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KuGÈNE RITTER

Professeur â l'Université de Genève.

LA PARENTÉ

DR

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

(1614j

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GENÈVE

Henry KUNDIG, Libraire

1902

Eugène RITTER

Prolesbcur a l'Université de Genève.

LA PARENTÉ

DK

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

16141

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GENÈVE

Henry KUNDIG, Libraire

1902

BIBLIOTHECA

Extrait du Compte-Rendu du seizième Congrès

des Sociétés savantes savoisiennes,

tenu à Annecy en août 1901.

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LA PARENTÉ DE J. J. ROUSSEAU

(1614)

Le procès fait à une sorcière, el le suicide d'une servante, que je vais raconter, eurent lieu en l'année 1614, près de cent ans avant la naissance de J. J. Rousseau. Mais ce sont des personnes de sa parenté qui jouèrent un rôle dans ces événements; elles vivaient dans sa ville natale : en sorte que nous avons des témoignages, des peintures de mœurs, qui viennent à l'appui de ce qu'on a dit de Jean-Jacques : qu'il était d'une race rude.

I.

On lit dans les registres de la cathédrale de Saint-Pierre de Genève, à la date du dimanche 1) juin 1555 : « Ont esté espousez, par moy J. Calvin, Jehan, fils de George du Boloz, et Mie, fille de feu Vincent Prothot. »

L'année suivante, une fille née de ce mariage, Marie Duboule, fut baptisée au mois de novembre. Elle n'avait pas

LA PARENTE

encore dix-huit ans lorsqu'elle épousa son premier mari, Jean Berthet, citoyen de Genève : il était guet, c'est-à-dire : garde employé par la ville. Elle en eut une tîlle, qui mourut jeune. Son mari mourut aussi ; elle se remaria avec Jacques Bourgeois (1), aussi citoyen de Genève; elle vécut longtemps avec ce second mari, qu'elle perdit dans les premiers mois de 1606.

Elle était veuve depuis plus de sept ans, elle était sans enfants, et elle approchait de la soixantaine, quand on lui fit un procès criminel pour ciime de sorcellerie. Avant ce procès, nous ne la connaissons que par les registres qui nous donnent les dates de son existence, et par deux actes notariés, son testament et celui de son mari.

Agée de 37 ans, elle avait fait son testament, je ne sais à propos de quoi, le 27 juin 1392. (Minutes du second Michel Try, IX, 203.)

« ...Aiant considéré qu'à toute personne est ordonné de mourir une foys, pour entrer en la vie éternelle; et d'aultant que l'heure de la mort est incertaine, elle a fait son testa- ment... Elle se recommande hien humblement à Dieu son créateur, le priant qu'au nom et en la faveur de son cher fils, et seul Sauveur, Jésus-Christ, il luy plaise la conduire et illuminer de la clarté de son saint Esprit jusqu'à la perfection de ses jours, et qu'il luy pardonne ses faultes et offences : s"asseurant par une vraie et vive foy que par le moyen et intercession d'icelluy N'<* S"" Jésus-Christ, elles luy sont gratuitement pardonnées et remises; le priant aussi qu'ayant retiré l'âme de son corps, il luy plaise la colloquer en son royaume des cieux, en attendant le jour de la bienheureuse résurrection de la chair, que son dit corps sera réuny avecq

(1) Jacques Bourgeois, baptisé le ii juillet lu61, était plus jeune que sa femme. Ses père et mère, comme les parents de sa femme, avaient reçu de Calvin la bénédiction nuptiale dans la cathédrale de Saint- Pierre : M lo mars loo6. Ont été espousez, par moy J. Calvin, André Bourgeois et Jehanne, fille de Pierre Farquaut. »

DE J. J, ROUSSEAU 5

son esprit pour jouir plainement de la félicité et vie bien- lieureuse...

« Concernant les biens temporels que l'Eternel, de sa pure grâce, luy a donnés, et mis en main dont elle le remer- cie humblement elle en dispose comme s'ensuit :

« Premièrement, donne et lègue, d'aumosne, aux povres de riiospital général du dit Genève, dix florins;

« ...Item, donne à Abel (1), fils de Abel La Roche, son cousin, cinquante llorins, le dejectant par ce moyen de ses autres biens. »

Dans le reste du testament, elle fait quelques autres legs : à Jacques Bourgeois, « son raouderne et bien-aimé mari », à sa filleule Pernette, fille de maître .lean Baduel, tailleur d"habits; à Jeanne, fille de Georges Dentand, maçon nous dirions : entrepreneur son voisin; et elle partage ses biens : 1.600 florins, et « un chenevier, contenant la seminature d'environ une bonne carte de cheneval, assis près la porte de Rive, près le Prez vulgairement dict Evesque » entre sa tante Pernette Duboule, et les enfants de son oncle Ami Duboule.

Ce testament est judicieux dans ses dispositions; les phrases de sermon et de catéchisme qui se lisent dans le préambule y sont à leur place. A Genève, chacun savait à son tour en trouver de pareilles pour les dicter au notaire ; en lisant ces vieilles minutes, on voit en etïet que ces formules ne se répètent pas en termes identiques d'un testament à l'autre : chaque fidèle avait appris à rendre raison de sa foi, et Marie Duboule s'y entendait comme une autre.

Jacques Bourgeois, son second mari, quand il fit son testament (23 août 1605) aux approches de sa mort, institua

(i) Abel De la Roche, baptisé le 31 décembre 1390, était encore au berceau ; il était filleul de Jacques Bourgeois, mari de la testatrice, et fut plus tard professeur à l'Académie, et principal du Collège de Genève. (Gp. Borgeaud: L'Académie de Calvin, Genève, 1900.)

Nous verrons dans un instant que Marie Duboule fut accusée d'avoir fait mourir par ses maléfices le père de cet enfant.

6 LA PARENTÉ

héritière générale et universelle « honneste Marie Duboule, ma bien-aimée femme. » C'était un témoignage d'affection, donné par celui qui avait vécu plus de vingt ans avec elle. Et quelques mois après, le testateur étant mort, la veuve se présenta en justice, assistée de Bernard Cheviliai'd et Humbert Tarapel, pour demander l'homologation du testament. Nous retrouverons tout à l'heure ces personnages.

En somme, les deux documents que nous avons analysés ne peuvent nous inspirer qu'un sentiment d'estime pour Marie Duboule; et ses réponses, dans le procès qui va se dérouler devant nous, nous y contirmeront, je le crois. Je donnerai toutes les pièces du procès qui nous ont été conservées (1), sans y rien retrancher que des répétitions fastidieuses.

La première pièce du dossier est le procès-verbal d'une enquête qui fut faite au mois de décembre 1613. Quelques jours auparavant, était mort Abel De la Roche (2), un ancien imprimeur, devenu portier sur ses vieux jours ; la voix publique accusait Marie Duboule d'avoir causé cette mort par ses maléfices; et la justice, à cette occasion, convoqua trois des commères du ({uartier, de la bouche desquelles elle apprit tous les bruits qui couraient.

Du \\ décembre 1613.

Information prinse d'ofBce contre Marie vefve de Jaques Bourgeois, pour crime de sorcellerie.

Premièrement : .Jeanne, fille de feu Jaques Cour, vefve de Bernardin Dorci, aagée de 32 ans, après sennent preste,

A déposé qu'il y a environ dix ou douze ans qu'elle cognoist lad. vefve Bourgeois, et qu'il y a environ six ans qu'elle l'a ouy

(1) Archives de Genève. Procès criminels. Dossier ii" 2218.

(2) Registre des morts, du jeudi 25 novenilire 1613. Maistre Abel La Roche, portier de la porte de Goriiaviii, bourgeois, âgé de 60 ans, mort de longue inlirmité et défluxion, au logis de la dite porte, sur les 4 heures, hier au soir.

DE J. J. ROUSSEAU

soupçonner de sorcelerie ; d'autant que la fille d'Andréa Gor- dier, qui avoit les malins esprits, disoyent qu'elle s'estoit donné au diable au creux d'Ornex(l), et avoit donné lou franc au diable. Et adjouxte qu'une fois entre autres criant dès sa chambre, qui est vis à vis de celle de lad. Bourgeois, comme elle crioit contre les sorciers : Je roudrois qu'ils fussent tous hruslez (2), lad. vefve lui respondist : « Tay toy, bon bec! On ne l'a point fait de mal. » Dépose aussi que les malins qui sont dans le coi-ps de la femme de Humbert Tarapé (3), accu- sent lad. Bourgeois d'estre sorcière.

Item, Pernette, femme de Thivend Marvoex, fournier, aagée de 28 ans, enquise par serment,

A déposé qu'il y a environ six ou sept ans qu'en la rue du Boule, y ayant divers enfans possédez des malins, entre autres une fille de la Pétremende, et une autre de l'Andréa Gordier, qui est décédée (4), lesd, enfans estans estendus en terre, on oyoit une voix qui disoit que lad. Bourgeois estoit sorcière. Et disoient les diables que lad. Bourgeois vouloit mettre deux diables dans le corps de la déposante : ce qui luy donna occa- sion de s'effrayer. Et lors lad. Bourgeois luy dist : « Tu n'as pas subject de te plaindre; on ne t'a encores point fait de mal ; demeure saine, puisque tu y es. » Sur quoy, elle luy ré- pliqua : « Vous ne me ferez point de mal, s'il plaist à Dieu ! »

Répété, a persévéré; et adjouxte avoir dit à lad. Bourgeois que si elle estoit meschante femme, elle gardast ses malins pour elle.

Item, Bernarde, femme d'Estienne Paccard, appellée, aagée d'environ 50 ans; laquelle, après avoir preste serment,

(1) Le village d'Ornex est à deux lieues de Genève, sur la route de Gex.

(2) Cette phrase a été barrée.

(3) La femme d'Humbert Tarapel, Jeanne Requin, était la cousine germaine de Jacques Bourgeois, mari de notre Marie. Les père et mère de Jeanne Requin sont au nombre des .32 quartaieuls de J.-J. Rousseau.

(4) Registre des morts, du 19 août 1613. Françoise, fille de fut Alexandre Gordier, quand vivoit cardeur de soye, habitant; aagée de 13 ans, morte par une grosse et soudaine défluxion, dont elle estoit para- vant nienassée, en leur demeure, rue du Bole, sur les 3 heures du soir, aujourd'hui.

8 LA PARENTE

A dit et déposé qu'il y a environ dix-huict ans qu'elle co- gnoist la vefve de Jaques Bourgeois ; et qu'il y a environ six ans que la fille de Pétremande et les enfans de Urban Ramel, et ceux de Moyse, cryoient après lad. Marie, et l'appelloient sorcière, et qu'elle avoit baillé le mal à M""" Abbel Rocbe, dont il est mort.

Dépose oultre, que lad. Marye, ayant entendu d'Elisabeth Bourgeois, sa servante, qu'on la soupçonnoit, et la nommoit- on sorcière, elle respondist : « Si je le suis, ils en sont cause. » Et croit que Jeanne Sambouside l'a ouy comme la déposante, pour estre lors proche, quant lad. Marye le prononçoit.

Dépose aussy que dés quinze jours en çà, elle auroit ouy que les malains esprits ont parlé au corps de la femme d'Hum- bert Tarapel. Et avoir ouy qu'ils disent que lad. femme les avoit mis dés le temps de l'Escadalle lisez : l'Escalade du 12 décembre 1602 et n'avoir heu terme d'elle de parler jusques à présent; et que lad. vefve est leur maîtresse; et que si on la prend, elle confessera, pourveu qu'elle ne touche le verrouil de la porte ; et que Bernard Chevilliard a autant de démonts, que lad. Marie qui les luy avoit mis au corps.

Répété, a persévéré ; et n'a signé pour ne sçavoir escrire.

Les dépositions qu'on vient de lire ne paraissent pas avoir eu de suite immédiate. Deux bons mois se passèrent, pendant lesquels le procès resta en suspens, semble-t-il. Dans cet in- tervalle, la femme d'Humbert Tarapel était morte (1), elle à qui Marie Duboule était accusée d'avoir jeté un mauvais sort. Quand on reprit le procès, Marie Duboule entra en prison

(1) Registre des morts du lundi 20 décembre 1613. Jeanne Requin, femme de Humbert Tarapé, passementier, citoyen ; âgée de 28 ans, morte de long infirmité, tourmentée des malins ; en leur demeure, près la Fusterie.

On sait que les registres de décès se trompent souvent sur l'âge qu'ils donnent aux morts. Nous en avons ici un exemple. Il est vrai que nous ne connaissons pas la date de la naissance de Jeanne Requin ; mais elle s'était mariée le 3 avril 1399 ; et le 20 décembre suivant, elle avait ac- couché d'un fils, Jacques Tarapel. A quatorze ans, Jeanne Requin eût été bien jeune pour être mère.

DE J. J. ROUSSEAU 9

le samedi 12 février 1614, el la déposition du mari de la dé- funte fut la première qu'on entendit.

Suitte des informations. Du 14 febvrier 1614.

Item : Honnesle Humbert, fils de feu Jaques Tarapel, ci- toyen, passemantier, aagé d'environ 40 ans, juré, et inquis de dire ce qu'il auroit ouy dire de la bouche de feu Jeanne, sa femme, affligée des malins esprits,

A dict et déposé que dés l'Escalade, sa femme auroit esté af- fligée : tous ses nerfs de ses membres se retirants, avec de grandes langueurs, ayant des convulsions qui luy ranversoyent la teste, et durant laquelle langueur elle seroit demeurée jus- ques au 15 décembre dernier; et ung mois ou six sepmaines auparavant, lesd. malins commencèrent à parler, disant qu'ils estoyent dix ; et que Marie, vefve de Jaques Bourgeois, les avoit mis dedans pour quinze ans, par ung dimanche, en ung souppé, par le souffle ; et disoyent qu'elle estoit leur maistresse. El ung jour, entre autres, quelques-ungs les interrogants, di- sants qu'elle n'estoit en ville, qu'elle estoit à Ournex : disoyent qu'ils en avoyent menti, et qu'elle fîloit soubs sa cheminée ; et que si elle estoit prise, elle confesseroit, pourveu qu'elle toucha point de verrouil.

Adjouste se resouvenir avoir ouy dire à la femme du sieur Pierre Planchamp que lad. soufïroit qu'on l'appelast sorcière, et qu'il gardast de l'hanter.

Répété, a persévéré ; et n'a signé pour ne sçavoir escrire.

Responses, faites en l'Evesché (1), de Marie,

allé de feu Jean Dubouloz,

vefve de Jaques Bourgeois, aagée d'environ 60 ans.

Du ri febvrier 1614.

Inquise pourquoi elle est détenue prisonnière? Resp. ne le sçavoir.

(1) De la maison de Tévêque, on avait fait la prison.

10 LA PARENTÉ

Inquise dés quel temps elle demeure en la rue du Bouloz ? Répond qu'elle est née en lad. rue (1).

Inquise si elle cognoit la femme de Humbert Tarapel ? Ré- pond qu'oui.

Inquise si elle sçait pas que lad. Tarapel est possédée des malings esprits? Respond que non.

Inquise si elle a pas mis les diables au corps de lad. Tara- pel ? Le nie.

Inquise si elle a pas ouï dire que les malings esprits que lad. Tarapel a dans le corps, disent que c'est elle qui les y a mis? Répond que non.

Inquise si elle mist pas les diables à lad. Tarapel ung jour de dimanche, souppant avec elle? Respond que non.

Si elle lui souffla pas contre la face? Respond que non.

Si elle cognoit pas Jeanne Court, vefve de Bernardin Dorci ? Respond que oui, et que ladite Dorci lui veut mal.

Pourquoi ladite Dorci lui veut mal ? Respond : A cause d'ung des enfans de la première femme du dit Dorci, qui est fillol dudit Jean-François Bourgeois son mari... Cest le seul point de son interrogatoire Marie Duboule ait fait autre chose que répondre oui ou non; et le greffier n'a pas su aller jusqu'au bout de V explication quelle a donnée, en sorte que nous voyons bien de qui, mais non pas de quoi il s'agit.

S'il est pas vrai qu'ung jor, la dite Dorci estant en la rue du Bouloz, se plaignant des sorciers, elle respondist : « qu'elle se teust; qu'on ne lui avoit encor point fait de mal; qu'elle n'avoit point de quoy se plaindre. » Respond que non.

Si elle sçait pas que les enfans de Andréa Cordier qui estoyent possédés des démons, l'acciisoyent d'estre sorcière? Respond n'en rien sçavoir.

S"il est pas vrai qu'elle s'est donnée au diable au crot d'Ournex? Respond que non.

(i) La rue du Boule, aujourd'hui rue de la Fontaine, était alors un nid de démoniaques. Eu 10U7, ou rapporta au Consistoire « qu'il y a plu- sieurs démoniaques en la rue du Boule, jusqu'au nombre de dix et sept ». {Les Possédés et les Démoniaques à Genève, au XVII' siècle, par M. La- dame : Etrennes chrétiennes, Genève, 1892.)

DE J. J. ROUSSEAU H

S'il est pas vrai qu'elle a promis au diable, de censé annuelle, ung franc ? Hespond que non.

S'il est pas vrai que les enfani de la Pestremande lui crioyent « sorcière ! » en la rue du Bouloz, et disoyent qu'elle avoit baillé le mal à M'« Abel La Roche, dont il est mort? Respond que non.

Inquise si elle à pas heu à son service une chambrière, nommée Elisabet Bourgeois? Respond qu'oui, et qu'elle est encor en son service.

Si elle lui a pas dit ung jour qu'on la soubçonnoit d'estre sorcière? Respond que non.

Si elle respondist pas : « Si j'y suis, c'est-à-dire : si je le suis, ils en sont cause. » Respond que non.

S'il est pas vrai qu'elle auroit baillé les démons à ladite Tarapel, dès l'Escallade? Respond que non.

S'il est pas vrai que la femme de Thiven JVIavoex, fournier, se disputoit avec elle de ce que les diables disoyent qu'elle lui avoit voulu mettre deux dialDles dans le corps; et si elle lui dit pas qu'elle ne craignist rien, qu'elle ne lui vouloit point faire de mal. Respond qu'elle n'a jamais eu querelle avec la dite Mavoex.

Inquise s'il est pas vrai que diverses personnes l'ont appellée sorcière en pleine rue ? Respond que non, et qu'elle ne l'aurait enduré.

Du 16 febvrier 1614.

Suitte aux informations contre la vefve

de Jacques Bourgeois, détenue prisonnière pour crime

de sorcellerie.

Item, Mermet, fils de Claude Charbonnier, bourgeois, aagé de 40 ans, inquis par serment de ce qu'il sçait des malversa- tions de lad. vefve,

A dit et déposé avoir, dés longues années en çà, ouï nommer la dite vefve Bourgeois sorcière, et que communément, on la tient et réputé pour telle. Et que dez environ trois ou (juatre années, sa femme a esté aflligée d'une maladie griefve, et extraordinaire, qui la saisit dez qu'elle eust beu et mangé

12 LA PARENTÉ

avec ladite vefve Bourgeois, un certain jour qu'icelle Bour- geois apporta du vin et des torciies (gâteaux) chez led. déposant pour boire avec sad. femme, laquelle a tousjours creu que lad. Bourgeois luy avoit causé lad. maladie, de laquelle, au bout desd. quatre années, elle est morte (1) en ceste cité : qu'est tout ce qu'il en sçait,

Item, Robert, fils de François Brechu, d'Ornex, aagé d'en- viron cinquante ans, juré et inquis comme le précédent,

A dit et déposé ne sçavoir rien des malversations de lad. vefve Bourgeois, en façon ni manière quelconque, pour ne l'avoir fréquentée.

Item, Sara, fille de feu Anthoine Ândrion, aagée d'environ 52 ans, natifve de ceste cité, après serment preste, inquise comme les précédents,

A dit et déposé que lad. vefve Bourgeois a souvent beu et mangé avec elle en sa maison elle venoit souvent; et qu'elle est affligée d'une maladie fort estrange et extraordinaire qu'elle présume et croit luy avoir esté causée par le moyen de ladite vefve Bourgeois : ne veut toutesfois affermer que ce soit elle qui la luy ayt baillé. Sçait aussi lad. déposante le bruit estre que lad. Bourgeois est sorcière. Adjouste que parfois elle qui dépose hurle comme les chiens.

Item, Andrée, fille de feu Robert Messier, aagée d'environ 60 ans, de Ville-la-Grand, et habitante de ceste cité, jurée et inquise comme les précédents,

A dit et déposé qu'un jour lad. Bourgeois, l'ayant appelle, elle alla en sa maison, oii elle lui bailla à vendre une couverte (couverture) rouge (2); laquelle ayant vendu, luy bailla l'argent. Et se fascha lad. Bourgeois contre elle qui dépose, à cause qu'elle avoit tesmoigné contre la tante d'icelle Bourgeois, et luy souffla contre : dont luy survint

(1) Mermet Charbonnier^ vinaigrier, après la mort de sa première femme, dont il est ici question, s'était remarié le 20 décembre 1612 avec Madeleine Essautier, fille de Mathieu Essautier, ministre de la Parole de Dieu à Gollonges-sur-Bellerive, et nièce du célèbre théologien Sébastien Ghastillon.

(2) Andrée Mercier, veuve Cordier, était fripière, comme nous le ver- rons plus loin.

DE J. J. ROUSSEAU 13

une telle maladie qu'elle avoit la teste toute pleine de petites bosses; et luy sembloit que des fourmis luy couroyent par dedans; à cause de quoy, il luy estoit nécessaire de se faire à tous coups visiter la teste.

Sur quoy, un jour la Pernette Désire, qui lors estoit possédée des démons, luy dit en ces termes : « La Bourgeoise t'a baillé ce mal. » A quoi lad. déposante respondit : « Tu es un menteur; tay toy. » Sur quoy luy fut respondu : « Tu mens toy mesme; tay toy; elle t'a baillé la maladie. »

Adjouste la d. déposante sçavoir que les enfans qui estoyent possédez des démons, et autres, l'appelloyent sor- cière ; et autre ne sçait.

A depuis adjouste à sa déposition que les démons qui estoyent dans le corps de ses enfans et de ceux de la Petre- mande {disoient) que lad. Bourgeois avoit tué son mari, après l'avoir fait longtemps languir.

Item, Robelle, fille de Mamaz Foillex, femme d'Amy Taponnier, aagée d'environ cinquante ans, jurée et inquise comme les précédens,

A dit et déposé avoir ouï dire aux filles de l'Andrée Cordier qui a cy-devant déposé, lesquelles estoyent possédées des démons, que la dite Bourgeois avoit voulu mettre des démons dans le corps d'elle qui dépose.

Adjouste sçavoir que la dite Bourgeois est réputée commu- nément en toute la rue estre une sorcière. Autre a dit ne sçavoir.

Du vendredi 18 febvrier 1614.

Les 4 Seigneurs syndiques (1).

Rilliet, Golladon, Baudichon, Fabri, Mestrezat, Savion, Dansse, Botillier, Mailliet, Larchevesque, Du Gest, Lullin, Butini, Rigot, Voisine, Roset, Galiffe, De la Rive [membres du Conseil des XX V].

(1) Les syndics de cette année étaient Dominique Gliabrey, Jean Du Pan, Jean Sarasin (l'auteur du Citadin genevois) et Abraham Maillard.

14 LA PARENTE

Réponses de Marie, ôlle de feu Jean Duboule

vefve de feu Jaques Bourgeois, citoyen de Genève,

âgée d'environ 60 ans.

Inquise du temps et cause de sa détention ?

R. Dez sabmedi ; et ne sçavoir la cause.

Si elle cognoist la femme de Tarapel?

R. L'avoir gardé les vignes.

Si elle sçait qu'elle est possédée des malins?

R. Ne sçavoir ; bien, que longtemps avant l'Escalade, elle se plaignoit d'avoir une foulure.

Si elle sçait pas qu'elle se plaind qu'elle luy a donné les malins, et s'en plaind?

R. N'en sçavoir rien ; et nye les luy avoir baillé, et en est innocente; ni ha jamais parlé avec la femme deThivenMavoix sur quelque chose qu'elle aye peu dire, et ne croid qu'elle le die.

Si elle sçait qu'il y ait des diables?

R. Que Dieu l'en garde, de le sçavoir !

Si dez longtemps elle sçait pas estre soupçonnée, au voisi- nage, d'estre sorcière?

R. Que non. Que Dieu la garde de l'abandonner jusques !

Si elle a pas porté du vin et torches chez la femme de Claude Charbonnier sa voisine ?

R. Avoir beu une fois avec son mari en l'allée ou boutique de leur maison, eux l'ayans appellée.

Si elle y porta pas du vin et des torches ?

R. N'en avoir souvenance.

Si après qu'elle (sa voisinej en eust mangé, elle se trouva pas mal, et a langui, et en est morte ?

R. Ne sçavoir.

Si par plusieurs fois elle a beu avec Sara, fille d'Anthoine Andrion?

R. Nye avoir mangé en sa maison, sauf une fois avec son mari ; elle revenoit des champs.

Si après avoir souvent mangé avec elle, elle est pas tombée en une maladie estrange?

DE J. J. ROUSSEAU 15

R. Ne sçavoir.

Qu'elle confesse qu'elle luy a baillé la maladie !

U. Qu'elle en est innocente, comme l'enfant qui est au ven- tre (le la mère !

Si une fois elle bailla pas à Robert Mercier une couverte pour la vendre?

R. Ne le cognoistre, et n'avoir baillé aucune couverte à vendre. Robert Mercier était mort ; c'est sa fille qui avait été chargée de vendre la couverte; le juge s'est mépris en posant la question, et Marie Duboule en profite pour tout nier.

Si elle s'est pas faschée avec l'Andrée Gordier, pour ce qu'elle disoit qu'elle avoit baillé le mal à sa tante?

/?. Que non, et qu'elle n'estoit en ville.

Si elle luy souftla pas contre : dont elle luy advint une ma- ladie, qu'elle estoit toute entle ?

R. Que non.

Si Pernette Désire, démoniaque, luy dit : « La Bourgeoise t'a baillé ce mal » ?

R. Qu'elle ne sçait que cela est, et nye leur avoir jamais parlé, ny ouy parler ; et ne s'arreste tant en la rue.

Si les enfans de Robert Mercier, lisez : les enfants de la fille de R. M. démoniaques, lui disoyent qu'elle luy avoit mis les diables?

R. N'en avoir jamais ouy parler, ni qu'ils l'ayent appellée sorcière, et ne l'eust enduré.

[Si elle] cognoist la femme d'Amy Taponnier ?

[i?...j et ni jamais ouy que les enfans de l'Andrée Gordier ayent dit qu'elle luy avoit donné les malins.

Qu'elle recognoisse ses faultes !

R. Qu'elle ne commit telles meschancetés !

A ce second interrogatoire, Marie Duboule, au lieu de j'épondre comme au précédent par de simples négations, s'explique un peu davantage. Mais ici encore, on remarque chez elle une raideur laconique, indice peut-être d'un carac- tère peu commode : ce qui expliquerait celte atmosphère d'antipathie dont elle était évidemment entourée.

16 LA PARENTÉ

Dans les réponses courtes et hachées de Marie Duboule, il y en a eu une qui a plus particulièrement embarrasser le lecteur. A la question : Connaissez-vous la femme de Tarapel? le greffier a noté la réponse en ces termes : L'avoir gardé les vignes. Cette phrase écourtée et mal agencée ne nous dit pas à qui étaient les vignes, et laquelle de ces deux femmes était chargée de les garder. Mais les pièces du procès établissent que Marie Duboule avait toujours des propriétés à Ornex ; Jeanne Requin, au contraire, avait vendu les vignes qu'elle avait héritées de ses parents : c'est donc celle-ci qui était allée chez sa cousine, faire un séjour à la campagne, pendant lequel elle se rendait utile en gardant les vignes aux appro- ches de la vendange.

Mais il n'est pas sans intérêt de faire ici une digression pour analyser l'acte de vente des vignes et des autres pro- priétés rurales de Jeanne Requin : il nous donne des renseigne- ments précieux sur une famille qui figure dans l'ascendance de J. J. Rousseau. Cet acte est un des manuscrits, encore non classés, que possède la Société genevoise d'Histoire.

Les Requin possédaient à Loëx, au bord du Rhône, des maisons, courtil, grange, benoge, champs, prés, chenevier, et plusieurs pièces de vigne. Le père, François Requin, et la mère, Pernette Rourgeois, étaient morts tous les deux, laissant quatre filles, l'aînée desquelles avait épousé Samuel Rernard, marchand; qui fut nommé tuteur de ses belles- sœurs. D'accord avec sa femme et avec les conseillers tutélaires des trois jeunes filles, il avait adressé au printemps de 1597 plus d'une requête au Conseil de Genève, pour demander la liquidation des biens de l'hoirie :

«... La dite hoirie est chargée de grands dettes passives, portant censé et intérêts : qui excède le revenu des biens, tellement que peu à peu les dits intérêts minent le capital d'icelle;...

DE J. J. ROUSSEAU 17

«... Se Irouvant les dits hoirs chargés de grands dettes, pour lesciiiels payer et satisfaire est expédient de vendre le bien rural ;...

«... Considéré que le bien est en friche, gisant rière le bailliage de Ternier, il (Samuel Bernard) ne peut bonnement cultiver;

«... Feu François Requin, luy vivant très humble citoyen, n'a laissé que des filles, ausquelles les immeubles réduits en deniers leur profiteront plus qu'autrement;... l'acheteur d'iceux payera les créditeurs en premier lieu ; et le reste du prix de son achept luy sera laissé entre mains pour payer les dottes des filles restantes à marier... »

Ainsi fut fait. Noble Philibert Humbert, l'un des créan- ciers, se rendit acquéreur du tout au prix de 2.900 florins. Notons qu'il avait prêté aux orphelines 316 florins au taux de 8 0/0: et que, devenu débiteur du solde du prix de son achat, comme il est dit ci-dessus, il ne leur servit qu'un intérêt de 5 0/0. C'était un usurier. Mais revenons à notre Marie.

Du 19 febvrier 1614. Répétitions et confrontations de Marie Duboule.

Les seigneurs syndiques.

Rilliet,Colladon, Fabri,Favre, Barrilliet, Mestrezat, Savyon, Dansse, Botillier, Mallet, Du Gest, Lullin, Butini, Rigot, Voisin, Roset. Guait, procureur général (1).

Si elle s'est réadvisée de dire la vérité?

R. Ne pouvoir dire ce qu'elle ne sçait pas.

Si elle veult pas recognoistre ce qu'elle [a] nyé hier, estre véritable? Notamment de la ïarapel? R. ne sçavoir que cela est, et ne peut estre convaincue que par faux tesmoins.

(i) Pour le dire en passant, ce procureur-général était aussi de la parenté de J. J. Rousseau. Son père était le cousin germain d'égrège Jean Golomb-De la Rive, qui lut quintaïeul du philosophe de Genève, et grand-père du notaire Dunant. dont nous parlerons tout à l'heure.

18 LA PARENTÉ

Luy ont esté confrontez Jeanne Court ; Pernette, femme de Thivent Mavoex ; Bernarde, femme d'Estienne Paccard ; Humbert Tarapel ; Mermet Charbonnier; Sarra Andrion.

N'a objecté contre eux, sinon en tant qu'ils ne parlent contre elle; et objecte contre la femme du dit Paccard, pour une camisolle qu'elle ne luy a voulu bailler ; et contre la vefve Dorci, parce qu'elle luy veult mal.

Et néantmoins luy ont soustenu leur déposition.

La dite Paccard adjouste que le mari de la femme Bour- geois, avec sa mère, demanda un livre; lequel baillé, il escripvit un billiet qu'il mit à la dite Marie en la main; qu'il disoit qu'il luy serviroit un jour; elle le brusla.

Elle a persisté que telles accusations contre elle sont faulces.

Du 2ie febvrier \&\i.

Item, Marie Frerio, femme de Jean Badière, tailleur d'ha- bits; fille de feu Sp. Jean Frerio, ministre de la Parolle de Dieu à Neufchastel, aagée d'environ septante-trois ans ; la- quelle, inquise par serment comme les précédentes,

A dit et déposé qu'il y a environ quattre ou cinq ans qu'es- tant au milieu de la rue du Boulle, en yvert, au devant de la maison de lad. Bourgeois, et devisant avec elle, unne grosse aragne luy monta par dessoubz sa robbe jusques au-dessus de sa jarretière : de quoi s'estant apperçeiie, elle la secoua en bas, et demanda à lad. Bourgeois d'oîi pouvoit venir ceste aragne, et que c'estoit chose bien estrange de voir des aragnes en yvert, courir parmi la rue ! Lors icelle Bourgeois lui res- pondit qu'elle venoit de quelque maison proche de ; et quelque temps après, lad. déposante devinst malade d'une apostume au-dessoubz du bras, dont elle endura de grandes douleurs; et lui fust dit par le chirurgien qui la pansoit que sy ce fust esté en temps dangereux, lad. playe se fust con- vertie en peste ; qu'est tout ce qu'elle en sçait.

DE J. J. ROUSSEAU 19

Du 25" de fcbvTicr 1614. Suitte d'informations contre lavefve de Jaques Bourgeois.

Item Françoise (1), femme de Guichard Dumarcez, aagée d'environ 45 ans ; laquelle, suivant le serment par elle preste, et inquise de ce qu'elle sçait des déportements de la dite v^ Bourgeois,

A dict et déposé ne sçavoir autre d'elle, sinon qu'il y a en- viron deux ans qu'ung certain personnage nommé Jeanthon Charbonnier, du lieu d'Ournex, et voisin au dit lieu de la dite v** Bourgeois, estant iceluy Charbonnier venu en ceste ville, et divisant avec la déposante, luy dict que par delà on disoit que la dite Bourgeois estoit sorcière; item, que quel- ques jours après, icelle seroit venu trouver la dite dépo- sante, et luy auroit demandé que c'est que le dit Jeanthon lui auroit dict d'elle : ce que ne luy voulant déclarer, icelle déposante mesme luy disant que le dicl Jeanthon ne luy avoit rien dict, icelle vefve luy dict que sy, et qu'elle le sçavoit bien qu'il avoit parlé d'elle, et qu'elle eust à le déclarer ! Ne pou- vant icelle déposante juger d'oii la dicte vefve pouvoit sça- voir les propos que le dict Jeanthon avoit tenu d'elle, veu qu'elle ne l'avoit dict à personne. Déclare aussi que dés ce temps-là, se doubtant icelle déposante de la dicte vefve, se se- roit à plusieurs fois informée de ceux d'Ournex que c'est qu'on appercevoit de la dicte vefve : lesquels luy auroient dict et déclaré qu'on la soupçonnoit d'estre sorcière, et qu'elle s'estoil donnée au diable en venant en ceste ville, au creux d'Ournex ; et autre n'a dict.

Item, hoLnneste] Anthoine Roget, habitant de ceste cité, aagé d'environ quarante ans; lequel, juré et inquis comme la précédente,

A dict et déposé ne sçavoir autre, de la dicte vefve, sinon qu'il y a environ quatre mois que la femme d'ung nommé Tarapel, passementier, estant possédée des malins esprits, il

(1; Françoise, fille de Pierre Certon (alias Sorton) de Sergy, avait épousé, le 16 juillet 1392, Guichard, fils de feu Bry Dumarçay, labou- reur et soldat, habitant.

20 LA PARENTÉ

fut dict, à la porte le déposant estoit de guarde, par Che- villiard et Claude Destral, que c'estoit la dicte qui avoit mis les dicts malins esprits au corps de la dicte femme Tara- pel ; et avoir par plusieurs fois ouy dire à ceux du village d'Ournex la dicte vefve habite, qu'icelle estoit tenue pour une sorcière. Et autre n'a dict.

Item Claude Destral, habitant de ceste cité, aagé d'environ ans; lequel, juré et fnquis comme les précédents,

A dict et déposé ne sçavoir autre, sinon qu'il y a environ quatre mois qu'il a ouy dire à ung nommé Tarapel, passe- mentier, demeurant en la maison de monsieur le Scindique Mailliard, que les malins esprits dont sa femme estoit pos- sédée disoyent que c'estoit la dicte v*^ Bourgeois qui les avoit mis au corps de la dicte femme, et qu'aussy ils disoyent que c'estoit la dicte v^ qui avoil faict mourir M""*^ Abel, le portier. Et autre n'a dict.

Du 26« de febvrier 1614.

Chabrey, Du Pan, Sarasin, Malliard.

Rilliet, Colladon, Favre, Fabri, Barilliet, Savyon, Dansse, Botillier, Malliet, Larchevesque, Du Gest, Lullin, Butiny, Rigot, Voisin, Roset. Guaict, procureur-général.

Répétitions de Marie Duboule, sur nouvelles informations.

Si elle s'est réadvisée de dire la vérité?

R. qu'elle ne sçait que cela est, et qu'il ne fault croire au diable, lequel est menteur.

Si elle cognoit Janton Charbonnier, d'Ornex ?

R. que ouy. Ni jamais [n'avoir] demandé à personne que c'est qu'il disoit d'elle, ni avoir dit à la Guicharde qu'elle sçavoit bien qu'il avoit parlé d'elle, ni aussi luy avoir requis de desclairer ce qu'il en avoit dit. Ni jamais [avoir] esté soupçonnée à Ornex d'estre sorcière; et ne sçait est le creux d'Ornex, elle est chargée de s'être donnée au diable.

Nye sçavoir que les diables disent qu'elle les aye mis au corps de la femme de Tarapel.

Nye avoir baillé mal à la femme de Jean Bandières, et ne

DE J. J. ROUSSEAU 21

la cognoist. Et no sçail de quelle aragnée elle parle ; et ne sçait rien de ce qu'elle dit, et ne la cognoist. Remise à lundi.

Registre du Conseil, du mardi 1®'" mars 1614.

Marie Du Boulez, d'Ornex (1), vefve de Jacques Bourgeois, détenue pour souspeçon de sorcellerie. Arrêté qu'elle soit appliquée à la question.

La question ordinaire, à Genève, était l'estrapade : supplice le patient, les mains liées derrière le dos, était suspendu à une corde qu'on faisait passer sous ses aisselles, et sur une poulie fixée au plafond; le bourreau élevait le patient jusqu'à une certaine hauteur, et à un moment donné, lâchait brusquement la corde : le corps tombait, d'une vio- lente secousse, sans pourtant que les pieds arrivassent à tou- cher terre.

Après avoir fait soufïrir au patient cette torture une première fois, on pouvait réitérer (2). Des condamnations à trois traits de corde étaient fréquentes.

Du l^'- mars 161 i.

Répétitions par torture de Marie Duboule.

Qu'elle confesse la vérité; et si elle a pas donné le mal à la femme de Tarapel ? Le nye, et ne sçait rien de tout ce qu'elle a esté inquise.

(1) La famille de Marie Duboule était du village de Jussy, au pied des Voiroas ; mais elle avait hérité des propriétés, champs, prés et vignes, que son mari Jacques Bourgeois possédait à Ornex. (Benoit Mantelier, not« 1, 36.)

(2) Dans les pièces du procès d'une sorcière qui fut brûlée à Viry, en Savoie, au mois de novembre 1334, je relève ce passage : fuit ad crastimim diem per dominum inquisitorem remissa, receptura tantas strapadas donec veritas ab ejus ore oriatur : c'est-à-dire que les « traits de corde » devaient se succéder jusqu'à ce que la sorcière eût fait des aveux. (Procès de sorcières, documents publiés par M. César Duval : Bulletin de l'Institut genevois, XXIV, 329.)

22 LA PARENTÉ

Eslevée, crie : « Seigneur, ave pitié de moy ! On me fait grand tort. Alarme ! Seigneur, aye pitié de moy ! »

Laschée, persiste à nyer, et que ce sont faux tesmoins. Et ne sçauroit dire aultre, et ne dira aultre.

« Que c'est la Pacarde qui fait dire au diable ce qu'elle veult. »

On voit qu'on ne donna à Marie Duboule qu'un seul « trait de corde ». On peut croire que le magistrat qui arrêta ainsi le bourreau, lui avait dit aussi de ménager la pauvre femme. Le fait est que si les préparatifs de la torture lui arrachèrent des cris d'épouvante, la souffrance ne fut suivie d'aucun aveu ; elle aura sans doute été supportable.

Registre du Conseil, du mercredi 2 mars 1614.

Marie Dubouloz, n'ayant rien confessé, après avoir receu une estrapade suivant l'arrêt d"hier, arresté qu'elle soit bannie, à peine de la vie.

Nous avons vu dans les interrogatoires combien Marie Du- boule était crainte et par conséquent haïe de tout son voisi- nage, et de sa parenté même, puisqu'on lui attribuait la mort de son cousin Abel De la Roche et de sa cousine Jeanne Ta- rapel : dans cet état des esprits, il fallait qu'elle quittât la place; l'arrêt du Conseil était précisément le conseil qu'un sage ami eût donné à notre Marie; elle n'avait plus qu'à s'en aller.

Une sentence analogue, rendue au mois de novembre 153i par un frère de l'Ordre de saint Dominique, inquisiteur en Savoie, contre une sorcière du village de Viry, qu'il con- damne au bannissement, exprime cette idée sans ambages : Et quia convivere non potes pacifice cum vicinis tuis, ideo te bampninms a toto territorio... (Procès de sorcières, documents publiés par M. César Duval : Bulletin de VInstitut genevois, XXIV, 343).

DE J. J. ROUSSEAU 23

A Paris, la jurisprudence tHait la même. Dans son Apologie au Roy (162o) le poète Théophile parle des arrêts « qui souvent interviennent aux procez de sortilège, lorsque vos premiers juges ont condamné à mort des pauvres paysans idiots : le Parlement, qui est l'azile de l'innocence, justifie ces misérables, et neanlmoiiis, sur la difïamation, les bannit du lieu de leur demeure. C'est une nécessité de la police, contre laquelle je ne murmure point. »

Notre Marie sortit donc de la ville, et passa ses derniers jours dans quelque village : Ornex ou Jussy ? nous ne savons pas.

Cet exil elle ne s'en doutait pas a été très heureux pour elle. Car si elle fût demeurée à Genève, et que son pro- cès n'eût éclaté que l'année suivante, elle ne s'en serait pas tirée à si bon compte. En 1615, la peste entra dans notre ville : aussitôt les procès de sorcellerie se mirent à pleuvoir. Il y en eut plus de vingt cette année-là ; on brûla vifs deux sorciers et trois sorcières ; une accusée s'étrangla dans la pri- son pour éviter le feu (1), Et les tortures qui précédaient la mort étaient données cette fois sans ménagement, comme on le voit au registre du Conseil du 23 septembre 1615 :

« La Coilloda, la Goulavina, Jeanne Baud, détenues pour crime de sorcellerie, et n'ayant voulu confesser à la question, arresté qu'elle soyent suyvies, c'est-à-dire qu'on les remette à la torture et soyent veillées, en sorte qu'elles demeurent vingt-quatre heures sans dormir. »

En feuilletant le dossier d'Ayma Mange, une des trois sorcières qui montèrent sur le bûcher en 1615, j'ai retrouvé le nom d'Andrée Cordier, une des femmes qui en voulaient à notre Marie, et qui avaient déposé contre elle :

(I) M. le docteur Ladanie a publié le Procès criminel de la dernière sorcière brûlée à Genève, le 6 avril i652. BiJjliotlièque diabolique, tome VII, Paris, 1888.

LA PARENTÉ

« Du mardi 17 octobre 1615. Ayma... [Mange] estantes prisons, condamnée à la mort pour crime de sorcelerie, sur l'exhortation des ministres de la parole de Dieu, a déclaré

pour descharge de sa conscience, qu'elle a soufflé contre

l'Andrée Gordier, en la rue du Boule, en pleine rue, irritée de ce que la susd. Gordier ne luy vendoit à assez bon marché quelques besoingnes; dont est suyvi que la susd. Gordier est morte de peste ». (1)

(Procès criminels. Dossier 2296.)

M. Ladame, dans un article cité plus haut (Les possédés^ etc.) a rapporté une curieuse anecdote sur cette Andrée : avec trois autres commères, pour découvrir qui avait ensor- celé le fils de l'une d'elles, elles avaient « mis du sel dans une casse, et icelle fricassé; lequel ladite Gordier brassoit avec un baston de bois : pendant quoy, celuy qui a mis les diables au corps des personnes, brusle, et ne se peut arrester en un lieu ; et faut qu'il coure de lieu en lieu. »

II.

Mon second récit sera plus court que le premier. On lit dans le registre du Gonsistoire de Genève, à la date du jeudi 31« novembre (sic) 1614 :

« A esté rapporté que la chambrière de François Dunant, notaire, s'estant précipitée au Rhosne ; dont le supplice c'est-à-dire : la mort s'en est ensuyvi, et que telle précipi- tation est advenue parce que le dit Dunant et sa femme auroyent grandement battu la dite chambrière : comme est apparu par les informations de ce prises. »

Les « informations de ce prises » ne se retrouvent pas aux

(1) Registre des morts, du jeudi 14 septembre 1614. Andrée, vefve de défunt Alexandre Gordier, morte pareillement [de contagion] en la dite rue [du Boule], estant gagière [fripière], et aagée d'environ cinquante-cinq ans.

DE J. J. ROUSSEAU 25

Archives; nous n'avons que quelques mots du registre des morts :

u Vendredi S'' décembre 1614. Françoise, fille de feu Pierre Bonjour, de Sechan (lisez : Echichens) au bailliage de Morges, âgée de 30 ans; morte par une maladie extraordi- dinaire, dés mardi dernier, possédée des démons, chez son cousin maître Michel Bonjour, officier de monsieur le Lieu- tenant, demeurant en rue de Boé; (elle a été enterrée) sur les 10 heures, ce matin. »

Le registre du Consistoire, du jeudi 8 décembre 1614, ajoute quelques détails au récit de cette aventure :

« Comparaissent François Dunant, notaire; Judith, sa femme (1); appelles pour respondre d'une leur servante qui fut trouvée mardi sur le port, morte, s'estant précipitée. Et qu'il y a eu des voisins qui ont déposé que la dite cham- brière avoit été fort battue par sa maistresse, mesmes à l'heure de minuit,

« Respondent que, après soupper, comme sa maistresse la reprenoit de ce qu'elle rudoyoit son enfant, elle luy respon- dit en diabliant (jurant) que non. Reprise de cela, dit qu'elle ne disoit rien que ce qu'elle avoit apris en la maison : dont s'irritant, elle frappa la dite chambrière qui s'écria grande- ment, et sortit à diverses fois de nuit, et fut rappellée de la rue ; puis, sur l'heure du matin, s'alla précipiter au Rhosne, à leur grand regret.

« L'avis a été de les exhorter à gémir de ce qui est advenu en leur maison, pour l'expier par prières à Dieu ; et à l'ad- venir en faire leur profit à l'endroit des chambrières qu'ils auront ».

(1) Elle s'était mariée à {% ans, en 1604 ; elle avait deux filles, de cinq ans et de trois ; elle allait. Tannée suivante, avoir une troisième fille qui fut Tune des bisaïeules de Jean-Jacques Rousseau.

26 LA PARENTÉ

Suivent deux tableaux généalogiques

se voient les liens de parenté qui rattachent à Rousseau

nos deux héroïnes, Marie Duboule et Mdith Chouan.

Tivan (1) Bourgeois.

André Bourgeois, Pernette Bourgeois, citoyen, couturier, f 1595,

t 1580, femme, en 1568,

ép. Jeanne Farquant. de François Requin.

Jacques Bourgeois Jeanne Requin, Pliiliberte Requin,

ép. en 1582 femme, en 1599, de femme, en 1593,

Marie Duboule. Humbert Tarapel. de Samuel Bernard.

I Samuel Bernard

ép. en 1629

Louise Lemaire.

I Jacques Bernard

ép. en 1672

Anne-Marie Machard.

1 Suzanne Bernard,

femme, en 1704,

de Isaac Rousseau.

I Jean-Jacques Rousseau.

(1) Tivaa (ou Thivent) est une forme locale du prénom Etienne (Ste- phanns).

DE J. J. ROUSSEAU 27

Egrége François Dunant (1), notaire, épousa en iGOï Judith Chouan.

1 .liulilli Dunant,

femme, on 1638, de Jaciiues Cartier.

Suzanne Cartikr, femme, en 1666, de David Rousseau.

I Isaac Rousseau

épousa en 1704 Suzanne Bernard.

I Jean-Jacques Rousseau.

(1) La généalogie de la famille Dunaat, de Bellossy, est au tome II des Notices de Galitïe. Les Archives de Genève possèdent dix volumes de minutes du notaire François Dunant.

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7177. Annecy. Imprimerie Abry,

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DU MÊME A LITE U H :

La Famille el la JetnipKxe de .1. J. Rousseau. Paris, iili. Huclii'Ue, Isy VII et ."iOT pa.ges. (Ouvrajie couronné par rAcadéiiiie française).

Jean-Jacques et le Pays romand. Préface. Vie de Hoii.sseau. Extraits i ses OEiivres. La vieillesse de Jean-Jacques, par Bernardin de Saii Pierre. Genève, 1878, xcvi et loi pages.

Le Conseil de Genève, jugeant les œuvres de Rousseau, Genève, i88 15 pages.

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Revue critique, 24 octol)re 189S. Lettre à d'Alenihert sur les spectach Compte rendu des éditions de iM.M. Fontaine (1889). Brunel (1896^ Latiargou (1897).

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