f- *;■

, 1

f 1

'f

V^j'

•y .>■

s

s

>

*^'

^S-'

>

ia

4'

t •'i.

^«*.

vi>

^.:>M^:

L'AMI

DES HOMMES,

OU

s

TRAITE

DE LA POPULATION.

NOUVELLE EDITION,

Augmentée d*une quatrième Partie ôc de Sonàriiaires.

PREMIERE PARTIE.

wz SEPT çmr cmgy.i^m^_mi/F^

r

M'

'V

2'*

' ^'^ mm é% ^^ ^^

AVERTISSEMENT.

T'ENTREPRENDS de traiter 4/ ici /e /?/«5 «ri/tf & le plus in-^ térejjant de tous les objets d* ici-bas pour Vhutnanïté^\2i Po-* puîation. Prefqu' autant de gens ptnfeht eh connoître les principes moraux \, qu'il y en a qui en em-^ ploient les reports phyfiques i & cependant j' annonce que mes prin-^ cipes -, que je -crois vrais ^ font ainjî que rrîes.conféquences y dia-^ métralement oppofés a prefque toutes les idée ^ que j'ai trouvées, ^dans le monde fur ce Chapitre^

Toutes les fois que dans lescon* verfations j'ai hai^ardé ctavancer ^luelques-unes de mes idées à cet igard j j*ai vu d'abord qu'elles fLoient regardées comme le plus

ai;

■fr^il

îv AVERTISSEMENT.

étrange paradoxe^ Quand enfuke mes audiieurs ou ma propre vi^ vacité m^ont donné le temps d^éta* hlir mes principes ^ 6* d'en motiver les conféquences jfai vu très-promp-* tement l^effet de la démonjiration, dans ceux qui niécoutoient ; mais ce n'ejl point ainji que les idées générales peuvent être déracinées r je le fçais ^ & en conféquencc n'ayant jamais confacré mon loifir qu'à l'utilité j je crois pouvoir mettre au nombre des ouvrages qui fontfortis de ma plume inconnue , & qui m'ont donné lefecret plaijir de les voir quelquefois réujjir j un Traité fur cette matière j mey idées foient en quelque forte déve- loppées, C'ejl ici qu'on pourra mt juger. Qui m'aura lûjufquati bout me lira peut-être enfuite par par celles j qui ne me lira point ^ m met au nombre de tant de boni} Ecrivains ^ que je l'en remercii j, £ avance, | ^

La Population eft-elle utile ((l i mvi"** II' fi^bk au premier coA ^,

' k

AVERTISSEMENT. V

â^'otil que cette queftion foit Véqui" valent de celle-ci : Le foleil éclaire- t-il ou non ? Mais on verra que ^arriverai d'inductions en induc^ tionsjufqu'à une Morale aujlère^ que je révolterai bien des gens. Je vais créer une infinité d'hommes i que- d'embarras pour les gouver^ ner ! Je vais les rendre laborieux & riches - combien de gens m'ont dit fagement qu'il ne falloit pas que le peuple connût une aifance. qui le rendait inf oient l Je vais diminuer le nombre des chevaux & des équipages _, & mettre leur aug-- mentation au niveau de l'incendie & du parricide ; je vais prouver enfin ^ ouï ^ démontrer que le luxe efi j proportion gardée j Vabyme d'un grand Etat plutôt encore que d'un petit. En fiuppo/ant donc que- mes principes fiaient avoués ^ qu'ils fe trouvent exactement liés les uns aux autres ^ & que les conféquences en fartent naturellement y combien de gens en qui la corruption du cœur n'a pas offufqué les lumières d€ re/prit ^ VQudroient peut-être^

* »

Y} AVERTISSEMENT, revenir en arrière ^ & foûtenîr ^ attendu qu'ils tiennent dans t Etat actuel le haut bout ^ que t homme eji plus heureux étant au large ^ comme on ejl aujourd'hui j que s il Je trouvoit ferré par ma nouvelle peuplade ! Mes très-chers& très" doux Epicuriens ^ vous êtes plus dangereux en France ^ que par^ tout ailleurs^ ou la mollejfe abru" tit s ici elle rend l'e/prit faux & délicat j & c'en ejl ajfe'^ pour être prophète parmi nous,

Cefi à vous donc que je parle $

& je dis qu'il eJi bon d'être plu"

fleurs erfemble. i^. de peur d'être

mangés des loups : i°, afin que les

ions cuifiniers foient moins rares»

3°. Que de belles voix ^ & de jolies

filles naîtront parmi cette colonie

que j'annonce ! F^oilà tout ce quiE

vous faut _, je vous le promets ^'^

foye^ tranquilles ^ & nous laijfe^

■Jpéculer j nous qui ne valons pas

la peine de nous aimer nous-mê'

mes ^ mais qui aimons nos frères

& leurs neveux j qui aimons P homme

AVERTISSEMENT. vi|

comme le plus utile j le plus ai" mable & le plus reconnoiffant des animaux , & le plus propre à tout genre deplaifîrs j de travail^ d'em-- belliffement & d'utilité,

La voix de Vhumanîté qui re^

clame fes droits , demandoit un plus

digne organe j je Vai fenti ; mais

mes idées ne jont point celles d'un

autre : la vérité e]i infinie. Je ne

penjè pas avoir ouvert la carrière^

je me flatte encore moins de la

fermer. Le dirai-je ? /'incognito

que je garde , me facilite une forte

de relâchement, C'eft avouer que la

charité efi moins active que r amour'

propre. Oh l Mes Semblables ^ fort'-

de:^ fur cet article votre propre

cœur y avant de me jetter la pierre^

De tout temps je me fuis pref crit de ne rien donner au publit qui pût n avoir trait qiia moi ^ ^eft-k-dire^ a la forte de confidé- rationj qu'il eft naturel qu'un Au- teur efpere retirer de fon travaiL En cela j'ai plus conjulté la pniz

a iv

^11) AVERTISSEMENT.

dence & ma pareffe j que la mode'- ration. Habitué à écrire très incor-i reclement ^ les foins nécejjaires pour retravailler un fiyle quelque^ fois original^ mais toujours louche & défeSiueux , feroient une fatigua pour moi ^ qui fus fur-tout enne-' mi de la peine. Ce vice de Cefprit ^ qui porte fur toutes fes opéra- tions j doit naturtllcment fe fairéi fentir plus défaramageufcmenten' core que par- tout ailleurs j dans un ouvrage de longue haleine j & qui roule fur des quefions de rai- fonnement autant que fur des points défait Le Jiyle de ce Traité four^ mille de ce genre de défecluojités ^ je lefens autant que mes Lecteurs ^ mais mes affaires & mes amis ont hefoin de moi j& le peu de temps qu'on me laijffe ^ eji mieux em^ ployé à compofer _, qu*à n^appe* fantir far des révifons de ftyle^ Parmi tous les défauts de celui-ci on trouve des traits & des véri^ tés. Celles-ci qui font le fonds ds cet Ouvrage ,/bnt aune importance trop abfolue pour l'humanité ^poitr;

"Avertissement. î^-

q^e mon amour propre Je foit cru autorïfé à les enfeveîir dans VoU' ML

Ce nefi pas que je regarde le plan entier que je femhle pré/en- ter^ comme un fyfieme ahfolument pratiquable dans toutes fes parti es ; je fuis peut-être le moins imagi- naire de tous les hommes dans le fait. Je penfe que tous les principes établis dans cet Ouvrage font vrais , & je fer ois fort aife d^ avoir à tes défendre; mais il ejl fur- tout des points principaux j dont la nécef" pté ejl urgente & abfolue.

Je n offre pas ici une * tecturc d amufement. Indépendamment du férieux du fujet ^ il demeure dans la façon dont il ejl traité ^ un air de défordre que je nai pas eu la force de corriger. Outre ce que mon naturel y a apporté de ce genre d'imperfeciion jy il eft encore a ux variations furvenues dans la co k- texture du plan. Je t entrepris d'à kord dç,m la form€ d\un Commm

x' AVERTISSEMENT.

taire libre fur un Ouvrage exceU lent que je pojfédois alors en ma» nufcrit ^ & que je voulais donner au Public, Cet Ouvrage parut ^ avant que j'eufje entrepris la troi- Jîéme Partie ; cela me détermina à changer la forme mon Ou^ vrage ^ & à rajjembler fous des titres à moi des morceaux épars & négligés que j^avois laijfé couler de ma plume, La première Partie fe fent fur-tout beaucoup de cette réfaciion , & je crains que la forte de déf ordre _, qui y règne j ne re^ bute mes Lecteurs, C'ejl pour eux plutôt que pour moi que je les prie di aller jufqu' au bout ^ & di attendre du moins à ta troifcéme Partie à me juger définitivement.

•«^ JBf ^

TABLE

DES CHAPITRES

Contenus dans cette premiêrePanîe^

Avec les Sommaires des matières qui y font traitées.

Chap. I. Société j Riche (Jes ^ Pag. ï Animaux fauva^es , Animaux

domeftiques, z

Cupidité & Sociabilité, 9

Seul moyen d'enrichir le peu- ple, 14 ■Ncceffaire, Abondance , Su-

perfm , if

Ce que c'eft que la Richefle , ai

Chap. IL La mefure de la Sub- Jîjiance efi celle de la Population y if

La multiplication d'une efpèce ne dépend pas de fa fécon- dité, 2g

Moyens de fubfifter, mefure de la multiplication , 3 9

Maifons Religieufes ne font prin- cipe de dépopuiaûon ^ 44

TABLE DES CHAPITRES.

Chaf. IIL L"" Agriculture qui peutjèule multirlier les fuhjifiances ^ ejî le pre- mier des ans, 58

Plus voys faites rappori^er à la terre » plus vous la peuplez, ^7

L'Agriculture , de tous les arrs le plus focia'ole , 80

ChAp. IV. Avantages de la

France relativement à

r Agriculture ^ 8 1

La France plus avanngée qu'aucun autre Etat pour l'Agriculture, 8/

rifle^Gélée, 9^

ChAp. V. Inconv miens qui font

languir V Agriculture _, 95^

Plus une fociété s'étend , plus l'Agriculture cefFe d'y être énervée, 10 i

Tribunal de h dévaflation, loy

Voyage chez les Hottentots ,115

Le plus ultra devife de l'hom- me, iif

Raifon de préférer les biens en fonds de terre , m

Raifbns qui nous font dédai- gner les terres, 128

Déception fur l'ancien état de U Monarchie j ' 13 1

.TABLE DES CHAPITRES.

// faut que les peuples /oient pauvres , axiome de gibet , i4f

Difperdiciôn des terres en parcs , jardins , &-C. ijq

Multiplicité & trop grande largeur des chemias , léi

Chap. VI. De la nécejjïté & des moyens (T encoura- ger l'Agriculture ^ i^§ Aimer les Grands , Honorer les médiocres , Appuyer t\ les petits , i6^

Platitude infpirée à un très- grand & très - excellent ^- Pfince , 17^

Ridicule jette fur les Gentils- hommes campagnards, cri- me d'Etat, i8« Apologie de la gaieté de la

tablié, 188

Çrand Seigneur bienfaifant,

& campagnard, i^é.

princes avares , Peuples heu- reux, 20*

^HAV.'Vlh L'emploi que Von fait des terres dépend des mœurs & ufages ^iii

■^ . . Mieux vaut entretenir des

hommes que des chevaujt, 214 Nobkffe, 21 4

TABLE DES CHAAITREJi

L'échange des propriétés n'eft point commerce , 217^

Utilité de l'exclufion des fiefs pour la roture , 151

Méfailiances , 242-

Capitation fur les chevaux, i/o

la campagne eft riante , Profpérité, 257

Difcoursd'un barbare au Roi,2^2r

Moins de Nobleffe à Paris qu'il n'y en avoit autrefois , 16S

Paris s'eft étendu en pierres & jardins , & nullement en hommes , 2^9

Quels maux font les plus à craindre dans une grande Monarchie , 277

Palliatifs , pire des recettes pour Un grand Etat, 285

Population de Paris vient à rien , 289

ïnconyénien.s de l'inégalité des fortunes, 29}

Colonne des emprunts , co- lonne des rembourfemens j tout d'un coté , rien de l'au- tre , ^ i9r

Liberté confifte dans l'autorité des Loix , & dan>^ la fagelTe du Gouvernement, 505

Eftime deseaiplois en épargne la folde , 318

Le genre de fervices décide du genre de falaires , ^zf

TABLE DES CHAPITRES.

Les bienfaits pécuniaires des Princes n'ont jamais fait que des ingrats , 351

,Chap. VIII. Travail & Argent,'^ 1 5

Degré d'efHme due à chaque profefîîon, 541

Suî profufus , al'ienî appetenSy devenu la devile de tour le monde, ^6%

Le relâche des Fêtes n'efl: nuifible au travail que par _ la corruption , 57f

Les richefTes fe trouvent par- tout où il y a des hommes , 38/'

fin de la Table de la /, P#

L'AMI DES HOMMES,

O U T R A IT E

DE LA POPULATION.

CHAPITRE L

Société ^ Richejjes^

Eci n'efl qu'une intro- dudion , j'établirai j quelques principes fon- b damentaux très-abrégés , attendu qu*ils font prefque tous re-» b.attus,nnaisindtrpenfables avant que d'entrer férieufement en matière.

Si rhomnne pouvoir voler , je airois qu'il eft la plénitude du régie animal. Le plus vivace des animaux , il eft encore le plus courageux , le plus fort , le plus

A

1 Traité de la Population ^ adroir, le plus .nbflinent , & celui de tous, qui fait le plus aifément parure de tour.

On divife communément le ré- gne animal , pour parler le langage des Phyiiciens , en deux genres Animaux principaux 'j animaux fauvoses &c

fauvages , ; n- r^ j r

Animaux ^'"'^/û"-^ domejtiquesS^tiXQ divilion iomeftiijues. eft défedueufe , en ce qu'il eft peu d*animaux domeftiques , qui ne puiiîènt devenir fauvages : mais en les confidérant d'un autre fens , on les peut divi(er en deux claHes j animaux foïitaires _, animaux fo^ cïahlcs. L'homme efl: affurément de ces derniers. Il n'y a pas de vérité mieux démontrée que celle qui Teft par les faits. Partout Fonavû deux hommes /eulement, •on les p. affurément trouvés en- semble en même gîre ou repaire.

l>'in(lin(fl de l*animal foliraire lui nK)ntre fbn avantage à erre feul. ?L*in{lini5b de l'animal fociable le porte à faire nombre avec fes fem- iblables. Jufques-là Thomme neâ ^qu'animal ; mais tout animal eS

âYii^ ^.^ c*eft,€açela..^jîe riiîfliajft

Société ^ niche [j es, f

éo Thomnie commence à fe dif- tinguer &" à s'érendre jufques à rincelle(5i:. L'animal eft avide du préfent Se du préfènt momentané , rhorame eft avide du préfenc Ôc fans bornes: il Teft du palTéjdans lequel il fe cherche des titres de polîèlîîon , des ayeux , des anna- les; il Teft encore du futur, quïl ambitionne au - delà de fon éxiC" tence. H eft avide de tout , ôc tandis que la naaire d^une part le force à Ce réunir à Ton ferablable, Tintelled lui fait d'autre part fentir quil s'appuie fur fon rival , fur l'ennemi naturel de toutes Tes pré- tentions.

Ce n'eft pas ici le lieu de confî- dérer cet intelled comme un pré- fent de la Divinité, deftiné primi- tivement à des fondions toutes nobles & dignes de fon origine^ OLa trace d" cette inflitution pre- mière fe montre à la réflexion » plus encore qu'à la £o\ L'homme le* plus barbare s démêlé par des yeiix perçans , lailîe voir au Spec- tateur le germe de vettus qui ns

À ij

^ Traite de la Fopuhtion, tiennent rien de la nature animale;. La générefiré , la confiance , le refpeâ: pour. les. vieillards , ramour filial , & tant d'autres ^nc des plantes étrangères fur yn fol pat lager nécefîîré à un entretien jour- nalier,,& qui marche à chaque inftant vers la jdeftrudion ; mais ç'eft rhomme brute que nous coii- iîdérpns uniquemenr en cet h\Ç- . t^nr.

Il ne feroit pAS, étonnant, que le .meurtre fe fût trouvé entre les 4eux premiers hommes égaux en âge & en dignité, ç.n eHet, les plus anciennes annules de l'huma- nité nous l'annoncent comme Ijg premier des .crimes cont%e la ip- ciété.

Il réfulta de ces deux principe^ contraires 5 & tous. les deux dans cla nature , defquejs l'un rapproche l*homme de fon femblàble, l'autre Je lui fait regarder comme ennemi, ,.^ue les Igîx concernant le partage -4çs bfens , ont être les premié* •ies de toutes & les plus indifpe^»

*t--'

Société ^ Èîcheffes, f

On en trouve en effer la tracé dans toutes fociétés préfentes 6c partees , même les plus informes. Dans les fociécés errantes , comme les hardes de Tartares, les campS dTndiens , &:c. qui tranfmigreiit avec leurs familles & leurs bèf^ îiaux , le Chef qui les conduit règle les limites de chacun autour du camp. LesConquérans partagèrent 3e territoire de leur conquête, les Fondateurs celui de leur ville. En un mot 5 le partage* des' biens eft îa première loi de la fociété, & le tronc, pour ainfi dire 5 de toutes les autres \q\% : qu'on m'op- pofe pas l'exemple dès Sauvages qui vivent en commun de lachafïe èc de la pêche. Ces peuples doi- vent être regardés comme une feule ^<. même famille qui jouit d'un ter- ritoire immenfe , & qui en difputè lés limites par des guerres cruelles avec des familles voitines. On pourroit même afTurer que les Sau- vages les plus brutes ont des pro- priétés reconnues entr'eux , des atcs , dès flèches , des cabanes , &:c:;-

A iij

0

é Traite de la Populadon, La petireflè de ces fortes d^objefs proportionnés au peu de befoîns de ces peuples , les a dérobés aux yeux de ceux qui en ont parlé autre- ment.

La propriété une fois établie a fes abus, comnie tout ici bas , & Tinégaliié des fortunes en eft une fuite indifpenfabie. La force. Tin- duftrie, le bonheur , Téconomie groffiiïent un héritage, & les dé- fauts contraires diminuent l'autre. Cefl: ainfî que le territoire entier de la fociété pafle dans les mains d'un petit nombte , & que tout le refte vit dans une forte de dépen- dance de ce petit nombre , foit à fes gages, fbit comme entrepre- neur du maniement des fonds 6c de leur produit.

Telle eft la fociété nai(Tànte & croifTante. Voyons-la maintenant s'étendre & prendre la forme d*Erar* Les Incas , feuls Souverains qui foient fait un grand Empire au pro- fit inconteftable de l'humanité j réunirent plulîeurs de ces familles errantes & fauvages , donc nous

Société j Richejfes, f parlions tout-à-rheure ; donnèrent à chaque canton des loix utiles ; leur enfeigiierent l'agriculture ; les rafTemblercnt en un mot , ôc firent un corps immenfe. Mais vaine* ment voudroit- on maintenir un corps fans alimens. La nourriture de l'homme ne fe peut tirer que de la terre -, la terre ne produit que peu ou rien , qui nous foit propre > îans le travail de l'homme. La population & ragriculture font donc intimement ôc néceflairemenc iiées 5 & form.ent enfembie l'objet principal d'utilité première, d'où liai (lent tous les autres. Confidé- rons d'abord la population fous fon premier poin: de vue.

Les haniaux ôc les villages fotit l'habitation des cultivateurs des ehamps , ôc de ceux d'entre les propriétaires qui font obligés de les faire valoir eux-mêmes. Les bourgs font dune part des villages, dont le territoire eîc plus connaJ- rableide l'autre, ils font le féjour des petits propriétaires qui peuvent s^écarter de leurs fonds , ôc qui en

À iv

s Traité de la Population» ont allez pour que la rente que leur en fait l'entrepreneur ou fer- mier 5 les fade fubfifter dans le voifinage ; comme ils font aufîi Tentrepôt du troc intérieur du can^ ton , & de réchange du fuperflu avec le néce(Tair.e, qui eft Tame de la fociété. Les villes font de gros bourgs , féjour de Tefpèce des pro- priétaires qui font encore plus dans Tindépendance que les premiers 9 qui fe raiTemblent pour le plaifir ou pour les affaires. Les villes font aufîî le féjour des Tribunaux de Juftice, & de tous les entrepre- neurs de détail , qui font employés à fournir les nécefîîtés Se commo- dités aux habirans & aux étrangers que de femblables motifs plus paf- fagers attirent à cette efpèce de rendés-vous. Les Capitales enfin font le fcjour du Prince , des grands propriétaires qu^atrirent la faveur ôc les emplois dans le gouverne- ment. Elles le font des grands Tri- bunaux , des arts , de la magnifi- cence 5 du fuperflu.

Tel éft le tableau extérieur de la

Société j, Riche ffes, ^

population. Ceft ainfi que tduc ici- bas va par hiérarchies & par échelons , comme les marches d'un efcalier , qui toutes font également néceffaires à la perfe6lion , mais dont les plus bafles, indépendam- ment de l'utilité commune , font deftinées à fupporter tout le faix & Tenfemble , & conféquemment* méritent plus d'attention , à pro- portion de ce qu elles fe rappro« chent de la bafe;

Après avoir confidéré îa fociété dans le phyfique 5 examinons -la maintenant dans le morai.

La réunion forcée des deux mê- mes principes antipatiques que J'ai notés ci-defTus , fçavoir la fociabi- Itté d'une parc , & la cupidité de Tautre , caufe ici - bas les mêmes contradictions. Ce font deux troncs qui fe ramifient à Tinfini ; l'un porte les vertus, & l'autre les vices.

La fociabilité a inventé & placé cupîdîte i par ordre l'attachement à fes pro- ^odabiiuç^ ches, à fès amis , au public, à la patrie, au gouvernement, & toutes les vertus de détail qui iiluflrenc 1^

A T

lo Traite de la Population, vie privée, & rendent rhéroïfme aimable.

La cupidité vomit au contraire l'envie , Torgueil , la violence , la fraude 5 la ctuauté, & tous les vices qui déshonorent Thumanité , & la rendent plus profondément incom- préhenfible encore en mal qu'en bien. On verra dans la fuite que loin de profcrire entièrement la cupidité , projet idéal fans doute y. puiique rien de ce qui eft dans la nature ne peut être détruit, je lui trouve une direction utile à la fo- ciété. En effet, l'Etre fuprêmen'a rien mis en nous d'entièrement mauvais; mais dans la fpéculation préfente je ne confîdere la cupidité que telle qu'elle montre à nous par fes efîets les plus ordinaires.

Ce point de vue nous meneroîc à Tidée du bon & du mauvais principe j erreur pardonnable à l'ancienne Philofophie , qui n'a voit pas comme nous l'avantage d'être guidée dans fes recherches à tra- vers le cahos de la nature humaine par un trait perçant de lumière

Société j Rîchejfesi ï I ' tévélée. Nous Tçavons aujourd'hui que ces deux principes du bien &c du mal fi diftants en apparence 3, partent néanmoins de la même îbuche , fçavoir d'un arrêt de dé- gradation forcée 5 qui nous laiflanc toute retendue & tout le refTorc d'une ame préparée pour une deP tination tcut autrement noble 8c pare, & y ajoutant encore l'inqùîé- tude proportionnée m déplacemeni: acftuel 5 nous a livrés d'autre part à i'épaiflîiïement , aux befbins , aux erreurs de la matière ; de forte que i'illufion eft toujours en préfence de nos defîrs à côté de la vérité. De ces deux objets le fécond mena au bien , l'autre au mal ; ainfi notre ardeur à courir dans des routes d diverfes part du même principe dirigé finr la vérité , ou ép;aré par Tillufion, c'eft-à-dire, de Fimmen* iîté de l'ame.

C'eft ce qui a fait penfer avec quelque raifon que le fcélérat Se le héros étoient en quelque forte de la même étofïe , Se que l'excès" dans chacun de ces genres fi op-

A v)

Ji Traité de la PopulatiorT. pofés , fuppofoic une égale force àé reflorcs, de la direction defqaels un rien a fouvent décidé.

Cette vérité de fpéculation eft de toutes les connoilTances la plus utile dans la pratique. D'une part , elle nous rend dans la fociéxé com- patiflants pour les vicieux; moins aufteres , moins durs , plus hu- mains 5 moins préfomptueux, moins fufceptibîes d'orgueil : de l'autre > elle nous fait fentir dans les places que les foins & les travaux du courant ne font qu'un bas détail ea comparaifon du premier des foins, qui eft le maintien des mœurs.

En efîèt, dès que le Souverain (que je ne cite ici que comme la plénitude de la puifïànce , compre- nant fous fon nom tout ce qui a l'autorité parmi les hcmmes ) dès que le Souverain, dis- je, fera perfuadé que la fociabilité & la cupidité exiftent & fe combattent comme deux élémens contraires dans tous les hommes ; qu'il aura compris encore que les mœurs ^ ufages & opinions décident en gé'i

Société ^ Riche (J es, vy

lierai Tinquiétude humaine vers Celle de ces deux afFedions rivales qui trouvent en vogue dans la focîétéj que marchant par grada- tion ; il aura fenti que c'eft lui qui peut enchaîner celui de ces deux «lémens qu'il voudra , <Sc donner carrière à l'autre , certainement le réfukat de cette fpécuîation au(E fimple que férieufe fera d^ ne fe connoîcre qu*un devoir , qui ed de marcher en tout & par-tout 6>c jufques dans Tes moindres aâ:ions- vers la fociabilité , & de fe détour- ner même avec afFeâ:ation , s'il eft poiîible de la cupidité. Celle - ci i/eft jamais riche de^ce qu'elle poffede, elle eft toujours pauvre de ce qu'elle defire. Dans les vues de la fociahilité au contraire ^ comb- ine il n'eft queftion que de fe réu- nir , chacun apporte tranquillement {on contingent à la malle ; riche de ce qu'il y fournit, il nefl pauvre que de ce qui manque à fon con- frère ; & comme malgré route ha- bitude de confraternité, nos befoins. firués en la perfonne d'aurrui {bat

1 4 Traité de la Population^ toujours très -bornés , il ne faut pour nous (àtisfaire fur cet article Seul moyen que la vie & le vêtement. Il n'efê p/imie^. ^u'un moyen d'enrichir un peuple 9 c*efl: de le tourner ve^ la focia- bilité. Ouvrez les annales de Thu- manité, vous y verrez que de tous les peuples & dans tous les temps , aucuns n ont vécu plus durement, n'ont cependant été plus attachés à leur façon d'être , & ne fe font en confequence eflimés plus riches, que ceux qui ont vécu le plus en commun.

Ce n'eft pas afTez fans doute de pofcr des principes , il faut fur-tout les démontrer. Celui qui attribue à la cupidité tous les maux qui ravagent la fociété , trouve à cha- que inftftnt fa preuve dans les faits. En effet, fi l'on excepte quelques palîîons brutales ( & encore dans celles-ci certain point d'abrutifîè- ment ) on verra que tout le refte vient de la cupidité , du défit de s'approprier les biens de goût ou d'opinion,

La fuite de cet Ouvrage > doaç;

Société j R'icheJJes, If /

Tobjet neft point du tout de Faire un traité de morale , me donnera occafion de prouver cette vérité dans toutes fes branches. Mais j'at- taque en ce moment la cupidité dans Ton fort, & je vais démon- trer qo*elle nous égare , même dans la recherche de ceux des avan- tages phyfiques dont elle fait le plus de cas , Je veux dire , de la richelie. Il réfultera de cet exa- men une définition précife de ce que c'eft que richefTe pour un Etat^ ce qui remplira en entier Tobjet de ce Chapitre.

Qu*eft - ce que la riche(Tè t Ce devroit être la pofleiîîon des biens d'ici-bas. Si c'eft cela , la fociabilité eft toujours riche , & la cupidité jamais.

Le néceflaire , l'abondance & le Niceflàîie^ fuperflu font , en fait de biens, ce Abondance, que font , en ftyle de grammaire , ^ ^^P^^^^ le pofitif 5 le comparatif, & le fu* perlatif. Le premier eft la bafè des deux autres qui fans lui portent en Tair. Examinez les calculs de la - cupidité , ils prennent l'échelle à

IS Traité de la PopulcLtloni rebours. Ces trois ordres de bietiâ font de telle nature qu'on ne les voit que du bas en haut. C*efl: dans les entraves de la nécelîîté, que le nécefïàire eft un objet d'ambi- tion. Le nécellaire délire Fabon- dance, & l'abondance le fuperflu> mais ce dernier , d'autant moins fatisFait qu'il devroit l'être davan- tage, voit & defire au-delà de ce qu'il poiïede , fans avoir jamais fenti ni l'abondance ni le néceilàire.' Quel eft le riche , interrogé fur ce qu'il lui faut , qui répondra : le pain 5 le vin à fuffifance , un habit de laine Fhiver , & de toile l'été. S'il s'en trouve un qui réponde de la forte, examinez fes adions, & ne l'en croyez fur fa parole , que quand vous aurez vu de près que. rout ce qu'il pofïede au - delà , eft aux fiens , à (es amis i à la Société plutôt qu'à lui ; que loin de fonger à- accroître fon bien , il eft prêt à le facrifier au befoin d'autrui. Ce riche-là 5 s*il en eft , jouit vérita- blement de ce qu'il poftede , puif- <^u'il connoît le néceiTaire ^ Taboiiç

Société ^ Richejjes. If dance Se le fuperflu ; mais rexem- pie ell: trop rare pour faire régie.

Sortons de la thèfe particulière, & portons nos fpécuîations fur le corps entier de la Société, fur ce qu'on appelle l'Etat. Les trois or- dres de biens établis ci-de{îus font & feront , de Taveu de tout homme fenfé , Tagriculture jle commerce, les ihrefors. L'on y trouve les mêmes qualités de proportion & de progrefîîon que j'ai notées dans leur emblème, îe néceiïaire, l'abon- dance ôc le fuperflu.

Cette vérité une fois pofée ; écoutons les leçons de tous les prô- neurs de l'intérêt ; examinons le détail des foins des diffirenrs gou- vernemens. Vous y verrez préci- fément ce que je difois tout-à- l'heure 5 l'échelle prife à rebours. L'argent, l'argent , diront- ils; le commerce utile eft celui qui appore de l'argent ; le commerce ruineux eft celui qui fe folde en argent. A les entendre , l'Etat le plus riche feroic celui qui auroit trouvé une mine inépuifable d'or j de s'ils pouvoieiii

î8 Trahi de la Population^ à leur gré gouverner les élément pour s'épargner le travail de la mine , ils obligeroient Tair & le feu de le mettre en fufion & de le vomir j comme le Vezuve poufle des matières enflam^mées, jufquà ce que la lave eût couvert ôc en- durci toute la furface du territoire de la patrie. Se qu'ils fufTent par- venus au fort du Roi Midas.

Mais, diront-ils, votre compa- raifon pèche précifément dans le point le plus effentiel. Vous avez dit tout-à- l'heure que le pofïèfleur du fuperflu ne regardoic jamais en arrière , & méconnoiflbit l'abon- dance & le nécelTaire ; Se il faut avouer que cette imputation a quel- que vérité. Si votre figure étoic jude , il faudroit que ceux qui , en matière d'intérêt dT.tat , en calculent la puilTance d*après la quotité de fon argent , n*eu(îènt aucunes vues relatives au commet- ce & à Tagnculture. Or , cefh précifément ici le contraire. Nous ne voulons de Targent que parce qu'il eft le fuc nourricier du corn-

Société ^ Rtcheffesl ip tnerce , le repréfentatif des facili- tés du troc. Le commerce vivifie Tagriculture , en donnant un prix ôc des débouchés à fes produ6tions. Ainfî la comparaifon de votre échelle renverfée cloche à tous égards. L'argent eft la lève de l'in- duftrie ôc de Tagriculture , loin d*en être le fuperfîu.

Tout efl-il dit , Meilleurs ? Eft- - ce bien votre fyftême ? Fixons- le , afin de ne point varier. Voici maintenant le mien à moi. L'ar- gent n'eft rien du tout de fa natu- re. Il eft feulement devenu ligne de convention repréfentatif des biens de la vie. Loin que la mul- tiplication du ligne donne des fa- cilités pour le troc & pour la pro- dudion de la chofe fîgniliée , il ne fait qu'embarralïèr Fun 6c l'autre r nn plus gros volume du figne en repréfente un moindre de la chofe iîgniiîée j c'eft d'abord une incom- modité. L'inconvénient feroit peu confidérable jufques-là, mais voici des maux réels.

La commodité du GgnQ une fois

M

.1, 'i

^■

îS Traité de la Population^ à leur gré gouverner les élément pour s'épargner le travail de la mine , ils obligeroient Tair & le feu de le mettre en fufion & de le vomir 5 comme le Vezuve poufîe des matières enflammées , jufqu à ce que la lave eût couvert ôc en- durci toute la furface du territoire de la patrie, ôc qu'ils fulfent par- venus au fort du Roi Midas.

Mais, diront-ils, votre compa- raifon pèche précifémcnc dans le point le plus elTentiel. Vous avez dit tout-à- l'heure que le pofïefleur du fuperflu ne regardoit jamais en arrière , 8c méconnoiffoit l'abon- dance & le nécelTaire -, & il faut avouer que cette imputation a quel- que vérité. Si vorre figure étoic jude , il faudroit que ceux qui , en matière d'intérêt d'F.tat , en calculent la pui (Tance d'après la quotité de Ton argent , n'eufîènt aucunes vues relatives au commet- ce & à Tagnculcure. Or , c*efl précifément ici le contraire. Nous ne voulons de l'argent que parce qu il eft le fuc nourricier du com*

-I»

« le

-■ de le

--•: poiiiFe

iiKtriîoire i n&R pai-

:-'. co.Tipa-

■•" ks le

:; avez

. ..iê'Jeut

-v: en

!J fiût

■î étoit

: q»ii » •i: , en

: -;' la

, c'eft

::av

Société j Rlcheffes'^, ip tnerce , le repréfentatif des facili- tés du troc. Le commerce vivifie l'agriculture , en donnant un prix & des débouchés à Tes produ6tions. Ainfi la comparaifon de votre échelle renverfée cloche à tous égards. L'argent eft la iéve de Tin- duftrie ôc de l'agriculture , loin d'en être le fuperflu.

Tout efl-il dit , Mefîîeurs ? Eft- ce bien votre fyftême ? Fixons- le , afin de ne point varier. Voici maintenant le mien à moi. L'ar- gent n'efl: rien du tout de fa natu- re. Il eft feulement devenu fîgne de convention repréfentatif des biens de la vie. Loin que la mul- tiplication du figne donne des fa- cilités pour le troc & pour la pro- dudion de la chofe fignifiée , il ne fait qu embarraflèr l'un & l'autre : lin plus gros volume du fîgne en repréfente un moindre de la chofe fîgnifîée ; c* eft d'abord une incom- modité. L'inconvénient feroit peu confidérable jufques-là, mais voici des maux réels.

La commodité du fîgne une fois

ab Traité de la Population, établi comme nature de biens dàrîS l'Etat, fait tomber toutes les au- tres. Les biens naturels de Tagri- culture & du commerce , à fcavoir les denrées ^ les marchandiles ^ font pénibles à acquérir , fujets aa dépérifïement , difficiles & embar- radfants à garder , n'ont de prix que pour celui qui en a befoi^. Votre Ç\onQ au contraire fe trouve dans des mines , s'acqùierr en vo- lant & en tendant la main , arts de facile exercice ; il ne dépérit même point , un cofFre fort Tuffic pour ralTembler la plus grofTe fortune : le débit en eft afiuré à l'inflant, &c il prend au gré du polTefTeur toutes fortes de formes. Il eft donc dans la plus exacle raifon que le iigne prenne dans reilime humaine le pas à tous égards fur la chofe fignifîée , &: que la banque fafle négliger le commerce & Tagricul- îure.

Ce n*eft pa:s ici le lieu de dé- montrer tous les inconvéniens tant moraux que phyfiques de cette na- ture de biens 5 combien elle écbap-

.Société^ Rich^JJes, li f)e au régime des loixi dans quelle impoffibiilré elle met le Prince.., les loix 5 la police , & enfin tous les moyens humains d'empêcher le monopole & la vénalité de la loi même & de la confcience ; quelles fecoufles elle peut donnera TEtat en fau.vant les grands coupables » ou leur donnant du moins la faci- lité d'alTocier leur fortune à leur profcription; combien elle efl: pem capable de tenir lieu des autres biens dont elle ufurpe la place 5 combien elle détruit la dépendance le riche eft du travail du pau- vre, feul palliatif du mal véritable de rinégâlicé des fortunes ; com- bien elle rend fautif & ruineux le tarif de la fubvention réciproque entre le gouvernement & les fu^- jets 3 tarif qui fait la principale artè" te de la circulation dans un Etat; combien enfin jelle rompt tous les liens de fociabilité entre les ci- toyens j & établit la dureté. Tin- îerêt & la bafTefiTe. Toutes ces çhofes viendront naturelJeiïieniC M

% 1 Traité de la Population, d'elles-mêmes dans la fuite de moit

ouvrage.

Il me fufEt maintenant d'avoir fait douter un inftant du principe de mes antagoniftes ; je lui don- nerai encore une attaque feulement ' en établilTant fur des notions même triviales , ce que c'efi: que la vraie nche(ïè. Ce que La nourdture , les commodités

^'^•\ 'i& ^^ ^ ^^^ douceurs de la vie font la richeffe. La terre la produit , & le travail de Thomme lui donne la forme. Le fonds Se la forme font la terre & Thomme. Qu*y a-t'il par -delà? Par -tout la forme efl: nécelTaire au fonds , ici plus qu aii- îeurs. Tant vaut l'homme ^ tant vaut la terre ^ dit un proverbe bien fenfé. Si Thomme eft nul, îa terre Teft auffi. Avec des hom- •mes on double la terre qu*on pof- féde, on en défriche, on en ac- quiert. Dieu feul a fcû de la terre tirer un homme ; en tous rems & en tous lieux on a fçû avec des hommes avoir de la terre, ou du ;£i3oii2S le pioduit ^ ce qui revient au

Société ^ Riche j]es. ï^ même. Il s'enfuit de - que le premier des biens , c'efl: d'avoir des hommes , & le fécond , de la terre.

La multiplication des hommes s'appelle Population. L'augmenta- tion du produit de la terre s'ap- pelle Agriculture, Ces deux prin- cipes de richeilès font intimement liés Tun à Tautre. Je Tai dit , je le prouverai dans le Chapitre fui- vant.

On peut réfumer de celui-ci que la bafe des loix pofitives eft le partage des biens & avantages de la fociété.3 & le maintien des droits de chaque individu à cet égard j& que la bafe des loix fpéculativesefi: la diredion de l'inquiétude & de l'avidité humaine vers la fociabi- îité & la vérité, & le foin conti* muel de les détourner de la cupi- .dité & de l'illufion.

Princes, quelques-uns d'entre •vous ont aimé qu'on leur dît qu'ils ■étoient les maîiTes abfo'us des biens de leurs fujets ; fi jamais quelqu'au^ SXQ qu'au Charlatan déqp,avi,e Xjé^l^

Î4 Traite de la Population, kment ce fecret-Ià , faites pendre le démonftrateur , comme Ton fie autrefois celui qui avoic rendu le verre mallcabie.

Mais il eft une autre forte de bien qui vous appartient , & qui vous alTure tous les autres 5 ce font les hommes ; vous aurez tout , fi vous fçavez tirer parti de ce bien : Tart de le gouverner , étendu dans le dérail , eft très - borné dans le principe. Animez la fociabilité , cpprimez la cupidité ; Tune eft la corne d'abondance, l'autre eft la boëte de Pandore. Il ne tient qu'à vous de verfer ou d'ouvrir.

^^â* 'S*

CHAPITRE

Queîle en eji la mefure, 15

CHAPITRE II.

ha mefure de la Subjîjlance eft celle de la Population,

LA Population une fois recon- nue pour le premier des biens de la fociéréjil ell queftion de (cavoir d*oû on la tire , & les moyens de fe procurer cette forte de richeiie. Dieu créa au même rems tous ^ les germes , ôc leur donna la fa- culte de fe reproduire & de mul- tiplier *, mais il les rendit tous dé- pendans des moyens de fubliftance; c efi: une vérité phyfique 5 Se dont la démonftration eft répandue fur toute la furfaçe de l'univers. Tout germe fe deffiche & meurt, fi les fucs alimentaires , qui lui font pro- près s n'entourent Ôc néçhâuÙent les organes de croinTance, & us fourniilent à fa (ubfîrfanc.e.

Çefi; de ce principe fimpîe & vrai qu'il faut partir pour calculer jufte fur la Population , fur 1^ Première Fartk^ E

%4 Mefure de la SuhfiflafîCel imoyens de Tétendre , fur les vice$ iqui la reâreignent & la font laii^ guir.

Il eft iinguîier combien de toujt ceiBS on a raifonné peu confé- quemment fur cet article. Toutes les fois qu^un grand Etat eft tombé dans îa corruption des mœurs > on jS*eft plaint de la dépopulation. Les fpéculateurs ont cherché le remède , les Légiilateurs font ordonné, ^ îoujours inutilement. Pourquoi ? c'eft qu'on youloic traiter le mal fans en connoître le principe. On ordonnoit des mariages , on récom- penfoit îa paternité , on flétri(ïbit îe célibat : c*eû fumer j c'eft arro- fer fon champ fans le femer 9 & ea attendre U récolte.

Demandez encore aujourd'hui % lios fpécuîateurs , pourquoi la plu-» fart des Etats de TEurope fe dé-? peupleiît viiîblement ; les uns niô- ront le fait , ce qui la méthode la plus courte eiî tout genre de jàifpute & la moins digne de r.é-^ |>liqae : le plus grand nombre con-

trop .yifible pou

Me Jure de la 'Population, ly erre contefté de bonne-foi , en ac- cufera le célibat des Moines & des Relîgieufes , la guerre , le grand nombre de croupes réglées , la na- vigation , les tranfmigrations dans le nouveau monde , & autres pré- tendus vices de conftitution , dont la plupart font au contraire de nouvelles racines de la Population > comme j'efpere le démontrer.

Quelle eft donc (èlon vous , me dira-t-on, la vraie caufe de la dé- population } La voici. Ceft la dé- cadence de l'agriculture d*une part, de l'autre le luxe & le trop de confommation d'un petit nombre d'habitaiîs , qui féche dans la racine îe germe de nouveaux citoyens.

Je i^ais combien de préjugés éta- blis cette opinion choque diamé- tralement. Que de citoyens enten- dus en efpaliers 8c qui dépenfent en ferres chaudes 5 croient l'agri- culture aulîî moderne en Europe •que la Philofophie des Dames , Se perfeélionnée de nos jours plus que jamais ! Combien de calculateurs «légans démontrent que la confom»

'■% $ Mefure de la fuhjtjlancé ; tnation même de la prodigalité ^ ce qu'on appelle luxe fait la pro{-^ périté d'un grand Etat ! Ce n'eft pas encore ici le lieu de Gon^battre toutes ces iilufions de détail ; leur tour viendra. Maintenant il eft queftion de démontrer mon prin-- cipe, à fçavôir, que la mefure de la Subjiflance ejl celle de la Popu^ lation, ' La multî- Si ia multiplication d'une efpecâ ©îication dépendait de fa fécondité , certain

d'une eipèce ^ ., i i i

ne dépend nement il y au roi t dans le monde pas de fa £é- cent fois plus de loups *que de pofldJtf. jTioutons. Les portées des louves font trcs-nombreufes , & aufïï fré- quentes que celles des brebis qui n'en portent qu'un. Uhomme con* damne au célibat des arrnées de moutons ; & je n'ai pas oui dire qu'il fît aux loups cette efpece d'in^ juftice. il tue beaucoup plus de mourons que de loups, & cepen^ dant îa terre eft couverte de^ la race des premiers , tandis que celle des autres eft très- rare. Pourquoi ceia .V Ceft que Theibe efl for|

Me/hre de îâ Toputàtion. Courte pour les loups , & très-éreiî'* due pour les moutons.

Les Sauvages d'Amérique qui ne vivent que de la chalTe , fone réduics à la condition & prefqu'à la population des loUps. Un très-^ petit peuple de ces Sauvages occupe un territoire î:jui bien culcivéfour- iiiroit à la rublifcanGe d'un peuple jmnienfe^ & ces foibles nations ie font encore fouvent entre elles de cruelles guerres pour les limites , mais leur Population qui n'eft gênée ni par le célibat ni par aucune régie de continence , fe proportionne na- Êurelleraent aux leuls moyens de fubiîilance qu'ils fçavent fe procu- rer. Un ancien Romain , toujours prêt à retourner & labourer /on champ, vivoit lui & fa famille du produit d'un arpent de terre. Un Sauvage qui ne feme ni ne laboure, confornme feul le gibier que cin- quante arpens de terre peuvent nourrir : conféquemment Tullus Hojîiinis avec mille arpens de terre pouvoit avoir cinq mille fujets y tandis qu'un Chef de Sauvages >

Bijj

3 ® Mefure de la Suèfîflance j tels que je les ai repréfentés , borné au même territoire auroit à peine TJngt hommes.

Telle efl: la difproportion im- înenfe que Tagriculrure peut éta- blir dans la Population. Cen font ici les deux extrémités. Un Etat fe dépeuple en proportion de ce qu'il s*éloigne de Tune Si fe rap- proche de Tautre : en proportion de ce qu'on y cultive les terres , & qu'on les emploie à produire ce qui eft de la nourriture eflentielle de Thomme , refpèce augmente en nombre. En proportion de ce qu on les laiffe en friche , ou qu'on les emploie en inutilités ou produc- tions de confommatîon précaire , refpèce diminue invinciblement malgré tous Edits & Loix d'encou- ragement ou de rigueur en faveur des mariages.

Il fuit de - 5 que les confom- mations en fuperfîuités font un- crime contre la fociété qui tient au meurtre & à Thomicide ; d au> tant que ce qui eft luxe en naiA fant > devient ufage & décence dans

Mefuré de ta Pôputatiotil, j t îa fuite. D'où naît que la princi- pale attention du Gouvernement doit être de porter par l'aiguillon de l'honneur de par la force de l'exemple , l'orgueil humain vers la frugalité &z une forte de mo- deftie relative à chaque profeffion^ Mais il n'efl pas tems encore d'en- tamer ces matières.

M. David Hume Auteur An-* glois , l'un des pins refpedables Ecrivains politiques que nous con- noiffions tant par fon érudition éga- lement faine & profonde que par la fagefTe de fes raifonnemens Ôc une modeftie bien rare en ce tems- ci , a fait un Traité complet fur la queftion de la Population an- cienne comparée à celle de notre tems. Ce feroit dommage que nous n'eufîîons pas ce morceau également fçavant 8c raifonné ; Se je lui rends toute judice fur le mérite d'homme de lettres & de citoyen qu'on ne peut s*empêcher de reconnoîcre à un point éminent dans Tauteur j mais en convenant de plufieurs des principes reafer-*

B iv

|t Mefure de Ici Suhjiflancé^ mh dans ce Traité , je ne fnis pas de Ton avis fur les conféquences erî général. On pourroic le fuivre dans les détails , & lui en difpu'cr un grand nombre; mais cm le feroit avec défa^anta^e : de fait , en ce qu'il eft bien difficile d'en fçavoir plus que lui j de droit, en ce que ctxtQ forte de controverfè leroit an moins fade , & peut-être odieufè. Mais d'aprcs les principes établis ci - delfus dont un homme d'aufiî bon efprit que M. Hume ccnvien- droic fans doute , principes qui abrègent la quedion autant qu'ils la fixent , e^le fe réduit à fçavoir jfi la conforamation atflueîle de cha- que individu , & fur tout celle àes riches , eft plus confidéràble qu el*Iô n'écoit autrefois.

Le f.^fte des anciens Afiatiques, & réteniuë exceflîve de rEnipire du Grand Roi, dévoient fans con^- tredit avoir fort dépeuplé cette partie du monde ; mais la barbarie du gouvernement Turc & Perfan Tont extrêmement dévaftée 5 & fur les ruines de tant de villes célèbres.

1

^Mefure de la Population, 3 5 ile l'antiquité Ton ne trouve plus que de vaftes défères à peine pra- tiquables pour les caravanes. On en peut dire autant de la partie de l'Afrique jadis célèbre fous les Car- thaginois, les Rois Numides 5 &c. & qui fous le bas Empire même contenoic jufqu à quatre cents villes Epifcopales ayant chacune fon dif* triét, contrées arides aujourd'hui & disputées aux lions & aux tigres par des hommes plus féroces qu'eux* Les pays connus fous le nom de Grèce, tant ceux du continent que les ifies & terres adjacentes , ne font aujourd'hui que des roches défertes y ôc ces ides autrefois fi célèbres par des Temples fameux » des Ecoles , des hommes illuflres,- ëc une peuplade immenfe , ne font que des écueils. J'excepte de mes calculs toute cette partie de la dé- vaftarion générale , comme relative à des caules morales j & nous ne traitons ici que du phyfique. Il faut pareillement en retrancher ^Amérique. Si d'une part Tinva- >^on de la partie méridionale d^

B V

J4 Me fur e de la Suhjïjïance\ rAmérique par les Efpagnols , & labus qu'ils firent de leur vicfloire,, a fait rentrer dans la terre des peu- plades immenfes d*hommes, u la^ moliefle & le eouvernement ty- rannique dès nouveaux colons a? tenu ces fertiles contrées daais cet- état de dëvaftatioii , on peut dire que les difFérentes colonies des au- tres nations de l'Europe dans tout le refte de cette partie du monde ontcompenfé cette perte pourThu^ manité, c'eft compenser , que de* mettre un à la place de vingt-cinq;. Mais cette partie du monde n*èxiP tant pas pour nous dans les temps^ que nous prenons ici en compa- rai fbn, il eft inutile d'en faire men* lion. Ceft donc l'Europe unique- ment qui peut à cti égard entretr en queftion. Nous pourrions en- core en excepter l'Italie) qui no- toirement nourridbit vingt - fix millions d'ames dans Tes temps de- fplendeur par le moyen des bleds d'Egypte qui ne nourriflent plus perfonne. L'Italie qui en nourriflbic peut-être double defon propre

Mefure de la Population, 3^ produit dans les premiers âges de Rome, à en juger du moins par la multiplication de diiTérents peuples qu'on voit fans ceCie en armes contre les Romains dans ces temps belli- queux , l'Italie > dis-je, contient à peine aujourd'hui cinq millions d'habitans. Mais fans entrer dans les fpéculations hiftorîques , exa- minons feulement fi les hommes dans les premiers temps confom- nioîent autant de produit de terre ^ qu'ils en confomment aujourd'hui ; & pour ne point fortir des portions de confommation aufquelles je me fuis borné dans ce Chapitre-, brâ- loic-on autant de bois que de nos jours? J'en doute ^. puifque depuis moins de dix ans la confommation' de Paris r feulement à cet égard ^ a augmenté de deux cents millff voies , ce qui conftitue prefqu'un' tiers de crue. Je ne crois pasqu'oii^ prérende que le nombre des habi- rans ait augmenté de cela. Chacun^ fçait que les recherches du luxe ,- de la molleflfè , & la vanité mal' tntendue font la caufe de cet excès,-

B vj

Mefure de la Suhjïjïance^ Telle maifon n'avoir , il y a dbc ans , du feu que dans les chambres & antichambres de chaque appar- tement 5 qui a des poêles aujour- d'hui dans tous les cabinets, garde- robes (Se efcaliers. Les femmes fui vantes de cette maifon ont tou- tes en particulier leur chambre , leur feu , leur lumière. En un mot, tout a doublé de la forte. Il faut cependant du terrein employé à ne porter que d-u bois pour fournir à cette confommation. Le bois de- venant la marchaiidife du meilleur débit, chacun (e hâte d*en plantePj. & de dérober ai n fi une portion de {on héritage à la nourriture des hommes. Y avoit -il chez les an- ciens autant de voitures qu'aujour- d'hui ? H faut du bois au fil pour leur entretien. Les cuirs, les graif^- fes , tout ce qu'on tire des beftiaux confbmmanc au double & pre(^ que toujours en pure- perte , le pa« 'turage a p^is le delTus fur l-e labou- rage, & depuis long-temps le pro- verbe eft établi' qui dit ; qui change fort champ en pré augmenté fan

Mefure de la Population, ^j Bien de moitié. Le pré cependaitc ne porte en général qu'une bonne récolte par an , & ce n'efl: que dii fécond bond qu'il fert à la nourri- ture des hommes , autre fouftrac- tion faite à rhumanité. Je fçais qu'on peut me dire que les forêts ctoient immenfes alors, mais mal gouvernées, au moyen de quxii elles dévaftoient plus , & fervoient moins y que les prairies n éroiertc que des marais qui ne fourni(Ioieî:ït qu'un médiocre entretien aux bel^ tiaux 5 &c. S'il étoit dans mon plaîi de prendre la contrepartie du fy& terne que propofe Hume fiir ce point , ce feroit à moi à ma retourner fur ces objeétions , bc à démontrer que les prétendus dér fèrts en- queftion n'exifloient que chez des peuples barbares encore ^, &' tels à peu- près que T' toient les habitans de T Amérique Septentrion cale, quand nous l'avons décou*^ verte ; que par conféquenc cqs conr tcées doivent encore être exceptées, coixinie celles ci-deflus , du point de comparaifon donc il s'agit..

^i.

^5 s Mefure de la Suhjîflance } devrois établir enfin que i*agriGaI- ture étoic chez les nations policées^ portée pour le moins au point elle reil de nos jours , donc ..... Mais mon bue principal ici n étant que de recommander cet art & cette Tcience mère de riiumaniréj, il me fufïiroît d'avoir amené moiï antagonifle à raifonner en confé- quence , pour que mon deflein fûc rempli. Somme toute, convenons que les anciens connoifloient auffi- bien l'agriculture que nous , ÔC rhonoroient davantage , M. Hume prouveroit cela mieux que moi* Ils confommoient moins en géné- ral & en particulier , il le d^mon- treroit encore ; donc ils étoient ea plus grand nombre.

Ce n eft pas encore ici le lieu de contidérer la Population relative »u travail, nous y viendrons dans k temps , & dirons en quel kn% le travail fécond peut être utile à la Population. Suivons encore quelques coniîdérations qui réful-- tent de la partie aduelle de notrr fajer,.

non*

^Mejîire de la Population, jf Les hommes multiplient comme Moyens ^ les rats dans une grange , s*ils ont [;;^fa7ir' les moyens de Tubiider. Cefl: un muitipUca, axiome que je n'ai pas inventé , & qu'il eft temps qu on prenne pour bafè de tout calcul en ce genre. En ce fens , le mot de M. le Prince , après la boucherie de Senef , qui parut barbare à Tes officiers éton- nés 5 & qui n'éloit peut-être chez- lui qu'un effet de cette audace mi- litaire qui naquit ôc mourut avec lui , une nuit de Paris remplacera cela 5 ce mot dis- je, pouvoit être un axiome politique bien raifonné-

A moins qu'il ne furvienne quel- qu'augmenration de fubfiltance étrangère & nouvelle dans l'Etat » il ne fçauroit s'élever une feule plante de plus dans ce jardin garni de toutes Tes parties, qu'une autre ne lui fa(Tè place. En vain travail- le-t-on à Paris toutes les nuits, fi les maladies , la guerre , la mer &c.. ne font des places vacantes.

Les batailles & les maflfacres ne nuifent point à la Population, fi d*ailleurs elles ne nuifent à Tagriç

'40 Mejure de la S'ahjifldncel €ulture ; & Ton remarque ^vec étonnçnient qu'après des temps de troubles & de calamités, un Etat eft tout auîîî peuplé qu'il l'étok auparavant , tandis que les édifiées » les chemins , tout enfin ce qui de*- iîgne la- profpériré apparente ^ (e relîènt vifiblement de l'interruptioa de Tordre & de la police. Pourquoi cela ? Cefl: que l'homme n'a qu'une feule & véritable racine qui 3 com- me toute autre , Te nourrit du fuc de la terre.

Ce n'eft pas cependant que les temps de guerre , & plus encore ceux de trouble , n'interrompent & ne détruifent l'agriculture dans certains cantons ;mais elles la vivi- fient dans d'autres , en accélérant le débit de (es produélions. Oa voit d'ailleurs que ce ne font pas les calamités dont le laboureur voit le principe en réalité & U fin en fifpérance , qui rebutent fa précieufe adivité. Le Fermier en Flandres féme de nouveau derrière Tarmée^ qui vient de fourager fon champ, Exi: tioilième lieu y, fi la guerre

Mefure de ta Popidatloîi» '4Y dévafte quelques provinces , eîle les fume en même remps ; & d'au- tre part 3 fes nécefîîtés & Tes dé- penies mettent peu-à-peu tout le monde dans le cas de retranches de fa dépenfe partiailiére , & con- féqucmment de la confommation* Cette diminution de luxe profite plus à la Population que le gouffire dévorant de la guerre ne lui nuit 5 pourvu toutefois que cela dure. Remarquez à ce (ii'ec que jufques au fiècle de Louis XiV. la nation a toujours été en guerre > foit étran- gère qu elle alloit chercher ailleurs quand elle ne Tavoic pas chez elle , foit interne par les Guerres des gentilshommes, don-r les derniers ioupirs ont été les duels. Ces guer- res ne dépeuploient pa5 ^ parce qu'elles tenoienc le r (le de la na* tion en ncat^^xiév <^ comme nous fûmes 5 fomm;:s , & ferons toujours glorieux , nous en fiifions vertu. Le Roi du fiécle paiTea le premier mis fur pied lej ^irmées exorbi- tantes , en a nécefnte la mode , & conféquemmenc la briévese des

:4i Mefure de ta Suhjîflancé^ guerres qui dès - lors dépeupleilt beaucoup, & ne peuplent pas, en ce qu'elles n'afFaiflenc le luxe que pour un temps , & le labourage pour toujours.

En général donc d>c dans le prînH cipe, ce ne font ni les guerres y ni les épidémies qui dépeuplent uit Etat; mais (x vous mettez un che- val de plus dans TEtat, toutes au- tres chofes demeurant égales , vous êtes certain d'y tuer quatre hom-, mes au moins. Mais , me dira-t-on , les beftiaux fument, &: cet engrais vivifie d'autres portions de terre qui fans cela feroient incultes. J'en conviens. Aufîî ai- je dit , toutes autres chofes demeurant égales. J'ajoute que l'entretien des beftiaux qu'autrefois on appelloit plantura- ge , eft un des principaux arcs- boutans d'une floriflTante agricul- ture. Mais prenez garde que je n*attaque ici que la force d'animal > donc le luxe peut faire abus , & qui , bien que d'une utilité fîngu- liére , eft le mains rapportant de (ous les animaux domeftiques à la

^Mefure dd la Population, '^f campagne. Le nombre en aug- mente chaque jour à la Ville , les fumiers font fi abondans qu'ils valent prefque pas la peine d'être enlevés , & la confommation que font ces animaux monte au double &c au triple de ce quelle feroit 5 s'ils étoient entretenus fur les lieux , parce quelle néceflîte l'entretien de l'énorme quantité de chevaux de trait néceflaires pour voiturer leur nourriture à Paris.

Revenons au grand Se unique axiome en cette matière , la mefure de la Suhjîjlance efi celle de la Population, En ce îens il eft vrai de dire que plus il y a deconfom- * mation dans un Etat , plus cet Etat eft puiOTant; mais il faut bien en* tendre ce principe. Si vous enten- dez par -là que la vraie puiffance d'un Etat coniifte à avoir beaucoup de confommateurs , je fuis de votre avis ; mais par la même raifon , beaucoup de confommation faite par un petit nombre de confom- mateurs eft une coirofion conti*

^4 Mefure de la Suhfiflanct ^ nueîle & toujours croifTante isx iierf de la Population.

CeiTons de nous égarer fur ce principe. Ce n'eft ni le célibat > ni la guerre , ni la navigation qui dépeuplent un Etat ; au contraire. Je vais entreprendre la démonflra-* tion de ce paradoxe fur celui de ^es trois ordres de chofes qu'on abandonne le plus aifément en ce genre à une forte d'anathême pu=^ blic. Maifonsre- Les Autcurs poHîiques Protef^ ligieufes ne j^HS ( il faut avoucu que ce font

font principe i -il \ •! '

tie dépoiu- ^^^ meiHeyrs^ ont tous attribue au lauon, Monachifme la dépopulation de rnipagne , de Tltalie , & des au- tres parties de l'Europe qui fuivent le Rire Romain; & pour repérer ici les paroles d'un des plus habi- Jes homnaes & des plus profonds Ecrivains ^ en ce genre : les Moi' nés ^ die- il 5 ne font d'aucune uti- lité ni ornement en paix , ni en guerre j en deçà du Paradis ^ comb- ine ton dit ... . L'expérience fait

* Effai fur la nature du Commerce pat- M. CamilIoQ.

Mefure de la Population, 4 f voir que les Etats qui ont embrajfé le Protejlantifme en font devenus vifiblement plus puijjants. Nos Po- litiques ont noiî - feuiemeDc pris condamnation fur cez article , mais ils onc encore quelquefois enchéri ; il s'en faut bien que je ne lois de cet avis.

J'ai habité dans le voi/înag^ <3*une Abbaye à la campagne. L'Ab-f , qui partageoit avec les Moines, en tiroit ^000 livres. Je veux bien que la portion conventuelle fuE plus forte , mais de peu de eiiofes , car Meilleurs les Commendaiaires ne font pas dupes. Sur les 6000 livres de rente reftantes , ils ÊLtoicnç trente -cinq ; à (çavoir quinze de îa maifoii , & vingt jeunes Novices étudiants , attendu qu'il y avoit un Cours dans cette maifbn Ces tren- te-cinq maîtres avoient en corn- paraifon peu de domeftiques, mais ils en avoient au moins quatre. Oi je demande (1 un gentilhomme vivant dans fa terre de 6000 liv? de rente en auroit eu dav'antage? AinÇ entre lui î fa feoîme & c^§U

'j^4 Mefure de la Suhjifiancei ^ues eiîfans, à peine auroient-iîs i^écu dix fur ce territoire , & en voilà quarante d'arrangés en vertu diiiie inftiturion particulière. En conféquence donc du principe éta- bli, qu'il ne fcauroic s'élever de aouveaux habitans dans un Etat gu'à proportion des moyens de fubfîftance , que plus cette fubfîf- taiîce eft volontairement refiTerrée par ceux qui occupent le terrein , plus il en refte pour fournir à une nouvelle peuplade , il feroit im- poflîble de nier que toutes autres chofes mifes à part , les érablifïe* mens des maifons Reiigieufes ne foicnt très - utiles à la nombreufe Population. Que ce foit de par le Roi , de par S. Benoît ou S. Do- minique , qu'un grand nombre d'individus s'engagent volontaire- ment à ne confommer que cinq fols par jour , toujours eft-il vrai que cts fortes d'inftitutions aident fort à la Population , fimplemenc en donnant de la marge & laidànc è.\x terrein à d^autres plantons. Que i©ui Les Moines vivenç ainfi , quô

Mefure de U Population, 47 toutes les Communautés foîenc lîombreufes en proportion de leuts revenus , c'eft ce que je n*ai garde de foutenir , & ce q«i eft étranger à la queftion. Je m'ingérerai moins encore à dire les oioyens de main- tenir dans leur vigueur les infti- tutions dont je parlois tout - à* l'heure 5 & dont !e relâchement eft au moins une lèpre dans l'Etat. Je dis feulement que félon le main»- ^ien de la maifon que j'ai citée , & de plu (leurs autres en ce genre que fai connues , loin de nuire à la Population , elles y fervent j, toutes pîaifanteries ceiïkntes 5 car je ne les aime ni folles ni tri- viales.

A regard de Fobjeârion , qu'ua Seigneur eft utile dans TEtat , ou du moins y fert d*un grand orne- ment 3 au iieu que les Moines n'y font ni fua ni Fautre ; l'Auteur que f ai cité , quoique Proteftaot , met du moins à fbn axiome le cor- %Qd࣠en deçà du Paradis, îl fait en cela la critique de certains mi- ftirables libelles gauchemem plâtfis

4^ Mefuréde la Suhjijlaûce ^ d'un vernis de didèrtation fur le droit public, & cependant bien accueillis chez nous depuis quel- ques années , l'on ofe avancer que les Miniftres de la Religion ne font d'aucune^ utilité dans l'Etat. L'Auteur ne parle ici que des Moi- nes , ce qui fait encore une diffé- rence bien grande ; & à vrai dire » n'étant que calculateur , il lui eft permis de mettre tout au même poids & mefure , ce qui eft au contraire un délire pour un Politi- que. Mais je puis répondre encore à cette double objeétion fans rieu forcer. Examinons d'abord l'article de l'utilité 5 je ferai court ; enfuite celui de l'ornement , je le ferai plus .encore.

Les Moines de fait étudient , prêchent, inftruifent , travaillent, defiTervent les Paroi (Tes de campa*- gne. En outre, ils ont tous ou la plupart dans leur inftitution quel- qu objet d'utilité -, je dis plus, de nécefïi té. S'ils ne le rempliflfent pas , ç eft l'afîâire du Légiflateur & de îa Police? Eh quoi î je fuppofe que

Mefure de la Population, 451' la Milice fût relâchée & tombée dans la niollefïe , la Magiftrature diffipée 5 la Noblede fans mœurs &: fans délicatefTe , faudroic-il pour cela fupprimer le Mil irai re , ks Magiftrats, & les diftindions hé- réditaires ? L'invention de fuppri- mer & de détruire efi: le contraire abfolu de Tart de gouverner 5 c*eil la magnanimité du fuicide. Un chirurgien ignorant fçait couper la jiambe 5 Efculape l'eût traitée Se guérie. Quatre traitemens comme celui du premier , il ne refte plus que le tronc. Je n'ai rien à dire de plus fur Futilité morale. Je H aime pas à m'é tendre fur des points étrangers à mon fujet. Paf- ibns à l'utilité physique. . Chacun fçait que la plupart de ces grands établifïèmens Monafti- ques fi riches aujourd'hui nétoienc autrefois que des déferts, & que nous devons aux premiers Céno- bites le défrichement de plus de la moitié de l'intérieur de nos ter- res. Mais fans nous prévaloir de l'authenticité du ti4;re , article il /. Partk. G

Jo Mefure delà Suhjijîance^ fàcré en laine politique & fi hors de mode aujourd'hui, confidérons les chofès dans i'ëcac préfenr. On n'ignore pas , & il efl padé en pro- verbe que les Bénédictins , par exemple , mettent cent fur leur territoire pour lui faire produire un. Je connois dans leurs biens telle chauiïee d'étang ou contre des rivières , tel autre ouvrage enfin utile ou nécefTàire , qui a certaine- ment coûté trois fois le fonds de TAbbaye entière fur lequel la conf- trudion eft faite. Ges travaux longs & difpendieux qui font une forte d'ambition & de joie pour des corps qui fe regardent comme perpé- tuels 5 toujours mineurs pour alié- ner 5 toujours majeurs pour confer-* ver, font au-delTus des forces des particuliers. L'Etat ne peut envi- fager que les objets généraux , & quand fes fecours defcendroienc quelquefois jufques aux détails s il faut encore une adminiftration puiiîànte & toujours préfente pour ientretien. Ou le Seigneur polTef- feur du fonds cft riche & grand

Mejîire de la Population, ^t propriétaire, en ce cas il ne con-* fomme pas fur les lieux qui font négligés, & fe rainent petit- à- petit ; ou s'il efl: obligé d*y réfider , il eft foible , accablé de faux frais , de dettes antérieures : fon admi- niftration eft intermittente , & tout languît fous fon fils , fi ce n*e{l fous lui. Or il n'eft pas contefté que ces travaux ne foient un bien par-^ ticulier qui relîbrtit au bien géné- ral , & qui rétablit. Il en eft de même des bâtimens 5 même (oli- dité 5 même entretien. Une des ^glifes de TAbbaye dont j'ai parlé d*abord , eft connue dans notre ^iftoire par une époque fameufe depuis 700 ans. Elle eft abfolu- ment au même état elle étoic alors. Quels font les bâtimens àe% particuliers qui ont une pierre de ce temps- là? ^

Quant à Tornement , avouons que le Seigneur de 6000 livres de ente que nous avons établi rem- plaçant les 40 Moines cités dans îotre premier exemple , ne feroic 3âs d'un laftre bien fameux dam

C ij

Çi Me fur e de la Suhfijlance'^ ion château. Nous prenons, il ed vrai , fur ce domaine la portion du Commendataire qui partage avec eux 5 comme feroic un Seigneuc avec Ton fermier général. Or fi le brillant Se le fade étoient de mon fujet , je demanderois fi les Cardi- naux de Rohan & de Polignac à Rome , & tant d'autres ailleuirs , n'ont pas fait autant de ce genre d'honneur à la nation , qu'eufifent pu faire des Seigneurs laïques. S'il «ft vrai de plus , comme le dit le même Auteur , que le point qui femble déterminer la grandeur comparative des Etats ^ eji le corps de réferve qu'ils ont _, quelles ri- cheflès en vaifTelle & ornemens d'Eglife , tableaux , manufcrits , bi- bliothèques 5 bâtimens même , ces fortes maifons religieufès ne tien- nent-elles pas en magazin , doni on ne trouveroit pas trace danî les pays Proteftans ?

A l'égard des mendians , je fe- Tois parfaitement de l'avis du même Auteur 5 s'ils étoient aujourd*hu tels dans la force du mot. Ce n'ei

Mejure de la 'Population, 5 5 point à moi à examiner la men- dicité a Jamais été permife à aucune Société Religieufe autrement que comme moyen de fubfiftance au milieu des travaux, dont le fruit eft totalement deftiné aux vues de la charité ; mais il eft de fait qu'at- tendu que le métier ne vaut plus ce qu il valoit autrefois , tous ou peu s*en faut , prévoyant, & com- me Jofeph , les années de ftérilité , ont fait provifion de revenus & qu'au moyen d'un léger arrange- ment de police de la part du Gou- vernement , on ne verroit plus de befaces. Ceft tant- pis , s*écrie-t-on , car ils fe feroient des revenus aux

dépens des fujets de l'Etat eh !

point du tout pour une grande partie. La moitié des maifons du fauxbourg S. Germain & de plu- fieurs autres quartiers de la ville de Paris, par exemple > appartien- nent à des Corps ; les ont-ils ache- tées? Non , & à cet égard on a grande rai Ton de leur lier la bour- fe. Mais ils ont bâti des places vagues qui leur furent données

54 Mefure de la Suhjiflance ^ dans le temps , n'éranc de pref- qu'aucune valeur. Aujourd'hui cela fait une magnifique cité , & un revenu confîdérable pour TEtat comme pour eux , qu'ils ont tiré de la terre. Que les Carmes Def^ chaux aient , comme Ton dit , cent mille livres de rente , ils ne les ont prifes à perfonne , & pourvu qu'ils vivent toujours félon leur obfervance , il faudra bien aujour- d'hui qu'ils n'ont plus de terrein à bâtir à Paris , que leur excédent aille bâtir ailleurs , ou entretenir d'autres Carmes vivans tout aulG pauvrement , mais toujours indi- vidus réels dans l'Etat.

Si les Etats Proteftans font plus peuplés & plus florifTans que ceux la difcipline eccléfiaftique de la Communion Romaine eft auffi exactement obfervée & réglée qu'el- le l'efi: en France ; ( fait , à tout prendre 3 dont je voudrois d'autres preuves que des allégations , ) je crois qu'il feroit aifé d'en donner d'autres raifons que la fuppreflîoa des Moines, i^, La prétendu»

Mefure de la Fopulation, 5 5 Réforme fit univerlellement des révolutions dans tous les Etats ; & il efl; ce^^in qu*il eft des fecoufles qui avivent les efprits politiques , éc régénèrent les reîTorts du Gou- vernement & de rinduftrie. La Suéde changea entièrement fou gouvernement en embraflfant la prétendue réforme ; mais qui l'eût conddérée après les régnes durs & abfolus de Charles XI, & de Char- les XII. eût été bien étonne d*y voir fi peu de Moines , & tant de dépopulation & de mifere. Ce n eft pas le rétablifTement des Moines qui a fait tomber de moitié le com- merce & la richefîe de la Hollande depuis le commencement de ce fiècle; mais le luxe y a enfin en- grainé , la confbmmation y a dou- blé, & le commerce diminué. Ces célèbres Danois d'autrefois , qui ont fait trembler toute l'Europe , font morts : mais depuis deux cents ans qu'ils ont chafTé les Moines , il feroit temps de voir cette anti- que pépinière fe repeupler de héros. Henri IV, 6c Louis XIV. enfuite^

C ïsf

Mefure de la Suhjijlance^ trouvèrent le moyen de rétablir leur Royaume fans rien changer à la Religion établie. Je v^s que le judicieux David Hume & plufîeurs autres Anglois Te plaignent que leur patrie fe dépeuple : ils en cher- chent des raifons de détail , faute d'avoir touché au vrai point qui eft que TAnglecerre eft devenue riche 5 que la richeffe augmente la con- fbmmation, & diminue en confé* quence d*autant la Population,

Quand je fuis devenu Tapolo- gîfte des inftitutions monaftiques , article fur lequel je me fuis étendu fans doute avec trop de détail en fuivant feulement Texcellent Au- teur que j'ai cité ci-defifîis, on s'at- tend bien que je ferai & plus abon- -dant & plus fort en raifons fur l'article des troupes foudoyées , à.QS gens employés à la navigation > &c. Somme totale , multipliez la fubfiftance , vous multiplierez les hommes fans que tant de gens s'en mêlent, à beaucoup près.

Mais, direz- vous, tous ceux de l'ordre des célibaiaires qui ne font

Me fur e de la Population, jy rien pour gagner leur vie , dimi- nuent d'autant le travail dans un Etat, & comme le travail eft le fèul moyen d*étendre la fubfiftan-^ ce , vous la retréciflfez précifement par la forte d'emploi que vous to- lérez à ceux qui jouifTent des fruits de la terre , & qui devroient tra- vailler à les multiplier. Ceci fore de la queftion. C'efl: feulement dans Tordre des maîtres & pro- priétaires que j*ai confideré les Communautés Religieufes. On verra dans la fuite de ce traité qu'il s'en faut bien que je ne prêche rjnadian. Jai voulu feulement dire dans ce Chapitre que la fub- fîftance eft la mefure de la Popu- lation ; qu en conféquence , fous ordres de gens qui fe vouent à vivre d'un petit produit de terre, favorîfent la Population, loin de lui nuire , en ce qu'ils fe relîèrrent volontairement , & font place à d'a,utres. S'agit - il enfuite de dé- cider quelle eft de toutes les pro-- fefîîons qui compafent la fociété , celle (jui mérite la préférence

C T

^ s Agricukurt

d'eftime & de protedion ; c*eft ce que nous verrons dans le Chapitre fuivanr. Finifîbns celui-ci par nous Tavons commencé.

Augmentation de fubfiftance , accroiiTement de Population ; nous allons voir comment accroiflement de Population doit faire augmenta- tion de fubfiftance.

CHAPITRE III.

L'Agriculture qui peut feule mut" tiplier les fubjîfiances ejl le pre» mier des Arts.

Uelques hommes affèz folle- ^^^^ ment préfomptueux , d^au- îres inquiets & impatients de toute efpece de joug , penfànt échapper à la vue" toujours préfente de la Divinité , cherchent à fe perdre dans la foule des brutes , & ne re- connoilfent dans Thomme de fupé- riorité fur les animaux que celle que nous donne une confîrudioa

Premier des Arts, 59 mieux organifée. De tous les dé- lires de refpric humain , c*efl: , je crois , celui qui mérite le moins d'être attaqué ; puifque fi fur cent de fes partifans il en efl: un de bonne-foi, du moins eft-on certain qu'aucun de fes preneurs n'a réflé- chi fur les conféquences de l'adop- tion de fon fyftême. Bien eft - il qu'entre les preuves de fait dont on peut l'accabler , aucune ne me paroît auffi forte que l'art de l'agri- culture.

Après avoir dit que l'homme imbécile & tel eft encore l'ani- mal de tous le mieux organifé , l'on pafle de ce point de fait à rénumération de tout ce que l'hom- me a inventé & acquis par-delà au phyfique, de tout ce qu'il con- çoit , craint , efpere au moral, pour en compofer le territoire d'une ame intelleétuelle , foumife d'une part à procurer à la machine la. pénible jouiiTance des biens d'ici- bas 5 tendante de Tautre v^rs un bonheur , dont elle ne connoit au» îre chofe linon que la matière eH

lèo Agriculture ^

infufïîfante pour k lui procurer l & dont elle n'a d'autre fentimenc qu'un attrait inhérent à fa fubftan- Ge , qui dégénère en inquiétude & lui prohibe le repos.

Dans la première de ces deux portions d'un territoire pour lequel l'homme feul eft privilégié, l'inr- vention de l'agriculture me paroît celle de toutes qui porte le plus ce titre excluiîf.

J'ai dit que l'homme étoit de tous les animaux celui qui faifoic le plus aifément pâture de tour. Eiij efFet 5 il n'eft rien ou bien peu de chofe dont aucune forte d'animal' fe nourrilTè , qui ne puiiïè au be^ foin Itii. fervir de nourriture. Mais l'inftinâ: des animaux les plus forts &: les plus adroits s'eft borné à. chercher & reconnoîrre fa proie , à lui tendre des pièges pour la fur- prendre & l'attirer quand la force^ & la vélocité ne fuffifoient. pas y Jhomme feul a cherché, appris ^ mité le fecrer de la nature ,. Se par laa travail afîîdu il efl: venu à bouc ^ multiplier celles de fes prodac*

Premier des Arts. Ct tîoiis qui Fui étoient néceflTaires oif utiles. Cefl à cette multiplication Cju'il doit celle de fa propre efpece qui, comme nous Tavons dit, efl le premier des biens.

Si donc un art efl: eftimable eii partie à proportion de la beauté de l'invention , il n'en eft aucun qui doive flatter Tamour propre de Tbomme plus que l'Agriculture , & qui mérite plus Ton eftime. Mais cet avantage n'eft rien en compa- raifon de Ton utilité : nous l'avons déjà démontré , fuppofé que la. chofe eût befoin de démonftra- tion.

Une façon sure pour le Gouvér^ nement d'apprécier les difïerents travaux des hommes , c'efl: re- garder chaque clalTe d'hommes re- lativement à la dépendance elle èft. des autres elaiTes. Ce coup d'oeil fera fentir au Prince que les derniers doivent être les premiers dans fa bienfaifante attention. Le Chevalier Temple compare nn Gouvernement éclairé à ces pyra- mdeaa. dont la bafè eft fort larg^

^i agriculture J

ôc occupe un grand terrein , 8c dit que rautorité , venant à fe terminer au pouvoir d'un feul homme fait alors la pointe la plus parfaire de la pyramide , &c forme ainfî la fi- gure la plus ferme & la plus afifurée quMl puiiTe y avoir. Si le Prince au contraire , ou le Gouvernement protègent de laifTent étendre les rangs plus élevés privativement aux plus bas , infenfiblement la pyra- mide devient tour. Se puis cône renverfé qui ne fe foûtient plus que par miracle.

Il eft à confîdérer encore que chaque rang fupportant plus de faiX à mefure qu il eft plus près de la bafe 5 chaque pierre de notre bâti- ment politique voudroit quitter l'état le plus pénible, aimant mieux courir le rifque d*être expofée aux coups de la tempête & de l'orage, que de fbufFrir l'affiiiiïèment con- tinuel que lui prefente pofition. Ceft donc cette portion de TEtat qui doit être le plus fbûtenue par les reiTotts de la protedioa Se de

n

Premier des Arts, é^ l'encouragement : nous en détail- lerons dans le temps les moyens.

Nous Tavons dit ailleurs ; chez les Sauvages le plus vil chaiîeur peut confommer le produit de cinquante arpens de terre. Voilà nous en fommes, quand nous négligeons Tagriculture. Diftribuez enfuite le terrein du Royaume , Se voyez ce que nous devenons, quand nous abandonnons une portion du territoire de l'Etat. Plus au con- traire nous tendons à exciter cet art utile & à multiplier la produc- tion , plus nous nous éloignons de cet état de décadence & d^affi^iblif- fement.

// ejl indifférent a la terre de nourrir des chèvres ou des hom- mes j difoit fouvent l'Auteur d urî excellent Traité en ce genre , dont f ai adopté tous les principes ; mais elle veut être honorée & foignée comme une bonne mère. En efFet, la terre n'efi: marâtre nulle part, du moins dans nos climats. Le fable ici nous prefènte une furface deflechée , mais tranfporté dans des

6 4 Agriculture i

terres humides il les féconde en tempérant leur acreté : ailleurs il fe couvrira de bois femés & fumés avec foin , & Therbe croîtra fous ces bois : plus près , à force d'en- grais & de terreau il devient d'un grand rapport , & par-tout il aide aux bâtimens , à la folidité des pa- vés , &c. La terre n'offre ici que de la moufTe , vous trouverez dans fon fein de la marne , qui répan- due fur fa furface la féconde ; des carrières , des minéraux : plus loin du grais , dont Tafpeâ: eft la teinte de la ftérilité, & qui caffe , devient le plus utile des matériaux pour la folidité Se la facilité des commu- nications. Ces marais fteriles qui infectent l'air , peuvent devenir des rivières , fournir de la tourbe , ou deiféchés être changés en poflef- fions les plus abondantes. En un mot, tout a fon utilité 5 je le ré- pète 5 tout terrein peut produire au moyen du travail yiabor omjiia yincit improbus. La ftérilité ne fe montre nulle part que par la faute des hommes^

Premier des Ans, éf Un arpent de terre en friche n'occupe perfonne , tout au plus un berger y mcnera-t-il fon trou- peau deux fois dans l'année j &ce troupeau n'en retirera prefque rien. Si cet arpent q(ï en bois , il faut le clorre , le garder , ôc tous les vingt ans on vient le couper , y faire les fagots , Técorce 6c le char- bon; mais s'il eft en prés , on î'étaupe, on le fume, on Tarrofe & on le fauche , ôc tout cela em- ploie du monde , quoique en petite quantité 8c feulement en deux fai- fons de l'année. Un champ occupe plus de monde , on le laboure à plufîeurs reprifès , on le fume , ou le féme , on le herfe , on le farcie , on le moi (Tonne enfin. il y a des champs , il y a des hommes , fulTent-ils fous la terre. les champs rapportent le plus , il y a plus d'hommes. Mettez cet arpent en jardins appelles marais à Paris , vous y verrez dans toutes les iai- fons de l'année continuité de tra- vail & de récolte tout , ed mis en valeur 5 à peine un fende r d'un pied

é^ [Agriculture ^

de largeur permet-il la communi- cation d'une portion à Tautre de ce fécond domaine : on élevé des murs & des ados pour les produdbions qui rampent moins que les autres 'y ôc le cultivateur fe procure un ter- rein perpendiculaire pour étendre fbn terrein horizontal, & par con- féquent fon Royaume. Il acquiert une Province à dix pieds de terre , qu'aucune puiffance n'a droit de lui difputer.

Par une liai fon de conféquences plus il y a d'hommes , plus auiïï la terre rapporte. L'induflrie tire du roc le fuc nourricier des meilleures plantes. Voyez de loin le terroir de Marfeille, vous n'appercevrez que des montagnes grifes d'un efcar- pement alFreux. Approchez, vous trouverez la fécondité dans fon Royaume , & dix mille huttes ou maifons plus ou moins grandes qui ont chargé ces rochers de verdure, d'herbe & de fruits. Vous y verrez creufer dans le roc vif des tran- chées de fix pieds de profondeur , les remplir de couches de rerre Ôc

Premier des Arts. ëy

«3e pots cafles, & planter enfuite dans ces fodes des vignes , qu'on ne renouvelle que tous les cent ans.

Mais ceci nous méneroic à des matières qui refTortifTent à d'autres Chapitres. Revenons au principe fondamental qui ne peut être nié : plus vous faites rapporter à la, plus vous

terre ^ & plus vous la peupler, faites rappor-

ter 3. \sl terre %

L'Agriculture cependant , cet art pi^s vous ia par excellence, qui peut fe pafler peuplez. de tous les autres tandis ou aucun d'eux ne fçauroit exifter fans lui , l'Agriculture , dis - je , eft encore dans fon enfance. Les premiers hommes de chaque focîété l'onc tous honorée : les féconds fe font, pour ain(î dire, hâté de la négli- ger. La fable du chien qui laide le corps pour courir après l'ombre, a toujours dépeint l'humanité ea général ; eh î quel art mérita ja- mais d'être étudié & perfeâ:ionné avec plus de foin ?

S'il n'y a jamais que la même étendue de terre labourée & culti- vée dans un village 3 il n y aura

68 Agriculture _,

jamais que le même nombre de laboureurs & de cultivateurs , tou- tes autres chofes étant égales. Il fèmble donc que la Population de ce village , & par conféquent celle de l'Etat entier pris village par vil- lage 5 ait des bornes que toutes Tattention & la protection poflible ne peuvent étendre.

Il neft pas temps encore de traiter des moyens d'augmenter la Population > qui ne tiennent que de Tinduftrie : moyens plus impor- tans à pratiquer pour les petits lieux & éloignés des voies natu- relles du commerce , qu'ils ne le font pour les lieux Tinduftrie naît d'elle-même , & a de toutes autres facilités. Nous ne traitons maintenant que de l'Agriculture ifolée & prife purement en foi.

En fuppofant tout le territoire de ce village cultivé , je demande il le plus ou moins d'expérience dans l'agriculture n'eft pas capable de l'étendre. Il y a un proverbe commun dans le labourage , qui efl que les bonnes terres rapportent à

Premier des Arts, é^

proportion de la quantité de la- bours qu'on leur donne. Donne-^" lui deux raies _, difent-ils , elle vous rendra pour deux raies ; donne:^- lui en quatre j elle vous rendra pour quatre.

Peut - être la frudifîcation de cette bonne terre s'étendtoit-elle plus loin encore , à proportion àa travail ; mais en la laiiTant au point ci-delTus démontré par l'expérien- ce , voilà toute la bonne portion de votre territoire doublée par le travail 5 & au- lieu de deux lieues de terrein, nous en avons quatre dans le fait , forte de conquête donc il ne fera parlé dans aucun Congrès. Ce double rapport nourrira le dou- ble d'hommes ; augmentation de Population , & conféquemmenc de travail.

Cependant combien les plus (im- pies détails de cet arc ne font -ils pas inconnus aux gens même les plus intéreiïes à s'en inftruire ? Combien d'hommes aujourd'hui très -éclairés, combien peut-être d'entre mes Ledeurs penfentjquand

7 ® ^Agriculture ^

on leur parle d*une terre qui rend vingt fois la femence ,& d*une autre qui iven rend que cinq , que la pre- mière porte vingt charges de Bled a la récolte , tandis que i autre n'en rapporte que cinq ! Ils igno- rent que, communément parlant,- toute la différence entre ces deux terres confîfte en la quantité de iè- mence 5 de forte que celui qui pof- féde la première de ces terres ne féme fur fon champ qu'un feptier de grain qui lui en rapporte vingt , ôc qui ne lui rendroit rien s'il en femoit davantage , attendu que tout monteroit en herbe : le pofleileur de l'autre champ eft obligé de femer quatre feptiers pour en recueillir vingt ; en forte que tout l'avantage du premier ne confift^ qu'en la fe- mence. J'ai rapporté cet exemple, comme ayant vu fouvent des gens inftruits fe tromper fur cet article , & croire de bonne-foi que les terres Léontines & celles d'Afrique, que les Anciens citent comme rendant cent & cent-vingt fois lafemence, rapportoient vingt fois plus de graiiî

T rentier des Arts. yi

réel que nos terres communes qui donnent environ , à prendre Tune dans l'autre , fix fois la femence.

D'autre part, les terres médio- cres 5 par exemple , ne rapportent que du feigle ; ^ les propriétaires riches fur- tout ne fe déterminent à les fcmer de cette forte de grains, que quand ils y font forcés , & que leurs terres fe refufent au fro- ment. La raîfon de cette répugnan-. ce eft que le feigle eil: toujours évalué d'un quart au - delTous da froment ; mais un peu de lumières, d'expérience & de calcul leur ap- prendroit que le feigle bien moins fujet par lui-même à la nielle & aux autres accidens que ne Teft le froment, rend par la grotîeur de fes épis un tiers plus de grain que le froment. Or , trois mefures de feigle à 15 livres valent mieux que deux de froment à lo livres. Le calcul eft court & clair.

Je ne donne pas cette dernière jndudion comme une certitude, & comme un principe propre à lous les pays. Je m*ens fers feule-

yi agriculture y

ment comme d*un exemple qui dé- montre 5 ainfî que bien d'autres ^ que l'Agriculture , quoique de tous les arts le plus anciennement & le plus continuellement exercé, efl: peut-être de tous celui qui eft le plus ofFufqué de préjugés & d'igno- rance. Pourquoi cela? C'eft que les lumières naiflent de Taifance ^ d'une honnête liberté.

Les premiers hommes , donc rpîiftoire tant facrée que profane nous conferve la connoiffance , étoient plus habiles que nous fur cet article. Cette afTertion eft prou- vée par ce qui nous refte des an- nales des anciens Egyptiens. Les Patriarches paîToient leur vie à la tête de leurs troupeaux qu'ils fai- foient multipHer à l'infini. Jacob fçavoit varier par un artifice natu- rel la couleur & la laine de {qs agneaux. Bien peu de pâtres de nos jours feroient capables de ce genre d'attention.

L'efprit de conquête , & Toppref- fion qui en eft la fuite, bannirent bientôt les vertus & les foins paci-

iiqueSi»

Premier des Arts, y^

Eques. Les arts paflerent de TAfie dans la Grèce , pays (ec de fa na- ture ôc de peu de rapport. Les Grecs , peuple ingénieux & porté à tout ce qui efl; du relTort de l'imagination, négligèrent b"entoc Te-ilèntiel pour s'attacher aux fubti- lités de Tefprit. Ils devinrent Lé- giflateurs , Philofophes , Poètes , Orateurs, Médecins Sec. ôc l'Agri- culture qui leur étoit moins né- ceffaire qu'à tout autre peuple , fuc abandonnée aux efclaves. Ces Athé- niens dont la politelTe a pafTé en proverbe fous le nom d'Atticifme, Ôc dont les progrès dans les beaux arts font depuis tant de fiécîes l'ad- miration de la poftérité, palloient leur vie au théâtre , ou dans la place publique à guetter les fautes de grammaire de leurs Rhéteurs ; & leurs Magiftrats étoient chargés du foin de leur faire venir des vi- jVres par la mer. Les Lacedemo- .niens, doi^t on vante la vertu fau- vage ôc cynique , laiflToient aux lllotes qu'ils' traitoient en efclaves ,ou plutôt comme des bêtes de

D

74 Agriculture ^

fomme, le foin de les nourrir. Les premiers Romains forcés par la nécedité , cuitivoienc avec foin leur territoire, & ne furent jamais plus véritablement grands que quand ils fçurent fe contenter de leurs pro- pres légumes, & mêler les foins du labourage à ceux de la Magiilrature & du Généralar. Mais refprit de conquête qui ne les abandonna ja- mais, leur fit bientôt négliger les mœurs auftères de leurs ancêtres. Les campagnes d'Italie furent li- vrées à des efclaves , & les Ecrivains de cette nation en ont fait pafïèr les plaintes jufqu'à nous. Affligés de tous les maux inféparables d'une profpérité fuivie , &: de la grandeur démefurée , ils ne gouvernèrent leur vafte Empire que pour le ra- vager, èc l'Agriculture & le com- merce furent également bannis du monde connu. ' '

Des barbai es , ou pour ainfî dire , une nouvelle créatioh' d'hommes , dévafterent cet Empire affoibli;,^ formèrent de nouvelles puidànces. Ces conquérants lie firent attentioa

IL

Premier des Arts, 7J aux arts, que pour en éteindre juf- qu'au- fouvenir , en éiabliiTanc le gouvernement militaire , Se par conféquent Toppreffion. L'efclavage êiC de droit Se de fait fut le partage en Europe de la plus utile portion de Thumanité.

Ce n efl; point ici le lieu de re- marquer-ce qu'il efl forti de loix utiles Se de principes fondamen- :aux du fein de cette barbarie 5 'car le propre des chofès humaines îfl: d'être un mélange continuel de ihien Se de mal. ) Les loix féoda- les , les aiTennblées de la nation lominante pour y traiter des prin- «|:ipaux objets du gouvernement, Se lutres ufages que les nations les )lus policées regrettent encore y alônt Se feront toujours des preuves nJ|ue les plus faines lumières de (lii|efprit humain Se de la loi natu- elle percent à travers les plus épais leAuages de l'ignorance Se de la bar- eslarie. Les principes d'honneur de ,î|ancienne Chevalerie ne lailTent ;eslas même à la Philofophie moder- rio4e l'avantage d*en être le mafque»

Dij

I

7*^ .Agriculture^

Maïs on nie pas que TAgricuI- ture.& le coQimerce ne fuflènt l'ob- jet de leur mépris. Il s'en faut bien cependant que ce ne fût au même degré. Ces braves nations ne con- noifloient guères de vertus dontL valeur ne fut le principe & lepoin central ; la générofité , la franchifè Ja bonne-foi , rhofpiralité , la no blefïe , vertus fi précieufes à ce anciens preux , prenoient leur four ce dans la force de l'ame & d corps, & dans l'indépendance d Tefprit. Il regardoient le commerc comme propre à abâtardir Tune ^ l'autre , & n'attribuoient pas le mêmes efîècs à l'Agriculture, dor ils ientoient d'ailleurs l'indirpenfa ble nécefîîté. Aulîî voit-on qu'i exceptèrent , des points nombreu de dérogeance établis parmi eux l'Agriculture exercée fur ion pro pre champ : mais enfin tour ce qi n'avoit pas trait à l'exercice d( armes leur paroiflToit un aâ:e c renonciation à la gloire &àtoui|^^' prééminence ; & cet injudepréju^l. à'eO- foûcenu bien pïus long-temj| ^^

Premier des Ans, , 77 que n'a duré la trace de leurs ver- tus. Depuis près de cent ans, le Gouvernement en France a eu grande attention à établir & en- courager le commerce; mais il n'a encore rien fait de direâ: pour TAgriculture. Je fçais que l'un de ces objets tient à l'autre, nous le dirons aiïèz dans la fuite de ceci ; mais l'Agriculture efl la racine , & cela fe fenr.

Je n'ai pas prétendu , par rénu- mération vague que je viens de faire, démontrer que l'Agriculture eft un art nai(Tant; la chofe parle afTez de foi. J'ai voulu dire feule- ment , que Cl parmi nous l'autorité tournoit fa proteélion fur cette par- tie intéreiïànte ^ elle trouveroit la carrière neuve encore.

Indépendamment des bonnes terres éc des médiocres qui pour- roient être extrêmement bonifiées par une culture plus a(Iîdue ik. plus éclairée , il n'en eft aucune dans .ce qu'on met au rang dè^ mauvai- fès, qui ne pût être mife en rap- port par l'induftrie & la oatience

Diij^

7 s Agriculture ^

de rhomme. La nature nous dé- montre par Tes feuls efîbrts qu'on peut tirer parti de tour. Il efl: peu de terreins fabloneux qui ne foient couverts de brandes , & il ne croiffe des pins & autres arbres. Les montagnes les plus élevées , du moins dans nos climats v tem- pérés, fe couvrent d'elles-mêmes d*arbres & de verdure, & mille exemples nous montrent que les roches les plus arides peuvent être fertilifées par le travail.

Le Maltois attaché à un gou- vernement doux & uniforme va chercher en Sicile de la terre dont il charge Tes bâtimens,pour en cou- vrir un rocher brûlé du foleil d'Afrique qu'il change en jardins.

L'Agriculture cft non- feulement de tous les arts le plus admirable, le plus nécefTaire dans l'érat primitif de la fociéré , il efl: encore , dans la forme la plus compliquée que cette même fociété puiile recevoir, le plus profitable & le plus rap- portant : c'eft le genre de trav

Premier des Arts, yc^

qui rend le plus à rindufirie hu- maine avec ufure ce q.u'il en reçoit.

La mer attend tour de la terre & de celui qui la fait valoir; il eft inutile de le repérer; mais je fou- tiens que les ptofits de TAgriculture font plus fûrs & plus confidérables que le commerce maritime > même que la recherche de l'or.

Quant à ce dernier , la fuite de ctt Ouvrage démontrera que l'or n*eft richeiie, que de proportion; que femblable au vif- argent il s'échappe des mains qui le polïe- dent 5 & entraîne avec lui tout ce qui a pu Tarrêter au pafîage ; on ne peut le fixer qu'en l'enfevelif- fant , ufage pour lequel ce n'étoic pas la peine de l'arracher des en- trailles de la terre.

A l'égard du commerce marîti- me , je mets en fait qu'en fuppo- faut qu'un propriétaire de terres fe donnât la même peine pour faire valoir fes fonds furfon propre fol ou fur celui d'autrui,par les foins de l'Agriculture , que s'en donne un négociant pour bien conduire

D iv '

V

to Agriculture j

fon commerce ; que ce propriétaire prenant pour bafe de la conduite perfonnelle la même économie , fans laquelle il n'y a point de com- merçant alTuré , eût d'ailleurs au- tant d'attention journalière à ne pas perdre un inftant , à ne rien laiiïer arriérer , à fpéculer pour fournir de nouvelles branches de producflion relativement aux chan- gemens arrivés dans la confom- mation , à être averti des premiers, à tenir des comptes en régie , &c, je mets en fait , dis-je , qu'il feroit profiter Tes foins. Tes fonds ôc fon travail au double de ce que peut produire aujourd'hui le commerce le plus lucratif.

Autre objet important , fi Ton

veut fouvenir de la diftindion

que j'ai établie au commencement

de cet Ouvrage entre la fociabilité

& la cupidité.

X'Agrîciil- L'Agriculture efl: de tous les arts

{rrArtsir^^ pWfodable. Quelle noblelTe ,

piusfociable. quelle géuéreufe hofpitaliré dans

les moeurs de ceux qui pa(îerent

leur vie à la tête de leurs moiflon-

Premier des Arts^ 5l

neiirs & de leurs troupeaux î Mais , fans aller loin , entrez dans le jardin d'un pauvre homme , il vous offre gratuitement & fans oftenta- tion ce que Tartifan étale & farde pour le vendre. Qu'un agriculteur faffe une découverte, il fe hâte de la communiquer à fes voifins ; tou- tes celles des autres arts font des fecrets qu'il a fallu voler ou ache- ter bien cher.

Je ne parle ici morale qu'au- tant qu'elle eft relative à l'intérêt bien entendu ; & à dire vrai , la morale la plus exacte efl: en tout & par - tout l'intérêt le plus réeL Mais fans entrer dans cette difcuf- fion , n'eft-ce rien dans un Etat que l'habitude du travail & de l'inno- cence ? Fouillons les annales des Arts 5 nous rougirons des excès dont l'envie & l'intérêt y ont déf' honoré la nature. Peut-on rien re- procher de Temblable aux agricul- teurs ?

Il eft , je crois , décidé dans la Spéculation que l'état le plus inno- 4eeiit êft le plus heureux ; mais dai^

D V

§1 Agriculture^

gnez reifayer dans la pratique , coarrifans difgraciés 5 & vous favo- ris de la fociécé , à qui Tâge enlevé chaque jour quelques-uns des arcs- bourans de votre mérite. En vain les uns afTedtent & jouent les de- hors de la confidération qui leur échappe, en vain les autres cher- chent à fe rajeunir , ne fe montrent qu'aux bougies , &c. Tout les aver- tit durement qu*ils ne font plus ce qu'ils ont été. Un arbre, une fleur, ni même leurs cultivateurs ne (ça- vent point faire cette différence ; ils fe prêtent aux foins de Texilé. comme à ceux du favori , & trai- tent le vieillard comme l'homme dans la fleur de l'âge.

L'Agriculture eft donc le pre- mier des Arcs , comme le plus ho- norable à l'homme, le plus né- ceflaire, le plus utile, le plus in- nocent *, mil'e gens l'ont dit avant moi j l'exemple des peuples agri-. culteurs , & de la partie de chaque peuple qui eft livrée à l'agricultu- re , le démontre. Il étoit peu né- ceflaire de m*étendre fur cet article;

Premier des Arts, S j 51 le fera davantage de montrer ce qui en arrête chez nous le progrès , & quels feroient les moyens de Tencourager. Mais avant d'en ve- nir là , je crois qu*ii eft utile de mettre fous les yeux un précis des avantages dont jouit en ce genre notre heureuie patrie.

CHAPITRE IV.

Avantages de la France relative-- ment à l'Agriculture^

T 'Auteur de la nature a , comme: ML^ je l'ai dit , donné à l'homme: la faculté de faire , au befoin 9 ali- ment prefque de tout. Il a donne d'autre part à la terre de nourrir de vivifier dans fon fein prefque tou- tes fortes de germes , de plantes ^, & de fruits ; _mais il faut encore: que ce fein maternel foit attendri y réchaufïe , humecté par le concours, des autres élémens.

Ce concours lui eft favorable

D vj

?^ Avantages de la France , pre fqiie par - tout , mais plus ou îBoins ; rindLiftrie humaine en ac- croîr encore les influences , &c aide de la forte à la nature. Il eil: ce- pendant des lieux , elle (e refufe an ^s foins &: prefquà toute efpcce de produ6lion.

Le Samoyene &: le Lapon cachés fous des neiges éternelles ne fçaa- roient multiplier la moulTè quiTerc de nourriture aux rennes , dont le lait & la chair font leur unique fubfiflance. L'Africain errant dans des fables brûlans travaiileroit en vain à les rendre féconds. Le cli- mat & le fol fe refufenr également dans ces diverfes contrées ; en quel- ques autres , le climat aideroit , & le fol manque.

Les deux points que j'ai cités font les deux extrémités de ia tem- pérature. En partant de Tune & de •l'autre & rapprochant vers le centre, les biens & les dons delà nature fe préfentent félon les lieux ; de façon que ce qui manque à un canton de ce qu'un autre poiTede, y eft remplacé par des produdions

pour t Agriculture, Sy

d*un autre genre prefqu'égalemeiic analogues aux néceffités & commo- dités de la vie humaine. Mais s'il eft un pays qui puilTe jouir égale- ment de routes ces produ6bions , celui-là fans doute eft le favori de la nature.

La France réunit tous ces avan- La France tages plus quaucun autre Etat du ^l";;™;"" tnonde. Les Romains qui porfé- autre Etat dotent trois parties de Tunivers , P"""^ ^'^S^^'

. , ' . . culture»

qui Jes parcouroient,gouvernoîent éc ravageoient également tour-à- tour 5 rendoient ce témoignage à la Gaule 3 telle qu elle éroit alors re- lativement à fa Population , à la température de Ton climat & à la multitude de rivières , dont elle eft arrofée. Ils ne connoiiToient pas les avantages de la mer fi impor- tans aujourd'hui , & que nous pof- fédons d'une façon prefqu'unique. Ce n eft pas encore ici le lieu d*eii parler.

En confidérant notre climat, la fécondité de la plupart de nos ter- res 5 ces montagnes qui d'une pare nous fervent de frontières , & de

S^ j4vantages de la France^ l'aurre placées au centre diftribuent des eaux dans routes les parties de cette heureufe contrée , l'induRne & l*aâ:i vite naturelle aux habitans, la fécondité de leurs femmes, & au- tres avantages phyfiques , Ton con- çoit aifément que la France doic être la patrie de la Population & de Tabondance.

Les eaux qui fortent des mon^ tâgnes , qui arrofent de toutes parts les vaftes Provinces de ce Royau- me , forment les rivières & les fleuves qui les portent à la mer. Il n'eft prefque aucune de ces eaux, qui par le travail le plus fimple , & le foin feulement de les repren- dre a(Tez haut &: d*en détourner une partie pour les répandre fur les terres , ne fertilifafïent les cam- pagnes qui en paroiflTent les plus éloignées. Les Chinois , peuples chez lefquels il eft de fait, malgré les relations exagérées, que pref- que tous les arts font inconnus , ont néanmoins fur l'article de l'agri- culture des lumières pratiques qui nous feroient honte , d'autant plus

pour V Agriculture. Sy que toutes leurs machines font fîmples : ils élèvent les eaux par des roues , Ôc les tranfporrent fur leurs campagnes. voit-on de ces machines ~ en France ? Et dans quel pays du monde auroic- on plus de facilité pour cela?

Le célèbre. conflru6teur du canal du Languedoc, homme auquel la patrie devroit des flacues , n*a for- mé les baffins qui fournifTenr à la navigation immenfe Se continuelle de Ton canal que de ruiiïeaux re- cueillis dans les montagnes , Ôc qui fe perdoient dans les vallées, fans que perfonne en profitât.

D*autre part , la température du climat permet que dans toutes les Provinces du Royaume on puilîe cultiver les productions utiles ou agréables des quatre parties du monde , de façon qu'elles y vien- nent comme dans leur patrie na- turelle. Le détail à cet égard ieroic fuperflu.

La nature des terres enfin efl telle en France , qu*à la réferve de quelques dunes au bord delà mer?

81 Avantages de la France , & de quelques roches efcarpées en petit nombre , il n'y a peut-être pas un pouce de terrein qui ne pût être mis en valeur.

On fçait Toffire que firent les Maures chaiTés de rEfpagne , de venir habiter les landes de Gafco- gne, & Ton efl: aujourd'hui fur- pris du refus qu'on leur fit de ces déferts. Il faudroit fe tranfporter aux temps , avant de blâmer un gouvernement auiîi éclairé que ce- lui d'Henri IV. & de Ton ConfeiL L'autorité Royale n'etoit pas alors aufîî reconnue , & la police aufïï bien établie qu'elle Teft aujourd'hui. A regarder les chofes de ce fens- là, une colonie de huit cents mille âmes étoit un peu forte pour un Royaume qui renfermoit encore le germe des troubles civils. Ce- pendant Sully, le grand & digne Sully , qui voyoit tout & dans le préfent & dans l'avenir , vouloic qu'on les reçût. Si pareille chofe arrivoit aujourd'hui ,11 y a apparen- ce que les fous-fermiers de la capi- îation remporter oient au Confeil».

pour V Agriculture. S^ Mais en fuppofant que des raifons contraires prévaluffent , & que les Anglois & leur naturalifation leur fermaient leurs portes , je doute que le Roi de PruŒe les laifTâc re- tourner en Afrique.

Quoi qu'il en foie , ces terri- bles landes, l'on ne découvre trace d'hommes que par des ren- tiers pendant quarante lieues de pays , feroient aujourd'hui habitées autant qu'aucune autre contrée du Royaume ; & qu'on ne m'oppofe pas que je mets ici en fait ce qui eft en queftion. Ces landes por- tent des pignadas ou bois de pins •très- beaux , mêlés de chênes blancs : elles fontprefque par-tout couver-' tes de brandes fort élevées. Toute terre qui porte, peut être fécondée par la culture & l'engrais , & four- nir aux néceiïités de l'homme. L'air, dit - on , y eft fort mal fain , aînlî que les eaux : mais il y vit des ha- bitans , quoiqu'en petit nombre : les befliaux y font petits ; mais ils peuplent confîdérablement : & d'ailleurs cette température vicieufe

^o Avantages delà France j ne pourrojt-elle pas être corrigée par récoulement donné atix eaux pluviales qui féjournent roucThiver dans ces plaines fabloneufes î Enfin j*ai vu moi-même dans un enclos à portée d*une des hucres de ces bonnes gens, le bled de très-belle efpèce fraîchement coupé &" en- core entaiïe en gerbes dans les fil- Ions , tandis que le petit mil ou millet fuccédanr à cette récolte ctoic déjà haut de plus d'un pied & demi. Ce double produit me parue un phénomène ; mais mon étonne- ment ne venoit que de moji igno- rance i Se àe CQ que je ne fcavcis pas qu'ils fement au pied du fro- ment cette efpèce de petit bled qui leur fait un double produit , & les fauve de la difette , en cas que la grêle ou queiqu*autre malheur dé- truife la première récolte.

Conféquemmcnt ces terres font propres à produire. îl n'en eft au- cune , de laquelle l'homme ne tire des richelTes, J'ai déjà cité l'exem- ple du terroir de Marfeille ; je pourrois citer encore les environs

■.)

pour l'Agriculture, 9 1 de Paris. Les plaines cîe Grenelle ^ du long boyau , de S. Denis niê- me, 6c les environs de Verf^illes ne porteroient feulement pas des brandes , fi elles eroient éloignées de l'habiration des hommes. La preuve en eft dans la nature de la terre & dans celle des gazons mouffeux qui bordent Içs avenues des maifons & chemins. L'extrê- me Population fêuîe & Tabondance des engrais qu'elle occafîonne , forcent la nature marâtre à s'y montrer dans toute la pompe de la fertilité.

Je le répète donc , il n'y a pas un fèul canton du Royaume ou, pro- portion gardée &: relativement aux befoins du pays , tant pour (a con- fommation intérieure que pour foa exportation extérieure , on ne pût porter au même point la produc- tion & les efforts de l'Agriculture. Petic-à-petit nous en viendrons aux moyens , & dans la totalité de ces réflexions on trouvera , à ce que j'efpere, que je ne fyftématife fur rien , & que je n'offre que des

^ 1 Avantages de la France j objets d'une utilité première , Ôc des moyens faciles.

Aux avantages du fol Se du cli- mat s'en rapportent plufieurs au- tres , dont Texpérience feule nous montre la connexité avec ceux dont nous traitions tout-à-rheure.

Nos montagnes s par exemple, heureux réfervoirs de la nature , outre les avantages éé]a cites com- me le nombre des fources , l'abon- dance des pâturages ôc des beftiaux > en ont encore de plus remarqua- bles. La fécondité de refpèce hu- maine n'eft nulle parc plus mar- quée que dans ces âpres retraites. Les hommes rendus laborieux par la difficulté , non-feulement expo- fent à nos yeux des prodiges d'A- griculture j mais encore fortans en forme de colonie de leurs pays quand les neiges mettent fin à leurs travaux, ils defcendent de toutes parts dans les plaines , Se leur laborieufe & frugale économie met à contribution non- feulement les contrées voifines , mais les plus

pour VAgricuhure, 95 éloignées, & jufqu'aux pays étran- gers.

Les habitans des pays de Com- minge & de Foix répandent pen- dant l'hiver dans les plaines du Haut-Languedoc & de la Gafcogne. Les Auvergnacs , les Limofins , les gens de la Marche inondent . tout le Royaume , & font Jurqu*en Efpagne tous les gros travaux. Oa voit par -tout, fous le nom de Savoyards , les montagnards du Dauphiné & de la Provence. Ces gens -là multiplient à Tinfini j le travail ne les lafTe jamais : ils vi- vent de" fi peu , qu'ils amafTent àts fommes confidérables des plus pe- tits grains multipliés j & i*air de fànté qu'on leur voit à tous , prouve que le régime le plus dur , quand il eft volontaire , efl le plus falu- taire à l'homme.

D'autre part , quel genre d'induf- trie pofîîble ne germe pas dans cette nation aâ:ive ! également pro- pre à tous les arts libéraux & mé- chaniques , elle renferme dans fcn fein une multitude de nations diffé-

^4 Avantages de la France i rentes, réunies par une longue tia- bitude de reconnoître une même domination & de concourir aux mêmes objets relatifs , mais qui cependant différent entre elles de génie , de tempérament & de propriétés : de forte cjue fraterni- iées d'une part entre elles par le Gouvernement & le mélange iné- vitable entre les différentes parties du même Etat , elles participent d*autre part à toutes les propriétés des nations étrangères par le moyen des diverfes Provinces qui font limitrophes de chacunes, d'elles. Ainfî le Provençal a le feu & la vivacité de l'Italien, le Haut- Lan- guedocien participe en quelque forte de la gravité Efpagnole , le Breton tient de TAnglois , le Fla- mand du Batave , TAlfacien de l'Al- lemand , le Comtois du Suiife , &c. & ces diverfes natures viennent fe rafiner dans le creufet de la dou- ceur & de la politefïè Françoife qui fert de tempérament propre aux nations du centre du Royaume , vertus de la médiocrité , fi Ton veut.

pour V Agriculture, c) f mais alliage excellent pour amal- gamée & diriger vers le bien gêné- rai les propriérés diverfes & quel- quefois excefîives qu'apportent au centre commun les nations plus décidées.

Pour revenir à Tindullrie , il n'eft pas temps de parler de celle qui efl relative au commerce pro- prement dit ; mais , fans fortir du genre de Tagricuiture , je me rap- pelle d'avoir vu un payfan renforcé, fermier en même temps de la gran- de tréforerie de Malte auprès de Corbeil , d'une grofle terreau def- fus d'Auxerre, & d'une autre plus forte encore en Picardie. Il détailla Us différents rapports de produiftion & de fecours que fe prêcoient mutuellement ces trois établi ffemens, en apparence éloi- gnés & fi divers , éc je fus étonné des lumières que je trouvai foUs cette groffiére écorce. Il fe forme dans Paris des compagnies pour les fermes de terres fituées jufques dans lesPirennées, pour peu qu'el- les fbient de quelque confidération.

5^ Avantages de la Vrance ^

En un mot généralement parlant;

roifiveté & la mifere ne font ja^

mais que forcées chez ce peuple

induftrieux. L'ifleGellée. jg j-jg f^^jg ^j^j^^g q^gj conte dcs

Fées fai lu que Tifle Gellée étoic autrefois très-floriflante : on y la- bouroit 5 on y bâtiffoit , le com- merce &r les arts y étoient en hon* neur , & ce peuple - jouoit un rôle dans le monde. Comme cha- cun faifoit valoir fon talent , un homme habile prouva par beaux dits que le génie & Tadlivité étoient contribuables , comme tous autres biens d*ici-bas : en conféquence on taxa toute induftrie , & tant, fut procédé d'après cette ingénieufe fpéculation , que ce beau pays de- vint l'ifle Gelée.

Quant à Tinduftrie dont je par- le 5 il eft convenu parmi toutes les nations policées qu'un éit% princir paux foins du Gouvernement doit être de la répandre dans la fociété ; mais pour remplir ce devoir , il fuf- firoit d'animer par des honneurs & des récompenfès le zélé de ceux

qui

p^un r agriculture, 97

qui confacrent leurs études Se leurs travaux à des recherches , donc le but efl: de retendre Se de l'éclairer : quant au foin de l'exciter , on peut s'en rapporter à raiguillon du be- foin. L'induftrie e& un don Ciel aiïez généralement départi à tous les hommes , chacun dans fou genre ; mais ce don ne fçauroic être développé que par la nécef- foc.

I Ne confondons point : H y a deux forces de néceiïicés , l'une de pénurie , l'autre d'abondance : Tune fait les mendians , l'autre a fait les Ideftrudeurs de l'Empire Romain : Irune ed fans reiTources, l'autre les la toutes. La dépopulation fait la '■première , l'extrême Population faic lia féconde ; mais l'extrême Popu- 'lation ne peut venir que de i'ex- 5|:rême agriculture. Songeons donc Janiquement à rendre à la campa- 'tti^ie fes habitans 3 à les éclairer îiEans leurs travaux, à les protéger, it'les foulager dans les malheurs, à &|xiettre enfin en vigueur Se en hoa« uiilieur leur utile profeiïïon. m J. Farcie, E

^S Avantages de la France ^ &c,

Voudriez-vous me nier le prin* dpe, & me dire que rien ne fut plus peuplé que la Hollande , & que rien n*euc jamais moins de produit? La réponfe efl: aifée. Si je prêchois TAgricuIture, Se pro{^ crivois le Commerce , je ferois naître des hommes fans bras.Quand un Etat n'a point de territoire , il eft inutile de lui enfeigner à le cultiver : la Hollande pri(e dans rérat vous me la citez , n'efi: qu'une ville entière , telle que je les demande , comme je le dirai ailleurs , c'eft-à-dire , fituées à por- tée des exportations & importa- tions étrangères , & tout le monde eft occupé à vivre de Ton travail & non de fes rentes : mais doutez-vous que fi nous donnions aux Hollandois la plus rude de noç montagnes ou la plus aride de nos jandes , elle ne fut bientôt en rap- port ? eu ce cas , vous ne connoifTez guères cette naçion induHrieufe &; ïntérefTée.

Ces confidérations me jette^j foiçat l^ors d^ mpn fujet aftuel t\

Ce qui n ult à V Agriculture. ^ elles vJendronc en foule dans Je temps , & fe rangeront par clalîë félon Tordre des maricres , auranc du moins qu*il m*eft pofliole d*eii mettre dans ce que j'écris. Venons maintenant aux points principaux de ce premier livre, &coniîdérons quels font les inconvéniens qui font languir TAgriculcure parmi nous ; enfuire nous traiterons des moyens de Tencourager.

^I^Jtxmxt^sxasL^iiswtiiMi.^ii' it\.,£ii&JSt'AbA:snix^itf.

i*-

CHAPITRE V.

Inconvéniens qui font languir V Agricultur e,

T A profpérité ed aux Etats ce J-^ quefl la maturité aux fruits de la terre; elle en annonce , elle en néceffite prefque la putréfac- tion. Nous avons dît que l'inquié- tude eft inhérente à notre fubftan- ce , & fait partie de la nature hu- maine : le propre de l'inquiétude cft de chercher toujours le mieux.

s 00 Ce qui mât

ëc la recherche du mieux nous poulïè au-delà du bien. Plus on court après la premier , plus on s'éloigne du fécond *, la mêmç adtion des reflorts phyfiques » qui a changé la verdeur en maturité, pouffe celle - ci jufqu à la pourri- tpre.

Enconféquence, le premier érac d^ rhomme , qui eft l'Agriculture , étant pour lui le point du bien > il cft tout iîmple que Ton inquiétude Ten arrache. Plus il s'en éloigne, plus il croit approcher du niieux , ôc plus en effet il dépalîê le bien , ce qui eft pis encore que de n'y pouvoir pas atteindre. Confidérons maintenant , à l'appui de ces géné- ralités, en combien de façons la profpérité de FÇtat a fait parmi i)ous décheoir l'Agriculture.

Plus une focié.té s'étend , plus elle efl: tranquille au-dedans , plu;s elle eft vivifiée par différentes for-^ tes d'induftries , & plus aufïi le jeu d^ la fortune y a. de liberté. De*- lors les grandes fortunes devien-

à r Agriculture, îoi

héritages abforbent les petits. Quel- pIus une fb'^ le différence cependant de la fer- ^'écé s'étend, lilité d'un petit domaine qui four- cuhure Hf-' nie à la fubfiftance d'une famille que d'y êtrâf laborieufe , à celle de ces vaftes ^""'^'• campagnes livrées à des fermiers pafTagers , ou à des agens parefîèux ou intérefles , chargés de contri- buer au lu^e de leurs maîtres plon- gés dans la préfomptueufe igno- rance des villes. Laudato ingentia rura j difoit Virgile , exiguum cû- lità.

Le territoire d'un canton ne fçauroit être trop divifé : c'efl cette répartition , cette différence du tien au mien , principe de tous les maux , difoient autrefois les Poètes, qui fait toute la vivifîcatioa d'un Etat.

Je me promenois un jour fur une terraife ruftique *, deux voya- geurs pafibient au bas dans le che- min : Je parie , dit l'un, regardant un enclos qui éroit au-deifous , que ce bien appartient au Seigneur. Oui , Monfieur, fe hâta de dire ua payfan , qui peut - être de fa vie

E ii}

'rei Ce qiiï nuit

B'avok trouvé occafion d'enfèign^r que cela. (Nous aimons tous à euh do(5lriner, & peut-être en fuis -je moi- même en ce moment un exem- ple afïez ridicule. ) Je m'en étoîs bien douté reprit le voyageur , à le voir couvert de ronces & d'épi- nes. Je fus un peu honteux 5 car f étois ce Seigneur-là r mais je me corrigeai en fubdivifant mon en- clos à plufieurs payfans qui y de- vinrent laborieux , déracinèrent les épines , y ont bien fait leurs affai- res & doublé mon fonds.

Les gros brochets dépeuplent îes étangs ; les grands propriétaires étoufîènt les petits. Qu'une terre dans une province éloignée combe par héritage dans une groilè raai- fon : toute une famille de gens de condition y vivoit honnêtement , élevoit it^ tïi^2iX\s 5 les poufïbit au ièrvice, entretenoit mai Tons & jar- dins , & confommoit le revenu dans le pays ; au-lieu de cela , c'eft une goutte d'eau dans la rivière: à peine l'Agent a-t-il de quoi s'en- tretenir : les chouettes s'empareuf

à V Agriculture. lù^

■du donjon , les colimaçons du jardin ; on coupe les bois , & le nouveau Seigneur n'en cft pas plus riche.

Quand dans un grand Etat il arrive que par quelque exception fondée fur la ftérilité naturelle du fol 5 ou fur réloignement du féjour des grands propriétaires , les terres fe trouvent réparties en différents petits héritages, chaque ménage tire du fien des refîources qui le font vivre de ce qui ne feroit pas même fumier dans un grand : les fruits réels payent \qs charges de l'Etat ; l'induftrie Se Téconomie font vivre le propriétaire cultiva- teur qui croit devoir fa fubfiftance à fon champ , & qui l'en eflime davantage. Mais au contraire , plus des petits héritages engloutis, pour ainii dire , dans les grands perdent de cette fertilité que leur donnoie la préfence & l'attention conti- nuelle du maître , plus la fubven- tion due à TEtat devient à charge au propriétaire déjà dévoré par' .tous ks fous- ordres. du luxe &

E iv

la pareffe -, plus en conféquencë^ , la valeur des terres baiiTè dans Tef^ time publique & particulière. Or^ s'il eft vrai que plus nous prifons une chofe , plus nous y donnons de foins *, s'il l'cfl: encore , que la terre ne peut valoir que par nos foins & notre travail : qu'on juge quel vice c'eft dans un Etat, que la diminution de la valeur des ter- res dans l'efiime publique. Qu'on réduife au produit de cette fpécu- lation (împle , &c dont la démonf- -tration eft fous les yeux de tous le monde , l'eftime que méri- tent les foins d'un Gouvernement qui au - lieu de tendre par tous moyens doux à la fubdivifîon des fortunes & héritages, auroriferoic & appuyeroit au contraire les réu- nions de convenance , & poufleroic l'imprudence jufqu'à forcer celles qui font fous fa main. XJn Béné- ficier, un Dignitaire demande &* motive par les raifbns les plus Ipécieufès la réunion à fa place de plufîeurs autres Abbayes ou Béné- fices qui font à fa bienféauce j il

I

à V Agriculture o ïof iaîc en cela fa charge , peut - être fait-il aufll le bien de fon Eglifej mais il ne fait aOTurément pas celui de TEtat : on démolit d'antiques monumens , dont l'entretien aurok été à charge au nouveau proprié"» taire : on retire dans les villes des Deflervans qui faifoient vivre la campagne , ou pour mieux dire y x)ï\ les fait rentrer dans la terre 5= car leur dépouille n'accroît poins le nombre , mais feulement le^ commodités de ceux qur les en-» gloutilTent: l'Etat y perd des fujets^ h. campagne des habitans aifés , ù nécelTaires à l'entretien du pauvre =,. & la terre l'œil du maître.

Il n^eft rien de fou que la rai fon humaine ne puiffe regarder comme fageife. Un temps viendra^^ peut -êtreoù l'on verra des bureaux ^ dont les fondions pourroient être exprimées par ce titre : Tribunal de TiîbunaR la dévajlation. L'objet en ferait de ^;|^^^ ^«v^^*- détruire des maifons ruinées , & ' ' d'en réunir les revenus à d'autres plus dignes d'être confervées. S'il aous efl: permis de pouffer plu#

E-v

'*3^ Ce qtii mut

loin îa prévoyance, nous pourrrons prefque prédire les moyens habiles &c fûrs dont on s'y (êrviroic pour former le tableau des profcriptions,. On écriroit d'abord dans les Pro^ vincês que le deflein du Gouver- nement elt d'aider les maifons obé- rées, 8c par cette rufe aulîî utile que noble, on obciendroit un écaî des revenus & des dettes de cha- que maifon , état fidèle fans doute comme le moyen qui l'auroit pro- curé. 5ur cela la fatale lide fer ois drelfée précifément dans la direc* tioii contraire à ToLjet de tout bon Gouvernement , qui eft d'appuyés îe foible contre le fort , au - lieu qu ici les maifons protégées feroienr aidées de tout le poids de Tauto- rité à envahir les biens des mai?- &ns voifnes. Mais fi Jamais nos î3eveux voyenc établir le funefte abus d'une politique deftruftive ,. voici à peu -près les raiforrs dont ils pourroient combattre cet étran^ ge fyftême. Vous fou tenez , di- îoient-ils à fes auteurs , que tant es maifons religieufes multiplienc

à V Agriculture, 107

inutilement le céi bat, qu'elles (ont à charge à l'Etat à qui elles deman- dent fans cède des fecours , que ruinées par les révolutions palTeeSp la mifere y introduit le relâche- ment, & qu'elles fcandalifent, au- lieu d'édifier ; que la plupart fou- rni fëî à des Supérieurs incapables de (e conduire eux-mêm.es affec- tent une indépendance des Supé- rieurs Eccléfîaftiques , qui efl de mauvais exemple ; qu'elles vivent enfin miférablem^nt & dans la pa- relTe. Reprenons chacune de ces objeélions. A l'égard du célibat , vous ne fupprimez encore que des" maiions de fillfs , & je vois danS' l'Etat 11 X fois plus de filles nubiles que d'hommes qui veuillent fe ma- rier. Elles font à charge à l'Etat?: qu*il fupprime entièrement Tes fe- cours^ les niaifons qui ne peuvent s'en paflTer tomberont d'elles-mê- mes 5 ou chercheront d'autres reP fources dans leur travail , dans^ Fordre & Téconomiede l'intérieufo- Dans toutes les autres claiTes de citoyens > le Gouvernement s'êriir—

%■%

fîCiS Ce qui nuit

barrafle-t-il d*éxaminer plus & gens embraiïent une profeffioii qu'elle n'en peut nourrir ? La ré- forme fe fait d'elle-même , & le Kombre s'en proportionne bientôt tour naturellement aux moyens de fubfîftance. Quant au relâchement , e'eft à la police Eccléfjaftique & Civile à y pourvoir: il efl plusaifé de les foumettre aux Supérieurs \qs plus dignes, que de les détruire; & pour ce qui efl: de la pare/îè monaflique , je la crois au moins âu(îî établie dans les maifons ri- ches, que dans les pauvres. Si cela eft ainfi , c'eft un vice qui tient au relâchement auquel nous avons pourvu ci deflus.- Voilà vos raifons combattues , daignez maintenant écouter les nôtres. Ces maifons-, que vous fuppriraez, fervoient de retraite pauvre > il efl: vrai , mais à de pauvres filles élevées pauvre- ment, & conféquemment tout à €tx égard fe trouvoit de niveau & à £à place ; au - lieu qu'elles n'ont pas de quoi fe faire admettre, dans 'Eêlles que: vous conièivez. Elles

a V Agriculture, 105

elevoîent les filles du bourg & du voifinage, dont elles Te chargeoienE pour de très- petites pen fions \ ôc c'efl: quelque chofe que Téduca- tioiî , même telle quelle, pour qui neft pas en état d*en recevoir chez foi, ni de s'en procurer dans les grof- fes maifons. Ces maifons pauvres entretenoient des bâtimens qus vous nefçauriezréunir a celles qui les dévorent, ôc qui devenus inu- tiles dans des lieux déjà mal habi- tés , ne font qu'accroître les ruines. D'entre leurs revenus mêmes les plusfolides, la plupart viennent à rien entre les mains de pofleffeurs plus éloignés & moins attentifs, ce font de petites rentes qui fou- vent ne valent pas les frais de coUeélc : des enclos très-rapportans en ce qu'ils fournifîoient à leiu: fubfiftance, devenus friches par la chute de la maifon <Scc. les petites libéralités des parens. Se leur in- duilrie faifoient le refte : de ces maifons , les unes éîevoient des vers à foie, d'autres faifoient das ©uvrages à- la main, des liqueurs .3..

î î ô Ce qui nuit

des toiîes, &c. Tous ct% nnenilS" détails font des riens ; mais n'aurez- voiis d*attention à ces riens que pour les détruire t Oh ! réforma- teurs à coups de coignée , vous ères les plus mal- habiles des jar- diniers.

Cette digrelîîon qui m'a mené loin 5 paroîtra déplacée d*abord, & prématurée enfuite ; mais j'en crois le fond de queîqu importance , & peut-être l'aurois-je oublié ailleurs. Revenons.

Les grandes fortunes font cepen- dant, comme je Tai dit, une fuite naturelle de la profpérité d'ua Etat ; raccroiflTement des befoins du fifc & des facilités qu il a d'éten- dre fes rameaux fur tout le terrii- toire, en eft pareillement un efïèt néce (Taire , d'où s'enfuit que, par un enchaînement (impie, le difcré- dit des terres naît , Ton n'y prend garde , de la profpérité même d'un Etat.

Il eft des pays l'induflrie du ^^Q. a 3 pour ainiâ dire , fafciné les ^eux du cultivateur au point quil

a V A inculture, i j t

fe regarde encore comme proprié- taire abfblu , tandis qu'il n'eft pàs- même fermier à titre honnête. Ce doit être le nec plus ulirà de Tor- ganifationdes finances : une entre- prit, une opération de plus peut Eout-à coup défiller les yeux , ou du moins jetcer par Tes efîets dan.5 l'accablement.

Le Mogol efl propriétaire des terres dans Ton Empire immenfe femé de déferts , Se le peu de fu- jets qui lui redent , eu égard à la Population des pays vivifiés , vit au jour le jour , Se enterre Tor qu'il a pii ramaffer , fans fe foncier de rien édifier ni planter.

Du difcrédit des terres dont Je rrairerai plus au long ci-de(îous 5. naît naturellement le dégoût de Ix profefîîon d'Agriculteur. L*écono=- mie de campagne , forte de travail également attrayant & adif , n'offre ni à Tambinon Tefpoir d'une fortu- ne rapide dont on voit tant d'exem- ples dans un grand Etat , ni aux pafïïons l'appas trompeur des vo- lupté'î, les diftiactioDS promifes k.

tii Ce qui nuit

la politefle & aux arts. L*urbanîté

une fois établie primera toujours

parmi les hommes ; le citadin fe

mer au moins à fon aife avec

Tagriculteur , celui-ci fera au moins

embarrafle devant le citadin ; Thom-

me cependant aime à primer. Ainfî

donc , la cupidité, la pareflTe &

Torgueil font d*accord pour faire

méprifer la profeffion d'agriculteur

dans un grand Etat.

Une fois , en voyageant bieiî loin 5 je me trouvai par hazard dans un Royaume où, fans le fçavoir, l'on alloit à peu près ce train-lL J'y vis un homme confidérable qui cherchoit en même temps un Se-^ crétaire pour lui & un Econome pour faire aller une terre voifîne de la ville il habitoit , & vouloit entretenir un gros ménagé d'Agriculture pour en tirer (es pro- vifions. Pour le premier de ces deux emplois , il fe prefenta une infinité de jeunes gens bien mis y feien élevés , ayant fait leurs étu- des , Se avec des connoi (Tances fur Fhiftoire 6cç, la plus belle main du

a V Agriculture, i r 3

monde , fçachant faire des lettres fur un mot , enfin tout ce qu'il fal- loit, & cela à choifir pour çoo livres. Quant à 1 économe, il ne lui vint que des cralTèux , des ignorans, & des fripons: un feul me parut entendu , homme de bon fens & capable ; mais il deman- doit 1500 livres d'appointemens. Peuple de Caméléons , leur dis-je, vous prétendez donc un jour vivre de Tair ?

D'autre part , Tadminiftration d'un grand Etat incline naturelle- ment vers des vices de conftitution qui inquiètent fans celfe le labou- reur 5 & le gênent Jufques dans le choix de Ton travail & le débit de fe fruits. Nous traiterons ailleurs cette matière au long.

Je converfois un jour avec un voyage. homme qui difoit avoir été coUr ^^^"^ ^" damne en Afrique a chercher une route pour traverfer cet immenle continent. Il pafla quelque temps .|>armi les peuples barbares de cette contrée , & s'étant fauve depuis il •prétendoic avoir trouvé des traces

lî4 Ce qui nuit

qu'il y avoit eu autrefois quelques fortes de notions chez ces peuples qui ont à peine aujourd'hui figure d'hommes : il alTuroit qu'ils avoient jadis connu l'Agriculture & le tra- vail , mais que Bientôt on la leur fie oublier par deux arrangemens po- litiques dignes de l'entendement a<5buei de ces peuples malheureux. L'un étoit quaufîitôc qu'un pro- priétaire faifoit quelque nouvel éta- blilTement fur fon fonds , qu'il y^ bâtiffoitsplanîoit &c.les Receveurs de l'Etat groflîfîbient la cotre pro- portionnelle de cet homme , cora- me étant plus en état de la fup- porter qu'un autre. Le fécond arran- gement étoit que (bus prétexte de conferver les denrées dans l'Etat en cas de famine , il étoit ài^^nia non-feulement d'en faire fortir de chez eux , mais même d'en faire pa(îèr d'une Province à l'autre fans des permiffions néce(ïairement fu- settes à toutes fortes de monopo- les 5 de façon que quand les grains ctoienr co^lmuns , les infedes voraces en Afrique les mangeoies^

a t Agriculture, 1 1 j

dans les greniers , & quand il^ étoient rares , le profit ctoit pour les monopoleur»; , <Si la diferte pour tout le monde. Cela découragea le peuple qui redevînt Hoicentor. O cerveaux brûles, m'écriai-je, que nous fommes heureux de vivre dans des climats l'on ait le fens commun , & Ton fcache s'en fervir !

Nous Tavons dit, le plus ultra ? Le pius^ eft la devife de Thomme : Tes defirs f't ^'''''' le déplacent au phylique , amli jqu'au moral. Le villageois habire- roit un bourg, s'il pouvoit perdre ion champ de vue ; le bourgeois n'afpire qu'à s'établir à la ville, & l'homme de ville envie le fort de l'habitant de la capitale. Ce defir univerfèl tend cependant , comme je l'ai dit ailleurs, à faire perdre à l'Etat la forme de pyra- mide pour prendre celle de cône renverfé. La profpérité d'un Etac aide encore à cette fâcheufe pro- penfion.

L'étymologie du mot nous ap- prend qu'une Capitale efi: auiE

11^ Ce qui nuit

ftéceflàire à un Etat , que la têtiï TeH: au corps ;mais la têtegroflît trop & que tout le fang y porte , le corps deviertt apopledique & tout périr.

Chaque propriéta;ire de terres doit une portion de Ton produit àu Souverain ou à TEtat. L'induf^ trie de chaque homme lui doit en- core plus ou moins félon les loix ou ufages fifcaux d*un pays , par les droits établis fur les confom- mations , fur les exportations, fur les matières premières , fur les oir- vrages , &c. Toutes ces fommes immenfes relativement à tout autre revenu dans l'Etat , font en partie confommées dans la Capitale. Les grands Officiers de la Couronne ou de TEtat, les Officiers des Tri- bunaux fupérieurs & autres em- ployés dans le nombre infini de Charges que demande Torganifa- tion fupérieure, y refîdent nécet fai rement , & confequemmenc y confômment non-fèulement le pro- duit defliné à leurs appointemens & profits y mais encore celui

a r Agriculture, 117

leurs propres fonds , ajoutez encore le produit qui fubvient aux frais de réducation des enfans &c. tout cela fait un bloc prodigieux , & qu il eft bien difficile de tenir dans la proportion ncceffaire à l'harmo- nie , relativement à la force confti- tutive des autres lieux qui de- vroient former des échelons pro- portionnés pour arriver à la Ca- pitale.

Que fera - ce donc , fi en aban- donnant les Provinces à une forte de dépendance direâie, & ne re- gardant leurs habitans que comme des régnicoles du fécond ordre , pour ainfi dire , Ci en n'y laiflanç aucuns moyens de confidération & aucune carrière à Tambition , Ton attire encore tout ce qui a quel- ques talens à cette Capitale ? Si , par une continuation d'aveugle- ment , on ouvroit la porte aux évocations des Tribunaux des Pro- vinces à la Capitale : fi Ton y prodiguoit les récompenfes 2i\x% îpoindres fervices , foit d'utilité ,, Ipit ci*agf:émçnt; fi Ton perniçttoig

î ï 8 Ce qui nuit

enfin qu2 pau une infinité de pe- tites féduâions de détail , Tinfé- rieur en Province eut toujours le' droit de tenir tête à Ton Supérieur,* pourvu qu'il eût quelque connoif- fance en fous -ordre dans les Em- ployés au détail du Gouvernement : il le moindre Bourgeois ou Officier" pouvoit parler au loin d'écrire en Cour &c, dès-lors, par un bout ou par l'autre , tout tendroit à cette- Gapitale qui étoufTeroit du fang arrêté dans les autres parties.

Si d*autre part , fous prétexte de veiller à leur perfe£tion , on y atti- roit les manuFadures , au-lieii de lès répandre dans les lieux la vivification , nécelTaire par - tout ,' n*a aucune des refïburces ci-delTus : fi Ton y établiifoit les maifons' communes de charité & de retraité,' au- lieu de les envoyer aux lieux* le produit e(l plus abondant, &' Ja confommarion moins afï'urée,,' raccroifTemenc de cette Capitale feroit fans bornes, & cet accroifîè-! înent devroit être pris pour une preuve d'abondance dans l'Eiat , à

à t Agriculture. 115^

»eU'prcs comme d'énormes loupes le font de la fanté du corps.

La profpérité d'un Etat établit dans ion fein une infinité de ra- meaux d'induftrie & de natures de biens 5 qui tous paroiiTent au pre- mier coup d'oeil plus commodes & plus dil'ponibles que ne Tefl la pof^ îefîîon des terres , appas trompeurs qui féduifent & détournent Thu- manité en général. L'homme tou- jours prompt à fe redreiïer , ne femble pouvoir être courbé vers la îfrre que par la nécefîîté.

Les propriétaires des terres qui fupportent d'abord les plus grandes .& les plus onéreufes des charges publiq^ies , & qui font moins en état de s'y fouftraire que perfonne y qui du fécond bond rerfèntent le .contre - coup néce (Taire de toutes celles qui font établies fur les con- fommations , fur les débouchés , entrées &c. ont encore une infinité de fléaux & d'embarras , que n'ont point les rentiers & pofTefTèurs de .foute autre forte de biens fidiFs & de t^iQXVàs réels. Les intempéries du

î£0 Ce qui nuit

climat & les incertitudes des fai- fons qui fouvent au dernier jour h détruifent toutes leurs efpérances, font d*abord un poids toujours plus incliné du côté de la crainte que de celui de lefpérance. Cet article , dira-t-on , regarde plus les entre- preneurs de leurs revenus nommés fermiers _, que les propriétaires*. Mais outre que je conûdere ici le propriétaire dans Ton état primitif, il eft toujours vrai de dire que le fermier proportionne fa rente aux rifques de fon entreprifè , & confé^ quemment que ces rifques font toujours à la charge du propriérai-^ re. J'en dis autant des mortalités de beftiaux , fléau qui diminue le fonds de moitié & fouvent du tout, (i le propriétaire n*a des fonds en réferve pour remonter (è^ étables. -Ajourez à cela raflujetfKTement, les procès & autres embarras. Tout concourt dans TEtat politique , tel qu'il elt aujourd'hui conflitué chez les nations policées , à rendre le fort du propriétaire des terres plus mialheureux, proportion gardée ,

que

V

a V Agriculture, iit

que celui de tous les autres mem- bres de l'Etat.

Il eft en conféquence très-com- mun d'entendre dire que tout hom- me , quelque riche qu'il foir , ne {çauroit jouir d'une certaine aifance, fi tout fon bien eft en fonds de terres. La chofe n'eft que trop raie , attendu la folie & la vanité les propriétaires, qui dépenfent tou- ours plus qu'ils n'ont. Il eft même rès-certain que > tandis qu'un ren- ier qui montera exadement fa lépenfe fur Tes revenus , fe foû- iendra long - temps fur le même ied , fans être obligé d'altérer fes bnds , fon voifin dont le revenu îft en fonds de terres , ne fera pas ilix ans fans manger un tiers de (on |bnds , s'il a fait le même calcul i ttendu que les cas fortuits , les [éparations &c. enlèvent fouvent n quart & quelquefois la moitié jçjle fes revenus , & que la dépenfe jlant toujours, néceftairement la jgloule de neige grofïïr.

dIosI ^^^^ ^^ "'^^ ^^ P^^ moins un

e W^^ ^^^^ ^^^^^ opinion fe foit éta-

'I L Partie, F

CliC

)i

't

1 2, 1 Ce qui nuit

blie. Eile n'a au fond que Tappa* rence, qu'on peur détruire par mille raifons tout autrement réelles. Raîfons de i". Il eft daus la nature de Thom- préférec les ^^ de travailler folidemcnt , &dô

biens ea , , ^ /- , i r

fonds de chercher a le perpétuer dans les terre, propres ouvrages. Plus Ton remon*

re aux premières inftitutions de rhumanicé, plus Ton en trouve des preuves , & ce principe ne peut erre difputé. La frivolité de la na- tion d'une part , l'abondance de For , grand corrupteur de la na- ture de l'autre , femblent nous avoir entièrement inclinés vers l'intérêt perfonnel & momentanés qu'on appelle jouifîànce. On place ion bien à fonds perdu , on bâtit, on Te meuble , on vit enfin unique- ment pour foi; mais cet on que j'admets ici & qu'un petit nombre d'individus habitans de cette foll( Capitale regarde comme général efl cependant très - rétréci. Lei Provinces entières ^ & à Paris mê- me tout ce qu'il y a de gens d(| travail, de bourgeois, d'homme I|) d'une profeflîon grave , de NobleIÎ<|&

\t

à V agriculture. iij

attachée à (on nom oc à fa famille , tous les honnêtes gens enfin , loin de fuivfeceîte méthode monftrueu- fe d'éteindre Ton patrimoine en même temps que le dernier flam- beau de Tes funérailles, ne la to- lèrent que dans les gens qui n*ayanc point d*enfans ni de fuite & dif- pofant d*un bien qu'ils ont acquis , fe procurent une aifance qu ils iup- pofent nécelïaire , & dont ils n ont de compte à rendre à perfonne. Mon delîein n eO: pas ici de blâ- mer j mais Je dis que chacun aime à placer folidement fortune , & Ton convient qu'il n'y a pas de polïefîîon plus folide que les terres une fois bien liquidées. Rien n*em- porte le fonds en totalité, & au pis aller, dans des temps de cala- mité elles offrent un afyle & une fubfiftance afTurée , qui peuvent manquer au polTelTeur de toute au- tre forte de biens.

2®. Elles donnent toujours une forte de luftre & de rang , indé- pendamment de la prééminence 6c jurifdiélion des fiefs fur leurs

Fij

habitans : invention qui , quoique Gothique , n'en eft pas moins ad- mirable 3 par mille raifons qui ne font pas de mon fujet adfcuel. Le propriétaire des fonds a naturelle- ment une jurifdidion de dépen- dance fur les cultivateurs , une confidération & un rapport naturel dans le pays, au lieu que le pof- feiïeur de contrats n'eft connu que du Procureur qui veille à la con- fervation de fon hypothèque 5 Se rhomme dont le bien eft en mai- fons 5 n'a de relation pour cela qu'avec fon Entrepreneur Maçon , ôc le Notaire quipafîe les baux.

3*^. Le prix d&s terres & leur valeur doit naturellement recevoir une augmentation proportionnelle à celle du prix des denrées. Tel homme acheta , il y a cent ans , une terre cent mille livres-, û. Ces enfans la poflèdent aujourd'hui , elle vaut prefque le double, toutes autres chofes étant égales , & le revenu en a monté prefque dans la proportion. Si au contraire cet homme eût fait un contrat à fîx

a. V Agriculture, 125

pour cent , forte d'intérêt alors u(îré, Ton ^contrat 5 fuppofé qu*il fnbfîfte encore, chofe prefqu'inouie, a d'abord certainement diminué au raux du Prince d'un fîxiéme de revenu , & par conféquent de fonds. Ji y a grande apparence qu'il dimi- nuera dans peu d'un cinquième en- core , en fuppofant qu'il ait échapé à la révolution du fyilême qui a mis à trois , deux 5 & quelquefois un pour cent , tous les contrats qui ont été confervés ; mais en ad- mettant qu'il eût échapé à toutes ces révolutions, chofe impoiTible, fix mille livres de rente , il y a cent ans , va! oient mieux que douze aujourd'hui , tant à cau(e du hauflfe- ment du marc d'argent, que rela- tivement à celui du prix de toutes les denrées & marchandifes. La moitié de la fortune de cet homme s'eft donc fondue par le laps de temps.

4^. Chacun compte fur (on in- duftrie. Il efi: certain que les terres offrent un vafte champ d'amélio- riation y on jouit de ce qu'on efpere

F ijj

«

11^ Ce qui nuit

prefqu'autant que de ce qu'on pof^ (t<^t \ & dans le fait , l'homme le moins entendu n'a qu'à fe prêter aux vues des colons & habitans de la campagne , mettre les profits de {o\\ économie fur Ton fonds, il en doublera & triplera le produit bien plus rapidement , que ne pourroit faire le plus avare polTefTeur de contrats en employant les revenus à en faire d'autres.

50. Il y a toujours des profits & des revenans-bons dans les ter- res , & jamais dans les autres biens ; des ventes de bois , des mutations de fiefs &c- font des refifources in- connues ailleurs, & qui font fou- vent de la plus grande utilité.

6^. Enfin , un contrat > ou tout autre emplacement , s'il efl: bon , eft fujet au rembourfement , dans le temps le remplacement efl: le plus difiicile? & à la banque- route , s'il efl: mauvais , fans qu'on puiîTe jamais exiger fon fonds , quand on en auroit befoin. On ne fçauroit lier les mains d'un hé- ritier diflîpateur fur des effets de

Ci t Agriculture. rij cette efpece ; on ne peut les per- pétuer dans fa famille. En un mot, toutes les rai Tons folides font pour la propriété des terres , & l'on ne finiroit pas on vouloir les énu- mérer en détail.

Cependant fans s'arrêter à lopi- jiion publique, article fur lequel tout le monde eft fujet à Te mé- prendre , le fait parle 6c nous indi- que le vrai dans ce point-ci. Qtie le Clergé , que les Pays d'Etats , que les Princes & les Particuliers même cherchent des emprunts , la foule y eft 5 & c'eft à qui prendra date pour être reçu à apporter Ton argent. On fçait pourtant que les placemens les plus folides en France deviennent chaque jour moins filfs , en proportion de ce que la fomme des engagemens s'accroît. D'autre part 5 les plus belles terres font dans les Affiches, Se cela à choifir en tout genre , pays & coutume. Se Ton ne vend rien ou difficile- ment. Ce n'efi: plus aujourd'hui le temps de dire que les gens à argent n'ofent faire des placemens d'éclat :

F iv

ïiS Ce qui nuit

ehacun ofe ôc jouit maintenant à fa. guife du fruit de Tes travaux & de Ton bonheur 5 mais le fait eft qu'on ne veut point des terres^ Examinons en pafTant les caufes de cet engourdiirenient Ci fatal à FErar. Kaifons qui La première fans contredit & la Bc..sfonc 1^5 ^^^11^ ^^ lg pro^J2ieux poil-

dédaigner f^ i i /^ i ^i>

les terres. îlement de la Capitale; tout lar- geur y vient par les raifons déduites ci-deflus. L'homme fuit le métal, comme le poiflbn fuit le courant de l'eau , ôc tout vient à Paris. Les délices & les préjugés de la Capi- tale tendent tous à établir la mol- leiTe ôc réloignement du travail pour qui peut s'en pa(Ier. Les ter- res demandent des foins & quelque réfidence du moins pafiTagére; on ne veut point de cela : les campa- gnards font fi rebutans ; quelle fo- ciété ! ( car à force de parler fociété nous deviendrons tout-à-fait info- ciables : ) les parcs de nos pères font raboteux : point d'arbres en boule, ni treillage en bois dans les dehors : moins encore d'entre-fols.

à r Agriculture. ï2c^

d'appartemens , de bains ôc de lieux à l'Angloife dans les maifons. Qiie faire fans tout cela> Il s*agic donc de ce qu une terre rend franc de quitte à Paris. L'ancien pofTefTeur mettoit tout à profit , connoifloic fon monde , organifoit fa befo- gne ; le riche qui lui fuccede at- tend qu'on le vienne chercher , qu'on ait payé fon portier Se Ces valets pour avoir audience de Mon- feigneur , & obtenir la ferme à bas prix. Ce ne fera point un- économe Se honnête laboureur qui fe donnera ces mouvemens-là ; la Ville l'efRaie , & Tinfolence des ibus-ordres le rebute : voilà donc un intriguant Se fouvent un (npow devenu fermier , Se chargé en outre' de la confiance du Maître; il fait la portion de rintendanr, il envoie- des pâtés au maître-d'hôtel , Se des fromages au fuKTe-, tout chante fes- louanges dans la maifon. De foii; CQié il fçait oiV reprendt;e tous ces- frais , il vexe les Habitans, excite des refus ôc des procédures qin- |roduifent des nourvâleurs,, article

1:5 0 Ce qui nuit

le plus rapportant de fbn compte» D'autre part , comme on s'en de à Jui , & cju'on n'y vient jamais , il arrive malheurs fur malheurs j cas fortuits , réparations, & le Maître ne trouve au bout Tan que du papier en recette & dépenfe. Voilà pour les terres éloignées.

Celles qui font à portée ont Thonneur de voir le Patron ; il arrive, l'avenue eft trop étroite & de côté, il faut en marquer une autre , deux contre-allées ; trente toifes de largeur ôc autant que la vue peut s'étendre ; leterrein d'une bonne métairie devient avenue » & le produit zéro. Le parc , les charmilles , le quinconge , le laby- rinthe, les arbres" en boule, autre zéro : trois cents arpens en ce genre ne font pas trop ', le potager étoit trop étroit, il faut des ados, des- murs de partage , une pompe pour amener des eaux , des ferres chau- de?, une orangerie. Les terraflTes fablées , les élagueurs , tondeurs , l'entretien de ces potagers dont il arrive quelques primeurs à la villes,

a V Agriculture, 1 5 1

le foin d'entretenir & ratifier tou- tes les allées du parc , de mainte- nir les pompes , &c. tout cela ne coûte que icogo livres , ce n'eft pas trop. Dans la maifon les meubles , les vernis &c. deman- dent un Concierge. Si ce pauvre homme , fa famille & les frais d'entretien ne coûtent que cent piftoles , c'eflbon marché. La terre valoir 15000 liv. de rente , elle revient à 400000 livres avec les frais 5 on y en a dépenfé Go pour la rendre digne du Maître ; le ter-- rein mis en décoration a diminué la ferme de 4000 liv. il en coûta onze d^entretien, refte à rien pour Monfeîgneur. Mais fon voifin dans la place Vendôme , & lui - même quelquefois compte j cette terre , dit-il , me tient lieu de 15000 liv. de rente & ne m,e rend rien , d*ou lui & fes femblâbles concluent ^ ce font de mauvais biens que les terres.

Une autre raifôn du difcréditdcs- terres eft le manque de confiance & de bonne-foi y on s'en plaint , j

F vj;

\ ^

332 Ce qui nuit

crois, dans le commerce & par- tout j mais cela n'eft pas de mon fujet. Il eft de fait que jamais ii n'y eut moins de confiance , parce Cjue jamais il n*y eut plus d*or & plus d'avidité pour For chez les grands & les petits. Jamais auflî il n'y eut entre les propriétaires des terres & les cultivateurs moins de ces rapports d'intérêts & d'hon- nêteté 5 qui forment l'union & éta* blillènt la confiance.

On a beau dire , l'homme eft un infede de telle nature qu'on ne fçauroit tant le prelTer qu'il ne retourne pour piquer le talon qui i'écrafe j mais il eft pareillement fenfible aux bienfaits , èc il n'eft férocité & malice humaine que la vertu & la bienfaifance n'appri- voifent.

Les gens de plume & d'écritoire qui ont 5 à force de projets , d'or- donnances & de réglemens , changé la conftitution fubalterne de l'Etat,. & qui eux-mêmes enveloppés des foibles débris de leur édifice ^ onr

à t Agriculture, 1^5

aufîî promptement que la haute Noblefle , fait place à tous les poti- , Çeccptioi*

^ r 1'- . ^ 1 »Lir l'ancien

rons que la raveur, 1 intrigue, la état de la rapine &: Tiuduftrie élèvent de Monarchie» toutes parts , ont établi un préjugé contre Tancienne conftitution de la Monarchie ; & cette opinion , de malice chez eux , l'eft devenue d'ignorance dans tout le refte de la nation , & même parmi ceux qui y ont le plus perdu. Le peu- ple 5 difent-ils , avoit autrefois mille tyrans au-lieu d'un Maître. Si l'on^ entend par cet autrefois les temps du Roi Robert & de quelques- uns de Tes fucceiîeurs , la chofe ne peut être difputéej l'anarchie éroie générale , aiiifî que la férocité :: mais ces temps de convulfion pour le corps politique ne font point: ceux que nos doéteurs ont en vuè'j il nous en refte trop peu de tra- ces , & \es malheurs d'un tel reii- verfement de toute fociétéfonttropv reconnus pour qu'il foit néceiîaire- de les citer. Les fiécles écoulés: depuis S. Louis jufqu'à nos guerresr de religion font plu^, débrouillésb j.;

154 ^^ ^^^ ^^^^^

& s'il étok queftioiî de difputer fur

la force intérieure de notre confti- tution d'alors , Je défierois les Ju- rifconfultes les plus habiles en Droit public de m'y démontrer les maux de la tyrannie , dont les efïèts font toujours parlans. Qui de nous fe chargeroit aujourd'hui de faire dire à un Auteur Anglois ce que dit Mathieu Paris en parlant de faint Louis : Le Seigneur Roi des Fran- çois , qui eji le Roi des Rois de la terre ^ tant en vertu defon onc- tion célefie que par la fupérioritê

de fa milice Eût- on refpe(5té de

la forte le Souverain d'un peuple livré aux brigandages de lanar-: chie ?

Le dénombrement de la France fait fous Charles IX. portoit dix * neuf millions d'habirans y & celui fait fous Louis XIV. n'en donne que dix-fept. Nous n'avions cepen- dant ni le Rouflîllon , ni le Bearn & la partie de la Navarre qui nous: demeure , ni la BrefTe , le Bjgei y ni la Franche Comté , TAKace de.

* \oyti Bocalin*

à r Agriculture, 135

les trois Eyêchés , la Principauté de Sedan ; la Somme étoit notre frontière du côté de la Picardie. Le Royaume enfin étoit d*un grand cinquième moins étendu. L*on me dira que le dénombrement de Charles IX. étoit fautif; mais je répons que nous ne nous y prenons pas aujourd*hui de façon à en faire de plus exaéts. Or 5 ou toutes les régies font faulTes , ou jamais un peuple tyrannifé ne fera nom- breux.

Avant de finir Tarticle de Tanar- chie des (îécles palTés , je prierai ceux qui regardent mon opinion comme un paradoxe , de recher- cher dans les Auteurs inftruits &c contemporains de ces temps pré- tendus malheureux, l'opinion qu'on: avoir alors de la conftitution de la Monarchie Françoife , & de Tordre qui regnoit au dedans. On en trou- vera des traces dans plufieurs ou- vrages. Je me contenterai de pla- cer ici quelques endroits que j*ai notés autrefois en lifant les réfle- xions de Maciiiavel fur la. première

if6 Ce qui nuit

Décade de Tite-Live. On n'acciife pas cet Auteur d'être mal inftruit, ôc Cl fon cœur eût été auflî droit que fon efprit étoic éclairé , fa ré- putation ne fer oit pas étrangement mêlée. Tel qu'il eft, fon plan de politique n'eft apurement pas de maintenir l'anarchie ; & s'il eft err quelques endroits pour le gouver- nement violent , c'eft au Prince Se à la République qu'il le confeille , ôc toutes fes vues tendent à établir non- feulement la foumifîîon , mais Tobéiflance paffive parmi les fujets. Ecoutons-le parler cependant fur îa France dans le quinzième fiécle. Je n'ai pas tout noté dans le temps s ôc je n'ai pas aujourd'hui celui de relire.

Chapitre i6. Difcours fur la- première Décade. » C'eft ainfî que >r fubfifte le Royaume de France , » auquel on ne vit en repos ôc en* « fureté que parle moyen des Loix ji qui y fonts lefquelles les Rois «font tenus de garder, & qu'ils. Si gardent faintement.

Dans le Chap. 15;». » De -là je.

à V agriculture, 137

>j conclus qu un Prince commun 3j ou foible fe peut bien porter j> après un excellent-, mais deux « ou trois femblables Tun après » l'autre fans difficulté ruineroient 3i tout, fi ce n'étoit comme en >5 France, Tordre & la police 5> ancienne foûriennent le faix de ii la Monarchie.

Dans le Chap. ^^.hCq Royau- 33 me- ( la France^ efi: trop bien réglé & gouverné ; même mieux, 55 à mon avis , qu'autre qui foit w dans l'univers.

Dans le Chap. 10. du troifiéme Livre. « Les Royaui-nes aullî ont 35 pareillement befoin de (e renou- » veiler & de ramener leurs Loix 33 à leurs principes, & on voit le 33 grand bien que cela rapporte au 33 Royaume de France, qui eft le 33 Royaume qui vit fous les Loix 33 & les Ordonnances plus que pas 33 un autre, defquelles les Parle- « mens font les gardiens Ôc les *' protecteurs , fpécialement celui " de Paris ; lefquelles font renou- ii vellées par lui toutes les fois

j 3 s Ce qui nuit

»> qu'il fait une exécution contre M un Prince du Royaume , & qui 3* condamne le Roi en fes Arrêts. Dans le 41^ Chapitre. » Ce que 3> les François imitent en paroles 3> &en adtions, quand il eft quef- 3> tion de la Majefté de leurs Rois w & de la puifTance & autorité de 3> leur Royaume > & il n'y a rien » qu'ils fupportent avec moins de w patience que de leur faire voir w que tel ou tel moyen ne tourne » pas à l'honneur du Roi , difanc w que leur Roi n'encourt aucune » honte ni aucun déshonneur , » quelque confeil qu'il fuive, foit M dans la bonne ou mauvaife for- j> tune j de perte ou gain. // n'im-^ 3* porte j tout cela efi ordonné par w le Roi.

Je laifTe à confidérer d'après ces citations fi notre Go?ivernemenc de ce temps- étoit regardé com- me la réunion d'une infinité de petits tyrans. Il efl: encore à remar- quer que le commerce auquel les Florentins étoient très - adonnés » faifant en France tout celui de notre

k V Agriculture, 139

Royaume , les niettoit à portée de bien connoîrre nos mœurs & ufa- ges ; que Machiavel vivoit dans le temps de nos premières expédi- tions dans fa patrie , qu'elle étoit alors République , forme de gou- vernement qui tourne tous les efprits du côté de ces fortes de recherches , & que Machiavel a toujours palTé pour un des plus habiles hommes de fon temps en ce genre.

Quoi qu'il en foit de mon opi- nion relativement à ce qu'on vou- droit appeller le bon ordre & po- lice , & qui , félon moi , reflemble aflez à celle qu'on fait obferver dans le Serrail , il ed: au moins certain que les Seigneurs d'autre- fois demeurans dans leurs terres , ceux qui vexoient leurs habitans, les vexoient en perfonne & non par procureur , ce qui certainement vaut mieux ; qu'ils confbmmoienc fur les lieux le fruit de leurs pré- tendues extorfions, & ne foufFroient pas que d'autres qu'eux les vexaf- îent. Ceux au contraire d'un efprie

î4® Ce qui nuit

folide & d'un caractère bienfaifant, ayant moins d'occafions de befoins fuperflus & plus d'objers de com- niifération devant les yeux, foûte- noient , protégeoient , encoura- p^eoient les habitans de la campa- gne. Les pauvres , les malades étoient fecourus du Château 5 les orphelins y trouvoient leur fubfîf- tance, & devenoient domeftiques. Il y avoit , en un mot , un rapport direcfl: du Seigneur à fbn ftijet, & par conféquent plus de liens & moins de lézion de part & d'autre , fans celle du tiers.

Paflant dans un canton de tra- verfe en Querci , je m'arrêtai dans un a(ïez gros lieu , couloit un ruififeau confîdérable ou petite ri- vière que je remarquai toute pleine d'écreviiTes. Je demandai à l'au- bergifte combien de gardes avoit le Seigneur pour que la pêche fût ainfî confervée. Ah ! Monjîeur ^ me dit le bon homme , ceci appar^ tient a M. le Marquis D. B. ce font les meilleurs Seigneurs du monde que nous avons depuis deux.

Ci V Agriculture. 141

cents ans ^ & qui viennent fouvent dans le pays. Il n'y a pas un de nous qui y loin de lui rien prendre , ne fut le premier j en pareil cas y a dénoncer f on voijîn. Un homme de qualité d'une Province peu éloi- gnée de celle , donna pendant la difette de l'année 1747 le pain & le couvert dans Tes granges à mille pauvres durant fix mois. Alle^y mes enfans ^ leur dit- il à la S. Jean , alle\ tacher d'en ga- gner : Je vais en ramajfer pour Vannée prochaine ^ fi la difette dure. Certainement cet homme » quoique d'un mérite & d'une pro- bité didinguée , eft un Seigneur Châtelain dans la force du mot : quelque bienfaifant qu'il puiiTe être j il n'eût Jamais poulie jufques- les effets de la commiieration, Is'il eût habité à Paris.

Ne fût-ce enfin , comme Je l'ai Idit, qu'en faifant travailler depau- Ivres gens , les Seigneurs dans leurs Iterres faifoient des biens infinis. [On fçait à quel point étoit l'habi- laide 3 ôc pour ainfî dire , la manie

I4i Ce qui nuit

des préfèns continuels que les hà- bitans faifoient à leurs Seigneurs. J'ai vu de mon temps cette habi- tude cefTer prefque par-tout, & à bon droit } car tout bienfait doit être refpedif ici- bas , & fi la ba- lance peut l'emporter , le furpoids doit être naturellement du côté le plus fort. Les Seigneurs ne leur font plus bons à rien ; il efl: tout fimple qu'ils en fbient oubliés comme ils les oublient : & qu'on ne diiè pas que c'étoit un refte de l'ancienne fervitude > ou l'on fe tromperoit fort, ou Ton parleroit de bien mauvaife foi. Dans les lieux cela fe pratique encore, ces bonnes gens & les plus pauvres, feroient très-mortifiés fi Ton refu- foit leurs préfens 5 & plus encore, {\ par une étrenne proportionnée ou plus forte on prétendoit les in- demnifer ; je l'ai V4j cent fois.

Les veftiges de la tyrannie de nos pères prouvent au moins que les payfans connoilToient leur Sei- gneur, & en étoient connus. Or^ quoi qu'on dife de la malice des

\

à t Agriculture, 1 4. f \ hommes, c'eft un axiome reçu éc

^démontré par Texpérience , que ceux qui nous connoiffent & ont quelqu habitude avec nous , nous traitent moins mal que ceux pour qui nous fommes entièrement étrangers. Le fentimenc & la réa- lité de ce principe eft un des grands motifs du dulcis amor patrU. Il s'enfuit de-là que perfonne ne con-

•noiflant plus le Seigneur dans fes terres , tout le monde le pille, & c'efl bien fait.

Une autre raifon encore qui n*efl: qu'une branche de celle-ci , c'eft la mutation prefque conti- nuelle des fiefs , Se leur tranflation fur la tête d'hommes nouveaux.

Du petit au grand, de même qu'un Etat n'eft jamais fi ferme dans fa conftîtution que quand la fuccefîîon y eft perpétuée dans une même maifon , il en eft ainli de fes membres. Les confidérations politiques ne font pas de mon fujec adtuei , je rampe & laboure la terre j mais je ne puis m'empêcher de dire ,en paftant , que le refped

^44 ^^ ^^^ ^^*^^

de la vieille fouche , toutes autres

chofes étant égales , entretient la fubordination & l'ordre parmi les habitans de la campagne. J'ai vu quelques exemples que je pourrois citer , de Communautés qui fe font rachetées de leur Seigneur qui vouloir les vendre , pour fe rendre à lui. J'en ai vu mille défolées du feul bruit de ce changement , & plus encore , qui demeuroient tran- quilles & ne difputoient rien à leur ancien Seigneur, qui fe font jettées dans des procès infinis avec le nouveau. A plus forte raifon, quand ce nouveau Seigneur eft le petit- fils de Jacques un Tel , fur- nommé Lafontaine: il a beau dire que M. fon père s'appelloit Mon- feigneur dans les Requêtes , les payfans ont l'oreille maligne «Se la mémoire bonne , 6c toujours répè- tent que leur Seigneur ne vaut pas plus qu'eux , & que s'il eft plus riche , c'eft qu'il a mieux fçû faire fa main 3 au furplus qu'il n'a qu'à diner deux fois.

De

à VJgrkuîture: Ï4f De cette femence de mécon- tentement & de mépris naît bien- tôt la fraude & la rapine quils fe croient permifes *, & Ton ne fçau- roit croire combien cela nuit à la jouiflance tranquille , & confë- quemment au prix àf^ terres, qui jettent nos Parifiens, les feuls ri- ches du Royaume aujourd'i^ui , dans la néceffité de plaider au loin 9 ou de devenir clients à Paris , chofe infupportable à un homme d'or accoutumé à la clientelle d'au- irui.

Je n'examinerai pas fi la fiir- Rfaut çat Aarge des terres , & la façon d'y {f*. ^"Z'^" percevoir les impots , n elt pas une yres, axIo- kutre caufe de leur difcrédit. J'^i me de sibK. béja dit que je ne f olitiquois pas ; Se il y a à tout* cela tant de pour k de contre , que je ferois fore îmbarrafle. Je ne prétends pas •^pendant par ce pour & contre aire entendre que je connive en non particulier à l'axiome des diocs, ou des gens de fac & de orde qui prétendent qu'il faut que s payfan ibit mifèrable pour qu'il /. Partie^ Q

T4ë Ce qui nuit

travaille , fans quoi il devient pa^l refleux & infolent. Outre Tindigne inhumanité d'un tel f^opos , que* je fuis obligé d'avouer à ma honte avoir ouï tenir plus fouvent à la campagne quà la ville , propos auquel il n'y a rien à répondre que le mot de ce Romain à fon fils qui Jui offrit de prendre une ville en perdant trois cents hommes ; J^oudrois - tu être un de ces trou cents ? outre l'inhumanité , dis-je il eft de toute faufleté. La miferi n'entraîne que le découragement nous l'avons dit , & le décourage- ment la parefle. A cela ils répon dent, qu'il faut un milieu; & oi eft-il ce milieu, miferables aveu gles ? Sera-ce vous, qui vous char| gérez de le trouver ? Je vous ré- pons, moi, qu'il y a long-templ qu'il eft pafïe. Ils ajoutent que quand les payfans font bien , ils n veulent plus travailler. Je me rappe le qu'ayant un jour difputé fur cetti révoltante allégation fur laquellK je me défendois , comme ayarM^jj^ parcouru la Suifle & l'ayant trouvq

à TAgnculmrtl tà^r^

tultivée autant & aufîî-bien qu*el/e le peut être, on me cira le Comtac d*Avignon qui n'éroit qu'à cinq îieues àçAk, J'y entrai Je même four ; je fus furpris d'y voir un jardin par-tout; & m'étant infor- mé de la force & vivacité des tra- vailleurs , j'appris que dans les cail- lons de Provence , voifins de ce ?ays-là, on payoit un manœuvre lu Comtat 3 o fols par jour , contre tj un de ceux du pays. C'eftainli ju'on foûtient les principes les )lus erronnés , & qu'on les autorife )ar des exemples controuvés, qui ont d'autant moins difputés qu'il èroit plus aifé d'en vérifier la auilèté.

Mais en fuppofànt que l'aifance împêchât les pay fans de travailler ,> :e n'eft jamais de travailler leuc ! )ropre bien. Les bourgeois de vilîa^ 5e & de petite ville, gens qu'on ippelle vivans de leur bien , race ïccupée à médire & à mal faire ^ \c dont je confeillerois de purger a fociété jufqu'à ce qu'ils s'appli-^ jaaiïènc tous à quelque honaêc^

G ij

*4'? Ce qui nuit

profeflion , s*il n étoit contre mes principes de confeiller la violence en quoi que ce puifle être, voulant faire travailler leur bien, tenir les payfans dans la fujéiion , & ne leur payer leurs j<3urnées que fur les prix anciens , fans confidérer que les objets de confommation ayant haufîe , il faut que le fàlaire du mercenaire haufle , ces gens - 3 dis je, fe plaignent que le payfan aiifé ne veut plus travailler. Je répons à cela , 1®. que le mal n efl" pas grand : 2°. que je leur ofRe une prochaine confblation : en effet , le payfan riche élevé nom- bre d'enfans , au-lieu que ceux dt Î)auvre delTechent & rentrent dan: a terre. Ces enfans partagent épuifent Taifance du père, le for- cent au travail, bientôt Ty fecon dent , & faute de fonds , devien- nent mercenaires. Le Suifle efl aifé , comme je Tai dit, cependanj il reFufe peu le travail, qu'il f dévoue volontairement au plus du l de tous, qui eft d'aller vendre foi

I h V Agriculture] 14^

; ïang & fa liberté dans une terre étrangère^

Une dernière raifon , mais infi- niment moins problématique que toutes les autres , du difcrédit des terres en France , c eft le haut prix de Tintérct de l'argent. La pa- relTe , fœur du luxe comme je le démontrerai , quoi qu'on en dife , par pièces probantes en bonne ôc

. due forme, & tous les deux, en- Fans de l'habitation des villes , la pare(Tej dis -je, fait que tous fes partifans préfèrent un intérêt fixe qu'ils envoient recevoir par un bar-

' b'^t à l'échéance , à tout le foin & maniment que demandent les teN res, & renoncent , en faveur de leur tranquillité , aux avantages du

I temps , de Tindurtrie & de la foli- dité. Plus cet intérêt eft haut , moins ces avantages font fenfibles. Si je voulois faire un livre de ce que j'ignore , je fçaurois bien prendre cent raifons & autant de calculs 1 pour prouver que cet in- térêt eft trop fort chez nons ^ me naettant enfuite mon propre

G

1t C"^ Ç^^ n^it

t.)uvrage dans la tête , je devîêi drois doâ:eur in utroquejure i ma» ici il n'eft encore queftion que ai ce que je fçais , & fans croin m'écarter , j*établirai le principe que toute forme qui tend à faiu vi^re une portion des citoyens fa» adtion , ni jurifdiflion , eft nulfible & qu'on ne feauroit trop s*attache déraciner le djfcrédit des terres & à le tranfporter fur des effet ««aifs.

La profpérité d*un Etat nuit en core à r Agriculture en établi (Tan un ordre de moeurs j un genre à magnificence & de décoration qui en dégoûte èc la repoufTe ai loin. Dirperdition Lgg Chinoîs 3 dit- on , perfuadé «n f Ire?/ ^^^ ^^ l'emploi des terres dépen jardius j &c, dent , comme on n*en peut douter les moyens de fubfiftance qu'on e recire, que retendue* des moyen de fubfiftance eft l'exaéle mefur de la Population , & que la Popu larion eft Tunique richefte réell d'un Etat , regardent comme u ctime l'eiXïpîoi des îterres en

à t Agriculture, ijf

fôiis Se jardins de plaifance , com- me (î Ton fraudoit par-là les hom- mes de leur nourriture.

Ce genre de crime eft , ]e croîs » un peu trop étendu en France. Les parcs , il eft vrai , peuvent avoir leur utilité , en ce qu*ils renfer- ment à^^ prés & des bois qui font devenus très-néceffàires} mais in- dépendamment de ce que cette né- cefîîcé eft relative à la trop grande & inutile confommation de bois que le luxe a introduite, & qui, au moyen des induélions démon- trées dans ce Chapitre , eft un très- grand mal , on les perce d'ailleurs tellement que les parcs & les forêts ne font prefque que des chemins bordés de lifîéres de bois.

Sans m'arrêter fur de ferriblables détails qu'il fuffit de défigner , je noterai feulement îes avenues , forte de décoration qui enlevé des Provinces entières au Royaume, Il eft (ingulier que le moindre par- ticulier 5 finge des Princes & des ' Souverains , prétende avoir à fa mâi/bn de campagne des avenues

ïfi: €e qui nuit

doubles ôc triples qui dévaflent & mettent en friche une partie de ion domaine , & quelquefois le tout. Indépendamment même des avenues à chaque percée, il fauc que la perfpedive foit continuée par des allées à perle de vue. Cel- les-ci en rejoignent d'autres dans la campagne , Se le point de jonc- tion eft marqué par des efplanades en rond , dont Tétenduë fourniroit à la fubfiftance d'un hameau : dt-^ partent quatre ou huit allées > félon retendue du terrein , avec leurs contre - allées &c. & je vois d'un coup d'oeil cent mille livres de rente réduites à rien , & perdues pour tout le monde* En vain m'op* poferoit - on qu'on laboure celles. de ces allées qui ne fervent pas de chemin. Peine perdue , le graia ne vient jamais bien fous les ar- bres, l'herbe y eft aigra. Encore û l'on faifoit le facrifice de la ré- colte à des arbres fruitiers , ou autres qui fervent diredement au indireâeraent à la nourriture de f homme ? je dirpis ^toujours quf

a tJgficuUùréo i;|

:'eft téduire un écu à dix fols z. nais c'eft le tilleul , c*eft roimeau Ur île , qui couvrent & ruinent nos :ampagnes-, arbres très-utiles pouc e charonage j dit-on> & ceft ce lont je me plains»

Il y a quatre fois pins de voi- lures en France qu'il n'eii fauJroit j k fi d'une part , le nombre en •toit borné au néceiTaire & à l'utile y \c que de l'autre , nos grands che- nins fuiïènt bordés d'ormeaux dans out le Royaume, comme ils le ont aux environs' de Paris, le cha- onage ne manqueroit jamais eiï 'rance V car d'ailleurs , on a biea les ormeaux dans les campagnes 5. es payrans en font des feuillar^s- )our les beltiaux, & cet arbre opi-

Iïiâtre revient de chacune de Tes ra* :ines. Mais voir de toutes parts dans- ât campagne , à vingt lieues à la •pnde autour d^ Paris , les or me au 52: épandre leur ombre fur toutes ces îampagnes (\ propres à la fe?rilicé' ijar l'excès des engrais & fumierrr iont on eft embarralTé à Paris- \ paiidis qu'ils foor fi rares ailkurs:.

9y

3S>

«54 Le qui nuit

les voîr , dis- je , mulriplier à Pinfinî dans tous les fèns que je détâillois- tout-à-rheuie , cela fait faigner 1| cœur d'un citoyen éclairé.

Ceft , dit-on , ce qui fait la ma- gnificence des environs de Paris, Je pourrois répondre que je ne calcule pas niagnificence, maiî la profpérité & la population î ce» pendant je doute encore de cettt allégation. Sans doute qu'il feroiJ îidicule de demander à la Capitah d*iin Royaume opulent les dehor: de Salente, ou de Lacédémone Il faut des. Palais pour les Graild.' &c du fafte pour les Princes 5. mai; f arrive à Fontainebleau : je traVerÊ deux lieues d'un pays aride & in capable abrolumtnt de rien pro- duire, je le trouve couvert d'un* 1 belle foret qui m'accompagne auflj loin en fortant : loin de trouver ic| ^es traces de dévaftation, je voisqiK le jour du Souverain y fair vivri les habitans d'une ville ebn/îdéré] î>te, & féconde dix lieiies de pay inhabitable : je bénis la Provideno

à t^ Agriculture, t^f je vois de toutes parts des campa» gnes fertiles , accablées du poids d'habitations immen(ès , feules » ifolées , & qui de leurs racines ari- des deflechent une province en- tière; & mon poftillon qui m*eti nomme les Maîtres > fur cent ne me défigne pas trois noms de ma connoifïànce. Ce coup d*œ.l frap- pant au loin , devient trifte & froid à mefure qu'on approche ; les plus agréables me repréfentent les champs Elifëes quelques ombres fe promènent en filence, & boi- vent des eaux du fieuve Lethé, Je me rappelle alors le coup d'ceil de la chauffée de Loire , celui des bords de la Garonne , de Ville- neuve d'Avignon , la Vifte à Mar- feille , les côtes d*Alface & autres pays véritablement vivaiîs , les environs d*Orlcans, de Lyon s de^ Marfèille, &c, Ctt amas de maî- fons particulières qui ne font preP que féparées que par leur vigne &t leur verger , ce peuple agiifant pendant le jour , danfant au ciai'^ 4^ k kmç ^ tâjudis que le. bruit d^

i5^ Ce qui nuit

la bêche de quelque vigilant quf revenant de journée tçavaille fom propre bien , interrompt la mefure- 3e leurs mufettes & de leurs tam^ bours. Je conclus alors que fut la profpérité , ici le luxe , fort indigne fils & fon implacable eii* Hemii, ^

}'èn^ appelle aux feuls environs de Pàris.Par-tout oùrhabitation des riches a lai (Té quelque place à Tagriculture 5 elle y eft pouITée aa plus haut degré d'induftrie & de perfedtion. Q,u*on parcoure ces cantons privilégiés , je ne dis pas lès. villages de Montreuil & de Bàgnolét feulement , mais partout arquatre' lieues à la ronde ,-& qu*oti me diie enfuite fi Tœil n eft pas plus fatisfait , fi Tame n eft pas plus émue- à rafpeéfc de ces coteaux qu'à làî vue dii plus beau parc. A la rangée de vigne fiiccede celle d'ar» bces fruitiers j, les grofeillers occu— pentr rentre- deux V les pois & les>: ardehaux naiffent au pied des ar- feres~y ^ les foftes d'afperges en*-f

à r Agriculture. i^f

'Toirrcîê lavai ée de Moncmorenci> ee n'efl que cela.

I Mais il n' eft pas queftion ici da 'plaîfirfimplement de la population^ ïl eft: certain qu'autant de terreini inculte-, autant de fujets enlevés, fans relTburce à TEtat. Or , Texcès dont nous venons de parler dévafte la valeur d'une Province entière da Fneilleur terrein. Le remède, dira- E-on? Le voici. Cheriffe:[j aime^ V Agriculture y bientôt les riches t^ous imiteront j finges d'abord , ils s'y connoîtront enfuite j chacun 'effera d'être rentier de fon do- aiaine , & en deviendra proprié- taire. Pourquoi les riches font-ils S ennuyés de leurs magnifiques :hàteaux , qu'il leur faudroit pre(- igue autant de maifons que de ehe- [nifes? c'eft que l'art y a toutfair^ îc la nature rien. Je ne les blâme pas de s'y ennuyer , eux qtii y font i demeure , puifque ,. fi J'y vais par curiofitéy dès que j'ai toprpai- souru il me tarde d'en fbrtîr. Quel- ques-uns s'y attachent , ce font

Km gai çicçût j mai§ cette ta^raflej

î 5 8 Ce qui nuit

cette pièce d'eau entrepriie & co»^ duite à grands frais eft à peine achevée , qu elle leur devient aufîî étrangère que celle que fit leur grand - père , s'ils en ont. Il fauc entreprendre quelqu'autre embel- liflement. D'échelons en échelons cependant la maifon, le parc, tout devient immenfe & ruineux d'en-- tretien. Alors, tandis que l'étran^ ger, tandis que le bourgeois cu-^ rieux admire cet amas de beautés & de dépenfès, & croit , environ pendant dix-fept minutes , qu'il feroit au comble du bonheur de polTéder cela, le Maître accablé d'habitude & d'ennui ne peut plus s'y fouffirir, & cherche à décorer quelque guinguéte dont il jouit en imagination , & qu'il dédaignera «n réalité.

Qu'on ne dife pas que c*e(l l'in- conftance humaine ; cette inconf tance eft un bien en foi , comme toute autre qualité de notre arae. Elle ne devient un mal qu'à me-* fure qu'on s'éloigne de k nature. Çai homme corieux ie plautes

à V Agriculture, If^ étrangères revient toujours avec un nouveau plaifir à Ton jardin ;. mais cet attrait particulier à quel- ques hommes eft prefqu'univerreî pour ce qui concerne l'agriculture en général. Comme les moiiibns & les fruits fe renouvellent fans cefTe 5 le travail de nos pères y. etx ce genre ,' ne fait que faciliter le nôtre. Indépendamment du goût attaché par la nature aux occupa- tions & aux détails champêtres, le profit auquel tout le monde eft îenfîble, éveille encore Tinduftrie, iSc attire l'affeétion. L'avenue prin- cipale exceptée , toutes les autres tomberont -, les maifons de fer* îïiiers 8c de payfans couvriront les "campagnes. L'ombre jadis empoi- ïonnée de ce château deviendra ialutaire alors ; car en général nousi ïommes tous charitables & com4 pacifTans. Les riches ne font durs î]ué parce que Tordre corrompis des moeiirs les tient éloignés de Tindigence ; ils la banniront de leurs encours , ne fût-ce que pou^r ii*être pas affligés,Cliaflfe25L<i€ defliœ:

^ï^<> Ce qui mut

Fhumbk toit les maladies & fa faim > ce fera le territoire & la pa^ trie de la joie fimple Se bruyante; De propre en proche elle gagnera les bafïès-cours du château , & pé- nétrerait jufquau falon , fans la double antichambre gardée par la parefTe.

Je le répète , chériffei y aime"^ V Agricultures vous bannirez tous Jes maux de l'Etat , fuppofé qu'il y en ait, oppre (leurs , intriguants^ fripons > faineans , politiques à re^ tours , faifeurs de traités fur la population, que fçaîs-je?Gu fi ces gens-là font dans la plénitude d*uii Etat flori(ïànt, comme des pucè$ & des punaifès dans l'ordre de la création , du moins y feront- ils û confondus & Ci ofïufqués par un peuple agiflànt, & occupé de cho-- les tout autrement folides , que l'oifiveté devenant honreufe j ils perdront toute confidération > ôç en conféquence fentiront amorti;: leur mobile principal , je veux dire TorgueiL Mais il me ftmble que

f#s allçss me minm' vrAiiTîçflÇ

à V Agriculture. 16 î

Sîen loin ; revenons. j'avois promis d'éviter les écarts, je man- querois fouvent de parole.

Le même inconvénient de perte MultîplîcitS inutile de terrein que nous venons ^ "°p ^""^T

1 11/ o r ge largeur

de remarquer en allées &c.ie trouve chcmia»^ encore dans une force d'ouvrage plus utile en Ton objet , mais auffi abufif au moins par la forme , le projet éc l'exécution , je veux dire , les €hemins, A ce mot , je vais m'at- ftîrer anathême , car c'eft de tous les arrangemens de police inté- rieure , celui ou notre fiècle a: fe plus donné d'attention. Mon ia- tentîon , je le répète 5 n'èfl point de blâmer; mais en tout, on peut dire le mieux»

Je fcais qu'on a fait de notre remps , en ce genre , des ouvrages dmirables, tels que la montée de uvifî 5 celle de Bouron, celle de Tarare & bien d'autres. Mon def^ ein n'eft: pas non plus d'objeâ:er Iju'on a négligé de donner à ces^ brtes d'ouvrages faits pour Téter- iké, la folidité qu'y donnoient les

«ooi^insj que U plupart de noa

t^i Ce qui nuit

chemins font détruits avant d'étrè* achevés; que la corvée qui feule a fervi à la conftrucflion de prefque tous les chemins éloignés de la Capitale, n'eft propre qua ruiner la campagne , & à faire des routes qu*une médiocre colonie de taupes peut détruire en un an de temps*. Tout cela n entre pas dans mon objet aduei , ce n'eft que leur lar- geur & leur multiplicité que j'en- vifage.

Ces célèbres voies Romaines qui^ ont réfifté , par la folidité de leur conftrudtion , à tant de ficelés & de ravages ; qui ont plus illuftré cet Empire prodigieux que tous les autres miracles de fa fortune, de fa valeur & de fa politique s ces voies militaires 5 dis-je, dont les principales alloient du centre du monde à fa ci rcon-Férence^n'a voient, les plus confidérables , que foixante pieds de largeur , & les autres que vingt , & quelquefois huit. On n*en comptoit en tout que 47 dans îQute l'Italie. Venons à nous maiîi^.

a FJgrzcuMr€. lêt

tenant, & coniîdérons Tinutile Jargeur de nos grands chemins.

Je fens qu il convient que qneU ques-unes des principales avenues de la Capitale uniffent la décora- tion à Tutilicé j que le mênie avan» rage peut être attribué aux avenues des grandes villes de Province, & même à quelques routes princi- pales : mais aujourd'hui chaque adminiftrateur particulier multi- plie à Tinfini dans Ton reflfort ces fortes de travaux. La moindre communication entre chaque petite •ville efl: tracée fur le plan , ou peu «en faut 5 delà grande allée de Vincennes au Thrône. Le chemin cft marqué dans ce fens- , la dé- vaftation ordonnée ôc exécutée par les corvoyeurs , ôc comme les fonds manquent pour tant d'ouvrages à la fois 5 les ponts, les enfablemens dans les lieux marécageux , & au- tres ouvrages indifpenfables de- meurent à faire. Ces remuemens de terre, loin d'attirer les voitu- res, les éloignent ; & comme le

•chemin eft inutile ? vu le peu as

1G4 Ce qui nuit

communication qu il y a entre leâ villes champêtres dans ces cantona reculés, le petit nombre de pèle- rins , marchands de baie , meflà- gers à pied & gens de cette efpece qui font accoutamés de frayer cette route , contente d'un des fofles latéraux pour Ton paflàge , tandis que le prétendu chemin fe couvre de ronces.

Ce que je dis , }e l'ai vu en plufîeurs endroits. Mais je veux que ces chemins de traverfe foient mis en tout état de perfection , & auffi folides que ceux des Romains ; toujours ferois-je en droit de dire qu'il faut que la route foit propor- tionnée à la fourmiliiére 5 & quil cH: inutile de condamner à la fté- rilité un terrain ïmmenfe dans fort étendue, dont la cinquième partie fufîîroit à l'objet d'utilité qu'on eut en vue. Remarquons encore que ce que je fuppofe ici de leur per»- f eétion , fera toujours d'autant plus dans les efpaces imaginaires 5 que l'objet d'entretien fera plus confî- 4érable ; car enfin ^ l'Er^t ne peui

à P Agriculture. iè$ ïuffire à tout ; & de même que , toute proportion de folidité étant égale , un palais coûte plus d*en- tretien qu une maifon médiocre 5 ain(î des chemins. Je fuis perfuadé que cette marote des grands che- mins d'une largeur immenfe mul* tipliés à l'infini coûte encore deux provinces à TEtat.

Autre inconvénient notable en ce genre , c'eft la rage des aligne- mens. Il eft certain que c eft un ornement confidérable , & qui doit èat recherché avec foin en fuppo- fant régale qualité du terrein, dis plus, dans les routes princi^ paies & aux lieux cela abrège d* beaucoup , les édifices & autres embarras de détail n'y doivent pas être ipargnés , faiif le dédomma- gement du tiers , comme en ufènt les pays d'Etats pour leurs che-, mins. Car malheur à ces Admi- ^«iftrateurs cruels & dédaigneux qui , fous le prétexte que tout doit céder à rutilité publique , écrafenc tout ce qui fe trouve devant eux* J,a colère du Ciel ne fait magazia

ïiS^ë Ce qui nuit

que des pleurs du pauvre opprimé ,' éc je renvoie toujours ces hommes de fang & de limon à ces mots déjà cités : V^oudrois tu être un de ceux'^ ci f Mais cet inconvénient efl: aifé; à faire entrer dans les frais d'un, objet principal.

Cependant il eft un point que Je voudrois qu on refpeélât dans les plus grandes routes , c'eft la différence des terreins. Ce terreiri fec ou fabloneux , prefque de nulle valeur, devient d*un produit réel quand vous y faîtes paiîèr le che- min, puifqu*en alTurant une com- munication & un débouché à vos bonnes terres ^ il vous épargne la dépenfe qu'euflènt demandé celles- ci, pour en rendre le fol capable de fer vie de bafe à un cheminai Au- fiea de cela , votre alignement traverfe les prairies , les bonnes terres, jardins & chenneviéres d*uu village. Vous perdez non - feule- , ment la portion fi rapportante du territoire de ce village , mais en^ core tout le refte médiocre & mau- vais : k bon faifoit valoir l'autre ;

à r Agriculture. l6y le payfaii ruiné n'a plus la force de foûrenir Ton ménage, & aban- donne le tout. Or calculez toujours ces fortes de perces à Tinfini, feule niefure aduelle de vos grands che-^ min.

Evitons d'ailleurs , comme la pefte y tout ce qui porte au décou- ragement 5 car c'en eft une en effet. Les gens de la campagne font tous aux portes de Tabbatement *, un rien les accable ; & n eft-ce rien que de fe voir enlever la meilleure pièce de fon bien , même avec dédom- magement ? En un mot chérijffe^ ^ anime:^ F Agriculture y bientôt elle vous dira que le terrein lui eft pré-! ci eux.

Mais ceci nous conduit au Cha- pitre fuivant qui doit traiter de la nécelïïté & des moyens d'encou- rager TAgriculture. Il s*en faut bien que je n'aie épuifé celui-ci , ni même que je l'aie traité par ordre dans toute fon étendue. ]'ai défigné quelques points principaux,. fen ai trop étendu d'autres , félon gua ma plume a couru. La fuit^

1 'iô s ÈncowcLgemens

des différeats ©bjecs traites danSi ^et Ouvrage en préfentera plu&urs autres ; car tout fe tient dans la tnachine politique, ainfi que dans^ la malTe phyfique.

CHAPITRE Vr,

IDe la nécejjité & des moyens f encourager l'agriculture.

TOut mon Ouvrage n'a d'objet que de traiter de la Popula- tioiijde fes avantages, & des moyens de rétendre à Tiiifini. Or , comme je ne penfe pas qu elle puifle avoir d*autre principe que T Agriculture, je pourrois dire que mon Ouyjrage entier traite des moyens d'encou- lager F Agriculture. Cependant , comme ce n'eft point la fociété des anciens Egyptiens que je confîdere, mais celle des nations policées de îîotre ficelé , qui eft tellement com- pliquée d'acce(ïbires que le princi- pal y eu pr^fqu entièrement oublié.

pour r Agriculture, léc) je traiterai pied à pied de toutes les branches de la ramification po- litique ; mais j'y trouverai fouvenc des branches de ce Chapitre - ci ^^ e ne les rejetterai point alors : maintenant je vais préfenter ea gros les premières idées qui s*of-: ient à moi fur cet article.

3*ai dit que la profpérité d*un Etat établliToit les grandes fortunes :]ui bientôt eu envahifïbient tout le ;êrritoire. Quel remède à cela , lira t'on? Non pas fans doute ce- Aimer ics lui qu'emplovoit Tarquin fur les S'^^^^V ^^'

i i J i puvcr les

grands pavots de ton jardin ; j*au- médiocres, rois bien perdu mon temps , fi ja- Honorer les fnais je prêchois la tyrannie : mais ^"^"* zime^ les Grands , appuyé^ les mé- diocres 5 honore^ les petits qui font laborieux & qui ont de l'induHrie. Prenez garde, s'il vous plaîc , à Tap- pli cation de chacun de ces Verbes; je ne me trompe pomt , c'eft pré- cifément ce que j'ai voulu dire. Chacun d'eux peut fans doute être appliqué aux trois différents grades donc je parle ici ; mais ne voulant ieur attribuer à chacun qu'un feul J. Partie. H

1 7 o Encpuragemcns

de ces fenrimens , c eft avec réfîé' xion que je les ai répartis aiilfi. < En effet, aime\ les Grands; Vous leur apprendrez par Texemple fuprême à aimer aufli leurs înFé-^ rieurs ; vous les rappellerez au principe fi naturel 6c fi démontré, qu'une illuftre famille efl plus étayée par les fujecs qui naiuent dans Ton fein , que par les grands biens qu'une vanité dénaturée de- Cre d'accumuler {nt une feule ih.t\ vous vous incétefferez à rétabliile- ment de leurs enfans aînés & ca- dets ; lés races fe multiplieront 3 fe diviferont , ils demeureroni grands par le cœur y & fe pique- ront d'honneur , dès qu'ils ne pour- ront plus fe piquer derichefies. . Appuyé^ les médiocres, ceiï h pépinière de-l'Etat; les exemple; |a vanité provinciale les gon- domeiliques , les vieux papiers iBent de cti amour propre: jtcmé xairei, &.. flexible dpat .l'Etat fçâl t\ lier t a nE de p ar ti j 1 m ais es foipi 1 pauvres '-& feroient ridiarles; dani lii) Etat corrompu : leurs prétention,

pour t Agriculture. 171 leur ferment une quantité de portes à la fortune & à l'induflrie j le défefpoir les feroit déroger ou vivre dans la plus oidve obicurité , ou s'expatrier enfin. Ceft pour eux que font faits les ernp ois de vos armées, les libéralités de vos me- nus plaidrs , le fuperflu des Grands de voire Etat, Appuye-^-lts , pour qu'ils recourent la pénible vieilleiïe de leur père , pour qu'ils excitent la fécondité domeflique , pour qu'ils fe chargent de leurs neveux. La rage des pauvres pour le mariage eft le premier des bienfaits de la Providence pour un Etat. Il n'y a rnalbeureufement point de milieu, îa débauche ou le mariage > Tune efl ftéri'e , l'autre eft fécona. Crai- gnez que la dedrudive philofophie des voluptueux infenfés ne devienne une prudence de néceffité pour les autres j en un mot, appuyé^ les niédiocres.

Honore^ les petits. Les larmes me viennent aux yeux , quand je ibnge à cette int'relTante porricii de l'humanité, ou quand , d: ma

H ij

172. Encouragemens

fenêtre, comme d'un thrône i je ;i conhdere toutes les obligations que ij nous leur avons , quand je les vois fuer fous le faix, & quemetâtant enfuite je me fouviens que je fuis de la même pâte qu'eux.

Le peuple eft ingrat , dira- 1- on ;

il eft volage, il eft brutal Eh!

quelle eft la portion de fiiumanité, dont on ne puidè dire la même chofe ? mais je foûîiens moi , que cela n'eft pas vrai. J'ai fait peu de bien 5 ( je ne fuis pas en état d'en faire beaucoup , & je n'ai pas fait à beaucoup près tout celui que faurois pu ) , j'ai trouvé des mar- ques de reconnoiiïance qui m'onc étonné. Mille fois plus de bienfaits fe font perdus en montant qu'en defcendant. Le peuple eft volage : reproche de fadieux , reproche fait à la multitude oilive & déplacée , Bc je n'en veux que de laborieu/è èc occupée. Il eft. brutal enfin 5 mais peut-être eft-il malheureux , perfécuté, méprifé? en bute à i'op-=. prefîîon en tout genre de tous les autres ordres de l'Etat. S'il en eft

pour V Agriculture, 173 aînfi , ne reprochons rien aux mi- férables ; remédions à la caufe de leurs maux ; je me trompe fi Tai- fance & Texade police ne les civi- lifent.

Mais tout ceci ne vient pas en- core au point que je leur ai attri- bué dans Tattention publique : oui , je voudrois que les petits fuifenc honorés. Sacerrima res j homo mifer ; mais indépendamment de ce principe de morale dont il n'efl: pas queftîon ici , dès qu'il efi: unefois décidé que Fart de tirer les richeiles de la terre , èc celui de les ouvrer & diftribuer , font les deux pivots de la fociété , efl-ce un paradoxe que de vouloir qu'on honore ceux qui profeiTent ces arts fi néce/Tai- res ? Le Tel doit entrer dans tous les mets, l'honneur dans toutes les profefïîons ; mais s'il en eft oii ce véhicule d'opinion foit néceflaire , c'eft fans contredit à celles qui font pénibles de leur nature , ou péril- leufes. Tant que vous n'honorerez pas les baffes claffès de l'huma- liicé 3 il eft impoffible d'y maintenir

H iii

Î74 Encouragement

TabondanGe néceffaire à rémuîa- i- don & aux progrès. On fe plainr ^j que perfonne ne veut demeurer i dans Ton état , & que de grade en grade, cetre ambition déplacée & toujours peu mefurée épuifè les balîès dalles , & (urcharge les pre- mières qui doivent , par mille rai- fons , erre peu nombreuies par proportion : d*oii vient cela ? c'eft que perfonne ne veut vivre dans Tabicélion , ou ne s'y tient que par nécefTité, & ce qu'on fait par for- ce 5 on le fait toujours mal '.}iop,o- re:^ donc les petits. On lent bien que je n'ai pas voulu dire à Guilîor : Seigneur j monter au thrône _, & ■commande^ ici. Mais le mépris n'eft fait que pour le vice ; nous nous devons tous une eftime réci- proque ^^ relative à rutiiité ref- -pedive ; je dis plus : quoi encorej Je refpedl:.

Mais ce qu'il faut fur- tout ho-= norer , c'eft l'agriculture & ceux qui l'exercent & Fencouragenr. Dans tous les biens d'ici - bas , l^ terre ejl la matière ^ & le travail^

pour V Agriculture. 1 7 5* c/? la forme. Il femble inutile d'établir que multiplier la matièrje , c'efl: maltiplier le îravailr ' Mais de combien une extrême attention & une prote6i:ion attentive & mêlée de récompenies pourroit accroître ;Ia production de la matière pre- .miére, c'eft ce qu'il eO: impoffibje de calculer & même d'imaginer que par des indu^lions relatives , du moins pour un Erat qui a un territoire vafte & avantagé de la nature.

Ua Dropriétaire qui eft afîèz ri- che pour le racherer du travail perfonnel par le travail d'aVîCrui j. eu: indigne de fa fortune, s'il ne s'en fert que pour vivre dans Toi- ilveté, & feroic à charge a l'Etat, il dans mes idées , le membre le plus inutile de la fociété n'étok toujours un profit pour l'Etar.

Mais s'il employé Ton loifîr à acquérir des connoi (Tances relatives à la bonification de /on patrim.oine & de Ton fuperflu, s'il. s'applique les mettre en valeur, il remplit (011

Hiv

iy6 Encouragemens devoir & tient fa place , ce qui eft la vertu. Platitude J'ai lu dans le Mémoire envoyé înfpirée à un paj- ordre de M. le Duc de Bour-

tres grand *■ t i t> i

& très-ejtcei ^^g^^ ^"^ liitendans , 1 article qui Iciic jprincc. fjjt au fujet de la nobleiTe. iS'i/^ cuhivtnt leurs terres par leurs mains j ou s'ils les donnent à des fermiers j étant une des plus effen- îielles marques de leur humeur portée à la guerre j ou à demeu^ Ter dans leurs maifons. Celui qui dreflTa ce Mémoire, crut fans doute être un grand Grec d'avoir trouvé cette marque diflindlive. Indépen- . damment de la puérilité d'entrete- nir de femblables & movibles détails un Prince deftiné à com- mander à vingt millions d'hommes, & dont la conduite doit influer fur le fort de toute l'Europe , indé- pendamment encore de ce qu'une femblable inquifition a de tyranni- que 3 je foûtiens qu*au-}ieu de faire regarder au Prince avec mépris celui qui fe tient chez foi , on de- vroit le lui préfènter fous un poin^ de vue oppofé.

pour VJgrîcuttUré. ijj Un Philofophe diroic que celui jiii nourrit les hoaimes fait mieux que celui qui les tue ; mais je ne uis ici que calculateur. De deux :hores Tune , ou l'Etat eft fervi par les troupes foudoyées , ou chaque :itoyen eft obligé , en cas d alar- nes, de ie porter au fecours.

Dans le premier de ces cas , ïe nétier de la guerre coiivient bien nieux à celui qui n'ayant pas de bnds i efl: aux gages d'aucrui ^ qu'à '.eluiqui , pour courir en Flandres k en Allemagne , laiffe en friche in Canton de l'Auvergne ou du ^anguedoc. Mais, dira-t-on , vous :s|ie faites uonc plus fervir l'Etat que ar des mercenaires î Point du tour, e frère , le fils du cultivateur font i'aufîi bo»nne race que lui 5 mais Is n'ont affaire qu'à la guerre , &: *eft-là leur métier^ Dans le fécond cas , de qui tire- z-vous un meilleur fèrvice , oiî e celui qui noirci fous le foleiî ai dore fes guérets ne connoîc e plaifirs que la chaiïe , & de tra« aux que ^eux de la campagne r

H y

ïi-i»

lire pris

17^ Encourage me?îs

qui habitué à jouir perronneîle- ment de Tes champs va défendre Tarbre qu'il a planté, le troupeau qu'il a élevé; ou de celui qui ac- coutumé à tirer en argent le pro- duit de Tes contrats d'acquifîcior ou de Tes partages de famille n'eftime que ce qui rend de l'ar- gent fonnant , qu'il confomme ai milieu des ptaifirs oiiîfs & mois d( la Ville ? Allez attaquer chez eu les peuples agriculteurs , les Suifles par exemple , & le problême n fera pas long à réfoudre.

Optïma fiercoratio greffhs de mîni ^ difoient les anciens, Se pei fonne depuis ne les a démenti Qiie penfer donc d'un gouvern{ ment , dont l'effet feroit d'attir chacun hors de chez (ôi ?

Le plus habile agriculteur & proteâ:eur le plus éclairé de l'agi culture font , toutes autres chof étant égales , les deux premie hommes de la fociété. Au-lieu cela, le titre de Gêniilhommef camp^ne eft prefque devenu :ridicule parmi nous y comme î

Vc

Cêli

pour V Agriculture, iy^ y en pouvoir avoir de ville. Le nom de provincial eO: une injure, & les gens àw bon air font ofîen- fés , quand on demande de quelle province efi: leur famille , coiiime fi erre Dauphinois ou Poitevin n ctoic pas être François. Cette iocre & miférable fupérioriré de l'habi- tant de la Capitale fur celui des Provinces, eft rendue en monnoia dans la Province par le Citadin au Villageois & au Campagnard,

Voyons donc ce que lafociétCg ce que les occupations des habi- tans des villes ont de préférable à celle de la campagne.

Je Jes y retrouve tvxxin les maî- tres de tant de champs dévaflés que j'ai rencontrés fur ma route. Voyons quels plaifirs , quelles dé- lices les obligent à fe priver àe tCelui de jouir de la propriécé des biens que la Providence leur a dé- .partis : travaillent-ils à leur fortu- ne , & la décevante ambition les a-t-elle attachés à Ton char ; ou ^ curieux de cultiver leurs talens , scherchent-ils à perfefttonner des

Hvj

iï8o Encouragemens' coniioîfîànees 3 aufquelles la fociéfe ajoure le poli , comme le frote- nient le donne aux cailloux dans les rivières ? Rien de tout cela. J*ai iuivi ces hommes choifis , dans leurs plaifirs & dans leurs plus ini^ portantes affaires : lignes tangentes tirées d'une porte à l'autre & qu'on ^appelle bienféances , fpediacles ,. nouvelles , tracafleries , médifan- ces 5 duels de l'intérêt qu*on nomme jeux , voilà leurs travaux & leurs pîaifiïs. O oifiveté î faudra -t- il donc brûler tes aziles pour rendre l'humanité à fes goûts & à fes de- voirs naturels ? Non j mais hono^ rons ce qui eft honorable , méprî- fbns ce qui efl; méprifàble 3 & tout fera dit. Tiî'Jicuîe Un Efpagnoî blâmoit Miguel jeué for les ^g Cervantes d'avoir nui à fa patrie hommes- cn ridicuhianî la Chevalerie dans campa- fon Dom Quixote. La Chevalerie

ird'£krf' ^foî'f fo^^^^e d'elle-même, difoir- il , malgré tous \t% efïbrts fanrafti- ques du Duc de Lerme pour la relever ; mais on a été au-delà du but; en faifaiittomber le délire.

pour V Agriculture, tSî <de la valeur & de la générofité ,. on a émoiiiïe ces vertus dans leur principe. On pourroit faire le même reproche à Molière & à Tes imi- tateurs : en riiiculifant les Gentils- hommes campagnards, les Barons de la Crade , les Sottenville &c. ils ont cru n'attaquer que la focte vanité & la plate ignorance àts Seigneurs châtelains ; mais les mots de campagnard Se de provincial font devenus ridicules. La crainte du ridicule feroirpalTer un François à travers le feu > tout le monde a voulu devenir homme de Cour ou de Ville , & adieu les champs.

Mon deiïein n'eft pas d'entrer encore dans les détails des incon- véniens de l'urbanité générale 3c quand fy ferai , il s'en faudra bien que je ne les épuifê. Il y auroit des volumes à faire fur cet article. Si les campagnes font nécelTaires à la ville , les villes le font aufîi à la campagne; & l'on verra dans la fuite de mon plan, qu'après avoir couvert la campagne d^autant d'habitans c[u-'elle en peut porter , je voudrois.

î s 2. Encouragement

de mon fuperflu former des villes i dont rindudrie attirât le fuc ali- mentaire de l'étranger. Mais félon mon plan, les villes feroient plus grofifes encore qu'elles ne font , quand elles n*auroient d'habitans à demeure que les Officiers em- ployés dans les différentes Cours de Judicature qui s'y trouvent , la jeunefïe élevée dans les Maifons & Univerfités qui s*y rencontre- roient , ainfî que les gens deftinés à les enfeigner , les bourgeois pro- priétaires des fonds enclavés dans le territoire de cette ville , les ou- vriers & artifans que fes habitans & tous ceux du refTort feroienc vivre , & ceux encore qui employés à des manufactures & ouvrages relatifs aux productions du pays & à Ton induftrie , port^roient la ma- tière première au point de perfec- tion 5 dont la valeur doit être le prix de leur fubfîflance , & qui fourni (Tant leur contingent au com- merce étranger , attireroient en échange le produit de l'étranger -pouc leur nourriture ^ feul genre de

pour V Agriculture, 1^5 conquête qui ne foit pas contre le droit public.

A conficiérer un pays dans /on état primitif, comme ifolé èc vivanc de fa propre fubftance , on ne peuc nier que tous les ordres & hommes d'un Etat fubjijient aux dépens des propriétaires des terres s c'eft un principe reçu. Une fource qui fort à la tête des terres Se dans un ter- rein élevé 5 arrofè Se féconde Tes environs autant que la quantité de fes eaux peut s'étendre : celle au contraire qui naît dans un bas- fond , ne fait qu'un marais , juf- qu à ce qu'elle fe foit frayée une route baHe pour s'aller perdre dans la première rivière , fans aucune utilité pour les champs voifins.

Je compare à cette fource le propriétaire des terres , que j'ai dit ci-defTus être le pivot de toute l'in- duftrie qui l'environne j s'il eft à la tête de la production , dont na- turellement il doit être l'ame , Se à laquelle perfonne n'a plus d'in- térêt que lui a il anime Se vivifié

î §4 Encoiiragemens

tout le canton , il protège Pagrîcuf- îeur ifolé ; ou , (1 la rufticité de Ta campagne le piive de ees vues hon- nêtes & éclairées , ce qui n^eft plus à craindre aujourd'hui , encore fe- ra c-il, par la néceffité de fa pofi- ' tion , une partie des biens qu'on en doit attendre. Si au contraire il efl: au centre de la confomma- îion , il devient la fource baffe ^ marécageufe , & contribue à noyer un terrein déjà de luimême trop fpongieux.

On dit communément qu^un Gentilhomme dans fa terre vit mieux avec dix mille livres de rente , qu il ne feroit à Paris avec quarante mille. Qu'appelle - 1 - on dans ce cas , vivre mieux ? Ce n'eil pas épargner plus aifément de quoi changer tous les (îx mois de taba- tières émaillées , avoir des voitures vernies par Martin , &:c. C'efi: donc consommer davantage , & Ton dit vrai ; mais comme on ne fçauroit dîner deux fois, & qu'à Paris ou prend au moins autant d'indigeP- dons qu ailleurs , ce furplus de

pour V Agriculture, iSy Confommation n'elt pas pour lui. L'on entend donc qu'il faic vivre plus de mondei & en efïèt, on entre- tiendra plus aifément à la campa- gne quinze domeftiques groffiers , vêtus ^ payés à la façon du pays, avec dix mille livres de rente , qu on n*en entretiendra dix à laVille avec quarante mille livres. C'eft donc foixante hommes, indépeii- damnfîent de la famille , qui vivront fur les quarante mille liv.de rente, au- lieu de dix.

Il feroic inutile d* objecter ici que cet homme fait vivre à la Ville , outre fes domefliques , tous les ouvriers qui fervent à fa dé- penfe , les marchands , les fabri- quans , les tailleurs , brodeurs , felliers , charrons & autres ouvriers lîécefTaires, èc de plus , les trai- teurs , parfumeurs , muficiensj gens de théâtre, filles &c. qui tous ne laififent pas d*être du peuple -, & que , puifque je ne regarde ici que la Population , il faut rendre toutes chofes égales.

Je pourrois répondre à cett^

ÎÈ6 Ëncouragemens

objedion que je ne traite poifit encore ici de ce qui regarde le commerce j mais comme il s'en faut bien que je n obferve un ordr^ bien fuivi , je répondrai que, quant à ce qui concerne Tarticle des ou- vriers nécefïaires , foixante perfon- nes 5 quoique vêtues gioffiéremenc, font certainement travailler plus d'artîfans que dix à Paris dans Tctat de dornefliques ie les ai pris j &: pour ce qui eft de ceux de l'or- dre qu'on peut appeller dans un ouvrage de calcul inivedimema , Ç\ le propriétaire de terres donne dans ce genre de dépenies , il deviendra bientôt, lui ou les iiens , Mithri' date ou Burrhus , vendra Tes ter- res 5 & ma leçon fera faite pour m: autre.

Ce ne fon!: point les propriétaire! des terres dans l'état naturel , qu font vivre ce genre de Tupplémen à la focicré , à moins que les gran- des Charges & les bienfaits du Ro: ne les mettent dans l'ordre de: gens gagés , dont il fera parlé dj •àeiTous. Sans eux ? une ville opa^

pour l* Agriculture. , 1^7 lente fera aflfez pleine d'étrangers, de gens enrichis des gains de la finance ou du commerce, de jeu- nes gens & de dilîîpaceurs de toute efpece dont le reflux & les folles dépenfes entretiennent toutes les mouches de TEiat.

Revenons. Indépendamment de cette augmentation de con'oinma- tion que prociJre la réfidence du Seigneur dans Tes terres , il ed de l'homme de s'attacher à (on féîour. Nécedai rement les bacimens habi- tés font mieux entretenus que ceux qui ne le font pas: on aime à tra- vailler , à embellir fa réfîdence , à améliorer les terres qu'on a fous {qs yeux. Le premier ouvrage en ce genre efi: un encouragement pour le fécond. J'ai vi(itéen ma vie peut- être mille Châteaux ou Genrilhom- Smiéres , à peine en citeroib~je trois ^ "où le Maître ne m'ait fait remar- quer quelqu'embelliiTement ou amé- -'liorilfement de fa façon.

On dit alfez communément que les campagnards font yvrognes , -brutaux ^ chaileurs j 6c ne font

y

188 Encouragemens

que cela. C'eft un vieux reprochi du temps Its gens de vill< étoient carillonneurs s brelandier & tires-foie. Je ne nierai cepen dant pas que Ton ne boive for dans les provinces il y a encon de la nobleffe à la campagne , ô qu on n'y cha(Te beaucoup ; mai qu'on n'y faOTe que cela , ceft a que je nie. Apologie de Je pouiroîs cncore établir ic h ufalc^ ^ ^^^^ paradoxes à ce fujet ; l'un eft que cette yvrognerie qui dégoûtt tant les buveurs d'eau , n'eft poini un mal \ l'autre , qu'à tout prendre ( car il faut toujours me permettre ^ de regarder le peuple comme dei

hommes ) il y a plus d'yvrognerie à Paris que dans les campagnes proportion gardée 3 & qu'elle y efl plus nuifible.

Quant au premier point que l'on pourroit croire pillé des oeu- vres pofthumes du feu Duc de h Fertéj Je dirai moins bien qu'il n'eûl fait; mais je dirai pourtant qu'on buvoit trop autrefois , & que boire jufqu'à s*abrutir êft mal fait ; témoin

3!

pour t Agriculture] 1S9

a brûlure de PeiTepolis , la mé-

ïrife d'Holoferne , & autres gran-

es calamités , fans compter quel-

lues-unes qui font arrivées à gens

jue je connois bien ; en un mot ,

non Curé le dit , & ce n eft pas

moi à le contredire , quoique

« foie alTez la mode aujourd'hui

mode entre nous qui ne vaut

len, & qui n'étoit pas du temps

e nos yvrognes ) mais boire un

eu fec , & feulement jufqu'à

lanterj rire & s'embrafTer, épa-

ouit la rate 5 bannit les inimJrics,

: lie la fociété.

3'âi connu un vieux Gentilhom- le 5 d*un nom , d'un âge , & d'une robité refpeâ:ables : le bon hom- le, contemporain des Vaillacs & es Girardins , ne défyvroit pas 5 %ais au milieu de tout cela , il :commodoit toutes les affaires de. .'mille, d'intérêt & d'inimitié en- les Gentilshommes à vingt ileues à la ronde. Aumtôt qu'il slîn élevoit quelqu'une , il fe fai- it apporter les titres & papiers ; parc 6c d'autre, il confulcoitfur

i^o. - Encouragemens la forme les gens de Loi tant bon: que mauvais en qui il avoit con- fiance , & puis fur fa bonne judi- ciaire 5 il formoit Ion arrêt. Il ap pelloic enfuice à fon Châtel les par- ties 5 & la révérence due au Patroi faifoic qu'on n'entamoic pas le propos contentieux (ans fa licence C'étoit au deifert , & le verre à 1 main qu'il rappelloit les queftion à décider 5 il énuméroit , confidc rant attentivement les intérefTés le premier qui étoit tenté de Tir terrompre étoit arrêté par unordr abfolu : Un verre de vin à Mon Jieur. L'ordre étoit exécuté; & 1 verre avalé, le nouveau Radamant le regardoit avec cet air de père l de conciliateur qu'une longue liab tude de conlidération de cantc donne natvirellement , &quetou la morgue du Barreau joue gati chement. Monfieur en veut-il ol corcj difoît-il : û le plaideur aga( vôuloit finir fa période, on l'écoi îoit tranquillement , Se il fubilîcl un fécond verre de vin au boi pour fon franc-parler. Il eft à ni

pour r Agriculture, 1 9 1 iCiarquer pour vous autres qui ne k fçavez pas , & qui feriez tout aufîi bien de l'apprendre que de politiquer ou théologifer tout le long du jour, comme vous faites, il eft à remarquer , dis-je , qu^eii femblable occafîon un verre devin de pénitence , & qui ne nous eft compté pour rien , eft un grand dé- savantage. Ce fécond verre , fAréopagire reprenoic Ton dire , toujours attentif à faire boire les mutins , jufqu'à ce qu'appercevant que le bruit, la joie & la confiance gagnoient du terrein , & que le Démon de l'intérêt barbouillé de lie fe fauvoic en voyant les cœurs s'attendrir, le vieillard aimable prononçoit ion arrêt définitif, mau^ dilToiî formellement les vignes de tout réfradaire, & finifToit en leur tendant les bras de l'air de ten- drtlle , de confiance & de joie , dont Sile-iie difoit aux enfans de l'Egiogue , Solvice me ^pueri. Tous .acGouroient alors , tous s'embraf- foient, 6c lui proteftoient une en^ âére fpumiffioii à fes ordres» Le

jç)i Encouragem&ns j

Notaire étort prêt , ôc la tranfac-' y tioii drelTée , on fignoit ; puis /e remettant à table , on caflToit des verres en guife d'amende honorable. <îe tous les faits & geftes d*Huif- iïers Se' de Procureurs.

On me dira fans doute qu*il efl: ^nguiier que j'attribue au vin le don dVippaifer les querelles , lui qui les fait : Je répons que je n'ai pas prétendu le louer précifémenc par-ià ; mon hidoire m'eft venue en penfée , comme aiïurément une des plus honorables pour ce genre de vie, je l'ai placée comme telle. Se non comme argument; mais je dis encore que le vin n'eft querel- leur que chez les peuples qui font. Les bas-Breîons & les Limou- iins s'eftropient après avoir bu en- fembîe ; mais ils fçavent très-bien fe battre fans avoir bu 5 Se les Al- lemands fortent yvres de Teftami- née auiîî tranquillemenc que les Chartreux du chœur.

Cependant il s'en faut bien que je veuille être prédicateur d'excès ; mais je répète que le genre de vie*

de

pour V Agriculture, îP3 de la NoblefTe campagnarde d'au- trefois , qui buvoic trop long temps , dormok (iir de vieux fauteuils ou grabats , monroit à cheval , & al- îoit à la chalfe de grand matin , fe rafifembloit à la Saint-Hubert , d>c ne (e quittoît qu après Todave de la Saint-Martin , que cette vie,' dis-je 5 faifoit peu de muficiens,' moins de Géomètres , de Poètes , & d'adeurs de parade ; mais on n'avoit pas befoin de la Noblefîè pour cela. Cette NoblefTe menant une vie gaie & dure volontairement coûtoit peu de chofe à l'Etat, & lui produifoic plus par fa réfidence , & fon fumiec fur les terres nourricières , que nous ne lui valons aujourd'hui par notre goût 5 nos recherches , nos coli-. ques &: nos vapeurs. Ils ne fça- voient rien en comparaifon de nous ; car nous connoiflTons les ré- gies du théâtre , les différences ef- fentielles de la mufîque Italienne à la Françoîfe ; nous jugeons les Géo- mètres 9 nous faifons des cours d*Anatomie & de Botanique , pour faire rire les gens de Tart j nous /. Fartie, I

1^4 Encouragemens nous connoillons en voitures , en vernis , en tabatières , en porce- laines ; nous n ignorons ni le men- fonge 5 ni l'intrigue , ni Tart de faire des affaires , ni celui de demander Taumône en talons rouges , ni fur- tout ce que vaut le bien d*autrui , Targent & les argentiers. Eux au contraire faifoient confifter toute leur fcience en fept ou huit arti- cles ; refpedter la Religion , ne point mentir , tenir fa parole, ne faire rien de bas, ne rien fouffrir, mettre fon cheval fur le bon pied, connoître & difcerner la voie , ne craindre ni la faim ni la foif , ni le chaud ni le froid , & fe Ibuvenir que , fi Cefar n'eût pas fçû bien faire le coup de piflolet, il n*eût jamais échapé de tant d'entreprifes hazardeufes.

Cependant ces corps-là , tout ignorans qu'ils étoient , ne laifToient pas de bien & mieux fervir l'Etat dans l'occafion ; ils avoient même quelquefois d'aflez belles idées de la vraie gloire , préjugés auxquels notre philofophie a fubftitué la

pour V Agriculture, i^^ cience des calculs , plus utile pour es parricLÎliers 5 mais qui l'eft, je rois , moins pour le public. Par xemple , Henri IV. qui fut élevé c nourri jufqu'aux temps il rifbnna , en vrai Gentilhomme ampagnard , fit à peu de choies rès auiïi-bien fa charge de Roi^ u*un autre.

En voilà alTez fur la prétendue ilToIution de nos pères. C*eft un :art que je me fuis permis , ôc Dn un Livre que j*aie voulu faire ir cet article -, mais quant à mon cond paradoxe , à fçavoir, qu'il

a plus d*yvrognerie à Paris 5pro- Dttion gardée, que dans les Pro- jinces , il n'y a , pour s'en con-

incre , qu'à voir les guinguettes, eut le peuple fort de Paris les jours î. fêtes 5 & la bourgeoifie même l.dans l'habitude d'y courir en ille 5 & d'y mener de bonne-

?are fes enfans. La moitié du

uple revient yvre, gorgé devin Islaté, paralytique pour trois jours,

dans peu de temps blafé pour te fa vie. Le vin du crû dont fa

lij

I9<j Encouragemens

gorge le payfàn , ne fait point ce terribles efîèts : il revient yvre l Dimanche au foir , je le veux ( quoiqu'à dire vrai , il ne fbit qu trop guéri aujourd'hui de ce pauvr fuperfiu) mais il trouve fa femnc de fàng froid ; différence énorrr pour rKonneteté publique & pai la fociété la dififolution du fe: en ce genre eft le plus honteux ( tous les maux , & le lendemain ( bon matin il e(l à Fouvrage. I eft-il de même à Paris ? je m*' rapporte aux maîtres-ouvriers. L détails à cet égard fe retrouvera aux Chapitres fuivans.

Un grand Seigneur en Franc | (on le connoîtra fans que je ^gaipagnard. nomme ) bicnfaifant d'abord pci fa maifon comme de droit , r| encore pour la pauvre NoblefTg fbn pays; il place les uns, il ifil tient les autres, il leur trouve débouchés. On n'accufera pas gens eonfidérables aujourd'hui' faire ces chofes-là par intérêt. fait plus j il a changé dans un f 1 ^Im^ çloignée 1 orangerie dç|

Grand Sel gneur bien f ai fane ,

&

t

pour r agriculture, ipy naifon de Tes pères en une manu- àdure de foie , cette denrée lui oûte le triple de ce qu'elle vaut ^ ttendu rélôîgnement des cantons I

cette forte d'induftrie eft en 'ogue , de cela , pour faire vivre les •auvres gens , & les accoutumer •eu-à-peu à ce genre de commer-» e. Il a fait planter un nombre con- idérable de mûriers , tant fur hamp d'âutrui que fur le fîen. Il ait lever des plans & terriers gé- léraux de tout le canton , pour que hacun puiile à l'avenir trouver dans e répertoire public fes conFronts , k la contenance de fon domaine j 1 fait enfin des biens infinis, tan- lis que fes propres affaires prof- )erent en un fiècle , par bons noyens tout le pofîîble eft de naintenir. Si je difois fon nom , gui ne fut jamais afrurément en rois lettres : ah ! me diroit-on : c*eft m fort honnête homme , fort jufte k qui a le fens fort droit , mais Tailleurs un efprit uni. Que Dieu veuille m*en accorder un fembla- >k, ànioi & à mesenfansjufquà

Ini

19S Encoaragemens

la dernière génération ; mais ce n'eft pas ce donc il efl ici queftion. Ce digne homme, au fondjeftun Gentilhomme campagnard , autant qu un Seigneur peut l'être en Fran* ce. Il a une grande Charge à la cour 5 qu'il a faite \ mais d'ailleurs la plus grande partie de fa vie s'efl: paflee dans Tes terres , il les con- noît toutes, les vifite Souvent ,voit & ordonne tout par lui-même , & a fait en (a vie plus de bien à famille , à fes voifins , aux pauvres, à TEtat enfin dans fa partie , que les plus beaux efprits n*en ont ima- giné.

Ici Tinterêt particulier , au-lieu de nuire à l'intérêt public , luifêrt. Plus un homme fait valoir fès do- maines & en multiplie les produc- tions 5 plus il fait vivre d'hommes , plus il augmente la fubfîftance de l'Etat. Je réfume enfin ceci en di- fànt que , fi les extrêmes étoient nécelfaires, il vaudroic infiniment ïT-ieu'x que la Noble(ïe refiemblât au Baron de la CrafTe qu'aux Mar- quis de la Comédie j avec cette

pour F Agriculture, ig^ difFérence encore , que les arts , le commerce & les connoiiïànces , ont pour long-temps banni les ridicules de grofîîéreté, & ne feront peut- être que rendre plus communs ceux de la faufifé élégance.

La nécefîîtéde renvoyer la No-

blefTèà la campagne par moyens

doux & pris dans les moeurs , n^é-

chappa pas au reftaurateur de la

France* Quand Henri lY. fugpai-

fîbk poiTêflgaf de fbn Royaume ^

il déclara hautement aux Nûhtes j

âk Pet€Û%$ ^ quHl vculak qu'Us

$^ accoutuma ffinî à vivre chacun de

fin bien ^ % pour cet effet qu'il

fer oh bien-'aîfe ^fuïf qu'on louïffoit

de la faix ^ qiitls allaffent voir

leurs maifons^ & donner ordre à

faire valoir leurs terres, >> Aim

il les foulageoit de grandes êc

p> ruineufts dépends de la Cour

f> en les renvoyant dans les pro-

*> vinces , &c leur apprenoit que le

?> meilleur fonds que Ton puilîè

99 faire , eft celui d'un bon mena-

» ge. Avec cela , fçachant que la

U> NoblelTe Francoife fe pique d'imi^

liv

'zùô Èncouragemens yi ter le Roi en toutes chofes , il n leur raontroic par Ton propre »> exemple à retrancher la fuper- >j fluité des habits ; car il alloit a? ordinairement vêtu de drap gris , >5 avec un pourpoint de fatin ou de w tafFetas fans découpure , pafle- ^3 ment ni broderie. Il louoitceux » qui fe vêtoient de la forte , & fe M rioit àts autres qui portoient » n difoit-il , leurs moulins & leurs. V bois de hante-futaie fur le dos.

Le luxe de la NoblefTe épuife nécelTai rement fes biens fonds ; car nous démontrerons que le produit de la terre du plus grand rapport réduit en luxe revient à prefque rien. La Noble (îe entoure le Sou- verain 5 <S<: lui perfuade que les ri- chefîes de TErat n*éranr faites que pour gliffer des mains du Prince dans celles de fes fujets , la plus digne Iibéra-iré eft celle qui gratifie fàNobleiïe. Le nombre des deman- deurs grofîît chaque jour. Celui qui obtient fîx mille livres de pen- fion reçoit la taille de fîx villages. Le fifc déjà diminué par le proÉç

^(

j'cur VJgrkuhnre, lùi des Receveurs s^épuife en libérali- rcs, & cette même Noblefîè qui chez elle feroit l'av^antage , la force &: le luftre de l'Etat, en eft, fans (e fçavoir , la véritable fangfue.

Guichardin au fujet des deux princes a- Rois de Ton temps que l'Hiftoire ^^f" > ^^^""

ds / T -vTT o -n pies heureux^

avance ( Louis XII. & Fer- *

dinand le Catholique) obferve que les fujets ne font jamais fi heureux que fous des Princes de ce carac- tère. Leur Cour ed à la vérité for£ déferte , comme l'étoit celle de Louis XIL mais elle coûte peu j les excès cependant font condam- nables : ce n'eft pas à moi à le dire ^ & moins encore à parler de la con- duite des Souverains; mais il eft permis de dire que la NoblelTe ferc mieux l'Etat chez elle qu'à la Cour & à la ville , & qu'on doit , par tous moyens doux & agréables , faire refluer dans les campagnes les habitans de la Capitale & des Villes.

Rappelions - nous fans cefTe le cbemin que voudroit faire le peupl© cnder d'une nation que les app^ ,

7,01 Èncouragemens

rences d*une profpérité pafïàgere ont éveillée. Nous pa(îbns des villages aux bourgs, des bourgs aux Villes, des Villes à la Capitale , & c'eft à quoi rendra toute une nation , fi le Gouvernement n'eft attentif à lui donner une propenfion contraire.

Cette opération n*eft pas Ci mal aifée qu'on croiroit bien. Les hom- mes ont tous un penchant naturel pour la liberté , & les occupations de la campagne. Ce n'eft qu'en forçant la nature qu'on les cafemate dans les Villes. Qtie les villageois foient heureux, & afTujettis feule- ment à des loix fimples foit de po- lice , foit de fîfc , qui affurent le fort du folitaire comme de l'homme protégé, qui ne les obligent pas à devenir cliens à l'Election ou au Baillage : qu'on retire de delTus leur territoire ces Vampires errants , nommés porteurs de contrainte , archers de corvées &c. qu'on les excite & encourage au travail, & bientôt ils ne feront plus vicieux.

Si à cela l'on ajoute quelques- cns de ces divertiflemens d'exercice.

1!

pour r agriculture. 205 tels que les anciens Légiflateurs les avoient bien inventés, te's que Charles- Quint en avoic établi en Flandres pour civilifer les habitans & unir les contrées voifines , & tels qu'on en trouve encore des traces dans nos provinces méri- dionales , des danfes , des courfes &c. ils ne feront plus curieux de venir fe noircir des boues des villes.

Mais fi au- lieu de tout cela , il fe trouvoit que dans les campagnes» par Tabfence de leurs Seigneurs, ils ne puflent jamais efpérer aucune grâce ni protedlion 5 que traînés languiflants aux corvées les plus dures & les plus répétées , décimés pour les milices , voyans arracher leurs haillons de deffus les buiflons par les Colleéleurs s'ils tardent à payer fes impôts ; doublés à la laille l'année d'après s'ils payent j, pour leur apprendre à ne pas en- durer la contrainte , utile récolte des Receveurs : fi toutes ' les fois qu'ils ont manqué , il étoit quef- îion de les punir par la bourfe ',

Iv]

-.A

t-

'%04 Encouragemens le Procureur , l'Avocat , le Jage .; TAgent du Seigneur , les gens du fifc, Ç\ tout cela, dis-je, les regar- dant çn tout & par-tout comme vie tîfiies ne leur laiiToir la peau fur les os, que fuppofé qu'elle ne fût pas bonne à faire un tambour , faudroit- îl en ce cas s^étonner s'ils périiïent par milliers dans Tenfance , & (i dans Tadolefcence ils cherchent à' fe placer par- tout ailleurs qu'où ils' devroient erre ? Et quand la pro- tedlion de l'agriculture demande- roir du Gouvernement un foin con- tinuel & d'un détail embarraflant 3 quel autre objet dans la fociété entière peut lui paroître plus digne de Ton attention ?

La produdion de la matière pre- mière efl d'une nécciïïté indifpen- fable; Tart d'ouvrer cette matière' n'eft que d'une nèceflîté d'habitude &: féconde. L'on verra dans la fuite' de ceci, qu'il s'en faut bien que je- ne prétende ramener la fociété aux befoins des Patriarches; mais enfin Ton ne peur me nier ce principe-* Cela poie, pourquoi jie pas donweç

pour VAgricuhui'e, 2©"f éiû moins autant de foins à proté^' ger Tagri culture , à inftruire les- agriculteurs, à les fecourir & dé-- fendre leurs immunités , qu'on eiT met à protéger les arts & métiers ? Un homme confîdérable me voyant un jour fur un habit de velours des boutons de la même^ étofîè 5 me dit que je fraudois la loi; & quelle loi, lui dis-je? Cel- le 5 répondit- il , qui défend de porter des boutons de la même' étoffe que fon habit. Et au profic de qui cette loi , lui demandai je ^ au profit des boutonniers, dit-il. Permettez-moi, repris-je 5 de vous- demander , li pendant le temps que vous avez afîifté au Confeil ^ parmi toutes les futilités de ce* ; genre que vous y avez vu pafTer^ on a propofe beaucoup d'ordon- nances en faveur du labourage ^ du nourriiïage à^s beftiaux , qui fbnc les vrais arcs-boutans d'un Etat.

En efïet , les arts , métiers 5^ fous-métiers font protégés , ordon- nés , policés , maintenus : à voir la

20 6 Encouragemens quantité de rabillages continuels qu il faut aux ordonnances qui les concernent , on diroit que le Gou- vernement n a autre chofe à faire qu'à pourvoir à leurs privilèges , exclufions ^ immunités. C'eft fort bien fait *, ce fuperflu fait fans doute un fonds de richefîes : prenons gar- de feulement qu'il n*amene bien- tôt l'indigence. Les métiers font tous moins pénibles à exercer que le véritable métier de l'homme , je veux dire, Tagriculture. Les artifans fe multiplient & meurent de faim , & la terre fe dépeuple : la campagne , feule fource de la Population , devient déferre : l'agri- culture languit , & en conféquen- ce 5 les arts & métiers languifîènt aufîî.

Répétons ici les propres termes d'un Auteur * dont j'ai déjà em- prunté quelques exprefïïons.

w Mais , dit-on , l'agriculture va >5 d'elle-même ; c'eft un art qui ie M tranfmet par tradition , que la

* Mémoire fur l'uciUté à&% luts Provin-^ ciaux»

pour V Agriculture, 207 « nature enfeigne , & auquel elle w a attaché une forte de douceur , » au-Iieu qu'il n'en eft pas de mê- » me des autres profeffions. C'efi: « avoir bien peu étudié cette partie »i intéreiïante , que de raiionner « ainfi. L'agriculture , telle que « l'exercent nos payfans , eft une 3> véritable galère. Il eft aufïï dif- ii fîcile à un de ces pauvres gens d'être bon agriculteur, qu'à un 3> forçat d'être bon Amiral. Si « l'agriculture n'eft encouragée , M elle n'eft anîmée avec un foin 53 & des attentions continuelles > 33 elle languira toujours , & après 3> elle tous ces arts & métiers eftî- » mes néce(Tàires. De l'aifance a du laboureur au contraire vien- 33 dra la nombreufe Population ; 33 le fuperflu des campagnes fe ré- 33 pandra dans les villes Ôc dans les 33 armées, au -lieu que des villes 33 & des armées il ne revient rien à 33 la campagne j je dis une attention J3 continuelle , parce qu'aucune » profefîion n'eft fujette à d'auiïî fréquents & d'auffi accablants

}3

*dS Éncoùrdgêmkns » accidens que celle-là. Les mâ^- ^> ladies épidémiques d'hommes &r " de beftîanx , la malice des gens " de villes de chicane, la dureté " des maîtres, leur éloi^nement, '' & la friponnerie de leurs agens , *' mille autres inconvéniens dignes d^être cirés , fi je les détaillois ^ tout, dis-je, dérange & détour- ne les gens de la campagne. Un " horloger lai (Te une l'ouë impar- *' faite , il Tacheve quinze jours '* après ; mais un jour manqué fait î» fouvenc tout perdre an lâbou- ^ reur.

Quant aux moyens de protec- tion, ce n'eft pas ici le lieu de les déduire , & au fond on n'a rien, à apprendre en France. Les plus utiles ordonnances qu^i aient Jamais été conçues font fignées de la main de nos Rois ; mais maîheureufe- mentnos loix font prefque comme nos modes. C'eft l'afTeàion feule, c'eft le goût naturel & la perfua- fion de la néctfîîté de la part du- Gouvernement , qui peuvent lui donner le degré d'attention nécefc

pour V Agriculture, 209 faire pour que la vivifîcation de cette partie foit entreprife & fou- tenue. Eh! pourquoi ce gouc ne prendroit-il pas? Nous avons eu de grands Rois en tout genre , & qu'il feroic difficile de furpafiTer ; lie ne fçais que le titre de Roi Paf- teur 5 qui puiflfe diftinguer nos I Maîtres futurs.

Vainement cependant formerok- Dn 5 quand on le pourroit , des ko'es d'agriculture ; vainement in- iiqueroit-on des prix & des ré« rompenfes à ceux qui y auroient !e mieux réufîî ; des honneurs pour les auteurs de certaines découver- :es utiles? des encouragemens pour les efTais 5 &€. Ce n eft qu'une forte d'abondance relative , qui eft la mère d'une induftrie noble. L'agri- culteur ne tentera rien, s'il n'a la force de perdre fes avances , & fi l'eftime attachée à fa profeiïîoB n'engage les hommes riches & éclairés à lui faire part des lumiè- res acquifes , & à le foûtenir dans fes travaux. Enfin cet arc par ex- felieaçeacet sirt fiiiQblê & tutfe

lïo Encouragemens, a befoin , comme tout autre & plus qu'aucun autre , pour êtte pou{ïe à un certain degré de per- fedlion , de deux pivots néceflaires à tout ; à fçavoir étude & expé- rience 5 ou théorie & pratique ; fans cela , il languira fans ceflfe.

La nécejfïté j dit -on, eft mère de rindufirle : proverbe en vogue , parce qu'il cranqoillife la faufîe cottfciêflce d#s richê§ & des pnif^ hm : temomom «a pêu le prm-^ dpe î fstfonne ne tiktû qm h fâteffe n'engendre k néceflîfé $ en conféquencê , parère $c indu/lrie feront donc âe même lignée* Ce rfeft /ans d^Jîte pas ceîâ qpê le proverbe a roala dire* Void ce que c*eft. Méceflîré de force eft fnere d'indtiftfiê , îe fçtis «& fy co»r.s* néaffité â^ folbiêfe engen- dre ïengoméïiïem&m êc h mon ^ tmp â'ïïtân font proiivé,

vQuoiiqye fe me (oh eerfaîne-» ment trop ccendu fur quelqaes-uns âm détails que je viens de trairer,, je îî*ai fait néanmoins que défignel

-4^

pour V Agriculture. in les- principaux, &: j'en ai tant omis & de fi néceflaires , que ceci ne paroîcra qu'une ébauche ^ mais je le répète , prefque tout l'Ouvrage fervira de fupplément à ce qui manque à ce Chapitre ; & fur-tout le refte de cette première partie & toute la féconde ne font aune chofe que le développement àe ceci- Titre feui du Chapitre fuivânc proo- va que ce ntk qu'une comm^ Xion de ce! ai ci.

^^

Emploi des Terres 2

CHAPITRE VU.

J.^ emploi que Von fait des terres dépend des maurs & ufages,

T E nombre des habitans dans « JL^ un Etat dépend des moyens >5 de fubfifter , & comme les w moyens de fubfiftance dépendent » de l'applicatton & ufage qu*on » fait des terres , & que ces ufages » dépendent principalement des « volontés , goûts & façon de vivre w des propriétaires des terres , w efi: clair que la multiplication ou s> décroiGTement des peuples dé- M pendent d'eux.

Ces paroles font tirées de l'Oiî- vrage de M. Canrillon , qui a été imprimé rannée palTée. Ce fur 5 fans contredit , le plus habile hom- me fur cts matières qui ait paru. Ce morceau , qui a pafiTé dans la foule de ceux de ce genre que la mode projyiî aujourd'hui^ rfeft qug

Suite des Mœurs & Ufages, ^ i ^ la centième partie des ouvrages de cet liomme illuftre , qui périrenc avec lui par une cataftrophe auffi finguliére que fatale. Celui - ci même eft tronqué , puifqu'il y manque le fupplément auquel il renvoie (ouvent, & il avoic éta- bli tous Tes calculs. Il en avoit lui- même traduit la première part^'e pour Tufage d'un de Tes amis \ 8c c'efl: fur ce manufcrit qu*il a été imprimé plus de vingt ans après la mort de TAuteur.

Le principe qu'il établit ici n'eft qu*une fuite d*induâ:ions démon- trées êc tellement liées l'une à Tau- tre 5 qu'il eit impofîîble de leur échapper. J'y renvoie ceux qui me nieront les principes. J'aurois pu les répéter ou les extraire ; mais d'une part , le rôle de plagiaire ne me va pas ; de l'autre, tout eft tel- lement lié dans cet ouvrage, qu*il n'y a pas une penfée à déplacer. On ne peut douter d'ailleurs que la fécherelïe de cette ledlure n'aiç été la caufe de TindifFérence avec laquelle 011 a lâiiTé pafler dans h

114 Emploi des Terres j foule un ouvrage tellement hors de pair. Je dois avoir plus de niéna- gemenr , en proportion de ce que j'ai moins de mérite. Mes écarts prefque toujours déplacés prouve- ront moins fans contredit , mais ils lafleront moins auflî ; ôc comme il ne s'agit point ici de vérités nou- velles & jufqu à ce jour inconnues, mais fimplement de Tapplication de principes connus à notre état pré- Xent , Se de radèmbler Ibus certains points de vue les relâchemens Ôc changemens de mœurs qui pour- roienc devenir maux de l'Etat, ôc démontrer dans les chofes les plus fimples en apparence , les chaî- nons par lefquels la faulîe prof- périté tient inféparablement à la décadence 3 )e me pardonne des incurfions qui ne me mènent ja- mais hors de mon fujet, parla rai- fon qu'il renferme tout. Mieux vaut ^^ principe de cet Auteur une

entretenir des fois établi , VOyonS OU il UOUS COn-

le Prince & les propriétaires ai- ment les chevaux , ou pour mieux

Suite des Mœurs & Ufages, 1 1 y iiire , s'ils employent beaucoup de :hevaux ; ( car les aimer roule plus lie la qualité que fur la quantité ) 1 y aura plus de prairies dans PEtat, ?i moins de champs employés à la îibfiftance de Thomme : que s'ils ronfomment plus de bois , il faudra :>lus de terrein deftiné à être en orêts en coupe réglée : que la iiodede boulingrins, charmilles, :»arcs , grandes avenues , chemins Tune largeur extraordinaire &c. kent tout autant de terrein à la îourriture de l'homme , qu'il y ?n a d'employé à toutes ces inu- ilités.

Si au contraire les mœurs du

Prince & des grands propriétaires

les portent à entretenir beaucoup

d'hommes, la pâture des chevaux

; décroîtra en proportion.

Autrefois les grands Seigneurs entretenoient un beaucoup plus grand nombre d'hommes. A la vé- rité le bas domeftique confommoit infiniment moins qu'aujourd'hui , qu'on les habille comme des Co- médiens, qu'on les nourrit, qu'op

2 i(j Emploi des Terrât , les couche comme les Maîtfes J mais les grandes maifons étoient pleines de conimenfaux d'un tout autre ordre , qui leur faifoient plus d'honneur ôc plus d'avantage , qui leur coûtoient moins que des mer- cenaires , ôc qui les obligeoient à une décence extérieure de mœurs , utile au maintien de la café comme à la fociécé , Se honorable en groi à la Nation comme en détail J leur Mai Ton. Les Dames avoieni auprès d'elles des Demoifelles, lei Seigneurs des Gentilshommes fou- vent d'au fîî bonne Mai/bn qu'eux & les uns & les autres des Pages des Ecuyers , Sec. Céroic un de bouché pour la pauvre Nobleflî qui n'en a point aujourd'hui , qu tombe dans les plus viles déro* geances faute d'empioi , ou pou mieux dire , qui n'exifte prefquj plus, en coraparaifon du nombr qu'il y en avoir autrefois. |C<?blefr?. Il n'eft pas de mon fujet d'exa miner c'eft un avantage dans ui Etat militaire en fa conftitution #âv.oir une nonibreufe Noblefle

îîîgi

Suite des Mœurs & Vf âges, lif mais je dis , fans crainte d'être dé- menti, que les pauvres laborieux font , dans quelqu état que le Ciel les ait fait naître , la portion U plus utile de la fociété. Je difTer- terai moins encore pour établir ce que c'efl: que la NobietTe j mais £bit que ce genre de didindion foie wne illufion abfolue ou non , je crois qu on peut la définir ; la partie de la nation à laquelle le préjugé de la valeur & de la fidélité efi le plus particulièrement confié. Ces deux opinions fervanc à la défenfe & au maintien de la fociété , il efl: très- important de ne les pas lai (Ter éteindre. Les fèrvices de Tintérêt coûtent trop cher à TEtac , eux de la vanité & de Thonneur repayent en monnoiequi ne man- que jamais à un Gouvernement éclairé , & économe de diftinflionSa Cependant ce genre d'orviétan ne prend pas également fur tous les empéramens. J'ai dit, & je m*ea îbuviens , que l'honneur doit en- er dans toutes les profefïïons ; ais il en eft plufieujrs , l'on J, Partie, K

/'

%iS Emploi des Terres^ n'y fçauroit penfer qu'après le pto?' fie 5 Ôc Ton dit de bonne foi , comme Petit - Jean , Mais fans Argent l'honneur n'ejl quune ma-^ ladie. Quelque ridicule que Taf- fluence de Tor arrivé en Europe depuis deux cents ans ait jette iur Thonneur dévalifé , & quoique ce principe de corruption aille tou- jours en augmentant , il efl; cepen- dant vrai que rien n'efl: fi aifé que de porter la pauvre NobleiTe à fe piquer d'honneur 5 & à Te palîei: d'argent , pourvu fur - tout qu'oiy réloigne des profelîîons Ton en gagne j car ce feroir être de mau- yaife foi que de défavouer , que rien n'eft fi rare dans les annales de rhumanité , que les duels de Thonneor ^ de l'intérêt , le premier ait remportera vidloire. L'or eft corrupteur dans toutes les profefÎJons *, il corrompit Judas \ èc Cl Ton écoute les Militaires fu- balternes , ils vous diront que leur^ Majors Font prefque tous pris pouî patron. La noblefiè employée dans 'à^s rDiétiers d'argent ntti yaudif

Suite des Mœurs & XJfages. ii^ îonc pas mieux , & vrai-fembla- olemenc en vaudra moins ; car ayant une fois mis à quartier la vanité domeftique , elle ne déro- bera pas pour peu. Le Garde-fel loble n^a point appris dans les oyers paternels ce vénérable axio- ne 5 cent francs au denier cinq ^ ■ombien font - ils ? mais une fois la'il efl: entré dans /a tête accom- )agné de tous Tes rameaux, il re* ^arde Tes vieux pères comme de jroiïîers idiots , èc raéprife tout le

îj efte de leurs documens, Si au con- raire il marche de plein pied à fa laifîànce , il fe rappelle fans cefle jue fon vieux oncle lui a répété , jue le grand-pere s'étoic diftingué i tel affaut, quun autre ayant été îîevé dans une telle maifon (àuva on jeune Maître dans une embuC- :ade , & refufa de s'attacher à tel k tel qui lui offroient une fortu-

lie. Ces idées germent dans fou lœur, & le Laridon des fermes ievient le Céfar d*un Régiment. Qepeiidaat quelque multiplié

i2o Emploi des Terres _, que foie aujourd'hui le Militaîrt en France , il s'en fauc bien que h pauvre Noblefle n'ait de ce côté' le même débouché qu'elle avoi autrefois. Nos anciennes troupes & fur - tout la cavalerie , étoien alors prefqo*entiérement compo fées de Gentilshommes. Dans Tiq fanterie même , Montluc nous di qu'il n'eut jamais de Compagni il n'en eut quarante à la têt^ Il la leur faifoit calTèr à bon mai ché , en leur difanr qu'il n'avo: jamais connu befogne bien fait que de Gentilshommes. Henri I\ chef pendant long temps d'un pan profcrit , obligé de vendre tout bien pièce à pièce pour fubfîfter te qui déjà Roi de France fe plai gnit long -temps d'avoir tous fc pourpoints percés au coude, fevaii toit néanmoins d'avoir toujours e quatre mille Gentilshommes autou de lui 5 quand il avoit voulu les appeller. La Cour d'Henri II. cependant n'éroit pas déferre ; celJ des Guifès & de tant de chefs d parti qpi çxiftoieiit alpr§ j l'étQ

Suite des Moeurs & Vfages. 1 1 ï

ncore moins , proportion gardée.

ally qui n'écoic encore que Cara-

in 3 entrerenoic , dit -il, douze

entilshommes à la guerre , à deu3^

înts livres chacun. On nauroic

as aujourd'hui un cocher à ce

rix. Ce neft pas de quoi il eft

:i queftion. Les douze Gentils-

oiiimes de Sully faifoienc partie

es quatre mille d*Henri I V. m^ats

; mets en fait que dans cent foi-

ante mille hommes d'infanterie

lie le Roi a fur pied , on y crod-

eroic à peine ce nombre de Gen-'

ilshommes: Pourquoi cela ? La

•auvreté efl: devenue ridicule , ôc

[ans celle de toutes les profeffions

m Ton devroit le moins la crain-

Ire , puifqu'on s'y dévoue la tout

')erdre au premier fignal, il faut

iu bien. On a chargé de faux frais

eûtes les garnifons , la moitié des

ippointemens va en abonnement

le Comédies , de fauteuils , de che-

'i^aux de ronde , &c. Les Régimens

[e piquent d'enchérir fur la dépenfe

les uns des autres. On appelle bril-

lans ceux qui payent les plus chères

Kii]

liî Emploi des Terres _, auberges , & qui font en état d'être reçus dans les mai Tons. Jl faut de gro(Tès penlîons pour foûtenir tout €ela , & les Chefs > fans fongec quil faudra un jour mener ces gens à la guerre , fe hâtent de faire retirer les vieux foldats, & de lej remplacer par des gens en état de fe fourenir. La vénalité s'eft intra duite dans les emplois ; en fuppo- fant qu'un pauvre Gentilhomme jfbit en état d'en acheter un à for £Is , la penfion en fbufTre \ il faui donc des gens de ville. Je veu} croire qu'ils feront aufïï bons de- vant l'ennemi que des campagnards înais il s'en faut bien qu'ils ne lei égalent pour la fatigue , & par Tat tachement à leur emploi , que ce: derniers regarderoient comme leui patrimoine. Quoi qu'il en foit, h ^ cherté du fervice ôte ce genre ai débouchés à la pauvre Nobleiîè La maifon du Roi leur refte : de mandez cependant ce qu'il faut de penfion à un Gendarme , ou à ur. Garde du Corps; \qb plus modéréî vous diront ûs cents livres ;. & q\3

Suite des Mœurs & Ufages. i z 5 font les pauvres Gentilshommes qui peuvent donner cela à leurs ca- dets ?

Il s'enfuit de cette énumératioa trop longue , mais que j'ai cru im- portante relativement à la préémi- nence naturelle à Tefpece de gens donc je parles que loin de tourner en ridicule les gens de qualité ri- ches 5 qui par vanité voudroienc conibmmer en ce genre de fafte ce que les autres perdent en luxe inutile à l'Etat & ruineux pour eux, on devroit les y encourager,

Les gens dont vous parlez , me dira - c - on , nourrifToient plus de chevaux qu*on n'en élevé aujour- d'hui j la Nobleiïe étoit toujours à cheval , les noms de Connétable, de Maréchaux , de Chevaliers , d'Ecuyers , l'habitude l'on ell encore de dire un beau Cavalier , un aimable Cavalier, aller bride en main dans les afiires , broncher à chaque pas,& mille autres locu- tions uficées , font des reftes de J'intime fociéré de nos pères avec leurs chevaux, J'en conviens j mai^

K iy

2 24 Emploi des Terres y il ne s'enfuit pas de - qu'ils euA ' fent plus de chevaux que nous : outre que la cavalerie réglée eft devenue beaucoup plus nombreu- fe , à commencer par le Prince le dénombrement de les écuries ex- cède de beaucoup celles de Tes pré- dccefTeurs j on avo:t quelques che- vaux de main , mais à cela près » on n'en nourrilloic point d'inutiles. Une grande Dame de ce pays-ci, à qui je vis des chevaux de remife , me répondit: cenejipas quiln'y en ait dans nos écuries ^ mais il n'y en a point qui ait pu aller aujourd'hui. Quand Baiïompiere rencontra cette lingere du pont- neuf, dont il fait une finguliére hiftoire , il n'avoit qu'un cheval entre fes jambes : c'étoit l'homme Je plus brillant de fon temps ; au- jourd'hui le plus pauvre allant en fiacre, en occupe deux. Il cft à remarquer encore que les chevaux répandus alors dans les campagnes leurs maîtres habitoient , en- graiiïbient de leur fumier la prairie

Suite des Mœurs & Ufages^ii^ 'pi les devoir nourrir , &c confom- î^oieiic la denrée fur les lieux ; ous rafTeiTîblés aujourd'hui dans -es villes , leur nourriture entraîne :eile d s chevaux de craie qui y DUC amené le fourage.

Mais revenons. On ne doic point :tre étonné que traitant de la Po- pulation je cave à fond , quand cela fe préfente , les objets qui peuvent y fervir & y nuire ; & puifqueje fuis à laNoblelîe, il me refte encore beaucoup à dire fur cela. Elle eft très- nombreufe en Allemagne, tel point que les Seigneurs & les Princes même des plus grandes Maifons font au (èr- vice des Maifons régnantes , fou- vent moins iliuftres & moins an- ciennes que les leurs. Le droit de prim^géniture & la reverfion d.^s fiefs aflTurée aux caders , quand les branches aînées tombent en que- nou'lle 5 font un appas quî oblige tous ces cadets à (e marier, & à époufer des filles pauvres d>c de haute niiiïance comme eux. Les enfans de ces Princes &c Seigneurs

S2:(^ Empfoi des TernS' n'en font pas moins des fujerspaut FErac 5 des reflourGes pour leur Maifon j & fourni (Tant toujours de nouveaux fuccelTeurs , ils empê-^ chent Tinconvénient notable de réunion des biens de. piufîeurs Mai? fons en une feule..

Aux Etats d'Orléans , fous Fran* çois II. & Charles ÎX. il fut quef tion de faire paflfer en Loi dans le Royaume Tadmiffion des fîîbfli ta- rions graduelles & perpétuelles comme en Italie \ te par une de e.t% contrariétés qui conflatent Xsl bizarrerie de la nature humaine , 6c qui feule a gravé ce fait dans 3îia mémoire 5 il arriva que le tiers- Etat y ayant confenti, ce fut la Noblefle qui s'y oppofa. Si Fon propofbit aujourd'hui un pareil ex- pédient comme capable de foute- lîir la Nobîefle <&: ^tn encourager la multiplicaticrn , & conféquem^ anent comme avantageufe à TEtat, ©n feroit fifflé de toutes parts; & ceux qui daigneroient répondre au raifonneur, raccableroient d'allé- carions p, dont ies^moindrè^ fexokai

Suite des Mœurs & Ûfagcs,: iij ;_que ce projet nuit au commerce,. èc prive le Roi de Tes droits de fuzerain aux mutations. Examinons en détail ces deux obje6lions,coni- me les principales.

Le commerce eft l'échange des l'échangé? îiécefTués & commodités de la vie , ^espropriécé^ & nuiiemenc celui des propriétés, commercev Quand à Paris les loix & les mœurs affujétilTènt tout à l'encan ^ on s'é- crie que c'eft bien fait , que cela fait circuler les meubles & l'argent, que les gens dejufticejes induf- trieux du bas commerce , les cu-^- rieux , les inconftans , tout enfin y' gagne ; & moi je dis que par mille' raifons c'eft un ufage pernicieux ; & je îè prouve. i°. Que font donc" tous ces gens amafles , qui jouent au plus fin dans le rezde chaufTce' dévailé de cet Hôtel , qui huit' jours auparavant brilloit de meubles miles éc fuperflus ? Les Huiiïiers^ hurlent , les Procureurs écrivent y 6c ce peuple avide de brocanteurs'* fe tend des pièges adroits , tandis- que les gens les plus riches n'ont pas honte de s'affocier aux ufurierf

1 1 % Emploi des Terres ^ ée profeilion en ee genre de pafîe?^ temps 5 ôc de venir y braver les quolibets des revendenfes^ du quar- tier. De toute cette fouie de gens amafîcs de la forte en mille endroirs de Paris , il n'y en a pas un qui ne cherche à attraper 1 autre , de îa bonne-foi eft bannie de lapen- fée de fous les individus qui rem- pli (Tent ces dignes afTèmblées. Voilà pour les agens. D'autre part, propriétaire bannilTànt toute dé- cence & toute antique fuperftition de refpe<5t, vend jufqu'à la robe que fa mère portovt quatre Jours auparavant : feachant d'autre part <jue la même chofe arrivera après lui, il incendie comme inutiles ôt propres à allonger fon inventaire;, mi le papiers curieux 3c fou vent uriles^ à la poftériré , mille chofes qu'on lailTeroit à (es enfans volon- tiers , mais qu'on ne veut pas ex- poser à la curiofîté des Prépofés à la Juftice t la mère ne fe foucîe point de faire des meubles comme faifoienr (es devancières laborieu- fos tout fera ?enda 3,dk-elle > ^

Suite des Mœurs & U/ages, 22^ fervira à des étrangers. La maifoa efl appauvrie d'aurant > ôc l'Etat aufîî , puilbu'il n'cd: autre chofe qu*un amas de maifons particu-, liéres , & que le travail d*une inS- nîrc de dignes matrones d*amre^ois luit en parties de ca^'ac;noIe , efl autant de perdu pour lui Mais 9 dit- on 5 ce changement dd meubles y ces achats & reventes conrinuelles avivent îe commerce , & 'font tra- vailler les ouvriers; & moi je dis que non : non , mille fois , non. Ces meubles vendus dans la rue de BuflTy vonr être tranfportés dans îa rue Diuphine i on ne les ufe point en chemi ^ , ils fervert à quel- qu'un 5 lis font à la vérité pîu'-ôt palfés; mais c'efl que ceîui qui les fit le premier , prévoyant leur fore les avoit fait à vie. La mal f xorr n'eft un gain pour perfonne , 6c je foûfiens qu'on fait plus de meubles dans les pays on les con^rve ^ que i^ans ceux on ils ne pafTenî: jamais une gcnération. Entrez dans^ îa maifon de «es nouveaux établis* un appariement bxille de ftaîcheur.

$i6 Emploi des Terres ^^ ' ÛG dorure Ôc de boiferie une foî^ faite , tout le refte eft nud. Voye^- des Palais dans le pays le mo- bilier fait partie de la bonne mai- fon : les murs font couverts par- tout 5 tout eft plein , Se les garde-- meubles le font auflî : cependant on y travaille toujours , le temps- ufe & prend plus fur la quantité que fur le peu ; on remet à la mode , on remplace le vieux , à^ peine eft-on meublé d*hiverà fond^ qu'on veut Têtre d'été. Après les meubles ordinaires , on amaffe ceux des occafions , des noces , des cou- ches , &c. Les Châteaux viennent' après les maifons de Tille *, Ton fe' pique du fupeïûu,Ôc une maifon- eft auin riche de ce qui eft en re- ferve, que de ce qui paroît ; en un- mot 5 on y travaille Tans celTe , tan- dis qu'à la referve des fous , ce' n'eft qu'une fois dans la vie qu'on fe meublie à Paris , ce préten- du revirement de meubles ne fait' tivre que des fripons qui éveil lés- comme ils le font , euftent été ucilesi en <iuelqu*autre profeiEoiij

Suite des Mœurs & XJjages. ijt Cet exemple que je crois vrai: d^ trcs-boiine-foi , & que i*ai été chercher dans la partie de Tindui- rrie la moins conceftée , pourroir faire douter fi "^ow ne Te trompe pas très-fort en honorant du nom de commerce tout ce qui eft mou- vement. Ce n'efl: qu'un efprir faux- & un cœur ^ih. qui peut regarder eomme commerce l'agio , le cour- rage, rinrriguej le maquerellage ,. & autres trames de ritltérêt , de la ' malice ^ de la mauvaife foi ; au- trement le diable feroit le premier à.t% commercans.

Je pourrois prouver également "Ucîii'îé à&^ que le revirement continuel des ^'^^^^"(^^^

r- o A c -) (V des fiers pour

biens & des rortunes n eit point h lotursv un avantage pour le commerce ; ma's ii n'efl: queftion ici que des fiefs. Quel mal feroit au commer- _ ce, que les fiefs fulTenc aflTurés dans^ les races ? J*aidéja dit que cela per- pétuoit les vieilles fouches en en^ gageant les cadets à fe marier 3 -anaintenoit Tefprit de fubordi nation^ & d'union parmi les habitans àtlz eaîîipagne par lanuque refpe^l pour

,>'

'2^1 Emploi des Terres l le fang da Seigneur , le goût i6 propriété dans les familles , & la ljplen:leur dans celles que les exemr pies domeftiques engagent le plus à tâcher de mériter de la patrie. Qui donc y perdroit ? Les Notaires , & les gens qui vivent de procès*

On dira peut-être que cela ôte rétnulation dans la partie induf- trieufe des fujets -, que chaque bar- rière mife à l'ambition en efl: une au travail , dites mieux, à la cupi- dité: mais je le nie. Les Hoilan- dois , qui ont jadis pouffé le com>- merce & (es fuccès plus loin qu'aa- cune autre nation , n'avoient point en vue de devenir M. Le Marquis un Tel, èc Von fçaitque fans Mar- quifats ni Comtés, de (impies par- ticuliers de cette florifTante Répu- blique offrirent de faire la guerr au Roi de Dannemarc à leurs dé- pens.

On fe plaint à bon droit, & Voi% regarde comme un vice très nui- fîble à la condtrution de la Mo-i narchte l'ambition générale que chacun a en Fiance de faire £on

e

Suite des Mœurs & Vfages, 233 fils noble , & conféqueniment inu- tile à tout bien en un p^ys •, il ne refte de débouché à Ki Noblef^ fe , que celui de«ious-enrendre les neuf dixièmes de les entans . pour qu'il refte au fîls unique de quoi Kvivre conformément à ce que la vanifé du pereappel^e^fon écat, \.q. MagiHirat veut prendre l'épée, parce qu'il eft établi que l'état de juger les hommes ne convient pas à la haute NoblelTej le Négociant veue devenir Magifirat pour faire en- fuite le même faut. Le Financier, à qui l'or fournit la plus brillante & la plus unie àes perfpedlives 9 prend le plus court, & appclleroit volontiers le plus étourdi de fes en- fans M. le Miniftre ou M. leCon- feiller d'Etat , comme on désigne quelquefois M. TAbbé dès 1 âge de cinq ans. Le fils du payrande^i.nc Procureur , «Se celui du laquais Em- ployé. Si au lieu de cela le Ma- giftrat ambitieux & fécondé de la fortune dans Con état recomman- doit uniquement à fa famille de penfer à Tilludrer ^ en donnant à

2 54 Emploi des Terres j l'État des du Harlay . des deThou; des Lamoignon , àts Talon &c, le Négociant , des Crozat -, le Fi- nancier 5 des Jacques Cœur ; le Manufaâ:urier , des Van-Robès : fi le payfan ne fongeoit qu*à amé- liorer Ton bien & rendre Tes enfans habiles & laborieux j tous deviens droient plus induftrieux , plus ac- crédités , plus en état de fe foûte- nir, & de profiter des fondemens jettes par leurs pères. Chaque pro- fefîîon élevée dans la modeftie & dans une tournure de mœurs uni- forme & propre à fon état , ne» donneroit pas moins des fujets à la patrie ; mais le fils cadet d'un Ma- giftrat ne dédaigneroit pas de pa- roître au Barreau ; celui du Né- gociant , de devenir Armateur ; celui du Financier occuperoit les emplois de détail j le fils du Manu* fadurier chercheroit à établir des métiers il n'y en a point 5 & le fils du laboureur iroit en journées. Loin que les pépinières de lEtat fuflfent afFoiblies par la modération jdes pères ^ elles devieudroientplu%

Suite des Mœurs & Ufages. 135 abondantes. La nature infpire d'ai- mer Tes enfans , l'orgueil , de les craindre ; & le furabondant de chaque profeffion fourniroit aux portions flériles de la fociété > comn:ie foldats , matelots , &c.

Sans que je rn'épuife endialec- tique , tout homme de bonne-foi fentira la vérité de ce que je dis- ici 3 & les gens fenfés fe plaignent chaque jour que la folie d'autrui les mené beaucoup plus vite qu ik ne voudroient.

Ce n'eft pas que dans mes rê- veries je prétendide faire revivre la police intérieure des anciens Egyp- tiens, 011 par une loi fixe perfonne îie pouvoir exercer que Tétat de fon père. Indépendamment des in- convéniens de ce genre d'efclavage prefcrit à la nature , je fçais que les loix ne font rien fans les moeurs. Si j'avois à dire mon avis fur celle-ci, je Taurois confervée en partie & abrogée en Tautre. Il Vitvx jamais été permis de monter 3 mais toujours de defcendre , cha- cua filon lia talenc. Mais ks Etats

i 3 ^ Emploi des Terres j" ne fe gouvernent pas par des fpc- cularions; & à cet égard je reviens au principe que j'ai établi ci-de- vant 5 & qili ne fera pas contefté , je crois , par les gens de bon fens, Ceft que , fans contraindre per- fonne, il faut honorer chaque pro- fefîîon relativement au degré d'uti- lité première, & bientôt ce moyen doux éteindra plus de la moitié de cette ambition deftruétive , qui fait que chacun ne demeure dans fon état que par force , &c ne regarde le travail que comme un pafTage épineux pour arriver à la jouiP- fan ce.

Il réfulte de ces fpécuîations ^ que Texclufion des fiefs pour la ro- ture , & conféquemment î'exten- (îon àQs loix privilégiées propres à les conferver dans les familles 5 ne feroit point un mal pour le com- merce ; au contraire , aufïi-tôc qu'un Commerçant , qu'un Finan- cier &c. a acheté des terres, il prend goût à l'efprit de fupériori-- , il dédaigne lui-même fa pre- mière profeffion, moyen fur de U

Suite des Mœurs & Ufages, 1 3 j /aire dédaigner aux autres ; Ton argent & Ton induftrie fbrtenc da commerce , & tout y perd. Il ne s'agit donc plus que de répondre à la léfion & diminution des droits du Roi.

Il eft certain que la vafTalité de- vant des droits à la mutation, tout ce qui interrompt ces mutations in^ tercepte ces droits. Il en eft d'autres de centième denier , contrôle , in- finuation ôcc. fur les acqiiifitions. Je tout enfemble Fait un objet con- fidérable. Je répons à cela , i ^.Que les principaux de ces droits ne font pas fans doute rapportans qu 011 le dit 5 puifque des Charges très- peu financées en exemptent , ^ donnent encore la NoblelTè par jdefTus le marché , & qu en fuppo^ fant que ces Charges aient été créées dans de§ temps de nécefîîté , du moins auroit-on fongé à les rembourfer depuis & à les étein- dre, fi les exemptions quelles rnul- jtjplienc à l'infini , attendu qu'elle? p^jGTent fiîr la tête de prefque touj

a 5 8 Emploi des Terres 2

les forts acquéreurs , écoient fi nuî-

fibles.

20. Que loin de grofîîr les fub- ûitutions en les étendant , Je les diminue en effet ; car le plan fujr lequel Je raifonne , ne comprend q^e les fiefs , & ce qu'on peut ap- peller biens féodaux; au-lieu que dans Tétat aduel un homme fubfti- tue tout Ton héritage g tant fiefs que biens ruraux ? maifons ôc fouvene même les meubles; c'eft-là ce qui .efl: fait pour être mis dans le com- merce 5 ôc non les fiefs qui , tels que Je les repréfente dans mon exception y ne font prefque autre chofe qu'autorité , droits &c pféé-j minences.

5^, S\ y Ce conformant fur cet article aux loîx de l'ancienne féo- dalité encore en vigueur en Alle- magne, il étoit établi qu'au défaut de la ligne mafculine , la réver- sion des fiefs viendroit au Roi , & que Sa Majefté s'en réfervant la nomination voulût s'aftreindre à ne tes point donner à des Mai [9111,

Suite des Mœurs & Ufages, 239 déjà établies , mais à des cadets de bonnes Maifons , avec obligation de prendre le nom & armes du fief j ce droit de nomination qui dans des Etats d'une aufîi vafte itendue que les fiens , remettroit fans ceffe de nouvelles grâces de ce genre dans Tes mains , & lui atta- cheroit plus particulièrement encore la Nobleiïè, s'il étoit pofTible , né- iquivaudroit-il pas une partie du revenant- bon en argent , qu'on pré- tend que cela diminueroic , èc que je nie?

4®. S*ii eft vrai que la Popula- tion foit une richefte pour tout le monde , comme la choie eft dé- inontrée , puifque il y a plus 4e gens obligés de vivre de travail , Jes lervices de néceflité rerpeétive p-our tous les hommes deviennent à meilleur marché, à plus forte rat- ion reft-elle pour le Prince , qui 4e tous eft celui qui paie le plus <le fervices. Or diminuer le pris jlîdes fervices, n*eft-cepas augmen- ^ |er fes revenus ? Cet arrangemene j félon moi ^ iin moyen de ?nu{-»

240 Emploi des Termes, ti plier fa nobleife ; elle feule alors rempliroic fes armées, fa garde >fa marine militaire , &c. Elle fe pique d'honneur naturellement. Il ne faut à cette monnoie-là d*autre garde du threfor qu'un gouvernement économe d'honneurs , ôc prodigue de confîdérations Se de louanges ^ & cependant c'eft: le plus puKTant des mobiles , & le plus inépuifable des ihrefbrs.

Mais , dit-on , Tépuifement con* )tinuel des vieilles fouches fe répare par de nouveaux Nobles qui danç la fuite fe confondent avec les an- ciens. C'eft précifément l'inconvé- nient dont nous nous plaignions tout- à- l'heure. Mêlez du vinaigre avec du vin , vous les gâtez l'un ôc l'autre. La haute Noblefïè, qui n'a prefque plus, il faut l'avouer jcon-»" îèrvé de l'antique générofité de fes ancêtres qu'une fade oftentation de /es vieux titres , ne confentira ja- mais à reconnoître les intrus com- me étant de fon corps ; le préjugé jnême de la nation l'y autorife , §ç à la réferve de certains nom&i

illuftrér

Suite des Mœurs & Ufages. 24 1 iiluftrés par de grands hommes & de dignes commencemens , tout le refle eft rejette j & tel homme efc lui-même dans le cas , qui en éta- blira le principe devant ceux à qui il croira en impofer. D*ailleurs , ces portes d'anoblidement ont été Ç\ fort multipliées que le ridicule s'en eft mêlé, plaie incurable chez les François. Queft-il arrivé de cela ? que Tune &: Tautre Noblede eft tombée dans le mépris , & que la confidération de Targent , ma- ladie plus redoutable pour un Erac que la pefte & la famine , règne aujourd'hui fans rivale. Retenons chacun dans Ton état ; n'employons à les multiplier que les moyens qui font propres à chaque profeffion. Dès qu'on voudra fe rappeîler en pratique gît le véritable hon- neur , il s'en trouvera aiïez pour tout le monde.

Les Chapitres d*hommes &: de filles font encore une reffburce pour la Noblelîe d'Allemagne , relîource très-eftimée & peu coûceufe. L'or- gueil de la naiffance , 6c la diflinc-

/. Partie, L

1^1 Emploi des Terres j tion de l'ordre ôc du genre font plus de la moitié des avantages des perfonnes admifes dans ces corps refpedables , ôc s*il y a quelques places lucratives, le grand nombre Teft très-peu ; mais la Noblefïè eC- time ces débouchés qui font un état pour Tes enfans , ôc dans la crainte de s'en fermer l'entrée vient y chercher des femmes à qui leur naiiTance fert de dot. La Noblefle en France a , au-lieu de ce fecours , celui des méfallianccs. On peut dire de ce joli mot ce que M. Boiïuet difoit de la fréquentation desfpec^ tacies y II y a de grands exemples pour , & de fortes raifons contre. Examinons encore cet article. Méfallianccs. Ces alliances 5 dit-on , relèvent l'ancienne Noble (Te , dégraiflTent \ts gens à argent , les civilifènt d'une part , & de l'autre rapprochent de la fociété privée la morgue de la Nobleffe , remettent en circulation l'argent engorgé dans \.m petit nom- bre de caifles , & diminuent infen- fiblement l'oppofition & la haine iiivétérée entre deux of dres d'autant

Suite des Mœurs & Ufages. 245 lus difficiles à amener à la con- Drde, que la profeffion bien ana- iee de Tuneflde coût demander, : celle de l'autre de tout prendre, oiîà , je crois , tout ce qu'on peut ire en faveur des méfaliiances j du loins ai-je prefque fué pour en ouver tant, 6c cependant j'ai en- e de rire du poids de ces pui{^ ntes indu6tions.

Mon deflfein ici, ni nulle part, eft pas de fcandalifer perfonne,

fi quelqu'un fe trouve bleile ,

le prie de croire cependant que li crayonné mes tableaux le plus gérement que j'ai pu , & que par- adé que les plaies en écrit dé- çurent , je tâche d'écrire , comme

voudrois l'avoir fait le jour qu'il le faudra rendre compte à Dieu.

En conféquence , fans faire dif- iâ:ion entre certaines méfaliiances opinion , & d'autres qui font hon- ufes par la fource des richelTes \t l'on partage , je dirai qu'en gé- ^ral & par les raifons & principes le nous avons déduits ci-defTus , 1 ne fcauroic trop accoutumer les

Lij

144 Emploi des Terres^ \

difl-ërentes clafles à s'allier entr elles , & à conferver comme ui dépôt facré les moeurs «Se ufage de leur état 5 je dis les bons, &j pourrois même à certains égard dire qu'il vaut mieux que les mau vais fe concentrent que s'ils fe ri pandent. Par exemple , fi le fils d*u voleur époufe la fille d'un fripon au fond il n'y aura qu'un ménag de gâté,au-lieu qu'ils auroientéi très- propres à en gâter deux.

Ce Magiftrat qui époufe une fil de la Cour fe défaille , ( fi l'on r veut appeller cela fe méfallier auiîi défavantageufemenc que fc voifin j qui devient gendre d'un F; nancier. La Demoifelle met fur fc vernis d'impertinence natale ur dofe du gourmé de la Préfidencc Se bientôt elle dédaigne la Maifc elle eft entrée, parce qu'elle r peut aller à la Cour : elle tranl plante les grands airs , elle diftir gue les coufins titrés , fes enfai maudiffent la fimare qui ne va p; avec des talons rouges 5 le titre c Préfidenc les ofFenie > quoiqu'i

Suite des- Mœurs & Ujages» 245

e veuillent pas perdre la Charge ;

s font Marquis, &c s*ils n'en peu-

enc avoir l*accourrement qu'à la

ampagne, du moins en ont-ils la

ituité & réquipage. Tout cela con-

)mnie , l'ancienne gravité Ce perd

vec rémde , Ôc la falle d'audience

es pères n'efl: plus fréquentée que

ar des créanciers & des muficiens,

)'autre part , le voifin enfinancé

reçu un petit bijou qui n'a plus

ien de l'accent Picard ou Gafcon

e M. fon père , le couvent ôc les

laîtres. y ont mis bon ordre : elle

a pleine de talens , accoutumée

ux flatteries des valets , &c farcie

!e ces hauts axiomes de généroh'té ,

ju'il ne faut porter fês robes qu'une

àifon 5 quejles defïeins nouveaux,

out donner à fes femmes , avoir

in garçon perruquier pour Tes gens

i(în qu'ils foienten état de paroître

ians l'appartement , un plumet y

ies rênes Se des harnois de cou-

eur , des chevaux neufs , du vernis

ie Martin & ce qui s'enfuit. La

Délie mère qui avoit compté que

4.00000 liv. foin 20000 liv. de

L iij

1^6 Emploi des Terres , rente , qu'une femme doit coûte dans une maifon réglée éooo li\ par an 3 8c que les 14. autres fe roient accumulées pour Tétabliflè ment des en Fans à venir qu'elle voi déjà par douzaines autour de fo fauteuil , laiiTe patiemment paHe les jours d'engouement de noces hoche la tête quand on parle d fpedtacles , de bal , de l'Opéra Sa mais efpere que cela finira : tout f fuccede cependant , elle prend ms fon temps , hazarde fes axiomes Ôc l'on bâille : tandis que l'impru dente maman va réfléchir aprê coup 5 ôc confîdere charitablemen avec quelques amies qu'elle a fai une fotife par telle & telle raifon on démeuble dans le bas : les lam pes économes qui éclairoient fo: antichambre font place à des bra dorés 5 les porcelaines , les verni J'éblouiffent de toutes parts ; la cui fîniére vigilante eft remplacée pa un chef qui Ce referve trois jour par femaine, & qui les quatre au très fait travailler fon aide 5 le Yalets fidèles du vieux temps fuien

Suite des Mœurs & U/ages, 147 en pleurant tant de dégâts j bientôt leur Maîcreffe les fuit , ôc va dans un appartement étranger déplorer les vices du temps. Les premières couches la rappellent : on lui an- nonce une fille ; nous aurons un garçon une autrefois ^ dit la vieille mère. Oh \ pour celui-là j je vous demande excufe ^ répond l'accou- chée j le métier nen vaut rien j & je ne fuis pas d'humeur a me fa- crïjier pour ma pojiérité. J'aime déjà cette petite a la folie , & je- veux quelle foit héritière ; Sc fa- quins d'applaudir. La même chofe leur étoit arrivée la veille chez li Demoifelle qui avoit eu l'infolente cruauté de dire que ce n'eftpas la peine de faire des enfans , quand on n'a pas un nom à leur donner. Laquelle des deux vaut le mieux pour la famille elle efl entrée, ^ pour yconferver l'ordre, la dé- cence ôc les mœurs ?

Les principes dans îefquels j'é- cris, me font fupprimer beaucoup d'autres raifons & de détails. Je conclus que mélanger ain(î les

L iv

i^B Emploi des Terres j états 5 c'eft tout détruire , toue avilir , ôc ne relever rien que Tor ôc largenr. Or un Etat , la cu- pidité Ôc les riche(ïes ont la préé- minence non difputée , efl: une aflemblée de voleurs publics ou déguifés , de brigands civilifés , dont les uns (ont en pleine chaiîe , d'autres à l'affût , & qui dans le fait occupés à s*entredétruire, fe- ront bientôt juftice les uns des au- tres 5 fans que la foudre s'en mêle. Dans un Etat conflitué comme la France , il faut que la Nobleflfe foit fiére, brave, pauvre, & s*eQ pique : que la Magiftrature foit grave , jufte, auftére , économe , & s'en pique : que le Commer- çant foit laborieux , entreprenant , franc , indépendant , f mple , ôc en falîe gloire : que la Finance Ce con- fonde ÔC fe répande dans le com- merce , loin de Topprimer ôc de le méprifer: que l'Artifan foit in- duflrieux , vigilant , réglé dans fes mœurs , borné dans fa confommà- tion : que le Laboureur enfin Ôc TAgriculteur ( cet ordre d'hommes

Suite des Mœurs & Vfages. 245) récieux par lefqneîs j'aurois jmmencer ) foie infatigable , lio- 3ré , chéri , protégé , foulage , icouragé de façon qu'il falîe en- le à tous les autres états par fou Dnheur , fa liberté , fa joie , fa anquillité , & par cette pureté atriarchaîe de mœurs , dont la impagne eO: la véritable & Tuni- ae patrie.

Cette digreffion fur la NoblefTe iroîtra certainement longue , «Se îut-être partiale. J'ai aifez témai- ci - devant quel cas je faifoi^ 2s petits & combien je les hono^ )is , pour n'être pas à cet égard :cufc de prédilection. Je nnis lême cet écart en rentrant dan^ univerfalitédes clafiTesde citoyens^

n'ai traité de cet état-ci en par- culier, que parce que c'eft afîu-^ émeot de tous le plus inconnu n un pays la pauvreté devient ice ou bien fis ^ comme difoit uelqu'un 5 ^ parce qu'il ell: le lus utile après l'agriculteur , dans n Ecat Ton connoît le pri^

2 5^ Emploi des Terres ^ de rhonneur & de la gloire. R venons.

]'ai dit que la multiplication d< chevaux dans un Etat eft un ma Se que nous étions atteints de < mal. Il m'efl: quelquefois venu dai la tête un projet qui pourroit êtj bon, & qu'au pis aller je dont au public pour ce qu'il me coût capiratîon On a de tout temps regardé im les che- capitation comme un impôt trè ^^"^ onéreux. J'ai ouï & lu force d

clamations l'on difoit que c'e vendre l'air au citoyen ; que c impôt connu fous les Empereu Romains fut un des (îgnaux de décadence de l'Empire , & l'ur des caufe de l'aliénation des Pr( vinces , qui bientôt aimèrent mien recevoir les barbares , & jouir d leur prétendue franchi fe fous l'en pire le plus dur & le plus abfoli que de fe voir rongées & dévorée en tous les (èns par les exadeu publics d'un Empire fifcal. I Prince même, qui forcé par la n ceflîté établit parmi nous cette fori

Suite des Mœurs & U/àges, 2 y i de tribut , en avoit un tel dégoût , que dans les temps les plus cala- miteux des fins de Ton régne il predà fouvent Ton Confeil des fi- nances de trouver les moyens de lui faire tenir fa parole en le fup- p rimant , fans que fes coffres alors fi cpuifés en fonfrri(îènt trop. Ces fortes de difcuiïîons me font défen- dues 5 ôc par goût , & par devoir de Sujet ; mais en fuppofant que ia chofe parût ainfi au Prince , ôc à ceux qui fous lui ont le droit de l'examiner, j'ai un projet tout fim* pie à propofer à cet égard.

Je iranfporterois la capitatioii de rhomme fur les chevaux. Je me vois fiffler j car me dira-ton 5 on a trouvé moyen de capiter l'or- gueil ici-bas. Ce Gentilhomme qui fait un procès- verbal , il trans- forme des buifîbns en ParoilTe pour faire ériger fon fief en Marquifatj, follicite & paie la permiflfîon d'avoir cent cinquante liv. de capi cation ■pour fa feule perfonne. Ce Mar- quis bruyant, qui promené en gliP fant furie parquet de Verfaiiles le$

L vj

251 Emploi des Terres ^ talons rouges que fou petit - fîls payera , qui fe met en quatre pour devenir Duc , demande deux mille livres de capitation. Or votre fom- me deviendra courte d*autant , car on ne fcauroic titrer un cheval.

Je foûtiens que la femme pour- roit devenir égale à peu- près. Peii:- fez - veus que ces Marquis & ces Ducs foient abfolument dupes en cela, & qu'ils ne fçachent pas fe retourner de façon que la Cour leur rende au centuple ce qu'elle leur prend ? je vous le demande. Je voudrois donc qu'on capitâ?t les chevaux; ceux de labourage très- bas , ceux de charrette forme- roient la féconde clafïè, ceux de bât & de tranfport la troifiéme , ceux de voitures publiques , mefîà- gers 5 de voyage aduel en un mot la quatrième 5 ceux de monture de parade & de courfe la cinquiè- me, ceux de trait enfin pour le carroiïè feroient la plus haute clafTè^

Mais. , me direz - vous , vous mettrez tant de monde à pied , que la çapication en viendra à. ricu. J

t

Suite des Mœurs & Ufages, if? ^ répons à cela, i°. qu'il n'en ferois rien. La vanité efl; plus forte que Ja raifon & même que lavarjce. Voyons-nous , lorfqu'il arrive des chertés excefîives de fourrage , chofe très-commune à Paris, que les réformes de chevaux foient en quelque proportion avec l'augmen- tation de leur dépenfe ? A l'égard de leur taxe , chacun en garde-' roic du moins au prorata de ce qu'il paie aujourd'hui de capita- tion.

2°. Suppofons un moment que cela diminuât confidérablement le nombre des chevaux , fuppofbns encore que cette diminution fût un mal , tandis qu'il eft déjà dé- montré que ce feroit un bien ; cela fait cet effet fur les chevaux , on ne peut nier qu'il ne le fafTè fur les hommes , & tout eft dit dans mon fyftême en avouant cela.

Je ne doute pas que pluiieurs d'entre ceux qui me lifentne pen- fent intérieurement qu'il vaut mieux pour un Etat , ou du moins pour les individus qui le compofent ^

2 54 Emploi des Terres ^ qa*il y ait moins d'hommes, mais aifés éc confommans à leur fantai- fîe 5 qu'un plus grand nombre né- ceiîités à la fobriécé & à la mo- deftie. Ce petit fêntîment honnête eft bon au même ufage que le fonnet du Mifantrope; mais outre quil eft infâme & cruel, je prou- verai bientôt qu'il eft faux & er- ronné. On m'objedlera encore , que depuis que la capitation eft établie dans le Royaume , loin que la recette en ait baififé, elle a tou- jours été en augmentant ? preuve que la Population eft accrue- Que quiconque ramené à la preuve le contraire des faics, aille faire des. terriers & recevoir des rcconnoi(- fances dans la campagne ; il trou- vera un mauvais village il y avoir une petite ville, un hameau à la place d'un village, une ma- fure déiignant un hameau, & cam* pos ublTroja fuit* Il y a plus de champs défrichés dans plufieurs cantons , j'en conviens , m.ais moins de maifons ; d'où vient cela?C'eft qu'on grate les friches & les cô-

Suite des Mœurs & Ufages. lyç teaux pour en tirer la fubUflance de quelques années > & les laifTer enfuite appauvris & pelés pour ja- mais , au - lieu qu'ils étoient du moins autrefois couverts de bois ; mais le fonds du territoire efl moins cultivé , moins fumé , & rend infiniment moins générale- ment parlant.

Si la recette de la capitation a augmenté , c'eft que i°. ces fortes de régies ie perfeàionnent en vieiL liffant , & que tel qui fçavoit au- trefois s*y foudraire j ne peut échapper aujourd'hui 5 qu'on avoit d'ailleurs certains ménagemens alors pour accoutumer les peuples? & fur -tout les Nobles, à la pre- mière impofition perfonnelle in- ventée depuis rétabliiTement des peuples du Nord. 2.°. Qae les taxes particulières ont crû arbitraire- ment.

Mais je m.ets en fait que le nom- bre des capités a de beaucoup di- minué 3 à prendre le tout enfem- ble. Ce n'eft pas cet impôt que j'accufe de la diminution. En gé»

1^6 Emploi des Terrée néral je ne fuis pas trop porté à regarder les impôts comme des principes de dépopulation , fi - toc qu*on aura foin de faire retrouver au payfan le fruit de fon travail en fus de ce quil paie pour acheter tranquillité ôc protedion j mais en admettant que tians l'exécution de mon projet il diminuât le nombre des chevaux , c'eft un bien , Ci le nombre d*hommes en augmente j ëc en fuppofant que les chofes de- meurent comme elles font , le fifc y &^S"^ toujours rhonnêteté du procédé avec fes femblables.

il n'efl qu'une feule Se unique façon de juger de la ftable Se foli- de profpérité relative d'un Etat 5 êc cette façon- quelle eft-elle B Eft-ce par la redoutable puifTance de fes armées ? En ce cas les Tar- îares font les plus heureux peuples de Tunivers. Eft-ce par Tautoriré du Prince Se la pompe de fa Cour ? j'en doute , car le (iécle de Néron eut plus que tout autre ce genre de profpérité. Eft-ce par le nombre aes places fortes qui défendent fe§

Suite des Mœurs & Ufages, 257 frontières? foibles appuis Ci l'inté- rieur eft vuide , force comparable

celie des pyramides , mailes effrayantes au dehors Se qui ne renferm.ent que des cadavres. Eft- ce une marine puiflante ? mais Carrhage, que Tes propres fujers mirent à deux doigts de fa perte, Carthage qu*une feule bataille don- née fous fes murs abbatit pour ja- mais , eut ce genre d'avantage plus que toute autre. Eft - ce enfin d'y voir fleurir les arts ? Sans doute , mais il refte à fçavoir lefquels ; Se "ans entrer à préfent dans cette lifcudion , c'eft l'agriculture : c'efi: lie feule qui au coup d'oeil donne l'air de profpérité à un pays , ôc qui dans le fait la démontre.

Par-tout le peuple eCt heu- ©ùlacam» reux & tranquille , la campagne Pf^ë|je ^^^^^^^ fera riante , peuplée , abondante , pecité.* couverte de beftiaux 6c de fourra- ges. Par- tout vous la verrez ainfi 5 comptez que le goût de propriété , celui du pays , du canton &c. eft très-vif dans le particulier j que chaque individu s'intérelTe fans

i 5 ^ Emploi des Terres j mèipe le fçavoir, au bien public que le Gouvernement eft afîèrmi que l'Etat enfin eft , proportionné ment à Tes avantages naturels , e pleine profpérité.

Les Anglois admirent , dit-on no& villes & nos chemins , & pieu rent fur nos campagnes , H iama Anglois fçut pleurer nos défavar tages. Je crois le premier poir pour une douzaine de nos viile principales. A Tégard des chemins j'en ai dit autre part mon avi Mon delTein n'eft pas d'examinc & encore moins de dire fi 1( étrangers fe gouvernent mieux qi: nous, mais de préfenter quelqu( objets nous pourrions mieu faire. Je remarque feulement e paOant , que Paris même , cet! ville prodigieufe le luxe & Tii duftrie femblent rivalifer & fe di puter l'empire , quoiqu'en effet 1 premier gagne du terrein chaqi; jour 5 Paris , ce gouftre de 1 France Se des François , dont 1 territoire réel s'étend à deux cen lieues à la ronde, 6c qui fecoiic

Suite des Mœurs & Ufages, 2,59 d*une armée de colifichets jinipofe des tributs à tous les efprits frivoles du monde entier , Paris enfin 5 mal- gré toute fa magnificence , ne mon- tre nulle part ces traces d'amour du public dont les moindres villes des anciens étoient décorées.

Ces portiques , ces places , ces théâtres , ces aqueducs , ces bains publics, & autres monumens donc les reftes après deux mille ans font encore notre étonnement , étoient prefqu'uniquement pour Tufage du peuple 5 & fouvent dans des villes médiocres. Chacun alors s'appro- prioit les ouvrages & commodités publiques , & les croyoit à foi comme un honnête bourgeois de Paris fe croit polTeffeur des reve- nus de la ParoiGTe 3 dont il efl Mar- guillier.

Si l'on en excepte les quais & quelques ponts de Paris, y voit- 011 rien qui porte la même empreinte. Il y a trois fpectacles , deux font des jeux de paulme , le troifième efl: un monument de Tamour pa- ternel du Cardinal de Richelieu

2éo Emploi des Terres ^ pour une pièce de théâtre qu*il avoit adoptée , & aucun n*a ni la grandeur , ni les commodités & ifTuës convenables. L'Hôtel de Ville conviendroit à peine à une ville du troifième ordre y Nul emplace- ment deftiné aux fêtes publiques ; nulle fontaine digne par Tes eaux d'un hameau décoré : les beautés en un mot de cette grande Ville font toutes difperfées , fans que Tune donne du luftre à l'autre, comme on le remaroue à Rome , & font toutes dues au luxe & à la vanité des Princes & des particuliers. Quelle différence cependant de l'honneur qu'eût fait au Prince & à la Nation la prodigieufedépenfe faite à la machine de Marly , Ci les eaux , qu'élevé cette machine, au- lieu d'aller fe perdre dans les vaftes déferts de Verfailles , étoient deftinées à defcendre en fleuve dans les rues de Paris , & y former des fontaines telles que celle de ia place Navonne !

5i Louis XIV. ^nt dans une nation moins Gothique que ne l'eft

Suite des Mœurs & Ufages. iGi encore la nôtre fur tout ce quieft amour du public & intérêt bien entendu , certainement ce Prince , de qui tout ce qui avoit l'air grand faifiiloit Timagination , auroit du moins autant goûté ce fafte public donc il nous a même laiflTé plufieurs monumens , tels que Tes Arfenaux , les Invalides » les portes de Paris j que cette magnificence privée à laquelle il a facrifiérant detréfors, & qu'on lui reproche à bien des égards dès aujourd'hui.

On a voulu Taccufer d'un fen- timent aveugle & barbare , en fup- pofanc qu'il regardoit la France entière comme Ton patrimoine ac- quis & réuni par les armes de Tes ancêtres , & que croyant à fa Cou- ronne des droits plus étendus qu'à toute autre , il imaginoic que tout étoit à lui. On ne peut difculper ce Prince , grand d'ailleurs , d'avoir eu des notions quelquefois trop fiéres de Ton autorité , de Ton titre 3 & du droit public. Il feroit difficile de prouver aufîî que toute la France n eft pas au Roi , comme

i6t Emploi des Terres j le Roi cfl: à la France : il n'y a , à cet égard , qu'à s'entendre. Le droit ôc le fait parlent alTez fans enurnérer davantage ; mais il Ton entend par fon idée de domination , qu'il croyoit exclure toute autre propriété, on le fuppofe fou , 6c jamais homme ne le fut moins.

Cependant quand il fe feroir cru propriétaire de l'Etat entier , il n'en auroit été que plus aifé de le por- ter à décorer fa ville de Paris , à faire jaillir des eaux dans des pla- ces publiques plutôt que dans des bofquets , à faire des canaux d'ar- rofage plutôt que des perfpedives pour fon Château. Difcours La vanité d'ailleurs l'a emporté d'un Barbare ^ fg pravet fans celTè dans fes mo- numens , oc a le nommer en mar- bre le Divin Louis , i'Pîomme îm- mortel , ôcc. Ce fut la faute des hommes de fon temps. Je voudrois quelquefois que le Roi pût enten- dre l'idiome d'un barbare. «Sire, w lui dirois-je. Votre Majefté 3> n'a-t-elle jamais penfé que l'air 5> impératif ôc dédaigneux qu'on

Su ire des Mœurs & UJages. 16^ donne à vos ftacuës , eft ou puéri- le ou fâcheux. Céfar , Cromwel êc autres , nés (impies particu- liers > Ôc qui à force de crimes Ôc de travaux étoienc parvenus à commander à toute leur na- tion 5 pouvoient erre flattés de graver en bronze cette domina- tion qui étoit leur ouvrage ; mais vous , Sire , qui dès 1 âge de (ix mois receviez les hommages des Ambaiïadeurs , qui à cinq ans donniez des loix par droit de naiir fance Ôc d*amour des peuplés , qui n'avez jamais enfin connu un égal 5 vous avez milie vertus , mais n* en euîîiez vous aucune , tout le monde vous obéiroit éga- lement, îl eft donc inutile de commander en Piedeftaî. Ordon nez qu'on vous y place tendant les mains à une populace em- predée , la regardant avec des yeux de père , ôc lui diftribuanc vos tréfors; ôc qu'on life eninf- cription au-dsffous : Louis élevé pour mieux voir les befoins de Jon peuple. Qu'un canal de com-

1^4 Emploi des T erres ^ munication de la Saône à la 3> Loire aie pour toute infcription celle-ci ; Zci/i^ £Z i/o«/tt que fei « f /2/i«5 i/^ fd//^ & telle ProvinCi i> connuffent l'abondance _, & il « l'ont connue^ Qu'un Edit mefurc 53 occafîonne une Médaille, & qu'or M y life : Louis trouva dans foi Royaume la capitation fur le. îi hommes _, z/ délivra fes frère. 53 6* capita les chevaux.

J'imagine que le Prince regar- deroit comme un animal rare celu qui lui tiendroit ce langage , 6 avoueroit que malgré fa (ingulari , les idées de cet homme lui ei auroient fait naître de tout autre ment douces, que celles qu'il avoi eues jufqu'ici.

C'eft cependant à peu- près ce qu Je dis moins en bref dans la tota- lité de ces réflexions -, mais rêve lions.

Il eft donc de fait que notr Capitale n'a prefque rien de dign de l'admiration des étrangers, ; plus forte raifon en peut- on dit autant de nos villes du fécond ordre

l

Suice des Mœurs & Ufages. z6$ Se s'il eft vrai que les Anglois les admirent , c'eft en les comparant aux leurs , qui , à leur Capitale près , ne font prefque que des villages riches & bien bâtis.

Mais ce? Villes enfin , qui onc quelqu air de fplendeur , ôc qui tous les jours s*aggrandi{Iènt ôc fe décorent, aux dépens de combien de Villes champêtres , de bourgs , de villages & de hameaux reçoi- vent-elles cet accroilTement fîdif ? Je dis hdif 5 parce qu'à la referve de quelques-unes d*entre elles que le commerce a enrichies , toute cette augmentation n'eft quen murs 6c en pierres. Paris , qui de- puis la mort d'Henri IV. s'eft exac- tement accru des deux tiers , n'a cependant dans le réel de Ton dé- nombrement qu'à peu-près le même nombre d'habitans qu'il avoir fous ce règne ; mais quatre familles de gens confidérables occupoient alors une mai Ton , qui ne fufSroit pas aujourd'hui à un artifànt. Lemême travail qui fuiSfoit à la confomma- tion d'une famille de douze per- /. Farde, M

i6^ Emploi des Terres j Tonnes félon la façon de vivre d'a- lors , n'en entretiendroic pas deux félon celle de nos jours j ôc quant à la Noble(Te,je foûtiens qu'il y en habitoic plus qu'aujourd'hui. Moins de Cet énorme paradoxe étonnera Paîsfu'ify d'abord tout ledeur inftruit. On en avoia au. fcait que toùte la NoblefTe de irefois. France attirée à la Capitale par l'ambition, le goût du plaifir , de Ja facilité de réalifer fes revenus en argent depuis que les métaux font devenus plus communs , chaf- fée des Provinces par l'exemple de fes voifins , par la chute de toute confîdération dans fon can- ton , & par le dégoût d'obéir à cer- tains Prépofés de l'autorité, s'eft tranfplantée autant qu elle a pu dans la Capitale, ôc qu'il n'efi: demeuré dans î'éloignement que ceux qu'un refte d'habitude ou la pauvreté y a retenus. J'en conviens , Se cepen- dant je perfifte dans mon opinion.

Pour juger en effet Ci j'ai tort, qu'on ouvre les annales des temps dont je parlois tout - à - l'heure : quelle âffluencede Noblefle d'une

Suite des Mœurs & Ufages, 16 j ^^arc au Louvre , de l'autre à i'Hotel e Condé ! Chaque grand Seigneur 1 outre traînoit après lui un nom- ore toujours prêt de parens , d'amis & de vaiTaux 5 ôc la moindre que- relle entre gens conddérables vous repréfenre les rues de Paris pleines de gens qui alloient s'ofFiir chacun de leur côté. J'avoue que dix hom- mes qui paflTent dix fois en un jour dans une rue , tiennent plus de place que foixante qui n'y palTenc qu'une, & qu'en conféquence les temps d'aétivité multiplient en quelque forte VeSet de la Popu- lation j mais fi nous n'allons plus à la fuite des Princes, nous allons tous aux fpedacles. Qu'on dénom- bre les trois fpedacles le jour de lannée eu ils font le plus fuivis , qu'on en fepare les vers-luifans qui furement ne paroilfoient pas dans îes lortes de foules dont je parlois tout-à-l'heure , que raffemblant le refte , on leur donne à chacun un cheval & un autre pour un page ou palefrenier, fi le tout enfemble

Mij

lôS Emploi des Terres^ remplie les cours de THôtel de Condé , j*ai perdu.

Le fair ell , que toute cette No- bleiie accoutumée à la dureté des mœurs antiques , aux armes & aux champs , conlommoit peu , n'oc- cupoit qu'un recoin en guife de' chambre , & quelques écuries aux fauxbourgs ; au -lieu qu'aujourd'hui il n'y a pas une feule maifon de gens de qualité établis à Paris » qui n'en ait englouti dix , &: quelques - unes cent de celles qui fèrvoient autrefois de pépinière à l'Etat. Le luxe & les néceiïîtés de la vie 5 de la confommation , du logement 5 chauffage &c. fe font fi fort étendus , que ce qui fuffifoit à dix familles autrefois n'en fçau- roit entretenir une. A cette dépré- dation infenfible & de nécefïïtc , il s'en joint même une autre volontai- re ; la nature frémit des moyens que le luxe fuggere pour éviter l'embarras d'une nombreufefamille. Nous traiterons de ces détails ailleurs. Ceci fuffic pour démontrer par le fait & par le principe h

Suite des Mœurs & Ufages. 1 6(} mérité de ce qui paroifToit d'abord un paradoxe.

Paris donc s*efl étendu en pfer- , ^^^'^ *'^^

&j. 1 érendu en

jardins , glaces, parquets , pi,,re., ôcjar-

marbres, mais nullement en hom- dins & duI- mes ; & c'edici feulement ce dont h^^^^^^s,^" il efl: queftion. A ce fujet qu'on fe fouvienne par parenthc(e , que ce- lui qui fe vantoit d'avoir trouvé Rome toute de briaue & de la lailTer toute de marbre , la lai/Ta par fuccefîîon aux plus odieux des Maures, & aux plus vils des efcla- ves. Mais quoi qu'il en foit, Paris a fort embelli fes environs , à commencer par fes fauxbourgs &c fes guinguettes , la plupart des propriétaires de ces vaftes hôtels , dont ils occupent cinq fois par an les entre-fols , embelliiTent fous le nom de petites maifonsdes réduits dédiés à l'indécence & au désordre. Les maifons de campagne enfuira 9 Se les terres enfin , jufqu'à dix , quinze & même vingt lieues à la ronde, fe reffentent du voifinage de Topulence. Maïs combien ce petit nombre de maifons , en com-

M iij

2,70 Emploi des Terres , paraifon de la totalité d'un grand Etat 5 a-t-il fait tonîber en ruine de châteaux & de maifons autre- fois habitées par des Maîtres 5 dont îa confommation vivifioit tout un pays \

Sans parcourir la France j on peut s'aiTurer de ce fait par le feul rai- fonnement que qui eft ici, ne fçau- roit être là. Il n'y a pas une feule terre un peu confidérable dans le Royaume dont le propriétaire ne foit à Paris , & conféquemment ne néglige fes maifons & châteaux. Le même air de défertion & de décret qui règne fuf les maifons princi- pales , s'étend fur les fermes > mou- lins. Les maifons des particuliers, les murs , églifes. clochers dans les villages font pareillement en ma- zures & couverts de lierre.

Les pays ne font pas cultivés en raifon de leur fertilité j mais en raifon de leur liberté ^ dit un homme de génie Se dont Térudi- tion immenfe eft d autant plus iûre , qu'elle eft pref^ue toujours de bon- ne-foi, & fans ceiTe fpéculative.

Suite des Mœurs & UJages. 271 On peut voir dans Ton Livre de rEfpric des Loix , comment il prouve cet axiome frappant de lui- même; ôc quoique ce génie trop viFpour être toujours méthodique, s'écarte fouvent du principe dans les conféquences , on ne fçauroic trop recommander aux véritables Politiques la profonde méditation d'un Ouvrage, toutes les idées fur tous genres de droit fe trou- vent raiïemblées , & dont nous ne ferons jamais que les foibles com- mentateurs.

Les petites Républiques , qui divifoient les Gaules à l'infini , étoient libres j leurs terres etoient en conféquence fort cultivées , d*oii s'enfuit qu'elles étoient néceiTaire- ment très- peuplées. Ce principe n a pas échappé au judicieux David Hume. » Avant Taugmenration , >3 dit-ii , de la puilTance Romaine g M ou plutôt jufqu'à fon entier éta- »j bliffèment , prefque toutes les » nations dont parle l'ancienne " Hiftoire , étoient partagées en » petits territoires ou Républiques

M iy

272. Emploi des Terres ^ » peu confidérables , prévalok une grande égalité de fortunes y 9> ôc le centre du Gouvernement M étoit toujours près de Tes fron- >3 tières. Telle étoit la (ituation « des chofes , non - feulement en 55 Grèce & en Italie , mais aufiî « en Efpagne, dans les Gaules , » en Allemagne , ôc dans une gran- »> de partie de TAfie* mineure. Il' ^> faut avouer qu'aucune inftituticn » ne pouvoit être plus favorable » à la propagation du genre hu- 33 main.

Tout ce que cet Auteur ajoute relativement à la dém.onfl:ration de ce principe , eft également judi- cieux ôc conféquent. Nous avons prouvé ci-devant que tous les cal- culs à ce contraires quil établit enfuite, fondés fur la multiplicité &c la cruauté des guerres plus fré- quentes parmi ces petits peuples qu'entre de grands Etats , font étrangers à la queftion , quand nous avons démontré que la popu- lation efl: toujours proportionnée aux moyens de fubfiftance relative

Suite des Mœurs & Ufages, 273 à la façon de vivre & à la con- fommarion établie félon les mœurs. Ainfî donc , quand M. Hume efb convenu que l'ancien monde écoic divifé en petits Etats , qu'il a com- pris que les terres y croient mieux cultivées, & que Tégalité de for-' tune y néceiïïroit Té^alité & la médiocrité dans la confommation , il a jugé la qnedion qu'il débat fi fcavamment, (i le monde ancien étoit plus peuplé que le nôtre. Toue ce qu'il dit des vengeances, maf- facres , Se profcriptions fans nom- bre de ces pays inépui fables eii hommes ôr en forfaits y feic de preuve à Taffirmative plutôt que de raifons pour balancer. En efîèt, tant de fan g répandu & tant de calamités fou vent générales ne pu- rent diminuer le nombre des ha- bitans de ces contrées fédirieufes» •Si quelque défaflre fameux dépeu- ploit un canton, aufli - tôt une norabreule colonie de voifins ve- noit en partager & cultiver îes^ terres , fans que la difêtte d'hom-- mes fe fit fentir aux lieux d'où ils;

M V

r>-*

274 Emploi des Terres ^ ^

iortoient. De tous les peuples que i| les Romains fournirent ou par for- j ce ou par adreife, ils n*en cgor- \ gèrent aucun , ce n eft les Juifs au fiége de Jerufalem , qui s*en- tredéchiroient tandis que l'ennemi étoit à leurs portes. La Grèce au contraire parut plutôt alFociée à TEmpire, que foumife. L'autorité des Romains y Çit cefler les mafla- cres , les (éditions , les exils , Sec. Afliijettie d'abord, elle tomba; ef- clave enfuite, elle neft plus.

L'hiftoire & les annales des pe- tits peuples doivent feulement nous faire faire une réflexion , c'eft qu'au- tant les Monarchies trop étendues font deftrudives pour l'humanité par la difproportion entre les né- ceflîtés du Gouvernement & la force de (es relforts , par l'engour- difïèment, la foibleflfe & les abus moraux de toute efpece , mais fur- tout par le mal phyfique qui pro- vient de l'inégalité des fortunes , autant aufïî les petits Etats font en proie à tous les maux que le défaut de police , & le jeu des pafïîons

Suite des Mœurs & Ufages, tyf l^umaines peuvent occafîonner. Un Erat arrondi & correfpondant dans toutes Tes parties , également civi- lifé & connu dans toute Ton éten- due , afTez fort pour être refpedé de Tes voifins , avantagé en touc genre des dons de la nature , un Erat dont le produit eft immenfè & rinduftrie plus confidérable en- core i qui a comme dans la main tous les moyens d'exportation , qui par fa fîtuarion fe trouve étape na- turelle de toutes les nations poli- cées, cet Etat 5 dis-je, lié par des loix civiles qui font d'une part le fruit d'une longue fuite de fiècles pafies fous l'empire d'une race de Princes prefque tous généreux , débonnaires , & dont le plus mé-* chant ne fut qu'un Roi capricieuî^ ô:intére(ré5& de l'autre TefFeidu génie & de la douceur de fes ha- bitans , eft fans contredit le plus heureux de tous ceux que les an- nales entières de l'humanité puiHene nous faire connoître. Cet Etat elï- la France d'aujourd'hui»^

Les maux qui affligent les pc^

Mvl

27^ Emploi des Terres ^ tits Erats , y ont été prévenus plus q'i'aiileurs ; Tes ordonnances de jufliice & de police font des chefs- d'œuvre : malheureufenrientrien n'y cO: permanent ; mais fes plus pafla- geres Loix ont trouvé dans la flexi- bilité de la nation une reffource contre fa légèreté , elles ont chan- gé & adouci les mœurs. Pour une nation dure & opiniâtre , il faut des Loix qui lui reflemblent. Dieu Ta dit à Ton peuple , & la raifon nous fait fentir 5 mais chez un peuple flexible , docile , plein d'ame &: de volonté, à la referve de cer- taines Loix & conflitutions fonda- mentales 5 les autres doivent flé- chir & varier en proportion avec les mœurs. Cela arrive même fans effort & fansraifonnement , quand cette nation efl: affez heureufepour avoir fes compatriotes pour Maîtres & pour Minifl;res; c'eft nous en^^^ fommes.

Parfaitement donc à Tabri des convulfions qui attaquent les petits pays , nous avons tout à caindre des abus qui affiiiflent les grands

Suite des Mœurs & Ufages. 2.77 Etars. Eh 1 pourquoi un bon citoyen , un H de le fujec du plus doux des Princes ( car je défie perfonne d'être plus cela à découvert que je le fuis en fecret , moi , qui me cache ) pourquoi , dis-)e , déguiferoic-il que nous pouvons craindre l'en- gourdi (Temenc , puifqu'il efl: une fuite de la profpérité ? Qiiels maux font le plus à craindre dans une grande Monarchie J i °. La difpro- portion entre les néceiîîrés du gou- ç^f^^ ^^^"^^ vernemenc & fes refîbrts. 2°. L'iné- à craindre galité des fortunes. Ces deux - ^^" ,"^^,

' -rr 1 /^ n g" '•'de Mo-

reunilientrous les autres. Quelles narcMe, font les néceflités du Gouverne- ment ? C'eft fans doute Texade or- ganifation dans tautes les parties^ d'un Etat , ^ la diftribution éclai- rée de la Police , Juilice & Fi- nance.

Suppofe que par la méthode ac- tuelle tout foit établi de façon que- les provinces ne fouffrent ni de l'éloignement ni de la proximité ; que chacune ait, pour l'exportation & Timportation, les facilités rela- tives à fa poQcion , à fou produis

2.jB Emploi des Terres ^ de à Tes befoins ; que la judice y foie en tons les cas rendue fur les lieux 5 fans que la jurifdidion des Compagnies à ce deftinées Coït jamais enfreinte ; que la police y foie tellement obfervée , que la fa- veur y foit même inutile , ôc que la plainte de l'opprimé trouve un vengeur Se un Juge fur les lieux : fi la diftribution Ôc répartition des charges & impôts eft foumifeàdes régies fi invariables que chacun voye fon tarif, ôc que les mur- mures à cet égard ne puilïènt être motivés ôc appuyés par la marche inégale ôc arbitraire d*une percep- tion qui tient à un cahos d'inter- prétations ôc de décidons ; fi fiir- tout on efl attentif à faire retrou- ver par tout à Fhabitanc des cam^ pagnes le fruit de fes travaux par le prix de fes denrées , pour le mettre en état de fournir de nou- veau aux befoins de l'Etat : En ce cas , tout eft au point de perfec- tion, ôc il n'y a plus qu'à penfer à ne pas dégénérer»

Suive des Mœurs & Ufages. 179 Cette décadence eft choie pofîî- ble. Ne nous laiffons point à cet cgard endormir par la profpérité. Nous pouvons dégénérer , Se voici comment.

La profpérité jette dans Texcès; celle de la fortune dans Torgueii, celle des richeiïès dans le luxe , celle de Pefprit devient rafinement : la profpérité d'un Etat y établit les arts, les connoiiTances, & tout ce qui aiguife les reflbrts de l'efprit qui ne fe mêle d'abord que des chofes de fon diftriéè, & lai (Te au tron efprit , qui eft route autre chofe^ les matières qui refiTortiflfent à Tu- tilité publique , la Politique , les Loix 5 le Commerce , &c. Mais bientôt devenu bizarre & dédai- gneux à force de fe méconnoître éc de chercher la nouveauté , il s'in- gère à décider de tout, & intro- duit par tout le rafinement. Or en fait de Gouvernement le raHnemenc peut caufer autant de maux que le délire.

Si, par exemple, ce défaut ga- gnoit un jour le nôtre, il encbé-

2.Î0 Emploi des Terres, riroit fur les moyens qui ont établi Tadmirable organifation que nous venons d'y reconnoîcre. Certaines évocations , par lefquelles on borna jadis le pouvoir des Compagnies , deviendroient (i communes , que toute affaire litigieufe reviendroit ou par la forme ou par le fond à la Capitale , parmi un million d*ames 8c dix millions d'affaires le bon droit a néceflairemenc bien de la peine à trouver feulemenc réciquetce des rues. Peu-à-peu , à force d'attirer les afîaires à foi , le Gouvernement , au-lieu de la fu- prématie qui feuîe lui convient , auroit rinteiidance Se le diftridt des détails qui l'abforberoient , ôc ré- duiroient fes Chefs à être de fîm- p'es Commis aux fignatures , tan- dis que les intriguans , dans leur air natal fi-tot qu ils nagent en eau trouble , aiïîégeans les Commis Se leurs fous-ordres , faciliteroîent le cours des chofes vers l'anarchie Se le renverfemenr. D'autre part , les prépofés ambulans de la Cour, au- trefois furveillaas dans les provln-

s une des Mœurs & Ufages. \Zî ces 5 y deviendroient les maures abfolus. Le Gouvernement obligé de décider de tout , & en garde contre les repréfentations devenues trop communes chez un peuple chacun a ion; poids & fa baî'ancej, s'habitueroit à les confulter & à les croire, leur artribueroittout en tout genre , les rendroir arbitres fouverains des Charges publiques, des travaux du peuple , de leur li- berté, fans fongerque ces hommes paiïàgers , furchargés comme les Minières & entourés de même , ne peuvent tout voir. Au milieu de cette efpece de révolution fourde , les provinces fe verroienc dépeu- plées de leurs notables , de tous intriguans , gens d'affaires , & de ce qu*on appelle gens d'efprit , de tous ceux enfin quiauroient quel- que moyen foncier ou précaire de rubfîrLer à la Capitale , qui tous viendroient tâcher d*y prendre part aux afFaires 3 aux intrigues & à la faveur.

De ce dérangement de circula» tion proviendtoit iiéceiTairement un

2 § 1 Emploi des Terrts j érac de furfocatioii & d'engorge- mrnt dans 'a têre, de langueur dans les membres, qui opéreroient Ten- gourdilTenient 5 la foibîeflTe, & les abus moraux que nous avons cités ci-deHTus. Le Gouvernement op- pre(ré ôc fâcigué de la foule & de la multiplicité d'affaires prendroii pour effet de l'abondance ce qui eu feroit un de la difette & du déplacement, à peu-près comme un médecin ignare croit que Ton malade a trop de fang , parce que le fang lui porte à la tête. La Juftice Se la Police verroient éclo- re arrêts fur arrêcs , tous de com- mande Se la plupart contradictoi- res ; la Finance édits fur édits , ex- plications , interprétations , ad- jonclions ; le commerce gêné par des régîemens fans nombre , qui tons Dour fermer la voie à un abus , i'oavriroient a vingt autres , ne fçauroit jamais quel efl: le Code du Jour ; les manufactures foumi- fes k des infpeCteurs forts de théo- rie , foibîes de pratique , verroient prohiber leurs anciens ufages , fans

Suite des Mœurs & Ufages, 185 obtenir des fecours pour ea établir de nouveaux j tout tombant en lan- gueur 5 les crifes de détail deve- nant plus fréquentes, les hommes même de génie à la tête des af- faires en feroient réduits aux re- giilres de l'imagination pour trou- ver des palliatifs.

Les palliatifs font fans contre- PaiiiaM'fs, dit ia pire des recettes pour le ré- pire des ré- gime d*un Etat j mais ceft la feule '^^'g/,^"/ qui refte, quand à Toublides prin- Etac cipes fondamentaux fe réunit l'ac- cablement du travail journalier qui diftrait des réflexions profondes , joint à FimpoUibilité de reconnoître le caradere moral d'une nation » boulToîe des premiers Légiflateurs , mais perdue pour les Chefs d'un peuple qui n'a plus de caractère. De-là vienjroient les prohibitions de dérail , la clef des greniers mife aux mains de l'autorité, dans Tef^ poir de conferver une denrée pré- cieufe, & confiée en effet à celles du monopole, malgré ceux mêmes qui en ont la difpofition primi- tive î les furcharges établies dans des

2^4 Emploi des Terres , lieux déjà ruinés par le défaut de vivification , & qui ne font fur- charges, que parce qu'elles partent d'après un plan fait fur des pro- portions qui n*ont lieu qu'aux can- tons 5 tout Tor d'une part & toute la confommation de l'autre fe ralTemblant à ia fois, le tarif des valeurs augmente chaque jour , tan- dis qu'il déchoit ailleurs. De-là vien- nent enfin tous les maux réfultans de l'ignorance forcée & de ra6t:ion néceffaire , qu'il feroit inutile de détailler plus au long.

Ce cercle d'inconvéniens idéaux & fidifs aujourd'hui peut aifémenc devenir réel pour nos neveux : mais fi ces objets nous touchent peu, comme trop éloignés , il n'en doit pas erre de même de ceux qui ont pour principe l'inégalité des for- tunes 5 car il faudroit être aveugle pour ne pas voir que nous y tou- chons. Les maux qui enrefultent, ont été mis en fait de tous temps par tous les hommes d'Etat , par tous les citoyens , & fentis même dans un autre genre par les tyrans.

Suite des Mœurs & Ufages, 285 iVîais il eft nécefïàire de les remettre en queftion à certains égards , & d'en efquifler quelques détails.

Je Tai dit ailleurs , les grofïes fortunes font dans un Etat ce que font les gros brochets dans un étang. « Un homme dont la fortune eft w augmentée , dit le judicieux Da- >3 vîd Hume que je ne puis m*em- » pêcher de tranfcrire encore ici, »> ne pouvant confommer plus qu'un " autre , efl forcé de la partager « avec ceux qui dépendent de lui » pu qui le fervent. Cependant la »j poQeflîon de ceux-ci étant pré- >5 Caire , ils n'ont pas le même en- » couragement pour le mariage , a que fi chacun avoit une petite « fortune fûre & indépendante. « D'ailleurs des Villes trop grandes « font deftru6i:ives pour la fociété , 33 engendrent des vices àc des dé- 3j fordres de toute efpece , afïament 5> les provinces 5 &s'afîament elles- »5 mêmes par la cherté du prix ou w elles font monter les denrées.

Il dit encore quelques lignes au- deflTous : 3? Ce font les obflacles qui

xS6 Emploi des Terres ^ » naiiïènt de la pauvreté & de la » nécefficé , qui empêchent les 3> hommes de doubler en nom- bre à chaque génération.

Il faut être arrivé par les calculs à ce principe , pour fçavoir s*y te- nir. Avant de paOTer aux autres dé- tails concernant les inconvéniens des fortunes exorbitantes, je veux placer ici une réflexion relative à la population des Villes , pulfque ce qu'en dît M. Hume m'y con- duit tout naturellement.

J'ai déjà dit qu'il n'étoit point dans mes principes de profcrireles grandes Villes , au contraire. Je défirerois feulement qu'uniquement attentif a peupler les campagnes , on s'en repofât pour la population des Villes fur le penchant naturel qu'ont les hommes de fe rappro- cher des commodités de la vie , des piaifîrs , & de la fortune ; mais que tout ce qui a trait à la camA pagne, & fur-tout les grands pro- priétaires des terres , fuflent encou- ragés & excités par tous moyens

Suite des Mœurs & Ufages, i8j

oux ôc agréables à y faire leur

rincipale réfidence. ,

Je dis plus à l'égard des vices

'•c défordi es de toute efpece qu'en-

;endrent les grandes Villes , ou du

iioins qu'elles facilitent. C'efi: que

2 douce que ceux qui leur en ac-

ribuent l'invention , aient confî-

leré. la chofe dans toutes Tes pro-

jortions. Or je mets en principe,

[ui 5 je crois , ne me fera pas con-

efté , que fi la Population efl: la

brce d*un Erac , la Police en eft

e régime. Plus un Etat eft peuplé ,

)lus il eft aifé d'y établir une bonne

?olice. Ce ne font pas les hommes

qui fe communiquent les vices ,

:e font les hommes oihfs qui les

nventent Ôc les multiplient. Mais

félon mon plan , ils feront dans

peu ferrés de fi près , qu'obligés de

s*évertuer pour vivre , ils auront

moins le temps & Thabicude de

fonger au mal Qui doute qu'il n'y

ait plus de fureté dans Paris que

dans une forêt ? Je fçais , encore

un coup, qu'il eft des défordres que

les grandes Villes occafionnent en

2. s '8 Emploi des Terres^ les facilitant ; auffi ii*eft-ce pas pro prement pour elles que }e parle. J foûtiens cependant qu'il fe comme plus de crimes dans vingt Ville prifes enfemble de dix mille ame chacune , que dans Paris qui en con rient quatre fois autant.

Je le répète, de crainte de pa roitre perdre de vue mon objc primitif, c'eft la campagne que] veux peupler. L'aridité du fol , 1 rigueur du climat (obftacîes qui comme je Tai dit , fe trouver moins chez nous que par-tout ail leurs ) cèdent au bon Gouverne ment. Malthe n'ell: qu'un roche qui ne (cauroit nourrir la vingtiém partie de fes habitans. Attirés pa i'appas d'un Gouvernement dou; 6c permanent, ils vont , pour cou vrir leur roc , chercher de la tern en Sicile , la plus heureufe con trée de l'Europe par nature , & ce pendant la plus déferre.

La Police, je l'ai dit, eftunde principaux points de proteâ:ion èc cet article demanderoit peut être autant de vigilance, que jamais

Le

Suite des Mœurs & UJâ^es, 2.S9 .e fiècle des oppreileurs parricu"- ers eft palTé j mais celui de la Fraude , du vol ôc du tour de bâton 30urroic prendre la place.

Je ne crois donc pas que les grandes Villes foient auffi deftruc- ives pour rhumanité que M. Hume Daroïc vouloir Férablir , pourvu léanmoins qu'elles ne foient que 'égoûc du fuperflu des campagnes , Se s'il fe peut mêm« , qu'elles fe epeuplenc aux dépens de l'étran- ger. Ce n^efl: pas que je ne penfe, :omme lui , que les grandes Villes ont un gouffre énorme pour la po- Dulation , ôc c'eft-là le principe de :e flux perpétuel d'étrangers vers la Capitale des nations dominan- :es , dont ce fçavanc Angloisaraf- fembîé les traces dans Ton Traité de la Population. Mais fans m'en- ^ager dans une difTèrtation Ôc des itations à CQt égard je ne pour- rois être que Ton copifle , exami- nons feulement Paris dans ce fens-ià.

La légèreté de la Nation fait PopuîarloA ue les poiïefTeurs précaires, dont ^^«'^s'^isvb.i: jparle M. Hume dans rendroic de ^"^*^*

/. Panle, l<i

!

%^o Emploi des Terres , fon ouvrage que j'ai cranfcrit , n'ont pas ici la prudence qu'il fuppofe ^vec raifon en général à ces (ortei de gens. Tout le monde s*y marie domeftiques , gens à gages , ou- vriers 5 viagers , gens qui n'ont que des emplois ou des bienfaits du Roi jour fe met en ménage. C^ue de- vient leur génération ? Je Tignore niais frappez à toutes les porte; depuis le plus bas peuple juiqu ai plus grand, vous entendrez parle toutes les langues , Efpagnol , An glois, HoUandois, Allemand, Ira lien &c. tous les idiomes , Breton Normand , Picard , Champenois Provençal , èc fur- tout Gafcon ; ô je mets en fait que fur trente per fonnes vous n en trouverez qu*ui qui foit à Paris. Que font-il donc devenus? Se font- ils répan dus dans les Provinces ? J'en doute Rarement de l'embouchure d'ui £euve un filet d'eau remonte- t-i ^ers fa fource ; mais pour m'et inftruire par le fait , j'y vais : j'^ vois quelques étrangers , tous Gaf mm pu Savoyards 5 mais de Paru

Suit€ des Mœurs & Ufages. i^ x icns, s'il en eft deux dans chaque 'rovince , c'ed tout j quoique d^ail- :urs ce nom feul y porte vertu , c que , quelque mal-adroit que uifle ctre un perruquier ou un aiileur expatrié fous le titre de 'ari(îen , il ait toute la vogue du ancon. Mais en efîec il ne s*eii :ouve 5 du moins en nombre, ni ans les armées , ni à la mer , ni cablis ailleurs artifans , négocians, c moins encore fermiers ou la-* fourcurs.

La molleffe, la Tottircj^ len- ance perpétuelle des hommes nés u milieu de Tai Tance de de l'oifi- eté des Villes , forment une mau- aife école pour réuffir aux diffé- ents travaux auxquels nacre lub- iftanc-e eft attachée.

En un mot, il eft de fait que a géniration des grandes Villes eft :omme en pure perte pour l'hu- nanité, & que tout cela s'éteint i ans qu'on putftë fçavoir ce quil ilevient. Mais il ne s'enfuit pas dé- jà qu'elles foient deftruéllves pour 'humanité en général. Qii'cn fe

Ni)

1^2. Emploi des Terres y rappelle ce que j*ai die des caufe: physiques de la Population , routeî relarives aux moyens de fubfifian ce. Il ed certain que les Villes Ton le féjour de Tindurtrie qui , aprè Tagrieulture , eft le fécond de ce moyens , en tant fur- tout que cetr induftrie fert à attirer le fuc ali mentaire de Tétranger , Se que le grandes Villes font, autant qu'iH peut , approvifionnées du produi de fon territoire.

Cet article doit être traité a long dans la féconde Partie ; mai il faut fe rappeller fréquemmer le principe, que dans quelque lie que Ton place la pépinière de PEtat elle fera toujours alTez abondant pour porter la Population au pli haut degré pofîîble , relativemer aux moyens de fubfiftance qui i trouveront folidement fondés dar l'Etat , Se au genre de confomm tion qui fera établi par Tufage. S* étoit à notre choix de marque cette pépinière aux lieux de cor venance , fans contredit elle vau dcoit mieux à 1^ campagne > o

Suite des Mœurs & Vfages. 293 iCS hommes nailTenc plus fains , font élevés plus durement , (Se moins îtayés par le voifînage des préju- gés & des notions factices de îa bciéré , ils font de bonne heure îccoûtumés à faire reCTort fur eux- Tiêmes ; ce qui leur rend l'adiviré dIus naturelle , la tête plus force , Se le jugement plus fain j mais la nature en a décidé de la forte fans lous confulcer , & la campagne eft 3 & toujours /ira Tunique fource de la Population.

Après cetre digreHion devenue t„„ )Ius longue que je ne peniois,ve- niensdei'mé- nons aux inconvéniens de Tinéga- i^^'^édesfor- Jicé de fortune. Il faut de deux chofes Tune , ou qu'une grande for- tune foit en fonds de terre , ou en argent comptant. J'ai fait ailleurs le tableau de îa force de dépréda- tion qui provient de la réunion de plufieurs grands domaines dans la même main , & j'en étendrois le payfage à l'infini, ians crainte de me répéter ; mais je crois en avoir dit atfez , & qui ne m'aura pas compris alors, ne m'entendroit pas - .

N iij

2 5? 4 Emploi des Terres ^ mieux à préfenr. Si au contfaîff cette fortune efl en argent comp- tant 3 elle n efl rien , & d'elle même elle ne rapporte rien. Mais cette façon d'avoir un tréfor endormi à côté de foi , qu'on dit être celle de quelques Efpagnols , n*e{l point du tout la nôtre , ^i Dieu nous en préfet ve 5 ce feroic alors que Ten- sourdilTement feroic devenu léthar- gie. Ne croyons pas pourtant que ce foie chofe impoflible : Tufage de mettre fon bien à fonds perdu de- venu (i fort à la mode en France fift un pas, félon moi, fort con(î- dérable vers cette autre forte d'in- curie qui nous paroît fi brutale aujourd'hui. A quoi tient-il que dans un ordre de fociété , la vanité & la parefife ont tellement étoufïe ]a nature 5 qu*il y eft d'ufage qu'on fe départe de fon fonds en faveur de la cupidité d'autrui au moyen d'une rente plus ou moins forte , & que l'on y recherche les moyens de facrifier cette douce illufion de propriété à cette autre infatiable chimère appeliée aifance > à quoi

Suite des Mcéurs & Ufages. ic^j tient-il , dis-je , que la mode n'y vienne de fe coucher auprès de fou coftre fort, & de tirer de-Ià? feu» îenaent à une petite diminution de confiance. Les facilités de l'or .^, dont la quantité va toujours en aug- mentant en. Europe 5 augmente- ront aufli les diffipations & le mau* vais ménage de ceux dont la for- tune ed aifez fondée pour être un objet de fureté aux prêteurs en via^ ger.

Qui pourroir d'une part mettre CoXonntâ^i fous les yeux du public la colon- empiiiurs,co ne des emprunts en France , & de ren-afou.Te^ l'autre celle des rembourfemens , mens tour verroit tous d'un côté & riea de '{'""'^^^érieâ 1 autre. Cette allégation ne man- quera pas de contradiéleurs effrayés j les avares m'abjederont que tous les jours on les menace de rem- bourfement fî-tôt qu'ils ont faiê un placement fur , je le fçais j mais quand ils l'ont reçu ce rembourfe- ment, font-ils long- temps à repla» cer leur argent ? Les pieds leur gril- lent de le fçavoir mort , & ils hâtent de le prêter de nouveau ?

Niv

1^6 Emploi des Terres j loic à un intérêt plus bas , foit avec moins de (ûreté. Somme totale , on emprunte de par - tout Ôc fans ceilè y cependant à mefure que les emprunts groffilTent, les efîèts qui leur fervent d'hypothéqué dimi- nuent en proportion. Cette propor- tion calculée fans un grand effort d'Algèbre peut fixer à un petit nombre d'années, relativement du moins à la durée naturelle du corps politique, Tépoque du revirement en ce genre , qui réalife l'axiome de Pantagruel dans fon Chapitre des prêteurs Se des emprunteurs.

Alais , fans être Caftàndre à cec égard , & fans préfager une révo- lution auffi violente qu'immanqua- ble 5 du train dont nous allons , la moindre petite fècoulTe relative à ce grand ébranlement peut très- bien opérer la léthargie en quef- tion. Puifque tout me manque , diront nos habiles neveux qui au- ront fûrement cent fois plus d'eA prit que nous , mon cofïre-Forc ne me manquera pas , je tirerai de-là , vivrai indépendant ( car Tindépen-

Suite des Mœurs Z Ufages, 197 dance fut toujours une des idoles de la parefle , & même de la gueu- ferie fa foeur ) &: aprhs moi le déluge.

Ce doux & fociaUe proverbe cft déjà le plus commun de tous parmi nous ; & moi qui fuis ani- mal réfléchiirant , f imagine que ceE axiome nous mènera à la confu- fîon des langues , comme autrefois le contraire y mena ceux de ce temps-là. Pourquoi non B les ex- trêmes fe touchent. En effet , la campagne fe dépeuple , fi les arts méchaniques dégénèrent en clin- quant & bagatelles , les arcs libé- raux en grimaces ; fi les Loix s'ou- blient , il les Hiérarchies fe per- dent, fi tout ennn s'ufe & s'afîbiblit , après moi le déluge ; tout cela du- rera afièz pour moi. Si nos pères avoient penfé de la forte , il nous auroient rendus plus dignes d'être Phiîofophes que nous ne le fom- mes 5 plus approchans du fort de Bias. Je ne dis pas que ceux qui établiflent ces beaux principes , falTent par leur apathie grand torr

N V

itjM Emploi des Terras j à la fociécé aduellemenr. Quand au -lieu de barbouiller ces pages critiques, je promenerois en ce înoment un cabriolet fur le bou- levard , TEtat n'en iroic ni plus ni moins. On le croit. Se je crois le contraire. Les opinions des gens oifîfs dénotent le fond des mœurs du citoyen , elles ne Pérablifîento Petit-à-petit tout un peuple échap- pe de la forte aux anciens principes de fon gouvernement ; & comme la Police , qui en fait une des principales portions , doit décliner félon les mœurs , cette portiorf entraîne les autres. Prenons y gar- de : perfonne ne gouverne , qui ne foie auffi gouverné.

Le génie ôc Tadtivité de la Na- tion, me dira-t-on j nous garan- îiront toujours de cet alT^upiiTè- ment léthargique , donr vous par- lez. J*en doute encore. Les Efpa- gnols n'étaient Ôc ne fonr point du tout faits pour cela. Ce pays (l difficile à fubjuguer , Ôc qui , pouf dire mieux, ne le fut jamais bien^ contenoic cinquaate.deux niillions

Suite des Mœurs & Ufages. t^^ d'habitans du temps de Cefar i Population imnienfe & qui prouve que lagriculcure y écoic portée au degré de perfecflion. Malgré Tes guerres , les révolutions , èc les au- tres maux internes dont quelques- uns la ravagent encore, on ne îrouve dans Tes mœurs aucune trace de cette folle pareffe qui Tanéantig aujourd'hui, jufqu^aux temps les fources de Toi fe répandirem^ dans Ton lein.

L'or eft toujours dévaflateur par des raifons phyiiquss que nous- étendrons ailleurs , mais il i'eft encore par des raifons morales qui ont plus ou moins de force feloiî le génie & le naturel de chaque peuple , comme auiTi ièlon le plus ou le moins d'étendue d'un Etar> L'Efpagnol naturellement fou de fens froid , glorieux &c fuperbg n'érolt point propre à faire de Voé le feu-l ufage qui le puiiîe rendre paflTagerement utile j, il le perdit: , & le perdÏE lui-niêaie en projets^ idéaux & vains. Rentré nul dass fon efpece de continent 5 le typ^

K v>

500 Emploi des Terres ^ Romw^nerque de fa fuprématie ima- ginaire lui demeure encore , il s'endort à Tombre de Ton prétendu trophée, & jouit d'un empire im- menfe, puifqu*il n'a de bornes que celles de fon ignorance.

Examinons ftns prévention no- tre propre caraâiere , & voyons s*il n'efî pas par certains endroits Ç\iÇ- ceptible de dégénérer à ce point- là. Du côté de la valeur , de la nobleiïe & de la générofité, les Efpagnols ne nous cèdent afluré- jnent en rien ; mais nous fommes vains , légers, peu propres aux opérations qui demandent de la fuite & de la patience , confians dans le préfent , peu prévoyans de Tavenir. Nos vices à la vérité plus mélangés & moins uniformes que ceux des Efpagnols , font moins dangereux & même quelquefois utiles 5 mais il n'en eft pas moins vrai que notre génie n'admet guères plus que le leur, les qualités pro- pres à tirer de l'or les avantages dont il eft fufceptible , & que nous fommes peut-être plus capables

Suite des Mœurs & Ufages. ^or d'en abufer. Prenons par le détail , & Tnne après Tautre , ces deux pro- portions.

Nous fommes à !a vérité adifs & induftrieux, & les Efpagnols ne le font point du tout ^ à moins que ce ne Toit en grand. Ils dédaignent le diftrid de la bagatelle qui eft un Pérou pour nous *, mais il faut confidérer à cet égard que notre genre d'induflrie n'a pas befoin de l'abondance de Tor pour fe faire valoir, piiifqu'elle en eft elle-mê- me la fource.

Quel ufage peut-on faire de ces métaux précieux pour l'utilité d'un pays ils regorgent ? Je n*en connois d'autre que ces grands éta- blifTemens de commerce étranger, qui makiplient à l'infini au dehors les forces intérieures & naturelles d'une nation , & qui y font des colo(îes de fortune bien & loyale- ment acquife au-dedans. Or re- marquons qu'en ce genre nous en- treprenons beaucoup , & faifons peu. Comparons les fortunes de nos plus gros né^ocians , leurs

50i Emploi des Terres j écablifîemens au-dehors , leurs cor- refpondances , leur crédit , leurs entreprjfes avec les chofes toutes fernblables qu'on voit chez les au- tres nations commerçantes , 3c nous ferons étonnés de la difparité. Mais notre étonnement doublera encore, fi nous voulons faire entrer dans cette comparai fon celle des pro- portions entre ces Etats ôc le nôtre. Nous fommes induftrieux ; mais nous ne fommes ni conftans ni tenaces , 6c ces deux dernières qua- lités font aufll nécefTaires pour les grands établiUèmens de commerce > que la première l'eft pour la vivi- Écation intérieure, partie pour la- quelle nous avons des reflaurces- fupérieures.

Je dis plus 5 nous perdrions peue- être à gagner de ce côté - là. Les Eiccès d'un certain ordre pour les- quels nous n'avons jamais eu d'é- gaux , nous échapperoienr, & nous atteindrions difSciiement aux au- tres. Je. m'explique. Une natioit militaire j noble , gaie , qui nata- îêUeîïiem ne fcak que .fervis ôc

Suite des Mœurs & Vf âge ?. 3 o j Ignore la iervitude , perdra Tame de tous Tes reflbrts , (1 jamais Tef- pric de calcul & rambicion du gain y dominear. Or d'anciennes chi- mères, une vieille conftitution qui Fa menée fi loin & fi glorieufe- menc , doit être préeieufe aux yeux d*un Gouvernement fage & éclairé.

D'ailleurs Fefpric dominant du Liberté coni

al i-î / r\ /îtledans Tau-

. _ la liberté. \jï\ ne tontédcsioi»

vit jamais fleurir Tun à un certain &^ansia fa- pouit lans 1 autre. Chacun entend ^'^^..n^mpnr. a la guiie ce grand mot de liberté, furcepcîble d'autant de définitions qu'il y a de têtes. Ce n'efi: pas que je prétende dire que ce Toit un être de raifbn, à Dieu ne pkife 5 mais s'il efi: de fait que la vraie liberté confifte dans l'autorité des Loix , dans la fagefîè du Gouver- nement &c dans le bonheur des peuples , il eft certain audi que la liberté eft au génie des peuples ,. ce queft îe régime aur tempéra- mens; ce qui fait la fanté de Fun ^ feroit le poifon de Fautre. Oh !■ penfons-nous être fufceptibles da

3 ©4 Emploi des Terres j genre de gouvernement qui conf- tate la liberté des puiflances com- merçantes ? je n'en crois rien. Je dis plus, je prouverois le contraire par des raifons tirées deTintrinfé- que de nos mœurs , de notre conf- titution , Ôc des exemples de notre Hiftoire , s*il étoit ici queftion de cela. Qui me prendroit en ceci pour un vil flatteur de l'autorité , ne fe feroit pas donné la peine de me lire.

Il refulte de ce que defifus par le raifonnement , que nous per- drions peut - être à être de gros commerçans , &c par le fait , que nous ne le fommes ni ne le pou- vons être. Cette façon d'être eft cependant la feule qui pui{ïè corn- penfer les maux infinis que la trop grande abondance de Tor peut faire dans un Etat. Ce n'eft pas encore ici le lieu de les analyfer en dé- tail *, Je n'en dirai qu'un mot rela- tivement à la féconde proportion que j'ai établie ci-delTus , à fçavoir , que nous fommes peut-être plus

Suite des Mœurs & Ufages, ^of capables que les Efpagnols d'abufer de Tabondance de l*or.

L'Efpagnol enrichi d'abord efl devenu parefïeux par vanité s nous le deviendrons par mollefle &c par découragement abfolu. De ces deux façons de cefîer d'être ? la première conferve toujours quel- ques refïburces ; mais la mollefïè n'en a point. On tourne des têtes vaines d'un côté utile , ôc le mou- vement reprend. On réveille les héros enchantés d'Amadis ; mais on tonneroic vainement fur àes catacombes pour rendre à ces oiîe- mens le mouvement Se la vie.

L'opprefîîon fut Efpagnole , le péculat efi: François j on acheté les Charges enEfpagne, mais lafub- vention efl mife dans les patentes

pour fervices rendus de tant

En France tout fe donne; mais en fuppofant le temps de la domina- tion de l'or, le Chef, le Miniftre vendu dans fon redoutable cabi- net 5 feroit tout étonné d'avoir fait mille grâces Se de n'avoir pas une créature, pas un ami de fa perfonné:.

^ô6 Emploi des Terres ^ mais Teulement de fa place , parce qu'il ne voudroit pas le perfuader qu'il feroit mis à Fenchere par (e^ encours , 3c qu'on vendroit Tes au- diences, fon repas, fon fommeil > fes diftradions , ôcc. En %'ain ii feroic alors maifon neuve & nou- veau cabinet à tous égards , les. mouches qui ruccédei\oient , plus avides que les premières , l'affié- geroient plus étroitement encore. Pût- il réuiîîr à faire venir de Congo/ des Commis 5c fous-Commis muets & fourds , endurcis enfin à toute contagion de i*or ; ( on en volt , Se qui ne viennent pas de loin ) l'intrigue ôc la corruption alors defcendront d*un cran , les valets vendront les fous- ordres , les fous-^ ordres le premier , ôc celui-ci Chef 5 tous fans le fçavoir. S'il fe pouvoir qu*un homme fat aflez rigide, afïez fîngulier, alTez vigi- lant s affez heureux enfin pour éta- blir au milieu d'un peuple livré au pouvoir de l'or une famille entière de gens incorruptibles , ce feroit eux qu'il faudroit flétrir , puifque

Suite des Mœurs & Ufages. ^ of Thomme vraiment dangereux dans îa fociété eft celui qui y intercepte Fordre reçu.

Cen eft afîez pour un prélude , & pour faire naître quelques idées fur une matière que je traiterai plus à fond quand nous y ferons^ C*en eft aftez , dis-je , pour faire foupçonner aux gens réÔéchi(ïànrs que je n*ai pas avancé un paradoxe en difant que l'abondance de Tor peut faire à la France d'auiïï grands maux qu'elle en a faits à TEfpa- gne 5 &; des maux plus irréparaoks encore.

Dans rétat actuel parmi nous , il n*y a point encore de fortune endormie , comme celle dont nous avons parlé ci-defTus. On pourrois néanmoins en excepter les fommes immenfes employées en mobilier de pure fantaifie, qui n'a de prix léel en quelque forte que par la mode ; mais dans la queftion pré- Tente , ces fonds font regardés dans ÎEtat , comme un corps de re- ferve qui en augmente la richefte foncière. Retranchons encore les

3oS Emploi des Terres ^ viagers qui ont eu leur article l quoiqu'en effet ils falTent aujour- d'hui un corps éaorme de rentiers dans la Capitale. Toutes autres efpeces de richelTes, dès que nous en avons ôté les biens en fonds de serres, ne peuvent être qu en con- trars . maifons , &c. Pour ce qui eft foncier , charges & bienfaits du Roi pour la partie amovible , exa- minons Tun après Pautre ces fortes de biens , & voyons fi leur entaf- fement fur la même tête n'eft ,pas un mal phyfique, feul objet que nous envifageons ici , en attendant qu'il foit queflion du mal moral.

Les biens en contrats fur les particuliers ne font autre chofe qu'une hypothèque fur les terres. Il importe peu qui foit le poffef- feur d'une relie terre, il eft quef- tion de Içavoir qui en tire le reve- nu. Or celui qui a un contrat de cent mille francs fur une terre de cent mille écus , poflTede réellement en fonds le tiers de cette terre ; mais comme l'intérêt en France eft fur un pied beaucoup plus haut

Suite des Mœurs & Ufages, 509 que les fonds ni Tinduftîie ne le peuvent porter ( abus qu'on cor- rigera apparemment , quand on croira qu'il en eft temps ) il eft de fait que celui à qui une terre de cent mille écus doit cinq mille livres de rente clair Se net, fans entretien , cas fortuits , ni répara- tions , poiïède réellement les deux tiers de cette terre , & retombe dans la clafTe des inconvéniens que nous avons dit être attachés à la réunion des grands fonds de terres fur la même tête.

Mais , dira-t-on , le principal de ces inconvéniens ; tels que vous les avez déduits , eft que les fonds ne voyant jamais le Maître , Se livrés à des agens parelïèux , fri- pons & preflfés par les befoins con- tinuels qui afîîégent cent fois plus les grandes maifons que les petites , tombent en dégradation , Se ne rap- portent pas la moitié de leur pro- duit pofTibîe Se proportionnel. Au- lieu de cela les fonds qui doivent rente à des riches particuliers , aen appartiennent pas moins au

3 î o Emploi des Terres / pofifefleur réel. La rente qui le refTerre , excite Ton induftrie , & le force au travail ou il efl: porté par le goût de propriété , quoi- qu idéale dans le fait , & dont fou indépendance réelie lui facilite les moyens. Pure fpéculation que tout cela : c'eft ainfi que les chofes de- vroient être j mais ce n'eft pasain(i qu'elles font. On fçait aflez que cet axiome a lieu dans toutes les chofes humaines , voici comment elles vont dans celle-ci.

De deux chofes Tune , ou la rente efl: accablante pour le fonds , ou elle efl: légère. Dans le premier cas 5 le découragement s'en mêle & entraîne bientôt le déibrdre , la terre eft faifie. Qu'on voye dans les bureaux à ce prépofés combien il y a de terres en France à bail judiciaire. Tout le temps qu'elles demeurent ainfi 5 Ton y fait à peu- près comme pourroit faire Tenne^ mi. Une terre en décret efl: deve- nue proverbe pour figurer l'excès du délabrement. Mettez enfemble toutes les terres qui font en ce

Suite des Mœurs & Ufages, 311 cas dans le Royaume , vous en compoferez de grandes provinces , qui font en conféqoence dans un crat de dévaftation abfolue. La vente forcée fuccede enfin : Thy- pothécaire fe fait adjuger la terre à la moitié de fon prix aâ:uel qui n'eft que le quart de fa valeur réelle, & peeit-à-petit , de remier qu'il vouloit être , il devient pro- priétaire de nécelîîté. Jvlais cet homme qui par principes dédai- gnoit les terres comme incapables de lui procurer la forte d'aifance qu'il recherche, qui par habitude n*eft plus propre qu à numéroter fes contrats dans d^s cartons , & à minuter exaclement des quittances, regarde ks nouvelles acquittions comme les débris forcés de la forte de fortune qu'il ambitionnoit feule, & eft encore moins propre à les faire valoir , que le dérangé qui ies a perdues.

Dans le cas au contraire la rente eft légère , le propriétaire la néglige , calcule fes revenus , monte fa dépenfe en conféquence àc ne

311 Emploi des Terres _, penfe aux charges que comme on dit, un bon mariage payera tout. Les facilités que lui procure qualité de propriétaire , fervent à Fentretenir dans cette forte de dé- lire; les intérêts s'accumulent , il contrade de nouvelles dettes , les mobiliaires fuccedent , puis les det- tes criardes i tout abîme enfin à la fois. Se il revient au même point que le premier.

J*étois un jour chez un des fa- meux Notaires de Paris ; nous vîmes palTer à grand bruit le car- rofTe d'un Brillant que nous con- noifîîons. Combien, me dit- il, croyez - vous que cet homme ait de revenu? Mais, dis-je, il pafle pour avoir quatre-vingt mille livres de rente. Il le croit aufîî, reprit ie Notaire , mais au fait il en a quatorze. Ceci , direz-vous , con- clut contre les moeurs , & non contre les rentiers. Oui en un fens ; mais quand je n induirois de - que cette vérité , que le regorge- ment des métaux qui donne ces ruineufes facilités aux propriétaires.

Suite des Mcturs & Ufages.^ 1 3 eft un mal , je ne fortirois pas de lobjec général de ce Chapitre. Ce- pendant pour me renfermer dans la queftion aduelle qui eft 5 que \ts grandes fortunes en contrats font un inconvénient , il fufSc que ifaie démontré d*une part quelles ne font autre choie qu'une grande fortune en fonds de terre, & de Fautre qu'elles menacent d'une prompte & ruineufe révolution les fortunes fubfidiaires , pour avoir prouvé qu'elles font dangereufes dans un Etat. Je répète que ie n'envifage point ici les inconvé- niens de Tabondance des métaux du côté moral , qui font tels ce- pendant qu'ils fe réduifent promp- tement au phyfîque. Ceci n'a déjà que trop d'étendue j paflTons aux autres fortes de fortunes citées ci- deffus.

Il efi: encore une autre efpece ' de bien foncier , qui proprement : n eft un objet que dans la Capitale & quelques autres Villes princi- pales en petit nombre :ce font les revenus en maifons. C'eft un article /. Partie, O

314 Emploi des Terres j confidérable ici, ôc à dire vrai , fi les inconvéniens moraux d*une fortune trop confidérable en ce genre de bien font les mêmes que ceux des autres efpeces de fortu- nes , il n*en eft pas de même des inconvéniens phyfiques. Celui qui a employé fon fuperflu ou fes fonds en argent à tirer de la terre des matériaux informes , pour les faire fervir à Tornement de fa patrie , & à la commodité de fes conci- toyens , a bien mérité d*en retirer les fruits , dont une partie d*ail- leurs eft due au maintien de Tin- duftrie & du travail par les frais de l'entretien.

S'il eft des inconvéniens de trop grande confommation à Texten- non extraordinaire donnée aux lo- gemens aujourd'hui , c'eft un exa- men qui appartient au Chapitre du luxe , & nullement à celui - ci ; mais il eft bon de confidérer que je n'ai jamais prérendu difcuter ici la juftice des poiïè fiions de cha- cun.

Mon principe politique , s'il

Suite de ^ Mœurs & Ufages, 515- l'appartient d'en avoir un , (èroic de refpeder tellement le droit public 5 que tout titre de propriété , même la plus mal acquife quant au paOTé, en fût un de poiTefîîon afTurée & pai(îble;-que tous enga- gemens , même les plus onéreux- & forcés 5 fuflent facrés dans la fociété, & ce neft que par des moyens juftes & doux , que je vou- drois engager chaque particulier à divifer volontairement fa propre fortune pour fe procurer d'autres avantages plus précieux & plus eftimés. Il ne s'agit donc ici nul- lement du titre j mais de Tufufruit feulement. Or d'une part on ne fcauroit nier que les prix excefllfs des loyers & logemens qui n'ont point de trait aux commodités du Commerce, font un ligne évident que dans un Etat on fait trop de cas de l'habitation des Villes, & trop peu de celle des campagnes ; de l'autre , que c'efl une preuve du bailTement de prix des fonds de terre dans Teftime publique. ? Louis XIV. fur les fins de fpu

Oij

3T^ Emploi des Xerré s ^j régne ayant appris quun Nonce avoit loué mille écus une maifon à Paris , en parla plufîeurs fois avec étonnemenc & réflexion , lui , qui parloir peu. Les maifbns de cette efpece font aujourd'hui à quinze mille livres. Je demande 5 depuis ce temps , la proportion du hauflfement des fermes des fonds de terre a fuivi ce taux-là ? j

D^autre part , un particulier qui raflfembleroit fur fa tête une grande quantité de ces fortes de biens , s'entendant avec cinq ou fix de fes femblables , vouloit tout-à- coup h au (Ter confidcrablement le prix des loyers , ne feroic-il pas le maître de porter un coup invifîble & fur à la fociété ? Les Italiens beaucoup plus habiles ufuriers que nous , quand ils s'en mêlent , n'y manqueroient pas.

En un mot 5 de quelque nature de biens fonciers que (bit compo- fée une fortune énorme 5 elle efl nuifible dans l'Etat par le phyfî- que, & plus encore par le moral donc nous parlerons dan§ fon temps»

Suite des Mœurs & U/ages, ^ij Panfons au détail des différentes fortes de revenus qui ne font point héréditaires.

Les Charges font encore au- jourd'hui en France une portion de la fortune des citoyens. Rêve-* nous à l'étymologie de ce mot , qui eft devenu fynonime chez nous à celui d'Emplois & de Dignités : on trouvera la trace de la façon dont ces chofes font reg^ardées dans les fociétés d'hommes non encore cor- rompus. Ce font vraiment des Charges , à les envifager dans leur véritable point de vue. Quand les Prélats fe regarderont comme les àdminiftrateurs des biens des pau- vres , & devant répondre de Finf- trudion d'un peuple immenfe > quand les Magiftrats craindront d'avoir part à toutes les injuftices qui fe font dans leur refibrt; quand les Généraux fe confidéreront com- me répondans de tous ceux des maux de la guerre qu'ils auroient pu éviter ; les Miniftres > de Top-* preiïîon des peuples &c. il n'y aura pas tant de prefle à foUicicer les-

Oiii

^ î s Emploi des Terres ^ Emplois *, & tout homme doué par la Providence du néceiîàire abfolu , regardera comme une véritable charge , la deftination que le Prin- ce aura faire de lui pour ces diffé- rents objets.

On comprendra des- lors com- ment dans des temps de régéné- ration , il s^eft pu faire que , fans fingularité, des hommes très-fen-* fés aient fui les dignités avec plus d*opiniâtreté que nous n'en avons à les pourfuivre aujourd'hui. Il y a eu de ces fortes d'exemples de tout temps , & même fous nos yeux. On en trouve , qui plus efl: y parmi des hommes ambitieux, & déjà excités par l'habitude de la îftînie des Cour & des affaires , & l'on vit emplois en SuUy refufer opiniâtrement de nou- lofdef^ * veaux emplois donc la confiance de fon Maîire vouloir l'honorer» Ce digne Miniftre difoit avoir plus de befogne , qu'il n'en pou voie faire.

Ce feroir connoirre mal la na- ture humaine, que de croire qu'il fût poffible de faire exercer les

Suite des Mœurs & Vf âges, 5 r 9 emplois néceffaires au maintien de la fociécé , par des hommes que le motif feul clu devoir engageât à fe facrifier ainfî pour elle. Mais l'ordre naturel des chofes a pourvu à cet ineonvénient de la foiblede humaine ; & dans le principe , roue ce qui donne de l'autorité & des détails 5 donne auffi de la con^dé- ration parmi Tes femblables. Ceft dans le champ vafle , ou pour mieux dire fans bornes , de la confidéra- tion qu'il eft permis de s'étendre fans nuire à fon voifin. C'efi: le tréfor qui ne coûte rien à l'Erat qu'une difpenfation jufte & atten- tive , & qui cependant bien mé- nagé peut payer abondammenc tous les fervices, chacun en fon genre.

Les vrais Légiflateurs , les ha- biles hommes d'Etat ont fènti les conféquences & la force de ce mobile ; ils en ont organifé les reflbrts , ^ multiplié les reflburces. De-là font venus tant d'ufages rela- tifs aux vues de porter les hommes vers l'ambition de la renommée j

O iv

^20 Emploi des Terres j les éloges après la mort chez les Egyptiens, les couronnes, les fta- tues & les triomphes chez les Grecs & les Romains ; les prérogatives & les marques de Chevalerie chez les nations modernes , &c. Je m*é- tends déjà trop en raifonnemens , & je ne finirois point W je me ré- pandois encore en citations hifto- riques j mais il feroit aifé de dé- montrer par Tes exemples , que les Princes -les plus fages & dont le gouvernement a fait le plus d'hon- neur à l'humanité , ont été les plus foigneux à fonder & remettre en vigueur ces fortes d'inftitutions , & les plus retenus à en accorder les avantages à la faveur & à l'impor- tunité.

Mais il arrive aufîî que dans ces fortes de Gouvernemens , à mefure que ces diftindions font plus efti* mées à caufe de la difficulté qu'on a eue à les obtenir , chofe aifée à comprendre , les charges inférieu- res rehauflent auffi à proportion dans l'eftime publique , & que tous les moyens qui conduifent aux

Suite des Mœurs & Vfages, 5 1 ï honneurs , font appréciés en confé- c]uence. l/afpirancefi: foutenu d'une part par les avantages a'une por- tion aduelle déjà enviée , & excité de l'autre par l'aiguillon d'une efpé- rance haute & vive , qui efl la chofe du monde qui fe lafle le plus difficilement en nous,

Aa-lieu de cela, quand Tor de- vient commun dans une nation , & qu'en conféquence la corruption s'en empare , d'ordinaire toutes les diftinétions d'honneur s'y aviii(îènr, d'une part par leur multiplicité , &: de l'autre par leur pauvreté. Il arrive de -là qu'il faut nécefTaire- ment, ou les voir méprifer^ou les appointer en proportion de l'eftt- me qu'il efl néeeflaire qu'on y atta- che. Dans le premier de ces deux cas el'es font nulles, & il efl inu- tile de traiter ici du rien. On ren> pliroit deux pages de cet Ecrit des; différents noms de Charges eii^ France qpi font de cette claffè^ Dans le fécond quel poids énorme- pour l'Etat ! quelle proportion en- tre ce que ces Charges coûtenc

Ô V

512. Emploi des Terres 3

à la fociété, & ce qu^elIes leur

valent !

Xenophon s'engageant avec fix mille Grecs au fervice d'un Prince de Thrace , ftipule dans Ton traité que chaque foldat recevra une darique par mois, chaque Capî- taine deux , & lui comme Générai quatre. Les exemples de cette mo- dicité d'appointemens pour les Charges les plus importantes four- millent dans les temps de force & de vertu des peuples anciens , donc les annales nous font demeurées. Il en eft même des traces encore dans certains pays , & TAvoyer de Berne, premier Magiftrat très- refpedé d*une très-refpedable Ré- publique 5 ne coûte guères plus de quatre mille livres à TErat. Mais» indépendamment de la furcharge qu établit nécefTairement fur les peuples le hauflfement des appoin- temens & honoraires , il occafionne encore des abus d'une toute autre importance.

1°. Cette méthode anéantir tout ce que les Charges oiït d'honori-

Suite des Mœurs & Ujages, 3 ly lique & d'eflfentiel , pour n'attacher Teftime uniquement qu'à la finan- ce. Qu'on jette les yeux fur les exemples de cela , fans me donner la peine de les trantcrire : pour moi js me fouviens d'avoir été étonné, tant j'étois jeune , de voir parmi des gens du premier ordre préférer hautement dans une con- verfation le gouvernement du Châ- teau Trompette qui n'efl qu'un fort 5 à celui de la Marche qui eil une Province , parce que l'un ren- doit cinq mille livres de rente de plus que Tautre.

2°. De cet efprit mercenaire jqui fe répand dans toutes les cla(Tès de la fociété , réfulte néce(îàiremens Textindion de tout principe noble, & conféquemment de toute adion^ généreufe. On en vient à méprifer toutes les prérogatives non fufcep- tibles de tranfmutation en or , à= négliger toutes fondions qui ne peuvent avoir trait à cela , foit pour loi , foit pour les fiens Ôc ayans caufe. Or comme les opérations- rédudiyes en or ne fonr autre

O v|

524 Emploi des Terres ^ €hofê au fond que rapacité , pé- culat&: ufure , (bus quelque forme qu'elles fe déguifent , cette forte de gangrené gagne bientôt tout le corps de l*Etac , d'une façon d'au- tant plus incurable , qu'elle vient des parties nobles.

Il s enfuit de ce que deflus , & d'une infinité d'indudions à ce relatives quej*ai fupprimées volon- tairement 5 que la di(proportion dans les fortunes ,'qui peut provenir par les Charges , eft encore plus VmCûAq que roare autre. Cet article eût naturellement comprendre les bienfaits du Roi ; mais il en eO: & en grand nombre , qui n'ont trait à aucune Charge , & en gé- néral ce mot de bienfaits, ufité & fi mal entendu, mérite bien un article à part.

On accufe un grand Prince d'avoir dit à un pauvre Officier eftrdpié qui lui demandoit du pain fous le titre de juflice , tout ejl grâce dans mon Royaume. Sqs en^ uemis lui en ont bien prêté d'au- tres ,- Se le fait ne mérite aucune

£• r- •;

Cl'.

rke.

par :

CO:

ce... cent, avoQ^ -. (iecçl^ nep::-.

s'il DÛU

^race. ^

{ion liit j

cas 'H

de te: _ de rr,r- Wi:e:

tootle ■' iVj-

a ce on

» i^ il en ir,^ n'ont

rjai Prince [rre Ciier

Suite des Mœurs & Ufages. 515 croyance , attendu que ce Prince ne fut Jamais peribnnellemenc dur 6c moins encore infenfé. Mais il pourroic fe faire dans un Etat ou l'abondance de Tor ameneroic la corruption , que cet axiome devînt très-véritable. Chaque fervice mé- Le genre rite Ton falaire, c'eft la juftice 5 i;"^^^'^^": mais le genre de iervice décide du de faiaires. genre de falaire. L'amitié fe paie par ramitié , la confiance par la confiance , l'honneur par l'honneur, l'argent par l'argent. En canfcquen- ce (i nous demandons tou^s de l'ar- gent , il faut fçavoir nous en avons acquis au Prince. A moins de cela, tout ce qu'il nous en don- ne par-delà notre nécefifaire abfoîu , s'il nous manque , eft purement grâce. Il pourroit arriver qu'on ne difputât pas fur le terme , & qu'à quelque titre que ce fût , la quef- Eion fût feulement d*obtenir rem j^ quocunque modo rem. Mais en ce cas je regarderois cette extinélion de toute délicateffe pour une gran- de marque (ie corruption. Eh quoi! L'élite & les principaux d'une nation

y

524 Emploi des Terres ^ chofe au fond que rapacité j pé- culac & ufure , fous quelque forme qu'elles fe déguifenc , cette forte de gangrené gagne bientôt tout le corps de TEtat , d'une façon d'au- tant plus incurable , qu'elle vient des parties nobles.

Il s'enfuit de ce que deflus , Se d'une infinité d'indu6tions à ce relatives que j'ai fupprimées volon- tairement 3 que la disproportion- dans les fortunes ,^qui peut provenir par les Charges , eft encore plu& BOi/îble que toate autre. Cet article eût naturellement comprendre les bienfaits du Roi ; mais il en eO: & en grand nombre j qui n'ont trait à aucune Charge , & en gé- néral ce mot de bienfaits, fi ufité & mal entendu a mérite bien un article à part.

On accufè un grand Prince d'avoir dit à un pauvre Officier eftropié qui lui demandoit du pain fous le titre de Juftice , tout ejl grâce dans mon Royaume, St% en^- îiemis lui en ont bien prêté d'au- tres 3- & le fait ne mérite aucune

Suite des Mœurs & Ufages. 515 croyance , attendu que ce Prince ne fut jamais perfbnnellemenc dur & moins encore infenfé. Mais il pourroic Te faire dans un Etat ou l'abondance de l'or ameneroit la corruption , que cet axiome devint très-véritable. Chaque fervice mé- Le genre rite Ton falaire, c'eft la juftice s^rT^'^'K mais le genre de lervice décide du de faiakes. genre de (àlaire. L'amitié fe paie par ramitié , la confiance par la confiance , riionneur par l'honneur, l'argent par Targent. Encanfcquen- ce fi nous demandons tou's de l'ar- gent , il faut fçavoir fi nous en avons acquis au Prince. A moins de cela, tout ce qu'ilnousen don- ne par-delà notre nécefiaire abfolu , s'il nous manque , eft puremenc grâce. Il pourroit arriver qu'on ne difputât pas fur le terme , & qu'à quelque titre que ce fût , la quef^ Eion fût feulement d*obtenir rem ^^ quocunque modo rem. Mais en ce cas je regarderois cette extin6lion de toute délicatelTe pour une gran- de marque àt corruption. Eh quoi ! l'éliîe& les principaux d'une natioii;

3 1<3 Emploi des Terres y entière auroient le front de fubi^ tituer à leurs fondions naturelles de citoyen , celle de quêteur & demandeur confiant & perpétuel , d'ailiéger Tantichambre du Prince <3c le cabinet de Tes Miniftres avec lîe fentiment intérieur & découvert de n avoir pas mérité ce qu'ils de- mandent ! Ceft cependant le point Ton en viendroit , & dont peut- être on trouveroit des exeinples fans remonter aux Cours d'Arta- xercès &c de Darius. Celui qui obtient une penfîon de fix mille livres , penfe - t-il qu'il enlevé la raille de (îx villages , comme je Tai dit , & le Prince ignore avec quelles convuKions de dérail il faut' arracher la perception de cette tail- le, eft-il permis à lui particulier de Poublier ?

Mais , dit-on , je ne Tobtiens, un autre Tobtiendra , &: le peuple^ n*en fera pas moins foulé. Beau raifonnement ! Cet homme va (e perdre dans cette forêt , il y fera certainement aGTalîîné & volé ; au- tant vaut que je TalTaffine ôc vole,.

Suite des Mœurs & Ufages, 3 ij ?viâis les bienFairs du Prince (onc faifs pour fa nob!e(Te ; fes fermiers s'enrichidèncà Texcès ; il penfionne les arts Se quelquefois les plus fri- voles 5 il n'en exclura donc que fa NobielTe qui a un droit naturel fur fes dons..... Eh ! 011 avez-vous pris cela? Ces Nobles font les fils de ceux qui ont bien fervi fes prédé— cefleursjils furent ou récompenfés par les honneurs , ou moins heu- reux , (car j'en connois) ils man- quèrent la fortune , mais non la gloire l'honneur. Le Prince doic à leurs defcendans fouvenir du mérite des pères, occafion de faire comme eux, folde raifonnable fé- lon les emplois , protedlion dans leurs affaires & pour rétabliflement de leurs familles, & fur-tout dii^ tindion & faveur félon leur mé- rite. Mais entre-t-il dans tout cela cet or que vos defirs avares y Se votre prodigue vanité voudroienc enpjoutir en quantité pareille à celle que la terre en vomit ? Les fermiers s*enrichi{ïent ; eh ! faites- vous leurs fonds , leur travail ï

3^5 Emploi des Terres ^ Bravez- vous la haine publique , les bons mots du théâtre , les quoli- bets des ehantres du pont- neuf ^ A ce prix , il vous eft permis de vous enrichir. Renoncez au nom de vos ayeux , à leurs titres , à leurs prérogatives , courez vous per- dre dans la foule des intriguans da bas dérail & des donneurs d'avis > & devenez riches , bene fit ; maiy d'une part vous vouiez Targenc^ & de Tautre les honneurs , les dif^ tincflions , vous êtes volontairenienc 4e Vampire univerfel de la fôciété y. vous perdrez l'honneur , & largenc vous perdra. Bientôt vos neveux avilis & méconnoin^ables ambition- neront les emplois les plus vils , envahiront, fous des titres vains > les récompenfes des valets de cham- bre , & en doubleront <& tripleront le monopole fous le nom de droits ; folliciteront des intérêts dans les fermes ; & d'autre part guettant la première héritière du plus obfcur/ malheureux qui aura amafiTé des fommes immenles > ils faliront leurs titres dans- ce tas de fange ?. de

Suite des Mœurs & Ufages, 329 fâng& d'iniquité, jufqu'à ce qu*un nom jadis cher à la nation , mais alors flétri de mille manières , difparoiiTe d'une focîété dont il eil devenu le fcandale & l'oppro- bre.

Tel eft l'avenir que fe prépa- rent les grandes familles dans un Etat For a pris le deiïus, & le fort que leur procure la libéralité du Prince. La foif de For eft^relle de rhydropique, on Ta dit il ^ a long-temps.

Un malheureux axiome , par le- quel les peuples ont toujours été plus à plaindre fous le régne des Princes doux & bienfaifants que fous celui des Rois d'un caradlere oppofé 5 c'eft que le Prince doit attirer à lui toutes les finances d'un Etat pout les rendre enfuite ; que par ce moyen il vivifie le com- merce & la fociété , & s'attache fes fujets par les liens de l'efpoir & ceux de la reconnoi(Tance. Je ne crois pas qu'il y ait un principe plus déteftable & plus faux que celui-là, fi Tonne le modifie j nous

*j^

530 Emploi des Terres ^

en parlerons dans le Chapitre de îa

vivification.

Les fervices de toute efpece re- latifs au bien de îa fociété , & con- féquemment à Tavantage du Prince dans un pays il eft Tame de cette fociété , voilà ce qu'il faut que le Prince retire avec fois du moindre de Tes fujets , chacun félon fon état & iès forces ; la police , fureté & proreélion jufqu aux lieux le^ plus reculés de Ton Empire, voilà ce quil faut qu'il leur ren- de. L*or n*eft: repréfentatif d'au- cune de ces chofes. Henri IV. n a- voit pas un fol quand il fut adoré de fon peuple. Quand notre Maître d^aujourd'hui fut à l'extrémité à Mets 5 ( moment à jamais mémo- rable & flatteur pour un Prince par TattendrilTenient , & la conf- ternation finguliére qui fe répandît dans tout le Royaume ) de qui vit- on couler les larmes ? Quels furent ceux qui aiïîégeoient les autels ? tous gens qui par leur état n'eurent ja- mais de part à fes bienfaits per-

Suite des Mœurs & Ufages. 331 fonnels, & qui ne pouvoient en erpérer au futur.

Les Princes apprendront-ils un Les Hch- îour enfin dans THifloire, qui le faits pécu-

î j. X , ■'1 maires des

leur du a chaque page , que leurs Princes n'ont bienfaits pécuniaires n'ont jamais jamais fait fait que des ingrats? Qu'on ne s'y g^a^^f* ^^' trompe pas , les véritables fangfaes du peuple font ceux qui perfuadent au Maître que Tadminirtrareur des deniers publics peut & doit donner à toutes mains.

Mais ce n*eft pas la peine d'al- longer ce volumineux Chapitre pour me faire des ennemis de tous les frelons de Cour. Je leur répète qu ils n'aiment ni n'honorent leur Prince comme je fais, & font- ils mieux payés que moi pour cela ; mais puifque je veux peupler le monde, on ne me doit pas fbup- çonner du deffein formé de fonner le tocfin Contre les intriguans , les cupides, les prodigues, les hom- mes durs & intéreiïes , ni même les fripons : ce feroit prendre la route toute oppofée. Mon objet au contraire eft , que tout le monde:

5 3 i Emploi des Terres j . vive j axiome généralement reçu, mais que chacun vive de fon tra- vail Ôc foit chargé de contribuer aux moyens d'en faire vivre d'au- tres.

Après avoir ain(i déduit les di- vers inconvéniens des groîTes for- tunes dans les points qui peuvent les conftîtuer telles , revenons au principe que j*ai prétendu établir. Plus l'Etat fera peuplé , mieux on vivra Se à meilleur marché, i °. Par- ce que les produétions de la terre feront plus communes. 2°, Parce que les travaux de rinduftrie feront moins chers. Faites broder une paire de manchettes en Gafcogne , elle vous coûtera quatre fois autant qu'à Paris : Ton y vit cependant à bien meilleur marché -, mais Timmenfe population de la Capitale excite rinduftrie 5 la nécefîîte, & la mec au rabais.

L'engourdidèment dans les ref- forts politiques , Se l'inégalité des fortunes font contraires à la popu- lation. Voilà ce que J'ai prétendu avancer ^ Se que je crois avoir prou-

Suite des Mœurs & UJages. 155 vé. L'abondance de l'or efl trcs- propre à établir ces deux fortes de viciations dans un Etat : c'eft encore ce qui parle de foi-même. D'où il s'enfuit que Tabondance des métaux n* eft pas un fi grand bien dans un Etat , qu'on fe l'imagine.

L'inégalité des fortunes , Se la difproportion entre les nécefîîtés d'un Gouvernement ôc Ces reflbrts, ainfi que tous les autres vices d'un Etat , font une fuite de la profpérité & de la puiflTance. L'un êc l'autre cependant n'en dérivent indifpenfablement , qu'autant que cette forte de richefTe fictive qui provient de l'abondance des mé- taux, s'y établit Ôc s'y multiplie. L'or perdant par (on abondance fs. qualité première de repréfentatif uniquement , pour fe fubftituer par un défordre monftrueux à toute autre forte de biens , Se ne pouvant remplir les fonftions d'aucuns d'eux en particulier , ne peut à plus forte raifon fufïire à les remplacer tous.

Le refpeét , la confidération 3 l'autorité , la prééminence Ôcc, fout

^54 Emploi des Terres j des biens de tous temps très- pré- cieux à Topinioii humaine ; mais ces biens fe diftribuent graduelle- ment fur !a furface d'un Etat , en animent les reflbrts, gagnent à fe répandre , ëc perdent à s'amonce- ler. L'or au contraire une fois mis à la place de toutes ces chofes n'en donne qu'une faufle apparence , ne s'attire que des hommages forcés , ne met ordre à rien , infinue même le défordre par-tout. Semblable d'ailleurs à l'argent-vif , dont les parcelles réparées n'ont aucun repos qu'elles ne foient rejointes au bloc, il racornit en fubftance la maflè en- tière d'un Etat, & en obftrue tous les reflorts. D'autre part, il opère feul la difproportion ruineufe des fortunes , & donne la facilité de les grofîîr aux dépens du pubh'c, Charles - Magne au milieu de fes conquêtes immenfes fit bien des grands Seigneurs d'autorité , de jurifdi6tion &c. mais il n'en enri- chit aucun 5 & en conféquence ne dépeupla point (on Empire. Un coloITe d'argent établi en Saxe Teûc-

Travail & Argent. 33^ p!us fûrement dévaftée , que ne firent les exécutions fanglances & redoublées quil fît chez ces peu- ples rebelles , & toujours alTez forts pour troubler le repos du Con- quérant.

Cette idée fera développée par le détail dans toute la féconde Partie de cet Ouvrage. Terminons celle-ci par quelques confidérations fur les métaux & le travail.

CHAPITRE VITI.

f Travail & Argent,

LEs partifans du luxe , & les amateurs du fuperflu , même en convenant avec moi que la trop grande inégalité des fortunes eft un mal , me diront que la richeiïè d*un Etat & l'abondance des mé- taux domiant plus de fantailies aux riches , en proportion du plus de facilités de les fatisfaire, fait fub- fifter aux dépens de l'opulence une

1 3 ^ Traité de la Population infinité d'ouvriers & d'artifans , que cet arrangement fubdivife les grof^ fes fortunes dans le fait, en les laiflfànt fubfîfter dans le droit , & qu il oblige le riche à entretenir un grand nombre de pauvres avec d'autant plus d'avantage pour l'Etat , qu'au-lieu que félon ma méthode ces derniers étoient aux gages, & dans une dépendance direéte du premier, ici raflujétififèment dif- paroît , d>c prend la forme d'un commerce relatif , & d'une com- munication de néceffités & de fer- vices.

Avant de répondre à cette ob- jeétion fur laquelle , ainfî que dans prefque toutes les difputes , il ne s'agit que de s'entendre , il efl né- cefTaire de traiter certains points propres à fixer nos idées fur les différents degrés d'eftime qu'il efl; de droit & de juflice d'attacher à tous les travaux humains.

On ne fçauroit nier qu'après le premier travail , & l'unique qui lerve à la production de la ma- dère première, ceux qui tendent à

la

Travail & Argent. ^57 îa mettre en œuvre & enfuite à la perfedionner , ne foient très pré- cieux dans un Etat pour les nécef- fités & commodités du citoyen » & que la profpériié relative ne foie toujours en proportion de ce que les arts tant mécaniques que libé- raux fleuriiTenc dans une fociété. Mais à cet égard il efl: plus impor- tant qu'on ne fçauroit dire, de ne point confondre.

Si tout vient de la terre , Thomme qui s'applique avec le plus de fuc- cès à en tirer les productions , eft le premier homme de la fociété. Cela efl: effrayant à dire 5 mais le Roi, le Général d*armée , le Mi- nifl:re ne fçauroienc fub(ifl:er fans l'agriculteur , & l'agriculteur fub- iifteroit fans eux.

En ce cas, me dira-t-on , vous bouleverfez tout , ôc l'homme qui détache la pierre dans les carrières aura le pas fur les Praxiteles ^ & les Michel Ange. Qui en doute ? répondrois-je fans craindre d'être accufé de barbarie. Ne nous fal- loit-il pas des pierres avant àts L Farde. P

3 5 3 Traité de la Population, îlatuè's ? Mais je range fous la même cla(îe ces deux eipeces d'honi- mes; ôc de même qu^à la bafede îa ûatuë que j'érigerois , li j'étois le maître , au Philofophe de nos jours qui confacre Ton loifir & Ces études à la perfedion de l'agricul- ture 5 je mettrois aux quatre coins la figure du laboureur , du jardi- nier 5 du pâtre ôc du vigneron le plus célèbre de Ton temps , ainfî Puget auroit à Tes pieds le tailleur de pierre , ôc les différents ouvriers qui donnent aux métaux la forme d'outils du Sculpteur. Eh 1 de quoi accompagneriez- vous un Poète cé- lèbre ? D'Etres fantaftiques fans doute. Mais fi cet homme avoir employé fes talens à chanter les Dieux & encourager les Héros , à perfedlionner la langue de fa na- tion, à la rendre célèbre chez les étrangers , à leur donner le goût de l'apprendre , & conféquemment la faci ité de k plaire au milieu d'elle 3 & de venir l'enrichir de fon travail ou de fon fuperflu , un Poète , dis- Je ^ de cette efpecç

Travail & Argent. ? 5 9 îrouveroic.aa moins autant cle con- fédération chez uiî peuple fracernifé félon mes principes, que chez les partifans du luxe & des plaifirs. Les premiers hommes étoienccous agriculteurs , pafteurs , &c. Ils n'ont guères divinifé que ceux qui leur avoienc enfeigné l'ufàge des dons de la nature , Cerès , Bacchus , Triptoleme &c. Voyez le cas que ces hommes faifoient des taîens : le Divin Demodocus ^ dit Ho- mère.

Il eft naturel, il eft utile même que chacun eftime ici-bas fa pro- feflion 5 plus même qu elle ne vaut. Au fond les touches d*un clavefîîa contribuent toutes également à Tharmonie , quoique Tune n'ait que de foibles fons , tandis que d'autres en ont de forts. Le Gouvernement eft le maître qui touche l'inftru- roent. Si la main eft habile , tout concourt au jeu plein & merveil- leux j au contraire elle eft dure & vacillante , rien ne va, le cla- vier foufFre , & Tinftrument ell: bientôt difcord.

Pv. n

14^ Traité de la Population,

Cependant de même qu*indé« pendammenc de coures difpofïtions naturelles , il eft des principes d'har- monie fans lefquels on n eft jamais fur de ne rien faire contre les ré- gies de l'art , il eft aufîi des prin- cipes de gouvernement fimples , mais décififs , auxquels il faut ré- duire toute la marche politique , fans quoi Ton ne va qu'au hazard , & dans le rifque continuel de s'é- garer. La bafe de ces principes eft de fixer d'abord le degré d'eftime qu'on doit à chaque profefEon , & même à chacun des foins ôc des arts qui les partagent , & la con- féquence en doit être un fyftême, ôc un plan fuivi de conduire , qui attribue l'honneur & la confidéra- tion à celles de ces profefîions qui doivent être menées par ces nobles relTorts, Tencouragement & lapro- teélion à celles qui ont des vues ôc des fondions moins nobles , & qui évite fur-tout & par- tout d'ôter à l'argent fa qualité de moyen ^ pour lui attribuer follement celle de ré- compenfe.

Travail & Argent, 5 41 Qu'on (e rappelle ici la divifion que ]'ai faire entre la fociabilité , èc la cupidité. Toutes les diflinc- tions pécuniaires portent vers cette dernière, tous les aiguillons d'hon- neur & de confidération nous en écartent pour nous tourner vers la fociabilité.

Pour fixer le degré d'eflime du à chaque proFeffion , il efl; nécef- faire d*analyfer l'objet de fes fonc- tions , & leur rapport avec cette dernière vertu.

A bon droit les Minières de h Degré d'ef. Religion ont-ils le premier rane ^^/^^ '^"^ ^ dans une lociete bien ordonnée. La feirion. Religion eft fans contredit le pre- mier & le plus utile frein de l'ha- manité : c'efl; le premier refïbrt de la civilifation ; elle nous prêche , & nous rappelle (ans cefTe la con- fraternité , adoucit notre cœur , élevé notre efprit , flatte & dirige notre imagination en étendant le champ des récompenfes & des avan- tages dans un territoire fans bor- nes 5 & nous intéreiïè à la fortune d'autrui en ce genre , tandis que

P iij

342. Traité de la Population. nous Tenvions prefque par tout ail- leurs.

Après les Miniftres de la Reli- gion viennent de droit les défen- f<purs de la patrie. Dans les fbciérés retrécies aux lieux même la va- leur miliraire étoic un .mérite de n^cefîîté par le befoin de défendre fes propres foyers , cette vertu néan- moins fut toujours des plus efti- îîiées i parce qu*aprcs la liberté , la fureté eft le premier des biens, & que rindicution du guerrier eli de procurer Tune & Tautre à fa patrie. A plus forte raifon , fi-tôc que dans une fociété formée & étendue Télire des hommes Ce dé- voue volontairement èc par hon- neur aux périls , & renonce à toute autre fonétion dans TEtat qu*à la gloire de le défendre, cette pro- fflTîon c^oit elle être finguliérement eftimée , & flattée par des avan- tages de confîdérarion & de préé- minence qui excitent fa générofîté, élèvent Ton amour propre , àc la détournent de fe bailler vers les objers de la cupidité, que la force

Travail & Argent. 545 de fa conftkution naturelle la met- troit à portée de ravir. Q^ielques nations jaloufes de leur liberté , & regardant le militaire comme le fa- tellite de l'oporeflion , ont porté toutes leurs vues a le mepriler , a le tenir bas , & à déprimer ce genre de vertu. Il leur eft arrivé de-là ce qui arrivera toujours, que la guerre leur eft fatale , & altère leur conP ticutîon. De deux cliofes l'une , ou elles Çoni mal fer vies par des mer- cenaires foudoyés & de tout temps traités comme tels , ou ceux-ci pren- nent le delîus & Te vengent par une domination dure & une révolution douloureu(è , de rabjedioa fi con- traire à leur nature dans laquelle ils ont été tenus. Eh î quelle eft après tout cette liberté, Fidole de tous les peuples turbulents depuis que le monde eft monde t Si c'eîl la tranquillité publique , la modé- ration particulière 5 & Tempiredes Loix, fai beau parcourir THiftoire de les aiuiales de l'univers , je ne la trouve en temps ni lieu que chez

Piv

3 44 Traité de la Population, les Saiifes : mais je m'écarte 5 re- venons.

Sans la Religion, les aflemblées d'hommes n'eufTent jamais pris for- me de fociété ; fans la valeur de Tes défenfenrs , la Ibciéré eût été auiîî- toc difperlée qu'établie j fans les Loix , les pafïïons & le ferment intérieur l'auroîenc détruite aufïi promptement que les efîbrts exté- rieurs. Ceux qui font prépofés au maintien & à l'exécution des Loix , ont donc après les deux ordres ci- delfus une prééminence fondée en droit <3c en raifon indifpenfable. Viennent enfuite en foule , mais par degrés , tous ceux qui compofenc & maintiennent la fociété , qui la vivifient , qui l'honorent par leurs talens , ou dont TinduRrie multi- plie à Tinfini les biens de jaéc^ti- fîtéj les commodités, Iç^^grémens de la vie , & (ùr-tout les moyens féconds de fubfiflance , en ce que cela feul multiplie \e% fujers de l'Etat fon unique richenTc réelle. On s'étonne quelquefois de l'iné-

Travail & Argent, 54 j branîabîe conftiturion & folidité de la Monarchie Françoife , qui eft telle en efîèt qu'ayant perpétué fa durée fort au-delà de l'âge natu- rel des Etats , à en juger du moins par le fort de tous les autres, elle a réiîfté aux chocs les plus vio- lents , aux maladies les plus aiguës , & cela au point qu'elle femble renaître des efforts mêmes qu'on fait pour l'altérer. N'en cherchons point d'autre caufe que l'heureux rapport du naturel & du tempéra- mtnt defcs habitans avec les prin- cipes fondamentaux de l'Etat , qui , par un effet de la folide politique de nos pères , fe trouvoient diri- gés dans l'ordre que Rétablis ici»

En effet les trois Corps qui com- pofoient les véritables aflemblées de la Nation 5 ne font autre choie que le Clergé , le Militaire & I^ Magiflrature , trois corps différents ayant chacun à part la voix àé\ï^ bérative, & qui réunis n'en for- moient qu'un ayant voix confuî- tâtive auprès du Prince qui ne ceP- fa jamais d'être l'ame de l'Etat ^ff

Ff

34^ Traité de la Population, ce n'eft dans les temps d'anarchie. Qu'y a-c-il en effet de plus fenfé èc de plus conforme aux notions naturelles fur Tordre politique que cette forme mélangée , qui ren- ferme tous \qs degrés de force & de fagefïè , dont les confeils des liommes peuvent être fufceptibles ? Vainement les ennemis du Cler- gé voudroientils prouver par des déclamations & des exemples , qui! efl: hors de régie & dangereux que les Minières de la Religion aient aucune part aux afîàires du gouver- nement. Ceux qui prétendent les réduire au fpirituel aofolu , (entent auflî- bien que tous autres & mieux > que c'eft précifément les reléguer dans les efpaces imaginaires. Indé- penJamment de leurs droits à lad- miniftration temporelle , comme pofTédant fiefs , jurifdidion &" autres biens, guides naturels des mœurs, tout eft de leur re(Tort en fait de confukarion , & c'étoit toute la Jurifdiélion attribuée à nos Etats en préfence du Souverain,

Le Militaire ne paroît de fa na-

/

Travail & Argent. 347 ture propre au coofeil , que pour les affaires de Ton métier : l'expé- rience a cependant démontré que les meilleures têtes de cabinet for- tent fouvent de cette profe(îîon , ibît que rhabitude des grands in- convéniens qui forcent refprit à imaginer les grandes reffources lui donne de Tétenduë , {bit que les motifs brillants , les fatigues ou- trées foient propres à donner à Tame le plein jeu de Tes organes, foit aufîî que la gravité militaire , la plus naturelle & la plus impo- fante de toutes , afTervifTe Ton propre repréfentant , & renchaîne des liens de la vraie prudence qui n'efî: autre chofe que la force tempérée. Mais indépendamment de cet avan- tage de fait , quand le Militaire ne feroit dans les confeils , que ce qu'eft Paiïàifonnement dans les ra- goûts , il n'y feroit pas moins né^ cefiTaire.

Depuis qu'on perd de vue les vrais principes 5 on diroit que le tiers Etat enétoit la partie abjede, & Je ne doute pas qu'en lifant ceci

P v|

34^ Traité de la Population, Meilleurs les Magiftrats n'ayent re- gardé comme un bîafphême le rang que je leur afîîgnois parmi cet Ordre lefpedable. Toute fociété la préé- minence mené à fa fuite Fenvie , & la déférence marche à côté du mépris , court rapidement vers fa ruine totale. Mais c'eft moins ici qu'en aucun autre pays; &:nos préjugés fur l'ancienne forme de notre gouvernement font à mille iieuès de la vérité. La nation , vous dit- on 5 ne fut d*abord compofée que des conquérans , tout le refte étoit ferf; le refpeét , & leur fu~ perftitieufe ignorance admirent le Clergé à leurs alîemblées, & lui donnèrent le premier pas : le Cler- gé jaloux de la Noblefîè donna l'exemple des afTranchilTemens , & en fit peu après un point de reli- gion y les Villes fe formèrent , ob- tinrent des privilèges & parvinrent enfin , à force d'empiéter fur les Seigneurs , à faire admettre leurs députés dans les aiîemblées géné- rales de la nation, mais toujours comme fournis & marqués encore

Travail & Argent. 54^^ du fceau primordial de la (èrvitude. Sans nier les faits fur lefqueis affez d*aurres onc difputé & difpuceronc fans moi , je les mets tous d'accord dans ce Traité ; c'eft l'ouvrage d*un homme qui le range avec un mou- vement de refpeâ: intérieur devant le porteur d'eau dans la rue, parce que ce pauvre homme efl: chargé, qui ne fçut Jamais fe déplacer de- vant un fat par un fentiment de fupériorité , ni s'enorgueillir à côté a*un mendiant 5 donî l'odeur infecte, & les haillons lui reprochent une fraternité méconnue : cet homme parle pour l'humanité & la vérité , il lui fîéroit également mal d'ap- puyer & de combattre les fuppo- fition^ & les annales de la vanité. Je dis donc que les détails de la police intérieure du camp des an- ciens Francs , nous importent aulÏÏ peu, relativement à mon fujet ac- tuel, que ceux de l'armée de To- tiia, 6c ie ne regarde la Monar- chie comme établie & prenant for- me d'Etat , que du moment \qs alTemblées de la nation reçurent

3 5 © Traité de la Population, leur plénitude par Tadjondion des repréfentans des Villes <Sc des Com- iTJunes.

Mais en quoi l'on fe tromperoic lourdement , ce feroic d'imaginer que jamais ces députés ayent paru dans nos alTemblées comme desfu- jets qui viennent implorer la clé- mence & réclamer leurs droits à rhumanité de leurs Maîtres. Ils y furent reçus comme inférieurs en dignités & en prérogatives , comme égaux en fubftance ; & le tiers- Erat, qui dans fa dénomination ne fiignifie que troifiéme Etat , ne voyoit d'autre diftance entre la NoblefTe &: lui , que celle qu'on admettoit déjà entre le Clergé & Idi^ohle'^Q^ premiers entre pairs, La même liberté fe trouvoit dans les délibérations, le même con- cours dans les fufFrages, avec une prééminence marquée à la vérité de dignité & de confidération pour les deux premiers Ordres , mais peu ou point de différence de pou- voir & d'autorité.

D'après cette allégation qui gît

Travail & Argent, 3 y f en faits , il eft aifé de concevoir que ce ne put être cette foule d'hom- mes afïaiiTés fous le poids de la néce/ïïîé > &; ce .qu'on appelle la lie du peuple , que nos fiers ayeux con- fentirent à admettre au partage de la plus noble & de la plus efien- tielle de leurs fonctions , & que nos Rois recurent dans leurs Confeiîs, Quelle que put être la forme de la Magiftrature des Villes , la nécef^ fîté des Prépofés au maintien àçs Loix & Ordonnances tant de Juf^ tice que de Police , eft la première qui fe fait fentir à toute fociété. II falloit des Magiftrats aux Villes en naifîànt, c'eft-à-dire en Portant de la tyrannie , & ce furent Ces Magif^ trats 5 qui en devinrent les repré- fentans naturels dans les aflèmblées de la nation.

A mefure que Tautorité du Prince & Tordre aàuel fe font établis , 1 epée a perdu du tranchant qui pou voit couper le fourreau , & la Magiftrature a étendu fon pou- voir, & plus encore l'exercice de fes_ droits naturels. Mais feroit-il

3 y 1 Traité de la Population, jufte d'une parc , de la regarder comme étant d'un ordre alTuiecti dans les temps ne formant nulle prétention pour fîéger au-deiTus du tiers- Etat , elle avoit néanmoins dans fbn corps des fujets fortis des meilleures Maifons de laNoblelTe, & de l'autre, de vouloir l'en tirer aujourd'hui , que la vénalité des Charges en a chafTé prefque toutes les anciennes Touches.

Difons mieux , il n'y a qu'un Maître dans l'Etat. Il y a en fuite trois Ordres confuîtants, le Cler- gé , le Militaire , & la Magiftra- ture ; tout lerefte obéit & travailler Ce dernier ordre étoit nécelTaire pour former la plénitude du Con- feil : confervateur fidèle des loix , des formes , des anciens ufages , il borne l'ambition du Clergé flijette à vouloir établir le plus dangereux des prefliges ; il émoulîè le tran- chant da Militaire, dont le vice tourne vers l'oppreflion ; il oppofe le Dédale des formalités ,& l'utile tableau des conféquences aux en- treprifès des uns , à la violence des

. Travail & Argent, ^51 autres , & reçoit d'eux rélévation clans les vues , & la célérité dans les décidons , qui lui manquent.

Quoique cet ancien ordre de Conleils foît maintenant fu( pendu , que le Militaire , ou fi Ton veut la Nobleffe qui n*étoit autre chofe dans Ton inftitution, n'ait plus au- cune forte de Jurirdiâ:ton ni de prérogative réelle dans l'Etat, ce- pendant le goût de la Nation dé- termine l'opinion générale maî- trefife abfolue des mœurs & ufages , vers cette gradation d'eftime Ci conforme aux régies naturelles d'une bonne conftiturion. Le Mili- taire a dans l'opinion publique & particulière le pas fiir les autres Etats auxquels eft demeurée, avec une jurifdiélion réelle , la portion de confidération qui en eft infépa- rabîe. Ainfi le naturel & l'incli- nation des peuples étaye le bâti- ment, & le préferve des accidens dont le menace la vétuflé des fon- démens ; & c'eft-là la vraie fon- taine de Jouvence qui régénère le corps politique , èc le maintiendra

3 54 Traké de la Population. dans fa vigueur , jufqu à ce que notre tempérameni ait été détruit par l'amour de Tor , feul poifoii qui morde fur-tout.

Après ces Ordres primitifs d*urt Etat , diftinds & fépatés par le genre de leurs fonctions , de qui font de l'eiTence abfolue & de la confntution du bâtiment politique , il faut enfuite le décorer , le rendre logeable , commode , agréable ôc brillant. Les fciences , les beaux arts 5 les arts libéraux & méchani- ques n'ont ou ne doivent avoir d'autre objet que celui-là , & mé- ritent eftime ôc confidération en proportion de ce qu'il faut de ta-' îens privilégiés pour y réuiïîr , de ce que ceux qui les cultivent ont mis de travail pour les faire va- loir , mais fur-tout de ce que leur travail eft plus ou moins dirigé vers la fociabilité , c'eft-à-dire , vers l'utilité publique.

J'ai déjà traité de l'agriculture'; on lui feroit tort de la confondre avec les autres arts de quelqu'ordre qu'ils puifTent être. Celui-ci, félon

Travail & Argent, ^^5 notre foi , eft d'inftitutioii divine j il eft vifiblement à notre exiftence ce qu'y eft la refpiration. II ho- nore 3 il intéreftè , il amufe le Gé- néral d'armée, le Magiftrac & le Miniftre comme le dernier citoyen. Il viviiîejil anime en nous îe refneâ: pour le culte adreflTé à TEtre donc la main bienFaifante multipl e les fruits de Tes travaux , Tamour & l'admiration pour le guerrier qui fe dévoue à fa défenfe , l'attache- ment & la reconnoiftance pour les Interprètes des Loix qui lui aftu- rent une potTeiïîon tranquille : l'agriculture en un mot & l'arc univerfel, l'art de l'innocence & de la vertu , l'art de tous les hom- mes & de tous les rangs.

Je parlerai ailleurs du Com- merce & ferai voir que ce n'eft point un étac à part , qu'il eft uni- quement le frère de l'agriculture. C'eft l'honorer beaucoup , mais tour eft frère dans mes principes ; revenons en bref fur les autres arts 5 que j'ai établis tout-à-i'heure les décorateurs d'un Etat.

3 5^ Traité de la Population,

Les fciences font la pâture de Famé & Texercice de refpntj par elles l'homme gravit péniblement vers le faîte de gloire &c de lu- mières 5 dont il fut autrefois pré- cipité dans la perfonne de fou premier père. Il eft deux routes qui paroifiTent y tendre également. L'une eft celle de l'orgueil qui nous a perdus , & qui égare tous les jours ceux qui la fuivent ; l'autre eft celle du travail & de la fou- milîîon 5 qui nous eft permifè & recommandée. Les vrais Sçavans fuivent cette route , ce font de tous les hom.mes privés , ceux qui exigent le moins ^i qui méritent le plus.

Les arts libéraux font aux beaux arts ce j^ue le corps eft à Tame , divers en fondions , unis de defti- / nation 5 eftimables 6n proportion de ce qu'ils fervent à élever l'ama & le cœur des citoyens , méprifa- bies s'ils aident à les corrompre.

Les arts méchaniques enfin , à les prendre en corps comme nous les confidérons ici , font tellement

Travail & Argent, 357 liés à tout le refte, que fans eux il. feroit impofîible que la fociété fub- fîftâc 5 & qu'il eft vrai de dire qu'elle ne fleurie au phyfique qu'autant qu*iîs le perfedionnent. C'eft la chaux & le fable du bâcimenc po- litique qui lie tout , fert à tout , d>c ne domine fur rien. Il fuit de-là que ces arts doivent être protégés, & que les talens de ceux qui s'y diftinguent méritent d'être ho- norés.

Mais il faut en ceci fur -tout prendre garde de fe laifler égarer par le penchant naturel de Thom- me pour le merveilleux \ le point dégénère des arts en tout genre , c*efl: la recherche ; eftimons les arts méchaniques en proportion de leur utile folidité , laiUons voler de leurs propres ailes les arts merce- naires du frivole & de la vanité > ils n'ont befoin du fecours de per- fonne , la folie humaine les mettra toujours aflez en vogue , & leur folde leur tient lieu d'honneurs Se de récompenfes.

3jl Traité de la Population.

Après ce tarif raccourci des dif- férents emplois qui partagent la Êbciété , il eft temps de répondre à" l'objeélion qui commence ce Chapitre , & d'examiner fi les dé-- membremens des groflès fortunes occafionnées par les fantaifies des riches & l'abondance des métaux, vont au profit de la fociété, com- me le feroit la fubdivifion des for- tunes que ces mêmes métaux ont feuls amoncelées.

Ce n'eft pas ici le lieu d'exami- ner 5 (\ les nations la richefle privée eft le plus en vogue $ font celles l'on conferve le plus de refpeâ: pour la Religion , de con- fîdération pour le Militaire, d'atta- chement pour la Magiftrature & les Loix ; les Sçavans font plus recherchés que les hommes à ta- iens frivoles ; les travaux des arts portent l'empreinte du Noble & du Grand. Toutes cts chofes feront traitées ailleurs. Voyons feulement dans les arts raéchani- ques qui font en général ceux qui

Travail & Argent, 35^ foGt vivre le peuple , li ce font les plus utiles 6c les plus Tolides qui reçoivent le tribut deftiné à mi- partir la fortune du colofTe d'or en cjueftion*

Il eft impofTible , on le fent par le raifonnement , on le voit par l'expérience , que ce foit dans les premiers Ordres de l'Etat que s'ac- cumulent & fe confervent les gref- fes fortunes dont nous venons de parler j en conféquence le fafte Polonnois, qui confifte à faire vi- vre un grand nombre d'Officiers 5 de domeftiques , &:c. eft prohibé au propriétaire. D'ailleurs vous venez de condamner ce genre de dépenfe , comme chargeant le pau- vre des liens d'une dépendance trop direde envers le riche. Quant à moi 5 je ne fçache pas avoir en- core recommandé cela ; j'ai dit feulement qu'il feroit à fouhaiter que les grands Seigneurs confom» mafTent à l'entretien de la pauvre NoblefTe ce qu'ils dépenfènt à four- nir un odieux fuperflu à des valets ,

^6o Traité de la Population, ôc en d'autres déprédations de dé- fordre & de luxe, Ôc j*ai fur- tout montré Tavantage de la fubdivifion des fortunes. Mais en effet le genre de fafte ci-defiTus eft interdit aux riches de métaux. Quel ufage peu- vent ~ ils donc faire des revenus qui leur font attribués ? j'en excepte ceux qui en fervent le Commerce ôc l'Etat au befoin , & c'eft de leurs enfans dont je parle 5 ils ne fçauroient dîner deux fois, comme difent les bonnes gens; les nécef- iîtés de l'opulence , les fuperfluités même de la décence ont des bor- nes très-retrécies en proportion de la fortune. A qui donc en attri- buer l'excédent ? Aux fantaifies ? Vous l'avez dit ; fantaifie 9 pagode hideufe de fa nature & contrefaite , mais qui fera monftrueufe 8c dé- teftable tant qu'il y aura d'auti'es hommes prefles de la nécefîîté , que dis-je , accablés fous le poids de la plus afFreufe mifere.

Mais enfin feront-elles vivre les ouvriers du genre le plus utile &

le

\

>

Travail & Argent, ^6i le plus pénible? Une voiture coû- tera feize mille francs de vernis , une boere mi lie écus de façon & Ton en cfiangera loiivent, je de- mande Cl c*eO:-là protéger les arts méchaniques dans la progredion que nous avons établie ci-dedus.

J 'entends d*ici la foule d'objec- tions qui me feront faites fur la néceilîcé d'encourager les arts du fuperflu 5 pour accoutumer les iîrangers à venir foudoyer notre iuxe, entrerenir nos ouvriers. Sec, Ce n'eil pas encore ici le lieu d*en^ ■camer & d'approfondir ces quef- rions. J'efpere qu*on verra dans la fuite de cet Ouvrage , que je n'au- rai rien omis de mauvaife foi ; toutes mes erreurs appartiendront à mon ignorance , & au peu de jufteiïè de mes vues. Revenons aux principes généraux.

Le moyfn prem'er &:îndifpen« fable de fui3(i{l:ance eft l'agriculture x]ui nous donne la matière pre- mière. Le moyen fécond eO: le ^ travail; ôc de même que la direc- tion du premier moyen doit être

/. Farde. Q

^6i Traité de la Population, déterminée vers la mulriplicatloîî de la prodaâ:ion, celle du fécond le doit être vers l'accroiffement da travail.

Nous avons en ce genre éprouvé une forte de détriment j qui pour- roit encore s'accroître par le relâ- chement des mœurs.

Oïi fe plaint que le prix de toutes fortes d'ouvrages augmente journellement à Paris, & de façon qu'il eft aujourd'hui prefqu^impof- fible d'atteindre à cette efpece de nécefTaire ufuel & abufîf qu'on ac^ croît cependant chaque jour. Il eft certain qu'une des caufes de ctii^ augmentation eft le regorgement des métaux , qui arrivent fans celle en Europe des mines du Pérou & du Potofe } de forte que fi le commerce dévorant des Indes d'une part s & de l'autre l'abondance de meubles bijoux de ces fortes de métaux qui fe répandent & fe multiplient à Pinfini dans la fociécé , n'en ab- forboienî une partie ^ l'or & l'ar- gent deviendroient d conimuns , pull faudroi^ çhgrcbe^ pnf gucrf

Travail & Argent. 5(^5 forte de reprérentatif du troc dans le commerce.

Une autre caufe phyfique encore de ce dérangement , c'eft la dimi- nution ou moindre quantité ' des matières premières; la terre d'une part moins cultivée en produit moins 5 & de Tautre la confbmma- don confidérablement augmentée, au moins en proporticn du nombre" d'individus , en demande davan- tage , ce qui nécelTairement en faîc hauffer le prix. *

Mais une troi(îéme caufe cer- taine , & qui eft la feule dont je veux traiter ici 5 c'eft la diminu- tion proportionnelle du travail de chaque individu.

Il eft certain que le goût des fortunes eft venu de proche en proche à tout le monde , attendu qu*il n'eft porteur d*eau dans la Ville , ni maraifcher fur les che- mins, qui n*ait au moins un cou- fin germain ayantSuilTeà fa porte. Rapine, bonheur, induftrie » trois fantômes réalifés , offrent à cha- cun , feion fon caradere , des ch£«

|(j4 Traité de la Population, TODS ouverts par lefquels plu(ieur$ arrivent , d'autres s'abîment en che-» miii fans jamais fe croire noyés , & tous enfin s'accoutument à vivrç 4'erpérançe 5 ^< fortenc des voies de modération &: d'équité relatives à leur profeffion.. La principale de ces voies 5 & celle de toutes , qu'on a le plus perdue de vue, c'eft l'éco- nomie & la fobriété. Le défaut d'é"^ çonomie jette dans un accroilTe- ment de dépenfe que le furtaux des. raarchandifes & ouvrages peut feul acquiter -, car il n'eft aucun entrepreneur qui ne prélève tou? jours fon entretien & celui de (a famille fur fon travail , avant de compter fon profit. C'eft chofe jufte ^ans fon principe •> mais fi-tot que cet entretien devient arbitraire & proportionné à la fantaifie & à la vanité , ç'eft une friponnerie ma- nifefle,

Rernarquez cepeuQant que dans les derniers rangs , comme dans les premiers, ce qui eût été folie au^ trefoîs devient ufage , & prefque péçefîlçé aujourd'hui? Chez les g^nf

Travail & Argent. ^6§ de qualité , il faut voiture pouÈ* Monfieur , ôc carroiTe pour Ma- dame , voiture de campagne , che- vaux de chaifé , défobligeaatej &d« Ceft devoir d'état que de vivre ainfi aux dépens de qui il appar- tient. Qui voudroit rentrer eii foi- mime , ôc fe confidérer ifolé Tappui des ufages , auroit bien la peine à ie faire une faujfTe con- fcience , adéz endurcie pour n'avoir aucuns remords lur les dépréda-, tions 5 qu'on juftifie comme dé- penfes néceffatres pour vivre avec décence , & feîon Ton état. Je tremble encore en regardant îe por- trait de mon père; il reconnoifioic la même fupériorité dans le fien, ôc celui-ci dans mon bifàyeal. Je nentends pas par- les tranfes du refpeâ: filial , mais uniquement l'ef- fet d*une fupériorité de fentimenC Ôc de dignité, dont les mœurs d'au- jourd'hui ont abfolument dégénéré. Je conclus en conféquence , que mon trifayeul reparoifloit dans fa maifon , je me trouverois bien petit devant lui. Cependant il eft dci

3(3^ Traité de la Population, devoir de mon état de vivre à cent lieues de mon gazon , èc dans une Ville qu'il regardoit comme les Antipodes, d'avoir nombre de la- quais faineans & mangeurs , au- lieu de quelque p^.lefrenfer hénlTé qui lui fuffiioit 3 d'un Fage fréquem- ment fins culotte , quoique Ton coufin , ( car il faut bien que , comme Montagne , chacun ait le ïitn) \ d'une Demoifellelaborieuie , & de quelques petits garçons ap- pelles bamboches pour fa femnie^ Soit ; chacun a Ton état , Se doit fe conformer aux mœurs de fon temps 5 c'efi: bien dit ; mais il s'en- fuit que ce Marchand qui dort au- jourd'hui la grade matinée & fe fait remplacer dans fa boutique par un garçon de furcroit chère- ment loué i dont la femme porte couleurs, rubans, dantelles & dia- mans , au- lieu du noir tout uni qu'elle ne mettoic encore qu'aux bons Jours ; qui brûle de la bougie ( quoique feue Madame la Du- cheiïe de Bourgogne avouoit n'en avoir vu dans fon appartement qu§

Travail & Argent» 3 ^-^ depuis qu'elle éroic en France) qui prend le cafîé , & fait journelle- ment /à partie de quadrille : il s'en- fuit 5 dis-je 5 que ce marchand 9 obligé, pour vivre félon fon état, de fournit toutes ces chofes à fa très-digne moitié j Se de fon côté de figurer comme les autres (car c'efl le mot ) peut en confcience prélever cette dépenfe fur fes four- nitures. Il faut encore qu'il gagne de quoi faire à fes enfans élevés dans Ce train-là , un établiflèmenc à peu-près pareil à fa propre for- tune : on (ent a quel taux tout cela porte le prix de la main d*œuvre. Même calcul pour l'artifan , même > qui pis efl , pour le fabriquant; ce qui porte le prix de nos ouvrages & marchandiies à un taux que les étrangers , obligés de payer argent comptant , trouvent encore plus rude que les ciroyens qui laiffentle tout à payer à leurs enfans , abus qui peîit-à- petit oblige les Danois même à fe faire des manufaélureSj & à fe palTèr de nous.

Si le mépris 6c Toubli de toute

3^^ Traite de la Popnfatiori. économie ouvrent la porte à mille jnconvénirns donr je ne fais qu'é- baucher q'-ieîqoe>uns , un des plus confidérables eft le défciut de fo- briété. On n'en connoîc plus dans Su: ;rofn- cette Ville bruyanre , le y?/f /«i , ahe.:t p^-^/}^/^j alienz appetens eft de-

^pwc^f j , de- -r J J 'i . r

%enu la de- vcnu la devite de tout le monde vifc de tcuc ^^ piyg arand au plus petit. Outre que la conlommation intérieure a fextuplé par-tout , la partie du peu- ple deftinée au travail dépenfe tout ibn eain en parties , ccurfes & guincrcerres. Chaque Bourgeois com- merçmt , artifan mtme un peu aifé, a fa mailon de campagne tout va par écueiles , comme Ton dit. Les ouvriers du premier ordre , comnie jouaiiliers , orphevres & autres font les Dimanches & fêtes des dépenfes en collations les vins mufcats , étrangers ^c. ne font pas épargnés. Les femmes & filles de ce genre de fociété 7 affilient & donnent le ton . tout s'y con- fomme , & fi quelque Jeune ouvrier plus fenfé veut éviter ces fortes de dépenfes , la coûcuîne contraire â

Travail & Argent. 3 6^ tellement prévalu , qu'il fe verroit ifolé & frappé d'une force d'ex* communication parmi les gens de fa profeiiîon. Le bas artifan court à la guinguette , forte de débauche protégée , dit-on > en faveur des -Aides. Tout cela revient yvre , de incapable de fervir le lendemain. Les maures ar ri fans fcavent bien ce que c'eR , pour leurs garçons , q-'e le famedi court jour , & le lundi lendemain de débauche; le mardi ne vaut pas encore grand chofe , èc Çi dans la huitaine il fe trouve quelque ^èiQ , ils ne voient pas leurs garçons de toute la femaine.

Je ne prétends pas examiner (Se noter ici les inconvéniens de cet accroidemicnt de confommaticn inu- tile & nuifible relativement aux principes établis dans les Chapitres précédens , mais feulement dans l'objet de la diminution de tra- vail qui en provient. La molle(Tè dans les aifés, la pareiTe pour les pauvres eft la fuite néce(Taire de i'intempérance 5 cette fuite j nous y^

3/0 Traîcé de ta Population, fon'rnes , & marchons de nacre niieux au progrès. f Les Ecoles les plus"^' rigides de Paris, les Collèges les plus fains de cette célèbre & févére Univer- Cté donnent par jour trois heures de moins de travail à leurs éco- liers , qu*ils ne faifoient , il y a quarante ans , & par Temaine un jour de plus de congé. A l'Acadé- mie , on montoit autrefois de régie quatre chevaux chaque matin , & quatre reprifes fur chaque cheval , on n'en monte aujourd'hui que trois 5 à trois reprifes chacun j il n*y avoit de jours de congé , que le mercredi & le Dimanche , on y a ajouté le famedi. Calculez, & vous verrez qu'un an d'Académie alors en valoit deux d'aujourd'hui» Ce ne font-là que de menues bran- ches d'un relâchement qui eft de- venu générai , & à tous égards y mais il n'ell: quedion ici que àvk îravail.

De vieux bourgeois de Paris m'ont dit autrefois que fi de hm

Travail & Argent ^-fi temps un ouvrier n'eue pas travaillé deux heures à ia lumière , foie le inatin , foie le foir dans les plus longs Jours, il auroic été noté comme un parefTèux , & n'eût pas trouvé à s'établir. Ce fut le 12. de Mai 1585. qu'Henri lîl. fit occuper divers poftes dans Paris par Tes trou- pes. Les habitans , dit Davila, aver- tis par le bruit des tambours com- mencèrent à fermer leurs portes & leurs boutiques qui , félon Tufage de cette ville de travailler avant jour étoient déjà ouvertes. Com- mincio à Radunarji s^errando le porte délie café j e chiudendo le forte délie hotte ghe _, che conforme alV ufo délia citta di lavorare in^ nan-^i giorno ^ gia ferano commin- date ad aprire. Il dit poncivemenc en ce même endroit , que toute cette émeute s'étoit faite avant le jour. Or il eft jour à trois heuref au mois de Mai. En 1750. je tra- verfai à pareil jour tout Paris à fix heures fonnantes à la Sorbonne , je traverfai , dis-je , depuis les Char- treux jufquau bouc du fauxbourg

Q.VJ.

^yi Trahi de la PopulaîloTîl S. Martin , partie marchande & pd^ puleufe de la Ville , & je n*y vi§ d*ouvertes que quelques échopes vendeurs d'eau de vie. Voilà les faits.

Conndérons - nous maintenant relativement à nous-mêmes , 6<: voyons ce que nous avons perdu de notre propre fonds. Un ouvrier qui travaille fix heures de plus dans une journée, & qui confomme îa moitié moins j en vaut trois 5 Ôc s'il eO: vrai c^ut plus il y a detra^ y ail dans un Etat ^ plus l'Etat ejî cenfé riche naturellement ^ nous avons à cet égard perdu les deux tiers de notre richeiTe intérieure, îl eft poffibîe qu'il y ait plus d'ou- vrages faits aujourd'hui , attendu la multiplicité d*arts & de manufac- tures nouvelles établies depuis cent ans 5 mais il n'en eft pas moins cer- tain que fi nos ouvriers a(5lueîs étoientaufîi laborieux qu'autrefois, ils confommeroient moins en fu- perfluîtés & feroient plus d'ouvra- giès 3 au moyen de quoi ces ouvrages

y

Travail & Argent. 57J feroîent à un prix plus bas & plus commerçabie.

Les maux les plus difficiles à reparer fouc ceux qui proviennent de l'affaiiïement des mœurs. L'hom- me réputé alors le plus parefTeux , s'il reparoiiïoit aujourd'hui en con- fervant les ufages de Ton temps , feroit le plus vigilant d'entre nous. Dormant a la Françoife jufqu'à huit heures y dit Sully en parlant de la garnifon d'Amiens qui fe laifTa furprendre : dormir alors jufqu'à huit heures du matin étoit une lâ- cheté pour un homme du monde. Se lever à cette heure-là efl: pref- que une fingularité de nos jours. Qui de nous , voyant un artifan miférable ainfî que fa famille , pen- fèroit que c'efl: fa faute de ne pas commencer fon travail dès les quatre heures du matin ? Les vices éc les vertus font de proportion , comme toute autre chofe. LesLoix ne peuvent rien fur la portion des mœurs qui tourne vers l'inexiflence. -Où donc eft le remède î L'exeppls & l'encourageûienrv

1^4 'If'i^îté de la Popuiadonl

Peut-être me direz-vous qu*en Êîtendant que faie fait recevoir ma nouvelle peuplade , je traite affez mal celle qui m'environne. Prenez y garde , une telle imputation fe- roit odieufe & mal fondée. Je peins nos mœurs , moeurs dont tout le monde fait gloire. Mon plan eft toujours de ne rien forcer , de ne rien détruire : je prêche au con- traire d'édifier. Ckérijffe^ j anime^ l'agriculture jhlçnîGt le travail de- viendra en honneur ; rcconomie& la fobriéré font Tes compagnes. Ces vertus tiennent Tefprit tranquille, & le corps fain. L'aétivité ôc la tempérance des mœurs champêtres palTeront à la Ville avec les nom- breufes colonies que les campagnes y enverront , à la différence qu'il faudroit peut-être d*autres topiques qui ne font pas de mon fujet , pour rétablir les mœurs à la Ville, fé- jour corrupteur , au-îieu qu'à la campagne paix Se proredion , Se tout eft dit ; c'efl le Code entier de yos loix fomptuaires.

Le retour à l'agriculture portl

Travail & Argent, 37^ dans Crtte exclamation , au momenc nous Tommes le plus enfoncés dans les détails du travail , paroîtra étranger à la queftion ;raais je tiens que le plus puifïant remède des mœurs eft de remettre en honneur cette proFefîion maternelle, nour- ricière 5 & vertueufe , & d'en don- ner le goût généralement à tous les citoyens. La (implicite naît de Tai- fance de la campagne, & l'écono- mie efl une fuite de la douce peine qu'on eut à en recueillir les biens ; la vue de l'énorme quantité de bled qui entre dans une belle tabatière, dégoûteroit le plus hardi difîîpa- teur.

Revenons au travail. La Ré* Lereiicfig forme fe vante d'en avoir accru la ^^^"^ fomme dans les Etats qui l'ont travail que embrafiTée , par la fuppreffion des ^^"^ .'^ ^^^"^^^ Fêtes. Je crois , par its railons de calcul déduites ci-delTus , que c'eft autant de gagné, fur- tout en cer- tains temps précieux pour \qs tra- vaux & récoltes de la campagne; auflî en fupprime-t-on beaucoup dans le Culte Catholique. Mai&

^f6 Traité de la Population. qu*oii fe fouvienne toujours qu'une' Fêre fupprimée n'eft jamais que neuf heures ajoutées dans Tan tout âu plus , au- lieu qu'une heure cfe fommeil en compofe trois cents foixante-cinq. Il ne faut pas croire d'ailleurs que toutes les fêtes fuf- fent en pure perte ; l'homme veut du délaffement , & il lui eft fi né- ceflaire, que Dieu ordonna dans Finftitution première un jour de repos en fept. Ce jour redonne des forces à l'homme courbé fous le poids du travail hebdomadaire. Cet intervalle de relâche lui donne le temps de la réflexion fi néceiïàire tout 5 & qu'un travail mécha^ nique afFaifTe à la longue fans reC- fource.

Outre le repos , il nous faut en- core de la joie & des rapports d'u* nion & de fociété : examinez nos Fêtes dans leur inftitution , & en y joignant ce que l'antique fim- plicité y avoit ajouté d'ufages de de pratiques habituelles ,vous ver- rez que tout y concourt à ces deux» objets vraiment politiques»-

travail & Argent. 377 Les vues de TEglife fonr tontes fpirituelles dans leculce qu'elle nous prefcrit j mais elle a fçu con- defcendre aux ménagemens que l'union de l'ame avec la machine nous rend néceiTaires , & a permis que Tordre & les ufages civils y introduifenc une variété & une ac- tion propres à nous intérefTer. Cette déférence a même influé fur (ts propres cérém.onies *, à la referve d'une demi-femaine dans Tannée toute confacrée à la prière & aa recueillement , & dont les prati- ques ne font pas même d'obliga- tion pour les gens de travail , tout le refte a pour objet des occafions de joie & d'allégretTe. Les Fêtes de Noël j des Rois , de Pâques , de la Pentecôte 5 toutes les grandes Fêtes j en un mot , font de cette efpece.

Examinons enfuite ce que la coutume de nos pères avoit ajouté d'ufages particuliers à ces folem* nitcs. A Noèl , la famille ralTem- blée, la fouche de la veillée & le bralîer qui Tentoiiroit fervant à

3 7^ Traité de U Population: cuire les marons pour le vin bîanc, enfuice le réveiiion , &c. Aux Rois^r la fève , Jes cris , & le Roi boit. A Pâques , Jes œufs qu'ancienne- ment le père de famille diftribuoic à toute /a mai Ion jufqu'au moin- dre domeftiqiiej faifbient une forte de communion profane , précieux ufage : je fuis tenté quelquefois de descendre à la table de mes gens, de couper leur pain , de boire en même talïe , pour merappeller que nous fommes tous d'une feule fou- che, que je dois les confidérer,& les contraindre à m'aimer. Cette méthode réuffiroit mal aujourd'hui , fes valets font aufîî infènfibles , aufîî méprifans que \qs maîtres j mais c'eft tant pis. A Pâques donc y les œufs , le jambon &c. à la Pen- tecôte 5 les premiers fruits j la S. Hubert , la S. Martin , toutes ces Fêtes font dans Tannée , fauf refpeâ: , ce qu'eft Tavoine à nûdî dans la journée du cheval.

Ces fortes d'aflemblées d'ailleurs, ces révolutions à temps marqué uniflènt la fociété, Ik y établiflesit

Travail & Argent, ^79 les rapports <5^ la confiance ; bien difFérentes en cela de Tincempé- rance journalière donc j'ai parlé cl-deOTus, qui biencô: entraîne la fociéré , le défordre & la parefîe , celles-là réveillent , font oublier les peines paQées & futures , réu- nifTent la jeunefTe , mais fous les yeux paternels , font naître les unions de convenance, les propo" fîtions de mariage , rappellent les fouvenirs d'antique fraternité & parenté.

Bien à propos les hommes a* voient-ils inventé les cérémonies bruyantes & autres agencemens futiles & pafïàgers d*une vie très- paOTagere , mais qui nous paroîtroit peut-être trop longue encore , fi nous la regardions fous fon vrai point de vue. L* ho ai me ne naît que pour travailler, pondre ,fouf- frir & mourir. Nous avons orné ce tronc informe & cadavéreux de feuillages empruntés , mais fans celfe renouvelles, & qui jouent à des yeux enclins à fe tromper eux- mêmes , la verdure naturelle ^

j^So Traité de la Population. durable. Les baptêmes , la ro virile, les noces , jufqLies aux fu- nérailles même , touc a pris pat les foins des Lé^iflateurs , hommes réfléchi (lanrs j un air de décora- tiorf 5 ôc cette perfpec^ive variée ô^ trompe afe nous cache le mur. Tout donc ce qui peut erre un remède contre raccablemenc , eft un ai- guillon au travail j nous Tavons dit ci - deiïiis. Tout auffi ce qui réunit la fociécé , &: nous fait fentir la néceiïîté & Tutilité des rapports <5ue nous avons. les uns aux au- tres 5 efl: un nouvel encourage- ment.

Les cailloux dans les rivières deviennent ronds & polis par frottement, les hommes fe civiîi- fenr par la fociété ; c'efl: un axiome que je n* ai pas inventé. Les Fêtes votives, procefîîons , pèlerinages du canton en un lieu dont on fête le Saint , & qui fe tient prêt à donner revanche à fes voifins , ont été encouragés par d'habiles Princes , comme Charles-Quint en Flandres , en Artois & autres. Je

Travail & Argent. 3 S r veux qu'il ait pu y avoir de Tabus à ces forces de chofes dans des temps grofîîers & 1*011 prenoit tout à la lettre ; mais aujourd'hui ne tombons- nous pas dans ledéfauE contraire ?

On eft tout étonné , quand il y a des illuminations dans Paris, de ne voir que des promeneurs dans les rues , & autour des fontaines de vin cinq ou lix malheureux por- teurs d'eau ivres , & rien de plus. Quelques gens à refrein difent i ç'ejl la misère qui attrifte le peuple. Pade pour la campagne , mais à Paris le peuple n'eft: miferable que volontairement , tout y trouve à travailler , & à gagner beaucoup ; maïs c'eft que tout le monde eft devenu Monfieur. Il me vient le Dimanche un homme en habit de dfoguet de foie noire & en per- ruque bien poudrée, & tandis que Je me confonds en complimens , il s'annonce pour le premier garçon de mon maréchal ou de mon bour- relier ; un tel Seigneur ira-t'il s'en? çanailler à daiiÇer dans le^ FUes 1

BOSTON PUBLIC LIBBARY

1111 11 11 IT'l

3 9999 05737 530 3

Itl

3 S 1 Traité de la Population .

Il eO: certain que ce peuple-là efl bien plus commoJe pour la Police. Cependant au fond la guinguette va ion train , guinguette (i ruineufe, comme je l'ai ditj pour l'ouvrier, C\ pénible à Tartifan en chef qui ne peut jouir de fes garçons , pernicieufe même pour le lende- main ; car on ne fçauroit croire combien de garçons maçons , char- pentiers, & couvreurs périiïent le lundi en voulant s'expoïer, la tête encore chargée de vin. J'en ai une fois rencontré trois en un même jour de lundi fur la civière en différents quartiers de Paris ; & quand dans un bâtiment coniîdé- rable on ne perd que dix ou douze hommes de la forte , ce n efl: pas trop. Mais Je veux enfin que touc ce peuple foit réellement philofo- phe 5 tant pis il d'ailleurs il con- fomme davantage , s'il efl plus lan- gui Ifant 3 s'il travaille moins. Or ces trois fi ne font plus en queftion.

En voilà allez, & plus qu'il n'en faut pour prouver que les Fêtes ne nuifent au travail j qu'autant quçf

V

la:: âevier;

■■ macliine' à la '::

n'en :.. que ce y peii

l'autre ces lu

lep:;> font i kit.. .

neuu

"a

■rie

' ■)

-r "M

■là-

...iC

I orr? en

n

OH

m

l'MKi Coî

Travail & Argent, 3S5

la tournure des mœurs de (impie devient compofce. Si nous pou- vions aller fans ceflTe comme des machines , il faudroit au pouce & à la ligne calculer le temps , & n'en pas perdre la minute ; mais il n*en eO: pas ainfi, & quelque haut que ce refTort fût monté, peut-être y perdrions-nous : car C\ d'une parc la nature demande du relâche , de Tautre Timagination & fes reffour- ees nous font quelquefois doubler le pas, de façon que nos fuccès ne font en nulle proportion avec nos forces. Les chevaux en ont plus que nous. Montluc , célèbre me- neur d'hommes & de chevaux , af- fûte qu'il a fouvent vu le bout de fa monture , & qu'alors il n'y a plus que foin & repos pour la faire aller ; qu'au contraire il a fouvent vu des hommes las , recrus , èc raourans de laiîicude au bout de vingt-quatre heures de traire , fans fubfitlance , fe réveiller fur une efpérance de gloire ou de butin , doubler la dofe de fatigue ,

fi.

3 s 1 Traité de la Population ,

Il eft certain que ce peuple-là eft bien plus commoJe pour la Police. Cependant au fond la guinguette va ion train , guinguette il ruineufe, comme je l'ai diCj pour l'ouvrier, fi pénible à l'artifan en chef qui xiQ peut jouir de fes garçons , fi pernicieufe même pour le lende- main ; car on ne fçauroit croire combien de garçons maçons , char- pentiers, 6c couvreurs périffent le lundi en voulant s'expoïer, la tête encore chargée de vin. J'en ai une fois rencontré trois en un même jour de lundi fur la civière en différents quartiers de Paris ; Se quand dans un bâtiment conndé- rable on ne perd que dix ou douze hommes de la forte , ce n eft pas trop. Mais Je veux enfin que tout ce peuple foit réellement philofo- phe , tant pis fi d'ailleurs il con- fomme davantage , s'il eft plus lan- guiiTant , s'il travaille moins. Or ces trois Jl ne font plus en queflion. En voilà afiez,& plus qu'il n'en faut pour prouver que les Fêtes ne îiuifenc au travail ^ qu'autant qu0

Travail & Argent, 3S5

!a tournure des mœurs de fîmple devient compofée. Si nous pou- vions aller fans ceffe comme des machines , il faudroit au pouce & à la ligne calculer le temps , de n'en pas perdre la minute ; mais il n*en eft pas ainfi, <S^ quelque haut que ce relTort fût monté, peut-être y perdrions-nous : car d'une parc la nature demande du relâche , de Fautre l'imagination & Tes reffour- ees nous font quelquefois doubler le pas, de façon que nos fuccès ne font en nulle proportion avec nos forces. Les chevaux en ont plus que nous. Montluc , célèbre me- neur d'hommes & de chevaux , af- fure qu'il a fouvent vu le bout de fa monture , & qu'alors il n'y a plus que foin & repos pour la faire aller ; qu'au contraire il a fouvent vil des hommes las , recrus , & raourans de laiîuude au bout de vinet-quatre heures de traire, fans fubfillance , fe réveiller fur une efpérance de gloire ou de butin , §c doubler la dofe de fatigue ,

3 §4 Traité de la Population, comme s'ils eufTenc été frais. En- courageons donc le travail, & nos hommes auront quatre bras ; c*eft le feul & unique tecrec , car tout eft jour de Fête pour un pare(- feux.

Apres ces incur(îons fur les dé- tails du travail , reprenons le fom- maire de ceux de mes principes que f ai établis jufqu'ici fur la qua- lité didindive des métaux. Si vous leur permettez de s'établir comme riche (Te , vous errez dans le prin- cipe, vous périrez par les confé- quences ; (i vous les regardez au contraire comme agent , dont le miniflere ell néceflaire5<&: donc la rnadè doit être en proportion de la quantité de matières dont il doit accélérer la produdlion en aidant à les débiter , vous êtes dans le vrai. Le fang qui circule dans les veines ell: le principe de la nutri- tion univerfelle ; mais s'ilfurabonde & forme dépôt, il entraîne la cor* fuption & la mort.

PéiQurnez donc la \^uë des lieux

Travail & Argent. 3 S5 l'on reGherche les mines & la

Îjoudre d'or -, laifïèz aux aveugles . e foin de s'enfevelir dans les en- trailles de la rerrcj c'eft fa furface qu'il faut couvrir & vivifier.

Les richeflfes fe trouvent par* lesrîc&eiîes

\ •! Il A 1 fe trouveac

tout OU 11 y a des hommes. A la p^r tout oîï referve de quelques foibles mines ïi y » «iss d'argent & de plufieurs mines de ^°°^°^"' fer, l'ancienne Gaule n'avoit qu@ peu ou point de métaux. Enviroiï-; née de toutes parts , ou de Barbares comme elle, ou des Romains qui* toujours frappés du fouvenir des anciennes invafions des Gaulois ^ auroient voulu que les barrières qui les féparoient fuflèni à Jamais . impénétrables y elle n avoir pareil lement aucurt commerce , û l'on tm excepte le plomb & rétaim. de Is Bétiqae, que les nations commer- çantes tiroieot par les ports de la Méditerranée > & qui conféquem- ment dévoient être entrés daos la^ Caule, par (es ports fur l'Océan* \ Cependant Torique Ce far ea £t la conquête ^ il en tira affèz d'^ot ^m L Partie

^$6 Traité de la Population, corrompre fa patrie avant de l'avoîk: foumife , & pour acheter tant de partifans dans Rome déjà enrichie 3e tous les thréfors de TAfrique , de la Macédoine , & fur-tout de Topulente Afie. Céfar, quoique rhomme de fon temps le moins fcrupuleux fur les moyens , ne nous a pas été tranfmis comme con- cufîîonnaire : il le fut réellement» ■fi Ton confidére les chofes avec les vues de jufïice Se d'humanité qui nous font familières aujour- d'hui ; mais par comparaifbn avec Tufage reçu par fes contemporains & par tous les Grands de cette infatiable République , il peut à cet égard pafler prefque pour mo- déré j les Gaules lui furent toujours fidèlement attachées dans les c'ifFc- r entes viciflîtudes de fa rapide for- tune, ce qui prouve qu'il n'ett avoir pas tyrannifé les peuples; en un mot 5 on ne voit point de tra- ces de fes rapines dans leç Gaules^; èc Caflîus fon meurtrier, quoique parvenu Jufqu^à nous avec la faveur

Travail & Argent, 3S7 d'un libérateur de la patrie , pa(Iè pour avoir cruellement pillé TAfie pour parvenir au maintien de foa parti. On peut répondre que Céfar qui donnoit tout pour tout acqué- rir , & qui rçavoit donner avec les grâces fupérieures de la nature & de refpric dont il étoit doué y faifoit de rien quelque chofe , & qu'il fortit des Gaules tellement pauvre qu*il fut obligé pour (om début de choquer tous les préjugés éQÇ3i patrie, en forçant & pillant îe thréfor public. Sans entrer dan& cette difcufîîon de détail , je me contente de renvoyer au récit de fes quartiers d'hiver à Riminî, oit Home entière venoit grofîir fa. Cour 5 &■ s'en retournoir comblée ^ aux dérails des diiîîpatîons de fés principaux fatellites , les Oppius ^ îes Baibus , les Antoine , les Do^ îabella. Cefar conquérant & Ceîâr politique font deux hommes ; îa fortune îe mena plus loin- qu'il ne penfoit aller; comme conquérant 3, le fer ^ Tâdivité furent fes (fûtm

3 S S Traité de la Population. armes ; comme politique , il fêmbfe avoir trouvé les iburces l'or.

D'où venoient donc ces richefles dans des pays encore i fol es ? Uni- quement de Timmenfe population qu'il y trouva établie. On eft efFrayé des détails de cette efpece qu'on lit dans les Commentaires. Je le répète . par tout il y a des hommes . il y a des richefles j les riche iTes n'étant que les chofes né- cedàtres à la vie , ou leur repré- fentatif. Les métaux ne font que le figne des valeurs s il n'y a point d'hommes > il n'eft de valeur à rien ; & les métaux fe trouvent dans des climats déferts , ils cou- lent bien vjte fe répandre aux lieux la nécelîité du troc leur fera trouver leur place.

Dans la Partie fuivante , nous allon? entrer dan^ l'examen des différents ufages qu'on peur & qu'on doit faire de l'or , &c traiter des moyens d'accélérer fa rapidité 3 de la diriger de façon qu'il circule fans eefle fans corroder ni faire

Travail & Argents ^^ dépôt. La carrière va s'ouvrir , ôc les grands objets (e développer pro- grèÛivement à notre vue. Qu'il me foit permis de finir cette Partie-ci comme Je l'ai commencée, en re- commandant la population ôc Ta-; griculture.

Les finances font le nerf d'un Etat , il eft vrai ; mais l'or n'eft qu'un métal : il ne devient richede qu'en paflfant par les mains des hommes. Donnons des hommes à un Etat 5 s'ils n'ont de l'argent , ils en feront venir. Des tonnes d'or ne bougeront de place , fi perfonne ne les remue. Un homme , comme les B. ^"^ Ôc les P. **,^ fournira à fott Prince des facilités pour lever & entretenir des armées en Suéde. Ce met fuffit pour rappeller la ré- flexion j qu'il entre plus d'hommes que d'argent dans ce qu'en appelle les finances.

Les Efpagnoîs , on le fçait , ont eu feuls pendant long temps les fources de l'or, A quoi leur ont- filles fervil qu'à fe perdre en prQ«»

^90 Trahi de la Fopuiathm jets imagirraires , & à fe dépeupler de façon à ne s'en relever de long- temps. Si les Gafçons & les Limou- fins ne vom faire la récolte en EC- pagne, les naturels du pays mour- ront de faim ; s'ils y vont , ils en emportent tout Tor , Ôc ainfî du refte. Quand le pays fourmillera d'hommes, les fervices y feront payés moins , puifqu'il y aura plus de gens ayant befoin d'emploi r augmentation de finances. Ces in- duàions fuffifent pour faire fentir que e'eft mal entendre les finances 5, que de croire les améliorer par l'augmentation des revenus de l'E- tat, fi elle n'eft une fuite de l'ac- croiffèment de fa force; que cette force confifte uniquement dans 1^ population ; & qu'un Prince qui? s*appauvriroit pour aider cette po- pulation, mettroit fon argent à uns l)ien gros intérêt. Or j'ai trouvé ce fecret; Je le donne gratis , Se Fexécution n'en coûtera qu'un peut ^attention; r aime^j honore^ Va'- gricuàure^ e^eit le foyer ^ ce {ont

Travail & Argent, 351 les entrailles , & la racine d'un Etar^ Nouveau Cadmus , les hommes^ fortiront pour vous du fein de la terre , & ne fe battront pas ^ comme firent ceux de ce temps-là*.

Tin de la première Partie^

ï

i^«

<u

A^

\