■f#s. *aJPîii.i«rK' ié 4 s/*.. THE LIBRARY The Ontario Institute for Studies in Education Toronto, Canada H LILIEi RELiEi i< , Kuc Tainc. Paris l\/0^ e lia liaissanee de l'Intelligence lUIOOFFA lY mm 8819968 PRINCIPALES PUBLICATIONS DU MÊME AUTEUR L'Évolution du pigment. 1 vol. df l.i nibliothcquc Scientiu, 1901. Des Mécanismes respiratoires chez les Crustacés, essai de physiologie évolutive. Bulletin scicnh'/ifjve dv la Francr et de la lie/fjitjue, 11)01. Attitudes et mouvements des Annélides. essai de psycho- physiologie élhologique, Annales des sciences tialnrelles, i90{;. Les Convoluta et la théorie des causes actuelles, Bulletin du Mvseum, 1903. Introduction à la psychologie des animaux à symétrie rayonnée, 2 vol. in-8°, Institut "psychologique, 1907. Attractions et oscillations des animaux sous linfluence de la lumière. 1 vol. in-'i", Inslilul psycUologi'iU', 1905. Impulsions motrices d'origine oculaire, 1 brojchure in-8'', Institut psychologique, 1905. De l'Évolution des connaissances chez les animaux marins littoraux, 1 vol. in-S", Institut psychologique^ 1903. Bibliothèque de Philosophie scientifique D GEORGES BOHN La Naissance de l'iDtelligeDce Ouvrage illustré de 40 figure?. PARIS ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26, RUE RACINE, 26 1909 Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède el la Norvège. Published, Paris, le 24 mars 1909. Privilège of Copyright in the United States reserved under llie Act approved March 3, 1905, • by Ernest Flammarion, Paris. Publié à Paris, le vingt-quatre mars mil neuf cent neuf. I^rivilège du droit d'auteur aux États-Unis, réservé en vertu de la loi sanctionnée le 3 mars 1905, par Ernest Flammarion, ôditour à Paris. La Naissance de l'Intelligence INTRODUCTION Je dédie ce livre à la mémoire de mon regretté maître, le professeur Alfred Giard, qui, encore quelques jours avant d'être frappé par le terrible mal qui l'a enlevé, me donnait des conseils pré- cieux pour la rédaction des pages qui suivent, et dont les idées appliquées dans le domaine de la psychologie se sont montrées si fécondes. H y a vingt ans, Giard luttait pour l'introduc- tion de la notion d'évolution en biologie, et cher- chait à faire connaître en France l'œuvre oubliée de Lamarck et celle si mal comprise de Darwin. Depuis quelques années, Giard avait reconnu la nécessité de lutter à nouveau en France : cette fois pour la conquête scientifique de la psychologie animale ; la lutte était d'ailleurs déjà engagée en Amérique, et son champion n'était autre que l'il- -^ lustre biologiste américain Jacques Loeb. Alors il m'est venu l'ambition de contribuer à mon tour à -C \.\ NAISS.VN( i I^TELUGENCE la rénovation de celle science qui, à mon sens, olTre tant d'aUrails pour un biolo^risle, car elle lient à la lois de la morphologie et (\o la j)hysio- logio, (!»' l'élhologie > ' '' la scien<< Me lï'vo- lulion. Dans cet oiivra^^'e, j'ai été conduit à exposer les premiers r(''sullats acquis ; mais pour le moment il s'agit encore plus de démolitions que de reconstruc- tions. Peu importe d'ailleurs. Un autre lutteur des temps modernes, le docteur Gustave Le lion, a dit justement dans son beau livre, Vh'oolution des forces : (( L'homme moderne détruit plus vite qu'il ne bâtit. Les legs du passé ne sont que des ombres. Les dieux, les idées, les dogmes et les croyances s'évanouissent tour à tour. Avant que puissent s'élever de nou- veaux édifices capables d'abriter nos pensées, bien des ruines devront s'amonceler. Nous sommes encore dans un âge de destruction el par consé- quent d'anarchie. Hienheurcuseinent nrsl plus favo- rable au pror/rcs scientifique que celte a)tarchie. » Ici nous nous désintéresserons du passé de la psychologie comparée qui, d'ailleurs, est une science très vieille. De tout temps, on s'est préoc- cupé en effet du problème de l'intelligence des animaux ; on a essayé de le résoudre, en recourant tout d'abord au raisonnement pur, puis à l'obser- vation des laits, enfin à l'analyse expérimentale de ces faits ; en même temps, on a élargi le champ des investigations qui était, au début, limité à quelques animaux sui>érieurs: les êtres inférieurs se sont montrés parîicnlirrpmont préiMeux poi^r INTRODUCTION O rétude analytique, et c'est maintenant par eux, et non par l'homme, que l'on commence. Je consa- crerai seulement quelques pages à l'histoire de la psychologie animale'. Tout ce passé métaphysique n'a plus guère d'intérêt ; et d'ailleurs nous ne le connaîtrons que trop quand nous aurons essayé d'étouffer toutes ses survivances. Cependant, j'exa- minerai longuement les idées de Lamarck, car cela n'est pas du passé : c'est du présent, c'est môme presque de l'avenir : on sera émerveillé en constatant une fois de plus que notre illustre évo- luLionniste avait eu toutes les intuitions. Au milieu des ruines, le lecteur, je l'espère, verra déjà s'élever des constructions nouvelles. Quelques chapitres, ceux consacrés aux rythmes vitaux, à la sensibilité différentielle^ figurent pour la première fois dans un livre de psychologie comparée. Pour ces phénomènes, comme pour le pouvoir associatifs — qui se manifeste dans l'ac- quisition de beaucoup d'habitudes et qui, en se perfectionnant, a conduit à l'intelligence, apanage des seuls animaux supérieurs, — j'ai pu donner déjà quelques lois. Leur application à des cas simples chassera, je veux le croire, du domaine des ani- maux inférieurs certains fantômes tels que la « volonté », dont continuent à user les derniers défenseurs de la métaphysique. Après une étude analytique détaillée des activités 1. Ou la trouvera exposée dans le livre de P. Floiirens : De l'Instinct et de t'Inteltifjewe des animaux, dont la pi-emière édition date de 18il. I \ \ \ I ^ ^ \ \ < animales, j'essayerai de doiiiier uiu vue d'en- semble sur l'évolution probable du psychisme; et alors du domaine des faits, je passerai dans celui des hypothèses. On ne doit [tas condam- ner celles-ci quand elles cadrent avec les faits déjà existants et conduisent à découvrir des fait- nouveaux. L'essentiel est de toujours séparer nettement ce qui est faits de ce qui est hypo- thèses. Au cours des divers chapitres de ce livre, je me suis elîorcé de ne pas oublier un instant cette si juste déclaration du D*" Gustave Le Bon : « Ce qu'il y a de plus dangereux peut-être pour l'avancement de l'esprit humain, c'est de pré- senter aux lecteurs des incertitudes comme de- vérités indiscutables. » LIVRE I LES DIVERSES TENDANCES DE LA PSYCHOLOGIE ANIMALE CHAPITRE I Quelques mots d'historique. Les opinions des anciens relatives à l'intelli- gence des bêtes n'ont guère d'intérêt, car elles ne sont que fort peu basées sur l'observation des faits. Flourens lui-même, tout Iraditionnaliste qu'il est, ne rapporte que celles d'Aristote et de Plutarque. Ces auteurs envisagent la question beaucoup plus en moralistes qu'en naturalistes. Si Plutarque exalte les bêles, c'est, comme il le dit lui-même, pour faire honte aux hommes ; dans son petit traité : Que les testes usent de la liaison, il fait dire à Gryllus, changé en pourceau par Gircé, que « l'âme des animaux est mieux disposée et plus parfaite que celle de l'homme pour produire la 1. '» I A NAISSANCE 11 I INTEI-I.IGENCE veiiii... » Pour Arislolc, « il se trouve, dans la plupart des bêtes, des traces de ces alTections de rùme qui se niontrc^it dans l'homme d'une ma- nière plus marquée; on y distingue un caractère docile ou sauvage, la douceur, la férocité, la géné- rosité, la bassesse, la timidité, la conliance, la colère, la malice... ; on aperçoit même dans plu- sieurs quelque chose (|ui ressemble à la prudence réfléchie de l'homme ». Mais si l'homme, relati- vement à quelques-unes de ces qualités, a plus (jue les botes, parfois c'est la bête qui a plus que riiomme ; Aristote n'établit aucune barrière entre l'homme et l'animal ; comme dans d'autres do- maines, il voit ici des analogies, des degrés, des imances; dans son Histoire des animaux^ il déclare (jue : « Ce n'est point aller contre la raison de dire qu'il y a entre l'homme et les animaux des facultés communes, des facultés voisines et des facultés analogues ». Aristote, d'ailleurs, n'avait pas été sans observer les mœurs des bétes : V Histoire des animaux renferme des faits curieux, relatifs même à des classes encore aussi peu étudiées que celles des poissons et dos cétacés ; les remarques les plus nombreuses concernent les mammifères : ainsi « la brebis est le plus imbécile des quadru- pèdes, » et « de tous les animaux sauvages, le |)lus doux et le plus facile à apprivoiser est l'élé- phant ; il a de l'intelligence et on lui apprend beau- coup de choses... ; ses sens sont exquis, et il sur- passe les autres animaux en compréhension » Montait:no.dnn^ -*»- /•'^^•^/ I \ ^\l»^^CE \>r i 'intellicence déclare : « Le point esseiiliel du carlésiaiiisme, et comme la pierre de louche dont vous vous servez, vous autres, chefs de parti, pour reconnaître les fidèles disciples do votre grand maître, c'est la doctrine des automates, qui lait de [Mires machines de tous les animaux, en leur ôlant tout sentiment et toute connaissance. Ouiconquo a assez d'entête- ment pour ne trouver nulle difficulté à ce paradoxe a aussitôt votre agrément pour se faire partout honneur du nom de cartésien. Ce seul point ren- ferme ou suppose tous les principes et tous les fondements de la secte... Avec cela il est impos- sible de n'être pas cartésien, et sans cela il est impossible de l'être. » L'opinion du pur automatisme des animaux a été combattue par bien des écrivains. Les vers de La Fontaine sont souvent cités: Us disent donc Que la bête e^t une machine; Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts : Nul sentiment, point dame; en elle tout est corps. Toile est la montre ciui chemine A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein. Ouvi-ez-la, lisez dans son sein : Mainte roue y tient lieu de tout Tesprit du mohde; La première y meut la seconde; I ne troisième suit : elle sonne à la fin. Au dire do ces gens, la bêle est toute telle. L'animal se sent agite Do mouvements que le vulgaire appelle Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle, Ou «|uel(|ue autre de ces états. Mais ce n'est point cela : ne vous y tromi)ez pas. Qu'est-ce donc .* Une montre QUELQUES MOTS d'hISïORIQUE H La Fontaine proteste : Qu'on m'aille soutenir Que \g=> IxHes n'ont point desprit! Pour moi, si j'en étais le maître, Je leur en donnerais aussi bien qu'aux enfants. C'est là un des épisodes les mieux connus de la lutte entre les cartésiens et les anticartésiens. Moins connus sont toute une série de livres sur râmc des bêtes, en particulier ceux des Pères Pardies, Boullier, Daniel et Boujeant. Ce dernier est Tauteur de VAmusemeut philosophique sur le langage des bêtes : c'est un badinage ingénieux, une critique fine de l'opinion de Descartes ; Descartes refuse aux bêles tout esprit, le Père Boujeant leur en trouve tant, qu'il veut que ce soit des diables (jui le leur fournissent. J'ai indiqué plus haut que, d'après Flouren?, l'automatisme des bêtes de Descartes ne serait pas de l'automatisme pur : il ne serait pas si éloigné qu'on le pense de l'automatisme mixte de BulTon : « Si je me suis bien expliqué, dit celui-ci dans ses Dis- cours sur la nahire des animaux, on doit avoir vu que, bien loin de tout ôter aux animaux, je leur accorde tout, à l'exception de la pensée et de la réflexion : ils ont le sentiment, ils l'ont même à un plus haut degré que nous ne l'avons; ils ont aussi la conscience de leur existence actuelle, mais ils n'ont pas celle de leur existence passée; ils ont des sensations, mais il leur manque la faculté de 12 LA .NAli.>5A.\LL UL L I.NIKLI. comparer, c'cst-à-dirc la puissance l\ NAISSANCE DK i. l.M i i i h.La<,l périeiH es, »les observations faîtes avec lanl d ail, une logique si sage, que je résolus (riUmlior parli- culièrcment ce célèbre auteur, pour nous former, mon lecteur et moi, à son »^('olf (Imus rnrt si flif'fi- cile d'observer la nature. . . N'est-ce pa^« là la meilleure preuve du génie de Héaumur, celle d'avoir réussi à transformer un aveugle en un observateur des plus remarquables? Ne faut-il pas aussi louer François Ilnberqui a su résister à la tentation de philosopher sur des faits non observés par lui, tentation à laquelle il semble qu'un aveugle ne puisse pas résister ? Avec lui, combien nous sommes loin des philosophes tels que Descartes qui, avec des yeux, n'ont rien su voir du monde extérieur. .J'ajouterai que Pierre Iluber. fils du précédent, est aussi célèbre par V/fistoire des Fourmis que son père l'est et le sera toujours par YHtsloire des Abeilles. Ce que Réaumur et les Iluber furent pour les insectes, Georges Leroy et Frédéric Cuvier le furentpour les animaux supérieurs. Georges Leroy était lieutenant des chasses des bois de Versailles et de Marly ; il collabora à Y en- cyclopédie, à laquelle il donna en particulier l'ar- ticle//?5/?>îc/ ; il doit être considéré comme l'un des principaux représentants de la grande école philosophique du xviii' siècle, celle de Diderot et de Hume ; ce qui le caractérise, d'après le D"" Ro- binet qui a réédité ses lettres, c'est une complète l'observation des faits en psychologie 17 émancipation Ihéologique et politique. En place de Grève, on venait de brûler un livre d'Helvétius, De VFsprit, ouvrage condamné par la Sorbonne, par la Cour de Rome, par le Parlement de Paris ; G. Leroy protesta, bien que ne partageant pas les idées d'Helvétius, au nom de la tolérance et de la dignité philosophique ; mais bientôt, au nom de ces mêmes principes, c'est à Voltaire, qui venait de critiquer d'une façon acerbe Ilelvétius, qu'il osa s'attaquer. C'est à Georges Leroy que nous devons le pre- mier livre de psychologie animale, intitulé : Lettres philosophiques sur l'intelligence et la perfec- tibilité des animaux. Ces lettres sont du plus haut intérêt, et il est regrettable qu'elles soient tombées dans l'oubli. Elles parurent de 1762 à 1781 ; la plupart sont adressées à la comtesse d'Angiviller, une des femmes les plus éminentes du temps. G. Leroy a beaucoup observé les animaux supé- rieurs; les considéralions qu'il développe sont des plus intéressantes : il réfute l'automatisme des bêtes; il tire de nombreux arguments do « l'édu- cabilité des animaux » et de « leur perfectionne- ment par l'hérédité ». L'erreur qui coui-iste à opposer l'un à l'autre l'instinct et Tintelligence n'apparaît pas encore avec ses conséquences fâcheuses ; Flourens s'en désole; Rémy de Gour- mont, qui récemment a dénoncé cette erreur dans sa Physique de Vamour, s'en serait réjoui. C'est Frédéric Cuvier, au contraire, qui a consacré cette opposition. Appelé à Paris vers l'*^ LA .\\ISS.\N< 1 I imi;i,i.i(;i:n< li 1800 par son frère (ieorges Cuvicr, il lut chargé CM iSO'j de la ménagerie du Jardin dos liantes. (i. I.t'ioy avait écrit : « l.c naturaliste, après avoir bien observé la .structure des parties, soit extéri(uires. soit intérieures des animaux, et deviné leur usage, doit quitter le scalpel, abandonner son cabinet, s'enfoncer dans les bois pour suivre les allures de ces êtres sentanLs, juger des développe- ments et des effets de leur faculté de sentir, et voir comment, par l'action répétée de la sensa- tion et de l'exercice de la mémoire, leur instinct s'élève jusqu'à Tintelligence. » Or, d'après son grand admirateur, Flourens, Fr. Cuvier fut au milieu de Paris ce que G. Leroy voulait que son naturaliste fût au milieu des bois; pendant trente ans, il observa les animaux supérieurs sans idées préconçues. Il établit une échelle de l'intelligence chez les mammifères; en haut se trouvait l'orang- outang, auquel, à la suite d'observations qui sont restées célèbres, il accorda « la faculté de généra- liser ». CllAPITUt: III Les idées de Lamarck en psychologie. L'observation des faits eut cependant une consé- quence fâcheuse : elle entraîna un nouvel envahis- sement de l'anthropomorphisme. C'est alors que surgit Lamarck. Ce savant de génie eut toutes les intuitions. Il n'a pas seulement imaginé la théorie de l'évolu- tion. C'est à lui que nous devons le mot de biolo- gie; c'est lui quicompritle premier toute l'impor- tance que devait prendre la science de la vie. Les relations de la biologie et de la psychologie, loin de lui échapper, ont été une de ses préoccupations dominantes: il avait fait en quelque sorte de la psychologie comparée une des bases de la bio- logie évolutive; et, dans la troisième partie de la Philosophie zoologiqiie^ intitulée : « Considérations sur les causes physiques du sentiment, celles qui constituent la force productrice des actions, enfin 1. Lamaiujv : Philosophie zooloffique, nouvelle édition par (lli. Manins, 2 volumes. Paris, 1873. 20 I \ NAISSANCE DE l/lNTELLlGENCL celles (|ui donnent lieu aux actes (rinlelligence qui s'observent dans dilTérents animaux », ii émet et développe un certain nombre d'idées qui peuvent être reprises et servir de fondements à la psychologie moderne. Lamarck commence par protester contre cette affirmation que « les fondions du cerveau sont d'un autre ordre (jue celles des autres viscères ». 11 relève en particulier ce passage dun Rapport à V Institut sur un Mémoire de MM. (iall et Spitrz- heim : « Les fonctions du cerveau sont d'un ordre tout différent : elles consistent à recevoir, parle moyen des nerfs, et à transmettre immédiatement à Yespril les impressions des sens, à conserver les traces de ces impressions, et à les reproduire avec plus ou moins de promptitude, de netteté et d'abondance, quand Vcsprit en a besoin pour ses opérations, ou quand les lois de l'association des idées les ramènent^ enfin, à transmettre aux mus- cles, toujours par le moyen des nerfs, les ordres de la volonté... » Lamarck se demande ce que c'est que cet être particulier qu'on nomme esprit, être singulier qui est en rapport avec les actes du cerveau, de manière que les fonctions de cet organe sont d'un autre ordre que celles des autres organes de l'individu. Il ne voit, dans cet être fac- tice, dont la nature ne lui olTre aucun modèle, qu'un moyen imaginé pour résoudre des difficultés que l'on n'avait pu lever, faute d'avoir étudié suf- fisamment les lois de la nature. Souvenons-nous de cette déclaration : nous ren- LES IDEES DE LAMARCK EN PSYCIîOLOfllE 21 contrerons souvent encore de nos jours des au- teurs qui chercheront à dissimuler le défaut d'ana- lyse dans leurs observations et expériences, en se servant des épilhètes : « psychique », « volon- taire ». l^our Lamarck, on ne saurait douter que les actes d'intelligence ne soient uniquement des faits d'organisation, « puisque, dans l'homme même, qui tient de si près aux animaux..., il est reconnu que des dérangements dans les organes qui pro- duisent ces actes, en entraînent dans la production des actes dont il s'agit, et dans la nature même de leurs résultats ». La psychologie est la science des fonctions du système nerveux- ce qu'on est convenu d'appeler évolulion psychirjue résulte du pèrfr.clionnemeiil progressif du système nerveux. Lamarck retrace celui-ci de la façon suivante (ch. I, p. 210) : « De même que les organes spéciaux que pos- sèdent les animaux dans leur organisation furent formés successivement, de même aussi chacun de ces organes fut composé, èomplété et perfectionné progressivement, à mesure que l'organisation ani- male parvint à se compliquer; en sorte que le système nerveux, considéré dans les différents ani- maux qui en sont munis, se présente dans les trois principaux états suivants. « A sa naissance, où il est dans sa plus grande imperfection, ce système paraît ne consister qu'en divers ganglions séparés qui communiquent entre IV XAlSSANTi; 1.1 I INTELLIGENCE CUV par des filets, el (jiii en envoient d'autres à lerlaines parties du corps : alors il n'olVre point de cerveau, et ne peut donner lieu, ni à la vue, ni à l'ouïe, ni peut-être à aucune sensation véritable; mais il possède déjà la fac'ulté d'exciter le mouve- ment musculaire. Tel est apparemment le si/slhnr norvcux des radiairm. « Plus perfectionné, le synU'inc nerveux pré- sente une moelle longitudinale noueuse el des filets nerveux qui aboutissent aux nœuds de cette moelle; dès lors le ganglion qui termine antérieu- rement ce cordon nerveux peut être regardé comme un petit cerveau déjà ébauché, puisqu'il donne naissance à l'organe de la vue, et ensuite à celui de l'ouïe; mais ce petit cerveau est encore simple et privé de Vhyporéphale, c'esl-à-dire de ces hémisphères plicatiles qui ont des fondions par- ticulières à exécuter. Tel est le système nerveux des insectes, des arachnides et des crustacés, ani- maux qui ont des yeux, et dont les derniers cités offrent déjà quelques vestiges de l'ouïe : tel est encore celui des annelidcs et des cirripèdes, dont les uns possèdent des yeux, tandis que les autres en sont privés. « Les mollusques, quoique plus avancés dans la composition de leur organisation que les animaux dont je viens de parler, se trouvant dans le pas- sage d'un changement de plan de la part de la na- ture, n'ont ni moelle longitudinale noueuse, ni moelle épinière; mais ils offrent un cerveau, et plusieurs d'entre eux paraissent posséder le plus LES IDEES DE LAMARCK EN PSYCHOLOGIE 23 perfectionné des cerveaux simples, c'est-à-dire des cerveaux qui sont dépourvus d'hypocéphale, puis- qu'au leur aboutissent les nerfs de plusieurs sens particuliers. S'il en est ainsi, dans tous les animaux, depuis les insectes jusqu'aux mollusques inclusi- vement, le système nervpux produit le mouvement musculaire et donne lieu au sentiment; mais il ne saurait permettre la formation des idées. <( Knfin, beaucoup plus perfectionné encore, le système nerveux des animaux vertébrés offre une moelle épinière, des nerfs et un cerveau dont la partie supérieure et antérieure est munie acces- soirement de deux hémisphères plicatiles, plus ou moins développées, suivant l'état d'avancement du nouveau plan. Alors ce système donne lieu non seulement au mouvement musculaire, au sentiment et à la faculté d'éprouver des émotions intérieures, mais, en outre, à la formation des idées, qui sont d'autant plus nettes et peuvent être d'autant plus nombreuses, que ces hémisphères ont reçu de plus grands développements. » Ainsi se trouvent retracées, d'une façon très nette déjà, à la fois l'évolution du système nerveux des animaux et leur évolution psychique. 11 faut re- marquer que Lamarck est un des rares évolution- nistes qui aient été conséquents avec eux mêmes : l'évolution psychique accompagne l'évolution orga- nique; l'ensemble des phénomènes si complexes que l'on a coutume de désigner sous le nom d'in- telligence ne se rencontre pas encore chez les ani- maux inférieurs. Pour qu'il y ait intelligence, il ~« IV NAISSANCE II I INTELLIGENCE r.'iul (ju'il y ail lorgane spécial dans lequel s'éla- borent des idées complexes, des pensées, des com- paraisons, dis jugements, etc. Cet organe, c'est le cerveau des animauj- à vertèbres : mais chez les j)oissons et les reptiles, le cerveau, qui ne rem- plit pas entièrement la cavité du crâne, est encore très imparlail, et les actes d'intelligence sont extrêmement bornés; chez les oiseaux et les mam- mifères, au contraire, l'organe et les différents actes de lintelligence atteignent une grande per- fection, et il est alors possible de parler de « vo- lonté ». Lamarck, en n'attribuant l'intelligence et la vo- lonté qu'aux seuls animaux supérieurs, a su éviter le danger anthropomorphique, dans lequel sont tombés Darwin et ses disciples, et que nous avons encore à combattre. A cet égard, le chapitre VI, « de la volonté », est tout à fait remarquable ; il devrait être lu par ces jeunes philosophes aux pré- tentions scientifiques, qui attribuent à tort et à travers « la volonté » aux animaux inférieurs sous le seul prétexte que certains des actes de ces ani- maux varient suivant les circonstances. « Je me propose de prouver, dans ce chapitre, dit Lamarck, que la io/om/^', qu'on a regardée comme la source de toute action dans les animaux, ne peut avoir d'existence que dans ceux qui jouis- sent d'un organe spécial pour Tintclligence, et qu'en outre, à l'égard de ces derniers, ainsi qu'à celui de l'iiomme lui-même, elle n'est pas toujours le principe des actions qu'ils exécutent... La vo- LES IDEES DE LAMARCK EN PSYCHOLOGIE ^O lonlc esl le résultai immédiat d'un acte d'intelli- <^ence, elle est toujours la suite d'un jugement, et par conséquent d'une idée, d'une pensée, d'une comparaison, ou d"un choix, que ce jugement détermine. » Si la Yolont^J est le résultat d'un acte intellectuel, il est évident que les animaux qui n'ont pas un organe pour Tintelligence ne sauraient exécuter un acte de volonté. Cependant ces animaux agissent, c'est-à-dire exécutent tous, en général, des mou- vements qui constituent leurs actions. Il y a donc plusieurs sources différentes dans lesquelles les actions des animaux puisent les moyens qui les produisent. PourLamarck, il y aurait trois sources distinctes pour les actions des animaux, à savoir : 1° les causes extérieures qui viennent exciter l'irritabilité de ces êtres ; 2° le sentiment intérieur qu'e des sensations émeuvent ; 3° enfin, le môme sentiment recevant ses émotions de la volonté. On regardait la volonté comme la source de toute action chez les animaux, et voilà que Lamarck vient à dire que chez certains animaux, les plus inférieurs, les causes excitatrices des mouvements proviennent uniquement de V extérieur : les milieux environnants les fourniraient. Une fois de plus, le génie de Lamarck, fait d'intuitions, se révèle à nous. Un siècle plus tard, cette vue tombée dans l'oubli sera reprise par une autre pensée géniale, celle de Jacques Loeb. On sait que l'illustre biolo- 3 26 LA NAISSANCE DE r/l\TELLlGENCE giste américain a donni', il y a (l(\jà iino vingtaine d'années, la démonstration expérimentale de ce fait que chez beaucoup d'animaux inférieurs les mouvements résultent directement de certaines forces (In milieu extérieur, telles que la pesanteur, la lumi«3re; de là est sortie la notion nouvelle des tropisniea, on attractions des êtres vivants par les forces extérieures, dont la considération est capi- tale dans la psychologie scientifique. Lamarck avait entrevu cette notion des tropismes, et en parti- culier avait parfaitement distingué lephototrupisme, ou attraction par la lumière, de la vision. Le passage suivant est tout à fait remarquable à cet éirard. « En vain, dit-il, objecterait-on que la lumière fait des impressions remarquables sur certains corps vivants qui n'ont point d'yeux et qu'elle alfecte néanmoins : il sera toujours vrai que les végétaux, et (jue quantité d'animaux, tels que les poly{)es et bien d'autres, ne voient point quoiqu'ils se (lirigenl vers le côté d'où vient la lumière, et que ces ani- maux ne sont pas doués du sentiment, quoiqu'ils exécutent des mouvements lorsque quelque chose les irrite ou irrite certaines de leurs parties. » (p. 233.) Une distinction fondamentale de la psychologie moderne est celle qui a •'•té établie par Loeb, entre les tropismes et les phénomènes associatifs. Les tropismes trouvent leur explication en invo- quant la simple irritabilité de la matière vivante, n'exigent pas l'intervention du système nerveux, et n'impliquent pas forcément de sensations de la LES IDÉES DE LAMARCK EN PSYCHOLOGIE 27 part de l'animal ; les associations, an contraire, se font entre sensations et au sein du système nerveux. Or, Lamarck avait déjà entrevu cette distinction. A maintes reprises, il insiste sur la nécessité de bien distinguer Virritabiliié de la faculté de sentir. « Les conditions qu'exige la pro- duction du sentiment sont, dit-il, de toute autre nature que celles qui sont nécessaires à l'existence de rirritabilité. » L'irritabilité n'exige aucun organe spécial ; la production du sentiment néces- site, au contraire, « la présence dun organe parti- culier, toujours distinct, compliqué et étendu dans tout le corps de l'animal^); il se compose de « deux parties distinctes et essentielles, savoir : 1° d'un foyer particulier, ou foyer de sensations, qu'il faut considérer comme un centre de rapports, et où se rapportent effectivement toutes les inrpres- sions qui agissent sur nous ; 2° d'une multitude de nerfs simples, qui partent de toutes les parties sensibles du corps, et qui tous viennent se rendre et se terminer au foyer des sensations ». Grâce à un pareil système d'organes, toutes les parties du corps, ou à peu près, participent également à chaque impression faite sur certaines d'entre elles. Le système nerveux est un appareil dliarmonisation . Lamarck voit également dans le système nerveux une sorte A' accumulateur de Vénergie du milieu extérieur. Il insiste sur le « transport de la force productrice des mouvements de l'extérieur daîis l'intérieur de Tanimal ». 28 LA NAISSAN( I IH 1 IXTELLICENCE « La nature, uiiii- inent assez vif (rallaciiement personnel et de sympathie, se manifestant par le désir de l'un de partager avec l'aii!r<» l*^ fniif dp sos d(^c<>n- verles. » Je n'insiste pas. Comme le fait remarquer Nuel, qui a combattu l'anthropomorphisme dans son livre : la Vision. c'est surtout dans le domaine de la physiolo^^ie des organes des sens, et spécialement dans la. partie qui s'occupe de la vision, qu'on a eu la tendance la plus marquée à attribuer à l'animal toutes les particula rites que nous connaissons chez l'homme. « C'est ainsi, dit-il, que dans les organes visuels des ani- «uiux inférieurs, n'ayant aucune honiologie anato- mitjue avec celui de l'homme, on s'est évertué à trou- ver un cristallin, un corps vitré, une choroïde, etc.. et, une fois le nom applit fait de conclure de l'identité de nom à ridenlit» de fonction. » La tendance est encore plus marquée dans le domaine des faits visuels psychiques. « Un coup d'œil jeté sur les publications biologiques, ajoute Nuel, fera voir la désinvolture phénoménale avec laquelle les auteurs les plus appréciés ad- mettent chez les animaux toutes les qualités psy- chiques humaines (sensations, sentiments, juge- ment, volonté, etc. sur la foi d'observations qui. .'.■a fond, dénotent tout simplement que la lumière provoque chez eu.\ des mouvements et rien de jdus. )• l'anthropomorphisme 31) Nuel passe en revue toute une série d'opi- nions. Paul Bert constate que les daphnies, petits cnis- tacés de nos mares, placés dans le spectre, se groupent le plus grand nombre dans le jaune, moins dans le vert e.t l'orangé, moins encore dans le bleu et le rouge. Pour cet auteur, ils se com- porteraient dans le spectre à peu près comme un homme qui voudrait y lire etàceteiïetse placerait dans la partie jaune, la plus lumineuse ; ils auraient une u prédilection » pour le jaune. Chez P. Berl, et chez beaucoup d'autres auteurs (Pouchet fait exception), on reconnaît une certaine tendance à supposer aux mouvements des animaux des mobiles internes, psychologiques. « La ten- dance psychologante, ajoute INuel, est poussée à l'extrême chez Graber, pour lequel l'existence de sensations lumineuses, de « préférences », de « dégoût », de « répulsion » pour certaines u cou- leurs » chez les animaux inférieurs ne fait pas le moindre doute. Il couvre partiellement d'un écran opaque ou coloré le réservoir et, après quelque temps, compte les animaux répartis. Si la majorité est dans la partie découverte, il déclare l'espèce (( teucophile ». aimant la lumière et délestant l'obscurité. Au cas contraire, elle est « leucopkohe », aimant l'obscurité et détestant la lumière." Et ce sont ces préférences et ces sentiments de dégoût, de répulsion, qui, d'après lui, font mouvoir les animaux. Grande est la perplexité de Graber lors- qu'il constate que les animaux leucophiles sont ^iO LA \AISSAN( I II 1 INTELLIGENCE en même temps cyanophiles, aimant le bleu, et que les leucophobes sont érylhropliiles, aimant le rouge... Ces idées de Graber sont plus ou moins acceptées par les auteurs; elles constituent un exemple typique de ravages scientiques occasionnés par la tendance psycbologantc en biologie... Le procédé « majoritaire » ou c plébiscitaire », inau- guré par P. Bert et appliqué sur une large échelle f)ar Graber, ne saurait en général avoir qu'une portée très restreinte en analyse biologique. » Très souvent la psychologie des animaux se complique de plus en plus sous la plume do l'écri vain. Lubbock, « psychologant toujours », voyant que dans leur nid les fourmis vont se cacher ainsi que leurs œufs, suppose qu'elles n' « aiment » pas la lumière dans leurs nids, parce qu'alors elles ne se « sentent » pas en sécurité. Tout le monde connaît l'attraction exercée par la lumière sur beaucoup d'animaux ; on a observé la mite qui va se brûler dans la flamme d'une bou- gie, les nuages des papillons voltigeant la nuit autour des globes illuminés par l'arc électrique... Ilomanes est d'avis que les insectes,... les pois- sons, les oiseaux, attirés par la lumière, agissent par « curiosité », par « désir» d'explorer un objet nouveau ; s'ils ne se dirigent pas vers la lune, c'est que celle-ci est pour eux un objet « connu », « ac- cepté » comme tel, et qu'ils n'ont pas le désir d'al- ler la (( reconnaître ». Toute la psychologie humaine y passe. l'anteiropomorphisme 41 Cette mise en branle de toute la terminologie spiritualiste à propos d'animaux inférieurs ne rap- pelle-t-elle pas qu'avant Galilée les corps pesants « cherchaient leur lieu », et que « la nature avait horreur du vide » î CIIAl'lTKb. V La dynamique des phénomènes psychiques d'après Jacques Loeb. J'ai prononce le nom de Galilée ; je ne puis résister à la tentation d'inscrire à côté de ce nom celui du biologiste Jacques Loeb. Certes, depuis Galilée, les temps sont chaiigés. On ne persécute plus, du moins ouvertement, les savants révolutionnaires. Il y a des terres libres, telles que TAmérique, pour des hommes tels que Jacques Loeb. Au delà des Montagnes Rocheuses, sur le rivage de la plus belle baie du monde, à Berkeley, en face de San-Francisco, sont les labo- ratoires où les Californiens ont appelé le grand biologiste; c'est dans un décor vraiment féerique que Loeb travaille sans cesse et émet les idées qui vont par le monde donner une signification aux recherches biologiques. En France, Loeb est connu comme l'auteur de la ParUiénorjcnèse artificielle. Les êtres vivants déri- vent d'ueufs, c'est-à-dire de cellules ou petites DYNAMIQUE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES 43 masses de matière vivante détachées des orga- nismes femelles. Un œuf, c'est quelque chose qui paraît bien simple : un peu de gelée qui trem- blotle et oi^i brille un noyau ; en réalité, c'est d'une complexité effroyable : toutes les empreintes du passé, de la longue lignée des ancêtres, y sont marquées; en quelques heures, Tœuf se trouve transformé en tout un édifice de cellules. Mais, pour cela, il faut qu'il ait subi une excitation du milieu extérieur. L'œuf se présente au physiolo- giste comme quelque chose d'inerte, qu'il faut faire sortir de son immobilité; l'excitant peut être une cellule, petite et mobile, détachée d'un orga- nisme mâle ; il peut être aussi une substance chimique : du sel, un acide associé avec une base; c'est alors un œuf vierge qui se développe, (l'est ce dernier résultat qui a frappé l'imagination des hommes ; c'est lui qui a rendu illustre le nom de Loeb; mais l'œuvre de ce savant est beaucoup plus vaste. En 1888 a paru, dans une revue de médecine de Wiirtzbourg, en Allemagne, un mémoire qui a orienté la biologie dans une voie nouvelle. Loeb y publie des expériences sur des animaux inférieurs et des insectes, d'après lesquelles certains des actes de ces animaux ne seraient rien autre ([ue les elTets mécaniques de ces forces générales, comme la lumière et la pesanteur..., qui agissent d'une façon commune sur les plantes et les ani- maux. Des travaux de cet auteur publiés de 1888 à 1899 «« I • VISSANCE DE L INTELLIGENCE ressorleiit trois notions fondamentales, qu'aucune analyse psychologique ne peut négliger; je veux dire : les tropismes, la sensibilité différentielle, les pht'inomènes associatifs. Je vais avoir recours, comme simple moyen d'exposition, à une opposition banale : celle d'un corps brut, toi qu'un caillou, et d'un être vivant, toi que le ver de terre qui peut ramper sur ce caillou. C'est une vieille habitude de ^oir d'un côté la pure inertie, de l'autre la liberté, la spon- tanéité; le caillou subirait passivement les in- fluences extérieures, tandis que le ver ferait ce qu'il veut. Mais si on pousse plus loin l'analyse, on arrive à craindre d'avoir été dupe de défini- tions ; des doutes surgissent; des discussions longues et stériles peuvent en résulter. Certes, on ne peut nier qu'à l'intérieur des contours de l'animal, comme à l'intérieur des contours de l'œuf, se passent des phénomènes multiples dont les associations complexes et varia- bles défieront sans doute toujours la patience et la sagacité des savants. Loeb ne nie pas toute cette activité interne, mais, en homme positif, il ne. perd pas son temps à raisonner surdes choses qui ont résisté à l'analyse scientifique. L'être vivant est incontestablement soumis, dans une certaine mesure, aux forces du milieu extérieur, c'est-à-dire à la gravitation, à la lumière...; Loeb cherche comment la plante, l'animal, se comportent vis-à-vis de ces forces. Dans certains cas, il constate que l'animal, môme DYNAMIQUE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES 45 d'organisation assez complexe, est assujetti aux forces extérieures, et ne peut aucunement leur résister. On lâche une pierre : invariablement elle tombe suivant la verticale, ou direction du fil à plomb; on abandonne certain ver dans le sable, il monte ou descend suivant la verticale, sans pouvoir s'écarter de cette direction; il ne ma- nifeste pas plus de volonté que la racine d'une plante qui s'enfonce dans le sol et que la tige qui s'élève dans l'air. Il serait d'ailleurs absurde de conclure à l'iden- tité du ver, de la racine, de la pierre. Ce sont là trois êtres bien différents, mais qui, dans les condi- tions mentionnées, subissent l'action de la gravi- talion, présentent ce qu'on appelle un géotro- pisme. D'une façon générale, on désigne sous le nom de tropismc^ tout acte qui se manifeste comme une attraction à laquelle l'animal ne peut pas résister, et qui est exercée, soit par la terre (géo- tropisme), soit par la lumière (phototropisme), soit par une substance chimique (chimiotro- pisme), etc. ^. Je viens de citer des exemples de géotropisme. Les rassemblements des papillons autour des lampes électriques sont une manifestation du phototropisme., et on ne saurait invoquer, avec Romanes, la curiosité de l'animal, une préférence 1. Cette définition est insuffisante; jo la préciserai dans le chapitre relatif aux tropismes, en donnant les critères de cette catégorie spéciale d'actes. '" I . \A1SSAXCK m i INTELM'r.EME pour la lumière. Avec les mollusques, ar un mouvement })hysi(|ue (ou chimi(juc . Il y a encore bien des inconnus dans cette série de pro- cessus physiologiques enchaînés, cl (pii changent de naluic d'un anneau de la chaîne à l'autre. Mais nous en savons assez pour, pou voir affirmer que, lorsque nous les connaîtrons tout à fait, nous aurons saisi entre eux des relations absolument ohU(jêes; nous connaîtrons leur « pourquoi » dans le sens de Xa conservation de Vénergie (physique). L'une est la «cause» de l'autre, bien entendu en tenant compte de 1' «énergie latente » renfermée dans nos organes, et qui devient actuelle sous l'influence de forces de dégagement.... » FJn allant du mouvement à sa cause, on ne trouve nulle part un clément psychique, ce qui n'est que tout naturel : la cause d'un mouvement ne pouvant être qu'un mouvement. La conscience, la sensation,... les faits psycho- logiques d'une façon générale, eux, ne sont pas régis par la loi de la conservation de l'énergie. « Entre le mouvement de particules matérielles et ma sensation, dit Nuel, il n'y a pas de relation causale,- il n'y a pas, là, la transformation d'une forme de Ténergie dans l'autre », et il ajoute : « Nous sommes d'avis, avec Uexkull, que seul un esprit superficiel peut voir, dans une sensation, une forme de l'énergie })hysique. » Il poursuit en examinant les objections faites à cette déclaration par un des auteurs les plus « psychologants », le père jésuite Wasmann. THÉORIES MÉCANISTES EN PSYCHOLOGIE 55 Halte-là! crie celui-ci. La loi de la conservation de l'énergie n'est pas la seule forme de la loi cau- sale dans la nature. Toute relation entre deux phénomènes qui se suivent fatalement est une relation de cause à effet. Le principe des énergies spécifiques de J. Millier est là. notamment, pour contredire Uexkiïll, cette loi exprimant une rela- tion de cause à effet qui ne suit pas la loi de la conservation de l'énergie. La science psycho- physique, enfin, est tout entière basée sur une nouvelle relation de cause à eiîet. Mais Nuel réplique : «Dans l'objection de Was- mann, il y a un nouvel exemple des inconvénients résultant de ce que nous en -sommes réduits à appliquer une seule et même désigualiou à des choses essentiellement diiïérenles. Si nous appli- quons le nom de « causales » aux relations qui suivent la loi de la conservation de l'énergie, nous ne pouvons plus le faire logiquement pour celles qui existent entre les faits physiques et les faits psychologiques. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que le fait psychologique naît à l'occasion du mouvement physique, et encore, chez l'homme seulement. » Les états psychiques ne sont que des épipJténo- mènes des processus physiologiques qu'ils accom- pagnent, et sans lesquels ils n'existeraient pas. Ils ne sont pas les « mobiles primaires » de nos actions. Cette opinion, admise d'une façon courante maintenant, est adoptée par beaucoup de philo- sophes, et non des moindres. Pour Kibot, la 5() I-A ;NAi.^,^.v %. . iil I l.\ihl,l,iOK.\< conscience est le llamlxau (jiii éclaire la marche de riiorlogc, sans l'irinuencer..., et la volonté, elle-même, ne serait « cause de rien». Je ne fais aucune objection, loin de là, à cette opinion; mais je me demande si elle gagne beau- coup à s'appuyer sur le principe de la conservation de l'énergie, dune application si difficile dans le domaine de la physique, et a fortiori dans celui de la biologie. Les « sensations » sont des « états psychiques », des épiphénomènes et. par conséquent, pas plus que la volonté, elles ne peuvent être les mobiles primaires des actions des animaux. Nous ne pourrons jamais savoir ce que sont les sensations des animaux, et même si ceux-ci en ont. Au point de vue des réactions, tout se passe comme si elles n existaient pas. Voilà précisément la formule de ralliement de la nouvelle école alle- mande. De là à 7ner les sensations chez les ani- maux inférieurs, il n'y a qu'un pas. Ce pas a été franchi par un certain nombre d'adhérents. Discuter sur ces points, c'est discuter sur la légilimilé même de la psychologie comparée, chose (|ue nous ferons plus tard. Pour le moment je ferai simplement observer que je crains qu'il n'y ait là qu'une querelle de mois. La sensation au sens psychologique est un épiphénomène, soit: mais comme tel, elle est suj)erposée à un autre phénomène qui se passe dans le système nerveux, qui relève de l'étude THÉORIES MLCANISTES EN PSYCHOLOGIE 57 expérimentale, et qu'on appelle souvent sensation,, qu'on peut appeler ainsi si on spécifie que le mot est pris au sens physiologique. Le mot sensation n'impliquerait pas forcément conscience. Je rappellerai ici que Loeb a parlé de « sensi- bilité différenlielle » chez les animaux inférieurs, et aussi de phénomènes associatifs ; or. ce qui s'associe ce sont des sensations, entendues au sens physiologique. Je montrerai dans la suite à quelles consé- quences fâcheuses les Allemands ont été conduits en considérant les sensations chez les animaux inférieurs comme un luxe inutile, el en niant par- fois ces sensations. Je considère qu'il n'y a rien de plus stérile que les querelles portant sur les mots. Certes on ne doit pas employer ceux-ci à tort et à travers, et contrairement aux usages les plus courants; mais je crois que pour les mots qui ont deux sens, un sens psychologique et un sens physiologique, on peut conserver ces deux sens ; il suffit de spécifier si on emploie le langage psychologique ou le lan- gage physiologique. Les Allemands n'ont pas été de cet avis, et ils ont créé une nomenclature nouvelle. Par antikinèses, on y désigne l'ensemble des réactions consécutives à une excitation et trans- mises par les voies nerveuses. Si les réactions se font toujours d'une manière identique, il y a réflexe; si elles dépendent des excitations précé- dentes, il y a anlildise ; dans la dernière catégorie 58 LA NAISSANCE Iti; i l\ i 1 I i IM \. ! enlr(M>l tous les phônonièiies considérés jusqu'ici comme conscients, nnais bien entendu il nest plus (jueslion de « conscience » en jj^ysiolo^ie com- parée. Tous ces mois ne peuvent être employés que s'il s'agit d'animaux pluricelluluires ; dans le cas des animaux unicellulaircs et dans relui des plantes, on fia rie iVdulilyp'ms^ ce sont, par consé- quent, les réactions se l'aisant par voie protoplas- mi(|ue. Comme on ne veut plus parler de sensations et à'ovijdnes des sens, on (larle de rérrplions et d'or- ganes récepteurs^... de langoréceplions, de phono- réceptions..., de chemoréceplions, de stiborccep- tions, de gustoréceptions, de pholoréceptions, de calororéceptions. .. ; je relève les mots: tamjo- receptoren^ tangorccipieren, tongoreceptorisch, tnn- gantikinese^ tangoreflex, tangantiklise^ etc. ! Je veux rassurer tout de suite mon lecteur; je n'employerai fias ces mots et cette nomencla- ture, due cependant à la collaboration de trois savants de valeur, Th. Béer, A. lielhe et J. v. Uexkuli. Ziegler n'a pas tardé à la compléter, d'ailleurs ; il rattache aux réllexes les instincts, les uns et les autres étant basés sur des voies nerveuses héri- tées, étant des associations cléronomes] mais il y a d'autres associations, enhlon ligues : les voies sont alors acquises au cours de la vie individuelle ; la faculté de former ces associations serait la « raison ». Et c'est ainsi que des animaux chez lesquels on nie les simples sensations se trouvent i)Osséder la THÉORIES MÉCAMSTES EN PSYCHOLOGIE 59 raison. Nous aurons là un beau champ de discus- sion. Souvent on comprend difficilement la mentajité des néopsychologues allemands ; à cet égard, la lecture d'un article devenu célèbre, dû à Uexkûll et intitulé : Im Kampf um die Tierseele, peut fournir quelque? éclaircissements. L'auteur com- mence par évoquer la lutte qui s'est engagée entre la physiologie comparée et la psychologie animale, lutte à mort, qui ne peut se terminer que par l'anéantissement de Tune ou l'autre de ces sciences. Mais presque aussitôt il se lance dans un long exposé des théories métaphysiques de Kant, cherchant avec Fillustre philosophe (juels rôles jouent le temps et l'espace dans le contenu de notre conscience, montrant comment les phéno- mènes psychiques, les sensations peuvent conduire à la connaissance des objets, en un mot exposant la théorie de Vapperception. Douze pages sur vingt- deux sont consacrées à cette discussion. A[)rès, IJexkiill revient aux animaux pour dire : « Les phénomènes d'une Psyché d'une autre espèce que la nôtre nous sont complètement inaccessibles, et il n'y a aucun moyen d'établir si les phénomènes de celte autre Psyché se transformetit en objets ou non. Aussi bien le contenu que l'organisation d'une Psyché étrangère restent tout à fait soustraits à mon expérimentation. » Et Uexkull de dévelop- per cette déclaration... Le domaine de lame des animaux, grâce au grand choix des probabilités que nous ne sommes pas en état d'analyser, est un 60 NMSSANCE DE L INTELLIGENCE vaste champ où peut s'exercoi la l'anlaisie créa- trice. On s'en rend compte en lisant la Vie des Abeilles^ de Maeterlinck; même un savant lira avec plaisir ces « contes merveilleux », sans môme songer à les critiquer. Autre chose serait s'il s'agissait d'un travail scientifique. Pour ma part, je préférerais lire un travail imité de Maeterlinck que de lire un mémoire écrit avec le langage proposé par Béer, Bethe, Uexkûll. Ziegler. Le langage psychologique n'est pas si dangereux que cela pour celui qui voit les choses clairement et qui sait éviter de tomber dans les exagérations de l'anthropomorphisme. Mais il est bien possible ([u'il n'en soit pas de môme dans le pays de Kant. CHAPITRE VII La théorie des essais et des erreurs. Tandis qu'en Europe on prononçait l'arrêt de mort contre la psychologie comparée, en Amé- rique, des savants de grande valeur, comme Yerkes etJennings,et leurs élèves, continuaient à rassem- bler des laits. Le nombre des mémoires publiés dans ces dernières années et concernant les faits et gestes des animaux, leur « behavior », — ce mot a fait fortune en Amérique, et on a voulu l'intro- duire en France, où on a essayé de le traduire par le mot barbare de « comportement », — est con- sidérable. Récemment, le professeur Marguerite Washburn en a donné une systématisation des plus intéressantes dans le deuxième volume d'une série consacrée à 1' « Animal behavior », et inti- tulé The animal mind. Jennings, plus zoologiste que physiologiste, a beaucoup observé les faits et gestes des animaux inférieurs : infusoires, anémones et étoiles d'e mer, vers de terre...; il constata que certains actes G 62 LA ^AISSA^■(.I II. 1\ j l.li K.l .\< I. (le ces animaux ne reutrcnl pas dans la catégorie des tropismes; trompé sans donlc j»ar les malen- tendus créés [tar l'KcoIe allr;niande, il ne romnrqua pas que Loeb n'avait jamni> dit le contraire. Il en- trepritalors une croisade contre « lalhéorio ortho- doxe des tropismes » ; l'Kcole allemande avait nié la psychologie animale; il nia purement et simple- ment les tropismes, ce en quoi il eut tort, comme nous le verrons dans la suite. De plus, il voulut mettre quelque chose à la place, et c'est alors qu'il imagina « la théorie des essais et erreurs », et qu'il fil faire ainsi à la psychologie comparée un retour en arrière. Jcnnings se laissa suggestionner par les expé- riences, tout à fait remarquables d'ailleurs, faites depuis 1898 sur les vertébrés supérieurs par les Américains Thorndike, llobhouse, Small, Kinna- man. Ces expériences avaient eu un très grand succès. Je rapporterai ici, à litre d'exemple, celles de Kinnaman sur deux singes appartenant à l'es- pèce Macacus Rhésus^ un mâle de huit mois, une femelle de seize mois (1902). Ces animaux ont élé mis en présence de vases, ou de différentes formes, ou de diverses grandeurs, ou de couleurs variées, l'aliment étant placé dans l'un d'eux. Six vases de même capacité et ayant des formes assez diverses, aux parois internes et externes tapissées de papier noir, étaient alignés et espacés également. Le singe s'avançait au ha- sard vers un des vases, puis vers un autre, et ainii de suite, jusqu'à ce qu'il ait trouvé la nourriture THÉORIE DES E-S.US Eï DES ERREURS 63 qui était placée dans un vase déterminé. On notait le nombre des essais, — ceux-ci étaient en général groupés par séries de 30, — et le nombre des réus- sites; d'une série à la suivante, ce nombre augmen- tait, indiquant un progrès de la part de l'animal. On changeait d'ailleurs fréquemment l'ordre des vases, mais, une fois qu'il n'y avait plus guère d'erreurs, on faisait passer l'aliment dans un vase d'une autre forme et on recommençait plusieurs séries d'ob- servations. Voici le tableau d'une suite d'expé- riences : les divers chiffres représentent les séries successives, et, pour chacune d'elles, le nombre des réussites sur 30 : Vase redangulaiic, Vaso cylindrique. Vase ellipli(iui>. Ma le. . . 10 27 29 II 2:) 2G 29 30 10 21 29 Femelle . 14 27 2 22 28 0 7 2() On voit que la femelle se laissait dérouter plus facilement que le mâle par des conditions nou- velles; mais, avec des vases de diverses grandeurs, c'est la femelle qui s'est montrée supérieure; après 1.880 expériences, le mâle faisait encore des er- reurs : il était toujours tenté de choisir la plus grande boîte, comme s'il jugeait qu'elle doit con- tenir une plus grande quantité d'aliments. De même, il marquait une préférence pour les cou- leurs brillantes. D'une façon générale, les singes placés vis-à- vis des vases bondissent, vont de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'ils aient trouvé l'aliment. La com- plexité des phénomènes semble grande : il y a G4 LA NAISSANCE Ui: L l.M KLMCL.NCL perception à distance, de la part du sujet en cxj)c- rience, non seulement de l'objet exl(^rieur, mais encore de sa forme, de sa {^Tandeur, de sa cou- leur... et de la place qu'il occupe dans l'espace ; il y a choix, de la part de l'animal, entre plusieurs objets; enfin, le singe elTectue les mouvements nécessaires pour s'approcher de l'objet ou s'en éloigner. Ceci conduit à attribuer aux animaux considérés, non seulement les mobiles qui les poussent à chercher leur nourriture, mais encore la perception, la volonté..., en un mot, tous les éléments de la conscience supérieure. De plus, ces animaux arriveraient à effectuer des actes adap- tés au but, à la suite de l'application de la méthode des essais et erreurs. Or, pour Jennings, ce serait d'après cette même méthode que se ferait l'orientation des animaux inférieurs. Le singe, après s'être trompé de vases un certain nombre de fois, finit par aller directe- ment au vase de forme déterminée qui contient l'aliment : petit à petit, au cours des essais succes- sifs, se produit l'élimination des erreurs. Un infu- soire se comporterait de même; il se dirigerait dans de multiples directions de l'espace, avant de trouver la bonne direction, et, peu à peu, le nom- bre des essais nécessaires diminuerait; ce que Loeb a appelé tropîsme ne serait que le résultat d'un long apprentissage, et non pas, comme le veut Loeb, une réponse directe à un stimulant. La distinction n'est pas sans importance : s'il y a effectivement chez les êtres les plus inférieurs des THÉORIE UEÎS ESSAIS ET DES ERREURS 65 essais et des erreurs : si l'animal ne s'oriente que I)ar un choix, un tri entre divers mouvements qu'il est capable d'effectuer, il y aurait « psychisme » dès l'apparition de la vie. Et l'infusoire micros- copique ne serait pas si éloigné que cela du singe. C'est là, sans nul doule, l'origine de la vo- gue de la théorie de Jennings auprès des psycho- logues et des philosophes : On a été émerveillé à la pensée que des investigations précises éta- blissent une identité parfaite dans le domaine des réactions du bas en haut de l'échelle animale, et, surtout, qu'elles montrent qu'il y a choix, volonté peut-être, dès le début. J'aime à croire que les philosophes ont dépassé la pensée de Jennings; mais c'était fatal : sa théo- rie devait déterminer un retour à l'anthropomor- phisme. D'ailleurs, nous verrons que Jennings a beaucoup exagéré l'intervention des essais et erreurs dans l'orientation des animaux inférieurs, qu'il a pris souvent, pour des essais et erreurs, ce qui n'était que les effets de la sensibilité différen- tielle ; qu'enfin les faits trouvés par Jennings et reconnus exacts, loin de contredire ceux de Loeb, s'ajoutent simplement à eux. A plusieurs reprises, Jennings s'est défendu contre le reproche d'anthropomorphisme qu'on lui faisait, et on lui doit en particulier une importante étude, où il cherche à établir un parallèle entre les diverses régulations : régulation des' formes, régulation des mouvements, régulation thermique, régulations chimiques (appropriation des sucs di- c. 66 i.\ ^Al! gestifs aux aliiiienls, inMilrali^alion des jioisoiis injectés à un animal...; partout la st':leclion inler- vientirait comme facteur r(^gulaleur. Pas plus «lans la sélection des mouvements que dans celle des formes, il n'y aurait un choix personnel ou con- scient. Et pour expliquer la variabilité des réactions chez les animaux inférieurs, .lenninjis fait intervenir les « états physiologifjues », et non les « états de conscience » ; il y aurait deux grandes classes d'étals physiologiques : ceux qui dépendent des processus métaboliques de rorganisme,et d'autres qui dépendent, non pas directement du métabo- lisme, mais plutôt de la stimulation, de l'activité de l'organisme, Jennings insiste beaucoup, et avec raison, sur Timportance des processus du métabo- lisme, c'est-à-dire des processus internes de nu- trition : les réactions des organismes vis-à-vis des agents externes pourraient s'expliquer en grande partie par l'action de ces agents sur les processus internes; il prend des exemples parmi les bacté- ries et les infusoires, et il rejette toute explication psychologique : « 11 n'y a aucune raison, dit-il, d'attribuer à ces êtres une connaissance ou une idée de la relation qui existe entre les agents ex- ternes et les processus internes. » C'est très bien ; mais, dans la substitution des « états physiolo- giques «aux « états de conscience », il ne faudrait pas se laisser hypnotiser par les mots. Sous l'in- fluence de certaines conditions externes, l'orga- nisme réagit d'une certaine manière; ces condi- tions persistant, l'organisme modifie cette première THÉORIE DES E->;AIS ET DES ERREURS G7 réaction en une seconde, puis en une troisième, puis en une quatrième... : il passe par une série d'états physiologiques difTérents, A, B, C, D... Or, quand on a dit que les réactions diffèrent, parce que les états physiologiques diffèrent, donne-t-on réellement une explication ? A la réaction 1 s'est substituée la réaction 2, parce (jue l'état A a été remplacé par l'état B. Voilà qui n'avance pas beau- coup la solution de la question. Il faudrait êlrc plus amplement renseigné sur ces états A et B. Nous verrons qu'il est possible de pousser l'ana- lyse plus loin. Si les idées de Jennings, en se répandant en Amérique et en Europe et en s'implantant dans le terrain philosophique, ont pu causer certains ravages scientifiques, il faut reconnaître qu'elles ont eu une influence stimulatrice considérable sur les recherches, et qu'elles ont poussé les partisans de la théorie des tropismes à préciser les faits et les arguments. Malgré l'admiration que j'ai pour les belles re- cherches de ce savant, je préfère de beaucoup les tendances de Yerkes aux siennes. Ce qui caracté- rise les travaux de Yerkes, c'est un esprit de méthode tout .à fait remarquable, et une grande ingéniosité dans l'expérimentation. Ses divers mé- moires resteront classiques et devront servir de modèles à tous ceux qfii aborderont les mêmes questions. Pendant que les Allemands niaient les sensations chez les animaux inférieurs, Yerkes a ()8 LA NAISSAN'CK Iii; L l.N J i:i.l,l(.l..\( 1. réussi il l'jurc une t'iudc expérimentale des plus intéressantes sur l'audition de la grenouille. C'est également Yerkes (jui a indiqué la manière dont on pouvait aborder expérimentalement l'étude de la formation des associations chez les animaux inférieurs ; après la grenouille, il s'est adressé h Técrevisse. Enfin son livre récent sur les souris dansantes est des plus intéressants. On doit encore à Yerkes des interprétations très fines et sages à la fois des phénomènes dits psychologiques chez les animaux; sa discussion sur les critères du psy- chisme nous servira de point de départ. Bien que Yerkes ail eu une qualité, rare parmi les psycho- logues, celle de ne pas se préoccuper de choisir une attitude personnelle et d'attacher son nom à un système, son œuvre se présente avec les carac- tères d'une grande originalité. CHAPITRE VIII La méthode éthologique. Nous venons de voir ce qu'ont donné les idées de Loeb, en Allemagne d'une part, en Amérique d'autre part. Et en France? En France, on vit beaucoup trop de traditions; dans le domaine de la physiologie, on est toujours hypnotisé parla gloire de Claude Bernard; dans celui de la psychologie comparée^ on était encore, il y a quelques années, à Romanes, ou même à Flourens, et on connaît encore bien vaguement les idées de Loeb; on n'a participé ni au mouvement allemand, ni au mouvement américain; dans le livre de Marguerite Washburn The animal mind, sur deux cent trente auteurs cités, il y a seulement quinze Français. Mais on sait la fertilité des terres qui sont restées longtemps en friche, et il y a lieu d'attendre quelque chose, de beaucoup espérer même du pays où vit encore l'admirable observateur, Fabre d'Avignon. Grâce à une initiative privée, celle de 70 LA NAISSANCi ^ i K.i \' i. rinslitul général psychologique fondé par M. You- riévitch, grâce au travail exrculé dans los réunions du groupe de psychologie zoologique, avec les conseils de nos biologistes les plus éminents, Edmond Pcrricr, Giard, Dclage, Bouvier, le sol est déjà labouré et défriché : faire de la psychologie zoologique, ce n'est plus écouter les récits où les demoiselles vantent les qualités morales et intel- lecluelles de leurs chats ot de leurs chiens, ceux où les chasseurs racontent les ruses dont ils ont été victimes de la part des animaux qu'ils voulaient tuer, ce n'est plus assister aux séances données par les dresseurs dans les cirques ce n'est plus jongler avec des mots que l'on prend pour des choses. Après avoir démoli, il fallait construire. On s'est mis à l'œuvre. Certains essais demeurèrent stériles : ce sont ceux de quelques physiologistes qui ont tenté de pratiquer des mesures. Rien n'est plus utile que l'étude quantitative quand elle vient après l'étude qualitative. Il ne faut jamais s'engager trop tôt dans la première voie, et il faut se souvenir de l'erreur qui a été commise en psychologie humaine. On a voulu faire l'étude mathématique de phéno- mènes fort mal connus; on >'est engoué pour les •recherches de psycho-physique; on était séduit à la pensée qu'on allait pouvoir mesurer l'intelli- gence! La psycho-physique était une mode en Allemagne; on essaya de l'introduire en France, mais le succès ne fut que passager. Pendant LA MÉT1{'»DE ÉTHOLOGIQUE 71 quelque temps, len enquêtes, les graphiques, les courbes, les moyennes, menacèrent de transformer les ouvrages de psychologie en traités de mensura- tion, d'électro-technique, de statistique. Comme le montre bien Danville, toute cette mathématique des faits, cet étalage de physique, de chimie devint tout à fait ridicule et la mode disparut. Les travailleurs de l'Institut général psycholo- gique ne se sont pas engagés prématurémont dans la voie de la psychologie mathématique; en revanche, éclairés par rintelligenee du grand bio- logiste que la science française vient de perdre, Giard, ils ont trouvé une voie féconde; ils ont inauguré une méthode nouvelle en psychologie comparée, la méthode étholorjique; les premiers résultats ont surpris les Américains; ceux qui ont suivi ont reçu tous leurs encouragements. Véthologie^ c'est l'étude des relations des êtres vivants entre eux et avec les diverses modalités du milieu extérieur. La nature, avec les conditions variées qui y sont réalisées, est un vaste champ d'expériences : les mêmes animaux s'y comportent de façons diverses, y acquièrent des habitudes variées, y subissant toute une série d'adaplations. La méthode éthologique a été inaugurée, en bio- logie, par Giard, et, dans ce domaine, elle avait donné des résultats brillants entre les mains de l'illustre savant. L'influence de Giard se fera si so^uvent sentir, au cours de ces pages,' que je voudrais, ici, donner 72 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGEKCE au moins un aperçu des points essentiels de son œuvre, qui est, d'ailleurs, (Hroilemeni liée à son enseignement. Pendant vingt années, dans la chaire d'évolution des êtres organisés, Giard n'a cessé d'évoquer les pensées géniales de Goethe, de Lamarck, de Dar- win; il aimait associer au nom do Lamarck celui de Jacques Loeb, et montrer les rapprochements que l'on peut établir entre 1<3 domaine des mouve- ments et celui des formes, (^e (jue j'ai dit précé- demment de Lamarck et de Loeb suffit à prouver qu'il avait raison. Loin d'opposer, comme on le fait trop souvent, le Darwinisme au Lamarckisme, Giard s'efforça de restituer à chacun des grands fondateurs de la doctrine de l'évolution la part qui lui revient. Plusieurs années de son enseignement ont été consacrées à l'étude des « facteurs primaires » et des «facteurs secondaires» dw transformisme; par facteurs primaires, on entend l'action directe du milieu cosmique (climat, lumière, température, sécheresse et humidité,.... état mécanique du milieu...) ou du milieu biologique (alimentation, parasitisme...) et la réaction éthologique contre ces milieux; par facteurs secondaires, on entend l'hérédité, les diverses sélections (ou choix) natu- relle, sexuelle, physiologique. Lamarck avait jeté les premières bases de l'étude des facteurs pri- maires, tout en reconnaissant l'importance du facteur secondaire hérédité, qui n'est, en somme, qu'une sorte d'intégrale des facteurs primaires. LA MÉTHODE ÉTHOLOGIQUE 73 Darwin, au contraire, s'est attaché à l'étude des facteurs secondaires. Grâce aux progrès réalisés dans les sciences physiques et biologiques, Giard a repris, avec succès, l'étude de Faction des milieux, et il a montré que dans la plupart des cas cette action est suffisante pour produire la transformation des espèces. Au lieu d'attribuer, comme bien d'autres, une vertu magique aux simples mots : sélection, hérédité, Giard a cherché à faire l'analyse expérimentale des faits, mais il a eu la sagesse, contrairement à beaucoup de nos physiologistes, de laisser la nature exécuter les expériences elles-mêmes, et il est arrivé ainsi, au dire môme de Romanes, à une appréciation « admi- rable » de la valeur relative des facteurs de l'évolution. On conçoit combien les résultats des expériences de Loeb relatifs â la dynamique de la matière vivante sont venus jeter une vive lumière sur les mécanismes encore obscurs de l'action des facteurs primaires. Parmi les recherches éthologiques effectuées par Giard, je retiendrai seulement ici celles relatives à la castration parasitaire et à Vanhydrobiose. La castration est accompagnée de changemenls dans les attributs extérieurs des sexes et dans les instincts de l'animal infesté. Les crabes mâles parasités prennent quelques-uns des caractères des femelles, et chez eux se manifeste 1' « amour maternel »; mais, dans ce cas, cet instinct s'ap- plique au parasite, qui est traité avec autant de soins que la progéniture dans l'état normal. '4 I.A NAISSAM L \>\: \ IM LI.IJ(.1,\( I l*ar « anliydrolnose », (iiard entend le iaU.*iili>- sement des manifestations vitales déterminé par la perte d'une certaine [)artie de l'eau cont^Miue dans les tissus. Les variations d(» la teneur en eau de l'or- ganisme entraîneraient également des modifica- tions de rinstinct. En montrant que les « instincts », considérés m général comme immuables, peuvent être modifi- par l'action innm'dinte des facteurs primaires, Giard a porté une atteinte profonde à une notion léguée à la science par la philosophie métaphy sique. Il s'est rencontré ainsi avec Loeb, qui re- jette la notion des instincts, et dont les expérience- montrent également toute l'importance de Tean dans les phénomènes biologiques. On voit que les idées de Giard peuvent être aj)- pliquées également à la psychologie comparée. Ré- cemment elles l'ont été aussi à la sociologie f>ar Waxvveiller, le savant directeur de l'Institut Solvay. à Bruxelles, qui, dans un livre remarquable, a posé les bases de la sociologie éthologique. J'ai eu la bonne fortune de subir l'influence directe de Giard, et c'est toujours la méthode étho- logique que j'ai appliquée dans mes travaux de physiologie et de psychologie comparées. J'ai in plus grande confiance dans cette méthode. Si elle n'est pas toujours d'une application facile, elle conduit d'une façon certaine à découvrir d'in- nombrables faits nouveaux, et c'est encore ce qu'il y a de plus important pour le moment. Elle n'a LA MÉTHODE ÉTHOLOGIQUE 75 {)as les inconvénients de l'ol^servation pure et de l'expérimentation pure, que nous montre Margue- rite Washburn dans son récent livre, The animal inind : on observe un animal dont on ne connaît pas les antécédents ; on expérimente sur un ani- mal en le plaçant dans des conditions anormales, après l'avoir affamé, par exemple. Dans la nature, les expériences se font toutes seules et on n'a plus qu'à les observer ; l'habitat nous renseigne sur le passé de l'animal; quand on fait des expériences, on les calque sur celles effectuées dans la nature. La méthode éthologique, enfin, est précieuse pour combattre autant les exagérations mécanistes que les exagérations « psychologantes ». Tel animal qui ne présentait que des réactions purement mé- caniques, tropismes, vient à être imbibé d'eau ; alors cet animal, qui était en quelque sorte esclave des tropismes, s'affranchit et manifeste toute une activité, surtout d'origine interne, qu'on ne soup- çonnait pas auparavant; tel autre animal offre une réaction variable suivant les circonstances : on voit dans cette variabilité un signe d'une vie psy- chique, alors qu'elle n'est due en réalité qu'à des variations de la teneur en eau. La méthode éthologique permet de pousser l'analyse expérimentale parfois très loin. Les résul- tats auxquels elle m'a conduit m'ont permis d'écrire des chapitres entièrement nouveaux pour un livre de psychologie animale : ceux des rythmes vitaux, de la sensibilité différentielle, de la combinaison des tropismes avec celle-ci. 76 l.A NAISSANCE DE ININTELLIGENCE Les observations récentes et remarquables de Anna Drzewina sur les façons variées dont les crustacés se comportent dans les divers habitats ont jeté une vive lumière sur quelques points liti- gieux de la nouvelle psychologie animale, et en particulier sur" la question si controversée des rap- ports des tropismes avec les autres modes de l'activité animale. Je remercie ici cet auteur pour sa collaboration si précieuse. Parmi les autres travaux de l'Institut psycholo- gique, je veux encore mentionner, comme fort inté- ressants, ceux de Fauré-Frémiet sur les animaux unicellulaires, un travail de Van der (ihinst sur l'intervention des habitudes chez les anémones de mer. Mais si la méthode éthologique peut donner d'excellents résultats entre les mains des travail- leurs consciencieux et ayant une tournure d'esprit scientifique, celte même méthode peut conduire à des résultais déplorables en d'aulrcs mains. L'analyse des nombreux facteurs cthologiques qui interviennent dans une réaction demande beau- coup de patience et toute une suite d'observations et d'expériences bien ordonnées: très souventj la variabilité de la réaction résulte des complexes variables des seuls facteurs externes et non d'une faculté hypothétique, telle que la « volonté » ; il est fâcheux que certains philosophes, au lieu de se contenter de disserter sur les « facultés » de l'âme des animaux inférieurs, se mettent à membres: elb' est relii-e par le collier c a» cerveau, l'oriflé de deux jietites masses // c. En coupant les deux lilcls qui consliluent le coHier c. on soustrait complètement la MiHsso ventiale à l'inlluence du cerveau et à celle des yeux qui y sont reliés. LA MÉTHODE ÉTHOLOGIQUE 79 dans les mares littorales il ne se produit pas un appauvrissement en oxygène, et l'asphyxie n'est pas à craindre pour les animaux qui s'y trouvent. — On voit, par ces exemples, les inconvénients qu'il y a à supposer a priori certaines facultés psychiques supérieures chez des animaux infé- rieurs; on est conduit ainsi à encombrer la litté- rature scientifique d'interprétations fausses, et, ce qui est plus grave, de faits inexacts. Certes, des travaux aussi fantaisistes que ceux dont je viens de rendre compte, ne peuvent consti- tuer un danger. Mais, en des mains plus habiles, le danger pourrait devenir menaçant, et on pour- rait assister à un nouvel envahissement de l'an- thropomorphisme. L'histoire de la psychologie comparée, c'est, en eiïet, rhistoii«e de la lutte incessante de deux ten- dances opposées, de la lutte de la science contre les fantômes du passé, que certains voudraient encore nous faire prendre pour des réalités. LIVRE II LES CRITÈRES DU PSYCHISME CHAPITRE IX Parallélisme entre les théories de l'évolution organique et celles du psychisme. En parcourant les grandes é lapes de la psycho- logie animale, nous ayons vu que les noms des deux évolutionnistes Lamarck et Darwin en mar- quaient deux importantes. D'une façon générale, on peut trouver beaucoup d'analogies entre l'évolution psychique et l'évolu- tion organique, ce qui n'est pas surprenant puis- que, comme l'a déjà bien montré Lamarck, l'évo- lution psychique résulte du perfectionnement pro- gressif du système nerveux, qui ne diffère pas essentiellement des autres systèmes d'organes du corps. L'évolution dite psychique et l'évolution organique présentent des lois communes, et les '"^'- l'A NAISSANCF m I INTELLIGENCE théories qui ont été appliquées à celle-ci peuvent fort bien être appliquées à celle-là. Depuis cinquante ans, on s'est livré à des conlntvp.rscs Imnsformhles : des malentendus ont été dissipés, les j)rol)l(îmes ont été posés nettement, sinon résolus. Je crois (|ue, dans les rontvtœorscK /tsycholoffiqurs qui sont plus récentes, on doit profitor de toute celte expérience passée. Ainsi, il est facile de se rendre coinpU' «jue, de même que les idées de Lamarck et celles de Darwin, loin de se contredire, se complètent mu- tuellement, de même les idées de Loeb et cfllo^ de Jennings sont parfaitement conciliables. Lamarck et Darwin ont envisagé révolution à deux points de vue dilîérents. Lamarck a considéré les variations des êtres vivants comme des rénc- lions directes des organismes vis-à-vis du milieu extérieur; Darwin a appliqué le principe de la sélection aux variations des êtres vivants : ces variations, sur l'origine desquelles il n'insiste pas, sont les unes avantageuses, les autres désavanta- geuses; les premières seules sont conservées, comme s'il se faisait dans la nature un choix, une sélection. Or, ces deux points de vue sont précisément ceux auxquels se sont placés J. Loeb et H. -S. Jen- nings lorsqu'ils ont envisagé l'évolution psychique des animaux. Loeb voit surtout dans les réactions des animaux inférieurs des rcponscs directes aux excitants du milieu extérieur ; Jennings applique le principe de la srlrrtiou aux mouvements des l'évolution organique et le psychisme 83 êtres vivants : parmi les mouvements de hasard, il y en a d'utiles, d'autres inutiles ou même dan- gereux ; ces derniers se présentent comme des essais qui sont vite abandonnés ; il y aurait un choix des mouvements, comme il y a un choix des formes. Je ferai observer en passant que la notion de sélection, de cJioix, est une notion dangereuse pour un esprit non scientifique. Quand on parle de choix, ou est tout de suite conduit à penser qu'il y a uti auteur du choix. Dans la sélection artificielle, cet auteur apparaît immédiatement : c'est l'agriculteur, l'éleveur; en ce qui concerne la sélection naturelle, il ressort de la lecture de Darwin qu'il n'y a pas d'auteur : la sélection se ferait pour ainsi dire automatiquement ; malgré cela les esprits mystiques ont cherché l'auteur de la sélection naturelle. Il y a là une équivoque pos- sible. Celte équivoque peut devenir fâcheuse quand il s'agit de la sélection des mouvements : on peut fort bien admettre que cette sélection se fait auto- matiquement comme la sélection des formes, mais on peut voir aussi dans l'animal lui-rnème l'auteur du choix. Or, pour beaucoup, le fait de choisir de la part d'un animal serait un des signes les plus certains d'une vie psychique. Ici nous aurons donc à éviter soigneusement d'être victimes des mots. Le parallèle que j'ai commencé à esquisser peut se poursuivre. On sait que les idées de Lamarck et celles de Darwin ont dû être complétées respec- tivement par celles de l'Américain Cope, chef des SI LA NAIS- ' 1 m I INTELIIOENTE iiéo-laniarckicns uL j^ar celles (h; 1 Allemand Wcismanu, cher dc<' nco-darwiniens. Lamarck clierclie la cause de la variation ; Cope, son méca- uismc. Darwin el Woismann envisagent sa conser- vation, l'un cherchant le rôle de la sélection, l'autre celui de l'hérédité. Or, d'une part les idées des néo-darwiniens doivent intervenir dans les discussions sur l'inslinct : récemment Dahl et Ziegler en ont tenu compte; — dautre parties idées des néo-lamarckiens peuvent être précieuses dans la recherche des crilères du psychisme ; personne, jusqu'ici, je crois, n'y avait songé. Je vais tout d'abord exposer les idées de Cope, le chef de l'école néo-lamarckienne, idées que Le Danlec a beaucoup contribué à répandre en France. ('ope a considéré les êtres vivants de deux façons dilîérentcs : ou bien comme des édifices construits avec des matières de diverse nature et dont la forme varie nécessairement avec la nature de ces matières, on bien comme des machines composées d'organes et de systèmes d'organes (appareils) susceptibles de mouvements variés, mouvements qui doivent, tout en re^tant coordonnés, s'adapter à certains buts à remplir. Les plantes ne peuvent cire guère envij^agéesque de la première manière : ce sont des édifices formés par la juxtaposition de petites chambrctlcs appelées cellule.*^. Les ani- maux, au contraire, peuvent être envisagés des deux manières : on peut voir, même dans un L ÉVOLUTIOX ORGAMQUE ET LE PSYCHISME 85 animal très différencié, soit une simple masse de matièrr vivante qui possède une or^^anisalion par- ticulière, soit un ensemble de mécanisines consti- tué avec le concours des tissus musculaire et ner- veux. Cope a reconnu que, lorsqu'un être vivant subit une modification, ou bien celle-ci porte sur la tota- lité de la matière vivante qui le constitue, ou bien elle porte sur les connexions entre les diverses pièces de la machine animale ; dans le premier cas, il y a une variation chimique de la maiicre vivante, dans le second, une variation mécanique des divers appareils. Pour Cope, les variations chimiques relèvent de ce qu'il appelle la physiogenèse, les variations de< connexions de ce qu'il appelle la kinétogenèse ; les premières portent simultanément sur les diverses cellules de l'organisme, les secondes se transmettent d'un groupe de cellules à un autre. Cette distinction a été faite également par Edmond Perrier : ses allomorphoses sont les modifications physiogénétiques de Cope, ses automorphoses les modifications kinétogénétiques. Cope, comme nous venons de le voir, compare l'être vivant, l'animal, à une machine ; je me ser- virai de cette comparaison comme d'un moyen commode d'exposition. Mais je ferai remarquer qu'il y a un abîme entre la machine vivante la plus simple et la machine la plus compliquée sortie des mains de l'homme. Les machines employées dans Finduslrie sont 8 86 LA NAISSANCE HF I I M 1 I.l IM.Nt.i; d'ailleurs de deux sortes : daii^ la [dupaii louUi.s les pièces sont constituées par une substance rigide, non dclormable, et les mouvements ne dépendent que de l'agenccmeni des organes ; dans (Certaines il y a des pièces de deux sortes, les unes rigides, non déformables, les autres élastiques (ressorts, courroies, elc^, et alors les mouvements dépendent non seulement de ragencement des organes, mais encore des propriétés de ces organes élasticité, compressibilité ). bans ce (ju'on appelle d'une façon trop simpliste la « machine animale », il faut également tenir compte, en outre des connexions, des propriétés des divers organes (élasticité, excitabilité, contractilité. . .) En consé- quence, la variabilité des réactions, que nous allons avoir à envisager, peut résulter, ou bien de variations dans les connexions entre organes, ou bien de variations dans Télat de la matière vi- vante. Autrement dit, la variabilité des réactions chez les animaux peut résulter aussi bien de modifica- tions physiogénétiques que de modifications kiné- togénétiques. Mais tant que la variabilité des réactions résulte uniquement des premières modifications, il ne sau- rait être question depsycliisnu:. La variabilité d'ori- gine chimique, purement orgartique, n'a rien à faire avec le psychisme. Au contraire, celui-ci appa- raît comme lié aux connexions entre organes ; et il serait d'autant plus complexe que les connexions le seraient davantage. Or, le j)erfectionnement des L EVOLITIOX OBGANIQL'E ET LE PSYCHISME bi connexions est en relation avec celui du système nerveux. Il est bien évident que la distinction entre les modifications physiogénétiques et les modifications kinétogénétiques n'est pas absolue ; ces dernières se ramènent en dernière analyse à des processus chimiques qui se propagent en changeant de na- ture d'une cellule à l'autre, d'un organe à l'autre. Quoi qu'il en soit ce serait une utopie de « ten- ter à exprimer les réactions psychiques des ani- maux en un langage physico-chimique. » CHAPITRE X Rôle du système nerveux dans les réactions des animaux. Pour beaucoup d'auteurs, le « psychisme » est lié à la forme générale et à la spécialisation du système nerveux, appareil qui facilite les con- nexions de la machine animale. La forme du système nerveux dépend elle-même de la forme générale de l'organisme. Ici je rappel- lerai simplement que l'on distingue trois grands types d'organisation dans le règne animal : 1° celui des êtres unicellulaires (amibes, infusoires); 2' ce- lui des êtres pluricelhilaircs à symétrie rayonnée, fixés (hydres, anémones de mer) ou non (étoiles de mer, oursins) ; 3° celui des êtres à symétrie bilatérale (vers, mollusques, articulés, vertébrés). Les animaux unicellulaires n'ont pas de système nerveux, car qui dit « système nerveux » dit un assemblage de cellules munies de prolongements plus ou moins ramifiés, ou cellules nerveuses. L'as- sociation la plus simple est celle réalisée par deux DU SYSTÈME NERVEUX DANS LES RÉACTIONS 89 cellules, l'une fusiforme, l'autre cLoilée (fig. '3) ; la première, dite cellule réceptrice ou sensitive s, reçoit les impressions du milieu extérieur; celles-ci sont transmises à la seconde, cellule molrice m, qui les convertit en parti- culier en incitations mo- trices. Chez les êtres pluri- cellulaires les plus infé- rieurs (hydres...), les cellules nerveuses sont disséminées à la périphé- rie du corps, ne formant guère que de petits chaî- nons isolés. Chez les étoiles de mer, les oursins,... on voit apparaître l'ébauche d'un système nerveux central, sous forme d'un anneau d'où s'échappent cinq rubans radiaires. De même chez les vers annelés, mais la disposition est tout autre : dans chaque segment se trouve une paire de petites masses nerveuses, ou ganglions; ceux-ci sont réunis entre eux de manière à former une sorte d'échelle ven- trale, rattachée par un collier qui enloure l'œso- phage à une double masse dorsale, céphalique, cerveau rudimentaire. Cette disposition se retrouve chez les articulés, c'est-à-dire les crustacés, les insectes (fig. 4). Mais ces animaux ont une physionomie à part : le 8. Fk;. 3. Chaîne de iJeux crllùles nerveuses, reliant la surface exlerne du corps S à un muscle M ; s est la cellule sensitive; m, la cellule motrice ; les prolongements rami- fiés de ces cellules se touchent. 90 LA .NAlbsA.Nt 1 9 t corps est revèlii d'unu suilu «Ir cuirasse l I INTELLIGENCE milieu extérieur, ot, pour les expliquer, il n'est pas nécessaire de tenir compte de la (litTi^renciation en tissus musculaire et nerveux. L'acte rôflcxc ne né- cessiterait pas chez les animaux un agencement spécial (rélémenls nerveux ; tant qu'il subsiste un lien protoplasmiquc entre les éléments culanés et les éléments musculaires, les irrilanls périphé- riques peuvent erigendrer des réactions appro- priées. Loeb considère la « théorie des centres nerveux » comme une « erreur scientilique ayant poussé la physiolo^'ie sur la voie de la psychologie métaphysique ». J'ajoute que tous les physiolo- gistes ne sont pas i: i. ini i.i.i i ventouse [)t»sléricure esl fixée sur du vein , U>\il le corps se redresse verlicalement, dès qu'une ombre passe sur la tôle de l'animal ; qu'une torpille, on passant, porte l'ombre, la sangsue en se redres- sant peut l'atteindre et s'y fixer; si la ventmise posléricnre est, au contraire, déjà fixée sur la peau du poisson, le corps ne se redresse pas ; le mouvement n'aurait d'ailleurs dans ce cas aucune utilité. Il y a variabilité des réactions du bran- chellion, mais il ne s'agit plus d'une dilVérence dans l'excitabilité de la matière vivante ou dans la réception de la lumière; il intervient une asso- ciation entre deux phénomènes ayant leur poiiit de départ, l'un dans la région céphalique excitée par la lumière, l'autre dans la ventouse pos- térieure soumise aux excitants mécaniques. Dans ce phénomène associatif, facilité sin- gulièrement par le sys- tème nerveux central, on peut voir un phé- nomène psychique tout il fait rudimentaire. Le grapse est un crabe fort agile (fi g. 7) qui se réfugie dans les interstices des rochers littoraux. Il peut donner lieu à une discussion semblable à celle que je viens de faire pour le branchellion. Très souvent, Fie. Grapse ou crabe agile vivant dans les rochers littoraux des côtes sud- ouest de la France. Quand le crus- tacé est sai^i par une palte, le plus souvent il aban de l'animal dans les cas où il y avait, soit une simple variation chi- mique de la matière vivante, soit une variation dans les réceptions périphériques. On ne saurait trop s'élever contre des interprétations aussi fâ- cheuses. Il ne faut pas confondre la variabilité d'origine périphérique ou réceptive avec la variabilité d'ori- gine centrale ou associative, qui seule peut impli- quer le psychisme. Il ne faut jamais oublier que, chez un^animal pluricellulairc, les cellules péri- phériques forment comme un écran interposé entre le milieu extérieur et les cellules internes, en particulier les cellules des centres nerveux, écran qui ne laisse passer que certaines qualités et quantités de l'énergie du milieu extérieur. De l'analyse, encore trop imparfaite, que je viens de faire, il ressort nettement que la variabi- lité des réactions est un caractère insul'lisant pour apprécier le caractère psychique de celles-ci; il VARIABILITÉ DES RÉACTIONS DES ANIMAUX 101 faut, dans tous les cas, rechercher avec soin l'ori- gine de cette variabilité. Dans son récent livre, Marguerite Washburn arrive à une conclusion analogue : « Une machine aussi compliquée qu'un organisme animal, même s'il n'était rien de plus qu'une machine, doit montrer, dit-elle, des irrégu- larités dans son fonctionnement». Quand il 2 LA ,\ \ii.^A\(.i: uL L l\Il.I.l.iLl,^(.l; dél)ut•, à la longue, il s'est produit un arrange- ment mol(^ciilaire favorable au phénomène de résonnance; on pourrait dire (|ue le hois tiu violon «a appris» à vibrer à l'unisson des cordes; dans ce phénomène, il n'y a, évidemment, rien de psy- chique. Dans une forge, les muscles des ouvriers subissent des modillcations lentes qui les rendent plus aptes à agir dans l'acte de battre le fer : ils (• apprennent ». mais « apprendre » a, dans ce cas, un tout autre sens que dans celui où un apprenti se met rapidement au courant de son nouveau métier. Ces exemples, cités par Marguerite Wash- burn, sont très frappants. Chez les animaux- inférieurs, il y a bien des manières ditférentes (l'apprendre : la docilité ou habileté à apprendre est une caractéristique du protoplasma; chez un animal pluricellulaire, il peut y avoir un appren- tissage musculaire^ un apprentissage sensoriel, un (ipprentissaffe du syslèine tteroeux central; le sys- tème nerveux étant une des parties les plus sen- sibles de l'organisme, son éducation se fait en général beaucouj) plus vite que celle des muscles et celle de la matière vivante ordinaire. Chez les animaux supérieurs, il y a encore d'autres manières d'apprendre : outre l'association, l'imitation, le raisonnement. Pour beaucoup d'auleur.-». i habilelë à prolîter de l'expérience est un critérium suffisant des pro- cessus mentaux; Yerkes fait observer, avec juste raison, que l'emploi de ce seul crilénum est, non seulement insuffisant, mais encore absurde. VARIABILITÉ DES RÉACTIONS DKS ANIMAUX 103 Ceux qui, comme Bechterew, accordent le psy- chisme aux animaux unicellulaires, appuient leur opinion sur la variabilité des réactions, et sur des faits qui montrent que ces animaux sont capables d'apprendre. L'observation qui paraît la plus convaincante est due à Métalnikoff. C'est un fait banal que les infusoires englobent, outre des bac- téries, de fines particules de carmin, d'encre de Chine... ; ces substances qui leur sont nuisibles sont ensuite expulsées. Or, quand on place un de ces animaux dans un milieu où il y a beaucoup de carmin, il commence par en englober des quantités considérables; dans la suite, il en englobe de moins en moins, et iinalement, au bout de quatre à cinq semaines, il n'en englobe plus du tout; mais si alors on remplace le carmin par de la sépia, Tinfu- soire se met à manger avidement de celte nouvelle matière colorante, pour cesser également au bout d'un certain temps. Ce fait est à rapprocher de celui signalé par Bordet : les globules blancs du sang mis en présence de grandes quantités de bactéries, cessent, au bout d'un certain temps, d'en englober. L'infusoire, le globule blanc seraient capables d'apprendre..., auraient des facultés psy- chiques. Je ne crois pas qu'il faille se hâter de conclure dans ce sens; il faudrait préciser le méca- nisme de l'apprentissage; or, les animaux unicel- lulaires se prêtent mal à une analyse de ce genre. Dans les cas considérés, il semble y avoir psychisme parce que les nouvelles réponses sont précisément adaptées L un mot qui signifie bien des choses ditîérenles. Dans les phénomènes d'aflinilé chimique, les atomes mani- festent un choix : ils s'assoml)lent convenablement « par une sorte d'instinct infaillible ». La sélection, au sens de Darwin, est un choix qui se fait auto- matiquement. Chez un animal pluricellulaire, il peut y avoir un choix sensoriel, qui correspond })Ius ou moins à la <* discrimination sensorielle » des auteurs, ou bien un choix central, dont les formes les plus élevées peuvent être groupées sous 4e terme de « volonté ». «Varier ses actes», «apprendre», «choisir» sont des critères insuffisants des processus psy- chiques; il faut préciser davantage, si l'on veut conserver le mot «psychisme». Nous conviendrons de qualifier de psychique l'acte de varier ses actes, celui d'apprendre, celui de choisir, quand il est le résultat de processus associatifs, où interviennent des sensations passées et des sensations actuelles. La innéjtwire associative )> sera, pour nous, le crité- rium du psychisme. C'est en étudiant les phénomènes associatifs que nous pourrons établir une échelle des actes psychiques. CHAPITRE XII Discussion sur les critères du psychisme et [a légitimité de la psychologie comparée. Arrivés à ce point de mon livre, beaucoup de mes lecteurs auront certainement l'impression que celui qui va à la recherche du psychisme chez les animaux inférieurs marche sur un terrain mouvant, et plus d'un sera sans doute tenté de se ranger à Topinion des Allemands de la nouvelle école, à savoir que nous n'avons aucun moyen de pénétrer dans la vie psychique des animaux, qu'il n'y a pas, qu'il ne peut y avoir de psychologie comparée. Tel n'est pas l'avis de l'Américain Yerkes, qui est l'un des fondateurs de la psychologie compa- rée. Pour lui, certes, la recherche du psychisme est des plus délicates. Ceux qui veulent une cer- titude l'abandonneront presque infailliblement ; les véritables chercheurs, au contraire, seront captivés par les difficultés mêmes : ils observeront minu- tieusement les animaux, notant tous les signes qui paraissent révéler le caractère psychique de leurs 10() IV \\l -\ .! ni I INTELLIGENCE actes : cl, à défaut d'une certitude, ils se conten- teront d'un faisceau de probabilités. l'our Yerkes, tous les signes qui ont quelque valeur doivent ôtre utilisés ; ce savant les classe de la façon suivante, par ordre de valeur croissante : , ç-- ,1- roj'ine générale do l'orf^aiiisnie. ", y > 2. Forme du systémo norxeiix. ' .>. Spcîcialisatiorï du système norveux. ., ^ ^ 1. Forme fîéiiéralc de larcaction (discrimination). ..iijius 2. Modifiabilité de ia réaction (docilité). ' ' /}. Nanabilitc d»î la réaction (initiative). Les termes : « discrimination », « docilité », « initiative », sont empruntés aux Oullines of psi/rho/ogyy de Royce. Les deux chapitres qui précèdent ne sont en >omme qu'une discussion anticipée de la valeur de ces divers signes. Nous avons vu que les auteurs sont loin d'être d'accord sur celle des signes morphologiques, cer- tains faisant commencer le psychisme là même où il n'y a pas encore de système nerveux. Il y aurait beaucoup à tenir compte de la spécialisation du système nerveux, de la richesse des connexions entre cellules nerveuses : malheureusement nous savons difficilement l'apprécier. En ce qui concerne les signes fonctionnels, je n'aime pas les termes de discrimination, de doci- lité, d'initiative, établis par Royce ; tout cela sent trop le langage philosophique ; je n'ai jamais pu me figurer ce (ju'il faut entendre exactement sous ce mot de discrimination, dont depuis quelque LE PSYCHISME ET LA PSYCHOLOGIE COMPARÉE 107 temps on a fait un emploi si fréquent dans les tra- vaux sur la psychologie des animaux inférieurs...; les termes anthropomorphiques : docilité, initia- tive, représentent deux aspects opposés de la va- riabilité des réactions, l'animal se montrant comme passif ou comme actif. Je me sens incapable de discuter sur tous ces mots ; je préfère employer toujours le mot variabilité, chercher si la varia- bilité est d'origine organique, d'origine périphé- rique ou d'origine centrale, et, dans ce dernier cas, chercher à analyser la complexité des asso- ciations de sensations, c'est-à-dire la complexité psychique. En définitive, je rejette successivement les divers critères du j)sychisme adoptés par Yerkes, mais je choisis en revanche le critère de Loeb, à savoir la mémoire associative. Je ne prends donc pas l'atti- tude négative des Allemands. Je ferai observer que ce n'est pas à la psychologie que je m'en prends, mais au langage psychologique, qui jusqu'ici n'est guère un langage scientifique. Comme le fait re- marquer si bien le docteur SoUier, on ne saurait imaginer plus d'impropriété dans les termes, plus d'imprécision dans les définitions, plus de subjec- tivisme, d'anthropomorphisme dans les expres- sions... On a trop l'habitude d'employer des mots dont la définition est presque impossible, qui cor- respondent à quelque chose que tout le monde connaît d'une façon vague, mais qu'il croit très nette, tels que les mots de conscience, volonté... La confusion qui règne dans le langage psycholo^ / 108 .%\I-s\\(i m; I. I.NTELMCF.\( r ^i(liic liciil pour la plus grande part à ce (jue, an lieu d'étudier les phénomènes psychologiques rf'u;/» faron objective^ à la manière de tous les [)héno- mènes de la nature, on les examine à un point de vue essentiellement subjectif. Au lieu de disserter sur des mots, il vaudrait bien mieux se bornera noter les rapports de succession des phénomènes, comyne on les enregistre en physiologie, pour en déduire les rapports de causalité. Je me suis refusé à discuter sur les mots : discrimination, docilité, initiative ; j'ai cherché à montrer que reconnaître qu'un animal « varie ses actes », « apprend », « choisit », est insuffisant pour parler de psy- chisme; <( varier ses actes », « apprendre », « choi- sir » sont des mots qui peuvent signifier bien des clioses dilTérentes. Mais si j'ai conservé, comme critère du psychisme, la mémoire associative, c'est, comme nous le verrons dans la suite, que les phénomènes associatifs peuvent être étudiés objec- tivement chez les animaux et peuvent conduire à une définition objective du psychisme, répondant d'ailleurs à l'opinion la plus courante. Il y a « psychisme » lorsque l'acte de l'animal résulte de l'association entre des sensations ac- tuelles ayant leur point de départ dans divers points de la surface du corps et des sensations passées. Plus l'association est complexe, plus le psychisme est complexe. En observant les mouve- ments des animaux inférieurs, en notant leurs modifications dans des habitats et des conditions ^expérimentales variés, on arrivera à isoler les LE PSYCHISME ET LA PSYCHOLOGIE COMPARÉE 109 diverses variables qui interviennent dans les phé- nomènes associatifs. Autrement dit, la méthode éthologique doit se montrer précieuse pour l'étude analytique des actes psychiques. C'est là la voie dans laquelle la psychologie comparée doit s'engager. Loin de condamner celle-ci, je suis de ceux qui ont le plus confiance en son avenir. C'est parce que je suis fortement convaincu qu'elle peut aspirer à prendre rang dans les sciences naturelles exactes que je vou- drais la voir se dégager de tous les errements pas- sés. C'est au moyen âge et à ses discussions sco- lasliques que j'en veux; ce n'est pas seulement la psychologie, mais encore toute la science qui est opprimée par lui. Si je fais la guerre aux mots, c'est que j'ai foi dans les faits. Des faits ressorti- ront des lois, des idées nouvelles, dont la vérifica- tion conduira certainement h découvrir d'autres faits. Dès l'instant que nous avons adopté un critère du psychisme, — la mémoire associative, — nous n'avons plus à discuter la légitimité de la })sycho- logie comparée. La question n'a été soulevée d'ailleurs qu'à la suite d'un certain nombre de malentendus. Les plus graves touchent à la conscience : 1° on oublie que la conscience ne peut se révéler par aucun signe objectif, qu'elle est en dehors du do- maine des investigations scientifiques ; 2° on con- fond la conscience avec la complexité de l'activité : 10 Itt) i\ ^\l^.v^^,l. [,j i."j.mi.i.lu,l.\(.i. ('.lie/ riiominc, tel acte simple peut être conscient, tel acte compliqué incanscient; suivant les circon- stances, tel acte est inconscient ou conscient; r^°on considère la conscience comme « uno force sni tfcnt'ris intervenant dans la chaîne des processu nerveux pour en modifier l'orientation ». Éconton- plutôt liéiny do Gourmont : « Sans la conscienc<' dit-il. tout se passerait peut-être, dans Thomm le plus réfléchi, exactement comme cela se fiasse sous l'œil paterne de la conscience. Selon la cu- rieuse comparaison analogique de M. llibot, I conscience, c'est la veilleuse interne (pii éclaire un cadran; elle a sur la marche de l'intelligence la même influence, exactement, ni plus ni moins, qii cette veilleuse sur la marche de l'horloge. Savoi si les animaux sont doués de conscience est asse difficile, et peut-être assez inutile. » L'opinion qii; vient d'être exprimée est devenue une opinion presque*courante, une opinion à la mode, dans le monde philosophique. Le professeur Lukas, de Vienne, et Wasmanr; ont certainement eu tort de s'occuper du problèni de la conscience chez les animaux. Dans un livre récent : Psychologie der nicdersten Ticre (1905 , Lukas cherche les critères du conscient, et il admet, à côté des signes structuraux et fonction- nels, un critère téléologique : la conscience doit avoir quelque utilité pour l'animal ; elle apparaît là oii l'on a une raison de croire qu'elle est avan- tageuse ; ainsi, chez les animaux unicellulaires. où tout s'explique mécaniquement, la conscienc- LE PSYCHISME ET LA PSYCHOLOGIE COMPARÉE IH ne servirait à rien ; mais chez les anémones de mer, comme spontanément certains mouvements s'ar- rêtent, reprennent, la conscience apparaît avec le « désir » ; celui-ci précéderait les sensations, le sentiment... Ce raisonnement est bien faible. Pour Wasmann [Instinkt und Intelligenz im Tierreich^ 3* éd., 1905). bien que les animaux possèdent la faculté d'apprendre, ils n'ont pas l'intelligence, la raison, qui ne se montre que chez l'homme où le? formes d'acquisition sont plus variées ; mais, en revanche, ils peuvent être conscients, et, en cela, ne sont pas de simples machines : la conscience aurait son influence sur le fonctionnement des rouages. Je n'insiste pas sur les arguments de Wasmann, qui critique vivement Loeb, sans bien connaître son œuvre, sans l'avoir compris. Si j'ai signalé Lukas et Wasmann, c'est pour mettre en garde contre les deux livres de psychologie animale écrits parées auteurs, et non au courant d'ailleurs des récents progrès de cette science. Bien entendu, je ne parlerai pas ici de la cons- cience des animaux. Je ne la nie pas,mais je ne peux rien savoir à son égard. Je parlerai de psychisme, ce mot désignant la complexité de phénomènes que je parviens à analyser plus ou moins. Si je conserve certains termes du langage psychologique, comme celui de « sensations », c'est pour désigner, non les faits de conscience inaccessibles pour moi, mais les processus nerveux auxquels ils sont superposés. Je rappellerai, en terminant, que l'on doitàCla- 112 ,i.i; iJi: I, i\n:LLiGi:.\(:i: parèdc. de Genève, une éloquente protestation contre la négation de la psychologie connparée : la Psychologie comparée est-elle légilime? L'auteur sépare bien, dès le début, le problème de la con- science des autres problèmes du psychisme, et critique l'exagération méeaniste. Il cherche à mon- trer que la suppression de la psychologie compa- rée conduirait à celle de la psychologie humaine, et rendrait impossible toute comparaison de l'acti- vité humaine avec l'activité animale. Il insiste sur la question du langage : le nouveau langage pro- posé, si obscur, ne serait qu'un grossier trompe- l'œil, que la traduction en grec du langage psycho- logique; celui-ci : 1° n'offre aucun danger; 2® est souvent indispensable; 3° est commode, même là où l'on peut s'en passer. Je ne suis pas tout à fait de l'avis de Claparède : les mots peuvent offrir un danger quand ils servent à masquer la complexité des phénomènes auxquels souvent, par défaut d'analyse, on applique la même étiquette quand en réalité ils sont de natures variées. Mais employons les mots les plus simples, en cher- chant à toujours voir derrière eux des faits positifs. des choses... N'en créons pas de nouveaux, ce serait embrouiller inutilement le problème. Nous allons nous engager dans l'étude des faits. LIVRE III LA DYNAMIQUE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES CHAPITRE XIII Symétrie et tropismes. § 1. - SUR L'EQUILIBRE STATIQUE ET DYNAMIQUE DES ETRES VIVANTS. J'ai déjà cherché à montrer que les grandes lois qui régissent les phénomènes de la vie trouvent leur application dans les discussions sur le psy- chisme; aussi, au cours de ces exposés, je ferai constamment des incursions dans le domaine de la biologie. Je crois que Ton peut être conduit ainsi à des résultats vraiment scientiflques ; c'est précisément parce que beaucoup d'auteurs qui se sont occupés de la psychologie des animaux n'ont pas tenu compte de leur biologie qu'il y a tant de 10. Il NAISSANCE UE L INTELLIGENCE mauvais travaux (|ui ne font qu'encombrer inuti- lement la iitlj'r.iturc rclalive an sujet qui nous occupe. Nou< allons voir de .suite que les tropismes peu- ve:>t prendre une signification l>iolojirique générale, si on cherche leur équivalent dan? le don>aine ^\^^< formes. H y a quelques années, on a fondé à Vienne une station de biologie expérimentale d'où sont sortis (les travaux du plus haut Intérêt : Przibram en est le directeur, et c\^st sur les publications les plus récentes de ce savant que je voudrais attirer un instant l'attention de mon lecteur. Il s'agit de Véquïlihre des formes animales. Si. par une amputation, on détruit lo symétrie du corps d'un animal, on tend à détruire en même temps son équilibre ; mais, au bout d'un certain temps, la symétrie du corps est de nouveau réta- blie, et cela par divers procédés. Chez un petit crustacé isopode, très commun dans les eaux douces, VAscllus aquaticus, on coupe simultané- ment les deux antennes à des niveaux différents ; or, l'une croît plus vite que Pautre, et l'égalité est obtenue même avant la fin de la croissance de ces organes. On peut ne couper qu'un des deux or- ganes symétriques : il repousse, mais en général avec une taille et une différenciation moin- dre?, et bientôt l'organe symétrique tend à subir une atrophie qui se manifeste à la mue suivante. Ainsi chez un crabe, on coupe le doigt d'une pince, il repousse plus petit et sans dents; dès que l'ani- SYMÉTRIE ET TROPISMES 115 mal mue, le doigt correspondant de la pince op- posée perd sa différenciation, et de dentelé qu'il était devient lisse. Chez la larve d'hydrophile, les mâchoires ont normalement deux dents; on en sectionne une : elle repousse sans dents, mais aussi la mâchoire opposée n'a plus après la mue qu'une seule dent. Ces exemples, que je pourrais multiplier à vo- lonté, montrent qu'il y a une corrélation remar- quable entre la croissance d'un point du corps et celle du point symétrique. Tout concourt à la conservation de la symétrie des formes. Eh bien, dans le tropisme aussi, il s'agit du maintien de l'équilibre, du maintien de^la symétrie, bien entendu, non pas de Ja symétrie des formes, mais de !a symétrie de l'excitation de Tun et l'autre côté du corps : deux points symétriques doivent recevoir l'excitation de la même façon. Nous dirons que la position d'équilibre de l'animal est celle pour laquelle les points symétriques du corps sont excités d'une manière identique par la lumière, par la gravitaticm, ou par toute autre force du milieu ex«térieur. Dès que, pour une cause ou pour une autre, le corps dévie de cette position d'équilibre, il tend à y revenir pour ainsi dire automatiquement. Voici l'explication donnée par Loeb de ce phénomène. Soit A B un animal à symétrie bilatérale (fig. 8), un ver, par exemple, dont la tête A est dirigée vers la lumière, dont Taxe du corps est parallèle aux rayons lumineux, et soient a et b deux points 110 \ NAISSA.\L1. i. - 1 . 1 < 1 !•, .> 1 . I . symétriques quelconques de la surface du corps. Ces deux points sont frappés de la même façon par les rayons lumineux, et reçoivent de leur part une égale excitation; il n'y a aucune raison pour que la tension musculaire du corps soit plus grande d'un côté que de Tautre. Sup- posons qu'accidentellement ranimai prenne la position A'B : le pointa reçoit alors plus de lumière que le point rt, et la tension mus- culaire augmentera du côté de b en môme temps qu'elle diminuera du côté de a; il en résultera pour le corps une tendance à ?e courber du côté opposé à la cour- bure accidentelle, c'est-à- dire à se redresser. Si le corps dépasse la position d'équilibre, il tend à y re- venir immédiatement par le même mécanisme; ainsi on peut observer parfois des oscillations autour de la position d'équilibre, rappelant celles du pendule oscillant de chaque côté de la verticale. Le caractère automatique des mouvements qui déterminent l'orientation de l'animal par rapport à Fie. 8. léoanisme du phototropisme. — Dans la posiiion AB, l'animal est dirigé parallèlement aux rayons solaires et les deux côtés du corps (a et b) sont également excités. Dans la position A'B, il n'en est plus do mémo ; la dissymétrie de l'oxcilaiion entraine le redres- sement du corps. SYMÉTRIE ET TROPISMES 117 la lumière apparaît nettement, et on voit combien fausses étaient les affirmations des auteurs qui, observant un ver en train de se diriger vers la lumière, disaient que c'est parce qu'il aime la lumière. Nous donnerons donc le nom de tropismes à des mouvements où la volonté et les sentiments de ranimai ne sont pour rien, à des mouvements auxquels souvent l'animal ne peut résister, ces mouvements automatiques et irrésistibles ayant pour effet d'orienter l'organisme suivant la direc- tion de l'excitant, et assurant ainsi son équilibre. Quand il s'agit de réponses à la lumière, c'est du phototropisme , ei ce phototropisme est positif ou négatif, suivant que Tanimal se dirige vers la lumière ou du côté opposé; quand il s'agit de réponses à la gravitation, c'est du géotropisme] quand il s'agit de réponses à des excitations chi- miques, c'est du chimiotropisme, etc., etc. Les plantes, comme les animaux, présentent des tropismes, ce qui n'est pas étonnant, puisque, pour expliquer ces phénomènes, on ne fait inter- venir que les propriétés générales de la matière vivante. Une racine qui s'enfonjce verticalement dans le sol a un géotropisme positif; chez une tige qui s'élève suivant la direction opposée, le géotro- pisme est négatif. Quand cette tige se courbe vers la lumière, elle présente un phototropisme positif. Ce sont là des exemples typiques de tropismes, devenus classiques. On observe bien des faits ana- 118 LA NAISSA.M.l. Di; I. 1 M l.I,M(.l,\(.L logues chez los animaux inférieurs, fixés et lami- fiés souvent comme des plantes. Un des plus nets est fourni par uti hydroïde, V hudendrium (fij^. 9), qui a fait l'oltjot des études de Loeb. Une tige Fil.. 9. Eudendrium ou colonie ramifiée d'hydres marines. — Les tôles des rameaux s'orientenl nettement vi<-à v'-- «!" '•■ ''unirre d'nprès F,oeh). d'eudendrium est placée dans un aquarium; aprè-^ quelques jours, il se forme de nouveaux polypes : dès lors les rameaux qui les portent commencent à croître, la région d'accroissement étant située immédiatement au-dessous de chaque polype; si on soumet le tout à un éclairage latéral, la partie SYMETRIE ET TROPISMES 119 des rameaux envoie de croissance se courbe vers la lumière, jusqu'à ce que les points symétriques du polype soient atteints sous un angle égal par les rayons lumineux; ensuite la croissance se pour- suit en ligne droite, suivant la direction des rayons. Ici la courbure résulte, comme chez les plantes, d'un proces>us de croissance; dans d'autres cas, elle résulte, sans qu'il soit possible d'en dou- ter, d'un processus de contraction. Lafigure 10 représente les courbures géotropiques d'un po- lype. D'autre part, dans un aquarium enveloppé de noir et éclairé par une seule face, Loeb place plusieurs spirogra- phes, annélides tubi- coles, dont les tubes, flexibles, mais suffisam- ment rigides pourmaintenir l'animal dans une posi- tion délinie, présentent à l'une des extrémités le panache céphalique de l'animal. Les spirographes commencent par se fixer au moyen d'une sécrétion de l'extrémité aborale; immédiatement après la lumière commence à exercer son inthience sur les filaments du panache et le tube se courbe du côté de la source lumineuse, exactement comme le ferait la tige d'une plante placée dans les mêmes G. 10. Géotropisme d'un cérianlhe (d'après Loeb).— On donne successivemenl diverses inclinai.>^ons à la grille. Comme l'animal qui p^sse à tra- vers les inailles tend toujours à se redresser, il acquiert des cour- bures variées visibles dans la ligure. 120 LV NAISSANCE DE L INTELLIGENCE M conditions. Ouand on loiirnc raquarium d«; 180°, Ions les tnbcs subissent une courbure correspon- dante, qui ramène ainsi les panaches céphaliques vers la lùmiùre. De même les divers bras d'une étoile de mer peuvent s'orienter par rapporta la lumière, comme le montre la figure ci-jointe (fig.ll). Loeb a montré que «< le même héliotropisme positif, qui amène les tiges des végétaux ou animaux tels qu'eudendrium, spirogra- Fic. 11 Etoile de mer ayant recourbe tous ses bras do manière à les amener à roi)posé de la lumière, ici chaiiue bras phc, à Se COUvber verS la source lumineuse quand ils sont éclairés latéralement, les OBLIGERAIT à nager, à ramper, à voler vers la lumière, s'ils se trouvaient soudainement être pour- vus d'appareils de locamotion ». s'oriente en quelque sorte pour son compte. Nous saisissons déjà quelques-unes des caracté- ristiques essentielles des tropismes : une fois que le mouvement est bien établi, il y a constamment symétrie dans Vexcitation des deux côtés du corps, et le chemin suivi peut être tracé à l'avance en appliquant les simples considérations de la méca- nique et de la physique. Or, beaucoup d'auleurs ont discuté sur les tro- pismes, tout en méconnaissant ces caractéristiques SYMÉTRIE ET TROPISMES 121 essentielles. Pour qu'il y ait tropisme, il ne suffit pas que les animaux se groupent autour de cer- tains points, qui semblent se comporter comme des centres d'attraction, il faut encore qu'ils sui- vent pour s'y rendre certains chemins déterminés. Il a suffi de dénaturer la théorie pour que les exa- gérations et par suite les railleries deviennent faciles. Pour le prouver, je vais citer Claparède. « Nul doute, dit-il, qu'un physiologiste de Sirius ou de Saturne, descendant sur notre planète pour y poursuivre ses éludes, n'arrive à réduire nos actions les plus humaines à de très vulgaires tro- pismes. C'est ainsi que ce nouveau Micromégas que nous supposerons, à la différence de celui de Voltaire, ignorer nos idiomes terrestres, remar- quant les nombreux points d'attraction qui, sous forme de cabarets, attirent la foule des humains, créerait sans doute un éthylotropisme qui serait un des plus généraux^ après l'héliotropisme bien entendu. Il décrirait aussi un héliolropisme négatif chez les boulangers, les actrices; un nosotropisme pour les médecins, et un nécrotropisme pour les croque-morts; un phytotropisme pour les jardi- niers, un géotropisme pour les laboureurs. » Et Claparède ajoute : « Il n'aurait pas complètement tort, bien qu'il y aurait erreur, sans doute, à prendre nos actions humaines, qui sont le produit d'un mécanisme très compliqué, pour des réactions toutes simples à des excitations simples, et à revêtir le tout de quelques mots bien sonnants... » Il est regrettable que M. Claparède ait employé 11 122 LA NAISSANCi: l'i I INTELLIGENCK un procédé de discussion aussi facile que celui de la raillerie. Et c'est bien dommage que son voya- geur veiHi de Sirius ignorait les idiomes terrestres, car autrement on l'aurait engagé à lire l'ouvrage de Loeb : la Uijnamique des phénomènes de la vie, et alors il n'aurait parlé ni de 1' o éthy- lotropismc » des alcoolicfues, ni surtout du « phototropisme » négatif des actrices, car ce qui caractérise les tropismes c'est la direction inva- riable du mouvement imposée par une force exté- rieure. Dans les troi)ismes, lanimal suit en (juelquc sorte fatalement la voie que l'on peut déduire à l'avance, et, quand il y a plusieurs forces en jeu, on peut définir rigoureusement la part qui revient à chacune des forces déterminantes ; il y a une pré- cision matltémnlique, une certitude en quelque sotie astronomique : l'a.nimal n'est pas plus maître de sor- tir du chemin qui lui est imposé par les forces du milieu extérieur qu'un aslre qui gravite autour du soleil. Or, dans les faits et gestes des humains, ce caractère n'apparaît pas. A la place de Claparèdc, j'aurai préféré compa- rer les actrices à des papillons, ces animaux qui sont en une agitation continuelle, et dont Loeb a dit : « Ou dirait qu'à leur intérieur ont lieu, sans règle apparente, des processus qui provoquent des mouvements ou changent la direction des mou- vements ; il se peut qu'une analyse ultérieure de ces faits montre qu'ils sont dus, en partie, à l'ac- tion de certaines circonstances extérieures, mais il SYMETRIE ET TROPISMES 123 se peut aussi qu'il s'agisse, au moins en partie, de processus purement internes. » En présence des multiples acceptions qu'a pris le mot tropisme dans les cerveaux de ceux qui n'ont jamais cherché à vérifier par l'observation et l'expérimentation ce qu'a vu et constaté Loeb. il est absolument indispensable d'adopter un cri- tère des tropismes. On a vu dans certains actes de l'homme des tro- pismes ; eh bien ! on a eu tort. La nuit. je me trouve perdu dans une forêt ; tout à coup j'aperçois une lumière, et alors, inconsciemment même, en quel- que sorte automatiquement, je me dirige vers elle. Ce n'est pas du phototropisme. En effet, si j'avais aperçu en même temps deux lumières dilTércfites, l'une à droite, l'autre à gauche, je me serais dirigé, souvent après hésitation, vers l'une ou vers l'au- tre. Or, un animal phototropique ^ dans les mêmes conditions, ne se dirigerait ni vers l'une, ni vers Tautre, mais entre les deux, de manière à ce que l'action combinée des deux lumières produise un éclairement égal des deux côtés du corps. Il y a là un moyen de distinguer le phototropisme de la vision. ET DU SYSTÈME NERVEUX DANS LES TROPISIVIES. Au sujet de cette intervention, on a encore fait fausse route. Je ferai remarquer que Loeb n'a jamais dit que le système nerveux n'intervient pas 124 LA NAISSANCI . . i INTELLIGENCE dans les tropismes ; il a dit seulement que celte intervention n'était pas nécessaire. On saisit tout de suite la diiïérencc; il est Tort possible que le système nerveux et les organes des sens prêtent leur concours et facilitent les processus dont les tropismes sont la conséquence. Nous disons donc (jue, dans le phototropisme, les yeux ne sont pas indispensables. Les réactions héliotropiques supposent la présence dans les tis- sus do substances photo-sensibles (pigments ou matières colorantes, a Ces substances, dit Loeb, peuvent exister sans qu'il existe des yeux^ comme le démontrent les réactions des plantes et de l'eu- dendrium. S'il est vrai que des yeux ne peuvent fonctionner sans contenir des substances photo- sensibles, il n'est pas vrai que, partout où il y a de telles substances, il doive y avoir des yeux. » Dans un œil, il y a à la fois des substances photo- sensibles et des milieux transparents qui ont la propriété de faire converger tous les rayons issus d'un point lumineux de l'espace en un point de la surface photo-sensible de l'animal. Les substances phoLo-sensibles sont beaucoup plus répandues chez les êtres vivants que les yeux. Loeb ajoute : « Quant à vouloir trouver des «yeux » partout où la lumière agit sur certains organes, il n'y a là qu'une question de mots, portant sur la nolion de 1' « œil »; mais ces sortes de discussions verbales ne sauraient nous assurer une prise plus étendue sur les phénomènes en question, ni une connaissance plus approfondie de leur mécanisme physico-chimique. » SYMÉTRIE ET TROPISMES 125 Loeb remarque que l'influence de la lumière s'exerce plus fortement sur la région orale que sur le reste du corps. J'ai insisté à maintes reprises dans mes tra- vaux personnels sur l'importance de la réception de la lumière par les yeux, mais ceci n'est pas en désaccord avec la théorie de Loeb. De même que la région céphalique est en quelque sorte plus sensible que le reste du corps, de même, dans la région céphalique, les yeux sont deux points symétriques plus sensibles que les autres. Riidl, dans un important livre sur le phototropisme des animaux, avait aussi entrevu l'importance des ré- ceptions oculaires. Radl et moi-même, nous avons été frappés par des expériences fort curieuses, dont Loeb avait été d'ailleurs l'initiateur. Chez un crustacé, chez un insecte, en excitant ou en noircissant un des deux yeux, on obtient fréquemment un mouvement de manège, se faisant, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Le mouvement a un caractère obligé, forcé, tout comme un tropisme. Nuel donne, d'après Rildl, l'explication suivante : « Chez les arthropodes, les organes photo-récepteurs d'un côté exerceraient sur les muscles du même côté une action tonique, contre-balancée par l'action analogue de l'autre côté. L'une d'elles étant sup- primée, l'autre devient prédominante. » On voit que c'est là en somme une explication calquée sur celle que Loeb donne des Iropismes. Axenfeld a fait beaucoup d'expériences sur les 11. 126 l,\ N\l»A.\«.t, insectes. Avant lui. Binol avait rcconiiu (pic cer- laincs altérati()ns unilatérales ou certaines excita- lions asymétriques des téguments, des appen- dices, des organes des sens suflisent chez les insectes pour produire des mouvements de ma- nège, et il avait émis l'hypothèse que « la cause primitive du mouvement de manège consiste dans une excitation inégale des deux côtés du corps ». Binet avait vu juste. Mais il semble que bien long- temps avant Binet et avant Loeb, on ait observé ces mouvements de manège. Du moins c'est ce qfie j'en conclus de la lecture du Puitsde Sninle-f^laire. Anatole France, qui est à la fois un admirable écri- vain et un penseur, y a mis par écrit certains contes italiens, en particulier celui du « joyeux BufTal- macco ». Le voici en résumé : Andréa Tafi, peintre et mosaïste, peignait à la fresque, avec des couleurs broyées dans la manière des (Jrecs ; il ne prenait jamais de repos et n'en donnait jamais à ses apprentis ; pour que ses cou- leurs, ses pâtes de verre et ses enduits fussent préparés dès la pointe du jour, il se levait au mi- lieu de la nuit pour réveiller ces jeunes garçons ; or, rien n'était plus pénible à ceux-ci ; aussi l'un d'eux. Butfalmacco, imagina une farce susceptible d'effrayer son maître. Il recueillit dans une cave deux douzaines de blattes et les mit dans un sac; la nuit, un peu avant le réveil du Tafi, il sortit les blattes une à une et leur attacha sur le dos, au moyen d'une aiguille courte et fine, une petite chandelle de cire. Les insectes, lâchés dans la SYiJÉTRIE ET TROPISMES 127 chambre, se mirent à décrire des cercles. « Buffal- macco, de son lit où il s'était jeté, les regardait faire et s'applaudissait de son artiQce. Et vraiment rien n'était plus merveilleux comme ces feux imitant en petit l'harmonie des sphères, telle qu'elle est re- présentée par Aristote et ses commentateurs. On ne voyait point les blattes, mais seulement les lumières qu'elles portaient, et qui semblaient des lumières vivantes. Au moment où ces lumières formaient dans l'obscurité de la chambre plus de cycles et d'épicycles que Ptolémée et les Arabes n'en observèrent jamais en suivant la marche des planètes, la voix du Tafi s'éleva, aigrie par la pi- tuite et par la colère. » Le Tafi poussa rudement la porte de la chambre, mais voyant des feux qui couraient tout le long du plancher, il se mit à trem- bler de tous ses membres. « Ce sont des diables et de malins esprits, pensa-t-il. Ils cheminent avec quelque idée de la mathématique., en quoi il m'ap- paraît que leur puissance est grande... », et il descendit l'escalier de toute la vitesse de ses vieilles jambes. Ces faits sont des plus curieux. Anatole France, pour les expliqueT, invoque « l'instinct qui pousse les insectes à tourner en rond, pour s'échapper à tout danger inconnu». Bien entendu, nous n'adop- terons pas cette explication ; nous n'attribuerons pas non plus Vidée de la mathématique à ces animaux. Nous verrons simplement dans ces mouvements de manège l'effet de l'inégale excitation des deux côtés du corps. 128 L\ .\AIS.SA.\( K i.i L l.MhlJ.i<,K.N( !■; Par l'ampiilalion on lo noircissement d'un œil, j'ai obtenu des mouvemeuls de manège cliez de nombreux animaux, et môme chez des vers anne- ' lés marins. Il suffit souvent de brider un des points ocu- iit'ormes céphaliques pour (|ue le corps, qui est très long, s'enroule en cercle. On se rend compte par cet exemple de l'importance des réceptions oculaires, même là où l'reil est encore peu diiTérencié. C'est par un inégal éclai- remcnt des deux yeux que j'explique un cas particulier du phototropisme, assez fré- quent : celui où un animal est attiré par un écran noir. Une liltorine, par exemple, est entraînée suivant la di- rection X y ( fig. 12); elle vient à passer dans le voi- sinage d'un écran noir E, l'œil a se trouve moins éclairé que l'œil b ; le corps se courbe en arc, suivant le mécanisme déjà décrit, la concavité étant tournée vers F, et, par suite, la trajectoire s'incurve suivant x' y'. L'attraction par l'écran noir nous apparaîtcomme i\ I \ I ^, I • I I Fir.. 12. Atlraclion d'un animal jiar un écran noir E. — L'animal est représente par la flèche, et se déplace suivanl la direction X y, tant iju il n'est pas arrivé au niveau de lécran et que ses deux yeux a el 6, sont également éclairés. A parlii- d'un certain moment, l'écran détruit la symétrie de l'éclai- remeni. {lar suite le corps s'incurve el le chemin suivi également. SYIIÉTRIE ET TROPISMES 129 un cas particulier des mouvemenls de manège. Et c'est pour cela que j'ai insisté, à juste raison, je crois, sur la parenté des mouvements phototro- piques et des mouvements de manège. Dans la possibilité de produire un mouvement de manège par la destruction unilatérale d'un organe des sens, on peut voir un nouveau critère des Iropismes applicable dans certaines circons- tances; le sens de la rotation csl, d'ailleurs, en rap- port avec le signe du tropismc. La position d'équi- libre étant celle pour laquelle les deux côtés du corps reçoivent une égale excitation, après destruc- tion unilatérale d'une surface réceptrice, celte position ne peut plus être atteinte, et Tanimal tourne constamment. Ce nouveau (îritère peut être appliqué au chimio- tropisme. Bien curieuses, à cet égard, sont les observations toutes récentes de Barrows sur les réactions de la Drosophila ampelophila. Ces insectes diptères, aussi bien que leurs larves, se nourrissent de fruits en voie de fermentation, et ils trouvent leur nourriture avec la plus grande facilité, même à Tobscurité. Ceci a suggéré à l'au- teur de rechercher les réactions des drosophiles vis-à-vis des substances odorantes. Il a constaté un chimiotropisme positif pour les alcools éthy- lique et amylique, l'acide lactique, l'acide acétique, l'éther acétique; en mélangeant l'éther et l'acide acétique à Talcool éthylique, on renforce beaucoup l'attraction. Il est intéressant de. remarquer que toutes ces substances se trouvent dans les fruits 180 .\Ais^.\\( I. m; I, i\ 1 ir.i ii.i \< fernieiilcs, cl <|uo, quand les proportions AN( I II II \ ri:r I n.i \ cherchonl abri sous les pierres du boni (Je leau, dans les fentes et anfractnosités des rochers, dans les touffes d'algues, dans le sable, dans la vase... Anna Drzewina a reconnn quo ceu.x qui vivent sous les pierres du bord de l'eau présentent une sorte de tropisme très net vis-à-vis de l'humidité (fui se dégafçe de la mer, une sorte d' « hydmtro- pisinr )). Un de ces crabes placés sur le sol à 50, 100, 200 mètres du rivage, tend constamment à se diriger en droite ligne vers la mer, malgré les divers obstacles qu'il peut rencontrer ; la pente, Tombre, le vent n'ont que des influences perturba- trices insignifiantes ; mais après la pluie, comme il se dégage de la vapeur d'eau aussi bien de la terre que de la mer, ledit tropisme cesse de se manifester. 11 est particulièrement marqué chez les individus qui vivent en un point du littoral, où la mer se retire beaucoup et où la dessiccation peut être très intense. Tel est le cas de la petite île de Tatihou dans la baie de la Hougue (Manche) ; à mer basse, elle est rattachée au continent par une bande déterre, R (fig. 13 . Or, un crabe placé à la pointe qui regarde cette bande se dirige vers elle, et non vers l'eau ; en réalité, il est attiré d'un côté et de l'autre par la mer dans la direction des flèches oa et o/>, et par suite il suit une direction intermédiaire oc. Dans ce cas particulier et acci- dentellement la réponse cesse d'être adaptée. Dans d'autres habitats, les crabes ne se com- portent pas de même. Ceux qui vivent sous les pierres à des niveaux plus inférieurs, ne décou- SYMETRIE ET TROPISMES 13J vrant guère à basse mer, et qui par conséquent n'ont à craindre aucune dessiccation, ne présen- tent que peu ou même pas du tout ledit hydrotropisme. Dans la baie de la Hougue, le danger pour le crabe peut être la dessiccation ; ail- leurs le (langer pourra être d'être entraîné par les va- gues. A la pointe de Gatte- ville, au pied du phare, les rochers s'avancent loin dans la mer, sont couverts d'al- gues et battus par les flots. Bien des crabes restent accrochés à ces algues; dès qu'on les en écarte, ils y reviennent. Placés sur le sable d'une plage, au lieu de gagner la mer, ils se dirigent vers les rochers couverts de fucus, ou vers de vastes surfaces de même couleur, comme s'ils l.A\(,i, i»i; 1. i.M i.Li.i(,i;.N(.i: (léré ; 2 un ne détermine aucun mouvement de manège en sectionnant une antenne ou autre organe possible do réception. Ainsi les caractéris- tiques essentielles des tropismes ne s'appliquent pas. Anna Drzewina nous a fait donc connaître un mode d'activité difl'érent des tropismes, bien qu'of- frant certaines ressemblances avec ceux-ci, et sur lequel l'attention n'avait pas encore été alliréc. Ces faits nouveaux sont susceptibles de jouer un grand rùle dans les discussions sur la psychologie des animaux inférieurs. Mais, supposons pour un instant qu'il se soit agi véritablement d'un tropisme. Le fait que celui-ci ne se manifesterait pas dans toutes les circons- tances ne prouverait pas contre la théorie des tro- pismes. En elTet : 1*^ ceux-ci dépendent de l'état de la matière vivante, qui n'est pas le même dans les divers habitats, aux divers niveaux ; 2° si les tropismes n'ont rien de psychique, s'ils ne résul- tent pas de phénomènes associatifs, ils peuvent exister concurremment avec d'autres modes d'acti- vités. Or, de deux choses l'une: ou bien le tro- pisme inné se trouve adapté aux conditions les plus habituelles de vie de l'animal, ou bien il ne s'y trouve pas adapté ; dans le premier cas, des activités surajoutées n'ont aucun intérêt pour l'animal, et le tropisme reste au premier plan ; dans le second cas, au contraire, il est de toute nécessité que des activités se surajoutent au tro- pisme, qui se trouve ainsi annihilé et passe au second plan. SYMÉTRIE ET TROPISMES 137 Le tropisme inné reste toujours ce qu'il était, la sélection n'ayant pas prise sur lui ; mais celle-ci s'exerce sur l'ensemble des autres activités, qui ainsi, dans certains cas, peuvent devenir prédo- minantes. Gela a été la grande faute de Jennings d'avoir méconnu les activités surajoutées aux tropismes ; pour lui, les tropismes seraient le résultat d'un apprentissage, de longues suites d'essais; or, je montrerai dans ce livre que les prétendus essais de Jennings ne sont que le résultat de la superpo- sition aux tropismes des phénomènes de sensibi- lité différentielle, des manifestations des rythmes vitaux... Je vais aborder précisément l'étude de ces notions, plutôt nouvelles dans la psychologie comparée. Mais avant d'aller plus loin, je tiens à rappeler les caractères essentiels des tropismes, qui res- sortent de l'élude même que je viens de faire : 1° dans le tropisme, l'animal tourne automatique- ment jusqu'à ce que les deux côtés du corps reçoi- vent une égale excitation de la part de la force considérée; et à partir de ce moment le chemin suivi est tel qu'à chaque instant la symétrie d'ex- citation est conservée ; 2° après suppression uni- latérale des principales surfaces réceptrices, le tropisme est remplacé par un mouvement rota- toire également automatique ; 3° le tropisme pré- sente des variations d'intensité qui sont liées aux variations de l'état de la matière vivante, et qui par conséquent n'ont rien de psychique; il peut 12. 138 l\ .\AlS.sA.\«.L IU-. l. iMvAA.iuiASi. s'aiiimlcr, changer tic signe; 4" I\ NMSSANCE l)K l/lMELLIGENCE que la (juaiititc' de glucose augmcnlo, la formation des piquants est plus accentuée. Le sucre agit ici en tant que déshydratant; la sécheresse ou une lumière intense produirait le môme effet. 4° Changement de signe des iropismes. — Si le- variations de la teneur en eau de la matière vivante retentissent sur les mouvements de mitose, c'est-à-dire sur les mouvements des par- ticules constitutives du noyau au moment de la division cellulaire (parthénogenèse et multiplica- tion cellulaire chez les plantes), elles retentissent également sur les mouvements musculaires, et elles peuvent entraîner en particulier le change- ment de signe des tropismes. Suivant la teneur en eau de la matière vivante, la lumière exerce sur elle, soit une action exci- tante, soit une action contraire, c'est-à-dire inhi- bitrice. Or, le mécanisme du phototropisme veut que celui-ci soit dans le premier cas négatif et dans le second cas positif. Il est très remarquable que tous les facteurs do la parthénogenèse artificielle peuvent être des agents modificateurs des Iropismes; j'ai eu l'occa- sion de le montrer, en 1905, à l'Académie des Sciences de Paris. Mes expériences ont été réali- sées sur le littoral marin ; on sait que la mer n'atteint les niveaux les plus élevés que pendant quelques jours de chaque quinzaine; c'est alors la vive eau\ dans l'intervalle de deux vives eaux, on morte eau, les rochers les plus élevés supra-lilto- ÉTATS CHIMIQUES ET RYTHMES VITAUX 147 raiix se dessèchent, les estuaires se dessalent, les mares supra-littorales se chargent d'acide carbo- nique, et les tissus des animaux perdent ou gagnent de l'eau suivant les circonstances, en sorte que le phototropisme change de signe de la vive eau à la morte eau. Sur les rochers supra-littoraux se trouvent de petits mollusques, les littorines [Liltorina rudis); en morte eau, par suite d'une dessiccation phy- sique très intense, le phototropisme est négatif; avec le retour de l'eau, il devient positif. Les vers annelés (Hedisle diversicolor) des estuaires saumâtres se comportent d'une façon analogue, sous l'influence des variations de salure de l'eau. Au sujet de l'intervention de Tacide carbonique, j'ai observé des faits très curieux dans les mares supra-littorales de Concarneau. En morte eau, celles-ci, où s'accumulent des déchets organiques divers (débris de Poissons), sont le siège de putré- factions organiques, d'un dégagement d'acide car- bonique et d'autres produits toxiques; mais, au moment des grandes marées, les vagues viennent balayer les impuretés et renouveler l'eau. Or, dans ces mares, pullulent de petits crustacés copépodes [Harpacticusfulvus) ; quand l'eau est putride, les mouvements des animaux se ralentissent beau- coup ; mais, une fois que l'eau est renouvelée, les copépodes se mettent à nager très activement, en fuyant rapidement la lumière. Ainsi on peut établir une sorte de parallélisme 148 1 \ \ \ISSA.\( entre la parlhénogenèsc arlificielle (t lrcs qui durent en moyenne treize heures, et celle des oscillations de quinzaine. J'ai montré depuis 1903 que la vie des animaux littoraux est en relation étroite avec le flux et le reilux de la mer et que leur biologie est en quelque sorte refilée par les mouvements de la marée. Sur les plages de Bretagne, dès que la mer so Kif.. 1',. Convoluta. ou vers plats ciliés formant des taches vertes à la surface la Bévue des idées ; cet article souleva de vives pro- testations. Mais depuis quatre ans les idées qu^ j'avais émises ont trouvé leur application, et on commence à en tenir compte, sans l'avouer bien nettement. Je me contenterai ici de quelques exemples. On doit à M. Houssay, professeur en Sorbonne. savant et philosophe à la fois, une tentative très curieuse de transformisme expérimental. M. Ilous- LUTTE CONTRE LA VARIATION ET LA SENSIBILITÉ 163 say a recherché Vinfluence du régime Carnivore sur les poules. A la première génération, les variations entraînées par le nouveau régime sont très nettes : elles portent sur le tube digestif, sur les reins, et elles correspondent à un « bouleversement orga- nique considérable », l'état chimique des . divers tissus étant modifié sensiblement. Dès la deuxième génération, les variations sont d'importance beau- coup moindre. Dans la suite, les variations nouvelles perdent encore de leur importance, et on constate même que telle variation peut changer de sens au bout d'un certain temps d'application du régime, et qu'il se produit ainsi U7i retour en arrière. Ceci s'applique, non seulement à l'organisation des ani- maux, mçiis encore à la ponte, aux mœurs sexuelles. Le nombre des œufs augmente tout d'abord, pour diminuer ensuite; beaucoup d'arrêts de déve- loppement se produisent et la proportion des mâles augmente beaucoup, mais le dimorphisme sexuel qui, au début, s'était accusé, devient petit à petit moins apparent, et parfois est presque supprimé dès la troisième génération ; le fait suivant est significatif : quatre coqs de la quatrième géné- ration ont pu vivre avec une seule poule en par- faite intelligence. H Tous ces faits sont très curieux, disais-je en janvier 1904 dans la Revue des idées : il semble que, dans la première génération, l' organisme, surpris en quelque sorte, subisse passivement l'influence morphogène du nouveau régime, mais que, dès la deuxième génération, Torganisme s'adapte à ce lOi LA NAISSANCE DE L INTELLIGENCE nouveau régime, réagisse, lulle conlre ses cffols. C'est là la loi générale de Taclion cl de la réaction. Toute cause qui tend à produire une modilicalion dans un organisme entraîne une réaction de l'orga- nisme qui tend à s'opposer à celte modification; par suite on ne conçoit guère qu'une évolution dans ces conditions soit possible. On tourne fala- lemrnt dans un cercle limité et on reoient rapidement au point de départ. Les résultats des expériences de M. Houssay auraient pu être prévus par ceux qui ne se seraient pas laissé hypnotiser par les idées évolutionnistes. » Ces observations sont à rapprocher dobserva- lions médicales, bien mises en valeur par le D*" Iléricourt dans un livre de cette collection, les Frontières de la maladie, et d'où ressort l'immu- nité héréditairement acquise de la tuberculose, et dautres maladies microbiennes : « L'enfant conçu et mis au monde par une mère tuberculeuse serait réfractaire à la [ditisie dans tout le cours de sa vie, même jusqu'à sa descendance. » La lutte contre la maladie, qui se poursuit de générations en générations, peut être mise en parallèle avec la lutte contre la variation, qui se poursuit également de générations en générations. Ce parallèle est d'autant plus légitime que, comme je l'ai déjà soutenu à plusieurs reprises, les individus, animaux ou végétaux, qui ont subi soit une variation brusque (mutation), soit une variation lente, doivent être considérés comme des individus malades : débiles, ils ont une activité LUTTE CONTRE LA. VARIATION ET LA SENSIBILITÉ 165 vitale inférieure à celle des individus normaux ei moins variée; ils sont doués en quelque sorlo d'une faiblesse congénitale. Ceci résulte nettement des recherches du botaniste hollandais Hugo de Vries sur les mutations des plantes, et, en particulier, de l'onagre. De Vries, il est vrai, n'insiste pas sur ce point; Korschinsky, au contraire, dans des con- sidérations de la plus haute importance sur Vliété- rogenèse ou variation brusque, publiées dans les Mémoires de l'Académie de Saint- Pélersbourg, après avoir cité des faits du même ordre, en dé- gage une idée fondamentale, à savoir que : toute variation débute par une période critique, parfois assez longue, dans laquelle l'individu qui a varié se trouve manifestement dans un état d'infériorité vis-à-vis des individus qui n'ont pas subi la varia- lion. Les variétés nouvelles chez les plantes : hêtres à feuilles pourpres, campanules à fleurs blanches, moins résistantes, succombent plus faci- lement dans la lutte pour la vie. Ces conclusions sont applicables aux animaux comme aux plantes, en particulier, aux hybrides, qui sont nés de la rencontre de deux petites masses de matière vivante détachées d'individus apparte- nant à deux espèces différentes. Ainsi, un individu qiii subit une variation est un malade. Or, un malade, ou bien meurt, ou bien lutte contre la maladie. J'ai montré tout à l'heure quelques épisodes de celte lutte : les poules car- nivores, les tuberculeux. J'ajouterai encore un exemple curieux, le procédé employé se trouvant 106 LA ^AISSA^( I m i/intelligence ôtre précisément celui des tropismes. J'ai soumis à une vive insolation, pendant quelques heures, une ponte de grenouille: i(uel(iuos semaines après, les têtards, qui provenaient de la transformation des embryons, se comportaient d'une façon diffé- rente de celle des têtards normaux : ils fuyaient le soleil, avaient un phototropisme négatif des plus nets. Leur matière vivante avait autrefois reçu trop de lumière; maintenant, elle devait éviter celle-ci. « La Nature a horreur de la variation. » On pourrait, dans le domaine de la biologie, multi- plier les exemples. H serait facile d'en citer égale- ment dans le domaine de la psychologie et dans celui de la sociologie. Les idées de Hené Quinton, en général mal connues et comprises, se ratta- chent à cet ensemble de considérations : l'évolu- tion morphologique, — que ne nie pas Quinton, tout au contraire, — résulterait* d'insurrections successives des êtres vivants contre les variations du milieu extérieur qui se sont produites au cours de rhistoire de notre Terre; les derniers parus, les mammifères, les oiseaux, seraient ceux qui au- raient eu le plus à lutter pour maintenir les con- ditions originelles. Les id^es de Quinton ont été appliquées à d'autres faits que les faits biologiques par une pensée logique et claire, celle de Rémy de Gourmont, et ont donné lieu à des dissertations philosophiques captivantes, malgré leur aridité, celles de Jules de Gaultier. Il apparaît que bien souvent l'intelligence humaine elle-même aurait eu LUTTE CONTRE LA VARL\TION ET LA SENSIBILITÉ 167 l'horreur de progresser. De tout temps, les idées conservatrices ont été les freins de l'évolution sociale. § 2. - DIVERSES SENSIBILITÉS DIFFÉRENTIELLES. Je me suis laissé entraîner, en apparence du moins, bien loin de tout ce monde des animaux- inférieurs : infasoires, polypes, vers, crustacés..., dont je rapporte ici les faits et gestes pour tâcher d'apercevoir, dans l'obscurité du pur mécanisme, les premières lueurs de Tintelligence. Des faits nouveaux, et d'un intérêt considérable pour l'analyse des actes parfois si complexes de ces animaux, vont nous montrer que chez eux il y a, presque dans tous les cas, des mouvements très simples qui permettent à V organisme d'échapper à la variation des diverses forces du milieu exté- rieur. Ces faits, sur lesquels j'ai particulièrement attiré l'attention dans mes travaux récents, peuvent se ranger sous la rubrique de « sensibilité différen- tielle », établie par Jacques Loeb. Il s'agit, en effet, de réponses à des variations plus ou moins brusques des diverses forces du milieu extérieur : lumière, gravilation... Faute d'avoir trouvé d'au- tres termes, j'ai adopté ceux de « sensibilité diffé- rentielle », du moins provisoirement, car les psycho-physiciens ont prolesté et fait remarquer qu'ils les avaient employés avant Loeb dans une acception un peu différente. On peut considérer la sensibilité différentielle 108 M ^AlssA^( i m i intelligence vis-à-vis : 1" de la lumière ; 2** de la gravitation ; 8° des surfaces solides ; 4" des substances chi- miques, etc. J'insisterai surtout sur le premier cas. 1° Sensibiliiti diffère nlielle vis-à-vis de la lumière. — Je supposerai que l'animal a un phototropisme positif, c'est-à-dire qu'il se déplace, orienté suivant la direction des rayons lumineux, en faisant face FiG. 15. l'eruirbalions du phototropisme à la limite du soleil et de l'ombre (xy). — Kn 1, le pliùloiropisme étant très fort, aucune perturbation ne se produit, et l'animal gagne la lumière L. — En 2, il y a arrêt. — En 3, il se pro- duit un renversement de la marche, un retour en arrière. C'est là un des cITels les plus fréquents de la sensibilité différentielle. constamment à la source de lumière, comme si celle-ci exerçait sur lui une attraction invincible. Il y a là souvent comme une sorte de « marche à l'Étoile»: ranimai pewMraverser des plages d'ombre, de lumière, sans s'arrêter (fig. 15,1); peu importe les éclairements du fond sur lequel il se déplace. LUTTE CONTRE LV VARIATION ET LA SENSIBILITÉ 169 pourvu que les deux côtés du corps resient cons- tamment éclairés également; pourvu, en d'autres termes, que la symétrie de l'éclairement soit con- servée. Les expériences de Loeb sur les chenilles de PorUiesia Chrysorrhœa et sur les larves de mouche (asticots) sont frappantes à cet égard. Mais quand le tropisme est moins fort, quand les contrastes sur le fond sont plus accentués, la marche à l'Étoile peut être troublée, toutes les fois que l'animal arrive dans le voisinage de la limite d'une ombre portée d'avec la lumière. Dans certains cas (fig. 15, 2), il s'y produit un arn^êt brusque, et les animaux qui s'y arrêtent linis- senl par la dessiner. Il semble que la diminution brusque de l'éclairement détermine un affaiblisse- rrient de l'organisme, une diminution notable de son activité. Mais le plus souvent (fig. 15, 3), l'animal tend à effectuer une rotation de 180° sur lui-même, de manière à se retourner complètement, et k mar- cher du moins pendant un certain temps dans le sens opposé au sens primitif de la marche. Par ce procédé^ Vorganisme vivant éoite la variation de Véclairement. Il en résulte que, au moins pour un certain temps, le signe du tropisme change. J'ai dit que l'animal tenJ à effectuer la rotation de 180''; cela veut dire qu'il peut arriver que cette tendance ne se réalise qu'incomplètement. On n'observe alors qu'une déviation momentanée du chemin prescrit par le tropisme; après quelques oscillations de l'animal de part et d'autre de ce 170 I A wissanm; IMKI.I i«;i N< I chemin, celui-ci ne tarde pas à être repris tig. IG]. En somme la variation d'éclairement détermine une impulsion rotative, qui peut être plus ou moins forte suivant l'amplitude de la variation et la rapi- dité avec laquelle elle s'est I accomplie. Si elle est faible par / rapport à l'attraction phototro- pique, elle peut ne se manifester que par quelques oscillations (mouvements de zigzag), ou même pas du tout. Si elle est plus forte, ranimai se retourne (180") en décrivant un arc de cercle de diamètre variable. Mais il peut arriver que l'animal dépasse les 180 degrés, et effec- tue plusieurs tours sur lui-même (fig. 17, a). L'impulsion rotative est tellement forte qu'il ne peut y résister. Ce dernier cas se présente surtout chez les ani- maux nageurs. Dans l'exemple que j'ai choisi, le phototropisme est positif, et la variation d'éclairement négative diminution;; avec une variation positive (augmentation), la réaction indiquée ne se produit pas en général. Quand le phototropisme est négatif, c'est au con- traire à une variation d'éclaire-ment positive que ranimai se montre sensible. Il y a ainsi une rela- tion entre le signe du tropisme et celui de la Fie. IG. Porlurbations du photo- tropisme à la suite (l'une variation d'éclai- rement (Bohn). — Le chemin suivi, qui était recliligne, devient, im- médialemcnl après la variation, sinueux. LUTTE CONTRE LA VARLVTION ET LA SENSIBILITÉ 171 sensibilité différentielle, relation que j'ai énoncée sous la forme d'une loi. Il en résulte que les ani- maux qui sont attirés par la lumière éprouvent une difficulté à pénétrer dans les ombres, que ceux qui sont attirés par l'obscurité éprouvent, au contraire, une difficulté à effectuer le passage inverse. Quand le signe du tropisme est indiffé- d/ FiG. 17. Rolalions consécutives à ur.o variation d'éclairemeiit (Bohn). — En a. rota- tion do plusieurs lour.s. — En 6, rotation de 180 degrés. — En c et (/, rotations moindres. Le dernier cas rappelle celui de la figure 16. rent, la sensibilité différentielle peut se manifester dans les deux sens. Ces faits ont une grande généralité. Je les ai observés sur les animaux les plus divers, qu'ils soient en train de nager (larves de seiche, calmars, petits crustacés copépodes...), de ramper (litto- rines, étoiles de mer...), de marcher (insectes, crabes...). 2° Sensibilité différenlielle vis-à-vis de la gravi- tation. — Une littorine, une étoile de mer grimpe ^^'^ l'A NAISSANCr DE l/l\TELLICENCE sur un j)lan iricliné, en suivant ce que l'on appelle la ligne de [)Ims grande pente; brusquement on augmente rinclinaiscq : souvent l'animal tourne de 180° et revient en arrière, momentanément du moins, comme s'il tendait à éviter l'au^'^mentation de la pente. Une étoile de mer [Astcrina rjihhosa) est dans un cylindre à grand axe horizontal; elle est fixée, contre la génératrice supérieure, les pieds contre le verre, c'est-à-dire dirigés vers le haut; brus- quement on tourne le cylindre d'un demi-tour sur lui-même ; l'animal se trouve alors contre la génératrice inférieure, les pieds dirigés vers le bas; mais il se retourne, de manière à conserver sa position dans l'espace, c'est-à-dire il détache les pieds du support, pour les amener vers le haut. Cela ne dure d'ailleurs qu'un instant : l'étoile de mer applique de nouveau ses pieds contre la paroi solide. 3° Sensibilité di/fêrcniicUe vis-à-vis de la surface des corps solides. — Ce dernier acte est également une manifestation de la sensibilité différentielle. Un animal qui est appliqué contre une paroi solide et qui, brusquement, pour une cause ou pour une autre (force étrangère, impulsion imprimée à l'animal), en est écarté, tend à s'y appliquer de nouveau. Cette sorte de sensibilité différentielle a été désignée improprement, comme l'a montré Loeb, sous le nom de sléréotropisme. LUTTE CONTRE LA VARLITION ET LA SENSIBILITÉ 173 On sait depuis longtemps qu'un grand nombre d'animaux se cachent dans les fentes, dans les plis des objets ; on attribuait ce fait à la crainte de la lumière, à l'instinct de la protection; Loeb a mon- tré qu'il s'agit simplement de cette tendance à mettre le corps en contact aussi étendu que pos- sible avec les parois solides. Les néréides, anné- lides marins, vivent dans le sable des plages, à l'intérieur de tubes étroits; Maxwell, au labora- toire de Loeb, en a placé dans un aquarium, avec des tubes de verre ayant un diamètre à peu près égal à celui des vers; au bout de vingt-quatre heures, les néréides occupaient les tubes, et y res- taient-, elles ne sortaient même pas de leurs tubes, quand on les exposait à la lumière directe du soleil, qui les fait mourir. 4° Sensibilité différentielle vis-à-vis des substances chimiques. — Loeb a également bien montré qu'on a désigné souvent sous le nom de chimiolropisme une sensibilité différentielle aux actions chimi- ques, et Jennings, faute d'avoir fait la distinction entre tropisme et sensibilité différentielle, a été conduit à critiquer, d'une manière injuste, les tropismes de Loeb. En un point d'un liquide, on verse une goutte d'acide chlorhydrique : l'acide diffuse dans le liquide, formant comme un nuage dont les con- tours s'élargissent. S'il y a des infusoires dans le liquide, ceux-ci se pressent bientôt en rangs ser- rés le long des contours de ce nuage (fig. 18); en il^l ! \ .\AIS.>A.\(..h IM e(Tel, c»,*s animalcules, (juand ils iiriiveiiL à l;i limite qui sépare l'eau (jure de l'eau acidulée. Fig. 18. Ac :u!nulalion d'infusoires sur le pourlour d'une goutte tl'acicie chlorliydriqu- versée dans l'eau où pullulaient ces animaux initroscopiques (d'aprr Jennings). Le phénomène est la conséquence du mouvement de recul qi. se produit à la limite de l'eau pure et de l'eau acidulée : c'est là encore u ( [Tet de la sensibilité différentielle. font un mouvement de recul ; ils s'accumulent contre le rempart qu'ils ne peuvent franchir, Fig. 19. Semblable accumulation dans une gouttelette d'eau chargée d'acide car bonique (Jennings). Ce phénomène résulte de mouvemcniQ ,1.1 r'^ -u! •'^nr/ sentes dans la figure 20. comme beaucoup d'animaux s'arrêtent, reculent ; la limite des ombres. Il s'agit donc bien d'un phé- nomène de sensibilité dilïérentielle. Les sensibilités différentielles se manifestent par des arrêts, des reculs, des rotations..., par l'accu- LUTTE CONTRE LA VAR LOTION ET LA SENSIRILITÉ 175 mulatioiî des animaux dans certaines régions du milieu où ils se déplacent, régions qui se com- portent comme des pièges. Considérons, en elTet, des animaux dont la sen- sibilité différentielle vis-à-vis de la lumière est telle qu'ils passent difficilement de l'ombre dans la Fi(.. 20. Trajet suivi par un int'usoire à l'intérieur d'une gouttelette d'eau chargée d'acide carbonique (Jennings). Toutes les l'ois que l'animalcule rencontre la limite de la gouttelette, il se produit un mouvement de recul. lumière, et supposons que ces animaux sillonnent dans tous les sens un champ uniformément éclairé, sauf en une petite région, où se trouve une ombre portée ; les animaux entreront facilement dans Tombre, mais en sortiront difficilement, en sorte qu'ils finiront par s'y accumuler, l'ombre fonction- nant comme un piège. Avec une gouttelette d'eau chargée d'acide car- bonique, on obtiendra le même résultat qu'avec l'ombre, si on se sert d'animaux passant difficile- ment de l'eau impure dans l'eau pure (fig. 19 et20). 17() I,V \V1.SS\\(| Il INTELLIGENCE ■S 3. — AUTOMATISME ET ADAPTATION DES PHENOMENES DE SENSIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. Les phénomènes d'arre/ et de retour m (irrièrc (par rotalion de 180°, ou quelquefois par simple renversement du sens de la locomotion) à la limite d'une ombre ou de la zone de diffusion d'une substance chimique sont excessivement fréquents. On les observe chez des représentants de tous les groupes du règne animal, depuis les animaux uni- cellulaires. Ils sont soumis à quelques règles, tou- jours les mêmes et fort simples. A une variation de l'excitation lumineuse ou chimique, ranimai répond toujours de la même façon, en reculant par exemple, si bien que la réaction ne dépend même pas de la direction du stimulus par rapport à l'axe du corps. A l'appui de ce que je viens de dire, je citerai seulement deux exemples, mais très frappants : 1° Les Acanthia lectularia sont des insectes qui fuient d'une façon très nette la lumière, qui ont un phototropisme négatif très marqué. Pendant que l'un d'eux s'éloigne en ligne droite d'une fenêtre F très éclairée par exemple (fig. 21), pla- çons une lampe L devant lui; nous le verrons, du moins au premier instant, rebrousser chemin. La lampe a produit une augmentation d'éclairement, légère il est vrai : V Acanthia y a répondu par une rotation sur lui-même de 180®. Mais plaçons main- tenant la lampe en arrière de l'animal qui fuit la LUTTE CONTRE LA VARLVTIOX ET LA SENSIBILITÉ 177 fenêtre, c'est-à-dire entre cette fenêtre et lui, il tournera encore de 180'' et fera face à la lumière encore plus vite que tout à l'heure. La réponse FiG. 21. Réaction d'une Acanthia k'Ctiilaria vis-à-vis d'une augmentation d'éclaire- ment (Bohn). — L'insecte fuit la fenêtre F. On vient à placer une lampe en L, il fait demi-tour ot s'éloigne de la lampe. Mais on obtient la même réponse, en plaçant la lampe en arrière de l'animal, en L'. Dans les deux cas, l'animal réagit mécaniquement à la variation d'éclairement; il recule toujours, quelle que soit la position de la lampe. cette fois a porté à faux, mais la loi de la sensibi- lité ditTérenlielle est observée. 2° Dans le second exemple, le caractère auto- matique de la réaction est encore plus apparent. Un infusoire cilié, de Tespèce Spirostomum ambi- guwii^ recule toujours dès qu'il est irrité par un liquide nocif (fig. 22) ; il recule, que l'approche du liquide se fasse en avant, sur les côtés, en arrière ; dans ce dernier cas, la réponse porte à faux : Tin- fusoire, au lieu d'éviter l'action nocive du liquide, pénètre dans la gouttelette même du liquide cor- rosif. Chez des espèces voisines, les paramécies, 178 I A \.\ISSA\( I m. I l.\ll.I.l,I(.l..\(.l. bien (jue les mouvements réactionnels soient plus compliqués (rotations), les choses se passent essen- tiellemont de même. Jennings, à qui l'on doit ces derniers faits, conclut que « le protiste est une vraie machine, pas plus élevé, au point de vue psychiciue, qu'un muscle coupé qu'on excite électricjuement ». Il a raison dans ce cas parti- culier, mais il aurait pu généraliser la formule, et dire que dans les circons- tances mentionnées, qui sont caractéristiques des phénomènes de sensibilité différentielle, beaucoup d'in- vertébrés au moins se com- portent comme de pures ma- chines. Il faut bien distinguer la sensibilité différentielle du tropisme correspondant. Dans letropisme, tout dé- pend de la direction du sti- mulant; dans la sensibilité différentielle, peu importe cette direction, comme nous venons de le voir : il suffit qu'il y ait variation de l'excitant pour que le renversement de la marche se produise. Un léger nuage passe devant le soleil qui éclaire Fif.. 22. Uéaclion d'iii: infusoire vis-à-vis d'une gouttelelle d'uu liquide nocif. — Ouelie que soit la posiliou de la goulleletle {a, b, c) l'iinimal recule ; dans le dernier cas, il n évite pas l'ac- tion nocive (Jennings). On l'eut rappr.icher ce cas de celui de la figure 21, et le faire rentrer dans la sensi- l>i!ilé différentielle. T.ITTE CONTRE LA VARIATION ET LA SENSIBILITÉ 179 indirectement un laboratoire; dans celui-ci se trouve une cuvette où des animaux nagent acti- vement : au moment où se produit la variation de l'éclairement, et bien que la fenêtre reste tou- jours la principale surface éclairante, les animaux font demi-tour, pour reprendre ensuite la direction primitive. Les réactions de la sensibilité différentielle, liées par une certaine règle aux tropismes, et qui en suivent par suite les variations, se présentent avec les mêmes caractères, et en particulier celui de l'automatisme, chez les animaux les plus variés ; elles se trouvent adaptées aux conditions les plus habituelles, permettant aux animaux d'éviter l'ac- tion nocive de la variation; l'apprentissage n'a pu avoir lieu que dans un passé fort lointain. La notion de sensibilité différentielle a échappé à Jennings ; ce savant a eu le tort de la confondre avec celle des tropismes; comme les manifestations de la sensibilité différentielle ne suivaient pas les lois des tropismes, il fut conduit à critiquer la no- tion même des tropismes, et à donner des inter- prétations anthropomorphiques des phénomènes de sensibilité différentielle, qui ne comportent, comme nous venons de le voir, en nous appuyant sur Jennings lui-même, que du pur inécanisme. C'est ainsi qu'il a tenté d'introduire la notion des essais et erreurs chez les animaux inférieurs, que nous allons voir s'évanouir dans le chapitre sui- vant en poussant l'analyse des phénomènes plus loin. CHAIMTRE XVI Combinaisons des impulsions motrices dans la machine animale. § 1. - INERTIE ET SPONTANÉITÉ. Dans les iropismes, les animaux paraissent se comporter comme des êtres inertes qui obéissent fatalement aux forces extérieures ; quand un ver manifeste son géotropisme, il ne semble pas au premier abord qu'il y ait de difîérence avec un caillou. En réalité, contrairement au caillou, le ver est le siège de toute une activité; et c'est celle-ci qui est en quelque sorte dirigée par les forces du milieu extérieur. D'une façon générale, toutes les fois qu'on em- ploiera la comparaison des animaux avec des ma- chines, on devra insister sur les différences pro- fondes qui existent entre celles-ci et ceux-là. Les machines vivantes sont formées de pièces dont la composition chimique varie incessamment et dé- pend en grande partie de celle du milieu extérieur; COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 181 souvent il y aune rythmicité remarquable, comme nous l'avons vu dan^ le chapitre XIV. D'ailleurs, il y a longtemps qu'on a établi entre le monde vivant et le monde brut une opposition que beaucoup considèrent comme essentielle : on trouverait d'un côté la spontanéité, de l'autre la pure inertie. En psychologie comparée, on a souvent attaché une grande importance au fait que tel animal pourrait entrer en activité ou s'ar- rêter « spontanément » ; dernièrement encore, Lukas, de Vienne, a vu dans cette faculté un critère de la cons- cience, et a reconnu celle-ci déjà chez les polypes, les anémones de mer en par- ticulier (hg. 23). Mais il fau- drait s'entendre sur ce que signifie le moi spontanément . Précisément chez les ané- mones de mer, j'ai fait de nombreuses observations d'où il ressort que, dans certaines circonstances (liées au passé de l'organisme), il suffît de mettre ces animaux à Tabri des variations brusques du monde extérieur pour qu'ils restent constamment dans le même état, et pour que la « spontanéité » qu'on leur attribuait s'évanouisse en quelque sorte. Des ylc/i- nia equina recueillies sous des pierres littorales 16 FiG. 23. Anémone de mer ou actinie, ani- mal du groupe des polypes qui vit fixé sur les rochers par une surface pédieuse ; à l'opposé se trouvent le disque buccal et les tentacules ; ceux- ci peuvent se rélracler et être englobés par un repli de la paroi du corps. IS: l.\ .\AI>^A.N(.L 1)1. I. l.\ 11.1.1, I(;i:N( L dans le bassin d'Arcachon , placées en aquarium dans des conditions aussi constantes (|ue possible (près de la surface d'une eau tranquille, demi- obscurité, etc.), sont restées constamment ù la même place et constamment fermées pendant une ou deux semaines; ensuite, soit après une exci- tation mécanique (secousses), soit après une exci- tation chimique (introduction d'une substance ali- mentaire), elles se sont épanouies et sont res- tées ainsi. Dans la plupart des cas, des observa- tions attentives ont montré que les mouvements, (jue l'on croyait spontanés, sont provoqués par des excitations provenant du milieu extérieur. Des exceptions se rencontrent dans les cas où les ané- mones ont acquis une rythmicité vitale, des chan- gements dans l'état chimique interne entraînant, même dans un milieu extérieur invariable, les mouvements. Après une analyse minutieuse de l'intervention des facteurs externes, on arrive à celte conclusion ([ue le plus souvent les animaux inférieurs ont besoin de recevoir une stimulation pour se mettre en mouvement. Suivant l'état chimique de la ma- tière vivante, — qui dépend lui-même du milieu extérieur, des processus de nutrition et des di- verses rythmicités, — le minimum de stimulation nécessaire varie. Fait très important : en général, il n'y a pas lieu de tenir compte de la spécificité de la slimulation : des excitations diverses, méca- niques, physiques, chimiques, peuvent déclancher les mêmes mécanismes, un organisme donné ne COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 183 possédant qu'un nombre limité de possibilités motrices. Une étoile de mer est immobile près de la surface de Teau; une diminuiion, même légère, mais brusque, de l'éclairement, entraîne un mouvement de descente suivant la verticale; le « géotropisme positif » se présente comme l'etTet de la « sensibilité différentielle » vis-à-vis de la lumière; mais le même résultat est obtenu après une excitation mécanique, après une excitation chimique. Une actinie est en aquarium ; à une certaine heure, elle reste fermée par une sorte d'inertie, alors que celles qui ont été ses compa- gnes viennent de s'épanouir dans la mer; tout<^, excitation, tout choc, entraîne alors Tépanouisse- ment; à une autre heure, cela pourra être le con- traire. Si la sensibilité différentielle peut entraîner la mise en marche de la machine animale, elle peut entraîner aussi son arrêt. Nous avons vu les ani- maux s'arrêter à la limite des ombres, dans des gouttelettes d'eau chargées d'acide carbonique. Après qu'une stimulation externe quelconque a déclanché les mouvements de la machine animale, on observe souvent un retour progressif de celle-ci à l'état de repos. J'ai beaucoup insisté, dans ces derniers temps, sur ce que j'ai appelé la loi du retour à l'état de repos. Un animal reçoit une stimulation : il entre en activité ; après la cessation de la stimulation, les mouvements persistent, mais ils diminuent pro- gressivement d'intensité, comme si l'animal tendait 18' 1 A NAISSANCE DE L INTELLIGENCE à retourner à l'élat de repos. Si l'animal manifeste du phototropisme, celui-ci diminue progressive- ment d'intensité. Un animal photolropique, placé dans une cuvette de verre circulaire, devant une fenêtre éclairée, se met ù décrire des cercles de diamètre variable (la loi de la sensibilité différen- tielle le veut ainsi) ; à mesure que le phototro- pisme s'affaiblit, le diamètre des cercles s'agrandit; dès qu'on exerce une nouvelle excitation sur l'ani- mal, les cercles se rapetissent de nouveau, pour s'agrandir ensuite. Il ne faut voir dans le retour progressif à l'état de repos, après une stimulation, ni un effet de la fatigue de l'organisme, ni une conséquence de l'altération du milieu extérieur. Tout se passe comme si Tanimal avait accumulé en lui une certaine quantité d'énergie, et comme si la stimulation externe provoquait le dégagement d'une certaine portion de cette énergie. L'animal se comporte un peu comme un de ces jouets d'en- fants dont on a remonté le ressort, et où il suffit de presser sur un petit levier pour que la spirale se détende. Je crois qu'il est extrêmement important de faire intervenir la loi du retour progressif à l'état de repos dans toute analyse des phénomènes psy- chiques. De plus, cette loi a un avantage : celui de pouvoir dissiper certains malentendus créés par ceux qui ont comparé les êtres vivants à des machines. On a souvent tendance à rechercher l'équivalent énergétique d'une série de mouve- ments dans la réception qui en a été le point de COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 185 départ. C'est inexact, absurde même : l'énergie musculaire a sa source dans les processus de nutrition: chez un animal, où l'on observe des mouvements disconlinus, ne se produisant que de temps en temps; si l'on compare la cause, qui provoque le commencement de ces mouvements à l'activité qui réside en eux, on est frappé par la disproportion entre la cause et Teffet. La stimula- tion qui déclanche les mouvements est comme l'étincelle qui fait sauter une poudrière. Chez les animaux inférieurs, cette stimulation vient le plus souvent du milieu extérieur; mais elle peut provenir aussi de l'activité même de l'or- ganisme. A mesure que les animaux se perfection- nent, les stimulations internes prennent de plus en plus d'importance : un centre nerveux (A) agis- sant sur un autre (B) peut, paj- exemple, déclan- cher une série de mouvements, bien que souvent le centre A n'ait pas reçu une stimulation spéciale du milieu extérieur; on parle alors de volonté. Je rappelle que Lamarck a montré, dans la série zoo- logique, le « transport de la force productive des mouvements de l'extérieur dans l'intérieur de l'ani- mal ». Cette « force productrice » doit êlre enten- due « force de déclanchement ». Dans le cas des tropismes, c'est une « force directrice ». A mesure que le système nerveux accumule davantage l'éner- gie du milieu extérieur, le déclanchement exige une moindre stimulation du milieu extérieur ; mais, en revanche, souvent celle-ci doit être spé- cifique. 16. 1S() T,A NAISSA\( i; m I l\rEI.T,IGKNCE ^ J. — COMBINAISON DES IMPULSIONS MOTRICES CHEZ LES ANIMAUX AYANT LA STRUCTURE HÉLICOÏDALE. Ainsi chez les animaux inférieurs les forces du milieu extérieur peuvent déterminer des impul- sions motrices et diriger celles-ci. Plusieurs impul- sions peuvent se combiner entre elles d'une façon assez simple ; dans les combinaisons de mouve- ments, les règles de la mécanique s'appliquent le plus souvent. Les choses peuvent se compliquer cependant chez les animaux qui appartiennent à d'autres types d'organisation que ceux à symétrie bilatérale, car aux différentes formes correspon- dent des possibililés motrices différentes. Nous examinerons ici successivement l'influence de la forme hélicoïdale et celle de la forme rayonnée. Beaucoup d'organismes qui se meuvent par le battement des cils qui recouvrent la surface du corps : infusoires, rotifères, larves..., ont une natation sinueuse o.u en hélice (spirale) ; celle-ci résulte de la disposition même des cils. La progression hélicoïdale offre de très grands avantages au point de vue mécanique ; aussi voit-on souvent des animaux relativement élevés en organisation, et à symétrie bilatérale, prendre momentanément des attitudes hélicoïdales (fig.24). Des vers, les néréides, les glycères, voire même les sangsues, nagent en faisant tourner autour d'un axe longitudinal le corps contourné en hélice. A cet égard Glyccra convoluta est tout à fait remar- COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 187 qiiable : constamment des boucles hélicoïdales se déplacent d'une extrémité à l'autre du corps ; en même temps tout le corps tourne sur lui-même ; et celui-ci avance ainsi, pendant la natation, comme une sorte de vis assez compliquée. Beaucoup plus haut dans l'échelle animale, on retrouve encore quelques particularités des mouvements hélicoïdaux dans la natation des poissons et le vol des insectes et des oiseaux. Mais revenons aux infusoires chez lesquels la natation hélicoï- dale est excessivement fréquente. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les figures des ouvrages de Jen- nings pour s'en rendre compte. La figure ci-aprés (fig.25) repré- onte en particulier les mouvements de l'euglèue. La trajectoire est une ligne spirale qui résulte de ce que l'infusoire effectue un double mou- vement, de translation en avant et de rotation sur luirmême; la rota- tion se fait toujours dans le même sens, sur une surface conique, et amène successi- vement le corps de l'animal en coïncidence avec les diverses génératrices du cône : ainsi la tête de l'animal pointe successivement dans un certain nombre de directions de l'espace. Cette dernière particularité a d'ailleurs ses avantages : si l'axe Auilude en héiice d'une planaire, ver plal «jui se (iéplace grâce aux mouve- ments incessants des cils qui for- ment tout un revc- teuienl à Fanima!. Celle allilude fac- liie la progression dans l'eau (d'après Joniiings';. 188 LA NAISSANCE DE L INTELLIGENCE du cône ne coïncide pas encore avec la direction de la force du milieu extérieur qui prédomine, lumière par exemple, l'animal s'échappe de la surface conique suivant la génératrice dont la direction se rapproche le plus de celle des rayons Fie. 25. Progression hélicoïdale d'une cuglène, infusoire flagellé (d'après Jennings). L'infusoire tourne sur une surface conique, puis s'échappe par la géné- ratrice qui est la plus voisine de la direction des rayons lunnineux; et cela recommence; petit à petit l'axe de l'animalcule se rapproche de cette direction. lumineux; et ainsi progressivement se fait l'orien- tation pholotropique. Les tropismes s'observent fréquemment chez les infusoires. l'axe de l'hélice ou de la sinusoïde (ligne sinueuse) décrite par l'animal en nageant étant parallèle à la direction de la force agissante. L'organisme oscille de part et d'autre de la direc- COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 189 lion du tropisme, s'écarle alternativement à droite et à gauche, mais tend toujours à revenir à cette direction. Voilà un fait qu'on a invoqué contre la théorie des tropismes : l'animal est capable de s'écarter de la direction de la force qui est enjeu. f^-^^ ^^^^ ^ FiG. 26.' F'erturbalion et niodificalion du chemin suivi par une euglène, quand on vient à renverser le sens de la direction des rayons lumineux (d'après Jennings). On renverse l'éclairage au moment où .l'infusoire est en 2; le nouvel équilibre est seulement réalisé en 3. En réalité. loin d'être contraire à la théorie des tropismes, il en constitue un des meilleurs appuis : le tropisme est tellement marqué que, malgré les déviations imposées par l'organisation même de l'animal, celui-ci n'arrive pas à s'écarter d'une 190 f \ \.US.S.\:\«.l. I \ i h I , I n . I certaine liyiie générale, à s'affranchir 1, L IMlil-LIOLN» rement revêtu de cils vihraliles, dont les halloiiicnls en arrière tendent à entraîner l'animal en avant suivant la llèclie -|- A. dont les battements en avant n'ont qu'un faible eiTet, — A, l'extrémité postérieure très large olVranl une grande résistance au dépla- ■O^ Fk;. 29. Mouvement hélicolJal d'un .olpode (d'après Fauré-Frémiet). cément dans l'eau. Dans la progression en avant, comme le corps a une courbure hélicoïdale, accen- tuée par la disposition du sillon ventral. la trajec- toire, au lieu d'être rectiligne, est hélicoïdale (fig. 29 '. Mais il peut arriver que l'appareil vibratil qui garnit Fie. 30. .Mouvement de manège du colpode ('iaprès Fauré-Frémici). le pourtour de la bouche soit en action en même temps que l'appareil ciliaire général ; alors il y a lieu de tenir co-mple d'une nouvelle force agis- sante (+ B ou — B), qui se combine avec -|- A ou — A ; le résultat de la combinaison est, ou (fig. 30) un mouvement de manège (+ A + B), ou un mouvement en diamètre de cercle ( — A — B) COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 193 autour du centre de gravité de l'animal. Tout cela est fort bien analysé. C'est à ce moment que j'introduis la notion de sensibilité différentielle. Cette sensibilité se mani- feste par une tendance momentanée de l'orga- nisme à renverser ses mouvements ciliaires. Dans le cas des colpodes, d'une part A est remfdacée par — A, et il y a une tentative infructueuse de recul en arrière, — A étant annihilée, comme je l'ai dit, par la grande résistance que l'extrémité postérieure offre au déplacement en arrière ; d'autre part — B remplace B, ce qui détermine une rotation de l'animal sur lui-même, rotation qui peut atteindre suivant les cas : 90, 180, 360 degrés ; dans tous les cas, « lorsque le mouvement normal se rétablit, l'orientation de l'infusoire a varié et son mouvement l'entraîne dans une direction nouvelle, jusqu'à ce qu'une nouvelle excitation vienne déterminer une même série de phéno- mènes ». Les mouvements de recul et de rotation sur eux-mêmes des infusoires ciliés se présentent ainsi comme des manifestations de la sensibilité diffé- rentielle. Or, dans les descriptions de Jennings, nous retrouvons constamment ces deux sortes de mouvements. L'infusoire qui subit une variation thermique, photique, chimique... recule, puis tourne sur lui-même, enlîn repart dans une nou- velle direction. Si la rotation a été faible, cette direction coïncide presque avec la première, l'or- ganisme ne tarde pas à subir de nouveau la même 17 194 LA .\AISSANC1 1. l.Ml.M,l(.i,.\(.j; <'t \o< niAfiK- jiln' variation que précédprniiHMil nomènes se répètent. La répétition, toute une série de lois, des mêmes phénomènes de seiisibiliié dilTérenlielle, voilà ce , que Jennings a appelé des essais et des erreurs. A cet égard, la figure ci-jointe (lîg. 31) est des plus instructives. Il s'a- git encore d'un infusoire, d'une Oxylricha fallax située dans une région d'une certaine tempéra- ture ; l'animal s'étant avancé vers une région plus chaude recule, puis tourne sur lui-même, alors de nouveau il s'a- vance vers la région plus chaude, pour ensuite re- culer et tourner... ; par quatre fois Tinfusoire a avancé, a reculé, a tourné mais elle est interprélée ici d'une SUr lui-mêmC ; alors il faron tout à fait dilTérente (voir le „^ ♦ ^ • ,^ • . ,exte^ ^ se trouve orienté vis-a- vis de la région où la température est oplima; vers elle, il va s'avancer maintenant en ligne droite. Jennings a vu une analogie entre ces mouve- ments et ceux des singes qui cherchent les ali- ments dans une série de boîtes. Il y aurait la FiG. 31. Prétendus essais et erreurs d'un infusoire (Oxytric'na fallax). — La figure a t-ié empruntée à Jennings COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 195 même méthode de recherches aux deux extré- mités du règne animal, la méthode des essais et erreurs ! En réalité, les mouvements des infusoires sont assujettis à quelques lois très simples, celles des tropismes et de la sensibilité différentielle. En tenant compte de ces lois, de la forme du corps, d'une certaine rythmicité dans l'activité de l'ani- mal, on peut expliquer la marche sinueuse en zigzag et en apparence capricieuse des infusoires dans une goutte d'eau; et il n'est nul besoin, comme on l'a fait souvent, guidé par des analogies trompeuses, d'invoquer l'intervention d'une volonlé de la part de l'animal. § 3. — COMBINAISON DES IMPULSIONS MOTRICES CHEZ LES ANIMAUX AYANT LA STRUCTURE RAYONNÈE. Jennings a observé les animaux uniceliulaires avec une patience et une habileté telles que peu de personnes se trouvent capables de répéter ses observations. C'est sur ces animaux qu'il a d'abord établi la théorie des « essais et erreurs ». Uinfu- soire ne s^oriente pas immédiatement et directement par rapport à Vexcitant. Le chemin suivi n'est pas recliligne, et sa courbe présente souvent de nom- breuses sinuosités ; en même temps que l'animal- cule avance ou qu'il recule, ou bien entre des mouvements d'avance ou de recul, il effectue des rotations, des oscillations sur lui-même. Il se trouve que l'infusoire peut s'être avancé dans diverses 11)0 LA NAISSANCE DE l/lNTELLlGENCE directions de l'espace avant de se placer dans la direction de l'excilanl. Nous touclions là au point essentiel de la théorie de Jennings : l'orientation des animaux par rap- port aux forces du milieu extérieur (lumière, gra- vitation...) n'est pas primitive; elle n'est que secon- daire; elle est en quelque sorte le résultat d'un apprentissage; elle n'est obtenue qu'après un cer- tain nombre d'essais et erreurs. Cependant, nous venons de voir qu'on pouvait interpréter au moins un certain nombre de faits signalés par Jennings, en faisant intervenir une combinaison mécanique des tropismes et des phé- nomènes de sensibilité différentielle. Or, Jennings ayant tenté d'appliquer la méthode des essais et erreurs à l'orientation d'animaux plus élevés en organisation que les animaux unicellu- laires, tels que les vers, j'ai cherché moi-même à résoudre le problème de l'orientation chez les étoiles de mer, animaux à symétrie rayonnée chez lesquels on avait décrit le phototropisme, le géotropisme, et ainsi j'ai été conduit à rejeter la méthode des essais et erreurs, non seulement dans le cas de ces animaux, priais encore dans ceux des actinies, animaux plus simples, des mollusques et des crustacés, animaux plus compliqués. Les étoiles de mer semblent se comporter à la manière des infusoires décrits par Jennings. En général, Téloile ne s'oriente pas directement par rapport à l'excitant : le chemin suivi n'est pas rectiligne, et sa courbe présente souvent de nombreuses sinuo- COMBINAISONS DES LMPULSIONS MOTRICES 197 sites; en même temps qu'elle progresse, ou sur place, elle effectue des rotations, des oscillations sur elle-même. Il se trouve que l'astérie peut s'être avancée dans diverses directions de l'espace avant de se placer dans la direction de Texcitant. Je vois dans ces rotations et oscillations, les effets de la sensibilité différentielle, et non les « tâtonnements d'un apprentissage ». A cet égard, la comparaison des jeunes et des individus plus âgés a été des plus suggestives. Si on considère de jeunes étoiles de mer, très actives, on les voit en général se diriger directement vers les surfaces d'ombre et de lumière, selon le signe du phototropisme; si l'animal est sollicité à la fois par deux surfaces agissantes, il se dirige non vers l'une ou vers l'autre, mais dans une direc- tion intermédiaire. L'orientation est directe; l'être vivant est attiré sans qu'il puisse résister; les attractions se combinent d'après les lois de la mécanique : il y a tropisme au sens de Loeb. Mais si on considère des étoiles de mer plus âgées, c'est en général tout autre chose : elles ne se dirigent /9a5 directement vers la surface d'ombre à laquelle elles arrivent finalement. L'orientation n'est plus directe ; il semble à première vue qu'elle se fasse par la méthode des essais et erreurs. Si on adoptait cette dernière hypothèse, on arri- verait à cette curieuse constatation : V animal s'orienterait directement quand il est jeune et pro- céderait par des essais et erreurs quand il est plus nfjé. Or, ceci va contre les idées de Jennings : si 17. 108 LA NAISSANCE DE l/lNTEI.LlGENCE les tropismes étaient vraiment le résultat d'un apprentissage, de l'élimination d'une série d'erreurs, celles-ci devraient diminuer à* hiesure que l'animal avance en âge. La ligure ci-jointe lig. 32) représente une série de chemins suivis par des étoiles de mer, recueil- ^s * ^ ^ -^ t ^ .? i^^ Fir.. 32. Divers chemins suivis par des éloiles de mer ^ians un couloir silaé entre une paroi éclairée et une paroi sombre (o;. Finalement tous les animaux se rendent contre la paroi sombre, mais cela après avoir effectué des rotations variées (les ilèches indiquent à chaque instant la direction du déplacement, et les numéros le bras qui dirige en quelque sorte le mouvement). lies sous des pierres, et placées brusquement dans nn couloir éclairé, entre deux parois opposées, dont l'une très sombre o ; c'est toujours à celle-ci qu'elles arrivent finalement. Suivant l'impulsion initiale, l'animal part dans telle ou telle direction ; puis il s'éloigne et se rapproche alternativement de l'ombre, tournant en même temps sur lui-même ou changeant de bras directeur (les numéros indi- quent le bras qui conduit). On voit que l'attraction par la surface d'ombre se combine avec des oscil- lations (une dans le cas de «,une et demie dans celui de 6, de c, deux dans celui de d) qui résultent des COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 199 variatiqns d'éclairement subies. Dans le cas de la figure d, l'étoile de mer, loin de s'orienter direc- tement par rapport à la surface d'ombre o, n'ar- rive à cette orientation qu'après s'être placée suc- cessivement dans les diverses directions de l'es- pace. Jennings dirait qu'il y a là des « essais » successifs dans diverses directions. En réalité, il n'en est rien : l'être vivant est entraîné en quelque sorte fatalement par trois impulsions qui se com- binent (comme les mouvements en mécanique) : 1" impulsion au moment initial, résultat de l'état immédiatement antérieur; 2° impulsion vers l'om- bre (tropisme) ; '6"" impulsion rotative ou oscilla- toire (sensibilité différentielle); l'intensité de ces impulsions est variable suivant les contrastes d'éclai- rement et suivant l'état physiologique et le coeffi- cient individuel: en tenant compte de l'élat phy- siologique présent; du coefficient individuel, on peut apprécier en quelque sorte l'intensité de chaque impulsion et tracer à l'avance le chemin qui sera suivi dans des conditions déterminées : on peut prévoir ce qui se 'passera ; il sembje que l'étoile de mer no soit pas maîtresse de modifier sa marche, il y a là une sorte de précision astro- nomique ; évidemment il suffirait d'introduire de nouvelles variables pour l'altérer. Dans les sinuosités des chemins suivis, il ne faut pas voir un affranchissement de l'animal, qui pourrait ainsi s'écarter volontairement des « lignes de force du champ lumineux ». Ces sinuosités, loin d'être la marque d'un affranchissement de t?00 LA NAISSANCE DE l/lNTELLICENCE l'animal, doivent iHre regardées au contraire comme la marque d'un nouvel assujetlissemenl. L'animal est assujetti, no)i seulement à marcher vers ioînbre, mais encore ù tourner, à osciller sous l'in- fluence d'une variation de Vèclairement. L'animal qui décrit les courbes de la ligure 3'i ne « cherche » pas son chemin, il est entraîné par des forces auxquelles il ne peut résister : parfois l'étoile de mer fait déjà face à l'ombre, mais, le mouvement oscillatoire se poursuivant, elle est entraînée dans la direction opposée. Ainsi l'impulsion photolropique n'est pa^? niable ; mais elle peut se combiner à d'autres impulsions : en particulier aux impulsions rotative et oscillante produites par les variations d'éclairement. L'ani- mal est esclave de ces diverses impulsions. Nulle part, on ne peut soupçonner même une trace de a volonté » de la part de l'animal. § 4. — CONCLUSIONS. On voit jusqu'où il est possible de pousser l'ana- lyse de l'activité des animaux inférieurs, infusoires, étoiles de mer, etc. Je n'ai donné là que quelques exemples particuliers; j'aurais pu les multiplier; je renvoie le lecteur que' cela intéresserait aux mémoires spéciaux (Institut psychologique). De toute celte étude, je lâcherai de dégager quelques conclusions générales. L'animal est une sorte de machine vivante dont Ténergie musculaire est alimentée surtout par les COMBINAISONS DES IMPULSIONS MOTRICES 201 processus de nutrition. Les forces du milieu exté- rieur agissent sur lui de deux façons différentes, soit en dirigeant l'activité motrice de l'animal (c'est ce qui a lieu dans les tropismes), soit en déclan- chant cette activité, en Tarrêtant, en la modifiant (c'est ce qui a lieu dans la sensibilité différentielle). L'animal inférieur, très souvent, répond d'une même façon à la variation des diverses forces du milieu extérieur : une variation de Téclairement, une variation de l'état chimique de Teau, une va- riation thermique... peuvent produire le même effet. Cet effet est un recul de l'animal, plus sou- vent une tendance de celui-ci à tourner sur lui- même, tendance qui se réalise plus ou moins, et qui, combinée avec l'impulsion d'un tropisme, peut se manifester par des oscillations. Les déplacements en ligne droite de certains animaux inférieurs, surtout des jeunes, peuvent s'expliquer par les tropismes. Quand l'organisme a une structure hélicoïdale, la ligne droite est remplacée par une hélice ayant pour axe cette droite. Les déplacements suivant des courbes sinueuses, des lignes en zigzag, en apparence « capricieux », peuvent s'expliquer le plus souvent par une combinaison purement mécanique des impulsions rectilignes des tropismes et des impul- sions rotatives de la sensibilité différentielle, qui, elle, est variable suivant les diverses circons- tances du milieu externe et du milieu interne. Dans tous les cas, l'élude analytique de l'activité des animaux inférieurs conduit à rejeter Tinter- t?01 I\ NMSS.WrE DK I, IMELLIGENCE ventioii dune « volonlô ». Pendant lonj^lemps, jus(|u'à Loeb, ce mol a été une explication suffi- sante, et a dispensé les observateurs de toute ana- lyse expérimentale. Très souvent l'activité des animaux inférieurs est assujettie aux forces du milieu extérieur, cha- cune de ces forces agissant pour son compte. CHAPITRE XVII Action des stimulants associés chez les animaux inférieurs. Avant d'aller plus loin, je liens à donner, en quelques mois, les caractéristiques essentielles des phénomènes que nous avons passé en revue dans les chapitres précédents, à savoir : les Iropismes. les manifestations de la sensibilité différentielle, l'intervention des divers rythmes vitaux. Dans le tropisme, l'animal se déplace en conser- vant constamment la position pour laquelle les deux moitiés symétriques du corps reçoivent la même excitation de la part d'une des forces du milieu extérieur; au début, il tourne jusqu'à ce que cette position soil atteinte; suivant les cas, il fait face à l'excilant ou regarde en sens inverse. Souvent il se produit une perturbation momen- tanée du tropisme : elle doit être considérée comme une réponse à la variation de la force agissante, comme un phénomène de sensibililé différentielle ; àd.n?, ce phénomène, Tanimal tend. *i04 LA .NAlSSA.Nt.K 1*1, 1, l.M LIJ.U^KNXE en général, à tourner de 180 degrés sur lui-méine, de manière ù faire volte-face. Dans le cas de la sensibilité dilTérentielle comme dans celui du Iropisme, l'animal se comporte comme un automate, entraîné par des impulsions auxquelles il ne résiste pas; l'impulsion du tro- pisme et celle de la sensibilité dilTérentielle peuvent se combiner suivant les règles de la mécanique; d'ailleurs, le tropismc et la sensibilité dilTéren- tielle sont soumis à des lois assez simples et d'une application très générale; leur caractère méca- nique apparaît donc nettement. Dans le tropisme et dans la sensibilité différen- tielle, tout se passe comme si la volonté n'inter- venait pas et comme s'il n'y avait aucune percep- tion lointaine des objets. Nous avons écarté les diverses interprétations anthropomorphiques. Avant Loeb, on expliquait les attractions des tropismes en faisant intervenir le jugement de l'animal, ses préférences (amour de la lumière). Jennings, en présence des oscillations qui résultent de la superposition de la sensibilité différentielle aux tropismes, a parlé à'essais et erreurs. Mais Piéron a battu le record de l'anthro- pomorpliismc en invoquant, dans les cas de l'inter- vention des rythmes vitaux, une prétendue faculté de prévoir Vavenir. Je rejette toutes ces interprétations; je ne vois rien de psychique dans tous ces phénomènes. Dans les tropismes, dans les phénomènes de ACTION DES STIMULANTS ASSOCIÉS 205 sensibilité différentielle, les divers stimulants du milieu extérieur agissent comme s'ils étaient isolés; chacun d'eux est susceptible de déterminer une certaine série de mouvements; quand ils agissent simultanément, rien n'est changé quant à l'action de chacun d'eux, et les mouvements se combinent entre eux d'après les règles de la mécanique. Mais, dans d'autres cas que ceux envisagés jusqu'ici, il peut arriver qu'à des associations déterminées de certains stimulants correspondent des séries déterminées de mouvements. L'animal n'obéit plus direclement aux forces du milieu exté- rieur, mais bien à des états spéciaux du système de coordination motrice (système nerveux) pro- voqués par des complexes spéciaux d'excitants externes. On parle alors d'association de sensations, de « mémoire associative », et on est autorisé à se servir du mot « psychisme ». Chez les animaux inférieurs, où les tropismes et les phénomènes de sensibilité différentielle sont souvent au premier plan de l'activité locomotrice, y a-t-il une incapacité absolue à former des asso- ciations? Je ne parlerai pas ici des animaux unicellu- laires qui n'ont pas de système nerveux, mais qui ont peut-être quelque chose d'équivalent, et qui se prêtent fort mal aune analyse expérimentale. Mais on peut chercher une réponse à la question en ce qui concerne les polypes, les vers, les mollusques. Ici, encore, il importe de faire intervenir le fac- teur temps. Là formation des associations envi- 18 ~0(i LA NAISSANCE DE l'iNTEM.IGENCE sagées se traduit par la formation d'habitudes nou- velles. Du fait que chez uu animal inférieur on ne voit pas se former telle habitude nouvelle dans le cours d'une expérience, on ne peut pas conclure qu'il est impossible que cette habitude se forme; la durée de Texpérience peut avoir été insuffisante. Mais s'il est parfois difficile de réaliser soi-même des expériences de très longue durée, il faut remarquer que ces expériences sont exécutées par la nature elle-même : le littoral marin, par exemple, avec les conditions si variées réalisées dans les divers habitats, est un vaste champ d'ex- périences, qui a été bien exploré dans ces dernières années par ceux qui ont pratiqué la méthode étho- logique. Or, précisément, cette méthode permet de se rendre compte que, chez les animaux infé- rieurs, il est beaucoup d'habitudes qui ne se forment pas ; ce sont précisément les habitudes qui découlent d'une mémoire associative déjà un peu complexe. Chez les animaux inférieurs, polypes..., vers, mollusques, on observe seulement les manifesta- tions dune mémoire associative rudiment aire. K lUidimentaire », cela se comprend aisément. La mi^moive associative a besoin d'éléments j)Our ses c()7tôinaisons ; plus les éléments, c'est-à-dire les sensations, sont variés, plus les combinaisons peuvent être nombreuses et complexes. Or, chez les- dits animaux inférieurs, les sensations paraissent peu variées : des stimulants très divers, tels que la lumière, la concentration saline.... peuvent agir de la même fa<;on sur l'organisme, par exemple ACTION DES STIMULANTS ASSOCIES 207 en soustrayant de l'eau à sa matière vivante ; chez les animaux inférieurs, il y a surtout des sensations purement chimiques, qui doivent se ressembler beaucoup les unes les autres. En général, chez ces animaux, les associations se forment avec quelques éléments, toujours les mêmes; leurs manifestations restent plus ou moins masquées par les divers autres modes de l'activité. Ces manifestations sont d'ailleurs encore mal connues. Je citerai seulement quelques exemples empruntés à mes recherches personnelles. Les anémones de mer répondent à une foule d'excitations du milieu extérieur, qui sont nocives pour elles, en rétractant leurs tentacules, en englo- bant ceux-ci dans un repli de la paroi du corps, en se fermant, en un mot. Les Anthea cereus ou orties cendrées vivent fixées par leur pied sur ces herbes flottantes appelées zostères, dont les feuilles allongées en très longues lanières (vulgairement varech) flottent dans Teau; à mer basse, ces herbes s'étalent à la surface de l'eau, formant de vastes prairies marines; à mer haute, secouées par les vagues, elles s'enchevêtrent de multiples façons. A ce moment, les pieds des Anthea adhèrent plus étroitement aux feuilles, et les tentacules se rétractent, l'animal prenant une forme globuleuse. Ceci se produit dans la nature, dans les conditions suivantes : sous une épaisse couche d'eau, dans de l'eau agitée et pure, fixation sur des lanières flot- tantes. La cause principale de la fermeture de Tanémone est l'agitation de l'eau ; des causes accès- 20S r-A NAISSANCE DE L INTELLIGENCE soircs,qui renforcent l'action de la première, nnais qui ne seraient pas suffisantes par elles-mévies^ sont la pression do l'eau et son état de pureté. Dans la nature, les choses se passent de telle sorte (jue ces trois causes se trouvent le plus souvent associées. L'association est si parfaite qu'il arrive que la cause principale peut disparaître, et qu'alors les deux causes associées suffisent à produire la fer- meture. En plaçant, dans un aquarium, sous une épaisse couche d'eau pure, des feuilles de zostère, couvertes iVÀnthea, j'ai constaté parfois la ferme- ture de ces polypes en milieu calme. Ici, les choses sont, somme toute, assez simples, car il y a un concours de facteurs qui agissent tous dans le même sens : le principal peut disparaître, les autres le suppléent en quelque sorte. Dans d'autres cas, des Iropismes ou des phénomènes de sensibilité différentielle se trouvent modifiés par le fait de la superposition d'un phénomène asso- ciatif. Chez les littoriues, ces sortes de petits escargots qui vivent sur les rochers du littoral, le photo- tropisme joue un rôle important dans la vie de l'animal : celui-ci se laisse guider par l'éclairement de ses yeux; il prend les positions pour lesquelles les deux yeux sont également éclairés; en un mot, il est assujetti à un tropisme ; mais, il faut remarquer qu'en un point quelconque de l'espace il y a deux positions possibles pour l'animal : ou bien celui-ci peut faire face à la lumière (phototropisme positif), ou bien faire face à l'obscurité (phototropisme ACTION DES STIMULANTS ASSOCIES 209 négatif); en un mot, sur la même direction (par exemple celle des rayons lumineuK), il peut se placer dans un sens ou dans le sens opposé. Dans un tropisme, il peut y avoir deux possibilités motrices; c'est alors que peut intervenir un phé- nomène associatif. Par exemple, la littorine, placée sur le sable, gagne rapidement les surfaces sombres des rochers voisins, dans les fissures desquels elle trouve un abri contre les flots de la mer montante; la même littorine, transportée au plafond d'une cavité rocheuse, où les flots vont s'engoulTrer, en sort, en rampant, dans une position renversée; le signe du tropisme est inverse de ce qu'il était tout à l'heure. Dans les réactions vis-à-vis de la lumière, il y a lieu de tenir compte de la position de l'animal dans l'espace: quand le mollusque rampe, la coquille dirigée vers le haut, le tropisme est négatif; quand il rampe, la coquille dirigée vers le bas, le tropisnie est positif. Ceci, bien entendu, n'est applicable que dans l'exemple particulier considéré, et c'est précisément ce qui me fait dire qu'intervient ici un phénomène associatif. J'ai parlé, plus haut, de la sensibilité dilTéren- tielle de ces sangsues marines ou branchellions qui, lorsqu'elles sont fixées parla ventouse postérieure sur des parois solides, redressent tout le corps au passage d'une ombre quelconque, au passage d'un poisson par conséquent; ainsi peut se faire la fixation. Or, une fois les branchellions fixés sur les torpilles, la sensibilité différentielle se trouve extrêmement afTaiblie ou même annulée : j'ai vu 18. 210 LA NA1S.SA.\LI. DL l' IM KI.l-lUL.N'.i: là, égalemont. rintPrvPF^tioii «l'iin phonomôno n^^n- ciatif. Dans les cas cités, il y a superposition de deux phénomènes, et il n'en résulte pour le tropisme, la sensibilité différentielle, qu'un changement de signe ou qu'un affaiblissement. D'une laçon générale, chez les animaux infé- rieurs, les phénomènes associatifs n'arrivent pas à prendre une prédominance marquée sur les tro- pismes et les phénomènes de sensibilité différen- tielle. Mais, ils sont plus accusés cependant dans le cas des animaux qui se fixent sur un support, matériel. Déjà, chez les animaux unicellulaires, Holmes a remarqué que chez les infusoires qui, comme les Loxophyllum. vivent au contact des corps solides les réactions sont plus compliquées que chez ceux qui, comme les paramécies, nagent librement. Chez les animaux munis d'un système nerveux, le support fournit à l'organisme des éléments pour les combinaisons associatives, qui par conséquent sont plus complexes et variées. Je citerai ici l'exemple très remarquable des patelles (fig. 33), mollusques munis de coquilles en forme de dôme conique et qui vivent fixés sur les rochers littoraux. Sur un rocher, chaque indi- vidu occupe une place déterminée : il s'est creusé (par l'action d'un suc sécrété) une sorte de petite niche, peu profonde, dont le fond est lisse et dont les contours sont sensiblement ceux des bords de la coquille. ACTION DES STIMULANTS ASSOCIES 211 C'est un fait reconnu par de nombreux observa- teurs que l'animal, après avoir erré sur le rocher à la recherche de sa nourriture, revient toujours à la place qu'il occupait. Il y a là un cas 1res intéres- sant de retour au gîte chez un animal inférieur; depuis quelques années, j'ai fait des observations assez sui- vies à ce sujet : elles sont encore inédites. V^oici l'une des conclusions auxquelles je suis arrivé. Si on place une patelle sur un rocher, elle se met à errer à sa surface, allant un peu au hasard dans toutes les direc- tions, s'arrêtant souvent pour rebrousser chemin lorsqu'elle rencontre une arête séparant deux faces d'inclinaison différente (c'est là de la sensibilité différentielle), tendant à s'arrêter lorsqu'elle rencontre une portion lisse de la surface, et s'y arrêtant si elle est suffisam- ment grande et si elle a sensiblement la même inclinaison que celle sur laquelle elle est fixée d'habitude. Il y a comme un souvenir de la position dans l'espace, et ce qui semble le prouver, c'est que si, sur deux rochers éloignés, on choisit deux pa- telles orientées de même dans l'espace, ces deux individus, après permutation entre eux, conti- nuent à se comporter comme auparavant. Il y a Fie. 3n. Patelle. — Mollusque vivant fixé sur les rochers du littoral; chaque individu occupe une place déterminée, à laquelle il revient après avoir été à la recherciie de sa nourriture. ^12 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE dans ce souvenir de la position sur un support u\\ phénomène associatif : les impressions simul- tanées produites par un certain contact et par la position dans une certaine direction déclanchent les mécanismes de l'arrêt. Dans le môme ordre d'idées, mon élève Van der Ghinst a fait des observations fort intéressantes sur des animaux beaucoup plus inférieurs, les anémones de mer. Les Actinia equina, c'est-à-dire les anémones les plus communes sur nos côtes, sont fixées sur les rochers dans toutes les orienta- tions possibles, les unes dans la position debout, les autres à la face inférieure des rochers dans la position renversée; placées en aquarium, entre deux plaques de verre, elles tendent manifestement à reprendre la position qu'elles avaient dans la nature, et cela même après vingt-quatre, quarante- huit heures; si on les astreint à une position diffé- rente, elles perdent l'habitude première, pour bientôt en reprendre une autre. Les anémones, les patelles paraissent connaître en quelque sorte la place qu'elles occupent. Mais, d'une façon générale, tout se passe comme si les animaux inférieurs ne connaissaient pas les objets qui les entourent; ces animaux, tout en res- tant assujettis aux forces générales du milieu extérieur, telles que la lumière, la pesanteur, sont influencés dans leurs déplacements par les con- tours des objets, des substances chimiques... Mais chez les animaux plus élevés en organisation, arti- culés ou vertébrés, une révolution organique, le ACTION DES STIMULANTS ASSOCIÉS 213 perfectionnement de l'appareil visuel, va entraîner une révolution psychique : les animaux se com- porteront comme s'ils connaissaient les objets du milieu extérieur, ils vont pouvoir acquérir plus ou moins rapidement des habitudes en rapport avec l'environnement. LIVRE IV L'ACQUISITION DES HABITUDES CHAPITRE XVIII La Vision. • Il suffit de placer des crustacés, des insectes, des poissons, des amphibiens dans un milieu limité (aquarium, vivarium) présentant une dispo- sition invariable des divers objets^ pour que, au bout d'un temps relativement court ( quelques heures, quelques jours, quelques semaines, au maximum) ces animaux aient pris des habitudes on rapport avec Tenvironnement. Or, il m'est arrivé, fréquemment^ de conserver, pendant des mois, des mollusques, des vers, des polypes en aquarium, en maintenant invariable la disposition des objets (surfaces éclairantes, écrans, cailloux...) sans que j'observe rien de pareil. Tandis que les actes des articulés et des verte- 216 LA NAISSANCE DE l'iNTELLICENC E brés peuvent souvent ôlrc interprétés comme si CCS animaux connaissaient les divers objets qui les entourent, les actes des animaux moins élevés en organisation ont lieu comme si ces animaux ne connaissaient pas les divers objets qui les envi- ronnent. Il y a là une opposition frappante dans la manière de se comporter. J'ai déjà montré qu'il ne s'agit pas simplement d'une dilTérence dans les temps nécessaires pour l'acquisition des habitudes nouvelles. Le contraste s'explique facilement quand on considère que chez les animaux inférieurs les élé- ments qui peuvent entrer dans des combinaisons associatives, c'est-à-dire les sensations, sont peu nombreux et peu variés; les phénomènes associa- tifs sont encore rudimentaires et n'arrivent pas à prendre la prédominance sur les tropismes et les phénomènes de sensibilité différentielle. Tout à coup, au cours de révolution, l'œil s'est perfectionné considérablement, et s'est mis à four- nir des matériaux variés pour les combinaisons associatives. Il en est résulté des actes nouveau. i qui sont venus plus ou moins masquer les tropis- mes et les phénomènes de sensibilité dilTéren- tielle. Chez les articulés, chez les vertébrés, l'œil, dont Uexkiill a dit qu'il est « un organe de récep- tion qui domine tout », a subi, en elfet, une trans- formation, un perfectionnement considérable ; il est devenu un appareil dans lequel se forment déjà LA VISION 217 des images optiques assez nettes des objets envi- ronnants. Ctiez les articulés, crustacés et insectes, la surface de l'œil est convexe et forme parfois presque une sphère entière ; elle est toute couverte de petites facettes, qui se trouvent dirigées ainsi dans de multiples directions de l'espace. En présence d'un ensemble d'objets diversement éclairés, on voit se former sur cette surface de petites taches de lumière et d'ombre ayant une distribution parti- culière. Dans cetle réception perfectionnée de la lumière, il faut chercher le point de départ de toute une activité nouvelle^ mais qui cependant a été con- fondue par beaucoup d'auteurs, Nuel, entre autres, avec celle des tropismes ou de la sensibilité diffé- rentielle. Pour Nuel, l'auteur du livre : la Vision, la plu- part des phénomènes présentés par les invertébrés et rangés sous cette rubrique ne sont que des tro- pismes (héliotropies) ou des phénomènes de sensi- bilité différentielle (il dit : réactions aux variations de l'éclairage). Chez les articulés cependant, il exis- terait un mode de réactions qu'on ne trouverait pas chez les animaux plus inférieurs; il le qualifie par le terme de « moto-réactions », mais il cher- che à le faire rentrer dans la catégorie de la sensi- bilité différentielle. Voici son raisonnement : un crustacé, un insecte réagit vis-à-vis d'un objet en mouvement. Cet objet peut se déplacer de deux manières différentes par 19 218 ^ \l--\\' r iM I INTELLIGENCE rapport à l'animal : latéralement, ou bien suivant l'axe longitudinal de cet animal ; dans le premier cas, certains éléments rétiniens s'éclairent, tandis que d'autres s'obscurcissent; dans le second, si par exemple, l'objet supposé lumineux s'approch< de l'animal en lui faisant constamment face, de nouveaux éléments s'éclairent constamment, l'image rétinienne s'agrandissant avec le rappro- chement. Pour Nuel, c'est dans les deux cas uii< « réaction à une variation de l'éclairage ». Nuel n» fait pas précisément une distinction qui me parai! très importante : dans les phénomènes de sensibi- lité différentielle pure, il y a une variation d'inten- sité de l'éclairement général de l'œil ; dans le cas des « moto-réactions », il y a un changement dan> la distribution des taches d'ombre et de lumière à In surface de l'œil. Dans ce second cas, le phénomène est beaucoup plus complexe : il implique des con- nexions compliquées entre les divers points de la rétine et les divers points des centres nerveux, et. par suite, des phénomènes associatifs. Nuel semble d'ailleurs s'en rendre compte à un certain moment de son exposé (p. 8i). Le fait que l'animal réagit de façons diverse- vis-à-vis des diverses distributions des tache- d'ombre à la surface de la rétine, voilà précisé- ment une supériorité de l'animal articulé vis-à- vis de la plupart des animaux plus inférieurs. C'est ce fait que j'exprime en disant que l'animal réagit aux images des divers objets; évidemment, je ne veux pas dire par là que l'articulé voit le- LA VISIO.\ 219 objets comme nous les voyons, que telle tache d'ombre portée sur la rétine par un objet évoque la représentation psychique de l'objet; je n'ai nul- lement rintention d'appliquer la théorie de la per- ception à la mouche, à l'abeille ou à la fourmi. Niiel s'effraie à la pensée que l'on pourrait dire que ces insectes « voient ». Le danger ne me paraît pas si grand que cela ; pour l'éviter, il suffit d'avoir soin de déclarer qu'on relire à ce mot cr vision » la signification qu'il a dans le domaine de la con- science, et qu'on n'entend pas parler du sens des formes. Nuel s'élève vivement contre Wasmann, qui a exagéré, lui. dans le sens contraire. Cet auteur attribue, en effet, aux fourmis de l'acuité visuelle et la vision des formes. Quand un objet ou un ani- mal menaçant se présente plusieurs fois de suite à sa vue, la fourmi cesse de réagir. Wasmann dit que, non seulement la fourmi « voit » les détails de l'objet, mais qu'elle finit par ne plus « craindre » le doigt, car elle « reconnaît » l'inutilité de ses efforts et la « non-nocuité » de l'objet ; aussi elle K renonce » à ses « menaces » et à l'attaque. Was- mann conclut également à une « acuité visuelle » assez développée chez les fourmis, en se basant sur l'observation de certains faits de ressemblance protectrice, de mimétisme des formes : ainsi cer- tains coléoptères, admis dans les fourmilières, revêtent à un haut degré la forme de leurs hôtes. C'est là un argument de faible valeur, et Nuel a raison de protester. Mais il a tort de réduire 220 LA NAISSANCi; Di; I.IMI.I . ! l'importance des réceptions (»culuir(;s chc/ les insectes, les myriapodes, les araignées : chez ces animaux, il n'y aurait le plus couvent ». Pourtant, il y a déjà une complexité assez grande dans le fait suivant : une mouche s'envole à droite lorsqu'on approche d'elle un corps à gauche; elle s'envole à gauche, si on approche un objet à droite. Une limace ne se comporterait pas de même. Les considérations dévelo[>pées [«ar le D"" Nuel, dans son livre, sont plutôt d'ordre négatif. Heureu- sement, la question de la vision, grâce aux travaux récents de Uàdl et deCole, vient d'entrer dans une voie nouvelle. Des observations assez nombreuses montrent que les crustacés et les insectes, comme les ver- tébrés, peuvent en quelque sorte fixer du regard les objets environnants, aussi bien les points sombres dans un champ éclairé que les points lumineux dans un champ sombre. Des crabes, en présepce de deux fenêtres, peuvent regarder l'une ou l'autre. Des crevettes s'orientent plus ou moins facilement vis-à-vis de baguettes noires et se pré- cipitent même sur elles. On doità Ràdl une expérience très curieuse. Une mouche Laphria, placée sur un support tournant, tourne quand elle fixe un objet environnant, à con- dition toutefois que la rolation ne soit pas trop rapide. Une coccinelle se comporte de même. Tout le monde peut répéter aisément l'expérience. On LA VISION 221 prend un cylindre de verre de 30 cenlinnètres de diamètre, ouvert à ses deux extrémilés et tournant autour de son axe longitudinal, avec la vitesse d'un tour en trois à cinq secondes ; à la face interne, on a collé des bandes longitudinales de papier noir et de papier L>lanc ; au milieu du cylindre se trouve, sur un support élevé, un petit cristallisoir qui reste ainsi immobile quand le cylindre tourne. Dans le cristallisoir, on place une coccinelle ; dès que le cylindre se met à tourner, la coccinelle, si fille était déjà en marche^ se met à tourner dans le même sens que le cylindre. Ainsi Tinsecte suit un mouvement tournant. Les poissons, d'ailleurs, réagissent d'une façon analogue : après quelques mouvements oscillatoires, ils se mettent à nager en rond dans le même sens que le cylindre. A propos de ces expériences, Uàdl, à qui on doit une théorie purement physique du phototropisme (1903), non adoptée d'ailleurs, se livre à des consi- dérations sur le phototropisme et la vision. Il cherche à montrer que la vision n'est qu'un cas perfectionné du phototro[)isme. L'homme ne serait supérieur, à ce point de vue, aux animaux inférieurs que parce qu'il peut faire un choix entre les objets à fixer; mais il ressemblerait aux animaux infé- rieurs, parce qu'il est forcé de fixer un point quel- conque de l'espace, et, sous ce rapport, il se com- porterait comme un organisme inférieur réagissant phototropiquement. Ces considérations résultent d'une mauvaise com- préhension du phototropisme, qi!e l'on considère 19. — ^- LA i\AI.^>\\( r. I)F L INTELLIGENCE souvent comme nue sorte de marche à KKloile ; dans le pholotropisnK' vrai, l'animal peut fort bien n'être dirigé vers aucun point lumineux : il prend simplement la direction pour laquelle les deux yeux, qui re<;oiveut la lumière rélli'chie par tous les objets environnants, ont un éclairement aussi égal que possible. Dans le phototropisme, il y a à considérer l'égal ou l'inégal éclairement des deux yeux; dans la vision, il y aà considérer la distribution topogra- phique des taches d'ombre et de lumière à la sur- face de l'œil. Ce sont là deux mécanismes diffé- rents pour l'orientation de l'animal; suivant les circonstances, l'un ou l'autre prédomine. Dans le phototropisme, un seul chemin est possible; dans la vision, il y a forcément un «choix», l'animal étant sollicité par plusieurs objets à la fois. C'est là, précisément, l'idée direc- trice de l'Américain L. J. Cole ;1907). Sa méthode est la suivante. L'animal est placé sur une petite plate-forme, à égale distance de deux sources de lumière d'intensité égale, mais de sur- face inégale : un point lumineux d'une part, un carré lumineux de 41 centimètres d'autre part. Il y aurait vision quand l'animal se dirige plutôt vers une source que vers l'autre. L'auteur a opéré sur douze espèces; sur des vers, des planaires, des mollusques, des crustacés, des larves d'insectes, des insectes, des grenouilles. L'escargot et la limace n'ont donné que des résultats inconstants. Parmi les autres, seuls la vanesse, la ranâtre, le LA VISION 223 liTillon et la grenouille se sont dirigés vers l'une des sources : ainsi, la vanesse, exposée à l'influence simultanée des deux lumières, s'est dirigée 87 fois sur 100 vers la source lumineuse la plus étendue. Cole conclut que beaucoup d'insectes ont, comme les vertébrés, la vision des objets, et celle-ci serait un phénomène distinct du phototropisme. Chez le grillon, il a su, d'ailleurs, dissocier les deux phé- nomènes : après section des nerfs optiques, seul le phototropisme a persisté. Toutefois il semble y avoir une relation entre la vision et le phototro- pisme : les insectes qui se sont comportés diffé- remment vis-à-vis des deux lumières ont un pho- totropisme positif, tandis que les blattes, et autres animaux, qui ont un phototropisme négatif, se comportent comme s'ils ne voyaient pas les objets. J'adopterai la conclusion de Gole, à savoir que beaucoup d'articulés ont, comme les vertébrés, la vision des objets. Or, c'est précisément avec les articulés que l'association des sensations com- mence à jouer un rôle important dans l'activité animale, que le « psychisme » se développe. Je prends le mot « psychisme » au sens de Loeb. Pour l'illustre biologiste, le critérium du psychisme est la « mémoire associative » ; il y a psychisme, ai-je dit, lorsque l'acte de l'animal résulte de l'as- sociation entre les impressions actuelles ayant leur point de départ dans divers points de la surface du corps et des impressions passées. J'ai choisi ce critère, comme précieux dans l'étude objective des 22A LA NAISSANCE DE l/l.M LI LIwLM.l; phénomènes, cl pour l'analyse oxp('Timoiil:il' d.v^ actes des animaux. C'est le moment de rappeler que beaucoup de philosophes sont arrivés à la conclusion que la faculté de connaître ne se développe (jue quand les diverses sensations, tactiles, musculaires, etc., s'associent entre elles et avec les sensations optiques, et que les psychologues anglais ont fait jouer un rôle important à l'association des diverses sensations dans la formation de rinlelligence. Dès 1709, Berkeley, dans son t'ssay of vision, cherchait à expliquer Toriginede la notion d'espace en nous par la fusion graduelle des sensations visuelles et tactiles, actuelles ou conservées par la mémoire, fusion opérée par l'exercice et Thabi- lude. Ensuite David Hume (1739-1749) posa ce principe fondamental que nos représentations ne sont pas des données a priori, mais dérivent des sensations, et peu après David liartley chercha à expliquer les phénomènes psychiques complexes, même les pensées et les sentiments les plus élevés, par l'associalio^n des sensations et des représenta- tions simples. D'après certains psychologues modernes, c'est là le point de départ d'une psycho- logie, qui, au lieu de chercher des lois ou des rapports métaphysiques, s'en tient purement à Texpérience et se contente du concours de la phy- siologie; la théorie associationniste de Hartiey constituerait la première tentative d'explication scientifique des phénomènes psychologiques com- plexes. Les idées des associationnisles anglais LA VISION 225 passèrent en France, où elles prirent un caractère métaphysique; exagérées parCondillac, qui soutient que tous les phénomènes de la conscience dérivent des sensations qu'elle reçoit passivement, elles furent le point de départ de la philosophie dite sensualiste, qui se substitua peu à peu au cartésia- nisme. Loin de moi est la pensée de prendre part aux discussions qu'ont soutenu entre eux les philo- sophes; mon but est plus modeste : c'est d'étudier d'une façon objective les phénomènes associatifs chez les animaux. Avant d'aborder celte étude, je tiens cependant à insister à nouveau sur l'impor- tance des éléments visuels dans la formation des associations, dans la formation des habitudes. L'« intelligence » des animaux serait une « intel- ligence visuelle ». Il en serait de môme, d'ailleurs, de l'intelligence de l'homme. Le Dantec fait observer que « nous arrivons à ne plus considérer comme connu, dans le monde qui nous entoure, que ce que nous étudions au moyen de notre sens de la vision des formes; nous renonçons à toutes les autres notions directes que nous donnent nos autres sens ». Bien entendu, je ne conclus pas à l'identité de l'intelligence des animaux et de celle de rhomme. Nous revenons, là, à une vieille idée qui était particulièrement chère aux Grecs. Les Grecs considéraient l'intelligence comme une sorte de lumière intérieure, et, souvent même, comme un reflet de la lumière extérieure sur notre àme. Le -20 LA .NA1^.>A.\LI, UE L IM 1.1,1. 11. l.\(l. mot que nous trouvons à l'origine de la langue grecque, dans Homère, pour désigner l'homme, c'est le mot lumière, oo);. Pour les Grecs, l'or- gane de la vue est le premier des sens. Cet organe, les dieux l'auraient formé avec complaisance et avant tous les autres; ils auraient répandu dans toute la nature la lumière, c'est-à-dire une sorte de feu qui ne brûle pas; ils en auraient enfermé en dedans de nous une partie qui trouve son issue par les yeux, et, passant à travers le fin tissu de la prunelle comme à travers un tamis qui l'épure, va rejoindre la lumière du dehors et nous donne ainsi toutes les sensations de la vue^ Ainsi disait Platon. 1. KuouARU BoHN : L'Ame Inimainc datis ilnsloire. I5<'vn" 'h- cours littéraires, 186i. CHAPITRE XIX Recherches expérimentales sur l'acquisition des habitudes. Le grand mérite du psychologue américain, Yerkes, est d'avoir institué des expériences métho- diques sur les processus d'association chez les animaux : ses deux mémoires (1903) ont porté sur des êtres déjà assez élevés en organisation : la gre- nouille verte et l'écrevisse. Je commencerai par parler des résultats obtenus avec la grenouille parce que la part des différentes sensations dans les processus associatifs y appa- raît d'une façon particulièrement nette. Chez la grenouille verte, les associations nou- velles se forment beaucoup plus lentement que chez les autres vertébrés, et il y a des habitudes individuelles fort tenaces : telle grenouille saute en arrière quand on l'effraie, telle autre a son coin préféré, auquel elle revient toujours. Pour évaluer la rapidité à apprendre chez la grenouille, Yerkes a essayé de deux procédés : 228 ..\ NAISSANCE DE L INTELLIGENCE celui (l'une boite percée d'une ouverture par laquelle l'animal [)eut s'échapper, et celui «lu labyrinthe. Premier procédé (fig. 34). — Une boite présente une ouverture de 10 centimètres de large sur 15 de haut ; une glace, de 10 centimètres carrés, ferme la partie inférieure, en sorte que lagrenouille ne peut s'échapper que par la fente de 5 centi- mètres de haut qui la surmonte. Après avoir buté un certain nombre de fois contre la glace, la grenouille finit par s'échapper; on la replace dans la boîte, et les choses recommencent, et ainsi de suite.. . Six essais successifs, <à cinq minutes d'intervalle, ont donne pour la durée de la sortie les nombres suivants : .5'°.i2, 2'°, iO, l'",22, 4°^, 35, 2"°, 38, 3", 16. On voit d'après ces chiffres que le batracien ne forme pas rapidement une association qui l'aiderait à s'échapper ; // saule vers la lumière^ mais n'ap- prend pas qu'il y a une glace qui doit être évitée. Deuxième procédé (fig. 35). — La grenouille, Fig. 34. Boîle munie d'une onverlure on parlie fermée par une glace, ci où l'on place une grenouille. Celle-ci lend à s'échapper el vient buter un certain nombre de fois contre la ^'laoe. RECHERCHES EXPERIMENTALES 229 en sortant d'une petite boîte (E) où elle est mal à son aise, se trouve vis-à-vis de l'entrée de deux passages, l'un à droite (li), aux parois revêtues de rouge, l'autre à gauche (B), aux parois revêtues de blanc; elle s'engage dans le passage de droite entre les parois rouges, mais ce passage est fermé à son extrémité, et l'animal doit revenir en arrière, pour s'engager dans l'autre passage ; à la sortie, il <Ù jj £ M 5 Fig. 35. I.abyrintlie pour l'élude de l'acquisilion des habitudes chez la grenouille (Yerkes). — l/animal, qui s'ociiappe de F, doit passer par B et non par R, imis par S et non par F. doit choisir encore : en tournant à droite (S), il arrive enfin dans une petite mare (M), qui cons- titue pour lui un habitat familier et confortable. Yerkes pense que le « motif psychologique » qui pousse la grenouille à parcourir le labyrinthe est précisément le désir de retrouver cet habitat; toutefois ce motif ne paraît pas très puissant et il s'exerce inégalement suivant les circonstances : le batracien reste souvent en chemin; aussi Yerkes a renoncé à noter le temps que l'animal met pour parcourir le chemin qui lui est imposé ; il note seulement la proportion des erreurs à l'entrée et à la sortie. 20 230 LA NAISSAN< I a; I IMl 1 1 K.KNCE Les expériences étaient faites par série de dix ; jamais il n'y a eu plus d'une série par jour. Au bout de cent expériences, en général, la grenouille ces- sait de commettre des erreurs à l'entrée et à la sortie. On voit donc que l'habitude se forme lente- ment. Une fois Thabitude acquise, Yerkes a changé les conditions ; par exemple, il les a renversées à l'en- trée ou à la sortie; au lieu de la combinaison habi- tuelle : Rouge à droite — Blanc à gauche, il a adopté la nouvelle combinaison : Blanc à droite — Ronge h gauche, et immédiatement après, il s'est produit à l'entrée 50 p. 100 d'erreurs ; des résultats analogues ont été obtenus en fermant le couloir de gauche, au lieu du couloir de droite. La part des différentes sensations dans les pro- cessus associatifs de la grenouille apparaît ainsi ; il ressort nettement des expériences de Yerkes que les facteurs les plus importants de l'associa- tion sont les sensations visuelles provoquées par les couleurs, les ombres, les contrastes d'éclaire- ment d'une façon générale; et les sensations mus- culaires I provoquées par les mouvements à droite, à gauche, par les mouvements tournants d'une façon générale). Yerkes a observé incidemment une très curieuse association. Pour stimuler le batracien, il avait disposé sur le plancher de chaque couloir des RECHERCHES EXPERIMENTALES 231 séries de fils électriques, qui permettaient d'en- voyer des décharges dans le corps de l'animal, quand celui-ci s'engageait dans le couloir fermé ; sous l'influence de la secousse, la grenouille pre- nait l'habitude de rebrousser chemin, et, au bout d'un certain temps, il lui suffisait même de toucher le fil : une association s'était produite entre la sensation déterminée par l'attouchement du fil et celle provoquée par la secousse électrique. D'une façon générale, une association nouvelle- ment formée dure en moyenne un mois. Voyons maintenant les résultats obtenus avec Técrevissc par le même auteur associé à G.-E. Hug- gins. Le procédé employé a été celui du labyrinthe. On a choisi celui-ci aussi simple que pos- sible (fig. 36). Une boîte plongée dans l'eau pré- sente à une de ses ex- trémités une annexe : petite chambre trian- gulaire (E) communi- quant avec l'intérieur de la boîte par un seul orifice; à l'autre extré- mité se trouvent deux petits couloirs (F et S) de sortie : une glace ferme l'un d'eux (F). Une écrevisse est placée cinq mi- nutes hors de l'eau, puis dans le compartiment 36. Labyrinthe poui' l'éUide ar S et non })ar F, cou- loir fermé par une glace. 232 I \ \AISSANCE DE I/INTELLIGENCE Iriaiii^Milairc; elle ne larde pas à en sortir cL gagne l'autre extrémité de la chambre; arrivée la, elle doit choisir entre les deux portes de sortie. Des expériences [)réliminaires avaient montré que le cruslacé a j)lut6t tendance à passer à droite ; aussi a-t-on placé la glace de façon à fermer le passage de droite. En un mois, on a fait elTectncr à l'écrevisse soixante essais, c'est-à-dire en moyenne deux par jour : on a observé une progres- sion constante dans le nombre des choix conve- nables, 50 p. 100 au début, 90 p. 100 à la fin. Deux semaines aftrès la fin de l'apprentissage, l'habitude s'était conservée en partie (70 p. 100). Dans une autre série d'expériencçs, on a employé une boîte à sec, dont le fond formait une pente aboutissant à un bassin plein d'eau ; quatre cent cinquante expériences ont été effectuées en tout, à raison de dix expériences par jour; les résultats ont été du même ordre. H ressort du travail des auteurs américains que l'écrevisse est capable d'apprendre en formant i\e> associations, où peuvent intervenir le sens chi- mique, le toucher, la vision, le sens musculaire. (Pour éviter l'intervention du premier sens, on nettoyait les boites avec soin après chaque expé- rience.) Un fait particulièrement intéressant au point de vue des associations : après deux cent cinquante expériences, le crustacé avait pris l'habitude de s'échapper par la sortie de droite ; quand il venait heurter, par les antennes, la glace qui fermait la RECHERCHES EXPERIMENTALES 233 sortie de gauche, il se mettait à effectuer un mouvement tournant vers la droite, et gagnait assez rapidement la sortie; on plaça alors la glace à droite : quand les antennes vinrent touctier cette glace, l'animal tourna encore vers la droite, et ne trouva qu'après un temps assez long la nouvelle sortie. On voit qu'un grand nombre d'expériences, au minimum cinquante à cent, sont nécessaires pour la formation d'une association parfaite. C'est faute d'en avoir fait un nombre suffisant que le physiologiste allemand Bethe, — si populaire depuis qu'il a été le promoteur du mouvement qui a abouti à la négation de la psychologie animale, — a pu nier l'existence d'une « mémoire associative » chez des crustacés voisins des écrevisscs, les crabes (1898). Quand on lâche des crabes dans un grand bassin, ils se rendent rapidement dans le coin le plus obscur. Une élédone, sorte de pieuvre, occupait ce coin ; Bethe lâche dans le bassin un (^arànus : il va rejoindre l'élédone et se fait prendre ; on dégage le crustacé ; lâché de nouveau, il retourne vers la pieuvre qui le saisit. Cela se répète six fois de suite, et cela suffit à Bethe pour dire que le crabe ne profite pas de l'expérience. C'est alors que Lethe a eu une idée singulière pour un antianthropomorphisle, — décidément il y a bien des contradictions dans la pensée des adhérents de l'école « mécaniste » allemande, — celle d'appliquer à ses crabes une méthode qui, 20. 'COi LA NAISSANCE DE L INTELLIGENCE quoique mauvaise, réussit parfois clans l'éducation des hommes : celle des châtiments corporels. Au moyen de la viande, le professeur allemand attire les crabes ; chaque fois qu'un crabe la saisit, il le frappe à coups de bâton ; malgré cela ces ani- maux n'apprennent pas que la main doit être évitée. La conclusion de Bethe est la suivante : le Car- cinus n'a pas de qualités psychiques, car il est incapable de profiter de l'expérience : il est une simple « machine réflexe ». Cette conclusion n'est pas justifiée, car le pro- cédé d' « intimidation » est mauvais et le nombre des essais successifs insuffisant. Au contraire, des expériences ingénieuses de Anna Drzevvina, — qui ont porté il est vrai sur une autre espèce de crabe, le Grapsus varius^ — viennent de montrer que ces animaux sont capables d'apprendre, en formant des associations. Les crustacés ont éfté placés dans une grande cuve de verre (fig. 37), contenant une mince couche d'eau, et partagée en deux i)ar une cloison transparente, munie elle-même d'une petite porte latérale P. Le soir venu, on plaçait une bougie en B, les crabes occupant les positions C. Ces animaux se dirigeaient en ligne droite vers la source de lumière, et venaient heurter contre le plan de verre ; ils rebroussaient chemin, puis ve- naient de nouveau heurter contre la cloison. Dans les mouvements irréguliers* qui succèdent aux mouvements réguliers du début, les crabes finis- RECHERCHES EXPERIMENTALES 235 saient par franchir la porte. Chaque soir, on recom- mençait les expériences, et de jour en jour les crustacés franchissaient plus rapidement la porte. Les grapses prenaient l'habitude de se diriger vers la gauche de la bougie, et une fois à une certaine /\ -yT / 1 / y -a'-'S^^ ■^ / FiG. :]7. Dispositif pour l'élude de l'acquisluoii des liabitudes chez les crabes (Drzevvina). - Une cuve est séparée en deux par une cloi«oa de verre; les crabes C en se dirigeant vers la bougie B viennent s'y heurter; petit à polit, ils apprenneiil à passer par la perle P. distance de la porte ils liiaient droit vers elle. Ici encore il s'est formé une association où intervien- nent la vision et le sens musculaire. J'aurais encore à citer une curieuse observation de l'Américain Spaulding : des pagures ou bernards- l'ermite, Eupagurus iongicarpus, qui se dirigeaient normalement vers la lumière, ont pris l'habitude de gagner l'ombre, où l'on avait placé les aliments, et cette habitude persistait même quand la nourri- ture manquait. Des expériences de très longue durée, analogues -30 LA NAISSANCE DE l/lNTELLIGENCE aux précédentes, tentées sur des animaux i)lus infé- rieurs, mollusques, vers, étoiles de mer, n'ont donné jusqu'ici aucun résultat. Ceci vient à l'appui de ce (jue j'ai dit f)lus haut. Chez les animaux inléricurs, il y a des associa- lions très simples, formées entre quelques élé- menls toujours les mêmes, et qui, la plupart, ont été acquises par la race dans un passé reculé. A partir des articulés surtout, les sensalions visuelles et musculaires prenant une grande impor- tance, il peut se former, même au cours de la vie individuelle, des associations complexes cl variées, qui jouent un rôle important dans les relations de ces animaux et des divers objets du milieu exté- rieur. Dans la nature, l'aclivité des animaux articulés est par suite fort com[)lexe. Ku présence des di- verses manifestations do ces êtres, l'analyse expé- rimentale se montre nécessaire ; mais il y a deux manières de la comprendre, une bonne et une mauvaise. C'est ce (jue nous allons voir. CHAPITRE XX De l'analyse expérimentale en psychologie comparée. § 1. - DEUX MANIÈRES DIFFÉRENTES DE COWPRENDRE CETTE ANALYSE. Autant on accueille difficilement les idées nou- velles, autant on se débarrasse difficilement des idées admises. Après des conlroverses très vives, les idées de Darwin se sont implantées solide- ment dans le cerveau des biologistes. Certes le Darwinisme est une théorie ingénieuse et fort séduisante, renfermant sans doute une part de vérité, mais on peut être étonné delà facilité avec laquelle certains esprits qui se piquent de rigueur l'ont adoptée et se sont laisses convaincre par des preuves insuffisantes. Aujourd'hui le Darwinisme est devenu un dogme, c'est-à-dire une chose à laquelle on n'a pas le droit de toucher. En France, on qualifie de « mauvais esprits » ceux qui osent laisser entendre que bien souvent les faits ne cadrent pas avec les idées de l'illustre évolution- 238 I \ NAi>-A\( i; m: i intelligence nistc. Cependant à l'étranger, on a émis des opi- nions sévères sur Darwin, trop sévères peut-être. Voici entre autres comment s'exprimait en 1896 Driesch. un savant allemand des plus estimés : « Le Darwinisme appartient à l'histoire, au même titre que la philosophie de Hegel, une autre bizar- rerie ; les deux sont des variations sur ce thème : comment il est possible de mener des généra- tions entières par le bout du nez; et elles ne sont pas susceptibles de relever l'opinion qu'auront sur nous les générations futures. » Driesch va jusqu'à parler de la « dégénérescence du cerveau des dar- winistes ». En 1903, Fleischmann déclare : « Cest un devoir pour chaque naturaliste de mettre en garde les jeunes contre l'influence néfaste de la théorie à la mode. » J'ai fait voir précédemment la résistance que tout être vivant op-pose à la variation; certes il ne peut être question de nier l'évolution des formes animales; mais on peut être amené à discuter sur la façon dont a pu se faire cette évolution. Pour Darwin, « la Nature ne fait pas de sauts », et l'évo- lution progresse par gradations, par minimes variations entre lesquelles se ferait un choix. Mais cela, on ne l'a pas constaté, on n'en a aucune preuve, et c'est même peu vraisemblable. Par contre, on a vu apparaître ^rw^^Me?//^??/ des formes nouvelles qui, quand les circonstances ont été favo- rables, ont pu survivre; pour Hugo de Vries, pour Korschinsky, dont j'ai déjà parlé, révolution procé- derait par sauts. ANALYSE EN PSYCHOLOGIE COMPAREE 239 Dans les livres classiques on représente révo- lution du règne animal au moyen d'un arbre avec de nombreux rameaux : c'est suivant ceux-ci, et d'une façon continue, que se serait effectuée l'évo- lution. Les zoologistes et les paléontologistes ont perdu beaucoup de temps à chercher, en vain, tous les anneaux de la chaîne. Là où Féchec du Darwinisme est particulièrement frappant, c'est en ce qui concerne l'origine de Thomme. Et voici déjà certains partisans de l'évolution qui com- mencent à dire que l'homme serait apparu tout à coup, par mutation brusque, avec son cerveau, son intelligence si supérieure à celle des autres animaux. L'apparition de l'homme se présenterait comme une révolution organique et psychique à la fois. De même, je considère l'apparition, — au milieu de l'infinie variété des animaux inférieurs, des crus- tacés et des insectes, — avec leur carapace et leurs pattes articulées, avec leurs yeux à facettes si perfectionnés, — comme une révolution orga- nique et psychique, qui se serait produite dans les âges lointains, par une série de mutations, bien entendu. Les auteurs récents qui ont essayé d'ayiahjser l'activité psychique des crustacés et des insectes, — suivant leurs tendances, leur tempérament, leurs idées préconçues. — ont vquIu voir en elle, ou bien des cojnbinaisons de trop\siaes^ ou bien les effets des associations de sensations. Ily alà deux manières différentes de comprendre -iO LA NAISSANCE DE l/lNTELLICENCE l'analyse expérimentale en i)sycliologie comparée; il y a là deux altitudes opposées. Ceux qui ont adopté la première, — ce sont en parliculier quelques adhérents de l'école méca- niste alleuianJc. — sont partis de deux idées fausses : 1° dans la Nature, il n'y a pas de sauts l)rus(|ues; 'J" Taclivité des animaux inférieurs serait constituée unicjuement par des tropismes. 11 en résulte qu'il doit en être de môme de Tacti- vité des animaux supérieurs : si, chez ceux-ci, les actes sont plus compliqués, c'est qu'il y a des com- binaisons plus complexes des tropismes. En réalité : 1° dans la nature le progrès se fait diflicilement, mais souvent par révolutions, par sauts brusques; 2° l'activité des animaux infé- rieurs est composée d'éléments complexes : tro- pismes, phénomènes de sensibilité dilTérentielle, phénomènes associatifs. Ceux-ci sont d'abord à l'arrière-plan, et rudimentaires ; mais, si rudimen- taires qu'ils soient, ils se montrent irréductibles à des tropismes. Le perfectionnement de l'appareil visuel, en introduisant les qualités des images des objets parmi les éléments des associations, a permis la complexité de celles-ci, qui presque subitement se trouvent jouer un rôle des plus importants dans l'activité animale. Telle est du moins la façon dont je conçois les choses. Je peux me tromper; il est toujours pos- sible de se tromper quand il s'agit d'interpréta- tions. Mais il est toujours permis de faire des hypothèses qui cadrent avec les faits, ai on siiécifie DE l'analyse E\ PSYCHOLOGIE CO.AIPARÉE 241 bien qu'il s'agit d'hypothèses ; à chacun de les dis- cuter, à chacun d'essayer, s'il le veut, de s'en ser- vir comme guide dans la recherche des faits. Or, précisément, nous allons voir à quels résultats déplorables on a été conduit en adoptant l'opinion d'après laquelle il y aurait des trppismes partout. A cet égard, les Américains se sont montrés plus avisés que les Allemands. !: 2. — LE PROBLÈME DU RETOUR AU NID. Je commencerai par appliquer l'analyse expéri- mentale au problème du retour au nid. Un travail sur les fourmis, dû à l'Américain Turner (1907), se présente comme un modèle à suivre. Certes cène sont pas les observations sur ces insectes qui font défaut ; il y a déjà longtemps que Lubbock a écrit tout un livre sur leur psychologie; mais le plus souvent on s^élait contenté d'inter- préter leurs actes, en faisant intervenir nos pen- sées et notre faculté de raisonnement, nos senti- ments, nos qualités morales...; on décrivait en bloc les u habitudes », les « instincts », les « mœurs », les manifestations de ï « intelligence ». Aujour- d'hui on a souci d'essayer de faire l'analyse des phénomènes que l'on décrit. Ace point de vue le travail de Turner est conçu dans un esprit vraiment scientifique. Tout d'abord l'auteur opère sur de nombreuses espèces de fourmis ayant dans la nature des conditions de vie 21 -4- LA NAKSSAM K DE 1. INTKI.LlGENCE et des habitudes diirérentcs. De pins. Turiicr pro- cède par l'observation et rexpérimentation, sans qu*aucune idée préconçue, aucun parti pris, n'in- flue sur les conclusions déduites de l'ensemble des faits. Il s'applique surtout à résoudre le pro- blème du retour au nid. Le retour au nid, voilà une question qui a fait couler des flols d'encre. Certains l'ont résolue d'une façon très simple, trop simple, en invoquant un instinct particulier, un « homing instinct » qui guiderait infailliblement un animal vers son gîte. Turner n'admet pas cette hypothèse, car il voit fréquemment les fourmis perdre la piste et errer dans toutes les directions à deux pas de l'entrée du nid. Il se pose alors la question, l'éternelle question : s'agit-il d'une combinaison de tro- pismes ou bien d'une association de sensations, et il rejette la première hypothèse pour adopter la seconde. 11 ne s'agit pas de tropisme, comme Favait voulu Bethe : pour le négateur de la psy- chologie animale, les fourmis seraient guidées par une piste odorante. Selon Turner, ces insectes, dans leurs premiers passages, ne retrouvent le nid que par hasard, en tournoyant longtemps auprès de lui, et c'est seulement après plusieurs sorties, par association de clioerses impressions perçues au cours des maraudes, par souvenir de certains points de repère tels qu'irrégularités de la surface du sol, limites de l'ombre et de la lumière, par expérience en un mot, qu'elles arrivent dans la suite à s'orienter facilement. DE l'analyse en PSYCHOLOGIE COMPAREE 243 Les fourmis sont capables d'apprendre et au- raient une mémoire associative. Turner cherche à baser cette opinion sur de nombreuses expé- riences. Il n'essaie pas de faire résoudre des pro- blèmes trop compliqués à ses animaux ; il leur apprend à se servir d'un marchepied, à monter et à descendre des pentes diversement inclinées et diversement éclairées, Turner conclut : Dans leur retour au nid, les fourmis ne sont pas guidées par des tropismes, mais par une expérience individuellement acquise, à la suite de la formation d'associations, où inter- viennent les stimulants olfactifs, tactiles, méca- niques, visuels. Parmi ces stimulants, tous n'ont pas la même importance, .la même « valeur psy- chique » : les uns sont simples, d'autres compo- sés, les uns primitifs, d'autres dérivés; mais tous contribuent dans une mesure plus ou moins large au retour au nid : cet acte est ainsi fort compli- qué, et non pas, comme on a voulu le faire croire, une réponse directe à quelque stimulant du milieu extérieur. De très curieuses observations de Ch. Ferton (1905) sur des insectes mellifères ou ravisseurs voisins des abeilles sont intéressantes à rapprocher de celles de Turner. L'auteur étudie surtout les osmies, insectes qui nidifient dans des trous du sol, dans des bouts de roseau creux, dans diverses co- quilles vides; avec des feuilles mâchées, les osmies forment une pâte qui leur sert à revêtir l'intérieur des trous, la surface extérieure des coquilles...; -1 « l.\ NAISSANCE DE I, 1 M liM.KJKNCE en outre elles ta[)isscnt des pétales de diverses fleurs les petites chambres où elles vont déposer leurs œufs. — Ou a voulu voir, dans ce fait, nue manifestation esthétique de la f)art des insectes I — Il constate (ju'on a exagéré beaucoup la fixilt^ des prétendus « instincts » : les associations anciennes peuvent souvent être remplacées par des associa- lions nouvelles. Si les instincts étaient immuables, les expériences sur la mémoire associative des insectes ne donneraient que peu de résultats. Ferton signale un fait très curieux relativement au retour au nid. Une coquille, placée piimitivc- \ \ ~~- ^ ^ \ \ ^ " - -, ■D ^.\ ^~-,. M- FiG. 38. Diverses étapes parcourues par une osmie dans les expérienL-es de Ferlon. Kn M. se irouve une plante visitée souvent par rinsev;te ; en A. la coquille où il iiidiOe ; il va souvent de A en M, et inversement. Après «voir déplacé la coquille en H, puis en C, le chemin parcouru, au lieu d'être .MC, est d'abord iMABC, puis au bout d'un cerioin temps, le chemin représenté par des traits et des points: l'insecte dévie comme jiour aller vers H, mais n'y va pas. ment en A (fig. 38), est transportée successivement en B, en C, en D; l'insecte se rend souvent en M pour fabriquer une pâte végétale; il revient à la coquille en passant par A, B. C, D; à la longue, il omet de passer par B. puis par A. Il y a une mé- moire des emplacements antérieurs du nid, qui DE L ANALYSE EN PSYCHOLOGIE COMPAREE 2^0 s'efface progressivement. Cette mémoire résulte de rassociation des sensations musculaires, vi- suelles, olfactives Pour Ferton, le retour au nid ne serait pas un acte purement automatique. § 3. — PROBLÈME DE LA RECONNAISSANCE DES OBJETS. Après avoir examiné, très sommairement, le problème de la reconnaissance des chemins, je vais envisager un problème parallèle, qui a aussi beaucoup préoccupé les psychologues : celui de la reconnaissance des objets, par exemple reconnais- sance des coquilles par les bernards-l'ermile ou pagures. Ceux-ci sont des crustacés à dix pattes, assez semblables à des homards en miniature, qui, se trouvant sans abri au fond de la mer, se sont logés dans les cavités naturelles de certains corps qu'ils promènent avec eux et dans lesquels ils rentrent quand ils sont menacés. Ces corps sont le plus souvent des coquilles vides enroulées en hélice comme celles de l'escargot, quelquefois des tubes fabriqués par d'autres animaux, des pierres exca- vées, des bois perforés et même des éponges. L'abdomen qui a une protection très efficace est devenu mou. Par leurs mœurs curieuses, les pagures ont attiré l'attention des observateurs depuis la plus haute antiquité. Ce qui a le plus frappé Timagina- tion des hommes, c'est que ces animaux ne vivent pas seuls; sur la coquille qu'ils habitent peuvent 21, '^4() LA NAISSANCE DE ININTELLIGENCE être fixés une foule d'organismes : éponj^es, alcyons, bryozoaires incrustants, hydraires, l'ormant une sorte de manteau vivant, actinies ou fleurs de mer aux couleurs brillantes et qui brûlent comme des orties; à l'intérieur se promène une néréide, ou vor annelé au corps souple et ondulé, » armé le long des flancs de faisceaux de lances, de piques et de poignards ». Le cruslacé est protégé par l'actinie et par la néréide : la première, par son contact brûlant, éloigne beaucoup d'ennemi- comme les tortues et les poulpes ; la second» blesse mortellement les animaux qui s'aventurent dans la coquille; malgré cela, quelques petits crus- tacés trouvent le moyen de s'installer sur le corps du bernard et d'y vivre en parasites, subissant d'ailleurs toutes les déchéances qui caractérisent ce mode d'existence. L'actinie et la néréide re- tirent aussi un profit de l'association : elles peuvent se nourrir plus facilement; menant la vie errante du pagure, elles ont plus d'occasions de rencontrer (les proies que celles qui vivent aux rochers ; sou- vent elles empruntent quelques morceaux aux repas du crustacé. On ne s'est pas contenté di constater les bénéfices réciproques de celle asso- ciation entre animaux si disparates ; poussé par un besoin qui nous conduit à idéaliser, non seule- ment nos propres actes, mais encore ceux do animaux, on a vu dans les faits précédents de- marques indéniables d'une amitié réciproque ; de- récits fort touchants nous montrent les relation- du pagure et de l'actinie. DE l'analyse en PSYCHOLOGIE COMPAREE 247 Tel est celui du lieutenant-colonel StuartWorlley, rapporté avec enthousiasme par Van Beneden dans son livre, les Commensaux et les Parasites : « Le pagure ne manque jamais d'offrir, après la pêche, les meilleurs morceaux à sa voisine, et s'assure très souvent danS la journée si elle n'a pas faim. Mais c'est surtout quand il s'agit de changer de demeure qu'il redouble de soins et d'attention. Il manœuvre avec toute la délicatesse dont il est capable pour faire changer l'anémone de sa co- quille; il vient à son aide pour la détacher, et si par hasard la nouvelle demeure n'est pas goûtée, il en cherche une autre, jusqu'à ce que l'actinie soit complètement satisfaite. » Tout cela est très beau, mais c'est de la pure imagination. Voici, par opposition, ce que m'a donné l'obser- vation rigoureuse des faits en ce qui concerne les relations du pagure et de sa coquille (1903). Je ferai d'abord une remarque, qui a son impor- tance pour la thèse que je soutiens ici, celle de la prédominance dans le psychisme du facteur visuel; jamais je n'ai vu un pagure diriger ses mouve- ments vers une coquille qu'il percevrait à distance; il semble que les yeux ne jouent aucun rôle actuel dans l'exploration de la coquille : celle-ci se fait aussi aisément quand on a supprimé leurs récep- tions. Lorsqu'un pagure, Pagurus bernhardus du moins, rencontre une coquille, c'est par hasard, et pas autrement. La sensibilité tactile du crustacé est merveil- 248 LA NAISSANCE DE l/lNTELLIGENCE leuse : il suffit que rcxlrémilé d'une palte vienne toucher la surface de la coquille pour que l'animal vienne a[)pliquer son corps contre celle surface. La mémo réa(;tion se produit toutes les fois qu'il s'agit d'une surface calcaire rugueuse. Mais c'est alors qu'intervient la forme géomé- trique de la surface. Quand la coquille est globu- leuse, le cruslacé l'enveloppe de son corps qui se courbe en une demi -circonférence et de ses longues pattes arquées, puis les pinces qui prennent appui vers le bas font tourner la sphère sur elle-même, de maniî're à amener rorifice en position convenable. Rien n'est plus curieux que de voir les jeunes pagures imprimer un mouve- ment de rotation aux coquilles des litlorines qu'ils rencontrent : l'opération est effectuée en un clin d'œil. Elle devient plus difficile avec une coquille conique, et elle s'elTectue alors par divers procédés. Dans tous les cas, lorsque le pagure aborde l'ou- verture de la coquille, ou péristome, le corps se trouve appliqué, la tète en bas, sur une surface courbe. Il y a là une attitude spéciale à laquelle semble correspondre un ensemble de sensations musculaires particulières. Quand le crustacé est sur la coquille et qu'il a pris cette attitude, il se met à enfoncer ses pinces dans la cavité de la coquille, comme s'il voulait l'explorer, et c'est seulement après qu'il se retourne et y fait pénétrer son abdomen. Ainsi, depuis le moment où le crustacé heurte DE l'analyse en PSYCHOLOGIE COMPAREE 240 une coquille jusqu'au moment où il y installe son abdomen, il exécute une série bien définie de mouvements et passe par une série déterminée d'attitudes; un mouvement entraîne le suivant, une attitude entraîne la suivante. Il en résulte qu'on peut, en quelque sorte, a tromper » les pagures : 1° Placés sur un caillou rond, ou sur une boule de bois, ils y appliquent leur corps, le font tourner dans tous les sens, s'acharnant à trouver un orifice qui n'existe pas. Sur une valve d'huître un peu bombée, ils cherchent également un orifice; 2° Quand un bernard-rermite rencontre l'entrée d'un trou quelconque, deux cas peuvent se présenter. Si l'orifice est au bas d'une surface courbe, l'animal explore la cavité et y place souvent son abdomen. Dans le cas contraire, la réaction est toute différente : le crustacé ne s'installe pas dans le trou, même si son orifice est garni d'un anneau calcaire, même si le trou est constitué par une coquille enfoncée par sa pointe dans l'argile. Dans ce dernier cas, l'animal peut fouiller autour de la coquille, la dégager, la ren- verser, et, après avoir elfectué la série des mou- vements habituels à sa surface, y pénétrer. Nous venons de voir que les pagures se com- portent comme de véritables automates. Il suffit qu'un bernard-l'ermite rencontre une coquille ou un corps de forme semblable pour qu'il effectue toute la série des mouvements décrits, et cela le plus souvent sans qu'il y ait nécessité, alors que le 2"'>0 î\ NAlSSAi\<.I, KL 1, lMt;i.Li4,Ki\Lt; cnislac*; est déjà logé confortablemont (l.in- iiiir ( oqiiille appropriée. Il y a dans le cas des pagures dos associations //•s parfaites de sensations tactiles et muscu- laires; mais ce qui manque dans ces associations ce sont les éléments visuels. Aussi, ces associa- tions, quoique assez complexes, rappellent beau- coup celles des animaux inférieurs : acquises lentement, remontant loin dans le passé, elles ont une fixité beaucoup plus grande. l'Jlles n'ont pas- cette mobilité des associations où figurent les élé- ments visuels, c'est-à-dire où interviennent les images des objets. Les pagures, dans les actes considérés, sont des automates, et on ne trouve guère chez eux ce qu'évoque le nom de psychisme. Pourtant ces actes rentrent dans la catégorie des actes psy- chiques définis objectivement par la « mémoire associative ». Il y a incontestablement fusion de sensations diverses, présentes et passées. Mais dans ces associations ne figurent pas les sensa- tions visuelles. Me voilà revenu à une idée qui m'est particuliè- rement chère en psychologie animale; celle-ci : paDui les éléments des associations sensorielles^ il en est //ui ont une valeur psychique plus grande qur les autres, les sensations visuelles. Le psychisme résiderait, selon moi, moins dans la complexité des associations, que dans Tinter- vention de certains facteurs. Les associations où figurent des éléments visuels sont plus variées et i plus mobiles que les autres. Elles simulent par- fois au moins quelques caractères de ce qu'on est convenu d'appeler !'« intelligence ». .^ 4. — RELATIONS DES INSECTES ET DES FLEURS. — HABILLE- MENT DES CRUSTACÉS PAR LES ALGUES. Cette vue va trouver son application dans l'examen du problème de la reconnaissance des fleurs par les insectes. Les associations de sensa- tions vont intervenir ici encore, mais les sensa- tions visuelles, colorées, vont prendre une prédo- minance, au point de suffire souvent à elles seules, ou presque, à provoquer les réactions des insectes vis-à-vis des fleurs. La question des insectes et des fleurs est une de celles qui ont donné lieu aux recherches très nombreuses et aux discussions les plus passion- nées. Récemment Joséphine Wéry, étudiante de Bruxelles, élève des botanistes Errera et Massart, dans un mémoire des plus intéressants (1904), a fait l'exposé historique complet de la question, insistant sur les discussions qui se sont élevées et qui se sont poursuivies pendant un temps très long entre Plateau et Forel : Plateau pensant que les couleurs ont un rôle peu important, tenant sur- tout pour l'attraction par les parfums; Forel sou- tenant l'opinion contraire, et reprochant, en somme, à Plateau d'avoir trop tenu compte des tropismes et pas assez des phénomènes de mémoire associative. On trouve ici encore les deux ~t)* LA NAISSANCE DE L INTELLIGENCE altiliides of)posécs, que j'ai signalées en cornmen- ranl ce chapitre. C'est un des grands mérites de Forel de n'avoir pas confondu des phénomènes aussi dilfércnts que les lro{)ismes et les phéno- mènes associatifs, et d'avoir bien compris la genèse des phénomènes associatifs. Par des expériences méthodiques et ingénieuses, Joséphine Wéry a montre que Forel avait raison contre Plateau. Elle enlève aux fleurs leurs corolles, et celles-ci attirent beaucoup moins les abeilles. Eu revanche les fleurs artificielles exercent une attraction marquée. De plus, les fleurs vivement colorées, mais inodores ou à odeur faible, attirent manifestement beaucoup plus que les fleurs ternes odoriférantes. L'action du parfum seul est beaucoup moins efficace dans l'attraction que celle de la seule coloration vive. Le miel n'attirerait pas les abeilles. Mais Gaston Bonnier, dans de belles recherches, a montré que les choses sont plus complexes encore. On voit toute l'importance du facteur visuel. Parler d' « attraction » par les couleurs n'est qu'une façon de s'exprimer, commode. En réalité, il ne s'agit pas d'un tropisme ; les sensations colo- rées sont combinées, ou. tout au moins, iont été, avec les sensations odorantes, avec d'autres sensa- tions visuelles (objets voisins), avec les sensations musculaires. Il y a lieu de tenir compte de l'emplacement des fleurs. D'après Giltay, des abeilles visitent un co(iuelicot; tout à coup on enlève les pétales de la fleur, et, pendant un cer- DE l'analyse en PSYCHOLOGIE COÎtBARÉE 253 tain temps, les insectes continuent à visiter ce coquelicot. Nous voyons la prédominance des phénomènes associatifs chez les crustacés et les insectes-, nous saisissons les mécanismes des réactions de ces animaux vis-à-vis de certains objets qui les entourent : coquilles, fleurs... Ces objets, qu'en connaissent-ils en réalité ? Vraisemblablement encore peu de choses ; souvent la réalisation d'une seule de leur qualité suffit pour les « tromper » : vis-à-vis d'une boule de bois, le pagure se com- porte comme vis-à-vis d'une coquille; vis-à-vis d'un disque coloré, l'insecte commence à se com- porter comme vis-à-vis d'une fleur... Malgré cela, beaucoup d'auteurs représentent les crustacés et les insectes comme des person- nages humains, ou peu s'en faut, mus par les mêmes mobiles que nous et qui connaîtraient les objets du milieu extérieur comme nous- mêmes. Un fait, connu depuis longtemps, qui a été l'objet d'un mémoire très remarquable d'Auri- viiius, et qui est devenu le thème à de nom- breuses variations anthropomorphiques, c'est celui de Thabillement des crustacés par des algues de diverses couleurs. Certains crabes, dits araignées de mer, 'sai- sissent avec leurs pinces les divers corps qui les entourent : des algues surtout, mais aussi des éponges, des hydraires, des ascidies, ou même des débris de coquilles, du papier, des chiffons, des fils, I I IM'ELMCENCE Cl Ils ics j)l(iiilciil sm- dc^ crochels à la l'ace dorsale <:lo leur caraj)acc. Dans l'obscurité, il n'y a aucun i hoix des corps employés : des mouvements com- plexes de flexion des pinces s'elTectucnl en quelque sorte automati(|uement, depuis le mo- ment où la pince touche l'objet jusqu'au moment où celui-ci se trouve accroché. La section des yeux, l'ablation du cerveau n'ont aucune influence sur cet automatisme. Mais il n'en est pas de mêm en ce qui concerne un autre phénomène super- posé au premi<^r : celui du « choix des couleurs », comme on dit, peut-être un peu improprement. Aurivilius avait bien mis en évidence les deux faits suivants : 1" dans un milieu où prédominent des algues d'une certaine couleur, rouge par exemple, les crabes '> LA :>AlSSAi\tK bi. 1 i.Mi.l.l,l(,h.N<.t: ranimai on tout au moins un (Je ses appendic;es se place de telle façon qu'il reçoive de chaqu( côté de la ligne médiane la môme quantité d'une lumière colorée. Or. quand un crabe s'habille avec des algues vertes par exemple, ni le corps, ni la pince, dont les positions dans l'espace varient constamment, ne réalisent ces condition?. 11 est vraiment dommage que Minkiewicz n'ait tenu compte ni des phénomènes associatifs, ni des phénomènes de sensibilité différentielle; cette dernière notion paraît lui échapper complètement. Partir des tropismes, et de là, par des complica- tions progressives, en remontant la série animale, arriver jusqu'à l'intelligence de l'homme, voilà un révc qui a séduit bien des esprits, — au point de faire commettre beaucoup d'erreurs de faits et d'interprétations. On est toujours séduit par la simplicité de certaines explications, mais là n'est pas toujours la vérité. CHAPITRE XXI Les lois des phénomènes associatifs. La confusion entre certains phénomènes associa- tifs et les Iropismes peut s'expliquer en partie par ce fait que, souvent, dans les associations de sen- sations, l'une de celles-ci tend à prendre la prédo- minance sur les autres. Je suis conduit ainsi à énoncer une première loi, loi fondamentale, très simple et d'une application très générale, qui semble régir tous les phénomènes associatifs. Cette loi, voici sous quelle forme je l'ai énoncée dans un travail de psychologie animale publié en 1902, et dans u-ne note à l'Académie des Sciences, en janvier 1904 : Soient a, /y, c, d... les diverses sensations qui con- courent à former l'association : a-\-b -\-c-\- d-\- ..., et soit r la réaction correspondant à celte associa- tion. Au début, aucun des stimulants, a, ù, c, d, ne peut, isolément ou même engagé dans un groupe- 22. 258 LA NAISSAN» I ui I "iMELLIGENCo ment partiel, d(^terminer la réaction r.L association des quatre stimulants est nécessaire. A la longue, quelques-uns seulement de ces élé- ments, un seul même, peuvent suffire à provoquer la r(^action. a -{- b -\- <• -{- (l — -> r - r a-\-h , a — >► r Le facteur a se trouve avoir pris une prédomi- nance dans Tassociation. En octobre 1904, a paru, en Allemagne, un ouvrage dont le succès fut très grand. Dans le livre : Die Mneme, Richard Semon expose une « nouvelle théorie mnémonique du développe- ment )). Or, à la base de cette théorie, se trouve la loi sur laquelle je viens d'attirer l'attention. 11 y a cependant certaines dillérences, et quant au fond, et quant à la forme de l'énoncé. Depuis Th. Béer, les Allemands n'aiment plus guère parler de sensations. Dans le livre de Semon, a, h, c, d sont des « engrammes », c'est-à-dire des choses qui se gravent, s'inscrivent dans la matière organique. Le stimulant isolé qui Unit par déter- miner la réaction est dit « stimulus ecpfiorique ». Mais pour Semon, tous les stimulus de l'asso- ciation peuvent devenir rgaleme.nt des <( stimulus ecphoriques ». Je soutiens, au contraire, avec beau- LES LOIS DES PHÉNOMÈNES ASSOCIATIFS '^59 coup défaits à l'appui, que les divers stimulus n'ont pas la même valeur comme stimulus ecphorique. Semon insiste beaucoup sur recphorie,ou déga- gement des tendances latentes. D'une façon géné-r raie, tel stimulus isolé qui serait trop faible pour provoquer une excitation originelle peut être plus que suffisant, en tant que stimulus ecphorique. pour la «dégager» comme mnémique. On peut encore exprimer ceci d'une autre façon : les réactions d'un être vivant, à un moment donné,, ne dépendent pas seulement des conditions pré- sentes, mais de toutes les conditions de la vie passée, aussi bien de la vie de l'individu considéré que de la vie des ancêtres. Le passé détermine, dans Têtre, des «dispositions d'irritabilité» qui peuvent rester latentes. Mais tout à coup certaines influences, ecphoriques, viennent les «dégager » en quelque sorte : d'où leur manifestation. Un exemple concret sera peut-être plus explicite. Claypole a fait l'observation suivante : pour que déjeunes autruches qui viennent d'éclore dans des couveuses artificielles becquôtent les grains que Ton place devant elles, il est nécessaire de frapper sur le sol avec une pointe quelconque, (^hez les ancêtres, l'acte de becqueter la nourriture était déterminé par la vue du grain et par celle des mouvements que faisait la mère pour enseigner, en quelque sorte, aux jeunes la manière de s'y prendre. Maintenant, il faut encore, du moins chez les autruches, réaliser une ébauche de l'association primitive pour arriver au même effet. 200 r,\ NAISSANCE DE l/h\TtLLIGLM,E Encore une remarque : pour moi, pour Semon : les éléments o, 6, ... peuvent entrer dans une association, ou simultanément, ou successivement. Autrement dit, l'association peut se faire dans l'es- pace ou dans le temps. Sous la dénomination si mau- vaise d' « anticipation réflexe w, on ne fait que dési- gner les associations de sensations dans le temps. Le fait que dans un ensemble de sensations : a -\- h -\- c -\- d , une certaine sensation, a, finit par prendre une prédominance, au point d'arriver par- fois à déclancher à elle seule la série des mou- vements qui étaient provoqués par le complexe des sensations a, b, c et d, entraîne, en quelque sorte, une simplification des phénomènes associa- tifs complexes. C'est là une simplification tardive; mais la sim- plification peut se faire aussi à l'origine. Je suis amené à parler d'une seconde loi, celle des asso- ciations dites par ressemblance. Les objets qui entourent un être vivant ont des caractères, les uns constants, les autres variables à des degrés divers. Soit uno série d'objets analogues, A, B, G, etc., et leurs caractères respectifs, a, ,3, y. fi 0 '^ n h Y z 'Cn h £ n 0 H '- n 0 ^ £ }l 0 0 )l A a 13 y. C 01. 1) a E a F a LES LOIS DES I»HÉ.\0MÈNES ASS0CL\TIFS 261 Par ordre de fréquence, les caractères se classent de la façon suivante : a et n, 0, £, fJ, Bj Y Les caractères les plus constants d'un objet vont devenir les caractères essentiels de Tassocia- tion : ils stimulent constamment les organes des sens, et donnent des impressions qui se gravent de plus en plus dans le système nerveux. Les caractères qui se répètent peu, au contraire, res- teront des caractères non essentiels : ils stimule- ront rarement les organes des sens; les impres- sions produites ne tarderont pas à pâlir, remplacées, d'ailleurs, par d'autres. Après une longue série d'expériences, il résultera comme une sorte d' « im- pression d'ensemble relativement simple de l'objet. » J'ai insisté beaucoup, dans mes travaux, sur ces associations par ressemblance, qui font que beau- covp d^anwiaux réagissent de la même façon vis- à-vis de toute une classe d'objets analogues. J'ai soutenu qu'il ne pouvait être question, dans ces cas, de phénomènes d'abstraction. Or, un auteur allemand, 0. Zur Strassen, qui vient d'écrire un mémoire d'ensemble fort intéressant sur la nouvelle psychologie animale, voit, dans ces associations par ressemblance, un cas très simple d'abstrac- tion. « Il y a « abstraction », dit-il, mais l'abstrac- tion n'est pas forcément un processus psychique. » Zur Strassen rappelle qu'il y a vingt-cinq ans W. Roux a montré que les abstractions peuvent naître par la voie mécanique, et que récemment 262 IV NAISSAM I ni I INTELLIGENCE Semon a développé celle pensée. Ici, encore, je crois qu'on n'a pas le droit de dénaturer ain^i le sens originel du mot *i abstraction ^y. ZurStrassen montre qu'il y a un avantage consi- dérable pour un animal à réagir de la môme fa(;on vis-à-vis de toute une classe d'objets; celui-ci ne se laisse pas dérouter par des détails accessoires en plus ou en moins : il réagit vis-à-vis d'objets qu'il n'a pas encore vus. Un oiseau évite une che- nille qui a mauvais goût, quelles que soient l'alti- tude et la taille de la chenille; le caractère essentiel est une certaine coloration vive: quand celle-ci manque, par hasard, l'oiseau becqueté la chenille. Mais s'il y a avantage dans certains cas, j'ai reconnu qu'il peut y avoir désavantage dans d'autres cas. Je rappellerai celui des pagures ou bernards-l'ermite qui se comportent vis-à-vis d'une boule de bois comme vis-à-vis d'une coquille, cette boule de bois présentant le caractère le plus essen- tiel, le plus fréquent, des coquilles si variées où peuvent loger les crustacés, la courbure des sur- faces; or, sur cette boule de bois, les pagures cherchent en vain un orifice qui n'existe pas. Les associations par ressemblance se présentent à nous comme des associations simplifiées dès l'origine. Les deux lois que j'ai énoncées dans ce chapitre, et qui paraissent être les lois fondamentales des associations de sensations, indiquent, l'une et l'autre, des processus de simplification, dont nous LES LOIS DES PHENOMENES ASSOCL\TIFS 263 aurons à tenir compte dans une vue d'ensemble sur l'évolution du psychisme. Mais ces processus de simplification diffèrent dans les deux cas. Dans le cas de la première loi, la simplification se fait tardivement : parmi les éléments, tous bien associés. quelques-uns (et même un seul) prennent une pré- dominance marquée sur les autres dans le méca- nisme du déclanchement. Dans le cas de la seconde loi, la simplification se fait à l'origine, beaucoup d'éléments ne réussissant pas à entrer dans l'as- sociation. Autrement dit : dans le premier cas, il y a intégration parfaite des sensations; dans le second^ il y a, au contraire, insuffisance d'associa- tion. CHAPITRE XXII La Finalité en psychologie animale. Jusqu'ici j'ai laissé proscjue complètement de côté le point de vue de la finalité. J'ai chercha à me rendre compte beaucoup plus des mécanismes et des lois des réactions que j'ai décrites que de la valeur adaptive des réponses aux excitations du milieu extérieur. Il m'a paru intéressant, avant d'aborder les dis- cussions sur l'instinct et l'évolution du psychisme, de considérer, au moins pendant quelques instants, la finalité des actes, les moyens par lesquels sont satisfaits les divers besoins des animaux. Pour Lamarck, les principaux de ces besoins sont : 1" prendre telle sorte de nourriture ; 2" se livrer à la fécondation sexuelle que sollicitent cer- taines sensations; 3" fuir la douleur; 4° chercher le plaisir ou le bien-être. Les habitudes des ani- maux découleraient de la satisfaction de ces be- soins. LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 265 Pour Schiller, l'édifice du monde n'est soutenu que par les ressorts de la faim et de l'amour. Je chercherai ici les moyens qui permettent aux animaux de satisfaire le premier besoin. § 1. - LA RECHERCHE DE LA NOURRITURE. Pendant longtemps, on a vu dans la recherche de la nourriture un caractère de distinction entre les animaux et les végétaux. La plupart des végé- taux n'ont pas besoin d'aller à la recherche des aliments : les racines absorbent l'eau, les sels, et aussi certaines matières organiques, contenus dans le sol ; les parties vertes des tiges et des feuilles fixent, sous l'influence des rayons solaires, le carbone de l'acide carbonique de l'air; les échanges osmotiques, c'est-à-dire par absorption à travers la membrane périphérique, président à la nutrition ; les plantes épuisent constamment les malières qui affluent sans cesse autour d'elles. La plupart des animaux, au contraire, ont besoin de rechercher et de saisir les proies, vi- vantes ou mortes, animales ou végétales, dont ils se nourrissent. Mais cette opposition entre végétaux et animaux, comme beaucoup d'oppositions d'ailleurs, a été trop exagérée. Dès 1898, j'ai montré qu'un certain nombre d'animaux marins, les crabes des profon- deurs de la mer en particulier, possèdent, comme les plantes, la propriété d'absorber l'acide carbo- nique du milieu extérieur. Plus récemment, la 23 2(>6 I.A NAISSAN( I IM [ INTELLIGENCE comtesse Maria von Liiidcii a poursuivi des re- clierches remarquables sur la fixation du carbone par les chrysalides de certains papillons, en parti- culier des vanesses; il y a alors presque identit*' avec ce qui se passe chez les plantes : les chrysn lides, sous l'influence de la lumière, absorbent l'acide carbonique du milieu ambiant et dégagent de l'oxygène; il y a fixation et utilii^ation du car- bone : après un séjour d'environ trois mois dans une atmosphère riche en acide carbonique, des chrysalides augmentèrent de poids à peu près de 25 pour 100. Une plante, dans l'air où elle vit. n'a guère à sa disposition, pour se nourrir, que l'acide carbo- nique; or, un animal marin se trouve dans des conditions beaucoup plus avantageuses. La mer contient, partout, à l'état dissous, de nombreuses substances nutritives, non seulement des sub- stances salines, mais encore des substances orga- niques. C'est ce qu'a constaté récemment Auguste Piitter, de Goltingen. dans un travail sur lequel M. Caullery, dans la lievue du Mois, a attiré l'at- tention des chercheurs. Dans le golfe de Naples, en des points suffisamment éloignés du rivage, un litre d'eau de mer renfermerait 92 milligrammes de carbone, dont 27 proviendraient de l'acide car- bonique et 65 de combinaisons diverses dissoutes; il y aurait 24.000 fois plus de carbone à l'état dissous que de carbone solide sous forme d'orga- nismes. Tout porte à penser que ce carbone dis- sout est utilisé par les animaux marins : il serait LA FINALITE EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 267 absorbé par les téguments, les branchies, la paroi du tube digestif. On ne peut même pas concevoir autrement la nutrition de certains êtres. Telle éponge qui pèse 60 grammes devrait capturer chaque heure, pour se nourrir, les êtres microsco- piques compris dans 242 litres d'eau, soit 40.000 fois son volume ; or, au maximum, 300 grammes d'eau circulent pendant ce temps dans le corps de l'éponge. De même un radiolaire microscopique devrait épuiser, en une heure, 94.000 fois son volume d'eau. Chaque individu aurait besoin, pour subsister, d'un espace libre énorme. Pûtter, en admettant que beaucoup d'animaux marins se comportent comme des champignons et des bactéries que Ton cultive dans des solutions nutritives, révolutionne nos idées sur la nutrition des animaux, idées qui, comme dans bien des cas, dérivaient des conceptions anthropomorphiques. Mais voilà qui réduit beaucoup la nécessité pour les animaux d'aller chercher leur nourriture. Les animaux marins ont, en abondance, du carbone dissous autour d'eux, et ils peuvent souvent se nourrir sans effectuer les mouvements nécessaires à la poursuite et à la préhension des proies vi- vantes. La poursuite et la préhension des proies s'ob- servent cependant chez les animaux les plus infé- rieurs, unicellulaires, infusoires et amibes. La figure ci-jointe, donnée par Jennings (fig. 39), représente en effet la poursuite d'une amibe, b, 208 LA NAISSANCE 11 I. INTELLIGENCE par une autre amibe, a. En /, une première fois l'amibe h se dégage ; mais elle est reprise de nou- veau, en 6", pour s'échapper presque aussitôt. A ce propos, les anthroponiorphislcs ont décrit les Fie. 39. Poursuite d'une auiibe j.ar une autre amibe (^i'flprès Jennings). — a pour- suit 6; en 1, 2, 3, b esl déjà saisi; en 'i, b s'écliappe, et par suite a recule, mais bientôt a reprend sa marche en avant, rencontre de nou- veau 6 et la saisit (6) ; en 7, celle-ci s'échappe définitivement, et « recule de nouveau. « ruses » de l'amibe pour échapper à la poursuite. En réalité, ils sont tombés dans la fantaisie. Ici, il faut voir surtout des phénomènes de sensibilité différentielle ; si on remplaçait l'amibe h par une tige de verre mue par l'observateur, on obtien- drait le même résultat : l'amibe a quitte difficile- ment le contact du corps solide que l'on promène; quand on rompt brusquement l'adhérence, le LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 269 changement mécanique qui en résulte pour l'amibe «en détermine le recul, comme le veut l'applica- tion de la loi de sensibilité différentielle. Pour beaucoup d'auteurs, la capture des proies animales exigerait des o facultés psychiques très remarquables », telles que la mémoire et la volonté. Voyons ce qu'il faut penser de cette opinion en ce qui concerne les animaux unicellulaires. Alfred Binet, dont la pensée est toujours si ori- ginale, a été un précurseur en psychologie ani- male ; il y a déjà longtemps qu'il a écrit, dans la Revue philosophique de Ribot, des pages tout à fait intéressantes sur la Vie psychique des microorga- nismes \ entre autres, on y trouve déjà exprimée, d'une façon nette, la théorie des essais et erreurs de Jennings. L'auteur envisage surtout les mouve- ments nécessaires pour la préhension des aliments et le choix de la nourriture. « Si l'on porte sous la lentille du microscope, dit-il, une goutte d'eau contenant des infusoires ciliés, on aperçoit des êtres qui nagent avec rapi- dité et parcourent en tous sens le milieu liquide où ils se trouvent. Les mouvements ne sont pas des mouvements simples; l'infusoire se dirige en na- geant; il évite les obstacles; il s'y prend à plu- sieurs fois pour les contourner ; son mouvement paraît approprié à un but, le plus souvent à la recherche de la nourriture; il s'approche de cer- taines particules en suspension dans le liquide ; il les palpe avec ses cils, puis s'en éloigne, puis y revient, décrivant un voyage en zig-zag avec des 23. ■-'7(1 I,A \.\ISS \\< I lil' l'iN I 1 I I Ii,l \< I allures analor/ues à celles des poissons enfermés dans les aquariums : cette dernière comparaison vient naturellement à la pensée. Bref, le meuve men(, (îlioz les infusoires libres. j»r6sente tous !(•< caractères du mouvement volontaire. » J'ai indiqué précédemment que les mouvements en apparence si capricieux des animaux utiicellu- lairos pouvaient trouver leur explication dans la combinaison des tropismes et des phénomènes de sensibilité dilTérentielle. ZurStrassen, tout récem- ment, ne voit dans ces mouvements que de sim- ples manifestations physico-chimiques de la ma tière vivante, et il conclut qu'il en est de même des mouvements des animaux supérieurs qui pré- sentent tant d'analogies avec ceux des animaux inférieurs. Les ressemblances analogiques ont trompé beaucoup de psychologues : Binet et Zur Strassen entre autres ; là où le premier voyait de la volonté, le second voit des phénomènes physico-chimiques ; en réalité, entre l'activité d'un infusoire et celle d'un poisson, il y a des dilTé- rences pi'ofondes. Ces différences ressortent nettement des obser- vations communiquées par Tillustre Maupas à Binet, et publiées par ce dernier dans son article. Je les reproduis à mon tour : « Les ciliés, au point de vue de la préhension des aliments, dit-il, peuvent se diviser en deux grands groupes : 1° les ciliés à tourbillon alimen- taire; 2*» les ciliés chasseurs. « Les premiers n'exercent aucun choix réel dans LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 271 leurs aliments et ils absorbent indifféremment tous les corpuscules qui, par leur forme et leur densité, sont susceptibles d'être entraînés par leur tourbillon alimentaire. Chez les seconds, la bouche est, au contraire, constamment fermée. L'absorp- tion de chaque proie se fait par un acte de déglu- tition absolument comparable à celui des animaux supérieurs. De plus, ces espèces ne se nourrissent que de proies vivantes qu'elles capturent et arrêtent avec leurs trichocystes. Elles exercent donc par le fait un choix dans les aliments. Mais ce choix nesl pas^ à mon avis, le résultai cVime préférence^ d'un goût particulier^ mais de l'organisation spéciale de leur appareil buccal qui ne- leur permet pas de prendre une autre nourriture. « Ces infusoires chasseurs courent constamment à la recherche d'une proie, mais cette chasse n'est pas dirigée vers un objet plutôt que vers un autre. Ils circulent rapidement, changeant à tout instant de direction, la partie du corps portant les tricho- cystes d'attaque en avant. Quand le hasard les a mis en contact d'une victime, ils lui décochent leurs dards et la foudroient Il est fort rare que la victime foudroyée demeure immobile au con- tact immédiat de la bouche. Le chasseur alors tourne lentement sur place, se contournant à droite et à gauche, cherchant sa proie morte. Cette re- cherche dure au plus une minute, après laquelle, s'il n'est pas parvenu à trouver la victime, il repart au large et reprend sa course irrégulière et vaga- bonde. Ces chasseurs, à mou avis, n'ont aucun 212 LA NAISSANCE M l/lNTEI.I.lGEXr.K organe sensoriel qui leur permette de percevoir à distance le voisinage d'une proie ; ce n'est que par leur course incessante et sans repos, jour et nuit, qu'ils réussissent à pourvoir à leur alimentation. Quand les proies sont nombreuses, les rencontres sont fréquentes, la course fructueuse et l'alimen- tation abondante; quand elles sont rares, les ren- contres sont également peu nombreuses et le carnassier jeûne et fait Kbamadan... » Ainsi le hasard^ d'après Umipas, présiderait ù l" recherche de la nourriture, et il n'y aurait pas à faire intervenir, pour expliquer celle-ci, un facteur psychique. Le mode de rccherclie, cependant, est susceptible de varier suivant les circonslances ; mais j'ai fait observer déjà à maintes reprises que (( variabilité » n'est pas synonyme de « psyciiisme » . Le fait suivant, rapporté par Maupas,est curieux: « Les infusoires à tourbillon, lorsqu'ils sont dans un milieu riche en aliments, sont à peu près com- plètement sédentaires, n'exécutent que de légers mouvements de position. Mais, si on les place dans un milieu pauvre en nourriture, ils devien- nent aussi vagabonds que les chasseurs, et on les voit couiir dans toutes les directions à la recher- che d'aliments plus abondants. Il est difficile de trouver un exemple plus net de rinfluence des condilions de milieu sur les habitudes et mœurs des animaux. » C'est là une première indication de l'intervention des « états physiologiques ». Dans les mouvements de recherche de l'aliment, il est inutile de faire intervenir le psychisme. 11 en LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 273 serait souvent de même en ce qui concerne le choix de l'aliment. On voit souvent des Coleps hirtus se heurter aux terribles suçoirs du Poc?o/)/i?"ï/a fixa^ sans qu'il en résulte rien de mal pour eux : leur carapace solide les préserve du contact mor- tel des acinétiens. « Il n'y a donc pas chez ces derniers dédain des coleps, mais incapacité de les saisir, incapacité résultant d'une structure particu- lière de l'enveloppe tégumenlaire des coleps. Les paramécies, qui échappent également, sont aussi pourvues d'un tégument assez résistant, qui leur sert de prolection dans ce cas. Les slylonichies ont une enveloppe tégumentaire très molle; aussi sont-elles saisies et dévorées sans peine par les acinétiens. La connaissance détaillée des diffé- rences de structure dans les enveloppes tégumen- taires m'a fait abandonner, dit Maupas, l'idée d'une préférence ou d'un dédain dans le choix des vic- times qui servent à la nourriture des acinétiens. Ceux-ci accrochent au jiassage les proies qu'ils peu- vent et non pas celles qu'ils veulent. » Toutes ces admirables observations auraient dû porter, comme celles de Piitter, un coup appré- ciable au psychisme des animaux inférieurs, un coup mortel à leur soi-disant volonté. Les tropismes, actes purement mécaniques, peuvent, dans un assez grand nombre de cas, être utiles à l'animal pour la recherche de sa nour- riture. Dans maintes circonstances, une foule d'êtres, -^/•i I.\ NAISSANM II! ' ■ ■ ' ■ ' parfois Irôs différents ic^ t(ii> iii> .itiiii>, >..- ras- semblent, grâce à leur héliotropisme, aux mêmes endroits, et alors les plus gros mangent les plus petits. D'une façon générale, chez les organismes nageurs, pélagiques, les iropismes jouent un rôle capital pour la conservation de l'organisme. Mais ils peuvent avoir également une utilité chez les animaux fixés. Beaucoup d'anémones de mer, par exemple, vivent dans les crevasses obscures des rochers, et présentent un héliotropisme positif, c'est-à-dire qu'elles dirigent, grâce aux courbures de la colonne, leur disque buccal vers l'ouverture de l'anfractuosité : de cette façon, les proies qui tendent à pénétrer sont saisies plus sûrement. Los tropismes peuvent se montrer utiles jusque chez des animaux aériens aussi perfectionnés que les insectes. Beaucoup de ceux-ci évoluent sur les tiges des plantes, les branches des arbres, dont les feuilles leur servent d'aliments; et là, souvent encore, le géotropisme et le phototropisme peuvent guider l'animal. Un exemple remarquable a été cité depuis longtemps par Loeb : celui des jeunes chenilles de Porthesia, dont le mode d'existence, pendant un certain temps, est fonction presque uniquement de la lumière. « Quand ces chenilles, au printemps, sont chassées de leur nid par l'élé- vation de la température, et qu'elles se trouvent ainsi au milieu des branches des arbustes, elles sont de véritables machines à héliotropisme posi- tif. C'est à ce fait qu'elles doivent de se maintenir en vie. Car, à cette saison, elles ne peuvent avoir LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 275 d'autre iitiiirriture que les jeunes feuilles qui pous- sent à l'extrémité des branches. Leur héliotro- pisme positif les oblige à ramper sur les branches jusqu'à leur extrême pointe et à y rester. Mais c'est là aussi qu'est leur nourriture. » On pourrait se demander si ce ne sont pas des substances odo- rantes contenues dans les bourgeons qui guident ainsi les clienilles ; mais l'expérience suivante réfute cette supposition : c{ Je mets les chenilles, dit Loeb. avant qu'elles aient pris aucune nourriture, dans un tube à essai placé perpendiculairement au plan de la fenêtre. Elles vont du côté de la fenêtre et y restent. J'introduis alors par l'extrémité opposée du tube un petit tas de bourgeons et de feuilles fraîches et je le pousse vers les chenilles jusqu'à une distance d'un centimètre environ. Elles restent immobiles du côté de la fenêtre et y meurent de faim, alors que leur nourriture les tou- che presque. Quand elles ont mangé les premiers bourgeons, leur héliotropisme s'atténue, et elles peuvent descendre pour retrouver de la nourriture sur d'autres branches. Ici donc riiéliotropisme joue un rôle capital pour la conservation de la vie de l'animal. » Ces faits sont pour Wasmann l'occasion de ré- flexions montrant qu'il n'a pas compris ce qu'a dit Loeb, pourtant avec cette clarté qui est la caractéristique du grand biologiste. Claparède, de son côté, se refuse à voir dans l'ascension des chenilles jusqu'à l'extrémité des branches le résultat d'une action physico-chimique '^'i^> l A NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE toute brulc. Il admet bien (jiie le soleil, la cha- leur ou le parfum (le la résine exercent sur la pro- cessionnaire (lu pin une action attractive, mais il fait observer : « La lutte pour la vie, la sélection, l'hérédité, le hasard lui-même, n'ont-ils pas créé au sein des tissus de multiples associations anato- niiques ou dynamiques qui se sont précisées en se transmettant de génération en génération, et grâce auxquelles l'action d'une certaine force déclanche tel mouvement déterminé, l'action de telle autre force provoque telle autre réaction toute diffé- rente? Y a-t-il là, ajoute-t-il, un processus diffé- rent de celui qui fait mouvoir, agir et penser les animaux les plus supérieurs, y compris l'homme? » C'est avec des expériences, et non avec des phrases, quelque éloquentes qu'elles soient, qu'on peut essayer de résoudre les questions si obscures que nous discutons maintenant. Personne, je crois, en dehors des néo-psychologues allemands, ne nie les acquisitions du passé et rim{)orlance chez les articulés des phénomènes associatifs qui se sura- joutent aux tropismes. Ce dernier mot a reçu beau- coup de significations fantaisistes, et certaines ont pu faire dire qu' « entre les tropismes et les actes volontaires, il n'y a qu'une différence de degré ». J'ai essayé de montrer qu'entre les tropismes et les phénomènes associatifs il y avait une différence de nature. J'ai cité une série de cas où les tropismes sem- LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 277 blent faciliter la recherche de la nourriture, mais c'est quelquefois le contraire. Ainsi, chez les insectes qui butinent sur les fleurs, l'orientation par rapport au vent (anémolropisme), à la lumière et à la gravitation est plutôt une gène pour l'ex- ploration des corolles. J'ai fait de nombreuses observations sur les papillons du bord de la mer qui butinent sur les capitules dos chardons. Sur nos côtes, aux mois de juillet et d'août, les Eryngium marilimum, au feuillage ^^lauque et aux capitules violets, sont visités par une foule de satyres, aux teintes de feuille morte [Satyrus Janira ou i9. jurlina), et de vanesses ( Vanessa cardui^ V. urticœ, V. pohj- chloros^ V. lo, V. atalantd). On trouve chez tous ces papillons une triple tendance k s'orienter par rapport au vent, au soleil, à la gravitation. Il y a longtemps que l'on sait que beaucoup d'animaux volent contre le vent; en 1889, Wheelera consacré unmémoireà l'anémolropisme de certains insectes et a signab' en particulier qu'un grand nombre de mouches volent en faisant face au vent. Au bord de la mer, le vent est souvent, parmi les diverses forces extérieures, celle qui prédomine, et l'ané- molropisme peut se trouver au premier plan de l'activité do l'animal. Un satyre vole contre le vent; quand il se pose sur une tête de chardon, c'est orienté dans la direction du vent. Mais l'in- secte doit aller d'un fleuron à l'autre ; aussi sa tête décrit sur la surface convexe certaines lignes (fig. 40]. Si le vent est fort, deux cas peuvent se 278 LA NAISSANt I INTELLIGENCE présenter : ou bien io papillon se déplace dans une mên)c direction, celle du vent, la iôte suivant une ligne méridienne, ou bien le corps se déplace latéralement, en restant toujours orienté face au vent et la tête décrit un arc de cercle situé dans un plan vertical. Mais dès que le vent devient moins fort, le mode d'e.\i)loratiun est autre : la tête trace à la surfcice du capitule une circonférence plus ou moins inclinée sur le plan horizontal, et peut alors visiter rapi- dement un beaucoup plus grand nombre de fleurons, ce qui est Fk;. 40. Moile d'exploration de la tél.' d'un chardon par les papillons (d'après Hohn). Le capiiule est vu d.> liaut ; les lignes en poinlillé represeiiienl les divers chemins (lue peut suivie la têlc du papillon en train de l>u- liner. avantageux pour l'in- secte ; si le plan du cercle est incliné sur l'horizon, c'est à cause de la lumière, l'animal évitant de la sorte certains éclai- rements. On voit par cet exemple combien, dans certains cas, les forces du milieu extérieur peuvent contrarier la recherche de la nourriture. En général, les chemins suivis par les animaux dans les tropismes présentent peu ou pas de sinuo- sités ; dans ces conditions les chances de trouver la nourriture sont moindres que si les trajectoires LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 279 étaient sinueuses et s'entre-croisaient dans toutes les directions ; quand l'animal se dirige dans de multiples directions, quand il court de droite et de gauche, les chances de rencontre se multiplient. On a parlé beaucoup dans ces dernières années de « mouvements d'essais ». de u mouvements de hasard ». et certains auteurs, comme Jennings, ne conçoivent pas la vie des organismes inférieurs sans la prédominance de ces mouvements. Par l'analyse que j'ai faite précédemment, j'ai été conduit à rejeter beaucoup des prétendus essais et à montrer que le hasard n'était le plus souvent qu'une illusion. En effet, beaucoup des sinuosités des chemins suivis par les animaux inférieurs peuvent trouver une explication dans la combinaison des tropismes et des phénomènes de sensibilité différentielle. Il arrive ainsi que ceux-ci tempèrent en quelque sorte les inconvénients des tropismes. Mais V intervention des rythmes vitaux peut aussi les tempérer. A cet égard l'exemple des littorines est fort instructif. Fréquemment ces mollusques sont esclaves de leurs tropismes : ils sont entraînés en quelque sorte fatalement par des forces telles que la gra- vitation et l'attraction lumineuse ; ils suivent, comme je l'ai montré, certains chemins que Ton peut prévoir à l'avance ; un caillou obscur peut produire une déviation du chemin, et il arrive ainsi à une littorine de passer à quelques milli- mètres d'un caillou couvert d'ulves, où elle pour- rait trouver un abri, de la fraîcheur, de la nourri- -80 LA NAISSANCE DE l/iM fcLLlGKNCE ture : or, le mollusque, bien qu'alTam(^, continue son chemin comme s"il était attiré par une force fatale, comme s'il ne voyait pas, ne sentait ^pas. Mais le tropisme se trouve être sous la dépendance des oscillations de l'état physiologique de l'animal : il y a des périodes de phototropisme négatif, des périodes de phototropisme positif, et par suite des moments dans la vie de l'être où le phototropisme s'annule, c'est-à-dire où l'être s'affranchit en quel- que sorte de la force du milieu extérieur qui le guidait. Alors, les chemins deviennent sinueux, et dans tous ces mouvements de va-et-vient le mol- lusque trouve sa nourriture. Tel est souvent le cas amer basse, dans les flaques littorales, après que les littorines ont été battues par les vagues de la mer. !| 2. - DE L'ADAPTATION DES DIFFÉRENTS ACTES DES ANIMAUX. Le lecteur de ce livre pourra trouver que j'y ai envisagé l'activité des animaux d'une façon un peu trop unilatérale. Parmi les multiples manifestations de cette activité, j'ai dû forcément faire un choix, et j'ai choisi, comme je vais essayer de le montrer, ce qui m'a paru le plus intéressant pour la résolu- tion des problèmes de l'évolution du psychisme et de l'origine de l'intelligence. J'ai étudié, d'une part, l'action directrice des forces du milieu extérieur, et, d'autre part, com- ment ces forces, soit isolées, soit associées, peu- LA F[NAI.ITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 281 vent déclancher les mécanismes de déplacement et de changement d'orientation des organismes. Ainsi j'ai passé en revue les tropismes et, parmi les activités qui ont leur origine dans la sensibilité dilTérenticlIe et les associations de sensations, celles qui modifient ou complètent l'activité directrice des tropismes. Mais les stimulants externes peu- vent déclancher d'aulres mécanismes : par exemple la sensibilité différentielle peut se manifester par des rétractions des animaux dans des tubes, à l'intérieur de coquilles, ou même parla rétraction d'une certaine partie du corps dans Taulrc (ferme- ture des anémones de mer, qui cachent ainsi leurs tentacules) ; de même les associations de sensa- tions peuvent entraîner les activités les plus va- riées Dans tout cela, il n'y a que des réponses totales des organismes. Je n'ai guère parlé des réponses partielles : des réflexes, des suites localisées de réflexes... J'ai cité cependant l'autotomie, ou faculté de briser à la base la patte saisie, l'habillement des crabes, résultat de séries de mouvements des appendices., . Dans la conquête scientifique de la psychologie animale, les grands combats ont été livrés autour des tropismes et des phénomènes qui les modi- fient et les complètent. iMais, certains auteurs ont pensé que l'étude des réflexes était susceptible de jeter une vive lumière sur les questions contro- versées de la psychologie comparée, et cela sur- tout à cause du caractère adaptatif àQ ces réactions. 282 LA XAiss.wrr: ru i in n lî.iGENrr La notion de rf^/lrif a hosoin d'être [H'éciscc ; comme bien d'autres notions, — en particulier celles de tropisme, d'instinct, — elle a donné lieu ta des confusions fâcheuses. Nous devons aux physiologistes purs une con- ception fort étroite du réflexe. Ceux-ci, avec le scalpel, cherchent constamment à isoler les organes qui composent l'organisme; ils dégagent un nerf, l'excilont en un point, obtiennent une réponse musculaire. Vexciini'ion dùecte du nerf aurait pro- duit un inllux nerveux centripète qui se serait réfléchi an niveau des centres nerveux pour gagner, par voie centrifuge, le muscle. (]'o<^\ 1m !;> ron^^ep- tion classique du réflexe. Mais il est bien rare que dans les conditions nor- males un nerf soit excité ainsi. On coupe, on pince, on brûle le nerf de la patte d'un crabe ; celle-ci se brise à la base. Voilà le réflexe tel que le conçoivent les physiologistes, voilà le réflexe qui se présente toujours avec les mêmes caractères essentiels, le réflexe rigide, immuable. Mais vient-on à porter des excitations variées sur lès téguments de la patte et n'obtient-on que dans certains cas la même rupture, voilà nos physiologistes tout déroutés vis-à-vis d'un phénomène qui ne leur est plus familier. Au lien de modifier leur conception du réflexe, certains préfèrent invoquer quelque pouvoir mystérieux, qualifié de psychique, voire même de volontaire. Ces physiologistes, qui ne sont guère biologistes, oublient trop facilement que dans les conditions LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 283 habituelles, il y a im écran cellulaire (téguments) interposé entre l'excitant et les terminaisons sen- sitives du nerf; c'est cet écran qu'ils détruisent avec le scalpel dans leurs expériences de vivisec- tion. Faire abstraction de Tappareil récepteur péri- phérique, voilà une première erreur des physiolo- gistes considérés. Ils sont ainsi conduits, en pré- sence de variations du réflexe, à chercher leur origine, non dans l'appareil récepteur périphérique, mais bien dans les centres nerveux. Attribuer à ces centres nerveux une importance très grande dans la production du réflexe, voilà une seconde erreur de nos physiologistes. Ceux-ci ont toujours la pensée aux animaux supérieurs ; or, chez les animaux inférieurs, Loeb a montre qu'il y a des réflexes indépendants des centres nerveux, et qui offrent d'ailleurs une variabilité très grande. Chez un polype, un ver, un mol- lusque, voire même un articulé, très souvent la suppression du ganglion considéré comme centre réflexe n'influe guère sur la production de l'acte réflexe. Tant qu'il subsiste un lien protoplasmique entre les éléments cutanés et les éléments muscu- laires, les irritants périphériques peuvent engen- drer des réactions réflexes appi^opriées. Le carac- tère de tout mouvement' réflexe est déterminé par son lieu d'origine périphérique. Lorsque, dans le chapitre XI, j'ai discuté les causes de la variabilité des réactions des animaux, j'ai été amené à établir des distinctions, que je 284 LA NAIb:5A.\CL bK l/l,M hLI.H.h.M.fc considère comme très importantes : 1" origine organique ou chimique ; 'J" origine périphérique, ou réceptive, ou sensorielle ; 3" origine centrale, ou associative, ou psychique. Je ne parle de psy- chisme que lorsqu'il y a : « mémoire associa- tive » ; je ne vois donc de psychisme que dans le troisième cas. Un réflexe se faisant dans une région localisée de l'organisme, malgré sa variabilité, n'est pas un acte psychique. 11 est vrai qu'il y a souvent dans les organismes des enchaînements de réflexes. Une excitation produit un mouvement ; ce mouvement en entraîne un autre ; et ainsi de suite. Si, dans bien des cas, le rôle conducteur du système ner- veux est alors manifeste, souvent aussi la sup- pression de ce système n'a pas entraîné une alté- ration de la coordination motrice. Nous touchons là à une question délicate de la physiologie, mais au fond moins intéressante qu'on pourrait le croire pour la psychologie comparée. H s'agit en efl'et le plus souvent ôg déclanchements en série se faisant à travers l'organisme, chaque mouvement une fois produit entraînant lui-même une nouvelle excita- tion interne qui déclanche un nouveau mouvement. Mais il ne s'agit pas d'un déclanchement d'un com- plexe de mouvements sous l'influence d'un état particulier des centres coordinateurs consécutif à la fusion de sensations variées. C'est précisément cette fusion qui est intéressante à considérer dans les discussions sur le psychisme et Tintelligence. Herbert Spencer a défini le domaine de la psy- LA FINALITE EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 285 chologie de la manière suivante : « La psychologie n'est pas la connexion entre les phénomènes in- ternes, ni la connexion entre les phénomènes externes, mais elle est la connexion entre ces deux connexions. » Or, l'étude des réflexes simples et celle des « déclanchements en série », dont je parlais il y a un instant, interviennent surtout dans le problème des connexions internes, de la coordi- nation motrice; l'étude des déclanchements pro- voqués par des associations de sensations inter- vient dans le problème des connexions entre con- nexions internes et connexions externes, autrement dit dans les questions que se pose la psychologie. Il est vrai que le mot réflexe a été souvent em- ployé dans un autre sens que son sens originel, et on a désigné sous le nom de « réflexe total » des modes d'activités assez variés, parfois très com- plexes. L'exemple suivant est probant à cet égard : On doit à Uexkiill de jolies expériences sur la fuite des libellules. Il suffit de comprimer le der- nier anneau de l'abdomen d'un de ces insectes, pour que celui-ci se courbe, que les pattes aban- donnent le support et que les ailes commencent à battre : c'est là ce que l'auteur appelle le « ré- flexe total » de la fuite. Chez l'insecte décapité, ces mouvements s'arrêtent dès que l'excitation cesse; mais il n'en est pas de même chez l'insecte nor- mal : après la cessation de l'excitation, le batte- ment des ailes continue pendant un certain temps encore. On obtient des résultats analogues par excitation électrique des ganglions nerveux : quand 286 MKM i(;i:ncb on excite les ^'aii^'lions ventraux qui comnian LA FINALITÉ E.\ PSYCHOLOGIE ANIMALE 287 caractères adaplalifs. les flifférents modes d'acti- vité animale. Les réflexes, quoique non psychiques, sont sou- vent parfaitement adaptés aux conditions exté- rieures : cette adaptation résulterait d'une sorte d'apprentissage des cellules périphériques, senso- rielles. Or, un apprentissage cellulaire ne peut, ne doit être identifié à l'apprentissage d'un appareil aussi compli(]ué que le système nerveux des ani- maux pluricellulaires. Les tropismes, dans leur essence même, ne sont pas forcément adaptés, car ils ne s'apprennent pas. Il peut se trouver que le phototropisme pré- senté par un animal lui soit plus ou moins utile, mais il peut se trouver aussi qu'il lui soit nui- sible : beaucoup de tropismes conduisent les ani- maux à la mort. Dès que la matière vivante est excitable par une force du milieu extérieur, le tro- pisme correspondant est un phénomène forcé : (jue le résultat soit bon ou mauvais pour l'organi-me, peu importe. W.ismann, Glaparède, et tant d'au- tres, ont souvent raillé ces tropismes meurlrv'.rs^ sans se rendre compte qu'il y a là précisément une preuve du caractère forcé de ces réactions. D'ailleurs, dans bien des cas, les dangers des tropismes sont palliés par l'intervention de la sen- sibilité différentielle. Celle-ci tend toujours à se manifester par un renversement du sens de la marche : si le tropisme conduit l'animal dans une région nocive pour lui, celui-ci tend à revenir en arrière. Les phénomènes de sensibilité ditïéren- 288 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGEISCE lielle, soumis à des lois précises, se présenleiU à nous comme les procédés les plus'simples pour éviter les variations nuisibles du milieu extérieur; les mêmes procédés sont employés par les îini- maux les plus variés, insectes aussi bien qu'infu- soires; ils ont dû être acquis dans le passé le plus lointain; ils ont le caractère d'automatisme par- fait des plus anciennes acquisitions. Mais ils sont trop simples, trop automatiques, pour pouvoir être suffisants dans toutes les circonstances. La possibilité d'une fusion dans un organisme de sensations diverses, simultanées ou succes- sives, a révolutionné les moyens de défense et les procédés d'adaptation. L'adaptation aux multiples circonstances liées à la présence des divers objets dans le milieu extérieur est la conséquence des processus d'association étudiés plus haut. Chez les êtres supérieurs, Véducation associative vient ajouter aux vieux modes d'activité animale : tropismes, manifestations de la sensibilité dilTé- rentielle, des modes nouveaux, variés, répondant aux exigences du progrès. Et nous la voyons s'exercer surtout là où les anciens procédés se montrent insuffisants. Là où les tropismes, innés, se trouvent mal adaptés aux circonstances du milieu extérieur, les phénomènes associatifs finissent par prendre la prédominance. L'influence de l'éducation associative ressort nettement des faits suivants : L Avant l'éducation associative individuelle. LA FINALITÉ EN PSYCHOLOGIE ANIMALE 289 l'animal supérieur emploie souvent encore les procédés des animaux inférieurs, celui des tro- pismes entre autres. Les larves des crustacés qui viennent de sortir de l'œuf présentent presque toujours un phototro- pisme très marqué, qui est abandonné ensuite, l'animal se laissant guider par des phénomènes associatifs, où les sensations visuelles intervien- nent avec les sensations tactiles et le sens muscu- laire. De même les larves des poissons. Il est jusqu'aux jeunes d'une tortue aquatique qui, d'après des observations récentes de Davenport, pendant les douze heures qui suivent i'éclosion, présentent un phototropisme et un géotropisme positifs qui les incitent à descendre les pentes les conduisant à l'eau. II. Un animal adulte bien éduqué, habitué à un environnement donné, ne présente presque plus les tropismes : d'autres impulsions ayant leur ori- gine dans l'association des sensations visuelles entre elles et avec les autres sensations seront devenues plus fortes. Mais si tout à coup on trans- porte l'être vivant dans un milieu nouveau, les tropismes pourront reprendre momentanément leur importance. On a parlé souvent de l'intervention de la sélec- tion dans l'activité animale : les diverses possibi- lités motrices d'un organisme peuvent se contrarier les unes les autres; les plus avantageuses fini- raient par l'emporter, et tout se passerait comme s'il se faisait un choix. Eh bien, dans la lutte 25 290 LA NAISSANCE DE L IXTEI-I.IGENCE entre les divers modes d'activité, ceux qui déri- vent des processus associatifs entre sensation- différentes finiront par l'emporter sur les tro- pismes. C'est là une conception toute dilTérente de celle de Jennings. Pour ce savant, la sélection s'elîeo tuerait entre les divers mouvements d'essais et le résultat final serait un tropisme. Pour nous, le tropisme, comme l'a dit Loeb, est quelque chose d'inné, et il serait un des éléments sur lequel s'exercerait la sélection. L'évolution psychique des animaux résulterait en quelque sorte de la lutte qui s'est engagée entre les vieilles survivances du passé : tro- pismes, phénomènes de sensibilité dilTérentiello et les nouvelles acquisitions, fruit de la « mémoirf associative ». Le progrès s'est fait péniblement, en quelque sorte à coups de révolutions. Je vais essayer d'esquisser l'histoire de ces révolutions, mais auparavant je veux, moi aussi, dans un autre domaine, celui de la pensée hu- maine, essayer de détruire une vieille survivance du passé, la notion de V/nsiincl. LIVRE V CRITIQUE DES NOTIONS CLASSIQUES ET ÉVOLUTION DU PSYCHISME CHAPITRE XXIII L'Instinct. « L'instinct n'est rien. » (Condillac.) § 1. — LES ORIGINES DE LA NOTION D'INSTINCT. Dans les longs exposés de ce livre, à aucun moment, je n'ai éprouvé le besoin de me servir du mot instinct; je dirai plus : quand j'ai rencontré ce mot dans les auteurs, chez lesquels j'ai puisé les faits que j'exposais, je me suis abstenu de l'employer. Dans la narration des faits, je n'ai éprouvé aucune difficulté à ne pas user de ce terme; tout au contraire, quand celui-ci s'est pré- senté à moi, j'ai ressenti comme une gêne. Le plus souvent, c'est, en quelque sorte, inconsciemment 292 LA NAISSANCE DL LIM l.i ....;..,; i. que j'ai éliminé le mot itulinct, ol il ri'ost intervenu aucun parti pris de ma part. D'ailleurs, j'ai constaté que j'avais eu d'illustres prédécesseurs dans celte manière de faire. Dans l'admirable Introduction à Vl/istoire natu- relle des aniîiiaux sans vertèbres^ Lamarck esquisse l'évolution mentale, depuis les animaux les plus simples jusqu'à l'homme, et il ne prononce pas le mot d'instinct. Edmond Perrier. dans la Préface au livre de Romanes, et malgré la profonde admi- ration qu'il professe pour Lamarck, s'en étonne : « Le grand problème de la psychologie animale, dit-il, est cependant le problème de l'instinct.» (p. XVIII.) Près d'un siècle après Lamarck, dès le début du livre : la Dynamique des phénomènes de la vie, Jacques Loeb dénonce comme mauvaises, condamne les expressions d' « instinct » et de « volonté » que « nous a léguées la philosophie métaphysique ». Loeb laisse au mot «instinct» son sens méta- physique, et il le repousse comme tel parce que toujours il n'éveillera, en notre esprit, que des choses diverses et imprécises ; il le repousse comme un des représentants des vieilles tendances qui ont étouffé, pendant longtemps, l'essor scien- tifique... Henri Piéron a voulu, au contraire, sauver les mots d' «instinct», de «volonté», en les « ob- jectivant ». Et il s'étonne que Loeb n'en ait pas fait autant que lui et ait conservé à ces mots leur sens philosophique. Comme Loeb conserve la définition de l'instinct donnée par beaucoup de L INSTINCT 293 philosophes, et « adoptée par Romanes», à savoir : « un acte réflexe dans lequel il y a un élément de conscience », au lieu de donner une caractéristique objective, Piéron laisse croire à ses lecteurs que Loeb n'est qu'un imitateur de Romanes, — alors que les deux noms de Loeb et de Romanes représentent, dans l'histoire de la psychologie comparée, deux tendances qui sont entre elles comme l'action et la réaction. Loeb a préféré se débarrasser d'un mot qui a derrière lui un passé fort compromettant et n'a pas cherché, par conséquent, à lui rendre une virginité nouvelle. Voyons, précisément, quel est ce passé? On trouve des indications précieuses à cet égard dans le livre de Flourens : l'Instinct et V Intelli- gence, qui a consacré, en quelque sorte, l'opposi- tion entre ces deux notions. Flourens déplore tout d'abord que « bon nombre de naturalistes et de philosophes n'aient jamais employé le mot in^/iïîc^, n'aient pas senti le besoin de l'idée qu'il représente » ; il cite entre autres: d'une part, Aristole et Locke, pour lesquels l'intel- ligence de l'animal vaut celle de l'homme au degré près; d'autre part, Descartes et Malebranche, célèbres pour leur conception des « bêtes- machines»; il s'étonne surtout de trouver en leur compagnie Gondiliac, « esprit si fin et si sûr et qui a poussé si loin l'analyse philosophique». Je croirais plutôt que l'instinct n'est pas sorti 2{)4 I \ ^\IS^\^( I m l INTELLIGENCE (le l'analyse philosophiijue. L'inslincl, avec se- merveilles, a été considéré longtemps comme un don de Dieu, et ce ne serait qu'ensuite qu'il aurait revêtu une signification métaphysique. Pour Bossuet, pour Leibniz, rinslinct. ( 'e>l un don de Dieu. Dans la (^o?inaissanre de Dieu et de soi-mt'tnf^ Bossuet s'exprime ainsi : « Après avoir prouvé que les bétes n'agissent point par raisonnement, exa- minons par quel principe on doit croire qu'elles agissent. Car il faut bien que Dieu ait mis quelque chose en elles pour les faire agir convenablement comme elles font, et pour les pousser aux fins auxquelles elles sont destinées. Cela s'appelle ordinairement instinct. Mais comme il n'est pas bon à s'accoutumer à dire des mots qu'on n'entende pas, il faut voir ce qu'on peut entendre par celui-ci, Ce mot d'instinct, en général, signifie impulsion : il est opposé à choix, et on a raison de dire que les animaux agissent par impulsion plutôt que par choix. » Dans ses iVouveaux essais sur V entendement humain, Leibniz déclare, — « avec un sôns pro- fond» ajoute Flourens — : « Dieu a donné à l'homme des instincts qui portent d'abord et sans raisonnement à quelque chose que la raison ordonne ». Ainsi Dieu, en créant chaque animal, lui aurait donné Vinstinct, en vue de tel acte particulier, et cet instinct originel se serait transmis tel quel, à travers les générations successives, à tous les indi- l'instinct 295 vidus actuellement vivants d'une même espèce. L'instinct, dans sa « spécialité » et son «universa- lité», se présente donc comme quelque chose de ■fixe, à' immuable, d'inné et de non perfectible. Spécialité, universalité, fixité, perfection origi- nelle, tels sont les caractères de l'Instinct donnés dans les Traités classiques de Philosophie (Rabier). Les variantes proviennent de ce que la conscience, tantôt intervient, à des degrés divers, tantôt n'in- tervient pas. On conçoit aisément que les frères Guvier, Georges et Frédéric, qui ont imposé la théorie lîxiste au monde savant, aient attaché une si grande importance à la notion fixiste de l'Instinct. Mais il est intéressant de rechercher comment se sont comportés les évolutionnistes vis-à-vis de cette notion. La plupart Font adoptée; presque seul, Lamarck, plus conséquent que les autres, l'a laissée de côté, indiquant seulement que l'instinct découle de riiabitude. Un des points les plus étranges de l'histoire du transformisme est le fait que Darwin et son disciple Romanes ont admis la notion ori- ginellement fixiste de finstinct, patronnée si chau- dement par les frères Guvier. et Flourens. C'était une inconséquence; elle eut les suites les plus fâcheuses. Depuis cinquante années, les cerveaux dans lesquels se sont incrustées les idées de Darwin se sont torturés à essayer de concilier des choses inconciliables . 29() I,V NAISSANCE DE l/lNTELLIGENCE Les (larwinislcs, selon leurs tendances, ont cherché la solution du problème, insoluble, dans deux voies différentes. Romanes, pour qui l'instinct est la base des pro- blèmes de la psychologie animale, et, à sa suite, beaucoup d'auteurs anglais et français, ont cherché dans une voie; beaucoup d'Allemands, au contraire, néo-darwiniens, ont cherché dans une autre voie. La première voie se trouve tracée dans le domaine de l'anthropomorphisme; la seconde se déroule dabord dans celui du mécanisme, mais elle ne tarde pas à dévier et à pénétrer en plein cœur du domaine de l'anthropomorphisme. § 2. — LES OPINIONS SUR L'INSTINCT EN ANGLETERRE ET EN FRANCE. Engageons-nous d'abord dans la première voie avec Romanes et ses imitateurs. Ceux-ci ne lardent pas à étendre l'intelligence à toute la série animale, à l'attribuer même aux animaux les plus inférieurs. Romanes reconnaît que, dans son sens primitif, l'intelligence, opposée d'ailleurs à l'instinct, c'est la raison, c'est-à-dire la faculté de concevoir les analogies, les rapports; c'est le raisonnement^ ou faculté de conclure sur des relations reconnues équivalentes. « Ce serait là le seul sens légitime du mot », mais « comme celte faculté de peser les rapports, et d'arriver, de déduction en déduction, à prévoir les probabilités, est susceptible de degrés sans nombre, et que le L INSTINCT 297 mot raison semble hors de proportion avec ses manifestations élémentaires, on se servira souvent, en pareil cas, du mot intelligence ». qui se trouve ainsi prendre un sens différent de son sens origi- nel chez les animaux inférieurs. Voilà Vanthropo- morphisme. Mais revenons à l'instinct, ou mieux aux instincts. Romanes, en effet, en présence de ceux-ci, a senti qu'il avait affaire à des choses très disparates ; il a reconnu d'ailleurs qu' u il y a peu de mots dans notre langue auxquels on aitaltribué autant de significa- tions différentes qu'au mot instinct» et que chaque auteur a sa manière de considérer l'instinct. Il s'est trouvé dans la nécessité d'établir deux caté- gories d'instincts: les instincts primaires, nés par sélection naturelle, et les instincts secondaires, qui ont une origine intellectuelle. Les instincts pri- maires résultent d'habitudes non intelligentes, dépourvues d'adaptation, et qui sont transmises par hérédité ; mais ces instincts ne sont plus, pour Romanes, absolument immuables : ils admettent des variations qui peuvent se transmettre par voie héréditaire et sur lesquelles s'exerce la sélection naturelle; celle-ci laisse subsister seulement les plus favorables. Les instincts secondaires résultent d'adaptations intelligentes, qui, par leur répétition fréquente, deviennent automatiques et subcon- scienles, voire même absolument inconscientes. Ainsi l'instinct pourrait dériver de V intelligence^ rabaissée d'ailleurs, comme nous l'avons vu. — A mesure que l'on étend !'« intelligence » aux ani- 2<>S TV NAISSANCE DE L INTELLIGENCE maux intérieurs, une foule d' « instincts >> pa- raissent dériver de celle-ci. Cette idée du retour à l'automatisme, à l'inconscient, d'actes « intelli- gents », va avoir un succès prodigieux. C'est d'ailleurs une transposition anthropomorphique de l'idée de Lamarck, comprise dans la loi de l'habitude. Romanes l'avait empruntée à Darwin. u Herbert Spencer, dit Darwin, soutient que les premières lueurs de l'intelligence se sont dévelop- pées par la multiplication et la coordination d'ac- tions réflexes: or, bien que la plupart des instincts les plus simples se confondent avec les actions réflexes, au point qu'il est presque impossible de les distinguer les uns des autres, les instincts les plus complexes paraissent s'être formés cependant indépendamment de l'intelligence. Je suis, toute- fois, très éloigné de vouloir nier que des actions instinctives puissent perdre leur caractère fixe et naturel, et être remplacées par d'autres accomplies par la libre volonté. D'autre part, certains actes d'intelligence... peuvent, après avoir été pratiqués pendant plusieurs générations, se transformer en instincts héréditaires... Mais la plupart des instincts plus complexes paraissent avoir été acquis d'une manière toute différente par la sélection naturelle des variations d'actes instinctifs plus simples. » Ainsi, suivant les cas, Hyistiiict pourrait devenir intelligence, ou l'intelligence devenir instinct ou rinstinct se perfectionner, se compliquer et s'adapter par sélection. Qu'est-ce donc, en réalité, mainte- nant que l'instinct et l'intelligence? On saisit mal et L INSTINCT 299 confusément leurs rapports ; on est souvent em- barrassé pour établir une distinction entre des notions qui ont perdu désormais la signification qu'elles avaient encore dans la théorie fîxiste. N'aurait-il pas mieux valu les laisser sombrer? En France, on est resté attaché à ces notions, parce qu'on est resté complètement étranger à l'évolution récente de la psychologie animale. Darwin, Romanes sont encore nos guides. Et même des esprits aussi indépendants que Edmond Perrier, Le Dantec, marchent, malgré leur culte pour Lamarck, trop exclusivement dans la voie qui a été suivie par Darwin. Edmond Perrier est arrivé, précisément, tout à fait indépendamment de Romanes, exactement aux mêmes conclusions que cet auteur. L'éminent sa- vant français, en le faisant remarquer, conclut que la vérité est une. Récemment, les instincts primaires et secon- daires n'ont pas suffi à P. Hachet-Souplet, qui a cru devoir créer « la chose et le mot » de « sur instinct ». Le Danlec, lui, a traduit en langage physiolo- gique les définitions de Romanes. Pour lui, « l'ins- tinct est l'ensemble des facultés d'un organisme qui dépendent du fonctionnement des parties adultes du système nerveux, l'intelligence est l'en- semble des facultés d'un organisme qui dépendent du fonctionnement des parties modifiables de ce système ». Mais, pour Le Dantec, la délimitation entre Tins- 300 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE tincl et l'intelligence a un caractère éminemment provisoire à cause de la loi d'habitude de Lamarck. « Tel cas, dit-il, qui a d'abord pu être considéré comme intellectuel, prend, s'il est exécuté souvent, un caractère instinctif, en ce sens que le chemin, qui correspond à sa détermination, se trace défini- tivement dans les centres nerveux, ajoutant ainsi une partie adulte aux parties invariables. Les ins- tincts acquis par habitude sont appelés instincts secondaires; lorsqu'ils sont acquis pendant une longue suite de générations, ils peuvent devenir héréditaires et se transformerainsi en instincts pri- maires ou innés, communs à tous les êtres d'une même variété. » Ainsi, « tous les ijislincts proviendraient des mouvements intellectuels fixés par une longue habi- tude ». C'était déjà l'opinion de Lewes.pour lequel tous les instincts ont dû être d'abord intelligents. L'intelligence, 91a s'étend à tous les degrés de r-'"hoiip animale, peut devenir instinct. Il y a une vue exacte : celle de Lamarck, mais pourquoi parler d' « intelligence » à tous les degrés de l'échelle animale? Lamarck s'en était gardé. § 3. - LES OPINIONS SUR L'INSTINCT EN ALLEMAGNE. En France, du moins, on revient ainsi à une conception simple et uniforme de l'instinct. En Allemagne, au contraire, les choses se sont em- brouillées étrangement. L'histoire vaut la peine d'être racontée. l'instinct 301 Pour la comprendre, il faut se souvenir de Tim- pression, si forte mais trop fugitive, qu'a faite sur les Allemands la publication des mémoires de Loeb sur les tropismes, et, d'autre part, de l'inii- portance qu'a pris, pour eux, dans ces derniers temps, le Wcismannisme. Le point de départ de la nouvelle École alle- mande a été, je l'ai déjà dit, le contraire du point de départ de la vieille École anglo -française, V antianlhropomorphisme ; mais cela n'a été que le point de départ : il s'est produit bientôt un retour insconscient vers l'anthropomorphisme. Au début, comme à la fin de ces deux évolutions contraires, les Allemands n'y ont pas été de mains mortes. Au début, antianthropomorphisles acharnés, ils ont nié rien moins que les sensations chez les animaux. A la fin, ils ont fini par accorder à ces mêmes ani- maux la raison ! 1° Npgaiion des sensations chez les animaux infé- rieurs. — Pourbeaucoup d'auteurs allemands, l'ac- tivité des animaux inférieurs serait faite uniquement de « tropismes», entendus actes purement méca- niques. Ces animaux réagiraient mécaniquement aux causes nuisibles; ils se soustrairaient à ces causes grâce aux tropismes, actes qu'on explique sans faire intervenir la sensibilité de l'organisme. La sensibilité serait inutile chez les animaux infé- rieurs. Certains auteurs ont été ainsi conduits à consi- dérer les sensations comme une sorte de luxe inu- 26 302 LA NAISSANCE DE l'iNïELLIGENCE tile chez ces animaux, et ils ont été mémo plus loin, jusqu'à nie?' les sensations rhez eux. Vout Ziegler, « il est peu probable que les animaux infé- rieurs ressentent la douleur »; un ver qu'on écrase et qui contourne son corps de multiples manières ne souffrirait pas! La douleur^ dit-il, doit être considérée comme un signal (Vnlarme ^, qui per- met à l'animal de se soustraire à l'altération ac- tuelle du corps ou de l'éviter dans l'avenir; chez les animaux qui réagissent mécaniquement aux causes nuisibles, ce signal serait inutile, superflu. La douleur serait un luxe inutile; or, il n'y a pas de luxe inutile dans la Nature: donc, la douleur n'existe pas. Ce raisonnement peut nous paraître bizarre. Pour moi, j'en attribue toute la faute à Morgan, célèbre savant anglais, qui a écrit, de 1891 à 1900, une série de livres sur les questions de psychologi* comparée, et qui a énoncé, avec une netteté très remarquable, comme principe fondamental de cette science, la loi dite d'économie : « En psycho- logie animale, il ne faut dans aucun cas inter- préter une action comme étant le résultat de l'exercice d'une faculté mentale élevée, si elle peut être considérée comme la conséquence du jeu d'une faculté siégeant plus bas dans l'échelle 1. Il est regrettable que les Allemands fassent abstraction complètement de la notion de sensibilité différentielle, et croient que les tropismes sont toujours avantageux pour l'animal. J'ai montré précisément plus haut que la sensibilité différenticll' tempère les inconvénients et les dangers des tropismes. l'instinct 303 physiologique. » Or, ce principe, qui a été érigé contre l'envahissement de l'anthropomorphisme et qui a eu son heure d'utilité, ce principe conduit, comme le fait bien remarquer Claparède, à des explications simplistes, et, à ce titre, a été com- battu, en particulier, par un psychologue améri- cain bien connu, Wesley Mills (1898) : «Pourquoi, dit cet auteur, devrions-nous nous lier nous- mêmes par une règle aussi dure et rigide que celle-ci? N'est-ce pas la vérité que nous désirons atteindre ? Pour moi, je suis devenu de plus en plus sceptique sur la validité des explications simplistes pour la manifestation de la vie animale, physique ou mentale. » Ce principe conduit à nier tout ce qui serait inutile..., par conséquent, la douleur, les sensa- tions... Là, où il y a des tropismes, il n'y aurait pas de douleur, de sensations. Ceci est loin de me paraître évident, d'autant plus que les tropismes sont tou- jours chez les animaux, d'après ce que j'ai observé, accompagnés de phénomènes que Loeb lui-même a qualifiés de « sensibilité dilTérentielle ». 2° Attribution de la raison aux animaux infé- rieurs. — Dénier, comme l'ont fait certains Alle- mands, les sensations aux animaux inférieurs, voilà qui a eu, à mon sens, les conséquences les plus fâcheuses. Si les animaux inférieurs n'ont pas de sensations^ on ne peut parler d'associations de sensations. Les insliiicls s'expliqueraient (exclusivement par des Iropismes ou des combinaisons de Iropismes ; mais, au milieu de la vie inslinclive des ariimaux, il y a des cas indiscutables d'expérience indivi- duelle. Du moment qu'on ne peut parler dans ces cas d'associations de sensations, il est nécessaire d'invoquer (luehjuc chose de nouveau ; on a invo- qué la « raison » ! Ainsi une abeille, une araignée, n'aurait pas de sensations, mais raisonnerait ! Voilà où en est arrivé Ziegler en particulier. C'est le cas de dire qu'il y a ici une solution de continuité dans la nature. Conséquence : 3° Opposilion entre l'instinct et la raison. — Ziegler accentue cette discontinuité en insistant sur une opposition qu'il considère comme fondamentale : celle des réflexes et instincts d'une part et de la mémoire et du raisonnement d'autre part. Les réflexes et instincts seraient des facultés de l'organisme héritées, dépendraient des voies nerveuses héréditaires [cléronomes de Ziegler); la mémoire et le raisonnement dépendraient, au contraire, des voies acquises pendant la vie indivi- duelle {enbiontiques de Ziegler). C'est là, en somme, la vieille opposition de l'ins- tinct et de l'intelligence. L'antianthropomorphiste Ziegler finit par se rencontrer avec l'anthropomor- phiste Romanes. Et l'on peut se demander si Le Daulec, en énonçant ses définitions de l'instinct et de l'inlelligence, a traduit simplement Romanes, l'instinct 305 en un autre langap:e, ou bien s'il n'a fait qu'em- prunter ses définitions à Ziegler. Béer, Betlie, UexkûU avaient au moins sauvé les apparences; dans l'opposition entre les actes innés et les actes acquis modifiés pendant la vie indi- viduelle, au lieu de parler d'intelligence, ils avaient désigné les réactions modifiables de l'organisme sous le nom d'u antiklises ». Ziegler insiste à maintes reprises sur l'opposition entre !'« instinct » et la « raison», et il cite à l'appui un certain nombre d'exemples. Une abeille vole vers une fleur où elle trouvera les matériaux nécessaires pour la fabrication du miel; c'est là de l'instinct; toujours elle fait ainsi, même la première fois. — Une abeille reconnaît la ruche à une certaine tache rouge marquée en dessus ; c'est là de la raison : il y a apprentissage individuel. Une araignée s'engage sur le fil de sa toile, où est accrochée une mouche; voilà de l'instinct. — La même araignée, qui a été trompée trois fois par des mouches imprégnées de térébenthine, refuse toute mouche : voilà de la raison. Une poule qui gratte la terre, y mange des vers et des insectes; voilà de l'instinct. — Cette poule arrive quand la personne qui lui donne habituel- lement sa nourriture l'appelle; voilà de la raison. L'instinct peut se compléter par l'expérience individuelle, et si la raison est très développée, l'instinct devient moins parfait. Récemment Dahl a protesté contre les inconsé- 26. ;>0() LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE quences de Ziegler. Ziegler a si peur de l'anlhro- pomorphisme qu'il y tombe en plein. 11 dénie les sensations aux animaux, mais il leur accorde la raison. Les sensations sont des phénomènes psy- chiques simples, inférieurs, et les actes raisonnes des phénomènes psychiques complexes, supérieurs. D'après Ziegler, il faudrait admettre chez les ani- maux les supérieurs et non les inférieurs. Et Dahl, au lieu de considérer l'instinct comme « un ré- flexe composé », préfère le définir : « la somme de toutes les sensations agréables et désagréables que l'animal a héritées de ses parents et qui a pour conséquence une activité définie utile pour la conservation de l'espèce ». Malgré son allure un peu anthropomorphique, cette définition ne me déplaît pas trop. Dahl a en vue une « association àQ sensations^ ». C'est préci- sément \& moi sensations qui choque Ziegler. Mais, sur un autre point, Dahl et Ziegler se sont mis d'accord. D'après eux, les instincts ne peuvent pas dériver de l'activité raisonnée héritée^ ou de Vhabitude héritée. C'est là qu'intervient Tinfluence du Weismannisme.Weismann nie, en eiTet,rhérédité d'un grand nombre de modifications acquises dans la vie individuelle, nie l'hérédité de toutes celles qui intéressent les connexions de la machine ani- male. Faute de preuves scientifiques de l'hérédité de ces modifications, il faudrait rejeter la genèse 1. L'activité provoquée par une telle association est, comme nous l'avons vu (p. 284), bien différente d'une chaîne de réflexes. l'instinct 307 des instincts d'après Lamarck, d'une part, d'après Romanes. Edmond Perrier, Le Dantec, Lewes, d'autre part. D'ailleurs, d'après Ziegler, il est singulier de vouloir faire dériver !'« instinct » de la « raison ». L'activité des animaux inférieurs repose principa- lement sur des réflexes et des instincts, tandis que la raison, avec la faculté de l'apprentissage indi- viduel, se montre seulement chez des animaux relativement élevés en organisation : parmi les invertébrés, les crustacés, les insectes, les cépha- lopodes. L' « instinct » est « un degré inférieur de l'activité psychique »; la «raison», un « degré supérieur ». Il est renversant, dit Ziegler, de vou- loir déduire l'inférieur du supérieur. Ceci complète rof»position entre l'instinct et la raison On voit, d'après ce qui précède, combien l'accord est loin de se faire, parmi les savants actuels, sur la question de l'instinct, Edmond Perrier, Le Dantec, à la suite de Darwin et Romanes, font dériver tout ou partie des ins- tincts de l'intelligence, qu'ils accordent à tous les animaux, mais, en même temps, ils admettent, avec Lamarck, l'hérédité des modifications indivi- duelles. Ziegler fait des instincts quelque chose de tout à fait distinct de la raison, et, à l'instar de Weis- mann, n'admet pas l'hérédité des modifications individuelles. 308 I A NAISSANCE DE L INTELLIGENCE On aurait pu d'ailleurs multiplier les concep- tions modernes do linstinct ; comme dans le passé : autant d'auteurs, à peu près autant d'opinions dif- férentes. Dans ces opinions, on peut trouver beau- coup de contradictions, d'incohérences ; le grand tort a été, à mon sens, de vouloir conserver la notion d'instinct et l'opposition de l'instinct et de l'intelligence. En Amérique, on a suivi, à l'imitation de Loeb, une marche beaucoup plus sûre. On a renoncé à discutersurdes mots tels que « instinct », « raison », « volonté » ; cela ne pouvait conduire qu'à des résultats stériles. En revanche, on s'est livré à l'analyse scientifique expérimentale des actes com- plexes des animaux, et en particulier des phéno- mènes associatifs, qui jouent déjà un rôle chez les animaux inférieurs, bien que masqués souvent par les tropismes, les phénomènes de sensibililé ditrércnlielle, les divers rythmes vitaux. Tous ces phénomènes peuvent être étudiés d'une manière objeclive. Dans les associations de sensations, on peut déterminer le nombre des facteurs associés et apprécier leurs valeurs respectives, on peut étu- dier expérimentalement l'état de fusion de ces sensations et la durée de la fusion, etc., etc. Après cela, on n'éprouve plus le besoin de se servir d'expressions aussi vagues que celles d'« instinct » et de «volonté», qui, dans bien des cas, n'ont qu'w?i seul avantage : celui de masquer noire igno- rance et le manque d'analyse des phénomènes ob- seroés. L INSTINCT 809 On peut discuter plus utilement sur les tro- pismes, les phénomènes de sensibilité différen- tielle, les rythmes vitaux, les associations simples de sensations peu variées, les associations com- plexes, oïl interviennent des éléments visuels, — et cela en n'altérant pas la signification primitive de ces mois, et, bien entendu, en ne se laissant pas hypnotiser par eux. § 4. - LES INCONVÉNIENTS DU MOT INSTINCT. Mais revenons, encore un instant, avant de l'abandonner définitivement, ù la notion de l'u ins- tinct », et voyons ce que seraient les divers modes d'aclivité animale que nous avons étudiés par rapport à l'instinct. Claparède, qui est un fervent de l'instinct, — qui veut et croit expliquer beaucoup de phénomènes en l'invoquant, — prétend qu'on a parfaitement le droit de parler de l'instinct, car on a donné de celui-ci une définition précise et qui, d'après lui, serait adoptée maintenant par « tous les biolo- gistes ». Voici cette définition : « L'instinct est un acte adapté^ accompli sans avoir été appris, d'une façon uniforme, par tous les individus d'une môme espèce, sans connaissance du but auquel il tend, ni de la relation qu'il y a entre ce but et les moyens mis en œuvre pour l'atteindre. » C'est, en somifie, celle adoptée par Romanes, et qui peut s'appliquer à la fois aux diverses caté- 310 L\ NAIS.SAN( i: DE ININTELLIGENCE gories que ce savant a établies dans les instincts. Claparnde montre ([u'elle peut s'appliquer éga- lement au sommeil de l'homme. Tout le travail de l'auteur est consacré à démontrer que « le som- meil est un acte adapté »; d'autre part, « le som- meil n'a assurément pas été appris et il est ana- logue chez les représentants d'une même esprcc » ; enfin « que le but poursuivi par l'animal qui s'en- dort lui est inconnu et qu'il n'aperçoit pas du tout la relation qu'il y a entre les moyens em- ployc$ et la fin réalisée. — c'est ce que prouve- rait, s'il était nécessaire, la multiplicité des tra- vaux sur le sommeil, consacrés précisément à chercher quel est le but du sommeil et son méca- nisme». Les mêmes raisonnements peuvent s'appliquer aux divers njlhmes vitaux, qui se présenteraient ainsi comme des instincts. Les tropismes seraient aussi des instincts, lis peuvent se présenter comme des actes adaptés*. Ziegler a insisté sur ce fait, exagéré, que les tro- pismes suffisent à préserver les animaux infé- rieurs contre les influences nocives; Camillo Schneider a été jusqu'à dire que ce qui est typique pour le Iropisme, c'est la finalité (aussi le tropisme serait pour lui un acte psychique (I), alors que l'instinct ne serait que l'acte hérité d'un acte psychique : opinion que je note en passant sans insister). D'après Loeb, les tropismes n'ont 1. En réalité, comme nous l'avons montré (p. 287), le caractère d'adaptation nest pas essentiel. l'instinct 311 pas été appris, et ils sont analogues chez les représentants d'une même espèce. Ces tropismes, enfin, sont accomplis sans connaissance du but auquel ils tendent, ni de la relation entre ce but et les moyens mis en œuvre pour l'atteindre. Les phénomènes de sensibilité différentielle se présentent également avec les caractères de l'ins- tinct. Celui d'acte adapté est moins constestable que dans le cas précédent. C'est ainsi que l'animal inférieur évite les variations trop brusques et nocives de l'excitation du milieu extérieur; la « perfection originelle » et 1' « universalité» ne sont pas niables; enfin, il n'y a « aucune con- naissance du but » : en changeant les conditions habituelles, la réaction porte à faux. Ainsi les rythmes vitaux, les tropismes, la sen- sibilité différentielle, pourraient se ranger dans la catégorie des instincts. Mais on peut trouver en- core beaucoup d'instincts, plus complexes assu- rément que les précédents, parmi les phénomènes associatifs. Nous avons vu, dans le chapitre XIX, se former, par apprentissage individuel, de nouvelles associa- tions. Beaucoup de celles-ci, surtout quand elles sont complexes et renferment des éléments visuels, se montrent instables, fugitives : de nouvelles associations se substituant aux anciennes. Mais, les associations où interviennent des éléments constants dans la vie de l'être ne tardent pas à devenir des habitudes et à se transmettre par héré- dité. Ces phénomènes associatifs devenus hérédi- :m LA NAISSANCE DE L INTELLIGENCE taires sont encore des instincts au sens adopté. Nous avons vu que l'adaptation se réalise mer- veilleusement dans les phénomènes associatifs; la transmission héréditaire implicjue 1' « innéité » et r « universalité »; il ne peut être question de «con- naissance du hut ». Que devons-nous penser d'un mot qui s'applique à des phénomènes aussi disparates que ceux (|ue nous venons de passer en revue? — dont Tap- plicalion est d'ailleurs souvent délicate, car il n'est pas toujours facile d'apprécier si un acte est adapté ou non. — Pas grand'chose de bon. Glapa- rède s'étonne que le mot « instinct » surprenne, effraie quelque peu ceux qui l'entendent pronon- cer. Pour lui, l'instinct n'est pas un concept vague et mal défini; il n'y a d'obscur dans les instincts que leur origine; « dans la plupart des cas, ladéli- cate complexité et la précision des mécanismes qu'ils supposent est presque impossible à imagi- ner )). Mais n'en est-il pas de même pour une foule de concepts qui peuvent recevoir cependant une définition claire et précise? Certes, il faut se rési- gner à ne pas approfondir l'origine et le méca- nisme de beaucoup de phénomènes, mais il faut veiller autant que possible à ne pas grouper sous une môme rubrique des phénomènes qui ont des origines et des mécanismes très différents les uns des autres. C'est le cas de l'instinct. Mais il y a plus : en opposant r « instinct » à 1' « intelligence », on est amené à séparer les uns des autres des phéno- l'instinct 313 mènes qui se ressemblent beaucoup, l'intelligence désignant parfois un stade du phénomène, et l'instinct un autre stade. Quand une association de sensations se forme et se manifeste, on dit sou- vent qu'il y a « intelligence » ; une fois que l'asso- ciation est formée, au point de se transmettre par hérédité, on dit qu'il y a habitude héréditaire, instinct. Il se trouve qu'il peut y avoir tous les intermédiaires entre une association encore tout à fait instable et une association devenue tout à fait stable ; il y aurait tous les intermédiaires entre r « intelligence » et V « instinct ». Nous revenons à l'opinion de Romanes et de ses imitateurs, et nous pouvons faire observer à ce propos combien le mot « intelligence » lui-même a reçu de sens différents. Combien, maintenant que nous nous servons des mots de la vieille psychologie, nous nous sentons sur un terrain mouvant. L'instinct est un legs du passé, un legs du moyen âge, des théologiens, des métaphysiciens. Devons- nous accepter ce legs? Qu'est-ce que l'instinct? Un mot. Vjn mot qui permet de grouper des phéno- mènes très disparates, et de séparer les uns des autres des phénomènes qui se ressemblent beau- coup. Un mot qui a su éveiller dans les divers esprits une foule d'idées différentes. L'intelligence et l'instinct, c'est tour à tour l'opposition entre l'Homme et l'Animal, entre le complexe et le simple, entre la spontanéité et l'automatisme. !'i M,n;i:\n, entre le conscient et I inconscient... ; beancoup s'accordent pour les consid»''rer comme deux cchc- lons d'une même échelle, mais le désaccord est complet quand il s'agit de savoir quel est l'échelon le plus bas : instinct on intelligence. Bergson, dans son hJvoluhon créatrice^ tourne la difficult» en considérant l'instinct et l'intelligence comm» les deux montants de l'échelle. La théorie du parallélisme a sauvé bien des fois les philosoph< embarrassés à résoudre un problème insoluble. Qu'est-ce donc que Tinstinct? Un mot que nous ne chercherons pas à sauver de la débâcle métaphy- sique. Qu'est-ce donc que l'opposition entre l'ins- tinct et l'intelligence? Une barrière, que nous chercherons à briser comme toutes les barrières. Il est ici, comme dans les réformes sociales, il faut commencer par démolir. L'instinct est un concept qui ne résiste pas à l'analyse scientifique. Il n'a jamais résisté non plus à la véritable analyse philosophique. Condilla^ que l'on a surnommé « le père de l'analyse philo- sophique », a donné cette définition de l'instinct, qui est selon moi la meilleure parmi la multi- tude des définitions données : « L'instinct n'est rien. » Rémy de Gourmont, esprit fait d'intui- tion, de logique et de clarté, a écrit dans s Physique de i amour un chapitre remarquable sur l'instinct : « La question de l'instinct, dit-il, est peut-êlr la plus énervante qui soit. Les esprits simples la voient résolue quand ils ont opposé à ce mol. l'instinct 315 l'autre mot : intelligence. C'est la position élé- mentaire du problème, et rien de plus. Non seulement cela n'explique rien, mais cela s'oppose même à toute explication. Si l'instinct et l'intelli- gence ne sont pas des phénomènes de même ordre, réductibles l'un à l'autre, le problème est insoluble et nous ne saurons jamais ni ce que c'est que l'instinct, ni ce que c'est que l'intelli- gence. » « Dans cette opposition vulgaire, ajoute de Gourmont, on sous-entend assez naïvement que les animaux sont tout instinct et l'homme tout intelli- gence. Cette erreur, purement de rhétorique^ a jus- qu'ici empêché, non la solution du problème, qui semble fort lointaine, mais son exposé scienti- fique. » Dans ses récentes Promenades philosophiques^ Rémy de Gourmont montre l'automatisme enva- hissant l'activité de l'animal et celle de l'homme. u L'automatisme est partout dans notre vie ; il en dévore une si grande partie qu'il nous en reste bien peu pour le domaine de la conscience... Des vies très uniformes, dénuées de tout incident, se déroulent à la limite de l'automatisme. La civili- sation, en améliorant les conditions quotidiennes de l'existence, en assurant une sécurité plus grande, développe les tendances de l'homme à un certain automatisme. Le collectivisme intégral, imaginé par des rêveurs, conduirait l'humanité à une vie de plus en plus automatique. Se laisser vivre, c'est glisser sur cette pente. Il ne faut pas 316 I \ N MSSANCE DE l/lNTELLICENCB se laisser vivre, il faut vivre <'l parfois désirer et parfois vouloir l'impossible... » Laissant de côté rinstiiul, nous aurons à tenir compte dans le chapitre qui suit de l'envahisse- ^î ment de l'activité animale par l'automatisme. CHAPITRE XXIV Les révolutions psychiques. Maintenant que nous nous sommes débarrassés des concepts d' « instinct », de « volonté », nous allons pouvoir plus librement chercher à faire quelques hypothèses sur la marche de l'évolution du psychisme chez les animaux. Nous devons tout d'abord nous laisser pénétrer par cette pensée que tous les animaux que nous observons et sur lesquels nous expérimentons, y compris les animaux les plus inférieurs, y compris le plus simple de tous, l'amibe, ont derrière eux tout un passé effroyablement long et compliqué. Nous ne pouvons que très difficilement nous faire une idée de ce qu'ont pu être les débuts de la vie à la surface de la terre, et le passé ne nous appa- raît que d'une façon tout à fait confuse et incer- taine. Cependant quelques savants, Serres, Fritz Mill- ier, Hœckel enfin et surtout, ont réussi à persuader les biologistes qu'il est possible d'avoir une vision 27. 31S i\ \\iss\\(i; Kii l'intelligence nctle du passé du monde animal. Pour eux, !<>> formes successives par lesquelles passe l'individu au cours de son développement ne seraient aulr» cliose que l'image, plus ou moins efTacée, d«' formes ancestrales sous lescpieiles l'espèce s'e- graduellement développée dans le temps. Cette vue hypothétique, qui se conciliait assez bien avec le Darwinisme, s'est trouvée érigée on une des lois fondamentales de la biologie. Giard. le premier, l'a ébranlée, et Oscar Hertwig vient d'y apporter une correction essentielle, qui, au dire de Keibel, tead à rien moins qu'à faire dispa- raître la loi elle-même. La « loi biogénétique fondamentale », — c'est ainsi qu'on l'a désignée, — paraît encore moin- applicable dans le domaine des mouvements qui dans celui des formes. Et je crois qu'on fera bien de renoncer à chercher chez les animaux unicellu- laires les secrets de la vie psychique des animaux supérieurs. Je ne m'occuperai ici que des animaux pluri- cellulaires qui possèdent déjà au moins une ébauche du système nerveux central. Ces animaux sont déjà des organismes merveil- leusement agencés, doués de certaines possibilités motrices, ayant emmagasiné déjà une quantité notable d'énergie latente ; quand les divers stimu- lants agissent sur eux, ils ne font guère que déclaii- cher des mécanismes préexistants. Si le système nerveux central des invertébrés na souvent qu'un rôle accessoire dans la production LES RÉVOLLTIOAS PSYCHIQUES 819 des réflexes, il a le rôle principal dans la forma- tion des phénomènes associatifs. C'est surtout grâce à lui que les sensations de divers ordres et ayant leur point de départ dans les divers segments du corps peuvent se fusionner au sein de l'organisme. L'histoire de l'évolution du psychisme, d'où est sortie l'intelligence, c'est celle des associations de sensations. Les actes des animaux qui ont leur point de départ dans ces associations correspondent assez bien à l'idée qu'éveille en la plupart de nous le mot « psychisme », mot qui oiîre moins d'incon- vénients que ceux d' « intelligence », de « raison », de « volonté », d' « instinct », à la condition expresse qu'on ne l'oppose pas au mot « méca- nisme ». On a vu primitivement dans 1' « âme », dans la « Psyché » des animaux, un pouvoir coor- dinateur régissant « les connexions entre les con- nexions externes et les connexions internes » ; ce qu'on a appelé « actes psychiques » chez les ani- maux s'explique en général fort bien par les phé- nomènes associatifs où interviennent des sensa- tions variées. En tout cas, il me paraît illogique d'appliquer ce mot dans le cas d'un acte partiel (réflexe), ou même dans celui d'un acte global (Iropisme), où il n'y a pas fusion des diverses sen- sations de l'être. Les phénomènes associatifs occupent une large place dans l'activité de l'organisme depuis les ani- maux inférieurs jusqu'à l'homme. Quoiqu'ils soient soumis partout à certaines lois générales. 320 LV NAISSANCE DE l/îMELLIGENCE ils se présentent avec des aspects dilTérenls : par- fois ils sont ce qu'on appelle communément des « instincts », parfois ils peuvent simuler ce qu'on est convenu d'appeler « intelligence ». Ici, plus que partout ailleurs, on voit combien est artifi- cielle, défectueuse, celte opposition entre l'ins- tinct et l'intelligence, combien les questions ont été mal posées dès le début. Les phénomènes associatifs peuvent être consi- dérés comme des mécanismes qui peuvent se per- fectionner de diverses manières. Or, le perfection- nement des phénomènes associatifs dépend, d'une pari, du perfectionnement des organes récepteurs périphériques, dits organes des sens; d'autre part, du perfeclionnement du système nerveux central. Je voudrais insister un instant sur le i^ôle de la « sensibilité » dans la formation des phénomènes associatifs. Je crois que c'est une véritable aber- ration de la part des adeptes de l'école mécaniste allemande de ne vouloir pas parler de sensations chez les animaux inférieurs, de nier même ces sensations. Nier, voilà qui est exagéré ; on n'a pas le droit de le faire. Certes, on peut faire des ré- serves sur la nature des sensations chez les ani- maux inférieurs, et on ne doit pas les identifier avec celles de Thomme. C'est un fait incontestable, et qui a servi de point de départ à Richard Semon pour sa théorie de la (1 Mnème », que tout stimulant qui s'exerce sur un organisme, végétal ou animal, simple ou complexe, y laisse une trace plus ou moins pro- LES RÉVOLUTIONS PSYCHIQUES 321 fonde et durable ; la stimulation, en quelque sorte, s'inscrit, se grave dans la matière vivante. Mais cette inscription, cette empreinte se fait plus faci- lement dans certaines cellules, dans certains tissus que dans d'autres ; le tissu le plus privilégié à cet égard est le tissu nerveux. Les empreintes dans la matière organique sont les « engrammes », dont la somme constitue la « mnème » ; les empreintes dans la matière nerveuse sont les « sensations » ; « engrammes » et « sensations » représentent deux degrés d'un même phénomène ; il n'y a pas une opposition à établir, surtout si l'on songe que l'animal unicellulaire le plus simple, l'amibe, a une composition chimique qui se rapproche beau- coup de celle des cellules nerveuses de l'homme ; et il est bien évident d'autre part que les sensa- tions constituent elles-mêmes toute une échelle. Peu importe le mot que nous employons quand nous considérons les animaux inférieurs : « impres- sions >^, « engrammes », « sensations »; ce qui importe, c'est le fait auquel correspondent ces mots, et qui n'est pas niable chez les animaux inférieurs. J'employerai le mot de « sensations », qui est plus familier que les autres. Sans les sensations, on ne conçoit pas l'évolution dite psychique, que je vais retracer à grands traits. Pour Rémy de Gourmont, la solution du problème de l'instinct et de Tintelligence ne comporterait que deux formules ; « en choisissant, ajoute-t-il, on fait^ selon les cas, de l'instinct ou de l'intelli- gence, la graine ou la fleur d'une même plante, la 322 i,.\ NAissAN'ct; di: i/i.\ii,Li,i(,i.\( i .sensibilité ». J'aime beaucoup cette numièic du dire, qui montre l'importance primordiale de la sensibilité. De plus, l'évolution de la .>eiisibililé s'accom- pagne de l'évolution du psychisme. Avec le progrès des organes des sens, nous voyons les associations se compliquer de plus en plus; le perfectionne- ment de l'œil, sa transformation en un appareil où peuvent se former les images des objets, s'ac- compagne de la i)remière grande révolution psy- chique. Avant de parler de cette révolution, il nous faut considérer les origines, c'est-à-dire les phénomènes associatifs chez les invertébrés inférieurs. Je vais insister sur quelques points importants : l** Chez les animaux inférieurs : polypes, vers, ... les éléments qui peuvent entrer dans les asso- ciations sont peu nombreux et variés. La sensibi- lité, si elle n'est pas niable, semble du moins très rudimentaire. Il y a surtout des sensations pure- ment chimiques qui se ramènent plus ou moins les unes aux autres, car dans la plupart interviennent plus ou moins la dessiccation et l'hydratation; quand les organismes vivent au contact d'une sur- face solide, les sensations tactiles peuvent prendre une certaine importance. Ainsi, une anémone de mer est sensible aux variations de l'éclairement, à celles de Télat de pureté, de concentration ou d'agitation de l'eau, à celles de la dessiccation..., à celles de la position dans l'espace, à celles de la LES RÉVOLUTIONS PSYCHIQUES 323 pression exercée par l'eau...; deux stimulants dif- férents : insolation et concentration de l'eau par exemple, agissent, semble-t-il, de la même façon sur l'organisme (par dessiccation), et doivent pro- duire les mêmes sensations. 2° Les diverses sensations^ en petit nombre, et toujours les mêmes ^ ne peuvent donner lieu qu'à un nombre limité de combinaisons. Chez les animaux marins soumis aux oscillations de la marée en même temps qu'à la succession du jour et de la nuit, les diverses combinaisons se succèdent tou- jours dans le même ordre, se répètent rythmique- ment. Il faut remarquer, à ce propos, que les sen- sations des animaux inférieurs sont, en grande partie, indépendantes des objets qui entourent les animaux; en somme, ceux-ci réagissent surtout vis-à-vis des forces générales qui s'exercent dans le monde extérieur : lumière, gravitation, oxygé- nation et désoxygénation, hydratation et déshy- dratation.... 3» Chez les animaux inférieurs, chez lesquels les diverses sensations ne peuvent donner lieu qu'à un petit nombre de combinaisons, c'est, le plus sou- vent, dans un passé très lointain qu'il faudrait chercher la formation des associations actuelles de sensations. Ces associations, vu la répétition de générations en générations des mêmes complexes d'excitations extérieures, sont fortement gravées dans l'organisme. Aussi, ce qui frappe tout d'abord, quand on examine les animaux inférieurs^ c'est la stabilité de ces associations, leur immuabilité. On 324 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE modifie difficilement les habitudes des animaux inférieurs. Toutefois, il ne faudrait pas croire à une immua- bilité absolue. On peut, en se plaçant dans cer- taines conditions expérimentales, constater, dans certains cas, des associations nouvelles, lentes A, se produire H y a là un champ d'investigation. Première révofulion psychique. — Avec les ani- maux articulés (crustacés, insectes), et les mol- lusques supérieurs (céphalopodes), s'est produit, comme je l'ai montré précédemment, une première révolution psychique : 1° Entre autres organes, l'œil a subi un perfec- tionnement notable, est devenu un appareil où peuvent se former les images des objets. Nous n'avons aucun renseignement sur cette transfor- mation dans le passé de l'appareil visuel; actuelle- ment, elle nous semble s'être faite avec une cer- taine soudaineté : l'œil des trilobites, crustacés des temps primaires, atteint déjà toute la perfection que cet organe offre chez les articulés. Le perfec- tionnement de l'œil a eu un retentissement consi- dérable sur la formation des associations de sen- sations. 2° Celles-ci sont devenues beaucoup plus variées et beaucoup plus complexes. Avec l'œil perfectionné, tout est changé. Un certain nombre des qualités des objets (diverses formes, couleurs...) vont fournir des éléments nouveaux pour les associa- tions, éléments nombreux et variés. Les diverses LES RÉVOLUTIONS PSYCHIQUES 325 sensations, étant beaucoup plus nombreuses et plus variées, peuvent donner lieu à un nombre considérable de combinaisons. La multiplicité des combinaisons, leur com- plexité, marchent de pair, à mesure que les organes des sens se perfectionnent comme appareils récepteurs. Or, le psychisme est fait de cette mul- tiplicité, de cette complexité. Aussi, on conçoit aisément que le perfectionnement de l'œil ait entraîné une véritable révolution psychique. 3° Beaucoup d'associations deviennent instafdes. — Constamment, au cours de la vie individuelle, il se forme des associations nouvelles; elles s'ef- facent assez rapidement, semble-t-il. Ce sont ces associations qui guident les crustacés et les insectes dans les milieux qu'ils « connaissent », par rapport aux divers objets qui constituent ce milieu. Transportés d'un milieu dans un autre, où les objets ne sont pas ordonnés de la même façon, ces animaux changent d'habitudes. Ce qui frappe maintenant, c'est l'instabilité des associa-;, tions. Multiplicité, complexité, instabilité, voilà trois caractères corrélatifs des phénomènes associatifs chez les animaux qui possèdent un œil perfec- tionné. Avec les animaux articulés, les associa- tions de sensations deviennent multiples, com- plexes, instables, et prennent une grande impor- tance dans la vie de l'être. Mais, toujours après une évolution, et surtout après une révolution, la réaction se fait sentir, 28 ^^«» lA MISSAJ. t, le représentant le plus primitif est le célèbre amphioxus. Il faut se méfier des analogies de formes, si trompeuses, et recourir à Tétude du développement ou embryogénie. Voici quelques exemples. L'escargot, avec sa coquille et son organisation asymétriques, semble dériver de mol- lusques primitifs symétriques, à deux reins, à deux branchies, à deux oreillettes au cœur...; or, certains autres mollusques, nus, et symétriques en apparence, ont donné l'illusion de formes primi- tives; en réalité ce n'est là qu'une apparence, car ils n'ont qu'un rein, qu'une oreillette au cœur, et, si on suit leur développement, on constate que les jeunes embryons subissent une torsion qui les rend asymétriques et que cette torsion se défait ensuite; il y a comme un retour tardif vers un état ancestral. — Les orthonectidés sont des ani- maux microscopiques découverts par Giard dans le corps de certains échinodermes et de certains vers; on voulut voir dans ces organismes en apparence si simples un intermédiaire entre les animaux unicellulaires et les animaux pluricellu- laires ; mais, en présence d'un polymorphisme sexuel et évolutif des plus remarquables, Giard rejeta cette manière de voir, et regarda les nou- veaux animaux comme des êtres pluricellulaires, profondément simplifiés par suite de la vie parasi- taire et rappelant d'ailleurs les embryons de cer- tains vers. — D'une façon générale, Giard a beau- coup insisté sur les régressions organiques, qui aboutissent à des formes en apparence aussi LES RÉGRESSIONS PSYCHIQUES 337 simples que les formes originelles ; mais tout doute est dissipé, dès qu'on recherche, chez l'adulte ou mieux au cours de son développe- ment, les organes devenus rudimentaires, der- niers vestiges d'une richesse d'organisation à jamais perdue. Les considérations précédentes peuvent s'appli- quer aux 7'égressio7is psychiques. En présence de modes d'activité simples en apparence, on doit toujours se demander s'il s'agit bien d'une sim- plicité originelle, on doit toujours rechercher s'il y a des vestiges d'une complexité passée. Nous avons trouvé la simplicité primitive dans les tropismes et dans les manifestations de la sen- sibilité différentielle, — j'entends les vrais « tro- pismes », la vraie « sensibilité différentielle », car ces mots ont été pris dans les acceptions les plus diverses par ceux, trop nombreux, qui ne se sont pas rendu compte de quoi il s'agissait; — dans l'un et l'autre cas, il s'agit de phénomènes auto- matiques qui résultent de l'action directe d'une seule force du milieu extérieur; dans le cas des tropismes, la force restant constante ctirige l'acti- vité de l'animal, — activité interne non niable, — dans celui de la sensibilité différentielle, la force par sa variation déclanche une série déterminée de mouvements qui entraînent le plus souvent la rota- tion de l'animal sur lui-même; les tropismes tout au moins se présentent comme des réactions for- cées, et par conséquent non apprises. Nous avons vu combien les tropismes et les phénomènes de 29 S'AS I A NAISSANCE DE L INTELLIGENCE sensibilité difVérontielIc jouent un rôle important dans l'activité des animaux inférieurs, bien qin» n* constituant pas la totalité de cette activité. Bien dilTércntes sont les réactions consécutives à des associations de sensations, les réactions qui résultent de ce qiie nous avons appelé la « mémoire associative » : plusieurs forces du milieu extérieur sont en jeu, et elles concourent à créer un état in- terne qui déclanche une série déterminée, parfoi fort complexe, de mouvements. Ces réactions onl été apprises dans le passé de la race, ou bien sont apprises au cours de la vie individuelle : souvent, d'ailleurs, Vapprentissaçie individuel ne fait que compléter V apprentissage ancestral. Celui-ci se fait, celui-là sest fait suivant une méthode particu- lière. Au début de la formation des phénomènes associatifs, il y a toujours une grande part de hasard; parmi les mouvements de hasard qui ré- sultent de l'activité interne, les uns se trouvent utiles pour Tanimal, les autres nuisibles; petit à petit il se fait un tri, une sélection. C'est une idée déjà ancienne que celle de la sélection des mouve- ments. Nous la retrouvons chez Groos, célèbre par son ouvrage sur les jeux des animaux : dans ces jeux, l'animal exécuterait une série de mouvements variés, dont la plupart, ni utiles, ni nuisibles, pas- seraient sans laisser d'impression; mais de temps en temps un animal qui joue éprouverait une exci- tation favorable ou nuisible, et cela serait le point de départ d'une association utile à la conservation de l'espèce. Ces «jeux » si développés chez les jeu- LES RÉGRESSIONS PSYCHIQUES 339 lies seraient un merveilleux apprentissage. Nourris et défendus par les adultes, les jeunes « jouent » la moitié de la journée, collectionnent des expériences, perfectionnent les associations qui correspondent aux « instincts » complexes. Dans la nature actuelle, ceci est d'autant plus vrai qu'il s'agit d'animaux plus élevés en organisation ; chez les animaux infé- rieurs, les essais et les erreurs ont dû jouer un rôle dans un passé très lointain, lors de l'acqui- sition des premières associations; mais il y a long- temps que celles-ci, qui sont restées simples, sont fixées. Jennings a eu le tort d'attribuer une impor- tance exagérée aux « essais et erreurs » dans la vie actuelle des animaux inférieurs. Ce qu'il a appelé (( essais et erreurs » sont, comme nous l'avons vu (chap. XVI\ le résultat de la superposition d'acti- vités variées ; ses « essais et erreurs » augmentent avec l'âge, alors que les essais d'un apprentissage défim devraient diminuer. D'ailleurs, si les « essais et erreurs » peuvent conduire à la formation d'as- sociations de sensations, ils ne conduisent pas à la formation des vrais tropismes, qui sont innés, et résultent de nécessités mécaniques. Je dis : « vrais tropismes », car il y a de faux tro- pismes, qu'on peut considérer, — je vais essayer de le montrer, — comme un des aboutissants de l'évo- lution régressive des associations de sensations. L'activité qui repose sur ces associations se trouve être dépendante d'un certain nombre de variables : a, h, c, d... ; mais, bientôt, d'après la première loi d(îs phénomènes associatifs (voir chap. XXI), une 340 LA NAISSANCE DE l'iNTELLIGENCE de ces variables prend une prédominance marquée sur les autres, et finalement peut suffire à déclan- cher la réaction, qui, alors, comme dans le cas des tropismes, parait être provoquée directement par une seule force du milieu extérieur. Tel est 1< cas, par exemple, de l'attraction des insectes par les fleurs. En réalité, les analogies sont trom- peuses; une analyse minutieuse des phénomènes telle que celles qui ont été faites par les auteur- cités dans le chapitre XX, mbnlre, dans certaines réactions, rinlervenlionde facteurs variés, des ves- tiges des éléments d'associations autrefois com- plexes. Chercher ces vestiges dans des réactions en appa- rence simples, voilà un beau champ d'action pour les jeunes psychologues, et qui promet d'être fer- tile pour tous ceux qui ne perdront pas de vue lo- idées directrices émises par l'illustre biologist* américain, Jacques Loeb. CONCLUSIONS La lutle pour la conquête scientifique de la psy- chologie animale engagée avec vigueur depuis quelques années, et dont j'ai retracé, dans les pages qui précèdent, les moyens et les buts, les défaillances et les victoires, promet d'être longue encore. La tâche est peut-être plus ardue ici que dans n'importe quel autre domaine de la science. On a beau démontrer, par l'observation et par l'ex- périence, le néant de nombreuses notions admises sur la vie psychique des bêtes, on se heurte en fin de compte à des préjugés, on blesse infailliblement certains sentiments. Quelles que soient les idées personnelles du lec- teur sur le psychisme des animaux, j'espère avoir prouvé, par une analyse expérimentale aussi détaillée et aussi précise que possible, que beau- coup des actes des animaux inférieurs n'admettent pas d'autres explications que celles basées sur les propriétés générales de la matière vivante. Nous avons vu que certains mouvements en apparence 29. :U2 I.\ NA1SSAN( I- m I INTELLIGENCE capricieux d'infusoires, de vers, d'étoiles de mer. de mollusques, sont sirictement, sont fatalemeni déterminés. Noirs avons constaté chez ces orga- nismes une double tendance : celle de se placei- dans 1.1 direction de la principale force agissante du milieu extérieur (lumière, gravitation...), et celle de tourner sur soi-même sous l'influence de certaines variations brusqués de cette force. Eh bien, en analysant la prétendue activitc' psychique de nombreux êtres, nous n'avons souvent pu trouver rien en dehors des manifestations d»- cette double tendance : il n'y a que mouvements qu'on peut prévoir à l'avance et dont on arrive même à se rendre maître. Mais, au fur et à mesure ({ue notre analyse se poursuivait, nous avons pu assister à l'apparition des ébauches premières d'un pouvoir associatif : dans certains cas, les méca- nismes de la « machine animale » sont déclan- chés, non plus directement par les forces du milieu extérieur agissant isolément, mais bien par des états internes provoqués par des combinaisons particulières de ces forces. Le pouvoir associatif a subi un premier perfectionnement chez les crus- tacés et les insectes, grâce au perfectionnement des organes des sens, et surtout de l'œil, c'est-à- dire des appareils récepteurs; il a subi un second perfectionnement chez les vertébrés, grâce au déve- loppement des centres nerveux, c'est-à-dire des appareils enregistreurs. Nous avons pu donner des lois, nonseulementpour lestropismes et la sensibilité différentielle, notion CONCLUSIONS 343 qui, pour la première fois, figure dans un livre de psychologie animale, mais encore pour les phé- nomènes associatifs. Si compliqués que soient ceux-ci, nous sommes restés avec eux dans le domaine du mécanisme. A mesure que nous pous- sions plus avant l'analyse des actes des ani- maux, l'intelligence reculait, fuyait, pour ainsi dire devant nous. Nous sommes revenus ainsi à l'idée de Lamarck qui limitait celle-ci aux seuls animaux pourvus d'un encéphale, aux seuls vertébrés ; on peut cependant peut-être en apercevoir déjà quelques lueurs chez certains insectes élevés en organisa- tion, tels que les abeilles et les fourmis. En tout cas, l'intelligence ne peut naître que là où il y a déjà un pouvoir de former des associations exces- sivement complexes. La complexité des mécanismes est un aspect de la question ; l'automatisme en est un second aspect ; avec l'un, nous envisageons surtout les progrès psychiques ; avec l'autre, sur- tout les régressions psychiques. Il est d'usage, dans les livres de psychologie animale, de consacrer une large place aux instincts : il en est peu question ici. Il me paraît que la pluS' grande nouveauté de ce livre est de s'être placé sur un terrain réellement scientifique, et d'avoir ana- lysé les actes des animaux comme on aurait ana- lysé une réaction chimique ou le mouvement d'une machine, sans aucune idée préconçue, sans pré- férence pour telle ou telle autre théorie ou auto- rité, avec le seul désir d'établir la vérité. Dans ces conditions, il m'était difficile de discuter sur une 3j4 la naissa!" m: i intelligence nolion qui n'éveille en notre esprit que des choses vagues et innprécises, et qui présente en outre cette parlicularilé extraordinaire de pouvoir être appliquée à des phénomènes aussi variés que les tropismes, la sensibilité dilîérentielle, les rythmes vitaux, le pouvoir associatif simple ou complexe. Je me suis eiïorcé, tout le long de ce livre, de débrouiller, autant que possible, l'origine et le mécanisme des phénomènes. Il m'était donc impos- sible d'admettre une notion, ou plutôt un « mol » qui permet précisément de grouper sous une même rubrique des phénomènes qui ont des origines et des mécanismes très dilTérents. Mais, dira-t-on : tropismes, sensibilité différen- tielle, associations de sensations... ce ne sont là également que des étiquettes, des mots qui, quoique plus précis, n'expliquent pas ce qui se passe en réalité dans la mécanique animale. Cette critique est parfaitement juste, mais elle peut s'appliquer également à tous les ordres de connaissances. Malgré les progrès de la science moderne, nous nous trouvons, comme il y a mille 'ans, en suspens en face des énigmes de l'univers. Et, à ce point de vue, les psychologues ne sont pas dans une moins bonne posture que les physi- ciens, que les chimistes, que tous ceux qui se croient être les détenteurs des sciences exactes et rigoureuses. Quand Newton découvrit les lois de la gravitation universelle, il dut avouer n'avoir aucune idée quant à la cause de ce phénomène. Son mérite est-il moins grand? Ses idées, quoique CONCLUSIONS 345 incomplètes, n'ont-elles pas permis de bâtir un grandiose édifice scientifique, qui fait notre admi- ration, à nous tous, quoique nous soyons tout aussi peu avancés, au sujet de la nature de la gra- vitation, que Newton, en 1687, et qu'Épicure trois cents ans avant Jésus-Christ? Or, dans le domaine de la psychologie zoologique, les savants de la nouvelle école, inaugurée par Jacques Loeb, cherchent à imiter Newton dans le domaine de l'astronomie : ils analysent les phénomènes et en établissent les lois. Dans ce livre, quelques-unes de ces lois sont déjà indiquées, d'autres seront à chercher au moyen des méthodes d'analyse que j'ai exposées ou d'autres plus précises encore. C'est pourquoi il me semble que j'ai fait mieux que conter, dans un nouveau langage, de vieilles choses. Comme le disait récemment mon regretté maître Giard, dans la préface au livre de Loeb : « L'ana- lyse qui nous est nécessaire pour nous rendre maîtres des phénomènes de la vie fournit une base plus sûre que celle qui tend directement à les expliquer ». FIN TABLE DES iMATIÈRES Pages NTRODLCTION . . . 1 LIVRE I LES DIVERSES TENMNCES DE LA PSYCHOLOGIE ANIMALE CHAPITRE I. — Quelques mots d'historique 5 CHAPITRE H. — L'observation des faits en psycho- logie 13 CHAPITRE m. — Les idées de Lamarck en psychologie. 19 CHAPITRE IV. — L'anthropomorphisme 34 CHAPITRE V. — La dynamique des phénomènes psy- chiques d'après J. Loeb 42 CHAPITRE VI. — Les théories mécanistes en psycho- logie animale oc CHAPITRE VII. — La théorie des essais et des er- reurs 61 CHAPITRE Vin. — La méthode éthologique 69 348 TABLE DES MATIERES LIVRE II LES CRITÈRES DU PSYCHISME CHAPITHK I\. — Parallélisme entre les théories de révolution organique et celles du psychisme. . 81 CHAPITHE X. — Rôle des systèmes nerveux dans les réactions des animaux . 88 CHAPITHK \I. — Variabilité des réactions des ani- maux 1)6 CHAPH IIK XII. — Discussions sur les critères du psychisme et sur la légitimité de la psychologie comparée 105 LIVRK m LA DYNAMIQUE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES CHAPITRE XIII. — Symétrie et tropismes 113 § 1. Sur Tôquilibre stati) ?i 4. Los inconvénients du mot instinct 30'.) CM APiTRi: XXIV. — Les révolutions psychiques. . . 317 GHAPITRi: XXV. — Les régressions psychiques. . . 334 CONCLUSIONS 3'il 8768. — Paris. — Imp. Hemnerlé et C / •■'IV r M ,j-^ '^ •w >^ 4 t. The R. W.B.Jackson Library OISE i i r 156.3 B677NC.1 Bohn # La naissance de l'intelligence; ouvraqe i m O 3 0005 02059041 3 igei iliii H 156.3 B677N Bohn La naissance de l'intelligence 7 156.3 B677N Bohn La naissance de 1 ' intellignece i / \ Al. . s ^.^^%^^-^^^j '^l:: f^.^ >*/!.»■// :.<^ V>^» ,,. V*"