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LA RENOMMEE DE MCNTAIŒÏJE EN ALLEMAGNE

V. Bouillier

PQ 1644

B68

1921

STORAGt-ITÊM LPC

LPA-Û46E

U.B.C. LIBRARY

THE LIBRARY

THE UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA

VICTOR BOUILLIER

LA RENOMMÉE

MONTAIGNE

ALLEMAGNE

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE EDOUARD CHAMPION

5, Quai Malaquais 1931

Tous droits réserves

LA RENOMMEE

MONTAIGNE

ALLEMAGNE

OUVRAGE DU MÊME AUTEUR

En vente à la. même librairie

Georg Christophe Lichtenberg (17/12-1799). Essai sur sa vie et ses œuvres littéraires, suivi d'un choix de ses apho- rismes. igiA, in-8, 248 pages, portrait. 7 fr. 50

VICTOR BOUILLIER

LA RENOMMEE

MONTAIGNE

EN

ALLEMAGNE

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE ÉDOLARD CHAMPION

5, Quai Malaqlais

1921

Tous droits réservés

Hors de France, c'est en Angleterre, sans con- teste, que Montaigne a obtenu le succès le plus rapide, le plus grand et le plus persistant. Dès i6o3, c'est-à-dire huit ans après l'édition complète des Essais, un littérateur en renom, possédant de nom- breuses relations aristocratiques et littéraires, John Florio, publiait sa célèbre traduction, encore réé- ditée de nos jours. Et déjà dans les années précé- dentes, Montaigne avait commencé à être connu, non seulement par les quelques lecteurs du texte français, mais par un certain nombre de privilégiés, dont Shakespeare peut-être, qui avaient eu commu- nication de fragments manuscrits de la traduction Florio. Dès lors, la réputation et même l'influence de Montaigne ne cessèrent de s'accroître : la biblio- graphie seule de tous les écrivains anglais qui l'ont traduit, imité, étudié, incidemment commenté ou

b LA RENOMMEE DE MONTAIGNE

cité, serait un travail de longue haleine et presque impossible à réaliser sans omissions. Mais notre but n'est pas de retracer, même sommairement, l'historique de Montaigne en Angleterre. La qucs tion a été abondamment traitée par la critique anglaise; et, chez nous, M. Pierre Villey lui a con- sacré de remarquables études partielles, en atten- dant l'ouvrage d'ensemble qu il a annoncé. Il suf- fira de noter ici que « dès le début, Montaigne a « été accepté en Angleterre presque comme s'il c< était un écrivain anglais », ainsi que le dit un de ses plus récents et plus autorisés biographes d'Outre-Manche (i).

Dans l'examen de la fortune de Montaigne à l'étranger, l'Allemagne ne doit être classée qu'au second rang, mais bien avant l'Italie ou l'Espagne. Disons-le tout de suite ; si tentant que ce soit de faire une découverte dont personne encore ne sest avisé, ces pages ne concluront pas à une influence proprement dite, même temporaire on limitée, que Montaigne aurait exercée en Allemagne ; elles ten- dent simplement à montrer qu'il y a trouvé de nombreux lecteurs et amis, parmi lesquels figurent des noms illustres. Ce n'est pas une révélation, sans doute ; c'est un point, cependant, qui a été très négligé jusqu'ici. Soit dans la mo/itaignologie fran- çaise ou anglaise, si riche pourtant, soit même dans l'allemande bien moindre, il est vrai, nous

I. Edward Dowden, Michel de Montaiyrn', p. Sj;. Londres, njoo.

EN ALLEMAGNE 7

navons renconlré qu'un trop faible nombre d'in- dications propres à simplifier notre tâche. Aussi, malgré toutes les recherches auxquelles nous nous sommes livré dans les auteurs chez qui la trace de Montaigne était présumable (recherches qui n'épui- sent certainement pas la matière, vu surtout qu'il leur a manqué d'être complétées dans les biblio- thèques allemandes), nous ne nous dissimulons pas que mainte omission pourra être relevée dans notre travail.

Pourquoi le succès de Montaigne a-t-il été plus restreint et beaucoup plus tardif en Allemagne qu'en Angleterre P Faut-il en demander l'explication à la psychologie des peuples .' On a dit souvent que Montaigne avait des affinités avec l'esprit anglais par sa sagesse pratique et mondaine, par son élec- tisme, par son humour ; en un mot. qu'il pouvait être considéré comme un type supérieur de gen- tleman. Il doit y avoir du vrai. Au contraire, on a dit, quoique plus rarement, qu'il était trop frivole, trop superficiel, trop terre à terre, pour s'acclimater franchement chez un peuple oii l'esprit est porté à la spéculation, à l'abstraction, à la métaphysique (i). C'est soutenable aussi, bien que peu susceptible de démonstration. Mais, sans exclure absolument les explications intuitives, toujours vagues et discu- tables, nous croyons qu'il ne faut pas en exagérer

I. Voir les dissertations, signalées plus loin, de MM. Navon et Paul Schwabe, qui se bornent, d'ailleurs, à émettre l'idée, sans la développer.

8 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

la valeur. La psychologie des peuples est une science très incertaine, surtout quand on prétend l'ap- pliquer aux milieux intellectuels, qui présentent de si nombreuses tendances et individualités diverses, hétérogènes. Au surplus, la théorie des affinités n'est pas toujours décisive ; ainsi, les gens cultivés recherchent volontiers dans leurs lectures (comme dans le commerce de la vie) les esprits différents deux-mêmes, doués des qualités qui leur manquent. Alfieri et Byron, par exemple, se plaisaient avec le sage Montaigne. D'ailleurs, il y a de tout dans les Essais ; ils peuvent offrir de l'intérêt aux têtes les plus philosophiques. On verra que Kant, Scho- penhauer, les lisaient, mieux qu'à titre de simple passe-temps, et même que l'histoire philosophique en Allemagne s'est attachée, plus d'une fois, à dégager et à coordonner les doctrines qui s'y trou- vent en germe ou éparses. Enfin, n'oublions pas que dans l'Allemagne du xvn" siècle, malgré la glorieuse exception de Leibniz, et dans celle de l\^ Au/klcirang n, de la philosophie populaire, les esprits n'étaient certainement pas hantés par la métaphysique.

A défaut de l'explication psychologique, le pro- blème reçoit par l'Histoire une solution plus simple, plus sûre et très suffisante à elle seule. Lors de l'apparition des Essais, tandis que l'Angleterre tra- versait une période de prospérité matérielle et de floraison littéraire, l'Allemagne s'absorbait dans les controverses théologiques, se consumait dans

EN ALLEMAGNE Q

de violentes dissensions. Cette atmosphère biblique ei cette surexcitation des esprits excluaient fatale- ment tout prêcheur de tolérance, ou de scepticisme même mitigé. Bientôt la guerre de Trente ans et sa lente convalescence entravaient, pour de longues décades, la culture intellectuelle dans un pays pres- qu'entièrement ravagé, ruiné. Quand elle reprit peu à peu, l'influence dominante du siècle de Louis XIV ne favorisait pas les progrès de Montaigne, qui, en France même, subissait une éclipse notable. Non seulement les critiques et le blâme tombaient sur lui, et de très haut (Pascal, Port-Royal, Bossuet, Malebranche), mais on ne publiait à Paris, de 1669 à 1725, aucune édition des Essais, tandis que précé- demment elles se succédaient à peu d'années d'in- tervalle.

Aussi, pendant le xvu^ siècle et la première partie du xvnr, on ne découvre en Allemagne la trace de Montaigne que chez des érudits ou théologiens, dont les œuvres sont presque toujours latines, ou chez de rares auteurs particulièrement familiers avec la littérature et la langue française.

Occupons- nous d'abord des premiers. Thomas Lansius (1577-1657), professeur de Droit et délégué ducal {Visitalor ou Commissarius) à l'Université de Tubingue, semble avoir la priorité parmi les voix allemandes qui ont parlé de Montaigne, Vraisem- blablement, il avait commencé à connaître les Essais lors d'un séjour qu'il fit à Paris, peu après l'année 1600, en compagnie d'un gentilhomme

lO LA. RENOMMEE DE MOXTAIG.NE

autrichien ; à celte occasion, il entra en rapports avec des membres de l'Université de Paris et divers savants français. Dans ses Oraliones seu consullatio de principatu inler provincias Europse (ïubin- gue, i6i3), exercices académiques les mérites et les défauts de chaque nation font successivement l'objet d'une oralio pro et dune oratio contra^ Lansius en vient à Montaigne, très incidemment. {Oratio contra Galliam). Lui-même s'excuse de sa digression en disant que VAmor Montant l'a un peu entraîné hors de son sujet. Toutefois, après avoir proclamé Montaigne : Galllse sapienteni le Français le plus sage qui ait jamais existé », dira Sainte- Beuve), Lansius ajoute qu'il n'oublie pas les criti- ques sévères de Baudius, et il leur donne la plus grande place dans son morceau. Il cite, sans les discuter, les railleries bien connues que l'érudit flamand a émises sur le prétendu défaut de mémoire et sur la vanité de Montaigne, qui prétend ne pou- voir se rappeler les noms de tous ses domestiques, etc.(i).

Bien que Moschcrosch (i 601-1669) appartienne plutôt à la catégorie des « Dichter » par son ouvrage principal {Gesichte Philanders von Sittewalt), fiction satirique librement imitée des Siieilos de Quevedo, nous le placerons ici au milieu des érudits, puisque nous avons à le considérer surtout dans un de ses traités en langue latine. L'Alsacien Moscherosch

I. Baudii Poemula. Lyon, 1C07. Noies à la pièce adressée à M"' de Gournay, lambicorum Ub. II.

EN ALLEMAGNE I I

bon luthérien, mais bon humaniste aussi , apprit sans doute à goûter Montaigne pendant un séjour d'études à Paris, entre 1624 et 1626. Au début de la 5" des Visions de Phikuider [Le Jugement final), publiée pour la première fois vers lë/jo, à Strasbourg, il cite le passage Montaigne dit que « les songes sont loyaux interprèles de nos inclina- u lions » {Essais, IIÏ, i3), et, à ce propos, il qualifie l'auteur d' « honnête et sage Français »> {redlicher Franzose) et son livre d' «excellent)) (vortre/Jlich). Mais, c'est dans la Dissertatio de politico{i) que ses- éloges deviennent presque hyperboliques. Parmi les lectures qu'il recommande aux jeunes gens qui se préparent à la carrière politique, il inscrit les Essais du Socralis Gallici: « Œuvre telle que ni la France^ (c ni les autres royaumes de l'Europe n'en ont « jamais vu de plus belle. TKuvre envers laquelle « on n'acquittera jamais les louanges qu'elle mérite. « Œuvre qui rend tellement l'homme à lui-même « {hominem tani reddil ipsi), que sans elle je suis « profondément convaincu que le sens commun (( serait atteint d'aveuglement (cœciilire). Celui qui « ne la connaît pas, je ne peux le tenir que pour un u pauvre et froid ami des lettres {in lileris languere « ac Jrigere prœsunm). »>

Au cours de nos recherches, nous avons constaté que ces lignes de Moscherosch étaient généralement

I. Strasbourg:, iCSa. C'est la réédition, très augmentéo par Moscherosch, d'un opuscule publié, une trentaine d'années aupara- vant, par le juriste Georg Gumpelzhaimer.

12 LA RENO^IMEE DE MONTAIGNE

altribuces à Schurlzfleisch (1641-1708), philologue, professeur à Wiltenberg. L'erreur est imputable aux éditeurs posthumes de ce dernier (notamment à Grosschuf : Nova librorum rar'ionun Conlectio, t. HT. Halle, 1709-17 16), qui, en dépouillant les manuscrits de ses leçons, ont pris pour original ce qui n'était qu'une citation.

Vers le dernier tiers du xvii'" siècle, la Logique de Port-Royal, ou plutôt son édition latine : ArsCogitandi très répandue dans l'Europe savante, contribue à propager Montaigne, mais sous un renom assez fâcheux. Aussi, pendant les décades suivantes, lorsque les professeurs et théologiens allemands par- lent de lui, sont-ils préoccupés surtoutdesaccusations de pyrrhonisme, d'impiété et d'immoralité, formu- lées par Nicole, et ensuite, avec plus de modération, par Malebranche.

Le professeur de Halle, Christian Thomasius (1653-1728), esprit vaste et novateur, fut un des premiers à prendre la défense de Montaigne, et à protester contre « la marque d'athéisme, par laquelle (( les auteurs de la Logique voulaient flétrir cet écri- <( vain célèbre ». (Gemischie Hândel, t. Hl. Lber die yorurtheile,l{a\\e, 1725).

Buddeus (1667-1729), professeur de théologie à léna, plus ou moins piéliste, dissertant sur la question de savoir s'il y a des athées, conclut ainsi sur Montaigne : « Qu'il ait été un homme profane, (( nul n'en saurait douter après avoir lu les Essais <( {Teniamina). Toutefois, quand ses dires pèchent

EX ALLEMAGNE l5

« contre la piété ou la prudence, ils paraissent prove- (( nir d'une sorte de jactance ou d'ostentation, plu- « tôt que de conviction d'esprit. Montaigne semble, en {( effet, rechercher je ne sais quelle gloire en fai- (( sant montre de liberté dans ses pensées. On ne 0 peut pourtant nier que son livre contient beaucoup « de choses justes et sages », Thèses theologicœ de atheismo, (C. I, § 20. léna, 1722).

On trouve une indulgence équivalente chez Reim- mann (Jacob Friedrich, 1668-1-43), théologien et érudit, surintendant ecclésiastique àHildesheim. « Il (( ne faut pas, dit-il, être trop exigeant à l'égard d'un « auteur qui n'a jamais compté au nombre des éru- (( dits, et qui tient lui-même son œuvre pour im- « parfaite. C'est au lecteur de suppléer par son bon (( jugement. S'il trouve des passages trop libres, qu'il « les tempère par une appréciation bienveillante, ou « qu'il les marque parfois d'un petit signe correctif « (pbelo). Mais on ne doit pas, pour quelques taches, « répudier l'ouvrage entier, alors surtout qu'on n'y (( découvre pas de traces manifestes d'athéisme. » {Hisloria atheisml. S. III. C, 5 § i5, Hildesheim, 1725).

Citons enfin Jacob Brucker ([696-1770), pasteur à x\ugsbourg, considéré souvent comme le père de l'histoire de la philosophie, celui que Schopenhauer a appelé, pour son labeur et sa conscience : der wackere Brucker. Il déclare, dans son Hisloria critica philosophiœ (T. Y. Leipzig, 1744), que Montaigne, quoique n'étant ni un philosophe ni un érudit, s'est

I^ LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

acquis un renom immortel. Puis après avoir relaté impartialement les louanges et les critiques dont les Essais ont été l'objet, il se rang-e du côté de l'éloge, avec de ïhou, du Perron, Juste Lipse, etc., mais en ajoutant cette réserve Nous avouons cependant « que ce livre demande un lecteur prudent et avisé, n sérieusement versé dans les doctrines morales, et <( qui ne se laisse pas séduire par cette nouveauté « dans la dissertation, par ces hardiesses insolites, « par ces défauts élégants et agréables, jusqu'au « point de ne plus jiouvoir discerner ce qui est prê- te cieux ou vil, droit ou oblique, vrai ou faux, w

Que Leibniz (1646-1716) ait plus ou moins lu Montaigne, c'est probable, mais lui doit-il quelque chose ? Dans une note intitulée : « Leibniz iind Mon- taigne » {Archivfur Geschichte der Philosophie. i88g), M. Gregor Itelson émet l'avis ou tout au moins l'hy- pothèse que Montaigne aurait suggéré à Leibniz l'idée première de son système des perceptions obscures ou ^< petites perceptions d. En effet, dans le court chapitre des Essais {II, i.\) : c Comme notice <( esprit s'empêche soi-même », Montaigne, combat- tant la liberté d'indifférence, symbolisée par l'âne de Buridan, conclut ainsi : « Il se pourrait dire, ce « me semble, plutôt, que aucune chose ne se pré- (( sente à nous il n'y ait quelque différence, pour <i légère qu'elle soit, et que, ou à la vue ou à l'attou- « chement, il y a toujours quelque chose qui nous « tente et attire, quoique ce soitimpercepliblement ». Et ce dernier mot fournit à M. Itelson un arsumeno

EX ALLEMAGNE 10

de texte, puisque Leibniz donne, dans sa Théodicée, le nom d'imperceptibles à ces perceptions qu'ailleurs {Nouveaux Essais . par exemple) \\ di^^eWe insensibles . Ce rapprochement ne manque pas d'ingéniosité. Mais, fùt-il incontestable, la portée en demeure à peu près insignifiante. A concéder même que la doctrine des perceptions inconscientes fût en germe dans ces quelques mots vagues de Montaigne, le génie consistait à la développer, et à l'ériger en un système d'où se déduisent les conséquences les plus étendues. Au reste, ce germe se retrouverait bien avant Montaigne, dans la philosophie ancienne et dans la philosophie scolastique. Ne peut-on pas dire qu'il est dès le moment l'étude de Tàme a commencé .^ En définitive, le plus vraisemblable est de supposer avec divers commentateurs, que la théorie des petites perceptions fut suggérée à Leib- niz par celle du calcul infinitésimal.

Pendant cette période d'un siècle et demi, la littérature proprement dite n'apporte qu'une faible contribution à notre sujet.

On n'est pas trop surpris de voir dans les poésies de Hofmann von llofmannswaldau (1618-1679) une version de la chanson amoureuse des cannibales; le poète silésien était familier avec la littérature française et avait longuement pris l'air de Paris, vers sa vingtième année. Hofmann, qui a montré souvent une virtuosité plus grande, délaie et alour- dit le texte alerte et charmant de Montaigne : « Cou- « Icuvre, arrête-toi, arrête-toi, couleuvre, afin que

l6 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

(( ma sœur tire sur le patron de ta peinture la façon (( et l'ouvrage d'un riche cordon que je puisse don- (( ner à m'amie. »

« 0 aller Schlangen Pracht. komm doch was za verweilen.

Hall an dein Ischischend eilen,

Verbleib doch was allhier, So thust du einen Dienst der Liebchen undauch mir. »

Suivent trois strophes analogues (i).

Nous retrouverons cette chanson plus heureuse- ment traduite ou imitée par Ewald de Kleist, par Herder et surtout par Goethe.

Aux environ. de 1720, Montaigne est en honneur auprès des futurs chefs de l'Ecole Zurichoise, alors à peine âgés d'une vingtaine d'années, et encore très imbus de l'influence française qui dominait dans les cercles lettrés de Zurich. Bodmer dit que c'est chez Montaigne qu'il a d appris à connaître le cœur « humain n ; Breitinger, que « le grand Montaigne a est le docteur de la nature ». Toutefois, on ne lit cela que dans leur correspondance (2). Dans les « Diskurse der Malerii n, ce recueil hebdomadaire, satirique et moral, à la manière d'Addison, qu'ils publièrent de 1721 à 1728, Montaigne n'est cité que très rarement, et beaucoup moins que Charron.

1. Celte pièce de Hofmannswaldan figure dans une préface ovi il esquisse lliistolre de la poésie Ivrique chez tous les peuples. {Gedichle. Breslau, 16S9).

2. Voir Hans Bodmer, Die GesellschaJ't der Malcr in Zurich und ihre Diskurse. Zurich, i8g5.

EN ALLEMAGNE I7

PoLulant, il semble bien que Bodnier, même après qu'il devint le champion du germanisme littéraire, n'a jamais abandonné complètement Montaigne. En effet, le poète Hagedorn lui écrivait, le 24 septembre lyôi, une lettre qui suppose chez l'un et l'autre une certaine confraternité en Mon- taigne. L'anacréontiqiie de Hambourg, après avoir parlé de son propre goût à se montrer sincèrement tel qu'il était, continue ainsi : (( En cela, du moins, « je suis semblable à Montaigne, quoique je ne <( croie pas opportun, en notre siècle, de parler de « moi aussi souvent et autant qu'il l'a fait ; ce dont « je lui sais, d'ailleurs, beaucoup de gré. Je me suis « réjoui de voir que Schurtzfleisch, de qui je ne <( l'aurais pas attendu, a eu pour lui une estime « aussi extraordinairement haute {ihn so ungemein « hochgeschcifzt hat). Je trouve que j'ai beaucoup des « défauts de Montaigne, et je voudrais bien les <( échanger contre ses perfections (i). »

Evidemment Hagedorn. partageant l'erreur signa- lée plus liaut, attribuait à Schurtzfleisch ce qui était de Moscherosch.

Ce poète aimable a même consacré à Montaigne, « favori de la nature » une petite pièce de vers (dans ses Epigrainmaiische Gedichte), il célèbre sa belle nonchalance et son doute plein de leçons (nachUissig schon und lehrreich zweifeUtaft , et termine par un écho de Moscherosch : « Et peut-on juste-

I. Friedrich \on Hagedorn , Poetiscite \]'erke, éclilion Eschenburg. Hambourg, 1600.

l8 LA RENOMMEE DE MONTAIGNE

« ment qualifier de letlré celui qui n'accroît pas « dans ton livre son goût et son savoir? »

Und heissl wohl der mit Recht gelehrl, Deni nicht dein Bach Geschmack und Kennlniss mehrl?

Montaigne, considéré sous un jour factice, c'est- à-dire comme un ancêtre de l'incrédulité voltai- rienne, obtient dans la France de l'Encyclopédie un regain de faveur, auquel l'Allemagne de VAufkld- riing ne reste pas insensible. Aussi, la première traduction allemande des Essais apparaît-elle à Leipzig, en 1753. Cette traduction, parfois men- tionnée comme anonyme (l'auteur n'ayant signé qu'à la fin de sa préface du 3" et dernier volume), est due à Titius (pu Tietz), alors âgé de 2/i à 25 ans et Privat-docent à l'Université de Leipzig. C'était, avant tout, un mathématicien et physicien, qui pro- fessa longtemps comme tel à l'Université de Wilten- berg. A cette époque, le cumul des sciences et des lettres n'était pas rare, et l'on peut citer, par exemple, deux de ses contemporains et collègues, Ksestner et Lichtenberg, qui, tout en occupant à Gôttingue leurs chaires de mathématiques et de physique, se sont acquis leur plus durable renom dans les Lettres, l'un comme épigrammatiste, l'autre comme humoriste. Titius, mort en 1796 à l'âge de 67 ans, fut un polygraphe fécond et varié. La liste de ses écrits allemands ou latins remplit près de cinq pages dans le Lexikon de Meûsel ; ils concernent non seulement les mathématiques, les

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sciences physiques et naturelles, mais aussi les questions économiques, morales, philosophiques ; ils comprennent, en outre, des traductions de l'an- glais et du français, notamment celle du Discours de J.-J. Rousseau sur les sciences elles arts.

Lessing annonça les deux premiers volumes de la traduction Titius dans la « Berlinische privilegierte Zeitung » des 19 mai et 20 novembre 1-53. Voici les passages essentiels de ses deux compte-rendus sommaires (1), qui sont simplement ceux d'un jour- naliste alerte et superficiel. Lessing était tout jeune encore, exactement de l âge de Titius et absorbé par de multiples travaux. Du reste, il semble n'avoir jamais eu de familiarité avec Montaigne, et nous ne voyons pas qu'il en ait reparlé ultérieurement.

(( Les Essais de Montaigne sont un des plus « anciens et des plus beaux ouvrages français. Jus- « qu'à ce jour, aucun de nos traducteurs n'avait (( voulu s'y attaquer, peut-être parce qu'il faut, pour « les comprendre, acquérir une seconde langue

{( française Montaigne a déjà été l'objet de

« trop d'éloges pour que nous prenions la peine u inutile d'y ajouter les nôtres. Contentons-nous de (' louer la traduction qui rendra un véritable ser- « vice, même aux gens capables, à la rigueur, de « lire Montaigne dans sa langue. Les bonnes éditions « françaises sont trop coûteuses, et les mauvaises <i trop désagréables et trop difficiles à lire

I. Reproduits dans les Œm'res de Lessing, éd. Lachmann, t. V, ou éd. de la Deutsche .\at. Bibl., t. IV, i.

20 LA. RENOMMEE DE MONTAIGNE

« On doit se réjouir de voir se continuer si heu- « reusement cette belle traduction d'un des plus (( grands écrivains français, qui n'a rien perdu de « sa véritable valeur, malgré le goût mobile de ses (( compatriotes, et malgré l'aspect suranné que lui « donne son langage plutôt gaulois {galllsch) que

(( français On peut affirmer, dans toute la rigueur

« des termes, que vous n'avez rien lu de beau d'un « Français, si vous n'avez pas lu Montaigne. »

(( Belle traduction >, c'est trop dire. Il serait facile, et long, de relever les inexactitudes et les omissions deTitius, mais, en somme, l'œuvre estconsciencieuse, et même elle ne manque pas de passages heureux. Alors qu'il s'agit d'un des auteurs les plus malai- sément traduisibles qui soient au monde, c'est le cas d'invoquer, au bénéfice de Titius, le précepte de Baltasar Graciân : « Le sage estime volontiers, (( parce qu'il sait ce que les choses coûtent à les <( faire bien, « (lo que ciiestan las cosas, de hucerse bien. Oraciilo Manual, igô). On éprouve même un étonnement presqu'admiratif si l'on songe à la jeunesse de Titus, et à sa qualité de scientijîque. Sa traduction, quoique n'ayant pas obtenu les honneurs de la réimpression, a certainement contribué d'une manière efficace à propagerMontaignc en Allemagne, pendant les quarante ans qui se sont écoulés jusqu'à la traduction de Bode.

Ce qui confirme les progrès de la renommée de Montaigne, c'est que son Voyage, publié pour la première fois par Querlon en 1774, fut traduit

EN ALLEMAGNE 21

(anonymement) à Halle, dès 1777. Cet ouvrage ne pouvait que plaire à l'Allemagne, en raison des appréciations favorables que Montaigne émet sur les coutumes, la police et l'édilité du pays.

Il est évident, néanmoins, qu'à celte époque l'in- térêt du public allemand était beaucoup moins sol- licité par Montaigne que par Voltaire, d'Alembert, Diderot, Rousseau. Ainsi, le grand Frédéric n'avait pas les Essais dans sa bibliothèque privée, exclusi- vement française, et riche en auteurs du xvii" et du xvin^ siècle. L'époque antérieure n'y est repré- sentée que par Brantôme (i).

Ainsi encore, Lichtenberg, assez grand liseur, qui cite fréquemment nos Encyclopédistes dans ses Aphorismes et s'en inspire parfois, n'a eu que peu de commerce avec Montaigne, malgré certaines affi- nités d'esprit qu'il semblerait avoir avec lui. D'après une note de ses Cahiers, Lichtenberg ne s'est procuré un exemplaire de Montaigne (en français probable- ment) qu'en 1779, c'est-à-dire à l'âge de 87 ans. La principale et presque la seule réflexion que sa lec- ture lui ait suggérée, est celle-ci : « Parmi tous les u chapitres que nous a laissés cet agréable bavard IV de Montaigne (angenehmer Schwâtzer), celui qui " traite de la mort a toujours été, malgré d'excel- « lentes pensées, celui qui m'a plu le moins. On y (( voit, à travers tout, que ce brave philosophe a (( très peur de la mort ; par l'énorme anxiété avec

I. Voir Bûsching, Character Friedrichs des Zweilen. Halle, 1788.

LA RENOMMEE DE NFONTAIGNE

<( laquelle il en tourne et retourne la pensée jusqu'à <( faire des jeux de mots, il a donné un très mauvais <( exemple. Celui qui vraiment n'a pas peur de la « mort ne s'avisera guère d'invoquer à son sujet « les mesquines consolations qu'apporte ici Mon- « taigne (i). »

A ceux que choquerait cette appréciation ou boutade, il est à propos de rappeler que Brunetière a dit, encore plus sévèrement : « Ce frisson de la « mort n'est pas un sentiment très noble. Et pour- (( tant c'est cette crainte qui hante Montaigne (2). »

Le mot célèbre : « Chaque homme porte la forme (( entière de l'humaine condition » {Essais, III, 2) était sans doute présent à la pensée de Lichtenberg, lorsqu'il écrivait l'aphorisme suivant, dans lequel on peut voir un judicieux amendement de la for- mule trop absolue de Montaigne : « Dans chaque (( homme, il y a quelque chose de tous les hommes. <( C'est un principe auquel je crois depuis fort <( longtemps ; quant à sa démonstration complète, (( on ne peut, il est vrai, l'attendre que de la sincère <( description de soi-même, à supposer d'ailleurs <' qu'elle fût entreprise par un grand nombre de per- (( sonnes. » {Vermischle Schriflen, I, p. 170).

On remarque dans les Crt/ife;'5 de Lichtenberg une note faisant allusion à un plagiat qui aurait été commis par Zimmermann aux dépens de Mon- taigne : « Dans la Bibliothèque universelle allemande ,

I. Vermischte Schriften, I, p. 286. éd. Gôttingue, 184/1. 3. Histoire de la UUérature française, I, p. 60S.

EN ALLEAIAOE 2D

t( il est dit, à propos du comple rendu d'un ouvrage « d'éducation, que Zimmermann aurait emprunté à <{ Montaigne la matière de son livre sur la Solitude. »

En se reportant à la Bibliothèque Universelle (année 1790, t. I, p. 220), on y trouve une courte notice signée Sw. (initiales usitées par le Pasteur Hupel), sur une brochure pédagogique publiée par un instituteur Esthonien. Nous en extrayons, un peu abrégé, le passage dont il s'agit : c Pourquoi « l'auteur tire-t-il une si profonde révérence devant

« tout auteur qu'il cite ? Ainsi, il proclame son

« admiration pour le livre du Chevalier de Zimmer-

« mann sur la Solitude A-t-il bien réfléchi ?

« Et si de pareils éloges étaient justifiés, Montaigne « devrait y être associé, car c'est à lui que Zimmer- (( mann a emprunté, pour la plus grande part, la <( matière de son livre. »

Cette accusation est mal fondée, inexcusable même. Elle s'explique uniquement par les antipa- thies que Zimmermann s'était attirées en raison de ses polémiques violentes., de son humeur irri- table et de sa vanité. Certes, nous n'alfirmons pas absolument que si l'on examinait à la loupe son traité volumineux, suranné, déplaisant par de sottes diatribes contre les ordres religieux, on ne réus- sirailpas à y découvrir quelques légers échos de Mon- ??<*■*<' taigne. Mais, dans l'ensemble, le plan et les dévelop- pements de Zimmermann n'ont rien de commun avec le petit chapitre des Essais : De la Solitude. Il V a même une dissemblance fondamentale entre les

24 LA RENOMMEE DE MONTAIGNE

deux auteurs. Le goût de Montaigne pour la soli- tude, relative et intermittente, n'a rien que de très normal : c'est simplement celui du sage, c amant des loisirs studieux ^ comme on disait jadis. Zim- mermann est un solitaire plus absolu. C'est même un hypocondriaque assez caractérisé : lui-même paraît s'en rendre compte, puisque son livre est^ en partie, celui d'un médecin qui analyse les pen- chants à la solitude, et qui cherche à déterminer, au point de vue pathologique, ses avantages et ses inconvénients.

Dans le camp des adversaires de VAiiJkUirung^ Montaigne compte en Hamann (1730-1788) un ami assez inattendu de prime abord. Entre le grand Péri- gourdin et le (' Mage du Nord », passionné, biblique, mystique, oraculaire, les contrastes abondent et sautent aux yeux. Mais Hamann était un grand Biicherwurm (comme il le dit dans une lettre à Lavater). et très éclectique dans ses lectures. 11 possé- dait parfaitement la langue française, dont il s'est servi pour plusieurs de ses opuscules. De plus, il y avait tout au moins un point sur lequel il pouvait fraterniser avec Montaigne : la méfiance et le mépris de la raison. Il a donc pratiqué les Essais avec une certaine persévérance. Il cite ou mentionne Mon- taigne, à maintes reprises, dans ses écrits ou sa correspondance (i), en lui accolant des épithètes sympathiques : « le vieux, l'honnête, le sage {der

I. Voir Unger (Rudolf), Hamann und die Aufklarung. léna, 1911.

EN ALLEMAGNE 2D

« aile, ehrliche, weise, kluge), le bonhomme Mon- (( taigne » (sic, dans l'opuscule en français : Le Ker- mès du \ord).

Donnons seulement la citation la plus impor- tante, dans laquelle Montaigne est invoqué à l'appui d'un assaut contre la morale rationaliste. Ilamann dit : (I Car l'obéissance par saine raison, que Ion u essaie d'ériger, est une exhortation à la rébellion « manifeste : c'est rompre les liens de toute subordi- « nation , celle-ci n'étant pas possible sans reniement « et soumission de la raison ; et la vraie raison ne (( doit montrer sa santé et sa force que par la « pratique et l'accomplissement des lois, sans sub- « liliser sur leur convenance. Si lu juges la loi, (( lu n'es pas ohservaleur de la loi, mais lu l'en Jais le " Ji^O^ (Epitre de Jacques, Y, ii)(i). » Et, dans une note que nous abrégeons, Hamann reproduit les opinions conformes de Montaigne : « On cor- rompt lofRce du commander, quand on y obéit u pardiscrélion,nonparsubjection (1,17). La reli- « gion chrétienne a toutes les marques d'extrême (( justice et utilité, mais nulle si apparente que « l'exacte recommandation de l'obéissance du magis- « trat et manutention des polices... Car qui se mêle « de choisir et de changer' usurpe l'autorité de « juger... » (1,23).

L'apparition de la traduction de Bode, dans les années 1793 et suivantes, peut être considérée

I. Zweifel und EinfuUe . Œuvres de Hamann, éd. Roth, \\\ p. 333-i. "Berlin, iSai'-AS).

-26 LA RENOMMÉE DE MONTAIGXE

comme l'événement piincipal de l'histoire de Mon- taigne en Allemagne. C'est un assez curieux person- nage que Bode (Cliristoph), dont la biographie par Bottiger est insérée en tête du 6" volume de la tra- duction (i). en ï~3o dans le Brunswick, fils de pauvres paysans, jusqu'à l'Age de quinze ans il ^arda les moutons et ne reçut d'autre instruction que celle de l'école du village. Trop faible physi- quement pour être bon aux travaux agricoles (dans sa famille on l'appelait le dumme Chrisloph), il obtint d'èlre mis en apprentissage chez un musi- cien. Apres quelques années d'études musicales, soit à Brunswick, soit à Helmstœdt, il jouait non seule- ment du basson et du violon, qui furent ses instru- ments préférés, mais aussi du hautbois, de la flûte et du piano. Il fut pendant trois ans hautboïste dans un régiment hanovrien. Entre temps, il employait tous ses loisirs à'se donner une instruction littéraire, à apprendre les langues. A Hambourg, il s'était fixé comme maître de musique, instrumentiste, et parfois chef d'orchestre, il commence en 1709 sa carrière de traducteur, surtout par de petites pièces de théâtre, françaises et italiennes. Un peu enrichi par son mariage avec une de ses élèves de piano, Bode renonce à la pratique musicale pour se faire imprimeur et libraire. Par parenthèse, il se maria trois fois et eut toujours le malheur de perdre femme

I. Bottiger (Cari Aufr.), alors Directeur du <ï}-mnase de Weimar, ■devint plus tard Associé de notre Académie des Inscriptions, à titre d'archéologue.

EN ALLEMAGNE 2"]

et enfants. De 1768 à 1776. il donne les tiaductions

de Sterne, de Smollet et de Goldsmith. qui passent

encore aujourdliui pour excellentes. En 1778, il

quitte Hambourg pour AA einiar, il se consacre

dès lors aux traductions. Ce sont notamment celles

de To/n Jones, des Incas, et même des Mémoires de

Latude. Enfin, vers le milieu de l'année 1792, il

entreprend la traduction des Essais : il y travaille

treize mois sans répit, et meurt, le i3 décembre 1793,

l'ayant entièrement achevée, mais non encore livrée

à l'impression. 11 se préparait à traduire Rabelais.

en lisant Hans Sachs et les Tischreden de Luther. Sur

la manière dont Bode procédait, spécialement pour

Montaigne, Bottiger fournit des renseignements qui

peuvent être médités avec pi'ofit par les traducteurs :

« Il commençait par lire un chapitre, dans la

« vieille édition parisienne in-folio (Camusat, i635),

'< lentement et avec la plus attentive méditation

<( sur le développement des idées de son auteur.

<( Puis, il se promenait de long en large dans son

<( vaste cabinet, en réfléchissant, cette fois, à l'en-

<( semble du chapitre, de manière à s'en assimiler

<( l'esprit. Après quoi, il prenait la plume, et, avec

« l'original sous les yeux, il traduisait presque sans

« s'arrêter, sauf à laisser en blanc sur le papier

u quelques expressions ou tournures difficiles.

<( C'était son premier jet qui. lors des révisions

« ultérieures, ne subissait que rarement des modi-

Il fications essentielles. Il s'occupait ensuite de

« remplir les lacunes laissées, à quoi il n'épargnait

28 LA RENOMMÉE DE MONTAIOE

(( ni sa peine ni son temps. Souvent il passait des « heures à rechercher l'expression la mieux adaptée. (( Frisch était, en l'afTaire, son vieux et fidèle com- (( pagnon (i). Quand le travail était à ce point, il « le laissait reposer pendant quelques semaines, (I pour le soumettre enfin à une dernière révision, (( qui nétait rien moins que superficielle. »

Bode est très supérieur à son devancier Titius. Il manie la langue allemande avec plus d'aisance et de soin. Il est plus constamment fidèle à l'ori- ginal, et il s'efforce même, avec succès assez fré- quent, d'en reproduire l'allure, les tours particu- liers, les expressions populaires et jusqu'aux gas- conismes. Quant aux mots « sales et déshonnêtcs », il accueille largement les premiers ; il est plus réservé pour les seconds, qu'il transpose de la cru- dité à la grivoiserie. Il désirait, selon Bottiger, qu'une dame n'eût pas à rougir d'avoir cette tra- duction sur la tahle de son boudoir. Programme qui, à l'époque, n'était point trop difficile à remplir.

La traduction de Bode (rééditée en 1908 par Weigand et Flake) mérite donc sa réputation, qui n'a cessé de persister en Allemagne. C'est assuré- ment un des meilleurs ouvrages dans ce genre ingrat. Et Jean-Paul Richter a pu dire, sans trop d'exagération : v Bode, dont les traductions de

I. Frisch, Nouveau Dictionnaire des passagers français-allemands et allemands-français. 1712. Plusieurs fois réédité juqu'en lygS. Malgré son titre, cet ou^^age a une valeur philologique.

EN ALLEMAGNE 29

« Sterne et de Montaigne sont des chefs-d'œuvre (( de reproduction. » (Esthétique, I, § 56).

Il eût été intéressant pour notre objet que Bode eût écrit une préface, dans laquelle il aurait sans doute donné quelques renseignements, positifs ou négatifs, sur les précédents de Montaigne en Alle- magne. Mais il n'en a rien fait, de propos délibéré. Dans quelques lignes familières à son éditeur, publiées en tête du deuxième volume, il dit à peu près : A quoi bon une préface ? Les mérites de Montaigne sont bien connus ; sa vie, il en raconte tout ce qui peut intéresser le lecteur. Quant à appré- cier moi-même mon propre travail [mich selbst recensiren), ce n'est pas dans mes goûts ; on est trop exposé à ces deux dangers : u L'encens qu'on « se brûle à soi-même a mauvaise odeur (Eigenloh (i stinkt), et : qui se coupe le nez déshonore son « visage. Lorsqu'un danseur dit que s'il ne danse (( pas plus légèrement, c'est qu'il a des sabots, le <i public est en droit de lui crier : Quitte les sabots « et va prendre des chaussons 1 »

Bode n'a pas perdu à ne point « se recenser » lui-même. Sa traduction n'était encore publiée qu'à moitié lorsqu'une série d'articles aussi élogieux qu'approfondis lui fut consacrée dans VAllgeineine Literalur-Zeitung , d'iéna (n"' go, 96 et 290, du 20 mars et du 3 septembre 1794), le journal le plus autorisé de l'Allemagne littéraire et savante, l'or- gane des partisans de la philosophie Kantienne. Selon l'usage, ces articles ne sont pas signés, pas

3o LA nCNOMMÉE DE MONTAIGNE

même d'initiales; mais il semble, d'après quelques indices, qu'ils sont attribuables à Schùtz (Christian Gottfried), directeur du journal et professeur de philologie ancienne à l'Université d'iéna. L'auteur paraît familiarisé avec Montaigne ; il le goûte sans réserves, excuse ses licences en matière de morale, et refuse de s'associer aux critiques partiales {ein- seiiig) d'un Balzac, d'un Malebranche, et même d'un Pascal et d'un Bayle. Il est très flatteur pour Bode, ce qui ne l'empêche pas de relever quelques menues erreurs, en philologue expert et qui a comparé plu- sieurs éditions des £'55«w. Pour mieux faire ressortir le mérite de la traduction Bode, il en publie de longs extraits et place en regard le texte de Montaigne et celui de Titius. Il se plaît notamment à montrer la dextérité avec laquelle Bode s'est tiré de certains passages scabreux, de ceux entre autres Mon- taigne (I, 11. De la Force de l'Imagination) disserte sur « l'indocile liberté » de nos membres. Cette dextérité étant assez loin de ressembler à de la timidité, nous nous abstiendrons de reproduire ce spécimen des équivalents de Bode, de ses trans- positions empruntées parfois au langage de la musique.

Pendant la période qui a été appelée l'âge d'or de la littérature allemande, Montaigne a compté des admirateurs illustres et qui, le plus souvent, le lisaient dans l'original.

Herder n'a pas ignoré Montaigne, qui peut-être lui avait été signalé par Hamann. Mais il semble

EN ALLEMAGNE 3l

ne s'y être intéressé que sur un point particulier. Dans sa préface des Volkslieder (1779), il cite ce passage des Essais (I, 54) : « La poésie populaire « et purement naturelle a des naïvetés et grâces par « elle se compare à la principale beauté de la poésie « parfaite selon l'art. » Herder ajoute que ce témoi- gnage sur les Volkslieder suffit à lui seul, sans qu'il soit besoin d'en invoquer d'autres. Il s'est occupé aussi de Montaigne pour traduire en vers la chanson de la couleuvre ; mais celte traduction est restée dans ses papiers et n'a été publiée que longtemps après sa mort (i). Son principal mérite est d'être plus fidèle que celles de ses devanciers.

Mentionnons à ce propos qu'entre Hofmanns- waldau et Herder s'est placé un autre interprète de la même chanson, Ewald de Kleist (17 15-1749), dont la version est en petits vers agréables, mais qui rem- placent par une élégance un peu mièvre la saveur primitive de l'original.

Goethe racontant qu'à Strasbourg il se détourna de la langue française, dit qu'en sa première jeu- nesse Montaigne, Amyot, Rabelais, Marot étaient ses amis et excitaient sa sympathie et son admira- tion {Dichtung iind Wahrheil, 111, i). Montaigne n'a pas été pour lui un livre de chevet ; Gœthe n'en a jamais eu, et pour maintes raisons ne pouvait en avoir aucun. Toutefois, ses œuvres témoignent, à diverses époques, qu'il n'a pas oublié Montaigne

I. couvres de Herder, dans la Deutsche .\ational Bibliothek, tome 7^, 2' partie.

32

LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

ot qu'il lui a conservé les mêmes scnlimcnls. En 1783, il publie dans le Tiefurt,er Journal la tra- duction, en vers trochaïques non rimes, des deux chansons des Cannibales : « Kommt nur kilknlich, <( Kommt nur aile ! )) (a Qu'ils viennent hardiment tré- <( tous.... )■)), et : nSchlange warte, luarte Schlange{i) ! Il reviendra sur celte dernière chanson pour en faire une seconde version, plus libre, mais plus ciselée, qui sera insérée en 1826 dans Kunst und Aller thum (V, 3).

Citons ce modèle de tradaction poétique :

Schlange, halte slille !

Halte slille, Schlange !

Meine Schwester ivill von dir ab

Sich ein Master nehmen ;

Sie ivill eine Schnar inir flechlen,

Reich and tant, wie du bisl, Das ich sieder Liebslen schenke. Tnigl sie die, so wirsl du Immerfort vor allen Schlangen Herrlich schôn gepriesen.

Enfin Gœthe, en 1822, a consacré, d'une manière un peu imprévue, une assez longue mention à Montaigne voyageur, dans sa préface au livre inti- tulé Der deulsche Gll-Blas, de Johann Christoph Sachse (2). A propos de la sincérité, de la naïveté dont cet ancien ouvrier et domestique fait preuve dans le récit de ses pérégrinations, Gœthe en vient au voyage de Montaigne, et regrette qu'un ouvrage si curieux n'ait pas été accueilli avec une attention suffisante, même en France. Il résume ainsi ce qui en fait, à ses yeux, la valeur principale : « Montaigne,

1. Ed. de la Deutsche Nat. Bibliolhek, vol. 8i, ii.

2. Id., vol. ii3.

EN ALLEMAGNE 33

u un chevalier plein de fidélité et de zèle pour « léglisc romaine comme pour la royauté, enlre- K prend son voyage huit ans après la Saint-Barthé- (' lemy ; et il recherche avec empressement, en Alle- « magne, de libres entretiens avec les catholiques a aussi bien qu'avec les pasteurs et instituteurs (( protestants sur les divergences de croyances et « d'opinions religieuses ; il se sert, à cet effet, de la « langue latine qui lui est familière. Et alors, quoi- w que tenant fermement à certains préjugés, à « certaines habitudes, il considère avec l'esprit le « plus libre, avec la justice et l'équité la plus (( sereines, des états de choses si étrangers pour (( lui, et il sait à tel point les apprécier qu'il préfère « entièrement les mœurs et façons allemandes à « celles de la France, soit pour les édifices, le mobi- (( lier, les domestiques et la table, soit aussi pour « les règlements de police et la propreté. ))

Il faudrait parler longuement de Gœthe, si on partageait l'opinion à laquelle un érudit très esti- mable s'est laissé entraîner par son zèle pour Montaigne. Dans son Introduction aux Essais (i), M. Edme Champion compare Montaigne à Faust: (' Il aspirait, comme Faust, à une vie moins uni- « forme, moins languissante, sans cesse variée. Le « besoin de goûter jusqu'en ses derniers jours <i une perpétuelle variété des formes de notre na- II tare, l'avidité de voir des choses nouvelles et

I. Paris, ir)oo.

34 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

(( inconnues portaient témoignage d'inqaiéladc »>

Non content d'avoir découvert cet écho général, M. Edme Cliampion précise deux échos particuliers. Le premier, au Prologue dans le Ciel : « Ihn Ireibl die (( Gdhrung in die Ferne... L'inquiétude le pousse (( dans l'espace ; il connaît à moitié sa folie : il deman- (( de au Ciel les plus belles étoiles et à la terre les plus u sublimes jouissances ; et tout ce qui est proche, « tout ce qui est éloigné ne satisfait point son cœur « profondément agité. » Trad. Porchat). M. Edme Champion ajoute textuellement, et sans plus : <( Ce (( que Méphistophélès dit de Faust est la traduction « presque littérale de ce que Montaigne dit de lui- « même dans son livre III. Ceci également : « Ihm « liai das Schicksal einen Geisl gegeben... ->. Le sort « lui a donné un esprit qui se porte sans cesse en « avant avec une ardeur indomptable, etc. » {Faust, Cabinet de travail.)

Passons ; c'est simplement un cas de ce que Faguet appelait a la manie du rapprochement ". Chose curieuse ! M. Edme Champion n'est pas tout à fait seul à avoir rapproché Goethe et Montaigne. Dans le Montaigne de Guillaume Guizot, recueil posthume d'études et fragments (i ), on lit cette réflexion, isolée et dépourvue de tout commentaire : « Montaigne est une espèce de Goethe superficiel ». On ne peut savoir, si c'était une idée en germe, que l'auteur eût déve- loppée, ou une boutade fugitive qu'il eût suppri-

I. Pari?, i8t)f).

EN ALLEMVGNE 35

mée, sil lui avait été donné d'achever son œuvre.

M'"" de Staël a écrit : d L'esprit de Jean Paul <( ressemble souvent à celui de Montaigne » {De VAllemagne. II, 28). En s'y appliquant, on décou- vrira toujours et partout des ressemblances qui échappent aux yeux ordinaires I II faut accorder, sans doute, que Montaigne et Jean Paul ont un point commun : la manière décousue, le dédain de la composition. Ce qui ne leur est nullement spécial. Mais, à part cela, quelle comparaison est-elle pos- sible!' Et si Montaigne avait vécu deux siècles plus tard, quel cas aurait-il fait du Titan, et même des Flegeljahre^yi""' de Staël n'aura procédé ici que par vague intuition, méthode plus brillante que sûre. Jean Paul Richter ne paraît même pas avoir réservé à Montaigne une part privilégiée dans son immense lectuie. 11 en fait pourtant, i?i et là, de rares men- tions ou citations, sans importance. Notamment, une de ses héroïnes du Titan (lY, m), Linda. qui ne lit que des auteurs fiançais, a sur son étagère Mon- taigne, à côté de La Vie de M'"" Gayon, du Contrat social et de L'influence des passions, par M""" de Staël. Sélection pleine de contrastes, comme lame de celte ïitanide 1

Est-il nécessaire de dire que Montaigne ne mérite, à aucun degré, le titre de précurseur de Kaut ? Il vise à démontrer l'impuissance de la raison hu- maine : Kant, à mesurer exactement sa puissance, ^lontaigne raille et méprise l'instrument ; Kant l'analyse, le définit, et enseigne la manière de bien

36 I^ V RENOMMÉE DE MONTAIGNE

s'en servir. Tout ce qu'on peut noter, c'est que Kant connaissait Montaigne. Dans sa Crilique de lu raison pratique (Livre I, ch. i). il inscrit « L'éducation d'après Montaigne » parmi les principes empiriques de la moralité, c'est-à-dire parmi ceux qui sont incapables de fournir le principe universel de la moralité.

Citons aussi ce passage de V Anthropologie : « La (( crainte de la mort, naturelle à tous les hommes, « aux plus malheureux comme aussi au plus sage, « n'est donc pas l'effroi de mourir ; mais, comme « le dit avec raison Montaigne, c'est l'effroi causé (( par la pensée d'être mort. Car le candidat de la (( mort s'imagine qu'il aura encore cette pensée (( quand il ne sera plus qu'un cadavre ». A la vérité, dans ses fréquentes réflexions sur le sujet, Montaigne a généralement attribué la peur de la mort à l'imagination de ce qui la précède, dou- leur, apprêts, bien plutôt que, comme Kant le lui fait dire, à la pensée de ce qui la suit. Pourtant, on peut relever ces mots à l'appui du sens en question : (' >>i ce qui va devant, ni ce qui vient après, n'est « des appartenances de la mort, o (Essais, I, i4).

En résumé, aux confins du xvni*' et du xix'' siècle Montaigne était très répandu dans les milieux lettrés. On en voit la preuve dans un mémoire lu à l'Aca- démie de Berlin, le 3o juin i8o3, par Jean Bastide, magistrat, philologue amateur, issu d'une famille de réfugiés. Ce mémoire (en français, selon l'usage de l'Académie à l'époque) est intitulé : Montaigne

EN ALLEMAGNE 87

commenté à neuf. L'auteur s'y livre exclusivement à des observations de détail, philologiques ou fami- lières, sur divers passages des Essais, sans considé- rations ou remarques générales d'aucune sorte sur Montaigne et son livre, ce qui montre qu'il les tient pour parfaitement connus des auditeurs.

Au xix" siècle, surtout dans sa dernière période, le développement des études historiques et critiques suscitera en Allemagne un nombre assez important de travaux relevant de la Montaignologie. Mais on ne rencontrera que peu d'écrivains ayant pratiqué Montaigne sans un but spécial d'étude, par plaisir, p/*o remedio animée , éventuellement pour y trouver quel- que aliment de leur pensée. Il est clair, en effet, que Montaigne était trop prosaïque pour les roman- tiques de toutes écoles, et trop inactuel pour les Tendenzdichter . Puis, et ceci peut se dire aussi pour la Fi'ance : à une époque le champ des lectures s'est singulièrement agiandi, et oîi, d'autre part, les conditions delà vie ne laissent plus les mêmes loisirs que jadis, il ne saurait y avoir, en dehors des spé- cialistes, que peu de personnes qui aient le goût et le temps de s'adonner à un vieil auteur, volumineux, touffu, archaïque. Et, le plus souvent, ces amateurs se recrutent parmi des gens qui ne font pas profession d'écrire et demeurent inconnus.

Parlons d'alîord des écrivains qui ont été, non des commentateurs, mais de simples amis ou lecteurs de Montaigne, plus ou moins désintéressés. Si cette catégorie est peu nombreuse, en revanche elle

38 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

compte deux noms célèbres : Schopenhauer et Nietzsche.

Parmi les auteurs français que Schopenhauer a lus et cités avec prédilection, Montaigne, trop opti- miste sans doute, est primé par Aollaire, Helvétius, Chamfort, mais il vient encore en bon rang. Scho- penhauer le lisait dans l'original, puisqu'il dit inci- demment : « Motif oigne ist ganz lesbar. » Il se plaît à constater que Montaigne a été un grand dormeur, comme c"est le besoin des cerveaux les plus déve- loppés et les plus actifs. Ailleurs, il renvoie aux réflexions que Montaigne fait dans le même sens que lui sur l'amour, v vaine occupation, messéante, « honteuse ». {Essais, TU, 5). Enfin, dans \e Fonde- ment de la morale, à l'appui de sa thèse que le caractère inné est le facteur essentiel de la moralité, il cite ce passage des Essais (11, ii) : c Serait-il vrai (( que pour être bon tout à fait, il nous le faille être « par occulte, naturelle et universelle propriété» « sans loi, sans raison, sans exemple^ (i) »

On lit dans Léopold de Ranke une remarque in- téressante, et qui devait avoir à l'époque (i852) un mérite de nouveauté qu'elle a peut-être perdu depuis lors : « Montaigne n'a pas représenté l'homme en « général, mais le Français avec tous les doutes et ti toutes les erreurs qui l'oppressent, avec les jouis- « sances qui le charment, avec les vœux et les espé- « rances qu'il nourrit, avec tout son être si vif

I. Schopenliauer, éd. GriscLach, IT, page i^G. II, p. aS'j. III, p. GSa.

EN ALLEMAGNE 3ç)

« d'esprit et de sensualité. » {Franzosische Geschichte, tome [, p. 277.)

L'éminent historien auiaitdû, sans doute, ajouter qn'un esprit tel que celui de Montaigne dépasse à maints égards les bornes de sa nation, de son temps, de sa caste. Toutefois, on ne saurait refuser à sa remarque une part de A-érité.

Le poète et romancier zurichois Conrad Ferdinand Meyer (1825-1898) a eu l'idée originale d'introduire Montaigne comme personnage épisodique dans sa nouvelle historique : Das Amiilet (1873), dont le mérite serait plus grand si elle n'imitait parfois d'un peu près la Chronique de Charles IX, de ^lérimée Nous y voyons Montaigne à Paris, peu de jours avant la Saint-Barlhélemy, en visite chez son ami Châtil- lon, calviniste, conseiller au Parlement. Montaigne, sur le point de regagner le Périgord, redouble d'ins- tances pour l'emmener avec lui dans son château, ils liront Horace ensemble. Y a-t-il une con juration en train contre nous autres Huguenots, lui demande-ton ? Pas que je sache, répond Montai- gne, mais Aous avez contre vous les quatre cinquiè- mes de la nation ; aous voulez les contraindre à ce qu'ils ne veulent pas, c'est-à-dire à la guerre en Flandre ; cela rend l'atmosphère orageuse. « Et, u ne vous formalisez pas, si je vous dis que, vous « autres Huguenots, vous manquez au premier prin- « cipe de la sagesse dans la vie, à savoir qu'il ne « faut pas offenser le peuple au milieu duquel on vit, (( en méprisant ses coutumes. » c< Rangez-vous la

^O I.A RENOMMEE HE ArONTAIGNE

« religion parmi les coutumes d'un peuple ■* -), lui demande avec indignation un jeune calviniste pré- sent à l'entretien, a Dans un certain sens, oui, (( réplique Montaigne, mais, cette fois, je ne pensais <( qu'aux usages delà vie quotidienne. Aous, Ilugue- (( nols, vous portez des vêtements sombres, vous « arborez une mine sévère, vous ne comprenez u aucune plaisanterie, et vous êtes aussi raides que (( vos cols. Bref, vous faites bande à part, et cela (( ne se pardonne pas, dans une capitale pas plus « que dans un village, d

Nietzsche est un des plus fervents admirateurs que Montaigne ait jamais eus. A la lin de décembre 1870, c'est à-dire à l'âge de vingt-six ans, étant à Tribschen (près Lucerne) chez Richard Wagner, il écrit à sa mère et à sa sœur que ses hôtes lui ont donné en cadeau de Noël « une magnifique (( édition complète de Montaigne que je vénère. « {Den ich selir verehre) ( i ) . »

A travers les évolutions successives de sa pensée, Nietzsche restera toujours fidèle à Montaigne. Dans son dernier ouvrage : Ecce liomo, composé en octobre-novembre 1888, soit quelques semaines avant le naufrage de sa raison, il écrit : c( Au fond, « c'est à un petit nombre de vieux auteurs français <( que je reviens toujours ; je ne crois qu'à la cul-

« ture française Si j'ai quelque chose de

(( l'humeur capricieuse {Muthwille) de Montaigne

1. Probablement rédition J V. Le Clerc: Paris, i8G5-i80G, 'i vol. 8°.

EN ALLEMAGNE 4l

« dans l'esprit, et qui sait ? peut-être aussi dans le

« corps , cela n'empêche pas les plus récem-

« ment venus parmi les Français d être aussi une <( charmante société pour moi. »

On voit combien Nietzsche s'exagérait ses affinités avec Montaigne, dont il n'avait certes pas la nature saine et pondérée.

En 1874, l'admiration de Nietzsche pour Mon- taigne est dithyrambique : u Je ne connais qu'un « seul écrivain que, sous le rapport de la probité, <i je place au rang de Schopenhauer, et même plus « haut : c'est Montaigne. Qu'un tel homme ait « écrit, vraiment le plaisir de vivre sur cette terre i' en a été augmenté. Pour moi du moins, depuis (( que j'ai fait connaissance avec celte àme si libre " et si puissante, j'en suis venu à tel point que je <( dois dire ce que lui-même dit de Plutarque : c Je ne « le puis si peu raccointer que je n'en tire cuisse ou « aile (i). » C'est à son côté que j'irais me ranger s'il « fallait réaliser la tache de s'acclimater sur cette <■ terre. Schopenhauer a encore, outre la probité, <; une autre qualité en commun avec Montaigne : <( une gaieté franche et communicative. Aliis hiHas, <( sibi sapiens. « {Schopenhauer als Erzieher, § 2).

C'est un témoignage à opposer à J.-J. Rous- seau qui dans un passage bien connu des Conjes-

i. Nous rétablissons le texte de Montaigne, sur lequel Nietzsche a

commis le contre-sens suivant : « que je ne me sente une jambe

« ou une aile de plus (so ist mir ein Bein oder ein Flii'jel iiewachsen). » Ce centre-sens n'existant ni dans Titius. ni dans Bode, il en résulte que, cette fois. Nietzsche avait exclusivement recouru à l'original.

Ii2 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

sions, dénonce la fausse sincérité de Montaigne.

Un ou deux ans plus tard, Nietzsche évoque Mon- taigne dans des pages il préconise l'élude de la philosophie et de l'histoire en tant que moyens d'ar- river à une sagesse supérieure : « Ce que Montaigne « est seul à représenter au milieu des agitations de « l'esprit de la Réforme, le repli et le repos en soi- « même, une façon d'être paisiblement à soi et de « reprendre haleine et c'est ainsi que l'a certai- (( nement compris son meilleur lecteur, Shakespeare « , c'est ce que l'histoire est maintenant pour (( l'esprit moderne. » (Richard Wagner in Bayreuth, §3.)

Sans épuiser la liste des passages oii Nietzsche a parlé de Montaigne, continuons à donner les plus significatifs, par ordre chronologique :

(( La descente dans l'Hadès. Moi aussi, je suis « descendu aux Enfers, comme Ulysse, et j'y « retournerai souvent encore ; et je n'ai pas seule- « ment sacrifié un bélier pour pouvoir parler avec « quelques morts, mais je n'ai pas non plus épargné <i mon propre sang. Il y eut quatre couples qui ne « se refusèrent pas à moi le sacrifiant : Epicure et (( Montaigne, Gœthe et Spinoza, Platon et Rousseau, (( Pascal et Schopenhauer. C'est avec eux qu'il me « faut m'expliquer quand j'ai longtemps voyagé « solitaire ; c'est par eux que je veux me faire « donner tort ou raison ; c'est eux que je veux « écouter lorsqu'à ce propos ils se donneront entre « eux-mêmes tort ou raison. » {Humain, trop Ha-

EN ALLEMAGNE /^S

îuain. II. Opinions et Sentences mêlées, n" '108. Ecrit en 1S79).

Celte sélection très éclectique et ces accouple- ments plus ou moins étranges montrent quil ne faut pas ti'op chercher à expliquer logiquement toutes les admirations de Nietzsche. Elles sont, d'ailleurs, sujettes à de brusques variations. Ainsi, après avoir bizarrement associé Platon et Rousseau, il ne tar- dera guère à témoigner à celui-ci son antipathie et son dégoût (Crépuscule des Idoles et Volonté de Puis- sance, ce qui. du reste, est beaucoup plus com- préhensible, étant donné la nature aristocratique de Nietzsche.

Dans un de ses schémas pour la Volonté de Puis- sance, tracé en 1886, il déplore chez Luther une trop grande déperdition de forces pour des problèmes insipides {abgeschmackt). et s'écrie à ce propos : « Et « cela, dans un temps 011 en France le vaillant et <i joyeux scepticisme de Montaigne était déjà pos- « sible ( 1 ) ! »

Réflexion qui semble dénoter que Nietzsche voyait Montaigne à travers des lunettes un peu spéciales, et qu'il n'en aurait pas été un exégète parfaitement sur.

Il lisait encore Montaigne, assez fréquemment, dans la dernière période de sa vie lucide, comme en témoignent plusieurs de ses lettres, et notam- ment celle-ci, écrite de Nice à Peter Gast, le 27 oc-

1. M"' FursterMeIzsclie, Vie de .\iet:scUe, U, p. 787.

ixlx LA RENOMMKE DE MONTAIGNE

tobre 1S87 : « Votre Icltrc vient de m'arriver alors « que j'étais en train de lire Montaigne, pour faire « diversion à un moment de noires lubies et de <( surexcitation. »

Par parenthèse, ce n'est pas toujours dans l'ori- ginal, mais surtout peut-être dans la traduction Titius que Nietzsche lisait les Essais. La preuve en €st que l'une au rrioins de ses citations est textael- lement empruntée à Titius ; elle concerne le pas- sage célèbre : « Les lois de la conscience que nous (( disons naître de la nature, naissent de la cou- A. tume. Etc. (i). » Autre preuve encore : dans une lettre à sa mère (de Sils-Maria, 20 septembre i884), il la prie de lui envoyer le premier volume de u son <( Montaigne allemand, en trois volumes, un vieux <( bouquin {eiii aller Schmoker). »

En définitive, faut-il conclure a une influence de Montaigne sur Metzsche ? Assurément, il n'est pas difficile de signaler entre eux un certain nombre d'analogies : scepticisme un degré très différent) ; dépréciation du remords et de la pitié ; mépris pour les caractères et les cœurs trop faibles ; médiocre estime pour les femmes en général ; l'amour placé au-dessous de l'amitié ; l'admiration pour Plutarque. Mais ces analogies, et d'autres encore qui pour- raient être invoquées, n'existent pour la plupart, et surtout pour les plus importantes, qu'à un état vague et incomplet ; elles sont, d'ailleurs, com-

I. Xach'/elassenc Werke. XIII § 789. (Aus der L'iu'ceiilumgszeit, 1882- 188S).

EN ALLEMAGNE ^S

munes à bien d'autres penseurs. 11 y a lieu de faire remarquer que, comme Montaigne a disserté de omni re scibili en matière de littérature morale, et qu'il s'est ingénié à retourner les idées dans tous les sens, on réussira presque toujours à établir des rappi'ochements, plus ou moins spécieux, entre lui et un antcar quelconque ayant touché aux mêmes questions.

Quant aux. ditlerences de fond et de forme entre Montaigne et Nietzsche, ne sont-elles pas évidentes, aveuglantes ? L'un dit : Que sais-je '? Et encore excepte-t-il de son doute la religion, la morale, la patrie. L'autre dit : Rien n'est vrai. L'un est le génie du bon sens ; l'autre, celui du paradoxe. Quant à la forme, l'un emploie le ton de la causerie ; l'autre un style sentencieux et à facettes, qui n'est pas sans rappeler le conceptismc espagnol. Et lénu- mération des contrastes pourrait être indéfiniment continuée.

Tout compte fait, il n'apparaît nullement que Nietzsche serait autre ou moindre s'il avait ignoré ou négligé les Essais. ^lontaigne a été simplement pour lui un ami. qui distrait, console, qui excite l'esprit et lui procure parfois quelques suggestions. Le parallèle que nous venons d'esquisser a été tout récemment étudié par un maître, M. Andler, qui dans ses Précurseurs de .\iel:sche consacre à Montaigne un chapitre de treize pages. La littérature comparée possède peu d'ouvrages aussi remarqua- bles, aussi attachants que celui ci ; la seule réserve

^6 LA RENOMMEE DE MOMT\IGNE

possible, c'est qu'il est parfois animé d'une ardeur comparalisle qui inquiète un peu les esprits enclins à la timidité, au minutieux souci des textes. Pour €e qui concerne Montaigne et Nietzsche, nous avons €u cependant la satisfaction de constater que nos résultats ne présentaient pas de désaccord essentiel avec ceux de M. Andler, puisqu'il conclut que la lecture de Nietzsche, « même à l'époque socratique <( et française, entre 1876 et 1882, ne laisse pas l'im- (( pression de Montaigne. » Mais si M. Andler renonce à revendiquer pour Montaigne une influence proprement dite sur Nietzsche, en revanche il voit plus que nous ne saurions le faire des affi- nités marquées et des « points de contact o entre les deux penseurs. Il estime, par exemple, que o la <( pédagogie entière de Nietzsche est imbue de Mon- <( taigne », et que u il n'y a pas un détail de l'édu- « cation rationnelle proposé par Montaigne, qui <( n'ait passé dans Nietzsche. » N'y a-t-il pas pourtant une différence capitale, sans compter les autres ? Montaigne veut que son disciple quitte l'école à quinze ou seize ans, c le demeurant étant à l'action. » Nietzsche, lui, trouve déplorable, scan- daleux (et théoriquement il n'a pas tort), qu'un jeune homme soit obligé de finir ses études et de choisir une carrière dès l'âge de vingt-trois ans, alors que <( à trente ans, on n'est encore, au point de vue <' de la haute culture, qu'un commençant, un (' enfant. » (Crépuscule des Idoles, $ 32). Ce point ne suffit-il pas. à lui seul, pour impliquer une diver-

E.N AIXEMAr;5E 4?

gcncc radicale entre les deux plans d'éducation ? En somme, tandis que Montaigne se contente de former de bons gentilshommes, Metzsche vise à produire des surhommes, des génies (au pis aller, peut être, des artistes, des hellénistes, d'éminents professeurs ; ses idées sont variables, incomplètes, et difficiles à démêler, quand il ne se borne plus à la critique négative des systèmes d'éducation).

Arrivons maintenant aux études spéciales dont Montaigne a été l'objet en Allemagne, depuis une trentaine d'années surtout. Parmi elles, on compte d'assez nombreuses disserfalions inaugurales, autre- ment dit thèses de doctorat, qu'il suffira le plus souvent de mentionner à la Bibliographie. On sait qu'en Allemagne le doctorat en philosophie n'exige pas les mêmes conditions et ne confère pas les mêmes prérogatives que notre doctorat es lettres ou es sciences. Sauf rare exception, la thèse allemande, en matière de lettres, n'est qu'une dissertation de quatre-vingt à cent pages, présentée par un étudiant âgé de vingt-trois à vingt-quatre ans : ce n'est, par conséquent, qu'un travail scolaire et non une œuvre de maître. Néanmoins, ces thèses ne sont pas à dédaigner, et, à défaut de vues larges ou originales (que le candidat parait même éviter prudemment), on y trouve presque toujours des données utiles. Ce sont, pour employer une expression bureaucra- tique, des travaux d'ordre faits avec beaucoup de soin.

Prenons d'abord les auteurs qui ont envisagé

l\8 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

Montaigne tout entier, sans se limiter ù un de ses côtés particuliers.

Dans une thèse supérieure à la moyenne (Berne, 1906), M. JNavon étudie avec sagacité les idées de Montaigne en matière de croyances, de morale, de pédagogie, etc., et leur répercussion en France et au dehors. Quoiqu'il soit très sommaire en ce qui concerne l'Allemagne, nous lui devons pourtant certaines indications.

La hrochure de M. Emile Kûhn sur l importance de Montaigne pour notre temps (Strasbourg, igo/j) est une apologie presqu'absolue de la morale et du caractère de Montaigne, avec vœu que notre époque prenne chez lui des leçons de tolérance. Précédem- ment, M. Kiihn avait publié une traduction d'Essais^ choisis de Montaigne (5 petits volumes, Strasbourg, 1900). Autant qu'il est permis d'en juger par la comparaison de quelques passages, cette traduction évite tout plagiat de Bode ; elle est plus constam- ment littérale, mais elle rappelle moins la libre et familière allure de l'original.

Comme introduction à sa réédition de Bode, M. Wilhelm Weigand, essayiste, romancier et auteur dramatique, a publié sur Montaigne, en 1908, une étude biographique et critique qui forme un véritable volume. M. Weigand est bien documenté et expose agréablement ; sa monographie peut sou- tenir la comparaison avec les meilleures de France et d'Angleterre. Mais elle n'offre que peu de contribution à notre sujet, M. Weigand estimant,.

EN AI.LEMVGXE ^9

dune manière générale, que Monlaigne n'a pas influé sur la cuUure allemande, si ce n'est par l'intermédiaire de Rousseau. Nous ne clierclicrons pas à suivre celte piste, lintluence de Montaigne sur Rousseau lui-même étant déjà si restreinte, si pro- blématique, sauf en matière de pédagogie. Ne quittons pas M. AVeigand, sans lui emprunter un <létail assez curieux, qu'il fournit d'après ses souve- nirs personnels. Dans les années qui suivirent 1870, Montaigne était très goûté par plusieurs peintres municliois, et notamment par AN ilhelm Leibl, qui disait y trouver des passages confirmant son prin- cipe de vision libre et personnelle.

Il est à remai'quer que la philosophie allemande s'est plus occupée de Montaigne que la philosophie française. Sans doute, la matière philosophique des Essais a été chez nous l'objet d'études qui paraissent l'avoir épuisée, mais leurs auteurs étaient des lettrés, tels que Sainte-Beuve, Faguet, Strowski, Yilley, Ar- maingaud. et non des philosophes proprement dits. ?sos historiens de la philosophie. Cousin en tête, hyp- notisés par Descartes, ont à peine accordé quelques mots à ^lontaigne, le considérant comme un philo- sophe mondain, qui relève de la littérature, et n'éprouvant, au surplus, ni sympathie, ni cuiiosité pour ses idées qui leur apparaissaient très analogues au pyirhonisme de l'antiquité. L'exemple de cette prétérition avait, d'ailleurs, été donné outre Rhin par ïennemann, Hegel. Dans son Histoire de la Philosophie Hegel d'.'c!are que Montaigne, Charron,

4

5o LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

Machiavel et autres hommes remarquahles de la Renaissance « n'appartiennent })as à la philosophie « proprement dite, mais à la civilisation générale. » En effet, continue Hegel, s'ils ont fourni des obser- vations et réflexions fort intéressantes sur eux- mêmes, sur la vie humaine, sur les rapports sociaux, sur le Droit et le Bien, ils n'ont pas abordé le pro- blème essentiel de la philosophie, c'est-à-dire l'étude de la pensée pure, de la pensée qui se pense elle- même.

Quoi qu'il en soit, tous les philosophes allemands ne se sont pas arrêtés à cette interprétation restric- tive. Ainsi, l'historien de la philosophie moderne, Kuno Fischer, bien que son plan Icût autorisé à passer Montaigne sous silence, lui consacre deux pages qui se résument en ces termes : Montaigne se tient au seuil de la philosophie moderne et ne le franchit pas. Celle-ci commence il finit, c'est-à- dire avec le doute fondé sur l'observation critique de soi-même, le doute qui cherche et engendre la connaissance, celui qui anime Bacon et Descartes, les fondateurs de la philosophie moderne (i).

Eucken fait une assez large place à Montaigne dans ses Vues des grands penseurs sur la vie (2). Selon lui, Montaigne est le principal représentant de l'es- prit émancipateur de la Renaissance. Dans sa critique d'une civilisation artificielle et trop rigide, dans

1. Fischer (Kuno), (leschichte der neuern Philosophie, ], Heidel- berg, 1897 (Ed. du Jubilé)

2. Eucken (Rudolf), Die Lcbensanschaïuingen der grossen Denker. 2' éd. Leipzig, 1896.

EN ALLEMAGNE

son thème que l'homme de la nature est plus heu- reux et meilleur que l'homme civilisé, l'auteur des Essais est pleinement le devancier de Rousseau. Mais la différence entre eux surgit pour le remède : tandis que le grand radical de Genève veut tout démolir pour reconstruire, Montaigne, en relativiste, se contente de prêcher l'émancipation intérieure de l'individu, et évite de porter atteinte aux institu- tions sociales. On pourrait traduire en d'autres termes la pensée d'Eucken, si on disait que chez Montaigne se retrouve la théorie sto'icienne de Véccnomie ou de l'accommodement : le sage voit les choses de ce monde avec indifférence et dédain ; mais, dans la pratique, il les respecte.

Eucken conclut que Montaigne, malgré ses grands mérites, a tort de concevoir une vie trop facile, trop eudémonique, plus préoccupée des choses de la terre que des choses éternelles, en quoi il est le repré- sentant le plus complet du Français. Les réserves d'Eucken sur la morale de Montaigne ne sont pas nouvelles : en France, depuis Pascal jusqu'à Guil- laume Guizot, elles ont été formulées souvent et avec heaucoup plus dâpreté. Quant à la personni- fication du parfait Français dans Montaigne, accep- tons-la hien volontiers. Un peuple formé à cette image n'off'rirait ni des saints, ni de purs stoïciens (où sont-ils ?), mais il se composerait d'excel- lents citoyens, honnêtes, éclairés, patriotes, tolé- rants, et, en outre, vigoureux et exercés au phy- sique.

52 L\ RENOMMÉE DE MONTAIGNE

Dans son étude sur la conception et l'analyse de r homme au XV' el au XVI'^ siècle (i ). Dilthey, profes- seur à l'Université de Berlin, classe Montaigne parmi les stoïciens, par la raison qu'au point central de sa doctrine on trouve la formule que la vertu consiste dans une vie conforme à la nature. On pourrait discuter ce classement, car si Mon- taigne dit avec les stoïciens : naturam serjni, il ne comprend pas la nature exactement comme eux. Montaigne, cest la nature au complet, selon le mot de Sainte-Beuve, tandis que les stoïciens, plaçant la nature sous la loi de la raison, en bannissent plus rigoureusement les éléments inférieurs. Toutefois, Dilthey nest pas sans avoir prévu l'objection, car il ajoute que Montaigne est un stoïcien souriant, heureux de vivre.

D'après Kreibig, auteur d'une étude historique et critique sur le scepticisme moral, Montaigne a été un des premiers à chercher une morale indé- pendante des dogmes. Cette morale, il ne trouve à la fonder ni sur l'expérience, ni sur la raison, mais seulement sur sa propre conscience, accommodée dans la pratique avec les lois et coutumes. En matière religieuse, Kreibig considère Montaigne comme un déiste sincère, par conviction théorique autant que par besoin de conscience ; mais son déisme diffère de celui qui sera professé ultérieu- rement par les Anglais : Montaigne est pour

I. Archiv fur die GescJiichte der Pltilosojdtie. 1891.

EN ALLEMAGNE 53

une religion d'autorilé, non pour une religion de raison (i).

On n'ignore pas que l'Allemagne possède une abondante liltcraturc sur la pédagogie. Il serait peu intéressant d'énumér-er tous ceux de ces écrits a été mentionné Montaigne, d'autant moins qu'il n'a exercé d'influence sur la pédagogie alle- mande que d'une manière très limitée et très indirecte, par l'intermédiaire de Locke et de Rous- seau. Nous ne signalons que les deux principaux parmi les auleui-s qui se sont spécialement occupés de lui à ce point de vue.

Raumei", dans sa grande Histoire de la Pédago- gie (2), est plus impartial, plus bienveillant pour Montaigne, qu'on aurait pu l'attendre d'un piéliste fervent. Après avoir longuement analysé et cité les pages des Essais, relatives à l'éducation, et en dernier lieu, le: « \on vitœ, sed scholse discimus », il conclut par ces mots : « Sur quoi, nous prenons (( congé de cet homme si hautement original, avisé, « ironique, qui avec son solide bon sens naturel a (I su voir beaucoup plus claiiement C[ue les savants (( figés dans leurs méthodes classiques et mortes. u Dune manière hardie et frappante, il a exprimé « ses idées sans se gêner (ungenirt), et sans se deman- (I der ce que les |)édanls pourraient en penser. » Raumer ajoute toutefois que Montaigne a du une

I. Krcibig (J. Cl.), Gcschicidc nnd Kritik des ethischcn SIccplicimus. Vienne, 1896.

3. Ranmer (Karl von), Gesc/i/c/i/f der P(ida<jo<jie, I. Stuttgart, i8^3- 18.^7.

O.'i L\ RENOMMEE DE MONTAIGNE

partie de son succès à sa légèreté, à sa frivolité épicuriennes : c Nous avons toujours aflaire à un « homme qui peut instruire beaucoup, mais qui (( peut non moins égarer. »

Le professeur de théologie à Leipzig, Baur (Gus- tave), donne à peu près la même note. Montaigne, dit- il, met en théorie l'éducation qu'il a reçue lui-même, soit une éducation individuelle, agréable, physique. « Toutes ces revendications étaient fondées vis-à-vis (I de l'esprit trop exclusif qui régnait dans l'éducation (( d'alors ; mais son zèle d'opposition l'a entraîné {( bien souvent au delà des bornes de la vérité et « vers l'extrémité contraire : l'enseignement dégé- « nérait en jeu (i ) )k

Reste à parler des publications allemandes sur l'influence de ^lontaigne dans la littérature anglaise. La question Montaigne-Shakespeare est un exemple mémorable des abus que peut entraîner la chasse aux emprunts, verbaux ou intellectuels, lorsqu'elle est pratiquée avec la passion d'un sport. La manie d'attribuer à Montaigne une influence considérable sur Shakespeare a peut-être débuté en France, avec Philarète Chasles, qui affirmait, en i846 : (( retrouver (I Montaigne à tout bout de champ dans Hamlet. (I dans Othello, dans Coriolan (2) ». Mais, c'est en Angleterre que la thèse de Montaigne inspirateur de Shakespeare a rencontré ses principaux défen-

1. lîaur (Gust.), GrundzUge der Erciehungslehre. Giessen, 1887.

2. Pli. Chasles. Shakespeare traducteur de Montaujne. Etude publiée d'abord dans les Débats du 7 novembre iSiO, reproduite dans L'Angleterre au \1 1' siècle (Paris, 1S79),

EN ALLEMAGNE 00

seurs. notamment Jacob Fcis. le plusexagéré, et John M. Robeitson. moins extrême. On a plaisir à voir que la critique française, malgré la séduction oflcrle à l'amour-propre national, a fait preuve d'une réserve prudente et scientifique. MM. Paul Stapfer, Jusserand et Villey s'accordent, à très peu près, dans les conclusions suivantes : ce qu'il y a seule- ment de certain, c'est que Shakespeare a plus ou -moins lu Montaigne-Florio. et qu'il a paraphrasé, dans le deuxième acte de La Tempèle, quelques lignes du chapitre Des Cannibales. Tout le reste n'est que rapprochements très douteux ou purement fantai- sistes, comme on pourra toujours en faire entre auteurs . dissertant sur des lieux communs ausssi vieux que l'humanité.

Mais nous n'avons à nous occuper ici que de la part prise au débat par l'Allemagne. Dans les Sha- kespeare-Slndien d'Otto Ludwig. recueil posthume de notes et réflexions écrites poui- lui-même pendant les années de 1860 à iS65 (publié en 1872), on lit : (I Shakespeare et Montaigne ont dans leurs raisonne (I ments une ressemblance remarquable, qui peut is s'expliquer soit par le fait cju'ils sont presque con- <( temporains. soit, en partie, par la connaissance «que Shakespeare aurait eue des œuvres de Mon- « taigne. Chez Montaigne aussi, on trouve ce sang- « froid dans la réflexion, qui caractérise la santé de ti l'esprit ; de même, il rappelle Shakespeare et les « anciens en ce qu'il prend comme base impertur- « bable l'expérience et la réalité. Un drame de Sha-

56 L\ r.E>OMMtE DE MONTAIGNE

« kcspeare n'cst-il pas, en quelque sorte, un essai de « Monlaignc, mis sous forme d'action et de dialo- « gue ? Combien lechapilre 20 du livre premier que u philosopher c'est apprendre à mourir) ne fait-il pas u songer à Hamlet '? Le : c être prêt, c'est tout, the (I readi/iess is uU » Hamlet, V, i* sonne à chaque (( phrase de Montaigne comme un refrain qui trouve « écho dans notre âme. Maints passages d"//fl/??/('/ : d si « ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain >>, etc. (( sont comme transférés de cet E-s-sa/ dans la tragé- u die. Comme l'avoue Montaigne, c'était sa con- « sidératioii favorite. Ce serait, tout de même, « bien curieux es ivdre doch ivunderbar), si ce Mon- « laigne, c'est-à-dire Montaigne tel qu'il se dépeint <( lui-même dans les Essais, était le prototype « d'IIamlet, et si l'objet du poète avait été de mettre (( en lumièie la destinée typique d'un homme ainsi « conditionné. En effet, la réllexion dans Hamlet 0 est la représentation d'un personnage réfléchis- « sant : ce n'est pas la réllexion cle Shakespeare. (( mais c'est la représentation de la réflexion en géné- « rai. Tout comme Shakespeare, dans d'autres pièces,^ « areprésentéd'autres passionsetd'autresétatsd'àme, « en les objectivant dans un personnage, de même « a-t-il procédé ici pour la réflexion devenue un élatdes (V passions. Quand il veut montrer comment l'excès « de réflexions et lairaissement de l'activité par « l'abus de la spéculation peuvent conduire à sa perte (( l'homme le mieux doué par la nature et le plus « favorisé par la fortune, eh bien I il doit figuier

EN ALLEMAGNE 07

(( dans un personnage cet excès de réflexions cl cet « abus de la spéculation. Et, effectivement, ce n'est a pas la philosophie de Shakespeare, mais celle « d'Hamlet, ou si Ton veut, celle de Montaigne. Sha- « kespeare n'est pas lui-même Hamlet. Il en est u le créateur dramatique. »

Ludwig, dans cette petite dissertation, avait pour propos essentiel dargumenter en faveur d'un de ses thèmes favoris : il est bon d'employer la réflexion dans le drame, pourvu quelle soit dramatique^ naturelle ; elle doit être celle du personnage, et non celle de l'auteur. Mais, en même temps, il suggérait le paradoxe d'identifier Hamlet avec Montaigne, et il paraît bien en avoir la priorité.

En 1871, Stedcfeld (F.), Conseiller de Justice mi- litaire, publiait un petit livre (i) (qui semble être son unique ouvrage, en dehors dune ou deux bro- chures édifiantes.) dans lequel il soutenait la thèse suivante. Shakespeare a écrit IJ amie t pour se libérer des fâcheuses impressions causées sur lui par la lecture de Montaigne, et pour faire l'apologie d'un christianisme pratique, flamletest. comme Monlai- g"ne, le type du sceptique. Il manque de piété chré- tienne, de foi, d'amour, d'espérance. Ses mots : « The rest is silence » prouvent qu'il n'attend pas une vie future. Ne croyant pas à un Dieu qui régit le monde, à un ordre moral dans l'univers, il doit fatalement succomber, quelle que soit la justice de sa cause.

I. Sledefeld (F.), Ilamlel. ciii Tcndaizdraina Shakespeare s.

58 LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

Un écrivain anglais (d'origine h a m bourgeoise), Jacob Fcis, a repris celte thèse, en la modifiant plus ou moins, et en restant mieux: sur le terrain littéraire. Il croit, lui aussi, que Shakespeare a <:omposé Jfamlet pour réfuter les idées de Montaigne placées dans la bouche du protagoniste. Mais, plus familier que Stedefeld avec les éléments du dossier, il ne voit d'incrédulité religieuse ni dans Montaigne ni dans Ilamlet. Sa thèse est plus subtile, et voici comment il la résume : « Le regard prophétique (( de Shakespeare voyait le caractère pernicieux de <. l'inconstance des pensées de Montaigne. Celui-ci, <i incapable de nous placer en relation solide avec « l'univers, n'aboutit quà faire des hommes qui « passent leur vie dans des réilexions subtiles, dans <( une inaction sentimentale et peu virile (i). »

Il serait oiseux de discuter le paradoxe Sledefeld- Feis. Personne ne l'a accepté, fût-ce pour partie, pas même Robertson, qui pourtant est un chaud partisan de l'influence de Montaigne sur Shakes- peare (2).

Pour clore la liste des travaux concernant la question Shakespeare-Montaigne, mentionnons un article de M. L. Kellner (auteur d'une monographie sur Shakespeare), dans la Dealsche Rundschau 1910), à propos de l'ouvrage de Robertson. M. Kellner dit, en passant, un mot sur les hypothèses de Stedefeld et de Fcis : elles supposent, entre autres

1. Feis (Jacob). Shakespeare and Monlaiijne. LonJrc«, iS8i.

2. Robertson (John M.)» Montaigne and Shakespeare. Londres, 1897.

EN ALLEMAGNE Sg

postulats, des spectateurs familiarisés avec Mon- taigne, ce qui est d'autant plus invraisemblable que Shakespeare destinait ses œuvres au grand public. Quant à la théorie Robertsonienne, M. Kellner la trouve très exagérée, et conteste la plupart des rap- prochements qu'elle invoque. Toutefois, il accorde à Montaigne un peu plus que les principaux cri- tiques français ; d'après lui, les Essais auraient été pour Shakespeare, non une source d'emprunts de mots ou d'idées, mais une lecture bienfaisante, féconde, et correspondant à l'état d'àme dans lequel il se trouvait alors. Il s'y serait perfectionné en intros- pection, et en analyse des âmes ; il y aurait gagné aussi une compréhension plus approfondie de l'his- toire et de Plularque.

Un jeune docteur de vingt-trois ans, M. Fritz Dieckow, a étudié dans sa thèse (Strasbourg, igoS) la traduction de Florio, ainsi que les rapports de Bacon, Ben Jonson et Robert Burton avec Mon- taigne. C'est un travail intéressant, utile à consulter, quoique non exempt de tendance à l'abus des rap- prochements. Malgré de nombreuses critiques de détail, M. Dieckow fait un juste éloge de la traduc- tion Florio. Il tend à grossir l'influence de Mon- taigne sur les trois auteurs précités. Pour ce qui concerne Bacon et le Tiinber de Ben Jonson, les choses ont été remises au point par des études de M. Yilley. Quant à Burton, M. Dieckow a pris la peine d'explorer minutieusement les trois gros volumes de ÏAnatomy of Melancholy, dans le but

6o LA RENOMMÉE DE MONTAIGNE

de démontrer que Montaigne, cité sept fois par l'auteur, aurait l'être plus fréquemment. Même en adjugeant à M. Dieckow toutes ses conclusions, il n'en résulterait aucune atteinte sérieuse à la très réelle originalité de l'œuvre de Burton.

Comme nous l'avons dit au début, en indiquant notre excuse principale, cet aperçu du rôle de Mon- taigne dans la littérature allemande, même avec les mentions bibliographiques qui le compléteront ci- après, n'est certainement pas exempt de lacunes plus ou moins nombreuses. Nous espérons seule- ment avoir évité les plus graves, D'ailleurs, nous avons sciemment omis : des auteurs secondaires (tels que LiscoAv, Thummel, AA eber dit Démocrile, Main- lander), qui n'ont fait qu'emprunter à Montaigne quelque citation, sans commentaire intéressant ; de même, les traités de littérature ou d'histoire dans lesquels il n'est question de Montaigne que briève- ment et d'après les travaux français ; de même enfin, quelques articles sommaires ou fugitifs de journaux ou périodiques.

Telle quelle, cette courte revue est suffisante pour montrer que l'auteur des Essais a obtenu en Alle- magne beaucoup plus de faveur que ses commen- tateurs ne l'ont supposé jusqu'ici.

NOTA

En cours d'impression, j'ai appris par des mentions biblio- graphiques qu'Euphorion (XXIII. I) venait de publier un article sur Hippel, dans lequel M. Schneider (F. J.) examine l'influence de Montaigne sur les Lebenslauje (parus en 1778). Je n'ai pas encore pu nie procurer ce fascicule d'Eaphorion. Mais je me suis reporté aux Lebenslaufe dont, je l'avoue, je ne connaissais précédemment que des extraits. Après avoir parcouru assez attentivement les 1600 pages de ce roman, ou de cette très fantaisiste auto-biographie à la manière de Tristram Shandy, je vois bien qu'on peut signaler quelques échos de Montaigne dans les réflexions diverses particu- lièrement sur la mort qui se mêlent au récit et le surchar- gent trop. Mais ils ne sauraient être ni importants, ni tous indiscutables. On distingue plus nettement ceux de Rousseau. Et, somme toute, Hippel ne manque pas de côté originaux.

J

BIBLIOGRAPHIE ALLEMANDE

MONTAIGNE

I Traductions.

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MiCHAEL MONTAIGNES GeDANKEN LND MeINLNGEN ÏBER ALLERLEY

GEGENSTANDE. Par Bodo I Christopli I. 7 vol. 8". Berlin, 1793-1799. Réimpression à Vienne-Prague, 1797-1801. Réédition, revue par Otto Flake et Wilhclm Wcigand, augmentée du Journal de voyage traduit par Flake. Avec- introduction par Weigand. 8 vol. 8". Munich, 1908-1911,

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1913, t. i56). Article de 12 pages à propos de l'édition

Strowski.

B. Philosophie, Morale.

Tiiimme (Herm.). Der Skepiicismus Montaignes. (Thèse ;

léna, 187G). He>m>g (Arend). Der Skepticismus Montaignes. (Thèse ;

léna, 1879;. Georgov {Ivani. Montaigne als Vertreler des Relativismus in

der Moral. (Thèse; léna, 1889). Schwabe [Paul). Montaigne als philosophischer Charakter.

(Thèse ; Leipzig, 1899). Frankel {Rudolf). Montaignes Stellung :um Staat und zur

Kirche. (Thèse; Leipzig, 1907).

I. Nous ne mentionnons ici que celles dont Montaigne forme spécia- lement le sujet.

<34 LA. RENOMMÉE DE MONTAIGNE

C. Pédagorjle.

Masius (Erich). Die padayogisclien Ansichlen Monlaiynes.

(Thèse; Leipzig, 1890). Mehner (C. m.). Der Einjïiiss Monlaignes auf die pàdago-

gischen Ansichlen von John Locke. (Thèse: Leipzig, 1891). ScHMiEDEU (fsidon. Die piidagogischcn Ansichlen Monlaignes.

(Thèse ; Leipzig, 1898).

D. Influence de Montaigne en Anglelerre.

Stedefeld (F.). Hamlel, ein Tendenzdrama Shakespeare's gegen die skeplische iind kosniopolitische Weltanschauang des Michael de Monlaigne. (8°, 9^ p. Berlin, 1871).

DiECKOw (Fritz). John Elorios t'bersetzang der Essais Mon- laignes, und Lord Bacons, Ben Jonson's und Robert Burton's Verhdllnis zii Montaigne. (Thèse ; Strasbourg, 1908).

Klingenspor (Franz). Montaigne und Shaftesbury. (Thèse ; Erlangen, 1908).

Kellneu (L.). Shakespeare und Montaigne. (Deutsche Rund- schau, 1910, t. 1^3).

E. Sujets divers.

Glaumng. Versuch iiber die syntaktischen Archaismen bel

Montaigne. (Herrigs Archiv, t. ^^9). Dembski (Max). Monlaigne und Voilure, ein Beitrag zur

Gescliichle der franzosischen Synlax. (îhèsQ ; Greifswald,

18S8). Bruns (Yvo). Montaigne und die Allen. (Conférence faite à

l'Université de Kiel par le professeur Bruns, 1898 . KuRT Hei.ler. Monlaignes Einjïass auf die Aerzlesliicke

Molieres. (Thèse ; léna, 1908).

.VBBEMLLE. IMPRIMERIE F. l'AlLLAUT.

P4

- -M.

iior.

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