L 6809000 I9ZI € Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa htip://www.archive.org/details/laquatrimesess00bamp + à r L iv _ FFC LA he SESSION DIN (ATNAL DES AMERICANISTES L'Exposition de la Flore du Nouveau-Monde ET L’EXPOSITION DES ANTIQUITÉS AMÉRICAINES A MADRID (25-28 septembre 1881) EP PE RE N DU . présenté à la Société belge de Géographie, le 31 janvier 1882 PAR ANATOLE BAMPS membre du Comité central de la Société belge de Géographie délégué du Gouvernement belge au Congrès de Madrid secrétaire général du Congrès international de Bruxelles (1879), ete. x * e exE LR PT RP See LEE Z k, F2 - ice 2 Ve CH. VANDERAUWERA RUE DE LA SABLONNIÈRE, 8 1882 A 24. U'- POPD LATE É 5 + Chabal de. 2 Mapisl LH de FA EE A Lib: ME POLE *. 4 LA QUATRIÈME SESSION CUNGRES INTERNATIONAL DES AMERICANISTES L'Exposition de la Flore du Nouveau-Monde ET L'EXPOSITION DES ANTIQUITÉS AMÉRICAINES A MADRID (25-28 septembre 1881) ONE TERRE NDU présenté à la Société belge de Géographie, le 31 janvier 1882 ANATOLE BAMPS membre du Comité central de la Société belce de Géographie délégué du Gouvernement belge au Congrès de Madrid secrétaire général du Congrès international de Bruxelles (1879), etc. —“ $ —<— — Bruxelles TYPOGRAPHIE Ve CH. VANDERAUWERA RUE DE LA SABLONNIÈRE, 8 1882 SRE ANS R A R > AAY 1 8 1976 LJ . BRUXELLES. — Ime. er Lira. Ve Cu. VANDERAUWERA, 8, rue de la Sablonnière. I. — Les Préliminaires du Congrès de Madrid. EE: III. IV. Ve VE. — Le Congrès. — Les Fêtes. — L'Exposition de la Flore du Nouveau-Monde. — L'Exposition des Antiquités américaines. — Les Résultats du Congrès de Madrid. LA QUATRIÈME SESSION DU CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMERICANINTES ET les Expositions de la Flore et des Antiquités américaines, à Madrid LES PRÉLIMINAIRES DU CONGRÈS. Dans une assemblée générale du Comité d'organisation de la troisième session-du Congrès international des América- nistes, tenue au Palais des Académies, à Bruxelles, le 15 dé- cembre 1878, l'auteur de ces lignes prononçait les paroles suivantes : « La plus large part de la découverte du Nouveau-Monde, revient incontestablement à l'Espagne. Je ne sais par suite de quelles circonstances, assurément fàcheuses et déplorables pour le développement de l'œuvre des études américaines, le concours des savants espagnols ne fut point obtenu lors des. deux. premières sessions. Votre Commission exécutive a été d'avis qu'il y avait lieu de combler cette regrettable lacune. Pour ceux qui connaissent les savants travaux mis au jour par l'Académie royale d'histoire de Madrid ; pour ceux qui ont pu s'initier, même de loin, aux trésors de science que renferment 6 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. les Archives des Indes, de Séville, et les Archives historiques de Simancas, cette décision sera certes complétement approu- vée. Des démarches ont donc été tentées par le bienveillant intermédiaire de S. Exe. M. Merry del Val, ministre d'Espagne à Bruxelles, et elles ont eu un plein succès. Je suis heureux de pouvoir annoncer au Comité que la troisième session du ‘Congrès aura non-seulement l'appui moral du gouvernement espagnol, mais aussi le précieux concours scientifique de ses savants nationaux. » Ces paroles avaient été dictées par la certitude que la par- ticipation éclairée et active de l'Espagne pouvait avoir une immense influence sur les progrès et le développement de la science américaniste. En effet, arrivée à ses troisièmes assises internationales, la science, dont l'objet est l'étude de l'Amérique précolombienne, ne devait plus se contenter d’un rôle spéculatif, le temps était “venu de sortir des systèmes purement hypothétiques et de répudier les théories aventureuses. Tandis que, pour l'ancien monde, les patientes investiga- tions des savants tendaient à étendre chaque jour davantage l'horizon de l’histoire et à en reculer les limites sur le domaine préhistorique, la science semblait paralysée vis-à-vis de l'Amérique, ce monde nouveau, qui à lui seul forme un de nos deux hémisphères, et où le regard de l'historien se trouve cir- conscrit aux bornes étroites tracées par les glorieuses et paci- fiques entreprises de Christophe Colomb et de Fra Bartholomé de las Casas et par les conquêtes de Fernand Cortez et de François Pizarre. Et pourtant, quelle incommensurable lacune dans l'histoire de l'humanité que cette ignorance du passé du ncuveau continent et cette absence complète de toute donnée synchronique entre les temps précolombiens et les âges de l'ancien monde! Si, gràce à d'admirables découvertes et aux progrès modernes de la science, on est parvenu à reconstruire la notion historique pour tant de peuples depuis longtemps QUATRIÈME SESSION. 1 disparus ; si, malgré les nombreux obstacles accumulés à tra- vers les siècles par des traditions fabuleuses ou torturées, on a pu pénétrer jusqu'à la haute antiquité de ces civilisations étonnantes qui, comme celle de l'Égypte, paraissent remonter bien au delà de l'époque où l'on a coutume de placer la genèse de l'univers, pourquoi les recherches et les études sur l’Amé- rique n'auraient-elles point un égal succès ? Ces sciences con- temporaines auxquelles les Américanistes font maintenant appel : la géologie, l'archéologie préhistorique, la paléoñto- logie, l'anthropologie, la paléographie, la linguistique, refuse- ront-elles au nouveau continent les révélations dont elles ont été si prodigues dans l'ancien monde? Se peut-il que leur application demeure ineflicace pour arriver à la solution de certaines questions primordiales, telles que l'origine des races américaines, l'antiquité de l'homme et des sociétés en Amé- rique, les relations des aborigènes précolombiens avec les peuples du monde connu des anciens? Dans la science américaniste comme en toute autre, il faut procéder du connu à l'inconnu, et le connu, ici, ce sont les temps de l'Amérique voisins de la découverte et de la conquète. Les contemporains de ce fait culminant de l'histoire de l'huma- nité, qui vécurent au Nouveau-Monde, étaient seuls en situa- tion de préparer sûrement la voie à une connaissance scienti- fique de l'époque précolombienne. Les récits des premiers explorateurs, les rapports des premiers soldats, les études des fondateurs des premières colonies, les exposés des pre- miers gouverneurs, les renseignements fournis par les pre- miers missionnaires, tous ces documents de la première heure, toutes ces nombreuses archives contiennent les narrations obtenues de la bouche des aborigènes, le vocabulaire de leurs multiples idiomes, le tableau de leurs antiques coutumes sociales et la description de ces monuments grandioses dont les débris jonchaient déjà le chemin parcouru par les conqué- rants ou qui, malheureusement, se sont convertis en ruines 8 CONGRÈS INTERNATIONAL: DES AMÉRICANISTES. au choc de ‘leur épée. Peut-être le temps'a-t-1l dévoré une partie de ces précieux trésors scientifiques, mais tout ce qui subsiste s’est accumulé dans la Maison du Conseil des Indes, à Séville, et dans les dépôts nationaux de l'Escurialet de Simancas. D'ailleurs, à côté de ces richesses presque ignorées,; même dans la péninsule ibérique, l'Espagne possède une foule d'ou- vrages aneiens de la plus sérieuse valeur et encore inconnus : en dehors de ses frontières. Ils ont le tort d'être écrits dans la langue de Castille, qui est cependant, ainsi que le disait: avec raison le délégué du gouvernement espagnol au Congrès” dé Bruxelles, la langue de la découverte et de la conquête: C'est aussi ce qui a fait dire, non sans motif, il faut bien lei reconnaître, à un savant mexicain, D. Manuel Orozco y Berra; dans un ouvrage remarquable intitulé : Geografia de las len- quas y carta etnogräfica de Méjico, precedidas de un ensayo de clasificacion de las mismas lenguas, y de apuntes para las immigraciones de las tribus (Méjico, 1864), que la majeure partie des œuvres publiées en Europe sur l'Amérique prou- vent chez les écrivains de l'ancien monde infiniment plus de compétence dans l'histoire de la Chine et de l'Afrique centrale que dans celle du Mexique et des autres États américains: Pour peu qu'on s'occupe d’études américanistes, on doit en effet remarquer le petit nombre d'auteurs espagnols cités part les savants. Au milieu d'une bibliographie hispano-améri- caine réellement riche, c'est à peine si l’on rencontre la men- tion de deux ou trois anciens écrivains espagnols, et ce sont toujours les mêmes. Tout semble se borner à la connaissance des Comentarios de TInca Garcilaso de la Vega et de Herrera et à quélques citations de Gomara, Acosia et Fernandez de Oviedo. Alors qu'on peut voir, pour ne parler que des auteurs: anciens, dans l'excellent recueil publié en 1866 par sir Henry: Haïrisse, sous le titre Bibliotheca americana vetustissima, quelle importante source d'observations les livres espagnols: QUATRIÈME SESSION. 9 peuvent offrir aux américanistes, même par rapport à cette époque déjà reculée qui est comprise entre les années 1492 et 1555. C'est par la lecture attentive et l'étude des ouvrages de Montesino, Oliva, Balboa, Ulloa, Jorge Juan, Zarate, Figueredo, Holguin et de beaucoup d'autres, par la comparaison de ces ouvrages et par le contrôle auquel il sera possible de les sou- mettre après le dépouillement des nombreux documents imé- dits amoncelés en Espagne qu'on verra se dissiper ces ombres épaisses qui cachent sur le nouveau continent la vérité histo- rique à nos yeux. Cest ainsi qu'apparaîtra le fondement des accusations offensantes pour l'Espagne et si gratuitement lan- cées contre elle par certains écrivains, comme récemment encore par M. Charles Wiener, d'après lesquels les con- quêtes des Espagnols au Nouveau-Monde n'auraient eu d'autre but et d'autre résultat que l'exploitation et l'oppression des peuples américains. On était donc en droit d'espérer beaucoup de l'Espagne, de ses livres, de ses archives, de ses musées, de ses nom- breuses collections particulières et du bon vouloir de ses érudits; de cette Espagne qui en étendant dans d'énormes proportions le domaine physique de l’homme pouvait aider mieux que nulle autre nation à accroître dans des proportions analogues son domaine intellectuel, puisqu'elle seule a eu en quelque sorte le monopole des deux Amériques du xv° au xvi® siècle. Cet espoir ne fut point déçu. Le gouvernement espagnol répondit avec empressement à l'appel du Comité d'organisa- tion du Congrès de Bruxelles, et envoya comme délégué offi- ciel à ce Congrès M. Marcos Jiménez de la Espada, un savant dont la compétence en matière américaniste était connue et appréciée dans la Péninsule et dont la collaboration devait faire honneur à l'œuvre des études américaines. En outre, l’Académie royale d'histoire de Madrid désigna, pour repré- senter ce corps savant à Bruxelles, un de ses membres les 10 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. plus distingués, M. le professeur Fernand Corradi y Gomez, ancien ministre plénipotentiaire. Mais là ne se borna pas le bienveillant accueil fait par l'Espagne à l'invitation des orga- nisateurs du Congrès de Bruxelles. Les hommes éclairés qui dirigeaient les services de l'instruction publique, com- prirent immédiatement combien il importait au gouver- nement espagnol de participer avec éclat à une entreprise internationale dans laquelle leur pays se trouvait intéressé à tant d'égards, et mus par un sentiment patriotique, digne des plus grands éloges, ils décidèrent, sous l'inspiration de M. le comte de Toreno, alors ministre de Fomento, l’'éminent initiateur des Cartas de Indias, de saisir cette occasion pour donner au monde savant un spécimen des trésors scientifiques que renferme l'Espagne sur l'histoire colombienne et préco- lombienne de l'Amérique. À cette fin, M. de la Espada fut chargé de recueillir quelques œuvres importantes inédites que le gouvernement espagnol voulait faire publier à l’occa- sion du Congrès de Bruxelles, dans le but d'en offrir un exemplaire à chacun des membres de ce Congrès, et d'aug- menter ainsi d'une œuvre nouvelle la bibliothèque, assez pauvre encore, des Américanistes. On choisit trois relations d'anciens écrivains espagnols sur le Pérou, qui furent réunies en un très-beau volume, sous ce titre : Tres Relaciones de antigüedades peruanas. Publicalus el Ministerio de Fomento con motivo del Congresso Internacional de Americanistas que ha de celebrarse en Bruselas el presente año. (Madrid, 1879.) En tête du volume se trouve une lettre, fort remarquable à divers points de vue, adressée par M. de la Espada à M. le comte de Toreno, ministre de Fomento. La première relation, dont l’auteur est le licencié Fernando de Santillan, a été tirée des manuscrits de la Bibliothèque de l'Escurial; elle est inti- tulée : Relacion del origen, descendencia, politica y gobierno de los Incas. La seconde est une œuvre anonyme ayant pour titre : Relacion de las costumbres antiquas de los naturales del QUATRIÈME SESSION. {1 Per ; elle provient de M. Bôhl de Faber et appartient actuel- lement à la section des Manuscrits de la Bibliothèque natio- nale, de Madrid; elle semble due à la plume exercée de quelque savant missionnaire. L'auteur de la troisième est Joan de Santacruz Pachacuti Yamqui, qui l'a intitulée : Rela- cion de antigüedades deste reyno del Peru; après avoir appar- tenu à P. Florez, elle est aujourd'hui la propriété de la Biblio- thèque nationale de Madrid. Malgré ce généreux et incontestable témoignage des sympa- thies du gouvernement espagnol en faveur de l'œuvre améri- caniste, l'Espagne voulut mettre son délégué à même de montrer mieux encore le vif intérêt que prenaient ses savants à la mission de M. de la Espada. C'est pour ce motif que le ministère de Fomento et spécialement la direction de l'instruc- tion publique, ainsi que plusieurs institutions officielles, des sociétés savantes et des particuliers, le chargèrent d'offrir en leur nom au Congrès, à différents établissements publics de la capitale de la Belgique et à certains savants, de nombreux exemplaires d'œuvres rares et de riches éditions publiées en Espagne. Il serait trop long d'énumérer tous les ouvrages qui composaient ce magnifique cadeau, dont la valeur matérielle ne le cédait pas à la valeur scientifique; mais il convient ce- pendant de mentionner ici, parmi la quantité de livres dont s'eurichirent dans cette circonstance la Bibliothèque nationale et beaucoup d'autres établissements publics de Belgique, quel- ques-uns de ceux qui se rattachaient plus directement aux études américanistes. Dans cette catégorie, on ne saurait omettre : les Cartas de Indias, les Restos de Colon et la Vida de Feiipe 11, de Cabrera de Cordova, trois œuvres publiées avec luxe par le ministère de Fomento ; la Historia general de las Indias, de Fra Bartholomé de las Casas, et las Guerras de las Salinas, éditées par le marquis de la Fuensanta del Valle et par M. Sancho Rayon; la Colleccion de documentos del archivo de Indias; les Viajes de la Casilda, la Eulalia y la Santa Maria 12 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de la Cabeza al estrecho de Magallânes, et los Viajes y Descu- brimientos, de Navarrete; les Noticias historicas de Nueva España et les Viajes de Pedro Fernandez de Quirôs, édités par les soins actifs du savant bibliophile M. Justo Zaragoza; la Guerra de Quito por Pedro de Ciexa de Leon, dont la publica- tion est due à la compétente révision de M. Jiménez de la Espada; les Guerras piräticas de Filipinas, de M. Vicente Barrantes, etc. La pensée du précieux concours que l'Espagne se trouvait en mesure d'apporter à l’œuvre américaniste, n'était donc pas seule à influencer les dispositions des membres du Congrès présents à Bruxelles ; les procédés gracieux du gouvernement espagnol, joints à la part importante prise aux travaux de Ja troisième session par M. de la Espada, furent aussi appréciés comme ils le méritaient. C'est pour ces multiples raisons que le Congrès acclama avec enthousiasme la proposition faite à l'unanimité par le Conseil central de tenir la quatrième session à Madrid. De plus, avant de se séparer, le Congrès de Bruxelles vota de chaleureux remerciments au gouvernement de S. M. AI- phonse XIT et en particulier à M. le comte de Toreno, ministre de l'instruction publique. M. Jiménez de la Espada reçut en- suite du Comité du Congrès de Bruxelles le mandat de former en Espagne le Comité d'organisation de la quatrième session. La nouvelle du choix de la vilie de Madrid comme siége des quatrièmes assises américanistes fut accueillie par les Espa- gnols avec le même empressement que leur gouvernement avait mis à nommer un délégué officiel au Congrès de Bruxelles et à rehausser sa mission. La presse madrilène se fit à ce sujet le fidèle et éloquent écho du sentiment publie. D'après cette presse, la sympathie témoignée par le Congrès de Bruxelles à l'Espagne devait se consolider à Madrid. Il impor- tait à cette fin de donner à la quatrième session du Congrès international des Américanistes un éclat digne des savants qui y seraient conviés. Le Congrès de Madrid marquerait ainsi la QUATRIÈME SESSION. 15 rentrée de l’érudition espagnole dans le: mouvement intellec- tuel moderne. Par suite de sa langue, trop peu connue à l'étranger, et peut-être aussi à cause d’une certaine insouciance regrettable, l'Espagne s'était longtemps tenue à l'écart de la prodigieuse activité des esprits contemporains; mais elle avait plus d'intérêt qu'aucune autre nation du monde à participer au Congrès et à voir la complète réussite de cette œuvre, puisqu'elle y trouverait, sans quitter le terrain scientifique, seul objet des études américanistes, une excellente occasion pour défendre, au moyen de ses nombreuses archives, de ses documents poussiéreux, de ses glorieux parchemins, contre des critiques trop souvent injustes et pourtant facilement acceptées, la mission qu'elle avait remplie durant trois siècles au delà des mers. La première assemblée internationale de savants qui se serait réunie sur la vieille terre ibérique, aurait servi de cette manière à démontrer que dans la découverte, la conquête et la colonisation du Nouveau-Monde, les Espagnols furent autre chose que d’àpres dominateurs. L'étude de l'Amé- rique primitive, de l'Amérique de la découverte, de l'Amérique gouvernée par l'Espagne, depuis Christophe Colomb et Fernand Cortez jusqu'au commencement de ce siècle, révélerait alors clairement aux yeux de tous qu'à côté d’excès semblables à ceux qu'ont fatalement commis dans d'autres pays les envahis- seurs de toutes les époques, à côté des défauts propres au temps et communs à tous les peuples, la noble Castille importa autre chose sur le nouveau continent que son autorité despo- tique et l’orgueil inné de ses fils. Cette étude montrerait à l'évidence que ce fut un peuple éminemment civilisé et civili- sateur celui sous l'égide duquel s'accomplit l'odyssée du grand navigateur génois, celui du sein duquel sortirent ces hardis conquistadores dont la glorieuse mémoire se verrait enfin lavée de la longue injustice des siècles. Alors serait prouvée au monde scientifique la fausseté de cette téméraire aliégation d'un écrivain moderne qui affirme que l'apparition de la croix 14 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. espagnole fit disparaître violemment du sol des Indes son antique civilisation; et alors aussi on verrait que l'Espagne n'a jamais eu l'intention d'empêcher la science de faire son chemin dans cette branche nouvelle des connaissances hu- maines qui a reçu le nom d'américanisme. Enfin, sous un autre point de vue, non moins important, la réunion des Américanistes à Madrid serait un événement mémorable entre tous, parce qu'il pouvait renouer par le lien le plus sûr, le plus solide et le plus intime, celui de la science, ces anciennes relations fraternelles trop longtemps interrompues entre la mère-patrie et l'Amérique espagnole. Ce fut sous l'empire de tels sentiments que se constitua le Comité d'organisation du Congrès de Madrid. Pour former ce Comité, il avait été fait appel à tous ceux qui, par leur posi- tion ou par la direction spéciale de leurs études, se trouvaient à même de patronner l’œuvre américaniste ou de lui apporter leur concours scientifique. Le haut protectorat de l’entreprise fut gracieusement accepté par S. M. le roi Don Alphonse XIT, et la municipalité de Madrid accorda au Congrès son puissant appui. Le Comité choisit comme président d'honneur D. Anto- nio Canovas del Castillo, président du Conseil des ministres, président de la Société de géographie de Madrid, membre des Académies royales d'histoire et des sciences morales et poli- tiques. Au nombre des vice-présidents d'honneur furent élus, d'abord, D. Cristôbal Colon de la Cerda, duc de Veragua et de la Vega, amiral des Indes, grand d'Espagne et sénateur du royaume, non-seulement comme descendant en ligne directe de l'illustre découvreur du Nouveau-Monde, dont il porte les noms et les litres, mais aussi à cause de sa distinction personnelle et de ses qualités scientifiques ; ensuite, D. Antonio Marcilla de Teruel Moctezuma y Navarro, duc de Moctezuma de Tul- tengo, qui soutient dignement, en plein xix° siècle, le nom de son royal ancêtre, l'infortuné souverain des Aztèques, dont Prescott et Robertson nous ont dépeint les luttes héroïques. (A QUATRIÈME SESSION. | M. le comte de Toreno, grand d'Espagne, président des Cor- tès, ancien ministre d'État et de Fomento, accepta la prési- dence effective du Comité, et parmi les vice-présidents, on remarquait M. Merry del Val, ministre plénipotentiaire d'Es- pagne à Bruxelles, et M. le directeur de l'instruction publique dans la Péninsule. Les laborieuses fonctions de secrétaire général furent confiées à M. Cesäreo Fernandez. Duro, capitaine de vaisseau, membre de l'Académie royale d'histoire, vice-président de la Société de géographie, auquel on adjoignit entre autres M. Andrès Domec, archiviste, secré- taire de la Société de géographie. Au sein du Comité se retrouvaient en outre tous ces grands noms de la noblesse espagnole, dont la plupart figurent aussi au nombre des vice- rois et des gouverneurs du Mexique et du Pérou, rappelant ainsi un glorieux passé, à côté d’autres noms qui représen- taient dans le Comité la savante Espagne. Aussitôt constitué, le Comité se mit activement à l'œuvre. Il forma d'abord le projet excellent de faire paraître, à l'occa- sion du Congrès de Madrid, une Bibliografia hispano-ameri- cana, ayant pour objet l'indication et l'analyse sommaire de tous les ouvrages anciens et modernes publiés en Espagne sur l'Amérique. Mais après examen, on reconnut que le temps manquait pour mener à bien cette vaste entreprise. Le Comité résolut alors de solliciter du gouvernement espagnol la publi- cation de quelques œuvres inédites relatives au Nouveau-Monde, en vue de les offrir aux membres du Congrès de Madrid, comme un hommage de l'Espagne et à titre de souvenir durable des quatrièmes assises américanistes, à l'exemple des Tres Relaciones de antigüedades peruanas, généreusement offertes par le même gouvernement aux membres du Congrès de Bruxelles. Cette demande du Comité fut favorablement accueillie, et M. le ministre de Fomento, de qui dépendait la décision, chargea M. Marcos Jiménez de la Espada du soin de la publication. Au surplus, le Comité fut d'avis de comprendre, 16 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. dans les solennités du Congrès, la fête du centenaire de la fondation du Jardin botanique de Madrid, dont la date com- mémorative coincidait avec la présence des savants étrangers dans la capitale de l'Espagne ; il voulut de plus organiser une exposition d'antiquités américaines et en publier un catalogue descriptif pour l'époque de la réunion du Congrès. Nonobstant les intelligentes mesures prises par le Comité, dans le double but de donner à la quatrième session la plus grande importance scientifique et le plus d'éclat possibles, l'organisation rencontra les difficultés presque inévitables en pareille circonstance; mais la principale, sans contredit, dut être le changement de cabinet qui survint quelques mois avant la date fixée pour l'ouverture du Congrès. Il aurait pu résulter de ce changement des entraves sérieuses à la poursuite de l'entreprise, si M. le duc de Veragua et M. le marquis de Cer- ralbo, avec une générosité qu'il suffit de rappeler, n'avaient mis leur concours financier à la disposition du Comité. Toute- fois il ne fut point nécessaire d'y recourir : les bonnes dispo- sitions du gouvernement espagnol en faveur du Congrès ne souffrirent pas de la substitution des personnalités dirigeantes. D. José Luis Albareda, le nouveau ministre de Fomento, témoigna à l'œuvre américaniste la même bienveillance éclairée que ses deux prédécesseurs. Aussi, la certitude que le Congrès de Madrid obtiendrait un éclatant succès ne tarda- t-elle pas à se répandre à l'étranger et jusqu'en Amérique ; plusieurs souverains envoyèrent leur adhésion, divers gouver- nements nommèrent des délégués, officiels, et S. M. Don Pedro II, empereur du Brésil, dont la haute sympathie est acquise à toute œuvre vraiment scientifique, pria même dans une lettre autographe charmante un aimable député provineial de Madrid, M. l'avocat Manuel de Foronda, de lui faire parve- nir un Compte-rendu succinct des travaux du Congrès. Dans ces conditions arriva l'époque de l'ouverture de la session. QUATRIÈME SESSION. 17 Il LE CONGRÈS. Conformément aux indications du Comité d'organisation, la quatrième session du Congrès international des Américanistes devait se tenir à Madrid du 25 au 28 septembre 1881. Dès que les membres étrangers faisaient connaître leur arrivée dans la capitale de l'Espagne, ils recevaient, par l'in- termédiaire du secrétariat général du Comité, le programme de la session, élégamment relié en toile blanche, comprenant les statuts définitifs du Congrès, le règlement spécial de la session, les questions portées à l’ordre du jour, la liste des membres du Comité d'organisation et celle des délégués de ce Comité. Au programme se trouvaient joints divers exemplaires d'un document imprimé avec un soin remarquable, indiquant l'ordre des travaux et des fêtes pour chacun des quatre jours de la session, PREMIÈRE JOURNÉE. Séance préparatoire. À dix heures du matin, le Congrès se réunit dans le confor- table hôtel qui sert de siége à l’Académie royale d'histoire. Cette savante corporation avait mis son beau local, admirable- ment distribué en vue de semblables réunions, à la disposition du Comité d'organisation, pour y tenir les réunions ordinaires du Congrès. La séance fut ouverte dans la vaste salle de récep- tion de l’Académie, occupée par un public nombreux et choisi, sous la présidence du délégué du gouvernement belge, ancien 2 18 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. secrétaire général du Congrès de Bruxelles, seul membre pré- sent du bureau de la troisième session. A la droite du prési- dent avaient pris place M. José Luis Albareda, ministre de Fomento, et M. Juan Facundo Riaño, savant archéologue, directeur général de l'instruction publique; à sa gauche, M. Cesareo Fernandez Duro et M. Andrès Domec, respective- ment secrétaire général et secrétaire du Comité d'organi- sation. Le président provisoire fit d'abord connaître que c'était em vertu de l'article 6 des statuts qu'il avait l'honneur d'occuper le fauteuil de la présidence. Il fit part à l'assemblée des regrets qu'éprouvait M. le lieutenant général baron Goethals, aide de camp du roi des Belges, président du Congrès de Bruxelles, de n'avoir pu se rendre à Madrid, et il exposa les motifs qui avaient fâcheusement empêché les vice-présidents du même Congrès de répondre à l'appel des organisateurs de la quatrième session. Le président provisoire paya ensuite un juste tribut d'hommage aux mesures excellentes prises par le Comité d'organisation et à l’activité déployée par lui pour vul- gariser l'œuvre américaniste et provoquer l'intérêt en faveur du Congrès de Madrid. Puis, il annonça que l’objet de cette séance préparatoire était la nomination du bureau définitif du Congrès et l'élection des membres du Conseil central, et il proposa à l'assemblée de maintenir le bureau du Comité d’or- ganisation comme bureau définitif, sauf à appeler à la prési- dence M. Albareda, en remplacement de M. le comte de Toreno, démissionnaire. Enfin, pour l'élection du Conseil cen- tral, il soumit au Congrès la proposition de procéder de la manière adoptée lors des précédentes sessions, c’est-à-dire de telle sorte que les pays représentés au Congrès par moins de six membres auraient un représentant au sein du Conseil, tan-- dis que les autres nationalités s'entendraient pour désigner autant de représentants au Conseil qu'ils comptaient de groupes: de cinq membres présents au Congrès. QUATRIÈME SESSION. 19 Cette double proposition ayant été acceptée, la séance fut suspendue pendant quelques minutes pour la nomination des membres du Conseil central. À la reprise de la séance, le président provisoire donna connaissance au Congrès du résultat des élections. Sa mis- sion étant accomplie, il remercia l'assemblée du bienveillant concours qu'elle lui avait prêté et déclara le Congrès con- stitué. Il transmit aussitôt au bureau nouvellement nommé les pouvoirs de celui du Congrès de Bruxelles, et invita après cela M. Albareda à vouloir prendre place au fauteuil comme président du Congrès. L'honorable ministre de Fomento, satisfaisant à cette invi- tation, s'exeusa en termes gracieux d'être ainsi amené à pré- sider une assemblée scientifique internationale. Il adressa quelques paroles pleines de courtoisie au président provisoire de la séance, et chargea celui-ci de remercier, au nom du Congrès de Madrid, les membres du bureau du Congrès de Bruxelles. Il exprima aussi les sentiments de gratitude de l'Espagne envers ce dernier Congrès, qui avait désigné Madrid comme siége de la quatrième session. Enfin il remercia, tant au nom du Comité d'organisation de cetle session qu'au noi de tous ses compatriotes, les membres étrangers d'être venus à Madrid, même d'outre-mer, pour concourir à cette réunion internationale, témoignant à tous sa vive reconnaissance aussi bien en sa qualité de président du Congrès que comme membre du gouvernement espagnol. L’allocution de M. Albareda fut accueillie par les applau- dissements du Congrès. M. Édouard Saavedra demanda alors la parole pour pro- poser à l'assemblée d'inscrire au nombre des présidents d’hon- neur : M. le comte de Toreno, ancien président du Comité d'organisation, à cause des services signalés qu'il avait rendus à la science américaniste; M. Praxedes Mateo Sagasta, en qualité de président du Conseil des ministres et de chef du 20 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. gouvernement, comme savant et éminent protecteur du Con- grès ; enfin M. Fernando de Leon y Castillo, ministre des co- lonies, plus intéressé peut-être que tous autres au succès et au développement de l’œuvre des études américaines. Cette proposition fut chaleureusement acclamée. M. Frédéric de Botella proposa ensuite d'adjoindre au bu- reau, comme vice-présidents, quelques membres particulière- ment désignés aux suffrages de l'assemblée, notamment les délégués officiels du Brésil, de la Russie, de Costa-Rica, etc. Le Congrès adopta également cette proposition à l'una- nimité. Le bureau du Congrès et le Conseil central se trouvèrent donc constitués ainsi qu'il suit : Présidents d'honneur : MM. Präxedes Mateo Sagasta; Fernando de Leon y Castillo; Antonio Cänovas del Castillo; le comte de Toreno. Vice-présidents d'honneur : MM. le duc de Veragua; le duc de Moctezuma ; Russell Lowell, ministre des États-Unis ; Firmin de Lasala y Collado, sénateur, ancien ministre de Fomento. Président : M. José Luis Albareda, ministre de Fomento. Vice-présidents : MM. le prince Gortschacow, ministre plénipo- tentiaire et délégué officiel de l'empire russe; Lopez Gama, ministre plénipotentiaire et délégué officiel de l'empire du Brésil; Manuel Maria de Peralta, ministre et délégué de Costa-Rica; Ramon Rodri- guez Correa, sous-secrétaire d'État au ministère des colonies ; Juan Facundo Riaño, directeur général de l'instruction publique ; José de Cärdenas, député aux Cortès, ancien directeur général de l’instruc- tion publique, etc. Secrétaire général : M. Cesäreo Fernandez Duro. Secrétaire : M. Andrès Domec. Conseil central : ALLEMAGNE : M. O. Neussel. ANGLETERRE : M. Houghton. RÉPUBLIQUE ARGENTINE : M. H.-J. Varela. QUATRIÈME SESSION. 21 AUTRICHE-HONGRIE : M. J. Riemann., BELGIQUE : M. E. Dognée. BouvIE : M. D.-E. Herrero. Brésiz : M. Lopez Gama. CoLoMBte : M. J.-M. Quijano Otero. Cut : M. L.-M. Cardoso. EsPaGxe : MM. les Membres du Bureau et du Comité exe- cutif. Érars-Unis : M. J.-L. Butler. FRANCE : MM. P. Gaffarel et de Mofras. HoLzLANDE : M. le D' Leemans. HonpuraAs : M. J. de la Carrera. GRAND-DucHÉ DE LuxEMBouRrG : M. P. Mullendorf. MEXIQUE : M. A. Ortiz y Jimenez. NorwWéGE : M. Hansteen. Pérou : M. Pacheco Zegarra. RusSIE : le Prince Gortschacow. SUISSE : M. H. de Saussure. VENEZUELA : M. E. Fombona. On ne pouvait manquer de remarquer l'absence de l'Italie et du Portugal dans l'énumération qui précède. L'Italie en effet fut le berceau de Christophe Colomb; seulement elle se laissa prendre par l'Espagne l'honneur de profiter du génie du grand navigateur. Le Portugal, au contraire, vit un Jour ses enfants marcher, côte à côte avec ceux de Castille, à la décou- verte du Nouveau-Monde; mais aujourd'hui, il semble avoir oublié la grandeur de ce glorieux passé, cependant bien digne de mémoire de la part d’un petit pays qui a noblement marqué sa place dans l'histoire de l'humanité. Les autres nationalités non représentées au Congrès de Madrid étaient : en Europe, le Danemark, la Grèce, la Rouma- nie et la Turquie; en Amérique, Haïti, le Nicaragua, le Para- guay, le Salvador, Saint-Domingue et l'Uruguay. Avant de clore la séance, M. Albareda fit connaitre que ses nombreuses occupations et les devoirs de sacharge ne lui per- mettraient pas d'assister aussi assidûment qui l’eût désiré aux 22 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES, travaux du Congrès. Il se voyait par suite contraint de délé- guer les fonctions de la présidence à l’un des vice-présidents, et il déclara ne pouvoir mieux choisir à cette fin que le des- cendant du glorieux découvreur de l'Amérique, M. le duc de Veragua. L'assemblée ratifia ce choix par d'unanimes applaudisse- ments. Ensuite, la séance préparatoire fut levée à onze heures et demie. Séance royale d'ouverture. S. M. le roi Don Alphonse XII avait gracieusement fait pré- venir qu'il présiderait en personne à l'ouverture du Congrès. La séance devait en outre être honorée de la présence de la Famille royale d'Espagne. Avec la cour de Madrid, le corps diplomatique et le monde officiel s'y trouvaient invités. IL avait donc paru convenable de tenir cette séance exceptionnelle dans une salle plus spacieuse que celle adoptée pour les ré- unions ordinaires du Congrès. Onavait choisi à cet effet le local grandiose connu sous le nom de Paranymphe de l'Université, servant aux solennités académiques de l'Institution centrale espagnole d'enseignement supérieur, fondée par le cardinal Jiménez de Cisnéros. Le Congrès se réunit vers deux heures après midi dans cette immense enceinte, la plus belle peut-être mais assurément la plus vaste de la capitale de l'Espagne. La haute société madri- lène et le monde des sciences, des lettres et des arts sy étaient donné rendez-vous. La salle se trouvait divisée en deux parties : la partie supérieure, formant estrade, avait été réser- vée aux invités officiels et aux membres du Congrès ; la partie inférieure, beaucoup plus étendue, était destinée au publie d'élite admis à la séance. Les dames, venues en foule pour assister à cette solennité scientifique, occupaient le centre de QUATRIÈME SESSION. 23 la partie inférieure ; les hommes se tenaient dans ie pourtour. On remarquait de nombreux officiers, appartenant à toutes les armes de terre et de mer, de cette martiale armée espagnole, qui pour la beauté et l'élégance ne le cède à aucune des plus opulentes armées de l'Europe. Les riches toilettes se mêlaient à merveille au chatoiement des uniformes et offraient à l'œil un spectacle aussi somptueux que varié, qui faisait l'admiration des étrangers. Dans la tribune, surmontant, au fond de la salle, ia large entrée, se trouvait une musique militaire, Quant à l’estrade, où les multiples costumes de cour et de cérémonie produisaient un magnifique effet, sa partie centrale, plus éle- vée de deux marches, était affectée à la Famille royale ; cinq fauteuils y avaient été préparés. A droite de ces fauteuils, prirent place les membres du gouvernement et les ministres de la couronne, entre autres : les ministres d'État, de grâce et justice et de la marine; le marquis de Habana, grand d'Espagne, capitaine général et président du Sénat; le comte de Xiquena, gouverneur de Madrid. À gauche, le corps diplomatique, représenté, notam- ment, par : le noncede Sa Sainteté ; MM. Lopez Gama, ministre du Brésil ; le prince Gortschacow, ministre de l'empire russe; de Steurs, ministre de Hollande ; le général Corona, ministre du Mexique; de Peralta, ministre de Costa-Rica ; de la Carrera, ministre de Guatemala; le vicomte de Carnide, chargé d'af- faires du Portugal; le chargé d’affaires de la Chine ; le docteur Hijar y Haro, attaché à la légation du Mexique. Tous ces per- sonnages furent conduits à leur place respective par l’introdue- teur des ambassadeurs, M. Zarco del Valle. Le bureau du Congrès se trouvait disposé latéralement et un peu en avant des places royales. M. Albareda, ministre de Fomento, président du Congrès, avait à sa droite M. le due de Veragua, M. Juan Facundo Riaño, directeur général de l'instruction publique, et M. le capitaine de vaisseau Cesäreo Fernandez Duro, secrétaire général; à sa gauche, M. le comte 24 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de Toreno, ancien ministre d'État et de Fomento, M. Firmin de Lasala y Collado, sénateur, ancien ministre de Fomento, et de M. Andrès Domec, secrétaire du Congrès. Sur les nombreux siéges, alignés derrière le bureau, s’assi- rent aux premiers rangs, les délégués des gouvernements et les membres étrangers du Congrès. On remarquait parmi eux : de l’Allemagne: MM. C. Künne, O. Neussel, géographe, G. Bentfeld, correspondant de la Al!{gemeine Zeitung d'Augs- bourg, le D' W. Reiss, vice-président de la Société de géo- graphie de Berlin; del’Angleterre : MM. A. Houghton, corres- pondant du Standard, de Londres, G. O'Leary, consul anglais, à Bogota, et W. Mac Pherson, consul général à Madrid; de la République Argentine : M. H.J3. Varela, ancien ministre des affaires étrangères ; de la Belgique : MM. E. Dognée, avocat, à Liége, et L. Hye, consul du Venezuela, à Gand ; du Chili : M. Cardoso, ancien député au Congrès national ; de la Colom- bie : MM. Quijano Otero, délégué officiel, et S. Labarrière ; des États-Unis : M. Butler; de la France : MM. Beauvois, le comte de Charencey, l'abbé Dupuy, Paul Gaffarel, professeur à la Faculté des lettres de Dijon, l'abbé Louvot, E. de Mofras, ministre plénipotentiaire, J. Vinson, professeur de langues orientales, à Paris; de Hollande : M. le D' Leemans, direc- teur du Musée néerlandais de Leide, M° et M'° Leemans; du Honduras : M. F. Corona, consul de cette République ; du grand-duché de Luxembourg : M. P. Mullendorff, correspon- dant de l'Indépendance belge; du Mexique : MM. A. Hijar y Milan et A. Ortiz y Jiménez; de la Norwége : M. P. Han- steen ; du Pérou : M. G. Pacheco Zegarra, ancien secrétaire de légation; de la Suisse : M. Henri de Saussure, président de la Société physique de Genève; du Venezuela : M. le D' Andrès Jésus Montes, consul de Chili, à Ciudad-Bolivar. Venaient ensuite un grand nombre de membres espagnols, notamment : MM. le duc de Moctezuma, vice-président d'hon- neur du Congrès ; les marquis : de Cerralbo, de Flores-Dâvila, QUATRIÈME SESSION. 25 de la Fuensanta del Valle, de San Roman, lieutenant général, et de Santa Eulalia ; les comtes : de Guaqui, de Morphy, secrétaire particulier de S. M. le Roi, de Pena-Ramiro, séna- teur, et de San Rafael de Luyano; les académiciens : Bar- rantes, inspecteur général de l'instruction publique, Barbieri, Corradi y Gomez, ancien ministre plénipotentiaire, Fabié, député aux Cortès, Fita, de la Compagnie de Jésus, Pezuela y: Lobo, colonel en retraite, Rossell, directeur de la Bibliothèque nationale, Saavedra, ingénieur en chef; en outre, MM. Abella, linguiste, de Botella, inspecteur général des mines, Diaz y Perez, bibliothécaire, Jiménez de la Espada, naturaliste, Manuel de Foronda, avocatet député provincrel, Rodiguez Ferrer, ancien gouverneur civil, Justo Zaragoza, bibliophile, fonctionnaire au ministère de Fomento ; les professeurs des Universités espa- gnoles : Carreras y Gonzalez, Colmeiro y Penido, doyen dela Faculté des sciences, directeur du Jardin botanique de Madrid, Rada y Delgado, directeur de FÉcole de diplomatie, chef de section au Musée archéologique national, Rico y Sino- bas, Rios y Pedraga, Ruiz de Salazar, le D' Gonzalez Velasco, directeur du Musée anthropologique ; enfin les députations de plusieurs Académies et Sociétés savantes de la Péninsule. À deux heures précises, les clairons de l’escorte annoncè- rent l'arrivée du Roi. La musique militaire de la tribune fit entendre aussitôt la marche royale. MM. les ministres, le bureau du Congrès et M. le gouverneur civil de Madrid, allèrent recevoir la Famille royale. S. M. D. Alphonse XIF, en uniforme de capitaine général, avec le grand cordon de Saint- Ferdinand et le collier de la Toison d'or, S. M. la Reine Christine, LL. AA. RR. les Infantes, accompagnés d'une nombreuse suite, firent leur entrée et furent conduits aux places qui leur étaient destinées. S. M. le Roi ayant salué la brillante assistance qui l'acclamait debout, s'assit, donnant la droite à son auguste épouse et à l'infante dona Isabelle, et la gauche aux infantes dona Paz et dona Eulalie. Derrière la 26 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Famille royale se groupèrent : d’un côté, le grand maréchal du palais, duc de Sexto, marquis de Albanices, le général Terreros, chef de la maison militaire, le marquis de Bendana, les gentilshommes et les adjudants de service Carranza et Gallego, les chef de l’escorte et écuyers d'honneur; de l’autre côté, les dames de S. M. la Reine et de LL. AA. RR. les Infantes : la marquise de Santa-Cruz, la comtesse de Supe- runda, la duchesse douairière de Hijar. L’auditoire s'étant assis à son tour, M. Albareda, président du Congrès, après avoir demandé les ordres du Roi, prit la parole en ces termes : Sire, Appelé, malgré mes faibles mérites, à la présidence du Congrès international des Américanistes, par suite d'une amabilité excessive des membres distingués qui composent cette association, j'ai aujour- d’hui le grand honneur de recevoir Votre Majesté, S. M. la Reine et LL. AA. les Infantes dans cette enceinte, consacrée à la glorification des lettres, des arts et des sciences de la patrie, où, dans d’autres circonstances, a déjà résonné l’éloquente parole de Votre Majesté, toujours accueillie par les applaudissements qu'arrachent l'admira- tion et l'enthousiasme. - Du jour auquel une société d'hommes studieux, établie à Paris, résolut de fonder des Congrès internationaux, ayant pour objet l'étude des grands problèmes scientifiques relatifs à l’histoire des diverses nations de l'Amérique, il fut facile de prévoir que la capitale de la péninsule espagnole ne serait pas la dernière à servir de siége à une de ces nobles joutes de l'intelligence. C'est ce qui arriva en effet : lors du Congrès qui se réunit à Bruxelles, il y a deux ans, les membres se donnèrent rendez-vous à Madrid, à cette époque, après avoir arrêté les questions qui devaient être soumises à l'examen de la présente session. Ce Congrès durera quatre jours. La première journée sera consa- crée à la géologie, cette science qui parait être sortie du sein de la terre par l’incessant labeur de la race humaine, à l’histoire de l'Amé- rique précolombienne et à l'histoire de la découverte du Nouveau- Monde; la seconde, à l'archéologie; la troisième, à l'anthropologie et à QUATRIÈME SESSION. 97 l'ethnographie ; et la quatrième, à la paléographie et à la linguistique. L'étude comparative des royaumes de Cuzco, de Trujillo et de Quito, et les différences de religion, de législation, de langage, d’ar- chitecture et de coutumes que présentaient leurs peuples, mériteront l’attention particulière du Congrès. Il en sera de même pour les nationalités qui existaient dans l'Amérique centrale, avant l’émigra- tion des Aztèques ; pour l’état militaire des empires du Mexique et du Pérou, antérieurement à la découverte du Nouveau-Monde; pour la valeur religieuse et emblématique des diverses idoles, statuettes et figures que l'on trouve dans les tombes péruviennes; pour le nom des peuples et l'origine des fils de l'Amérique antérieurs à la conquête ; pour les langues américaines, leurs grammaires comparées et la bibliographie des vocabulaires et dictionnaires de ces idiomes primi- tifs, enfin pour tout ce qui peut donner une idée exacte de l’origine, de la nature, du caractère social et du développement historique de cette partie du globe qui vient compléter avec ses progrès successifs le majestueux tableau de la civilisation moderne. Nous avons tâché, Sire, dans la mesure de nos forces, de réunir et de présenter à une assemblée aussi importante une partie au moins des intéressantes données que possède la nation espagnole sur ces questions. Dans les Archives des Indes, de Séville, un homme érudit a choisi plus de mille documents, qui non-seulement renferment des notices curieuses, mais qui offrent encore le type ou le modèle des différentes formes que revêtent les anciens écrits sur l’histoire américaine conser- vés dans ces archives, depuis la lettre particulière, rédigée sous l'influence de la passion ou inspirée par un intérêt inavoué, jus- qu'au livre, fruit d’une étude mûrie et longue. Les amateurs de ces études pourront y retrouver les dépêches et communications offi- cielles des vice-rois et prélats, les décrets des Audiences, les ordres des gouverneurs et de différentes autres autorités, tous documents des plus curieux dont une grande partie sont de vrais résumés his- toriques des périodes intermédiaires entre l’arrivée d'une expédition et celle d'une autre expédition, d’une flotte et d'une autre flotte. Les recueils et les registres du Conseil des Indes et de la Casa de Con- tratacion, appartenant aux dernières années du xv° et aux premières années du xvi° siècle, et les relations des voyages et des décou- vertes où se trouvent consignées les premières notices géographi- ques sur ces pays, sont des sources limpides de l'antique et intéres- sante histoire des nations indiennes. 28 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Les Relaciones geogräficas de Indias, dont j'ai l'honneur de pré- senter le premier volume à VotreMajesié, méritent à justetitre d'attirer l'attention de toute personne érudite. La publication de cette œuvre a été confiée à mon savant ami D. Märcos Jiménez de la Espada, par mon très-digne prédécesseur au ministère de Fomento, M. Firmin de Lasala, à qui le Comité d'organisation doit une réelle reconnais- sance. Il en doit également à mon ami personnel l'illustre comte de Toreno, qui a présidé antérieurement ledit Comité, et qui s’acquitte- rait aujourd'hui de cette fonction dans de meilleures conditions de savoir et d'intelligence que moi. Le ministère de la marine exhibe le premier monument de la carto- graphie du Nouveau-Monde, la carte dressée par le malheureux Juan de la Cosa. La Bibliothèque particulière de Votre Majesté, la Bibliothèque nationale, la Bibliothèque de l’Académie d'histoire, celle de l'Univer- sité de Séville et les Archives historiques soumettent à l'examen des Américanistes étrangers, entre autres manuscrits et imprimés très- remarquables : le Testament d'Isabelle la Catholique ; le texte ori- ginal et inédit, en idiome mexicain, de la Historia de Nuera España, du père Sahagun, et le texte espagnol de l'Histoire de la Nouvelle- Espagne du père Duran, orné d’hiéroglyphes rares et précieux ; les textes originaux des histoires de Fra Bartholomé de las Casas et de Gonzalo Fernandez de Oviedo, et le livre de Landa sur le Yucatan et sa mystérieuse écriture, avec des vocabulaires des langues naturelles américaines, objet privilégié de l'étude des philologues modernes. Notre Musée d'archéologie expose des choses précieuses de diverse nature. Le Jardin botanique fait voir la prodigieuse collection de dessins et de plantes du savant Célestin Mutis. Les particuliers ont aussi contribué à réunir ce vrai trésor d’antiquités que nous offrons à l'étude des Américanistes, et je leur en exprime de bien vifs remer- ciements au nom des gloires de la patrie. D. Luis Tro a exposé le Codex Maya, qui porte son nom; M. Rodriguez Ferrer, un des spé- cimens paléontologiques les plus intéressants qui aient été découverts jusqu'ici, la mandibule humaine fossile d'un habitant préhistorique de l'ile de Cuba; M. le comte de Guaqui, une idole péruvienne sans pareille dans son genre, à cause de l'inscription phonétique qui s'y trouve; M. le marquis de San Carlos, une poterie guatemalienne très-belle; D. Manuel Rico y Sinobas, une notable collection de cartes et plans anciens; enfin, le digne descendant de Colomb a envoyé les documents les plus vénérés des archives de son illustre maison. QUATRIÈME SESSION. 29 Qu'il me soit permis, Sire, avant de terminer et après avoir remer- cié chaleureusement les savants étrangers qui sont venus honorer ce Congrès de leur présence, soit en qualité de délégués spéciaux de gouvernements amis, soit comme représentants des intérêts intellec- tuels de leur pays respectif, d'arrêter un instant ma pensée et de rendre un hommage public d'admiration et de respect au nom magique de Christophe Colomb et à cette reine, dont la présence en ce lieu de l’auguste épouse de Votre Majesté évoque le souvenir à mon. esprit, à cette reine qui, après avoir consolidé l'unité de la patrie, entrainée par une généreuseinspiration, appuya l'incomparable entre- prise conçue par le marin de Gênes et qu'aujourd'hui encore l'imagi- nation de l'homme a peine à comprendre. Cette compatissante Isa- belle accorda à Colomb vainqueur des titres et des pouvoirs, stipula des conditions de liberté en faveur des Indiens et exigea pour eux des garanties humanitaires qui devançaient les idées de son siècle. Le cœur d’une femme proscrivit ainsi, par instinct, l'esclavage, que la philosophie et la religion ne devaient abolir que quatre siècles plus tard. Depuis la découverte du Nouveau-Monde jusqu'à nos jours, les générations, en se succédant, ont accumulé les éloges et les honneurs sur le nom immortel de Christophe Colomb; et cependant, à mon avis au moins, le héros parait plus grand encore que les hommages et les honneurs rendus à sa mémoire. Son entreprise fut la lutte de l'esprit humain contre un élément, et pour tenter cette entrepriseil fallait être plus qu’un homme. Les éclaircissements de la science et les progrès de la navigation n'ont pas dépouillé, à notre époque, l'Océan de la terreur mystérieuse que sa vue soulève dans l'esprit de l’homme; mais pour arriver à apprécier le mérite de Colomb, il faut se représenter les mers, ainsi que l’a dit un grand poëte, telle qu'une espèce de chaos liquide, dont les vagues énormes se lèvent en montagnes inacces- sibles, s'ouvrent comme des gouffres sans fond, se précipitent ensuite au ciel et retombent sous forme de cataractes insurmontables, prêtes à engloutir les voiles assez téméraires pour se séparer des côtes qui leur servent d’abri. Colomb était inconnu, dédaigné, abandonné et sa lutte contre les difficultés est peut-être plus grande que l’entreprise même qu'il mena seul, sans avoir d'autres armes à opposer aux envies et aux railleries des potentats, que la séduction naturelle qui captive les yeux et l'élo- quence qui persuade l'esprit. La simple relation de son voyage vaut la plus grande des épopées, et l'intelligence de la créature humaine 90 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ne peut comprendre la joie qui devait inonder l'âme de Colomb, quand, après tant de dédain, tant de doutes, tant de douleurs, tant de périls, un marin de Triana annonça que la terre était proche, cette terre que l'imagination des marins avait cru découvrir plus d’une fois et que chaque matin le soleil avait fait évanouir devant les proues des navires, en dissipant les horizons capricieux que la brume de la nuit avait élevés. Des plantes marines qui ne croissent que sur les écueils voisins des côtes s'étaient déjà présentées comme un signe d'espérance à ces marins inquiets; une d'elles portait une écrevisse vivante, naviguant, comme dit Lamartine, embarquée sur une branche d'herbe. Un oiseau, de ceux qui ne s'avancent pas au loin sur les flots et ne dorment jamais sur l’eau, traversa le ciel. D'où venait-il? Où allait-il ? Son nid pouvait-il être loin? Le cri de terre! était déjà sur toutes les lèvres, et cependant, la terre ne paraissait pas. Le calme de l'Océan glacait le sang dans les veines, comme si tout mourait dans ces parages, jusqu'au vent. Qui rendra le souffle aux voiles et le mouvement aux navires? Une immense baleine apparut endormie sur l’eau, les marins crurent voir un monstre qui venait les dévorer. Errant seul enfin au milieu de la nuit à la poupe de son vaisseau, et fixant son pénétrant regard dans les ténèbres, Colomb aperçut au niveau des eaux un fulminant éclair. Qui pourrait d'écrire l'anxiété dont l’âme de Colomb fut étreinte en ce moment? Un coup de canon qui retentit sur l'Océan secoua le grand capitaine. C'était le cri de terre! jeté par le bronze, signal convenu donné par la Pinta, qui naviguait à la tête de la flotte. Lu rapide lueur entrevue par Colomb annonçait la présence de l’homme et la première trace de la eivilisa- tion américaine. Jamais nulle nuit parut plus lente à découvrir l'hori- zon, parce que le matin devait montrer une nouvelle création de l'tre suprême. Celui qui peu de temps avant avait été méprisé, traité en mendiant et en insensé, venait d'acquérir le droit de porter les insignes d'amiral de Castille. I1 foula la terre sous les plis du drapeau des rois catholiques, et versa une larme, humble tribut à la grandeur de Dieu. Ah! de combien d’autres cette larme ne fut-elle point suivie! Par de secrets desseins de la Providence, les succès, le progrès et la civi- lisation se réalisent en ce monde au milieu des tribulations et des combats, Le phénomène de la guerre n’est encore expliqué par aucune QUATRIÈME SESSION. a philosophie. Les idées ouvrent quelquefois une large voie aux canons, d'autres fois les canons détruisent les obstacles qui s'opposent au passage des idées. Telle est l'insondable volonté de Dieu. Ne permette le Ciel que le sang américain et le sang espagnol puis- sent encore se mêler sur les champs de bataille. Faisons-nous, les uns et les autres, un légitime orgueil de nos races, et que les hauts faits de nos ancêtres nous servent à tous de glorieux trait d'union. Sire, très-jeune encore Votre Majesté s’est trouvée sur les champs de bataille et en est revenue victorieuse. Mais aujourd'hui elle préside une lutte plus noble, elle stimule un travail plus grand : une œuvre de civilisation. Par un acte très-libre de votre volonté royale, il n'existe plus en Espagne de censures qui empêchent l'essor du génie. Les recherches scientifiques sont sans entraves dans la chaire comme dans le livre, dans la brochure comme dans la presse périodique. L'Espagne respire l'air ambiant pur des peuples civilisés. Sous ie rapport des institutions libérales et cultivées, nous n’avons rien à envier à personne, Ayant accompli mon devoir avec un sentiment presque religieux que le souvenir de Colomb a éveillé dans mon esprit, je termine, Sire, en me faisant l'interprète de tous ceux qui se trouvent réunis ici, afin de manifester à Votre Majesté, à Sa Majesté la Reine et à Leurs Altesses les Infantes, la gratitude qui déborde de nos cœurs pour l'honneur que la Famille royale a daigné nous faire en rehaus- sant de sa présence l'inauguration de cette solennité scientifique. Ensuite le délégué officiel du gouvernement belge, prési- dent du bureau provisoire du Congrès, s'exprima comme suit : Sire, Mesdames, Messieurs, Je ne m'attendais nullement à l'honneur de prendre la parole devant cette assemblée d'élite. Bien d’autres que moi avaient de plus grands titres à cette insigne faveur. En m'y appelant, le Comité d'organisation de ce Congrès, poussant la bienveillance à l'extrême, a voulu se souvenir que j'avais été l’un des promoteurs de la session de Madrid, que j'en suis demeuré un des plus fervents prosélytes. Je l'en remercie. Je le remercie aussi du gracieux empressement avec 32 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. lequel il a travaillé à la réussite du présent Congrès et répondu aux vues du Congrès de Bruxelles; je le remercie surtout, Messieurs, d'avoir obtenu pour notre quatrième session le haut protectorat de Sa Majesté le roi d'Espagne et le précieux concours du gouvernement espagnol. Cette haute protection et ce concours précieux sont des éléments de succès assuré, dont l'œuvre américaniste peut s'enor- gueillir et dont elle avait besoin. Elle en ressentira efficacement, j'en suis convaincu, les heureux effets dans l'avenir. Je l'avais dit avant le Congrès de Bruxelles, je l’ai répété à diverses reprises durant et après la troisième session, nul pays n’est mieux que l'Espagne en mesure de contribuer au développement de notre entreprise scientifique, nuls ne sont plus autorisés que les savants espagnols à nous servir de guides dans nos études américaines. Le vrai complément de ces études, en effet, Messieurs, serait la publication de nombreux documents, choisis parmi les riches archives castillanes, sur la découverte et la conquête de l'Amérique. Les recherches dans la science américaniste se trouvent souvent frappées d'impuissance, et semblable publication, dont le gouvernement espa- gnol a déjà pris d’ailleurs la généreuse initiative, constituerait ce fondement solide que l'ethnographie américaine réclame si impérieu- sement aujourd’hui. Je me permets d'émettre ici le vœu que cette publication soit poursuivie dans de larges proportions. Pour l'archéologie précolombienne, le jour commence à se faire. Les spécialistes admettent maintenant, dans les monuments archéo- logiques du Nouveau-Monde, les trois grandes divisions géographiques indiquées par le nouveau continent lui-même. De très-récentes et magnifiques découvertes, faites sur le territoire de l’ancien empire des Toltèques, ces malheureux et intelligents prédécesseurs des Aztèques, sont venues confirmer l'exactitude de ce système. Ilest cer- tain que l'Amérique du Nord présente, au point de vue archéologique, des caractères distincts de ceux des autres parties}du nouveau conti- nent, bien que se rapprochant beaucoup de ceux du Mexique; il est hors de doute que l'Amérique centrale forme un berceau archéolo- gique séparé, où se remarquent surtout, par la précision des données, le Guatemala et le Yucatan; il est évident enfin que, dans les groupes qui subdivisent l'archéologie de l'Amérique du Sud, c'est au Pérou que se rencontrent les éléments d'appréciation les mieux caractérisés, et qu’à côté de ces éléments se révèlent, autonomes et indépendants, l'art cultivé par les Caras, à Quito, et celui que nous ont laissé les Chibchas, à Bogota. QUATRIÈME SESSION. 39 Mais ai-je besoin de parler de ces choses à vous, Messieurs? Vous les connaissez comme moi et bien mieux que moi. Vous savez que plus le regard pénètre dans les détails, plus lui apparaissent grandes et merveilleuses les questions relatives aux temps préhisto- riques du Nouveau-Monde. Seulement, la solution de ces questions ne saurait s’obtenir sans l'appui de vastes collections, consciencieuse- ment étudiées, classées avec savoir. Le défaut de ces collections a été cause que beaucoup de chercheurs se sont perdus dans le labyrinthe des hypothèses qui furent, jusqu’en des temps bien voisins de nous, l'objet principal des études de nos devanciers. C’est en s’efforçant d'éviter les anciens errements que la science américaniste accomplira de vrais et fructueux progrès. Le Comité d'organisation de la session actuelle l’a compris, et c'est pour ce motif sans doute qu’il a confié à des mains compétentes l’organisation d’une Exposition d'antiquités américaines et d'une Exposition de la flore du Nouveau-Monde. Je l'en félicite avec bonheur. Puissent ces Expositions constituer un noyau, autour duquel s’accumuleront successivement les résultats des nouvelles recherches, et où nous pourrons venir dans la suite puiser de nouveaux enseignements ! Parlant dans cette enceinte, au milieu d’une assemblée aussi dis- tinguée à tous égards, je ne puis m'empêcher, en terminant, de me rappeler avec émotion que l'Espagne ne s'est pas bornée à aller planter au Nouveau-Monde le glorieux drapeau castillan : ce fut encore un roi d Espagne qui envoya, en 1786, la première expédition scientifique en Amérique, sous la conduite du capitaine del Rio. Eh bien ! Messieurs les membres espagnols, ne vous arrêtez pas là: à l'heure qu'il est, vous pouvez faire plus, mieux peut-être : vous pouvez nous révéler scientifiquement l'Amérique précolombienne, J'ai la confiance que vous n'y manquerez pas; l'éclat qu'a revêtu l’ouver- ture de ce Congrès, le haut encouragement que promet à nos travaux votre auguste souverain, en daignant les honorer de sa présence, ce dont je prends la liberté de remercier respectueusement Sa Majesté, tout cela men est un sûr garant. Le but de l'œuvre américaniste mérite au surplus le concours de vos talents, car il n’en est point de plus noble ni de plus élevé : renouer la chaîne des äges, pour réta- blir dans son vrai jour l’histoire de l'humanité à travers le temps et l'espace. Puis, M. Hector F. Varela, ancien ministre des affaires 3 3% CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. étrangères de la République Argentine, demanda la parole et dit : Sire, Mon audace doit paraître grande à tous ceux qui m'écoutent, en voyant qu'un pauvre voyageur américain prend la liberté d'ouvrir les lèvres en présence de cette assemblée, trois fois grande, par son intel- ligence, par son cœur et par les sentiments de fraternité qui l'ani- ment. Cependant, si je m'enhardis à parler, c'est pour deux motifs puissants : en premier lieu, pour remercier Sa Majesté, le Congrès et les Espagnols de la généreuse hospitalité qu'ils offrent aux voyageurs américains au sein de la nation espagnole, de cette noble nation qui fut la mère de ma race ; ensuite, pour obéir à la nécessité d'exprimer un sentiment grand et profond de mon cœur, car après avoir entendu les éloquentes paroles du noble ministre de Fomento, sur le front duquel paraït briller l'inspiration qui découvre et révèle l'avenir aux grands hommes, j'ai compris que dans le travail de chaque jour et dans l'amitié des Espagnols et des Américains se trouve notre fortune et notre bonheur. M. le ministre de Fomento vient de nous dépeindre, avec l'élégance de langage d'un poëte, avec la profondeur d'un lettré, le départ d'Espagne de cet homme immortel qui se nomme Christophe Colomb ; il nous a représenté ce vieux Génois, cherchant avec ses caravelles la terre promise, et nous a fait admirer cette reine Si digne d'admira- tion, cette femme deux fois magnanime, par la couronne qui ceignait son front et par la grandeur de ses sentiments. Eh bien ! qu’il me soit permis en écoutant une telle description, en me voyant sur cette noble terre, en sentant sur mon front la chaleur d'un rayon de son pur soleil, de donner expansion à mes affectueux sentiments et de vous regarder comme des frères, parce que quand je rencontre une parcelle de la terre espagnole, je crois me trouver au sein de ma propre patrie. M. le ministre nous a parlé aussi d’une larme que laissa tomber Colomb en mettant le pied sur le continent américain. Ah ! Sire, cette larme est comme un phare qui illumine encore la route entre l’Es- pagne et l'Amérique, un phare qui par sa resplendissante lumière em- pêchera que désormais se renouvellent des faits funestes et tristes que l'Amérique et l'Espagne déplorent; cette larme est un motif d’étroite union entre la vieille Castille et le Nouveau-Monde, et il n'y a pas lieu de craindre que par cette route périlleuse dont nous parlait A QUATRIÈME SESSION. 39 M. le ministre de Fomento de nouveaux vaisseaux chargés de soldats et de canons se rendent d'Espagne en Amérique pour y détruire les idées, pas plus qu’il n’y a lieu de redouter que là-bas s'élèvent des remparts pour combattre l'Espagne ; sur cette route, comme éclairée par une si brillante larme, ne se rencontreront que deux choses : l'Espagne et l'Amérique inséparablement unies au nom du saint amour de ma patrie et de celui de la généreuse Espagne. Enfin, S. M. Alphonse XII, d'une voix sonore et fortement accentuée, daigna adresser à la nombreuse assistance, qui s'était levée pour écouter le Roi, le discours suivant : « Messieurs, après les paroles de M. le ministre de Fomento et des membres distingués du Congrès que nous venons d'en- tendre, 1! me reste peu de chose à dire concernant la science ou l'histoire. » Lé nom de Colomb, que M. le ministre a invoqué en com- mençant son discours, rend muet tous les autres faits histo- riques. 11 est impossible, en effet, de prononcer ce nom sans être ému devant sa glorieuse épopée, devant cet homme in- comparable et incompréhensible, dont la foi religieuse et scientifique exercèrent beaucoup plus d'influence sur les desti- nées de l'humanité que toutes les entreprises et tous les ex- ploits des plus grands conquérants. » Grande est pour nous l'importance de ce quatrième Con- grès des Américanistes que J'ai l'honneur de présider aujour- d'hui. En choisissant Madrid comme siége de leur réunion, les hommes illustres qui nous honorent de ieur présence affirment par un témoignage public les progrès de notre pa- trie : l’époque des troubles et des angoisses est enfin passée, il est temps que notre chère Espagne commence à prendre part, dans la mesure de ses forces, aux idées et aux travaux scienti- fiques des autres peuples européens. Que les membres étran- gers de ce Congrès soient donc les bienvenus, et qu'ils soient convaincus que le pays, le gouvernement et le Roi feront tout ce qui dépendra d'eux pour leur faciliter le bon succès de leurs 36 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. études. Celles-ci ne peuvent que présenter un grand intérêt pour tous les Espagnols. » Comme vous venez de l'entendre, les anciennes blessures de notre histoire en Amérique sont maintenant cicatrisées ; il semble qu'un sentiment de mutuelle justice et de mutuelle fra- ternité tende, des deux côtés, à rapprocher ces peuples, séparés il est vrai par l'Océan, mais toujours unis par les croyances, par la langue et par les mœurs. Je crois par suite me faire l'interprète du sentiment général du pays, en déclarant dans cette occasion solennelle et devant une aussi illustre assem- blée que l'Espagne tend ses bras à travers les mers, pour en- voyer à ses frères d'Amérique le témoignage de son amitié. Si les événements nous ont séparés jadis, aujourd'hui la science et le progrès nous unissent en un commun effort, pour que nous travaillions ensemble à la grandeur et à la prospérité de la race espagnole dans les deux mondes. » L'impression produite sur l'auditoire par les paroles élo- quentes et profondément senties du roi D. Alphonse XII, n'est pas facile à décrire. L'assemblée eut certes souligné plus d'un passage du discours royal par d’unanimes applaudissements, si le respect ne l'avait retenue. Ce discours provoqua une véritable émotion, qui s'explique d'ailleurs. Le Congrès inter- national des Américanistes était le premier acte publie dans lequel les représentants de presque toutes les Républiques hispano-américaines se voyaient réunis à Madrid, et le peuple espagnol, depuis longtemps désireux de tendre une main cor- diale à ses frères indépendants du Nouveau-Monde, aspirait à entendre tomber de leurs lèvres des paroles de respect réei- proque, de sympathie émue et de sincère amitié. La remar- quable harangue de M. Albareda avait fait résonner au fond de tous les cœurs les sentiments élevés qui dominaient l'hono- rable président du Congrès. La réponse aussi heureuse que chaleureuse de M. Varela en avait été le digne et vibrant écho, SN ENENERERRENRTEN TRE Pr QUATRIÈME SESSION. O4 et S. M. le Roi d'Espagne avait mis le comble à cette explo- sion d'idées nobles et géaéreuses, avec une autorité de lan- gage qui entraîna tous les auditeurs dans un commun et irrésistible élan. Aussi ce fut sous le coup d'un réel enthousiasme et aux bruyantes acclamations de l'assistance tout entière, mêlées aux accords de l'air national espagnol, que se termina la séance, et que LL. MM. le Roi et la Reine et LL. AA. RR. les Infantes se retirèrent, avec le même cérémonial qu'à leur entrée. La Famille royale, escortée comme à son arrivée, accom- pagnée des personnages de la cour et suivie des membres du gouvernement espagnol, du corps diplomatique et des mem- bres du Congrès, se rendit directement au ministère des colonies, où devait avoir lieulinauguration de l'Exposition des antiquités américaines, qui fera l’objet du $ V de ce compte- rendu. DEUXIÈME JOURNÉE. Séance du matin. La séance s’ouvrit à neuf heures et demie, sous la prési- dence de M. le duc de Veragua. A ses côtés avaient pris place, à droite : M. le comte de Toreno et M. Fermin de Lasala y Collado ; à gauche : M. le prince Gortschacow, M. Duro, secré- taire général, et M. Domec, secrétaire. Dans un éloquent discours, l'honorable duc de Veragua exprima d'abord sa reconnaissance au Congrès, pour l'accueil fait la veille à la proposition de M. Albareda et qui avait pour but de lui confier les fonctions de la présidence effective. Il retraça ensuite à grands traits les phases, si glorieuses pour l'Espagne, de la découverte et de la conquête de l'Amérique. Il s'inclina respectueusement devant la caractéristique figure de Christophe Colomb, son illustre ancêtre ; et il rappela quelle 38 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. fut, d’après les archives et les traditions de sa noble famille, la part du navigateur de Gênes dans ce grand fait de l’histoire de l'humanité, qui donna un monde nouveau à la couronne de Castille. Après avoir ensuite montré rapidement les résultats acquis par les trois premières sessions du Congrès et souhaité un éclatant succès scientifique à la session de Madrid, M. le duc de Veragua fit connaître que, conformément aux précé- dents admis, chaque séance serait présidée par un membre distingué des diverses nationalités représentées au Congrès, et il invita en conséquence M. Paul Gaffarel, professeur à la Faculté des Lettres de Dijon, à venir occuper le fauteuil. En prenant la présidence, M. Gaffarel prononça quelques paroles de remerciment pour l'honneur qu'on lui faisait, attri- buant cet honneur, non à son mérite personnel, mais à Ja France, ce grand pays, voisin et ami de l'Espagne, dans lequel était née l’œuvre américaniste et qui avait été le siége de la première session du Congrès. Après cette allocution, M. le secrétaire général Duro donna lecture de l'ordre du jour et des lettres qui intéressaient l'assemblée. Puis, M. Beauvois, ayant demandé la parole, fit hommage au Congrès des exemplaires de six publications, dont il est l'auteur, et qui sont toutes relatives aux explorations et à l'his- toire des Scandinaves, des Irlandais et des Groënlandais dans l'Amérique précolombienne. Ensuite, l'éminent scandinaviste français annonça son intention d'examiner un point important pour l'histoire des premières tentatives de colonisation du nord de l'Amérique. Ce point historique, il le résama en se posant cette question : « S'il estétabli que les Irlandais possé- daient, dès avant le x° siècle, des colonies au sud du fleuve Saint-Laurent, dans la Grande Irlande, au pays des hommes blancs (Hvitramannaland), comment se peut-il que les tradi- tions des Gaëls ne fassent aucune mention de ces établisse- ments si glorieux pour leur race? » Den di QUATRIÈME SESSION. 29 Pour résoudre cette question, M. Beauvois fit au Congrès la communication suivante : Il y a une quarantainé d'années, les Scandinaves mirent en lumière des faits trop négligés jusque-là. Les extraits des Sagas, qui parlaient des premières expéditions scandinaves dans l'Amérique septentrionale, avaient été oubliés pendant deux siècles, quand la Société des Antiquaires du Nord y rameua l'attention, en publiant, dans un magnifique ouvrage, des travaux importants sur les antiquités américaines, déjà antérieurement étudiées avec soin, et sur les antiquités groën- Jandaises, encore généralement ignorées. Cette ignorance tenait surtout à ce que les documents groënlandais, si intéres- sants au point de vue de l'histoire primitive des peuples du Nord, n'avaient été traduits qu'en danois, langue peu répan- due. Les savants, en lisant les publications de la Société des Antiquaires du Nord, furent frappés de voir que les Islandais n'étaient pas les premiers colons de l'Amérique septentrionale, et que les Irlandais et les Écossais semblaient les y avoir pré- cédés. Ils se demandèrent naturellement pourquoi, alors que les Sagas parlent avec tant de détails des découvertes faites au Nouveau-Monde par les Irlandais, la riche littérature gaé- lique n'en porte aucune trace? Mais la solution demeurait obscure, car les rares documents susceptibles de la fournir étaient imparfaitement connus et ne permettaient de recueillir aucune donnée satisfaisante. Depuis un petit nombre d'années, les historiens irlandais et écossais ont publié la traduction de quelques-uns de ces remarquables manuscrits, et se sont sérieusement occupés de de leur étude, de la comparaison des textes et de la recherche des analogies qui s'y rencontrent. Malheureusement, ces publications se trouvent rarement hors de l'Angleterre. De récentes recherches nt cependant démontré qu'il y a eu, au moyen âge, seize expéditions entreprises par les Gaëls dans l'Atlantique, et que ces expéditions ont été dirigées par treize A0 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. personnes différentes. Le récit de ces voyages est consigné dans une série décrits, au nombre d’une dizaine, essentielle- ment indépendants les uns des autres. Sans aucun doute, la légende et les fictions occupent une large place au milieu des relations des premiers voyageurs ; mais le fond de leurs narra- tions est rigoureusement vrai. C'est en s’initiant aux procédés littéraires des auteurs, en se pénétrant de l'état rudimentaire des sciences à cette époque reculée, en comparant les textes des divers documents qu'on parviendra à dégager dans les récits gaéliques la vérité de la fable. Il n’est guère possible de passer tous ces récits en revue; mais un court aperçu suffit pour faire voir le puissant intérêt qui s’y attache. | Une tradition irlandaise parle d'une grande terre située dans l'océan Atlantique, très-loin à l’ouest des îles Britanni- ques. Le manuscrit le plus ancien qui s'occupe de la grande terre de l'ouest fut transerit vers l'an 1000. Il est donc anté- rieur de trois cents années environ à la plus ancienne des Sagas. Il contient les aventures curieuses du fils d'un rot d'Irlande, qui régna vers le milieu du n° siècle de notre ère. Ce jeune prince, séduit par la beauté d'une vierge de sang royal, qui lui apparut, et qui venait d'un pays situé vers l'ouest, caractérisé par de grandes hauteurs, la suivit vers ces régions et ne revint jamais. Le célèbre barde Ossian, que les Irlandais nomment Ossin, fut transporté de la même manière par une jeune princesse, au pays de Jouvence, que de très- anciennes traditions placent dans l'Amérique du Nord, et que Ponce de Léon chercha en vain au commencement du xvi® siècle. Mais la publication du poème sur le voyage d'Ossian est postérieure à la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, il pourrait done n'être qu'un écho des récits relatifs à cette découverte, mêlés aux fictions inventées par les bardes. Les Irlandais devenus chrétiens ne rejetèrent pas les tra- QUATRIÈME SESSION. 41 ditions païennes sur le pays de Jouvence ; loin de là, ils les approprièrent à leurs nouvelles croyances et firent de ce pays le Paradis terrestre. Pourtant les idées cosmogoniques des Gaëls auraient dû s'opposer au choix d'un Paradis terrestre situé à l’ouest. Il est à supposer que, pour en agir ainsi, les Gaëls possédaient des données certaines sur l'existence, dans la direction de l’ouest, d’une terre exceptionnellement favorisée par la nature. Quelques écrits précisent en disant que cette terre se trouvait à quarante jours de navigation des côtes de l'Tr- lande. Or, ce ne pouvait être l'Islande, qu'à cette époque les Irlandais connaissaient déjà parfaitement, puisqu'ils y avaient des colonies, comme l’attestent les nombreuses traces de leur séjour. Saint Mernoc, moine irlandais de la première moitié du vi‘siècle, cherchant une solitude dans l'océan, rencontra une île, que les ouvrages contemporains désignent sous le nom d'Ima ou l'île des Délices, dans laquelle 1l s'établit avec ses compagnons. Son maître, saint Barintus, vint l'y visiter et le conduisit vers une grande terre située plus loin dans la direction de l'ouest, à neuf jours de navigation de l'ile des Délices. Ils abordèrent sur la côte orientale de cette terre, où il n'y avait ni plantes sans fleurs, ni arbres sans fruits. Au bout de quinze Jours de marche, ils arrivèrent au centre du pays; là, les fleuves cou- laient de l’est à l'ouest, ce qui est absolument exact dans les États-Unis. Il n’est point douteux qu'un peuple qui décrit aussi fidèlement la géographie du Nouveau-Monde ne Fait visité, sinon depuis le vi° siècle, au moins avant l’an 1000. En effet, les voyages de saint Mernoc et de saint Barintus ser- vent d'introduction à la légende de saint Brandan, moine irlandais que les Bollandistes font naître en 480, et les premiers manuscrits relatifs à cette légende remontent au x° siècle. Saint Brandan, disciple de saint Mernoc, et saint Malo, cherchèrent aussi la terre de promission. Les traditions irlan- 42 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. daises affirment que saint Brandan la trouva et que cette terre servit d'asile aux chrétiens pendant les persécutions (sans doute celles des pirates scandinaves contre les habitants des îles Britanniques du vui° au x‘ siècle); mais l’ancienne légende bretonne de saint Malo, fondateur de la ville qui porte son nom en Bretagne, confesse que ce saint chercha inutilement la grande terre de l'ouest. Il résulte du rapprochement de ces faits que les deux peuples celtes ont tous deux faits des ex- péditions transatlantiques, mais que les Irlandais sont seuls parvenus au Nouveau-Monde. Au surplus, des contemporains de saint Brandan visitèrent encore d'autres îles dans l'océan Atlantique, toutefois aucun d'eux n'y trouva la terre de pro- mission qu'il cherchait. Dans la seconde moitié du vi siècle, plusieurs disciples de saint Colomban entreprirent à leur tour des voyages d'explo- ration dans l'Atlantique ; il y en eût qui firent même différentes tentatives, mais leurs efforts ne les conduisirent qu'aux îles Orcades et dans les régions glaciales. Vers le milieu du vu° siècle, les Irlandais, chassés de leur pays, s'établirent dans une île lointaine, située au nord-ouest. Deux religieux, appartenant à un monastère fondé par saint Colomban, les y visitèrent par hasard. Ces religieux furent très-étonnés d'entendre dans cette île inconnue les chants et la langue de leur pays. D'autres moines de l'ordre de Saint- Colomban accomplirent encore de grands voyages dans l'océan Atlantique ; mais la description en demeura inédite. Bien que toutes ces relations de voyages soient mêlées de fictions qui ont contribué à flatter les imaginations, à rendre les récits plus intéressants et peut-être à les conserver jusqu'à nos Jours, les savants n'hésitent pas à les croire fondées sur des faits réels et à en considérer les détails géographiques comme exacts. M. Beauvois déduisit de son exposé la conclusion justifiée que les traits principaux des descriptions faites dans ces RD RP a QUATRIÈME SESSION. 45 légendes témoignent chez leurs auteurs d'une connaissance effective du Nouveau-Monde. Ces mêmes légendes prouvent en outre l'existence en Amérique de colonies irlandaises, fondées vraisemblablement après 825, date de la composition du curieux traité de géographie de Dicuil, intitulé : De mensura orbis terræ, mais certainement avant les premiers voyages entrepris sur le nouveau continent par les Scandinaves, vers l'an 1000, et aussi avant la transcription de la légende de saint Brandan au ix° siècle. On peut croire que, conformément à la relation contenue dans cette dernière légende, les chré- tiens de l'Irlande et de l'Écosse se réfugièrent sur la grande terre de l’ouest, pour se soustraire aux incursions des cor- saires scandinaves, lesquelles eurent lieu vers l'an 800. Il est, de plus, incontestable que les disciples de saint Brandan éta- blirent sur cette terre de l'ouest des colonies, devenues très- florissantes et qui ont laissé, dans l’histoire de l'Irlande, de nombreuses traces. Après M. Beauvois, M. Fernandez de Castro, directeur du Bureau géologique d'Espagne, présenta un Mémoire en réponse à cette question du programme : « Peut-on savoir, par l'étude des phénomènes géologiques que présente l’île de Cuba, si cette île a fait ou non partie du continent de l'Amérique dans Îles temps précolombiens? » Pour arriver à une démonstration plus claire de sa thèse, M. de Castro mit sous les yeux des membres du Congrès une carte géologique de l'ile de Cuba et divers restes fossiles découverts dans cette île. Le savant géologue espagnol donna d'abord une idée de la formation géologique de l'île et des trois montagnes qui la composent. Il constata que les matériaux de l'époque tertiaire y ont la prépondérance et que les terrains quaternaires ne viennent qu'en seconde ligne. En étudiant ensuite les élévations et les dépressions des côtes cubaines, M. de Castro s'est livré à une comparaison des couches géolo- giques de l'île avec celles du continent le plus voisin. Puis, au 4% CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. moyen des spécimens paléontologiques exhibés par lui, notam- ment une dent de megalonyx et des défenses d'hippopotame, il fit ressortir les analogies frappantes qui existaient entre l’an- cienne faune cubaine et celle de l'Amérique précolombienne. De cet ensemble de faits, M. de Castro conclut à une union primitive du sol de l’île de Cuba avec celui du Nouveau-Monde. Cette union peut avoir existé d'une manière absolue et parfaite, ou bien l'île a pu simplement être reliée au continent, soit par un isthme, soit par une suite d’ilots, séparés par des eaux peu profondes et qui soudaient l’île de Cuba à la Floride. Les arguments invoqués par M. de Castro tendaient donc à établir d'une manière décisive que Cuba a été rattachée au nou- veau continent, dans les temps précolombiens, tout au moins vers la période tertiaire, par des terrains aujourd'hui cachés sous les eaux du golfe du Mexique. La disposition similaire des couches qui forment l'ile et de celles qui constituent l'écorce du continent le prouve à l'évidence, de même que la présence synchronique sur le continent et dans l’île des mam- mifères fossiles. Il a fallu, en effet, que ces grands spécimens de l'antique faune cubaine, dont les restes ont été découverts dans le terrain tertiaire supérieur et dans le quaternaire, aient trouvé le moyen de passer du continent sur le sol de l'ile. Quant à l'époque de leur existence simultanée dans l’île et sur le continent américain, elle correspond, selon toutes appa- rences, à l’äge de l'Ours des cavernes, Ursus spelœus, en Europe. Cependant, 1l est à remarquer que suivant la thèse de M. de Castro les phénomènes qui se sont produits en Amérique à partir de l'époque tertiaire, tel que l'effondrement graduel d'une partie du continent, semblent la reproduction en sens inverse de ceux que les géologues ont observés en Amérique comme dans l’ancien monde à partir de l’âge glaciaire. Alors une grande partie du nouveau continent était recouverte par les eaux. Plus de la moitié de l'Amérique du Nord se trouvait D Co de lé gd QUATRIÈME SESSION. 45 sous la mer, qui à certains endroits devait atteindre environ mille mètres de profondeur. Quelques iles isolées revêtues de glaciers émergeaient seules. Peu à peu, le fond se releva et de grands territoires sortirent du sein dé eaux, comme, entre autres, les larges zones des côtes de l'océan Atlantique et du golfe du Mexique. Certains savants croient même pouvoir affirmer qu'une grande partie de l'Amérique centrale était encore sub-. mergée durant la période quaternaire ancienne ou diluvienne, et qu'il n'existait, par conséquent, aucun obstacle à une com- munication directe entre l'océan Atlantique et le Pacifique. Néanmoins, cette observation ne diminue en rien la force des arguments de M. de Castro, puisque la possibilité d'une union entre le nouveau continent et l’île de Cuba, à une époque quel- conque des temps précolombiens, reste subsister. À M. Fernandez de Castro succéda un autre savant espa- gnol, M. Rodriguez Ferrer, qui poursuivit l’étude des rap- ports préexistants entre l'ile de Cuba et l'Amérique, spéciale- ment au point de vue orographique et anthropologique. Après avoir appuyé par de nouveaux faits la théorie exposée par M. de Castro, M. Rodriguez Ferrer se livra à l'étude des aborigènes cubains, prédécesseurs des hommes que rencontra Christophe Colomb. A cet effet, ilappela tout particulièrement l'attention des membres du Congrès sur une mâchoire humaine fossile, trouvée par jui dans l’île de Cuba, et qu'il avait envoyée à l'Exposition des antiquités américaines, organisée à Madrid à l'occasion de la quatrième session. Selon M. Rodriguez Ferrer, cette mâchoire aurait appartenu à un homme de l’époque ter- tiaire. Comme cette allégation était d'une grande importance scientifique et méritait d'exciter le plus vif intérêt, il proposa au Congrès de désigner un de ses membres pour étudier minu- tieusement le curieux spécimen paléontologique découvert par lui et faire un rapport à ce sujet. Sa proposition ayant été accueillie, M. de Saussure, de Genève, fut délégué à cette fin par le Congrès. 46 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES, Ensuite, M. Rodriguez Ferrer entra dans des détails précis pour faire connaître les circonstances de sa découverte et démontrer le sérieux intérêt qu'elle offre pour la science. Ce débris fossile humain fut trouvé en 1849, non loin de Puerto Principe, en cherchant un lieu de sépulture, situé sur la côte de l’île de Cuba et dont il est dit, dans les Memorias de la Sociedad Économica de la Habana, tome XVII, année 1843, p. 457, qu'à mer basse on y voyait « des squelettes d'hommes et d'enfants d'une taille gigantesque, enfermés dans des tom- beaux d'une forme conique plus ou moins aplatie. » Sur la même côte existait un endroit désigné dans le pays sous le nom de Los Muertos. Malheureusement, la mer avait empiété sur cette partie de l’île, et il ne restait plus au-dessus de l’eau, lors de l'exploration de M. Rodriguez Ferrer, qu'un îlot très- étroit. Bien que difficilement accessible, quelques recherches furent tentées sur cet îlot. Dès la première excavation, on retira de la vase une quantité d'os agglutinés, parmi lesquels se trouvait la mâchoire. L'eau de la mer qui envahissait l'excavalion aussitôt qu'on creusait à une certaine profon- deur, empêcha de poursuivre les recherches, malgré l'incon- testable utilité qu'il y aurait eu à connaître plus exactement les caractères que présentait le sol au lieu du dépôt, afin de pouvoir lui assigner un âge géologique nettement déter- miné. Les côtes de Cuba et les différents îlots qui la bordentappar- tiennent au terrain post-pliocène, ainsi que l'attestent non- seulement les couches calcaires identiques qui forment les côtes septentrionales de l’île aux environs de la Havane, mais aussi les plages basses et les îlots à fleur d'eau qui entouraient le lieu de la découverte. Ces îlots étaient composés de détritus de coquillages, que les vagues et le mouvement osaillatoire de l'ile même élèvent d'une façon marquée et constante. On peut en induire que le sol dans lequel a été trouvée la mà- choire était d’une provenance et d’une nature semblables. En OST TT ET NT. QUATRIÈME SESSION. AT tout cas, il est permis d'aflirmer que ce sol appartenait aux premiers temps de l'époque quaternaire, auxquels on rencontre déjà les traces de l'homme; car la grande fossilisation de la mâchoire semblerait justifier l'opinion de ceux qui la font remonter jusqu'à l’origine de cette époque, c’est-à-dire à une période qui touche à l'âge tertiaire. Passant alors à l'examen de ce remarquable débris maxil- laire, M. Rodriguez Ferrer en fit une description détaillée dans le but d'établir qu'il représente bien un fossile humain. La mâchoire est constituée d'un seul os, formant un angle très-ouvert; la partie inférieure de cet os est presque arron- die; la partie supérieure, où s'enchàssent les dents, est, par contre, triangulaire. On remarque que les deux dents incisives qui garnissent encore la mâchoire étaient comprimées latéra- lemént; la couronne de ces dents paraît tronquée ou usée, et leur face interne est convexe; l'unique dent canine qui com- plète la pièce offre les mêmes particularités. L'ivoire des dents, encore revêtu d'un bord d'émail, se distingue facile- ment. Il ny a plus de molaires. La grosseur de la mâchoire, jointe à ses protubérances extraordinaires en font un spécimen exceptionnel qu'on ne saurait rattacher à aucune des races décrites par Cuvier dans son Anatomie comparée. Frappé des caractères spéciaux de ce fossile humain, M. Rodriguez Ferrer le soumit, peu de témps après sa décou- verte, à l'examen de l'éminent professeur Philippe Poey, qui constata sa remarquable fossilisation et en conclut qu'il devait remonter à une extrème antiquité. En 1850, la mâchoire fut remise aux mains de M. Graells, professeur d'anatomie comparée et de zoographie des verté- brés à la Faculté des sciences de Madrid. Ce savant émit l'avis qu'elle ne pouvait appartenir à l'homme, précisément à cause de son état fossile si exceptionnel, qui aurait donné à ce débris humain une antiquité plus haute que celle qu'il est scientifi- quement permis de concéder à la race humaine. 48 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. En présence de cette double appréciation et dans la per- plexité où l'avaient mis les opinions, à certains égards contra- dictoires, des deux professeurs, M. Rodriguez Ferrer crut devoir soumettre son curieux échantillon paléontologique à la Commission facultative du Musée des sciences naturelles de Madrid, dont 1l déclara accepter d'avance la décision comme celle rendue en dernier ressort par une sorte de tribunal supé- rieur. Cette Commission, ne voulant se prononcer qu'en parfaite connaissance de cause, chargea un Comité, présidé par M. Graells, de se livrer à une étude approfondie et compa- ralive de la màchoire. Le résultat de ce travail fut que le Comité reconnut à l'unanimité que cette màchoire est fossile de plus, qu'elle est humaine. M. Rodriguez Ferrer se crut donc autorisé à conclure de ces faits que, dès 1849, c'est-à-dire quatorze années avant la découverte de la célèbre mâchoire de Moulin-Quignon, il fit une trouvaille démontrant l'existence de l’homme dans la grande Antille, à une époque qui, si elle n'est pas l’âge ter- taire, remonte tout au moins à l'origine de la période quater- naire. C'est la minime importance attribuée dans le principe à sa précieuse trouvaille qui a empêché l'Espagne de recueillir la gloire de la priorité de cette découverte scientifique. Après M. Rodriguez Ferrer, M. Fabié, député aux Cortès et conseiller d'État, obtint la parole. Il aborda les questions historiques, en offrant au Congrès un exemplaire de son savant ouvrage sur Fra Bartholomé de las Casas. Suivant M. Fabié, deux points traités par cet écrivain méritaient surtout d'attirer l'attention des membres du Congrès. En premier lieu, la ques- tion de savoir si Fernand Colomb, fils du glorieux découvreur de l'Amérique, écrivit ou non l'histoire de son père. En second lieu, cet autre point, non moins intéressant, que Christophe Colomb fut bien le premier qui, parti des côtes de l'Espagne, atteignit le nouveau continent, puisqu'il se mit en route de San Lucar un an et dix jours avant Alonso de Ojéda, comman- QUATRIÈME SESSION. 49 dant de l'expédition dont Améric Vespuce faisait partie. M. Fabié résolut aflirmativement la première question, en appuyant sa manière de voir de nombreuses preuves; et il soutint le second point comme complètement avéré, aveg cette énergie que donne une conviction profonde et qu'il communi- qua sans peine à son auditoire, très-disposé d'ailleurs à accueil- lir cette nouvelle et vigoureuse confirmation des faits exposés antérieurement par le vicomte de Santarem dans ses Recherches historiques sur la découverte du Nouveau-Monde. Ensuite, M. Fabié présenta encore au Congrès, au nom de M. Alonso Reinoso, de Cuba, un travail érudit sur l’état de l'agriculture, chez les Cubains et les naturels d'Haïti, pen- dant l'époque précolombienne. M. Marcos Jiménez de la Espada, à l'appui de la thèse sou- tenue par le précédent orateur au sujet de Fra Bartholomé de las Casas, fit connaître que dans les nombreux documents dépouillés par lui, en acquit de la mission dont l’a chargé le ministère des colonies , documents appartenant tous aux Archives des Indes conservées à Séville, il existe des preuves multiples des faits produits par M. Fabié. M. de la Espada suggéra l'idée de déléguer quelques membres du Congrès pour examiner ces documents. Alors se leva le doyen de l'assemblée, M. Arias de Miranda, qui, après avoir fait remarquer qu'il avait passé en Amérique un assez grand nombre des 85 années de son àge et consacré une partie de sa vie à l'étude des hommes éminents de l'Es- pagne, voulut démontrer la nécessité de rétablir sous son vrai Jour l'histoire du Nouveau-Monde. Tout en reconnaissant la grande valeur de Fra Bartholomé de las Casas comme théolo- gien, il l’accusa de manquer de vérité comme historien et imputa à ses œuvres d'être entachées d'une manifeste exagé- ration. M. Fabié répliqua en étayant ses premières assertions de faits nouveaux ; il releva les paroles outrées de M. de Miranda, 4 D0 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. en fit ressortir l'inanité et ajouta que la meilleure preuve de la justesse des vues de Bartholomé de las Casas, c'est que ses idées prévalurent en Espagne comme en Amérique et devin- rent celles du gouvernement espagnol. M. Pedro Novo y Colson, lieutenant de vaisseau, secrétaire de la Société de géographie de Madrid et membre de l'Acadé- mie royale d'Histoire, apporta une diversion à ce débat, en présentant un mémoire en réponse à cette question du pro- gramme : « Doit-on considérer comme apocryphes lesvoyages de Juan de Fuca et de Lorencio Ferrer Maldonado? » M. Novo y Colson constata tout d’abord que les relations de Fuça sont aujourd'hui dénuées de tout intérêt ; puis il s’attacha à établir qu'en beaucoup d'occasions, Maldonado manqua de sincérité. Le récit du voyage de ce dernier, retrouvé à Milan, contient un grand nombre de détails déjà reconnus faux lors de sa pre- mière publication, en 1811. Aussi y a-t-il de sérieux motifs de croire que le prétendu passage découvert au nord, entre l'océan Atlantique et l'océan Pacifique, par ce navigateur, dans le courant de l’année 1588, n'est qu'une imposture. M. Novo y Colson réduisit ainsi à des proportions fortinfimes, le mérite du découvreur du fantastique détroit d’Anian. Après cette communication, M. le docteur W. Reiss, vice- président de la Société de géographie de Berlin, offrit au Congrès un certain nombre de publications américanistes qui ont vu le jour en Allemagne. Parmi ces publications, on peut se borner à en mentionner quelques-unes, notamment : deux de M. Bastian, l’une, sur quelques poteries du Pérou, l'autre sur les pierres peintes de la Colombie; celle de M. Reiss, inti- tulée : La Nécropole d'Ancon au Pérou, véritable recueil de matériaux pour servir à l'histoire de la civilisation et de l'in- dustrie dans l'empire des Incas; et celle de M. Voss, sur les silex du Yucatan. M. Reiss donna ensuite quelques détails du plus haut intérêt sur le Musée d'Ethnographie qui s'organise à Berlin, sous la bone" D QUATRIÈME SESSION. by | compétente direction de M. le docteur Bastian. Il annonça que ce Musée, où l'ethnographie américaine aura une large place, pourra être ouvert dans trois ou quatre ans. M. Bamps remercia M. Reiss de cette bonne nouvelle et profita de l'occasion pour revenir un peu plus longuement sur un point touché par lui à la séance royale d'ouverture, relatif à l'importance des Musées ethnographiques et archéologiques en vue du développement et de la vulgarisation des études américanistes. Il fit remarquer que ces Musées, qui rendent en quelque sorte la science tangible, sont indispensables si l'on veut arriver à une connaissance sérieuse et vraiment scienti- fique des antiquités américaines. C'est surtout l’ancien art céramique du Nouveau-Monde, si varié et si curieux à suivre depuis son origine, à travers ses progrès et ses transforma- lions, jusqu'à sa disparition, qui prouve la grande utilité de la création de Musées. Cette manière de voir se trouvait d'ailleurs clairement démontrée à Madrid même par l'irrésistible attrac- tion que ressentaient tous les membres du Congrès, archéolo- gues, anthropologistes, ethnographes ou linguistes, pour la magnifique Exposition d'antiquités américaines organisée en leur honneur, et où beaucoup d'entre eux puiseraient sans aucun doute de précieux éléments d'études. M. Bamps mit en lumière tout l'intérêt que présentait sous ce point de vue la communication de M. Reiss. La valeur américaniste du Musée de Berlin sera d'autant plus réelle que des savants d’une com- pétence reconnue, tels que M. le professeur Bastian et M. le docteur Reiss lui-même, ont été envoyés en Amérique par leur gouvernement, pour y faire des explorations scientifiques et en rapporter des objets dignes de figurer dans les collections nationales de l'Empire allemand. Enfin, M. Bamps émit le vœu de voir le Congrès tenir sa sixième session à Berlin, afin de trouver ainsi une occasion de poursuivre aux Musées en voie d'organisation dans cette capitale, les études expérimentales et comparées, les plus fécondes de toutes, commencées avec 52 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. tant de profit à l’aide de la merveilleuse Exposition de Madrid. L’auditoire fut ensuite ramené sur le terrain de la géologie, par M. Frédéric de Botella, inspecteur général des mines, auteur d'une remarquable carte géologique de l'Espagne, qui a mérité une distinction exceptionnelle au Congrès interna- tional des sciences géographiques de Venise. Il présenta au Congrès un savant Mémoire en réponse à une question portée au programme en ces termes : « Preuves géologiques de l'existence de l’Atlantide ; sa faune et sa flore. » La carte géologique dont 1l est l'auteur, à la main, M. de Bo- tella S'appliqua à établir la situation probable de ce grand con- tinent effrondé. Il trouva ses arguments en étudiant l'écorce terrestre, sa composition, la distribution actuelle des diverses couches du globe et les phases que traversèrent ces couches aux grandes époques de l'histoire de la terre. Il examina tour à tour la différente répartition des mers et des continents, rechercha les causes de la formation et de la permanence de certains grands lacs, qui couvrent plus de 127,000 kilomètres carrés de superficie, et il interrogea même la faune et la flore des terres submergées. De cet exposé, présenté avec talent, l'honorable inspecteur général espagnol déduisit un faisceau de preuves tendant à démontrer que le territoire de la Pénin- sule ibérique avait été rattaché, dans sa partie du nord-ouest, depuis Aveiro jusqu'à Aviles, à l'Amérique septentrionale, et, vers le nord, à la Bretagne française, l'Angleterre, l'Irlande et l'Islande, contrées qui, par le Groënland et le Labrador, unis- saient l’ancien monde à celui qu'on est convenu de nommer le Nouveau-Monde. Les côtes de l'Amérique dominaient alors de haut l'océan Atlantique, et la Floride se trouvait directement soudée au Brésil, la ligne du continent joignant le cap Sable au cap Saint-Roch. En effet, la nature du sol de la Péninsule semble indiquer que sa partie orientale a peu à peu émergé des eaux; cette partie se compose de terrains secondaires, tertiaires el quater- QUATRIÈME SESSION. De naires qui permettent de la classer dans des périodes géologi- ques successives jusqu'aux plus récentes. La partie nord-ouest, au contraire, est formée de granits et de terrains qui ont émergé à une époque fort ancienne et dont les couches s’éten- dent loin sous l'Océan. On peut en conclure que le littoral nord-ouest de l'Espagne a subi un brusque affaissement, qui a entrainé sous les eaux une immense étendue de terre, dont les sondages ont fait connaître la nature. D'après cette théorie, l'Espagne aurait été antérieurement en connexion directe avec le Groënland, et les îles Britanniquesne seraient que les débris d'un ancien continent. M. de Botella décrivit la terrible révolution du globe qui, à l'origine de l’époque quaternaire, provoqua le soulèvement simultané des Andes et de la chaîne volcanique méditerra- néenne et ouvrit plus de 270 cratères. Les convulsions souter- raines de cette époque et les éruptions des volcans qui coïnei- dèrent avec elle et en furent la résultante, comblèrent les mers, ensevelirent les continents et donnèrent iieu à un tel bouleversement sur toute la surface du monde, déjà habité, que les sombres vestiges de cet épouvantable cataclysme sont parvenus jusqu'à nous dans les traditions de tous les peuples. Pour faire mieux comprendre sa démonstration, l’orateur mit sous les yeux des membres du Congrès une carte de l'océan Atlantique dressée par Stieler, sur laquelle M. de Botella avait indiqué les sondages exécutés Jusqu'aujourd'hui. Imaginant ensuite un mouvement orographique qui aurait sou- levé de 2,000 brasses le fond de cet océan, de manière à pro- duire une cordillère de troisième ou quatrième ordre, équi- valant à la chaîne des Pyrénées et des monts Cantabres, il dessina le continent que semblable mouvement ferait émerger. Par une étrange coincidence, la forme et les conditions géo- logiques de ce continent correspondaient parfaitement aux données du Mémoire de M. Botella. Gelui-ei arrivait donc par D4 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ce procédé à mettre en harmonie les plus récentes découvertes scientifiques et l'antique croyance tant discutée relative à l’Atlantide. Non-seulement il concluait à l'existence réelle du continent disparu, mais il déterminait sa situation exacte et en figurait les contours, sous l'aspect d'un gigantesque fer à cheval. Le président, M. Paul Gaffarel, remercia ensuite dé leurs intéressantes communications les auteurs des Mémoires pré- sentés dans le cours de cette séance, et annonça que les exemplaires des œuvres offertes par le gouvernement espagnol aux membres du Congrès (Los restos de Colon ; Tres Relaciones de antigüedades peruanas, et le 1* vol. des Relaciones geo- grâficas de Indias), pouvaient être retirés par ceux-ci dans une salle voisine. M. Gaffarel déclara après cela la séance levée. Il était midi. Séance de l'après-midi. La séance fut ouverte à deux heures. Le bureau était pré- sidé par M. le duc de Veragua, lequel invita le prince Michel Gortschacow, ministre de Russie, délégué officiel du gouver- nement russe, à vouloir occuper le fauteuil de la présidence. L'honorable prince, se rendant à ce désir, remercia le Con- grès, avec une bonne grâce toute diplomatique, de l'honneur qui lui était fait, et il exprima d'une façon charmante sa recon- naissance d'avoir été choisi pour l'un des vice-présidents de la session de Madrid. Après cette courtoise allocution, M. Houghton demanda la parole. L'honorable publiciste anglais rappela, dans un lan- gage ému, qu'à l'heure même où se tenait la réunion, un des membres les plus éminents du Congrès était conduit à sa der- nière demeure par tout un peuple en deuil. Il proposa à l'assemblée de s'associer à ce deuil et d'envoyer, au nom de QUATRIÈME SESSION. DD l'Association internationale des Arméricanistes, un télégramme aux États-Unis, pour attester la part que prenait le Congrès réuni à Madrid à la mort de leur président, l'illustre général Garfield, qui avait fini par succomber aux suites du criminel attentat commis sur sa personne. Le prince Gortschacow répondit aussitôt que le Congrès partageait les nobles sentiments exprimés par M. Houghton. L'honorable président ajouta que, si la durée de la session n'avait été rigoureusement limitée, il aurait proposé de sus- pendre, ce jour-là, les séances, en signe de deuil; mais il pria, dans la même intention, les membres présents de se lever, sous l'empire des sentiments de regrets qui les ani- maient tous, ainsi que c'est l'usage pour les assemblées de certains pays. Et, suivant l'exemple du prince Gortschacow, les membres du Congrès se levèrent et demeurèrent quelques instants debout, silencieux et la tête inclinée. Ce fut un inci- dent plein de grandeur en sa simplicité. Il y avait quelque chose de solennel et de profondément émouvant dans cette scène. L'hommage, aussi spontané que sincère, rendu à la mémoire de l'ancien batelier de l'Ohio, par une assemblée internationale, composée de représentants des deux mondes et siégeant au milieu du peuple le plus imbu des anciens prin- cipes et le plus attaché à ses antiques traditions, montre bien la distance qui nous sépare des temps passés. Aujourd'hui, toutes les nations, sans distinction de race ou de civilisation, éprouvent les besoins et se soumettent aux devoirs de la solidarité humaine; la disparition violente d'un simple self made man, que son travail, sa dignité personnelle et son intelligence avaient élevé à la plus haute magistrature de ‘son pays, touche de la même manière, depuis lés plus vieilles jusqu'aux plus modernes, toutes les nationalités du monde civilisé. La proposition de M. iloughton ayant reçu l'approbation unanime du Congrès, l'auteur fut chargé de rédiger le télé- 56 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. gramme à adresser au nom de l'assemblée. Ce télégramme, dont M. le secrétaire général Duro donna lecture, fut adopté en ces termes : « Le Congrès des Américanistes, réuni en ce moment à Madrid, prie V. Exec. de transmettre à la veuve, à la mère et aux enfants du général Garfield, ainsi qu'au peuple nord-américain, l'expression émue de sa sympathie et de sa douleur pour la perte qu'a éprouvée l'Amérique. » M. Henri de Saussure présenta ensuite quelques observa- tions au sujet de la communication faite dans la séance du matin, par M. Fernandez de Castro. Le point le plus intéres- sant de la savante communication de ce dernier, était la ques- tion de savoir si l’île de Cuba s'est trouvée reliée au continent américain à une époque contemporaine de lexistence de l'homme. M. de Saussure croit qu'il n'est pas possible encore de résoudre aflirmativement le problème, parce que, jusqu'ici, les preuves convaincantes font défaut. Il serait plus disposé à induire des faits connus, que l’île de Cuba était déjà séparée du continent à l’époque tertiaire, c'est-à-dire avant l'apparition de l’homme. Développant cette opinion, M. de Saussure se livra aux considérations suivantes : Il n’est guère douteux qu'à une époque quelconque de l'his- toire du monde, l'île de Cuba ait été rattachée au nouveau continent. En effet, toute l'écorce terrestre a été remuée à un tel point qu'il n'existe aucune contrée sur notre globe dont on ne puisse dire quelle a formé un continent ou a été en con- nexion avec un continent. Mais du moment où 1l s'agit de déterminer l'époque de cette jonction probable, il est néces- saire de recourir à des preuves scientifiques. Dans l'espèce, on peut admettre trois genres de preuves : les preuves géolo- giques, les preuves paléontologiques et les preuves biolo- giques. La carte soumise par M. de Castro au Congrès, rendait par- faitement compte des évènements qui se sont passés dans l'île de Cuba au point de vue géologique. L'axe de l'ile est formé QUATRIÈME SESSION. D par des terrains très- anciens, des terrains granitiques ; tout autour de cet axe, on voit se grouper, dans un ordre concen- trique, des terrains plus modernes : les terrains jurassiques et ceux de formation crétacée, puis les terrains “tertiaires, enfin les terrains quaternaires. Ces derniers sont tout à fait littoraux et s'étendent le long des côtes de l’île, lesquelles sont constituées de calcaires madréporiques actuels. Une structure aussi simple doit faire présumer que l'ile de Cuba est due à un soulèvement géologique fort ancien ; qu'après l'émergement de l'axe, l'île a continué de se soulever, même pendant l'époque quaternaire, ce qui a produit à la surface, successivement, dans leur ordre d'ancienneté, depuis les plus anciens jusqu'aux plus récents, les terrains dont les couches juxtaposées se voient à partir de l'axe jusqu'au littoral de l'île. C'est aussi pourquoi les terrains quaternaires ont émergé sur tout le pour- tour de l’île, tandis que, s'il y avait eu affaissement, les ter- rains les plus anciens plongeraient dans la mer. La seule inspection de la carte de M. de Castro semblait done démontrer que Cuba a été formée par des soulèvements continus; en conséquence, il serait difficile d'admettre, faute de meilleures preuves, que cette île ait été, à une époque précise, en contact immédiat avec le continent, dont la disposition géologique est différente. Les faits paléontologiques invoqués par M. de Castro n'étaient pas plus concluants pour établir l'intégralité de sa thèse. Il y a, incontestablement, des analogies entre la faune de l'Amérique et celle de l'ile de Cuba; mais peut-on inférer de ces analogies qu'il a dù exister jadis une jonetion entre le con- unent et l'ile? Les restes fossiles exhibés au Congrès appar- tiennent, pour la plupart, à des espèces qui remontent à une époque post-tertiaire et même à l’époque tertiaire. Toutefois, il n'en résulte pas une preuve de contemporanéité absolue, car un spécimen fossile peut, dans certaine région, se rencon- trer à tel étage géologique et se trouver, dans d’autres con- 58 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. trées, au milieu de dépôts sédimentaires plus anciens ou plus récents. Il suffit de rappeler à cet égard ce qui s'est produit dans le centre de l'Europe pour les grands éléphants fossiles, comme l'elephas antiquus et l'elephas primigenius. A une époque primitive, ils existaient l'un et l’autre au nord de la ligne des Alpes. Quand eut lieu le soulèvement de la chaîne alpestre, cycle géologique qui est généralement considéré comme marquant la fin de l’époque tertiaire et le début de l'époque quaternaire, le nord de l'Europe se couvrit de glace. Ni l'elephas primigenius ni l'elephas antiquus ne purent résister à cette réfrigération, et ils disparurent complètement de toute la région située au nord des Alpes. L'elephas primigenius, réfugié vers le midi, se continua pendant longtemps en Italie, où il n'avait pas à lutter contre l'envahissement du froid glacial. A l'époque quaternaire, il reparut dans le centre de l'Europe; mais alors déjà on ne trouve plus aucune trace de l'eephas antiquus qui, moins favorisé par la nature que son congénère, privé du poil long dont l'elephas primigenius était couvert, a dû succomber pendant la révolution climatérique qui a inau- guré l'époque quaternaire. Un phénomène semblable a pu se produire à Cuba; un obstacle naturel a pu surgir, soit à l'existence de certaines espèces animales dans l'île, soit à leur libre propagation du continent à l'ile et réciproquement. D'ailleurs, la faune actuelle de l'île de Cuba offre des particu- larités qui paraissent indiquer que la séparation d'avec le con- tinent a eu lieu depuis la fin de l'époque tertiaire. Le genre des mammifères Capromys et le genre Selonodon, notamment, sont des types spécialement cubains et ne se retrouvent pas sur le continent; par contre, certaines espèces très-communes sur le continent, comme, entre autres, le crotale et, en gé- néral, tous les serpents venimeux, n'existent pas dans l'ile. Au surplus, la période tertiaire a été très-mouvementée. Durant cette période, la surface du globe s'est trouvée com- plètement bouleversée; ainsi la Suisse à été deux fois submer- QUATRIÈME SESSION. 59 gée et deux fois soulevée. Des phases géologiques analogues ont pu se présenter dans la région des Antilles. Aujourd'hui, en tout cas, on ne saurait contester que l'île de Cuba, ainsi que la plupart des Antilles et même le Mexique, a subi un soulèvement continu depuis l’époque des grands animaux fos- siles. L'étude des mouvements oscillatoires, imprimés périodi- quement au sol de Cuba, ferait croire que cette île tend maintenant à se rapprocher du continent pour se souder à lui. Ilest, au reste, nécessaire d’ajouter que cette observation s'explique peut-être par la nature du littoral de l’île. La plus grande partie des côtes cubaines, de même que la plus grande partie de la côte du Mexique riveraine du golfe, se compose de rochers dont la surface madréporanée a été brisée par la force des lames. Celles-ci ont pénétré dans les interstices des madrépores et ont formé à la longue un sol d'une extrème légèreté. Telle paraît être l'origine des rochers qu'on remarque sur les côtes de l’île de Cuba; ils appartiennent évidemment à l’époque quaternaire, mais les flots les ont peu à peu sou- levés à une hauteur relativement importante. Passant ensuite aux preuves biologiques, M. de Saussure constata qu'elles fournissent des arguments identiques à ceux tirés de la paléontologie de l'ile de Cuba. La biologie peut rendre de grands services aux études comparées, parce qu'elle met à profit les moindres détails; mais il n'est possible de recourir à cette science nouvelle qu'avec certaines réserves. Ainsi, dans le cas présent, il est indispensable de négliger les animaux inférieurs et les insectes, parce que le vent et d'autres causes les transportent à de très-grandes distances et que, pour ce motif, ils ne sont point assez caractéristiques. Néan- moins, les preuves biologiques sont d'accord avec les consta- tations paléontologiques pour établir clairement que, si la faune de l’île de Cuba offre de très-grandes similitudes avec celle du continent américain, elle présente aussi des différences mani- festes dont il importe de tenir compte. 60 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. M. de Saussure se croyait done pleinement autorisé à émettre l'opinion que l’île de Cuba a fait partie de l'Amérique, mais qu'elle en a été séparée dès l'époque tertiaire. Dans l'application qu'il fit de ses conciusions à la thèse de : M. Rodriguez Ferrer, M. de Saussure fut conduit à exposer au Congrès les résultats de l'examen auquel il s'était livré sur la mâchoire découverte par ce savant espagnol. Il déclara tout d’abord qu'il n'était point d'avis de faire remonter cette màchoire fossile à une très-haute antiquité. Loin de la supposer con- temporaine du Clefus primitivus, il estimait, au contraire, qu'elle appartient à une époque où l'existence de l’homme dans l'ile de Cuba ne peut être mise en doute. L'aspect singulier de cet os mandibulaire humain tient uniquement à l’âge très-avancé de l'individu dont il provient et à la perte de toutes les molaires. Cette perte ayant eu lieu à une époque moyenne de sa vie ou fort antérieure à son décès, elle a forcément occasionné une déformation, conséquence nécessaire d'un pareil état patho- logique. Après le discours érudit de M. de Saussure, le P. Fidèle Fita, membre de l'Académie royale d'histoire, prit la parole pour repousser les accusations calomnieuses, injustement lan- cées par certains écrivains, contre le P. Bernard Boyl, pre- mier apôtre de l'Amérique, et contre Margarit, premier général des arraées qui firent la conquête du Nouveau-Monde. Le P. Fita rappela d'abord que Washington Irving, dans son Histoire de la vie et des voyages de Christophe Colomb (VIII, 2), a écrit ces lignes : « Accompagné d'une bande de mécontents (Margarit) et le frère Boyl prirent possession de quelques navires et mirent à la voile pour l'Espagne ; le pre- mier général et le premier apôtre du Nouveau-Monde don- nèrent ainsi le flagrant exemple d'une désertion de leur poste. » Beaucoup d'autres écrivains se firent l'écho de cette fausse imputation, notamment le comte Roselly de Lorgues. Afin de la réduire à néant, le P. Fita s'attacha à prouver, documents PPS I “OS QUATRIÈME SESSION. GI en mains, que le P. Boyl avait été autorisé à la fois par le Pape et par le roi d'Espagne à quitter l'Amérique. Sa mission au Nouveau-Monde n'était d'alleurs nullement permanente, car ses supérieurs lui avaient laissé la faculté d'en revenir au moment qui lui paraîtrait le plus opportun. Cela résultait à toute évidence des pièces importantes produites au Congrès par le P. Fita et dont quelques-unes ont été publiées dans le Boletin Historico de la Academia. Tout d'abord, le P. Boyl, à l'époque de son voyage en Amé- rique, n'appartenait pas à l'ordre de Saint-Benoît, comme on l'a prétendu, mais à celui de Saint-François de Paul. En outre, la bulle authentique adressée par le Pape au P. Boyl, bulle qui a été reproduite par Rainaldi, le continuateur des célèbres Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, et dont une copie autorisée a été envoyée au P. Fita par le cardinal Simeoni, dit textuellement : « accedendi et quamdiu volueris commorandi. » D'autre part, une lettre du Roi catholique, datée de Ségovie, le 16 août 1494, accorde au P. Boyl l'autorisation de rentrer en Espagne, si, ainsi que le missionnaire en avait exprimé la crainte au roi, le mauvais état de sa santé ne lui permettait pas de faire un plus long séjour en Amérique. Cette lettre, qui contient un éclatant éloge du zèle du P. Boyl, est encore inédite, mais son texte se trouve au folio 66 du Registre ori- ginal de Ferdinand Alvarez, secrétaire du roi. Ledit Registre appartient aux Archives des Indes, de Séville ; il était exposé dans la section des Manuscrits de l'Exposition des antiquités américaines. Au cours de son énergique défense du P. Boyl et de Mar- garit, le P. Fita cita un grand nombre d’autres faits et entra aussi dans d’intéressantes considérations en vue de disculper la mémoire du missionnaire espagnol de l'accusation d'avoir obtenu, par ntrigue et par pure ambition, la charge gouver- nementale dont il était investi. À ce propos, le P. Fita pro- duisit une lettre particulière de Bernard Boyl, dans laquelle 62 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. il est dit en propres termes que ce dernier n'avait jamais ambi- tionné le pouvoir ni été guidé par d'autres mobiles que le ser- vice de l'Église et celui de l'État. M. l'abbé Louvot, professeur au collége de Besançon, suc- céda au P. Fita. Cet honorable professeur donna communica- tion au Congrès d'un travail traitant des voyages vrais ou supposés entrepris par les Juifs en Amérique avant Christophe Colomb. Il fit d’abord l'historique de la question. Dès le xvii‘ siècle, quelques auteurs, frappés de certaines analogies superficielles, soutinrent non-seulement que le Nouveau-Monde avait été découvert par les Juifs, mais même que ces derniers avaient peuplé l'Amérique. Parmi les ouvrages anciens qui s'occupent des rapports des Sémites avec le nouveau conti- nent, on peut ciler en premier lieu le livre bien connu de Ménasseh ben Israël, ce rabin portugais qui publia, en 1650, à Amsterdam, ses idées sur l’origine des Américains. Puis les travaux de Gregorio Garcia et de Montesinos. Ensuite, les publications d'un auteur anglais, Thomas Thorougood, qui ont également vu le jour en 1650, et celles de Spizelius, un écri- vain suisse, lesquelles parurent en 1661. Plus récemment, l'auteur anglais dont on possède un magnifique ouvrage sur les antiquités du Mexique, lord Kingsborougb, livra à la pubhi- cité différents écrits dans le but d'établir que les Américains procèdent des Juifs. Néanmoins, cette thèse est encore, et à juste titre, l'objet de vives discussions. M. l'abbé Louvot passa en revue les divers arguments présentés par les partisans comme par les adversaires de l'opinion adoptée par lord Kingsborough. Il rappela les prédictions et les théories des écrivains sacrés, chez lesquels cette opinion semble avoir son principal fon- dement. Il cita des passages de Rocope et de Snides, re- latifs à une émigration réelle où imaginaire du peuple juif en Amérique, à l'époque de la victoire remportée sur les dix tribus par Salmanasar, ce roi de Ninive qui conquit QUATRIÈME SESSION. 63 la Judée et força un grand nombre d'Israélites de s'expa- trier. \ Après cela, M. Louvot étudia les analogies qui peuvent se rencontrer entre les Juifs et les races de l'Amérique colom- bienne, sous le rapport des traditions, des mœurs, de la langue et des caractères ethniques et anthropologiques. Dans cet ordre d'idées, il s'enquit principalement de la valeur des traditions qui nous sont parvenues avec les récits des premiers explorateurs. Il discuta tout spécialement les arguments tirés de la perpétuité du type, perpétuité qui n'est nullement pro- bante et qui pourrait être considérée tout au plus comme un phénomène accidentel de transmission héréditaire. Pour conclure, M. l'abbé Louvot émit l'avis qu'il n'est point possible d'arriver à démontrer que les Juifs ont peuplé ou colonisé l'Amérique, sans avoir recours à un examen appro- fondi des races sémitiques et des aborigènes du Nouveau- Monde. Il importe autant d'étudier, dans son ensemble, leur conformation physique respective et leurs particularités typiques communes, que de rechercher les similitudes ethno- graphiques de ces anciennes sociétés humaines. Dans l'état actuel de la question, le problème est loin encore de pouvoir être résolu, puisqu'on ignore toujours si ces peuples améri- cains, qui offrent une si grande ressemblance avec les races juives, sont les descendants d'une population plus ou moins considérable émigrée d'Asie durant l'époque précolombienne, sans que cet important fait historique ait laissé une trace authentique dans les annales de l'humanité, ou bien si ces peuples avaient pour ancêtres des familles juives dont l'immi- gration en Amérique aurait eu lieu dans les premiers temps de la conquête. Ce n'est que par des études anthropologiques et linguis- tiques sérieuses qu'on parviendra à savoir si les Israélites connurent réellement l'Amérique avant Christophe Colomb et à découvrir le secret de leur présence à cette époque reculée 64 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. sur le nouveau continent ; sinon à établir que cette présence n'est qu'une fiction. Tout autre procédé ne permettrait pas de démêler scientifiquement la vérité au sujet des migrations et des mystérieux voyages transatlantiques du peuple juif. De simples analogies encore mal définies, de problématiques res- semblances de traditions, de mœurs et de langue ne suflisent pas, en effet, pour former sous ce rapport une conviction solide, malgré les curieuses et incontestables affinités du peuple sémitique avec plusieurs races primitives du globe. | M. Märcos Jiménez de la Espada se rallia à la conclusion de M. l'abbé Louvot. Il étaya son opinion de faits nombreux et invoqua le témoignage du P. Feijoo, dont les travaux tendent à établir que les Juifs ne virent jamais l'Amérique aux temps précolombiens. M. de la Espada rappela encore que la même thèse avait été soutenue avec une grande compétence par un écrivain espagnol, Fra Liborio Garcia; son livre fait autorité, à cause des preuves scientifiques qu'il mentionne à l'appui de sa doctrine. M. Perez Minguez, au contraire, ne nia pas la présence et l'influence de la race sémitique au Nouveau-Moude. Il puisa ses principaux arguments dans des raisons archéologiques et philologiques, tout en faisant remarquer qu'à son avis la période très-ancienne de l'histoire de l'Amérique, à laquelle doivent se rapporter les émigrations des Sémites, ne peut s'étudier isolément et sans tenir compte de l'histoire des autres continents. Enfin, M. Julien Vinson, professeur de l’École des langues orientales, à Paris, examina la même question au point de vue de la linguistique et de l'ethnographie, et déclara que, sous ce double aspect, 1l n’y a aucune relation entre les Juifs et les Américains. M. Vinson est partisan du système adopté par les sciences positives, qui procèdent en déduisant leurs conclu- sions de faits qu'elles ont longuement observés. Jusqu'ici les observations ethnographiques n'ont aucune valeur, parce tés ans uns daté D F mot). QUATRIÈME SESSION. 65 qu'elles sont trop peu nombreuses et que, par suite, elles ne fournissent que des témoignages contestables. Traiter d'une autre manière des questions de cette nature, c'est s'écarter de la voie sage, de la voie de la science rigoureuse qui seule mène au but et au véritable progrès. Or, il est impossible à la linguistique de rattacher d'une façon quelconque les langues américaines aux langues sémitiques, voire même aux IE khamitiques. M. Justo Zaragoza aborda un autre sujet. Après avoir offert au Congrès un exemplaire des différents ouvrages récemment publiés par lui sur l'histoire de l'Amérique, il s’étendit en de très-attachantes considérations sur les premiers projets de canaux interocéaniques dans le Nouveau-Monde, dont l’ouver- ture tient actuellement attentifs tous les peuples civilisés. M. Za- ragoza fit connaître que dès la première moitié du xvr siècle, en 1508, sous le règne du roi catholique Ferdinand, le gou- vernement espagnol résolut d'entreprendre des études concer- nant la construction d'un canal à travers l'isthme de Panama. Ce canal devait faire communiquer les deux océans. Les pro- moteurs de l'entreprise étaient convaincus que les frais de creusement seraient considérablement réduits en profitant des grands éours d'eau qui avaient leur bassin dans l'isthme et qui, rectifiés et approfondis à certains endroits, ailleurs reliés entre eux, établiraient une communication facile et rapide entre l'Atlantique et le Pacifique. Fernand Cortez fut même envoyé, en compagnie de quelques hommes spéciaux, à Tehuantepec, pour examiner ces divers points et entamer, si c'était possible, les travaux préliminaires. Après cette communication, M. le docteur A. Hijar fit hom- mage au Congrès, au nom du gouvernement mexicain, de deux remarquables ouvrages dont voici les titres : Historia antiqua y de la conquista de Méjico, par D. Manuel Orozco y Berra; et Historia de América hecha sobre sus ruinas y antigüedades, par D. Manuel Larrainzar. 66 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Puis, M. Cesäreo Fernandez Duro, secrétaire général, com- muniqua à l'assemblée les lettres et dispositions de nature à intéresser le Congrès et, finalement, après quelques paroles aimables de M. le prince Gortschacow, à l'adresse des mem- bres qui avaient présenté des Mémoires ou pris part aux dis- eussions, l'honorable président leva la séance, pour permettre au Congrès d'aller assister à l'inauguration de l'Exposition de la Flore du Nouveau-Monde, dont il sera parlé ci-après au $ IV. TROISIÈME JOURNÉE. Séance du matin. A neuf heures et demie, le bureau du Congrès prit place. Il était composé de M. le duc de Veragua, ayant à sa droite : MM. Canovas del Castillo et le prince Gortschacow; à sa gauche ::MM. le comte de Toreno et le secrétaire général Duro. Après avoir déclaré la séance ouverte, M. le duc de Vera- gua invita M. Manuel Maria de Peralta, ministre plénipoten- tiaire et délégué de la République de Costa-Rica, à présider la séance. L'honorable ministre, en montant au fauteuil, remercia le Congrès de l'honneur qu'il lui faisait. Il justifia modestement cet honneur par le désir qu'avait le Congrès, œuvre de science internationale, de n'établir aucune distinction entre les grands et les petits États du Nouveau-Monde et de poursuivre, avec le concours des uns et des autres, le but de l'institution, c'est-à- dire le progrès et la vulgarisation des études américanistes. En terminant cette allocution, M. de Peralta donna avis que le Conseil central se réunirait avant l'ouverture de la séance de l'après-midi, pour délibérer sur le choix de la ville où siège- rait la cinquième session du Congrès. QUATRIÈME SESSION. 67 Puis M. Duro fit connaître à l'assemblée que M. Perez Junquera, de Madrid, mettait à la disposition des membres étrangers un certain nombre d'exemplaires du livre de Ménas- seh ben Israël, publié par lui en espagnol, à l'occasion du Congrès, sous le titre : Ortgen de los Americanos. La parole fut ensuite donnée à M. Paul Gaffarel. Dans un savant Mémoire, l'honorable professeur français étudia le développement des notions géographiques relatives au Nou- veau-Monde, à travers les cartes et les documents du moyen àge, jusquà Christophe Colomb. Il s'appliqua à démontrer l'importance des premières cartes de l'Amérique, et s’attacha surtout à expliquer le nom de certaines îles et villes qui se trouvent indiqués sur les anciennes cartes, et qui disparaissent et reparaissent successivement, avec de légères variantes, dans la cartographie américaine, sans que l’on puisse assigner des motifs plausibles à ces éclipses totales ou partielles ; de telle sorte qu'aujourd'hui mème on n'est pas bien fixé sur l'existence réelle ou sur la situation de ces îles et villes. Pour conclure M. Gaffarel fit rapidement une étude comparative des décou- vertes des anciens navigateurs dans l'Atlantique, et certes ce ne fut point la partie la moins intéressante de son Mémoire. La plupart des anciennes cartes portent, entre autres noms d'îles, celui de l'ile de Saint-Brandan. Cette île, très-connue par la célèbre légende chrétienne des Sept Cités, est décrite par Martin Behaim et mentionnée par Fernand Colomb. Pen- dant longtemps, l'île des Sept Cités retomba dans l'oubli, lorsqu'en 1447 un Portugais fut jeté sur une côte inconnue, où il trouva sept villes dont les habitants parlaient le por- tugais. Malheureusement, il quitta cette côte sans rapporter nul renseignement précis, ni faire aucune observation de nature à en déterminer la situation exacte. Il s'agissait, selon toutes apparences, de l'ile de Saint-Brandan ; mais aucun navi- gateur ne sut retrouver cette île, qui fut de nouveau perdue de vue. Certains ontcru la reconnaître dans l’île Saint-Michel, 6S CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. l'une des Acores ; d’autres sont allés à sa recherche jusque sur le continent américain. Quoi qu'il en soit, la légende de l'ile des . Sept Cités s'est perpétuée à travers les âges. Elle a laissé des traces non seulement dans la géographie mais aussi dans l'his- toire. Les cartographes anciens la confoudent quelquefois avec uneîle qu'ils désignent sous le nom d’Antilla et dans laquelle d'aucuns ont voulu voir les Antilles de FAtlantique. Behaïm mentionne également cette île. Mais quelle est exactement la place qu'il convient de lui assigner? car les indications carto- graphiques varient beaucoup à son sujet. Est-ce dans l'archi- pel des îles Canaries? Ces îles, en effet, étaient connues depuis le xi° siècle ; les Génois et les Normands en ont fait la conquête, et elles se trouvent sur presque toutes les cartes, si pas sous les mêmes noms, du moins dans des situations à peu près identiques. Serait-ce parmi le groupe des îles du Cap Vert? Cela ne parait guère probable, car toutes les cartes indi- quent Antilla au milieu de l'Océan, tandis que les îles du Cap Vert se trouvent près du continent. Il est à remarquer qu'après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, Antillu disparut généralement des cartes. On pourrait donc soutenir avec un géographe allemand, que cette île figurait une des deux parties du continentaméricain, qu'on supposait, dans les premiers temps, séparées par un détroit. En tout cas, à partir de la découverte, le mot Antilla ne servit plus qu’à désigner toute île imaginaire située dans l'océan Atlantique. Pareil fait démontre combien était profonde la croyance en une vaste étendue de terre dans cet océan. À M. Gaflarel succéda M. de la Espada. L'éminent améri- caniste espagnol offrit à chaque membre du Congrès un exemplaire du dernier volume paru de la Biblioteca Hispano- Ultramarina, publié par ses soins, sous le titre : Historia de los Incas. X fit ensuite l'éloge de l'auteur de cette histoire, Pedro de Cieza de Leon, trop peu connu et dont Garerlaso de la Vega n’a été tout à la fois que l'effronté plagiaire et l'injuste QUATRIÈME SESSION. 69 | falsificateur. M. de la Espada prouva au moyen de nombreux exemples, qu'ilimporte de révoquer en doute beaucoup de faits relatifs à la découverte et à la conquête du Nouveau-Monde, et 1! soutint avec vigueur la nécessité pour les savants de recourir, dans l'intérêt de la vérité historique, aux documents laissés par les anciens chroniqueurs, tels que Cieza et Herrera. M. de la Espada recommanda chaleureusement aux américa- nistes d'étudier et de propager leurs œuvres. M. le président Peralta exprima la reconnaissance du Congrès à M. de la Espada pour le volume dont 1l venait de faire hommage à ses membres et le remercia de son infatigable concours. M. Cesäreo Fernandez Duro se leva alors pour communi- quer deux Mémoires au Congrès. Le savant secrétaire général traila, dans le premier, des expéditions précolombiennes des Basques vers Terre-Neuve et vers les pays du littoral avoisi- nant, y compris le Canada. M. Duro croit que les hardis marins des côtes basques, qui affrontaient déjà au moyen âge les périls de l'Océan avec la même intrépidité que les Normands et les Scandinaves, ont connu Terre-Neuve dès le xn° siècle. Toute- fois ils paraissentavoir été précédés par les Bretons au Canada, où ces derniers semblent avoir eu la priorité sur tous Îles autres peuples. Où peut invoquer comme une preuve à l'appui de cette opinion, le nom d'une des îles situées à l'embouchure du Saint-Laurent et qui est encore nommée l'Ile aux Bretons. L'honorable secrétaire général n’hésita pas à reconnaître qu'aucun document ne démontre d’une manière concluante que la côte N.-0. de l'Amérique ait été visitée par des Européens longtemps avant Colomb; mais il s’appliqua à mettre en relief des indices doni l'ensemble constitue un faisceau de sérieuses présomptions. Parmi elles, il mentionna spécialement Îles noms euscariens, sous lesquels se trouvent désignées cer- taines localités de cetté partie du Nouveau-Monde, ainsi que les traditions conservées chez les Basques, et au milieu des- ‘ 70 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. quelles on à pu démêler sans peine des notions fort exactes relatives à l'Amérique. Les anciennes populations du littoral basque se livraient presque exclusivement à la pêche. Leurs expéditions ordinaires étaient dirigées vers l'Irlande et l'Écosse. Rien d’impossible néanmoins à ce que, dans un de leurs voyages, lancés peut-être à la poursuite d’un grand cétacé ou chassés par la tempête, ils aient été poussés, à leur insu, jusque sur les côtes américaines. Ce serait à tort qu'on objecterait que ies Basques, lors de la découverte de Colomb, n’ont pas revendiqué l'honneur d’avoir, avant lui, eu connais- sance du Nouveau-Monde. Ils peuvent ne s'être pas doutés que les lointains parages qu'ils avaient visités faisaient partie du vasle continent américain. C'était une race d'hommes éner- giques mais peu éclairés ; en dehors de leur expérience comme navigateurs, ils ne possédaient que de faibles connaissances. On comprend aisément dès lors qu'ils n'aient point laissé des témoignages écrits de leurs explorations. D'ailleurs, les traces trouvées à Terre-Neuve et les noms euscariens que les indi- gènes donnent etcore à certaines localités suffisent pour attester les anciennes incursions faites dans l'Amérique sep- tentrionale par les habitants des côtes cantabriques. Le second Mémoire de M. Duro avait pour objet une étude des origines et des progrès successifs de l’ancienne cartogra- phie américaine. Cette étude, fruit d'immenses recherches, : mises au service d'une érudition profonde et d'une rare con- naissance de la matière, fut le digne pendant du remarquable travail présenté à la session de Bruxelles par le regretté colonel d'état-major Adan. Après avoir parlé des innombrables documents carlographiques du Nouveau-Monde que possède l'Espagne, après avoir signalé plus de mille cartes peu'con- nues qui se rencontrent dans les musées, les sociétés savantes ou les collections particulières de la Péninsule, M. Duro donna une descriplion sommaire d'environ huit cents cartes isolées, toutes inédites, et dues aux officiers et pilotes cas- A a oo Mt, à QUATRIÈME SESSION. 71 tillans du xiv° au xvu siècles. L'honorable secrétaire général fit ainsi à grands traits l'histoire de l’ancienne cartographie du nouveau continent. Il rendit, en passant, un magnifique et compétent hommage à la savante introduction placée par M. de la Espada en tête du bel ouvrage publié par lui, aux frais du gouvernement espagnol, sous le titre : Relaciones geograficas de Indias, et dont le premier volume avait été gracieusement offert aux membres étrangers du Congrès. Enfin, M. Duro se livra à une judicieuse critique du monopole anciennement admis en Espagne pour la confection et la vente des cartes marines. Il fit ressortir l'ignorance des pilotes de la Casa de contratacion, qui avaient imaginé deux graduations distinctes comme moyen de corriger les écarts de la boussole. Il: rappela que ce procédé fantaisiste avait été fort discuté dès son introduction et avait donné lieu notamment à une disser- tation aussi curieuse que satirique, intitulée : Coloquios sobre las dos graduaciones diferentes que las cartas de Indias tienen, dont l’auteur était D. Fernando Colôn, le fils du grand navi- gateur. Après cette communication, la parole fut donnée à M. Neussel, lequel offrit au Congrès, de la part du Musée ethnographique de Berlin, une série de planches représentant des antiquités mexicaines et péruviennes. Ces antiquités avaient été découvertes et rapportées par plusieurs archéolo- gues allemands, chargés par leur gouvernement de diverses missions scientifiques sur le nouveau continent. L'un de ces savants, M. le docteur Reiss, présent à la séance, ajouta quelques mots à la communication de M. Neussel, pour faire connaître l'importance du Musée de Berlin au point de vue de l’ethnographie américaine. Il déclara que M. Bastian, directeur de ce Musée, et ses collaborateurs auraient vive- ment désiré prendre part à l'Exposition d’antiquités organisée à l’occasion du Congrès, mais qu'ils en avaient été empèchés, d'abord, par des difficultés se raltachant à la période d'orga- 79 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. nisation et d'installation dans laquelle se trouvait encore le Musée de Berlin, ensuite, par la crainte des inconvénients inévitables qui résultent du déplacement d'objets fragiles et précieux. À ce propos, M. Reiss annonça quil avait reçu mandat de soumettre au Congrès la proposition d'établir, entre les musées archéologiques et ethnographiques des divers pays, l'échange de photographies des objets rares et remar- quables dont se composaient leurs collections. Ce procédé, tout en faisant connaître à l'étranger les richesses scientifi- ques et artistiques de chaque musée, permettrait de créer sans peines ni frais des collections de photographies d'un haut intérèt et d'un puissant secours pour les savants. M. Bamps remercia M. Reis de sa proposition. I constata la faveur avec laquelle elle était accueillie par le Congrès, et erut devoir la compléter en proposant l'échange de moulages préfévablement aux photographies. Les tons souvent noirs des antiquités américaines, les caractères et lignes ordinairement frustes de leurs inscriptions et dessins, ne sont guère de na- ture à être bien rendus par la photographie. La reproduction par des moulages serait donc très désirable.chaque fois qu'elle pourrait avoir lieu sans exposer les objets à reproduire. Elle présenterait en outre ce grand avantage de permettre aussi la création dans les Musées d'une section où se trouveraient réunis, sous une forme facilement appréciable, les fac-simile des objets d’une grande rareté et d’un grand intérêt scienti- fique faisant partie des collections étrangères. M. Reiss manifesta son adhésion à cette proposition com- plémentaire. L'échange préalable des photographies fournirait: aux directeurs des Musées le moyen de connaître les objets dont ils croiraient utile ensuite de demander des moulages. Aucune autre observation n'ayant plus été faite à ce sujet, M. Fernandez de Castro demanda à pouvoir revenir en quel- ques mots sur la thèse soutenue la veille par M. de Saussure relativement à la question de savoir si l'ile de Cuba avait été » QUATRIÈME SESSION. 15 anciennement unie au continent. Le savant géologue espagnol fit remarquer que non seulement il n'existait au fond aucune divergence entre la manière de voir de M. de Saussure et la sienne, mais que celle-ci se trouvait même pleinement corro- borée par cellé de son honorable contradicteur. En réalité, en prouvant que l’île de Cuba était déjà séparée du continent à l'époque tertiaire, M. de Saussure n'infirmait en aucune façon : l'opinion de ceux qui soutiennent que cette île était reliée au continent avant l'apparition de l'homme. M. le secrétaire général Duro profita des observations pré- sentées par M. de Castro, pour résumer rapidement deux Mémoires envoyés au Congrès par rapport à l'île de Cuba. L'auteur du premier était D. Nicolas Fort y Roldan, qui l'avait intitülé Cuba indigena ; le second, dû à M. Lopez Prieto, trai- tait de la géologie de l'ile de Cuba. M. Duro donna aussi lecture d'un travail de M. Leakin, ten- dant à établir que les Espagnols ont été les premiers à décou- vrir les États-Unis d'Amérique. M. Minguez, de Cuba, s'atiacha à démontrer ensuite que les Égyptiens et les Grecs avaient connu le Nouveau-Monde et y avaient fondé des établissements à une époque très reculée de l'histoire de ces peuples. Il appuya sa démonstration sur des analogies entre la civilisation égyptienne et celle de cer- taines peuplades de l'ancienne Amérique. Il basa également son « opinion sur des objets matériels en usage chez ces peuplades et paraissant provenir de l'Égypte ou de la Grèce. I conclut en disant que les Égyptiens eurent connaissance de l'Atlantide et que, de même qu'ils furent les premiers à civiliser le monde, ‘ils furent aussi les premiers à coloniser l'Amérique, où ils arrivèrent après avoir parcouru l'Europe et fait étape sur le littoral des Gaules. Ce fut la dernière communication de ja séance, qui fut levée à midi. 74 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Séance du Conseil central. Le Conseil central se réunit à deux heures précises, dans la salle des réunions ordinaires de l’Académie royale d'histoire. Les membres du bureau de la session de Madrid, ainsi que les délégués étrangers, nommés dans la séance préparatoire du Congrès, se trouvaient présents. L'assemblée était présidée par M. le duc de Veragua ; M. Cesäreo-Fernandez Duro, secrétaire général, remplissait les fonctions de secrétaire. D'abord, l'honorable président annonça qu'il n’y avait qu'un seul objet à l'ordre du jour du Conseil : la désignation du siège de la cinquième session. M. le duc de Veragua fit ensuite, en termes heureux, un intéressant exposé historique des Congrès américanistes. Il démontra que cette institution était venue à : son heure, et passa rapidement en revue les progrès réalisés dans l’organisation de l’œuvre depuis la session inaugurale de Nancy, jusqu'à celle de Bruxelles, laquelleavait fait choix à l’una- nimité de la ville de Madrid, comme siége dela quatrième session. Le noble descendant de Colomb émit l'espoir que les auteurs de ce choix n'auraient pas à le regretter. Puis, faisant ressortir l'importance des études américaines, il engagea les membres du Conseil à fixer leur préférence sur un centre intellectuel où ces études seraient déjà en honneur, où elles pourraient prendre un nouvel essor et poursuivre sans obstacle leur marche progressive. M. Bamps fit connaître que deux membres des États-Unis l'avaient chargé de solliciter la réunion de la cinquième session: en faveur d'une des principales villes de l'Amérique du£ Nord. Le révérend Stephen D. Peet, directeur de l'American antiquarian, notamment, avait répondu de l'accueil empressé que le Congrès recevrait aux États-Unis, et garanti le concours du gouvernement de celte grande république. M. Bamps ajouta qu'il faisait part au Conseil de la demande des deux membres QUATRIÈME SESSION. | 10 américains uniquement en acquit de la mission qui lui avait été confiée, parce que, personnellement, il n’était point parti- san, pour le moment du moins, d'une réunion du Congrès en Amérique. Non quil voulüt nier les avantages que présen- terait, au point de vue du développement des études américa- nistes, une session aux États-Unis, mais parce qu'il ne croyait pas l'institution assez forte ni assez connue en Europe pour lui permettre de traverser l'Océan. D'ailleurs, peu de membres européens se décideraient à franchir les mers dans le seul but de prendre part à un congrès sur le nouveau continent. Vrai- semblablement, ils agiraient tout comme les Américains eux- mêmes, lesquels, bien que plus enclins aux grands déplace- ments que les Européens, s'abstenaient jusqu'ici de faire le voyage d'Europe dans le but exclusif de venir assister aux assises américanistes. M. Paul Gaffarel, délégué français, se prononça en faveur du choix des États-Unis pour y tenir la prochaine session. Il regardait comme chimériques les dangers ou Les inconvénients de ce choix. En tout cas, des considérations de la nature de celles invoquées ne devaient point, d'après lui, contre-balancer l'intérêt seientifique, et 1l était incontestable que l'œuvre _américaniste retirerait d'immenses avantages de ses sessions américaines. Pour ne parler que d'un seul, le concours des savants du Nouveau-Monde, assez restreint lors des précé- dents congrès, y serait largement assuré et contribuerait puis- samment aux progrès de la science américaniste. M. Cesàäreo-Fernandez Duro déclara ne pas vouloir inter- venir dans le débat; cependant il croyait devoir faire observer que c'était avant tout l'intérêt de l'œuvre qui devait guider dans la désignation du siége des différentes sessions. Le prince Michel Gortschacow, ministre plénipotentiaire et délégué de l'empire russe, prit alors la parole pour proposer le choix de la ville de Copenhague. Le Congrès international des Américanistes, dit l'honorable prince, s’est fondé et a tenu 70 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ses trois premières sessions dans l’Europe centrale ; ses qua- trièmes assises auront eu lieu dans le midi de notre vieux con-- tinent, peut être conviendrait-il de fixer aussi une session dans le nord, avant de décider que l'institution se transporte au Nouveau-Monde. En outre, les inappréeiables services rendus aux études américanistes par les savants danois sont universel- lement connus ; personne non plus n’ignore les très anciennes explorations faites en Amérique par les Scandinaves. Ne sont- ce pas là des motifs suffisants pour engager le Conseil à faire succéder à la fructueuse session de Madrid une réunion du Congrès dans un pays du nord de l'Europe? Enfin, l'éloquent ministre russe persuada le Conseil de l'accueil excellent qui serait fait aux américanistes en Danemark, et il.s'offrit même, pour le cas où sa proposition serait adoptée, à servir d'inter- médiaire à Copenhague, dans le but d'établir les relation préalables à l’organisation de ja cinquième session. M. Eugène Beauvois, délégué français, appuya chaudement la proposition de M. le prince Gortschacow. Le choix de la ville de Copenhague lui paraissait heureux à tous égards. Il était convaincu que fes savants danois apporteraient à l'œuvre des études américaines un concours précieux, .et que la cin- quième session serait au point de vue de l'Amérique septen- trionale non moins féconde que l'était la session de Madrid au point de vue de l'Amérique centrale et méridionale. M. Dognée, délégué belge, appuya également la proposition de M. le prince Gortschacow. Ayant antérieurement participé à un Congrès à Copenhague, il se trouvait en mesure de garantir par expérience l'accueil le plus cordial et le plus empressé de la part de la nation danoise, et il était certain de ne poimt trop s'aventurer en affirmant que l’hospitalité scientifique la plus ‘large ne ferait pas non plus défaut aux membres du Congrès. M. Quijano Otero, délégué des États-Unis de la Colombie, demanda après cela la parole, pour se plaindre de ce que PE NET QUATRIÈME SESSION. 77 quelques membres du Conseil semblaient ètre les adversaires . d'une session en Amérique. Il croyait cependant superflu d'in- sister sur l'importance scientifique qu'offrirait sans aucun doute une session sur le nouveau continent ; mais il se plaisait à donner l'assurance que le Congrès serait accueilli avec enthousiasme dans n'importe quelle contrée de l'Amérique latine et Spécialement dans la Colombie. M. le duc de Veragua répondit à M. Quijano Otero qu'il avait mal interprété les sentiments exprimés précédemment. Aucun membre du Conseil n'avait eu la moindre intention de combattre d'une manière absolue la réunion du Congrès en Amérique. Tous au contraire devaient désirer voir un jour les études théoriques du ‘Congrès se transformer eu travaux pra- tiques. En effet, nul ne pouvait douter du concours précieux qui serait acquis à l'œuvre par une session américaine, nul non plus ne mettait en doute la sympathie de l'accueil qui serait fait aux membres du Congrès sur le nouveau continent. Aussi la décision du Conseil en faveur d'une session en Amérique serait bientôt prise, s'il n’y avait pas à redouter les inconvé- ments d'un long et dispendieux voyage et s'il n'était pas dési- rable de voir l'institution plus connue, mieux appréciée et plus-fortifiée en Europe, avant de la transporter au delà des mers. Tels étaient les seuls motifs de l'hésitation qu'éprou- vaient certains membres en présence de la double invitation adressée des États-Unis au Congrès. Personne ne demandant plus la parole, M. le Président mit aux voix la proposition de M. le prince Gortschacow. Cette proposition fut adoptée à l'unanimité par le Conseil. En conséquence, M. le duc de Veragua déclara que la cinquième session aurait lieu en 1885 à Copenhague. Ilremercia en outre l'honorable ministre de Russie de l'intermédiaire obli- geant qu'il avait offert, et ajouta que le Conseil acceptait son offre courtoise avec reconnaissance. Après ces paroles, la séance du Conseil central fut levée. CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. —1 (o_e] Séance de l'après-midi. À trois heures, le Congrès se trouva de nouveau réuni dans la grande salle de l'Académie d'histoire. M. le duc de Veragua ouvrit la séance et donna connaissance au Congrès de la déci- sion du Conseil centralen vertu de laquelle la cinquième session aurait lieu à Copenhague en 1883. Ii invita ensuite M. de Saus- sure à prendre la présidence. En remplaçant M. le duc de Veragua au fauteuil, le savant président de la Société physique de Genève exprima ses sen- timents de gratitude pour l'honneur que le Congrès voulait bien lui faire. Je représente ici, dit-il, le pays le plus petit de l'Europe, mais permettez-moi de considérer l'honneur dont je suis l’objet comme un hommage rendu à ma patrie, laquelle, si petite qu'elle soit, a toujours su conserver un rang honorable parmi les nations européennes. La parole fut ensuite donnée à M. Fournier, qui entretint le Congrès d’une publication qu'il était à la veille de faire dans le but de démontrer que le peuple égyptien colonisa le premier le Nouveau-Monde. Cette publication tendrait en outre à éta- blir que les races sorties de l'Égypte se rencontraient partout, dans l’Indoustan, en Grèce, en Italie, etc., et que les Espa- gnols eux-mêmes descendaient des Égyptiens. M. le docteur Reiss fit remarquer que cette thèse avait été souvent soutenue, et pourtant qu'elle était fort sujette à cau- tion. Les nombreux travaux publiés pour la défendre ne s'étaient appuyés. que sur des théories plus ou moins hasardées contre lesquelles la science moderne devait se mettre en garde. L'opi- nion, entre autres, qui attribue aux Égyptiens ou à leurs prédécesseurs, la découverte et la colonisation de l'Amérique, après leur avoir fait parcourir une grande partie de l'Europe, ne peut être acceptée à la légère, car elle n'est fondée sur QUATRIÈME SESSION. 19 aucune donnée précise et n'apporte au nombre de ses argu- ments aucune preuve scientifique. M. Dognée combattit non moins énergiquement la manière de voir de M. Fournier. Il qualifia les théories dont celui-ci s'était fait l'organe de vieilles erreurs, et s'éleva surtout contre le système suivi par certains savants, qui se contentent de quelques analogies dans les apparences physiques, les mœurs ou les manifestations de l'esprit de quelques peuples pour en induire des aflinités de race et des origines communes. Après cette discussion, M. Bamps donna lecture d’une lettre de M. Gabriel Gravier, président de la Société normande de géographie, un des fidèles des Congrès américanistes, lequel s'exeusait de n'avoir pu se rendre à Madrid, parce qu'il s'était trouvé retenu au Congrès des sciences géographiques de Venise au delà de ses prévisions. Ensuite, M. Bamps présenta l'analyse d'un intéressant Mé- moire intitulé : Étude comparative sur la poterie américaine. Ce Mémoire était envoyé au Congrès par M. Edwin A. Barber, de Philadelphie. Les premières productions de l'homme, sur toute la surface de l'habitacle humain, n'offrent pas de différences essentielles. Néanmoins, les similitudes qu'on pourrait relever dans ces productions ne sont pas les indices de rapports préexistants entre les divers groupes de la grande famille humaine; elles sont simplement le signe de la similarité des conditions par lesquelles tous ces groupes ont successivement passé. À l'ori- gine, l'homme eut à lutter partout contre les mêmes diflicultés ; ses facultés et ses aptitudes natives ne pouvaient subir encore l'influence d'éléments sociaux, mais elles devaient nécessaire- ment se ressentir du milieu physique auquel se rattachait son existence. Dès qu'une civilisation, même rudimentaire, se fai- sait jour au sein d’un groupe d'hommes, ses produits en por- taient l'empreinte; on voyait alors chaque race imprimer, avec une progression identique, des caractères distinctfs sur 80 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. les œuvres de ses mains. Ces caractères s'accusaient davan- tage à mesure que la civilisation progressait. Les industries de tous les peuples de l'univers fournissent matière à de sem- blables observations; l'étude de la céramique américaine, notamment, en démontre la parfaite exactitude. Les poteries primitives des anciennes populations du Nou- veau-Monde, diffèrent peu des produits similaires des abori- gènes des autres continents ; toutefois, elles révèlent toujours des caractères et des détails topiques qui sont du domaine de larchéologue. Pour la forme et lornementation, les plus an- ciennes poteries de l'Amérique présentent certaines ressem- blances avec celles appartenant en Angleterre, dans le Danemark et dans quelques autres parties de l'Europe, à l'époque la plus reculée. Mais les analogies décroissent, sans que pour cela il y ait la moindre corrélation entre elles, en sens inverse du développement des idées artistiques dans chacune de ces régions. Les anciennes poteries américaines peuvent être classées, selon les lieux d'où elles proviennent, dans l'ordre suivant : 1. Amérique du Nord; 2. Mexique; 3. Amérique centrale; 4. Amérique du Sud; 5. Pérou. Celles originaires de l'Amé- rique du Nord se subdivisent en poteries des montagnes, pote- ries des pueblos (agglomérations), et poteries des Peaux- Rouges. Dans l'Amérique du Nord, les poteries des montagnes sont les plus anciennes ; elles sont caractérisées par leur structure grossière et par la profusion des ornements. On trouve ces poteries dans la partie haute de la vallée du Mississipi, surtout dans les États de Iowa et d'Ohio. Les principaux dessins qui ornent les poteries des montagnes consistent dans - des lignes diagonales, des cercles ou des carrés, tracés autour des bords, au moyen de bàätons pointus ou de pierres taillées. La forme la plus communé représente un cône ren- versé; la base en est plate et étroite, l'ouverture large. ee QUATRIÈME SESSION. s1 Quelques-uns de ces vases primitifs ressemblent beaucoup pour la forme aux anciennes urnes cinéraires de l'Irlande. Il existe une catégorie de poteries des montagnes qu'on à appe- lées « produits du Missouri ». Elle se rencontre surtout dans les élévations et dans les tombeaux de lArkansas, de l'Illinois et du Tennessée. On croit que les produits du Mis- souri appartiennent à une époque plus reculée que les poteries des montagnes proprement dites. Ces produits étaient en gé- néral fortement cuits au feu ; 1l existe cependant des spécimens qui ont seulement été durcis par l'action du feu, ce qui a fait dire qu'ils étaient séchés au soleil. La terre des poteries du Missouri est ordinairement noire ou grisàtre, mêlée ae sable ou de coquillages pulvérisés. Ces poteries sont parfois ornées de dessins noirs, rouges ou blancs; on trouve aussi quelques rares spécimens entièrement recouverts d'une couche d'ocre rouge ; mais ces couleurs ne sont pas cuites dans la poterie. Les produits du Missouri affectent communément la forme sphérique et sont-surmontés d'un col long et étroit. On ren- contre également des gourdes et des bols à manche ou bien à anse. Les manches des modèles les moins anciens sont tra- vaillés en forme de têtes d'animaux ; parfois la poterie elle- même est moulée sous l'aspect d'un animal. Un grand nombre de poteries représentent aussi des végétaux, des fruits, etc. Enfin, quelques vases exceptionnels ont la forme humaine. En général, la poterie des montagnes n'est jamais de grande dimension. L'étude comparée de la poterie des peuples pri- mitifs des différentes parties du globe, montre que les potiers des élévations, aux États-Unis, étaient beaucoup plus avancés dans l’art de mouler la terre que les peuplades européennes à l'âge de la pierre. Pour la forme et les ornements, les poteries des montagnes avaient d'incontestables ressemblances avec les plus anciens vases originaires de la Grande-Bretagne, et avec les poteries trouvées dans les palafittes des lacs suisses. Dans le comté de Gallatin, Illinois, il a été découvert un assez 6 82 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. grand nombre de poteries d'une espèce particulière, dépassant en dimensions les autres produits céramiques de l'Amérique du Nord, et offrant ce détail remarquable qu'elles sont cou- vertes de lignes circulaires, régulièrement coupées à angles droits par d’autres lignes verticales ou obliques. On peut supposer que ces poteries, lors de leur fabrication, avaient été couvertes de nattes ou enfermées dans des paniers de roseaux tressés, dont l'empreinte se distingue encore sur la surface durcie. | Les poteries des pueblos étaient d'une exécution supérieure à celles des montagnes. Les Indiens des agglomérations savaient non seulement mouler des vaisseaux de toutes formes. et à tout usage, mais possédaient déjà l'art de les décorer avec une grande variété de couleurs. Ils connaissaient aussi le moyen de polir leurs produits céramiques et de leur donner du brillant. Ces sortes de poteries se trouvent principalement dans le Colorado, l'Utah, l’Arizona et le Nouveau-Mexique. : Elles sont de deux espèces : les poteries grossières el rugueuses, et celles dont la surface était unie et brillante. Les pote- ries de la première espèce se façonnaient au tour, procédé employé par beaucoup de peuplades américaines. L'intérieur . du vase se lissait à la main; l'extérieur était travaillé ou incrusté à l’aide ‘de bâtons, de coquillages, de pierres, ou sim- plement au moyen du pouce du poter. Celles de la seconde espèce, outre qu'elles avaient les faces intérieure et extérieure unies, étaient ornées de dessins géométriques rouges, Jaunes, bruns où noirs, symétriquement tracés sur fond blane, et quel- quefois de figures d'animaux, tels que le cerf, l'ours, l'élan. Au surplus, les potiers des pueblos donnaient à leurs produits une variété infinie de formes ; ordinairement ils représentaient des animaux et surtout des oiseaux. Pour l'ornementation ces poteries avaient de réelles similitudes avec les anciens vases de l’île de Chypre. Lorsque les Espagnols arrivèrent, en 1539, dans les pueblos du Nouveau-Mexique, ils constatèrent que les QUATRIÈME SESSION. 83 poteries, fabriquées par les races indiennes occupant alors ces contrées, étaient inférieures, sous le rapport de la délicatesse des procédés, aux spécimens d'une fabrication indigène beau- coup plus ancienne. Cependant, les potiers contemporains de la conquête réusissaient à donner à leurs produits une appa- rence plus riche et plus gracieuse. A cet égard, les Indiens actuels du Nouveau-Mexique n'ont nullement progressé; leurs arts industriels, les seuls qui leur soient connus, sont restés stationnaires depuis plus de trois siècles. Les poteries des Peaux-Rouges ont de grandes ressem- blances avec les poteries des élévations, mais elles sont d’une forme plus grossière encore. Les Peaux-Rouges ne paraissent pas s'être beaucoup livrés à la fabrication de la poterie. Même dans les temps actuels, les Indiens des États de l'Ouest de l'Amérique fabriquent peu d'objets céramiques ; les tribus chez lesquelles on trouve des vases de terre, d’ailleurs sans aucune valeur archéologique, sont les plus isolées et les moins avan- cées au point de vue social. Les populations des côtes de la Californie ne confectionnaient pas non plus de produits céra- miques. Dans les tombeaux de cette partie de l'Amérique, on ne rencontre jamais aucune trace de vases de terre. Pour les usages Qulinaires, les races californiennes employaient,ordi- nairement des récipients en stéatite. Les anciens habitants de la Californie avaient à ce sujet des coutumes et des procédés semblables à ceux des Esquimaux et des Indiens des côtes nord de l'Amérique. Au Mexique, les anciennes poteries sont particulièrement remarquables à cause de la finesse de leurs moulures ; les poteries mexicaines souvent le cèdent à peine aux produits analogues du Pérou. Aussi, la perfection de ces poteries frappa les conquérants espagnols du xvi° siècle. Parmi les vases d'or. et d'argent et les autres objets précieux qu'ils envoyèrent en Espagne, figuraient un grand nombre de beaux: vases de terre du Mexique. Les chroniqueurs castillans, qui 84 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES, accompagnèrent Fernand Cortez, parlent fréquemment avec admiration, dans leurs écrits, des produits de la céramique mexicaine qu'ils eurent sous les yeux. L'art cultivé tour à tour par les Toltèques, les Aztèques et les Chichimèques, mais surtout par les tribus Nahuatl, ne consistait pas uniquement dans la confection de vases de terre; ces peuples modelaient déjà des statuettes avec goût et une incontestable entente des formes esthétiques. Un des plus beaux spécimens de cet art mexicain est conservé dans les collections du Smithsonian Institut, à Washington. C'est une grande cruche ayant deux anses en forme de serpent; le corps de la cruche est magni- fiquement orné en relief de figures humaines enlacées, donnant une vague idée des bas-reliefs romains, le pied se compose d’un serpent dont les trois anneaux sont gracieusement enrou- lés. Les Incas n’ont rien produit de plus artistique et de plus achevé. Dans l'Amérique centrale, les produits céramiques les plus remarquables proviennent du Yucatan, du Nicaragua et du territoire de Costa-Rica. Ils sont fort inférieurs à ceux du Mexique et offrent un détail tout à fait caractéristique : les poteries de cette partie du Nouveau-Monde ont presque tou- jours trois pieds. Elles portent assez fréquemment nn orne- ment disposé de manière à pouvoir servir de sifflet. Parfois aussi elles sont moulées sous la forme d'oiseaux ou de quadru- pèdes. Ces poteries sont d'habitude coloriées en rouge et d'une texture grossière. Leur ornementation la plus commune consiste dans des animaux sculptés à la surface, le singe surtout, avec ses grimaces etses gambades, occupe une large place dans cette ornementation. Sur le territoire du Nicaragua, on a trouvé une poterie funéraire exceptionnelle; elle représente un œuf gigantesque, ayant à l’un des côtés, plus élevé que l’autre, une ouverture circulaire par laquelle on introduisait les dépouilles mortelles. Les productions céramiques de l'Amérique centrale présentent de nombreuses similitudes avec celles de Porto- 85 Rico, de Saint-Domingue et de certaines régions des Indes occidentales. Les poteries de l'Amérique du Sud, à l'exception de la Boli- vie et du Pérou, sont beaucoup moins connues par les archéo- logues que celles de n'importe quelle autre contrée du Nouveau Monde située au nord de l’isthme de Panama. La raison en est que les terres intérieures de l'Amérique du Sud n’ont pas encore été bien explorées; le climat est peu favorable dans celte partie du nouveau continent, les voyages y sont difliciles et même dangereux à cause de quelques peuplades indiennes qui y vivent encore à l'état sauvage. Les parties de l'Amérique méridionale les mieux connues sont les bords de l'Amazone et la vallée de l'Orénoque. Les produits céramiques de l'Amérique du Sud ne sont caractérisés par aucune par- ticularité notable; cependant ils se font remarquer par une grande profusion de décors en couleurs vives. Dans l'Amé- rique méridionale, les potiers mélangeaient les cendres de certains bois à la terre qu'ils employaient; ils avaient aussi l'habitude de vernir leurs produits à l’aide de gommes naturelles, ce qui marque un progrès énorme. Le procédé du brunissage, en polissant la surface du vase, au moyen d’un caillou ou d’une pierre unie, afin de la rendre dure et brillante, était connu par les tribus des bords de l'Amazone, tout comme par les habitants des pueblos de l'Amérique du Nord. Quant à la forme des poteries du Sud du Nouveau- Monde, elle se rapproche beaucoup de celle des produits du Missouri. Comme pour ces produits, la forme la plus fréquem- ment adoptée par les potiers du Sud, est la reproduction plus ou moins fantaisiste des fruits et des légumes. Les poteries de l'ancien Pérou l'emportent beaucoup sur les autres produits céramiques du nouveau continent. L'art chez les Incas était en grand honneur et avait atteint un haut degré de perfection; leurs facultés inventives et imitatives étaient fortement développées, tous les produits de l’industrie QUATRIÈME SESSION. 86 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. incasique le décèlent. Les anciens potiers du Pérou fabri- quaient des vases d’une dimension supérieure aux poteries provenant des autres parties de l'Amérique; ces vases avaient jusque trois et quatre pieds Ge hauteur. Il est hors de doute que les anciennes poteries péruviennes parvenues jusqu'à nous appartiennent à des époques différentes; mais il serait très difficile de les classer dans un ordre chronologique. Les produits des temps les plus reculés, ne présentent pas de notables différences avec les spécimens de la céramique des autres contrées de l'Amérique du Sud; ceux appartenant à une époque plus récente possèdent des traits caractéristiques, qui les distinguent à première vue des autres produits simi- laires du Nouveau-Monde. Les vases de Ja première époque et les poteries employées aux usages domestiques avaient une forme très simple. Ceux au contraire destinés aux cérémonies religieuses et aux pratiques funéraires étaient décorés avec .une grande richesse de détails. Les Incas consacraient beau- coup de temps et de travail aux produits céramiques. La déco- ration de certains de leurs produits est d'un goût si épuré, qu'il est impossible de méconnaître le génie artistique de cette race. L’imitation de la nature paraît avoir élé la grande préoc- cupation des potiers péruviens. Cependant celte imitation est souvent mitigée par les idées dominantes dans Fidolàtrie paienne et subit naturellement l'influence des mœurs inca- siques. Il n’est pas rare de rencontrer des poteries péruviennes qui sont des caricatures grotesques où des reprodüelions volontairement contrefaites des objets qui avaient servi de modèles. L'imitation des beautés de la nature se mêle dans les produits céramiques du Pérou aux certalions hideuses de l'imagination. De mème que les potiers de certaines autres régions de lFAmérique, ceux du Pérou ont une préférence marquée pour les formes d'animaux et la reproduction de la figure humaine. Tout en cherchant beaucoup l'ornementation, les Incas étaient fort soucieux aussi de l'utilité de leurs pro- QUATRIÈME SESSION. 81 duits. Ils s'ingéniaient à faire prévaloir dans leur fabrication des principes de physique, dont on chercherait en vain l'idée chez leurs contemporains indigènes. En effet, les Péruviens fabriquaient des vases auxquels ils donnaient l'aspect de cer- tains animaux; ces vases, soit quils fussent agités d’une manière déterminée, soit qu'on laissàt écouler le liquide qu'ils contenaient, faisaient entendre des sons, imitant le cri, le sifflement ou le chant des animaux qu'ils représentaient. Le résultat était obtenu par le passage subit ou graduel de Fair à travers une petite ouverture pratiquée à cette intention, tandis que le liquide s’écoulait par une autre ouverture. Les poteries les plus remarquables du Pérou se trouvent le long de la côte, principalement aux environs des villes d’Arica et de Lima. Les plus anciens spécimens imitent la forme d’une courge, décorée de lignes grossièrement peintes. Des spécimens d'une époque plus récente imitent des oiseaux, des singes, des lamas, des poissons, etc. Une autre espèce de poteries, assez spéciale au Pérou, sont les vases à base pointue; ils ont géné- ralement une anse placée à chaque côté de la partie inférieure et une troisième anse à la partie supérieure, près du goulot. L'ornementation la plus ordinaire des vases péruviens est une sorte de dessin noir et blanc, en forme de damier, sur un fond rouge ou brun; cette ornementation fait l'effet d’une mosaique finement incrustée. Encore une autre poterie parti- culière au Pérou, ee sont de grands bols en terre, de couleur rouge claire, sur lesquels se trouvent peintes en brun et blanc des figures d'oiseaux et d'animaux. Mais les produits céra- miques péruviens les plus intéressants, ceux qui dénotent le mieux l’art des Incas, sont les poteries qu'on peut désigner sous le nom de vases-portraits. Ces vases exigeaient tout à la fois le travail d'une main exercée et le coup d'œil d'un artiste rompu aux difficultés de son art. On ne saurait guèrt meltre en doute que ces vases-portraits offrent la caractéris- tique nationale des races péruviennes. Ils reproduisaient 88 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. d'ordinaire les traits, souvent caricaturés, de quelque person- nage important; parfois aussi ces vases reproduisaient la physionomie des potiers eux-mêmes. Les poteries du Pérou trahissent des analogies avec les productions céramiques des anciens Égyptiens et des Grecs. Ces analogies, plus ou moins marquées, s'étendent d'ailleurs aussi aux poteries à ‘traits caractérisés de certaines autres parties de l'Amérique, et aux productions de quelques peuples transatlantiques de lanti- quité. En terminant son analyse, M. Bamps attira l'attention du Congrès sur les observations faites par M. Edwin A. Barber, à propos des deux grandes familles &e la poterie américaine dis- tinguées par la couleur rouge et par la couleur noire. II fit remarquer de quel intérêt serait, pour l'étude de la céramique du Nouveau-Monde, la connaissance des procédés employés par les différentes races indiennes pour obtenir ces deux cou- leurs dominantes. Après ce résumé du consciencieux travail de M. Barber, M. le docteur Montejo y Robledo obtint la parole. Il commu- niqua au Congrès un Mémoire, plein d'intérêt et conçu dans une forme humoristique, en réponse à la question suivante inscrite au programme : « Quelles sont les principales ma- ladies contagieuses échangées réciproquement entre les peuples de l'Ancien et du Nouveau-Monde ? » M. Beauvois entretint ensuite l'assemblée des analogies qui existent entre certaines antiquités de la primitive Amérique et celles de l'Ancien-Monde. | Vers 1850, on signala pour la première fois en Danemark l'existence de dépôts, qui n'avaient pas jusque-là sollicité l’at- tention du monde savant et qui portent le nom peu harmonieux de kjoekkenmoeddings. Ce nom, formé de la réunion de deux mots danois, signifiant : débris culinaires, a obtenu droit de cité dans toutes les langues de l'Europe. Les kjoekkenmoeddings sont d'énormes accumulations de débris divers, dont le dépôt QUATRIÈME SESSION. 89 remonte à des époques indéterminées. Ils se composent sur- tout de coquillages, d'instruments primitifs qui ont sans doute servi à briser Ceux-ci, d'ossements d'animaux, d'arêtes de pois- sons et d'autres débris; on y trouve aussi quelques poteries grossières. Après ceux du Danemark, on découvrit également des kjoekkenmoeddings dans différentes autres parties de l'Europe. On finit par en trouver aussi en Amérique, notam- ment dans la Floride, au Chili, au Brésil, dans la Patagonie et jusque dans les îles Aléoutiennes, mais principalement dans le bassin du fleuve Saint-Laurent. L'exploration de ces amas de débris a constaté qu'ils se com- posaient, suivant les lieux, de diverses couches. En Amérique on ne rencontre aucun fragment de poterie dans la couche inférieure, mais on y trouve par contre, ce qui ne sémble pas avoir encore été découvert en Europe, des ossements humains brisés. Il est à supposer que ces ossements constituent Ja preuve la plus ancienne de l'existence du cannibalisme en Amé- rique. L'idée de comparer les kjoekkenmoeddings des deux mondes est nécessairement venue aux savants qui se sont occupé de cette question. Une chose qui a frappé tout d'abord, c'est que les instruments qu'on a trouvés dans les amas d'Amé- rique sont identiques à ceux découverts en Europe, avec la seule différence que le taillant est formé de deux biseaux en Amérique, tandis quen Europe il n'est formé que d'un seul. M. Dall, qui a fait une étude comparative toute spéciale des kjoekken moeddings, a constaté qu'ils se compo- sent régulièrement de trois couches. L'examen de la couche inférieure trahit un état de civilisation des plus misérables : d'abord, on n’y trouve aucune trace de feu, aucun outil de pêche ni de chasse; cette couche renferme uniquement des coquillages, susceptibles d'être recueillis à la main, des restes de poissons, que les races primitives mangeaient crus, des couteaux de pierre et d’autres instruments très grossiers. Dans la couche intermédiaire, on remarque des arêtes de poissons, 90 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. des écailles, des ossements d'animaux, des hamecons et des armes de pierre, mais nul vestige encore de feu n1 d'instru- ments quelque peu perfectionnés. Dans la couche supérieure au contraire, les ossements d'animaux terrestres et aquatiques se trouvent mêlés à divers objets cärbonisés ou ayant subr l'action du feu, aux outils de chasse et de pèche et aux usten- siles de fa cuisine primitive. Ce sont les trois degrés par lesquels à passé l'homme à la première époque de l'âge de la pierre. La seconde époque du même àge, caractérisée par les monuments mégalithiques, nous montre déjà des instruments relativement perfectionnés. D'après Le savant archéologue amé- ricain Rau, les instruments qu'on rencontre dans les kjoek- kenmoeddings formés dans l'Amérique du Nord pendant cette période, sont tellement semblables à ceux trouvés en Europe et principalement dans les pays scandinaves, qu’on serait tenté : de les confondre. Les beaux silex provenant des dépôts du Nouveau-Monde ne le cèdent en rien à ceux découvertsen Dane- mark. La même observation s'applique à certains ossements façonnés en crochets : les petits, soigneusement travaillés, servaient d'amulettes ou d'ornements ; les grands, d'un travail plus grossier, de harpons. Les musées danois renferment un grand nombre de ces crochets, mais ils abondent surtout’en Amérique. Les dépôts du Nouveau-Monde sont d’ailleurs plus considérables que ceux d'Europe : dans un seul de ces dépôts, il a été recueilli plus de quatre mille objets, dans un autre environ trois mille cinq cents; c’est à peu près la proportion des trouvailles faites dans les mounds, lesquels correspondent par synchronisme aux kjoekkenmoeddings d'Europe. Les dépôts de l'Amérique affectent ordinairement la forme d’im- menses figures géométriques. Il existe aussi de frappantes analogies entre la forme des dépôts funéraires dans les deux mondes. En Amérique comme en Europe, l'inhumation était généralement pratiquée dès l'âge de la pierre ; mais vers la fin de cet äge, on trouve encore des traces de crémation dans le QUATRIÈME SESSION. EH Nouveau-Monde, tandis qu'alors déjà, en Europe, l'inhumation était exclusivement en usage. On peut done conclure de ces faits que l'humanité a tra- versé les mêmes phases primitives dans les deux mondes et que la civilisation a suivi à peu près la même marche progres- sive sur les deux continents. Toutelois, le développement social s'est fait d'une façon complètement indépendante dans l'Ancien et dans le Nouveau-Monde; c'est ce qui explique les diver- gences de plus en plus accusées à mesure que l’on s'éloigne des premiers àges. Déjà à l'âge des métaux, les dissemblances sont flagrantes : les peuples du nord de l'Amérique ne con- naissaient à cette, époque que la pierre et le cuivre, ils igno- raient la fasion du métal. Aussi, les instruments américains de cet âge diffèrent complètement des instruments contempo- ‘ains de l'Europe, alors que les nombreux outils de l'âge de la pierre, découverts sur les deux continents, offrent des carac- tères d'une analogie frappante. Les progrès inégaux et dissem- blables de la civilisation dans les deux mondes, tiennent sans doute à des influences différentes que l'histoire, l'ethnographie el l'anthropologie feront connaître un jour; mais faut-il in- duire des similitudes incontestables, qui existent partout à l'aurore de l'humanité et durant les époques rudimentaires de la civilisation, que toutes les races humaines ont une origine commune, où bien faut-11 simplement admeltre que les analo- gies résultent d’une identité de circonstances et de conditions ? Tel est le grand et important problème que les études améri- canistes peuvent largement contribuer à résoudre. Cette communication intéressante celôtura la séance, la- quelle fut levée à quatre heures ct demie SE CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. QUATRIÈME ET DERNIÈRE JOURNÉE. Séance du matin. A neuf heures et quart, la séance fut ouverte sous la prési- dence de M. le duc de Veragua. Il avait à sa droite, MM. Canovas del Castillo et Fermin de Lasala y Collado; à sa gauche, MM. le prince Gortschacow et le secrétaire général Cesareo-Fernandez Duro. Conformément aux ordres du roi D. Alphonse XIT, l'hono- rable président fit connaître aux membres du Congrès que Sa Majesté daignait les inviter à passer la soirée au Palais de Madrid. M. le duc de Veragua donna ensuite lecture du télégramme qu'il avait reçu en réponse à l'expression des sentiments de condoléance du Congrès, transmise aux États-Unis à l'occa- sion du décès du général Garfield. Ce télégramme était conçu en ces termes : « Au duc de Veragua. Le touchant souvenir du Congrès des Américanistes a été reçu avec une profonde gra- ütude. » Puis, M. le duc de Veragua invita M. le docteur Leemans, directeur du Musée néerlandais d’Antiquités de Leide, à prési- der la séance. L'honorable M. Leemans, en salisfaisant à cette invitation, fit appel à l'indulgence de l'assemblée. Je dois l'honneur que vous me faites, dit-il, à la direction spéciale des études de ma vie entière. Mais Je suis tout confus de cet honneur, car je crains fort de tromper votre attente. De plus, j'ai le regret de ne point parler votre belle langue castillane, et celle dont.-je me sers nest pas mon idiome maternel. Néanmoins, J'aurais mauvaise grâce de me soustraire à la charge honorable que QUATRIÈME SESSION. Je vous avez la bonté de me confier, et je m'appliquerai, avec votre concours, à ne point démériter de votre bienveillance. M. Arias de Miranda demanda la parole après cette allocution. Il revint sur une thèse antérieurement discutée, relative à la question de savoir, si, dans les temps précolombiens, l'Amé- rique fut habitée par la race égyptienne, la race asiatique ou la race mongolique.'Les recherches faites jusqu'aujourd'hui pour obtenir une solution à cette question sont demeurées sans résultat. On a dit que les premiers colons de l'Amérique furent des Égyptiens. Il serait tout aussi juste de prétendre que ce furent des Chinois ou des Hottentots, car les preuves font défaut. M. de Miranda croit que l'étude des innombrables documents dispersés en Espagne fournirait des renseigne- ments précieux pour aider à l'élucidation de cette intéressante thèse. Après cela, M. le docteur Andrés Jesus Montes, de Ciudad Bolivar (Venezuela), fit hommage au Congrès, tant en son nom qu'au nom de M. Vicuna Makena, de 25 volumes de divers ouvrages. La parole fut alors donnée à M. le comte de Charencey, lequel étudia avec sa compétence bien connue les analogies cosmogoniques qui existaient entre les croyances de certains peuples de l'Amérique et les traditions de l’Ancien-Monde. Il étendit ses considérations à la linguistique, en établissant ra- pidemment un savant parallèle entre des idiomes du vieux continent et quelques langues américaines. Une étude des systèmes des différentes races du globe sur les âges cosmiques est, incontestablement, un des meil- leurs moyens d'arriver à connaître les relations qui ont pu exister entre ces races. En effet, les traditions cosmiques des peuples remontent à leur première origine et doivent nécessairement témoigner des points de contact qui ont pu les rattacher entre eux. Sous ce rapport, les idées des peuples primitifs de la Nouvelle-Espagne sur les àges du monde, sont 94 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. bien instructives. Les déductions qui découlent de ces idées ont été combattues par certains écrivains contemporains, mais elles sont confirmées par ceux du temps de la conquête. Parmi ces derniers, quelques-uns étaient des chefs indigènes, tel que le descendant des anciens rois de Tezcuco, auteur d'une histoire des Soleils, tel encore que l’auteur du précieux manus- crit désigné sous le nom de Codex de Tecpan Alitlan ; d’autres étaient ces anciens missionnaires espagnols, aujourd'hui en- core nos maîtres pour tout ce qui touche à la connaissance des antiquités américaines, comme Mendieta et le grand compilateur Torquemada. M. Léonce Angrand, jadis consul de France à Guatemala, fut le premier à remarquer que les anciennes races occidentales, ayant habiié le Mexique, le Guatemala, etc., et auxquelles on devait aussi la construction du mystérieux temple de Tiagua- naco, en Bolivie, admettaient cinq àges cosmiques, à chacun desquels avait mis fin un bouleversement général, causé par un des différents éléments : l'air, le feu, les tremblements de terre, l’eau et la disparition de la lumière du soleil. Les races orientales, au contraire, comme les Mayas du Yucatan et les Quichuas du Pérou, croyaient que le nombre des âges cosmiques était de quatre, en y comprenant l’âge actuel. Elles croyaient en outre qu'un déluge de feu devait terminer celui-ci, entraînant la fin de l'univers; mais que cette fin serait précédée de l'avènement du prophète Quetzalcoatl. Ce prophète viendrait prêcher une réforme religieuse et apporter le règne de la justice et de la vertu sur la terre. Il est inutile d'insister sur l'importance de cette tradition, car ses analogies avec celle qui' existe chez les Boudhistes de l'Extrème Orient sont manifestes. On ne ren- contre la même croyance dans les idées cosmogoniques d'aucun autre peuple. C'est donc là une preuve indéniable des antiques relations de certaines races américaines avec l'Ancien-Monde, preuve qui vient se joindre à celle tirée des similitudes de leur calendrier. Il résulte en outre de la doctrine introduite éd nn QUATRIÈME SESSION. 95 par M. Angrand que les civilisations américaines se ratta- chaient à un double courant : 4° le courant occidental ou système quinaire, celui des populations à têtes droites, com- prenant entre autres les Mexicains, et admettant cinq âges du monde; 2° le courant oriental ou fleuridien, celui des têtes plates, comprenant les Yucatèques et les Quichuas, du Pérou, qui reconnaissaient quatre âges cosmiques, y compris l’âge actuel. La linguistique fournit des arguments d'une autre nature. En établissant des règles générales fondées sur l'étude des langues indo-européennes et des langues sémitiques, on est tombé dans une erreur profonde. L'Amérique avait un état social tellement différent de celui de l'Europe qu'il est impos- sible que cette différence n'ait pas influencé les langues. A l'époque de la pierre taillée, alors que les populations de l'Europe menaient un genre de vie assez analogue à celui des Peaux-Rouges, des phénomènes linguistiques semblables ont pu se produire dans Îles dialectes des deux continents. Ainsi, beaucoup de dialectes du Nouveau-Monde offraient une distinc- tion particulière entre la conjugaison transitive et la conjugai- son intransitive. On se servait dans chacune de ces conjugai- sons de pronoms difiérents. Or, quelque chose d’analogue exis- tait dans la langue basque. Ainsi encore, le Maya et le Quiché admettaient l'encapsulation, c’est-à-dire que le pronom pouvait se scinder dans ces langues, une partie se plaçant avant le radical substantif, l'autre partie venant après ce radical. L'encapsulation était très fréquente dans les dialectes améri- calins et fort rare dans les idiomes de l’Ancien-Monde ; néanmoins, elle a lieu pour quelques-uns de ces idiomes. Une chose d’ailleurs digne de remarque, c’est que les langues américaines étaient très différentes entre elles sous le rapport du lexique et de la grammaire. Quelques savants ont avancé que les langues indo-euro- péennes provenaient d'une fusion entre les langues sémiliques 96 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. et les langues touraniennes, qui se seraient emprunté récipro- quement des formes grammaticales. Cette opinion, énergique- ment contredite dans le principe, semble aujourd'hui prouvée. D'abord, il n’est point permis de perdre de vue que l'Ancien- Monde se trouvait encore dans un état presque sauvage à l'époque de la formation de ces langues. Ensuite, bien que les linguistes n'admettent guère des emprunts, du genre de ceux dont il vient d'être question, à des idiomes de familles com- plètement différentes, cela s'est fréquemment présenté dans les langues du Nouveau-Monde. Pour ne citer quun seul exemple, le Mane, le Tzxendale, le Pokome, qui appartiennent à la famille Maya-Quiché, ont formé une partie d'une de leurs conjugaisons au moyen de pronoms empruntés au méxicain, lequel se rattache à un groupe linguistique différent. Cela démontre clairement, à l'encontre de l'opinion de certains philologues, que les idiomes peuvent s'emprunter les uns aux : autres, non seulement des mots, mais aussi des formes gram- maticales. Peut-être sera-t-il utile d'ajouter que les langues américaines, auxquelles se rapportent les observations qui précèdent, appartiennent à une époque fort ancienne, car le Mane, notamment, était l'idiome d'un peuple puissant, qui a laissé de nombreuses traces de son état social, mais qui avait disparu avant le vi* siècle de notre ère. M. Julien Vinson succéda à M. le comte de Charencey,pour faire observer que la parenté des langues sémitiques avec les langues indo-européennes est une pure hypotèse. Il faut d’ail- leurs s'élever contre la dénomination de langues touraniennes, laquelle est une expression dénuée d'un sens précis. Elle a été inventée par M. Max Muller dans le but de comprendre sous un seul groupe les langues qu'on ne parvenait à rattacher à aucun autre, et même dans cette acception elle est erronée. M. de Charencey répliqua que le mot fouranien n'a pas la signification que M. Vinson lui donne ; ce mot s'applique uni- quement au peuple finnois. L'expression peut être mal choi- QUATRIÈME SESSION. 97 sie, mais elle est intelligible et généralement employée comme telle par le monde savant. M. de la Espada demanda aussi à faire une observation au sujet de la communication remarquable de M. le comte de Charencey. Celui-ci avait parlé des traditions cosmogoniques de certains peuples du Pérou; mais il était indispensable de préciser les peuples auxquels il voulait faire allusion. Ea effet, il n'existait aucune analogie entre les idées religieuses des peuplades habitant les côtes péruviennes et celles des tribus des hautes cordillières. Les points de ressemblance entre les traditions des anciens peuples du Pérou et celles originaires de l'Asie peuvent s'expliquer ; cependant, il faut se garder de s'inspirer à cet égard des doctrines de l'inca Garcilaso, qui a complètement dénaturé l'histoire du Pérou. M. de Charencey répondit qu'il avait eu en vue les peuples étudiés par l'abbé Brasseur de Bourbourg. Le double courant de civilisation signalé par M. Angrand, et qui n'est pas corni- testable, se composait, il est vrai, d'éléments multiples ; il y a eu forcément des croyances différentes dans chacun d'eux, et ce serait une singulière exagération de vouloir faire accep- ter un système absolu sur ce point. Toutefois, il n'en est pas moins évident que certaines légendes des Incas, entre autres, ont une origine orientale qu'on révoquerait à tort en doute aujourd'hui. Cette discussion se trouvant close, M. le docteur Reiss de- manda à pouvoir répondre en quelques mots à une question posée la veille par M. Bamps. Celui-ci, après avoir constaté que les poteries rouges et les poteries noires du Nouveau- Moude étaient d'une pâte présentant les mêmes éléments, sans addition d'une substance colorante, avait proposé au Congrès, comme un problème intéressant, de rechercher les procédés employés par les aborigènes de l'Amérique pour diversifier les couleurs de leurs produits céramiques. Selon M. Reiss, les procédés anciens étaient Ics mêmes que ceux encore en 4 98 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. usage actuellement parmi les Indiens. Les voyageurs alle- mands ont vu fabriquer les poteries américaines et connais- sent le système suivi depuis un temps immémorial dans celte fabrication. La matière employée était l'argile mêlée d'oxyde de fer. Les Indiens avaient trouvé le moyen d'augmenter artifi- ciellement cet oxyde; ils savaient aussi désoxyder les parties dont ils voulaient varier les couleurs ; le feu faisait le reste. M. Banps se déclara heureux d'avoir provoqué les explica- tions de l'honorable M. Reiss. Tout en reconnaissant que les procédés expliqués par ce dernier pouvaient réellement avoir été en usage pour la fabrication des poteries noires et rouges dans l'Amérique précolombienne, il croyait néanmoins pou- voir émettre encore certains doutes. La matière employée était l'a même dans les deux espèces de poteries ; cependant, dans quelques poteries noires ona constaté la présence de cendres de bois, lesquelles faisaient naturellement défaut dans les poteries rouges. D'autre part, si la variété de la couleur a pu être obtenue suivant qu'on soumettait les objets céramiques à un feu d'oxydation ou de réduction; si les nuances ont pu être variées au gré du fabricant par l’action franche ou mitigée de l'oxygène, il est pourtant assez diflicile d'admettre que les anciens habitants à demi civilisés du Nouveau-Monde, aient pu connaître, même d'une façon inconsciente et appliquer avec succès des principes de chimie et de physique qui se sont introduits à une date relativement beaucoup plus récente dans les arts industriels des-peuples du vieux continent. . Après ce retour imcidentel sur le terrain de l'archéologie, le P. Fita ramena le Congrès dans le domaine de la linguistique, en communiquant à l'assemblée un très savant Mémoire sur la langue basque et ses analogies avec les dialectes américains. Le P. Fita commença par constater que la langue eusea- rien ne possède des racines que l'on regarde, à juste titre, comme primordiales, comparativement aux autres idiomes du globe. La parenté entre cette langue et divers dialectes du QUATRIÈME . SESSION. 99 Nouveau-Monde est donc fort intéressante à étudier; elle a d'ailleurs été signalée déjà à plusieurs reprises. Il y a deux ou trois ans, on a trouvé un Codex original, dans le quatrième livre duquel existe un petit vocabulaire basque. Cette décou- verte a donné lièu à une vive polémique. On a nié l'authenticité de l'original et l'exactitude de la transcription. Aujourd'hui, il est permis de certifier l'un et l'autre. Tous les mots du diction- aire appartiennent au dialecte roncal, et on y trouve des similitudes frappantes avec d'autres idiomes. Ainsi, le nom Orsia, donné à Dieu, ne paraît, à première vue, répondre en aucune manière aux mots correspondants dans les autres langues. Cependant Orsia correspond exactement à Thor, mot employé par les Scandinaves pour désigner Dieu ou le tonnerre. .Cette analogie entre les langues scandinaves et l'euscara, jointe à d’autres analogies de diverse nature, apporte au fait historique des voyages des Basques dans le Nord, l'ap- pui d’un fait philologique que personne ne contestera. Or, il n'est pas possible de méconnaître la haute importance de l'ac- cord entre la linguistique et l'histoire. M. Webster a publié le texte d'auteurs anglais qui relatent les expéditions faites en lrlande par les Basques vers le x‘ siècle ; ces auteurs parlent aussi des colonies que ces derniers y avaient fondées. Le Codex du xu° siècle trouvé à Compostelle, fait mention d'autres détails qui établissent, à n'en pouvoir douter, les an- ciennes relalions entre Les nations du Nordetles Basques. Dans une œuvre de science, 1l est nécessaire d'avancer pas à pas, d'aller prudemment d’ua fait à un autre, pour réunir ensuite tous ces faits en un faisceau capable de servir de base à un système solidemment assis. Pour envisager la question sous sa face exclusivement philo- logique, il est indispensable de déterminer le fond de l'ana- logie entre le verbe basque et le verbe dans les langues amé- ricaines. Différentes doctrines ont été émises à cet égard. Le verbe basque, a-t-on dit, n'a pas de racine propre, mais le 100 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. mot qui sert à former le verbe se constitue du sujet et du prédicat. Il y a tout lieu de croire que dans le principe le verbe basque possédait sa racine, et qu'on la retrouverait en remontant à la langue-mère. Il en est de même des langues néo-latines, qui ne contiennent plus toutes les formes qu'on trouve dans la langue primitive; le latin et le grec n'ont pas conservé les formes qui se reconnaissent parfaitement dans le sanscrit. En découvrant la vraie racine du verbe basque, on obtiendrait un point d'appui pour affirmer que l’idiome eusca- rien avait le verbe, dont le développement a suivi la même marche que celle constatée dans d’autres langues. De plus, on découvrirait ainsi dans le basque un système propre, pou- vant servir à des comparaisons soit avec les langues finnoises, soit avec les langues américaines. Ces dernières langues sont divisées par ordre de la formation des pronoms directs; 11 serait donc possible d'y retrouver d'anciennes racines et d'établir les analogies de ces langues avec l'euscara. Peut-être agirait-on sagement en étudiant d'abord d'une façon appro- fondie cette dernière langue. Il conviendrait donc de recher- cher dans toute l'Espagne les manuscrits de la vieille languc basque, pour arriver peu à peu à la connaissance scientifique de cet idiome. M. Canovas del Castillo avait déjà antérieure- ment préconisé ce système, dans un remarquable travail publié par lui avec la même intention. Vu le résultat à obtenir, il est à supposer que le gouvernement espagnol ne refuserait pas son généreux concours à la réalisation d'une idée aussi fé- conde. Elle aurait en effet pour but, non seulement l'étude con- sciencieuse des antiquités philologiques des pays basques, mais aussi celle des vestiges archéologiques et ethnologiques que ces pays peuvent renfermer. De cette manière on arriverail tout naturellement à la comparaison des monuments basques avec les monuments celtiques qui peuvent se rencontrer en Espagne. Le P. Fila appuya ces considérations sur la décou- verte faite naguère à Siguenza d'une inscription celtibérique, “ QUATRIÈME SESSION. A0 publiée par lui dans le Bulletin de l'Académie royale d'histoire. Le déchiffrement des caractères de cette inseription est pres- que complet, mais on a encore des doutes au sujet de la langue dans laquelle elle est conçue; d’ailleurs, on ne saurait mon- trer Lrop de circonspection quand il y a beaucoup d'incertitude, comme cest notamment le cas pour les monuments étrusques. Il a été possible toutefois de constater que la phonologie de linseriplion est très semblable à celle des pays basques. Le premier mot « Arregorratoks », qui est le nom ethnique des Numantins, servira de point de départ à l'interprétation. La savante étude du P. Fita fut suivie d'une nouvelle exeur- sion dans le domaine de l'archéologie américaine, sous la conduite de M. de la Espada. Pour ne point démentir sa réputation méritée d'excellent guide en cette science, le sym- pathique et laborieux américaniste mit d'abord sous les veux des membres du Congrès une belle collection de dessins, repré- sentant les ruines du palais des Incas, situées non loin du volcan de Cotopaxi, dans l’ancien royaume de Quito. La pierre employée pour la construction de ces étonnants édifices était très légère, bien que d'une densité comparable à celle du granit. Les blocs, au Jieu d’être taillés en équerre et à lignes droites, comme cela se pratique aujourd'hui, avaient des arêtes courbes où obliques qui emboîtaient parfaitement les arètes saillantes du bloc adhérent. L'appareil de ces édifices rappelait done les constructions cyclopéennes. Dans une des ruines on remar- quait un immense local, dont trois parois étaient ornées cha- cune d'une niche ayant deux pieds de hauteur. Les montants de ces niches étaient décorés dans leur partie inférieure el unis à la partie supérieure ; celle-ci était surmontée d'une sorte de triangle isocèle, tronqué au sommet. La destination de ces niches est inconnue. M. de la Espada présenta aussi au Congrès une série de mélodies indigènes manuscrites, provenant également de. l'ancien royaume de Quito. 102 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. M. le docteur Reiss confirma l'exactitude de la description donnée par M. de la Espada d’une partie des ruines de Coto- paxi, qu'il avait également visitées, et il déclara partager les apprécialions communiquées par ce dernier au Congrès. M. MarimOn donna ensuite lecture d'une relation inédite, faite en 1579 par le Chapitre de Valladolid, dans le Yucatan, en exécution des ordres du gouvernement espagnol et conforme au questionnaire dressé par ce gouvernement, pour servir de guide aux autorités dans toutes les possessions américaines de la couronne de Castille. Cette relation donne une parfaite idée de l'état dans lequel se trouvaient, antérieurement à la con- quête, les provinces de la presqu'ile du Yucatan, si curieuse à ‘étudier, à cause des nombreux vestiges archéologiques qu'on y rencontre encore. Le Chapitre de Valladolid s'étend lon- guement, dans son travail, sur les mœurs et les coutumes des anciens Yucalèques; il y étudie leurs cérémonies civiles et religieuses et fait une description minutieuse de leurs monu- ments. La parole fut alors donnée à M. Juan de Dios de la Rada y Delgado. Le savant directeur du Museo español de antigüe- dades de Madrid, fit an Congrès une triple communication, que tous les membres écoutèrent avee le plus Vi£ plaisir, non seulement à raison de son intérêt scientifique, mais surtout à cause du talent avec lequel son auteur sut la développer. D'abord, M. Rada y Delgado offrit au Congrès, de la part de M. Léon de Rosay, les premières feuilles et planches d’une importante œuvre de ce dernier sur l'interprétation des kiéro- glyphes mayas et des inscriptions de l'Amérique centrale. I rappela, à ce propos, les différentes tentatives d'interprétation faites avant M. de Rosny. Il se livra à une compétente critique des divers travaux entrepris à ce sujet, et il démontra que le système adopté parle savant professeur français, et que celui-ci expose dans la remarquable introduction placée en tête de sa transcription du Codex Troano et dans les annotations dont k QUATRIÈME SESSION. 105 il accompagne cette transcriplion, est tout à la fois le plus logique, le plus prudent et le seul certain. Pour justifier son opinion, M. Rada eut recours à de lumineuses comparaisons historiques et épigraphiques entre les procédés employés pour le déchiffrement des inscriptions du Nouveau-Monde et ceux * appliqués aux hiéroglyphes égyptiens, depuis linterprétation de la pierre de Rosette et les travaux de Champollion le jeune, jusqu'aux plus récentes investigations et découvertes. M. Rada afflirma aussi sa confiance dans l'alphabet eonservé par le P. Landa, et donna l'assurance que cet alphabet est appelé à rendre aux américanistes de non moins grands services que la célèbre stèle de Mésa, roi de Moab, a rendus aux égyplo- logues et aux orientalistes. M. Rada s'occupa ensuite des inscriptions en couleur rouge trouvées en Colombie. Il établit un curieux parallèle entre les caractères graphiques et phonétiques colombiens, ceux décou- verts dans les îles Canaries et ceux des Cuevas de los letreros de l'Audälousie. M. Rada releva de grandes ressemblances entre ces différents caractères, mais il se garda bien d'en dé- duire une communauté d'origine entre les anciens habitants de la Colombie et ceux de la Bétique. Il se borna à reproduire, pour la paléographie, l'observation faite par d'autres membres à propos de l'archéologie, à savoir que l’homme, à un degré égal de civilisation, a eu recours, sous toutes les latitudes, à des moyens identiques pour traduire les mèmes manifestations de son intelligence. Et cette ‘doctrine ne trouva point de con- tradieteurs au Congrès, tant il semble naturel que l'esprit hu- main, dans des circonstances analogues, disposant toujours des mêmes éléments pour s'épancher au dehors et des mêmes voies d'exécution pour réaliser ses idées, doive produire des choses similaires. M. Rada cita une autre preuve à l'appui des mêmes argu- ments, en faisant siennes les considérations de M. Edwin À. Barber au sujet des analogies qui existent entre les vases du 104 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Pérou et ceux provenant de l'île de Chypre. M. Rada confirma les assertions du laborieux et sagace archéologue américain relatives à ces analogies ; il déclara Jes avoir également con- stalées par lui-même, quand il eut la bonne fortune de voir en détail et d'étudier la céramique chypriote, Sa ressemblance avec les poteries péruviennes a pu faire croire sérieusement à des influences phéniciennes sur l'industrie céramique du Nou- veau-Monde; mais aujourd'hui Ja science ne doit plus se con- tenter d'hypothèses, ni se livrer à des conjeclures aventurées : si elle veut arriver à des résultats féconds, il importe plus que jamais qu’elle fonde le point de départ de ses recherches sur des bases solides. Après cette intéressante communication, M. le secrétaire général Duro donna lecture d'un rapport de la section ethnolo- gique du Smithsonian Institute de Washington, sur le dévelop- pement et les progrès des études américanistes aux États- Unis. Puis la séance fut levée à onze heures et demie. Séance de l'après-midi. À deux heures et demie, M. le duc de Veragua prit place au bureau. Il avait à sa droite, M. le prince Gortschacow ; à sa gauche, M. le secrétaire général Duro. Il invita aussitôt M. Pacheco Zegarra, délégué du Pérou, à présider la séance. L'honorable M. Pacheco Zegarra, en remplaçant M. le duc de Veragua au fauteuil, déclara qu'il ne s'attendait nullement à présider une séance du Congrès; il ajouta qu'il ne pouvait s’y attendre, parce sun n'avait aucun titre à un tel honneur. Mais d'autant moins il s'en savait digne, d'autant plus profonde aussi était sa gratitude, quil pria le Congrès d'agréer en faisant appel à toute sa bienveillance. M. Duro donna ensuite à connaître que M. Colmeiro y Pe- nido, doyen de la Faculté des sciences et directeur du Jardin QUATRIÈME SESSION. 105 Botanique de Madrid, offrait à chaque membre du Congrès un exemplaire du discours qu'il avait prononcé à la Fête du premier centenaire de la fondation de ce Jardin. Puis la parole fut accordée à M. Rodriguez Ferrer, pour rendre compte, au nom de M. de Saussure, de l'examen fait par celui-ci, sur l'invitation du Congrès, de la mâchoire fos- sile découverte dans l'île de Cuba. M. Rodriguez Ferrer fit connaître d'abord que l'honorable président de la Société de’ physique et de sciences naturelles de Genève avait reconnu sans hésitation que le débris maxillaire qui avait été soumis ‘aw Congrès était un fragment humain. Seulement, M. de Saussure se montrait moins aflirmatif par rapport à la fossili- -sation de cette màchoire. Selon lui, rien ne prouve quelle remonte à une haute antiquilé. Son aspect extraordinaire peut avoir pour cause l'âge très avancé de l'individu dont elle pro- vient, où même la perte de toutes les molaires, laquelle aurait entrainé une déformation correspondante à cet élat patholo- gique. M. de Saussure croyait que l'absence des molaires et la structure spéciale des incisives pourrait être aussi le résultat d'un travail artificiel, ayant eu pour but de rendre la mâchoire propre à un usage particulier. M. Rodriguez Ferrer déclara qu'il ne pouvait admettre aucune des hypothèses de M. de Saussure. À son avis, la grande fossilisation de la mâchoire, c'est-à-dire la preuve la moins douteuse de sa haute antiquité, était évidente et avait été reconnue par la plupart des savants qui l'avaient sérieuse- ment examinée. Quant au travail artificiel que la mâchoire aurait subi, ce ne serait là qu'une simple conjecture, qui ne résisterait pas à la moindre réflexion. Pareil travail, d’ailleurs peu explicable, aurait eu pour objet l'enlèvement des molaires el l'entaillure des incisives, et se serait effectué à l’âge de la pierre : on est en effet généralement d'accord pour rattacher l'existence de l'homme auquel cette mâchoire a appartenu à la période primitive des cavernes. Ce travail aurait donc dû être 106 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. exécuté au moyen des instruments connus pendant cette période. Or, l'historien Oviedo, en parlant des services que les haches de pierre étaient susceptibles de rendre, a dit qu'elles broyaient plutôt qu'elles ne coupaient. Cependant, à en croire M. de Saussure, ces haches auraient dû couper deux incisives. Cela ne paraît guère possible. Mais l'antiquité de ce fossile humain remonte si haut que toutes les suppositions semblent permises et sont excusables. L'esprit est dérouté, quand 1 . cherche à s'étendre jusqu'à ces époques reculées des origines humaines, et l’on dirait que les facultés de l'homme sont para- lysées chaque fois qu'il veut surprendre les mystères de la création. Le grand naturaliste Cuvier soutint toujours que l'homme ne fut pas contemporain des grandes espèces détruites, et quil n'apparut point dans l'univers dès les premiers temps de la période quaternaire. Aujourd'hui pourtant, cette opinion est très discutable, et chaque jour multiplie contre elle de nou- veiles découvertes, en faisant surgir des couches géologiques les restes de l’homme primitif et les traces de son industrie. IL paraît raisonnable toutefois que l'homme ne prit naissance dans la constitution du globe qu’à l'époque quaternaire, quand la faune et la flore, dont il avait un si grand besoin, s'étaient déjà développées, et quand le type des vertébrés avait déjà parcouru tous les degrés de ses manifestations. Comme on l'a remarqué, rien n'est plus frappant que la corrélation scienti- fique des diverses créations successives. Rien n’est plus admi- rable que cette échelle graduée des êtres vivants : on la voit commencer au poisson, dont la forme horizontale se redresse peu à peu, jusqu'à atteindre l'apogée de sa perfection dans l'attitude verticale, qui fait de l'homme le roi de la création. Pour en revenir plus spécialement à l'île de Cuba, on ne peut lui disputer la priorité de la découverte dans le Nouveau- Monde de certains spécimens paléontologiques, tels que des restes d'hippopotame, trouvés dans cette île avant que le pro- fesseur Cope efit publié la découverte de ses hippopotamides QUATRIÈME SESSION. 107 dans sa faune de l'éocène-miocène des États-Unis. Quoi d'éton- nant dès lors à revendiquer aussi, pour l'ile de Cuba, la priorité de la découverte de l'homme tertiaire ? En présence du doute qu'avait encore laissé subsister l'examen auquel M. de Saussure s'était livré au sujet de la mâchoire fossile, M. Rodriguez Ferrer annonça son intention de faire photographier cette mâchoire avec soin et mème de la faire mouler, afin de pouvoir la soumettre. aux études et aux méditations des savants spécialistes, de tous les pays, avec l'espoir que de cette étude internationale naîtrait une certitude scientifique, qui viendrait corroborer ses convictions person- nelles, depuis longtemps acquises. M. Fabié fit observer que les formes anatomiques de la . mâchoire sont telles qu'il faudrait rectifier le type de l'homme, si le débris maxillaire en question appartenait réellement à un être humain de l'époque tertiaire. Ensuite, le même orateur s’occupa également des langues primitives de l'Amérique, ainsi que de leurs analogies avec quelques autres dialectes, notamment avec l'euscara. Il fit res- sortir l'importance de cet idiome pour l'étude des langues, et émit l'espoir de voir un jour le gouvernement créer une chaire de basque à l'une des Universités d'Espagne. M. Vinson donna son appui à-cette idée, et traita de son côté des relations de l’euscara avec les langues anciennes de l'Amérique. À ce propos, le savant professeur de l'école des langues orientales de Paris affirma qu'il serait impossible d’ar- river à [a connaissance de ces relations au moyen des livres composés sur le modèle de la grammaire latine. Le procédé le plus certain consisterait dans l'étude approfondie des anciens écrits, propres à chaque idiome, et dans leur comparaison successive, mails COnsCiencieuse. Le P. Fita se déclara partisan de la fondation d'une -chaire de basque; il dit qu'il partageait la conviction que l'ensei- gnement de cet ancien dialecte produirait au point de vue des 108 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. , progrès de la linguistique de merveilleux résultats. Puis le savant religieux se livra à des considérations érudites sur la prononciation dans les langues américaines, et sur les nom- breux travaux des missionnaires espagnols concernant la-pho- nélique de ces langues. M. Jiménez de la Espada cbserva que les étudés linguis- tiques ne peuvent guère se baser sur la prononciation. Il est indispensable de connaître exactement les mots, chose fort difficile dans les anciennes langues américaines. Les travaux des missionnaires ne permettent pas de se fixer sur la phoné- tique des dialectes américains ; d’ailleurs, ce qu'on trouve dans leurs éérits, on le trouve de même dans ceux des conquérants espagnols, car les missionnaires n'ont jamais pénétré seuls dans le Nouveau-Monde : ils ÿ ont toujours suivi les troupes qui leur ouvraient la voie l'épée à la main. Le P. Fita protesta avec énergie contre cette dernière asserlion. M. Fabié dit que la croix et l'épée réunis ont fait la con- quête. Il ajouta que la phonétique des langues américaines a pu éprouver de grandes variations suivant les temps’ et les lieux, puisque, même dans les langues modernes, on a pu constater que les mots ne se prononcent plus aujonrd'hut comme au xvI° ou au xvII° siècle. Après cette discussion, M. Perez Minguez s'occupa de la ressemblance qui existe, selon lui, entre l'euscara et les langues égyptiennes. Il soutint néanmoins que les différents idiomes doivent être étudiés en eux-mêmes, et s'attacha à démontrer que c'est à tort qu'on s'appliquerait à étudier l’eus- cara dans les langues américaines et celles-ci dans l'idiome basque. M. Rada y Delgado fit remarquer qu'au fond les opinions des précédents orateurs étaient complètement d'accord, et il recommanda d'étudier la langue basque dans sa forme la plus ancienne. QUATRIÈME SESSION. 109 M. lé chanoine Manobel, professeur à l'Université de Sala- manque, traila ensuite de l'influence qu'eurent sur la décou- verte du Nouveau-Monde les Franciscains de la Räbida, ce couvent aux portes duquel Christophe Colomb tomba de faim et de fatigue, et où son nom et son image sont aujourd'hui l'objet d’une si grande vénération. Parlant de la linguistique, M. Manobel donna à connaître qu'environ quatre cents mission- naires espagnols visitèrent le Nouveau-Monde à l'époque de la conquête et que plus de deux cents d'entre eux s'occupèrent des langues qui se parlaient alors en Amérique. M. Dognée fit quelques observations sur la marche la plus rationnelle à suivre dans les études linguistiques. M. Vinson donna à connaître que la Société d'Exploration, de Paris, a adopté un règlement pour ses membres, dans lequel il y a certaines instructions linguistiques et phonétiques à l'usage des voyageurs, et dont la science des langues pourra retirer les plus grands avantages. Il voudrait voir généraliser ces instructions. | M. de la Espada trouva l'idée excellente ; elle est en effet de nature à faire réaliser de grands progrès, car le point important est de recueillir les mots des anciens dialectes, en quelque sorte de les photographier. Après cet échange d'observations, M. Quijano Otero fit hommage au Congrès, au nom du gouvernement des États- Unis de Colombie, d'une grammaire chibcha, écrite en 1620, et attribuée au P. Joaquin de San Joaquin, et un vocabulaire de la langue des Indiens qui habitent l'isthme de Darien, et dont l'auteur est M. Vicente Uribe. Le président, M. Pacheco Zegarra, céda alors le fauteuil à M. le duc de Veragua, et il communiqua au Congrès une description raisonnée de la célèbre collection de céramique américaine appartenant à M. de Macedo. | Puis M. le secrétaire général Duro analysa rapidement les travaux suivants : 110 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. , Un Mémoire de M. Zarco del Valle, bibliothécaire en chef de S. M. le Roi d'Espagne, dans lequel ce savant rendait compte de soixante-dix œuvres originales et inédites relatives aux langues américaines. Ce travail constituait une fort remar- quable et très intéressante étude bibliographique. Un Mémoire de M. Parisot sur un point spécial de linguis- tique. Et un Mémoire de M. Bachiller sur les langues primitives de l'île de Cuba. M. Bamps donna lecture d'une lettre de Mgr le chanoine de Harlez, professeur à l'Université de Louvain, par laquelle le savant orientaliste belge faisait connaître au Congrès que son état de santé ne lui avait pas permis d'achever, pour la session de Madrid, l'étude sur les langues américaines com- meneée à la session de Bruxelles par son travail sur l'idiome otomi. Il s'engageait à poursuivre ses recherches et à les communiquer ultérieurement au Congrès. M. Bamps déclara qu'il était heureux de pouvoir faire enregistrer celte promesse, parce que le concours d'un savant de la valeur et de la renom- mée de Mgr de Harlez ne pouvait laisser d'être fécond en résullals scientifiques et de faire honneur au Congrès. Ensuite M. Bamps déposa sur le bureau un Mémoire envoyé au Congrès par M" Marcella Wilkins, qui avait pris une part remarquée à la session de Bruxelles. Ce Mémoire, dont le défaut de temps ne permeltait pas de donner lecture, avait pour titre : « Marche du déluge biblique à travers l'Amé- rique. » M" Wilkins envisageait cette question intéressante sous un point de vue nouveau et original, en cherchant à expliquer la marche du déluge par la forme et la constitution géologique du nouveau continent. L'heure de la clôture du Congrès étant proche, M. Hector Varela demanda la parole. En quelques mots heureux, il proposa de voter de respectueux remerciments à S. M. le roi Alphonse XII pour la bienveillance dont il avait daigné honorer QUATRIÈME SESSION. Le la session de Madrid. Il proposa aussi de charger le Bureau d'exprimer au gouvernement espagnol la profonde gratitude du Congrès pour l'appui quil avait bien voulu aeccorder à l'œuvre américaniste. La double proposition de M. Varcla fut votée aux applau- dissements unanimes et enthousiastes de l'Assemblée. Le P. Fila proposa ensuite de voter des remereciments à l'Académie royale d'histoire, pour la gracieuseté dont cette cor- poration aussi savante que distinguée avait fait preuve envers le Congrès, en lui concédant l'usage de son magnifique local pour ses séances. De chaleureuses acclamations accueillirent également cette proposition. Puis divers membres réclamèrent des votes de remerciments au Bureau du Congrès, et spécialement à M. le duc de Veragua, pour la façon si éminemment distinguée, le dévouement et l'ex- quise courtoisie avec lesquels il s'était acquitté de la lourde tâche de la présidence effective; et à M. Cesàreo Fernandez Duro, l'infatigable et savant secrétaire général, pour l'incessante activité qu'il avait déployée avant et pendant le Congrès et pour la part importante qu'il avait prise à ses travaux. L'assemblée témoigna par une triple salve d'applaudissements tout l'empressement qu'elle voulait mettre dans l'expression de ces votes. NSP Enfin, M. le duc de Veragua prit. la parole, ct après avoir témoigné la reconnaissance du Bureau pour les remerciments qui venaieut de lui être votés, le noble duc prononça en termes élevés et cloquents la harangue de clôture, dans laquelle il jeta un très rapide coup d'œil sur les travaux de la session, remercia {ous Ceux qui avaient coopéré à son succès, et termina en disant que le dernier acte des quatrièmes assises du Congrès international des Américanistes, devait être l'envoi d'un respectueux hommage de gratitude à S. M. l'Empereur du Brésil, à S. M. le Roi des Belges et à S. M. le Roi de Porlu- 112 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. gal, qui avaient daigné se faire inscrire comme membres du Congrès de Madrid et avaient déjà antérieurement accordé leur haute protection à l'œuvre américaniste. Puis M. le duc de Veragua, donnant rendez-vous aux Américanistes à Copen- bague, en 1883, déclara close la quatrième session du Congrès. HI LES FÊTES. Indépendanment de la séance royale, de laquelle il a été parlé dans le compte rendu de la première Journée, et indé- pendamment de l'ouverture de l'Exposition de la Flore du Nouveau-Monde et de l'ouverture de l'Exposition des Antiqui-. tés américaines, qui feront l’objet des & IV et V, les membres du Congrès furent conviés à diverses fêtes dont le faste ne s'effacera pas facilement’ de leur mémoire. Toutes d'ailleurs témoignèrent de l'hospitalité cordiale et opulente que l'Espagne tenait à exercer vis-à-vis de ses hôtes ; toutes aussi eurent ce caractère d'apparat qui s'est perpétué sur la vieille et noble terre de Castille à travers les temps et les changements sociaux. Une courte description de ces fêtes ne sera donc nullement dénuée d'intérêt. | Réception des membres du Congrès par la municipalité de Madrid, le 2T septembre 1881. Le palais de l'Ayuntamiento de Madrid est situé « Plaza de la Villa ». Ce palais. extérieurement, n'offre rien de remar- quable au point de vue architectural, sauf ses proportions grandioses. QUATRIÈME SESSION. «Lg Le Une commission avait été nommée au sein du Conseil municipal pour organiser la fête offerte par la ville de Madrid aux membres du Congrès des Américanistes. Cette commis- sion était composée de MM. Abascal, premier aleade, Arroyo, Alvarez Capra, Lara, Martinez Brau, Santibañez et Vela. IL avait été décidé que pour la réception on suivrait le même cérémonial qu'à l'occasion des fêtes du centenaire de Calderon, et comme la municipalité désirait donner un grand éclat à ectte solennité, environ mille invitalions avaient été lancées. À neuf heures et demie du soir, les abords de l'hôtel de ville offraient l'aspect le plus animé et le plus brillant. Des gardes à cheval, en grand.uniforme, faisaient le service de la police et maintenaient hbre la partie de la place longeant le palais municipal. Une foule, désireuse de voir l'arrivée des invités, se pressait sur la Plaza de la Villa, qui resplendissait de lumières ; au milieu de la place, la façade de l’imposant palais, dont les lignes générales étaient illuminées de cordons de gaz, flamboyait de mille feux. Le portique et le long vestibule se trouvaient ornés de mas- sifs de verdure et de fleurs. A l'entrée se tenaient les pompiers, en costume de gala, et les guichetiers vètus de l'habit rouge, la canne à gros pommean d'argent à la main. Depuis le por- tique et sur les marches du grand escalier d'honneur, la haie élait faite par les alguazils historiques, portant le chapeau couvert de plumes flottantes, le justaucorps de velours avec le grand col blanc rabattu, le mantelet vénitien sur l'épaule gauche et l'épée au côté; ceux-ci tenaient la verge flexible, insigne de leurs fonctions. Au haut de l'escalier, à la porte des immenses Salons, les membres de la Commission recevaient les invités. Plus de huit cents personnes s'étaient rendues à l'invitation de la ville de Madrid. | * En pénétrant dans les salons, on était ébloui par l'éclat des lumières ; mais quel merveilleux spectacle s'offrait alors aux 8 114 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. regards! Les yeux ne savaient où se fixer au milieu du luxe et de la variété des décors, des montagnes de fleurs naturelles et rares et du fourmillement des uniformes. Ce qui attirait sur- tout l'attention des étrangers, c'étaient les admirables tapis historiques qui ornaient les murs et dont les chatoyantes cou- leurs, toujours vives et belles malgré leur antiquité, se déta- chaient sur les riches lambris à encadrements dorés et entre les somptueuses colonnes des galeries. | Habilement dissimulé au milieu de massifs de. verdure, un excellent orchestre, sous la direction du maëstro Chapi, exé- cutait en sourdine les plus beaux morceaux de son brillant répertoire. Les membres étrangers du Congrès étaient guidés par les conseillers municipaux, qui mettaient la plus exquise obli- geance à les présenter aux personnalités marquantes de la haute société espagnole et à leur désigner les sommités qui cireulaient en grand nombre dans les vastes salles. On y remarquait, en effet, à côté du Bureau effectif et des membres du Congrès et outre le Conseil municipal de Madrid au grand complet : M. José Ruiz Albareda, ministre de Fomento, pré- sident du Congrès; le Ministre d'État, le Ministre du Gouver- nement, le Ministre de Grâce et Justice, le Ministre des Colo- uies; la plupart des membres du corps diplomatique, notammeut : le Nonce du Pape, le prince Michel Gortscha- cow, Ministre de Russie, les Ministres d'Allemagne, du Por- tugal, du Guatemala et de l'Empire chinois, le chargé d'af- faires de France, des secrétaires et attachés de diverses Légations accréditées près la cour d'Espagne; de nombreux sénateurs et députés ; des grands dignitaires de Castille; des hauts fonctionnaires civils et militaires ; des académiciens, des savants, des artistes, des hommes de lettres et des membres de la presse espagnole et étrangère. Dans la foule, on dis- tinguait les ducs de Abrantes, de Almodovar et de Monte- zuma ; le comte de Toreno et M. Fermin de Lasala y Collado, QUATRIÈME SESSION. 115 anciens ministres; le gouverneur civil de la province, comte de Xiquena; le capitaine général de la Nouvelle-Castille; le gouverneur de la Banque d'Espagne, M. Romero Ortiz; les généraux Echagüe, comte de Valmaceda, Gonzalez Goyeneche, Ruiz Salaverria, etc., ete. A dix heures, les accords de la marche royale se firent entendre. S. M. Alphonse XII entrait dans les salons, accom- pagnée de M. Sagasta, président du Conseil des ministres, et de M. le duc de Sexto, grand maréchal du palais. Le Roi por- tait l'habit noir, sur lequel brillaient les plaques des quatre ordres militaires d'Espagne et les insignes de la Toison d'or. Sa Majesté fut reçue par une commission spéciale, conduite par le premier alcade, M. Abascal, et composée des aleades adjoints, des conseillers municipaux, MM. Monasterio, Moreno Lopez, Jaquete et Osorio, et du secrétaire M. Dicenta. Après les compliments de bienvenue de la commission, le Bureau du Congrès fut admis à saluer le Roi. Puis la plupart des membres étrangers eurent l'honneur d’êlre successivement présentés à Sa Majesté par M. le duc de Veragua, président effectif, et par M. le capitaine de vaisseau Cesäreo Fernandez Duro, secrétaire général, ancien aide de camp du Roi d'Es- pagne. Alphonse XIT daigna faire à tous le plus charmant accueil. Adressant tour à tour la parole à ces nombreux étran- gers en espagnol, en français, en allemand et en anglais, il les enchanta par sa simplicité et sa cordialité, non moins que par sa conversation animée et la variété de ses connais- sances. Quand la longue liste des présentations se trouva épuisée, Sa Majesté fut conduite dans le magnifique bureau de l’Alcade, où la table royale était servie. Un buffet attendait les invités dans le grand salon des colonnes. Malgré les vastes dimen- sions de cette belle salle, il était difficile d'y circuler. Le dressoir, occupant toute la partie latérale qui faisait face aux entrées, était un véritable monument, témoignage indiscutablé- 116 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de la généreuse et délicate hospitalité de la ville de Madrid. Aussi, malgré les proportions gigantesques de ce monumental dressoir, si plantureusement orné, les invités ne se bornèrent pas à lui accorder le tribut de leur admiration. Quelques minutes avant minuit, l'orchestre, exécutant la marche royale, annonça que Sa Majesté le Roi se retirait. Cet exemple fut peu à peu suivi par les invités ; mais les membres étrangers du Congrès n'abandonnèrent pas le palais de l'Ayuntamiento sans exprimer à M. le premier alcade Abaseal, et aux autres membres du Conseil municipal, leur profonde reconnaissance pour la magnifique réception dont ils avaient : été l’objet, et pour l'accueil si plein de courtoisie qui leur avait été fait. Réception des membres du Congrès au Palais royal de Madrid, le 28 septembre 1881. Le Palais royal est l'édifice le plus spacieux de Madrid. IL forme un carré parfait de 132 mètres de côté, et ses quatre façades monumentales sont’ d'une architecture presque 1iden- tique. Vu de l'extérieur, avec ses contre-forts, ses terrasses et. ses Jardins en pente, son aspect est des plus majestueux. 3 Après avoir traversé l'immense vestibule circulaire, on arrive au pied d'un escalier vraiment royal, qui est à lui seul un remarquable monument. Il est en marbre blanc et noir, et constitue une des beautés du Palais. Les marches, d’une éton- .nante largeur, sont d'une seule pièce. La rampe est en rapport avec l'importance de cette magistrale conception architectonique. Cependant, ces colossales proportions ne se. trahissent que dans l'analyse, car le simple aspect ne produit L'intérieur répond dignement à cette apparence grandiose. qu'une impression de majesté, exemple du moindre sentiment . QUATRIÈME. SESSION. 1L7 de lourdeur, tant il y a d'harmonie et d'élégance dans les lignes. Ce bel escalier conduit au premier étage, lequel se compose de plusieurs splendides galeries et de trente immenses salons d'une somptuosité proverbiale. C'est dans ce royal édifice que les membres du Congrès se rendirent à neuf heures du scir, sur la gracieuse invitation que S. M. Alphonse XII avait daigné leur faire adresser. En arri- vant sous le portique du Palais, ils apercevaient, alignés des deux côtés de l'escalier d'honneur, des détachements de halle- bardiers, portant un magnifique costume du xvi° siècle. A chaque palier se trouvaient des suisses, revêtus de l'habit rouge galonné sur toutes les coulures et le claque posé en travers sur la tête. Ils tenaient à la main une grande canne à gros pommeau d'argent, qu'ils faisaient résonner sur le marbre des dalles au passage des principales notabilités. A leur arrivée au haut de l'escalier, les membres du Con- grès élaient guidés, par une file de serviteurs en livrée gala, jusqu'au salon où se tenaient M. le duc de Sexto, grand maré- chal, MM. le marquis de Santa-Cruz et le comte de Sepul- veda, chambellans, et quelques autres hauts dignitaires du Palais, chargés de recevoir les invités. Ensuite, ceux-ci étaient introduits dans le magnifique: « Salon des Tapis », tout tendu de merveilleuses tapisseries flamandes, dont quelques- unes, par une bienverllante attention de S. M. le Roi d'Espagne, ont pu être admirées à Bruxelles, lors de l'Exposition rétros- pective de 1880. Dans ce salon, attenant à la grande « Salle des Armes », se trouvaient MM"* la marquise de Santa- Cruz, la comtesse de Superunda, la duchesse de Hijar, les marquises dé Calderon et del Remedio, et la comtesse de Daun. A côté de ces dames de la Cour d'Espagne on remar- quait tous les Ministres de la Couronne, les généraux Echagüe, Terreros et Cordova, le colonel Avial et les gentilshommes de service. Vers neuf heures et demie, la brillante assistance eut accès 118 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. dans la « Salle des Armes », où elle alla se ranger pour l’en- trée de la Famille royale d'Espagne. Après quelques minutes d'attente, LL. MM. le Roi et la Reine et LL. AA. RR. les Infantes dona Isabelle, dona Paz et doña Eulalie, parurent. Le Roi, en habit noir, avec les insignes de la Toison d'or et la plaque de l'ordre de Charles III, donnait le bras à la Reine ; les Infantes suivaient. Les grands officiers du trône de Cas- ülle escortaient la Famille royale. Ce spectacle était féerique. Il n'était guère possible d'y assister sans l'admirer et sans res- sentir une réelle émotion. Comment eût-il pu en être autre- ment? Dans ces appartements royaux d'une splendeur excep- tionnelle, où les œuvres d'art incomparables et les plus riches souvenirs historiques ont été accumulés à chaque pas, sous les mille feux des lustres et des lampadaires, se voyait à ce moment une réunion d'élite entre toutes. On s'y montrait, + comme reconnaissables à leurs uniformes aussi brillants que variés, des membres du corps diplomatique, de nombreux grands d'Espagne, les principaux représentants de la vieille noblesse castillane, des sénateurs, des députés, les hommes, les plus distingués du monde des arts, des sciences et des let- tres, les sommités de la superbe armée espagnole, ete. Rien de plus impressionnant, d'ailleurs, que le faste de eette Cour d'Espagne, qui a conservé intactes avec un soin Jaloux les anciennes traditions, où l'étiquette et jusqu'à certains costumes sont restés les mêmes depuis plusieurs siècles, et où cependant, par une antithèse aussi heureuse qu'élevée dans son principe, la simplicité et la bonne grâce des souverains, ainsi que la courtoisie et l'empressement des plus hauts personnages, atteint un degré qui, certes, n'est surpassé à aucune autre Cour du monde. La plupart des étrangers eurent l'insigne honneur d'être présentés à S. M. la Reine et à LL. AA. RR. les Infantes; ces présentations étaient parfois faites par le roi Alphonse XII lui-même. La reine Christine et les augustes princesses espa- QUATRIÈME SESSION. 449 guolés se montrèrent à l'égard de tous les invités d'une exquise bienveillance, s’entretenant indistinctement avec tous les mémbres du Congrès, circulant au milieu d'eux, les abordant sans cérémonie et charmant surtout les étrangers par les oräces de leur esprit, la bonté et la noble simplicité de leur accueil. Assurément, tous les hôtes de la Cour de Madrid auront subi durant cette fête l'impression caplivante des rares qualités intellectuelles des membres de la famille royale d'Es- pagne, et tous se seront dit qu'avec de tels souverains, la chevaleresque nation espagnole ne pouvait manquer de trou- ver enfin une ère longue et heureuse de liberté, de concorde et de prospérité. À onze heures, les portes de la grande salle à manger du palais furent ouvertes. Un buffet admirablement garni occu- pait le centre de celte vaste salle. De là, on entendait l'excel- lente musique du corps des hallcbardiers, placée dans une des galeries attenantes. Peu après, LL. MM. le Roi et la Reine d'Espagne se reti- rèrent, accompagnées de LL. AA. RR. les Infantes. Vers minuit les invités quiltèrent successivement le palais dé Madrid, emportant de cette royale réception un souvenir aussi profond qu'enchanteur. Banquet offert aux membres étrangers du Congrès, le 29 septembre 1851. On ne pouvait choisir mieux pour le banquet d'adieu des Américanistes que le grand salon du Conservatoire royal de musique et de déclamation, fondé par la reine Marie-Christine de Bourbon, l'auguste sœur de S. M. l'Empereur du Brésil. Le grand salon du Conservatoire est, incontestablement, un des locaux les plus élégants et les plus artistiques de Madrid. LA 190 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Ayant été détruit par un incendie, il y a quelques années, il fut reconstruit el somptueusement restauré, sous la direction de l'architecte Jareno, alors qu'un éminent amateur des beaux- arts et des belles-lettres, M. le comte de Toreno, élait ministre de Fomento. Le plafond de cette vaste saile est un chef- d'œuvre; deux peintres espagnols d'un grand talent, Contreras et Vallejo, y ont retracé de ravissantes allégories, représentant l'histoire de l'art lyrique et de l'art dramatique. Les murs, dé- corés avec goût, portent en outre, dans des médaillons riche- ment ornés, les portraits des principaux musiciens et liltéra- teurs. La table, en forme d'un immense fer à cheval, occupait presque totalement ce vaste salon. Un éclairage cblouissant faisait scinliller les magnifiques cristaux et les riches surtouts d'argent ciselé qui garnissaient Ja table; des pyramides de fleurs et de fruits du Nouveau-Monde en complétaient l'orne- ment. Au fond de la salle, on voyait un grand buste de S. M. le roi Alphonse XII, émergeant d'un massif de plantes rares. Cest au pied de ce massif que se trouvaient les places d'hon- neur. À sept heures et demie du soir, M. José Luiz Albareda, ministre de Fomeuto, président du Congrès, prit place au centre de la lable. À sa droite étaient placés : MM. le prince Michel Gortschacow, miuistre plénipotentiaire de l'empire russe, fe ministre de Grâce et Justice, le duc de Veragua, le comte de Xiquena, gouverneur civil de la province, Senti- bañes et Arrovo, conseillers municipaux ; à sa gauche : MM. de Peralta, ministre plénipotentiaire de Costa-Rica, le Ministre de la Marine, le duc de Montezuma, Martinez Brau, rempla- gant le premier alcade de Madrid, empêché, Carrecas y Gon- zalez, écrivain distingué, et Frédéric de Botella, inspecteur général des mines. En face du Président du Congrès s'assit M. le comte de Toreno, ancieu ministre d'État et de Fomento, président du Conilé d'organisation de la qualrième session. Il QUATRIÈME SESSION. 191 avait à sa droite : MM. Lopez Gama, ministre plénipotentiaire de l'empire du Brésil, Fermin de Lasala y Collado, sénateur, ancien ministre de Fomento, Fabié, député aux Cortès, membres de l'Académie royale d'histoire, le duc de Hijar, Rodriguez Correa et Page; à sa gauche : MM. le président du Sénat, Romero Ortiz, gouverneur de la Banque d'Espagne, Pedro Madrazo, Emilio Santos, Juan Facundo Riaño, directeur général de l’Instruction publique, et Acuna. Les autres places furent occupées par les invités el les convives, au nombre de plus de cent cinquante, sans dislinetion et suivant leurs con- venances, mais de façon toutefois à faire alterner les étrangers et les Espagnols. Dans la servielte se trouvait le menu. Au début du banquet, il fit l'admiration de tous les convives, non seulement à cause de ses promesses gastronomiques, qui durent pourtant donner beaucoup à réfléchir, mais surtout pour son aspect artistique et scientifique. Sous ce dernier point de vue, le menu sortait certes de l'ordinaire. Les dessins de la couverture, luxueuse- ment chromolithographiée, étaient l'œuvre d'un artiste doublé dun savant, M. Arturo Mélida, el la gravure faisait grand honneur à son auteur, M. Magistris. D'un côté se voyait un hiéroglyphe compliqué, avec des Inscriptions en #aya, ancien dialecte mexicain; de l'autre côté, on remarquait des orne- ments calqués sur ceux du temps des Incas et des caractères en langue quichua, dont on retrouve encore quelques rares vestiges au milieu des escarpements des Andes (Pérou). Tout en suivant d'un œil de plus en plus sérieux la réalisation rigoureuse et les développements sans fin des conceptions culinaires an- noncées au menu, les convives faisaient de celui-ci l'objet de leurs dissertations archéologiques et linguistiques. Mais insen- siblement les horizons scientifiques s'élargirent, les thèses se mulliplièrent, et chacun choisit son champ d'étude suivant ses goûls et ses dispositions du moment. Quand l'heure des toasts eut sonné, M. le prince Gortscha- 199 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. cow se leva. S'exprimant en espagnol par une gracieuse attention, il porta dans un langage aussi élégant que cha- leureux la santé du roi Alphonse XIT, « ami et protecteur éclairé de la science, » celle de la reine dona Christine et de toute la Famille royale. « Dieu conserve de longues années ces augustes souverains, dit en terminant l'honorable Prince, pour le bonheur et la prospérité de la grande et généreuse nation espagnole. » Quelques instants après, M. le duc de Veragua se leva à son tour. Il but aux Américanistes en général, et eu parlicu- lier aux membres étrangers du Congrès, qui élaient venus de tous les points du globe apporter le concours de leurs lumières pour élucider les grandes et intéressantes questions relatives au passé du magnifique continent découvert par Christophe Colomb. | M. Dognée se fit l'organe des Américanistes étrangers en remerciant l'honorable duc de Veragua. IL but au Comité d'organisation du Congrès de Madrid, le félicita chaudement de son succès et lui exprima sa profonde reconnaissance pour l'accueil fait aux étrangers, en déclarant que ceux-ci emporte- raient tous dans leurs foyers l'impérissable souvenir des témoi- gnages de sympathie dont ils avaient été l'objet. M. de Peralta porta la santé de M. Albareda, président du Congrès, et celle de M. le comte de Toreno, ancien président du Comité d'organisation, auxquels il attribua, à juste tire, le succès et les résultats obtenus dans la session de Madrid. M. le comte de Toreno répondit avec beaucoup de finesse, de courtoisie et d'à-propos au toast de M. de Peralta. M. Quijano Otero but à l'union et à la concorde des peuples de l’un et de l'autre côté de l'Attantique. Il affirma énergique- ment le plaisir avec lequel lui-même et ses collègues de l'Amé- rique latine étaient venus participer au Congrès de Madrid; il remercia l'Espagne de l'accueil cordial qu'ils y avaient reçu et offrit, au nom de l'Amérique, l'expression de son respeet QUATRIÈME SESSION 123 et de sa profonde sympathie à S. M. le Roi d'Espagne et à toute la nation espagnole. Après cela, M. le prince Gortschacow se leva de nouveau pour proposer, en termes charmants, la santé de M. Cesäreo Fernan- dez Duro, l'actif et aimable secrétaire général du Congrès, à qui revenait une bonne part du succès de la quatrième session. M. Duro remercia avec son esprit et sa modestie habituels, en rapportant tout le succès du Congrès de Madrid au con- cours qui lui avait été accordé. Enfin, la série des toasts officiels fut close par le pré- sident, M. Albareda. De cette voix mâle et retentissante qui avait produit une si grande impression sur le Congrès à la séance royale d'ouverture, l'honorable Ministre de Fomento salua d'abord les délégués étrangers; il les remercia de leur participation aux travaux de la session de Madrid, et émit l'espoir que la science internationale parviendrait un jour à résoudre les importants problèmes qui se rattachent à l'origine des peuples du Nouveau-Monde. M. Albareda fit ressortir ensuite le caractère élevé de celte agape fraternelle, en même temps que la sincère cordialité qui y avait présidé. Il y montra ces nombreux savants, appartenant à presque toutes les nations du monde civilisé, réunis dans une seule et com- mure aspiration : la recherche de la vérité scientifique; il y montra aussi ces hommes politiques qui oubliaient les luttes parlementaires pour une lutte plus noble et plus haute, celle de la science. Il parla avec émotion de la fraternité et de la solidarité des peuples, cette grande force de notre siècle, ce rayonnant symbole du progrès des temps modernes. Il ajouta que l'Espagne ne resterait pas en arrière dans celte voie, et il but à l'amitié croissante des nations étrangères et principale- ment des peuples de l'Amérique avec l'Espagne. Il but égale- ment au développement progressif et constant des libres institutions espagnoles, et dit en terminant : «J'aiune foi inébranlable dans les destinées de ma patrie, et je suis con- 194 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. vaincu qu'avec le jeune monarque qui occupe le trône de saint Ferdinand, l'Espagne a trouvé un guide qui remettra la nation dans la voie si brillante où elle marcha autrefois. Alphonse XII, en assurant l'avenir du peuple espagnol, ‘lui donnera le bonheur, l'éclat et une paix inaltérable. » Les dernières paroles de M. Albareda provoquèrent un grand enthousiasme; tous les convives étaient debout, et leurs acclamations retentirent longlemps après que l'honorable président du Congrès eut cessé de parler. Le banquet était terminé, mais les convives se réunirent encore en groupes nombreux. Il était près de minuit quand la grande salle du Conservatoire royal commença à se vider. La séparalion n'eut pourtant lieu qu'après mille protestations de se revoir à Copenhague. Ainsi finit celte belle fête, qui laissera, comme tous les actes de la session de Madrid, de profonds et agréables sou- venirs dans l'esprit el le cœur de tous ceux qui y ont participé. L'EXPOSITION DE LA FLORE DU NOUVEAU-MONDE. Le Comité d'organisation du Congrès de Madrid avait conçu l'idée de comprendre, parmi les solennités de la quatrième session, la Fête du premier centenaire de la fondation du Jardin Botanique de cette ville, réorganisé et installé sur ses bases définitives par le roi d'Espagne Charles IIT, en 1781. L'anniversaire de la fondation du Jardin coïncidait, en effet, QUATRIÈME SESSION. 195 avec la réunion de la quatrième session; mais au début, le projet avait rencontré quelque opposition, parce que cer- tains membres trouvaient que les rapports de la botanique avec les sciences américanistes n'étaient pas suflisamment directs pour jusüfier la participation officielle du Congrès à cet anniversaire. L'idée toutefois n'avait rien que de très rationnel: Pour parvenir à la connaissance de l'Amérique précolombienne, les Américanisies ne peuvent négliger aucune branche de la science humaine. Les phénomènes physiques et naturels, l'étude de ia nature et de la vie des végétaux, n'ont pas pour eux une moindre importance que les inductions biologiques et an- thropologiques ou les recherches archéologiques et ethnogra- phiques. Les archives et les collections du Jardin Botanique de Madrid, lequel forme une dépendance du Musée espagnol des sciences naturelles, pouvaient donc être mises à la dispo- sition des savants américanistes étrangers au mème litre que les Archives historiques et les Musées d'antiquités de la Péninsule. .Ïl existait en outre des motifs puissants pour engager le Comité d'organisation du Congrès de Madrid à donner suite à la proposition de profiter du centenaire du Jardin Botanique, pour organiser une exposition de la flore américaine, exposition qui devait être considérée comme une annexe du Congrès. Ces motifs résidaient dans la richesse incomparable des collections de ce Jardin Botanique au point de vue de laflore du Nouveau- Monde. Les trésors qu'elles renferment sous ce rapport ne peuvent se voir réunis dans aucun autre établissement, pas même en. Amérique. . Dès les premiers temps de la découverte et de la conquèle, les chroniqueurs signalèrent l'identité de certaines espèces de végétaux, trouvées sur le continent américain, avec des espèces indigènes de l'Europe, ou avec celles provenant de l'Asie ou de l'Afrique et naturalisées en Europe par une impor 126 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. tation plus ou moins ancienne. Cette observation ne donna pas lieu, de la part des spécialistes, à des recherches sur les relations préexistantes entre l'Ancien et le Nouveau-Monde, mais elle fit naître quelques études sur la représentation simultanée des genres. L'œuvre de Pyrame de Candolle sur la distribution géographique des plantes n'avait pas encore vu le Jour; mais, même après cette œuvre excellente et après les nombreux travaux qui dans la suite ont fait réaliser de si no- tables progrès à la botanique, il reste encore d'innombrables problèmes à résoudre, spécialement en ce qui concerne les origines des espèces végétales et leur identité de nature dans l'ancien et le nouveau continent. Ces questions sont plus complexes et plus étendues qu'elles ne le paraissent au premier abord. Il suffit, pour le prouver, de rappeler que M Marcella Wilkins, qui, la première, introduisit une thèse empruntée à la botanique dans les discus- sions du Congrès, lors de la session de Bruxelles, eut sim- plement besoin de constater l'existence de certains végétaux en Amérique, pour baser sur cette observation la curieuse théorie d'une nouvelle Atlantide américaine-australienne, où elle se créa aussitôt la spirituelle et poétique image de toute une civilisation aussi brillante qu'imaginaire. Suivant le témoignage de M. Jiménez de la Espada, qui est tout à la fois un savant américaniste et un botaniste distingué, l'expédition scientifique espagnole au Pacifique apprit du docteur Rodolfo Armando Philippi, directeur du Musée d'His- toire naturelle de Santiago de Chili, qu'il avait rencontré dans les puñas et autres hauteurs des Andes, des espèces de plantes identiques à celles qu'on trouve au sommet des Alpes. De semblables découvertes ouvrent de larges horizons aux étu- des des savants et rentrent directement dans le programme du Congrès international des Américanistes. Où faudra-t-il cher- cher le berceau primitif de ces espèces végétales, qu'on croyait propres à un continent, tandis qu'elles sont répandues dans QUATRIÈME SESSION. 197 les deux mondes, et au sujet desquelles pourtant la science, après de minutieuses recherches, avait adopté des notions généralement admises et un système paraissant incontestable ? Quand, comment et par qui ces espèces furent-elles transpor- tées des Alpes aux Andes ou des Andes aux Alpes? Pas n’est besoin d'en dire davantage dans cet ordre d'idées, pour faire ressortir de quelle manière la botanique pent contribuer, de même que la plupart des autres sciences, au développement des études américanistes. Au surplus, les collections du Jardin Botanique de Madrid sont admirablement choisies pour servir de siège principal aux recherches relatives à la flore du Nouveau-Monde.C'est du sein de cette institution que sortirent les naturalistes voyageurs qui furent les premiers à explorer scientifiquement la splendide nature du continent américain, à rapporter les précieux spé- cimens de ses produits naturels et à former des collections spéciales de la flore de l'Amérique. Ces collections et les archives du Jardin Botanique de Madrid renferment toute la notion pri- mitive des plantes du Nouveau-Monde, que nulle autre part on ne saurait trouver. L'Espagne semble d’ailleurs avoir eu de tout temps, pour le culte de Flore, un respect particulier. L'histoire nationale de la Péninsule porte, en maints endroits, la trace de ce respect, et l'on peut voir encore plus d'un sym- bole végétal consacré par le souvenir d'un fait glorieux et sur lequel la muse romantique du peuple a déposé une poétique légende. À Guernica, on montre l'antique chêne, verdoyante et immémoriale image des libertés séculaires dont les Basques, avec une ardeur poussée jusqu'à. l'idolätrie, se sont toujours fait un vrai palladium. Grenade possède son laurier célèbre qui, par un souvenir vénéré, se rattache à la restauration chrétienne. Enfin, pour ne point citer d’autres faits, dans les jardins de l’Alcazar royal de Séville fleurit encore, après quatre siècles d'existence, l'Erythrina, ce vieux compagnon de Christophe Colomb à son premier retour d'Amérique, qui pro- 128 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. clama d'ane facon indiscutable sa découverte, tout d'abord tenue pour fabuleuse. L'immortel découvreur du Nouveau-Monde rapporta de ses - lointains voyages un grand nombre de productions végétales et de semences, comme une démonstralion vivante des résultats de son héroïque entreprise. Les Rois catholiques, à l'exemple de ce qui avait eu lieu pour les plantes importées d'Orient par les Califes de Cordoue et les rois Naserides de Grenade, ordonnèrent de cultiver ces produits du nouveau continent dans les dépendances de leurs palais et dans l'en- ceinte des couvents, afin qu'ils se propageassent sur le sol de la Péninsule. Une ordonnance royale prescrivit même que tous les navires qui partiraient des Indes emporteraient dans ce but des herbes, des plantes et des fleurs. M. Jiménez de la Espada a-rendu compte des lettres de l’Audiencia de Saint-Domingue, datées du 29 août 1554, et de celles de l'Audiencia de Guate- mala, en date du 6 septembre de la mème année, relatives à ces envois. [l existe en outre une ordonnance de la princesse Jeanne, datée de Valence, le 14 janvier 1555, enjoignant à tous les officiers de la circonscription commerciale de Séville, de faire semer, planter et entretenir dans les alcazars de Séville et de Grenade, ainsi que dans les vergers de différents monastères, les herbes, les plantes et les fleurs, envoyées par le président et les auditeurs de la Grande-Antille. Ces mêmes envois devaient être transmis en partie à la capitale de la Vieille-Castille et à Malaga, pour servir à des expériences d'acclimatation, Un autre document de l'époque de Philippe I, puisqu'il porte la date du 22 octobre 1569, démontre que Mucio Bianco, jardinier de l'alcazar de Séville, reçut une indemnité spéciale pour avoir aidé pendant vingt jours au transport des semences et des oiseaux arrivés de l'ile de Cuba. Les archives des Indes et de Simancas fournissent de très nombreux renseignements du même genre. - Déjà à cette époque, on faisait pour l'étude des végétaux, QUATRIÈME SESSION. 129 dans la Castille et l'Aragon tout comme dans l'Andalousie, des tentatives d'un caractère vraiment scientifique. Dès 1555, Andrés Laguna, en dédjant au roi Philippe IT sa traduction de l'œuvre de Pedanius Dioscoride, avait engagé ce prince à fonder des jardins, sur le modèle de ceux existant en Italie, pour y cultiver toutes les plantes de l'univers. Ce projet fut mis à exécution quelques années plus tard, en 1568. Des herboristes expérimentés parcoururent alors les diverses pos- sessions de la couronne d'Espagne, afin de recueillir toutes les plantes médicinales qu'ils rencontreraient, pour les sou- mettre dans le Jardin de Aranjuez à une culture serentifique. Philippe IT poursuivit la réalisation de ces idées. A partir de la première année de son règne, en 1598, il décida de former à Madrid un Jardin de hierbas, qui se fondit un peu plus tard avec la Huerta de la Priora, située près de son propre palais. Vers la même époque, Simon Tovar, de Séville, créa un jardin où étaient cultivées les plantes médicinales et exotiques, dont il dressa un catalogue en 1595 et 1596. Dans les premières années du siècle suivant, un autre particulier, Diego de Corta- villa, créa un jardin semblable, à Madrid. Peu après, Jaime Salvador fonda le jardin de San Juan d'Espi, sur les rives du’ Llobregat. Salvador était l'ami de Pitton de Tournefort, son établissement se trouvait encore en pleine prospérité un sièele plus tard, car l'abbé Pourret put en emporter, pour le Jardin Botanique de Paris, des semences qui, en 1783, paraissaien£ encore inconnues dans la capitale de la France. | Ce dernier fait prouve quel était déjà à cette époque l'avan- cement des éludes botaniques en Espagne. Le Jardin de Madrid surpassa bientôt les autres en importance, et cette . importance il ne la devait pas aux plantes péninsulaires com posant ses collections, il la devait surtout à ses importations d'Amérique, d'où lui venaient tantôt de belles espèces vives, tantôt de rares semences qui y étaient soigneusement classées ou mises en culture. Néanmoins, l’origine du Jardin actuel de 9 130 CONGRÈS INTERNATIONAL DÉS AMÉRICANISTES. Madrid ne remonte qu'à Ferdinand VI, qui décida sa création en 1755, dans le Soto de Migas Calientes. Mais la fondation définitive de ce jardin ne date que de Charles IT, lequel dé- créta sa réorganisation en 1781 et son établissement au Prado Viejo, dans le jardin de Mariana Martin Preciado, où il fut installé avec une opulence extraordinaire pour l'époque. Dès le principe, ceux qui présidèrent aux destinées des études botaniques en Espagne, y imprimèrent une direction intelligente, à laquelle il convient de rendre hommage. La science était alors l'apanage d'un petit nombre, et beaucoup de savants cherchaient avec un soin jaloux à conserver le mono- pole du savoir. Tel ne fut pas pourtant le procédé adopté par les botanistes espagnols. Ainsi que M. Miguel Colmeiro le fait remarquer dans son Bosquejo historico y estadistico del Jardin Botänico de Madrid, Espagne qui, dans les premiers siècles de la colonisation de l'Amérique, s'y réserva le monopole général du commerce, et qui en conséquence eut la disposi- tion exclusive des productions végétales du Nouveau-Monde, fut la première nation à introduire la communication gratuite de ces productions aux autres institutions spéciales de l'Eu- rope. Évidemment, c'était là une innovation due à des esprits éclairés, à des hommes désireux de s’instruire en instruisant les autres; et nonobstant cette preuve de sagacité scientifique, le grand botaniste Linnée accusa les Espagnols d’être des rétrogrades en botanique. Il est vrai qu'il reconnut bientôt son erreur, Car au mois de novembre 1751 il écrivit à son disciple préféré, Leeffling : « Je me suis aperçu avec surprise quil yaen Espagne des botanistes d’une grande érudition, dont je connaissais à peine les noms. » Lorsque Ferdinand VI eut fondé le Jardin Botanique del Soto, il en fit offrir la haute direction à Linnée; mais le célèbre Suédois déclina cette offre. Cependant, il proposa Loefiling pour la position qui lui avait été offerte, et cette proposition fut agréée. Locfiling ne tarda pas à rendre justice à l'Espagne, QUATRIÈME SESSION. 131 à ses savants, à ses botanistes. Il répandit leurs travaux à l'étranger. Ses lettres ne tarissent pas en éloges par rapport aux progrès de la science botanique dans la Péninsule; la India de Europa renferme de nombreux détails à cet égard. Loeffling ne fut pas, toutefois, le directeur du premier Jardin Botanique créé à cette époque en Espagne; seulement, avec lui s'ouvre la période mémorable des expéditions naturalistes espagnoles au Nouveau-Monde, sous les auspices et aux frais des souverains de Castille. La première de ces expéditions, entreprise en Janvier 1754, ne fut pas heureuse. Loeflling, qui la dirigeait lui-même, mourut en 1756, deux ans après être arrivé à Cumana (Vene- zuela). Cependant, cette première tentative donna lieu à une importante correspondance scientifique, que Linnée s'empressa de publier. Il en résulta aussi un grand nombre d'études ma- nuscrites, accompagnées de dessins exécutés par Castel et Carmona, deux artistes faisant partie de l'expédition. Tous ces documents furent déposés aux archives du Jardin Botanique de Madrid et s'y trouvent encore. Celestino Mutis succéda à Loeffling dans la direction des expéditions naturalistes améri- caines. Ce fut en 1760 quil arriva sur le nouveau continent pour continuer l'œuvre de son prédécesseur, et il passa qua- rante-huit années dans l'étude des sciences naturelles et exactes. Les vingt-cinq dernières années furent surtout con- sacrées à l'exploration scientifique de la Nouvelle-Grenade. Cet illustre botaniste s'était établi à Santa-Fé de Bogota, et il y poursuivit ses travaux Jusqu'à sa mort. Les résultats de sa longue et laborieuse carrière furent immenses et des plus fé- conds pour la science. Indépendamment de sa très nombreuse correspondance scientifique avec tous les grands naturalistes de son temps, tels que Linnée et son élève Thunberg, Ber- gius, Schousboë, Willdenow, Houton de la Billardière, Le Blond, Alexandre de Humboldt et son fidèle compagnon Aimé Blonpland, il forma des collections d'une valeur inappréciable. 132 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Le vice-roi de la Nouvelle-Grenade prit soin, au décès de Mutis, d'envoyer ces précieuses collections en Espagne, au Ministère des Indes, pour le Cabinet d'Histoire naturelle. Mais ce fut le Jardin Botanique qui en devint l’heureux dépositaire. Mutis ne s'était pas seulement borné à réunir avec une prodi- gieuse activité des spécimens secs, des fruits, des semences et une grande variété de produits vivaces, il avait également ras- semblé un nombre surprenant de dessins admirablement exé- cutés. Il est vrai qu'il fut puissamment secondé par José de Caldas, directeur de l'Observatoire astronomique de Santa-Fé de Bogota. Celui-ci s'occupait avec succès de botanique et fut adjoint à l'expédition de Mutis.A en croire Clements Markham, qui donne sur ce savant des détails circonstanciés et très curieux, Caldas aurait été fort maltraité par Mutis. Il avait recueilli plus de 6,000 échantillons de plantes sèches, qu'il avait remis à Mutis, et qui figureraient aujourd'hui sous le nom de ce dernier dans l'herbier de Madrid. Postérieurement à Mulis, d'autres expéditions furent encore organisées dans le même but. En ATTT, le gouvernement espa- gnol chargea une commission de savants, à la tête de laquelle se trouvaient Ruiz et Pavon, d'explorer, au point de vue des sciences naturelles, le Chili et le Pérou. Dix ans plus tard, une nouvelle expédition fut envoyée au Mexique, sous la direc- tion de Sessé. Celui-ci eut la bonne fortune de pouvoir s’asso- cier, en 1792, comme collaborateur, Joseph Mociño, créole de la Nouvelle-Espagne. C'était un disciple distingué de Cervantes, ancien directeur du Jardin Botanique de Mexico, où il avait longtemps résidé et où il avait eu pour maître Gomez Ortega. Enfin, parmi plusieurs autres expéditions gouvernementales ou privées, il convient de citer pour finir celle qui fut envoyée dans l'ile de Cuba, en 1796, et dont fit partie le célèbre bota- niste Boldo. Celui-ci s'appliqua avec un rare succès à l'étude de la magnifique et exhubérante végétation de la reine des Antilles. QUATRIÈME SESSION. , 133 Tous ces savants espagnols, véritables pionniers d'un monde scientifique encore presque inexploré à la fin du xviI° siècle, occupent une place remarquable dans l’histoire de la botanique. Les uns se consacrèrent spécialement à réunir des collections, à étudier les espèces, à les classer, à les reproduire par la culture ou à les représenter par le dessin ; les autres S'illustrèrent par leurs écrits. Pourtant les magni- fiques matériaux réunis par ces savants n'ont pas été utilisés comme ils auraient pu l'être. Seuls, Ruiz et Pavon ont publié leur Flora Peruviana et Chilensis, ouvrage important en trois volumes in-folio, accompagné de belles planches (1792-1804). Pavon avait aussi commencé à publier la flore du Pérou, mais il est mort, laissant son œuvre inachevée. Une autre tentative de publication fut faite par La Gasca, directeur du Jardin de Madrid ; malheureusement, ses travaux, commencés en 1817, furent arrêtés en 1823 par les troubles politiques qui agitaient la Péninsule. Néanmoins, les services rendus à la science par les botanistes espagnols sont parfaitement appréciés, vu l'importance qu'on y attache encore de nos jours. En 1869, l'éditeur Howard, de Londres, publiait avec un très grand luxe les Ulustrations of the Nueva Quinologia, de Pavon. Il y a dix ans à peine, un libraire américain établi à Paris, M. Triana, fit paraitre une somptueuse édition des Nouvelles études sur les Quinquinas, par Mutis. Et cependant, combien d'œuvres in- édites d'une non moindre valeur reposent dans les archives du Jardin Botanique de Madrid, à commencer par la Flora de Nueva Granada, de Mutis, jusqu'à la Flora Cubana, de Boldo ! Pour faire connaître sommairement les trésors de la bota- nique américaine qui forment la principale richesse de cet établissement et qui sont le fruit des nombreuses et coûteuses expéditions scientifiques envoyées par les rois d'Espagne au Nouveau-Monde, il suffit d'indiquer à grands traits la nature de ces trésors. La flore de Cumana y est représentée par 131 dessins ; celle de la Nouvelle-Grenade, et particulièrement 134 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de Santa-Fé de Bogotà, ainsi que la Quinquinologta, de Mutis, par 6,717 dessins; celle du Pérou et du Chili, par 2,964, dont une partie a été publiée avec texte ; et celle du Mexique par 418 dessins, sans compter les nombreux écrits qui se rap- portent à cette dernière flore. Mociño possédait 1,335 des- sins de la flore du Mexique, et à son décès, par une fatale erreur, cette riche collection fut dispersée dans des mains étrangères. Enfin, la flore de Cuba est représentée en outre par 66 dessins. À cette nomenclature, déjà respectable, on doit ajouter les herbiers : celui des États-Unis, recueilli par Griffit, se compose de 200 plantes sèches; celui de Mexico, formé par Sessé et Mocino, de 4,000 ; celui de la Nouvelle-Gre- nade, réuni et classé par Matis, de 6,000; ceux du Pérou et du Chili, dus à Ruiz et Pavon, de 2,980 ; celui des Andes de Quito, collectionné par Jameson, de 100 ; et celui de l’île de Cuba, de 3,163. De plus, il convient de mentionner spéciale- ment dans le dépôt américain du Jardin Botanique de Madrid, la collection des Phanérogames, de 4Grisbach, et celle des Cryptogames, de Wright. Ces richesses scientifiques. se com- plètent de nombreuses collections organographiques. Celle des innombrables bois du Nouveau-Monde et des préparations de ces bois pour l'étude de leur structure, est surtout remar- quable. Tous ces bois indigènes ou exotiques sont désignés à la fois sous leurs noms scientifiques et sous leurs noms vul- gaires. La collection des essences de l'île de Cuba ne présente aucune lacune. Quant à la collection des fruits et semences, elle comprend plus de neuf cents espèces scientifiquement classées. La majeure partie de cette collection provient de l'Amérique; mais elle renferme aussi des espèces qui appar- tiennent à l'Australie. Celles-ci ont été recueillies par D. An- tonio de la Camara, savant espagnol, et par le baron von Mueller, professeur au Jardin Botanique de Melbourne. A côté des bois, des fruits et des semences, il importe de mentionner encore les collections de racines, écorces, feuilles, gommes, QUATRIÈME SESSION. 435 résines, fibres textiles et tissus naturels, tiges et modèles de fruits, et jusqu'aux différents échantillons des terres du nou- veau continent. Finalement, on remarque une collection de monstruosités et d'autres objets curieux appartenant au règne végétal. Évidemment, depuis l’époque où les expéditions espagnoles importèrent dans la Péninsule ces rares trésors scientifiques, les territoires du Nouveau-Monde ont été souvent parcourus et explorés. Ces récentes explorations, faites d'une façon plus éten- due que les premières, par des hommes de science appartenant à diverses nations, n'ont pourtant pas la même importance que les œuvres des anciens botanistes espagnols, pour la raison que ceux-ci furent les premiers à parcourir le continent américain sous l'empire d'une préoccupation scientifique. Dailleurs, les recherches et les études des savants chargés de cette mission par les Rois de Castille, eurent lieu avec une telle conscience et une si étonnante exactitude, que leurs seuls travaux ont donné à connaître, à quelques espèces près, la totalité des végétaux de l'Amérique. Aussi, pour ce continent, les collections du Jardin Botanique de Madrid sont uniques au monde. C'est donc dans ce temple parfumé de la Flore américaine que le Congrès se réunit le 26 septembre 1881, à quatre heures et demie après midi. Les dames avaient été spécialement invitées à cette solennité, et elles s'étaient rendues en grand nombre à l'invitation. Quand les membres du Congrès entrèrent dans le local qui avait été choisi pour la réunion, 1ls se trou- vèrent en présence du plus ravissant auditoire que l'on puisse imaginer. M. le duc de Veragua prit la présidence de l'assem- blée. A sa droite se plaça M. Miguel Colmeiro y Penido, direc- teur du Jardin Botanique ; à sa gauche, M. le secrétaire géné- ral Cesareo Fernandez Duro. Après une aimable allocution de M. le Président, celui-ci donna la parole à M. Colmeiro. L’honorable directeur du Jardin Botanique souhaita gracieusement la bienvenue aux 136 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. membres du Congrès, et prononça un savant discours sur l'histoire de la science botanique en Espagne, ainsi que sur les phases traversées par l'institution qu'il dirige, avant d'arriver à son organisation définitive, arrêtée à cent ans de là, et que la solennité avait pour but de rappeler. La plupart des détails qui précèdent ont été empruntés à la remarquable étude de l'érudit directeur, dont les dernières paroles furent saluées par les applaudissements unanimes de l'assistance. Ensuite M. Bamps félicita, en quelques mots, le Comité | d'organisation du Congrès de Madrid d’avoir rehaussé l'éclat de la quatrième session par cette fête, et surtout d'avoir fait concourir avec tant de succès la botanique aux progrès des études américanistes et démontré ainsi une fois de plus qu'au- cune science n’est étrangère à ces études. M. Dognée remercia éloquemment M. Colmeiro, au nom des: membres étrangers, de sa cordiale hospitalité, des services. rendus par lui à la botanique et de ses efforts pour organiser l'Exposition de la flore américaine, si remarquable et d'un si grand intérêt scientifique pour les Américanistes. Il fit aussi un brillant éloge du discours de l'honorable Doyen de la Fa- culté des sciences de Madrid. En terminant, M. Dognée rendit hommage à Charles III, dont le portrait dominait l'assemblée : il parla avec chaleur de ce Roï, ami et protecteur éclairé des- sciences et des arts, qui fit de nobles sacrifices pour développer : les aspirations scientifiques et le goût artistique chez ses sujets et qui créa et dota ces nombreuses institutions consacrées au progrès social et intellectuel que ESPRÈSE peut encore s'enorgueillir de posséder. Enfin, M. Varela remarqua qu'en parlant des fleurs on ne: pouvait oublier les dames, qui étaient venues en si grand nombre embellir cette fête, et il proposa au Congrès, dans un langage aussi poétique que correct, de les remercier de leur présence. Cette proposition, naturellement très acclamée, fut suivie QUATRIÈME SESSION. 437 d’une généreuse distribution de charmants bouquets, offerts aux dames avec une courtoisie toute espagnole par le Directeur du Jardin Botanique. Puis, la séance ayant été levée, les membres du Congrès, ainsi que les nombreux invités, furent conduits dans les serres, les galeries et autres locaux affectés à l'Exposition, dans lesquels ils se répandirent et où ils circulèrent longtemps, au milieu de la végétation et des dépouilles florales du Nouveau- Monde, s’extasiant devant les richesses de ces collections botaniques et admirant l'ordre et la méthode qui avaient présidé à leur classement. V L'EXPOSITION DES ANTIQUITÉS AMÉRICAINES. L’Exposition des antiquités américaines donnait à la qua- trième session du Congrès international des Américanistes une importance exceptionnelle et un intérêt palpitant. En effet, les discussions d'un congrès scientifique sont du ressort d'un nombre restreint de spécialistes ; le public, même lettré, y consacre une fort médiocre et très fugitive attention. Les ré- sultats profitables et sérieux de ces joutes savantes, dont quelques esprits superficiels se raillent à tort, bien qu'à vrai dire on ait parfois abusé des congrès dans ces derniers temps, ne sont pas immédiatement appréciables. C'est à la longue seulement que les avantages qui peuvent en découler se font jour. Dans leurs sessions successives et nomades, les congrès internationaux finissent par former un noyau de travailleurs, s’adonnant avec passion aux études qu'ils ont choisies, et qui, à chaque réunion nouvelle, apportent le contingent des obser- vations faites par chacun dans la sphère de son aclion person- nelle. Ces observations se groupent, se coordonnent peu à {0 138 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. peu, deviennent facilement saisissables pour les indifférents et arrivent à pénétrer d'une manière insensible dans l'esprit public. Alors, l'intérêt de tous ceux en mesure de concourir à l'œuvre est aisément provoqué. De ce moment, le monde scientifique commence à recueillir les fruits de ces études collectives internationales; de ce moment aussi, les premiers pionniers voient apparaître l'aurore de la récolte, et leurs longs efforts, isolés au début et toujours désintéressés, se trouvent amplement récompensés, quand l’époque de la mois- son n’est pas trop tardive pour eux. Tout autrement en est-il des expositions. Ici la science se fait tangible : il suffit de quelques moments d'attention pour être initié et sentir l'intérêt s'éveiller en soi. Ce ne sont plus des dissertations abstraites, ni des théories peu intelligibles pour le plus grand nombre qui y représentent les fondements du savoir, ce sont des faits palpables, des documents de na- ture à pouvoir être saisis par les yeux les moins exercés et les moins clairvoyants. Le premier venu, sans nulle préparation et sans nulle peine, peut ainsi apprendre dans une exposition et s'assimiler, parfois à son insu, de vraies notions scienti- fiques. De là, le grand avantage des expositions ; de là égale- ment l'incontestable utilité des musées modernes, lesquels d’ailleurs n'auraient plus de raison d'être si tel n'était pas leur but. C'est ce que le Comité du Congrès de Madrid avait compris lorsqu'il résolut d'organiser une Exposition d'antiquités améri- caines à l'occasion des quatrièmes assises américanistes. Il connaissait au surplus les richesses que l'Espagne pouvait réunir sous ce rapport. À cette fin, une commission de savants spécialistes fut instituée sous la présidence de M. le duc de Veragua. Elle avait pour vice-présidents : MM. Antonio Maria Fabié, député aux Cortès, membre de l’Académie royale d'histoire, et Antonio Garcia Gutierrez, directeur du Musée national d'archéologie de Madrid, membre de l’Académie QUATRIÈME SESSION. 1439 royale d'Espagne ; et pour secrétaires : MM. Juan Catalina Gar- cia, archiviste et archéologue, correspondant de l'Académie royale d'histoire, et José Fernandez Bremon, chef d'adminis- tration, rédacteur de la [lustracion Española y Americana. On remarquait en outre parmi les membres de la Commission MM. Francisco Pi y Margall, avocat; Cayetano Rosell, direc- teur de la Bibliothèque nationale; Juan de Dios de la Rada y Delgado, directeur de l’École de diplomatie, chef de section au Musée national d'archéologie, directeur du Museo español de antigüedades ; Manuel Rico y Sinobas et Emilio Ruiz de Salazar, professeurs à l'Université de Madrid ; Justo Zaragoza, fonctionnaire du Ministère de Fomento, collaborateur des Cartas de Indias ; Marcos Jimenez de ‘la Espada, archéologue, naturaliste et américaniste ; le docteur Pedro Gonzalez de Ve- lasco, fondateur du Musée d'anthropologie de Madrid ; Eduardo Saavedra, ingénieur en chef; Angel Gorostizaga, secrétaire du Musée national d'archéologie, etc. Les locaux du Ministère d'Outre-Mer ou des Colonies furent gracieusement mis à la disposition de la Commission chargée d'organiser l'Exposition. Cette Commission se mit à l'œuvre, et avec le concours de quelques établissements publics et de quelques sociétés savantes d'Espagne, ainsi que d’un certain nombre de particuliers, elle parvint en peu de temps à donner à l'Exposition une importance et un intérêt qui dépassèrent de beaucoup les prévisions des plus optimistes. Dans l'antique et vaste Ministère des Colonies, on choisit les deux élégantes cours intérieures (patios), et les galeries qui les entourent tant au rez-de-chaussée qu'à l'étage, pour y installer l'Exposition. Ces cours se prêtaient admirablement à pareille destination : elles sont très spacieuses et largement éclairées au moyen d'un immense vitrage, placé à demeure tout au haut de l'édifice; les deux étages de galeries qui entourent les cours et forment une double série d'élégantes colonnes en pierre de taille, offraient en outre d'un côté de larges arcades à jour et 140 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de l'autre des surfaces planes propres à servir d'appui aux objets réclamant un étalage uniforme. Pour ne poiut nuire aux objets exposés, la Commission avait eu la bonne inspiralion de s'abstenir de toute ornementa- tion inulile; il n'y avait là ni fleurs, ni draperies, n1 décora- tions d'aucune sorte, sauf les écussons de tous les pays du Nouveau-Monde, fixés aux chapiteaux des colonnes et alter- nant avec les emblèmes d'Espagne. L’écusson des États-Unis était voilé de crêpe, à cause du récent décès du général Gar- field. Cette simplicité de décor n'excluait nullement le bon goût et présentait le précieux avantage de réserver à l'ingé- nieuse disposilion des objets exposés toute la beauté du coup d'œil. Sous ce rapport aussi le succès fut complet. Le grand et bel escalier, qui conduisait aux galeries de l'étage et que le visiteur voyait devant lui à son entrée, avait seul reçu une ornementalion de circonstance. Des deux côtés avaient été dis- posés en gracieux trophées les drapeaux des nations améri- caines ; celui des États-Unis se trouvait également recouvert d’un crêpe. Ces deux rangs de trophées longeaient la frise et rejoignaient un magnifique écusson d'Espagne, doré et rehaussé de couleurs, lequel était placé au-dessus d’une porte, formant au sommet l'axe de l'escalier et dont les proportions majes- tueuses pouvaient s'admirer du bas. L'écusson espagnol se trouvait ainsi placé au milieu ct dominait l'ensemble du décor. Cette disposition élait heureuse et l'effet d'autant plus réel qu'il paraissait moins cherché. Le regard, en montant entre la double rangée des couleurs nationales de tous les pays de l'Amé- rique, apercevail au centre, à une grande hauteur, les glorieux emblèmes adoplés par l'Espagne, et représentant le soleil se levant sur les deux bhémisphères, entre les colonnes d'Hercule, autour desquelles s'enroulait une banderole avec la légende : Nec plus ultra. Les cours intérieures du Ministère des Colonies sont dési- gnées, celle de droite, sous le nom de patio de Colomb, celle QUATRIÈME SESSION. 441 de gauche, sous celui de patio d'El Cano, parce que la statue des deux célèbres navigateurs orne respeclivement le centre de ces patios. Ge sont d'admirables statues en marbre blanc, mesurant chacune environ deux mèlres el se dressant sur des piédeslaux en pierre bleue de près de trois mètres de hauteur. Christophe Colomb est représenté debout, tenant en main l'étendard de Castille, au moment où il mit pour la première fois le pied sur le sol du Nouveau-Monde. L'artiste a donné au découvreur de l'Amérique une pose pleine de naturel et de noblesse ; la tête surtout est belle et expressive, elle respire le calme et la fermeté; le regard est levé au ciel, on y lit la reconnaissance et l'inspiration. La statue de Sébastien El Cano nest pas moins réussie. Plus mouvementée que celle de Colomb, elle porte l'empreinte du caractère énergique et de l'indomptable courage du fidèle compagnon de Magellan. Sur le piédestal de cette statue, le sculpteur a taillé les armes que le Roi d'Espagne concéda à celui qui cut la gloire de faire le premier le tour du monde. Elles ont pour support deux rois des îles Moluques, et portent un château, comme emblème de ces îles, ainsi que les produits des pays nouveaux qu'El Cano avait aidé à conquérir à la couronne de Castille : deux bâtons de cannelle en sautoir, des noix de muscade et des clous de girofle. Au-dessous se lit la significative devise : Primus cir- cumdedisli me. Les armoiries que la reconnaissance des rois d'Espagne octroya à Christophe Colomb, ne figuraient pas sur le piédestal de sa statue, mais on les retrouvait en maints autres endroits de l'Exposition. Elles aussi sont significatives. Elles ne portèrent point bonheur au glorieux navigateur génois, mais elles furent noblement gagnées, noblement données et noblement acceptées. De Charlevoix a blasonné ces armoiries de la manière suivante : Écartelé, au premier de Castille, au second de Léon, au troisième une mer d'azur semée d'îles d'argent, la moitié de la circouférence environnée de la terre ferme, des grains d'or répandus partout, les terres 142 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. et les îles couvertes d'arbres toujours verts; au quatrième d'azur à quatre ancres d'or et en dessous les armes des anciens Colombs de Plaisance; pour cimier un globe sur- monté d'une croix, avec cette devise : Por Castilla, y por Leon, Nuevo mundo hallo Colôn. L'Exposition fut ouverte le 25 septembre 1881, à quatre heures après midi. En sortant de la séance d'ouverture du Congrès des Américanistes, LL. MM. le Roi et la Reine d'Es- pagne, accompagnées de LL. AA. RR. les Infantes dona Isabelle, donña Paz et dona Eulalie, se rendirent directement au Ministère des Colonies. Le brillant cortège qui avait escorté la Famille royale à son arrivée au Paranymphe de l'Université, se reforma pour la conduire au local de l'Exposition. Les ministres, les diplomates, les représentants de la grandesse d'Espagne, les grands dignitaires de la couronne de Castille, les hauts fonctionnaires civils et militaires et la plupart des personnages distingués qui avaient honoré de leur présence la séance inaugurale des quatrièmes assises américanistes, de même que les membres du Congrès, suivirent Alphonse XIT, la reine Christine et les Infantes pour assister à l'ouverture de l'Exposition des antiquités américaines. La Famille royale d'Espagne fut reçue à l'entrée du Ministère par le Ministre des Colonies, entouré de ses principaux fonc- tionnaires et des membres de la Commission spéciale de l'Exposition, ces derniers sous la conduite de leur président, M. le duc de Veragua, et des deux vice-présidents : MM. Fabié et Garcia Gutierrez. Après les compliments de bienvenue, LL. MM. et LL. AA. RR. furent immédiatement introduites dans les salles et galeries de l'Exposition, qu'elles parcou- rurent attentivement, suivies du monde officiel et des invités. S. M. Alphonse XIT et la royale Famille prirent le plus vif QUATRIÈME SESSION. 143 intérêt à toutes les innombrables merveilles qui se trouvaient exposées. MM. Fabié, Garcia Gutierrez, Catalina Garcia et Gorostizaga étaient plus spécialement chargés de donner des explications aux augustes visiteurs. Le Roi fixa surtout son attention sur les précieux autographes de Christophe Colomb, exposés par M. le duc de Veragua, et sur les remarquables collections appartenant à M. le duc de Moctezuma, lequel en fit ies honneurs à Sa Majesté. Les autres objets qui parurent le plus intéresser la Famille royale, furent le Codex Troano, le Codex Maya, la carte de Juan de la Cosa, l'idole du comte de Guaqui, et le fac-simile des vice-rois de Mexico, publié en 1873 au Mexique. Alphonse XIT exprima à plusieurs reprises son étonnement au sujet de l'importance et de la richesse des collections envoyées par le Musée national d'archéologie de Madrid, les Archives des Indes, le Musée des sciences natu- relles et l'Académie royale d'histoire. Il chargea M. le duc de Veragua de remercier les particuliers qui avaient si libérale- ment donné leur concours à l'Exposition, et adressa ses plus chaleureuses félicitations à la Commission organisatrice pour l'éclatant succès de sa difficile entreprise. Après avoir minutieusement examiné le patio de Colomb, où se trouvaient spécialement réunis les objets provenant des établissements publics, et celui d'El Cano, qui comprenait, en majeure parlie, des collections particulières, et après avoir longuement parcouru les galeries, dans lesquelles se confon- daient les objets exposés par les particuliers et ceux des Asso- ciations publiques et privées, la Famille royale fut conduite dans les salons de réception du Ministère, où un splendide lunch avait été préparé. Quand LL. MM. le Roi et la Reine et LL. AA. RR. les Infantes se furent retirées, avec le cérémonial qui avait pré- sidé à leur arrivée, les invités furent introduits à leur tour dans les salons de réception et y fêtèrent cordialement la bril- lante réussite de l'Exposition. 444 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Les membres étrangers eurent grand'peine pourtant à s'arracher à la contemplation des merveilles qu'ils avaient sous les yeux. En pénétrant, à la suite de la Famille royale, dans les patios du Ministère des Colonies, plus d'un avait ressenti une respectueuse émolion. Des hommes ayant consacré de longues années à l'étude des grandes questions relatives à l'origine du monde et de l'humanité, voués tout particulière- ment à l'élucidalion des mystérieux et importants problèmes dont l'Amérique précolombienne fournit le sujet, devaient éprouver, en entrant à celle Exposilion, le sentiment naturel qu'on ressent devant un spectacle inconnu qui soudain s'offre à vos yeux, les éblouit par son éclat et trouble l'esprit par limmensilé de ses horizons. L'antiquité et l'authenticité des objets exposés, la valeur historique de la plupart d'entre eux, jointes à l'idée que de leur étude pouvait surgir des preuves et naître une conviction longtemps et laborieusement cher- chées, inspiraient, cela se conçoit, une religieuse admiration. De véritables révélations devaient en effet se produire au milieu de ces prodigieuses collections de tout genre, de tout caractère, mais d'une même origine et qui toutes tendaient au même but : la connaissance scientifique de la haute antiquité et de l'ancien état social du Nouveau-Monde. Par le scrupuleux examen de ces collections, fait avec une réserve que com- mande la science déjà acquise, on pouvait obtenir des résul- tats bien imprévus et bien inespérés. Telle était l'impression de tous les savants spécialistes. Et quand on se rappelle com- bien il'est nécessaire de renoncer désormais aux voies suivies par la plupart de ceux qui se sont occupé dans le principe d'études préhistoriques sur le nouveau continent, quand on se dit que les premiers pionniers de l'Amérique précolombienne ont réalisé au début de si faibles progrès, parce qu'ils élaient trop enclins à tirer des conclusions synchroniques de la moindre analogie, on comprend l'importance capitale qui s'attachait à l'Exposition des antiquités américaines de Madrid. QUATRIÈME SESSION. 445 Évidemment, vu cette importance, les premières visites qu'on y faisait ne pouvaient servir qu'à donner une idée géné- rale. Il était nécessaire d'y retourner souvent, souvent el lon- guement, avant de recueillir quelque fruit de son étude. La première classification qui s'opérait dans l'esprit, c'est que les objets se distinguaient naturellement en deux grandes catégo- ries : la partie préhistorique et la partie historique. Cette divi- sion n'avait pas été adoptée dans la rédaction du catalogue, d’ailleurs dressé avec beaucoup de soin et de compétence, mais sous toutes réserves, par MM. Catalina Garcia et Gorostizaga. Ce catalogue formait un beau volume in-octavo de 328 pp., d’une impression compacte. L'Exposition y élait divisée en trois sections : la première, consacrée à l'archéologie, l'an- thropoiogie et aux monuments historiques ; la seconde, renfer- mant les manuscrits, cartes, imprimés, dessins, portraits, photographies, etc.; la troisième, ayant pour objet les mon- naies et médailles américaines. Les rédacteurs du catalogue l'avaient modestement intitulé : Lista de los objetos que com- prende la Exposicion americanista, et avaient tenu à dégager leur responsabilité de la description de certains objets, faite par les propriétaires eux-mêmes. Ils avaient aussi voulu pré- venir le public que les circonstances et les obstacles matériels s'étaient opposés à ce que leur œuvre prit le caractère d'un catalogue raisonné et méthodique. Les difficultés et les exi- gences d’une installation très momentanée, dans des locaux hâtivement appropriés, avaient rendu impossible le classe- ment scientifique qu'ils projetaient, et dans lequel ils désiraient suivre avant tout un ordre chronologiqne et observer en outre une ordonnance tenant exclusivement compte des origines. Cela eût en effet été fort désirable. L'Exposition aurait beau- coup gagné, scientifiquement parlant, à pouvoir être divisée en deux grandes catégories, se rapportant l'une à l'époque précolombienne de l'Amérique, l'autre aux temps postérieurs à la conquête. De plus, le groupement géographique des objets 146 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. et leur classement selon qu'ils appartenaient au nord, au centre ou au sud du Nouveau-Monde, eût aussi présenté de sérieux avantages. Mais ceux qui connaissent les empêche- ments de toute nature qu'on rencontre même dans les musées définitivement établis, pour arriver à un ordre rigoureusement méthodique, et ceux qui se sont heurtés aux stupéfiantes objec- tions qu'on soulève parfois contre l'introduction, dans ces musées, des systèmes chronologiques, et partant scientifiques, ne seront pas surpris des diflicultés auxquelles les rédacteurs du catalogue de l'Exposition de Madrid faisaient allusion. La première section de l'Exposition comprenait 1,535 numé- ros, dont 1,265 étaient la propriété du Musée national d'ar- chéologie de Madrid, avec lequel, sous le rapport des antiqui- tés américaines, aucun autre ne saurait rivaliser, celui de Berlin seul excepté ; 114 appartenaient au Musée des sciences naturelles de la même ville (coliection du Pacifique); 82 à M. Märcos Jiménez de la Espada; 21 au Musée naval de Madrid, et 20 à M. Eusebio de Valldeperas. Le restant se réparlissait entre vingt-huit exposants, la plupart espagnols, parmi lesquels on remarquait toutefois M. Edwin A. Barber, de Philadelphie. L Cette première section se subdivisait en objets des civilisa- tions primilives, où l'on comptait : 70 objets de pierre, la majeure partie en diorite; 51 en cuivre et bronze, mais pas un seul en fer; un grand nombre de peintures; le codex Maya; 107 objets sculptés, étant surtout des idoles en argent, en cuivre, en pierre ou en poterie ; des costumes et ornements, dont 48 figures complètement costumées et 177 articles con- sislant en vêtements et ornements divers, les ornements les plus riches et les plus variés étaient des colliers. Les armes offensives et défensives de toute nature occupaient 77 numé- ros. La céramique tenait la place la plus importante avec 623 numéros, dont 594 se trouvaient absorbés par la mer- veilleuse collection des vases péruviens, unique au monde; les QUATRIÈME SESSION 447 29 autres numéros comprenaient la céramique de diverses provenances. Les 373 numéros suivants étaient relatifs à des objets de toute espèce, appartenant à un grand nombre d'exposants, parmi lesquels M. Miguel Rodriguez Ferrer, de Madrid, mérite une mention spéciale. Un premier coup d'œil faisait distinguer certaines séries d'objets, dans la partie préhistorique. C'était d'abord la belle collection d'armes et d'instruments de l’âge de la pierre, au nombre desquels un miroir des Incas en obsidienne, plusieurs conopas très bien conservés, des haches, des casse-têles avec leurs manches, des pierres gravées, des silex de toutes les dimensions et de toutes les formes. C'était encore la magni- fique collection d'idoles ; entre autres une petite figure en cuivre doré, originaire du Pérou, dont le piédestal creux faisait sup- poser qu'elle avait dû servir d'enseigne à quelque cohorte indienne. Cette figurine appartenait à une époque relativement peu reculée, mais elle était dorée et, chose curieuse, même à cette époque, les. Péruviens ignoraient la dorure. On remar- quait aussi des pierres sculptées, dont plusieurs provenaient du palais de Palenqué; des ustensiles de divers genres, tels que des scies faites à l’aide de dents de poissons, des bâtons surmontés d'os taillés en pointe, de petites flèches pour sarba- canes, empoisonnées au moyen du curare ; des instruments de pêche, notamment des nacelles creusées dans un tronc d'arbre, formées de peaux tendues ou construites d’un assem- blage de bois divers ingénieusement fixés, des harpons en pierre, en os, en bois; des instruments destinés à l'agricul- ture, comme une houe faite avec l'omoplate d'un quadrupède, une pelle constituée d’une pierre plate de forme ovoïdale et très tranchante, ayant 25 centimètres de longueur, emman- chée dans un manche de bois et attachée au moyen d'un lien végétal; comme encore une sorte de faucille, mesurant 40 centimètres de longueur, présentant une forme infléchie fortement arquée et dont le taillant était armé de petites dents 148 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de requins. On examinait avec intérêt une collection d'objets servant aux usages domestiques, tels qu'une série considérable de peignes (Guaquin-naccha, en langue quichua), offrant les aspects les plus variés, en dents d'animaux, en épines, en roseau, en bois, en os, et provenant pour la plupart du Pérou; dans le nombre il y en avait sur lesquels les traces d'une che- velure crépue et huileuse s’accusaient encore, et d'autres, tra- vaillés avec le plus grand soin et un certain luxe, qui mon- traient que la recherche d'une propreté raffinée n'était pas inconnue aux aborigènes de l'Amérique. On remarquait sur- tout la collection d'objets de toute nature trouvés dans les huacas où tombeaux indiens, notamment des momies, des sque- leltes, des crânes, des étoffes, etc. Gn s'arrêtait devant la curieuse et fort nombreuse collection de colliers, formés de coquillages, de dents de poissons ou de singes, de plumes, d'ailes multicolores de scarabées, de semences, de pépins de fruits, de becs d'oiseaux, d'insectes et de squelettes de petits animaux. On admirait la riche collection de coiffures des chefs indiens; la très intéressante collection d'instruments de la musique primitive des anciennes populations du nouveau con- tinent, etc. La seconde section comptait 4,204 numéros. Sous les 849 premiers figuraient les documents tirés des richissimes ar- chives des Indes, de Séville : c'étaient des lettres, mémoires, relations de voyage, descriptions, ordonnances diverses, cédules royales, rapports, cartes, plans, etc. En voyant celle innombrable collection de manuscrits originaux, on se disait que les documents écrits de l'histoire de l'Amérique sont encore bien ignorés, et on regrettait amèrement l'absence d’un catalogue de cet immense dépôt qu'on désigne sous le nom d’Archives des Indes. Ces archives ne sont point classées. Il n'est permis d'y consulter aucune pièce sans une autori- sation expresse du Ministre des Colonies. La prohibition remonte indubitablement à un autre âge; le gouvernement QUATRIÈME SESSION. 149 espagnol a donné trop de preuves, depuis quelques années, de son sincère désir de marcher à l'unisson avec tous les progrès du siècle, pour qu'on puisse lui faire l'injure de sup- poser que cette défense sera encore longtemps maintenue. Des mesures restrictives de ce genre tiennent à un système suranné d'administration; elles font plus de tort au rôle joué par les conquistadores en Amérique que la divulgation des erreurs et des fautes qui peuvent avoir été commises dans la conquête, et que la connaissance de la vérité sur la politique coloniale suivie par l'Espagne au Nouveau-Monde. Il importe done de faciliter le plus possible l'accès des Archives des Indes, et de faire généreusement profiter la science de cette source d'une abondance et d’une authenticité sans pareille pour l'étude de l’histoire ancienne du continent américain et de ses peuples primitifs. Nulles autres entraves ne doivent être ad- mises en cette matière, sinon celles commandées par la sécu- rité des documents et par les exigences administratives inévi- tables. La seconde section renfermait encore une magnifique col- lection de cartes et plans, occupant 87 numéros du catalogue, et exposée par M. Manuel Rico y Sinobas, professeur à l'Uni- versité de Madrid. A côté de cette collection géographique, 1l convient de noter également celles envoyées par l'Académie royale d'histoire, le Musée naval et la Société de géographie de Madrid, ainsi que les cartes marines appartenant à M. le capitaine de vaisseau Cesäreo Fernandez Duro, secrétaire gé- néral du Congrès des Américanistes. Dans la même section, on signalait aussi tout particulièrement les précieux aulogra- phes de Christophe Colomb et des manuserits originaux con- cernant les titres du grand découvreur à la reconnaissance de l'Espagne et de l'humanité; ces manuscrits et autographes formaient 23 numéros du catalogue. On signalait encore 16 numéros comprenant des documents du plus haut intérêt, propriété de l’Académie royale d'histoire, de Madrid ; une col- 450 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. lection, composée de 27 numéros, exposés sous le nom de M. Nicolas de Cardona, renfermant des vocabulaires, des lexi- ques, des grammaires et d'autres documents linguistiques, manuscrits où imprimés, dont l'aire s’étendait de la Floride et la Californie jusqu'au détroit de Magellan, et qui se rappor- taient entre autres aux langues aymara, brésilienne, caraïbe, cumana, chilienne, guarani, morocosi, moxa, othomi, pame, tupi, quichua et spécialement nahuatl où mexicaine. Dans ce dernier dialecte, on comptait une litlérature réellement nom- breuse. De plus, 27 numéros sous lesquels se trouvaient exposés des papiers et livres appartenant à M. Gabriel San- chez, de Madrid, étaient relatifs aux langues timuquana, de la province de Quito, huasteca, ete., et comprenaient égale- ment des documents historiques de grand intérêt; 68 nu- méros envoyés par M. José Ignacio Miro, d'Avila, contenaient des manuscrits et autres pièces authentiques d'une haute valeur; enfin, 107 numéros, appartenant à divers exposants, renfermaient pour la plupart des documents historiques, tous dignes d'intérêt, mais au nombre desquels quelques-uns étaient très remarquables. En suppulant ainsi les inénarrables richesses contenues dans la seconde section, qui formait avec la suivante la partie his- torique de l'Exposition, on se demandait non sans de sérieuses hésitations, d’ailleurs faciles à expliquer, à laquelle de ces parties revenait la palme sous le rapport de son importance scientifique. La troisième section élait consacrée à la numismatique. Elle comprenait des monnaies et des médailles américaines. Cette seclion était subdivisée en médailles hispano-améri- caines des monarques espagnols ; médailles de proclamations ; médailles de l’île de Cuba; monnaies et médailles du Mexique ; monnaies et médailles de l'Amérique centrale : Guatemala, Nigaragua, Costa-Rica; monnaies et médailles des États-Unis de Colombie, de la Nouvelle-Grenade, du Venezuela et de QUATRIÈME SESSION. 451 l'Équateur ; monnaies et médailles du Pérou, de la Bolivie, du Chili, de la Plata, de Buenos-Ayres, de la République Argen- tine, du Paraguay et de la République orientale de l'Uruguay. La série des médailles hispano-américaines des monarques espagnols, qui Ss'ouvrait par une médaille frappée sous Charles IIF, à la naissance du prince Don Carlos, a été étudiée et historiquement décrite dans une monographie étendue de M. Carlos Castrobeza, publiée dans le neuvième volume du Museo español de Antigüedades. Tout ce qui est relatif à la numismatique américaine a élé excellemment traité dans la. savante Revue dirigée par M. Rada y Delgado. La dernière médaille de cette série était celle frappée par la ville de la Havane à l'avènement au trône du roi Don Alphonse XIT. En tête des médailles de proclamations, venait celle frappée à l'effigie de Luis 1 (4724). Quant aux médailles de l'ile de Cuba, elles étaient peu nombreuses, la plus ancienne portait le millésime de 1763. On sait qu'antérieurement à la conquête, les habitants du Mexique ne firent point usage de monnaie; les monnaies de ce pays commencent sous le régime espagnol. L'empereur Iturbide adopta le système monétaire de l'Espagne. C'est une pièce frappée à son buste et portant la date de 1822, qui ouvrait la série des monnaies du Mexique. Les médailles du Mexique sont postérieures à son indépendance; la plus an- cienne de celles exposées datait du 30 octobre 1810. Les monnaies et médailles des autres parties de l'Amérique, sont également récentes et ne présentent qu'un intérêt histo- rique ou de circonstance. Après avoir jeté sur l'Exposition de Madrid ce rapide coup d'œil d'ensemble et avoir passé sommairement le catalogue en revue, il est indispensable pour apprécier à sa juste valeur l'importance extrème qu'offrait cette Exposition au point de vue des études américanistes et donner une idée quelque peu exacte du puissant intérêt que ses deux premières sections pré- 1592 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. sentaient pour la science en général, d'examiner spécialement quelques-uns des principaux objets exposés dans ces sections. Afin de rendre l'examen plus facile, on peut grouper les objets d’après les branches scientifiques auxquelles ils se rattachent plus directement. Ils se trouveront ainsi classés sous les ru- briques suivantes : 1. Archéologie; 2. Anthropologie et Paléontologie; 3. Ethnographie; 4. Documents historiques ; B. Documents géographiques; 6. Documents linguistiques ; 7. Dessins et peintures. 4. Archéologie. Une des premières places de l'Exposition, sinon la première, revenait à la collection céramique du Pérou (n° 540-1133 du catalogue). Les titres à invoquer pour décerner semblable honneur à cette collection, étaient fondés non seulement sur le grand nombre d'objets qu'elle renfermait, mais avant tout sur la rareté et la variété de ses spécimens : il n'existe pas de collection mieux composée ni plus complète. La plupart de ces vases péruviens étaient d’une beauté et d’une conservation prodigieuse, à telle enseigne que, si les preuves les plus évi- dentes de leur parfaite authenticité n'avaient pas été mises à la portée du visiteur, on aurait hésité à y ajouter foi. Quelques- uns de ces vases, à raison de leurs caractères exceptionnels, présentaient un intérêt capital pour l'étude des antiquités américaines et pouvaient être considérés comme de véritables monuments américanistes. C'est le motif pour lequel il a paru préférable de les ranger parmi les objets archéologiques plutôt qu'au nombre des collections exclusivement ethno- graphiques. La collection de la céramique du Pérou se trouvait réunie dans huit armoires vitrées. Quelques-uns des spécimens les plus saillants avaient déjà figuré à l'Exposition universelle QUATRIÈME SESSION. 453 de 1878, à Paris; mais c'était la première fois que toutes les pièces avaient été extraites du Musée national d'archéologie de Madrid et s'exhibaient au dehors, scientifiquement classées. Ce fut Baltazar Jaime Martinez Compañon, évêque de Tru- jilo, qui, vers le milieu du siècle dernier, récolta la majeure partie de cette collection. La plupart des vases furent décou- verts dans les huacas de son diocèse; lexcédant a été recueilli dans toute l'étendue de l’ancien Pérou, ou du Pérou tel quil était constitué avant l’arrivée des Espagnols. A cette époque, ce pays était beaucoup plus vaste que nous le con- naissons aujourd'hui. Il embrassait, outre le Pérou proprement dit, l’iquateur, une partie de la Nouvelle-Grenade, la Bolivie, et une partie du Chili. Cet énorme territoire se désignait alors sous le uom de Tahuantinsuyo, c'est-à-dire les quatre contrées du monde. On le divisait en quatre parties nommées l'Antisuyo, le Cuntisuyo, le Chinchassuyo et le Collosuyo, en d'autres termes : l'Est, l'Ouest, le Nord et le Sud. Il était principalement occupé par les Indiens quichuas, qui obéissaient à un chef ou empereur, nommé Inca, d'où le nom générique d'Incas donné à la nation entière. Les Incas étaient remarquablement doués au point de vue artistique. Pour le potier péruvien en particulier, aucune difli- culté de l’art ne restait sans solution. Il ne recherchait pas seulement, avec un soin jaloux et un goût étonnant, la solidité et l'utilité dans ses produits, mais aussi la perfection de la forme et la grâce de la couleur. L'imagination de l'artiste Inca était de la plus rare fécondité. Il représentait de préférence la nature, qu'il copiait et imitait dans toutes ses productions ; il s'ingéniait également à symboliser les idées les plus abstraites, depuis la pensée religieuse jusqu'à la dernière coutume humaine, et trouvait sous sa main habile une expression tou- jours fidèle et souvent heureuse. La note satirique dominait dans la céramique du Pérou. A voir les vases-caricatures de cette partie du Nouveau-Monde, on s'imaginerait par moments 11 154 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. que l’ancien adage : Castigat ridendo mores a une origine incasique. Les attributs hiéraliques se montraient aussi dans les vases péruviens sous forme d'images et d’allégories, tout comme les idées sociales du pouvoir, de la guerre, de l'abon- dance, des passions morales, des vertus les plus nobles et des vices les plus honteux. Et quand du domaine de l’homme on passe à celui de la nature, il n'y avait rien qui ne fût imité avec la plus scrupuleuse exactitude : le règne animal et le règne végélal lout entiers se voyaient reproduits sous leurs aspects si mulliples, si variés, si grandioses. Parfois même l'artiste s'élève dans son œuvre et semble avoir pétri avec la terre vierge de sa patrie un rayon de ce soleil d'or qui durcis- sait la matière dans laquelle 1l modelait les créations de son génie. Il est impossible de décrire, même d'une façon sommaire, la collection céramique du Pérou, qui constituait un des prin- cipaux groupes de l'Exposition de Madrid, et tout aussi impos- sible d'y faire un choix des pièces les plus remarquables, çar toutes, pour des molifs divers, offraient des titres à un examen sérieux el approfondi. Les différents modèles de cette collec- tion semblaient toutefois procéder d’une triple source. Les uns devaient leur origine aux besoins de la vie, les autres aux pratiques religicuses ou aux préoccupations techniques, d'autres enfin à la recherche de la forme artistique et de l'ex- pression idéale. Il était donc permis de répartir ces produits céramiques en trois catégories, dans chacune desquelles on pouvait aisément établir une échelle de progression ascen- dante, et noter les phases du développement gradué et suces- sif de l’art du potier péruvien. C’est ainsi qu'on distinguait, dans la première catégorie, l’œuvre rudimentaire encore inha- bilement façonnée et répondant à peine aux besoins primitifs, et qu'on la voyait se transformer peu à peu en objets destinés à des usages plus variés et plus raffinés; c'est ainsi que, dans la seconde catégorie, on remarquait les tentatives, fort mal- QUATRIÈME SESSION. 455 adroites au début et insensiblement perfectionnées, faites par l'artisan pour vaincre les difficullés d'exécution qu'il rencon- trait toujours plus nombreuses à mesure qu'il s'évertuait à multiplier et à corriger ses produits; c’est ainsi finalement que l'artiste se révélait, trahissant ses efforts pour arriver à la beauté et à la pureté de la forme et atteignant à la longue à une imitation presque irréprochable de la nature. La valeur particulière qu'on attache à la céramique péru- vienne ne doit pas être exclusivement attribuée à l'excellence de ses produits. Elle ne se justifie pas davantage d'une manière absolue par la netteté de ses caractères archéologi- ques, ni par la diversité de ses formes ou la perfection de sa structure, ni même par sa remarquable coloralion ou les des- sins qui la décorent d'ordinaire et qui présentent de si grandes analogies avec les produits similaires d'autres civilisations plus connues. La cause principale du puissant intérèt qu'in- spire cette céramique provient de ce que ses caractères archéologiques se trouvent singulièrement rehaussés par les éléments ethnographiques et autres qui s'y rapportent. Les poteries du Pérou nous font connaître la faune et la flore anciennes du magnifique pays dont elles sont originaires, et elles nous initient aux mœurs publiques et privées des peuples qui occupaient primitivement ce pays. Le plus grand nombre des spécimens qui composaient la collection céramique péruvienne de l'Exposition de Madrid ap- partenaient à l'espèce nommée en langue quichua : malta- cauchi ou chuxna. Beaucoup reproduisaient des fruits et des animaux; mais la plupart montraient la figure humaine. Les potiers péruviens joignaient ordinairement à la figure de l'homme, un singe, animal caractéristique de ces régions, ou un lama, la bête de somme des temps précolombiens de l'Amérique; et à la figure de la femme, un papagayo ou grand cacatoès, dont le rôle dans les forêts du Nouveau-Monde est le même que celui de la pie de nos bois et de nos prés. Quel- 456 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ques poteries de la collection présentaient des caractères exceptionnels. Pour ne citer qu'un exemple, ainsi en était-il notamment du vase en terre noire représentant deux têtes hu- maines, accolées comme celles des statues de l'antique Hermès. Ce vase portait en outre à sa partie supérieure des ornements qui ressemblaient d'une manière frappante aux méandres des arts décoratifs classiques. Bien que cette poterie de terre noire renfermât des détails d'un intérêt archéologique particulier, les vases péruviens les plus remarquables étaient presque tous en terre rouge. Les poliers incas semblaient préférer celte dernière terre pour la travailler et la décorer d'une façon spéciale. Les vases en terre rouge du Pérou se rapprochent beaucoup par la finesse de leurs formes de la céramique étrusque. Dans le nombre de ceux exposés à Madrid, on remarquait aussi plusieurs spécimens de vases- jumeaux. Ceux-ci avaient un air de famille incontestable avec les nasiternes de l'Étrurie et avec les jarres jumelles qui sont encore actuellement en usage sur la côte nord de l'Afrique. Les vases-jumeaux fournissaient d’ailleurs matière à d'autres ob- servations non moins intéressantes. En effet, ils semblent gé- néralement avoir été fabriqués sous l'empire de certaines pré- occupations physiques et cachent des fantaisies de construction curieuses à étudier. Les vases accouplés sont pour la plupart reliés par le bas ; il existe ainsi une communication entre eux. À la partie supérieure au contraire, ils sont parfaitement in- dépendants l’un de l’autre. Des orifices géminés paraissent ne pas être connus dans la céramique péruvienne. Les goulots plus ou moins allongés qui terminent les vases-jumeaux sont séparés par un espace plus ou moins grand, suivant la forme très variée de ces vases. Habituellement, l'un des deux gou- lots est ouvert, l’autre est clos et surmonté d'un oiseau ou d'un petit animal; ce dernier goulot se trouve alors percé d'une ouverture souvent dissimulée et de dimension soigneusement proportionnée, laquelle produit par l’action de l'air un certain QUATRIÈME SESSION. 157 bruit ou sifflement quand on introduit le liquide ou bien à mesure qu'on le laisse s’écouler par le goulot ouvert. Les po- tiers clierchaient à imiter de cette manière, avec plus ou moins de succès, le chant ou le cri des oiseaux et autres petits animaux qu'ils représentaient. Une étude sérieuse et approfondie de la riche collection de vases du Pérou permet- tait donc de vérifier l'exactitude des observations faites par M. Edwin A. Barber, dans le Mémoire qu'il avait adressé au Congrès de Madrid sur les faiences précolombiennes de l'Amé- rique. Ce savant avait en outre eu l’idée d'exposer quelques fragments d'anciennes poteries spécialement remarquables (n° 1517 du catalogue) trouvés dans les ruines de l'Utah, États-Unis, et à l'aide desquels il était possible de comparer les différents procédés de fabrication. Un monument archéologique de la plus grande importance et qui méritait également d'être placé en première ligne à l'Exposition de Madrid, c'était la fameuse idole connue dans le monde scientifique sous le nom d'idole du comte de Guaqui (n° 1493 du catalogue). Cette idole a été trouvée à Trujillo en 1865. Elle semble être en bronze, mais avec un fort alliage d'argent. La figure humaine qu'elle représente est assise sur des couleuvres, dans l'attitude des statues de Palenqué. Elle offre les caractères des Indiens Aymara. Chaque main tient une tablette, portant une inscription graphique non encore interprétée, laquelle fait l'objet de controverses très animées entre les Américanistes. Les uns veulent y voir des caractères chinois, d’autres croient reconnaître du sanscrit, d’autres enfin prétendent distinguer l'empreinte fruste d'une inscription hiéroglyphique. Le puissant intérêt qui s'attache à la lecture ou au déchiffrement de cette inscription n'échappera à personne, et il est vivement à souhaiter qu'un savant autorisé se charge de l'étude scrupuleuse de ce pelit monument américaniste. Au surplus, une chose non moins extraordinaire dans ce monument, c'est que la tête de l’idole est nimbée et que sem- 158 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. É blable attribut ne paraît pas s'être jusqu'ici rencontré en Amé- rique à une époque aussi ancienne que celle à laquelle appar- tient l'idole de Guaqui. Sous le n° 4495 du catalogue on remarquait encore une idole d’un caractère élrange. Elle paraissait également être en bronze, et représentait une figure humaine debout, ayant sur la Lèle une sorte de couronne à trois pointes, de laquelle pendait un ornement qui descendail jusqu'à la ceinture. Celle- ci se trouvait serrée par une courte jupe, formée de trois pans, dont deux couvraient les côtés et le troisième la partie postérieure. Les coudes et les genoux étaient ornés d’anneaux ou de bracelets. La main droite s'appuyait sur la poitrine et tenait une espèce d'étoile ; la main gauche portait un sceptre, sur- monté d’un globe. L'attitude de cette idole et les détails de son accoutrement, rapprochés de sa haute antiquité, ouvraient un vaste champ aux supposilions des archéologues. Elle était exposée par M. Eusebio de Valldeperas, et faisait partie d'une collection d'idoles en bronze et en terre cuite appartenant toutes à l'époque précolombienne. M. Cecilio de Lara y Castro avait aussi envoyé une collection d'idoles (n° 1474 du catalogue). Dix étaient en pierre et seize en terre cuite. Selon leur propriétaire, toutes seraient origi- naires de Porto-Rico ; elles formaient l'ensemble le plus complet connu d'idoles de cette provenance. M. Pedro Gonzalez de Velasco avait également exposé cinq idoles en terre cuite de Porto-Rico (n° 1489 du catalogue). Ces dernières, fort gros- sièrement façonuées, appartenaient de même à l'époque précolombienne ; mais ce qui leur donnait un intérêt particulier, c'étaient les caraclères graphiques dont elles se trouvaient ornées. Sous le n° 1518 du catalogue étaient classées deux pe- tites idoles des Indiens Moquis, propriété de M. Edwin A. Bar- ber, et plus dignes d'attention à cause de leur forme primitive qu'à cause de leur extrême antiquité. Enfin, il est nécessaire de signaler encore deux idoles exposées par M. Miguel Rodriguez QUATRIÈME SESSION. 459 Ferrer, qui se trouvaient désignées au catalogue sous le n° 1275. Toutes deux provenaient de l'ile de Cuba. L'une était en pierre de sable veinée de quartz; elle figurait la tête d'un serpent, emblème sous lequel les peuples indiens et spéciale- ment les indigènes de l'ile du Cuba représentaient le dieu du mal. Cette idole avait été découverte dans une caverne près de Maizi, sur la côte orientale de Cuba. Son exécution trop parfaile indiquait pourtant qu'elle ne pouvait appartenir à une époque reculée et contemporaine de la civilisation primitive. À cette époque, en effet, on ne connaissait pas les instruments de métal qui out servi à la sculpter. L'autre idole était en terre dureie au soleil. Modelée d'une façon grossière avec les doigts, elle représentait un oiseau de nuit. C'était une idole domestique, un deces dieux pénales nommée cemis que les aborigènes cubains portaient en guise d'amulelle quand Christophe Colomb les visila pour la première fois. Celte seconde idole avait aussi été trouvée dans une cavité de l'île; elle appartenait évidem- ment à l'époque la plus rudimentaire de l'industrie de ses habitants. Ceux-ci n'avaient alors d'autre temple que le foyer de la famille ou la voûte rayonnante de leur ciel Loujours bleu; ils ne possédaient qu'une classe de divinités, tantôt bonnes, tantôt mauvaises, suivant les circonstances, et qui présidaient tour à tour à leurs cérémonies religieuses, à leurs fêtes publi- ques et privées ou à leurs orgies épileptiques. Car les Cubains primitifs élaient un peuple débile, qui s'alanguissail dans les plaisirs dissolus de son paradis végétal, peuple déchu et superstitieux que le cri fatidique d'un oiseau de puit rem- plissait de terreur et qui ne reculait devant aucun excès pour salisfaire ses passions déréglées. Un autre monument archéologique d’une valeur capitale se voyait dans le buste (n° 230 du catalogue) et dans quelques fragments d'une statue provenant des ruines d'Uxmal, ville du Yucatan dont la fondation est attribuée aux Tollèques, ces malheureux prédécesseurs des Aztèques, lesquels avaient eux- 160 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. mêmes déjà presque disparu lors de la découverte du Nouveau- Monde. Cette statue fut donnée en 1865 par D. Simon Peon à D. Juan Ximenez de Sandoval, qui l'offrit en 1871 au Musée national d'archéologie de Madrid. Elle ornait la partie supé- rieure d’une des nombreuses portes de la maison dite du Gou-. verneur. Les dimensions de la statue se rapprochaient de la grandeur naturelle. La tête qui, malheureusement, avait le nez endommagé, était d'un caractère typique remarquable et d’une grande pureté de lignes; elle portait une coiffure en forme de mitre, laquelle descendait devant presque jusqu'aux sourcils et retombait sur les côtés jusque la naissance de la barbe. Les éléments ethniques étaient parfaitement saisis- sables et d'une frappante fidélité dans cette tête. Malgré la cassure, on percevait les arêtes d’un grand nez aquilin, et le profil, semblable d’ailleurs à celui de toutes les autres figures de même origine dont les fragments se voyaient à l'Exposition, trahissait le microcéphale au front effacé qui constitue le type de la race. À côté du buste se trouvait le bas d’une jambe par- faitement moulée; le pied était enfermé dans une chaussure dégagée sur le devant et dont la partie postérieure montait, comme le cothurne, du talon au mollet. La chaussure était ornée de dessins taillés d’un ciseau singulièrement habile; ces dessins accusaient une étonnante ressemblance avec les produits de l’art grec. Les ruines monumentales d'Uxmal ren- ferment ainsi de nombreuses analogies, dont on chercherait peut-être à tort l'explication. Ces ruines n'offrent rien de plus caractéristique que les deux édifices connus sous les noms de Maison du Gouverneur et Palais des Religieuses, Casa del Gobernador y Palacio de las Monjas. NS révèlent aux veux et à l'esprit les traces évidentes d'une civilisation des plus perfec- tionnées. Le peuple qui a élevé de tels monuments parvenait incontestablement à donner une forme réelle aux conceptions artistiques les plus hardies et les plus grandioses. A quelle époque s'exéculèrent ces merveilleux travaux, devant lesquels QUATRIÈME SESSION. 161 l'archéologue et le linguiste demeurent étonnés? On le saura vraisemblablement quand on sera arrivé à déchiffrer les carac- tères mayas et les innombrables hiéroglyphes qui ornent ces gigantesques constructions et qui se mêlent et s'enroulent si gracieusement dans leurs capricieux motifs architectoniques. 2. Anthropologie et paléontolsgie. Si les fouilles faites dans le sol du Nouveau-Monde ont mis au Jour de nombreux monuments archéologiques d'une grande valeur pour la science, les découvertes anthropologiques et paléontologiques ne furent ni moins fécondes ni moins intéres- santes pour l'histoire de l'homme et l'étude de la faune en Amérique. Dans cet ordre d'idées, la collection la plus riche était celle exposée par le Musée des sciences naturelles de Madrid. Elle avait été en grande partie recueillie par l'expédition espagnole du Pacifique. Au premier rang des objets dus à cette source, on peut mentionner les découvertes failes dans les kuacas de Chinchin, localité du désert d'Atacama. Cest là qu'ont été trouvées les sept momies d’une conservation si remarquable et si rare qui captivaient l'attention de tous les visiteurs (n® 1325-1331 du catalogue). Six étaient des momies humaines, la septième une momie de guacamayo. Au nombre des momies humaines se distinguait une momie d'homme, qui devait appartenir à un chef, à en juger par les insignes dont elle était revêtue; et une momie de femme d’une classe élevée, ainsi que le donnaient à supposer la qualité de ses vêtements et ses pendants d'oreille, d'un travail exceptionnellement soigné, retrouvés entre les plis de son riche costume. Une autre momie de femme tenait un enfant momifié entre ses bras ; l'abondante et admirable chevelure noire que possédait cette dernière pendait encore en deux longues tresses sur son 462 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. dos, malgré les siècles écoulés depuis la fin de son existence. À côté des momies se voyaient les Luaqueros ou vases, prove- nant généralement du bas Pérou, et trouvés dans les tom- beaux; ils avaient ordinairement une forme particulière et étaient spécialement fabriqués pour l'usage auquel ils devaient servir. Les momies dans les sépultures de l'Amérique centrale et méridionale occupaient une position accroupie. Les talons joiguaient les cuisses et les genoux étaient ramenés jusqu'à la hauteur du menton ; les bras appuyés sur les genoux soute- naieut la tête ou étaient croisés sur la poitrine. Le corps était revêtu des plus beaux habits du défunt et paré de ses insignes. Ou l’entourait de ses armes, des ustensiles dont le mort s'était servi et de vases remplis de boissons et d'aliments. Le plus souvent le corps était encore cousu dans plusieurs linceuls, dont je nombre était d'autant plus grand et la trame d'autant plus fine que le défunt appartenait à une famille plus riche. Enfin, le tout était d'habitude recouvert du poncho. Ge vête- ment, d’un usage général chez les aborigènes aisés du Pérou et des contrées voisines, consistait en un morceau d'étoffe plus long que large, au centre était pratiquée une ouverture dans laquelle on passait la tête. Le poncho retombait devant et derrière jusqu'au-dessus des genoux et débordait un peu des épaules. Parfois aussi la tête du mort était surmontée d'un masque fantastique, qui avait pour but d'éloigner les mau- vais esprits de son tombeau. On remarquait également dans la même collection une série de vingt-deux crânes (n° 1333 du catalogue). Ils étaient de race différente, mais avaient tous été découverts sur le terri- toire de l’ancien Pérou. Pour quelques-uns les cheveux étaient demeurés adhérents. Un certain nombre de ces crânes offraient un aspect extraordinaire ; plusieurs avaient subi des compres- sions évidentes ; un seul était percé d’un trou rond, mais il ne semble guère probable que ce soit le résultat d’une trépanation : QUATRIÈME SESSION. 163 les cheveux étant encore intacts autour de la perforation et les bords de celle-ci n'étant pas réguliers, on peut en induire avec une certitude fondée sur l'absence de tout signe de cica- trisation, que le trou a été fait après la mort. Un grand nombre de particuliers avaient aussi envoyé des spécimens anthropologiques et des débris fossiles. Parmi eux, M. le docteur Pedro Gonzalez de Velasco et M. Miguel Rodri- guez Ferrer méritent une mention spéciale. Le premier avait exposé une collection importante renfermant des momies du Pérou, diverses peaux humaines de nègres de l'Équateur, des crânes trouvés sur le territoire du Chili, ete. Mais les objets les plus saillants de sa collection étaient d'abord une momie accroupie parfaitement conservée, découverte en 4855 dans un endroit nommé Chono de Arica, ressort de Moquejua, au Pérou (n° 1496 du catalogue); ensuite une tête momifiée et réduite au dixième de son volume naturel, d'après un système qui paraît être un secret aujourd'hui perdu. C'était la tête du cacique de la tribu Kapi des Indiens anthropophages établis dans la province de Mainos, au nord du Pérou (n° 1491 du catalogue). Pour arriver à cette curieuse réduction propor- tionnelle des formes humaines, les Indiens se servaient d'une substance végétale, connue d'eux seuls. Par ce procédé, tous les os du crâne se rapetissaient en même Lemps que les tissus, sans trop altérer les traits du défunt. Les cheveux principale- ment ne subissaient aucune modification, leur longueur et leur couleur restaient intactes. Une têle humaine réduite de la sorte était considérée comme une idole ou servait d'amu- lette. À l'Exposition on voyait, sous le n° 1265 du catalogue, un second exemple de ce procédé; c'était la tête d'un Indien guarani également momifiée et réduite à sa plus simple expres- sion. Cette tête avait les deux lèvres percées et réunies par de petites cordes, colorées en rouge par intervalles et dont les deux bouts assez longs pendaient de chaque côté de la bouche. Quant à M. Ferrer, il avait exposé une intéressante 164 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. collection d'objets, provenant presque en totalité de l'île de Cuba. Outre la mâchoire fossile, au sujet de laquelle il avait été beaucoup disserté au Congrès des Américanistes de Madrid (n° 1270 du catalogue), il importe de signaler parmi ces objets deux crânes humains (n° 1271 du catalogue), aussi remar- quables qu'étranges à cause de leur dépression frontale. Il était toutefois impossible de reconnaître à première vue si cette dépression était le résultat d'un procédé artificiel ou si elle tenait au Caractère typique de la race des individus dont provenaient ces crànes. Les deux cränes exposés par M. Ferrer avaient été trouvés par lui sur la côte orientale de l'ile de Cuba, à proximité du cap Maizi, dans une caverne fort isolée, située à sept lieues du port de Baracoa, au sud de Pueblo-Viejo, et à trois lieues du petit port de Mata. Cette région, complètement dépeuplée et absolument déserte, était environnée de grandes forêts sécu- laires et dominée par des hauteurs escarpées. La caverne se composait de deux places distinctes ; on accédait de l'une dans l'autre, mais la première était beaucoup plus vaste que la seconde. C'est dans celle-ci que les deux crânes furent décou- verls avec cinq ou six autres et au milieu d'ossements humains brisés et éparpillés. Ces fragments de squelettes reposaient sur un épais Lapis de guano qu'avaient étendu sur le sol pen- dant des siècles de nombreuses générations de chauves-souris, dont les descendants, pendus par les griffes de leurs ailes, ornaient encore la lugubre voûte de la caverne au moment de la découverte. L'un des deux crânes paraissait être celui d'un homme; l'autre celui d'une vieille femme. Ce dernier, en effet, se fai- sait remarquer par la forte ossification de la suture temporale et l'oblitération des alvéoles maxillaires. Quant aux autres caractères cräniens de ces deux spécimens anthropologiques, ils alliraient l'attention pour divers motifs. La hauteur des deux crânes était beaucoup en dessous de la moyenne, et le QUATRIÈME SESSION. 165 diamètre transversal au contraire fort développé. Par contre, le front élait exceplionnellement déprimé et, par suite, le lobe antérieur du cerveau extrèmement réduit. En outre, la voûte palatine avait peu d'extension, et la fosse temporale était très étroite. D'ordinaire ces éléments, quelque peu contradictoires, ne se rencontrent pas dans le même sujet, car la dépression frontale, indice d'un très faible développement intellectuel, s'allie généralement à une grande extension de la fosse tem- porale et par conséquent à une prédominance des appareils de la manducation. Néanmoins, la nature avait imprimé sur ces crânes un signe originel : le conduit auditif externe était forte- ment incliné vers le devant, ce qui permettait de supposer la direction correspondante du pavillon de l'oreille et de recon- naître un des caractères propres aux races sauvages. Les anthropologistes qui avaient été appelés à étudier ces crânes ne s'étaient pas trouvés d'accord dans leur apprécialion. M. Poey, professeur à l'Université de la Havane, avait tout d'abord émis l'idée qu'ils n’appartiennent pas à des races aussi anciennes que certains spécialistes le supposaient. Il tenait le crâne de l'homme pour celui d'un Caraïbe de l'ile Saint-Vincent, parce qu'il lui découvrait les caractères décrits par Morton dans son ouvrage sur la Crâniologie américaine. En vertu de cette thèse, la dépression frontale devait néces- sairement être considérée comme artificielle. M. Rodriguez Ferrer était d'une autre opinion. Selon lui, ces crânes appar- tiennent à une race beaucoup plus ancienne que celle des Caraïbes de l'ile Saint-Vincent. À l'appui de sa manière de voir, il invoquait, outre les caractères anthropologiques spé- ciaux relevés dans les deux spécimens, certains détails archéo- logiques se rattachant au lieu de sa découverte. D'après ce savant espagnol, la caverne où les crânes avaient été trouvés remontait incontestablement aux temps préhistoriques du Nouveau-Monde. Ce n'était pas une caverne ayant servi d'ha- bitation à l'homme, mais une grotte sépulcrale de l'époque 466 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. précolombienne la plus reculée. Cette caverne présentait de nombreuses analogies avec celle découverte en France, dans le département de la Haute-Garonne, et explorée en 1852 par M. Lartet. La caverne de l'île de Cuba avait été artficiellement fermée ; les deux crànes exposés s'y trouvaient avec plusieurs autres, au milieu d'un amas d’ossements humains, et la con- sciencieuse étude à laquelle on s'était livré sur ces débris de squelettes avait établi à toute évidence que les conditions anatomiques des hommes dont ils provenaient différaient essentiellement de celles propres aux races indiennes ou cubaines qui peuplaient l’île lorsque Christophe Colomb y aborda. Si cet accord des preuves archéologiques et anthropo- logiques ne permettait pas de se former une conviction solide- ment assise, 1l fauarait renoncer à se servir de ces nombreuses affinités que la science moderne exhume chaque jour du sol et d'où elle tire, à plus juste titre que des simples analogies, des arguments toujours renforcés au sujet de l’origine de : l'homme dans l'Ancien comme dans le Nouveau-Monde. C'est encore de l’île de Cuba que M. Rodriguez Ferrer avait rapporté le fossile exposé sous le n° 1272 du catalogue. Il consistait dans une dent de Squale, de l’ordre des Sélaciens, découverte en sciant une roche calcaire aux environs de Matanzas. Ces Squales géants constituaient une espèce aujour- d'hui éteinte; elle est caractéristique de la période miocène en Europe et de la période éocène aux États-Unis. Dans l'île de Cuba, elle appartient au terrain tertiaire moyen et se rap- proche du tertiaire supérieur ou pliocène. La dent exposée par M. Ferrer avait une longueur exceptionnelle, sa fossilisation s'était faite en pure roche calcaire, mais elle avait conservé intact l'éclatant émail qui la recouvrait depuis plusieurs mil- liers d'années. D'après Lacépède, les Squales géants attei- gnaient plus de 70 pieds de longueur. Ils devaient abonder aux environs de l'île de Cuba, où actuellement encore on ren- contre fréquemment la réduction de ces poissons antédilu- QUATRIÈME SESSION. 467 viens, que les indigènes désignent sous le nom de Zenquas petrificadas. Les Squales gigantesques correspondent à l'âge géologique des grands mammifères fossiles, dont s’est occupé M. Fernandez de Castro au Congrès de Madrid, et qui furent découverts dans la même île. Ils sont donc également contem- porains de l'Hippopotame et du Myomorphus cubensis, ce der- nier de la famile du Megalonyæ, et ayant des analogies avec le Megatherium, espèces qui caractérisent la faune quaternaire de la partie du continent américain la plus rapprochée de l’île de Cuba. D'après certains savants, ces grands fossiles auraient donné lieu, au Mexique et dans la Californie, à la fable des géants du pays de l'Anahuae, dont parlent Clavigero et Acosta. Un fait aujourd'hui acquis à la science, c'est que le Megathe- rium apparut sur le sol du Nouveau-Monde à l'époque où les grands Éléphants se montrèrent en Europe; ce fut au même âge géologique que les mers des deux continents se peuplèrent de ces énormes Squales. La forme caractéristique actuelle de l’île de Cuba se rapporte à cette période. Il se peut néanmoins que cette île ait été constituée à une époque plus reculée, comme la Sierra Madre et ses ramifications de l'Est le feraient croire, car ces roches paraissent avoir été soulevées à un autre âge géologique que celui qu'on leur assignerait au seul examen des couches de la côte de l'île. Cette observation s'applique également aux hauteurs qui s'étagent entre Holguin et Jibara, de même qu'à toute la bande calcaire s'étendant depuis la Havane jusqu'à Matanzas. Sous le n° 1273 du catalogue, on remarquait encore un fossile cubain, remontant, il est vrai, à une époque moins reculée que le précédent. C'était un Échinoderme, de l'ordre des Échinides clypéastres, de l'espèce des radiaires. Ce spéci- men, outre la grâce étonnante de ses courbes, offrait ce curieux détail que, bien qu'appartenant à une espèce essen- tiellement maritime, il a été découvert sur une des plus hautes cimes des monts Macaca. 168 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Enfin, on voyait encore, sous le n° 1527, un os de Masto- donte, d’une conservation parfaite, trouvé dans les plaines du Paraguay. 3. Ethnographie. Le mot ethnographie était connu dès le commencement de ce siècle; mais les études ethnographiques n'ont pris place que depuis une quarantaine d'années environ au nombre des sciences contemporaines. Que de progrès ces études n'ont- elles pas réalisés, quelle extension n'ont-elles pas acquise durant ces quarante années! La science ethnographique a pour objectif l'homme et les sociétés humaines; elle s'empare de l'homme à son berceau et le suit jusque dans sa tombe; elle remonte à la source des civilisations, analyse leurs éléments constitutifs, et évoque même les sociétés après leur disparition. En conséquence, l'ethnographie étudie les peuples et les indi- vidus : les peuples, en recherchant leur origine et les carac- tères distinctifs de leur race, en les poursuivant dans leurs transformations et migrations successives; les individus, en tenant compte des données physiques et morales qu'ils pré- sentent, en s'occupant de leur développement progressif, de leur état matériel et intellectuel. Par suite, l'ethnographie s'attache à la condition sociale de l'homme, s'intéresse à son éducation publique et privée, pénêtre dans ses mœurs natio- nales comme dans sa vie domestique, note les différentes manifestations de son esprit et sonde jusqu'à ses aspirations et ses croyances. \ Une science dont l'objet est aussi complexe doit naturelle- ments'étendre aux choses les plus multiples et les plus diverses. Il en résulte que toute exposition, tout musée d’antiquités sont également une exposition ou un musée d'ethnographie. Il en résulte de même que la plupart des objets exposés à QUATRIÈME SESSION. 169 Madrid pouvaient être classés, pour l'un ou l’autre motif, dans la section ethnographique. Toutefois, il était un certain nombre d'objets que leur nature spéciale et l'ethnique bien déterminé de leur caractère parti- culier faisaient ranger de primesaut sous la rubique de l’eth- nographie. À cet égard, la collection la plus complète et la plus remarquable de l'Exposition de Madrid était celle envoyée par le Musée national d'archéologie de cette ville. Les anti- quités américaines qui formèrent le noyau de ce Musée furent réunies sous le règne de Charles III. Ce monarque éclairé, en décrétant, dans le courant de l’année 1773, la fondation du Musée des sciences naturelles, avait ordonné de joindre au Musée nouveau une section dans laquelle seraient groupés les objets ayant de l'intérêt pour l'histoire des peuples de l'Amé- rique. Et voulant donner l'exemple, il envoya pour faire partie de cette section tous les objets de ce genre apparte- nant à ses collections particulières. Tel fut le point de départ de la section ethnographique du Musée national d'archéologie de Madrid. En 1777, ce premier noyau fut augmenté des objets rassemblés par les savants naturalistes Hippolyte Ruiz et José Pavon. Puis, successivement, de ceux recueillis, en 1786, par l'expédition espagnole au détroit de Magellan, sous la direction de Antonio de Cordova, commandant de la frégate Santa Maria de la Cabeza ; de ceux découverts dans les huacas du Pérou, par Balthazar Jaine Martinez Compañon, évêque de Trujillo; des antiquités trouvées à Palenqué et offertes, en 1789, au gouvernement de Castille, par les autorités de Gua- temala, et enfin des objets rapportés d'Amérique, en 1795, par l'expédition de Malaspina. Les objets envoyés à l'Exposition par le Musée national d'archéologie étaient au nombre de 1,308. D'après son cata- logue, ce Musée comprend 1,411 objets relatifs au Nouveau- Monde, lesquels se décomposent comme suit : 77 objets pro- viennent de l'Amérique du Sud, sans aucune détermination 12 470 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. d'origine bien exacte, 4 sont originaires des Antilles, 497 de la Bolivie, 33 du Brésil, 3 de Buenos-Ayres, 57 de Caracas, 24 du Chili, 3 de Cuba, 204 de l'Équateur, 5 des États-Unis, 4 de Guatemala, 57 de Honduras, 70 du Mexique, 1 de la Nouvelle-Grenade, 32 de la Patagonie, 1 du Paraguay, 656 du Pérou, 2 du Venezuela et 4 du Yucatan. Cependant, au point de vue géographique, cette énumération est fort imparfaite. Le premier besoin de l'homme, au jour de son apparition parmi les êtres vivants, fut sans nul doute de subvenir à son existenceet de défendre celle-ci contre les atteintes auxquelles, dans les temps primitifs surtout, elle devait être en butte. On conçoit donc que, pour observer un ordre méthodique, les armes soient placées en première ligne dans les collections ethnographiques. L'Exposition d'antiquités américaines de Madrid offrait une série complète d'armes, dont les plus anciensspécimens avaient appartenu aux aborigènes du Nouveau- Monde et dont les plus récents étaient contemporains de la conquête. Les armes les plus caractéristiques étaient des mail- lets en bois dur; des flèches à pointes de silex; des bâtons surmontés d'os taillés; des lances à pointes d'obsidienne; des casse-têtes formés d'un fragment de quartz, attaché à un manche flexible, ou d'une étoile de pierre emmanché au bout d’un bâton, solidement fixé dans un trou pratiqué au centre de l'étoile; des haches en diorite ou amphibole; des jave- lots à pointes de jade, admirablement polies et affilées ; des rondaches, des carquois et des arcs des Indiens du Para, au Brésil, et des boules de lazo des Indiens charruas. Sous le n° 1274 du catalogue, M. Rodriguez Ferrer avait exposé deux petites haches de pierre singulièrement remar- quables. Toutes deux ont été découvertes dans l'île de Cuba et appartiennent à l'époque de la pierre polie ou néolithique. Elles sont contemporaines dans le Nouveau-Monde du rhinoceros thicorhinus el peut-être même de l'elephas primigenius. La plus grande des deux haches est en diorite, la plus petite en QUATRIÈME SESSION. TA serpentine. Il parait que dans les premières années qui suivi- rent la conquête, on a découvert un assez grand nombre de ces haches de pierre, lesquelles étaient alors invariablement désignées sous le nom de jade. Les indigènes les nommaient pierres de rein ou pierres de flane, parce qu'ils leur attribuaient des effets merveilleux pour la guérison des maux de reins et que, dans cette intention, ils les portaient en guise d'amulettes. Des savants espagnols ont voulu faire une distinction entre ces pierres de jade, qu'on rencontre presque partout sur le nouveau continent. Ils ont cru pouvoir affirmer que celles qu'on trouve rassemblées en plus ou moins grand nombre, dans les tombeaux et au milieu des monuments mégalithiques, sont en jade oriental ou néphrite; tandis que celles qu’on recueille isolées, répandues sur le sol, le plus souvent dans des lieux dépeuplés, sont en jadéite. L'observation peut-être exacte, mais on n'aperçoit pas, à première vue, Comment une semblable distinction pourrait être justifiée. En tout cas, M. de-Saussure a fait remarquer avec raison que le jade, qui semble être exclusivement originaire du nord de la Chine, s'est trouvé dès la plus haute antiquité connu dans le monde entier, aussi bien chez les peuples des Cordillères que dans les tombeaux celtiques et dans les stations lacustres. Pour qu'il ait pu en être ainsi, cette matière a du faire l’objet d'un commerce universel. On s'explique avec peine, vu la rareté et la difficulté des relations à ces époques reculées, comment les avantages qu'offre le jade sur d’autres pierres, par sa dureté et sa finesse, aient pu successivement être appréciés par tous les peuples des deux continents. On a peine aussi à compren- dre le nombre de siècles qu'il a fallu pour répandre d’une manière si générale le commerce ou l'échange de ce minéral. Ces questions, d'un si puissant intérêt pour les études pré- historiques, avaient déjà été discutées dans la 6° session du Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhis- toriques, tenue à Bruxelles en 1872. La plus petite des deux 172 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. haches exposées par M. Ferrer présentait une circonstance étrange : elle a été découverte encastrée au milieu du tronc d'un très vieil acajou. Cette particularité est un témoignage authentique de l'origine et de l'antiquité de ce curieux spéci- men, d'ailleurs fort remarquable aussi pour sa forme régulière et gracieuse. La perfection du travail qui se remarque dans ces deux haches et le brillant de leur poli rappellent celles étudiées en Europe, dès 1841, par Boucher de Perthes. Les unes comme les autres prouvent que, même dans les instru- ments de ce genre, l'industrie primitive avait atteint un degré d'exécution presque parfaite. Au surplus, la délicatesse de la taille, le fini du poli et la similitude de la forme de ces sortes de haches, trouvées sur deux continents très éloignés l'un de l’autre et pour lesquels il est encore difficile aujour- d'hui de reconstituer les quelques rares relations, aussi isolées que peu fécondes en résultats, qui peuvent avoir existé entre-eux à l'époque précolombienne, font pourtant naître malgré soi dans l'esprit l'idée, peu scientifique assurément, de rapports préexistants, puisque ces haches se rencontrent tout à fait identiques dans le Nouveau comme dans l'Ancien- Monde. Dans celui-ci aussi bien que dans celui-là, on les dé- signait au début sous le nom assez étrange de pierres de foudre. Les négresses repasseuses de linge de l'ile de Cuba, recherchaient les pierres de foudre avec le plus grand soin, parce quelles les considéraient comme douées d'une vertu spéciale pour le prompt et le bon achèvement des travaux de leur métier. Toutefois, il paraît certain que ces pierres ne furentjamais façonnées dans cette île; elles venaient du dehors, de même que les pierres noires à l’aide desquelles les chefs indiens faisaient ces couteaux, dont parle Torquemada dans sa Monarquia indiana. Le père Las Casas donne une description des indigènes de l’île de Cuba, qui démontre surabondamment qu'ils n'avaient ni les moyens, ni l'intelligence nécessaires pour travailler les haches de pierre avec le goût et la süreté de QUATRIÈME SESSION. Ta main que les beaux spécimens de ces haches revèlent. Les Mémoires laissés par le fils de Christophe Colomb renferment une appréciation identique. Il est à présumer que ces armes sont des échantillons de l'industrie de certaines races préco- lombiennes, dont l'antiquité est confirmée par la circonstance rappelée plus haut, de cette hachette en serpentine retenue au milieu des fibres végétales d'un des plus vieux arbres de l'île, au sein duquel elle demeura prisonnière pendant une éton- nante suite d'années. Le n° 1526 du catalogue se rapporte aussi à une arme fort intéressante, c'est une pointe de lance en obsidienne d'une lon- gueur extraordinaire et appartenant à l’âge paléolithique. Elle a été trouvée dans les environs de Mexico et était envoyée à l'Exposition par M. Ramon Sapela, de Valladolid. Parmi les autres armes remarquables, d'une époque plus rapprochée, on peut signaler le Maharra ou fer de lance, qui surmontait le bâton de commandement des vice-rois de la Nouvelle-Espagne et constituait le symbole de leur dignité. Cet objet appartenait à M. Feliciano Herreros de Tejada, de Madrid, (n° 1519 du catalogue). Le n° 1524 désignait une arme empruntée aux richissimes collections de Sa Majesté le roi d'Espagne. C'était l'épée de François Pizarre, un effrayant échantillon de l'arsenal des conquistadores, dont la superbe poignée en fer niellé d’or est une véritable œuvre d’art. L'arme historique du conquérant du Pérou se trouvait appendue dans une élégante caisse en bois d’acajou à parois de cristal spécia- lement faite pour cet usage. On remarquait encore l'épée attri- buée à Diego de Velasquez, le courageux compagnon de Christophe Colomb et de Diégo Colomb, son frère, lequel l'avait chargé de conquérir l'île de Cuba, dont Velasquez devint plus tard le gouverneur; et l'épée qu'on suppose avoir appartenu à Ovando, le célèbre auditeur de Mexico. Ces deux dernières armes (n° 1447 et 1448 du catalogue), étaient exposées par M. José Emilio de Santos, de Madrid. Enfin, M. Pedro Canto 174 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. y Sanchez, de Badajoz, avait envoyé (n° 1531 du catalogue), le poignard à manche court et à la lame étroite du fameux capitaine Pedro Alvarado, le plus brave lieutenant de Cortez, qu'il seconda si puissament dans la conquête du Mexique. Un fait incontestable, c’est que, depuis les phases les plus infimes de la civilisation jusqu'aux sociétés les plus rafinées, on découvre au sein de toutes les races humaines, le goût de la parure. Quand l'homme eut trouvé le moyen de pourvoir à son existence, 1l se préoccupa de l'ornement de son propre corps. De tout temps et par toute la terre ce rudiment d'esthétique a pré- cédé n'importe quel autre indice des arts graphiques ou plas- tiques. On peut donc, sans rompre l’ordre rationnel, dire un mot des costumes et des ornements du corps après avoir parlé des armes. Le spécimen le plus intéressant sous ce rapport était, de l'avis de beaucoup de spécialistes, le pachacor ou vêtement d'un Inca, trouvé dans une huaca faisant partie des ruines du temple de Pachacama, au Pérou. Les estimations les plus mo- dérées donnent à cette étoffe au moins cinq siècles d'existence. Nonobstant ce, elle est remarquablement conservée et offre des dessins d'une beauté exceptionnelle, dont les couleurs sont encore étonnemment vives. Le tissu est d'une grande finesse el prouve que les peuples des Cordillères devaient être très avancés dans l’art de tisser les matières textiles. En effet, ils parvenaient à teindre les étoffes de couleurs solides et variaient les tissus par des entrebandes du meilleur goût. Ils connaissaient également l'impression sur ces matières et arri- vaient à donner beaucoup de consistance à leurs couleurs, comme Île fait voir d'ailleurs le pachacor exposé à Madrid. L'impression se faisait à la main, au moyen de formes en bois ou en terre cuite, dont on a retrouvé quelques rares spécimens qui peuvent être étudiés aujourd'hui dans certains grands musées ethnographiques. L'ornementation la plus fréquente des étoffes consistait dans des fleurs et des feuilles colorées, ou dans dans des animaux fantastiques. Les Incas attachaient QUATR IÈME SESSION. 475 beaucoup d'importance à leurs habillements, surtout à leur costume de cérémonie. Ce dernier se composait d'ordinaire de plusieurs vêtements superposés. Le vêtement inférieur était général ement une jupe d'étoffe unie, serrée aux reins par une ceinture d'un tissu assez grossier, fréquemment rayé de blanc et de brun. Une toge d'étoffe à nuance claire recouvrait ces vêtements inférieurs ; elle était communément ornée d'une bordure en couleurs variées, et rehaussée de dessins imprimés ou parfois de broderies. Dans les circonstances solennelles les Incas portaient au-dessus de leur costume un long man- teau, véritable vêtement de luxe, dans lequel ils se dra- paient, et qui était confectionné du tissu le plus fin et presque toujours de couleur blanche. Ce manteau avait aussi pour ornement une bordure coloriée, relevée de divers des- sins et quelquefois de riches broderies, dont les nuances pré- férées étaient le jaune et le rouge. On a retrouvé certains de ces manteaux munis à leur partie inférieure d'une frange; les nuances de celle-ci se trouvaient soigneusement assorties aux dessins de la bordure. Les autres ornements corporels étaient largement repré- sentés à l'Exposition. Beaucoup de ces objets avaient été rap- portés par l'expédition espagnole du Pacifique ; mais un assez grand nombre se trouvaient exposés par M. Marcos Jiménez de la Espada (n° 1277-1308 du catalogue). Parmi ces derniers il importe de signaler les colliers de femme et les pendants d'oreille des Indiens patagons tehuelches-huaicurües ; les col- liers des Indiens Zäparos de l'Unuyacu, et les bracelets des Indiennes de l'Équateur. On remarquait aussi le collier de commandement, jadis en usage chez les Indiens de Porto-Rico; le ceinturon d'un ancien Cacique des Pampas; les plastrons des Indiens de la côte du Venezuela, fabriqués de plumes et ornés d'arabesques faites au moyen de cordons tressés avec des poils de guenon; une curieuse et fort ancienne tunique provenant d’une tribu indienne du nord du Pérou; et divers 176 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. tissus des Indiens mondurucos, anciens habitants des rives du Rio-Blanco, lequel constitue avec le Rio-Negro un des princi- paux affluents de l'Amazone. Au milieu de ces ornements multiples, on distinguait encore quelques instruments, dont les uns se rapportaient aux armes offensives et défensives et les autres à la toilette des peuples primitifs de l'Amérique. A la première catégorie appartenaient trois petits vases de différentes dimensions contenant le curare dont les Indiens se servaient pour empoisonner leurs armes. La plupart des races aborigènes du Nouveau-Monde connais- saient ce poison, mais toutes ne le préparaient pas suivant des procédés identiques ; quelques tribus avaient même la spécia- lité de cette fabrication. Aussi, à côté des récipients du ter- rible produit, se voyait le sac dans lequel les Indiens enfer- maient leur provision mortifère et qui leur servait également à la transporter au loin; car certaines tribus de l'intérieur se livraient presque exclusivement au commerce du curare et vendaient ce poison dans toute la région du Rio-Napo et du haut Amazone. Dans la catégorie des instruments relatifs à la toilette, on pouvait classer un beau miroir des Indiens piohes, de la famille des anciens encabellados, qui occupaient les plaines situées à l'embouchure de l'Aguarico, l'un des affluents du Napo; des pipes en pierre provenant des antiques races araucaniennes, et beaucoup d’autres objets menus de taille mais nullement dénués d'intérêt. L'esthétique des temps rudimentaires ne se bornait, pas plus que celle des civilisations perfectionnées, à cette recherche des ornements du corps ou de l'élégance des objets extérieurs dans laquelle on retrouve l'origine des arts graphiques et plastiques chez tous les peuples : le goût plus ou moins développé de la forme se montre dès le principe accompagné d'une appréciation plus ou moins entendue des sons. Toutes les races, à leurs débuts, ont suivi cette marche progressive, et il n'est pas difficile de relever chez la plupart d'entre elles, QUATRIÈME SESSION PTT en même temps que les primitifs essais de peinture et de sculpture, les premiers indices de l’art musical. Un fait digne d'attention, c’est qu'aux temps précolombiens les pays du nouveau continent les plus rapprochés de l’Équa- teur furent les plus avancés sous le rapport du goût musical ; à mesure qu’on s’éloignait de l'Équateur les instincts musicaux des aborigènes paraissaient suivre une progression décrois- sante. L'Exposition de Madrid renfermait une collection d'instruments de musique des plus nombreuses, des plus variées et des plus intéressantes (n° 1219 à 1934 du cata- logue). Elle se composait d'appareils de tout genre, de toute forme, de toute provenance, en bois, en roseau, en cuivre ; fabriqués au moyen de coquillages, de fruits creusés ou vidés, de fibres végétales ou animales, de peaux tannées ou non tannées, et de tissus divers. Au Nouveau-Monde, comme dans presque toutes les régions du globe, le tambour semble avoir été le premier instrument de la musique humaine. Le premier musicien ne recherchait sans doute que le bruit, et, de fait, la recherche du bruit a pu donner naissance à la musique. Cependant les instruments de musique variaient selon les lieux et les usages. Ceux des tribus sauvages de l'Amérique du Nord étaient de l'espèce la plus primitive. Ils consistaient dans une sorte de crécelle parfois adaptée à un objet creux qui en augmentait la résonnance. Ces instruments étaient en bois et se trouvaient souvent attachés à une courge, à un gros coquil- lage, à la carapace d'une petite tortue ou bien au sabot d'un animal. Les mêmes tribus se servaient aussi de sifflets en os et de tambours carrés ou cylindriques couverts de peau. Quelques tribus sauvages de l'Amérique du Sud fabriquaient également des sifflets en os, mais elles avaient aussi des sifllets de bois, ordinairement découpés en forme de tète humaine; des tambours couverts de peau de singe et des instruments d'une complication extrême, dont un curieux échantillon se voyait à l'Exposition. C'était un appareil composé de deux 178 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. baguettes parallèles sur lesquelles étaient fixés dix-huit petits coquillages d’inégales dimensions ; l'appareil était orné à l'un de ses bouts d'une mâchoire d'homme ou de singe. L'aspect de cet instrument était des plus étranges ; de loin il offrait les apparences d’un violon à ornements bizarres, mais il était difficile, à première vue, de savoir s’il s'agissait d'un instru- ment à vent ou de percussion ; en tout cas, l'appareil ne donnait pas une idée bien précise du rôle qu'il pouvait être appelé à jouer mème dans un orchestre sauvage. Les Indiens de la Guyane anglaise se servaient aussi de crécelles pour accom- pagner les danses qui faisaient partie de leurs cérémonies civiles et religieuses. Ces crécelles étaient confectionnées de jones solides et décorées d'ornements blancs et noirs. L'in- strument de ce genre que tenait le magicien de la tribu était formé d’une grosse calebasse, ornée de plumes. Ces Indiens faisaient encore usage, dans leurs cérémonies, d’un tambour consistant en un cylindre de bois léger, plus long que large, décoré de peintures et couvert d'un côté de la peau d'un jaguar; les baguettes étaient longues et fluettes et se trou- vaient surmontées à l'une des extrémités d'une grosse boule en bois dur. fl a fallu pénétrer dans les ruines d'anciens tom- beaux, découverts sur la côte de la Californie, pour trouver des instruments de musique témoignant d'une certaine con- naissance de la modulation. C'étaient des flageolets en os, percés de quatre ou cinq trous, qui permettaient de varier les sons et peut-être de graduer suffisamment la tonalité pour _ produire des notes. On a rencontré des instruments à peu près semblables dans un cimetière de Chiriqui, au nord de l'isthme de Panama. Parmi ces derniers il y en avait un certain nombre en terre cuite, fort maladroitement moulée sous forme d'oiseaux ou d’autres animaux. Les anciens Mexicains étaient encore en progrès, au point de vue musical, sur les antiques peuplades du grand isthme américain. Ils se servaient de flûtes, d’une espèce de trom- QUATRIÈME SESSION. 179 pette, de grands coquillages de mer troués et d'autres instru- ments à vent; tous étaient disposés de manière à pouvoir moduler quelques sons. Pour les cérémonies religieuses, les Aztèques donnaient la préférence aux instruments de percus- sion. Ils avaient notamment le huehuetl ou grand tambour, couvert d'une peau de serpent et dont la sonorité était si puis- sante que, placé au haut du temple de Mexico, on l'entendait à plusieurs milles de distance. Les Aztèques possédaient éga- lement des instruments en terre quelque peu perfectionnés. Ils faisaient usage de longues flûtes très minces, auxquelles ils donnaient des formes diverses et qu'ils garnissaient de quatre ou cinq trous permettant de modifier la tonalité. Ces instruments produisaient un son pur et très perçant; mais ce qui dénotait l'aptitude spéciale des anciennes races Nahuatl pour la musique, c’est qu’elles avaient imaginé de réunir plu- sieurs de ces flûtes donnant des tons différents. Néanmoins de tous les anciens peuples du Nouveau-Monde, les Péruviens ont cultivé la musique avec le plus de succès. Ils fabriquaient des trompettes en terre cuite d'une grande dimension et d'une remarquable sonorité, dont ils graduaient les tons par divers procédés; ils fabriquaient aussi un instru- ment qu'ils désignaient sous le nom de Auayra puhura, formé de tiges creuses de roseau, d'inégale longueur et disposées l’une à côté de l’autre. C'était un instrument analogue à la flûte champêtre dont Pan fut l'inventeur et que les Romains nom- maient arundo; seulement dans la flûte péruvienne les tuyaux étaient percés de trous, permettant de varier les tonalités, ce qui constituait un perfectionnement de la flûte du dieu grec. Les Indiens habitant au nord du Pérou, possédaient encore un instrument à tons gradués, composé d'une flûte montée sur une peau enflée ou une sorte de chalumeau. Et c'est égale- ment de la même région que provenaient les deux Hatun- Taqui où tambours des Indiens jibaros et canelos, qui atti- raient l'attention des visiteurs de l'Exposition par leur forme 480 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. singulière. Chacun de ces tambours se composait d'un gros tronc d'arbre, taillé en cylindre et habilement creusé, dans lequel avaient été ménagés quatre trous unis par une fente lon- gitudinale. Battus au moyen de fortes baguettes, ces Hatun- Taqui faisaient entendre un bruit sourd et prolongé. Les Jibaros nommaient ces tambours Tunduli quand ils étaient spécialement destinés à convoquer la tribu pour la guerre. En ce cas, ils les transportaient sur des hauteurs de manière à en étendre le son au loin. Les disciples et les adorateurs de Votan, ce fameux législateur, vénéré comme un dieu dans la Péninsule yucatèque, se servaient aussi d’un tambour ana- logue, mais seulement dans leurs cérémonies religieuses. Ils le désignaient sous le nom de Tun-Kul, ce qui dans l'idiome du Yucatan signifie musique sacrée. Les anciens Mexicains avaient aussi un tambour sacré qu'ils nommaient Teponaztli. Enfin, les Mexicains et les Péruviens possédaient encore des instruments monocordes et à deux cordes, mais en petit nombre et très imparfaits, par suite ils étaient sans doute d’un usage assez restreint. L'Exposition de Madrid en renfermait pourtant quelques rares spécimens. Une multitude d’autres instruments, outils et objets ethno- graphiques, appartenant aux époques précolombienne et colom- bienne du Nouveau-Monde, mériteraient d'être décrits ou signa- lés, mais comme il n’est guère possible de les mentionner tous, même en se restreignant à ceux qui offrent un intérêt spécial, il suflira d'en relever encore quelques-uns au hasard parmi ces derniers. Voici d’abord, suspendus entre les colonnes des arcades, huit hamacs provenant des indigènes du Brésil ; chacun d'eux présente un cachet particulier, tant sous le rapport de la nature et de la forme du réseau que sous le rapport des orne- ments dont celui-ci se trouve chargé. A deux pas de là, on remarquait une très intéressante collection d'outils de pêche, depuis le primitif harpon de pierre et d'os jusqu'aux instruments en fer. Dans cette collection se trouvait compris un modèle de QUATRIÈME SESSION. 181 kayack où canot dont se servaient les anciens habitants du Groënland pour la pêche des phoques, des morses et autres espèces aqualiques de leurs régions (n° 1199 du catalogue). Ce canot se compose d'une sorte d'armature en bois, couverte de cuir; les deux extrémités se terminent en pointe recourbée. Au centre est ménagée, au moyen d'un cercle de bois, une ouverture circulaire suffisante pour laisser passer le buste d'un homme. La peau attachée au cercle est ensuite fortement serrée à la ceinture du pêcheur, assis dans l'ouverture, ce qui em- pêche l'eau de pénétrer à l'intérieur du canot et le rend insub- mersible. Les pêcheurs groënlandais font usage de kayacks depuis une époque très ancienne; ces canots ont d'ordinaire une longueur de quinze à dix-huit pieds ; 1ls sont couverts de peaux de phoque, cousues à l'aide de fils fabriqués des nerfs de cet amphibie. Un peu plus loin, le visiteur était attiré par des objets ethno- graphiques d'un autre genre. C'était (n° 1486 du catalogue) un fac-simile du célèbre calendrier Aztèque ; c'était encore un fragment de quippo, que le catalogue n'a pas voulu décrire pour ne point assumer la responsabilité d'une erreur (n° 1507); c'était enfin (n° 1471) une croix faite du bois dont se trouvait construit un emblème cruciforme, solennellement et publique- ment honoré à Baraoca (île de Cuba). Suivant la tradition, ce signe religieux était antérieur à la conquête : les premiers explorateurs prétendirent l'avoir découvert, dressé dans les montagnes de cette localité. Le fait serait d'une importance capitale, s'il était authentiquement prouvé; mais il est en tout cas certain que le bois de cette croix est d'une essence qui ne croit pas aux Antilles. Les symboles religieux des temps anté- rieurs à la conquête n'étaient pas nombreux à l'Exposition. Beaucoup d'objets, à la vérité, se rattachaient aux croyances des aborigènes du nouveau continent, sans porter le signe par- ticulier du culte dont ils furent honorés. De ce nombre était la momie de guacamayo (n° 1351 du catalogue), déjà men- 182 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. tionnée parmi les spécimens anthropologiques, et dont la présence au milieu des momies humaines ne s’expliquait pas à première vue. La quacamaya est une espèce de grand per- roquet, au plumage admirablement coloré. Diverses peuplades de la primitive Amérique rendaient un culte spécial à ce bel oiseau. Les Mayas du Yucatan l'adoraient comme une image de la divinité ; les indigènes vivant au nord du Pérou, recouraient à cette idole en temps d'épidémie ou d'infirmités générales. Les Muiscas de Cundinamarca sacrifiaient les guacamayas au Soleil, leur dieu suprême. Ces sacrifices remplaçaient les vic- times humaines qu'ils offraient primitivement à l’astre du jour, lequel était considéré par ces tribus comme le créateur et le conservateur des forces vivifiantes de la nature. On conçoit, par ces détails, que les anciens habitants de Chinchin, dans le désert d’Atacama, aient donné l'hospitalité de leurs tombeaux à une momie révérée de guacamaya. 4. Documents historiques. Après avoir, un peu trop longuement peut-être, glané dans le domaine de la préhistoire, il est grand temps de s'occuper des documents historiques. En cette matière, la méthode est tracée : l’ordre le plus rigoureux et le plus facile à observer, c'est la chronologie. Toutefois, il ne sera pas hors de propos de jeter au préalable un regard d'ensemble sur les trésors rela- üfs à l'histoire du Nouveau-Monde qui se trouvaient accumulés à l'Exposition de Madrid. Rien ne saurait donner une idée plus exacte des notions quon possédait sur l'Amérique à la fin du xv° siècle, que l'examen des nombreux documents exposés dans les galeries du premier étage au Ministère des colonies. D'ailleurs, ces documents, manuscrits et imprimés, renfermaient non seule- ment l'histoire de la découverte et de la conquête, mais encore QUATRIÈME SESSION. 183 celle de la plupart des peuples du nouveau continent du xiv° au -xvii° siècles. A côté des premières lettres que Christophe Colomb adressa aux souverains d'Espagne et plus tard au Conseil des Indes, on voyait les notes, les relations, les descriptions concernant le Nouveau-Monde, de tous les navi- gateurs, de tous les explorateurs, de tous les héros de la con- quête ; les informations de tous les religieux et missionnaires ; les rapports de tous les gouverneurs envoyés pour régler l’ad- ministration et exercer le pouvoir. On y retrouvait la trace des sentiments exprimés dans l'enthousiasme de la découverte; les premiers signes d'une foi encore peu rassurée dans la domination du continent conquis; la convoitise peu déguisée des richesses qui avaient si profondément frappé les premiers explorateurs. Puis, l'indice des mesures initiales dictées par l'expérience, et l'adoption de procédés mieux en harmonie avec les conditions sociales auxquelles appartenaient les conqué- rants et mieux appropriés au caractère et aux dispositions des peuples soumis. Enfin, l'introduction d’un système régulier et pratique, décrété par Philippe Il, à l'effet de parvenir méthodiquement à la connaissance de l'histoire de l'Amérique antérieure à la découverte. Ce système consistait dans une espèce d'enquête officielle, recommandée à tous les fonction- naires espagnols envoyés sur le nouveau continent, et pour laquelle un questionnaire très développé leur était remis. L'auteur du système avait pour but de faire étudier les anciennes populations de la manière la plus complète et la plus étendue. Avec cette intention, il avait prescrit de s'en- quérir, dans l’ordre moral et intellectuel, des religions des divers peuples, de leurs mœurs, de leurs coutumes, de leurs arts et de leurs langues ; dans l’ordre social, de leur système de gouvernement, de leur organisation militaire, de leur légis- lation ; dans l’ordre matériel et économique, de leur industrie, de leur système d'impôts, de leur richesse publique et privée ; dans l'ordre physique, de leur nature individuelle, des origines 184 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. de leur race et des similitudes ethniques qu'offrait celle-ci avec les races humaines connues à cette époque. Pas n'est besoin de faire ressortir une fois de plus l'immense intérêt qui s’at- tache à des documents dressés à la suite d'une pareille enquête, alors que les éléments en ont été recueillis de la bouche des Indiens, au lendemain de la conquête et de l’arrivée des pre- miers explorateurs en Amérique. Et ce système ayant été activement poursuivi durant plus de deux siècles, pas davan- tage n’est besoin de relever les innombrables dossiers consti- tués par l’information. La majeure partie de ces documents est inédite; un nombre assez restreint a seulement élé publié sous forme de Documentos de Indias; mais le champ de la récolte est encore bien vaste et sa fécondité est inépuisable. Au surplus, cette immense collection ne se compose pas exclu- sivement de documents historiques : on y trouve aussi des données scientifiques du plus haut intérêt. Car au milieu des relations et des rapports, on rencontre à chaque pas les études et les travaux des pilotes et des cosmographes des souverains de Castille et de la Contratacion de Séville. Comme pour mieux éclairer ces notions scientifiques de la première heure, les organisateurs de l'Exposition avaient eu soin de mettre sous les yeux, à coté des documents relatifs à la navigation, les instruments des premiers pilotes et les perfectionnements que leurs successeurs y avaient peu à peu introduits. Néanmoins, malgré la grande abondance des pièces exposées dans la seconde section, l'habileté et l'ordre de leur disposition étaient tels qu'elles se présentaient successivement au visiteur, qui remarquait sans peine ni confusion, l'un après l’autre, tous ces noms impérissablement liés à la découverte et à la con- quête. Le visiteur émerveillé voyait en esprit défiler leur glo- rieux cortège aux côtés de Christophe Colomb. C'étaient : Sébastien Cabot, Alonso de Chaves, André Garcia de Cespédes, Jean-Baptiste Gessio, Fernand de Magellan, Jérôme Martin, Pierre de Medina, Pierre de Mexia, Diego Perez de Mesa, QUATRIÈME SESSION. 185 Alonso de Santa-Cruz, Domingo Villareal, Rodrigue Zamorano, et tant et tant d'autres dont la science et l'histoire conserve- ront religieusement le souvenir, en même temps que celui d'Arias de Loyola, pour les rectificalions et les perfectionne- ments quil apporta à la boussole; de Jean-Baptiste Lavaña, pour ses améliorations dans l'empoi de l’aiguille fixe; du capitaine Lorenzo Ferrer Maldonado et de Michel-Florent Van Langren pour leurs travaux relatifs aux degrés de longi- tude sur terre et sur mer. Naturellement, les manuscrits et autres documents d’un intérêt direct pour le nom du découvreur du Nouveau-Monde occupaient une place prépondérante à l'Exposition. Ce n'était pas sans une respectueuse émotion que le visiteur contemplait ces privilèges concédés à Christophe Colomb et pieusement conservés dans sa famille; ces livres qui ont appartenu à l'amiral et sur les marges desquels il consignait, bien avant 1499, ses projets de voyage et ses rèves au sujet de la décou- verte; tous ces témoignages authentiques de la grande épopée colombienne, si rapidement et si tristement suivie des iniques vicissitudes qui s'attachent parfois fatalement aux choses hu- maines. En ouvrant la partie du catalogue qui concernait la deuxième section, on trouvait dès le n° 4 un manuscrit inspirant un vif attrait. Ce manuscrit est intitulé : Libro copiador de Reules cedulas y Provisiones sobre Armadas para las Indias en Tiempo de los Reyes catôlicos en los Años 1493 & 1495. Il renferme la source la plus abondante de la collection Navarette. Quel- ques pièces en ont aussi été publiées par le P. Fita dans le Boôletin historico (Madrid, 1881). Mais un grand nombre de pièces fort intéressantes de ce livre sont encore inédites. Il contient, en effet, toute l'histoire officielle des voyages et des découvertes de Christophe Colomb. On peut y Joindre quelques documents exposés sous les n° 13 à 16 du catalogue et réunir ainsi, à l’histoire du grand amiral des Indes, celle de ses 13 186 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTÉS. descendants immédiats, c'est-à-dire de ses fils Diego et Fer- nando et de ses petits-fils Luis et Christophe. Ce dernier était fils de Diego; il commandait une armée aux Indes, pour l'ap- provisionnement de laquelle le gouverneur de Saint-Domingue, Gonzalo Fernandez de Oviedo, dut lui envoyer de l'artillerie et des munitions. C'est l'amiral Christophe Colomb, fils de Diego, qui mourut durant son séjour à l'Ile Espagnole, et dont les restes, retrouvés plus tard dans la cathédrale de Saint- Domingue, furent à tort attribués à son immortel aïeul par Mgr. Roque Cocchia, évêque d'Orope et délégué du Saint- Siége dans la République Dominicaine. Le lumineux rapport élaboré par l'Académie royale d'histoire, de Madrid, a levé tout doute à cet égard et fait prompte et bonne justice d’une aussi regrettable confusion. Sous le n° 2 de la seconde section du catalogue figurait encore un autre document d’un puissant attrait. C'était le rap- port, avec pièces à l'appui, relatant de quelle manière Christophe Colomb et ses compagnons découvrirent la terre ferme, le 12 juin 1494. Les n° 3, 4 et 6 concernaient une série de documents ayant servi au procès intenté par l'amiral Luis Colomb, et sa mère Marie de Tolède. Ces documents se rapportaient aux années 1497 à 1511. Ils comprenaient les instructions qui furent données à Christophe Colomb pour ses voyages; les décisions des rois catholiques accordant des avantages spéciaux à tous ceux qui s’établiraient aux Indes, sous la réserve expresse pourtant des priviléges antérieure- ment concédés au premier amiral ; et les délibérations du Con- seil de la reine Jeanne de Castille, sur les difficultés survenues entre le représentant des droits de la couronne et l'amiral Diego Colomb. Toutelois les documents les plus précieux relatifs à Chris- tophe Colomb se trouvaient réunis dans trois jolis meubles en bois sculpté, dont le plus grand portait, en guise de fronton, les armes de l'immortel navigateur. Ces documents étaient QUATRIÈME SESSION. 187 tirés des archives de l'illustre maison de Veragua. Ils occu- paient les n* 986 à 1008 de la seconde section du catalogue. On y remarquait tout d'abord onze lettres originales de Christophe Colomb à son fils Diego, écrites en 1504 et 1505 ; quatre autres adressées de 1502 à 1505 au P. Gaspar de las Cuevas, la copie de quatre dépèches envoyées aux rois catholiques ; la minute d'une lettre écrite par l'amiral au Pape en 1502, pour lui rendre compte de quelques unes de ses découvertes ; et la minute du mémoire remis par Christophe Colomb aux juges chargés d'examiner sa cause. Tous ces auto- graphes portent le cachet de leur antiquité; l'encre en est pâlie par le temps, mais encore parfaitement lisible. La signa- ture latine de Colomb, toujours nettement et identiquement tracée, ne comprend que le prénom, écrit sous cette forme XPO FERENS (Cristoforo). On voyait dans les mêmes meubles une lettre adressée le 5 septembre 1493 par la reine catho- lique à Christophe Colomb, et une autre lettre, en date du 28 mai 1488, du roi de Portugal, invitant Colomb à sa cour. Puis, d'autre part, une attestation délivrée le 16 décembre 4495, par Rodrigo Perez, écrivain et notaire public, à Isabelle, ville de lle Espagnole, concernant la convention conclue à Santa- Fé de la Nouvelle-Grenade, le 17 avril 1499, entre les rois catholiques et Christophe Colomb; une copie des lettres patentes par lesquelles les rois catholiques concédaient à Colomb, pour lui et ses descendants à perpétuité, le titre d'amiral de Castille avec tous les priviléges attachés à ce grade ; un exposé fait par Colomb aux souverains de Castille à l'effet d'établir les sommes qui lui seraient nécessaires pour la solde et l'entretien des hommss qui devaient l'accompagner dans le voyage qu'il allait entreprendre ; l'original du décret des rois catholiques faisant grâce aux condamnés qui part- raient avec Colomb; l'ampliation de la bulle d'Alexandre VI, en date du 3 mai 4493, concédant aux rois catholiques et à leurs successeurs « toutes les îles et terre ferme » que 188 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Christophe Colomb pourrait découvrir; enfin diverses ordon- nances royales accordant à ce dernier le droit de répartir les terres et les montagnes de l'Ile Espagnole entre ses habitants, fixant les impôts que ceux-ei auraient à payer et déterminant la part qui en reviendrait au grand découvreur. Un nombre considérable d'autres documents se rappor- taient, soit directement, soit indirectement, à Christophe Colomb ou à sa famille, mais 1l suffira d'en citer quelques-uns. Les n* 12 à 14 de la seconde section du catalogue, avaient en premier lieu pour objet la patente royale, datée de Valla- dolid, le 17 février 1537, par laquelle l'empereur Charles- Quint conféra à Luis Colomb, petit fils de Christophe et marquis de la Jamaïque, de nombreux titres ecclésiastiques compétant à l'ile de Saint-Domingue, faveur qui était oc- troyée en exécution du compromis fait avec Marie de Tolède, mère de Luis Colomb; en second lieu, deux mémoires de celle-ci adressés au rot d'Espagne, pour lui demander la con- cession au profit de son fils Christophe de la découverte et de la conquête des iles Caraïbes ; et enfin un mémoire par lequel Christophe, fils de l'amiral Diego Colomb, duc de Veragua, sollicitait une fonction sur les escadres des Indes (1597). Les n° 9, 19, 20 et 49 signalaient d'abord deux lettres ori- ginales de Fernand Colomb, datées de Badajoz, sur le partage de l'Océan entre les royaumes d'Espagne et de Portugal ; ensuite des pièces relatives aux difficultés qui avaient surgi entre ces deux royaumes, au sujet de la réparlition de leurs territoires dans le Nouveau-Monde, notamment : les conven- tions faites à Tordesillas, le 5 juin 1494 et ratifiées à Setubal, le 5 septembre de la même année, aux termes desquelles les rois d'Espagne et de Portugal s'étaient mis d'accord sur la démarcation de leurs possessions respectives dans l'Océan; le pouvoir original donné à Valladolid, le 51 janvier 1523, par l'empereur Charles-Quint au docteur Cabrero et à Christophe de Barroso, à l'effet de régler avec le rot D. Juan de Portu- QUATRIÈME SESSION. 189 gal, la possession des Moluques et de négocier en mème temps le mariage de ce souverain avec l'infante Éléonore d'Autriche, sœur de l'Empereur; et les lettres des officiers royaux de Séville, datées du 30 octobre et du 23 décembre 1515, sur diverses affaires relatives aux Indes, et spéciale- ment sur la répartition des territoires qu'y possédaient l'Es- pagne et le Portugal. Parmi les autres héros de la découverte et de la conquête du Nouveau-Monde, dont il importe de rappeler les noms à la suite de ceux de Colomb et de ses fils, et dont les manuscrits ou documents originaux étaient représentés à l'Exposition de Madrid, il sied de nommer en première ligne Bartholomé de las Casas, l'illustre évêque de Chiapa au Mexique, qui fut le compagnon de Christophe Colomb, se montra constamment linfatigable et intrépide protecteur des Indiens et se fit l'his- torien autorisé de la conquête. Sous le n° 982 de la deuxième section du catalogue, on remarquait avee le plus vif intérêt le manuscrit autographe du journal tenu par ce zélé missionnaire pendant le premier voyage de Christophe Colomb. La route suivie par celui-ci et les détours où il fut entraîné à la recherche de la terre inconnue y sont décrits avec une grande fidélité, comme s’y trouvent dépeints aussi les doutes de l'amiral, ses souffrances et la joie débordante qui envahit son cœur au cri de : Terre. Le n° 22 de la même section comprenait une requête adressée au roi d'Esgagne, par le P. Bartholomé de las Casas, dans le courant de l'année 1520, à l'effet de pro- poser certaines mesures de gouvernement pour les Indes; la requête s'attache à démontrer les avantages que l'État reti- rerait de l'adoption de ces mesures : c'est le premier et émou- vant appel à la charité en faveur des malheureux Indiens. Et non loin de là, sous les n° 25 et 26 on voyait les premières observations des juristes, tel que Gregorio Lopez, sur la liberté à accorder aux indigènes du nouveau continent, et les pre- mières études du docteur Zurita sur le mode d'enseignement 190 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. à leur appliquer, puis les dispositions préconisées par d’autres hommes éclairés, dispositions qui devinrent le fondement de ce corps de lois connu sous le nom de Leyes de Indias, dont quelques-unes sont parfaites. Tandis que sous les n°* 1091 à 1098 on avait exposé huit ouvrages du P. Bartholomé de las Casas, imprimés à Séville en 1552 et 1553, parmi lesquels on remarquait sa Brevissima relacion de la destruccion de las Indias et son magnifique travail sur les réformes à introduire aux Indes. Dans la même rangée que le manuscrit du P. de las Casas se trouvait un autre document original de la plus haute valeur historique, exposé par le P. Fidèle Fita (n° 1195 du catalogue); c'était la bulle donnée le 25 juin 4493 par le pape Alexandre VI et conférant pleins pouvoirs au P. Bernard Boyl, vicaire-général des Minimes, pour l'administration des colons qui firent partie de la seconde expédition de Christophe Colomb. Une grande figure de la découverte se trouvait encore évoquée entre autres par deux lettres exposées sous le n° 208 du catalogue et émanant du capitaine Jean Ponce de Léon, gouverneur de Saint-Domingue : l'une était datée de Porto- Rico, février 1521, et adressée au roi d'Espagne, pour lui faire part de la découverte de la Floride et de quelques-uns des projets auxquels cette découverte donnait lieu; l'autre avait été écrite, le 10 du même mois, au cardinal de Tortosa, dans le but de réclamer son intermédiaire afin d'obtenir une récom- pense. De nombreux documents concernaient Fernand Cortez, le conquérant du Mexique. Ils se trouvaient principalement groupés sous les n° 164 à 166, 288 à 295 et 298 à 319 de la seconde section du catalogue. D'autres documents étaient spécialement relatifs à François Pizarre, le conquérant du Pérou ; ceux-ci figuraient sous les n° 603 à 617 et 621 à 644. D'autres, sous les n° 837 à 839, 841, 849 et 844 à 848, se rapportaient au capitaine Jean Sébastien de El Cano. Le n° 21 indiquait un document très curieux, à savoir le rapport daté QUATRIÈME SESSION. 191 de Badajoz, le 15 avril 1524, par lequel le capitaine Thomas Duran, le premier pilote Sébastien Cabot et Jean Vespuce donnaient leur avis sur la démarcation de l'Océan. Et le n° 43 marquait un manuscrit offrant beaucoup d'intérêt à un titre bien différent, puisqu'il consistait en un mémoire, portant la date du 21 mai 1590, par lequel Michel de Cervantes Saavedra, le célèbre auteur de Don Quichotte, exposait les services qu'il avait rendus et sollicitait un modeste emploi en Amérique. Ce mémoire se trouvait accompagné de deux rapports : le premier du duc de Sesa; le second du P. Juan Gil. Les n*® 35, 37 et 38 avaient également pour objet des pièces relatives à certains écrivains espagnols. Un de ces documents était un travail de Juan Lopez de Velasco, chroniqueur des Indes, daté de Madrid, le 26 mai 1572; il tendait à une sévère critique de la Historia del Peru, de Diego Fernandez. On y avait Joint la réponse de celui-ci aux objections faites à propos de cette Historia del Perd par le licencié Santillan, ainsi que deux lettres autographes de ce dernier par rapport au même livre. D'autres pièces comprenaient les décrets rendus à Séville, le 8 janvier 1554, prohibant l'œuvre intitulée Historia de las Indias y conquista de Méjico, par le licencié Lopez de Gomara, et ordonnant d'en recueillir et détruire tous les exemplaires. Enfin il y avait une série de 29 documents, tant manuscrits qu'imprimés, se rapportant aux années 1514 et 1515, et qui concernaient le différend survenu entre Fran- cisco Arias Dâvila, comte de Puñonrostro, et le chroniqueur Antonio de Herrera, au sujet des appréciations émises par ce chroniqueur dans son Historia general de las Indias, touchant la conduite de Pedrarias Dâvila. Il y avait aussi de nombreux documents d'un intérêt moins personnel. Parmi ceux-ci on peut citer un volume grand in-8°, exposé par M. Santiago Perez Junquera, de Madrid (n° 857 du catalogué), renfermant les constitutions de l'archidiocèse et province de Tenuxtitlan (Mexico de la Nouvelle-Espagné). 192 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Cet ouvrage contient les travaux du premier Concile provin- cial de Mexico, tenu en cette cité sous. la présidence de l'archevêque Alonso de Montufar, dans le courant de l'année 14555. Le volume de M. Perez Junquera en est la pre- mière et rarissime édition, vu qu'il est sorti, en 1556, des presses du principal imprimeur de Mexico, Juan Pablos Lom- bardo. Ce fut un des premiers livres imprimés en cette ville; 1l est même inconnu de la plupart des bibliographes. Salvä, dans son catalogue, donne la première place à la Doctrina Xpiana, de Cordova, livre qu'il croit, à tort peut-être, avoir été imprimé à Mexico, en 1554, par Cromberger. M. Izcazbalceta démontre d'autre part, avec pièces à l'appui, que les Tres Dit- logos de Cervüntes Salazar furent imprimés la même année à Mexico, chez Juan P. de Brescia, ce qui leur donne la seconde place. La troisième appartiendrait donc vraisemblablement au livre imprimé par Lombardo et exposé par M. Perez Junquera. Deux autres précieux volumes figuraient sous les n* 600 et 693. L'un contenait un inventaire des documents relatifs aux anciens rites et coutumes des Incas du Pérou; l'autre, portant le millésime de 1572, relatait les recherches faites par le vice-roi du Pérou, François de Tolède, au sujet de l'origine de la race incasique et des anciens systèmes de gou- vernement en vigueur chez cette race. Le n° 404 du catalogue désignait un manuserit fort remarquable de Balthazar de Obregon, intitulé Historia de los descubrimientos antiquos y modernos de Nueva España y Nueva-Méjico. Ce manuscrit, divisé en XXXVIÏ chapitres, forme un volume relié de 244 pages utiles. Deux lettres, adressées par l'auteur à Phi- lippe IT et datées de Mexico les 17 et 26 avril 1584, avaient été jointes au manuscrit. Enfin, le n° 455 du catalogue ren- seignait un document d’une incontestable valeur historique. Il contenait en premier lieu le rapport envoyé à Sa Majesté par Diego de Mercado, originaire des Flandres et habitant San- tiago de Guatemala, sur la possibilité d'établir une jonction QUATRIÈME SESSION. 495 entre les mers du Nord et du Sud, par le port de San-Juan et dans la direction du fleuve de ce nom. Ensuite on y trouvait une étude du même auteur sur les îles Bermudes et les moyens les plus propres à employer pour en expulser les Anglais. Chose particulièrement remarquable, c’est qu’à la date du 23 janvier 1620 Diego de Mercade proposait de créer une com- munication entre Ics deux Océans par le golfe de Papagayo etle lac de Nicaragua. Le premier projet de percement de l’isthme de Panama est done évidemment dû à un Flamand. La seconde section du catalogue fournissait maintes preuves de la part importante que les sujets flamands de la couronne d'Espagne prirent aux explorations dans le Nouveau-Monde. Au milieu de la multitude de missionnaires envoyés en Amérique durant la domination espagnole, on en compte un assez grand nom- bre qui appartenaient aux Flandres, et ils laissèrent des traces _ glorieuses de leurs travaux. Des savants et des navigateurs de race flamande participèrent aussi d'une façon brillante à la découverte et à la conquête. Pour n'en point citer d'autres, Michel-Florent Van Langren, mathématicien du roi en Flan- dre, parvint, amsi que cela a été rappelé plus haut, à assurer par d'ingénieux calculs l'application générale des degrés de longitude (n° 70 du catalogue); en outre, sous le n° 236, on voyait une dépêche du duc de Lerma, adressée au président du Conseil des Indes, pour lui communiquer des écrits que Sa Majesté avait reçus par l'intermédiaire du gouverneur des Flandres, concernant la découverte par des Flamands du pas- sage nord-vuest de l'Amérique. Avant de finir la revue des documents qui appartiennent à l'histoire du nouveau continent, on ne saurait omettre de parler de quelques reliques historiques qui se rencontraient à l'Exposition de Madrid. Dans cette catégorie pouvaient être rangés notamment : le morceau de bois, étiqueté sous le n° 4472 et appartenant à M. Justo Zaragoza, fragment coupé, 494 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. en août 1874, de l'arbre légendaire au pied duquel Fernand Cortez passa la nuit triste du 10 juillet 1520; les restes de l'étendart que portait l'héroique conquérant du Mexique pen- dant les luttes de son aventureuse expédition, nobles débris exposés par le Musée d'artillerie; le bouclier en cuir avec l’écu d'Espagne d'un des compagnons d'armes de Cortez, et enfin divers plans, mémoires et rapports ayant pour objet la maison où naquit ce dernier, en 1485, à Médellin, dans l'Estra- madure, pièces envoyées à l'Exposition par la Commission des monuments historiques de Badajoz. 5. Documents géographiques. Quand le visiteur était introduit au milieu de la partie de l'Exposition de Madrid où se trouvaient réunis les documents géographiques, il ne manquait pas d'exprimer sa surprise de voir une telle accumulation de cartes et plans. Cette surprise d’ailleurs se comprend d'autant mieux, que l'ancienne cartogra- phie américaine est en général considérée comme assez pauvre en documents. Mais les membres du Congrès des Américanistes qui avaient eu le temps de parcourir la magistrale Introduction placée par M. Marcos Jiménez de la Espada en tête du premier volume des Relaciones geograficas de Indias, savaient à quoi s'en tenir à cet égard. Dans son Introduction, M. de la Espada passe en revue tous les travaux connus des navigateurs, des cosmographes et des explorateurs des temps de la découverte; et après avoir suivi pas à pas le développement progressif de la cartographie espagnole et étrangère relative à l'Amérique, après avoir énuméré les travaux parvenus jusquà nous dans cette branche spéciale de la science du xv° et du xvi° siècles, 1l s'écrie, non sans d'amers regrets : « Qu'a-t-on fait des nom- ‘breuses lettres de Christophe Colomb et des dessins du nouveau QUATRIÈME SESSION. 495 continent qui les accompagnaient? Que sont devenus les plans dressés par Ojeda, Pinzon, Americo, Guerra, Bastidas, Solis, Cabot, Velasquez, Cortez et Grijalba? Où sont allés la planis- phère d'Antonio de Morales, le croquis de l'Ile Espagnole par Ovando et ceux de l'hydrographie de la Vitoria Garayana et des bouches du Mississipi, avec leurs quarante villages, dressés par les pilotes de Garay en 1519 ? Où sont passés la configu- ration des découvertes dans la mer Douce, faite par Andres de Cereceda; celle de la Nouvelle-Espagne, établie par Luis de Cardenas en 1527, et tous ces nombreux plans et cartes dont il ne reste plus même le souvenir? » Certes, M. de la Espada est plus compétent et plus autorisé que nul autre pour déplorer la perte de telles richesses scientifiques, mais à tout prendre, ce que l'Espagne avait exposé à Madrid au sujet de l'ancienne cartographie américaine, constitue déjà un assez beau titre de gloire, et toutes les nations du monde peuvent le lui envier. Avant de formuler son opinion, M. Jiménez de la Espada s'était imposé la tâche ardue de dépouiller, avec un soin consciencieux et une infatigable activité, des milliers de docu- ments puisés dans les Archives des Indes, dans celles de l'Académie royale d'histoire, dans la bibliothèque particulière de S. M. le Roi d'Espagne et peut-être dans le dépôt secret de la Contratacion de Séville ou dans d’autres dépôts du même genre. C'est après avoir examiné et étudié ces innombrables manuscrits et pièces de diverses espèces, qu'il crut devoir assigner une place très secondaire à la magnifique Carta de marear de Juan de la Cosa, au milieu des nombreux docu- ments géographiques dont il a signalé l'existence ou retrouvé la trace. Sa sentence, un peu rigoureuse peut-être, n'em- pêche pas toutefois que la Carta de marear ne doive être classé à la tête de tous les spécimens cartographiques de l'Expo- sition. Juan de la Cosa, le célèbre pilote quiaccompagna Christophe Colomb dans son second voyage, en 1493, et qui fit égale- 496 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ment partie de l'expédition de Alonzo Ojeda, dressa sa carte durant son parcours. Elle appartient aujourd'hui au Musée naval de Madrid, où elle est enregistrée sous le n° 553; elle figurait dans la seconde section du catalogue de l'Exposition sous le n° 952. Ce précieux monument géographique indique pour la première fois les Antilles et une partie du continent américain ; il constitue un rectangle de 1 mètre 83 centi- mètres de largeur sur 96 centimètres de hauteur. À lExposi- tion, la carte de Juan de la Cosa était présentée sous verre, dans un magnifique cadre en bois sculpté, au haut duquel on voyait le buste de Christophe Colomb et au bas un médaillon à l'effigie de l’auteur de la carte. Les côtés du cadre étaient formés par deux colonnes, supportant chacune le buste d'un chef indien, et au milieu de chaque colonne on lisait dans un cartouche : d'une part : d'autre part : Palos Guanahani 3 août 11 octobre MCD XCII L'histoire du sort que subit la carte de Juan de la Cosa paraît être assez inexactemement connue. On prétend que cette carte fut enlevée d'Espagne et retrouvée en possession du baron de Walckenaer, dont les héritiers la vendirent publi- quement. Elle fut alors acquise par le Dépôt hydrographique de Madrid. Le directeur de ce dépôt, M. Georges Lasso de la Vega, la céda au Musée naval, où était en réalité la véritable place de cet inestimable document. L'œuvre de Juan de la Cosa a été étudiée et commentée par beaucoup d'auteurs ; mais le travail le plus complet et le plus spécial publié à ce sujet est dû à M. le capitaine de vaisseau Cesàäreo Fernandez Duro, secrétaire général du Congrès des Américanistes de Madrid. M. Duro a consacré à ce précieux document cartographique un article plein d'érudition lequel a paru dans le Museo espu- QUATRIÈME SESSION. 197 ñol de Antiguedades. Antérieurement, le baron de Humboldt avait longuement traité du portulan de Juan de la Cosa dans son Examen critique de l'histoire de la Géographie du nouveau continent ; il avait même reproduit le fac-simile de celte remar- quable carte dans l'Atlas géographique et physique de son voyage. M. Charton en a également donné une reproduction, à une moindre échelle, avec une étude intéressante, dans la collection qu'il publie sous le titre de Voyageurs anciens et modernes. Enfin, M. le vicomte de Santarem, dans son Essai sur l'histoire de la Cosinographie, et M. Kobl, dans son volume intitulé : Die beiden altesten generals Karten von America, se livrent aussi à une étude de la même carte. Mais le conscien- cieux et savant travail de M. Duro l'emporte en exactitude sur ceux des autres commentateurs de l'œuvre de Juan de la Cosa. D'après l'honorable secrétaire général du Congrès de Madrid, la carte de l'héroïque pilote de Christophe Colomb n'est point graduée, ni conforme, sous le rapport de la configuration, aux cartes modernes. Par suite, l'examen minutieux de ce por- tulan et la détermination exacte de certains points contlestés est fort difficile. La difficulté provient non seulement du défaut de graduation, ce qui rend malaisés les rapprochements avec des cartes moins anciennes, mais encore et surtout de ce que le temps a altéré les tracés eux-mêmes et effacés les profils des côtes et les lettres des noms. Pourtant, en général, la carte n’est pas en mauvais état. Elle est dessinée sur deux feuilles de parchemin, lesquelles ont ensuite été cousucs sur une forte toile. Le tropique du Cancer forme l'axe du rec- tangle de la carte; à l'extrémité supérieure, touchant l'arc de cercle qui termine les figures du document, il existe un autre petit rectangle en forme de tableau encadré. Ce petit tableau contient l'image de saint Christophe, passant la rivière appuyé sur un pin, et portant l'enfant Jésus sur les épaules, allusion évidente à l'amiral Christophe Colomb. D'aucuns ont suggéré l'idée que la figure du saint pourrait bien repré- 198 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. senter les traits du navigatenr génois. Ce n’est là d'ailleurs qu'une simple conjecture, sans nulle valeur pour reconnaître avec quelque certitude, dans ce saint Christophe, la physiono- mie de l'immortel découvreur du Nouveau-Monde. Au surplus, cette supposition est d'autant moins admissible aujourd'hui, qu’on croit avec fondement avoir retrouvé le portrait authen- tique de Christophe Colomb. Il sera parlé plus loin de cette trouvaille (voir 7, dessins et peintures). Dans le petit tableau de la carte, on lit cette inscription : Juan de la Casa la fixo en el Puerto de Santa-Marta el anno de 1500. Plus bas, sur la ligne même de l'axe, on voit une grande rose des vents, d'où partent seize aires. Le centre de la rose est orné d'une image de la Sainte-Vierge. Cette image n’est pas l'œuvre de l’auteur de la carte, non plus que la fi- gure de saint Cristophe, ni les autres figures qui occupent en grand nombre les continents. L'image de la Sainte-Vierge est un dessin fait sur papier, qui a ensuite été découpé et collé sur le parchemin. Toutefois, actuellement, malgré tous les progrès réalisés dans les arts graphiques, on n’exécuterait pas un travail semblable à celui de Juan de la Cosa avec plus de minutie et un plus grand luxe de couleurs et de dorures. Ce travail est aux cartes modernes ce que les anciennes Bibles à enluminures et à miniatures sont à nos livres imprimés. Le dessinateur a surtout donné un libre cours à ses productions fantaisistes à l’intérieur des terres, qu’il pouvait remplir de dessins, sans crainte de nuire aux détails techniques dont les marins auraient pu avoir besoin. La situation des villes les plus importantes, des ports les plus fréquentés ou des forte- resses les plus réputées, est indiquée par des églises, des tours, des murs et des châteaux ; dans chaque royaume se trouve représenté le souverain, vêtu de ses attributs; au centre de l'Asie, notamment, chevauchent les Rois Mages. Le long des côtes se trouve marquée la direction des vents régnant d'or- dinaire dans ces parages; on y voit dessiné aussi des cara- QUATRIÈME SESSION. 199 velles dont la nationalité respective se reconnaît à leurs gréements. Sur les ports et les îles flottent des bannières aux couleurs des nations auxquelles ces possessions appar- tiennent, circonstance qui suffit à elle seule pour justi- fier, en dehors de toute considération scientifique, l'intérêt que ce fameux document cartographique a provoqué. Les roses des vents ainsi que les lignes de différentes couleurs qui sen détachent et irradient la carte en figurant les rumbs, achèvent de donner du relief à cette œuvre de patience, si extraordinaire pour l'époque où elle fut exécutée. Il n'existait sans doute pas, aux mains des pilotes du xv° siècle, un second monument cartographique de l'importance de celui créé par Juan de la Cosa. Néanmoins, on sait qu'Améric Vespuce paya pour une carte générale de terre et de mer, faite par Gabriel de Valacca, en 1459, le prix fabuleux de 130 ducats d’or. A côté de la carte de Juan de la Cosa, il s’en trouvait un grand nombre d'autres à l'Exposition de Madrid, qui mérite- raient d'être citées. On remarquait parmi ces cartes : celle de la côte de la Floride, rappelée sous le n° 241 de la seconde section du catologue, et indiquant la route suivie par Alonso Mejia depuis San Agustin jusqu'à Aiz; la Mapa de la costa occidental de Nueva España, cataloguée sous le n° 273 et portant la mention : Pintura de los puertos adonde estuvo el inglés ; la carte mentionnée au catalogue sous le n° 297 et faite en 1535 de la nouvelle terre de Santa-Cruz, autrement dit la carte originale de la première découverte de la Californie par Cortez; celle réellement digne d'attention, indiquée sous le n° 753 et représentant le territoire habité en 1558 par la tribu Chiriguana, laquelle carte accompagnait une lettre adressée au roi d'Espagne par le licencié Cepeda, président des Char- cas; la mappemonde de Sébastien Cabot; le plan des cours de l’'Amazone et de l'Orénoque, ainsi que des régions intermé- diaires, plan qui a été publié dans les Cartas de Indias et dont la date doit se rapprocher de l’année 1555 ; les cartes partielles 200 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. copiées par Gonzalo Fernandez de Ovicdo pour illustrer l'His- toire générale et naturelle des Indes, etc. Cependant on peut citer encore parmi les plus anciens documents cartographiques le plan de la grande alcadie des mines de Cumpango, sous la juridiction de laquelle se trouvaient les villages de Cumpango, Chilapa et Huytziltepeque (10 mars 1582), et celui de la ville de Nuestra Señora de la Concepcion de Salaya, dans la pro- vince de Mechoaca (15 juin 1580); ces deux plans, tracés sur tissu de maguey, étaient exposés par l'Académie royale d'his- toire et portaient les n°1013 et 1014 dans la deuxième section du catalogue. Gelte corporation savante avait envoyé plusieurs autres cartes de la même époque et d’un non moindre intérêt. Dans le nombre on peut signaler celles d’Atlatlancea et de Ma- linaltepec, dans la province de Guaxaca ; celle de Texupa, dans la haute Mistèque ; de Tlacotlalpa, dans l'évêché de Thaxeala; de Tocuyo, dans le Venezuela; et le plan dItzhpexe, dans l'évêché d'Antequera. On peut signaler en outre une série de documents cartographiques qui accompagnaient les rapports historiques et administralifs que tous les fonctionnaires espa- gnols envoyés en Amérique avaient reçu mission, sous le règne de Philippe IT, d'adresser périodiquement au roi. De plus, il y avait à l'Exposition certains documents géo- graphiques qui offraient des caractères particulièrement curieux pour la science. Au nombre de ces derniers on peut mention- ner tout d'abord une mappemonde du commencement du xvi° siècle, peinte sur bois par un cartographe inconnu, et attribuée à El Cano, qui l'aurait exécutée au retour de son voyage de circumnavigation. Cette mappemonde appartient au Musée naval de Madrid. Les deux continents y figurent déjà, sous leurs formes approximatives ; on y voit aussi, dans une triaugulation singulièrement aventurée, les principales îles alors connues; l'ile de Madagascar en fait partie, mais elle se trouve placée au milieu de l'Océan indien. Vient ensuite un très intéressant atlas, exposé par M. Gesärco Fernandez Duro, QUATRIÈME SESSION. 201 sous le n°855. C'est un petit atlas de luxe, comprenant quatorze Carles sur parchemin, magnifiquement coloriées et enluminées en or et argent, et ornées de lettres décorées avec un goût exquis. Get atlas est relié en velours bleu; il porte l'ex-libris du duc d'Albe, marquis de Villafranca, à qui il a appartenu. Les marges des cartes sont chargées de notes critiques signalant des divergences entre les cartographes, spécialement par rapport àl'extrémité méridionale du Nouveau- Monde. Ces notes font remonter à 1562 l'époque où l’atlas fut exécuté. La dixième carte est la plus remarquable de la col- lection tant à cause de la situation erronée en longitude dans laquelle elle indique les côtes du Pacifique, que pour les notes marginales qui l'accompagnent. Une de ces notes dit : « Ce détroit fut découvert par Fernand de Magellan l'an 1520. » Une autre porte : « Il est à remarquer que la côte s'étendant du Rio de la Plata au détroit de Magellan, se trouve inclinée sur toutes les cartes exécutées jusqu'ici du Nord-Est au Sud-Ouest, tandis qu'elle est tracée sur cette carte de l'Ouest vers le Sud-Ouest, conformément à la nouvelle description faite dans le cours de la présente année 1569, par D. Garcia, de toute la côte depuis le Chili jusqu'au Détroit. Cette description parait également conforme à la route figurée par Magellan lui-même et qui, par un heureux hasard, tomba entre nos mains : la côte s'y trouve indiquée en partie à l'Ouest-Sud-Ouest et en partie au quart Ouest et Sud-Ouest, et nous l'avons décrite de la même manière ......... » D'après l'opinion autorisée de M. Jiménez de la Espada, le nom de Garcia, cité par l’auteur de l'atlas, est vraisemblablement celui de Garcia Hurtado de Mendoza, vice-roi du Pérou et organisateur d'une expédition qui s'avança jusqu’au détroit de Magellan. L'auteur de l'atlas pourrait bien être le célèbre navigateur Pedro Sarmiento de Gamboa, tout à la fois pilote, capitaine et cosmographe. Sous le n° 856 figurait un autre atlas ayant appartenu au 44 202 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. di duc d'Albe. Ce second atlas était relié en veau; les cartes, au nombre de sept, étaient dessinées sur parchemin et non moins richement illuminées que celles de l’atlas de 1562. La première carte représentait une mappemonde et au bas on remarquait le nom de l'auteur : Joan Martines, à Messine, 1577. Une œuvre de ce dernier, portant la date de 1587, se voyait encore sous le n° 1034 du catalogue. C'était un atlas universel de géographie, composé de dix-neuf cartes manus- crites sur vélin, de format grand in-folio. Les dessins, admi- rablement soignés, étaient coloriés et rehaussés d'or. La reliure du xvi° siècle, en peau fine avec fers dorés et écussons armoriés sur les deux faces de la couverture, était elle-même très remarquable et dans un parfait état de conservation. Il importe de citer encore parmi les d_cuments cartogra- phiques, les deux éditions de la carte de l'Amérique du Sud, dressée par Juan de la Cruz y Olmedilla, frère de Ramon de la Cruz (n° 869 et 870 du catalogue); le Portulan, grand in-4° fait à Venise en 1559, par Baptiste Agnose, se composant de vingt-trois cartes manuscrites, avec un fronlispice et à la fin du volume une feuille de notes explicatives en laun ; les cartes de ce portulan, lequel figurait sous le n° 858 du catalogue, étaient ornées de miniatures coloriées et dorées, représentant des portraits de rois, des édifices, des îles, etc. ; la quatrième planche portait le nom de l’auteur. Enfin une carte apparte- nant à la Société de géographie de Madrid et qui frappait les yeux uon tant par la beauté de son exécution ni par son anti- quité que par ses colossales proportions, mérite cependant d'être mentionnée. Elle comprenait une partie de l'Amérique méridionale, dont les levés avaient été faits en 1768, à une énorme échelle, sur les ordres de Francisco Bucarelli, capi- taine général des provinces du Rio de la Plata (n° 859 du catalogue). Quant aux anciens livres concernant les connaissances géographiques relatives au Nouveau-Monde, l'Exposition en QUATRIÈME SESSION. 203 renfermait également un grand nombre. Dans cette catégorie figurait au premier rang, sous le n° 1009 du catalogue, la Cosmografia de Ptolomeo, tirée de la riche et précieuse biblio- thèque du lieutenant général marquis de San Roman, de Madrid. C'était l'édition de Rome de 1478 ; l'exemplaire exposé offrait en outre ce détail éminemment intéressant de porter à sa première page la signature authentique de Christophe Colomb, sous un verset des psaumes de David, écrit de la main de l’amiral. Ce ptolémée formait un grand in-folio et contenait 69 pages à deux colonnes de texte et 27 cartes. Celles ci comprenaient une carte générale, 10 cartes pour l'Europe, #4 pour l'Afrique et 12 pour l'Asie. Suivant Brunet, l'édition de 1478 est la seconde et aussi la plus complète et la meilleure, parce qu’elle renferme toutes les cartes; tandis que la première, qui parut en 1475, ne les contient pas toutes. L'exemplaire portait à la marge inférieure de la deuxième page les armes de Francisco Picolomini, créé cardinal en 1458 et élu pape en 1503, qui fut probablement son premier proprié- taire. Plus tard il passa dans les mains d'Alvaro de Bazan, premier marquis de Santa Cruz. Le n° 1025 du catalogue indiquait également un volume d'une grande importance, à savoir un manuscrit de Barlho- lomé de las Casas traitant longuement et judicieusement des Indes occidentales au point de vue géographique et ethnogra- phique. Finalement, sous le n° 1089, on remarquait une étude abrégée de la sphère et un précis de l'art de la navigation à l'aide des nouveaux instruments scientifiques et d'après les nouvelles régles, par Martin Cortez; ce dernier volume élait imprimé à Séville, chez Antonio Alvarez, en 1551. 204 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. 6. Documents linguistiques. Non moins intéressants que les documents relatifs à l'his- toire et à la géographie étaient les documents linguistiques. En effet, la linguistique est un facteur puissant au milieu des éléments dont le concours fournira peu à peu la solution des problèmes encore à résoudre pour arriver à la connaissance des anciennes phases de l'humanité. Tout comme l'archéologie et l'ethnographie, la linguistique compte parmi les meilleurs et les plus sûrs moyens de hâter cette connaissance. Ainsi que l'a dit M. Hunfalvy à l'occasion de la cinquième session du Congrès international d'anthropologie et d'archéologie pré- historiques, « l’origine de l'homme doit être placée à l'origine du langage. » Le langage articulé est né avec l'homme ; il est son apanage, il s'est répandu et développé avec lui. Les lan- gues ont suivi les peuples dans leurs migrations, peut-être aussi dans leurs transformations ; de là l'importance de ja linguistique : on peut dire que la vie des langues se confond avec la vie des peuples. L'étude des anciennes langues américaines surtout, si nom- breuses et si diverses, est indispensable pour parvenir à con- naître l'Amérique précolombienne et les relations qui peuvent avoir existé entre le nouveau continent et l'ancien monde. Les langues américaines offrent d’ailleurs des caractères spéciaux qui les différencient nettement des autres groupes linguis- tiques, à tel point que certains auteurs ont cru pouvoir en former une classe à part, un système particulier, auquel ils ont donné le nom de système polysynthétique. On conçoit ainsi l'intérêt qui devait s'attacher aux documents linguisti- ques de l'Exposition de Madrid, intérêt d'autant mieux justifié que les monuments écrits des anciennes races américaines : sont très rares, et que des données précises sur quelques-uns de leurs idiomes font même complètement défaut. CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. 205 Le document linguistique le plus remarquable, non seule- ment par son antiquité, mais aussi par son originalité et sa rareté, était sans contredit le Codex Troano, figurant sous le n° 4109 de la seconde section du catalogue. Ce Codex ap- partient à M. Luis Maria de Tro y Moxo, de Madrid. C'est un manuscrit mexicain écrit sur des feuilles d'arbre ; 1l remonte à une très haute antiquité et a, par suite, une très grande valeur au point de vue des études américaines. Son nom de « Troano » sous lequel il est connu dans le monde scientifique, lui a été donné en souvenir de son ancien propriétaire Juan de Tro y Ortolano, premier professeur de paléographie à l'École de diplomatie et fondateur de cette branche d’ensei- gnement en Espagne. Ce savant professeur espagnol avait obtenu le Codex d'un des membres d'une illustre famille issue des conquérants du Mexique. En 1866, l'abbé Brasseur de Bourbourg, président de la Commission française du Mexique, eut l’occasion de voir le Codex Troano; il en comprit toute . l'importance, se livra à une consciencieuse étude du précieux manuscrit, et avec l'autorisation du propriétaire 1l proposa au gouvernement français de faire reproduire exactement le Codex afin de le répandre et d'engager les savants de tous les pays à s'appliquer à son interprétation. Le gouvernement français accueillit favorablement cette proposition. Une repro- duction minutieuse du Codex fut exécutée à ses frais, et elle servit de base à l'œuvre remarquable universellement connue sous le titre : « Manuscrit Troano. Études sur le système graphique de la langue des Mayas, par Brasseur de Bour- bourg. Paris 1869. Deux volumes in-folio. » Tout imparfait que soit le système d'interprétation suivi dans cel ouvrage, il n'en a pas moins rendu un immense service à la linguistique américaine, à cause de l'initiative prise par son auteur et de l'impulsion donnée par lui à l'étude des anciennes langues du nouveau monde. Un autre Codex Maya, qui paraît être une suite ou le com- 206 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. plément du Codex Troano, figurait à l'Exposition sous le n° 150 de la première section du catalogue. Il fut acquis en 1872 par le Musée national d'archéologie de Madrid, de M. josé Ignacio MirO, qui l'avait obtenu d'un des descendants de Fernand Cortez, auquel le Codex Maya semble avoir appar- tenu. Ce magnifique manuscrit mexicain est tracé sur une longue bande de papier-maguey; il est encore inédit, mais le gouvernement espagnol a le projet de le faire publier pour en faciliter l'étude et l'interprétation, comme cela a eu lieu pour le Codex Troano. On peut également classer au nombre des documents lin- guistiques, un volume de peintures avec texte, en forme de codex, et exposé par M. Feliciano Herrero de Tejada, de Madrid, sous le n° 1071 de la seconde section du catalogue. Ce Codex est exécuté sur feuilles de maguey; les dessins représentent diverses scènes de la vie des peuples de l'Ana- huae, convertis à la foi catholique par les religieux francis- cains. [l est richement relié, et porte un frontispice dans lequel on lit en lettres d'or ce litre: « Mapa antigua de los ter- renos del pueblo de San Simon Calpulalpan, con que obse- quian à S. M. I. Maximiliano I los habitantes de aquel lugar, como una muestra de gralitud. » Les scènes sont assez gros- sièrement dessinées et accompagnées de légendes explicatives en langue otomie. Parmi les autres documents relatifs à la linguistique, 1l en est plusieurs encore qu'on ne saurait passer sous silence. De ce nombre sont un hiéroglyphe aztèque provenant de la cité de Hamampa, mentionné sous le n° 969 de la seconde section du catalogue et exposé par le Musée d'artillerie de Madrid ; un catéchisme avec traité de la doctrine chrétienne, traduits en langues quichua et aymara (1583), appartenant à l'Académie royale d'histoire et indiqués sous le n° 1023 du catalogue; la Historia universal de las cosas de la Nueva España, par le P. Bernardin de Sahagun, en texte mexicain, contenant les QUATRIÈME SESSION. 207 portraits des gouverneurs de Mexico, des chefs de Texeuco et de Vexotla, ainsi que d’autres peintures, exposée sous le n° 4027, et appartenant également à l'Académie royale d'his- toire; et un livre aussi intéressant au point de vue de la géo- graphie que sous le rapport linguistique, exposé, sous le n° 4120, par M. Joaquin Romero y Morera, de Badaïoz, étant une traduction de l'ouvrage arabe de Chems-Ed-Din Abou Abdallah Mohamed Ed-Dimichqui sur la cosmographie, qui traite en partie des Antipodes (le Nouveau-Monde), d'après les connaissances qu'en possédaient les savants à la fin du x‘ siècle. Enfin, il y avait à l'Exposition une collection d'une inesti- mable valeur, comprenant des grammaires, des vocabulaires et des dictionnaires, imprimés ou manuscrits, d'un grand nombre d'anciennes langues du nouveau continent. C'étaient surtout des langues parlées au Mexique et dans l'Amérique centrale et méridionale. On remarquait, pour le Mexique, le groupe aztek, la langue mexicaine ou nahuatl, puis l'otomi; pour le Yucatan, le groupe maya, comprenant le maya au nord, le quiché, le huastek au nord-est de Mexico; pour la Colombie ou Nouvelle-Grenade, le chibcha, parlé depuis les Andes jusqu'aux environs de Santa-Fé de Bogota; pour le Venezuela et la Guyane, le caraïbe ou gahibi; et pour les par- ties méridionales, le quichua, parlé depuis la limite des États- Unis de Colombie et de l'Équateur, jusque vers les régions septentrionales du Chili, l'aymara, qui se rencontre sur la limite du Pérou et de la Bolivie, et le groupe formé par le tupi et le guarani, comprenant les idiomes en usage sur Îles rives du Parans, au Paraguay et dans l'Uruguay. On remar- quait en outre des documents relatifs à une série de dialectes indépendants, tels que les dialectes moxa, chayma, cumana, core, paria, morocosi, nutka, etc. Les plus dignes de fixer l'attention parmi ces documents linguistiques étaient, en premier lieu, différents dictionnaires 208 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. et vocabulaires en espagnol, notamment ceux exposés sous les n° 971, 977 et 980 de la seconde section du catalogue, savoir : les règles d'orthographe de la langue otomie, par le licencié Luis de Neve y Molina, Mexico, 1767 ; le vocabulaire de la langue générale du Pérou, nommée quichua ou langue de l’Inca, par Diego Gonzalez Holguin, Ciudad de los Reyes, 1608 ; et la grammaire de la langue générale des Indiens du Pérou, par Domingo de Santo-Thomas, Valladolid, 1560. Ensuite (n° 1028 et 1029 du catalogue), une grammaire avec vocabulaire de la langue quichua, par Francisco del Canto, Lima, 1614; et une grammaire de la langue mexicaine, par le P. Diego de Galdo Guzman, Mexico, 1614. Enfin, un volume en langue otomie, écrit sur papier-maguey, et une nombreuse collection de grammaires, vocabulaires et autres ouvrages de linguistique, entre autres : (n® 1043, 1045, 1046, 1048-1050, 1058-1060, 1062, 1080, 1099 et 1159) de la langue moxa, par le P. Pedro Marban, Lima, 1701; de la langue des Indiens chaymas, cumanogotos, cores, parias et autres peuplades de Cumana ou Nouvelle-Andalousie, par le P. Francisco de Tauste, Madrid, 1680; de la langue moro- cosi, par un Père de la Compagnie de Jésus, Madrid, 1699; de la langue tupi, par le P. Antonio Ruiz de Montoya, Paris, 1876; de la langue chibcha, d'après d'anciens manuscrits, par Ezequiel Uricoechea; de la langue guarani, par le P. Antonio Ruiz, Madrid, 1640; de la langue nahuatl ou mexicaine, recueil composé en 1547 par le P. André de Olmos, et publié à Paris, par Remi Siméon, en 1875 ; de la langue aymara, par le P. Diego de Torres Rubio, Lima, 1616; de la langue huasteca, par Carlos de Tapia Centeno, Mexico, 1767; de la langue nutka, par Joseph Morino, ete. QUATRIÈME SESSION. 209 : 1. Dessins et peintures. Les objets compris dans la catégorie des dessins et pein- tures formaient Ja partie la moins nombreuse à l'Exposition de Madrid, mais non la moins intéressante. L'intérêt qu'of- fraient ces objets ne résultait pas néanmoins de leur anti- quité; la plupart appartenaient à des époques relativement modernes. Le principal mérite des dessins et des peintures résidait dans l'authenticité d'origine (& dans l'exactitude de certains détails qui s'y rapportaient. Parmi les dessins se trou- vaient aussi des vues photographiques; les peintures se com- posaient delabeaux, de portraits et de meubles, avec des sujets peints. M. Francisco Palacio, de Madrid, avait eu l'idée d'exposer (n° 947 de a seconde section du catalogue) la belle œuvre intitulée : Cilés et ruines américaines de Mila, Palenqué, Isamal, Chichen-ltza et Uxmal, comprenant quarante-neuf photographies prises sur les lieux par Désiré Charnay et accompagnées d'un texte dù à la plume de Viollet-le-Duc. A côté de ce superbe volume, on remarquail une série de photo- graphies, qui n'avaient pu être calaloguées parce qu'elles étaient parvenues trop lard à Madrid. Elles avaient élé envoyées par le docteur Le Tongwn, un archéologue infaligable, lequel s'est livré personnellement, dans l’ancien empire des Aztèques et les régions limitrophes, à de longues et patientes investiga- tions, pour découvrir, au milieu de grandes difficultés, la solution des mystérieux problèmes qui se rattachent aux palais de Palenqué, d'Uxmal, etc., lesquels constituent les construc- tions les plus colossales de l'Amérique précolombienne dont jusqu'à présent il soit fait mention. M. Le Tongwn est d'opi- nion que tous les monuments du Yucatan sont contemporains de ces Proboscidiens gigantesques de la faune néogène connus 210 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. sous le nom de Mastodontes, espèce aujourd'hui complètement détruite. Il fonde sa manière de voir sur ce fait que la tête de ces mammifères fossiles paraît entrer comme motif obligé dans tous les ornements des principales façades des grands édifices yucatèques. Les Mastodontes n'appartiennent pas à une faune spécifiquement américaine ; ils ont à la fois les caractères du tertiaire ancien et du néogène de l'Europe, et semblent faire partie d'une époque qui forme, dans le nouveau comme dans l’ancien monde, le terme de passage entre les deux faunes ter- tiaires. Mais de l'emploi fréquent de la tête du Mastodonte comme décor architectural, ainsi que cela se rencontre par- tout dans les célèbres ruines américaines, il est puéril d'in- duire une contemporanéité entre la construction des grands monuments yucatèques et l'existence de ces fossiles géants. De semblables inductions sont évidemment moins justifiables et, à parler franc, moins excusables que celles admises par quel- ques archéologues, lesquels attribuent des caractères sacrés aux Proboscidiens, dont on croit retrouver de nombreuses reproductions parmi les ornements des palais en ruines du Yucatan. Ces archéologues cherchent à justifier leur opinion par le culte que les anciens peuples de l'Hindoustan rendaient aux grands pachydermes, dont on trouve également la forme comme principal ornement de sculpture dans les anciens tem- ples de l'Asie méridionale. L'avenir démontrera peut-être l'exactitude de leur thèse, de même qu'il démontrera sans doute si les inscriptions murales des palais mayas sont réelle- ment composées des mêmes éléments hiéroglyphiques que le Codex Troano et le Codex Maya, déjà en voie d'interprétation. Mais on verserait dans une regrettable erreur en prétendant que ces inscriptions renferment des caractères égyptiens, chaldéens ou étrusques, parce que dans les détails architecto- niques des monuments où elles ont été découvertes on trouve des analogies avec l'architecture de quelques nations primitives de l'Afrique, de l'Asie ou de l'Europe. En effet, rien ne serait QUATRIÈME SESSION. 9141 plus faux, et un tel système introduirait fatalement de singu- lières et fort dangereuses hérésies scientifiques. 11 tendrait à vouloir trouver, malgré tout, des similitudes assurément plus imaginaires que réelles, entre les signes graphiques que nous ont laissés les aborigènes du nouveau continent, dont nous ignorons encore la race précise et le développement social, et ceux parvenus jusqu’à nous des peuples de l'ancien monde, peuples auxquels on fait remonter la source et l'origine de toute civilisation. Parmi les tableaux il sied de placer en première ligne, à cause de ses dimensions, une grande toile représentant Chris- tophe Colomb et ses compagnons au moment où ils mirent le pied sur le nouveau continent. Cette œuvre, d’ailleurs non sans mérite, porte la signature : Dioscoro, Roma, 1862. Ensuite venait une collection de tableaux plus anciens et, à ce point de vue, beaucoup plus curieux. Ceux exposés par M. le due de Moctezuma attiraient tout spécialement l'attention. [ls com- prenaient une série de vingt-quatre grandes peintures sur bois avec des incrustations de coquillages et de nacre (n° 1121 de la seconde section), reproduisant divers épisodes de la con- quête du Mexique par Fernand Cortez. Les détails ethnogra- phiques de ces peintures sont du plus baut intérêt; tous les visiteurs examinaient notamment avec un soin particulier les vues de l’ancienne ville de Mexico, de même que les scènes d'intérieur du palais de l'empereur Montezuma, très scrupu- leusement rendues. Vingt-quatre panneaux à peu près. sem- blables se trouvaient exposés, sous le n° 129 de la première section du catalogue, par le Musée national de Madrid. C'étaient également des peintures avec incrustations, qui représentaient les principaux faits de la conquête du Mexique et de l'établissement des Espagnols dans cet empire. Ces der- niers tableaux étaient signés du nom de Miguel Gonzalez. Pourtant les peintures sur bois appartenant à M. le duc de Moctezuma et les panneaux exposés par le Musée national de 342 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Madrid, paraissent d'une provenance et d'une époque iden- tiques. Gelles-là sont, tout comme ceux-ci, évidemment pos- térieurs à la conquête et à la colonisation, mais les uns et les autres ont été exécutés au Mexique et possèdent sans aucun doute l'intérêt qui s'attache au caractère local. En somme, ces tableaux ont un aspect plus ornemental qu'artistique. Les incrustalions dont ils sont ornés et qui mettent généralement en relief les armures, les casques et les boucliers des combat- tants, tiennent d’un procédé oriental fort en vogue au xvu* siècle; mais le genre du dessin et la naïveté de l’exécu- tion démontrent bien l'origine mexicaine. Il existe en outre d'incontestables ressemblances entre ces peintures et la fameuse toile de Tlascala. Le principal attrait de ces tableaux provient de la nature des sujets qu'ils représentent et dans la composilion desquels le paysage a son importance, tout comme la forme et la disposition des édifices, l'originalité des cos- tumes et la fidélité de la mise en scène. Si le mérite de sem- blables peintures est à peu près nul sous le rapport artistique, elles ont toutefois un fond d'indiscutable vérité, et partant une réelle valeur historique, malgré la fantaisie évidente de certains détails. Deux tableaux, exposés sous les n° 983 et 984 de la seconde section du catalogue, par M. le due de Osuna, de Madrid, et représentant, l'un la conquête de Cho- lula, et l'autre la bataille de Semprala, appartenaient au même genre de peinture. D'autre part, une collection de vingt tableaux, exposés par le Musée des sciences naturelles de Madrid (n° 1108 de la deuxième section du catalogue), offraient un très sérieux intérêt anthropologique et ethnographique. Ces tableaux, peints avec une certaine habileté, représentaient chacun trois types : un homme, une femme et un enfant. L'homme et la femme appartenaient à des races différentes ; l'enfant figurait le résullat du croisement de ces races. Le peintre s'était surtout appliqué à reproduire des individus de races espagnole, créole, QUATRIÈME SESSION. 213 indienne ou nègre, et les produits de leur mélange. Il s'était aussi visiblement attaché à faire ressortir les différences sail- lantes des résultats de ces divers mélanges. Chaque tableau portait une légende spéciale, analogue à celle-ci : « Una India y un Mulato producen un Chino. » Les caractères distinctifs de chaque race étaient soigneusement observés, et l'expression typique de chaque individu nettement indiquée. Ces tableaux de morphologie humaine constituaient, cela se conçoit, une puissante attraction; ils proviennent du Pérou, et bien qu'ils appartiennent à une époque relativement peu ancienne, l'ob- servation ethnographique dont ils fournissent la preuve est réellement extraordinaire pour le temps auquel 1ls se rappor- tent. Dix-huit tableaux à peu près identiques avaient été envoyés à l'Exposition par M. Manuel de la Riva, de Madrid (n° 1194 de la seconde section). Ces derniers, peints à l'huile sur toile, étaient plus modernes de quelques années que ceux du Musée des sciences naturelles. Ils représentaient non seule- ment les types de différents mélanges des races américaines avec les races des autres continents, mais aussi des scènes empruntées aux travaux habituels et aux aptitudes spécifiqne- ment inhérentes à chacune de ces races typiques. L’Exposition renfermait aussi de nombreux portraits, la plupart fort intéressants. Sous ce rapport, le principal expo- sant était le Musée naval de Madrid. Il avait envoyé un portrait de Christophe Colomb, dont il importe de faire connaître l’histoire. Ce portrait avait de tradition ancienne été considéré comme étant celui du découvreur du Nouveau-Monde; mais la tradition rencontrait des incrédules qui se refusaient à admettre l'authenticité et la fidélité de la peinture, à cause du costume sous lequel Christophe Colomb était représenté. Le peintre avait coiffé le grand navigateur d'une perruque à cadenette, l'avait affublé de fourrures et vêtu d'un habit de fantaisie, qui répondait exactement à une mode du xv° siècle, mais ne rappelait en rien celle du xvi°. Un amateur distingué 914 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. doublé d'un érudit, M. Martinez Cubells, conservateur des tableaux du Musée de Madrid, soupçonna un mystère dans cette peinture. Il fit exécuter par un portraitiste habile une copie exacte du portrait de Colomb, que certains tenaient pour le seul vrai, afin que les traits du célèbre Génois pussent être rétablis en cas d'accident. Puis M. Martinez Cubells demanda et obtint l'autorisation d'enlever la couche superficielle de peinture qui, d'après lui, couvrait le portrait. Il se borna d'abord à faire gratter délicatement le coin gauche du tableau et enleva ainsi une croûte noire dont un artiste de contrebande avait fait le fond de ses enjolivements et sous laquelle apparut un C en lettre d'or. Cette découverte fit cesser toute hésita- tion ; l'inscription tout entière fut bientôt mise au jour, et on put lire au sommet du tableau : Columbus Lygur, Novi Orbis Reptor (Repertor). Une opération identique fut tentée alors sur la figure elle-même; la perruque et les fourrures tombèrent, et l'on se trouva en présence d'un personnage vêtu comme l'étaient les marins du xv° siècle. C'est un homme d'environ quarante ans; il a le visage exempt de rides, les cheveux châtains et abondants, les yeux grands et expressifs, le nez aquilin. La ressemblance entre la physionomie du duc actuel de Veragua, treizième du nom, et celle de son glorieux ancêtre, est vraiment extraordinaire et a frappé tout le monde. Le duc actuel représente la quatorzième génération, et cependant la coupe et les traits de sa figure sont bien ceux du portrait : identité absolue de profil, nez aquilin, lèvre inférieure un peu proéminente, et Jusqu'à la même couleur des cheveux et des yeux. Cette ressemblance aussi parfaite qu'étonnante, qui s'est ainsi perpétuée à travers les siècles, constitue certes une preuve inéluctable d'authenticité pour le portrait, en même temps quelle montre la persistance des caractères de race dans certaines familles. On remarquait encore plusieurs autres portraits de Chris- tophe Colomb à l'Exposition; quelques-uns sont apoeryphes, QUATRIÈME SESSION. 215 mais dans le nombre il y en a un, le plus ancien à ce quil semble, au sujet de l'authenticité duquel des doutes avaient longtemps existé. Les doutes peuvent être levés aujourd'hui, car les traits de Colomb dans ce portrait présentent d'évi- dentes similitudes avec ceux si ingénieusement restitués par M. Martinez Cubells. Les portraits de quelques autres navigateurs, découvreurs ou conquérants, que leurs hauts faits et leurs exploits ratta- chent à l’histoire du Nouveau-Monde, se trouvaient également à l'Exposition de Madrid. Un beau portrait de Fernand Cor- tez, le conquérant de la Nouvelle-Espagne, côtoyait une pein- ture relativement moderne, représentant Montezuma, le dernier empereur du Mexique; Fernand de Magellan, le fameux navigateur portugais adopté par l'Espagne, faisait pen- dant au portrait du plus héroïque de ses lieutenants, Juan Sebastian de El Cano ; François Pizarre, ce capitaine de for- tune devenu vice-roi du Pérou, se voyait en face de son fidèle compagnon Fernand de Soto, nommé plus tard gouverneur de Cuba; et, bien qu'un peu isolé, on distinguait dans la même série le portrait de Vasco Nuñez de Balboa, qui traversa le premier l'isthme de Panama, et qui, plus tard, fut victime d’une odieuse jalousie provoquée par ses éclatants succès. Le dernier portrait à signaler ici était exposé par M. le duc de Osuna, de Madrid. C'était celui du fameux Antonio de Men- doza, vice-roi du Pérou et postérieurement de la Nouvelle- Espagne, membre du Conseil de l'empereur Charles-Quint. La mâle physionomie de ce vaillant Espagnol captivait le regard ; il était difficile, en la contemplant, de ne point se souvenir que l’histoire des premiers temps de la découverte porte à chacune de ses pages la trace des services que Mendoza rendit à sa patrie dans le Nouveau-Monde et l'influence qu'il exerça sur les diverses mesures politiques et administratives que les conquérants y introduisirent. Quant aux meubles avec sujets peints relatifs à l'Amérique, 9216 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. ils étaient en petit nombre, mais comptaient quelques spéci- # mens curieux. Dans cette catégorie, il convient de donner la première place à un immense paravent, composé de dix pan- neaux et exposé par M. Frédéric Samper, de Madrid (n° 968 de la seconde section du catalogue). D'un côté, ce précieux meuble représentait les faits principaux de la con- quête du grand empire des Aztèques, et de l’autre, le plan topographique de Tenochtitlan, sa capitale, avec une fidèle indication des rues, des édifices et des limites, tels qu'ils devaient exister dans les dernières années du xvr siècle. Cette peinture a une valeur inappréciable, non à raison de son mérite artistique, mais à cause de l'intérêt historique qu'elle présente. En effet, les incertitudes qui règnent concernant l'état de la ville de Mexico à l'époque de l'arrivée des Espa- gnols, doivent exciter une vive curiosité en présence du figuré de sa situation, de ses rues, de ses monuments, de ses digues, presque contemporain de la conquête. On y voit notamment que la ville était bordée du côté du lac Tezcuco par un grand parapel, destiné sans doute à arrêter les eaux dans les crues subites; cela semble d'autant plus naturel et d'autant moins inutile que la ville de Mexico a subi une douzaine d'inondations du xvi au xvin siècle, par suite de l'élévation temporaire des eaux du lac. Les numéros 1181 à 1185 de la seconde section du cata- logue marquaient quatre bassines de bois, dont les trois pre- mières avaient des proportions gigantesques. Toutes quatre étaient décorées de différentes peintures ; elles provenaient du Mexique et appartenaient au deuxième siècle de la conquête. Au centre de la plus grande, se trouvait figurée une scène de Don Quichotte; tout autour on voyait quatre groupes, formés d'hommes et de femmes, des blancs et des Indiens, dans diverses attitudes. Les trois autres bassines portaient au centre des peintures allégoriques ; la circonférence intérieure était occupée par des médaillons avec des groupes gracieuse- QUATRIÈME SESSION. 947 ment disposés. Au fond d'une de ces trois bassines était re- présentée la Fortune, ensemençant le sol devant le Temps, qui traînait une charrue dirigée par la Vertu ; on y lisait une légende ainsi conçue : Semina fortuna geminat cum tempore virtus; le pourtour de la bassine se trouvait orné de quatre groupes allégoriques de laboureurs. La peinture de ces meu- bles, dont l'usage est complètement ignoré, ne manque pas cependant de quelque mérite. , Enfin, sous le n° 962 du catalogue, le Musée national de peinture et de sculpture de Madrid avait exposé un magnifique portrait de Ferdinand et d'Isabelle. Cette remarquable peinture de l’école espagnole date du xv° siècle. L'auteur en est inconnu ; elle porte le n° 2184 du catalogue du Musée. Aux pieds des Rois Catholiques se trouvent assis, d'un côté, leur fils, le jeune et infortuné Juan, prince des Asturies, dont la mort préma- turée enleva à l'Espagne tant de légitimes espérances, et de l'autre côté, leur bru, la belle archiduchesse Marguerite d’Au- triche. Sous les n° 963 et 964, le même Musée avait encore exposé deux autres portraits de Ferdinand et d'Isabelle ; mais bien qu'ils fussent cités comme de bonnes copies faites d'après Antonio del Rincon, ces portraits étaient loin d'avoir la valeur de ceux indiqués sous le n° 962. Ces derniers, d’ailleurs, indé- pendamment de leur mérite artistique, avaient encore un caractère d'indéniable authenticité. Ferdinand V, qui sut élever l'Espagne à son apogée de puissance et qui fut le protecteur constant de Christophe Colomb, est représenté avec la physio- nomie sympathique que la tradition lui a conservée ; tandis que le portrait d'Isabelle de Castille, laquelle s’appliqua si ardem- ment à faire prévaloir la justice dans ses États, et qui, la pre- mière, comprit le génie de Colomb et favorisa ses projets, reflétait toute la grandeur de caractère dont cette souveraine se trouva douée. Aucun visiteur ne s’arrêtait devant l'image de Ferdinand et d'Isabelle sans éprouver un sentiment de sincère respect. Ces monarques avaient réuni sur leurs têtes les cou- 15 218 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. — ronnes d'Aragon, de Grenade et de Castille; ils avaient gagné le Nouveau-Monde à l'Espagne, et ils dotèrent encore leur patrie d'excellentes réformes, bien dignes d’un meilleur sort. De nombreuses erreurs ont été, il est vrai, commises en leur nom, et leur système de gouvernement ne fut pas à l'abri de tout reproche; mais leur mémoire en a été sévèrement accusée, et il importe de tenir compte des difficultés au milieu des- quelles ils montèrent sur le trône de Saint-Ferdinand. Aussi, l'histoire impartiale ne saurait refuser de rendre hommage à la droiture de leurs intentions. C’est donc justice de terminer la revue de l'Exposition des antiquités américaines, où tout rap- pelait le règne glorieux de Ferdinand et d'Isabelle, par un sou- venir donné à ces Rois Catholiques dont les généreuses qua- lités valurent à l'Espagne une ère de prospérité sans exemple. VI LES RÉSULTATS DU CONGRÈS DE MADRID. Après chaque réunion du Congrès international des Améri- canistes, il n'est pas inutile de se demander quels ont été les résultats de la session. Un tel procédé permet de jalonner régulièrement le chemin parcouru et de constater les progrès réalisés. Il constitue un guide et un encouragement : de cette manière, en effet, on voit aisément quelle est celle des diffé- rentes branches des études américaines qui tend le plus direc- tement et le plus efficacement au but à atteindre ; quelle autre s'écarle du but ou dévie du programe tracé par les fondateurs de l'œuvre. Ce programme, arrêté avant la session inaugurale, est évidemment perfectible ; ses défauts ou ses lacunes se feront jour d'eux-mêmes, au fur et à mesure que se développera la science américaniste. Le principal est de veiller au progrès constant de cette entreprise scientifique et QUATRIÈME SESSION. 219 de profiter de l'expérience acquise pour parvenir par les voies les plus sûres et les plus promptes à une connaissance aussi complète que possible de l'Amérique précolombienne, sous le triple rapport géographique, historique et social. Lors de la première session du Congrès, en 1875, la science américaniste n'existait pour ainsi dire pas. On prenait en pitié ceux qui employaient leur savoir et consacraient leur temps à vouloir surprendrele secret des anciennes civilisations américaines. Les théories fantaisistes des premiers chercheurs avaient discrédité l'américanisme encore à ses débuts, à tel point que les nouveaux adeptes inspiraient une fort médiocre confiance. Cependant, les fondateurs du Congrès avaient répu- dié toutes les méthodes qui n'étaient point absolument scien- tifiques; 1ls n'entendaient admettre que les déductions rigou- reuses et s'étaient montrés bien décidés à proscrire tous les systèmes hasardés et toutes les doctrines aventureuses. Un tel résultat ne pouvait être obtenu sans quelques discussions ni sans certaines protestations. Au Congrès de Nancy, les relations précolombiennes entre l'Asie et l'Europe d'une part, et le Nouveau-Monde d'autre part, furent de rechef présentées comme déjà acquises à la science. Les voyages en Amérique des Phéniciens, des Chinois, etc., servirent de nouveau de thèse, et on tenta de les faire admetire comme entièrement prouvés. [Il fut facile de constater ainsi que le pro- blème ayant pour objet de savoir si les races américaines sont ou ne sont pas autochthones, n'était guère proche de sa solution. Le Congrès de Luxembourg réalisa certes quelques progrès scientifiques, mais 1l s'y rencontra encore des savants qui, non contents de reconnaître dans l'Amérique précolom- bienne des éléments européens ou asiatiques, se crurent fondés à affimer que, dès les premiers siècles de notre ère, le Nouveau-Monde possédait déjà une civilisation avancée, dont les doctrines chrétiennes formaient la base essentielle. Au Congrès de Bruxelles se posa la véritable question ethno- 290 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. graphique. On y fit entrevoir avec de sérieuses apparences de vérité, l'existence en Amérique de deux races distinctes d'abo- rigènes, dont les caractères anthropologiques permettent, sinon de déterminer l'origine, au moins de reconnaitre nette- ment les éléments différentiels. Le développement donné ci-dessus au compte rendu des travaux de la session de Madrid en fait voir clairement les brillants résultats. Il suffira donc de rappeler ici les prin- cipaux points scientifiques à porter à l'actif de cette session. M. Beauvois a démontré avec autorité que les Irlandais furent le premier peuple celte qui parvint jusqu'au Nouveau-Monde. Il prouva que leurs incursions en Amérique furent anté- rieures aux premiers voyages des Scandinaves, lesquels ny sont arrivés que vers la fin du x° siècle. MM. Fernandez de Castro et Rodriguez Ferrer établirent d’une façon incontestable que l'île de Cuba a fait partie du continent américain ct qu'elle en a eté détachée à l'époque tertiaire. M. Fabié démontra une fois de plus, avec une grande force d'arguments. que Christophe Colomb atteignit le Nouveau-Monde au moins cinq ans avant Améric Vespuce. M. Fréderic de Botella, voulant réagir énergiquement contre la tendance d'une classe de savants, qui considèrent l'Atlantide comme un mythe, apporta une série de preuves géologiques d'une valeur probante indiscutable, pour établir l'existence réelle, aux temps préhistoriques, de ce continent disparu. MM. l'abbé Louvot, Marcos Jiménez de la Espada et Julien Vinson constatèrent au moyen d'argu- ments irréfragables, tirés de l'histoire, de l'ethnographie et de la linguistique, que, dans l'état actuel de la science, les anciennes relations entre les peuples sémitiques et les abori- gènes du Nouveau-Monde, au sujet desquelles tant de vaines discussions ont eu lieu, ne sont fondées sur aucun fait sérieux. M. Edwin A. Barber a classé pour la première fois les pro- duits céramiques des anciennes races américaines, sous le double point de vue de leur provenance géographique et de QUATRIÈME SESSION. 4 | leur valeur artistique. M. le comte de Charencey a confirmé par d'importantes considérations cosmogoniques et linguis- tiques la théorie parfaitement justifiée, introduite par M. Léonce Angrand et ayant pour objet de reconnaitre dans les civilisa- tions américaines deux courants distincts, celui des popula- tions à tête droite et celui des populations à téte plate. Le P. Fita, MM. Cesäreo Fernandez Duro, Fabié et Vinson ont consolidé le fait historique des très anciens voyages des Basques dans l'Amérique septentrionale, au moyen de preuves ethno- graphiques et philologiques irréfutables. [ls ont en outre clai- rement établi les analogies de l'euscara avec certains dialectes américains. Enfin, M. Juan de Dios de la Rada y Delgado, par des considérations historiques et des comparaisons épigra- phiques, a fait voir quel est le seul système rationnel, certain et fécond, pour parvenir au déchiffrement et à l'interpréta- ton des hiéroglyphes mayas. Ce rapide coup d'œil jeté sur les résultats scientifiques du Congrès de Madrid, démontre surabondammenut qu'il marquera une étape de progrès dans la marche de l'œuvre américaniste. La science s'y est franchement substituée à l'hypothèse, l'his- toire à pris résoiûment la place de la légende, et, par un accord tacite mais évident, dans tous les travaux présentés comme dans toutes les discussions auxquelles ceux-ci ont donné lieu, les théories pures ont été délaissées pour ne re- courir qu'à des faits appuyés sur des preuves convaincantes. De plus, au Congrès de Madrid, la géologie et la paléontologie ont envahi avec éclat la place qui leur revenait au milieu des études américaines, et l'archéologie s'y est enfin montrée affranchie des anciens erremeuts qu'on lui a reprochés dans les trois premières sessions. Encore, ces avantages scientifiques ne sont-ils pas les seuls obtenus par la réunion de Madrid. Il importe de noter en outre la participation active et brillante des savants espagnols à cette réunion. Quoique infiniment plus intéressés que tous 299 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. autres au développement des études américanistes, ces derniers avaient paru jusque-là ne s'en point soucier. La quatrième session est venue démontrer que leur abstention n'était nulle- ment de l'indifférence, et que le goût de ces études avait depuis longtemps été cultivé dans la Péninsule. Le Congrès de Madrid aura fourni à ces savants une occasion de se lancer plus délibérément dans la lutte; il les aura énergiquement stimulés, en leur faisant connaître le véritable terrain sur lequel l'action est engagée. La conquête scienüfique du Nou- veau-Monde vaut bien, en effet, de sérieux efforts de la part de ceux qui peuvent déjà inscrire sa découverte au nombre de leurs plus beaux titres de gloire. D'un autre côté, les Améri- canistes des deux continents auront appris, au Congrès de Madrid, à compter avec leurs confrères d'Espagne; ils auront pu constater l'efficacité du concours que ceux-ci sont en mesure de leur apporter, s'extasier devant les richesses américanistes que renferme la Péninsule, et apprécier les con- séquences éminemment favorables d’une collaboration active de la savante Espagne à l'œuvre des études américaines. Pour édifier les Amnéricanistes à cet égard, il a suffi de la publica- tion faite à l’occasion du Congrès de Madrid, sous le titre de Reluciones geogräficas de Indias, et confiée par le gouverne- ment espagnol aux soins érudits de M. Jiménez de la Espada. Ce Congrès n'eût-il produit d'autre résultat que l'apparilion d'une telle œuvre, il y aurait encore lieu de s’en féliciter. L'Introduction dont M. de la Espada l’a enrichie, sera en quel- que sorte le guide auquel tous les pionniers de l'histuire an- cienne de l'Amérique pourront toujours recourir avec fruit. Les Relaciones démontrent notamment que Philippe II d'Es- pagne, ce prince sournois et antipathique, a eu pourtant des qualités et des mérites. Diverses grandes entreprises morales et intellectuelles sont dues à sa puissante initiative. Celle de ces entreprises qui, actuellement, intéresse le plus la science américaniste, fut sans contredit l'institution des Relaciones. La QUATRIÈME SESSION. 993 merveilleuse Exposition des antiquités américaines, si pleine d'intérêt, si prodigue en révélations, et qui fut, elle aussi, un bien précieux résultat du Congrès de Madrid, a fait connaître et comprendre toute l'importance de ces Relaciones. C'étaient des rapports officiels que les fonctionnaires devaient envoyer périodiquement au sujet de tous les territoires formant une administration distincte, et de toutes les grandes alcadies comprises dans les nombreuses possessions de la couronne d'Espagne, au nombre desquelles se trouvait le Nouveau- Monde. Grâce aux Relaciones, aujourd'hui encore entassées dans divers dépôts et très imparfaitement explorées, mais dont le dépouillement et le classement se poursuivent avec ardeur, il sera sans doute possible un jour de reconstituer l'état naturel, moral, religieux, social, civil et politique des peuples qui occupèrent le continent américain aux temps les plus voisins de la conquête. Et peut-être qu'au moyen des connaissances ainsi acquises on parviendra à remonter en- suile jusqu'aux races primitives. OEuvre immense dont on peut à peine aujourd'hui entrevoir la portée! Le volume gracieu- sement offert par le gouvernement espagnol aux membres du Congrès de Bruxelles et publié par M. de la Espada sous le titre : Tres Relaciones de antigüedades peruanas, avait déjà donné une idée sommaire des Relaciones décrétées par Phi- lippe II. Les Relaciones geogräficas de Indias sont venues développer admirablement cette idée. Le comité d'organisation du Congrès de Madrid avait aussi conçu un projetexcellent, lorsqu'il formula l'intention de donner un complément indispensable aux publications si généreuse- ment commencées par le gouvernement du roi Alphonse XIT, complément qui aurait consisté dans la rédaction d'une Biblio- grafia hispano-americana, à publier à l'occasion de la quatrième session du Congrès. Cette Bibliografia devait avoir pour objet l'indication et l'analyse succincte de tous les ouvrages anciens et modernes publiés en Espagne sur l'Amérique. Le défaut de 294 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. temps n'ayant pas permis de réaliser cet utile projet avant la réunion du Congrès de Madrid, il y a lieu d'espérer qu'il ne sera point abandonné. Les hommes éminents qui présidèrent aux destinées de la quatrième session, voudront sans aucun doute consacrer le brillant succès qu'ils surent procurer à leur entreprise, par la mise en pratique d'une idée de ce genre non moins heureuse que féconde pour le progrès des études amé- ricaines. Un autre résultat pratique, auquel il importe de souhaiter une prompte réalisation, c’est le projet, né au lendemain de la session de Madrid, de publier sous le titre de « Biblioteca de los Americanistas » une série d'ouvrages relatifs à l'histoire et aux langues du Nouveau-Monde. On choisirait ces œuvres tantôt parmi celles déjà publiées mais devenues introuvables, tantôt parmi les travaux manuscrits les plus remarquables dont certains dépôts publics et privés sont aujourd'hui les dépositaires. Suivant les intentions annoncées, cette Biblioteca devait débuter par l'œuvre inédite du capitaine Fuentes y Guzman, intitulée Recordacion florida, 1690. IL est permis d'émettre la vœu que ce projet non plus ne demeure point à l'état de lettre morte ; les Américanistes espagnols doivent tenir à honneur d'en poursuivre la réalisation. Ils ne sauraient rendre un plus signalé service à la science américamiste. De cette manière, en effet, non seulement le Congrès de Madrid aura contribué dans de très larges mesures au développement de cette science, mais par ses résultats pratiques il coopérera encore puissamment dans l'avenir à faire connaître celte Amérique colombienne et précolombienne qui constitue une des phases les plus considérables et les plus mystérieuses de l'évolution humaine. Faut-il maintenant, avant de clore ce compte rendu, faire ressortir un dernier résultat du Congrès de Madrid? Ce résul- tat, il est vrai, concerne plus particulièrement la fraternité des peuples, dont M. le président Albareda a si éloquemment QUATRIÈME SESSION. 295 vanté les bienfaisants effets lors du somptueux banquet offert aux membres étrangers et qui a terminé la session; mais il intéresse aussi la science américaniste. Le progrès internatio- nal des sciences et des lettres n'est-il pas le corollaire le plus certain dela fraternité universelle? Une pensée avait préoccupé quelques esprits quand la ville de Madrid eut été choisie comme siége des quetrièmes assises américanistes. D'aucuns s'étaient demandé si ce choix ne provoquerait pas des arrière- pensées, si, notamment, les membres des républiques de l'Amérique latine, au souvenir de vieilles rancunes et d’an- ciennes rivalités, n'éprouveraient pas une regrettable hésita- tion à se rendre à Madrid. Les Espagnols d'Europe et ceux du Nouveau-Monde, depuis leur séparation politique, n'avaient peut-être pas eu l'occasion de se trouver réunis en grand nombre dans aucune circonstance publique, mais c'était mé- connaître leur caractère généreux de supposer que les uns ou les autres pouvaient y voir des inconvénients. Aussi, les faits ont prouvé combien une telle crainte était chimérique. Non seulement il n'y a pas eu d'hésitation de la part des membres de l'Amérique latine, mais ceux-ci ont au contaire mis le plus grand empressement à se rendre à l'appel de leurs frères d'Espagne. Si un rapprochement avait été nécessaire, la science aurait certes merveilleusement servi à renouer les relations cordiales entre la mère-patrie et les fils de ses anciennes possessions. Au surplus, qu'était-il besoin de rap- prochement? Dès la première séance du Congrès, on put voir éclater avec une remarquable unauimité les sentiments des Espagnols des deux mondes, sentiments d'amitié réciproque et de mutuelle estime, qui lient indissolublement à travers l'océan ces peuples d’une commune origine, dont d'injustes préventions et des interventions plus injustes encore n'ont pu aliéner les sympathies naturelles. Un tel spectacle avait quel- que chose de grand et d'émouvant à la fois. Quel homme de cœur saurait se dispenser d'applaudir à la réussite d'un 296 CONGRÈS INTERNATIONAL DES AMÉRICANISTES. Congrès qui fournit l’occasion de pareilles protestations de fraternité internationale, ce Congrès düt-il même ne point laisser d'autres traces? Est-il besoin, après cela, d'indiquer les importantes conséquences scientifiques qui doivent néces- sairement résulter, au profit des études américaines, d'une collaboration commune et dévouée des Espagnols d'Europe et d'Amérique, en vue d'atteindre le but que poursuit le Congrès des Américanistes? Ces conséquences ne sont point douteuses, etelles n'auront pas échappé aux membres du Congrès présents à Madrid. Ceux-ci n'auront pas non plus manqué de se sou- venir des anciennes dissensions qui ont agité la Péninsule, et ils auront été ravis de pouvoir s'assurer personnellement de l'habileté et du succès avec lesquels le jeune et judicieux sou- verain d'Espagne a réussi en peu de temps à apaiser les factions, à ramener le calme dans son pays et à lui ouvrir les voies nouvelles d’une prospérité certaine. Ils auront été émer- veillés de la prodigieuse vitalité de ce peuple espagnol que beaucoup croyaient à tout jamais déchu du rang qu’il occupa jadis, et ils auront emporté la ferme conviction que, sous le gouvernement pacifique et éclairé d'Alphonse XIT, avec les richesses incomparables dont dispose la Péninsule, jointes au laborieux concours de tous ses enfants, l'Espagne reprendra promptement au milieu des grands peuples la place à laquelle lui donnent droit ses antiques et glorieuses traditions. ANATOLE BAMPs. LP LIBRAZS MAY 18 1976 5 PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET —— TT UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY ——— E Bamps, Anatole 51 La quatrieme session du 152B4 Congres international des americanistes (4) € 9I0 10 80 &z LL 6€ 9 N311 SOd JIHS AVS 3ONVH M3IASNMOQ 1V 11Nn