. La pêche au moyen des lignes à la main était, on en conviendra, des plus fatigantes et des moins productives ; elle se continua cependant jusque vers 1789. C’est le capitaine Sabot, de Dieppe, qui eut, le premier, l'idée de remplacer cet engin si peu commode par une ligne dormante ou ligne de fond comme les Normands s’en étaient déjà servis autrefois pour prendre la morue dans la Manche ; l'usage s’en était même conservé sur nos côtes pour la pêche des gros poissons qui se tiennent toujours au fond. Avant son départ de France, il avait muni son bateau d'un fort câble en chanvre, de manière à pouvoir mouiller sur le Banc au lieu de le laisser aller à la dérive sous ses voiles de cape comme faisaient alors tous les autres banquais. Puis, pour établir ses nouveaux engins, il attacha, au bout l’une de l’autre, plusieurs pièces de ligne précédem- ment destinées à la pêche à la main, et qu'il garnit, de distance en distance, d’empiles et d’hameçons boettés comme auparavant. Le canot du bord, mis à la mer, servit à porter ces lignes lovées dans un fond de barrique et qu’on filait au fur et à mesure ; arrivé au bout, on y attachait une grosse pierre et une bouée et on laissait le tout séjourner la nuit dans l’eau. 102 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Le lendemain matin, on levait les lignes en les tirant du bord ; puis on répétait l'opération plusieurs fois dans la journée. | Cette nouvelle manière d'opérer lui réussit à merveille. Dès la première année, Sabot fit une pêche extraordinaire pour l’époque : deux fois il revient à Dieppe avec un char- gement complet de morues vertes. En apprenant cet heureux résultat, les autres capitaines voulurent expérimenter la nouvelle méthode. Les matelots eux-mêmes, malgré les dangers auxquels ils allaient s’expo- ser, désiraient la voir adopter, pour échapper à la fatigante immobilité à laquelle ils étaient condamnés dans leurs barils. Plusieurs accidents se produisirent dès le début et le gouvernement interdit ce genre de pêche. La défense ne produisit aucun effet; non seulement les capitaines qui avaient, dès la saison suivante, suivi l'exemple du capitaine Sabot, persistèrent dans sa méthode, mais encore ceux qui avaient conservé l'ancien procédé ne tar- dèrent pas à y renoncer entièrement. Bientôt même on y apporta des améliorations dont la première fut le remplacement des bras de l'homme pour tirer les lignes dormantes par un moulinet avec une seule aile. Il y avait trois hommes pour faire l'opération à l'aide de ce moulinet : l’un tournait la manivelle: l’autre faisait parer les hameçons, el le troisième gaffait la morue. Un peu plus tard, on installa deux moulinets et deux tessures de ligne : celle de bâbord avait vingt-quatre pièces de soixante brasses chacune et était tirée du bord avec le moulinet ; ‘celle de tribord avait trente-cinq pièces de soixante brasses. Cette dernière était levée soit du bord, soit de la bouée du large par le canot. Les. avançons avaient une brasse environ; l'appât était mis sur de gros hameçons en fer étamé, de fabrication française ; les lignes et les avançons étaient en chanvre ‘tanné. Les principaux ports qui armaient pour la pêche au banc au LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 103 xware siècle étaient Dieppe, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp, Le Havre, Honfleur, Granville, Saint-Malo, Nantes, La Rochelle, Bordeaux et Bayonne. C'est dans ces mêmes ports que les bateaux rapportaient les produits de leur pèche, pour leur y faire subir la dernière préparation avant d'être livrés au commerce. Or, de tous ces centres, Nantes fut, sans contredit, le marché le plus important pour la morue verte pendant tout le xvin® siècle. Cela tenait uni- quement à la position exceptionnelle de ce port bâti à l’em- bouchure de la Loire, cette grande artère centrale de la France, qui le meltait en rapport presque direct avec les grandes villes de l'intérieur où la consommation de la morue était alors le plus considérable. Aussi, non seule- ment les pêcheurs nantais, mais encore un grand nombre de banquais des autres ports venaient-ils y apporter leurs produits. | Aussitôt débarquée, la morue était triée et répartie en quatre catégories qui ne différaient entre elles que par la taille et surtout par le poids du poisson. C'étaient : 1° La grande morue, où poisson marchand, dont le cent, en compte, devait peser 900 livres; 2° La morue moyenne, estimée un tiers en moins que la précédente et dont le cent devait par suite peser 600 livres : 3° La pelile morue ou raguel, qui ne pesait que 300 livres au cent : 40 Enfin, le rebul et les lingques qui comprenaient non seulement les toutes petites morues pesant moins de deux livres l’une, mais encore les lingues, les colins et autres petités variétés du genre gade que le commerce estimait moins que la morue franche. La vente se faisait au grand compte de 62 poignées ou 124 morues pour cent. En Normandie, où le commerce de la morue verte, sans 104 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD atteindre celui qui s'en faisait à Nantes, était cependant très important, on tirait d'un chargement six sortes de produits. 1° La gaffe, d'une grandeur extraordinaire ; 20 La morue marchande ou grand poisson ; 30 La frie ou poisson moyen ; 49 La lingque et le raguet qui passaient ensemble ; 5° La valide ou patelet, la plus petite de toutes ; 6° Enfin le rebut. La vente s’en faisait au petit compte de 54 poignées ou 108 poissons pour cent. Certains bateaux rapportaient leur morue salée en tonnes à la hollandaise ; elle se vendait alors au last de 12 barils de 66 poignées au baril. Le baril en sel pesait 150 livres sans sauce; avec sauce (saumure) 1l devait peser 300 livres. Au moment de la Révolution, le commerce de la morue, tant verte que sèche, provenant du Banc et des côtes de Terre-Neuve, produisait une somme d'environ seize mil- hons de francs. D'après un rapport fait à la Convention nationale par le ministre Roland, et qui constitue la dernière pièce authen- tique concernant la pêche de la morue au xvim® siècle, pendant le premier semestre de 1792, c'est-à-dire immé- diatement avant la guerre de la Révolution, la France armait, tant pour le Banc que pour la côte de Terre-Neuve, 202 vaisseaux formant un ensemble de 191.153 tonneaux. On peut être surpris quand on passe en revue par le détail les armements de cette première période de la pêche au Banc de n'y relever qu'une quantité relativement très faible d'accidents de mer, échouements et naufrages, malgré la faiblesse des bâtiments qui y étaient envoyés et le mauvais élat des ports d’armements. On le serait encore davantage, Éd ARTE ". si LS % À LUE LA PÊCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 105 sil'on jetait un coup d'œil sur le balisage et l'éclairage des côtes normandes à ces mêmes époques. - Si l'on considère que pendant tout le moyen âge la France proprement dite se trouvait resserrée dans le bassin de la Seine, et que son commerce maritime avec l'étranger ne se faisait que par les ports de Normandie, les marchandises à destination de Paris, remontant la Seine par eau, on comprend à peine l’incurie de l'admi- nistration royale qui ne faisait rien pour faciliter ce courant commercial naturel. | La Normandie était depuis longtemps déjà réunie aux possessions directes du roi dont elle formait un des plus beaux fleurons de la couronne, et il en ürait les plus clairs profits sans que personne, ni le roi nt l'amiral qui le’ représentaient dans toutes les choses de mer, eût jamais songé à éclairer la nuit les principaux points de la côte pour signaler aux marins les dangers de cette côte et leur en faciliter les atterrages. Ni les intérêts généraux de la pêche et du commerce de mer, ni les nécessités des guerres maritimes avec l’Angle- “érre. n'avaient pu faire sortir l'administration royale de ; à À cette indifférence si nuisible aux intérêts de la navigation. Un premier essai d'éclairage fut cependant tenté vers le milieu du xive siècle pour indiquer aux navigateurs étrangers l'embouchure de la Seine par laquelle ils se ren- daient à Paris; mais cet acte resta isolé; les autres points de la'côte demeurèrent plongés dans la plus dangereuse obsceurité, et la navigation de nuit continua de ne pouvoir y être pratiquée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles de beau temps et de pureté du ciel. Les atterrissages, comme l'entrée au port, ne pouvaient s’elfec- tuer que de jour. On juge, sans peine, combien cet ordre de chose était préjudiciable aux intérêts des navigateurs, et avec quelle prudence les bâtiments, venant de Terre-Neuve, devaient S'avancer la nuit dans la Manche s'ils voulaient éviter de LE 106 LES: FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD s'approcher trop près des terres qu'ils ne pouvaient apers cevoir dans l'obscurité, et sur les rochers desquelles le moindre courant de marée pouvait les porter et les perdre Et cependant, cela dura ainsi jusqu'à la fin du xvrn siècles M. R.-J. Valin, dans son Nouveau commentaire de l'or donnance de.la Marine du mois d'août 1681, malgré tout… l'esprit de courtisanerie qu'il y montre pour le due dl Penthièvre, alors amiral de France, fait à cette occasion l'aveu suivant : ee « Nos feux, avec cela, ne sont peut-être pas assez multipliés ; s'ils le sont trop en Angleterre, et si, par cette raison, les droits qu'il faut payer à ce sujet sont exorbitants, on a du moins” l'avantage de naviguer sur les côtes de ce royaume avec autant de sûreté la nuit que le jour. » Ne Cette triste constatation ne remonte pas au delà de l'année 1766, c'est-à-dire moins d'un quart de siècle avant. la Révolution. Il faut avouer qu'en effet, à celte époque les feux étaient encore rares sur les côtes françaises s particulièrement sur celles de la Manche, et l'on comprend à peine que Colbert, qui créa la marine royale, et Vauban, qui creusa ses ports èt mit les côles en élal de défense, n'aient pas songé un seul instant à les éclairer pendant la nuit. E: Le premier phare qui fut construit sur les côtes normiahdess est celui du Chef de Caux qui remonte, comme nous. l'avons dit plus haut, au milieu du xrv° siècle. Le roi Charles V, par son ordonnance du mois d'avril | 1364, s'exprime ainsi à ce sujet dans le sommaire publié en tête de cet acte : « L'on entretiendra pendant la nuit du feu au Groing ou Cap de Caux, afin que les vaisseaux qui viendront aborder sur les costes puissent connaître leur route, sans que les Castillans soient tenus de rien payer pour l'entretien de ce feu, » ( Plus loin, dans l’article 6 de la même ordonnance, le roi, - revenant sur le même objet, ajoute : | ARTE. : À i se] ri & k ‘ ee 4 = M 6 LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 107 _« Nous voulons et mandons à ceux à qui il appartient que l’on fasse en tous tems de nuit feu au Groing de Caux, afin que les nefs et navires qui veuront au port de Harfleur et aïlleurs on pais puissent venir -seurement et-pour aviser leur chemin et adresse sans que les diz marchans, gens, amiraux, maitres et mariniers dedit royaume de Castelle soient tenus d'en payer aucune. » . Ce premier feu porta'le nom de Tour des Castillans, à causé de l’immunité qui avait été accordée à ces derniers dans le payement des droits imposés à tous les autres navigateurs. » Le royaume de Castille était, en effet, à cette époque, le fidèle allié de la France, avec laquelle il faisait un grand commerce par la Seine, la seule voie navigable que les. Anglais n'occupassent plus, et l’on conçoit aisément que Charles V, qui s'était donné pour mission de relever notre pays des ruines où l'avaient plongé les désastres de la « première période de la guerre de Cent Ans, ait cherché par tous les moyens en son pouvoir à favoriser ce mouvement ‘commercial. D'ailleurs, ce roi qui, le premier en France, créa une armée régulière, avait aussi voulu, trois siècles avant Colbert, organiser une marine royale pour l’opposer à la flotte anglaise et prévenir ainsi ses débarquements périodiques. Honfleur devait lui servir de port de concen- tration, et le feu du Groing de Caux lui était indispensable pour assurer la sécurité des manœuvres de nuit. _ Les ordres du roi furent exécutés, et à l’extrémité du Cap de Caux, qui s’avançait très avant dans la mer et que les eaux ont rongé depuis, on établit une tour ronde en maçonnerie sur le sommet de laquelle on faisait chaque soir un grand feu de bois que des gardiens installés dans la tour devaient entretenir toute la nuit. Depuis cette époque, l'allumage de ce premier feu se fit régulièrement au grand profit du commerce et des pêches maritimes. Il fut l’origine des feux de la Hève. Malheureusement, les successeurs « de Charles V ne continuèrent pas à suivre la voie dans ae RS Se Ne nn Ge ut An Te ve 108$ LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD laquelle ce monarque s'était engagé et pendant près de trois. siècles, la Tour dés Castillans resta le seul phare de la côte normande. L Quelques ports, cependant, établirent peu à peu des feux. de marée, comme Dieppe, qui eut le sien dès le xrv° siècles … d’autres eurent des feux intermittents qu'on n “allumait que pendant les saisons de pêche. È En1773, le roi, par lettres-patentes datées du 10 décembre, tuioris la Ckaïdbre de commerce de Normandie à cons- truire plusieurs phares pour la sûreté des navigateurs. Après mûres délibérations, cette compagnie décida que, pour répondre aux besoins généraux de la navigation, trois grands phares étaient absolument indispensables pour éclai- rer la côte normande. Les emplacements choisis par la Chambre de commerce furent les suivants : 1° La pointe de Barfleur, à l'extrémité de la presqu'île. du Cotentin, qui commande le golfe de Calvados et la baie de Seine. On y construisit un phare qui fut allumé, pour. la première fois, le 1° novembre 1775 ; 20 La pointe de la Hève, près du Havre, à peu de dis- … tance du lieu où Charles V avait fait établir la Tour des Castillans qui avait été emportée par les eaux avec la falaise qui la portait, et où la Chambre de commerce de Normandie … fit construire deux phares qui furent terminés et allumés dès 1774; | 3° La pointe d’Ailly, située près de Dieppe, à l'extrémité de la côte normande où il fut construit un phare terminé vers 1775. Les nouveaux phares furent éclairés à l'huile, C'était le premier essai qu'on faisait en France de ce genre d'éclai- . rage. Les plans et devis avaient été établis par M. Duchesne, inspecteur des ponts et chaussées. Pour faire face aux dépenses que nécessitèrent la con- struction de ces quatre tours et l'entretien des feux, la Chambre de commerce de Normandie fut autorisée à con- tracter un emprunt et à percevoir un droit par tonneau de [PR #2 Tam 1e r At LA PÈCHE ERRANTE SUR LE GRAND-BANC 109 > sur tous les navires français ou étrangers fréquentant np Le Havre, Harfleur, Rouen, Honfleur, Touques, lives, Caen, Courseulles, Isigny, La Hague-Saint-Vaast, " leur et Cherbourg. pe dépense de construction fut d'environ 250. 000 livres, t les droits à percevoir ainsi fixés : 6 sols par tonneau pour les navires étrangers ; — — français long-courriers ; —— — fr., gr. cabotett. neuviers. — — français, pet. caboteurs : — pour les bateaux de pêche et par saison ; — — petits cabot, de port à port de la prov. ces perceplions, etles maires de chaque commune veillaient à ce que les feux fussent bien régulièrement allumés. EN - D D RE PR ER LP EE TR A ET AC MERE 70: RM EE RE D l | ( NU RE l'O ” 4 « T _ * s & + piles) e. a r P 4 ER 2 LA CHAPITRE V PÊCHEURS PENDANT LA PAIX, — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE. Nous avons suffisamment établi que, depuis la découverte des côtes de Terre-Neuve par les Basques français ‘qui y transportèrent avec eux l’industrie de la grande pêche, nos nationaux n'ont jamais cessé d’y retourner chaque année ; nous sommes cependant forcés de reconnaître que les guerres interminables qui marquèrent les règnes de Louis XIV et de Louis XV, ainsi que la période de la Révolution et de l'Empire, ralentirent plus d’une fois les armements terre-neuviers. Que faisaient donc, pendant ce temps, les équipages des bateaux que l'insécurité de la mer empéchait de faire voile pour l'Amérique ? Il ne faut pas croire qu'ils passaient dans l’inaction les longs mois de chômage que leur imposait ce désarmement forcé. Avant la création des flottes de guerre et l’organisation d'une armée navale régulière, nos marins, qui n'avaient pas à compter sur les secours du roi ou de l'amiral pour faire res- pecter leurs droits sur mer, avaient pris l'habitude de se défendre eux-mêmes contre les bâtiments ennemis qui venaient souvent les menacer et les attaquer. Pour cela, ils ne manquaient jamais d'embarquer, à côté des engins de pêche nécessaires à leur commerce, les armes et munitions dont ils avaient un égal besoin pour se faire respecter. EL comme la guerre était pour ainsi dire permanente, nos marins étaient, de leur plus jeune âge, habitués à livrer bataille tantôt contre les Anglais, tantôt contre les Hollan- dais ou les Espagnols. 112 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD La guerre leur était donc presque aussi familière q pêche et ils maniaient {out aussi bien la hache que la Hi Aussi, quand ils ne pouvaient aller à Terre-Net pou pêcher la morue, il leur semblait tout naturel de à nm st. pour faire la chasse aux bâtiments ennemis, dans la g de course. C’étaient alors les corsaires qui jouaient le rôle qui € réservé aujourd’hui aux navires de guerre, et ces cors Se « n'étaient autres que nos pêcheurs de morue auxquels venaient se joindre les autres capitaines faisant le cours, chaque fois qu'ils n'étaient pas requis par l’ar ral et réunis en flotte pour quelque expédition. Ils tiraient d'ailleurs, de cette guerre de course, des profits qui leur faisaient attendre avec moins d'impatience le retour de la paix. À Afin de donner courage aux bourgeois des navires qui arment pour leur compte, de faire bâtir de grands et forts vaisseaux et" iceux armer et équiper quand besoin sera, il leur est ordonné de. prendre et retenir, sur la totalité des prises et butin que leurs F navires feront en mer, la quatrième partie d'ycelle, le dixième de l'amiral déduit, et, du reste les avitailleurs devaient avoir un“ | quart et demi et l’autre partie doit être délivrée aux mariniers et compagnons de guerre. Les matelots et compagnons de guerre devaient avoir toute Ia dépouille des habillements des ennemis, qui sont forcés ésprises, « avec l'or et l'argent qu'ils peuvent trouver sur les mariniers et gens de guerre ennemis, jusqu’à dix éeus, et les coffres et habil=« lements d'iceux, excepté les habits de grande valeur, où qui seraient faits pour vendre en fait de marchandise et argent mon= nayé et à monnayer qui seraient ésdits coffres et autres lieux. Tels sont, d'après le R. P. Fournier, dans son analyse des. Ordonnances de 1543 et 1584, les avantages que le roi pro- mettait à tous ceux qui voulaient guerroyer pour son” compte, tout en s’armant à leurs propres frais. Et avec cela, il se procurait la marine de guerre qui lui manqua juil | Colbert. PÈCHEURS PENDANT LA PAIX —— CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 113 La charge d'amiral qui existe chez nous depuis les der- niers Capétiens directs avait précisément été créée pour encourager et diriger cette armée volontaire, dont il avait . en même temps la police. Mais comme cet amiral, qui était . le plus souvent nommé à la faveur, n'avait pas toujours la force nécessaire pour faire respecter son autorité, et appli- . quer les règlements édictés en cette matière, cette guerre de course dégénéra, plus d’une fois, surtout à l’origine, en guerre de brigandage et de pillage. Cependant, quels qu'aient été les excès commis par quelques-uns, excès que nous retrouvons aux mêmes époques chez les bandes de mercenaires armés qui guer- royaient sur terre, il ne faudrait pas confondre les corsaires avec les pirates, forbans et autres écumeurs de mer qui ne se réclamaient d'aucune nation, vivant uniquement de bri- gandages et, de tout temps, chez nous, ont été mis hors la loi. Les corsaires formaient un corps organisé et autorisé par le roi ; ils étaient soumis à des règlements particuliers destinés à prévenir précisément les abus que nous venons de signaler et à protéger contre eux les bâtiments natio- maux, ainsi que les alliés ou amis. Nul ne pouvait armer à la course s'il n'était muni préa- lablement d’une commission spéciale de M. l'Amiral, lequel, d’ailleurs, ne la refusait jamais. Faute de cette commission, le navire eût été réputé pirate et traité comme tel; sl avait échappé à ce traitement, le moindre mal qui pouvait lui arriver aurait été sa confiscation et celle de ses prises au profit du roi et de l'amiral. C’est ainsi qu'on vit des bâtiments marchands de bonne foi qui, à la suite d’une attaque dont ils avaient été l’objet, étant parvenus non seu- lement à se défendre par leurs propres moyens, mais encore à se rendre maîtres de leurs assaillants, furent ensuite con- damnés par les tribunaux à la confiscation de leur prise, sous prétexte qu'ils n'avaient pas de commission en querre. En outre de cette première formalité, l’armateur qui vou- lait faire la course était tenu de verser une caution de quinze Les Français dans l'Amérique du Nord 8 7 ' . L 114 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD mille livres pour répondre des déprédations el dons pouvant être causés par l'équipage du corsaire envers des f nationaux, alliés ou neutres. D Les corsaires devaient aussi combattre sous le pavillon de. M. l’Amiral qui était le pavillon de France, et ils devaie hisser ce pavillon avant de tirer le coup de semonce. Cepen- dant, il leur était permis d’arborer un pavillon étranger, voire même celui de l'ennemi lorsqu'ils le croyaient néces- … saire, soit pour échapper aux bâtiments de guerre qui auraient pu leur donner la chasse, soit pour approcher de plus près et reconnaître un navire qu'ils voulaient attaquer, Une autre obligation imposée aux armements en course prescrivait que les deux tiers au moins des équipages fussent composés de matelots français et commandés par des offi- ciers français. Lorsque toutes ces formalités étaient remplies, tout bâti- ment pris sur l'ennemi, ainsi que tout navire trouvé en mer porteur de marchandises à destination de l’Angleterre, était réputé de bonne prise et adjugé comme tel au corsaire quile ramenait dans un port français où la vente devait en être faite aux enchères publiques. Une retenue de six deniers par livre soit 2 1/2 ,,, était d'abord prélevée sur le produit de la vente au profit des invalides de la marine, et le reste était réparli entre l'armateur et les gens du corsaire dans la pro- portion de deux liers pour le premier et d'un tiers pour l'équipage. Lorsque Colbert eut créé la marine de guerre française le rôle des corsaires se trouve subitement effacé, bien que les armements en course se soient continués à chaque guerre nouvelle. Il reprit son ancienne importance à l'occasion de la guerre de la ligue d'Augsbourg qui dura près de dix ans de 1688 à 1697. Pendant cette période 4,200 bâtiments marchands anglais dont la valeur dépasse 750 millions de francs furent pris ou détruits par eux. C'était l'époque des Jean Bart, des Forbin, des Duguay-Trouin, des Pointis, des Ducasse et des Cassard PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 115 dont les glorieuses épopées sont trop connues pour que nous ayons besoin d'insister sur les faits héroïques dont ils ont été les auteurs. Jean Bart était précisément le fils d’un pêcheur de Dun- kerque et Duguay-Trouin celui d’un armateur de Saint-Malo. A côté d'eux, que de héros ignorés qui avaient fait leurs premières armes sur le Grand-Banc. A la suite de cette glo- rieuse phalange viennent se ranger des corsaires fantaisistes et même ultra-fantaisistes qui faisaient de la course comme on fait du sport. Dans cette catégorie nous trouvons la célèbre Me de Montespan qui, en mars 1678, se fit donner par le roi les navires l’Adroif et le Croissant que Colbert fit armer à son intention dans le port du Havre, aux frais de l'État, bien entendu. La marine de l’État continuant à décroître sous Louis XV et Louis XVI, ces princes furent obligés de s'adresser aux corsaires chaque fois qu’une guerre venait à éclater entre la France et une autre nation maritime. Aussi quand sur- vint la guerre d'Amérique, le gouvernement fit aussitôt appel à tous les propriétaires de bateaux marchands et pêcheurs se trouvant dans les différents ports du royaume, à tous les capitaines et gens de mer que la guerre allait con- damner à un chômage forcé et parmi lesquels se trouvaient les pêcheurs de morue. Pour stimuler encore l’ardeur des corsaires, et les pousser à attaquer même les navires de guerre, le roi promit une graüfication de 100 livres pour chaque canon enlevé à l'ennemi, de 4 livres de balles jusqu’à 12 livres ; cette gra- tification était portée à 150 livres pour les canons au-dessus de 12 livres, et une somme de 30 livres devait, en outre, être payée pour chaque prisonnier. Quand il y avait eu combat pour s'emparer du navire ennemi, la même somme de 30 livres était comptée pour chaque homme d'équipage se trou- vant à bord de l’ennemi au commencement de l’action. Il alla même jusqu’à offrir des canons et aussi des bâti- ments aux capitaines et négociants que des difficultés pécu- niaires seules empêchaient d’armer en courses. VENDÉE LT 1 L 2: NLTAA AL. jé « = b. "7 sd” hé OL. _—. RE ve et. es PC 4 - _. * fé. C Es as Er. , | : ue pes | É r = 116 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD - . v 4È TR Le 11 juillet 1778, une dépêche de M. de Sartine à. M. Thirat, commissaire des classes à Fécamp, lui faisait connaître que Sa Majesté ordonnait. à tous les vaisseaux et. autres bâtiments armés en course dans le port, de faire la chasse à ceux du roy d'Augleterre ainsi qu'aux navires appartenant à ses sujets, de s’en emparer et de les conduire 4 dans les ports du royaume. Les corsaires n'avaient pas attendu cet ordre pour se » mettre en chasse, car, dès le commencement du moïs pré- cédent, nous trouvons à Fécamp des matelots anglais rete- nus comme prisonniers de guerre et qui n'avaient pu y être - amenés que par les navires armés en course. Quelques-uns ? de ces Anglais se distinguèrent même par leur courage et. leur dévouement à l'occasion d'un n naufrage qui eut lieu sur nos côtes. Nous trouvons, en effet, la leltre suivante dans les ; archives de l'amirauté de Fécamp : Versailles, le 13 juin 1778. J'ai été informé, Monsieur, par M. de la Pelouze, major du À régiment de Champagne, du courage avec lequel le capitaine Cooper, anglais, commandant l'un des navires détenus dans le port de Fécamp, s’est porté dans le courant du mois dernier à aller secourir quatre grenadiers de ce régiment qui, étant allés se promener sur la mer, seraient péris sans ce capitaine qui s'est exposé lui-même à perdre la vie pour les sauver. J'en ai rendu compte au Roy, et Sa Majesté, voulant récom- penser une aussi belle action, m'a chargé de donner les ordres nécessaires pour que ce capitaine eût la liberté de sortir du port avec son navire, dont elle lui accorde la remise et lui laisse la disposition. J'écris, en conséquence, aux officiers de l'amirauté de Fécamp, afin qu'ils se conforment aux intentions de Sa Majesté, mais je suis étonné que vous ne m'ayez pas rendu compte d'un fait aussi digne d’éloges. Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : DE SARTINE. A Monsieur Thirat, commissaire des classes, à Fécamp. am [LU - PÈCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 117 A l'origine, les équipages des bâtiments capturés par les corsaires devaient être remis, aussitôt l'entrée de la prise dans un port français, aux officiers de l’amirauté qui les” faisaient interner dans la prison du roi ou celle du sei- | gneur, mais peu à peu on se relâcha de cette sévérité, et les officiers des navires de guerre, ainsi que les capitaines des bâtiments marchands purent être laissés libres sur parole. Ils choisissaient eux-mêmes leur lieu de résidence où ils vivaient comme bon leur semblait, à la condition, toutefois, de se présenter devant les officiers du roi chaque fois qu’ils en étaient requis. Avant de leur accorder cette liberté, le chef du service de la marine du port où ils avaient été amenés leur faisait signer l'engagement suivant, dont le modèle avait été envoyé le 26 octobre 1778 à tous les commissaires des classés du littoral. Je soussigné ci-devant sur le anglais pris par actuellement prisonnier de guerre en ce port, donne ma parole d'honneur a M. le Commissaire des Classes, chargé dans le dit port de la police des prisonniers de guerre, de ne point sortir de la ville dans laquelle il m'a été per- mis d'aller résider, d'observer dans ma conduite la décence con- venable, ainsi que les égards dus aux lois du Royaume, et de n'entretenir, pendant ma détention comme prisonnier de guerre, aucune correspondance directement ou indirectement avec l’An- gleterre, qu'au moyen de lettres qui seront remises ouvertes à M. Le Maire de la ville de ma résidence pour qu’elles puissent être lues et approuvées. Laquelle parole d'honneur je bte à tenir inviolablement. Fait à , le | (Signature.) Ils devaient, en outre, pour garantir aux intéressés le paiement de la rançon qu'ils représentaient, fournir entre les mains du conimissaire des classes une caution prise parmi les notables commerçants de la localité. fur ic, ordi à PE ST ED nl ÉSS Le Loti RE A ax ati Le. « 118 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NURD | Voici, à titre de curiosité, l’un de ces cautionnements : Je soussigné Louis Charles Lemesle, négociant, cautionne la personne du sieur Jean Thompson de Withy, capitaine du bâti- … ment Anglais « le Commerce de Withy » actuellement prison- nier de guerre en cette ville et qui doit se rendre à celle de Bolbec jusqu’à ce que son échange ait lieu, et m'oblige de le représenter toutes fois et quantes il le faudra au commissaire des classes de la marine de ce port et à deffaut de payer la somme de Deux milles quatre cent livres. À Fécamp, le 12 septembre 1778. Signé : L.-C. LEMESLE, Afin qu'ils pussent se procurer la nourriture et le loge- ment ainsi que les autres choses nécessaires à la vie, tous les officiers anglais, prisonniers sur parole, recevaient sur les fonds du trésor royal une solde journalière variant sui- vant leur grade, et dont le montant était fixé comme suit : Capitaine de vaisseau de guerre. ............ 3 livres. +, de frégals.. sue 2 RRQ 2 » Chirurgion malor.. Nr hier 46702 2 » Lieutenant de vaisseau......:......:...,.4: 30 sols, Enseigne de vaisseau... ,.,:.::......4.2.::: 30 » Capitaine de corsaire. .5,:,..4:5, 24240628 18 » Capitaine de navire marchand.............. 18 » Ministre des oulles.:; ::746 0e Rte 4e 18 » Chirurgien..., "3 41 ute ARR 18 » Officiers mariniers, :.....:17 4e fran 15 » Seconds capitaines marchands. .............. 15 » Ééfivains 247 5:00 TON >. Les autres gens de l'équipage recevaient simplement la ration. Les armements en course n'étaient pas spéciaux à la France; toutes les autres nations, quand elles avaient à soutenir une guerre sur mer, armaient également des cor- saires pour faire la chasse à leurs ennemis, et l'Angleterre PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE- 119 elle-même avait les siens et, bien qu'ils aient joué un rôle moins glorieux que les nôtres, ils ne laissaient pas que de nous faire du mal par leurs attaques. La guerre avait été déclarée officiellement le 24 mai 1778, et l'Angleterre, pour prévenir autant que possible nos armements en course qui lui faisaient plus de torts que toutes les flottes royales combinées, avait cherché à empêcher les corsaires de sortir de leurs ports d'armement ou d'y ramener leurs prises en établissant de nombreuses croisières dans la Manche. Fécamp eut aussi la sienne, et nous en trouvons la preuve dans la lettre suivante adressée par le secrétaire d'État de la marine à M. Thirat: Versailles, le 28 août 1778. J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 16 de ce mois, par laquelle vous m'informez qu'il paraît depuis quelques jours un brigantin anglais de 12 à 16 canons, dont la croisière, établie à deux lieues au large de Fécamp, cause d’autant plus d'inquiétude aux négo- ciants qui ont des bâtiments dehors, que ce port est absolument sans défense. Il ne m'est pas possible, dans ce moment, d’affecter une frégate ou une corvette pour croiser particulièrement dans ces parages. Mais M. Le Comte de Montbarey, instruit de la situation où se trouve le port de Fécamp, s'occupe des moyens de protéger les bâtiments qui pourraient craindre d’être enlevés par les corsaires en-dedans des jetées. Je suis, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur. Signé : DE SARTINE. A Monsieur Thirat, commissaire des classes, à Fécamp. Quand vint la Révolution d’où sortirent vingt-deux années presque ininterrompues de guerre maritime avec l'Angleterre, les armements en course atteignirent leur plus haute période de gloire. Nos ennemis étant devenus les maîtres incontestés de la mer 1l n’était plus possible dé songer à aller au Banc, de 120 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD sorte que pêcheurs et navires seraient demeurés inact s'ils n’avaient.eu la ressource de se faire corsaires. “ | C'est un véritable poème épique que l’histoire de ces COr- . saires de la Révolution, marins hardis et aventureux qui, - montés sur de nieérblss petits bateaux, mal armés, n'avaient d'autre pensée que de courir sus à l'Anglais, pour s'emparer de ses bâtiments et de ses marchandises, s'atta- quant même quelquefois à des navires de guerre qui leur étaient dix et vingt fois supérieurs, affrontant tous les dan- - gers sans aucun souci de leur propre existence; c'est une des plus belles pages de notre histoire maritime. 3 Capitaine de Course, dit l'un d'eux dans une pétition qu'il » adressait au Directoire exécutif, j'ai poursuivi l'Anglais avec ce zèle que tout républicain met à combattre l'ennemi de son pays. Prisonnier, j'ai souffert sans murmurer, parce que je souffrais pour la patrie. A peine échappé des fers de ce gouvernement perfide qui méconnaît jusqu'aux droits sacrés de l’humanité, j'ai fait un nouvel armement, et, plein de confiance dans les lois et dans les chefs chargés de leur exécution, je n'ai point balancé à exposer de nouveau ma fortune, ma liberté, ma vie. La loi du 29 nivôse dernier venait d'être proclamée ; j'ai mis en mer sur la foi de cette loï: j'ai rencontré, pris et amené à Fécamp, un navire danois venant de Londres, chargé de den- rées et de marchandises anglaises. S'il est vrai que le style peint l’homme, peut-on trouver un caractère à la fois plus simple, plus noble et plus éner- gique que celui de ce corsaire nommé Rognon? Se voyant contester le bénéfice de la prise qu'il avait faite au péril de sa vie, il demandait purement et simplement aux pouvoirs publics de laisser les tribunaux compétents juger librement et impartialement de la validité de cette prise. Il demandait ce qui lui appartenait en vertu de la loi du 29 nivôse, et il exposait les faits sans phrase, sans forfanterie, comme s'il s'agissait d'un simple litige survenu à la suite d'une chasse aux alouettes. PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 121 Ces hommes-là furent plus nombréux qu'on ne peut se … l'imaginer tout d'abord; il semble qu'ils aient éclos tout … d'un coup sous le souffle puissant de la Révolution. En effet, en même temps que le Comité du salut public - décrétait la patrie en danger et appelait tous les hommes valides à la frontière pour défendre la France contre l’in- . vasion étrangère qui la menaçait de toutes parts, la Con- … vention rétablissait la guerre de course, en appelant tous les gens de mer à la poursuite des Anglais, en déclarant de bonne prise tout bâtiment naviguant sous pavillon britan- nique, respectant d'abord les droits des neutres et défen- dant d'attaquer les navires portant le pavillon d’une nation contre laquelle la guerre n'était pas encore déclarée officiel- lement. Mais cette tolérance à l'égard des neutres, si louable qu'elle fut en elle-même, ne tarda pas à donner lieu à des abus, qui la firent bientôt retirer. Quelques-unes de ces nations privilégiées ayant eu-des complaisances coupables pour l’Angleterre à laquelle elles prêtaient volontiers leurs couleurs pour garantir ses bâtiments marchands et leurs riche cargaison contre les entreprises des corsaires français, la loi du 29 nivôse décide dans son article premier : L'état des navires, en ce qui concerné leur qualité de neutres ou d’ennemis, sera déterminé par leur cargaison ; en conséquence, tout bâtiment trouvé en mer, chargé en tout ou partie de marchandises provenant d'Angleterre où de ses possessions, sera déclaré de bonne prise, quel que soit le propriétaire de ces denrées où marchandises. Le champ qui s’ouvrait ainsi à l’activité de nos corsaires _ était donc vaste et bien fait pour tenter le vieux levain de cupidité qui reste toujours à sommeiller au fond du cœur des descendants des compagnons de Rollon. Aussi, sous l'influence des lois dont nous venons de parler, de nom- breux armements ne tardèrent-ils pas à s'effectuer dans tous les ports de la Manche. Les demandes de lettres de marque ' L PUR NT FD ER EME À or NON SIM ST ci: CT pes 122 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD qui remplaçaient les anciennes commissions en course affluèrent au ministère de la marine. Voici, à titre de curiosité, le texte d'une de ces Lt de marque : LIBERTÉ-ÉGALITÉ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Lettre de marque. Les Consuls de la République permettent par la présente, au citoyen Le Borgne aîné de faire armer et équiper en guerre un corsaire nommé Le Caïman, du port de tonneaux avec tel nombre de canons, boulets, telle quantité de poudre, plomb et autres munitions de guerre et vivres qu'il jugera nécessaire } pour le mettre en état de courir sur tous les ennemis de la . République, et sur les Pirates, Forbans, gens sans aveu, en quelque lieu qu’il pourra les rencontrer de les prendre et amener prisonniers avec leurs navires, armes et autres objets dont ils » seront saisis, à la charge par de se conformer aux Ordonnances et*Lois concernant la Marine et notamment aux - Lois des 31 janvier 1793 (vieux style) et 23 thermidor, an I, concernant le nombre d'hommes devant former son équipage, de faire enregistrer au Bureau de l’Inseription Maritime du lieu de son départ; d'y déposer un rôle signé et certifié de et du Capitaine, contenant les noms, surnoms, âges, lieux de naissance et demeures des gens de son équipage, et à la charge par ledit capitaine de faire à son retour et en cas de relâche son rapport par devant l'Administrateur de la Marine. Les Consuls de la République invitent toutes les puissances amies et alliées de la République Française, et leurs agents, à donner audit eapitaine tout assistance, passage et retraite en leurs ports avec son dit bâtiment, et les prises qu'il aura pu faire, offrant d'en user de même en pareilles circonstances. Ordonnent aux Commandants des vaisseaux de l'État de laisser passer ledit avec son bâtiment et ceux qu'il aura pu prendre sur l'ennemi, et de lui donner secours et assistance, Ne pourra la présente servir que pour six mois à compter de la date de son Enregistrement, Ü -PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 423 En foi de quoi, les Consuls de la République ont fait signer la présente lettre de marque, par le Ministre de la Marine et des Colonies. Donné à Paris, le Messidor, l’an huitième de la République Française. Signé : FORFAIT. Par le ministre de la Marine et des Colonies, Signé : J. FORESTIER. Il ne faut pas s'étonner outre mesure de la courte durée de la validité que le gouvernement de la République atta- chait à ces lettres de marque; cela tenait à la façon toute particulière dont se pratiqua alors la course et qui différa totalement de celle qui fut immortalisée au xvrr® siècle par les grands corsaires dont nous avons cité les noms, ainsi que par les flibustiers, leurs rivaux de la mer des Antilles. Les corsaires de la Révolution et de l'empire, au lieu de tenir la mer comme leurs devanciers pour la parcourir en tous sens, restaient prudemment à couvert dans un port, jusqu'à ce qu'une occasion propice leur fût signalée ; ils se lançaient alors à la poursuite de cette proie, l’attaquaient et la capturaient s'ils n'étaient pas pris ou détruits eux mêmes. Leurs expéditions ne duraient que quelques jours. Les armements, d’ailleurs, n'étaient faits que pour une durée limitée généralement à vingt jours effectifs de mer, mais que les événements pouvaient abréger ou prolonger suivant les cas, et après laquelle il était procédé à la liqui- dation des prises par le tribunal de commerce du lieu de l'armement. Il n’était pas rare que, pendant ces courtes croisières, le même corsaire se rendit maître de deux, trois, quatre et quelquefois même cinq bâtiments ennemis, qu'il conduisait aussitôt dans le port français le plus rapproché et où il était procédé à la vérification et à la vente de la prise. Cette simple énonciation et les preuves que nous en don- nerons plus loin sufliront à établir le véritable rôle joué à cette époque par les armements en course. On comprend AR AS Le F7 1 ARE: Rev 71 Le L ‘ 4-1 , ! Nous, soussigné capitaine du ee Ve armé au port de . par le Cm "RS cautionné par le Ce porteur d'une Lettre d de Marque expédiée sous le N° agissant d'après l' « torisation spéciale que j'ai reçue le de l'an à la hauteur de : ledit navire le …. 124 © LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DÜ NORD. aisément tout le tort fait par ces irréguliers de la mer. commerce maritime des Anglais et de leurs ES par milliers de bâtiments qu'il faut évaluer l'importance leurs prises. Quelquefois, il arrivait que le corsaire se trot ls embarrassé de sa capture, soit qu'il craignit une alta ue des croiseurs ennemis, devant lesquels il n ‘aurait pu ft assez vile avec sa remorque, soil que cette remorque l’er pêchât de se livrer à une attaque qui: lui parts Ç fructueuse, soit pour toute autre cause dont le: n élait seul juge. Alors, il imposait au commandant du navire capturé une rançon en espèces, et il le laissait continuer s route après s'être fait délivrer des viages en garantie d paiement de la rançon. Voici le modèle du contrat qu intervenail Aloe entre 1 deux capitaines : + : ‘a L TRAITÉ DE RANÇON armateurs commandant le navire 4 Et. | sommes convenus de ce qui suit : Savoir : Moi | , J'ai pris le du présent mois d’ : de : tonneaux, ayant hommes d'équipage; naviguant sous pavillon muni d'un passe port délivré à appartenant à demeurant à . chargé de de PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 125 L pour le compte de , expédié de allant à | lequel navire j'airançonné à la somme de pour laquelle j'ai remis en liberté ledit navire Pour sûreté de ladite rançon montant à la somme de - , J'ai reçu en ôtage: . Et moi, commandant ledit navire le . tant en mon nom qu'en celui de proprié- taires dudit navire et de sa cargaison, déclare m'être soumis volontairement au paiement de la dite rançon, montant à la somme de que je m'engage à acquitter ou faire . acquitter par lesdits propriétaires, le plus promptement qu'il me sera possible. Pour sûreté du présent traité, j'ai donné en ôtage au dit capi- taine du corsaire français le Fait double à bord du le du mois d’ A défaut de la pêche à Terre-Neuve devenue matérielle- ment impossible, et de la navigation au long cours rendue aussi périlleuse pour les marins que ruineuse pour les arma- teurs, par les aléas qu'elle comportait, les armements à la course entrèrent si facilement et si profondément dans nos mœurs maritimes qu'ils se traitèrent entre armateurs et — intéressés comme de véritables opérations commerciales. Bientôt même il se forma dans la plupart de nos ports des sociétés en commandite par actions ou par parts d'intérêts ayant la course pour objet. Il nous suffira, pour en donner un exemple, de repro- duire le document suivant : ARMEMENT EN COURSE Cession d'intérêt dans le corsaire-lougre l'Aïgle, etc. "LS Le soussigné, armateur, reconnaît et déclare céder par le pré- | F sent acte, à M < | action dans la totalité du corsaire et de son armement, ainsi que dans les bénéfices qu'il pourra produire... S'oblige M 1° À payer comptant la somme de pour le montant NS CS D D + 7 Le, RNCS LES ic As à. . E y 126 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD » de son intérêt, calculé sur la dépense présumée par l'article iv à | la police sus-datée. e 2 A payer la contribution de son intérêt dans l'excédent d dépense présumée, s’il y a lieu. 3° 11 déclare accepter, agréer et consentir toutes les cor tions de l'armement exprimées dans la police du 26 août 1807, enregistrée le 28 du même mois, dont copie précède, : à De sa part, l’armateur s'oblige à se conformer aux dispositions des lois pour les comptes à rendre. . 0 Voici maintenant les principales clauses de la police d’ar: À mement dont il est parlé dans ce document : ® * LC Les proportions du corsaire sont 56 pieds de quille traînant sur terre ; 13 pieds de bau; 5 pieds 9 pouces de creux. Il sera armé de 14 canons ou caronades et toutes les menues armes nécessaires, comme fusils, pistolets et sabres; l'équipage … sera de 48 hommes; sa croisière sera de vingt jours effectifs de … mer. L 4 CONDITIONS DE L'ARMEMENT Art. 4%, — Cet armement sera fait par économie, et présumer devoir coûter trente mille francs, sans garantir le plus oule moins : il sera divisé en soixante actions de cinq cents francs. Art. 2.— Dans le cas où la dépense présumée par l’article … premier ne s'élèverait pas à la somme déterminée, l° excédent | servira aux frais de relâche, ou sera réparti à la sotidlé comme bénéfice ; dans le cas contraire, les actionnaires resteront débi= teurs envers l’armateur de la dépense qui excèdera ladite somme. 1 de trente mille francs. Art. 3. — Les actionnaires s'engagent à contribuer audit à * armement, ainsi qu'aux frais de relâche et autres, en raison et proportion des actions énoncées par leurs signatures, et à comptant le montant de leurs souscriptions. ; Art. 4. — L'armement se faisant par économie, il demeure bien entendu entre les intéressés et l’armateur que si quelque = événement politique empêchait la sortie du corsaire, la perte qui CRE. L PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 127 résulterait de cet armement tomberait au compte des action- naires, chacun en proportion de son intérêt. Art. 5. — En cas de prise, l’armateur en poursuivra la con- damnation et la vente, et s'oblige de faire la répartition du pro- duit dans la quinzaine de la rentrée des fonds. Sa commission sera de 3 °,, tant sur les frais d’armement, relâches et autres, que sur le produit brut des prises, n'importe où elles seraient conduites et ce, nonobstant toute loi contraire. Il sera alloué la commission d'usage aux consignataires des ports. Art. 6. — L'armateur est autorisé à allouer au capitaine un chapeau de 5 °/, sur le produit brut des prises; à faire avec les capitaine et équipage les arrangements et conditions d'usage, relativement à leurs traitements et partaux prises ; comme aussi à prendre toutes les mesures, et à faire tout ce qu'il jugera con- venable pour le bien de l’armement et la régie des prises s’il y a lieu. Il est également autorisé à faire ou faire faire aux frais de la Société tous voyages utiles, soit à l'armement et relâches du corsaire, soit à la régie, surveillance et vente des prises. L Art. 1. — L'’armateur est autorisé à réarmer après la course, même dans le cas où des circonstances imprévues viendraient à la rompre, mais il consultera les actionnaires, .et le consente- ment de la majorité sera obligatoire pour tous. Art. 8.— Les actionnaires sont autorisés à acheter aux ventes des prises ; à cet elfet, il leur sera délivré des bons par l'arma- teur, jusqu’à la concurrence des sommes présumées devoir leur | revenir. Art. 9. — Pour tout ce qui n'est pas prévu par la présente police, l’armateur consultera les intéressés, et toujours le vœu de la majorité, calculée par le nombre d'actions, sera obligatoire pour tous. | Quand la chance favorisait le capitaine du corsaire en fai- sant passer à portée de ses canons ou de ses grappins un bâtiment marchand isolé, apportant d'Amérique ou des Indes quelque riche cargaison qu'il laissait rarement échap- per, l'opération pouvait devenir très brillante pour l’ar- mateur et ses coassociés, malgré la vente difficile et souvent faite à très bas prix du bâtiment capturé et des marchan- dises qu'il portait. SR A à NET D PU UE AO FA VTT CAT UT Je é “à | À, à 128 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Ce n’élaient pas les occasions qui faisaient défaut, car Manche était la route directe et naturelle par laquelle pa saient, à chaque instant les nombreux navires battant pawi lon anglais, et qui apportaient à Londres les production variées des côtes d'Afrique et des Indes orientales et oce dentales, ou qui s’en allaient porter dans le monde entit les produits oùvrés sortant des manufactures anglaises” 19 : Mais, le plus souvent, ceux qui en valaient la peine p l'importance de leur chargement se faisaient esco r à grands frais par un navire de guerre britannique, et il falla livrer, pour s'en emparer, une véritable bataille dont l'is: sue était quelquefois fatale aux nôtres, malgré la bravo et la véritable furie dont ils faisaient preuve dans l’attaqu Mais malheur à celui qui osait s'aventurer dans la seul et sans autre défense que les moyens personnels don il pouvait disposer à son bord : sa présence dans nos eat ne lardait pas à être signalée, et il lui était bien difficile d'échapper alors aux grappins que le corsaire lui lança pour s'attacher à ses flancs, sauter à l'abordage et faire p : sonniers {ous ceux de son équipage que le canon ou hache avait épargnés. Un seul coup d'éclat pouvait air devenir une véritable fortune pour l’armateur comme pour le capitaine du corsaire, ainsi qu'une riche aubaine >our les marins et autres gens de l'équipage. En effet, défale *. tion faite des frais de garde, de jugement, de vente, ete,, d à la prise, ainsi que des 5 °/, en faveur des invalides de L marine, les deux tiers du produit net de cette liquidatio revenaient à l’armateur et ses associés, el le capitaine, er ÿ dehors de sa part, stipulait un tant pour cent sur le produit brut de la campagne, ce qui arrondissait d'autant son lot, | En dehors de ce gros gibier qui se faisait plus rare d’an née en année, et se montrait plus difficile à approcher êl plus dangereux à chasser, les corsaires se rabattaient sur 1e" menu fretin, c'est-à-dire les navire d’un plus faible tonnagt portant un chargement moins riche, qui n'étaient pas tous jours à dédaigner et dont l'abondance suppléait la valeur. 1, CE à PÈCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 129 Voici d’ailleurs l'analyse du jugement de : Liquidation générale et définitive de la troisième croisière de vingt jours effectifs de mer du corsaire l'Espoir armé à Saint- Valery-en-Caux, capitaine Jacques Augustin Collos ; armateur, M. Victor Rigoult, commencée le 18 août 1807 et finie le 4 décembre suivant. Pour un armement qui n'avait pas duré quatre mois, le capitaine Collos avait capturé quatre bâtiments anglais, et le produit de la croisière se formait comme il suit : Premièrement, de la somme de quinze mille neuf cent trente- sept francs quatre-vingt-cinq centimes pour le produit net de la prise anglaise Lisabella, conduite au port de Fécamp, suivant liquidation particulière faite par le Tribunal de commerce dudit lieu, le 11 décembre 1807, enregistré au même lieu, etc. A à. PATES R TES PERRET es 15.937 fr. 85 Deuxièmement, de la somme de onze mille soixante-douze francs, soixante-dix-sept cen- times, pour le produit net de la prise anglaise le Northumberland, conduite au port de la CT MN CR CORRE NT EU RE 11.072 fr. 77 Troisièmement, de la somme de treize mille cinq cent cinquante francs soixante-six centimes, pour le produit net de la prise anglaise le William, conduite au port de la OP CR enr ve à à 13.550 fr. 66 Quatrièmement, enfin, de la somme de quatre-vingt-treize mille quatre cent quarante- trois francs soixante-deux centimes, pour le produit net de la prise anglaise l’Elisabeth, conduite au port de Boulogne, etc., ci....... 93.443 fr. 62 Ensemble... 134.004 fr. 90 Les dépenses communes, comprenant la commission de l’armateur pour 2.213, 56, et le chapeau du capitaine pour 2.680, 10 ER re NES RER NS SORT 1.465 42 Il restait à répartir... 126.539 fr 48 Les Français dans l'Amérique du Nord. 9 Er 4 NE ds, Le. 2 CR PR PR AT QU LL. à PPONENEST de nl Va 4 d 37 Me huis ES. Le er # Li os its EE dre +’ it. Le A: op r— x . 7 " 130 LÉS FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Dont le tiers revenant à l'équipage était... .. 42.179 83 Et les deux tiers aux intéressés, ............ 84.359 65 Le montant total des frais d'armements, avances à l'équi- page, mises dehors, relâches. ete., y compris un naufrage à Fécamp, ne s'était élevé qu’à la somme relativement minime de quarante-neuf mille francs, qui rapporta aux intéressés un bénéfice net de 43.793 fr. 50. | L'armateur, M. Victor Rigoult, avait divisé son entre- prise en soixante actions ou parts d'intérêts. Le bénéfice net attribué par le tribunal à chacune des parts ressortit à six cent quatre-vingt-lreize francs trente-neuf centimes quarante-trois soixantièmes, soit près de 90 °/,. La retenue effectuée au profit des invalides de la marine produisit 4.107 fr. 18. Ce résultat était déjà suffisamment rémunérateur, si l'on se place au simple point de vue de la spéculation : 1l deve- nait inespéré pour tous quand la seule prise de Fortuna, ramené à Fécamp le 18 février 1809, produisait à la vente une somme de 486.067 fr. 63, et celle de The Experiment, ramené par le corsaire l'Espoir le 11 août de la même année, et qui ne produisit pas moins de 772.781 fr. 56. Tous nos capitaines n'avaient pas cette même chance ; c'est ainsi que le 5 février 1810, la Victoire, appartenant à M. Rigoult, et qui rentrait au port de Fécamp avec un brick anglais qu’elle avait capturé la veille, est tout d’un coup attaquée par une goëlette et un autre brick anglais qui lui reprennent son butin. D'autres sont moins heureux encore et périssent victimes de leurs audacieuses entreprises. Quelques-uns enfin sont pris par les Anglais, et leurs équipages vont grossir la massé des prisonniers français entassés sur les pontons britanniques, de sinistre mémoire. Un grand nombre de marins pêcheurs, devenus corsaires autant par goût que par nécessité, subirent là de longues années de captivité, car les portes de leurs bagnes ne s'ou- ; L , PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 131 vrirent qu’en 1815. Toutefois, malgré la surveillance étroite dont ils étaient l’objet, quelques-uns parvenaient de temps en temps à s'en échapper. C’est ainsi que le 24 décembre 1810, vingt-quatre prisonniers français retenus sur les pon- tons de la rivière de Teythmouth dans le Devonshire, ayant réussi à tromper l'œil vigilant de leurs gardiens, se jetèrent à la nage et, sous le commandement de l’un d'eux, nommé Nicolas Larrieu, aspirant de marine de la flotte impériale, attaquèrent la goëlette le Griffon, mouillée à quelques encâblures de là, s’en emparèrent et prirent la mer pour revenir en France. Ils ont le bonheur d'échapper à toutes les croisières anglaises, et, le 24 du même mois, ils entrent avec leur prise dans le port de Fécamp où ils font aussitôt leur rapport devant le commissaire de la marine, qui les félicite de leur courage et de leur réussite. L'année suivante, c'était le tour de trois marins de Gran- ville, qui, en s’échappant des pontons, s’emparent du sloop anglais Mary Warsah avec lequel ils traversent la Manche et viennent échouer à Étretat. Et à côté de cette chasse aux bâtiments de commerce dont la prise constituait une source de revenus à nos corsaires, que de combats livrés aux navires de guerre pour se défendre de leurs attaques, et qui ne tournèrent pas toujours à l'avantage de l’amirauté anglaise ! Le 10 nivôse an XIII, le lougre français le Wiméreux armé en course sous le commandement du capitaine Pollet, est rencontré, près de Saint-Pierre-en-Port, par deux eroi- seurs et un corsaire anglais qui l’attaquent de concert. Le Wiméreux, qui jaugeait seulement 59 tonneaux, n'avait à opposer à l'ennemi que 14 canons et 55 hommes d'équipage comprenant, outre le capitaine Pollet, cinq lieutenants et un officier desanté. Se voyant dans l'impossibilité de fuir assez vite, Pollet accepte courageusement le combat qui se fait corps à corps avec le plus grand acharnement de part et d'autre. Mais les Français, qui combattent pour leur liberté, font des prodiges de valeur et, malgré sa grande 132 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD To infériorité, Pollet peut rentrer au port de Fécamp avec “ei ‘ prisonniers anglais. De son côté, dix hommes ont été tu et dix autres grièvement blessés. Tous ont reçu des coups | de hache dans la figure ou dans la poitrine. | ke. Le rapport du commissaire de marine Renateau, auquel 2. nous empruntons ces détails, se termine ainsi : Le capitaine doit des éloges à tous les hommes de son équi- page sur la défense qu'ils ont faite. k À M. le capitaine Pollet, né à Boulogne, qui commande en … course, depuis 1795, a soutenu, dans cette affaire, la réputation de bravoure qu'il s'est acquise par ses actions précédentes, et qui lui ont mérité l’Aigle d'Honneur. = Monté sur son banc de quart, il y est resté avec intrépidité pendant toute l’action, sans autre arme que son porte-voix, avec lequel il animait les siens au combat. Il doit sa conservation à l'amour filial de Charles Pollet, son fils, qui a toujours combattu à côté de son père et au dévouement de ses officiers qui ont détourné les coups qui menaçaient ses jours. Sept ans après ce mémorable événement, le 14 février 1811, nous retrouvons à Fécamp le capitaine Pollet qui commandait alors le corsaire le Génie; il était venu faire relâche dans ce port où il fut le héros d’une aventure que nous allons conter. Suivant un ordre exprès, émanant du Gouvernement, le commissaire de marine, qui élait alors M. Gastagliota, informe le corsaire qu'un certain nombre de ses hommes sont susceptibles d'appel et qu'il va les lever pour les expé- dier aussitôt au service de l’empereur. En entendant cette communication, Pollet entre dans une colère bleue; il envoie à tous les diables le commissaire et son messager, ainsi que le ministre qui a donné de pareils ordres; il jure qu'il s'opposera par tous les moyens à l'exécution de cette mesure qui le priverait de la meilleure partie de son équi- page et le mettrait dans l'impossibilité de continuer sa croï- sière. Le PÊCHEURS PENDANT LA PAIX —— CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 133 Devant cette résistance obstinée, le commissaire .de marine demande main-forte au commissaire de police, au maire et au commandant de place, qui se rendent aussi- tôt dans la cour de la caserne où l'équipage entier du Génie est appelé et passé en revue. Après la vérification des livrets et du rôle, quatorze hommes sont déclarés aptes au service et retenus par le commissaire de marine qui, malgré les protestations et les imprécations du capitaine, les fait enfermer dans les locaux de discipline sous la surveillance d’un piquet de police commandé par un caporal et un sergent. Puis, vers midi, tout le monde se retire pour aller dîner, remettant au soir la continuation de l’opération par la revue des équipages des corsaires le Cerf-Volant et le Sauvage, également en relâche dans le Port: Mais à peine les autorités sont-elles parties que Pollet revient à la tête des hommes qui lui restent et qu'il a armés jusqu'aux dents. Les portes de la caserne sont enfon- cées, la garde surprise et désarmée, et les quatorze hommes du Génie délivrés de la prison ; ils y sont remplacés par les soldats chargés de leur surveillance et que les corsaires enferment à double tour pour les empêcher de donner l'alarme. Ce bel exploit accompli, Pollet, suivi cette fois de tous ses hommes, remonte à bord de son bâtiment, lève l'ancre et sort du port avant que n1 le commissaire de marine ni le commandant de place n'aient été informés de ce qui se passait. Un rapport détaillé de cette rébellion à main armée contre la force publique, qui avait stupéfié les autorités maritimes et militaires de Fécamp et jeté l’émoi dans toute notre population, fut aussitôt adressé au ministère de la marine par le commissaire. Ce dernier, furieux d’avoir été ainsi joué, demandait que le capitaine Pollet fût cassé de son grade et remis matelot 4 la basse paye. Dans sa réponse, le ministre se montre très indulgent pour notre héros. Rappelant les services de Pollet qui 134 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD navigue depuis 1762 et commande en course depuis 1795, il ne saurait oublier qu’en dehors des nombreux bites 2 marchands dont le. corsaire s’est emparé, celui-ci s'est encore rendu maître tout récemment de deux corvettes anglaises. De sorte que, eu égard à sa conduite antérieure, … le capitaine du Génie n’est condamné qu'à quelques jours d'arrêts de rigueur qu'il fera à son retour en France. C'était d’ailleurs l'intérêt, bien entendu, du Gouverne- ment de ménager les hommes de cette trempe qui étaient ses meilleurs auxiliaires dans la lutte qu’il fallait soutenir contre la puissance maritime de l'Angleterre ; et bien des fois l’empereur leur fit des propositions très avantageuses pour les faire entrer comme officiers dans la marine impé- riale. Si quelques-uns, préférant l'indépendance absolue qu'ils possédaient comme corsaires aux honneurs qu'on leur offrait, déclinèrent ces offres, d’autres les acceptèrent, et. parmi ces officiers se trouve le grand-père du côté mater- nel de l’auteur de cette étude. Jacques-François-Henry Desprairie, né au Havre, le 23 décembre 1774, avait été reçu Capitaine au long cours le 14 fructidor an X ; il arma successivement en course et commanda lui-même l’Heureux- Hasard et le Hussard. Fait prisonnier en 1810, au cours d’une de ces croisières, il est emmené en Angleterre d’où il est assez heureux de se sauver après une caplivité relative- ment courte. En 1812, il est nommé enseigne de vaisseau, à titre auxiliaire, dans la marine de l'État, où il est chargé de convoyer les navires de pêche et de commerce. Voici la lettre qui le commissionnait à cet effet : ManiINE IMPÉRIALE Au nom de l'Empereur. Jean-Baptiste-Montagnies Delaroque, capitaine de vaisseau, officier de la Légion d'Honneur, commandant le 15° équipage de flottille, chargé de la défense des côtes et de la protection du commerce dans le deuxième arrondissement maritime, Le PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 135 Ordonne à Monsieur Desprairies (Jacques-François-Henry), k enseigne de vaisseau auxiliaire, commandant la canonnière la 5 Brûlante d'appareiller au premier tems favorable pour se rendre À au Havre, sous les ordres de Monsieur le Capitaine de frégate Lemaître, major du 15° équipage de la flottille. Il prendra, sous son escorte, les bâtiments de transport, de commerce et de pêche. L'ennemi ayant établi sa croisière depuis Cherbourg jusqu’à fé la distance de # à 5 lieues, il aura toujours la plus grande ; attention à ce que le trajet d’Armanches à la Percée soit tou- F jours fait de nuit, à moins de circonstances majeures, dont il jus- È tifiera en cas d'événement. - L’habitude des convois et les connaissances locales qu'il a acquises mé sont un sûr garant du succès de la mission qui lui : est confiée. . Cherbourg, le 25 février 1812. . | 1 Le capitaine de vaisseau, commandant le 15°, Signé :Montaignies DELAROQUES. Monsieur Desprairies mourut en 1820 à Saint-Domingue. re ER en) ‘ce Malgré l'abondance et la diversité des documents qui nous resteraient à citer sur cet intéressant chapitre, nous termi- nerons sur ce fait l’histoire de nos pêcheurs devenus cor- | saires autant par goût que par patriotisme et dont quelques- \ uns se sont élevés au rang de véritables héros. Nous dirons cependant quelques mots des smogleurs qui tinrent aussi une certaine place pendant les guerres mari- times que nous venons d’esquisser à grands traits. On a quelque peine à se bien pénétrer du rôle véritable que jouèrent ces industriels, sorte de contrebandiers offi- ciels autorisés et patentés par le Gouvernement du roi pour transporter en fraude en Angleterre certaines marchandises è désignées à l'avance, qu'ils venaient charger dans quelqies ports français de la Manche. L'histoire des dernières années de l’ancien régime révèle vraiment d’étranges coutumes. Tandis que les corsaires étaient tenus d’avoir un équipage français, ou composé d'au moins les deux tiers de marins * AE -1re, 2e di un 136 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD français, les smogleurs! étaient anglais et naviguaïent soi s. pavillon anglais avec un congé de l'amirauté anglaise; maïs. ils étaient munis d’un sauf-conduit qui leur était délivré sous certaines conditions par le roi de France ou l'amiral: u Par ordonnance royale du 13 février 1779, les bateaux smogleurs furent autorisés à venir armés dans le port de … Fécamp pour y charger des mar :handises françaises ; mais ces fraudeurs, dit l'autorisation, ne pouvaient avoir que les armes nécessaires pour se défendre contre les bateaux de … la douane anglaise qu'ils devaient éviter pour n'avoir pas à acquitter les droits prohibitifs dont nos produits étaient alors frappés à leur entrée dans les ports du Royaume- Uni de Grande Bretagne et l'Irlande. Cette ouverture du port de Fécamp aux smogleurs aurait- elle été ordonnée pour compenser, en sa faveur, le détriment = qui lui avait été causé, en 1717, par son exclusion de la liste = des ports ouverts au commerce direct avec les colonies = d'Amérique; ou bien, ne serait-ce point seulement parce que Fécamp, à cause del’abandon dans lequel il avait été laissé jusque-là, était presque délaissé par la marine royale, et ne pouvait, par suite, donner aux étrangers aucun ren- seignement précis sur le mouvement de notre armée navale pendant ses opérations contre les ennemis? Nous incline- rions plutôt à accepter cette dernière hypothèse, car nous voyons parlout les smogleurs écartés avec soin des grands ports où les escadres du roi avaient l'habitude de relächer, soit pour éviter les mauvais temps, soit pour venir s appro- visionner entre deux croisières. D'un autre côté, nous voyons que l'immense majorité des smogleurs était composée d'Irlandais, ces antagonistes nés des institutions anglaises que Jacques II nous avait habi- tués à voir se réclamer de l'alliance française, et qui employaient toutes leurs facultés à faire échec à leurs 1. Ce nom, qu'on avait francisé pour l'occasion, vient de l'anglais smuggler (contrebandier). TRE ENT à à 6 ns, à ME a Ÿ PÊCHEURS PENDANT LA PAIX — CORSAIRES PENDANT LA GUERRE 137 douanes. De tout temps, depuis les guérres de Louis XIV, les corvettes et les frégates du roi, ainsi que les corsaires français, avaient protégé tacitement les bâtiments des mal- heureux Irlandais. Pour en revenir à ces smogleurs dont la tolérance dans nos ports semblait avoir le double but de frustrer d’une part le gouvernement anglais déjà passablement endetté par ses dernières guerres avec la France, des produits qu'il espé- rait pouvoir retirer de ses douanes et de favoriser, d'autre part, le débouché de nos marchandises et principalement des vins et eau-de-vie dont l'Angleterre faisait une très grande consommation et que la guerre avait accumulés dans nos magasins au grand détriment des producteurs, nous croyons devoir reproduire la léttre suivante pour donner à la question tout l’éclaircissement qu’elle comporte. _ Elle émane de M. de Sartine et est adressée au commis- saire des classes à Fécamp : Marly, 19 octobre 1778. J'ai pris les ordres du roy, Monsieur, sur le commerce que fond les fraudeurs anglais nommés smogleurs, dans les différents ports du Royaume. Sa Majesté a reconnu que les détails de ce commerce composaient un objet fort intéressant pour ses sujets, et que s'il y avait quelques dangers à le tolérer, on perdrait des avantages certains en le supprimant ; elle a pensé que les ports auxquels il pouvait être restreint, n'étant pas regardés comme les premiers dépôts des forces de l’État, n'offraient pas des détails très intéressants pour la curiosité de ses ennemis, qu'outre les raisons du commerce qui la décident à admettre les smogleurs dans quelques-uns de ses ports, la permission qu'ils auraient de continuer ce commerce empêcherait les matelots, qui y seraient employés, de servir sur les vaisseaux du Roy d'Angleterre, ou dans des armements particuliers. Mais, malgré toutes ces considérations, Sa Majesté a cru devoir prendre des précautions contre les abus que l'admission des smogleurs pouvait entraîner, et vous aurez le soin de sou- mettre tous les capitaines des bâtiments anglais qui continueront ce commerce aux conditions suivantes : 138 LES FRANÇAIS DANS L’AMÉRIQUE DU NORD . 4° Les fraudeurs qui désireront fréquenter votre port ront les noms de leurs bâtiments et de leurs pi pourront aborder dans aucun autre port du Royaume, à 1 moi d'y être forcés par la tempête, auquel cas ils ne pour a faire aucun achat de marchandises ; 2° Les bâtiments ne devront pas être armés de canons pierriers, et n'avoir que 12 à 45 hommes d'équipage; 3° Ils seront tous adressés à des négociants de votre pt a nus et solvables, et qui se rendront caution de la somme de vi in, mille livres pour chaque voyage des abus que le capitaine ot gens de son équipage pourraient faire de la permission ss est accordée ; 4° Il sera prescrit aux smogleurs de ne pas s’écarter de 1 route directe à moins de force majeure ou pour éviter bateaux de la douane anglaise; 5° Le capitaine et le mousse seront seuls ENS à terre, et devront loger dans une maison connue fe cor dant de la place. 24 Je suis, Monsieur, votre humble et ébéissent servitétr, (0 é Signé : DE SARTINE. 4 vs 72 » : CHAPITRE VI LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE La nouvelle de l’abdication de Fontainebleau fut accueillie - avec bonheur par quelques-uns, avec un véritable soupir de - soulagement par toute notre population maritime qui, plus. | que toutes les autres classes industrielles, avait souffert d’un - chômage forcé de vingt-deux ans. Il semblait à tous ces braves gens, qui avaient vécu si longtemps de privations, que le successeur de Napoléon, … quel qu'il pût être, serait pour eux un véritable sauveur qui - ramènerait le travail et l’aisance. L'Empire n'avait été - qu'une guerre ininterrompue que n'avait pas coupée la plus petite trêve leur permettant de mettre un bout de ligne à la mer, sans risquer leur vie ou tout au moins leur liberté; le nouveau gouvernement devait être la paix perpétuelle. Aussi l’arrivée de Louis XVIII est-elle saluée avec des - transports de joie, et l'espérance renaît dans tous les cœurs. Les traités de 1814 et 1815, si désastreux qu'ils aient été pour la France, avaient au moins l'avantage de rétablir la … liberté et la sécurité des mers, comme de faire rentrer dans leurs foyers tous les marins valides dont les uns, — c'était … le plus grand nombre, — étaient retenus prisonniers en - Angleterre, et les autres levés pour le service de l’État. De toutes parts, les armements se préparent avec une fié- vreuse activité. Le Gouvernement, d’ailleurs, semble prendre en mains la cause de nos pêcheurs et particulièrement de ceux qui vont chercher la morue à Terre-Neuve; en tout cas, 1l se préoccupe sérieusement de la situation qui pouvait = CN A ! Le Sete NC Ut EF RRERE “à his - À Re, ES LC 4 NL + pr” . ee ) } “ AT : L4 VU a, . 4 . re À : 140 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD être faite à nos matelots dans les mers où la pacifi pouvait n'être pas encore faite complètement. | La France, en effet, n'avait pas encore repris pos sessi 1 de Saint-Pierre-et-Miquelon, ni de ses pêcheries de Te Neuve qui lui étaient rétrocédées par les traités, de s que nos nationaux ne pouvaient compter sur aucun se oui en cas de manque de vivres et d’approvisionnements en & ou d’avaries dans ces parages si éloignés de la mé pol et ils risquaient, le cas échéant, de compromettre le am pagne. _ d Ils avaient été mis en garde contre ce danger par u lettre du comte Beugnot, alors ministre de la marine de la rentrée de Louis XVIII, et dont voici la teneur : Le Ministre, secrétaire d'État au département de la } à M. le Préfet maritime à Cherbourg. Paris, le 5 janvier 1845. Monsieur le Préfet, 4 _ Lorsqu'après le traité d'Amiens, en 1802, les ports de ‘expédièrent des bâtiments à Saint-Pierre-et-Miquelon, ol 1 pêche de la morue, les armateurs, comptant sur les farines et »s salaisons que les Américains pouvaient y apporter, et sur ressources que leur offrirait, à cet égard, le magasin de l'Etat, n'eurent pas l'attention de munir leurs bâtiments des quantités de vivres nécessaires à la consommation des équipages jusqu'au retour en France, Xi Cette négligence eut des-inconvénients graves qu’il importé de prévenir aujourd hui. __ de vous prie, en conséquence, de MATE les mesures les plus efficaces pour qu'il ne soit autorisé, dans votre arrondissement; aucune expédition pour la pêche, qu'après avoir acquis la cer tude que chaque bâtiment aura été approvisionné dans une } portion suflisante, non seulement pour la traversée, mais pour le séjour et le retour. Vous voudrez bien pourvoir avec soin à l'exécution de € ordre, transmettre ampliation de la présente dépêche da ‘chacun des ports de la dépendance de Cherbourg. Signé : Comte BEUGNOT. rh LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 141 Quelques jours après, nos armateurs recevaient commu- nication d’une seconde dépêche du comte Beugnot ainsi conçue : Le Ministre, secrétaire d'Etat de la Marine et des Colonies, au Commissaire chef maritime au Havre. Paris, le 23 janvier 1815. Monsieur, Plusieurs armateurs m'ont exposé, avec raison qu'ils manque- raient la saison favorable pour le succès de leurs opérations à Saint-Pierre-et-Miquelon, s'il ne leur était permis de faire sortir, dès les premiers jours de mars, les navires qu’ils se proposent d'envoyer dans cet établissement. Vous voudrez bien, en conséquence, informer les négociants qui prépareraient des armements pour les îles dont il s’agit, que leurs expéditions ne pourront être protégées par le pavillon du roi avant les premiers jours de mai, époque présumée de l'arrivée dans ces parages, de l'expédition de Sa Majesté, chargée de la reprise de possession, mais qu'il ne sera point mis d’obstacle au départ des bâtiments ayant cette destination lorsque les armateurs ne verront aucun danger pour leurs intérêts à devan- cer cette époque. Signé : BEUGNOT. Sur ces entrefaites, Napoléon rentrait en France et Louis XVIII se réfugiait à Gand, de sorte que les expédi- tions préparées pour Terre-Neuve n'eurent pas lieu cette année-là, la sécurité de nos nationaux étant encore une fois compromise sur l'Océan. Le 24 avril, le duc Decrès, redevenu ministre de la ma- rine de l’empereur, écrivait au préfet maritime du Havre : « Les expéditions pour Terre-Neuve ne sont pas inter- dites ; c’est aux armateurs à apprécier les circonstances et les dangers qui pourraient éventuellement naître. » Ces dangers n'étaient que trop réels pour que nos arma- teurs pussent consentir à s’aventurer de nouveau sur les mers où les Anglais se livraient à une chasse acharnée contre = à à ”. ve M vu + 4 r lai ., = 14 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD tout bâtiment battant pavillon français. Pourtant, de éonsentaient pas volontiers à laisser plus longtenipiiié ductifs les capitaux qu'ils avaient consacrés à leurs & ments ; leur inaction avait duré trop longtemps et ils av. hâte d'en sortir par tous les moyens possibles. Ils voy avec douleur et envie les étrangers se livrer me: à la pêche de la morue sur ces mêmes bancs qu'ils avaie explorés les premiers et où 1ls avaient si longtemps ré en maîtres absolus. Mais le pavillon tricolore qu'ils étaient forcés d'arbe comme signe de leur nationalité, chaque fois if élaient requis par les navires de guerre étrangers, pouvait devenir pour eux une cause de confiscation ou de dest lion par les Anglais et leurs alliés. C'était donc ce p: qu'il fallait pouvoir cacher à l’occasion et remplacer celui d’une puissance neutre ou alliée à nos ennemis. Cette simulation de nationalité étrangère avait déjà ét pratiquée sous l'Empire par les navires de commerce fran: çais; la même faculté fut demandée par nos armateurs pour les bâtiments à-expédier à la pêche de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve. Voici la réponse qu'ils reçurent, à. cet effet, du duc Decrès : Paris, le 18 mai 1815. Monsieur, Je réponds à votre lettre du 11 de ce mois par laquelle demandez si les armateurs peuvent simuler leurs bâtiments pavillon espagnol ou portugais. Les armateurs sont libres de choisir le pavillon qui MT. le plus favorable, et vous leur laisserez, à cet égard, toute li Sa Majesté, désirant laisser encore plus de facilités, a décic que l'autorisation de ces simulations serait absolue, ce 'est-à- que les armateurs seront libres d'admettre dans leurs équi tel nombre de marins étrangers qu'ils jugeront convenable, sans être tenus d'avoir un capitaine français et les trois quarts dé l'équipage en marins français, comme on l'exigeait précédemment; M Le LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 143 suivant l’article 1% du décret du 3 juillet 1810 et la circulaire du 10 août de la même année. : Il est bien entendu que les armateurs seront obligés de fournir . le cautionnement prescrit par l'arrêté du 13 prairial an XI, pour _ garantir la réintégration de leurs bâtiments sous pavillon national. Signé : DECRÈS. _ À cette dépêche était annexé le modèle du permis de . simulation à délivrer par les commissaires de l'inscription maritime aux armateurs qui en feraient la demande. Voici _ Ja forme de ce document que nous reproduisons 1 ici à ütre | de curiosité : | ARRONDISSEMENT MARITIME PERMIS DE SIMULATION F1 Pa Quartier d | | | Port d_ Le _ de marine, préposé à l'Inscription maritime au port d d’après l'autorisation à nous donnée par la dépêche de S. E. le Ministre . de la Marine et des Colonies, du 18. mai 1815, per- met à M armateur domicilié à d'expédier sous pavillon de le navire fran- çais le immatriculé au port de en destination pour d'en composer l’équi- page en tel nombre de marins s français et étrangers qu'il jugera convenable. Le présent permis de simulation n’est valable que pour un an. | L'armateur fournira le cautionnement prescrit par l'arrêté du 13 prairial an XI (2 juin 1803), pour assurer le retour dudit bâtiment sous pavillon natio- nal, et ledit armateur reste d’ailleurs soumis à toutes les lois et règlements sur la police de la navi- gation et sur les douanes. nous serait bien difficile de dire si nos armatéurs Rae t dog D"1 resla pas en vigueur trois mois entiers. 4 Le 8 juillet 1815, Louis XVIII rentrait à Paris, ne, sur le trône pas nos ennemis victorieux et la paix étail réta- blie de nouveau. Elle fut durable cette fois, et les armateurs % 8 "empressèrent de la mettre à profit. , Quelques jours après, le 21 juillet, sortait du port de Fécamp, l'Éléonore, brick de soixante tonneaux, armé par M. Rigoult, pour aller à la pêche de la morue sur le Grand- Banc. Ce navire, commandé par François Leborgne, capi- Ê taine au long cours, ne rentra à son port d'armement que le 6 février 1816, après avoir livré sa morue à Cette. L'équi= page comprenait, outre le commandant, un second, hu matelots dont un saleur, un novice et un mousse. Il ny avait donc pas, comme on le voit, de changement sensible « dans la composition des équipages terre-neuviers. À Le 3 août suivant, l’Adolphe, un autre brick un peu plus … fort que l'É léonore; — il jaugeait quatre-vingt-quatorze « tonneaux — partait également de Fécamp pour la pêche au | Banc. Il ne rentra que le 6 février 1816, après avoir porté sa morue à Cette. Ces deux faits, tout locaux, que nous relatons ici à titre purement documentaire, nous montrent que la Révolution a fait subir au commerce de la morue un bouleversement complet en transportant, des côtes de la Manche à celles de la Méditerranée, l'industrie du séchage. En effet, avant 1793, les armateurs de Fécamp séchant peu chez eux livraient les produits de leur pêche à Dieppe ou à Honfleur, qui étaient de véritables centres commerciaux pour cette denrée, comme l’étaient également Granville et Saint-Malo. Quand se produit la reprise de 1816, c’est vers Cette qu'ils se diri- gent, suivis en cela par un grand nombre d'autres bateaux pêcheurs. Cependant, si les sécheries de la Manche ne purent résis- ter au nouveau courant commercial qui s'établissait ainsi et était encore favorisé, sinon entièrement causé par la facilité LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 145 que trouvaient nos Terre-Neuviers à s'approvisionner de sel en Méditerranée quand leur déchargement était effectué, le marché de Bordeaux sut maintenir son importance séculaire qui s’accrut encore de la décadence des autres marchés de l’Atlantique, jusqu'à arriver à se constituer de nos jours un véritable monopole. Timides à l’origine, les armements ne tardèrent pas à se développer quand on eut acquis la conviction que l’on pou- vait enfin pêcher en toute sécurité dans les parages de Terre- Neuve, et, dès l’année suivante, il se trouva sur le Banc presque autant de bâtiments français qu'avant la Révolu- tion. C’étaient pour la plupart des bricks dont le tonnage variait entre cinquante et cent tonneaux, les pêcheurs qui dépassaient cette dernière jauge étaient rares et 1ls ne fai- saient, pour ainsi dire, qu'accidentellement la pêche. Nous les trouvons, en effet, faisant alternativement la pêche et le commerce. Au mois de février 1818, afin de favoriser la pêche de la morue et de lui faciliter des débouchés pour l'écoulement de ses produits, tant à l'étranger que dans les colonies de France, le comte Molé, l’un des nombreux et éphémères successeurs du duc Decrès, au ministère de la Marine, auto- risait les armateurs à Terre-Neuve qui voudraient se servir de leurs navires-pêcheurs comme transports de Saint-Pierre- et-Miquelon à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane et aux Indes occidentales, à débarquer, pour être renvoyés en France, les marins qui ne seraient pas nécessaires pour la conduite du navire pendant cette campagne de long cours. Armés au commerce avec un équipage réduit, ces na- vires porteraient ainsi la morue qui a été préparée et séchée sur les lieux de pêche de la côte de Terre-Neuve ou de Saint-Pierrre aux colonies d’où ils pourraient revenir en France avec un fret pris dans ces colonies. Cette autorisation était d'autant plus facile à accorder par le ministre, que les terre-neuviers ne pouvaient être Les Français dans l'Amérque du Nord. 10 146 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD commandés, à cette époque, que par des capitaines au long cours, D'après une note jointe à la circulaire ministérielle pré citée, la consommation de la morue aux Antilles s'élevait à xs trente mille boucauts, pesant chacun un millier. La Guyane, à elle seule, consommait le quart de cette quantité, et les Indes occidentales françaises 28.000 milliers de morues. Malheureusement, c'était l'étranger qui fournissait la plus grande partie de ce poisson. “4 Suivant la pensée du Ministre, l'autorisation qu'il accor- dait aux bâtiments terre-neuviers devait fournir aux arma= teurs français, le moyen de lutter avec moins de désavan- tage contre leurs concurrents étrangers, et, d’après des expériences faites par la marine de l'État, soixante-quinze bâtiments de deux cents tonneaux pourraient utiliser ces transports dans un avenir prochain et occuper ainsi environ deux mille marins en dehors de la saison de pêche. À mesure que les armements se développent, nous consta- tons également que de grandes améliorations se produisent dans la manière d'effectuer la pêche sur le bane. Nous voyons pourtant reparaître au début la pêche errante avec lignes à la main, manœuvrées lout le jour durant, par les malheureux pêcheurs immobilisés dans le baril recouvert du tablier de cuir et avec lequel ils semblent faire corps. Le Dictionnaire des pêches, de M. Baudrillart, publié à Paris en 1827, nous donne encore la description, avec gra- vures à l'appui, d'un petit bâtiment de Granville, équipé pour la pêche de la morue sur le banc de Terre-Neuve, avec tous ses engins de pêche et de préparation du poisson, ses barils solidement amarrés au bord, sous le vent, pour y pla- cer les pêcheurs et le pavois de toile goudronnée, destinée à les garantir de la pluie et de la trop grande force du vent. « J'ai vu récemment, dit l’auteur de ce Dictionnaire, à « Dieppe et à Saint-Valery, des bâtiments armés pour la « pêche de la morue, où l’on a substitué de petits carrés en « planches aux barils granvillois. » ft te 4 0 - < ‘tt CE ERA RARE SE Dé ph is yn ar odree LA PÈÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 147 Et M. Baudrillart semble ainsi faire de la pêche à la ligne de main, la méthode à peu près exclusivement employée sur le banc à l’ époque où 1l publiait son ouvrage, c’est-à-dire dix ans après la reprise de cette industrie. C’est comme exception qu'il cite la pêche à la faux, _ variété de la pêche à la ligne de main, et dans laquelle on n'amorce pas les haims; ceux-ci sont formés de deux ou trois crochets bien aiguisés pour que, en les retirant par secousses brusques, on prenne le poisson qu’on pique tantôt par un endroit, tantôt par un autre. Ce procédé, comme on le comprend, ne pouvait donner des résultats bien satisfai- sants que sur les fonds très poissonneux. Il se pratiquait, soit du pont du navire comme pour la ligne à la main boettée soit dans la chaloupe. Quant à la pêche à la ligne dormante, M. Baudrillart n'en parle pas ; c’est peut-être parce qu'elle était encore défen- due par les prescriptions administratives comme dangereuse pour la vie des hommes qu'on envoyait par tous les temps à la mer pour poser les lignes. Nous pouvons cependant, affirmer que l'innovation du capitaine Sabot n'était point abandonnée et que son procédé allait au contraire chaque année s’améliorant. C’est ainsi que nous voyons apparaître les chaloupes en 1815, c'est-à-dire dès la reprise de la pêche au banc. A par- ür de cette époque, les navires qui voulurent faire la pèche aux lignes dormantes emportèrent deux grandes chaloupes dont une de rechange, et un canot plus petit que l’on appe- lait porte-manteau, parce que chaque soir cette petite embarcation était hissée sur les potences de ce nom. Ces ‘potences étaient placées verticalement par le travers du parc, entre les deux mâts des dogres et des brigantins, et les apparaux fixés à la tête des deux mâts de hune. La voilure de ces chaloupes se composait d’un foc, d’une : misaine et d’un tape-cul. Les chaloupes de Fécamp n'étaient pas tout à fait gréées comme celles de Dieppe. Dans ces dernières, le mât de 7" Eu, - 4 Cl 148 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD r4 misaine était plus à l'avant ; le point d'amure de la voile se. trouvait croché sur l'étrave, et la voile était bordée à l'arrière 4 4 du canot. Dans les chaloupes de Fécamp, le mât était placé plus au centre, mais, bien que la voile fut également bordée à l'arrière de l’embarcation, le point d’amure était croché - sur le lof, ce qui lui permettait de serrer plus le vent. En outre de leurs voilures, les chaloupes étaient encore munies de sept avirons. La plus grande de ces embarcations était … généralement montée par cinq hommes et un novice ; l'équi= page du porte-manteau ne comprenait que quatre hommes el un mousse. La grande chaloupe prenait 35 pièces de ligne Ps 60 brasses chacune ; elle faisait tribord. Le porte-manteau ne prenait que 25 DibosS de ligne, de 60 brasses chacune également ; il faisait bâbord. Il n’est pas sans intérêt de faire remarquer ici que, d’une façon générale, et pendant bien longtemps encore, la tessure de bâbord est moins longue que … celle de tribord. Vers 1840, on abandonne le porte-manteau ; la pose des lignes se fait au moyen de deux chaloupes d’égale grandeur et montées du même nombre d'hommes ; cependant l'ano- malie que nous signalions plus haut, relativement à l'inéga- lité des deux tessures, se continue. Voici, à notre avis, la meilleure explication qui peut en être donnée : on confiait une moindre longueur de lignes à la chaloupe qui allait à bâbord pour qu'elle s'écartâät moins du navire ; les hommes qui la montaient, contrariés par le vent, devaient avoir plus de mal et mettre généralement plus de temps pour regagner le bord que ceux de l'autre embarcation. Il arrive souvent, en effet, que le vent qui est sud-sud-ouest le matin, passe, peu à peu, vers l'ouest sous l'influence du soleil et de la température, de sorte que la chaloupe de bâbord se trouve avoir vent contraire, et être obligée de se servir de ses rimes pour regagner le navire. | Pour répartir également cette fatigue entre les matelots, on changeait chaque dimanche l'équipage des chaloupes, de VI LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX° SIÈCLE 449. sorte que les hommes faisaient alternativement huit jours bâbord et huit jours tribord. La tessure de bäbord compre- nait alors trente pièces de lignes et celle de tribord quarante ; ces lignes étaient mises le soir à la mer pour être relevées le lendemain matin. Jusque là, on avait conservé, pour mouiller, l'usage du câble entièrement en chanvre ; ce ne fut qu’en 1842 que l’on commença à l'améliorer en lui ajoutant un bas de fond en chaîne-câble en fer d’une longueur d'environ 50 brasses. Puis, en 1848, on remplace le chanvre par des chaînes- câbles entièrement en fer, semblables à celles qui sont encore employées de nos Jours. | L'administration, d’ailleurs, était revenue de ses pré- ventions routimères contre les lignes de fond, et, ne pouvant remonter le courant qui s’élait produit en faveur de cette méthode à la fois moins fatigante pour les hommes et plus avantageuse pour les intéressés, elle s'était enfin décidée à permettre ce qu’elle n’avait pu empêcher en réglementant l'usage ou tout au moins en prescrivant des mesures de pre- caution à prendre par les hommes montant les chaloupes et autres embarcations détachées du navire pour aller poser les lignes ou les lever. C'est ainsi que, dès 1821, le baron Portal, alors ministre de la marine, prescrivait l'emploi d’une ligne fixée par l’une de ses extrémités au bâtiment mouillé sur le banc et qu'un homme de la chaloupe aurait filée au fur et à mesure de manière à s'assurer le retour à bord en cas de brume. Il recommandait aussi l’usage des pierriers pour faire, en temps de brume, des signaux d'appels aux embarcations restées à la mer, et que le brouillard empêchait de retrouver le navire. Voici d’ailleurs le texte de la circulaire ministérielle qui fixe une date certaine à la reconnaissance officielle de la nouvelle méthode de pêche. PERS ASE PER PR OU RTE ri . "n. 150 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD _ POLICE DE LA NAVIGATION Ne 4 Le Ministre de la marine et des colonies au Commissaire général de la marine, au Havre. Paris, le 30 janvier 1821. Monsieur, Vous trouvez, ci-joint, la copie d’une lettre qui m'a été écrite par M. Fayolle, commandant et administrateur pour le roi, aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Cette lettre est relative aux dangers que présente la pêche avee les lignes de fond au Grand Banc de Terre-Neuve, et sur les- quels vous avez appelé vous-même mon attention, le 28 octobre dernier. M. Fayolle expose que les embarcations qui se détachent des navires pour aller tendre les lignes sont fréquemment dans l'im- possibilité de rejoindre ensuite leurs bâtiments respectifs, ou % moins n’y parviennent que très difficilement, en raison des brumes épaisses qui règnent sur le banc, indépendamment des obstacles que leur oppose une mer presque toujours agitée. t Afin d'obvier à ce grave inconvénient, qui a amené des résul- tats funestes pendant la dernière campagne, M. Fayolle énonce l'opinion que chaque chaloupe détachée devrait être munie d'une ligne, qui, fixée par l'une de ses extrémités à bord du navire, serait filée par l'un des hommes de la chaloupe, dont elle facili- terait ensuite le retour. M. Fayolle pense, en outre, qu'il con- viendrait d'embarquer sur chaque navire banquier deux pierriers qui, dans l'occasion, donneraient aux bâtiments le moyen de faire connaître sa position aux chaloupes dont les lignes se seraient brisées. Je vous charge de faire donner connaissance de ces précautions aux armateurs dans ceux des ports du sous-arrondissement du Havre, où il se fait habituellement des expéditions pour la pêche du Grand Banc de Terre-Neuve. Pour les armateurs qui se détermineraient à placer des pier- riers sur leurs navires, vous leur accorderiez, à cet égard, l’auto- risation nécessaire; mais, dans ce cas, vous devriez tenir la main à l'exécution des formalités prescrites par la dépêche minis- térielle du 10 novembre 1817, sous le timbre artillerie, relati- LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX° SIÈCLE 151 vement à l'obligation qu’auraient à souscrire les mêmes armateurs de rapporter ces pierriers et à la mention à faire, de cet engage- ment, sur le rôle d'équipage, ainsi que de la quantité de poudre qui aurait été embarquée. Il conviendra aussi de faire remarquer aux armateurs, qu'il serait à désirer, dans leur propre intérêt, comme dans celui des hommes qui montent les chaloupes, que ces embarcations, lorsqu'elles lèvent les lignes de fond, ne prissent point une charge trop considérable de poisson, sauf à revenir, dans un second voyage, lever les lignes qu’elles auraient laissées en indiquant leur situa- tion par une bouée. Recevez, etc. Signé : Baron PorrTar. La lettre de M. Fayolle, dont il est question dans cette circulaire, était conçue en ces termes : Le commandant et administrateur pour le Roi à Saint-Pierre et Miquelon, au Ministre de la Marine et des Colonies. Saint-Pierre de Terre-Neuve, le 14 novembre 1820. Monseigneur, _ Je crois qu'il est de mon devoir de rendre compte à votre Excellence des craintes que j'éprouve que des événements mal- heureux n'arrivent aux bâtiments de commerce qui font la pêche sur le Grand-Banc ; craintes fondées sur ce qui est arrivé cette année au capitaine de commerce Gourdan, du brick l'Auguste, de Nantes, lequel a perdu sa chaloupe montée par cinq hommes. Plusieurs des patrons des chaloupes détachées du bord de ces bâtiments négligent de prendre avec eux une ligne qu'ils doivent filer à mesure qu'ils s’éloignent de leur bâtiment. Après avoir tendu leurs lignes, ces hommes ne peuvent, malgré leurs efforts, trouver leur navire ; démunis de provision, battus par une mer presque toujours grosse, la mort les attend, à moins que, par un de ces secours inopinés envoyé par la Providence, ils ne se trouvent sauvés par quelqu’autre bâtiment mouillé sur le Grand- Banc. à Je regarde donc, Monseigneur, sous le rapport de l'humanité, comme un devoir indispensable, que des ordres positifs soient + J k a (AS LE PL 152 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD donnés aux capitaines d’enjoindre impérativement à leurs offi- ciers et patrons de ne jamais quitter la ligne dont chaque embarca- tion devra être munie, et je pense, en outre, que chaque bâti- ment de commerce destiné à cette pêche devrait avoir deux pierriers à l’aide desquels le capitaine pourrait indiquer sa situa- tion, dans le cas où la ligne viendrait à casser. Signé : FAYOLLE. Pour copie conforme : Signé : Baron PorraL. Depuis lors, quelques modifications insignifiantes se pro- duisirent, soit dans la longueur des tessure qui, à partir de 1855, devinrent égales entre elles et se composèrent d’abord de 75 pièces de 60 brasses chacune, pour atteindre 90 pièces chacune en 1871, soit dans l'accroissement de l'équipage des chaloupes et le nombre de ces embarcations dont chaque bâtiment emporte trois, à partir de 1855. Le seul change- ment important qui soit à noter dans ce genre d'idée est le remplacement des lourdes chaloupes si encombrantes et si dificiles à manier, par les doris actuelles, dans lesquelles seulement deux hommes peuvent prendre place, mais elles sont si légères qu’on peut les remonter, chaque soir, sur le pont, et si peu encombrantes qu'on les empile les unes dans les autres pendant les traversées d’aller et de retour. Ces doris sont d'invention américaine ; 1l y avait long- temps qu'elies élaient employées à la pêche de la morue, sur les bancs, par les marins de cette nationalité, quand l'essai en fut fait pour la première fois en 1875 par nos nalionaux. L'expérience fut si concluante que, quelques années plus tard, tous nos bâtiments en étaient armés. Il en résulla nécessairement un changement dans la manière de pêcher ; les hommes purent prendre moins de lignes, n'étant que deux pour les filer et les relever. En même temps que se produisait cette importante réforme dans l’armement, une transformation complète se produisait dans les engins employés ; les anciens hameçons français LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 153 en fer étamé étaient remplacés par des hameçons en acier de fabrication anglaise, norwégienne, ou française ; les grosses lignes d'autrefois, avec leurs avançons, devinrent plus fines, et le coton fut employé pour la fabrication, au lieu du chanvre qui avait été précédemment la seule matière pre- mière mise en œuvre pour cel usage. Au moment où les questions du salariat et du rapport entre le capital et la mâin-d'œuvre présentent la plus grande acuité, nous sommes heureux de constater que le principe qui a toujours présidé au règlement du salaire des marins pêcheurs à Terre-Neuve, est celui de l’engagement à la part. Dans ces conditions toutes particulières, les matelots comme les officiers sont intéressés au bon succès de l’entre- prise dont ils partagent avec l’armateur les bonnes et mau- vaises fortunes, sans, toutefois, participer aux pertes nettes qui pouvaient se produire. Ces engagements à la part pouvaient done, avec plus de raison, être appelés engagements avec partage des bénéfices et exonérations des pertes. A l’origine et jusqu’en 1743, les conditions d'engagement pouvaient varier suivant les navires : chaque armateur ayant conservé sa liberté d'action vis-à-vis de ses équipages et pouvant modifier, par suite, certains points particuliers de la convention généralement adoptée. Ils s’écartaient, cependant, très peu des conditions suivantes que nous rele- vons sur un contrat de 1728. | Les quatre cinquièmes du produit de la vente du poisson revenaient à l'armateur qui avait fourni le navire complète- ment gréé el avitaillé pour la saison de pêche ; le cinquième restant appartenait à l'équipage qui se le partageait. Avant le départ pour le Banc, chaque homme recevait, de l'armateur, des avances qui se montaient aux chiffres sui- van(s : D ARR IO A ee doive chu 150 livres. RO DDO PI LR ARR mn TUE 90 — LI Pi SEA AN IR EE RER CASTRES 80 — # + 34 | ” £ FRS PPS dé res 454 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD. : Le chirurgién.,:, 64 rares. 80 livres. Les autres officiers, chacun......... 75 — Chaque matelot...................+ 60 — Ghaque hoôvice , 2,4: de 10e . 30 —. Chaque mousse. ...::0...:%25.2 15 — Ces avances élaient retenues à l’arrivée, sur la part des … bénéfices afférente à chacun pour être remboursée à l'arma- - teur. AL . Le 27 mars 1743, une assemblée générale des intéressés eut lieu, avec la permission du roi, sous la présidence de … Ch. Le Touraste commissaire des classes de la Marines k aux fins d'élaborer un règlement général fixant, pour l’ave= nir, les conditions des engagements et les principales causes des rôles d'équipage pour la pêche au Banc. Les intérêts respectifs des parties furent représentés pe * débedes à cette réunion, tant par les armateurs que par les d capitaines et officiers de navires, et une entente définitive - s'établit sur des bases qui ne différaient pas sensiblement - des conditions que nous avons énoncées plus haut. Le. règlement qui intervint fut homologué le 25 mai suivant … par l’Amirauté. Cette règlementation particulière, mutuellement consentie en 1743, fut religieusement respectée pendant toute la fin de l’ancien régime et même à la reprise des opérations de. pèche, en 1815. Elle n'eut cependant jamais un caractère d' obligation 4 absolue pour ceux-là même qui l'avaient rédigée et consen- = tie à l’origine, et les armateurs comme les marins eussent | pu, s'ils l'avaient voulu, ne point s’y conformer. Les uns et les autres avaient conservé la faculté, qui ne peut jamais être prescrite, de faire entre eux, pour chaque armem telles conventions ou arrangements qui leur paraîtraient le plus conforme à leurs intérêts. Il était d’ailleurs expressément observé dans la délibéra- tion du 27 mars 1643, que, « quoique l’uniformité fut éta= blie par les conventions entre les armateurs et les équipages Se _ LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 155 des navires expédiés à la pêche de la morue, l’acquiesce- ment des deux parties pouvait faire considérer les disposi- tions consignées dans la délibération du 27 mars 1743, comme une collection de conventions spéciales et PROS duelles faites par chaque armement ». Cependant, l'usage une fois établi, personne ne > songea à profiter de la faculté de déroger à un ordre de choses qui n'avait fait que confirmer ce qui se pratiquait précédem- ment. Ce ne fut qu'en 1817 que les armateurs jugèrent bon d'apporter quelques modifications à l’ancien règlement dont certaines prescriptions étaient devenues surannées et ne pouvaient plus être appliquées. Les temps, d’ailleurs, étaient mauvais, les guerres du Pre- mier Empire avaient été défauts pour nos popula- tions maritimes qu’elles avaient décimées au point que les armatéurs éprouvaient les plus grandes difficultés à recruter leurs équipages dans les limites du quartier maritime. Ces difficultés rendaient les marins plus exigeants; le chiffre des avances qu'on avait eu l'habitude de leur verser en les engageant, fut augmenté dans des proportions notables, en même temps que ces avances prenaient le caractère de véritables pots-de-vin; 1l fut, en effet, convenu que ces avances ne seraient plus retenues à l’arrivée comme elle l'avaient été jusqu'alors, au moment du règlement des parts. Pour préciser tous ces points, des réunions eurent lieu chaque année à Dieppe, entre les négociants de Dieppe, de Fécamp, de Saint-Valery-en-Caux, se proposant d’armer pour la pêche au Banc, et chaque année un nouveau règle- ment fut voté ; 1l n'était valable + où Hole et n’enga- geait que les none. Parmi tous ces règlements successifs qui ne différaient, d’ailleurs, que par quelques points de détail, nous repro- duisons, ci-après, celui de 1819, qui nous paraît être le plus complet en la matière. 156 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD RÈGLEMENT Adopté en 1819, par les armateurs de Dieppe, Fécamp et Sa t Valery-en-Caux, pour la pêche de la morue à Terre®h _uve, en 1819. . Article premier. — Les, armateurs fourniront leurs navires entièrement gréés, munis en suflisance de vivres et d'objets de. pêche; les pertes et avaries jusqu'à l’embarquement du sel pou leur compte particulier. Art. 2. — Le sel nécessaire à la pêche étant embarqué à bc du navire, et le capitaine étant muni de ses expéditions, frais de sortie et les pertes d'ustensiles de pêche, câbles, ane canots, avirons et autres objets dépendant de l'armement, ser où si dérés comme avaries communes, ainsi que celles arrivées a gréément et au corps du navire; il en sera de même pour frais de relâche, postérieurs à l'embarquement du sel. Art. 3. — Les avances seront consenties entre l'armateur, le” capitaine et l'équipage, et portées sur le rôle. Elles seront regar= dées comme pot-de-vin et sans répétition sur le produit du voyage. | Elles sont, pour l'année 1819 seulement, fixées de la mar . suivante : 5 Au capitaine 300 franes, plus 100 francs de gratification les peines et soins à l'armement jusqu'à la mise dehors du ave, et indemnité de nourriture, pour tous bâtiments gréés en trois- mâts, bricks et goëlettes; 50 francs seulement pour ceux gréés.… en bateaux dogres ! et flambarts. _" Au second, 120 francs s'il n'est pas saleur, et dans le cas où il serait second et saleur : 140 francs. | tn. AUOT Lu Con LCR LES 100 fr Aux PBIBIQNS 2557 2 het LR 80 fr. f , Aux novices à 3/k1.......:....,.,2 60 fr. % ES Ce A SL Ar 1 54 fr. Aux mousses... LS At 40 fr. t Ù Art. 4. — Les avances payées, l'armateur sera libre de faire 1. Sorte de petites goëlettes. è L pa. 1 LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 157 prendre au navire son sel dans le port d'armement ou tout autre à sa convenance, sans que l'équipage puisse demander une indem- nité, ni l’armateur une réduction. rt. 5. — Indépendamment des lots stipulés sur le rôle de Art. 5 Indépend t des lots stipul il le d équipage, il sera alloué les prati uiv itre d’encou- r ,1l loué 1 tiques suivantes, à titre d’en ragement : Au capitaine, le tiers du produit des huiles rapportées, jusqu’à la concurrence de trois barriques, et 10 /, sur ce qui excédera ce nombre, sous la condition que les diverses espèces d'huile ne seront pas mélangées ; le produit d’un baril de langues, jusqu’à la concurrence de 20.000 morues, et un quart de baril par chaque 5.000 morues excédant cette quantité; 10 °/, sur le produit des rogues et 250 kilog. de morue par chaque cargaison. Au second, la moitié des pratiques allouées au capitaine s’il est second et er et dans le cas où il ne remplirait pas les deux fonctions, la somme résultant de cette moitié se partagera avec le marin embarqué en cette qualité de saleur dans la proportion suivante : Deux tiers au second. Un tiers au saleur. Les différentes sommes résultant des pratiques ci-dessus, . seront, comme d'usage, portées en dépenses au chapitre des ava- res communes. Art. 6. — Seront réputées avaries communes, les barillages s qui auront servi à contenir le produit de la pêche, soit en mo- rues, huiles, rogues ou autres abatis. Il en sera de même pour la différence entre le prix du sel des marais français et les sels blancs de Saint-Ubes ou autres prove- nant de l'étranger. Art. T. — Lorsque les armateurs croiront convenable, pour l'intérêt commun, de faire opérer le retour du navire dans un autre port que celui de l’armement, toutes les dépenses (y com- pris les vivres du bord et autres fournies à l'équipage) qui auront lieu jusqu’à la mise à terre de l'entière cargaison seront classées dans la catégorie des avaries communes. Dans le cas où, après la décharge opérée, le navire relèverait pour retourner à son port de désarmement, les dépenses qu'il pourrait faire continueront à être classées dans la même catégorie. Es le Dé ms YU + D ÉSMS SU ST à < e F: 7 des + 1®:: 1% gi. PR LE « fr à À ae on TT te hui a + TOR ER 0 ONU | se 158 LES FRANÇAIS DANS L’AMÉRIQUE DU NORD Si le bâtiment trouve un fret en retour, le produit en sera J en recette, au profit de la communauté, et le capitaine aur. L chapeau de 5 °/, sur le fret. AL - Art. 8. — Si l'équipage exigeait d’être payé du montat voyage au lieu de la vente, il lui sera fait une et garantir sa part des avaries et dépenses qui pourraient avoir } jusqu’à la remise du navire au port de désarmement. a Art. 9. — Le navire arrivé dans son port de désarmement, = les frais de dégréement et la mise d’icelui en magasin, seront au. compte de la communauté. ne. Art. 140. — Après la déduction de toutes les avaries, y con … pris la commission de vente de l'armateur à 4 °/, sur le prod brut de la cargaison, le surplus du produit net sera partagé pt cinquièmes, dont quatre pour l’armateur et un pour l'équipage lequel sera divisé en autant de lots qu'il y aura de têtes à bord, - plus un second lot pour le capitaine. 4 La différence en bonification de masse servira à l’armateur pour compléter les suppléments qu'il consentira, suivant l'usage, en. faveur du capitaine, second et saleur ou de tout autre qu'il aurait. intérêt, pour le bien commun, à encourager: Art. 11. — Le navire amarré au quai, les voiles serrées et la pompe franche, l'équipage sera congédié, Cependant, il sera préféré, pour travaillés au désarmement, mise à terre de Ja car. gaison et le jet à la mer du sel immonde. Ses journées seront payées au cours de la place et les dépenses résultant de ces diverses opérations seront portées au chapitre des avaries … communes. 4 Art. 12. — Il sera délivré à l'armateur douze poignées de morues de choix dites de présent, pour faire tel usage qu'il croira convenable, Art. 13. — Le présent Règlement n'aura lieu que pour l’an- née 1819 seulement ; il sera revu en janvier 1820, en assemblée « générale de tous les armateurs, pour y faire telle augmentation = ou réduction que l'expérience aura montrée indispensable 4 » nécessaire, attendu que quelques armateurs ont insisté pour qu'il fut passé en avaries communes divers articles que la majo- rité n'a pas cru devoir, quant à présent, accueillir favorable ment, à cause de l'état vraiment malheureux dans lequel les équi- pages se trouvent réduits par suite des circonstances pénibles qui affligent notre pays. *: 1 tue w. | ; LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 159 Art. 14. — Les contestations qui pourraient survenir entre l'équipage et l’armateur seront jugées par quatre arbitres du choix des parties, dont deux pris parmi les armateurs et deux parmi les capitaines, lesquels s'adjoindront, en cas de désac- cord, telles ou telles personnes qu'ils croiront à propos; lesquels jugeront souverainement sur les points en litige. Art. 15. — Le présent sera imprimé au nombre de deux cents exemplaires pour être distribués aux armateurs soussignés. Fait et signé triple à Dieppe, le 5 février mil huit cent dix- neuf, pour une expédition, être déposée au bureau de la Marine, une autre à la Chambre de Commerce, et la troisième ès-mains de MM. Frédéric et Georges Legriel frères, stipulant pour la communauté des armateurs. Signé : F. et G. LEGRIEL frères, D. DESLANDES, Lucas, VALLERY, BRETEL, B. VAssE, V, Cavezrer et fils, J.-B. Vixcenr, SAnsoON et fils, E. le BARON, LEBORGNE FLouesr, J.-D. Le Caxv fils et sœurs. Non seulement les matelots faisaient défaut, mais encore il était fort difficile de trouver les capitaines au long cours que la loi exigeait pour le commandement des navires se rendant sur le Banc de Terre-Neuve; il y avait, en effet, pénurie de ces officiers. Pendant toute la durée des guerres de l'Empire, les inscrits maritimes valides avaient été levés dès l’âge de 16 ans, et très peu d’entre eux avaient pu suivre les cours d'hydrographie assez longtemps pour se faire recevoir. Puis, et c’est là le point principal, les commandants des navires terre-neuviers ne doivent pas seulement faire preuve de connaissances nautiques nécessaires pour pouvoir diri- ger le navire, assurer la sécurité des équipages en mer et les ramener à bon port en fin de campagne; ils doivent encore posséder des connaissances spéciales en matière de pêche et de préparation des produits de cette pêche, une pratique suffisante de ce genre d'opérations qui leur per- mette de devenir sur le Banc, non plus des officiers de marine marchande, mais bien des véritables chefs d’exploitation 160 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD auxquels l'armateur, leur commettant, puisse confier entoutk sécurité un capital d'une centaine de mille franes quil doivent faire fructifier par une bonne pêche. Pour cela un capitaine au long cours, fût-il le plus instruit et le plus intelligent, ferait toujours un très mauvais com mandant de terre-neuvier, s’il n'avait pas l'expérience de la. pêche à la morue, et l'armateur qui lui confierait le com-. mandement de son navire serait obligé de lui adjoindre un pêcheur expérimenté et muni de sa confiance, mais qui na. pas les capacités requises pour commander l'équipage pen- dant la route. 6 D'un autre côté, ce pêcheur expérimenté, auquel l'aram- | teur est tout disposé à confier ses intérêts est parti P. jeune comme mousse, pour avoir acquis à l’école primaire, 3 qu'il a peu ou point fréquentée, l'instruction élémentaire absolument indispensable pour suivre avec profit les cours d'hydrographie et se faire recevoir capitaine au long cours. « Le programme de cet examen était trop élevé pour cette catégorie d’élèves et les décourageait au point que le nombre | des candidats allait chaque année en diminuant. À C'est ce que les armateurs exposèrent au Ministre de la Marine, en lui demandant d'être autorisés à confier le come. mandement de leurs navires à des maîtres au cabotage les connaissances en navigation sont suflisantes pour faire le è voyage au Banc, où 1ls sont allés chaque année depuis leur L plus jeune âge. Le recrutement de ces maîtres au cabo pouvait être facilement assuré parmi les pêcheurs eux- mêmes. | Le Ministre ne se rendit pas immédiatement aux raisons des négociants ; il accorda cependant quelques autorisations” exceplionnelles ; mais les armateurs ne se tinrent pas pour battus; ils renouvelèrent chaque année leur demande jus- qu'à ce que la loi du 21 juin 1836 vint leur donner gain de. cause en autorisant les maîtres au cabotage à commander tous les navires armés pour la pêche de la morue, soit at « Banc, soit à la côte de Terre-Neuve. LA PÈCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 161 Il leur fut toutefois interdit de commander les transports autorisés, comme nous l'avons vu, à porter la morue sèche de Saint-Pierre aux Antilles, comme de prendre, au départ de France, un fret pour les lieux de pêche. Terminons cette étude historique sur les différentes phases de la pêche au Banc par quelques mots sur les bateaux dont on s’est successivement servi pour faire les voyages de ag Œ RE —— Fic. 20. — Nef du xv° siècle servant à l'origine de la pêche de la morue à Terre-Neuve. Terre-Neuve aux différentes époques que nous venons de résumer el sur l'aménagement intérieur de ces vaisseaux. Depuis les baleiniers qui ne présentaient plus assez de sécurité pour affronter les glaces polaires où les monstres traqués de toutes parts les attiraient chaque année plus avant, jusqu'aux harenguiers désarmés qu’on radoubait pour les lancer dans une navigation au long cours à laquelle ils n'avaient pas été destinés tout d’abord, on pourrait presque dire que tous les types connus y passèrent; 1l en est cepen- dant quelques-uns qui furent plus spécialement adoptés par les armateurs. Les Français dans l'Amérique du Nord. 11 . te 7 i N Y2L AY . | ts ” 162 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD En premier lieu, nous trouvons les caravelles que le R. P. Fournier définit : « des vaisseaux ronds de médiocre « calibre, du port de six à sept vingls tonneaux, qui ont « quatre mâts et quatre voiles latines ou d'artimon, ou « autrement d'oreilles de lièvres. » Les Basques les affec- tionnaient surtout à cause de leur vitesse. Fc. 21. — Caravelle du xv° siècle, employée par les pêcheurs normands pour aller faire la pêche au Banc. Dans les ports normands de la Manche, les caravelles qui portent aussi les noms de crevelles, sont généralement plus petites que celles de l'Océan et leur jauge varie entre 50 et 70 tonneaux. | Le premier document authentique qui nous fixe sur la forme exacte de ces bateaux, ainsi que sur leur gréement, est un manuscrit du xvr° siècle, déposé à la Bibliothèque natio- nale de Paris, et dû à J. Devaux, pilote du Havre. Il repré- sente une caravelle armée, toutes voiles déployées. LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 163 Le bateau proprement dit est une coque très élargie à l'avant, avec une quibre assez allongée, 1l a une forte ton- ture et est très étroit à l'arrière où l’on trouve, pour la première fois, un gouvernail à (hucion. Il était gréé d’un bout-dehors sur lequel venait s'établir une petite voile carrée, d’un mât tout à fait à l'avant, sur lequel était fixée, à l’aide d’une vergue, la voile carrée, un Fig. 22. — Le lougre « Bougainville » de Fécamp allant faire la pêche de la morue à Terre-Neuve. grand mât avec une voile latine, un second mât plus petit armé également d’une voile latine, et un troisième mât qui semble jouer le rôle du fape-cul de nos jours avec une petite voile latine également. Il y a sur le pont deux dunettes superposées : l’une, entre le grand mât et le second mât; l’autre commence à ce second mât : cette disposition fait que la partie arrière du bâtiment est beaucoup plus élevée que l'avant. 164 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Le pavillon national se portait au grand mât. Quand on les arma pour la pêche au Banc, on leur donna un équipage de 12 à 15 hommes. Un peu plus tard, et principalement vers le xvmnt siècle, les caravelles furent remplacées par les dogres, espèces de goëlettes sans voiles hautes et les brigantins, navires de bas bord, allant à voile et à rame, et sur lesquels les équipages Fic. 23. — Type de goëlette métropolitaine armée pour la pêche de la morue sur les bancs de Terre-Neuve (1825). furent portés à 20 et 24 hommes. Ces vaisseaux de bas bord élaient tout à fait favorables au genre de pêche qui était alors pratiqué sur le Banc. Vers la fin du xvim® siècle, les bateaux que Fécamp envoyait à la pêche de la morue avaient une coque à peu près semblable à celle que présentent, de nos jours, les cotres-dandys qui lui servent à la pêche du hareng et du maquereau. Le bateau était aussi large à l'arrière qu'à l'avant ‘(ocgr) sodnoçego 9048 oueg ne oyood ej anod ue ‘duessy op onbaeq syewu-srouy ‘« sonboeg » 97 — ‘ye ‘14 1 166 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD et la dunette avait disparu. Ils étaient gréés en lougres avec : trois mâts ; ils portaient une misaine, une grande voile avec un hunier au-dessus, et un tape-cul. Ce fut aussi vers cette époque qu'apparurent les goëlettes, légers navires de 50 à 80 tonneaux, plus allongés et moins larges que les précédents portant deux mâts très inclinés en arrière; la grande voile et la voile de misaine, de formes trapézoïdales, enverguées à une corne ou pic et surmontées de huniers el des focs formaient sa voilure. Fi. 25. — Brick « Russie » de Fécamp, armé pour la pêche de la morue sur le Grand-Banc. Depuis la Révolution, les armements métropolitains ont abandonné successivement lous ces petits bateaux pour ne plus envoyer aujourd'hui sur le Banc que de grands navires gréés en bricks, bricks-goëlelles, trois-mâts, trois-mâts goë- lettes, type américain, {rois-mâts goëleltes français et le trois-mâls carré. Les bâtiments armés aujourd'hui à Fécamp pour aller faire la pêche de la morue sur le Banc sont des trois-mâts et des trois-mâts goëlettes de 400 à 500 (onneaux de port. Au début, les navires banquais n'avaient guère d'aména- gement spécial pour la préparation et la conservation du poisson, ni même pour le logement des hommes et les approvisionnements. Nous voyons seulement qu'ils avaient LS D ob et ST, À di DE LA PÊCIIE AU BANC PENDANT LE XIX° SIÈCLE 167 un grenier sur lequel reposaient alternativement le sel, puis la morue et un entrepont à la partie arrière sur lequel on _meltait les provisions. Il en fut à peu près ainsi jusqu'à la Révolution. Ce ne fut qu'à la reprise des opérations en 1817, quand on vint à se servir de navires plus spacieux, que le grand entrepont de l'arrière disparut. Il fut alors remplacé par deux coupées sous le pont, l’une à l'avant, l’autre à l'arrière, qui servirent à recevoir le cidre, l’eau et les autres provi- sions; sous ces coupées, on établit des parcs ou comparti- ments destinés à recevoir les appâts salés, harengs, sardines, capelans, etc..., emportés de France ou pris à Saint-Pierre pour boëtter les lignes. Ces parcs permirent de supprimer les barils trop encombrants qui servaient précédemment au transport et à la conservation de la boëlte. Cette dernière innovation ne fut pas la seule, car, vers 1820, les parcs furent établis sur le pont des navires nor- mands pour recevoir les morues pêchées et en cours de préparation. Les Bretons les imitèrent, mais plus tard, car nous voyons encore dans le Dictionnaire des Pêches, de M. Baudrillart, ouvrage avec plans et gravures, publié à Paris en 1827, la description d’un navire de Granville sur le pont duquel on ne {rouve aucune trace de ces installa- tions, et qui est au contraire garni de barils comme les an- ciens navires armés dans notre port avant la Révolution. Lorsque vers la même époque la ligne de fond du capi- taine Sabot vint à remplacer définitivement la ligne à la main, la nouvelle méthode de pêche qui obligeait le navire à mouiller ses ancres pour envoyer ses embarcations à la mer, et à relever chaque fois que le fond était épuisé, força les armateurs à perfectionner leur outillage et à modifier leur armement. Ils commençèrent, comme nous l'avons déjà dit dans le chapitre précédent, par embarquer de forts câbles en chanvre, assez longs pour permettre de jeter l'ancre sur tous les fonds, et laisser en même temps assez de jeu au navire pour obéir à la houle et aux vagues. Puis, comme il 168 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD fallait virer assez souvent, les écubiers furent changés et garnis d’une collerette en plomb pour diminuer l'usure du câble qui ne tardait pas à se couper par un frottement trop fréquent. En même temps, le grossier engin qui, précédem- ment, ne servait qu'accidentellement pour lever l'ancre dans un port ou une rade de relâche, fut progressivement amé- lioré pour arriver au guindeau à bringuebales actuel. Fi. 26. — Type de goëlette saint-pierraise faisant la pêche au Banc: Ce câble de chanvre qu'on employa d'abord dans tous les bateaux, présentait, certes, de sérieuses qualités par son élasticité et sa mobilité; mais, malgré la collerette de plomb de l’écubier, malgré la garniture dont on avait soin de le munir pour le garantir contre le frottement, il s’usait très rapidement et était, de plus, très encombrant pour un bâtiment où l'espace est mesuré si parcimonieusement. Aussi, vers 1842, quelques armateurs firent l'essai d’un câble mixte, fait mi-partie de chanvre et mi-partie de métal. Les résultats oblenus ayant été jugés satisfaisants, Fécamp adoptait définitivement, en 1848, la chaîne-câble en fer; *&uoxeq np 2/99 & 9 9NIOU ET 9P oy99d eJ Re JUEAJOS s09punp 9pP sod{ squosoyrp 9048 dwure99,j 9p uoronrJsu09 2p SIUEUT) — ‘LE PM “y TE Mrs FRE: PRES e FE FDA. LA PR UE re SMART eur ae Ya ” RO EEE RIOR À PM IT LEA à . Ti ue 170 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD quelques-uns de nos armaleurs conlinuèrent cependant, pendant longtemps encore à se servir de l’ancien câble en - chanvre qui ne disparut tout à fait que dans ces dernières années. s Puis, comme complément à cette mesure, pour conserver | aux nouveaux câbles une certaine élasticité, et afin que le navire rappelât moins sec au tangage, nos armateurs y ajou- | tèrent, en 1872, un stoppeur placé entre l’écubier et le | guindeau, et garni de rondelles en caoutchouc. Il nous est impossible, comme on le comprendra, de suivre, par le détail, toutes les modifications et améliora- tions apportées chaque année aux armements terre-neuviers ; nous nous contentons donc de citer les plus importantes, parmi des centaines d’autres. | C'est ainsi que les huniers pleins des anciens trois-mâts, si difficiles et si dangereux à carguer par gros temps, ont fait place successivement aux huniers à baleston, puis aux doubles huniers. Le fil de fer a remplacé le filin dans les dormants du navire où l'acier, d'ailleurs, est employé aujourd'hui pour un grand nombre d'usages. Les carènes doublées en cuivre ont été substituées aux anciennes coques en bois, dans lesquelles les voies d’eau s'ouvraient si facile- ment par suite d’une usure très rapide. Au point de vue de l'alimentation, les caisses à eau dont tous nos lerre-neuviers sont aujourd'hui pourvus, assurent à l'équipage, pour toute la durée de la campagne, une eau. saine et de bon goût, au lieu de l'eau saumâtre el nauséa- bonde qu’il trouvait autrefois dans ses barriques en bois; les conserves ont également remplacé avantageusement les anciennes salaisons si souvent rances, et permeltront de varier, autant qu'il est possible, le menu du bord, Le poste où couchent les hommes s’est agrandi el a été disposé de façon à recevoir toute l’aération exigée par une hygiène rationnelle ; les chambres réservées aux capitaines et aux officiers sont vastes et bien aménagées. En outre de la pompe de cale. on à établi une pompe LA PÊCHE AU BANC PENDANT LE XIX® SIÈCLE 171 spéciale pour laver la morue sur le pont pendant sa prépa- … ration et une autre pour enlever la saumure et le sang qui _ découlent des morues empilées dans la cale. Les embar- _ cations elles-mêmes et les engins de pêche ont suivi le cours des transformations de l’armement qui arrive aujour- d'hui à coûter cinquante mille francs par bâtiment; mais la perfection est loin d’être atteinte, et nous verrons certai- nement, dans un avenir prochain, nos navires avoir une machine à vapeur auxiliaire qui servira à actionner les pompes, le guindeau, ie sifflet d'alarme, etc.., et leur don- nera l'électricité qui jouera un rôle probablement impor- tant dans la pêche future, en même temps qu'elle permettra à nos navires d’avoir des feux d’une intensité assez grande pour percer la brume et signaler leur présence aux rapides steamers qui sont, pour eux, un danger continuel. ET = REA 26 TT » RS of # ‘ EE \æ f 12 " pa A LU CA - : TOR « Sd ‘ LES ’ 2 z à Lu. * « "0 = v: ture ' Rte ‘ \ %, en _ AS R LEA Ê 1 Len " ’ o - L LS C} - d ; s + "1 CHAPITRE VII L'INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET DE LA PRÉPARATION DE LA MORUE AU XIX® SIÈCLE Toutes ces transformations successives, que nous venons de voir se succéder au cours de cette longue période de pêche qui comprend au moins quatre siècles, nous conduisent tout naturellement à jeter un rapide coup d'œil sur les armements actuels de la pêche de la morue à Terre-Neuve et sur les procédés de préparation qui constituent de nos jours l'industrie morutière française. Quel contraste nous offrirait, si elle pouvait se faire, la comparaison entre les Terre-Neuviers modernes et les nefs harenguières qui s’aventurèrent les premières, à la suite des Basques, sur la route des Terres-Neuves de l'Amérique. Que de changements se sont produits depuis lors dans la condi- tion des hommes tant au point de vue du travail qu’à celui de l'hygiène et des salaires. Et pourtant la pêche au Banc n’a pas encore dit son der- nier mot, chaque année nous apporte de nouvelles amé- hiorations qui nous font prévoir à bref délai l'adoption de la vapeur pour la manœuvre du guindeau et l'introduction de l'électricité pour la pêche et l'éclairage des bâtiments. Mais n’anticipons pas. Les navires qui ont été construits en ces dernières années ou simplement retirés du long-cours et transformés pour être envoyés à la pêche de la morue sur le Grand Banc et le Banquereau sont de grands trois-mâts solides et élégants, 174 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD jaugeant de 300 à 450 tonneaux et gréés les uns en barque avec des vergues au mât de misaine et au grand-mât, les autres en goëleltes avec des vergues au premier de ces mâts seulement. La valeur moyenne d’un de ces navires, tout == 2 + : DE de ne: DURS Fic. 28. — Trois-mâts barque « Patrie » partant pour la campagne de pêche au Grand-Banc (type de 1885), armé el prêt à parur, est, quand il est neuf, d'environ 175.000 fr. y compris les 15.000 fr. de purs dons et de pots de vin versés à chaque équipage au moment de l'engagement. Ces équipages se composent en moyenne de 30 hommes comprenant : 1 capitaine, qui doit être reçu maître au cabotage; Î second, qui fait généralement l'office de trancheur sur les lieux de pêche ; INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 175 1 saleur, qui fait fonction de lieutenant ou de chef de quart; 12 patrons de doris ; 12 matelots ; 4 novice ; 2 mousses ; Le matériel d'armement comprend essentiellement : 500 brasses de chaïînes-câbles en fer : 4 ancres de pêche, de 425 à 450kilog. chacune ; 18 doris avec leur gréement et leurs avirons ;. 715 ancres de doris : . 150 pièces de ligne, mesurant chacune 75 brasses ; . 150,000 avançons de 1 mètre à 1 m. 10 ; 150,000 hameçons en acier ; Les cordes pour les bouées et pour la pêche aux bulots ; Les chaudrettes, mannes et paniers pour cette même pêche: 50 barils de harengs salés pour servir d’appât dans la pêche aux bulots ; 300 tonnes de sel pour la préparation de la morue ; 10 tonnes de charbon de terre pour la cuisine ; Du bois et toutes les victuailles pour un équipage de 30 hommes qui doit être absent pendant six longs mois ; _ 120 pièces bordelaises de cidre pour la boisson ordinaire des équipages ; 10 barriques de vin; _ 100 litres de genièvre ; 2,000 litres d’eau-de-vie ; 5,000 kilogs de biscuits ; 1,500 kilogs de pommes de terre; Du lard et du bœuf salé ; Des conserves de viande et de légumes ; Du beurre, de la graisse et de l'huile à manger. En un mot, tout ce qu'il faut pour que ce navire n'ait besoin de rien pendant celle longue campagne pour laquelle on doit tout emporter, même l’eau potable, qui est renfer- mée dans des caisses en tôle où elle se conserve très pure : et salutaire. Les navires terres-neuviers, armés comme celui que nous 1 + "5. Lé es de « PTT ET, d nn |: DCR à LS Ath. LAPCE . W A f “hé » — . 2 176 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD prenons ici comme type, le sont pour faire la campagne entière, c'est-à-dire partir de France pour le Banc avec son équipage complet pour la pêche, effectuer cette pêche et revenir en France sans avoir eu besoin de toucher nulle part pendant la campagne. +<-- = = FiG. 29. — Trois-mâts Goëlette partant pour la Pêche au Banc. Nous supposons un navire pris parmi les derniers cons- truits ou achetés et susceptible de rapporter en France 6,000 quintaux de chacun 55 kilogs de morue verte . Le seul port de Fécamp a armé, en 1901, pour faire la campagne au Banc, 68 navires jaugeant ensemble 10828 tonneaux. C'est actuellement le premier port de France pour la pêche à la morue de Terre-Neuve. Viennent ensuite par ordre d'importance ceux de Saint-Malo et de Saint= Servan, dont les armements sont aujourd’hui réunis dans les statistiques, puis ceux de Granville, de Cancale, ete. TT milite fit. INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 177 Lorsque le capitaine qui, comme nous l'avons dit, doit être reçu maître au cabotage, ne réunit pas, aux yeux de l'ar- mateur, toutes les qualités spéciales qui font un bon pêcheur, tout en restant pour cela excellent marin et parfait manœu- vrier, il lui est adjoint, comme subrécargue, un simple matelot dépourvu de tout brevet, mais reconnu comme bon pêcheur et qui est chargé de la direction de l'opération commerciale proprement dite, aussitôt que le bâtiment est sur les fonds de pêche. Le recrutement de l'équipage est une chose presque aussi importante que le choix du capitaine ou du subrécargue, car de là peut dépendre la bonne ou la mauvaise réussite de la campagne, etun matelot, excellent au commerce, peut être très mauvais sur le Banc. Ce recru- tement, généralement confié au capitaine ou au subrécargue, commence dès l’arrivée en France des marins qui ont fait la campagne précédente : chacun cherche à s'assurer les meil- leurs pêcheurs, et il se produit alors sur la place un véritable achat d'hommes, car, en les engageant, on leur verse de la main à la main un pur don, sorte d’arrhes ou de denier à Dieu, qui varie suivant les sollicitations dont l'homme se trouve l’objet et s'élève, d’après les capacités et la bonne réputation du pêcheur, depuis 200 francs jusqu'à 400 et même 500 francs. Ce pur don, qui n’est pas porté sur les rôles d'équipages, n’est pas non plus soumis à la retenue des 3 °/, en faveur de la caisse des Invalides de la marine; mais il augmente d’autant la part qui revient ensuite à chaque homme dans la liquidation qui se fait au bureau de l'Ins- eription Maritime à la fin de la campagne et qui est seule accusée par les statistiques officielles. Tous les engagements sont faits à la part, c’est-à-dire que les hommes ne reçoivent pas des salaires mensuels fixes comme dans les armement au commerce. Avant le départ, en passant au bureau de la marine, où les engagements por- tés au projet de rôles sont rendus définiufs, les équipages reçoivent de nouveau une somme fixe nommée pot-de-vin, répartie de la manière suivante : Les Français dans l'Amérique du Nord. 12 178 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Le:capitamne :. 4353 #90 500 francs. Le second et le saleur, chacun... 450 — Chaque matelot............... 300 — Leo. 5.54: Aer ti 250 — Chaque mousse ............... 150 — Fic. 30. — Capitaine et matelots de quart en traversée. Bien qu'il n'y soit pas obligé, l’armateur peut encore faire à ses hommes des avances à reprendre plus lard sur la part qui leur reviendra. A Ja fin de la campagne, lorsque la morue est vendue et payée, le règlement définitif de l'opération est fait devant le Commissaire de l'Inscriplüion maritime du port d'armement et d’après les bases suivantes, qui sont communes à tous les armements. Les avaries communes sont déduites du produit brut de la pêche; cette déduction opérée, l'armateur retire les quatre cinquièmes et l'équipage se partage l’autre cin- quième de la manière suivante : le capitaine reçoit deux lots nn nm À" INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 179 plus un troisième lot à titre de gratification si le gain du voyage dépasse 300 francs au lot. Il a en outre 2 °/, de pratiques sur le produit brut de la pêche, escompte et com- mission déduits, et 15 francs par 1.000 morues pesant 2 kilog. 250 sur l'excédent de 50,000 morues ramenées à ce poids moyen. Le second et le saleur reçoivent chacun un lot et demi, plus 1/2 °/, de pratiques sur le produit net de la pêche. Les patrons de doris reçoivent un lot et un patro- nage de 60 francs. Il est en outre établi trois primes, la première de 100 francs, la seconde de 60 francs et la troi- sième de 40 francs, en faveur des trois doris qui ont la meil- leure pêche et que chaque patron partage avec son matelot. Les simples matelots ont chacun un lot. ; Les novices ont (rois quarts de lot. Les mousses ont un demi-lot. La totalité de la somme qu'il aurait gagnée s’il eût fait la campagne entière est payée aux familles du marin qui vient à décéder ou à disparaître en mer, même quand cette dis- parition a lieu au début du voyage. Ce n’est pas tout encore ; aussitôt leur arrivée en France au lieu de débarquement des produits de pêche, les équipages sont mis au commerce, c'est-à-dire payés au mois après le congédiement d’une partie des hommes. L'équipage compte alors : Le capitaine par mois........... 150 francs : PARDON ne Let ne 80 — RE ER Pt a 19 — 14 hommes, chacun............ 50 — OR Te Penn dun eo ds 35 — Les mousses, chacun........... 25 — La durée de l'armement au commerce est en moyenne de deux mois au cours desquels le navire peut, s’il en trouve, prendre un frêt de retour sur lequel le capitaine reçoit son chapeau ordinaire. En dehors de ces conditions générales qui sont portées ; né Font rte CR bé ù w bu me 7, 0, fé 180 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD au projet de rôle, des conventions particulières et . varient avec les maisons d'armement interviennent le pl souvent entre l'armateur et le capitaine ou subrécargue et viennent encore favoriser ces derniers en les OS à faire une meilleure pêche. L Fig. 31. — Type de pêcheurs morutiers rejoignant leur navire dans leur chaloupe. L En résumé, l'armement d'un navire à la pêche de la morue, sur le Grand-Banc de Terre-Neuve avec un équi- "1 page moyen de 30 hommes, rapporte à cet équipage pour … les neuf mois que dure la campagne (année moyenne) : Pur don au moment de l'engagement des hommes, environ, ,:........,... «ss... 9.600 francs. Pot-de-vin payé au bureau de la marine avant lo dépit EU AS age css. 9.150 Partage au ol du cintaiitie de l'équipage 14,500 — Salaire des deux mois de commerce. ....... 2.170 — FOLRE: à 52070 08 . 35.420 francs. r Il résulte de ce qui précède que le salaire moyen des hommes, engagés comme pêcheurs dans nos Terre-Neuviers. peut être établi comme il suit pour une période de neuf mois : PA INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 181 Pur don et pot-de-vin avant le départ ...... 700 francs. _ Valeur moyenne du lot à l’arrivée. ......... 400 — Salaire des deux mois de commerce. ....... 100 — Tor: 1.200 francs. En outre, pendant les trois mois que dure le désarme- ment, un certain nombre d'hommes restent occupés à tra- INE = = » S PNR Ta. a à ; (2 7° Cr 4 ES } f° LS D PE | KW Le} F Fic. 32, — Type de pêcheur harenguier en mer sur son dundee. vailler sur le bateau, ce qui augmente d’autant leur salaire. D’autres, notamment à Fécamp, peuvent pendant ce temps prendre part à la pêche fraîche d'hiver et particulièrement à celle du hareng qui se fait alors en Manche devant Dieppe, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp et Le Havre. Bien que cette question de salaires nous ait déjà détourné quelque peu de la question principale, nous croyons inté- ressant d'établir ici un parallèle entre les profits que retirent de la pêche nos marins terre-neuviers et ceux auxquels peuvent prétendre les autres matelots français naviguant tant au long-cours qu'au cabotage ou s'occupant des autres pêches maritimes. 1, 182 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Commençons par les armements aux grandes pêches du maquereau et du hareng avec salaison à bord qui se pra- = tiquent au moins à leur début l’une sur les côtes d'Écosse dans la Mer du Nord et l’autre sur les côtes d'Islande dans 4 l'Océan Atlantique et à des époques où la mer est la plus tourmentée par les gros temps d’équinoxe. Les comptes réglés dans les bureaux de l'Inscription Maritime accusent pendant la même période de neuf mois et pour un équi- page de 22 hommes un salaire total moyen de 24.600 franes qui peut se réparlir ainsi : Saison du hareng environ............ 17.800 francs Saison du maquereau,.......:....... 6.800 — TOR AR Ve 24.600 francs. La différence n’est que de 4 ou 5 °/, en faveur des arme- ments à Terre-Neuve; mais si nous comparons ces salaires avec ceux qui sont payés aux marins du commerce, nous verrons que : 1° Pour le cabotage, en prenant pour type un navire de 300 lonneaux monté par un équipage de 11 hommes, le total des salaires pour 12 mois de navigation s'élève à 8,760 francs, se réparlissant ainsi : Le capitaine, par mois............, 150 francs LS #600ûd ; 4755 ANSE RTE MIE 100 — Le maltre:t, 502 ce ER 2e 710 — 7 matelots à 55 francs, .....:...,.. 385 — Le mondes. 2.28 255: a RS 25 — Total, par mois ...... 730 francs Soit, pour l’année de 42 mois, 730 x 12 — 8.760 francs. 2° Pour le long-cours, en prenant pour type un steamer de 1.000 tonneaux monté par 22 hommes d'équipage, le total des salaires pour 12 mois de navigation s'élève à 26.700 francs, se décomposant comme suit : INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 183 Le capitaine, par mois............. 300 francs LÉ Ho den cou dattes 180 — PÉ HEMenanl. UE SE 450 — Re TT MÉNIEN 5 pans 275 — Le 2° mécanicien........ RD ee Cr 200 — Eu 5" mécanicien...’ ,...:. 1. 54; 5 71 GR 6 matelots à 60 francs.....:....,.... 360 — 3 chauffeurs à 80 francs............ 240 — A'soûtiérs à 70 francs. ....#:..7 "14140 — 2 novices à 40 francs. ............. 80 — DDR ON EUR ren 30 — MO diainier 07 7e 2e dore aan 80 — Hprmaîilre d'hôtel "huis. 80 — Total, par mois...... 2.225 francs Soit, pour l'année de 12 mois, 2.228 >< 12 — 26.700 fr. 3° Un voilier de 1.000 tonneaux, armé au long-cours et monté par 19 hommes, rapporte à son équipage pour 12 mois de navigation une somme de 17.820 francs, savoir : Le capitaine, par mois............ 300 francs LT a TT es PEN NT PE ter 1450 — Re Le ere NTM, 4125 — HO isinion: 00.1 TN ae 10 — 12 matelots à 60 francs.......... 120 — 2 novices à 45 francs ............ 90, — ES MoUbRe rs re nr PAL OR MEL TT 30 — Total, par mois...... 4.485 francs Soit, pour l’année de 12 mois, 1.485 x 12 — 17.820 fr.! 1. A la suite des grèves récentes qui se sont produites dans tous nos grands ports de commerce, pendant que notre ouvrage était à l'impression, les salaires des marins du commerce ont été un peu rele- vés et ne sont plus exactement ceux que nous citons plus haut; mais pour diminuer cette surcharge que leur créait cette augmentation des salaires particuliers, un grand nombre d’armateurs réduisirent les équipages ou les complétèrent par des pilotins payants, de sorte que la dépense générale est restée sensiblement la même. D'ailleurs l’ac- croissement continuel et rapide des armements de Terre-Neuve a fait augmenter dans la même proportion les purs dons versés aux pêcheurs au moment de leur engagement. 184 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD | Ainsi, même en supposant, hypothèse tout à fait inad- missible, que les bâtiments du commerce navigueraient 12 mois par an sans désarmer, ou bien que leurs hommes trouveraient immédiatement un embarquement sur un autre navire, l'avantage resle encore à nos Terre-Neuviers qui, pour une période de neuf mois seulement, procurent plus d'argent aux familles de nos pêcheurs que ne le feraient les plus grands navires armés au long-cours ou au cabotage. Fi. 33. — Pêcheur dans son canot manœuvré à la godille, Le départ de cette véritable armée de pêcheurs, qui quitte chaque année à des époques à peu près fixes les différents ports du littoral normand et breton pour aller, au milieu des dangers de toute sortes, exploiter les Bancs et le French-Shore de Terre-Neuve, constitue, pour nos populations maritimes, un événement de premier ordre qui, malgré sa périodicité, émeut les cœurs des plus indifférents. En quelques jours, nos bassins, encombrés de navires, d'où émerge une forêt de mâts dont les vergues s’entrecroisent et sur lesquels s’agite une foule affairée, se vident et semblent plongés dans un sommeil léthargique qui durera jusqu’au retour des terre- neuviers dont les dernières voilures disparaissent à l'horizon grisâtre. Partout, le spectacle qu'offre le départ de ces courageux marins est grandiose et imposant, et, cependant il diffère dans chaque port. INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 185 A Saint-Malo, on voit d’abord partir les pelletas ou gra- viers, dont le métier consistera à faire sécher le poisson sur les graves, puis les marins engagés pour monter les goëlettes armées à Saint-Pierre et enfin les marins à la pouche qui, partant sans engagement el avec le seul espoir de trouver FiG. 34. — Embarquement à Saint-Malo sur un transport spécial des graviers et pêcheurs destinés aux goëlettes des Saint-Pierre. là-bas une occupation soit à la Grande-Pêche pour compléter les équipages que la maladie a décimés, soit même pour faire la petite pêche sur les côtes de Saint-Pierre ou de Miquelon. Toute cette catégorie d'hommes est embarquée à bord de transports spéciaux qui en portent de 1.000 à 1.500 par voyage. Rien n’est plus saisissant que le spectacle de l’em- barquement de toute cette fourmihière humaine, venue de tous les points de la côte bretonne, Cancale, Saint-Malo, Dinan, Saint-Brieuc, Paimpol, Tréguier, etc... Entre temps partent également les banquais armés à Saint-Malo et qui emportent avec eux leurs équipages complets. VU UT À M: RE Pole OR UECE TN bn ile 5 5 LA: à FRE ET TS RTE TC LS 186 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD À Fécamp, où les navires, tous banquais et de fort ton= nage, s’en vont directement sur les lieux de pêche, le spec tacle est tout autre. | Les départs de la flottille fécampoise qui se compose de 68 grands navires dont quelques-uns dépassent 400 tonneaux … s'effectuent toujours par petits groupes de 4, 6,8, quelque k fois même 10 navires, à la même marée; ils s'’éche-. lonnent depuis fin mars jusqu’à la dernière quinzaine d'avri suivant l'état de la mer, la direction des vents et aussi e rapidité plus ou moins grande avec laquelle se sont opér les réparations, l'armement et les apProvisionn ones as! que l'engagement de l'équipage. Aussitôt que tout est paré à bord, une revue de détail bâtiment et de ses agrès est passée par les capilaines visi u du port, qui voient si rien ne manque, si toutes les “Ps tions ont été bien faites, et les précautions prises pour q | le navire puisse, sans risque, entreprendre la dure pagne à laquelle il est destiné ; ils déhivrent alors un certifie E- cat de visite sans lequel le bâtiment ne pourrait être expédié par la Marine. 4 | L'équipage recruté pendant l'hiver, par le capitaine où par le subrécargue, s’il doit y en avoir un à bord, passe au bureau de l'Inscription Maritime, où il est fait lecture des conditions de l'engagement qui, à part celles concernant le capitaine ou le subrécargue, sont les mêmes pour tous les bateaux de Fécamp. Chaque homme reçoit alors de l’arma= teur ou de son représentant les avances qui lui sont néces=« saires pour se gréer lui-même et permettre à sa famille de vivre pendant son absence, Enfin, une messe est dite à la chapelle de Notre-Dame-du=" Salut, cet antique lieu de pèlerinage des marins et de leurs familles qui élève ses constructions massives au sommet … de la Côte de la Vierge, presque au pied du phare. A cette messe ne manquent jamais d'assister avec l'équipage au grand complet, les mères, les femmes et les sœurs des marins qui vont partir. | - + A 1" 14 | 4 ê; | 0 = INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 187 Puis le jour du départ arrive enfin. C’est un spectacle grandiose et touchant que éelui qu ‘offrent en ce moment les abords des quais et des jetées qui sont noirs de monde. Les parents, les amis et jusqu'aux simples curieux venus de plu- sieurs lieues à la ronde ont tenu à serrer la main, souhaiter un bon voyage et une bonne réussite et qui sait? peut-être dire un éternel adieu à ceux qui s’en vont si loin, exposés pendant six longs mois à tous les dangers qu'offrent la mer et surtout les parages brumeux de ce Grand-Banc de Terre- Neuve, où un navire reposant paisiblement sur ses ancres peut être coupé et coulé avec ses trente hommes d'équipage, avant même que le navire abordeur se soit aperçu de sa présence. Sans même se connaître, chacun, dans la foule, échange ses impressions ; on se rappelle les sinistres de l’an- née précédente, et bien des yeux se remplissent de larmes en voyant arriver un par un, escortés de leurs femmes et de leurs enfants, les pêcheurs qui vont se réunir près du bord en attendant l’ordre d’embarquer. Ah! ils ne sont pas gais à ce moment-là tous ces braves marins qui ont pourtant déjà risqué Hi fois leur vie sans peur comme sans regret, et que l’on s’imagine générale- ment endurcis par la mer et les dangers qu'ils ont courus, au point de les rendre insensibles à tout et incapables de toute émotion ! Ils ne pensent pas à eux, mais à ceux qu'ils laissent:en partant, et ils se détournent pour ne pas pleurer. Malheureusement, quelques-uns cherchent à s’étourdir en buvant de nombreux petits verres, et l’on assiste çà et là à des scènes tragi-comiques qui jettent une note discordante dans ce concert humain mais que chacun est porté à excu- ser. Pour les éviter, les armateurs ont soin de fixer les départs à la marée du matin. Une heure environ avant l'instant de la pleine mer, les portes des bassins sont ouvertes et les navires en partance sont halés dans l’avant-port où va se faire l’'embarquement. ’étale est arrivée, le pavillon blanc, avec croix noire en forme d’X, flotte seul au mât de signaux, le remorqueur 188 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD fait entendre son sifflet ; un remous se produit dans la foule près des bateaux ; on s'embrasse une dernière fois, et les marins sautent à bord où le capitaine commence l'appel. C’est l'instant solennel, car tous ces hommes qu'on voit alignés sur le pont du navire qui n'est plus retenu ve Le . une simple amarre qu'on commence déjà à larguer, 8 maintenant condamnés à vivre pendant six mois complè ment séparés du reste du monde, sur ce plancher flottan: bientôt point imperceptible au milieu de l'Océan, + vent poussera au gré de ses caprices. x je La foule est devenue plus compacte encore sur 1 ds | où ilest presque impossible de circuler; chacun veut assis ter à l’appareïllage qui commence pendant que le remo: queur évolue dans l’avant-port, et s'approche du trôis-ll ls pour prendre sa remorque. Un dernier coup de sifllet reten= tit; lentement le terre-neuvier s'écarte du quai et suit le petit vapeur qui l’entraîne vers le chenal; les moue )irs s’agitent, les paroles d'adieu et les derniers souhaits s croisent dans l'air. R Il gagne la haute mer, le pavillon s’abaisse par trois ois saluant la terre de France. Le voilà parti ! 6 Le temps que mettent nos Terres-Neuviers pour se rendre s sur les lieux de pêche est essentiellement variable et 4 rement subordonné à la direction du vent, à l’état de 1 mer et aux qualités du navire. On en a vu qui bat douze jours seulement après leur départ de Fécamp, tandis que d’autres, après ce même laps de temps, n'étaient pas encore sorlis de la Manche, et mettaient près de six semaines” pour arriver sur le Banc. On peut dire cependant que | durée moyenne du voyage est de vingt à vingt-cinq jours $ il faut compter un mois pour se rendre à Saint-Pierre el. Miquelon. | Dès le départ, les hommes sont répartis en deux bordées… qui font le quart alternativement, les {ribordais sous la direction du second, les babordais sous celle du saleur. LE quart est de quatre heures, de nuitcomme de jour. Le capi= taine et les mousses sont exemptés de celle corvée. INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 189 Pendant le jour ceux qui sont de quart et qui ne sont pas occupés à la manœuvre, préparent les agrès pour la pêche sur le Banc, tels que gaffes, piqueux, ancres de doris, avi- rons, bouées, chaudrettes et mannes; puis ils gréent les doris de manière à n'avoir pas à perdre un instant et à commencer la pêche aussitôt que le navire sera mouillé. Quelques jours avant d'arriver sur le Banc, on monte les lignes. Chaque doris reçoit 24 pièces de lignes de 75 brasses chacune, ce qui représente une longueur totale de 1.800 brasses ou 3 kilomètres de ligne. À un mètre et demi de distance les uns des autres sont attachés les avançcons ou pilles qui ont un mètre de longueur et dont chacun se ter- mine par un hameçon en acier de fabrication anglaise, nor- végienne ou française n° 13 !/, ou 14. _ On profite d’une belle journée avant d'arriver pour déver- guer les voiles blanches qui ont servi pour faire la traver- sée; on dégrée le mât de perroquet que l’on met sur la drôme qui se compose de la mâture et des vergues de | rechanges attachées solidement entre le mât de misaine et : le grand-mât. Puis, l'on met en place les voiles préparées d spécialement pour le séjour sur le banc et que l’on désigne ; sous le nom de voiles de balture. | Pour les garantir contre l'humidité continuelle à laquelle . elles sont exposées à cause des brumes qui règnent presque k journellement dans ces parages, on fait subir à ces voiles une préparation spéciale qui consiste à les enduire d’un mélange de graisse et de goudron clair très chaud. Dès que l’on n’est plus qu'à 25 on 30 milles du Banc, l'apparition des oiseaux, qui deviennent de plus en plus nombreux, indique que l’on arrive : cette présence des oiseaux est un signe cerlain qui n’a jamais trompé,nos marins, et que la sonde, d’ailleurs, ne {tarde pas à confir- mer. Généralement, on mouille en arrivant à l’est du Banc, entre 44° et 44° 30’ de latitude nord, 52° et 52° 10° de 190 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Fic. 35. 4. Be Navires pêcheurs sur le Grand Banc. INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 191 longitude ouest. Autrefois, quand on allait à Saint Pierre - chercher le hareng frais qui servait à boëtter les lignes en première pêche, on commençait celte pêche par l'Ouest du Banc, on faisait ensuite du sud et l’on terminait la cam- pagne à l’est; maintenant, on commence à l'est pour y revenir finir la pêche avant de débanquer. Entre le com- . mencement et la fin, il n’y a plus aujourd’hui d'itinéraire Fic. 36. — Doris à la rame allant mettre ses lignes à la mer. déterminé, les navires parcourent le Banc dans tous les sens, cherchant les places où l’on trouve le bulot ou l’encornet. Lorsque le capitaine croit avoir trouvé un fond à morue sur lequel il puisse également se procurer de la boëtte pour ses lignes, car le problème doit être envisagé sous cette double face, il mouille, c’est-à-dire qu’il fait jeter l’ancre pour se maintenir sur ce fond. Dans la plupart des cas, trois maillons de chaînes de 25 brasses chacun lui suffisent pour cette opération ; mais si la mer devient grosse, il sera obligé d’en filer une plus grande longueur afin de permettre à son bateau de se relever plus facilement, en rappelant moins dur. Les doris qui, comme nousl’avons dit, ont été gréées pen- " reste à bord que le capitaine et les mousses, Quand la réco 192 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD dant la traversée, sont aussitôt mises à la mer: de : hommes, le patron et son matelot s'y installent, et r de chandéeites attachées à de longues cordes et au amorcées au moyen des harengs rapportés de France : il commencent la pêche au bulot qui se fait tout près du navire. Tout l'équipage participe à cette première opération eLil est suffisante, les bulots sont envoyés à bord et broyés d an * des moulins spéciaux. On les passe au crible pour les s rer des morceaux de coquilles auxquels ils adhèrent et l'on commence le boëttage des lignes, c'est-à-dire à garnir les haims avec la chair de ces mollusques. r C'est alors que commence la pêche proprement dite. Environ deux ou trois heures avant le coucher du soleil, « si l’état de la mer le permet, dix des doris sur les dix-huit” qui ont été emportées de France sont envoyées, chacune. dans une aire de vent différente mettre dehors les lignes” qu'elles emportent lovées dans quatre petites mannes Où barils placés au fond entre les deux hommes qui la montent. Chacune des doris est munie d’une petite boussole montée à i la Cardan dans une boîte de sapin, d'une ancre destinée à mouiller sur le Banc en cas de brume trop intense pour pouvoir relouver le bâtiment, d'une corne à brume faite généralement d’une coquille de lambi et qui sert à se faire. entendre du navire. En outre, les règlements ministériels prescrivent aux capitaines des Terre-Neuviers de faire mettre à bord de leurs petites embarcations une provision k d’eau fraîche et de biscuits que nos marins emportent ns de petites boîtes rectangulaires en fer-blanc qui ne tienne aucune place dans la doris. Au début d'un mouillage, on commence à filer Fe. oil à une distance d'environ cent brasses du navire ; mais peu à peu, les détritus jetés du bord et qui se décomposent, empoi- sonnent progressivement le fond eten éloignent le poisson, de sorte que, chaque jour les doris doivent s'écarter davan=« tage sans loutefois aller à plus de trois ou quatre milles. On. 1] ‘ INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 193 a déjà vu qu’une ligne complète mesure environ 3 kilomètres de longueur ; l'extrémité mise dehors la dernière est munie d’un flotteur ou bouée en liège qui se maintient à la surface de l’eau et indique ainsi la position exacte de l'engin aux pêcheurs qui viendront le lever le lendemain matin. L'opération de mise dehors dure environ deux heures quand la mer est calme. Les hommes rentrent alors à bord et hissent les doris sur le pont pour ne pas les laisser à la merci de la mer. FiG. 37. — Doris sous voile allant mettre ses lignes à la mer. Quand tout le monde est rentré on soupe et l'on pompe pour débarrasser la cale de la saumure et du jus de poisson qui s’est écoulé des piles de morues préparées, ainsi que de l'eau de mer qui a pu s’y introduire. Chaque soir, la moitié de l’équipage est occupée à cette manœuvre des pompes, un jour ce sont les patrons, le lendemain ce sont les matelots et ainsi de suite. On appelle alors les hommes à la prière qui est généra- lement faite à haute voix soit par le capitaine, soit par un matelot, désigné à cet effet, et que, pour cette raison, on appelle le curé. À ce moment, la nuit est tout à fait tombée, on a allumé les feux de position et tout le monde va se coucher. Un seul Les Français dans l'Amérique du Nord. 13 194 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD homme reste sur le pont pour faire le quart et veiller à a sécurité de l'équipage. Le quart ne dure qu’une heure; c'est, tout ce que l’on peut demander à ces marins harass6s D quinze ou dix-huit heures du plus dur labeur. Cepenc Le, malgré la fatigue qui les engourdit, les hommes de quart, s’endorment bien rarement. Un grand nombre de marins, surtout parmi les Bretor À se jettent tout habillés avec leurs vêtements mouillés et. couverts d'écailles de morue sur la paillasse qui le Ta sert de lit, les Normands se déshabillent généralement ou enlèvent tout au moins leurs cirés et les gros vête-, ments de laine qui leur servent pour le travail et qui sont - plus ou moins trempés d’eau de mer. Quoi qu'il en soit, + règne une odeur fade et écœurante dans l’étroit rédui éclairé d’un quinquet fumeux alimenté à l'huile de foie d morue où 20 à 25 hommes dorment à la fois mélangeant leur haleine forte à la buée qui se dégage de leurs h souillées de débris de poisson. Nous sommes cepend nt. heureux de constater que dans les nouveaux terre-néuviers les postes d’équipages sont plus vastes et mieux aérés que … par le passé. 1 Quand le jour va percer, l'homme de quart éveillé l'équi- 4 page de façon à ce que tout le monde soit prêt à partir quand il fera suffisamment clair pour prendre la mer, cequi … a lieu entre 3 heures et demie et 4 heures en été. On appelle à la prière etl’on verse à chaque homme un boujaron d'eau- de-vie, environ 6 centilitres, en même temps qu’on fait une distribution de biscuit. Notons en passant que le biscuit est toujours laissé à la discrétion des hommes qui peuvent en manger autant qu'ils le désirent. On débarque alors les doris et chacun va relever les lignes qu'il a mises dehors la veille au soir et en décrocher les morues qui, pendant la nuit, se sont prises aux haims. Au fur età mesure qu'elles sont sorties de l’eau, les lignes sont remises dans les bailles ou petits barils installés au fond de la doris ; les morues prises sont jetées pêle-mêle au fond de INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 195 l'embarcation ; celles qui se décrochent d’elles-mêmes en sortant de l’eau sont rattrapées au moyen d’une gaffe dont les doris sont toujours munies. Les morues de trop petites dimensions sont rejetées à l’eau où, ne pouvant revenir à la vie, elles servent généralement de pâture aux chiens de Fic. 38. — Goëlette Saint-Pierraise sur le banc de Terre-Neuve. mer ou marasses qui harcèlent nos pêcheurs et atteignent quelquefois une longueur de 1 m. 50 à 2 mètres, présen- tant ainsi toutes les apparences de petits requins. Ce ne sont pas seulement des morues que nos marins trouvent pris à leurs hameçons, ils relèvent aussi assez souvent des flétans et surtout des raies qu'ils rejettent aussitôt pour n’en point charger leurs doris. L'opération du lever des lignes dure environ trois heures. Quelquefois, quand la morue donne, lamême doris est obligée de faire deux voyages pour ne pas perdre de poisson et ne pas s exposer à charger jusqu’à couler bas. Aussi, suivant l'abondance du 196 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD poisson et surtout l’état de la mer, les pêcheurs rentrent au navire de 8 h. 1/2 à midi. Aussitôt que la doris a accosté le bâtiment, la morue est embarquée, c’est-à-dire jetée sur le pont au moyen d'un piqueux, et les petites embarcations sont filées derrière. Fic. 39, — Morue du Grand-Banc de Terre-Neuve. Pendant que 20 hommes sont ainsi occupés à pêchermla morue, 3 ou # doris restées près du batean font la pêche au bulot avec les chaudrettes que l'on amorce maintenant avée des têtes et des issues de morue. Quand la dernière doris est enfin rentrée, on déjeune: Le menu de ce déjeuner n’est guère varié. Pendant toute la « o INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 497 durée de la banquaison et tant que la pêche peut s’effectuer, il se compose de poisson bouilli dont la morue fraîche fait généralement les frais, quelquefois, mais rarement, on rem- place la morue par de la raie ou du flétan. On y joint des pommes de terre tant que dure l’approvisionnement de cette denrée, c'est-à-dire jusqu'au mois d'août. Comme boisson on donne du cidre à discrétion. Après le déjeuner, on se met à travailler la morue, et si la provision de bulots faite dans la matinée n’est pas suffi- sante, tout le monde y va, même le capitaine qui ne regarde Fi. 40. — Trois-mâts goëlette sur le banc de pêche. pas à descendre dans une doris pour pêcher à la chaudrette comme les simples matelots. Les mousses seuls sont dis- pensés de cette corvée. Les bulots, passés au moulin etcriblés, on boëtte les lignes, et quand l'opération est terminée, les hommes collationnent. On leur donne pour cela un quart de vin, du biscuit et du beurre. Alors, comme la veille, on va mettre les lignes dehors, au retour, on embarque les doris, on soupe, et on se couche. Pour le souper, on ajoute au poisson bouilli [une soupe qui se fait aux poireaux au début de la campagne et à l'oseille 198 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DE NORD quand la provision de poireaux est épuisée. Les os n qui ont réussi à prendre un dadain pendant leurs mom de loisirs, qui sont rares, rompent la monotonie de ce nourriture dont la morue bouillie fait le fonds en fais Fic. 41. — Morue préparée au plat. rôlir pour eux-mêmes cet oiseau qu'ils dépouillent plus sou- vent qu'ils ne le plument, Le bœuf et le lard salés qui font partie de l'approvision= nement embarqué au départ ne sont consommés que pen dant les voyages d'aller et de retour comme pendant les changements de fonds et les jours de mauvais temps où l'on ne peut prendre de morue. 4 Tous les dimanches et jeudis matin le ER d'eau-de- vie est remplacé par,une ration de genièvre. | r 1 Cu sd INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 199 … Le jour de Pâques, chacun des hommes reçoit 3 ou 4 œufs. Aussitôt que les doris sont de retour au navire, quand le poisson est jeté sur le pont et dûment compté, chacun _ commence par ebreutiller les morues qu'il a prises. Fic. 42. — Morue préparée au rond. Pour cela, il leur fend l’abdomen depuis l’anus jusqu’à la gorge; il en retire les œufs ou rogues qui sont mis à part, dans un baril, pour être salés, le foie qui est jeté dans la fassière où il se transformera en huile et enfin les breuilles ou intestins qui seront ensuite jetés à la mer. Cette première opération terminée, il détache la tête du poisson dont il met la langue à part pour être salée, et il 4 > +4 200 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD jette la morue ainsi vidée et décollée dans un parc près duquél se tient le trancheur. TA Celui-ci, qui n’est autre que le capitaine ou le ve cargue, reprend ce poisson à demi-préparé et le fend d'u: bout à l’autre, mais en conservaut assez de chair sur le de pour que les deux parties, une fois ouvertes, semblent no faire qu'un seul et même poisson plat. Il coupe os 4 l'arête dorsale à quelques nœuds au-dessus de l'anus et enlève la partie supérieure de cet os dont l’inférieure est | conservée pour donner plus de fermeté au poisson. Enfin. avec une cuiller de fer, il presse sur l’arête qui reste pour … faire sortir le sang qui séjourne en cet endroit et en retirer le plus possible, afin de rendre le produit plus blane. e Les figures #1 et 42 montrent le poisson tel qu'il sort des mains du {rancheur. Ainsi préparée, la morue tranchée est passée aux nosdlll qui sont chargés de la laver dans de grandes bailles re) plies d'eau de mer que l'on renouvelle aussi souvent est besoin au moyen d'une pompe installée le long du bol Comme nos marins ne saignent pas la morue quand ils Le sortent de l'eau, ainsi que cela se fait en Norvège, il est. indispensable, si l'on veut obtenir un bon produit, de la laver abondamment en dedans et en dehors avant de la livrer au salage. Cette opération doit porter principalement sur le tour du collet et la partie de la raquette qui reste adhérente au poisson; car c’est en ces deux endroits qu'il = est resté le plus de sang coagulé. Le poisson est ensuite envoyé dans la cale où il est livré au saleur. Deux méthodes sont employées pour saler la morue ainsi préparée : 1° Le salage en saumure dans un récipient étanche; 2° Le salage au sel sec en arrimes qui permet au poisson de s'égoulter et de perdre ainsi le sang qu'il peut encore conserver après le lavage. INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 201 La saumure est généralement employée aux États-Unis, en Écosse et en Belgique. Le salage en arrimes est plus usité dans les grands centres de pêche, et, lorsque le poisson est convenablement préparé, il donne un produit de conservation plus durable et meilleur pour l'exportation dans les pays chauds. Aussi est-ce ce dernier mode qui à prévalu ehez nous. On laisse le poisson s’égoutter convenablement après le F1G. 43. — Type de vapeur apportant le sel aux navires terre-neuviens. lavage. La morue doit ensuite être étendue soigneusement en arrimes afin d'éviter que des plis ne se forment, car il serait très difficile de faire disparaître ces plis Le de la préparation définitive. Une grande attention doit être apportée pour que le sel soit réparti d’une manière uniforme sur chaque couche de poisson en proportion de son épaisseur. Trop de sel hrüle- rail le poisson, trop peu le rendrait doux. Aussi le choix du sel est-1l une question très importante qui a souvent divisé NT PTE PAT PART à … . dal à 2 re 15 PE LS LS INT Ve — ns CM : | ) , f. L Are 202 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD les armateurs. Depuis un quart de siècle, ce sont les sels de - la Méditerranée qui sont en faveur à Fécamp. Ce sel est transporté des salins d'origine au port d'arme ment par de grands navires affrétés à cet effet et qui jaugent de 2.500 à 3.000 tonneaux. | Lorsque les débuts de la campagne ont été favorables et que les premiers mois de pêche ont donné de bons résullats, un certain nombre de navires de la flottille fécampoise vont … encore porter à Saint-Pierre les produits de cette première pêche; ils en profitent pour compléter s’il y a lieu leur appro= visionnement en sel et emportent, en quittant cette colonie, quelques barils de capelan qui leur sert de boëtte au début | de la seconde pêche. î Mais lorsque le navire a emporté de Fécamp une quantité 4 suffisante de sel et qu'aucune cause ne l’oblige à une relâche coûteuse et qui constitue dans tous les cas une perte de … temps relativement considérable, il revient directement en = France quand il débarque, c'est-à-dire lorsqu'il quitte le. banc, à la fin de la campagne de pêche. Les principaux ports de retour sont : Bordeaux, Port-de- » Bouc, Martigues, La Rochelle et Nantes, où sont établies des sécheries et qui constituent de nos jours les plus grands » marchés français pour le commerce de la morue. _+ 200 Il y a quelques années seulement, peu de navires reve= l naient directement à leurs ports d'armement où ils ne pou- vaient trouver l'écoulement de leurs produits et d'où les transports par voies ferrées jusqu'aux centres cités plus haut étaient trop onéreux pour être employés utilement. Mais les conditions ont bien changé depuis. D'une part, une nouvelle industrie, le repaquage de la morue verte salée en tonnes semble vouloir s'implanter dans les ports de la Manche; il s’en fait déjà un commerce assez impor- tant pour l'intérieur de la France qui y gagne d'avoir un produit beaucoup plus succulent et moins salé que la morue sèche ; d'un autre côté des tarifs spéciaux ont été consentis. par les grandes compagnies de chemins de fer pour le trans- . *n1; XNBopIog Re ‘SIP N "IN °P anodea 99 9IQI] JTE R 9194998 EI 9P 9]JQUWSUS P on A 124 I c P è . * AT + tn. Li dues Ca » 204 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD port par wagons du poisson salé provenant des ports de là Manche à la destination de Bordeaux et des ports de la Méditerranée et permettent aux armateurs de faire les expé- ditions sans peser trop lourdement sur le prix de la mar- chandise. | Ces modifications et améliorations ont eu pour première Re — 5. d C | Fic. 45. — Sécherie de M. Mellis, à Bordeaux, Vue montrant la disposition employée pour les entrées de l'air. conséquence d'inciter les armateurs à faire revenir directe- ment en Manche une partie de leurs navires qui évitent ainsi les frais de relâche et de séjour à Bordeaux ou Port= de-Bouc. La campagne n'en finit que plus tôt pour les pêcheurs qui rentrent ainsi dans leurs familles aussitôt leur arrivée du Banc sans être exposés aux excès de toutes sortes qui leur sont coutumiers quand ils débarquent dans un autre port après les six ou sept mois de privations qu'ils ont dû subir à leur bord. Il y aurait donc double bénéfice à ce que la mesure se L INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 205 générahisät, bénéfice pour l’armateur qui peut échapper aux conditions souvent léonines du syndicat des acheteurs de Bordeaux auquel il est livré aussitôt que sa cargaison a remonté la rivière, bénéfice pour le matelot qui n’a pas à dépenser son argent dans les mille établissements plus ou moins hospitaliers qui lui ouvrent leurs portes pendant F1G. 46. — Sécherie de M. Mellis, à Bordeaux. ® Vue latérale montrant le ventilateur. ce séjour forcé de quelques semaines et quelquefois même de quelques mois loin de sa famille et dans une inaction dangereuse. Le séchage de la morue, c’est-à-dire sa préparation défini- tive, constitue une industrie spéciale complètement distincte de la pêche proprement dite et à laquelle l'armateur ne par- ticipe en aucune façon. Pour ce dernier, en effet, comme pour les marins qui montent ses bâtiments, l'association à la part, résultant du contrat d'engagement passé au Burean de la Marine, cesse aussitôt que le poisson rapporté du 206 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD “#4 banc est rendu en France, et le règlement des PE d'après le produit de la morue verte maire et livr l'acheteur. 0 Sur nos marchés français, la morue verte se ve quintal de 55 Kilogrammes. Le payement s’en fait à 30 jc avec escompte de 3 1/2 0/0. Il est dû au commissior qui intervient entre l'acheteur et le vendeur une commis ii de 2 0/0 qui se prélève sur le produit brut de la vente. Les premiers arrivages de nos banquais à Bordeaux ou à Port-de-Bouc se font dès le 15 septembre pour les ba ea ux les plus favorisés. Suivant l’état de la mer et les ds de ] départ du Banc, ils peuvent se prolonger jusqu’au 15 nov et quelquefois même plus tard. La dernière préparation que l’on fait He à terre ak morue verte, apportée de Terre-Neuve par nos banquaïs pour la transformer en un produit d'exportation qui pu " | sans danger affronter les intempéries el résister sans se € rompre aux chaleurs excessives des colonies, a pour but é débarrasser le poisson de l'excès d’eau qu'il conserve enco v. après le salage, cette eau étant le véhicule naturel des. germes de la corruption. 4 Deux méthodes existent pour cela : le pressage et le séchage. À C’est le séchage seul qui a toujours été employé par 1 Français, comme d’ailleurs par la plupart des peuples qui ont exercé celte industrie. Mais, là encore, les Proobdés dE fèrent. n. Jusqu'à ces dernières années, on ne connaissait que deux procédés, basés tous les deux sur l'évaporation lente de la partie aqueuse par l'exposition directe du produit de a pêche à l’action de l'air vif de la mer. "1 Dans certains endroits, on étendait simplement le pois=" son sur les graves, comme cela s'est pratiqué de toute anti= quité sur les côtes de Terre-Neuve. | Dans d'autres, au contraire, on se servait d'échafauds en bois auxquels on suspendait les morues à préparer à une, certaine distance du sol. CRIE INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 207 Les avantages obtenus par ce dernier procédé comparé au précédent sont : 1° Que l'air passant sous la morue, l’eau qu'elle contient s évapore plus rapidement, et par suite elle demande une exposi- tion moins longue à l'air; 2° Le poisson est moins exposé à être brülé par le soleil dont les rayons le frappent plus obliquement ; 3° Il est moins exposé à l'action de l'eau douce résultant de la condensation des vapeurs atmosphériques au contact du sol refroidi puisqu'il en est plus éloigné ; 4° La poussière et les autres saletés peuvent être plus facile- ment écartées ; 5° Le poisson séché sur des échafauds perd moins de poids, car il garde mieux son sel que celui préparé sur des rochers ou sur des graves. À Bordeaux, les industriels qui font la préparation de la morue française avaient déjà depuis longtemps remplacé les échafauds par des vigneaux en bois sur lesquels le pois- son était suspendu par la queue. Le séchage s’opérait ainsi beaucoup plus promptement; dans l’espace de deux à six jours seulement, on pouvait obtenir un bon produit d’ex- portation ayant très peu perdu de son poids; mais il se con- servait un peu moins longtemps que celui préparé sur les échafauds. Il y a peu de temps une circulaire ministérielle appelait tout particulièrement l'attention des négociants sur le péril que courait l’industrie morutière française menacée sur tous les marchés étrangers par la concurrence des Américains qui venaient d'inventer un nouveau procédé de préparation pour la morue sèche d'exportation. Les produits qu'ils opposaient aux nôtres étaient en effet d'excellente qualité, et leur aspect l’emportait encore sur cette qualité, de sorte qu'ils obtenaient partout la préférence. Il fallait donc parer au plus vite à ce nouveau danger qui pouvait avoir des conséquences incalculables pour nos populations maritimes. Le chiffre des exportations de ce 208 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD produit spécial s'élève en effet à la somme de dix millions de francs et le transport fournit plus de 18.000 tonnes de frêt à la marine française. Nos négociants surent se mettre à la hauteur de la situa- tion, et, à l'heure actuelle, Bordeaux possède ses sécheries AT. NU. EE TT UE PC ON ST LE ” » d ee FiG. 47. — Sécherie de M. Mellis, à Bordeaux. Vue intérieure montrant la disposition adoptée pour le chauffage par % thermosiphon. 4 y + ei 4e S d artificielles qui sont en pleine activité et qui ne larderont … ee pas à lutter avec avantage contre leurs concurrents. 4 Le séchage artificiel de la morue par le procédé américain ; consiste à exposer le poisson sur des plateaux dans un séchoir où la température est portée à 80° et 90° Farenheit « (979 à 32 centigrades). On laisse pénétrer l'air du dehors par des ouvertures pratiquées dans la partie inférieure du bâtiment, et cet air s'échappe par des cheminées placées sur le toit, ; D INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 209 Tout autre est le procédé français Chédru, Dupont et Mel- his pour lequel les inventeurs, parmi lesquels se trouve notre concitoyen M. Chédru, ont pris un brevet. Le voici en deux mots : Un bâtiment isolé constitue l'atelier ; il est isolé parce qu'il faut que l’air y pénètre de tous les côtés à la fois. On y a adopté le chauffage breveté au thermosiphon de Dupont, de Bordeaux. Le tuyautage est disposé sur les côtés et sous le plancher. Ce bâtiment doit avoir un tiers de plus de lon- gueur que de largeur. Sur le sens de la largeur, du côté opposé à la chaudière du thermosiphon, se trouve un ven- tlateur-aspirateur. Tout autour du bâtiment sont ménagées nombre de petites ouvertures, servant d’appels d'air, prati- quées en face des tuyaux du termosiphon. Les morues sont pendues par la queue dans l'intérieur du séchoir, à des tringles nommées listeaux, comme elles le seraient dans les sécheries à air libre. On porte la tempé- rature du séchoir à 30° et 32° centigrades, puis on ouvre les appels d’air et on fait fonctionner le ventilateur. L'air exté- rieur rentre alors rapidement dans le bâtiment, vient frap- per contre les tuyaux chauds, se dégage de son humidité, puis est attiré par le ventilateur et expulsé après avoir tra- versé les morues, qu'il agite comme le ferait un vent léger. Le séchage des morues, destinées à la consommation de la France et des pays voisins, demande une préparation de 12 à 18 heures; il faut compter 36 heures pour les produits qui doivent affronter le climat des colonies. L'avantage considérable de ce procédé, c’est qu’il permet d'obtenir la siccité presque parfaite du poisson et, par suite, la faculté de l'expédier sans danger dans les climats exces- sifs et d'ouvrir ainsi un nouveau marché dans tous les pays chauds, et principalement dans l'Amérique du Sud. C'est donc, à bref délai, un débouché assuré et très important pour tous nos produits. La morue verte n’est pas le seul produit qui se prépare à bord de nos Terre-Neuviers pour être rapporté en France Les Français dans l'Amérique du Nord, 14 on Le 210 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD dE et livré à la grande consommation; nous ne parlerons pas des langues qui sont salées à part dans les barils et form. on 7 un excellent produit très prisé par les gourmets, car de jours cette préparation spéciale est bien tombée et nos pêcheurs n’en rapportent plus guère que pour eux et leurs familles ; une mention plus importante devrait être faite des rogues où œufs salés en barils sur les lieux de pèche, € C qui, à l’arrivée, sont expédiés en Bretagne pour servir d'ap- à pât dans la pêche de la sardine. Mais le produit le plus … important et que nous ne saurions passer sous silence se sans contredit, l’huile de foie de morue. Cette huile, dont chacun connaît les propriétés curatives À dans le traitement de la scrofule et des affections de poi- trine, n’est pas seulement employée par la médecine qui L tout en en faisant une grande consommation, ne constituerait … qu'un débouché de peu d'importance. La grande industriel l'emploie concurremment avec les autres huiles de poisson et | notamment celle du hareng, pour le graissage et la prépa- - ration des cuirs. Ce sont naturellement les produits A F. qualités inférieures qui reçoivent celte destination, et 1 s’en fait de nos jours un très grand commerce. C'est pour A quoi nous en dirons quelques mots en passant. | Pour préparer une bonne huile qui puisse servir aux usages médicinaux, le choix des foies doit être la première eu préoccupation du capilaine qui ne peut employer à cet usage. \ que les meilleurs, les plus sains et les plus gras à la fois. On les reconnait à leur teinte crème et à leur consistance molle telle qu'une simple pression du doigt suflise à les tra- verser. Les bruns ou tachetés de points verdàtres doivent être rejetés ou mis à part pour ne servir qu'à la prépara= tion de l'huile industrielle, Quant aux foies durs et d'une - teinte très foncée, ils ne donnent pas assez d'huile pour être employés utilement. Sur le banc de Terre-Neuve, la fabrication de l'huile de foie de morue est, en outre, subordonnée aux loisirs que peut laisser à l'équipage la préparation du poisson; on com t + 13% N 1 ; n DE STE in À *- INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 211 prend, en effet, qu'on ne négligera pas cet objet principal qui occupe tous les bras dans les bonnes marées, et qu'on ne s’exposera pas à Jeter des morues à la mer pour traiter les foies. IL faut aussi tenir compte de la température atmo- sphérique, car 1l est impossible d’obtenr un bon produit quand il fait trop chaud ou quand les foies ne sont pas manipulés aussitôt qu’ils sont retirés du poisson. L'espace aussi fait souvent défaut à bord pour y installer convena- blement cette industrie. Toutes ces causes réunies font que la fabrication de l'huile de foie de morue n’est pas pratiquée régulièrement sur nos terre-neuviers, d'autant plus que les prix de vente de cette denrée vont en diminuant d'année en année. Aussi, les armateurs laissent-ils à leurs capitaines toute liberté à ce sujet. C'est surtout au début de la campagne, quand il ne fait pas trop froid que nos pêcheurs utilisent les foies, et qu'ils en retirent les meilleurs produits, c’est-à-dire une huile très limpide, à peine teintée en rose, el presque sans odeur. Pour cela, ils installent sur le pont, près des parcs à morue, plusieurs tonneaux à gueule bée, échancrés d’un côté et nommés fassières. On y jette les bons foies au fur et à mesure que les morues sont ébreuillées, et l’on attend que l'huile se fasse d’elle-même par le seul tassement de ces foies qui s’y accumulent. L'huile surnage bientôt au-dessus de la masse qui se désagrège au fond ; on la retire avec des poches pour l’enfermer dans des barriques que l’on descend dans la cale aussitôt qu’elles sont remplies. Lorsque le temps est froid, et que l'huile tarde trop à se séparer, on aide à la désagrégation des foies en versant des- sus quelques pots d’eau chaude, mais le produit ainsi obtenu n’a pas une aussi belle couleur que celui qui se forme natu- rellement. Plus tard, vers le milieu de la campagne, quand la tem- pérature, qui s’est élevée graduellement, est devenue rela- üvement chaude, la décomposition s'opère très rapidement; 212 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD mais l'huile qu'on en obtient a une couleur roussâtre et une odeur désagréable qui la fait rebuter par la médecine : elle … ne peut plus être employée qu'à des usages industriels, etles prix qu'on en obtient sont peu rémunérateurs. 2. En Islande, en Norwège, aux Loffoden, en Russie, dans tous les pays, enfin, où la morue est pêchée par de tout petits bateaux qui reviennent chaque jour à terre pour y rapporter le poisson qu'ils ont pêché et qui n’est pas encore - ébreuillé, la fabrication de l'huile de foie de morue a prisles proportions d'une grande industrie qui emploie des moyens mécaniques et des procédés spéciaux impossibles à trans- planter sur nos bateaux. | Sur divers points de ces pêcheries, on a établi, Pres À environ cinquante ans, de grandes usines à vapeur dans les- … quelles les foies sont traités de la manière suivante : + Ces foies sont enfermés dans des caisses en tôle à doubles parois, entre lesquelles circule un courant continu de » vapeur d’eau. La première huile obtenue est très limpide et très blanche; elle est livrée au commerce sous le nom d'huile vierge ou huile blanche. C'est la plus appréciée par la médecine, 4 comme possédant la plénitude de ses propriétés curatives. C'est d'ailleurs celle qui est obtenue à bord de nos terre neuviers au début de leur campagne. 4 En remuant les foies à l'aide de spatules mues mécanis quement, on fabrique une huile tirant sur le jaune; c'est u l'huile brune ou huile de second choix que l'on blanchit ; très facilement aujourd'hui par des procédés chimiques spé- claux pour être ainsi vendue comme huile blanche. Q Si l’on surchauffe la masse qui reste encore dans les chau- “ dières après cette seconde opération, on obtient alors un produit noirâtre et visqueux qui, soumis à l’action de fortes presses, donne l'huile noire du commerce. Les Anglais sont arrivés à former avec cette huile de dernière qualité, un liquide très blanc, presque incolore qui est vendu au com- … merce sous le nom d'huile anglaise (English cod oil), mais dont les propriétés curalives sont peu actives. DR As à ls D si. - ee dde cs AGREE Li nn. ds din à à à INDUSTRIE DE LA PÊCIE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 213 On donne le nom de boëtte à l’appât dont on garnit les haims pour prendre la morue. Nous avons vu que sur le Banc la pêche à la ligne est la seule possible : l’'approvisionnement de nos Terre-Neuviers en boëlte est donc le premier problème dont la solution s'impose aux capitaines banquais. En effet, que leur servirait de trouver un bon fond à morues s'ils venaient à manquer d’appât pour l’attirer et la faire mordre à l’hameçon de leurs lignes ? Le manque de boëtte leur est aussi préjudiciable que l’absence de morues. Le Parlement de Terre-Neuve l'a si bien compris que, pour arriver à la ruine de notre indus- trie, pour éloigner nos bateaux de ces régions où nous iui portons ombrage il a rigoureusement interdit à ses nationaux, par la Loi restée célèbre sous le nom de Bait- Bill, de vendre à nos pêcheurs l’appât que nous avions cou- tume de leur acheter. Et tant que nous n’eûmes pas trouvé le moyen pratique de nous passer de leurs services, l’émo- tion fut grande parmi nos populations maritimes qui crai- gnirent un instant d’être forcées d'abandonner le Banc. Nous dirons donc quelques mots en passant de cette boëtte dont le problème peut se poser à nouveau dans un avenir peut-être très prochain. En faisant l'historique de l’ancienne pêche au Banc nous avons déjà indiqué une variété considérable d'appâts qui ont élé successivement employés pour amorcer les lignes et l’on serait presque tenté de croire, en parcourant cette énumération, que toutes les substances animales sont propres à cet usage, et cette opinion semblerait corroborée par la voracité bien connue de la morue. Mais si ce poisson est très vorace, et si, quand il est affamé, il se jette avide- ment sur toutes les proies qu'il rencontre sur son passage, il n'en a pas moins des préférences bien marquées, et, quand il a le choix entre deux proies, 1l se montre très dif- ficile dans ses goûts. Le même choix s'impose donc à nos capitaines terre- neuviers. Aussi les variétés d’appâts qui sont aujourd’hui F 2 © TT SN Ÿ : ds L- ir: t = 1.” & . Nes ANNE r'œû fo \ « A+ s Le EL Et. | + Lort AUD Gore 9 Pis a VS Fa NN FR ON TER ‘ ( ; - 214 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD employées d'une manière générale par les pêcheurs des dif- … férentes nations peuvent-elles être réduites à six : Le hareng frais, le capelan, l'encornet, le bulot, la grande « coque et la moule. | Le hareng frais est surtout employé en Norwège ou il = forme pour ainsi dire l'unique appât de la pêche à la ligne; sur le Grand-Banc il a également servi d'appât au début de - la campagne, pendant la période connue sous le nom de première pêche et qui s'étend d'avril à juin. On comprend aisément qu'on ne puisse emporter cet appât des ports de France où la pêche est d’ailleurs terminée plus d'un mois avant le départ des Terre-Neuviers. Par contre, sur les … côtes de Terre-Neuve, oùil est très nombreux, ilne fait son apparition qu'en mars ou avril. Mais depuis l'établissement du Bait-Bill, nos capitaines en seraient réduits, soit à l'acheter aux Saint-Pierrais qui n'en pourraient fournir que des quantités insuflisantes, soit à l'aller pêcher eux- mêmes dans les baies du French Shore et notamment dans la baie de Saint-Georges. C’est précisément ce que l’on a fait lors de la promulgation du Bait-Bill ; mais aujourd'hui tous nos navires mélropolitains ont renoncé à cette boëtte qu'ils seront peut être forcés de reprendre quelque jour, Le capelan, moins connnu sur nos côtes que le haren où on le trouve cependant à certaines époques dans les filets de chalutiers, est encore plus recherché par la morue ; mal- heureusement, il ne paraîl qu'en juin sur les côtes de Terre- Neuve, mais alors on l'y trouve en bandes si nombreuses qu'il forme de véritables bancs. Autrefois quand les lois de la colonie le leur permettaient encore, les Terre-Neuviens, vers cette époque de l'année, en prenaient d'immenses quantilés qu'ils vendaient à noS marins pour servir d'appât en seconde pêche. Quand ce commerce cessa, nos Terre-Neuviers allèrent eux-mêmes prendre le capelan dansles baies du French-Shore et notam= ment dans celles de la Conche, de la Scie, etc., sur la côte Est, où le poisson se montre particulièrement abondant. { $ 4 | =, RQ) ES PU te nd en SD De ne 2 INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 215 Depuis quelques années on a cessé d’y aller, de sorte qu'au- jourd’hui, il n’y a plus guère que les Saint-Pierrais qui se servent de cet appât qu'ils vont chercher le plus habituel- FiG. 48, — La pêche à l’encornet en rade de Saint-Pierre. lement dans la baie de Saint-Georges, sur la côte Ouest. La pêche du capelan se fait au filet flottant ou à la seine, par des barques appelées pour cette raison barques capelanières. Pour ne pas détériorer le poisson, qui est très délicat à manipuler, on se sert pour le retirer du filet où 1l a été empri- sonné, d'instruments appelés sallebardes, et qui présentent 216 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD la plus grande analogie avec le lanet servant à la pic la salicoque. Il est alors mis en baril avec quelques poig de sel pour l'empêcher de se corrompre sans le saler er iè- rement, ce qui lui ferait perdre la plus grande partie de se: r. qualité: La boëlte salée est en effet bien inférieure à la boëtte fraîche : s’il en était autrement il serait facile à » pêcheurs d’emporter avec eux du hareng, du sprat et de ni sardine salés qu'ils se procureraient à très bas prix tant en F1G. 49. — Encornet. France qu’en Espagne et qui leur éviteraient ainsi une perte de temps considérable sur le Banc. L'encornet dont la morue se montre encore plus friande que du capelan est un mollusque ressemblant à la seiche que l’on trouve de temps en temps sur nos côtes. Il consti= - tuerait certainement la boëtte par excellence si on le trou- vait en toute saison, et si, quand il se montre, on pouvait … le pêcher en quantité suffisante pour boëtter toutesles lignes. Malheureusement, on ne le rencontre qu'à des intervalles tout à fait irréguliers, poursuivant avec acharnement des - bancs de poisson migrateur qui viennent à traverser le banc et qu'il attaque avec une voracité, un acharnement tels que … ceux-ci sont obligés de fuir devant leurs assaillants. Aussi le passage de l’encornet est-il très rapide et quand on le voit passer ou bien quand un indice quelconque décèle sa J présence près du bâtiment, tout l'équipage s’arme de {ur= luttes pour en faire la pêche. Ces turluttes se composent … essentiellement d'une petite masse de plomb hérissée de nombreuses pelites pointes d'acier recourbées en crochet . INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 217 sur lesquels viennent se prendre les mollusques. Pour cela aucun appât n’est nécessaire, on se contente de peindre le ss me; «Es | Fi. 50. — La pêche à l’encornet dans les doris. plomb en rouge ou de le nickeler pour attirer l’encornet. Les hommes restent généralement à bord ; 1ls s'échelonnent le] , simplement le long de la liste et agitent dans l’eau leurs tur- luttes qu’ils montent quelquefois à deux ou trois sur la queiq même ligue. D’autres fois, cependant, les pêcheurs se répar- tissent dans les doris qui sont, comme nous l'avons dit, filées derrière le navire en attendant d'aller mettre les lignes . 218 LES FRANCAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD " dehors. Il est assez rare que l'on puisse, même dans les meilleurs jours, pêcher assez d’encornet pour en boëtter toutes les lignes, mais il est d'usage de ne jamais échapper une seule occasion pour s’en procurer, ne fût-ce que d’une quantité très minime. Il a d’ailleurs été constaté que, quand il y en a trop dans un lieu, la morue, q peut se rassasier à son aise de proies vivantes, ne mord plus. aux lignes. Il arrive même aussi que, parfois, le poisson: disparaît subitement d’un fond qui vient d’être visité par ces. mollusques et n’y revient qu'au bout de quelques jours. Nos marins attribuent ce départ subit à la poursuité que … la morue fait au banc d’encornet. \ Le bulot comme l’encornet est un mollusque et non u poisson, mais son corps, au lieu d'être nu, est rate dans une coquille contournée en spirale : c’est l’escargot d mer ou gros vignot que l’on trouve également dans la Manche. Sur le Banc, on le rencontre presque partout et. dans certains parages on peut dire qu'il y pullule. Sa chair. coriace n’a pas pour la morue le même attrait que l’encor=. net ni même le capelan, elle s’en repaît cependant volon=" tiers et mord assez facilement aux haims qui en sont gar- nis. En somme, le bulot ne constitue pas la meilleure des boëttes, mais il en est la plus précieuse, car dans les parag où il vit, on peut le pêcher en toute saison, et 1l se laisse aisément prendre. Aussi, depuis que les navires banquais L métropolitains évitent d'aller à Saint-Pierre pour économis, ser leur temps et les frais de relâche, le bulot fournit à Jui nu. seul presque toute la boëtte des pêcheurs français. Le bulot a été connu de tout temps par les pêcheurs de Terre-Neu q qui s’en servirent de temps à autre pour garnir leurs ligne . quand leur boëtte habituelle venait à leur faire défaut ; jamais l'usage n'en était devenu général avant l'inventof du Bait-Bill. Il appartenait aux pêcheurs de Fécamp d'adoptercen mollusque comme système de boëlte et de le faire accepter par leurs compatriotes des autres ports. Cette heureuse" innovation qui a déjà rendu les plus grands services à notre Ü INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 219 . industriemorutière date à peine de douze ans. Depuis lors Les conditions de la pêche de la morue ont totalement changé sur les bancs de Terre-Neuve. Les pêcheurs trouvant leur appât dans les lieux mêmes où ils doivent pêcher la morue, ne sont plus contraints d'aller, comme auparavant, deux fois par saison à Saint-Pierre pour s’approvisionner de boëtte fraîche ; ils peuvent. ainsi consacrer à la pêche tout le temps qu'ils passent hors de France. Par suite, il leur faut des bateaux d’un plus fort tonnage que par le passé, afin de pouvoir conserver à bord les produits de la campagne entière. D'un autre côté l’ancien itinéraire de leurs déplacements sur le Grand Banc s’est trouvé forcément modifié pour leur permettre de rester sur les fonds à bulots, car, comme nous l'avons dit, si l’on trouve le bulot presque partout, il n’est pas, sur tous les points, assez nombreux pour fournir à tous les bésoins de la pêche. Des cartes bulotières ont pu être dressées et mises à la disposition des capitaines qui les consultent avec fruits quand ils ont besoin de changer leur mouillage. On voit, d'après ces cartes, que le bulot habite surtout la partie sud-est du Grand-Banc tandis qu'il est rare et presque nul dans. le nord et l'ouest. Ce mollusque d'ailleurs affectionne plus particulièrement les fonds hauts et sablonneux, tandis que la morue se plaît mieux sur les D D ne $ fonds rocheux. L Le bulot nous a permis de parer le coup que les Anglais ê voulaient porter à l'industrie de la grande pêche française en promulgant le Bait-Bill ; nous avons pu nous priver, sans aucun dommage pour nous, des services qu’ils ne voulaient plus nous rendre, et ce sont leurs nationaux seuls qui y ont perdu ; mais nous ne devons pas nous laisser endormir par 4 une sécurité trompeuse. Déjà, nos capitaines ont pu constater : que les bulots qu'ils lèvent maintenant dans leurs chaudrettes ù sont beaucoup plus petits que ceux qu'ils ramenaient il y a douze ans. À quoi faut-il attribuer cette décroissance si rapide ? Ne serait-ce point que ce mollusque ne se reproduit pas assez vite pour combler les vides que font dans leurs 220 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD rangs les chaudrettes de nos pêcheurs ? et ne présage pas, à brève échéance, sinon la disparition complète, to au moins une diminution du nombre de ces coquillages, ne suffira plus au besoin de notre industrie ? | ttes 448 rs a PTE ee En CT 4 € « PF nn « CA ur Fic. 51. — Bulots et coques de mer. La grande coque de mer dont tout le monde connaît Ja coquille bivalve cannelée régulièrement et qui se trouve € n grande abondance dans le golfe du Saint-Laurent et sur k côtes de l’île du Cap Breton et de la Nouvelle Ecosse est f férée par les pêcheurs anglais et américains qui l’app La sur les lieux de péche salée en barils. Les Français qui ont essayé cette boëtte n’y ont pas trouvé les avantages que» INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 221 vantent leurs concurrents. Elle présenterait d’ailleurs pour nous le grave inconvénient d’obliger nos pêcheurs à faire le voyage de Saint-Pierre ou d'Halifax pour se la procurer au début de la campagne ce qui les ferait partir beaucoup plus tôt de leurs ports d’armements. _ Enfin la moule ordinaire, également salée en barils, est employée aussi depuis plusieurs années par les Américains concurremment avec la grande coque. Nous 1ignorons encore quels ont été les résultats de ces essais. Après tout ce qui a été dit sur la grande pêche de la morue, à Terre-Neuve, il est inutile d’insister davantage sur l'importance qu'a acquise, de nos Jours, en France, cette intéressante industrie. Elle fait vivre directement - plus de 20.000 familles, et donne lieu à un commerce géné- ral de plus de 40 millions de francs, par ses seuls produits de consommation qui procurent, en outre à notre marine _ marchande, un fret annuel de plus de 60.000 tonnes, dans lesquelles ne sont pas compris les sels destinés à la prépa- ration du poisson, ni les denrées d’approvisionnement. Si nous la considérions, maintenant, au point de vue plus élevé de la défense nationale, nous verrions qu'elle occupe annuellement près de 12.000 marins dans la force de l’âge et qui y sont maintenus dans un continuel état d'entraine- ment, formant ainsi le noyau le plus solide de la réserve de notre armée de mer, dans laquelle ils seraient aussitôt incorporés, si-un danger venait à menacer notre patrie. Il est de l'intérêt bien entendu de la nation de ne point laisser péricliter cette branche de l’industrie maritime fran- çaise, au moment même où l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et les États-Unis font les plus grands sacrifices pour leurs flottes, et quand la crise la plus intense sévit sur notre marine marchande qu’elle menace de ruiner. Aussi, s'ils veulent rester sincères et patriotes, les adver- saires même les plus acharnés de la doctrine protectionniste confesseront qu'un gouvernement éclairé et soucieux de la grandeur du pays doit protéger el encourager, par tous les sn hr NES - a” La MÉÉRILATTA CE ». ; 4 222 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD moyens, une industrie qui est la véritable pépinière de n marins, et qui est menacée dans son développement par la baisse graduelle des cours de la morue et l’augmentatior sans cesse croissante des frais d'armement. Ge Certes, le Pärlement français obéit a un louable sentimen de patriotisme en se préoccupant de la réfection de la flott destinée à assurer la défense de nos côtes, mais il ne « pas perdre de vue que pour monter ses cuirassés et & croiseurs, il faut des marins éprouvés que l'État ne former lui-même et qu'il ne trouvera que dans la marine marchande, principalement chez nos pêcheurs qui restent. six mois de l'année au milieu de l'Océan passant alterr vement de leurs voiliers dans les frêles doris où : acquièrent à la fois la pratique de la mer, l’accoutumar aux dangers et l'endurance qui font les meilleurs m lots. D'ailleurs, tous les gouvernements qui se sont succédé e1 France, depuis un siècle et demi, ont reconnu la nécessitk té inéluctable de protéger la pêche à la morue qui ne pot our- rait d'elle-même résister à la concurrence des étrangers. placés dans des conditions plus favorables qu’elle. “ Tant que nous fûmes les maîtres absolus de toutes les côtes, septentrionales de l'Amérique et de toutes les terres à a nant les Bancs où l’on peut pêcher la morue, nos AR se trouvaient évidemment dans une situation privilégiée ar rapport à leurs concurrents étrangers, moins bien placés: qu'eux pour se procurer celte denrée. ‘4 Mais quand nos revers arrivèrent, quand nos rivau x. s’établirent sur les lieux mêmes de pêche dont 1ls nous é tèrent progressivement pour nous chasser tout à ut « 1783, les conditions se trouvèrent complètement chan pour nous. Tandis que les Américains et les colons anglais de Terre: Neuve, de la Nouvelle-Ecosse, du Cap Breton et du Canada” exercent presqu'à leurs portes l’industrie de la pêche pou laquelle ils peuvent alors employer des bateaux plus 1e INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 223 rentrant très souvent dans les ports d'armement pour y débarquer leurs produits, se ravitailler et faire une nouvelle provision de boëtte fraîche, les pêcheurs français sont obli- gés à des dépenses d'armement beaucoup plus considérables nécessitées par des bâtiments plus grands et des campagnes plus longues. Les voyages qu’ils doivent faire, tant pour se rendre sur les lieux de pêche que pour rapporter en France les produits qu'ils en tirent, leur font perdre un temps considérable que les étrangers peuvent consacrer à la pêche. Aussi, si nous comparons l'industrie morutière française à l’industrie américaine, nous voyons que la nôtre nécessite des capitaux beaucoup plus considérables et entraîne des dépenses beaucoup plus grandes, que nos pêcheurs courent des risques plus grands, essuyent par suite plus d’avaries et qu'enfin, ils pêchent moins longtemps que leurs rivaux. Il résulte de cette situation d’infériorité dans laquelle nous ont mis les traités de 1783 et de 1815 que la même morue coûte plus cher aux Français qu'aux Américains. Pour rétablir l'équilibre, pour essayer de mettre les pêcheurs français sur le même pied que leurs concurrents étrangers, tous les gouvernements, sans interruption, ont accordé à l’industrie morutière des encouragements qui lui ont permis de vivre et de se développer normalement. Ainsi réconfortée, elle a pu résister aux coups qui lui ont été suc- cessivement portés par ses rivaux étrangers qui, de leur côté, ont fait les plus grands efforts pour nous supplanter sur ce terrain, comme ils l'ont fait dans presque toutes les autres branches du commerce maritime. Mais il est hors de doute qu'elle serait frappée à mort par la suppression des primes, et qu'elle ne tarderait pas à à disparaître entièrement le jour où l’État lui retirerait son appui, comme CH uns l’ont déjà proposé. Les encouragements que le Gouvernement français accorde ainsi à notre grande pêche nationale lui sont don- nés, soit sous forme de primes en espèces, soit sous forme dr, si Re de * Lars ; “À .1.1 224 à LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Le ce d'exonération de certains impôts portant tant sur le à employés à la préparation du poisson, que sur. les } çons étrangers employés pour la pêche, et les boi tabac et les autres consommations du bord. S - Il faut y ajouter les droits presque prohibitifs qui frapp le poisson étranger à son entrée en France, et pis s'élèvent pas à moins de 48 francs par 100 kilogs den salée ou de klipptish. % Les premières primes en espèces qui furent allow À pêcheurs de morue remontent au gouvernement» Louis XV. Nous avons vu en effet, qu'en 1767, ce roi av accordé une gratification de 500 livres à chacun desné français allant pècher la morue sur Ja côte de Terre-Neu comprise entre les caps Bona-Vista et Saint-Jean. ke | Ces encouragements avaient un caractère tout à fait s] cial ; il s'agissait, en effet, de reprendre possession d partie du French-Shore sur lequelles Anglais s'étaienté à demeure et où ils maltraitaient nos nationaux pour 1 empêcher d'y venir exercer leur industrie. Les résulta furent négatifs, car les Anglais, par leur lénacité, | les maîtres des havres contestés, ‘2 Mais à côté de cette question de détail, ne tarda pas à! poser un problème autrement sérieux, à la solution dugu élait attachée l'existence même de l’industrie mom pa française que les traités de 1713 et de 1763 avaient place dans un état d’infériorité ruineuse vis-à-vis de ses co we rents anglais el américains. He. C’est alors qu'intervint l'Ordonnance du 18 septe 1785, complétée par le règlement du 7 février 1787, y créa les premières primes régulières, tant à l'armement di bâtiments pour la pêche, qu'à l'exportation des ma ue séchées, soit à Terre-Neuve et à Saint-Pierre, “ie France. En 1790, le produit de la pêche française de la morue s'élevait à près de seize millions ; les primes payées à l'ex= portalion alteignirent le chiffre de 300.000 francs. La qu +3 paper cn LL SES ET TRES ie TN EP, pr let AC ot die à dû td INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 225 tité de ces primes était de 10 francs par quintal de 100 livres de poisson expédié aux colonies françaises ; elle était de D francs seulement par quintal pour les morues séchées à destination de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie et du Levant. Un des premiers soins de l’Assemblée nationale fut de confirmer ces encouragements en y ajoutant même une prime additionnelle de 3 francs par quintal pour les morues sèches à destination de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie et du Levant. Pour raison budgétaire, le payement de ces primes fut suspendu temporairement en 1793 ; mais les lois des 17 ventôse, 17 prairial et # messidor an X, les rétablirent en les fixant à 24 francs par quintal métrique. L'Empire n'apporta aucun changement à cet état de chose ; la pêche, d’ailleurs, ne fut guère pratiquée sous ce régime. Mais quand nos pêcheurs purent retourner au Banc après le rétablissement définitif de Ia paix, le gouvernement de Louis XVIII rendit, le 8 février 1816, une ordonnance qui fixa, pour ainsi dire, la base sur laquelle les primes furent depuis lors accordées à l’industrie morutière française ; la quotité seule en fut modifiée par les différentes ordonnances et lois qui furent successivement rendues sur la matière. Cette ordonnance du 8 février 1816 créait trois espèces de primes. 1° Une prime d'armement basée sur le nombre d'hommes dont se composait l'équipage des navires armés à la pêche ; 2° Une prime à l'exportation des produits expédiés dans les colonies et les pays étrangers ; 3° Une prime à l'importation en France des huiles et rogues rapportées des lieux de pêche. Le montant en était fixé co mme suit : Les Français dans l'Amérique du Nord. 15 PONET “Y TT TV AU el Vo, D MES be 4 Lu r sn . à "TS a ve j + + At # AS LES TSANÇMS DANS L'AMÉRIQUE ‘DU NORD * 4 Primes d' armement. 50 francs par chaque homme d'équipage envoyé al : pêche avec sécherie, soit à la côte de Terre-Neuve, & it % J | Saint-Pierre et Miquelon ; 4 } 15 francs par homme d'équipage pour les navires expé dié À à la pêche sans sécherie sur le Grand Banc de Terre-Neuy e, dans les mers d'Islande et au Dogger's Bank. D Cette dernière prime pouvait être gagnée autant de f que le même navire était expédié sur les lieux de pêche d le courant de la même campagne. . Le. 10 La 0 Primes à l'Exportation ‘ei 24 francs par 100 kilog. de morue sèche expédié Re colonies soit de France, soit des sécheries de Terre-Neuve ou de Saint-Pierre et Miquelon ; 3: (4 12 francs par 100 kilog. de morue sèche expédiée de France à l'étranger (Italie comprise) ; 10 francs par 100 kilog. de morue sèche expédiée de Terre-Neuve ou de Saint-Pierre pour les pays étran- gers. —, 224180 Primes à l'Importation. LR : 10 francs par 100 kilog. d'huile importée en France. 20 francs par 100 kilog. de rogues importées en France. Le Il serait trop long de passer en revue toutes les modifi- calions qui furent successivement apportées à ces chiffres … avant d'arriver au tarif actuel; nous nous contenterons done LR, de noter les changements qui ont intéressé les amateurs de Ÿ notre port. A C'est ainsi que l'Ordonnance de 1818 a assimilé aux … armements directs pour la côte de Terre-Neuve les arme= ments banquais avec sécheries à la côte qui reçurent, dès lors, 50 francs par homme d'équipage, tandis que les ban- INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 227 quais sans sécherie continuaient à ne recevoir que 15 francs. L'Ordonnance du 7 décembre 1829 porta à 30 francs par an et par homme, la prime d'armement pour Islande, quel que soit le nombre des voyages effectués dans la même campagne. Cette même Ordonnance supprima la prime à l’importa- tion de l'huile de foie de morue. La loi du 22 avril 1832 porta à 30 francs par an et par hommes la prime d'armement pour les navires banquais sans sécherie, qui, depuis l’origine, était resté fixée à 15 francs par homme et par voyage. | Enfin, l'ordonnance du 25 février 1842 établit le mini- mum d'équipage, en interdisant aux navires banquais d’aller à Saint-Pierre et Miquelon pour y débarquer leur morue, afin de gagner la prime de 50 francs s'ils n’avaient pas un minimum de 50 hommes d'équipage pour un navire de 158 tonneaux et au-dessus ou de 30 hommes pour une jauge infé- rieure à 158 tonneaux. Le tarif des primes actuellement accordées à nos pêcheurs a été définitivement réglé par la loi du 22 juillet 1851, successivement prorogée de dix ans en dix ans jusqu'à nos Jours. Voici ses principales dispositions : Primes d'armement. 50 francs par homme d'équipage, pour la pêche avec sécheries, soit à la côte de Terre-Neuve, soit à Saint-Pierre et Miquelon, soit sur le Grand Banc de Terre-Neuve. 50 francs par homme d'équipage, pour la pêche sans sécherie dans les mers d'Islande. 30 francs par homme d'équipage, pour la pêche sans sécherie sur le Grand Banc de Terre-Neuve. 15 francs par homme d'équipage, pour la pêche au Dog- ger’s Bank. LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD Primes d'importation. 20 francs par quintal métrique de rogues de morues € ue les pêcheurs rapportent en France du produit de leur pêche. Primes d'exportation. 20 francs par quintal métrique, pour les morues sèches. de pêche française expédiées, soit des lieux de pêche, soit des entrepôts de France, à destination des colonies fran- … çaises de l'Amérique et À l'Inde, de la côte occidentale d'Afrique et des autres pays transatlantiques. 16 francs par quintal, lorsque les mêmes morues sont à le destination des pays européens el des États étrangers s s les côtes de la Méditerranée, moins la Sardaigne et l PES. 12 francs par quintal, lorsque les mêmes morues sont à destination de la Sardaigne et de l'Algérie. 4 16 francs par quintal au lieu de 20 francs, lorsque les « morues sèches, à destination des colonies françaises de.” l'Amérique, de l'Inde, des côtes occidentales d'Afrique et … des autres pays transatlantiques, sont exportées des ports de France sans y avoir été entreposées. < 2 Pour bénéficier de la prime de 50 francs par homme, les Re armateurs pour la côte, comme pour le Banc, avec séche= É ries, furent soumis à l'obligation d'un minimum d'équipage qui varia à plusieurs reprises. ‘4 En 1892, un décret présidentiel, inséré au Journal officiel. du 14 février, fixait ce minimum pour les navires armés à la pêche au Banc, avec sécheries à Saint-Pierre ou à Terre= Neuve, à : é 4 25 hommes au moins, si le navire jaugeait 142 tonneaux et au-dessus ; 20 hommes au moins pour les navires au-dessous de 142 tonneaux. $ Alors, comme tous nos pêcheurs fécampois embarquent JE dus à >| he AS à 4 V3 dt à. 5 À — INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 229 des équipages supérieurs à ce minimum et que tous ou presque tous allaient verser à Saint-Pierre les produits de leur première pêche, les armateurs réclamèrent et obtinrent la prime de 50 francs. Cette tolérance ou plutôt cette faveur accordée aux ban- quais sans sécherie, ne devait pas être de longue durée. En effet, le Ministre du commerce décidait, 1l y a deux ans, que la prime de 50 francs ne peut être accordée qu'aux armateurs qui possèdent réellement, soit à Terre-Neuve, soit à Saint-Pierre, une sécherie où ils préparent leurs pro- duits de pêche. De tout temps, comme on le comprendra, la question du sel a joué un rôle très important dans une industrie dont les produits, à cause de l'éloignement des lieux de pêche, doivent nécessairement être salés pour pouvoir être rappor- tés en France et livrés à la consommation. Or,on sait quesous l’ancienne monarchie, le sel était frappé des plus lourds impôts et coûtait, par suite, fort cher, ce qui conslituait, pour les armateurs à la pêche de la morue, une charge très onéreuse et souvent accablante contre laquelle ils ne cessèrent de protester dans l’intérêt même de l’indus- trie française. Peu à peu, leurs doléances furent écoutées en haut lieu, et des ordonnances particulières accordèrent l'exonération des droits à quelques ports. C’est ainsi que M. Hautefeuille, dans son Code de la pêche maritime, cite l'arrêt du Conseil du 13 janvier 1739, qui accorde la franchise des sels de Bretagne aux armateurs de Granville, un autre arrêt de la même année, accordant la même faveur aux pêcheurs de Renneville, pour les sels de Brouage. Puis la faveur s’éten- dit et devint presque générale. La Révolution, en supprimant tout impôt sur le sel, fit rentrer les armateurs dans le droit commun. Plus tard, lorsque l'Empire rétablit l'impôt du sel qu'il fixa à deux décimes par kilogramme, la loi du 24 avril 1806 affranchit du paiement de cette taxe tous les sels destinés aux pêches maritimes françaises. 54 Cette décision fut confirmée par l'Ordonnance du 30 ce. ; tobre 1816. 4 Fic. 52. — Navire de Guerre mixte chargé de la surveillance des Pêcheries françaises à Terre-Neuve, < et étaient parfois défectueux pour prépare de bons Prea duits. Aussi, la législation ancienne était-elle allée plus loin : 1 elle avait permis, aux armateurs de certains ports français, de s'approvisionner de sels en Espagne et au Portugal, tout en admettant leurs produits en franchise de tous droits. Mais les salines nationales ayant pris un grand dévelops pement à la fin du xvne siècle, un arrêt du Conseil, en date du 28 mai 1779, révoqua cetle autorisation, La Convention nationale, puis le Gouvernement de. Louis XVIII acccordèrent de nouvelles autorisations. Depuis cette époque, la législation, à varié bien des fois et | it EC à ee Lee Fe ET ONT 0e SOON SN Se 2 7 .. - IL PET PNR VAT OU TE ne 20 P € : INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 231 les procès-verbaux des séances des Chambres de commerce maritime sont pleins de réclamations à ce sujet. La seconde République vint mettre un terme à ce régime de bon plaisir en accordant, par la loi du 22 novembre 1848, FiG. 53. —"° Le croiseur « Le Troude » chargé de la défense des intérêts français à Terre-Neuve. la liberté pleine et entière aux armateurs de s’approvi- sionner de sels étrangers, moyennant le paiement d’un droit de douane de 0.60 par 100 kilog et 4 p.°/, du droit principal. En dehors des encouragements que nous venons de passer en revue et qui, à nos yeux, représentent un strict minimum, le Gouvernement manifeste encore son intérêt pour l'in- dustrie de la pêche à Terre-Neuve en entretenant dans les eaux de cette colonie une division navale chargée d'une double mission. Elle est d’abord chargée de protéger nos nationaux et de leur assurer le libre exercice de leur profession en même temps qu'elle leur prête son concours le plus dévoué en 232 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DE NORD cas de nécessité dans les cas d’avarie, de maladie ou de manque de vivres; elle transmet leurs correspondances et TA les réconforte au point de vue moral : on ne saurait croire … en effet le bien que produit l'apparition du pavillon national sur des gens restés sans nouvelles du pays et vivant depuis plusieurs mois dans une atmosphère constammentembrumée. … D'un autre côté la division navale de Terre-Neuve exerce sur nos pêcheurs une surveillance aussi active que possible tant au point de vue de l'hygiène du bord qu'à | celui de l'observation des règlements édictés pour la séeu- rité des équipages. Des primes de propreté sont accordées … chaque année aux pêcheurs les plus méritants sous ce rapport, tandis que des peines sont édictées contre les capitaines qui ne veilleraient pas suffisamment sur la vie de leurs hommes et négligeraient de munir les doris de … compas, de vivres pour trois jours et d’avirons de rechange. Pour terminer ce chapitre, nous donnerons ici, pour la dernière période décennale qui s'étend de 1889 à 1899, le nombre des navires armés dans les divers ports de France, pee aller pêcher la morue sur les Bancs de Terre-Neuve. Ces chiffres sont extraits d’une petite brochure publiée récemment à Bordeaux par M. H. Hamonet, sur le résultat des arrivages de la morue dans ce port pendant la dernière campagne. 1 Les ports de Saint-Malo et de Saint-Servan sont réunis depuis la campagne de 1898, ce qui semble rejeter Fécamp au second plan. Il n'en est rien en réalité, et dans l’exten- sion si considérable qu'ont prise les armements terre-neu- viers en ces dernières années, les efforts du port de Fécamp ont été tels que nos Normands sont restés à la tête du mou vement. Sous celte réserve, nous suivrons dorénavant la nouvelle classification adoptée par les statistiques. Les armements locaux de Saint-Pierre et Miquelon se composent de 185 goëlettes, pour lesquelles la colonie a fait venir de France environ 4.000 pêcheurs. L 1 + it it à à: | nn | INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 233 Tableau des armements métropolilains pour la pêche de la morue sur les Bancs de Terre-Neuve, 1889-1899 : PORTS D’ARMEMENT. 1889! 1890! 1891! 1892| 1893) 1894 Saint-Malo ......... 31| 28| 28| 27| 23| 23 Saint-Servan ,...... 11! 11! 11| 9! 10! 12 RE ....,.. : : 9! 11| 11| 11| 14! 14 2 << » » » » » » . Slt ns Din Prop TIE LAADDOË 2: .: D TPE FO CHE SEC) DRRUET....:...1:. SPrAL MEN P D Granville.:.,....... 34| 33| 33| 35| 31| 31 Saint-Valery-en-C...| 5! 6! 6 413 PERD: 5... 1 9 DE à Pa 1 HR À 28 LE _ 1: 11.11 VACINNAREERES 44! 43! 43| 41! 37| 36 Légué-saint-Brieuc ..| » | » | » | » | » | » Marseille... ,....,.. 1| » » » » » Paimpol SAVANTES » » » » » » 6... » ln TE 1| » 1 à: > V'ARPER 1371134113411301121|119 Voici d’ailleurs le tableau détaillé des armements terre- neuviers pour la campagne de 1900. ARMEMENTS POUR LA GRANDE-PÈCHE A TERRE-NEUVE Campagne 1900. PORT DE FÉCAMP Navires pêcheurs Armé à Armateurs. 1rEretagne....{,,.1.…. 30 hommes A. Bellet et J. Lemétais. PDF. lee, 36 — 3: Gascogne ....,...,.. 34 — A. Bellet. #4 Bois RO: 52203 30 — | A NÉS Lorie ne: gg: | M: Chédru. MAMIE. EL Le ar ee eee MOMEÉRADGÉ reset 34 — G. Anquetil, 8 Saint-Ideuc.......... 36. — OR ON Tee don 367. — Friboulet. 10 Ci iniore Der 11 Duguay-Trouin ...... 12 Gladiateur . ..….. ANSE 13 Emilie...,....... sue 34 35 30 34 15 Charles-Gustave ..... 30 16 N.-Dame-de-la-Garde., 34 17 Christophe Colomb... 35 18 Turenne ..…. TR 2 TA 30 35 35 20! L'Ange: 555303 21 StAsioise ii Pad 22 Lamartine... .:../.:.. 395 29 Suffren ....... STE 30 Duquesne........... Dm ATEN LT LES ER ESS PEU 37 Raphaël......,.,,... 38 Saint-Pierre ......... 39 Jean-Agathe......... 20 France; 72207032 48 Louise}. 3:1073120.: 51 Magellan....... sève 99 52 N.-Dame-de-Lourdes.. 35 53 Neptune .......,..., 34 29 Boiniss de Chants eL | | | | = Gustave Vasse. Simon Duhamel. | Veuve Ch. Valin.… ns Acher et Fils. Buisson ot Nero ES Le Borgne * Gosselin. : VW TR Ladiray et Caron. is Jwe Malandain. P. Le Borgne et ce, | 4 À À. Chanéerel. ei Emma Leber, Pierre Monnier. Delabrecque. Veuve P. Tougard. a Rousselin et Lelanneur, E- A. Joly. Desprez et Glace. AR. ou: Le 33 hommes 0. 1e 10 OC ERRREERRARPES 36 — ….56-Saint-Hubert . ...:... 1136: Dr Saint-Louis. ,.:1.:.2 . « 58 Sainte-Marie......... 35 5: — ns... 500 30... — 60 Saint-Michel......... BAT — 61 Saint-Jacques........ 32 — 62 Chateau-Lafitte ...... 30 — INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 235 Bard et Savalle. Veuve P. Jouette et Cie. Vandael et. Cie. Louis Eudier. Lion Follin. Pannevel et Godichard. PORT DE GRANVILLE CR... 0. On. ee 25 CE... 24 4 Albert-René......... 26 DES. eu, 31 :. 1: (T0 T'PRNNRERNSSRErE 31 AMIS 1: .:...: 21 2 26 IAE, 2... 26 : 10 Marguerite.......... 25 DPMatDide. .:......... 30 AR 220 2: po 13 Saint-Nicolas........ 31 21-Velleda....., ....., 30 15 Bonne Joséphine. ... 27 LIST EN SRNPENNEENE 30 17 Victor-Eugène. ..... 28 LD PS TERME 21 LUE, OC INR NES 23 AURPOODON. 1, #6. à: 30 21 Dona: buiza. : 0 :,:... 30 22 Etoile des Mers...... 31 23 Jeune Marie.... .... 26 22 Femelly.."..4..1..,2, 31 25 Madeleine...... Fe EE 26 François-Joseph ..... 35 27 Jeanne-Marie........ 26 28 Marie-Louise........ 34 29 Marie-Jeanne ........ 32 30 Reine-Victoire....... 25 el Gabrellé.:.,.,:.::,7: 26 32 Joseph et Rosalie .... 26 33 Hirondelle .......... 25 26 hommes | Riotteau et ses Fils. Lepoulone. Bosquet. Yvon. Lemasson. Touquerand. Jaquet. Verne. Poirier. Chuinard. Jamin. Beust et ses fils. D D on “4 Te À mt Turgot. Le Breton. Reynard. Lamusse. Allain. DONC Qt 34 César-Jean........ RATS SS Hobri A. Le, TR 36 Nod Cowen ..... Te | 37 François-Charles, . ... 32 PORTS DE SAINT-MALO ET DE SAINT-SERVAN 1 Fauvette............ 24 hommes D. AT NET TES 33 ss 2 Ce 32 4 Quatre-Frères........ 28 5 Joseph-Claude....... 32 6 Datevia: in se 26 4 Erasstine 5.554 26 8 Unions, ie 32 9 Rallleuss., 7,625. DR 10 SVNIVRNR, nero 34 11" Lisetie 55e Ce 37 12 :Museties lo Eee 33 18 Yeti ee 32 14 Bernadette. ......... 41 15 Prosper-Jeanne ...... - 28 16 Madeleine........... 24 17 Flindlle::<:..5.52 27 10 dons 2e 2 30 19 Paimpolais.......... 37 DO MAT TT AT 23 NM-Pans: 2: ie 25 22 Casimir-Périer. ...... 30 M OP ITT 30". 4 Emilets site 36 25 Tour-d'Auvergne..... 31 26 Evangeline.......... 22 S7Louvols:::. Di 0: 30 M'A 25 29 Liquidateur ..... ... 51 90 Dub iles ere 49 01 Walkyrio IV. is: 27 32 Survivor......,::... 28 33 Saint-Hubert ........ 36 34 Marie-Eugénie. ...... 26 D HR... Rue 30 36 Georges-René..,,.... 30 37 Marie-Clémentine.... 31 ll MAI + LES FRANÇAIS DANS L'A Pommes | Sécheries du Bouc. “ v-" Lapie. - 40 EN Pannier. He Te Clément. J.-L. Vincent. Thomazeau. s B. Gautier. J. Chevalier. Caujole. S.-M. Legasse et Cr, ‘A J. Legasse. Ed ? J C. Huët et Ci, E. Houduce, A. Lemoine, A. Lemoine. t Landry frères. Hubert. | G. Monier. INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 237 38 Charmeuse .......... 35 hommes On. disease + + Re : 40\Calineuse :.....,.::. PES G. Monier. table... ....: “re 44 Robinson ........... * 29 — H. Mignot. AP EMamant......:..... 32 — 46 Savoyard............ ‘34 — RNA... 23 — _48 Saint-Laurent........ 2 — Busuel: 49/Mimosa. . :.......... 35 — Delacour. 50 Anémonc............ 27 — J.-B. Legasse. 951 Saint-Ansbert........ 30 — Labbé. 92 Mathilda. ........... 34 — Perrigault. 53 Marie-Gabriel..... .. 2 — Hardy. 94 Champagne ......... 27 — Parrot. LAIT PRNESRRERERRE 25 — Laisney. 06 Bassussary .. ....... 34 — 97 Cousins-Réunis...... 33 — MIANATE.....,.....:., 33 — Vidart et Legasse. +9/Garonne ...:,...... 24 — 60 Jeanne d'Arc ........ 30 — , 61 Berthe-Émile ........ 23 — Dale... Mi = a dos hr 63 Séa Flower.......... 29 ® — Revert. 64 Néerlande........... 32 — . CD mantais... !.....).. 61 — Saint-Mleux. 66 Victor-Hugo......... 27 — ; 67 Marie-Emihe-Andréa . 24 — L. Mazier, NID se dons 03 28 — ) at LU OPA TERRES 25 : — L. Coste et Cie. 10 Agile. ..:....., AR 29 — 71 Sans-Peur...... .... 37 — 72 Ile-de-Terre-Neuve... 33 — | 73 Père-Jacques........ 32 — Guibert et fils. 74 Sans-Souci.......... 71 — | 75 Martin-Pêcheur...... 45 — 76 Saint-Joseph......... 32 — Lessard. PA Hosldieu: 14/2: 22 — Bily. 78: Mignonne:..::....:. 26 — 79 Commandt-Marchand, 34 — } 80 Georges-Paul........ Le Re? G. Gautier. ab) Gianeur., .:. 7. 32 — A Agatha.:,.:.,., RE x P,. Huët,. 9 : FA Ê. 4 ". , rt ti ! hs Ne De r£ ES S TL ed pt x0 SE {2 ll ‘5e mc DANS ns 4. T'Arniatde,. 5040, 7 23 hommes) ; -2 Jeanne d'Arc... ....: 720 — ss J.'Lessard. 3 Fais tisse sn M = > 4 Anna-Maria ......... 2% — Robin. 5 Sea-Bird..... PAT T1 22. — Jacob. 6 Magdeleine-Davoust.. 25 — Herclat. d'Or ET re et 2% — Pottier. 8 Indiana. ....... …... 26 — L. LehoërfF, 9 Marie-Augustine.., . 25 — Girard. 10 Faucon ...... ra ta 25 — Mahé. 11 Gustave-Henri 20 — Besnard. 12 Croissdbs .:: due Dr Clément. 13 Étoile des Mers... 25 — Boscher. En 14 Amédée........ RTE - J.-M. Lehoërf, K. 19 Alle... 874 ADUUE Re Baudouin et Ce. Eat 16 Marguerite... RL = Perrigault, : C0 17 Saint-Antoine........ BB ,— Lehoërff aîné. 18 Dacquoise........... 22 — Jolivet. PORT DE DAHOUET 1 Mathilde............ 28 hommes Léon Cartatté À PORT DE BINIC 1 Jeune-Anna .,..... .. 35 hommes v 2 Gauloise...:,...... + 35 — ne À RÉCAPITULATION Port de Fécamp. ........... 62 navires, — de Granville.,........., _37 —: — de Saint-Maloet St-Servan 82 : — — de Cancale...:......... 18: — — de Dahouët ............ 1 — Ai. 0 HS RER PR 2” — Total... 202 navires. Contre 183 navires en 1899, 177 en 1898, 160 en 1897. L'armement colonial de Saint-Pierre et Miquelon et: 193 goëlettes contre 184 goëlettes en 1899, des en 18 et 216 en 1887. EL: RS PT PR EE TR OT LE EE INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 239 Pour la campagne actuelle de 1901, les armements métropolitains ont continué leur gradation ascendante ; c'est ainsi que Fécamp a vu sa flottille passer de 62 à 68, en même temps que les équipages deviennent plus nom- breux sur chaque bâtiment. Mais nous n'avons pas encore les chiffres complets pour les autres ports. Les dernières statistiques officielles qui ont été publiées pour l’année 1897 par les Ministères de la Marine, du Com- merce et des Finances, tant sur le commerce général de la France, que sur les pêches maritimes, nous fournissent des renseignements précieux qui nous permettent d'établir, par des chiffres exacts, l'importance qu'a acquise de nos jours en France, l’industrie morutière, et la place que Fécamp occupe parmi les ports intéressés à ce commerce. Importation. D'après le tableau général du commerce et de la naviga- tion en France pour l’année 1897, le poids total de la morue salée et séchée qui a été importée en France au cours de cette dernière année et provenant tant de l'étranger que des colonies et des lieux de pêche, s’est élevé à 54.971.198 kilog., représentant une valeur de 25.737.039 francs. La presque totalité de cette énorme quantité de poisson provient des pêcheries françaises qui ont fourni pour leur part 54.925.567 kilog., représentant une valeur de 24.717.405 francs. Le contingent étranger n’a été que de 43.631 kilog., représentant 19.634 francs et se répartissant ainsi : TRS CONS PR ME ANIEPRSE 22.594 kilos. Lt UE M AE EE 9.135 — Autres pays étrangers. .... .:.. 11.902 — Pendant la même période, le commerce spécial du stock- fish, alimenté exclusivement par l'étranger, comprenait à 240 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD l'importation 382.546 kilog., représentant une valeur de 306.037 francs, et se décomposant comme il suit : à Norwège. ..: rer he 143.128 kilos. HRORMEerTe: . "Me CE 22.587 — ANGMAGRE. :..: 16454200 . 144.931 — Pays-Bas. 42,: pe mater 66.654 — Autres pays étrangers......... 5.246 — Ainsi complétée, l° importation étrangère de la morue en France ne représente pas même un centième du commerce - qui se fait de cette denrée. £- Cette faible contribution de l'étranger dans le commerce d'importation de la morue en France s'explique facilement par les droits prohibitifs dont les poissons étrangers sont frappés à leur entrée en France. Cette importation ne peut se faire qu'accidentellement. Au point de vue du transport, c’est encore la marine française qui l’accapare presque entièrement, et cela se - comprend d’autant plus facilement, que la plus grande par- tie de cette morue est rapportée des lieux de pêche, direc= tement en France, par les pêcheurs eux-mêmes. S Voici d'ailleurs les chiffres officiels donnés par l'Admi- 4 nistration des douanes, pour 1897 : Transports par navires français.... 55.132.223 kilos, — par navires étrangers... 205.634 — — par terre....,6..54tt0 15,598 — L'importation de l'huile de morue pour le même laps de temps a été 2.412.441 kilog., représentant une valeur de 2.050.575 francs, dont la moité seulement, soit 1.217.306 kilog., provient de la pêche française. Le contingent étranger qui forme l’autre moitié de l'im- portation totale, se décompose comme il suit : Norme. = Dar arte 96.827 kilos. Angleterre, s: 170% rc 234.562 — "OESF ‘OOULIX US SONIOU SO] quejrodure J9 ao1q-quieS & simoyood so] juejiodsuea} 10111n07-SU0"T 9P od IL, *JOTUOAT) *f oureyrdes ‘«ueypns » 97 — ‘yc Di] E © CA = T © a — = “2 È = —_ LA 2 = T A = = Os 5 = Re Ll Ÿ = 242 LES FRANÇAIS DANS L'AMÉRIQUE DU NORD | 3 L Allehagne.:... "1106 = 39.366 kilos. 4 PRES SES =. 0:10 ns 812.790 — 3 Autres pays étrangers NE EE l'AEES — À Bien que ces ehiffres aient été pris dans un document officiel dont les auteurs ont isolé les huiles de morues des autres huiles de poisson, nous avons la ferme conviction que la majeure partie des 812.790 kilog., portés ici comme importation des Pays-Bas, n'est autre que de l'huile de hareng. L'industrie morutière hollandaise n'est pas assez développée pour fournir une si grande quantité d'huile de morue,'tandis que ce pays fabrique, au contraire, une très grande quantité d'huile de hareng. __. La même remarque pourrait être faite pour les autres | importations d'huile. Il en résulterait que la part contributive de la PS dans les entrées de l'huile véritable de foie de morue, est relativement beaucoup plus importante que celle qui sem- … blerait ressortir des tableaux statistiques du ministère du Commerce. Exportation. Le tableau général du Commerce et de la Navigation, pour 1897 accuse une exportation totale de 22.585.454 kilog. de morue, représentant une valeur de 11.292.427 franes, et 40.355 kilog. de stockfish valant environ 34.302 franes. Voici, pour ce qui concerne spécialement la morue fran- çaise, le détail de ce commerce suivant ses différentes des- üinations : 1° Pays étrangers. Ponineul- TS die 170.547 kilos. Hapagne:: 244% 47e te: 7.272.248 — À 17 ROC ONE E e Ÿ 7.688.086 — Gé, = CS 1.925.051 — D : INDUSTRIE DE LA PÈCHE ET PRÉPARATION DE LA MORUE 243 Turquie... ....:.:.......... 133.319 — Égypte Re es SGA re dd Re tel. dn ht ste” 2 nn” Sotééiind tin TABLE DES MATIÈRES M RP PET PE LAN PRE FPE CHapirRe PREMIER. — La découverte de l'Amérique par les Basques français .......... PR ET EN CS EN EE Cuap. II. — Le démembrement de l'empire colonial français d'Amérique et le « French-Shore » de Terre-Neuve....... AT Cnap. III. — La pêche à la côte de Terre-Neuve depuis la décou- verte du pays par les Basques français jusqu’à nos jours...... Cuar. IV. — La pêche errante sur le Grand-Banc............. Cuar. V. — Pêcheurs pendant la paix. — Corsaires pendant la SR MN PC ss. Cuar. VI. — La pêche au Banc pendant le xix° siècle... Cuar. VIH — L'industrie de la pêche et la préparation de la an Lee le D eur ciao de in do Cuar. VIII. — Saint-Pierre et Miquelon nm Cuap. IX. — L'assistance des marins-pêcheurs. — OEuvres de Mer. — Caisse de secours aux marins. — Assurances, etc.... CoxcLuston. — Le maintien de nos droits au « French-Shore » de CR TR EN vtt tn re ACER MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS 13 37 47 . 77 111 139 169 245 UNIVERSITY 0 TORONTO LIBRARY Do not ; À from this \ Pocket. + ] L] Er] ( >” 3 1. £-1 i Lee] Sa 5 E CA © = + Sa L G =] & Can | Les) Le Lee] S oO 40 227 La] Le | re) Fe] 5 bÿ -Acme Library Card Pocket Under Pat, ‘‘ Ref, Index File.?? __ Made by LIBRARY BUREAU Author