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REINE MARGOT

PnEMIÈRE PARTIE

PARIS. IMPRIMÉ PAR Br,T AINE, BODLEVAÏIT MONTPAPN ISSE . 81.

LA

REINE MARGOT

ALEXANDRE DUMAS

ÉDITION ILLUSTRÉE PAR E, LAMPSONIUS ET LANCELQT

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PARIS

LÉGRIVAIN ET TOUBON, LIBRAIRES

5. nOB DC PONT-DR-IODT . 5

1860

LA REINE MARGOT

PAr.

ALEXANDRE DUMAS

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LE LATIN DE M. DE GLUSE.

e lundi, dix-huitième jour du mois d'août de l'année 1572, il y avait grande fête au Louvre.

Les fenêtres de la vieille demeure royale, ordinaire- ment SI sombres, étaient ar- demment éclairées; les pla- ces et les rues attenantes, habituellement si soli-

taires dès que neuf heures sonnaient à Saint- Germain -l'Auxerrois, étaient, quoiqu'il fût mi- nuit, encombrées de populaire.

Tout ce concours menaçant, pressé, bruyant, res- semblait, dans l'obscurité, à une mer sombre et hou- leuse, dont chaque flot faisait une vague grondante : celte mer, épanduesurlequai, elle se dégorgeait par la rue des Fossés-Saint-Germain et par la rue de l'.\struco, venait battre de son flux le pied des murs

rtriK =. Icip. âv OHY atnti boulovari Hontparnaue, Mi

LA REINE HlÀRGOT.

du Louvre , et de son reflux la base de l'hôtel de Bourbon, qui s'élevait en face.

Il y avait, malgré la fête royale, et même peut- être à cause de la fête royale, quelque chose de me- naçant dans ce peuple; car il ne se doutait pas que cette solennité, à laquelle il assistait comme spec- tateur, n'était que le prélude d'une autre , remise à huitaine, et à laquelle il serait convié et s'ébattrait de tout son cœur.

La cour célébrait les noces de madame Marguerite de Valois, fille du roi Henri II et sœur du roi Charles IX, avec Henri de Bourbon, roi de Navarre. En elfet, le malin même, le cardinal de Bourbon avait uni les deux époux, avec le cérémonial usité pour les noces des filles de France, sur un théâtre dressé à la porte de Notre-Dame.

Ce mariage avait étonné tout le monde, et avait fort donné à songer à quelques-uns qui voj'aient plus clair que les autres : on comprenait peu le rap- prochement de deux partis aussi haineux que l'é- taient , à cette heure , le parti protestant et le parti catholique; on se demandait comment le jeune prince de Condé pardonnerait au duc d'Anjou, frère du roi , la mort de son père assassiné à Jarnac par Montesquieu. On se demandait comment le jeune duc de Guise pardonnerait à l'amiral de Coligny la mort du sien, assassiné à Orléans par Poltrot de Méré. Il y avait plus: Jeanne de Navarre, la coura- geuse épouse du faible Antoine de Bourbon, qui avait amené son fils Henri aux royales fiançailles qui l'attendaient, était morte il y avait doux mois à peine, et de singuliers bruits s'étaient répandus sur cette mort subite. Partout on disait tout bas, et en quelqueslieux tout baiil, qu'un secret terrible avait été surpris par elle, et que Catlicrine de Médicis, craignant la révélation de ce secret, l'avait empoi- sonnée avec des gants de senteur, qui avaient été confectionnés par un nommé René, Florentin fort habile dans ces sortes de matières. Ce bruit s'était d'autant plus répandu et confirmé, qu'après la mort de cette grande reine, sur la demande de son fils, deux médecins, desquels était le fameux Ambroisc Paré, avaient été autorisés à ouvrir et étudier le corps, mais non le cerveau. Or, comme c'était par l'odorat qu'avait été empoisonnée Jeanne de Na- varre, c'était le cerveau, seule partie du corps exclue de l'autopsie , (|iii devait offrir des traces du crime. Nous disons crime, car personne ne doutait qu'un crime n'efitété commis.

Ce n'était pas le tout; le roi Charles particulière- ment avait mis à ce mariage, qui non-sciiteinent ré- tablissait la paix dans son royaume, mais encore attirait à Paris les principaux huguenots <lc France, une persistance qui re!^s/mll)lait à de rcnlètcment. CommHes deux liaiici'.<^pphrtenaicnt, l'un à la re- ligion rallidlique. l'autre fi la religion réforiiii'e, on avait éi(; obligii do s'arlrcsser, pour la disp('nso, à Grégoire XIII, qui tenait alors le si(*go de Rome. Ln

dispense tardait, et ce retard inquiétait fort la feue reine de Navarre; elle avait un jour exprimé à Charles IX ses craintes que cette dispense n'arrivât point, ce à quoi le roi avait répondu :

«N'ayez souci, ma bonnetante, jevoushonoreplus que le pape, et aime plus ma sœur que je ne le crains. Je ne suis pas huguenot, mais je ne suis pas sot non plus, et, si monsieur le pape fait trop la bête, je prendrai moi-même Margot par la main et je la mènerai épouser votre fils en plein prêche. »

Ces paroles s'étaient répandues du Louvre dans la ville, et, tout en réjouissant fort les huguenots, avaient considérablement donné à penser aux ca- tholiques, qui se demandaient tout bas si le roi les trahissait réellement, ou bien ne jouait pas quelque comédie, qui aurait un beau matin ou un beau soir son dénoûment inattendu.

C'était vis-à-vis de l'amiral Coligny surtout, qui, depuis cinq ou six ans, faisait une guerre acharnée au roi, que la conduite de Charles IX paraissait inexplicable; après avoir mis sa tête à prix à cent cinquante mille écus d'or, le roi ne jurait plus que par lui , l'appelant son père et déclarant tout haut qu'il allait confier désormais à lui seul la conduite de la guerre ; c'était au point que Catherine de Médicis elle-même, qui jusqu'alors avait réglé les actions, les volontés et jusqu'aux désirs du jeune prince, paraissait commencer à s'inquiéter tout de bon, et ce n'était pas sans sujet, car, dans un mo- ment d'épanchcment, Charles IX avait dit à l'ami- ral, à propos de la guerre de Flandre :

« Mon père, il y a encore une chose en ceci à la- quelle il faut bien prendre garde : c'est que la reine ma mère, qui veut mettre le nez partout, comme vous savez, ne connaisse rien de celle entreprise, que nous la tenions si secrète qu'cUen'y voiegoutte, car, brouillonne comme je la connais, elle nous gâ- terait tout. ))

Or, tout sage et expérimente qu'il était, Coligny n'avait pu tenir secrète une si entière confiance; et, quoiqu'il fùtarrivéà Paris avec de grands soupçons, quoiqu'à son départ de Chàlillon une paysanne se fût jetée à ses pieds, en criant : Oh ! Monsieur, mon- sieur notre bon maître, n'allez [las à Paris, car, si vous y allez vous mourrez, _vous et tous ceux qui iront avec vous; ces soupçons s'étaient peu à peu éteints dans son ccpur, et dans celui de Téligny, son gendre, auquel le roi,desoncôt('. faisait de grandes amitiés, l'appelant son frère comme il apjielait l'a- miral son père, et le tutoyant, ainsi qu'il fai.sait pour ses meilleurs amis.

Le.s liiiguenols. à part quelques esprits chagrins et défiants, étaient donc enlièremcnt rassurés : la mort de la reine do Navarre passait pour avoir été rausi'o par une pleurésie, et les vastes salles du Louvre s'étaifiil rm|ilii"s de tous ces braves proles- tnnts auxquels le mariage do b'ur jeune chef Henri promettait un retour do forluno bien inespéré. L'a-

LA REINE 5IARG0T.

mirai Coligny, la Rochefoucauld, le prince de Condé fils, Téligny, enfin tous les principaux du parti triomphaient de voir tout-puissants au Louvre et si bien venus à Paris ceux-là mêmes que, trois mois auparavant, le roi Charles et la reine Cathe- rine voulaient faire pendre à des potences plus hautes que celles des assassins. 11 n"y avait que le maréchal de Montmorency que l'on cherchait vai- nement parmi tous ses frères , car aucune promesse n'avait pu le séduire, aucun semblant n'avait pu le tromper, et il restait retiré en son château de l'Ue- Adam, donnant pour excuse de sa retraite la dou- leur qujB lui causait encore la mort de son père . le grand connétable Anne de Montmorency, tué d'un coup de pistolet par Robert Stuart , à la bataille de Saint-Denis. Mais, comme cet événement était arrivé depuis plus de deux ans, et que la sensibilité était une vertu assez peu à la mode à cette époque, on n'avait cru de ce deuil prolongé outre mesure que ce qu'on avait bien voulu en croire.

Au reste, tout donnait tort au maréchal de Mont- morency; le roi , la reine, le duc d'Anjou et le duc d'Âlençon faisaient à merveille les honneurs de la royale fête.

Le duc d'Anjou recevait des huguenots eux- mêmes des compliments bien mérités sur les deux batailles de Jarnac et de Moncontour, qu'il avait ga- gnées avant d'avoir atteint l'âge de dix-huit ans, plus précoce en cela que n'avaient été César et Alexandre, auxquels on le comparait, en donnant, bien entendu, l'infériorité aux vainqueurs d'Issus et de Pharsale. Le duc d'Alençon regardait tout cela de son œil caressant et faux : la reine Catherine rayonnait de joie, et, toute confite en gracieusetés, complimentaitleprincellenrideCondésurson récent mariage avec Marie de Clèves; enfin MM. de Guise eux-mêmes souriaient aux formidables ennemis de leur maison, et le duc de Mayenne discourait avec M. de Tavanne et l'amiral sur la prochaine guerre qu'il était plus que jamais question de déclarer à Philippe II.

Au milieu de' ces groupes allait et venait, la tête légèrement inclinée et l'oreille ouverte à toiis les propos, un jeune homme de dix-neuf ans, à Toeil fin, aux cheveux noirs coupés très-courts, aux sour- cils épais, au nez recourbé comme un bec d'aigle, au sourire narquois et à la moustache et à la barbe naissantes. Ce jeune homme , qui ne s'était fait re- marquer encore qu'au combat d'Arnay-le-Duc, il avait bravement payé de sa personne, et qui re- cevait compliments sur compliments, était l'élève bien-aimé de Coligny et le héros du jour; trois mois auparavant, c'est-â-dire à l'époque sa mère vivait encore, on l'avait appelé le prince de Béarn; on l'appelait maintenantle roi de.Navarre.en attendant qu'on l'appelât Henri IV.

De temps en temps , un nuage sombre et rapide passait sur son front; sans doute il se rappelait qu'il

y avait deux mois à peine sa mère était morte, et, moins que personne, il doutait qu'elle ne fût morte empoisonnée. Mais le nuage était passager et dispa- raissait comme une ombre flottante; car ceux qui lui parlaient, ceux qui le félicitaient, ceux qui le coudoyaient, étaient ceux-là mêmes qui avaient as- sassiné la courageuse Jeanne d'Albret.

A quelques pas du roi de Navarre , presque aussi pensif, presque aussi soucieux que le premier affec- tait d'être joyeux et ouvert, le jeune duc de Guise causait avec Téligny. Plus heureux que le Béarnais, à vingt-deux ans sa renommée avait presque atteint celle de son père, le grand François de Guise. C'é- tait un élégant seigneur, de haute taille, au regard fier et orgueilleux, et doué de cette majesté naturelle qui faisait dire , quand il passait, que près de lui les autres princes paraissaient peuple. Tout jeune qu'il était, les catholiques voyaient en lui le chef de leur parti, comme les huguenots voyaient le chef du leur dans ce jeune Henri de Navarre dont nous venons de tracer le portrait. Il avait d'abord porté le titre de prince de Joinville, et avait fait, au siège d'Or- léans, SCS premières armes sous son père, qui était mort dans ses bras, en lui désignant l'amiral Coli- gny pour son assassin. Alors le jeune duc, comme Annibal, avait fait un serment solennel : c'était de venger la mort de son père sur l'amiral et sur sa fa- mille, et de poursuivre ceux de la religion, sans trêve ni relâche, ayant promis à Dieu d'être son ange exterminateur sur la terre jusqu'au jour le der- nier hérétique serait exterminé. Ce n'était donc pas sans un profond ctonnement qu'on voyait ce prince, ordinairement si fidèle à sa parole, tendre sa main à ceux qu'il avait juré de tenir pour ses éternels en- nemis, et causer familièrement avec le gendre de celui dont il avait promis la mort à son père mou- rant.

Mais, nous l'avons dit, cette soirée était celle des étonnements.

En effet, avec cette connaissance de l'avenir qui manque heureusement aux hommes, avec cette fa- culté de lire dans les cœurs qui n'appartient mal- heureusement qu'à Dieu, l'observateur privilégié auquel il eût été donné d'assister à cette fête eût joui certainement du plus curieux spectacle que fournissent les annales de la triste comédie hu- maine.

Mais cet observateur qui manquait aux galeries intérieures du Louvre continuait dans la rue à re- garder de ses yeux flamboyants et à gronder de sa voix menaçante; cet observateur, c'était le peuple, qui, avec son instinct merveilleusement aiguisé par la haine, suivait de loin les ombres de ses ennemis implacables, et traduisait leurs impressions aussi nettement que peut faire le curieux devant les fenê- tres d'une salle de baHierméliquement fermée. La musique enivre et règle le danseur, tandis que le cu- rieuxvoit le mouvement seul, et rit de ce pantin qui

LA REINE MARGOT.

s'agite sans raison ; car le curieux, lui, n'entend pas la musique.

La musique qui enivrait les huguenots, c'était la voix de leur orgueil.

Ces lueurs qui passaient aux yeux des Parisiens au milieu de la nuit, c'étaient les éclairs de leur haine qui illuminaient l'avenir.

Et cependant tout continuait d'être riant à l'inté- rieur, et même un murmure plus doux et plus flat- teur que jamais courait en ce moment par tout le Louvre : c'est que la jeune liancée, après avoir été déposer sa toilette d'apparat, son manteau traînant et son long voile, venait de rentrer dans la salle de bal, accompagnée de la belle duchesse de Nevers, sa meilleure amie, et menée par son frère Char- les IX, qui la présentait aux principaux de ses hôtes.

Cette fiancée, c'était la fille de Henri U, c'était la perle de la couronne de France, c'était Marguerite de Valois, que, dans sa familière tendresse pour elle, le roi Charles IX n'appelait jamais que ma sœtir Margot.

Certes jamais accueil, si flatteur qu'il fût, n'avait été mieux mérité que celui qu'on faisait en ce mo- ment à la nouvelle reine de Navarre. Marguerite, à cette époque, avait vingt ans à peine, et déjà elle était l'objet des louanges de tous les poètes, qui la comparaient, les uns à l'Aurore, les autres à Cythé- rée; c'était en effet la beauté sans rivale de cette cour Catherine de Médicis avait réuni, pour en faire ses sirènes, les plus belles femmes qu'elle avait pu trouver. Elle avait les cheveux noirs, le teint brillant, l'œil voluptueux et voilé par de longs cils, la bouche vermeille et fine, le cou élégant, la taille riche et souple, et, perdu dans une mule de satin, un pied d'enfant. Les Français, qui la possédaient, étaient fiers de voir éclore sur leur sol une si ma- gnifique fleur, et les étrangers qui passaient par la France s'en retournaient éblouis de sa beauté s'ils l'avaient vue seulement, étourdis de sa science s'ils avaient causé avec elle. C'est que Marguerite était non-seulement la plus belle, mais encore la plus let- trée des femmes de son temps, et l'on citait le mot d'un savant italien qui lui avait été présenté, et qui, après avoir causé avec elle une heure en italien, en espagnol, en latin et en grec, l'avait quittée en di- sant dans son enthousiasme : « Voir la cour sans voir Marguerite de Valois, c'eslne voir ni la France ni la cour. >■

Aussi les harangues ne manquaient pas au roi Charles IX et à la reino do Navarre ; on sait com- bien les huguenots étaient harangueurs. Force allu- sions au [iass('., force demandes pour l'avenir furent adroitement glissées au roi au milieu de ces haran- gues; mais à toutes ces allusions il répondait avec SCS lèvres p.'iles cl son sourire rusé :

K En donnant ma .sirur Margot à Henri de Na- varre, je donne ma sœur k Ujus les prolcslanls du royaume. ><

Mot qui rassurait les uns et faisait sourire les au- tres, car il avait réellement deux sens : l'un pater- nel et dont, en bonne conscience, Charles IX ne vou- lait pas surcharger sa pensée; l'autre injurieux pour l'épousée, pour son mari et pour celui-là même qui le disait, car il rappelait quelques sourds scan- dales dont la chronique de la cour avait déjà trouvé moyen de souiller la robe nuptiale de Marguerite de Valois.

CependantM. de Guise causait, comme nous l'avons dit, avec Téligny; mais il ne donnait pas à l'entretien une attention si soutenue qu'il ne se détournât par- fois pour lancer un regard sur le groupe de dames au centre duquel resplendissait la reine de Navarre. Si le regard de la princesse rencontrait alors celui du jeune duc, un nuage semblait obscurcir ce front charmant, autour duquel des étoiles de diamants formaient une tremblante auréole, et quelque va- gue dessein perçait dans son attitude impatiente et agitée.

La princesse Claude, sœur aînée de Marguerite, qui depuis quelques années déjà avait épousé le duc de Lorraine , avait remarqué cette inquiétude , et elle s'approchait d'elle pour lui en demander la cause lorsque, chacun s'écartant devant la reine mère, qui s'avançait appuyée au bras du jeune prince de Condé, la princesse se trouva refoulée loin de sa sœur. Il y eut alors un mouvement général dont le duc de Guise profita pour se rapprocher de madame de Nevers, sa belle-sœur, et par conséquent de Marguerite. Madame de Lorraine, qui n'avait pas perdu la jeune reine des yeux, vit alors, au lieu de ce nuage qu'elle avait remarqué sur son front une flamme ardente passer sur ses joues. Cependant le duc s'approchait toujours, et, quand il ne fut plus qu'à deux pas de Marguerite, celle-ci, qui semblait plutôt le sentir que le voir, se retourna en faisant un effort violent pour donner à son visage le calme et l'insouciance; alors le duc salua respectueuse- ment, et, tout en s'inclinant devant elle, murmura à demi-voix :

Ipse altidi.

Ce qui voulait dire :

Je l'ai apporté, ou apporté moi-même. Marguerite rendit sa révérence au jeune duc, et.

en se relevant, laissa tomber cette réponse :

NoctH pro more. Ce qui signifiait :

Cette nuit comme d'habitude.

Ces douces paroles, absorbées par l'énorme colh'\ goudronné de la princesse, coniiiio par l'i-nrouh'- ment d'un porte-voix, ne furent entendues que de la personneà laquelle on le,s adressait; mais, si court c|u'efit «'lé le dialogue, sans doute il embras.sait tout (•e <|uc les deux jeunes gens avaient à .M' dire, car après cet «Tliango de deux mots contre trois ils se .M'parèrenl. Marguerite le front plus rêveur et le duc le front plus ra<lipux qu'avant qii'ils.se fussent rappro-

LA REINE MARGOT.

chés. Cette petite scène avait eu lieu sans que l'homme le plus intéressé à la remarquer eût paru y faire la moindre attention, car, de son côté, le roi de Navarre n'avait d'yeux que pour une seule per- sonne qui rassemblait autour d'elle une cour pres- que aussi nombreuse que Marguerite de 'i^alois ; cette personne était la belle madame de Sauve.

Charlotte de Beaune-Semblançay, petite-fille du malheureux Semblançay et femme de Simon de Fi- zes, baron de Sauve, était une des dames d'atour de Catherine de Médicis, et l'une des plus redoutables auxiliaires de cette reine, qui versait à ses ennemis le philtre de l'amour quand elle n'osait leur verser le poison florentin ; petite, blonde, tour à tour pé- tillante de vivacité ou languissante de mélancolie, toujours prête à l'amour et à l'intrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquante ans, occu- paient la cour des trois rois qui s'étaient succédé ; femme dans toute l'acception du mot et dans tout le charme de la chose, depuis l'œil bleu languissant ou brillant de flammes jusqu'aux petits pieds mu- tins et cambrés dans leurs mules de velours, ma- dame de Sauve s'était, depuis quelques mois déjà, emparée de toutes les facultés du roi de Navarre, qui débutait alors dans la carrière amoureuse comme dans la carrière politique, si bien que Mar- guerite de Navarre, beauté magnifique et royale, n'avait plus même trouve l'admiration au fond du cœur de son époux; et, chose étrange et qui étonnait tout le monde, même de la part de cette âme pleine de ténèbres et de mystères, c'est que Catherine de Médicis, tout en poursuivant son projet d'union en- tre sa fille et le roi de Navarre, n'avait pas disconti- nué de favoriser presque ouvertement les amours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais, malgré cette aide puissante, et en dépit des mœurs faciles de l'é- poque, la belle Charlotte avait résisté jusque-là, et de cette résistance inconnue, incroyable, inouïe, plus encore que de la beauté et de l'esprit de celle qui résistait, était née dans le cœur du Béarnais une passion, qui, ne pouvant se satisfaire, s'était repliée sur elle-même et .avait dévoré dans le cœur du jeune roi la timidité, l'orgueil, et jusqu'à cette in- souciance, moitié philosophique, moitié paresseuse, qui faisait le fond de son caractère.

Madame de Sauve venait d'entrer depuis quelques minutes seulement dans la salle de bal ; soit dépit, soit douleur, elle avait résolu d'abord de ne point assister au triomphe de sa rivale, et, sous le pré- texte d'une indisposition, elle avait laissé son mari, secrétaire d'État depuis cinq ans, veuir seul au Lou- vre; mais, en apercevant le baron de Sauve sans sa femme, Catherine de Médicis s'était informée des causes qui tehaient sa bien-aimée Charlotte éloi- gnée; et, apprenant que ce n'était qu'une légère in- disposition, elle lui avait écrit quelques mots d'ap- pel, auxquels la jeune femme s'était empressée d'o- béir. Henri, tout attristé qu'il avait été d'abord de

son absence, avait cependant respiré plus librement lorsqu'il avait vu M. de Sauve entrer seul ; mais, au moment où, ne s' attendant aucunement à cette appa- rition, il allait en soupirant se rapprocher de l'aima- ble créature qu'il était condamné, sinon à aimer, du moins à traiter en épouse, il avait vu au bout de la galerie surgir madame de Sauve ; alors il était demeuré cloué à sa place, les yeux fixés sur cette Circé qui l'enchaînait à elle comme par un lien ma- gique, et, au lieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvement d'hésitation qui tenait bien plus à l'étonnement qu'à la crainte, il s'avança vers madame de Sauve.

De leur côté, les courtisans, voyant que le roi de Navarre, dont on connaissait déjà le cœur infiam- mable, se rapprochait de la belle Charlotte, n'eu- rent point le courage de s'opposer à leur réunion , ils s'éloignèrent complaisamment , de sorte qu'au même instant Marguerite de Valois et M. de Guise échangeaient les quelques mots latins que nous avons rapportés, Henri, arrivé près de madame de Sauve, entamait avec elle en français fort intelli- gible, quoique saupoudré d'accent gascon, une con- versation beaucoup moins mystérieuse.

Ah! ma mie! lui dit-il, vous voilà donc re- venue au moment l'on m'avait dit que vous étiez malade, et j'avais perdu l'espérance de vous voir?

Votre Majesté, répondit madame de Sauve, au- rait-elle la prétention de me faire croire que cette espérance lui avait beaucoup coûté à perdre?

Sang-diou, je le crois bien ! reprit le Béar- nais ; ne savez-vous point que vous êtes mon soleil pendant le jour et mon étoile pendant la nuit? En vérité, je me croyais dans l'obscurité la plus pro- fonde, lorsque vous avez paru tout à l'heure et avez soudain tout éclairé.

C'est un mauvais tour que je vous joue alors, monseigneur.

Que voulez-vous dire, ma mie? demanda Henri.

Je veux dire que, lorsqu'on est maître de la plus belle femme de France, la seule chose qu'on doive désirer, c'est que la lumière disparaisse pour faire place à l'obscurité, car c'est dans l'obscurité que nous attend le bonheur.

Ce bonheur, mauvaise, vous savez bien qu'il est aux mains d'une seule personne, et que cette per- sonne se rit et se joue du pauvre Henri.

Oh! reprit la baronne, j'aurais cru au contraire, moi, que c'était cette personne qui était le jouet et la risée du roi de Navarre.

Henri fut effrayé de cette attitude hostile ; et ce- pendant il réfléchit qu'elle trahissait le dépit, et que le dépit n'est que le masque de l'amour.

En vérité, dit-il, chère Charlotte, vous me fai- tes là un injuste reproche, et je ne comprends pas qu'une si jolie bouche soit en même temps si cruel le .

6

LA REINE MARGOT.

Croyez-vous donc que ce soit moi qui me marie? Eh ! non, ventre-saint-gris ! ce n'est pas moi !

C'est moi, peut-être ! reprit aigrement la ba- ronne, si jamais peut paraître aigre la voix de la femme qui nous aime et qui nous reproche de ne pas l'aimer.

Avec vos beaux yeux n'avez-vous pas vu plus loin, baronne'? Non, non, ce n'est pas Henri de Na- varre qui épouse Marguerite de Valois.

Et qu'est-ce donc alors?

Eh 1 sang-diou ! c'est la religion réformée qui épouse le pape, voilà tout.

Nenni, nenni, monseigneur, et je ne me laisse pas prendre à vos jeux d'esprit, moi : Votre iMajesté aime madame Marguerite, et je ne vous en fais pas un reproche, Dieu m'en garde ! elle est assez belle pour être aimée.

Henri rétléchit un instant, et, tandis qu'il réflé- chissait, un fin sourire retroussa le coin de ses lè- vres.

Baronne, dit-il, vous me cherchez querelle, ce me semble, et cependant vous n'en avez pas le droit; qu'avez-vous fait, voyons , pour m'empêcher d'épou- ser madame Marguerite? Rien; au contraire, vous m'avez toujours désespéré.

Et bien m'en a pris, monseigneur ! répondit madame de Sauve.

Comment cela?

Sans doute, puisque aujourd'hui vous en épou- sez une autre.

Ah ! je l'épouse parce que vous ne m'aimez pas.

Si je vous eusse aimé, sire, il me faudrait donc mourir dans une heure?

Dans une heure! Que voulez-vous dire, et de quelle mort seriez-vous morte?

De jalousie... Car, dans une lieure, la reine de Navarre renverra ses femmes et Votre Majesté ses gentilshommes.

Est-ce véritablement la pensée qui vous préoccupe, ma mie?

Je ne dis pas cela. Je dis que, si je vous ai- mais, elle me préoccuperait horriblement.

Eh bien ! s'écria Henri au comble de la joie d'entendre cet aveu, le premier (ju'il eflt reçu, si le roi de Navarre ne renvoyait pas ses pentilshomnics ce soir?

Sire, dit madame de Sauve regardant le roi avec un éloiinemenl i]ui celte fois n'était pas jnu(', vous dites des choses impossibles cl surtout in- croyables.

Pour (|ue vous les croyiez, que faut-il ilone faire?

Il faudrait m'en donner la preuve, cl celle preuve, vous ne pouvez me la donner.

Si f.-iil, baronne, si fait. l'nr saint Henri! jo vous la donnerai, au ronlraire, .s'i'cria le roi en dé-

vorant la jeune femme d'un regard embrasé d'a- mour.

0 Votre Majesté! murmura la belle Charlotte en baissant la voix et les yeux. Je ne comprends pas. Non, non ! il est impossible que vous échap- piez au bonheur qui vous attend.

H y a quatre Henri dans cette salle, mon ado- rée ! reprit le roi ; Henri de France, Henri de Condé, Henri de Guise; mais il n'y a qu'un Henri de Na- varre.

Eh bien?

Eh bien ! si vous avez ce Henri de Navarre près de vous toute cette nuit?

Toute cette nuit?

Oui ; serez-vous certaine qu'il ne sera pas près d'une autre?

Ah ! si vous faites cela, sire ! s'écria à son tour la dame de Sauve.

Foi de gentilhomme, je le ferai.

Madame de Sauve leva ses grands yeux humides de voluptueuses promesses et sourit au roi, dont le cœur s'emplit d'une joie enivrante.

Voyons, reprit Henri, en ce cas, que direz-vous?

Oh ! en ce cas, répondit Charlotte, en ce cas, je dirai que je suis véritablement aimée de Votre Ma- jesté.

Ventre-saint-gris ! vous le direz donc ; car cela est, baronne.

Mais comment faire? murmura madame de Sauve.

Oh ! par Dieu ! baronne, il n'est point que vous n'ayez autour de vous quelque camériére, quelque suivante, quelque fille dont vous soyez sûre?

Oh! j'ai Dariole, qui m'est si dévouée qu'elle se ferait couper en morceaux pour moi; un vérita- ble trésor.

Sang-diou, baronne! dites à cette fille que je ferai sa fortune quand je serai roi de France, comme me le prédisent les astrologues.

Charlotte sourit; car, dès celle époque, la réputa- tion gasconne du Béarnais était déjà établie à l'en- droit de ses promesses.

Eii bien ! dit-elle, que désirez-vous de Dariole?

Bien peu de chose pour elle, tout pour moi.

Enfin?

Votre appartement est au-dessus du mien.

Oui.

Quelle attende derrière la porte. Je frapperai dourenicnl trois coups; elle ouvrira, ol vous aurez la preinc que je vous ai offerte.

Madame de Sauve garda le silence pendant quel- <liiessoconiles, puis, comme si elle eût regardé au- tour d'idle pour n'être pas entendue, elle lixa un instant la vue sur le groupe se tenait la reine mère; mais, si court que friteelinsliiiil, il suflit pnuf que Catherine ol sa dame d'alour échangeassent ciiacune un regard.

Oh! si jo voulais, dit madame de SauVe avec

LA REINE MRGOT;

UB accent de sirène qui eût fait fondre la cire dans les oreilles d'Lll3'sse, si je voulais prendre Votre Ma- jesté en mensonge...

Essayez, ma mie, essayez...

Ah ! ma foi! j'avoue que j'en combats l'envie.

Laissez- vous vaincre; les femmes ne sont ja- mais si fortes qu'après leur défaite.

Sire, je reliens votre promesse pour Dariole le jour oii vous serez roi de France.

Henri jeta un en de joie.

C'était juste au moment ce cri s'échappait de la bouche du Béarnais que la reine de Navarre répon- dait au duc de Guise :

Noctu pro more, cette nuit comme d'habitude. Alors Henri s'éloigna de madame de Sauve aussi

heureux que l'était le duc de Guise en s'éloignant lui-même de Marguerite de Valois.

Une heure après la double scène que nous venons de raconter, le roi Charles et la reine mère se reti- rèrent dans leurs appartements; presque aussitôt les salles commencèrent à se dépeupler, les galeries laissèrent voir la base de leurs colonnes de marbre. L'amiral et le prince de Condé furent reconduits par quatre cents gentilshommes huguenots au milieu de la foule qui grondait sur leur passage. Puis Henri de Guise, avec les seigneurs lorrains et les ca- tholiques, sortirent à leur tour, escortés des cris de joie et des applaudissements du peuple.

Quant à Marguerite de-Valois, à Henri de Navarre et à madame de Sauve, on sait qu'ils demeuraient au Louvre même.

^<<|^o-»—

II

LA CHAMBRE DE LA REINE DE NAVARRE.

e duc de Guise reconduisit sa belle-sœur, la duchesse de Nevers, en son hôtel, qui était situé rue du Chau- me, en face la rue de Brac, et, après l'avoir remise à ses femmes, passa dans son appartement pour changer de costume, prendre un manteau de nuit et s'armer d'un de ces poignards courts et aigus qu'on appe- lait une foi de gentilhomme, lesquels se portaient sans l'épée; mais, au moment il le prenait sur la table il était déposé, il aperçut un petit billet serré entre la lame et le fourreau. Il l'ouvrit et lut ce qui suit :

« J'espère bien que M. de Guise ne retournera pas cette nuit au Louvre, ou, s'il y retourne, qu'il pren- dra au moins la précaution de s'armer d'une bonne cotte de mailles et d'une bonne épée. »

Ah! ah!* dit le duc en se retournant vers son

valet de chambre, voici un singulier avertissement, maître Robin. Maintenant faites-moi le plaisir de me dire quelles sont les personnes qui ont pénétré ici pendant mon absence?

Une seule, monseigneur.

Laquelle?

M. du Gast.

Ah ! ah ! En effet il me semblait bien reconnaî- tre l'écriture. Et tu es sûr que du Gast est venu, tu l'as vu?

J'ai fait plus, monseigneur, je lui ai parlé.

Bon; alors je suivrai le conseil. Ma jaquette et mon épée.

Le valet de chambre, habitué à ces mutations de costumes, apporta l'une et l'autre. Le duc alors revêtit sa jaquette, qui était en chaînons de mailles SI souples, que la trame d'acier n'était guère plus épaisse que du velours: puis il passa par-dessus son Jacques des chausses et un pourpoint gris et argent, qui étaient ses couleurs favorites, tira de longues bottes qui montaient jusqu'au milieu de ses cuisses, se coiffa d'un toquet de velours noir sans plume ni pierreries, s'enveloppa d'un manteau de couleur sombre, passa un poignard à sa ceinture, et, mettant son épée aux mains d'un page, seule escorte dont il voulût se faire accompagner, il prit le chemin du Louvre.

Comme il posait le pied sur le seuil de l'hôtel, le veilleur de Saint-Germain-l'Auxerrois venait d'an- noncer une heure du matin.

Si avancée que fûfla nuit et si peu sûres que fus- sent les rues à cette époque, aucun accident n'arriva à l'aventureux prince par le chemin, et il arriva sain et sauf devant la masse colossale du vieux Lou- vre, dont toutes les lumières s'étaient successivement

8

LA REINE MARGOT.

éteintes, et qui se dressait à cette heure formidable de silence et d'obscurité.

En avant du château royal s'étendait un fossé pro- fond, sur lequel donnaient la plupart des chambres des princes logés au palais. L'appartement de Mar- guerite était situé au premier étage.

Mais ce premier étage, accessible s'il n'y eût point eu de fossé, se trouvait," grâce au retranchement, élevé de près de trente pieds, et, par conséquent, hors de l'atteinte des amants et des voleurs, ce qui n'empêcha point M. le duc de Guise de descendre résolument dans le fossé.

Au même instant, on entendit le bruit d'une fenê- tre du rez-de-chaussée qui s'ouvrait. Cette fenêtre était grillée; mais une main parut, souleva un des barreaux descellé d'avance, et laissa pendre, par cette ouverture, un lacet de soie.

Est-ce vous, Gillonne? demanda le duc ù voix basse.

Oui, monseigneur, répondit une voix de femme, d'un accent plus bas encore.

Et Marguerite?

Elle vous attend.

Bien.

A ces mots le duc fit signe à son page, qui. ou- vrant son manteau, déroula une petite échelle de corde. Le prince attacha l'une des extrémités de l'é- chelle au lacet qui pendait. Gillonne tira l'échelle à elle, l'assujettit solidement; et le prince, après avoir bouclé son épée à son ceinturon, commença l'escalade, qu'il acheva sans accident. Derrière lui, le barreau reprit sa place, la fenêtre se referma, et le page, après avoir vu entrer paisiblement son sei- gneur dans le Ivouvre, aux fenêtres duquel il l'avait accompagné vingt fois de la même façon, s'alla cou- cher, enveloppé dans son manteau, sur l'herbe du fossé et à l'ombre de la muraille.

11 faisait une nuit sombre, et quelques gouttes d'eau tombaient tièdeset larges des nuages chargés de soufre et d'électricité.

Le duc de Guise suivit sa conductrice, qui n'était rien moins que la fille de .lacques de Matignon, ma- réchal de France; c'était la confidente toute parti- culière de Marguerite, qui n'avait aucun secret pour elle, et l'on prétendait qu'au nombre des mystères qu'enfermait son incorruptible fidélité il y en avait de si terribles, que c'étaient ceux-là qui la forçaient de garder les autres.

Aucune lumière n'était demcunio ni dans les chambres basses ni dans les corridors; de temps en temps seulement un f'clair livide iiluniin.iit les ap- partements sombres d'un rcOel bleuâtre qui dispa- rnis.sait aussitôt.

Leduc, toujours guidé par sîi conductrice, (|iii le tenait par la main,aiti>ignitonlin un escalier en spi- rale [iratiqué dans l'i-paisseiir d'nti unir cl qui s'ou- vrait par une porte secrète et invisible dans l'anti- chambre de l'appartement de Marguerite.

L'antichambre, comme les autres salles du bas, était dans la plus profonde obscurité. Arrivée dans cette antichambre, Gillonne s'arrêta.

Avez.-vous apporté ce que désire la reine? de- manda-t-elle à voix basse.

Oui, répondit le duc de Guise; mais je ne le remettrai qu'à Sa Majesté elle-même.

Venez donc et sans perdre un instant", dit alors au milieu de l'obscurité une voix qui fit tres- saillir le duc, car il la reconnut pour celle de Mar- guerite.

Et en même temps une portière de velours vio- let fleurdelisé d'or se soulevant, le duc distingua dans l'ombre la reine elle-même, qui, impatiente, était venue au-devant de lui.

Me voici, madame, dit alors le duc.

Et il passa rapidement de l'autre côté de la. por- tière, qui retomba derrière lui.

Alors ce fut à son tour, à Marguerite de Valois, de servir de guide au prince dans cet appartement, d'ailleurs bien connu de lui, tandis que Gillonne. restée à la porte, avait, en portant le doigt à sa bou- che, rassuré sa royale maîtresse.

Comme si elle eût compris les jalouses inquiétu- des du duc, Marguerite le conduisit jusque dans sa chambre à coucher : elle s'arrêta.

Eh bien ! lui dit-elle, êtes vous content, duc? Content, madame... demanda celui-ci, et de

quoi'? je vous prie.

De celte preuve que je vous donne, reprit Marguerite avec un léger accent de dépit, que j'ap- partiens à un homme qui, le soir de son mariage, la nuit même de ses noces, fait assez peu de cas de moi pour n'être pas même venu me remercier de l'honneur que je lui ai fait, non pas en le choisis- sant, mais en l'acceptant pour époux.

Oh ! madame, dit tristement le duc, rassurez- vous, il viendra, surtout si vous le désirez.

Et c'est vous qui dites cela, Henri! s'écria Marguerite, vous qui, entre tous, savez le contraire de ce que vous dites ! Si j'avais le désir que vous me supposez, vous eussé-je donc prié de venir au Louvre '!

Vous m'avez prié de venir au Louvre, Mar- guerite, parce que vous avez le désir d'éteindre tout vestige de notre passé, et que ce pas.sé vivait non-seulement dans mon cœur, mais dans ce cof- fre d'argent que je vous rapporte.

Henri , voulez-vous que je vous dise une chose? reprit Marguerite en regardant fixement le duc, c'est que vous ne me faites pins l'effet d'un duc, mais d'un écolier ! Moi, nier que je vous ai aimé! moi, vouloir éteindre une flamme qui mourra peut-être, mais dont le reflet ne mourra pas! Car les amours des personnes de mon rang illuminent cl souvent dévorent toute ri'|)oque qui leiire.^tcon- tL'inpiir.Tine. Non' non ! mon dur. Vous pouvez gar- der les lettres do votre Marguerite et lo coffre qucllo

LA REINE MAllGOT.

jETiC'

^'^^/^^^i -^^o^^.

Et quelle lellre clicicliez-vous 7 madame.

VOUS a donné. De ces lettres que contient le coffre, elle ne vous en demande qu'une seule, et encore parce que cette lettre est aussi dangereuse pour vous que pour elle. ..

Tout est à vous, dit le duc ; choisissez donc là- dedans celle que vous voudrez anéantir.

Marguerite fouilla rapidement dans le coffre ou- vert, et d'une main frémissante prit l'une après l'autre une douzaine de lettres dont elle se con- tenta de regarder les adresses, comme si, à l'in- spection de ces seules adresses, sa mémoire lui rap- pelait ce que contenaient ces lettres; mais, arrivée

au bout de l'examen, elle regarda le duc, et toute pâlissante :

Monsieur, dit-elle, celle que je cherche n'est pas là. L'auriez-vous perdue par hasard ? car, quant à l'avoir livrée...

Et quelle lettre cherchez-vous? madame.

Celle dans laquelle je vous disais de vous ma- rier sans retard.

Pour excuser votre infidélité? Marguerite haussa les épaules.

Non ; mais pour vous sauver la vie. Celle je vous disais que le roi, voyant notre amour et les

par;». lu {>. lie \i\\\ ..lue, tjOiiU-Yan .\ljliliuri.ri»3>:, St.

10

LA REINE MARGOT.

efforts que je faisais pour rompre votre future union avec l'infante de Portugal, avait fait venir son frère le bâtard d'Ângoulême, et lui avait dit en lui mon- trant deux épées : « De celle-ci tue Henri de Guise 'ce soir, ou de celle-là je te tuerai demain. » Cette lettre, est-elle?

La voici, dit le due de Guise en la tirant de sa poitrine.

Marguerite la lui arracha presque des mains, l'ouvrit avidement, s'assura que c'était bien celle qu'elle réclamait, poussa une exclamation de joie et l'approcha de la bougie. La flamme se commu- niqua aussitôt de la mèche au papier, qui en un in- stant fut consumé ; puis, comme si Marguerite eût craint qu'on pût aller chercher l'imprudent avis jusque dans les cendres, elle les écrasa sous son pied.

Le duc de Guise, pendant toute cette fiévreuse action, avait suivi des yeux sa maîtresse.

Eh bien! Marguerite, dit-il quand elle eut fini, êtes-vous contente maintenant?

Oui, car, maintenant que vous avez épousé la princesse de Porcian, mon frère me pardonnera votre amour, tandis qu'il ne m'eût pas pardonné la révélation d'un secret comme celui que, dans ma faiblesse pour vous, je n'ai pas eu la puissance de vous cacher.

C'est vrai, dit le duc de Guise, dans ce temps- vous m'aimiez.

Et je vous aime encore, Henri, autant et plus que jamais.

Vous ?

Oui, moi; car jamais plus qu'aujourd'hui je n'eus besoin d'un ami sincère et dévoué. Reine, je n'ai pas de trône ; femme, je n'ai pas de mari.

Le jeune prince secoua tristement la tête.

Mais quand je vous dis, quand je vous répète, Henri, que mon mari, non-seulement ne m'aime pas, mais qu'il me hait, mais qu'il me méprise; d'ailleurs, il me semble que votre présence dans la chambre il devrait être fait l)i{!n preuve de cette haine et de ce mépris.

Il n'est pas encore tard, madame, et il a fallu au roi de Navarre le temps de congédier ses gentils- liommes, et, s'il n'estpas venu, il ne tardera pas à venir.

Et moi je vous dis, s'écria Marguerite avec un dépit croissant, moi, je vous dis qu'il ne vicmlra pas.

Madame, s'écria Gillonne en ouvrant la porto et en soulevant la portière ; madame, le roi de Na- varre .sort d(! Sun .ipp.irlcment.

Oh ! je le savais bien, moi. cju'il viendrait! s'ccrin le duc dcGnise.

Henri, dit Marguerite d'une voix brève et en saisissant l.'i niaiu du duc, llciin, vous allez voir si io suis une feiiiîui' de parole et si l'on |teui cnuipliT

sur ce que j'ai promis une fois. Henri, entrez dans ce cabinet.

Madame, laissez-moi partir s'il en est temps encore, car songez qu'à la première marque d'a- amour qu'il vous donne, je sors de ce cabinet, et alors, malheur à lui!

Vous êtes fou, entrez, entrez, vous dis-je, je réponds de tout.

Et elle poussa le duc dans le cabinet.

Il était temps. La porte était à peine fermée der- rière le prince, que le roi de Navarre, escorté de deux pages qui portaient huit flambeaux de cire rose sur deux candélabres, apparut souriant sur le seuil de la chambre.

Marguerite cacha son trouble en faisant une pro- fonde révérence.

Vous n'êtes pas encore au lit? madame, de- manda le Béarnais avec sa physionomie ouverte et joyeuse; m'attendiez-vous, par hasard?

Non, monsieur, répondit Marguerite, car hier encore vous m'avez dit que vous savez bien que no- tre mariage était une alliance politique, et que vous ne me contraindriez jamais.

A la bonne heure; mais ceci n'est point une raison pour ne pas causer quelque peu ensemble. Gillonne, fermez la porte et laissez-nous.

Marguerite, qui était assise, se leva, et étendit la main comme pour ordonner aux pages de rester.

Faut-il que j'appelle vos femmes? demanda le roi. Je le ferai si tel est votre désir, quoique je vous avoue que, pour les choses que j'ai à vous dire, j'aimerais mieux que nous fussions en tête à tête .

Et le roi de Navarre s'avança vers le cabinet.

Non ! s'écria Marguerite en s'élançant au-de- vant de lui avec impétuosité; non, c'est inutile, et je suis prête à vous entendre.

Le Bi-amais savait ce «[u'il voulait savoir; il jeta un regard rapide et profond vers le cabinet, comme s'il (M'it voulu, maigri" la [lortière ijui le voilait, pé- nétrer dans ses plus sombres profondeurs; puis ra- menant ses regards sur sa belle épousée pâle de terreur :

En ce cas, madame, dit-il d'une voix parfai- tement calme, causons donc un instant.

Comme il plaira à Votre Majesté, dit la jeune femme en retombant plutôt qu'elle ne s'assit sur le siège que lui indiquait son mari.

Lr Béarnais se plaça i)rès4|^lo.

Madame, conlinua-t-il, quoi qu'en aient dit bien des gens, notre mariage est, je le pense, un bon mariage. .)e suis bien à vous et vous êtes bien à moi.

Mais... dit Mnrguerile effrayée.

Nous devons en ronsiMiuence, continua le roi de Navarre .-ians iiaraître remarquer l'iM'siijiiion do Marjjucrilc, a);ir l'un envers l'autre comme do bons

LA REINE ftURGOT.

11

alliés, puisque nous nous sommes aujourd'hui juré alliance devant Dieu. N'est-ce pas votre avisî

Sans doute, monsieur.

Je sais, madame, combien votre pénétration est grande, je sais combien le terrain de la cour est semé de dangereux abîmes ; or, je suis jeune, et, quoique je n'aie jamais fait de mal à personne, j'ai bon nombre d'ennemis. Dans quel camp, madame, dois-je ranger celle qui porte mon nom et qui m"a juré affection au pied de l'autel?

Oh ! monsieur, pourriez-vous penser?...

Je ne pense rien, madame, j'espère, et je veux m'assurer que mon espérance est fondée. 11 est cer- tain que notre mariage n'est qu'un prétexte ou qu'un piège.

Marguerite tressaillit, car peut-être aussi cette pensée s'était-elle présentée à son esprit.

Maintenant, lequel des deux? continua Ilenri de Navarre. Le roi me hait, le duc d'Anjou me hait, le duc d'Alençon me hait, Catherine de Médicis haïssait trop ma mère pour ne point me haïr.

Oh ! monsieur, que dites-vous?

La vérité, madame, reprit le roi, et je vou- drais, afin qu'on ne crût pas que je suis dupe de l'assassinat de M. de Mouy et de l'empoisonnement de ma mère, je voudrais qu'il y eût ici quelqu'un qui pût m'entendre.

Oh ! monsieur, dit vivement Marguerite, et de l'air le plus calme et le plus souriant qu'elle put prendre, vous savez bien qu'il n'y a ici que vous et moi.

Et voilà justement ce qui fait que je m'aban- donne, voilà ce qui fait que j'ose vous dire que je ne suis dupe ni des caresses que me fait la maison de France ni de celles que me fait la maison de Lorraine.

Sire! sire! s'écria Marguerite.

Eh bien ! qu'y a-t-il, ma mie? demanda Henri souriant à son tour.

Il y a, monsieur, que de pareils discours sont bien dangereux.

Non pas quand on est en tête à tête, reprit le roi. Je vous disais donc...

Marguerite était visiblement au supplice, elle eût voulu arrêter chaque parole sur les lèvres du Béarnais; mais Henri continua avec son apparente bonhomie.

Je vous disais donc que j'étais menacé de tous les côtés : menacé par le roi, menacé par le duc d'Alençon, menacé par le duc d'Anjou, menacé par la reine mère, menacé par le duc de Guise, par le duc de Mayenne, par le cardinal de Lorraine, me- nacé par tout le monde, enfin. On sent cela in- stinctivement; vous le savez, madame. Eh bien ! contre toutes ces menaces qui ne peuvent tarder de devenir des attaques, je puis me défendre avec vo- tre secours, car vous êtes aimée, vous, de toutes les personnes qui me détestent.

Moi! dit Marguerite.

Oui, vous, reprit Henri de Navarre avec uûe bonhomie parfaite; oui, vous êtes aimée du roi Charles, vous êtes aimée (il appuya sur le mot) du duc d'Alençon; vous êtes aimée de la reine Cathe- rine; enfin, vous êtes aimée du duc de Guise.

Monsieur! murmura Marguerite.

Eh bien ! qu'y a-t-il donc d'étonnant que tout le monde vous aime? ceux que je viens de vous nommer sont vos frères ou vos parents. Aimer ses parents et ses frères, c'est vivre selon le cœur de Dieu.

Mais enfin, reprit Marguerite oppressée, en voulez-vous venir, monsieur?

J'en veux venir à ce que je vous ai dit : c'est que si vous vous faites, je ne dirai pas mon amie, mais mon alliée, je puis tout braver; tandis qu'au contraire, si vous vous faites mon ennemie, je suis perdu.

Oh! votre ennemie, jamais, monsieur! s'écria Marguerite.

Mais mou amie, jamais non plus?...

Peut-être.

Et mon alliée?

Certainement.

Et Marguerite se retourna et tendit la main au roi.

Henri la prit, la baisa galamment, et la gardaut dans les siennes bien plus dans un désir d'investi- gation que par un sentiment de tendresse :

Eh bien! je vous crois, madame, dit-il, et vous accepte pour alliée. Ainsi donc on nous a mariés sans que nous nous connussions, sans que nous nous aimassions; on nous a mariés sans nous consulter, nous qu'on mariait. Nous ne nous devons donc rien comme mari et femme. Vous voyez, madame, que je vais au-devant de vos vœux et que je vous confirme ce soir ce que je vous disais hier. Mais nous, nous nous allions librement, sans que per- sonne nous y force; nous, nous nous allions comme deux cœurs loyaux qui se doivent protection mu- tuelle et s'allient; c'est bien comme cela que vous l'entendez?

Oui, monsieur, dit Marguerite en essayant de retirer sa main.

Eh bien ! continua le Béarnais les yeux tou- jours fixés sur la porte du cabinet, comme la pre- mière preuve d'une alliance franche est la con- fiance la plus absolue, je vais, madame, vous ra- conter dans ses détails les plus secrets le plan que j'ai formé à l'effet de combattre victorieusement toutes ces inimitiés.

Monsieur... murmura Marguerite en tournant à son tour et malgré elle les yeux vers le cabinet, tandis que le Béarnais, voyant sa ruse réussir, sou- riait dans sa barbe.

Voici donc ce que je vais faire, continua-t-ii

i2

LA REINE MARGOT.

i-ans paraître remarquer le trouble de la jeune femme; je vais...

Monsieur, s'écria Marguerite en se levant vi- vement et en saisissant le roi par le bras, permet- tez que je respire; rémotion.... la chaleur... j'é- touffe.

En effet, Marguerite était pâle et tremblante comme si elle allait se laisser choir sur le tapis.

Henri marcha droit à une fenêtre située à bonne distance et l'ouvrit. Cette fenêtre donnait sur la.ri- vière.

Marguerite le suivit.

Silence! silence! sire! par pitié pour vous! murmura-t-elle.

Eh ! madame, fit le Béarnais en souriant à sa

manière, ne m'avez-vous pas dit que nous étions seuls?

Oui, monsieur; mais n'avez-vous pas entendu dire qu'à l'aide d'une sarbacane, introduite à tra- vers un plafond ou à travers un mur, on peut tout entendre?

Bien, madame, bien, dit vivement et tout bas le Béarnais. Vous ne m'aimez pas, c'est vrai; mais vous êtes une honnête femme.

Que voulez-vous dire, monsieur?

Je veux dire que, si vous étiez capable de me trahir, vous m'eussiez laissé continuer, puisque je me trahissais tout seul. Vous m'avez arrêté. Je sais maintenant que quelqu'un est caché ici ; que vous êtes une épouse infidèle, mais une fidèle alliée, et dans ce moment-ci, ajouta le Béarnais en souriant, j'ai plus besoin, je l'avoue, de iidélité en politique qu'en amour.

Sire... murmura Marguerite confuse.

Bon, bon, nous parlerons de tout cela plus tard, dit Henri , quand nous nous connaîtrons mieux.

Puis, haussant la voix :

Eh bien! continua-t-il, respirez-vous plus li- brement à celte heure, madame?

Oui, sire, oui, murmura Marguerite.

En ce cas, reprit le Béarnais, je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Je vous devais mes respects cl quelques avances de bonne amitié; veuillez les accepter comme je vous les offre, de tout mon cœur. Reposez-vous donc et bonne nuit.

Marguerite leva sur son mari un œil brillant de reconnaissance et à son tour lui tendit la main.

C'est convenu, dit-elle.

Alliance politique, franciie et loyale? demanda Henri.

Franche cl loyale, répondit la reine.

Alors 11) Béarnais marcha vers la porle, attirant du reganl Marguerite comme fascinée. Puis, lorsque la portière fui relombéc entre eux et la chambre à coucher :

Merci, Marguerite, dit vivement Henri à vnix basse, merci! Vous êtes une vraie fille ih France. Je pars tranquilli'. A di'faut di' votre nnioiir. votre

amitié ne me fera pas défaut. Je compte sur vous, comme de votre côté vous pouvez compter sur moi. Adieu, madame.

Et Henri baisa la main de sa femme en la pres- sant doucement; puis, d'un pas agile, il retourna chez lui en se disant tout bas dans le corridor :

Qui diable est chez elle? Est-ce le roi, est-ce le duc d'Anjou, est-ce le duc d'Alençon, est-ce le duc de Guise, est-ce un frère, est-ce un amant, est-ce l'un et l'autre? En vérité, je suis presque fâ- ché d'avoir demandé maintenant ce rendez-vous à la baronne; mais, puisque je lui ai engagé ma pa- role et que Bariole m'attend.... n'importe; elle perdra un peu, j'en ai peur, à ce que j'aie passé par la chambre à coucher de ma femme pour aller chez elle, car, ventre-saint-gris! cette Margot, comme l'appelle mon beau-frère Charles IX, est une ado- rable créature.

Et. d'un pas dans lequel se trahissait une légère hésitation, Henri de Navarre monta l'escalier qui conduisait à l'appartement de madame de Sauve.

Marguerite l'avait suivi des yeux jusqu'à ce qu'il eût disparu, et alors elle était rentrée dans sa chambre. Elle trouva le duc à la porte du cabinet : cette vue lui inspira presque un remords.

De son côté le duc était grave, et son sourcil froncé dénonçait une amère préoccupation.

Marguerite est neutre aujourd'hui, dit-il, Marguerite sera hostile dans huit jours.

Ah! vous avez écouté? dit Marguerite.

Que vouliez-vous que je fisse dans ce cabinet?

Et vous trouvez que je me suis conduite au- trement que devait se conduire la reine de Navarre?

Non, mais autrement que devait se conduire la maîtresse du duc de Guise.

Monsieur, répondit la reine, je puis ne pas aimer mon mari; mais personne n'a lo droit d'exi- ger de moi que je le trahisse. De bonne foi, trahi- riez-vous les secrets de la princesse de Porcian, vo- tre femme?

Allons, allons, madame, dit le duc en se- couant la tête, c'est bien. Je vois que vous ne m'ai- mez plus comme aux jours vous me racontiez ce que tramait le roi contre moi et les miens.

Le roi était le fort et vous étiez les faibles. Henri est le faible et vous êtes les forts. Jo joue toujours le môme rôle, vous le voyez bien.

Seulement, vous passez d'un camp à l'autre.

(l'est un droit que j'ai acquis, monsieur, en vous sauvant la vie.

Bien, madame; et, comme quand on se sé- pare fin se rend cutro amants tout ce qu'on .s'est donne-, je vous sauverai la vie à mon lour. si l'oc- casion s'en pri'sente, cl nous serons (juilles.

El sur ce le duc s'inclina et sortit sans que Mar- gueriu; fil un geste |>our le retenir.

Daii'^ ranlichambri' il relrouva ("lilloime. ijui le conduisit jusqu'à In feuèlro du rez-de-chaussée, ol

LA REINE MARGOT.

i5

dans les fossés son page, avec lequel il retourna à l'hôtel de Guise.

Pendant ce temps, Marguerite, rêveuse, alla se placer à sa fenêtre.

Quelle nuit de noces! murmura-t-elle. l'c- poux me fuit et l'amant me quitte!

En ce moment passa de l'autre côte du fossé, ve- nant de la Tour de Bois et remontant vers le mou- lin de la Monnaie, un ccolicr le poing sur la han- che et chantant :

Pourquoi doncqiies quand je veux Ou mordre tes beau» cheveux, Ou baiser ta bouche aimée, Ou toucher à ton beau sein, Contrefais-tu la nonnain Dedans un cloUre enfermée?

Pourqui gardes-tu tes-yeui

Et ton sein délicieux,

Ton front, la lèvre jumelle?

En vcux-tu baiser l'iulon, Là-bas après que Caron T'aura mise en sa nacelle?

Après ton dernier trépas, Belle, tu n'auras là-bas Qu'une boucUette blêmie ; Et quand, mort, je te verrai, Aux ombres je n'avoùrai Oue jadis tu fus ma mie I

Doncques tandis que lu vis. Change, maîtresse, d'avis, Et ne ni'épar<;ne ta bouche. Car au jour tu mourras Lors tu te repentiras De m'avoir été farouche.

Marguerite écouta cette chanson en souriant avec mélancolie; puis, lorsque la voix de l'écolier se fut perdue dans le lointain, elle referma la fenêtre et appela Gillonne pour l'aider à se mettre au lit.

•«^i3it^MsS^

m

UN nOl POKTE.

e lendemain et les jours qui suivirent se passèrent en fêtes, ballets et tournois. La même fusion conti- nuait de s'opérer entre les deux partis. C'étaient des caresses et des attendrisse- ments à faire perdre la tête aux plus enragés iiuguenots. On avait vu le père Cotton dîner et faire débauche avec le baron de Courtaumer; le duc de Guise remonter la Seine en bateau de symphonie avec le prince de Condé.

Le roi Charles paraissait avoir fait divorce avec sa mélancolie habituelle, et ne pouvait plus se pas- ser de son beau-frère Henri. Enfin la reine mère était si joyeuse et si occupge de broderies, de joyaux et de panaches, qu'elle en perdait le sommeil.

Les huguenots, quelque peu amollis par cette Capoue nouvelle, commençaient à revêtir les pour- points de soie, à arborer les devises et à parader devant certains balcons comme s'ils eussent été ca- tholiques. De tous côtés c'était une réaction en fa- veur de la religion réformée, à croire que toute la cour allait se faire protestante. L'amiral lui-même,

malgré son expérience, s'y était laissé prendre comme les autres, et il en avait la tète tellement montée, qu'un soir il avait oublié, pendant deux heures, de mâcher son cure-dent, occupation à laquelle il se livrait d'ordinaire, depuis deux heures de l'a- près-midi, moment son dîner finissait, jusqu'à huit heures du soir, moment auquel il se remettait à table pour souper.

Le soir l'amiral s'était laissé aller à cet in- croyable oubli de ses habitudes, le roi Charles IX avait invité à goûter avec lui, en petit comité, Henri de Navarre et le duc de Guise, puis, la collation terminée, il avait passé avec eux dans sa chambre, et il leur expliquait l'ingénieux mécanisme d'un piège à loup qu'il avait inventé lui-même, lorsque, s'interrompant tout à coup :

Monsieur l'amiral ne vient-il donc pas ce soir? demanda-t-il; qui l'a aperçu aujourd'hui, et "^ui peut me donner de ses nouvelles?

Moi, dit le roi de Navarre; et, au cas Vo- tre Majesté serait inquiète de sa santé, je pourrais la rassurer, car je l'ai vu ce matin à six heures et ce soir à sept.

Ah! ah! fit le roi, dont les yeux un instant

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LA REINE MAUGOT.

distraits se reposèrent avec une curiosité perçante sur son beau-frère, vous êtes bien matineux, Hen- riot, pour un jeune marié !

Oui, sire, répondit le roi de Béarn, je vou- lais savoir de l'amiral, qui sait tout, si quelques gentilshommes que j'attends encore ne sont point en route pour venir.

Des gentilshommes encore! vous en aviez huit cents le jour de vos noces, et tous les jours il en ar- rive de nouveaux, voulez-vous donc nous envahir? dit Charles IX en riant.

Le duc de Guise fronça le sourcil.

Sire, répliqua le Béarnais, on parle d'une en- treprise sur les Flandres, et je réunis autour de moi tous ceux de mon pays et des environs que je crois pouvoir être utiles à Votre Majesté.

Le duc, se rappelant le projet dont le Béarnais avait parlé à Marguerite le jour de ses noces, écouta plus attentivement.

Bon! bon! répondit le roi avec son sourire fauve, plus il y en aura, plus nous serons contents ; amenez, amenez, Henri. Mais qui sont ces gentils- hommes; des vaillants, j'espère?

J'ignore, sire, si mes gentilshommes vaudront jamais ceux de Votre Majesté, ceux de M. le duc d'Anjou ou ceux de M. de Guise, mais je les connais et sais qu'ils feront de leur mieux.

En attendez-vous beaucoup ?

Dix ou douze encore.

Vous les appelez ?

Sire, leurs noms m'échappent, et, à l'excep- tion de l'un d'eux, qui m'est recommandé par Té- ligny comme un gentilhomme accompli, et qui s'ap- pelle de la Mole, je ne saurais dire...

De la Mole? n'est-ce point un Lerac de la Mole? reprit le roi fort versé dans ta science généa- logique; un Provençal?

Précisément, sire; comme vous voyez, je re- crute jusqu'en Provence.

Et moi, dit le duc de Guise avec un sourire moqueur, je vais plus loin encore que Sa Majesté le roi de Navarre, car je vais chercher jusqu'en Pié- mont tous les catholiques sûrs que j'y puis trouver.

Calholi(iuesou huguenots, iiUcrroiupit le roi, peu m'importe, pourvu qu'ils .soient vaill:ints.

Le roi, pour dire ces paroles, ([ui iiièiaiciil dans son esprit huguenots et catholiques, avait pris une mine si indifférente, que le duc do Guise en fut étonné lui-même.

Votre Majesté s'occupe de nos Flamands? dit l'amiral, à qui le roi, (hqiiiis (luidqiics jours, avait accordé la faveur d'entrer dicz lui sans être an- noncé, et qui venait d'cnlendro les dernières para- les de Sa Majesté,

Ail 1 voici mon père l'amiral, .s'écria Char- les IX en ouvrant les bras; on parle de guerre, do gentilshommes, do vaillants; et il arrive; coque c'est que l'aimant, le for s'y tourne; mon heau-

frère de Navarre et mon cousin de Guise attendent des renforts pour votre armée. Voilà ce dont il était question.

Et ces renforts arrivent, dit l'amiral.

Avez- vous eu des nouvelles, monsieur? de- manda le Béarnais.

Oui, mon fils, et particulièrement de M. de la Mole; il était hier à Orléans, et sera demain ou après-demain à Paris.

Peste! M. l'amiral est donc nécroman, pour savoir ainsi ce qui se fait à trente ou quarante lieues de distance? Quant à moi, je voudrais bien savoir avec pareille certitude ce qui se passera ou ce qui s'est passé devant Orléans !

Goligny resta impassible à ce trait sanglant du duc de Guise, lequel faisait évidemment allusion à la mort de François de Guise, son père, tué devant Orléans par Poltrot de Méré, non sans soupçon que l'amiral eût conseillé le crime.

Monsieur, répliqua-t-il froidement et avec di- gnité, je suis nécroman toutes les fois que je veux savoir bien positivement ce qui importe à mes af- faires ou à celles du roi. Mon courrier est arrivé d'Orléans, il y a une heure, et, grâce à la poste, a fait trente-deux lieues dans la journée. M. de la Mole, qui voyage sur son cheval, n'en fait que dix par jour, lui, et arrivera seulement le 24. Voilà toute la magie.

Bravo! mon père, bien répondu, dit Char- les LX. Montrez à ces jeunes gens que c'est la sa- gesse en même temps que l'âge qui ont fait blan- chir votre barbe et vos cheveux; aussi allons-nous les envoyer parler de leurs tournois et de leurs amours, et rester ensemble à parler de nos guerres. Ce sont les bons conseillers qui font les bons rois, mon père. Allez, messieurs, j'ai à causer avec l'a- miral.

Les deux jeunes gens sortirent, le roi de Navarre d'abord, le duc de Guise ensuite; mais, hors la porte, chacun tourna de son côté après une froide révérence.

Coligny les avait suivis des yeux avec une cer- taine inquiétude, car il ne voyait jamais rappro- cher ces deux haines bien enracinées sans crain- dre (|u'il n'en jaillît quelque nouvel éclair. Char- les IX comprit ce (jui se passait dans son esprit, vint à lui, et ap[Hiyant son bras au sien.

Soyez tran(iuillo, pion père, je suis pour niaint(Miir chacun ilans l'obéissance et le respect, .le suis vérilahlcmcnt roi depuis? que ma mère n'est plus reine, et elle n'est plus reine depuis que Coli- gny est mon père.

Oh! sire, dit l'amiral, la reine Catherine...

Est une brouillonne. Avec elle il n'y a pas do paix possible. Ces ralholiqiies italiens sont enra- gés et n'entendent à rien qu'à exterminer. Moi, tout au contraire, non-.seulemenl je veux pacifier, mais encore je veux donner de la puissance à ceux de

LA REINE MARGOT

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la religion. Lesautressonttropdissolus, mon père, et ils me scandalisent par leurs amoursetpar leurs dé- règlements. Tiens, veux-tu que je te parle franche- ment? continua Charles IX en redoublant d'épan- chement, je me défie de tout ce qui m'entoure, ex- cepté de mes nouveaux amis ! L'ambition de Tavan- nes m'est suspecte. Vieilleville n'aime que le bon vin, et il serait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie. Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son temps entre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol, les Guise sont Lorrains. Il n'y a de vrais Français en France, je crois. Dieu me pardonne ! que moi, mon beau- frère de Navarre et toi. Mais, moi, je suis enchaîné au trône et ne puis commander les armées. C'est tout au plus si on me laisse chasser à mon aise à Saint-Germain et à Rambouillet. Mon beau-frère de Navarre est trop jeune et trop peu expérimenté. D'ailleurs il me semble en tout point tenir de son père Antoine, que les femmes ont toujours perdu. Il n'y a que toi, mon père, qui sois à la fois brave comme Julius César et sage comme Plato. Aussi je ne sais ce que je dois faire, en vérité ; te garder comme conseiller ici, ou t'envoyer là-bas comme général. Si tu me conseilles, qui commandera? si tu commandes, qui me conseillera?

Sire, dit Coligny, il faut vaincre d'abord, puis le conseil viendra après la victoire.

C'est ton avis, mon père; eh bien! soit. 11 sera fait selon ton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi pour Amboise.

Votre Majesté quitte Paris?

Oui, je suis fatigué de tout ce bruit et de tou- tes ces fêtes. Je ne suis pas un homme d'action, moi, je suis un rêveur. Je n'étais pas pour être roi; j'étais pour être poëte. Tu feras une espèce de conseil qui gouvernera tant que tu seras à la guerre; et, pourvu que ma mère n'en soit pas, tout ira bien. Moi, j'ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre; et là, tous les deux, loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu'il y ait en ce monde aux cho- ses des hommes. Tiens, écoute ces vers par lesquels je l'invite à venir me rejoindre ; je les ai faits ce matin.

Coligny sourit,Charles IX passa sa main sur son front jaune et poli comme de l'ivoire, et dit avec une espèce de chant cadencé les vers suivants :

Ronsard, je conniiis bien que si tu ne me vois, Tu oublies soudain de ton iirand roi la voix, Mois, pour ton souvenir, pense que je n'oublie Continuer toujours d'apprendre en poésie, Et pour ce j'ai vouhi t'envoyer cet écrit, Pour enthousiasmer ton phantastique esprit.

Donc ne t'amuse plus aux soins de ton ménage,

Maintenant n'est plus temps Je faire jardinage; Il faut suivre ton roi, qui t'aime par sus tous, Pour les vers qui de toi coulent braves et douï. Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise, Qu'entre nous adviendra une bien grande noise.

Bravo! sire, bravo! dit Coligny : je me con- nais mieux en choses de guerre qu'en choses de poésie ; mais il me semble que ces vers valent les plus beaux que fassent Ronsard, Dorât, et même M. Michel de l'Hospital, chancelier de France.

Ah ! mon père, s'écria Charles IX, que ne dis- tu vrai? car le titre de poëte, vois-tu, est celui que j'ambitionne avant toutes choses ; et, comme je le disais il y a quelques jours à mon maître en poésie :

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner, Doit être à plus haut prix que celui de régner; Tous deux également nous portons des couronnes; Mais roi, je les reçus, poëte, tu les donnes. Ton esprit, enflammé d'une céleste ardeur, Eclate par soi-même et moi par ma grandeur. Si du côté des dieux je cherche l'avantage, Ronsard est leur mignon et je suis leur image. Ta lyre, qui ravit par de si doux accords. Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps; Elle t'en rend le maître et te fait introduire le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire.

Sire, dit Coligny, je savais bien que Votre Ma- jesté s'entretenait avec les Muses; mais j'ignorais qu'elle en eût fait son principal conseil.

Après toi, mon père, après toi ; et c'est pour ne pas être troublé dans mes relations avec elles que je veux te mettre à la tête de toutes choses. Ecoute donc; il faut en ce moment que je réponde à un nouveau madrigal que mon grand et cher poëte m'a envoyé... je ne puis donc te donner à cette heure tous les papiers qui sont nécessaires pour te mettre au courant de la grande question qui nous divise, Philippe II et moi. Il y a, en ou- tre, une espèce de plan de campagne qui avait été fait par mes ministres. Je te chercherai tout cela et te le remettrai demain matin.

A quelle heure, sire?

A dix heures; et si par hasard j'étais occupé de vers, si j'étais enfermé dans mon cabinet de tra- vail... eh bien! tu entrerais tout de même, et tu prendrais tous les papiers que tu trouverais sur cette table, enfermés dans ce portefeuille rouge ; la couleur est éclatante, et tu ne t'y tromperas pas ; moi, je vais écrire à Ronsard.

Adieu, sire.

Adieu, mon père.

Votre main?

Que dis-tu? ma main ; dans mes bras, sur mon cœur, c'est ta place. Viens, mon vieux guerrier, viens.

Et Charles IX, attirant à lui Coligny qui s'incli- nait, posa ses lèvres sur ses cheveux blancs.

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U aiilNE MARGOT.

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El Charles IX, attirant à lui Coligny qui s'inclinait, posa ses lèvres sur sos cheveux blancs. PaOK 15.

L'amiral sortil en essuyant tine larme.

Charles iX le suivit des yeux tant (ju'il put le voir, tendit l'oreille tant qu'il put l'entendre; puis, lorsqu'il no vit et n'entendit plus rien, il laissa, comme c'i'tail son luiiiiludo, rrioiiilier sa U'ie paie .sur son ('paule, et passa lenli-ment de la clianibro il se trouvait dans son cabinet d"armes.

Ce cabinet était la demeure favorite du roi ; c'é- tait là qu'il prenait ses lerons d'escrime avec Pom- pée, et ses leçons île poé'sie avec Umisard. Il y avait réuni une «rande collection d armes offensives ou défensives des plus belles qu'il avait (ni trouver.

Aussi toutes les murailles l'-taient tapissées de haches, de boucliers, de piques, de hallebardes, de jiistolets fit de mousquetons, et le jour même un célèbre ar- murier lui avait apporté une maj^nifique arquebuse sur le canon de laquelle étaient incrustés en argent ces quatre vers que lo poëte royal avait romposé lui- môme.

Pour mninlcnir lii foy, Jfl suis hfllo ot fidèle ; Aux rniii>mi< 'In roy, Je suis lirllo el cruelle.

LA REI^'E aiARGOT.

n

PKEPHOdME.

C'est bien vous, dit le roi, que l'on nomme François de Louviers-Maurcvcl ? Page 18.

Charles IX entra donc, comme nous Favons dit. dans ce cabinet, et, après avoir fermé la porte prin- cipale par laquelle il était entré, il alla soulever une tapisserie qui masquait un passage donnant sur une chambre une femme agenouillée devant un prie- Dieu disait ses prières.

Comme ce mouvement s'était fait avec lenteur, et que les pas du roi, assourdis par le tapis, n'avaient pas eu plus de retentissement que ceux d'un fan- tôme, la femme agenouillée, n'ayant rien entendu, ne se retourna point et continua de prier. Charles demeura un instant debout, pensif et la regardant.

C'était une femme de trente-quatre à trente-cinq ans, dont la beauté vigoureuse était relevée par le costume des paysannes des environs de Caux. Elle portait le haut bonnet qui avait été si fort à la mode à la cour de France pendant le règne d'Isabeau de Bavière, et son corsage rouge était tout "brodé d'or, comme le sont aujourd'hui les corsages des contadi- nes de Netluno et de Sera. L'appartement qu'elle oc- cupait depuis tantôt vingt ans était contigu à la chambre à coucher du roi, et offrait un singulier mélange d'élégance et de rusticité. C'est qu'en pro- portion à peu prés égale, le palais avait déteint sur

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fart. ln;p. dp rilY :tlnè, tioulevart Montparoasie, 8(.

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LA REINE MARGOT.

la chaumière, et la chaumière sur le palais. De sorte que cette chambre tenait un milieu entre la simpli- cité de la villageoise et le luxe de la grande dame. En effet, le prie-Dieu sur lequel elle était agenouillée était de bois de chêne merveilleusement sculpté, recouvert de velours à crépines d'or; tandis que la Bible, car cette femme était de la religion reformée, tandis que la Bible dans laquelle elle lisait ses prières était un de ces vieux livres à moitié déchi- rés, comme on en trouve dans les plus pauvres mai- sons.

Or, tout était à l'avenant de ce prie-Dieu et de cette Bible.

Eh ! Madelon ! dit le roi.

La femme agenouillée releva la tète en souriant à cette voix familière; puis se levant :

Ah ! c'est toi, mon fils ! dit-elle.

Oui, nourrice, viens ici.

Charles IX laissa retomber la portière et alla s'asseoir sur le bras d'un fauteuil. La nourrice parut.

Que me veux-tu, Chariot? dit-elle.

Viens ici et réponds tout bas.

La nourrice s'approcha avec une familiarité qui pouvait venir de cette tendresse maternelle que la femme conçoit pour l'enfant qu'elle a allaité, mais à laquelle les pamphlets du temps donnent une source infiniment moins pure.

Me voilà, dit-elle, parle.

L'homme que j'ai fait demander est-il là?

Depuis une demi-heure.

Charles se leva, s'approcha de la fenêtre, regarda si personne n'était aux aguets, s'approcha de la porte, tendit l'oreille pour s'assurer que personne n'était aux écoutes, secoua la poussière de ses tro- phées d'armes, caressa un grand li'vrier qui le sui- vait pas à pas, s'arrêtant quand son maître s'arrê- tait, reprenant sa marche quand son maître se re- mettait en mouvement; puis, revenant à sa nour- rice :

C'est bon, nourrice, fais-le entrer.

La bonne femme sortit par le même passage qui lui avait donne entrée, tandis que le roi allait s'ap- puyer à une table sur laquelle étaient posées des armes de toute espèce.

Il y était à peine, que la portière se souleva de nouveau, et donna passage à celui qu'il attendait.

C'i'tait un homme de quarante ans à peu près, à l'ipil gris cl faux, au nez rccfiurbé en bec de rliat- liuanl, au faciès élargi par des pommoltcs saillan- tes; son vidage essaya d'exprimer le respect et ne put fournir qu'un sourire hypocrite sur ses lèvres blèmics [lar la pour.

Charles allongea douremonl derrière lui une main qui se porta sur un pommeau de pislolet de nouvelle invention , et qui parlait à l'aide d'une pierre mise, on rnnlnol avoc une roue (raoier, au lieu do partir à l'aide d'une inèclie, et regarda de

son œil terne le nouveau personnage que nous ve- nons de mettre en scène; pendant cet examen il sifflait avec une justesse et même avec une mélodie remarquable un de ses airs de chasse favoris.

Après quelques secondes pendant lesquelles le visage de l'étranger se décomposa de plus en plus :

C'est bien vous, dit le roi, que l'on nomme François de Louviers-Maurevel ?

Oui , sire.

Commandant de pétardiersî

Oui, sire.

J'ai voulu vous voir. Maurevel s'inclina.

Vous savez, continua Charles en appuyant sur chaque mot, que j'aime également tous mes su- jets.

Je sais, balbutia Maurevel, que Votre Majesté est le père de son peuple.

Et que huguenots et catholiques sont égale- ment mes enfants?

Maurevel resta muet ; seulement, le tremblement qui agitait son corps devint visible au regard per- çant du roi, quoique celui auquel il adressait la pa- role fût presque caché dans l'ombre.

Cela vous contrarie, continua le roi, vous qui avez fait une si rude guerre aux huguenots?

Maurevel tomba à genoux.

Sire, balbutia-t-il, croyez bien...

Je crois, continua Charles IX en arrêtant de plus en plus sur Maurevel un regard qui, de vi- treux qu'il était d'abord, devenait presque llam- boyant ; je crois que vous aviez bien envie de tuer à Moncontour M. l'amiral qui sort d'ici; je crois que vous avez manque votre coup, et qu'alors vous êtes passé dans l'armée du duc d'Anjou , notre frère; enfin, je crois qu'alors vous êtes passé une seconde fois chez les princes, et que vous y avez pris du service dans la compagnie de M. de Mouy de Sainl-Phale...

Oh ! sire !

Un brave gentilhomme picard?

Sire, sire, s'écria Maurevel, ne m'accablez pas!

C'était un digne officier, continua Charles IX, et, au fur et à mesure qu'il parlait, une expression de cruauté presque féroce se peignait sur son vi- sage, lequel vous accueillit comme un fils, vous lo- gea, vous habilla, vous nourrit.

Maurevel laissa échapper un soupir de désespoir.

Vous rappoliez votre père, je crois, continua impitoyablLMiient le roi, et un(! leiidre amilié vous liait au jeune do Mouy son fils?

Maurevel. toujours à genoux, se courbait de plus on plus écrasé sous la parole do Charles IX debout, impassible et pareil à une statue dont les lèvres seules eussent été doui'os île vio.

A propos, continua le roi, n'ctait-co pas dix

LA REINE MARGOT.

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mille écus que vous deviez toucher de M. de Guise au cas vous tueriez l'amiral ?

L'assassin, consterné, frappait le parquet de son front.

Quant au sieur de Mouy, votre bon père, un Jour vous l'escortiez dans une reconnaissance qu'il poussait vers Chevreux. Il laissa tomber son fouet et mit pied à terre pour le ramasser. Vous étiez seul avec lui, alors vous prîtes un pistolet dans vos fontes, et, tandis qu'il se penchait, vous lui brisâ- tes les reins; puis, le voyant mort, car vous le tuâ- tes du coup, vous prîtes la fuite sur le cheval qu'il vous avait donné. Voilà l'histoire, je crois?

Et, comme Maurevel demeurait muet sous cette accusation, dont chaque détail était vrai, Charles IX se remit à siffler avec la même justesse et la même mélodie le même air de chasse.

Or çà ! maître assassin, dit-il au bout d'un in- stant, savez-vous que j'ai grande envie de vous faire pendre?

0 Majesté! s'écria Maurevel.

Le jeune de Mouy m'en suppliait encore hier, et en vérité je ne savais que lui répondre, car sa demande est fort juste.

Maurevel joignit les mams.

D'autant plus juste, que, comme vous le di- siez, je suis le père de mon peuple, et que, comme je vous répondais, maintenant que me voilà raccom- modé avec les huguenots, ils sont tout aussi bien mes enfants que les catholiques.

Sire, dit Maurevel complètement découragé, ma vie est entre vos mains, faites-en ce que vous voudrez.

Vous avez raison, et je n'en donnerais pas une obole.

Mais, sire, demanda l'assassin, n'y a-t-il donc pas un moyen de racheter mon crime?

Je n'en connais guère. Toutefois, si j'étais à votre place, ce qui n'est pas, Dieu merci !..

Eh bien ! sire, si vous étiez à ma place, mur- mura Maurevel, ]e regard suspendu aux lèvres de Charles...

Je crois que je me tirerais d'affaire, continua le roi.

Maurevel se releva sur un genou et sur une main en fixant ses yeux sur Charles pour s'assurer qu'il ne raillait pas.

J'aime beaucoup le jeune de Mouy sans doute, continua le roi , mais j'aime beaucoup aussi mon cousin de Guise; et, si lui me demandait la vie d'un homme dont l'autre me demanderait la mort, j'a- voue que je serais fort embarrassé. Cependant, en bonne politique comme en bonne religion, je devrais faire ce que me demanderait mon cousin de Guise, car de Mouy, tout vaillant capitaine qu'il est, est bien petit compagnon, comparé à un prince de Lor- raine.

Pendant ces paroles, Maurevel se redressait len-

tement et comme un homme qui revient à la vie.

Or, l'important pour vous serait donc, dans la situation extrême vous êtes, de gagner la fa- veur de mon cousin de Guise ; et, à ce propos, je me rappelle une chose qu'il me contait hier.

Maurevel se rapprocha d'un pas.

Figurez-vous, sire, me disait-il, que tous les matins, à dix heures, passe dans la rue Saint-Ger- main-r.\uxerrois, revenant du Louvre, mon en- nemi mortel; je le vois d'une fenêtre grillée du rez-de-chaussée ; c'est la fenêtre du logis de mon ancien précepteur, le chanoine Pierre Piles. Je vois donc passer tous les jours mon ennemi, et tous les jours je prie le diable de l'abîmer dans les entrail- les de la terre. Dites donc, maître Maurevel, conti- nua Charles, si vous étiez le diable, ou si du moins pour un instant vous preniez sa place, cela ferait peut-être plaisir à mon cousin de Guise?

Maurevel retrouva son infernal sourire, et ses lè- vres, pâles encore d'effroi, laissèrent tomber ces mots :

Mais, sire, je n'ai pas le pouvoir d'ouvrir la terre, moi.

Vous l'avez ouverte, cependant, s'il m'en sou- vient bien, au brave de Mouy. Après cela, vous me direz que c'est avec un pistolet... Ne l'avez-vous plus, ce pistolet?...

Pardonnez, sire, reprit le brigand à peu prés rassuré, mais je tire mieux encore l'arquebuse que le pistolet.

Oh ! fit Charles IX, pistolet ou arquebuse, peu importe, et mon cousin de Guise, j'en suis sûr, ne chicanera pas sur le choix du moyen !

Mais, dit Maurevel, il me faudrait une arme sur la justesse de laquelle je pusse compter, car peut-être me faudra-t-il tirer de loin.

J'ai dix arquebuses dans cette chambre, reprit Charles IX, avec lesquelles je touche un écu d'or à cent cinquante pas; voulez-vous en essayer une?

Oh! sire! avec la plus grande joie, s'écria Maurevel en s' avançant vers celle qui était déposée dans un coin, et qu'on avait apportée le jour même à Charles IX.

Non, pas celle-là, dit le roi, pas celle-là, je la réserve pour moi-même. J'aurai un de ces jours une grande chasse, j'espère qu'elle me servira. Mais toute autre à votre choix.

Maurevel détacha une arquebuse d'un trophée.

Maintenant, cet ennemi, sire, quel est-il? de- manda l'assassin.

Est-ce que je sais cela, moi? répondit Char- les IX en écrasant le misérable de son regard dé- daigneux.

Je le demanderai donc à M. de Guise, balbu- tia Maurevel.

Le roi 'haussa les épaules.

Ne demandez rien, dit-il, M. de Guise ne ré- pondrait pas. Est-ce qu'on répond à ces choses-là?

20

LA REINE MARGOT-.

C'est à ceux qui ne veulent pas être pendus à de- viner.

Mais enfin à quoi le roconnaîtrai-jc'î

Je vous ai dit que tous les matins à dix heu- res il passait devant la fenêtre du chanoine.

Mais beaucoup passent devant cette fenêtre. Que Votre Majesté daigne seulement m'indiquer un signe quelconque.

Oh '. c'est bien facile. Demain, par exemple, il tiendra sous son bras un portefeuille de maroquin rouge.

Sire, il suffit.

Vous avez toujours ce cheval que vous a donné M. de Uoay, et qui court si bien?

Sire, j'ai un barbe des plus vites.

Oh! je ne suis pas efl peine de vous! seule-

ment il est bon que vous sachiez que le cloître a une porte de derrière.

Merci, sire. Maintenant priez Dieu pour moi.

Eh ! mille démons I priez le diable bien plutôt; car ce n'est que par sa protection que vous pouvez éviter la corde.

Adieu, sire.

Adieu. Ah ! à propos, monsieur de Maure- vel, vous savez que si d'une façon quelconque on entend parler de vous demain avant dix heures du matin, ou si l'on n'en entend pas parler après, il y a une oubliette au Louvre.

Et Charles IX se remit à siffier tranquillement et [dus juste que jamais son air favori.

IV

LA SI-lllU;ii Di: -ii AdI ï lô'

C^^i^^!^^

^i^

, otre lecteur n'a pas oublié jo que dans le chapitre précé- * , (lent il a été question d'un -, çcntilbonime nommé delà Mole, allondu avec quelque impatience parlIenrideNa- •^ varre. Ce jeune gentilhom- me, comme l'avait annonce lamiral, entrait;'! Pans par la porte Saint-Marcrl vers la fin de la journée du 2i août 1572, et, jetant un re- gard assez dédaigneux sur les nombreuses hôtelleries qui étalaient à sa droite et à sa gauche leurs pittores- f[ues enseignes, laissa pénétrer son cheval tout fumant jusqu'au cœur de la ville, où, apré.s avoir traversé la place Maubert, le Petit-Pont, le pont Notre-Dame, et longé les quais, il s'arrêta au bout de la rue de Bresec, dont nous avons fait depuis la rue de l'Ar- bre-Sec, et ;i laiinclle, pour la ]p1us grande facilité de nos lecteurs, nous conserverons son iioni ino- dcrnc.

Le nom lui plut sans iloiitc, car il y entra, et comme à sa gaurlie une magnifique pla(pio d<^ tôle grinçant sur sa Inng^e, avec acccmipngnoiiient de sonnettes, appelait son attention, il fil une ,s('condo halle pour lire ces mois : A In IklIc-ICloilc, ('rrits en b'genile .sous une peintun' qui représentait le si- mulacre le plus fiatleur pour un voyageur affamé :

c'était une volaille rôtissant au milieu d'un ciel noir, tandis qu'un homme à manteau rouge tendait vers cet astre d'une nouvelle espèce ses bras, sa bourse et ses vœux.

Voilà, se dit le gentilhomme, une auberge qui s'annonce bien, et l'hôte qui la tient doit être, sur mon âme, un ingénieux compère. J'ai toujours en- tendu dire que la rue de l'Arbre-Sec était dans le quartier (lu Louvre; et, pour peu que l'établissement réponde à l'enseigne, je serai à merveille ici.

Pendant que le nouveau venu se débitait à lui- mCmc ce monologue, un autre cavalier, entre par l'autre bout de la rue, c'est-à-dire par la rue Saint- Ilonon', s'arrê'tait et demeurait aussi en exla.se de- vant l'enseigne de la Bcllc-lùollc.

Celui des deux ([ue nous connaissons, de nom du moins, montait un cheval blanc do race espa- gnole, et ('tail vêtu d'un pourpoint noir garni de jais. Son manteau élail do velours violet fonce : il portail des boites de cuir noir, une cpée à poignée de fer ciselé, et un poignard pareil. Mainicnant, si nous passons de S(Ui costume à son visage, nous di- r(ms que c'('tail nn liomnie de vingt-quatre à vingl- cin(| ans, au teint ba.sane, aux yeux bleus, à la fine moustache, aux dents ('clalanles, qui semblaient l'claircr sa figure lorsque .s'ouvrait, pour .souriro d'un sourire doux cl mélanr(di(jue, une bouche

LA REINE MARGOT.

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d'une forme exquise et de la plus parfaite distinc- tion.

Quant au second voyageur, il formait avec le premier venu un contraste complet. Sous son cha- peau à bords retroussés apparaissaient, riches et crépus, des cheveux plutôt roux que blonds. Sous ses cheveux, un œil gris brillait à la moindre con- trariété d'un feu si resplendissant, qu'on eût dit alors un œil noir. Le reste du visage se composait d'un teint rosé, d'une lèvre mince, surmontée d'une moustache fauve, et de dents admirables. C'était en somme, avec sa peau blanche, sa haute taille et ses larges épaules, un fort beau cavalier dans l'accep- tion ordinaire du mot, et, depuis une heure qu'il levait le nez vers toutes les fenêtres, sous le pré- texte d'y chercher des enseignes, les femmes l'a- vaient fort regardé ; quant aux hommes, qui avaient peut-être éprouvé quelque envie de rire en voyant son manteau étriqué, ses chausses collantes et ses bottes d'une forme antique, ils avaient achevé ce rire commencé par un Dieu vous, (jardc! des plus gracieux, à' l'examen de cette physionomie qui pre- nait en une minute dix expressions différentes, sauf toutefois l'expression bienveillante qui caractérise toujours la figure du provincial embarrassé.

Ce fut lui qui s-'adressa le premier à l'autre gen- tilhomme, qui, ainsi que nous l'avons dit, regardait riiôtellerie de la Belle-Étoile.

Mordi, monsieur, dit-il avec cet horrible ac- cent de la montagne qui ferait au premier mot re- connaître un Piémontais entre cent étrangers, ne sommes-nous pas ici près du Louvre? En tout cas, je crois que vous avez eu même goût que moi : c'est flatteur pour ma seigneurie.

Monsieur, répondit l'autre avec un accent pro- vençal qui ne le cédait en rien à l'accent piémon- tais de son compagnon, je crois en effet que cette hôtellerie est près du Louvre. Cependant, je me demande encore si j'aurai l'honneur d'avoir été de votre avis. Je me consulte.

Vous n'êtes pas décidé, monsieur? la maison est flatteuse, pourtant. Après cela, peut-être me suis-je laissé tenter par votre présence. Avouez néan- moins que voilà une jolie peinture?

Oh! sans doute; mais c'est justement ce qui me fait douter de la réalité : Paris est plein de pi- peurs, m'a-t-on dit, et l'on pipe avec une enseigne aussi bien qu'avec autre chose.

Mordi, monsieur, reprit le Piémontais, je ne m'inquiète pas de la piperie, moi, et, si l'hôte me fournit une volaille moins bien rôtie que celle de son enseigne, je le mets à la broche lui-même et je ne le quitte pas qu'il ne soit convenablement ris- solé. Entrons, monsieur.

Vous achevez de me décider, dit le Provençal en riant, montrez-moi donc le chemin, monsieur, je vous prie.

Oh! monsieur, sur mon âme,' je n'en ferai

rien, car je ne suis que votre humble serviteur, le comte Annibal de Coconas.

Et moi, monsieur, je ne suis que le comte Jo- seph-Hyacinthe-Boniface de Lerac de la Mole, tout à votre service.

En ce cas, monsieur, prenons-nous par le bras et entrons ensemble.

Le résultat de cette proposition conciliatrice fut que les deux jeunes gens, qui descendirent de leurs chevaux, en jetèrent la bride aux mains d'un pale- frenier, se prirent par le bras et, ajustant leurs épées, se dirigèrent vers la porte de l'hôtellerie, sur le seuil de laquelle se tenait l'hôte. Mais, contre l'habitude de ces sortes de gens, le digne proprié- taire n'avait paru faire aucune attention à eux, oc- cupé qu'il était de conférer très-attentivement avec un grand gaillard sec et jaune enfoui dans un man- teau couleur d'amadou, comme un hibou sous ses plumes.

.Les deux gentilshommes étaient arrivés si près de l'hôte et de l'homme au manteau amadou avec lequel il causait, que Coconas, impatienté de ce peu d'importance qu'on accordait à lui et à son compa- gnon, tira la manche de l'hôte. Celui-ci parut alors se réveiller en sursaut, et congédia son interlocu- teur par un au revoir. Venez tantôt, et sur- tout tenez-moi au courant de l'heure.

Eh! monsieur le drôle! dit Coconas, ne voyez- vous pas que l'on a affaire ti vous?

Ah! pardon, messieurs, dit l'hôte, je ne vous voyais pas.

Eh! mordi, il fallait nous voir; et, maintenant que vous nous avez vus, au lieu de dire monsieur tout court, dites monsieur le comte, s'il vous plaît.

La Mole se tenait derrière, laissant parler Coco- nas, qui paraissait avoir pris l'affaire à son compte. Cependant fl était facile de voir à ses sourcils fron- cés qu'il était prêt à lui venir en aide quand le moment d'agir serait arrivé.

Eh bien! que désirez-vous, monsieur le comté: demanda l'hôte du ton le plus calme.

Bien... c'est déjà mieux, n'est-ce pas? dit Co- conas en se retournant vers la Mole, qui fit de la tête un signe affirmatif. Nous désirons, M. le comte et moi, attirés que nous sommes par votre enseigne, trouver à souper et à coucher dans votre hôtellerie.

Messieurs, dit l'hôte, je suis au désespoir, mais il n'y a qu'une chambre, et je crains que cela ne puisse vous convenir.

Eh bien! ma foi, tant mieux! dit la Mole, nous irons loger ailleurs.

Ah!- mais non, mais non, dit Coconas. Je de- meure, moi, mon cheval est harassé. Je prends donc la chambre, puisque vous n'en voulez pas.

Ah ! ceci est autre chose, répondit l'hôte, con- servant toujours le même flegme impertinent. Si

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LA REINE MARGOT.

voiis n'êtes qu'un, je ne puis pas vous loger du tout.

Mordi! s'écria Coconas, voici, sur ma foi, un plaisant animal ; tout à l'heure nous étions trop de deux, maintenant nous ne sommes pas assez d'un ! Tu ne veux donc pas nous loger, drôle?

Ma foi, messieurs, puisque vous le prenez sur ce ton, je vous répondrai avec franchise.

Réponds alors, mais réponds vite.

Eh bien ! j'aime mieux ne pas avoir l'honneur de vous loger.

Parce que? demanda Coconas, blêmissant de colère.

Parce que vous n'avez pas do laquais, et que, pour une chambre de maître pleine, cela me ferait deux chambres de laquais vides. Or, si je vous donne la chambre de maître, je risque fort de ne pas louer les autres.

Monsieur de la Mole, dit Coconas en se re- tournant, ne vous semble-t-il pas, comme à moi, que nous allons massacrer ce gaillard-là?

Mais c'est faisable, dit la Mole en se préparant, comme son compagnon, à rouer l'iiôtelier de coups de fouet.

Mais, malgré cette double démonstration, qui n'avait rien de bien rassurant de la part de deux gentilshommes qui paraissaient si déterminés, Thô- telier ne s'étonna point, et se contentant de reculer d'un pas, afin d'être chez lui :

On voit, dit-il en goguenardant, que ces mes- sieurs arrivent de province. A Paris, la mode est passée de massacrer les aubergistes qui refusent de louer leurs chambres. Ce sont les grands seigneurs qu'on massacre et non les bourgeois ; et, si vous criez trop fort, je vais appeler mes voisins, de sorte que ce sera vous qui serez roués de coups, traite- ment tout à fait indigne de deux gentilshommes.

Mais il se moque de nous, s'écria Coconas exaspéré ; mordi !

Grégoire, mon arquebuse, dit l'Iiôte en s'a- dressant à son valet, du môme ton qu'il eût dit : Un siège à ces messieurs.

Trippe del papa 1 hurla Coconas en tirant son épéc; mais échauffez-vous donc, monsieur de la Mole.

Non pas, s'il vous plaît, non pas, car, tandis que nous nous échaufferons, le souper refroidira, lui.

Comment, vous trouvez?... s'écria Coconas.

.le trouve que M. de la ni^lie-I'ltoiic a rai- son, seulement il sait mal prendre ses voyageurs, surtout (|unn(l ces voyageurs .sont dos gcnliisliom- mes. Au lieu de nous dire bnilaliMiioiU: Jili'^si(\iirs. jo no veux pus de vous, il aurait mieux fait do nous dire avec politcs^so . Entrez, messieurs, quitte à mettre sur .son inr'moire ; climnbrr. <lr mnitrr, tant; citainbrcdc la(itiah, tant; altciidu (|uc', si nous n'avons pas do laquais, nous comptons en prendre.

Et, ce disant, la Mole écarta doucement l'hôtelier, qui étendait déjà la main vers son arquebuse, fit passer Coconas et entra derrière lui dans la mai- son.

N'importe, dit Coconas, j'ai bien de la peine à remettre mon épée dans le fourreau avant de m'ê- tre assuré qu'elle pique aussi bien que les lardoi- res de ce gaillard-là.

Patience ! mon cher compagnon, dit la Mole, patience ! Toutes les auberges sont pleines de gen- tilshommes attirés à Paris pour les fêtes du mariage ou pour la guerre prochaine de Flandre, nous ne trouverions plus d'autre logis ; et puis, c'est peut- être la coutume à Pans de recevoir ainsi les étran- gers qui y arrivent.

^ Mordi ! comme vous êtes patient ! murmura Co- conas en tortillant de rage sa moustache rouge et en foudroyant l'hôte de ses regards. Mais que le coquin prenne garde à lui, si sa cuisine est mauvaise, si son lit est dur, si son vin n'a pas trois ans de bou- teille, si son valet n'est pas souple comme un jonc...

Là, là, là, mon gentilhomme, fit l'hôte en ai- guisant sur un repassoir le couteau de sa ceinture; là, tranquillisez-vous, vous êtes en pays de Co- cagne.

Puis tout bas et en secouant la tête :

C'est quelque huguenot, murmura-t-il ; les traîtres sont si insolents depuis le mariage de leur Béarnais avec mademoiselle Margot! Puis, avec un sourire qui eût fait frissonner ses hôtes s'ils l'avaient vu, il ajouta :

Eh! eh! ce cerait drôle qu'il me fût juste- ment tombé des huguenots ici... et que...

Çà ! souperons-nous? demanda aigrement Co- conas interrompant les aparté de son hôte.

Mais, comme il vous plaira, monsieur, répon- dit celui-ci, radouci sans doute par la dernière pensée qui lui était venue.

Eh bien ! il nous plaît, et promptement, ré- pondit Coconas.

Puis se retournant vers la Mole :

Çà, monsieur le comte, dit-il, tandis que l'on nous prépare notre chambre, dites-moi : est-ce que par hasard vous avez trouvé Paris une ville gaie, vous?

Ma foi non, dit la Mole; il me semble n'y avoir vu encore que des visages effarouchés ou ré- barbatifs. Peut-être aus^si les Parisiens ont-ils peur do l'orage. Voyez connue le ciel est noir et comme l'air est lourd.

Dites-mot, comte, vous ( IhtcIm'/. le Iiiuvri', n'est-ce pas?

Et vous aussi, je crois, monsieur de Corunas?

Lh bien ! si vous voulez, nous lo rlierclieron.1 ensemble.

Hein ! lit la Mole, n'esl-il pas un peu tord pour sortir? .

—Tard ou non, il faut que je sorte. Mes ordre»

LA REINE MARGOT.

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sont précis. Arriver au plus vite à Paris, et, aussitôt arrivé, communiquer avec le duc de Guise. A ce nom du duc de Guise, l'iiùte s'approcha fort attentif.

Il me semble que ce maraud nous écoute, dit Coconas, qui, en sa qualité de Piémontais, était fort rancunier, et qui ne pouvait passer au maître de la Belle-Étoile la façon peu civile dont il recevait ses voyageurs.

Oui, messieurs, je vous écoute, dit celui-ci en mettant la main à son bonnet, mais pour vous servir. J'entends parler du grand duc de Guise, et j'accours. A quoi puis-je vous être bon, mes gen- tilshommes?

Ah ! ah ! ce nom est magique, à ce qu'il pa- raît, car d'insolent te voilà devenu obséquieux. Mordi, maître, maître... comment t'appelles-tu?

Maître la Hurière, répondit l'hôte en s'incli- nant.

Eh bien ! maître la Hurière, crois-tu que mon bras soit moins lourd que celui de M. le duc de Guise, qui a le privilège de te rendre si poli?

^ Non, monsieur le comte, mais il est moins long, répliqua la Hurière. D'ailleurs, ajouta-t-il, il faut vous dire que ce grand Henri est notre idole, à nous autres Parisiens.

Quel Henri? demanda la Mole.

Il me semble qu'il n'y en a qu'un, dit l'au- bergiste.

Pardon, mon ami, il en a encore un autre dont je vous invite à ne pas dire de mal ; c'est Henri de Navarre, sans compter Honri de Condé, qui a bien aussi son mérite.

Ceux-là, je ne les connais pas, répondit l'hôte.

Oui, mais, moi, je les connais, dit la Mole, et, comme je suis adressé au roi Henri de Navarre, je vous invite à n'en pas médire devant moi.

. L'hôte, sans répondre à M. de la Mole, se con- tenta de toucher légèrement à son bonnet, et, con- tinuant de faire les doux yeux à Coconas :

Ainsi, monsieur va parler au grand duc de Guise? monsieur est un gentilhomme bien heu- reux; et sans doute qu'il vient pour?...

Pour quoi? demanda Coconas.

Pour la fête, répondit l'hôte avec un singulier sourire.

Vous devriez dire pour les fêtes ; car Paris en regorge, de fêtes, à ce que j'ai entendu dire : du moins on ne parle que de bak, de festins, de car- rousels. Ne s'amuse-t-on pas beaucoup à Paris, hein?

Mais modérément, monsieur jusqu'à présent, du moins, répondit l'hôte ; mais on va s'amuser, je l'espère.

Les noces de Sa Majesté le roi de Navarre at- tirent cependant beaucoup de monde en cette ville, dit la Mole.

Beaucoup de huguenots, oui, monsieur, ré-

pondit brusquement la Hurière ; puis, se reprenant : Ah! pardon, dit-il, ces messieurs sont peut-être de la religion?

Moi, de la religion! s'écria Coconas, allons donc ! je suis catholique comme notre Saint-Père le pape.

La Hurière se retourna vers la Mole comme pour l'interroger; mais ou la Mole ne comprit pas son regard, ou il ne jugea point à propos d'y répondre autrement que par une autre question.

Si vous ne connaissez point Sa Majesté le roi de Navarre, maître la Hurière, dit-il,, peut-être connaissez-vous M. l'amiral. J'ai entendu dire que M. l'amiral jouissait de quelque faveur à la cour ; et, comme je lui étais recommandé, je désirerais, si son adresse ne vous écorche pas la bouche, savoir il loge.

// logeait rue de Béthisy, monsieur, ici à droite, répondit l'hôte avec une satisfaction inté- rieure qui ne put s'empêcher de devenir extérieure.

Comment, il logeait? demanda la Mole ; est- il donc déménagé ?

Oui, de ce monde peut-être.

Qu'est-ce à dire'^ s'écrièrent ensemble les deux gentilshommes, l'amiral déménagé de ce monde !

Quoi! monsieur de Coconas, poursuivit l'hôte avec un malin sourire, vous êtes de ceux de Guise, et vous ignorez cela !

Quoi, cela?

Qu'avant hier, en passant sur la place Saint- Germain-l'Auxerrois, devant la maism du chanoine Pierre Piles, l'amiral a reçu un coup d'arquebuse.

Et il est tué? s'écria la Mole.

Non, le coup lui a seulement cassé le bras et coupé deux doigts, mais on espère que les balles étaient empoisonnées.

Comment ! misérable, s'écria la Mole', on es- père!...

Je veux dire qu'on croit, reprit l'hôte. Ne nous fâchons pas pour un mot : la langue m'a fourché.

Et maître la Hurière , tournant le dos à la Mole, tira la langue à Coconas de la façon la plus go- guenarde, accompagnant ce geste d'un coup d'œil d'intelligence,

En vérité! dit Coconas rayonnant.

En vérité! murmura la Mole avec une stupé- faction douloureuse.

C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, messieurs, répondit l'hôte.

En ce cas, dit la Mole, je vais au Louvre sans perdre un moment. Y trouverai-je le roi Henri?

C'est possible, puisqu'il y loge.

Et moi aussi je vais au Louvre, dit Coconas. Y trouverai-je le duc de Guise?

C'est probable, car je viens de le voir passer il n'y a qu'un instant avec deux cents gentilshom- mes.

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LA REINE MARGOT.

Alors venez, monsieur deCoeonas, dit la Mole.

Je vous suis, monsieur, dit Coconas.

Mais votre souper, mes gentilshommes, de- manda maître la liurière.

Ah ! dit la Mole, je souperai peut-être chez le roi de Navarre.

Et moi chez le duc de Guise, dit Coconas.

Et moi, dit rhôte, après avoir suivi des yeux les deux gentilshommes qui prenaient le chemin du Louvre, moi, je vais fourbir ma salade, emmé- cher mon arquebuse et affiler ma pertuisane. On ne sait pas ce qui peut arriver.

nu LOUVRF, KN PARTICI'LIEU ET DE LA VERTU EN GENERAL.

es deux gentilshommes , renseignes par la première personne qu'ils rencontrè- rent, prirent la rue d'Ave- ron, la rue Sainl-Germain- l'Auxerrois, et se trouvè- rent bientôt devant le Lou- vre, dont les tours com- mençaient à se confondre dans les premières ombres

du soir.

Qu'avez-vous donc'.' demanda Coconas à la Mole, qui, arrête à la vue du vieux château, regar- dait avec un certain respect ces ponts-levis, ces fe- nêtres étroites et ces clochetons aigus qui se pri'- sentaient tout à coup à ses yeux.

Ma foi, je n'en sais rien, dit la Mole, le cœur me bat. Je ne suis cependant pas timide outre me- sure; mais je ne sais pourquoi ce palais me paraît sombre, et. dirai-je, terrible.

Eh bien! moi, dit Coconas, je ne sais ce qui m'arrive, mais je suis d'une allégresse rare. La te- nue est pourtant (luelque peu négligée, conlinua-t-il en parcourant des yeux son costume de voyage. Mais, bah! l'on a l'air cavalier. Puis mes ordres me recommandaient la promptitude. Je serai donc le bienvenu, puisque j'aurai ponetu('ll(îment ohi'i.

Et les deux jeunes gens continuèrent leur che- min, agités chacun des sentiments qu'ils avaient ex-

jiriinés.

Il v avait bonne garde au Louvre; tous les postes semblaient doubb's. Nos deux voyageurs furent donc d'abord assez embarrassés. Mais Coconas, qui avait remarqué que le nom du duc de Guise était une espèce de talisman près des j'arisiens, s'appro- cha d'une sentinelle, et, se réclamant de r(^ nom tout-puis.sanl, demanda si, grftcc à lui, il ne pour- rait point pénétrer dans le I,nuvrc.

Ce nom paraissait faire sur le soldai son effet or-

dinaire; cependant il demanda à Coconas s'il n'a- vait point le mot d'ordre.

Coconas fut force d'avouer qu'il ne l'avait point.

Alors, au large, mon gentilhomme! dit le soldat.

En ce moment, un homme qui causait avec l'of- ficier du poste, et qui tout en causant avait entendu Coconas réclamer son admission au Louvre, inter- rompit son entretien, et venant à lui :

Goi fouloir, fous, à monsir di G mise? dit-il.

Moi vouloir lui parler, répondit Coconas en souriant.

Imbossible! le dugue il être chez le roi.

Cependant j'ai une lettre d'avis pour me ren- dre à Paris.

Ah ! fou afre eine lettre d'afis?

Oui, et j'arrive de fort loin.

Ah! fous arrife de fort loin?

J'arrive du Piémont.

Pien ! pien ! C'est autre chose. Et fous fous abbellez?

Le comte Annibal de Coconas.

Pon! pon! Tonnez la lettre, monsir Annipal, tonnez.

Voici, sur ma parole, un bien galant homme, dit de la Mole siî parlant à lui-même; ne pourrai-jo point trouver le pareil pour me conduire chez le roi de Navarref

Mais tonnez donc la lettre, continua le gen- tilhomme allemand en étendant la main vers Coco- nas qui liésitait.

Mordi! rejirit le Piëniontais défiant comme un demi-Italien, je ne .sais si je dois... Jo n'ai pas riioniioiir de vous connaître, moi, mnn.sieur.

Je SUIS Pcsmc, j'abbarliens à M. le duc de Gouise.

Pesme. murmura Coconas; je ne connais pas ce nom-là.

I.A SEiNE MARGOT,

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iï!>'iit-iT";;ï^,V.-'|.

Mais tonnez donc la leUrc. continua le gentilhomme allemand en étendant la niam vers Coconas qui

hésitait. Page 24.

C'est monsieur de Besme, mon gentilhomme, dit la sentinelle. La prononciation vous trompe, voilà tout. Donnez votre lettre à monsieur, allez, j'en réponds.

Ah ! monsieur de Besme, s'écria Coconas, je le crois bien, si je vous connais!., comment donc! avec le plus grand plaisir. Voici ma lettre. Excusez mon hésitation. Mais on doit hésiter quand on veut être fidèle.

Pien, pien, dit de Besme, il n'y avre bas pe- soin d'exgusc.

Ma foi, monsieur, di^la Mole en s'approchant

à Sun tour, puisque vous êtes si obligeant, voudriez- vous vous charger de ma lettre comme vous venez de faire de celle de mon compagnon? Gomment vous abbellez-vous?

Le comte Lerac de la Mole.

Le gonte Lerag de la Mole?

Oui.

Che ne gonnais bas.

Il est tout simple que je n'aie pas l'honneur d'être connu de vous, monsieur, je suis étranger, et, comme le comte de Coconas, j'arrive ce soir de bien loin.

FarU. Imc, de BRY aîné, toulevarl Uuuiparnaise, U.

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LA REINE MARGOT.

Et t'où arrifez-fous?

De Provence.

Avec eine lettre?

Oui, avec une lettre.

Pour monsir de Gouize'!

Non, pour Sa Majesté le roi de Navarre.

Che ne souis bas au roi Je Navarre, monsir, répondit de Besme avec un froid subit, che ne puis donc pas me charger de votre lettre.

Et Besme, tournant les talons à la Mole, entra dans le Louvre en faisant signe à Coconas de le suivre.

La Mole demeura seul.

Au même moment, par la porte du Louvre pa- rallèle à celle qui avait donné passage à Besme et à Coconas sortit une troupe de cavaliers d'une cen- taine d'hommes.

Ah ! ah ! dit la sentinelle à son camarade , c'est de Mouy et ses huguenots; ils sont rayon- nants. Le roi leur aura promis la mort de l'assas- sin de l'amiral ; et, comme c'est déjà lui qui a tué le père de Mouy, le fils fera d'une pierre deux coups.

Pardon, fit la Mole s'adressent au soldat, mais n'avez-vous pas dit, mon brave, que cet officier était M. de Mouy?

Oui-da, mon gentilhomme.

Et que ceux qui l'accompagnaient étaient...

Étaient des parpaillots. Je l'ai dit.

Merci, dit la Mole, sans paraître remarquer le terme de mépris employé par la sentinelle. Voilà tout ce que je voulais savoir.

Et se dirigeant aussitôt vers le chef des cava- liers :

Monsieur, dit-il en l'abordant, j'apprends que vous êtes M. de Mouy.

Oui, monsieur, répondit l'officier avec poli- tesse.

Votre nom, bien connu parmi ceux de la re- ligion, m'enhardit à m'adresser à vous, monsieur, pour vous demander un service.

Lequel, monsieur? Mais, d'abord, à qui ai-je l'honneur de parler?

Au comte I^erac de la Mole. Les deux jeunes gens se .saluèrent.

Je vous écoute, monsieur, dit de Mouy.

Monsieur, j'arrive, d'Aix, porteur d'une lettre de monsieur d'Auriac, gouverneur de la Provence. Cette lettre est adressée au roi de Navarre et con- tient dos nouvelles importantes et pressées. Com- ment puis-je lui roinetlro cette lettre? Comment puis-je entrer au Louvre?

nien di' plus facile que d'entrer au Louvre, monsieur, n'pliijun de Mouy; sciilruKint, je crains que le roi de Navarre ne soil trop orcu(ic> à celte heure pour vous recevoir. Mais n'importe, si vous voulez me .suivre, je vous conduirai ju.sfiu'à son ap- partement. Le reste vous regarde.

Mille fois merci 1

Venez, monsieur, dit de Mouy.

De Mouy descendit de cheval, jeta la bride aux mains de son laquais, s'achemina vers le guichet, se fit reconnaître de la sentinelle, introduisit la Mole dans le château, et, ouvrant la porte de l'ap- partement du roi :

Entrez, monsieur, dit-il, et informez-vous. Et, saluant la Mole, il se retira.

La Mole, demeuré seul, regarda autour de lui. L'antichambre était vide, une des portes intérieu- res était ouverte. 11 fit quelques pas, et se trouva dans un couloir.

Il frappa et appela sans que personne répondît. Le plus profond silence régnait dans cette partie du Louvre.

Qui donc me parlait, penaa-t-il, de cette éti- quette si sévère ? On va et on vient dans ce palais comme sur une place publique.

Et il appela encore, mais sans obtenir un meil- leur résultat que la première fois.

Allons, marchons devant nous, pensa-t-il ; il faudra bien que je finisse par rencontrer quel- qu'un.

Et il s'engagea dans le couloir, qui allait tou- jours s'assomhrissant.

Tout à coup la porte opposée à celle par laquelle il était entré s'ouvrit, et deux pages parurent, por- tant des flambeaux et éclairant une femme d'une taille imposante, d'un maintien majestueux, et sur- tout d'une admirable beauté.

La lumière porta en plein sur la Mole, qui de- meura immobile.*

La femme s'arrêta, de son côté, comme la Mole s'était arrêté du sien.

Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-ellc au jeune homme d'une voix qui bruit à ses oreilles comme une musique délicieuse.

Oh ! madame, dit la Mole en baissant les yeux, excusez-moi , je vous prie. Je quitte M. de Mouy qui a eu l'obligeance de me conduire jus- qu'ici, et je chcrciiais le roi de Navarre.

Sa Majesté n'est point ici, monsieur; elle est, je crois, chez son beau-frère. Mais, en son absence, ne ponrriez-vous dire à la reine?...

Oui, sans doute, madame, reprit la Mole, si quoiqu'un daignait me conduire devant elle.

Vous y êtes, monsieur.

Comment! s"('cria la Mole.

Je suis la reine de Navarre, dit Marguerite. La Mole fit un mouvement tellement briisi]ue de

stupeur et d'offioi, que la reine sourit.

Parlez vite, monsieur, dit-elle, car on m'at- tend chez la rcinc mère.

Oh ! madame, si vous êtes si instamment al- lendiie , permettez-moi de m'élnigner. car il me serait impossible de vnu^ parler en ro moment. Je

LA REINE MARGOT.

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suis incapable de rassembler deux idées ; votre vue m'a ébloui. Je ne pense plus, j'admire.

Marguerite s'avança pleine de grâce et de beauté vers ce jeune homme, qui, sans le savoir, venait d'agir en courtisan raffiné.

Remettez-vous, monsieur, dit-elle. J'atten- drai et l'on m'attendra.

Oh ! pardonnez-moi, madame, si je n'ai point salué d'abord Votre Majesté avec tout le respect qu'elle a le droit d'attendre d'un de ses plus hum- bles serviteurs, mais...

Mais, continua Marguerite, vous m'avez prise pour une de mes femmes.

Non, madame, mais pour l'ombre de la belle Diane de Poitiers. On m'a dit qu'elle revenait au Louvre.

Allons, monsieur, dit Marguerite, je ne m'in- quiète plus de vous, et vous ferez fortune à la cour. Vous aviez une lettre pour le roi, dites-vous? C'é- tait fort inutile. Mais n'importe, est-elle? Je la lui remettrai. Seulement, hâtez-vous, je vous prie.

En un clin d'oeil la Mole écarta les aiguillettes de son pourpoint, et tira de sa poitrine une lettre enfermée dans une enveloppe de soie.

Marguerite prit la lettre et regarda l'écriture.

N'êtes-vous pas M. de la Mole? dit-elle.

Oui, madame. Oh, mon Dieu! aurais-je le bonheur que mon nom fût connu de Votre Majesté?

Je l'ai entendu prononcer par le roi mon mari, et par mon frère le duc d'Alençon. le sais que vous êtes attendu.

Et elle glissa dans son corsage tout roide de bro- deries et de diamants cette lettre qui sortait du pourpoint du jeune homme, et qui était encore tiède de la chaleur de sa poitrine.

La Mole suivait avidement des yeux chaque mou- vement de Marguerite.

Maintenant, monsieur, dit-elle, descendez dans la galerie au-dessous et attendez jusqu'à ce qu'il vienne quelqu'un de la part du roi de Na- varre ou du duc d'Alençon. Un de mes pages va vous conduire.

A ces mots, Marguerite continua son chemin. La Mole se rangea contre la muraille. Mais le pas- sage était si étroit, et le vertugadin de la reine de Navarre si large, que sa robe de soie effleura l'ha- bit du jeune homme, tandis qu'un parfum péné- trant s'épandait oii elle avait passé.

La Mole frissonna par tout son corps, et, sentant qu'il allait tomber, chercha un appui contre le mur.

Marguerite disparut comme une vision.

Venez-vous, monsieur? dit le page chargé de conduire la Mole dans la galerie inférieure.

Oh ! oui , oui , s'écria la Mole enivré , car, comme le jeune homme lui indiquait le chemin par lequel venait de s'éloigner Marguerite, il espérait, en se hâtant, la revoir encore.

En effet, en arrivant au haut de l'escalier, il l'a-

perçut à l'étage inférieur; et, soit hasard, soit que le bruit de ses pas fût arrivé jusqu'à elle, Margue- rite ayant relevé la tète, il put la voir encore une fois.

Oh ! dit-il en suivant le page, ce n'est pas une mortelle, c'est une déesse; et, comme dit Virgilius Maro...

Et vera inccssu patuit dea.

Eh bien? demanda le jeune page.

' Me voici, dit la Mole; pardon, me voici.

Le page précéda la Mole, descendit un étage, ou- vrit une première porte, puis une seconde, et s'ar- rêtant sur le seuil :

Voici l'endroit vous devez attendre, dit-il. La Mole entra dans la galerie, dont la porte se

referma derrière lui.

La galerie était vide, à l'exception d'un gentil- homme qui se promenait, et qui, de son côté, pa- raissait attendre.

Déjà le soir commençait à faire tomber de larges ombres du haut des voûtes„et, quoique les deux hommes fussent à peine à vingt pas l'un de l'autre, ils ne pouvaient distinguer leurs visages. La Mole s'approcha.

Dieu me pardonne 1 murmura-t-il quand il ne fut plus qu'à quelques pas du second gentil- homme, c'est M. le comte de Goconas que je re- trouve ici.

Au bruit de ses pas, le Piémontais s'était déjà retourné, et le regardait avec le même étonnement qu'il en était regardé.

Mordi! s'écria-t-il ; c'est M. de la Mole, ou le diable m'emporte! Ouf! que fais-je donc là! je jure chez le roi; mais, bah! il paraît que le roi jure bien autrement encore que moi, et jusque dans les églises. Eh ! mais, nous voici donc au Louvre?...

Comme vous voyez. M. de Besme vous a in- troduit? 9

Oui. C'est un charmant Allemand que ce M. de Besme... Et vous, qui vous a servi de guide?

M. de Mouy... Je vous disais bien que les hu- guenots n'étaient pas trop mal en cour non plus... Et avez-vous rencontré 51. de Guise?

Non, pas encore... Et vous, avez-vous obtenu votre audience du roi de Navarre?

Non ; mais cela ne peut tarder. On m'a con- duit ici, et l'on m'a dit d'attendre.

Vous verrez qu'il s'agit de quelque grand sou- per, et que nous serons côte à côte au festin. Quel singulier hasard, en vérité! Depuis deux heures le sort nous marie... Mais qu'avez-vous? vous semblez préoccupé....

Moi ! dit vivement la Mole en tressaillant, car, en effet, il demeurait toujours comme ébloui par la vision qui lui était apparue ; non, mais le lieu nous nous trouvons fait naître dans mon esprit une foule de réflexions.

28

LA REINE MARGOT.

Philosophiques, n'est-ce pas? c'est comme à moi. Quand vous êtes entré, justement, toutes les recommandations de mon précepteur me revenaient à l'esprit. Monsieur le comte, connaissez-vous Plu - tarque?

Comment donc ! dit la Mole en souriant, c'est un de mes auteurs favoris.

Eh bien! continua Coconas gravement, ce grand homme ne me paraît pas s'être abusé quand il compare les dons de la nature à des fleurs bril- lantes, mais éphémères, tandis qu'il regarde la vertu comme une plante balsamique d'un impéris- sable parfum et d'une efficacité souveraine pour la guérison des blessures.

Est-ce que vous savez le grec, monsieur de Coconas? dit la Mole en regardant fixement son in- terlocuteur.

Non pas, mais mon précepteur le savait, et il m'a fort recommandé, lorsque je serais à la cour, de discourir sur la vertu. Cela, dit-il, a fort bon air. Aussi, je suis cuirassé sur ce sujet. Je vous en avertis. A propos, avez-vous faim?

Non.

Il me semble cependant que vous teniez à Ja volaille embrochée de la Belle-Etoile? moi, je meurs d'inanition.

Eh bien ! monsieur de Coconas, voici une belle occasion d'utiliser vos arguments sur la vertu, et de prouver votre admiration pour Plutarque, car ce grand écrivain dit quelque part : « Il est bon d'exercer l'âme à la douleur et l'estomac à la faim. Prepon esti tên men psuchên odunê ton gas- téra semo askeïn. »

Ah çà ! vous le savez donc, le grec? s'écria Co- conas stupéfait.

Ma foi oui ! répondit la Mole, mon précepteur me l'a appris, à moi.

Mordi ! comte, votre fortune est assurée en ce cas ; vous ferez des vers avec le roi Charles IX, et vous parlerez grec avec la reine Marguerite.

Sans compter, ajouta la Mole en riant, que je pourrai encore parler gascon avec le roi do Navarre.

En ce moment l'issue do la galerie, qui aboutis- sait chez le roi, s'ouvrit; un pas retentit, on vit dans l'obscurité une ombre s'approcher. Cette om- bre devint un corps. Ce eorps était celui de M. de Besmo.

11 regarda les deux jeunes gens sous le nez alin de reconnaître le sien, et fit signe à Coconas de lo suivre.

Coconas salua de la main la Mole.

De Besme conduisit Coconas à l'cxlrémité do la galerie, ouvrit uik; porte et se trouva avec lui sur la première marche de l'escalier.

Arriv() là, il s'arn'l.i. cl, regardant tout .nilour ilo lui, puis en haut, [mis l'n lias :

Monsir do Gogonas, dit-il, temeurcz-fous?

A l'auberge de la Belle-Etoile, rue de l'Ar- bre-sec.

Pon ! pon ! être à teux bas t'izi. . . Rentez- fous vite à votre hôdel, et ste nuit...

Il regarda de nouveau tout autour de lui.

Eh bien ! cette nuit? demanda Coconas.

Eh pien! ste nuit, refenez izi afec un groix planche à fotre jabeau. Li mot di basse, il sera Gouise. Chut! pouche glose.

Mais à quelle heure dois-je venir? -^ Gand fous ententrez le doguesin.

Comment, le doguesin? demanda Coconas.

Foui, le doguesin : pum! pum!

Ah? le tocsin?

Oui, c'être cela que che lisais.

C'est bieni on y sera, dit Coconas.

Et, saluant de Besme, il s'éloigna en se deman- dant tout bas :

Que diable veut-il donc dire, et à propos de quoi sonnera-t-on le tocsin? N'importe ! je persiste dans mon opinion : c'est un charmant Tédesco que M. de Besme. Si j'attendais le comte de la Mole?... Ah ! ma foi non ; il est probable qu'il soupera avec le roi de Navarre.

Et Coconas se dirigea vers la rue de l'Arbre-Sec, oii l'attirait comme un aimant l'enseigne de la Belle-Etoile.

Pendant ce temps, une porte de la galerie, cor- respondante aux appartements -du roi de Navarre, s'ouvrit, et un page s'avança vers M. de la Mole.

C'est bien vous qui êtes le comte de la Mole? dit-il.

C'est moi-même.

demeurez-vous?

Rue de l'Arbre-see, à la Belle-Etoile.

Bon! c'est à la porte du Louvre. Ecoutez

Sa Majesté vous fait dire qu'elle ne peut vous rece- voir en ce moment; mais peut-être cette nuit vous cnverra-t-ellc chercher. En tous cas, si demain matin vous n'aviez pas reçu de ses nouvelles, ve- nez au Louvre.

Mais si la sentinelle me refuse la porte?

Ah! c'est juste... le mot de passe est Na- varre; dites ce mot, et toutes les portes s'ouvriront devant vous.

Merci.

Attendez, mon gentilhomme; j'ai ordre de vous reconduire jus(]u'au guichet, de crainte que vous ne vous perdiez dans le Louvre.

A propos, et Coconas, se dit la Mole à lui- même quand il se trouva hors du palais. Oh ! il sera resl('' à s)ii|)cr avec le duc de fiuisc.

Mais, en rentrant chez maitn^ la lluriêre, la pre- mière figure qu'aperçut noire gentilhomme fut celle de Coconas, atlahlc (levant une gigantesque ome- lelte au lard.

' Oh ! oh ! s'écria Coconas eu riant aux éclats,

LA REINE MARGOT.

29

il paraît que vous n'avez pas plus dîné chez le roi de Navarre que je n"ai soupe chez M. de Guise.

Ma foi non.

Et la faim vous est-elle venue?

Je crois que oui.

Malgré Plutarque?

Monsieur le comte, dit en riant la Mole, Plu- tarque dit dans un autre endroit : « Qu'il faut que celui qui a partage avec celui qui n'a pas. » Vou- lez-vous, pour l'amour de Plutarque, partager vo- tre omelette avec moi, nous causerons de la vertu en mangeant?

Oh! ma foi non, diliCoconas, c'est bon quand

on est au Louvre, qu'on craint d'être écouté et qu'on a l'estomac vide. Mettez-vous et soupons.-

Allons, je vois que décidément le sort nous fait inséparables. Couchez-vous ici?

Je n'en sais rien. ^ Ni moi non plus.

En tous cas, je sais bien je passerai la nuit, moi.

cela?

vous la passerez vous-même, c'est imman- quable.

Et tous deux se mirent à rire, en faisant de leur mieux honneur à l'omelette de maître la Hurière.

VI

LA DETTE PAYEE.

aintenant, si le lecteur est curieux de savoir pour- quoi M. de la Mole n'avait pas été reçu par le roi de Navarre, pourquoi M. de Coconas n'avait pu voir M. de Guise, et enfin pour- quoi tous deux, au lieu de souper au Louvre avec des faisans, des perdrix et du chevreuil, soupaient à l'hôtel de la Belle-Étoile avec une omelette au lard, il faut qu'il ait la com- plaisance de rentrer avec nous au vieux palais des rois, et de suivre la reine Marguerite de Navarre, que la Mole avait perdue de vue à l'entrée de la grande galerie.

Tandis que Marguerite descendait cet escalier, le duc Henri de Guise, qu'elle n'avait pas revu depuis la nuit de ses noces, était dans le cabinet du roi. A cet escalier que descendait Marguerite, il y avait une issue. A ce cabinet était M. de Guise, il y avait une porte. Or, celte porte et cette issue con- duisaient toutes deux à un corridor, lequel corri- dor conduisait lui-même aux appartements de la reine mère Catherine de Médicis.

Catherine de Médicis était seule, assise prés d'une table, le coude appuyé sur un livre d'heures en- tr' ouvert, et la tête posée sur sa main encore re- marquablement belle, grâce au cosmétique que lui fournissait le Florentin René, qui réunissait la dou- ble charge de parfumeur et d'empoisonneur de la reine mère.

La veuve de Henri II était vêtue de ce deuil qu'elle n'avait point quitté depuis la mort de son mari. C'était, à cette époque, une femme de cinquante- deux à cinquante-trois ans à peu près, qui conser- vait, grâce à son embonpoint \Àem de fraîcheur, des traits de sa première beauté. Son appartement, comme son costume, était celui d'une veuve. Tout y était d'un caractère sombre : étoffes, mu- railles, meubles. Seulement, au-dessus d'une espèce de dais couvrant un fauteuil royal, pour le mo- ment dormait couchée la petite levrette favorite de la reine mère, laquelle lui avait été donnée par son gendre Henri de Navarre et avait reçu le nom my- thologique de Phébé, on voyait peint au naturel un arc-en-ciel entouré de cette devise grecque que le roi François I"' lui avait donnée : Phôs pherei ê de kai aïthsein, et qui peut se traduire par ce vers français :

Il porte la lumière et la sérénité.

Tout à coup, et au moment la reine mère pa- raissait plongée au plus profond d'une pensée qui faisait éclore sur ses lèvres peintes avec du carmin un sourire lent et plein d'hésitation, un homme ouvrit la porte, souleva la tapisserie et montra son visage pâle en disant :

Tout va mal !

Catherine leva la tête et reconnut le duc de Guise.

Comment, tout va mal ! répondit-elle. Quo voulez-vous dire, Henri ?

30

LA REINE MARGOT.

Je veux dire que le roi est plus que jamais ■coiffé de ses huguenots maudits et que, si nous at- tendons son congé pour exécuter la grande entre- prise, nous attendrons encore longtemps, et peut- être toujours.

Qu'est-il donc arrivé? demanda Catherine en conservant ce visage calme qui lui était habituel, et auquel elle savait cependant si bien, selon loc- casion, donner les expressions les plus opposées.

Il y a que, tout à l'heure, pour la vingtième fois, ]'ai entamé avec Sa Majesté cette question de savoir si l'on continuerait de supporter les brava- des que se permettent, depuis la blessure de leur amiral, messieurs de la religion.

Et que vous a répondu mon fils? demanda Catherine.

Il m'a répondu : Monsieur le duc, vous de- vez être soupçonné du peuple comme auteur de l'as- sassinat commis sur mon second père, monsieur l'a- miral, défendez-vous comme il vous plaira. Quant à moi, je me défendrai bien moi-même si l'on m'insulte... Et sur ce il m'a tourné le dos pour al- ler donner à souper à ses chiens.

Et vous n'avez point tenté de le retenir?

Si fait. Mais il m'a répondu avec cette voix que vous lui connaissez, et en me regardant de ce regard qui n'est qu'à lui :

Monsieur le duc, mes chiens ont faim, et ce ne sont pas des hommes pour que je les fasse at- tendre...

Sur quoi, je suis venu vous prévenir.

Et vous avez tien fait, dit la reine mère.

Mais que résoudre?

Tenter un dernier effort.

Et qui l'essayera ?

Moi. Le roi est-il seul?

Non. Il est avec M. de Tavannes.

Attendez-moi ici. Ou plutôt suivez-moi de loin.

Catherine se leva aussitôt et prit le chemin de la chambre se tenaient, sur des tapis de Turquie et des coussins de velours, les lévriers favoris du roi. Sur des perchoirs scellés dans la muraille étaient deux ou trois faucons de choix et une [ictilc pie- grièdie avec laquelle Charles IX .s'amusait à voler les petits oiseaux dans le jardin du Louvre et dans ceux des Tuileries, qu'on commençait de bfitir.

Pendant le chemin, la reine mère s'était arrangi; un visage pMe et plein d'angoisse, sur lequel rou- lait une dernière ou plutùi une preuiière larme.

Elle s'approcha sans bruit de Charles IX, qui don- nait à SCS cliiens des fragments de gâteau coupés en portions [lareilles.

Mon (ils, dit Catherine avec un treinhlemcnt de voix si bien joué (|u'il lit tressaillir le roi.

Qu'avez-vous, madame? dit Cli.lrles (m .se re- tournant vivement.

J'ai, mon lils, répondit Catherine, que je vous

demande la permission de me retirer dans un de

vos châteaux ! peu m'importe lequel, pourvu qu'il soit bien éloigné de Paris.

Et pourquoi cela, madame? demanda Char- les IX en fixant sur sa mère son œil vitreux, qui, dans certaines occasions , devenait si pénétrant.

Parce que chaque jour je reçois de nouveaux outrages de ceux de la religion; parce qu'aujour- d'hui je vous ai entendu menacer par les protes- tants jusque dans votre Louvre, et que je ne veux plus assister à de pareils spectacles.

Mais enfin, ma mère, dit Charles IX avec une expression pleine de co^'iction, on leur a voulu tuer leur amiral. Un infâme meurtrier leur avait déjà assassiné le brave M. de Mouy, à ces pauvres gens. Mort de ma vie, ma mère ! il faut pourtant une justice dans un royaume.

Oh ! soyez tranquille, mon fils, dit Catherine, la justice no leur manquera point, car, si vous la leur refusez, ils se la feront à leur manière : sur M. de Guise aujourd'hui, sur moi demain, sur vous plus tard.

Oh! madame, dit Charles IX bissant percer dans sa voix un premier accent de doute ; vous croyez?

Eh ! mon fils, reprit Catherine, s'abandonnant tout entière à la violence de ses pensées, ne voyez- vous pas qu'il ne s'agit plus de la mort de M. Fran- çois de Guise ou de celle de M. 1 amiral, de la reli- gion protestante ou de la religion catholique, mais tout simplement de la substitution du fils d'Antoine de Bourbon au fils de Henri II?

Alloué, allons, ma mère, voici que vous re- tombez encore dans vos exagérations habituelles! dit le roi.

Quel est donc votre avis, mon fils?

D'attendre, ma mère! d'attendre. Toute la sagesse humaine est dans C6 seul mot. Le plus grand, le plus fort, et le plus adroit surtout, est celui qui sait attendre.

Attendez done, mais, moi, je n'attendrai pas. Et, sur ce, Catherine fit une révérence, et, se

rapprochant de la porte, s'apprêta à reprendre le chemin de son n]q)artenient. Cli.irles IX l'arrèla.

Enfin, que faut-il donc faire, ma mère î dit- il, car je suis juste avant toute chose, et je vou- drais que chacun fût content de moi.

C.aliif'rine se rapprocha.

Venez, inonsicmr le comte, dit-elle ù Tavan- nes, qui caressait la pie-grièclie du roi, et dites au roi ce qn'.'t voire avis il faut faire.

Votre Majesté me perm<'t-elle? demanda le comte.

Dis, Tavannes, dis.

Que fait Votre Majesté A la chasse quand le sanglier l)les.s(' revient sur elle?

M jrdieu, monsieur ! je l'attends de pied fenne,

LA REINE MARGOT.

31

dit Charles IX, et je lui perce la gorge avec mon épieu.

Uniquement pour l'empêcher de vous nuire, ajouta Catherine.

Et pour m'amuser, dit le roi avec un sourire qui indiquait le courage poussé jusqu'à la férocité ; mais je ne m'amuserais pas à tuer mes sujets, car, enfin, les huguenots sont mes sujets aussi bien que les catholiques.

Alors, sire, dit Catherine, vos sujets les hu- guenots feront comme le sanglier à qui on ne met pas un épieu dans la gorge : ils découdront le trône.

Bah ! vous croyez, madame, dit le roi d'un air qui indiquait qu'il n'ajoutait pas grande foi aux prédictions de sa mère.

Mais n'avez-vous pas vu aujourd'hui M. de Mouy et les siens?

Oui, je les ai vus, puisque je les quitte, mais que m'a-t-il demandé qui ne soit pas juste? il m'a demandé la mort du me'urtrier de son père et de l'assassin de l'amiral ! Est-ce que nous n'avons pas puni M. de Montgommery de la mort de mon père et de votre époux, quoique cette mort fût un sim- ple accident?

C'est bien, sire, dit Catherine piquée, n'en parlons plus. Votre Majesté est sous la protection du Dieu qui lui donna la force, la sagesse et la con- fiance ; mais moi, pauvre femme, que Dieu aban- donne sans doute à cause de mes péchés, je crains et je cède.

Et, sur ce, Catherine salua une seconde fois, et sortit, faisant signe au duc de Guise, qui, sur ces entrefaites, était entré, de demeurer à sa place pour tenter encore un dernier effort.

Charles IX suivit des yeux sa mère, mais sans la rappeler cette fois; puis il se mit à caresser ses chiens en sifflant un air de chasse.

Tout à coup il s'interrompit.

Ma mère est bien un esprit royal, dit-il ; en vérité, elle ne doUte de rien. Allez donc, d'un pro- pos délibéré, tuer quelques douzaines de hugue- nots, parce qu'ils sont venus demander justice ! N'est-ce pas leur droit," après tout?

Quelques douzaines ! murmura le duc de Guise.

Ah ! vous êtes là, monsieur ! dit le roi faisant semblant de l'apercevoir pour la première fois : oui, quelques douzaines ; le beau déchet ! Ah I si quel- qu'un venait me dire : Sire, vous serez débarrassé de tous vos ennemis à la fois, et demain il n'en restera pas un pour vous reprocher la mort des au- tres, ah ! alors, je ne dis pas !

Eh bien ! sire ?

Tavannes, interrompit le roi, vous fatiguez Margot, remettez-la au perchoir. Ce n'est pas une raison, parce qu'elle porte le nom de ma sœur, la

reine de Navarre, pour que tout le monde la ca- resse.

Tavannes remit la pie sur son bâton, et s'amusa à rouler et à dérouler les oreilles d'un lévrier.

Mais, sire, reprit le duc de Guise, si l'on di- sait à Votre Majesté : Sire, Votre Majesté sera déli- vrée demain de tous ses ennemis?

Et par l'intercession de quel saint ferait-on ce miracle''

Sire, nous sommes aujourd'hui le 24 août, ce gérait donc par l'intercession de saint Barthélémy.

Un beau saint, dit le roi, qui s'est laissé écor- cher tout vif !

Tant mieux I plus il a souffert, plus il doit avoir gardé rancune à ses bourreaux.

Et c'est vous, mon cousin, dit le roi, c'est vous qui, avec votre jolie petite épée à poignée d'or, tuerez d'ici à demain dix mille huguenots ! Ah ! ah I ah ! mort de ma vie ! que vous êtes plaisant, monsieur de Guise ! *

Et le roi éclata de rire, mais d'un rire si faux, que l'écho de la chambre le répéta d'un ton lu- gubre.

Sire, un mot, un seul, poursuivit le duc tout en frissonnant malgré lui au bruit de ce rire qui n'avait rien d'humain. Un signe, et tout est prêt. J'ai les Suisses, j'ai onze cents gentilshommes, j'ai les.chevau-légers, j'ai les bourgeois ; de son. côté. Votre Majesté a ses gardes, ses amis, sa noblesse catholique... Nous sommes vingt contre un.

- Eh bien ! puisque vous êtes si fort, mon cou- sin, pourquoi diable venez-vous me rebattre les oreilles de tout cela !... Faites sans moi, faites!...

Et le roi se retourna vers ses chiens.

Alors la portière se souleva et Catherine reparut..

Tout va bien, dit-elle au duc, insistez, il cé- dera.

Et la portière retomba sur Catherine, sans que Charles IX la vît, ou du moins fit semblant de la voir.

JWais encore, dit le duc de Guise, faut-il que je sache si en agissant comme je le désire je serai agréable à Votre Majesté.

En vérité, mon cousin Henri, vous me plan- tez le couteau sur la gorge ;' mais je résisterai, mor- dieu ! ne suis-je donc pas le roi ?

Non, pas encore, sire ; mais, si vous le voulez, vous le serez demain.

Ah çà ! continua Charles IX, on tuerait donc aussi le roi de Navarre, le prince de Coudé... dans mon Louvre... Ah!

Puis, il ajouta d'une voix à peine intelligible :

Dehors, je ne dis pas.

Sire, s'écria le duc, ils sortent ce soir pour faire débauche avec le duc d'Alençon votre frère.

Tavannes, dit le roi avec une impatience ad- mirablement bien jouée, ne voyez-vous pas que vous taquinez mon chien ! Viens, Actéon, viens. ^

?2

LA REINE MARGOT,

BRII&Ndt

Et Charles IX sortit sans en vouloir vcoulcr davantage.

Et Charles IX sortit sans en vouloir écouter da- vantage, et rentra chez lui laissant Tavannos et lo duc de Guise pr('S([Ufi aussi incorlains «[iraupara- vant.

Cependant une scrnc d'un autre genre se passait chez Catherine, qui, après avoir donne au duc de Guise le ronsoil de tenir Imn. était rentrée dans son appartcmi-nt, elle avait trduvé n'unies les personnes qui d'ordinaire assislaii'nl à son cou- cher.

A son retour, Catherino avait la figure aussi riante qu'elle était décomposée à son départ. Peu à

peu, elle congédia de son air le plus agréable ses femmes et ses courtisans ; il ne resta bientôt près d'elle que madame Marguerite, (]ui, assise sur un coffr(> jirès de la fenêtre ouverte, regardait le ciel absorbi'C dans ses pensées.

Deux ou trois fois, en se retrouvant seule avec sa fille, la reine mère ouvrit la bouche pour parler, mais cliaiiue fois une sombre pen.sée refoula au fond de .sa poitrine les mots prêts h s'échapper de ses lè- vres.

Sur ces entrefaites, la portière se souleva, et Henri de Navarre parut.

LA REINE MARGOT.

33

Madame, dit-elle, c'est René, le pariumeur. Page 34.

La petite levrette, qui dormait sur le trôn?, bon- dit et courut à lui.

Vous ICI, mon fils! dit Catherine en tressail- lant, est-ce que vous soupez au Louvre?

Non, madame, répondit Henri, nous battons la ville ce soir avec MM. d'Alençon et de Coudé. Je croyais presque les trouver ici occupés à vous faire leur cour.

Catherine sourit.

Allez, messieurs, dit-elle, allez... Les hom- mes sont bien heureux de pouvoir courir ainsi... N'est-ce pas, ma fille î

C'est vrai, répondit Marguerite, c'est une si belle et une si douce chose que la liberté!

Cela veut-il dire que j'enchaîne la vôtre, ma- dame? dit Henri en s'inclinant devant sa femme.

Non, monsieur; aussi n'est-ce pas moi que je plains, mais la condition des femmes en général.

Vous allez peut-être voir M. l'amiral, mon fils? dit Catherine.

Oui, peut-être.

Allez-y; ce sera d'un bon exemple, et demain vous me donnerez de ses nouvelles.

&

Parll. Imp. de CRT alnf, bonleiart Honiparnasie, St.

z^

LA REINE MARGOT.

J'irai donc, madame, puisque vous approu- vez cette démarche.

Moi, dit Catherine, je n'approuve rien... Mais qui va là?... Renvoyez, renvoyez.

Henri fit un pas vers la porte pour exécuter l'or- dre de Catherine; mais, au même instant, la tapis- sière se souleva, et madame de Sauve montra sa tête blonde.

Madame, dit-elle, c'est René, le parfumeur, que Votre Majesté a fait demander.

Catherine lança un regard aussi prompt que l'é- clair sur Henri de Navarre. Le jeune prince rougit légèrement, puis presque aussitôt pâlit d'une ma- nière effrayante. En effet, ou venait de prononcer le nom de l'assassin de sa mère. 11 sentit que son vi- sage trahissait son émotion, et alla s'appuyer sur la barre de la fenêtre.

La petite levrette poussa un gémissement.

Au même instant deux personnes entraient, l'une annoncée, et l'autre qui n'avait pas besoin de l'être.

La première était René, le parfumeur, qui s'ap- procha de Catherine avec toutes les obséquieuses civilités des serviteurs llorentins; il tenait une boîte, qu'il ouvrit, et dont on vil tous 'les compar- timents remplis de poudres et de llacons.

La seconde était madame de Lorraine, sœur aînée de Marguerite. Elle entra par une petite porte dé- robée qui donnait dans le cabinet du roi, et toute pâle et toute tremblante, espérant n'être point aper- çue de Catherine, qui examinait avec madame de Sauve le contenu de la boîte apporté? par René, elle alla s'asseoir à côté de Marguerite, près de laquelle le roi de Navarre se tenait debout, la main sur le front, comme un homme qui cherche à se remettre d'un cblouissenient.

En ce moment Catherine se retourna.

Ma fille, dit-elle à Marguerite, vous pouvez vous retirer chez vous. Mon fils, dit-elle, vous pou- vez aller vous amuser par la ville.

Marguerite se leva, et Henri se retourna à moitié. Madame de Lorraine saisit la main de Margue- rite.

Ma sœur, lui dit-elle tout bas et avec volubi- lité, au nom de M. de Guise, qui vous sauve coniino vous l'avez sauvé, ne sortez pas d'ici, n'allez pas chez vous!

Hein! que dites-vous, Claude? demanda Ca- therine en se retournant.

Rien, ma mère.

Vous avez parlé tout bas à Marguonlc.

Pour lui souhailorle bonsoir seulement, ma- dame, et pour lui dire mille choses de la part de la duchesse de Nnvcrs.

Et est-elle, celte belle duchesse?

Près de son beau-frère, M. de Guiso. Calhcrine regarda les deux femmes de son œil

soupçonneux, et froneanllo sourcil :

Venez çà, Claude 1 dit la reine môre.

Claude obéit. Catherine lui saisit la main.

Que lui avez-vous dit? indiscrète que vous êtes ! murmura-t-elle en serrant le poignet de sa fille à la faire crier.

Madame, dit à sa femme Henri, qui, sans en- tendre, n'avait ribn perdu de la pantomime de la reine, de Claude et de Marguerite; madame, me fe- rez-vous l'honneur de me donner votre main à baiser?

Marguerite lui tendit une main tremblante.

Que vous a-t-elle dit? murmura Henri en se baissant pour rapprocher ses lèvres de cette main.

De ne pas sortir. Au nom du ciel, ne sortez pas non plus!

Ce ne fut qu'un éclair; mais à la lueur de (^et éclair, si rapide qu'elle fût, Henri devina tout un complot.

Ce n'est pas le tout, dit Marguerite ; voici une lettre qu'un gentilhomme provençal a apportée.

M. de la Mole?

Oui.

Merci, dit-il en prenant la lettre et en la ser- rant dans son pourpoint. Et, passant devant sa femme éperdue, il alla appuyer sa main sur l'épaule du Florentin.

Eh bien ! maître René, dit-il, comment vont les affaires commerciales?

Mais assez bien, monseigneur, assez bien, ré- pondit l'empoisonneur avec son perfide sourire.

Je le crois bien, dit Henri, quand on est comme vous le fournisseur de toutes les têtes couron- nées de France et de l'étranger.

Excepté de celle du roi de Navarre, répondit effrontément le Florentin.

Ventre-saint-gris, maître René! dit Henri, vous avez raison ; et cependant ma pauvre mère, qui achetait aussi chez vous, vous a recommandé à moi, en mourant, maître René. Venez me voir de- main ou après-demain en mon appartement, et ap- porlpz-moi vos meilleures parfumeries.

Ce ne sera point mal vu, dit en souriant Ca- therine, car on dit...

Que j'ai le gousset fin, reprit Henri en riant; qui vous a dit cela, ma mère? est-ce Margot?

Non, mon fils, ditCalhcrine, c'est madame de Sauve.

En ce moment, madame la duchesse de Lorraine, qui, malgré les efforts qu'elle faisait, ne pouvait .se contenir, ('clala en sanglots.

Henri ne se retourna même pas.

Ma sœur, s'écria Marguerite en s'élançant vers Claude, qu'avcz-vous?

Rien, dit Calhcrine en passant entre les deux ieun(s femmes, rien : elle a celte fii'vre nerveu.so (pie Mazille lui recommande de irailer aver de»; .irn- mates

El elle serra do nouveau ol avec plus de vi^n(>ur encore que la première fois le bras de sa lille aînée ; puis se retournant vers la cadette :

LA REINE MARGOT.

35

Çà, Margot, dit-elle, n'avez-vous pas entendu déjà que je vous ai invitée à vous retirer chez vous? Si cela ne suffit pas je vous l'ordonne.

Pardonnez-moi, madame, dit Marguerite trem- blante et pâle, je souhaite une bonne nuit à Votre Majesté.

Et j'espère que votre souhait sera exaucé. Bonsoir, bonsoir.

Marguerite se retira toute chancelante en cher- chant vainement à rencontre^ un regard de son mari, qui ne se retourna pas même de son côté.

Il se fit un instant de silence pendant lequel Ca- therine demeura les yeux fixés sur la duchesse de Lorraine, qui, de son côté, sans parler, regardait sa mère les mains jointes.

Henri tournait le dos, mais voyait la scène dans une glace tout en ayant l'air de friser sa moustache avec une pommade que venait de lui donner René.

Et vous, Henri, dit Catherine, sortez-vous tou- jours?

Ah! oui, c'est vrai, s'écria le roi de Navarre. Ah ! par ma foi ! j'oubliais que le duc d'Alençon et le prince de Condé m'attendent ! Ce sont ces admira-

bles parfums qui m'enivrent, et, je crois, me font perdre la mémoire. Au revoir, madame.

Au revoir ! Demain, vous m'apprendrez des nouvelles de l'amiral, n'est-ce pas?

Je n'aurai garde d'y manquer. Eh bien ! Pliébé, qu'y a-t-il?

Phébé? dit la reine mère avec impatience.

Piappelez-la, madame, dit le Béarnais, car elle ne veut pas me laisser sortir.

La reine mère se leva, prit la petite chienne par son collier et la retint, tandis que Henri s'éloignait le visage aussi calme et aussi riant que s'il n'eût pas senti au fond de son cœur qu'il courait danger de mort.

Derrière lui, la petite chienne lâchée par Cathe- rine de Médicis s'élança pour le rejoindre; mais la porte était refermée, et elle ne put que glisser son museau allongé sous la tapisserie en poussant un hurlement lugubre et prolongé.

Maintenant, Charlotte, ditCatherine à madame de Sauve, va chercher M. deGuiscetTavannes, qui sont dans mon oratoire, et reviens avec eux pour te- nir Compagnie à la duchesse de Lorraine qui a ses vapeurs.

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Vil

LA NUIT DU 24 AOUT 1572.

orsquo la Mole et Coconas eurent achevé leur maigre souper, car les volailles de riiôtellerie de la Belle- Étoile ne flambaient que sur l'enseigne, Coconas fit pivoter sa cliaise sur un de ses quatre pieds, étendit les jambes, ajipuya son coude sur la table, et dégus- tant un dernier verre de vin :

Est-ce que vous allez vous coucher inconti- nent, monsieur de la Mole? demanda-t-il.

Ma foi, j'en aurais grande envie, monsieur, car il est possible qu'on vienne me réveiller dans la nuit.

Et moi aussi, dit Coconas; mais il me semble, en ce cas, qu'au lieu de nous coucher et de faire at- tendre ceux qui doivent nous envoyer chercher, nous ferions mieux de demander des cartes et de

jouer. Cela fait que l'on nous trouverait tout pré- parés.

J'accepterais volontiers la proposition, mon- sieur; mais, pour jouer, je possède bien peu d'ar- gent; à peine si j'ai centécus d'or dans ma valise; et encore, c'est tout mon trésor. Maintenant, c'est à moi de faire fortune avec cela.

Cent écus d'or ! s'écria Coconas, et vous vous plaignez! Mordi! mais moi, monsieur, je n'en ai que SIX.

Allons donc ! reprit la Mole, je vous ai vu ti- rer de votre poche une bourse qui m'a paru non- seulement fort ronde, mais on pourrait même dire quelque peu boursoufiée.

Ah! ceci, dit Coconas, c'est pour éteindre une ancienne dette que je suis obligé de payer à un vieil ami de inon père que je soupçonne d'être comme vous tant soit peu huguenot. Oui, il y a cent no- bles à la rose, continua Coconas en frappant sur sa

LA REINE MARGOT.

poche, mais ces cent nobles à la rose appartiennent à maître Mercandon ; quant à mon patrimoine per- sonnel, il se borne, comme je vous l'ai dit, à six écus.

Comment jouer, alors?

Et c'est justement à cause de cela que je vou- lais jouer. D'ailleurs, il m'était venu une idée.

Laquelle?

Nous venons tous deux à Paris dans un même but?

Oui.

Nous avons chacun un protecteur puissant !

Oui.

Vous comptez sur le vôtre comme je compte sur le mien?

Oui.

Eh bien! il m'était venu dans la pensée de jouer d'abord notre argent, puis la première faveur qui nous arrivera, soit de la cour, soit de notre maî- tresse...

En effet, c'est fort ingénieux ! dit la Mole en souriant; mais j'avoue que je ne suis pas assez joueur pour risquer ma vie tout entière sur un coup de cartes ou un coup de dés, car de la première fa- veur qui vous arrivera à vous et à moi découlera probablement notre vie tout entière.

Eh bien ! laissons donc la première faveur de la cour, et jouons la première faveur de notre maîtresse.

Je n'y vois qu'un inconvénient, dit la Mole?

Lequel?

C'est que je n'ai point de maîtresse, moi.

Ni moi non plus; mais je compte bien ne pas tarder à en avoir une ! Dieu meixi ! on n'est point taillé de façon à manquer de femmes.

Aussi, comme vous dites, n'en manquerez- vous point, monsieur de Coconas; mais, comme je n'ai point la môme conCance dans mon étoile amoi^ reuse, je crois que ce serait vous voler que de met- tre mon enjeu contre le vôtre. Jouons donc jusqu'à concurrence de vos six écus, et si vous les perdiez par malheur, et que vous voulussiez continuer le jeu, eh bien ! vous êtes gentilhomme, et votre parole vaut de l'or.

A la bonne heure! s'écria Coconas, et voilà qui est parlé; vous avez raison, monsieur, la parole d'un gentilhomme vaut do l'or, surtout quand ce gentilhomme a du (n'ciit à la cour. Aussi, croyez que je ne iiic hasarderais pas trop en jouant contre vous la première faveur que je devrais recevoir.

Oui, sans doute, vous pouvez la perdre, mais moi je ne pourrais pas la gagner; car, étant au roi de Navarre, je nn puis rien tenir de M. le duc de Guise.

Ah! parpaillot! murmura l'hôte tout en four- bissant son vieux ca.squo, je t'avais donc bien flairé.

El il .s'intnrroni|iit piMir faire le signe de la croix.

Ah ç;'i! di'ridi'ineril, reprit Coconas en ballant

les cartes que venait de lui apporter le garçon, vous en êtes donc?...

De quoi ?

De la religion.

Moi ?

Oui, vous.

Eh bien ! mettez que j'en sois ! dit la Mole en souriant. Avez-vous quelque chose contre nous?

Oh! Dieu merci, non. Cela m'est bien égal. Je hais profondément la huguenoterie, mais je ne dé- teste pas les huguenots, et puis c'est la mode.

Oui, répliqua la Mole en riant, témoin l'ar- quebusade de M. l'amiral ! Jouerons-nous aussi des arquebusades?

Comme vous voudrez, dit Coconas ; pourvu que je joue, peu m'importe quoi.

Jouons donc, dit la Mole en ramassant ses car- tes et en les rangeant dans sa main.

Oui, jouez, et jouez de confiance; car dussé-je perdre cent écus d'or comme les vôtres, j'aurai de- main matin de quoi les payer.

La fortune vous viendra donc en dormant?

Non, c'est moi qui irai la trouver.

cela? dites-moi; j'irai avec vous !

Au Louvre.

Vous y retournez cette nuit?

Oui, j'ai cette nuit une audience particulière du grand duc de Guise.

Depuis que Coconas avait parlé d'aller clicrchcr fortune au Louvre, la Huriére s'était interrompu do fourbir sa salade et s'était venu placer derrière la chaise de la Mole, de manière que Coconas seul le pût voir, et de il lui fais^i^t des signes que le Pié- montais tout à son jeu et à sa conversation ne re- marquait pas.

Eh bien! voilà qui est miraculeux! dit la Mole, et vous aviez raison de dire que nous étions nés sous une même étoile. Moi aussi j'ai rendez- vous au Louvre cette nuit, mais ce n'est pas avec le duc de Guise, moi, c'est avec le roi de Navarre.

Avez-vous un mot d'ordre, vous?

Oui.

Un signe de ralliement?

Non.

Eh bien! j'en ai un, moi, mon mol d'ordre est...

A ces paroles du Piémontais, la Hurière fit un geste si expressif, juste au moment l'indiscret geniilhomme relevait la tête, que Coconas s'arrêta péirilié bien plus de ce geste encore que du coup par lequel il venait de perdre trois écus. En voyant ri'lonnement (]ui se i)eignail sur le visage do son partenaire, la Mole se retourna ; mais il ne vit pas autre chose <]ue son hôte derrière lui , les bras croisi's et coiffé do la .salade qu'il lui avait vu four- bir l'instant d'auparavant.

Un'avez-vous donc? dit la Mole à Coconas. Coconas regardait rbôlc et son ronipagnon sans

LA REINE MAUGOT.

57

Coconas s'anèta pétrilié. PageSG.

répondre, car il ne comprenait rien aux gestes re- doublés de maître la Hurière.

La Hurière vit qu'il devait venir à son secours.

C'est que, dit-il rapidement, j'aime beaucoup le jeu aussi, moi; et, comme je m'étais approche pour voir le coup sur lequel vous venez de gagner, monsieur m'aura vu coiffé en guerre et cela l'aura surpris de la part d'un pauvre bourgeois.

Bonne figure, en effet ! s'écria la Mole en écla- tant de rire.

Eh ! monsieur, répliqua la Uuriére avec une bonhomie admirablement jouée et un mouvement

d'épaules plein du sentmient de son infériorité, nous ne sommes pas des vaillants, nous autres, et nous n'avons pas la tournure raffinée. C'est bon pour de braves gentilshommes comme vous de faire reluire les casques dorés et les fines rapières, et pourvu que nous montions exactement notre garde. . .

Ah ! ah ! dit la Mole en battant les cartes à son tour, vous montez votre garde?

Eh ! mon Dieu oui, monsieur le comte, je suis sergent d'une compagnie de milice bourgeoise.

Et, cela dit, tandis que la Mole était occupé à don- ner les cartes, la Hurière se retira en posant un

38

LA REINE MRGOT.

doigt sur ses lèvres pour recommander la discrétion à Coconas plus interdit que jamais.

Cette précaution fut cause sans doute qu'il perdit le second coup presque aussi rapidement qu'il venait de perdre le premier.

Eh bien! dit la Mole, voilà qui fait juste vos six écus ! Voulez-vous votre revanche sur votre for- tune future?

Volontiers, dit Coconas, volontiers.

Mais, avant de vous engager plus avant, ne me disiez-vous pas que vous aviez rendez-vous avec M. de Guise?

Coconas tourna ses regards vers la cuisine et vit les gros yeux de la Ilurière qui répétaient le même avertissement.

Oui, dit-il; mais il n'est pas encore l'heure. D'ailleurs, parlons un peu de vous, monsieur de la Mole.

Nous ferions mieux, je crois, de parler du jeu, mon cher monsieur de Coconas; car, ou je me trompe fort, ou me voilà encore en train de vous gagner six écus?

Mordi ! c'est la vérité... on me l'avait toujours dit, que les huguenots avaient du bonheur au jeu. J'ai envie de me faire huguenot, le diable m'em- porte !

Les yeux de la Ilurière étincelèrent comme deux charbons ; mais Coconas, tout à son jeu, ne les aper- çut pas.

Faites, comte, faites, dit la Mole; et, quoique la façon dont la vocation vous est venue soit singu- lière, vous serez le bien reçu parmi nous.

Coconas se gratta l'oreille.

Si j'étais sûr que votre bonheur vient de là, dit-il, je vous réponds bien... car, enlin, je ne tiens pas énormément à la messe, moi, et dès que le roi n'y tient pas non plus...

Et puis, c'est une si belle religion, dit la Mole, si simple, si pure 1

Et puis elle est à la mode, dit Coconas ; et puis elle porte bonheur au jeu, car, le diable m'em- porte! il n'y a d'as que pour vous, et cependant je ■vous examine depuis que nous avons les cartes aux

mains. Vous jouez franc jeu, vous ne trichez pas. Il faut que ce soit la religion...

Vous me devez six écus de plus, dit tranquil- lement la Mole.

Ah ! comme vous me tentez! dit Coconas, cl si cette nuit je ne suis pas content de M. de Guise...

Eh bien?

Eh bien ! demain je vous demande de me pré- senter au nii do Navarre ; et, soyez iriimpiilli', si une fois je mu fais huguenot, je serai plus huguenot que Eutiier, que Calvin, cpie Mélancliton ut que tous les riTormisles de la icrro.

Cliull dit la Moli', vous allez vous brouiller avec notre hôte.

Oh! c'est vrai! dit Coconas on tmirnant les

yeux vers la cuisine. Mais non, il ne nous écoute pas, il est trop occupé en ce moment.

Que fait-il donc? demanda la Mole, qui de sa place ne pouvait l'apercevoir.

11 cause avec... Le diable m'emporte! c'est lui!

Qui, lui?

Cette espèce d'oiseau de nuit avec lequel il causait déjà quand nous sommes arrivés, l'homme au pourpoint jaune et au manteau amadou. Mordi ! quel feu il y met! Eh! dites donc, maître la Ilu- rière ! est-ce que vous faites de la politique, par ha- sard?

Mais cette fois la réponse de maître la Hurière fut un geste si énergique et si impérieux, que, malgré son amour pour le carton peint, Coconas se leva et alla à lui.

Qu'avez-vous donc? demanda la Mole.

Vous demandez du vin, mon gentilhomme, dit la Ilurière saisissant vivement la main de Coco- nas, on va vous en donner. Grégoire, du vin à ces messieurs!

Puis à l'oreille :

Silence, lui glissa-t-il, silence, sur votre vie! et congédiez votre compagnon.

La Ilurière était si pâle, l'homme jaune si lugu- bre, que Coconas ressentit comme un frisson, et se retournant vers la Mole :

Mon cher monsieur de la Mole, lui dit-il, je vous prie de m'excuser. Voilà cinquante écus que je perds en un tour de main. Je suis en malheur ce soir, et je craindrais de m'embarrasser.

Fort bien, monsieur, fort bien, dit la Mole; à votre aise. D'ailleurs, je ne suis point fâché de me jeter un instant sur mon lit. Maître la Hurière?...

Monsieur le comte?

Si l'on venait me chercher de la part du roi de Navarre, vous me réveilleriez. Je serai tout ha- billé, et par conséquent vite prêt.

C'est comme moi, dit Coconas; pour ne pas faire attendre Scm Altesse un seul instant, je vais préparer le signe. Maître la Ilurière, donnez-moi des ciseaux et du papier blanc.

. Grégoire, cria la Ilurière, du papier blanc pour écrire une lettre, des ciseaux pour en tailler l'enveloppe.

Ali çà! décidément, se dit à lui-même le Pié- monlais, il se passe ici ([uelque chose d'extraordi- naire.

Bonsoir, monsieur de Coconas! dit la Mole. El vous, mon hùie, faites-moi l'amitié do me montrer le chemin de ma chambre. Donne chance, noire ami ! .

El la Mole disparut dans l'p^alier tournant suivi de la Ilurière.

Alors riiommo mystérieux saisitfi son {our le bras de Coconas; et, l'attirant à lui, il lui dit nvôc volu- bilité :

LA REINE JUUGOT,

m

Monsieur, vous avez failli révéler cent fois un secret duquel dépend le sort du royaume. Dieu a voulu que votre bouche fût fermée à temps. Un mot de plus, et j'allais vous abattre d'un coup d'arque- buse. Maintenant nous sommes seuls heureusement, écoutez.

Mais qui êtes-vous, pour me parler avec ce ton de commandement? demanda Coconas.

Avez-vous, par hasard, entendu parler du sire deMaurevel?

Le meurtrier de l'amiral?

Et du capitaine de Mouy.

Oui, sans doute.

Eh bien ! le sire de Maurevel, c'est moi.

Oh! oh! Ct Coconas.

Écoutez-moi donc.

Mordi! je le crois bien, que je vous écoute.

Chut! Ct le sire de Maurevel en portant son doigt à sa bouche.

Coconas demeura l'oreille tendue.

On entendit en ce moment l'hôte refermer la porte d'une chambre, puis la porte du corridor, y mettre les verrous, et revenir précipitamment du côté des deux interlocuteurs. U'offrit alors un siège à Coconas, un siège à Maureyel, et en prenant un troisième pour lui :

Tout est bien clos, dit-il, monsieur de Maure- vel, vous pouvez parler.

Onze heures sonnaient à Saint-Germain l'Auxer- rois. Maurevel compta l'un après l'autre chaque battement de marteau qui retentissait vibrant et lu- gubre dans la nuit, et quand le dernier se fut éteint dans l'espace :

Monsieur, dit-il en se retournant vers Coco- nas tout hérissé à l'aspect des précautions que pre- naient les deux hommes, monsieur, êtes-vous bon catholique?

Mais je le crois, répondit Coconas.

Monsieur, continua Maurevel, êtes-vous dé- voué au roi ?

De cœur et d'âme. Je crois môme que vous m'offensez, monsieur, en m' adressant une pareille question. *

Nous n'aurons pas de querelle là-dessus ; seu- lement, vous allez nous suivre.

cela?

Peu vous importe. Laissez-vous conduire. Il y va de votre fortune et peut-être de votre vie.

Je vous préviens, monsieur, qu'à minuit, j'ai affaire au Louvre.

C'est justement que nous allons.

M. de Guise m'y attend.

Nous aussi.

Mais j'ai un mot de passe particulier, conti- nua Coconas un peu mortifié de partager l'honneur de son audience avec le sire de Maurevel et maître la Uurière.

Nous aussi.

Mais j'ai un signe de reconnaissonce. Maurevel sourit, tira de dessous son pourpoint

une poignée de croix en étoffe blanche, en donna une à la Hurière, une à Coconas, et en prit une pour lui. La Hurière attacha la sienne à son cas- que, Maurevel en fit autant de la sienne à son cha- peau.

Oh çà! dit Coconas stupéfait, le rendez-vous, le mot d'ordre, le signe de ralliement, c'était donc pour tout le monde?

Oui, monsieur; c'est-à-dire pour tous les bons catholiques.

11 y a fête au Louvre alors, banquet royal , n'est-ce pas? s'écria Coconas, et l'on en veut exclure ces chiens de huguenots... Bon ! bien ! à merveille! Il y a assez longtemps qu'ils y paradent.

Oui, il y a fête au Louvre, dit Maurevel, il y a banquet royal, et les huguenots y seront con- viés... Il y a plus, ils seront les héros de la fête, ils payeront le banquet, et, si vous voulez bien être des nôtres, nous allons commencer par aller inviter leur principal champion, leur Gédéon, comme ils disent.

M. l'amiral? s'écria Coconas.

Oui, le vieux Gaspard, que j'ai manqué comme un imbécile, quoique j'aie tiré sur lui avec l'arque- buse même du roi.

Et voilà pourquoi, mon gentilhomme, je four- bissais ma salade, j'affilais mon épée et repassais mes couteaux, dit d'une voix stridente maître la Hurière travesti en guerrier.

A ces mots, Coconas frissonna et devint fort pâle, car il commençait à comprendre.

Quoi, vraiment! s'écria-t-il, cette fête, ce ban- quet... c'est... on va...

Vous avez été bien long à deviner, monsieur, dit Maurevel, et l'on voit bien que vous n'êtes pas fatigué comme nous des insolences de ces héréti- ques.

Et vous prenez sur vous, dit-il, d'aller chez l'amiral, et de...?

Maurevel sourit, et attirant Coconas contre la fe- nêtre :

Regardez, dit-il; vcycz-vous sur la petite place, au bout de la rue, derrière l'église, cette troupe qui se range silencieusement dans l'ombre?

Oui.

Les hommes qui composent cette troupe ont, comme maître la Hurière, vous et moi, une croix au chapeau.

Eh bien?

Eh bien ! ces hommes, c'est une compagnie des Suisses des petits cantons commandés par To- quenot; vous savez que messieurs des petits cantons sont les compères du roi.

Oh! oh! Dt Coconas.

Maintenant, voyez cette troupe de cavaliers qui passe sur le quai ; reconnaissez-vous son chef?

40

LA REINE MARGOT.

^.^jCMA^cyfQyK -

Mnurevci.

ComrtiPTit voulez-vous que je le reconnaisse, dit Coconas tout frémissant, je suis à Paris de co soir seulement!

Eh bien ! c'est celui avec qui vous avez ren- dez-vous à minuit au Louvre. Voyez, il va vous y at- tendre.

Leduc de Guise?

Lui-m(lmo. Ceux qui l'escortent sont Marcel, cT-pr^'vôt des marchands, et .1. Choron, prévôt ac- tuel. Les deux derniers vont nu'llrc sur |iied leurs compagnies de bourgnois; et tenez, voici le capitaine du quartier qui entre dans la rue : roKardoz hien ce qu'il va faire.

Il heurte à chaque porte. Mais qu'y a-t-il donc sur les portes au::quellcs il heurte?

Une croix blanche, jeune homme ; une croix pareille à celle que nous avons à nos chapeaux. Au- trefois on laissait à Dieu le soin de distinguer les siens. Aujourd'imi nous sommes plus civilisés, et nous lui épargnons cette besogne.

Mais chaque maison ft laquelle il frappe s'ou- vre, et de chaque maison sortent des bourgeois ar- ni('S.

Il frappera .1 la niMro comme aux autres, et nous sortirons à notre tour.

Mais, ditCoconas, tout ce monde sur pied pour

LA REINE MARGOT.

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<si-5»-*c^^.-

z-/;

Jeune homme, dit Maurcvel, si les Tieux vous répugnent, vous pourrez en choisir de jeunet.

aller tuer un vieux huguenot! Mordi! c'est hon- teux! c'est une affaire d'égorgeurs et non de soldats.

Jeune homme, dit Maurevel, si les vieux vous répugnent, vous pourrez en choisir de jeunes. 11 y en aura pour tous les goûts. Si vous méprisez les poignards, vous pourrez vous servir de Tépée ; car les huguenots ne sont pas gens à se laisser égorger sans se défendre, et, vous le savez, les huguenots jeunes ou vieux ont la vie dure.

Maison les tuera donc tous, alors? s'écria Co- conas.

Tous.

Par ordre du roi?

Par ordre du roi et de M. de Guise.

Et quand cela?

Quand vous entendrez sonner la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois.

Ah ! c'est donc pour cela que cet aimable Al- lemand, qui est à M. de Guise, comment l'appelez- vous donc?

M. de Besme.

Justement. C'est donc pour cela que M. de Besme me disait d'accourir au premier coup de toc- sin?

fu%, Imp. de BKY aloi, Coulevwi lloniparuuwi ni.

43

LA REINE MARGOT.

Vous avez donc vu M. de Besme?

Je l'ai vu et je lui ai parlé.

cela ?

Au Louvre. C'est lui qui m'a fait entrer, qui m'a donné le mot d'ordre, qui m'a...

Regardez.

Mordi ! c'est lui-même.

Voulez-vous lui parler?

Sur mon âme! je n'en serais pas fâché? Maurevel ouvrit doucement la fenêtre. Besme, en

effet, passait avec une vingtaine d'hommes.

Guise et Lorraine, dit Maurevel.

Besme se retourna, et, comprenant que c'était à lui qu'on avait affaire, il s'approcha.

Ah ! ah ! c'être fous, sire de Maurefel.

Oui, c'est moi; que cherchez- vous?

J'y cherche l'auperge de la Pelle-Étoile, pour brévenir un certain monsir Gogonas.

Me voici, monsieur de Besme ! dit le jeune homme.

Ah ! pon, ah ! pien... Fous êtes brêt?

Oui. Que faut-il faire?

Ce que fous tira monsir de Maurefel. C'être un bon gatholique.

Vous l'entendez? dit Maurevel.

Oui, répondit Coconas. Jlais vous, monsieur de Besme, allez-vous?

Moi ! dit de Besme en riant...

Oui, vous?

Moi, che fa tire un betit mot à l'amiral.

Dites-lui-en deux, s'il le faut, dit Maurevel, et que cette fois, s'il se relève du premier, il ne se relève pas du second.

Soyez dranguille, monsir de Maurefel, soyez dranguille, et tressez-moi bien ce cheune homme-là.

Oui, oui, n'ayez pas de crainte, les Coconas sont de fins limiers, et bons chiens chassent de race.

Atieu !

Allez.

Et fous?

Commencez toujours la chasse, nous arrive- rons pour la curée.

De Bcsmo s'éloigna, et Maurevel forma la fenêtre.

Vous rentcndez, jeune homme! dit Maurevel; si vous avez quelque ennemi particulier, quand il ne serait pas tout à fait huguenot, meltcz-le sur la liste, et il passera avec les autres.

Coconas, plus ('lourdi que jamais do tout ce qu'il voyait et de tout ce ((u'il entendait, regardait tour à tour l'hôte, qui prenait des poses formidables, et Maurevel, qui tirait tranquillement un papier do sa poche.

Quant à moi, voilà ma liste, dil-il. Trois cents. Que chaque bon catholique fa.'^se, rello nuit, la dixième partie dn In besogne (pic je ferai, et il n'y aura plus demain un .seul héréli(|uc dans le royaume.

Chut ! dit la Hurière.

Quoi? répétèrent ensemble Coconas et Mau- revel.

On entendit vibrer le premier coup de beffroi à Saint-Germain l'Auxerrois.

Le signal! s'écria Maurevel. L'heure est donc avancée? Ce n'était que pour minuit, m'avail-on dit... Tant mieux' Quand il s'agit de la gloire de Dieu et du roi, mieux vaut les horloges qui avan- cent que les horloges qui retardent.

En effet, op entendait tinter lugubrement la clo- che de l'église. Bientôt un premier coup de feu re- tentit, et presque aussitôt la lueur de plusieurs flam- beaux illumina comme un éclair la rue de l'Arbre- Sec.

Coconas passa sur son frout sa main humide de sueur.

C'est commencé, s'écria Maurevel, en route!

Un moment, un moment' dit l'hôte; avant de nous mettre en campagne, assurons-nous du logis, comme on dit à la guerre. Je ne veux pas qu'on égorge ma femme et mes enfants pendant que je se- rai dehors. Il y a un huguenot ici. '

M. de la Mole? s'écria Coconas avec un sou- bresaut.

Oui! le parpaillot s'est jeté dans la gueule du loup.

Comment ! dit Coconas, vous vous attaqueriez à votre hôte?

C'est à son intention surtout que j'ai repassé ma rapière..

Oh I oh ! fit le Piémontais en fronçant le sour- cil.

Je n'ai jamais tué personne que mes lapins, mes canards et mes poulets, répliqua le digne au- bergiste ; je ne sais donc trop comment m'y pren- dre pour tuer un homme. Eh bien ! je vais m'exer- cersur celui-là. Si je fais quelque gaucherie, au moins personne ne sera pour se moquer de moi.

Mordi, c'est dur! objecta Coconas; M. delà Mole est mon compagnon, M. de la Mole a soupe avec moi, M. de la Mole a joué avec moi...

Oui, mais M. de la Mole est un hérétique, dit Maurevel, M. dn la Mole est condamné; et, si nous no le tuons pas, d'autres le tueront.

Sans compter, dit l'hôte, qu'il vous a gagne rin(|uanlo écus.

C'est vrai, dit Coconas, mais loyalement, j'en suis sûr.

Loyalement ou non, il vous faudra toujours le payer; tandis que, si je le tue, vous êtes quitte.

Allons, allons! dépêchons, messieurs, cria Maurevel : une arquohusado, un rou|i de rapière, un coup de marteau, un coup de clionel, un coup do tout ce que vous voudrez; mjis linis-sons-cn, si nous voulons arriver à lemjis, comme nous l'avons promis, pour aider M. de Guise chez l'amiral,

Coconus .soupira.

LA REINE MARGOT.

43

J'y cours! s'écria la Hurière, attendez-moi.

Mordi! s'écria Coconas, il va faire souffrir ce pauvre garçon, et le voler peut-être. Je veux être pour.rachever, s'il est besoin, et empêcher qu'on ne touche à son argent.

Et, par cette heureuse idée, Coconas monta l'escalier derrière maître la Hurière, qu'il eut bien- tôt rejoint; car, à mesure qu'il montait, par un ef- fet de la réQexion sans doute, la Hurière ralentis- sait le pas.

Au moment il arrivait à la porte, toujours suivi de Coconas, plusieurs coups de feu retentirent dans la rue. Aussitôt on entendit la Mole sauter de son lit et le plancher crier sous ses pas.

Diable ! murmura la Hurière un peu troublé, il est réveillé, je crois !

Ça m'en a l'air, dit Coconas.

Et il va se défendre?

n en est capable. Dites donc, maître la Hu- rière, s'il allait vous tuer, ça serait drôle.

Hum! hum! fit l'hôte.

Mais, se sentant armé d'une bonne arquebuse, il se rassura et enfonça la porte d'un vigoureux coup de pied.

On vit alors la Mole, sans chapeau, mais tout vêtu, retranché derrière son lit, son épée entre ses dents et ses pistolets à la main.

Oh! oh! dit Coconas en ouvrant les narines en véritable bête fauve qui flaire le sang, voilà qui devient intéressant, maître la Hurière. Allons, al- lons ! en avant !

Ah ! l'on veut m'assassiner, à ce qu'il paraît! cria la Mole , dont les yeux flamboyaient, et c'est toi, misérable!

Maître la Hurière ne répondit à cette apostrophe qu'en abaissant son arquebuse et qu'en mettant le jeune homme en joue. Mais la Mole avait vu la dé- monstration, et, au moment le coup partit, il se jeta à genoux, et la balle passa par-dessus sa tête.

A moi, cria la Mole, à moi, monsieur de Co- conas!

---A moi! monsieur de Maurevel, à moi ! cria la Hurière.

Ma foi, monsieur de la Mole ! dit Coconas, tout ce que je puis faire dans cette affaire est de ne point me mettre contre vous. Il paraît qu'on tue cette nuit les huguenots au nom du roi. Tirez-vous de comme vous pourrez.

Ah! traîtres! ah! assassins! c'est comme cela, eh bien ! attendez

Et la Mole, visant à son tour, lâcha la délente d'un de ses pistolets. La Hurière, qui ne le perdait pas de vue, eut le temps de se jeter de côté ; mais Co- conas, qui ne s'attendait pas à cette riposte, resta à la place il était, et la balle lui effleura l'épaule.

Mordi! cria-t-il en grinçant des dents, j'en tiens; à nous deux donc! puisque tu le veux.

Et, tirant sa rapière, il s'élança vers la Mole.

Sans doute, s'il eût été seul, la Mole l'eût attendu; mais Coconas avait derrière lui maître la Hurière", qui rechargeait son arquebuse, sans compter Jlau- revel, qui, pour se rendre à l'invitation de l'auber- giste, montait les escaliers quatre à quatre. La Mole se jeta donc dans un cabinet, et verrouilla la porte derrière lui.

Ah ! schelme I s'écriait Coconas furieux, heur- tant la porte du pommeau de sa rapière, attends, attends. Je veux te trouer le corps d'autant de coups d'épée que tu m'as gagné d'écus ce soir! Ah! je viens pour t'empècher de souffrir! ah! je viens pour qu'on ne te vole pas ! et tu me récompenses en m'envoyant une balle dans l'épaule! attends, birbone! attends!

Sur ces entrefaites, maître la Hurière s'approcha, et d'un coup de la crosse de son arquebuse fit voler la porte en éclats.

Coconas s'élança dans le cabinet, mais il alla don- ner du nez contre la muraille : le cabinet était vide et la fenêtre ouverte.

Il se sera précipité, dit l'hôte ; et, comme nous sommes au quatrième, il est mort.

Ou il se sera sauvé par le toit de la maison voisine, dit Coconas en enjambant la barre de la fenêtre et en s'apprêtant à le suivre sur ce terrain glissant et escarpé.

Mais Maurevel et la Hurière se précipitèrent sur lui, et le ramenant dans la chambre :

Êtes-vous fou? s'écrièrent-ils tous deux à la fois. Vous allez vous tuer.

Bah! dit Coconas, je suis montagnard, moi, et habitué à courir dans les glaciers. D'ailleurs, quand un homme m'a insulté une fois, je monte- rais avec lui jusqu'au ciel, ou je descendrais avec lui jusqu'en enfer, quelque chemin qu'il prît pour y arriver. Laissez-moi faire.

Allons donc! dit Maurevel, ou il est mort, ou il est loin maintenant. Venez avec nous; et, si celui- vous échappe, vous en trouverez mille autres à sa place.

Vous avez raison, hurla Coconas. Mort aux huguenots ! J'ai besoin de me venger, et le plus tôt sera le mieux.

Et tous trois descendirent l'escalier comme une avalanche.

Chez l'amiral! cria Maurevel.

Chez l'amiral ! répéta la Hurière.

Chez l'amiral, doue, puisque vous le voulez! dit à son tour Coconas.

Et tous trois s'élancèrent de l'hôtel de la Belle- Étoile, laissé en garde à Grégoire et aux autres garçons, se dirigeant vers l'hôtel de l'amiral, situé rue de Béthisy; une flamme brillante et le bruit des arquebusades les guidaient de ce côté.

Eh ! qu: vient là? s'écria Coconas. Un homme sans pourpoint et sans écharpe.

C'en est un qui se sauve, dit Maurevel.

44

LA REINE MARGOT.

A vous, à vous, à vous, qui avez des arque- buses ! s'écria Coconas

Ma foi non, dit Maurevel ; je garde ma pou- dre pour meilleur gibier.

A vous, la Huriérel

Attendez, attendez! dit l'aubergiste en ajus- tant.

Ah ! OUI, attendez, s'écria Coconas ; et en at- tendant il va se sauver.

Et il s'élança à la poursuite du malheureux qu'il eut bientôt rejoint, car il était déjà blessé. Mais au moment où, pour ne pas le frapper par derrière, il lui criait : « Tourne, mais tourne donc! » un coup d'arquebuse retentit, une balle siffla aux oreilles de Coconas, et le fugitif roula comme un lièvre atteint dans sa course la plus rapide par le plomb du chas- seur.

Un cri de triomphe se fit entendre derrière Co- conas; le Piémontais se retourna, et vit la Hurière agitant son arme.

Ah! cette fois, s'écria-l-il, j'ai étrenné au moins.

Oui, mais vous avez manqué me percer d'ou- tre en outre, moi.

Prenez garde, mon gentilhomme, prenez garde, cria la Hurière.

Coconas fit un bond en arrière. Le blessé s'était relevé sur un genou ; et, tout entier à la veageance, il allait percer Coconas de son poignard au moment même l'avertissement de son hôte avait prévenu le Piémontais.

Ah ! vipère, s'écria Coconas.

Et, se jetant sur le blessé, il lui enfonça trois fois son épée jusqu'à la garde dans la poitrine.

Et maintenant, s'écria Coconas, laissant le huguenot se débattre dans les convulsions de l'a- gonie : chez l'amiral ! chez l'amiral !

Ah! ah! mon gentilhomme, dit Maurevel, il paraît que vous y mordez.

Ma foi oui, dit Coconas. Je ne sais pas si c'est l'udeur de la poudre qui me grise ou la vue du sang qui m'excite, mais, mordi ! je prends goût à la tue- rie. C'est comme qui dirait une battue à l'homme. Je n'ai encore fait que des battues à l'ours ou au loup, et, sur mon honneur, la battue à l'homme me paraît plus divertissante.

Et tous trois reprirent leur course.

LA REINE MARGOT.

43

£C

Oii vil alors la Mole, son épée entre ses dents et ses pistolets à la main. Page 43.

VIII

LES MASSACIŒS.

et par deux

'hôtel qu'habitait l'amiral était, comme nous l'avons dit, situé rue de Béthisy. C'était une grande maison s'élevant au fond d'une cour avec deux ailes eu re- tour sur la rue. Un mur ou- vert par une grande porte petites grilles donnait entrée dans cette

cour. Lorsque nos trois guisards atteignirent l'extré- mité de la rue Béthisy qui fait suite à la rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, ils virent l'hôtel entouré de Suisses, de soldats et de bourgeois en armes ; tous tenaient à la main droite ou des épées, ou des piques, ou des arquebuses, et quelques-uns, à la main gauche, des flambeaux, qui répandaient sur cette scène un jour funèbre et vacillant, lequel, suivant le mouvement imprimé, s'épandait sur le

46

LA REINE aiARGOT.

pavé, montait le long des murailles ou flamboj'ait sur cette mer vivante chaque arme jetait son éclair. Tout autour de l'iiôtel et dans les rues Tire- chape, Etienne et Bertin-Poirée. l'œuvre terrible s'accomplissait. De longs cris se faisaient entendre, la mousqueterie pétillait, et de temps en temps quelque malheureux, à moitié nu, pâle, ensan- glanté, passait, bondissant comme un daim pour- suivi, dans un cercle de lumière funèbre sem- blait s'agiter un monde de démons.

En un instant, Coconas, Maurevel et la Hurière, signalés de loin par leurs croix blanches et accueil- lis par les cris de bienvenue, furent au plus épais de cette foule haletante et pressée comme une meute. Sans doute ils n'eussent pas pu passer ; mais qnel- ques-uns reconnurent Maurevel et lui firent faire place. Coconas et la Hurière se glissèrent à sa suite; tous trois parvinrent donc à se glisser dans la cour. Au centre de cette cour, dont les trois portes étaient enfoncées, un homme autour duquel les as- sassins lai^ipent un vide respectueux se tenait de- bout, appuyé sur une rapière nue, et les j'eux fixés sur un balcon élevé de quinze pieds à peu près et s'étendant devant la fenêtre principale de l'hôtel. Cet homme frappait du pied avec impatience, et de temps en temps se retournait pour interroger ceux qui se trouvaient les plus proches de lui.

Rien encore, murmura-t-il. Personne... Il aura été prévenu, il aura fui. Qu'en pensez-vous, du Gast?

Impossible, monseigneur.

Pourquoi pas? Ne m'avez-vous pas dit qu'un instant avant que nous n'arrivassions un homme sans chapeau , l'épée nue à la main , et courant comme s'il était poursuivi, était venu frapper à la porte et qu'on lui avait ouvert?

Oui , monseigneur ; mais presque aussitôt M. de Besme est arrivé, les portes ont été enfoncées, l'hôtol cerné. L'homme est bien entré, mais à coup sûr il n'a pu sortir.

Eh ! mais, dit Coconas à la Hurière, est-ce que je me trompe, ou n'est-ce pas M. de Guise que je vois ?

Lui-même, mon gentilhomme. Oui, c'est le grand llpnri de Guiso en personne, qui attend sans d()Ul(! cpio rainiral sorte pour lui en faire autant que i'aiiiirai im a fait fi son père. Chacun ron tour, mon gentilhomme, et, Dieu merci! c'est aujour- d'hui le nôtre.

Holà! Besme! holà! cria le duc do sa voix puissante, n'est-ce doni; point encore (ini?

Et de la pointe de son cpée. impatiente comme lui, il faisait jaillir des étincollos du pavé.

En ce niouicnt on entendit cotnine des cris dans riiôinl, puis des coups do fi'U, puis un grand mou- voineiit de pieds et un hniit d'armes heurtées, au- quel sucii'da un nouvc;tu silence.

Le duc fit un mouvement pour se précipiter dans la maison.

Monseigneur, monseigneur, lui dit du Gast en se rapprochant de lui et en l'arrêtant, votre di- gnité vous commande de demeurer et d'attendre.

Tu as raison, du Gast; merci! j'attendrai. Mais, en vérité, je meurs d'impatience et d'inquié- tude. Ah! s'il m'échappait!

Tout à coup le bruit des pas se rapprocha... les vitres du premier étage s'illuminèrent de reflets pareils à ceux d'un incendie. La fenêtre sur la- quelle le duc avait tant de fois levé les yeux s'ou- vrit, ou plutôt vola en éclats ; et un homme au vi- sage pâle et au col blanc tout souillé de sang ap- parut sur le balcon.

Besme ! cria le duc. Enfin, c'est toi! Eh bien? eh bien?

Foilà! foilà! répondit froidement l'Allemand, qui, se baissant, se releva presque aussitôt en parais- sant soulever un poids considérable.

Mais les autres , demanda impatiemment le duc, les autres, sont-ils?

Les autres, ils achèfent les autres.

Et toi, toi! qu'as-tu fait?

Moi, fous allez foir, regulez-vous un beu. Le duc fit un pas en arrière.

En ce moment on put distinguer l'objet que Besme attirait à lui d'un si puissant effort. C'était le cadavre d'un vieillard. 11 le souleva au-dessus du balcon, le balança un instant dans le vide, et le jeta aux pieds de son maître.

Le bruit sourd de la chute, les flots de sang qui jaillirent du corps et diaprèrent au loin le pavé, frappèrent d'épouvante jusqu'au duc lui-même; mais ce sentiment dura peu, et la curiosité fit que chacun s'avança do quelques pas, et que la lueur d'un flambeau vint trembler sur la victime.

On distingua alors une barbe blanche, un visage véni'rahle, et des mains roidies par la mort.

L'amiral! s'écrièrent ensemble vingt voix qui ensemble se turent aussitôt.

Oui, l'amiral. C'est bien lui, dit le dug en se rapprochant du cadavre pour le contempler avec une joie silencieuse.

L'amiral ! l'amiral ! répétèrent à demi-voix tous les témoins de celte horrible scène, se .serrant les uns contre les autres, et se rajiiirochant timide- ment de ce grand vieillard abattu.

Ah! te voilà donc, Gaspard! dit lo duc de Guise triomphant; tu as fait assassiner mon père, je le venge!

l'^t il posa le pied sur la poitrine du Iutos pro- testant. Mais aussitôt le,"» yeux du mourant s'ouvri- rent avec effort, .sa main sanglant» ol mutilée se crispa une dornièro fois, et l'amiral, sans sortir do son immobilité, dit nu sacrilège d'une voix sépul- crale ;

Henri do Guise, un jour aussi tu sentiras sur

LA REINE IIARGOT.

47

ta poitrine le pied d'un assassin. Je n'ai pas tué ton père. Sois maudit !

Le duc, pâle et tremblant malgré lui, sentit un frisson de glace courir par tout son corps, il passa la main sur son front comme pour en chasser la vi- sion lugubre; puis, quand il la laissa retomber, quand il osa reporter la vue sur l'amiral, ses j^eux s'étaient refermés, sa main était redevenue inerte, et un sang noir épanché de sa bouche sur sa barbe blanche avait succédé aux terribles paroles que cette bouche venait de prononcer.

Le duc releva son épée avec un geste de résolu- tion désespérée.

Eh pien ! montsir, lui dit Besrae, êtes-fous gontant?

Oui, mon brave, oui, répliqua Henri, car tu as vengé...

Le dugue François, n'est-ce bas?

La religion, reprit Henri d'une voix sourde. Et maintenant, continua-t-il en se retournant vers les Suisses, les soldats et les bourgeois qui encom- braient la cour et la rue, à l'œuvre ! mes amis, à l'œuvre !

Eh! bonjour, monsieur de Besme! dit alors Coconas s'approchant avec une sorte d'admiration de l'Allemand, qui, toujours sur le balcon, essuyait tranquillement son épée.

C'est donc vous qui l'avez expédié? cna la Hu- rière en extase ; comment avez-vous fait cela, mon digne gentilhomme?

Oh! pien zimblement, pien zimblement. Il avre entendu tu pruit, il avre oufert son borte, et moi ly avre passé mon rapir tans le corps à lui . Mais ce n'est bas le dout, che grois que le Teligny en dient, che l'endents grier.

En ce moment, en effet, quelques cris de dé- tresse qui semblaient poussés par une voix de femme se firent entendre ; des reflets rougeâtres illuminè- rent une des deux ailes formant galerie: On aper- çut deux hommes qui fuyaient poursuivis par une longue file de massacreurs. Une arquebusade tua l'un ; l'autre trouva sur son chemin une fenêtre ouverte, et, sans mesurer la hauteur, sans s'inquié- ter des ennemis qui l'attendaient en bas, il sauta intrépidement dans la cour.

Tuez, tuez! crièrent les assassins en voyant leur victime prête à leur échapper.

L'homme se releva en ramassant son épée, qui dans sa chute lui était échappée des mains, prit sa course tête baissée à travers les assistants, en cul- buta trois ou quatre, en perça un de son épée, et, au milieu du feu des pistolades, au milieu des impré- cations des soldats furieux de l'avoir manqué, il passa comme l'éclair devant Coconas, qui l'atten- dait à la porte le poignard à la main.

Touché, cria le Piémontais en lui traversant le br.as de la lame fine et aiguë.

Lâche! répondit le fugitif en fouettant le vi- sage de son ennemi avec la lame de son épée faute d'espace pour lui donner un coup de pointe.

Oh ! mille démons ! s'écria Coconas, c'est M. de la Mole!

M. de la Mole! répétèrent la Hurière et Mau- revel.

C'est celui qui a prévenu l'amiral, crièrent plusieurs soldats.

Tue, tue ! . . . hurla-t-on de tous côtés . Coconas, la Hurière et dix soldats s'élancèrent à

la poursuite de la Mole, qui, couvert de sang et ar- rivé à ce degré d'exaltation qui est la dernière ré- serve de la vigueur humaine, bondissait par les rues, sans autre guide que l'instinct. Derrière lui, les pas et les cris de ses ennemis l'ép^ronnaient et semblaient lui donner des ailes. Parfois une balle sifflait à son oreille et imprimait tout à coup à sa course, près de se ralentir, une nouvelle rapidité. Ce n'était plus une respiration, ce n'était plus une haleine qui sortait de sa poitrine, mais un râle sourd, mais un rauque hurlement. La sueur et le sang dégouttaient de ses cheveux et coulaient con- fondus sur son visage.

Bientôt son pourpoint devint trop serré pour les battements de son cœur, et il l'arracha. Bientôt son épée devint trop lourde pour sa main, et il la jeta loin de lui. Parfois il lui semblait que les pas s'é- loignaient et qu'il était près d'échapper à ses bour- reaux; mais, aux cris de ceux-ci, d'autres massa- creurs, qui se trouvaient sur son chemin et plus rapprochés, quittaient leur besogne sanglante et accouraient. Tout à coup il aperçut la rivière cou- lant silencieusement à sa gauche; il lui sembla qu'il éprouverait, comme le cerf aux abois, un in- dicible plaisir à s'y précipiter, et la force suprême de la raison put seule le retenir. A sa droite était le Louvre, sombre, immob'ile, mais plein de bruits sourds et sinistres. Sur le pont-levis entraient et sortaient des casques, des cuirasses qui renvoyaient en froids éclairs les rayons de la lune. La Mole son- gea au roi de Navarre, comme il avait songé à Co- ligny.. C'étaient ses deux seuls protecteurs. Il réu- nit toutes ses forces, regarda le ciel en faisant tout bas le vœu d'abjurer s'il échappait au massacre, fit perdre, par un détour, une trentaine de pas à la meute qui le poursuivait, piqua droit vers le Lou- vre, s'élança sur le pont pêle-mêle avec les soldats, reçut un nouveau coup de poignard, qui glissa le long des côtes, et, malgré les cris de : Tue! tuet qui retentissaient derrière lui et autour de lui , malgré l'attitude offensive que prenaient les senti- nelles, il se précipita comme une flèche dans la cour, bondit jusqu'au vestibule, franchit l'escalier, monta deux étages, reconnut une porte et s'y ap- puya en frappant des pieds et des mains.

Qui est là? murmura une voix de femme.

Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! murmura la Mole,

48

LA REINE MARGOT.

k leur tête était Coconas. Page 40.

ils viennent... jo, les cnlends... les voilà '....-je les vois... C'est moi! moi'....

Qui vous? reprit la voix.

La Mole se rappela le mol d'onlrc.

Navarre! Navarre! cria-t-il.

Aussitnt la porte s'ouvrit : la Mole, sans voir, sans remercier (lillonne, fit irruption dans un vestibule, traversa un nirridor, deux nu trois appartements, et parvint enfin dans une rhandire éolain'e par une lampe suspendue a<i plafond.

Sous des rideaux do velours fleurdelisc' d'nr, dans un lit do chfino sculpte, une femme à moitié nue,

appuyée sur snn hra<. ouvrait des yeux fixes d'é- pnuvantiv

La Mole se pricipila vers elle.

Madame! s'i'eria-t-il. on tue, on dgorge mes frères; on veut nie tuer, on veut m'égorger aussi. Ali ! vous êtes la reine... sauvez-moi !

Kt il se précipita à ses pieds, laissant .sur le tapis une large trace de sang.

V.n voyant cet liomnie pâle, défait, agenouillé de- vant elle, la reine de Navarre se dressa ('pouvantée, cachant son visage entre ses nlains et criant au se- cours.

LA i{\:}M :i]AniiOT.

49

'rje:^/fj< <yyoyK

Il se précipita vers elle et l'enveloppa dans ses bras, Page 50.

Madame, dit la Mole en faisant un effort pour se relever, au nom du ciel, n'appelez pas, car, si l'on vous entend, je suis perdu ! Des assassins me pour- suivent, ils montaient les degrés derrière moi. Je les entends... les voilà ! les voilà !...

Au secours! répéta la reine de Navarre hors d'elle ; au secours ! . . .

Ah ! c'est vous qui m'avez tué ! dit la Mule au désespoir. Mourir par une si douce voix, mourir par une si belle main. Ah! j'aurais cru cela im- possible !

Au même instant la porte s'ouvrit, et une meute

d'Iiuiiimes haletants, furieux, le visage taché de sang et de poudre, arquebuses, hallebardes et épées en arrêt, se précipita dans la chambre.

A leur tète était Coconas, ses cheveux roux héris- sés, son œil bleu pâle démesurément dilaté, la joue toute meurtrie par l'épée de la Mole, qui avait tracé sur les chairs son sillon sanglant : ainsi défiguré, le Piémontais était terrible à voir.

Mordi! cria-t-il, le voilà, le voilà! Ah! cette fois, nous le tenons, enfin!

De la Mole chercha autour de lui une arme et n'en trouva point. Il jeta les yeux sur la reine et

P3r;B. luip. de CBY aîné, ticulêViTI Uùm^auajst-, 8».

50

LA REINE MARGOT.

vil la plus profonde pitié peinte sur son visage. Alors il comprit qu'elle seule pouvait le sauver, se précipita vers elle et l'enveloppa dans ses bras.

Coconas fit trois pas en avant, et de la pointe de sa longue rapière troua encore une fois l'épaule de son ennemi, et quel([ues gouttes de sang tiède et vermeil diaprèrentcomme une roséeles draps blancs et parfumés de Marguerite.

Marguerite vit couler le sang Marguerite sentit frissonner ce corps enlacé au sien, elle se jeta avec lui dans la ruelle, il était temps. De la Mole, au bout de sa force, était incapable de faire un mou- vement ni pour fuir, ni pour se défendre. Il appuya sa tète livide sur l'épaule de la jeune femme, et ses doigts crispés se cramponnèrent, en la déchirant, à la fine batiste brodée qui couvrait d'un flot de gaze le corps de Marguerite.

Ah ! madame ! murmura-t-il d'une voix mou- rante, sauvez-moi! Ce fut tout ce qu'il put dire. Son œil, voilé par un nuage pareil à la nuit de la mort, s'obscurcit; sa tète alourdie retomba en ar- rière, ses bras se détendirent, ses reins plièrent, et il glissa sur le plancher dans son propre sang, en- traînant la reine avec lui.

En ce moment, Coconas, exalté par les cris, eni- vré par l'odeur du sang, exaspéré par la course ar- dente qu'il venait de faire, allongea le bras vers l'alcôve royale. Un instant encore, et son épée per- çait le cœur de la Mole, et peut-être en même temps celui de Marguerite.

A l'aspect de ce fer nu, et peut-être plutôt encore à la vue de cette insolence brutale, la fille des rois se releva de toute sa taille et poussa un cri telle- ment empreint d'épouvante, d'indignation et de rage, que le Piéraontais demeura pétrifié par un sentiment inconnu : il est vrai que, si cette scène se fût prolongée, renfermée entre les mêmes acteurs; ce sentiment allait se fondre comme une neige mati- nale au soleil d'avril.

Mais tout à coup, par une porte cachée dans la muraille, s'élança un jeune homme de seize à dix- sept ans, vèlu'de noir, pâle et les cheveux en dés- ordre.

Attends, ma sœur, attends, cria-l-il, me voilà! me voilà!

François! François! à mon secours! dit Mar- guerite.

Leduc d'Alençon! murmura la lluiièrc en baissant son ar(piebu.s('.

Mordi! un fils do Franco! grommela Coconas en reculant d'un pas.

Le duc d'Al('n:;nn jeta un regard autour de lui. Il vil Margucrilc! ('chevclée, plus liellc. <|ue jamais, appuyi'e à In muraille, entoun'c d'honiUKN lu fureur dans les ycux, la sueur au front, cl l'écume ù la bouche.

Misérables! s'écriii-lil.

Sauvez-moi, mon frère! dit Marguerite épui- sée. Ils veulent m'assassiner.

Une flamme passa sur le visage pâle du duc.

Quoiqu'il fûtsans armes, soutenu sans doute par la conscience de son nom, il s'avança, les poings cris- pés, contre Coconas et ses compagnons, qui reculè- rent épouvantés devant les éclairs qui jaillissaient de ses yeux.

Assassinerez-vous aussi un fils de France? voyons! dit-il.

Puis, comme ils continuaient de reculer devant lui :

Çà, mon capitaine des gardes, venez ici, et qu'on me pende tous ces brigands !

Plus effrayé à la vue de ce jeune homme sans ar- mes qu'il ne l'eât été à l'aspect d'une compagnie de retires ou de lansquenets, Coconas avait dt'jà gagné la porte. La llurière redescendait les degrés avec des jambes de cerf, les soldats s'entrechoquaient et se culbutaient dans le vestibule pour fuir au plus tôt, trouvant la porte trop étroite comparée au grand désir qu'ils avaient d'être dehors.

Pendant ee temps, Marguerite avait instinctive- ment jeté sur le jeune homme évanoui sa couver- ture de damas, et .s'était éloignée de lui.

Uiiand le dernier meurtrier eut disparu, le duc d'Alençon se retourna.

Ma sœur, s'écria-t-il en voyant Marguerite toute marbrée de sang, serais-tu blessée'!

Et il s'c'lança vers sa sœur avec une inquiétude qui eût fait honneur à sa tendresse, si cette ten- dresse n'eût pas été accusée d'être plus grande qu'il ne convenait à un frère

Non, dit-elle, je ne le crois pas, ou, si je le suis, c'est légèrement.

Mais ce sang, ilit le duc en parcourant de ses mains tremblantes tout le corps de Marguerite; ce sang, d'où vient-il?

Je ne sais, dit la jeune femme. Un de ces mi- sérables a porté la main sur moi, peul-êlrc était-il blessé.

Porté la main sur ma sieur! s'écria le duc. Oh ! si lu me l'avais seulement montré du doigt, si lu m'avais dil k'ijucl, si je savais le retrouver!...

Chut! dit Marguerile.

- lit poiir(]uoi cela .' dit François.

Parce que si l'on vous voyait à celte heure dans ma chambre...

Un frère no peul-il pas visiter sa suMir, Mar- guerite?

La n>ine arrêta sur lo duc d'Alençon un leg.ird si fixe et cependant si nienaçanl, que le jciino liomuie recula.

Oui, (Uii, Marguerite, dil-il, tu as rais(ui, nui, je ri'iilre chiz moi. Mais lu ne peux resli^r seule pendant cclli' nuit Icrrilile. \eu\-lM que j'ap- pelle (iilhiniieï

LA REINE MARGOT.

51

Non, non, personne; va-t'en, François, va-t'en par tu es venu.

Le jeune prince obéit ; et à peine eut-il disparu, que Marguerite, entendant un soupir qui venait de derrière son lit, s'élança vers la porte du passage secret, la ferma au verrou, puis courut à l'autre porte, qu'elle ferma de même, juste au moment un gros d'archers et de soldats qui poursuivaient d'autres huguenots logés dans le Louvre passaient comme un ouragan à l'extrémité du corridor.

Alors, après avoir regardé avec attention autour d'elle pour voir si elle était bien seule, elle revint vers la ruelle de son lit, souleva la couverture de damas qui avait dérobé le corps de la Mole aux re- gards du duc d'Âlençon, tira avec effort la masse inerte dans la chambre, et, voyant que le malheu- reux respirait encore, elle s'assit, appuya sa tète sur ses genoux, et lui jeta de l'eau au visage pour le faire revenir.

Ce fut alors seulement que, l'eau écartant le voile de poussière, de poudre et de sang qui couvrait la figure du blessé, Marguerite reconnut en lui ce beau gentilhomme qui, plein d'existence et d'espoir, était trois ou quatre heures auparavant venu lui demander sa protection près du roi de Navarre, et l'avait, en la laissant rêveuse elle-même, quittée ébloui de sa beauté.

Marguerite jeta un cri d'effroi, car, maintenant, ce qu'elle ressentait pour le blessé, c'était plus que de la pitié, c'était de l'intérêt ; en effet, le hlessé pour elle n'était plus un simple étranger, c'était presque une connaissance. Sous sa main le beau visage de la Mole reparut bientôt tout entier, mais pMe, alan- gui par la douleur; elle mit avec un frisson mor- tel et presque aussi pâle que lui la main sur son cœur, son cœur battait encore. Alors elle étendit cette main vers un tlacou de sels qui se trouvait .sur une table voisine et le lui fit respirer.

La Mole ouvrit les yeux.

0 mon Dieu! murraura-t-il, suis-je?

Sauvé! Rassurez-vous. Sauvé! dit .Marguerite. La Mole tourna avec effort son regard vers la

reine, la dévora un instant des yeux et balbutia :

Oh ! que vous êtes belle !

Et, comme ébloui, il referma aussitôt la paupière en poussant un soupir.

Marguerite jeta un léger cri. Le jeune homme avait pâli encore, si c'était possible, et elle crut un instant que ce soupir était le dernier.

0 mon Dieu, mon Dieu! dit-elle, ayez pitié de lui !

En ce moment on heurta violemment à la porte du corridor.

Marguerite se leva à moitié, soutenant la Mole par-dessous l'épaule.

Qui va ? cria-t-elle.

Madame, madame, c'est moi,

moi ! cria une

voix de femme. Moi, la duchesse de Nevcrs.

Henriette ! s'écria Marguerite. Oh ! il n'y a pas de danger, c'est une amie, entendez-vous, mon- sieur?

La Mole fit un effort et se souleva sur un genou.

Tâchez de vous soutenir tandis que je vais ou- vrir la porte, dit la reine.

La Mole appuya sa main à terre, et parvint à gar- der l'équilibre.

Marguerite fit un pas vers la porte ; mais elle s'arrêta tout à coup, frémissant d'effroi.

Ah! tu n'es pas seule? s'écria-t-elle en en- tendant un bruit d'armes.

Non, je suis accompagnée de douze gardes que m'a laissés mon beau -frère M. de Guise.

M. de Guise! murmura la Mole. Ohl l'assas- sin! l'assassin!

Silence! dit Marguerite, pas un mot.

Et elle regarda tout autour d'elle pour voir elle pourrait cacher le blessé.

Une épée, un poignard? murmurait la Mole.

Pour vous défendre? inutile; n'avez-vous pas entendu ? ils sont douze et vous êtes seul.

Non pas pour me défendre, mais pour ne pas tomber vivant entre leurs mains.

Non, non, dit Marguerite, non, je vous sau- verai. — Ah ! ce cabinet! venez, venez.

La Mole fit un effort, et, soutenu par Marguerite, il se traîna jusqu'au cabinet. Marguerite referma ia porte derrière lui, et serrant la clef dans son au- monière :

Pas un cri, pas une plainte, pas un soupir, lui glissa-t-elle à travers le lambris, et vous êtes sauvé.

Puis, jetant un manteau de nuit sur ses épaules, elle alla ouvrir à son amie, qui se précipita dans ses bras.

Ah ! dit-elle, il ne vous est rien arrivé, n'est- pas, madame?

Non, rien, dit Marguerite, croisant son man- teau pour qu'on ne vit point les taches de sang qui maculaient son peignoir.

Tant mieux; mais en tout cas, comme M. le duc de Guise m'a donné douze gardes pour me re- conduire à son hôtel, et que je n'ai pas besoin d'un si grand cortège, j'en laisse six à Votre Majesté. Six gardes du duc de Guise valent mieux cette nuit qu'un régiment entier des gardes du roi.

Marguerite n'osa refuser; elle installa ses six gardes dans le corridor, et embrassa la duclsesse, qui, avec les six autres, regagna, l'hôtel du duc de Guise, qu'elle habitait en l'absence de son mari.

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52

LA REIiNE MARGOT.

IX

LES MASSACRKm'^,

oennas n'avait pas fui. il avait fait rptraite. La Hu- rièren"avait pas fui. il s'é- tait précipité. L'un avait disparu à la manière du 11»!'!', l'autre à celle flu _ Inup.

2^-i &.^£-^ jj PU résulta que la Hu- riére se trouvait déjà sur la place Saint-Germain- l'Auxerrois, que Coconas ne faisait encore que sor- tir du Louvre.

La Ilurière, se voyant seul avec son arquebuse au milieu des passants qui couraient, des balles qui sifllaient et des cadavres qui tombaient des fenêtres, les uns entiers, les autres par morceaux, commença à avoir peur et à chercher prudemment à rega- gner son hôtellerie; mais, comme il débouchait dans la rue de TArbre-Sec par la rue d'Averon, il tomba dans une troupe de Suisses et de cbcvau-légers : c'é- tait celle ([ue commandait Maur('vel.

^- Eh bien! s'écria celui qui s'ét.iit baptisé lui- même du nom de Tueur de roi. vous avez déjà fini? Vous rentrez, mon hûte'î et ([lie diable avez-vous fait de notre gentilhomme piémunlais? il ne lui est pas arrivé malheur? Ce serait dommage, car il al- lait bien.

Non pas, que je pense, reprit la Ihirière, et j'espère qu'il va nous rejoindre.

D'où venez-vous?

Du Louvre, je dois dire qu'on nous a reçus assez rudement.

Et qui cela?

M. le duc d'Alençon. Est-ce qu'il n'en est pas, lui?

Monseigneur le duc d'Alençon n'est de rien que de ce qui le louche personnellement; propo- sez-lui do traiter ses deux frères aims en hugue- nots, et il en sera : pourvu toutefois que la besogne se fasse sans le compromettre. Mais n'aliez-vnus point avec ces braves gens, maître la Ilurière?

Et vont-ils?

Oh ! mon Dieu! rue Monlorgueil, il y a un ministre huguenot de ma connaissance; il a une feiiimc et six enfants. Ces liér(''tiques engendrent énormément. Ce sera curieux.

Et vous, aliez-voiis?

Ob ! moi! je vais à une affaire particulière.

Dites donc, n'y allez pas sans moi, dit une voix qui lit tressaillir Maurevel, vo'us connaissez les bons endroits et je veux en être.

Ab ! c'est notre Piémontais! dit Maurevel.

C'est M. de Coconas, dit la Ilurière. ,Ie erovais que vous me suiviez.

Peste! vous détalez trop vite pourcela ; et puis, je me suis un peu détourné de la ligue droite pour aller jeter à la rivière un affreux enfant qui criait : A bas les papistes! vive l'amiral ! Malheureuse- ment, je crois que le drôle savait nager. Ces misé- rables parpaillots, si on veut les noyer, il faudrait les jeter à l'eau comme les chats. a\anl qu'ils ne voient clair.

Ah çà ! vous dites que vous venez du Louvre. Votre huguenot s'y était donc ré'fugié'? demanda Maurevel.

Ob ! mon Dieu, oui!

Je lui ai envoyé un coup de pistolet au mo- ment où il ramassait son épée dans la cour de l'a- miral; mais je ne sais comuient cela s'est fait, je l'ai manqué.

(ili ! moi. dit Coconas, je ne l'ai pas man- qué : je lui ai donné de mon épée dans le dos, que la lame en ('tait humide à cinq pouces de la pointe. D'ailleurs, je l'ai vu tomber dans les bras de ma- dame .Marguerite; jolie femme, mordi ! Cependant, je ne serais pas fâché d'être tout à fait sur qu'il est mort ce gaillard-là m'avait l'air d'être d'un carac- tère fort rancunier, et il serait capable de m'en vouloir toute sa vie. Mais ne disiez-vous pas que vous alliez quelque part?

Vous tenez donc à venir avec moi ?

,1e liens à ne pas rester en jdaciv mordi ! .le n'en ai encore lué((ue trois ou quatre, et. quand je me refroidis, mon cpaub" uh' fait mal. l!ii rouie! en route!

Capitaine, dit Maurevel au i hef de la troupe, donnez-moi trois hommes, et allez expédier voiri' ministre avec le reste.

Trois Suisses se détachèrent ei vinrent se joindre à Maiiri'vel. Les deux Iroiipc'; ce|ieudanl marchèrent rôle à côte jusiju'à la hauteur de la rue Tirechappe;

LA r.lilNE JIABGOT.

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Mais itiable nous conduirez vous? Jil Cnconas.

les chevau-légers et les Suisses prirent la rue rie la Tonnellerie, tandis que Maurevel, Cnconas, la Hurière et ses trois hommes suivaient la rue de la Ferronnerie, prenaient la rue Trousse-Vaeiie et ga- gnaient la rue Sainte-Avoie.

Mais diable nous conduisez-vous? dit Co- conas, que cette longue marche sans résultat com- mençait à ennuyer.

Je vous conduis à une expédition brillante et utile à la fois. Après l'amiral, après Téligny, après les princes huguenots, je ne pouvais rien vous of- frir de mieux. Prenez donc patience. C'est rue du

Chaume nous avons affaire, et dans un instant nous allons y être.

Dites- moi, demanda Coconas, la rue du Chaume n'est-elle pas proche du Temple .'

Oui, pourquoi?

Ah 1 c'est qu'il y a un vieux créancier de notre famille, un certain Lambert Mercandon, au- quel mon père m'a recommandé de rendre cent no- bles à la rose que j'ai à cet effet dans ma poche.

Eh bien ! dit Maurevel, voilà une belle occa- sion de vous acquitter envers lui.

Comment cela?

54

LA REI>'E MP.GOT.

C'est aujourd'hui le jour l'on règle ses vieux comptes. Votre Mercandon est-il huguenot?

Oli ! oh ! fit Coconas , je comprends, il doit l'être.

Chut ! nous sommes arrivés.

Quel est ce grand hôtel avec son pavillon sur la rue?

L'hôtel de Guise.

En vérité, dit Coconas, je ne pouvais pas man- quer de venir ici, puisque j'arrive à Paris sous le patronage du grand Henri. Mais, mordi ! tout est bien tranquille dans ce quartier-ci. mon ciier. c'est tout au plus si on y entend le bruit des arquebusa- des, on se croirait en province; tout le monde dort, ou que le diable m'emportel

En effet, l'hôtel de Guise lui-même semblait aussi tranquille que dans les temps ordinaires. Toutes les fenêtres en étaient fermées, et une seule lumière brillait derrièie la jalousie de la fenêtre principale du pavillon qui avait, lorsqu'il était entré dans la rue, attiré l'attention de Coconas.

Un peu au delà de l'hôtel de Guise, c'est-à-dire au coin de la rue du Petit-Chantier et de celle des Quatre-Fils, Maurevel s'arrêta.

Voici le logis de celui que nous cherchons, dit-il.

De celui que vous cherchez, c'esl-à-dire? Ot la Iluricre.

Puisque vous m'accompagnez, nous le cher- chons.

Comment I cette maison qui semble dormir d'un si bon sommeil...

.lusteinenll Vous, la Ilurièn;, vous allez utili- ser l'honnête figure que le ciel vous a donni-e par erreur, en frappant à cette maison. Passez voire ar- quebuse à M. de Coconas, il y a une heure que je vois qu'il la lorgne. Si vous êtes introduit, vous de- manderez à parler au seigneur de Mouy.

Ah ! ail ! lit Coconas, je comprends : vous avez aussi un créancier dans le quartier du Temple, à ce qu'il paraît.

Justement, continua Maurevel. Vous monterez donc en jouant le huguenot, vous avertirez de .Mouy de tout ce qui se passe; il est brave, il descendra...

Et une fois descendu? demanda la liurière.

Une fois descendu, je le prierai d'aligner son épée avec la mienne.

Sur mon âme, c'est d'un brave gentilhomme, dit Coconas, et je compte faire exactement la même chose avec Lambert Mercandon; et, s'il est trop vieux pour acrepior, ce sera avuc quelqu'un de ses fils ou de ses neveux.

La liurière alla sans n-pliquer frapper à la porte; ses coups, reli'iili.-isant dans le silence de la nuit, firent ouvrir les portes de riiùlel de Guise, el sortir quelques têtes par ses ouvertures : on vit alors «(ue riiôiel ('lait (■alinéa la manière des citadelles, cest- i'i-dire parce qu'il était plein de soldats.

Ces tètes rentrèrent presque aussitôt, devinant sans doute de quoi il était question.

11 loge donc là, votre M. de Mouy? dit Coco-' nas montrant la maison la liurière continuait de frapper.

Non ; c'est le logis de sa maîtresse.

Mordi I quelle galanterie vous lui faites! lui fournir l'occasion de tirer l'épée sous les yeux de sa belle ! Alors, nous serons les juges du camp. Ce- pendant, j'aimerais assez à me battre moi-même. Mon épaule me brûle.

Et votre figure? demanda Maurevel, elle est aussi fort endommagée.

Coconas poussa une espèce de rugissement.-

Mordi 1 dit-il, j'espère qu'il est mort; ou, sans cela, je crois que je retournerais au Louvre pour l'achever.

La liurière frappait toujours.

Bientôt une fenêtre du premier étage s'ouvrit, et un homme parut sur le balcon en bonnet de nuit, en caleçon et sans armes.

Qui va là? cria cet homme.

Maurevel fit un signe à ses Suisses, qui se ran- gèrent sous une encoignure, tandis que Coconas s'aplatissait de lui-même contre la muraille.

Ah 1 monsieur de Mouy, dit l'aubergiste de sa voix câline, est-ce vous?

Oui, c'ejt moi; après? -

C'est bien lui, murmura Maurevel en frémis- sant de joie.

Eii ! monsieur, continua la liurière, ne savez- vous point ce qui se passe! On égorge M. l'amiral, on tue les religionnaires nos frères. Venez vite à leur aide, venez.

Ah ! s'écria de Mouy, je me doutais bien qu'il se tramait quelque chose pour cette nuit. Alil je n'aurais pas quitter mes braves camarades. Me voici, mon ami, me voici, attendez-moi!

Et, sans refermer la fenêtre, parlaipiello sorliii-iit quelques cris de femme effrayie, quelques suppli- cations tendres. M. de Mouy chercha .>ion pourpoint, son manteau et ses armes.

Il descend, il descend! murmura Maurevel pâle de joie. Attention, vous autres! giissa-t-il dans l'oreille des Suisses; puis, retirant l'arquebu.se des mains de Coconas et .soufflant sur la mèche |iour s'assurer quelle ('tait toujours bien allumée; Tiens, la liurière. ajoiita-l-il à l'aubergiste, qui avait fait retraite vers le gros de la troupe, reprends ton ar- quebu.se.

Mordi ! s'i'cria Coconas, voici la lune (pu sort d'un nuage pour être l('moin de cell<' belle rencon- tre. Je donnerais beaucoup pour que Laniherl Mer- candon fut ici el servit de second à M. de Mouy.

Attendez, attendez! dit Maurevel. M. de Mouy vaut dix hommes à lui tout seul, et nous en aurons peut-être assez à nous six à nous débarrasser do lui. Avancez, vous autres, continua Maurevel en

LA REINE 5IARG0T

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faisant signe aux Suisses de se glisser contre la «porte, afin de le frapper quand il sortira.

Oli ! oh 1 dit Goconas en regardant ces prépa- ratifs, il parait que cela ne se passera noint tout à fait comme je m'y attendais

D('ià on entendait le bruit de la tiarre que tirait de Mouy. Les Suisses étaient sortis de leur cachette pour prendre leur place prés de la porte. Maurevel et la Hurière s'avançaient sur la pointe du pied, tandis que. par un reste de gentilhommerie. Goco- nas restait à sa place, lorsque la jeune femme, à la- quelle on ne pensait plus, parut à son tour au bal- con et poussa un cri terrible en apercevant les Suisses. Maurevel et la Iluriére.

De Mouy, qui avait déjà enlr'ouvert la porte, s'ar- rêta.

Remonte, remonte, cria la jeune femme; je vois reluire des épées, je vois briller la mèche d'une arquebuse. C'est un guct-apens.

Oh 1 oh I reprit en grondant la voix du jeune homme; voyons un peu ce que veut dire tout ceci.

Et il referma la porte, remit la barre, repoussa le verrou et remonta.

L'ordre de bataille de Maurevel fut changé dès qu'il vit que de Mouy ne sortirait point. Les Suis- ses allèrent se poster de l'autre côté de la rué, et la Hurière, son arquebuse au poing, attendit que l'en- nemi reparût à la fenêtre. Il n'attendit pas long- temps. De Mouy s'avança précédé de deux pistolets d'une longueur si respectable, que la Hurière, qui le couchait déjà en joue, rédéchit soudain que les balles du huguenot n'avaient pas plus de chemin à faire pour arriver dans la rue que sa balle à lui n'en avait pour arriver au balcon. Certes, se dit- il, je puis tuer ce gentilhomme, mais aussi ce gen- tilhomme peut me tuer du même coup.

Or. comme, au bout du compte, maître la Hu- rière. aubergiste de son état, n'était soldat que par circonstance, cette rédexion le détermina à faire retraite et à chercher un abri à l'angle de la rue de Braque, assez éloignée pour qu'il eîit quelque dif- ficulté à trouver de avec une certaine certitude, surtout la nuit, la ligne que devait suivre sa balle pour arriver jusi]u'à de Mouy.

De Mouy jeta un coup d'œil autour de lui et s'a- vança en s'effaçant comme un homme qui se pré- pare à un duel ; mais voyant que rien ne venait :

Çà, dit-il, il paraît, monsieur le donneur d'a- vis, que vous avez oublié votre arquebuse à ma porte. Me voilà, que me voulez-vous?

Ah! ah! se dit Goconas, voici en effet un brave.

Eh bien ! continua de Mouy, amis ou enne- mis, qui que vous soyez, ne vo)'ez-vous pas que j'attends?

La Hurière garda le silence. Maurevel ne répon- dit point, et les trois Suisses demeurèrent cois. Goconas attendit un instant; puis, voyant que

personne ne soutenait la conversation entamée par la Hurière et continuée par de Mouy, il quitta son posta, s'avança jusqu'au milieu de la rue, et met- tant le chapeau à la main :

Monsieur, dit-il, nous ne sommes point ici pour un assassinat, comme vous pourriez le croire, mais pour un duel... J'accompagne un de vos en- nemis qui voudrait avoir affaire à vous pour ter- miner galamment une vieille discussion. Eh ! mordi ! avancez donc, monsieur de Maurevel. au lieu de tourner le dos, monsieur accepte.

Maurevel! s'écria de Mouy Maurevel, l'assas- sin de mon père! Maurevel, le tueur du roi ! Ah! pardieu oui, j'accepte!

Et. ajustant Maurevel, qui allait frapper à. l'hôtel de Guise pour y ciiercher du renfort, il perça son chapeau d'une balle.

Au bruit de l'explosion,, aux cris de Maurevel, les gardes qui avaient ramené la duchesse de Ne- vers sortirent accompagnés de trois ou quatre gen- tilshommes suivis de leurs pages, et s'avancèrent vers la maison de la maîtresse du jeune de Mouy.

Un second coup de pistolet tiré au milieu de la troupe fit tomber mort le soldat qui se trouvait le plus proche de Maurevel, après quoi de Mouy, se trouvant sans armes, ou du moins avec des armes inutiles, puisque ses pistolets étaient déchargés, et que ses adversaires étaient hors de la portée de l'é- pée, s'abrita derrière la galerie du balcon.

Cependant, çà et les fenêtres commençaient de s'ouvrir aux environs, et, selon l'humeur pacifique ou belliqueu.se de leurs habitants, se refermaient ou se hérissaient de mousquets ou d'arquebuses.

' A moi, mon brave Mercandon ! s'écria de Mouy en faisant signe à un homme déjà vieux, qui. d'une fenêtre qui venait de s'ouvrir en face de l'hôte! de Guise, cherchait à voir quelque chose dans cette confusion.

Vous appelez, sire de Mouy ! cria le vieillard ; est-ce à vous qu'on en veut?

C'est à moi, c'est à vous, c'est à tous les pro- testants; et, tenez, en voilà la preuve.

En effet, en ce moment, de Mouy avait vu se di- riger contre lui l'arquebuse de la Hurière. Le coup partit; mais le jeune homme eut le temps de se baisser, et la balle alla briser une vitre au-dessus de sa tête.

Mercandon ! s'écria Goconas, qui, à la vue de cette bagarre, tressaillait de plaisir et avait oublié son créancier, mais à qui cette apostrophe de de Mouy le rappelait; Mercandon, rue- du Chaume, c'est bien cela! Ah ! il demeure là. c'est bon; nous allons avoir affaire chacun à notre homme.

Et. tandis que les gens de l'hôtel de Guise enfon- çaient les portes de la maison était de Mouy; tandis que Maurevel, un flambeau à la main, es- sayait d'incendier la maison; tandis que, les portes une fois brisées, un combat terrible s'engageait cod-

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LA REINE 5IÂRG0T.

Cocoua^ essiiyaii, ii l'aido cl un p:iu', d'ciiloncci' la porte ds Murcciidoir

Ire lin seul homme ijui à cIkuiiic coup de pistolet ou il elia(|ue coup de mpiére abattait son onnenii, Cocouas essayait, à l'aide d'un pavé, d'enfoncer la porte de Mcrcandon, (jui. sans s'infiuii'ter de cet effort .si)lil;iire, anpiehiisait de son mieux à sa fe- nêtre.

Alors tout ce quartier désert et obscur se trouva illiiininé comme en pliiin jfnir, peu[d(' comme l'in- lérieur d'une foiirmiliiTiu car. (\i: l'Iiùlcl d(^ Mont- morency, si,\ ou huit gentilshommes huj;uenols, avec leurs serviteurs et leurs amis, vcuaicnl de faire une charge furieuse, et commençaient, soute-

nus p.ir le feu des fenêtres, à faire reculer le^s gens de .Maurevcl et ceux de l'hntel de Guise, qu'ils lini- rent par acculer à l'iiotel d'où ils étaient .sortis.

Coi'onns. (jui n'avait point encore achev(" d'enfon- cer la porte de Mercandoii. qiioiipi'il s'escrimât di' tout son cœur, fut pris dans ce hru.sque refoule- ment. S'adossant alors à la muraille et mettant l'é- pi'C à la main, il commença non-seulement à .sede- fi'iiilre, mais encore à attaquer avec des cris si ter- ribles, qu'il dominait toute crtir mêlée. Il ferrailla ainsi de droito à gauche, frappant amis cl ennemis jusiiu'à ce qu'un larpe vide se fût opéré autour de

LA REINE MARGOT.

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/'/('/■MOAmf

Q apparut enfin dans la rue, soutenant d'un bras sa maîtresse.

lui. A mesure que sa rapière trouait une poitrine et que le sang tiède éclaboussait ses mains et son vi- sage, lui, l'œil dilaté, les narines ouvertes, les dents serrées, regagnait le terrain perdu et se rap- prochait de la maison assiégée.

De Mouy, après un combat terrible livré dans l'escalier et le vestibule, avait fini par sortir en vé- ritable héros de sa maison brûlante. Au milieu de toute cette lutte, il n'avait pas cessé de crier : A moi, Maurevel! Maurevel, es-tu? l'insultant par les épithètes les plus injurieuses. Il apparut enfin dans la rue, soutenant d'un bras sa maîtresse, à moitié

f^rji. lmp.de BRY aln^, bODletart Hontpanuase, U.

nue et presque évanouie, et tenant un poignard en- tre ses dents. Son épée, flamboyante par le mouve- ment de rotation qu'il lui imprimait, traçait des cercles blancs ou rouges selon que la lune en ar- gentait la lame ou qu'un flambeau en faisait reluire l'humidité sanglante. Maurevel avait fui. La Hu- rière, repoussé par de Mouy jusqu'à Coconas, qui ne le reconnaissait pas et le recevait à la pointe de son épée, demandait grâce des deux côtés. En ce moment, Mercandon l'aperçut, le reconnut à son écharpe blanche pour un massacreur. Le coup par- tit. La Hurière jeta un cri, étendit les bras, laissa

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LA REINE MARGOT.

échapper son arquebuse, et, après avoir essayé de gagner la muraille pour se retenir à quelque chose, tomba la face contre terre.

De Mouy profita de cette circonstance, se jeta dans la rue de Paradis et disparut.

La résistance des huguenots avait été telle, que les gens de rhotel de Guise, repoussés, étaient ren- trés et avaient fermé les portes de rhûtel dans la crainte d'être assiégés et pris chez eux.

Coconas, ivre de sang et de bruit, arrivé à cette exaltation où, pour les gens du Midi surtout, le courage se change en folie, n'avait rien vu, rien entendu. Il remarqua seulement que ses oreilles tintaient moins fort, que ses mains et son visage se séchaient un peu, et, abaissant la pointe de son épée, il ne vit plus près de lui qu'un homme cou- ché, la face noyée dans un ruisseau rouge, et autour de lui que maisons qui brûlaient.

Ce fut une bien courte trêve, car, au moment il allait s'approcher de cet homme, qu'il croyait re- connaître pour la Ilurière, la porte de la maison, qu'il avait vainement essayé de briser à coups de pavés, s'ouvrit, et le \ieux Mercandon, suivi de son fils et de ses deux neveux, fondit sur le Piémonlais occupé à reprendre haleine.

Le voilà, le voilà ! s'écrièrent-ils tout d'une voix.

Coconas se trouvait au milieu de la rue, et, crai- gnant d'être entouré par ces quatre hommes qui l'attaquaient à la fois, il fit, avec la vigueur d'un de ces chamois qu'il avait si souvent poursuivis dans les montagnes, un bond en arrière et se trouva adossé à la muraille de l'hôtel de Guise. Une fois tranquillisé sur les surprises, il se remit en garde et redevint railleur.

Ah ! ah! père Mercandon ! dit-il, vous ne mo reconnaissez pas?

Oh ! misérable! s'écria le vieux huguenot, je te reconnais bien au contraire; tu m'en veux! à moi, l'ami, le compagnon de ton père!

Et son créancier, n'est-ce pas?

Oui , son créancier, puisque c'est toi qui le dis.

Eh bien! justement, répondit Coconas, je viens régler nos comptes.

Saisissons-le, lions-le, dit le vieillard aux jeunes gens qui l'accompagnaient, cl qui à sa voix s'élancèrent contre la muraille.

Un instant, un instant! dit en riant Coconas. Pour arrêter les gens il vous faut une prise decorps, et vous avez négligé do la demander au prévôt.

Et, à ces paroles, il engagea l'iqiée avec celui des jeunes gens qui se trouvait le plus proche do lui, et au premier dégagement lui abattit le poignet avec sa rapière.

Le malheureux se recula en hurlant.

Et d'un ! dit Cnconas.

Au mCme instant, la fcnôtro sous laquelle Coco-

nas avait cherché un abri s'ouvrit en grinçant. Co- conas Ct un soubresaut, craignant une attaque de ce côté; mais, au lieu d'un ennemi, ce fut une femme qu'il aperçut; au lieu de l'arme meurtrière qu'il s'apprêtait à combattre, ce fut un bouquet qui tomba à ses pieds.

Tiens, une femme! dit-il.

Il salua la dame de son épée et se baissa pour ra- masser L bouquet.

Prenez garde, brave catholique, prenez garde, s'éeria la dame.

Coconas se releva, mais pas si rapidement que le poignard du second neveu ne fendit son manteau et n'entamât l'autre épaule.

La dame jeta un cri perçant.

Coconas la remercia et la rassura d'un même geste, s'élança sur le second neveu, qui rompit; mais, au second appel, son pied de derrière glissa dans le sang. Coconas s'élança sur lui avec la rapi- dité d'un chat-tigre, et lui traversa la poitrine de son épée.

-Bien, bien, brave cavalier! cria la dame de l'hôtel de Guise, bien ! je vous envoie du secours.

Ce n'est point la peine de vous déranger pour cela, madame! dit Coconas. Regardez plutôt jus- qu'au bout, si la chose vous intéresse, et vous allez voir comment le comte Annibal de Coconas accom- mode les huguenots.

En ce moment, le fils du vieux Mercandon tira presque à bout portant un coup de pistolet à Coco- nas, qui tomba sur un genou. La dame de la fenê- tre poussa un cri, mais Coconas se releva; il ne s'était agenouillé que pour éviter la balle, qui alla trouer le mur à deux pieds de la belle spectatrice.

Presque en même temps, do la fenêtre du logis de Mercandon partit un cri de rage , et une vieille femme, qui à sa croix et à son écharpe blanche re- connut Coconas pour un catholique, lui lança un pot de fleurs qui l'atteignit au-dessus du genou.

Bon! dit Coconas; l'une me jette les fleurs, l'autre les pots. Si cela continue, on va démolir les maisons.

Merci, ma mère, merci ! cria le jeune homme.

Va, femme, va ! dit le vieux Mercandon, mais prends garde à nous!

Attendez, monsieur de Coconas, attendez, dit la jeune dame do l'hôtel do Guise; jo vais faire ti- rer aux fenêtres.

Ah çà! c'est donc un enfer de femmes, dont les unes sont pour moi et les autres contre moi I dit Coconas. Monli ! linissons-en.

La scène, en effet, était Lion changée, ct lirait évidemment à son dénoùmont. En face de Coconas, blessé il est vrai, mais dans toute la vigueur do ses vingt-quatro ans, mais hahiluo aux armes, mais ir- rité plutôt qu'affaibli par les trois ou (|uatro egrali- gnurcs qu'il avait reçues, il ne restait |ilus que Mercandon et son fiU : Mercandon, vieillard de

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soixante à soixante-dix ans; son fils, enfant de seize à dix-huit ans : ce dernier, pâle, blond et frùle, avait jeté son pistolet déchargé, et, par conséquent, devenu inutile, et agitait en tremblant uneépée de moitié moins longue que celle du Piémoutais; le père, armé seulement d'un poignard et d'une arque- buse vide, appelait au secours. Une vieille femme, à la fenôtre en faœ, la mère du jeune homme, te- nait à la main un morceau de marbre et s'apprêtait à le lancer. Enfin Coconas, excité d'un côté par les menaces, de l'autre par les encouragements, fier de sa double victoire, enivré de poudre et de sang, éclairé par la réverbération d'une maison en fiam- mes, exalté par l'idée qu'il combattait sous les yeux d'une femme dont la beauté lui avait semblé si su- périeure que son rang lui paraissait incontestable; Coconas, comme le dernier des Iloraces, avait senti doubler ses forces, et, voyant le jeune homme hé- siter, il courut à lui et croisa sur sa petite épée sa terrible et sanglante rapière. Deux coups suffirent pour la lui faire sauter des mains. Alors Mercan- don chercha à repousser Coconas, pour que les pro- jectiles lancés de la fenêtre l'atteignissent plus sû- rement. Mais Coconas, au contraire, pour paralyser la double attaque du vieux Mercandon, qui essayait de le percer de son poignard, et de la mère du jeune homme, qui tentait de lui briser la tête avec la pierre qu'elle s'apprêtait à lui lancer, saisit son adversaire à bras-le-corps, le présentant à tous les coups comme un bouclier, et l'étouffant dans son étreinte herculéenne.

A moi ! à moi ! s'écria le jeune homme, il me brise la poitrine ! à moi, à moi !

Et sa voix commença de se perdre dans un râle sourd et étranglé. Alors Mercandon cessa de menacer, il supplia.

Grâce, grâce, dit-il, monsieur de Coconas! grâce '. c'est mon unique enfant !

C'est mon fils, c'est mon fils, cria la mère, l'espoir de notre vieillesse ! ne le tuez pas, mon- sieur ! ne le tuez pas !

Ah! vraiment! cria Coconas en éclatant de rire, que je ne le tue pas ! et que voulait-il donc me faire avec son épée et son pistolet'

Monsieur , continua Mercandon en joignant les mains, j'ai chez moi l'obligation souscrite par votre père, je vous la rendrai; j'ai dix mille écus d'or, je vous les donnerai ; j'ai les pierreries de no- tre famille, et elles seront à vous ; mais ne le tuez pas, ne le tuez pas !

Et moi, j'ai mon amour, dit à demi-voix la femme de rhôtel de Guise, et je vous le promets.

Coconas réfléchit une seconde, et soudain :

Ètes-vous huguenot? demanda-t-il au jeune homme.

Je le suis, murmura l'enfant.

En ce cas, il faut mourir ! répondit Coconas en fronçant les sourcils et en approchant de la poi-

trine de son adversaire la miséricorde acérée et tranchante.

Mourir ! s'écria le vieillard, mon pauvre en- fant! mourir!

Et un cri de mère retentit si douloureux et si profond, qu'il ébranla pour un moment la sauvage résolution du Piémontais.

Oh ! madame la duchesse! s'écria le père se tournant vers la femme de l'hôtel de Guise, inter- cédez pour nous, et tous les matins et tous les soirs votre nom sera dans nos prières.

Alors, qu'il se convertisse! dit la dame de l'hôtel de Cuise.

Je suis protestant, dit l'enfant.

Meurs donc, dit Coconas en levant' sa dague, meurs donc, puisque tu ne veux pas de la vie que cette belle bouche t'offrait.

Mercandon et sa femme virent la lame terrible luire comme un éclair au-dessus de la tête de leur fils.

Mon fils, mon Olivier, hurla la mère, abjure... abjure.

Abjure, cher enfant, cria Mercandon se rou- lant aux pieds de Coconas, ne nous laisse pas seuls sur la terre.

Abjurez tous ensemble, cria Coconas ; pour un Credo, trois âmes et une vie!

Je le veux bien, dit le jeune homme.

Nous le voulons bien, crièrent Mercandon et sa femme.

A genoux, alors! dit Coconas, et que ton fils récite mot à mot la prière que je vais te dire.

Le père obéit le premier.

Je suis prêt, dit l'enfant; et il s'agenouilla à son tour.

Coconas commença alors à lui dicter en latin les paroles du Credo. Mais, soit hasard, soit calcul, le jeune Olivier s'était agenouillé près de l'endroit avait volé son épée. A peine vit-il cette arme à la portée de sa main, que, sans cesser de répéter les paroles de Coconas, il étendit le bras pour la sai- sir. Coconas aperçut le mouvement tout en faisant semblant de ne pas le voir. Mais, au moment le jeune homme touchait du bout de ses doigts cris- pés la poignée de l'arme, il s'élança sur lui, et le renversant : Ah! traître! dit-il.

Et il lui plongea sa dague dans la gorge. . Le jeune homme jeta un cri, se releva convulsi- vement sur un genou et retomba mort.

Ah ! bourreau , hurla Mercandon , tu nous égorges pour nous voler les cent nobles à la rose que tu nous dois...

Ma foi non, dit Coconas, et la preuve...

En disant ces mots, Coconas jeta aux pieds du vieillard la bourse qu'avant son départ son père lui avait remise pour acquittersa dette envers son créan- cier.

60

LA REINE MARGOT.

Et la preuve, continua- t-il. c'est que voilà vo- tre argent.

Et toi, voici ta mort ! cria la mère de la fe- nêtre.

Prenez garde, monsieur de Coconas, prenez garde, dit la dame de l'hôtel de Guise.

Mais, avant que Coconas eût pu tourner la tète pour se rendre à ce dernier avis ou pour se sous- traire à la première menace, une masse pesante fendit l'air en sifflant, s'abattit à plat sur le cha- peau du Piémonlais. lui brisa son épée dans la main et le coucha sur le pave surpris, étourdi, assommé, sans qu'il eût pu entendre le double cri de joie et de détresse qui se répondit de droite à gauche.

Mercandon s'élança aussitôt, le poignard à la main, sur Coconas évanoui; mais en ce moment la porte de l'hôtel de Guise s'ouvrit, et le vieillard, voyant luire les pertuisanes et les épées, s'enfuit, tandis que celle qu'il avait appelée madame la du- chesse, belle d'une beauté terrible à la lueur de l'incendie, éblouissante de pierreries et de dia- mants, se penchait à moitié hors de la fenêtre pour crier aux nouveaux venus, le bras tendu vers Co- conas :

! ! en face de moi ; un gentilhomme vêtu d'un pourpoint rouge. Celui-là, oui, oui, celui- là!...

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xuivr. MKssi; on bastim.I';.

ari,'uerile. conime nous l'a- vons dit, avait refermé sa porte et étaitrentrée dans sa chambre. Mais, comme elle y entrai.! toute palpitante, elle aperçut Gillonne, qui, penchée avec terreur vers la porte du cabinet, con- templait des traces de san;; éparses sur le lit, sur les meubles et sur le tapis.

.\ll^ madame, s'écria-t-eile en api^rc(n;int la reine. Oh 1 madame, est-il donc mort?

Silence! Gillonne, dit Marguerite do ce ion de voix qui indique l'importance suprême de la re- commandation.

Gillonne se tut.

Marguerite tira alors de son aumônière une pe- tite clef dorée, ouvrit la porte du cabinet, et mon- tra du doigt le jeune homme à sa suivante.

La Mole avait réussi à se soulever et à s'appr<f- cher de la fenêtre. Un petit poignard, de ceux que les femmes portaient à ctto ('poquo, s'était rencon- tré .sous sa main, et le joiinc gentilhommi' l'avait saisi en entendant ouvrir la porte.

Ne craignez rien, monsieur, dit Marguerite, car, sur mon àmel vous êtes en sûreté.

La Mole se laissa nMoniber sur ses genoux.

Oh ! madame. s'iTria-t-il, vous èies juiur moi plus qu'une reine, vous êtes une divinité.

Ne vous agitez pus ainsi, monsieur, s'i'rna

Marguerite, votre sang coule encore. .. Oh ! regarde. Gillonne, comme il est pâle... Voyons, êtes-vous blessé?

Madame, dit la Mole en essayant de fixer sur dos points principaux la douleur errante par tout .son corps, je crois avoir reçu un premier coup de dague à l'épaule et un second dans la poitrine, les autres blessures ne valent point la peine qu'on s'en occupe.

Nous allons voir cela, dit Marguerite; Gil- lonne, apporte ma cassette de baumes.

Gillonne obéit, et rentra tenant d'une ui.iin la casseltc et de l'autre une aiguière de vermeil et du linge de fine toile de Hollande.

Aide-moi à le soulever, Gillonne, dit la reine Marguerite, car, en se .soulevant Uii-mênie. le mal- heureux a achevé do perdre ses forces.

Mais, madame, dit la Mole, je suis tout con- fus ; je ne puis souffrir en vérité...

Mais, monsieur, vous allez vous laisser faire, que je pense, dit Marguerite; quand nous pouvons vous sauver, ce serait un rriiiie de vous lai.sser mourir.

Oh! s'écria la Mole, j'aime mieux mourir que de vous voir, vous, la reine, souiller vos mains d'un sang indigne comme le mien... Oh ! jamais! jamais!

El il se recula respcctueuscincnl.

Vdire sang, mon genlilliommp, reprit en sou-

LA REINE MARGOT.

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Ml! madame, s'écria-t-il, vous êtes pour moi plus qu une reine, vous êtes une divinité. Page 60.

riant Gillonne, ch ! vous en avez déjà souillé tout à votre aise le lit et la chambre de Sa Majesté.

Marguerite croisa son manteau sur son peignoir de batiste tout éclaboussé de petites taches vermeil- les. Ce geste, plein de pudeur féminine, rappela à la Mole qu'il avait tenu dans ses bras et serré contre sa poitrine cette reine si enviée, si belle, si aimée, et, à ce souvenir, une rougeur fugitive passa sur ses jouas blêmies.

Madame, balbutia-t-il, ne pouvez-vous m'a- bandonner aux soins d'un chirurgien?

D'un chirurgien catholique, n'est-ce pas'? de-

manda la reine avec une expression que comprit la Mole, et qui le fit tressaillir.

Ignorez- vous donc, continua la reine avec une voix et un sourire d'une douceur inouïe, que, nous autres filles de France, nous sommes élevées à con- naître la valeur des plantes et à composer des bau- mes; car notre devoir, comme femmes et comme reines, a été de tout temps d'adoucir les douleurs ! Aussi valons-nous les meilleurs chirurgiens du monde, à ce que disent nos flatteurs du moins. Ma réputation, sous ce rapport, n'est-elle pas venue à votre oreille? Allons, Gillonne, à l'ouvrage !

62

LA REINE JIARGOT.

La Mole voulait essayer de résister encore; il ré- péta de nouveau qu'il aimait mieux mourir que d'occasionner à la reine ce labeur, qui pouvait com- mencer par la pitié et finir par le dégoût. Cette lutte ne servit qu'à épuiser complètement ses forces. Il chancela, ferma les yeux, et laissa retomber sa tête en arrière, évanoui pour la seconde fois.

Alors Marguerite, saisissant le poignard qu'il avait laissé échapper, coupa rapidement le lacet qui fermait son pourpoint, tandis que Gillonne, avec une autre lame, décousait ou plutôt tranchait les manches de la Mole.

Gillonne, avec un linge imbibé d'eau fraîche, étancha le sang qui s'échappait de l'épaule et de la poitrine du jeune homme, tandis que Marguerite, d'une aiguille d'or à la pointe arrondie, sondait les plaies avec toute la délicatesse et l'habileté que maî- tre Ambroise Paré eiit pu déployer en pareille cir- constance.

Celle de l'épaule était profonde, celle de la poi- trine avait glissé sur les côtes et traversait seule- ment les chairs ; aucune des deux ne pénétrait dans les cavités de cette forteresse naturelle qui protège le cœur et les poumons.

Plaie douloureuse et non mortelle, acerrimtim humcri vulints , non uulcm Iclhalc , murmura la belle et savante chirurgienne ; passe-moi du baume et prépare de la charpie, Gillonne.

Cependant Gillonne, ft qui la reine venait de don- ner ce nouvel ordre, avait déjà essuyé et parfumé Ja poitrine du jeune homme et en avait fait autant de ses bras modelés sur un dessin antique, de ses épaules gracieusement rejotées en arrière, de son cou ombragé de boucles «[laisses et qui appartenait bien plutôt à une statue de marbre de Paros qu'au corps mutilé d'un homme expirant.

Pauvre jeune homme ! murmura Gillonne en regardant non pas tant son ouvrage que celui qui venait d'en être l'objet.

N'est-ce pas qu'il est beau? dit Marguerite avec une franchise toute royale.

Oui, madame. Mais il me semble qu'au lieu de le laisser ainsi couclié à terre nous devrions le sou- lever et l'étendre sur ce lit de repos contre lequel il est seulement appuyé.

Oui, dit Marguerite, tu as raison.

loties deux fciimies, s'inclinanlct réunissant leurs forces, soulevèrent la Mole et le déposèrent sur une espèce de grand sofa à dossier sculpté qui s'étendait devant la fonèiro, qu'elles cnlr'ouvrirent pour lui donner de l'air.

Le mouvement réveilla la Mole, qui pou.ssa un soupir, et, rouvrant les yrux, commença d'éprou- ver cet incroyable bien-fitro qui accompagne toutes les sensations du blesse, alors qu'à son ri'lourà la vie il relrouvo la fraiclioiir au lieu des flaiinncs dd- voranles, et les parfums du Imumeau lieu do In tiède et nauséabonde odeur du sang.

Il murmura quelques mots sans suite, auxquels Marguerite répondit par un sourire en posant le doigt sur sa bouche.

En ce moment, le bruit de plusieurs coups frap- pés à une porte retentit.

On heurte au passage secret, dit Marguerite.

Qui donc peut venir, madame? demanda Gil- lonne effrayée.

Je vais voir, dit Marguerite. Toi, reste auprès de lui et ne le quitte pas d'un seul instant.

Marguerite rentra dans sa chambre, et, fermant la porte du cabinet, alla ouvrir celle du passage qui donnait chez le roi et chez la reine mère.

Madame de Sauvel s"écria-t-elle en reculant vivement et avec une expression qui ressemblait, sinon à la terreur, du moins à la haine, tant il est vrai qu'une femme ne pardonne jamais à une autre femme de lui enlever même un homme qu'elle n'aime pas. Madame de Sauve !

Oui, Votre Majesté ! dit celle-ci en joignant les mains.

Ici ! vous, madame ! continua Marguerite de plus en plus étonnée, mais aussi d'une voix plus im- péralive.

Charlotte tomba à genoux.

Madame, dit-elle, pardonnez-moi, je reconnais à quel point je suis coupable envers vous; mais, si vous saviez I la faute n'est pas tout entière à moi, et un ordre exprés de la reine mère...

Relevez-vous, dit Marguerite, et, comme je ne pense pas que vous soyez venue dans l'espérance de vous justifier vis-à-vis de moi, dites-moi pourquoi vous êtes venue

Je suis venue, madame, dit Charlotte toujours à genoux et avec un regard presque égaré, je suis venue pour vous demander s'il n'était pas ici.

Ici, qui? de qui parlez-vous, madame?... car, en vérité, je ne comprends pas?

Du roil

Du roi ! Vous le poursuivez jusque chez moi : Vous savez bien qu'il n'y vient pas, cependant!

Ah ! madame, continua la baronne de Sauve sans répondre à toutes ces attaques et sans même paraître les sentir, ah I plût à Dieu qu'il y fûll

Et pourquoi cela?

Eh ! mon Dieu ! madame, parce qu'on égorge les huguenots, et que le roi de Navarre est le chef des huguenots.

Oh ! s'écria Marguerite en saisissant madame do Sauve par la main et en la forçant tic se relever, ohl jo l'avais oublié! D'ailleurs, je n'avais pas cru qu'un roi pût courir les mâincs dangers que les au- tres hommes.

Plus, madame, mille fois plus! s'écria Char- lotte.

En effet, madame do Lorraine m'avait prove- nue. Je lui avais dit do no pas sortir. Scrail-il sorti?

LA REIKE MARGOT.

63

Non, non, il est dans le Louvre. Il ne se re- trouve pas. Et s'il nest pas ici...

11 n'y est pas.

Oh! s'écria madame de Sauve avec une explo- sion de douleur; c'en est fait de lui, car la reine mère a juré sa mort.

Sa mort! Ah! dit Marguerite, vous m'épou- vantez. Impossible!

Madame, reprit madame de Sauve avec cette énergie que donne seule la passion, je vous dis qu'on ne sait pas est le roi de Navarre.

Et la reine mère, est-elle?

La reine mère m'a envoyée chercher M. de Guise et M. de Tavannes, qui étaient dans son ora- toire, puis elle m'a congédiée. Alors, pardonnez- moi, madame ! je suis remontée chez moi, et, comme d'habitude, j'ai attendu.

Mon mari, n'est-ce pas? dit Marguerite.

11 n'est pas venu, madame. Alors, je l'ai cher- ché de tous côtés ; je l'ai demandé à tout le monde. Un seul soldat m'a répondu qu'il croyait l'avoir aperçu au milieu de gardes qui l'accompagnaient l'cpée nue quelque temps avant que le massacre commençât, et le massacre est commencé depuis une heure.

Merci, madame! dit Marguerite, et quoique peut-être le sentiment qui vous fait agir soit une nouvelle offense pour moi, merci !

Oh ! alors, pardonnez-moi, madame ! dit-elle, et je rentrerai chez moi plus forte de votre pardon ; car je n'ose vous suivre, même de loin.

Marguerite lui lendit la main.

Je vais trouver la reine Catherine, dit-elle ; rentrez chez vous. Le roi de Navarre est sous ma sauvegarde, je lui ai promis alliance, et je serai fidèle à ma promesse.

Mais si vous ne pouvez pénétrer jusqu'à la reine mère? madame.

Alors je me tournerai du côté de mon frère, et il faudra bien que je lui parle.

Allez, allez, madame, dit Charlotte en lais- sant le passage libre à Marguerite, et que Dieu con- duise Votre Majesté !

Marguerite s'élança par le couloir. Mais, arrivée à l'extrémité, elle se retourna pour s'assurer que madame de Sauve ne demeurait pas en arrière. Madame de Sauve la suivait.

La reine de Navarre lui vit prendre l'escalier qui conduisait à son appartement, et poursuivit son chemin vers la chambre de la reine.

Tout était changé ; au lieu de cette foule de cour- tisans empressés, qui d'ordinaire ouvrait ses rangs devant la reine en la saluant respectueusement, Marguerite ne rencontrait que des gardes avec des pertuisanes rougies et des vêtements souillés de sang, ou des gentilshommes aux manteaux déchi- rés, à la figure noircie par la poudre, porteurs d'ordres et de dépêches, les uns entrant et les au-

tres sortant : toutes ces allées et venues faisaient un fourmillement terrible et immense dans les gale- ries.

Marguerite n'en continua pas moins d'aller en avant, et parvint jusqu'à l'antichambre de la reine mère. Mais cette antichambre était gardée par deux haies de soldats, qui ne laissaient pénétrer que ceux qui étaient porteurs d'un certain mot d'or- dre. Marguerite essaya vainement de franchir celte barrière vivante. Elle vit plusieurs fois s'ouvrir et se fermer la porte, et, à chaque fois, par l'entre- bâillement, elle aperçut Caliierine rajeunie par l'action, active comme si elle n'avait que vingt ans, écrivant, recevant des lettres, les décachetant, don- nant des ordres, adressant à ceux-ci un mot, a ceux-là un sourire, et ceux auxquels elle souriait le plus amicalement étaient ceux qui étaient plus couverts de poussière et de sang.

Au milieu de ce grand tumulte qui bruissait dans le Louvre, rju'il emplissait d'effrayantes ru- meurs, on entendait éclater les arquebusades de la rue de plus en plus répétées.

Jamais je n'arriverai jusqu'à elle, se dit Mar- guerite après avoir fait prés des hal'.-ibardiers trois tentatives inutiles. Plutôt que de perdre mon temps ici, allons donc trouver mon frère.

En ce moment passa M. de Guise; il venait d'an- noncer à la reine la mort de l'amiral, et retournait à la boucherie.

Oh ! Henri ! s'écria Marguerite, est le roi de Navarre?

Le duc la regarda avec un sourire étonné, s'in- clina, et, sans répondre, sortit avec ses gardes.

Marguerite courut à un capitaine qui allait sor- tir du Louvre, et qui, avant de partir, faisait char- ger les arquebuses de ses soldats.

Le roi de Navarre, demanda-t-elle, monsieur, est le roi de Navarre?

Je ne sais, madame, répondit celui-ci, je ne suis point des gardes de Sa Majesté.

Ah! mon cher René! s'écria Marguerite en

reconnaissant le parfumeur de Catherine c'est

vous... vous sortez de chez ma mère... Savez-vous ce qu'est devenu mon mari?

Sa Majesté le roi de Navarre n'est point mon ami, madame... vous devez vous en souvenir. On dit même, ajouta-t-il avec une contraction qui res- semblait plus à un grincement qu'à un sourire, on dit même qu'il ose m'accuser d'avoir, de compli- cité avec madame Catherine, empoisonné sa mère.

Non ! non ! s'écria Marguerite, ne croyez pas cela, mon bon René !

Oh! peu m'importe, madame, dit le parfu- meur, ni le roi de Navarre ni les siens ne sont plus guère à craindre en ce moment.

Et il tourna le dos à Marguerite.

Oh ! monsieur de Tavannes ! monsieur de Ta-

04

LA REINE MARGOT.

On n'enlie point chez le roi! dit l'officier.

vannes! s'écria Marguerite, un mot, un seul, je vous prie!

Tavannes qui passait s'arn^ta.

est Henri do Navarre? demanda Margue- rite.

Ma foi ! dit-il tout liant, je crois qu'il court la ville avec MM. d'Alcnçon et de Condc.

Puis, si l)as(|ii(î Marguerite seule [uit l'cnlondre :

Belle Maji'slr, dit-il, si vous vtmli'z voir ci'liii pour rire à la jilacii diniui'l je donnerais uia vie, allez frapper au cabinet dos armes du roi.

Oh ! merci, Tavannes, dit Marguerite, qui, de

tout ce que lui avait dit Tavannes, n'avait entendu que l'indication principale ; merci ! j'y vais. Et elle reprit sa course tout on niurniurant :

Oh! aprôs ce que je lui ai promis, apr^s la farnn dont il s'est conduit envers moi quand cet ingrat Henri était caché dans le cabinet, je ne puis le laisser périr !

Etoile vint heurter à la porto des appartements du roi ; mais ils (<taient ceints intérioureiuenl par deux l'onqiagnies des gardes.

On n'entre point chez le roi 1 dit l'oflicier en s'avançaiit vivement.

LA Rl^l.NC MARGOT.

Cette nuit, monsieur, dit Chailes IX, on me débarrasse de tous les liusueuols. Page ti6.

Mais moi'? dit Marguerite

L'ordre est général.

Moi, la reine de Navarre; moi, sa sœuri

Ma consigne n'admet point d'exception, ma- dame ; recevez donc mes excuses .

Et l'officier referma la porte.

Oh ! il est perdu ! s'écria Marguerite alarmée par la vue de toutes ces figures sinistres, qui, lors- qu'elles ne respiraient pas la vengeance, expri- maient l'inflexibilité. Oui, oui, je comprends tout... on s'est servi de moi comme d'un appât... je suis le piège l'on prend et égorge les hugue- nots... Oh ! j'entrerai, dussé-je me faire tuer.

Et Marguerite courait comme une folle par les corridors et par les galeries lorsque tout à coup, en passant devant une petite porte, elle entendit un chant doux, presque lugubre, tant il était mono- tone. C'était un psaume calviniste que chantait une voix tremblante dans la chambre voisine.

La nourrice du roi mon frère, la bonne Ma- delon... elle est ! s'écria Marguerite en se frap- pant le front, éclairée par une pensée subite ; elle est !... Dieu des chrétiens, aide-moi !

Et Marguerite, pleine d'espérance, heurta douce- ment à la petite porte.

En effet, après l'avis qui lui avait été donné par

Paru. iD^r. <ie BRY aîné, boulevart llojitparDu«e,9\

66

LA REINE MARGOT.

Marguerite, après son entretien avec René, après sa sortie de chez la reine mère, à laquelle, comme un bon génie, avait voulu s'opposer la pauvre petite Tliisbé, Henri de Navarre avait rencontré quelques gentilshommes catholiques qui, sous prétexte de lui faire honneur, Tavaient reconduit chez lui l'attendaient une vingtaine de huguenots, lesquels s'étaient réunis chez le jeune prince, et, une fois réunis, ne voulaient plus le quitter, tant, depuis quelques heures, le pressentiment de cette nuit fa- tale avait plané sur le Louvre. Ils étaient donc res- tés ainsi sans qu'on eût tenté de les troubler. En- fin, au premier coup de la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois, qui retentit dans tous ces cœurs comme un glas funèbre, Tavannes entra, et, au milieu d'un silence de mort, annonça à Henri que le roi Charles IX voulait lui parler.

Il n'y avait point de résistance à tenter, personne n'en eût eu même la pensée. On entendait les pla- fonds, les galeries et les corridors du Louvre craquer sous les pieds des soldats réunis, tant dans les cours que dans les appartements, au nombre de près de deux mille. Henri, après avoir pris congé de ses amis, qu'il ne devait plus revoir, suivit donc Ta- vannes, qui le conduisit dans une petite galerie contiguë au logis du roi, il le laissa seul, sans armes et le cœur gonllé de toutes les défiances.

Le roi de Navarre compta ainsi, minute par mi- nute, deux mortelles heures, écoutant avec une terreur croissante le bruit du tocsin et le retentis- sement des arquebusades ; voyant par un guichet vitré passer, à la lueur de l'incendie, au flamboie- ment des torches, les fuyards et les assassins , ne comprenant rien à ces clameurs de meurtre et h ces cris de détresse; ne pouvant soupçonner enfin, malgré la connaissance qu'il avait de Charles IX, de la reine mère et du duc de Guise, l'horrible drame qui s'accomplissait en ce moment.

Henri n'avait pasque lecourage physique; il avait mieux que cela, il avait la puissance morale : crai- gnant le danger, il l'affrontait en souriant : mais le danger du champ de bataille, le danger en plein air et en plein jour, le danger aux yeux do tous, qu'accompagnent la stridente harmonie des trom- pettes et la voix sourde et vilirante des tambour.^;... Mais là, il était sans armes, seul, enfermé, perdu dans une dciiii-obscurité, suffisante à peine pour voir rcnncuii (pii pouvait se glisser jusqu'à lui et le fer qui le voulait percer. Ces deux heures fu- rent donc pour lui les deux heures peut-.Mre les plus cruclb^s de sa vie.

Au plus fort du tumulte, et comme Henri com- mençait à comprendre que, selon toute probabilité, il s'agissait d'nn massacre organisé, un capitaine vint cberrlier le prince et le conduisit |)ar un cor- ridor à rap|iarlcmi'nl du roi. .\ leur approche la porte s'ouvrit, derrière eux la porte se referma letoutcommu par enciianicment. - iMiis hi capi-

taine introduisit Henri près de Charles IX, alors dans 'on cabinet des Armes.

Lorsqu'ils entrèrent, le roi était assis dans un grand fauteuil, ses deux mains posées sur les deux bras de son siégb et sa tête retombant sur sa poi- trine. Au bruit que firent les nouveaux venus, Charles IX releva son front, sur lequel Henri vit couler la sueur par grosses gouttes.

Bonsoir, Ilenriot ! dit brutalement le jeune roi; vous, la Ghastre, laissez-nous.

Le capitaine obéit.

Il se fit un moment de sombre silence.

Pendant ce moment, Henri regarda autour de lui avec inquiétude et vit qu'il était seul avec le roi.

Charles IX se leva tout à coup.

-Parla mordieu ! dit-il en retroussant d'un geste rapide ses cheveux blonds et en essuyant son front en même temps, vous êtes content de vous voir près de moi, n'est-ce pas, Ilenriot?

Mais sans doute, sire, répondit le roi de Na- varre, et c'est toujours avec bonheur que je me re- trouve près de Votre Majesté.

Plus content que d'être là-bas, hein? reprit Charles IX continuant à suivre sa propre pensée plutôt qu'il ne répondait au compliment de Henri.

Sire, je ne comprends pas, dit Henri.

Regardez et vous comprendrez.

D'un mouvement rapide, Charles IX marcha ou plutôt bondit vers la fenêtre. Et, attirant à lui son beau-frère de plus en plus épouvanté, il lui mon- tra l'horrible silhouette des assassins, qui, sur le plancher d'un bateau, égorgeaient ou noyaient les victimes qu'on leur amenait à chaque instant.

Mais, au nom du ciel, s'écria Henri tout pâle, que se passe-t-il donc cette nuit ?

Cette nuit, monsieur, dit Charles IX, on me débarrasse de tous les huguenots. Voyez-vous là- bas, au-dessus de l'hùtel de Bourbon, celte fumée et celte flamme; c'est la fumée et la fiamnie de la maison de l'amiral, qui brûle. Voyez-vous ce corps que de bons catholiques traînent sur une paillasse déchirée, c'est le corps du gendre de l'amiral, le cadavre de votre ami Téliguy.

Oh ! que veut dire cela? s'écria le roi de Na- varre en cherchant inutilement à son côté la poi- gu('e de sa dague et tremblant à la fois de honte et de colère, car il sentait que, tout à la fois, on le raillait et on le menaçait.

Cela veut dire, s'écria Charles IX furieux, sans transition et blêmissant d'une manière effrayante, cela veut dire que je no veux plus de huguenots autour de moi, entendez-vous, Henri? suis-je le roi?snis-je le maître?

Mais, Votre Majesté... - Ma Majesté tue oi massacre à cette heure tout ce qui n'c^l pas c^alholiquo. c'est son plaisir. Etes- vous catholique? s'i'cria Charles, dont la colùre

LA REINE MRGOT.

67

montait incessamment comme une marée terrible.

Sire, dit Henri, rappelez-vous vos paroles : Qu'importe la religion de quiconque me sert bien !

Ah ! ah ! ah ! s'écria Charles en éclatant d'un rire sinistre; que je me rappelle mes paroles, dis- tu, Henri! Verba volant, comme dit ma sœur Mar- got. Et tous ceux-là, regarde, ajouta-t-il en mon- trant du doigt la ville, ceux-là ne m'avaient-ils pas bien servi aussi ? n'étaient-ils pas braves au combat, sages au conseil, dévoués toujours? Tous étaient des sujets utiles; mais ils étaient huguenots, et je ne veux que des catholiques.

Henri resta muet.

Çà, comprenez-moi donc, Henriot! s'écria Charles IX.

J'ai compris, sire.

Eh bien ?

Eh bien ! sire, je ne vois pas pourquoi le roi de Navarre ferait ce que tant de genlilshonimes ou de pauvres gens n'ont pas fait. Car enfin , s'ils meurent tous, ces malheureux, c'est aussi parce qu'on leur a propose ce que Votre Majesté me pro- pose, et qu'ils ont refusé comme je refuse.

Charles saisit le bras du jeune prince, et, fixant sur lui un regard dont l'atonie se changeait peu à peu en un fauve ra)'onnement.

Ah! tu crois, dit-il, que j'ai pris la peine d'offrir la messe à ceux qu'on égorge là-bas!

Sire, dit Henri en dégageant son bras, ne mourrez-vous point dans la religion de vos pères?

Oui, par la mordieu ! et toi ?

Eh bien! moi aussi, sire! répondit Henri. Charles poussa un rugissement de rage, et saisit

d'une main tremblante son arquebuse placée sur une table. Henri, collé contre la ta()isserie, la sueur de l'angoisse au front, mais, grâce à cette puissance qu'il conservait sur lui-même, calm.e en apparence, suivait tous les mouvements du terrible monarque avec l'avide stupeur de l'oiseau fasciné par le serpent.

Charles arma son arquebuse, et frappant du pied avec une fureur aveugle :

Veux-tu la messe? s'écria-t-il en éblouissant Henri du miroitement de l'arme fatale.

Henri resta muet.

Charles IX ébranla les voûtes du Louvre du plus terrible juron qui soit jamais sorti des lèvres d'un homme, et, de pâle qu'il était, il devint livide.

Mort, messe ou Bastille ! s'écria-t-il en mettant le roi de Navarre en joue.

0 sire! s'écria Henri, me tuerez-vous, moi votre beau-frère?

Henri venait d'éluder, avec cet esprit incompara- ble qui était une des plus puissantes facultés de son organisation, la réponse que lui demandait Char- les IX; car, sans aucun daute, si celte réponse eût été négative, Henri était mort.

Aussi, comme après les derniers paroxysmes delà

rage, se trouve immédiatement le commencement de la réaction, Charles IX ne réitéra pas la question qu'il venait d'adresser au prince de Navarre, et, après un moment d'hésitation, pendant lequel il fit entendre un rugissement sourd, il se retourna vers la fenêtre ouverte, et coucha en joue un homme qui courait sur le quai opposé.

Il faut cependant bien que je tue quelqu'un! s'écria Charles IX, livide comme un cadavre, et dont les yeux s'injectaient de sang; et, lâchant le coup, il abattit l'homme qui courait.

Henri poussa un gémissement.

Alors, animé par une effrayante ardeur, Charles chargea et tira sans relâche son arquebuse, pous- sant des cris de joie chaque fois que le coup avait porté.

C'est fait de moi, se dit le roi de Navarre; quand il ne trouvera plus personne à tuer, il me tuera.

Eh bien ! dit tout à coup une voix derrière les princes, est-ce fait?

C'était Catherine de Médicis, qui, pendant la der- nière détonation de l'arme, venait d'entrer sans être entendue.

Non, mille tonnerres d'enfer! hurla Charles en jetant son arquebuse par la chambre... Non, l'entiHé... Il ne veut pas!...

Catherine ne répondit point. Elle tourna lente- ment son regard vers la partie de la chambre se tenait Henri, aussi immobile qu'une des figures de la tapisserie contre laquelle il était appuyé. Alors elle ramena sur Charles un œil qui voulait dire :

Alors, pourquoi vit-il?

Il vit... il vit... murmura Charles IX, qui comprenait parfaitement ce regard et qui y répon- dait, comme on le voit, sans hésitation ; il vit, parce qu'il... est mon parent.

Catherine sourit.

Henri vit ce sourire et reconnut que c'était Ca- therine surtout qu'il lui fallait combattre.

Madame, lui dit-il, tout vient de vous, je le vois bien, et rien de mon beau-frère Charles ; c'est vous qui avez eu l'idée de m'attirer dans un piège; c'est vous qui avez pensé à faire de votre fille l'ap- pât qui devait nous perdre tous; c'est vous qui m'avez séparé de ma femme, pour qu'elle n'eût pas l'ennui de me voir tuer sous ses yeux.

Oui, mais cela ne sera pas ! s'écria une autre voix haletaule et passionnée que Henri reconnut à l'instant et qui fit tressaillir Charles IX de surprise et Catherine de fureur.

Marguerite ! s'écria Henri.

Margot ! dit Charles IX.

Ma fille! murmura Catherine.

Monsieur, dit Marguerite à Henri, vos derniè- res paroles m'accusaient, et vous aviez à la fois tort et raison. Raison, car, en effet, je suis bien l'instru- ment dont on s'est servi pour vous perdre tous;

68

LA REINE MARGOT.

tort, car j'i.^norais que vous marchiez à votre perte. Moi-même, monsieur, telle que vous me voyez, je dois la vie au hasard, à l'oubli de ma mère, peut-être; mais, sitôt que j"ai appris votre danger, je me suis souvenue de mon devoir. Or. le devoir d'une femme est de partager la fortune de son mari. Vous exile-t-on, monsieur, je vous suis dans l'exil ; vous emprisonne-t-on, je me fais captive ; vous tue- t-on, je meurs.

Et elle tendit à son mari une main que Henri saisit, sinon avec amour, du moins avec reconnais- sance.

Ah! ma pauvre Margot, dit Charles IX, tu ferais bien mieux de lui dire de se faire catho- lique!

Sire, répondit Marguerite avec cette haute di- gnité qui lui était si naturelle, sire, croyez-moi, pour

vous-même, ne demandez pas une lâcheté à un prince de votre maison.

Catherine lança un regard significatif à Charles.

Mon frère, s'écria Marguerite, qui, aussi bien que Charles IX, comprenait la terrible pantomime de Catherine, mon frère, songez-y, vous avez fait de lui mon époux.

Charles IX, pris entre le regard impératif de Ca- therine et le regard suppliant de Marguerite, comme entre deux principes opposés, resta un instant indé- cis; enfin, Oromase l'emporta.

Au fait, madame, dit-il en se penchant à l'o- reille de Catherine, Margot a raison, et Henriot est mon beau-frère.

Oui, répondit Catherine en s'approcha ni à son tour de l'oreille de son fils, oui... mais s'il ne l'é- tait pas !

«eaggag^

XI

L'AUBÉPINE DU CIMETIÈRE DES INNOGENTS.

entruc riiez elle, Margue- rite chercha vainement à (li'vincr le mot que Cathe- rine de Médicis avait dit tout bas à Charles IX . et qui avait arrêté court le iirrible conseil de vie etde lort qui se tenait en ce ihuiiient.

Une partie de la inatuiée fut employée par elle à soigner la Mole, l'autre à cly;rcher l't'nigme que son esprit se refusait à comprendre.

Le roi de Navarre ('lait resté prisonnier au Lou- vre. Les huguenots élaieiil [ilus (pie jamais poursui- vis. A la nuit terrible avait .succédé un jour de mas- sacre plus hideux encore. Ce n'('lait plus le tocsin que les cloches sonnaient, c'étaient <l('s Te Dnnii ; et les accents de ce broii/.e joyeux, retentissant ,iu milieu du meurtre et des incendies, ('laieiit iieul-êtrc plus tristes à la lumière du soleil que ne l'avait ét(' pendant l'obscurité le glas de la nuit pnrédcnte. Ce n'était pas le tout ; une chose étrange l'iait arriv('c; une aubépine, ipii avait fleuri au printemps, et qui. comme d'habitude, avait perdu .son odorante parure au mois de juin, venait de refleurir pendant lanuil, ri les cntlioliqiif;, (pii vovnieni d.ins cr'i (■vcneiiienl un miracle, cl qui, par la popularisation <ie ce mi

racle, faisaient Dieu leur complice, allai'^nt en pro- cession, croix et bannière en tête, au cimetière des Innocents, cette aubépine fleurissait. Cette espécc d'assentiment donné par le ciel au massacre qui s'exécutait avait redoublé l'ardeur des assassins. Ft. tandis (juc la ville continuait à offrir dans chaque rue, dans chaque carrefour, sur chaque place, une scène de désolation, le Louvre avait servi de tom- beau commun à tous les protestants qui s'y étaient truuv('S enfermés au moment du signal. Le roi de Navarre, le prince de Condé et la Mole y étaient seuls demeurés vivants.

Rr.ssuri'e sur la Mole, dont les plaies, comme elle l'avait dit la veille, l'iaient dangereuses, mais non mortelles, Marguerite n'était donc plus préoccu- pée que d'une chose : sauver la vie de son mari, qui cnniinuait d'être menacée. Sans doute le premier sentiment qui s'i'tait einparii de l'épou.^e était un senlinicnt de loyale pitici pour un homme auquel elle venait, comme l'avait dit lui-même le liéarnais. de jurer, sinon amour, du moins alliance. Mais, à la suite de ce sentiment, un aiiln' moins pur avait péni'lré dans le rn'iir de la reine.

Marguerite était ambitieuse. Marguerite a\ail vu presque une certitude de royauté dans .son mariage avei- Henri de Itiinrlmn. La Na\;irie. tiraillée d'un i-ùle par les rois de l'rauce, de l'autre pur les rois

LA REINE MARGOT.

69

d'Espagne, qui, lambeau à lambeau, avaient fini par emporter la moitié de sou territoire, pouvait, si Henri de Bourbon réalisait les espérances de cou- Tage qu'il avait données dans les rares occasions qu'il avait eues de tirer l'épée, devenir un royaume réel, ave« les huguenots de France pour sujets. Grâce à son esprit si fin et si élevé, Marguerite avait entrevu et calculé tout cela. En perdant Henri, ce n'était donc pas seulement un mari qu'elle perdait, c'était un trône.

Elle en était au plus intime de ses réflexions, lorsqu'elle entendit frapper à la porte du corridor secret; elle tressaillit, car trois personnes seule- ment venaient par cette porte : le roi, la reine mère et le duc d'Alençon. Elle entr'ouvrit la porte du ca- binet, recommanda du doigt le silence à Gillonne et à la Mole, et alla ouvrir au visiteur. Ce visiteur était le duc d'Alençon. Le jeune homme avait disparu depuis la veille. Un instant Marguerite avait eu l'idée de réclamer son intercession en faveur du roi de Navarre, mais une idée terrible l'avait arrêtée. Le mariage s'était fait contre son gré, François détestait Henri et n'a- vait conservé la neutralité en faveur du Béarnais que parce qu'il était convaincu que Henri et sa femme étaient restés étrangers l'un à l'autre. Une marque d'intérêt donnée par Marguerite à son époux pouvait en conséquence, au lieu de l'écarter, rapprocher de sa poitrine un des trois poignards qui le menaçaient.

Marguerite frissonna donc en apercevant le jeune prince plus qu'elle n'eût frissonné en apercevant le roi Charles IX ou la reine mère elle-même. On n'eût point dit d'ailleurs, en le voyant, qu'il se pas- sât quelque chose d'insolite par la ville, ni au Lou- vre : il était vêtu avec son élégance ordinaire. Ses habits et son linge exhalaient ces parfums que mé- prisait Charles IX, mais dont le duc d'Anjou et lui faisaient un si continuel usage. Seulement un œil exercé comme l'était celui de Marguerite pouvait re- marquer que, malgré sa pâleur plus grande que d'habitude, et malgré le léger tremblement qui agi- tait l'extrémité de ses mains aussi belles et aussi soignées que des mains de femme, il renfermait au fond de son cœur quelque sentiment joyeux.

Son entrée fut ce qu elle avait l'habitude d'être. Il s'approcha de sa sœur pour l'embrasser. Mais, au lieu de lui tendre ses joues, comme elle eût fait au roi Charles ou au duc d'Anjou, Marguerite s'inclina, et lui offrit le front.

Le duc d'Alençon poussa un soupir, et posa ses lèvres blêmissantes sur ce front que lui présentait Marguerite.

Alors, s'asseyant, il se mit à raconter à sa soeur les nouvelles sanglantes de la nuit : la mort lente et terrible de l'amiral : la mort instantanée de Té- ligny, qui, percé d'une balle, rendit à l'instant même le dernier soupir. Il s'arrêta, s'appesantit, se

complut sur les détails sanglants de cette nuit aven cet amour du sang particulier à lui et à ses deux frères. Marguerite le laissa dire. Enfin, ayant tout dit, il se tut.

Ce n'est pas pour me faire ce récit seulement que vous êtes venu me rendre visite, n'est-ce pas, mon frère? demanda Marguerite.

Le duc d'Alençon sourit.

Vous avez encore autre chose à me dire ?

Non, répondit le duc, j'attends.

Qu'attendez-vous ?

Ne m'avez-vous pas dit , chère Marguerite bien-aimée, reprit le duc en rapprochant son fau- teuil de celui de sa sœur, que ce mariage avec le roi de Navarre se faisait contre votre gré'.'

Oui, sans doute. Je ne connaissais point le prince de Béarn lorsqu'on me l'a proposé pour époux.

Et, depuis que vous le connaissez, ne m'ave«- vous pas affirmé que vous n'éprouviez aucun amour pour lui?

Je vous l'ai dit, il est vrai.

Votre opinion n'était-elle pas que ce mariage devait faire votre malheur?

Mon cher François, dit Marguerite, i]uan(l un mariage n'est pas la suprême félicité, c'est presque toujours la suprême douleur.

Eh bien! ma chère Marguerite, comme je vous le disais, j'attends.

Mais qu'attendez-vous? dites.

Que vous témoigniez votre joie.

De quoi donc ai-je a me réjouir?

Mais de cette occasion inattendue qui se pré- sente de reprendre votre liberté.

Ma liberté ! reprit Marguerite, qui voulait for - cer le prince à aller jusqu'au bout de sa pensée.

Sans doute, votre liberté ! vous allez être sé- parée du roi de Navarre.

Séparée! dit Marguerite en fixant ses veux sur le jeune prince.

Le duc d'Alençon essaya de soutenir le regard de sa sœur ; mais bientôt ses yeux s'écartèrent d'elle avec embarras.

Séparée ! répéta Marguerite ; voyons cela, mon frère! car je suis bien aise que vous me mettiez à même d'approfondir la question ; et comment compte-t-on nous séparer?

Mais, murmura le duc, Henri est huguenot.

Sans doute; mais il n'avait pas fait mystère de sa religion, et l'on savait cela quand on nous a mariés.

Oui, mais depuis votre mariage, ma sœur, dit le duc laissant malgré lui un rayon de joie illumi- ner son visage, qu'a fait Henri?

Mais vous le savez mieux que personne, Fran- çois! puisqu'il a passé ses journées presque tou- jours en votre compagnie, tantôt à la chasse, tantôt au mail, tantôt à la paume.

70

LA REINE MARGOT.

Oui, ses journées, sans cloute, reprit le duc ; ses journées, mais ses nuits'.'

îlarguerite se lut, et ce fut à son tour de baisser les yeux.

Ses nuits, continua le duc d'Alençon, ses nuits?

Eh bien? demanda Marguerite sentant qu'il fallait bien répondre quelque chose.

Eh bien ! il les a passées chez madame de Sauve !

Comment le savez-vous? s'écria Marguerite.

Je le sais parce que j'avais intérêt à le savoir, répondit le jeune prince en pâlissant et en déchi- quetant la broderie de ses manches.

Marguerite commençait à comprendre ce que Ca- therine avait dit tout bas à Charles IX; mais elle fit semblant de demeurer dans son ignorance.

Pourquoi me dites-vous cela, mon frère? ré- pondit-elle avec un air de mélancolie parfaitement joué; est-ce pour me rappeler que personne ici ne m'aime et ne lient à moi ; pas plus ceux que la na- ture m'a donnés pour protecteurs, que celui que l'Église m'a donné pour époux?

Vous êtes injuste, dit vivement le duc d'Alen- çon en rapprochant encore son fauteuil de celui de sa sœur, je vous aime et je vous protège, moi !

Mon frère, dit Marguerite en le regardant fixement, vous avez quelque chose à me dire de la part de la reine mère.

Moi I vous vous trompez, ma sœur, je vous jure! qui peut vous faire croire cela?

Ce qui peut me le faire croire, c'est que vous rompez l'amitié qui vous attachait à mon mari ; c'est que vous ahandonnez la cause du roi de iNavarre.

La cause du roi de Navarre ! reprit le duc d'A- lençon tout interdit.

Oui, sans doute. Tenez, François! parlons franc. Vous on êtes convenu vingt fois, vous ne pouvez vous élever et même vous soutenir que l'un par l'autre... Celte alliance...

Est devenue impossible, ma sœur, interrom- pit le duc d'Alençon.

El pour(|uoi cela?

Parce que le roi a des desseins sur votre mari. Pardon ! en disant voire mari; je me Iroinpe : c'est sur Henri de Navarre que je devais dire. iWiire mère a deviné tout. Je m'alliais aux huguenots parce que je criyais les huguenots en faveur. Mais voilà qu'on tue les huguenots, et que dans huit jours il n'en restera pas cinquante dans loul le royaume. Je tendais l.i main au roi de Navarre, parce qu'il riait... votre mari. Mais voilà qu'il n'est plus votre mari. Qu'avez-vous à dire à cela, vous qui êtes non-seiilomenl la [iliis belle fcinmi- de France, mais encore la plus furie tète du royaume?

J'ai à dire. re|)ril Marguerite, que je rnnnais notre frère C.liarhîs. Je l'ai vu hier dans un de ces accès de frcm'sie dont chacun abré($e su vie de dix

ans; j'ai à dire que ces accès se renouvellent, par malheur, bien souvent maintenant, ce qui fait que, selon toute probabilité, notre frère Charles n'a pas longtemps à vivre: j'ai à dire enfin que le roi de Pologne vient de mourir, et qu'il est fort question d'élireen sa place un prince de la maison de France ; j'ai à dire enfin que, lorsque les circonstances se présentent ainsi, ce n'est point le moment d'aban- donner des alliés qui, au moment du combat, peu- vent nous soutenir avec le concours d'un peuple et l'appui d'un royaume.

Et vous, s'écria le duc, ne me faites-vous pas une trahison bien plus grande de préférer un étran- ger à votre frère?

Expliquez-vous, François! en quoi et com- ment vous ai-je trahi?

Vous avez demandé hier au roi la vie du roi de Navarre.

Eh bien? demanda Marguerite avec une feinte na'iveté.

Le duc se leva précipitamment, fit deux ou trois fois le tour de la chambre d'un air égaré, puis re- vint prendre la main de Marguerite.

Celte main était roide et glacée.

Adieu, ma sœur ! dit-il ; vous n'avez pas voulu me comprendre, ne vous en prenez donc qu'à vous des malheurs qui pourront vous arriver.

Marguerite pâlit, mais demeura immobile à sa place. Elle vil sortir le duc d'Alençon sans faire un signe pour le rappeler; mais à peine l'avait-elle perdu de vue dans le corridor qu'il revint sur ses pas.

Écoulez, Marguerite, dit-il. j'ai oublié de vous dire une chose; c'est que demain, à pareille heure, le roi de Navarre sera mort.

Marguerite poussa un cri , car cette idée qu'elle était rinslrumcnt d'un assassinai lui causait une épouvante qu'elle ne pouvait surmonter.

El vous n'empêcherez pas celte mort? dit-elle; vous ne sauverez pas votre meilleur et votre plus fidèle allié?

Depuis hier, mon allié n'est plus le roi de Na- varre.

Et qui est-ce donc, alors?

C'est M. de Guise. En dc'truisant les hugue- nots, on a fait M. de Cuise roi des calhnliquos.

El c'est le lils de Henri 11 qui reconnaît pour son roi un duc de Lorraine!...

Vous êles dans un mauvais jour, Margucritfl, et vous ne comprenez rien.

J'avoue que je cherche en vain à lire dans voire pensée.

Ma siBur, vous Aies d'aussi bonne maison que madame la princesse de Porcian. et Guise n'e^t pas plus immortel que le roi de Navarre ; eh bien ! Mar- guerite, supposozmainlcnantlroischosas. toutes IToi.s possibles : In première, c'est que Mon^ieur soil élu roi Pologne ; la seconde, c.'esl que vous m'ai-

LA REINE BIAllGOT.

71

miez comme je vous aime ; eh bien ! je suis roi de France, et vous... et vous... reine des catholiques. Marguerite caclia sa tète dans ses mains, éblouie de la profondeur des vues de cet adolescent, que personne à la cour n'osait appeler une intelligence.

Mais, demanda-t-cUe après un moment de si- lence, vous n'êtes donc pas jaloux de M. le duc de Guise comme vous l'êtes du roi de Navarre?

Ce qui est fait est fait, dit le duc d'Alençon d'un voix sourde ; et, si j'ai eu à être jaloux du duc de Guise, eh bien', je l'ai été.

Il n'y a qu'une seule chose qui puisse empê- cher ce beau plan de réussir, mon frère ! dit Mar- guerite en se levant.

Laquelle?

C'est que je n'aime plus le duc de Guise.

Et qui donc aimez-vous, alors?

Personne.

Le duc d'Alençon regarda Marguerite avec Téton- nement d'un homme qui, à son tour, ne comprend plus, et sortit de l'appartement en poussant un sou- pir et en pressant de sa main glacée son front prêt à se fendre.

Marguerite demeura seule et pensive. La situa- tion commençait à se dessiner claire et précise à ses yeux; le roi avait laissé faire la Saint-Barthélémy, la reine Catherine et le duc de Guise l'avaient faite. Le duc de Guise et le duc d'Alençon allaient se ré- unir pour en tirer le meilleur parti possible. La mort du roi de Navarre était une conséquence na- turelle de cette grande catastrophe. Le roi de Na- varre mort, on s'emparerait de son royaume. Mar- guerite restait donc veuve, sans trône, sans puis- sance, et n'ayant d'autre perspective qu'un cloître, elle n'aurait pas même la triste douleur de pleu- rer un époux qui n'avait jamais été son mari.

Elle en était lorsque la reine Catherine lui fit demander si elle ne voulait pas venir faire avec toute la cour un pèlerinage à l'aubépine du cime- tière des Innocents.

Le premier mouvement de Marguerite fut de re- fuser de faire partie de cette cavalcade. Mais la pensée que cette sortie lui fou-rnirait peut-être l'oc- casion d'apprendre quelque chose de nouveau sur le sort du roi de Navarre la décida. Elle fit donc réponse que, si on voulait lui tenir un cheval prêt, elle accompagnerait très-volontiers Leurs Majestés.

Cinq minutes après, un pa^e vint lui annoncer que, si elle voulait descendre, le cortège allait se mettre en marche. Marguerite fit de la main à Gil- lonne un signe pour lui recommander le blessé, et descendit.

Le roi, la reine mère, Tavannes et les principaux catholiques étaient déjà à cheval ; Marguerite jeta un coup d'œil rapide sur ce groupe, qui se compo- sait d'une vingtaine de personnes à peu près : le roi de Navarre n'y était point.

Mais madame de Sauve y était; elle échangea

un regard avec elle, et Marguerite comprit que la maîtresse de son mari avait quelque chose à lui dire.

On se mit en route en gagnant la rue Saint-IIo- noré par la rue de Lastruce. A la vue du roi, de la reine Catherine et des principaux catholiques, le peuple s'était amassé, suivant le cortège conme un flot qui monte, criant: Vive le roi! vive la messe! mort aux huguenots !

Ces cris étaient accompagnés de brandissements d'épées rougies et d'arquebuses fumantes, qui indi quaient la part que chacun avait prise au sinistre événement qui venait de s'accomplir.

En arrivant à la hauteur de la rue des Prouvel- les, on rencontra des hommes qui traînaient un ca- davre sans tête. C'était celui de l'amiral. Ces hom- mes allaient le pendre par les pieds à Montfaucon.

On entra dans le cimetière des Saints-Innocents par la porte qui s'ouvrait en face de la rue des Cliaps, aujourd'hui celle des Déchargeurs. Le clergé, prévenu de la visite du roi et de celle de la reine mère, attendaient Leurs Majestés pour les haran- guer.

Madame de Sauve profita du moment Cathe- rine écoutait le discours qu'on lui faisait pour s'ap- procher de la reine de Navarre, et lui demander la permission de baiser sa main. Marguerite étendit le bras vers elle, madame do Sauve approcha ses lè- vres de la main de la reine, et, en la baisant, lui glissa un petit papier roulé dans la manche.

Si rapide et si dissimulée qu'eût été la retraite de madame de Sauve, Catherine s'en était aperçue, elle se retourna au moment sa dame d'honneur baisait la main de la reine.

Les deux femmes virent ce regard qui pénétrait jusqu'à elles comme un éclair, mais toutes deux restèrent impassihies. Seulement madame de Sauve s'éloigna de Marguerite, et alla reprendre sa place près de Catherine.

Lorsqu'elle eut répondu au discours qui venait de lui être adressé. Catherine fit du doigt et an souriant signe à la reine de Navarre de s'approcher d'elle.

Marguerite obéit.

Eh ! ma fille, dit la reine mère dans son pa- tois Italien, vous avez donc de grandes amitiés avec madame de Sauve?

Marguerite sourit, en donnant à son beau visage l'expression la plus amére qu'elle put trouver.

Oui, ma mère, répondit-elle, le serpent est venu me mordre à la main.

Ah ! ah ! dit Catherine en souriant, vous êtes jalouse, je crois!

Vous vous trompez, madame ! répondit Mar- guerite. Je ne suis pas plus jalouse du roi de Na- varre que le roi de Navarre n'est amoureux de moi. Seulement je sais distinguer mes amis de mes en-

72

LA REINE 3IARG0T.

neniis. J'aime qui m'aime et déteste qui me hait. Sans cela, madame, serais-je votre fille "(

Catherine sourit de manière à faire comprendre à Marguerite que, si elle avait eu quelque soupçon, ce soupçon était évanoui.

D'ailleurs, en ce moment, de nouveaux pèlerins attirèrent l'attention de l'auguste assemblée. Le duc de Guise arrivait escorté d'une troupe de gentils- hommes tout échauffés encore d'un carnage récent. Ils escortaient une litière richement tapissée, qui s'arrêta en face du roi.

La duchesse de Nevers ! s'écria Charles IX. Çà, voyons ! qu'elle vienne recevoir nos compliments, cette belle et rude catholique. Que m'a-t-on dit, ma cousine I Que, de votre fenêtre, vous avez gi- boyé aux huguenots ? et que vous en avez tué un d'un coup de pierre?

La duchesse de Nevers rougit extrêmement.

Sire, dit-elle à voix basse en venant s'age- nouiller devant le roi, c'est, au contraire, un catho- lique blessé que j'ai eu le bonheur de recueillir.

Bien, bien, ma cousine, il y a deux façons de me servir : l'une en exterminant mes ennemis, l'autre en secourant mes amis. On fait ce qu'on peut, et je suis sûr que. si vous eussiez pu davan- tage, vous l'eussiez fait.

Pendant ce temps, le peuple, qui voyait la bonne harmonie qui régnait entre la maison de Lorraine et Charles IX, criait à lue-tête : Vive le roi ! Vive le duc de Guise ! Vive la messe !

Revenez-vous au Louvre avec nous. Henriette .' dit la reine mère à la belle duchesse.

Marguerite toucha du coude son amie, qui com- prit aussitôt ce signe, et qui répondit :

Non pas, madame, à moins que Votre Majesté ne me l'ordonne, car j'ai affairé en ville avec Sa Majesté la reine de Navarre.

Et qu'allez-vous faire ensemble? demanda Ca- tiierine.

Voir des livres grecs très-rares et très-curieux qu'on a trouvés chez un vieux pasteur protestant, et qu'on a transportés à la tour Saint-.lacques-la- Boucherie, répondit Marguerite.

Vous feriez bien mieux d'allez voir jeter les derniers huguenots du haut du Pont-aux-Meunicrs dans la Seine, dit Charles IX. C'est la place des bons Français.

Nous irons, .s'il plaît à Votre Majesté, répon- dit la duchesse do Nevers.

Catherine jeta un regard do défiance sur les deux jeunes femmes. Marguerite, aux aguets, l'inter- cepta. Pi, se tournant et se retournant aussitôt d'un air fort préoccupé, elle regarda avec inquit'lude au- tour d'elle.

Celle inquiétude feinle ou réelle n'échappa point à Catherine.

Que cliercliez-vous?

Je cherche... Je ne vois plus, dit-elle.

Qui cherchez-vous, qui ne voyez- vous plus?

La Sauve, dit Marguerite. Serait-elle retour- née au Louvre?

Quand je te disais que tu étais jalouse ? dit Catherine à l'oreille de sa fille. 0 bestia !... Allons, allons, Henriette ! continua-t-elle en haussant les épaules, emmenez la reine de Navarre.

Marguerite feignit encore de regarder autour d'elle, puis, se penchant à son tour à l'oreille de son amie :

Emmène-moi vite, lui dit-elle. J'ai des choses de la plus haute importance à te dire.

La duchesse fit une révérence à Charles IX et à Catherine, puis, s'inclinant devant la reine de Na- varre :

Votre Majesté daignera-t-elle monter dans ma litière? dit-elle.

Volontiers. Seulement vous serez obligée de me faire reconduire au Louvre.

Ma litière, comme mes gens, comme moi- même, répondit la duchesse, sont aux ordres de Vo- tre Majesté.

La reine Marguerite monta dans la litière, et, sur un signe qu'elle lui fit, la duchesse de Nevers monta à son tour, et prit respectueusement placi' sur le devant.

Catherine et ses gentilshommes retournèrent au Louvre en suivant le même chemin qu'ils avaient pris pour venir. Seulement, pendant toute la roule on vit la reine mère parler sans relâche à l'oreille du roi, en lui désignant plusieurs fois madame de Sauve.

Et, à chaque fois, le roi riait, romme naît Char- les IX ; c'est-à-dire d'un rire plus sinistre qu'une menace.

Quant à Marguerite, une fois qu'elle eut senti la litière se mettre en mouvement, et qu'elle n'eut plus à craindre la perçante investigation de Cathe- rine, elle lira vivement de sa manche le billet de madame de Sauve, et lut les mots suivants :

(( J'ai reçu l'ordre de faire remettre ce soir au roi de Navarre deux clefs : l'une est celle de la chambre dans laquelle il est enfermé ; l'autre est celle de la mienne. Une fois qu'il sera entré chez moi, il m'est enjoint de l'y garder jusqu'à six heures du matin.

« Que Votre Majesté n-lléciiisse, que Voire Ma- jesté décide, que Votre Majesté ne compte ma vie pour rien. »

Il n'y a plus de doute, murmura Marguerite, et la pauvre femme est l'inslrunienl dont on veut .se servir pour nous perdre tous. Mais nous verrous si de la reine Margot, comme dit mon frère Charles, on fait si facilement une religieuse.

De qui donc est cette lettre? demanda la du-

LA REINE MAllGOT.

75

On rencontra dis liornnies nni Iraiu.ilenl nn c.nlivr.^ ?.iii« Irlo. r.'.'ini , .lui di, rnmir.il. Pace 71.

ohesse de Nnvers en montrant le papier que Mar- puerite venait de lire et île relire avec une ?i pronrle attentiun.

Ali I duchesse! j'ai bien dos choses à te dire, ri'iinndit Marguerite en déchirant le billet en mille et mille morceaux.

10

Hr.i. 1h.|'. "le tnv aîné, LouWvjrl M-iniparasise, 31.

74

LA REINE MRGOT.

XII

LES CONFIDENCES.

t. il'abonl, allons-nous? (iemamla Marguerite. Ce n'est pas au pont des Meu- niers, j'imagine?.. J'ai vu assez (le tueries comme cela depuis liier, ma pau- vre Henriette !

J'ai pris la liberté de conduire Votre Majesté..

D'abord, et avant toute cbose, Ma Majesté

te prie d'oublier Sa Majesté Tu me conduisais

donc...

A l'hôtel de Guise, à moins que vous n'en dé- cidiez autrement.

Non pas, non pas, Henriette ! allons chez toi ; le duc de Guise n'y est pas; ton mari n'y est pas?

Oh non ! s'écria la duchesse avec une joie qui fit étinceler ses beaux yeux couleur d'émcraude; non ! ni mon beau-frère, ni mon mari, ni per- sonne! Je suis libre, libre comme l'air, comme Foi- seau, comme le nuojge... Libre, ma reine, enten- dez-vous? Comprenez-vous ce qu'il y a de bonheur dans ce mot ; Libre?... Je vais, je viens, je com- mando ! Ah ! pauvre reine ! vous n'ûtes pas libre, vous ! aussi vous soupirez...

Tu vas, tu viens, tu commandes ! Est-co donc tout? Et ta liberté, ne te sert-elle (ju'à cela ! Voyons, tu es bien joyeuse pour n'être que libre?

Votre Majesté m'a promis d'entamer les confi- dences.

Encore Ma Majesté ; voyons, nous nous fâche- rons, Henriette ; as-tu donc oublié nos conventions?

Non, votre respectueuse servante devant le monde, ta folle confidente dans le lûte-à-tôtc. N'est- ce pas cela, inadaine.' n'est-ce pas cela, Marguerite?

Oui, oui, dit la reine en sonnant.

Ni rivalités de maisons, ni [lerfidies d'amour; tout bien, tout bon, tout franc ; une alliance enfin offensive et défensive, dans le seul but de ren- contrer et de saisir an vol. si nous le rencontrons, cet épliémére qu'on nomme le bonheur.

Bien ! ma duchesse, c'est cola ; et, pour re- nouveler le pacte, embrasse-moi.

Et les deux ebaniiantes tètes, l'une p.'ile et voilée de UK'lancfdie. l'autre, rosi'e, blomlo et rieuse, so rnpprociièreiil gracieusement et unirent leurs lè- vres comme clins avaient uni leurs pcnséea

Donc il y a du nouveau ? demanda la duchesse en fixant sur Marguerite un regard avide et cu- rieux.

Tout n'est-il pas nouveau depuis deux jours?

Oh ! je parle d'amour et non de politique, moi. Quand nous aurons l'âge de dame Catherine ta mère, nous en ferons, de la politique. Mais nous avons vingt ans, ma belle reine, parlons d'autre chose. Voyons, serais-tu mariée pour tout de bon ?

A qui ? dit Marguerite en riant.

Ah ! tu me rassures, en vérité.

Eh bien ! Henriette, ce qui te rassure m'épou- vante. Duchesse, il faut que je sois mariée.

Quand cela?

Demain.

Ah bah ! vraiment ! Pauvre amie! Et c'est né- cessaire?

Absolument.

Mordi ! comme dit quelqu'un de ma connais- sance, voilà qui est fort triste.

Tu connais quelqu'un qui dit: Mordi? de- manda en riant Marguerite.

Oui.

El quel est ce quoiqu'un?

Tu m'interroges toujours quand c'est à toi de parler. Achève, et je commencerai.

En lieux mots, voici : le roi de Navarre e.st amoureux et no veut pas de moi. Je ne suis pas amoureuse; mais je neveux pas de lui. Cependant il faudrait (pie nous changeassions d'idée l'un et l'autre ou que nous eussions l'air d'en changer d'ici à demain.

Eh bien ! change, toi ! et tu peux être sûre qu'il changera, lui.

Justement, voilà l'impossible; car jesuismoins disposée à changer que jamais.

A l'égard de ton mari seulement, j'espère?

Henriette, j'ai tin scrupule.

En scrupule de quoi?

|1e religion. Kais-tu une différence între les huguenots et les eatholiciues?

En politique?

Oui.

Sans doute.

Mais en amour?

Ma chère amie, nous autres femmes, nous sommes tellomcnt poionncs, que, en fait de socles,

LA REINE MARGOT.

75

nous les admettons toutes; que, en fait de dieux, nous en reconnaissons plusieurs.

En un seul, n'est-ce pas?

Oui, dit la duchesse avec un regard étincelant de paganisme ; dui, celui qui s'appelle Éros Cu- pide — Amor ; oui, celui qui a un carquois, un bandeau et des ailes. Mordi ! vive la dévotion !

Cependant, tu as une manière de prier qui est exclusive ; tu jettes des pierres sur la tête des huguenots.

Faisons bi^n et laissons dire... Ah ! Mar- gueritR ! tiomme les meilleures idées, comme les j<lus belles actions se travestissent en passant par la bouche du vulgaire. ,

Le vulgaire... Mais c'est nion frère Charles qui te félicitait, ce me semble?

Ton frère Charles, Marguerite, est un grand chasseur qui sonne du cor toute la journée, ce qui le rend fort maigre... Je récuse donc jusqu'à ses compliments. D'ailleurs, je lui ai répondu, h ton frère Charles... N'?s-tu pas entendu ma réponse?

Non, tu parlais si bas!

Tant mieux, j'aurai plus de nouveau à t'ap- prendre. Çà ! la Cn de ta confidence, Marguerite '(

C'est que... c'est que...

Eh bien ?

C'est que, dit la reine en riant, si la pierre dont parlait mon frère Charles était historique, je m'abstiendrais.

Bon ! s'écria Henriette, tu as choisi un hugue- not. Eh bien ! sois tranquille ! pour rassurer ta con- science, je te promets d'en choisir un à la première occasion.

Ah ! il paraît que cette fois tu as pris un ca- tholique?

Mordi ! reprit la duchesse.

Bien, bien ! je comprends.

Et comment est-il, notre huguenot?

Je ne l'ai pas choisi ; ce jeune homme ne m'est rien, et ne me sera probablement jamais rien.

Mais enfin, .comment est-il? cela ne t'empê- che pas de me le dire, tu sais combien je suis cu- rieuse.

Un pauvre jeune homme beau comme le Ni- sus de Benvenuto Cellini... et qui s'est venu réfu- gier dans mon appartement.

Oh ! oh ! et tu ne l'avais pas un peu convoqué?

Pauvre garçon ! Ne ris donc pas ainsi, Hen- riette, car en ce moment il est encore entre la vie et la mort.

Il est donc malade?

Il est grièvement blessé.

Mais c'est très-gênant, un huguenot blessé ! surtout dans des jours comme ceux nous nous trouvons; et qu'en fais-tu, de ce huguenot blessé qui ne t'est rien et ne te sera jamais rien ?

11 est dans mon cabinet; je le cache, je veux le sauver.

n est beau, il est jeune, il est blessé. Tu le caches dans ton cabinet, tu veux le sauver ; ce hu- guenot-là sera bien ingrat s'il n'est pas trop recon- naissant!

Il l'est déjà, j'en ai bien peur... plus que je ne le désirerais.

Et il t'intéresse... ce pàdvre jeuns homme?

Par humanité... seulement.

Ah!' l'humanité, ma pauvre reine ! c'est tou- jours cette vertu-là qui nous perd , nous autres femmes !

Oui, et tu comprends : comme d'un moment à l'autre, le roi, la duc d'Alençon, ma mère, mon mari même... peuvent entrer dans mon appaite- ment...

. Tu veux me prier de te garder ton petit hu guenot, n'est-ce pas, tant qu'il sera malade, à la condition de te le rendre quand il sera guéri ?

Rieuse! dit Marguerite. Non, je te jure que je ne prépare pas les choses de si loin. Seulement, si tu pouvais trouver un moyen de cacher le pauvre garçon ; si tu pouvais lui conserver la vie que je lui ai sauvée ; eh bien ! je t'avoue que je t'en serais véri- tablement reconnaissante! Tu es libre à l'hôtel de Guise, tu n'as ni beau-frère, ni mari qui t'e'spionne ou qui te contraigne, et, de plus, derrière ta cham- bre, où personne, dière Henriette, n'a heureuse- ment pour toi le droit d'entrer, un grand cabinet pareil au mien. Eh bien ! prête-moi ce cabinet pour mon huguenot ; quand il sera guéri tu lui ouvriras la cage, et l'oiseau s'envolera.

Il n'y a qu'une difficulté, chère reine, c'est que la cage est occupée.

Comment! tu as donc aussi sauvé quelqu'un, toi?

C'est justement ce que j'ai répondu à ton frère.

Ah ! je comprends; voilà pourquoi tu parlais si bas que je ne t'ai pas entendue.

Écoute, Marguerite, c'est une histoire admi- rable, non moins belle, non moins poétique que la tienne. Après l'avoir laissé six de mes gardes, j'étais montée avec les six autres à l'hôtel de Guise, et je regardais piller et brûler une maison qui n'est sé- parée de l'hôtel de mon frère que par la rue des Quatre-Fils, quand tout à coup j'entends crier des femmes et jurer des hommes. Je m'avance sur le balcon et je vois d'abord une épée dont le feu sem- blait éclairer toute la scène à elle seule. J'admire cette lame furieuse : j'aime les belles choses, moi!... puis je cherche naturellement à distinguer le bras qui la faisait mouvoir et le corps auquel ce bras appartenait. Au milieu des coups, des cris, je dis- tingue enfin l'homme, et je vois... un héros, un Ajax Télamon. J'entends une voix, une voix ue Stentor. Je m'enthousiasme, je demeure toute pal- pitante, tressaillant à chaque coup dont il était menacé, à chaque hiHîe qu'il portait; ça été une

70

LA REINE 51ARG0T.

émotion d'un quart d'heure, vois-tu. ma reine, i comme je n'en avais jamais éprouvé, comme j'avais cru qu'il n'en existait pas. Aussi j'étais là, ha- letante, suspendue, muette, quand tout à coup mon héros a disparu.

Comment cela?

Sous une pierre que lui a jetée une vieille femme; alors, comme Cyrus, j'ai retrouvé la voix, j'ai crié : A l'aide, au secours ! Nos gardes sont ve- nus, l'ont pris, l'ont relevé, et enfin l'ont transporté dans la chambre que tu me demandes pour ton protégé.

Helas! je comprends d'autant mieux celte his- toire, chère Henriette, dit Marguerite, que cette histoire est presque la mienne.

Avec cette différence, ma reine, que, servant mon roi et ma religion, je n'ai point besoin de ren- voyer M. Annibal de Coconas.

Il s'appelle Annibal de Coconas 1 reprit Mar- guerite en éclatant de rire.

C'est un terrible nom, n'est-ce pas'? dit Hen- riette. Eh bien! celui qui le porte en est digne. Quel champion, mordi ! et que de sang il a fait couler 1 Mets ton masque, nia reine 1 nous voici à l'hôtek

Pourquoi donc mellre mon masque?

Parce que je veux te montrer mon héros.

11 est beau?

H m'a semblé magnifique jiendant ses batail- les. 11 est \r;ii qug c'était la nuit à la lueur des llammes. Ce matin, à la lumière du jour, il m'a paru perdre un peu, je l'avoue. Cependant je crois que tu en seras contente.

Alors, mon protégé est refusé à l'hùtel de Guise; j'en suis fâchée, car c'est le dernier endroit l'on viendrait chercher un huguenot.

Pas le moins du monde : je le ferai apporter ici ce soir; l'un couchera dans le coin à droite. l'autre dans le coin à gauche.

Mais, s'ils se reconnaissent, run»pour protes- tant, l'autre pour catholique, ils vont se dévorer.

Oh 1 il n'y a pas de danger, M. de Coconas a rei;u dans la figure un coup ijui fait qu'il n'y voit presque pas clair, ton huguenot a reçu dans la poi- trine un coup qui fait qu'il no peut presque pas re- muer, et puis, d'ailleurs, tu lui recoiniiiand'eras de garder le silence à l'endroit de la religion, et liiul ira à merveille.

Allons, soit!

Entrons, c'est conclu.

- Merci, dit Marguerite en seir;iiil la main (h' son umie.

Ici, niadaine, vous redevenez Majesté, dit la durhcssc de Ncvers : perniellrz-moi donc de vous fiiiri- les honneurs île riiôtel de (lui.-^e coinine ils dr>i\enl être faits à la reine de Navarre.

i:t 1.1 durhcssc, di'scendanl de sa litière, mil pres- que un genou en terre pour aider Marguerite à des-

cendre à son tour; puis, lui montrant de la main la porte de l'hùtel gardée par deux sentinelles, arque- buse à la main, elle suivit à quelques pas la reine, qui marcha majestueusement précédant la du- chesse, qui garda son humble attitude tant qu'elle put être vue. Arrivée à sa chambre, la duchesse ferma sa porte ; et, appelant sa camérière, Sici- lienne des plus alertes :

Mica, lui dit-elle en italien, comment va M. le comte?

Mais de mieux en mieux, répondit celle-ci.

Et que fait-il?

En ce moment, je crois, madïime, qu'il prend quelque chose.

Bien! dit Marguerite, si l'appétit revient, c'est bon signe.

Ah ! c'est vrai ! j oubliais que tu es une élève d'Ambroise Paré. Allez, Mica.

Tu la renvoies?

Oui, pour qu'elle veille sur nous. Mica sortit.

Maintenant, dit la duchesse, veux-tu entrer chez lui, veux-tu que je le fasse venir?

Ni l'un, ni l'autre; je voudrais le voir >ans être vue.

Que t'importe, puisque tu as ton masque?

Il peut me reconnaître à mes cheveux, à mes mains, à un bijou.

Oh ! comme elle est prudente depuis (|u'elle est mariée, ma belle reine 1

Marguerite sourit.

Eh bien ! mais je ne vois qu'un moyen, con- tinua la duchesse.

Lequel?

C'est de le regarder par le trou de la ser- rure.

Soit! conduis-moi.

I.a ducli(>sse prit MargiKMile par la main, la con- duisit à une porte sur laquelle retombait une tapis- serie, s'inclina sur un genou, et approcha son oeil de l'ouverture que laissait la clef absente.

.lustement, dit-elle, il esta la table et a le vi- .•;age tourné de notre cùté. Viens.

La reine Marguerite prit la place de son amie et approcha à sim tour son œil du trou de la serrure. (^ofiMias, rniiime l'avait dit la duchesse, était assis à une table admirableiuenl servie, et à laquelle ses blessures ne l'empêchaient pas de faire honneur.

.Ml ! mon IMcii ! s'érria Marguerite en se recu- lant.

(Juoi donc? (b'inaiida la du(lii>se l'ionnéi".

Impossible! Non! Si! Oh! sur mon àine! c'est Ini-mêine!

Qui, lui-même?

Chut', dit Marguerite eu se relevant et en sni- Ni,-<,sinl la main de la duchesse, celui qui voulait tuer iiiiui huguenot, qui la poursuivi jusque dans ma chambre, qui l'a frappé jusipie dans mes bras!

LA HEINE MARGOT.

77

Oli ! Henriello. quel bonheur qu'il ne m";iit pas ;i perçue!

Eh bien! alors, puisque tu l'as vu à lu u\re, n'est-ce pas qu'il était beau'!

Je ne sais, dit Marguerite, car je regardais ce- lui qu'il poursuivait.

Et celui qu'il poursuivait s'appelle'.'

Tu ne prononceras pas son nom devant lui '.

Non, je te le promets.

Lerac de la Mole.

Etconimenl le trouves-tu maintenant.'

M. de la Mole

Non, M. de Coconas'.'

Ma foi, dit Marguerite, j'avoue que je lui trouve...

Elle s'arrêta.

Allons, allons, dit la duchesse, je vois que tu lui en veux de la blessure qu'il a faite à ton hu- guenot.

Mais il me semble, reprit Marguerite en riant,

que mon huguenot ne lui doit rien, et que la b.ila- fre avec laquelle il lui a souligné Tteil...

Ils sont quittes alors, et nous pouvons les rac- commoder. Envoie-moi ton blessé.

Non, pas encore; plus tard.

Ouand cela'.'

Quand tu auras prêté au tien une autre chani- J)re.

Laquelle Jonc'.'

Marguerite regarda son amie, qui, après un mo- ment de silence, la regarda aussi et se mit à rire.

Eh bien ! soit, dit la duchesse. Ainsi donc, al- liance plus que jamais !

Amitié sincère toujours, répondit la reine.

Et le mot d'ordre, le signe de reconnaissance, si nous avons besoin l'une de l'autre'?

Le triple nom de ton triple dieu : Eros-Cu- pido-Amor.

Et les deux femmes so quittèrent après s'être em- brassées pour la seconde fois et s'être serré lu main pour la vingtième fois.

»^>4sK6=eî.^<—

XIII

COMMV: IL Y A HliS CLEFS OUI OUVRLNT LES TOUTES Ar.\Ql'i;i,Li:S KM. ES .NE SO.N'T PAS DESTINÉES.

a reine de Navarre, en ren- trant au Louvre, trouva Gillonne dans une grande émotion. Madame de Sauve était venue en son absence. Elle avait apporté une clef que lui avait fait passer la reine mère. Cette clef était celle de la chambre ou était renfermé Henri. Il était évident que la reine mère avait besoin, pour un dessein quelconque, que le Béarnais passât celte nuit chez madame de Sauve.

Marguerite prit la clef, la tourna et la retourna entre ses mains. Elle se fit rendre ranipte des moin- dres paroles de madame de Sauve, les pesa lettre par lettre dans son esprit, et crut avoir compris le pro- jet de Catherine.

Elle prit une plume, de l'encre, et écrivit sur un papier :

(■ Au lieu d'aller ce soir chez madame de Sauve, 0 venez chez la reine de Navarre.

« Marguerite, v

Puis elle roula le papier, l'introduisit dans le trou de la clef, et ordonna à Gillonne, dès que la nuit serait venue, d'aller glisser cette clef sous la [loite du prisonnier.

Ce premier soin accompli, Marguerite pensa au pauvre blessé ; elle ferma toutes les portes, entra dans le cabinet, et, à son grand étonnement, elle trouva la Mole revêtu de ses habits encore tout dé- chirés et tout tachés de sang.

En la voyant, il essaya de se lever; mais, chance- lant encore, il ne put se tenir debout et retomba sur le canapé dont on avait fait un lit.

Mais qu'arrive-t-il donc, monsieur, demanda Marguerite, et pourquoi suivez-vous si mal les or- donnances de votre médecin'! Je vous avais recom- mandé le repos, et voilà qu'au lieu de m'obéir vous faites tout le contraire de ce que j'ai ordonné !

Oh ! madame, dit Gillonne, ce n'est point ma faute. J'ai prié, supplié M. le comte de ne point faire cette folie; mais il m'a déclaré que rien ne le retiendrait plus longtemps au Louvre.

Quitter le Louvre! dit Marguerite en regar- dant avec étonnement le jeune homme, qui hais-

78

LA REINE MARGOT.

sait les yeux ; mais c'est impossible ! Vous ue pouvez pas marcher; vous êtes pâle et sans force, on voit trembler vos genoux. Ce matin votre blessure de l'épaule a saigné encore.

Madame, répondit le jeune homme, autant j'ai rendu grâce à Votre Majesté de ra'avoir donné asile hier soir, autant je la supplie de vouloir bien me permettre de partir aujourd'hui.

Mais, dit Marguerite étonnée, je ne saiâ com- ment qualifier une si folle résolution ; c'est pire que de l'ingratitude!

Oh ! madame! s'écria la Mole en joignant les mains, croyez que, loin d'être ingrat, il y a dans mon cœur un sentimeat de reconnaissance qui du- rera toute ma vie.

Il ne durera pas longtemps, alors! dit Margue- rite émue à cet accent, qui ne laissait pas de doute sur la sincérité des paroles; car, ou vos blessures se rouvriront, et vous mourrez de la perte du sang, ou l'on vous reconnaîtra comme huguenot, et vous ne ferez pas cent pas dans la rue sans qu'on vous achève.

Il faut pourtant que je quitte le Louvre, mur- mura la Mole.

Il faut' dit Marguerite en le regardant de son regard limpide et profond ; puis, pâlissant légère- ment: — Oh ! oui, je comprends! dit-elle, pardon, monsieur! Il y a sans doute, hors du Louvre, une personne à qui votre absence donne de cruelles in- quiétudes. C'est juste, monsieur de la Mole, c'est naturel, et je comprends cela. Que ne l'avez-vous dit tout de suite, ou, plutôt, comment n'y ai-je pas songé moi-même ! C'est un devoir, quand on exerce l'hospitalité, de protéger les affections de son hôte comme on panse ses blessures, et de soigner l'âme comme on soigne le corps.

Hélas! madame, n-pondit la Mole, vous vous trompez étrangement. Je suis presque seul au monde et tout à fait seul à Paris, personne ne me connaît. Mon assassin est le premier homme à qui j'aie parlé dans cette ville, et Votre Majesté est la première femme qui m'y ait adre,ss(i la parole.

Alors, dit Marguerite surpri.se, pourquoi vou- lez-vous donc vous en aller'

Parce que, dit la Mole, la nuit passée Votre Majesté n'a pris aucun repos, et que cette nuit...

Marguerite rougit.

Gillonne, dit-elle, voici la nuit venue, je crois qu'il est tem[)s que lu ailles porter la clef.

Gillonne sourit ot se relira.

Mais, continua Marguerite, si vous êtes seul à Paris, sans amis, comment fercz-voiis?

Madame, j'en aurai bientôt; car, tandis que j'étais poursuivi, j'ai pcn.sé à ma mère, ijui l'iail ralluiliiiiie; il m'a semhlé que je la voyais glisser devant moi .«ur le chemin du Louvre, une croix à la ni.nin, et j'ai fait vii-ii. si Dieu me cunservait la vie, d'emhrasscr la religion do ma mère. Hii'u a fait

plus que de me conserver la vie, madame; il m'a envoyé un de ses anges pour me la faire aimer.

Mais vous ne pourrez marcher ; avant d'avoir fait cent pas vous tomberez évanoui.

Madame, je me suis essayé aujourd'hui dans le cabinet; je marche lentement et avec souffrance, c'est vrai; mais que j'aille seulement jusqu'à la place du Louvre; une fois dehors, il arrivera ce qu'il pourra.

Marguerite appuya sa tète sur sa main et réfléchit profondément.

Et le roi de Navarre, dit-elle avec intention, vous ne m'en parlez plus. En changeant de religion, avez-vous donc perdu le désir d'entrer à son ser- vice?

Madame, répondit la Mole en pâlissant, vous venez de toucher à la véritable cause de mon dé- part... Je sais que le roi de Navarre court les plus grands dangers, et que tout le crédit de Votre Ma- jesté comme fille de France suffira à peine à sauver sa tête.

Comment, monsieur! demanda Marguerite; que voulez-vous dire, et de quels dangers me par- lez-vous?

Madame, répondit la Mole en hésitant, on en- tend tout du cabinet je suis placé.

C'est vrai, murmura Marguerite pour elle seule, M. de Guise me l'avait déjà dit. Puis tout haut:

Eh bien ! ajouta-t-elle, qu'avez-vous donc en- tendu?

Mais d'abord la conversation que Votre Ma- jesté a eue ce matin avec son frère.

Avec François ? s'écria Marguerite en rougis- sant.

Avec le duc d'Alençon, oui, madame, puis en- suite, après votre départ, celle de mademoiselle Gillonne avec madame de Sauve.

El ce sont ros deux conversations?...

Oui, madame. Mariée depuis huit jours à peine, vous aimez votre époux. Votre époux viendra à son imir comme sont venus M. le dur d'Alençon et madame de Sauve. Il vous enlrcliendra de .«es .se- crets. Eh bien ! je ne dois pas les entendre; je serais indiscret... et je ne puis pas... je ne dois pas... sur- tout je ne veux pas l'être !

Au ton que la Mole mit à prononcer ces derniers mots, au trouble de sa voix, à l'embarras do sa con- tenance, Marguerite fut illuminée d'une révélation subite.

Ail ! dit-elle, vous avez entendu de ce cabinet tout ce qui a été dit dans cette chambre jusqu'A pri'MMil.

Oui, madame. Ces mots furent soupires à peine.

Et vous voulez parlir relli' niiil. ce .soir, pour n'en pas enlondie davunlaun?

LA REINE mRGOT.

79

A l'instant même, madame ! s'il plaît à Votre Majesté de me le permettre.

Pauvre enfant! dit Marguerite avec un singu- lier accent de douce pitié.

Étonné d'une réponse si douce lorsqu'il s'atten- dait à quelque brusque riposte, la Mole leva timide- ment la tète ; son regard rencontra celui de Mar- guerite et demeura rivé comme par une puissance magnétique sur le limpide et profond regard de la reine.

Vous vous sentez donc incapable ds garder un secret, monsieur de la Mole? dit doucement Mar- guerite, qui, penchée sur le dossier de son siège, à moitié cachée par l'ombre d'une tapisserie épaisse, jouissait du bonheur de lire couramment dans cette âme en restant impénétrable elle-même.

Madame, dit la Mole, je suis d'une misérable nature, je me défie de moi-même, et le bonheur d'autrui me fait mal.

Le bonheur de qui? dit Marguerite en sou- riant; ah ! oui, le bonheur du roi de Navarre! Pau- vre Henri !

Vous voyez bien qu'il est heureux, madame! s'écria vivement la Mole.

Heureux?...

Oui, puisque Votre Majesté le plaint. Marguerite chiffonnait la soie de son aumônière

et en effilait les torsades d'or.

Ainsi, vous refusez de voir le roi de Navarre, dit-elle, c'est arrêté, c'est décidé dans votre esprit?

Je crains d'importuner Sa Majesté en ce mo- ment.

Mais le duc d'Alençon, mon frère''

Oh! madame! s'écria la Mole, M. le duc d'A- lençon, non, non, moins encore M. le duc d'Alen- çon que le roi de Navarre.

Parce que?... demanda Marguerite émue au point de trembler en parlant.

Parce que, quoique déjà trop mauvais hugue- not pour être serviteur bien dévoué de Sa Majesté le roi de Navarre, je- ne suis pas encore assez bon catholique pour être des amis de M. d'Alençon et de M. de Guise.

Cette fois ce fut Marguerite qui baissa Ifes yeux et qui sentit le coup vibrer au plus profond de son cœur, elle n'eût pas su dire si le mot de la Mole était pour elle caressant ou douloureux.

En ce moment Gillonne rentra, Marguerite l'in- terrogea d'un coup d'oeil. La réponse de Gillonne, renfermée aussi dans un regard, fut affirniative. Elle était parvenue à faire passer la clef au roi de Navarre.

Marguerite ramena ses yeux sur la Mole, qui de- meurait devant elle indécis, la tête penchée sur sa poitrine, et pâle comme l'est un homme qui souffre à la fois du corps et de l'âme

Monsieur de la Mole est fier, dit-elle, et j'hé-

site à lui faire une proposition qu'il refusera sans doute.

La Mole se leva , fit un pas vers Marguerite et voulut s'incliner devant elle en signe qu'il était à ses ordres ; mais une douleur profonde, aiguë, brû- lante, vint tirer des larmes de ses yeux, et, sentant qu'il allait Jomber, il saisit une tapisserie, à la- quelle il se soutint.

Voyez-vous, s'écria Marguerite en courant à lui et en le retenant dans ses bras, voyez-vous, mon- sieur, que vous avez encore besoin de moi !

Un mouvetnent à peine sensible agita les lèvres de la Mole.

Oh! oui! murmura-t-il, comme de l'air que je respire, comme du jour que je vois !

En ce moment trois coups retentirent, frappés à la porte de Marguerite.

Entendez-vous, madame? dit Gillonne ef- frayée.

'Déjà, murmura Marguerite.

Faut-il ouvrir?

Attends. C'est le roi de Navarre peut-être.

Oh! madame! s'écria la Mole rendu fort par ces quelques mots, que la reine avait cependant prononcés à voix si basse qu'elle espérait que Gil- lonne seule les aurait entendus; madame, je vous en supplie à genoux, faites-moi sortir, oui, mort ou vif, madame! Ayez pitié de moi ! Oh ! vous ne me répondez pas. Eh bien! je vais parler! et, quand j'aurai parlé, vous me chasserez, je l'es- père.

Taisez-vous, malheureux ! dit Marguerite, qui ressentait un charme infini à écouter les reproches du jeune homme; taisez-vous donc!

Madame, reprit la Mole, qui ne trouvait pas sans doute dans l'accent de Marguerite cette rigueur à laquelle il s'attendait; madame, je vous le répète, on entend tout de ce cabinet. Oh ! ne me faites pas mourir d'une mort que les bourreaux les plus cruels n'oseraient inventer.

Silence ! silence ! dit Marguerite.

Oh! madame, vous êtes sans pitié; vous ne voulez rien écouter, vous ne voulez rien entendre. Mais comprenez donc que je vous aime...

Silence donc, puisque je vous le dis! inter- rompit Marguerite en appuyant sa main tiède et parfumée sur la bouche du jeune homme, qui la saisit entre ses deux mains et l'appuya contre ses lèvres.

Mais... murmura la Mole.

Mais taisez-vous donc, enfant! Qu'est-ce donc que ce rebelle qui ne veut pas obéir à sa reine? *

Puis, s'élançant hors du cabinet, elle referma la porte, et, s'adcssantà la muraille en comprimant avec sa main tremblante les battements de son cœur ;

Ouvre, Gillonne! dit-elle.

80

LA REINE 3IARG0T.

'•^-%|'^'!!IH'!

Gillonna.

Gillonne sortit île la clinnibrfi, et, un instant après, la tôln fino, spiritiiollo ot un peu inquiète du roi de Navarre souleva la tapisserie.

Vous m'avez manHè, madame? dit If mi de Navarre à MarRiierite.

0 Oiii, monsieur. Votre Majesté a reeu nin let- tre?

Et non sans i|uclquc (•tonnenienl. je l'avoue! dit Henri en ref.',irdant autour de lui avee une dè- tianre bientôt ('vanniiie.

Et non sans quel(|iie inqiiii'tiidi', n'est-ee pas. monsieur'! ajouta Marguerite.

.le vous ravnner;ii, madame. Cepend.int. tout entouré que je suis d'ennemis acharnés et d'amis plus dangereux eneore, peut-être, que mes enne- mis, je me suis rappeh- qu'un soir j'av.iis vu rayon- ner dans vos yeu\ le sentiment de la };c'néro<ilé. '•''■tait le soir de nos noces; qu'un autre jour j'y avais vu briller l'i-toite du courape. et. cet autre jour, c'i'tail hier, jour fixé pour ma mort.

- F;Ii bien! monsieur? dit Mar^zueiite en .sou- ri.inl. tandis que Henri semblait vouloir lire jus- qu'au fond de son co^ir.

Eh bien ! madame en songeant à tout cela, je

LA REINE MARGOT.

8i

Mais, cependant, madame, dit Henri, c'est vous qui m'avez fait tenir cette clef.

me suis dit à l'instant même en lisant votre billet qui me disait de venir : Sans amis, comme il est, prisonnier, désarmé, le roi de Navarre n'a qu'un moyen de mourir avec éclat, d'une mort qu'enre- gistre l'histoire, c'est de mourir trahi par sa femme, et je suis venu.

Sire, répondit Marguerite, vous changerez de langage quand vous saurez que tout ce qui se fait en ce moment est l'ouvrage d'une personne qui vous aime... et que vous aimez.

Henri recula presque à ces paroles, et son œil gris et perçant interrogea sous son sourcil noir la reine avec curiosité.

Oh ! rassurez-vous, sire, dit la reine en sou- riant ; cette personne, je n'si pas la prétention de croire que ce soit moi !

Mais, cependant, madnme, dit Henri, c'est vous qui m'avez fait tenir cetla clef; cette écriture, c'est la vôtre.

Cette écriture est la mienne, je l'avoue; ce billet vient de moi, je ne le nie pas. Quant à cette clef, c'est autre chose. Qu'il vous suffise de savoir qu'elle a passé entre les mains de quatre femmes avant d'arriver jusqu'à vous.

De quatre femmes! s'écria Henri avec étonnc- ment.

l'arie. lm|i. de BRY aini, loulevit! MorUparnuis, Ut

11

82

LA REINE MARGOT.

Oui, entre les mains de quatre femmes, dit Marguerite : entre les mains de la reine mère, en- tre les mains de madame de Sauve, entre les mains de Gillonne, et entre les miennes.

Henri se mit à méditer cette énigme.

Parlons raison, maintenant, monsieur, dit Marguerite, et, surtout, parlons franc. Est-il vrai, comme c'est aujcmrd'hui le bruit public, que Votre" Majesté consente à abjurer?

Ce bruit public se trompe, madame, je n"ai pas encore consenti.

Mais vous êtes décidé, cependant?

C'est-à-dire, je me consulte. Que voulez-vous? quand on a vingt ans, et qu'on est à peu .près roi, ventre-saint-gris ! il y a des choses qui valent bien une messe.

Et, entre autres choses, la vie, n'est-ce pas? Henri ne put réprimer un léger sourire.

Vous ne me dites pas toute votre pensée, sire! dit Marguerite.

Je fais des réserves pour mes alliés, madame; car, vous le savez, nous ne sommes encore qu'al- liés : si vous étiez à la fois et mon alliée... et...

Et votre femme, n'est-ce pas, sire?

Ma foi oui... et ma femme.

Alors?

Alors, peut-être serait-ce différent; et peut- être tiendrais-je à rester roi des huguenots, comme ils disent... Maintenant... il faut que je me contente de vivre.

Marguerite regarda Henri d'un air si étrange, qu'il eût éveillé les soupçons d'un esprit moins délié que ne l'était celui du roi de Navarre.

Et ètes-vous sûr, au moins, d'arriver à ce ré- sultat? dit-elle.

Mais à peu près, dit Henri ; vous savez qu'en ce monde, madame, on n'est jamais sûr de rien.

1\ est vrai, reprit Marguerite, que Votre Ma- jesté annonce tant de modération et professe tant de désintéressement, qu'après avoir renoncé à sa cou- ronne, après avoir renoncé à sa religion, elle re- noncera probablement, on en a l'espoir du moins, à son alliance avec une fiilc de France.

Ces mots portaient avec eux une si profonde si- gnification, quelienricn frissonna malgré lui. Mais, domptant cette émotion avec la rapidité de l'éclair :

Daignez vous souvenir, madame, qu'en ce moment je n'ai point mon libre arbitre, .le ferai donc ce que m'ordonnera lu roi do Franco. Quant à moi. si l'on me consultait le moins du monda dans relie question il ne va de rien moins que do mon trône, de mon honneur et do mn vie. plutôt que d'asseoir mon avenir sur les droits <jue nie donne notre mariage forcé, j'aimernis mieux m'ensevelir chasseur dans quchiue chfile.ui, pi-nitent dans quel- que cloître.

Ce çnlrne résigné à sa sihialion. relie rcnnnrin- tion aux "hoses do ce mnudi'. elfrayèrcnt Margue-

rite. Elle pensa que peut-être cette rupture de mariage était convenue entre Charles IX, Cathe- rine et le roi de Navarre. Pourquoi, elle aussi, ne la prendrait-on pas pou» dupe ou pour victime? Parce qu'elle était sœur de l'un et fille de l'au- tre? L'expérience lui avait appris que ce n'était point une raison sur laquelle elle pût fonder sa sécurité. L'ambition donc mordit au cœur la jeune femme, ou plutôt la jeune reine, trop au-dessus des faiblesses vulgaires pour se laisser entraîner à un dépit d'amour-propre : chez toute femme, même mé- diocre, lorsqu'elle aime, l'amour n'a point de ces misères, car l'amour véritable est aussi une ambi- tion.

Votre Majesté, dit Marguerite avec une sorte de dédain railleur, n'a pas grande confiance, ce me semble, dans l'étoile qui rayonne au-dessus du front de chaque roi?

Ah ! dit Henri, c'est que j'ai beau chercher la mienne en ce moment, je ne puis la voir, cachée qu'elle est dans l'orage qui gronde sur moi à cette heure.

Et, si le souffie d'|ine femme écartait cet orage et faisait cette étoile aussi brillante que jamais?

C'est bien difficile, dit Henri.

Niez-vous l'existence de cette femme, mon- sieur?

Non, seulement je nie son pouvoir.

Vous voulez dire sa volonté?

J'ai dit son pouvoir, et je répète le mot. La femme n'est puissante réellement que lorsque l'a- mour et l'intérêt sont réunis chez elle a un degré égal ; si l'un de ces deux sentiments la préoccupe seul, comme .\chille, elle est vulnérable. Or, cette femme, si je ne m'abuse, je ne puis pas compter sur son amour. »

Marguerite se tut.

Écoutez, continua Henri; au dernier tinte- ment de la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois vous avez songer à reconquérir votre liberté, qu'on avait mise en gage pour détruire ceux de mon parti. Moi, j'ai songer à sauver ma vie. C'était le plus pressé... Nous y perdons la Navarre, je le sais bien. Mais c'est peu de chose que la Navarre en comparaison de la liberté qui vous est rendue de pouvoir parler haut dans votre chambre, co que vous n'osiez pas faire quand vous aviez quelqu'un qui vous écoutait de ce cabinet.

(jnoiqu'au plus fort de sa préoccupation, Marguo- rile iicpuls'cmpêchorde sourire. Quant au roi de Na- varre, il s'était déjà levé pour regagner son appar- Iciuent; car depuis quelque temps onze heures (■laient sonnées cl toul donnait, ou du moins seiu- lilait iloruiir dans le Louvre.

Henri fit trois pas vers la porlO; puis, s'anêlanl tout î'r coup comme s'il se rappelait sculemcnl à celle heure la circonstance qui l'avait aiucno clici la reine :

LA REINE MARGOT.

'85

A propos, madame, dit-il, n'avez-vous point à me communiquer certaines choses : ou ne vouliez- vous que m'offrir l'occasion de vous remercier du répit que votre brave présence dans le cabinet des armes du roi m'a donné hier? En vérité, madame, il était temps, je ne puis le nier, et vous êtes des- cendue sur le lieu de la scène comme la divinité antique, juste à point pour me sauver la vie.

Malheureux! s'écria Marguerite d'une voix sourde, et saisissant le bras de son mari. Comment donc ne vo3'ez-vous pas que rien n'est sauvé au con- traire, ni votre liberté, ni votre couronne, ni votre viel... Aveugle! fou! pauvre fou! Vous n'avez pas vu dans ma lettre autre chose, n'est-ce pas, qu'un rendez-vous; vous avez cru que Marguerite, outrée de vos froideurs, désirait une réparation?

Mais, madame, dit Henri étonné, j'avoue... Marguerite haussa les épaules avec une expres- sion impossible à rendre.

Au même instant un bruit étrange comme un grattement aigu et pressé retentit à la petite porte dérobée.

Marguerite entraîna le roi du côté de cette petite porte.

Écoutez, dit-elle.

La reine mère sort de chez elle, murmura une voix saccadée par la terreur et que H^nri re- connut à l'instant môme pour celle de madame de Sauve.

Et va-t-elle? demanda Marguerite.

Elle vient chez Votre Majesté.

Et aussitôt le frôlement d'une robe de soie prouva, en s'éloignant, que madame de Sauve s'enfuyait.

Oh! oh ! s'écria Henri.

J'en étais sîire, dit Marguerite.

Et moi je le craignais, dit Henri, et la preuve, voyez.

Alors, d'un geste rapide, il ouvrit son pourpoint

de velours noir, et, sur sa poitrine, fit voir à Mar- guerite une fine tunique de mailles d'acier et un long poignard de Milan, qui brilla aussitôt à sa main comme une vipère au soleil.

Il s'agit bien ici de fer et de cuirasse ! s'écria Marguerite; allons, sire, allons, cachez cette da- gue : c'est la reine mère, c'est vrai ; mais c'est la reine mère toute seule.

Cependant...

C'est elle, je l'entends, silence!

Et, se penchant à l'oreille de Henri, elle lui dit à voix basse quelques mots que le jeune roi écouta avec une attention mêlée d'étonnement. Aussi- tôt Henri se déroba derrière les rideaux du lit.

De son côté, Marguerite bondit avec l'agilité d'une panthère vers le cabinet la Mole attendait en frissonnant, l'ouvrit, chercha le jeune homme, et, lui prônant, lui serrant la main dans l'obscurité :

Silence! lui dit-elle en s'approchant si près de lui qu'il sentit son souffle tiède et embaumé cou- vrit son visage d'une moite vapeur, silence !

Puis, rentrant dans sa chambre et refermant la porte, elle détacha sa coiffure, coupa avec son poi- gnard tous les lacets de sa robe et se jeta dans le lit.

11 était temps, la clef tournait dans la serrure. Catherine avait des passe-partout pour toutes les portes du Louvre.

Qui est ? s'écria Marguerite tandis que Ca- therine consignait à la porte une garde de quatre gentilshommes qui l'avait accompagnée.

Et, comme si elle eût été effrayée de cette brus- que irruption dans sa chambre, Marguerite, sor- tant de dessous les rideaux en peignoir blanc, sauta à bas du lit, et, reconnaissant Catherine, vint, avec une surprise trop bien imitée pour que la Floren- tine elle-même n'en fût pas dupe, baiser la main de sa mère.

84

LA lŒINE -.MARGOT.

XIV

SECONDE NUIT DES NOCES.

a reine mère promena son regard autour d'elle avec une merveilleuse rapidité. Des mules de velours au pied du lit, les habits de Marguerite épars sur les chaises, ses yeux qu'elle frottait pour en chasser le

sommeil, conxiiinquirent Catherine qu'elle avait

réellement réveillé sa fille.

Alors elle sourit comme une femme qui a réussi

dans ses projets, et, tirant un fauteuil :

Asseyons-nous, Marguerite, dit-elle, et cau- sons.

Madame, je vous écoute.

Il est temps, dit Catherine en fermant les yeux avec cette lenteur particulière aux gens qui réfléchissent ou qui dissimulent profondément; il est temps, ma fille, que vous compreniez combien votre frère et moi aspirons à vous rendre heureuse.

L'exorde était effrayant pour qui connaissait Ca- therine.

Que va-t-elle me dire? pensa Marguerite.

Certes, en vous mariant, continua la Floren- tine, nous avons accompli un de ces actes de politi- que commandés souvent par de graves intérêts à ceux qui gouvernent. Mais, il le faut avouer, ma pauvre enfant, nous ne pensions pas que la répu- gnance du roi de Navarre, pour vous si jeune, si belle et si séduisante, demeurerait opiniâtre à ce point.

Marguerite se leva, et fit, en croisant sa robe de nuit, une cérémonieuse révérence à sa mère.

J'apprends de ce soir seulement, dit Cathe- rine, car sans cela je vous eusse visitée plus tôt, j'apprends que votre mari est loin d'avoir pour vous les égards qu'on doit non-seulement à une jo- lie femme, mais encore à um^ lille de l'rance.

Marguerite poussa un soupir, et Catherine, en- couragée par cette muette adhc'sion, continua :

En effet, que le roi iU' Navarre entretienne publiqiieiiii'iit une d(! mes lilles, (luil l'adore jus- (|u'au scandale, <iu'il fasse mépris pour col ainoTir de la femme qu'on a bien voulu lui accorder, c'est un mallirur auquel nous ne pouvons remédier, nous autres pauvres tout-puissauts, mais que |)uni-

rait le moindre gentilhomme de notre royaume eu appelant son gendre ou en le faisant appeler par son fils. Marguerite baissa la tète.

Depuis assez longtemps, continua Catherine, je vois, ma fille, à vos yeux rougis, à vos amères sorties contre la Sauve, que la plaie de votre cœur ne peut, malgré vos efforts, toujours saigner en de- dans.

Marguerite tressaillit : un léger mouvement avait agité les rideaux; mais heureusement Catherine ne s'en était pas aperçue.

Cette plaie, dit-elle en redoublant d'affec- tueuse douceur, cette plaie, mon enfant, c'est à la main d'une mère qu'il appartient de la guérir. Ceux qui. en croyant faire votre bonheur, ont dé- cidé votre mariage, et qui, daiic leur sollicitude pour vous, remarquent que chaque nuit Henri de Navarre se trompe d'appartement ; ceux qui ne peu- vent permettre qu'un roitelet comme lui offense à tout instant une femme de votre beauté, de votre rang et de votre mérite, par le dédain do votre personne et la négligence de sa postérité; ceux qui voient enfin qu'au premier vent qu'il croira favo- rable cette folle et insolente tète tournera contre notre famille et vous expulsera de sa maison ; ceux- n'ont-ils pas le droit d'assurer, en le séparant du sien, votre avenir d'une façon à la fois plus di- gne de vous cl de votre condition'?

Cependant, madame, répondit Marguerite, malgré ces observations tout empreintes d'amour maternel, et qui me comblent de joie et d'honneur, j'aurai la hardiesse de représenter à Votre Majesté que le roi de Navarre est mon époux.

Catherine fit un mouvement de colère, et, se rap- prochant de Marguerite :

I,ui. dit-elle, votre époux! Suffit-il donc, pour être mari et femme, (]ue l'église vous ait lu-nis, et la consécration du mariage est-elle souloinenl dans h's [laroles du prêtre? Lui, votre époux! Kh ! ma fille, si vous étiez madame de Sauve, vous pourriez me faire celle réponse. Mais, tout au contraire de ce (|ue nous attendions de lui, depuis que vous avei accorde à Henri do Navarre l'honneur de vous nom- mer sa femme, c'est à une autre qu'il en a donné les droits, et, en ce moment même, dit Catherine eu

LA REINE MARGOT.

85

Catherine poussa, non pas un cri, mais un rugisscmenl sourd.

haussant la voix, venez, venez avec moi, cette clef ouvre la porte de Tappartement de madame de Sauve, et vous verrez.

Oh! plus bas, plus bas, madame! je vous prie, dit Marguerite, car non-seulement vous vous trompez, mais encore...

Eh bien?

Eh bien ! vous allez réveiller mon mari.

A ces mots, Marguerite se leva avec une grâce toute voluptueuse, et, laissant flotter entr'ouverto sa robe de nuit dont les manches courtes laissaient à nu son bras d'un modelé si pur, et sa main véri-

tablement royale, elle approcha un flambeau de cire rosée du lit, et, relevant le rideau, elle montra, en souriant, du doigt à sa mère le profil fier, les che- veux noirs et la bouche entr'ouverto du roi de Na- varre, qui semblait, sur la couche en désordre, re- poser du plus calme et du plus profond sommeil.

Pâle, les yeux hagards, le corps cambré en ar- rière comme si un abîme se fût ouvert sous ses pas, Catherine poussa, non pas un cri, mais un rugisse- ment sourd.

Vous voyez, madame, dit Marguerite, que vous étiez mal informée.

86

LA REINE SIÂRGOT.

Catherine jeta un regard sur Marguerite, puis un autre sur Henri. Elle unit dans sa pensée active l'image de ce front pâle et moite, de ces yeux en- tourés d"uu léger cercle de bistre, au sourire de Marguerite, et elle mordit ses lèvres minces avec une fureur silencieuse.

Marguerite permit à sa mère de contempler un instant ce tableau qui faisait sur elle l'effet de la tète de Méduse; puis elle laissa retomber le rideau, et, marchant sur la pointe du pied, elle revint près de Catherine ; et, reprenant sa place sur sa chaise :

Vous disiez donc, madame?

La Florentine chercha pendant quelques secon- des à sonder cette naïveté de la jeune femme ; puis, comme si ses regards acérés se fussent émousscs sur le calme de Marguerite : Rien, dit-elle.

Et elle sortit à grands pas de l'appartement. Aussitôt que le bruit des pas se fut assourdi dans la profondeur du corridor, le rideau du lit s'ou- vrit de nouveau, et Henri, l'œil brillant, la respi- ration oppressée, la main tremblante, vint s'age- nouiller, devant Marguerite. Il était seulement vêtu de ses trousses et de sa cotte de mailles, de sorte qu'en le voyant ainsi affublé, Marguerite, tout en lui serrant la main de bon cœur, ne put s'empê- cher d'éclater de rire.

Ah ! madame, ah ! Marguerite, s'écria-t-il, comment m'acquitterai-je jamais envers vous ?

Et il couvrait sa main do baisers, qui, de la main, montaient insensiblement aux bras de la jeune femme.

Sire, dit-elle en se reculant tout doucement, oubliez-vous qu'à cette heure une pauvre femme, à laquelle vous devez la vie, souffre et gémit pour vous? Madame de Sauve, ajouta-t-elle tout bas, vous a fait le sacrifice de sa jalousie en vous en- voyant près de moi, et peut-être, après vous avoir fait le sacrifice de sa jalousie, vous fait-elle celui de sa vie, car, vous la savez mieux que personne, la colère de ma mère est terrible.

Henri frissonna, et, se relevant, fit un mouve- ment pour .sortir.

Oh ! mais, dit Marguerite avec une admirable coquetterie, je réfléchis et me rassure. La clef vous a été donnée sans indication, et vous serez censé m'avoir accordé ce soir la préférence.

Et je vous l'accorde, Marguerite ; consentez seulement à oublier...

Plus bas, sire, plus bas, répli(|ua la reine parodiant les paroles que dix minutes auparavant elle venait d'adresser à sa mère ; on vous eiilciid du caliinct, et, comme je ne suis pas cncon; tout à fait libre, siro, je vous prierai de parler moins haut.

Oh! oh! dit Henri moitié riant, iiioilié as- sombri, c'est vrai ! j'oubliais quo ce n'est probable- ment [las moi qui suis destiné à jouer la fin do celle scène intéressante! Co cabinet..

Entrons-y, sire, dit Marguerite, car je veux avoir l'honneur de présenter à Votre Majesté un brave gentilhomme blessé pendant le massacre en venant avertir jusque dans le Louvre Votre Majesté du danger qu'elle courait.

La reine s'avança vers la porte, Henri suivit sa femme. La porte s'ouvrit, et Henri demeura stupé- fait en voyant un homme dans ce cabinet prédestiné aux surprises.

Mais la Mole fut plus surpris encore en se trou- vant inopinément en face du roi de Navarre. H en résulta que Henri jeta un coup d'oeil ironique à Marguerite, qui le soutint à merveille.

Sire, dit Marguerite, j'en suis réduite à crain- dre qu'on ne tue dans mon logis môme ce gentil- homme, qui est dévoué au service de Votre Majesté, et que je mets sous sa protection.

Sire, reprit alors le' jeune homme, je suis le comte Lérac de la Mole que Votre Majesté attendait et qui vous avait été recommandé par ce- pauvre M. de Téligny, qui a été tué à mes côtés.

Ah! ah! fit Henri, en effet, monsieur, et la reine m'a remis sa lettre; mais n'aviez-vous pas aussi une lettre de M. le gouverneur du Langue- doc?

Oui, sire, et recommandation de la remettre à Votre Majesté aussitôt mon arrivée.

Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

Sire, je me suis rendu au Louvre dans la soi- rée d'hier; mais Votre Majesté était tellement occo- pée qu'elle n'a pu me recevoir.

C'est vrai, dit le roi, mais vous eussiez pu, ce me semble, me faire passer cette lettre?

J'avais ordre de la part de M. d'Auriac de ne la remettre qu'à Votre Majesté elle-même; car elle contenait, m'a-t-il assuré, un avis si important, qu'il n'osait le confiera un messager ordinaire.

En effet, dit le roi en prenant et en lisant la lettre, c'était l'avis de quitter la cour et de me reti- rer en Béarn. M. d'Auriac était de mes bons amis quoique catholique, et il est probable que, comme gouverneur de province, il avait vent de ce qui s'est passé. Ventre-saint-gris, monsieur! pourquoi ne m'avoir pas remis cette lettre il y a trois jours au lieu de ne me la remettre {]u';uijoiird'bui?

Parce que, ainsi que j'ai ou riuuineur de le dire à Votre Majesté, quelque diligence que j'oie faite, je n'ai pu arriver qu'hier.

C'est fâcheux, c'est fâcheux! murmura le roi; larà cette heure nous serions en si'lreti', soit à la l'idchello, soit dans quelque bonne plaine avec deux à tniis mille chevaux autour de nous.

Sire, ce (|ni est fait est fait, dit Margiieiile à demi-voix, et au lieu de perdre votre temps à récrt- miner sur le passé, \\ s'agit do tirer le meilleur parti possible do l'avenir.

A ma place, dil Henri avec son regard inler-

LA REINE MARGOT.

87

rogateur, vous auriez donc encore quelque espoir, madame?

Oui, certes, et je regarderais le jeu engagé comme une partie en trois points, dont je u'ai perdu que la première manche.

Ah ! madame, dit tout bas Henri, si j'étais sûr que vous fussiez de moitié dans mon jeu !

Si j"avais voulu passer du côté de vos adver- saires, répondit Marguerite, il me semble que je n'eusse point attendu si tard.

C'est juste, dit Henri, je suis un ingrat, et, comme vous dites, tout peut encore se réparer au- jourd'hui.

Hélas! sire, répliqua la Mole, je souhaite à Votre Majesté toutes sortes de bonheurs ; mais au- jourd'hui nous n'avons plus M. l'amiral.

Henri se mit à sourire de ce sourire de paysan matois que l'on ne comprit à la cour que le jour il fut roi de France.

Mais, madame, reprit-il en regardant la Mole avec attention, ce gentilhomme ne peut demeurer chez vous sans vous gêner infiniment et sans être exposé à de fâcheuses surprises. Qu en ferez-vous?

Mais, sire, dit Marguerite, ne pourrions-nous le faire sortir du Louvre? Car en tous points je suis de votre avis.

Q|est difficile.

Sire, M. de la Mole ne peut-il trouver un peu de place dans la maison de Votre Majesté?

Hélas! madame, vous me traitez toujours comme si j'étais encore roi des huguenots, et, sur- tout, comme si j'avais encore un peuple. Vous sa- vez bien que je suis à moitié converti et que je n'ai plus de peuple du tout.

Une autre que Marguerite se fût empressée de ré- pondre sur-le-champ : Il est catholique. Mais la reine voulait se faire demander par Henri ce qu'elle désirait obtenir de lui. Quant à la Mole, voyant cette réserve de sa protectrice et ne sachant encore poser le pied sur le terrain glissant d'une cour aussi dangereuse que .l'était celle de France, il se tut également.

Mais, reprit Henri, relisant la lettre apportée par la Mole, que me dit donc M. le gouverneur de Provence, que votre mère était catholique, et que de vient l'amitié qu'il vous porte?

. Et à moi, dit Marguerite, que me parlicz-vous d'un vœu que vous avez fait, monsieur le comte, d'un changement de religion? Mes idées se brouil- lent à cet égard ; aidez-moi donc, monsieur de la Mole? Ne s'agissait-il pas de quelque chose de sem- blable à ce que paraît désirer le roi?

Hélas ! oui. Mais Votre Majesté a si froidement accueilli mes explications à cet égard, reprit la Mole, que je n'ai point osé...

C'est que tout cela ne me regardait aucune- ment, monsieur. Expliquez au roi, expliquez.

Eh bien ! qu'est-ce que ce vœu ? demanda le

roi.

Sire, dit la Mole, poursuivi par des assassins, sans armes, presque mourant de mes deux blessu- res, il m'a semblé voir l'ombre de ma mère me gui- dant vers le Louvre une croix à la main. Alors j'ai fait vœu, si j'avais la vie sauve, d'adopter la reli- gion de ma mère, à qui Dieu avait permis de sortir de son tombeau pour me servir de guide pendant cette horrible nuit. Dieu m'a conduit ici, sire. Je m'y vois sous la double pititection d'une fille de France et du roi de Navarre. Ma vie a été sauvée miraculeusement; je n'ai donc qu'à accomplir mon vœu, sire. Je suis prêt à me faire catholique.

Henri fronça le sourcil. Le sceptique qu'il était comprenait bien l'abjuration par intérêt, mais il doutait fort de l'abjuration par la foi.

Le roi ne veut pas se charger de mon protégé, pensa Marguerite.

La Mole cependant demeurait timide et gêné en- tre les deux volontés contraires. 11 sentait, sans bien se l'expliquer, le ridicule de sa position. Ce fut en- core Marguerite, qui, avec sa délicatesse de femme, le tira de ce mauvais pas.

Sire, dit-elle, nous oublions que le pauvre blessé a besoin de repos. Moi-même je tombe de sommeil. Eh ! tenez, il pâlit.

La Mole pâlissait en effet, mais c'étaient les der- nières paroles de Marguerite qu'il avait entendues et interprétées qui le faisaient pâlir.

Eh bien ! madame, dit Henri, rien de plus simple; ne pouvons-nous laisser reposer M. de la Mole?

Le jeune homme adressa à Marguerite un regard suppliant, et, malgré la présence des deux Majes- tés, se laissa aller sur un siège, brisé de douleur et de fatigue.

Marguerite comprit tout ce qu'il y avait d'amour dans ce regard et de désespoir dans cette faiblesse.

Sire, dit-elle, il convient à Votre Majesté de faire à ce jeune gentilhomme, qui a risqué sa vie pour son roi, puisqu'il accourait ici pour vous annoncer la mort de l'amiral et de Téligny, lorsqu'il a été blessé; il convient, dis-je, à Votre Majesté, de lui faire un honneur dont il sera reconnaissant toute sa vie.

Et lequel, madame? dit Henri. Commandez, je suis prêt.

M. de la Mole couchera cette nuit aux pieds de Votre Majesté, qui couchera, elle, sur ce lit de re- pos. Quant à moi, avec la permission de mon au- guste époux, ajouta Marguerite en souriant, je vais appeler Gillonne, et me remettre au Ht; car, je vous le jure, sire, je ne suis pas celle de nous trois qui ait le moins besoin de repos.

Henri avait de l'esprit, peut-être un peu trop même : ses amis et ses ennemis le lui reprochèrent

8!î

LA I\EINE BIÂRGOT.

TA-.MEyEfL

rouisuiM par des assassins. Page 87.

plus Inrd. Mnis il rompril quo oollo qui l'exilait do la coucho cfinjiigalo on avait acqtiis lo ilrnit par l'iniliffc'roni'o nii''nio f|u'il avait manifosiro pourollo: (l'aillonrs, MarRiirrito vrnait ilo se vcni,'or do cotlc iiiiliffiironce on lui sauvant la vio. Il no mit dune pas d'amour-propre dans sa ri'pnnsc.

Madamo, dit-il, si M. do la Mnlo ('tait on l'tnt di^ passor dans mon ajiparlomonl, jf" lui nffriiais mon proiiro lit.

Oui, reprit Marpuorile; mais voiro apparlo- .ment, ù cotlc lionrc, ne vous peut protéger ni lim

ni l'autre, et la prudence veut que Votre Majesté ilomouro 101 jusqu'à demain.

Ht, sans attendre la réponse du roi, elle appela Ciillnnno, (il pré|iaror les roussins pour lo rii, et ;iM\ pieds du roi un lit pour la Mole, qui semblait si lieureux et si satisfait de cet honneur, qu'on eût juré qu'il no sentait plus ses hlossuros.

Ouant à Marf,Miorite. elle tira au roi une eérd- iiidiiiousc rrvoronce; et, rentrée dans sa cliaiubro liioii vcrrouillco do tous côtés, elle s'étendit dans son lit.

LA I\EINE MARGOT.'

m

La Mole causa un instant politique avec le roi.

Maintenant, se dit Marguerite à elle-même, il faut que demain M. de la Mole ait un protecteur au Louvre, et tel fait ce soir la sourde oreille qui de- main se repentira.

Puis elle fit signe à Gillonne, qui attendait ses derniers ordres, de venir les recevoir.

Gillonne s'approcha.

Gillonne, lui dit-elle tout bas, il faut que de- main, sous un prétexte quelconque, mon frère, le duc d'Alençon, ait envie de venir ici avant huit heures du matin

Deux heures sonnaient au Louvre.

La Mole causa un instant politique avec le roi. qui peu à peu s'endormit, et bientôt ronfla aux éclats, comme s'il eût été couché dans son lit de cuir de Béarn.

La Mole eût peut-être dormi comme le roi ; mai.s Marguerite ne dormait pas, elle : elle se tournait et se retournait dans son lit, et ce bruit troublait les idées et le sommeil du jeune homme.

Il est bien jeune, murmurait Marguerite au milieu de son insomnie, il est bien timid« ; peut-

12

par.f. Imp. de LRY atD«, boultviri Moutparause, $1,

00

LA REINE JIARGOT.

être même, il faudra voir cela, peut-être même, sera- l-il riJicule; de beaux yeux cependant... une taille lien prise, beaucoup de cliarmes; mais s'il allait ne pas être brave!... Il fuyait... il abjure... c'est fâ- cheux, le rêve commençait bien; allons... Laissons

aller les choses, et rapportons-nous-en au triple Dieu de cette folle Henriette.

Et, vers le jour, Marguerite finit enfin par s'en- dormir en murmurant : Eros, Cupido, Amor.

-^|ao^aej«^

ÏY

CE QUE FEMJIE VEUT DIEU LE \'EUT.

arguerite ne s était pas trompée : la colère amas- sée au fond du cœur de Catherine par cette comé- die, dont elle voyait l'in- trigue sans avoir la puis- sance de rien changer au dénoùnient, avait besoin de déborder sur tjue.qu'un. Au lieu de rentrer chez elle, la reine mère monta directement ciiez sa dame d'atour.

Madame de Sauve s'attendait à deux visites: elle espérait celle de Henri, elle craignait celle de la reine mère. Au lit, à moitié vêtue, tandis que Da- riole veillait dans rantichambre, elle entendit tour- ner une clef dans la serrure, puis s'approciier des pas lents et qui eussent paru lourds s'ils n'eussent pas clé assourdis par d'épais tapis. Elle ne reconnut point la marche légère et empressée do Henri, elle se douta qu'on empêchait Dariole de la venir avertir; et, appuyée sur sa main, l'oreille et l'œil tendus, elle attendit.

La portière se leva, et la jeune femme frisson- nante vit paraître Catherine deMédicis.

Catherine semblait calme; mais madame de Sauve, habituée;! l'étudier depuis deux ans, comprit tout ce que ce calme apparent cachait de sombres préoccupations et peut-être de cruelles vengeances. Madame de Sauve, en apercevant Catherine, vou- lut sauter en bas de son lit; mais Catherine leva le doigt pour lui faire signe do rester, et la pauvre Charlotte demeura clouée à sa place, amassant in- térieurement toutes les forces de son àme pour faire face à l'orage qui se préparait silencieusement.

Avcz-vous fait tenir la clef au roi do Navarre? demanda Calherin(! sans que l'acccnl ik'sa voix in- diquât aucune altération, seulement ces paroliîs étaient prononcées avec des lèvres de plus en plus bl£mis&anlcs.

Oui. madame... répondit Charlotte d'une voix qu'elle tentait inutilement de rendre aussi assurée que l'était celle de Catherine.

Et vous l'avez vu?

Qui ? demanda madame de Sauve.

Le roi de Navarre?

Non, madame; mais je l'attends, et j'avais même cru, en entendant tourner une clef dans la serrure, que c'était lui venait.

A cette réponse qui annonçait dans madame de Sauve ou une parfaite confiance, ou une suprême dissimulation, Catherine no put retenir un léger frémissement. Elle crispa sa main grasse et courte.

Et cependant tu savais bien, dit-elle avec son méchant sourire, tu savais bien, Carlotla, que le roi de Navarre ne viendrait point cette nuit.

Moi , madame , je savais cela ! s'écria Char- lotte avec un accent de surprise parfaitement bien joué.

Oui, tu le savais.

Pour ne point venir, reprit la jeune femme, frissonnante à cette seule supposition, il faut donc qu'il soit mort!

Ce qui donnait à Charlotte le courage de mentir ainsi, c'était la certitude qu'elle avait d'une terri- ble vengeance dans le cas sa petite trahison se- rait découverte.

Mais tu n'as donc pas écrit au roi de Navarre, Carlotla mia? demanda Catherine avec ce môme rire silencieux et cruel.

Non, madame, répondit Charlotte avec un ad- mirable accent de naïveté. Votre Majesté no me l'a- vait pas dit, ce me semble.

H se lit un moment de silence, pendant lequel Catherine regarda madame de Sauve comme le ser- pent regarde l'oiseau qu'il veut fasciner.

Tu le crois belle, dit alors Catherine; tu te crois adroite, n'csl-ce pas?

Non, madame, répondit Chariollc, josaisseu-

LA REINE MARGOT.

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lement que Votre Majesté a été parfois d'une bien grande indulgence pour moi quand il s'agissait de mon adresse et de ma beauté.

Eh bien! dit Catherine en s'animant, tu te trompais, si tu as cru cela, et moi je mentais si je te l'ai dit, tu n'es qu'une sotte et qu'une laide prés de ma fille Margot.

Oh! ceci, madame, c'est vrai! dit Charlotte, et je n'essayerai pas même de le nier, surtout à vous.

Aussi, continua Catherine, le roi de Navarre te prcfére-t-il de beaucoup ma fille, et ce n'était pas ce que tu voulais, je crois, ni ce dont nous étions convenues.

Hélas! madame, dit Charlotte éclatant cette fois en sanglots sans qu'elle eût besoin de se faire aucune violence ; si cela est ainsi, je suis bien mal- heureuse.

Cela est, dit Catherine en enfonçant comme un double poignard le double rayon de ses yeux dans le cœur de madame de Sauve.

Mais qui peut vous le faire croire? demanda Charlotte.

Descends chez la reine de Navarre, pazzal et tu y trouveras ton amant.

Oh! fit madame de Sauve. Catherine haussa les épaules.

Es-tu jalouse, par hasard? demanda la reine mère.

Moi ? dit madame de Sauve rappelant à elle toute sa force prûte à l'abandonner.

Oui, loi ! je serais curieuse de voir une ja- lousie de Française.

Mais, dit madame de Sauve, comment Votre Majesté veut-elle que je sois jalouse autrement que d'amour-propre; je n'aime le roi de Navarre qu'au- tant qu'il le faut pour le service de Votre Majesté!

Catherine la regarda un moment avec des yeux rêveurs.

Ce que tu me dis peut, à tout prendre, être vrai, murmura-t-elle.

Votre Majesté lit dans mon cœur.

Et ce cœur m'est tout dévoue?

Ordonnez, madame, et vous en jugerez.

Eh bien! puisque tu te sacrifies à mon ser- vice, Carlotta, il faut, pour mon service toujours, que tu sois très-éprise du roi de Navarre, et très- jalouse surtout, jalouse comme une Italienne.

Mais, madame, demanda Charlotte, de quelle façon une Italienne est-elle jalouse?

Je te le dirai, reprit Catherine ; et, après avoir fait deux ou trois mouvements de tète de hfut en bas, elle sortit silencieusement et lentement comme elle était entrée.

Charlotte, troublée par le clair regard de ces yeux dilatés comme ceux du chat et de la panthère, sans que cette dilatation lui fit rien perdre de sa profon- deur, la laissa partir sans prononcer un seul mot,

sans même laisser à son souffie la liberté de se faire entendre, et elle ne respira que lorsqu'elle eut en- tendu la porte se refermer derrière elle et que Ba- riole fut venue lui dire que la terrible apparition était bien évanouie.

Dariole, lui dit-elle alors, traîne un fauteuil près démon lit et passe la nuit dans ce fauteuil. Je t'en prie, car je n'oserais pas rester seule.

Dariole obéit; mais, malgré la compagnie de sa femme de chambre qui restait près d'elle, malgré la lumière de la lampe qu'elle ordonna de laisser allumée pour plus grande tranquillité, madame de Sauve aussi ne s'endormit qu'au jour, tant bruis- sait à son oreille le métallique accent de la voix de Catherine.

Cependant, quoique endormie au moment le jour commençait à paraître, Marguerite se réveilla au premier son des trompettes, aux premiers aboie- ments des chiens. Elle se leva aussitôt et commença de revêtir un costume si négligé, qu'il en était pré- tentieux. Alors elle appela ses femmes, fit intro- duire dans son antichambre les gentilshommes du service ordinaire du roi de Navarre; puis, ouvrant la porte qui enfermait sous la même clef Henri et de la Mole, elle donna du regard un bonjour affec- tueux à ce dernier, et, appelant son mari :

Allons, sire, dit-elle, ce n'est pas le tout que d'avoir fait croire à madame ma mère ce qui n'est pas, il convient encore que vous persuadiez toute votre cour de la parfaite intelligence qui règne en- tre nous. Mais tranquillisez-vous, ajoula-t-clle en riant, et retenez bien mes paroles, que la circon- stance fait presque solennelles : Aujourd'hui sera la dernière fois que je mettrai Votre Majesté à cette cruelle épreuve.

Le roi de Navarre sourit et ordonna qu'on intro- duisît ses gentilshommes.

Au moment ils le saluaient, il fit semblant de s'apercevoir seulement que son manteau était resté sur le lit de la reine; il leur fit ses excuses de les recevoir ainsi, prit son manteau des mains de Mar- guerite rougissante, et l'agrafa sur son épaule. Puis, se retournant vers eux, il leur demanda des nouvelles de la ville et de la cour.

Marguerite remarquait du coin de l'œil l'imper- ceptible étonnement que produisit sur le visage des gentilshommes cette intimité qui venait de se révé- ler entre le roi et la reine de Navarre, lorsqu'un huissier entra suivi de trois ou quatre gentilshom- mes, et annonçant le duc d Alençon.

Pour le faire venir, Gillonne avait eu besoin de lui apprendre seulement que le roi avait passé la nuit chez sa femme.

François entra si rapidement, qu'il faillit, en les écartant, renverser ceux qui le précédaient. Son premier coup d'œil fut pour Henri . Marguerite n'eut que le second.

Henri lui répondit par un salut courtois. Mar-

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LA REINE MARGOT.

guérite composa son visage, qui exprima la plus parfaite sérénité.

D'un autre regard vague, mais scrutateur, le duc embrassa alors toute la chambre ; il vit le lit aux tapisseries dérangées, le double oreiller affaissé au chevet, le chapeau du roi jeté sur une chaise.

Il pâlit; mais, se remettant sur-le-champ :

Mon frère Henri, dit-il, venez-vous jouer ce matin à la paume avec le roi"?

Le roi me fait-il cet honneur de m' avoir choisi, demanda Henri, ou n'est-ce qu'une atten- tion de votre part, mon beau-frére?

Mais, non. le roi n'a point parlé de cela, dit le duc un peu embarrassé; mais ^j'êtes-vous point de sa partie ordinaire?

Henri sourit; car il s'était passé tant et de si gra- ves choses depuis la dernière partie qu'il avait faite avec le roi, qu'il n'y aurait rien eu d'étonnant à ce que Charles IX eût changé ses joueurs habituels.

J'y vais, mon frère 1 dit Henri en souriant.

Venez, reprit le duc.

Vous vous en allez? demanda Marguerite.

Oui, ma sœur.

Vous êtes donc pressé?

Très-pressé.

Si cependant je réclamais de vous quelques minutes .'

Une pareille demande était si rare dans la bou- che de Marguerite, que son frère la regarda en rou- gissant et en pâlissant tour à tour.

Que va-t-elle lui dire? pensa Henri non moins étonné que le duc d'Alençon.

Marguerite, comme si elle eût deviné la pensée de son époux, se retourna de son côté.

Monsieur, dit-elle avec un charmant sourire, vous pouvez rejoindre Sa Majesté, si bon vous sem- ble, carie secret quej'ai à révéler à mon frère est déjà connu de vous, puisque la demande que je vous ai adressée hier à propos de ce secret a été à peu près refusée par Votre Majesté. .le ne voudrais donc pas, continua Marguerite, fatiguer une seconde fois Votre Majesté par l'expression émise en face d'elle d'un désir qui a paru lui être désagréable.

Qu'est-ce donc? demanda François en les re- gardant tous deux avec étonnement.

Ah : ah ! dit Henri en rougissant de dépit, je sais ce que vous voulez dire, madame. En vérité, je regrette de ne pas être plus libre. Mais, si je ne puis donner à M. de la Mole une hosiiitalité t]ui ne lui offrirait aucune assurance, je n'en peux pas moins recommander après vous à mon frère d'Alenrou la persônni' à laiiurUe 7)ons vous tnlrrcssrz. Peut-être même, ajouta-t-il pour donner plus de force en- core aux mots (|ue nous venons de souligner, peut- être même mon frère trouvera-t-il uiic^ idi't- qui vous permettra de garder M. de la Mole... ici. . près de vous... ce qui serait mieux que tout, n'est- ce pas, madame''

Allons, allons, se dit Marguerite en elle-même, à eux deux ils vont faire ce que ni l'un ni l'autre des deux n'eût fait tout seul.

Et elle ouvrit la porte du cabinet et en lit sortir le jeune blessé après avoir dit à Henri :

C'est à vous, monsieur, d'expliquer à mon frère à quel titre nous nous intéressons à M. de la Mole.

En deux mots, Henri, pris au trébuchet, raconta à M. d'Alençon, moitié protestant par opposition, comme Henri moitié catholique par prudence, l'ar- rivée de la Mole à Paris, et comment le jeune homme avait été blessé en venant lui apporter une lettre de M. d'Auriac.

Quand le duc se retourna, la Mole, sorti du cabi- net, se tenait debout devant lui.

François, en l'apercevant si beau, si pâle, et par conséquent doublement séduisant par sa beauté et par sa pâleur, sentit naître une nouvelle terreur au fond de son âme.

Marguerite le prenait à la fois par la jalousie et par l'amour-propre.

Mon frère, lui dit-elle, ce jeune gentilhomme, j'en réponds, sera utile à qui saura l'employer. Si vous l'acceptez pour vôtre, il trouvera en vous un maître puissant, et vous, en lui, un serviteur dévoué. En ces temps, il faut bien s'entourer, mon frère! sur- tout, ajouta-t-elle en baissant la voix de manière que le duc d'Alençon l'entendît seul, quand on est ambitieux et que l'on a le malheur de n'être que troisième fils de France.

Elle mit un doigt sur sa bouche pour indiquer à François que, malgré cette ouverture, elle gardait encore à part en elle-même une portion importante de sa pensée.

Puis, ajouta-t-elle, peut-être trouvercz-vous, tout au contraire de Henri, qu'il n'est pas séant que ce jeune homme demeure si près de mon apparte- ment.

Ma sœur, dit vivement François, M. de la Mole, si cela lui convient toutefois, sera dans une demi-heure instalh' dans mon logis, je crois qu'il n'a rien à craindre. Qu'il m'aime et je l'ai- merai.

François mentait, car au fond de son cœur il dé- testait déjà la Mole.

Bien, bien... je ne m'étais donc pas trompée! murmura Marguerite, qui vit les sourcils du roi de Navarre se froncer. Ali! pour vous conduire l'un et l'autre, je vois iju'il faut vous conduire l'un par l'autre.

Puis, roiiipletanl sa [len.'si'O :

Allons, allons, continua-t-olle, bien, Mar- guerite! dirait Henriette.

Mil effet, une deini heure après, la Mole, grave- ment cati'chisé par Marguerite, baissait le bas de sa robe, et montait, assez leslement pour un blessé, rosr^lier qui conduisait chez M. d'Alençon.

LA REINE MARGOT.

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III 1

iMl'iilli;»

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"£■1.

'^'^CiA.'K^UkO^. '

Et il montait assez lestement pour un blessé. Pace 92

Deux ou trois jours s'écoulèrent pendant lesquels la bonne harmonie parut se consolider de plus en plus entre Henri et sa femme. Henri avait obtenu de ne pas iaire abjuration publique, mais il avait renoncé entre les mains du confesseur du roi et en- tendait tous les matins la messe qu'on disait au Louvre. Le soir il prenait ostensiblement le chemin de l'appartement de sa femme, entrait par la grande porte, causait quelques instants avec elle, puis sor- tait par la petite porte secrète et montait chez ma- dame de Sauve, qui n'avait pas manqué de le pré- venir de la visite de Catherine et du danger incon-

testable qui le menaçait. Henri, renseigné des deux cotés, redoublait donc de défiance à l'endroit de la reine mère , et cela avec d'autant plus de raison, qu'insensiblement la figure de Catherine commen- çait de se dérider. Henri en arriva même à voir éclore un matin sur ses lèvres pâles un sourire de bienveillance. Ce jour-là il eut toutes les peines du monde à se décider à manger autre chose que des œufs qu'il avait fait cuire lui-même, et à boire au- tre chose que de l'eau qu'il avait vu puiser à la Seine devant lui. Les massacres continuaient, mais néanmoins al-

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LA REINE MARGOT.

laiem s'éteignant; on avait fait si grande tuerie des huguenots, que le nombre en était fort diminué. La plus grande partie étaient morts; beaucoup avaient fui, quelques-uns étaient restés cachés. De temps en temps une grande clameur s'élevait dans un quartier ou dans un autre : c'était quand on avait découvert un de ceux-là. L'exécution alors était privée ou publique, selon que le malheureux était acculé dans quelque endroit sans issue ou pou- vait fuir. Dans le dernier cas, c'était une grande joie pour le quartier l'événement avait eu lieu : car, au lieu de se calmer par l'extinction de leurs ennemis, les catholiques devenaient de plus en plus féroces ; et moins il en restait, plus ils paraissaient acharnés après ces malheureux restes.

Charles IX avait pris grand plaisif à la chasse aux huguenots ; puis, quand il n'avait pas pu con- tinuer de chasser lui-même, il s'était délecté au bruit des chasses des autres.

Un jour, en revenant de jouer au mail, qui était avec la paume et la chasse son plaisir favori, il en- tra chez sa mère le visage tout joyeux, suivi de ses courtisans habituels.

Ma mère, dit-il en embrassant la Florentine, qui, remarquant cette joie, avait déjà essayé d'en deviner la cause; ma mère, bonne nouvelle! Mort de tous les diables! savez-vous une chose? c'est que l'illustre carcasse de M. l'amiral, que l'on croyait perdue, est retrouvée!

Ah ! ah ! dit Catherine.

Oh ! mon Dieu oui ! Vous avez eu comme moi l'idée, n'est-ce pas, ma mère, que les chiens en avaient fait leur repas de noce? mais il n'en était rien. Mon peuple, mon cher peuple, mon bon peu- ple, a eu une idée : il a pendu l'amiral au croc de Monlfaucon-

Du haut en bas Gaspard on a jeté. Et puis de bas en haut on l'a monté.

Eh bien? dit Catherine.

Eh bien! ma bonne mère, reprit Charles IX, j'ai toujours eu l'envie de le revoir depuis que je sais qu'il est mort, le cher homme. 11 fait beau. Tout me semble en (leurs aujourd'hui. L'air est plein de vie et de parfums, ]e me porte comme je ne me suis jamais porté. Si vous voulez, ma mère, nous monterons à cheval et nous irons à Montfau- con.

Ce serait bien volontiers, mon fils, dit Cathe- rine, si je n'avais pas donné un rendez-vous (|ucjo ne veux pas manquer; puis, ù une visite faite à un homme t\(\ l'itriportance de M. l'amiral, ajouta-t-ellc, il faut convier tiiutc la cour. Co sera une occasion pour les observateurs de faire des observations cu- rieuses. Nous verrons qui viendra et qui demeu- rera.

Vous avez, ma foi! raison, ma morel à de-

main la chose, cela vaut mieux! Ainsi, faites vos in- vitations, je ferai les miennes, ou plutôt nous n'in- viterons personne. Nous dirons seulement que nous y allons ; cela fait, tout le monde sera libre. Adieu, ma mère! je vais sonner du cor.

Vous vous épuiserez, Charles ! Ambroise Paré vous le dit sans cesse, et il a raison; c'est un trop rude exercice pour vous.

Bah ! bah ! bah ! dit Charles, je voudrais bien être sûr de ne mourir que de cela. J'enterrerais tout le monde ici et même Henriot, qui doit un jour nous succéder à tous, à ce que prétend Nostradamus.

Catherine fronça le sourcil.

Mon fils, dit-elle, défiez-vous surtout des cho- ses qui paraissent impossibles, et, en attendant, mé- uagez-vous.

Deux ou trois fanfares seulement pour réjouir mes chiens, qui s'ennuient à crever, pauvres bêtes! J'aurais les lâcher sur le huguenot, cela les au- rait réjouis.

Et Charles IX sortit de la chambre de sa mère, entra dans son cabinet d'armes, détacha un cor, en sonna avec une vigueur qui eût fait honneur à Ro- land lui-même. On ne pouvait pas comprendre com- ment de ce corps faible et maladif et de ces lèvres pâles pouvait sortir un souffle si puissant.

Catherine attendait en effet quelqu'un, comme elle l'avait dit à son fils. Un instant après qu'il fut sorti, une de ses femmes vint lui parler tout bas. La reine sourit, se leva, salua les personnes qui lui faisaient la cour, et suivit la messagère.

Le Florentin René, celui auquel le roi de Na- varre, le soir même de la Saint-Barthclemy. avait fait un accueil si diplomatique, venait d'entrer dans son oratoire.

Ah ! c'est vous, René I lui dit Catherine, je vous attendais avec impatience.

René s'inclina.

Vous avez reçu hier le petit mot que je vous ai écrit?

J'ai eu cet honneur.

Avez-vous renouvelé, comme je vous le di- sais, l'épreuve do cet horoscope tiré par Ruggieri, et qui s'accorde si bien avec cette prophétie de Nos- tradamus qui dit que mes fils régneront tous trois?... Depuis (luclques jours, les choses sont bien modi- fiées, René, et j'ai pensé qu'il était possible que les destinées fussent devenues moins menaçantes.

Madame, répondit René en secouant la tête, Votre Majesté sait bien que les choses no modifient pas la destinée; c'est la destinée, au contraire, qui gouverne les choses.

Vous n'en avez pas moins renouvelé le sacri- lice, n'est-ce pas?

Oui, madame, répondit René, car vous obéir est mon pnMiiior devoir.

Eh bien ! le résultat? ^

(^t domeurii le même, miidmne.

LA REINE MARGOT.

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Quoi ! l'agneau noir a toujours poussé ses trois cris ? I

Toujours, madame.

Signe de trois morts cruelles dans ma famille ! murmura Catherine.

Hélas! dit René.

Mais ensuite?

Ensuite, madame, il y avait dans ses entrail- les cet étrange déplacement du foie que nous avons déjà remarqué dans les deux premiers, et qui pen- chait en sens inverse.

Changement de dynastie. Toujours, toujours, toujours, grommela Catherine; il faudra cependant combattre cela, René! continua-t-elle.

René secoua la tête.

Je l'ai dit à Votre Majesté, reprit-il, le destin gouverne.

C'est ton avis? dit Catherine.

Oui, madame.

Te souviens-tu de l'horoscope de Jeanne d'Al- bret?

Oui, madame.

Redis-le un peu, voyons; je l'ai oublié, moi.

Vives lionorata, dit René, niorieris reformi- data, reghia awplificabere.

Ce qui veut dire, je crois, répliqua Catherine; tu vivras honorée, et elle manquait du nécessaire, la pauvre femme ! Tu ntoiirras redoutée, et nous nous sommes moqués d'elle. Tu seras plus grande que lu n'as élé comme reine, et voilà qu'elle est morte et que sa grandeur repose dans un tombeau nous avons oublié de mettre même son nom.

Madame, Votre Majesté traduit mal le vives honorata. La reine de Navarre a vécu honorée, en effet; car elle a joui, tant qu'elle a vécu, de l'amour de ses enfants et du respect de ses partisans, amour et respect d'autant plus sincères qu'elle était plus pauvre.

Oui, dit Catherine, je vous passe le tu vivras honorée; maisnioriem rcformidata, voyons, com- ment l'expliquerez-vous?

Comment je l'expliquerai ! rien de plus facile. Tu mourras redoutée.

Eh bien ! est-elle morte redoutée?

Si bien redoutée, madame, qu'elle ne fût pas morte si Votre Majesté n'en avait pas eu peur. En- fin, comme reine tu grandiras, ou tu seras plus grande que tu nas élé comme reine; ce qui est en- core vrai, madame; car, en échange de la cou- ronne périssable, elle a peut-être maintenant, comme reine et martyre, la couronne du ciel, et, outre cela, qui sait encore l'avenir réservé à sa race sur la terre?

Catherine était superstitieuse à l'excès ; elle s'é- pouvanta plus encore peut-être du sang-froid de René que de cette persistance des augures; et, comme pour elle un mauvais pas était une occasion de fran- chir hardiment la situation, elle dit brusquement

à René, et sans transition aucune que le travail muet de sa pensée :

Est-il arrivé des parfums d'Italie?

Oui, madame.

Vous m'en enverrez un coffret garni.

Desquels?

Des derniers, de ceux... Catherine s'arrêta.

De ceux qu'aimait particulièrement la reme de Navarre? reprit René.

Précisément.

11 n'est point besoin de les préparer, n'est-ce pas, madame? car Votre Majesté y est, à cette heure, aussi savante que moi.

Tu trouves? dit Catherine; le fait est qu'ils réussissent.

Votre Majesté n'a plus rien à me dire? de- manda le parfumeur.

Non, non, reprit Catherine pensive ; je ne crois pas, du moins. Si toutefois il y avait du nou- veau dans les sacrifices, faites-le-moi savoir. A propos, laissons les agneaux, et essayons des poules.

Ilélas! madame, j'ai bien peur qu'en chan- geant la victime nous ne changions rien aux pré- sages.

Fais ce que je dis. René salua et sortit.

Catherine resta un instant assise et pensive; puis elle se leva à son tour et rentra dans sa chambre à coucher, l'attendaient ses femmes , et elle annonça pour le lendemain le pèlerinage à Mont- faucon.

La nouvelle de cette partie de plaisir fut pendant toute la soirée le bruit du palais et la rumeur de la ville. Les dames firent préparer leurs toilettes les plus élégantes, les gentilshommes leurs armes et leurs chevaux d'apparat. Les marchands fermèrent boutiques et ateliers, et les flâneurs de la populace tuèrent par-ci, par-là, quelques huguenots épargnés pour la bonne occasion, afin d'avoir un accompa- gnement convenable à donner au cadavre de l'a- miral.

Ce fut un grand vacarme pendant toute la soirée et pendant une bonne partie de la nuit.

La Mole avait passé la plus triste journée du monde, et cette journée avait succédé à trois ou quatre au- tres qui n'étaient pas moins tristes.

M. d'Alençon, pour obéir aux désirs de Margue- rite, l'avait installé chez lui, mais ne l'avait point revu depuis. 11 se sentait tout à coup comme un pauvre enfant abandonné, privé des soins tendres, délicats et charmants de deux femmes dont le sou- venir seul de l'une dévorait incessamment sa pen- sée. Il avait bien eu de ses nouvelles par le chirur- gien Âmbroise Paré, qu'elle lui avait envoyé ; mais ces nouvelles, transmises par un homme de cin- quante ans, qui ignorait ou feignait d'ignorer l'in-

96

LA REINE MARGOT.

A merveille! qu'on lui donne un de mes chevaux.

iérh que la Mole portait aux moindres choses ipn se rapportaient à Mar(,'ueriln, (Haicnt bien iiieniii- plèles et bien insnflisanti's. 11 est vrai (\\u'. riilionm^ était venue une fois, en son propre nom, bien en- tendu, pour savoir des nouvelles du blcssfi. Celte visite avait fait Teffel d'un rayon de soleil dans un eaehot, f't la M(d(' eu était resti^ coniini! ('liloui, at- tendant toujours une seconde apparition, laiiuclle, «luoiqu'il se fût écoulé, deux jours depuis la pre- micri'. m- venait poini.

Aussi, ijuand la nn\nrili' fut ap|i(irl«'<' .lu ciinva- lescenl de cette réunion splendido de toute la cour

pour le lendemain, fit-il demander à M. d'Alençnn la faveur de rarroni|ia;,'ner.

l.e (lue ne se demanda pas même si la Mole était en état de supporter cette fatigue, il répondit seule- ment :

A merveille! qu'on lui donne un de mes che- vaux.

(;'('tait tout ce que d('Sirail la Mole. Maitre Ani- broise Pan? vint comme d'habitude pour le panser; la Mide lui exposa la néressit(' il ('tait de monter à cheval, et h^ |iria de iiieltre un double soin à la pose dos appareils. Les deux hle^ure*. au reste.

LA REINE MARGOT.

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mw

Un ^raiid gculiiii .'Uiiue j |>ail roux eijiniliisU dcva^il une ghtce. V> 1. 1*8

-jtaieiil rcft'rnict's. celle de la fjoitrinc cciinnie telle de l'épiule. et celle île l'cpaule seule le faisailsouf- frir. Toutes doux clnient vermeilles, coiiime il con- vient à des liuiirsen voie de giKTisnn. Maître Ain- broise Paré les recouvrit d'un taffetas gommé, fort en vogue à cette époque pour ces sortes de cas. et promit à la .Mole que, pourvu qu'il ne se donnât point trop de mouvement dans l'excursinn qu'il al- lait faire, les choses iraient convenablement.

La Mole était au comble de la joie; à part une certaine faiblesse causée par la perte de sang et un léger étuurdisîoment qui se rattachait à cette cause,

il se sciiiait aussi bien qu'il puuvait être. D'ailleurs, Marguerite serait sans doute do cette cavalcade; il reverrait .Marguerite; et, lorsqu'il songeait au bien que lui avait fait la vue de Gillonne, il ne mettait point en doute l'efficacité iiien plus grande de celle de sa maîtresse.

La Mole employa donc une partie de l'argent qu'il avait reçu en partant de sa famille à acheter le plus beau justaucorp!, de satin blanc et la plus riche bro- derie de manteau que lui pût procurer le tailleur à la mode. Le môme lui fournit encore des bottes de cuir parfumé qu'on portail à cette époque; le

Par ft IiLi[' 4r Bitl t'Ot

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LA REITΠBIATIGOT.

tout lui fut apporte le mnlin, une dcmi-licurc seu- lement après l'Iieure pour lariucllc la Mole Tavait demandé, ce qui fait qu'il n'eut trop rien à dire. Il s'habilla rapidement, se regarda dans son miroir, se trouva assez convenaMemcnt vrtu, coilfé, par- fume, |iour être satisfait de lui-même; enfin, il s'assura par plusieurs tours faits rapidement dans sa cliamlire que, à part plusieurs douleurs assez vi- ves, le bonheur moral ferait laire les incommodités physiques. '

Un manteau cerise de son invention, et taillé un peu plus long qu'on ne les portail alors, lui allait parliculièremenl bien.

Tandis que celle scène se passait au Louvre, une autre du même genre avait lieu à rhôlel de Guise. Un grand genlilliomme à poil roux examinait de- vant une glace une raie rougcàtre qui lui traver- sait désagréablement le visage ; il peignait cl par- fumait sa mouslaclie, et,' tout en la parfumant, il étendait sur celte malheureuse raie, qui, malgré tous les cosmétiques en usage à celte époque, s'obs- tinail à reparaître, il étendait, dis-je, une triple cou- che de blanc et de rouge; mais, comme l'applica- tion était insuflisante, une idée lui vint : un ardent soleil, un soleil d'août, dardait ses raj'ons dans la cour; il descendit dans celle cour, mil son clia[ieau à la main, cl, le nez en l'air et les yeux fermés, il se promena pendant dix minutes, sexposant volon- tairement à cette flamme dévorante qui tombait par torrents du ciel.

Au bjul de dix minutes, grâce à un coup de so- leil de premier ordre, le gentilhomme éiail arrivé à avoir un visage si cclalanl, que c'était la raie rouge qui maintenant n'était plus en harmonie avec le reste, el qui, par comparaison, para'^sail jaune. Noire gentilhomme ne (larni pas moins fort satisfait de celarc-en-cicl, qu'il rassortit de son mieux avec le reste du visage, grâce à une couche de vermillon qu'il étendit dessus; après quoi il endossa un ma- gnifique habit qu'un tailleur avait mis dans sa chambre avant qu'il n'eût demandé le tailleur.

Ainsi paré, musqué, armé de pied en cap, il des- cendit une seconde fuis dans la cour, el se mil à ca-

resser un grand cheval noir dont la beauté eût été sans égale, sans une petite coupureque, à l'instarde celle de son mailre. lui avait faite, dans une des dernières balailles civiles, un sabre de relire.

Néanmoins, enchanté de son cheval comme il l'é- tail de lui-même, ce gentilhomme, que nos lecteurs ont sans doute reconnu sans peine, fut en selle un quart d'heure avant tout le monde, el Ht retentir la cour de riiôtcl de Guise des hennissements de son coursier, auxquels répondaient, à mesure qu'il s'en rendait mailre, des mordi prononcés sur tous les tons. Au bout d'un instant, le cheval, complètement dompté, reconnaissait, par sa souplesse el son obéis- sance, la légitime domination de son cavalier; mais la victoire n'avait pas été remportée sans bruit, et ce bruit (c'était peut-être là-dessus que comptait notre gentilhomme), cl ce bruit avait attiré aux vi- tres une dame que notre dompteur de chevaux sa- lua profondi'ment, et qui lui sourit de la façon la plus agréable.

Cinq minutes après, madame de Nevers faisait appeler son intendant.

Monsieur, demandal-elle, a-t-on fait conve- nablcmonl déjeuner M. le comte Annibal de Coco- nas?

Oui, madame, répondit rmtcndanl ; il a miîme ce matin mangé de meilleur appétit encore que d'habitude.

Bien, monsieur, dit la duchesse.

Puis, se retournant vers son premier gentil- homme :

Monsieur d'Arguzon, dit elle, parlons pour le Louvre, et tenez l'œil, je v(uis prie, sur M. le comte Annibal de Coconas. car il est blessé, et, par consé- quent, encore faible, et je ne voudrais pas. pour tout au monde, qu'il lui arrivât malheur. Cela fe- rait rire les huguenots, qui lui gardeui rancune depuis celle bienheureuse soirée de la .^aiut-Bar- lliélomy.

Va madame do Nevers, montant à cheval à son tour, partit toute rayonnante pour le Louvre, était le reudez-vous général.

LA lŒlAE 51AHG0T.

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XVI

LE CORI'S LUN EN.SElll MOriT SK.NT TOUJOCRS EO.N.

' I était deux lieiircs tic l'a- , rés-niidi lorsrju'unc (ile ii;cavalicisrcluisantsd"or, du joyaux eld'lialiilssplon- didc's, apparut dans la rue ,Saint-llenis, débouclianl à "angle du cimetière des innocents, et se déroulant au soleil pntre les deux rangées de maisons som- bres comme un immense reptile aux clialoyanls an- neaux.

Nulle troupe, si riclie qu elle soit, ne peut don- ner une idde de ce spectacle. Les habits soyeux, ri- ches et éclatants, légués comme une mode splen- dide par François 1" à ses successeurs, ne s'étaient pas transformés encore dans ces vêtements étriqués et sombres qui furent de mise sous Henri lil; de sorte que le costume de Cliarles l.\, moins riche, mais peut-être plus élégant que ceux des époques précédentes, ëclaiail dans toute sa parfaite harmo- nie. De nos jours, il n'y a plus de point de compa- raison possible avec un semblable cort('ge , car nous en sommes réduits, pour nos magnificences de pa- rade, à la symétrie et à luniforme.

Pages, ccuyers, gentilshommes de bas étage, cliiens et chevaux marciiant sur les lianes et on ar- riére, faisaient du cortège royal une véritable ar- mée.. Derrière cettç armée venait le peuple, ou, pour mieux dire, le peuple était partout.

Le peuple suivait, escortait et précédait; il criail à la fois iNoël et Haro ! car dans le cortège on dis- tinguait plusieurs calvinistes ralliés, et le peuple a de la rancune.

C'était le matin, en face de Catherine et du duc de Cuise, que Charles IX avait, comme d'une chose toute naturelle, parlé devant Henri de i\a\arre d'al- ler visiter le gibet de Montfaucon, ou plulùt le corps mutilé de l'amiral, qui était pendu. Le premier mouvement de Henri avait été de se dispenser de prendre part à cette visite. C'était l'attendait Catherine. Aux premiers mots qu'il dit exprimant sa répugnance, elle échangea un coup d'œil et un sourire avec le duc de Guise. Henri surprit l'un et l'autre, les comprit, puis, se reprenant tout à coup :

Mais, au fait, dit-il, pourouoi n"irais-je pas?

Je suis catholique et je me dois à ma nouvelle reli- gion.

Puis, s'adrcssaiit à Charles IX :

Que Votre Majesté compte sur moi, lui dit-il, je serai toujours heureux de l'accompagner partout elle ira.

Et il jeta autour de lui un coup d'œil rapide pour compter les sourcils qui se fronçaient.

Aussi, celui de tout le cortège que l'on regardait avec le plus de curiosité peut-être, était ce fils sans mère, ce roi sans royaume, ce huguenot fait catho- lique. Sa figure longue et caractérisée, sa tournure un peu vulgaire, sa familiarité avec ses inférieurs, familiarité qu'il portail à un degré presijue incon- venant pour un roi, familiarité qui tenait aux ha- bitudes montagnardes de sa jeunesse et qu'il con- serva jusqu'à sa mort, le signalaientauxspectateurs, dont quebiues-uns lui criaient ;

A la messe, llenriol, à la messe ! Ce à quoi Henri fépondail .

J'y ai été hier, j'en viens aujourd'hui, et j'y retournerai demain. Venire-saint-gris! il me sem- ble cependant que c'est assez comme cela.

Quant à Marguerite, elle était à cheval, si belle, SI fraîche, si élégante, que l'admiration faisait au- tour d'elle un concert dont quelques notes, il faut l'avouer, s'adressaient à sa compagne, madame la duchesse de iNevers, qu'elle venait de rejoindre, et dont le cheval blanc, comme s'il était fier du poids qu'il portait, secouait furieusement la tête.

lih bien', duciicsse, dit la reine de Navarre, quoi de nouveau?

Mais, madame, répondit tout haut Henriette, rien que je sache.

Puis tout bas :

Et le huguenot, domanda-t-elle, qu'cst-il de- venu?

Je lui ai trouvé une retraite à peu près sûre, répondit Marguerite. Et le grand massacreur de gens, qu'en as-tu fait?

Ha voulu être de la fête; il monte le cheval de bataille de M. de Nevers, un cheval grand comme un éh'phant. C'est un cavalier effrayant. Je lui ai permis d'assister à la cérémonie, parce que j'ai censé que prudemment ton huguenot garderait la

100

LA REINE MARGOT.

chambre, et que de cette façnn il n'y aurait pas de rencontre à craindre.

Oh ! ma foi, répondit Marguerite en souriant, fiit-il ici, et il n'y est pas, je crois qu'il n'y aurait pas de rencontre pour cela. C'est un beau garçon que mon huguenot, mais pas autre chose : une co- lombe et non un milan; il roucoule, mais ne mord pas. Après tout, fit elle avec un accent intraduisible et en haussant légèrement les épaules; après tout, peut-être l'avons-nous cru huguenot, tandis qu'il était brahme, et sa religion lui défend-elle de n''- pandre le sang.

Mais est donc le duc d'Alençon? demanda Henriette, je ne l'aperçois point.

11 doit rejoindre, il avait mal aux yeux ce ma- tin et désirait ne pas venir; mais, comme on sait que, pour ne pas être du même avis que son frère Charles et son frère Henri, il penche pour les hu- guenots, on lui a fait observer que le roi pourrait interpréter à mal son absence, et il s'est décidé. Mais, justement, tiens, on regarde, on crie là-bas, c'est lui qui sera venu par la Porie-Montmarire.

En effet, c'est lui-même, je le reconnais, dit Henriette. En vérité, mais il a bon air aujour- d'hui. Depuis quoique temps, il se soigne particu- lièrement : il faulqu'il scit amoureux. Voyez donc, comme c'est bon d'être prince du sang : il galope sur tout le monde, et tout le monde se range.

En effet, dit en riant Marguerite, il va nous écraser, Dieu me pardonne ! Mais faites donc ranger vos gentilshommes, duchesse! car en voici un qui, h'il ne se range pas, va se faire tuer.

Eh I c'est mon intrépide! s'écria la dnrliessc, regarde donc, regarde!

Coconas avait en effet quitté son rang pour se rapprocher de madame de Nevers; mais, au mo- ment mc"me son cheval traversait l'espèce de bou- levard extérieur qui séparait la rue du faubourg Saint-Denis, un cavalier de la suite du duc d'Alen- çon, essayant en vain de retenir son cheval emporté, alla en plein corp-^ heurter Coconas. Coconas. ('hranh', vacilla sur sa colossale monture, son chapeau faillit tomber, il le retint el se retourna furieux.

Dieu ! dit Marguerite en se penchant h l'o- reille de .son amie, M. do la Mole!

Ce beau jeune homme pâle! s'écria la du- chesse incapable de moitriser sa première impres- .sion.

Oui, OUI ! celui-là miîmo qui a failli rein i>rser ton Piémonlais.

Oh! mais, dit la duclicssi', il va se pas.scr des choses affreuses! ils se regardi'Ul ils se rnconnais- scnt!

En effet, Coconas, en se retournant, avait rc- roniiu la figure de la Mole; et, de surfirisc, il avait laissé écliapptT In bride do son cheval, car il croyait bien avoir liii'> son ancien compagnon, ou du moins l'avoir mis pour un certiiin li'm|is juirs de t.'oiobat.

De son côté, la Mole reconnut Coconas et sentit un feu qui lui montait au visage. Pendant quelques se- condes qui suffisaient à l'expression de tous les sen- timents que couvaient ces deux hommes, ils s'é- treignirent d'un regard qui fit frissonner les deux femmes. Après quoi la Mole, ayant regardé tout au- tour de lui, et ayant compris sans doute que le lieu était mal choisi pour une explication, piqua son cheval et rejoignit le duc d'Alençon. Coconas resta un moment ferme à la même place, tordant sa mous- taciie et en faisant remonter la pointe jusqu'à se crever l'œil ; après quoi, voyant que la Mole s'éloi- gnait sans lui rien dire de plus, il se remit lui- même en route.

Ah! ah! dit avec une dédaigneuse douleur Marguerite, je ne m'étais donc pas trompée... Ohl pour cette fois, c'est trop fort.

Et elle se mordit les lèvres jusqu'au sang.

Il est bien joli, répondit la duchesse avec com- misération.

Juste en#ce moment le duc d'Alençon venait de reprendre sa place derrière le roi et la reine mère, de sorte que ses gentilshommes, en le rejoignant, étaient forcés de passer devant Marguerite et la du- chesse de Nevers. La Mole, en passant à son tour de- vant les deux princesses, leva son chapeau, salua la reine en s'inclinanl jusque sur le cou de son che- val, el demeura tête nue en attendant qui' Sa Ma- jesté l'honorât d'un n'gard.

Mais Marguerite détourna fièrement la tête.

I.a Mole lut sans doute l'expression de d('dain enqireinte sur le visage de la reine, et. de pMe qu'il (■'tait, devint livide. De plus, pour ne pas choir de son cheval, il fut forcé de se retenir à la crinière.

Oh ! oh ! dit Henriette à la reine, regarde donc, «ruelle que tu es! Mais il va se trouver mal...

Pion! dit la reine avec un sourire écrasant, il ne noiK nian(|uerait pins que cela. As-tu des sels?...

Madame de Nevers se trompait. La Mole, chanc- lant, retrouva des forces, el, se raffermissant sur son cheval, alla reprendre son rang à la suite de M. le duc d'Alençon.

Cependant on continuait d'avancer, un voyait se dessiner la silhouette lugubre du gibet dressé et étrenné par Engiierrand de Marigny. .Iamai< il n'a- vait été si bien garni qu'à celte heure.

Les huissiers cl les gardes marchèrent imi a\ant et formèrent un large cercle nutour de l'enceinte. A leur a|iprochc, les corbeaux perchés sur le gibet s'envolèrent avec des croassements de désespoir.

le gibet qui s'élevait à Montfaiicon offrait d'or- dinaire, ilerrière !;es celonnes, un abri aux chiens altiri's par une proie fii'(|nenle et aux bandiLs phi- losophes qui venaient mcditiT sur le>. triste- vieissi- liides de la fortune.

Ce jour-là, il n'y av.iit. on .ipparenre du moins, à Moiilfaiieon. ni chiens, ni bandits. I liuisuiers el

LA REINE MARGOT.

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C't'lail un sporMcle h U lois lti;iilirp et hiznrre.

les gardes avaient chassé les premiers en même temps que les corbeaux, et les autres sVtaicnt con- fondus dans la foule pour y opérer quelques-uns de ces bons coups qui sont les riantes vicissitudes du métier.

Le cortège s'avançait; le roi et Catbenne arri- vaient les premiers, puis venaient le duc d'.Anjou, le duc d'Alençon, le roi de Nav;irre. M. de Guise et leurs gentilshommes; puis madame Marguerite, la duchesse de Nevers et toutes les femmes composant ce qu'on appelait l'escadron volant de la reine ; puis les pages, les écuyers, les valets et le peuple, en tout dix mille personnes.

Au gibet principal pendait une masse informe, un cadavre noir, souillé de sang coagulé et de boue biancliio par de nouvelles couches de poussière. Au caiiavre, il manquait une tète. Aussi l'avaitiin pendu par les pieds. Au reste, la populace, ingé- nieuse comme elle l'est toujours, avait remplacé la tète par un houclion de paille sur lequel elle avait mis un masque, et dans la houclie de ce masque, quelque railleur, qui connaissait les habitudes de M. l'amiral, avait introduit un curs-iJent.

C'était un spectacle à la fois lugubre et bizarre, que tous ces élégants seigneurs et toutes ces belles dames défilant, comme une procession peinte par

102

LA REIKE MARGOT.

Goya, au milieu de ces squelettes noircis et de ces gibets aux longs bras decliarnus. Plus la joie des vi- siteurs ('tait bruyante, plus elle faisait contraste avec le morne silence et la froide insensibilité de ces cadavres, objets de railleries qui faisaient frissonner ceux-là mêmes qui les faisaient.

Beaucoup supportaient à grand'peine cet horri- ble spectacle; et, à sa pâleur, on pouvait distinguer dans le groupe des huguenjts ralliés Henri, qui, quelle que fût sa puissance sur lui même et si étendu que fût le degré de dissimulation dont le ciel l'avait doté, n'y put tenir. 11 prétexta l'odeur infecte que répamlaicnl tous ces débris humains; et, s'appro- cliant de Charles i.\, qui, côte à côte avec Cathe- rine, était arrêté devant les restes dfi l'amiral :

Sire, dit-il. Votre Majesté ne trouve-t-elle pas que, pour rester plus longtemps ici, ce pauvre ca- davre sent bien mauvais'.'

Tu trouves, jlenriotl dit Charles IX. dont les yeux étincelaient d'une joie féroce.

Oui. sire.

Eh bien 1 je ne suis pas de ton avis, moi... lo corps d'un. ennemi sent toujours bon.

Ma fui, sirel dit Tavannes, puisque Votre Ma- jesté savait que nous devions venir faire une petite visite à M. l'amiral, elle eût inviter Pierre llon- sard. son maître en poésie : il eût fait, séance te- nante, l'épitaphe du vieux Gaspard.

Il n'y a pas besoin de lui pour cela, dit Char- les IX, et nous le ferons bien n&us-raêmc... Par exemple, écoutez, messieurs, dit Charles l.\ après avoir réiléchi un instant :

Ci-i;îl. mais c'est mal cnlondu, Tour lui le njot est trop lionnète, Ici i'aniirjl est pendu Par les jileds, à (uulc de tète.

Bravo! bravo! s'écrièrent les gcntilsiiommes callioliques tout d'une voix, tandis que les hugue- nots ralliés fronçaient les sourcils en gardant le si- lence.

Quant à Henri, comme il causait avec Marguerite et madame de iXevers, il lit semblant de n'avoir pas entendu.

Allons, a'ions, monsieur! dit Catherine, (|uc, malgré les (larfiiiiis dont elle était couverte, cette odeur commençait ù indisposer; allons, il n'y a si bonne coiiiiiagnie qii'cm ne quitte. Disons adieu ù M. l'amiral, et revi-iions à i'aris.

Lllc'lilde la lêle un ge>le irtuiique comme lors- que l'on prend congé d'un ami, et, reprenant la tête de colonne, elle revint (gagner le chemin, tandis que le corié'go d.lilait devant h; cadavre de Coligiiy.

Le soleil se couchait à 1 hori/oii.

ba foule s'écoula sur les pas de Leurs Majestés pour jouir jusqu'au bout de.. iiKi,.;;ii licences du cor- tège et des détails du i.peelaclo ; les voleurs suivi-

rent la foule ; de sorte que dix minutes après le dé- part du roi il n'y avait plus personne autour du cadavre mutilé de l'amiral, que commençaient à «É- fleurer les premières brises du soir.

Quand nous disons personne, nous nous trom- pons. Du gentilhomme monté sur un cheval noir, et qui n'avait pu sans doute, au moment il était honoré de la présence des princes, conteniDler à son aise ce tronc informe et noirci, était demeuré le dernier et s'amusait à examiner dans tous leurs dé- tails, chaînes, crampons, piliers de pierre, le gibet enfin, qui lui paraissait sans doute, à lui arrivé de- puis quelques jours à Paris et ignorant des perfec- tionnements qu'apporte en toute chose la capitale, le parangon de tout ce que l'homme peut inventer de plus terriblement laid.

11 n'est pas besoin de dire à nos lecteurs que cet homme était notre ami Coconas. Un œil exercé de femme l'avait en vain cherché dans la cavalcade et avait sondé les rangs sans pouvoir le retrouver.

M. de Coconas, comme nous l'avons dit, était donc en extase devant l'œuvre d'Enguerrand de Marigny.

Hais celte femme n'était pas seule à chercher M. de Coconas. L'n autre gcniilhomme, remarqua- ble par son pourpoint de satin blanc et sa galante plume, après avoir regardé en avant et sur les cô- tés, s'avisa de regarder en arrière et vit la haute taille de Coconas cl la gigantesque silhouette de son cheval se profiler en vigueur sur le ciel rougi des derniers itillels du soleil couchant.

Alors le gentilhomme au pourpoint de satin blanc quitta le chemin suivi par l'ensemble de la troupe, prit un petit sentier, et, décrivant une courbe, re- tourna vers le gibet.

Presque aussitôt la dame que nous avons recon- nue pour la duchesse de Ncvcrs, comme nous avions reconnu le grand gcniilhomme au cheval noir pour Coconas, s'approcha de Marguerite et lui dit :

Nous nous sommes trompées toutes deux, Marguerite, car le Pièmontais est demeuré en ar- rière cl M. de la Mole l'a suivi.

Mordi ! reprit Marguerite en riant, il va donc se passer qiieh|ue chose. Ma foi, j'avoue «lue je ne serais jias fâchée d'avoir à revenir sur son compte.

Marguerite alors se retourna et vit s'exi-cuter cf- fjctivemenlde la part de la Mole la manœuvre que nous avons dite.

Ce fut alors au tour des deux princesses à quitter la file ; l'occasion ("lait des plus favorables; on loiir- iiail devant lin sentier borde de larges haies qui re- montait, et en remouiant passait à trente pas du gi- liel. Madame do Nevers dit uu mol à l'oreille de son capitaine, Marguerite lit un signe ù Gilionne, cl les i|uatie personnes s'en allèrent par ce chemin de traverse s'embusquer derrière le bui.'^son lo plus proche du lieu ui'i allait se passer la scène dont ils p.irais.<aienl désirer être spectateurs. Il y svnil treille pa> environ, comme nous l'uvon.<i dit. de cwt

LA RED'E MARGOT.

103

endroit à celui Coconas, ravi en extase, gesticu- lait devant M. l'amiral.

Marguerite mit [lied à terre, madame de Nevers et Ciilonne en firent autant; le capitaine descendit à son tour, et réunit dans ses mains les brides des quatre elievaux. Un gazon frais et touffu offrait aux trois femmes un sii'ge, comme en demandent sou- vent inutilement les princesses.

Une éclaircie leur permettait de ne pas perdre le moindre détail.

La Mole avait décrit son cercle. Il vint au passe placer derrière Coconas, et, allongeant la main, il lui frappa sur l'épaule.

Le Piémontais se retourna.

Olil dit-il, ce n'était donc pas un rêve! et vous vivez encore !

Oui, monsieur, répondit la Mole, oui, je vis encore. Ce n'est pas voire faute, mais enfin je vis.

Mordi I je vous reconnais bien, reprit Coconas, malgré votre mine pâle. Vous étiez plus rouge que cela la dernière fois que nous nous sommes vus.

Et moi, dit la Mole, je vous reconnais aussi malgré cette ligne jaune qui vous coupe le visage; vous étiez plus prile que ça lorsque je vous la lis.

Coconas se mordit les lèvres; mais, décidé, à ce qu'il paraît, à continuer la conversation sur le ton de l'ironie, il continua :

C'est curieux, n'est-ce pas, monsieur de la Mole, surtout pour un huguenot, de pouvoir regar- der M. l'amiral pendu à ce crocliel de fer; et dire cependant qu'il y a des gens assez exagérés pour nous accuser d'avoir tué jusqu'aux hugucnolins à la mamelle!

Comte, dit la Mole en s'inclinant, je ne suis plus huguenot, j'ai le bonheur d'être catholique.

Bah ! s'écria Coconas en éclatant de rire, vous êtes converti, monsieur! oh ! que c'est adroiti

Monsieur, continua la Mole avec le même sé- rieux et la même politesse, j'avais fait vœu de me convertir si j'échappais au massacre.

Comte, reprit le Piémontais, c'est un vœu très-prudent, et je vous en félicite; n'en auriez-vous point fait d'autre encore .'

Oui, bien, monsieur, j'en ai fait un second, répondit la Mole en caressant sa monture avec une tranquillité parfaite.

Lequel .' demanda Coconas.

Celui de vous accrocher là-haut, voyez-vous! à ce petit clou qui semble vous attendre au-dessous de M. deColigny.

Comment, dit Coconas. comme je suis là, tout grouillant?

Non, monsieur, après vous avoir passé mon épée au travers du corps.

Coconas devint pourpre, ses yeux verts lancèrent des flammes.

Voyez-vous, dit-il en goguenardant, à ce clou !

Oui, reprit la Mole, à ce clou...

Vous n'êtes pas assez grand pour cela, mon petit monsieur! ilil Coconas.

Alors je monterai sur votre cheval, mon grand tueur de gens! répondit la Mole. Ah ! vous croyez, mon cher monsieur Annibal de Coconas, qu'on peut impunément assassiner les gens sous le lovai et honorable prétexte qu'on est cent contre un; nenni ! Un jour vient l'homme retrouve, son homme, et je crois que ce jour est venu aujourd'hui. J'aurais bien envie île casser votre vilaine tête d'un coup de pistolet; mais, bah! j'ajusterais mal, car j'ai la main encore tremblante des blessures que vous m'avez faites en traître.

Ma vilaine tête! hurla Coconas en sautant de son cheval. A terre! sus! sus! monsieur le comte, dégainons.

ht il mit l'épée à la main.

Je crois que ion huguenot a dit vilaine tête, murmura la duchesse de Nevers à l'oreille de Mar- guerite; est-ce que tu le trouves laid ?

Il est charmant! dit en riant Marguerite, et je suis forcée de dire que la fureur rend AI. de la Mole injuste; mais, chut! regardons.

En effet, la Mule était descendu de son cheval avec autant de mesure que Coconas avait mis, lui, de rapidité'; il avait détache son manteau cerise, l'avait posé à terre, avait lire son cpéc, et était tombé en garde.

Aïel fit-il en allongeant le bras.

Ouf! murmura Coconas en ib'ployant le sien; car tous deux, on se le rappelle, étaient blessés à l'épaule et soiiffraient d'un niouvemenl trop vif.

Un éclat de rire, mal retenu, sortit du buisson. Les princesses n'avaient pu se contraindre tout à fait en voyant les deux champions se frotter l'omoplate en grimaçant. Cet éclat de rire parvint jusqu'aux deux gentilshommes, qui ignoraient qu'ils eussent des témoins, et qui, en se retournant, reconnurent leurs dames.

La Mole se remit en garde, ferme comme un au- tomate, et Coconas engagea le fer avec un viordi! des plus accentués.

Ah çà ! mais ils y vont tout de bon et s'égorge- ront si nous n'y mettons bon ordre. Assez de plai- santeries. Holà! messieurs! holà! cria Margue- rite.

Laisse! laisse! dit Henriette, qui, ayant vu Co- conas à l'œuvre, es[iéraitau fond du cœur que Co-

I conas aurait aussi bon marcbi' de la Mole qu'il avait eu des deux neveux et du fils de Mercandon.

j Oh! ils sont vraiment très-beaux ainsi, dit

1 Marguerite; regarde, on dirait qu'ils soiifllent du

I feu.

En effet, le combat, commencé par des railleries et des provocations, était devenu silencieux depub que les deux champions avaient croisé le fer. Tous deux se défiaient de leurs forceps, et l'un et l'autre.

uy,

LA UEl.NE MARGOT.

liiic ttlaiidc leur iiunuetUiil di: m> pas perdre lu nioiiKlrr il6l.iil. i:.PAot 10"

il chaque iiiuUvoiiK'iil Unp vif, litaiuiil forces do rr- jiriinur un frissim de douleur tirraclié |i!ir les nn- cieniies blessures. Cepenihinl, U-a yeux lixcs cl ar- dents, la lioudie eniroiivcrte. les dénis serrées, la Mole avaiir.'iil à jK^its |i,is fermes cl sers sur son ad- versaire, qui, reronnnissanlen lui un inailre en fail d"arines, rouqiail aussi pas à pus, mais enlin ront- p.iil. Tous diifx ;irrivércnl ainsi jusqu'au tiord du U)»i'\ dc! l'aulrc cùlé duquel si; Iroiiviiieiil Icsspi'C- lalcurs. Là, eouinie si sa reirailc eùl ilc un siuqdo calcul (loiir se rapprocher dosa danio, Coconnss'ar- réla. cl, >iir un dégageincnl uu p"U largo do la

Mtde, fournil avec la rapidii^i de IVclair un i-oup droit, el à l'inslanl nièuic le pourpoinl dc salin- Mane dc la Moles'imhiha d'une tache rouj^c qui alla s'élargissant.

Courage! cria la diiches.-e de. Nc\crs.

Ali ! pauvre la Mole! lit Marguerite avec un ni de douleur.

La Molu entendit ce cri. lança à la ri iiie un dr ces rp;;ards qui peilrlivill plii-^ iiliiriHidi-liienl dans le ro'ur quo la pointe d'une l'pi e. et sur un ceri le irompcso fcndilà fond.

r.clto fois les deux fcniiiies jcteieni deux rn> qoi

LA RELNE MAllGOT.

105

;t^S^.f^^,<i

La pointe de la rapière de la Mole a^ait apparu sanglaote dernère le dos de Cocimai

n'en firent qu'un. La pointe de la rapière de la Mole avait apparu sanglante derrière le dos de Coconas.

Cependant ni l'un ni l'autre ne tomba; tous deux restèrent debout, se regardant la bouche ouverte, sentant chacun de son côté qu'au moindre mouve- ment qu'il ferait l'équilibre allait lui manquer. Enfin, le Piémonlais, plus dangereusement blessé que son adversaire, et sentant que ses forces allaient fuir avec son sang, se laissa tomber sur la Mole, l'é- treignant d'un bras, tandis que de l'autre il cher- chait à dégaîuer son poignard. De son coté, la Mole réunit toutes ses forces, leva la main et laissa retom-

ber le pommeau de son épée au milieu du front de Coconas, qui, étourdi du coup, tomba; mais en tombant, il entraîna son adversaire dans sa chute, si bien que tous deux roulèrent dans le fossé.

Aussitôt Marguerite et la duchesse de Nevers, voyant que, tout mourants qu'ils étaient, ils cher- chaient encore à s'achever, se précipitèrent, aidées du capitaine des gardes. Mais, avant quelles ne fus- sent arrivées à eux, les mains se détendirent, les yeux se refermèrent, et chacun des combattants, laissant échapper le fer qu'il tenait, se roidit dans une convulsion suprême.

14

Farii. ln;p. Ce BKY aïoe, boulevart UuatpBrcafie,8|,

m

LA REINE aURGOT.

Un large flot de sang écumait autour d'eux.

Oli ! brave, brave la Mole ! s'écria Marguerite, incapable de renfermer plus longtemps en elle son admiration. Ah! pardon, mille fois pardon de l'a- voir soupçonné!

Et ses yeux se remplirent de larmes.

Ik'las! liclas! murmura la duchesse, valeu- reux Annibal... Dites, dites, madame, avez-vous ja- mais vu deux plus intrépides lions?

El elle éclata en sanglots.

Tudieu! les rudes coups, dit le capitaine en cherchant à étancher le sang qui coulait à (lots... Delà ! vous qui venez, venez plus vite.

En effet, un homme, assis sur le devant d'une es- pèce de tombereau peint en rouge, apparaissait dans la brume du soir, chantant celle vieille chanson que lui avait sans doute rappelée le miracle du cime- tière des Innocents :

Del aubc.'pin llcurissant;

Verdissant, Le Ion; de ce beau rivage, Tu es »ôlu jusqu'au bas,

Des longs bras D'un lambruscbc sauvage.

Le chantre rossignoict,

IS'ouvcIct, Courtisant sa bien-aimée, Pour tes aitioui's alléger,

Vient lot;cr Tous Ici ans sous ta ram£«.

Or, vis, gentil aubespin.

Vis sans fin ; Vis, sans que jamais tonnerre, Ou la cognée, ou les vents,

Ou le temps, Te puissent ruer par. .

Jlolà hé! répéta le capitaine, venez donc quand on vous appelle! ne voyez-vous pas que ces gentils- hommes ont besoin de secours?

L'homme au chariot, dont l'extérieur repoussant et le visage rude formaient un contraste étrange avec la douce et bucolique chanson que nous ve- nons de citer, arrêta alors son cheval, descenoit, et se baissant sur les deux corps :

Voilà de belles plaies, dit-il; mais j'en fais en- core de metlleures.

Qui donc êtes-vous? demanda Marguerite res- sentant malgré elle une certaine terreur qu'elle n'avait pas la force de vaincre.

Madame, répondit cet homme en s'inclinant jusqu'à terre, je suis maître Caboche, bourreau de la prévôté de Paris, et je venais accrocher a ce gibet des compagnons pour M. l'amiral.

Eli bien ! moi, je suis la reine de Navarre, ré- pondit Marguerite; jetez vos cadavres, étendez dans votre chariot les housses de nos chevaux, et ramenez doucement derrière nous ces deux gentils- hommes au Louvre.

LA REINE MARGOT.

107

XVII

tE CONFRÈRE DE MAITRE AMCROISE PARÉ.

e tombereau dans lequel on avait place Coconas et la Mole reprit la route de Pa- ris, suivant dans l'ombre le groupe qui lui servait de guidé. Il s'arrêta au Louvre; le conducteur re- çut un riche salaire. On fit transporter les blessés chez .AI. le duc d'Alençon, et l'on envoya chercher maître Ambroise Paré.

Lorsqu'il arriva, ni l'un ni l'autre n'avait encore repris connaissance.

La Mole était le moins maltraité des deux : le coup d'épée l'avait frappé au-dessous de l'aisselle droite, mais n'avait offensé aucun organe essentiel ; quant à Coconas, il avait le poumon traversé, et le souflle qui sortait par la blessure faisait vaciller la flamme d'une bougie.

Maître Ambroise Paré ne répondait pas de Coco- nas.

Madame de Ncvers e'tait désespérée ; c'était elle qui, confiante dans la force, dans l'adresse et le courage du Piémontais, avait empêché Marguerite de s'opposer au combat. Elle eût bien fait porter Coconas à l'hôtel de Guise pour lui renouveler dans cette seconde occasion les soins de la première; mais d'un moment à l'autre son mari pouvait arriver de Rome, et trouver étrange l'installation d'un intrus dans le domicile conjugal.

Pour cacher la cause des blessures, Marguerite avait fait porter les deux, jeunes gens chez son frère, l'un d'eux, d'ailleurs, était déjà installé, en di- sant que c'étaient deiix gentilshonimes qui s'étaient laissés choir de cheval pendant la promenade; mais la vérité fut divulguée par l'admiration du capi- taine témoin du combat, et l'on sut bientôt à la cour que deux nouveaux raffinés venaient de naître au grand jour de la renommée.

Soignes par le même chirurgien qui partageait ses soins entre eux, les deux blessés parcoururent les différentes phases de convalescence qui ressor- taient du plus ou du moins de gravité de leurs bles- sures. La Mole, le moins grièvement atteint des deux, reprit le premier connaissance. Quant à Co- conas, une fièvre terrible s'était emparée de lui, et son retour à la vie fut signalé par tous les signes du plus affreux délire.

Quoique enfermé dans la même chambre que Co- conas, la Mole, en reprenant connaissance, n'avait pas vu son compagnon, ou n'avait, par aucun si- gne, indiqué qu'il le vît. Coconas, tout au con- traire, en rouvrant les yeux, les fixa sur la Mole, et cela avec une expression qui eût pu prouver que le sang que le Piémontais venait de perdre n'avait en rien diminué les passions de ce tempérament de feu.

Coconas pensa qu'il rêvait, et que dans son rêve il retrouvait l'ennemi que deux fois il croyait avoir tué; seulement le rêve se prolongeait outre me- sure. Après avoir vu la Mole couché comme lui, pansé comme lui par le chirurgien, il vit la Mole se soulever sur ce lit, lui-même était cloué en- core par la fièvre, la faiblesse et la douleur, puis en descendre, puis marcher au bras du chirur- gien, puis marcher avec une canne, puis enfin marcher tout seul. Coconas, toujours en délire, regardait toutes ces différentes périodes de la con- valescence de son compagnon d'un regard tantôt atone, tantôt furieux, mais toujours menaçant.

Tout cela offrait 5 l'esprit brûlant du Piémontais un mélange effrayant de fantastique et de réel. Pour lui la Mole était mort, bien mort, et même plutôt deux fois qu'une, et cependant il reconnaissait l'om- bre de ce la Mole couchée dans un lit pareil au sien ; puis il vit, comme nous l'avons dit, l'ombre se le- ver, puis l'ombre marcher, et, chose effrayante, marcher vers son lit. Celle ombre, que Coconas eût voulu fuir, fût-ce au fond des enfers, vint droit à lui et s'arrêta à son chevet, debout et le regardant; il y avait même dans ses traits un sentiment de douceur et de compassion que Coconas prit pour l'expression d'une dérision infernale.

Alors s'alluma dans cet esprit, plus malade peut- être que le corps, une aveugle passion de vengeance. Coconas n'eut plus qu'une préoccupation, celle de se procurer une arme quelconque, et, avec cette arme, de frapper ce corps ou celte ombre de la Mole qui le tourmentait si cruellement. Ses habits avaient été déposés sur une chaise, puis emportés, car, tout souillés de sang qu'ils étaient, on avait jugé à pro- pos de les éloigner du blessé, mais on avait laissé sur la même chaise son poignard, dont on ne sup- posait pas qu'avant longtemps il eût l'envie de se servir. Coconas vit le poignard ; pendant trois nuits^

<1

108

LA HEINE MARGOT.

profitant du moment ia Mole dormait, il essaya détendre la main jusqu'à lui : trois fois ia force lui manqua, et il s'évanouit. Enfin la quatrième nuit, il atteignit l'arme, la saisit du bout de ses doigts crispés, et, en poussant un gémissement arraché par la douleur, il ia cacha sous son oreiller.

Le lendemain, il vit quelque chose d'inouï jus- que-là : l'ombre de la Mole, qui semblait chaque jour reprendre de nouvelles forces, tandis que lui, sans cesse occupé de la vision terrible, usait les siennes dans rélernelle trame du complot qui de- vait l'en débarrasser; l'ombre de la Mole, devenue de plus en plus alerte, fit, d'un air pensif, deux ou trois tours de la chambre; puis enfin, après avoir ajusté son manteau, ceint son épèe, coiffé sa tête d'un large feutre à larges bords, ouvrit la porte et sortit.

Coconas respira ; il se crut débarrassé de son fan- tôme. Pendant deux ou trois heures, son sang cir- cula dans ses veines plus calme et plus rafraîchi qu'il n'avait jamais encore clé depuis le moment du duel; un jour d'absence eiit rendu la connaissance à Coconas, huit jours l'eussent guéri peut-être; mal- heureusement, la Mole rentra au bout de deux heures.

Cette rentrée fut pour le Piémontais un véritable coup de poignard, et, quoique la Mole ne rentrât point seul, Coconas n'eut pas un regard pour son compagnon.

Son compagnon méritait cependant bien qu'on le regardât.

C'était un homme d'une quarantaine d'années, court, trapu, vigoureux, avec des cheveux noirs qui descendaient jusqu'aux sourcils, et une barbe noire qui, contre la mode du temps, couvrait tout le bas de son visage; mais- le nouveau venu paraissait s'occuper peu de mode. Il avait une espèce de jus- taucorps de cuir tout maculé de taches brunes. Des chausses sang-de-bœuf, un maillot rouge, de gros souliers de cuir montant au-dessus de la cheville, un bonnet de la même couleur que ses chausses, et la taille serrée par une large ceinture à laquelle pendait un couteau caché dans sa gaine.

Cet étrange personnage, dont la présence sem- blait une anomalie dans le Louvre, jeta sur une «haise le manteau brun qui l'enveloppait, et s'ap- procha brutalement du lit de Coconas, dont les yeux, comme par une fascination singulière, de- meuraient constamment fixés sur la Mole, qui se te- nait à distance. Il regarda le malade, et secouant la tôle :

Vous avez attendu bien tard, mon gentil- homme 1 dil-il.

.le ne pouvais pas sortir plus tôt, dit la Mole. Kh! par Dieu 1 il fallait m'envoycr chercher.

Par qui?

Ali', c'est vrai ! .l'oubliais ou nous sommes. >lc l'avais dit à ces damos; mais cUos n'onl point voulu

m'ccouter. Si Ton avait suivi mes ordonnances au lieu de s'en rapporter à celle de cet âne bâté que l'on nomme Ambroise Paré, vous seriez depuis long- temps en état ou de courir les aventures ensemble, ou de vous redonner un autre coup d'épée si c'était votre bon plaisir; enfin on verra. Enlend-il raison, votre ami?

Pas trop.

Tirez la langue, mon gentilhomme. Coconas tira la langue à la Mole en faisant une si

affreuse grimace, que l'examinateur secoua une se- conde fois la tête.

Oh! oh ! murmura-t-il, contraction des mus- cles. — Il n'y a pas de temps à perdre. Ce soir même je vous enverrai une potion toute préparée qu'on lui fera prendre en trois fois d'heure en heure . une fois à minuit, une fois à une heure, une fois à deux heures.

P)ien.

Mais qui la lui fera prendre, cette potion '

Moi.

Vous-même?

Oui.

Vous m'en donnez votre parole? Foi de gentilhomme !

Et, SI quelque médecin voulait en soustraire la moindre partie pour la décomposer et voir de quels ingrédients elle est formée?...

Je la renverserais jusqu'à la dernière goutte.

Foi de gentilhomme aussi?

.le vous le jure.

Par qui vous enverrai-je cette potion?

Par qui vous voudrez.

Mais mon envoyé...

Eli bien?

Comment pénétrera-t-il jusqu'à vous?

C'est prévu. 11 dira qu'il vient de la part de M. René le parfumeur.

Ce Florentin qui demeure sur le pont Saint- Michel ?

Justement. 11 a ses entrées au Louvre à toute heure du jour et de la nuit.

L'homme sourit.

En effet, dit-il, c'est bien le moins que lui doive la reine mère. C'est dit, on viendra do la part de maître René le parfumeur. Je puis bien prendre son nom une fois : il a assez souvent, sans être pa- tenté, exercé ma profession.

Eh bien ! dit la Mole, je compte donc sur vous?

Comptez-y.

Quant au payement...

Oli ! nous r('glerons cela avec Icgenlilhommo lui-même quand il sera sur pied.

Et soyez tranquille, je crois qu'il sera en ctat do vous récompenser généreusement.

Moi au.ssi, je le crois. Mais, ajouta-t-il avec un singulier sourire, comme ce n'est pas l'habitudo

LA REINE MARGOT.

109

Coconas tira la langue à la Mole, Page 108.

des gens qui ont affaire à moi d'être reconnaissants, rela ne m'étonnerait point qu'une fois sur ses pieds il oubliât ou plutôt ne se souciât point de se souve- nir de moi.

Bon ! bon ! dit la Mole en souriant à son tour; en ce cas je serai pour lui en rafraîchir la mé- moire.

Allons, soit ! dans deux heures vous aurez la potion.

Au revoir.

Vous dites?

Au revoir.

L'homme sourit.

Moi, repnt-il, j'ai rhabitude de dire toujours adieu. Adieu donc, monsieur de la Mole; dans deux heures vous aurez votre potion. Vous entendez, elle doit être prise à minuit, en trois doses d'heure en heure.

Sur quoi il sortit, et la Mole resta seul avec Co- conas.

Coconas avait entendu toute cette conversation, mais n'y avait rien compris : un vain bruit de pa- roles, un vain cliquetis de mots étaient arrivés jus- qu'à lui.

110

LA RED'E MARGOT.

De tout cet entretien, il n'avait retenu que le mot minuit,

11 continua donc de suivre de son regard ardent la Mole, qui continua, lui, de demeurer dans la chambre rêvant et se promenant.

Le docteur inconnu tint parole, et, à l'heure dite, envoya la potion, que la Mole mit sur un petit ré- chaud d'argent. Puis, cette précaution prise, il se coucha.

Celte action de la Mole donna un peu de repos à Coconas, il essaya de fermer les yeux à son tour; mais son assoupissement fiévreux n'était qu'une suite de sa veille délirante. Le même fantôme qui le poursuivait le jour venait le relancer la nuit, à travers ses paupières arides, il continuait de voir la Mole toujours railleur, toujours menaçant, puis une voix répétait à son oreille : Minuit! minuit! mi- nuit!

Tout à coup le timbre vibrant de l'horloge s'é- veilla dans la nuit et frappa douze fois. Coconas rou- vrit SCS yeux enflammes; le souflle ardent de sa poi- trine dévorait ses lèvres arides; une soif inextin- guible consumait son gosier embrasé; la petite lampe de nuit brûlait comme d'habitude, et, à sa terne lueur, faisait danser mille fantômes aux re- gards vacillants de Coconas.

11 vit alors, chose effrayante! la Mole descendre de son lit; puis, après avoir fait un tour ou deux dans sa chambre, comme fait l'cpervier devant l'oi- seau qu'il fascine, s'avancer jusqu'à lui en lui mon- trant le poing.' Coconas étendit la main vers son poignard, le saisit par le manche, et s'apprêta à évcn- trer son ennemi.

La Mole approchait toujours.

Coconas murmurait :

Ah! c'est toi, toi encore, toi toujours! Viens, Ah! tu me menaces, tu me montres le [loing, tu souris, viens, viens. Ah ! tu continues d'approcher tout doucement, pas à pas ; viens, viens, que jn te massacre.

Et, en effet, joignant le geste à cette sourde me- nace, au moment la Mole se penchait vers lui, Coconas fil jaillir de dessous ses draps l'éclair d'une lame; mais l'effort que le Piémontais fil en se sou- levant brisa ses forces, le bras étendu vers la Mole s'arrêta à moitié chemin, le poignard échappa à sa main débile, et le moribond retomba sur son oreiller.

Allons, allons, murriuira la Mole en soulevant doucement la lOle et en approchant une tasse de ses lèvres, buvez cela, mon pauvre camarade, car vous brûlez.

Ci tait en effet une tasso que la Mole présentait à Coconas, et que celui-ci avait prise pour ce poing menaçant dont s'était cffarouchii lo cerveau vide du blessé.

Mais, nu rontart velouté de la liqueur bienfai- sante humectant ses lèvres cl rafrairbi.'vsanl sa poi-

trine, Coconas reprit sa raison ou plutôt son in- stinct : il sentit se répandre en lui-même un bien- être comme jamais il n'en avait éprouvé; il ouvrit un œil intelligent sur la Mole, qui le tenait entre ses bras et lui souriait, et, de cet œil contracté na- guère par une fureur sombre, une petite larme im- perceptible roula sur sa joue ardente, qui la but avidement.

Mordi! murmura Coconas en se laissant aller sur son traversin, si j'en réchappe, monsieur de la Mole, vous serez mon ami.

^ El vous en réchapperez, mon camarade, dit la Mole, si vous voulez boire trois lasses comme celle que je viens de vous donner, et ne plus faire de vi- lains rêves.

Une heure après, la Mole, constitué en garde- malade, et obéissant ponctuellement aux ordonnan- ces du docteur inconnu, se leva une seconde fois, versa une seconde portion de la liqueur dans une tasse, et porta celle tasse à Coconas. Mais cette fois le Piémontais, au lieu de rallcndrc le poignard à la main, le reçut les bras ouverts et avala son breu- vage avec délices; puis pour la première fois s'en- dormit avec quelque tranquillité.

La troisième lasse eut un effet non moins mer- veilleux. La poitrine du malade commença de lais- ser passer un souflle régulier, quoique haletant en- core. Ses membres roidis se détendirent, une douce moiteur s'épandil à la surface de la [icau brûlante; et, lorsque le lendemain maître Ambroise Paré vint visiter le blessé, il sourit avec satisfaction en di- sant :

A partir de ce moment je réponds de M. Co- conas, cl ce ne sera pas une des moins belles cures que j'aurai faites.

Il résulta de cette scène moitié dramatique, moi- tié burlGS(]uc, mais qui ne manquait pas au fond d'une certaine poésie allendrissante, eu égard aux mœurs farouches de Coconas, que l'amitié des deux gentilshommes, commencée à l'auberge de la Belle- Eloilo, cl violemment inlernimpue par les événe- ments de la nuit de la Sainl-Barihélemy, reprit dés lors avec une nouvelle vigueur, et dépassa bientôt celle d'Oreste et de Pylade de cinq coups d'épée et d'un coup de pistolet ré|iarlis sur leurs deux corps.

Quoi qu'il en soit, blessures vieilles et nouvelles, profondes et légères, se trouvèrent enfin en voie de giiérison. La Mole, fidèle à sa mission de garde-ma- lade, no voulut point quitter la chambre que ("oco- nas no fût entièrement guéri. Il lo souleva dans son lit tant que sa faiblesse l'y enchaîna, l'aida à mar- cher quand il commença de se .souli'nir, enfin, eut pour lui tous les soins qui re.s.sorlaienl de sa na- ture douce et aimante, et qui, secondés par la vi- gueur du Piémontais. amenèrent une convalescence plus rapide qu'on n'avait le droit de l'espérer.

Cependant une .seule et inênic pensée tourniontail

LA RECΠMARGOT.

il!

les deux jeunes gens : chacun dans le délire de sa fièvre avait bien cru voir s'approcher de lui la femme qui remplissait tout son cœur; mais, depuis que chacun avait repris connaissance, ni Margue- rite ni madame de Nevers n'étaient certainement entrées dans la chambre. Au reste, cela se compre- nait : l'une, femme du roi de Navarre, l'autre, belle-sœur du duc de Guise, pouvaient-elles don- ner aux yeux de tous une marque si publique d'in- térêt à deux simples gentilshommes? Non. C'était bien certainement la réponse que devaient se faire

la Mole et Coconas. Mais cette absence, qui tenait peut-être à un oubli total, n'en était pas moins dou- loureuse.

Il est vrai que le gentilhomme qui avait assisté au combat était venu de temps en temps et comme de son propre mouvement demander des nouvelles des deux blessés. Il est vrai que GiUonne, pour son propre compte, en avait fait autant. Mais la Mole n'avait point osé parler à l'une de Marguerite, et Coconas n'avait poiilt osé parlera l'autre de madame de Nevers.

XVIII

LES nEVENAKTS.

endant quelque temps les doux jeunes gens gardè- rent chacun de §pn côté le secret enfermé dans sa poi- trine. Enfin, dans un jour d'expansion, la pensée qui les préoccupait seule dé- borda de leurs lèvres, et tous deux corroborèrent leur amitié par cette der- nière preuve, sans laquelle il n'y a pas d'amitié, c'est-à-dire par une confiance entière.

Ils étaient éperdument amoureux, l'un d'une princesse, l'autre d'une reine.

Il y avait pour les deux pauvres soupirants quel- que chose d'effrayant dans cette distance presque infranchissable qui -les séparait de l'objet de leurs désirs. Et cependant l'espérance est un sentiment si profondément enraciné au cœur de l'homme, que, malgré la folie de leur espérance, ils espéraient.

Tous deux, au reste, à mesure qu'ils revenaient à eux, soignaient fort leur visage. Chaque honime, même le plus indifférent aux avantages physiques, a, dans certaines circonstances, avec son miroir, des conversations muettes, des signes d'intelligence, après lesquels il s'éloigne presque toujours de son confident fort satisfait de l'entretien. Or, nos deux jeunes gens n'étaient point de ceux à qui leurs mi- roirs devaient donner de trop rudes avis. La Mole, mince, pâle et élégant, avait la beauté de la distinc- tion. Coconas, vigoureux, bien découplé, haut en couleur, avait la beauté de la force. Il y avait même plus : pour ce dernier, la maladie avait été un avan- tage, il avait maigri, il avait pâli ; enûii, la fameuse

balafre qui lui avait jadis donne tant de tracas par ses rapports prismatiques avec l'arc-en-ciel, avait disparu, annonçant probablement, comme le phé- nomène postdiluvien, une longue suite de jours purs et de nuits sereines.

Au reste, les soins les plus délicats continuaient d'entourer les deux blessés; le jour chacun d'eux avait pu se lever, il avait trouvé une robe de cham- bre sur le fauteuil le plus proche de son lit ; le jour il avait pu se vêtir, un habillement complet. II y a plus, dans la poche de chaque pourpoint, il y avait une bourse largement fournie, que chacun des deux ne garda, bien entendu, que pour la ren- dre en temps et lieu au prolecteur inconnu qui veil- lait sur lui.

Ce protecteur inconnu ne pouvait être le prince chez lequel logeaient les deux jeunes gens, car ce prince non-seulement n'était pas monté une seule fois chez eux pour les voir, mais encore n'avait pas fait demander de leurs nouvelles.

Un vague espoir disait tout bas à chaque cœur que ce protecteur inconnu était la femme qu'il ai- mait.

Aussi les deux blessés attendaient-ils avec une im- patience sans égale le moment de leur sortie. Lji Mole, plus fort et mieux guéri que Coconas, aurait pu opérer la sienne depuis longtemps ; mais une es- pèce de convention tacite le liait au sort de son ami, Il était convenu que leur première sortie serait consacrée à trois visites.

La première, au docteur inconnu dont le breu- vage velouté avait opéré sur la poitrine enflamççi^ de Coconas une si notable amélioratioa.

112

LA REINE WAr.r.OT

iri:A^/<">.'---

Les deux amis, appuyés au hras l'un de l'autre, mirent le pied hors du Louvre.

La seconde, à l'hôtel de défunt maître la Ilunôre, chacun d'eux avait l.Tissé valise et clioval.

La troisième, au Florentin Pioni', lequel, joignant à son titre de parfumeur celui de magicien, ven- dait non-seulement des cosmétiques et des poisons, mais encore composait des piiiltres et rendait des oracles.

Enfin, après deux mois passes de convalescence et de réclusion, en jnur tant attendu arriva.

Nous avons dit de ri-clusion. c'est In mot qui con- vient, car plusieurs foi';, dans leur impatience, ils «wieot voulu hâter ce jour; mais une sentinelle

placée à la porte leur avait constamment barré le [lassagc, et ils avaient ajqiris qu'ils ne sortiraient que sur un cxcat de maître Aniliroi.se Paré.

Or. un jour, l'habile chirurgien, ayant reconnu que les deux malades étaient, .sinon complètement guéris, du moins en voie de complète gut-rison , avait donné cet r.rcnJ, cl, vits lo-s deux heures de l'iiprè.s-midi, par une de ces belles journées d'au- tomne, comme Paris en offre parfois à ses habitants rt inni's. qui ont déjà fait provision do résignation pour l'hiver, les deux amis, appuyés au bras l'un do l'autre, mirent le pied hors du Louvre

LA REINE MARGOT.

tlô

Un liomme était exposé et Imiit la langue aux passants. Paoe lli

La Mole, qui avait retrouvé, avec grand plaisir, sur un fauteuil le fameux manteau cerise qu'il avait plié avec tant de soin avant le combat, s'était con- stitué le guide de Coconas , et Coconas se laissait guider sans résistance et même sans réflexion. Il savait que son ami le conduisait chez le docteur in- connu dont la potion, non patentée, l'avait guéri en une seule nuit, quand toutes les drogues de maî- tre Ambroise Paré le tuaient lentement. Il avait fait deux parts de l'argent renfermé dans sa bourse, c'est-à-dire de deux cents nobles à la rose, et il en avait destiné cent à récompenser l'Esculape ano-

nyme auquel il devait sa convalescence : Coconas ne craignait pas la mort, mais Coconas n'en était pas moins fort aise de vivre. Aussi, comme on le voit, s'apprêtait-il à récompenser généreusement son sauveur.

La Mole prit la rue de r.\struce, la grande rue Saint-Honoré, la rue des Prouvelles, et se trouva bien- tôt ^ur la place des Halles. Prèsdcranciennefontaine et à l'endroit que l'on désigne aujourd'hui par le nom de Carreau des Halles, s'élevait une construc- tion octogone en maçonnerie, surmontée d'une vaste lanterne de bois, surmontée elle-même par un toit

lâr.t. tt loi; . lie l:BV ii]nf, t'6u'.ev;trt !llunuiar:i3»ie, M.

l^'

114

LA HEINE MUGÛT.

pointu, au sommet durpjîsl grinçnlt uner girouette. Cette lanterne de bois oiïrait huit ouvertures que traversait, comme cette pièce licraldique (ju'on ap- pelle la fasce traverse le champ du blason, une es- pèce de roue en bois, la<iMelle se divisait par le mi- lieu, afin de prendre, dans des éehancrures taillées à cet effet, la tête et les mains du condamné ou des condamnes que Ton exposait à Tune ou l'autre, ou à plusieurs de ces huit ouvertures.

Cette construction étrange, qui n'avait son ana- logue dans aucune des constructions environnantes, s'appelait le pilori.

Une maison informe, bossue, éraillc'e, borgne et boiteuse, au toit taché de mousse comme la peau d'un lépreux, avait, pareille à un champignon, poussé au pied de cette espèce de tour.

Cette maison était celle du bourreau.

Un homme était exposé et tirait la langue aux passants : c'était un des voleurs qui avaient exercé autour du gibet de Montfaucon, et qui avait par ha- sard été arrêté dans rexerciîe de ses fonctions.

Coconas crut que son ami l'araemit voir ce cu- rieux spectacle, et il se mêla à la foule des ama- teurs qui répondait aux grimaces du patient par des vociférations et des huées. Coconas était natu- rellement cruel, et ce spectacle l'amusa fort; seule- ment il eût voulu qu'au lieu des huées et des voci- férations ce fussent des pierres que l'on jetât au condamné assez insolent [lour tirer la langue aux nobles seigneurs qui lui faisaient l'honneur de le visiter.

Aussi, lorsque la lanterne mouvant^ tourna sur sa base pour faire jouir une autre partie de la place de la vue du patient, et que la foule suivit le mou- vement de la lanterne, Coconas voulut-il suivre le mouvement de la foule : mais la Mole l'arrêta en lui disant à demi-voix :

Ce n'est point pour cela que nous sommes ve- nus ici.

Et pourquoi donc sommes-nous venus alors? demanda Coconcs.

Tu vas le voir, répondit la Mole.

Les deux amis se tutoyaient depuis le lendemain de celte fameuse nuit Coconas avait voulu évcn- trcr la Mole.

El la Mole conduisit Coconns droit à la petite fe- nêtre de celle maison adosséu à la tour, et sur l'ap- pui de la()uellc se tenait un homme acenudii.

Ah ! ah ! c'est vous, nies.seigneurs ! dit riionime en soulevant son bonnet sangdcbieiif et on décou- vrant sn tète aux cheveux noirs et épais descendant jusqu'à .ses sourcils, .soyez les hii'nvenus!

OmuI csl cet lioMiuiu .' ilcmanda (^.omnns cher- chant à rappeler ses souvenirs, car il lui sornida avoir vu relie lête-là pemlnnl un r|is ninmenls de m (lèvre.

Ton sauveur, num cher ami, dit la Mole, celui

qui t'a appoçfé au Louvre cette boisson rafraîchis- sante qui t'a fait tant de bien.

Oh ! oh ! fit Coconas, en ce cas. mon ami... Et il lui tendit la main.

Mais l'homme, au lieu de correspondre à cette avance par un geste pareil, se redressa, et, en se re- dressant, s'éloigna des deux amis de toute la dis- tance qu'occupait la courbe de son corps.

Monsieur, dit-il à Coconas, merci de l'hon- neur que vous voulez bien me faire, mais il est pro- bable que si vous me connaissiez vous ne me le fe- riez pas.

Ma foi, dit Coconas, je déclare que, quand vous seriez le diable, je me tiens pour votre obligé, car sans vous je serais mort à celle heure.

Je ne suis pas tout à fait le diable, répondit l'homme au bonnet roiige; mais souvent beaucoup aimeraient mieux voir le diable que de me voir.

Qui êtes-vousdonc? demanda Coconas.

Monsieur, répondit l'homme, je suis maître Caboche, bourreau de la prévôté de Paris!...

Ahl... fit Coconas en retirant sn main.

Vous voyez bien ! dit maître Caboche.

Non pas '....je toucherai votre main, ou le dia- ble m'emporte! Étendez-la...

En vérité? '— Toute grande.

Voici !

Plus grande... encore... bien !...

Et Coconas prit dans sa poche la poignée d'or préparée pour son médecin anonyme et la déposa dans la main du bourreau.-

J'aurais mieux aimé votre main toute seule, dit maître Caboche en secouant la tête, car je ne manque pas d'or, mais de mains qui touchent la mienne, tout au contraire, j'en chêmie fort. N'im- porte! Dieu vous bénisse, mon gentilhomme!

Ainsi donc, mon ami, dit Coconas regardant avec curiosité le bourreau, c'est vous qui donnez la gêne, qui rouez, qui écartelez, qui coupez les têtes, qui brisez les os. Ah ! ah ! je suis bien aise d'avoir fait votre connaissance.

.Monsieur, dit maître Caboche, je ne fais pas tout moi-même ; car, ainsi que vous avez vos la- quais, vous autres seigneurs, pour faire ce que vous no voulez pas faire, moi j'ai mes aides, qui font la grosse besogne et qui expédient les mananis. Seulement, quand, par hasard, j'ai affaire à des gentilshommes, comme vous et voll-e compagnon par exemple, nh ! alors, c'est autre chose, cl je nie fais un honneur de m'acquiiiei- moi-même de tous les détails de l'cxérulion, depuis le premier jus- qu'au dernier, e'esl-A-dlre depuis la qucstinn jus- qu'au déc(dlement.

Coconas sentil maigri" lui loiirir un frisson dans ses veines, comme si le coin brutal pressait sPi jam- bes cl comme si le fil do l'acier efllourait son coil.

LA REINE MARGOT.

H5

La Mole, sans se rendre compte de la cause, éprouva la même sensation.

Mais Coronas surmonta cette émotion dont il avait honte, et voulant prendre congé de maître Caboche par une dernière plaisanterie :

Eh bien! maître, lui dit-il. je retiens votre parole quand ce sera mon tour de monter à la po- tence d'Enguerrand de Marigny ou sur Téchafaud de M. de Kemours, il n'y aura que vous qui me toucherez.

Je vous le promets.

Cette fois, dit Coconas, voici ma main en gage que j'accepte votre promesse.

Et il étendit vers le bourreau une main que le bourreau toucha timidement de la sienne, quoiqu'il fût visible qu'il eût eu grande envie de la toucher franchement.

A ce simple attouchement, Coconas pâlit légère- ment, mais le même sourire demeura sur ses lè- vres, tandis que la Mole, mal à l'aise, et voyant la foule tourner avec la lanterne et se rapprocher d'eux, le tirait par son manteau.

Coconas, qui, au fond, avait aussi grande envie que la Mole de mettre fin à celte scène dans la- quelle, par la pente naturelle de son caractère, il s'était trouvé enfoncé plus qu'il n'eût voulu, fit un signe de tête et s'éloigna.

Ma foi! dit la Mole quand lui et son compa- gnon furent arrivés à la croix du Trahoir, conviens que l'on respire mieux ici que sur la place des Halles?

J'en conviens, dit Coconas, mais je n'en suis pas moins fort aise d'avoir fait connaissance avec maître Caboche. 11 est bon d'avoir des amis partout.

Même à l'enseigne de la Belle-Étoile, dit la Mole en riant.

Oh ! pour le pauvre maître la lîurièro, dit Co- conas, celui-là est mort, et bien mort. J'ai vu la flamme de l'arquebuse, j'ai entendu le coup de la balle qui a résonné comme s'il eût frappé sur le bourdon de Notre-Dame, et je l'ai laissé étendu dans le ruisseau avec le sang qui lui sortait par le nez et par la bouche. En supposant que ce soit un ami, c'est un ami que nous avons dans l'autre monde.

Tout en causant ainsi, les deux jeunes gens en- trèrent dans la rue de l'Arbre-Sec, et s'acheminè- rent vers l'enseigne de la Belle-Étoile, qui conti- nuait de grincera la même place, offrant toujours eu voyageur son àtre gastronomique et son appétis- sante légende.

Coconas et la Mole s'attendaient à trouver la mai- son désespérée, la veuve en deuil, et les marmitons un crêpe au bras; mais, à leur grand étonnement, ils trouvèrent la maison en pleine activité, madame la Iluriére fort resplendissante, et les garçons plus joyeux que jamais.

Oh ! l'infidèle ! dit la Mole, elle se sera rema- riée!

Puis s'adressant à la nouvelle Artémise :

Madame, lui dit-il. nous sommes deux gen- tilshommes de la connaissance de ce pauvre M. la Iluriére. Nous avons laissé ici djux chevaux et deux valises que nous venons réclamer.

Messieurs, répondit la maîtresse la maison après avoir essaj'é de rappeler ses souvenirs, comme je n'ai pas l'honneur de vous reconnaître, je vais, si vous le voulez bien, appeler mon mari. Gré- goire, faites venir votre maître.

Grégoire passa de la première cuisine, qui était le pandémonium général, dans la seconde, qui était le laboiatoire se confectionnaient les plats que maître la Hurière, de son vivant, jugeait dignes d être préparés par ses .savantes mains.

Le diable m'emporte, murmura Coconas, si cela no me fait pas de la peine de voir cette maison si gaie quand elle devrait être si triste. Pauvre la Hurière, va !

lia voulu me tuer, dit la Mole, mais je lui pardonne de grand cœur.

La Mole avait à peine prononcé ces paroles, qu'un homme apparut tenant à la main une casserole au fond do lni|ucllc il fni.siit roussir des oignons qu'il tournait avec une cuiller de bois.

La Mole et Coconas jetèrent un cri de surprise.

A ce cri, riiomme releva la tête, et, répondant par un cri pareil, laissa échapper sa casserole, ne conservant à la main que sa cuiller de bois.

Jn noiu'mc Pcilns, dit l'homme en agitant sa cuiller comme il eût fait d'un goupillon, et Filii, et Spinltts sancli...

Maître la Hurière! s'écrièrent les deux jeunes gens.

Messieurs de Coconas et do la Mole! dit la Hu- rière.

Mais vous n'êtes donc pas mort? fit Coconas.

Mais vous êtes donc vivants? demanda l'hôte.

Je vous ai vtj tomber, cependant, dit Coconas ; j'ai entendu le bruit de la balle qui vous cassait quelque chose, je ne sais pas quoi. Je vous ai laissé couché dans le ruisseau rendant le sang par le nez, par la bouche et même par les \'eux.

Tout cela est vrai comme l'Évangile, mon- sieur de Coconas. Mais, ce bruit que vous avez en- tendu, c'était celui de la balle frappant sur ma sa- lade, sur laquelle, heureusement, elle s'est aplatie; mais le coup n'en a pas été moins rude, et la preuve, ajouta la Hurière en levant son bonnet et montrant sa tête pelée comme un genou, c'est que, comme vous le voyez, il ne m'en est pas resté un cheveu.

Les deux jeunes gens éclatèrent de rire en voyant cette figure grotesque.

Ali! ah! vous ri:z! dit la Uurièrc un peu ras- suré, vous venez donc pas avec de mauvaises in- tentions?

Et vous, maiire la Hurière, vous êtes donc guéri de vos goûts belliaueux?

116

LA REINE MARGOT.

Oui, ma foi oui, messieurs; et maintenant...

Eii bien! maintenant?...

Maintenant, j'ai fait vœu de ne plus voir d'au- tre feu que celui de ma cuisine.

Bravo! dit Coconas, voilà qui est prudent. Maintenant, ajouta le Piémontais, nous avons laissé dans vos écuries deux chevaux, et dans vos cham- bres deux valises.

Ah ! diable ! fit l'hôte en se grattant l'oreille.

Eh bien?

Deux chevaux, vous dites?

Oui, dans l'écurie.

Et deux valises?

Oui, dans la chambre.

C'est que, voyez-vous... vous m'avitz cru mort, n'est-ce pas?

Certainement.

Vous avouez que, puisque vous vous êtes trompé, je pouvais bien me tromper de mon côté.

En nous croyant morts aussi! Vous étiez par- faitement libre.

Ah ! voilà ! c'est que, comme vous mouriez in- testat... continua maître la llurière...

Après?

J'ai cru, j'ai eu tort, je le vois bien mainte- nant...

Qu'avez-vous cru ? voyons !

J'ai cru que je pouvais hériter de vuus.

Ah ! ah ! tirent les deux jeunes gens.

Je n'en suis pas moins on ne peut plus satis- fait que vous soyez vivants, messieurs.

De sorte que vous avez vendu nos chevaux? dit Coconas.

llcias! dit la llurière.

Et nos valises? continua la Mole.

Oli! les valises! non... s'écria la llurière, mais seulement ce qu'il y avait dedans.

Dis donc, la Mole, reprit Coconas, voilà, ce me semble, un hardi coquin... Si nous l'élripions?

Cette menace parut faire un grand effet sur maî- tre la llurière. qui hasarda ces paroles :

Mais, messieurs, on peut s'arranger, ce me semble.

Écoute, dit la Mole, c'est moi qui ai le plus à me plaindre de toi.

Certainement, monsieur le comte, c^r je me rappelle que, dans un moment de foru;. j'ai ou l'au- dace de vous menacer.

Oui, dune balle qui m'est passée à deux pou- ces au-dessus de la tète.

Vous croyez?

J'en suis sûr.

Si vous en êtes sûr, monsieur de la Mole, dit la

Hurière en ramassant sa casserole d'un air innocent, je suis trop votre serviteur pour vous démentir.

Eh bien! dit la Mole, pour ma part, je ne te réclame rien.

Comment, mon gentilhomme!... ^

Si ce n'est... \

Aïe, aïe! fit la llurière...

Si ce n'est un diner pour moi et mes amis, toutes les fois que je me trouverai dans ton quar- tier.

CominentaJonc! s'écria la Hurière ravi, à vos ordres, mon gentilhomme, à vos ordres!

Ainsi, c'est chose convenue?

De grand cœur... Et vous, monsieur de Coco- nas. continua l'hôte, souscrivez-vous au marché?

Oui ; mais, comme mon ami, j'y mets une pe- tite condition.

Laquelle?

C'est que vous rendiez à M. de la Mole les 'Cinquante écus que je lui dois et que je vous ai con- fiés.

A moi, monsieur! El quand cela?

Un quart d'heure avant que vous ne vendis- siez mon cheval et ma valise.

La Hurière fit un signe d'intelligence.

Ah ! je comprends, dit-il.

Et il s'avança vers une armoire, eu tira, l'un après l'autre, cinquante écus, qu'il apporta à la Mole.

Bien, monsieur, dit le gentilhomme, bien! servez-nous une omelette. Les cinquante écus se- ront pour M. Grégoire.

Oh ! s'écria la Hurière, en vérité, mes gentils- hommes, vous êtes des cœurs de princes, et vous pouvez compter sur moi à la vie et à la mort.

En ce cas, dit Coconas, faites-nous l'oiiieletle demandée, et n'y épargnez ni le beurre ni le lard.

Puis, se retournant vers la pendule :

Ma foi. tu as raison, la Mole, dit-il. .Nous avons encore trois heures à attendre, autant donc les passer ici qu'ailleurs. D'autant plus que, si je ne me trompe, nous sommes ici presque à moitié che- min du pont Saint-Michel.

Et les deux jeunes gens allèrent reprendre à ta- ble et dans la petite pièce du fond la même place qu'ils occupaient pendant celte fameuse soirée du 24 août 157'2, pendant la(]uelle Coconas avait pro- posé à la Mole de jouer l'un contre l'autre la pre- mière mailresse qu'ils auraient.

A\ouons, en l'honneur do la moralité des deux jeunes gens, que ni l'un ni l'autre n'eul l'idée de faire à son compagnon ce soir-là pareille proposi- tion.

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LA REINE MARGOT.

117

-TH.tiTÇYEB- ~

Ia.* 'Icux appieulis tleRfn-). " I'aue |18.

XIX

LK LOGIS DE MAITUE RENÉ, LE PARFUMEUR DE LA REIKE MÈRE,

l'cpoque se passe l'his- toire que nous racontons à f^; nos lecteurs, il n'existait,

^'fvll| pour passer d'une partie ^i'^^ de la ville à l'autre, que cinq ponts , les uns de pierre, les autres de bois; encore ces cinq ponts abou- tissaient-ils à la Cité. C'étaient le pont aux Meu-

niers, le pont au Change, le pont Notre-Dame, le Petit-Pont et le pont Saint-Michel.

Aux autres endroits la circulation était néces- saire, des bacs étaient établis, et tant bien que mal remplaçaient les ponis.

Ces cinq ponts étaient garnis de maisons, comme l'est encore aujourd'hui le Ponte-Yecchio à Flo- rence.

Parmi ces cinq ponts, qui chacun ont leur his-

116

LA REINE MARGOT,

toire, nous nous occuperons parliculièrement, pour le moment, du pont SaintTMichel.

Le pont Saint-Michel avait été bâti en pierres en 1575; maigre son apparente solidité, un déborde^ ment de la Seine le renversa en partie le 51 janvier 1408; en 1416 il avait été reconstruit en bois, mais pendant la nuit du 16 décembre 1547 il avait été emporté de nouveau; vers 1550. c'est-à-dire vingt-deux ans avant Tépoque np!}§ sommes ar- rivés, on le reconstruisit en bois, et, quoiqu'on eût déjà eu besoin de le réparer, il passait pour assez solide.

Au milieu des maisons qui bordaient la ligne du pont, faisant face au patif îloî sur lequel avaient été brilles les templiers et pose aujourd'hui le terre-plein du pont Neuf, op remarquait une mai- son à panneaux de bois sur laquelle un large toit s'abaissait comme la paupière d'unœij immense. A la seule fenêtre qui s'ouvrît au premier étage au- dessus d'une fenêtre et d'une porte du rez-de-chaus- sée hermétiquement formée, transparaissait une lueur rougeâtre qui attirait les regards des pas- sants sur la façade basse, large, peinte en bleu avec de riches moulures dorées. Une espèce de frise, qui séparait le rez-de-chaussée du premier étage, re- présentait uns foule de diables dans des altitudes plus grotesques les unes que les autres, et un large ruban, peint en bleu, comme la façade, s'étendait entre la frise et la fenêtre du premier avec cette in- scription :

Bcné, florentin, parfumeur de Sa Majesté la reine mère.

La porte de cette boutique, comme nops l'avons dit, était bien verrouillée, mais, mieux que par ses verrous, elle était défendue des allnques nocturnes par la réputation si effrayante de son locataire, ((uc les passants qui traversaient le pont à cet endroit le traversaient presque toujours en décrivant une courbe qui les rejetait vers l'autre rang de maisons; comme s'ils eussent redouté que l'odeur des par- fums ne suât jusqu'à eux par la muraille.

Il y avait plus. les voisins de droite et de gau- che, craignant sans doute d'être compromis par h; voisinage, avaient. d('|)uis linslailation de niailre René sur le pont Sainl-Micbcl, déguerpi l'un après l'autre de leur logis, de sorte que les deux maisons attenantes à la mai.son de llené étaient di'ineniv'cs désertes et fermi'cs. t>["'ndant, malgré cette soli- tude et cet abandon, des passants attardés avaient vu jaillir, à travers les contrevents ferm('s de ces maisons vides, certains rayons de lumière, et assu- raient avoir entendu ccrlains bruits pareils à des plaintes, qui prouvaient que des êlres quelconques fn'(|ucntaient ces deux maisons; seulement, on ignorait si ces Cires npparlenaicnl à ce uiunde ou à l'autre

11 en résultait que les locataires des deux maisons attenantes aux deux maisons désertes se deman- daient de temps en temps s'il ne serait pas prudent à eux de faire à leur tour comme leurs voisins avaient fait.

C'ciail sans doute à ce privilège de terreur, qui lui était publiquement acquis, que maîtie René avait de conserver seul du feu après l'iieure con- sacrée. .Ni ronde ni guet n'eût osé d'ailleurs in- quiéter un homme doublement cher à Sa .Majesté, en sa qualité de compatriote et de parfumeur.

Comme nous supposons que le lecteur, cuirassé par le philosophispie du dix-huitième siècle, ne croit plus ni à la magie, ni aux magiciens, nous l'in- viterons à entrer avec nous dans cette habitation, qui, à cette époque de superstitieuses croyances, ré- pandait autour d'elle un si profond effroi.

La boutique du rez-de-chaussée est sombre et dé- serte à partir de huit heures du soir, nioment au- quel elle se ferme pour ne plus se rouvrir qu'assez avant (]uelquefois dans la journée du lendemain; c'est que se fait la vente quotidienne des par- fums, des onguents et des cosmétiques de tout genre que débite l'habile chimiste. Deux apprentis l'ai- dent dans celte vente de détail, mais ils ne cou- chent pas dans la maison ; ils couchent rue de la Calandre. Le soir, ils sortent un instant avant que la boutique soit fermée. Le matin, ils se promènent devant la porte jusqu'à ce que la boutique soit ou- verte.

Cette boutique du rez-de-ehaussée est donc, comme nous l'avons dit, sombre et déserte.

Dans celte boutique, assez large et assez profonde, il y a deux portes, chacune donnant sur un esca- lier. Un des escaliers rampe dans la muraille même, et il est latéral; l'autre est extérieur et est visible du quai qu'on appelle aujourd'hui le quai des Au- gustins, et de ja berge qu'on appelle aujourd'hui le quai des Orfèvres.

Tous deux conduisent à la chambre du premier.

Cette chambre est de la même grandeur ijue celle du rez-de-chaussée, seulement une lapi.sserio tendue dans le sens du pont la *^pare en deux com- partiments. Au fond du premier compartiment s'ou- vre la porte donnant sur l'escalier extérieur. Sur la face latérale du seccmd s'ouvre la |)orle de l'escalier secret; seulement cette porte est invisible, car elle est cachée par une haute armoire sculptée, scellée à elle par des crampons de fer. et (ju'elle pousse en s'ouvrant. Catherine seule connaît avec René le se- cret de cette porte, c'est par qu'elle monlu et (pi'clle descend ; c'est l'oreille ou l'uiil pose contre celle armoire, dans laquelle des trous sont ména- gés, (|u'ello ociiute cl qu'elle voit ce qui so passe dans la chambre.

Deux autres portes parfaitement oslensiblos s'of- frent encore sur les côtés laliraux de ce second comparliinenl. L'une s'ouvre sur une petite rham-

LA REINE MARGOT.

119

bre éclairée par le toit et qui n'a pour tout meuble qu'un vaste fourneau, des cornues, des alambics, des creusets : c'est le laboratoire de l'alchimiste. L'autre s'ouvre sur une cellule plus bizarre (]ue le reste de l'appartement, car elle n'est point éclairée du tout, car elle n'a ni tapis ni meubles, mais seu- lement une sorte d'autel de pierre.

Le parquet est une dalle inclinée du centre aux extrémités, et, aux extrémités, court au pied du mur une espèce de rigole aboutissant à un enton- noir par l'orifice duquel on voit couler l'eau som- bre de la Seine. A des clous enfoncés dans la mu- raille sont suspendus des instruments de forme bi- zarre, tous aigus ou tranchants ; la pointe on est fine comme celle d'une aiguille, le fil en est tran- chant comme celui d'un rasoir; les uns brillent comme des miroirs, tes autres, au contraire, sntit d'un gris mat ou d'un bleu sombre. Dans un coiu, deux poules noires se débattent, attachées l'une à l'autre par la patte : c'est le sanctuaire de l'au- gure.

Revenons à la ciiambre du milieu, à la chambre aux deuA compartiments.

C'est qu'est introduit le vulgaire des consuU tants; c'est que les ibis égyptiens, les momies aux bandelettes dorées, le crocodile bâillant au pla- fond, les têtes de mort aux yeux vides et aux dents branlantes, enfin les bouquins poudreux vénérable- ment rongés par les rats, ofi'rent fi l'œil du visiteur le pêle-mf'le d'où résultent les émotions diverses qui empêchent la pensée de suivre son droit che- min. Derrière le rideau sont des fioles, des boîtes particulières, des amphores à l'aspect sinistre; tout cela est éclairé par deux petites lampes d'argent exactement pareilles, qui semblent enlevées à quel- que autel de Santa-Maria-Novella ou de l'église Dei-Servi de Florence, et qui, brûlant une huile parfumée, jettent leur clarté jaunâtre du haut de la voûte sombre chacune est suspendue par trois chaînettes noircies.

René, seul et les bras croisés, se promène à grands pas dans le second compartiment de la cham- bre du milieu, en secouant la tète. .4près une mé- ditation longue et douloureuse, il s'arrête devant un sablier.

Ah! ah! dit-il, j'ai oublié de le retourner, et voilà que depuis longtemps peut-être tout le sable est passé.

Alors, regardant la lune qui se dégage à grand'- peine d'un nuage noir qui semble peser sur la pointe du clocher de Notre-Dame :

Neuf heures, dit-il. Si elle vient, elle viendra comme d'habitude, dans une heure ou une heure et demie; il y aura donc temps pour tout.

En ce moment, on^ntendit quelque bruit sur le pont. René appliqua son oreille à l'orifice d'un long tuyau dont l'autre extrémité allait s'ouvrir sur la rue, sous la forme d'une tête de Guivre.

Non, dit-il, ce n'est ni clic, ni elles. Ce sont des pas d'hommes; ils s'arrêtent devant ma porte; ils viennent ici.

En même temps, trois coups secs retentirent.

René descendit rapidement. Cependant, il se con- tenta d'appuyer son oreille contre la porte, sans ouvrir encore.

Les mêmes trois coups secs se renouvelèrent.

Qui va là? demanda maître René.

Est-il bien nécessaire de dire nos noms? de- manda une voix.

C'est indispensable, répond René.

En ce cas, je me nomme le comte Annibal do Coconas, dit la même voix qui avait déjà parlé.

Et moi le comte Lérac de la Uo\e, dit une autre voix, qui pour la première fois se faisait en- tendre.

Attendez, attendez, messieurs, je suis à vous.

Et, en même temps, Rend, tirant les verrous, en- levant les barres, ouvrit aux deux jeuftes gens la porte, qu'il se contenta de refermer à la clef; puis, les conduisant par l'escalicr extérieur, il les intro- duisit dans le second compartiment.

La Mole, en entrant, fit le signe de la croix sous son manteau; il était pâle, et sa main tremblait sans qu'il pût réprimer celte faiblesse.

Coconas regarda chaque chose l'utie après l'au- tre; et, trouvant au milieu de son examen la porte de la cellule, il voulut l'ouvrir.

Permettez, mott gentilhomme, dit René de sa voix grave et en posant sa main sur celle de Coco- nas, les visiteurs qui me font l'honneur d'entrer ici n'ont la jouissance que de cette partie de la cham- bre.

= Ah ' c'est différent, repartit Godonas, et, d'ail- leurs, je sens que j'ai besoin de m'asseoif.

Et il se laissa aller sur une chaise.

Il se fit un instant de profond sileùce : maître René attendait que l'un ou l'autre des deux jeunes gens s'expliquât. Pendant ce temps, on entendait la respiration sifflante de Coconas encore mal guéri.

-Maître René, dit-il enfin, vous êtes un habile homme, dites-moi donc si je demeurerai estropié de ma blessure, c'esl-â-dire si j'aurai toujours cette courte respiration qui m'empêche de monter à che- val, de faire des armes et de manger des omelettes au lardl

René approcha son oreille la poitrine de Co- conas, et écouta attentivement le jeu des poumons.

Non, monsieur le comte, dit-il, vous gué- rirez.

-En vérité.'

Je vous l'affirme.

~ Vous me faites plaisir. Il se fit un nouveau silence.

Ne désirez-vous pas savoir encore autre chose, monsieur le comte?

120

LA REINE MARGOT.

Ucné uuvrit aux ileiix jcuiies |;on8. Vâhk HO.

Si fait, dit Coconas ; je désire savoir si je suis vt'ritablement » mou roux.

Vous Tùlos, dit Rcno.

Comment le savcz-vous?

Parce que vous le demiinde/,.

Mordi I je erois (|iie vmis .-ivez, raison. Mais do i|ui?

De celle qui dit in.iintcnanl ;"i tnui jiropos le juron que vous vi'iiez de dire.

En vérité, ilil ('.(leniias slM[i(''faii, ni.iiire liené, voustîtesun lial/ile lioiimic. A ton tour, la .Mule.

La Mole rougit et demeura cmbarra.'si*.

Eli! que diable! dit Coconas. parle ilum-!

Parlez, dit le Florentin.

Moi, monsieur Hené, balbutia la Mole, dunt la voix se rassura peu à peu, je ne veux pas vous demander si je suis amoureux, car je sais que je le suis et ne mVn cacbe poinl: mais dites-moi si je serai aime, car, en vérité, tout ce qui m'était d'a- bord un .sujet d'espoir Inurne maintenant contre moi .

V;ius n'avez peul-î'lre pas fait tout re qu'il faut f.iire pour cela.

tju'y al il à faire, monsieur, qu'à proH>ir

LA HEINE 3IARG0T.

121

C^.£>fi^-î/? y.

l'ouvez-vuus me faire voir le diable?

par son respect et son dévouement à la dame de ses pensées qu'elle est véritablement et profondément aimée?

Vous savez, dit René, que ces démonstrations sont parfois bien insignifiantes.

Alors il faut désespérer?

Non, alors il faut recourir à la science. Il y a dans la nature humaine des antipathies qu'on peut vaincre, des sympathies qu'on peut forcer. Lo fer n'est pas l'aimant; mais, en l'aimantant, à son tour 1 attire le fer.

Sans doute, sans doute, murmura la Mole ; mais je répugne à toutes ces conjurations.

Ah 1 si vous répugnez, dit René, alors il ne fallait pas venir!

Allons donc, allons donc, dit Coconas, vas-tu faire l'enfant à présent! Monsieur René, pouvez- vous me faire voir le diable?

Non, monsieur le comte.

J'en suis fâché, j'avais deux mots à lui dire, et cela eût pcut-ûtre encouragé la Mole.

Eh bien ! soit ! dit la Mole, abordons franche-

16

rir.r loiî de DIl'V iloi, boulvtut U^rt'ptratuc, M.

122

LA REINE MRGOT.

ment la question. On m'a parlé de figures en cire modeiées à la ressemblance de l'objet aimé. Est-ce un moyen?

Infaillible.

Et rien, dans cette expérience, ne peut por- ter atteinte à la vie ni à la santé de la personne qu'on aime?

Rien.

Essayons donc.

Veux-tu que je commence? dit Coconas.

Non, dit la Mole, et, puisque me voilà engagé, j'irai jusqu'au bout.

Désirez-vous beaucoup, ardemment, impé- rieusement savoir à quoi vous en tenir, monsieur de la Mole? demanda le Florentin.

Oh! s'écria la Mole, j'en meurs, maître René! Au même instant, on heurta doucement à la

porte de la rue, si doucement, que maître René en- tendit seul ce bruit, et encore parce qu'il s'y atten- dait sans doute.

Il approcha, sans affectation et tout en faisant quelques questions oiseuses à la Mole, son oreille du tuyau, et perçut quelques éclats de voix qui pa- rurent le fixer.

Résumez donc maintenant votre désir, dit-il, et appelez la personne que vous aimez.

La Mole s'agenouilla comme s'il eût parlé à une divinité ; et René, passant dans le premier compar- timent, glissa sans bruit par l'escalier extérieur : un instant après, des pas légers effleuraient le plan- cher de la boutique.

La Mole, en se relevant, vit devant lui maitre René; le Florentin tenait à la main une petite figu- rine de cire d'un travail assez médiocre, elle por- tait une couronne et un manteau.

Vous voulez toujours être aimé de votre royale maîtresse? demanda le parfumeur.

Oui, dût-il m'en coûter la vie, dussé-je y per- dre mon âme, répondit la Mole.

C'est bien, dit le Florentin en prenant du bout des doigts quelques gouttes d'eau dans une ai- guière et en les secouant sur la tète de la figurine en prononçant quel(]ues mots latins.

La Mole frissonna, il comprit qu'un sacrilège s'ac- complissait.

Que faites-vous là? dcmanda-t-il,

Je baptise cette petite figure du nom de Mar- guerite.

Mais dans(iucl but?

l'our établir la sympathie.

La Mole ouvrait la bouche pour i'empôcher d'al- ler plus avant, mais un regard railleur do Coconas l'aiTùla.

lîené, qui avaifvu le mouvement, attendit.

Il fout la [ileine et entière volont', dit-il.

Faiti'S, répondit la Mole.

René traça sur une petite baiulende de papier rouge quelque;; caruclùrcs cabalistiques, les passa

dans une aiguille d'acier, et, avec cette aiguille, pi- qua la statuette au cœur.

Chose étrange! à l'orifice de la blessure apparut une gouttelette de sang, puis il mit le feu au pa- pier.

La clialeur de l'aiguille fit fondre la cire autour d'elle et sécha la gouttelette de sang.

Ainsi, dit René, par la force de la sympatiiie, votre amour percera et brûlera le cœur de la femme que vous aimez.

Coconas, en sa qualité d'esprit fort, riait dans sa moustache et raillait tout bas; mais la Mole, aimant et superstitieux, sentait une sueur glacée perler à la racine de ses cheveux.

Et maintenant, dit René, appuyez vos lèvres sur les lèvres de la statuette en disant :

Marguerite, je t'aime; viens, Marguerite! La Mole obéit.

En ce moment, on entendit ouvrir la porte de la seconde chambre, et des pas légers s'approclièrent. Coconas, curieux et incrédule, tira son poignard, et, craignant, s'il tentait de soulever la tapisserie, que René ne fit la même observation que lors- qu'il voulut lui ouvrir la porte, fendit avec son poi- gnard l'épaisse tapisserie, et, ayant appliqué son œil à l'ouverture, poussa un cri d'étonnement au- quel deux cris, de femmes répondirent.

Ou'y a-t-il? demanda la Mole prêt à laisser tomber la figurine de cire, que René lui reprit des mains. '

Il y a, reprit Coconas, que la duchesse de Ne- vers et madame Marguerite sont là.

Eh bien! incrédules, dit René avec un sou- rire austère, doutez-vous encore de la force de la sympathie?

La Mole était resté pétrifié en apercevant sa reine, Coconas avait eu un moment d'èblouissement en reconnaissant madame de Nevers. L'un se figura que les sorcelleries de maître; René avaient évoqué le fantôme de Marguerite, l'autre, en voyant en- tr'ouverte encore la porte par laquelle les charmants fantômes étaient entrés, eut bientôt trouvé rex|ili- cation de ce prodige dans le monde vulgaire et ma- tériel.

Pendant que la Mole se signait et soupirait à fen- dre des quartiers de roc, Coconas, qui avait eu tout le temps de se faire dos questions philosophi(]ues et de chasser l'esprit malin à l'aide de ce gmipilldn qu'on apiiclle l'incrédulité, Coconas, voyant |iar l'ouverture du rideau fermé i'ébalii.ssenient de ma- dame do Nevers cl le sourire un pou causliciuc de Marguerite, jugea que le moment l'iait décisif, et, conipi'tMiant (pie l'on peut dire pour un ami ce que l'on n'ose dire pour soi-même, au lieu d'aller à ma- dame de Nevers, il alla droit à Marguerite, et. met- tant un genou en terre à la façon dont ('tait repré- .seiilé, dans les parades de la fuire, le grand Ar- taxerce, il .>>"<Mria d'une voix à laquelle le sifllcmcnl

LA REINE MARGOT.

123

de sa blessure donnait un certain accent qui ne manquait pas de puissance :

Madame, à l'instant même, sur la demande de mon ami le comte de la Mole, maître René évo- quait votre ombre; or, à mon grand étonnément, votre ombre est apparue accompagnée d'un corps qui m'est bien cher et que je recommande à mon ami. Ombre de Sa Majesté la reine de Navarre, vou- lez-vous bien dire au corps de votre compagne de passer de l'autre côté du rideau'!

Marguerite se mit à rire et fit signe à Henriette, qui passa de l'autre cô(é,

La Mole, mon ami ! dit Coconas, sois éloquent comme Démostbènes, comme Cicéron, comme M. le chancelier de l'Hospital; et songe qu'il y va de ma vie si tu ne persuades pas au corps de madame la duchesse de Nevers que je suis son plus dévoué, son plus obéissant et son plus fidèle serviteur.

Mais... balbutia la Mole.

Fais ce que je te dis ; et vous, maître René, veillez à ce que personne ne nous dérange.

René fit ce que lui demandait Coconas.

Mordi ! monsieur, dit Marguerite, vous êtes homme d'esprit. Je vous écoute ; voyons, qu'avez- vous à me dire?

J'ai à vous dire, madame, que l'ombre de mon ami, car c'est une ombre; et, la preuve, c'e^t qu'elle ne prononce pas le plus petit mot; j'ai

donc à vous dire que cette ombre me supplie d'user de la faculté qu'ont les corps de parler intelligible- ment pour vous dire ; Belle ombre, le gentil- homme ainsi excorporé a perdu tout son corps et tout son souffle par la rigueur de vos yeux. Si vous étiez vous-même, je demanderais à maître René de m'abîmer dans quelque trou sulfureux plutôt que de tenir un pareil langage à la fille du roi Henri II, à la sœur du roi Charles IX, et à l'épouse du roi de Navarre. Mais les ombres sont dégagées de tout or- gueil terrestre, et elles ne se fâchent pas quand on les aime. Or, priez votre corps, madame, d'aimer un peu l'âme de ce pauvre la Mole, âme en peine s'il en fut jamais ; ârhe persécutée d'abord par l'a- mitié, qui lui a à trois reprises enfoncé plusieurs pou- ces de fer dans le ventre; âme brûlée par le feu de vos yeux, feu mille fois plus dévorant que tous les feux de l'enfer. Ayez donc pitié de cette pauvre âme, ai- mez un peu ce qui fut le beau la Mole, et, si vous n'avez plus la parole, usez du geste, usez du sou- rire. C'est une âme fort intelligente que celle de mon ami, et elle comprendra tout. Usez-en, mordi I ou je passe mon épée au travers du corps de René, pour qu'en vertu du pouvoir qu'il a sur les ombres il force la vôtre, qu'il a déjà évoquée si à propos, de faire des choses peu séantes pour une ombre honnête comme vous me faites l'effet de l'être.

A cette péroraison de Coconas, qui s'était campé devant la reine en Énée descendant aux enfers, Marguerite ne put retenir un énorme éclat de rire,

et, tout en gardant le silence qui convenait en pa- reille occasion à une ombre royale, elle tendit la main à Coconas.

Celui-ci la reçut délicatement dans la sienne en appelant la Mole :

Ombre de mon ami, s'écria-t-il, venez ici à l'instant même.

La Mole, tout stupéfait et tout palpitant, obéit.

C'est bien, dit Coconas en le prenant par der- rière la tête ; maintenant, approchez la vapeur de votre beau visage brun de la blanche et vaporeuse main que voici.

Et Coconas, joignant le geste aux paroles, unit cette fine main à la bouche de la Mole, et les retint un instant respectueusement appuyées l'une sur l'autre, sans que la main essayât de se dégager de la douce étreinte.

Marguerite n'avait pas cessé de sourire, mais ma- dame de Nevers ne souriait pas, elle, encore trem- blante de l'appar'tion inattendue des deux gentils- hommes. Elle sentait augmenter son malaise de toute la fièvre d'une jalousie naissante, car il lui semblait que Coconas n'eût pas oublier ainsi ses affaires pour celles des autres.

La Mole vit la contraction de son sourcil, surprit l'éclair menaçant de ses yeux, et, malgré le trou- ble enivrant la volupté lui conseillait de s'en- gourdir, il comprit le danger que courait son ami, et devina ce qu'il devait tenter pour l'y soustraire. ■.^•

Se levant donc et laissant la main de Marguerite dans celle de Coconas, il alla saisir celle de la du- chesse de Nevers, et, mettaut un genou en terre :

0 la plus belle, ô la plus adorable des fem- mes! dit-il, je parle des femmes vivantes, et non des ombres, et il adressa un regard et un sourire à Marguerite, permettez à une âme dégagée de son enveloppe grossière de réparer les absences d'un corps tout absorbé par une amitié matérielle. M. de Coconas, que vous voyez, n'est qu'un homme, un homme d'une structure ferme et hardie, c'est une chair belle à voir peut-être, mais périssable comme toute chair ; Oninis caro fcnum. Bien que ce gen- tilhomme m'adresse du matin au soir les litanies les plus suppliantes à votre sujet, bien que vous l'ayez vu distribuer les plus rudes coups que l'on ait jamais fournis en France, ce ciiampion, si fort en éloquence près d'une ombre, n'ose parler à une femme. C'est pour cela qu'il s'est adressé à l'om- bre de la reine, en me chargeant, moi, de parler à votre beau corps, de vous dire qu'il dépose à vos pieds son cœur et son âme ; qu'il demande à vos yeux divins de le regarder en pitié, à vos doigts ro- ses et brûlants de l'appeler d'un signe ; à votre voix vibrante et harmonieuse de lui dire de ces mots qu'on n'oublie pas ; ou sinon, il m'a encore prié d'une chose, c'est, dans le cas il ne pourrait vous attendrir, de lui passer, pour la secoude fois, mon épée, qui est une lame véritable, les épées n'ont

124

LA REINE MARGOT.

d'ombre qu'au soleil, de lui passer, dis-je, pour la seconde fois, mon épée au travers du corps ; car il ne saurait vivre si vous ne l'autorisez à vivre exclu- sivement pour vous.

Autant Coconas avait mis de verve et de panta- lonnade dans son discours, autant la Mole venait de déployer de sensibilité, de puissance enivrante et de câline humilité dans sa supplique.

Les yeux de Henriette se détournèrent alors de la Mole, qu'elle avait écouté tout le temps qu'il venait de parler, et se portèrent sur Coconas pour voir si l'expression du visage du gentilhomme était en har- monie avec l'oraison amoureuse de son ami. Il pa- raît qu'elle en fut satisfaite, car, rouge, haletante, vaincue, elle dit à Coconas avec un sourire qui dé- couvrait une double rangée de perles enchâssées dans du corail : Est-ce vrai?

Mordi ! s'écria Coconas fasciné par ce regard, et brûlant des feux du même fluide; c'est vrail... Oh ! oui, madame, c'est vrai, vrai sur votre vie, vrai sur ma mort !

Alors, venez donci dit Henriette en lui ten- dain la main avec un abandon que trahissait la lan- gueur de ses yeux.

Coconas jeta en l'air son toquet de velours, et, d'un bond, fut près de la jeune femme, tandis que la Mole, rappelé de son coté par un geste de Mar guerUe, faisait avec son ami un chassez-croisez amoureux.

En ce moment, René apparut sur la porte du fond.

Silence! s"écria-t-il avec un accent qui étei- gnit toute cette flamme... silence!

Et l'on entendit dans l'épaisseur de la muraille le frôlement du fer grinçant dans une serrure et le en d'une porte roulant sur ses gonds.

Mais, dit Marguerite fièrement, il me semble que personne n'a le droit d'entrer ici quand nous y sommes !

Pas même la reine mère? murmura René à son oreille.

Marguerite sélança aussitôt par l'escalier exté- rieur, attirant la Mole après elle; Henriette et Co- conas, à demi enlaci'S, s'enfuirent sur leurs traces.

Tous quatre s'envolant comme s'envolent, au premier bruit indiscret, les oiseaux gracieux qu'un a vus se becqueter sur une branche en fleur.

J2LV;

l

LA REINE MARGOT.

125

Tous quatre s'cnvobnt.. Page 12i.

XX

LES POULES NOIRKS.

1 était temps que les deux couples disparussent. Ca- therine mettait la clef dans la serrure de la seconde porte au moment Coco- nas et madame de Nevers sortaient par l'issue du fond, et Catherine, en en- ontendre le craquement de l'escalier sous

les pas des fugitifs. Elle jeta autour d'elle un re- gard inquisiteur, et arrêtant enfin son œil soup- çonneux sur René, qui se trouvait debouVet incliné devant elle :

Qui était là? demanda-t-elle.

Des aniants qui se sont contentés de ma parole quand je les ai assurés qu'ils s'aimaient.

Laissons cela, dit Catherine en haussant les épaules; n'y a-t-il plus personne ici?

126

LA REINE MAP.GOT.

Personne que Votre Majesté et moi.

Avez-vous fait ce que je vous ai dit?

A propos des poules noires?

Oui.

Elles sont prêtes, madame.

Ah! si vous étiez juif! murmura Catherine.

Moi, juif, madame, pourquoi?

Parce que vous pourriez lire les livres pré- cieux qu'ont écrit les Hébreux sur les sacrifices. Je me suis fait traduire l'un d'eux, et j'ai vu que ce n'était ni dans le cœur ni dans le foie, comme les Romains, que les Hébreux cherchaient les présa- ges : c'était dans la disposition du cerveau et dans la figuration des lettres qui y sont tracées par la main toute-puissante de la destinée.

Oui, madame, je l'ai aussi entendu dire par un vieux rabbin de mes amis.

Il y a, dit Catherine, des caractères ainsi des- sinés qui ouvrent toute une voie prophétique ; seu- lement, les savants chaldéens recommandent...

Recommandent. . . quoi ? demanda René, voyant que la reine hésitait à continuer.

Recommandent que l'expérience se fasse sur des cerveaux humains, comme étant plus dévelop- pés et plus sympathiques à la volonté du consul- tant.

Hélas ! madame, dit René, Votre Majesté sait bien que c'est impossible!

' Difficile du moins, dit Catherine ; car, si nous avions su cela à la Saint-Barthélémy... hein, René! quelle riche récolte! Le premier condamné... j'y son^jcrai. En attendant, demeurons dans le cercle du possible. La chambre des sacrifices est-elle pré- parée?

Oui, madame.

Passons-y.

René alluma une bougie faite d'éléments ('iran- ges, et dont l'odeur, tantôt subtile et pénétrante, tantôt nauséabonde et fumeuse, révélait l'introduc- tmn de plusieurs matières; puis, éclairant Cathe- rine, il passa le premier dans la cellule.

Catherine choisit elle-même parmi tous les in- struments de sacrifice un couteau d'acier bleuissant, tandis que Wrw' allait chercher une des deux ]kui1i's qui roulaient dans un coin leur œil il'or inquiet.

Comment procéderons-nous?

Nous interrogerons le foie de l'une et le cer- veau do l'autre. Si les deux exp('riences nous don- nent les mêmes résultats, il faudra bien croin^, surtout si ces résultats se combinent avec ceux jiré- cédeminent obtenus.

i'ar commencerons-nous?

Par rcxpénence du foie.

C'est l>icn. dit René; et il attacha la poulo sur lo petit autel h doux anneaux placés aux deux cx- tri'uiili'.s, (le manière i\uc l'animal, renversii sur le dos, nu pouvait que su déballre sans bougiT do place.

Catherine lui ouvrit la poitrine d'un seul coup de couteau. La poule jeta trois cris, et expira après s'être assez longtemps débattue.

Toujours trois cris, murmura Catherine, trois signes de mort.

Puis elle ouvrit le corps.

Et le foie penchant à gauche, continua-t-elle, toujours à gauche; triple mort suivie d'une dé- chéance. Sais-tu, René, que c'est effrayant?

Il faut voir, madame, si les présages de la se- conde victime coïncidefont avec ceux de la pre- mière.

René détacha le cadavre de la poule et le jeta dans un coin. Puis il alla vers l'autre, qui, jugeant de son sort par celui de sa compagne, essaya de s'y soustraire en courant tout autour de la cellule, et qui, enfin, se voyant prise dans un coin, s'envola par-dessus la tête de René, et s'en alla dans son vol éteindre la bougie magique que tenait à la main Catherine.

Vous le voyez, René, dit la reine. C'est ainsi que s'éteindra notre race. La mort soufflera dessus, et elle disparaîtra de la surface de la terre. Trois fils, cependant, trois fils!... murmura-t-elle triste- ment.

René lui prit des mains la bougie éteinte, et alla la rallumer dans la pièce à côté.

Quand il revint, il vit la poule qui s'était fourre la tête dans l'entonnoir.

Cette fois, dit Catherine, j'éviterai les cris, car je lui trancherai la tête d'un seul coup.

Et, en effet, lorsque la poule fut attachée, Cathe- rine, comme elle l'avait dit, d'un seul coup lui trancha la tête. Mais, dans la convulsion suprême, te bec s'ouvrit trois fois et se rejoignit pour ne plus se rouvrir.

Vois-tu, dit Catherine épouvantée. A défaut do trois cris, trois soupirs. Trois, toujours trois. Ils mourront tous trois. Toutes ces âmes, avant de par- tir, comptent et ap[)ellent jusqu'à trois. Voyons maintenant les signes de la tête.

Alors Catherine abattit la crête pâlie de l'animal, ouvrit avec précaution le crâne; et, le séparant de manière à laisser à découvert les lobes du cerveau, elle essaya de trouver la forme d'une lettre quei- con(]ue sur les sinuosités sanglantes que trace la di- vision de la pulpe cérébrale.

Toujours, s'écria-t-ellc en frappant dans ses deux mains, toujours! et cette fois le pronostic est [ilus clair que jamais. Viens et regarde.

René s'approcha.

Quelle est celte lettre .' lui demanda Catherine* en lui di'sigiianl un signe.

Un 11, ri'pondit René.

Combien do fois répété? RiMK' compta.

Quatre, dit-il.

Eh bien! oli bicnl est-ce cela? Je lo vois,

LA REINE MARGOT.

427

c'est-à-dire Henri IV. Oh! gronda-t-elle en jetant le couteau, je suis maudite dans ma postérité.

C'était une effrayante figure que celle de cette femme pâle comme un cadavre, éclairée par la lu- gubre lumière, et crispant ses mains sanglantes.

-^11 régnera, dit-elle avec un soupir de dés- espoir, il régnera !

Il régnera, répéta René enseveli dans une rê- verie profonde,

Cependant, bientôt cette expression sombre s'ef- faça des traits de Catherine à la lumière d'une pen- sée qui semblait éclore au fond de son cerveau.

René, dit-elle en étendant la main vers le Florentin, sans détourner sa tète inclinée sur sa poitrine, René, n'y a-t-il pas une terrible histoire d'un médecin de Pérouse, qui, du même coup, à l'aide d'une pommade, a empoisonné sa fille et l'a- mant de sa fille?

Oui, madame.

Et cet amant, c'était?... continua Catherine toujours pensive.

C'était le roi Ladislas, madame.

Ah! oui, c'est vrai, murmura-t-elle. Avez-vous quelques détails sur cette histoire?

' Je possède un vieux livre qui en traite, répon- dit René.

Eh bien ! passons dans l'autre chambre, vous me le prêterez.

Tous deux quittèrent alors la cellule, dont René ferma la porte derrière lui.

Votre Majesté me donne-t-elle d'autres ordres pour de nouveaux sacrifices? demanda le Florentin.

Non, René, non! je suis pour le moment suf- fisamment convaincue. Nous attendrons que nous puissions nous procurer la tête de quelque con- damné, et, le jour de l'exécution, tu en traiteras avec le bourreau.

René s'inclina en signe d'assentiment, puis il s'approcha, sa bougie à la main, des rayons étaient rangés les livres, monta sur une chaise, en prit un, et le donna à la reine.

Catherine l'ouvrit.

Qu'est-ce que cela? dit-elle.

« De la manière d'élever et de nourrir les tierce- lets, les faucons et les gerfauts, pour qu'ils soient braves, vaillants et toujours prêts au vol. »

^- Ah ! pardon, madame, je me trompe. Ceci est un traité de vénerie fait par un savant Lucquois pour le fameux Castruccio Castracani. Il était placé à côté de l'autre, relié do la même façon. Je me suis trompé. C'est d'ailleurs un livre très-précieux; il n'en existe que trois exemplaires au monde : un qui appartient à la bibliothèque de Venise, l'autre qui avait été acheté par votre aïeul Laurent, et qui a été offert par Pierre de Médicis au roi Charles VIII lors de son passage à Florence, et le troisième que voici.

Je le vénère, dit Catherine, à cause de sa ra-

reté ; mais, n'en ayant pas besoin, je vous le rends.

Et elle tendit la main droite vers René pour re- cevoir l'autre, tandis que de la main gauche elle lui rendit celui qu'elle avait reçu.

Celte fois René ne s'était point trompé, c'était bien le livre qu'elle désirait. René descendit, le feuilleta un instant, et le lui rendit tout ouvert.

Catherine alla s'asseoir à une table, René posa près d'elle la bougie magique, et, à la lueur de cctlc llamme bleuâtre, elle lut quelques lignes à demi- voix.

Bien, dit-elle en refermant le livre. Voilà tout ce que je voulais savoir.

Elle se leva, laissant le livre sur la table et em- portant seulement au fond de son esprit la pensée qui y avait germé et qui devait y mûrir.

René attendit respectueusement, la bougie à la main, que la reine, qui paraissait prête à se retirer, lui donnât de nouveaux ordres ou lui adressât de nouvelles questions.

Catherine lit plusieurs pas la tête inclinée, le doi'gt sur la bouche et en gardant le silence.

Puis, s'arrêtant tout à coup devant René et rele- vant sur lui son œil rond et fixe comme celui d'un oiseau de proie :

Avoue-moi que tu as fait pour elle quelque philtre, dit-elle.

Pour qui ? demanda René en tressaillant. Pour la Sauve.

Moi, madame, dit René, jamais!

Jamais?

Sur mon âme, je vous le jure.

Il y a cependant de la magie, car il l'aime comme un fou, lui qui n'est pas renommé par sa constance.

Qui lui, madame?

Lui, Henri le maudit. Celui qui succédera à nos trois fils, cehii qu'on appellera un jour Henri IV, et qui cependant est le fils de Jeanne d'Albret.

Et Catherine accompagna ces derniers mots d'un soupir qui fit frissonner René, car il lui rappelait les fameux gants que, par ordre de Catherine, il avait préparés pour la reine de Navarre.

Il y va donc toujours? demanda René.

Toujours, dit Catherine.

J'avais cru cependant que le roi de Navarre était revenu tout entier à sa femme.

Comédie, René, comédie. Je ne sais dans quel but, mais tout se réunit pour me tromper. ]\Ia fille elle-même, Marguerite, se déclare contre moi; peut- être, elle aussi, espère-t-elle la mort de ses frères, peut-être espère-t-elle être reine de France.

Oui, peut-être ! dit René, rejeté daris sa rêve- rie et se faisant l'écho du doute terrible de Cathe- rine.

Enfin, dit Catherine, nous verrons.

Et elle s'achemina vers la porte du fond, jugeant

128

LA REIIS'E 3IARG0T.

«(||i||,|i|,|fl]|liiiiiir,iij ;i,iii|ii,[|||i||

René la précéda.

sans doute inutile de descendre par rescalicr se- : ou dix heures. Pi^ndant In inurncc je fais mes dé- cret, puisqu'clln était sure drlro seule. , votions.

René la précéda, et, f|iicli|tios instants aprt's. Iiius Bien, madamo, je .serai au Louvre à neuf

deux se trouvèrent dans la l)ouli(]uo du parfumeur, heures.

Tu m'avais promis do nouveaux cosmétiques | Madame de Sauve a de bolies mains et do bei-

pour mes mains et pour mes lèvres, lîené, dit-elle ; les lèvres, dit d'un ton indifféioni Citlicrine ; cl do

voici riiiver, et tu sais que j"ai la \icm\ fort sensible quelle pMe se sert -elle V

au froid. Pour ses mains?

Je m'en suis déj;"i occupé, inailame, cl je vou.s les porterai demain.

Demain soir tu n^ mu trouveras pas avant neuf

Oui, pour ses mains d'iiburd.

Po p.'itej'i riidinlnqu'.

l'.t [tour SCS lèvres?

LA REINE MARGOT.

129

Tu lui as fait quelque philtre, Renéi

Pour ses lèvres, elle va se servir du nouvel opiatiiue j'ai inventé, et dont je comptais porter demain une boîte à Votre Majesté en même temps qu'à elle.

Catherine resta un instant pensive.

Au reste, elle est belle, cette créature, dit- elle, répondant toujours à sa secrète pensée, et il n'y a rien d'étonnant à cette passion du Béarnais.

Et surtout dévouée à Votre Majesté, dit René; à ce que je crois, du moins.

Catherine sourit et haussa les épaules.

Lorsqu'unefemme aime, dit-elle, est-ce qu'elle

raiis, la'r- ^^' CHY a'.nç, toulevari Mantparnasscj ai.

est jamais dévouée à un autre qu'à son amant! Tu lui as fait quelque philtre, René!

Je vous jure que non, madame.

C'est bien 1 n'en parlons plus. Montre-moi donc cet opiat nouveau dont tu me parlais, et qui doit lui faire les lèvres plus fraîches et plus roses encore. «

René s'approcha d'un rayon et montra à Cathe- rine six petites boîtes d'argent de la même forme, c'est-à-dire rondes, rangées les unes à côté des au- tres.

Voilà le seul philtre qu'elle m'ait demandé,

17

430

LA REINE MRGOT.

dit René; il est vrai, comme le dit Votre Majesté, que je l'ai composé exprés pour elle, car elle a les lèvres si fines et si tendres, que le soleil et le vent les gercent également.

Catherine ouvrit une de ces boîtes, elle contenait une pâte du carmin le plus séduisant.

René, dit-elle, donne-moi de la pâte pour mes miins ; j'en manque, j'en emporterai avec moi.

René s'éloigna avec la bougie et s'en alla cher- cher dans un compartiment particulier ce que lui demandait la reine. Cependant il ne se retourna pas si vile qu'il ne crût voir que Catherine, par un brusque mouvement, venait de prendre une boîte et de la cacher sous sa mante. Il était trop familia- risé avec ces soustractions de la reine mère pour avoir la maladresse de paraître s'en apercevoir. Aussi, prenant la pâte demandée enfermée dans un sac de papier fleurdelisé :

Voici, madame, dit-il.

Merci, René! reprit Catherine. Puis, après un moment de silence :

Ne porte cet opiat à madame de Sauve que dans huit ou dix jours, je veux être la première à en faire l'essai.

Et elle s'apprêta à sortir.

Votre Majesté veut-elle que je la reconduise? dit René.

Jusqu'au bout du pont seulement, répondit Catherine, mes gentilshommes m'attendent avec ma litière.

Tous deux sortirent et gagnèrent le coin de la rue de la Barillerie, oîi quatre gentilshommes à cheval et une litière sans armoiries attendaient Catherine.

En rentrant chez lui. le premier soin de René fut de compter ses boîtes d'opiat.

il en manquait une.

LA REINE BURGOT.

131

XXI

L'APPARTEMENT DE MADAME DE SAUVE.

alherine ne s'était pas trompée dans ses soupçons. Henri avait repris ses iiabi- tudes, et, chaque soir, il se rendait chez madame de Sauve. D'abord , il avait exécuté cette excursion avec le plus grand secret, puis, peu à peu, il s'était relâché de sa défiance, avait négligé les précautions, de sorte que Catherine n'avait pas eu de peine à s'assurer que la reine de Navarre continuait d'être de nom Marguerite, de fait madame de Sauve.

Nous avons dit deux mots, au commencement de cette histoire, de l'appartement de madame de Sauve; mais la porte ouverte par Dariole au roi de Navarre s'est hermétiquement refermée sur lui, de sorte que cet appartement, théâtre des mystérieu- ses amours du Béarnais, nous est complètement in- connu.

Ce logement, du genre de ceux que les prin- ces fournissent à leurs commensaux dans les pa- lais qu'ils habitent, afm de les avoir à leur por- tée, était plus petit et moins commode que n'eût certainement été un logement situé par la ville. Il était, comme on le sait déjà, placé au second, à peu près au-dessus de celui de Henri, et la porte s'en ouvrait sur un corridor dont l'extrémité était éclai- rée par une fenêtre ogivale à petits carreaux en- châssés de plomh, kquelle, même dans les plus beaux jours de l'année, ne laissait pénétrer qu'une lumière douteuse. Pendant l'hiver, dès trois heures de l'après-midi, on était obligé d'y allumer une lampe, qui, ne contenant, été comme hiver, que la même quantité d'huile, s'éteignait alors vers les dix heures du soir, et donnait ainsi, depuis que les jours d'hiver étaient arrivés, une plus grande sé- curité aux deux amants.

Une petite antichambre tapissée de damas de soie à larges (leurs jaunes, une chambre de réception tendue de velours bleu, une chambre à coucher, dont le lit à colonnes torses «t à rideaux de satin cerise enchâssait une ruelle ornée d'un miroir garni d'argent et de deux tableaux tirés des amours de Vénus et d'Adonis, tel était le logement, aujourd'hui l'on dirait le nid, delà charmante fille d'atour de la reine Catherine de Médicis.

En cherchant bien, on eût encore, en face d'une toilette garnie de tous ses accessoires, trouvé, dans un coin sombre de cette chambre, une petite porte ouvrant sur une espèce d'oratoire, où, exhaussé sur deux gradins, s'élevait un prie-Dieu. Dans cet oratoire, étaient pendues à la muraille, et comme pour servir de correctif aux deux tableaux mytho- logiques dont nous avons parlé, trois ou quatre peintures du spiritualisme le plus exalté. Entre ces peintures étaient suspendues, à des clous dorés, des armes de femme ; car, à celte époque de mystérieu- ses intrigues , les femmes portaient des armes comme les hommes, et, parfois, s'en servaient aussi habilement qu'eux.

Ce soir-là, qui était le lendemain du jour s'é- taient passées chez maître René les scènes que nous avons racontées, madame de Sauve, assise dans sa chambre à coucher sur un lit de repos, racontait à Henri ses craintes et son amour, et lui donnait comme preuve de ces craintes et de cet amour, le dévouement qu'elle avait montré la fameuse nuit qui avait suivi celle de la Saint-Barthélémy, nuit que Henri, on se le rappelle, avait passée chez sa femme.

Henri, de son côté, lui exprimait sa reconnais- sance. Madame de Sauve était charmante ce soir-là dans son simple peignoir de batiste, et Henri était très-reconnaissant.

Au milieu de tout cela, comme Henri était réelle- ment amoureux, il était rêveur. De son côté, ma- dame de Sauve, qui avait fini par adopter de tout son cœur cet amour commandé par Catherine, regar- dait beaucoup Henri, pour voir si les yeux étaient d'accord avec les paroles.

Voyons, Henri, disait madame de Sauve; so3-ez franc : pendant cette nuit passée dans le cabi- net de Sa Majesté la reine de Navarre, avec M. de la Mole à vos pieds, n'avez-vous pas regretté que ce digne gentilhomme se trouvât entre vous et la chambre à coucher de la reine?

Oui, en vérité, ma mie, dit Henri, car il me fallait absolument passer par cette chambre pour aller à celle je me trouve si bien, et je suis si heureux en ce moment.

Madame de Sauve sourit.

Et vous n'y êtes pas rentré depuis?

Que les fois que je vous ai dites.

m-

LA REINE MARGOT.

Vous n'y rentrerez jamais sans me le dire?

Jamais.

Enjureriez-vous?

Oui, certainement, si j'étais encore hugue- not, mais...

Mais, quoi'.'

Mais la religion catholique, dont j'apprends les dogmes en ce moment, m"a appris qu'on ne doit jamais jurer.

Gascon! dit madame de Sauve en secouant la tête.

Mais à votre tour, Charlotte, dit Henri, si je vous interrogeais, répondriez-vous à mes ques- tions ?

Sans doute, répondit la jeune femme. Moi je n'ai rien à vous cacher.

Voyons, Charlotte, dit le roi, expliquez-moi une bonne fois comment il se fait qu'après cette ré- sistance désespérée qui a précédé mon mariage, vous soyez devenue moinscruelle pour moi. qui suis un gauche Béarnais, un provincial ridicule, un prince trop pauvre, enfin, pour entretenir brillants les joyaux de sa couronne'.'

Henri, dit Charlotte, vous me demandez le mot de l'énigme que cherchent depuis trois mille ans les philosophes de tous les pays! Henri, ne de- mandez jamais à une femme pourquoi elle vous aime ; contentez-vous de lui demander : M'aimez- vous'.'

M'aimez-vous, Charlotte? demanda Henri.

Je vous aime, répondit madame de Sauve avec un charmant sourire et en laissant tomber sa belle main dans celle de son amant.

Henri retint cette main.

Mais, reprit-il poursuivant sa pensée, si je l'a- vais deviné, ce mot, que les philosopiios cherchent en vain depuis trois mille ans, du moins relative- ment à vous, Charlotte !

Madame de Sauve rougit.

Vous m'aimez, continua Henri ; par consé- quent, je n'ai pas autre chose à vous demander, cl me tiens pour le plus iieurcux homme du monde. Mais, vous le savez, au bonheur il manque tou- jours quelque chose. Adam, au milieu du paradis, ne s'est pas trouvi; com[(létement heureux, «a il a mordu à cette misérable pomme (|ui nous a donné à tous ce besoin de curiosili; ((ui fait que chacun passe sa vie à la recherche il'nn inconnu quelcon- que. Dites-moi, inu mie, pour m'aidcr à trouver le mien, n'est-ce point la reine (lalli(M'iniM|ui vous a dit d'abord de m'aiiner.'

Henri, dit madame de Sauve, parlez bas quand vous parlez du la reine mérc.

Oh! dit Henri avec un ahaiulnn et une con- lianco à laquelle madame do Sauve fut trompée elic- mÊnie, c'était Iran autrefois de me di-lic-r d'elle, celte bonne mère, quand nous ('lions mal ensemble ; mais uiaintenaiitquo je sui-< le mari de sa lillc...

Le mari de madame Marguerite! dit Charlotle en rougissant de jalousie.

Parlez bas à votre tour, dit Henri. Maintenant que je suis le mari de sa fille, nous sommes les meilleurs amis du monde. Que voulait-on'? que je me fisse catholique, à ce qu'il paraît. Eh bien! la grâce m'a touché; et, par l'intercession de saint Barthélémy, je le suis devenu. Nous vivons mainte- nant en famille comme de bons frères, comme de bons chrétiens.

Et la reine Marguerite?

La reine Marguerite, dit Henri, eh bien ! elle est le lien qui nous unit tous.

Mais vous m'avez dit, Henri, que la reine de Navarre, en récompense de que j'avais été dé- vouée pour elle, avait été généreuse pour moi . Si vous m'avez dit vrai, si cette générosité, pour la- quelle je lui ai voué une si grande reconnaissance, est réelle, elle n'est qu'un lien de convenlion facile à briser. Vous ne pouvez donc vous reposer sur cet appui, car vous n'en avez imposé à personne avec cette prétendue intimité.

Je m'y repose cependant, et c'est depuis trois mois l'oreiller sur lequel je dors.

-Ailors, Henri, s'écria madame de Sauve, c'est que vous m'avez trompée, c'est que véritablement madame Marguerite est votre femme.

Henri sourit.

Tenez, Henri, dit madame de Sauve, voilà de ces sourires qui m'exaspèrent, et qui font que, tout roi que vous êtes, il me prend parfois de cruelles envies de vous arracher les yeux.

Alors, dit Henri, j'arrive donc à en imposer sur cette prétendue intimité, puisqu'il y a des mo- ments où, tout roi que je suis, vous voulez in'arra- cher les yeux, parce que vous croyez qu'elle existe!

Henri, Henri, dit madame de Sauve, je crois que Dieu lui-même ne sait pas ce que vous pensez.

Je pense, ma mie, dit Henri, que Catherine vous a dit d'abord de m'aimer, (juc votre cœur vous l'a dit ensuite, et que, quand ces deux voix vous par- lent, vous n'entendez que celle de votre cœur. Maintenant, moi aussi, je vous aime, et do toute mon âme, et mêmec'est pour cela que, lorsque j'au- rais des secrets, je ne vous les confierais pas, de peur de vous compromellre, bien entendu... car l'amitié de la reine est changeante, c'est celle d'une belle-mère.

('e n'était point le compte do Charlotte; il lui si'iiiblait que ce voile qui s'épaississait entre elle el siiu amant toutes les fois qu'elle voulait sonder les abîmes de ce co;ur sans fond, prenait la consistance d'un mur et lcss('parail l'un île l'autre. Elle sentil iloiic les larmes envahir se,s jeux à cette réponse, el comme en co moment dix heures sonnèrent :

~ Sire, dit Charlotte, voici l'heure de nie ropo- .scr. mon service m'appelle do très-bon nialiu de- main chez la reine mère.

LA REL>E MARGOT.

iôô

Vous me chassez itonc ce soir, ma iiucV dit licnri.

Vous me cliassez donc ce soir, iiiu inie? dit Henri.

Henri, je suis triste. Étant triste, vous me trouveriez maussade, et, me trouvant maussade, vous ne m'aimeriez plus. Vous voyez bien qu'il vaut mieux que vous vous retiriez.

Soit! dit Henri, jo me retirerai si vous l'exi- gez, Charlotte; seulement, ventre-saint-gris! vous m'accorderez bien la faveur d'assister à votre toi- lette!

Mais la reine Marguerite, sire, ne la ferez- vous pas attendre en y assistant ?

Charlotte, répliqua llcnn sérieux, il avait été convenu entre nous que nous ne parlerions jamais de la reine de Navarre, et ce soir, ce me semble, nous n'avons parlé que d'elle.

Madame de Sauve soupira, et elle alla s'asseoir devant sa toilette. Henri prit une chaise, la traîna jusqu'à celle qui servait do siège à sa maîtresse, et, mettant un genou dessus en s'appuyant au dos- sier :

Allons, dit-il, ma bonne petite Charlotte, que je vous voie vous faire belle, et belle pour moi, quoi que vous en diriez. Mon Dieu! que de choses, que

134

LA REINE MARGOT.

de pots de parfums, que de sacs de poudre, que de fioles, que de cassolettes !

Cela paraît beaucoup, dit Charlotte en soupi- rant, et cependant c'est trop peu, puisque je n"ai pas encore avec tout cela trouvé le moyen de régner seule sur le cœur de Votre Majesté.

Allons! dit Henri, ne retombons pas dans la politique. Qu'est-ce que ce petit pinceau si fin, si délicat? Ne serait-ce pas pour peindre les sourcils de mon Jupiter Olympien?

Oui, sire, répondit madame de Sauve en sou- •riant, et vous avez deviné du premier coup.

Et ce joli petit râteau d'ivoire?

C'est pour tracer la ligne des cheveux.

Et cette charmante petite boîte d'argent au couvercle ciselé?

Oh ! cela, c'est un envoi de René, sire, c'est le fameux opiat qu'il me promet depuis si longtemps pour adoucir encore ces lèvres que Votre Majesté a la bonté de trouver quelquefois assez douces.

Et Henri, comme pour approuver ce que venait de dire la charmante femme dont le front s'éclair- cissait h mesure qu'on la remettait sur le terrain de la coquetterie, appuya ses lèvres sur celles que la baronne regardait avec attention dans son miroir.

Charlotte porta la main à la boîte qui venait d'être l'objet de l'explication ci-dessus, sans doute pour montrer à Henri de quelle façon s'employait la pâte vermeille, lorsqu'un coup sec frappé à la porte de l'antichambre fit tressaillir les deux amants.

On frappe, madame, dit Dariole en passant la tête par l'ouverture de la portière.

Va t'informer qui frappe et reviens, dit ma- dame de Sauve. Henri et Charlotte se regardè- rent avec inquiétude, et Henri songeait à se retirer dans l'oratoire, déjà plus d'une fois il avait trouvé un refuge, lorsque Dariole reparut.

Madame, dit-elle, c'est maître René le parfu- meur.

A ce nom, Henri fronça le sourcil et se pinça in- volontairement les lèvres.

Voulez-vous que je lui refuse In porte? dit Charlotte.

Non pas! dit Henri, maître Reiwi ne fait rien sans avoir auparavant song(' à ce qu'il fait; s'il vient chez vous, c'est qu'il a des raisons d'y venir.

Voulez-vous vous cacher alors?

Je m'en garderai bien, dit Henri, car maître René sait tout, et maître llen(i sait que je suis ici.

Mais V(Ure Majesté n'a-t-uile pas (pielquo rai- son pour que sa présence lui soit douloureuse?

Moi! dit Henri en faisant un effort que, mal- gré sa pui-ssanco sur liii-niC-rne, il ne put tmil à fait dissimuler, moi! aucune! nous étions en froid, c'est vrai ; mais, depuis le soir de la Saint-Barthd- lemy. nous nous sommes raccomniodi's.

Faites entrer! dit inadamo do .Sauvo à Da- riole.

Un instant après, René parut et jeta un regard qui embrassa toute la chambre.

Madame de Sauve était toujours devant sa toi- lette.

Henri avait repris sa place sur le lit de repos.

Charlotte était dans la lumière et Henri dans l'ombre.

Madame, dit René avec une respectueuse fa- miliarité, je viens vous faire mes excuses.

Et de quoi donc, René? demanda madame de Sauve avec cette condescendance que les jolies fem- mes ont toujours pour ce monde de fournisseurs qui les entoure et qui tend à les rendre plus jolies.

De ce que depuis si longtemps j'avais promis de travailler pour ces jolies lèvres, et de ce que...

De ce que vous n'avez tenu votre promesse qu'aujourd'hui, n'est-ce pas? dit Charlotte.

Qu'aujourd'hui! répéta René.

Oui, c'est aujourd'hui seulement, et même ce soir que j'ai reçu cette boîte que vous m'avez en- voyée.

Ah ! en effet, dit René en regardant avec une expression étrange la petite boîte d'opiat qui se trouvait sur la table de madame de Sauve, et qui était do tout point pareille à celles qu'il avait dans son magasin.

J'avais deviné ! murmura-t-i! : et vous en étes-vous servie ?

Non, pas encore, et j'allais l'essayer quand vous êtes entré.

La figure de René prit une expression n'nouse qui n'échappa point à Henri, auquel, d ailleurs, bien peu de choses échappaient.

Eh bien ! René, qu'avez-vous donc? demanda le roi.

Moi! rien, sire, dit le parfumeur, j'attends humblement que Votre Majesté m'adresse la parole avant de prendre congé de madame la baronne.

Allons donc, dit Henri en souriant. Avez-voiis besoin de mes paroles pour savoir que je vous vois avec plaisir?

René regarda autour de lui, fit le tour de la cham- bre comme pour sonder de l'œil et do roreillc les portes et les tapisseries, et s'arrètant de nouveau et se plaçant de manière à embrasser du même re- gard madame do Sauve et Henri :

Je ne le sais pas, dit-il.

Henri, averti, grâce cet instinct admirable qui, ])areil à un si,\ième sens, le guida pendant touti' la preniièro partie de sa vu au milieu des dangers qui l'entouraient, qu'il se passait en ce moment qucl- ((uo chose d'étrange et qui rcssembluil à une lutte ilans l'esprit du parfiiineur, .m- tourna vei-s lui, et Ionien re>lanl dans l'ombre, tandis que le vi.sage (lu Flnrciilin se trouvait dans la lumière :

Vous à colle lieino ici, Renc'? lui dil-il.

Aurais-jo le niulhour do yènor Votre Majosloî

LA REINE MARGOT.

IZS

répondit le panumeur tu faisant un pas en ar- rière.

Non pas. Seulement, je désire savoir une chose.

Laquelle, sire?

Pensiez-vous me trouver ici?

J'en étais sûr.

Vous me cherchiez donc?

Je suis heureux de vous rencontrer, du moins.

Vous avez quelque chose à me dire, insista Henri.

Peut-être, sire, répondit Henri.

Charlotte rougit, car elle tremblait que cette ré- vélation, que semblait vouloir faire le parfumeur, ne fût relative à sa conduite passée envers Henri ; elle fit donc comme si, toute aux soins de sa toilette, elle n'eût rien entendu, et interrompant la conver- sation :

Ah ! en vérité, René, s"écria-t-elle en ouvrant la boîte d'opiat, vous êtes un homme charmant ; cette pâte est d'une couleur merveilleuse, et, puis- que vous voilà, je vais, pour vous faire honneur, expérimenter devant vous votre nouvelle produc- tion.

Et elle prit la boîte d'une main, tandis que de l'autre elle effleurait du bout du doigt la pâte rosée qui devait passer du doigt à ses lèvres.

René tressaillit.

La baronne approcha en souriant l'opiat de sa bouche.

René pilit.

Henri, toujours dans l'ombre, mais les yeux fixes et ardents, ne perdait ni un mouvement de l'une, ni un frisson de l'autre.

La main de Charlotte n'avait plus que quelques lignes à parcourir pour toucher ses lèvres lorsque René lui saisit le bras, au moment même Henri se levait pour en faire autant.

Henri retomba sans bruit sur son lit de repos.

Un moment, madame, dit René avec un sou- rire contraint. Mais il ne faudrait pas employer cet opiat sans quelques recommandations particulières.

Et qui me les donnera, ces recommandations?

Moi.

Quand cela?

Aussitôt que je vais avoir terminé ce que j'ai à dire à Sa Majesté le roi de Navarre.

Charlotte ouvrit de grands yeux, ne comprenant rien à cette espèce de langue mystérieuse qui se parlait auprès d'elle, et elle resta, tenant le pot d'o- piat d'une moin, et regardant l'extrémité de son doigt rougie par la pâte carminée.

Henri se leva, et, mii par une pensée, qui, comme toutes celles du jeune roi, avait deux côtés, l'un qui paraissait superficiel et l'autre qui était pro- fond, il alla prendre la main de Charlotte, et fit, toute rougie qu'elle était, un mouvement pour la porter à ses lèvres.

Un instant, dit vivement René, un instant! veuillez, madame, laver vos belles mains avec ce savon de Naples que j'avais oublié de vous envoyer en même temps que l'opiat, et que j'ai eu l'hon- neur de vous apporter moi-même.

Et, tirant de son enveloppe d'argent une tablette de savon de couleur verdâtre, il la mit dans un bassin de vermeil, y versa de l'eau, et, un genou en terre, présenta le tout à madame de Sauve.

Mais, en vérité, maître René, je ne vous re- connais plus, dit Henri ; vous êtes d'une galanterie à laisser loin de vous tous les muguets de la cour.

-Oh! quel délicieux arôme! s'écria Charlotte en frottant ses belles mains avec de la mousse na- crée qui se dégageait de la tablette embaumée.

René accomplit ses fonctions de cavalier servant jusqu'au bout ; il présenta une serviette de fine toile de Frise à madame de Sauve, qui essuya ses mains.

Et maintenant, dit le Florentin à Henri, faites à votre plaisir, monseigneur.

Charlotte présenta sa main à Henri, qui la baisa, et, tandis que Charlotte se tournait à demi sur son siège pour écouter ce que René allait dire, le roi de Navarre alla reprendre" sa place, plus convaincu que jamais qu'il se passait dans l'esprit du parfu- meur quelque chose d'extraordinaire.

Eh bien? demanda Charlotte. , Le Florentin parut rassembler toute sa résolution

et se tourna vers Henri.

136

LA REINE MARGOT.

F.l, un genou en tcrriî, piésenli lo (oui à madame de Sauve. Pa;e 135.

XXII

SmEl vous SEREZ ROI.

ire, (lit Roni'ï à Henri, je viens vous jtnrlcr d'une chose dont je m'occupe de- puis longtemps.

De parfums? dit Henri en souriant.

Eli liion ! oui, sire... de [Mirfums ! répondit Ucné

pvecun singulier signe d'iiequiescement.

Parle?., je vous écoute, c'est un sujet qui de tout temps m'a fort inléressi'.

René regarda Henri pour essayer de lire, malgré ses paroles, dans cette impénétrable pensée ; mais, voyant que c'était chose parfaitement inutile, il continua : Un de mes amis, siii\ arriv(> de Flo- rence; cet ami s'occupe beaucoup d'astrologie.

Oui, interrompit Henri, je sais quq c'est une passion florentine.

IK mim MARCOT.

137

^0*'^

parlez, je vous écoule. Page 136.

Il a, en œmpagnie des premiers savants du monde, tiré les horoscopes des principaux gentils- hommes de l'Europe.

Ah ! ah ! lit Henri.

Et, comme la maison de îîourbon est en tête des plus hautes descendant rrimme elle le fait du comte de Clermont, cinquiènie fils de saint Louis, Votre Majesté doit penser que le sien n'a pas été ou- blié.

Henri écouta plus attentivement encore.

Et vous vous souvenez de cet iioroscope? dit le

roi de Navarre avec un sourire qu'il essaya de ren- dre indifférent.

Oli ! reprit René en secouant la tête, votre ho- roscope n'est pas de ceux qu'on oublie.

En vérité! dit Henri avec un geste ironique.

Oui, sire. Votre Majesté, selon les termes de cet horoscope, est appelée aux plus brillantes desti- nées.

L'œil du jeune prince lança un éclair involon- taire qui s'éteignit presque aussitôt dans un nuage d'indifférence.

Pofi». Imp, de DnY alDi, boulmrl lUomiiirgaHs, S{,

138

LA r.EI>'E MAUGOT.

Tous ces oracles italiens sont flalteurs, dit Ilenri; or, qui Jit llalleurdit menteur. N'y en a-l-il pas qui m'ont prédit que je commanderais des ar- mées, moi !

Et il éclata de rire. Mais un observateur moins occupé de lui-même que ne l'était René eût vu et reconnu l'effort de ce rire.

Sire, dit froidement René, l'horoscope an- nonce mieux que cela.

Annonco-t-il qu'à la tête d'une de ces armées je gaf;nerai des batailles?

Mieux que cela, sire.

Allons, dit Henri, vous verrez que je serai conquérant.

Sire, vous serez roi.

Eli! venlre-saint-gris! dit Henri en répri- mant un violent battement de cœur, ne le suis-je point déjà?

Sire, mon ami sait ce qu'il promet; non-seu- lement vous serez roi, mais vous régnerez.

Alors, dit Henri avec son même ton railleur, votre ami a besoin de dix écus d'or, n'est-ce pas, René? car une pareille prophétie est bien ambi- tieuse, parle temps qui court surtout ; allons, René, comme je ne suis pas riche, j'en donnerai à votre ami cini| tout de suite, cl cinq autres quand la pro- phétie sera réalisée.

Sire, dit madame de Sauve, n'oubliez pas que vous êtes déjà engagé avec Dariolc, et ne vous sur- chargez pas de promesses.

Madame, dit Henri, ce moment venu, j'espère que l'on me traitera en roi, et que chacun sera fort satisfait si je tiens la moitié de ce que j'ai pro- mis.

Sire, reprit René, je continue...

Oh! ce n'est doue pas tout.' dit Henri, soit : si je suis empereur, je donne le double.

Sire, mon ami revint donc de Florence avec cet horoscope, qu'il renouvela à Paris, et (|ui donna toujours le même résultat, et il me confia un se- cret.

Un secret qui intéresse Sa Majesté? demanda vivement Charlotte.

Je le crois, dit le Florentin.

Il cherche ses mots, pensa Henri sans aider en rien René; il paraît que la chose est difficile à dire.

Alors, parlez, reprit la baronne de Sauve, de quoi s'agil-il(

H s'agit, dit le Florentin en pesant une à une toutes ses paroles, il s'agit de tous ces bruits d'eni- poisonnenunl qui ont couru depuis quchiiie Icuips à la cour.

Un léger gonflement de narines du roi de Na- varre fui le seul indice do son alionlion croissante 0 ce détour suhil que faisiiii la conversation.

El voire ami le Florentin, di* Henri, snil des nouvelles de ces cmpoisonncr.Qcnls?

Oui, sire.

Comment me confiez-vous un secret qui n'est pas le vùtre. René, surtout quand ce secret est sL important? dit Henri du ton le plus naturel qu'il put prendre.

Cet ami a un conseil à demander à Votre Ma- jesté.

A moi?

Qu'y a-t-il d'étonnant à cela, sire? rappelez- vous le vieux soldat d'Actium, qui, ayant un pro- cès, demandait un conseil à Auguste.

Auguste était avocat, René, et je ne le suis pas.

Sire, quand mon ami me confia ce secret, Votre Majesté appartenait encore au parti calviniste, dont vous étiez le premier chef, et M. de Condé le second.

Après? dit Henri.

Cet ami espérait que vous useriez de votre in- fluence toute-puissante sur M. le prince de Condé pour le prier de ne pas lui ôlre lioslile.

Ex[iliquez-nioi cela. René, si vous voulez que je le comprenne, dit Henri sans manifester la moin- dre altération dans ses traits ni dans sa voix.

Sire, Votre Majesté com|irendra au premier mol : cet ami sait toutes les particularités de la ten- tative d'empoisonnement essayée sur monseigneur le prince de Condé.

On a cssayéd'empoisonner le prince de Condé? demanda Henri avec un étonncraenl parfaitement joué; ah ! vraiment, et quand cela?

René regarda fixement le roi et répondit ces seuls mots :

Il y a huit jours, Majesté.

Quelque ennemi? di-manda le roi.

Oui. répondit René, un ennemi que Votre Ma- jesté connaît, et qui connaît Votre Majesté.

En effet, dit Henri, je crois avoir entendu parler de cela ; mais j'ignore les détails que votre ami veut me révéler, dites-vous.

Eh bien I une pomme de senteur fut offerte au prince de Condé; mais, par bonheur, son méde- cin se trouva chez lui quand on l'apporta. Il la prit des mains du messager et la fiaira pour en es.saycr l'odeur et la vertu. Deux jours après, une enfiure gangreneuse du visage, une exlravasation du sang, une plaie vive qui lui dévora la face, furent le prix de son dévouement ou le résultat de son impru- dence.

Malheureusement, répond!! Henri, étant déjà à moitié' catholique, j'ai perdu loiile iniluenro sur M. (le Condo; votre ami aurait donc tort de s'adres- ser !i moi.

Ce n'était pas seulement près du prince de Condé que Votre Majesté pouvait, parson infiucncc, être utile à mon ami, mais encore prés du prince de l'oiciau, frère de celui qui a ele eiiipoisonné.

Ah çà ! dit Ciiarlotlo, savcz-vous, Rend, que

LA P.EIM3 IIAP.GOT.

139

vos histoires sentent le trembleur! Vous sollicitez mal à propos. Il est tard, votre conversation est mortuaire. En vérité, vos parfums valent mieux.

Et Charlotte étendit de nouveau la main sur la boite d'opiat.

Madame, dit René, avant de l'essayer comme vous allez le faire, écoutez ce que les méchants en peuvent tirer de cruels effets.

Décidément, Uené, dit la baronne, vous êtes funèbre ce soir.

" Henri fronça le sourcil, mais il comprit que René voulait en venir à un but qu'il n'entrevoyait pas encore, et il résjlut de pousser jusqu'au bout celle conversation, qui éveillait en lui de si douloureux souvenirs.

Et, reprit-il, vous connaissez aussi les détails de l'empoisonnement du prince de Porcian?

Oui, dit-il. On savait qu'il laissait brûler cha- que nuit une lampe près de son lit; on empoisonna l'huile, et il fut asphyxié par l'odeur.

Henri crispa l'un sur l'autre ses doigts humides de sueur.

Ainsi donc, murmura-t-il, celui que vous nommez votre ami sait non-seulement les détails de cet empoisonnement, mais il en connaît l'au- teur?

Oui, et c'est pour cela qu'il eût voulu savoir de vous si vous auriez sur le prince de Porcian qui reste cette influence de lui faire pardonner au meurtrier la mort de son frère.

Malheureusement, répondit Henri, étant en- core à moitié huguenot, je n'ai aucune influence sur M. le prince de Porcian; votre ami aurait donc tort de s'adresser à moi.

Mais que pensez-vous des dispositions de M. le prince de Condé et de M. de Porcian?

Comment connaîtrais-je leurs dispositions, René ! Dieu, que je sache, ne m'a point donné le privilège de lire dans les cœurs.

Votre Majesté peut s'interroger elle-même, dit le Florentin avec caliue. N'y a-t-il pas dans la vie de Votre Majesté quelque événement si sombre qu'il puisse servir d'épreuve à la clémence, si douloureux qu'il soit une pierre de touche pour la générosité?

Ces mot furent prononcés avec un accent qui fit frissonner Charlotte elle-même : c'était une allu- sion tellement directe, tellement sensible, que la jeune femme se détourna pour cacher sa rougeur et pour éviter de rencontrer le regard de Henri.

Henri fit un suprême effort sur lui-même; il dés- arma son front, qui, pendant les paroles du Flo- rentin, s'était chargé de menaces, et changeant la noble douleur filiale qui lui étrcignait le cœur en vague méditation :

Dans ma vie, dit-il, un événement sombre... non, René, non; je ne me rappelle de ma jeunesse que la folie et l'insouciance mêlées aux nécessilci plus ou moins cruelles qu'imposent à tous les bo- soins de la nature et les épreuves de Dieu.

René se contraignit à son tour en promenant son attention de Henri à Charlotte, comme pour exciter l'un et retenir l'autre; car Charlotte, en effet, se remettant à sa toilette pour cacher la gêne que lui inspirait celte conversation, venait de nouveau d'é- tendre la main vers la boîte d'opiat.

Mais enfin, sire, si vous étiez le frère du prince de Porcian, ou le fils du prince de Condé, et qu'on eût empoisonné votre frère ou assassiné votre père...

Charlotte poussa un léger cri et approcha de nou- veau l'opiat de ses lèvres. René vit le mouvement; mais, cette fois, il ne l'arrêta ni de la parole ni du geste, seulement il s'écria :

Au nom du ciel, répondez, sire : sire, si vous étiez à leur place, que fcriez-vous?

Henri se recueillit, essuya de sa main tremblante son front perlaient quelques gouttes de sueur froide, et, se levant de toute sa hauteur, il répon- dit, au milieu du silence qui suspendait jusqu'à la respiration de René et de Charlotte :

Si j'étais à leur place et que je fusse sûr d'être roi, c'est-à-dire de représenter Dieu sur la terre, je ferais comme Dieu, je pardonnerais.

Madame, s'écria René en arrachant l'opiat des mains de madame de Sauve, madame, ren- dez-moi cette boîte; mon garçon, je le vois, s'est trompé en vous l'apportant : demain je vous en euvcriai une autre.

140

LA REINE aiARGOT.

XXIII

i;n NOCVF.Ai; cn\vKHTi.

e lendemain, il devait y avoir chasse à courre dans la forêt de Saint-Germain. Henri avait ordonné qu'on lui tînt prêt, pour f'^^^f^ liuit heures du matin, ?i&«S:-.-:-- ^ .. -'.v c'esî-ù-dire tout sellé et ià'-î^^ tout bridé, un petit cheval du Déarn, qu'il comptait donner à madame de Sauve, mais qu'auparavant il désirait essayer. A huit heures moins un quart, le cheval était appa- reillé. A huit heures sonnant, Henri descendait.

Le cheval, fier et ardent, malr;ré sa petite taille, dressait les crins et piaffait dans la cour. H avait fait froid, et un léger verglas couvrait la terre.

Henri s'apprêta à traverser la cour pour gagner le côté des écuries l'attendaient le cheval et le palefrenier, lorsqu'on passant devant un soldat ^uisse, en sentinelle à la porte, ce soldat lui pré- senta les armes en disant :

Dieu garde Sa Majesté le roi de Navarre '.

A ce souhait, et surtout à l'accent de la voix qui venait de l'émettre, le l'.éarnais tressaillit. Il se retourna et fit un pas en arriére.

De Mouy! murmura-t-il.

Oui, sire, de Mouy.

Que venez-vous faire iciï

Je vous cherche.

Que me voulez-vous?

Il faut que je parle à Votre Majesté.

Malheureux, dit le roi en se rapprochant de lui. ne sais-tu pas (jue tu risques ta têteï

Je le sais.

Eh bien?

Eh Lien ! me voilà.

Henri pâlit h'gérenicnt, car ce danger que cou- rail l'ardent jeune homme, il comprit (|u'il le [lar- lageait. H regarda donc avec inquiétude autniir de lui. et se recula une seconde fois, non moins vive- ment que la première.

11 venait d'apercevoir le duc (rAluiicoii a une fe- nêtre.

Changeant aussitêtt d'allure, Henri prit le mous- (|uct des mains de de Mouy, placé, comme nous l'a- vons dit, en sentinelle, et tout en ayant l'air de l'examiDer :

Le .Mouy, lui dit-il, ce n'est pas certainement sans un motif bien puissant que vous êtes venu ainsi vous jeter dans la gueule du loup'î

Non, sire. Aussi voilà huit que je vous guette. Hier seulement, j'ai appris que Votre Majesté devait essayer ce cheval ce matin, et j'ai pris poste à la porte du Louvre.

Mais comment sous ce costume?

Le capitaine de la compagnie est protestant et de mes amis.

Voici votre mousquet, remettez-vous à votre faction. On nous examine. En repassant, je tâche- rai de vous dire un mot; mais, si je ne vous parle point, ne m'arrêtez point. Adieu.

De Mouy reprit sa marche mesurée, et Henri s'a- vança vers le cheval.

Qu'est-ce que c'est que ce joli petit animal? demanda le duc d'Alençon de sa fenêtre.

Un cheval que je vais essayer ce matin, ré- pondit Henri.

Mais ce n'est point un cheval d'homme, cela.

Aussi était-il destiné à une belle dame.

Prenez garde, Henri, vous allez être indiscret, car nous allons voir cette belle dame à la chasse; et, si je ne sais pas de qui vous êtes le chevalier, je saurai au moins de qui vous êtes l'écuyer.

Eh ! mon Dieu non. vous ne le saurez pas, dit Henri a\ecsa feinte lionhomie, car cette belle dame ne pourra .sortir, étant fort indisposée ce malin.

Et il se mit en selle.

Ah bah ! dit d'Alençon en riant, pauvre ma- dame de Sauve !

François ! François ! c'est vous qui êtes indis- cret.

Et qu'a-t-elle donc, cette belle Charlotte? re- prit le duc d'Alcnçmi.

Mais, conliniia Henri en lançant son cheval au petit galop et en lui faisant décrire un cercle de manège, mais je ne sais trop, une grande lourdeur de tête, à ce i]ue m'a dit Dariole. une espèce d'en- gourdissement par tout le corps, unt^ fa ildes-sc gé- nérale, enfin.

Et cela vous empêcliera-i-il d'être des noires? demanda le duc.

Moi! et pourquoi ? reprit Henri, vous savei <juu

LA RELNE MARGOT.

441

«lliSli,

Qu'est-ce que c'est que ce joli petit aninal? Page 140.

je suis fou de la chasse à courre, et que rien n'au- rait cette influence de m'en faire manquer une.

Vous manquerez pourtant celle-ci, Henri, dit le duc après s'être retourné et avoir causé un in- stant avec une personne qui était demeurée invisi- ble aux yeux de Henri, attendu qu'elle causait avec son interlocuteur du fond de la chambre, car voici Sa Majesté qui me fait dire que la chasse ne peut avoir lieu.

Bah ! dit Henri de l'air le plus désappointé du monde. Pourquoi cela?

Des lettres fort importantes de M. de Nevers,

à ce qu'il paraît. Il y a conseil entre le roi, la reine mère et mon frère le duc d'Anjou.

Ah! ah! fit en lui-même Henri; serait-il ar- rivé des nouvelles de Pologne?

Puis tout haut :

En ce cas, continua-t-il, il est inutile que je me risque plus longtemps sur ce verglas. Au revoir, mon frère !

Et arrêtant le cheval en face de de Mouy :

Mon ami, dit-il, appelle un de tes camarades pour finir ta faction. Aide le palefrenier à dessan- gler ce cheval, mets la selle sur ta tête et porte-la

U2

LA REI>'E MARGOT.

chez l'orfcvre de la sellerie; il y a une broiJorie à y faire qu'il n'avait pas eu le temps d'achever pour aujourd'hui. Tu reviendras me rendre réponse chez moi.

De Mouy se hâta d'obéir, car le duc d'Alençon avait disparu de sa fenêtre, et il était évident qu'il avait conçu quelque soupçon.

En effet, a peine avait-il tourné le guichet, que le duc d'Alençon parut. Un véritable Suisse était à la place de de Mouy.

D'Alençon regarda avec une grande attention le nouveau factionnaire ; puis se retournant du côté de Henri :

Ce n'est point uvcc cet homme que vous cau- siez tout à l'heure, n'est-ce pas, mon frère?

L'autre est un garçon qui est de ma maison et que j'ai fait entrer dans les Suisses : je lui ai do?né une commission, et il est allé l'exécuter.

4h I fit le duc, comme si cette réponse lui suf- fisait. Jit Marguerite, comment va-t-elle?

Je vais le lui demander, mon frère.

Ne l'avez-vous donc point vue depuis hier?

Non, je me suis présenté chez elle cette nuit, vers onze heures, mais Gillonne m'a dit qu'elle était fatiguée et qu'elle dormait.

Vous ne la trouverez point dans son apparte- ment, elle est sortie.

Oui, dit Henri, c'est possible, elle devait aller au couvent de l'Annanciade.

H n'y avait pas moyen de pousser la conversation plus loin, Henri paraissant décidé seulement à ré- pondre.

Les deux beaux-frères se quittèrent donc, le duc d'Alençon pour aller aux nouvelles, disait-il, le roi de Navarre pour rentrer chez lui.

Henri y était 5 peine depuis cinq minutes lors- qu'il entendit frapper.

Qui est là'.' demanda-t-il.

Sire, répondit une voix que Henri reconnut pour celle de de Mouy, c'est la réponse de l'orfévro de la sellerie.

Henri, visiblement ému, lit entrer le jeune homme, et referma la porte derrière lui.

C'est vous, de Mouy! dit-il. J'espérais que vous réfléchiriez !

Sire, répondit de Mouy, il y a trois mois que je réfléchis, c'est assez; maintenant, il est temps d'agir.

Henri fit un mouvement d'inquiétude.

Ne craignez rien, sire. Nous sommes seuls et le me liàtc, car les moments sont précieux. Votre ïlajesté peut nous rendre, par un seul mol, tout ce que les événements de l'année ont fait perdre à la cause de la religion. Soyons clairs, soyons brefs, soyons francs.

J'écoule, mon bravo de Mouyl répondit Henri voyant qu'il lui était impossible d'éluder l'cxplica- tioQ.

Est-il vrai que Votre Majesté ait abjuré la re- ligion protestante?

C'est vrai, dit Henri.

Oui, mais est-ce des lèvres, est-ce du cœur?

On est toujours reconnaissant à Dieu quand il nous sauve la vie, répondit Henri tournant la ques- tion, comme il avait l'habitude de le faire en pareil cas, et Dieu m'a visiblement épargné dans ce cruel danger.

Sire, reprit de Mouy, avouons une chose.

Laquelle?

C'est que votre abjuration n'est point une af- faire de conviction, mais de calcul. Vous avez abjuré pour que le roi vous laissât vivre, et non parce que Dieu vous avait conservé la vie.

Quelle que soit la cause de ma conversion, de Mouy, répondit Henri, je n'en suis pas moins catho- lique.

Oui, mais le resterez-vous toujours? à la pre- mière occasion de reprendre votre liberté d'exis- tence et de conscience, ne la reprend rez-vous pas? Eh bien 1 celte occasion, elle se présente : la Ro- chelle est insurgée, le Roussillon et le Béarn n'at- tendent qu'un mot pour agir : dans la Guicnne, tout crie à la guerre. Dites-moi seulement que vous êtes un catholique forcé, et je vous réponds de l'avenir.

On ne force pas un gentilhomme de ma nais- sance, mon cher de Mouy. Ce que j'ai fait, je l'ai fait librement.

Mais, sire, dit le jeune homme, le cœur op- pressé de celte résistance à laquelle il ne s'atten- dait pas, vous ne songez donc pas qu'en agissant ainsi vous nous abandonnez... vous nous trahis- sez?...

Henri resta impassible.

Oui, reprit de Mouy, oui, vous nous trahissez, sire, car plusieurs d'entre nous sont venus, au pé- ril de leur vie, pour sauver votre honneur et votre liberté. Nous avons tout préparé pour vous donner un trône, sire, entendez-vous bien? Non-seulement la liberté, mais la puissance un trône à votre choix, car dans deux mois vous pourrez opter entre Navarre et France.

Do Mouy, dit Henri en voilant son regard, qui, maigri' lui. j cette proposition, avait jeté un éclair; de Mouy, je suis sauf, je suis catholique, je suis l'époux de Marguerite, je suis frère du roi Charlo.s, je suis gendre de ma bonne mère Catliorinr;. De Mouy. en prenant ces diverses positions, j'en ai cal- culé les chances, mais aussi les obligations.

Mais, sire, reprit de Mouy, à quoi faut-il croire? on mo dit que votre iiiariago n'est [)oint consommé, on me dit que vous êtes libre au fond du cœur, on me dit (|ue la haine de ("alhcrine...

Mensonge, mensonge, inlcrrompit vivement le Béarnais. Oui, l'on vous a trompé impudemment, mon ami. Celte chère Marguerite est bien ma femme; Calhcrino est bien ma mère : le roi Char-

LA REINE MARGOT.

143

les IX enfin est bien le seigneur et le maître de ma vie et de mon cœur.

.DeMouy frissonna, un sourire presque mépri- sant passa sur ses ièvrrs.

Ainsi donc, sire, dit-il en laissant retomber ses bras avec découragement et en essayant de son- der du regard cette àme pleine de ténèbres, voilà la réponse que je rapporterai à mes frères. Je leur dirai que le roi de Navarre tend sa main et donne son cœur à ceux qui nous ont égorgés, je leur dirai qu'il est devenu le flatteur de la reine mère etTami de Maurevel...

Mon cher de Mouy, dit llenri, le roi va sortir du conseil, et il faut que j'aille m'informer près de lui des raisons qui ont fait remettre une cbosc aussi importante qu'une partie de chasse. Adieu, imitez- moi, mon ami, quittez la politique, revenez au roi et prenez la messe.

Et llenri reconduisit ou plutôt repoussa jusqu'à l'anticlianibre le jeune homme, dont la stupéfaction commençait à faire place à la fureur.

A peine eut-il refermé la porte, que, ne pouvant résister à l'envie de se venger sur quelque chose à défaut de quelqu'un, de Mouy broya son chapeau entre ses mains, le jeta à terre, et le foulant aux pieds comme fait un taureau du manteau du ma- tador :

Par la mort! s'écria-t-il, voilà un misérable prince, et j'ai bien envie de me faire tuer ici pour le souiller à jamais de mon sang.

Chut, monsieur de Mouy! dit une voix qui se glissait par l'ouverture d'une porte entre-bàillée; chut! car un autre que moi pourrait vous en- tendre.

De Mouy se retourna vivement et aperçut le duc d'Âlençon enveloppé d'un manteau et avançant sa tête pâle dans le corridor pour s'assurer si de Mouy et lui étaient bien seuls.

M. le duc d'Alençon! s'écria de Mouy, je suis perdu.

Au contraire, murmura le prince, peut-être môme avez-vous trouvé ce que vous ciiercliez, et la preuve, c'est que je ne veux pas que vous vous fas- siez tuer ici comme vous en avez le dessein. Croyez- moi, votre sang peut être mieux employé qu'à rou- gir le seuil du roi de Navarre.

Et, à ces mots, le duc ouvrit toute grande la porte qu'il tenait entre-bàillée.

Celte chambre est celle de deux de mes gen- tilshommes, dit le duc, nul ne viendra nous relan- cer ici ; nous pourrons donc y causer en toute li- berté. Venez, monsieur.

Me voici, mouseigneurl dit le conspirateur stupéfait.

Et il entra dans la chambre, dont le duc d'Alen- çon referma la porte derrière lui non moins vive- ment que n'avait fait le roi de Navarre.

De' Mouy était entré furieux, exaspéré, mau-

dissant; mais, peu à peu, le regard froid et fixe du jeune duc François fit sur le capitaine iiuguenot l'effet de cette glace enchantée qui dissipe l'ivresse.

Monseigneur, dit-il, si j'ai bien compris. Vo- tre Altesse veut mo parler?

Oui, monsieur de .Mouy, répondit François. Malgré votre déguisement, j'avais cru vous recon- naître; et, quand vous avez présenté les armes à mon frère llenri, je vous ai reconnu tout à fait. Eh bien ! de Mouy, vous n'êtes donc pas content du roi de Navarre?

Monseigneur!

Allons, voyonsl parlez-moi hardiment. Sans que vous vous en doutiez, peut-être suis-je de vos amis.

Vous, monseigneur?

Oui, moi. Parlez donc.

Je ne sais que dire à Votre Altesse, monsei- gneur. Les choses dont j'avais à entretenir le roi de Navarre touchent à des intérêts que Votre Altesse ne saurait comprendre. D'ailleurs, ajouta de Mouy d'un air qu'il tâcha de rendre indifférent, il s'agis- sait de bagatelles.

De bagatelles? fil le duc.

Oui, monseigneur.

De bagatelles pour lesquelles vous avez cru de- voir exposer votre vie en revenant au Louvre, où, vous le savez, voire tcle vaut son pesant d'or! Car on n'ignore point, croyez-moi, que vous êtes, avec le roi de Navarre cl le prince de Condé, un des prin- cipaux chefs des huguenots.

Si vous croyez cela, monseigneur, agissez en- vers moi comme doit le faire le frère du roi Charles et le fils de la reine Catherine.

Pourquoi voulez-vous quej'agisse ainsi quand je vous ai dit que j'étais de vos amis? Dites-moi donc la vcrilc.

Monseigneur, dit de Mouy ^e vous jure...

Ne jurez pas, monsieur; la religion réformée défend de faire des serments, et surtout de faux serments.

De Mouy fronça le sourcil.

Je vous dis que je sais tout, reprit le duc. De Mouy continua de se taire.

Vous en douiez, reprit le prince avec une af- fectueuse insistance. Eh bien ! mon cher de Mouy, il faut vous convaincre! Voyons, vous allez ]u"er si je me trompe. Avez-vous ou non proposé à mon beau-frère llenri, là, tout à l'heure le duc éten- dit la main dans la direction de la chambre du Béarnais votre secours et celui des vôtres pour le réinstaller dans sa royauté de Navarre?

De Mouy regarda le duc d'un air effaré.

Propositions qu'il a refusées avec terreur. De Mouy demeura stupéfait.

Avez-vous alors invoqué votre ancienne ami- tié, le souvenir de la religion commune? Avez-

144

LA REîNE MÀUGOT.

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va.

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Est-ce ce que vous êlcs venu oroposcr au Béarnais?

vous iiirnir alors Icuffl' le roi do Navarre d'un espoir liicn brillynl si brillant qu'il en a été ébloui (le l'espoir d'allcinrlre à la couronne fie Franro? Ilein ? dites, suis-jc bien infurmé! Esl-rc ce que vous êlcs venu proposer au RiMmais?

Monseif^ncur! s'écria de Mouy, c'est si bien cela, que je me demande en ce moment même si je ni' dois pas dire à Votre Mlesse Roynle (pi'elle en a menti ! provoquer dans celte chambn- un combat sans merci, et assurer ainsi par la mort de l'un de nou': deux l'extinctinn de ce terrible secret !

Doucement, mon bra^c de Mouy, doucement!

dit le duc d'Alençon sans changer de visage, sans faire le moindre mouvement à celte terrible me- nace; le secret s'éteindra mieux entre nous, si nous vivons tous deux, que si l'un de nous meurt. Kcou- lez-moi et cessez de tourmenter ainsi la poipni'e de Votre épéc. Pour la troisième fois, je vous dis que vous ôtos avec un ami. Répondez donc comme à un ami. Voyons, le roi de Navarre n"a-t il pas refusé tout ce que vous avez offert?

Oui, monseiizniïur, et je l'avoue, puisque cet aveu ne peut compromettre que moi.

N'avcz-vous pas crié, on sortant de sa diam-

LA REINE MARGOT.

145

Qui va là? s'écria le duc. Page 147.

bre, et en feulant aux pieds votre chapeau, qu'il était un prince lâche et indigne de demeurer votre chef?

C'est vrai, monseigneur, j'ai dit cela.

Ah ! c'est vrai ! Vous l'avouez enfin f

Oui.

Et c'est toujours votre avis?

Plus que jamais, monseigneur !

Eh bien! moi, moi, monsieur de Mouy; moi, troisième fils de Henri II ; moi, fils de France, suis- je assez bon gentilhomme pour commander à vos soldats? voyons! et jugez-vous que je suis assez

l'en». Imp. lit BRÏ Uni, tooletart Muntparnuie.H

loyal pour que vous puissiez compter sur ma pa- role?

Vous, monseigneur! vous, le chef des hugue- nots !

Pourquoi pas? C'est l'époque des conversions, vous le savez. Henri s'est bien l'ait catholique; je puis bien me faire protestant, moi.

Oui, sans doute, monseigneur, aussi j'attends que vous m'expliquiez...

Rien de plus simple, et je vais vous dire en deux mots la politique de tout le monde. Mon frère Charles tue les huguenots pour régner plus

19

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LA REIKE MARGOT.

largement. Mon frère d'Anjou les laisse tuer parce qu'il doit succéder à mon frère Charles, et que, comme vous le savez, mon frère Charles est souvent malade. Mais moi... et c'est tout différent, moi qui ne régnerai jamais, en France du moins, attendu que ]'ai deux aînés devant moi ; moi que la haine de ma mère et de mes frères, plus encore que la loi de la nature, éloigne du trône ; moi qui ne dois préten- dre à aucune affection de famille, à aucune gloire à aucun royaume; moi qui cependant port^ un cœur aussi noble que mes aînés , eh bien ! de Mouy , moi, je veux chercher à me tailler avec mon épée un royaume dans cette France qu'ils couvrent de sang!

Or, voilà ce que je veux, moi, de Mouy, écoutez/ Je veux être roi de Navarre, non par la nais- sance, mais par l'élection. Et remarquez bien que vous n'avez aucune objection à faire à cela, car je ne suis pas un usurpateur, puisque mou frère re- fuse vos offres, et, s'envelissant dans sa torpeur, reconnaît hautement que ce royaume de Navarre n'est qu'une fiction. Avec Henri de Béarn, vous n'a- vez rien; avec moi, vous avez une épée et un nom. François d'Alençon, fils de France, sauvegarde tous ses compagnons ou tous ses complices, comme il vous plaira de les appeler. Eh bien 1 que dites-vous de cette offre, monsieur de Mouy ? Je dis qu'elle m'éblouit, monseigneur.

De Mouy, ic Mouy, nous aurons bien des ob- stacles à vaincre. Ne vous montrez donc pas dès l'a- bord si exigeant et si difficile envers un fils de roi et un frère de roi qui vient à vous.

Monseigneur, la chose serait déjà faite si j'é- tais seul à soutenir mes idées ; mais nous avons un conseil, et, si brillante que soit l'offre, peut-èlrc même à cause de cela, les chefs de parti n'y adhé- reront-ils pas sans condition.

Ceci est autre chose, et la réponse est d'un cœur honkîte et d'un es[]rit prudent. A la façon dont je viens d'agir, de Mouy, tous avez recon- naître ma probité. Traitez-moi donc de votre côté en homme qu'on estime et non en printe qu'on fiatte. De Mouy, ai-je des chances?

Sur ma parole, monseigneur, et puisque Vo- tre Altesse veut que je lui donne mon avis. Votre Altesse les a toutes depuis (|ue le roi do Navarre a refusé l'offre (|ue j'étais venu lui faire. Mais, je vous le répèle, monseigneur, me concerter avec nos chefs est chose indispensable.

Faites donc, monsieur! répondit d'Alençon. Seulement, à (juand la réponse?

De Mouy regarda le prince en silence. Puis, pa- raissant prendre une ri''si)liitii)ii ;

Monseigneur, dit il, donnez-moi votre main, j'ai besoin que cette main d'un (ils do Franco lou- che la uiienno pour être sûr que jo ne serai point trahi.

Le duc non-seulement tendit la main vers de Mouy, mais il saisit la sienne et la serra.

Maintenant, monseigneur, je suis tranquille, dit le jeune huguenot. Si nous étions trahis, je di- rais que vous n'y êtes pour rien. Sans quoi, mon- seigneur, et pour si peu que vous fussiez dans cette trahison, vous seriez déshonoré.

Pourquoi me dites-vous cela, de Mouy, avant de me dire quand vous me rapporterez la réponse de vos chefs ?

Parce que, monseigneur, en me demandant à quand la réponse, vous me demandez en même temps sont les chefs, et que si je vous dis : A ce soir, vous saurez que les chefs sont à Paris et s'y ca- chent.

Et, en disant ces mots, par un geste de défiance, de Mouy attachait son œil perçant sur le regard faux et vacillant du jeune homme.

Allons, allons, reprit le duc, il vous reste en- core des doutes, monsieur de Mouy. Mais je ne puis du premier coup exiger de vous une entière con- fiance. Vous me connaîtrez mieux plus lard. Nous allons être liés par une communauté d'intérêts qui vous délivrera de tout soupçon. Vous dites donc à ce soir, monsieur de Mouy?

Oui, monseigneur, car le temps presse. A ce soir. Mais cela, s'il vous plaît?

Au Louvre, ici, dans cette chambre, cela vous convient-il?

Cette chambre est habitée? dit de Mouy en montrant du regard les deux lits qui s'y trouvaient on face l'un de l'autre.

Par deux de mes gentilshommes, oui.

Monseigneur, il me semble imprudent, à moi, de revenir au Louvre. '

Pourquoi cela?

Parce que, si vous m'avez reconnu, d'autres peuvent avoir d'aussi bons yeux que Voire Altesse et me reconnaître à leur tour. Je reviendrai cepen- dant au Louvre si vous m'accordez ce que je vais vous demander.

Quoi?

Un sauf-conduit.

De Mouy, répondit le duc, un sauf-conduit de moi saisi sur vous me perd, et ne vous sauve pas. Je no puis pour vous quelque chose qu'à la condi- tion qu'à tous les yeux nous sommes complétomenl étrangers l'un à l'autre. La moindre relation de ma part avec vous, prouvée à ma nièro ou à mes frères, me coulerait la vie. Vous êtes donc sauve- gardé par mon propre intérêt du moment jo me serai compromis avec les autres, comme je me coin- promcls avec vous on ce momenl. Libre dans ma sphère d'action, fort si je suis inconnu, tant que je reste moi-même impcnclrablo, je vous garantis tous; ne l'oubliez pas. Faites donc un nouvel ap- pel à votre courage, tentez sur ma [larole ce que

LA REINE MARGOT.

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vous tentiez sans la parole de mon frère. Venez ce soir au Louvre.

Mais comment voulez-vous que j'y vienne ! Je ne puis risquer ce costume dans les appartements'. II était bon pour les vestibules et les cours. Le mien est encore plus dangereux, puisque tout le monde me connaît ici et qu'il ne me déguise aucunement.

Aussi, je cherche, attendez... Je crois que... oui, le voici.

En effet, le duc avait jeté les yeux autour de lui, et ses 3'eux s'étaient arrêtés sur la garde-robe d'ap- parat de la Mole, pour le moment étendue sur le lit, c'est-à-dire, sur ce magnifique manteau cerise brodé d'or dont nous avons déjà parlé, sur un lo- quet orné d'une plume blanche, entouré d'un cor- don de marguerites d'or et d'argent entremêlées, enfin sur un pourpoint de satin gris-perle et or.

^ Voyez-vous ce manteau, cette plume et ce pourpoint, dit le duc, ils appartiennent à M. de la Mole, un de mes gentilshommes; un muguet du meilleur ton. Cet habit a fait rage à la cour, et on reconnaît M. de la Mole à cent pas lorsqu'il le porte. Je vais vous donner l'adresse du tailleur qui le lui a fourni ; en le lui payant le double de ce qu'il vaut, vous en aurez un pareil ce soir. Vous retien- drez bien le nom de M. de la Mole, n'est-ce pas?

Le duc d'Alençon achevait à peine la recomman- dation, que l'on entendit un pas qui s'approchait dans le corridor, et qu'une clef tourna dans la ser- rure.

Eh! qui va là? s'écria le duc en s'élançant vers la porte et en poussant le verrou.

Pardieu, répondit une voix du dehors, je trouve la question singulière. Qui va vous-même? Voilà qui est plaisant, quand je veux rentrer chez moi on me demande qui va !

Est-ce vous, monsieur de la Mole?

Eh ! sans doute que c'est moi. Mais vous, qui êtes-vous?

Pendant que la Mole exprimait son étonnement de trouver sa chamb;'e habitée et essayait de décou- vrir quel en était le nouveau commensal, le duc d'Alençon se retournait vivement une main sur le le verrou, l'autre sur la serrure.

Connaissez-vous M. de la Mole? demanda-t-il à de Mouy.

Non, monseigneur.

Et lui, vous connaît-il?

Je ne le crois pas.

Alors, tout va bien ; d'ailleurs, faites sem- blant de regarder par la fenêtre.

De Mouy obéit sans répondre, car la Mole com- mençait à s'impatienter et frappait à tour de bras.

Le duc d'Alençon jeta un dernier regard vers de Mouy, et, voyant qu'il avait le dos tourné, il ouvrit.

Monseigneur le duc ! s'écria la Mole en recu- lant de surprise. Oh! pardon, pardon, monsei- gneur !

Ce n'est rien, monsieur. J'ai eu besoin de vo- tre chambre pour recevoir quelqu'un.

Faites, monseigneur! faites. Mais permettez, je vous en supplie, que je prenne mon manteau et mon chapeau, qui sont sur le lit; car j'ai perdu l'un et l'autre cette nuit sur le quai de la Grève, j'ai été attaqué de nuit par des voleurs.

En effet, monsieur, dit le prince en souriant et en passant lui-même à la Mole les objets deman- dés, vous voici assez mal accommodé; vous avez eu affaire à des gaillards fort entêtés, à ce qu'il pa- raît?

Et le duc passa lui-même à la Mole le manteau et le toquet. Le jeune homme salua et sortit pour changer de vêtement dans l'antichambre, ne s'in- quiétant aucunement de ce que le duc faisait dans sa chambre; car c'était assez l'usage au Louvre que les logements des gentilshommes fussent, pour les princes auxquels ils étaient attachés, des hôtelle- ries qu'ils employaient à toutes sortes de récep- tions.

De Mouy se rapprocha alors du duc, et tous deux écoutèrent pour savoir le moment la Mole aurait fini et sortirait; mais, lorsqu'il eut changé de cos- tume, lui-môme les tira d'embarras, car, s'appro- chant de la porte :

Pardon, monseigneur! dit-il ; mais Votre Al- tesse n'a pas rencontré en son chemin le comte de Coconas?

Non, monsieur le comte, et cependant il était de service ce matin.

Alors, on me l'aura assassiné, dit la Mole en se parlant à lui-même tout en s'éloignant.

Le duc écouta le bruit des pas qui allait s'affai- blissant; puis, ouvrant la porte et tirant de Mouy après lui ;

Regardez-le s'éloigner, dit-il, et tâchez d'imi- ter cette tournure inimitable.

Je ferai de mon mieux, répondit de Mouy. Malheureusement je ne suis point un damoiseau, mais un soldat.

En tout cas, je vous attends avant minuit dans ce corridor. Si la chambre de mes gentilshommes est libre, je vous y recevrai; si elle ne l'est pas, nous en trouverons une autre.

Oui, monseigneur.

Ainsi donc, à ce soir, avant minuit.

A ce soir, avant minuit.

Ah ! à propos, de Mouy, balancez fort le bras droit en marchant, c'est l'allure particulière de M. de la Mole.

148

LA REINE MRGOT.

XXIV

LA RUE TIZO.N" ET L.V UUE CLOCHE-PERCEE.

a Mole sortit ilu Louvre tout courant, et se mit à fureter dans Paris pour dé- couvrir le pauvre Coconas. Son premier soin fut de se rendre à la rue de l'Ar- bre-Sec, et d'entrer chez maître la Ilurière ; car la Mole se rappelait avoir souvent cité au Piémontais certaine devise latine qui tendait à prouver que l'Amour, Bacchus et Cérès sont des dieux de pre- mière nécessité, et il avait l'espoir que Coconas, pour suivre Taphorismc romain, se serait installé à la Belle-Étoile après une nuit qui devait avoir été pour son ami non moins occupée qu'elle l'avait été pour lui.

La Mole no trouva rien chez la Hurière, que le souvenir de l'ohligation prise et un déjeuner offert d'assez bonne grâce que notre gentilhorume accepta avec grand appétit malgré son inquiétude.

L'estomac tranquillisé à défaut de l'esprit, la Mole se remit en course, remontant la Seine, comme ce mari qui cherchait sa femme noyée. En arrivant sur le quai de la Grève, il reconnut l'emlroii où. ainsi qu'il l'avait dit à M. d'Alençon, il avait pen- dant sa course nocturne été arrêté trois ou quatre heures auparavant, ce qui n'était pas rare dans un Paris moins vieux de cent ans que celui Boileau se réveillait au bruit d'une balle perçant son volet. Ln petit morceau de la plume de son chapeau était resté sur le champ de iialaille. Le sentiment delà possession est inné chez riiomiue. La Mole ;iv,iit di\ plumes plus belles les unes que les autres: il ne s'arrêta pas moins à ramasser celle-là. ou plutôt le seul fragment qui en eût survécu, et le considérait d'un air pileux lorsque des pas alourdis retenti- rent, s'approchant de lui, et que des voix brutaie> lui ordonnèrent do se ranger. La Mole releva la têle et aperçut une litièn! préc('dée d(! deux [lage^; et acnimpagni'e d'un (MMiyer.

La Mole crut reronnailre la litière, et se rangea vivement.

Le jeune gentilhomme ne .s'é'iait pas trompé. Monsieur de la Mole'.' dit une voix pleine di' doueciir qui sortait de la litière, tandis qu'une main

blaiieiie et douce comme le satin écartait les ri- deaux.

Oui. madame, moi-même, répondit la Mole en s'inclinant.

M. de la Mole une plume à la main... conti- nua la dame à la litière : êtes-vous donc amoureux, mon cher monsieur, et retrouvez-vous ici des tra- ces perdues?

Oui, madame, répondit la Mole, je suis amou- reux, et très-fort; mais, pour le moment, ce sont mes propres traces que je retrouve quoique ce ne soient pas elles que je cherche ; mais Votre Majesté me permettra-t-elle de lui demander des nouvelles de sa santé?

Excellente, monsieur-, je ne me suis jamais mieux portée, ce me semble ; cela vient proliahlc- ment de ce que j'ai passé la nuit en retraite.

Ah ! en retraite! dit la Mole en regardant Mar- guerite d'un façon l'irange.

Eh bien! oui; qu'y a-t-il d'étonnant à cela?

Peut-on, sans indiscrétion, vous demander dans quel couvent?

Certainement, monsieur, je n'en fais pas mys- tère. Au couvent des Annonciades. Mais vous, que faites-vous ici avec cet air tout effarouché?

Madame, moi aussi, j'ai passé la nuit en re- traite et dans les environs du même couvent; ce malin je ciierche mon ami. (|ui a disparu, et, en le dierchant, j'ai retrouvé cette plume.

Qui vient de lui? Mais, en vérité, vous m'ef- frayez sur S(m compte, la place est mauvaise.

Qu(! Votre Majesté se rassure, la plume vient de moi; je l'ai perdue vers cinq heures et demie sur cette place, en me sauvant des mains de quatre bandits qui me voulaient;! toute force assassiner, à <■!• (pie je puis croire du moins.

Marguerite n-prinia un vif mouvement d'effroi.

Oh ! contez-moi cela ! dit-elle.

Uien de plus simple, mailame. Il élail donc, ciiuime j'avais riionneiir de le direà Votre Maji'^lé, cinq lu'ures du matin à peu prés...

El, à cin(| heures du malin, inlerroinpit Mar- guerite, vous étiez déjà sorti?

Votre Maje<t(' m'excusera, dit la Mole, je n'é- tais pas encore rentré.

LA T,V.iyE MAIIGOT.

H9

Lorsque quatre tire-lainc ont dtbouclic de la rue de la Mortellerie.

Ah ! monsieur la Mole ! rentrer à cinq heu- res du malin ! dit Marguerite avec un sourire qui pour tous était malicieux et que la Mole eut la fa- tuité de trouver adorable, rentrer si tard! vous aviez mérité cette punition.

Aussi, je ne me plains pas, madame, dit la Mole en s'inclinant avec respect, et, j'eusse été éven- tré, que je m'estimerais encore plus heureux cent fois que je ne mérite de l'être. Mais, enfin, je ren- trais tard ou de bonne heure, comme Votre Majesté voudra, de cette bienheureuse maison j'avais passé la nuit en retraite, lorsque quatre tire-laine

ont débouché de la rue de la Mortetlerie et m'ont poursuivi avec des coupe-choux démesurément longs. C'est grotesque, n'est-ce pas, madame I mais, enfin, c'est comme cela ; il m'a fallu fuir, car j'a- vais oublié mon épée.

Oh! je comprends! dit Marguerite avec un air d'admirable naïveté, et vous retournez chercher vo- tre épée?

La Mole regarda Marguerite comme si un doute se glissait dans son esprit.

Madame, j'y retournerais effectivement, et même trés-volontiers, attendu que mon épée est une

150

LA REINE MARGOT.

excellente lame, mais je ne sais pas est celte maison.

Coniment, monsieur ! reprit Marguerite, vous ne savez pas est la maison vous avez passé la nuit?

Non, madame, et que Satan m'extermine si je m'en cloute!

Oh ! voilà qui est singulier ! C'est donc tout un roman que votre histoire?

Un véritable roman, vous l'avez dit, madame.

Contez-la-moi.

C'est un peu long.

Qu'importe! j'ai le temps.

Et fort incroyable surtout.

Allez toujours, je ne suis on ne peut plus cré- dule.

Votre Majesté l'ordonne?

Mais oui, s'il le faut.

J'obéis. Hier soir, après avoir quitté deux adorables femmes avec lesquelles nous avions passé la soirée sur le pont Saint-Michel, nous soupions chez maître la Ilurière?

D'abord, demanda Marguerite avec un naturel parfait, qu'est-ce que maître la Hurière?

Maître la Hurière, madame, dit la Mole en re- gardant une seconde fois Marguerite avec cet air de doute qu'on avait déjà pu remarquer une pre- mière fois chez lui, maître la Hurière est le maî- tre d'hôtellerie de la Belle-Étoile située rue de l'Ar- bre-Sec.

Bien. Je vois cela d'ici... Vous soupiez donc chez maître la Hurière avec votre ami Coconas .sans doute?

Oui, madame, avec mon ami Coconas, quand un homme entra et nous remit à chacun un billet.

Pareil? demanda Marguerite.

Exactement pareil.

Et qui contenait?

Cette ligne spulenient :

(t Voutètes attendu rue Saint-Antoine, en face de la rue de Jouy. »

Et pas de signature au bas de ce billot? de- manda Marguerite.

Non; mais trois mots, trois mots charmants qui promettaient trois fois la même chose, c'est-à- dire un triple bonheur.

Et quels étaient ces trois mots?

Eros, (Aip'ulo, Amor.

En effet, ce sont trois doux noms; et ont-ils tenu co qu'ils promettaient?

Oh! plus madame, cent fois plus! s'écria la Mole avec enthnusinsme.

Continuez; je suis curieuse de savoir ce qui vous attendait rue Snint-Antoino, en faco la rue do Jouy.

Deux duègnes avec rhnciinc un mouchoir à la main. 11 s'agissait de nous laisser bander les yeux. Votre Majcstii devine (|ue nous n'y finies point de

difficulté. Nous tendîmes bravement le cou. Mon guide me fit tourner à gauche, le guide de mon ami le fit tourner à droite, et nous nous séparâmes.

Et alors?... continua Marguerite, qui parais- sait décidée à pousser l'investigation jusqu'au bout.

Je ne sais, reprit la Mole, mon guide con- duisit mon ami. En enfer, peut-être. Mais, quant à moi, ce que je sais, c'est que le mien me mena en un lieu que je tiens pour le paradis.

Et d'où vous fit sans doute chasser votre trop grande curiosité?

Justement, madame, et vous avez le don de la divination. J'attendais le jour avec impatience pour voir j'étais, quand, à quatre heures et demie, la même duègne est rentrée, m'a bandé de nouveau les yeux, m'a fait promettre de ne point chercher à soulever mon bandeau, m'a conduit dehors, m'a accompagné cent pas, m'a fait encore jurer de n'û- ter mon bandeau que lorsque j'aurais compté jus- qu'à cinquante. J'ai compté jusqu'à cinquante, et je me suis trouvé rue Saint-Antoine, en face de la rue de Jouy.

Et alors...

Alors, madame, je suis revenu tellement joyeux, que je n'ai point fait attention aux quatre misérables des mains desquels j'ai eu tant de mal à me tirer. Or, madame, continua la Mole, en retrou- vant ici un morceau de ma plume, mon cœur a tressailli de joie, et je l'ai ramassé en me promet- tant à moi-même de le garder comme un souvenir de cette heureuse nuit Mais, au milieu de mon bon- heur, une chose me tourmente, c'est ce que peut être devenu mon compagnon.

Il n'est donc pas rentré au Louvre?

Hélas! non, madame! Je l'ai cherché partout il pouvait être, à l'Etoile-d'Or, au jeu de paume, et en quantité d'autres lieux iionorables; mais d'Annibal point, et de Coconas pas davantage...

En disant ces paroles, et en les accompagnant d'un geste lamentable, la Mole ouvrit les bras cl écarta .son manteau, sous lequel on vit bâiller à di- vers endroits son pourpoint qui montrait, comme autant d'élégants crevés, la doublure par les ac- crocs.

Mais vous avez été criblé, dit Marguerite.

Criblé, c'est le mot! dit la Mole, qui n'était pas fàdui de se faire un mérite du danger qu'il avait couru. Voyez, madame! voyez!

Comment n'avcz-vous pas changé de pour- point au Louvre, puisque vous y êtes retourné? de- manda la reine.

Ah! dit la Mole, c'est qu'il y avait quelqu'un dans ma chambre?

Comment 1 quelqu'un dans votre rhamhre! dit Marguerite, dont les yeux exprimèrent le plus vif ('toiincment ; et (|ui donc était dans votre cham- bn^?

Son Altesse.

LA REINE MRGOT.

151

Chut! interrompit Marguerite. Le jeune homme obéit.

Qui ad leclkam ineam stant? demanda-t-elle à la Mole.

Duo pucri et nuits equcs.

Optime, fcar^ari.' dit-elle. Die, Moles, quem inveneris in cubiculo luo?

Franciscùm duccm

Ageniem?

Nescio quid.

Quo cum?

Cumignoto (1).

C'est bizarre, dit Marguerite. Ainsi, vous n'a- vez pu retrouver Coconas ? continua-t-elle sans son- ger évidemment à ce qu'elle disait.

Aussi, madame, comme j'avais l'honneur de le dire à Votre Majesté, j'en meurs véritablement d'inquiétude.

Eh bien! dit Marguerite en souriant, je ne veux pas vous distraire plus longtemps de sa re- cherche, mais je ne sais pourquoi j'ai l'idée qu'il se retrouvera tout seul ! N'Importe, allez toujours.

Et la reine appuya un doigt sur sa bouche. Or, comme la belle Marguerite n'avait confié aucun se- cret, n'avait fait aucun aveu à la Mole, le jeune homme comprit que ce geste charmant, ne pouvant avoir pour but de lui recommander le silence, de- vait avoir une autre signification.

Le cortège se remit en marche, et la Mole, dans le but de poursuivre son investigation, continua de remonter le quai jusqu'à la rue du Long-Pont, qui le conduisit dans la rue Saint-Antoine.

En face de la rue de Jouy, il s'arrêta.

C'était que, la veille, les deux duègnes leur avaient bandé les yeux, à lui et à Coconas. 11 avait tourné à gauche, puis il avait compté vingt pas; il recommença le même manège et se trouva en face d'une maison, ou plutôt d'un mur, derrière lequel s'élevait une maison ; au milieu de ce mur était une porte à auvent garnie de clous larges et de meur- trières.

La maison était située rue Cloche-Percée, petite rue étroite qui commence à la rue Saint-Antoine et qui aboutit à la rue du Roi de Sicile.

Par la sambleu! dit la Mole, c'est bien là... j'en jurerais... En étendant la main, comme je sor- tais, j'ai senti les clous de la porte, puis j'ai des- cendu deux degrés. Cet homme qui courait en criant : A l'aide! et qu'on a tué rue du Roi de Si-

(1) Qui est à ma portière?

Deux pages et un écuycr.

Bon ! ce sont des barbares. Dites-moi, La Mole, qui avez- vous trouvé dans votre chambre?

Le duc François.

Faisant?

Je ne sais quoi.

Avec.

Avec un inconnu.

cile, passait au moment je mettais le pied sur le premier. Voyons.

La Mole alla à la porte et frappa.

La porte s'ouvrit, et une espèce de concierge à moustache vint ouvrir.

Was ist dus? demanda le conci'îrge.

.\h! ah! fit la Mole, il me parait que nous sommes Suisse. Mon ami, continua-t-il en prenant son air le plus charmant, je voudrais avoir mon épée, que j'ai laissée dans cette maison, j"ai passé la nuit.

Icli versteke niclit, répondit le concierge.

Mon épée... reprit la Mole.

Icli verstehe niclit, répéta le concierge.

... Que j'ai laissée... Mon épéé, que j'ai lais- sée...

Icli versteke niclil.

... Dans cette maison j'ai passé la nuit.

Gelizum Teufel...

Et il lui referma la porte au nez.

Mordieu ! dit la Mole, si j'avais cette épée que je réclame, je la passerais bien volontiers à travers le corps de ce drôle-là... Mais je ne l'ai point, et ce sera pour un autre jour.

Sur quoi, la Mole continua son chemin jusqu'à la rue du Roi de Sicile, prit à droite, fit cinquante pas à peu près, prit à droite encore et se trouva rue Tizon, petite rue parallèle à la rue Cloche-Percée, et en tous points semblable. Il y eut plus : à peine eut-il fait trente pas, qu'il retrouva la petite porte à clous larges, à auvent et à meurtrières, les deux degrés et le mur. On eût dit que la rue Cloche-Per- cée s'était retournée pour le voir passer.

La Mole réiléchit alors qu'il avait bien pu pren- dre sa droite pour sa gauche, et il alla frapper à cette porte pour y faire la même réclamation qu'il avait faite à l'autre. Mais cette fois , il eut beau frapper, on n'ouvrit même pas.

La Mole fit et refit deux ou trois fois le même tour qu'il venait de faire, ce qui l'amena à s'arrêter à cette idée toute naturelle, que la maison avait deux entrées, l'une sur la rue Cloche-Percée et l'autre sur la rue Tizon.

Mais ce raisonnement, si logique qu'il fût, ne lui rendait pas son épée, et ne lui apprenait pas était son ami.

Il eut un instant l'idée d'acheter une autre épée et d'éventrer le misérable portier qui s'obstinait à ne parler qu'allemand ; mais il pensa que si ce por- tier était à Marguerite, et que si Marguerite l'avait choisi ainsi, c'est qu'elle avait ses raisons pour cela, et qu'il lui serait peut-être désagréable d'en être privée.

Or, la Mole, pour rien au monde, n'eût voulu faire une chose désagréable à Marguerite.

De peur de céder à la tentation, il reprit donc vers les deux heures de l'après-midi le chemin du Louvre.

152

LA lŒINE MRGOT.

\)nc femme enveloppée dans un long manteau sortit par celte porte.

Comme son appartemimt n'était point ociMipi- cette fois, il put rentrer chez lui. La chose était as- sez urgente rchitivciiieiit au pourpoint, (pii, comme le lui avait fait oiisi ivcr la reine, ('tait considi'ra- blement (li'Klriori'.

Il s'a\ança donc, incoiiliiunl vers son lit pour miIi stituer le beau ]iourpoint gris-perle à celui-là. Mais. à son grand ('toniieiiient. la ijremière chose qu'il aperçut prés du p(jMrpoint gris-perle fut celle fa- meuse épée ([u'il avait pissée rue Cloche-Percée.

I,a Mole la pril. la tourna et la retourna : celait Lien elle.

Ail! ah! lit-il, est-ce qu'il y aurait quelque magie là-dessous? Puis avec un soupir : Ah! si le pauvre Coconas se pouvait retrouver comme mon

ép('e !

lieux ou trois heures après que la Mole avait cessé sa ronde circulair(> tout autour de la petite maison double, la porte de la rue Tiznn s'ouvrit, il était cinq heures du soir à peu prés, et par conséquent nuit fermée.

Une femme, enveloppée dans un long manteau garni de fourrures, accompagnée d'une suivante, '•orlit par celle porte, que lui tenait ouverte une

LA REINE MARGOT.

153

lin jeune lionuiie, les yeu« Ij.iiiciés, sorlait par la iiièiiie porte do la iiicme polile i

duègne d'une quarantaine d'années, se glissa lapi- dement^usqu'à la rue du Roi de Sicile, frappa à une petite porte de l'hùtel d'Argenson qui s"ou\rit devant elle, sortit par la grande porte du même liù- lel, qui donnait Vieille rue du Temple, alla gagner une petite poterne de Thûtel de Guise, l'ouvrit avec UDe clef qu'elle avait dans sa poche, et disparut.

Une demi-heure après, un jeune homme, les yeux l-andés, sortait par la même porte de la même pe- tite maison, guidé par une femme qui le conduisit &u coin de la rue Geoffrov-Lasnier et de la Mortel-

rar'8. •- loip. de DRV allié, boulovar'. M^iHi-aVoiSse, 81»

lene. La. elle l'invita à compter jusqu'à cinquante et à ôter son bandeau .

Le jeune homme accomplit scrupuleusement la recommandation, et, au chiffre convenu, ôta le mouchoir qui lui couvrait les yeux.

Mordi ! s'écria-t-il en regardant tout autour de lui, si je sais je suis, je veux être pendu! Six heures! s'écria-l-il en entendant sonner l'horloge de Notre-Dame. Et ce pau\*e la Mole, que peut-il être devenu? Courons au Louvre, peut-être en saura-t-on des nouvelles.

20

154

LA REINE MARGOT.

Et, ce disant, Coconas descendit tout courant la rue de la Mortellerie, et arriva aux portes du Lou- vre en moins de temps qu'il n'en eût fallu à un cheval ordinaire; il bouscula et démolit sur son passage cette haie mobile des braves bourgeois qui se promenaient paisiblement autour des boutiques de la place Baudoyer, et entra dans le palais.

Là, il interrogea suisse et sentinelle. Le suisse croyait bien avoir vu entrer M. de la Mole le matin, mais il ne l'avait pas vu sortir. La sentinelle n'était que depuis une heure et demie et n'avait rien vu.

11 monta tout courant à la chambre et en ouvrit la porte précipitamment; mais il ne trouva dans la chambre que le pourpoint de la Mole tout lacéré, ce qui redoubla encore ses inquiétudes.

Alors il songea à la Iluriére et courut chez le di- gne hôtelier de la Belle-Étoile. La Iluriére avait vu la Mole ; la Mole avait déjeuné chez la Iluriére. Co- conas fut donc entièrement rassuré, et, comme il avait grand' faim, il demanda à souper à son tour.

Coconas était dans les deux dispositions nécessai- res pour bien souper, il avait l'esprit rassuré et l'es- tomac vide ; il soupa donc si bien, que son repas le conduisit jusqu'à huit heures. Alors, réconforté par deux bouteilles d'un petit vin d'Anjou qu'il aimait fort et qu'il venait de sabler avec une sensualité qui se trahissait par des clignements d'yeux et des cla- pcments de langue réitérés, il se remit à la recher- che de la Mole, accompagnant cette nouvelle explo- ration à travers la foule de coups de pied et de coups de poing proportionnés à l'accroissement d'a- mitié que lui avait inspiré le bien-être qui suit tou- jours un bon repas.

Cela dura une heure; pendant une heure, Coco- nas parcourut toutes les rues avoisinaut le quai de la Grève, le port au charbon, la rue Saint-Antoine et les rues Tizon et Cloche-Percée, il pensait que son ami pouvait être revenu. Enfin, il comprit qu'il y avait un endroit par lct[ucl il fallait qu'il [inssàt, c'était le guichet du Louvre, et il résolut de l'aller attendre sous ce guichet jusqu'à sa rentrée.

11 n'était plus qu'à cent pas du Louvre, et remet- tait sur ses jambes une femme dont il avait déjà renversé le mari, place Saint-Germain-l'Auxcrrois, lorsqu'à l'horizon il aperçut devant lui, à la clarté douteuse d'un grand fanal dresse près du pont-le- vis du Louvre, le manteau de velours cerise et la plume blanche do son ami, qui, dt'jà pareil à une ombre, disparaissait sous le yuichel en rendant le salut à la sentinelle.

Le fameux manteau cerise avait fait tant d'effet de par le monde, qu'il n'y avait pas ù s'y tromper.

--Eh! mordit s'écria Coconas; c'est bien lui celle fois et le voilà IJ[\\ rentre. Ehl oli! la Mole, ch! notre ami. Peste! j'ai p{)nrlaiit une bonne voix. Corumcnlbe fait-il donc qu'il ne m'ait pas entendu?

Mais, par bonheur, j'ai aussi bonnes jambes que bonne voix, et je vais le rejoindre.

Dans cette espérance, Coconas s'élança de toute la vigueur de ses jarrets, arriva en un instant au Louvre; mais, quelque diligence qu'il eût faite, au moment il mettait le pied dans la cour, le man- teau rouge, qui paraissait fort pressé aussi, dispa- raissait sous le vestibule.

Ohé ! la Mole ! s'écria Coconas en reprenant sa course attends-moi donc; c'est moi, Coco- nas! Que diable as-tu donc à courir ainsi? Est-ce que tu te sauves, par hasard?

En effet, le manteau rouge, comme s'il eût eu des ailes, escaladait le second étage plutôt qu'il ne le montait.

Ah ! tu ne veux pas m'attendre! cria Coconas. Ah ! tu m'en veux ! ah ! tu es fâché ! Eh bien ! au diable, mordi! quanta moi, je n'en puis plus.

C'était du bas de l'escalier que Coconas lançait cette apostrophe au fugitif, qu'il renonçait à suivre des jambes, mais qu'il continuait à suivre de l'œil à travers la vis de l'escalier et qui était arrivé à la hauteur de l'appartement de Marguerite. Tout à coup une femme sortit de cet appartement et prit celui que poursuivait Coconas par le bras.

Oh! oh ! fit Coconas, cela m'a tout l'air d'être la reine Marguerite. Il était attendu. Alors, c'est autre chose, je comprends qu'il ne m'ait pas ré- pondu.

Et il se coucha sur la rampe, plongeant son re- gard par l'ouverture de l'escalier.

Alors, après quelques paroles à voix basse, il vit le manteau cerise suivre la reine chez elle.

Bon, bon ! dit Coconas, c'est cela ! Je ne me trompais point. Il y a des moments la présence de notre meilleur ami nous est importune, et ce cher de la Mole est dans un de ces moments-là.

Et Coconas, montant doucement les escaliers, s'assit sur un banc de velours qui garnissait le pa- lier même, en se disant :

Soit, au lieu de le rejoindre, j'attendrai, oui ; mais, ajouta-t-il, j'y pense, il est chez la reine de Navarre, de sorte que je pourrais bien attendre longleiiips... Il fait froid, mordi! Allons, allons! j'attendrai aussi bien dans ma chambre. Il fau- dra toujours bien qu'il y rentre, quand le diable y serait.

Il achevait à peine ces paroles et commençait à mettre à exécution la résolution qui en (-lait lo ré- sultat, lorsqu'un pas allègre et léger retcntil au- dessus de sa tête, accompagné d'une petite chanson si familière à son ami, que (loconas lendil aussitôt lorou vers le côté d'où venait le bruit ilii pas et de la chanson. C'était la Mole qui descendait de l'étage supérieur, celui élait sitU('e sa chainlire. et qui. apercevant Coronns, se mit à sauter quatre à quatre les escaliers qui lo .<;éparaicni encore de lui, cl, celle opération terminée, se jeta dans ses bras.

LA REINE MARGOT.

455

Oh! mordi! c'est toi! dit Coconas. Et par diable es-tu donc sorti?

Eh ! par la rue Cloche-Percée, pardieu !

Non, je ne dis pas de la maison là-has.. .

Et d"où?

De chez la reine.

De chez la reine'?...

De chez la reine de Navarre.

Je n'y suis pas entré.

Allons donc!

Mon cher Annibal. dit la Mole, tu déraison- nes. Je sors de ma chambre, je t'attends depuis deux heures.

Tu sors de ta chambre?

Oui.

Ce n'est pas toi que j'ai poursuivi sur la place du Louvre?

Quand cela?

A l'instant même. Non.

Ce n'est pas toi qui as disparu sous le guichet ily a dix minutes?

Non.

Ce n'est pas toi qui viens de monter cet esca- lier comme si tu étais poursuivi par toute une lé- gion de diables?

Non.

Mordi ! s'écria Coconas, le vin de la Belle- Étoile n'est point assez méchant pour m'avoir tourné à ce point la tête. Je te dis que je viens d'apercevoir ton manteau cerise et ta plume blanche sous le gui- chet du Louvre, que j'ai poursuivi l'uK et l'autre

jusqu'au bas de cet escalier, et que ton manteau, ton plumeau, tout, jusqu'à ton bras qui fait le ba- lancier, était attendu ici par une dame que je soup- çonne fort d'être (a reine de Navarre, laquelle a en- traîné le tout par cette porte, qui, si je ne me trompe, est bien celle de la belle Marguerite.

Mordieu! dit la Mole en pâlissant, y aurait-il déjà trahison?

A la bonne heure! dit Coconas. Jure tant que tu voudras, mais ne me dis plus que je me trompe.

La Mole hésita un instant, serrant sa tête entre ses mains et retenu entre son respect et sa jalousie; mais sa jalousie l'emporta, et il s'élança vers la porte, à laquelle il commença à heurter de toutes ses forces, ce qui produisit un vacarme assez peu convenable eu égard à la majesté du lieu l'on se trouvait.

Nous allons nous faire arrêter, dit Coconas, mais n'importe, c'est bien drôle. Dis donc, la Mole, est-ce qu'il y aurait des revenants au Louvre?

le n'en sais rien, dit le jeune homme, aussi pâle que la plume qui ombrageait son front; mais j'ai toujours désiré en voir, et, comme l'occasion s'en présente, je ferai de mon mieux pour me trou- ver face à face avec celui-là.

Je ne m'y oppose pas, dit Coconas, seulement, frappe un peu moins fort si tu ne veux pas l'effa- roucher.

La Mole, si exaspéré qu'il fût, comprit la justesse de l'observation, et continua de frapper, mais plus doucement.

i'jQ

LA REINE MARGOT.

XXV

I.n MANTEAU CKBISE.

oronas ne sV'tait point trompé. La daipe qui avait arivté le eavalier au man- teau cerise était bien la reine de Navarre; quant au cavalier au manteau ce- rise, notre lecteur a déjà deviné, je présume, qu'il n'était autre que le bravo de Mouy.

En reconnaissant la reine de Navarre, le jeune huguenot comprit qu'il y avait quelque méprise, mais il n'osa rien dire, dans la crainte qu'un cri de Marguerite ne le trahit. Il préféra donc se laisser amener jusque dans les appartements, quitte, une fois arrivé là, à dire à sa belle conductrice :

Silence pour silence, madame.

En effet, Marguerite avait serré doucement le bras de celui que, -dans la demi-obscurité, elle avait pris pour la Mole, et, se penchant à son oreille, elle lui avait dit en latin :

Sola snni; hitroitc, cnrissime (1).

De Mouy, sans répondre, se laissa guider; mais, à peine la porte se fut-elle refermée derrière lui. et se trouva-t-il dans ranticliambro mieux éclairée que l'escalier, que Marguerite reconnut que ce n'é- tait point la Mole.

Ce petit cri qu'avait redouté le prudent huguenot échappa en ce moment à lïarguerite ; heureusement il n'i'tait l'Ius à craindre.

Monsieur de Mouy ! dit-elle en reculant dHin

pas.

Moi-même, madame, et je supplie Votre Ma- jesté de me laisser libre de continuer mon cliomin sans rien dire à personne de ma pn'sence an Lou- vre.

Oh ! monsieur de Mouy! répéta Marguerite, jo m'étais donc troinpi'c!

Oui, dit de Mouy, je comprends, Votre Majesté

m'aura pris pour le roi de Navarre ; c'est la même taille, la même plume blanche, et beaucoup, qui voulaient me flatter sans doute, m'ont dit la nv'me tournure.

Marguerite regarda fixement de Mouy.

(1) Je suis «culc; enlrci, mon très-cher.

Savez-vou5 le latin, monsieur de Mouy? de- manda-t-elle.

Je l'ai su autrefois, répondit le jeune homme, mais je l'ai oublié.

Marguerite sourit.

Monsieur de Mouy, dit-elle, vous pouvez être Sûr de ma discrétion. Cependant, comme je croia savoir le nom de la personne que vous cherchez au Louvre, je vous offrirai mes .«ervices pour vous gui- der siirement vers elle.

Excusez-moi, madame, dit de Mouy, je crois que vous vous trompez, et qu'au contraire vous ignorez complètement...

Comment! s'écria Marguerite, ne cherchez- vous pas le roi de Navarre?

Hélas! madame, dit de Mouy, j'ai le regret de vous prier d'avoir surtout à cacher ma présence au Louvre à Sa Majesté le rui votre époux.

Écoutez, monsieur de Mouy, dit Marguerite surprise, je vous ai tenu jusqu'ici pour un des plus fermes chefs du parti huguenot, pour un des plus fidèles partisans du roi mon mari ; me suis-je donc trompée?

Non, madame, car co matin encore j'étais tout ce que vous dites.

Et pour quelle cause avez-vous changé depuis ce matin ?

Madame, dit de Mouy en s'indinant, veuillez me dispenser de répondre, et faites-moi la grâce d'agréer mes hommages.

Et de Mouy, dans une attitude respectueuse, mais ferme, fil quelques pas vers la porte par la- quelle il était entré.

.Marguerite l'arrêta.

- Cependant, monsieur, dit-elle, si j'osais vous demander un mot d'explication ; ma parole esl bonne, ce me semble?

- Madame, répondit de Mouy, je dois me taire, et il faut que ce dernier devoir soit bien réel pour que je n'aie point encore répondu à Votre Majesté.

Cependant, monsieur.,.

Votre Mnjeslo peut mo perdre, madame ; mais elle ne peut exiger que je lrahis,se mes nouveaux amis.

LA REINE MARGOT.

457

Votre Majesté peut me perdre, madame. Page 156.

Mais les anciens, monsieur, n'nnt-ils pas aussi quelques droits sur vous?

Ceux qui sont restés fidèles, oui ; ceux qui non-seulement nous ont abandonnes, mais encore se sont abandonnés eux-mêmes, non.

Marguerite, pensive et inquiète, allait sans doute répondre par une nouvelle interrogation quand soudain Gillonne s"élani;a dans Tappartement.

Le roi do Navarre '. cria-t-elle.

Par vient-il ?

Par le corridor secret.

Faites sortir monsieur par l'autre porte.

Impossible, madame. Entendez-vous?

On frappe.

Oui à la porte par laquelle vous voulez que je fasse sortir monsieur.

Et qui frappe?

Je ne sais.

Allez voir, et me le revenez dire.

Madame, dit de Mouy, oserai-je faire observer à Votre Majesté que, si le roi de Navarre me voit à lotte heure et sous ce costume au Louvre, je suis

[lêldu? ^

158

LA REINE MARGOT. .

Marguerite saisit de Mouy, et l'cnlraînant vers le fameux cabinet :

Entrez ici, monsieur, dit-elle; vous y êtes aussi bien caché et surtout aussi garanti que dans votre maison même, car vous y êtes sur la foi de ma parole.

De Mouy s'y élança précipitamment , et à peine la porte était-elle refermée derrière lui, que Henri parut.

Cette fois, Marguerite n'avait aucun trouble à ca- cher; elle n'était que sombre, et l'amour était à cent lieues de sa pensée.

Quant à Henri, il entra avec cette minutieuse dé- fiance qui, dans les moments les moins dangereux, lui faisait remarquer jusqu'aux plus petits détails; à plus forte raison, Henri était-il profondément ob- servateur dans les circonstances il se trouvait.

Aussi vit-il à l'instant même le nuage qui obscur- cissait le front de Marguerite.

Vous étiez occupée, madame? dit-il.

Moi, mais oui, sire, je rêvais.

Et vous aviez raison, madame; la rêverie vous sied. Moi aussi, je rêvais; mais, tout au contraire de vous, qui recherchez la solitude, je suis descendu exprès pour vous faire part de mes rêves.

Margu^ite fit au roi un signe de bienvenue, et, lui montrant un fauteuil, elle s'assit elle-même sur une chaise d'ébène sculptée fine et forte comme de l'acier.

11 se fit entre les deux époux un instant de si- lence : puis, rompant ce silence le premier :

Je me suis rappelé, madame, dit Henri, que mes rêves sur l'avenir avaient cela de commun avec les vôtres, que, séparés comme époux, nous dési- rions cependant l'un et l'autre unir notre fortune.

C'est vrai, sire.

Je crois avoir compris aussi que, dans tous les plans que je pourrai faire d'élévation commune, vous m'avez dit que je trouverais en vous non-seu- lement une fidèle, mais encore une active alliée.

Oui, sire, et je no demande qu'une chose, c'est qu'en vous mettant le plus vite possible à l'œu- vre vous me donniez bientôt l'occasion de m'y mettre aussi.

Je suis heureux de vous trouver dans ces dis- positions, madame, et je crois que vous n'avez pas douté un instant que je perdisse de vue le plan dont j'ai résolu l'exécution le jour même où, grâce à votre courageuse intervention, j'ai été à peu prè.s RÛr d'avoir la vie .sauve.

Monsieur, je crois qu'en vous l'insouciance n'est qu'un masque, et j'ai foi non-seulement dans les prédictions des astrologues, mais encore dans votre génie.

(Jue diriez-vous donc, madame, si quelqu'un venait se jeter à la traverse de nos plans et nous menaçait de nous réduire, vous et moi, à un ctnt médiocre?

Je dirais que je suis prête à lutter avec vous, soit dans l'ombre, soit ouvertement, contre ce quel- qu'un, quel qu'il fût.

Madame, continua Henri, il vous est possible d'entrer à toute heure, n'est-ce pas, chez M. d'A- lençon votre frère ; vous avez sa confiance, et il vous porte une vive amitié. Oserai-je vous prier de vous informer si, dans ce moment même, il n'est pas en conférence secrète avec quelqu'un ;

Marguerite tressaillit.

Avec qui, monsieur? demanda-t-elle.

Avec de Mouy.

Pourquoi cela? demanda Marguerite en répri- mant son émotion.

Parce que, s'il en est ainsi, madame, adieu tous nos projets, tous les miens du moins.

Sire, parlez bas, dit Marguerite en faisant à la fois un signe des yeux et des lèvres et en désignant du doigt le cabinet.

Oh ! oh ! dit Henri ; encore quelqu'un? En vé- rité, ce cabinet est si souvent habité, qu'il rend vo- tre chambre inhabitable.

Marguerite sourit.

Au moins, est-ce toujours M. de la Mole? de- manda Henri.

Non, sire, c'est M. de Mouy.

Lui? s'écria Henri avec une surprise mêlée de joie ; il n'est donc pas chez le duc d'Alençon, alors? Oh 1 faites-le venir que je lui parle...

Marguerite courut au cabinet, l'ouvrit, et, pre- nant de Mouy par la main, l'amena sans préambule devant le roi de Navarre.

Ah ! madame, dit le jeune huguenot avec un accent de reproche plus triste qu'amer, vous me trahissez, malgré votre promesse, c'est mal . Que di- riez-vous si je me vengeais en disant...

Vous ne vous vengerez pas, de Mouy, inter- rompit Henri eu serrant la main du jeune homme, ou du moins vous m'écouterez auparavant. Madame, continua Henri en s'adressant à la reine, veillez, je vous prie, à ce que personne ne nous écoute.

Henri achevait à peine ces mots que Gillonne ar- riva tout effarée et dit à l'oreille de Marguerite quelques mots qui la firent bondir de son siège. Pendant qu'elle courait vers l'antirhambre avec Gillonne, Henri, sans .s'inquiéter de la cause qui l'appelait hors de l'appartement, visitait lo lit, la ruelle, les tapisseries, et sondait du doigt les mu- railles. Quant à M. de Mouy, effarouché de tous ces préambules, il s'assurait préalablement que son épée ne tenait pas au fourreau.

Marguerite, en sortant de .sa chambre à coucher, s'était élancée dans ranlicbaiiibre et s'i'lait trouvée en face de la Mole, lequel, nialgn' toutes les prières do Gillonne, voulait à toute fnrro entrer chez Mar- guerite.

Coconas se tenait derrière lui, prêt à le pousser en avant ou îi soutenir la retraite.

LA REINE MARGOT.

159

Ahl c'e<t vous, monsieur de la Mole, s'écria la reine, mais qu'avez-N ous donc, et pourquoi êtes- vous aussi pâle et tremblant?

Madame, dit Gillonne, M. de la Mole a frappé à la porte de telle sorte, que, malgré les ordres de Votre Majesté, j'ai été forcée de lui ouvrir.

Oh! oh! qu'est-ce donc que cela? dit sévère- ment la reine; est-ce vrai ce qu'on me dit là, mon- sieur de la Mole?

Madame, c'est que je voulais prévenir Votre Majesté qu'un étranger, un inconnu, un voleur peut-être, s'était introduit chez elle avec mon man- teau et mon chapeau.

Vous êtes fou, monsieur, dit Marguerite, car je vois votre manteau sur vos épaules, et je crois, Dieu me pardonne, que je vois aussi votre chapeau sur votre tête lorsque vous parlez à une reine.

Oh! pardon, madame, pardon! s'écria la Mole en se découvrant vivement, ce n'est cependant pas. Dieu m'en est témoin, le respect qui me manque.

Non, c'est la foi, n'est-ce pas? dit la reine.

Que voulez-vous? s'écria la Mole ; quand un homme est chez Votre Majesté, quand il s'y in- troduit en prenant mon costume, et peut-être mon nom, qui sait?...

Un homme ! dit Marguerite en serrant douce- ment la main du pauvre amoureux ; un homme ! . . . Vous êtes modeste, monsieur de la Mole. Approchez votre tête de l'ouverture de la tapisserie et vous ver- rez deux hommes.

Et Marguerite entr'ouvrit, en effet, la portière de velours brodé d'or, et la Mole reconnut Henri causant avec l'homme au manteau rouge : Coconas, curieux comme s'il se fût agi de lui-même, regarda aussi, et vit et reconnut de Mouy ; tous deux demeurèrent stupéfaits.

Maintenant que vous voilà rassuré, à ce que j'espère du moins, dit Marguerite, placez-vous à la porte de mon appartement, et, sur votre vie, mon cher la Mole, ne laissez entrer personne. S'il ap- proche quelqu'un du palier même, avertissez.

La Mole, faible et obéissant comme un enfant, sortit en regardant Coconas, qui le regardait aussi, et tous deux se trouvèrent dehors sans être bien Wl^ venus de leur ébahissement.

De Mouy! s'écria Coconas.

Henri! murmura la Mole.

De Mouy, avec ton manteau cerise, ta plume blanche et ton bras en balancier.

Ah çà! mais... reprit la Mole, du moment qu'il ne s'agit pas d'amour, il s'agit certainement de complot.

Ah! mordi ! nous voilà dans la politique, dit Coconas en grommelant. Heureusement que je ne vois point dans tout cela madame de Nevers.

Marguerite revint s'asseoir près des deux interlo- cuteurs ; sa disparition n'avait duré qu'une minute,

et elle avait bien utilisé son temps. Gillonne, en ve- dette du passage secret, les deux gentilshommes en faction à l'entrée principale, lui donnaient toute sé- curité.

Madame,, dit Henri, croyez-vous qu'il soit pos- sible, par un moyen queleon([ue, de nous écouter et de nous entendre?

Monsieur, dit Marguerite, celte chambre est matelassée, et un double lambris me répond de son assourdissement.

Je m'en rapporte à vous, répondit en souriant Henri.

Puis, se retournant vers de Mouy :

Voyons, dit le roi à voix basse et comme si, malgré l'assurance de Marguerite, ses craintes ne s'étaient pas entièrement dissipées, que venez-vous faire ici?

Ici? dit de Mouy.

Oui, ici, dans cette chambre, répéta Henri.

l\ n'y venait rien faire, dit Marguerite; c'est moi qui l'y ai attiré.

Vous saviez donc?...

J'ai deviné tout.

Vous voyez bien, de Mouy, qu'on peut devi- ner.

Monsieur de Mouy, continua Marguerite, cinit ce matin avec le duc François dans la chambre de deux de ses gentilshftnmes.

Vous voyez bien, de Mouy, répéta Henri, qu'on sait tout.

C'est vrai, dit de Mouy.

J'en étais sûr, dit Henri, que M. d'Alencon s'était emparé de vous.

C'est votre faute, sire. Pourquoi avez-vous re- fusé si obstinément ce que je venais vous offrir?

Vous avez refusé ! s'écria Marguerite. Ce refus que je pressentais était donc réel ?

Madame, dit Henri secouant la tête, et toi, mon brave de Mouy, en vérité, vous me faites rire avec vos exclamations. Quoi! un homme entre chez moi, me parle de trône, de révolte, de bouleverse- ment, à moi, à moi Henri, prince toléré pourvu que je porte le front humble, huguenot épargné à la condition que je jouerai le catholique, et j'irais ac- cepter quand ces propositions me sont faites dans une chambre non matelassée et sans double lam- bris ! Ventre-saint-gris ! vous êtes des enfants ou des fous!

Mais, sire, Votre Majesté ne pouvait-elle me laisser quelque espérance, sinon par ses paroles, du moins par un geste, par un signe?

Que vous a dit mon beau-frère, de Mouy? de- manda Henri.

Oh ! sire, ceci n'est point mon secret.

Eh ! mon Dieu, reprit Henri avec une certaine impatience d'avoir affaire à un homme qui compre- nait si mal ses paroles, je ne vous demande pas quelles sont les propositions qu'il vous a faites, je

IGÛ

LA iii:im: ^îargot.

Henri soiulaii, liu Joigl le» murailles. 1'*i;e 158,

VOUS Hniuindii sfiiili'iiicnt s'il écoulail. s'il a cii- tcndii.

Il éooiilnit, sire. iH il a iMili'nilu.

Il écoutait, et il a crilcnilu! vous le dilis vuiis-

niriTHS (le Mouy. l'ainrc coiispiraliMir ([ue vous Ctes! si j'avais dit un mot, \(ius l'ticz [lerdu. Car, si je ne savais poitit, ji^ nie doutais, du moins, qu'il était là, et, sinon lui, (iue|r|ue autre, le duc d'An- jou, (iliarles IN, la n^ine inèrc; vous no connaissez pas les murs du Louvre, de Mnn\ ; c'est pour eux qu'a été fait le jirovi^rbe (|ue les nuirs ont des oreil- les, cl, connaissanl ces niurs-là, j'oussc parlé! Al-

lons, allons, de Mouy. vous faites peu d'honneur au lion sens du roi di\ Navarre, et j(^ m'étonne que. no le mettant pas jilus haut dans votre esprit, vous soyez venu lui offrir une couronne.

Mais, sire, reiirit encore de Mouy, ne pouvie?.- vous, tout en refusant celle couronne, me faire un signe? .le n'aurais pas cru lonl désespéré, tout perdu,

- Kli ' \enirosainl-gris' s'écria Henri, s'il éc(Ui- tait, ne |iouviiit-il pas aussi luen \oir, i>l n'est-on pas perdu par un signe comme jiar une iiarole? Te- nez, do Mouy, coulinua lo roi en regardant autour

LA mm: iMaugot.

K>!

£::zj^.

£jitei!éâ£i.

lit, venlre-ijiiil-ïris! s'écrui Henri, s'il éfjulait? P*c.t 100.

de lui, à cettL' heure, si près de vous ijue mes pa- roles ne francliissent pas le cerde de nos trois chai- ses, je crains encure d'être entendu quand je dis : Do Mouy, répète-moi tes propositions.

Mais, sire, s'écria de Mouy au désespoir, main- tenant je suis engagé avec M. d'Alencon.

Marguerite fi'appu Tune contre l'aiUre. et avec dépit, ses deux belles mains.

Alors, il est donc trop tard? dit-elle.

Au contraire, murmura Henri, coinprcixz donc qu'en cela même la protection de Dieu est vi- sible. Reste engagé, de Mouy, car, ce duc François,

c'est notre salut à tous. Crois-tu donc (juo le rui de Na\arre garantirait vus têtes? au contraire, mal- heureux ! Je vous fais tuer tous jusqu'au dernier, et cela sur le moindre soupçon. Mais un fils de France, c'est autre chose. Aie des preuves, de Mouy, demande des garanties; mais, niais que lu es, tu le seras engagé de cœur, et une parole t'aura suffi. *

Oh! sire, s'écria de Mouy, c'est le désespoir du votre abandon, croyez-le bien, ([ui m'a jeté dans les bras du duc; c'est aussi la crainte d'être trahi, car il teuait notre secret.

Pirii. ■. inip. lie DRÏ iXxik, bouisstri Slsnifaioasse, Si.

21

162

LA REINE MARGOT.

Tiens donc le sien à ton tour, de Mouy, cela dépend de toi. Quedésire-t-il? Être roi de Navarre! Promets-lui la couronne. Que veut-il? Quitter la cour? Fournis-lui les moyens de fuir, travaille pour lui, de Mouy, comme si tu travaillais pour moi, di- rige le bouclier pour qu'il pare tous les coups qu'on nous portera. Quand il faudra fuir, nous fuirons à deux; quand il faudra combattre et régner, je ré- gnerai seul.

Déficz-vous du duc, dit Marguerite, c'est un esprit sombre et pénétrant, sans haine comme sans amitié, toujours prêt à traiter ses amis en ennemis. et ses ennemis en amis.

Et, dit Henri, il vous attend, de Mouy?

Oui, sire.

cela?

Dans la chambre de ses deux gentilshommes.

A quelle heure?

Jusqu'à minuit.

Pas encore onze heures, dit Henri ; il n'y a point de temps perdu, allez, de Mouy.

Nous avons votre parole, monsieur, dit Mar- guerite.

Allons donc, madame, dit Henri avec cette confiance qu'il savait si bien montrer avec certaines personnes et dans certaines occasions, avec M. de Mouy ces choses-là ne se demandent même point.

Vous avez raison, sire, répondit le jeune homme; mais moi j'ai besoin de la vôtre, car il faut que je dise aux chefs que je l'ai reçue. Vous n'èles point catlioli(iue, n'est-ce pas?

Henri haussa les épaules.

Vous ne renoncez pas à la royauté de Na- varre?

Je ne renonce à aucune royauté, de Mouy;

seulement, je me réserve de choisir la meilleure, c'est-à-dire celle qui sera le plus à ma convenance et à la vôtre.

Et si, en attendant. Votre Majesté était arrê- tée, Votre Majesté promet-elle de ne rien révéler, au cas même l'on violerait par la torture la ma- jesté royale?

De Mouy, je le jure sur Dieu.

Un mot, sire. Comment vous reverrai-je?

Vous aurez, dès demain, une clef de ma chambre ; vous y entrerez, de Mouy, autant de fois qu'il sera nécessaire et aux heures que vous vou- drez. Ce sera au duc d'Âlençon de répondre de vo- tre présence au Louvre. En attendant, remontez par le petit escalier; je vous servirai de guide. Pen- dant ce temps-là, la reine fera entrer ici le manteau rouge, pareil au vôtre, qui était tout à l'heure dans l'antichambre. 11 ne faut pas qu'on fasse une diffé- rence entre les deux et qu'on sache que vous êtes ilouble, n'est-ce pas, de Mouy, n'est-ce pas, ma- dame?

Henri prononça ces derniers mots en riant et en regardant Marguerite.

Oui, dit-elle sans s'émouvoir; car enfin, ce monsieur de la Mole est au duc mon frère.

Eli bien! lâchez de nous le gagner, madame, dit Henri avec un sérieux parlait. N'épargnez ni l'or ni les promesses. Je mets tous mes trésors à sa disposition.

Alors, dit Marguerite avec un de ces sourires qui n'appartiennent qu'aux femmes de lioccace; puisque tel est votre désir, je ferai de mon mieux pour le seconder.

Bien, bien, madame; et vous, de Mouy, re- tournez vers le duc et enferrez-le.

^

LA REINE BIARGOT.

163

XXVI

MARGARITA.

ondam la conversation que nous venons de rapporter, 'Jf la Mole et Coconas mon- taient leur faction; la Mole un peu chagrin, Coconas un peu inquiet.

C'est que la Mole avait eu le temps de réllccliir, et que Coconas l'y avait merveilleusement aidé.

Que penses-tu de tout cela, notre ami? avait demandé la Mole à Coconas.

Je pense, avait répondu le Piémontais, qu'il y a dans tout cela quelque intrigue de cour.

Et, le cas échéant, es-tu disposé à jouer un rôle dans cette intrigue?

Mon cher, répomlit Coconas, écoute hien ce que je te vais dire, et tâche d'en faire ton profil. Dans toutes ces nipnées princlères, dans toutes ces machinations royales, nous ne pouvons, et, surtout, nous ne devons passer que comme des ombres : le roi de Navarre laissera un morceau de sa plume et le duc d'AIençon un pan de son manteau, nous laisserons notre vie, nous. La reine a un caprice pour toi et toi une fantaisie pour elle, rien de mieux. Perds la tète en amour, mon cher, mais ne la perds pas en politique.

C'était un sage conseil. Aussi fut-il écouté par la Mole avec la tristesse d'un homme qui sent que, placé entre la raison et la folie, c'est la folie qu'il va suivre.

Je n'ai point une fantaisie pour la reine, An- nibal, je l'aime; et, malheureusement ou heureu- sement, je l'aime de toute mon àme. C'est de la fp- lie, me diras-tu. Je l'admets, je suis fou. Mais toi qui es un sage, Coconas, tu ne dois pas souffrir de mes sottises et de mon infortune. Va-t'en retrouver notre maître et ne te compromets pas.

Coconas réfléchit un instant, puis, relevant la tête :

Mon cher, répondit-il, tout ce que tu dis est parfaitement juste, ta es amoureux, agis en amoureux. Moi, je suis ambitieux, et je pense en cette qualité que la vie vaut mieux qu'un baiser de femme. Quand je risquerai ma vie, je ferai mes conditions. Toi, de ton côté, pauvre Médor, tâehe de faire les tiennes.

Et sur ce, Coconas tendit la main à la Mole, et partit après avoir échangé avec son compagnon un dernier regard et un dernier sourire.

11 y avait dix minutes à peu prés qu'il avait quitté son poste, lorsque la porte s'ouvrit, et que Marguerite, paraissant avec précaution, vint pren- dre la Mole par la main, et, sans dire une seule parole, l'attira du corridor au plus profond de son appartement, fermant elle-même les portes avec un soin qui indiquait l'importance de la conférence qui allait avoir lieu.

Arrivée dans la chambre, elle s'arrêta, s'assit sur sa chaise d'ébène, et attirant la Mole à elle en en- fermant ses deux mains dans les siennes :

Maintenant que nous sommes seuls, lui dit- elle, causons sérieusement, mon grand ami.

Sérieusement, madame? dit la Mole.

Ou amoureusement... voyons ! cela vous va- t-il mieux? il peut y avoir des choses sérieuses dans l'amour et surtout dans l'amour d'une reine.

Causons alors... de ces choses sérieuses, mais à la condition que Votre Majesté ne se fâchera pas des choses folles que je vais lui dire.

Je ne me fâcherai que d'une, la Mole, c'est si vous m'appelez madame ou Majesté. Pour vous, très-cher, je suis seulement Marguerite.

Oui, Marguerite! oui, Margarita! oui, ma perle ! dit le jeune homme en dévorant la reine de son regard.

Bien comme cela, dit Marguerite; ainsi vous êtes jaloux, mon beau gentilhomme?

Oh ! à en perdre la raison.

Encore!..

A en devenir fou, Marguerite.

Et jaloux de qui ? voyons !

De tout le monde.

Mais enfin?

Pu roi d'abord.

Je croyais que, après ce que vous avez vu et entendu, vous pouviez être tranquille de ce côté-là.

De ce M. de Mouy que j'ai vu ce matin pour la première fois, et que je trouve ce soir si avant dans votre intimité.

De M. de Mouy?

Oui.

464

LA REINE MARGOT.

-"Et qui vous donne ces soupçons sur M. do Mouy?

Écoutez... J8 l'ai reconnu à sa taille, à la couleur de ses cheveux, à un sentiment naturel de haine, c'est lui qui ce matin était chez M. d'Aten- çon .

Eh bien! quel rapport cela a-t-il avec moi?

M. d'Alençon est votre frère ; on dit que vous l'aimez beaucoup; vous lui aurez conté une vague pensée de votre cœur; et lui, selon l'habitude de la cour, il aura favorisé votre désir en introduisant près de vous M. de Mouy. Maintenant, comment ai-je été assez heureux pour que le roi se trouvât en même temps que lui ; c'est ce que je ne puis savoir; mais, en tout cas, madame, soyez franche avec moi ; à défaut d'un autre sentiment, un amour comme le mien a bien le droit d'exiger la franchise en retour. Voyez, je me prosterne à vos pieds. Si ce que vous avez éprouvé pour moi n'est que le ca- price d'un moment, je vous rends votre foi, votre promesse, votre amour, je rends à M. d'Alençon ses bonnes grâces et ma charge de gentilhomme, et je vais me faire tuer au siège de la Rochelle, si toute- fois l'amour ne m'a pas tué avant que je puisse ar- river jusque-là.

.Marguerite écouta en souriant ces paroles pleines de charme, et suivit des yeux cette action pleine de grâces; puis, penchant sa belle tête rêveuse sur sa main brûlante :

Vous m'aimez'.' dit-elle.

Uh! madame, plus que ma vie, plus que mon salut, plus que tout ; mais vous. vous... vous ne m'aimez pas!

Pauvre fou! murmura-t-elle.

Eh! oui, madame, .s'écria la Mole toujours â .ses pieds, je vous ai dit (jue je l'étais.

La première affaire de votre vie est donc vo- tre amour, cher la Mole'.'

C'est la seule, madame, c'est l'unique.

Eh bien! soit; je ne ferai do tout le reste qu'un accessoire de cet amour. Vous m'aimez : vous voulez demeurer près de moi'!

Ma seule prière à Dieu est qu'il ne m'éloigne jamais de vous.

Eh bien! vous ne me (luitleroz pas; j'ri be- soin de vous, la Mole.

Vous avez besoin de moi, le soleil a besdiu ilu ver luisant !

Si je vous (lis que je vous aime, me serez-voiis entièrement di'voui' !

Eh! ne le suis-je pfiinl di'jà. madami'l d tout entier?

Oui mais vous Jo'.Ucz encore. iHcu me pardonne I

Oh 1 j'ai tort, je siisi ingi at ou plutôt, comme je vous l'ai dit cl comme ovus l'avez ri<péi(', je suis un fou. Mais pourquoi M. de Mouy l'iait-il chez vous ce soir? pourquoi l'ai-jo vu ce malin chez

M. le duc d'Alençon? pourquoi ce manteau cerise, cette plume blanche, cette affectation d'imiter ma tournure?... Ah! madame, ce n'est pas vous que je soupçonne, c'est votre frère.

Malheureux! dit Marguerite, malheureux qui croit que le duc François pousse la complaisance jusqu'à introduire un soupirant chez sa sœur! In- sensé qui se dit jaloux et qui n'a pas deviné! Sa- vez-vous, la Mole, que le duc d'.\lençon demain vous tuerait de sa propre épée s'il savait que vous êtes là, ce soir, à mes genoux, et qu'au lieu devons chasser de cette place je vous dis : Restez là, comme vous êtes, la Mole; car je vous aime, mon beau gentilhomme : entendez-vous, je vous aime! Eh bien! oui, je vous le répète, il vous tuerait!

Grand Dieu ! s'écria la Mole en se renversant en arrière et en regardant Marguerite avec effroi, serait-il possible?

Tout est possible, ami, en notre temps et dans cette cour. Maintenant, un seul mot : ce n'était pas pour moi que M. de Mouy, revêtu de votre man- teau, le visage cach(' sous votre feutre, venait au Louvre. C'était pour M. d'Alençon. Mais, moi, je n'étais pas prévenue, je l'ai pris pour vous, je lai amené ici, croyant que c'était vous. Il tient notre secret, la Mole, il faut donc le ménager.

.l'aime mieux le tuer, dit la Mole, c'est plus court et c'est plus sûr.

Et moi, mon brave gentilhomme, dit la reine, j'aimemieux qu'il vive, etque vous sachiez tout, car sa vie nous est non-seulement utile, mais nécessaire. Ecoulez et pesez bien vos paroles avant de me ré- pondre : m'aimez-vous assez, la .Mole, pour vous ré- jouir si je devenais véritablement reine, c'est-à- dire maîtresse d'un véritable roj'aume?-

Hélas! madame, je vous aime assez pour dé- sirer ce que vous désirez, ce désir dùt-iU'aire le malheur de toute ma vie!

Eh bien ! voulez-vous m'aider à réaliser ce (b'sir, qui vous rendra .plus heureux encore?

Oh! je vous perdrai, madame! s'écria In Mole en cachant sa tête dans ses mains.

-^ Non pas, au comraire; au lieu d'èin» le pre- mier de mes serviteurs, vous deviendrez le premier de mes sujets. Voilà tout.

Oh! pas d'intérêt... pasd'ambition, madame... ni' souillez pas vous-même le senlinient ()ue j'ai pour vous... du dévouement, rien que du di'voue- uumt!

Noble nature! dit Marguerite. Eh bien! oui, je laccepie. Ion dévouement, et je saurai le recon- naître.

El elle lui lendit ses deux mains, que la Molo couvrit de baisers.

Kh bien? dit-elle.

Kh bien! oui, répondit la Mole. Oui, Margue- rite; je commence à comprendre ce vague projet ilont on parlait déjà chez nous autres huguenotsnvunt

LA REINE 3I.AUG0T.

135

El pUe lui tiT.ilil ji»'! ileiiv nioius. (|iif la Molci couvrit di- l)ai<;ef;. ("iOE 1G4.

la Sainl-Barthélemy, ce projet, pour rexécution duquel, comme tant d'autres plus dignes que moi, j'avais été mandé à Paris. Cette royauté réelle de Na- varre quidevait remplacerune royauté fictive, vous la convoitez : le roi Henri vous y pousse. De Mouy con- spire avec vous, n'est-ce pas? Mais le duc d'Alençon, que fait-il dans toute cette affaire? y a-t-il un trône pour lui dans tout cela ? Je n'en vois point. Or, le duc d'Alençon est-il assez votre... ami pour vous aider dans tout cela, et sans rien exifjer en échange du danger qu'il court?

Le duc, ami, conspire pour .son com[ile. Lais-

sons-le s'égarer : sa vie nous répond de la nôtre.

Mais moi, moi qui suis à lui, pnii-je le tra- hir?

Le trahir! et en quoi le trahirez vous? Que vous a-t-il confié? N'est-ce pas lui qui vous a trahi, en donnant à de Mouy votre manteau et votre cha- peau comme un moyen de pénétrer jusqu'à lui? Vous êtes à lui, dites-vous. N'étiez-vous pas à moi. mon gentilhomme, avant d'être à lui? Vous a-t-il donné une plus grande preuve d'amitié que ia preuve d'amour que vous tenez de moi?

La Mole se releva pâle et comme foudroyé.

166

LA REINE JIAI\GOT.

Oh! murmura-t-il' Coconas me le disait bien. L'intrigue m'enveloppe dans ses replis. Elle m'é- touffera .

Eh bien? demanda Marguerite.

Eh bien 1 dit la Mole, voici ma réponse : On prétend, et je l'ai entendu dire à l'autre extrémité de la France, votre nom si illustre, votre répu- tation de beauté si universelle, m'étaient venus comme un vague désir de l'inconnu effleurer le cœur, on prétend que vous avez aimé quelquefois, et que votre amour a toujours été fatal aux objets de votre amour, si bien que la mort, jalouse sans doute, vous a presque toujours enlevé vos amants.

La Mole!...

Ne m'interrompez pas, ô ma Margarita ché- rie! car on ajoute aussi que vous conservez dans des boîtes d'or les cœurs de ces fidèles amis (1), et que parfois vous donnez à ces tristes restes un sou- venir mélancolique, un regard pieux. Vous soupi- rez, ma reine, vos yeux se voilent, c'est vrai. Eh bien! faites de moi le plus aimé et le plus heureux de vos favoris. Des autres vous avez percé le cœur, et vous gardez ce cœur; de moi, vous faites plus, vous exposez ma tête... Eh bien! Marguerite, ju- rez-moi devant l'image de ce Dieu qui m'a sauvé la vie ici-même; jurez-moi que, si je meurs pour vous, comme un sombre pressentiment me l'annonce, ju- rez-moi que vous garderez, pour y appuyer quel- quefois vos lèvres, cette tète que le bourreau aura séparée de mon corps; jurez, Marguerite, et la pro- messe d'une telle récompense, faite par ma reine, me rendra muet, traître et lâche au besoin , c'est- à-dire tout dévoué, comme doit l'être votre amant et votre complice.

0 lugubre folie, ma chère âme! dit Margue- rite; ô fatale pensée, mon doux amour!

Jurez...

Que je jureî

Oui, sur ce coffret d'argent que surmonte une croix. Jurez.

(1) Elle portait un cr.ind vertu!;.i(lin qui avait dos pochettes tout autour, eu cliacunc dcsnuclles elle mettait une boite était le cœur d'un de ses amants trépassés, car elle était soi- gneuse, à mesure qu'ils rT>ouraii:nt, d'en faire embaumer le cœur. Ce vertugadin se pendait tous les soirs à un crochet qui t'crmail â cadenas derrière le dossier de son lit.

Tallluant des Uéaux, llialoire de Slarguerite de V'oIom.

Eh bien! dit Marguerite, si, ce qu'à Dieu ne plaise! tes sombrespressentiments se réalisaient, mon beau gentilhomme, sur cette croix, je te le jure, tu seras près de moi, vivant ou mort, tant que je vi- vrai moi-même ; et, si je ne puis te sauver dans le péril oij tu te jettes pour moi, pour moi seule, je le sais, je donnerai du moins à ta pauvre âme la con- solation que tu demandes et que tu auras si bien méritée.

Un mot encore, Marguerite. Je puis mourir maintenant, me voilà rassuré sur ma mort; mais aussi je puis vivre, nous pouvons réussir : le roi de Navarre peut être roi, vous pouvez être reine, alors le roi vous emmènera ; ce vœu de séparation fait entre vous se rompra un jour et amènera la nôtre. Allons, Marguerite, chère Marguerite bien-aimée, d'un mot vous m'avez rassuré sur ma mort, d'un mot maintenant rassurez- moi sur ma vie.

Oh ! ne crains rien, je suis à toi corps et âme, s'écria Marguerite en étendant de nouveau la main sur la croix du petit coffre : si je pars, tu me sui- vras; et, si le roi refuse de t'emmener, c'est moi alors qui ne partirai pas.

Mais vous n'oserez résister!

Mon Hyacinthe bien-aimé, dit Marguerite, tu ne connais pas Henri ; Henri ne songe en ce mo- ment qu'à une chose, c'est à être roi ; et, h ce désir, il sacrifierait en ce moment tout ce qu'il possède, et, à plus forte raison, ce qu'il ne possède pas. Adieu.

Madame, dit en souriant la Mole, vous me renvoyez?

11 est tard, dit Marguerite.

Sans doute; mais voulez-vous que j'aille? M. de Mouy est dans ma chambre avec M. le duc d'Alençon.

Ali ! c'est juste, dit Marguerite avec un adora- ble sourire. D'ailleurs, j'ai encore beaucoup de choses à vous dire à propos de cette conspiration.

A dater de celte nuit, la Mole ne fut ]ilus un fa- vori vulgaire, cl il put porter liaul la tête à la- quelle, vivante ou morte, élait réserve un si doux avenir.

Cependant, parfois son front pesant s'inclinait vers la terre; sa joue pâlissait, et l'austère uiédita- tion creusait son sillon entre les sourcils du jeune homme, si gai autrefois, si heureux maintenant !

LA REnS'E MARGOT.

167

XXVII

LA MAIN DE DIEU

' enri avait dit à madame de Sauve en la quittant :

Mettez-vous au lit, Charlotte. Feignez d'être gravement malade, et sous aucun prétexte, demain, de toute la journée, ne re- cevez personne. Charlotte obéit sans se rendre compte du motif qu'avait le roi de lui faire celte recommandation. Mais elle commençait à s'habituer à ses excentricités, comme on dirait de nos jours, et à ses fantaisies, comme on disait alors.

D'ailleurs elle savait que Henri renfermait dans son cœur des secrets qu'il ne disait à personne; dans sa pensée des projets qu'il craignait de révéler, même dans ses rêves : de sorte qu'elle se faisait obéissante à toutes ses volontés, certaine que ses idées les plus étranges avaient un but.

Le soir même elle se plaignit donc à Dariole d'une grande lourdeur de tête accompagnée d'é- blouissemeuts. C'étaient les symptômes que Henri lui avait recommandé d'accuser.

Le lendemain, elle feignit de se vouloir lever, mais, à peine eut-elle posé un pied sur le parquet, qu'elle se plaignit d'une faiblesse générale et qu'elle se recoucha.

Cette indisposition, que Henri avait déjà annon- cée au duc d'Alençon, fut la première nouvelle que l'on apprit à Catherine lorsqu'elle demanda, d'un air tranquille, pourquoi la Sauve ne paraissait pas comme d'habitude à son lever.

Malade ! répondit madame de Lorraine qui se trouvait là.

Malade' répéta Catherine sans qu'un muscle de son visage dénonçât l'intérêt qu'elle prenait à sa réponse. Quelque fatigue de paresseuse.

Non pas, madame, reprit la princesse. Elle se plaint d'un violent mal de tête et d'une faiblesse qui l'empêche de marcher.

Catherine ne répondit rien; mais, pour cacher sa joie, sans doute, elle se retourna vers la fenêtre, et, voyant Henri qui traversait la cour à la suite de son entretien avec de Mouy, elle se leva pour le mieux regarder, et, poussée par cette conscience qui bouil-

lonne toujours, quoique invisiblement, au fond des cœurs les plus endurcis au crime :

Ne semblerait-il pas, demanda-t-elle à son capitaine des gardes, que mon fiis Henri est plus pâle ce matin que dliabitude?

Il n'en était rien ; Henri était fort inquiet d'es- prit, mais fort sain de corps.

Peu à peu, les personnes qui assistaient d'habi- tude au lever de la reine mérc se retirèrent ; trois ou quatre restaient plus familières que les autres, Catherine, impatiente, les congédia en disant qu'elle voulait rester seule.

Lorsijue le dernier courtisan fut sorti, Catlienne ferma la porte derrière lui, et, allant à une armoire secrète cachée dans l'un des panneaux de sa cham- bre, elle en fit glisser la porte dans une rainure de la boiserie et en tira un livre dont les feuillets frois- sés annonçaient les fréquents services.

Elle posa le livre sur une table, l'ouvrit à l'aide d'un signet, appuya son coude sur la table et sa tête sur sa main.

C'est bien cela, murmura-t-elle tout en li- sant : mal de tête, faiblesse générale, douleurs d'yeux, enflure du palais. On n'a encore parlé que des maux de tête et de la faiblesse... les autres symptômes ne se feront pas attendre.

Elle continua :

Puis l'inflammation gagne la gorge, s'étend à l'estomac, enveloppe le cœur comme d'un cercle de feu et fait éclater le cerveau comme un coup de foudre.

Elle relut tout bas; puis elle continua encore, mais à demi-voix :

Pour la fièvre six heures, pour l'inflamma- tion générale douze heures, pour la gangrène douze heures, pour l'agonie six heures; en tout trente-six heures.

Maintenant supposons que l'absorption soit plus lente que linglutition, et, au lieu de trente-six heures, nous en aurons quarante, quarante-huit même; oui, quarante-huit heures doivent suffire. Mais lui, lui Henri, comment est-il encore debout? Parce qu'il est homme, parce qu'il est d'un tempé- rament robuste, parce que peut-être il aura bu

168

LA REIiNE MARGOT.

PtnHOH.

V,\U: ii:lut lotil liiis... Vu-r. I07

;i|in'-- l'fivoir l'iuhrysMC ci m' sera e.-^uyi' li'> hvii» :i|)r<''S avoir liu.

(jiitlicrino atlemlil l'In'ino du ilincr avci; iiiipa- lienco. Henri dînait tous les jours î'i la table du roi. Il vint, .«(• iilaif;nit à snn inur (ri'lnnccnii'nts nu cer- M'au, ne inani,'cn |i(iinl, ri fc rolira aiissilnl apn'-s le refias en disant que. ay.iril veijli' une parlie de la nuit [lassL'C, il i'[irnuvait un pressant liesnin de dur- inir.

(iailierinc rcoutn s'éloigner le pas clianeelaiil de Henri cl lo (il suivre. On lui r.i|ipurla ([uc le r i de

Navarre a\ail pri> li'iliciniii ilc la iliainluc dr ma- dame de Sau\e.

-- Henri, si> (lii-idie. \a ailievcr jurs d'elle co suir l'irinri' d'une mort qu'un hasard malheureux a ]ieul-("'tre laissiM- ineonqdi'li".

I.c roi de Navarre oiail en effet aile eliez madame de .'sauve, mais c'étnil pour lui dire di' eonlinuer à jnuer son rôle.

1,1' lendemain, Henri ne sortit point de sa cliam- liie peiiilanl toute la ni.itinée. et il ne parut point uu dinur du rui. Madame de Sauve, di^ailun, al-

LA REINE 5IARG0T.

im

Dariole, étendue sur un grand fauteuil, dormait près du lit de sa maîtresse. Page 170.

lait de plus mat en plus mal, et le bruit de la ma- ladie de Henri, répandu par Catherine elle-même, courait comme un de ces pressentiments dont per- sonne n'explique la cause, mais qui passent dans l'air.

Catherine s'applaudissait : dés la veille au matin elle avait éloigné Ambroise Paré pour aller porter des secours à un de ses valets de chambre favoris malade, à Saint-Germain.

Il fallait alors que ce fût un homme à elle que l'on appelât chez madame do Sauve et chez Henri ; et cet homme ne dirait que ce qu'elle voudrait qu'il

ïuU, imp, de BhY aîné, boultvan Uontpacuaue, H,

dît. Si contre toute attente quelque autre docteur se trouvait mêlé là-dedans, et si quelque déclara- tion de poison venait épouvanter cette cour oit avaient déjà retenti tant de déclarations pareilles, elle comptait fort sur le bruit que faisait la jalousie de Marguerite à l'endroit des amours de son mari. On se rappelle qu'à tout hasard elle avait fort parlé de celte jalousie qui avait éclaté en plusieurs cir- constances, et, entre autres, à la promenade de l'aubépine, elle avait dit à sa fille en présence de plusieurs personnes : Vous êtes donc bien jalouse, Marguerite?

22

170

LA REINE 51ARG0T,

Elle attendait donc avec un visage composé le moment la porte s'ouvrirait, et quelque ser- viteur tout pâle et tout effaré entrerait en criant :

Majesté, le roi de Navarre se meurt et ma- dame de Sauve est morte!

Quatre heures du soir sonnèrent. Catherine ache- vait son goûter dans la volière elle émiettait des biscuits à quelques oiseaux rares qu'elle nourris- sait de sa propre main. Quoique son visage comme toujours fût calme et même morne, son cœur bat- tait violemment au moindre bruit.

La porte s'ouvrit tout à coup.

Madame, dit le capitaine des gardes, le roi de Navarre est...

Malade? interrompit vivement Catherine.

Non, madame, Dieu merci ! et Sa Majesté semble se porter à merveille.

Que dites-vous donc alors?

Que le roi de Navarre est là.

Que me veut-il?

Il apporte à Votre Majesté un petit singe de l'espèce la plus rare.

En ce moment, Henri entra tenant une corbeille à la main et caressant un ouistiti couché dans cette corbeille.

Henri souriait en entrant et paraissait tout en- tier au charmant petit animal qu'il apportait; mais, si préoccupé qu'il parût, il n'en perdit point ce premier coup d'œil qui lui suffisait dans les cir- constances difficiles. Quant à Catherine, elle était fort pâle, d'une pâleur qui croissait au fur et à me- sure qu'elle voyait sur les joues du jeune homme qui s'approchait d'elle circuler le vermillon de la santé.

La reine mère fut étourdie à ce coup. Elle accepta machinalement le présent de Henri, se troubla, lui fit cninpliment sur sa bonne mine, et ajouta :

Je suis d'autant plus aise de vous voir si bien portant, mon fils, que j'avais entendu dire (|ue vous étiez malade, et que, si je me le rappelle bien, vous vous êtes plaint en ma présence d'une indis- position; mais je comprends mainlenanl. ajoutâ- t-elle en essayant de sourire ; i^'i-tait quelque pré- texte pour vous rendre libre.

.l'ai été; fort malade en effet, madaiiic, n'[MMi- dit Henri, mais un spi'cifiqu(^ usil(' dans nos mon- tagnes, et qui me vient de ma mrio, a guéri celle indisposition.

^Ah! vous m'a]ipn'nilre7, la rccciie, n'cslcc

pas, Henri? dit Callicrii n snuriaiil celte fois vi'-

rilablemenl, mais avec une ironie i]u'elle ne put dé- guiser. Quelque contre-poison, inurmma-l-elle;niuis aviserons à cela, ou ]ihUi'il, mm. Voyant madame de Sauve niiibide, il se sera di'lii'. En vi-rilc', c'est à i;roire (|ue la main de Dieu csl dendue sur cet homme.

Callicrini' altendil iin|i.ilii'iiuiicnt la nuit. Ma- riame de Sauve no parut point. Au jeu, cllo en de-

manda des nouvelles, on lui répondit qu'elle était de plus en plus souffrante. Toute la soirée elle fut inquiète, et l'on se demandait avec anxiété quelles étaient les pensées qui pouvaient agiter ce visage d'ordinaire si immobile.

Tout le monde se retira. Catherine se fit coucher et déshabiller par ses femmes ; puis, quand tout le monde fut couché dans le Louvre, elle se releva, passa une longue robe de chambre noire, prit une lampe, choisit parmi toutes ses clefs celle qui ou- vrait la porte de madame de Sauve, et monta chez sa dame d'honneur.

Henri avait-il prévu cette visite, était-il occupi; chez lui, était-il caché quelque part, toujours est-il que la jeune femme était seule.

Catherine ouvrit la porte avec précaution, tra- versa l'antichambre, entra dans le salon, déposa sa lampe sur un meuble, car une veilleuse brûlait près de la malade, et, comme une ombre, elle se glissa dans la chambre à coucher.

Dariole, étendue dans un grand fauteuil, dormait près du lit de sa maîtresse.

Ce lit était entièrement fermé par les rideaux.

La respiration de la jeune femme était si légère, qu'un instant Catherine pensa qu'elle ne respirait plus.

Enfin, elle entendit un léger souffle, et, avec une joie maligne, elle vint lever le rideau afin de con- stater par elle-même l'effet du terrible poison, tres- saillant d'avance à l'aspect de cette livide pâleur ou de cette dévorante pourpre d'une fièvre mortelle qu'elle espérait ; mais, au lieu de tout cela, calme, les yeux doucement clos par leurs blanches paupiè- res, la bouche rose et entr'ouverte. sa joue moite doucement appuyée sur un de ses bras gracieuse- ment arrondi, tandis que l'autre, frais et nacré, s'allongeait sur le damas cramoisi qui lui servait di> couverture, la belle jeune femme dormait pres- (jue rieu.se encore. Car sans doute quelque songe charmant faisait éclore sur ses lèvres le sourire, et. sur sa joue, ce coloris d'un bien-être que rien ne trouble.

Catherine ne put s'empêcher de pousser un cri de surprise, qui réveilla pour un instant Dariole.

La reine mère se jeta derrière les rideaux du lit.

Dariole imvrit les yeux: mais, accablée de som- meil, sans même chercher dans son esprit engourdi la cause de son réveil, la jeune (ille laissa retomber sa lourde iiaupière et se rendurmit.

Catherine, alors, sorlil de des,<ous son rideau, el. tournant son regard vers les autres points de l'ap- partement, elle vil sur une petite table un flacon de vin d'EspagiKî, des fruits, des paies siicrc'es el deux verres. Henri avait venir souper chez la baronne, qui visiblement se portait aussi bien que lui.

Aussitôt Callienne, marchant à sa toilelle, y prit la petite boite d'argent au tiers vide. C'était exacto-

LA REINE MARGOT.

17i

ment la m^me, ou tout au moins la pareUli' ili' celle qu'elle avait fait remettre à Charlotte. Elle en en- leva une parcelle de la grosseur d'une perle sur le bout d'une aiguille d'or, rentra chez elle, la pré- senta au petit singe que lui avait donné Henri h soir même. L'animal, all'riandé par l'odeur aroma- tique, la dévora avidement, et, s'arrondissant dans sa corbeille, se rendormit. Catherine attendit un quart d'heure.

.\vec la moitié de ce qu'il vient de manger là, dit Catherine, mon chien Brunot est mort enllf' en unemmute. On m'a jouée. Est-ce René "? René ! C'est impossible. Alors c'est donc Henri ; û fatalité! c'est

clair, puisqu'il doit régner, il ne peut pas mourir.

Mais peut-être n'y a-t-il que le poison qui soit impuissant, nous verrons bien en essayant du fer.

Et Catherine se coucha en tordant dans son esprit une nouvelle pensée qui se trouva sans doute com- plète le lendemain ; car, le lendemain, elle appela son capitaine des gardes, lui remit une lettre, lui ordonna de la porter à son adresse, et de ne la re- mettre qu'aux propres mains de celui à qui elle était adressée.

Elle était adressée au sire de Louviers de Maure- vel, capitaine des pétardiers du roi, rue de la Ceri- saie, près de l'Arsenal.

XXVIII

l,A LETTUr DE lîOME.

uelques jours s'étaient écoulés depuis les événe- ments que nous venons de raconter, lorsqu'un matin une litière escortée de plu- sieurs gentilshommes aux couleurs de M. de Guise entra au Louvre, et que l'on vint annoncer à la reine de Navarre que ma- dame la duchesse de Nevers sollicitait l'honneur de lui faire sa cour.

Marguerite recevait la visitede madame de Sauve. C'était la première fois que la belle baronne sortait depuis sa prétendue maladie. Elle avait su que la reine avait manifesté à son mari une grande in- quiétude de cette indisposition, qui avait été pen- dant près d'une semaine le bruit de la cour, et elle venait la remercier.

Marguerite la félicitait sur sa convalescence et sur le bonheur qu'elle avait eu d'échapper à l'accès subit de ce mal étrange dont, en sa qualité de fille de France, elle ne pouvait manquer d'apprécier toute la gravité. Vous viendrez, j'espère, à cette grande chas.se

déjà remise une fois, demanda Marguerite, et qui doit avoir lieu définitivement demain. Le temps est doux pour un temps d'hiver. Le soleil a rendu la terre plus molle, et tous nos chasseurs prétendent que ce sera un jour des plus favorables.

Mais, madame, dit la baronne, je ne sais si je serai assez bien remise.

Bah ! reprit Marguerite, vous ferez un effort; puis, comme je suis une guerrière, moi, j'ai auto- risé le roi à disposer d'un petit cheval deBéarn que je devais monter et qui vous portera à merveille. N'en avez-vous point encore entendu [larler.'

Si fait, madame, mais j'ignorais que ce petit cheval eût été destiné à l'honneur d'être offert à Votre Majesté : sans cela, je ne l'eusse point ac- cept('.

Par orgueil, baronne'.'

Non, madame, tout au contraire, par humi- lit.'.

Donc, vous viendrez .'

Vutre Majesté me comble d'honneur. Je vien- drai, puisqu'elle l'ordonne.

Ce fut en ce moment qu'on annonça madame la duche.sse de Nevers. A ce nom, Marguerite lais*«

172

LA REINE MARGOT.

échapper un tel mouvement de joie, que la baronne comprit que les deux femmes avaient à causer en- semble, et elle se leva pour se retirer.

A demain donc, dit Marguerite.

A demain, madame.

A propos! vous savez, baronne, continua Mar- guerite en la congédiant de la main, qu'en public je vous déteste, attendu que je suis horriblement jalouse.

Mais en particulier? demanda madame de Sauve.

Oh! en particulier, non-seulement je vous pardonne, mais encore je vous remercie.

Alors, Votre Majesté permettra... Marguerite- lui tendit la main: la baronne la

baisa avec respect, fit une révérence profonde et sortit.

Tandis que madame de Sauve remontait son es- calier, bondissant comme un chevreau dont on a rompu l'attache, madame de Nevers échangeait avec la reine quelques saluts cérémonieux qui donnè- rent le temps aux gentilshommes qui l'avaient ac- compagnée jusque-là de se retirer.

Gillonne, cria Marguerite lorsque la porte 'Be fut refermée sur le dernier, Gillonne, fais que per- sonne ne nous interrompe.

Oui, dit la duchesse, car nous avons à parler d'affaires tout à fait groves.

Et, prenant un siège, elle s'assit sans façon, cer- taine que personne ne viendrait déranger cette in- timité convenue entre elle et la reine de Navarre, prenant sa meilleure place du feu et du soleil.

Eh bien ! dit Marguerite avec un sourire, no- tre fameux massacreur, qu'en faisons-nous'.'

Ma chère reine, dit la duchesse, c'est sur mon âme un être mythologique. Il est incomparable en esprit et ne tarit jamais. Il a des saillies qui fe- raient pâmer de rire un saint dans sa châsse. Au demeurant, c'est le plus furieux païen qui ait ja- mais été cousu dans la peau d'un catholique, .l'en raffole ; et toi, que fais-tu de ton ApoUo?

Hélas! fit Marguerite avec un soupir.

Oh ! oh ! que cet hélas! m'effraye, cher» reine I est-il donc trop respectueux et trop sentimental, ce gentil la Mole! Co .serait, je suis forcée de l'avouer, tout le contraire de son ami Coconas.

Mais non, il a ses moments, dit Marguerite,

et cet hélas! ne se rapporte qu'à moi.

Que veut-il dire alors?

11 veut dire, chère duchesse, que j'ai une

peur affreuse de l'aimer tout do bon.

VraiiiKMit !

Foi de Marguerite 1

Oli ! tant mieux ! La joyeuse vie que nous al- lons mener alors! s'i'cria Henriette : aimer un peu. c'était mon rèvc; aimer heaucoiqi. c'c'tait le tien. t}'esl si doux, chrtre et docte reine, de se reposer l'espril par le cœur, n'est-copas? cl d'avoir, après

le délire, le sourire. Ah! Marguerite, j'ai le pres- sentiment que nous allons passer une bonne année.

Crois-tu? dit la reine; moi, tout au contraire, jene sais pas comment cela se fait, je vois les choses à travers un crêpe. Toute cette politique me préoc- cupe affreusement. A propos, sache donc si ton An- nibal est aussi dévoué à mon frère qu'il paraît l'ê- tre. Informe-toi de cela, c'est important.

Lui, dévoué à quelqu'un ou à quelque chose! On voit bien que tu ne le connais pas comme moi. S'il se dévoue jamais à quelque chose, ce sera à son ambition et voilà tout. Ton frère est-il homme à lui faire de grandes promesses, oh! alors, très-bien, il sera dévoué à ton frère; mais que ton frère, tout fils de France qu'il est, prenne garde de manquer aux promesses qu'il lui aura faites, ou, sans cela, ma foi, gare à ton frère !

Vraiment?

C'est comme je te le dis. En vérité, Margue- rite, il y a des moments ce tigre que j'ai appri- voisé me fait peur à moi-même. L'autre jour, je lui disais: Annibal, prenez-y garde, ne me trompez pas, car si vous me trompiez!... Je lui disais ce- pendant cela avec mes yeux d'émeraude qui ont fait dire à Ronsard :

La duchesse de Never.'î

Aux yeux verls, Qui, sous leur paupière blonde. Lancent sur nous plus d'éclair» Oue ne font vin;;t .Tupilcrs

Dans les airs Lorsque la tempête gronde.

Eh bien?

Eh bien ! je crus qu'il allait me répondre : Moi, vous tromper! moi, jamais! etc., etc. Sais-tu ce qu'il m'a répondu?

Non.

Eh bien! juge l'homme : El vous, a-l-il ré- pondu, si vous me trompiez, prenez garde aussi ; car, toute princesse que vous êtes... Et, en disant ces mots, il me menaçait, non-seulemcnl des yeuï, mais du doigt, de son doigt soc et pointu, muni d'un ongle taillé en fer de lance, et qu'il rao init presque sous le nez. En ce moment, ma pauvre reine, je te l'avoue, il avait une physionomie si peu rassurante, que j'en tre.ss:iille. et, tu le sais cepen- dant, jo no suis pas trembieuso.

Te menacer, toi, Henrielle, il a oséî

Eh mnrdi ! je le menaçais bien, moi ! Au bout du compte, il a ou raison. Ainsi, lu vois, dévoué jusqu'à un certain point, ou plutôt ju.<qu'à un point très-incertain.

Alors, nous verrons, dit Marguerite rêveuse, je parlerai à la Mole. Tu n'avais pas autre chose à nie dire?

Si fait : une chose des plus intéressantes et

LA REINE MARGOT.

173

pour laquelle je suis venye. Mais que veux-tu ! tu as été me parler de choses plus intéressantes en- core. J'ai reçu des nouvelles.

Do Rome?

Oui, un courrier de mon mari.

Eh bien ! l'affaire de Pologne?

Va à merveille, et tu vas probablement sous peu de jours être débarrassée de ton frère d'Anjou.

Le pape a donc ratifie son élection?

Oui, ma chère.

Et tu ne me disais pas cela ! s'écria Marguerite. Eh! vile, vite, des détails !

Oh ! ma foi, je n'en ai pas d'autres que ceux queje te transmets. D'ailleurs, attends, je vais te don- ner la lettre de M. de Nevers. Tiens, la voilà. Eh ! non, non, co sont des vers d'Annibal, des vers atro- ces, ma pauvre Marguerite, il n'en fait pas d'au- tres. Tiens, cette fois, voici. Non, pas encore ceci : c'est un billet de moi que j'ai apporté pour que tu le lui fasses passer par la Mole. Ah! enfin, cette fois, c'est la lettre en question.

Et madame de Nevers remit la lettre à la reine.

Marguerite l'ouvrit vivement et la parcourut; mais effectivement elle ne disait rien autre chose que ce qu'elle avait déjà appris de la bouche de son amie.

Et comment as-tu reçu cette lettre? continua la reine.

Par un courrier de mon mari qui avait ordre de toucher à l'hôtel de Guise avant d'aller au Lou-. vre, et de me remettre cette lettre avant celle du roi. Je savais l'importance que ma reine attachait à cette nouvelle, et j'avais écrit à M. de Nevers d'en agir ainsi. Tu vois, il a obéi, lui; ce n'est pas comme ce monstre de Coconas. Maintenant il n'y a donc dans tout Paris que le roi, toi et moi qui sachions cette nouvelle; à moins que l'homme qui suivait notre courrier...

Quel homme?

Oh! l'horrible métier! Imagine-toi que ce malheureux messager est arrivé las, défait, pou- dreux; il a couru sept jours, jour et nuit, sans s'ar- rêter un instant.

Mais cet homme dont tu parlais tout à l'heure?

Attends donc. Constamment suivi par un homme de mine farouciie qui avait des relais comme lui, et courait aussi vite que lui pendant ces quatre cents lieues, ce pauvre courrier a tou- jours attendu quelque balle de pistolet dans les reins. Tous deux sont arrivés à la barrière Saint- Marcel en même temps, tous deux ont descendu la rue Mouffetard au grand galop ; tous deux ont tra- versé la Cité. Mais au bout du pont Notre-Dame no- tre courrier a pris à droite, tandis que l'autre tour- nait à gauche par la place du Chàtelet, et filait par les quais du côté du Louvre, comme un trait d'ar- balète.

Merci, ma bonne Henriette, merci! s'écria

Marguerite. Tu avais raison, et voilà de bien inté- ressantes nouvelles. Pour qui cet autre courrier? Je le saurai. Mais laisse-moi. A ce soir, rueTizon, n'est- ce pas? et à demain la chasse, et surtout prends un cheval bien méchant pour qu'il s'emporte et que nous soyons seules. Je le dirai ce soir ce qu'il faut que tu tâches de savoir de ton Coconas.

Tu n'oublieras donc pas ma lettre? dit la du- chesse de Nevers en riant.

Non, non, sois tranquille, il l'aura, età temps. Madame de Nevers sortit, et aussitôt Marguerite

envoya chercher Henri, qui accourut et auquel elle remit la lettre du duc de Nevers.

Oh! oh! fit-il.

Puis Marguerite lui raconta l'histoire du double courrier.

Au fait, dit Henri, je l'ai vu entrer au Louvre.

Peut-être était-il pour la reine mère ?

Non pas, j'en suis sûr; car, j'ai été à tout hasard me placer dans le corridor et je n'ai vu pas- ser personne.

Alors, dit Marguerite en regardant son mari, il faut que ce soit...

Pour votre frère d'Alençon, n'est-ce pas? dit Henri.

Oui, mais comment le savoir?

Nepourrail-on, demanda Henri négligemment, envoyer chercher un de ces deu^ gentilshommes, et savoir par lui...

Vous avez raison, sire! dit Marguerite mise à son aise par la proposition de son mari, je vais envoyer chercher M. de la Mole. Gillonne ! Gil- lonne!

La jeune fille parut.

11 faut que je parle à l'instant même à M. de la Mole, lui dit la reine. Tâchez de me le trouver et amenez-le.

Gillonne partit. Henri s'assit devant une table sur laquelle était un livre allemand avec des gravu- res d'Albert Durer, qu'il se mit à regarder avec une si grande attention, que, lorsque la Mole vint, il ne parut pas l'entendre et ne leva pas môme la tète.

De son côté, le jeune homme, voyant le roi chez Marguerite, demeura debout sur le seuil de la cham- bre, muet de surprise et pâlissant d'inquiétude.

Jlarguerile alla à lui.

Monsieur de la Mole, demanda-l-elle, pour- riez-vous me dire qui est aujourd'hui de garde chez M. d'Alençon?

Coconas, madame... dit la Mole.

Tâchez de me savoir de lui s'il a introduit chez son maître un homme couvert de boue, et parais- sant avoir fait une longue roule à franc étpier.

Ah! madame! je crains bien qu'il ne me le dise pas ; depuis quelques jours il devient très-taci- turne.

Vraiment! Mais en lui donnant ce billet, il

174

LA REINE MAliGOT.

P8FJHW.

Le jeune homme demeura debout sur le seuil de la clmiubrc. Pahe 173.

me sembla qu'il vous devra qiiel(]U(! choso en ëcliange.

De la duchesse!... oli ! avec ci; billet, j'i's- sayerai I

Ajoutez, dit Margucrilo en baissant la voix, que en billet lui .servira de sauf-corultiit pour en- trer ce soir dans la maison que vons savez.

Et moi, madaliic, dit linil ii.i'^ l;i Mole. i|ili'l liera le mien?

Vous vous nommerez, ol cela suffira.

Donnez, madame, donnez, dit la Mole tout palpitant d'amour, je vous réponds de tout.

r.t il [lartil.

Nous saurons domain si le duc d'Alençon est instruit do l'affaire de Pologne, ilit tranquillement Marguerite on se retournant vers son mari.

Ce M. lie la Mole est véritablement un gentil ■serviteur, dit b^ Béarnais avee ce .sourire qui n'ap- p.irlenait qu'à lui: et... i)ar la uu-sse! je ferais;) fortune.

LA lŒINE MARGOT,

175

Lorsqu'il parut, les chasseurs le saluèrent par leurs vivats. Tase 177.

XXIX

LE DÉPAl'.T

mouvement dans la cour du Louvre

orsque le lendemain un lieau soleil rouge , mais sans rayons, comme c'est l'habitude dans les jours privilégiés de l'hiver, se leva derrière les collines de Paris, tout, depuis deux heures, était déjà en

Ln magnif]t[ue barbe, nerveux quoique élancé,

aux jambes de cerf sur lesquelles les veines se croi- saient comme un réseau, frappant du pied, dres- sant l'oreille et soufflant le feu par ses narines, at- tendait Charles IX dans la cour; mais il était moins impatient encore que son maître, retenu par Cathe- rine, qui l'avait arrêté au passage pour lui parler, disait-elle, d'une affaire d'importance. Tous deux étaient dans la galerie vitrée, Cathe-

176

LA REINE MARGOT.

rine froide , pâle et impassible comme toujours , Charles IX frémissant, rongeant ses ongles et fouet- tant ses deux chiens favoris revôtus de cuirasses de mailles pour que le boutoir du sanglier n'eût pas de prise sur eux et qu'ils pussent impunément af- fronter le terrible animal. Un petit écusson aux armes de France était cousu sur leur poitrine à peu près comme sur la poitrine des pages, qui plus d'une fois avaient envié les privilèges de ces bien- Iieureux favoris.

Faites-y bien attention, Charles, disait Cathe- rine, nul que vous et moi ne sait encore l'arrivée prochaine des Polonais ; cependant le roi de Navarre agit, Dieu me pardonne! comme s'il le savait. Mal- gré son abjuration, dont je me suis toujours défiée, il a des intelligences avec les huguenots. Avez- vous remarqué comme il sort souvent depuis quel- ques jours! 11 a de l'argent, lui qui n'en a jamais eu ; il achète des chevaux, des armes, et, les jours de pluie, du matin au soir, il s'exerce à l'escririie.

Eh ! mon Dieu, ma mère! fit Charles IX impa- tienté, croyez-vous point qu'il ait l'intention de me tuer, moi ou mon frère d'Anjou. En ce cas, il lui faudra encore quelques leçons ; car hier je lui ai compté avec mon (leuret onze boutonnières sur son pourpoint, qui n'en a cependant que six. Et, quant à mon frère d'Anjou, vous savez qu'il tire encore mieux que moi ou tout aussi bien, à ce qu'il dit, du moins.

Écoutez donc, Charles, reprit Catherine, et ne traitez pas légèrement les choses que vous dit votre mère. Les ambassadeurs vont arriver, eh bien! vous verrez! une fois qu'ils seront à Paris, Henri fera tout ce qu'il pourra pour captiver leur attention. Il est insinuant, il est sournois, sans compter que sa femme, qui le seconde, je ne sais pourquoi, va ca- queter avec eux, leur parler latin, grec, hongrois, que sais-je? Oh ! je vous dis, Charles, et vous savez que je ne me trompe jamais, je vous dis, moi, qu'il y a quelque chose sous jeu.

En ce moment l'heure sonna, et Charles IX cessa d'écouter sa mère pour licouter l'heure.

Mort de ma vie! sept heures! s'écria-t-il ; une heure pour aller, cela fera huit; une heure pour arriver au rendez-vous et lancer, nous ne pour- rons nous mettre en chasse qu'à neuf heures; en vérité, ma mère , vous me faites perdre bien du temps 1 A bas, Uisque-Tout !... mort de ma vie! à bas donc, brigand !

Et un vigoureux coup «le fouet sanglé sur hs reins du molosse arracha au pauvre animal, tout étonné de recevoir un clifilinicnt en échange d'une c;ircsse, un cri de vive douleur.

Charles, reprit Catherine, écoutez-moi donc, au nom de \Hmi'. et ne jetez pas ainsi au hasard votre fortune et celle de la France. La chasse, la cliasso, la chasso, dilcs-vous... l.Ul vous aurez. |

tout le temps de chasser lorsque votre besogne de roi sera faite.

-Allons, allons, ma mère! dit Charles pâle d'impatience, expliquons-nous vite, car vous me faites bouillir ; en vérité, il y a des jours je ne vous comprends pas.

Et il s'arrêta, battant sa botte du manche de son fouet.

Catherine jugea que le bon moment était venu, et qu'il ne fallait pas le laisser passer.

-Mon fils, dit-elle, nous avons la preuve que de Mouy est revenu à Paris. M. de Maurevel, que vous connaissez bien, l'y a vu. Ce ne peut être que pour le roi de Navarre. Cela nous suffit, je l'espère, pour qu'il nous soit plus suspect que jamais.

Allons , vous voilà encore après mon pauvre Heflriot! vous voulez me le faire tuer, n'est-ce pas?

Oh ! non.

Exiler? Mais comment ne comprenez-vous pas qu'exilé il devient beaucoup plus à craindre qu'il ne le sera jamais ici, sous nos yeux, dans le Lou- vre, où il ne peut rien faire que nous ne le sachions à l'instant même.

Aussi ne veux-je pas l'exiler.

Mais que voulez-vous donc ! dites vite !

Je veux qu'on le tienne en sûreté, tandis que les Polonais seront ici ; à la Bastille, par exemple.

Ah ! ma foi non, s'écria Charles IX. Nous chassons le sanglier ce matin. Henriot est un de mes meilleurs suivants. Sans lui la chasse est man- quée. Mordieu, ma mère ! vous ne songez vraiment qu'à me contrarier.

Eh ! mon cher fils, je ne dis pas ce matin... Les envoyés n'arrivent que demain ou après-de- maiu. Arrêtons-le après la chasse seulement, ce soir... cette nuit...

C'est différent, alors. Eh bien ! nous reparle- rons de cela. Nous verrons après la chasse, je ne dis pas. Adieu! Allons! ici, Risque-Tout! ne vas-tu pas bouder, à ton tour ?

Charles, dit Catherine en l'arrêtant par lo bras au risque de l'explosion qui pouvait résul- ter de ce nouveau retard, je crois que le mieux se- rait, tout en ne l'exécutant que ce soir ou cette nuit, de signer l'acte d'arrestation tout de suite.

Signer, écrire un ordre, aller chercher lo scel des parchemins, quand on m'alleiid pour la chasse, moi i]ui ne me fais jamais attendre! Au diable, par exemple !

Mais non, je vous aime trop pour vous re- tarder; j'ai tout prévu, entrez là, chez moi, te- nez !

El (latlicrine, agile cunune si elle n'eût eu que vingt ans, poussai une porte (|ui conimiini(|uail à son cabinet, montra au roi un encrier, une plume, un parchemin, le sceau et une bougie allumée.

1.0 roi prit le parclieinin et le parcourut fapido- iiuiii :

LA P.EINK 5IAUG0T.

177

« Ordre, etc., etc., de faire arrêter et conduire à la Bastille nutre frère Henri de Navarre. »

Bon, c'est fait! dit-il en signant d'un trait. Adieu, ma mère.

Et il s'élança hors du cabinet, suivi de ses chiens, tout allègre de s'être si facilement débarrassé de Catherine.

Charles IX était attendu avec impatience, et, comme on connaissait son exactitude en matière de chasse, chacun s'étonnait de ce retard. Aussi, lors- qu'il parut, les chasseurs le saluèrent-ils par leurs vivats, les piqueurs par leurs fanfares, les chevaux par leurs hennissements, les chiens par leurs cris. Tout ce bruit, tout ce fracas, fit monter une rougeur à SCS joues pâles, son cœur se gonfla, Charles fut jeune et heureux pendant une seconde.

.A peine le roi prit-il le temps de saluer la bril- lante société réunie dans la cour ; il fit un signe de tète au duc d'Alençon, un signe de la main à sa sœur Marguerite, passa devant Ilmiri sans faire semblant de le voir, et s'élança sur ce cheval barbe qui, im- patient, bondit sous lui. Mais, après trois ou quatre courbettes, il comprit à quel écuyer il avait affaire et se calma.

Aussitôt les fanfares retentirent de nouveau, et le roi sortit du Louvre suivi du duc d'Alençon, du roi de Navarre, de Marguerite, de madame de Nevers, de madame de Sauve, de Tavannes et des princi- paux seigneurs de la cour.

Il va sans dire que la Mole et Coconas étaient de la partie.

Quant au duc d'Anjou, il était depuis trois mois au siège de La Rochelle.

Pendant qu'on attendait le roi, Henri était venu saluer sa femme, qui, tout en répondant à son compliment, lui avait glissé à l'oreille :

Le courrier venu de Rome a été introduit par M. de Coconas lui-même chez le duc d'Alençon , un quart d'heure avant que l'envoyé du duc de Nevers ne fût introduit chez le roi.

Alors, il sait tout, dit Henri.

Il doit tout savoir, répondit Marguerite; d'ail- leurs, jetez les yeux sur lui, et voyez comme, mal- gré sa dissimulation habituelle, son œil rayonne:

Ventrc-saint-gris! murmura le Béarnais, je le crois bien! il chasse aujourd'hui trois proies: France, Pologne et Navarre ; sans compter le san- glier.

Il salua sa femme, revintà son rang, et, appelant un de ses gens, Béarnais d'origine, dont les aïeux étaient serviteurs des siens depuis plus d'un siècle et qu'il employait comme messager ordinaire de ses affaires de galanterie :

Ortlion, lui dit-il, prends cette clef et va la porter chez ce cousin de madame de Sauve, que tu sais, qui demeure chez sa maîtresse, au coin de la rue des Quotre-Fils ; tu lui diras que sa cousine dé- sire lui parler ce soir; qu'il entre dans ma ciuim-

rar t In-i de tF.V alDt, tculeMn M^n'prBaise, S),

bre, et, si je n'y suis pas, qu'il m'attende; si je tarde, qu'il se jette sur mon lit en attendant.

Il n'y a pas de réponse, sire?

Aucune, que de me dire si tu Pas trouvé. La clef est pour lui seul, tu comprends?

Attends donc, et ne me quitte pas ici, peste! avant de sortir de Paris, je t'appellerai comme pour ressangler mon cheval, tu demeureras en arrière, ainsi tout naturellement tu feras ta commission et tu nous rejoindras à Bondy.

Le valet fit un signe d'obéissance et s'éloigna. ^ On se mit en marche par la rue Sainl-Honoré, on gagna la rue Saint-Denis, puis le faubourg; ar- rivé à la rue Saint-Laurent, le cheval du roi de Na- varre se dessangla, Orthon accourut, et tout se passa comme il avait été convenu entre lui et son maître, qui continuait de suivre avec le cortège royal la rue des Récollets, tandis que son fidèle serviteur gagnait la rue du Temple.

Lorsque Henri rejoignit le roi, Charles était en- gagé avec le duc d'Alençon dans une conversation si intéressante sur le temps, sur l'âge du sanglier détourné et qui était un solitaire, enfin sur l'en- - droit il avait établi son bouge, qu'il ne s'aperçut pas ou feignit de ne pas s'apercevoir que Henri était resté un instant en arrière.

Pendant ce temps, Marguerite observait de loin la contenance de chacun, et croyait reconnaître dans les yeux de son frère un -certain embarras toutes les fois que ses yeux se reposaient sur Henri. Madame de Nevers se laissait aller à une gaieté folle, car Coconas, éminemment joyeux ce jour-là, faisait autour d'elle cent lazzis pour faire rire les dames.

Quant à la Mole, il avait déjà trouvé deux fois l'occasion de baiser l'écharpe blanche à franges d'or de Marguerite sans que cette action, faite avec l'a- dresse ordinaire aux amants, eût été vue de plus de trois ou quatre personnes.

On arriva vers huit heures et un quart à Bondy.

Le premier soin de Charles IX fut de s'informer si le sanglier avait tenu. Le sanglier était à sa bauge, et le piqueur qui l'avait détourné répondait de lui.

Une collation était prête. Le roi but un verre de vin de Hongrie. Charles IX invita les dames à se mettre à table, et, tout à son impatience, s'en alla, pour occuper son temps, visiter les chenils et les perchoirs, recommandant qu'on ne dcsscllfit pas son cheval, attendu, dit-il, qu'il n'en avait jamais monté de meilleur et de plus fort.

Pendant que le roi faisait sa tournée, le duc de Guise arriva. Il était armé en guerre bien plutôt qu'en chasse, et vingt ou trente gentilshommes, équipés comme lui, l'accompagnaient. Il s'informa aussitôt du lieu était le roi, l'alla rejoindre et revint on causant avec lui.

A neuf heures précises, le roi donna lui-nijme le

23

178

LA REINE MARGOT.

signal en sonnant le lancer, et cliacun, montant à cheval, s'acliemina vers le rendez-vous.

Pendant la route, Henri trouva moyen de se rap- procher encore une fois de sa femme.

Eh bien ! lui demanda-t-il, savez-vous quelque chose de nouveau ?

Non, répondit Marguerite, si ce n'est que mon frère Charles vou çon.

regarde d'une étrange fa-

Je m'en suis aperçu, répondit Henri.

Avez-vous pris vos précautions?

J'ai sur la poitrine ma cotte de mailles et à mon côté un excellent couteau de chasse espagnol, affilé comme un rasoir, pointu comme une aiguille, et avec lequel je perce des doublons.

Alors, dit Marguerite, à la garde de Dieu !

Le piqueur qui dirigeait le cortège fit un signe : . on était arrivé à la bauge.

FI>' DE LA PREMIERE PARTIE,

TABLE DES MATIÈRES

DE U fREHURK PARTIE.

I. Le latin de M. de Guise 1

II. La chambre de la reine de Navarre. ... 7

III. Un roi poëte 13

IV. La soirée du 24 août 1572 20

V. Du Louvre en particulier et de la vertu en

général ,.,.... 24

VI. La dette payée 29

VU. La nuit du 24 août 1572 35

VIII. Les massacrés 45

IX. Les massacreurs 52

X. Mort, messe ou Bastille 60

XI. L'aubépine du cimetière des Innocents. . . C8

XII. Les confidenees 74

XIII. Comme il y a des clefs qui ouvrctit les por-

tes auxquelles elles ne sont p.is destinées. 77

XIV. Seconde nuit des noces 84

XV. Ce que femme veut, Dieu le veut 90

Pigea

XVI. Le corps d'un ennemi mort sent toujours

bon 99

XVII. Le confrère de maître Ambroi.se Paré. . . 107

XVIII. Les revenants 111

XIX. Le logis de maître René, le parfumeur de

la reine mère 117

XX. Les poules noires 125

XXI. L'appartement de madame de Sauve. . , . 131

XXII. Sire! vous serez roi 13li

XXIII. Un nouveau converti 140

XXIV. La rue Tizon et la rue Cloche-Percée. . . 14S

XXV. Le manteau cerise lôU

XXVI. Margarita I(i3

XXVU. La mnin de Dieu 1G7

XXVIII. La lettre de Rome 171

XXIX. Le départ 175

LA

REINE MARGOT

DEUXIÈME PARTIE

PARIS. IMPRIMÉ PAR BRT AÎNÉ, BODLEVART MONTPARNASSE, 81.

LA

REINE MARGOT

ALEXANDRE DUMAS

ÉDITION ILLUSTRÉE PAR E. LAMPSONIUS ET LANCELOT

OEIJXIKIHE PARTIB

PARIS

LÉGRIVAIN ET TOUBON, LIBRAIRES

5, BUE DU PONT-DE-LODI, 5

1860

LA REINE MARGOT

DEUXIEME PARTIE.

I

MAURKVEI,.

.iHiant ([ne toute oettc jeu- nesse joyeuse et insou- I liante , en apparence du moins, se répandait comme un tourbillon doré sur la route de Bondy, Cathe- rine, roulant le parchemin précieux sur lequel le roi Charles venait d jpposer sa signature, faisait intro-

duire dans son cabinet l'homme à qui son capitaine des gardes avait porté, quelques jours auparavant, une lettre rue de la Cerisaie, quartier de l'Ar- senal.

Une large bande de taffetas, pareil à un sceau mortuaire, cachetait un des yeux de cet homme, découvrant seulement l'autre œil, et laissant voir entre deux pommettes saillantes .la courbure d'uu nez de vautour, tandis qu'une barbe grisonnante

Fml». lœp. do DRY atné, boolsvirl Uontparniitse, 8<i

24

LA REINE MARGOT.

lui couvrait \c lias du visage. Il était vêtu d'un man- teau long et épais, sous lequel on devinait tout un arsenal. En outre, il portait au côté, quoique ce ne fijt point l'habitude des gens appelés à la cour, une épée de campagne longue, large et double co- quille. Une de ses mains était cachée et ne quittait point sous son manteau le manche d'un long poi- gnard.

Ah ! vous voici, monsieur, dit la reine en s'as- seyant, vous savez que je vous ai promis après la Saint-Barthélémy, vous nous avez rendu de si signalés services, de ne pas vous laisser dans Fin- action. L'occasion se présente, ou plutôt, non, je l'ai fait naître. Remerciez-moi donc.

Madame, je remercie humblement Votre Ma- jesté, répondit l'homme au bandeau noir, avec une réserve basse et insolente à la fois.

Une belle occasion, monsieur, comme vous n'en trouverez pas deux dans votre vie, profitez-en donc.

J'attends, madame; seulement je crains, d'a- près le préambule...

Que la commission ne soit violente? N'est-ce pas de ces commissions-là que sont friands ceux qui veulent s'avancer ? Celle dont je vous parle serait enviée par les Tavanne et par les Guise même.

Ah! madame, reprit l'homme, croyez bien, quelle qu'elle soit, que je suis aux ordres de Votre Majesté.

En ce cas, lisez, dit Catherine. Et elle lui présenta le parchemin. L'homme le parcourut et pâlit.

Quoi! s'écria-t-il, l'ordre d'arrêter le roi de Navarre I

Eh bien ! qu'y a-t-il d'extraordinaire à cela?

Mais un roi, madame! En vérité, je doute, je crains de n'être pas assez bon gentilhomme.

Ma confiance vous fait le premier gentil- homme de ma cour, monsieur de Maurevel, dit Ca- tiierine.

Grâces soient rendues à Votre Majesté, dit l'assassin si ému qu'il paraissait hésiter.

Vous obéirez donc?

Si Votre Majesté le»commande. n'est-ce pas mon devoir?

Oui, je le commande. Alors j'obi'irai.

Gomment vous y prendrez- vous?

Mais je ne sais pas trop, madame, et je tlési- rernis fort être guidé par Votre Majesté.

Vous redoutez le hruit'

.le l'avoue.

Prenez douze hommes sfirs. plus s'il le faut.

Sans doute, je le comprends. Votre Majosti- mo |ieriuel do prendre mes avantages, et jo IhI (;n suis reconnaissant; in.iis saisirai-jo le roi de Na- varre?

vous |ilnir,iil"il inicux de le saisir?

Dans un lieu qui, par sa majesté même, me garantit, s'il était possible.

Oui, je comprends, dans quelque palais royal ; que diriez-vous du Louvre, par exemple?

Oh ! si Votre Majesté me le permettait, ce se- rait une grande faveur.

Vous l'arrêterez donc dans le Louvre.

Et dans quelle partie du Louvre? Dans sa chambre même. Maurevel s'inclina.

Et quand cela, madame?

Ce soir, ou plutôt celte nuit.

Bien, madame. Maintenant que Votre Majesté- daigne me renseigner sur une seule chose.

Sur laquelle*

Sur les égards dus à sa qualité.

Égards I... qualité!... ditCatherine. Maisvous ignorez donc, monsieur, que le roi de France ne doit des égards à qui que ce soit dans son roj-auine. ne reconnaissant personne dont la qualité soit égale à la sienne?

Maurevel fit une seconde révérence.

J'insisterai sur ce point cependant, madame, dit-il, si toutefois Votre Majesté le permet.

Je le permets, monsieur.

Si le roi contestait l'authenticité de l'ordre, ce n'est pas probable, mais enfin...

- Au contraire, monsieur, c'est sûr.

Il contestera?

Sans aucun doute.

Et, par conséquent, il refusera d'y obéir?

Je le crains.

Et il résistera !

C'£St probable.

Ah ! diable! dit Maurevel: et dans ce cas?...

Dans quel cas? dit Catherine avec son regard fixe.

Mais dans le cas il résisterait, que faui-il faire?

Que faites-vous quand vous êtes chargé d'un ordre du roi, c'est-à-dire quand vous représentez le roi, et qu'on vous résiste, monsieur de Maurevel?

Mais, madame, dit le shire, quand je suis ho- noré d'un pareil ordre, et i]u"iin ordre concerne un simple gentilhomme, je le tue.

Je vous ai dit, monsieur, reprit Catherine, cl je ne croyais pas (]u'il y eût assez longtemps pour que vous l'eussiez di'jà oublié, qu(> le roi de France ne reconnaissait aucune qualité dans son royaume; c'est vous dire (|ue le roi de France seul est roi, et (]u'auprès de lui les plus grands ,<iinl do simples ;;ontilshommes.

Maurevel pâlit, car il comnieniaii à comprendre.

Ohl oh! dit-il, tuer le roi do Navarre!...

Mais qui vous parle donc de le tuer? est l'ordre de le tuer? Le mi veut qu'on le mène à la llaslille, et l'ordre ne porte (]ue cela. Qu'il se laisse arrêter, irés-bion; mais, comme il ne se laissera pas

LA RELNE MARGOT.

S

arrêter, comme il résistera, comme il essayera de vous tuer... Maurevel pâlit.

Vous vous défendrez, continua Catherine. On ne peut pas demander à un vaillant comme vous de se laisser tuer sans se défendre; et, eu vous défen- dant, que voulez-vous? arrive qu'arrive. Vous me comprenez, n'est-ce pas?

Oui, madame, mais cependant...

Allons, vous voulez qu'après ces mots : Ordre d'arrêter, j'écrive de ma main : mort ou vif?

J'avoue, madame, que cela lèverait mes scru- pules.

Voyons, il le faut bien, puisque vous ne croyez pas la commission exécutable sans cela.

Et Catherine, en haussant les épaules, déroula le parchemin dune ma^n, et de l'autre écrivit : mort ou vif.

Tenez, dit-elle, trouvez-vous l'ordre suffisam- ment en règle, maintenant?

Oui, madame, répondit Maurevel ; mais je prie Votre Majesté de me laisser l'entière disposition de l'entreprise.

En quoi ce que j'ai dit nuit-il dune à son exécution?

Votre Majesté m'a dit de prendre douze hom- mes» •

Oui ; pour être plus sûr. . .

Eh bien ! je demanderai la permission de n'en prendre que six.

Pourquoi cela?

Parce que, madame, s'il arrivait malheur au prince, comme la chose est probable, on excuserait facilement six hommes d'avoir eu peur de manquer un prisonnier, tandis que personne n'excuserait douze gardes de n'avoir pas laissé tuer la moitié de leurs camarades a\ant de porter la main sur une Majesté.

Belle Majesté, ma foi ! qui n'a pas de royaume.

Madame, dit Maurevel, ce n'est pas le royaume qui fait le roi, c'est la naissance.

Eh bien! donc, dit Catlierine, faites comme il vous plaira. Seulement je dois vous prévenir que je désire que vous ne quittiez point le Louvre.

r— Mais, madame, pour réunir mes hommes?...

Vous avez bien une espèce de sergent que vous puissiez charger de ce soin?

J'ai mon laquais, qui non-seulement est un garçon fidèle, mais ([ui même m'a quelquefois aidé dans ces sortes d'entreprises.

Envoyez-le chercher et concertez-vous avec lui. Vous connaissez le cabinet des armes du roi, n'est-ce pas? eh bien! on va vous servir à déjeu- ner; là vous donnerez vos ordres. Le lieu raffermira vos sens s'ils étaient ébranlés. Puis, quand mon (ils reviendra de la chasse, vous passerez dans mon oratoire, vous attendrez l'heure.

Mais comment entrerons-nous dans la cham- bre? Le roi a sans doute quelque soupçon, et il s'enfermera en dedans.

J'ai une double clef de toutes les portes, dit Catherine, et on a enlevé les verrous de celle de Henri. Adieu, monsieur de Maurevel; à tantôt. Je vais vous faire conduire dans le cabinet des armes du roi. Ah! à propos! rappelez-vous que ce qu'un roi ordonne doit, avant toute chose, être exécuté; qu'aucune excuse n'est admise ; qu'une défaite, même un insuccès, compromettrait l'honneur du roi. C'est grave.

Et Catherine, sans laisser à Maurevel le temps de lui répondre, appela M. de Nancey, capitaine des gardes, et lui ordonna de conduire Maurevel dans le cabinet des armes du roi.

Mordieu! disait Maurevel en suivant son guide, je m'élève dans la hiérarchie de l'assassinat : d'un simple gentilhomme à un capitaine; d'un capitaine à un amiral ; d'un amiral à un roi sans couronne. Et qui sait si je n'arriverai pas un jour à un roi couronné!...

LA UE1^'E MARGOT.

Il

LA CHASSE A COURRK.

c piqiieur qui avait dé- tourné le sanglier et qui avait affirmé au roi que l'animal n'avait pas quitté T;fc^^ ayKAwfe'fl l'enceinte ne s'était nas trompe. A peine le limier fut-il mis sur la trace, «^^^'y^^^^i^^ssi^ qu'il s'enfonça clans le tail- lis et que d'un massif d'épines il Ht sortir le san- glier, qui. ainsi que le piqueur l'avait reconnu à ses voies, était un solitaire, c'est-à-dire une liète de la plus forte taille.

L'animal piqua droit devant lui et tra\ersa la route à cinquante pas du roi, suivi seulement du limier qui l'avait délourni'. On découpla aussitôt un premier relais, et une vingtaine de chiens s'en- foncèrent à sa poursuite.

La cliasse était la passion de Charles. A peine l'animal eut-il traversé la route qu'il s'élança der- rière lui, sonnant la vue, suivi du duc d'Alcnçoii cl de Henri, à qui un signe de Marguerite avait indiqué ([u'il ne devait point ijuitler Charles. Tous les autres chasseurs suivirent le roi. Les forêts royales étaient loin , à l'époque se passe l'histoire que nous rai^ontons , d'être , comme elles le sont aujourd'hui, de grands parcs roupés par des allées carro.ssables. Alors, l'exploi- talion était à peu prés nulle. Les rois n'avaient pas encore eu l'idée de se fair(^ commerçants et de diviser leurs bois en coupes, en taillis et en futaies. Les arhres, semés, non point par de sa- vants forestiers , mais par la main de Dieu , qui jetait la graine au caprice du vent, n'étaient pas disposés en quinconces, mais poussaient à leur loisir, et comme ils font encore aujouril'hui dans une forûl vierge do l'Amériiiue. llref, une forêt, à cette époque, (Hait un repaire il y avait à foi- son du sanglier, ilu cerf, du loup et des voleurs; et une douzaine de .sentiers seuh'uienl, parlant d'un point, éloilaicnt celle de Ilondy, qu'une route cir- culaire envelo|q)ait comme le cercle de la roue (;liv(dopiie les j:inU's.

En poussant la comiiaraisun i)lus loin, le moyeu ne repri'SiMiterail pas mal l'unique carrefour situé au ccnlre du hois, et les chasseurs égarés se ral-

liaient, pour s'élancer de vers le point la chasse perdue reparaissait.

Au bout d'un quart d'heure, il arriva ce qui ar- rivait toujours en pareil cas : c'est que des obstacles presque insurmontables s'étant opposés à la course des chasseurs, les voix des clTiens s'étaient éteintes dans le loitain, et le roi lui-même était revenu au carrefour, jurant et sacrant, comme c'était son ha- bitude.

Eh bien! d'Alençon, eh bien! Henriol, dit-il, vous voilà, mordieu, calmes et tranquilles comme des religieuses qui suivent leur abbcsse. Voyez- vous, ça ne s'appelle point chasser, cela. Vous, d'A- lençon, vous avez l'air de sortir d'une boite-, et vous êtes tellemoÉit parfumé, que si vous passez entre la bête et mes chiens vous êtes capable de leur faire perdre la voie. Et vous, llenriot, est votre épicu, est votre arquebuse'? voyons.

Sire, dit Henri, à quoi bon une arquebuse? Je sais que Votre Majesté aime tirer l'animal quand il tient aux chiens. Quant à un épieu. je manie as- sez maladroitement cette arme, qui n'est point d'u- sage dans nos montagnes, nous chassons l'ours avec le simple poignard.

Par mordieu, Henri, (piand vous serez re- tourné dans \os Pyrénées, il faudra que vous m'en- voyiez une pleine charretée d'ours, car ce doit être une belle chasse (jue celle qui se fait ainsi corps à corps avec un animal qui peut nous étouffer. Écoutez donc, je crois que j'entends les chiens. Non, je me trompais.

Le roi prit son cor et sonna une fanfare. Plusieurs f:infares lui n'pcmdirent. Tout à coup un pi(iueur parut qui fit entendre un autre air.

La vue! la vue I cria le roi.

Et il s'élança au gahqi, sni\ i de tous les chasseurs ijui s'étaient ralliés à lui.

Le piqueur ne s'était pas tromp('. A mesuro que le roi s'avançait, on commençait d'eulendre les aboiemenis de la meute, conqiosée alors de plus dt> soixante chiens, car on avait successivement lâché liuis les relais placés dans les endroits que le san- glier avait déjà parcdiirus. Le roi le vit passer pour la seconde fois, et, prolilant dune haute futaie, il

LA REINE MARGOT.

se jeta sous bois après lui, donnant du cor de toutes ses forces.

Les princes le suivirent quelque temps. Mais le roi avait un cheval si vigoureux, emporté par son ardeur il passait par des chemins tellement escar- pés, par des taillis si épais, que d'abord les femmes, puis le duc de Guise et ses gentilshommes, puis les deux princes, furent forcés de l'abandonner. Ta- vannestint encore quelque temps; mais enfin il y renonça à son tour.

Tout le monde, excepté Charles et quelques pi- queurs qui, excités par une récompense promise, ne voulaient pas quitter le roi, se retrouva donc dans les environs du carrefour.

Les deux princes étaient l'un prés de l'autre dans une longue allée, k cent pas d'eux, le duc de Guise et ses gentilshommes avaient fait halte. Au carrefour se tenaient les femmes.

Ne semblerait-il pas, en vérité, dit le duc d'Alençon à Henri en lui montrant du coin de l'œil le duc de Guise, que cet homme avec son escorte bardée de ter est le véritable roi 1 Pauvres princes que nous sommes, il ne nous honore pas même d'un regard.

Pourquoi nous traiterait-il mieux que ne nous traitent nos propres parents? répondit Henri. Eh! mon frère ! ne sommes-nous pas, vous et moi, des prisonniers à la cour de France , des otages de no- tre parti?

Le duc François tressaillit à ces mots et regarda Henri comme pour provoquer une plus large expli- cation; mais Henri s'était plus avancé qu'il n'avait coutume de le faire, et il garda le silence.

Que voulez-vous dire, Henri? demanda le duc François, visiblement contrarié que son beau-frére, en ne continuant pas, le laissât entamer ces éclair- cissements.

Je dis, mon frère, reprit Henri, que ces hom- mes si bien armés, qui semblent avoir reçu pour tâ- che de ne point nous perdre de vue, ont tout l'aspect de gardes qui prétendraient empêcher deux person- nes de s'échapper.

S'échapper, pourquoi, comment! demand* d'Alençon en jouant admirablement la surprise et la naïveté.

Vous avez un magnilique genêt, François, dit Henri poursuivant sa pensée tout en ayant l'air de changer de conversation; je suis sûr qu'il ferait sept lieues en une heure, et vingt lieues d'ici à midi. H fait beau ; cela invite , sur ma parole , à baisser la main. Voyez doue le joli chemin de traverse. Est-ce qu'il ne vous tente pas, François? Quant à moi, l'é- peron me brijle.

François ne répondit rien. Seulement il rougit et pâlit successivement; puis il tendit l'oreille comme s'il écoutait la chasse.

La nouvelledePolognefait son effet, dit Henri, et mon cher beau-frère a son plan, il voudrait bien

que je me sauvasse, mais je ne me sauverai pas seul.

11 achevait à peine celte réflexion quand plusieurs nouveaux convertis, revenus à la cour depuis deux ou trois mois , arrivèrent au petit galop et sa- luèrent les deux princes avec un sourire dos plus engageants.

Le duc d'Alençon , provoqué par les ouvertures de Henri, n'avait qu'un mot à dire, qu'un geste à faire, et il était évident que trente ou quarante ca- valiers réunis en ce moment autour d'eux comme pour faire opposition à la troupe de M. de Guise fa- voriseraient sa fuite; mais il détourna la tète, et, portant son cor à sa bouche , il sonna le rallie- ment.

Cependant les nouveaux venus, comme s'ils eus- sent cru que l'hésitation du duc d'Alençon venait du voisinage et de la présence des Guisards, s'étaient peu à peu glissés entre eux et les deuxprinces, ets'é- taient échelonnés avec une habileté stratégique qui annonçait l'habitude des dispositions militaires. En effet, pour arriver au duc d'Alençon et au roi de Navarre, il eût fallu leur passer sur le corps, tandis qu'à perte de vue s'étendait devant les deux frères une route parfaitement libre.

Tout à coup entre les arbres, à dix pas du roi de Navarre , apparut un autre gentilhomme que les deux princes n'avaient pas encore vu. Henri cher- chait à deviner qui il était, quand ce gentilhomme, soulevant son chapeau , se fit reconnaître à Henri pour le vicomte de Turenne, un des chefs du parti protestant que l'on croyait en Poitou.

Le vicomte hasarda même un signe qui voulait clairement dire :

Venez-vous ?

Mais Henri , après avoir bien consulté le visage impassible et l'œil terne du duc d'Alençon, tourna deux ou trois fois la tête sur son épaule comme si quelque chose le gênait dans le col do son pour- point.

C'était une réponse négative. Le vicomte la com- prit, piqua des deux et disparut dans le fourré.

Au même instant on entendit la meute se rap- procher, puis, à l'extrémité de l'allée l'on se trouvait, on vit passer le sanglier, puis au mémo instant les chiens, puis, pareil au chasseur infernal, Charles IX sans chapeau, le cor à la bouche, son- nant à se briser les poumons ; trois ou quatre pi- queurs le suivaient. Tavannes avait disparu.

Le roi ! s'écria le duc d'Alençon. Et il s'élança sur la trace.

Henri, rassuré par la présence de ses bons amis, leur fit signe de ne pas s'éloigner et s'avança vers les dames.

Eh bien 1 dit Marguerite en faisant quelques pas au-devant de lui.

Eh bien! madame, dit Henri, nous chassons le

6

LA REINE MARGOT.

Voilà tout?

Oui, le vent a tourné depuis hier matin ; mais je crois vous avoir prédit que cela serait ainsi.

Ces changements de vent sont mauvais pour la chasse , n'est-ce pas , monsieur? demanda Margue- rite.

Oui, dit Henri; cela bouleverse quelquefois toutes les dispositions arrêtées, et c'est uu plan à refaire.

En ce moment les aboiements de la meute com- mencèrent à se faire entendre, se rapprochant rapi- dement, et une sorte de vapeur tumultueuse avertit les chasseurs de se tenir sur leurs gardes. Chacun leva la tête et tendit l'oreille.

Presque aussitôt, le sanglier déboucha, et, au lieu de se rejeter dans le bois, il suivit la roule venant droit sur le carrefour se trouvaient les dames, les gentilshommes qui leur faisaient la cour, et les chasseurs qui avaient perdu la chasse.

Derrière lui et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens des plus robustes, puis derrière les chiens, à vingt pas à peine, le roi Char- les sans toquet, sans manteau, avec ses habits tout déchirés par les épines, le visage et les mains en sang.

Un ou deux piqueurs restaient seuls avec lui.

Le roi ne quittait son cor que pour exciter ses chiens, ne cessait d'exciter ses chiens que pour re- prendre son cor. Le monde tout entier avait dis- paru à ses yeux. Si son cheval eût manqué, il eût crié comme Richard III : Ma couronne pour un che- val !

Mais le cheval paraissait aussi ardent que le maî- tre, ses pieds ne touchaient pas la terre et ses na- seaux soufllaicnt le feu.

Le sanglier, les chiens, le roi, passèrent comme une vision.

Hallali, hallali! cria le roi en passant; et il' ra- mena son cor à ses lèvres sanglantes.

A (luelques pas de lui venaient le duc d'Alençon et deux piqueurs; seulement les ciievaux d6S autres avaient renonce, ou ils s'étaient perdus.

Tout le monde partit sur la trace, car il était évi- dent que le sanglier ne tarderait pas à tenir.

En effet, au bout de dix minutes à peine, le san- glier quitta le sentier qu'il suivait et se jeta dans le bois; mais, arrivé à une clairière, il s'accula à une roche et lit tète aux chiens.

Aux cris de Charles, qui l'avait suivi, tout le monde accourut.

On était arrivé au uioment intéressant do la chasse. I/aninial paraissait résolu à une défense désesiH'n'M'. Les chiens, animés par une course de plus de trois heures, se ruaient sur lui avec un acharnement que redoublaient les cris et les jurons du roi.

Tous les chasseurs se rangèrent en cercle, le roi un peu en avant, ayant derrière lui le duc d'Alen-

çon armé d'une arquebuse, et Henri qui n'avait que son simple couteau de chasse.

Le duc d'Alençon détacha son arquebuse du cro- chet et en alluma la mèche. -Henri, fit jouer son cou- teau de chasse dans le fourreau.

Quant au duc de Guise, assez dédaigneux de tous ces exercices de vénerie, il se tenait un peu à l'é- cart avec tous ses gentilshommes.

Les femmes réunies en groupe formaient une pe- tite troupe qui faisait le pendant à celle' du duc de Guise.

Tout ce qui était chasseur demeurait les yeux fixés sur l'animal, dans une attente pleine d'anxiété.

A l'écart se tenait un piqueur se roidissant pour résister aux deux molosses du roi, qui, couverts de leurs jaques de mailles, attendaient, en hurlant et en s'élançant de manière à faire croire à chaque instant qu'ils allaient briser leurs chaînes, le mo- ment de coiffer le sanglier.

L'animal faisait merveille; attaqué à la fois par une quarantaine de chiens qui l'enveloppaient comme une marée hurlante, qui le recouvraient de leur tapis bigarré, qui, de tous côtés, essayaient d'entamer sa peau rugueuse aux poils hérissés , chaque coup de boutoir il lançait à dix pieds de haut un chien, qui retombait éventré, et qui, les entrailles traînantes, se rejetait aussitôt dans la mêlée, tandis que Charles, les cheveux roidis, les yeux enflammés, les narines ouvertes, courbé sur le cou de son cheval ruisselant, sonnait un hallali furieux.

En moins de dix minutes , vingt chiens furent hors de combat.

Les dogues! cria Charles, les dogues!...

A ce cri le piqueur ouvrit les porte -mousquetons des laisses, et les deux molosses se ruèrent au mi- lieu du carnage, renversant tout, écartant tout, se frayant avec leurs cottes de fer uu chemin jus- qu'à l'animal , qu'ils saisirent chacun par une oreille.

Le sanglier, se sentant coiffé . lit claquer ses dents à la fois de rage cl de douleur. * Bravo , Duredent! bravo , Risquetout! cria Charles. Courage, les chiens! un épieu ! un épieu ;

Vous ne voulez pas mon ari|uebii^e ! dit le dur ^'Alençon.

Non. cria le roi, non. un ne sent pas enlrer la balle, il n'y a pas de plaisir; taudis qu'on seni entrer l'épicu. Un épieu! un épieu !

On présenta au roi un épieu de cha.ssc duix-i au feu et armé d'une pointe de fer.

Mon frère, prenez garde ! cria Marguerite,

Sus ! sus! .sire I cria la duchesse de Nc\ers. Ne le inan(|UC7. pas, sire! Un bon coup à ce parpaillot!

Soyez tranquille, duchesse ! dil Charles.

Et, mettant ,<on ('lueu en arrêt, il fondit snrlcsan glier. qui. tenu par les deux chiens, ne put éviter le coup. Copendanl, à la vue de l'épicu luisant, il lit

LA REÎNE MARGOT.

un mouvement de côté, et l'arme, au lieu de péné- trer dans la poitrine, glissa sur l'épaule et alla s'é- mousser sur la roche contre laquelle l'animal était acculé.

Mille nom d'un diable ! cria le roi, je l'ai manqué... Un épieu! un épieu !

Et, se reculant, comme faisaient les chevaliers lorsqu'ils prenaient du champ, il jeta à dix pas de lui son épieu hors de service.

Un piqueur s'avança pour lui en offrir un autre.

Mais, au même instant, comme s'il eût prévu le sort qui l'attendait, et qu'il eût voulu s'y soustraire, le sanglier, par un violent effort, arracha aux dents des molosses ses deux oreilles déchirées, et, les yeux sanglants, hérissé, hideux, l'haleine bruvante comme un soufflet de forge, faisant claquer ses dents l'une contre l'autre, il s'élança, la tête basse, vers le cheval du roi.

Charles était trop bon chasseur pour ne pas avoir prévu cette attaque. Il enleva son cheval, qui se ca- bra; mais il avait mal mesuré la pression : le che- val, trop serré par le mors ou peut-être même cé- dant à son épouvante, se renversa en arrière.

Tous les spectateurs jetèrent un cri terrible : le cheval était tombé, et le roi avait la cuisse engagée sous lui.

La main, sire, rendez la main, dit Henri.

Le roi lâcha la bride de son cheval, saisit la selle de sa main gauche, essayant de tirer de la droite son couteau de chasse ; rnais le couteau, pressé par le poids de son corps, ne voulut pas sortir de sa gaine.

Le sanglier, le sanglier! cria Charles. A moi d'Alençon, à moi !

Cependant le cheval, rendu à lui-même, comme s'il eût compris le danger que courait son maître, tendit ses muscles et était parvenu déjà à se relever sur trois jambes, lorsqu'à l'appel de son frère, Henri vit le duc François pâlir affreusement et ap- procher l'arquebuse de son épaule : mais la balle, au lieu d'aller frapper le sanglier, qui n'était plus qu'à deux pas du roi, brisa le genou du cheval, qui retomba le nez contre terre.

Au même instant le sanglier déchira de son bou- toir la botte de Charles.

Oh! murmura d'Alençon de ses lèvres blêmis- santes, je crois que le duc d'Anjou est roi de France et que, moi, je suis roi de Pologne.

En effet, le sanglier labourait la cuisse de Char- les lorsque celui-ci sentit quelqu'un qui lui levait le bras, puis il vit briller une lame aiguë et tran- chante qui s'enfonçait et disparaissait jusqu'à la

! garde au défaut de l'épaule de l'animal, tandis j qu'une main gantée de fer écartait la hure déjà fu- ' mante sous ses babils.

Charles, qui, dans le mouvement qu'avait fait le cheval, était parvenu à dégager sa jambe, se releva lourdement, et, se voyant tout ruisselant do sang, devint pâle comme un cadavre.

Sire, dit Henri, qui toujours à genoux main- ' tenait le sanglier atteint au cœur, sire, ce n'est

rien, j'ai écarté la dent, et Votre Majesté n'est pas blessée.

Puis il se releva, lâchant le couteau, et le sanglier tomba rendant plus de sang encore par sa gueule

! que par sa plaie.

Charles, entouré de tout un monde haletant, as- sailli par des cris de terreur qui eussent étourdi le

j plus calme courage, fut un moment sur le point de tomber près de l'animal agonisant. Mais il se re- mit ; et, .se retournant vers le rni de Navarre, il lui

' serra la main avec un regard brillait le premier

; élan de sensibilité qui eût fait battre son cœur de- puis vingt-quatre ans.

Merci, Henriot! lui dit-il.

Mon pauvre frère! s'écria d'Alençon en s'ap- prochant de Charles.

I Ah ! c'est toi, d'Alençon ! dit le roi. Eh bien ! ] fameux tireur, qu'est donc devenue ta balle?

Elle se sera aplatie sur le sanglier, dit le duc.

Eh ! mon Dieu ! s'écria Henri avec une sur- prise admirablement jouée, voyez donc, François, votre balle a cassé la jambe du cheval de Sa Majesté. C'est étrange !

Hein ! dit le roi. Est-ce vrai, cela?

C'est possible, dit le duc consterné ; la main me tremblait si fort!

Le fait est que, pour un tireur habile, vous avez fait un singulier coup, François! dit Charles en fronçant le sourcil. Une seconde fois, merci, Hen- riot! Messieurs, continua le roi, retournons à Paris, j'en ai assez comme cela.

Marguerite s'approcha pour féliciter Henri. , Ah! ma foi oui, Margot, dit Charles, fais-lui ' ton compliment, et bien sincère même, car, sans lui, le roi de France s'appelait Henri IH.

Hélas! madame, dit le Béarnais, M. le duc d'Anjou, qui est déjà mon ennemi, va m'en vouloir bien davantage. Mais que voulez-vous, on fait ce qu'on peut; demandez à M. d'Alençon.

Et, se baissant, il retira du corps du sanglier son couteau de chasse, qu'il plongea deu#ou trois fois dans la terre, afin d'en essuyer le sang.

<-^)fa»^ceiî«^«

LA REINE MARGOT.

III

FRATERNITÉ.

n snnvnnt la vie de Ctiar- le?, Henri avait fait pins que sauver la vie d'un homme; il avait empèclK' trois royaumes de changer de souverains.

En effet, Charles IX tué, _ le duc d'Anjou devenait

roi de France, et le duc d'Alençon, selon toute pro- habilité, devenait roi de Pologne. Quant à la Na- varre, comme M. le duc d'Anjou était l'amant de madame de Condé, sa couronne eût probablement pavé au mari la complaisance de la femme.

Or, dans tout ce grand bouleversement, il n'ar- rivait rien de bon pour Henri. Il changeait de maî- tre, voilà tout; et, au lieu de Charles IX, qui le to- lérait, il voyait monter au trône de France le duc d'Anjou, qui, n'ayant avec sa mère Catherine qu'un cœur et qu'une tète, avait juré sa mort et ne man- querait pas de tenir son serment.

Toutes ces idées s'étaient présentées à la fois à son esprit quand le sanglier s'était élancé sur Char- les iX, et nous avons vu ce qui était résulté de cette réllexion rapide comme l'éclair, qu'à la vie de Char- les IX était attachée sa propre vie.

Charles IX avait été sauvé par un di'vouement dont il ('tait impossible au roi de comprendre h' motif.

Mais Marguerite avait tout compris, et elle avait admiré ce courage étrange do Henri, qui, pareil à l'('ciair. ne brillait que dans l'orage.

Malheureusement ce n'i'tait pas le tout (|ue d'a- voir échappé au règne du duc d'Anjou, il fallait se faire roi soi-même. Il fallait disputer la Navarre au duc d'Alcncon et au prince de Ccmdc' ; il fallait sur- tout (piittcr celte cour l'on ne marchait (prenire deux précipices, l'i la quitter protégé par un lils de France. ^

Henri, tout en revenant de Hondy, n'-ni-chit pro- fiiiidéincnt à la situation. Kn arriv:uit au l,oiivre, son plan l'tait fait.

Sons sedébotler, tel qu'il était, tout poudreux et tout sanglant encore, il se rendit chez le duc d'A- lençon, qu'il trouva fort agité et se promenant à grands pas dans sa chambre.

En l'apercevant, le prince fil un mouvement.

Oui, lui dit Henri en lui prenant les deux mains, oui, je comprends, mon bon frère, vous m'en voulez de ce que le premier j'ai fait remar- quer au roi que votre balle avait frappé la jambe de son cheval, au lieu d'aller frapper le sanglier, comme c'était votre intention. Mais que voulez- vous? je n'ai pu retenir une exclamation de sur- prise. D'ailleurs, le roi s'en fût toujours aperçu, n'est-ce pas?

Sans doute, sans doute, mucmura d'.\leneon. Mais je ne puis cependant attribuer qu'à mauvaise intention cette espèce de dénonciation que vous avez faite, et qui, vous l'avez vu, n'a pas eu un ré- sultat moindre que de faire suspecter à mon frère Charles mes intentions, et de jeter un nuage entre nous. ,

Nous reviendrons là-dessus tout à l'heure; et, quant à la bonne ou à la mauvaise intention que j'ai à votre égard, je viens exprès auprès do vous pour vous en faire juge.

BienI dit d'Alençon avec sa réserve ordi- naire; parlez, Henri, je vous écoute.

Quand j'aurai parlé, François, vous verrez bien quelh's sont mes intentions, car la confidence que je viens vous faire exclut toute réserve et toute prudence ; et, quand je vous l'aurai faite, d'un mot, d'un seul mol vous pourrez me perdre!

Qu'est-ce donc? dit François, qui commençait à se troubler.

Et cependant, continua Henri, j'ai hésité long- temps à vous parler de la chose qui m'amène, sur- tout après la façon dont vous avez fait la sourde oreille aujourd'hui.

En vérité, dit François on pâlissant, je ne sais pas c(î que vous \oulezdire, Henri.

Mon frère, vos inlc-rèts me sont trop rhers pour que je ne vous avertisse pas que les huguenots ont fait faire près de moi des (h'marches.

Iles d(''marches! demanda d'Alençon, et quel- ii^s déinarebes?

L'un d'eux, M. de Mouy de Saint-Phal, le fils du brave de Mouy a.ssassiné par Maurevcl, vous sa- vez...

Oui.

Eh bien ! il est venu me trouver au risque ilo sa vie p(uir me dimonlrer (jue j'étais en cjptivit(5

LA REINE MARGOT.

Ml

iiii

•■ tt que lui <(»iri-vou> répondu?

Ah ! vraiment! et que lui avez-vous reponJu;

Mon frère, vous savez que j'aime tendrement Charles, qui m'a sauvé la vie, et que la reine mère a pour moi remplacé ma mère. J'ai donc refusé tiiutes les offres qu'il venait me faire.

Et quelles étaient ces offres?

Les huguenots veulent reconstituer le trùne de Navarre, et, comme eu réalité ce troue m'ap- partient par héritage, ils me l'offraient.

Oui; et M. de Mouy, uu lieu de l'adhésion qui! venait solliciter, a reçu votre désistement'.'

lormel... par écrit même. Mais depuis, con- tinua Henri...

Vous vous êtes repenti, mon frère, interrom- pit d'Alençon.

Non, j'ai cru ui'apercevoir seulement f\nr M. de Mouy. mécontent do moi. rO()ortait .'(illeur^ ses visées. m

Et cela? demanda vivement François.

Je n'en sais rien. Près du prince de Coude, peut-être.

Oui, c'est probable, dit le duc.

In,: 3r rr.T •li;e. '..-aimn Hi' iiraj!!?, st.

10

LA r,EI?<E MARGOT.

D'ailleurs, reprit ricnri, j"ai moyen de con- naître d'une manière infaillible le clicf qu'il s'est choisi.

François devint livide.

Mais, continua Henri, les huguenots sont di- vises entre eux, et de Mouy, tout hrave et tout loyal qu'il est. ne représente qu'une moitié du parti. Or, cette autre moitié, qui n'est point a dédaigner, n'a pas perdu l'espoir de porter au trône ce Henri de Navarre, qui, après avoir hésite dans le premier moment, peut avoir réfléchi depuis.

Vous croyez?

Oh ! tous les jours j'en reçois des témoignages. Cette troupe qui nous a rejoints à la chasse, avez- vous remarque de quels hommes elle se composait?

Oui, de gcnldshommcs convertis.

Le chef de cette troupe, qui m'a fait un sigue, l'avez-vous reconnu?

Oui, c'est le vicomte de Turennc.

Ce qu'ils me voulaient, l'avcz-vous compris?

Oui, ils vous proposaient de fuir.

.Mors, dit Henri à François inquiet, il est donc évident qu'il y a un second parti qui veut autre chose que ce que veut M. de Mouy.

Un second parti?

Oui, et fort puissant, vous dis-je, de sorte que, pour réussir, il faudrait réunir les deux partis : Turcnne cl de Mouy. La conspiration marche, les troupes sont désignées, on n'attend qu'un signal. Or, dans celte situation suprême qui demande de ma part une prompte solution, j'ai débattu deux résolutions entre lesquelles je lloltc. Ces deux réso- lutions, je viens vous les soumettre comme à un ami.

Dites mieux, comme à un frère.

Oui. comme à un frère, reprit Henri.

Parlez donc, je vous écoute.

Et d'abord, je dois vous exposer l'état de mon ame, mon cher François. Nul désir, nulle ambi- tion, nulle capacité; je suis un bon gentilhomme de campagne, pauvre, sensuel et timide; le métier de conspirateur me pré^cnte des disgrkes mal com- pensées par la perspective même certaine d'une couronne.

Ah ! mon frère, dit François, vous vous faites tort, et c'est une situation triste que celle dun prince dont la fortune est limitée par une borne dans le champ paternel ou par un homme dans la carrière des linnucursl Je ne crois donc pas à ce que vous mo dites.

Ce que je vous dis est si vrai cependant, mon frère, reprit Henri, que, si je croyais avoir un ami réel, je me (Ic'Micllrais en sa faveur de la puissance que veut me confiTcr le parti ipii s'occupe de nmi ; mais, njnula-l-il avec un soupir, je n'en ai point.

Peut-être. Vous vous trompez sans doute.

Non, vcntrc-saintgris! dit Henri. Excepté vous, mon fri'.ie, jo no vois pursouno qui luo soit

atlaché; aussi, plutôt que de laisser avorter en des déchirements affreux une tentative qui produirait à la lumière quclf|uc homme... indigne... je préfère en vérité avertir le roi mon frère de ce qui se passe. Je ne nommerai personne, je ne citerai ni pays ni date; mais je préviendrai la catastrophe.

Grand Dieu', s'écria d'Aleuçon ne pouvant ré- primer sa terreur, que dites-vous là?... Qui. vous, vous la seule espérance du parti depuis la mort de l'amiral ; vous, un huguenot converti, mal converti, on le croyait du moins, vous lèveriez le couteau sur vos frères! Henri' Henri! en faisant cela, savez-vous que vous livrez à une seconde Saint-Barthélémy tous les calvinistes du royaume? Savez-vous que Catherine n'attend qu'une occasion pareille pour exterminer tout ce qui a survécu?

Et le duc, tremblant, le visage marbré de pla- ques rouges et livides, pressait la main de Henri pour le supplier de renoncer à cette résolution, qui le perdait.

Comment! dit Henri avec une expression de parfaite bonhomie, vous croyez, François, qu'il ar- riverait tant de malheurs? Avec la parole du roi, cependant, il me semble que jo garantirais les im- prudents.

La parole du roi Charles IX, Henri... Eh! l'a- miral ne l'avait-il pas? Téligny ne l'avait-il pas? Ne l'aviez -vous pas vous-même? Oh! Henri! c'est moi qui vous le dis : si vous faites cela, vous les perdez tous, non-seulement eux, mais encore tout ce qui a eu des relations directes ou indirectes avec eux.

Henri parut réfléchir un instant.

Si j'eusse été un prince important à la cour, dit-il, j'eusse agi autrement. A votre place, par exemple, à votre place à vous, François, fils de France, héritier probable de la couronne...

François secoua ironiquement la tête.

A ma place, dit-il, que fcriez-vous?

A votre place, mon frère, répondit Henri, je me mettrais à la tète du mouvement pour le diri- ger. Mon nom et mon crédit répondraient à ma conscience de la vie des séditieux, et je tirerais uti- lité pour moi d'abord cl pour le roi ensuite, peut- être, d'une entreprise, qui, sans cela, peut faire lo plus grand mal à la France.

U'Alençon écouta ces paroles avec une joio qui dilata tous les muscles de son visage.

Croyez-vous, dit-il, que ce moyen soit proli- cablo et qu'il nous épargne tous ces désastres que vous prévoyez?

.le le crois, dit Henri. Les huguenots vous ai- ment : voire extérieur modeste, voire siiiialion éle- vée Qt inli'ressanle à la fuis, la bieuM'illanco enfin que vous avez toujours lonuiignée à ceux de la reli- gion, les portent à von.'- servir.

Mais, dit d'Aleiivnii, il y a schisnio dans le

LA ni:i,\E 3iAr,(;oT.

11

parti. Ceux qui snnt pour vous sornnt-ils pour moi?

,1e mo cluirge de vous les concilier pnr deux raisons.

-— Lcsi|uellcs?

D'abord, par la confiance que les clicfs out eu moi ; ensuite, par la crainte ils seraient que Vo- tre Altesse, connaissant leurs noms...

Mais ces noms, qui nie les révélera ?

Moi, ventre-saint-gris !

Vous feriez cela?

Écoutez, François, je vous l'ai dit, continua Henri, je n'aime que vous à la cour : cela vient sans doute de ce que vous êtes persécuté comme moi; et puis, ma femme aussi vous aime d'une af- fection qui n'a pas d'égale...

François rougit de plaisir.

Croyez-moi, mon frère, continua Henri, pre- nez cette affaire en main, régnez en Navarre; et, pourvu que vous me conserviez une place à vo- tre table et une belle forêt pour chasser, je m'es- timerai heureux.

Régner en Navarre, dit le duc; mais si...

Si le duc d'Anjou est nommé roi de Polo- gne, n'est-ce pas? j'achève votre pensée.

François regarda Henri avec une certaine ter- reur.

Eh bien ! écoutez, François! continua Henri : puisque rien ne vous échappe, c'est justement dans cette hypothèse que je raisonne : si le duc d'An- jou est nommé roi de Pologne et que votre frère Charles, que Dieu conserve! vienne à mourir, il n'y a que deux cents lieues de Pau à Paris, tan- dis qu'il y a en quatre cents de Paris à Craco- vic; vous serez ilonc ici pour recueillir l'héri- tage juste au moment le roi de Pologne ap- prendra qu'il est vacant. Alors, si vous êtes content de moi, François, vous me donnerez ce royaume de Navarre, qui ne sera plus qu'un dos fleurons de votre couronne; de cette façon, j'accepte. Le pis qui puisse vous arriver, c'est de rester roi là-bas et de faire souche de rois en vivant en fa- mille avec moi et ma famille, tandis qu'ici , qu'è- tes-vous? un pauvre prince persécuté, un pauvre troisième fils de roi, esclave de doux aînés et qu'un caprice peut envoyer à la Bastille.

Oui, oui, dit François, je sens bien cela, si bien que je ne comprends pas que vous renon- ciez à ce plan que vous me proposez. Piien ne bat donc là?

Et le duc d'Alençon posa la main sur le cœur de son frère.

Il y a. dit Henri en souriant, des fardeaux trop lourds pour certaines mains, je n'essayerai pas de soulever celui-là; la crainte de la fatigue me fait passer l'envie de la possession.

Ainsi, Henri, véritablement vous renoncez?

Je l'ai dit à de Mouy et je vous le répète.

Mais en pareille circonstance, cher frère, dit d'.Mençnn, on ne dit pas, on [irouvc.

Henri res[iira comme un lulieur qui sent plier les reins de son adversaire.

Je le prouverai, dit-il, ce soir : à neuf heu- res la liste des chefs et le plan de l'entreprise se- ront chez vous. J'ai même déjà remis mon acte de renonciation à de Mouy.

François prit la main de Henri et la serra avec effusion entre les siennes.

Au même instant Catherine entra chez le duc d'A- lençon, et cela, selon son habitude, sans se faire an- noncer.

Ensemble! dit-elle en souriant, deux bons frères, en vérité.

Je l'espère, madame, dit Henri avec le plus grand sang-froid, tandis que le duc d'.Mençon pâ- lissait d'angoisses.

Puis il fit quelques pas en arrière pour laisser Catherine libre de parler à son fils.

La reine mère alors tira de son aumônière un joyau magnifique.

-r- Celte agrafe vient de Florence, dit-elle, je vous la donne pour mettre au ceinturon de votre cpée.

Puis tout bas :

Si, conlinua-telle, vous entendez ce soir du bruit chez votre bon frère Henri, ne bougez pas.

François serra la main de sa mère, et dit :

Me permetlcz-vûus de lui montrer le beau pré- sent que vous venez de me faire?

Faites mieux, donnez-le-lui en votre nom et au mien , car j'en avais" ordonné une seconde à son intention.

Vous entendez, Henri, dit François, ma bonne mère m'apporte ce bijou, et en double la valeur en permettant que je vous le donne.

Henri s'extasia sur la beauté de l'agrafe, et se confondit en remcrcimcnts.

Quand SCS transports se furent calmés :

Mon fils, dit Catherine, je me sens un peu in- disposée, et je vais me mettre au lit; votre frèru Charles est bien fatigué de sa chute et va en faire autant. On nesoupcra donc pas en famillecesoir, et nous serons servis chacun chez nous. Ah ! Henri, j'oubliais de vous faire mon compliment sur votre courage et votre adresse : vous avez sauvé votre roi et votre frère, vous en serez récompense'.

Je le suis déjà, madame! répondit Henri eu s'inclinant.

Par le sentiment que vous avez fait votre de- voir, reprit Catherine; ce n'est point assez, et croyez que nous songeons, Charles et moi, à faire quel- que chose qui nous acquitte envers vous.

Tout ce qui viendra de vous et de mon bon frère sera bienvenu, madame.

Puis il s'inclina et sortit.

12

LA REINE jMARGOr.

Ah ! mon frère François, pensa Henri en sor- tïint, je suis sûr maintenant de no pas partir seul, H la conspiration, qui avait un corps, vient fie trou- ver une tète et un cœur. Seulement , prenons

garde à nous. Catherine me fait un caJeuu, Cathe- rine me promet une récompense : il y a quelque diablerie là-dessous; j'en veux conférer ce soir avec Marguerite.

IV

l.S RtCONNAlSSANi.K hf Hùl r.llAfil.r.s 1\.

ûurevel était resté une par- tie de la journée dans le rabinet des armes du roi ; mais , quand Catherine ' avait vu approcher le mo- ment du retour de la chasse, elle l'avait fait pas- ser dans son oratoire avec les sbires qui IVlaient venus rejoindre.

Charles IX. averti à son arrivée par sa nourrice qu'un homme avait passi' une partie de la jour- née dans son cabinet, s'était d'abord mis dans une "rande colère qu'(m se fût permis d'introduire un l'tranger chez lui. Mais, se ri'iant fait dépeindre, et sa nourrice lui ayant dit que c'cHait le mémo homme (ju'elle avait été elle-même chargée dn lui amener un soir, le roi avait reconnu Maurevel. et, se rappe- lant l'ordre arraché le matin par sa mère . il avait tout compris.

Oh! oh! murmura Charles, dans la même journi'e il m"a sauvé la vie . le moment est mal choi'^i.

Kn conséqui-nce, il lit queli|ues pas pcnir descen- dre chez, sa mère, mais une pensi'o le retint.

Mordieu! dit-il. si je lui parle de cela, ci5.«era une discussion à n'en lia* linir, mieux vaut que nous agissions chacun de notre côl('.

Nourrice, dit-il, ferme bien toutes les portes il proviens la reine Klisalieib i|^ qu'un peu souffr.inl

(1) Cliarli". 1\ a»»il tpn»fv l'iliMlirlIi d Aiilriclio, fille i\o Maiimilicn.

de la cbiili' que j'ai faite je dormirai seul celte nuit.

La nourrice obé'it, et, comme l'heure d'exécuter son projet n'était pas arrivée, Charles se mit à faire des vers.

C'i'tait l'occupation pendant laquelle le temps passait le pins vite pour le roi. Aussi neuf heures sonnèrent-elles que Charles croyait encore qu'il en était à peine sept. Il compta l'un après l'autre les battements de la cloche, et au dernier il .«e leva.

Notn d'un diable! dit-il, il est temps tout jnste.

Et . prenant .<on manleau et son chapeau , il sortit par tine porte secrète qu'il avait fait per- cer dans la boiserie r\ ilnut (.atlierinr elle-même ignorait l'existence.

Charles alla droit à l'appartement de Henri. Henri n'avait fait cpie rentrer chez lui pour chan- ger de costume en ([uittani le duc d'Alençon, et il était sorti aussitôt.

Il sera allé souper chez Margot, se dit le roi ; il ('tait an mieux aujoiird'luii avi'c elle, à ce qu'il m'a semblé, du moins.

Va il s'ai'lM'ioiiia \ers l'apparleinent de Margue- rite.

Marguerite a\ ail ramené chez, elle la duchesse de Nevers, Coconas et la Mole, et faisait avec eux une cidlatiim tW ronlitnres et de pâtisseries.

Charles heurta à la porte d'entrée; (lillonne alla ouvrir: mai*, à l'aspect du roi. elle fui si r'pouvan- li'c, rpi'elb' trouva ;'i peine la force de f;iire la ré- viTi'nce. et qu'au lieu de courir pour pré\cnir sa

LA HEINE MAHGOT.

maîtresse de l'auguste visi,te qui lui arrivait, elle laissa passer Charles sans donner d'autre signal que le cri qu'elle avait poussé.

Le roi traversa l'antichambre, et, guidé par les éclats de rire, il s'avança vers la salle à manger.

<f Pauvre Henriot: dit-il, il se réjouit sans pen- ser à mal. »

C'est moi, dit-il en soulevant la tapisserie et en montrant un visage riant.

Marguerite poussa un cri terrible; tout riant qu'il était, ce visage avait produit sur elle l'effet de la tête de Méduse. Placée en face de la portière, elle venait de reconnaître Charles.

f.es deux hommes tournaient le dos au roi.

Majesté! s'écri.i-t-elle avfc effroi.

Et elle se leva.

Coconas, quand les trois autres convives sen- taient en quelque sorte leur tète vaciller sur leurs épaules, fut le seul qui ne perdit pas la sienne. Il .se leva aussi, mais avec une >i habile maladresse, qu'en se levant il renver.sa la table, et qu'avec elle il culbuta cristaux, vaisselles et bougies.

En un instant, il y eut obscurité complète et si- lence de mort.

Gagne au pied, dit Coconas à la Moh'. Hardi ! nardil

La Mole ne se le lit pas dire deux fois, il se jeta contre le mur. s'orienta di's mains, cherchant la chambre à coucher pour se cacher dans le cabinet qu'il connaissait si bien.

Mais, en mettant le pied dans la cbambre à cou- cher, il se heurta contre un homme qui venait d'en- trer par le passage secret.

Que signifie donc tout cela? dit Charles dans les ténèbres avec une voix qui commençait à pren- dre un formidable accent d'impatience; suis-je donc un trouble-fète, que l'on fasse à ma vue un pareil remue-ménage? Voyons, Henriot ! Henriot ! où. es- tu? réponds-moi.

Nous sommes sauvés! murmura Marguerite en saisissant une main qu'elle prit pour celle de la Mole. Le roi croit que' mon mari est un de nos con- vives,

Et je le lui laisserai croire, madame, soyez tranquille, dit Henri répondant à la reine sur le même ton.

Grand Dieu! s'écria Marguerite en lâchant vi- vement la main qu'elle tenait et qui était celle du roi de Navarre.

Silence! dit Henri.

Mille noms du diable! qu'avez-vous donc à chuchoter ainsi? s'écria Charles. Henri, répondez- moi, êtes-vous?

Me voici, sire, dit la voix du roi de Navarre.

Diable! dit Coconas, qui tenait la duchesse de Nevers dans un coin, voilà qui se complique.

Alors nous sommes detix fois perdues, dit Hen- riette.

Coconas, bravejusqu'à l'imprudence, avait réflé- chi qu'il fallait toujours finir par rallumer les bou- gies, et, pensant que le plus tût serait le mieux, il (piitta la main de madame de Nevers, ramassa au milieu des débris un chandelier, s'approcha du chauffe-doux (1), et souffla sur un charbon qui en- llainma aussitôt la mèche d'une bougie.

La chambre s'éclaira.

Charles IX jeta autour de lui un regard interro- gateur.

Henri était près de sa femme, la duchesse de Ne- vers était seule dans un coin; et, Coconas, debout, au milieu de la chambre, un chandelier à la main, éclairait toute la scène.

Excusez-nous, mon frère, dit Marguerite, nous no vous attendions pas.

Aussi Votre Majesté, comme elle peut le voir, nous a fait une peur étrange! dit Henriette.

Pour ma part, dit Henri, qui devina tout, je crois que la peur a été si réelle, qu'^n me levant j'ai renversé la table.

Coconas jeta au roi de Navarre un regard qui voulait dire :

.\ la bonne heure! voilà un mari qui entend à demi-mot.

Quel affreux remue-ménage ! répéta Char- les IX. Voilà ton souper renversé, Henriot. Viens avec moi, tu l'achèveras ailleurs; je te débauche pour ce soir.

Comment, sire, dit Henri, Votre Majesté me fi-rait l'honneur!...

Oui, Ma Majesté te fait l'honneur de t'emme- ner hors du Louvre. Prête-le-moi, Margot, je te le ramènerai demain matin.

Ah! mon frère! dit Marguerite, vous n'avez point besoin de ma permission pour cela, et vous êtes bien le maître.

Sire, dit Henri, je vais prendre chez moi un autre manteau et je reviens à rin.stant même.

Tu n'en as pas besoin, Henriot, celui que tu as est bon.

Mais, sire... essaya le Béarnais.

Je te dis de ne pas retourner chez toi, mille noms d'un diable ! n'entends-tu pas ce que je te dis? Allons, viens donc!

Oui, oui, allez ! dit tout à coup Marguerite en serrant le bras de son mari; car un singulier re- gard do Charles venait de lui apprendre qu'il se passait quelque chose d'étrange.

Me voilà, sire, dit Henri.

Mais Charles ramena son regard sur Coconas, qui continuait son office d'éclaireur en rallumant les autres bougies.

Quel est ce gentilhomme, demanda-t-il à Henri en toisant le Piémontais. serait-ce point par hasard M. delà Mole?

(I) Espaça Oc brasero.

14

LA REINE MARGOT.

Qui lui a donc pnrlé de la Mole'! se demanda tout bas Marguerite.

Non, sire, répondit Henri, M. de la Mole n'est point ici, et je le regrette, car j'aurais eu l'honneur de le présenter h Votre Majesté en même temps que M. de Coconas son ami ; ce sont deux inséparables, et tous deux appartiennent à M. d'Aicnçon.

Ab ! ail! à notre grand tireur! dit Cbarles. Bon.

Puis, en fronçant le sourcil :

Ce M. de la Mule, ajouta-t-il, n'est-il pas hu- guenot?

Converti, sire, dit Henri, et je réponds de lui comme de moi.

. Quand vous répondez de quelqu'un. Ilenriot, après ce que vous avez fait aujourd'hui, je n'ai plus le droit de douter de lui. Mais n'importe, j'aurais voulu le voir ce M. de la Mole. Ce sera pour plus tard.

Et, faisant de ses gros yeux une dernière perqui- sition dans la chambre, Charles embrassa Margue- rite et emmena le roi de Navarre en le tenant par- dessous le bras.

A la porte du Louvre, Henri voulut s'arrêter pour parler à quelqu'un.

Allons, allons! sors vite, Henriot, lui dit Char- les. Quand je te dis que l'air du Louvre n'est pas bon pour toi ce soir; ijue diable ! crois-moi donc.

Yentre-saint-gris! murmura Henri; et de Mouy, que va-t-il devenir tout seul dans ma cham- bre?... Pourvu que cet air qui n'est pas bon pour moi ne soit pas |)lus mauvais encore pour lui.

Ail çà! dit le roi lorsque Henri et lui eurent traversé le pont-levis, cela t'arrange donc, Henriot, que les gens de .M. d'Alençon fassent la cour à ta femme?

Comment cela, sire?

Oui, ce M. de Coconas ne fait-il pas les doux yeux à Margot?

Qui vous a dit cela?

Dame I reprit le roi, on me l'a dit.

Haillerie pure, sire. M. de Coconas fait les doux yeux à quelqu'un, c'est vrai, mais c'est à ma- dame de Ncvers.

Ah bah !

Je puis repondre à Votre Majesté de ce que je lui dis là.

Charles se prit à rire aux éclats.

Lli bien! dit-il, que le duc de Guise vienne en- core me faire des propos, et j'allongerai agréable- ment sa moustache en lui contant les exploits de sa bi'lle-so'ur. Après cela, dit le roi se ravisant, je ni' sais plus si c'est de M. de Coconas ou de M. de In Mob' (pi'il m'a parbj.

l'as plus l'un que l'autre, sire, dit Henri, et je vous rc|innils des sentiments de ma femme.

ll(in , Henriot, bon! dit le rui, j'iiinn' mieux to vuir ainsi qu'autrement, et, sur mon honneur.

tu es si brave garçon, que je crois que je finirai par ne plus puuvoir me passer de toi.

En di.<ant ces mots, le roi se mit à siffler d'une façon particulière, et quatre gentilshommes, qui attendaient au bout de la rue de Beauvais, le vin- rent rejomdre, et tous ensemble s'enfoncèrent dans l'intérieur de la ville.

Dix heures sonnaient.

Eh bien ! dit Marguerite quand le roi et Henri furent partis, nous remettons-nous à table?

Non, ma foi! dit la duchesse, j'ai eu trop peur. Vive la petite maison de la rue Cloche-Per- eée! on n'y peut pas entrer sans en faire le siège, et nos braves ont le droit d'y jouer des épées. Mais que cherchez-vous sous les meubles et dans les armoires, monsieur de Coconas?

Je cherche mon ami la Mole, dit le Piémon- tais.

Cherchez du côté de ma chambre, monsieur, dit Marguerite, il y a un certain cabinet...

Bon, dit Coconas, j'y suis. Et il entra dans la chambre.

Eh bien ! dit une voix dans les ténèbres, oti en sommes-nous?

Eh mordi ! nous en sommes au dessert.

Et le roi de Navarre?

11 n'a rien vu; c'est un mari parfait, et j'en souhaite un pareil à ma femme. Cependant, je crains bien qu'elle ne l'ait jamais qu'en secondes noces.

Et le roi Charles ?

Ah! le roi, c'est différent; il a emmené le mari.

En vérité?

C'est comme je te ie dis. De plus, il m'a fait l'honneur de me regarder de côté quand il a appris que j'étais à M. d'Alençon, et de travers quand il a su que j'étais ton ami.

Tu crois donc qu'on lui aura nral parlé de moi?

J'ai peur, au contraire, qu'on ne lui en ait dit trop de bien. Mais ce n'est point de tout cela qu'il s'agit : je crois que ces dames ont un pèlerinage i faire du côté de la rue du Hoi-de-Sicile, et que nous ccinduisons les pèlerines.

Mais impossible!... tu le sais bien.

Comment, impossible?

Eh ! oui, nous sommes de service chez Son Altesse lioyalc.

Mordi ! c'est ma foi vrai ! J'oublie toujoursque nous sommes en grade, et que de gentilshommes (]uc nous étions nous avons eu l'honneur de passer valets.

i;t les deux amis allèrent exposer à la reine et à la duchesse la nécessite ils étaient d'assister au moins au coucher do M. le duc.

C'est bien, dit madame de Ncvors, nous par- tons do nolro côtii.

LA nLT^ΠMAP.GOT.

15

Et peut-on savoir vous allez? demanda Co- conas.

Oh ! vous êtes trop curieux, dit la duchesse. Quœre el inverties.

Les deux jeunes gens saluèrent et montèrent en toute hâte chez M. d'Alenoon. Le duc semblait les attendre dans son cabinet.

Ah! ah! dit-il, vous voilà bien tard, mes- sieurs.

Dix heures à peine, monseigneur, dit Coconas. Le duc tira sa montre.

C'est vrai, dit-il. Tout le monde est couché au Louvre cependant.

Oui, monseigneur, mais nous voici à vos or- dres. Faul-il introduire dans la chambre de votre Altesse les gentilshommes du petit coucher?

Au contraire, passez dans la petite salle et congédiez tout le monde.

Les deux jeunes gens obéirent, exécutèrent l'or-

dre donné, qui n'étonna personne à cause du ca- raetcre bien connu du duc.

Monseigneur, dit Coconas, Votre Altesse va sans doute se mettre au lit, ou travailler?

iNon, messieurs, vous avez congé jusqu'à de- main.

Allons, allons, dit tout bas Coconas à l'oreille de la Mole, la cour découche ce soir, à ce qu'il pa- rait; la nuit sera friande en diable, prenons notre part de la nuit.

El les deux jeunes gens montèrentrcscalierqua- Ire à quatre, prirent leurs manteaux et leurs épécs de nuit, et s'élancèrent hors du Louvre à la pour- suite des deux dames, qu'ils rejoignirent au coin de la rue du Coq-Saiul-lIonoré.

Pendant ce temps, leducd'Alençon, l'œil ouvert, l'oreille au guet, attendait, enfermé dans sa cham- bre, les événements imprévus qu'on lui avait pro- mis.

16

LA UEIiNK MARGOT,

. . ^^,î.:^|i;^*i^lM|^^ïïp^^ii^g^^'.■to•|^tf

Le roi et Henri l'ultaiciil la vilU.

niMi uisi'osic.

lui.s it li'iir j<uiiii.^uit

oinmcravaiulil le tliicnux tlriix jciinos gt-ns, lo [iliis prnfdiKJ silcnrft n'gnail n\\

l'.ii l'ffii. Margiicrilo el iii;i(l;uiii' (11' N(^vprs l'taiiMil |i;iilirs iHiiir i;i ruo iiz.iiii. Cdionascl la Molos'i'taicMl Le roi el Henri battaient la

ville. 1,1'iliir clAU'Pnin ^l• leiiiiil flif/. lui dans l'at- lonto vapnn et anxieuse ries ôvénoiMcnls que lui avait pn-dils la reine niérc. F-nlln. Caliierine s'était mise au lit, el niaiianie de Sauve, assise à son clievcl, lui faisait lecture do certains conttvs italiens dont riait fort la lionne reine.

Depuis liin;;leu)ps (Inllu'rini' n'avait l'ti- desi belle liunieur. Après avoir fait de bon appi'lil une rnlii' lion avec ses fciuuic». aprè;< avoir pris con^ultatlua

LA REINE 31ARG0T.

17

On de ces six hommes marchait le premier. PtcB 19.

du médecin, après avoir réglé les comptes quoti- Jiens de sa maison, elle avait ordonné une prière pour le succès de certaine entreprise importante, disait-elle, pour le bonheur de ses enfants; c'était l'habitude de Catherine, habitude au reste toute florentine, de faire dire dans certaines circonstan- ces des prières et des messes dont Dieu et elle sa- vaient seuls le but

Enfin, elle avait revu René, et avait choisi dans ses odorants sachets et dans son riche assortiment plusieurs nouveautés.

Qu'on sache, dit Catherine, si ma fille la reine

do Navarre est chez elle, et, si elle y est, qu'on la prie de me venir faire compagnie.

I e page au([uel cet ordre était adressé sortit, et, un instant après, il revint accompagné de Gillonne.

Eh bien 1 dit la reine mère, j'ai demandé la maîtresse et non la suivante.

Madame, dit Gillonne, j'ai cru devoir venir moi-même dire à Votre Majesté que la reine de Na- varre est sortie avec son amie la duchesse de Ne- vers

Sortie à cette heure, reprit Catherine en fron çant le sourcil, et peut-elle être allée ?

lui^. il &KV a\lit. l/ijilL^ir' ï|jQlt>3rua>3ï, st.

18

LA REI>'E MARGOT.

A une son n ce J'alchiniio, rcpondll Cillonnc, laquelle (Inil avoir lieu à l'Ijùlel do Guise, dans le pa\ illon lialiilé par madame de Ncvcrs.

El quand rcntrcra-t elle? demanda la reine mère.

I.a séance fc prolongera fort avant dans la nuit, rcpondil (jilliinne, de sorte qu'il e.--t probalde que Sa Majesté demeurera jusqu'à demain matin chez son amie.

Elle est lieurcuse, la reine de Navarre, nuir- nuira Callicrine, elle a des amies et elle est reine; elle poric une couronne, on l'apfielle Votre Majesté cl elle n"a pas do sujets : elle c^t bien lieureuse.

Ajirès celte boutade, qui fil sourire intérieure- ment les auditeurs :

Au reste, murmura Catlicnnc, puisqu'elle est sortie! car clic est sortie, ,(lile^-\■ûus■;

Depuis une deini-beure, madame.

Tout est pour le mieux, allez. Cillonne salua et sortit.

Continuez votre lecture, Charlotte! dit la reine.

Madame de Sauve continua. Au bout de di.v minutes, Catlierinc interrompit la lecture.

Ali ! à propos, dit-elle, qu'on renvoie les gar- des de la f;alcrie.

C'était lesij^nal qn'atlemlail Maurevcl.

On exécuta l'onlro de la ri'iiie mère, et madame de ."^auve continua son histoire.

lille avril lu un quart d'heure à peu près sans inlerruption aucune, lorsqu'un cri. long, prolongé, terrible, parvint jusque dans la cbanilne royale cl fit dresser les cbe\ciix sur la tèie des as.'^isiauls.

Un coup de pistolet le sui\ it imuiédiatemciit.

Qu'est cela? tlit Catherine, et pourquoi ne lisez-vous plus, Caihiiia'.'

Madame, dit la jeune femme pâlissante, n'a- vcz-voiis point entendu'.'

Quoi ?

Ce cri.

El ce coup de pistolet'? ajouta le capitaine des gariles.

1,'n cri, un coup de pistolet, ajouta Catherine,

je n'ai lien culci.dii, iimi U'ailleurs, c.'^l-ce donc

chose bien extraordinaire au Louvre qu'un cri et qu'un coup de pi>tolet! Lisez, lisez, Carlolla.

Maibécoutez, madame, dit celle-ci, tandis ipie M. de Nancey se tenait debout la main à la poignée de son épi'C cl n'osant soriir sans le congé de la reine, écoulez, on entend des [las, des impréca- tions.

Faut-il que jo m'informe, madame? dit ce dernier.

l'oint du tout, ninnsicur. restez là, dit Callic- rine en se soulevant sur une main comme pour donner plus do force à sou ordre, (Jui donc me gar-

derait en cas d'alarme? Ce sont quelques Suisses ivres qu! se hatlent.

Le calme de la reine, opposé à la terreurqui pla- nait sur toute cette assemblée, formait un contraste tellement remarquable, que, si timide qu'elle fût, madame de Sauve fixa un regard interrogateur sur la reine.

.Mais, madame, s'ccria-t-clle, on dirait que l'on tue quebiu'un?

Fl i|ui voulez-vous qu'on tue?

Mais le foi de Navarre, madame; le bruit vient du côte de son appartement.

La sotte! murmura la reine, dont les lèvres, malgré sa puissance sur elle-même, commençaient à s'agiter étrangement, car elle marmottait une prière; la sotte voit son roi de Navarre partout.

Mon Dieu! mon Dieu! dit madame de Sauve en retombant sur son fauteuil.

C'est fini, c'est fini, dit Catherine. Capitaine, continua-t-elle en s'adressant à M. de Nancey. j'es- père que, s'il y a du scandale dans le palais, vous ferez demain punir sévèrement les coupables. Re- prenez voire lecture, Carlolta.

Et Catherine retomba elle-même sur son oreiller d.ins une immobilité qui ressemblait beaucoup à de raffaissemenl, car les assistants rcnianiuèrent que de grosses gouttes de sueur roulaient sur son vi- sage.

Madame de Sauve obéit à cet ordre formel ; mais ses yeux et sa voix fonctionnaient seuls. Sa pensée, err.'inte sur d'autres objets, lui représentait un dan- ger terrible suspendu sur une tète chérie. Enfin, après quelques minutes de ce combal, elle se trouva lelleiiient oiipressée entre l'émotion cl rétuiuette, <|iie sa voix cessa d'être inielligilde; le livre lui tomba des mains, et elle s'évanouit.

Sdiiihiin un fracas plus violent se fil entendre; un pas huinl et pressé ébranla le corridor; deux coups (le feu pariirciil faisant vibrer les vitres; et Catherine, étouuéc de celle lutie prolongée outre mesure, se dressa à son tour, droite, jiàle. les yeux dilatés; Cl, au moment le capitaine des gardes allait s'élancer dehors, elle l'arrêta en disant :

Que toul le monde reste ici, j'irai moi-même voir -bas ce qui se passe.

Voilà ce qui se passait, ou plutùt ce qui s'était passé.

De Mouy avait reçu le matin des mains d'Orllion la clef de llenii. Dans cette cUT. qui éDit forée, il avait remarqué un papier roulé, il avait tiré le pa- llier avec une épingle.

C'était le mol d'ordre du Louvre pour la prochaine nuit.

En outre, Oiihon lui avait verbalement transmis les paroles de Henri qui invitaient de Mouy à venir trouvera dix heures le roi au Louvre.

A neuf heures et demie, de Mouy avait revêtu une armure dont il avait plus d'une fois déjà eu l'ocra-

LA REINE MARGOT.

19

sion de reconnaître la solidité; il avait boulonné dessus un pourpoint de soie, avait agrafé son épée, passé dans le ceinturon ses pistolets, et avait re- couvert le tout du fameux manteau cerise do la Mole.

Nous avons vu comment, avant de rentrer chez lui, Henri avait jugé à propos de faire une visite à Marguerite, et comment il était arrive par l'escalier secret juste à temps pour lieurier la Mole dans la chambre à coucher de llarguerite, et pour prendre sa place aux yeux du roi dans la salle à manger. C'était précisément au moment même que, gr.âcc au mot d'ordre envoyé par Henri et surtout au fameux manteau cerise . de Mouy traversait le guichet du Louvre.

Le jeune homme monta droit chez le roi de Na- varre, imitant de son mieux, comme d'habituile, la démarche de la Mole. 11 trouva dans raniichambrc Orthon qui l'attendait.

Sire de Mouy, lui dit le montagnard, le roi est sorti, mais il m'a ordonné do vous introduire chez lui , et de vous dire de l'altcndre. S'il tarde par trop, il vous invite, vous le savez, à vous jeter sur son lit.

De Mouy entra sans demander d'autre explica- tion, car ce que venait de lui dire Orllion n'é- tait que la répétition de ce qu'il lui avait déjà dit le malin.

Pour utiliser son temps, de Mouy prit une plume et de l'encre ; et, s'approchant d'une excellente carte de France pendue à la muraille, il se mit à compter et à régler les étapes qu'il y avait de Paris à Pau.

Mais ce travail fut l'aiïaire d'un quart d'heure; et, ce travail fini, de Mouy ne sut plus à quoi s'occu- per.

Il fit deux ou trots tours dans la chambre, se frotta les yeux, bâilla, s'assit et se leva, se ras- sit encore. Enfin, profitant de l'inviiaiion do Henri, excusé d'ailleurs par les lois de familiarité qui exis- taient entre les princes et leurs genlilshommes, il déposa sur la table de nuit ses pistolets et la lampe, s'étendit sur le vaste lit à tentures som- bres qui garnissait le fond de la chambre, plaça son épée nue le long de sa cuisse , et , sûr de n'être pas surpris puisqu'un domestique se tenait dans la pièce précédente, il se laissa aller à un sommeil pesant, dont bientôt le bruit fit retentir les vastes échos du baldaquin. De Mouy ronflait en vrai soudard, et, sous ce rapport, aurait pu lutter avec le roi do Navarre lui-même.

C'est alors que six hommes, l'épée à la main et le poignard à la ceinture, se glissèrent silencieuse- ment dans le corridor qui, par une petite porte, communiquait aux appartcmcnls de Catherine, et par une grande donnait chez Henri.

Un de ces six hommes marchait le premier. Ou- tre son épée nue et son poignard fort comme un

couteau de chasse, il portait encore ses fidèles pis- tolets accrochés à sa ceinture par des agrafes d'ar- . gent.

Cet homme, c'était Maurcvcl.

Arrivé à la porte de Henri, il s'arrêta. ^

Vous vous êtes bien assure que les sentinelles du corridor ont disparu? denianda-t-il à celui qui paraissait commander la petite troupe sous ses or- dres.

Plus une seule n'est à son poste, répondit le lieutenant.

Bien, dit Maurevel. Maintenant, il n'y a plus qu'à s'informer d'une chose, c'est si celui que nous cherchons est chez lui.

Mais, dit le lieutenant en arrêtant la main que Maurevel posait sur le marteau de la porte, mais, capitaine, cet appartement est celui du roi de Navarre.

Qui vous dit le contraire? répondit Maurevel. Les shircs se regardèrent tout surpris, et le lieu- tenant fit un pas en arrière.

lieu? fit le lieutenant, arrêter quelqu'un à celte heure, au Louvre, et dans l'appartement du roi de Navarre.

Que répondricz-vous donc, dit Maurevel, si je vous disais que celui que vous allez arrêter est le roi de Navarre lui-même?

Je vous dirais, capitaine, que la chose est grave, et que, sans un ordre signe de la main pro- pre du roi Charles l.X...

Lisez, dit Maurevel.

El, tirant de son pourpoint l'ordre que lui avait remis Catherine, il le donna au lieutenant.

C'est bien, répondit celui-ci après avoir lu; je n'ai plus rien à dire.

Et êtes-vous prêt?

Je le suis.

El vous ? continua Maurevel en s'adrcssant aux cinq autres sbires.

Ceux-ci saluèrent avec respect.

Ecoutez-moi donc, messieurs, dit Maurevel, voilà le plan : deux de vous resteront à cette porte, deux à la porte de rantichambreà coucher, et deux entreront avec moi.

Ensuite? dit le lieutenant.

Écoulez bien ceci : il nous est ordonne d'em- pêcher le prisonnier d'appeler, de crier, de résis- ter ; toute infraction à cftt ordre doit être punie do mort.

Allons, allons, il a carte blanche, dit le lieu- tcnanl à l'homme désigné avec lui pour suivre Mau- revel chez le roi.

Tui:t à fait, dit Maurevel.

Pauvre diable do roi de Navarre, dit un des hommes, il était cent là-haut qu'il ne devait point en réchapper

El ici-bas, dit Maurevel en reprenant des main»

20

LA KE1>E MARGOT.

du lieutenant 1 ordre de Catherine, qu'il rentra dans sa poitrine.

Maurevel introduisit dans la serrure la clef que lui avait remise Catiierinc, et, laissant deux hom- mes à la porte extérieure comme il en était con- venu, entra avec les quatre autres dans ranticham- bre.

Ah ! ah ! dit Maurevel en écoutant la bruyante respiration du dormeur, dont le bruit arrivait jus- qu'à lui, il paraît que nous trouverons ici ce que nous cherchons.

Aussitôt Orllion, pensant que c'était son maître qui rentrait, alla au-devant de lui et se trouva en face de cinq hommes armés qui occupaient la pre- mière chambre.

A la vue de ce visage sinistre, de ce Maurevel qu'on appelait le tueur du roi, le fidèle serviteur recula, et se plaçant devant la seconde porte :

Qui êtcs-vous? dit Ortlion, que voulez-vous?

Au nom du roi, dit Maurevel, est ton maî- tre'.'

Mon maître?

Oui, le roi de Navarre.

Le roi de Navarre n'est pas au logis, dit Or- ihon en défendant [ilus que jamais la porte, ainsi vous ne pouvez pas entrer.

Prétexte, mensonge, dit Maurevel. Allons, ar- rière !

Les Béarnais sont entêtés, celui-ci gronda comme un chien de ses montagnes, et sans se lais.ser inti- mider :

Vous n'entrerez pas, dit-il, le roi est absent. Et il se cranqionna à la porte.

Maurevel fit un geste, les quatre hommes s'em- parérentdu récalcitrant, l'arrachant au chambranle au(]uel il se tenait cramponne, et, comme il ouvrait la bouche pour crier, Maurevel lui api>liqua la main sur les lèvres.

Orthon mordit furieusement l'assassin, cjui retira sa main avec un cri sourd, et frappa du pommeau de son épée le serviteur sur la tête. Orthon chan- cela et tomba en criant; Alarme! alarme! alarme 1...

Sa voix expira, il était évanoui.

Los assassins passèrent sur son corps, puis deux restèrent à cette seconde porte, et les trois autres entrèrent dans la chambre à coucher, conduits par Maurevel.

A la lueur de la Inmpe, brfilant sur la table de nuit, ils virent h; lit.

Les rideaux étaient fermés.

Oh! oh' dit le lieutenant, il ne ronfle plus, ce me semble.

Allons, sus! dit Maurevel.

A cette voix, un en rauipie qui ressemblait jilu- tot au rugissement du lion (ju'à des accents hu- mains partit de dessous les rideaux, (pii s'ouvrirent violtimnicnl, et un Iminme arm(; d'um; cuirasse et le fi'ont couvert d une de ces saladea qui euseveli!>-

saient la tête jusqu'aux j'eux, apparut, assis, deux pistolets à la main et son épée sur les genoux.

Maurevel n'eut pas plutôt aperçu cette figure et reconnu de .Mou}', qu'il sentit ses cheveux se dresser sur .sa tête ; il devint d'une pâleur affreuse , sa bouche se remplit d'écume; et, comme s'il se fût trouvé en face d'un spectre, il fit un pas eu arrière.

Soudain la figure armée se leva et fit en avant un pas égal à celui que Maurevel avait fait en ar- rière, de sorte que c'était celui qui était menacé qui semblait poursuivre, et celui qui menaçait qui sem- blait fuir.

Ah ! scélérat, dit de Mouy d'une voix sourde, tu viens pour me tuer comme tu as tué mon père.

Deux des sbires, c'est-à-dire ceux qui étaient en- trés avec Maurevel dans la chambre du roi, enten- dirent seuls ces paroles terribles; mais, en même temps qu'elles avaient été dites , le pistolet s'é- tait abaissé à la hauteur du front de Maurevel. Maurevel se jeta à genoux au moment de Mouy appuyait le doigt sur la détente; le coup partit, et un des gardes qui se trouvaient derrière lui , et qu'il avait démasqué par ce mouvement, tomba frappé au cœur. Au même instant Maurevel riposta, mais la balle alla s'aplatir sur la cuirasse de de Muuy.

Alors, prenant son élan, mesurant la distance, de Mouy d'un revers de sa large épée fendit le crâne du deuxième garde, et, se retournant vers Maure- vel, engagea l'épée avec lui.

Le combat fut terrible, mais court. A la qua- trième passe Maurevel sentit dans sa gorge le froid de l'acier; il poussa un cri ('Iranglé, tomba en ar- rière, et en tombant renversa la lampe, qui s'étei- gnit.

Aussitôt de Mouy, profitant de l'obscurité, vigou- reux et agile comme un héros d'Homère, s'élança tète Laissée vers l'antichamhre, renversa un des gardes, repoussa l'autre, passa comme un éclair en- tre les sbires qui gardaient la porte extérieure, es- suya deux coups de pistolet dont les balles iTaillè- rent la muraille du corridor, et dès lors il fut sauvé, car un pistolet tout chargé lui restait encore, outre celte épée qui frappait de si terribles coups.

In instant de Mouy hésita pour savoir s'il devait l'iiir chez M. d'Alençon, dont il lui semblait (pie la porte venait de s'ouvrir, ou s'il devait essayer de sortir du Louvre. Il se décida pour ce dernier parti, reprit sa course d'abord ralentie, sauta dix degrés d'un seul coup, parvint au guichet, prononça les deux mots de passe et s'élança en criant :

Allez là- haut, on y lue pour le compte du roi.

Et, prolilanl de la stupéfaction que ses paroles, jomti's au hruil des coups de pistolet, avaient jetée dans le poste, il gagna au pied et disparut dans la rue du Coq, sans avoir reçu une égratigniirc.

C'était en ce moment que Catherine avait arrêté son capitaine des gardes eu disant :

LA HEIiNE MAIIGOT.

21

Demeurez, j'irai voir inoi-rrit^me cl' qui se passe là-bas.

Mais, madame, répondit le L'apilaine, le dan- ger que pourrait courir Votre Majesté m'ordonne de la suivre.

Restez, monsieur, dit Catherine d'un ton plus impératif encore que la première fois, restez 11 y a autour dos rois une protection plus puissante que l'épctf humaine.

Le capitaine demeura.

.Mors Caiherine prit une lampe, passa ses pieds nus dans des mules de velours, sortit de sa cliam- bre, gagna le corridor encore plein de fumée, et s'avança, impassible et froide comme une ombre, vers rapparit-mcnl du roi de Navarre. Tout était redevenu silencieux- Catherine arriva à la porte d'entrée, en franchit le seuil, et vit d'abord dans l'antichambre Orthon évanoui.

Ah ! ah I dit-elle, voici toujours le laquais ; plus loin, sans doute, nous allons trouver le maître. Et elle franchit la seconde porte.

son pied heurta contre un cadavre ; elle abaissa sa lampe : c'était celui du garde qui avait eu la tèle fendue; il était complètement mort.

Trois pas plus loin était le lieutenant, frappé d'une balle et râlant le dernier soupir.

Enfin, devant le lit un homme qui, la tète pâle comme celle d'un mort, perdant son sang par une double blessure qui lui traversait le cou, roidissant ses mains crispées, essayait de se relever.

C'était .Maurevcl.

Un frisson passa dans les veines de Catherine, elle vit le lit désert, elle regarda tout autour de la chambre, et chercha en vain, parmi ces trois hom- mes couchés dans leur sang, le cadavre qu'elle es- pérait.

Maurevcl reconnut Catherine; ses yeux se dila- tèrent borriblemont, et il tondit vers elle les bras avec un geste désespéré.

Eh bien! dit-elle à demi-voix, est-il? (]u'est- il devenu'.' Malheureux! l'auriez-vous laissé échap- per?

Maurevel essaya d'articuler quelques paroles ; mais un sifilcment inintelligible sortit seul de sa blessure, une écume rougeâlre frangea ses lèvres, et il secoua la tète en signe d'impuissance et de douleur.

Mais parle donc! s'écria Catherine, parle donc! ne fùl-ce que pour me dire un seul mot !

Maurevel montra sa blessure, et fit entendre de nouveau quelques sons inarticulés, tenta un effort qui n'aboutit qu'à un rauque ràlement, et s'éva- nouit.

Catherine, alors, regarda autour d'elle : elle n'é- tait entourée que de cadavres et de mourants ; le sang coulait à Ilots par la chambre, et un silence de mort planait sur toute cette scène.

Encore une fois elle adressa la parole à Maurevel, mais sans le réveiller : cette fois, il demeura non- seulement muet, mais immobile; un papier sortait de son pourpoint, c'était l'ordre d'arrestation, signé du roi. Catherine s'en saisit et le cacha dans sa poitrine.

En ce moment, Catherine entendit derrière ells un léger froissement de parquet; elle se retourna, et vit debout, à la porte de la chambre, le duc d'A- lençon, que le bruit avait attiré malgré lui. et qu« le spectacle qu'il avait sous les jeux fascinait,

Vous, ici"! dit-elle.

Oui, madame. Que se passe-t-il donc, mon Dieu? demanda le duc.

Détournez chez vous, François, et vous ap prendrez assez tôt la nouvelle.

D'Alençon n'était pas aussi ignorant de l'aven- ture que Catherine le supposait. Aux premiers pas retentissant dans le corridor, il avait écouté. Voyant des hommes entrer chez le roi de Navarre, il avait, en rapprochant ce fait des paroles de Catherine, de- viné ce qui allait se passer, et s'était applaudi de voir un ami si dangereux détruit par une main plus forte que la sienne.

Bientôt des coups de feu, les pas rapides d'un fu- gitif avaient attiré son attention, et il avaitvu, dans l'espace lumineux projeté par l'ouverture de la porte de l'escalier, disparaître un manteau rouge qui lui était trop familier pour qu'il ne le recon- nût pas

De Mouy ! s'écria-t-il, dcMouy chez mon beau- frère de Navarre! mais non, c'est im[iossible! Se- rait ce M. de la Mole'?...

Alors l'imiuiélude le gagna. 11 se rappela que la jeune homme lui avait été recommandé par Mar- guerite elle-même, et, voulant s'assurer si c'était lui qu'il venait de voir passer, il monta rapidement à la chambre des deux jeunes gens ; elle était vide. Mais, dans un coin de cette chaïubre. il trouva sus- pendu le fameux manteau cerise. Ses doutes avaient été fixés : ce n'était donc pas la Mole, mais de Mouy.

La pâleur sur le front, tremblant que le hugue- not ne fût découvert et ne trahit les secrets de la conspiration, il s'était alors précipité vers le gui- chet du Louvre. il avait appris que le manteau cerise s'était échappé sain et sauf, en annonçant qu'on tuait dans le Louvre pour le compte du roi,

Il s'est trompé, murmura d'Alençon. C'est pour le compte de la reine mère.

Et. revenant vers le théâtre du combat, il trouva Catherine errant comme une hyène parmi les morts.

A l'ordre que lui donna sa mère, le jeune liomaje rentra chez lui, affectant le calme et l'obéissance, malgré les idées tumultueuses qui agitaient son esprit.

Catherine, désespérée de voir cette nouvelle ten- tative échouée, appela son capitaine des gardes, fil enlever les corps, commanda que Maurevel, qui

22

LA REINE MARGOT.

n'c'lait que blesse, fût reporté chez lui, et ordonna qu'on ne rcveil1;it point le roi.

Oli ! niurrnura-l-cllc en rentrant dans son ap- partement la tctc inclinée sur sa poitrine, il a écliappé cette fois encore. La main de Dieu est éten- due sur cet homme, il régnera! il régnerai

Puis, comme elle ouvrait la porte de sa chambre, elle passa la main sur son front et se composa un sourire banal.

Qu'y avait-il donc, madame? demandèrent tous les assistants, à l'excepiion de madame de Sauve, trop eiïra\ce pour l'aire des questions.

llicn, répondit Catherine, du bruit et voilà tout.

Oh ! s'écria tout à coup madame de Sauve en indiquant du doigt le passage de Catherine, Votre Majesté dit qu'il n'y a rien, et chacun de ses pas laisse une trace de sang sur le tapis!

VI

NUIT DES nOIS.

^pcndanl Charles IX inar-

rli.-iii ci'iii' à côte avec Henri

a|ipuyé à son bras, suivi

lie .ses quatre genliishom-

J/^'^A'^'V^^/ '',^Ay\ 'l'fs. cl précédé de deux

r^' ^ ' ' 'j^ijj porle ((irclies.

V'^-^*» -i^%^P^ iJiiandjesorsduLmi-

^fc— »^ •'ifcW &v.;:_^ ypg^ disait le pauvre roi,

jCMinivi' Mil jiMisir aii.iloguc à celui qui nie vient quand j'rnirc dans une iiello foret; jo respire, je vis, je suis lihro. Uenri sount.

Votre Majesté serait bien dans mes montagne» du Réarn, alors! dit Henri.

Oui, et je comprends que tu aies envie d'y re- tourner; mais, si le désir l'en prend par trop fort, Ilcnrioi, ajouta Charles en riant, iireiids bien les précaulions. c'est un conseil que je le (huine ; car ma mère Calherine t'aime si fort, qu'elle no peut pas absolument se passer de loi.

Que fera Votre Majesté ce soir? dil Henri, dé- tournant celle conversation dangereuse.

.le veux te faire faire une connaissance, Ilen- riot ; lu mo diras ton avis.

LA REINE MARGOT.

23

Je suis aux ordres do Voire Majesté.

A droite, à droite! nous allons rue des Bar- res.

Les deux rois, suivis de leur escorte, avaient dé- passé la rue do la Savonnerie, quand, à la hauteur de l'hôtel de Condé, ils virent deux hommes enve- loppes de grands manteaux sortir par une fausse porte que l'un d'eux referma sans hruit.

Oh ! oh ! dit le roi à Henri, qui, selon son ha- bitude, regardait aussi, mais sans rien dire; cela mérite attention.

Pourquoi dites-vous cela, sire? demanda le roi de Navarre.

Ce n'est pas pour toi, Ilenriot. Tu es siîr de ta femme, ajouta Charles avec un sourire; mais ton cousin de Condé n'est pas sûr de la sienne, ou, s'il en est sûr, il a tort, le diable m'emporte!

Mais qui vous dit. sire, que ce soit madame de Condé que visitaient ces messieurs?

Un pressentiment. L'immobilité de ces deux hommes, qui se sont rangés dans la porte depuis qu'ils nous ont vus, et qui n'en bougent pas; puis certaine coupe de manteau du plus petit des deux... Pardieu ! ce serait étrange.

Quoi?

Uien ; une idée qui m'arrive, voilà tout : avan- çons.

Et il marcha droit aux deux hommes, qui, voyant que c'était bien à eux qu'on en avait, firent quel- ques pas pour s'éloigner.

Holà! messieurs, dit le roi, arrêtez.

Est-ce à nous qu'on parle? demanda une voix qui fit tressaillir Charles et son compagnon.

Eh bien! Ilenriot! dit Charles, reconnais-tu cotte voix-là maintenant?

Sire, dit Henri, si votre frère le duc d'.Anjou n'était point à la Rochelle, je jurerais que c'est lui qui vient de parler.

Eh bien! dit Charles, c'est qu'il n'est point à la Rochelle, voilà tout.

Mais qui est avec lui?

Tu ne reconnais pas le compagnon?

Non. sire.

Il est pourtant de taille à ne pas s'y tromper. Attenils, tu vas le reconnaître. Holà ! hé! vous dis-je, répéta le roi, n'avcz-vous donc pas entendu, mordieu?

Êtes-vous le guet pour nous arrêter? dit le plus grand des deux hommes développant son bras hors des plis de son manteau.

Prenez que nous sommes le guet, dit le roi, et arrêtez quand on vous l'ordonne.

Puis se penchant à l'oreille de Henri :

Tu vas voir le volcan jeter des flammes, lui dit-il.

Vous êtes huit, dit le plus grand des deux hommes montrant cette fois non-seulement sonbras,

mais encore son visage; mais, fussiez-vous cent, pas- sez au large!

Ah ! ah ! le duc de Guise, dit Henri.

Ml ! notre cousin de Lorraine, dit le roi, vous vous faites enfin connaître! c'est heureux !

Le roi ! s'écria le duc.

Quant à l'autre personnage, on le vit à ces paro- les s'ensevelir dans son manteau, et demeurer im- mobile après s'être d'abord découvert la tête par respect.

Sire, dit le duc de Guise, je venais de rendre visite à ma belle-sœur, madame de Condé.

Oui... et vous avez amené avec vous un de vos gentilshommes, lequel?

Sire, répondit le duc, Votre Majesté ne le con- naît pas.

Nous ferons connaissance alors, dit le roi.

El, marchant droit à l'autre figure, il fit signe à un des deux laquais d'approcher avec son Ham- bcau.

Pardon, mon frère! dit le duc d'Anjou en dé- croisant son manteau el en s'inclinant avec un dé- pit mal déguisé.

Ah! ah! Henri, c'est vous!... Mais non, ce n'est point possible, je me trompe... Mon frère d'Anjou ne serait allé voir personne avant de venir me voir moi-même. Il n'ignore pas que, pour les princes du sang qui rentrent dans la capitale, il n'y a qu'une porte à Paris : c'est le guichet du Louvre.

Pardonnez, sire, dit le duc d'Anjou; je prie Votre Majesté d'excuser une inconséquence.

Oui-da ! repondit le roi d'un ton moqueur, el que faisiez-vous donc, mon frère, à l'hôtel de Condé?

Eh! mais, dit le roi de Navarre de son air narquois, ce que Votre Majesté disait tout à l'heure.

Et, se pencliant à l'oreille du roi, il termina sa phrase par un grand éclat de rire.

Qu'est-ce donc? demanda le duc de Guise avec hauteur, car, comme tout le monde à la cour, il avait pris l'Iiabitudc de traiter assez rudement le pauvre roi de Navarre. Pourquoi n"irais-je pas voir ma belle-sœur? M. le duc d'Alençon ne va-t-il pas voir la sienne?

Henri rougit légèrement.

Quelle belle-sœur? demanda Charles, je ne lui en connais pas d'autre que la reine Elisabeth.

Pardon, sire, c'était sa sœur que j'aurais dire, madame Marguerite, que nous avons vue pas- ser en venant ici, il y a une demi-heure, dans sa litière, accompagnée de deux muguets qui trot- taient chacun à une portière.

\rainient ! dit Charles. Que répondez-vous à cela, Henri?

Que la reine de Navarre est bien libre d'aller elle veut, mais je doute qu'elle soit sortie du Louvre.

24

LA RFINE MARGOT.

Et moi jon suis sûr. dit le duc do Guise.

Et moi .aussi, fit \e duc d'Anjou, ù telle ensei- gne que la litière s'est arrêtée rue Cloche-Percée.

Il faut que votre belle-sœur, pas celle-ci, dit Henri en montrant l'hùiel de Condé, mais celle de là-bas, et il tourna son iloigt dans la direction île riiûtel de Guise, soit aussi de la partie, car nous les avons laisséesensemble, et, comme vous savez, elles sont inséparables.

Je ne comprends pas ce que vent dire Votre Majesté, répondit le duc de Guise.

Au contraire, dit le roi, rien de plus clair, et voilà pourquoi il y avait nn muguet courant à cha- que portière.

Eh bien ! dit le duc, s'il y a scandale de la part de la reine et de la part de mes belles-sœurs, invoquons pour le faire cesser la justice du roi.

Eh ! par Dieu ! dit Flenri, laissez mesdames de Condéet de Nevers. Le roi ne s'inquiète pas de sa sœur.... et, moi j'ai confiance dans ma femme.

Non pas, non pas, dit CJjarles, je veux en avoir le cceur net ; mais faisons nos affaires nous- mêmes. La litière s'est arrêtée rue Cloche-Percée, dites-vous, mon cousin?

Oui, sire.

Vous reconnaîtriez l'endroit?

Oui, sire.

Eli bien ! allons-y ; et, s'il faut brûler la mai- son pour savoir qui est dedans, on la brillera.

C'est avec ces dispositions assez peu rassurantes pour la tranquillité de ceux dont il était question que les quatre principaux seigneurs du mondi" chrétien prirent le chemin de la rue Saint-An- toine.

Les quatre princes arrivèrent rue Cloche-Percée; Charles, qui voulait faire ses affaires en famille, renvoya les gentilshommes de sa suite en leur di- sant de disposer du reste de leur nuit, mais de se tenir près de la Bastille à six heures du matin avec deux chevaux.

Il n'y avait que trois maisons dans la rue Cloclie- Percée; la recherche était d'autant moins difficile que deux ne firent aucun refus d'ouvrir ; c'étaient celles qui touchaient, l'une à la rue Saint-Aninine. l'autre à la rue du Roi de Sicile.

Quant à la troisième, ce fut autre chose : c'était celle qui était gardée jiar le concierge allemand, et le concierge allemand l'tait peu traitahle. Paris seiMldail destiné à ofirir celte nuit les [dus nK-iim- rablcs exemples de lidcdilé domesti(|ue.

M. de Guise eut beau menacer dans le plus pur saxim, Henri d'Anjou eut beau offrir uiic^ bourse pleine d'or, Charles eut beau aller jusqu'à dire qu'il ('lait lieutenantdii guet, le brave Allemaml ne tint cipinpte ni de la déclaration, ni de l'offre, ni des iiienaci!s. Voyant que l'on insistait, et d'une in.'mirri' qui devruail iiiiporliine. il glissa entre les barres de fer rextri'iiiiii' deceriaine .'iriiiii'linse, dé-

monstration dont ne firent que rire trois des quatre visiteurs Henri de Navarre se tenant à l'écart, comme si la chose eiît été sans intérêt pour lui attendu que l'arme, ne pouvant obliquer dans les barreaux, ne devait guère être dangereuse que pour un aveugle qui eût été se placer en face.

Voyant qu'on ne pouvait intimider, corrompre ni fléchir le portier, le duc de Guise feignit de partir avec ses compagnons; mais la retraite ne fut pas longue. Au coin de la rue Saint-Antoine, le duc trouva ce qu'il cherchait; c'était une de ces pierres comme en remuaient, trois mille ans auparavant, Ajax Télamon et Diomède ; il la chargea sur son épaule, et revint en faisant signe à ses compagnons de le suivre. Juste en ce moment, le concierge, qui avait vu ceux qu'il prenait pour des malfaiteurs s'é- loigner, refermait la porte sans avoir encore eu le temps de repousser les verrous. Le duc de Guise profita du moment : véritable catapulte vivante, il lança la pierre contre la porte. La serrure vola em- portant la portion de la muraille dans laquelle elle était scellée. La porte s'ouvrit renversant l'Alle- mand, qui tomba en donnant, par un cri terrible, l'éveil à la garnison, qui, .sans ce cri, courait grand risque d'être surprise.

Justement, en ce moment-là même, la Mole tra- duisait, avec Marguerite, une idylle de Théocrite. et Coconas buvait, sous prétexte qu'il était Grec aussi, force vin de Syracuse avec Henriette. La con- versation scientifique et la conversation bachique furent violemment interrompues.

Commencer par ('teindre les bougies, ouvrir les fenêtres, s'élancer sur le balcon, distinguer quatre hommes dans les ténèbres, leur lancer sur la tête tous les projectiles qui leur tombèrent .sous la main. faire un affreux bruit de coups de plat d'épée qui n'atteignaient que le mur, tel fut l'exercice auquel .se livrèrent immédiatement la Mole et Coconas. Charles, le plus acharné des assaillants, reçut une aiguière d'argent sur l'épaule, le duc d'Anjou un bassin contenant une C(unpotc d'oranges et do cé- drats, et le duc de Guise un quartier de venaison.

Henri ne reçut rien. H questionnait tout bas le portier, que M. de Guise avait attaché à la porte et qui répondait par son éternel ;

hli icr.ilchc niclu.

Les femmes encourageaient les assiégés et leur passaient des projectiles qui se succédaient comme une grêle.

Par la mort diable! s'i-cria Charles IX eu re- cevant sur la tête un tabouret qui lui lit rentrer son chapeau jusipie sur le nez. (pi'on m'ouvre bien vile, (III je ferai loui pendre là-haut.

Mon frère I dit Marguerite bas à la Mole.

Le roi ! dit celui-ci tout bas à Ilenrielte.

Le roi! le mi! dit celle-ci à Coconas, qui liiiiiiait un bahut vers la fenêtre et qui tenait a .■xterniiner le duc de (iuise. auc|nel, sans le eon-

LA REINE MARGOT.

25

Les remmes cncourageakint les assiéeés . Ptcc 24.

naître, il avait particulièrement affaire. Le roi ! je vous dis.

Coconas lâcha le balnit. regarda d'un air étonné.

Le roi? dit-il.

Oui, le roi.

Alors en retraite.

Eh ! justement la Mole et Marguerite sont df'jà partis : venez.

Par où";

Venez, vous dis-je.

Et, le prenant par la main. Henriette entraîna Coconas par la porte .'lecrète qui donnait dans la

maison attenante; et tous quatre, après avoir re- fermé la porte derrière eux, s'enfuirent par l'issue qui donnait dans la rue Tizon. '

Oli : oh ! dit Charles, je crois que la garnison se rend.

Oïl attendit quelques minutes, mais aucun bruit ne par\ int jusqu'aux assiégeants.

On prépare quelque ruse, dit le duc de Guise.

Ou plutôt on a reconnu la voix de mon frère et l'on détale, dit le duc d'Anjou.

I! faudra toujours bien qu'on passe par ici, dit Charles.

27

par J. » Im^' de BRY alni, bouI«vart Mùniparaasse, 8t>

26

LA REINE MRGOT.

Oui, reprit le duc d'Anjou, si la maison n'a pas deux issues.

Cousin, dit le roi, reprenez votre pierre, et faites de l'autre porte comme de celle-ci.

Le duc pensa qu'il était inutile de recourir à de pareils moyens, et, comme il avait remarqué que la seconde porte était moins forte que la première, il l'enfonça d'un simple coup de pied.

Les torches! les torches! dit le roi.

Les laquais s'approchèrent. Elles étaient éteintes; mais ils avaient sur eux tout ce qu'il fallait pour les rallumer. On fit de la flamme. Charles IX en prit une et passa l'autre au duc d'Anjou.

Le duc de Guise marcha le premier, l'épée à la main.

Henri ferma la marche.

On arriva au premier étage.

Dans la salle à manger était servi, ou plutôt des- servi le souper, car c'était particulièrement le sou- per qui avait fourni les projectiles. Les candélabres étaient renversés, les meubles sens dessus dessous, et tout ce qui n'était pas vaisselle d'argent en pièces.

On passa dans le salon. Là, pas plus de rensei- gnement que dans 1a première chambre sur l'iden- tité des personnages. Des livres grecs et latins, quelques instruments de musique, voilà tout ce que l'on trouva.

La chambre à coucher était plus muette encore. Une veilleuse brûlait dans un globe d'albâtre sus- pendu au plafond, mais on ne paraissait pas même être entré dans cette chambre.

Il y a une seconde sortie, dit le roi.

C'est probable, dit le duc d'Anjou.

Mais est-elle? demanda le duc de Guise. On chercha de tous eûtes, on ne la trouva pas.

est le concierge? demanda le roi.

Je l'ai attaché à la grille, dit le duc de Guise.

Interrogez-le, cousin.

Il ne voudra pas répondre.

Bah ! on lui fera un petit feu bien sec autour des jambes, dit le roi en riant, et il faudra bien qu'il parla.

Henri regarda vivement par la fenêtre.

Il n'y est plus, dit-il.

Qui l'a détaché? demanda vivement le duc de Guise.

Mort-diable! s'écria le roi, nous ne saurons rien encore.

En effet, dit Henri, vous voyez bien, sire, que rien ne prouve que ma femme et la belle-sœur de M. de Guise aient été dans cette maison.

C'est vrai, dit Charles, l'Écriture nous l'ap- prend ; il y a trois choses qui ne laissent pas de tra- ces : l'oiseau dans l'air, le poisson dans l'eau, et la femme... non, je me trompe, l'homme chez...

Ainsi, interrompit Henri, ce que nous avons de mieux à faire...

Oui, dit Charles, c'est de soigner, moi ma contusion; vous, d'Anjou, d'essuyer votre sirop d'o- ranges, et Vous, Guise, de faire disparaître votre graisse de sanglier.

Et. là-dessus, ils sortirent sans se donner la peine de refermer la porte.

Arrivés à la rue Saint-Antoine :

allez-vous, messieurs? dit le roi au duc d'Anjou et au duc de Guise.

Sire, nous allons chez Nantouillet, qui nous attend à souper, mon cousin de Lorraine et moi. Votre Majesté veut-elle venir avec nous?

Non, merci, nousallonsdu côté opposé. Vou- lez-vous un de mes porte-torches?

Nous vous rendons grâce, sire, dit vivement le duc d'Anjou.

Bon, il a peur que je ne le fasse espionner, souffla Charles à l'oreille ilu roi de Navarre.

Puis, prenant ce dernier par-dessous le bras :

Viens, Henriot. dit-il, je te donne à souper ce soir.

Nous ne rentrons donc pas au Louvre? de- manda Henri.

.\on, te dis-je, triple entêté ! viens avec moi, puisque je te dis de venir, viens.

Et il entraîna Henri par la rue Geoffroy-Lasnier.

LA REINE MARGOT.

V

VII

ANAGRAMME.

u milieu de la nie Geoffroy- î.asnier venait nlinulir la ue Garnier-sur-rEau , et Il bout de la rue Garnicr- iir-l'Eau s'étendait. à droite i à gaudie , la rue des Barres.

Là, en faisant quelques pas vers la rue de la Mortelleric, on trouvait à droite " une petite maison isolée au milieu d'un jardin clos de hautes murailles et auquel une porte pleine don- nait seule entrée.

Charles tira une clef de sa poche, ouvrit la porte, qui céda aussitôt, étant fermée seulement au pènc; puis, ayant fait passer Henri et le laquais qui portait la torche, il referma la porte derrière lui.

Une seule petite fenêtre était éclairée. Charles la montra du doigt en souriant à Henri.

Sire, je ne comprends pas. dit celui-ci.

Tu vas comprendre. Henriot.

Le roi de Navarre regarda Charles avec étonne- ment ; sa voix, son visage, avaient pris une expres- sion de douceur qui était si loin du caractère iiabi- tuel de sa phjsionomie, que Henri ne le reconnais- sait pas.

Henriot, lui dit le roi, je t'ai dit que, lorsque je sortais du Louvre, je sortais de l'enfer; quand j'entre ici, j'entre dans le paradis.

Sire, dit Henri, je suis heureux que Votre Ma- jesté m'ait trouvé digne de me faire faire le voyage du ciel avec elle.

Le chemin en est étroit, dit le roi en s' enga- geant dans un petit escalier, mais c'est pour que rien ne manque à la comparaison.

Et quel est l'ange qui garde l'entrée de votre Éden, sire?

Tu vas voir, répondit Charles IX. Et, faisant si- gne à Henri de le suivre sans bruit, il poussa une première porte, puis une seconde, et s'arrêta sur le seuil.

Regarde! dit-il.

Henri s'approcha et demeura l'œil fixe sur un des plus charmants tableaux qu'il eût vus.

C'était une femme de dix-huit à dix-neuf ans à peu près, dormant la tête posée sur le pied du lit

d'un enfant endormi, dont elle tenait entre ses deux mains les petits pieds rapprochés de ses lèvres, tan- dis que ses longs cheveux blonds ondoyaient, épan- dus comme un Hot d'or.

On eût dit un tableau de l'Albane représentant la Vierge et l'enfant Jésus.

Oh! sire, dit le roi de Navarre, quelle est cette cliarmantc créature?

L'ange de mon paradis, Henriot, le seul être qui m'aime pour moi.

Henri sourit.

Oui. pour moi, dit Charles, car elle m'a aimé avant de savoir que j'étais roi.

Et depuis qu'elle le sait?

Eb bien ! depuis qu'elle le sait, dit Charles avec un soupir qui prouvait que cette sanglante royauté lui était lourde parfois, depuis qu'elle le sait, elle m'aime encore; ainsi juge.

Le roi s'approcha tout doucement, et, sur la joue en fleur de la jeune femme, il posa un baiser aussi léger que celui d'une abeille sur un lis.

Et cependant la jeune femme se réveilla.

Charles! murmura-t-elle en ouvrant les yeux.

Tu vois, dit le rui, elle m'appelle Charles; la reine dit sire.

Oh ! s'écria la jeune femme, vous n'êtes pas seul, mon roi.

Non, ma bonne Marie, .l'ai voulu t'amener un autre roi plus heureux que moi, car il n'a pas de couronne; plus malheureux que moi, car il n'a pas une Marie Touchet. Dieu fait une compensation à tout.

Sire, c'est le roi de Navarre? demanda Marie.

Lui-même, mon enfant. Approche, Hen- riot.

Le roi de Navarre s'approcha, Charles lui prit la main droite.

Regarde cette main, Marie, dit-il, c'est la main d'un bon frère et d'un loyal ami. Sans cette main, vois-tu...

Eii bien! sire?

Eh bien! sans cette main, aujourd'hui, Marie, notre enfant n'avait plus de père.

Marie jeta un cri, tomba à genoux, saisit la main de Henri et la baisa.

28

L/V REliNt MARGOT.

Bien. M;irit\ bien! dit Charles.

Et cju"avez-vous fait pour le remereier, sire?

Je lui ai rendu la pareille.

Henri regarda Charles avecétonnenient.

Tu sauras un jour ce que je veux dire, Hen- riot. En attendant, viens voir.

Et il s'approcha du lit l'enfant dormait tou- jours.

Eh! dit-il, si ce gros garçon-là dormait au Louvre au lieu de dormir ici, dans cette petite mai- son de la rue des Barres, cela changerait bien des choses dans le présent , et peut-être dans l'ave- nir (i).

Sire, dit Marie, n'en déplaise à Votre Majesté, j'aime mieux qu'il dorme ici, il dort mieux.

Ne troublons donc pas son sommeil, dit le roi, c'est si bon de dormir quand on ne fait pas de rêves !

Eh bien ! sire, fit Marie en étendant la main vers une des portes qui donnaient dans celte cham- bre.

Oui, tu as raison, Marie, dit Charles IX. Sou- pons.

Mon bien-aimé Charles, dit Marie, vous direz au roi votre frère de m'excuser, n'est-ce pas?

Et de quoi ?

De ce que j'ai renvoyé nos serviteurs. Sire, continua Marie s'adressant au roi de Navarre, vous saurez que Charles ne veut être servi que par moi.

Ventre-saint-gris! dit Henri, je le crois bien!

Les deux hommes passèrent dans la salle à man- ger, tandis ([ue la mère, inquiète et soigneuse, cou- vrait d'une chaude étoffe le petit Charles, qui, grâce à son bon sommeil d'enfant que lui enviait son père, ne s'était pas réveillé.

Marie vint les rejoindre.

H n'y a que deux couverts! dit le roi.

Permettez, dit Marie , que je serve Vos Ma- jestés.

Allons, dit Charles, voila que tu me portes malheur, Henriot.

Comment, sire''

N'entends-tu pas? '

Pardon, Charles, |)ardon.

Je te pardonne. Mais place-toi là, près de moi. entre nous deux.

J'obéis, dit Marie.

Elle apporta un couvert, s'assit entre les deux rois cl les servit.

N'est-ce pas, Henriot. que c'est bon, dit Char- les, d'avoir un endroit an monde dims lei|iiel un

ft) F.ii cticl, ( «l cdtiiiit iiiituirl, ijiii II Vljiit .nilri: (jiil-- le lii- nicus iliir irAii|;ouli^nii: <|ui iiiuurut cii KmU, sii|>|>niii.nl, s'il eût éli' li^itiiiii', Henri III, lli'iiri IV, Luuis Mil, Lniii» ,\IV. IJuu iiiius ilriiiii.iit-il il 1,1 jilaco? L'c^iirit so coiifund (.1 se perd •'anii Ivi tûiictics d une pareille qucsliun.

ose boire et manger sans avoir besoin que per- sonne fasse avant vous l'essai de votre vin et de vos viandes?

Sire, dit Henri en souriant et en répondant par le sourire à l'appréhension éternelle de son es- prit, croyez que j'apprécie votre bonheur plus que personne.

Aussi, dis-lui bien, Henriot, que, pour que nous demeurions ainsi heureux , il ne faut pas qu'elle se mêle de politique; il ne faut pas qu'elle vienne à la cour, il ne faut pas surtout qu'elle fasse connaissance avec ma mère.

La reine Catherine aime en effet Votre Majesté avec tant de passion, qu'elle pourrait être jalouse de tout autre amour, répondit Henri, trouvant, par un subterfuge, le moyen d'échapper à la dangereuse confiance du roi.

Marie, dit le roi, je te présente un des hom- mes les plus fins et les plus spirituels que je con- naisse. A la cour, vois-tu, et ce n'est pas peu dire, il a mis tout le monde dedans; moi seul ai vu clair peut-être, je ne dis pas dans son cœur, mais dans son esprit.

Sire, dit Henri, je suis fâché qu'en exagé- rant l'un, comme vous le faites, vous doutiez de l'autre.

Je n'exagère rien, Henriot, dit le roi ; d'ail- leurs on te connaîtra un jour.— Puis, se retournant vers la jeune femme : Il fait surtout les anagram- mes à ravir. Dis-lui de faire celle de ton nom, et je réponds qu'il la fera. "

Oh ! que voulez-vous qu'on trouve dans le nom d'une pauvre fille comme moi? quelle gra- cieuse pensée peut sortir de cet assemblage de let- tres avec lequel le hasard a écrit Marie Touehet?

Oh! l'anagranmie de ce nom, sire, dil Henri, est trop facile, et je n'ai pas eu grand mérite à la lrun\er.

Ah ! ail ! c'est déjà fait, dit Charles. Tu vois... Marie.

Henri tira de la [loelie de .son ponr[ioint ses ta- bletles, en déchira une page, et, en dessous du nom :

Marie Tottchel,

écrivit :

Je clnirmc loul.

Puis il passa la feuille a la jeune lenniie.

En vérité! s'i'cria-t-elle, e'e.sl impussible!

Qu'a-t-il trouvé'! demanda ('.harles.

Sire, je n'ose rép('ler. moi.

Sire, dit Henri, dans le nom de Marie Tnueliel, il \ a, lellre pour lettre, en fai.sani de l'I un i. cumiiie c'est rii.'iliiltide ; Je rliiirmc lont.

Ln olïcl, s'écria Charles, lellre pour lettre Jo

LA IlELNE aUUiGOT.

tJ9

veux que ce soit ta devise, entends-tu, Marie? Ja- mais devise n'a été mieux méritée. Merci, Henriot. Marie, je te la donnerai écrite en diamants.

Le souper s'aciieva; deux heures sonnèrent à No- tre-Dame.

Maintenant, dit Charles, en récompense de son compliment, Marie, tu vas lui donner un fau- teuil où il puisse dormir jusqu'au jour; bien loin de nous seulement, parce qu'il ronfle à faire peur. Puis, si tu t'éveilles avant moi, tu me réveilleras, car nous devons être à six heures du matin à la Bas- tille. Bonsoir, Henriot. Arrange-toi comme tu vou- dras. Mais, ajouta-t-il en s'approcliant du roi de Na- varre et en lui posant la main sur l'épaule, sur ta vie, entends-tu bien, Henri! sur ta vie, ne sors pas d'ici sans moi, surtout pour retourner au Louvre.

Henri avait soupçonné trop de choses dans ce qu'il n'avait pas compris pour manquer à une telle recommandation.

Charles IX entra dans sa chambre, et Henri, le dur montagnard, s'accommoda sur un fauteuil , bientôt il justifia la précaution qu'avait prise son beau-frère de l'éloigner de lui.

Le lendemain, au point du jour, il fut éveillé par Charles. Comme il était resté tout habillé, sa toilette ne fut pas longue. Le roi était heureux et souriant comme on ne le voyait jamais au Louvre. Les heures qu'il passait dans celte petite maison de la rue des Barres étaient ses heures de soleil.

Tous deux repassèrent par la chambre à coucher. La jeune femme dormait dans son lit; l'enfant dor- mait dans son berceau. Tous deux souriaient en dormant. *

Charles les regarda un instant avec une tendresse infinie. Puis, se retournant vers le roi de Navarre ;

Henriot, lui dit-il , s'il t'arrivait jamais d'ap- prendre quel service je t'ai rendu cette nuit, et qu'à moi il m'arrivàt malheur, souviens-toi de cet en- fant qui repose dans son berceau.

Puis, les embrassant tous deux au front, sans don- ner à Henri le temps de l'interroger ;

Au revoir, mes anges, dit-il.

Et il sortit.

Henri le suivit tout pensif.

Des chevaux tenus en main par les gentilshom- mes auxquels Charles IX avait donné rendez-vous les attendaient à la Bastille. Charles fit signe à Henri de monter à cheval, se mit en selle, sortit par le jardin de l'Arbalète, et suivit les boulevards exté- rieurs.

allons-nous? demanda Henri.

Nous allons, répondit Charles, voir si le duc d'Anjou est revenu pour madame de Condé seule, et s'il y a dans ce cœur-là autant d'ambition que d'amour, ce dont je doute fort.

Henri ne comprenait rien à l'explication ; il sui- vit Charles sans rien dire.

En arrivant au Marais, et comme à l'abri des pa- lissades on découvrait tout ce qu'on appelait alors les faubourgs Saint-Laurent, Charles montra àHenri, à travers la brume grisâtre du matin, des hommes enveloppés de grands manteaux et coiffés de bonnets de fourrures qui s'avançaient à cheval, précédant un fourgon pesamment chargé. A mesure qu'ils avançaient, ces hommes prenaient une forme plus précise, et l'on pouvait voir à cheval comme eux, et causant avec le principal d'entre eux, un autre homme vêtu d'un long manteau nrun et le front ombragé d'un chapeau à la française.

Ah! ah! dit Charles en souriant, je m'en dou- tais.

Eh ! sire, dit Henri, je ne me trompe pas, ce cavalier au manteau brun, c'est le duc d'Anjou.

Lui-même, dit Charles IX; range-toi un peu, Henriot, je désire qu'il ne nous voie pas.

Mais, demanda Henri, les hommes aux nian- teaux grisâtres et aux bonnets fourrés, quels sont- ils? Et dans ce chariot, qu'y a-t-il?

Ces hommes, dit Charles, ce sont les ambas- sadeurs polonais, et dans ce chariot il y a une cou- ronne. — Et maintenant, continua-t-il en mettant son cheval au galop et en reprenant le chemin de la parte du Temple, viens, Henriot, j'ai vu tout ce que je voulais voir.

30

LA REINE MARGOT.

VIII

LA RENTUliE AU LOUVRE.

ii'squeCatherine pensa que tout était fini dans la cham- bre du roi de Navarre, que les gardes morts étaient en- levés, que Maurevel était transporté chez lui, que les tapis étaient lavés, elle con- gédia ses femmes, car' il était minuit a peu près et elle es5a)'a de dormir. Mais la secousse avait été trop violente et la décep- tion trop forte. Ce Henri détesté, échappant éternel- lement à ses embûches d'ordinaire mortelles, sem- blait protégé par quelque puissance invisible, que Catherine s'obstinait à appeler le hasard, quoiqu'au fond de son cœur une voix lui dît que le véritable nom de cette puissance fût la destinée. Cette idée, que le bruit de cette nouvelle tentative, en se ré- pandant dans le Louvre et hors du Louvre, nllait donner à Henri et aux huguenots une plus grande confiance encore dans l'avenir, l'exaspérait, et en ce mcrment, si ce hasard contre lequel elle luttait si mal- heureusement lui eût livré son ennemi, certes, avec le petit poignard florentin qu'elle portait it sa cein- ture elle eût déjoué celte fatalité si favorable au foi de Navarre.

Les heures de la nuit, ces heures si lentes à celui qui attend etqui veille, sonnèrent donc les unes après les autres sans que Catherine pût fermer l'reil. Tout un monde de projets nouveaux se déroula pen- dant ces heures nocturnes dans son esprit plein de visions. Knfin , au point du jour elle se leva , s'ha- billa toute seule, et s'acheiiiina vers Tappartenient de Charles IX.

Les gardes, qui avaient l'habitude de la voir venir chez, le roi à to\ilo heure du jour et de la nuit, la laissèrent passer. I'!llc. traversa donc r.intii'liambre et atteignit le cabinet îles armes. Mais elle trouva la nourrice de Charles qui veillait.

Mon fils'! dit la reine.

Madame, il a diTciidu ijuDii l'utr'it ilans sa chambre avant huit heures, el il n'est pas huit heures.

Cette défense n'est pas pour nini. nourrire,

r.llc («st pour tout lo monde, madame. Catbunnu sourit.

Oui, je sais bien, reprit la nourrice, je sais bien que nul ici n'a droit de faire obstacle à Votre Majesté; je la supplierai donc d'écouter la prière d'une pauvre femme et de ne pas aller plus avant.

Nourrice, il faut que je parle à mon fils.

Madame, je n'ouvrirai la porte que sur un or- dre formel de Votre Majesté.

Ouvrez, nourrice, dit Catherine, je le veux. La nourrice, à cette voix plus respectée et surtout

plus redoutée au Louvre que celle de Charles lui- môme, présenta la clef à Catherine, mais Catherine n'en avait pas besoin. Elle tira de sa poche la clef qui ouvrait la porte de son fils, et sous sa rapide pression la porte céda.

La chambre était vide, la couche de Charles était intacte, et son lévrier Actéon, couché sur la peau d'ours étendue à la descente de son lit, se leva et vint lécher les mains d'ivoire de Catherine.

Ah ! dit la rein^ en fronçant le sourcil, il est sorti. J'attendrai.

Et elle alla s'asseoir, pensive et sombrement re- cueillie, à la fenêtre qui donnait sur la cour du Louvre et de laquelle on découvrait le principal guichet.

Depuis deux heures elle était là, immobile et pâle cimme une statue de marbre, lorsqu'elle aperçut ciifin. rentrant au Louvre, une troupe de cavaliers à la tète desquels elle reconnut Charles et Henri de Navarre.

Alors elle comprit tout. Charles, au lieu de dis- cuter avec elle sur l'arrestation de son beau-frère, l'avait emmené et sauvé ainsi.

Aveugle, aveugle, aveugle ! murmura-t-elle; et elle attendit.

l'n instant après des pas retentirent dans la chambre à cèle. (]iii (^tait le cahiuel des armes.

Mais sire, disait Henri, itiaintenaiit que nous voilà rentrés au Louvre, dites-moi pourquoi vous m'en avez fait sortir et quel est le service que vous m'avez rendu?

Non pas. non pas, llenriol, repuiidil Charles l'ii riant. Ihi jour lu le sauras peut-être, mais pour le moment c'est un mystère. Sache seulement que, pour l'heure, tu vas, selon loiile probaliililè. me valoir une rud(! querelle avec ma inèro.

LA REINE MARGOT.

Z\

En achevant ces mots, Charles souleva la tapisse- rie et se trouva face à face avec Catherine.

Derrière lui, et par-dessus son épaule, apparais- sait la tète pâle et inquiète du Béarnais.

Ali ' vous êtes ici, madame? dit Charles IX en fronçant le sourcil.

Oui , mon fils , dit Catherine. J'ai à vous parler.

A moi !

A vous seul.

Allons, allons, dit Charles en se retournant vers son hcau-frère, puisqu'il n'y avait pas moyen d'y échapper, le plus tôt est le mieux.

Je vous laisse, sire, dit Henri.

Oui, oui, laisse-nous, répondit Charles, et, puisque tu es catholique, Ilenriol, va entendre la messe à mon intention, moi je reste au prêche.

Henri salua et sortit.

Charles l.V alla au-devant des questions que ve- nait lui adresser sa mère.

Eh bien ! madame, dit-il en essayant de tour- ner la chose au rire ; pardieu ! vous m'attendez pour me gronder, n'est-ce pas? J'ai fait manquer irréligieusement votre petit projet. Eh! mort d'un diable! je ne pouvais pas cependant laisser arrêter et conduire à la Bastille l'homme qui venait de me sauver la vie. Je ne voulais pas non plus me que- reller avec vous; je suis bon fils. Et puis, ajouta- t-il tout bas, le bon Dieu punit les enfants qui se querellent avec leur mère, témoin mon frère Fran- çois H. Pardonnez-moi donc franchement et avouez ensuite que la plaisanterie était bonne.

Sire, dit Catherine, Votre Majesté se trompe; il ne s'agit pas d'une plaisanterie.

Si fait, si fait! et vous finirez par l'envisager ainsi, ou le diable m'emporte!

Sire, vous avez par votre faute fait manquer tout un plan qui devait nous amener à une grande découverte.

Bah! un plan... Est-ce que vous êtes embar- rassée pour un plan avorté, vous, ma mère! Vous en ferez vingt autres, et, dans ceux-là, eh bien ! je vous promets de vous seconder.

Maintenant, me secondassiez-vous, il est trop tard, car il est averti et il se tiendra sur ses gardes.

Voyons, fil le roi, venons au but. Qu'avez- vous contre Henriot?

J'ai contre lui qu'il conspire.

Oui, je comprends bien, c'est votre accusation éternelle; mais tout le monde ne conspire-t-il pas peu ou prou dans cette charmante résidence royale qu'on appelle le Louvre?

Mais lui conspire plus que personne , et il est d'autant plus dangereux que personne ne s'en doute.

Voyez-vous le Lorenzino! dit Charles. Écoutez, dit Catherine s'assombrissant à ce nom

qui lui rappelait une des plus sanglantes catastro- plies de l'histoire florentine; écoutez, il y a un moyen de me prouver que j'ai tort.

Et lequel, ma mère?

Demandez à Henri qui était cette nuit dans sa chambre.

Dans sa chambre... celte nuit?

Oui. Et s'il vous le dit...

Eh bien?

Eh bien! je suis prête à avouer que je me trompais.

Mais, si c'était une femme cependant, nous ne pouvons pas exiger...

Une femme?

Oui.

Une femme qui a tué deux de vos gardes et qui a blessé mortellement peut-être M. de Mau- revel I

Oh! oh! dit le roi, cela devient sérieux. 11 y a eu du sang répandu?

Trois hommes sont restés couchés sur le plan- cher.

Et celui qui les a mis dans cet état?

S'est sauvé sain et sauf.

Par Gog et Magog! dit Charles, c'était un brave, et vous avez raison, ma mère, je veux le connaître.

Eh bien ! je vous le dis d'avance, vous ne le connaîtrez pas, du moins par Henri.

Mais par vous, ma mère. Cet homme n'a pas fui ainsi sans laisser quelque indice, sans qu'on ait remarqué quelque partie de son habiliement'.'

On n'a remarqué que le manteau cerise fort élégant dans lequel il était enveloppé.

Ah! ah! un manteau cerise! dit Charles; je n'en connais qu'un à la cour assez remarquable pour qu'il frappe ainsi les yeux.

Justement, dit Catherine.

Eh bien? demanda Charles.

Eb bien ! dit Catherine, attendez-moi chez vous, mon fils, et je vais voir si mes ordres ont été exécutés.

Catherine sortit et Charles demeura seul, se pro- menant de long en large avec distraction, si filant un air de chasse, une main dans son pourpoint et laissant pendre l'autre main, que léchait son lévrier chaque fois qu'il s'arrêtait.

Quant à Henri, il était sorti de chez son beau- frère fort inquiet, et, au lieu de suivre le corridor ordinaire, il avait pris le petit escalier dérobé dont plus d'une fois déjà il a été question et qui condui- sait au second étage. Mais à peine avait-il monté quatre marches qu'au premier tournant il aperçut une ombre. Il s'arrêta ei porta la main à son poi- gnard. Aussitôt il reconnut une femme, et une charmante, voix dont le timbre lui était familier, lui dit en lui saisissant la main :

Dieu soit loué, sire, vous voilà sain et sauf.

LA REINE MARGOT.

Lo I,«iivrp en IfiTS.

J'ai «u Lien peur p^ur vou": mais «an»; douti' liicii a ''xaurr ina priérf .

QiiVst-il lionr firrivi^? dit llfuri.

Vous lo sniiroz en rcnir.nnt clioz. vous. Ne vous inqiiif'lr/, piiiiil (rOrlIuni, ji' \':ù ropiii'illi.

Kt la jciinr fi'iiiinc (Ifsronilil nipiilonicnl, rroisant Henri comme si e'ôtait par hasard qnVlIn IVftt ren- rontrn sur IVsraliiT.

Voil.'i qui rsl lii/.'irrc, se dit Ili'iiri ; que s'i^^i- il dcinc pass(''? On'csi-il nrrivi- ;'i Orilinn?

I,a<|ii<'siinn niallifiireiisemenl nf poin;iit l'iri' cii-

ii'iidiie de madame de Sauve, car madame dr Sauve l'tait déjà loin.

Au liant de l'ese.ilier Henri vit Iniil à enup appa- raître une antre ouiluc; mais ci'ili'-là, e"ciail eellc d'un liiunme.

Chut 1 dit eet homme.

Ah ! ah ! c'est vous, Français!

Ne m'apprlrz pciint par mon nom.

Que s'est-il dune passé?

Rentrez rho;, vous et vous le saurez ; puis en- suite (flisso/.-vous dan'* le rnrridnr, regardez lijcu

LA r.KLNE MARGOT.

■JO

11 s'étail sauvé après aToir blessé dangeieusemenl Mauievel el tué deux gardes. Pace 34.

de tous côtés si personne ne vous épie, entrez chez moi, la porte sera seulement poussée.

Et il disparut à son tour par l'escalier, comme ces fantômes qui au théâtre s'abîment dans une trappe.

Ventre-saint-gris! murmura le Béarnais, l'é- nigme se continue ; mais, puisque le mot est chez moi, allons-y et nous verrons bien.

Cependant ce ne fut pas sans émotion que Henri continua son chemin; il avait la sensibilité, cette superstition de la jeunesse. Tout se reflétait nette- ment sur cette âme à la surface unie comme un mi-

roir, et tout ce qu'il venait d'entendre lui présa- geait un malheur.

Il arriva à la porte de son appartement et écouta. Aucun bruit ne s'y faisait entendre. D'ailleurs, puis- que Charlotte lui avait dit de rentrer chez lui, il était évident qu'il n'avait rien à craindre en y ren- trant. 11 jeta un coup d'oeil rapide autour de l'anti- chambre, elle était solitaire ; mais rien ne lui indi- quait encore quelle chose s'était passée.

En effet, dit-il, Orthon n'est point là.

Et il passa dans la seconde chambre.

Là, tout lui fut expliqué.

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Ptrt». Imp, de BhV aîné, touIcMri UjQifjrnjsiCv dï.

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LA REINE MARGOT.

Malgré l'eau qu'on avait jetée à flots, de larges taches rougeàtres marbraient le plancher; un meu- ble était brisé, les tentures du lit déchiquetées à coups d'épée, un miroir de Venise était brisé par le choc d'une balle, et une main sanglante appuyée contre la muraille, et qui avait laissé sa terrible empreinte, annonçait que cette chambre muette alors avait été témoin d'une lutte mortelle.

Henri recueillit d'un œil hagard tous ces diffé- rents détails, passa sa main sur son front moite de sueur, et murmura :

Ah ! je comprends ce service que m'a rendu le roi; on est venu pour m'assassiner. Et... .4h! de Mouy ! qu'ont-ils fait de de Mouy? Les misé- rables! ils l'auront tué!

Kt, aussi pressé d'apprendre des nouvelles que le duc d'Alençon l'était de lui en donner, Henri, après avoir jeté une dernière fois un morne regard sur les objets qui l'entouraient, s'élança hors de la chambre, gagna le corridor, s'assura qu'il était bien solitaire, et, poussant la porte entre-bàillée qu'il re- ferma avec soin derrière lui, il se précipita chez le duc d'Alençon.

Le duc l'attendait dans la première pièce. Il prit vivement la main de Henri, l'entraîna, en mettant un doigt sur sa bouche, dans un petit cabinet en tourelle, complètement isolé, et par conséquent échappant par sa position à tout espionnage.

Ah! mon frère, lui dit-il, quelle horrible nuit!

Que s'est-il donc passé? demanda Henri.

On a voulu vous arrêter.

JUoi?

Oui, vous.

Et à quel propos?

.le ne sais. étiez-vous?

Le roi m'avait emmené hier soir avec lui par la ville.

Alors il le savait, dit d'Alençon. Mais, puisque vous n'étiez pas chez vous, qui donc y était?

Y avait-il donc quelqu'un chez moi? demanda Henri comme s'il l'eût ignoré.

Oui, un homme. Quand j'ai entendu le bruit, j'ai couru pour vous porter secours ; mais il ('tait trop tard.

L'homme était arrûté? demanda Henri avec anxiété.

Non. il s'était sauvé après avoir blessé dange- reusemi'nt Miiurcvcl et iii(' deux gardes.

Ah! brave de Mouy! s'écria llunri.

G'fitait donc de Mouy? dit vivement d'Alençnn. Henri vit qu'il avait fait une faute.

Du moins, je le présume, dit-il, car je lui avais donmi rendez-vous pour m'enlendro avec lui (le votre fuite, cl lui dire que je vous avais con- cédé tous mes droits au irAno de Navarre.

Alors, si la chose est .sue, dit d'Alençon en |i;'i- lissant. nous sommes penliis.

Oui, car Maurevcl (larlcra.

Maurevel a reçu un coup d'épée dans la gorge; et je m'en suis informé au chirurgien qui l'a pansé, de plus de huit jours il ne pourra prononcer une seule parole.

Huit jours! c'est plus qu'il n'en faudra à de Mouy pour se mettre en sûreté.

Après cela, dit d'Alençon, ça peut être un au- tre que M. de Mouy.

Vous croyez? dit Henri.

Oui, cet homme a disparu très-vite et l'on n'a vu que son manteau cerise.

En effet, dit Henri, un manteau cerise est bon pour un dameret et non pour un soldat. Jamais on ne soupçonnera de Mouy sous un manteau cerise.

Non. Si l'on soupçonnait quelqu'un, dit d'A- lençon, ce serait plutôt...

Il s'arrêta.

Ce serait plutôt M. delà Mole, dit Henri.

Certainement, puisque moi-même, qui ai vu fuir cet homme, j'ai douté un instant.

Vous avez douté! En effet, ce pourrait bien être M. de la Mole.

Ne sait-il rien? demanda d'Alençon.

Rien absolument, du moins rien d'important.

Mon frère, dit le duc, maintenant je crois vé- ritablement que c'était lui.

Diable! dit Henri, si c'est lui, cela va faire grand'peine à la reine, qui lui porte intérêt.

Intérêt, dites-vous? demanda d'Alençon in- terdit. >

Sans doute. Ne vous rappelez-vous pas, Fran- çois, que c'est votre sœur qui vous l'a recommandé.

Si fait, dit le duc d'une voix sourde; aussi je voudrais lui être agréable, et. la preuve, c'est que, de peur que son manteau rouge ne le compromît, je suis monté chez lui et je l'ai rapporté chez moi.

Oh! oh! dit Henri, voilà qui est doublement prudent; et, maintenant, je ne parierais pas, mais je jurerais que c'était lui.

Même en justice? demanda François.

Ma foi OUI, répondit Henri. Il sera venu ni'ap- porter quelque message de la part de Marguerite.

Si j'étais sûr d'être appuyé par votre témoi- gnage, dit d'Alençon, moi je rarcu,sorais presque.

Si vous accusiez, répondit Henri, vous com- prenez, mon frère, que je ne vous démentirais pas.

Mais la reine? dit d'Alençon.

Ah ! oui, la reine.

H faut savoir ce qu'elle fera.

,1e me charge do la commission.

Peste! mon frère, elle aurait ton de nous d4- ini'iiiir, car voihi une llauihanic ré|iulaiion de vail- lant laite à ce jeune homme, et (|ui ne lui aura pas coûté cher, car il l'aura achetée à crédit. Il est vrai qu'il pourra bien rembourser ensemble iulérêt-s et capil;il.

I);inic! que voulrz-vous? dit Henri, dans ce bas monilo on n'a rien pour rien.

LA REINE MARGOT.

35

Et, saluant d'Âlençon de la main et du sourire, il passa avec précaution sa tète dans le corridor; et, s'étant assuré qu'il n'y avait personne aux écoutes, il se glissa rapidement et disparut dans l'escalier dérobé qui conduisait chez Marguerite.

De son côté, la reine de Navarre n'était guère plus tranquille que son mari. L'expédition de la nuit di- rigée contre elle et la duchesse de Nevers par le roi, par le duc d'Anjou, par le duc de Guise et par Henri, qu'elle avait reconnu, l'inquiétait fort. Sans doute il n'y avait aucune preuve qui \>ùi la compro- mettre, le concierge, détaché de sa grille par la Mule et Coconas, avait affirmé être resté muet. Mais qua- tre seigneurs de la taille de ceux à qui deux sim- ples gentilshommes comme la Mole et Coconas avaient tenu tète, ne s'étaient pas dérangés de leur chemin au hasard et sans savoir pour qui ils se dé- rangeaient. Marguerite était donc rentrée au point du jour, après avoir passé le reste de la nuit chez la duchesse de Nevers. Elle s'était couchée aussitôt, mais elle ne pouvait dormir, elle tressaillait au moindre bruit.

Ce fut au milieu de ces anxiétés qu'elle entendit frapper à la porte secrète, et qu'après avoir fait reconnaître le visiteur par Gillonne elle ordonna de laisser entrer.

Henri s'arrêta à la porte; rien en lui n'annonçait le mari blessé; son sourire habituel errait sur ses lèvres fines, et aucun muscle de son visage ne tra- hissait les terribles émotions à travers lesquelles il venait de passer.

11 parut interroger de l'œil Marguerite pour sa- voir si elle lui permettait de rester en tête à tête avec elle. Marguerite comprit le regard de son mari et fit signe à Gillonne de s'éloigner.

Madame, dit alors Henri, je sais combien vous êtes attachée à vos amis, et j'ai bien peur de vous apporter une fâcheuse nouvelle.

Laquelle, monsieur? demanda Marguerite.

Un de nos plus chers serviteurs se trouve en ce moment fort compromis.

Lequel';

Ce cher comte de la Mole.

M. le comte de la Mole compromis ! et à pro- pos de quoi?

A propos de l'aventure de cette nuit. Marguerite, malgré sa puissance sur elle-même,

ne put s'empêcher de rougir. Enfin, elle fit un effort :

Quelle aventure? demanda-t-elle.

Comment! dit Henri, n'avez-vous point en- tendu tout le bruit qui s'est fait cette nuit au Louvre?

Non, monsieur.

Oh ! je vous en félicite, madame, dit Henri avec une naïveté charmante, cela prouve que vous avez un bien excellent sommeil.

Eh bien! que s'est-il donc passé?

U s'est passé que notre bonne mère avait

donné l'ordre à M. de Maurevel et à six de ses gar- des de m'arrêter.

Vous, monsieur! vous!

Oui, moi.

Et pour quelle raisoti?

Ah ! qui peut dire les raisons d'un esprit pro- fond comme l'est celui de votre mère? Je les res- pecte, mais je ne les sais pas.

Et vous n'étiez pas chez vous?

Non; par hasard, c'est vrai. Vous avez deviné cela, madame, non, je n'étais pas ciiez moi. Hier au soir le roi m'a invité à l'accompagner; mais, si je n'étais pas chez moi, un autre y était.

Et quel était cet autre?

Il parait que c'était le comte de la Mole.

Le comte de la Mole! dit Marguerite étonnée.

Tudieu ! quel gaillard que ce petit Provençal, continua Henri. Comprenez-vous qu'il a blessé Mau- revel et tué deux gardes?

Blessé M. de Maurevel et tué deux gardes... impossible!

Comment! vous doutez de son courage, nia- dame?

Non ; mais je dis que M. de la Mole ne pou- vait pas être chez vous.

Comment ne pouvait-il pas être chez moi?

Mais parce que... parce que... reprit Margue- rite embarrassée, parce qu'il était ailleurs.

Oh ! s'il peut prouver un alibi, reprit Henri, c'est autre chose; il dira il était, et tout sera fini.

il était? dit vivement Marguerite.

Sans doute... La journée ne se passera pas sans qu'il soit arrêté et interrogé. Mais malheureu- sement, comme on a des preuves...

Des preuves!... lesquelles?

L'homme qui a fait cette défense désespérée avait un manteau rouge.

Mais il n'y a pas que M. de la Mole qui ait un manteau rouge... je connais un autre homme en- core.

Sans doute, et moi aussi... Mais voilà ce qui arrivera : si ce n'est pas M. de la Mole qui était chez moi, ce sera cet autre homme à manteau rouge comme lui. Or, cet autre homme, vous savez qui?

Ciel!

Voilà recueil ; vous l'avez vu comme moi, ma- dame, et votre émotion me le prouve. Causons donc maintenant comme deux personnes qui parlent de la chose la plus recherchée du monde d'un trône du bien le plus précieux delà vie... De Mouy arrêté nous perd.

Oui, je comprends cela.

Tandis que M. de la Mole ne compromet per- sonne, à moins que vous ne le croyiez capable d'in- venter quelque histoire, comme de dire, par ha- sard, qu'il était en partie avec des dames... que sais-je... moi?

ÔG

LA REINE MARGOT,

Monsieur, dit Marguerite, si vous ne craignez que cela, soyez tranquille... il ne le dira point.

Comment! dit Henri, il .<e taira, sa mort dût- elle être le prix de son silence?

Use taira, monsieur.

Vous en êtes sûre?

J'en répond.';.

Alors tout est pour le mieux, dit Henri en se levant.

Vous vous retirez, monsieur? demanda \ive- nunt Marguerite.

Oh! mon Dieu oui. Voilà tout ce que j'avais à vous dire.

Et vous allez...

Tâcher de nous tirer tous du mauvais pas ce diahie d'homme au manteau rouge nous a mis.

Oh 1 mon Dieu ! mon Dieu ! pauvre jeune homme! s'écria douloureusement Marguerite se tor- dant les mains.

En vérité, dit Henri en se retirant, c'est un bien gentil serviteur que ce cher M. de la Mole.

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LA HEINE MARGOT.

Ht qu'un mu lnll.iil. mui, nii; CIolIic Pcnro. ~ l'rt "8.

IX

i,A cor.riF.i.iF.ni'; de i.a iîrinf, Mi.r.f;.

harips élait cntri' linnt et raillinii- chez lui ; mais, aprrs une conversation de dix minutes avec sa mère, on ci'it dit que celle-ci lui avait cédé sa pâleur et sa colère, tandis qu'elle avait repris la joyeuse humeur de son iils. ' M. de la Mole, disait Charles, M. de la Mole...

11 l'nut appeler Henri et le duc d'Alençon. Henri, parce que ce jeune homme était huguenot; le duc d'Alençon, parce qu'il est à son service.-

Appelez-les si vous voulez, mon fils, vous ne saurez rien. Henri et François, j'en ai peur, sont plus liés ens«nihle que ne pourrait le faire croire l'apparence. Les interroger, c'est leur donner des soupçons : mieux vaudrait, je crois, l'épreuve lente et sûre de quelques jours. Si vous laissez respirer les coupables, mon fils, si vous laissez croire qu'ils

38

LA REINE MARGOT.

ont échappé à votre vigilance, enhardis, triom- phants, ils vont vous fournir une occasion meilleure de sévir; alors nous saurons tout.

(Charles se promenait indécis, rongeant sa colère, comme un cheval ronge son frein, et comprimant de sa main crispée son cœur mordu par le soupçon :

Non, non, dit-il enfin, je n'attendrai pas. Vous ne savez pas ce que c'est que d'attendre, es- corté comme je le suis de fantômes ; d'ailleurs, tous les jours, ces muguets deviennent plus insolents : cette nuit même deux damoiseaux n'ont-ils pas osé nous tenir tète et se rebeller contre nous... Si M. de la Mole est innocent, c'est bien ; mais je ne suis pas fâché de savoir était M. de la Mole cette nuit, tan- dis qu'on battait mes gardes au Louvre et qu'on me battait, moi, rue Cloche-Percée. Qu'on m'aille donc chercher le duc d'Alençon, puis Henri , je veux les interroger séparément. Quant à vous, vous pouvez rester, ma mère.

Catherine s'assit. Pour un esprit ferme et inflexi- ble comme le sien, tout incident pouvait, courbé par sa main puissante, la conduire à son but, bien qu'il parût s'en écarter. De tout choc jaillit un bruit ou une étincelle. Le bruit guide : l'étincelle éclaire.

Le duc d'Alençon entra : sa conversation avec Henri l'avait préparé à l'entrevue, il était donc as- sez calme.

Ses réponses furent des plus pfefclses. Prévenu par sa mère de demeurer chez lui, il ignorait com- plètement les événements de la nuit. Seulement, comme son appartement se trouvait donner sur le même corridor que celui du roi de Navarre, il avait cru entendre d'abord un bruit comme celui d'une porte qu'on enfonce, puis des imprécations, puis des coups de feu. Alors seulement il s'était iiasardé à entre-bàillersa porte et avait vu fuir un homhie en manteau rouge.

Charles et sa mère échangèrent un regard.

En manteau rouge'.' dit le roi.

En manteau rouge, reprit d'Alençon.

Et ce manteau rouge ne vous a donné de soup- çon sur personne'.'

D'Alençon rappela toute sa force pour mentir le plus naturellement possible.

Au premier aspect, dit-il, je dois avouer à Vo- tre .Majesté que j'avais cru recunnaître le manteau incarnat d'un de mes gentilshommes.

Et comment nommez-vous ce gentilhomme'!

M. de la Mole.

Pourquoi M. de la Mole n'étoit-il pas prés do vous comme son devoir l'exigeait'?

.le lui avais donné congi', dit le duc.

C'est bien, allez, dit Charles.

Le duc d'Alençon s'avança vers la porto qui lui avait donné passage pour entrer.

Non point |)ar celle-là, dit Charles, jiar celle- ci. Et il lui indiqua cclli' (|ui donnait chez sa nour- rice.

Charles ne voulait pas que François et Henri se rencontrassent. Il ignorait qu'ils se fussent vus un instant, et que cet instant eût suffi pour que les deux beaux-frères convinssent de leurs faits.

Derrière d'Alençon, et sur un signe de Charles, Henri entra à son tour.

Henri n'attendit pas que Charles l'interrogeât.

Sire, dit-il, Votre Majesté a bien fait de m'en- voyer chercher, car j'allais descendre pour lui de- mander justice.

Charles froliça le sourcil.

Oui, justice, dit Henri. Je commence par re- mercier Votre Majesté de ce qu'elle m'a pris hier soir avec elle ; car, en me prenant avec elle, je sais maintenaiit qu'elle m'a sauvé la vie; mais qu'avais- je fait pour qu'on tentât sur moi un assassinat?

Ce n'était point un assassinat, dit vivement Catherine, c'était une arrestation.

Eh bien ! soit, dit Heiiri. Quel crime avais-je commis pour être arrêté'? Si je suis coupable, je le suis autant ce matin qu'hier soif. Dites-moi mon crime, sire.

Charles regarda sa mère assez embarrassé de la réponse qu'il avait à faire.

Mon fils, dit Catherine, vous recevez des gens suspects.

Bien, dit Henri; et ces gens suspects me com- promettent, n'est-ce pas, madame?

Oui, Henri.

Nommez-les-moi! nommez- les-thoi! Quels sont-ils? Confrontez-moi avec eux !

En effet, dit Charles, Henriot a le droit de demander une explication.

Et je la demande! reprit Heiiri, qui. sentant la supériorité de sa position, èfi voulait tirer parti , je la demande à mon bon frère Charles, a ma bonne mère Catherine. Depuis mon mariage avec Marguerite, he me suis-je pas conduit en bon époux? qu'on le demande à Marguerite ; en bon catholique? qu'on le demande à mon confesseur; en bon parent? qu'on le demande à tous ceux qui assistaient à la chasse d'hier.

Oui, c'est vrai, Henriot, dit le roi ; mais, que veux-tu? on prétend que tu conspires.

Contre qui?

(Contre moi.

Sire, si j'eusse conspiré contre vous, ]e n'avais qu'à laisser faire les événements, quand votre che- val ayant la cuisse cassée ne pouvait se relever, (juand le .sanglier furieux revenait sur Votre Ma- jesté.

Eh ! morl-diabic ' ma mère, savez-vous qu'il a raison !

Mais enfin qui était chez vous celte nuit?

Madauie. dit Henri, dans un temps si pou osent rc|)ondro d'eux-mêmes, je ne n-pondrai ja- mais des autres. J'ai quille mon apparicmeiil à scj)! heures du soir; ft dix heures mon frère Charles m'a

LA REINE MARGOT.

39

emmené avec lui : je suis resté avec lui pendant toute la nuit. Je ne pouvais pas à la fois être avec Sa Majesté et savoir ce qui se passait chez moi.

Mais, dit Catherine, il n'en est pas moins vrai qu'un homme à vous a tué deux gardes de Sa Ma- jesté et blessé M. de Maurevel.

Un homme à moi, dit Henri. Quel était cet homme, madame? nommez-le...

Tout le monde accuse M. de la Mole.

M. de la Mole n'est pointa moi, madame. M. de la Mole est à M. d'Alençon, à qui il a été recom- mandé par votre fille.

Mais, enfin, dit Charles, est-pe M. de la Mole qui était chez toi, Henriof?

Comment voulez- vous que je sache cela, sire? Je ne dis pas oui, je ne dis pas non... M. de la Mole est un fort gentil serviteur, tout dévoué à la feine de iS'avarre, et qui m'apporte souvent des messages, soit de Marguerite, à qui 1} est reconnaissant de l'a- voir recommandé à M. le duc d'Alençon, soit de M. le duc lui-même. Je ne puis pas dire que ce ne soit pas M. de la Jljole...

C'était lui, dit Catherine; on a Reconnu §o|j manteau rouge.

M. de la Mole a donc un manteau fo^ige?

Oui. ■■-

Et l'homme qui a si bien arrangé ipes deuj gardes et M. de Maurevel...

Avait un manteau rouge? defnapçjji Hgnri.

Justement, dit Charles.

Je n'ai rien à dire, reprit le Béarnais. Mais il me semble, en ce cas, qu'au lieu de me faire ve- nir, moi qui n'étais point chez moi, c'était JJ. 4? la Mole, qui y était, dites-vous, qu'il fallait interroger. Seulement, dit Henri, je dois faire observer une chose à Votre Majesté.

Laquelle?

Si c'était moi qui, voyant un ordre signé de mon roi, me fusse défendu au lieu d'obéir à cet or- dre, je serais coupable et mériterais toutes sortes de châtiments; mais ce. n'est point moi. c'est un in- connu que cet ordre ne concernait en rien : on a voulu l'arrêter injustement, il s'est défendu, trop bien défendu même, mais il était dans son droit.

Cependant... murmura Catherine.

Madame, dit Henri, l'ordre portait-il de m'ar- rêter?

Oui, dit Catherine, et c'est Sa Majesté elle- même qui l'avait signé.

Mais portait-il en outre d'arrêter, si l'on ne me trouvait pas, celui que l'on trouverait à ma place?

Non, dit Catherine.

Eh bien! reprit Henri, à moins qu'on ne prouve que je conspire et que l'homme qui était dans ma chambre conspire avec moi, cet homme est innocent. Puis, se retournant vers Charles IX :

Sire, continua Henri, je ne quitte pas le Lou-

vre. Je suis même prêt à me rendre, sur un simple mot de Votre Majesté, dans telle prison d'État qu'il lui plaira de m'indiquer. Mais, en attendant la preuve du contraire, j'ai le droit de me dire et je me dirai le très-fidèle serviteur, sujet et frère de Votre Ma- jesté.

Et avec une dignité qu'on ne lui avait point vue encore, Henri salua Charles et se retira.

Bravo, Hepript'. dit Charles quand le roi de Navarre fut sorti.

Bravo! parce qu'il nous a battus? dit Cathe- rine.

Et pourquoi n'applaudirais-je pas? Quand nous faisons des arjjies ensemble et qu'il me touche, est- ce que je ne dis pa^ firavo aussi? Ma mère, vous avez tort de ijjéprisejr pp garçon-là comme vous le faites.

Mon fils, dit Catherine en serrant la main de Charles IX, je ne le méprise pas, je le crains.

Eh t)ien! vous avez tort, ma mère, Henriot est mon ami, et, comme il l'a dit, s'il eût conspiré contre moi, il n'eût eu qu'à laisser faire le san- glier-

jQlji, dit Catherine, pour que M. le duc d'An- jou, spn eRpemi personnel, fût roi de France.

Ma uxére, n'importe le motif pour lequel Hen- riot m'a sauvé la vie; mais il y a un fait, c'est qu'il me l'a sauvée. Et, mort de fous les diables! je ne veux pas qu'on lui fasse de la peine : quant à M. de la Mole, eh bien ! je vais m'entendre avec mon frère d'Alençon, auquel il appartient.

C'était un congé que Charles IX donnait à sa ipère. Elle se retira en essayant d'imprimer une certaine fixité à ses soupçons errants. M. de la Mole, par son peu d'importance, ne répondait pas à ses besoins.

En rentrant dans sa chambre, à son tour Cathe- rine trouva Marguerite qui l'attendait.

Ah! ah! dit-elle, c'est vous, ma fille; je Vous ai envoyé chercher hier soir.

Je le sais, madame ; mais j'étais sortie.

Et ce matin?

Ce matin, madame, je viens vous trouver pour dire à Votre Majesté qu'elle va commettre une grande injustice.

Laquelle?

Vous allez fîiire arrêter M- le comte de la Mole? '

Vous vous trompez, ma fille, je ne fais ar^p- ter personne, c'est le roi qui fait arrêter et non pas moi.

Ne jouons pas sur les mots, madame, quand les circonstances sont graves. Ofl va arrêter M. de la Mole, n'est-ce pas?

C'est probable.

Comme accusé de s'être troi^yg cette nuit dans la chambre du roi de Navarre et d'avoir tué deux des gardes et blessé M. de Maurevel?

>50

LA REINE MARGOT.

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Oui, cheï moi.

C'est en effet le crime i|irnn lin iiiiimte.

On le lui impute à tort, iiiiiihmn', dit Maigm- rite, M. de la Mole n'est pas coupable.

M. de la Mole nVsl pas eoupal)le! dit Catlio- rine en faisant un soubresaut de joie el eu deviu.iul qu'il allait jaillir quelque lueur de ce que Margue- rite venait lui dire.

Non, reprit Marguerite, il n'est pas loupalilr, il ne peut pas l'i^lro, car il n'ctait pas riiez le roi.

Et était-il?

Chez moi, madame.

Chez vous!

Oui, chez moi.

Callierino de\iiit un regard foudroyant à cet aveu d'uni' lille de France, mais elle se contenta de croi- siT >es mains sur sa ceinture.

Et... dil-elle après un moment de silence, si l'on anèle M. d(\ l;i Mole el (|u'on l'inlcrroge...

Il dira il ('tail cl .ivim- (|iij il c'iail, ma mère, irpondil Marguerite qucmiuClIc fût sûre du cou- Iraire.

Puisqu'il en e>t ainsi, vou,'< avez raison, ma lille, il ne faut pas qu'on arrête M. de la Mole.

.Marguerite frissonna . il lui sembla ipi'il y avait

LA REINE MARGOT.

41

tmm.

Mais je vous laisse ceci. Page 42.

dans la manière dont sa mère prononçait ces paro- les un sens mystérieux et terrible: mais elle n'avait rien à dire, car ce qu'elle venait demander lui i-tait accordé.

Mais alors, dit Catherine, si ce n'était point M. de la Mole qui était chez le roi, c'était un au- tre!

Marguerite se tut.

Cet autre, le connaissez-vous, ma fille .' dit Ca- therine.

Non, ma mère, dit Marguerite d'une voix mal assurée.

Voyons, ne soyez pas confiante à moitié.

Je vous répète, madame, que je ne le connais pas, répondit une seconde fois Marguerite en pâlis- sant malgré elle.

Bien, bien, dit Catherine d'un air indifférent, on s'informera. Allez, ma fille, trnnquillisez-vous, votre mère veille sur votre honneur.

Marguerite sortit.

Ah! murmure Catherine, on se ligue; Henri. Marguerite, s'entendent ; pourvu que la femme soit niuelte, le mari est aveugle. Ah! vous êtes bien adroits, mes enfants, et vous vous croyez bien forts,-

Pjm. litp. lit DHY jlD», t,ou;ev»ri aontparnai», m,

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LA REINE MARGOT.

mais votre force est dans votre union, et je vous bri- serai les uns après les autres. D'ailleurs un jour viendra Maurcvel pourra parler ou écrire, pro- noncer un nom ou former six lettres, et ce jour-là on saura tout.

Oui, mais d'ici à ce jour-là le coupable sera en sûreté. Ce qu'il y a de mieux, c'est de les désunir tout de suite.

Et, en vertu de ce raisonnement, Catherine reprit È5 chemin des appartements de son fils , qu'elle <fouva en conférence avec d'Alençon.

Ah ! ah ! dit Charles IX en fronçant le sourcil, c'est vous, ma mère!

Pourquoi n'avez-vous pas dit encore! Le mot était dans votre pensée, Charles.

Ce qui est dans ma pensée n'appartient qu'à moi, madame, dit le roi de ce ton brutal qu'il pre- nait quelquefois, même -pour parler à Catherine; que me voulez-vous? dites vile.

Eh bien ! vous aviez raison, mon fils, dit Ca- therine à Charles, et vous, d'Alençon, vous aviez tort.

En quoi , madame? demandèrent les deux princes.

Ce n'est point M. de la Mole qui était chez le roi de Navarre.

Ah ! ah 1 dit François en pâlissant.

Et qui était-ce donc? demanda Charles.

Nous ne le savons pas encore, mais nous le saurons quand Maurevel pourra parler. Ainsi, lais- sons là cette affaire, qui ne peut tarder à s'éclaircir, et revenons à M, de la Mole.

Eh bien! M. de la Mole, que lui voulez-vous, ma mère, puisqu'il n'était pas chez le roi de Na- varre?

Non, dit Catherine, il n'était pas chez le roi, mais il était chez,., la reine.

Chez la reine! dit Charles on parlant d'un éclat de rire nerveux.

Chez la reine! murmura d'Alençon en deve- nonl pâle comme un cadavre.

Mais non! mais non! dit Charles, Guise m'a dit avoir renconlni la litière de Marguerite.

C'est cela , dit Catherine ; elle a une maistm en ville.

Rue Cloche-Percée? s'écria le roi.

Oui, je crois, dit Calherini^ nie Cloche-Per- cée.

Oh! oh! c'est trop fort, dit d'Alençon on en- fonçant ses ongles dans les chairs de sa poitrine. El me l'avoir recommandé à moi-niôine!

Ah! mais j'y pense! dit le roi en s'anèi:iiii tout à coup, c'est lui alors iiui s'est défendu celle nuit contre nous cl qui m'a jeté' une aiguière d'ar- gent sur la tèle, le misérnhle!

Oh! oui. répéiii Erançois. le iiiisi'rahle!

Vous iivoz raison, mes riifanH, dil Calherine

sans avoir l'air de comprendre le sentiment qui fai- sait parler chacun de ses deux fils. Vous avez rai- son, car une seule indiscrétion de ce gentilhomme peut causer un scandale horrible; perdre une fille de France! il ne faut qu'un moment d'ivresse pour cela.

Ou de vanité, dit François.

Sans doute, sans doute, dit Charles; mais nous ne pouvons cependant déférer la cause à des juges, à moins que Henriot ne consente à se porter plaignant.

Mon fîls, dit Catherine en posant la main sur l'épaule de Charles et en l'appuyant d'une façon as- sez significative pour appeler toute l'attention du roi sur ce qu'elle allait proposer, écoutez bien ce que je vous dis. 11 y a crime et il peut y avoir scandale. Mais ce n'est pas avec des juges et des bourreaux qu'on punit ces sortes de délits à la majesté royale. Si vous étiez de simples gentilshommes, je n'aurais rien à vous apprendre, car vous êtes braves tous deux; mais vous êtes princes, vous ne pouvez croi- ser votre épée contre celle d'un hobereau : avisez à vous venger en princes.

Mort de tous les diables! dit Charles, vous avez raison, ma mère, et j'y vais rêver.

Je vous y aiderai, mon frère! s'écria Fran- çois.

Et moi, dit Catherine en détachant la corde- lière de soie noire qui faisait trois^fois le tour de sa taille et dont chaque bout, terminé par un gland, retombait jusqu'aux genoux, je me retire; mais je \ous laisse ceci pour me représenter.

Et elle jeta la cordelière aux pieds des deux prin- ces.

Ah ! ah ! dit Charles, je comprends.

Cette cordelière... fit d'Alençon en la ramas- sant.

C'est la punition et le silence, dit Catherine victorieuse; seulemenl, ajouta-t-elle. il n'y aurait pas de mal à mettre Henri dans tout cela.

Et elle sortit.

Pardieu! dit d'Alençon, rien de plus facile, el (]uand Henri saura que sa femme le trahit... Ainsi, ajnnla-t-il en se tournant vers le roi. vous avez ad(qité l'avis de notre mère?

De point en point, dit Charles ne se doutant |)oint qu'il enfonçait mille poigiiardis dan^ le ('>Bur de d'Alençon; cela contrariera MarguoriU", mais cela réjouira llenriol.

Puis, a|ipelant un officier de ses gardes, il or^ ilonna que l'on fil descendre Henri ; mais, se ravi- sant :

Non, non, dit-il. je vais le trouver moi-même. Toi, d'Alençon, préviens d'Anjou et Cuise.

Et, sorlani do .son apparlcinenl, il prit le petit es- calier loinnanl par lequel un iimnlail an .second, el qui aboutissait à la porte de Henri

LA REINE MARGOT.

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PROJETS DE VENGEANCE.

enri avait profitL- du mo- ment Qe répit que lui don- nait Tinterrogatoire si bien soutenu par lui, pour cou- rir chez madame de Sauve. Il y avait trouvé Orthon complètement revenu de ton évanouissement; mais Orthon n'avait pu rien lui dire, si ce n'était que des hommes avaient fait irruption chez lui, et que le chef de ces hommes l'avait frappé d'un coup de pommeau d'épée qui l'avait étourdi. Quant à Or- thon, on ne s'en était pas inquiété, Catherine l'avait vu évanoui et l'avait cru mort. Et, comme il était revenu à lui dans l'intervalle du départ de la reine mère à l'arrivée du capitaine des gardes chargé de déblayer la place, il s'était réfugié chez madame de Sauve.

Henri pria Charlotte de garder le jeune homme jusqu'à ce qu'il eût des nouvelles de de Mouy, qui, du lieu il s'était retiré, ne pouvait manquer de lui écrire. Alors il enverrait Orthon porter sa ré- ponse à de Mouy, et, au lieu d'un homme dévoué, il pouvait alors compter sur deux.

Ce plan arrêté, il était revenu chez lui et philo- sophait en se promenant de long en large, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit et le roi parut.

Votre Majesté ! s'écria Henri en s'élançant au- devant du roi.

Moi-même... En vérité, Henriot, tu es un ex- cellent garçon, et je sens que je t'aime de plus en plus.

Sire, dit Henri, Votre Majesté me comble.

Tu n'as qu'un tort, Henriot.

Lequel? celui que Votre Majesté m'a déjà re- proché plusieurs fois, dit Henri, de préférer la chasse à courre à la chasse au vol !

Non, non, je ne parle pas de celui-là, Hen- riot, je parle d'un autre.

Que Votre Majesté s'explique, dit Henri, qui vit au sourire de Charles que le roi était de bonne humeur, et je tâcherai de me corriger.

C'est, ayant de bons yeux comme tu les as, de ne pas voir plus clair que tu ne vois.

Bah! dit Henriot, est-ce que, sans m'en dou- ter, je serais m^ ope, sire .'

Pis que cela, Henriot, pis que cela, tu es aveu-

le.

Ahl vraiment, dit le Béarnais; mais ne serait- ce pas quand je ferme les yeux que ce malheur-là m'arrive?

Oui-da ! dit Charles, tu en es bien capable. Eu tout cas je vais te les ouvrir, moi.

Dieu dit : Que la lumière soit! et la lumière fut. Votre Majesté est le représentant de Dieu en ce monde ; elle peut donc faire sur la terre ce que Dieu fait au ciel : j'écoute.

Quand Guise a dit hier soir que ta femme ve- nait de passer escortée d'un dameret, tu n'as pas voulu le croire.

Sire, dit Henri, comment croire que la sœur de Votre Majesté commette une pareille impru- dence?

Quand il t'a dit que ta femme était allée rue Cloche-Percée, tu n'as pas voulu le croire non plus.

Comment supposer, sire, qu'une fille de France risque ainsi publiquement sa réputation?

Quand nous avons assiégé la maison de la rue Cloche-Percée, et que j'ai reçu, moi, une aiguière d'argent sur l'épaule, d'.Vnjou une compote d'oran- ges sur la tèle, et de Guise un jambon de sanglier par la figure, tu as vu deux femmes et deux hom- mes?

Je n'ai rien vu, sire. Votre Majesté doit se rap- peler que j'interrogeais le cuncierge.

Oui; mais, corbœuf! j'ai vu, moi!

Ah ! si Votre Majesté a vu, c'est autre chose.

C'est-à-dire, j'ai vu deux hommes et deux femmes. Eh bien! je sais maintenant, à n'en pas douter, qu'une de ces deux femmes était Margot, et qu'un de ces deux hommes était M. de la Mole.

Eh ! mais, dit Henri, si M. de la Mole était rue Cloche-Percée, il n'était pas ici !

Non, dit Charles, non. il n'était pas ici. Mais il n'est plus question de la personne qui était ici, on la connaîtra quand cet imbécile de Maurevel pourra parler ou écrire. 11 est question que Margot te trompe.

Bah! dit. Henri, ne croyez donc pas des médi- sances.

Quand je te disais que tu es plus que myope, que tu es aveugle, mort-diable ! veux-tu me croire

u

LA REIISE MARGOT.

une fois, entèto ! Je te dis que Margot te trompe, et que nous étranglerons ce soir l'objet de ses affec- tions.

Henri lit un bond de surprise et regarda son beau-frère d'un air stupéfait.

Tu n'en es pas fàclié, Henri, au fond, avoue cela. Margot va bien crier comme cent mille corneilles; mais, ma foi, tant pis. Je ne veux pas qu'on te rende malheureux, moi. Que Condé soit trompé par le duc d'.\njou. je m'en bats l'oeil, Condé est mon ennemi ; mais toi, tu es mon frère, tu es plus que mon frère. tu es mon ami.

Mais, sire...

Et je ne veux pas qu'on te moleste, je ne veux pas ([u'on le berne; il y a assez longtemps que tu sors de quintaine à tous ces godelureaux qui arrivent de province pour ramasser nos miettes et courtiser nos femmes ; qu'ils y viennent, ou plutôt qu'ils y reviennent, corbœuf! On t'a trompé, Henrint; cela peut arriver à tout le monde ; mais tu auras, je le jure, une éclatante satisfaction, et l'on dira demain : Mille noms d'un diable! il paraît que le roi Charles aime son frère Henriot, car cette nuit il a drôle- ment fait tirer la langue à M. de la Mole.

Voyons, sire, dit Henri, est-ce véritablement une chose bien arrêtée'?

Arrêtée, résolue, décidée ; le muguet n'aura pas à se plaindre. Nous faisons l'expédition entre moi, d"-\njou, d'Alençon et Guise. Un roi, deux lijs de France et un prince souverain sans te compter.

Comment, sans me compter'.'

Oui, tu en .seras, toi.

Moi !

Oui, toi; dague-moi ce gaillard-là d'une façon royale, tandis que nous l'étranglerons.

Sire, dit Henri, votre bonté me confond ; nuiis comment savez-vous...

Eh ! corne du diable! il paraît ([ue le drôle s'en est vanté. H va lanlôt chez elle au Lûu\re, tan- tôt rue Cloclie-Penv'c. Ils font des v(-rs ensemble, je voudrais bien voir des vers de ce muguet-là ; des pastorales : ils causent de lîion et de Moschus, ils font alterner Daphnis et Corydon. Ah çà ! prends- moi une bonne miséricorde au moins.

Sire, dit Henri, en y nMléchissant... ' Quoi ;

Voire Majesté comprendra que je ne puis me trouver à une pareille expédition. Etre en per- sonneserait inconM'n.'int, ce me M'inble. Je suis trop irili'ressé à la clio.se pour ipie mon inlervenlion ne Miit |)as traitée de férocité'. WiiTtt Majesté venge l'honneur de sa sœur sur un fai ipii .s'est vante en r.ihiinniant ma feiMiiie; rien n'i'sl plus simple, el MaigucM'ite, (|iie je mainliens iunncriile. sire, n'est pas déshonorée pour cela : mais, si jo suis de la par- lic, c'est autre chose; ma coopération fait <run acie de jusii.cc un aolc de veniieaui-o Ce n'i^sl [dus une

exécution, c'est un assassinat; ma femme n'est plus calomniée... elle est coupable...

Mordieu! Henri, tu parles d'or; et je le disais tout à l'heure encore à ma mère, tu as de l'esprit comme un démon.

Bt Charles regarda complaisamment son beau- frère, qui s'inclina pour répondre au compliment.

Néanmoins, ajouta Charles, tu es content (|u"nn te débarrasse de ce muguet?

Tout ce que fait Votre Majesté est bien fait, ré- pondit le roi de Navarre.

C'est bien, c'est bien alors, laisse-moi donc faire ta besogne, sois tranquille, elle n'en sera pas plus mal faite.

Je m'en rapporte à vous, sire, dit Henri.

Seulement, à quelle heure va-t-il ordinaire- ment chez la femme'.'

Mais \ ers les neuf heures du soir.

Et il en sort'?

Avanl que je n'y arrive, car je ne l'y trouve jamais.

Vers'?...

Vers les onze heures.

Bon; descends ce soir à minuit, la chose sera faite.

Et Charles, ayant cordialement serré la main de Henri, et lui ayant renouvelé ses promesses d'ami- tié, sortit en sifflant son air de chasse favori.

Ventre-saint-gris! dit le Béarnais en suivant Charles des yeux, je suis bien trompé si toute cette diablerie ne sort pas encore de chez la reine mère. En vérité, elle ne sait qu'inventer pour nous brouil- ler, ma femme et moi ; un si joli ménage!

El Henri se mit à rire comme il riait quand per- sonne ne pouvait le voir ni l'entendre.

Vers les sept heures du soir de la même journée tous ces événements s'étaient passés, un beau jeune homme, qui venait de prendre un bain, >'é- pilait et se pommadait avec complaisance, fredon- nant une petite chanson devant une glace dans une chambre du Louvre.

A côté de lui dormait ou plutôt se délirait sur un lit un autre jeune homme.

L'un était notre ami la Mole, dont on s'était si fort occupé dans la journée, et dont on s'occupait encore peut-être davantage sans iiu'il le soupçon- nât, et l'autre son conqiagiion Coconas.

En effet, tout ce grand orage avait passé autour do lui sans qu'il eût entendu gronder la foudre, sans qu'il eût vu briller les ('clairs. Heniré à trois heures (In malin, il ('lail rest(' couclu' jusipi'à trois heures du soir, moitii" dormant, moilii- rêvant, bàlis.sanl des châteaux sur ce sable mouvant qu'on appelle l'avenir; puis il .s'était lev(', avait éti- passer une heure chez les baigneurs à la mode, était alb- dîner (■h(>». maître la lluriêre. et, de retour au Louvre, il achevait .«a toilette pour aller faire sa visite ordi- naire à Marguerite.

LA REINE MUGOT.

45

L'auberge de la Belle-Éloile.

Et tu dis (loncque tu as tline, toi'; lui demanda Coconas en bâillant.

Ma foi oui, et de grand appétit.

Pourquoi ne m'as-tu pas amené avec toi , égoïste ?

Ma foi, tu dormais si fort, queje n'ai pas voulu te réveiller. Mais, sais-tu, tu souperas au lieu de dîner. Surtout, n'oublie pas de demander à maî- tre la Hurière de ce petit vin d'Anjou qui lui est ar- rivé ces jours-ci.

Il est bon ?

Demandes-en, je ne te dis que cela.

Et toi, vas-tu?

Moi, dit la Mole, étonné que son ami lui fil même cette question ^e vais? faire ma cour à la reine.

Tiens, au fait, dit Coconas, si j'allais dîner à uiitre petite maison de la rue Clocbe-Percée ; je dînerais des reliefs d'hier, et il y a un certain vin d'Alicante qui est restaurant.

Cela serait imprudent, Annibal, luoii ami, après ce qui s'est passé cette nuit. D'ailleurs, ne nous

m

LA REINI^ MARGOT.

a-t-on pas fait ijonner notre parole que nous n'y re- tournerions pas seuls! Passe-moi donc mon man- teau.

C'est ma foi vrai, dit Coconas; je l'avais ou- blié. — Mais diable est-il donc ton manteau?... Ah! le voilà.

Non, tu me passes le noir, et c'est le rouge que je te demande. La reine m'aime mieux avec celui-là.

Ah! ma foi. dit Coconas après avoir regardé de tous Cotés, cherche-le toi-même, je ne le trouve pas.

Comment, dit la Mole, tu ne le trouves pas I mais donc est-il?

Tu l'auras vendu...

Pourquoi faire? il me reste encore six écus.

Alors, mets le mien.

Ab ! oui... un manteau jaune avec un pour- point vert, j'aurais l'air d'un pnpcgni.

Par ma foi, tu es trop difficile. Arrange-toi comme tu voudras, alors.

En ce moment, et comme, après avoir tout mis sens dessus dessous, la Mole commençait à se ri'pan- dre en invectives contre les voleurs qui se glissaient jusque dans le Louvre, un page du duc d'Alençon parut avec le précieux manteau tant demandé.

Ah! s'écria la Mole, le voilà, enfin!

Votre manteau, monsieur? dit le page... Oui, monseigneur l'avait fait prendre chez vous pour s'éclaircir à propos d'un pari qu'il avait fait sur la nuance.

Oh ! dit la Mole, je ne le demandais que parce que je veux sortir, mais si Son Altesse désire le gar- der encore...

Non, monsieur le comte, c'est fini.

Le page sortit ; la Mole agrafa son manteau.

Eh bien I continua la .Mole, à quoi te décides- tu'?

Je n'en sais rien.

Te retrouverai-jo ici ce soir?

Comment veux-tu que je te dise cela?

Tu ne sais pas ce que lu feras dans deux heu- res?

Je sais bien ce que je ferai, mais je ne sais pas ce qu'on me fera faire.

La duchesse de Nevers?

Non, le duc d'Alençon.

En effet, dit In Mole, je remarque que depuis quelque temps il te fait force amitiés.

Mais oui, dit Coconas.

Alors, ta fortune est faite! dit eu riaiil la Mille.

Pculi ! fit Coconas, un cidei!

fHi ! dit la Mol(!. il a si bimne envie de deve- nir l'ainé, ((ue le ciel fera pnut-iMrc un miracle en sa faveur. Ainsi, tu ne sais pas lu seras ce soir?

Non .

Au diabb'. aliirs... ou plutôt, adieu !

Cela Mole est terrible, dit Coconas, pour vou- loir toujours qu'on lui dise l'on sera! est-ce qu'on le sait? D'ailleurs, je crois que j'ai envie de dormir.

Et il se recoucha.

Quant à la Mole, il prit son vol vers les apparte- ments de la reine.

Arrivé au corridor que nous connaissons, il ren- contra le duc d'Alençon.

Ah ! c'est vous, monsieur de la Mole? lui dit le prince.

Oui, monseigneur, répondit la Mole en saluant avec respect.

Sortez-vous donc du Louvre?

Non. Votre Altesse; je vais présenter mes hom- mages à Sa Majesté la reine de Navarre.

Vers quelle heure sortirez-vous de chez elle, monsieur de la Mole?

Monseigneur a-t-il quelques ordres à me don- ner? .

Non, pas pour le moment, mais j'aurai à vous parler ce soir.

Vers quelle heure?

Mais, de neuf à dix.

J'aurai l'honneur de me présenter à celle heure-là chez Votre Altesse.

Bien ! je compte sur vous.

La Mole salua et continua son chemin.

Ce duc, dit-il, a des moments il esl pâle comme un cadavre ; c'est singulier.

Et il frappa à la porte de la reine : Gillonne. qui semblait guetter son arrivée, le conduisit près de Marguerite.

Celle-ci était occupée d'un travail qui paraissait la fatiguer beaucoup; un papier chargé de ratures et un vfdumc d'Isocrate étaiefll placés devant elle. Elle fit signe à la Mole de la laisser achever un pa- ragraphe; puis, ayant terminé, ce qui ne fut pas long, elle jeta sa plume et invita le jeune homme à s'asseoir près d'elle.

La Mole rayonnait. 11 n'avait jamais été si beau, jamais si gai.

It'.i grec! s'écria-t-il en jetant les yeux sur le livre : une harangue d'Isocrate! Que voulez-vous fain^ de cela? Oh ! oh ! sur ce papier du latin : Ad

Sitntialiœ teijuios irginœ Muijiariur courio!

Vous allez donc haranguer ces barbares en latin?

Il le faut bien, dit Marguerite, puisqu'ils ne [larlent pas français.

Mais comment pouvez-vous faire la réponse avant d'avoir entendu le discours?

l'iie plus coquette que moi vous ferait croire à une iiiiprci\isalion : mais pour vous, mon lijacin- ihe, je n'ai point do ces sortes de tromperies ; on m'a riiiiuiiimi<pjé d'avance le discours et j'y ré- ponds.

Sont-ils ilonc près d'arriver, ces ambassa- deurs?

Mieux que cela, ils simt .uriM's le malin.

LA RELNE MARGOT.

47

Mais personne ne le sait?

Ils sont arrivés incognito. Leur entrée solen- nelle est remise à après-demain, je crois. Au reste, vous verrez, dit Marguerite avec un petit air satis- fait qui n'était point exempt de pédantisme. ce que j'ai fait ce soir est assez cicéronien ; mais laissons ces futilités. Parlons de ce qui vous est arrivé.

A moi ?

Oui.

Que m'est-il donc arrivé?

Ah ! vous avez beau faire le brave, je vous trouve un peu pâle.

Alors, c'est d'avoir trop dormi ; je m'en ac- cuse bien humblement.

Allons, allons, ne faisons point le fanfaron, je sais tout.

Ayez donc la bonté de me mettre au courant, ma perle, car moi je ne sais rien.

Voyons, répondez-moi franchement, Que vous a demandé la reine mère?

La reine mère à moi ! Avait-elle donc à me parler?

Comment! vous ne l'avez pas vue?

Non.

Et le roi Charles?

Non.

Et le roi de Navarre?

Non.

Mais le duc d'Alençon, vous l'avez vu?

Oui, tout à l'heure, je l'ai rencontré dans le corridor.

Que vous a-t-il dit?

Qu'il avait à me donner quelques ordres entre neuf et dix heures du soir.

Et pas autre chose?

Pas autre chose.

C'est étrange.

Mais enfin, que trouvez-vous d'étrange, dites- moi?

Que vous n'ayez entendu parler de rien.

Que s'est-il donc passé?

11 s'est passé que pendant toute cette jour- née, malheureux, vous avez été suspendu sur un abîme.

Moi?

Oui, vous.

T— k quel propos?

Écoutez. De Mouy, surpris cette nuit dans la chambre du roi de Navarre, que l'on voulait arrê- ter, a tué trois hommes et s'est sauvé sans que l'on reconnût de lui autre chose que le fameux manteau rouge.

Eh bien?

Eh bien ! ce manteau rouge qui m'avait trom- pée une fois en a trompé d'autres aussi : vous avez été soupçonné, accusé même de ce triple meurtre. Ce matin on voulait vous arrêter, vous juger, qui sait? vous condamner, peu'.-ptr"- '"■r, pour vous

sauver, vous n'eussiez pas voulu dire vous éiiez, n'est-ce pas?

Dire j'étais ! s'écria la Mole, vous compro- mettre, vous, ma noble reine! vous, ma helio Ma- jesté ! Oh ! vous avez bien raison ; je fusse mort en chantant pour épargner une larme à vos beaux yeux.

Hélas ! mon pauvre gentilhomme, dit Margue- rite, mes beaux yeux eussent bien pleuré.

Mais comment s'est apaisé ce grand orage?

Devinez,

Que sais-je, moi ?

Il n'y avait qu'un moyen de prouver que vous n'étiez pas dans la chambre du roi de Navarre.

Lequel?

C'était de dire vous étiez.

Eh bien?

Eh bien! je l'ai dit!

Et à qui?

A ma mère.

Et la reine Catherine...

La reine Catherine sait que vous êtes mon amant.

Oh! madame, après avoir tant fait pour moi, vous pouvez tout exiger de votre serviteur. Oh! vraiment, c'est beau et grand, Marguerite, ce que vous avez fait ! Oh ! Marguerite, ma vie est bien à vous!

Je l'espère, car je l'ai arrachée à ceux qui me la voulaient prendre; mais, à présent, vous êtes sauvé.

Et par vous ! s'écria le jeune homme, par ma reine adorée !

Au même moment, un bruit éclatant les fit tres- saillir. La Mole se rejeta en arrière plein d'un vague effroi ; Marguerite, poussant un cri, demeura les yeux fixés sur la vitre brisée d'une fenêtre.

Par cette vitre, un caillou de la grosseur d'un œuf venait d'entrer; il roulait encore sur le par- quet.

La Mole vit à son tour le carreau cassé et recon- nut la cause du bruit.

^- Quel est l'insolent? s'écria-t-il.

Et il s'élança vers la fenêtre.

Un moment, dit Marguerite : à cette pierre est attaché quelque chose, ce me semble.

En effet, dit la Mole, on dirait un papier. Marguerite se précipita sur l'étrange projectile, et

arracha la mince feuille qui, pliée comme un étroit ruban, enveloppait le caillou par le milieu.

Ce papier était maintenu par une ficelle, laquelle sortait par l'ouverture de la vitre cassée.

Marguerite déplia la lettre et lut.

Malheureux ! s"écria-t-elle.

Elle tendit le papier à la Mole pâle, debout et im- mobile comme la statue de l'Effroi.

La Mole, le cœur serré d'une douleur ore«=on|i- mentale, lut ces mots

48

LA REINE MARGOT.

Fuyez, la Mole.

« On attend M. de la Molu avec de longues {'[we^^. dans le ourriilnr i]Mi conduit elicz M. d'Ali'ni'nn. Peiit-flrc aiiiier;iit-il mieux sortir par celte feiirtri' et aller rejoindre M. de Mouy à Mantes... »

Kli ! demanda la Mole après avoir lu. ces ('pi'cs dont on parle sont-elles donc pins longues que la mienne?

Non, mais il y l'ii a peut-Atro dix contre une.

Et quel est raiiii qui nous envoie ce l)illet? demanda la Mole.

Marguerite le reprit des mains du jeune homme et fixa sur lui un rei;;ird .■irdcMl.

I/écrilure du roi de Navarre! sVcria-l-elle. S'il prévient, c'est (jue le danger est réel. Fuvez. la Mole, fuyez, c'est moi qui vous en prie.

- Et comnieiit voulez-vous que je fuie'? dit la Mole.

Mais cette fen(*tre, ne parle-ton pas de cette fenêtre?

Ordonnez, ma reine, et je sauterai de cette fe- niMre pour vous obi^ir, dussc-je vingt fois me briser en liimlianl.

AlliMiile/. donc, atteuilc/, donc, dit M:irguerile. Il Mil' senililc qui' I elle lîeelle supporle llll poiils.

LA REINE MARGOT.

40

Au fond, dans l'obscurité, deux ombres apparaissaient debout. Pasb 50.

Voyons, dit la Mole.

Et tous deux, attirant a eux l'objet suspendu après cette corde, virent avec une joie indicible ap- paraître l'extrémité d'une échelle de crin et de soie.

Ah! vous êtes sauvé ! s'écria Marguerite.

C'est un miriicle du ciel !

Non, c'est un bienfait du rui de Navarre.

Et si c'était un piège au contraire, dit la Mole, si cette échelle devait se briser sous mes pieds ! Ma- dame, n'avez-vous point avoué aujourd'hui votre affection cour moi?

Marguerite, a qui la joie avait renjju ses couleurs, redevint d'une pâleur mortelle.

Vous avez raison, dit-elle, c'est possible. Et elle s'élança vers la porte.

Qu'allez-vous faire? s'écria la .Mole.

M'assurcr par moi-même s'il est vrai qu'on vous attende dans le corridor.

Jamais! jamais I pour .que leur colère tombe sur vous !

Que voulez-vous qu'on fasse à une lilJe de France, femme et princesse du sang? je suis deux fois inviolable

Pull, Imp. àe BKY alD«, bou'.evarl Uont^iraui^ t)l.

30

LA REINE MARGOT.

La reine dit ces paroles avec une telle dignité, qu'en effet la Mole comprit qu'elle ne risquait rien, et qu'il devait la laisser agir comme elle l'enten- drait.

Marguerite mit la Mole sous la garde de Gillonne en laissant à sa sagacité, selon ce qui se passerait, de fuir, ou d'attendre son retour, et elle 's'avança dans le corridor, qui, par un embranchement, con- duisait à la bibliothèque ainsi qu'à plusieurs salons de réception, et qui, en le suivant dans toute sa lon- gueur, aboutissait aux appartements du roi, de la reine mère, et à ce petit escalier dérobé par lequel on montait chez le duc d'Alençon et chez Henri. Quoiqu'il fût à peine neuf heures du soir, toutes les lumières étaient éteintes, et le corridor, à part une légère lueur qui venait de l'embranchement, était dans la plus parfaite obscurité. La reine de Navarre s'avança d'un pas ferme; mais, lorsqu'elle fut au tiers du corridor à peine, elle entendit comme un chuchotement de voix basses auxquelles le soin qu'on prenait de les éteindre donnait un accent mystérieux et effrayant. Mais |iresque aussitôt le bruit cessa comme si un ordre supérieur l'eût éteint, et tout rentra dans le silence et même dans l'obscurité; car cette lueur, si faible qu'elle fût, pa- rut diminuer encore.

Marguerite continua son chemin, marchant droit au danger, qui, s'il existait, l'attendait là. Elle était calme en apparence, quoique ses mains crispées in- diquassent unovicdente tension nerveuse. A mesure qu'elle approchait, ce silence sinistre redoublait, et une omlire pareille à celle d'une main obscurcissait la tremblante et incertaine lueur.

Tout à coup, arrivée à l'embranchement du cor- ridor, un homme fit deux pas en avant, démasqua un bougeoir de vermeil dont il s'éclairait en s'é- criant : Le voilà 1

Marguerite se trouva face à face avec son frère Charles. Derrière lui se tenait debout, un cordon de soie à la main, h; duc d'Alençon. Au fond, dans l'obscurité, deux ombres apparaissaient debout . l'une à côté de l'autre, ne relh'tant d'autre lumièni que celle que renvoyait l'épée nue qu'ils tenaient à la main.

Marguerite embrassa tout le tableau d'un cniip d'ojil. Klle lit un effort suprême, et répondit in souriant à Charles ;

Vous voulez dire ; La voilà, sire.

Charles recula d'un pas. Tous les autres demeu- rèrent immobiles.

Toi, Margot, dit-il, et vas-tu a celle heure'.'

A celle heure! dit Marguerite, esl-ii donc si lard?

Je le demande lu vas?

Chercher un livre des Discours de Ciccnni, que je pense avoir iais.sé chez notre mère.

Ainsi, san.s lumière?

'— Je croyais le corridni éclaire.

Et tu viens de chez toi?

Oui.

Que fais-tu donc ce soir?

Je prépare ma harangue aux envoyés polonais. N'y a-t-il pas conseil demain, et n'est-il pas con- venu que chacun soumettra êa harangue à Votre Miijesté?

Et n'as-lu pas quelqu'un qui t'aide dans ce travail?

Marguerite rassembla toutes ses forces.

Oui, mon frère, dit-elle, M. de la Mole ; il est très-savant.

Si savant, dit le duc d'Alençon, que je l'avais prié, quand il aurait fini avec vous, ma sœur, de nie venir trouver pour me donner des conseils, à moi qui ne suis pas de votre force.

Et vous l'attendiez? dit Marguerite du ton le plus naturel.

Oui, dit d'Alençon avec impatience.

En ce cas, fit Marguerite, je vais vous l'en- voyer, mon frère, car nous avons fini.

Et votre livre? dit Charles.

1- Je le ferai prendre par Gillonne. Les deux frères échangèrent un signe.

Allez, dit Charles; el nous, continuons noire ronde.

Votre ronde! dit Marguerite, que cherchez- vous donc?

Le petit homme rouge, dit Charles. Ne savez- vous pas qu'il y a un petit homme rouge qui revient au vieux Louvre? Mon frère d'Alençon prétend l'a- voir vu, et nous somtnes en quête de lui.

Bonne chasse, dit Marguerite.

Et elle se retira en jetant un regard derrière elle. Elle vit alors sur la muraille du corridor les quatre ombres réunies et qui scmblaienl conférer.

En une seconde elle fui à la porte de son appar- tement.

Ou\re, Gillonne, dit-elle, ouvre. Gillonne ohi'it.

Marguerite s'élança dans l'appartement, et trouva la Mole qui l'attendait, calme el résolu, mais l'épée à la main.

Fuyez, dit-elle, fuyez sans perdre une se- conde. Ils vous attendent dans le corridor pour vous assassiner.

Vous l'ordonnez? dit la Mole.

Je le veux. Il faut nous quitter pour nous re- voir.

l'endanl l'excursion de Marguerite, la Mole avait assuré l'échelle à la barre do la fenêtre, il l'en- jaiuba ; mais, avant de poser le pioil sur le iirciuier r'clieliin. il baisa Icndrenieni la main de la reine.

Si cette ('chelle est un piège el que je meure pour vous, Marguerite, souvenez-vous de voire pro- messe,

Ce n'est pas une promesse, la Mole, c'csl un serment. Ne craignez rien. Adieu.

LA REINE MARGOT.

51

El la Mole, enhardi, se laissa glisser plutôt qu'il ne descendit par l'échelle. Au même moment on frappa à la piirt(^ Marguerite suivit des yeux la Molo dans sa péril- leuse opération, et ne se retourna qu'au moment elle se fut bien assurée que ses pieds avaient touché la terre.

Madame! disait Gillonne, madame!

Eh bien? demanda Marguerite.

Le roi frappe à la porte.

Ouvrez. Gillonne obéit.

Les quatre princes, sans doute impatientés d'at- tendre, étaient debout sur le seuil.

Charles entra.

Marguerite vint au-devant de son frère, le sou- rire sur les lèvres.

Le roi jeta un regard rapide autour de lui.

Que cherchez-vous, mon frère? demanda .Mar- guerite.

Mais, dit Charles, je cherche... je cherche... eh ! corbœuf ! je cherche M. de la Mole.

M. de la Mole?

Oui, est-il?

Marguerite prit son frère par la main et le con- duisit à la fenêtre.

En ce moment même deux hommes s'éloignaient au grand galop de leurs chevaux, gagnant la tour de bois; l'un d'eux détacha son écharpe, et fit en signe d'adieu voltiger le blanc satin dans la nuit : ces deux hommes étaient la Mole et Orthon.

Marguerite montra du bout du doigt les deux hommes à Charles.

Eh bien ! demanda le roi, que veut dire cela?

Cela veut dire, répondit Marguerite, que M. le duc d'.M^nçon peut remettre son cordon dans sa po- che et MM. d'Anjou et de Guise leur épée dans le fourreau, attendu que M. de la Mole ne repassera pas cette nuit par le corridor.

52

LA Rl^liST MUGOT.

XI

LES ATRIHES

Sun retour i\ Paris.

^^^vi^''>^- "''"•■' (1 Anjou n'avait pas encore revu librement sa mère Catherine . dont , ciimnie chacun sait, il était fils bien-aimé. C'était pour lui , non plus la vaine satisfaction de l'étiquette, non plus un cérémonial pénible à remplir, mais l'acconiplisseiuent d'un devoir bien doux pour ce fils qui. s'il n'aimait pas sa mère, était sûr du moins d'être tendrement aimé par elle.

En effet, Catherine préféTait réellement ce fils, soit pour sa bravoure, soit plutôt pour sa beauté, car il y avait, outre la mère, de la femme dans Ca- therine, soit, enfin, parce que. suivant quelques chroniques scandaleuses, Henri d'.^njou rappelait à la Florentine certaine heureuse époque de mysté- rieuses amours.

Catherine savait seule le retour du duc d Anjoii à Paris, retour (|ue Charles IX eût ij;noré ;.i le hnsni'd ne l'eût point conduit en face de l'hùtel de Coudé au moment môme son frère en sortait. Charles ne l'attendait que le lendemain, et Henri d'Anjou espérait lui dérober les deux d(miarches (|ui avaient avancé son arrivé'o d'un jour, et qui ('laienl sa \isiie à la belle Marie de Clèves, princesse de Comh'. et sa conférence avec les ambassadeurs polonais.

C'est cette dernière dénuirche, sur l'intenlion de laquelle Charles l'tait resté incertain, que le duc d'Anjou avait à expliquer à sa mère : et le lecteur, qui. comme Henri de Navarre, était certainement dans l'erreur à l'endroit de celte démarche, pndi- lera de reX[ilicatioii.

Aussi, lors(|ue le duc d'Anjou, liin;,'leuqis attendu, entra chez sa mère, Catherine, si froide, iji compas- sée d'habitude; Catherine qui n'avait, depuis le dé- part de son lils bien-ainii', eudirassi' avec, effusion que Ciiligny. qui devait être assassiné' le leiirlemain. ouvrit ses bras à l'enfant de son amour et le serra sur ,sa poitrine avec un élan d'affection malernciie qu'on «'lait ('tonné' de irouVer encore il;ms •« cœur desséche.

Puis elle s'éloignait de lui, le regardait et se re- prenait encore à l'embrasser.

Ah! madame, lui dit-il, puisque le ciel me donne cette satisfaction d'embrasser sans témoin ma mère, consolez l'homme le plus malheureux du monde.

Eh! mon Dieu! mou cher enfant, s'écria Ca- therine, que vous est-il donc arrivé?

Piien que vous ne .sachiez, ma mère. Je suis amoureux, je suis aimé; mais c'est cet amour même qui fait mon malheur à moi.

Expliquez-moi cela, mon fils, dit Catherine.

Eh! ma mère... ces ambassadeurs, ce dé- part...

Oui, dit Catherine, ces ambassadeurs sont ar- rivés, ce départ presse.

Il ne presse pas, ma mère, mais mon frère le pressera. Il me déleste, je lui fais ombrage, il veut .se débarrasser de moi.

Catherine sourit.

En vous donnant un trône, pauvre malheu- reux couronné!

Oh! n'importe, ma mère, reprit Henri a\ec angoisse, je ne veux pas partir. Moi, un fils de France, élevé dans le raffinemei^t des mœurs polies, près de la meilienre mère, ainit- il'une des plus charmantes leiiimes de la terre, j'irais là-bas dans ces neiges, au bout du monde, mourir lentement parmi ces gens grossiers qui s'enivrent du matin au soir et jugent les capacités de leur roi sur celles d'un tonneau, selon ce qu'il contient. Non, ma mère, je ne veux point partir... .l'en mourrais!

Voyons, Henri, dit Catherine en pressant les deux mains de .son fils, voyons, est-ce la véritable raison ';

Henri baissa les yeux comme s'il n'osait, à .sa mère elle-même, avouer ce qui se passait dans sou coHir.

N'en est-il pas une autre, demanda Catherine, moins romanesque, plus raisonnable... plus poli- tique?

Ma mère, ce n'e.sl pas ma faute si cette idée ni'esl restée dans l'esprit, el peut-être y lieiil-elle plus de place ipi'elle n'en devrai! |ireTiilri'. mais ne

LA l'.EiM' MAHCOT.

f.3

4r>^&p>v-^i*i7y^

Le duc (i'Aiijou.

m'avez-vous pas dit vjus-mème que riioruscope tin* à la naissance de mon frère Charles le condamnait à mourir jenne?

Oui, dit Catherine ; mais un horoscope peut mentir, mon fils. Moi-même, j'en suis à espérer en ce moment que tous ces horoscopes ne soient pas vrais.

Mais, enfin, son horoscope ne disait-il pas cela?

Son horoscope parlait d'un quart de siècle; mais il ne disait pas si c'était pour sa vie rai pour jjon règne

Eli bien! ma mère, faites que je reste. Mon frère a près de vingt-quatre ans : dans un an la question sera résolue.

Catherine réfléchit profondément.

Oui, certes, dit-elle, cela serait mieux si cela se pouvait ainsi.

Oh! jugez donc, ma mère, s'écria Henri, quel désespoir pour moi si j'allais avoir troqué la cou- ronne de France contre celle de Pologne ! Etre tour- menté là-bas de celte idée que je pouvais régner au Louvre, au milieu de cette cour élégante et lettrée, près de la meilleure mère du monde, dont les con-

54

LA REJNE MARGOT.

seils m'eussent épargné la moitié du travail et des fatigues, qui, habituée à porter avec mon père uiif partie du fardeau de FÉlat, eût bien voulu le por- ter encore avec moi. Ah! ma mère, j'eusse été un grand roi !

Là, là, cher enfant, dit Catherine, dont cet avenir avait toujours été aussi la plus douce espé- rance; là, ne vous désolez point. N'avez-vouspas songé, de votre côté, à quelque moyen d'arranger la chose?

Oh! certes, oui, et c'est surtout pour cela que je suis revenu deux ou trois jours plus tôt qu'on ne m'attendait, tout en laissant croire à mon frère Charles que c'était pour madame de Condé; puis j'ai été aù-devant de Lasco, le plus important des envoyés, je me suis fait connaître de lui, faisant dans cette première entrevue tout ce qu'il était pos- sible pour me rendre haïssable, et j'espère y être parvenu.

Ah ! mon cher enfant, dit Catherine, c'est mal. Il faut mettre l'intérêt de la France avant vo.s petites répugnances.

Ma mère, l'intérêt de la France veut-il, en cas de malheur arrivé à mon frère, que ce soit le duc d'Aleneon ou le roi de Navarre qui règne?

Oh ! le roi de Navarre, jamais, jamais, mur- mura Catherine en laissant l'inquiétude couvrir son front de ce voile soucieux qui s'y étendait i;haque fois que cette question se représentait.

Ma foij continua Henri, mon frère d'Alençon ne vaut guère mieux et ne vous aime pas davan- tage.

Enfin, reprit Catherine, qu'a dit Lasco'?

Lasco a hésité lui-même quand je l'ai pressé de demander audience. Oh ! s'il pouvait écrire en Pologne, casser cette élection?

Folie, mon fi|s, folie... ce qu'une diète a con- sacré est sacré.

Mais enlin, ma mère, ne pourrait-on, à ces Polonais, leur faire accepter mon frère à ma place?

C'est, sinon impossible, du moins difficile, ré- pondit Catherine.

.N'importe! essayez, tentez, parlez au roi, ma mère; rejetez tout sur mon amour pour madame de Condé; dites que j'en suis fou, que j'en perds l'es- prit. .Iiislemi-nt il m'a vu sortir iln l'Iiôtcd du prince avec (iuise. qui me rend tous les .scMviccs d'un lion ami.

Oui, pour faire la Ligue. Vous ne voyez |i;is cela, vous, mois je le vois.

Si fait, ma mère, si f.iil, mais, en altendaiil. j'use de lui. Lh! ne somiues-nous pas licuirux quand un homme nous sert en se servant?

Kl qu'a dit le roi en vous rencontrant?

Il a paru croire à ce que jr lui ai afliruir, c'esl-i'i-diri! c|ue l'amour seul m'avait raineiH' à Pari».

Mais du reste de la nuit, ne vous en a-t-il pas demandé compte?

Si fait, ma mère, mais j'ai été souper chez Nantouillet, j'ai fait un scandale affreux, afin que le bruit de ce scandale se répande et que le roi ne doute point que j'y étais.

Alors il ignore votre visite à Lasco?

Absolument.

Bon, tant mieux. J'essayerai donc de lui par- ler pour vous, cher enfant; mais, vous le savez, sur cette rude nature, aucune inlluence n'est réelle.

Oh ! ma mère, ma mère, quel bonheur si je restais! comme je vous aimerais plus encore que je ne vous aime, si c'était possible !

Si vous restez, on vous enverra encore à la guerre.

Oh! peu m'importe, pourvu que je ne quitte pas la France.

Vous vous ferez tuer.

Ma mère, on ne meurt pas des coups... on meurt de douleur, d'ennui. Mais Charles ne me permettra point de rester; il me déteste.

Il estjalouxdevous, mon beau vainqueur, c'est une chose dite; pourquoi aussi êtes-vous si brave et si heureux? Pourquoi, à vingt ans à peine, avez- vous gagné des batailles comme Alexandre et comme César? Mais, en attendant, ne vous découvrez à per- sonne, feignez d'être résigné, faites votre cour au roi. Aujourd'hui même, on se réunit en conseil privé pour lire et pour discuter les discours qui se- ront prononcés à la cérém mie; faites le roi de Po- logne, et laissez-moi le soin du reste. A propos, et votre expédition d'hier soir?

Elle a échoué, ma mère ; le galant était pré- venu, et il a pris son vol par la fenêtre.

Enfin, dit Catherine, je saurai un jour (juel est le mauvais génie qui contrarie ainsi tous mes projets... En atl(>ndant, je m'en doute, et... malheur à lui!

Ainsi, ma mère?... dit le duc d'Anjou.

Laissez-moi mener cette affaire.

Et elle baisa tendrement Henri sur les yeux en le poussant liors de sou cabinet.

Bientôt.arrivèrent chez la reine les princes de sa maison. Charles était en belle humeur, car l'aplomb de sa sœur Margot l'avait plus réjoui qu'affecté; il n'en voulait pas autn'inent à la Mole, el il l'avait aileniln avec quelque ardeur dans le corridor panr (|iii' c'était une espèce de chasse à l'affût.

l»'Aleni;on, tout au contraire, c'tnit Irès-préoc- cupé. La répiilsiim (|ii'il avait toujours eue pour la Mille s'était changée en haine, du moment m'i il a\ait su que la Mole était aimé de sa sii'iir.

Marguerite avait tout ensemble l'esprit rtfvour ol l'o'il au guet. Elle axait à la fois à .se souvenir ni à veiller.

Les di'pulés polonnis avaient envoyé le texte des harangues qu'ils devaient pron(mcer.

LA REINE MARGOT.

55

Marguerite, à qui l'on n'avait pas plus parlé de Ja scène de la veille que si la scène n'avait point existé, lut les discours, et, hormis Charles, chacun discuta ce qu'il répondrait. Charles laissa Margue- rite répondre comme elle l'entendrait. 11 se montra très-difficile sur le choix des termes pour d'Âlençon; mais, quant au discours de Henri d'Anjou, il y ap- porta plus que du mauvais vouloir, il fut acharné à corriger et à reprendre.

Celte séance, sans rien faire éclater encore, avait sourdement envenimé les esprits.

Henri d".\njou, qui avait son discours à refaire presque entièrement, sortit pour se mettre à cette tâche. Marguerite, qui n'avait pas eu de nouvelles du roi de Navarre depuis celles qu'il lui avait données au détriment des vitres de sa fenêtre, retourna chez elle dans l'espérance de l'y voir venir. D'Alençon, qui avait lu l'hésitation dans les yeux de son frère d'Anjou, et surpris entre lui et sa mère un regard d'intelligence, se retira pour rêver à ce qu'il regar- dait comme une cabale naissante. Enfin, Charles allait passer dans sa forge pour achever un épieu qu'il se fabriquait lui-même lorsque Catherine l'ar- rêta.

Charles, qui se doutait qu'il allait rencontrer chez sa mère quelque opposition à sa volonté, s'ar- rêta et la regarda fixement :

Eh bien! dit-il, qu'avons-nous encore'.'

Un dernier mot à échanger, sire. Nous avons oublié ce mot, et cependant il est de quelque im- portance. Quel jour fixons-nous pour la séance pu- blique'.'

Ah! c'est vrai, dit le roi en se rasseyant, cau- sons-en, ma mère. Eh bien! à quand vous plaît-il que nous fixions le jour'?

Je crois, répondit Catherine, que, dans le si- lence même de Votre Majesté, dans son oubli appa- rent, il y avait quelque chose de profondément cal- culé.

Non, dit Charles; pourquoi cela, ma mère'?

Parce que, ajouta Catherine très-doucement, il ne faudrait pas, ce me semble, mon fils, que les Polonais nous vissent courir avec tant d'âpreté après cette couronne.

Au contraire, ma mère, dit Charles, ils se sont h.Ttés, eux, en venant à marches forcées de Varsovie ici... Honneur pour honneur, politesse pour poli- tesse.

Votre Majesté peut avoir raison dans un sens, comme dans un autre je pourrais ne pas avoir tort. Ainsi, son avis est que la séance publique doit être hâtée?

Ma foi oui, ma mère, ne serait-ce point le vô- tre, par hasard '?

Vous savez que je n'ai d'avis que ceux qui peu- vent le plus concourir à votre gloire; je vous dirai donc qu'en vous pressant ainsi je craindrais qu'on ne vous accusât de profiter bien vite do cette occa-

sion qui se présente de soulager la maison de France des charges que votre frère lui impose, mais que, bien certainement, il lui rend en gloire et en dé- vouement.

Ma mère, dit Charles, à son départ de France, je doterai mon frère si richement, que personne n'osera même penser ce que Vous craignez que l'on dise.

Allons, dit Catherine, je me rends, puisque vous avez une si bonne réponse à chacune de mes objections... Mais, pour recevoir ce peuple guerrier, qui juge de la puissance des États par les signes ex- térieurs, il vous faut un déploiement considérable de troupes, et je ne pense pas qu'il y en ait assez de convoquées dans l'Ile-de-France.

Pardonnez-moi, ma mère, car j'avais prévu l'événement, et je me suis préparé. J'ai rappelé deux bataillons de la Normandie, un de la Guyenne; ma compagnie d'archers est arrivée hier de la Bretagne; les cbevau-légers, répandus dans la Touraine, se- ront à Paris dans le courant de la journée; et, tandis qu'on croit que je dispose à peine de quatre régi- ments, j'ai vingt mille hommes prêts à paraître.

Ah! ah: dit Catherine surprise; alors il ne vous manque plus qu'une chose, mais on se la pro- curera .

Laquelle'?

De l'argent. Je crois que vous n'en êtes pas fourni outre mesure.

Au contraire, madame, au contraire, dit Char- les IX. J'ai quatorze cent mille écus à la Bastille; mon épargne particulière m'a remis ces jours pas- sés huit cent mille écus, que j'ai enfouis dans mes caves du Louvre, et, en cas de pénurie, Nantouillet tient trois cent mille autres écus à ma disposition.

Catherine frémit; car elle avait vu jusqu'alors Charles violent et emporté, mais jamais prévoyant.

Allons, fit-elle. Votre Majesté pense a tout, c'est admirable, et, pour peu que les tailleurs, les brodeuses et les joailliers se hâtent. Votre Majesté sera en état de donner séance avant six semaines.

Six semaines! s'écria Charles. Ma mère, les tailleurs, les brodeuses et les joailliers travaillent depuis le jour l'on a appris la nomination de mon frère. A la rigueur, tout pourrait être prêt pour aujourd'hui; mais, à coup sûr, tout sera prêt dans trois ou quatre jours.

Oh! murmura Catherine, vous êtes plus pressé encore que je ne le croyais, mon fils.

Honneur pour honneur, je vous l'ai dit.

Bien. C'est donc cet honneur fait à la maison de France qui vous flatte, n'est-ce pas"?

Assurément.

Et voir un fils de France sur le trùne de Po- logne est votre plus cher désir?

Vous dites vrai.

Alors, c'est le fait, c'est la chose et non l'homme

56

LA REINE MAKGOT.

U Uaatille

qui vousproocnipe, et, i|iip1i|iip soit ci'iiii iiiii rr^nc là-bas...

Non |i;is, non [i;is. mi:i nirrc, ciirliii'iif ! ili'nu'u- rons-cn nous soninicsl Les l'oloijais ont liicii choisi. Ils sont adroits rt forts, ces gens-là! Nation niilitnire, peuple de soldats; ils prennent un capi- taine |iinir prince, c'est lopiiiue. peste I l)"AnjOU fait leur affaire. I,e Intrus de .larnac et de MimlcimlMiir leur va comme un jcanl... U'i*' voulez-vous (|ue je leur envoie'? d'Alençon, un lâche ; iila leur doiiue- rait une helle idc'c des Valois!... Il Mimu-hu, il fui- rail y la premièn^ halle i[ui lui siflh'rail aux oreil-

les; tandis(|ue Henri d"Anjou. un balaillour. bon '.... Toujours répée au poing, toujours marchant en a\!\nl. à pied ou à cheval !... Hardi! pique, pousse, assdinuKv tue! Ah! cVsl un habile Immme que mon frère d'Anjou, un \aillani qui va les faire battre du matin au soir, iUfuh le premier jusiju'au dernier I jour de l'année. H boit mal, c'est vrai ; mais il les J fera tuer de sanf,'-friiid, voilîi tout. Il sera dans sa sphère, ce cher Henri ! Sus! sus! au champ de bataille' Bravo les trompettes et les tambours! Vive le roi! vive lo vainqueur! \ive legéni'ral! On le proclame in'pernior trois fois l'an! Ce sera admira-

LA lŒlNE IMA-:G0T.

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On me lue, ncinrrioc. Pai^'F 53.

Lie pour la maison de Fiance ei riimini'ur dw Va- lois... 11 y sera peut-être tué; mais, venire-malion ! ce sera une mort superbe I

Catherine frissunna, et un ériair jaillit de ses yeux.

Dites, s'éeria-t-elle, que vous voulez éloigner Henri (VAnjùii, dites que vous n'aimez pas votre frère !

Ali ' ail ! ail ! fit Charles en oclalnul d'un rire nerveux, vous avez devine cela, vous, queje vou- lais l'éloigner? Vous avez deviné cela, que je ne l'ai- mais pas'.' Et (luand cela serait voyons? Aimer mon

frère! Pourquoi donc l'aimerais-je? Ah 1 ah! aii ! est-ce que vous voulez rire?... Et, à mesure qu'il parlait, ses joues pâles s'animaient d'une fébrile rougeur. Est-ce qu'il m'aime, lui? Est-ce que vous m'aimez, vous? Est-ce que, excepté mes chiens, Ma- rie Touchet et ma nourrice, est-ce qu'il y a quel- qu'un qui m'ait jamais aimé? Non, non. je n'aime pas mon frère, je n'aime que moi, entendez-vous! Et je n'empêche pas mon frère d'en faire autant que je fais.

Sire, dit Catherine s'animant à son tour, puis- que vous me découvrez votre cœur, il faut que je

f*r.». * la-r tie triY ïIl«, lou.tYart n<:D-;'sr4M»«t si*

58

LA REINE MARGOT.

vous ouvre le mien. Vous agissez en roi faible, en nionar(|uemal conseillé; vous renvo3'ez voire second îrère, le soutien naturel du trône, et qui est en tous points digne de vous succéder s'il vous advenait malheur, laissant, dans ce cas, votre couronne à '«'abandon; car, comme vous le disiez. d'Alençon est jeune, incapable, faible, plus que faible, l.àche!... Et le Béarnais se dresse derrière, entendez-vous?

Eh! mort de tous les diables! s'écria Charles, qu'est-ce que me fait ce qui arrivera quand je n'y serai plus! f^e Béarnais se dresse derrière mon frère, dites-vons? Corbœuf! tant mieux... ,1e disais que je n'aimais personne... je me trompais : j'aime llen- riot; oui, je 1 aime, ce bon Ilenriol; il a l'air franc, la main tiède, tandis que je ne vois autour de moi que des yeux faux et ne toucho que des mains gid- cées. Il est incapable de trahison envers moi, j'en jurerais. D'ailleurs, je lui dois un dédommagement, on lui a empoisonné sa mère, pauvre garçon ! des gens de ma famille, àce que j'ai entendu dire. D'ail- leurs, je me porte bien. Mais, si je tombais malade, je l'appellerais, je ne voudrais pas qu'il me quittât, je ne prendrais rien que de sa main, et, quaml je mourrai, je le ferai roi de Franco et de iSavarre... Et, ventre du pape! au lieu de rira à ma mort, comme feraient mes frères, il pleurerait, ou du moins il ferait semblant de pleurer.

La foudre tomhant aux pieds de Catherine l'eût moins épouvantée que ces paroles. Elle demeura atterrée, regardant Charles d'un œil hagard ; puis enfin, au bout de quelques secondes :

Ueori de Navarre ! s'écria- t-el le, Henri de Na- varre! roi de France au [U'éjudice de mes enfants ! Ah ! sainte madone! nous vornuis! C'est donc pour cela que vous voulez éloigiu'r mcm lils.'

Votre fils... 01 que suis-jo donc, moi, un fil:^ de louve, comme Romulus! s'écria Charles trem- blant de colère et l'oeil stintillanl comme s'il se fût allumé par places. Votre llls, vous avez raison, le roi de France n'est p.ns votre lils, lui; le roi de France n"a pas de frères, le roi de France n'a pas de mère, le roi de France n'a que ses sujets. Le roi Je France n'a pas besoin d'avoir dos sentiments, il a des volontés. Il se passera (]u'nn raimi\ mais il veut qu'on lui cbéissc.

Sire, vous avez mal interprété mes paroles, j'ai appelé mon fils celui qui allait me quitter, .le l'aime uiii'tix on ce niomout parce que c'est celui qu'en ce moment je crains le plus de perdre. Est- fe un crime à une mère de désirer que son enfant ne la quitte pas';

Et ni(ii je vous dis qu'il vous quittera, je \(Uis di-; qu'il (piiiiera la France, ipi'il s'en ira en l'oln- gno, cl cela dans deux jours, et, si vous ajoutez une parole, ccsera domain, et, si vous ne baissez pas le front, si vous n'éteignez pas In menace de vos yeux.

je l'étrangle ce soir comme vous vouliez qu'on étran- glât hier l'amant de votre fille. Seulement, je ne le manquerai pas, moi, comme nous avons manqué la Mole.

Sous cette première menace, Catherine baissa le front; mais presque aussitôt elle le releva.

Ah! pauvre enfant! dit-elle, ton frère veut te tuer. Eh bien! sois tranquille, ta mère te défendra.

Ah ! l'on me brave, s'écria Charles. Eli bien ! par le sang du Christ! il mourra, non pas ce soir, non pas tout à l'heure, mais à l'instant même. Ah ! une arme! une dague! un couteau!... Ah!

Et Charles, après avoir porté inutilement les yeux autour de lui pour chercher ce qu'il demandait, aperçut le petit poignard que sa mère portait à sa ceinture, se jeta dessus, l'arracha de sa gaine de chagrin incrustée d'argent, et bondit hors de la chambre pour aller frapper Henri d'Anjou partout il le trouverait. Mais, en arrivant dans le vesti- bule, ses forces, surexcitées au delà de ta puissance humaine, l'abandonnèrent tout à coup : il étendit le bras, laissa tomber l'arme aiguë, qui resta fichée dans le parquet, jeta un cri lamentable, s'affaissa sur lui-même, et roula sur le plancher.

En même temps, le sang jaillit en abondance de ses lèvres et de son nez.

Jésus! dit-il, on me tue ; à moi ! à moi ! Catherine, qui l'avait suivi, le vit tomber; elle le

regarda un instant impassible et sans bouger, puis, rappelée à elle, non par l'amour maternel, mais par la difficulté de la situation, elle ouvrit en criant ;

Le roi se trouve mal! au secours ! au secours! A ce cri, un monde de serviteurs, d'officiers et do

courtisans s'empressèrent autour du jeune roi. Mais avant tout le monde une femme s'était élancée, écar- tant les spectateurs et relevant Charle» pâle comme un cadavre.

Ou me lue, nourrice, on me tue, murmura le roi baigné de sueur et de sang.

On te tue, mon Charles, s'écria la bonne femme en parcourant tous les visages avec un regard (|ui fit reculer jusqu'à Catherine elle-même; et qui diiuc cela (pii le tue?

Charles poussa un faible soupir et s'évanouit, tout à fait.

Ah ! dit le médecin Ambroise Paré, qu'on avait envové cliercher à l'instant même, ah! voil,^ le ro' bien malade!

Maintcnnnt, de gré ou de force, se dit l'inijda- cable Catherine, il faudra bien qu'il accorde un dé- lai.

El elle quitta le roi pour aller joindre son second fils, i|ui atlondait avec anxi('té dans l'oratoire le ré- sultat de cet onlnMion s- ininnrtant pour lui.

>>^-' 6cor|<<«—

LA REINE MARGOT.

5d

XII

L'noROscorE.

n surtiint de l'oratoire, elle venait d'aiiprendrc h Henri d'Anjou tout ce qui s'était passe , Catherine avait trouvé René dans sa chambre.

C'était la première fois que la reine et l'astrologue se revoyaient depuis la visite que la reine lui avait faite à sa boutique du pont Saint-Michel; seule- ment, la veille, la reine lui avait écrit, et c'était la réponse à ce billet que René lui apportait en per- sonne.

Eh bien ! lui demanda la reine, l'avez-vous vu?

Oui.

Comment va-t-il?

Plutôt mieux que plus mal.

Et peut-il parler!

Non, l'épée a traversé le larynx.

Je vous avais dit en ce cas de le faire écrire'.'

J'ai essayé, lui-même a réuni toutes ses forces ; mais sa main n'a pu tracer que deux lettres pres- que illisibles, puis il s'est évanoui : la veine jugu- laire a été ouverte, et le sang qu'il a perdu lui a ôté toutes ses forces.

Avez vous lu ces lettres?

Les voici.

René tira un papier de sa poche et le présenta à Catherine, qui le déplia vivement.

Un M et un 0, dit-elle... Serait-ce décidément Ce la Mole, et toute cette comédie de Marguerite ne serait-elle qu'un moyen de détourner les soupçons?

Madame, dit René, si j'osais émettre mon opi- nion dans une affaire Votre Majesté hésite à for- mer la sienne, je lui dirais que je crois M. de la Mole trop amoureux pour s'occuper sérieusement de politique.

Vous croyez?

Oui, et surtout trop amoureux de la reine de Navarre pour servir avec dévouement le roi, car il n'y a pas de véritable amour sans jalousie.

Et vous le croyez donc tout à fait amoureux?

J'en suis sûr.

Aurait-il eu recours à vous'/

Oui.

Et il vous a demandé quelque breuvage, quel- que philtre?

Non, nous nous en sommes tenus à la figure de cire?

Piquée au cœur?

Piquée au cœur.

El cette figure existe toujours? ,

Oui.

Elle est chez vous?

Elle est chez moi.

11 serait curieux, dit Catherine, que ces pré-. paralions cabalistiques eussent réellement l'effet qu'on leur attribue.

Votre Majesté est plus que moi à même d'en juger.

La reine de Navarre aime-t-cUe M. de la Mole?

Elle l'aime au point de se perdre pour lui. Hier elle l'a sauvé de la mort au risque de son bon neur et de sa vie. Vous voyez, madame, et cepen- dant vous doutez toujours..

De quoi?

De la science.

C'est qu'aussi la science m'a trahie, dit Cathe- rine en regardant fixement René, qui supporta ad- mirablement bien ce'regard.

En quelle occasion?

Oh ! vous savez ce que je veux dire ; à moins toutefois que ce soit le savant et non la science.

Je ne sais ce que vous voulez dire, madame, répondit le Florentin.

f'.cné, vos parfums ont-ils perdu leur odeur?

Non, madame, quand ils sont employés par moi, mais il est possible qu'en passant par la main des autres...

Catherine sourit et hocha la tête.

Votre opiat a fait merveille, René, dit-elle, et madame de Sauve a les lèvres plus fraîches et plus vermeilles que jamais.

Ce n'est pus mon opiat qu'il faut en féliciter, madame; car la baronne de Sauve, usant du droit qu'a toute jolie femme d'être capricieuse, ne m'a plus reparlé de cet opiat, et moi, de mon côté, après la reconimanJalion que m'avait faite Votre Majesté, j'ai jugé à propos de ne lui en point envoyer. Les

60

LA REINE MARGOT.

boîtes sont donc toutes encore à la maison t<lles que vous les y avez laissées, moins une qui a disparu sans que je sache quelle personne me l'a prise ni ce que cette personne a voulu en faire.

C'est bien, Piené, dit Catherine, peut-être plus tard reviendrons-nous là-dessus ; en attendant, parlons d'tutre chose.

J'écoule, madame.

Que faut-il pour apprécier la durée probable de la vie dune personne?

Savoir d'abord le jour de sa naissance, làge qu'elle a et sous quel signe elle a vu le jour.

Puis ensuite?

Avoir de son sang et de ses cheveux.

Et, si je vous porte de son sang et de ses che- veux, si je vous dis sous quel signe il a vu le jour, si je vous dis l'âge qu'il a, le jour de sa naissance, vous me direz, vous, l'époque probable de sa mort?

Oui. à quehiues jours prés.

C'est bien. J'ai de ses cheveux, je me procure- rai de son sang.

La personne est-elle née pendant h' jour ou pendant la nuit?

A cinq heures vingt-trois minutes du soir.

Soyez demain à cinq heures chez moi, l'expé- rience doit être faite à l'heure précise de la nais- sance.

C'est bien, dit Catherine, nous ij serons. René salua et sortit sans paraître avoir remarqué

le nous II serims, qui indiquait cependant que, con- tre son habitude. Catherine ne viendrait pas seule.

Le lendemain, au point du jour. Catlierine passa chez son fils. A minuit, elle avait fait demander de ses nouvelles, et on lui avait répondu que maître Ambroise Paré était près de lui et s'apprêtait à le saigner si la même agitation ner\ eusc continuait.

Encore tressaillant dans son sommeil, encore pâle du sang qu'il avait perdu, (.harles dormait sur l'épaule de sa fidèle nourrice, qui. appuyi'e contre son lit, n'avait point ilopuis trois Injures changé de position ih' peur de iroiibler le repos de son cher enfant.

Une légère écume venait poindre de temps en temps sur les lèvres du malade, et la nourrice l'es- suyait avec une line batiste brodi'C. Sur le chevet était un mouchoir tout maculé de larges taches de sang.

Catherine eut un instant l'idro de s'emparer de ce mouchoir, mais elle pensa que ce sang, mêle comme il l't'tait à la salive qui l'avait d(itrcmpé, n'aurait peut-être pas la même eflicacité ; elle de- manda à la nourrice si le médei'in n'axait pas saigné son (ils comme il lui avait f.iit dire qu'il le devait faire. La nourrice répondit que si, cl que la .saignée avait ('t(> si abondante, cpn» Charle.K s'était évanoui deux fois.

La reine mère, qui avait rpiclquo eonii.dssance en médecine eniinue toutes h's princesses do celle ("po-

que, demanda à voir le sang: rien n'était plus fa- cile, le médecin avait recommandé qu'on le conser- vât pour en étudier les phénomènes.

Il était dans une cuvette dans le cabinet à côté de la chambre. Catherine y passa pour l'examiner, remplit de la rouge liqueur un petit flacon qu'elle avait apporté dans cette intention; puis rentra ca- chant dans ses poches ses doigts, dont l'extrémité eut dénoncé la profanation qu'elle venait de com- mettre.

Au moment elle reparaissait sur le seuil du cabinet, Charles rouvrit les yeux et fut frappé de la vue de sa mère. Alors rappelant, comme à la suite d'un rêve, toutes ses pensées empreintes de ran- cune :

Ahl c'est vous, madame, dit-il. Eh bien! an- noncez à votre fils bien-aimé, à votre Henri d'An- jou, que ce sera pour demain.

Mon cher Charles, dit Catherine, ce sera pour le jour que vous voudrez. Tranquillisez-vous donc et dorn>ez.

Charles, comme s'il eût cédé à ce conseil, ferma effectivement les yeux; et Catherine, qui l'avait donné comme on fait pour consoler un malade ou un enfant, sortit de sa chambre. Mais derrière elle, et lorsqu'il eut entendu se refermer la porte. Char- les se redressa, et. tout à coup, d'une voix étouffée par l'accès dont il souffrait encore :

Mon chancelier, cria-l-il, les sceaux, la c(jur... qu'on me fasse venir tout cela.

La nourrice, avec une tendre violence, ramena la tête du roi sur son iqiaule, et. pnur le rendormir, essaya de le bercer comme lorsqu'il était enfant.

Non, non. nourrice, je ne dormirai plus. A]»- pelle mes gens, je veux travailler ce malin.

Quand ('harles parlait ainsi, il fallait obéir; et la nourrice elle-même, malgré les privilèges que son royal nourrisson lui avait conservés, n'osait aller contre ses commandements. On fil venir ceux que le roi demauilait. et la séance fut fixée, non pas au lendemain, c'était chose impossible, mais à cinq jours de là.

Cependant, à l'heure convenue, c'est-à-«lire à cinq heures, la reine merc et le duc d'Anjou se ren- daient chez René, lequel, prévenu, comme on le sait, de cette visite, avait tout préparé pour la séance mystérieuse.

Mans la chambre à droite, c'est-à-dire dans la chambre aux sacrifices, rougissait, sur un nrhaud aident, une lame d'acier destinée à représenter, par ses capricieuses arabesques, les événenienls de la destini'c sur laquelle on consullail l'oracle; sur l'au- lel {'tait pn'paré le livre des ,sorts, et, pendant la nuil, qui avait été fort claire, René avait pu étudier la marche et l'allilude ties con-lellalinns.

Henri d'Anjou entra le premier; il avait do faux cheveux, un manque (ouvrait s,i ligure cl un grand inanlian de nuil déguisait sa taille. Sa mère vint

LA REINE Margot.

01

Catlicrino fil' ;on iiinsqiie.

ensuite; et. si ello n'eût pas ^u d'avance que c'était Sun lils qui l'attendait là, elle-même n'eût pu le re- connaître. Catherine ôta son masque ;ie iluc d'An- jou, au contraire, garda le sien.

As-tu fait cette nuit tes observations? demanda Catherine.

Oui. madame, dit-il; et la réponse des astres m'a déjà appris le passe. Celui pour (\m vous m'in- terrogez a, comme toutes les personnes nées sous le signe de l'écrevisse, le cœur ardent et d'une fierté «ans exemple. Il est puissant, il a vécu ['hV d'un

(|uart de siècle; il a jusqu'à présent obtenu Ju c:el gloire et richesse. Est-ce cela, madame'.'

Peut-être, dit Catherine.

Avez-vons'les cheveux et lo sang?

Les voici.

Et Catherine remit au nécromancien une boucle de cheveux d'un blond fauve et une petite fiole de sang.

René prit la fiole, la secoua pour bien réi.i;;r la fibrine et la sérosité, et laissa tomber sur la lame rongie une large goutte de cette chair coulanle, qui

LA Rl^iNE MARGOT.

bouillonna à rinstnnt môme et s'extravasa bientôt en dessins fantastiques.

Oh ! madame, s'écria René, je le vois se tordre en d'atroces douleurs. Entendez-vous comme il gé- mit, comme il crie à l'aide ! voyez-vous comme tout devient sang autour de lui, voyez-vous comme enfin autour de son lit de mort s'apprêtent de grands combats! Tenez, voici les lances; tenez, voici les épées.

Sera-ce long? demanda Catherine palpitante d'une émotion indicible et arrêtant la main de Henri d'Anjou, qui, dans son avide curiosité, se penchait au-dessus du brasier.

René s'approcha de l'autel et répéta une prière cabalistique, mettant à cette action un feu et une conviction qui gonllaient les veines de ses tempes et lui donnaient ces convulsions prophétiques et ces tressaillements nerveux qui prenaient les pythies antiques sur le trépied et les poursuivaient jusque sur leur lit de mort.

Enfin il se releva et annonça que tout était prêt, prit d'une main le flacon encore aUx trois quarts plein et de l'autre la boucle de cheveux ; puis, com- mandant à Catherine d'ouvrir le livre au hasard et de laisser tomber sa vue sur le premier endroit venu, il versa sur la lame d'acier tout le sang et jeta dans le brasier tous les cheveux en prononçant une phrase cabalistique composée do mots hébreux aux- q lels il n'entendait rien lui-même.

Aussitôt, le duc d'Anjou et Catherine virent s'é- tendre sur cette lame une ligure blanche comme celle d'un cadavre enveloppé de son suaire.

Une autre figure, qui semblait celle d'une femme, était inclinée sur la première.

En même temps, les cheveux s'endammèrent en donnant un seul jet de feu, claif, rapide, dardé comnio une langue rouge.

Un an! s'écria René, un an à peine, et cet homme sera mort, et une femme pleurera seule sur lui. Mais non, là-bas, là-bas, au bout de; la lame. une autre femme encore, qui tient comme un en- fant dans ses bras.

Catherine regarda son fils, et, toute mère qu'elii' était, sembla lui demander quelles étaient ces deux femmes.

Mais René achevait à peine, que la plaque d'acier redevint blanche; tout s'y était graduellement of- faci'.

Alors Catherine ouvrit le livre au hasard et lui, d'une voiifcdont, malgré toute sa fwce, elle ne |)mi- vail cacher railéralion, le disti(pit' suivant :

Aiii» a lari cil ijuc l'on rcduuluil, l'Ius lui, trop lAI, SI prudence nVloil.

I II |iriif.)iid silence régna quel(|iie teiiip> aulnur du brasier.

Et pour celui que tu sais, demanda Catherine, quels sont les signes de ce mois?

Florissants comme toujours, madame. A moins de vaincre le destin par une lutte de dieu à dieu, l'avenir est bien certainement à cet homme. Cepen- dant...

Cependant, quoi?

Une des étoiles qui composent sa pléiade est reslce pendant le temps de mes observations cou- verte d'un nuage noir.

Ah! s'écria Catherine, un nuage noir... Il y aurait donc quelque espérance?

De qui parlez -vous, madame? demanda le duc d'Anjou.

Catherine em:i ena son fils loin de la lueur du brasier et lui parla à voix basse.

Pendant ce temps, René s'agenouillait, et. à la clarté de la flamme, versant dans sa main une der- nière goutte de sang demeurée au fond de la fiole :

Bizarre contradiction, disait-il. et qui prouve combien peu sont solides les témoignages de la science simple que pratiquent les hommes vulgai- res! Pour tout autre (]ue moi, pour un médecin, pour un savant, pour maître Ambroise Paré lui- même, voilà un sang si pur, si fécond, si plein de mordant et de sucs animaux, qu'il promet de lon- gues années au corps dont il est sorti ; et cepen- dant toute cette vigueur doit disparaître bientôt, toute cette vie doit s'éteindre avant. un an!

Catherine et Henri d'Anjou s'étaient retournés et écoutaient. Les yeux du prince brillaient à travers son masque.

Ah I continua René, c'est qu'aux savants ordi- naires le présent seul appartient : tandis qu'à nous appartiennent le passé et l'avenir.

Ainsi donc, continua Catherine, vous persistez à croire qu'il mourra avant une année?

Aussi certainement (|ue nous sommes ici trois personnes vivantes qui un jiuir reposeront à leur tniir dans le cercueil.

Cependant vous disiez que le sang était pur et fécond, vous disiez que ce sang promettait une lon- gue vie ?

Oui. si les choses suivaient leur cours natu- rel. Mais n'est-il pas possible qu'un accident...

Ah ! oui. vous entendez, dit Catherine à Henri, un accident...

Hélas! dit celui-ci. raison de plus pour de- iiiciirer.

Oh ! qmint à cela, n'y songez plus, c'est chose impnssililc.

Alors se retournant vers René :

Me'ri'i, dit le jeune homme en d(-giiisant le tiiiilire de, sa voix, merci, prcnils cette hnurse.

Venez, roiiitt'. dit Catheiine ilminant à des- sein à sDli lils lin litre qui de\ail dnoiiler les con- jectures de Relie.

Et il.s partirent.

LA REINE MARGOT.

C3

Oh ! ma mère, vous voyez, dil Henri, un acci- dent!... et, si cet accident-là arrive, je ne serai point là; je serai à quatre cents lieues de vous...

Quatre cents lieues se font en huit jours, mon Qls.

Oui, mais sait-on si ces gens-là me laisseront revenir! Que ne puis-je attendre, ma mère!...

Qui sait ! dit Catherine, cet accident dont parle rîené n'est-il pas celui (|ui, depuis hier, couche le roi sur un lit de douleurs.' Écoutez, rentrez de vo- tre coté, mon enfant; moi, je vais passer par la pe- tite porte du cloitre des Augustines, ma suite m'at- tend dans ce couvent. Allez, Henri, allez, et gardez- vous d'irriter votre frère, si vous le voyez.

un

LES CONFIDENCES.

a première chose qu'apprit le duc d'Anjou en arrivant uu Louvre, c'est que l'en- trée solennelle des ambas- sadeurs était fixée au cin- quième jour. Les tailleurs et les joailliers attendaient le prince avec de magnifi- ques habits et de superbes parures que le roi avait commanujs pour lui.

Pendant qu'il les essayait avec une colère qui mouillait s;s veux de larmes, Henri de Navarre s'é- gayait fort d'un magnifique collier d'énieraudes, d'une épée à poignée d'or et d'une bague précieuse que Charles lui avait envoyés le matin même.

D'Alençon venait de recevoir une lettre, et s'é- tait renfermé dans sa chambre pour la lire en toute liberté.

Quant à Coconas, il demandait son ami à tous les éoiins du Louvre.

En effet, comme on le pense bien, Coconas, assez peu surpris de ne pas voir rentrer la Mole de toute la nuit, avait commencé dans la matinée à conce- voir quelque inquiétude : il s'était en conséquence mis à la recherche de son ami, commençant son in- vestigation par l'hôtel de la Belle-Étoile, passant de l'hôtel de la Belle-Étoile à la rue Cloche-Percée, de la rue Cloche-Percée à la rue Tizon, de la rue Ti- zon au pont Saint-.Michel, enfin du pont Saint-Mi- chel au Louvre.

Cette investigation avait été faite, vis-à-vis de ceux auxquels elle s'adressait, d'une façon tantôt $i originale, tantôt si exigeante, ce qui est facile à con- cevoir quand on connaît le caractère excentrique de Coconas, qu'elle avait suscité entre lui et trois sei- gneurs de la cour des explications qui avaient âni

G4

LA l'.!;i.VE niAr.GOT.

I.os liiilloiirs l'I Ics.i'wiilic» :illiinlii!f;iil le |iriiir>'. l'«ci'. ti".

ù la mode de rt'[H)i|iui, c'oM-à-dirc .-m U- terrain. Coronas avait mis à ces rencontres la conseieniv; qu'il iiieltail (l'ordinaire à ces sortes di' elioses; il avait lui' le jirciiiier et blessé les di'iix autres, en disant :

(]e |)auvre la M<de, il savait si liien le latin! flV'tail au pniul ipie le riernier. (]ni élail le harun

(le linissi'v. lui avait dit en toiidiiinl :

Ah! pour l'auiinir du ciel, Coconas, varie lui peu, el dis au moins (lu'il savait le grec.

F'^nfiii, le liruit de l'aventure du corridor avait trunsjiiri'; (.ociuias s'on ctait gonUé de douleur.

car un lusiani il avait cru i|uo lou> ces rois et tous ces princes lui avaient tué son ami, cl l'avaient jeté clans (|ii(d(pie oulilieili-, ou l'avaient enterré dans ipii'Upie coin.

Il apprit ipie d'Alençon avait été de la partie, et, passant piir-dessus l,i majesté qui entourait le prince du san;,'. il l'alla trouver et lui demanda une ev plirnlion l'omine il l'eût fait enver- nu simple gcil- lilliiiMiine.

I> Alençon eut d'abord bonne envie do mettre à la porte l'impertinent qui venait lui demander compte de se,- actions; mais Cocona.-. iiarl.iil d'un ton dw

LA ?£\m MARGOT.

05

D'AlCBçon cul d'aborJ hoiiiic envie Je iiicUie à h porte riniportiiieiit. I'acb IJ4.

de voix si bref, ses yeux flambovyient J'un tel éclat, l'aventure des trois duels en moins de vingt-quatre heures avait placé le Piémontaissi haut, qu'il réllé- chit, et qu'au lieu de se livrer à son premier mou- vement il répondit à son gentilhomme avec un charmant sourire :

Mon cher Coconas, il est vrai que le roi, fu- rieux d'avoir reçu sur l'épaule une aiguière d'ar- gent, le duc d'Anjou, mécontent d'avoir été coiffé avec une compote d'orange, et le duc de Guise hu- milié d'avoir été souffleté avec un quartier de san- glier, ont fait la oartie de tuer M. de la Mole; mais

un ami de votre ami a détourné le coup. La partie a donc manqué, je vous en donne ma parole de prince.

Ah ! fit Coconas respirant sur cette assurance comme. un soufflet de forge, ah! raordi ' monsei- gneur, voilà qui est bien, et je voudrais connaître cet ami pour lui prouver ma reconnaissance.

M. d'Alençon ne répondit rien, mais sourit plu3 agréablement encore qu'il ne l'avait fait; ce qui laissa croire à Coconas que cet ami n'était autre que le prince lui-même.

Eh bien ! monseigneur, reprit-il, puisque vous

32

r^t:t. îiii et LTY LiLé

iviit UiQtrâr&u:?, M.

66

LA REINE MARGOT.

avez tant fait que de me dire te commencement de l'histoire, mettez le comble à vos bontés en me ra- contant la fin. On voulait le tuer, mais on ne l'a pas tué, me dites-vous ; voyons ! qu'en a-t-on fait? Je suis courageux, allez ! dites, et je sais supporter une mauvaise nouvelle. On l'a jeté dans quelque cul de basse-fosse, n'est-ce pas? Tant mieux, cela le rendra circonspect. Il ne veut jamais écouter mes cbnseils. D'ailleurs, on l'en tirera, mordi! les pier- res ne sont pas dures pour tout le monde. D'Alençon hocha la tête.

Le pis de tout cela, dit-il, mon brave Goeonas, c'est que depuis cette aventure ton ami a disparu, sans qu'on sache il est passé.

Mordi ! s'écria le Piémontais en pâlissant de nouveau, fût-il passé en enfer, je saurai il est.

Écoute, dit d'Aiençon,' qui avait, mais par des motifs bien différents, aussi bonne envie que Goeo- nas de savoir était la Mole, je te donnerai un conseil d'ami.

Donnez, monseigneur, dit Goeonas, donnez.

Va trouver la reine Marguerite, elle doit sa- voir ce qu'est devenu celui que tu pleures.

S'il faut que je l'avoue à Votre Altesse, dit Go- eonas, j'y avais déjà pensé, mais je n'avais point osé; car, outre que madame Marguerite m'impose plus que je ne saurais dire, j'avais peur de la trou- ver dans les larmes. Mais, puisque Votre Altesse m'assure que la Mole n'est pas mort, et que Sa Ma- jesté doit savoir il est, je vais faire provision de courage et aller la trouver.

Va, mon ami, va, dit le duc François. Et, quand tu auras des nouvelles, donne-m'en à moi- même; car je suis en vérité aussi inquiet que toi. Seulement, souviens-toi d'une chose, Cocjnas...

Laquelle?

Ne dis pas que tu viens de ma part, car, en commettant cette imprudence, tu pourrais bien nr rien apprendre. *

Monseigneur, dit Goeonas, du moment Vo- tre Altesse me recommande le secret sur ce point, je serai muet comme une tanche ou comme la reine mère. l!on prince, excellent prince, prince magna- nime, murmura Goeonas en se rendant chez ia reine de Navarre.

Marguerite attendait Coconas, car le bruit i\'- ^'<n dcsespiiirc'tait arrivé jusqu'à elle, et, en apprenant par quels exiiliiits ce désespoir s'était signalé, elle avait |)rcsque pardonné à Coconas la façon quelque peu brutale dont il traitait son amie madame' la <lii- ciiesse di' Nevers, à laiiuelic le l'imiontais ne s'é- tait jioint ailre.sséà cause d'une gro.sse brouille exis- tant déjà (le[iuis deux ou irdis jours entre eux. Il fut donc introduit chez In reine nussilôt qu'an- noncé.

Gdcuoas entra, sans pouvoir surinont(U' ce certain embarras dont il avait parb; à d'Alençun, qu'il éprouvait luujourD eu face de la reine ut qui lui

était bien plus inspiré par la supériorité de l'esprit que par celle du rang; mais Marguerite l'accueillit avec un sourire qui le rassura tout d'abord.

Eh! madame, dit-il, rendez-moi mon ami, je vous en supplie, ou dites-moi tout au moins ce qu'il est devenu; car sans lui je ne puis pas vivre. Sup- posez Euryale sans Nisus, Damon sans Pythias, ou Oreste sans Pylade, et ayez pitié de mon infortune en favL'ur d'un des héros que je viens de vous citer, et dont le cœur, je vous le jure, ne l'emportait pas en tendresse sur le mien.

Marguerite sourit, et, après avoir fait promettre le secret à Goeonas, elle lui raconta la fuite par la fenêtre.

Quant au lieu de son séjour, si instantes que fussent les prières du Piémontais. elle garda sur ce point le plus profond silence. Cela ne satisfaisait qu'à demi Coconas, aussi s^aissa-t-il aller à des aperçus diplomatiques de la plus haute sphère. Il en résulta que Marguerite vit clairement que le duc d'Aiençon était de moitié dans le désir qu'avait son gentilhomme de connaître ce qu'était devenu la Mole.

Eh bien! dit la reine, si vous voulez absolu- ment savoir tpelqne chose de positif sur le compte de votre ami, demandez au roi Henri de Navarre, c'est le seul qui ait le droit de parler; quant à moi, tout ce que je puis vous dire, c'est que celui que vous cherchez est vivant : croyez-en ma parole.

J'en crois une chose plus certaine encore, ma- dame, répondit Coconas : ce sont vos beaux yeux qui n'ont point pleuré.

Puis, croyant qu'il n'y avait rien à ajouter à une phrase qui avait le double avantage de rendre sa pensée et d'exprimer la haute opinion qu'il avait du mérite de la Mole, Goeonas se retira, en ruminant un raccommodement avec madame de Nevers, non pas pour elle personnellement, mais pour savoir d'elle ct^ qu'il n'avait pu savoir de Marguerite.

Les grandes douleurs sont des situations anor- males dont l'esprit secoue le joug aussi vite qu'il lui est possible. L'idée de quitter Marguerite avait d'a- bord brisé lecQ'ur de la Mole; et c'('tait bien plutôt pour sauver la réputation de la reine (]ue pour pré- server sa propre vie qu'il avait consenti à fuir.

Aussi, dès le lendemayi au soir, était-il revenu à Paris pour iVvoir Marguerite à son balcon. Margue- rite, de son côté, connue si une voix secrète lui eût appris le retour du jeune homme, avait passé loule la soirée à sa fenêtre; il en résulta que tous deux .s'étaient revus avec w bonlu'ur indicihie qui accouj- pa;;ne les jouissances cléfemlues. Il y a même plus, l'esprit uK'Iancolique et romanes(iue de la Mole trou- vait un certain cliarmo à ce contre-temps. GepcQ- dniil, i-oiiiiue l'amant véritabli'inent l'pris n'est heu- reux qu'uinuoinent. celui |iriid,'int lequel il \oilou |ios.srde. et souffre pendant liiul le tenqis de l'ab- sence, la Mole, ardeul do revoir Marguerite, s'oc-

LA RETIVE 3TAT^nnT.

G7

cupa d'orgnniser au plus vite l'événement qui devait la lui rendre, c'est-à-dire la fuite du roi de Na- varre.

Quant à Marguerite, elle se laissait, de son côté, aller au bonheur d'être aimée avec un dévouement si pur. Souvent elle s'en voulait de ce qu'elle re- gardait comme une faiblesse; elle, cet esprit viril, méprisant les pauvretés de l'amour vulgaire, insen- sible aux minuties qui en font pour les âmes ten- dres le plus doux, le plus délicat, le plus désirable de tous les bonheurs, elle trouvait sa journée, si- non heureusement remplie, du moins heureusement terminée, quand, vers neuf heures, paraissant à son balcon vêtue d'un pei»«oir blanc, elle apercevait sur le quai, dans l'ombre, un cavalier dont la main se posait sur ses lèvres, sur son cœur, c'était alors une toux significative qui rendait à l'amant le sou- venir de la voix aimée. C'était quelquefois aussi un billet vigoureusement lancé par une petite main et qui enveloppait quelque bijou précieux, mais bien plus précieux encore pour avoir appartenu à celle qui l'envoyait que pour la matière qui lui donnait sa valeur, et qui allait résonner sur le pavé à quel- ques pas du jeune homme, .\lors la Mole, pareil à un milan, fondait sur cette proie, la serrait dans son sein, répondait par la même voie, et Marguerite ne quittait son balcon qu'après avoir entendu se perdre dans la nuit les pas du cheval poussé à toute bride pour venir, et qui, pour s'éloigner, semblait d'une matière aussi inerte que le fameux colosse qui perdit Troie.

Voilà pourquoi la reine n'était pas inquiète du sort de la Mole, auquel, du reste, de peur que ses pas ne fussent épiés, elle refusait opiniâtrement tout autre rendez-vous que ces entrevues à l'espa- gnole, qui duraient depuis sa fuite et se renouve- laient dans la soirée de chacun des jours qui s'écou- laient dans l'attente de la réception des ambassa- deurs, jéception remise à quelques jours, comme on l'a vu, par les ordres exprès d'Ambroise Paré.

La veille de cette réception, vers neuf heures du soir, comme tout le monde au Louvre était préoc- cupé des préparatifs du lendemain, Marguerite ou- vrit sa fenêtre et s'avança sur le balcon ; mais à peine y fut-elle, que, sans attendre la lettre de Mar- guerite, la Mole, plus pressé que de coutume, en- voya la sienne, qui vint, avec son adresse accoutu- mée, tomber aux pieds de sa royale maîtresse. Mar- guerite comprit que la missive devait renfermer quelque chose de particulier, elle rentra pour la lire.

Le billet, sur le recto de la première page, ren- fermait ces mots :

« Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L'affaire est urgente. J'attends. »

Et, sur le second recto, ces mots, que l'on pou- vait isoler des premiers en séparant les deux feuilles :

« Ma dame et ma reine, faites que je puisse vous

donner un de ces baisers que je vous envoie. J'at- tends. »

Marguerite achevait à peine cette seconde partie de la lettre, qu'elle entendit la voix de Henri de Na- varre, qui, avec sa réserve habituelle, frappait à la porte commune et demandait à Gilloniie s il pou- vait entrer.

La reine divisa aussitôt la lettre, mit une des pa- ges dans son corset, l'autre dans sa poche, courut à la fenêtre, qu'elle ferma, et, s'élançant vers la fe- nêtre :

Entrez, sire, dit-elle.

Si doucement, si promptement, si habilement que Marguerite eût fermé cette fenêtre, la commo- tion en était arrivée jusqu'à Henri, dont les sens toujours tendus avaient, au milieu de cette société dont il se défiait si fort, presque acquis l'exquise délicatesse ils sont portés chez l'homme vivant dans l'état sauvage. Mais le roi de Navarre n'était pas un de ces tyrans qui veulent empêcher leurs femmes de prendre l'air et de contempler les étoiles.

Henri était souriant et gracieux comme d'habi- tude.

Madame, dit-il, tandis que tous nos gens de cour essayent leurs habits de cérémonie, j'ai pensé à venir échanger avec vous quelques mots de mes affaires7 que vous continuez de regarder comme les vôtres, n'est-ce pas?

Certainement, monsieur, répondit Marguerite, nos intérêts ne sont-ils pas toujours les mêmes?

Oui, madame, et c'est pour cela que je voulais vous demander ce que vous pensez de l'affectation que M. le duc d'Alencon met depuis quebpies jours à me fuir, à ce point que, depuis avant-hier, il s'est retiré à Saint-Germain. Ne serait-ce pas pour lui, soit un moyen de partir seul, car il est peu sur- veillé, soit un moyen de ne point partir du tout? Votre avis, s'il vous plaît, madame ; il sera, je vous l'avoue, d'un grand poids pour affermir le mien.

Votre Majesté a raison de s'inquiéter du silence de mon frère. J'y ai songé aujourd'hui toute la journée, et mon avis est que, les circonstances ayant changé, il a changé avec elles.

C'est-à-dire, n'est-ce pas, que, voyant le roi Charles malade, le duc d'Anjou roi de Pologne, il ne serait pas fâché de demeurer à Paris pour gar- der à vue la couronne de France ?

Justement.

Soit. Je ne demande pas mieux, dit Henri : qu'il reste, seulement, cela change tout notre plan; car il me faut, pour partir seul, trois fois les garan- ties que j'aurais demandées pour partir avec votre frère, dout le nom et la présence dans l'entreprise me sauvegardaient. Ce qui m'étonne seulement, c'est de ne pas entendre parler de de Mouy. Ce n'est point son habitude de demeurer aiYisi sans bouger. N'en auriez-vous point eu des nouvelles, madema?

(18

LA REINE MAIIGOT.

Moi ! sire, dit Marytiprite étonnée; et com- ment voulez-vous...

Eli! pardieu, ma mie, rien ne serait plus na- turel ; vous avez bien voulu, pour me faire plaisir, sauver la vie au petit la Mole... Ce garçon a aller à Mantes... et, quand on y va. on en peut bien reve- nir...

Ah! voilà qui me donne la clef d'une énigme dont je cherchais vainement le mot, répondit Mar- guerite. J'avais laissé la fenêtre ouverte, et j'ai trouvé, en rentrant, sur mon tapis, une espèce de billet.

Vovez-vous cela ! dit Henri.

' Un billet auquel d'abord je n'ai rien compris, et auquel je n'ai attaché aucune importance, conti- nua Marguerite ; peut-être avais-je tort e\ vient-il de ce coté-h'i.

C'est possible, dit Henri; j'oserai même dire que c'est probable. Peut-on voir ce billet'.'

Certainement, sire, répondit Marguerite en remettant au roi celle des deux feuilles de papier qu'elle n\a'\l introduite dans sa poche.

Le roi jeta les yeux dessus.

N'est-ce point l'écriture de M. de la Mole?

dit-il.

.le ne sais, répondit Marguerite; le caractère m'en a paru contrefait.

N'importe, lisons, dit Henri. Et il lut:

« Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L'affaire est urgente. J'attends. »

Ah ! oui-da! continua Henri... Voyez-vous, il dit qu'il attend !

Certainement, je le vois, dit Marguerite. Mais que voulez-vous ?

Eh ! venlre-saint-gris! je veux qu'il vienne.

Qu'il vienne! s'écria Marguerite en fixant sur son mari ses beaux yeux étonnés; comment pouvez- vous dire une chose pareille, sire? L'n hdmiue que le roi a voulu tuer... qui est signalé, menacé... tju'il vienne, dites-vous? est-ce que c'est possible!... Les portes sont-elles faites pour ceux qui ont ('té ..

Obligés de fuir par la fenêtre... vous voulez dire?

Justement, et vous achevez ma pensée.

Eh bien! mais, s'ils connaissent le chemin ilc la fenêtre, qu'ils reprennent ce rheiiiin, puisqu'ils ne peuvent abs(dument pas entrer par la |iorte. C'ot tout simple, cela.

'Vous croyez! dit Marguerite rougissant de plaisir à l'idi'e de se rapprncher de l,i Mule.

J'en suis sûr.

Mais comment monter? demanda la reine.

N'avez-voiis donc pas conservé rcù-helle ile corde que je vous avais envoyée? Ah ! je ne recon- naîtrais point votre pn'voyanie habituelle.

Si fait, sire, dit Marguerite.

Alors, c'est parfait, dit Henri.

Qu'ordonne donc Votre Majesté?

Mais c'est tout simple, dit Henri, attachez-la à votre balcon, et la laissez pendre. Si c'est de Mouy qui attend et je serais tenté de le croire si c'est de Moiiy qui attend et qui veuille monter, il montera, ce digne ami.

Et, sans perdre de son flegme, Henri prit la bou- gie pour éclairer Marguerite dans la recherche qu'elle .s'apprêtait à faire de l'échelle; la recherche ne fut pas longue, elle était enfermée dans une ar- moire du fameux cabinet.

Là, c'est cela, dit Henri; maintenant, ma- dame, si ce n'est pas trop exiger de votre complai- sance, attachez, je vous prie, cette échelle au bal- con,

Pourquoi moi et non pas vous, sire? dit Mar- guerite,

Parce que les meilleurs conspirateurs sont les plus prudents. La vue d'un homme effaroucherait peut-être notre ami, vous comprenez...

.Marguerite sourit et attacha l'échelle,

Là, dit Henri en restant caché dans l'angle de l'appartement; montrez-vous bien; maintenant, tii- tes voir l'échelle. A merveille, je suis sûr que de .Mouy va monter.

En effet, dix minutes après, un homme ivre de joie enjamba le balcon, et, voyant que la reine ne venait pas au-devant de lui, demeura quelques se- condes hésitant. Mais, à défaut de Marguerite, Henri s'avança,

Tiens, dit-il gracieusement, ce n'est point de Mouy, c'est M, de la Mole; bonsoir, monsieur de la Mole; entrez donc, je vous prie.

La Mole demeura un instant stupéfait. Peut-être, s'il eût été encore suspendu à .son échelle, au lieu d'être posé de pied ferme sur le balcon, fût-il tombé en arrière.

Vous avez désiré parler au roi de Navarre pour affaires urgentes, dit Marguerite; je l'ai fait prévenir, et le voilà.

Henri alla fermer la fenêtre.

Je t'aime, dit Marguerite en serrant vivement la main du jeune hoinm(>,

Eh bien! monsieur, lit Henri en présentant une chaise à la Mole, que disons-nous?

Nous disons, sire, répondit celui-ci, que j'ai iliiill('M, de Mouy à la barrière, il di'sire savoir si Maurevel a parlé et si sa présence dans la chambre de Votre Majesté est connue.

Pas encore, mais cela ne peut tarder: il faut donc nous hâter.

Votre opinion est la sienne, sire, et, si demain, pendant la .Hiirée, M. d'Alcnçon est prêt h partir de Mouy se trouvoBB à la porto Saint-Marcel avec cent einqnanle himiines, cinq cents vous atteiiilronl à l'onlaiiieblcnii ; alors vous g.'ignerez l!loi>. .\ngnu- lême et ilordeaux,

Madame, dit llenii en -ie |oiiriiant \crs sa

LA UL'Î^JE JfARGOT.

m

Un homme ivre de joie enjamba le balcon. PiCE 68.

femme, demain, pour mon compte, je serai prêt, le serez-vous?

Les yeux de la Mole se fixèrent sur ceux de ^!ar- guerite avec une profonde anxiété.

Vous avez ma parole, dit la reine : partout vous irez, je vous suis; mais, vous le savez, il faut que M. d'Alençon parte en même temps que nous. Pas de milieu avec lui, il nous sert ou nous trajiit; s'il hésite, ne bougeons pas.

Sait-il quelque chose de ce projet, monsieur de la Mole? demanda Henri.

11 a dû, il y a quelques jours, recevoir une lettre de M. do Mouv.

Ah ! ah I dit Henri, et il ne m"a parlé de rien !

Défiez-vous, monsieur, dit Marguerite, défiez- vous.

Soyez tranquille, je suis sur mes gardes. Comment faire tenir une réponse à de Mouv?

Ne vous inquiétez do rien. sire. A droite ou à gauche de Votre Majesté, visible ou invisible, de- main, pendant la réception des ambassadeurs, il sera , un mot dans le discuurs de la reine qui lui

70

LA REINE MARGOT.

fasse comprendre si vous consentez ou non, s'il doit fuir ou vous attendre. Si le duc d'Alenron refuse, il ne demande que quinze jours pour tout réorganiser en votre nom.

En vérité, dit Henri, de Mouy est un homme précieux. Pouvez-vous intercaler dans votre dis- cours la phrase attendue, madame?

Rien de plus facile, répondit Marguerite.

Alors, dit Henri, je verrai demain M. d'Alen- çon ; que de Mouy soit à son poste et comprenne à demi-mot.

n y sera, sire.

Eh bien! monsieur de la Mole, dit Henri, allez lui porter ma réponse. Vous avez sans doute dans les environs un cheval, un serviteur?

Orthon est qui m'attend sur le quai.

Allez le rejoindre, monsieur !e comte. Oh I non point par la fenêtre; c'est bon dans les occa- sions extrêmes. Vous pourriez être vu, et, comme on ne saurait pas que c'est pour moi que vous vous ex- posez ainsi, vous compromettriez la reine.

Mais par où, sire?

Si vous ne pouvez pas entrer seul au Louvre. vous en pouvez sortir avec moi, qui ai le mot d'or- dre. Vous avez votre manteau, j'ai le mien; nous

nous envelopperons tous deux, et nous traverserons le guicliet sans difficulté. B'ailleurs, je serai aise de donner quelques ordres particuliers à Orthon. Attendez ici, je vais voir s'il n'y a personne dans les corridors. .

Henri, de l'air du monde le plus naturel, sortit pour aller explorer le chemin. La Mole resta seul avec la reine.

Oh ! quand vous reverrai-je? dit la Mole.

Demain soir, si nous fuyons ; un de ces soirs, dans la maison de la rue Cloche-Percée, si nous ne fuyons pas.

Monsieur de la Mole, dit Henri en rentrant, vous pouvez venir, il n'y a personne.

La Mole s'inclina respectueusement devant la reine.

Uonnez-lui votre main à baiser, madame, dit Henri, M. de la Mole n'est pas un serviteur ordi- naire.

Marguerite obéit.

A propos, dit Henri, serrez l'échelle de corde avec soin ; c'est un meuble précieux pour des con- spirateurs; et, au moment Ion s'y attend le moins, on peut avoir besoin de s'en servir. Venez, monsieur de la Mole, venez.

LA REINE BURGOT.

71

XIV

LES AMBASSADEURS.

e lendemain, toute la po- pulation de Paris s'était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais fe- raient leur entrée. Une haie de Suisses contenait la foule, et des détachements de cavaliers proté- geaient la circulation des seigneurs et des dames de la cour qui se portaient au-devant du cortège.

Bientôt parut, à la hauteur de l'abbaye Saint-An- toine, une troupe de cavaliers vêtus de rouge et de jaune, avec des bonnets et des manteaux fourrés, et tenant à la main des sabres larges et recourbés comme les cimeterres des Turcs.

Les officiers marchaient sur les flancs des lignes.

Derrière cette première troupe en venait une se- conde équipée avec un luxe tout à fait oriental. -^ Elle précédait les ambassadeurs, qui, au nombre de quatre, représentaient magnifiquement le plus my- thologique des royaumes chevaleresques du seizième siècle.

L'un de ces ambassadeurs était l'évêque de Cra- covie. Il portait un costume demi-pontifical, demi- guerrier, mais éblouissant d'or et de pierreries. Son cheval blanc à longs crins flottants et au pas relevé semblait souffler le feu par ses naseaux ; personne n'aurait pensé que depuis un mois le noble animal faisait quinze lieues chaque jour par des chemins que le mauvais temps avait rendus presque impra- ticables.

Près de l'évêque marchait le palatin Lasco, puis- sant seigneur si rapproché de la couronne, qu'il avait la richesse d'un roi comme il en avait l'or- gueil.

Après les deux ambassadeurs principaux qu'ac- compagnaient deux autres palatins de haute nais- sance, venait une quantité de seigneurs polonais, dont les chevaux, harnachés de soie, d'or et de pierreries, excitèrent la bruyante approbation du peuple. En effet, les cavaliers français, malgré la richesse de leurs équipages, étaient complètement éclipsés pas ces nouveaux venus, qu'ils appelaient dédaigneuse- ment des barbares.

Jusqu'au dernier moment, Catherine avait espéré

que la réception serait remise encore, et que la dé- cision du roi céderait ^a faiblesse, qui continuait. Mais, lorsque le jour fut venu, lorsqu'elle vit Char- les, pâle comme un spectre, revêtir le splendide manteau royal, elle comprit qu'il fallait plier en ap- parence sous cette volonté de fer, et elle commença de croire que le plus sûr parti pour Henri d'Anjou était l'exil magnifique auquel il était condamné.

Charles, à part les quelques mots qu'il avait pro- noncés lorsqu'il avait rouvert les yeux, au moment sa mère sortait du cabinet, n'avait point parlé à Catherine depuisla scène qui avait ameué la crise à laquelle il avait failli succomber. Chacun, dans le Louvre, savait qu'il y avait eu une altercation ter- rible entre eux sans connaître la cause de cette al- tercation, et les plus hardis tremblaient devant cette froideur et ce silence, comme tremblent les oiseaux devant le calme menaçant qui précède l'orage.

Cependant tout s'était préparé au Louvre, non pas comme pour une fête, il est vrai, mais comme pour quelque lugubre cérémonie. L'obéissance de chacun avait été morne ou passive. On savait que Catherine avait presque tremblé, et tout le monde tremblait.

La grande salle de réception du palais avait été préparée, et, comme ces sortes de séances étaient or- dinairement publiques, les gardes et les sentinelles avaient reçu l'ordre de laisser entrer, avec les am- bassadeurs, tout ce que les appartements et les cours pourraient contenir de populaire.

Quant à Paris, son aspect était toujours celui que pn'sente la grande ville en pareille circonstance, c'est-à-dire empressement et curiosité. Seulement, quiconque eût bien considéré ce jour-là la popula- tion de la capitale eût reconnu parmi les groupes, composés de ces honnêtes figures de bourgeois naï- vement béantes, bon nombre d'hommes enveloppés dans de grands manteaux, se répondant les uns aux autres par des coups d'œil, des signes de la main quand ils étaient à distance, et échangeant à voix basse quelques nfots rapides et significatifs toutes les fois qu'ils se rapprochaient. Ces hommes, au reste, paraissaient fort préoccupés du cortège, le suivaient des premiers, et paraissaient recevoir leurs ordres d'un vénérable vieillard, dont les yeux noirs et vifs

72

LA REliNE MARGOT.

tilil!l|!^rn>,

BROiKOi

Les discours commenciircnl. Pam 73.

faisîiicnl, nialf,'ri' sn l)arl)(! hlnncho cl sos sourcils grisonnants, rassortir la vorin aplivité. En offrt, ce vieillard, soit iiar ses propres moyens, soit qu'il fût aid(' par les efforis de ses compagnons, parvint à se glisser des premiers dans le Louvre, et, grâce à la eom[ilnisaniM' du clicf des Siii.sscs, di^tnc iuiguonol, fort [leu cailioliiiiM' iiialgrc sa conversion, trouva moyen de se placer derrière les ambassadeurs, juste en face do MarRiicriie et de Henri de Navarre.

Henri, prévenu p,ir la Mide inic de Mouy dovail, sous un dcj^'uisi'iiii'Ml (piclconipic. assistera la séance, jetait les jeux de tous cùtts. Lnlin ses regards ren-

contrèrent ceux du vieillard ei nele quiliérenl plu> : un silène de de Mouy avait fixr tous les doutes du roi de Navarre. Car de Mouy l'tait si liien di-guisé, que Henri lui-même avait douté que ce vieillard à barbe blanche pût être le même que cet intrépide chef des buguenots (|ui avait fait, cinq ou six jours aii|iar,ivant, une si rude drfeuse.

lin mot de Henri, prononcé à l'oreille de Margue- rite, fixa les regards de la reine sur de Mouy. Puis alors ses beaux yeux s"('garérent dans les profon- deurs du la salle ; elle cbercbail la Mole, mais inu- liloiucnl. La Mole n'y était pas.

LA REINE MARGOT.

73

Charles répondil par uiic adhésion courte et précise.

Les discours commencèrent. Le premier fut au roi. Lasco lui demandait, au nom de la diète, son assentiment à ce que la couronne de Pologne fût of- ferte à un prince de la maison de France.

Charles répondit par une adhésion courte et pré- cise, présentant le duc d'Anjou, son frère, du cou- rage duquel il fit un grand éloge aux envoyés polo- nais. Il parlait en français; un interprète traduisait sa réponse après chaque période. Et, pendant que l'interprète parlait à son tour, on pouvait voir le roi approcher de sa houche un mouchoir qui, à chaque fois, s'en éloignait teint de sang.

Quand la réponse de Charles fut terminée, Lasco se tourna vers le duc d'Anjou, s'inclina et commença un discours latin, dans lequel il lui offrait le trône au nom de la nation polonaise.

Le duc répondit dans la même langue, et d'une voix dont il cherchait en vain à contenir l'émotion, qu'il acceptait avec reconnaissance l'honneur qui lui était décerné. Pendant tout le temps qu'il parla, Charles resta debout, les lèvres serrées, l'œil fixé sur lui, immobile et menaçant comme l'œil d'un aigle.

Quand le duc d'Anjou eut Uni, Lasco prit la cou-

33

, C^-LI.V iilr.É. hcuteT;>ii tfoolparuauetSi'

74

LA P.EIM: MARGOT.

ronne des Jagellons, posée sur un coussin de ve- lours rouge, et, tandis que deux seigneurs polonais revêtaient le duc d'Anjou du manteau royal, il dé- posa la couronne entre les mains de Charles.

Charles fit un signe à son frère. Le duc d'Anjou vint s'agenouiller devant lui, et, de ses propres mains, Charles lui posa la couronne sur la tête : alors les deux rois échangèrent un des plus haineux baisers que se soient jamais donnés deux frères.

Aussitôt un héraut cria :

« Alexandre-Édouard-IIenri de France, duc d'An- jou, vient d'être couronné roi de Pologne. Vivo le roi de Pologne ! »

Toute l'assemblée répéta d'un seul cri ; Vive le roi de Pologne !

Alors Lasco se tourna vers Marguerite. Le dis- cours du la belle reine avait été gardé pour le der- nier. Or, comme c'était une galanterie ijui lui avait été accordée pour faire briller son beau génie, comme on disait alors, chacun porta une grande at- tention 9 la réponse, qui devait être en latin. Nous avons vu que Marguerite l'avait composée elle- même.

Le discours de Lasco fut plutôt un éloge qu'un discours. Il avait cédé, tout Sarmate qu'il était, à l'admiration qu'inspirait à tous la belle reine de Navarre; et, empruntant la langue à Ovide, mais le style à Ronsard, il dit que, partis de Varsovie au milieu de la plus profonde nuit, ils n'auraient su, lui et ses compagnons, comment retrouver leur chemin, si, comme les rois mages, ils n'avaient eu deux étoiles pour les guider. Étoiles qui devenaient de plus en plus brillantes à mesure qu'ils approchaient de la France, et qu'ils reconnaissaient maintenant n'être autre chose que les deux beaiix yeux de la reine de Navarre. Lnlin, passant de l'Évangile au Coran, de la Syrie n rArabie-Pélréo, de Nazareth à la Mecque, il termina en disant ciu'il était tout prêt à faire ce que faisaient les sectateurs ardents du prophète, qui, une fois (pi'ils avaient eu le bonheur de conloiiipicr son tombeau, se crevaient les yeux ; jugeant que, après avoir joui d'une si belle vue, rien dans ce monde ne valait plus la peine d'être ad- miré.

Ce disciiurs fut rouvert d'applaudissenu'nts de la part de ceux qui parlaient latin, parce qu'ils pnrlit- geaient l'opinion de l'orateur; de la part de ceux qui ne l'cnlcndaient point, parce qu'il» voulaient avoir l'air de l'enlcndir.

Marguerite lit d'almrd une gniriense révérence au galant Sarmate, puis, tout en ré|iiiii(lant à j'nmhah- Mdeur, fixant les yeux Bur de Mnuy, elineomnienra m ces termes :

'( Qiiod tiunc hac in aula inspcrali adcstit exiil- tàrcmii' l'an fi rnninr. nisi iden iiiiniitirrd ralimii-

tas, sc'iUcct non solum fralris sed cliam amici orbi- las (1). »

Ces paroles avaient deux sens, et, tout en s'adres- sant à de Mouy. pouvaient s'adresser à Henri d'An- « jou. Aussi ce dernier salua-t-il en signe de recon- naissance.

Charles ne se rappela point avoir lu cette phrase dans le discours qui lui avait été communiqué quelques jours auparavant ; mais il n'attachait point grande importance aux paroles de Marguerite, qu'il savait être un discours de simple courtoisie. D'ail- leurs, il comprenait fort mal le latin.

Marguerite continua :

« Adco doicmttr a te div'uli ut tectnn profichci nidliiisscnius. Sed idem falttm qno nunc s'nie tdla mora Lullccia cederc juhcris, hnc in urbe dctinet. Pioftsccreerfio,fmlcr: profil iscere, amice; profiàs- cerc sine nohis; proficiscenlcin $equiiulur spes et de- siderïa noslra (2). »

On devine aisément que de Mouy écoulait avec une attention profonde ces paroles, qui, adressées aux ambassadeurs, étaient prononcées pour lui seul. Henri avait bien déjà deux ou trois fois tourné la tête négativement sur les épaules, pour faire comprendre au jeune huguenot que d'Alençon avait refusé; mais ce geste, qui pouvait être un effet du hasard, eût paru insuffisant à de Mouy, si les paroles de Marguerite ne fussent venues le confirmer. Or, tan- dis qu'il regardait Marguerite et l'éroutait de toute son àme, ses deux yeux noirs, si brillants sous leurs sourcils gris, frappèrent Catherine, qui tressaillit comme à une coinmcrtion électrique, et qui ne dé- tourna plus son regard de ce côté de la salle.

Voilà une figure étrange, murmura-t-elletoiil en continuant de composer son visage selon les lois du cérémonial. Qui donc est cet homme qui regarde si attentivement Marguerite, et que. de leur côte, Marguerite et Henri regardent si attentivement.'

Cependant la reine de Navarre continuait son dis- cours, (]ui, à partir de ce moment, répondait aux politesses de l'envoyé polonais, tandis que Catherine se creusait la tête, clierclianl quel pouvait être le nom de ce beau vieillard. lors(|ue le maitre des cé- rémonies, s'approchant d'elle par derrière, lui re- mit un sachet de satin parfumé contenant un pn-

(1] Vnire pr^cnco inc<p<^rée dans colle cniir iioiin cnnililc r.iil itcjcilc, nini cl man mari, (i e.We n'aiiiciiail un ^i.inil iiijl liour, t'csl-à-ilirc iion-sculcmenl la perle d'un frère, nui» (Micorc rt'Ilo d'un ami.

(2) Nous snmiiirs (Wscspiré» H'élre w^iMir^» do tous, ()iiiin I nous ousFiiint iiri'li'ri! parlir nvcc vous. Miit le mèins dedin i|iii veul >|ui) vous i|uillio> uns rclml Taris, nous uni'liaine, iioui, iluns celle ville, l'nrler ilonc, rlicr frùro ; (Mrli j ilonr, ilii'r ami ; oarlci mus noun. Noire esoorinco cl uo9 Ainn nm suivroi»*

LA RE^E MARGOT.

75

pier plié en quatre. Elle ouvrit le sachet, tira le pa- pier et lut ces mots :

« Maurevel, à l'aide d'un cordial que je viens de lui donner, a enfin repris quelque force et est par- venu à écrire le nom de l'homme qui se trouvait dans la chambre du roi de Navarre. Cet homme, c'est .M. de Mouy. »

De Mouy... pensa la reine, eh bien! j'en avais le pressentiment. Maisce vieillard... Eh! cospello!... ce vieillard, c'est...

Catherine demeura l'œil fixe, la bouche béante. Puis, se penchant à l'oreille du capitaine des gardes qui se tenait à son côté :

Regardez, monsieur de Nancey, lui dit-elle, mais sans affectation ; regardez le seigneur Lasco, celui qui parle en ce moment. Derrière lui c'est cela Voyez-vous un vieillard à barbe blanche, en habit de velours noir?

Oui. madame, répondit le capitaine. Bon, ne le perdez pas de vue.

-^ Celui auquel le roi de Navarre fait un signe?

Justement. Placez-vous à la porte du Louvre avec dix hommes, et, quand il sortira, inviiez-le de la part du roi à dîner. S'il vous suit, conduisez-le dans une chambre vous le retiendrez prisonnier. S'il vous résiste, emparez-vous-en mort ou vif. Al- lez, allez.

Heureusement Henri, fort peu occupé du dis- cours de Marguerite, avait l'œil arrêté sur Catherine et n'avait point perdu une seule expression de son visage. En voyant les yeux de la reine mère fixés avec un si grand acharnement sur de Mouy, il s'in- quiéta; — en lui voyant donner un ordre au capi- taine des gardes, il comprit tout.

Ce fut en ce moment qu'il fit le geste qu'avait surpris M. de Nancey, et qui, dans la langue des si- gnes, voulait dire :

Vous êtes découvert, sauvez-vous à l'instant

De Mouy comprit ce geste, qui couronnait si bien la portion du discours' de Marguerite qui lui était adressée. Il ne se le fit pas dire à deux fois, il se perdit dans la foule et disparut.

Mais Henri ne fut tranquille que lorsqu'il eut vu M. de N&ncey rcvenif à Catherine, et qu'il eut com-

pris, à la contraction du visage de la reine mère, que celui-ci lui annonçait qu'il était arrivé trop tard. L'audience était finie. Marguerite échangeait encore quelques paroles non officielles avec Lasco. Le roi se leva chancelant, salua, et sortit appuyé sur l'é- paule d'.\mbroise Paré, qui ne le quittait pas depuis l'accident qui lui était arrivé.

Catherine, pâle de colère, et Henri, muet de dou- leur, le suivirent.

Quant au duc d'.41ençon, il s'était complètement effacé pendant la cérémonie. Et pas une fois le re- gard de (Charles, qui ne s'était pas écarté un instant du duc d'Anjou, ne s'était fixé sur lui.

Le nouveau roi de Pologne se sentait perdu. Loin de sa mère, enlevé par ces barbares du Nord, il était semblable à Antée, ce fils de la Terre, qui perdait ses forces soulevé dans les bras d'Hercule. Une fois hors de la frontière, le duc d'Anjou se regardait comme à tout jamais exclu du trône de France.

-Aussi, au lieu de suivre le roi, ce fut chez sa mère qu'il se retira.

Il la trouva non moins sombre et non moins pré- occupée que lui-môme, car elle songeait à cette tête fineetmoqueuse qu'ellen'avait point perdue de vue pendant la cérémonie, à ce Béarnais, auquel la des- tinée semblait faire place en balayant autour de lui les rois, princes, assassins, ses ennemis et ses ob- stacles.

En voyant son fils bien-aimé pâle sous sa cou- ronne, brisé sous son manteau royal, joignant sans rien dire, en signe de supplication, ses belles mains, qu'il tenait d'elle, Catherine se leva et alla à lui.

^ 0 ma mère ! s'écrio le roi de Pologne, me voilà condamné à mourir dans l'exil.

Mon fils, lui dit Catherine, oubliez-vous si vite la prédiction de René ! Soyez tranquille, vous n'y demeurerez pas longtemps.

Ma mère, je vous en conjure, dit le duc d'An- jou, au premier bruit, au premier soupçon que la couronne de France peut être vacante, prévenez- moi...

Soyez tranquille, mon fils, dit Catherine, jus- qu'au jour que nous attendons tous deux il y aura incessamment dans mon écurie un cheval sellé, et dans mon antichambre un courrier prêt à partir pour la Pologne.

e^"

LA REINE MARGOT.

XV

ORESTE ET PYLADE.

enri (FAnjuu parti, on eût dit que la paix et le bon- heur étaient revenus s'as- seoir dans le Louvre au foyer de cette famille d'A- trides.

Charles, oubliant sa mé- lancolie, reprenait sa vi- goureuse santé, chassant avec Henri et parlant de chasse avec lui les jours il ne pouvait chasser; ne lui reprochant qu'une chose, son apathie pour la chasse au vol, et disant qu'il serait un prince par- fait s'il savait dresser les faucons, les gerfauts et les tiercelets comme il savait dresser braques et cou- rants.

Catherine était redevenue bonne mère ; douce à Charles et à d'Alençon, caressante à Henri et à Mar- guerite, gracieuse à madame de Nevers et à madame de Sauve, et, sous prétexte que c'était en accomplis- sant un ordre d'elle qu'il avait été blessé, elle avait poussé la bonté d'ànie jusqu'à aller voir deux fois Maurevel convalescent dans sa maison de la rue de la Cerisaie. Marguerite continuait ses amours à l'espagnole. Tous les soirs elle ouvrait sa fenêtre et corres- pondait avec la Mole par gestes et par écrit; et, dans chacune de ses lettres, le jeune homme Tappe- lait à sa belle reine qu'elle lui avait promis quel- ques doux instants en récompense de son exil, rue Cloche-Percée.

Une seule personne au monde était seule et dé- pareillée dans le Louvre redevenu si calme et si pai- sible. Cette personne, c'était notre ami le comte An- nibal de Coconas.

Certes, c'était quelque chose que de .savoir la Mole vivant ; c'était beaucoup que d'iMre toujours le pn'féré de madame de Nevers, la plus rieuse et la plus fantasque de toutes les femmes. Mais Mut le bonheur de ce tèle-à-t(îte que la belle duchesse lui accordait, tout le repos d'esprit donn(i par Margue- rite à Coconas sur le sort île leur ami commun, m' valaient |)oint aux yeux du l'ii'inontais une liennî passée avec la Mole chez l'ami la lluriére, devant un pot de vin doux, ou bien une do ces courses dé- Yergondées faites dans tous ces endroits de Paris

un honnête gentilhomme pouvait attraper des ac- crocs à sa peau, à sa bourse ou à son habit.

Madame de Nevers. il faut l'avouer à la honte de l'humanité, supportait impatiemment cette rivalité de la Mole. Ce n'est point qu'elle détestât leProvençal, au contraire. Entraînée par cet instinct irrésisti- ble qui porte toute femme à être coquette malgré elle avec l'amant d'une autre femme, surtout quand cette femme est son amie, elle n'avait point épargné à la Mole les éclairs de ses yeux d'émeraude, et Co- conas eût pu envier les franches poignées de main et les frais d'amabilité faits par la duchesse en fa- veur de son ami pendant ces jours de caprice l'astre du Piémontais semblait pâlir dans le ciel de sa belle maîtresse ; mais Coconas, qui eût égorgé quinze personnes pour un seul clin d'œil de sa dame, était si peu jaloux de la Mole, qu'il lui avait souvent fait à l'oreille, à la suite de ces inconsé- quences de la duchesse, certaines offres qui avaient fait rougir le Provençal.

Il résulte de cet état de choses que Henriette, que l'absence de la Mole privait de tous les avantages que lui procurait la compagnie de Coconas. c'est-à- dire de son intarissable gaieté et de ses insatiables caprices de plaisir, vint un jour trouver Marguerite pour la supplier de lui rendre ce tiers obligé, sans lequel l'esprit et le cœur de Coconas allaient s'éva- porant de jour en jour.

Marguerite, toujours compatissante et d'ailleurs pressée par les prières de la Mole et les désirs de son propre cœur, donna rendez-vous pour le lendemain à Henriette dans la maison aux deux portes, afin d'y traiter à fond ces matièri's dans une conversa- tion que personne ne pourrait interrompre.

Coconas reçut d'assez mauvaise grâce le billet d'Henriette qui le convoquait rue Tizon pour neuf heures et demi(>. il no s'en achemina pas moins vers le lieu du rendez-vous, il trouva Henriette déjà courrouci'c d'être arrivée la première.

Fi ! monsieur, dit-elle, que c'est mal appris de faire ailc'udre ainsi je ne dirai pas une princa<«e, mais ni\c femme !

(Ml! attendre, dit Coconas, voilà bien un mot à vous, par exemple! Je parie au contraire que nous sommes en avance.

LA REINE MRGOT.

77

Monsieur de Coconas, vous êtes un impertinent. Page 78.

Moi, OUI.

Bah ! moi aussi ; il est tout au plus dix heu- res, je parie.

Eh bien ! mon billet portait neuf heures et de- mie.

Aussi étais-je parti du Louvre à neuf heures, car je suis de service près de M. le duc d'Alençon, soit dit en passant, ce qui fait que je serai obligé de vous quitter dans une heure.

Ce qui vous enchante'!

Non, ma foi ! attendu que M. d'Alençon est un maître fort maussade et fort quinteux ; et que, pour

être querellé, j'aime encore mieux l'être par de jo- lies lèvres comme les vôtres que par une bouche de travers comme la sienne.

Allons! dit la duclies.se, voilà qui est un peu mieux cependant... Vous disiez donc que vous étiez sorti à neuf heures du Louvre?

Oh ! mon Dieu oui, dans l'intention de venir droit ici, quand, au coin de la rue de Grenelle, j'a- perçois un homme qui ressemble à la Mole.

Bon! encore la Mole.

Toujours, avec ou sans votre permission.

Brutal.

78

LA REINE MARGOT.

Bon ! dit Coconas, nous allons recommencer nos galanteries.

Non, mais finissez-en avec vos récits.

Ce n"est pas moi qui demande à les faire, c'est vous qui me demandez pourquoi je suis en retard.

Sans doute, est-ce à moi d'arriver la pre- mière?

Eh! vous n'avez personne à chercher, vuusl

Vous êtes assommant, mon cher, mais conti- nuez. Enfin, au coin de la rue de Grenelle, vots apercevez un homme qui ressemble à la Mole... Mais qu'avez-vous donc à votre pourpoint, du san;^?

Bon ! en voilà encore un qui m'aura éclaboussd en tombant.

A^ous vous êtes battu ?

Je le crois bien.

Pour votre la Mole?

Pour qui voulez-vous que je me batte, pour une femme?

Merci.

Je le suis donc, cet homme qui avait l'impu- dence d'emprunter des airs de mon ami. Je le re- joins à la rue Coquillière, je le devance, je le re- garde sous le nez à la lueur d'une boutique. Ce n'é- tait pas lui.

Bon ! c'était bien fait.

Oui, mais mal lui eu a pris. «Monsieur, lui ài-je dit, vous êtes un fat de tous permettre de ressem- bler de loin k mon ami M. de la Mole, lequel est un cavalier accompli; tandis que de près on voit bien que vous n'êtes qu'un truand. » Sur ce, il a mi» l'épée à la main et moi aussi. A la troisième passe, voyez le mai appris ! il est tombé en m'éclabous- sant.

Et lui avez-vous porté secours au moins?

J'allais le faire quand est passé un cavalier. Ah! cette fois, duchesse, je suis sûr que c'était la Mole. Malheureusement le cheval courait au galop. Je me suis mis à courir après le cheval, et les gens qui s'étaient rassemblés pour me voir battre, à cou- rir derrière moi. Or. comme on eût pu me prendre pour un voleur, suivi que j'étais de toute cette ca- naille qui hurlait après mes chausses, j'ai été obligé de me retourner pour la mettre en fuite, ce qui m'a fait perdre un certain temps. Pendant ce temps, le cavalier avait disparu. Je me suis mis à sa pour- suite, je me suis informé, j'ai demandé, donné la couleur du cheval; mais, baste! inutile, personne ne l'avait remarqué. Enfin, de guerre lasse, je suis venu ici.

^ De guerre lasse! dit la dnchesse, cotnme c'est obligeant!

Écoutex, chère amie, dit Coconas en se ren- versant nonchalamment dans un fauteuil , vous m'allez encore persiriiter h l'endroit de ci' pauvre la Mole; eh bien! vous aurez tort: car enfin, l'ami- tié, voyez-vous... Je voudrais avoir son esprit ou .sa science, à ce pauvre ami ; je trouverais i|uel(|ue

comparaison qui vous ferait palper ma pensée. L'a- mitié, voyez-vous, c'est une étoile, tandis que l'a- mour... l'amour eh bien ! je la tiens, la compa- raison — l'amour n'est qu'une bougie. Vous me di- rez qu'il y en a de plusieurs espèces...

D'amours?

Non ! de bougies, et que dans ces espèces il y en a de préférables : la rose, par exemple va pour la rose c'est la meilleure : mais, toute rose qu'elle est, la bougie s'use, tandis que l'étoile brille toujours. A cela vous me répondrez que quand la bougie est usée on en met une autre dans le flam- bea u .

Monsieur de Coconas, vous êtes un fat !

Là!

Monsieur de Coconas, vous êtes un imperti- nent!

Là! là!

Monsieur de Coconas, vous êtes un drôle!

Madame, je vous préviens que vous allez me faire regretter trois fois plus la Mole.

Vous ne m'aimez plus.

Au contraire, duchesse vous ne vous y con- naissez pas je vous idolâtre. Mais je puis vous aimer, vous chérir, vous idolâtrer, et, dans mes moments perdus, faire l'éloge de mon ami.

Vous appelez vos moments perdus ceux vous êtes près de moi, alors?

Que voulez-vous! ce pauvre la Mole, il est sans cesse présent à ma pensée.

Vous me le préférez, c'est Indigne ! Tenez, An- nibal, je vous déteste! Osez être franc, dites-moi que vous me le prêterez. Annibal, je vous prc'viens que si vous me préférez quelque chose au monde...

Henriette, la plus belle des duchesses! pour votre propre tranquillité, croyez-moi, no me faites point de questions indiscrètes. Je vous oime plus •|ue toutes les femmes, mais j'aime la Mole plus que tous les hommes.

Bien répondu, dit scuidain une voix étran- gère.

Et une tapisserie de damas soulevée devant un grand panneau, qui, en glissant dans l'épaisseur de la muraille, ouvrait une communication entre les deux appartements, laissa voir la Mole pris dans le cadre de cette' porte, comme un beau portrait du Titien dans sa bordure dorée.

La Mole! cria Coconas sans faire attention à Marguerite et sans se donner le temps de la romeN cicr de la surpris»' qu'elle lui avait ménagée; la Mole, mon ami ! ninn cher la Mole!

Et il s'élan(;a dans les bras de son ami, renver- sant le fauteuil sur lequel il était assis et la table i|ui se trouvait sur son chemin,

La Mole lui rendit avec effusion ses accolades; mais tout en les lui rendant :

Pardonnez-moi, madame, dii-il en s'adressanl à la duchesse de Nrvers, si inim nom prnnimcé en-

LA REINE MARGOT.

79

tre vous a pu quelquefois troubler votre charmant ménage; certes, ajouta-t-il en jetant un regard d'indicible tendresse à Marguerite, il n"a pas tenu à moi que je vous revisse plus tôt.

Tu vois, dit à son tour Marguerite, tu vois, Denriette, que j"ai tenu parole : le voici.

^~ Est-ce donc aux seules prières de madame la duchesse que je dois ce bonheur? demanda la Mole.

A ses seules prières, répondit Marguerite. Puis, se tournant vers la Mole ;

La Mole, continua-t-elle, je vous permets de ne pas croire un mot de ce que je dis.-

Pendant ce temps, Coconas, qui avait dix fois serré son ami contre son cœur, qui avait tourné vingt fois autour de lui, qui avait approché un can- délabre de son visage pour le regarder tout à son aise, alla s'agenouiller devant Marguerite et baisa le bas de sa robe.

Ah ! c'est heureux, dit la duchesse de Nevers; vous aile? me trouver supportable, à présent.

Mordi! s'écria Coconas, je vois vous trouver comme toujours, adorable, seulement je vous le di- rai de meilleur cœur; et puissé-je avoir une tren- taine de Polonais, de Sarmates, et autres barbares hyperboréons, pour leur faire confesser que vous êtes la reine des belles.

Eh ! doucement, doucement, Coconas, dit la Mole, et madame Marguerite donc...

Oh ! je ne m'en dédis pas, s'écria Coconas avec cet accent, demi-sérieux, demi-bouffon, qui n'ap- partenait qu'à lui, madame Henriette est la reine des belles, et madame Marguerite est la belle des reines.

Mais, quoiqu'il pût dire ou faire, le Piémon- tais, tout entier au bonheur d'avoir retrouvé son cher la Mole, n'avait des yeux que pour lui.

Allons, allons, ma belle reine, dit madame de Nevers, venez, et laissons ces parfaits amis causer une heure ensemble; ils ont mille choses à se dire qui viendraient se mett» en travers de notre con- versation. C'est dur pour nous, mais c'est le seul remède qui puisse, je vous en préviens, rendre l'en- tière santé à M. Annibal. Faites donc cela pour moi, ma reine! puisque j'ai la sottise d'aimer celte vi- laine tèle-là, comme dit son ami la Mole.

Marguerite glissa quelques mots à l'oreille de la Jlole, qui, si désireux qu'il fût de revoir son ami, aurait bien voulu que la tendresse de Coconas fût moins exigeante. Pendant ce temps, Coconas es- sayait, à force de protestations, de ramener un franc sourire et une douce parole sur les lèvres d'Henriette; résultat auquel il arriva facilement.

Alors les deux femmes passèrent dans la chambre à côté, les attendait le souper.

Les deux amis demeurèrent seulj.

Les premiers détails on le cornprend bien que demanda Coconas à son ami, furent ceuï de la fatale soirée qui avait failli lui coûter la vie. A me-

sure que la Mole avançait dans sa narration, le Pié- montais. qui, sur ce point, cependant, on le sait, n'était pas facile à émouvoir, frissonnait de tous ses membres.

Et pourquoi, lui demanda-t-il . au lieu de courir les champs comme tu l'as fait, et de me don- ner des inquiétudes que tu m'as données, ne t'es-tu point réfugié près de notre maître! Le duc, qui t'a- vait défendu, t'aurait caché. J'eusse vécu près de toi, et ma tristesse, quoique feinte, n'en eût pas moins abusé les niais de la cour.

Notre maître, dit la Mole à voix basse, le duc d'Alençon?

Oui . D'après ce qu'il m'a dit, j'ai croire que c'est à lui que tu dois la vie.

Je dois la vie au roi de Navarre, répondit la Mole.

Oh! oh! fit Coconas, en es-tu sûr?

A n'en point douter.

Oh ! le bon, l'excellent roi ! Mais le duc d'Alen- çon, que faisait-il, lui, dans tout cela?

11 tenait la corde pour m'élrongler.

Mordi ! s'écria Coconas, os-tu sûr de ce que tu dis, la Mole? Comment I ce prince pâle, ce ro- quet, ce pituiteux, étrangler mon ami ! ah ! mordil dès demain, je veux lui dire ce que je pense de cette action.

Es-tu fou?

C'est vrai, il recommencerait... Mais n'im- porte, cela ne se passera point ainsi.

.Allons, allons, Coconas, calme-toi, et tâche de ne pas oublier qu'onze heures et demie viennent de sonner et que tu es de service ce soir.

Je m'en soucie bien de son service! Ah ! bon, qu'il compte là-dessus ! Mon service ! Moi ! servir un homme qui a tenu la corde... Tu plaisantes!... Non!... C'est providentiel. 11 est dit que je devais te retrouver pour ne plus te quitter. Je reste ici.

Mais, malheureux, réfléchis donc, tu n'es pas ivre.

Heureusement ; car, si je l'étais, je mettrais le feu au Louvre.

Voyons, Annibal, reprit la Mole, sois raison- nable. Retourne là-bas. Le service est chose sa- crée.

Retournes-tu avec moi?

Impossible.

Penserait-on encore à te tuer?

Je ne crois pas. Je suis trop peu important pour qu'il y ait contre moi un complot arrêté, une résolution suivie. Dans un moment de caprice, on a voulu me tuer, et c'est tout ; les princes étaient en gaieté ce soir-là.

Que fais-tu alors?

Moi, rien : j'erre, je me promène.

Eh bien ! je me promènerai comme toi, j'er- rerai avec toi. C'est un charmant état. Puis, si l'on t'attaque, nous serons deux, et nous leur donnerons

80

LA REINE MARGOT.

Et il s ijlaiiça dans les bras de son ami. F»Oï 78.

du fil à retordre. Ah 1 ijn'il y vienne, ton insecte de duc! je le cloue (iiiiime un ji.ipillnn à In mu- raille!

Mais demande-lui un congé, au moins!

Oui, définitif.

l'ri'viens-lc (|U(^ tu li' i|uiltes, en ce cas.

Rien de plus juste. J"y consens, .le vais lui écrire.

Lui écrire, c'est bien leste, (ïoconas, à un prince du sang!

Oui, du sang! du sang de mon ami. Prends garde, s'écria Goconas en roulsnl ses gros yeux

tragiques, prends garde que je m'amuse aux chosM de l'étiquette.

Au fait, se dit la Mole, dans quelques jours il n'a>ira plus besoin du prince, ni de per-sonne; car, .s'il veut venir avec nous, nous l'enuiiènerons.

Coconas prit donc la plume sans plus longue op- position do sou ami; et, tout couramment, composa le morceau d^'loquence que l'on va lire.

(I Monseigneur, « Il n'est pas (pie Votre Altesse, versée dans Iw auteurs de l'antiquité comme elle l'est, ne con-

LA REINE MARGOT,

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Maître la Hurière porta au Louvre la respectueuse missive. P*ge 82.

naisse l'histoire touchante d'Oreste et de Pylade, qui étaient deux héros fameux par leurs malheurs et leur amitié. Mon ami la Mole n'est pas moins malheureux qu'Oreste, et moi je ne suis pas moins tendre que Pylade. Il a, dans ce moment-ci, de grandes occupations qui réclament mou aide. 11 est donc impossible que je me sépare de lui. Ce qui fait que, sauf l'approbation de Votre Altesse, je prends un petit congé, déterminé que je suis de m'atlacher à sa fortune, quelque part qu'elle me comluise : c'est dire à Votre Altesse combien est grande la vio- lence qui m'arrache de son service, en raison de

quoi je ne désespère pas d'obtenir mon pardon, j'ose continuer de me dire avec respect,

« De Votre Altesse royale, « Monseigneur,

« Le très-humble et très-obéissant (( Annibal, comte de Coconas, « ami inséparable de M. de la Mole. »

Ce chef-d'œuvre terminé, Coconas le lut à haute voix à la Mole, qui haussa les épaules.

Eh bien ! qu'en dis-tu? demanda Coconas, qui

^%t%. ^ lirp de BBY alcf, Dour^vtri Hoeip«r»aste, Mi

62

LA REINE MARGOT.

n'avait pas vu le mouvement, ou qui avait fait sem- blant (le ne pas le voir.

Je dis, répondit la Mole, que M. d'Âlcnçon va se moquer de nous.

De nous ?

Conjointement.

Cel.i vaut encore mieux, co mo semble, que de nous étrangler séparément.

Bah ! dit la Mole en riant, l'un n'cmpôcliera peut-être point raiitre.

Eh jjien! tant pis, arrive qu'arrive-, j'envoie la lettre demain matin. allons-nous coucher en sortant d'ici?

Chez maître la Ilnriôro. Tu sais, dans celte

petite chambre tu voulais me daguer quand nous n'étions pas enrore Oreste et Pylade!

Bien, je ferai porter ma lettre au Louvre par notre hôte.

En ce moment le panneau s'ouvrit.

Eh bien ! demandèrent ensemble les deux princesses, en sont Pylade et Oreste?

Mordi ! madame, répondit Coconas, Pylade et Oreste meurent de faim et d'amour.

Co fut effectivement maître la Ilurière qui, lo lendemain, à neuf heures du matin, porta au Lou- \Te la respectueuse missive de maître Ânnibal de Coconas.

im^rss9>-o-

XVI

onTnoN,

enri, même après le refus du duc d'Alcnçon, qui re- mettait tout en question, jusqu'à son oxislcncc, était devenu, s'il était possible, encore plus grand ami du prince qu'il ne l'était au- paravant.

Catherine conclut de cette intimité que les deux princes, non-seulement s'ontcnihiienl, mais encore conspiraii'nl ensemble. Elle interrogea hi-dcssus Marguerite, mais Marguerite était sa digne (illo; et la reine de Navarre, dont le principal talent était d'éviter une explication scabreuse, se garda si iiien des questions de sa mère, (ju'après avoir répondu à toutes elle la laissa plus embarrassco qu'aupara- vant.

La Florentino n'eut donc plus pour la conduire que cet instinct intrigant qu'elle avait apporté do la Toscane, le plus intrigant des petits Etals de celle dpoque, cl ce sentiment do haine qu'elle avait puise ù la cour de France, (pii était la cour la plus divi- sée d'intén'is ol d'opinions de ce temps.

Elle comprit rrahonl qu'une partie de la force <lu Béarnais lui venait de son alliance avec le duc d'A- lcnçon, et elle résolut do l'isoler.

Du jour elle eut pris cette résolution, cllo en- toura son lils aveu la patience cl lo talent du pô-

chcur, qui, lorsqu'il a laissé tomber les plombs loin du poisson, les traîne insensiblement jusqu'à ce que de tous côtés ils aient enveloppé sa proie.

Le duc François s'aperçut de ce redoublement de caresses, et, de son côté, fit un pas vers sa mère. Quant h Henri, il feignit de ne rien voir et sur- veilla son allié de plus près qu'il n'avait fait en- core.

Chacun attendait un événement.

Or. tandis (]uc chacun éiait dans l'attente de cet événement, certain pour les uns, probable pour les aiUres, un matin que le soleil s'était levé rose et dis- tillant cette tiède chaleur et ce doux parfum qui an- noncent un beau jour, un homme pâle, appuyé sur un bâton et marchant péniblement, sortit d'une pe- tite maison sise derrière l'Arsenal, et s'achemina par la rue du IVlit-Musc.

Vers la porto Saint-Antoine, et «près avoir longé celle promenade qui tiiurnnil comme une prairie marécageuse autour des fossés de la Itasiillo, il laissa le grand boulevard A sa goucho et entra dans le jardin de l'Arbalète, dont le concierge le reçut avec de graniles saliilalions.

Il n'y avait personne dans ce janlin, qui, romm« l'indique .son nom, appartenait A une société parii- rnli^ro : celle des orbaiétriers. Mais, y eût-il des promeneurs, rhommo pâle était digne de tout leur intérêt, car sa longue moustache, son pas qui con-

LA REINE MARGOT.

83

servait une allure militaire, bien qu'il fût ralenti par la souffrance, indiquaient assez que c'était quel- que officier blessé dans une occasion récente qui essayait ses forces par un exercice modéré et repre- nait la vie au soleil.

Cependant, chose étrange! lorsque le manteau dont, malgré la chaleur naissante, cet homme en apparence inoffensif était enveloppé s'ouvrait, il laissait voir deux longs pistolets pendant aux agra- fes d'argent de sa ceinture, la([uellc serrait en ou- tre un large poignard et soutenait une longue épée qu'il semblait ne pouvoir tirer, tant elle était colos- sale, et qui, complétant cet arsenal vivant, battait de son fourreau deux jambes amaigries et trem- blantes. En outre, et pour surcroît de précautions, le promeneur, tout solitaire qu'il était, lançait à chaque pas un regard scrutateur, comme pour in- terroger chaque détour d'allée, chaque buisson, chaque fossé.

Ce fut ainsi que cet homme pénétra dans le jar- din, gagna pa siblement une espèce de petite ton- nelle donnant sur les boulevards, dont il n'était sé- paré que par une haie épaisse et un petit fossé qui formait sa double clôture. Là, il s'étendit sur un banc de gazon à portée d'une table le gardien de l'établissement, qui joignait à son litre de concierge l'industrie de gargotier, vint au bout d'un instant lui apporter une espèce de cordial.

Le malade était depuis dix minutes, et avait à plusieurs reprises porté à sa bouche la tasse de faïence dont il dégustait le contenu à petites gor- gées, lorsque tout à coup son visage prit, malgré l'intéressante pâleur qui le couvrait, une expression effrayante. Il venait d'apercevoir, venant du la Croix-Faubin, par un sentier qui est aujourd'hui la rue de Naples, un cavalier enveloppé d'un grand manteau, lequel s'arrêta proche du bastion et at- tendit. »

Il y était depuis cinq minutes, et l'homme au vi- sage pâle, que le lecteur a peut-être déjà reconnu pour Maurevel, avait à peine eu le temps de se re-. mettre de l'émotion que lui avait causée sa présence, lorsqu'un jeune homme au justaucorps serré comme celui d'un page arriva par le chemin qui fut de- puis la rue des Fossés-Saint-Nicolas et rejoignit le cavalier.

Perdu dans sa tonnelle de feuillage, Matirevel pouvait tout voir et même tout entendre sans peine, et, quand on saura que le cavalier était de Mouy, et le jeune homme au justaucorps serré Orllion, on ju- gera si les oreilles et les j'eux étaient occupés.

L'un et l'autre regardèrent autour d'eux avec la plus minutieuse attention, Maurevel retenait son souffle.

Vous pouvez parler, monsieur, dit le premier Orthon, qui, étant le plus jeune, était le plus con- fiant, personne ne nous voit ni ne nous écoute.

C'est bien, dit de Mouy, tu vas aller cli"?. ma-

dame de Sauve, tu remettras cq billet à elle-même, si tu la trouves chez elle : si elle nV est pas, tu le déposeras derrière le miroir le roi avait l'habi- tude de mettre les siens; puis tu attendras dans le Louvre. Si l'on te donne une réponse, tu l'apporte- ras où tu sais : si tu n'en as pas, tu viendras me chercher ce soir avec un poitriual à l'endroit que je t'ai désigne et d'où je sors-.

Rien, dit Orthon ; je sais.

Moi, je te quitte ; j'ai fort affaire pendant toute la journée. Ne le hâte pas, loi, ce sérail inutile; tu n'as pas besoin d'arriver au Louvre avant qu'j/ y soit, et je crois qu'i/ prend une leçon de chasse au vol ce matin." Va, et montre-toi hardiment. Tu es rétabli, tu viens remercier madame de Sauve des bontés qu'elle a eues pour toi pendant ta convales- cence. Va, enfant, va.

-Maurevel écoutait, les yeux, les cbevcux hérissés, la sueur sur le front. Son premipr mouvement avait été de détacher un pistolet de son agrafe et d'ajuster de Mouy, mais un mcuvement qui avait cntr'ouvert son manteau lui avait montré sous ce manteau une cuirasse bien ferme et bien solide. Il était donc probable ({ue la balle s'aplatirait sur celte cuirasse, ou qu'elle frapperait dans quelque endroit du corps la blessure qu'elle ferait ne se- rait pas mortelle. D'ailleurs, il pensa que de Mouy, vigoureux et bien armé, aurait bon marché de lui, blessé comme il l'était, et, avec un soupir, il letira à lui son pistolet, déjà étendu vers le huguenot.

Quel malheur, murmura-l-il, de ue pouvoir l'abattre ici, sans autre témoin que ce brigandcau. à qui mon second coup irait si bien!

Mais en ce moment Maurevel réfléchit que ce bil- let donné à Orthon, et qu'Orlhon devait remettre à madame de Sauve, était peut-êlre plus important .que la vie même du chef huguenot.

Ah! dit-il, lu m'échappes encore ce matin; soit. Eloigno-loi sain et sauf, mais j'aurai mon tour demain : dussé-je te suivre jusque dans l'enfer, dont tu es sorti pour me perdre si je ne le perds.

En ce moment, de Mouy croisa son manteau sur son visage et s'éloigna rapidement dans la dircclion des marais du Temple. Orthon reprit les fossés qui le conduisaient au bord de la rivière.

Alors Maurevel, se soulevant avec plus de vigueur et d'agilité qu'il n'osait l'espérer, regagna la rue de la Cerisaie, rentra chez lui, fit seller un cheval, et, loul faible qu'il était, au risque de rouvrir ses bles- sures, prit au galop la rue Saint-Antoine, gagna les quais et s'enfonça dans le Louvre.

Cinq minutes après qu'il eut disparu sous le gui- chet, Catherine savait tout ce (|ui venait de se pas- ser, et Maurevel recevait bs mille écus d'or qui lui avaient été promis pour l'arrestalion du roi de Na- varre.

Oh ! dit alors Catherine, ou ie me trompe bien,

84

LA REINE MARGOT.

ou ce de Mouy sera la tache noire que René a trou- vée dans l'horoscope de ce Béarnais maudit.

Un quart d'heure après Maurevel, Orthon entrait au Louvre, se faisait voir comme le lui avait re- commandé de Mouy, et gagnait l'appartement de madame de Sauve après avoir parlé à plusieurs commensaux du palais.

Bariole seule était chez sa maîtresse, Catherine venait de demander cette dernière pour transcrire certaines lettres importantes, et, depuis cinq minu- tes, elle était chez la reine.

C'est bien, dit Orthon, j'attendrai.

Et. proGtant de sa familiarité dans la maison, le jeune homme passa dans la chambre à coucher de la baronne, et, après s'être bien assuré qu'il était seul, il déposa le billet derrière le miroir.

Au moment même il éloignait sa main de la glace, Catherine entra. «

Orthon pâlit, car il semblait que le regard rapide et perçant de la reine mère s'était tout d'abord porté sur le miroir.

Que fais-tu là, petit, demanda Catiierine. ne cherches-tu point madame de Sauve?

Oui, madame; il y avait longtemps que je ue l'avais vue, et, en tardant encore à la venir remer- cier, je craignais de passer pour un ingrat.

( Tu l'aimes donc bien, cette chère Charlotte?

Be toute mon âme, madame.

Et tu es fidèle, à ce qu'on dit?

Votre Majesté comprendra que c'est une chose bien naturelle quand elle saura que madame de Sauve a eu de moi des soins que je ne méritais pas, n'étant qu'un simple serviteur.

Et dans quelle occasion a-t-ellc eu de toi ces soins? demanda Catherine feignant d'ignorer l'évé- nement arrivé au jeune garçon.

Madame, lorsque je fus blessé.

Ah! pauvre eafant! dit Catherine, tu as été blessé ?

(iui, madame.

Et quand cela?

Le .soir l'on vint pour arrêter le roi de Na- varre. J'eus si grand'peur en voyant îles soldats, que je criai, j'appelai ; l'un d'eux me donna un coup sur la tête et je tombai évanoui.

Pauvre garçon! et te voilà bien rrialili main- tenant?

Oui, madame.

De .sorti' que tu cherches le roi de Navarre pour rentrer chez lui?

Non, madame. Le roi de Navarre ayant appris que j'avais osé résister aux ordres de Vntro Majcsti'. m'a chassi! sans miséricorde.

Vraiment! dit Calherinc avec une ititonatiou pleine d'intérêt. Eh bien! je me charge de cette af- faire. Mais, .si tu attends madame de Sauve, tu l'al- tondnis inulilemiut ; elle est occupée au-dessous d'ici, ('liez Miiii, dans mon cabiuol.

Et Catherine, pensant qu'Orthon n'avait peut- être pas eu le temps de cacher le billet derrière la glace, entra dans le cabinet de madame de Sauve pour laisser toute liberté au jeune homme.

Au même moment, et comme Orthon, inquiet de cette arrivée inattendue de la reine mère, se deman- dait si cette arrivée ne cachait pas quelque com- plot contre sou maître, il entendit frapper trois pe- tits coups au plafond ; c'était le signal qu'il devait lui-même donner à son maître dans le cas de dan- ger quand son maître était chez madame de Sauve, et qu'il veillait sur lui.

Ces trois coups le firent tressaillir, une révéla- lion mjstérieuse l'éclaira ; et il pensa que cette fois l'avis était donné à lui-môme; il courut donc au mi- roir, et en retira le billet qu'il y avait déjà posé.

Catherine suivait, à travers une ouverture de la tapisserie, tous les mouvements de l'enfant; elle le vit s'élancer vers le miroir, mais elle ne sut si c'é- tait pour y cacher le billet ou pour l'en retirer.

Eh bien ! murmura l'impatiente Florentine, pourquoi tarde-t-il donc maintenant à partir?

Et elle rentra aussitôt dans la chambre le visage souriant.

Encore ici, petit garçon? Eh bien! mais qu'at- tends-tu donc? Ne t'ai-je pas dit que je prenais en main le soin de ta petite fortune? Quand je te dis une chose, en doutes-tu?

0 madame, Bieu m'en garde ! répondit Or- thon.

Et l'enfant, s'approchant de la reine, mit un ge- nou en terre, baisa le bas de sa robe, et sortit rapi- dement.

En sortant, il vit dans l'antichambre le capitaine des gardes qui attendait Catherine. Cette vue n'était point faite pour éloigner ses soupçons, aussi ne fit- elle que les redoubler.

Be son côté, Catherine n'eut pas plutôt vu la ta- pisserie de la portière retomber derrière Orthon, qu'elle s'élança vers le miroir. Mais ce fut inutile- mont qu'elle plongea derrière lui sa main trem- blante d'impatience, elle ne trouva aucun billet.

Et, cependant, elle était sûre d'avoir vu l'enfant s'approcbor du miroir. C'i-tail donc pour reprendre rt non pour déposer. La fatalili' donnait une force (igale à ses adversaires. Un enfant devenait un homme du moment il luttait contre elle.

Elle remua, regarda, sonda, rien!...

Oh! le m.Tlhcun'tix 1 s'écria-t-elle. Je ne lui voulais cependant pas de mal. et voilà qu'en roti- rnnl le billet il va au-devant de sa destinée. Holà! M. de N'ancey, holà !

La Voix vibrante di' la ri'iiic lucic traversa le sa- lon et pi'ncira jus(|ue ilaiis l'aniichambrc se te- nait, nous l'avons dit, le capitaine des gardes.

M. de Nancey accourut.

Me voilà, dit-il. madame. Que désire Votre Ma- jesté?

LA REINE MARGOT.

83

Vous êles dans l'antichambre?

Oui, madame.

Vous avez vu sortir un jeune homme, un en- fant?

A l'instant même.

Il ne peut être loin encore?

A moitié de l'escalier à peine.

Rappelez-le.

Comment se nomme-t-il?

Orthon. S'il refuse de revenir, ramenez-ie de force. Cependant, ne l'effrayez point, s'il ne fait au- cune résistance. Il faut que je lui parle à l'instant même.

Le capitaine des gardes s'élança.

Comme il l'avait prévu, Orthon était à peine à moitié de l'escalier; car il descendait lentement dans l'espérance de rencontrer dans l'escalier ou d'aper- cevoir dans quelque corridor le roi de Navarre ou madame de Sauve.

Il s'entendit rappeler et tressaillit.

Son premier mouvement fut de fuir; mais, avec une puissance de réflexion au-dessus de son âge, il comprit que s'il fuyait il perdait tout.

11 s'arrêta donc.

Qui m'appelle?

Moi, M. de Nancey, répondit le capitaine des gardes en se précipitant par les montées.

Mais je suis bien pressé, dit Ortiion.

De la part de Sa Majesté la reine mère, reprit M. de Nancey en arrivant prés de lui.

L'enfant essuya la sueur qui coulait sur son front et remonta.

Le capitaine le suivit par derrière.

Le premier plan qu'avait formé Catherine était d'arrêter le jeune homme, de le faire fouiller et de s'emparer du billet dont elle le savait porteur; en con- séquence, elle avait songé à l'accuser de vol, et déjà avait détaché de la toilette une agrafe de diamants dont elle voulait faire peser la soustraction sur l'en- fant; mais elle réfléchit que le moyen était dange- reux, en ceci qu'il éveillait les soupçons du jeune homme, lequel prévenait son maître, qui alors se défiait, et, dans sa défiance, ne donnait point prise sur lui.

Sans doute elle pouvait faire conduire le jeune homme dans quelque cachot; mais le bruit de l'ar- restation, si secrètement qu'elle se fît, se répandait dans le Louvre, et un seul mot de cette arrestation mettait Henri sur ses gardes.

Il fallait cependant à Catherine ce billet, car un billet de M. de Mouy au roi de Navarre, un billet recommandé avec tant de soins, devait renfermer toute une conspiration.

Elle replaça donc l'agrafe pu elle l'avait prise.

Non, non, dit-elle, idée de sbire, mauvaise idée. Mais pour un billet... qui peut-être n'en vaut pas la peine, continua-telle en fronçant les sour- cils et en parlant si bas qu'elle-même pouvait à

peine entendre le bruit de ses paroles. Eh ! ma foi, ce n'est point ma faute; c'est la sienne. Pourquoi le petit brigand n'a-t-il point mis le billet il devait le mettre? Ce billet, il me le faut.

En ce moment, Orthon rentra .

Sans doute le visage de Catherine avait une es- pression terrible, car le jeune homme s'arrêta pâ- lissant sur le seuil. Il était encore trop jeune pour être parfaitement maître de lui-même.

Madame, dit-il, vous m'avez fait l'honneur de me rappeler; en quelle chose puis-je être bon à Vo- tre Majesté?

Le visage de Catherine s'éclaira, comme si un rayon de soleil fût \enu le mettre en lumière.

Je t'ai fait rappeler, enfant, dit-elle, parce que ton visage me plaît, et que, t'ayant fait une pro- messe, celle de m'occuper de ta fortune, je veux te- nir cette promesse sans retard. On nous accuse, nous autres reines, d'être oublieuses. Ce n'est pomt notre creur qui l'est, c'est notre esprit emporté par les événements. Or, je me suis rappelé que les rois tiennent dans leurs mains la fortune des hommes, et je t'ai rappelé. Viens, mon enfant, suis-moi.

M. de Nancey, qui prenait la scène au sérieux, re- gardait cet attendrissement de Catherine avec un grand étonnement.

Sais-tu monter à cheval, petit? demanda Ca- raanda Catherine.

Oui, madame.

En ce cas, viens dans mon cabinet. Je vais te remettre un message que tu porteras à Saint-Ger- main.

Je suis aux ordres de Votre Majesté.

Faites-lui préparer un cheval, Nancey. M. de Nancey disparut.

Allons, enfant, dit Catherine.

Et elle marcha la première. Orthon la suivit.

La reine mère descendit un étage, puis elle s'en- gagea dans le corridor étaient les appartements du roi et du duc d'Aleuçon, gagna l'escalier tournant, descendit encore un étage, ouvrit une porte qui aboutissait à une galerie circulaire dont nul, ex- cepté le roi et elle, n'avait la clef, fit entrer Or- thon, entra ensuite, et tira derrière elle la porte. Cette galerie entourait comme un rempart certaines portions des appartements du roi et de la reine mère. C'était comme la galerie du château Saint- Ange à Rome et celle du palais Pitti à Florence, une retraite ménagée en cas de danger.

La porte tirée, Catherine se trouva enfermée avec le jeune homme dans ce corridor obscur. Tous deux firent une vingtaine de pas, Catherine marchant de- vant, Orthon suivant Catherine.

Tout à coup, Catherine se retourna, et Orthon re- trouva sur son visage la même expression sombre qu'il y avait vue dix> minutes auparavant. Ses yeux ronds, comme ceux d'une chatte ou d'une panthère, semblaient jeter Hu feu dans l'obscurité.

80

LA REINE MARGOT.

Arrête! dit-elle.

Ortlion sentit un frisson courir dans ses épaules, un froid mortel, pareil à un manteau de glace, tom- bait de cette voûte. Le parquet semblait morne, comme le couvercle d'une tombe. Le regard de Ca- therine était aigu, si cela peut se dire, et pénétrait dans la poitrine du jeune homme.

11 se recula eu se rangeant tout tremblant contre la muraille.

est le billet que tu étais chargé de remet- tre au roi de Navarre?

Le billet? balbutia Orthon.

Oui, ou de déposer en son absence derrière le miroir?

Moi, madame, dit Orthon; je ne sais ce que vous voulez dire.

Le billet que de Mouy t'a remis, il y a une heure, derrière le jardin de l'Arbalète.

Je n'ai pas de billet, dit Orthon, Votre Majesté se trompe bien certainement.

Tu mens, dit Catherine, donne le billet, et je tiens la promesse que je t'ai faite.

Laquelle, madame?

Je t'enrichis.

Je n'ai point de billet, piadame, reprit l'en- fant.

Catherine commença un grincement de dents qui s'acheva par un sourire.

Veux-tu me le donner, dit-elle, et tu auras mille écus d'or?

Je n'ai pas do billet, madame.

Deux mille écus.

Impossible. Puisque je n'en ai pas, je ne i)uis vous le donner.

Dix mille écus, Orthon.

Orthon, qui voyait la colère monter comme une Biarée du cœur au front de la reine, pensa qu'il n'a- vait qu'un moyen de sauver son maitre, c'était d'a- valer le billet. Il porta la main à sa poche. Cathe- rine devina son intention et arrêta sa main.

Allons, enfant, dit-elle en riant. Bien, tu es fidèle. Quand les rois veulent s'attaciier un servi- teur, il n'y a point de mal qu'ils s'assurent si c'est un cœur dévoué. Je sais à quoi m'en tenir sur toi ntaintenant. Tiens, voici ma bourse comme |)re- mière récompense. Va jiorter ce billet à ton maiirc, et annonce-lui qu'à partir d'aujourd'hui lu es à mon service. Va, tu peux sortir sans moi par la porte qui nous a donné passage ; elle s'ouvre en de- dans.

Va, Catherine, déposant la bour.se dans la main i!u jeune homme stupi'fail, lit quelques pas en avant et posa sa main sur le mur.

Cep(;ndaiil le joune honiiiie demeurait debout et lié.silanl. Il ne pouvait croire que. le ihmger (|u'il dvail senti s'abattre sur sa tO.lesc fût éloigné.

Allon.s, ne tremble donc pas ainsi, dit Cathe- rine, ne t'ai-je pas dit uuo lu étais libre de t'en al-

ler, et que, si tu voulais revenir, ta fortune serait faite?

Merci, madame, dit Orthon. Ainsi, vous me faites grâce?

Il y a plus, je te récompense; tu es un bon por- teur de billet doux, un gentil messager d'amour, seulement, tu oublies que ton maitre t'attend.

Ah ! c'est vrai, dit le jeune homme en s'élan- çant vers la porte.

Mais à peine eut-il fait trois pas que le parquet manqua sous ses pieds. 11 trébucha, étendit les deux mains, poussa un horrible cri, et disparut abimé dans l'oubliette du Louvre, dont Catherine venait de pousser le ressort.

Allons, murmura Catherine, maintenant, grâce à la ténacité de ce drôle, il me va falloir des- cendre cent cinquante marches.

Catherine rentra chez elle, alluma une lanterne sourde, revint dans le corridor, replaça le ressort. ouvrit la porte d'un escalier à vis qui semblait s'en- foncer dans les entrailles de la terre; et, pressée par la soif insatiable d'une curiosité qui n'était que le ministre de sa haine, elle parvint à une porte de fer qui s'ouvrait en retour et donnait sur le fond de l'oubliette.

C'est que, sanglant, broyé, écrasé par une chute de cent pieds, mais cependant palpitant encore, gi- sait le pauvre Orthon. Derrière l'épaisseur du mur on entendait rouler l'eau de la Seine, qu'une infil- tration souterraine amenait jusqu'au fond de l'esca- lier.

Catherine entra dans la fosse humide et nau- séabonde qui, depuis qu'elle existait, avait être témoin de bien des chutes pareilles à celle qu'elle venait de voir, fouilla le corps, saisit la lettre, s'as- sura que c'était bien celle qu'elle désirait avoir, re- poussa du pied le cadavre, ap|)uya le |)ouce sur un ressort; le fond bascula, et le cadavre glissant, em- porté par son propre poids, disparut dans la direc- tion de la rivière.

Puis, refermant la porte, elle remonta, s'enferma dans son cabinet, et lut le billet qui était conçu en CCS termes :

« Ce soir, a dix heures, rue de l'Arbrc-Sec, hô- « tel delà Belle-Étoile. Si vous venez, ne répondez « rien ; si vous ne venez pas. dites «o.n au porteur.

« Dt MOUÏ DE SaIM-PhaLE. Il

Kn lisant ce billot, il n'y avait (|u'un sourire sur les lèvres de Catherine; elle songeait seuleuienl à la victoire qu'elle allait remporter, oubliant coinplële- nient à i|uel prix elle aciu'lait celle victoire.

Mais aussi, qu'élàil-ce qii'tlrlhon? Un civur li- déle, une âme dévouée, un enfant jeune ol beau; voilà tout.

Cela, on le pense bien, ne pouvait pas faire peu-

LA REINE MARGOT.

87

cher un instant le plateau de cette froide balance se pèsent les destinées des empires.

Le billet lu, Catherine remonta immédiatement chez madame de Sauve et le plaça derrière le mi- roir.

Eo descendant, elle retrouva à l'entrée du corri- dor le capitaine des gardes.

Madame, dit M. de Nancey, selon les ordres qu'a donnés Votre Majesté, le cheval est prêt.

Mon cher baron, dit Catherine, le cheval est inutile, j'ai fait causer ce garçon, et il est véritable- ment trop sot pour le charger de l'emploi que je lui voulais confier. Je le prenais pour un laquais, et c'é-

tait tout au plus un palefrenier; je lui ai donné

quelque argent et l'ai renvoyé par le petit guichet.

Mais, dit M. de Nancey, cette commission?

Cette commission? répéta Catherine.

Oui, qu'il devait faire à Saint-Germain, Votre Majesté veut-elle que je la fasse, ou que je la fasse faire par quelqu'un de mes hommes?

Non, non, dit Catherine, vous et vos hommes aurez ce soir autre chose à faire.

Et Catherine rentra chez elle, espérant bien ce soir tenir entre ses mains le sort de ce damné roi de Navarre.

IVII

L'HOTELLERIE DE ta BELLE - ÉTOILE.

.eux heures après l'événe- ment que nous avons ra- conté, et dont nulle trace n'était restée mf me sur la figure de C.itherine, ma- dame de Sauve, ayant fini son travail chez la reine, remonta dans son apparte- ment; derrière elle Henri rentra, et, ayant su de Dariole qu'Ortlion était venu, il alla droit à la glace et prit le billet.

Il était, comme nous l'avons dit, conçu en ces termes :

« Ce soir, à dix heures, rue de r.\rbre-Sec, hô- « tel de la Belle-Etoile; si vous venez, ne rcpùnilez « rien. Si vous ne venez pas, dites ^o:^ au porteur. « De Modt de Saint-Phale. »

De suscription, il n'y en avait point.

Henri ne manquera pas d'aller au rendez-vous, dit Catherine, car, eût-il envie de n'y point aller, il ne trouvera plus maintenant le porteur pour lui dire non.

Sur ce point, Catherine ne s'était pas trompée. Henri s'informa d'Orlhon, Dariole lui dit qu'il était sorti avec la reine mère; mais, comme il trouva le billet à sa place, et qu'il savait le pauvre enfant in- capable de trahison, il ne conçut aucune inquié- tude.

11 dina comme de coutume à la table du roi, qui railla fort Henri sur les maladresses qu'il avait fai- tes dans la matinée à la chasse au vol. Henri s'ex- cusa sur ce qu'il était homme de montagne et non homme de la plaine, mais il promit à Charles d'étU' dier la volerie.

Catherine fut charmante, et, en se levant ta-

LA REINE MARGOT.

Me, pria Marguerite de lui tenir compagnie toute la soirée.

A huit heures, Henri prit deux gentilshommes et sortit avec eux par la porte Saint-Honoré, fit un long détour, rentra par la tour de Bois, passa la Seine au bac de Nesle, remonta jusqu'à la rue Saint- Jacques, et il les congédia, comme s'il pût été en aventure amoureuse. Au coin de la rue des Mathu- rins, il trouva un homme à cheval enveloppé d'un manteau; il s'approcha de lui.

Mantes, dit l'homme.

Pau, répondit le roi.

L'homme mit aussitôt pied à terre. Henri s'enve- loppa du manteau qui était tout crotté, monta sur le cheval, qui était tout fumant, revint par la rue de la Harpe, traversa le pont Saint-Michel, enfila la rue Barthélémy, passa de nouveau la rivière sur le Pontaux-Meuniers, descendit les quais, prit la rue de l'Arbre-Sec, et s'en vint heurter à la porte de maître la Hurière.

La Mole était dans la salle que nous connaissons et écrivait une longue lettre d'amour à qui vous sa- vez.

Coconas était dans la cuisine avec la Hurière, re- gardant tourner six perdreaux et discutant avec son ami l'hûtelier sur le degré de cuisson auquel il était convenable de tirer les perdreaux de la broche.

Ce fut en ce moment qu'Henri frappa. Grégoire alla ouvrir et conduisit le cheval à l'écurie tandis que le voyageur entrait en faisant résonner ses bot- tes sur le plancher, comme pour réchauffer ses pieds engourdis.

Eh ! maître la Hurière, dit la Mole tout en écrivant, voici un gentilhomme qui vous demande.

La Hurière s'avança, toisa Henri des pieds à la tête, et comme son manteau de gros drap ne lui inspirait pas une grande vénération :

Qui êtesvous? demanda-t-il au roi.

Eh! sang-dieu! dit Henri montrant la Molo, monsieur vient de vous le dire, je suis un gentil- homme de Gascogne qui vient à Paris pour se pro- duire à la cour.

Que voulez-vous?

Une chambre et un souper.

Hum ! lit la Hurière, avez-vous un laquais? C'était, on le sait, la question habituelle.

Non, répondit Henri; mais j<^ compte bii'ii rn prendre un dès ([ue j'aurai fait fortune.

.le ne loue pas de chainlire de maître sans chambre de laiiuais, dit la Hurière.

Mfime si je vous offre do vous payer vntre chambre et votre souper un noble à la rose, quitte à faire notre prix demain'?

Oh! oh! vous rirs bien gi'iiéri'Mx, iiKin genlil- homme! dit la Hurière en regardant Henri avec dé- fiance.

Non ; mais, d.ius la iToynnre i[ui' je passerais la soirée et la nuit dans votre hriicl, que m'avait

fort recommandé un seigneur de mon pays, qui l'habite, j'ai invité un ami à venir souper avec moi. Avez-vous du bon vin d'Arbois?

J'en ai. que le Béarnais n'en boit pas de meil- leur.

Bon, je le paye à part. Ah ! justement, voici mon convive.

Effectivement, la porte venait de s'ouvrir et avait donné passage à un second gentilhomme de quel- ques années plus âgé que le premier, traînant à son côté une immense rapière.

Ah! ah! dit-il, vous êtes exact, mon jeune ami. Pour un homme qui vient de faire deux cents lieues, c'est beau d'arriver à la minute.

Est-ce votre convive? demanda la Hurière.

Oui, dit le premier venu en allant au jeune homme à la rapière et en lui serrant la main ; ser- vez-nous à souper.

Ici, ou dans votre chambre?

vous voudrez.

Maître, fit la Mole en appelant la Hurière, dé- barrassez-nous de ces figures de huguenots; nous ne pourrions pas, devant eux, Coconas et moi, dire un mot de nos affaires.

Dressez le souper dans la chambre numéro 2, au troisième, dit la Hurière. Montez, messieurs, montez.

Les deux voyageurs suivirent Grégoire, qui mar- cha devant eux en les éclairant.

La Mole les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils eus- sent disparu ; et, se retournant alors, il vit Coconas, dont la lèle sortait de la cuisine. Deux gros veux fixes et une bouche ouverte donnaient à celte tête un air d'étonnonient remarquable.

La Mole s'approcha de lui.

Mordi ! lui dit Coconas. as-tu vu?

Quoi?

Ces deux gentilshommes.

Eh bien?

Je jurerais que c'est...

Qui?

Mais... le roi de Navarre et l'homme au man- teau rouge.

Jure si tu veux, mais pas trop haut.

Tu as donc reconnu aussi ?

Certainement.

Que viennent-ils faire ici?

Tune devines pas? Quelque affaire d'amou- rettes.

Tu crois?

J'en suis sûr.

La Mole, j'aime mieux des coups d'épée que ces amourettes-là. Jc> voulais jurer tout à l'heure, je [larie m;iinlenanl.

Que paries-lu?

Qu'il s'agit de quelque conspiration.

Bah! lu es fou.

El moi, je te dis...

LA REINE MARGOT.

89

iTZ.

Il vit Cocon.is, ilonl la lèle sorinit lie l:i tuisiin'. P*cf: S8

Je te dis que s'ils conspirent cela les regarde.

Ah ! c"est vrai. Au fait, dit Coconas, je ne suis plus à M. d'Alençon; qu'ils s'arrangent comme bon leur semblera.

Et, comme les perdreaux paraissaient arrives au degré de cuisson les aimait Coconas, le Piéraon- tais, qui comptait en faire la meilleure portion de son dîner, appela maitre la Hurière pour qu'il les tirât de la broche.

Pendant ce temps, Henri et de Mouy s'installaient dans leur chambre.

Eh bien ! sire, dit de Mouy quand Grégoire eut dressé la table, vous avez vu Orthon?

P*ri8. - Iwy. IsHY ..ID- loultviri Monlparnass-?, 81.

Non ; mais j'ai eu le billet qu'il a déposé au miroir. L'enfant aura pris peur, à ce que je pré- sume; car la reine Catherine est venue tandis qu'il était là, si bien qu'il s'en est allé sans m'attendre. J'ai eu un instant quelque inquiétude, car Darinje m'a dit que la reine mère l'a fait longuement cau- ser.

Oh! il n'y a pas de danger, le drùle est adroit; et, quoique la reine mère sache son métier, il lui donnera du fil à retordre, j'en suis sûr.

Et vous, de Mouy, l'avez-vous revu? demanda Henri.

Non, mais je le reverrai ce soir : à minuit il

90

LA REI.XE MARGOT.

doit me revenir prendre ici avec un bon poitrinal ; il nie contera cela en nous en allant.

Et riiomme qui était au coin île la rue des iJIalhurins?

Quel homme?

L'homme dont j'ai le cheval et le manteau, en Clos-vous sûr?

C'est un de nos plus dévoues. D'ailleurs, il no connaît pas Votre Majesté, et il icrnore à qui il a eu affaire.

Nous pouvons alors causer de iios affaires en toute tranquillité.

Sans aucun doute. D'ailleurs la Mole fait le guet.

A merveille.

Eh bien! sire, que dit .M. d'Alençon?

M. d'Alençon ne veut plus partir, de Mouy, il s'est expli(|ué nellenicnt à ce sujet, ii'éleclion du duc d'Anjou au trône de Pologtie et l'indisposition du roi ont cbanRé tous ses desseins.

Ainsi, c'est lui qui a fait raaiiqUer tout notre plan'.'

Oui.

Il holis trahit, alors?

l'as encore; mais il nous trahira à la pre- mière occasion qu'il trouvera.

Cœur lâche, esprit perfide^ povrquoi n'a-t-il pas répondu aux lettres que je lui ai écrites?

Pouf avoir des preuves et n'en pas donner. En attendant, tout est perdu, n'est-ce pas, de Mouy?

Au contraire, sire, toiii êS't gagné. Voiis savez liicn que le parti tout cntiei^, hioins la fraclioh du prince de Condé. était pour vous, et ne se servait du duc avec lequel il avait eu l'air de se mettre eh re- lation, que comme d'une sauvegarde. Eh bien! de- puis le jour de la cérérllttlilé, j'ai tout ielié; tout rattaché n voiis. Cent hnninies vous suffishieni pour fuir avec le duc d'AÎençon, j'en ai levéquiiizi- cents: dans huit jours ils seront prêts, échelonnés sur la route de Pau. Ce ne sera plus une fuite, ce sera une retraite. Quinze cents hommes vous suffiront ils, sire, et vous croirez-vous en sûreté avec une ar- mée?

Henri sourit, et lui fra|qiant sur l'c'jiaule :

Tu sai.s. de Mnuy, lui dit-il. et tu es seul à \i\ savoir, que le roi de Navarre n'est pas de son natu- rel aussi effrayé ipioii le croit.

Eh! mon Dieu! je le sais, sire, et j'cspére qu'avant qu'il soit longtemps la France tout pnliire Je saura romnic moi. Mais, quand on conspire, il faut réussir. I>a première (•onilition de la r('us>ile csl la di'risioh; et, pour que la décision soil rapide, fran- che, incisivt^ il l'aiil être convaincu qlion réussira. Eh bien I sirn, quels sont les jours il y a chasse ;

Tous les iinii mi dix jour», soil i\ courre, soil au Vfd.

Quand a-i-on (diassé?

Aujourd'hui même.

D'aujourd'hui en huit ou dix jours, on chas- sera donc encore?

- Pans aucun doute, peut-être même avant.

Écoutez ; tout me semble parfaitement calme : le duc d'Anjou est parti; on ne pense plus à lui. I.e roi se remet de jour en jour de son indisposition. Les persécutions contre nous ont à peu près cessé. Faites les doux yeux à la reine mère, faites les doux yeux à M. d'Alençon; dites-lui toujours que vous ne pouvez partir sans lui : tâchez qu'il le croie, ce qui est plus difficile.

Sois tranquille, il le croira.

Croyez-vous qu'il ait si graflde confiance en vous?

Non pas. Dieu m'en garde! mais il croit tout ce que lui dit la reine.

Et la reine nous sert francheinent, elle?

Oli : j'en ai la preuve. D'ailleurs, elle est am- bitieuse, et celte couronne de NàVarré absente lui brûle le front.

Eh bien ! trois jours avant cette chasse, faites- moi dire elle aura lieu. Si c'est â Bondy. à Saint-Germain ou à Piarnbouillei, 9J6utez que vous êtes prêt, et, quand vous verrez M. de la Mole picpier devant vous, suivez le, et piquez fernle. l'ne fois hors de la forêt, si la reine mère \'eiii Vous avoir, il faudra qu'elle coure après vous; of, ses chevaux normands ne verront pas même, je t'espère, les fers de nos chevaux barbes et nos gehets li'Espagne.

C'est dit, de Mouy.

Avez-vous de l'argent, sire?

Henri fit la grimace que toute sa vif* il (It à cotte question. Pas trop, dit-il ; mais je crois que Margot en a.

Eh bien! soit à vous, soit à elle, emportez-en le plus que vous pourrez.

Et toi, en attendant, que vas-tu faire?

Après m'èlre oceupé des affaires de Votre .Ma- jesté, assez activement comme elle le voit, Voire Ma- jesté me pcrmetira-t-elle de m'occuper un peu des miennes''

Fais, de Mouy, fais; mais quelles sont tes af- faires?

Écoulez, sire. Orthon m'a dt (c'est un garçon fort intelligent que je rceonimande à Votre Majesti') ; Orthon m'a dit iiier avoir rencontré près de l'Arse- nal ce brigand de Maurevel, qui esi n'iabli prfice aux soins de Picné, et qui se réchauffe au soleil comme un serpent qu'il est.

Ah! oui. je comprends, dit Henri.

Ah ! vous comprenez, bon... Vous serez roi un jiulr, vous, siro, et, si vous avez qiiehiue vengeance du genrt^ de la mienne à accomplir, vous l'aecompli- reJ! en roi. Je suis un soldai . ei je dois me Venger en >'ddat. Doni;, quand toutes nos petites affaires seront ainingée.-", ce (|ui donnera à ce hrigand-là cinq ou six jour» encore pour se remettre, j'irai moi

LA REIXE MARGOT.

91

aussi faire un tour du cûté de l'Arsenal, et je le clouerai au gazon de quatre bons ooups de rapière, après quoi je quitterai Paris le cœur moins gros.

Fais tes affaires, mon ami, fais tes affaires, dit le Déarnais. A propos, tu es content de la Mole. n'est-ce pas?

Ali! charmant garçon qui vous est dévoue corpset âme, sire, et sur lequel vous pouvez compter comme sur moi... brave...

Et surtout discret; aussi nous suivra-t-il en Navarre, de Mouy : une fois arrivés là, nous cber- cherons ce que nous devons faire pour le récom- penser.

Comme Henri acbevait ces mots avec son sourire narquois, la porte s'ouvrit ou plutôt s'enfonça, et celui dont on faisait l'éloge au moment même parut, pâle et agite.

Alerte, sire, cria-t-il, alerte ! la maison est cernée.

Cernée! s'écria Henri en se levant; par qui ?

Par les gardes du roi.

Oh! ob! dit de Mouy en tirant ses pistolets de sa ceinture, bataille, à ce qu'il paraît.

Alil oui, dit la Mole, il s'agit bien de pistolets et de bataille, que voulez-vous faire contre cin- quante hommes?

Il a raison, dit le roi, et s'il y avait quelque moyen de retraite...

Il y en a un qui m"a déjà servi à moi, et si Votre Majesté veut me suivre...

Et de Mouy?

M. de Mouy peut nous suivre aussi, s'il veut; mais il faut que vous vous pressiez tous deux.

On entendit des pas dans l'escalier.

Il est trop tard! dit Henri.

Ah ! si l'on pouvait seulement les occuper pen- dant cinq minutes, s'écria la Mole, je répondrais du roi.

Alors, répondez-en, monsieur, dit de Mouy, je me charge de les occuper, moi. Allez, sire, allez.

Mais que feras-tu?

Ke vous inquiétez pas, sire; allez toujours.

Et de Mouy commença par faire disparaître l'as- siette, la serviette et le verre du roi, de façon qu'on pût croire qu'il était seul à table.

Venez, sire, venez, s'écria la Mole en prenant le roi par le bras et l'entraînant dans l'escalier.

De Mouy! mon brave de Mouy! s'écria Henri en tendant la main au jeune homme.

De Mouy baisa cette main, poussa Henri hors de la chambre, et en referma derrière lui la porte au verrou.

Oui, oui, je comprends, dit Henri : il va se faire prendre, lui, tandis que nous nous sauverons, nous; mais qui diable peut nous avoir trahis.'

Venez, sire, venez; ils montent, ils montent. En effet, la lueur des tlambcaux coniniençait à

ramper le long de l'étroit escalier, tandis qu'on en-

tendait au bas comme une espèce de cliquetis d'épée.

Alerte, sire! alerte! dit la Mole.

Et. guidant le roi dans robscurit(', il lui fit mon- ter deux étages, poussa la porte d'une chambre, qu'il referma au verrou, et. allant ouvrir la feni'lre d'un cabinet :

Sire, dit-il. Votre Majesté craint-elle beaucoup les excursions sur les toits?

Moi, dit Henri; allons donc, un cbasseuF d'i- sards!

Eh bien ! que Votre Majesté me suive ; je can- nais le chemin et vais lui servir de guide.

Allez, allez, dit Henri, je vous suis.

Et la Mole enjamba le premier, suivit un large rebord faisant gouttière, au bout duquel il trouva une vallée formée par deux toits; sur celte vallée s'ouvrait une mansarde sans fenêtre et donnant dans un grenier inhabité.

Sire, dit la Mole, vous voici au port.

Ah ! ah ! dit Henri, tant mieux.

Et il essuya son front pâle perlait la sueur.

Maintenant, dit la .Mole, les choses vont aller toutes seules; le grenier donne sur l'escalier, l'es- calier aboutit à une allée, et cette allée conduit à la rue. J"ai fait le même chemin, sire, par une nuit bien autrement terrible que cdleci.

Allons, allons, dit Henri, en avant!...

La Mole se glissa le premier par la fenêtre béante, gagna la porte mal fermée, l'ouvrit, se trouva en haut d'un escalier tournant, et mettant dans la main du roi la corde qui servait de rampe :

Venez, sire, dit il.

Au milieu de l'escalier, Henri s'arrêta ; il était arrivé devant une fenêtre ; cette fenêtre donnait sur la cour de l'hùtellerie de la Cclle-î-lloile. On voyait dans l'escalier en face courir des soldats, les uns portant à la main des épécs et les autres des llara- Lcaux.

Tout à coup, au milieu d'un groupe, le roi de Na- v:irre aperçut de Mouy. Il avait rendu son épée et descendait tranquillement.

Pauvre garçon, dit Henri ; cœur brave et dé- voué!

Ma foi, sire, dit la Mole, Votre Majesté remar- quera qu'il a l'air fort calme; et, tenez, même il rit! H faut qu'il médite quelque bon tour, car, vous le savez, il rit rarement.

Et ce jeune homme qui était avec vous?

M. de Coconas? demanda la Mole.

Oui, M. de Coconas, qu'est-il devenu?

Oh ! sire, je ne suis point inquiet de lui. En apercevant les soldats, il ne m'a dit qu'un mot :

Risquons-nous quelque chose?

La tête, lui ai-je rcponilu.

Et te sauveras-tu, toi?

Je l'espère.

Lh bien! moi aussi, a-t-il répondu. Eijevous

nc>

LA REI>'E MARGOT.

jure qu'il se sauvera, sire. Quand on prendra Co- conas, je vous en réponds, c'est qu'il lui conviendra de se laisser prendre.

Alors, dit Henri, tout va bien ; tâchons de re- gagner le Louvre.

Ah ! mon Dieu, lit la Mole, rien de plus facile, sire; enveloppons-nous de nos manteaux et sortons. La rue est pleine de gens accourus au bruit, on nous prendra pour des curieux.

En effet, Henri et la Mole trouvèrent la porte ou- verte, et n'éprouvèrent d'autre difficulté pour sortir que le Ilot populaire qui encombrait la rue.

Cependant tous deux parvinrent à se glisser par la rue d'.\verou ; mais, arrivant rue des Poulies, ils virent traversant la place Suinl-Germain-l'Auxer- rois, de Mouy et son escorte conduits par le capi- taine des gardes, M. de Nancey.

Ah! ah ! dit Henri, on le conduit au Louvre, à ce qu'il parait. Diable! les guichets vont être fer- més... On prendra les noms de tous ceux qui ren- treront ; et, si l'on me voit rentrer après lui, ce sera une probabilité que j'étais avec lui.

Eh bien! mais, sire, dit la Mole, rentrez au Louvre autrement que par le guichet.

Comment, diable! veux-tu que j'y rentre?

Votre Majesté n'a-t-elle point la fenêtre de la reine de Navarre ?

Venlre-saint-gris ! monsieur de la Mole , dit Henri , vous avez raison. Et moi qui n'y pensais pas!... Mais, comment prévenir la reine?

Oh! dit la Mole en sindinant avec une res- pectueuse reconnaissance, Votre Majesté lance si

bien

les pierres!.

LA r.l-LN'E MARGOT.

03

XVIII

DE MOU Y HE SAINT -PHALE.

eue fois, Catherine avait si bien pris ses précautions, qu'elle croyait être sûre de son fait.

En conséquence , vers dix heures, elle avait ren- voyé Marguerite, bien eon- Viiincue c'était d'ailleurs la vérité que la reine de Navarre ignorait ce qui 66 tramait contre sou mari, et elle était passée chez le roi, le priant de retarder son coucher.

Intrigué par l'air de triomphe qui, malgré sa dis- simulation habituelle, épanouissait le visage de sa mère, Charles questionna Catherine, qui lui répon- dit seulement ces mois ;

Je ne puis dire qu une chose à Votre Majesté, c'est que ce soir elle sera délivn'C de ses deux plus cruels ennemis.

Charles fit ce mouvement de sourcil d'un homme qui dit en lui-même : C'est bien, nous allons voir; et, sifllant son grand lévrier, qui vint à lui, se traî- nant sur le ventre comme un serpent, et posa sa tète fine et intelligente sur le genou de son maître, il attendit.

Au bout de quehiues minutes, que Catherine pa^sa les yeux fixes et l'oreille tendue, on entendit un coup de pistolet dans la cour du Louvre.

Qu'est-ce que ce bruit? demanda Charles eu fronçant le sourcil, tandis que le lévrier se re- levait par un mouvement brusque en redressant ses oreilles.

I\ien, dit Catherine ; un signal, voilà tout.

Et que signifie ce signalï

\[ signifie qu'à partir de ce momeut, sire, vo- tre unique, votre véritable ennemi, est hors de vous nuire.

Vient-on de tuer un homme? demanda Charles en regardant sa mère avec cet œil de maître qui signifie que l'assassinat et la grâce sont deux attri- buts inhérents à la puissance royale.

Non, sire ; on vient seulement d'en arrêter deux.

Oh ! murmura Charles, toujours des trames cachées, toujours des complots dont le roi n'est pas. Mort-diable! ma mère, je suis grand garnin. ce-

pendant, assez grand garçon pour veiller sur moi- même, et n'ai besoin ni de lisières, ni de bourre- lets. .41lez-vous-en en Pologne avec votre fils Henri si vous voulez régner. Mais ici, vous avez tort, je vous le dis. de jouer ce jeu-là.

Mon fils, dit Catherine, c'est la dernière fois que je me mêle de vos affaires. Mais c'était une en- treprise Commencée depuis longtemps , dans la- quelle vous m'avez toujours donné tort, et je tenais à cœur de prouver à Votre .Majesté que j'avais rai- son.

En ce moment, plusieurs hommes s'arrêtèrent dans le vestibule, et l'on entendit se poser sur la dalle la crosse des mousquets d'une petite troupe.

Presque aussitôt, M. de Nancey fit demander la permission d'entrer chez le roi .

Qu'il entre, dit vivement Charles.

-M. de Nancey entra, salua le roi, et. se tournant vers Catherine :

Madame, dit-il, les ordres de Votre Majesté sont exécutés : il est pris.

Comment, il? s'écria Catherine fort troublée; n'en avez -vous pris qu'un?

11 était seul, madame.

Et s'est-il défendu?

Non, il soupait trau(|uillement dans une chambre, et a remis son épée à la première som- mation.

Qui cela? demanda le roi.

Vous aile? voir, dit Catherine. Faites entrer le prisonnier, monsieur de Nancey.

Cinq minutes après, de Mouy fut introduit.

De Mouy ! s'écria le roi ; et qu'y a-t-il donc, monsieur?

Eh! sire, dit de Mouy avec une tranquillité parfaite, si Votre Majesté m'en accorde la permission, je lui ferai la même demande.

Au lieu de faire cette demande au roi, dit Ca- therine, ayez la bonté, M. de Mouy, d'apprendre à mon fils quel est l'homme qui se trouvait dans la chambre du roi de Navarre certaine nuit, et qui, celte nuit-là, en résistant aux ordres de Sa Majesté comme un rebelle qu'il est, a tué deux gardes et blessé M. de Maurevel?

En effet, dit Charles en fronçant le sourcil,

«4

LA UELNE MARGOT.

sauripz-vnus le nom de cet lionime. monsieur de Mouy?

Oui, sire; Voire Majesté désire-t-elle le con- naître?

Cela me ferait plaisir, je l"avùue.

Eh bien ! sire, il s'appelait de Mouy de Saint- Phale.

C'était vous?

Moi-même.

Catherine, étonnée de celte audace, recula d'un pas devant le jeune homme.

Et comment, dit Charles IX, osàtes-vous résis- ter aux ordres du roi ?

D'abord, sire, j'ignorais qu'il y eût un ordre de Votre Majesté ; puis, je n'ai vu qu'une chose, ou plutôt qu'un homme, M. de Maurevel. l'assassin de mon père et de M. l'amiral. Je me suis rappelé alors qu'il y avait un an et demi, dans cette même cham- bre où nous sommes, pendant la soirée du 24 août. Votre Majesté m'avait promis, parlant à moi-même. de nous faire justice du meurtrier; or, comme il s'était depuis ce temps passé de graves événements, j'ai pensé que le roi avait été malgré lui détourné de ses désirs. Et, voyant Maurevel à ma portée, j'ai cru que c'était le ciel qui me l'envoyait. Votre Ma- jesté sait le reste, sire; j'ai frappé sur lui comme sur un assassin et tiré sur ses hommes comme sur des bandits.

Charles ne répondit rien ; son amitié pourlJcnri lui avait fait voir depuis quelque temps bien des choses sous un autre point de vue que celui il les avait envisagées d'abord, et plus d'une fois avec terreur.

La reine mère, propos de la Saint-liarlhélemy, avait enregistré dans sa mémoire des propos sortis de la bouche de son fils, et qui ressemblaient à des remords.

Mais, dit Catherine, que venioz-vous faire à une pareille heure chez le roi de Navarre.

Oh 1 lépondit de Mouy, c'est toute une histoire bien longue à raconter; mais, si cepiMidant Sa Ma- jesté a la patience de l'entendre...

1 TTT- Oui, dit Charles, parlez donc, je le veux.

J'obéirai, sire, dit de Mouy on s'indinaiil. Catherine s'assit en fixant sur le jeunes ilief un

regard in<iuiet.

Nous écoutons, dit (>liarles. Ici, Actéoii.

Le chien reprit la place qu'il 0(;cupait avant que lo pris.innicr n'eut l'iii introduit.

~ Sire, dit de Mouy. j'étais venu chez Sa Majesté le roi de Navarre comme député de nos frères, vos fidèles sujets de la religion.

Catherine fit un signe à Charles IX.

}<oyez Iranquille. ma mère, dit relui-ci je ne perds jjas un mol. (continuez, nion.sieur de Mouy, continuez : pourquoi éliez-vous venu?

l'oiir pii'vcnir le roi (hi Navarre, ('(inliniia do .Mouy, (|ue .son abjuration lui avait l'ait j)('rdrr la

confiance du parti huguenot: mais que, cependant, en f :.venir de son père, Antoine de Boarlion, et sureOutennK'moiredesa mère, lacourageuseJennne d'Alljret, dont le nom est cher parmi nous, ceux de la religion lui devaient cette marque de déférence de le prier de se désister de ses droits à la couronne de Navarre.

Que dit-il? s'écria Catherine, ne pouvant, mal- gré sa puissance sur elle-même, recevoir sans crier un peu le coup inattendu qui la frappait.

Ah ! ah I fit Charles; mais cette couronne de Navarre, qu'on fait ainsi sans ma permission volti- ger sur toutes les têtes, il me senible cppepdçiijl qu'elle niapparlient un peu.

Les huguenots, sire, reconnaissent mieux (jue personne ce principe île suzeraineté que le roi vient d'émeltre. Aussi espéraient-ils engager Votre Ma- jesté à la fixer sur une tête qui lui est chère.

A nioil dit Charles, sur une tète qui m'est chère! Mort-diable I de quelle tête voulez-vous donc parler, monsieur.' Je ne vous comprends pas.

De la tête de M. le duc d'Alençon. Catherine devint pâle comme la mort, et dévora

de Mouy d'un regard fiamboyanl.

Et mon frère d'Alençon le savait?

Oui, sire.

Et il acceptait cette couronne?

Sauf l'agrément de Votre Majesté, à laquelle il nous renvoyait.

Oh! oh ! dit Charles, en effet, c'est une cou- ronne qui ira à merveille à notre frère d'Alençon. Et moi qui n'y avais pas songé ! Merci, de Moiiy, merci ! (juand vous aurez des idées semblables, vous serez le bienvenu au Louvre.

Sire, vous seriez instruit depuis longlenqis de tout ce projet, sans celte malheureuse affaire de Mau- revel, qui m'a fait craindre d'être tombé dans la disgrâce de Votre Majesté.

Oui. mais, fit Catherine, que disait Henri de ce projet?

I.e roi de Navarre, madame, se soumrllail au désir de ses frères, et sa renonciation était prèle.

En ce cas. s'écria Catherine, celle rcMniicMiiun. \ous devez l'avoir?

En effet, madame, dit de Mouy. par ba.<>ard. je l'ai sur moi. signée de lui et dali'C.

-- D'une dale antérieure à la scène du Louvre? dit Catherine.

Oui. de la veille, je crois.

El M. de Mouy tira de sa poche une reunnciuljuii en faveur du duc d'Alençon. éciile, signre de la main di' ili'uri. (!t portant la dale indiquée.

Ma foi oui, dit Charles, el loiil e>l bien en règle.

l'.t que demandait Henri en l'cliango de celle renoncialion.'

Ilieii, luadaniu; l'amitié du roi Charles, nuus

LA REINE MARGOT.

05

a-t-il (lit. le dcJommagerait amplement de la perte d'uni' couronne.

Callierine mordit ses lèvres de cnlère et tordit ses belles mains.

Tout cela est parfaitement exact, de .Mouy. ajouta le roi.

.\lors, reprit reiiie tiière, si tolit était arrrté entre vous et le roi de Navarre, à quelle lin l'entre- vue que vous avez eue ce soir avec lui ?

Moi, madame, avec le roi de Navarre? dit de Mouy. M. d6 Nancey, qui m'a arrtHé, fera foi que j'étais seul. Votre Majesté peut l'appeler.

Monsieur de Nancey'^ dit le roi. Le capitaine des gardes reparut;

Monsieur de Nancey, dit vivetnent Catherine, M. de Mouy était-il tout à fait seul à l'auLer^^e de la Belle-Étoire?

Dans la chambre, oui, madame; mais dans l'auberge, non.

Ali! dit Catherine, cjuet était snh compa- gnon?

Je ne sais si c'était le compagnon de M. de Mouy, madame; mais je sais tju'il s'est échappé par une porte derrière, è\if^^ avtiir colidllë sur le carreau deux (!e tiies gardés.

Va vous aveï reconnu pentilhoftime, sans doute?

Non, pas ttioi, mais tues gardes.

Et quel étail-iH dchiatlda Charles IX.

M. le comte Aiinibal de Coconas.

Annibal de Coconas! répéta le roi assombri et rêveur, relui qui a fait Un si terrible massacre des huguenots jiendant la Saint-Darlliélemy?

M. de CoGotias, gentilhomme de M. d'Aleneoli, dit M. de Nancey;

C'est biehi c'est bieDj dit Charles LX; retirez- vous, nioBsiëUf NàtlÉëJr, et; UUë aiitre fois; sou- venez-vous tJ'tiîie chose. -.s

De laquelle, sire?

C'est que voiis êlëS ft Hltjli service, et que vous ne devez obéir qu'à moi.

M. de Nancey se retira à reculons en saluant res- pectueusement.

De Mouy envoya un sourire ironique à Cathe- rine.

11 se fit un silence d'un instant. La reine tordait .les ganses de sa cordelière. Charles caressait son ciiien.

Mais, quel était votre but, monsieur? continua Charles. Agissiez-vous violemment?

Contre qui, sire?

Mais contre Henri, contre Fraççois ou contre moi.

Sire,' nous avions la renonciation de votre beau-frère, l'agrément de votre frère; et, Comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, nous étions sur le point de solliciter l'autorisation de Votre Majesté iorsqu'est arrivée cette fatale affaire du Louvre.

Eh bien! ma mère, dit Charles, je ne vois au- cun mal à tout cela. Vous étiez dans votre droit, monsieur de Mouy, en demandant un roi. Oui, la .Navarre peut être et doit être un royaume séparé. Il y a plus, ce royaume semble fait exprès pour do- ter mon frère d'Alençon, qui a toujours eu si grande envie d'une couronne, que, lorsque nous portons la nôtre, il ne peut détourner les yeux de dessus elle. La seule chose qui s'opposait à cette iiitronisation, c'était le droit de Ilenriot, mais, puisque Ilenriot y rraonce volontairement...

Volontairement, sire.

Il parait que c'est la volonté de Dieu ! Monsieur de Mouy, vous êtes libre de retourner vers vos frè- res, que j'ai châtiés... un peu rudement, peut-être; mais ceci est une affaire entre moi et Dieu : et dites- leur que, puisqu'ils désirent pour roi de Navarre mon frère d'Alençon, le roi de France se rend à leurs désirs. A partir de ce moment, la Navarre est un royaume, et son souverain s'appelle François, Je ne demande que huit jours pour que mon frère quitte Paris avec l'éclat et la pompe qui conviennent à un roi. .Allez, monsieur de Mouy, allez!... Monsieur de Nancey, laissez passer M. de Mouy, il est libre.

Sire, dit de Mouy en faisant un pas en avant, Votre llajesté permet-elle?

Oui, dit le roi.

Et il tendit la main au jeune huguenot.

De Mouy mit un genou en terre et baisa la main du roi.

^— A propos, dit Charles en le retenant au mo- ment où il allait se relever, ne m'aviez-vous pas de- mandé justice de ce brigand de Maurevel?

Oui, sire.

Je ne sais il est, pour vous la faire, car il se cache; mais, si vous le reticontrez, faites-vous justice vous-même, je vous y autorise, et de grand cœur.

Ah ! sire, s'écria de Mouy, voilà qui me com- ble véritablement ; que Votre Majesté s'en rapporte à moi ; je ne sais non plus il est, mais je le trou- verai, soyez tranquille.

Et de Mouy, après avoir respectueusement salué le roi Cliarles et la reine Catherine, se retira sans que les gardes qui l'avaient amené missent aucun empêchement à sa sortie. Il traversa les corridors, gagna rapidement le guichet, et, une fois dehors, ne fit qu'un bond de la place de Saint-Germain l'Auxerrois à l'auberge de la Belle Étoile, il re- trouva son cheval, grâce auquel, trois heures après la scène que nous venons de raconter, le jeune homme respirait en sûreté deri ière les murailles de Mantes.

Catherine, dévorant sa colère, regagna son ap- partement, d'où elle passa dans celui de Margue- rite.

9G

LA REINE MARGOT,

Elle V trouva Henri en robe de chambr».

Elle y trouva Henri en robe de cliaiiilire et r]ui | Satan, murmura-t-ello. aide une pauvre reine paraissait prût à se mettre au lit. ' pour qui Dieu ne veut plus rien faire!

LA REINE MARGOT.

97

XIX

DEUX TÊTES POUR UNE COURONNE.

bond de ch »

u'on prie M. d'Âlençon de me venir voir, avait dit Charles en congédiant sa mère.

iM. de Nancey, disposé, d'après l'invitation du roi, à n'obéir désormais qu'à lui-même, ne fit qu'un et Charles chez son frère, lui transmet-

tant sans adoucissement aucun l'ordre qu'il venait de recevoir.

Le duc d'Alençon tressaillit : en tout temps, il avait tremblé devant Charles, et à bien plus forte raison encore depuis qu'il s'était fait, en conspirant, des motifs de le craindre. Il ne s'en rendit pas moins près de son frère avec un empressement calculé.

Charles était debout et sifflait entre ses dents "h hallali sur pied. ,.

TaTls, * lo:]. oe UKV aîné, Douie'-jri M;ani4ruj:sc-t ^^.

98

LA REIM'] MARGOT.

En entrant, le duc d'Alcnçon surprit dans Tiril vitreux de Charles un de ces regards envenimés de haine qu'il connaissait si bien.

Votre Jlajesté m"a fait demander; nie voici, sire, dit-il. Que désire de moi Votre Majesté ?

Je désire vous dire, mon bon frère, que, pour récompenser celte grande amitié que vous me por- tez, je suis décidé à faire aujourd'hui pour vous la 'liosé que vous désirez le plus.

Pour moi?

Oui, pour vous. Cherchez dans votre esprit quelle chose vous rêvez depuis quelque temps sans oser me la demander; et, cette chose, je vous la donne.

Sire, dit François, j'en jure à mon frère, je ne désire rien que la continuation de la bonne santé

^u roi.

Alors, vous devez être satisfait, d'Alençon; rindis[osition que j'ai éprouvée à l'époque de l'ar- rivée des Polonais est passée. J'ai échappé, grâce à Ilenriot, à un sanglier furieux qui voulait me dé- coudre, et je me porte de façon à n'avoir rien à en- vier au m.ieux portant de mon roj'aumc; vous pou- viez donc, sans être mauvais frère, désirer autre chose que la continuation de ma santé, qui est ex- cellente.

Je ne désirais rien, sire.

Si fait, si fait, François, reprit Charles s'impa- tientant; vous di'sircz la couronne de Navarre, puis- que vous vous êtes entendu avec Ilenriot et de Mouy: avec le premier pour qu'il y renonçât, avec le se- cond pour qu'il vous la fit avoir. Eh bien! Ilenriot y renonce! de Mouy m'a transmis votre demande, et cette couronne que vous ambitionnez...

Eh bien? demanda d'Alençon d'une voix tremblante.

i'^i bien 1 mort-diable! elle est à vous. D'Alençon pâlit affreusement; puis, tout à coup,

le sang appelé à son cœur, qu'il faillit bri.ser, re- flua vers les extrémités, et une rougeur ardente lui brûla les joues ; la faveur que lui faisait le roi le désespérait en un pareil moment.

Mais, sire, rcprit-il tout palpitant d'émotion, et cherchant vainement à se remettre, je n'ai rien désiré et surtout rien demandi; de pareil.

C'est possibh;, dit le roi. car vous êtes fort dis- cret, mon frère; mais on n (h'sin-. on » deniaml pour vous, mon frère.

Sire, je vous jure ipie jamais... ' Nejurez pas llieu.

.Mais, sire, vous m'exilez donc'?

Voiisnppelezcaun exil, François? l'cstc! voii> /■tes difficile... Oircspériez-vous donc de mieux?

n'Mençnn se mordit les lèvre.'» do désespoir.

Ma foi ' roMliiiiia Charles en alf(<ciant la bon- liiimic, je vous croyais moins populaire, François, et surtout prAs des huguenots; mais ils vous de- mandent, il faut bien que je lu'avouo à moi-nièmo

que je me trompais. D'ailleurs, je no pouvais rien désirer de mieux que d'avoir un homme à moi. mon frère qui m'aime et qui est incapable de me trahir, à la tète d'un parti qui depuis trente ans nous fait la guerre. Cela va tout calmer comme par enchan- tement, sans compter que nous serons tous rois dans la famille. Il n'y aura que le pauvre Ilenriot qui ne sera rien que mon ami. Mais il n'est point ambitieux, et ce titre, que personne ne réclame, il le prendra, lui.

Oh 1 sire, vous vous trompez, ce titre, je le ré- clame... ce litre, qui donc y a plus de droit que moi? Henri n'est que votre beau-frère par alliance; moi, je suis votre frère par le sang et surtout par le cœur... Sire, je vous en supplie, gardez-moi près de vous.

Non pas, non pas, François, répondit Char- les; ce serait faire votre malheur.

Comment cela?

Pour mille raisons.

Mais, voyez donc un peu, sire, si vous trouve- rez jamais un compagnon si fidèle que je le suis. Depuis mon enfance, js n'ai jamais quitté Votre Ma- jesté.

Je le sais bien, je le sais bien, et quelquefois même je vous aurais voulu plus loin.

Que veut dire le roi?

Rien, rien... je m'entends.. Oh! que vous aurez de belles chasses là-bas! François, que je vous porte envie!! Savez-vous qu'on chasse l'ours dans ces diables de montagnes comme on chasse ici le san- glier? Vous allez nous entretenir tous de peaux ma- gnifiques. Cela se chasse au poignard, vous .savez : on attend l'animal, on l'excite, on l'irrite; il mar- che au chassenr, et, à quatre pas de lui, il se dresse sur ses pattes de derrière. C'est à ce moment-lù qu'on lui enfonce l'acier dans le cœur, comme Henri a fait ponr le sanglier à la dernière chasse. C'est dangereux; mais vous êtes brave, François, et ce danger sera pour vous un vrai plaisir.

Ah ! Votre Majesté redouble mes chagrins, car je no chasserai plus avec elle.

Corbœuf! tant mieux! dit le roi, cela ne nous réussit ni à l'un ni à l'autre de chasser ensemble.

Que veut dire Votre Majesté?

Que chasser avec moi vous cause un tel plaisir et vous donne une telle émotion, que vous, qui êtes l'adresse en personne, que vous qui, avec la pre- mière ari|uebuse venue, abattez une pie à cent pas. Vous avez, la dernière fois ([ue nous avons chassé de conipagnie. avec votre arme, une arme qui vous est familière, mancpié à vingt pas un gros sanglier cl cassé par contre la jambe de mon meilleur cheval. Mort-diable! François, cela donne à songer, savez- vous?

Oli ! sire, parJuniiez à l'émotion, dit d'Alen- çon devenu livide.

Ebloui, reprit Charles, l'émotion, je le .sais

LA REINE MARGOT.

99

bien, et c'est à cause de cette émotion, que j'ap- précie à sa juste valeur, que je vous dis : Croyez- moi, François, mieux vaut chasser loin l'un de ["au- tre, surtout quand on a des émotions pareilles. Piéilé- cliissez à cela, mon frère, non pas en ma présence, ma présence vous trouble, je le vois, mais quand vous serez seul, et vous conviendrez que j'ai tout lieu de craindre qu'à une nouvelle chasse une autre émotion vienne à vous prendre, car alors, il n'y a rien qui fasse relever la main comme l'émotion, car alors vous tueriez le cavalier au lieu du cheval, le roi au lieu de la bête. Peste! une balle placée trop haut ou trop bas, cela change fort la face d'un gou- vernement, et nous en avons un exemple dans no- tre famille. Quand Montgommery a Uu' notre père Henri II par accident, par émotion peut-être, le coup a porté notre frère François 11 sur le trône et notre père Henri à Saint-Denis. 11 faut si peu de chose à Dieu pour faire beaucoup.

Le duc sentit la sueur ruisseler sur son front pen- dant ce choc aussi redoutable qu'imprévu. 11 était impossible que le roi dît plus clairement à son frère ?ju'il avait tout deviné. Charles, voilant sa colère sous une ombre de plaisanterie, était peut-être plus terrible encore que s'il eût laissé la lave haineuse qui lui dévorait le cœur se répandre bouillante au deliors; sa vengeance paraissait proportionnée à sa rancune. A mesure que l'une s'aigrissait, l'autre grandissait, et, pour la première fois, d'Alençon connut le remords, ou plutôt le regret d'avoir conçu un crime qui n'avait pas réussi.

H avait soutenu la lutte tant qu'il avait pu. mais, sous ce dernier coup, il plia la tête, et Charles vit poindre dans ses yeux cette flamme dévorante qui, chez les êtres d'une nature tendre, creuse le sillon par jaillissent les larmes.

.Mais d'Alençon était de ceux-là qui ne pleurent que de rage.

Charles tenait fixé sur lui son œil de vautour, aspirant pour ainsi dire chacune des sensations qui se succédaient dans le cœur du jeune homme. Et toutes ces sensations lui apparaissaient aussi pré- cises, grâce à cette étude approfondie qu'il avait faite de sa famille, que si le cœur du duc eût été un li- vre ouvert.

H le laissa ainsi un instant écrasé, immobile et muet; puis, d'une voix tout empreinte de haineuse fermeté :

Mon frère, dit-il, nous avons dit notre résolu- tion, et notre résolution est immuable : vous par- tirez.

D'Alençon fit un mouvement. Charles ne parut pas le remarquer et continua :

Je veux que la Navarre soit fière d'avoir pour prince un frère du roi de France. Or, pouvoir, hon- neur, vous aurez tout ce qui convient à votre nais- sance, comme votre frère Ilen.n l'a eu, et, comme lui, ajouta-t-il en souriant, vous me bénirez de loin.

Mais n'importe, les bénédictions ne connaissent pas la distance.

Sire...

Acceptez, ou plutôt résignez-vous. Une fois roi, on vous trouvera une femme digne d'un fils de France. Qui sait ! qui vous apportera un autre trône peut-être.

Mais, dit le duc d'Alençon, Votre Majesté ou- blie son bon ami Henri.

Henri! mais puisque je vous ai dit qu'il n'en voulait pas, du trône de Navarre! Puisque je vous ai déjà dit qu'il vous l'abandonnait! Henri est un joyeux garçon et non pas une face pâle comme vous. Il veut rire et s'amuser à son aise, et non sé- cher, comme nous sommes condamnés à le faire, nous, sous des couronnes.

D'Alençon poussa un soupir.

Mais, dit-il, Votre Majesté m'ordonne donc de m'occuper...

Non pas, non pas. Ne vous inquiétez de rien, François, je réglerai tout moi-même ; reposez-vous sur m.)i, comme sur un bon frère. Et maintenant, que tout est convenu, allez, dites ou ne dites pas notre entretien à vos amis : je veux prendre des me- sures pour que la chose devienne bientôt publique. Allez, François.

Il n'y avait rien à répondre. Le duc salua et par- tit la rage dans le cœur.

Il brûlait de trouver Henri pour causer avec lui de tout ce qui venait de se passer; mais il ne trouva que Catherine: en effet, Henri fuyait l'entretien, et la reine mère le recherchait.

Le duc, en voyant Catherine, étouffa aussitôt ses douleurs et essaya de sourire. Moins heureux que Henri d'Anjou, ce n'était pas une mère qu'il cher- chait dans Catherine, mais simplement une alliée. 11 commençait donc par dissimuler avec elle, car, pour faire de bonnes alliances, il faut bien se trom- per un peu mutuellement.

Il aborda donc Catherine avec un visage ne restait plus qu'une légère trace d'inquiétude.

Eh bieni madame, dit-il, voilà de grandes nouvelles; les savez-vous?

Je sais qu'il s'agit de faire un roi de vous, monsieur.

C'est une grande bonté de la part de mon frère, madame.

N'est ce pas?

El je suis presijue tenté de croire que je dois reporter sur vous une partie de ma reconnaissance; car enfin, si c'était vous qui lui eussiez donné le conseil de me faire don d'un trône, ce trône, c'est à vous que je le devrais : quoique j'avoue au fond qu'il m'a fait peine de dépouiller ainsi le roi de Na- varre .

Vous aimez fort llenriot, mon fils, à ce qu'il paraît?

100

LA REINE MARGOT.

Mais oui ; depuis quelque temps nous nous sommes intimement liés.

Croyez-vous qu'il vous aime autant que vous l'aimez vous-même?

Je l'espère, madame.

C'est édifiant une pareille amitié, savez-vous, surtout entre princes. Les amitiés de cour passent pour peu solides, mon cher François.

Ma mère, songez que nous sommes non-seu- lement amis, mais encore presque frères.

Catherine sourit d'un étrange sourire.

Bon! dit-elle, est-ce qu'il y a des frères entre rois!

Oh ! quant à cela, nous n'étions rois ni l'un ni l'autre, ma mère, quand nous nous sommes liés ainsi; nous ne devions même jamais l'Aire; voilà pourquoi nous nous aimions.

Oui, mais les choses sont bien changées à cette heure.

Comment, bien changées?

Oui, sans doute; qui vous dit maintenant que vous ne serez pas tous deux rois?

Au tressaillement nerveux du duc, à la rougeur qui envahit son front, Catherine vit que le coup lancé par elle avait porté en plein cœur.

Lui? dit-il, Henriot roi ! et de quel royaume, ma mère?

D'un lies plus magnifiques de la chn'tienlé. mon fils.

Ah! ma mère, fit d'Alençon en pâlissant, cjue dites-vous donc là?

Ce qu'une bonne mère doit dire à son fils, ce à quoi vous avez plus d'une fois songé, François.

Moi? dit le duc. je n'ai songé à rien, madame, je vous jure.

Je veux bien vous croire; car votre ami, car votre frère Henri, comme vous l'apiieloz, est, sous sa franchise apparente, un seigneur fort habile et fort rusé, qui garde ses secrets mieux que vous ne gar- dez les vôtres, François. Par exemple, vous a-t-il ja- mais dit que de Mouy fût son homme d'affaires?

Et, en disant ces mots, Catherine plongea son re- gard comme un stylet dans l'âme de François.

Mais celui-ci n'avait qu'une vertu, ou plutôt qu'un vice : la dissimulation ; il supporta donc parfaite- ment ce regard.

De Mouy! dit-il avec surprise, et comme si te nom était pnmoncé pour la première fois devant lui en pareille rirronslance.

Oui, le luigU(!not de Mouy de Saint-IMiale, ce lui-là même qui a f.iilli tuer M. de Maurevel, et qui, clandestinement et en ronr.iiit la Franco et la capitale sous des habits différents, intrigue et lèv( une année pour soutenir votre frère Henri ronlii' votre famille!

Catherine, qui ignorait que, sous ce rapport, sim lils François en silt autant et nn'nie pins qu'elle, .se

leva sur ces mots, s'apprêtant à faire une majes- tueuse sortie. François la retint.

Ma mère, dit-il, encore un mot, s'il vous plaît. Puisque vous daignez m'initier à votre politique, dites- moi comment, avec de si faibles ressources et si peu connu qu'il est, Henri parviendrait-il à faire une guerre assez sérieuse pour inquiéter ma fa- mille?

Enfant, dit la reine en souriant, sachez donc qu'il est soutenu par plus de trente mille hommes peut-être, que, le jour il dira un mot, ces trente mille hommes apparaîtront tout à coup comme s'ils sortaient de terre, et ces trente mille hommes, ce sont des huguenots, songez-y, c'est-à-dire les plus braves soldats du monde. Et puis, et puis, il a une protection que vous n'avez pas su ou pas voulu vous concilier, vous.

Laquelle?

n a le roi, le roi qui l'aime, qui le pousse; le roi qui, par jalousie contre votre frère de Pologne et par dépit contre vous, cherche autour de lui dej successeurs. Seulement, aveugle que vous êtes, si vous ne le voyez pas, il les cherche autre part que dans sa famille!

Le roi!... vous croyez, ma mère?

Ne vous êtes-vous donc pas aperçu qu'il chérit Henriot, son Henriot?

Si fait, ma mère, si fait.

Et qu'il en est payé de retour; car :e même Henriot, oubliant que son beau-frère le voulait ar- quebuser le jour de la Saint-Barthélémy, se couche à plat ventre comme un chien qui lèche la main dont il a été battu.

Oui. oui, murmura François, je l'ai déjà re- marqué, Henri est bien humble avec mon frère Charles.

Ingénieux à lui complaire en toute chose.

Au point que, dépité d'être toujours raillé par le roi sur son ignorance de la chasse au faucon, il veut se mettre à... Si bien qu'hier il m'a demandé, oui, pas jilus tard qu'hier, si je n'avais point quel- ques bons livres qui traitassent de cet art,

--Attendez donc, dit Catherine, dont les yeux élincelèrent comme si une idée subite lui traversait l'esprit; attendez donc... et que lui avcz-vous ré- pondu?

Que je chercherais dans ma bili!iolhè(|ue.

Bien, dit Catherine, bien, il faut qu'il l'ail, ce livre.

Mais, j'ai cherché, inadanie. et n'ai rien trouve.

Je trouverai, moi, je trouverai... et vous lui iloiinerez le livre comme s'il venait de vous.

Et (lu'en résultera-l il?

Avez-voiis confiance en moi, d'Alençon?

Oui, ma mère.

Voulez-vous m'obeir a\eu(<lement à l'égard do

LA REINE MAR60T.

101

Marguerite se glissa par le passade secret. Page 102.

Henri, que vous n'aimez pas, quoi que voui ht di- siez?

D'Alençon sourit.

Et que je déteste, moi, continua Catherine.

Oui, j'obéirai.

Après-demain, venez cliercher le livre ici, je vous le donnerai, vous le porterez à Henri... et...

Et?...

Laissez Dieu, la Providence ou le hasard, faire le reste.

François connaissait assez sa mère pour savoir qu'elle ne s'en rapportait point d'habitude à Dieu, à

la Providence ou au hasard, du soin de servir se amitiés ou ses haines; mais il se garda d'ajouter un seul mot. et, saluant en homme qui accepte la com- mission dont on le charge, il se retira chez lui.

Que veut-elle dire? pensa le jeune homme en montant l'escalier, je n'en sais rien. Mais, ce qu'il y a de clair pour moi dans tout ceci, c'est qu'elle agit contre un ennemi commun. Laissons-la faire.

Pendant ce temps, Marguerite, par l'intermédiaire de la Mole, recevait une lettre de de Mouy. Comme en politique les deux illustres conjoints n'avaient point de secret, elle décacheta cette lettre et la lut.

102

LA REirsE MAIICOT.

Sans doute cette lettre lui parut intéressante, car à l'instant même Marguerite, profitant de Tobscu- rité qui commençait à descendre le long des murail- les du Louvre, se glissa dans le passage secret, monta l'escalier tournant, et, après avoir regardé de tous côtés avec attention, s'élança rapide comme une ombre, et disparut dans l'antichambre du roi de Navarre.

Cette antichambre n'était plus gardée par per- sonne depuis la disparition d'Orthon.

Cette disparition, dont nous n'avons point parlé depuis le moment le lecteur l'a vue s'opérer d'une façon si tragique pour le pauvre Orihon, avait fort inquiété Henri. 11 s'en était ouvert à madame de Sauve et à sa femme, mais ni l'une ni l'autre n'é- tait plus instruite que lui ; seulement, madame de Sauve lui avait donné quelques renseignements à la suite desquels il était demeuré parfaitement clair à l'esprit de Henri que le pauvre enfant avait été vic- time de quelque machination de la reine mère, et que c'était à la suite de celte machination qu'il avait failli, lui, être arrêté avec de Mouy dans l'au- berge de la Belle-Étoile.

Un autre que Henri eût gardé le silence, car il n'eût rien osé dire; mais Henri calculait tout : il comprit que son silence le trahirait; d'ordinaire, on ne perd pas ainsi un de ses serviteurs, un de ses confidents, sans s'informer de lui, sans faire des re- cherches. Henri s'informa donc, rechercha donc, en présence du roi et de la reine mère elle-même; il demanda Orihon à tout le monde, depuis la senti- nelle qui se promenait devant le guichet du Lou- vre jusqu'au capitaine des gardes qui vi'illait dans l'anlichambre du roi; mais toute demande et toute démarche furent inutiles; et Henri parut si uslensi- biemcnt affecté de cet événement, et si attaché an pauvre serviteur absent, qu'il déclara qu'il no le remplacerait que lorsqu'il aurait acquis la certitude qu'il avait disparu pour toujours.

L'antichambre, comme nous l'avons dit, étaitdonc vide lorsque Marguerite se présenta chez Henri.

Si légers que fussent les pas de la reine, Henri les entendit et se retourna. .

Vous, madame! s'écria-t-il.

Oui, répondit Marguerite. Lisez vite. Et clic lui présenta le papier tout ouvert. H contenait ces quelques lignes :

« Sire,

n Le moment est venu de mettre notre pmjrt de fuite ;'i exécution. .\près-demain, il y a chassi; au \(il le Iring de la Seine, depuis Saint-Germ.iin jusqu'à Mai.>ons, c'est-à-dire dans mute la longueur do la forêt.

« Allez à cette chasse, quoique ce soit une chasse nu v(d ; prenez sous votre habil une bonne ciiomise de niailli's; ceignez votre meilleure l'pir; niunlcz le plus fin cheval do volro ëcurio.

« Vers midi, c'est-à-dire au plus fort de la chasse, et quand le roi sera lancé à la suite du faucon, dé- robez-vous seul si vous venez seul, avec la reine de Navarre si la reine vous suit.

« Cinquante des nôtres seront cachés au pavillon de François 1", dont nous avons la clef; tout le monde ignorera qu'ils y sont, car ils y sont venus de nuit et les jalousies en seront fermées.

(( Vous passerez par l'allée des Violettes, au bout de laquelle je veillerai; à droite de cette allée, dans une petite clairière, seront M.M. de la Mole et Co- conas avec deux chevaux de main. Ces chevaux frais seront destinés à remplacer le vôtre et celui de Sa Majesté la reine de Navarre, si par hasard ils étaient fatigués.

« Adieu, sire; soyez prêt, nous le serons. «

Vous le serez, dit Marguerite, prononçant après seize cents ans les mêmes paroles que César avait prononcées sur les bords du Rubicon.

Soit, madame, répondit Henri, ce n'est pas moi qui vous démentirai.

Allons, sire, devenez un héros; ce n'est pas difficile; vous n'avez qu'à suivre voire route; et fai- tes-moi un beau trône, dit la fille de Henri II.

Un imperceptible sourire effleura la lèvre fine du Béarnais. Il baisa la main de Marguerite et sortit le premier, pour explorer le passage, tout en fredon- nant le refrain d'une vieille chanson :

Cil qui mieux battit la mur.iille, ^'ontra point dedans le chasteau.

La pre'caution n'était pas mauvaise : au momenl il ouvrait la porte de sa chambre à coucher, le duc d'Alençon ouvrait celle de son antichambre; il fit de la main un signe à Marguerite; puis, tout haut :

Ah! c'est vous, mon frère, dit-il, soyez le bienvenu.

Au signe de son mari, la reine avait tout compris et s'était jetée dans un cabinet de toilette, devant la porte duquel pendait une épaisse tapisserie.

Le duc d'Alençon entra d'un pas craintif et en regardant tout autour de lui.

Sommes-nous seuls, mon frère? demanda-1-il ;'i demi-voix.

Parfaitement seuls. Qu'y a-t-ii donc? vous pa- raissez tout bouleversé.

H y a que nous sommes découverls, Henri.

Comment! découverts'.'

Oui, de Mouy a él(' arivti-.

,Ie le sais.

Eh bien ! de Mouy a tout dit nu roi.

(Ju'n-l-ildit?

H a dit que je désirais le iri'nie de Navarre, et (pie je ciinspirais pour l'obtenir.

Ah! peca'iru! dit Henri, de sorte que vous Noiià

L\ REIJyE MAr.GOT.

103

compromis, mon pauvre frère ! Comment alors n'ê- tes-vous pas encore arrêté?

Je n'en sais rien moi-même; le roi m'a raillé en faisant semblant de m'offrir le trône de Navarre. Il espérait, sans doute, me tirer un aveu du cœur; mais je n'ai rien dit.

Et vous avez bien fait, ventre-saint-gris! dit le Béarnais; tenons ferme, notre vie à tous les deux en dépend.

Oui, reprit François, le cas est épineux ; voici pourquoi je suis venu vous demander votre avis, mon frère; que croyez-vous que je doive faire : fuir ou rester?

Vous avez vu le roi, puisque c'est à vous qu'il a parlé?

Oui, sans doute.

Eh bien! vous avez lire dans sa pensée! Suivez votre inspiration.

J'aimerais mieux rester, répondit François. Si maître qu'il fût de lui-même, Henri laissa

échapper un mouvement de joie; si imperceptible que fût ce mouvement, François le surprit au pas- sage.

Restez alors, dit Henri.

Mais vous?

Dame! répondit Henri, si vous restez, je n'ai aucun motif de m'en aller, moi! Je ne partais que pour vous suivre, par dévouement, pour ne pas quit- ter un frère que j'aime.

Ainsi, dit d'Alençon, c'en est fait de tous nos

plans: vous vous abandonnez sans lutte au premier entraînement de la mauvaise fortune.

Moi, dit Henri, je ne regarde pas comme une mauvaise fortune de demeurer ici; grâce à mon ca- ractère insoucieux, je me trouve bien partout.

Eh bien! soit, dit d'Alençon, n'en parlons plus ; seulement, si vous prenez quelque résolution nouvelle, faiies-la-moi savoir.

Corbleu ' je n'y manquerai pas, croyez-le bien, repondit Henri. N'est-il pas convenu que nous n'a- vons pas de secrets l'un pour l'autre ?

D'Alençon n'insista point davantage et se re- tira tout pensif, car, à un certain moment, il avait cru voir trembler la tapisserie du cabinet de toilette.

En effet, à peine d'Alençon était-il sorti, que cette tapisserie se souleva et que Marguerite re- parut.

Que pensez-vous de cette visite? demanda Henri.

Qu'il y a quelque chose de nouveau et d'im- portant.

Et que croyez-vous qu'il y ait?

Je n'en sais rien encore ; mais je le saurai.

En attendant?

En attendant, ne manquez pas de venir chez moi demain soir.

Je n'aurai garde d'y manquer, madame! dit Henri en baisant galamment la main de sa femme.

Et, avec les mêmes précautions qu'elle en était sortie, Marguerite rentra chez elle.

XX

LE LIVRE DE VÉNERIE.

rente-six heures s'étaient écoulées depuis les événe- ments que nous venons de raconter. Le jour commen- çait à paraître, mais tout était déjà éveillé au Lou- vre, comme c'était l'habi- tude les jours de chasse, lorsque le duc d'Alençon se rendit chez la reine mère, selon l'invitation qu'il en avait reçue. La reine mère n'était noint dans sa chambre, i

coucher ; mais elle avait ordonné qu'on le fît atten- dre s'il venait.

Au bout de quelques instants, elle sortit d'un cabinet secret personne n'entrait qu'elle, et elle se retirait pour faire ses opérations chimi- ques.

Soit par la porte entr'ouverte, soit attachée ses vêtements, entra en même temps que la reine mère l'odeur pénétrante d'un acre parfum , et, par l'ou- verture de la porte, d'Alençon remar(|ua une vapeur éoaisse, comme celle d'un aromate brûlé, qui flot-

404

LA REINE MIIGOT.

^iz;

■- Je n'aurai garde d'y manquer, madame! dit Henri Vnt 103.

tait en blanc nuage dans ce laboratoire que quittait la reine.

Le duc ne [ml r('|iiiiiier un regard de cuiio-itr.

Oui, dit (ialhciinc de Médiris, oui, j'ai liiril(i quelques vieux parchemins, cl ces parchemins exha- laient une si puante odeur, que j'ai jeté du penirvri' sur le brasier ; de cette odeur.

Il'Ab'nçon s'im-lina.

Eli bii'u ! dit Catherine en cachant dans les lar- ges manch.cs de .sa robe de chambre ses mains, que do légères taches d'un jaune rougeàtrc di.ipraii'nl çà et là, qu'avez-vous de nouvcui depuis hier?

Rien, ma mère.

Avez-vous revu Henri'*

Oui.

Il refuse toujours de partir?

Absolument. Le fourbe !

Que dites-vous, madame?

.le dis qu'il part.

Vous croyez'?

J'en suis sûre.

- Alors, il nous échappe?

Oui. dit Catherine.

LA REINE MARGOT.

105

■'li!:!

iiilliliilliin.

|l|'il:lll!llilllliii"!'.'!|JIIIIII|[;lli

iliiliiiiiSii

wmwm.

Je ne TOUS comprends pa?, ma mère.

El vous le laissez partir?

Non-seulement je le laisse partir; mais je vous dis plus, il faut qu'il parte!

Je ne vous comprends pas, ma mère.

Écoutez bien ce que je vais vous dire, Fran- çois. Un médecin très-habile, le mémo qui m'a re- mis le livre de chasse que vous allez lui porter, m'a affirmé que le roi de Navarre était sur le point d'ê- tre atteint d'une maladie de consomption, d'une de ces maladies qui ne pardonnent pas et auxquelles la science ne peut apporter aucun remède. Or, vous comprenez nue, s'il doit mourir d'un mal si cruel,

il \aut mieux qu'il meure loin de nuus que sous nos yeux, à la cour.

En effet, dit le duc, cela nous ferait trop de peine.

Et surtout à votre frère Cliarles, dit Catherine; tandis que, lorsque Henri mourra après lui avoir désobéi, le roi regardera cette mort comme une [fi- nition du ciel.

Vous avez raison, ma mère, dit François avec admiration, il faut qu'il parte. Mais, ètes-vous bien sûre (|u'il partira'.'

Toutes ses mesures sont prises. Le rendi^z-vous

37

loti!. iDJi- Ui l:;ï alnù, Hm:c^ar «Jiiij'itUdïsr, l

ICG

LA REfr.E MARCiOT.

est dans la forêt de Saint-Germain. Cinquante liii- gnenots doivent lui servir d'escorte jusciii'à Fontai- nejjleau, cinq cents autres l'attendent.

Eh ! dit d'Alençon avec une légère hésitation '-t une pâleur visible, ma sœur Margot part avec lui?

Oui, répondit Catherine, c'est convenu. Mais, Heni'i mort, Margot revient à la cour, veuve ci libre.

Et Henri mourra, madame, vous en êtes cer- taine?

Le médecin qui m'a remis le livre en qu(-sli(in me l'a assuré, du moins.

El ce livre, est-il, madame? Catherine retourna à pas lents vers le caliinct

mysti'rieux, ouvrit la porte, s'y enfonça, et reparut un instant après, le livre à la main.

Le voici, dit-elle.

D'Alençon regarda le livre que lui présentait sa mère avec une certaine terreur.

Qu'est-ce que ce livre, madame? demanda en frissonnant le duc.

,Ie vous l'ai déjà dit, mon fils, c'est un travail sur l'art d'élever et de dresser faucons, tiercelets et gerfauts, lait par un fort savant homme, par le sei» gneur Castruccio Castracani, tyran de Lucques.

Et que dois-je en faire?

Mais le porter chez votre bon ami Ilenriot, ([ui vous l'a demandé, à ce que vous m'avez dit, lui ou quelque autre pareil, pour s'instruire dans la science de l'a volerie. Comme il chasse au vol aujourd'luii avec le roi, il ne manquera pas d'en lire quelques pages, afin de prouver au roi qu'il suit ses cuns^eils en prenant des leçons. Le tout est de le remettre à lui-môme.

Oh! je n'oserai pas, dit d'Alençon en frisson- nant.

Pourquoi? dit Catherine; c'est un livre comme un autre, excepté qu'il a été si longtemps renforii!i'. que les pages sont collées les unes aux autres. N'es- sayez donc pas de le lire,, vous, François, car on ne peut le lire qu'en mouillant son doigt et en poussant les pages feuille à feuille, ce qui prend beaucoup de temps et donne beaucoup de peine.

Si bien (ju'il n"y-a(iu'un homme qui a le grand désir de s'instruire; {|ui puisse perdre ce temps et prendre cette peine? dit d'Alençon.

Justement, mon fils, vous comprenez.

Oh ! dit d'Alençdn, voici d(''jà llenriol dans la cour; donnez, madame, diinnez. .le \ais iunliler ili' .son absence pour purlcr ce livre chez lui ; à .snu ri - tour, il le trouvera.

_— J'aimerais mii'ux (|ur vllu^ Ir lui ddunassicz à liii-mêiiie, Frani'iiis; ce serait plus sûr.

■-' Je vous ai di'jà dit que je n'oserais poinl. ni,- d.'iiiic. reprit le duc.

Allez donc; mais, au moins, posez-le dans nu «ndruil bien upparunl.

Ouvert... Y a-t-il inconvénient à ce qu'il suit ouvert ;

Non.

Donnez alors.

D'Alençon prit d'une main tremblanle le livre, que, d'une main ferme, Catherine étendait vers lui.

Prenez, prenez, dit Catherine, il n'y a pas de danger, puisque j'y touche; d'ailleurs, vous avez des gants.

Cette précaution ne suffit pas à d'Alençon, qui enveloppa le livre dans son manteau.

Hâtez-vous, dit Catherine, hâtez-vous I d'un moment à l'autre, Henri peut remonter.

Vous avez raison, madame; j'y vais.

Et le duc sortit tout chancelant d'émotion.

Nous avons introduit plusieurs fois déjà le lecteur dans l'appartement du roi de Navarre, et nous l'a- vons fait assister aux séances qui s'v sont passées, joyeuses ou terribles, selon que souriait ou mena- çait le g('nie protecteur du futur roi de France.

Mais jamais peut-être les murs souillés de sang ,par le meurtre, arrosés de vin par l'orgie, embau- més de parfums par l'amour, jamais ce coin du Lou- vre, enfin, n'avait vu apparaître un visage plus pâle que celui du duc d'Alençon ouvrant, son livre à la main, la porte de la chambre à coucher du roi de Navarre.

Et cependant, comme s'y attendait le duc, per- sonne n'était dans cette chambre pour interroger d'un œil curieux ou inquiet l'action qu'il allait com- mettre. Les premiers rayons du jour éclairaient l'ap- partement parfaitement vide.

A la muraille [icndait toute prête cette épc'c (pie de Mouy avait conseillé à Henri d'emporter. Quel- ^ics chaînons d'une ceinture de mailles étaient ('■pars sur le parquet. Une bourse honnêtement ar- rondie et un petit poignard ('taienl posi's .sur un meuble, et des cendres légères et llottanies encore dans la cheminée, jointes à ces autres indic(\<, di- saient clairement à d'Alençon que le roi de Navarre avait endossi! une chemise d(' mailles, demanih" de l'arueut à son trésorier, et brùh' des papiers com- prouii'tlants.

Ma mèrtnie s'('!ait pas trompée, dit d'Alençon, hi fourbe me trahissait.

Sans doute cette conviction donna une nouvelle force au jeune homme, car. après avoir sond(' du regard tous les coins de la chambre, après avoir sou- levii les tapi.sseries des portières, npn''s qu'un grand bruit relenti.ssanl dans les cours et(|u'un grand si- lence qui ri'gnait dans i'appurlement lui eut prouvii (pie personne ne .songeait h l'espiouiier. il lira le li- vre (le dessous S(Ul iiianteaii, le posa rapidemeul sur la liible éliiil la bourse, rad(),s.<ant à un pupitre (le clièiie ,sculpl('; puis, s'('carlant aussil('it. il albui- gea le bras, ot. avec une hésilalion ()ui trahissait sps

lA ?xV.\>V MARGOT.

107

ci'a ntci. de- sa maia gantée il ouvrit le livre à l'en- droit d'une gravure de chasse.

Le livre ouvert, d'Alençon fit aussitôt trois pas en arriére, et, retirant son gant, il le jeta dans le bra- sier encore ardent qui venait de dévorer les lettres. La [jcau souple cria sur les charbons, se tordit et s'étala comme le cadavre d'un large reptile, puis ne laissa plus bientôt qu'un résidu noir et crispi'.

D'Alençon demeura jusqu'à ce que la ilamnie eût entièrement dévoré le gant; puis il roula le u'.an- teau qui avait enveloppé le livre, le jeta sous son bras, et regagna vivement sa chambre. Comme il y entrait, le cœur tout palpitant, il entendit des pas dans l'escalier tournant, et, ne doutant plus que ce fût Henri qui rentrait, il referma vivement sa porte.

Puis il s'élança vers la fenêtre; mais de la fenê- tre on n'apercevait qu'une portion de la cour du Louvre. Henri n'était point dans cette portion de la cour, et sa conviction s'en affermit que c'était lui qui venait de rentrer.

Le duc s'assit, ouvrit un livre et essaya de lire. C'était une histoire de France depuis l'haramond jusqu'à Henri 11, et pour laquelle, quelques jours après son avènement au trône, il avait donné privi- lège.

Mais l'esprit du duc n'était point là; la fièvre de l'attente brûlait ses artères. Les battements de ses tempes retentissaient jusqu'au fond de son cerveau; comme on voit dans un rêve ou dans une extase ma- gnétique, il semblait à François qu'il voyait à tra- vers les murailles; son regard plongeait dans la chambre de Henri, malgré le triple obstacle qui le séparait de lui.

' Pour écarter l'objet terrible qu'il croyait voir avec les yeux de la pensée, le duc essaya de fixer la sienne sur autre chose que sur le livre terrible ouvert sdf le pupitre de bois de chêne à l'endroit de l'image; mais ce fut inutilement qu'il prit l'une après l'autre ses armes, l'un après l'autre ses joyaux, qu'il ar- penta cent fois le même sillon du parquet, chaque détail de celte image, que le duc n'avait qu'entrevue cependant, lui était restée dans l'esprit. C'était un seigneur à cheval qui. remplissant lui -même l'office d'un valet de fauconnerie, lançait le leurre en rap- pelant le faucon et en courant au grand galop de son cheval dans les herbes d'un marécage. Si vio- lente que fût la volonté du duc, le souvenir triom- phait de sa volonté.

Puis ce n'était pas seulement ce livre qu'il voyait, c'était le roi de Navarre s'approchant de ce livre, regardant cette image, essayant de tourner les pa- ges, et, empêché par l'obstacle qu'elles opposaient, triomphant de l'obstacle en mouillant son pouce et en forçant les feuillets à glisser.

Et à cette vue, toute iictive et toute fantastique qu'elle était. d'Alençon, chancelant, était forcé de s'appuyer d'une main à un meuble, tandis que de

l'autre il couvrait ses yeux, comme si, les yeux cou- verts, il ne voyait pas encore mieux le spectacle qu'il voulait fuir.

Ce spectacle était sa propre pensée.

Tout à coup, d'Alençon vit Henri qui traversait la cour; celui-ci s'arrêta quelques instants devant des hommes qui entassaient sur deux mules des luo- visions de chasse, qui n'étaient autres que de l'ar- ftent et des effets de voyage ; puis, ses ordres don- nés, il coupa diagonalement la cour, et s'acheniina visiblement vers la porte d'entrée.

D'Alençon était immobile à sa place. Ce n'était donc pas Henri qui était monté par l'escalier secret? Toutes ces angoisses, qu'il éprouvait depuis un quart d'heure, il les avait donc éprouvées inutilement. Ce qu'il croyait fini, ou près de finir, était donc à re- commencer.

D'Alençon ouvrit la porte de sa chambre, puis, tout en la tenant fermée, il alla écouter à celle du corridor. Cette fois, il n'y avait pas à s'y tromper, c'était bien Henri. D'Alençon reconnut son pas et jusqu'au bruit particulier de la molette de ses épe- rons.

La porte de l'appartement de Henri s'ouvrit et se referma.

D'Alençon rentra chez lui et tomba sur un fau- teuil.

Bon! se dit-il, voici ce qui se passe à cette heure : il a traversé l'antichambre, la première pièce, puis il est parvenu jusqu'à la chambre à cou- cher ; arrivé là, il aura cherché des yeux son épée , puis sa bourse, puis son poignard, puis, enfin, il aura trouvé le livre tout ouvert sur son dressoir.

Quel est ce livre'! se sera-t-il demandé; qtH m'a apporté ce livre?

Puis il se sera rapproché, aura vu cette gravure représentant un cavalier rappelant son faucon, puis il aura voulu lire, puis il aura essayé de tourner les feuillets.

L'iu' sueur froide passa sur le front de Fran- çois.

Va-t-il appeler? dit-il. Est-ce un poison d'un effet soudain ? Non, non, sans doute, puisque ma mère m'a dit qu'il devait mourir lentement de con- somption.

Cette pensée le rassura un peu.

Dix minutes se passèrent ainsi, siècle d'agonie usé secondes par secondes, et chacune de ces secondes fournissant tout ce que l'imagination invente de terreurs insensées, un monde de visions.

D'Alençon n'y put tenir davantage, il se leva, tra- versa son anticliambre, qui commençait à se rem- plir de gentilshommes.

Salut, messieurs, dit-il, je descends chez le roi . , ,

Et, pour tromper sa dévorante inquiétude, pour préparer un alibi peut-être, d'Alençon descendit ef- fectivement chez son frère. Pourquoi descendait-il?

108

LA REINE MARGOT.

Il l'ignorait... Qu'avait-il à lui dire?... Rien! Ce n'était point Charles qu'il clierchait, c'était Henri qu'il fuyait.

Il prit le petit escalier tournant et trouva la porte du roi entr'ouverte.

Les gardes laissèrent entrer le duc sans mettre aucun empêchement à son passage : les jours de chasse, il n'y avait ni étiquette ni consigne.

François traversa successivement l'antichambre, le salon et la chambre à coucher sans rencontrer personne; enfin, il songeait que Charles était sans doute dans son cabinet des armes, et poussa la porte qui donnait de la chambre à coucher dans le ca- binet.

Charles était assis devant une table, dans un grand fauteuil sculpté à dossier aigu; il tournait le dos à la porte par laquelle était entré François.

11 paraissait plongé dans une occupation qui le dominait.

Le duc s'approcha sur la pointe du pied ; Charles lisait.

Pardieu 1 s"écria-t-il tout à coup, voilà un li- vre admirable, .l'en avais bien entendu parler , mais je n'avais pas cru qu'il existât en France.

D'Alençon tendit l'oreille et fit un pas encore.

Maudites feuilles, dit le roi en portant son pouce à ses lèvres et en pesant sur le livre pour sé- parer la page qu'il avait lue de celle qu'il voulait lire, on dirait qu'on en a collé les feuillets pour dérober aux regards des hommes les merveilles qu'il renferme.

D'Alençon fit un bond en avant.

Ce livre, sur lequel Charles était courbé c'était

lenri :

celui qu'il avait déposé chez

Un cri sourd lui échappa.

Ah! c'est vous, d'Alençon? dit Charles, soyez le bienvenu, et venez voir le plus beau livre de

vénerie qui soit jamais sorti de la plume d'un homme.

Le premier mouvement de d'Alençon fut d'arra- cher le livre des mains de son frère ; mais une pen- sée infernale le cloua à sa place, un sourire effrayant passa sur ses lèvres blèmies, il passa la main sur ses yeux comme un homme ébloui.

Puis, revenant peu à peu à lui, mais sans faire un pas en avant ni en arrière :

Sire, demanda d'Alençon, comment donc ce livre se trouve-t-il entre les mains de Votre Ma- jesté?

Rien de plus simple. Ce matin, je suis monté chez Henriot pour voir s'il était prêt ; il n'était déjà plus chez lui; sans doute, il courait les chenils et les écuries; mais, à sa place, j'ai trouvé ce trésor que jai descendu ici pour le lire tout à mon aise.

Et le roi porta encore une fois son pouce à ses lèvres, et une fois encore fit tourner la page re- belle.

Sire, balbutia d'Alençon, dont les cheveux se hérissèrent et qui se sentit saisir par tout le corps d'une angoisse terrible, sire, je venais pour vous dire...

Laissez-moi achever ce chapitre, François, dit Charles, et ensuite vous me direz tout ce que vous voudrez. Voilà cinquante pages que je lis, c'est-à- dire que je dévore.

Il a goîité vingt-cinq fois le poison, pensa François. Mon frère est mort!

Alors il pensa qu'il y avait un Dieu au ciel qui n'était peut-être point le hasard.

François essuya de sa main tremblante la froide rosée qui dégouttait sur son front, et attendit silen- cieux, comme le lui avait ordonné son frère, que le chapitre fût achevé.

LA REFNE MARGOT.

Kl'J

, I M

ililDi

Charles lisait loipours.

XXI

I.A CHASSE Al) VOL.

suivants, D

harles lisait toujours. Diins sa curiosité, il dévorait les pages; et chaque page, nous ravoiis dit, soit à cause de riiumidité à laquelle elles avaient été longtemps ex- posées, soit pour tout au- tre motif, adhérait à la page Aleuçon considérait d'un œil hagard ce

tcrnhle spectacle, dont il entrevoyait seul ledénoû- ment.

Oh! murmura-t-il, que va-t-il donc se passer ici? Comment! je partirais, je m'exilerais, j'irais chercher un troue imaginaire, tandis que Henri, à la première nouvelle de la maladie de Charles, re- viendrait dans quelque ville forte à vingt lieues de la capitale, guettant cette proie que le hasard nous livre, et pourrait d'une seule enjambée être dans la

llû

LA REIXE MARGOT.

capitale; de sorte que, avant que le roi de Pologne eût seulement appris la nouvelle de la mort de mon frère, la dynastie serait déjà changée : c'est impos- sible!

C'étaient ces pensées qui avaient dominé le pre- mier sentiment d'horreur involontaire qui pous- sait François à arrêter Charles. C'était cette fata- lité persévérante qui semblait garder Henri et pour- suivre les Valois, contre laquelle le duc allait encore essayer une fois de réagir.

En un instant, tout son plan venait de changer à l'égard de Henri. C'était Charles et non Henri qui a\ait lu le livre empoisonné ; Henri devait partir, mais partir condamné. Du moment la fatalité ve- nait de le sauver encore une fois, il fallait que Henri restât ; car Henri était moins à craindre prisonnier à Vincennes ou à la Bastille, que le roi de Navarre à la tète de trente mille hommes.

Le duc d'Alençon laissa donc Charles achever son chapitre ; et lorsque le roi releva la tête :

Mon frère, lui dit-il, j'ai attendu parce que Votre Majesté l'a ordonné; mais c'était à mon grand regret, parce que j'avais des choses de la plus haute importance à vous dire.

Ah ! au diable ! dit Charles, dont les joues pMes s'empourpraient peu à peu, soit qu'il eût mis une trop grande ardeur à sa lecture, soit que le poison commençât à agir; au diable! si tu viens encore me parler de la même chose. Tu partiras comme est parti le roi de Pologne. Je me suis débarrassé de lui, je me débarrasserai de toi, et plus un mot là- dessus.

Aussi, mon frère, dit François, ce n'est point de mon di'part que je veux vous entretenir, mais de celui d'un autre. Votre Majesté m'a atteint dans mon sentiment le plus profond et le plus délicat. qui est mon dévouement pour elle comme frère, ma fidélité comme sujet, et je tiens ù lui prouver que ]e ne suis pas un traître, moi.

Allons, dit Ciiarles en s'accoudant sur le livre, en croisant ses jpmbes l'une sur l'autre, et en regar- dant d'Alençon en homme qui fait contre ses habi- tudes provision de patience, allons, qui'l(|U(' bruit nouveau, quelque accusation matinale'!

Non, sire. Une certitude, un complot que ma ridicule délicatesse m'avait seule eni|iêch(' de vous ri'Vi'ler.

Un complot, dit Charles. Voyons le complot.

Sire, dit François, tandis que Votre Majesté ciiasscra au vol auprès de la rivière et dans la plaine du Vesinet, le roi de Navarre gagni-ra la forêl de Saiiit-Cerniain, une troupe d'amis ratlcnilent dans celte forêt et il doit fuir avec eux.

Ail ! je le savais bien, dit Cliaiies. Knrire une bonne calomnie contre mon pninre Ilcnriot. Ah rà! en linirez-vous avec lui ?

- Votre Majest(' n'aura pas besoin d'allciidre^ longtemps au moins pour s'assuicr si re que j'ai

l'honneur de lui dire est ou non une calomnie.

Et comment cela'?

Parce que ce soir notre beau-frère sera parti. Charles se leva.

Ecoutez, dit-il, je veux bien, une dernière fois encore, avoir l'air de croire à vos intentions; mais, je vous en avertis, toi et ma mère, cette fois, c'est la dernière.

Puis, haussant la voix :

Qu'on appelle le roi de Navarre, ajouta-t-il. Un garde fit un mouvement pour obéir; mais

François l'arrêta d'un signe.

.Mauvais moyen, mon frère, dit-il; de cette fa- çon vous n'apprendrez rien. Henri niera, donnera un signal , ses complices seront avertis et disparaî- tront; puis ma mère et moi nous serons accusés non- seulement d'être des visionnaires, mais encore des calomniateurs.

Que demandez-vous donc alors?

Qu'au nom de notre fraternité. Votre Majesté m'écoute; qu'au nom de mon dévouement quelle va reconnaître, elle ne brusque rien. Faites en sorte, sire, que le véritable coupable, que celui qui, de- puis deux ans, trahit d'intention Votre Majesté, en attendant qu'il la trahisse de fait, soit enfin reconnu coupable par une épreuve infaillible, et puni comme il le mérite.

Charles ne répondit point; il alla à une fenêtre et l'ouvrit : le sang envahissait son cerveau. Enfin, se retournant vivement :

Eh bien! dit-il, que fericz-vous'i Parlez, Fran- çois.

Sire, dit d'Alençon, je ferais cerner la forêt de Saint-Germain par trois détachements de che- vau-légers, qui, à une heure convenue, à onze heu- res par exemple, se mettraient en marche et rabat- traient tout ce qui se trouve dans la forêt sur le pa- villon de François I", que j'aurais, comme par ha- sard, désigné pour l'endroit du rendez-vous du dî- ner. Puis, quand, tout en ayant l'air de suivre mon faucon, je verrais Henri s'éloigner, je piquerais au rendez-vous, oii il se trouvera pris avec tous ses complices.

L'idée est bonne, dit le roi ; qu'on fasse venir mon capitaine des gardes.

D'Alençon tira de son pourpoint un sifllel d'ar- gent pendu à une chaîne d'or et siffia.

M. de Nancey parut.

(Miarles alla à lui ei lui donna ses ordres à voix basse.

Pendant ce temps, son grand lévrier A( léon nxail saisi une prttie qu'il roulait par \n chambre et dé- rhirait â belles dents avec niillo bonds folâtres.

Charles se retourna, et poussa un juron lerrililo. Cette proie, (jue s'était faite Actc'on, c'était ce pré- cieux livre de vénerie, dont il n'existait, pomme nous l'avons dit, que trois e\eni|daires au monde.

Le cliàtimenl fut égal ou crime ; Charles saisit ua

LA HEVSE 3IAr.G0T.

m

fouet, la lanière sifilante enveloppa l'animal d'un triple nœud. Actéon jeta un cri et disparut sous une table couverte d'un immense tapis qui lui servait de retraite.

Charles ramassa le livre et vit avec joie qu'il n'y manquait qu'un feuillet; et, encore, ce feuillet n'e- tait-il pas une page de texte, mais une gravure.

Il le plaça avec soin sur un rayon Actéon ne pouvait atteindre. D'Alençon le regardait faire avec inquiétude. Il eût voulu fort que ce livre, mainte- nant qu'il avait rempli sa terrible mission, sortit des mains de Charles.

Six heures sonnèrent.

C'était l'heure à laquelle le roi devait descendre dans la cour encombrée de chevaux richement ca- paraçonnés, d'hommes et de femmes richement vê- tus. Les veneurs tenaient sur leurs poings leurs fau- cons chaperonnés ; quelques piqueurs avaient des cors en écharpe au cas le roi, fatigué de la chasse au vol, comme cela lui arrivait quelquefois, vou- drait courre un daim ou un chevreuil.

Le roi descendit, et, en descendant, ferma la porte de son cabinet des armes. D'Alençon suivait chacun de ses mouvements d'un ardent regard et lui vit mettre la clef dans sa poche.

En descendant l'escalier, il s'arrêta, porta la main à son front.

Les jambes du duc d'Alençon tremblaient non moins que celles du roi.

Eu effet, balbutia-t-il, il me semble que le temps esta l'orage.

A l'orage au mois de janvier, ditCharles,*vous êtes fou ! Non, j'ai des vertiges, ma peau est sèche; je suis faible, voilà tout.

Puis à demi-voix :

Ils me tueront, continua-t-il, avec leur haine et leurs complots.

Mais, en mettant le pied dans la cour, l'air frais du matin, les cris des chasseurs, les saluts bruyants de cent personnes rassemblées, produisirent sur Charles leur effet ordinaire.

Il respira libre et joyeux.

Son premier regard avait été pour chercher Henri. Henri était près de Marguerite. Ces deux excellents époux semblaient ne se pouvoir quitter, tant ils s'aimaient.

En apercevant Charles, Henri fit bondir son che- val, et, en trois courbettes de l'animal, fut prés de son beau-frère.

Ah! ah ! dit Charles, vous êtes monté en cou- reur de daim, Henriot. Vous savez cependant que c'est une chasse au vol que nous faisons aujour- d'hui.

Puis, sans attendre la réponse :

Partons, messieurs, partons, il faut que nous soyons en chasse à neuf heures! dit le roi le sour- cil froncé et avec une intonation de voix presque menaçante.

Catherine regardait tout cela par une fenêtre du Louvre. Un rideau soulevé donnait passage à sa tête pâle et voilée, tout le corps vêtu de noir disparais- sait dans la pénombre.

Sur l'ordre de Ciiarles, toute cette foule dorée, brodée, parfumée, le roi en tête, s'allongea pour passer à travers les guichets et roula comme une avalanche sur la route de Saint-Germain, au milieu des cris du peuple, qui saluait le jeune roi, soucieux et pensif, sur son cheval plus blanc que la neige.

Que vous a-t-il dit? demanda Marguerite à Henri.

Il m'a félicité sur la finesse de mon cheval.

Voilà tout?

Voilà tout.

H sait quelque chose, alors?

J'en ai peur.

Soyons prudents.

Henri é;:laira son visage d'un de ces fins sourires qui lui étaient habituels, et qui voulaient dire, pour Marguerite surtout; Soyez tranquille, ma mie.

Quant à Catherine, à peine tout ce cortège avait- il quitté la cour du Louvre qu'elle avait laissé re- tomber son rideau.

Mais elle n'avait point laissé échapper une chose, c'était la pâleur de Henri, c'étaient ses tressaille- ments nerveux, c'étaient ses conférences à voix basse avec Marguerite.

Henri était pâle parce que, n'ayant pas le cou- rage sanguin, son sang, dans toutes les circonstan- ces où sa vie était mise en jeu, au lieu de lui mon- ter au cerveau comme il arrive ordinairement, lui refluait au cœur.

H éprouvait des tressaillements nerveux, parce que la façon dont l'avait reçu Charles, si différente de l'accueil habituel qu'il lui faisait, l'avait vive- ment impressionné.

Enfin, il avait conféré avec Marguerite, parce que, ainsi que nous le savons, le mari et la fenune avaient fait,. sous le rapport de la politique, une al- liance offensive et défensive.

Mais Catherine avait interprété les choses tout au- trement.

Cette fois, murraura-t-olle avec son sourire florentin, je crois qu'il en lient, ce cher llenriot.

Puis, pour s'assurer du fait, après avoir attendu un quart d'heure pour donner le temps à toute la chasse de quitter Paris, elle sortit de son apparte- ment, suivit le corridor, monta le petit escalier tour nant, et, à l'aide de sa double clef, ouvrit l'appar- tement du roi de Navarre.

Mais ce fut inutilement que par tout cet apparte- ment elle clierclia le livre. Ce fut inutilement que parlent son regard ardent passa des tables aux dres- soirs, des dressoirs aux -rayons, des rayons aux ar- moires; nulle part elle n'aperçut le livre qu'elle cherchait.

112

LA r,Eli\E MARGOT.

Clincun l'i.iil dctiicuré à sn pliicc, les yeux lixus $ut le fugilif el le poiirsuivanl, Vuer. 114.

D'Alcnron l'aura il('jà cnlcvi' . dii-i'llo; (-'ost prudent.

Kt elle (Icscendil clioz elle, ]ircs(]ue certaine, cotlc fois, que, son projet avait réussi.

Cependant le roi poursuivait sa roule vers Sainl- ricnriain, il arriva après une heure el demie di' rourse rapide; on ne monta iiiènie pas au vidix rliàli-au, qui s'('levail sombre et majestueux au mi- lieu des maisons l'parses sur la monta^;ne. On tra- versa le pont d(î luiis situi- à cette (■'()0(pi(' en face de i'arliri' <pi'aiiiourd'liui encore on appelli' li- clièiie de Sully, l'uis on lit si^jne aux liarqoes |>a\oisi'CS

qui suivaient la rluisse, (tour donner la facilité au rui cl aux fjens de sa suite de traverser la rivière, de se mettre en niouveiiicnt.

.\ l'instant même, toute celle joyeuse jeunesse, animi'e d'inlérêts si divers, se mil en marche, le roi en trie, sur celle niaRnifiipie prairie qui pend du somiMcl hoisi- de Sainl-lierinain. el ipii prit soudain ras[)ect d'une grande tapisserie A personnages dia- prés de mille couleurs, et dont la rivière iruninnlo sur .sa ri\(' simulait la frange argent<'e.

I",n avant du roi. toujours sur son cheval Idanf et tenant son faucon favori au poing, marcliaical

LA REINE MARGOT.

H3

A ce cri, tous les courtisnns accoururent Page 114.

les valets de vénerie vêtus de justaucorps verts et chaussés de grosses bottes, (]ui, maintenant de la voix une demi-douzaine de chiens griffons, bat- taient les roseaux qui garnissaient la rivière.

En ce moment, le soleil, caché jusque-là derrière les nuages, sortit tout à coup du sombre océan il s'était plongé. Un rayon de soleil éclaira de sa lu- mière tout cet or, tous ces joyaux, tous ces yeux ar- dents, et de toute cette lumière il faisait un torrent de feu.

Alors, et comme s'il n'eût attendu que ce moment pour qu'un beau soleil éclairât sa défaite, un héron

s'éleva du sein des roseaux en poussant un cri pro- longé et plaintif.

Uawlbaw! cria Charles en déchaperonnant son faucon et en le lançant après le fugitif.

Hawl haw! crièrent toutes les voix pour en- courager l'oiseau.

. Le faucon, un instant ébloui par la lumière, tourna sur lui-même, décrivant un cercle sans avan- cer ni reculer; puis, tout à coup, il aperçut le hé- ron et prit son vol sur lui à tire-d'ailes.

Cependant le héron, qui s'était, en oiseau pru- dent, levé à plus de cent pas des valets de vénerie,

Paru. Imp. de DRY alné^ Louîetari MootparQasic, SI.

H4.

LA REINE iMARGOT.

avait, pendant que le roi décliaperonnait son fau- con pt que celui-ci s'était habitué à la lumière, ga- gné (le l'espace, ou plutôt de la hauteur. 11 en ré- sulta que. lorsque son ennemi l'aperçut, il était déjà à plus de cinq cents pieds de hauteur, et que, ayant trouvé dans les zones élevées l'air nécessaire à ses puissantes ailes, il montait rapidement.

Hawl haw! Bec-de-Fer, cria Charles, encou- rageant son faucon, prouve-nous que tu es de race. Haw ! haw !

Comme s'il eût entendu cet encouragement, le nohleanimal partit, semblable une flèche, parcou- rant une ligne diagonale qui devait aboutir à la li- gne verticale qu'ailoptait le héron, lequel montait toujours comme s'il eût voulu disparaître dans l'é- ther.

Ah! double couard! cria Charles comme si le fugitif eût pu l'entendre, en mettant son cheval au galop et en suivant la chasse autant qu'il ct::':\ en lui. la trte renversée en arrière pour ne pas perdre un instant de vue les deux oiseaux. Ah! double couard, tu fuis. Mons Bec-de-Fer est de race; at- tends! attends! Haw! Bec-de-Fer, haw!

En effet, la lutte fut curieuse ; les deux oiseaux se rap[irnchaient l'un de l'autre, ou plutùl le faucun se rapprochait du héron. La seule question était de sa- voir lequel dans cette première attaque conserverait le dessus.

La peur eut de meilleures ailes ((ue le courage. Le faucon, emporté par son vol, passa sous le ventre du hérnn qu'il eût dominer. Le héron profila de sa supériorité et lui allongea un coup de son long bec.

Le faucon, frappé comme d'un coup de poignard, fit trois tours sur lui-même, comme cUnurdi, et. un instant, on dut croire qu'il allait redescendre. Mais, comme un guerrier blessé qui ge relève plus terii- blc. il jela une espèce de cri aigu et menaçant et reprit son vol sur le héron.

Le héron avait profite de son avantage, et, chan- geant la direction de son vol, il avait fait un coude vers la forêt, essayant cette fois de gagner de l'es- pace et d'i'chappcr par la distance au lieu d'échap- per |iar la hauteur.

Mais le faucon était un animal de noble race qui avait un coup d'œil do gerfaut. Il répéta la même ninn'etivre, piqua diagonalenient sur le hiTon. (]ui jela doux nu trois cris rie diiiressc ol essaya de mon- ter perpendiculairement comme il l'avait fait une première fois. Au bout do quelques secondes de celle douille lutte, les deux oiseaux semblèrent sur le point (le ilisparaître dans les nuages. Le lnTon n'était pas plus gros qu'une alouette, cl le faucon senibinit un point noir qui, à chaque instant, di-vc- nail plus impercepiiblo.

Charles ni la cour ne suivaient (ilns les deux oi- seaux. Clincnn était deineuré à m \A;\ci'. les \cn\ lixés sur le fugitif r'i le poursiiivniil.

Bravo! bravo! Bec-de-Fer! cria tout à coup Charles. Voyez, voyez, messieurs, il a le dessus! Haw ! haw !

Ma foi, j'avoue que je ne vois plus ni l'un ni l'autre, dit Henri.

Ni moi non plus, dit Marguerite.

Oui, mais si tu ne les vois plus. Henriot. tu peux lesentenilre encore, dit Charles, le hcion. du moins. Entends-tu? entends-tu'î il demande grâce!

En effet, deux ou trois cris plaintifs, et qu'une oreille exercée pouvait seule saisir, descendirent du ciel sur la terre.

Écoute, écoute, cria Charles, et tu vas les voir descendre plus vite qu'ils ne sont montés.

En effet, comme le roi prononçait ces mots, les deux oiseaux commencèrent à reparaître. C'é- taient deux points noirs .seulement, mais à la diffé- rence de grosseur de ces deux points, il était facile de voir cependant que le faucon avait le dessus.

Voyez! voyez! cria Charles... Bec-de-Fer le tient

En effet, le héron, dominé par l'oiseau de proie. Il' 's-ayait même plus de se défendre. 11 descendait lapidenient incessamment frappé par le faucon et ne répondant que par ses cris; tout à coup, il replia SCS ailes et se laissa tomber comme une pierre; mais son adversaire en fit autant, et, lorsque le fugitif voulut reprendre son vol, un dernier coup de bec retendit; il continua sa chute en tournoyant sur lui-même, et. au moment il touchait la terre, le faucon s'abattit sur lui, poussant un cri de victoire qui couvrit le cri de défaite du vaincu.

Au faucon ! au faucon ! cria Charles. Et il lança son cheval au galop dans la direction de l'endroit les deux oiseaux s'étaient abattus.

Mais, tout à coup, il arrêta court sa monture, jeta un cri lui-même, lâcha la bride et s'accrocha d'une main à la crinière de son cheval, tandis (jue de soli autre main il saisit son estomac commcs'il eût voulu déchirer ses entrailles.

A ce cri, tous les courtisans accoururent.

Ce n'est rien, ce n'est rien, dit Charles le vi- sage ennammé et l'œil hagard; mais il vient de me sembler qu'on nie passait un fer rouge à travers l'es- tomac. Allons, allons, ce n'est rien.

Et Charles remit son cheval 'au galop. D'Aleneon pâlit.

Qu'y a-t-il donc encore de nouveau ( demanda Henri à Marguerite.

.le n'en sais rien, n'pundil celle-ci ; mais vnus avez vu'f mon frère ('tait pourpre.

- (]o n'est cependant pas son habitude, dit lli'nri.

I.i^s courtisans s'enlre-re^ardèienl eloniK'S el sui- \irenl le roi.

Ou arriva à l'iMidruil mi les deux oiseaux s'étaient

LA REINE MARGOT.

il5

abattus. Le faucon rongeait déjà la cervelle du hé- ron.

En arrivant, Charles sauta à bas de sou cheval pour voir le combat de plus près.

Mais, en touchant la terre, il fut obligé de se tenir à la selle ; la terre tournait sous lui. 11 éprouva une violente envie de dormir.

Mon frcre ! mon frère! s'écria Marguerite, qn'avez-vous?

J'ai, dit Charles, j'ai ce que dut avoir Porcie, quand elle eut avalé ses charbons ardents: j'ai que je brûle, et qu'il me semble que mon haleine est de flamme.

En même temps, (_;iiarles poussa son souille au dehors, et parut étonné de ne pas voir sortir du feu de ses lèvres.

Cependant, on avait repris et rechaperonné le faucon, et tout le monde s'était rassemblé autour de Charies.

Eh bien ! eh bien! que veut dire cela? Corps

du Christ! ce n'est rien, ou, si c'est quelque chose, c'est le soleil qui me casse la tète et me crève les yeux. Allons, allons, en chasse, messieurs. Voici toute une compagnie de ballebrauds. Lâchez toutl lâchez tout! Corbœufl nous allons nous amuser!

On déchaperonna en effet et on lâcha à l'instant même cinq ou six faucons, qui s'élancèrent dans la direction du gibier, tandis que toute la chasse, le roi en tète, regagnait les bords de la rivière.

Eh bien! que dites-vous, madame? demanda Henri à Marguerite.

Que le moment est bon, dit Marguerite, et que, si le roi ne se retourue pas, nous pouvons d'ici ga- gner la forêt facilement.

Henri appela le valet de vénerie qui portait le héron; et, tandis que l'avalanche bruyante et dorée roulait le long du talus qui fait aujourd'hui h ter- rasse, il resta seul eu arriére comme s'il examinait le cadavre du vaincu.

XXII

LE PAVILLON DE FRANÇOIS I"

'était une belle chose que la chasse à l'oiseau faite par des rois quand les rois étaient presque des demi- dieux et i[ue la chasse était non-seulement un loisir, -^g^—^. mais un art.

■^ ^ Néanmoins, nous devons

quitter ce spectacle royal pour pénétrer dans un endroit de la forêt, tous les acteurs de la scène que nous venons de raconter vont nous rejoindre bientôt.

A droite de l'allée des Violettes, longue arcade de feuillage, retraite moussue, où, parmi les lavandes et les bruyères, un lièvre inquiet lève de temps en temps les oreilles, tandis que le daim errant lève sa tête chargée de bois, ouvre Igs naseaux et écoute, est une clairière assez éloignée pour que de la route on ne la voie pas ; mais pas assez pour que de cette clairière on ne voie pas la route.

Au milieu de cette clairière, deux hommes cou- chés sur l'herbe, ayant sous eus un manteau de voyage, à leur côté une longue épée, et auprès d'eux

chacun un mousqueton à gueule évasée, qu'on ap- pelait alors un poitrinal, ressemblaient de loin, par l'élégance de leur costume, à ces joyeux deviscurs du Décaméron; de près, par la menace de leurs armes, à ces bandits des bois que, cent ans plus tard, Salvalor Rosa peignit d'après nature dans ses paysages.

L'un d'eux était appuyé sur un genou et sur une main, et écoutait comme un de ces lièvres ou de ces daims dont nous a\ons parlé tout à l'heure.

Il me semble, dit celui-ci, que la chasse s'était singulièrement rapprochée de nous tout à l'heure. J'ai entendu jusqu'aux cris des veneurs encoura- geant le faucon.

Et maintenant, dit l'autre, qui paraissait at- tendre les événements avec beaucoup plus de philo- sophie que son camarade, maintenant, je n'entends plus rien : il faut qu'ils se soient éloignés... Je t'a- vais bien dit que c'était un mauvais endroit pour l'observation. On n'est pas vu, c'est vrai, mais on ne voit pas.

Que diable ! mon cher Annibal, dit le premier des interlocuteurs, il fallait bien mettre quelque part

118

LA REINE iMARGOT.

nos deux c!iev:iux ii nous, puis nos deux chevaux de main, puis ces deux mules si chargées que je ne sais pas comment elles feront pour nous suivre. Or, je ne connais que ces vieux hêtres et ces chênes sé- culaires qui puissent se charger convenablement de cette difficile besogne. J'oserais donc dire que, loin de blâmer comme toi M. de Mouy. je reconnais, dans tous les préparatifs de cette entreprise qu'il a dirigée, le sens profond d'un véritable conspirateur.

Bon! dit le second gentilhomme dans lequel notre lecteur a déjà bien certainement reconnu Co- conas, bon! voilà le mot lâché, je l'attendais. Je t'y prends. Nous conspirons donc?...

Nous ne conspirons pas, nous servons le roi et la reine.

Qui conspirent, ce qui revient exactement au même pour nous.

Coconas, je te l'ai dit, reprit la Mole, je ne te force pas le moins du monde à me suivre dans cette aventure qu'un sentiment particulier que tu ne par- tages pas, que tu ne peux partager, me fait seul en- treprendre.

Eh ! mordi! qui est-ce donc qui dit que lu me forces? D'abord, je ne sache pas un homme qui pourrait forcer Coconas à faire ce qu'il ne veut pas faire; mais crois-tu que je te laisserai aller sans te suivre, surtout quand je vois que tu vas au dia- ble?

Annibal! Ânnibal! dit la Mole, je crois que j'aperçois là-bas sa blanche haquenée. Oh ! c'est étrange comme, rien que de penser qu'elle vient, mon cœur bat.

Eh bien ! c'est drùlc. dit Coconas en baillant, le cœur ne me bat pas du tout, à moi.

Ce n'était pas elle, dit la Mole. Qu'est-il donc arrivé? c'était ]H)ur midi, ce me semble.

Il est arrivé qu'il n'est point midi, dit Coco- nas, voilà tout, et que nous avons encore le temps de faire un somme, à ce qu'il paraît.

Et, sur cette conviction, Coconas s'étendit sur son manteau en homme qui va joindre le précepte aux paroles; mais, comme son oreille touchait la terre, il demeura le doigt levé et faisant signe à la Mole de se taire.

(Ju'y a-t-il dune? ileniamla celui-ci.

Silence! cette fois, j'i'iiiciuls i|Mrli|ui' chose et je ne me trompe pas.

C'est singulier, j'ai beau ccnuicr. je u'eiiiends rien, moi.

Tu n'entends ririi'f

Non.

Eh bien! dit Coconas en se soulevant et en posant la main sur le bras de la Mole, regarde ce daim.

-Où?

Là-bas.

El (iocoiias iiionli.i du doirl l'animal a la Mole.

Eh bien "

Eh bien ! tu vas voir.

La Mole regarda l'animal. La tète inclinée comme s'il s'apprêtait à brouter, il écoutait immobile. Bien- tôt, il releva son front chargé de bois superbes, et tendit l'oreille du côté d'où sans doute venait le bruit ; puis, tout à coup, sans cause apparente, il partit rapide comme l'éclair.

Oh ! oh ! dit la Mole, je crois que tu as raison, car voilà le daim qui s'enfuit.

Donc, puisqu'il s'enfuit, dit Coconas, c'est qu'il entend ce que lu n'entends pas.

En effet, un bruit sourd et à peine perceptible frémissait vaguement dans l'herbe : pour des oreilles moins exercées, c'eût été le vent; pour des cavaliers, c'était un galop lointain de chevaux.

La Mole fut sur pieds en un moment.

Les voici, dit-il, alerte!

Coconas se leva, mais plus tranquillement; la vi- vacité du Piémontais semblait être passée dans le co:'ur de la Mole, tandis qu'au contraire l'insou- ciance de celui-ci semblait à son tour s'être empa- rée de son ami. C'est que l'un, dans cette circon- stance, agissait d'enthousiasme, et l'autre à contre- cœur.

Bientôt un bruit égal et cadencé frappa l'oreille des deux amis; le hennissement d'un cheval fit dres- ser l'oreille aux chevaux qu'ils tenaient prêts à dix pas d'eux, et dans l'allée passa, comme une ombre blanche, une femme qui, se tournant de leur côté, fit un signe étrange et disparut.

La reine ! s'écrièrent-ils ensemble.

Qu'est-ce que cela signifie? dit Coconas.

Elle a fait ainsi avec le bras, dit la .Mole; re qui signifie : Tout à l'heure...

Elle a fait ainsi, dit Coconas, ce qui signifie : Partez...

Ce signe répond à : Ailendez-moi.

Ce signe répond à : Sauvez-vous.

Eh bien ! dit la Mole, agissons chacun selon notre conviction. Pars, je resterai.

Coconas haussa les épaules et se recoucha.

Au même instant, en sens inverse du chemin qu'avait suivi la reine, mais par la même allée, passa, bride abattue, une troupe de cavaliers que les deux amis reconnurent innir des proleslants ar- dents, presque furieux. Leurs chinnux bondissaient ediiiùie ces .saulcrcllc^s dont parle Job : ils parurent et disparurent.

l'esté! cela devient grave, dit Coconas en so relevant. Allons au pavillon de Krançois 1''.

Au contraire, n'y allons pas! dit la Mole. Si nous sommes découverts, c'est sur ce pavillon que se portera d'abord l'attenlion du roi ! puisque c'était le rendez-vous géïK'ral.

Celle fois, tu peux bien avoir raison, grom- mela Coconas.

Coconas n'avail pas proiiunec ers pumles. ijn'uit cavalier nassa comme l'éclair au milieu des arbres.

LA lŒlNt: MARGOT.

117

et, franchissant fossés, buissons, barrières, arriva près des deux gentilshommes, il tenait un pistolet de chaque main et guidait des genoux seulement son cheval dans cette course furieuse.

M. deMouy! s'écria Coconas inquiétât devenu plus alerte maintenant que la Mole. M. de Mouy fuyant! On se sauve donc'

Eh! vite! vite! cria le huguenot, détalez, tout est perdu! J'ai fait un détour pour vous le dire. En route !

Et, comme il n'avait pas cessé de courir en pro- nonçant ces paroles, il était déjà loin quand elles furent achevées, et, par conséquent, lorsque lu Mole et Coconas en saisirent complètement le sens.

Et la reine? cria la Mole.

Mais la voix du jeune homme se perdit dans l'es- pace; de Mouy était déjà à une trop grande distance pour l'entendre, et surtout pour lui répondre.

Coconas eut bientôt pris son parti. Tandis que la Mole restait immobile et suivait des yeux de Mouy, qui disparaissait entre les branches qui s'ouvraient devant lui et se refermaient sur lui, il courut aux chevaux, les amena, sauta sur le sien, jeta la bride de l'autre aux mains de la Mole et s'apprêta à pi- quer.

.\llons, allons! dit-il, je répéterai ce qu'a dit M. de Mouy : En route ! Et M. de Mouy est un mon- sieur qui parle bien. En roule, en route, la Mole!

Un instant, dit la Mole; nous sommes venus ici pour quelque chose.

A moins que ce ne suit pour nous faire pendre, répondit Coconas, je te conseille de ne pas perdre de temps. Je devine; tu vas faire de la rhétorique, pa- raphraser le mot fuir; parler d'Horace qui jeta son bouclier, et d'Épaminondas qu'on rapporta sur le sien; moi, je dirai un seul mot ; fuit M. de Mouy de Saint-Phale, tout le monde peut fuir.

M. de Mouy de Saint-Phale, dit la Mole, n'est pas chargé d'enlever la reine Marguerite, M. de Mouy de Saint-Phale n'aime pas la reine Marguerite.

Mordi! et il fait bien, si cet amour devait lui faire faire des sottises pareilles à celle que je te vois méditer. Que cinq cent mille diables d'enfer enlè- vent l'amour qui peut coiJtcr la tète à deux braves gentilshommes! Corne de bœuf! comme dit le roi Charles, nous conspirons, mon eJier; et, quand on conspire mal, il faut se bien sauver. En selle, en selle, la Mole !

Sauve-toi, mon cher, je ne t'en empêche pas, et même je t'y invite. Ta vie est plus précieuse que la mienne. Défends donc ta vie.

11 faut me dire : Coconas, faisons-nous pendre ensemble; et non me dire : Coconas, sauve-toi tout seul.

Bah! mon ami, répondit la Mole, le corde est faite pour les manants, et non pour des gcnliishom- mcs comme nous.

Je commence à croire, dit Coconas avec un

soupir, que la précaution que j'ai prise n'est pas mauvaise.

Laquelle?

De me faire un ami du bourreau.

Tu es sinistre, mon cher Coconas.

Mais, enfin, que faisons-nous? s'écria celui-ci impatienté.

Nous allons retrouver la reine.

'cela?

Je n'en sais rien... Retrouver le roi.

cela?

Je n'en sais rien. . . mais nous les retrouverons, et nous ferons à nous deux ce que cinquante per- sonnes n'ont pu ou n'ont osé faire.

Tu me prends par l'amour-propre, Hyacinthe: c'est mauvais signe.

Eh bien! voyons, à cheval et partons.

C'est bien heureux!

La Mole se retourna pour prendre le pommeau do la selle; mais, au moment il mettait le pied à l'étrier, une voix impérieuse se fit entendre.

Halte-là! rendez-vous ! dit la voix.

En même temps, une figure d'homme parut der- rière un chêne, puis une autre, puis trente : c'é- taient des chevau-légefs, qui, devenus fantassins, s'étaient glissés à plat-ventre dans les bruyères et fouillaient le bois.

Qu'est-ce que je t'ai dit? murmura Coco- nas.

Une espèce de rugissement sourd fut la réponse de la Mole.

Les chevau-légers étaient encore à trente pas des deux amis.

Voyons, continua le Piémontais parlant tout iiaut au lieutenant des chevau-légers et tout bas à la Mole; messieurs, qu'y a-t-il?

Le lieutenant ordonna de coucher en joue les deux amis.

Coconas continua tout bas :

En selle! la Mole, il en est temps encore : saute à cheval, comme je t'ai vu cent fois, et par- tons.

Puis, se retournant vers les chevau-légers :

Eh ! que diable, messieurs, ne tirez pas, vous pourriez tuer des amis.

Puis, à la Mole :

A travers les arbres , on tire mal ; ils tireront et nous manqueront.

Impossible! dit la Mole; nous ne pouvons em- mener avec nous le cheval de Marguerite et les deux mules; ce cheval et ces deux mules la compromet- traient, tandis que, par mes réponses, j'éloignerai tout soupçon. Pars, mon ami, pars!

Messieurs, dit Coconas en tirant son épée et en l'élevant en l'air, messieurs, nous sommes tout ren- dus!

Les chevau-légers relevèrent leurs mousque- tons

118

LA REliM': JIARGOT.

Mais d'abord, pourquoi faut-il que nous nous rendions .'

Vous le demanderez au roi de Navarre.

Quel crime avons-nous commis?

M. d'Mençon vous lo dira.

Coconas et la Mole se rei,'ardérent : le nom de leur ennemi en un pareil moment était peu fait pour les rassurer.

Cependant, ni l'un ni l'autre ne fit résistance. Coconas fut invité à descendre de cheval, manœu- vre qu'il exécuta sans observation. Puis, tous deux furent placés au centre des chevau-légers, et l'on prit la route du pavillon de François V'.

Tu voulais voir le pavillon de François I"! dit Coconas à la Mole en apercevant, à travers les arbres, les murs d'une charmante fabrique gothique, eh bien ! il paraît que tu le verras.

La Mole ne répondit rien et tendit seulement la main à Coconas.

A côté de ce charmant pavillon bâti du temps de Louis XII, et qu'on appelait le pavillon de Fran- çois I", parce que celui-ci le choisissait toujours pour ses rendez-vous de chasse, était une espèce de hutte élevée pour les piqueurs et qui disparaissait en quel- que sorte sous les mousquets et sous les hallebardes et les épées reluisantes, comme une taupinière sous une moisson blanchissante.

C'était dans cette hutte qu'avaient été conduits les prisonniers.

Maintenant, éclairons la situation fort nuageuse, pour les deux amis surtout, en racontant ce qui s'é- tait passé.

Les gentilshommes protestants s'étaient réunis, comme la chose avait été convenue, dans le pavil- lon de François I", dont, on le sait, de Mouy s'était procuré la clef.

Maîtres de la forêt, à ce qu'ils croyaient du moins, ils avaient posé par-ci par-là quelques sentinelles. que les chevau-légers, moyennant un changemeiil d'i'charpes blanches en écharpes rouges, précaution duc au zèle ingénieux de .M. de iNancey, avaient enlevées sans coup férir, par une surprise vigou- reuse.

Les chevau-légers avaient continuel leur lintiiic. cernant le pavillon; mais do Mouy. qui, ainsi que ndus l'avons dit, attendait le roi au bout de l'allée des Violettes, avait vu ces écharjies muges marchant à pas de loup, et, des ce moment, les écharpes rou- ges lui avaient paru suspectes. Il s'était donc jeté de cùti' pour n'ôtre point vu, et avait remarque que le \iisle c(!rcle .se rétrécissait de matiiéroà battre la fo- rêt et à envelopper le lieu du renilez-\ous.

Puis, en même temps, nu fond de l'allée princi- p;i!c, il avait vu poindre li;s aigretii's blancll^^ et briller les an|uebuses de la garde du roi. Kniin. il

avait reconnu le roi lui-même, tandis qiie, du côté opposé, il avait aperçu le roi de Navarre.

Alors, il avait coupé l'air en croix avec son cha- peau, ce qui était le signal convenu pour dire que tout était perdu.

A ce signal, le roi avait rebroussé chemin et avait disparu.

Aussitôt, de Mouy, enfonçant les deux larges mo- lettes de ses éperons dans le ventre de son cheval, avait pris la fuite, et, tout en fuyant. a\ait jeté les paroles d'avertissement que nous avons dites, à la Mole et à Coconas.

Or, le roi, qui s'était aperçu de la disparition de Henri et de Marguerite, arrivait escorté de M. d'.A- lençon pour les voir sortir tous deux de la hutte il avait dit de renfermer tout ce qui se trouverait non-seulement dans le pavillon, mais encore dans la forêt.

D'Aleneon. plein de confiance, galopait près du roi, dont les douleurs aiguës augmentaient la mau- vaise humeur. Deux ou trois fois, il avait failli s'é- vanouir, et une fois il avait vomi jusqu'au sang.

Allons, allons! dit le roi en arrivant, dépô- chons-nous ; j'ai hâte de rentrer au Louvre : tirez- moi tous ces parpaillots du terrier, c'est aujourd'hui saint Biaise, cousin de saint Barthélemv.

A ces paroles du roi, toute cette fourniilii're de piques et d'arquebuses se mit en mouvement, et l'on força les huguenots, arrêtés soit dans la forêt, soit dans le pavillon, à sortir l'un après l'autre de la ca- bane.

Mais de roi de Navarre, de Marguerite et de de Mouy, point.

Eh bien! dit le roi. est Henri, est Mar- got'? Vous me les avez promis. d'Alençon, et, cor- bœuf! il faut qu'on me les trouve.

Le roi et la reine de Navarre? dit M. de Nan- coy. nous ne les avons pas même aperçus, sire.

Mais les voilà, dil madame de >fevers.

V.n effet, à ce moment même, à l'extrémilé d'une allée qui donnait sur la rivière, parurent Henri et Margot, tous deux calmes comme s'il ne se fût agi de rien; tous deux le faucon ;ui |)oing et antoureii- .<(' ment serrés avec tant d'art, qui" leurs chevaux, tout on galopant, non moins unis qu'eux, semblaient se cares.ser l'un l'auire des naseaux.

Ce fut alors que d'Alençon furieux fil fouiller les environs et que l'on trouva la Mole et Coconas sous leur berceau de lierre.

F.ux aussi lireni leur entrée dans le torcle (|iie formaient les gal•de^. avec un fralernel enlaeemenl. .*>eiilement. comme ils n'etaieiil poinl rois, iU n'a- vaient |iu se donner si lionne conlenance que Henri el MargueriU' ; la Mole était liop paie, Coconas elait trop rouge.

.-««<-aj4)>->^»-

LA REINE MARGOT.

H9

XXIII

LES INVESTIGATIONS.

e spectacle qui frappa les deux jeunes gens en en- trant dans le cercle fut de '-^^^^ ceux qu'on n'oublie jamais, ne les eût-un vus qu'une seule fois et un seul in- stant. Charles IX avait, comme nous I avons dit, regardé défiler tous les gentils- hommes enfermés dans la hutte des piqueurs et ex- traits l'un après l'autre par ses gardes.

Lui et d'Alençon suivaient chaque mouvement d'un œil avide, s'attendant à voir sortir le roi de Navarre à son tour. Leur attente avait été trompée. Mais ce n'était point assez, il fallait savoir ce qu'ils étaient devenus.

Aussi, quand au bout de l'allée on vit apparaître les deux jeunes époux, d'Alençon pâlit, Charles sen- tit son cœur se dilater ; car instinctivement il dési- rait que tout ce que son frère l'avait forcé de faire retombât sur lui.

Il échappera encore ! murmura François en pâlissant.

En ce moment, le roi fut saisi de douleurs d'en- trailles si violentes, qu'il lâcha la bride, saisit ses flancs des deux mains et poussa des cris comme un homme en délire.

Henri s'approcha avec empressement; mais, pen- dant le temps qu'il avait mis à parcourir les deux cents pas qui le séparaient de son frère, Charles était déjà remis.

D'où venez-vous, monsieur? dit le roi avec une dureté de voix qui émut Marguerite.

Mais... de la chasse, mon frère, reprit-elle.

La chasse était au bord de la rivière et non dans la forêt.

Mon faucon s'est emporté sur un faisan, sire, au moment nous étions restés en arrière pour voir le héron .

Et est le faisan ?

Le voici ; un beau coq, n'est-ce pas?

Et Henri, de son air le plus innocent, présenta à Charles son oiseau de pourpre, d'azur et d'or.

Ah! ah ! dit Charles; et, ce faisan pris, pour- quoi ne m'avez-vous pas rejoint?

Parce qu'il avait dirigé son vol vers le parc, sire; de sorte que, lorsque nous sommes descendus sur le bord de la rivière, nous vous avons vu une demi-lieue en avant de nous, remontant déjà vers la forêt ; alors nous nous sommes mis à galoper sur vos traces, car, étant de la chasse de Votre Majesté, nous n'avons pas voulu la perdre.

Et tous ces gentilshommes, reprit Charles, étaient-ils invités aussi?

Quels gentilshommes? répondit Henri en je- tant un regard circulaire et interrogateur autour de lui.

Eh! vos huguenots, pardieu! dit Charles, dans tous les cas, si quelqu'un les a invités, ce n'est pas moi.

Non, sire, répondit Henri, mais c'est peut-être M. d'Alençon.

M. d'Alençon! comment cela?

Moi ! fit le duc.

Eh ! oui, mon frère, reprit Charles, n'avez- vous pas annoncé hier que vous étiez roi de Na- varre? Eh bien! les huguenots, qui vous ont demandé pour roi, viennent vous remercier, vous, d'avoir accepté la couronne, et le roi de l'avoir don- née. N'est-ce ])as, messieurs?

Oui ! oui ! crièrent vingt voix ; vive le duc d'A- lençon ! vive le roi Charles!

,Je ne suis pas le roi des huguenots, dit Fran- çois pâlissant de colère ; puis, jetant à la dérobée un regard sur Charles: Et j'espère bien, ajouta-t-il, ne l'être jamais!

N'importe! dit Charles, vous saurez, Henri, que je trouve tout cela étrange."

Sire, dit le roi de Navarre avec fermeté, on dirait, Dieu me pardonne, que je subis un interro- gatoire.

Et si je vous disais que je vous interroge, que répondriez-vous?

Que je suis roi comme vous, sire, dit fière- ment Henri, car ce n'est pas la couronne, mais la naissance qui fait la royauté, et que je répondrai à mon frère et à mon ami, mais jamais à mon juge.

Je voudrais bien savoir, cependant, murmura Charles, à quoi m'en tenir une fois dans ma vie.

Qu'on amène M. de Mou}', dit d'Alençon, voui le saurez. M. de Mouy doit être pris.

120

LA REINE MARGOT.

M. de Mouy est-il parmi les prisonniers? de- manda le roi.

Henri eut un moment d'inquiétude et échangea un regard avec Marguerite; mais ce moment fut de courte durée.

Aucune voix ne répondit.

M. de Mouy n'est point parmi les prisonniers, dit M. de Nancey; quelques-uns do nos hommes croient l'avoir vu, mais aucun n'en est siir.

D'AIençon murmura un blasphème.

Eh ! dit Marguerite en montrant la Mole et Co- conas, qui avaient entendu tout le dialogue, et sur l'intelligence desquels elle croyait pouvoir compter, sire, voici deux gentilshommes de M. d'Alençon, in- terrogez-les, ils répondront.

Le duc sentit lo coup.

Je les ai fait arrêter justement pour prouver qu'ils ne sont point à moi, dit le duc.

Le roi regarda les deux amis et tressaillit en re- voyant la Mole.

Oh ! oh ! encore ce Provençal, dit-il. Coconas salua gracieusement.

Que faisiez-vous quand on vous a arrêtés? dit le roi .

Sire, nous devisions de faits de guerre et d'a- mour.

A cheval! armés jusqu'aux dents! prêts à fuir!

Non pas, sire, dit Coconas, et Votre Majesté est mal renseignée. Nous étions couchés sous l'ombre d'un hêtre... siib legmine fagi.

Ah ! vous étiez couchés sous l'ombre d'un hê- tre?

Et nous eussions même pu fuir, si nous avions cru avoir en quelque façon encouru la colère de Votre Majesté. Voyons, messieurs, sur votre parole de soldats, dit Coconas on se retournant vers les clie- vau-légers; croyez-vous que, si nous l'eussions voulu, nous pouvions nous échapper?

Le fait est, dit le lieutenant, que ces messieurs n'ont pas fait un mouvement pour fuir.

Parce que leurs chevaux étaient loin, dit le duc d'Alençon.

J'en demande' humblement pardon à monsei- gneur, dit Coconas, mais j'avais le mien entre les jambes, et mon ami le cdiiite Li'rac de la Mole te- nait le sien par la bride.

Est-ce vrai, messieurs? dit le roi.

C'est vrai, sire, n-pondit le lieutenant, M. de Soconas, en nous apercevant, est même ilescendu du .sien.

Coconas grimaça un sourire qui signifiait : Vous voyez bien, sire!

Mais ces chevaux de main, mais ces mule-;, mais ces coffres dont elles sont chargées? liriiiiiula François.

Eh bien I dit Coconas, cst-co que nous sommes

des valets d'écurie? faites cliercher le palefrenier qui les gardait.

Il n'y est pas, dit le duc furieux.

Alors, c'est qu'il aura pris peur et se sera sauvé, reprit Coconas; on ne peut pas demander à un manant d'avoir le calme d'un gentilhomme.

Toujours le même système, dit d'Alençon en grinçant des dents. Heureusement, sire, je vous ai prévenu que ces messieurs depuis quelques jours n'étaient plus à mon service.

Moi, dit Coconas, j'aurais le malheur de ne plus appartenir à Votre Altesse?...

Eh! morbleu! monsieur, vous le savez mieux que personne, puisque vous m'avez donné votre dé- mission dans une lettre assez impertinente que j'ai conservée. Dieu merci, et que, par bonheur, j'ai sur moi.

Oh! dit Coconas, j'espérais que Votre Altesse m'avait pardonné une lettre écrite dans un premier mouvement de mauvaise humeur. J'avais appris que Votre Altesse avait voulu, dans un corridor du Lou- vre, étrangler mon ami la Mole.

Eh bien! interrompit le roi, que dit-il donc?

J'avais cru que Votre Altesse était seule, con- tinua ingénument la Mole. Mais depuis que j'ai su que trois autres personnes...

Silence! dit Charles, nous sommes suffisam- ment renseignés. Henri, dit-il au roi de Navarre, votre parole de ne pas fuir?

Je la donne à Votre Majesté, sire.

lletournez à Paris avec M. de Nancey et pre- nez les arrêts dans votre chambre. Vous, mes- sieurs, contin>ia-t-il en s'adressant aux deux gen- tilshommes, rendez vos épées.

La Mole regarda Marguerite. Elle sourit. Aussitôt la M(de remit son épéo au capitaine qui était le plus proche de lui.

Coconas en fit autant.

El M. de Mouy, Ta-t-on retrouvé? demanda le roi.

Non, sire, dit M. de Nancey, ou il n'était pas dans la forêt, ou il s'est sauvé.

Tant pis, dit le roi. Retournons. J'ai froid, je suis ébloui.

Sire, c'est la colère sans doute, dit François.

Oui, peut-être. Mes yeux vacillent. soni donc les prisduniers? Je n'y vois plus. Esl-ce donc d('j;'i la nuit? Oh ! miséricorde ! je brûle !... A moi ! à moi!

El le malheureux roi, iàoliant la bride de son ciieval, étendant les bras, loiniia en arrière, soutenu par les courtisans épouvantrs de cette seconde atta- que.

François, à r('carl. essuyait la sueur de son front, r.ir lui seul connaissait la cause du mal (|iii tortu- rait son frère.

De l'autre C(it<', le roi de Navarre, déjii sous la

LA REIXE MARGOT.

121

VSSf<«S>«»'

On le recouvrit d'un mant^n.

garde de M. de Nancey, considérait toute cette scène avec un étonnement croissant.

Ehl eh! murmura-t-il avec cette prodigieuse intuition qui par moments faisait de lui un liomme illuminé pour ainsi dire, si j'allais me trouver heu- reux d'avoir été arrêté dans ma fuite?

Il regarda Margot, dont les grands yeux, dilatés par la surprise, se reportaient de lui au roi et du roi à lui.

Cette fois, le roi était sans connaissance. On fit approcher une civière sur laquelle on l'étendit. On le recouvrit d'un manteau, qu'un des cavaliers dé-

rafl». Imp. il CBY aîné, boulifari MoniparnisM, 81.

tacha de ses épaules, et le cortège reprit tranquille- ment la route de Paris, d'où l'on avait vu partir le malin des conspirateurs allègres et un roi joyeux, et l'on voyait rentrer un roi moribond entouré de rebelles prisonniers.

Marguerite, qui dans tout cela n'avait perdu ni sa liberté de corps, ni sa liberté d'esprit, fit un der- nier signe d'intelligence à son mari, puis elle passa si près de la Mole, que celui-ci put recueillir ces deux mots grecs qu'elle laissa tomber :

deidê.

C'est-à-dire : Ne crains rien.

39

122

LA REINE MARGOT.

Que t'a-t-elle dit? demanda Coconns.

Elle m'a dit de ne rien craindre, répondit la Mole.

Tant pis, murmura le Piéniontais, tant pis, cela veut dire qu'il ne fait pas bon ici pour nous. Toutes les fois que ce mnt-là m'a été adressé en ma- nière d'encouragement, j'ai renu à l'instant même soit une balle quelque part, soit un coup d'épée dans le corps, soit un pot de (leurs sur la tête. A'e crains rien, soit en hébreu, soit en grec, soit en latin, soit en français, a toujours signifié pour moi : Gare là- dessous!

En route, messieurs ! dit le lieutenant des chevau-légers.

Et, sans indiscrétion, monsieur, demanda Co- conas, nous mcne-t-on?

A Vincennes, je crois, dit le lieutenant.

J'aimerais mieux aller ailleurs, dit Coconas; mais, enfin, on ne va pas toujours l'on veut.

Pendant la route, le roi était revenu de son éva- nouissement et avait repris quelque force. A Nan- terre, il avait mc^me voulu monter à cheval, mais on l'en avait empêché.

Faites prévenir maître Ambroise Paré, dit Charles en arrivant au Louvre.

Il descendit de sa litière, monta l'escalier, appuyé au bras de Tavannes, et il gagna son appartement, il défendit que personne le suivît.

Tout le monde remarqua qu'il était fort grave ; pendant toute la route, il avait profondément réflé- chi, n'adressant la parole à personne, et ne s'occu- jiant plus ni de la conspiration ni des conspirateurs. Il était évident que ce qui le préoccupait, c'était sa maladie.

Maladie si subite, si étrange, si aiguë, et dont quelques symptômes étaient les mêmes que les symptômes qu'on avait remarqués chez son frère François II quelque temps avant sa mort.

Aussi la défense faite à qui que ce fût, excepté maître Paré, d'entrer chez le roi, n'élonna-t-elle personne. La misanthropie, on le savait, était le fond du caractère du prince.

Charles entra dans sa chambre à courhor, s'assit sur une espèce de chaise longue, appuya sa tête sur des coussins, et, réfléchissant que maître Ambroise Paré pourrait n'être pas chez lui et tarder à venir, il voulut utiliser le temps do rattcntc.

En consi'qucnce, il frappa dans ses mains; un garde parut.

Prévenez le roi de Navarre que je veux lui parhïr, dit Charles.

Le garde s'inclina ot obiiil.

Charles n^nvcrsa sa tête en arrière, une lourdeur effroyable de cerveau lui laissait à piiino 15 faculté de lier ses idées les unes aux autres, unl^ espèce do nuage sanglant lloltait diivanl ses yeux ; sa bouche était aride, et il avait déji'i, sans ('tani:(ier sa soif, vidé toute une cnrufo d'eau.

Au milieu de cette somnolence, la porte se rou- vrit, et Henri parut; M. de Nancey le suivait par derrière, mais il s'arrêta dans l'antichambre.

Le roi de Navarre attendit que la porte fût refer- mée derrière lui.

Alors il s'avança.

Sire, dit-il, vous m'avez fait demander, me voici.

Le roi tressaillit à cette voix, et fit le mouvement machinal d'étendre la main.

Sire, dit Henri en laissant ses deux mains pen- dre à ses côtés, Votre Majesté oublie que je ne suis plus son frère, mais son prisonnier,

Ab ! ah! c'est vrai, dit Charles; merci de me l'avoir rappelé. Il y a plus, il me souvient que vous m'avez promis, lorsque nous serions en tète à tête, de me répondre franchement.

Je suis prêt à tenir cette promesse. Interrogez, sire.

Le roi versa de l'eau froide dans sa main, et posa sa main sur son front.

Qu'y a-t-il de vrai dans l'accusation du duc d'Aleneon? Voyons, répondez, Henri.

La moitié seulement: c'était M. d'Alcnçon qui devait fuir et moi qui devais l'accompagner.

Et pourquoi deviez-vous l'accompagner? de- manda Charles; ètes-vous donc mécontent de moi, Ileiiri;

Non. sire, au contraire; je n'ai qu'à me louer de Votre Majesté; et Dieu, qui lit dans les cœurs, voit dans le mien quelle profonde affection je porto à mon frère et à mon roi.

Il me semble, dit Charles, qu'il n'est point dans la nature de fuir les gens que l'on aime et qui nous aiment!

Aussi, dit Henri, je ne fuyais pas ceux (jui m'aiment, je fuyais ceux (}ui me détestent. Votre Majesté me permet-elle de lui parler à cœur ou- vert?

Parlez, monsieur.

Ceux qui me détestent ici, sire, c'est M. d'A- lcnçon et la reine mère.

M. d'Alençon, je ne dis pas. reprit Charles, mais la reine mère vous comble d'atleiiti >ns.

C'est jusli'inont pour cela que je mo défio d'elle, sire. Et bien m'en a pris de m'en délier.

D'elle?

D'elle ou de ceux qui l'entourent. Vous savej que le malheur des rois, sire, n'est |)as toujoui-s ilèirc trop mal, mais trop bien servis.

,-^ Expliquez-vous ; c'est un vngngement pris do voire part di> tout me dire.

Et Votre Majesté voit que je ruccomplis,

Coiitiiinez.

Votre Mai('st(' m'aime, m'a-i-elle dit? -C'esl-n-dirc que je vous aimais avant voire

trahison, llenriot.

Supposez qui) vous m'aimez toujours, sire.

LA REINE MARGOT.

12;:

Soit!

Si vous m'aimez, vous devez dé^^ircr que je vive, n'est-ce pas?

J'aurais été désespéré qu'il t'arrivàt mailicur.

Eh bien ! sire, deux fois Votre Majesté a bien manqué de tomber dans le désespoir!

Comn^ent cela?

Oui. car deux fois la Providence seule m"a sauvé la vie. 11 est vrai que la seconde fois la Provi- dence avait pris les traits de Votre Majesté.

Et, la première fois, quelle marque avait-elle prise ?

Celle d'un homme qui serait bien étonné de se voir confondu avec elle, de René. Oui, vous, sire, vous m'avez sauvé du fer.

Charles fronça le .sourcil, car il se rappelait la nuit il avait emmené Henriot rue des Barres.

Et René .'dit-il.

René m'a sauvé du poison.

Peste! tu as de la chance, Henriot, dit le roi en essayant un sourire dont une vive douleur fit une contraction nerveuse. Ce n'est pas son état.

Deux miracles m'ont donc sauvé, sire. Un mi- racle de la part du Florentin, un miracle de bonté de votre pari. Eh bien! je l'avoue à Votre Majesté, j'ai peur que le ciel ne se lasse de faire des miracles, et j'ai voulu fuir en raison de cet axiome : Aide-toi, le ciel t'aidera.

Pourquoi ne m'as-tu pas dit cela plus tôt, Henri ?

En vous disant ces mêmes paroles hier, j'étais un dénonciateur.

Et en me les disant aujourd'hui?

Aujourd'hui, c'est autre chose; je suis accusé et me défends.

Es-tu sûr de cette première tentative, Hen- riot?

.\ussi sûr que de la seconde.

Et l'on a tenté de t'empoisonner?

On l'a tenté.

Avec quoi?

Avec de l'opiat.

Et comment empoisnnne-t-on avec de l'opiat?

Dame! sire, demandez à René; on empoisonne bien avec des gants...

Charles fronça le sourcil; puis, peu à peu, sa fi- gure se dérida.

Oui, oui, dit-il comme s'il se parlait à lui- même, c'est dans la nature des êtres créés de fuir la mort. Pourquoi donc l'intelligence ne ferait-elle pas ce que fait l'instinct?

Eh bien ! sire, demanda Henri, Votre M.ijesté est-elle contente de ma franchise, et croit-elle que je lui aie tout dit?

Oui. Henriot, oui, et lu es un brave garçon. Et tu crois alors que ceux qui t'en voulaient ne .se

sont point lassés , que de nouvelles tentatives au- raient été faites? . ^

Sire, tous les soirs, je m'étonne de me trou- ver encore vivant.

C'est parce qu'on sait que je t'aime, vois-lu, Henriot, qu'ils veulent te tuer. Mais, sois tranquille; ils seront punis de leur mauvais vouloir. En atlon- dant, tu es libre.

Libre de quitter Paris, sire? demanda le roi.

Non pas, tu sais bien qu'il m'est impossible de me passer de toi. Eh ! mille noms d'un diable! il faut bien que j'aie quelqu'un qui m'aime.

Alors, sire, si Votre Majesté me garde près d'elle, qu'elle veuille bien m'accorder une grâce...

Laquelle?

C'est de ne point me regarder à titre d'ami, mais à titre de prisonnier.

^ Comment, de prisonnier?

Eh ! oui. Votre Majesté ne voit-elle pas que c'est son amitié qui me perd?

Et tu aimes njieux ma haine ?-

Une haine apparente, sire. Celle haine me sauvera : tant qu'on me croira en disgrâce, on aura moins hâte de me voir mort.

Henriot, dit Charles, je ne sais pas ce que tu désires; je ne sais pas quel est ton but ; mais, si tes désirs ne s'accomplissent point, si tu manques le but que tu te proposes, je serai bien étonné.

Je puis doue compter sur la sévérité du roi?

Oui.

Alors, je suis plus tranquille. Maintenant, qu'ordonne Votre Majesté?

Rentre chez toi, Henriot. Moi, je suis souf- frant, je vais voir mes chiens et me mettre au lit.

Sire, dit Henri, Votre Majesté aurait faire venir un médecin, son indisposition d'aujourd'hui est peut-être plus grave qu'elle ne pense.

J'ai fait prévenir maître Ambroise Paré, Hen- riot.

Alors, je m'éloigne plus tranquille.

Sur mon âme, dit le roi, je crois que de toute ma famille tu es le seul qui m'aime véritablement.

Est-ce bien votre opinion, sire?

Foi de gentilhomme !

Eh bien ! recommandez-moi à M. de Nancey comme un homme à qui votre colère ne donne pas un mois à vivre : c'est le moyen que je vous aiiuo longtemps.

M. de Nancey! cria Charles. Le capitaine des gardes entra.

remets Je plus grand coupable du royaume entre vos mains, continua le roi, vous m'en répon- dez sur votre tête.

El Henri, la mine consternée, sortit derrière M. de Nancey.

«^>^s«

124

LA REINE JIARGOT.

XXIV

ACTEON.

s-^^* harles, resté seul, s étonna de n avoir pas vu paraître l'un ou l'autre de ses deux fidèles ; ses deux fidèles étaient sa nourrice Made- leine et son lévrier Actéon. La nourrice sera al- lée chanter ses psaumes chez quelque huguenot de sa connaissance, se dit-il, et Actéon me boude encore du coup de fouet que je lui ai donné ce matin.

En effet, Charles prit une bougie et passa chez la bonne femme. La bonne femme n'était pas chez elle. Une porte de l'appartement de Madeleine donnait, on se le rappelle, dans le cabinet des armes. Il s'ap- procha de cette porte.

Mais, dans le trajet, une de ces crises qu'il avait déjà éprouvées, et qui semblaient s'abattre sur lui tout à coup, le reprit. Le roi souffrait comme si l'on eût fouillé ses entrailles avec un fer rouge. Une soif inextinguible le dévorait, il vit une tasse de lait sur une table, l'avala d'un trait, et se sentit un peu calmé.

Alors, il reprit la bougie, qu'il avait posée sur un meuble, et entra dans le cabinet.

A son grand élonnement, Actéon ne vint pas au- devant de lui. L'avait-on enfermé? En ce cas, il sen- tirait que son maître est revenu de la chasse, et hurlerait. Charles appela, siftla; rien ne parut. Il fit quatre pas en avant; et, comme la lumière de la bougie parvenait jusqu'à l'angle du cabinet, il aperçut dans cet angle une masse inerte étendue sur le carreau. Holà! Actéon! holà! dit Charles. Et il siffla de nouveau. Le chien ne bougea point. Charles courut à lui et le toucha; le pauvre ani- mal était roide et froid. De sa gueule, contractée par la douleur, (juchiues gouttes de fiel l'iaient tom- bées, mêlées à une bave écumeiise et sanglante. Le chien avait trouvé dans h' cabinet une barrclle de son niaitre, cl il avait voulu mourir en ap|)uyani .si tète sur cet objet (jui lui représentait un ami. A ce spectacle, nui lui lit oublier ses pro|iies dou-

leurs et lui rendit toute son énergie, la colère bouil- lonna dans les veines de Charles, il voulut crier ; mais, enchaînés qu'ils sont dans leurs grandeurs, les rois ne sont pas libres de ce premier mouvement que tout homme fait tourner au profit de sa passion ou de sa défense. Charles réfléchit qu'il y avait quelque trahison, et se tut.

Alors, il s'agenouilla devant son chien, et exa- mina le cadavre d'un œil expert. L'œil était vitreux, la langue rouge et criblée de pustules. C'était une étrange maladie, et qui fit frissonner Charles.

Le roi remit ses gants, qu'il avait ôtés et passés à sa ceinture, souleva la levrc livide du chien pour examiner les dents, et aperçut dans les interstices quelques fragments blanchâtres accrochés aux poin- tes des crocs aigus.

Il détacha ces fragments, et reconnut que c'était du papier.

Prés de ce papier, l'enflure était plus violente, les gencives étaient tuméfiées et la peau était rongée comme par du vitriol.

Charles regarda attentivement autour de lui. Sur le tapis gisaient deux ou trois parcelles de papier semblable à celui qu'il avait déjà reconnu dans la bouche du chien. L'une de ces parcelles, plus largo que les autres, offrait des traces d'un dessin sur bois.

Les cheveux de Charles se hérissèrent sur sa tête, il reconnut un fragment de cette image représen- tant un seigneur chassant au vol, et qu'Actéon avait arrachée de son livre de chasse.

Ah! dit-il en pâlissant, le livre était empoi- sonné.

Puis tout à coup rappelant ses souvenirs :

Mille démons! s'écria-t-il, j'ai touché chaque page de mon doigt, et, à chaque ji.nge, j'ai porté mon doigt à ma bouche pour le mouiller. Ces éva- nouissements, ces douleurs, ces vomissements!... Je suis mort!

Charles demeura un instant immobile sous le pdiiis de celle effroyable idée, i'iiis, se relevant avec Mil riigi,sseiiieiit sourd , il s'élança vers la porte de ^on cabinet.

Maître René! cria-t-il, maître Uené leKIoron- tiu! qu'on coure au jioiu 8aint-Michel, et liu'on uie

LA REINE MARGOT.

125

l'amène; dans dix minutes, il faut qu'il soit ici. Que l'un de vous monte à cheval et prenn» un ciieval de main pour être plus tôt de retour. Qoant à maître Ambroise Paré, s'il vient, vous le ferez attendre.

Un garde partit tout courant pour obéir à l'ordre donné.

Oh ! murmura Charles, quand je devrais faire donner la torture à tout le monde, je saurai qui a donné ce livre à Henriot.

Et, la sueur au front, les mains crispées, la poi- trine haletante, Charles demeura les yeux fixés sur le cadavre de son chien.

Dix minutes après, le Florentin heurta timide- ment, et non sans inquiétude, à la porte du roi. Il est de certaines consciences pour lesquelles le ciel n'est jamais pur.

Entrez, dit Charles.

Le parfumeur parut. Charles marcha à lui l'air impérieux et la lèvre crispée.

Votre Majesté m'a fait demander? dit René tout tremblant.

Oui. Vous êtes habile chimiste, n'est-ce pas?

Sire...

Et vous savez tout ce que savent les plus ha- biles médecins?

Votre Majesté exagère.

Non; ma mère me l'a dit. D'ailleurs, j'ai con- fiance en vous, et j'ai mieux aimé vous consulter, vous, que tout autre. Tenez, continua-t-il en démas- quant le cadavre du chien, regardez, je vous prie, ce que cet animal a entre les dents, et dites-moi de quoi il est mort?

Pendant que René, la bougie à la main, se bais- sait jusqu'à terre autant pour dissimuler son émotion que pour obéir au roi, Charles, debout, les yeux fixés sur cet homme, attendait avec une impatience facile à comprendre la parole qui devait être sa sen- tence de mort ou son gage de salut.

René tira une espèce de scalpel de sa poche, l'ou- vrit, et, du bout de la pointe, détacha de la gueule du lévrier les parcelles de papier adhérentes à ses gencives, et regarda longtemps et avec attention le fiel et le sang que distillait chaque plaie.

Sire, dit-il en tremblant, voilà de bien tristes symptômes.

Charles sentit un frisson glacé courir dans ses veines et pénétrer jusqu'à son cneur.

Oui, dit-il, ce chien a été empoisonné, n'est- ce pas"?

J'en ai peur, sire.

Et avec quel genre de poison?

Avec un poison minéral , à ce que je sup- pose.

Pourriez-vous acquérir la certitude qu'il a été empoisonné?

Oui, sans doute, en l'ouvrant et en examinant l'estomac.

Ouvrez-le; je veux ne conserver aucun doute.

Il faudrait appeler quelqu'un pour m'aider.

Je vous aiderai, moi, dit Charles.

Vous, sire !

Oui, moi. Et, s'il est empoisonné, quels symp- tômes trouverons-nous?

Des rougeurs et des herborisations dans l'esto- mac.

Allons, dit Charles, à l'œuvre !

René, d'un coup de scalpel, ouvrit la poitrine du lévrier, et l'écarta avec force de ses deux mains, tandis que Charles, un genou en terre , éclairait d'une main crispée et tremblante.

Voyez, sire, dit René, voyez, voici dc3 traces évidentes. Ces rougeurs sont celles que je vous ai prédites; quant à ces veines sanguinolentes, qui semblent les racines d'une plante, c'est ce que je désignais sous le nom d'herborisations. Je trouve ici tout ce que je cherchais.

Ainsi, le chien est empoisonné?

Oui, sire.

Avec un poison minéral?

Selon toute probabilité.

Et qu'éprouverait un homme qui, par rac- garde, aurait avalé de ce même poison ?

Une grande douleur de tête, des brûlures in- térieures, comme s'il eût avalé des charbons ardents; des douleurs d'entrailles, des vomissements.

Et aurait-il soif? demanda Charles.

Une soif inextinguible.

C'est bien cela, c'est bien cela, murmura le roi.

Sire, je cherche en vain le but de toutes ces demandes.

A quoi bon le chercher? Vous n'avez pas be- soin de le savoir. Répondez à nos questions, voilà tout.

Que Votre Majesté m'interroge.

Quel est le contre-poison à administrer à un homme qui aurait avalé la même substance que mon chien?

René rélléchit un instant.

11 y a plusieurs poisons minéraux, dit-il : je voudrais bien, avant de répondre, savoir duquel il s'agit. Votre Majesté a-t-elle quelque idée de la fa- çon dont son chien a été empoisonné?

Oui, dit Charles : il a mangé une feuille d'un livre.

Une feuille d'un livre?

Oui.

Et Votre Majesté a-t-elle ce livre?

Le voilà, dit Charles en prenant le manuscrit de chasse sur le rayon il l'avait placé et en le montrant à René.

René fit un mouvement de surprise qui n'échappa point au roi.

Il a mangé une feuille de ce livre? balbutia René.

Celle-ci.

12G

LA REINE MARGOT.

Et Charles montra la feuille déchirée.

Permettez-vous que j'en déchire une autre, sire?

Faitef .

René déchira une feuille, l'approcha de la bou- gie. Le papier prit feu, et une forte odeur alliacée se répandit dans le cabinet.

11 a été empoisonné avec une mixture d'arse- nic, dit-il.

Vous en êtes sûr'!

Comme si je l'avais préparée moi-même. Et le cnnlro-poison'î... René secoua la tète.

Gjmmentj^dit Charles d'une voix rauque, vous ne connaissez pas de remède?

Le meilleur et le plus efficace sont des blancs d'œufs battus dans du lait; mais...

Mais... quoi?

Mais il faudrait qu'il fût administré aussitôt, sans cela...

Sans cela?

Sire, c'est un poison terrible, reprit encore une fois René.

Il ne tue pas tout de suite , cependant? dit Charles.

Non, mais il tue sûrement, peu importe le temps qu'on mette à mourir, et, quelquefois même, c'est un calcul.

Charles s'appuya sur la table de marbre.

Maintenant, dit-il en posant la main sur l'é- paule de René, vous connaissez ce livre?

Moi, sire! dit René en pâlissant.

Oui, vous; en l'apercevant, vous vous êtes trahi.

Sire, je vous jure...

René, dit Charles, écoutez bien ceci : Vous avez empoisonné la reine de Navarre avec des ganis; vous avez empoisonm^ le prince de Porcian avec la fumée d'une lampe; vous avez essayé d'empoisonner M. de Condé avec une pomme de senteur. René, je vous ferai enlever la chair lambeau jiar lauibrau avec une tenaille rougie si vous no me dites \ni> à qui appartenait ce livre.

Le Florentin vit qu'il n'y avait pas à plaisante'- avec la colère do Charles IX, et résolut de payer d'audace.

Et, si je dis la V('rit(', sire, qui me garantira que je ne serai pas puni plus crucllemeut encore que si je me tais?

Moi.

Me donncrez-vous votre parole royale?

Foi de gcnlilhnmnie, vous aurez la vie sauve, dit le roi.

En coras, ce livre m'aiiparlii'iil, dit-il.

A vous? lit Charles eu se reculant et eu regar- (liinl rpMipoisonneur d'un u-il égaré.

(lui, à moi.

Ll comment e»l-il sorti do vos mains?

C'est Sa Majesté la reine mère qui la pris chez moi.

La reine mère ! s'écria Charles.

Oui.

Mais dans quel but?

Dans le but, je crois, de le faire porter au roi

de Navarre, qui avait demandé au duc d'Alen- ' con un livre de ce genre pour étudier la chasse au vol.

Oh! s'écria Charles, c'est cela; je tiens tout. Ce livre, en effet, était chez Henriot. Il y a une des- tinée, et je la subis.

En ce moment, Charles fut pris d'une toux sèche et violente, à laquelle succéda une nouvelle douleur d'entrailles. Il poussa deux ou trois cris étouffés, et se renversa sur sa chaise.

Qu'avez-vous, sire? demanda René d'une voix épouvantée.

Rien, dit Charles; seulement, j'ai soif,, don- nez-moi h boire.

René emplit un verre d'eau et le présenta d'une main tremblante à Charles, qui l'avala d'un seul trait.

Maintenant, dit Charles prenant une plume et la trempant dans l'encre, écrivez sur ce livre.

Que faut-il que j'écrive?

Ce que je vais vous dicter :

« Ce manuel de chasse au vol a été donné par moi à la reine mère Catherine de Mcdicis. »

René prit la plume et écrivit, -i^ Et maintenant, signez. Le Florentin signa.

Vous m'avez promis la vie sauve, dit le parfu- meur.

- Et, de mon côté, je vous tiendrai parole.

Mais, dit René, du côté de la reine mère?

Oh ! de ce côté, dit Charles, cela ne me re- garde plus; si on vous attaque, defendez-vous.

Sire, puis-je quitter la Franco quand je croi- rai ma vie menacée?

Je vous répondrai à cela dans quinze jours. Mais, en attendant...

Charles posa, en fronçant le sourcil, son doigt sur SCS lèvres livides.

Ob? .';oyez tranquille, sire.

Et. trop heureux (l'eu être quitte à si bon marché, le Florentin s'inclina et sortit.

Ilerrière lui, la nourrice apparut à la porte de sa eliaiiibre.

(Ju'y 9-t-il donc, mon Chariot? dit-elle.

Nourrice, il y a que j'ai marché dans la rosée, et quciela m'a fait mal.

l']n effet, tu es bien pâle, mon Chariot.

C'est que je suis bien l'aibb'. llouuc-ujoi le brus, nourrice, pour aller jusqu'à mou lit.

la uiiurriee .s'avança vlveuienl. Charles s'appuya bur elle et gagna sa chambre.

LA REINE MARGOT.

127

Maintenant, dit Charles, je me mettrai au lit tout seul.

Et si maître Âmbroise Paré vient?

Tu lui diras que je vais mieux et que je n'ai plus besoin de lui.

Mais, en attendant, que prendras-tu?

Oh I une médecine bien simple, dit Charles,

des blancs d'œufs battus dans du lait. A propos, nourrice, continua-t-il, ce pauvre Actéon est mort. Il faudra, demain matin, le faire enterrer dans un coin du jardin du Louvre. C'était un de mes meil- leurs amis... Je lui ferai faire un tombeau... si j'en ai le temps.

-•—««©fOJgS*— «-

XXV

LE BOIS DE VINCENNES.

insi que Tordre en avait été donné par Charles I \ , Henri fut conduit le même soir au bois de Vincennes. C'est ainsi qu'on appelait, à cette époque, le fameux château dont il ne reste plus au- jourd'hui qu'un débris , fragment colossal qui suffit à donner une idée de sa grandeur passée.

Le voyage se fit en litière. Quatre gardes mar- chaient de chaque côté. M. de Nancey, porteur de l'ordre qui devait ouvrir à Henri les portes de la pri- son protectrice, marchait le premier.

A la poterne du donjon, on s'arrêta. M. de Nancey descendit de cheval, ouvrit la portière fer- mée à cadenas, et invita respectueusement le roi à descendre.

Henri obéit sans faire Ta moindre observation. Toute demeure lui semblait plus sûre que le Louvre, et dix portes se fermant sur lui se fermaient en même temps entre lui et Catherine de Médicis.

Le prisonnier royal traversa le pont-levis entre deux soldats, franchit les trois portes du bas du don- jon et les trois portes du bas de l'escalier; puis, 1»u- jours précédé de M. de Nancey, il monta un étage. Arrivé là, le capitaine des gardes, voyant qu'il s'ap- prêtait à monter encore, lui dit :

Monseigneur, arrêtez-vous là.

Ah! ah! ah! dit Henri en s'arrêtant, il paraît qu'on me fait les honneurs du premier étage.

Sire, répondit M. de Nancey, on vous traite en tête couronnée.

Diable! diable! se dit Henri, deux ou trois

étafçes de plus ne m'auraient aucunement humilié. Je serai trop bien ici : on se doutera de quelque chose.

Votre Majesté veut-elle me suivre? dit M. de Nancey.

Ventre-saint-gris! dit le roi de Navarre, vous savez bien, monsieur, qu'il ne s'aj^it point ici de ce que je veux ou de ce que je ne veux pas; mais de ce qu'ordonne mon frère Charles. Ordonne-t-il que je vous suive?

Oui, sire.

En ce cas, je vous suis, monsieur.

On s'engagea dans une espèce de corridor à l'ex- trémité duquel on se trouva dans une salle assez vaste, aux mors sombres et d'un aspect parfaitement lugubre.

Henri regarda autour de lui avec un regard qui n'était pas exempt d'inquiétude.

sommes-nous? dit-il.

Nous traversons la salle de la question, mon- seigneur.

Ah! ah ! fit le roi.

Et il regarda plus attentivement.

H y avait un peu de tout dans cette chambre : des brocs et des chevalets pour la question de l'eau, des coins et des maillets pour la question des brode- quins; en outre, des sièges de pierres destinés aux malheureux qui attendaient la torture faisaient à peu près le tour de la salle, et au-dessus de ces siè- ges, à ces sièges eux-mêmes, au pied de ces sièges, étaient des anneaux de fer scellés dans le mur, sans autre symétrie que celle de l'art tortionnaire. Mais leur proximité des sièges indiquait assez qu'ils

^^^

LA P.EmE MARGOT.

.^^jtjra^/cJnéUK.

M. deBeaulieu.

étaient 1:'i pour attendre les membres de ceux qui sernienl assis.

Henri continua son chemin sans dire une pa- role, mais ne perdant pas un ili'tail de tout ret ap- pareil hideux, qui écriv.Tit, pour ainsi dire, l'his- toire de la douleur sur les murailh's.

Cette atlenlidn ,t rcj,'ardcr autour de lui lit qu'Henri ne ref;arila point à ses pieds et trébuciia.

Eh ! dit-il, (|u'est-ee donc que eel.n ?

Et il montrait une espiVe de sillon rreusé sur la dalle humide qui f.nis.-iii le plancher.

C'est la ^,^tullièro, sire.

Il pleut donc iri?

Oui. sire, du sang.

Ah ! ah ! dit Henri, fort hien. Est-ce qua nous n'arriverons pas bientôt à ma chambre?

Si fait, ui(insei},'neur, nous y sommes, dit une lunhre (jui se dessinait d.nns l'nlisrurité. et qui deve- nait, à luesure (ju'on s'approrhait d'elle, plus visi- lile et ]ilus palpable.

Henri, qui rruvail avoir reconnu la voix, fit quel- ques pas et reeonniit la ligure.

Tiensl c'est vous, Beaulicu, dit-il, cl que dia- ble faites-vous ici?

LA REINE MARGOT.

129

AAWB8HT

Le cliàlciu de Vincennes.

Sire, je viens de recevoir ma nomination au gouvernement de la forteresse de Vincennes.

Eh bien ! mon cher ami, votre début vous fait honneur; un roi pour prisonnier, ce n'est point mal.

Pardon , sire , reprit Beaulieu ; mais , avant vous, j'ai déjà reçu deux gentilshommes.

Lesquels? Ah ! pardon, je commets peut-être une indiscrétion. Dans ce cas, prenons que je n'ai rien dit.

Monseigneur, on ne m'a pas recommandé le «ecret. Ce sont MM. de la Mole et de Coconas.

Ah ! c'est vrai, je les ai vu arrêter, ces pauvres gentilshommes; et comment supportent-ils ce mal- heur?

D'une façon tout opposée ; l'un est gai, l'autre est triste; l'un chante, l'autre gémit.

Et lequel gémit?

M. de la Mole, sire.

Ma foi, dit Henri, je comprends plutôt celui qui gémit que celui qui chante. D'après ce que j'en vois, la prison n'est pas une chose bien gaie. Et à quel étage sont-ils logés?

Tout en haut, au quatrième.

40

:qij . Ql- UKV aiQl>, touicvart Uuai|iiiruJ3M| ol*

lôO

LA REI>;E MARGOT.

Henri poussa un soupir. C'est qu'il eût voulu être. '

Allons, monsieur de Beaulieu, dit Henri, ayez la bonté de m'indiquer ma chambre, j'ai hâte de m'y voir, étant très-fatigué de la journée que je viens de passer.

Voici, monseigneur, dit Beaulieu montrant à Heflri une porte tout ouverte.

Numéro 2, dit Henri ; et pourquoi pas le nu- méro \ '.'

Parce qu'il est retenu, monseigneur.

Ail! ah ! il paraît alors que vous attendez un prisonnier de meilleure noblesse que moi?

Je n'ai pas dit, monseigneur, que ce fût un prisonnier.

Et qui est-ce donc?

Que monseigneur n'insiste point, car je serais forcé de manquer, en gardant le silence, à l'obéis- sance que je lui dois.

Ah ! c'est autre chose, dit Henri.

Et il devint plus pensif encore qu'il n'était; ce numéro 1 l'intriguait visiblement.

Au reste, le gouverneur ne démentit pas sa poli- tesse première. Avec mille précautions oratoires, il installa Henri dans sa chambre; lui fit toutes ses ex- cuses des commodités qui pouvaient lui manquer, plaça deux soldats à sa porte et sortit.

Maintenant, dit le gouverneur s'adressant au guichetier, passons aux autres.

Le guichetier marcha devant. On reprit le même chemin qu'on venait de faire, on traversa la salle de la question, on franchit le corridor, l'on arriva à l'escalier; et, toujours suivant son guide, M. de Beaulieu monta trois étages.

En arrivant au haut do ces trois étages, qui, y coni[iris le premier, en faisaient quatre, le gnirhc- tier ouvrit successivement trois portes ornéus ciia- cune de deux serrures et de trois énormes verrous.

11 touchait à peine à la troisième porte que l'on entendit une voix joyeuse qui s'écriait :

Kh! niordi 1 ouvrez donc, quand ce ne serait que pour donner de l'air. Votre poêle est tellement chaud, qu'on étouffe ici.

EtCoconas, (|u'à son juron favori le lecteur a d('jà reconnu sans doute, ne lit (ju'un bond de Fenilaiit il était jusfju'à la porte,

Un instant, mon gentilhomme, dit le guicho- ticr, je ne viens pas pour vous faire sortir, je viens pour entrer, et M. le gnuverneur me suit.

M. le gouverneur I dit Coconas, et que vient il faire?

Vous visiter.

C'est beaucoup d'honneur qu'il me fait, iv pondit Coconas, que M. lo gouverneur soit le bien- venu.

M. do Uenulieu cntrn effcrtivcnieni et innipriina aus>ilHl le sourire cordial dn Coconas par une de ces politesses (jluciales qui sont propres aux gouver-

neurs de forteresses, aux geôliers et aux bourreaux.

Avcz-vous de l'argent, monsieur? demanda- t-il au prisonnier.

Moi? dit Coconas, pas un écu.

De?l)ijoux?

J'ai une bague.

Voulez-vous permettre que je vous fouille?

Mordi 1 s'écria Coconas rougissant de colère, bien vous prend d'être en prison et moi aussi !

Il faut tout souffrir pour le service du roi.

Mais, dit le Piémontais, les honnêtes gens qui dévalisent sur le pont Neuf sont donc, comme vous, au service du roi? Mordi ! j'étais bien injuste, mon- sieur, car, jusqu'à présent, je les avais pris pour des voleurs.

Monsieur, je vous salue, dit Beaulieu. Geô- lier, enfermez monsieur.

Le gouverneur s'en alla, emportant la bague de Coconas, laquelle était une fort belle émeraude que madame de Nevers lui avait donnée pour lui rappe- ler la couleur de ses yeux.

A l'autre, dit-il en sortant.

On traversa une chambre vide, et le jeu des trois portes, des six serrures et des neuf verrous recom- mença.

La dernière porte s'ouvrit, et un soupir fut le pre- mier bruit qui frappa les visiteurs.

La chambre était plus lugubre encore d'aspect que celle d'où M. de Beaulieu venait de sortir. t,|ua- tre meurtrières longues et étroites, qui allaient en diminuant de l'intériéTir à l'extérieur, éclairaient faiblement ce triste séjour. De plus, des barreaux de fer, croisés avec assez d'art pour que la vue fût sans cesse arrêtée par une ligne opaque, empêchaient que par les meurtrières le prisonnier pût même voir le ciel.

Des filets ogiviques partaient de chaque angle de la salle et allaient se réunir au milieu du plafond, ils s'épanouissaient en rosace.

La Mole était assis dans un coin, et. malgré la vi- site et les visiteurs, il resta comme s'il n'eût rien entendu.

Le gouverneur s'arrêta sur le seuil, et reg.irda un instant le prisonnier, qui demeurait iminohile, la tète dans ses mains.

Bonsoir, monsieur do la Molo, dit Deaulicu. Le jeune homme leva lentement la tôte.

- ruinsoir, monsieur, dit-il,

.Monsieur, continua le gouverneur, je viens vous fouiller.

C'est inutile, dit la Mole, je vais vous remet- tre tout ce que j'ai.

(lu'avez-vous?

Trois cents ccus environ, ces bijoux, ces lui' gués.

Donner, monsieur, dit le gouverneur.

Voici.

LA REI^■E MARGOT.

151

La Mole retourna ses poches, dégarnit ses doigts, et arraclia l'agrafe de son chapeau.

N'avez-vous rien de plus?

Non, pas que je sache.

Et ce cordon de soie serré à votre cou, que porte- t-il? demanda le gouverneur.

Monsieur, ce nVst point un joyau, c'est une relique.

Donnez.

Comment! vous exigez...

J'ai ordre de ne vous laisser que vos vcte- ments, et une relique n'est point un vêtement.

La Mole fit un mouvement de colère, qui, au mi- lieu du calme douloureux et digne qui le distin- guait, parut plus effrayant encore à ces gens habi- tués aux rudes émotions.

Mais il se remit presque aussitôt.

C'est bien, monsieur, dit-il, et vous allez avoir ce que vous demandez.

Alors, se détournant comme pour s'approcher de la lumière, il détacha la prétendue relique, laquelle n'était autre qu'un médaillon contenant un portrait qu'il tira du médaillon et qu'il porta à ses lèvres. Mais, après l'avoir baisé à plusieurs reprises, il fei- gnit de le laisser tomber, et, appuyant violemment dessus le talon de sa botte, il l'écrasa en mille mor- ceaux.

Monsieur!... dit le gouverneur.

Et il se baissa pour voir s'il ne pourrait pas sau- ver de la destruction l'objet inconnu que la Mole voulait lui dérober; mais la miniature était littéra- lement en poussière.

Le roi voulait avoir ce joyau, dit la Mole; mais il n'avait aucun droit sur le portrait qu'il renfer- mait. Maintenant, voici le médaillon, vous le pou- vez prendre.

Monsieur, dit Beaulieu, je me plaindrai au roi.

Et, sans prendre congé du prisonnier par une seule parole, il se retira si courroucé, qu'il laissa au guichetier le soiifde fermer les portes, sans pré- sider à leur fermeture.

Le geôlier fit quelques pas pour sortir, et voyant que M. de Beaulieu descendait déjà les premières marches de l'escalier :

Ma foi! monsieur, dit-il en se retournant, bien m'en a pris de vous inviter à me' donner tout de suite les cent écus moyennant lesquels je consens à vous laisser parler à votre compagnon; car, si vous ne me les aviez pas donnés, le gouvernement vous les eût pris avec les trois cents autres, et ma conscience ne me permettrait plus de rien faire pour vous; mais j'ai été payé d'avance, je vous ai promis que vous verriez votre camarade... venez... un honnête homme n'a que sa parole... Seulement, si cela est

possible, autant pour vous que pour moi, ne causez pas politique.

La Mole sortit de sa chambre et fe trouva en face de Coconas, qui arpentait les dalles de la chambre du milieu.

Les deux amis se jetèrent dans les bras l'un de l'autre.

Le guichetier fit semblant de s'essuyer le coin de l'œil, et sortit pour veiller à ce qu'on ne surprît pas les prisonniers, ou plutôt à ce qu'on ne le sur- prît pas lui-même.

Ah ' te voilà, dit Coconas; eh bien ! cet affreux gouverneur t'a fait sa visite'!

Comme à loi, je présume.

Et il t'a tout pris ?

Comme à toi aussi.

Oh! moi, je n'avais pas grand'chose, une ba- gue d'Henriette, voilà tout.

Et de l'argent comptant'!

J'avais donné tout ce que j'en possédais à ce brave homme de guichetier pour qu'il nous procu- rât cette entrevue.

Ah ! ah ! dit la Mole, il paraît qu'il reçoit des deux mains.

Tu las donc payé aussi, toi?

Je lui ai donné cent écus.

Tant mieux que notre guichetier soit un mi- sérable.

Sans doute, on en fera tout ce qu'on voudra avec de l'argent, et, il faut l'espérer, l'argent ne nous manquera point.

Maintenant, comprends-tu ce qui nous arrive?

Parfaitement... Nous avons été trahis.

Par cet exécrable duc d'Alençon. J'avais bien raison de vouloir lui tordre le cou, moi.

Et crois-tu que notre affaire est grave?

J'en ai peur.

Ainsi il y a à craindre... la question.

Je ne te cache pas que j'y ai déjà songé.

Que diras-tu, si on en vient là?

Et toi?

Moi, je garderai le silence, répondit la Mole avec une rougeur fébrile.

Tu te tairas? s'écria Coconas.

Oui, si j'en ai la force.

Eh bien ! moi, dit Coconas, si on me fait cette infamie, je te garantis que je dirai bien des choses.

Mais quelles choses? demanda vivement la Mole.

Oh ! sois tranquille, de ces choses qui empê- cheront pendant quelque temps M. d'Alençon de dormir.

La Mole allait répliquer lorsque le geôlier, qui sans doute avait entendu quelque bruit, accourut, poussa chacun des deux amis dans sa chambre et referma la porte sur lui.

ir.2

LA REINE MARGOT.

XXVI

LA FlGUnE IIE CIRE.

1^'^^ epuis huit jours, Charles était cloué dans son lit par une fièvre de langueur en- trecoupée par des accès vio- lents qui ressemblaient à des attaques d'épilepsie. Pendant ces accès, il pous- sait parfois des hurlements qu'écoutaient avec effroi les yardes qui veillaient dans son antichambre, et que répétaient dans leurs profondeurs les échos du vieux Louvre, éveillés de- puis quelque temps par tant de bruits sinistres. Puis, ces accès passés, écrasé de fatigue, l'œil éteint, il se laissait aller aux bras de sa nourrice avec des silences qui tenaient à la fois du mépris et de la terreur.

Dire ce que, chacun de son côté, sans se commu- niquer leurs sensations, car la mère et son fils se fuyaient plutôt qu'ils ne se cherchaient ; dire ce que Catherine de Médicis et le duc d'Alençon remuaient de pensées sinistres au fond de leur cœur, ce serait vouloir peindre ce fourmillement hideux qu'on voit grouiller au fond d'un nid de vipères.

Henri avait été enfermé dans sa chambre-, et, sur sa propre recommandation à Charles, personne n'a- vait obtenu la permission de le voir, pas même Mar- guerite. C'était, aux yeux de tous, une disgrâce complète. Catherine et d'Alençon respiraient, le croyant perdu, et Henri buvait et mangeait plus tranquillement, s' espérant oublié.

A la cour, nul no soupçonnait la cause de la ma- ladie du roi. Maître Ambroisc Paré et Mazille, son collègue, avaient reconnu une inflammation d'esto- mac, se trompant de la cause au résultat, voilà tout. Ils avaient, en conséquence, prescrit un régime adoucissant qui ne pouvait qu'aiiler au breuvage particulier indiqué par liené', (pie ('.harlos reccvdii trois fois par jour de la main do sa nourrice, cl qui faisait sa seule nourriture.

I,a Mole et Coconas étaient à Vincennes, nu secret le plus rigoureux. Marguerite et madame de N'evers avaient fait dix tentatives pour arriver jusipi'à eux, ou tout au moins pour leur faire passer un billet, et n'y élaiiTil p((inl pnrvcnue,-. Un malin, au milieu des (■terneilcs nltcrnalivos

de bien et de mal qu'il éprouvait, Charles se sentit un peu mieux, et voulut qu'on laissât entrer toute la cour, qui, comme d'habitude, quoique le lever n'eût plus lieu, se présentait tous les matins pour le lever. Les portes furent donc ouvertes, et l'on put reconnaître, à la pâleur de ses joues, au jaunisse- ment de son front d'ivoire, à la llamme fébrile qui jaillissait de ses yeux caves et entourés d'un cercle de bistre, quels effroyables ravages avait faits sur le jeune monarque la maladie inconnue dont il était atteint.

La chambre royale fut bieutôt pleine de courti- sans curieux et intéressés.

Catherine, d'Alençon et Marguerite, furent avertis que le roi recevait.

Tous trois entrèrent à peu d'intervalle l'un de l'autre, Catherine calme, d'Alençon souriant, Mar- guerite abattue.

Catherine s'assit au chevet du lit de son fils, sans remarquer le regard avec lequel celui-ci l'avait vue s'approcher.

M. d'Alençon se plaça aux pieds, et se tint de- bout.

Marguerite s'appuya à un meuble, et, voyant le front pâle, le visage amaigri et l'œil enfoncé de son frère, elle ne put retenir un soupir et une larme.

Charles, auquel rien n'échappait, vil cette larme, entendit ce soupir, et, de la tête, fit un signe imper- ceptible à Marguerite.

Ce signe, si imperceptible qu'il fût, éclaira lo vi- sage de la pauvre reine de Navarre, à qui Henri n'a- vait eu le temps de rien dire, ou peut-être même n'avait voulu rien dire. Elle craignait pour son mari, elle tremblait pour son amant.

Pour elle-même, elle ne redoutait rien ; elle con- naissait trop bien la Mole, et savait qu'elle pouvait compter sur lui.

Eh bien ! mon cher fils, dit Catherine, com- ment vous trouvez-vous?

Mieux, ma mère, mieux.

Et que (lisent vos nu'decins?

Mes médecins? ah! ro sont do grands doc- teurs, ma mère, dit Charles en l'clatanl de rire, cl j'ai un suprèine plaisir, je l'avoue, à les enlon-

LA REINE MARGOT.

ùO

Nourrico, Honno-n'oi à luire

dre discuter sur ma maladie. Nourrice, donne-moi à boire.

La nourrice apporta à Charles une tasse de sa po- tion ordinaire.

Et que vous font-ils prendre, mon fils?

Oh! madame, qui connaît quelque chose à leurs préparations? répondit le roi en avalant vive- ment le breuvage.

Ce qu'il faudrait à mon frère, dit François, ce serait de pouvoir se lever et prendre le beau soleil; la chasse, qu'il aime tant, lui ferait grand bien.

Oui, dit Charles avec un sourire dont il fut

impossible au duc de deviner l'expression ; cepen- dant, la dernière m'a fait grand mai.

Charles avait dit ces mots d'une façon si étrange, que la conversation, à laquelle les assistants ne s'é- taient pas un instant mêlés, en resta là. Puis, il fit un petit signe de tête. Les courtisans comprirent que la réception était achevée, et se retirèrent les uns après les autres.

D'Alençon fit un mouvement pour s'approcher de son frère, mais un sentiment intérieur l'arrêta. 11 salua et sortit.

Marguerite se jeta sur la main décharnée que son

134

LA REIAE MARGOT.

frèiv, lui tendait, la serra et la baisa, et sortit à son tmir.

Bonne Margot! murmura Charles.

Catherine seule resta, conservant sa place au che- vet du lit. Charles, en se trouvant en têto à tcHe avec elle, se recula vers la ruelle avec le même sen- timent de terreur qui fait qu'on recule devant un serpent.

C'est que Charles, instruit par les aveux de René, puis, peut-être mieux encore, par le silence et la mt'ditation, n'avait plus même le bonheur de dou- ter.

Il savait parfaitement à qui et à quoi attribuer sa mort.

Au?si, lorsque Catherine se rapprocha du lit et allongea vers son fils une.niain froide comme son regard, celui-ci frissonna et eut peur.

Vous demeurez, madanue',' lui dit-il.

Oui, mon fils, répondit Catherine; j'ai à vous entretenir de choses importantes.

Parlez, madame, dit Charles en se reculant encore.

Sire, dit la reine, je vous ai entendu affirmer tout à l'heure que vos médecins étaient de grands docteurs...

Et je l'affirme encore, madame.

Cependant, qu'ont-ils fait depuis que vous êtes malade?

Rien, c'est vrai... mais, si vous aviez entendu ce qu'ils ont dit... en vérité, madame, on voudrait être malade rien que pour entendre de si savantes dissertations.

Eh bien ! moi, mon fils, voulez-vous que je vous dise une chose?

Comment donci dites, ma mère.

Eh bien ! je soupçonne (|ue tous ces grands docteurs ne connaissent rien à votre maladie!

Vraiment, madame!

Qu'ils voient peut-être un résultat, mais que la cause leur (■cliappo.

C'est possible, dit Charles, ne comprenant pas sa mère en voulait venir.

De sorte qu'ils traitent le symptôme au lieu de traiter le mal.

Sur mon âme! reprit Charles étonné, je crois que vous avez raison, ma mère.

Eh bien! moi, mon fils, dit Catherine, comme il ne ciinvicnt ni à mon cieiir ni au biiMi de l'Elal que vous soyez malade si longtemps, attendu que le moral [lourrait finir par s'affecter chez vous, j'ai ras- spiiihlc' les plus savants docteurs.

En art médical, mad.inie?

ISon, dans un art plus profond, dans l'art qui permet non-seulement de lire dans les corps, mais encore dans les cu'urs.

Ail! le bel art, madame, fil (ilj.iijes, et (jn'on n raiMiii de no ]ias l'enseiener aux mis! Et vos rr- clierclius ont ou un résultat? conlinuQ-l-il.

Oui,

Lequel?

Celui que j'espérais; et j'apporte à Votre Ma- jesté le remède qui doit guérir son corps et son e.s- prit.

Charles frissonna. ï\ crut que sa mère, trouvant qu'il vivrait longtemps encore, avait résolu d'ache- ver sciemment ce qu'elle avait commencé sans le savoir.

Et est-il, ce remède? dit Charles en se sou- levant sur un coude et en regardant sa mère.

Il est dans le mal même , répondit Cathe- rine.

Alors, est le mal?

Écoutez-moi, mon fils, dit Catherine. Avez- vous entendu dire parfois qu'il est des ennemis se- crets dont la vengeance à distance assassine la vic- time?

Par le fer ou par le poison? demanda Charles sans perdre un instant de vue la physionomie im- passible de sa mère.

Non, par des moyens bien autrement sûrs, bien autrement terribles, dit Catherine.

Expliquez-vous.

Mon fils, demanda la Florentine, avez-vous foi aux pratiques de la cabale et de la magie?

Charles comprima un sourire de mépris et d'in- crédulité.

Beaucoup, dit-il.

Eh bien! dit vivement Catherine, de vien- nent vos souffrances. Un ennemi de Votre Majesté, qui n'eût point osé vous attaquer en face, a conspiré dans l'ombre. Il a dirigé contre la personne de Vo- tre Majesté une conspiration d'autant plus terri- ble, qu'il n'avait pas de complices, et que les fils mystérieux de cette conspiration étaient insaisissa- bles.

Ma foi non! dit Charles révolté par tant d'as- tuce.

Cherchez bien, mon fils, dit Catherine, rap- pelez-vous certains projets d'évasion qui devaient assurer l'impunité au meurtrier.

Au meurtrier! s'écria Charles, au meurtrier! dites-vous; on a d.inc ossayi' de me tuer, ma mère?

L'd'il chatoyant de Catherine roula hypocritement sous sa paupière plissée.

Oui, mon fils: vous on doutez, peul-<*trp, vous; iiKiis, miii, j'en ai ae(|uis la certitude.

,Io ne doute jamais de ce que vous me dites, r('|)iindit amèrement le roi. Et comment a-l-on es- sayi' de me tuer? je suis curieux do le savoir.

Piir la m.ngie. mon iils.

Expiiiiiicz-vons, madame, dit Charles ramené |i:u' le di'goût à son rôle d'observateur.

Si ce conspirateur que jo veux Hé.signer et (|U0 Votre Majesté n ^\^']h désigné du fond du roMir ayant tout dispose' pour ses batlei ies, edint sur du succès, eût réussi à s'csquivor, nul ueul-ètro

LA REI?îE JIARGOT.

135

n'eût pénétré la cause des souffrances de Votre Ma- jesté; mais heureusement, sire, votre frère veillait sur vous.

Quel frère? demanda Charles.

Votre frère d'.\lençon.

Ah 1 oui, c'est vrai ; j'oublie toujours que j'ai un frère, murmura Charles en riant avec amertume. Et vous dites donc, madame?

Qu'il a heureusement révélé le côté matériel de la conspiration à Votre Majesté. Mais, tandis qu'il ne cherchait, lui, enfant inexpérimenté, que les tra- ces d'un complot ordinaire, que les preuves d'une escapade de jeune homme, je cherchais, moi, des preuves d'une action bien plus importante; car je connais la perlée de l'esprit du coupable.

Ah çà ! mais, ma mère, on dirait que vous parlez du roi de Navarre, dit Charles voulant voir jusqu'où irait cette dissimulation florentine.

Catherine baissa hypocritement les yeux.

Je l'ai fait arrêter, ce me semble, et conduire à Vincennes pour l'escapade en question, continua le roi ; serait-il donc encore plus coupable que je ne le soupçonne?

Sentez-vous la fièvre qui vous dévore? de- manda Catherine.

Oui, certes, madame, dit Charles en fronçant le sourcil.

Sentez-vous la chaleur brûlante qui ronge vo- tre cœur et vos entrailles?

Oui, madame, répondit Charles en s'assom- ci brissant de plus en plus.

Et les douleurs aiguës de tète qui passent par vos yeux pour arriver à votre cerveau, comme au- tant de coups de flèche?

Oui, oui, madame; oh ! je sens bien tout cela! Oh ! vous savez bien décrire mon mal !

Eh bien ! cela est tout simple, dit la Floren- tine; regardez...

Et elle tira de dessous son manteau un objet qu'elle présenta au roi.

C'était une figurine de cire jaunâtre, haute de six pouces à peu près. Cette figurine était vôtue d'a- bord d'une robe étoilée d'or, en cire, comme la fi- gurine ; puis, d'un manteau royal de même ma- tière.

Eh bien ! demanda Charles, qu'est-ce que cette petite statue?

Voyez ce qu'elle n sur la têle, dit Catherine.

Une couronne, répondit Charles.

Et au cœur?

Une aiguille.

Eh bien?

Eh bien ! sire, vous reconnaissez-vous? -- Moi?

Oui, vous, avec votre couronne, avec votre manteau?

Et qui donc a fait cette figure ? dit Charles,

que cette comédie fatiguait; le roi de Navarre, sans doute?

Non pas, sire.

Non pas!... Alors, je ne vous comprends plus.

Je dis non, reprit Catherine, parce que Votre Majesté pourrait tenir au fait exact. J'aurais dit oui si Votre Majesté m'eût posé la demande d'une autre façon.

Charles ne répondit pas. Il essayait de pénétrer toutes les pensées de cette âme ténébreuse, qui se refermait sans cesse devant lui au moment il se croyait tout prêt à y lire.

Sire, continua Catherine, cette statue a été trouvée, par les soins de votre procureur général Laguesle, au logis de l'homme qui, le jour de la chasse au vol, tenait un cheval de main tout prêt pour le roi de Navarre.

Chez M. de la Mole? dit Charles.

Chez lui-même; et, s'il vous plaît, regardez encore cette aiguille d'acier qui perce le cœur, et voyez quelle lettre est écrite sur l'étiquette qu'elle porte.

Je vois un M, dit Charles.

C'est-à-dire mort : c'est la formule magique, sire. L'inventeur écrit ainsi son vœu sur la plaie même qu'il creuse. S'il eût voulu frapper de folie, comme le duc de Bretagne fit pour le roi Charles VI, il eût enfoncé l'épingle dans la tète, et eût mis un F au lieu d'un M.

Ainsi, dit Charles IX, à votre avis, madame, celui qui en veut à mes jours, c'est M. de la Mole?

Oui, comme le poignard en veut au cœur; oui, mais derrière le poignard il y a le bras qui le pousse.

Et voilà toute la cause du mal dont je suis at- teint : le jour le charme sera détruit le mal cessera? Mais comment s'y prendre? demanda Char- les; vous le savez, vous, ma bonne mère ; mais moi, tout au contraire de vous, qui vous en êtes occupée toute votre vie, je suis fort ignorant en cabale et en magie.

La mort de l'inventeur rompt le charme, voilà tout. Le jour le charme sera détruit, le mal ces- sera, dit Catherine.

Vraiment? dit Charles d'un air étonné.

Comment, vous ne savez pas cela?

Dame! je ne suis pas sorcier, dit le roi.

Eh bien ! maintenant, dit Catherine, Voire Ma- jesté est convaincue, n'est-ce pas?

Certainement.

La conviction va chasser l'inquiétude?

Complètement.

Ce n'est point par complaisance que vous le dites?

Non pas, ma mère ; c'est du fond de mon cœur.

Le visage de Catherine se dérida.

Dieu soit loué! s'écria-t-elle, comme si elle eût cru en Dieu

i36

LA REINE 3L\UG0T.

, , 'r '-^ ''i'P^^SIïiï^^^ill 'lîuifilf i?i''l!!f i^

,M.

M^

Dieu soit louci reprit ironiquement Charles.

Oui, Dieu soit loué ! reprit ironiiiucmcnl Char- les. Je sais niaintcnnnl comme vous à qui altribuer l'('iai je me trouve, et, par conséquent, qui punir.

lit nous punirons.

M. de la Mole: n'avez-vous pas dit qu'il était le coupable?

J'ai (lit qu'il était l'instniiiiriit.

Eh liii'ii! dit Charles, M. de la Mole d'abord ; c'est le plus important. Toutes ces crises dont je suis atteint peuvent faire nnitre autour de nous de dan- gereux soupçons. Il eut urgenl que la lumière so

fasse, et qu'à l'éclat que jettera celle lumière la vé- rité se découvre.

.\insi, M. (\v la Mole'.'...

Me va adiuirablcment comme coupable, je roc- copte donc. Commençons par lui d'abord; cl, s'il y a un complice, il parlera.

(Uii, iniirmura Caihorine; s'il ne parle pas, iiii le fera jiarlcr. Nous avons des moyens infailli- blcs pour cela. Puis tout haut en se levant :

Vous permettez donc, sire, que i'inslructioD commence?

LA REINE MARGOT.

137

Il aper(;ul Mai'giiei'ik r|ui soulevait la tapisserie.

Je le désire, madame, répondit Cliarlu^, et le plus tôt sera le mieux.

Catherine serra la main de son lils sans compren- dre le tressaillement nerveux qui agita cette main en serrant la sienne, et sortit sans entendre le rire sardonique du roi et la sourde et terrible impréca- tion qui suivit ce rire.

Le roi se demandait s'il n'y avait pas danger à laisser aller ainsi cette femme, qui, en qucli|ucs heures, ferait peut-être tant de besogne qu'il n'y aurait plus moyen d'y remédier.

En ce moment, comme il regardait la portière re-

tombant derrière Catiieriue, il entendit un léger froissement derrière lui, et, se retournant, il aper- çut Marguerite qui soulevait la tapisserie retombant devant le corridor qui conduisait chez sa nourrice. Marguerite, dont la pâleur, les yeux hagards et la poitrine oppressée décelaient la plus violente émotion :

Oh! sire, sire! s'écria Marguerite en se préci- pitant vers le lit de son frère, vous savez bien qu'elle ment!

Qui, elle? demanda Charles.

Écoutez, Charles ; certes, c'est terrible d'accu-

1,18

LA REINE MARGOT.

ser sa mère; mais je nie suis doutée qu'elle reste- rait prés de vous pour les poursuivre encore. Mais, sur ma vie, sur la vôtre, sur notre âme à tous les deux, je vous dis qu'elle ment !

Les poursuivre!... Qui poursuit-elle?

Tous les deux parlaient bas par instinct : on eût dit qu'ils avaient peur de s'entendre eux-mêmes.

Henri d'abord, votre Henriot, qui vous aime, qui vous est dévoué plus que personne au monde.

Tu le crois, Margot? dit Ciiarles.

Oh 1 sire, j'en suis sûre.

Eh bien ! moi aussi, dit Charles.

Alors, si vous en êtes sûr, mon frère, dit Mar- guerite étonnée, pourquoi l'avez- vous fait arrêter et conduire à Vincennes?

Parce qu'il me l'a demandé lui-même.

Il vous l'a demandé, sire?...

Oui, il a de singulières idées, Henriot. Peut- être se trompe-t-il, peut-être a-t-il raison; mais enfin, une de ses idées, c'est qu'il est plus en sûreté dans ma disgrâce que dans ma faveur, loin de moi que près de moi, à Vincennes qu'au Louvre.

Ah ! je comprends, dit Marguerite. Et il est en sûreté alors?

Dame! aussi en sûreté que peut l'être un homme dont Beaulicu me répond sur sa tête.

Oh! merci, mon frère; voilà pour Henri, mais...

Mais quoi? demanda Charles.

Mais il y a une autre personne, sire, à laquelle j'ai tort de m'intéresser peut-être, mais à laquelle je m'intéresse enfin...

Et quelle est cette personne?

Sire, épargnez-moi... j'oserais à peine le nom- mer à mon frère, et n'ose le nommer h mon roi.

^^ M. delà Mole, n'est-ce pas? dit Charles.

Hélas! dit Marguerite, vous avez voulu le tuer tinc fois, sire, et il n'a échappé que par miracle à Votre vengeance royale.

Et cela, Marguerite, quand il était coupable d'un seul crime; mais, maintenant qu'il on a com- mis doux...

Sire, il n'est pas coupable du second.

Mais, dit Charles, n'as-tu pas entendu ce qu'a dit notre bonne mère, pauvre Margot?

Oh! je vous ai déjà dit, Charles, reprit Mar- guerite en baissant la voix, je vous ai d('jà dit qu'elle mentait.

Vous ne savez peut-être pas qu'il existe une figure de rire qui a été saisie chez M. de la Molo.'

Si fait, mon frère, je lésais.

Que cette figure est percée au cœur par une aiguille, el que l'aiguille qui la blesse ainsi porte une petite bannière avec un M?

Je le sais encore.

Que cette figure a un manteau royal sur les épaules et une couronne royale sur la tète?

Jo sais tout cela.

Eh bien! qu'avez-vous à dire?

J'ai à dire que cette petite figure qui porte un manteau royal sur les épaules et une couronne royale sur la tête est la représentation d'une femme, et non d'un homme.

Bah! dit Charles; et cotte aiguille qui lui perce le cœur?

C'était un charme pour so faire aimer de celte femme, et non un maléfice pour faire mourir un homme.

Mais celte lettre M?

Elle ne veut pas dire ; îioni, comme l'a dit la reine mère.

Que veut-elle donc dire, alors? demanda Charles.

Elle veut dire... elle veut dire le nom de la femme que M. de la Mole aimait.

Et cette femme se nomme?

Cette femme se nomme Margitcr'ilc, mon frère, dit la reine de Navarre en tombant à genoux devant le lit du roi, en prenant sa main dans les deux siennes, et en appuyant son visage baigné de larmes sur cette main.

Ma sreur, silence! dit Charles en promenant autour de lui un regard étincelant sous un sourcil froncé; car, de même que vous avez entendu, vous, on pourrait vous entendre à votre tour.

Oh! que m'importe! dit Marguerite on rele- vant la tête, et jue le monde entier n'cst-il pour m'écouter ! devant le monde entier, je déclarerais qu'il est infâme d'abuser de l'amour d'un gentil- homme pour souiller sa réputation d'un soupçon d'assassinat.

Margot, si je te disais que je sais aussi bien que toi ce qui est et ce qui n'est pas?

Mon frère!

Si je te disais que M. de la Mole est innocent?

Vous le savez?...

Si je te disais que je connais le \ fai coupable?

Le vrai coupable! s'écria Marguerite; mais il y a donc ou un crime commis?

Oui. Volontaire ou involontaire, il y a eu un crime commis.

Sur vous?

Sur moi. ;

Impossible.

liii[iossible?... Regarde-moi, Margot.

I,a jeune femme regarda son frère et frissonïla cri le voyant si pâle.

Margot, je n'ai pas trois mois à vivre, dit Charles.

^■ous, mon frère! Toi, mon Charles! s'écria- t-ollc.

Margot, je suis empoisonné. Marguorito jeta un rri.

Tais-loi donc, dit Charles; il faut qu'on croifl (|uo jo mours par magie.

Et vous connaissez le coupable?

LA REINE MAP.GOT.

lôa

Je le connais.

Vous avez dit que ce n'est pas la Mole.

Non, ce n'est pas lui.

Ce n'est pas Henri non plus, certainement. Grand Dieu! serait-ce?...

Qui?

Mon frère... d'Alençon?... murmura Margue- rite.

Peut-être.

Ou bien, ou bien... Marguerite baissa la voix comme épouvantée elle-même de ce qu'elle allait dire; ou bien... notre mère?

Charles se tut.

Marguerite le regarda, lut dans son regard tout ce qu'elle y cbercliait, et tomba toujours à genoux et demi-renversée sur un fauteuil.

Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura-t-elle, c'est impossible !

^ Impossible! dit Charles avec un rire strident; il est fâcheux que René ne soit pas ici, il te racon- terait mon histoire.

Lui, René"?

Oui. 11 te raconterait, par exemple, qu'une femme à laquelle il n'ose rien refuser a été lui de- mander un livre de chasse enfoui dans sa bibliothè- que; qu'un poison subtil a été versé sur chaque page de ce livre ; que le poison, destiné à quelqu'un, ye ne sais à qui, est tombé, par un caprice du hasard, ou par un châtiment du ciel, sur une aulre personne que celle à qui il était destiné. Mais, en l'absence de René, si tu veux voir le livre, il est là, dans mon cabinet, et, écrit de la main du Florentin, tu verras que ce livre, qui contient dans ses feuilles la mort de vingt personnes encore, a été donné de sa main à sa compatriote.

Silence, Charles, à ton tour, silence! dit Mar- guerite.

Tu vois bien, maintenant, qu'il faut qu'on croie que je meurs par magie.

Mais c'est inique! mais c'est affreux! Grâce! grâce ! vous savez bien qu'il est innocent.

Oui, je le sais; mais il faut qu'on le croie cou- pable. Souffre donc la mort de ton amant ; c'est peu pour sauver l'honneur de la maison de France. Je souffre bien la mort pour que le secret meure avec moi.

Marguerite courba la tête, comprenant qu'il n'y avait rien à faire pour sauver la Mole du côté du roi, et se retiTa toute pleurante et n'ayant plus d'espoir qu'en ses propres ressources.

Pendant ce temps, comme l'avait prévu Charles, Catherine ne perdait pas une minute , et elle écri- vait au procureur général Laguesle une lettre dont l'histoire a conservé jusqu'au moindre mot, et qui jette sur toute cette affaire de sanglantes lueurs,

1

« Monsieur le procureur,

j Ce soir, on me dit pour certain que la Mole a « fait le sacrilège. En son logis, à Paris, on a trouvé a beaucoup de méchantes choses, comme des livres « et des papiers. Je vous prie d'appeler le premier (( président et d'instruire au plus vite l'affaire de la (( figure de cire â laquelle ils ont donné un coup au « cœur, et ce, contre le roi (1).

« CiTUERINB. >

(1) Textuelle}.

,#■

!40

LA REINE MARGOT.

^XVII

LES nôroiii:iis invisihles.

e lendemain du jour Ca-

llierine avait écrit la lettre

im'on vient de lire, le gou-

verneurentracliezCoconas

avec un appareil des plus

imposants -.il se composait

de deux hallebardicrs et de

quatre robes noires.

Coconas était inviti' :i descendre dans une salle

le procureur Laguesle et deux juges l'attendaient

pour l'interroger, selon les instructions de Callie-

rine.

Pendant les huit jours qu'il avait passés en prison, Coconas avait beaucoup réfléchi ; sans compter que cluKiue jour la Mole et lui, réunis un instant par les soins de leur geôlier, qui, sans leur rien dire, leur avait fait cette surprise que, selon toute probabilité, ils ne devaient pas à sa seule philanthropie; sans compter, disons-nous, que la Mole et lui s'étaient recordés sur la conduite qu'ils avaient à tenir et qui était une négation absolue; il était donc persuadé qu'avec un peu d'adresse son affaire prendrait la meilleure tournure; les charges n'étaient pas plus fortes pour eux que pour les autres. Henri et Mar- guerite n'avaient fait aucune tentative de fuite, ils ne pouvaient donc être compromi.s dans une affaire les principaux coupables étaient libres. Coconas ignorait que Henri habitat le même château ([ue lui, et la complaisance de son geôlier lui apprenait qu'au-dessus de sa tète planaient des protections qu'il appelait ses boucliers invisibles.

Jusque-là les interrogatoires avaient porté sur les desseins du roi de Navarre, sur les projets de fuite el sur la part que les deux amis devaient prendre il cette fuite. A tous ces interrogatoires. Coconas avait constamment ré'pundu d'une façon plus ipie vague et beaucoup plus (ju'adroite ; il s'apprêtait encore à répondre de la môme façon, et d'avance il avait prépan'' toutes ses petites ic|iarties, lorsqu'il .s'a[iercut tout à coup que l'inlirrogatoire avait changé d'olijet.

Il s'agissait d'une ou de [)hisieurs vfsitcs faites à René, d'une ou plusieurs figures do cire faites à l'instipalion ih'' la Mole. Coconas, toulpn'paré qu'il était, crut remarquer

que l'accusation perdait beaucoup de son intensité, puisqu'il ne s'agissait plus, au lieu d'avoir trahi un roi. que d'avoir fait une statue de reine; encore cette statue était-elle haute de huit à dix pouces tout au plus.

Il répondit donc fort gaiement que ni lui ni son ami ne jouaient plus depuis longtemps à la poupée, et remarqua avec plaisir que plusieurs fois ses ré- ponses avaient eu le privilège de faire sourire les juges.

On n'avait pas encore dit en vers: J'ai ri, me voilà désarmé; mais cela s'était déjà beaucoup dit en prose. Et Coconas crut avoir à moitié dé.sarmé ses juges parce qu'ils avaient souri.

Son interrogatoire terminé, il remonta donc dans sa chambre, si'chantant. si bruyant, que la Mole, pour qui il faisait tout ce tapage, dut en tirer les plus heureuses conséquences.

On le lit descendre à son tour. La Mole, comme Coconas, vit avec étonnement l'accusation aban- donner sa première 'voie et entrer dans une voie nouvelle. On l'interrogea sur ses visites à René. H répondit qu'il avait été chez le Florentin une fois seulement. On lui demanda si, cette fois, il ne lui avait pas commandé une figure de cire. 11 répondit que Rent' lui avait montré cette figure toute faite. On lui demanda si cette ligure ne représentait pas un homme. 11 répondit qu'elle représentait une femme. On lui demanda si le charme n'avait point pour but de faire mourir cet homme. Il répondit que le but de ce charme ('tait de se faire aimer de cette femme.

Ces questions furent faites, tournées et retournées de cent façons différentes; mais à toutes ces ques- tions, .sous qiiebjiies faces qu'elles lui fussent pré- sentées, la Mole lit constamment les mêmes ré- ponses.

Les juges se regardèrent avec une sorte d'indé- cision, ne sachant trop i]ue dire ni que faire devant une pareille simplicité, lorsqu'un bille! apporté au procureur général trancha la diflicullé.

Il était conçu en ces termes :

'( Si l'acciisi' nie. recoure/, à la question.

« C. I

LA REm'E MARGOT.

141

.vi|!;!i!li!!!i!!'!iii!!!!ii!liiii|!îii|fii^^^

On l'interrogea. Page 140.

Le procureur mit le billet dans sa poche, sourit à la Mole, et le congcdia poliment. La Mole rentra dans son cachot presque aussi rassuré, sinon pres- que aussi joyeux que t'oconas.

Je crois que tout va bien, dit-il.

Une heure après, il entendit des pas et vit un bil- let qui se glissait sous la porte, sans voir quelle main lui donnait le mouvement. Il le prit, tout eu pen- sant que la dépêche venait, selon toute probabilité, du guichetier.

Kn voyant ce billet, un espoir presque aussi dou- loureux qu'une déception lui était venu au cœur ;

il espérait que ce billet était de Marguerite, dont il n'avait eu aucune nouvelle depuis qu'il était prison- nier. Il s'en saisit tout tremblant. L'écriture faillit le faire mourir de joie.

« Courage, disait le billet, je veille. »

Ah! si elle veille, s'écria la Mole en couvrant de baisers ce papier qu'avait touché une main si chère, si elle veille, je suis sauvé!...

Il faut, pour que la Mole comprenne ce billet et pour qu'il ait foi avec Coconas dans ce que le Pié- niontais appelait ses boucliers invisibles, que nous

ai

LA REI>T MARGOT.

ramenions le lecteur à cette petite maison, à cette chambre tant de scènes d'un bonheur enivrant, tant de parfums à peine évaporés, tant de doux souvenirs, devenus depuis des angoisses, brisaient le cœur d'une femme à demi renversée sur des cous- sins de velours.

Être reine, être forte, être jeune, être riche, être belle, et souffrir ce que je souffre ! s'écriait cette f imme ; oh ! c'est impossible !

Puis, dans son agitation, elle se levait, marchait, s'arrêtait tout à coup, appuyait son front brûlant contre quelque marbre glacé, se relevait pâle et le visage couvert de larmes, se tordait les bras avec des cris, et retombait brisée sur quelque fau- teuil.

Tout à coup, la tapisserie qui séparait l'apparte- ment de la rue Cloche-Percée de l'appartement de la rue Tizon se souleva; un frémissement soyeux effleura la boiserie, et la duchesse de Nevers ap- parut.

Oh ! s'écria Marguerite, c'est toi ! Avec quelle impatience je t'attendais! Eh bien! quelles nou- velles?

Mauvaises, mauvaises, ma pauvre amie. Ca- therine pousse elle-même l'instruction, et, en ce moment encore, elle est à Vincennes.

Et tSené ?

11 est arrêté.

Avant que tu aies pu lui parler?

Oui.

Et nos chers prisonniers?

J'ai de leurs nouvelles.

Par le guichetier?

Toujours.

Eh bien?

Eh bien! ils communiquent chaque jour en- semble. Avant-hier, on les a fouillés. La Mole a brisé ton portrait plutôt que do le livrer.

Ce cher la Mule!

Annibal a ri au nez des inquisiteurs.

Bon Annibal ! Mais après?

On lésa inti'rrog('s en matin sur la fuiti' du roi, sur ses projets de rébellion en Navarre, cl ils n'ont rien dit.

Oh ! je savais bien qu'ils garderaient le silence, mais ce silence les tue aussi bien que s'ils par- laient.

Oui, mais nous les sauvons, nous.

Tu as donc pensé à notre entreprise?

Je ne me suis occupée cpie do cela depuis hiiT.

Eh bien?

Je viens do conclure avec lieauliou. Alil nia rlnre reine, quel honimo diffioilo et cupide! Cola coûtera la \ ie d'un honiiiK» et trois ccnl mille écus.

Tu dis qu'il est diflicile et cupide... et, ce- pendant, il ne demande que la vie d'un homme el trois cent mille écus... Mais c'est pour rien I

Pour rien... trois cent mille écus!... Mais tous tes joyaux et tous les miens n'y suffiraient pas.

Oh! qu'à cela ne tienne. Le roi de Navarre payera, le duc d'Alençon payera, mon frère Charles payera, ou sinon...

Allons! tu raisonnes comme une folle. Je les ai, les trois cent mille écus.

Toi?

Oui, moi.

Et comment te les es-tu procurés?

Ah ! voilà !

C'est un secret?

Pour tout le monde, excepté pour toi.

Oh! mon Dieu! dit Marguerite souriante au milieu de ses larmes, les aurais-tu volés?

Tu en jugeras.

Voyons.

Tu te rappelles cet horrible Nantouillet?

Le richard, l'usurier?

Si tu veux.

Eh bien?

Eh bien ! tant il y a qu'un jour en voyant pas- ser certaine femme blonde, aux yeux verts, coiffée de trois rubis posés l'un au front, les deux autres aux tempes, coiffure qui lui va si bien, et ignorant que cette femme était une duchesse, ce richard, cet usurier s'écria :

« Pour trois baisers à la place de ces trois rubis, je ferais naître trois diamants de cent mille écus chacun. »

Eh bien ! Henriette?

Eh bien ! ma chère, les diamants sont éclos et vendus.

Oh! Henriette! Henriette! murmura Margue- rite.

Tiens! s'écria la duchesse avec un accent d'im- pudeur na'if et sublime à la fois, qui rt'sume et le siècle et la femme, tiens! j'aime Annibal, moi!

C'est vrai, dit Marguerite en souriant et en mugissant t(mt à la fois, tu l'aimes beaucoup, tu l'aimes trop, même.

Et cependant elle lui serra la main.

Donc, continua Henriette, grâce à nos trois diamants, les cent mille écus et l'hommo sont prêts.

L'homme? quel homme?

L'homme à tuer. Tu oublies qu'il faut tuer un homme.

Et lu as trouvé l'Iumime qu'il te fallait?

Parfaitement.

Au mémo prix? demanda en souriant Mnrguo- rile.

Ali même prix, j'en eusse trouvé mille, ré- pondit Ilenrietie. Non, non; moyennant cinq cents (•rus. tout bonnement.

Pour cinq cents érus, tu as trouvé un liommo (|ui a consenti à se faire tuer?

Que voux-lu, il faut bien vi\re.

Mn chère nm\c je ne te comprends plus.

LA REINE MARGOT.

U2

Voyons, parle clairement; les énigmes prennent trop de temps à deviner dans la situation nous nous trouvons.

Eh bien ! écoute : le geôlier auquel est confiée la garde de la Mole et de Coconas est un ancien soldat qui sait ce que c'est qu'une blessun;; il veut bien aider à sauver nos amis, mais il ne veut pas perdre sa place. Un coup de poignard adroitement placé fera l'affaire; nous lui donnerons une récom- pense, et l'État un dédommagement. De cette façon, le brave homme recevra des deux mains, et aura renouvelé la fable du pélican.

Mais, dit Marguerite, un coup de poignard...

Sois tranquille, c'est Annibal qui le donnera.

Au fait, dit en riant Marguerite, il a donné trois coups tant d'épée que de poignard à la Mole, et la Mole n'en est pas mort; il y a donc tout lieu d'espérer.

Méchante! tu mériterais que j'en restasse là.

Oh! non; non, au contraire, dis-moi le reste, je t'en supplie. Gomment les sauverons -nous, voyons'?

Eh bien ! voici l'affaire : la chapelle est le seul lieu du château puissent pénétrer les femmes qui ne sont point prisonnières. On nous fait cacher der- rière l'autel : sous la nappe de l'autel, ils trouvent deux poignards. La porte de la sacristie est ouverte d'avance ; Coconas frappe son geôlier qui tombe et fait semblant d'être mort ; nous apparaissons, nous jetons chacune un manteau sur les épaules de nos amis ; nous fuyons avec eux par la petite porte de la sacristie, et, comme nous avons le mot d'ordre, nous sortons sans empêchement.

Et une fois sortis?

Deux chevaux les attendent à la porte; ils sau- tent dessus, quittent l'Ilc-dc-France et gagnent la Lorraine, d'où de temps en temps ils reviennent in- cognito.

Oh ! tu me rends la vie, dit Marguerite. Ainsi, nous les sauverons?

J'en répondrais presque.

Et cela bientôt?

Dame ! dans trois ou quatre jours ; Beaulieu nous préviendra.

Mais, si l'on te reconnaît dans les environs de Vincennes, cela peut faire du tort à notre projet.

Comment veux-tu que l'on me reconnaisse ? Je sors eu religieuse avec une coiffe, grâce à la- quelle on ne me voit pas même le bout du nez.

C'est que nous ne pouvons prendre trop do précautions.

Je le sais bien, mordi! comme dirait le [)au- vre Annibal.

Et le roi de Navarre, t'en es-tu informée?

Je n'ai eu garde d'y manquer.

Eh bien?

Eh bien ! il n'a jamais été si joyeux, à ce qu'il paraît; il rit, il chante, il fait bonne chère, et ne demande qu'une chose, c'est d'être bien gardé.

Il a raison. El ma mère?

Je te l'ai dit, elle pousse tant qu'elle peut le procès.

Oui, mais elle ne se doute de rien relative- ment à nous?

Comment voudrais-tu qu'elle se doulùt do quelque chose? Tous ceux qui sont du secret ont in- tc'rêt à le garder. Ah! j'ai su qu'elle avait fait dire aux juges de Paris de se tenir prêts.

Agissons vite, Henriette. Si nos pauvres cap- tifs changeaient de prison, tout serait ii recommen- cer.

Sois tranquille, je désire autant que toi les voir dehors.

Oh! oui, je le sais bien, et merci, merci cent fois de ce que tu fais pour en arriver là.

Adieu, Marguerite, adieu! Je inc remets en campagne.

Et tu es sûre de Beaulieu ?

Je l'espère.

Du guichetier?

Il a promis.

Des chevaux?

Ils seront les meilleurs de l'écurie du duc de Nevers.

Je t'adore, Henriette.

Et Marguerite se jeta au cou de son amie, après quoi les deux femmes se séparèrent, se promettant de se revoir le lendemain, et tous les jours au même lieu et à la même heure.

C'étaient ces deux créatures charmantes et dé- vouées que Coconas appelait avec une si saine raison ses boucliers invisibles.

Ui

LA iœlm; maugot.

,,,,j|||iiïiS^^^^^

Il me semble que tout marche à ravir.

XXVIIl

I,i:S JUGKS.

h binn! mon luave ami, ilit Coconas à la Mnle lorsque Ips doux ront|in;,'nons se ri'iroiivcronl cnsctiihlo ;i h suite de l'inlorrogatoirc 011, pour la première fois, il avail ('té queslion de la (i- Riire de rire, il me semble que loui marche à ravir, cl que nous ne tarderons

pas à être abandonnés des juj^es, ce qui est un dia- gnostic lonl oppose à celui de l'abandon des méde- (•ins; car, lorsque le médecin abandonne le malade, c'est qu'il ne peut plus le sauver; mais, tout au con- traire, quand le juge abandonne l'accusé, c'est qu'il perd l'espoir de lui faire coiqier la tiMe.

Oui, dit la Mole ; il me semble môme qu'à celte politesse, il cotte facilité dos geôliers, à r('lasticité des portes, je reconnais nos nobles amies ; mais je

LA REL^E JIAr.GOT.

145

:ii:Ll!lll.ll!l/l,VM , , I

i— Monsieurm'appelle? dit le geôlier. Page 146.

ne reconnais pas M. deBeaulieu, à ce que l'on m'a- vait dit, du moins.

Je le reconnais bien, moi, dit Coconas, seule- ment, cela coûtera cher; mais, bast! l'une est prin- cesse, l'autre est reine, elles sont riches toutes deux, et jamais elles n'auront occasion de faire si bon emploi de leur argent. Maintenant, récapitu- lons bien notre leçon : on nous mène à la chapelle; on nous laisse sous la garde de notre guichetier; nous trouvons à l'endroit indiqué chacun un poi- gnard ; je pratique un trou dans le ventre de notre guide.

Oh! non pas dans le ventre, tu lui volerais ses cinq cents écus; dans le bras.

Ah ! oui, dans le bras, ce serait le perdre, pau- vre cher homme! on verrait bien qu'il y a mis de la complaisance, et moi aussi. Non, non, dans le côté droit, en glissant adroitement le long des cô- tes : c'est un coup vraisemblable et innocent.

Allons, va pour celui-là ; ensuite...

Ensuite, tu barricades la grande porte avec des bancs tandis que nos deux princesses s'élancent de l'autel elles sont cachées et qu'Henriette ou- vre la petite porte. Ah ! ma foi ! je l'aime aujour-

42

pari». In-p. lit VBY alqé Lculcfsri M'.ntnjrnesse, SI.

140

LA REiXE MARGOT.

d'iuii, Henriette, il fout qu'elle m'ait fait quelque infidélité pour que cela me reprenne ainsi.

Et puis, dit la Mole avec cette voix frémissante qui passe comme une musique à travers les lèvres, et puis nous gagnons les bois. Un bon baiser donné à chacun de nous nous fait joyeux et forts. Nous vois-tu, Annibal, penchéssur nos chevaux rapides et le cœur doucement oppressé ! Oh! la bonne chose que la peur! La peur en plein air lorsqu'on a sa bonne épée nue au flanc ; lorsqu'on crie linurra au coursier qu'on aiguillonne de l'éperon, et qui à chaque hourra bondit et vole !

Oui, dit Coconas, mais la peur entre quatre muis. qu'en dis-tu, la Mole? Moi, je puis en parler, car j'ai éprouvé quelque chose comme cela. Quand ce visage blême de Beaulieu est entré pour la pre- mière fois dans ma chambre, derrière lui dans l'ombre brillaient des pertuisanes et retentissait un sinistre bruit de fer heurté contre du fer. .lo le jure que j'ai pensé tout aussitôt au duc d'Alcnçun. et que je m'attendais à voir apparaître sa laide face entre deux vilaines tètes de hallefiardiers. J'ai été trompé, et ce fut ma seule consolation: mais je n'ai pas tout perdu, la nuit venue, j'en ai rêvé.

Ainsi, dit la Mole, qui suivait sa pensée sou- riante sans accompagner son ami dans les excur- sions que faisait la sienne aux champs du fantasti- que, ainsi elles ont tout prévu, même le lieu de notre retraite. Nous allons en Lorraine, cher ami. En vé- rité, j'eusse mieux aimé aller en Navarre; en Na- varre, j'étais chez elle, mais la Navarre est trop loin. Nancy vaut mieux; d'ailleurs, là, nous ne serons qu'à quatre-vingts lieues de Paris, Sais-tu un regret que j'emporte, Annibal, en sortant d'ici?

Ah! ma foi non... par exemple. Quant à moi, j'avoue que j'y laisse tous les miens.

Eh bien ! c'est de no pouvoir emmener avec nous le digne geôlier, au lieu de...

Mais il ne voudrait pas, dit Coconas, il v per- drait trop : songe donc, cinq cents ccus de nous, une récompense du gouvernement , de l'avance- ment peut-être; comme il va vivre heureux, ce gail- lard-là, quand je l'aurai lue.... Mais, qu'as-tu donc?

Rien! Une idée qui me passe par l'esprit.

Elle n'est pas drôle, à ce qu'il parait, car lu pâlis affreusement.

C'est que je me demande pourquoi on nous mènerait à la chapelle.

Tiens! dit Coconas, pour faire nos piques. Voilà le moment, ce me semble.

Mais, dit la Mole, on ne conduit à In chapelle que les condamnés à mort ou les torturés.

Oli! oli ! lit Coconas en pâlissant légèrement A son tour, ceci m(Titn nllontion. Inlorrngeons sur ce point le brave honinie que je dois éventror in- ccbsamriii'nt. l.h! porle-cjefs. mon ami!

Munsiour m'apprllu? dit le geôlier, qui fai-

sait le guet sur les premières marches de l'esca- lier.

Oui, viens çà.

Me voici.

Il est convenu que c'est de la chapelle que nous nous sauverons, n'est-ce pas?

Chutl'dit le norle-clefs en regardant avec ef- froi autour Je lui.

Sois tranquille, personne ne nous écoute.

Oui, monsieur, c'est de la chapelle.

On nous y conduira donc à la chapelle?

Sans doute, c'est l'usage.

C'est l'usage?

Oui, après toute condamnation à mort, c'est l'usage de permettre que le condamné passe la nuit dans la chapelle.

Coconas et la Mole tressaillirent et se regardèrent en même temps.

Vous croj'ez donc que nous serons condamnés à mort?

Sans doute... mais vous aussi, vous le cruvez.

Comment! nous aussi? dit la Mole.

Certainement... si vous ne le croyiez pas, vous n'auriez pas tout préparé pour votre fuite.

Sais-tu que c'est plein de sens, ce qu'il dit ! fit Coconas à la Mole.

Oui... ce que je sais aussi, maintenant ilu moins, c'est que nous jouons gros jeu, à ce qu'il paraît.

Et moi donc! dit le guichetier, crovez-vous que je ne risque rien?... Si, dans un moment d'é- motion, monsieur allait se tromper de côté !.,.

Et mordi 1 je voudrais être à ta place, dit len- tement Coconas, et ne pas avoir affaire à d'autres mains qu'à celte main, à d'autre fer que celui qui te toucliera.

Condamnés à mort! murmura la Mole, mais c'est impossible!

Impossible! dit n.iïvement le guichetier, et pourquoi?

Chut! dit Coconas, je crois que l'on ouvre la porte d'en bas.

En effet, reprit vivement le geôlier, rentrei, messieurs, rentrez!

Et quand croyez-vous que le jugement ait lieu? demanda la Mole.

Demain au plus tard. Hais, soyez tranquil- les, les personnes qui doivent étro prévenues le seront.

Alors, embrassons-nous et faisons nos adieux à ces murs.

Les dcuix omis se jetèrent dous les brns l'un de l'autre, et rentrèrent chacun dans sa chambre, la Mole soupirant. Coconas cbanlonnant.

Il ne se passa rien de nouveau jusqu'à sept heu- res du soir, l.a nuit desieiidil sombre et phnieuso sur le donjon de \inrennes, une vraie nuit d'e\a- >ion. On apporta le repas du soir de Coconas, lequel

LA P,EI>'E MARGOT.

147

soupa avec son «ppctit ordinaire, tout en songeant au plaisir qu'il aurait à être mouillé- par celle pluie qui fouettait les murailles, et déjà il se préparait à s'endormir au murmure sourd et monotone du vent, quand il lui sembla que ce vent, qu'il écoutait parfois avec un sentiment de mélancolie qu'il n'a- vait jamais éprouvé avant qu'il fût en prison, sif- flait plus étrangement que d'habitude sous toutes les portes, et que le poêle ronllait avec plus de rage qu'à l'ordinaire. Ce phénomène avait lieu chaque fois qu'on ouvrait un des cachots de l'étage supi'rieurct surtout celui d'en face. C'est à ce bruit qu'.^nnihal reconnaissait toujours que le geôlier allait venir, attendu que ce bruit indiquait qu'il sortait de chez la Mule.

Cependant, cette fois Coconas demeura inutile- ment le cou tendu et l'oreille au guet.

Le temps s'écoula, personne ne vint.

C'est étrange! dit Coconas, on a ouvert chez la Mole et l'on n'ouvre pas chez moi. La Mole aurait-il appelé? serait-il malade? que veut dire cela?

Tout est soupçon et inquiétude, comme tout est joie et espoir pour un | risonnicr.

Une demi-heure s'écoula, puis une heure, puis une heure et demie.

Coconas commençait à s'endormir de dépit, quand le bruit de la serrure le fit bondir.

Oh! oh! dit-il, est-ce déjà l'heure du départ et va-t-on nous conduire à la chapelle sans être condamnés? Mordi ! ce serait un plaisir de fuir par une nuit pareille, il fait noir comme dans un four; pourvu que les chevaux ne soient point aveu- gles!

11 se préparait à questionner gaiement le porte- clefs , quand il vit celui-ci appliquer son doigt sur ses lèvres en roulant de gros yeux très-élo- quents.

En effet, derrière le geôlier, on entendait du bruit et l'on apercevait des ombres.

Tout à coup, au milieu de l'obscurité, il distingua deux casques sur eh;jcun desquels la chandelle fu- meuse envoya une paillette d'or.

Oh ! oh ! dcmanda-t-il à demi-voix, qu'est-ce que c'est que cet appareil sinistre? allons-nous donc?

Le geôlier ne répondit que par un soupir qui res- semblait fort à un géinis.-;ement.

Mordi : murmura Coconas, quelle peste d'exis- tence, toujours des extrêmes, jamais de terre ferme; on barbote dans cent pieds d'eau ou l'on plane au- dessus des nuages, pas de milieu. Voyons, oii allons-nous?

Suivez les hallebardiers, monsieur, dit une voix grasseyante, qui fit connaître à Coconas ipie les soldats qu'il avait entrevus étaient accompagnés d'un huissier quelconque.

Et M. de la .Mole, demanda le Piémontais, est-il? que devient-il?

Suivez les hallebardiers, répéta la même voix grasseyante sur le même ton.

Il fallait obéir. Coconas sortit de .sa chambie, et aperçut l'homme noir dont la voix lui avait été si désagréable. C'était un petit greffier bossu, et qui. sans doute, s'était fait homme de robe pour qu'on ne s'aperçût point qu'il était bancal eu même temps.

Il descendit lentement l'escalier en spirale. Au premier étage, les gardes s'arrêtèrent.

C'est beaucoup descendre, murmura Coconas, mars pas encore assez.

La porte s'ouvrit. Coconas avait un regard de lynx et un flair de limier, il fiaiia des juges, et vit dans l'ombre une silhouette d'honi.me aux bras nus qui lui fit monter la sueur au front. Il n'en prit pas moins la mine la plus souriante, pencha la tète à gauche, selon le code des grands airs à la mode à cette é|)oque, et, le poing sur la hanche, entra dans la salle.

On leva une tapisserie, et Coconas aperçut effec- tivement des juges et des greffiers.

A quelques pas de ces juges et de ces greffiers, la Mole était assis sur un banc.

Coconas fut. conduit devant le tribunal. Arrivé en face des juges, Coconas s'arrêta, salua la Mole d'un signe de tête et d'un sourire, puis il attendit.

Comment vous nommez-vous, monsieur? lui demanda le président.

Marc-Annibal de Coconas, répondit le gentil- homme avec une grâce parfaite, comte de Montpan- tier. Chenaux et autres lieux; mais, on connaît nos qualités, je présume.

êtes- vous né?

A Saini-Colomban, près de Suze.

Quel âge avez-vous?

Vingt-sept ans et trois mois.

Dien , dit le président.

Il paraît que cela lui fait plaisir, murmura Coconas.

Maintenant, dit le président après un moment de silence qui donna au greffier le temps d'écrire les réponses de l'accusé, quel était votre but en quit- tant la maison de M. d'Alençon?

De me réunir à M. de la Mole, mon ami, que voilà, et qui, lorsque je la quittai, moi, l'avait déjà quittée depuis quelques jours.

Que faisiez-vous à la chasse, vous fuies ar- rêté?

Mais, répondit Coconas... je chassais.

Le roi était aussi à cette chasse, et il y ressen- tit les premières atteintes du mal dont il souffre en ce moment.

Quant à ceci, je n'étais pas près du roi, et je ne puis ricu. dire. J'ignorais même qu'il fût atteint d'un mal quelconque.

Les juges se regardèrent avec un sourire d'incré^ dulité.

148

LA REINE MARGOT.

Ah ! vous l'ignoriez? dit le président.

Oui, monsieur, et j'en suis fâché. Quoique le roi de France ne soit pas mon roi, j'ai beaucoup de sympathie pour lui.

Vraiment?

Parole d'honneur ! Ce n'est pas comme pour son frère le duc d'Alençon. Celui-là, je Tavoue...

Il ne s'agit point ici du duc d'Alençon, mon- sieur, mais de Sa Majesté.

Eh liicn ! je vous ai déjà dit que j'étais son trùs- humble serviteur, répondit Coconas en se dandinant avec une adorable indolence.

Si vous êtes en effet son serviteur, comme vous le prétendez, monsieur, voulez-vous nous dire ce que vous savez d'une certaine statue magiriuc'

Ah ! bon! nous revenons à l'histoire de la sta- tue, à ce qu'il paraît.

Oui, monsieur; cela vous déplaît-il?

' Ncai point, au contraire; j'aime mieux cela. Allez.

Pourquoi cette statue se trouvait-elle chez M. de la Mole?

Chez M. de la Mole, cette statue? Chez René, vous voulez dire.

Vous reconnaissez donc qu'elle existe?

Dame! si on me la montre.

La voici. Est-ce celle que vous connaissez!

Très-bien.

Greffier, dit le président, écrivez que l'accusé reconnaît la statue pour l'avoir vue chez M. de la Mole.

Xon pas, non pas, dit Coconas, ne confondons point : pour l'avoir vue chez René.

Chez René, soiti Quel jour?

Le seul jour nous y avons été, M. de la Mule et moi.

Vous avouez donc que vous avez été chez René avec M. de la Mole?

Ah ! est-ce que je m'en suis jamais caché?

Greffier, écrivez que l'accusé avoue avoir ('ti' chez Ren(' pour faire des conjurations.

Holà, hé! tout beau, tout beau, monsieur le président. Modérez votre enthousiasme, je vous prie : je n'ai pas dit un mot de cela.

Vous niez que vous ayez été chez René pinir faire des conjurations?

Joie nie. La conjuration s'est faite par acci- dent, mais sans piéméditatioii.

Mais elle a eu lieu''

Je ne puis nier qu'il se soit fait qiirlque clio.^e (|ui ressemblait à un charme.

Greffier, l'crivez (|ue l'accusé avoue (|u'il s'est f.iit chez René un charme cuiilre la vie du roi.

Comment! contre la vie du roi! C'est un in fàmc men.snnge. Il ne s'est jamais fait de charmes contre la vie du roi.

Vous le voyez, messieurs, dit la Mole.

Silence! lit le |iréïident; puis, s(> nldiinianl

vers le greffier : Contre la vie du roi, continua-t-il. Y ètes-vous?

:— Mais non, mais non, dit Coconas. D'ailleurs, la statue n'est pas une statue d'homme, mais de femme.

Eh bien! messieurs, que vous avais-je dit? re- prit la Mole.

Monsieur de la Mole, dit le président, répon- dez ([iiand nous vous interrogerons; mais n'inter- rompez point l'interrogatoire des autres.

.Ainsi, vous dites que c'est une femme?

Sans doute, je le dis.

Pourquoi alors a-t-elle une couronne et un manteau royal?

Pardiou ! dit Cofiïonas, &est bien simple; parce que c'était..

La Mole se leva et mit un doigt sur sa bouche.

C'est juste, dit Coconas; qu'allais-je donc ra- conter, moi, comme si cela regardait ces mes- sieurs!

Vous persistez à dire que cette statue est une statue de femme?

Oui, certainement, je persiste.

Et vous refusez de dire quelle est cette femme?

Une femme de mon pays, dit la Mole, que j'ai- mais et dont je voulais être aimé.

Ce n'est pas vous qu'on interroge, monsieur de la Mole, s'écria le président, taisez-vous donc, l'on vous bâillonnera.

... bâillonnera, dit Coconas; comment dites- vous cela, monsieur de la robe noire? On bâillon- nera mon ami, un gentilhomme! Allons donc!

Faites entrer René, dit le procureur général Laguesle.

Oui. faites entrer René, dit Coconas, faites; nous allons voir un peu qui a raison ici, de vous trois ou de nous deux.

Picné entra pâle, vieilli, presque méeonnaiss;ililo |iiiin' les deux amis; courbé sous le poids du crime ipi'il allait commettre, bien plus que de ceux qu'il avait commis.

Maître René, dit le juge, reconnaissez-vous les ili'ux accusés ici présents?

Oui. monsieur, répondit Reni' d'une voix que trahissait son émotion.

- j'oiir les avoir vus où?

En plusieurs lieux, et iiolamment chez moi.

Combien de fois ont-ils été chez vous?

Une seule.

A mesure que Dené parlait, la figure de Coconas s'épanouissait. Le visage de la Mole, au contraire, demeurait grave comme s'il av.iil eu un pressenli- 111. 'ni.

Et à quelle occasion ont-ils été chez vous? l'.cué .semlila hi'.Mtcr un moinenl.

l'our me comiiiaiiiler une ligure Je cire, dit-il.

LA REINE BIARGOT.

H9

I ip m lîP'iA i liitR :l,^!';'iiiii!;lIîllalil!lsgcJtgi5l?MMllli^i,i,i^^

ii^iL-i^-œ?

Reconnaissez-v.'us les deux accusds? Page 1487

Pardon, pardon, maître René, dit Coconas, vous faites une petite erreur.

Silence! dit le président; puis, se retournant vers René : Cette figurine, continua-t-il, est-elle une figure d'homme ou de femme?

D'homme, répondit René.

Coconas bondit comme s'il eût reçu une commo- tion électrique.

D'homme! dit-il.

D'homme, répéta René, mais d'une voix si faible, qu'à peine le président l'entendit.

Et pourquoi celte statue d'homme a-t-elle un

manteau sur les épaules et une couronne sur la tête?

Parce que cette statue représente un roi, dit René.

Infâme menteur! cria Coconas exaspéré.

Tais-toi, Coconas, tais-toi, interrompit la Mole; laisse dire cet homme, chacun est maître de perdre son âme.

Mais non pas le corps des autres, mordi !

Et que voulait dire cette aiguille d'acier que la slatue avait dans le cœur, avec la lettre M écrite sur une petite bannière?

150

LA REINE MARGOT.

L'aiguille simulait IVpée ou le poignard, la lettre M veut dire sionT.

Cûconas fit un mouvement pour étrangler René, quatre gardes le retinrent.

C'est bien, dit le procureur Laguesle, le tri- bunal est suffisamment renseigné. Reconduisez les prisonniers dans les chambres d'attente.

Mais, s'écriait Coconas, il est impossible de s'entendre accuser de pareilles choses sans pro- tester.

Protestez, monsieur, on ne vous en empoche pas. Gardes, vous avez entendu.

Les gardes s'emparèrent des deux accusés, et les firent sortir, la Mole par une porte, Coconas par l'autre.

Puis le procureur fil signe h cet homme que Co- conas avait aperçu dans l'ombre cl lui dit :

Ne vous éloignez pas, maître, vous aurez de la besogne cette nuit.

Par lequel commencerai-je, monsieur? de- manda l'homme en mettant respectueusement le bonnet à la main.

Par celui-ci, dit le président en montrant la Mole, qu'on apercevait encore comme une ombre entre les deux gardes; puis s'approchant de René, qui était resté debout et tremblant en attendante son tour qu'on le reconduisit au Châlelet, il était enfermé :

Bien, monsieur, lui dit-il, so\ez tranquille, la reine et le roi sauront que c'est à vous qu'ils auront de connaître la vérité.

Mais, au lieu de lui rendre de la force, celte pro- messe parut atterrer Uené, et il ne répondit qu'en poussant un profond soupir.

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Cu^SS'

XXIX

LA TOnTlT.E UU BRODF.Ql'm.

e fut seulonient lorsqu'on l'eut reconduit dans son nouveau cachot, et qu'on eut refermé la porte der- rière lui , que Coconas, abandonné à lui-même et cessant d'i^tre soutenu par la lutte avec les juges et par sa colère contre René, commença la série de ses tristes réflexions.

11 me semble, se dit-il à lui-même, (]ue ci'la tourne au plus mal, et qu'il serait temps d'aller un peu à la chapelle. Je me délie des condamnations à mort; car, incontestablement, on s'occupe de nous condamner à mort à celte heure. Je me défie sur- tout des condamnations à mort qui se prononcent dans le liuis clos d'un chàlcau-fort devant des ligu- res aussi laides que toutes ces ligures qui m'cnlou- raicnl.

On veut sérieusement nous couper la tète, hum! hum !... Je reviens dune à (imiuc je disais, il serait temps d'aller il la chapelle. Ces mots, prononcés à demi-voix, furent suivis

d'un silence, et ce silence fut interrompu par un cri sourd, étouffé, lugubre, el qui n'avait rien d'hu- main; ce cri sembla percer la muraille épaisse et vint vibrer sur le fer de ses barreaux.

Coconas frissonna malgré lui ; et, cependant, c'é- tait un homme si brave, que chez lui la valeur res- semblait à l'instinct des hèles féroces. Coconas de- meura immobile à l'endroit il avait entendu la ]ilainle, doutant ijifune pareille plainte put être prononcée par un être humain, et la prenant pour le gémissement du vent dans les arbres, ou pour un de CCS mille briiils de la nuit qui semblent descen- dre (lu monter des deux mondes inconnus entre les- quels tourne notre monde; alors une seconde plainte, plus douloureuse, plus profonde, plus poignante en- core que la première, parvint à Coconas, et, cette fois, non-seulement il distingua bien posiiivcment l'expression de la douleur dans la voix humaine, mais encore il crut reconnaître dans celle voix celle do la Mole.

A cotte voix, le Piémonlais oublia qu'il était re- tenu jiar deux portes, par trois grilles et par une miirailh' épaisse de douze pieds; il s'élança do tout

I.A RELNE MARGOT.

151

son poids rentre celte muraille comme pour la ren- verser et voler au secours de la victime en s'écriant :

On égorge donc quelqu'un ici? Mais il ren- contra sur son cliemin le mur auquel il n'avait pas pensé, et il tomba froissé du choc contre un banc de pierre sur lequel il s'affaissa.

Ce fut tout. ' Oh! ils l'ont tué, murmura-t-il, c'est abomi- nable; mais c'est qu'on ne peut le défendre ici... rien, pas d'armes. Il étendit les mains autour de lui.

Ah! cet anneau de fer, s'écria-til, je l'arra- cherai, et malheur à qui m'approchera !

Coconas ae releva, saisit l'anneau de fer, et, d'une première secousse, l'ébranla si violemment, qu'il était évident qu'avec deux secousses pareilles il le ;:; descellerait.

Mais soudain la porte s'ouvrit, et une lumière produite par deux torches envahit le cachot.

-—Venez, monsieur, dit la même voix gras- seyante qui lui avait été déjà si particulièrement désagréable, et qui, pour se faire entendre cette fois trois étages au-dessous, ne lui parut pas avoir acquis le charme qui lui manquait, venez, monsieur, la cour vous attend.

Bon ! dit Coconas lâchant son anneau, c'est mon arrêt que je vais entendre, n'est-ce pas?

Oui, monsieur.

Oh I je respire, marchons! dit-il.

Et il suivit l'huissier, qui marchait devant lui de son pas compassé et tenant sa baguette noire.

Malgré la satisfaction qu'il avait témoignée dans un premier mouvement, Coconas jetait, tout en mar- chant, un regard inquiet à droite et à gauche, de- vant et derrière.

Oh! oh' murmura-t-il, je n'aperçois pas mon digne geôlier, j'avoue que sa présence me manque.

On entra dans la salle que venaient de quitter les juges et demeurait seul debout un homme que Coconas reconnut pour le procureur général, qui avait plusieurs fois, dans le cours do l'interroga- toire, porté la parole, et toujours avec une aninio- sicé facile à reconnaître.

En effet, c'était celui à qui Catherine, tantôt par lettre, tantôt de vive voix, avait particulièrement recommandé le procès.

Un rideau levé laissait voir le fond de cette cliam- bre, et cette chambre, dont les profondeurs se per- daient dans l'obscurité, avait, dans ses parties ëclai- ^ rées, un aspect si terrible, que Coconas sentit que les jambes lui manquaient et s'écria :

Oh ! mon Dieu!

Ce n'était pas sans cause que Coconas avait poussé ce cri de terreur.

Le spectacle était en effet des plus lugubres. La salle, cachée pendant l'interrogatoire par ce rideau, qui était levé maintenant, apparaissait comme le ves- tibule de l'enfer.

Au premier plan, envoyait un chevalet de bois garni de cordes, de poulies et d'autres accessoires tortionnaifes. Plus loin flambait un brasier qui re- flétait SCS lueurs rougeàtres sur tous les objets envi- ronnants, et qui assombrissait encore la silhouellc de ceux qui se trouvaient entre Coconas et lui. Con- tre une des colonnes qui soutenaient la voûte, un homme, immobile comme une statue, se tenait de bout une corde à la main. On eût dit qu'il était de la même pierre que la colonne à laquelle il adhérait. Sur les murs, au-dessus des bancs de grès, entre des anneaux de fer, pendaient des chaînes et reluisaient des lames.

Oh ! murmura Coconas, la salle de la torture toute préparée et qui semble ne plus attendre que le patient! Qu'est-ce que cela signifie?

A genoux, Marc-Annibal de Coconas, dit une voix qui fit relever la tête du gentilhomme, à ge- noux pour entendre l'arrêt qui vient d'être rendu contre vous !

C'étaient de ces invitations contre lesquelles toute la personne d'Annibal réagissait instincti- vement.

Mais, comme elle était en train de réagir, deux hommes appuyèrent leurs mains sur son épaule d'une façon si inattendue, et surtout si pesante, qu'il tomba les deux genoux sur la dalle.

La voix continua :

« Arrêt rendu par la cour, séant au donjon deVin- « cennes, contre Marc-Annibal de Coconas, atteint (t et convaincu du crime de lèse-majesté, de tenta- « tive d'empoisonnement, de sortilège et de magie n contre la personne du roi, du crime de conspira- « tion contre la sûreté de l'État, comme aussi pour « avoir entraîné, par ses pernicieux conseils, un « prince du sang à la rébellion... «

A chacune de ces imputations, Coconas avait ho- ché la tête en battant la mesure comme font les éco- liers indociles.

Le juge continua :

(( En conséquence de quoi, sera ledit Marc-An- (( nibal de Coconas, conduit de la prison à la place « .Saint-.lcan en Grève, pour y être décapité; ses « biens seront confisqués, ses hautes futaies coupées i( à la hauteur de six pieds, ses châteaux ruinés, et i( en l'air un poteau planté avec une plaque de cui- « vre qui constatera le crime et le châtiment... »

Pour ma tête, dit Coconas, je crois bien qu'on la tranchera, car elle est en France et fort aventurée même. Quant à mes bois de haute futaie, et quant à mes châteaux, je défie toutes les scies et toutes les pioches du royaume très-chrétien de mordre de- dans.

Silence! fit le juge.

452

LA REINE MARGOT.

f , .

Il me sera f;iit (jufl(|ue chose encore après la di-'capilation?

Et il cuntinua :

'< Déplus, sera Indil roconiis... » '

Conimfnt ! inti>rr(ini[iil Coeon.ns, il ino sora fait (|uol()uc cliosc enrnrn aprrs in lircaiiitaliim? oli 1 nii ! cellp-là nio parait l>icn si'V('m'('.

Non, ninnsicur, ilit lo juge ; avant... Et il rnprit :

« Et sera <\r [liu'- li'dii Coconas, avant i'exf^cution K (iu iu^^'criii'nl. a|i|ilifpii' à la (pirslion cxtraordi- t nairc, (|iu est di's dix roins... »

Coconas Imnd il, foudroyant le juge d'un regard olineelant.

Et pourquoi faire? s'c'cria-l-il neirouv.int pa.s d'autres mots que cette naïveté pour cx|)rinicr la foul(' des pensées qui venaient de surgir dans son esprit.

lin effet, celle torture était pour Coconas le ren- versement complet de ."«es espérances; il ne serait conduit à la chapelle qu'après la torture, et de celle torture on en mourait souvent; on en mourait d'au- tant mieux qu'on élail pliH lirave et plus forl. car alors on regardait couinie une làcliett' d'avouer;

LA REINE MARGOT.

153

foconas fut renversé.

et, tant qu'on n'avouait pas, la torture continuait; et non-seulement continuait, mai^ redoublait de force. Le juge se dispensa de répondre à Coconas, la suite de l'arrêt répondant pour lui ; seulement, il continua :

« Afin de le forcer d'avouer ses complices, com- ( plots et machinations dans le détail. »

Mordi! s'écria Coconas, voilà ce que j'appelle une infamie; voilà ce que j'appelle bien plus qu'une infamie, voilà ce cjue j'apoelle une lâcheté 1

Accoutume' aux colères des victimes, colères que la souffrance calme en les changeant en larmes, le juge impassible ne fit qu'un seul geste.

Coconas, saisi par les pieds et par les épaules, fat renversé, emporté, couché et attaché sur le lit de la question avant d'avoir pu regarder même ceux qui lui faisaient cette violence.

Misérables! hurlait Coconas, secouant, dans un paroxysme de fureur, le lit et les tréteaux de ma- nière à faire reculer les tourmenteurs eux-mêmes: misérables! torturez-moi, brisez-moi, mettez-moi en morceaux, vous ne saurez rien, je vous le jure! Ali!

43

rat;<, - lui', dr lliT aloc Loi.!<«j[l M'Uil; aitiMSP, SI.

i54

LA REINE MARGOT.

vous crovez que c'est avec des morceaux de bois et avec des morceaux de fer qu'on fait parler un gen- tilhomme de mon nom ! Allez, allez, je vous en défie !

Préparez-vous à écrire, greffier, dit le juge.

Oui, prépare-toi! hurla Coconas, et, si tu écris tout ce que je vais vous dire à tous, infâmes bour- reaux, tu auras de l'ouvrage. Ecris, écris!

Voulez-vous faire des révélations? dit le juge de sa même voix calme.

Rien, pas un mot, allez au diable!

Vous réfléchirez, monsieur, pendant les pré- paratifs. Allons, maître, ajustez les bottines à mon- sieur.

A ces mots, l'homme qui était resté deliout et im- mobile jusque-là, les cordes à la main, se détacha de la colonne, et, d'un pas lent, s'approcha de Co- conas, qui se retourna de son côté pour lui faire la grimace.

C'était maître Caboche, le bourreau de la prévôté de Paris.

Un douloureux étonnement se peignit sur les traits de Coconas, qui, au lieu de crier et de s'agi- ter, demeura immobile et ne pouvant détacher ses yeux du visage de cet ami oublié qui reparaissait en un pareil moment.

Cahoclie, sans qu'un seul muscle de son visage fût agité, sans qu'il parût avoir jamais vu Coconas autre part que sur le chevalet, lui introduisit doux planches entre les jambes, lui plaça deux autres plnnrlios pareilles en dehors des jambes, et ficela le t jut avec la corde qu'il tenait à la main.

C'était cet appareil qu'on appelait les irode- quins.

Pour la question ordinaire, on enfonçait six coins entre les deux planches, qui, en s'écartant, broyaient les chairs.

Pour la question extraordinaire, on enfonçait dix coins, et alors les planches, non-sculcnient broyaient les chairs, mais faisaient éclater les os.

L'opération préliminaire terminée, maître Cabo- che introduisit l'extrémité du coin entre les deux [ilanclirs; puis, son maillet à la main, agenouilh' sur un seul genou, il regarda le juge.

Voulez-vous parler? demanda celui-ci.

Non, répondit résolument Coconas, quoiqu'il sentît la sueur perler sur son front et ses cheveux se dresser sur sa lêle.

F,n ce cas, allez, dit le juge; premier coin de l'ordinal ro.

Cil boche leva son bras armé d'un lourd maillet et ass<'na un coup terrible sur le coin, qui rendit un s(m mat.

liO clicvnint trembla.

Coconas ne laissa point (Vhapper une plainte à re [iremicr coin, qui, d'iirilin.iire, fiii.-^ail gi'mir les plus n soins.

Il y uut nipuie plus : la sculu (.'X,|ii't>.ssiun (|ui so

peignit sur son visage fut celle d'un indicible éton- nement. 11 regarda avec des yeux stupéfaits Cabo- che, qui, le bras levé, à demi retourné vers le juge, s'apprêtait à redoubler.

Quelle était votre intention en vous cachant dans la forêt? demanda le juge.

De nous asseoir à l'ombre, répondit Coco- nas.

Allez, dit le juge. . Caboche appliqua un second coup, qui résonna

comme le premier.

Mais, pas plus qu'au premier coup, Coconas ne sourcilla, et son œil continua de regarder le botir- reau avec la même expression.

Le juge fronça le sourcil.

Voilà un chrétien bien dur, murmura-t-il; le coin est-il entré jusqu'au bout, maître?

Caboche se baissa comme pour examiner; mais, en se baissant, il dit tout bas à Coconas :

Mais criez donc, malheureux! Puis, se relevant :

Jusqu'au bout, monsieur, dit-il.

Second coin de l'ordinaire, reprit froidement le juge.

Les quatre mots de Caboche expliquaient tout à Cocouas. Le digne bourreau venait de rendre à son ami le plus grand service qui se puisse rendre de bourreau à gentilhomme.

Il lui épargnait plus que la douleur, il lui épar- gnait la honte des aveux, en lui enfonçant entre les jambes des coins de cuir élastiques, dont la partie supérieure était seulement garnie de bois, au lieu do lui enfoncer des coins en chêne. De plus, il lui laissait toute sa force pour faire face à l'éclia- faud.

Ah! brave, brave Caboche, murmura Coco- nas, sois tranquille, va, je vais crier, puisque tu me le commandes, et, si tu n'es pas content, tu seras difficile.

Pendant ce temps. Caboche avait introduit entre les planches l'extrémité d'un coin plus gros encore que le premier.

Allez, dit le juge.

A ce mot. Caboche frappa comme s'il se fût agi de démolir d'un seul coup le donjon de Vincennes.

Ah ! ah ! hou ! hou ! cria Coconas sur les into- nations les plus variées. Mille tonnerres! vous mo brisez les os, |irenez donc garde I

Ah ! dit le juge on souriant, le second fait son effet; cela m'i'lonnait au.'^si.

Coconas respira comme un soufllet de forge.

Que faisiez-vous donc dans la forêt? répéta le juge.

Eh ! mordieul je vous l'ai déjà dit, jo prenais le frais.

Allez, dit lo ju-^e.

Avouez, lui glissa Caboche à l'oreillo,

Quoi I

LA REINE MARGOT.

155

Tout ce que vous voudrez, mais avouez quel- que chose.

Et il donna le second coup non moins bien appli- que que le premier.

Coconas pensa s'étrangler à force de crier.

Oh! là! dit-il. Que désirez-vous savoir, monsieur; par ordre de qui j'étais dans le bois?

Oui, monsieur.

J'y étais par ordre de M. d'Alençon.

Écrivez, dit le juge.

Si j'ai commis un crime en tendant un piège au roi de Navarre, continua Coconas, je n'étais qu'un instrument, monsieur, et j'obéissais à mon maître.

Le greffier se mit à écrire.

Oh ! tu m'as dénoncé, face blême, murmura ie patient, attends, attends.

Et il raconta les visites de François au roi de Na- varre, les entrevues entre de Mouy et M. d'Alençon, l'histoire du manteau rouge, le tout en hurlant par réminiscence et en se faisant ajouter de temps en temps un coup de marteau.

Enfin, il donna tant de renseigne/nents précis, véridiques, incontestables, terribles, contre M. le duc d'Alençon ; il fit si bien paraître ne les accor- der qu'à la violence des douleurs; il grimaça, ru- git, se plaignit si naturellement, et sur tant d'into- nations différentes, que le juge lui-même finit par s'effaroucher d'avoir à enregistrer des détails si compromettants pour un fils de France.

Eh bien! à la bonne heure! disait Caboche, voici un gentilhomme à qui il n'est pas besoin de dire les choses à deux fois et qui fait bonne mesure au greffier. Jésus-Dieu! que serait-ce donc, si, au lieu d'être de cuir, les coins étaient de bois !

Aussi fit-nn grâce à Coconas du dernier coin de l'extraordinaire; mais, sans compter celui-là, il avait eu affaire à neuf autres, ce qui suffisait parfai- tement à lui mettre les jambes en bouillie.

Le juge fit valoir à Coconas la douceur qu'il lui accordait en faveur de ses aveux et se retira.

Le patient resta seul avec Caboche.

Eh bien ! lui demanda celui-ci, comment al- lons-nous, mon gentilhomme';

Ah ! mon ami I mon brave ami, mon cher Ca- boche! dit Coconas, sois certain que je serai recon- naissant toute ma vie de ce que tu viens de faire pour moi.

Peste! vous avez raison, monsieur, car, si on savait ce que j'ai fait pour vous, c'est moi qui pren- drais votre place sur ce chevalet, et on ne me mé- nagerait point, moi, comme je vous ai ménagé.

Mais comment as-tu eu l'ingénieuse idée?...

Voilà, dit Caboche tout en entortillant les jam- bes de Coconas dans les linges ensanglantés : j'ai su que vous étiez arrêté, j'ai su qu'on faisait votre pro- cès, j'ai su que la reine Catherine voulait votre

mort ; j'ai deviné qu'on vous donnerait la question, et j'ai pris mes précautions en conséquence.

Au risque de ce qui pouvait arriver?

Monsieur, dit Caboche, vous êtes le seul gen- tilhomme qui m'ait donné la main, et l'on a de la mémoire et un cœur, tout bourreau qu'on est, et peut-être même parce qu'on est bourreau. Vous ver- rez demain comme je ferai proprement ma be- sogne.

Demain? dit Coconas.

Sans doute, demain.

Quelle besogne?

Caboche regarda Coconas avec stupéfaction.

Comment, quelle besogne? avez-vous donc ou- blié l'arrêt?

Ah ! oui, en effet, l'arrêt, dit Coconas; je l'a- vais oublié.

Le fait est que Coconas ne l'avait point oublié, mais qu'il n'y pensait pas.

Ce à quoi il pensait, c'était à la chapelle, au cou- teau caché sous la nappe sacrée, à Ilenrielle et à la reine, à la porte de la sacristie et aux deux chevaux attendant à la lisière de la forêt; ce à quoi il pen- sait, c'était à la liberté, c'était à la course en plein air, c'était à la sécurité au delà des frontières de France.

Maintenant, dit Caboche, il s'agit de vous faire passer adroitement du chevalet sur la litière. N'oubliez pas que pour tout le monde, et même pour mes valets, vous avez les jambes brisées, et qu'à chaque mouvement vous devez pousser un cri.

Aie! fit Coconas rien qu'en voyant les deux valets approcher de lui la litière.

Allons! allons! un peu de courage, dit Cabo- che ; si vous criez déjà, que direz-vous donc tout à l'heure !

Mon cher Caboche, dit Coconas, ne me laissez pas toucher, je vous en supplie, par vos estimables acolytes; peut-être n'auraient-ils pas la main aussi légère que vous.

Posez la litière près du chevalet, dit maître Caboche.

Les deux valets obéirent. Maître Caboche prit Co- conas dans ses'bras comme il aurait fait d'un en- fant, et le déposa couché sur le brancard; mais, malgré toutes ces précautions, Coconas poussa des cris féroces.

Le brave guichetier apparut alors avec une lan- terne.

A la chapelle, dit-il.

Et les porteurs de Coconas se mirent en route après que Coconas eut donné à Caboche une seconde poignée de main.

La première avait trop bien réussi au Piémontais pour qu'il fit désormais le difficile.

156

LA REINE MARGOT.

XXX

LA ClIAr'EI.LE.

e luf^ul)re corlége traversa dans le plus profond silence les 'deux ponts-levis du y^B M&K-i^lM^J-'^ iloujon et la grande cour l,gwB S^M^KM (lu château qui mène à la y^QHHBP^|R|V« cliapelie, et aux vitraux de laquelle une pâle lumière colorait les figures livides des apôtres en robes rouges.

Coconas aspirait avidement l'air de la nuit, quoi- que cet air fut tout chargé de pluie. Il regardait l'obscurité profonde et s'applaudissait de ce que toutes ces circonstances étaient propices à sa fuite et à celle de son compagnon.

Il lui fallut toute sa volonté, toute sa prudence, toute sa puissance sur lui-même, pour ne pas sauter en bas de la litière, dès que, porté dans la chaiielle, il aperçut dans le chœur, et, à trois pas de l'autel, une masse gisante dans un grand manteau blanc. C'était la Mole.

Les deux soldats qui accom[uignaient la litière s'étaient arrêtés en deiiors de la porte.

Puisqu'on nous fait cette suprême grâce de nous réunir encore une fois, dit Coconas alanguis- sant sa voix, portez-moi près de mon ami.

Les porteurs n'avaient aucun ordre contraire, ils ne tirent donc aucune difilculté d'accorder la de- mande de Coconas.

' La Mole ('tait sombre et pâle, sa tète é'tait ap|)uy('e au marbre de la muraille; ses cheveux noirs, haignés d'une sueur abondante, (jui donnait à son visage la mate pâleur de l'ivoire, semblaient «voir conservé leur roideur après s'être hérissés sur sa tête.

Sur un signe du porte-clefs, les deux valets s'é- loignèrent pour aller chercher le prêtre que de- manda Coconas.

C'était le signal convenu.

Coconas les suivait des yeux avec anxK-lé; mais il n'i'tait [las le seul dmit le regonl ardent l'tait fixé sur eux. A p(5ine eurent-ils disparu, que deux fem- mes s'élancèrent do derrière l'autel et firent irrup- tion dans le chieur avec des fn'inissriiicnts de joie t]ui les précédaient, agitant l'air cinuiiie un soufllc chaud l'i hruyant pré'cèdc l'orage.

Margurrilc! se précipita vers la Mole cl le saisit dan.sses liras.

La Mole poussa un cri terrible, un de ces crts comme en avait entendu Coconas dans son cachot eti]ui avaient failli le rendre fou.

Mon Dieu 1 qu'y a-t-il donc, la Mole? dit Mar- guerite se reculant d'effroi.

La Mole poussa un gémissement profond et porta ses mains à ses yeux comme pour ne pas voir Mar- guerite.

.Marguerite fut épouvantée plus encore de ce si- lence et de ce geste que du cri de douleur qu'avait poussé la Mole.

Oh! s'écria-t-elle. qu'as-tu donc? lu es tout en sang.

Coconas, qui s'était élancé vers l'autel, qui avait pris le poignard, qui tenait Henriette enlacée, se retourna.

Lève-toi donc, disait Marguerite, lève-toi donc, je t'en supplie! tu vois bien que le moment est venu .

Un sourire effrayant de tristesse passa sur les lè- vres blêmes de la Mole, qui semblait ne plus devoir sourire.

Chère reine! dit le jeune homme, vous aviez com[ité sans Catherine, et, par conséquent, sans un crime. J'ai subi la question, mes os .sont rompus, tout mon corps n'est qu'une plaie, et le mouvement que' je fais en ce moment pour appuyer mes lèvres sur votre front me cause des douleurs pires que la miirt.

Kt, en l'ffet, avec effort et tout palissant, la Mole appuya ses lèvres sur le front de la reine.

La question ! s'écria Coconas. mais, moi aussi, je l'ai suhic ; mais le bourreau n'a-t-il donc pas fait pour toi ce qu'il a fait pour moi?

Et Coconas raconta tout.

AI) ! dit la Mole, cela se comprend : tu lui as donné la main le jour de notre visite; moi, j'ai ou- blie (|ue tous les hommes .'^ont frères, j'ai fait le dé- daigneux. Dieu me punit de mon orgueil, merci à Dieu!

La Mole joignit les mains. Cocon;is et les deux femmes ('changèrent un re- gard d'indicihli.' terreur.

Mlons, allons, dit le geôlier, qui avait été jus- qu'à la purte pour ('coûter et (|ui ('tait revenu, al- buis, ne perdez pas de temps, cher monsieur de Co-

LA REINE 3IARG0T.

151

il h:

Bl la Mole tomba.

conas ; mon coup de dague, et arrangez-moi cela en digne gentilhomme, car ils vont venir.

Marguerite s'çtait agenouillée près de la Mole pareille à ces figures de marbre courbées sur un tombeau, près du simulacre de celui qu'il renferme.

Allons, ami, dit Coconas, du courage! je suis fort, je t'emporterai, je te placerai sur ton cheval, je te tiendrai même devant moi si tu ne peux te soutenir sur la selle, mais partons, partons ; tu en- tends bien ce que nous dit ce brave homme, il s'a- git de la vie.

La Mole fit un effort surhumain, un effort su- blime.

C'est vrai, il s'agit de ta vie, dit-il.

Et il essaya de se soulever.

Annibal le prit sous les bras et le dressa debout, La Mole, pendant ce temps, n'avait fait entendre qu'une espèce de rugissement sourd ; mais au mo- ment où Coconas le lâchait pour aller au guichetier, et lorsque le patient ne fut plus soutenu que par le bras des deux femmes, ses jambes plièrent, et, mal- gré les efforts de Marguerite en larmes, il tomba

158

LA REINE MARGOT.

comme une masse, et le cri déchirant qu'il ne put retenir fit retentir la chapelle d'un écho lugubre qui vibra longtemps sous ses voûtes.

Vous voyez, dit la Mole avec un accent de dé- tresse, vous voyez, ma reine, laissez-moi donc, abandonnez-moi donc avec un dernier adieu de vous. Je n'ai point parlé, Marguerite, votre secret est donc demeuré enveloppé dans mon^mour, et mourra tout entier avec moi. Adieu, ma reine, adieu...

Marguerite, presque inanimée elle-même, entoura de ses bras cette tête charmante, et y imprima un baiser presque religieux.

Toi, Annibal, dit la Mole, toi que les dou- leurs ont épargné, toi qui es jeune encore et qui peux vivre, fuis, fuis, mon ami, donne-moi cette consolation suprême de te savoir en liberté.

L'heure passe, cria le geôlier, allons, hâtez- vous.

Henriette essayait d'entraîner doucement Anni- bal, tandis que Marguerite à genoux devant la Mole, les cheveux épars et les yeux ruisselants, semblait une Madeleine.

Fuis, Annibal, reprit la Mole, fuis, ne donne pas à nos ennemis le joyeux spectacle de la mort de deux innocents.

Coconas repoussa doucement Henriette qui l'atti- rait vers la porte, et d'un geste si solennel qu'il en était devenu majestueux :

Madame, dit-il, donnez d'abord les cinq cents écus que nous avons promis à cet homme.

Les voici, dit Henriette.

Alors, se retournant vers la Mole et secouant tris- tement la tête :

Quant à toi, bon la Mole, dit-il, tu me fais in- jure en pensant un instant que je puisse te quitlir. N'ai-je pas juré de vivre et de mourir avec toi 1 Mais tu souffres tant, pauvre ami, que je te pardonne.

Et il se recoucha ri'solijnient près de son ami, vers lequel il pencha sa tête et dont il effleura le front avec ses lèvres.

Puis il attira doucement, doucement, comme une mère ferait pour son enfant, la tête de son ami, qui glissa contre la muraille et vint se reposer sur sa poitrine.

Marguerite était sombre. Elle avait ramassé le poignard que venait de laisser tomber Coconas.

0 ma rcini'' dit rn raendaiit les bras vers elle la Mole, qui comprenait sa pensée, ô ma reine! n'oubliez pas que je meurs pour éteindre jusqu'au moindre soupçon de notre amour !

Mais que puis-ji^ donc faire pmir loi, «'('cria Mai'gucrito désespérée, si je ne puis pas même mou- riia vectoi'î

Tu peux faire, dit la Mole, tu peux faire que la mort me sera douce, et viendra en quelque sorte à moi avec un visage souriant.

Marguerite se rapprocha de lui en joignant les mains comme pour lui dire de parler.

Te rappelles-tu ce soir, Marguerite, où, en échange de ma vie que je t'offrais alors, et que je te donne aujourd'hui, tu me fis une promesse sa- crée?...

Marguerite tressaillit.

Ah! tu te la rappelles, dit la Mole, car tu fris- sonnes.

Oui, oui, je me la rappelle, dit Marguerite, et, sur mon âme, Hyacinthe, cette promesse, je la tiendrai.

Marguerite étendit de sa place la main vers l'au- tel, comme pour prendre une seconde fois Dieu à témoin de son serment.

Le visage de la Mole s'éclaira comme si la voûte de la chapelle se fût ouverte, et qu'un rayon céleste eût descendu jusqu'à lui.

On vient, on vient, dit le geôlier. Marguerite poussa un cri et se précipita vers la

Mole; mais la crainte de redoubler ses douleurs l'ar- rêta tremblante devant lui.

Henriette posa ses lèvres sur le front de Coconas et lui dit :

Je te comprends, mon Annibal, et je suis fière de toi. Je sais bien que ton héroïsme te fait mou- rir, mais je t'aime pour ton héroïsme. Devant Dieu, je t'aimerai toujours avant et plus que toutes cho- ses, et ce que Marguerite a juré de faire pour la Mole, sans savoir quelle chose cela est, je te jure que pour toi aussi je le ferai.

Et elle tendit sa main à Marguerite.

C'est bien parler cela, merci, dit Coconas.

Avant de me quitter, ma reine, dit la Mole, une dernière grâce : donnez-moi un souvenir quel- conque de vous, que je puisse baiser en montant à l'cL-hafaud.

Oh! oui, s'écria Marguerite, tiens I...

Et elle détacha de son cou un petit reliquaire d'or soutenu par une chaîne du même métal.

Tiens, dit-elle, voici une relique sainte que je |iorle depuis mon enfance; ma mère me la passa au cou quand j'étais toute petite et qu'elle m'aimait encore; elle vient de notre oncle le pape Clément; je ne l'ai jamais quittée. Tiens, prends-la.

I,a Mole la ]iril et la baisa avidement.

On ouvre la porte, dit le geôlier, fuyez, nies- dauKis, Cuyczl

Les deux femmes s'élancèrent derrière l'autel, elles disparurent. Au même moment le prêtre entrait.

LA REINE MARGOT.

159

XXXI

LA PLACE SAINT-JEAN-EN-GRÈVK.

1 est sept heures du matin ; la foule attendait bruyante sur les places, dans les rues et sur les quais.

A dix heures du matin, un tombereau, le même dans lequel les deux «mis, après leur duel, avaient été' ramenés évanouis au Louvre, était parti de Vin- cennes, traversait lentement la rue Saint-Antoine ; et, sur son passage, les spectateurs, si pressés qu'ils s'écrasaient les uns les autres, semblaient des sta- tues aux yeux fixes et à la bouche glacée.

C'est qu'en effet il y avait ce jour-là un spectacle déchirant, offert par la reine mère à tout le peuple de Paris.

Dans ce tombereau, dont nous avons parlé, et qui s'acheminait à travers les rues, couchés sur quel- ques brins de paille, deux jeunes gens, la tête nue, et complètement vêtus de noir, s'appu3'aient l'un contre l'autre. Coconas portait sur ses genoux la Mole, dont la tête dépassait les traverses du tombe- "reau, et dont les yeux vagues erraient çà et là.

Et cependant la foule, pour plonger son regard avide jusqu'au fond de la voiture, se pressait, se le- vait, se haussait, montant sur les bornes, s'accro- chant aux anfractuosités des murailles, et paraissait satisfaite lorsqu'elle était parvenue à no pas laisser vierge de son regard un seul point des deux corps qui sortaient de la souffrance pour aller à la destruc- tion.

11 avait été dit que la Mole mourait sans avoir avoué un seul des faits qui lui étaient imputés, tan- dis qu'au contraire, assurait-on, Coconas n'avait pu supporter la douleur et avait toul révélé.

Aussi criait-on de tous côtés : ' Voyez, voj'ez le rouge! c'est lui qui a parlé, c'est lui qui a tout dit ; c'est un lâche qui est cause de la mort de l'autre. L'autre, au contraire, est un brave et n'a rien avoué.

Les deux jeunes gens entendaient bien, l'un les louanges, l'autre les injures, qui accompagnaient leur marche funèbre; et, tandis que la Mole serrait les mains de son ami, un sublime dédain éclatait 8ur la figure du Piémontais, qui, du haut du tom-

bereau immonde, regardait la foule stupide comme il l'eût regardée du haut d'un char triomphal.

L'infortune avait fait son œuvre céleste, elle avait ennobli la figure de Coconas, comme la mort allait diviniser son âme.

Sommes-nous bientôt arrivés? demanda la Mole, je n'en puis plus, ami, et je crois que je vais m'évanouir.

Attends, attends, la Mole, nous allons passer dewnt la rue Tizon et devant la rue Cloche-Percée; regarde, regarde un peu.

Oh! soulève-moi, soulève-moi, que je voie en- core une fois cette bienheureuse maison !

Coconas étendit la main et toucha l'épaule du bourreau, il était assis sur le devant du tombereau et conduisait le cheval.

Maître, lui dit-il, rends-nous ce service de l'arrêter un instant en face de la rue Tizon.

Caboche fit de la tête un mouvement d'adhésion, et, arrivé en face de la rue Tizon, il s'arrêta.

La Mole se souleva avec effort, aidé par Coconas; regarda, l'œil voilé par une larme, cette petite mai- son silencieuse, muette et close comme un tombeau; un soupir gonlla sa poitrine; et, à voix basse :

Adieu, murmura-t-il , adieu, la jeunesse, l'a- mour, la vie!

Et il laissa retomber sa tête sur sa poitrine.

Courage! dit Coconas, nous retrouverons peut- être tout cela là-haut.

Crois-tu? murmura la Mole.

Je le crois parce que le prêtre me l'a dit, et surtout parce que je l'espère. Mais ne t'évanouis pas, mon ami! ces misérables qui nous regardent riraient de nous.

Caboche entendit ces derniers mots; et, fouettant son cheval d'une main, il tendit de l'autre à Coco- nas, et sans que personne le pût voir, une petite éponge imprégnée d'un révulsif si violent, que la Mole, après l'avoir respire et s'en être frotté les tem- pes, s'en trouva rafraîchi et ranimé.

Ah ! dit la Mole, je renais.

Et il baisa le reliquaire suspendu à son cou pat la chaîne d'or.

En arrivant à l'angle du quai et en tournant le charmant petit édifice bâti par Henri 11, on aperçut

100

LA REINE MARGOT.

Caboche entendit ces derniers mots. Page 159.

l'érliafaïul se (lrps«,nnt rommo unn plnto-fornin mic et s;inglnnt(ï : relli' phili'-fdimi' (inniinnil tmili's lo-^ ti'les.

Ami, (lit la Mol(;, jo voudrais bien nidiirir i(^ premier.

Coconas toucha une seconde fois de sa main l'é- paule du bourreau.

Qu'y a-t-il, mon gentilhomme? demanda co- lui-ci en se retournant.

Brave homme, dit Coconas, tu tiens à nie faire plaisir, n'est-ce pas? tu nie l'as dit, du moins.

'- Oui, je vous le répcte.

Voilà mon ami qui a plus souffert que moi, et ()ui, |iar conséi|uent, a moins do force...

Eh bien?

Eh bien! il mo dit qu'il souffrirait trop de me voir mourir le premier. D'ailleurs, si je mourais le premier, il n'aurait personne pour le porter sur l'i'ch.'vfaud.

C'est bien, c'est bien, dit Caboche en essuyant une larme avec lo dos de sa main, soyez tranquille, on fera ca> que vous di-sirez.

Et d'un seul coup, n'c.st-ce pas? dit ft voix basse lo Picmontais. ^

LA REINE JIARGOT.

161

11 prit la Mule djns ses bras. I'aoe 1G2.

D'un seul.

C'est bien... si vous avez à vous reprendre, re- prenez-vous sur moi.

Le tombereau s'arrêta, on était arrivé. Coconas mit son chapeau sur sa tête.

Une rumeur semblable à celle des Ilots de la mer bruit aux oreilles de la Mole. Il voulut se lever, mais les forces lui manquèrent; et il fallut que Caboche et Coconas le soutinssent sous les bras.

La place était pavée de têtes, les marches de l'Hô- tel de Ville semblaient un amphithéâtre peuplé de spectateur*. Chaciue fenêtre donnait passage à des

visages animés dont les regards semblaient ÛdiTd- boyer.

Quand on vit le beau jeune homme qui ne pou- vait plus se soutenir sur ses jambes brisées faire un effort suprême pour aller de lui-même à l'échafaud, une clameur immense s'éleva comme un cri de dé- solation universelle. Les hommes rugissaient, les femmes poussaient des gémissements plaintifs.

C'était un des premiers raffinés de la cour, disaient les hommes, et ce n'était pas à Saint-Jean- en-Grùve qu'il devait mourir c'était au Pré-aux- Clercs.

44

ul un'i aiue, bouicvan OuutpvQoHVi bti

102

LA REINE MARGOT.

Qu'il est beau! qu'il est pâle! disaient les femmes : c'est celui f|ui n'a point parlé.

Ami, dit la Mole, je ne puis me soutenir ! Porte-moi.

Attends, dit Coconas.

Il fit un signe au bourreau, qui s'ccarta; puis, se baissant, il prit la Mole dans ses bras comme il eût fait d'un enfant, et monta sans chanceler, chargé de son fardeau, l'escalier de la plate-forme, il déposa la Mole, au milieu des cris frénétiques et des applaudissements de la foule.

Coconas leva son chapeau de dessus sa tête et salua.

Puis il jeta son chapeau prés de lui sur l'écha- faud.

Regarde autour de nous, dit la Mole, ne les aperçois-tu pas quelque part?

Coconas jeta lentement un regard circulaire tout autour de la place, et, arrivé sur un point, il s'ar- rêta, étendant, sans détourner les yeux, sa main, qui toucha l'épaule de son ami.

Regarde, dit-il, regarde la fenêtre de cette pe- tite tourelle.

Et de son autre main il montrait à la Mole le petit monument qui existe encore aujourd'hui entre la rue de la Vannerie et la rue du Mouton, un dé- bris des siècles passés.

Deux femmes vêtues de noir se tenaient appuyées l'une à l'autre, non pas à la fenêtre, mais un peu en arrière.

Ah ! fit la Mole, je ne craignais qu'une chose, c'était de mourir sans la revoir. Je l'ai revue, je puis mourir.

Et, les yeux avidement fixés sur la petite fenêtre, il porta le reliquaire à sa bouche et le couvrit de baisers.

Coconas saluait les deux feumies avec toutes les grâces qu'il se fût données dans un salon.

En réponse à ce signe, elles agitèrent leurs mou- choirs tout trempés de larmes.

Caboche, à son tour, toucha du doigt l'épaule de Coconas, et lui fit des yeux un signe significatif.

Oui, oui, dit le Piémontais. Alors, .so retournant vers la Mole :

^ Enihrasse-moi, lui dit-il, et meurs bien. Cela ne sera point difficile, ami, tu es si brave.

Ah! dit la Mole, il n'y aura pas de mérite à moi de mourir bien, je souffre tant !

Lo prêtre s'ap|)roi-|ia et louilil un crucifix à la Mole, qui lui montra en souriant le reliquaire (|u'il tenait à la main.

N'importe, dit le [irêirc, demandez toujours la force a celui qui a souffert ce ijuc vous allez souf- frir.

La Mole baisa les pieds du christ.

Uecoiumandez-nioi, dit-il, aux prières des Da- mes de lu Luuuito sainte Vierge.

Hâte-toi, hâte-toi, la Mole! dit Coconas, tu me fais tant de mal que je sens que je faiblis.

Je suis prêt, dit la Mole.

Pourrez-vous tenir votre tête bien droite? dit Caboche apprêtant son épée derrière la Mole agenouillé.

Je l'espère, dit celui-ci.

Alors tout ira bien.

Mais vous, dit la Mole, vous n'oublierez pas ce que je vous ai demandé ; ce reliquaire vous ou- vrira les portes.

Soyez tranquille. Mais essayez un peu à tenir la tête droite.

La Mole redressa le cou, et tournant les yeux vers la petite tourelle :

Adieu, Marguerite, dit-il, sois bé...

Il n'acheva pas. D'un revers de son glaive, rapide et flamboyant comme un éclair, Caboche fit tomber d'un seul coup la tête, qui alla rouler aux pieds de Coconas.

Le corps s'étendit doucement comme s'il se cou- chait.

Un cri immense retentit formé de mille cris, et, dans toutes ces voix de femmes, il sembla à Coconas qu'il avait entendu un accent plus douloureux que tous les autres.

Merci, mon digne ami, merci, dit Coconas, qui tendit une troisième fois la main au bour- reau.

Mon fils, dit le prêtre à Coconas, n'avez-vous rien à confier à Dieu'.'

Ma foi non, mon père, dit le Piémontais: tout ce que j'aurais à lui dire, je vous l'ai dit à vous- même hier.

Puis, se retournant vers Caboche :

Allons, bourreau, mon dernier ami, dit-il, encore un service.

Et, avant de s'agenouiller, il promena sur la foule un regard si calme et si serein, qu'un mur- mure d'admiration vint caresser sou oreille et faire sourire son orgueil. Alors, pressant la tête de son ami, et déposant un baiser sur ses lèvres violettes, il jeta un dernier regard sur la tourelle ; et, s'age- noui liant, tout en conservant cette tête bicu-aimée entre ses mains :

A moi ! dit-il.

il n'avait pas achevé ces mots, que Caboche avait fait voler sa tête.

Ce coup fait, un tremblement convulsif s'empara du digne homme.

Il était tpflips que cela finît, murmura-t-il, pauvre enfant!

I']l il tira avec peine des mains crispées do la Mole le reliquaire d'of; il jeta son manlcflu sur les tris- tes ihiponilles ijuo le tombereau <levaii ramener clic» lui.

Lu speclar.lif étant Uni. la foule s'écoula.

LA REINE MARGOT.

163

XXXII

U TOUR DU PILORI.

a nuit venait de descendre sur la ville frémissante en- core du bruit de ce sup- plice, dont les détails cou- raient de bouche en bou- che assombrir dans chaque maison l'heure joyeuse du i souper de famille. Cependant, tout au contraire de la ville, qui était silencieuse et lugubre, le Louvre était bruyant, joyeux et illumine. C'est qu'il y avait grande fête aa palais : une fête commandée par Charles IX, une fête qu'il avait indiquée pour le soir, en même temps qu'il indiquait le supplice pour le matin.

La reine de Navarre avait reçu, dès la veille au soir, l'ordre de s'y trouver, et, dans l'espérance que la Mole et Coconas seraient sauvés dans la nuit, dans la conviction que toutes les mesures étaient bien prises pour leur salut, elle avait répondu à son frère qu'elle ferait selon ses désirs.

Mais, depuis qu'elle avait perdu tout espoir par la scène de la chapelle; depuis qu'elle avait dans un dernier mouvement de piété pour cet amour, le plus grand et le plus profond qu'elle avait éprouvé de sa vie assisté à l'exécution, elle s'était bien promis que ni prières, ni menaces, ne la feraient assister à une fête joyeuse au Louvre le même jour elle avait vu une fête si lugubre en Grève.

Le roiCharles IX avait donné ce jour-là une nou- velle preuve de cette puissance de volonté que per- sonne peut-être ne poussa au même degré que lui : alité depuis quinze jours, frêle comme un moribond, livide comme un cadavre, il se leva vers cinq heu- res et revêtit ses plus beaux habits. Il est vrai que, pendant la toilette, il s'évanouit trois fois.

Vers huit heures, il s'informa de ce qu'était de- venue sa sœur, et demanda si on l'avait vue et si l'on savait ce qu'elle faisait. Personne ne lui répon- dit; car la reine était rentrée chez elle vers les onze heures, et s'y était renfermée en défendant absolu- ment sa porte.

Mais il n'y avait pas de porte fermée pour Char- les. Appuyé sur le bras de M. de Nancey, il s'ache- mina vers l'appartement de la reine de Navarre, et entra tout à coup par la porte du corridor secret.

Quoiqu'il s'attendît à un triste spectacle, et qu'il y eût d'avance préparé son cœur, celui qu'il vit était plus déplorable encore que celui qu'il avait rêvé.

Marguerite, à demi morte, couchée sur une chaise longue, la tête ensevelie dans des coussins, ne pleu- rait pas. ne priait pas; mais, depuis son retour, elle râlait comme une agonisante.

A l'autre coin de la chambre, Henriette de Ne-^ vers, cette femme intrépide, gisait, sans connais- sance, étendue sur le tapis. En revenant de la Grève, comme à Marguerite, les forces lui avaient manqué, et la pauvre Gillonne allait de l'une à l'autre, n'o- sant pas essayer de leur adresser une parole de con- solation.

Dans les crises qui suivent ces grandes catastro^ phes, on est avare de sa douleur comme d'un tré- sor, et l'on tient pour ennemi quiconque tente de nous en distraire la moindre partie.

Charles IX poussa donc la porte, et, laissant Nan- cey dans le corridor, il entra pâle et tremblant.

Ni l'une ni l'autre des deux femmes ne l'avait vu. Gillonne seule, qui dans ce moment portait se- cours à Henriette, se releva sur un genou, et, tout ef- frayée , regarda le roi .

Le roi fit un geste de la main ; elle se releva, fit la révérence, et sortit.

Alors Charles se dirigea vers Marguerite, la re- garda un instant en silence; puis, avec une in- tonation dont on eût cru cette voix rude inca- pable :

Margot! dit-il, ma sœur!

La jeune femme tressaillit et se redressa.

Votre Majesté ! dit-elle.

Allons, ma sœur, du courage! Marguerite leva les yeux au ciel.

Oui, dit Charles, je sais bien, mais écoute- moi.

La reine de Navarre fit signe qu'elle e'coutait.

Tu m'as promis de venir au bal, dit Charles. Moi? s'écria Marguerite.

Oui; et, d'après ta promesse, on t'attend, de sorte que, si tu ne venais pas, on serait étonné de ne pas t'y voir.

104

LA REINE MAUGOT.

Excusez-moi, mon frère, dit Marguerite; vous le voyez, je suis bien souffrante.

Faites un effort sur vous-même. Marguerite parut un instant tenter de rappeler

son courage; puis, tout à coup, s'abandonnant et laissant retomber sa tête sur ses coussins :

Non, non, je n'irai pas, dit-elle.

Charles lui prit la main, s'assit sur sa chaise lon- gue, et lui dit :

Tu viens de perdre un ami, je le sais, Margot; mais, regarde-moi, n'ai-je pas perdu tous mes amis, moi? et, de plus, ma mère! Toi, tu as toujours pu pleurer à l'aise comme tu pleures en ce moment; moi, à l'heure de mes plus fortes douleurs, j'ai tou- jours été forcé de sourire. Tu souffres, regarde-moi! moi, je meurs. Eh bien! Margot, voyons, du cou- rage ! Je te le demande, ma sœur, au nom de notre gloire! Nous portons comme une croix d'angoisses la renommée de notre maison, portons-la, comme le Seigneur, jusqu'au Calvaire; et, si, sur la route, comme lui, nous trébuchons, relevons-nous coura- geux et résignés comme lui.

Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s'écria Margue- rite.

Oui, dit Charles, répondant à sa pensée; oui, !e sacrifice est rude, ma sonir; mais chacun fait le sien; les uns de leur honneur, les autres de leur vie. Crois-tu qu'avec mes vingt-cinq ans et le plus beau trône du monde je ne regrette pas de mourir'! Eii bien! regarde-moi... mes yeux, mon teint, mes lè- vres, sont d'un mourant, c'est vrai; mais mon sou- rire... est-ce que mon sourire ne ferait pas cidire que j'espère? Et cependant, dans huit jours, quinze jours, un mois tout au plus, lu me pleureras, ma sœur, comme celui qui est mort aujourd'hui.

Mon frère!... s'écria Margot en jetant ses deux bras autour du cou de Charles.

Allons, habillez-vous, chère Marguerite, dit le roi; cachez votre pâleur et paraissez au bal. Je viens do donner ordre qu'on vous apporte des pier- reries nouvelles et des ajustements dignes de votre beauté.

, Oh! des diamants, des robes, dit Marguerite, que m'importe tout cela, maintenant!

La vie est longue, Marguerite, dit en souriant Charles, pour toi, du moins.

Jamais! jamais!.,.

Ma so^ur, souviens-toi d'une chose : quelque- fois c'est en étouffant, ou plutôt en dissinuilant la souffrance, que l'on liomire le mieux les morts.

.'A Eh bien! siro, dit Marguerite frissonnanti', j'irai.

Une larme, qui fut bm^ aussitôt par sa paupière aride, mouilla l'œil do Charles.

Il s'inclina vers sa sa-ur, la baisa au front, s'ar- rêta un instant dc^vanl Ilenrielte, qui ne l'avait ni vu ni entendu, et dit :

l'aiivre feiiMue !

Puis il sortit silencieusement.

Derrière le roi, plusieurs pages entrerait, appor- tant des coffres et des écrins.

Marguerite fit signe de la main que l'on déposât tout cela à terre.

Les pages sortirent. Gillonne resta seule.

Prépare-moi tout ce qu'il me faut l'oiir m'ha- biller, Gillonne, dit Marguerite.

La jeune fille regarda sa maîtresse d'un œil étonné.

Oui, dit Marguerite avec un accent dont il se- rait impossible de rendre l'amertume. Oui, je m'ha- bille, je vais au bal... on m'attend là-bas. Dépèche- toi donc ! la journée aura été complète : fête à la Grève ce matin, fête au Louvre ce soir.

Et madame la duchesse? dit Gillonne.

Oh ! elle, elle est bien heureuse; elle peut res- ter ici; elle peut pleurer, elle peut souffrir tout à son aise. Elle n'est pas fdle de roi, femme de roi, soMir de roi. Elle n'est pas reine, .\ide-moi à m'ha- biller, Gillonne.

La jeune fille obéit. Les parures étaient magnifi- ques, la robe splendide. Jamais Marguerite n'avait été si belle.

Elle se regarda dans une glace.

Mon frère a bien raison, dit-elle, et c'est une [lien miséralile chose que la cri'alure luiinaine.

En ce mnnient, fiillonue revint,

Madame, dit-elle, un lioiiinie est (p.ii vous demande.

Moi ?

Oui, vous.

Ouel est cet homme?

Je ne sais, mais son aspect est terrible et sa seule vue m'a fait frissonner.

Va lui demander son nom. dit Mar^^ueritc en 11,'ilissant.

Gillonne sortit, et, quelques secondes après, elle rentra.

11 n'a pas voulu me dire son nom, madame, mais il m'a priée de vous remettre ceci.

Gillonne tendit à Marguerite le reliquaire qu'elle avait donnt' la veille au .soir à la Mole.

Oh! fais entrer, fais entrer! dit vivement la reine.

Et elle devint plus pâle et plus glacée encore qu'elle n'était.

Un pas lourd l'iuanla le |iarquet. I,'éelio, in<ligné sans doute de répi'ler un iiareil bruit, gronda sons le lambris, et un homme parut sur le seuil.

Vous êtes?... dit la reine.

Celui (pie vous rencontr.îtcs un jour près do Montfauron, madame, et qui ramena au Louvre, dans son tombereau, deux genlilslionunes bles- sés,

Oui, oui, je vous reconnais, vous Me.s nioilro Caboehe,

LA REINE MARGOT.

165

£-j:.

Bourreau de la prévôté de Paris madanM.

Bourreau dp la prévôté de Paris, madame.

C'étaient les seuls mots qu'Henriette avait enten- dus de tous ceux que, depuis une heure, on pronon- çait autour d'elle. Elle dégagea sa tête pâle de ses deux mains et regarda le bourreau avec ses yeux d'émeraude, d'où semblait sortir un double jet de flammes.

Et vous venez?... dit Marguerite tremblante.

Vous rappeler la promesse faite au plus jeune des deux gentilshommes, à celui qui m'a chargé de vous rendre ce reliquaire. Vous la rappelez-vous, madame?

Ah ! oui, oui ! s'écria la reine, et jamais ombre plus généreuse n'aura plus noble satisfaction; mais est-elle?

Elle est chez moi avec le corps.

Chez vous? pourquoi ne l'avez-vous pas ap- portée ?

Je pouvais être arrêté au guichet du Louvre, on pouvait me forcer de lever mon manteau; qu'au- rait-on dit, si, sous ce manteau, on avait vu une tête?

C'est bien, gardez-la chez vous; j'irai la cher- cher demain.

166

LA REINE MARGOT.

Demain, madame, demain, dit maître Cabo- che, il sera peut-être trop tard.

Pourquoi cela?

Parce que la reine mère m'a fait retenir, pour ses expériences cabalistiques, les têtes des deux pre- miers condamnés que je décapiterais.

Oh ! profanation ! les têtes de nosbien-aimés! Henriette' s'écria Marguerite en courant à son amie, qu'elle retrouva debout, comme si un ressort venait de la remettre sur ses pieds; Henriette, mon ange, entends-tu ce qu'il dit, cet homme?

Oui. Eh bien! que faut-il faire?

Il faut aller avec lui.

Puis, poussant ce cri de douleur avec lequel les grandes infortunes se reprennent à la vie :

Ah ! j'étais cependant si bien ! dit-elle : j'étais presque morte.

Pendant ce temps, Marguerite jetait sur ses épau- les nues un manteau de velours.

Viens, viens, dit-elle, nous allons les revoir encore une fois.

Marguerite fit fermer toutes les portes, ordonna que l'on amenât la litière à la petite porte dérobée, puis, prenant Henriette sous le bras, descendit par le passage secret, faisant signe à Caboche de les suivre.

A la porte d'en bas était la litière, au guichet était le valet de Caboche avec une lanterne.

Les porteurs de Marguerite étaient des hommes de confiance, muets et sourds, plus surs que ne l'eussent été des bêtes de somme.

La litière marcha pendant dix minutes à peu près, précédée de maître Caboche et do son valet portant la lanterne; puis elle s'arrêta.

Le bourreau ouvrit la portière, tandis que le va- let courait devant.

Marguerite descendit, aida la duchesse de Nevers à descendre. Dans cette grande douleur qui les ctrei- gnait toutes deux, c'était cette organisation ner- veuse qui se trouvait être la plus fi)rle.

La tour du Pilori se dressait iji'vanl les deux fem- mes comme un géant sombre et informe, envoyant une lumière rougeàtre par deux barbacancs qui llaniboyaiont à son sommet.

Le v.ili't reparut sur la porte.

Vous ])ouv(7, entrer, inesdames, dit Caboche, tout le monde est couché dans la tour.

Au même moment, la luinièri' îles deux meur- trières s'f'teignil.

Les deux femmes, serrées l'une contre l'autre, pass^trent sons la petite porte en ogive et fonléri'nl dans l'oiiibrc une dalle humidi^ et raboteuse. Elles aperçurent une lumière au fond d'un corridor tour- nant, et, guirl('('s jKir le niaitre hideux du logis, elles se (lirigèri'iit de ro {•i:\r. \,:\ |iorv<! »f> referina derrièri' ollcs.

Cniiorlie, un (lambenii de cire l'i l.i main, les in- troduisit dans une salle basse et enfiiinée. Au milieu

de cette salle était une table dressée avec les restes d'un souper et trois couverts. Ces trois couverts étaient sans doute pour le bourreau, sa femme et son aide principal.

Dans l'endroit le plus apparent était cloué à la muraille un parchemin scellé du sceau du roi. C'é- tait le brevet patibulaire.

Dans un coin était une grande épée, à poignée longue. C'était l'épée flamboyante de la justice.

Çà et là, on voyait encore quelques images gros- sières, représentant des saints martyrisés par tous les supplices.

Arrivé là. Caboche s'inclina profondément.

Votre Majesté m'excusera, dit-il, si j'ai osé pé- nétrer dans le Louvre et vous amener ici. Mais c'é- tait la volonté expresse et suprême du gentilhomine, de sorte que j'ai dû...

Vous avez bien fait, maître, vous avez bien fait, dit Marguerite, et voici pour récompenser vo- tre zèle.

Caboche regarda tristement la bourse gonflée d'or que Marguerite venait de déposer sur la table.

De l'or! toujours de l'or! murmura-t-il. Hé- las! madame, que ne puis-je racheter moi-même à prix d'or le sang que j'ai été obligé de répandre au- jourd'hui!

Maître, dit Marguerite avec une hésitation dou- loureuse et en regardant autour d'elle, maître, maî- tre, nous faudrait-il encore aller ailleurs? je ne vols pas!...

Non, madame, non, ils sont ici; mais c'est un triste spectacle et que je pourrais vous épargner en vous apportant caché dans un manteau ce -que vous venez chercher.

Marguerite et Henriette se regardèrent simultané- ment.

Non, dit Marguerite, qui avait lu dans le re- gard (le son amie la même résolution iju elle \enait de prendre, non, montrez-nous le chemin et nous vous suivrons.

Calioclie prit le flambeau, ouvrit une porte de chêne qui donnait sur un escalier de ipieiques mar- ches et qui s'enfonçait en plongeant sous la terre. Au même instant un courant d'air passa, faisant vo- lir (ini'li|iies (■tincelics de la torche et jetant au vi- sage (les |irincesses l'odeur nauséabonde de la moi- sissure et du sang.

Henriette s'appuya, blanche comme une statue d'albâtre, sur le bras de son amie à la marclie plus assurée; mais, au premier degré, elle ciinnccia,

01) ! je ne pourrai jamais, dit-elle,

Quand on aime bien. lienrielle, ri'pliqna In reine, on doit aimer jusque dans la mort.

C'c'tait un spectacle horrible et louchant à la fois (]ne celui que pri'-sentaieitl ces deux foin > es rc.^- plendissiiulcs de jeune.ose. de beautt-. de parure, so courbant sous la voùlo ignoble ei crayouso, In plu»

LA REINE MARGOT.

1B7

faible s'appuyant à la plus forte, et la plus forte s'appuyant au bras du bourreau.

On arriva à la dernière marche.

Au fond du caveau gisaient deux formes humai- nes recouvertes par un large drap de serge noire.

Caboche leva un coin de ce voile, approcha son flambeau et dit :

Regardez, madame la reine.

Dans leurs habits noirs, les deux jeunes gens étaient couchés côte à côte avec l'effrayante sy- métrie de la mort. Leurs têtes, inclinées et rap- prochées du tronc, semblaient séparées seulement au milieu du cou par un cercle de rouge vif. La mort n'avait pas désuni leurs mains, car, soit ha- sard, soit pieuse attention du bourreau, la main droite de la Mole reposait dans la main gauche de Coconas.

11 y avait un regard d'amour sous les paupières de la Mole, il y avait un sourire de dédain sous cel- les de Coconas.

Marguerite s'agenouilla près de son amant, et de ses mains éblouissantes de pierreries leva dou- cement cette tête qu'elle avait tant aimée.

Quant à la duchesse de Nevers, appuyée à la mu- raille, elle ne pouvait détacher son regard de ce paie visage sur lequel tant de fois elle avait cherché la joie et l'amour.

La Mole! cher la Molei murmura Marguerite.

Annibal! Annibal ! s'écria la duchesse de Ne- vers, si beau, si fier, si brave, tu ne réponds plus! ...

Et un torrent de larmes s'échappa de ses yeux.

Cette femme si dédaigneuse, si intrépide, si inso- lente dans le bonheur; cette femme qui poussait le scepticisme jusqu'au doute suprême, la passion jus- qu'à la cruauté, cette femme n'avait jamais pensé à la mort.

Marguerite lui en donna l'exemple.

Elle enferma dans un sac brodé de perles et par- fumé des plus fines essences la tête de la Mole, plus belle encore puisqu'elle se rapprochait du velours et

de l'or, et à laquelle une préparation particulière, employée à cette époque dans les embaumements royaux, devait conserver sa beauté.

Henriette s'approcha à son tour, enveloppant la tête de Coconas dans un pan de son manteau.

Et toutes deux, courbées sous leur douleur plus que sous leur fardeau, montèrent l'escalier avec un dernier regard pour les restes qu'elles laissaient à la merci du bourreau, dans ce sombre réduit des criminels vulgaires.

Ne craignez rien, madame, dit Caboche, qui comprit ce regard, les gentilshommes seront ense- velis, enterrés saintement, je vous le jure.

Et tu leur feras dire des messes avec ceci, dit Henriette arrachant de son cou un magnifique col- lier de rubis et le présentant au bourreau.

On revint au Louvre comme on en était sorti. Au guichet, la reine se fit reconnaître; au bas de son escalier particulier elle descendit, rentra chez elle, déposa sa triste relique dans le cabinet de la cham- bre à coucher, destinée dès ce moment à devenir un oratoire, laissa Henriette en garde de sa cham- bre, et, plus pâle et plus belle que jamais, entra vers dix heures dans la grande salle de bal, la même nous avons vu, il y a tantôt deux ans et demi, s'ouvrir le premier chapitre de notre histoire.

Tous les yeux se tournèrent vers elle, et elle sup- porta ce regard universel d'un air fier et presque joyeux.

C'est qu'elle avait religieusement accompli le der- nier vœu de son ami.

Charles, en l'apercevant, traversa, chancelant, le flot doré qui l'entourait.

Ma sœur, dit-il tout haut, je vous remercie. Puis, tout bas :

Prenez gardai dit-il, vous avez au bras une tache de sang.

Ah ! qu'importe, sire, dit Marguerite, pourvu que j'aie le sourire sur les lèvres!

1G8

LA REINE MARGOT.

m 'm

Heg.irAci, madame la reine. I'aoe 167.

XXXIII

I,A SUliUU DK SANG.

rçlonibé

ufiliiuesjoiirsaprAslascônfi iiTrililc ([uc nous venons -II! raciintor, c'csl-à-iliro li3 7>0 iii.'ii l.'iT'i, la cour l'Ianl à Vin( l'iiiii's, on on- . 1 ji Ii'mlil liiiit ,1 ciiiiii im

^-^^!!t|^il -'■•'""' •"''"!' '''"'^ '■' ''''■""- iri' (lu ri)i. I(<i|ii(>l. ('tant

muludo c|uo jumais au milieu du bal

qu'il avait voulu donner In jour mi^me de la mort (1rs doux jiMinos f;ens, (-tail, par ordre des nn'de- cins, venu clierclicr à la l'anijiagnc un air jilus |)ur.

Il (liiil Imil heures du malin. Un pclil gniupe do courlisans causait avec feu dans rantichaniliro (|ii:in(l idut à coup retentit le <ri. et parut au Seuil (le l'appartement la nourrice de C.liarles. les yeux liaigni's de larmes et criant d'une voix descsporée :

Secours au roi ! secours au roi !

Lk REINE 5IARG0T.

169

'^ -^^fm^v

I

•— Secours au roi I Pàce 168.

Sa Majesté est-elle donc plus mal'.' denianJa le capitaine de IV'ancey, que le roi avait, comme nous l'avons vu, dégagé de toute obéissance à la reine Catherine pour l'attacher à sa personne.

Oh ! que de sang ! que de sang ! dit la nour- rice. Les médecins! appelez les médecins!

Mazille et Ambroise Paré se relayaient tour à tour auprès de l'auguste malade, et Ambroise Paré, qui était de garde, ayant vu s'endormir le roi, avait profité de cet assoupissement pour s'éloigner quel- ques instants.

Pendant ce temos. use sueur abondante avait pris

le roi; et, Comme Charles était atteint d'un relâche- ment des vaisseaux capillaires, et que ce relâche- ment amenait une hémorragie de la peau, cette sueur sanglante avait épouvanté la nourrice, qui ne pouvait s'habituer à cet étrange phénomène, etqui^ protestante, on se le rappelle, lui disait sans cesse que c'était le sang huguenot versé le jour de la Saint-Barthélémy qui appelait son sang.

On s'élança dans toutes les directions; le docteur ne devait pas être loin, et l'on ne pouvait manquer de le reHcontrer.

L'antichambre resta donc vide, chacun étant dé-

45

Tiiti. inr. ce l>i'>T aio«, i-ojiovu^ ajotpvBuwi »i.

170

LA r.EINT MARGOT.

sircux de montrer son zèle en ramenant le médecin demandé.

Alors une porte s'ouvrit, et l'on vit apparaître Catherine. Elle traversa rapidement l'antichambre et entra vivement dans l'appartement de son fils.

Charles était renversé sur son lit, l'œil éteint, la poitrine haletante; de tout son corps découlait une sueur rougeàtre; sa main, écartée, pendait hors de son lit, et au bout de chacun de ses doigts pendait un rubis liquide.

C'était un horrible spectacle.

Cependant, au bruit des pas de sa mère, et comme s'il les eût reconnus, Charles se redressa.

Pardon, madame, dit-il en regardant sa mcrc, je voudrais bien mourir en paix.

Mourir, mon fils, dit Catherine, pour une crise passagère de ce vilain mal ! voudriez-vous donc dés- espérer ainsi?

Je vous dis, madame, que je sens mon 3me qui s'en va. Je vous dis, madame, que c'est la mort qui arrive, mort de tous les diables!... Je sens ce que je sens, et je sais ce que je dis.

Sire, dit la reine, votre imagination est votre plus grave maladie-, depuis le supplice si mérité de ces deux sorciers, de ces deux assassins qu'on appe- lait la Mole et Cocouas, vos souffrances physiques doivent avoir diminué. Le mal moral persévère seul, et, si je pouvais causer avec vous dix minutes seu- lement, je vous prouverais...

Nourrice, dit Charles, veille à la porte, et que personne n'entre : la reine Catherine de Médicis veut causer avec son fils bien-aimé Charles IX.

1 La nourrice obéit.

Au fait, continua Charles, cet entretien devait avoir lieu un jour ou l'autre, mieux vaut donc au- jourd'hui (|ue demain. Demain, d'ailleurs, il serait peut-être trop tard. Seulement, une troisième per- sonne doit assister à notre entretien.

Et pourquoi?

Parce que, je vous le répète, la mort est en route, reprit Charles avec une effrayante solennité ; pnrrc que, d'un moment à l'autre, elle entrera dans cette chambre, comme vous, pâle et muette, et sans se faire annoncer. Il est donc temps, puisque j'ai mis cotte nuit ordre à mes affaires, de mettre ordre ce matin à celles du royaume.

Et quelle est cette personne que vous désirez voir? demanda Catherine.

Mon frèro, madanto. Faitos-lc appeler.

.Sire, dit la reine, je vois avec plaisir que ces dénonciations, diciccspar la haine iiien plus qu'arra- chées ,i la douleur, s'elfacrnt de votre esprit et vont bienlôl s'effacer de voire omur. Nourrice! cria Catherine, nourrice !

I,n bonne femme, qui veillait au dehors, ouvrit la porto.

Nourrice dii Catherine, par ordre de mon

fils, quand M. de Nancey viendra, vous lui direz d'aller quérir le duc d'Alcnçon.

Charles fit un signe qui retint la bonne femme prête à obéir.

J'ai dit mon frère, madame, reprit Charles. Les yeux de Catherine se dilatèrent comme ceux

de la tigresse qui va se mettre en colère. Mais Char- les leva impérativement la main.

Je veux parler à mon frère Henri, dit-il. Henri seul est mon frère ; non pas celui qui est roi là-bas, mais celui qui est prisonnier ici. Henri saura mes dernières volontés.

Et moi! s'écria la Florentine avec une audace inaccoutumée en face de la terrible volonté de son fils, tant la haine qu'elle portait au Béarnais la je- tait hors de sa dissimulation habituelle, si vous êtes, comme vous le dites, si près de la tombe, croyez- vous que je céderai à personne, surtout à un étran- ger, mon droit de vous assister à votre heure su- prême, mon droit de reine, mon droit de mère?

-Madame, dit Charles, je suis roi encore; je commande encore, madame ; je vous dis que je veux parler à mon frère Henri, et vous n'appelez pas mon capitaine des gardes:... Mille diablesl je vous en préviens, j'ai encore assez de force pour l'aller cher- cher moi-même.

Et il fit un mouvement pour sauter à bas du lit, qui mit au jour son corps pareil à celui du Christ après la flagellation.

Sire, s'écria Catherine en le retenant, vous nous faites injure à tous : vous oubliez les affronts faits à notre famille, vous répudiez notre sang; un fils de France doit seul s'agenouiller près du lit de mort d'un roi de France. Quant à moi, ma place est marquée ici par les lois de la nature et de l'éti- quette; j'y reste donc.

Et à quel titre, madame, y restez-vous? de- manda Charles IX.

A titre de mère.

Vous n'êtes pas plus ma mère, madame, que le duc d'Alcnçon n'est mon frère.

Vous délirez, monsieur, dit Catherine; depuis quand celle qui donne le jour n'est-elle plus la mère de celui qui l'a reçu?

Du moment, madame, celte mère dénatu- rée Ole ce qu'elle donna, répondit Charles en es- suyant une écume sanglante qui montait à ses lè- vres.

Que voulez-vous dire, Charles? je ne vous comprends pas, miiruuira Callicrine regardant son fils d'un O'il dilat<' par l'étonnemenl.

Vous allez me comprendre, madame. Cli.-irli's fouilla sous son traversin et en lira une

petite clerd'argeni.

Prenez cette clef, madame, ei ouvrez mon cof- fre de voyage, il conticnl certains papiers qui par- leront pour moi.

El Charles étendit la ninin vers un coffre mngnl*

LA REINE MARGOT.

171

fiqueraem sculpté , fermé d'une serrure d'argent comme la clef qui l'ouvrait, et qui tenait la place la plus apparente de la chambre.

Catherine, dominée par la position suprême que Charles prenait sur elle, obéit, s'avança à pas lents vers le coffre, l'ouvrit, plongea ses regards vers l'intérieur, et, tout à coup, recula, comme si elle avait vu dans les flancs du meuble quelque reptile endormi.

Eh bien! dit Charles, qui ne perdait pas sa mère de vue, qu'y a-t-il donc dans ce coffre qui vous effraye, madame?

Rien, dit Catherine.

En ce cas, plongez-y la main, madame, et prenez-y un livre; il doit y avoir un livre, n'est-ce pas'.' ajouta Charles avec ce sourire blêmissant, plus terrible chez lui que n'avait jamais été la menace chez un autre.

Oui, balbutia Catherine.

Un livre de chasse?

Oui.

Prenez-le, et apporlez-le-moi.

Catherine, malgré son assurance, pâlit, trembla de tous ses membres, et allongeant la main dans l'intérieur du coffre :

Fatalité! murmura-t-elle en prenant le livre.

Bien , dit Charles. Écoutez maintenant : ce livre de chasse... j'étais insensé... j'aimaisia chasse, au-dessus de toutes choses... ce livre de chasse, je l'ai trop lu; comprenez-vous, madame?...

Catherine poussa un gémissement sourd.

C'était une faiblesse, continua Charles; brû-

lez-le, madame! 11 ne faut pas qu'on sache les fai- blesses des rois!

Catherine s'approcha de la cheminée ardente, laissa tomber le livre au milieu du foyer, et de- meura debout, immobile et muette, regardant d'un œil atone les flammes bleuissantes qui rongeaient les feuilles empoisonnées.

A mesure que le livre brûlait, une forte odeur d'ail se répandait dans toute la chambre.

Bientôt il fut entièrement dévoré.

Et, maintenant, madame, appelez mon frère, dit Charles avec une irrésistible majesté.

Catherine, frappée de stupeur, écrasée sous une émotion multiple que sa profonde sagacité ne pou- vait analyser, et que sa force presque surhumaine ne pouvait combattre, fit un pas en avant et voulut parler.

La mère avait un remords; la reine avait une terreur; l'empoisonneuse avait un retour de haine.

Ce dernier sentiment domina tous les autres.

Maudit soit-il ! s'écria-t-elle en s'élançant hors de la chambre; il triomphe, il touche au but: oui, maudit, qu'il soit maudit!

Vous entendez, mon frère, mon frère Henri ! cria Charles poursuivant sa mère de la voix; mon frère Henri, à qui je veux parler à l'instant même au sujet de la régence du royaume!

Presque au même instant maître Ambroise Paré entra par la porte opposée à colle qui venait de don- ner passage à Catherine; et, s'arrètant sur le seuil pour humer l'atmosphère alliacée de la chambre :

Qui donc a brûlé de l'arsenic? dit-il.

Moi! répondit Charles.

XXXIV

U PLATE-FORME DU DONJON DE VINCEKNES.

ependant, Henri deNavarre se promenait seul et rêveur sur la terrasse du donjon ; il savait la cour au château, qu'il voyait à cent pas de lui, et, à travers les mu- railles, son œil perçant de- vinait Charles moribond. n faisait un temps d'azur et d'or : un large rayon de soleil miroitait dans les plaines éloignées, tandis qu'il baignait d'un or fluide !a cipie d"» «""bres de

la forêt; fiers de la richesse de leur premier feuil- lage. Les pierres grises du donjon elles-mêmes sem- blaient s'imprégner de la douce chaleur du ciel, et des ravenelles, apportées par le souffle du vent d'est dans les fentes de la muraille, ouvraient leurs dis- ques de velours rouge et jaune aux baisers d'une brise attiédie.

Mais le regard de Henri ne se fixait m sur ces plaines verdoyantes, ni sur ces cimes chenues et do- rées : son regard franchissait les espaces intermé- diaires et allait au delà se fixer ardent d'ambition

472

LA REINE JIARGOT.

sur cette capitale de la France, destinée à de^'cnir un jour la capitale du monde.

Paris, murmurait le roi de Navarre, voilà Pa- ris; c'est-à-dire la joie, le triomphe, la gloire, le pouvoir et le bonheur; Paris, ouest le Louvre, et le Louvre, est le trône; et dire qu'une seule chose me sépare de ce Paris tant désiré, ce sont les pier- res qui rampent à mes pieds et qui renferment avfc moi mon ennemie!

Et, en ramenant son regard de Paris à Vincennes, il aperçut à sa gauche, dans un vallon voilé par des amandiers en (leurs, un homme sur la cuirasse du- quel se jouait obstinément un ra}on de soleil, point enflammé qui voltigeait dans l'espace à chaque mou- vement de cet homme.

Cet homme était sur un cheval plein d'ardeur, et tenait en main un cheval qui paraissait non moins impatient.

Le roi de Navarre arrêta ses yeux sur le cavalier et le vit tirer son épée hors du fourreau, passer la pointe dans son mouchoir, et agiter ce mouchoir en façon de signal.

Au même instant, sur la colline en face, un signal pareil se répéta, puis tout autour du château volti- gea comme une ceinture de mouchoirs.

C'était de Mouy et ses huguenots, qui, sachant le roi mourant, et qui, craignant qu'on ne tentât quel- que chose contre Henri, s'étaient réunis et se te- naient prêts à défendre ou à attaquer.

Henri reporta ses yeux sur le cavalier qu'il avait vu le premier, se courba hors de la balustrade, cou- vrit ses yeux de sa main, et, brisant ainsi les rayons du soleil qui l'ébloiiissaient, reconnut le jeune hu- guenot.

De Mouy ! s'écria-t-il comme si celui-ci eîit pu l'entendre.

Et, dans sa joie de se voir ainsi environné d'amis, il leva lui-même son chapeau et fit voltiger son écharpe.

Toutes les banderoles blanches s'agitèrent de nouveau avec une vivacité qui témoignait de leur joie.

Hélas! ils m'attendent, dit-il, et je ne puis les rejoindre... Que ne l'ai-je fait quand je le pouvais peut-être'?... Maintenant j'ai trop tardé.

Et il leur fit un geste do di'sespfiir, auquel do Mouy répondit par un signe qui voulait dircj'iiZ/c»- drai.

En ce moment, Henri entendit di's jias cpii relen- lissaient dans l'ocalier de pierre. 11 se relira vive- ment. Les huguenots comprirent la cause de celte retraite. Les cpi'cs rentrèrent au fourreau, et les mouchoirs disparurent.

IJi'Mri vil (li'l)ou(lier de l'e.scalier une femme d<inl la rcs|iiration lialeiaiite (l('n(mçail une marclie ra- pide, et reconnut, non sans cette secrète terreur qu'il «•prouvait toujours en l'apercevant, Calheiine de Médicis.

Derrière elle étaient deux gardes qui s'arrêtèrent au haut de l'escalier.

Oh! oh! murmura Henri, il faut qu'il y ait quelque chose de nouveau et de grave pour que la reine mère vienne ainsi me chercher sur la plate- forme du donjon de Vincennes.

Catherine s'assit sur un banc de pierre adossé aux créneaux pour reprendre haleine.

Henri s'approcha d'elle, et, avec son plus gra- cieux sourire :

Serait-ce moi que vous cherchez, ma bonne mère? dit-il. '

Oui, monsieur, répondit Catherine; j'ai voulu vous donner une dernière preuve de mon attache- ment. Nous touchons à un moment suprême; le roi se meurt et veut vous entretenir.

Moi ! dit Henri tressaillant de joie.

Oui, vous. On lui a dit, j'en suis certaine, que non-seulement vous regrettez le trône de Navarre, mais encore que vous ambitionnez le trône de France.

Oh! fit Henri.

Ce n'est pas, je le sais bien, mais il le croit, lui, et nul doute que cet entretien qu'il veut avoir avec vous n'ait pour but de vous tendre un piège.

A moi ?

Oui, Charles, avant de mourir, veut savoir ce qu'il y a à craindre ou à espérer de vous; et de votre réponse à ses offres, faites-y attention, dépen- dront les derniers ordres qu'il donnera, c'est-à-dire, votre mort ou votre vie,

Mais que doit-il donc m'offrir?

Que sais-je, moi? des choses impossibles pro- bablement.

Enfin, ne devinez-vous pas, ma mère?

Non ; mais je suppose, par exemple... Catherine s'arrêta.

Quoi?

je suppose que, vous croyant ces vues ambi- tieuses qu'on lui a dites, il veuille acquérir de vo- tre bouche même la preuve de cette amhilion. Sup- posez qu'il vous tente comme autrefois on tentait les coupables, pour provoquer un aveu sans torture, supposez, continua Catherine en regardant fixement Henri, ([u'il vous propose un gouvernement, la ré- genci^ même...

L'ne joio indicible s'épandit dans le cœur oppressé de Henri; mais il devina le coup, et cette âme vigou- reuse et souple rebondit sous l'attaque.

' A moi? dit-il, le piège serait trop grossier; à moi la régence quand il y a vous, quand il y a mon frère d'.Mençon'?

Catherine se pinça les lèvres pour radier sa salis faction.

Alors, dit-elle vivement, vous renimccivz à la régence?

Le roi est nmrt, pensa Henri, et c'est elle ipii nie tond un piège.

LA HEINE MARGOT.

173

Alors, dit-elle vivement, vous renoncerez à la régence? Page 172.

Puis, tout haut :

11 faut d'abord que j'entende le roi de France, répondit-il, car, de votre aveu même, madame, tout ce que nous avons dit n'est que supposition.

Sans doute, dit Catherine; mais vous pouvez toujours répondre de vos intentions.

Eh ! mon Dieu ! dit innocemment Henri , n'ayant pas de prétentions, je n'ai pas d'inten- tions.

Ce n'est point répondre, cela, dit Catherine, sentant que le temps pressait.

Et, se laissant emporter à sa eolère :

D'une façon ou de l'autre, prononcez-vous. ,

Je ne puis me prononcer sur des suppositions, madame; une résolution positive est chose si diffi- cile et surtout si grave à prendre, qu'il fifut attendre les réalités.

Écoutez, monsieur, dit Catherine, il n'y a pas de temps à perdre, et nous le perdons en discussions vaines, en finesses réciproques. Jouons notre jeu en roi et en reine. Si vous acceptez la régence, vous êtes mort.

Le roi vit, pensa Henri. Puis, tout haut

174

LA REINE MARGOT.

Madame, dit-il avec fermeté, Dieu tient la vie des hommes et des rois entre ses mains ; il m'inspi- rera. Qu'on dise à Sa Majesté que je suis prêt à me présenter devant elle.

Réfléchissez, monsieur.

Depuis deux ans que je suis proscrit, depuis un mois que je suis prisonnier, répondit Henri gra- vement, j'ai eu le temps de réfléchir, madame, et j'ai réfléchi. Ayez donc la bonté de descendre la première près du roi et de lui dire que je vous suis. Ces deux braves, ajouta Henri en montrant les deux soldats, veilleront à ce que je ne m'échappe point. D'ailleurs, ce n'est point mon intention.

H y avait un tel accent de fermeté dans les paro- les de Henri, que Catherine vit bien que toutes ses tentatives, sous quelques formes qu'elles fussent dé- guisiies, ne gagneraient rien sur lui; elle descendit précipitamment.

Aussitôt qu'elle eut disparu, Henri courut au pa- rapet et fit à de Mouy un signe qui voulait dire : Approchez-vous, et tenez-vous prêt à tout événe- ment.

De Mouy, qui était descendu de cheval, sauta en selle, et, avec le second cheval de main, vint au ga- lop prendre position à deux portées de mousquet du donjon.

Henri le remercia du geste et descendit.

Sur le premier palier, il trouva les deux soldats qui l'attendaient.

Un double poste de Suisses et de chevau-légers gardait l'entrée des cours, il fallait traverser une double haie de pertuisancs pour entrer au château et pour en sortir.

Catherine s'était arrêtée et attendait.

Elle fit signe aux deux .soldats qui suivaient Henri de s'écarter, et, posant une de ses mains sur son bras ;

Cette cour a deux portes, dit-elle; à celle-ci, que vous voyez derrière les appartements du roi, si vous refusez la régence, un bon cheval et la liberté vous attendent; à celle-là, sous laquelle vous ve- nez de passer, si vous écoutez l'ambition... Que di- tes-vous'!

Je dis que, si le roi me fait régent, madame, c'est moi qui donnerai des ordres aux soldats, et non pas vous. Je dis que, si je sors du château à la nuit, toutes ces piques, toutes ces hallebardes, tous ces mousquets, s'abaisseront devant moi.

Insensé ! murmura Catherine exaspérée, crois- moi, ne joue pas avec Catherine ce terrible jeu de la vie et de la mort.

Pourquoi pas? dit Henri en regardant fixe- ment Catherine; pourquoi pas avec vous aussi bien qu'avec un autre, puisque j'y ai gagné jusqu'à pré- sent?

Montez donc chez le roi, monsieur, puisque vous ne voulez rien croire et rien entendre, dit Ca- therine en lui montrant l'escalier d'une main et en jouant avec un des deux couteaux empoisonnés qu'elle portait dans cette gaine de chagrin noir de- venue historique.

Passez la première, madame, dit Henri; tant que je ne serai pas régent, l'honneur du pas vous appartient.

Catherine, devinée dans toutes ses intentions, n'essaya point de lutter, et passa la première.

-7»^S)c •© ceî«< -

XXXV

LA nfiGENCE.

roi commençait à s'im- j|iaiieiiU;r. Il avait fait ap- peler M. de Naneey dans sa chambre, cl venait de lui donner l'ordre d'aller rhricher Henri lorsque ■liiiii parut. V.n voyant son beau-frèro apparailre sur le mmiI du la porto, Charles poussa un cri de joie, et Henri demeura épouvanté comme «'il se fût trouvé en face d'un cadavre.

Les deux nu'decins qui étaient â ses côtés s'cloj- pnèrcni; lo prêlre, qui venait d'ox.horter le mal- heureux princo ù une lin chrétienne, se retira éga- lement.

Charles IX n'était pas aimé, et cependant on pleu- rait licaiicoti]) dans les anlichaiiilires. A la mort des rois, (piels qu'Usaient éli', il y a toujours dos gens qui perdent quelque chose et qui craignent de no pas retrouver ce (piehiue clioso sous leur succei- scur.

Cfl deuil, ces lengloti, les paroUi) do Coihurina,

LA REINE MARGOT.

•175

l'appareil sinistre et majestueux des derniers mo- ments d'un roi ; enfin, la vue de ce roi lui-même, atteint d'une maladie qui s'est reproduite depuis, mais dont la science n'avait pas encore eu d'exem- ple, produisirent sur l'esprit encore jeune et, par conséquent, encore impressionnable de Henri un effet si terrible, que, malgré sa résolution de ne point donner de nouvelles inquiétudes à Charles sur son état, il ne put, comme nous l'avons dit, répri- mer le sentiment de terreur qui se peignit sur son visage en apercevant ce moribond tout ruisselant de sang.

Charles sourit avec tristesse. Rien n'échappe aux mourants des impressions- de ceux qui les entou- rent.

Venez, Henriot, dit-il en tendant la main à son beau-frère avec une douceur de voix que Henri n'a- vait jamais remarquée en lui jusque-là. Venez, car je souffrais de ne pas vous voir; je vous ai bien tour- menté dans ma vie, mon pauvre ami, et parfois, je me le reproche maintenant, croyez-moi! parfois j'ai prêté les mains à ceux qui vous tourmentaient ; mais un roi n'est pas maître des événement?, et, outre ma mère Catherine, outre mon frère d'Anjou, outre mon frère d'Alençon , j'avais au-dessus de moi, pendant ma vie, quelque chose de gênant, qui cesse du jour je touche à la mort : la raison d'État.

Sire, balbutia Henri, je ne me souviens plus de rien que de l'amour que j'ai toujours eu pour mon frère, que du respect que j'ai toujours porté à mon roi.

Oui, oui, tu as raison, dit Charles, et je te suis reconnaissant de parler ainsi, Henriot ; car, en vérité, tu as beaucoup souffert sous mon règne, sans compter que c'est pendant mon régne que ta pauvre mère est morte. Mais tu as voir que l'on me poussait souvent. Parfois j'ai résisté, mais parfois aussi j'ai cédé de fatigue. Mais, tu l'as dit, ne par- lons plus du passé ; maintenant, c'est le présent qui me pousse, c'est l'avenir qui m'effraye.

Et, en disant ces mots, le pauvre roi cacha son visage livide dans ses mains décharnées.

Puis, après un instant de silence, secouant son front pour en chasser ces sombres idées et faisant pleuvoir autour de lui une rosée de sang :

Il faut sauver l'État, continua-t-il à voix basse et en s'inclinant vers Henri, il faut l'empêcher de tomber entre les mains des fanatiques ou des fem- mes.

Charles, comme nous venons de le dire, prononça ces paroles à voix basse, et cependant Henri crut en- tendre derrière la coulisse du lit comme une sourde exclamation de colère. Peut-être quelque ouverture, pratiquée dans la muraille, à l'insu de Charles lui- même, permettait-elle à Catherine d'entendre cette suprêm*» conversation.

Des femmes? reprit le roi de Navarre pour provoquer une explication.

Oui, Henri, dit Charles, ma mère veut la régence en attendant que mon frère de Pologne revienne. Mais, écoute ce que je te dis, il ne revien- dra pas.

Comment! il ne reviendra pas? s'écria Henri, dont le cœur bondissait sourdement de joie.

Non, il ne reviendra pas, continua Charles, ses sujets ne le laisseront pas partir.

Mais, dit Henri, croyez-vous, mon frère, que la reine mère ne lui aura pas écrit à l'avance?

Si fait, mais Nancey a surpris le courrier à Château-Thierry et m'a rapporté la lettre; dans cette lettre, j'allais mourir, disait-elle. Mais, moi aussi j'ai écrit à Varsovie, ma lettre y arrivera, j'en suis sûr, et mon frère sera surveillé. Donc, selon toute probabilité, Henri, le tnJne va être vacant.

Un second frémissement, plus sensible encore que le premier, se fit entendre dans l'alcùve.

Décidément, se dit Henri, elle est là; elle écoute, elle attend!

Charles n'entendit rien.

Or, poursuivit-il, je meurs sans bériiicr mâle.

Puis il s'arrêta : une douce pensée parut éclairer son visage, et, posant sa main sur l'épaule du roi de Navarre :

Hélas! te souviens-tu, Henriot, conlinua-t-il, te souviens-tu de ce pauvre petit enfant que je t'ai montré un soir dormant dans son berceau de soie, et veillé par un ange? Hélas ! Henriot, ils me le tueront!!...

-^ 0 sire! s'écria Henri, dont les yeux se mouil- lèrent de larmes, je vous jure devant Dieu que mes jours et mes nuits se passeront à veiller sur sa vie. Ordonnez, mon roi.

Merci, Henriot, merci! dit le roi avec une ef- fusion qui était bien loin de son caractère, mais que cependant lui donnait la situation. J'accepte ta parole. N'en fais pas un roi... heureusement il n'est pas pour le trône; mais un homme heureux. Je lui laisse une fortune indépendante; qu'il ait la no- blesse de sa mère, celle du cœur. Peut-être vaudrait- il mieux pour lui qu'on le destinât à l'Église, il in- spicerait moins de crainte. Oh ! il me semble que je mourrais, sinon heureux, du moins tranquille, si j'avais là, pour me consoler, les caresses de l'enfant et le doux visage de la mère.

Sire, ne pouvez-vous les faire venir?

Eh! malheureux! ils ne sortiraient pas d'ici. Voilà la condition des rois, Henriot : ils ne peuvent ni vivre, ni mourir à leur guise. Mais, depuis ta pro- messe, jo suis plus tranquille.

Henri réfléchit.

Oui, sans doute, mon roi, j'ai promis, mais pourrai-je tenir'

176

LA REINE MARGOT.

Oui, la lii'gencc à toi.

Que v«ux-tu dire?

Moi-mûme, ne serai-je pas proscrit, menacé comme lui, plus que lui, m/*nie? Car, moi, je suis un homme, et lui n'est qu'un enfant.

Tif to trompes, répondit (lliarlos; moi ninrl, tu seras fort et puissant, et voilà qui t(> donnera la force et la puissance.

A CCS mots, le moribond lira un parrlicmin de son chevet.

Tiens, lui dit-il.

Henri parcourut la feuille revêtue du sceau roy«1

La régence à moi, sire! dit-il en pâM.'îsanl de joie.

Oui, la régence à toi, en allendant le retour du duc d'Anjou, et comme, selon toute probabilité, le duc d'Anjou ne reviendra point, ce n'est pas la régence que to donne ce [lainer. c'e^t le trône.

Le trtine, à moi! murmura Henri.

Oui, dit Charles, à toi, seul digne et snriout M'iil capable de gouverner ces galant.»; débauches, CCS filles iicrducs qui vivent do sang et de larmes. Mon frère d'Alençon est un trailre, il sera traitro envprs tous. Lnisse-le dans le donjon je l'ai mis.

LA REINE MARGOT.

177

Entre eux deux était couché le corps du roi moribond. Page 179.

Ma mère votidra te tuer, exile-la. Mon frère HWn- jou, dans trois mois, dans quatre mois, dans un an peut-être, quittera Varsovie et viendra te dispu- ter la puissance, réponds à Henri par un bref du pape. J'ai négocié celte affaire par mon ambassadeur le duc de Nevers, et tu recevras incessamment le bref.

0 mon roi !

Ne crains qu'une chose, Henri, la guerre ci- vile. Mais, en restant converti, tu l'évites; carie parti huguenot n'a de consistance qu'à la condition

rwit. Inif. Il» BUT alBi, twilararl HoiilriiriuSK, SI.

que tu te mettras à sa tête, et M. de Condé n'est pas de force à lutter contre toi. La France est un pays de plaine, Henri, par conséquent, un pays catholi- que. Le roi de France doit être le roi des catholi- ques et non le roi des huguenots; car le roi de France doit être le roi de la majoiité. On dit que j'ai des remords d'avoir fait la Sainl-Barthélemy; des doutes, oui; des remords, non. On dit que je rends le sang des huguenots par tous les po* res. Je sais ce que je rends, de l'arsenic et non du sang.

178

LA REINE MARGOT.

Oh ! sire, que dites-vous?

Rien. Si ma mort doit être vengée, Henriot, elle doit être vengée par Dieu seul. N'en parlons plus que pour prévoir les événements qui en seront la suite. Je te lègue un bon parlement, une armée éprouvée. Appuie-toi sur le parlement et sur l'armée pour résister à tes seuls ennemis : ma mère et le duc d'Alençon.

En ce moment, on entendit dans le vestibule un bruit sourd d'armes et de commandements mili- taires.

Je suis mort, murmura Henri.

Tu crains, tu hésites? dit Charles avec inquié- tude.

Moi ! sire, répliqua Henri ; non, je ne crains pas; non, je n'hésite pas; j'accepte.

Charles lui serra la main. Et comme, en ce mo- ment, sa nourrice s'approchait de lui, tenant une potion qu'elle venait de préparer dans la chambre voisine, sans faire attention que le sort de la France se décidait à trois pas d'elle :

Appelle ma mère, bonne nourrice, et dis aussi qu'on fasse venir M. d'Alençon.

XXXVI

LE ROI EST MORT VIVE LE ROI I

atherine et le duc d'Alen- çon, livides d'effroi et trem- blants de fureur tout en- semble, entrèrent quelques minutes après. Comme Henri l'avait deviné, Ca- therine savait tout et avait tout dit, en peu de mots, à François. Hs firent quelques pas et s'arrêtèrent at- tendant. Henri était debout au chevet du lit de Charles. Le roi leur déclara sa volonté. Madame, dit-il à sa mère, si j'avais un fils, vous seriez régente, ou, à défaut de vous, ce sérail le roi de Pologne, ou, à défaut du roi de Pologne enfin, ce serait mon frère François; mais je n'ai pas de fils, et, après moi, le trône appartient à mon frère le duc d'Anjou, qui est absent. Comme, un jour ou l'autre, il viendra réclamer ce trône, je ne veux pas qu'il trouve à sa place un homme qui puisse, par des droits presque ('gaux, lui disputer ses droits, et qui expose [lar conséquent le r()}at!me à des guerres do prétendants. Voilà iiour(|U()i je ne vous prends pas pour rt'genlc, madame, car vous auriez à choisir entre vos deux fils, ce qui serait pé- nible pour le coeur d'une mère. Voilà pourquoi je ne choisis pas mon frère François, car mon frère François pourrait dire à .son ainci : « Vous aviez un trône, pourquoi lavez-vous (|nitli''? » Non, je choisis donc un régent qui [luisso |irendro en dépôt la cou- ronne et qui In Rarde sous sa main et non sur sa

tête. Ce régent, saluez-le, madame; saluez-le, mon frère ; ce régent, c'est le roi de Navarre.

Et, avec un geste de suprême commandement, il salua Henri de la main.

Catherine et d'Alençon firent un mouvement qui tenait le milieu entre un tressaillement nerveux et un salut.

Tenez, monseigneur le régent, dit Charles au roi de Navarre, voici le parchemin qui, jusqu'au retour du roi de Pologne, vous donne le comman- dement des armées, les clefs du trésor, le droit et le pouvoir royal.

Catherine dévorait Henri du regard , François était si chancelant, qu'il pouvait à peine se soutenir; mais cette faiblesse de l'un et celte fermeté de l'au- tre, au lieu de rassurer Henri, lui montraient le danger présent, debout, menaçant.

Henri n'en fit pas moins un effort violent, et, sur- montant toutes ses craintes, il prit le rouleau des mains du roi, et, se redressant de toute sa hauteur, il fixa sur Catherine et François un regard qui vou- lait dire :

Prenez garde, je suis votre maître. Callierine romprit ce regard.

Non, non, jamais, dii-oUc, jamais ma race ne pliera la tête sous une race étrangère; jamais un l)i)urhon ne régnera en France tant qu'il restera un Valois.

Ma mère, ma mère! .s'érria Charles IX en so redres-sant dans son lit aux draps rougis, plus ef- frayant que jamais, prenez garde, je suis roi encore :

LA REINE MARGOT.

173

pas pour longtemps, je le sais bien ; mais il ne faut pas longtemps pour donner un ordre, il ne faut pas longtemps pour punir les meurtriers et les empoi- sonneurs.

Eh bien ! donnez-le donc, cet ordre, si vous l'osez. Moi, je vais donner les miens. Venez, Fran- çois, venez.

Et elle sortit rapidement, entraînant avec elle le duc d'Alençon.

Nancey 1 cria Charles; Nancey, à moi, à moi ! je l'ordonne, je le veux, Nancey, arrêtez ma mère, arrètea mon frère, arrêtez...

Une gorgée de sang coupa la parole à Charles au moment le capitaine des gardes ouvrit la porte, et le roi suffoqué râla sur son lit.

Nancey n'avait entendu que son nom ; les ordres qui l'avaient suivi , prononcés d'une voix moins distincte, s'étaient perdus dans l'espace.

Gardez la porte, dit Henri, et ne laissez entrer personne.

Nancey salua et sortit.

Henri reporta ses yeux sur ce corps inanimé et qu'on eût pu prendre pour un cadavre si un léger souffle n'eût agité la frange d'écume qui bordait ses lèvres.

Il regarda longtemps; puis, se parlant à lui- même :

Voici l'instant suprême, dit-il, faut-il régner, faut-il vivre?

Au même instant, la tapisserie de l'alcôve se sou- leva, une tête pâlie apparut derrière, et une voix vi- bra au milieu du silence de mort qui régnait dans la chambre royale :

Vivez ! dit cette voix.

René ! s'écria Henri.

Oui, sire.

Ta prédiction était donc fausse : je ne serai donc pas roi? s'écria Henri.

Vous le serez, sire, mais l'heure n'est pas en- core venue.

Comment le sais-»u? parle, que je sache si je dois te croire.

Écoutez.

J'écoute.

' Baissez-vous.

Henri s'inclina au-dessus du corps de Charles. René se pencha de son côté. La largeur du lit les sé- parait seule, et encore la distance était-elle dimi- nuée par leur double mouvement. 1 Entre eux deux était couché, et toujours sans voix et sans mouvement, le corps du roi moribond.

Ecoulez, dit René : placé ici par la reine mère pour vous perdre, j'aime mieux vous servir, moi, car j'ai confiance en votre horoscope; en vous ser- vant, je trouve à la fois, dans ce que je fais, l'inté- rêt de mon corps et de mon âme.

Est-ce la reine mère aussi qui t'a ordonné de

me dire cela? demanda Henri plein de doute et d'an- goisses.

Non, dit René; mais écoutez un secret.

Et il se pencha encore davantage. Henri l'imita, de sorte que les deux têtes se touchaient presque.

Cet entretien de deux hommes , courbés sur le corps d'un roi mourant, avait quelque chose de si sombre, que les cheveux du superstitieux Florentin se dressaient sur sa tête et qu'une sueur abondante perlait sur le visage de Henri.

Écoutez, continua René, écoutez un secret que je sais seul, et que je vous révèle si vous me jurez, sur ce mourant, de me pardonner la mort de votre mère.

Je vous l'ai déjà promis une fois, dit Henri, dont le visage s'assombrit.

Promis, mais non juré, dit René en faisant un mouvement en arrière.

Je le jure, dit Henri étendant la main droite sur la tête du roi.

Eh bien ! sire, dit précipitamment le Floren- tin, le roi de Pologne arrive!

Non, dit Henri, le courrier a été arrêté par le roi Charles.

Le roi Charles n'en a arrêté qu'un sur la route de Château-Thierry; mais la reine mère, dans sa prévoyance, en avait envoyé trois par trois routes.

Oh ! malheur à moi! dit Henri.

L'n messager est arrivé ce matin de Varsovie. Le roi partait derrière lui sans que personne son- geât à s'y opposer, car, à Varsovie, on ignorait en- core la maladie du roi. Il ne précède Henri d'Anjou que de quelques heures.

Oh ! si j'avais seulement huit jours, dit Henri.

Oui, mais vous n'avez pas huit heures. Avcz- vous entendu le bruit des armes que l'on préparait?

Oui.

Ces armes, on les préparait à votre intention. Ils viendront vous tuer jusqu'ici, jusque dans la chambre du roi.

Le roi n'est pas mort encore. René regarda fixement Charles :

Dans dix minutes il le sera. Vous avez donc dix minutes à vivre, peut-être moins.

Que faire alors?

Fuir sans perdre une minute, sans perdre une seconde.

Mais par où? s'ils attendent dans l'anticham- bre, ils me tueront quand je sortirai.

Écoutez : je risque tout pour vous, ne l'ou- bliez jamais.

Sois tranquille.

Suivez-moi par ce passage secret, je vous con- duirai jusqu'à la poterne. Puis, pour vous donner du temps, j'irai dire à la reine mère que vous des- cendez; vous serez censé avoir découvert ce passage secret et en avoir profité pour fuir : venez, venez.

180

LA r,El>'E MAP.GOT.

Henri se baissa vers Charles et l'embrassa au front.

Adieu, mon frère, dit-il, je n'oublierai point que ton dernier désir fut de me voir te succéder. Je n'oublierai pas que ta dernière volonté fut de me faire roi. Meurs en paix. Au nom de nos frères, je te pardonne le sang versé.

Alerte ! alerte ! dit René, il revient à lui ; fuyez avant qu'il ne rouvre les yeux, fuyez.

Nourrice! murmura Charles, nourrice! Henri saisit ou chevet de Charles l'épée désormais

inutile du roi mourant, mit le parchemin qui le faisait régent dans sa poitrine, baisa une dernière fois le front de Charles, tourna autour du lit, et s'élança par l'ouverture qui se referma derrière lui.

Nourrice! cria le roi d'une voix plus forte, nourrice !

La bonne femme accourut.

Eh bien ! qu'y a-t-il, mon Chariot? demandâ- t-elle.

Nourrice, dit le roi la paupière ouverte et l'œil dilaté par la fixité terrible de la mort, il faut qu'il se soit passé quelque chose pendant que je dormais; je vois une grande lumière, je vois Dieu notre maî- tre; je vois monseigneur Jésus, je vois la benoite vierge Marie, ils le prient, ils le supplient pour moi : le Seigneur tout-puissant me pardonne... il m'appelle... Mon Dieu! mon Dieu! recevez- moi dans votre miséricorde... Mon Diîu! oubliez que j'étais roi, car je viens à vous sans sceptre et sans cou- ronne... Mon Dieu! oubliez les crimes du roi pour ne vous rappeler que les souffrances de l'homme... Mon Dieu ! me voilà.

Et Charles, qui, à mesure qu'il prononçait ces paroles, s'était soulevé de plus en plus comme pour aller au-devant do la voix qui l'appelait, Ciiarles, après ces derniers mots, poussa un soupir et re- tomba immobile et glacé entre les bras de sa nour- rice.

Pendant ce temps, et tandis que les soldats, com- mandés par Catherine, se portaient sur le passage connu de tous par lequel Henri devait sortir, Henri, guidé par René, suivait le couloir secret, elgagnail la poterne, sautait sur le cheval qui l'attendait, et piquait vers l'endroit il savait retrouver de Mouy.

Tout à coup, au bruit de son cheval, dont le ga- lop faisait relenlir le pave sonore, quelques senti- nelles se relournèrcnt en criant :

W fuit! il fuit!

Qui cela ? s'écria la reine mère en s'approchant d'une fenêtre.

Le roi Henri, le roi de Navarre! crièrent les sentinelles.

Feu, dit Catherine, feu sur lui!

Les sentinelles ajustèrent, mais Henri était déjà trop loin.

H fuit, s'écria la reine mère, donc, il est vaincu.

H fait, murmura le duc d'Aleneon, donc, je suis roi.

Mais, au même instant, et tandis que François et sa mère étaient encore à la fenêtre, le pont-levis craqua sous les pas des chevaux, et, précédé par un cliquetis d'armes et par une grande rumeur, un jeune homme, lancé au galop, son chapeau à la main, entra dans la cour en criant : France! suivi de quatre gentilshommes, couverts comme lui de sueur, de poussière et d'écume.

Mon fils! s'écria Catherine en étendant les doux bras par la fenêtre.

Ma mère ! répondit le jeune homme en sautant à bas du cheval.

Mon frère d'Anjou, s'écria avec épouvante François en se rejetant en arrière.

Est-il trop tard? demanda Henri d'Anjou à sa mère.

Non, au contraire, il est temps, et Dieu t'eût conduit par la main qu'il ne t'eût pas amené plus à propos: regarde et écoute.

En effet, M. de Nancey, capitaine des gardes, s'a- vançait sur le balcon de la chambre du roi.

Tous les regards se tournèrent vers lui.

Il brisa une baguette en deux morceaux, et, les bras étendus, tenant les deux morceaux de chaque main :

Le roi Charles IX est mortl le roi Charles IX est mort! le roi Charles IX est mort! cria-l-il trois fois.

Et il laissa tomber les deux morceaux de la ba- guette.

Vive le roi Henri 111! cria alors Catherine en se signant avec une pieuse reconnaissance. Vive le roi Henri III !

Toutes les voix répétèrent ce cri, excepté celle du duc François.

Ah! elle m'a joué, dit-il en déchirant sa poi- trine avec .ses ongles.

Je l'eiuporto, s'i'cria Cathorino, et cet odieux lîéarnais ne régnera pas!

Vu,'»'

I.A REINE MARGOT.

18i

XXXVIl

EPILOGUE,

n an s'était écoulé depuis la mort du roi Charles IX et l'avènement au trône de son successeur.

Le roi Henri III, heu- reusement régnant par la gràco de Dieu et de sa mère Catherine, était allé à une belle procession faite en l'honneur de Notre-Dame de Cléry.

Il était parti à pied avec la reine sa fenime et toute la cour.

Le roi Henri III pouvait bien se donner ce petit passe- temps; nul souci sérieux ne l'occupait à celte heure. Le roi de Navarre était en Navarre, il avait si longtemps désiréêtre, et s'occupait fort, disait-on, d'une belle fille du sang des Montmorency, et qu'il appelait la Fosseuse. Marguerite était prés di^ lui, triste et sombre, et ne trouvant que dans ses belles montagnes, non pas une distraction, mais un adou- cissement aux deux grandes douleurs de la vie : l'absence et la mort.

Paris était fort tranquille, et la reine mère, véri- tablement régente depuis que son cher fils Henri était roi, y faisait séjour tantôt au Louvre, tantôt à l'hôtel de Soissons, qui était situé sur l'emplacement que couvre aujourd'hui la halle au blé, et dont il ne reste que l'élégante colonne qu'on peut voir en- core aujourd'hui.

Elle était un soir fort occupée à étudier les astres avec René, dont elle avait toujours ignoré les petites trahisons, et qui était rentré en grâce auprès d'elle pour le faux témoignage qu'il avait si à point porté dans l'affaire de Coconas et la Mole, lorsqu'on vint lui dire qu'un homme qui disait avoir une ehoso de la plus haute importance à lui communiquer, l'at- tendait dans son oratoire.

Elle descendit précipitamment et trouva le sire de Maurevel .

// est ici, s'écria l'ancien capitaine des pétar- diers, ne laissant point, contre l'étiquette royale, le temps à Catherine de lui adresser la parole.

Qui, il? demanda Catherine.

Qui voulez-vous que ce soit, madame, sinon le roi de Navarre?

Ici! ditCathorine, ici... lui... Henri!... et qu'y vient-il faire, l'imprudent?

Si l'on on croit les apparences, il vient voir madame de Sauve ; voilà tout. Si l'on en croit les probabilités, il vient conspirer contre le roi.

Et comment savez-vous qu'il est ici?

Hier, je l'ai vu entrer dans une maison, et, un instant après, madame de Sauve est venue l'y join- dre.

Ètes-vous sûr que ce soit lui?

Je l'ai attendu jusqu'à sa sortie, c'est-à-dire une partie de la nuit. A trofà heures, les deux amants se sont remis en chemin. Le roi a conduit madame de Sauve jusqu'au guichet du Louvre; là, grâce au concierge, qui est dans ses intérêts sans doute, elle est rentrée sans être inquiétée, et le roi s'en est revenu tout en chantonnant un petit air et d'un pas aussi dégagé que s'il était au milieu de ses montagnes.

Et est-il allé ainsi?

Rue de l'Arbre-Sec, hôtel de la Belle-Étoile, chez ce même aubergiste logeaient les deux sor- ciers que Votre Majesté a fait exécuter l'an pas.sé.

Pourquoi n'êtes-vous pas venu me dire la chose aussitôt?

Parce que je n'étais pas encore assez sûr de mon fait.

Tandis que maintenant?

Maintenant, je le suis.

Tu l'as vu?

Parfaitement. J'étais embusqué chez un mar- chand de vin en face; je l'ai vu entrer d'abord dans la même maison que la veille; puis, comme madame de Sauve tardait, il a mis imprudemment son visage au carreau d'une fenêtre du premier, et, cette fois, je n'ai plus conservé aucun doute. D'ailleurs, un instant après, madame de Sauve l'est venue rejoin- dre de nouveau.

Et tu crois qu'ils resteront, comme la nuit passée, jusqu'à trois heures du matin?

C'est probable.

est donc cette maison?

Près de la Croix-des-Petits-Champs, vers Saint- UoDoré.

182

LA RtliNE MARGOT.

Je suis pr2t, madame.

Bien, Hit Catherine. M. de Sauve ne connaît point votre écriture?

Non.

Asseyez-vous et l'crivoz. Maurevel obdit, et [ironanl la plume :

Je suis jinH, madamo, dit-il. Catherine dicta :

« Pendant que le Ijarnn de Sauve fait son service « au Louvre, la harnnne est avec un muyuet de ses « amis, dans une maison proche de la Croix-des- « Petits-Champs, vers Saint-Ilonorc : le baron de

« Sauve reconnaîtra la maison h une croix rouge (( qui sera fuite sur la muraille. »

Eh bien? demanda Maurevel.

--Faites une seconde copie de colto leltro, dit Cilherine.

Maurevel obéit passivement.

Maintenant, dit la reine, faites remettre une de ces lettres par un homme admit au baron de Sauve, et (jue cet hcimme laisse tomber l'autre dans les corridors du I,ouvre.

Je ne comprends pas, dit Maurevel.

L.A REL\E M.ARGOT.

i83

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iiiiïi;i!E«i'

Vous n'avez pas ctc suivie? dit-il. PiOE <*I4.

Catherine haussa les épaules.

Vous ne comprenez pas qu'un mari qui reçoit une pareille lettre se fâche?

Mais il me semble, madame, que du temps du roi de Navarre il ne se fâchait pas.

Tel qui passe des choses à un roi ne les passe peut-être pas à un simple galant. D'ailleurs, s'il ne se fâche pas, vous vous fâcherez pour lui, vous.

Moi?

Sans doute. Vous prenez quatre hommes, six hommes s'il le faut, vous vous masquez, vous en-

foncez la porte, comme si vous étiez les envoyés du baron, vous surprenez les amants au milieu de leur tète-à-lûte, vous frappez au nom du mari, et, le len- demain, le billet perdu dans le corridor du Lou- vre, et trouvé par quelque âme charitable qui l'a déjà fait circuler, atteste que c'est le mari qui s'est vengé. Seulement, le hasard a fait que !e galant était le roi de Navarre; mais qui pouvait deviner cela, quand chacun le croyait à Pau?

Maurevel regarda avec admiration Catherine, s'inclina et sortit.

En même temps que Maurevel sortait de l'hôtel

1S4

LA lŒI.NE MARGOT.

de SoissoDi, madame Je Sauve entrait dans la petite maison de la Croix-des-Petits-Champs.

Henri l'attendait la porte entr'ouverte.

Dès qu'il l'aperçut dans l'escalier :

Vous n'avez pas été suivie ? dit-il.

Mais non, dit Charlotte, que je sache, du moins.

Cest que je crois l'avoir été, dit Henri, non- seulement cette nuit, mais encore ce soir.

Oh: mon Dieu! dit Charlotte, vous m'effrayez, sire; si un bon souvenir donné par vous à une an- cienne amie allait tourner à mal pour vous, je ne m'en consolerab pas.

Soyez, tranquille, ma mie, dit le Riarnais, nous avons trois épées qui veillent dans l'ombre.

Trois, c'est bien peu, sire.

C'est assez quand ces épées s'appellent de Mony, Saucourt et Barthélémy.

De Nouy est donc avec vous à Paris?

Sans doute.

Il a osé revenir dans la capitale 1 II a donc, comme vous, quelque pauvre femme folle de lui?

iSon, mais il a un ennemi dont il a jure la mort. II n'y a que la haine, ma eb^, qai f^te faire autant de sott'ises que l'amour.

Merci, sire.

Oh '. dit Ilenri, je ne dis pas cela pour les sot- tises présentes, je dis cela pour les sottises passées et à venir. Mais ne discutons pas là-dessw, nous n'avons pas de temps à perdre.

Vous partez donc toujours!

Cette nuit.

Les affaires pour lesquelles vua- nez revenu à Paris sont donc terminées?

Je n'y suis revenu «jue pour vous.

Gascon '.

Ventre-saint-gris ! ma mie, je dis la Tenté ; mais écartons ces souvenirs : j'ai encore deux ou trois heures à être heureux, et puis, une iéparation étemelle.

Ah! sire, dit madame de Sauve, il n'y a d'é- temel que mon amour.

Henri venait de dire qu'il n'avait pas le temps de discuter, il ne discuta donc point; il crut, ou, le sceptique qu'il était, il fît semblant de croire.

Cependant, comme l'avait dit le roi de i^avarre, Mouy et ses deux compaj^ons étaient cachés aux environs de la maison. Il était convenu que Henri sortirait à minuit de la petite maison au lieu d'en sortir à trois heures, qu'on trait comme la reille recijDiJaire n: re, et que de

Lj on irait r: uraii .Haure-

vel.

C il venait

de ion cer-

taine ii« la maistjo qu'ti.iljitait son ennemi.

li.i (^Client l.i depui.-i une heure à peu prés Ii>r»- fs'ils Tirent un borame, suivi à quelques pa.i de

cinq autres, qui s'approchait de la porte de la pe- tite maison, et qui, lune après l'autre, essayait plu- sieurs clefs.

.\ cette me, de Mouy, caché dans l'enfoncement d'une porte voisine, ne ût qu'un bond de sa cachette à cet homme, et le saisit par le bras.

Un instant, dit-il, on n'entre pas là. L'homme fit un bond en arrière, et, en bondis- sant, son chapeau tomba.

De Mouy de Saint-Phale! s'écria-t-il.

Maurevel: hurla le huguenot en levant son épce. Je te cherchais; tu viens au-devant moi merci !

Mais la colère ne lui fit pas oublier Henri, et, se retournant vers la fenêtre, il siffla à la manière de.- pàtres béarnais.

Cela sufQra. dit-il à Saucourt. Maintenant, à moi. assa?s:n! à moi!

Et il s'élança vers Maurevel. Celui-ci avait eu le temps de tirer de sa ceinture un pistolet.

Ah ! cette fois, dit le tueur du roi en ajustant le jeune homme, je crois que tu es mort.

Et il lâcha le coup. Mais de Mouy se jeta à droite. et la balle passa sans l'atteindre.

k mon tour maintenant, s'écria le jeune homme.

Et il fournit à Maurevel un si rude coup d'èpée. que, quoique ce coup atteignit sa ceinture de cuir, la pointe acérée traversa l'obstacle et s'enfonça dans les chairs.

L assassin poussa un cri sauvage qui accusait une si profonde douleur, que les sbires qui l'accompa- gnaient le crurent frappé à mort et s'enfuirent épou- vantés du côté de la rue Saint-llonoré.

Maurevel n'était point brave. Se voyantabandonné pr ses gens et ayant devant lui un adversaire comme de Mouy, il essaya à son tour de prendre la fu'iteet se sauva par le même chemin qu'ils avaient pris en criant : A l'aide!

De Mouy, Saucourt et Barthélémy, emportés par leur ardeur, les poursuivirent.

Comme ils entraient dans la rue de Grenelle, qu'ils avaient prise pour leur couper le chemin, une feu ;tre s'ouvrait, et un homme sautait du premier étage sur la terre fraîchement arrosée par la pluie.

C'etiit Henri..

Le sifflement de de Mouy l'avait averti d'un dan- ger quelconque, et ce coup de pistolet, en lui in- diquant que le danger était grave, l'avait attiré au secours de ses amis.

Ardent, vigoureux, il s'i.lança sur leurs traces l'épée à la main.

Un cri le guida . li venait de la barrière des Ser- gents. C'était Maurevel, qui, se sentant pressé par de Mouy, appelait une .seconde fois à son tecoors SOS hommes emportés p.ir la terreur.

Il fallait se retourner ou èii poignardé par der-

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LA REINE MRGOT.

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rière. Maurevel se retourna, rencontra le fer de son ennemi, et, presque aussitôt, lui porta un coup si habile, que son écharpe en fut traversée. Mais de Mouy riposta aussitôt. L'épée s'enfonça de nouveau dans la chair qu'elle avait déjà entamée, et un dou- ble jet de sang s'élança par une double plaie.

Il en tient ! cria Henri, qui arrivait. Sus! sus ! de Mouy!

De Mouy n'avait pas besoin d'être encouragé. Il chargea de nouveau Maurevel ; mais celui-ci ne l'at- tendit point. Appuyant sa main gauche sur sa bles- sure, il reprit une course désespérée.

Tue-le vite ! tue-le ! cria le roi ; voici ses sol- dats qui s'arrêtent, et le désespoir des lâches ne vaut rien pour les braves.

Maurevel, dont les poumons éclataient, dont la respiration sifflait, dontchaque haleine chassait une sueur sanglante, tomba tout à coup d'épuisement ; mais aussitôt il se releva, et, se retournant sur un genou, il présenta la pointe de son épée à de Mouy.

Amis! amis! cria Maurevel, ils ne sont que deux. Feu, feu sur eux!

En effet, Saucourt et Barthélémy s'étaient égarés à la poursuite de deux sbires qui avaient pris par la rue des Poulies, et le roi et de Mouy se trouvaient seuls en présence de quatre hommes.

Feu! continuait de hurler Maurevel, tandis qu'un de ses soldats apprêtait effectivement son poi- trinal.

Oui, mais auparavant, dit de Mouy, meurs, traître, meurs, misérable, meurs damné comme un assassin.

Et, saisissant d'une main l'épée tranchante de Maurevel, de l'autre il plongea la sienne du haut en bas dans la poitrine de son ennemi, et cela avec tant de farce, qu'il le cloua contre terre.

Prends garde, prends garde! cria Henri.

De Mouy tit un bond en arrière, laissant son épée dans le corps de Maurevel, car un soldat l'ajustait et allait le tuer à bout portant.

En môme temps, Henri passait son épée au tra- vers du corps du soldat, qui tomba près de Maurevel en jetant un en.

Les deux autres soldats prirent la fuite.

Viens! de Mouy, viens! cria Henri. Ne per- dons pas un instant ; si nous étions reconnus, ce se- rait'fait de nous.

Attendez, sire; et mon épée, croyez -vous que je veuille la laisser dans le corps de ce misérable?

Et il s'approcha de Maurevel gisant et en appa- rence sans mouvement ; mais, au moment de Mouy mettait la main à l,i garde de cette épée qui, effectivement, était restée dans le corps de Maure- vel, celui-ci se releva armé du poitrinal que le sol- dat avait lâché en tombant, et, à bout portant, il lîicha le coup au milieu de la poitrine de de Mouy.

Le jeune homme tomba sans même pousser un cri : il était tué roide.

Henri s'élança sur Maurevel ; mais il était tombé à son tour, et son épée ne perça plus qu'un cadavre.

Il fallait fuir; le bruit avait attiré un grand nom- bre de personnes, la garde de nuit pouvait venir. Henri chercha, parmi les curieux attirés par le bruit, une figure de connaissance, et, tout à coup, poussa un cri de joie.

Il venait de reconnaître maître laHurière.

Comme la scène se passait au pied de la croix du Trahoir, c'est-à-dire en face de la rue de l'Arbre- Sec, notre ancienne connaissance, dont l'humeur naturellement sombre s'était encore singulièrement attristée depuis la mort de la Mole et de Coconas, ses deux hôtes bien-aimés, avait quitté ses four- neaux et ses casseroles au moment justement il apprêtait le souper du roj de Navarre et était ac- couru.

Mon cher la Hurière, je vous recommande de Mouy, quoique j'aie bien peur qu'il n'y ait plus rien à faire. Emportez-le chez vous, et, s'il vit en- core, n'épargnez rien, voilà ma bourse. Quant à l'autre, laissez-le dans le ruisseau, et qu'il y pour- risse comme un chien .

Mais vous"? dit la Hurière.

Moi, j'ai un adieu à dire. Je cours, et, dans dix minutes, je suis chez vous. Tenez mes chevaux prêts.

Et Henri se mit effectivement à courir dans la di- rection de la petite maison de la Croix-des-Petits- Champs; mais, en débouchant de la rue de Gre- nelle, il s'arrêta plein de terreur.

Un groupe nombreux était amassé devant la porte.

Qu'y a-t-il dans cette maison, demanda Henri, et qu'est-il arrivé?

Oh! répondit celui auquel il s'adressait, un grand malheur, monsieur. C'est,.une belle jeune femme qui vient d'être poignardée par son mari, à qui l'on avait remis un billet pour le prévenir que sa femme était avec un amant.

Et le mari? s'écria Henri.

Il est sauvé.

La femme?

Elle est là.

Morte?

Pas encore; mais. Dieu merci, elle n'en vaut guère mieux.

Oh ! s'écria Henri, je suis donc maudit? Et il s'élança dans la maison.

La chambre était pleine de monde, tout ce monde entourait un lit sur lequel était couchée la pauvre Charlotte, percée de deux coups de poignard.

Son mari, qui pendant deux ans avait dissimulé sa jalousie contre Henri, avait saisi cette occasion de se venger d'elle.

Charlotte! Charlotte! cria Henri fendant la foule et tombant à genoux devant le lit.

Charlotte rouvrit ses beaux yeux déjà voilés pra

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LA lŒLNE MARGOT.

de Soissons, niadome Je Sauve entrait dans la petite maison de la Croix-des-Petits-Champs.

Henri l'attendait la porte entr'ouverte.

Dès qu'il l'apereut dans l'escalier :

Vous n'avez pas été suivie? dit-il.

Mais non, dit Charlotte, que je sache, du moins.

C'est que je crois l'avoir été. dit Henri, nun- seulement cette nuit, mais encore ce soir.

Oh: mon Dieu! dit Charlotte, vous m'effrayez, sirc; si un bon souvenir donné par vous à une an- cienne amie allait tourner à mal pour vous, je ne m'en consolerais pas.

Soyez, tranquille, ma mie, dit le Béarnais, nous avons trois épées qui veillent dans l'ombre.

Trois, c'est bien peu, sire.

C'est assez quand ces épées s'appellent de Mouy, Saucourt et Barthélémy.

De Mouy est donc avec vous à Paris?

Sans doute.

Il a osé revenir dans la capitale! 11 a donc, comme vous, quelque pauvre femme folle de lui?

Non, mais il a un ennemi dont il a juré la mort. 11 n'y a que la haine, ma chère, qui fasse faire autant de sottises que l'amour.

Merci, sire.

.— Oh ! dit Henri, je ne dis pas cela pour les sot- tises présentes, je dis cela pour les sottises passées et à venir. Mais ne discutons pas là-dessus, nous n'avons pas de temps à perdre.

Vous partez donc toujours?

Cette nuit.

Les affaires pour les(]uelles vous ('liez revenu à Paris sont donc terminées?

Je n'y suis revenu que pour vous.

Gascon !

Ventre-saint-gris ! ma mie, je dis la vérité ; mais écartons ces souvenirs : j'ai encore deux ou trois heures à être heureux, et puis, une séparation éternelle.

Ah! sire, dit madame de Sauve, il n'y a d'é- ternel que mon amour.

Henri venait de dire qu'il n'avait pas le temps de discuter, il ne discuta donc point; il crut, ou, le sceptique qu'il était, il fit semblant de croire.

Cependant, comme l'avait dit le roi de Navarre, de Mouy et ses deux compagnons étaient cachés aux environs de la maison. Il était convenu que Henri sortirait à minuit de la petite maison au lieu d'en sortir à trois heures, qu'on irait comme la veille reconduire madame de Sauve au Louvre, et (|iie de on irait rue de la Cerisaie, di.'meurait Maiire- vcl.

C'était seulement pend.iiit la joiiriK'c qui venait de s'écouler que de Mouy avait eiiliii eu notion cer- taine de la maison qu'hahilail son eniienii.

Ils (Haient diqiuis une heure à peu prés lors- qu'ils virent un lidiume, suivi à quelques pas de

cinq autres, qui s'approchait de la porte de la pe- tite maison, et qui, l'une après l'autre, essayait plu- sieurs clefs.

.\ cette vue, de Mouy, caché dans l'enfoncement d'une porte voisine, ne fit qu'un bond de sa cachette à cet homme, et le saisit par le bras.

Un instant, dit-il, on n'entre pas là. L'homme fit un bond en arrière, et, en bondis- sant, son chapeau tomba.

De Mouy de Sainl-Phale! s'écria-t-il.

Maurevel! hurla le huguenot en levant son épée. Je te cherchais; tu viens au-dc\ant de moi merci !

Mais la colère ne lui fit pas oublier Henri, et, se retournant vers la fenêtre, il siflla à la manière de.<; pâtres béarnais.

Cela suffira, dit-il à Saucourt. Maintenant, à moi. assassin! à moi!

Et il s'élança vers Maurevel. Celui-ci avait eu le temps de tirer de sa ceinture un pistolet.

Ah! cette fois, dit le tueur du roi en ajustant le jeune homme, je crois que tu es mort.

Et il lâcha le coup. Mais de Mouy se jeta à droite, et la balle passa sans l'atteindre.

A mon tour maintenant, s'écria le jeune homme.

Et il fournit à Maurevel un si rude coup dépéo. que, quoique ce coup atteignit sa ceinture de cuir, la pointe acérée traversa l'obstacle el s'enfonça dans les chairs.

L'assassin poussa un cri sauvage qui accusait une si profonde douleur, que les sbires qui l'accompa- gnaient le crurent frappé à mort et s'enfuirent épou- vantés du côté de la rue Sainl-llonoré.

.Maurevel n'était point brave. Se voyant abandonné par ses gens et ayant devant lui un adversaire comme de Mouy, il essaya à son tour de ju-endre la fuite et se sauva par le même cheiiiin qu'ils avaient pris en criant : .\ l'aide!

De Mouy, Saucourt et Barthélémy, emportés par leur ardeur, les poursuivirent.

Comme ils entraient dans la rue de Grenelle, qu'ils avaient prise pour leur couper le chemin, une fenêtre s'ouvrait, et un homme sautait du premier étage sur la terre fraîchement arrosée par la pluie.

C'était Henri..

Le sifll(Miient de de Mouy l'avait averti d'un dan- ger (juelconque. el ce coup de pistolet, en lui in- di(iuant (]uc le danger était grave, l'avait attiré au secours de ses amis.

Aident, vigoureux, il s'élança sur leurs traces réjiée à la main.

L'n cri le guida ; il venait do la barrière des Ser- gents. C'était Maurevel, qui, .se sentant presse par de Mouy, appelait mw secoiiile fois ù son secours ses hiimmcs emportés par la terreur.

Il fallait se retourner ou ùti '- poignardé par der-

LA REIME iMARGOT.

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rière. Maurevel se retourna, rencontra le fer de son ennemi, et, presque aussitôt, lui porta un coup si habile, que son écharpe en fut traversée. Mais de Mouy riposta aussitôt. L'épée s'enfonça de nouveau dans la chair qu'elle avait déjà entamée, et un dou- ble jet de sang s'élança par une double plaie.

Il en tient! cria Henri, qui arrivait. Sus! sus! de Mouy !

De Mouy n'avait pas besoin d'être encouragé. Il chargea de nouveau Maurevel ; mais celui-ci ne l'at- tendit point. Appuyant sa main gauche sur sa bles- sure, il reprit une course désespérée.

Tue-le vite ! tue-le ! cria le roi ; voici ses sol- dats qui s'arrêtent, et le désespoir des lâches ne vaut rien pour les braves.

Maurevel, dont les poumons éclataient, dont la respiration sifflait, dont chaque haleine chassait une sueur sanglante, tomba tout à coup d'épuisement ; mais aussitôt il se releva, et, se retournant sur un genou, i! présenta la pointe de son épée à de Mouy.

Amis! amis! cria Maurevel, ils ne sont que deux. Feu, feu sur eux!

En effet, Saucourt et Barthélémy s'étaient égarés à la poursuite de deux sbires qui avaient pris par la rue des Poulies, et le roi et de Mouy se trouvaient seuls en présence de quatre hommes.

Feu! continuait de hurler Maurevel, tandis qu'un de ses soldats apprêtait effectivement son poi- trinal.

Oui, mais auparavant, dit de Mouy, meurs, traître, meurs, misérable, meurs damné comme un assassin.

Et, saisissant d'une main l'épée tranchante de Maurevel, de l'autre il plongea la sienne du haut en bas dans la poitrine de son ennemi, et cela avec tant de farce, qu'il le cloua contre terre.

Prends garde, prends garde! cria Henri.

De Mouy fit un bond en arrière, laissant son épée dans le corps de Maurevel, car un soldat l'ajustait et allait le tuer à bout portant.

En même temps, Henri passait son épée au tra- vers du corps du soldat, qui tomba près de Maurevel en jetant un cri.

Les deux autres soldats prirent la fuite.

Viens! de Mouy, viens! cria Henri. Ne per- dons pas un instant ; si nous étions reconnus, ce se- rait'fait de nous.

Attendez, sire; et mon épée, croyez -vous que je veuille la laisser dans le corps de ce misérable?

Et il s'approcha de Maurevel gisant et en appa- rence sans mouvement ; mais, au moment de Mouy mettait la main à la garde de cette épée qui, effectivement, était restée dans le corps de Maure- vel, celui-ci se releva armé du poitrinal que le soir dat avait lâché en tombant, et, à bout portant, il lâcha le coup au milieu de la poitrine de de Mouy.

Le jeune homme tomba sans même pousser un cri : il était tué roide.

Henri s'élança sur Maurevel ; mais il était tombé à son tour, et son épée ne perça plus qu'un cadavre.

Il fallait fuir; le bruit avait attiré un grand nom- bre de personnes, la garde de nuit pouvait venir. Henri chercha, parmi les curieux attirés par le bruit, une figure de connaissance, et, tout à coup, poussa un cri de joie.

Il venait de reconnaître maître la Hurière.

Comme la scène se passait au pied de la croix du Trahoir, c'est-à-dire en face de la rue de l'Arbre- Sec, notre ancienne connaissance, dont l'humeur naturellement sombre s'était encore singulièrement attristée depuis la mort de la Mole et de Coconas, ses deux hôtes bien-aimés, avait quitté ses four- neaux et ses casseroles au moment justement il apprêtait le souper du roj de Navarre et était ac- couru.

Mon cher la Hurière, je vous recommande de Mouy, quoique j'aie bien peur qu'il n'y ait plus rien à faire. Emportez-le chez vous, et, s'il vit en- core, n'épargnez rien, voilà ma bourse. Quant à l'autre, laissez-le dans le ruisseau, et qu'il y pour- risse comme un chien.

Mais vous? dit la Hurière.

Moi, j'ai un adieu à dire. Je cours, et, dans dix minutes, je suis chez vous. Tenez mes chevaux prêts.

Et Henri se mit effectivement à courir dans la di- rection de la petite maison de la Croix-des-Petits- Champs; mais, en débouchant de la rue de Gre- nelle, il s'arrêta plein de terreur.

Un groupe nombreux étaix amassé devant la porte.

Qu'y a-t-il dans cette maison, demanda Henri, et qu'est-il arrivé?

Oh! répondit celui auquel il s'adressait, un grand malheur, monsieur. C'est une belle jeune femme qui vient d'être poignardée par son mari, à qui l'on avait remis un billet pour le prévenir que sa femme était avec un amant.

Et le mari? s'écria Henri.

Il est sauvé.

La femme?

Elle est là.

Morte?

Pas encore; mais, Dieu merci, elle n'en vaut guère mieux.

Oh ! s'écria Henri, je suis donc maudit? Et il s'élança dans la maison.

La chambre était pleine de monde, tout ce monde entourait un lit sur lequel était couchée la pauvre Charlotte, percée de deux coups de poignard.

Son mari, qui pendant deux ans avait dissimulé sa jalousie contre Henri, avait saisi cette occasion de se venger d'elle.

Charlotte! Charlotte! cria Henri fendant la foule et tombant à genoux devant le lit.

Charlotte rouvrit ses beaux yeux déjà voilés pra

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LA REINE BIARGOT.

la mort; elle jeta un cri qui fit jaillir le sang de ses Jeux blessures, et, faisant un effort pour se sou- lever :

Oh! je savais bien, dit-elle, que je ne pouvais pas mourir sans ie revoir!

Et, en effet, comme si elle n'eût attendu que ce moment pour rendre à Henri celte ûme qui l'avait tant aimée, elle appuya ses lèvres sur le front du roi de Navarre, murmura encore une dernière fois : « Je t'aime, » et retomba expirée.

Henri ne pouvait rester plus longtemps sans se perdre. 11 tira son poignard, coupa une boucle de ses beaux cheveux blonds qu'il avait si souvent dé- noués pour en admirer la longueur, et sortit en san- glotant au milieu des sanglots des assistants, qui ne se doutaient pas qu'ils pleuraient sur de si hautes infortunes.

Ami, amour, s'écria Henri éperdu, tout m"a-

bandonne, tout me quitte, tout me manque à la fois!

Oui, sire, lui dit tout bas un homme qui s'é- tait détaché du groupe de curieux amassé devant la petite maison et qui l'avait suivi, mais vous avez toujours le trône.

René ! s'écria Henri.

Oui, sire, René qui veille sur vous : ce misé- rable en expirant vous a nommé; on sait que vous êtes à Paris, les archers vous cherchent, fuyez, fuyez !

Et tu dis que je serai roi, René, un fugitif?

Regardez, sire, dit le Florentin en montrant au roi une étoile qui se dégageait, brillante, des plis d'un nunp;e noir, ce n'est pas moi qui le dis, c'est elle.

Henri poussa un soupir et disparut dans l'obscu- ri(:i.

FIN.

TABLE DES MATIERES

OE LA DEUXIEME PARTIE.

Pagw.

I. Maurevel i

II. La chasse à courre 4

III. Fraternité 8

IV. La reconnaissance du roi Charles IX. . . 12 V. Dieu dispose 16

VI. La nuit des rois 22

VII. Anagramme 27

VIII. La rentrée au Louvre ou

IX. La cordelière de la reine mère 37

X. Projets de vengeance 43

XI. Les atrides 52

XII. L'horoscope..* 59

XUI. Les confldences 63

XIV. Les ambassadeurs 71

XV. Oreste et Pylade 75

XVI. Orthon 82

XVII. L'hôtellerie de la Belle-Étoile 87

XVIU. De Mouy de Sainl-Phale 93

' XIX. Deux têtes pour une couronne 97

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XX. Le livre de vénerie 107

XXI. La chasse au vol 109

XXII. Le pavillon de François P' 115

XXUI. Les investigations 119

XXIV. Actéon 124

XXV. Le bois de Vincennes 127

XXVI. La ligure de cire 132

XXVll. Les boucliers invisibles 140

XXVllI. Lesjuges 144

XXIX. La torture du brodequin 150

XXX. La chapelle 156

XXXI. La place Saint-Jean-en-Grève 159

XXXII. La tour du pilori 163

XXXIU. La sueur de sang. . i68

XXXIV. La plato-forme du donjon de Vincennes. . 171

XXXV. La régence 174

XXXVI. Le roi est mort : vive le roi 178

XXXVII. Épilogue 181

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