SUR R ENT retsientetees Hurt s sopetr rest mme ES SHRNH don Be) : : | : . ee ñ : res qi four tee en nee Dép ts LS TS a {75 90 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE OUVRAGES DU MÊME AUTEUR Loi des finales en espagnol. Nogent-le-Rotrou, 1872. : » Du c dans les langues romanes. Paris, 1874, in-8.. . . 42fr. De rhotacismo in indoeuropaeis ac ms in en lin- guis. Paris, 1875, 1in-8. . . . RE : Herder et la Renaissance littéraire en Me au xvuie siècle. Paris, 1875, in-8. . . . . Le, :, TU _ La littérature allemande au xvur® de PURE ses net avec la littérature française et la littérature RE Aix, 1876, in-8. . 1 fr. 50 La légende 4 AE ds en | Allemagne re, 1881, in- 8. : LE 1 fr. 50 Essai sur le patois FE ue sin, SUIVI d un Ditionie étymologique. Paris. 1881, in-8. . . ce 4 TORRES Des caractères et de nn se patois nl Étude de pho- nétique et d' ethnographie, suivie dune carte. Paris, 1883, in-8. . RARE 5 LUS édite dE AE a Mie avec Lamoignon de Bas- ville. Paris, 1883. in-8. . : . Épuisé. Mélanges de phonétique CRE Ps 1884. "1e : PÉDALE s Des rapports intellectuels et littéraires de la France avec l'Alle- magne avant 1789. Paris, 1884, in-8 . . . . . . Epuisé. La crise agricole en Normandie (Conférence faite au cercle Saint- Simon. Paris. 1885. in-8. . 1... A0 J.-B. Tavernier, écuyer, baron d’ Aolbne, rbclie du _Grand- Électeur Paris, 1886. in-8. . . ‘ex C7 Flore populaire de la Normandie. FE 1887. -B.. .: … 6 fr. Les dictionnaires du patois normand. Macon, 1887, in-8. » Le livre des rue inédit de Modène et son auteur. Paris, 1888, in-8. . CL PRE 1 fr. 50 Les RER HE re rest F.2 277 de la Bibliothèque de l'École de médecine de Montpellier. Macon, 1888,in-8. » Le voyageur Tavernier (1670-1689). Paris, 1889, in-8. 1 fr. 50 Le P. Guevarre et les bureaux de charité au xvuie siècle. Toulouse, 1889, in-8. . . . . "HR ae CE Ho Pierre et Nicolas Formont. Ua banquier a un correspondant du Grand-Électeur. Paris, 1890, in-8 . . . . . . 2fr. 50 La légende de la rose au moyen âge chez les nations romanes et germaniques. Macon, 1891, in-8. . . . . . . » CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. » 22 > _— [4 EN RME M, le tiedd ecrit . # i V. EE EU IL TI di 71 : : Les Cite dde Te ‘ » à 4? Pt end TA T1 L ét Lot de à à A: A LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE HISTOIRE. LÉGENDES ET SYMBOLISME rAR CHARLES JORET Professeur à la Faculté des lettres d'Aix Correspondant de l’Institut, La rose Est plus que nule autre flors bele. Chrestien de Troyes, Cligès, v. 208. PARIS NTI ROUILLONMMEDILTE LR 67, RUE RICHELIEU, 67 1892 TOUS DROITS RÉSERVÉES LABRARY NEW YORI BOTANECAL GARDEN — Eu 2 Lu - - _ … 4 ». | v- A MONSIEUR PAUL MEYER MEMBRÉ DE L'INSTITUT MONSIEUR, C’est à votre bienveillante initiative que je dois d’avoir été nommé, en 1887, correspondant de l’Institut; permettez-moi, en témoignage de reconnaissance, de vous dédier cet essai sur la rose; s1l peut mériter votre suffrage, je ne croirai pas, en l’écrivant, avoir fait œuvre inu- ile. Crirtes JORET: LA CT SR pour la cultiver et l’embellir. Horticulteur, non C7 1 PRÉFACE On a beaucoup écrit sur la rose et l’on peut se demander s’il était nécessaire d'ajouter un livre nou- veau aux nombreux ouvrages dont elle a été l’objet; 1] m'a semblé néanmoins quil n'était pas impos- sible d'enrichir beaucoup l'histoire, moins connue qu'on ne le pense, de cette fleur aimée, et l’étude que Je lui ai consacrée diffère peut-être assez de celles qui l'ont précédée pour que j'aie cru pouvoir l'entreprendre. D'ailleurs le dernier et sans contredit le meilleur des ouvrages publiés en France sur la rose — je ne parle pas des essais plus anciens, incomplets ou introuvables, pas plus que du livre par trop élémen- taire de M. J. Bel, paru il y a à peine quelques semaines, — celui du docteur Loiseleur-Deslong- champs, remonte à près de cinquante ans et est épuisé; on pouvait donc songer à le remplacer. Je n'ai point eu cependant l'intention de le faire; c’est tout autre chose que j'ai essayé. Loiseleur-Deslongchamps a voulu à la fois faire l’histoire de la rose et exposer les procédés employés U moins que médecin distingué, la seconde partie de \ , Son livre est pleine de préceptes utiles, dont les amateurs de jardins peuvent profiter encore au]Jour- D) LS) 7 4 VIII PRÉFACE d'hui. Je n’ai ni l’expérience nécessaire pour Île suivre dans cette voie, ni eu le désir de rivaliser avec lui. C’est l'histoire seule de la rose jusqu’à l'époque de la Renaissance, surtout son histoire poé- tique et légendaire, que Je me suis proposé de raconter. Loiseleur-Deslongchamps, qui l’a abordée dans Ja première partie de son livre, est loin de lui avoir fait la place à laquelle elle avait droit; comme ses précurseurs, il ne s’est presque occupé que de Ja rose dans l’antiquité et il a à peu près ignoré ce qu'elle devint au moyen âge. C'est à peine sal a parlé des légendes dans lesquelles la rose figure chez les Orientaux:; il n’a rien dit des traditions si cu- rieuses dont l’ont entourée les peuples germaniques, et n’a guère mentionné davantage celles non moins curieuses où on la rencontre chez les nations roma- nes ; enfin s’il a donné un recueil assez étendu des pièces de vers — faibles imitations bien souvent de leurs devanciers grecs ou latins — dans lesquelles les poètes modernes l'ont chantée, il n'a point su ou a passé sous silence ce qu'ont dit de la rose les poètes du moyen âge, aussi bien français qu'étrangers. Le dernier écrivain non français, qui, avant l’ou- vrage estimable, quoique non toujours original, de M'° Cecilia Schmidt-Branco, ait entrepris une his- toire complète de la rose, l’allemand Schleiden, ne s’est point exposé aux mêmes critiques et il a accordé avec raison, dans le livre qu'il a publié en 1873, une place considérable aux légendes auxquelles elle à donné naissance chez les peuples anciens et mo- dernes. J’ai suivi son exemple, sans'l'imiter en tout et pour tout. PRÉFACE IX Schleiden a retracé les destinées de la rose jus- qu'à nos Jours; je m'arrête à la fin du moyen âge; il s’est jeté parfois dans des digressions qui l'ont emporté hors de son sujet; je m'y suis scrupuleuse- ment renfermé, comme je me suis gardé des asser- tions hasardées et des théories aventureuses, aux- quelles 1l se complait trop souvent. Enfin, s'il a fait une large place aux traditions des peuples germa- niques qui concernent la rose, il a passé trop rapi- dement sur ce qu'elle a été pour les nations romanes J'ai tenu doublement à réparer cet oubli. J'ai cru aussi que je ne devais pas, comme il l’a fait, me borner à quelques vagues indications sur la culture de la rose avant la Renaissance, ainsi que sur l'emploi si général qu'en a fait l’ancienne phar- macopée ; j'ai de même énuméré longuement les nom- breux usages auxquels la rose servait dans la vie publique ou privée ; mais ce sont les légendes aussi variées que gracieuses, dont elle a été joies dans l'antiquité, comme au moyen âge, que Je me suis attaché à recueillir et à coordonner avec tout le soin possible. C’est un chapitre du plantlore, je n'ose dire — le mot serait sans doute 1e1 bien ambitieux — de la mythologie des plantes, que j'ai voulu écrire; j'ajouterai un chapitre détaché de l’histoire du monde végétal, à laquelle je travaille depuis plusieurs an- nées. C’est en même temps un complément à l’article sur la Légende de la rose au moyen age chez les nations romanes et germaniques, publié dans le re- cueil que les élèves français de M. Gaston Paris ont, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa réception au doctorat, offert au maître des études romanes en France, artiéle que les bornes qui 4 PRÉFACE m'étaient imposées ne m'ont pas permis alors de développer. Le désir peut-être légitime de mettre en œuvre les nombreux matériaux que j'avais réunis pour ce tra- vail et que je n'avais pu utiliser, celui de répondre au goût grandissant chez nous — encore qu'il soit Ein d’ Fo e de ce qu'il est à l'étranger! — pour les traditions botaniques, m'ont engagé à écrire ce livre. Il m'a coûté de longues recherches; je serai assez récompensé de mes efforts, si l’on trouve que je ne suis pas resté trop au-dessous de ma tâche, et si cet essai peut avoir retenu quelque chose de l'intérêt et du charme qui s’attachent si naturellement à la fleur plus que nule autre bele, comme le dit un de nos vieux poètes. Aix, le 25 décembre 1891. 1. Tandis que chaque année presque voit paraître, en Allemagne et surtout en Angleterre, quelque nouvelle publication sur les légendes du monde végétal, nous n'avons à leur opposer que la Mythologie des plantes, de M. de Gubernatis, qui, si elle a été publiée en France, n'est pas l'œuvre d'un Français. ; 0 PREMIERE PARTIE. LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. CHAPITRE PREMIER. DES ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. Depuis plus de deux mille ans la rose a été célé- brée à l’envi par les poètes ; elle a été entourée des légendes les plus gracieuses ; elle a pris place dans les traditions comme dans les usages de tous les peuples ; cependant, son histoire présente les plus grandes obscurités et les origines de cette fleur charmante sont encore enveloppées d’un voile épais. La plus grande incertitude règne au sujet des espèces de roses dont les écrivains de l'antiquité ont fait mention, et on est loin d’être d'accord sur celles qu'ils ont pu connaître ou qui ont été cultivées à cette époque, ainsi qu’au moyen âge. JORET. La Rose. 1 2 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. L Des nombreuses espèces du genre Rosa — Lindley en compte 73° et A. de Candolle 146*, toutes non bien définies, ilest vrai”, — et de ses variétés encore plus nombreuses*, bien peu furent connues des an- ciens. Ils ignorèrent, cela va sans dire, les roses qui sont propres à la Chine” et à l'Amérique, ainsi que celles de l’Asie et de l’Europe septentrionales ; ils ne purent observer et par suite songer à cultiver que les espèces du sud de l’Europe, en particulier de la péninsule hellénique, ainsi que de l’Asie Antérieure. Mais les 46 espèces que Boissier* a signalées dans 1. Monographie du genre rosier, traduite de l'anglais de M. E. Lindley, etc., par M. de Pronville. Paris, 1824, in-8. Aux 73 espèces primitives en ont été ajoutées 25 autres plus ou moins certaines. 2. Prodromus systematis naturalis regni vegetabilis. Pari- sis, 1825, in-8, vol. II, p. 597-626. 3. Dans son Momenclator botanicus, 1841, in-8, Steudel compte jusqu à 217 espèces de roses. Toutes ces espèces appar- tiennent à l'hémisphère boréal et leur habitat est compris d'une manière générale entre le 20e et le 70° degré de latitude ; il n'y a d'exception véritable que pour la Rosa abyssinica Brown, qui croit au sud du 12e degré, mais dans une région montagneuse. La Rosa pimpinellifolia L., qui se rencontre en Islande, croit aussi bien au delà du 70° degré. 4. Lindley en énumère 329 et A. de Candolle plus de 180. 5. C'est de la Chine que vient en particulier la rose thé, type d’un si grand nombre de variétés, ainsi que la rose de Bengale. 6. Flora orientalis sive enumeratio plantarum in Oriente ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 3 cette région sont loin d’avoir toutes fixé l'attention des naturalistes de l’antiquité”. Sprengel® a compté 8 roses connues ou cultivées par les anciens ; Fraas n'en mentionne que 5 dans sa flore classique; Lenz, 4 seulement‘, Karl Koch a élevé ce nombre à 12 pour la Grèce seule‘; mais de ces espèces, plusieurs sont douteuses, de l’aveu même de l’auteur, ou n’ont été découvertes que de a Graecia et Aegypto ad Indiae fines hucusque observata- rum. Gen.-Basil.-Lugd., 1872, in-8, vol. IT, p. 672-682. 1. Il en est de même des roses italiennes. Giovanni Arcangeli (Compendio della flora italiana, Torino, 1882, in-8), en compte 28 espèces, dont le quart sont des espèces de montagnes récemment découvertes ; les autres sont presque toutes communes à la Grèce. 2. Les À. sempervirens, damascena, canina, provincialis, alba, gallica, villosa et spinosissima L. {Geschichte der Bota- mik. Leipzig, 1817, vol. I, p. 75, 123, 134, 150 et 168). Dans l'édition latine du même ouvrage {Historia rei herbariae. Amst., 1807, in-8), l’auteur mentionnait la ÆR. centifolia et non la gallica. 3. Les R. sempervirens, canina, pimpinellifolia, gallica et centifolia L. {Synopsis plantarum florae classicae, oder über- sichtliche Darstellung der in den classischen Schriften der Griechen und Rümer vorkommenden Pflanzen. München, 1845, in-8, p. 74-76). &. Les R. gallica et centifolia, canina et sempervirens L. (Botanik der alten Griechen und Rümer. Gotha, 1859, in-8, p. 691-700). 5. Les R. damascena et centifolia, avec les R. spinosissima, alpina, Heckeliana, Orphanidis, Heldreichit, canina, rubi- ginosa, repens Scop. ({arvensis L.) et sempervirens. (Die Bäu- me und Sträucher der alten Griechenlands. Berlin, in-8, 2e éd. 188%, p. 157-166). 4 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. nos jours ; en réalité, des 12 roses indiquées par le botaniste allemand, il n’y en a que 3 ou 4 qui aient pu être connues ou remarquées des anciens. Sur ce nombre s1 petit, quelles furent les espèces qu'ils cultivèrent, celles que leurs poëtes ont, sinon exclusivement, du moins plus particulièrement chantées ? Dierbach® — pour ne pas parler de Sprengel, sur lequel je reviendrai, a regardé la rose à cent feuilles comme Ja seule qui figure dans les légendes gréco-romaines. Pour Fraas, cette espèce fut aussi et surtout cultivée dans l’antiquité, mas, suivant lui, la rose de Provins {R. gallica L.) l'aurait été en même temps. Telle a été aussi la manière de voir de Lenz. Hehn”, au contraire, considère, ainsi que Dierbach, la cent-feuilles comme la seule rose dont parlent les poètes anciens. Il n'en est pas de même pour Koch. Si la rose à cent feuilles fut, 1l l’admet, célébrée par eux, 1ls auraient en mème temps chanté une autre espèce, non toutefois la rose de Provins’, mais la rose de Damas / À. Damascena L.) Cette manière de voir n’est point nouvelle, c'était celle de Carl Bætticher dans son étude sur le Culte 1. Dr. Joh. Heinrich Dierbach, Flora mythologica oder Pflansenkunde in Bezug auf Mythologie und Symbolik der Griechen und Rümer. Frankfurt-a.-M., 1833, in-8, p. 155-160. 2. Kulturpflanzen und Hausthiere in ihrem Uebergang aus Asien nach Griechenland und Italien sowie in das übrige Europa. Berlin, 1887 (5° éd.), in-8, p. 200-210. 3. Îl mentionne aussi, parmi les espèces de cette contrée, la rose de Provins, mais en passant et sans dire si elle y était oui ou non cultivée. … ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. à. des arbres chez les Hellènes'. Pour cet écrivain, la rose dont on faisait, nous le verrons, des offrandes sur les tombeaux, était, non la cent-feuilles de cou- leur claire, mais la rose simple de couleur foncée*, malheureusement 1l ne dit pas quelle était cette rose. Quant à la cent-feuilles, s’il paraît en admettre l'existence, Bœætticher n'a rien dit cependant qui permette de savoir où elle était cultivée, n1 même si elle l’était réellement. Koch a été plus affirmatif. Il y eut en Grèce, remarque-t-1l*, deux espèces de roses cultivées {Edelrosen), la rose de Damas dans la région du sud et la rose à cent feuilles au nord. ... La rose de Damas, ajoute-t-1il plus loin, fut sans doute connue plus tôt en Grece que la rose à cent feuilles : elle fut, à ce qu'il semble, importée directement, avec le culte d'Aphro- dite *, de la Syrie dans le Péloponèse d'abord, puis dans les îles de l’Archipel. Les Phéniciens la portèrent ensuite, mais vraisemblablement peu de temps après, à Pestum. De cette ville elle se répandit dans le nord de l'Italie, et, de là, pénétra dans la plupart des pays soumis à la domi- nation romaine... La cent-feuilles, dit-il encore plus loin, 1. Der Baumkultus der Hellenen nach den gottesdienst- lichen Gebräuchen und den überlieferten Bildwerken darges- tellt. Berlin, 1856, in-8, p. 456. 2. « Die Rose, vornehmlich die einfache dunkel purpurrothe (nicht die helle Centifolie) wurde ein Liebesangebinde der Gräber », p. 457. 3. Op. laud., p. 158 et 159. &. Il aurait fallu prouver d'abord que le culte de l’Astarté phé- nicienne, d'où est sorti celui d'Aphrodite, était lié à la culture de la rose. 6 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. remplace la rose de Damas dans la Grèce septentrionale ; son berceau est le mont Rhodope, en Macédoine ; peut- être fut-elle aussi importée de l'Asie Mineure dans ce pays. Elle était consacrée à Cérès et à Bacchus — la rose de Damas à Aphrodite — et pénétra avec leur culte d'Asie Mineure en Grèce. On ne saurait édifier un roman avec moins de souci de la vérité historique, ce qui n’a point empé- ché M. Josef Murr' d'adopter tout récemment la manière de voir de Karl Koch. Les choses, en réalité, sont moins simples et se présentent sous un autre aspect. Le premier renseignement certain que nous ayons sur la rose de Damas nous a été fourni par Nicolas Monardes*, médecin espagnol du milieu du xvi° siècle ; d’après lui on en faisait un fréquent usage dans plusieurs pays d'Europe, mais on ne la connaissait en Espagne que depuis environ une tren- taine d'années. L’était-elle dans le reste de l’Europe occidentale depuis beaucoup plus longtemps ? On a, sans toutefois en donner de preuves, prétendu qu’elle aurait été apportée en Occident pendant les Croi- sades *, mais cette date, si on l’admet, est la plus 1. Die Pflanzenwelt in der griechischen Mythologte. Ynns- bruck, 1890, in-8, p. 78. 2. Harum rosarum apud Italos, Gallos, Germanos, diversasque gentes nunc est frequens usus, quas Damascenas vocant, quoniam ex Damasco nobilissima Syriae urbe credunt devenisse. Apud nos vero triginta fere sunt anni, de qua notitiam attingimus ». Nrcozaï MoNARDI MEDICI HISPALENSIS De rosis persicis seu Alexan- drinis. Antverpiae, 1564, in-12, p. 30 b. 3. James Smith, cité par Lindley-Pronville, op. laud., p. 67. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 7 reculée qu’on puisse assigner à l'introduction de cette espèce de rose en Europe” : comment donc aurait-elle pu être connue des Grecs et des Romains ? Il n’en fut pas de même de la cent-feuilles, dont la Damascena n’est peut-être d’ailleurs qu’une simple variété? ; ici, point de désaccord ; tout le monde est unanime à y voir, sinon le type unique, du moins un type incontestable de roses cultivées par les anciens, l'espèce à laquelle « a été particulièrement donné le nom de reine des fleurs* », la première et probablement la seule fleur double qu'ils aient connue. La rose à cent feuilles a été souvent considérée comme une simple variété de la rose de Provins; mais la forme et les dimensions des fruits et des fleurs, de même que la contexture des feuilles, empêchent entre autres de la confondre avec cette dernière“. De plus, tandis que la rose de Provins est 1. Sans s'arrêter à cette difficulté, Sprengel a identifié cette espèce avec les roses de Pestum, chantées par Virgile au 1v° livre des Géorgiques, et A. Fée avec la rose de Cyrène dont parle Pline après Théophraste, ce que Koch s'est empressé de faire à son tour et sans plus de raison. 2. Poireau, dans l'Encyclopédie, vol. VI, p. 276, lui donne le nom de Centifolia bifera. 3. J. L. Loiseleur-Deslongchamps, La rose, son histoire, sa culture, sa poésie, p. 125. k. « Ses pédoncules courts et rigides, l'absence de grands aiguillons, ses pétales plus petits et ses sépales, dit Lindley, op. laud., p. 74, en parlant de la Æosa centifolia, la firent toujours distinguer » de la gallica. « Affinis centifoliae, dit à son tour de Candolle, Prodromus, vol. IL, p. 603, de la ZX. gallica, sed 8 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. indigène en Europe, la cent-feuilles y est exotique ; Fraas dit ne l’avoir rencontrée en Grèce qu’à l’état cultivé ou échappée des jardins”. De quelle région at-elle été importée dans ce pays et dans les autres contrées de l'Occident ? À quelle époque y remonte sa culture et celle des variétés qui en sont sorties ? IT. La rose à cent feuilles n'étant pas indigène en Grèce, pas plus que dans le reste de l’Europe, c’est en Âsie ou en Afrique qu'il faut en chercher le ber- ceau: quels sont les peuples de ces régions chez qui on l’a rencontrée d’abord? Auquel d’entre eux revient l'honneur d’avoir le premier cultivé cette fleur appelée à une si brillante destinée ? Aucune espèce de rose ne croît spontanément en Égypte ; Inconnue des anciens habitants de ce pays”, on ne rencontre cette fleur sur aucun des monu- ments, ni dans aucun tombeau de l’époque pharao- nique *, et elle n'apparaît dans la vallée du Nil que sous les Ptolémées; elle y était donc d’origine étran- gère. fructibus rotundis foliaceisque valde coriaceis, nervis frequentiori- bus promiscuis valde anastomosantibus ». 1. Flora classica, p. 76. 2. Franz Wœnig, Die Pflanzen im alten Aegypten. Leipzig, 1886, in-8, p. 18. 3. C'est par erreur que Schleiden, Die Rose, p. 18, dit qu'on la trouve mentionnée dans d'anciens hiéroglyphes. ‘ ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 9 Les anciens Hébreux ne la connurent pas davan- tage ; c’est par une erreur de traduction qu’on à cru la trouver dans le Cantique des Cantiques et dans Osée'; la Sagesse* et le « livre de Jésus, fils de Sidrach* », — l’Ecclésiastique, — de beaucoup postérieurs à la captivité de Babylone, sont les pre- miers écrits des Juifs qui en parlent; c’est là qu’elle est mentionnée tout d’abord, ainsi qu'elle le sera plus tard dans la littérature talmudique*. On ne voit pas de rose sur les monuments assy- riens, où sont représentés tant d'arbres et d'arbustes indigènes, pas plus que sur les monuments pharao- niques ; il est dès lors plus que vraisemblable que cette fleur n'était point cultivée dans l’ancienne Mésopotamie, et que les espèces sauvages qu'on rencontre dans le haut bassin du Tigre ou de l'Eu- phrate ne furent jamais revètues d'aucun caractère sacré. La rose n'apparait pas non plus dans les Védas”, 4. Chap. IE, v. 12 et chap. XIV, v. 5. Le mot Shoshanah, que Luther, entre autres a traduit par « rose », signifie « lis » — le 2p!voy des Septante — et désigne probablement le Zilium chalce- donicum L. ou bulbiferum L. Dioscoride indique le mot sousan comme le nom syrien du lis. V. Hehn, Aulturpflanzen, p. 205. Deutsche Rundschau. Jul, 1890, p. 42. 2. Chap. IL, v. 8. Cf. plus loin, chap. IV. 3. Chap. XXIV, v. 18 ; chap. XXXIX, v: 17 ; chap. L, v. 8. &. Dr. M. Duschak, Zur Botanik des Talmud, p. 130. Cet ouvrage ne mérite pas plus de confiance, il est vrai, qu'il ne témoigne de connaissances botaniques véritables. 5. Zimmer / Altindisches Leben, Leipzig, 1883, in-8), qu a fait la flore des Védas, ne parle point de la rose. 10 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. qui mentionnent pourtant un si grand nombre de plantes, et le sanscrit n'a même pas de nom pour elle’. L'auteur du Ritou-Sanhara, espèce de poème des saisons”, qui renferme l’énumération de tant d'espèces végétales indigènes dans l'Inde, ne la cite pas; Kalidâsa n’en parle pas davantage dans ses drames, où le monde des fleurs est si largement représenté, et, plusieurs siècles après notre ère, Sucruta lui-même, qui, dans sa thérapeutique, a cité un nombre si considérable de remèdes végétaux, ne dit rien de cet arbuste, dont la fleur fournit des produits pharmaceutiques estimés, en même temps qu'elle est le plus bel ornement de nos jardins. L’'Hindoustan n’est donc point la patrie de la rose cultivée des Anciens. De fait, cette contrée ne possède, d’après Drury*, que deux espèces de roses indigènes, appartenant toutes deux à la région mon- tagneuse ou septentrionale : la rose toujours verte (R. sempervirens L.)* et la rose à fleurs involucrées 4. L'hindoustani gulab, mentionné par Roxburgh {Flora indica, Sérampore, 1832, in-8, vol. Il, p. 513), comme nom de la À. centifolia, est dérivé du persan. 2. Œuvres complètes de Kalidäsa, trad. par Fauche. Paris, 1860, vol. IT, p. 1-50. 3. Ayurvedas, Id est medicinae systema a venerabili Daax- VANTARE demonstratum, a SucruTA discipulo compositum, nunc primum ex Sanscrita in Latinum sermonem vertit…. Fr. Hessrer. Erlangae, 1844-50, in-8. 4. Handbook of the Indian flora. Madras, 186%, in-8, vol. I, p- 377. 5. De Candolle /Prodromus, vol. II, p. 598) indique une variété de cette rose dans les monts Nilghiri. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. TT (R. involucrata Roxb.)"; il n’est donc pas surprenant qu'elles aient échappé aux anciens habitants de l’Inde : la reine des fleurs leur fut sans doute inconnue, comme elle l’a été des Égyptiens, des Hébreux et des anciens Assyriens. En fut-1l de même des Médo-Perses? Le Zend- Avesta ne parle pas plus que les Védas de la rose ; mais comme il ne cite point de noms de plante en particulier, on ne peut en conclure que les habitants de l'Iran n’aient point anciennement connu ou cul- tivé la rose; ce n’est pas toutefois chez eux, mais chez les Grecs, qu'on rencontre la première mention de cette fleur charmante. Le nom de la rose se trouve dans les plus anciens monuments de la poésie hellénique. Aphrodite, dans Homère, parfume le corps d’Hector avec de l’huile de rose”; mais le poète ne dit rien de la fleur elle- même dont était tiré ce parfum, et l’on s’est demandé s’il la connaissait *. Il donne, il est vrai‘, ainsi que 4. Roxburgh {Flora indica, vol. I, p. 513) ne parle pas de la R. sempervirens, mais il mentionne comme indigènes les À. pu- _ bescens Roxb. et recurva Roxb. De Candolle indique aussi d’après Lindley les À. Brunonti et Lyelli. . *Avooû!tn .… Dodoevz! 0 yptev ékaïto. Ilias, XXII, 186. 3. « Quapropter, lit-on dans Aulu-Gelle, rosam non norit, oleum ex rosa norit ? » Voctes Atticae, lib. XIX, cap. 6. &. oavn bododaxtukos His. Odyssea, XVII, v. 1. +2 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. le fera plus tard Hésiode', le nom d’Aurore « aux doigts de rose » à la déesse du matin ; mais c’est là une comparaison poétique, empruntée peut-être à des souvenirs lointains, et qui, en tout cas, ne prouve pas que la rose était cultivée en Grèce du temps de ces poètes. Lorsque dans l'hymne à Déméter, ce monument vénérable du culte de cette déesse, vers le milieu du vri* siècle*, le poète nous montre Persé- phone cueillant avec les filles de l’Océan, dans une « belle prairie » d’ « aimables fleurs * » : «le doux safran, des iris, l’hyacinthe, des roses et des lis, admirables à voir, avec le narcisse, que la vaste terre venait de produire », pour séduire la jeune vierge, 1] nous présente un tableau de fantaisie, bien plus qu'il ne nous offre la péinture fidèle d’un jardin de son temps *. On en peut dire autant de la description que Mos- chus, à son imitation, a, trois siècles plus tard, faite des « prés fleuris », où eut lieu l'enlèvement d'Europe”. R … Gododarzukos "Huis. Opera et Dies, v. 610, éd. Lehrs. 2. F. G. Welcker, Griechische Gœtterlehre, Gættingen, in-8, vol. II (1859), p. 546. « Man kann unmüglich den Homerischen Hymnus bis gegen die 50. OI. oder um das sechste Jahrhundert herabsetzen, sondern muss ihm ein hôheres Alter zugestehen, etwa die 30. OI. oder die mitte des siebenten Jahrhunderts ». 3. M'yôa xp0x0v +’ ayavov za ayaAMOdas n0' baxivbov, ao bodEas athuuus nat Aclota, Dana 10éc0ar, i « vaontooûy 0”, dy Evuo”, Gore 2c020v, evpeïa yÜwv. Eïs Afunroav, v. 426-28. Ed. Baume:ister. 4. Il en a été le plus souvent de même chez les trouvères. 5. Idyllion, IX, v. 63-70. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. +9 Toutefois, si, comme son devancier, Moschus a ré- uni, dans ses vers, d’une manière arbitraire, les fleurs dont la vue frappe de joie Europe et ses compagnes, il les connaissait certainement ; en était-1l autrement pour l’auteur de l'hymne à Déméter? On n’est pas en droit de le penser, comme a paru le faire Hehn'; et sans doute, lorsque ce poète parle de la rose, c’estune fleur réellement connue de lui, tout comme les 1ris et l'hyacinthe, qu'il a en vue. Il en est à plus forte raison de même quand Archiloque nous montre son amie « réjouie de la branche de myrte et des fleurs de rose» qu'elle reçoit”, ou bien quand Pindare nous parle de roses entrelacées dans les cheveux avec des violettes *. Il est impossible d'admettre qu'il ne s'agisse pas 101 de fleurs connues alors en Grèce; il n'est guère moins impossible de supposer que la rose dont ces poètes font ainsi mention ne soit pas déjà l'espèce cultivée, la fleur charmante qui occupera désormais une si grande place dans les chants des lyriques grecs. Mais d'où venait-elle ? Le nom grec de la rose n'est point indigène ; la forme éolienne plus complète fGpéècv, celle mème dont se servait Sappho, se rattache à l’arménien 1. Kulturpflanzen, p. 301. 2 Epouox Oak AOV pLupo!Vns ÉTÉOTETO bodñs te zxah0v &vÜos. Fragm. 29, éd. Bergk. 3. x’ auGodtav yécoov épatai lwy o06at BOda TE 20 pl yvutar. Dithyrambos , v. 24-25 (Pindars Werke, éd. J. A. Hartung. Leipzig, 1856, in-12, vol. IV, p. 218). 14 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. vard*, lequel suppose, d’après Spiegel*, une forme zend vareda (fleur), d’où le vocable grec paraît dérivé. Cette circonstance doit nous faire chercher la patrie de la rose vers le plateau de l'Iran. Or c’est précisément dans le Caucase“ oriental ainsi que dans le Khourdistan, qu’on a trouvé, à l’état spontané, la rose à cent feuilles, le type des plus belles espèces anciennement cultivées. C’est dans la région occidentale de l'Iran, en particulier dans le Mazendéran et le Farsistan, que la rose aussi atteint les proportions les plus grandes et qu’elle a le parfum le plus exquis; on ne peut guère douter dès lors que ce ne soit là son berceau. De son pays d’origine, elle a d’un côté, à travers l'Asie Mineure, pénétré en Grèce, de l'autre, à travers la Mésopotamie, en Syrie et en Palestine. La Mésopotamie l'avait déjà reçue au v° siècle avant notre ère. Hérodote rapporte * que les habi- tants de Babylone faisaient sculpter au haut du bâton 1. Kuhn und Schleicher, Beiträge zur vergleichenden Sprach- forschung, vol. I (an. 1858), p. 318. 2. E. Rœdiger und Pott, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes. Bonn, in-8, vol. VIII (ann. 1850), p. 419. 3. Et non pas du vocable éseÿfetv, comme l'a fait remarquer Pott. « Das gr. £08ov.. lässt sich nicht von épeulety herleiten ». Z:F-'K. 4. M. ol VIE, 419: 4. Edm. Boissier, Flora orientalis, vol. II, p. 676. Marschall von Bieberstein { Beschreibung der Länder am Kaukasus, p.78) l'a aussi indiquée à Kouban près de Schirvan dans la Perse sep- tentrionale ; mais y est-elle spontanée ? 5. ’Er’ Exdotu Ôt oxfntpw Ereott rerotmuévoy à pihoy à 6OOv à sp!voy 7 aietos à Ado tt. Histor., lib. I, cap. 195. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 45 qu'ils portaient une pomme, une rose, une fleur de lis, un aigle ou quelque autre objet, preuve qu'ils connaissaient et qu'ils cultivaient sans doute aussi de son temps les roses et le lis. A la même époque la rose était déjà cultivée également au nord de la Péninsule hellénique. Les descendants de Téménos, raconte Hérodote’, aflligés de quitter Lébéa, « se retirèrent dans une autre partie de la Macédoine et s'établirent près des jardins qu'on dit être ceux de Midas, fils de Gordius ; et où croissent spontanément des roses à soixante pétales, dont le parfum est plus suave que celui de toutes les autres espèces ». Au- dessus, ajoute-t-il, s'élève le mont Bermios. Un passage des Géorgiques de Nicandre complète celui des AHistoires d'Hérodote et nous permet de suivre la marche de la rose depuis la région du Caucase jusque dans celle de l’Hémos. Après avoir quitté la ville d’Asis en Phrygie, royaume de son père, Midas, nous apprend le poête alexandrin*, passa en Thrace et se fixa d’abord dans l'Édonide, puis dans l’Émathie; c’est dans cette dernière contrée, remarque-t-il, que se trouvaient 1 _ _ , 4. Où Gi antrouevor 24 GXAAnv yñv tie Mazxsôovins ofxnoav réhas TV ANTwv Ty Aeyoueëvwvy etvat M'ôew toù l'opôlew, êv toïot guérar fl Ci Û ? i aÜtouata É0da, Èv Exaotov Éyov Écnaovta HUAÂAX, OÙUT te LTEpyEpOvT Tüv a wy.. Yréo dE Toy xfrwy oùpos zéetat Béoutov. Histor., lib. VIIL, cap. 138. 4 IToëta pèv "Qovnde M'èns, àxeo ’Aoiôos aoynv Xeirwv, êv xAñpototy avétosoev Hual'otorv me > £E Le 4 E LE — À atèv Eç ÉEnxOvTA RéQtË xOUOWVTX HET OS. Georgica, ap. Athénée, lib. XV, cap. 31, 683 b. 16 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. les jardins où ce prince a le premier élevé des roses à soixante pétales. Ce récit symbolise l'importation de la rose, de l'Asie Mineure dans la presqu'île hellénique. Enfin le mont Bermios, au pied duquel Hérodote place les jardins de Midas, se trouvait dans la région même où habitaient les Bryges, frères des Phrygiens d'Asie, suivant Strabon”. On voit comment de la Phrygie la rose fut transplantée dans le nord de l’Hellade. Elle allait bientôt se répandre dans toute la Péninsule et de là dans le bassin de la Médi- terranée tout entier. Sappho parle des roses de Piérie?, province située au sud-est de la Macédoine, sur les frontières de la Thessalie. Théophraste a décrit les roses de Phi- lippes en Macédoine, et vanté celles de Cyrène*. Nicandre a célébré à son tour les roses de Nisée et de Phasélis'. Il y avait, d’après Pline”, des roses renommées à Trachine. Le naturaliste a aussi vanté celles de Préneste dans le Latium, et de la Cam- panie, ainsi que les roses de Carthagène en Espagne. Virgile® et Columelle’ entre autres ont chanté celles de Pestum. 1. Bpûyes nai Dobyes of avro!. Lib. XIT, cap. 3, 20. 2. Lyrici Graeci, cur. J. Fr. Boissonnade. Parisus, 1825, in-18, vol. XV, p: 59. . Hist. plantarum, Gb. VI, 6. Voir pl. loin p. 17 et 18. . Georgica, ap. Athénée, lib. XV, cap. 31, 683, b. . Hist. natur., bib. XXI, cap. 10 (4), 2. Georgie. Lib AV ;-vA410;: . De cultu hortorum, v. 37. (De re rustica, lib. X.) QO JO OX ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 17 IIT. Quelles étaient ces roses qui apparaissent ainsi dans les contrées les plus diverses de l’ancien monde ? Appartenaient-elles à des espèces différentes ou n'étaient-elles que des variétés d’une seule et même espèce ? On a répondu à ces questions de Ia manière la plus différente; le manque de précision et le vague des descriptions que nous ont laissées les anciens rendent trop explicable ce qu'il y a d’incer- tain et parfois même de contradictoire dans ce qu'ont hasardé les modernes sur cet obscur sujet. Théophraste ', le premier et le plus exact des écrivains grecs qui aient décrit la rose, s’est borné à distinguer entre elles les roses cultivées par le nombre plus ou moins grand de leurs pétales, leur parfum et quelques caractères extérieurs. Les roses, dit-1l?, diffèrent beaucoup par le nombre de leurs pétales, leur plus ou moins de rudesse, la couleur et le parfum de leurs fleurs. La plupart ont cinq pétales, quelques-unes douze à vingt, d’autres encore un bien plus grand nombre, car il y en a auxquelles on donne le nom de cent-feuilles, du nombre de leurs pétales. 1. Æist. plant., üb. VI, cap. 6. 2. Toy dë bd0wy rokAat diapopar rAnler te EU AWY za OÀYOTNTE noù tpaydrntt za Meur! nai eûypolx za evooula . Ta pév yap rhciota nevtaouhha ta de DuwdexdpuAhx xat elxoslpuAAx Ta O7 Ett roXÂG rAstoy brepalonvra ToUtuv: Évia Jap eival oaoty & xx xx AD éxatoytapuAha. Cap. 6, 4. JorET. La Rose. 2 18 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Et 1l ajoute que la plupart de ces dernières crois- saient auprès de Philippes. Puis, après avoir dit qu elles ne se faisaient remarquer ni par leur parfum, ni par la grandeur de leurs fleurs’, le disciple d’Aristote termine ainsi sa no Les plus suaves d'odeur sont celles dont la partie inférieure (du calice) est hérissée. La couleur et le parfum des roses, d’ailleurs, dépend de la nature du sol où elles croissent, car on en trouve dans la même région de parfumées et d'autres qui n'ont pas d'odeur. Les plus parfumées sont celles de la Cyrénaïque. Il n'ya dans ce passage rien qui puisse nous apprendre si Théophraste a eu en vue différentes espèces de roses, ou bien ‘sil ne parle que de variétés d’un même type obtenues par la culture; mais une difficulté toute particulière se présente au sujet des roses de Philippes. Le naturaliste grec dit* que les habitants allaient les chercher sur le mont Pangée, où elles croissaient en quantité, et qu'ils les plantaient dans leurs jardins. Si le renseigne- ment est exact, il est presque impossible que les roses de Philippes aient été de vraies cent-feuilles, 1. Ilhsïiota 0 ta rotadra éott Fe Drlrrous,.…. oùz ebooua ÔE peyélesty. Cap 6, 2. Edwin in y or. T0 xatw. To à Ohov... zat N elycota al N evooulx napa Tobs tÜrous ÉoTiv ne! zut Ta ËV YA Th aœÛt} yivdueva motet Tia rapakkaynv eÿooulas zai aoculas. Ebosuotata dE ta év Kuorvn. Cap. 6, 5. 3. Oro: yao hauGavovres y Toù Ilayyalou surévousiv: éxet yiveta! zoAG. Cap. 6, 4 ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 19 qui ne sont point indigènes en Grèce. Sprengel, après les avoir, dans la première édition de son Histoire de la Botanique’, identifiées avec cette espèce, a voulu y voir plus tard”? une forme anoblie de la rose toujours verte (À. sempervirens L.) ; mais cette espèce fréquente sur le littoral de la G rècene paraît pas croître dans la partie montagneuse. Fraas regardait les roses de Philippes comme appartenant à l'espèce gallica, qu'il paraît confondre avec la centifolia, et que les Anciens, dit-il°, n’en distin- guaient pas. Mais en même temps il voudrait voir dans les roses dont le calice est hérissé, suivant Théophraste, une forme de la rose à feuilles de pimprenelle (À. pimpinellifolia L., v. myriacantha”, Lindl.), hypothèse que rien ne justifie et qui paraît reposer sur une interprétation erronée du texte de l'écrivain grec*. 1. Historia rei herbariae, 1807, vol. I, p. 93. « Rosa cen- tifolia ad Philippos sponte crescere dicitur ». 2. Geschichte der Botanik, 1827, vol. I, p. 75. « Dies wird Rosa sempervirens sein, welche Sibthorp in Griechenland häufig wild fand ». On conviendra que la raison n’est guère suflisante. 3. « Die Alten unterschieden wohl R. centifolia et gallica als Arten nicht ». Op. laud., p. 76. 4. Ich ziehe diese Pflanze hieher, weil sie auf den nürdlichsten Gebirgen die häufigste ist ». Op. Laud., p. 75. 5. Fraas a supposé que ces roses à calice hérissé étaient celles mêmes de Philippe, ce qui est inexact ; Athénée, |. XV, 682, en les appelant revrépukkx montre très bien qu'il ne peut être question ici des roses doubles de Philippes ; mais quelles étaient ces roses odorantes à cinq pétales ? Serait-ce la Rosa sempervirens, dont le parfum est faible, mais très suave ? 20 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Lenz ne s’est pas arrêté à la difficulté que j'ai signalée et 1l n'a pas hésité à regarder les roses de Philippes comme des cent-feuilles, il en a été de même de Hehn et aussi de Koch. Leur manière de voir est-elle conforme à la réalité des faits ? Le texte de Théophraste est peut-être trop peu authentique ou exact, pour quon puisse se prononcer. Tout ce que nous apprend de certain l'Histoire des Plantes, c’est qu’au 1v° siècle avant notre ère les roses de jardin variaient beaucoup par le nombre de leurs pétales, et qu'on en cultivait même de simples, c’est-à-dire à cinq pétales. Ces dernières étaient-elles de la mème espèce que les roses à fleurs doubles ou n'étaient-elles que des roses sauvages non encore anoblies? Nous l’ignorons et le naturaliste grec n'a rien dit qui puisse nous l'apprendre. Dans le livre VI de son Aistoire des Plantes, à la fin de l’article sur les roses, Théophraste s'est borné à remarquer que les roses sauvages, — &yprat boèwvyix, — dénomination sous laquelle 1l les comprend toutes, avaient les feuilles et lestiges plus rudes, les fleurs moins colorées et plus petites que les roses cultivées. Ailleurs*il parait les désigner, toutes également, sous le nom de yvvécéarey — ronce de chien —, arbuste qui a, dit-il, un fruit rouge et semblable à une grenade, ce qui convient à peu 1. Aid” Gyptar (bodwvlat) Tpaybtepat xat Taie babdots xai Toïs oUAdors, Ett de av0os xypobotegov Eyouct zat Ekatrov. Cap. 6, 6. 2. Hist. plant., Ub. II, cap. 18, 4. Au livre IX, cap. 8, 5, il est fait également mention du fruit du cyrosbaton. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 21 près au fruit de l’églantier, — et dont «les feuilles, ajoute-t-il, ressemblent à celles du gattilier », ce qui s'applique bien à la ronce, mais non plus à l’églantier, encore que Théophraste ‘ait sans doute voulu parler de cet arbrisseau. Mais quelle espèce de rose sauvage a-t-1l appelée du nom de xuvéc8arey ? Théophraste n’est pas le seul écrivain qui se soit servi du mot; Dioscoride l’a également employé?, et la description qu'il a donnée du végétal auquel il l’attribue, si elle manque de précision, — il ne faut pas en demander aux naturalistes anciens, — con- vient néanmoins assez bien à un églantier, et en ce qui concerne le fruit et les graines ne saurait convenir qu'à lui. Le cynosbaton, dit-11*, qu'on appelle parfois aussi oxyacantha, est beaucoup plus grand que la ronce; il devient en effet arborescent et a des feuilles beaucoup plus larges que celles du myrte. Ses rameaux sont garnis de robustes aiguillons, sa fleur est blanche‘, son fruit 1. To SE zuvooSatoy toy xasr0v drézulpoy Ever xai ra:arAnstov is É0as" .…. T0 dé SU AXOY avv@DEs Lib. ITT, cap. 18, 4 LATE (De alim. facult. I, 4), a également employé ce nom pour désigner la rose sauvage, mais sans donner d'autre indi- cation sur cet arbuste, sinon que le fruit en est astringent. 3. Kuvoséazov, 0! ù 0Eoxrayday 2axhkoDTt. (auvos à’ éott Barou _ f " f 7OÀÀG pelfoy, d:yôou D0AÀX oëpet moÂÂG rAatitepa uuz0ivns, , andvôas DE m:9! tais sion À tavoœs, &y0os EuxOv, zapxoy Ér'uTAn, Tupñv: Ehalas re EV TG) 757 Fe e50x: ruoboOv, Ta DE EvrOs éctuôn. 1108 medica materia, Gb I, cap. 123. Lipsiae, 1829, in-8, p. 117 Cette couleur de la Re a fait supposer à Sprengel que VER a eu ici en vue, ce qui est peu probable, la variété 22 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. oblong ressemble à une olive et devient rouge à la matu- rité ; au milieu se trouvent des poils d'apparence laineuse.… Comme Théophraste, Dioscoride ne distingue pas plusieurs espèces d’églantier, et, comme pour son devancier, on ne sait pas laquelle des roses sauvages il avait en vue dans la description qu'il a donnée. Ce qu'il dit du fruit convient presque indifféremment à la rose de chien et à la rose toujours verte; il est plus que probable que l’auteur de la Matière médicale avait vu, comme Théophraste, ces deux espèces, qui se trouvent également en Grèce: mais il est pro- bable aussi qu'il les a confondues entre elles, ainsi peut-être qu'avec la rose rouillée (À. rubiginosa L.) qu'on rencontre, comme elles, dans la Péninsule hellénique, ainsi que daus les îles de lArchipel et l’Asie Mineure*. Dioscoride n’a pas plus essayé de distinguer les roses cultivées que les roses sauvages ; 1l les com- prend toutes sous le nom de rhoda, et comme il leur attribue à toutes les mêmes propriétés médici- nales, qu'il n’en a donné aucune description, on voit qu'on ne peut pas trouver chez lui le moindre ren- seignement sur ce qu'elles étaient”. Tout ce que nous collina Jacq. de la À. canina. « Flores zvvos6atov albi probant, Rosae caninae varietatem albifloram seu collinam Jacq., leucan- tham Lois. intelligi ». (Dioscoridis materia medica, vol. IL, p- 399). Il aurait fallu commencer par montrer qu'il s'agit bien de la À. canina et non d’une autre espèce. 1. Edm. Boissier, Ælora orientalis, vol. IT, p. 67. 2. Sil fallait en croire Sprengel, qui a donné en 1829-10 une ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 23 connaissons des roses cultivées par les Grecs se réduit donc à ce que nous apprend Théophraste, et cela est trop peu pour que nous puissions en rien conclure. Le naturaliste grec a sans doute connu plusieurs races de roses cultivées, 1l a mème signalé entre elles des différences, mais rien n'indique qu'il ne les ait pas toutes rattachées au même type. Il en a été de même pour Dioscoride. C’est le point de vue où la science grecque en est restée. La science romaine est-elle allée plus loin ? Deux de ses représentants les plus autorisés, Colu- melle et Palladius, quand ils ont parlé de la culture de la rose, ne paraissent pas en avoir su plus que leurs devanciers de la Grèce, Théophraste et Dios- coride ; ils n’ont rien dit du moins qui permette de penser qu'ils en distinguaient plusieurs espèces”; nouvelle édition de la Matière médicale (Leipzig, in-8, 2 vol.), Dioscoride aurait connu deux autres espèces de rose ; on trouve en effet, dans cette édition (lib. 1, cap. 130, vol. I, p. 12%), le pas- sage suivant, qui, manquant dans toutes les autres, semble être l'addition d'un copiste: 7x ÔÈ ycuox nat movopukAa els aravra œppnototeca. "Eot: nat éniyeut tive, puxoôtspa, am AG, dypta, ets roX AG tOÏs ANTEUTOÏS EVAaGESTESX : & Aurea rosa », dit, dans son commen- taire (vol. IT, p. 404), Sprengel, qui ne parait pas douter de l’au- thenticité de ce passage, encore qu'il n'en justifie pas l'origine, « est R. lutea Dal.; agrestis vero et ér{yetos, R. arvensis ». 1. Il a fallu une singulière inadvertance de Sprengel { Geschichte der Botanik, vol. I, p. 130) pour parler de la rosa Sarrana ; s'il avait lu plus attentivement ou moins perdu de vue le texte de Columelle, il aurait vu qu'il s'agit (lib. IX, 4) des « violettes pourpres » {Sarranae violae) ou (lib. X, v. 287) de «‘roses plus éclatantes que la pourpre de Sarra » : Jam rosa mitescit Sarrano clarior ostro. 24 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. pour eux, il n’y a qu'une rose cultivée — la rosa — comme il n’y a qu'une seule rose sauvage ou églan- tier, — le cynosbatos ou sentis canis. — Reste Pline. Le naturaliste latin distingue d’abord, mais d’une manière singulièrement vague, l’églantier de la rose proprement dite ou cultivée. « Le végétal qui porte la rose est plutôt une épine qu’un arbuste », dit-il en parlant de la seconde”, mais cette fleur « vient aussi sur une ronce », ajoute-t-1l en faisant allusion à la première. Il connaissait aussi, comme Columelle, le nom cynosbatos, mais, tandis que celui-ci désigne évidemment l’églantier par ce nom*, la description qu'a faite Pline” de l’arbuste auquel il l’attribue, ne saurait convenir qu'à une ronce*; il semble avoir réservé à l’églantier le nom de cynorrhodos*. Mais il confond toutes les roses sauvages sous cette déno- mination, et on ne trouve rien dans son /istoire naturelle qui permette de croire qu'il en a connu, encore moins distingué, plusieurs espèces. Mais 1l 1. « Rosa nascitur spina verius quam frutice, in rubo quoque proveniens. Æist. natur., ib. XXI, cap. 10 (4). 2. (Spina) quam Graeci vocant xvv0séarov, nos sentem canis appellamus. De re rustica, Gb. XI, cap. 3. 3. Cynosbatos... folium habet vestigio hominis simile. Fert et uvam nigram, in cujus acino nervum habet, unde nevrospatos dicitur. Hist. natur., b. XXIV, cap. 74. 4. Il faut dire toutefois qu'au livre XVI, chap. 71, il semble que le mot cynosbatos désigne bien l'églantier : « Rubi mora ferunt et alio genere similitudinem rosae qui vocatur cynosbatos ». 9. Radix silvestris rosae, quae cynorrhodos appellatur. Hist. natur., lib. VIII, cap. 43(41). — Radicem silvestris rosae, quam cynorrhodon vocant. /bid. lib. XXV, cap. 6. ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. ZA) a distingué plusieurs races ou formes, sinon plusieurs espèces, de roses cultivées. Après avoir décrit, non sans originalité, l'inflo- rescence de la rose et parlé de quelques-uns des emplois de cette fleur, Pline ajoute’ Les espèces les plus célèbres parmi nous sont la rose de Préneste et celle de Campanie; d’autres ont ajouté la rose de Milet, qui est d'un rouge très vif et qui n'a pas plus de douze pétales : vient ensuite celle de Trachinie, qui est moins rouge, puis celle d'Alabanda, dont les pétales sont blanchâtres: la moins estimée est la rose épineuse {spineola), qui a beaucoup de pétales, mais très petits. Après ces renseignements, qui paraissent lui appartenir en propre, Pline continue, en paraphra- , JE , . . . sant Théophraste, qu il n'a pas toujours bien inter- L4 , prété Ge 1. « Genera ejus nostri fecere celeberrima Prænestinam et Cam- panam. Addidere ali Milesiam, cui sit ardentissimus color, non excedenti duodena folia. Proximam et Trachiniam minus rubentem. Mox Alabandicam viliorem, albicantibus folus. Vilissimam vero plurimis, sed minutissimis spineloam » /bid., lib. XXI, cap. 10 (4), 2. 2. « Differunt multitudine foliorum, asperitate, laevore, colore, odore. Paucissima quina folia ac deinde numerosiora : quum sit genus ejus quam centifoliam vocant : quæ est in Campania Italiæ, Graeciae vero circa Philippos : sed 1b1i non suae terrae proventu. Pangaeus mons in vicino fert, numerosis foliis ac parvis : unde accolae transferentes conserunt, ipsaque plantatione proficiunt. Non autem talis odoratissima est ne cui latissimum maximumque folium ». Zbid., 3. 26 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Les roses diffèrent par le nombre des feuilles, par la rudesse, le poli, la couleur, l'odeur. Le nombre des feuilles, qui n'est jamais de moins de cinq, va toujours croissant, au point qu'il est une espèce à cent feuilles : elle vient en Italie dans la Campanie, et en Grèce aux environs de Philippes; mais dans ce lieu elle ne croît pas naturellement : elle vient du mont Pangée, qui est dans le voisinage, et qui produit des roses à pétales nom- breux et petits ; les habitants les transplantent et par là les améliorent. Cette espèce n'est pas tres odorante, non plus que celle dont la feuille est tres large et très grande. Si Pline n'a pas eu un texte de l'Histoire des plantes différent de celui que nous possédons, il s’est permis avec Théophraste de singulières licences, et en transposant ou réunissant des phrases séparées, il a fait dire au naturaliste grec des choses auxquelles celui-ci n'avait guère pu ni dù penser. Pline a emprunté au disciple d’Aristote la mention qu'il a faite de la rose si parfumée de Cyrène ; mais je ne sais où 1l a pris ce qu'il dit de la « rose grecque des Latins », — le /ychnis des Grecs, — « qui n’est pas plus grosse qu'une violette à cinq pétales, mais n'a pas d'odeur », de la græcula, aux pétales réunis en peloton, de l'espèce appelée mosceuton, à la tige semblable à celle de Ia mauve et aux feuilles d’olivier, ainsi que de la coroneola « rose d’automme », qui tenait le milieu pour la grosseur entre les trois pré- cédentes, et seule était odorante, tandis que les autres étaient sans parfum’. [l est impossible de recon- 1. « Est et quae Gracca appellatur a nostris, a Graecis lychnis, ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 27 naître dans toutes ces fleurs des espèces ou variétés de roses”, et l’énumération qu’en a faite ici l’éerivain latin montre combien peu 1l tenait à l'exactitude. On comprend d’après cela combien il est difficile d'identifier les variétés de roses mentionnées par Pline ; Gaspard Bauhin * l'a tenté, ainsi que l'Écluse, mais 1ls ne sont arrivés qu’à des hypothèses plus ou moins ingénieuses, et il était difficile qu'il en fût autrement, puisque les descriptions de l'Histoire naturelle sont incomplètes. Les conclusions de Bauhin n'en ont pas moins été acceptées par A. Fée dans sa Botanique de Pline*, ainsi qu’elles l'avaient été en partie dans l'édition allemande de l'Histoire de la Botanique, de Sprengel. D’après ces deux derniers auteurs, la rose épineuse (spineola) serait la Rosa spinosissima L. ou myriacantha D. C., formes de la rose à feuille de pimprenelle, et tous voient dans .. unquam excedens quinque folia, violaeque magnitudine, odore nullo. Est et alia Graecula appellata, convolutis foliorum pani- cuis... Alia funditur e caule malvaceo, folia oleae habente, mos- ceuton vocant. Atque inter has media magnitudine autumnalis quam coroneolam vocant. Omnes sine odore, praeter coroneolam. » Tbid., 4. 1. La rose grecque ou Lychnis a été considérée comme étant le Lychnis coronaria L., la mosceuton, qui « certes n'est pas la rose musquée », dit justement Hardouin {Pline de Lemaire, vol. VIT, p. 14, n. 25), est regardée par Desfontaines /ibid.) probable- ment comme l’Althaea rosea. 2. Pinax theatri botanici, sive Index in Theophrasti, Dios- coridis, Pliniti et botanicorum qui a saeculo scripserunt opera. Basileae, 1623, in-8, p. 480. 3. À Ja suite du livre XX VI de Pline dans l'édition Panckoucke. 28 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. la rose de Campanie la rose blanche {Rosa alba C. Bauh.); pour Sprengel, la rose de Milet aurait été la rose de Provins {À, gallica L..); il en est de même pour Fée, qui identifie aussi avec cette espèce les roses de Préneste et de Trachyne. Sprengel voyait, au con- traire, avec l'Écluse, dans la première, une rose de Provence {À. provincialis), et dans la seconde la rose de Damas /}. damascena); c’est à cette dernière espèce que, d'après Fée, appartenaient les roses de la Cyrénaïque. C’est à elle aussi qu’on a rattaché parfois les roses célèbres de Pestum'. Enfin Sprengel regar- dait la rose d’Alabanda comme la rose velue /R. villosa L.), espèce non cultivée pourtant”, et Fée voit dans la græcula, qui n’était probablement pas une rose, l’hypothétique Rosa silvestris de Bauhin. On ne pou- vait donner plus libre carrière à la fantaisieÿ. 1. En particulier Sprengel {Geschichte der Botarnik, v. I, p- 123), ainsi que Koch, on l’a vu. Pour Loiseleur-Deslongchamps (p- 137) c'est la « rose bifère ». Fée dans la « Flore de Virgile » (Virgile de Lemaire, vol. VII, p. eciv), s’est borné à dire que ce nest pas la R. alba D.C. 2. Avec plus de raison Johan. Retzius, Ælora Virgiliana, Lund, 1808, 8°, l'a identifiée avec la var. pallida de la R. centifolia. 3. On trouve dans la Flore de Virgile par Fée un exemple curieux de ces créations arbitraires d'espèces. Dans une de ses églogues, Virgile parle de roses pourpres. Puniceis humilis quantum saliunca rosetis (V, v. 17). Au lieu de voir dans l'adjectif puniceus un simple synonyme de purpureus, Fée, supposant d'ailleurs, on ne sait trop pourquoi, qu'un berger n'avait pu connaître de roses cultivées, a identifié la rose virgilienne avec la var. punicea de la rose jaune {R. Lutea, L.), encore qu'aucun auteur de l'antiquité ne paraisse avoir connu ESPÈCES DE ROSES CONNUES DES ANCIENS. 29 L 2 De toutes ces suppositions, la seule qui ait quelque fondement réel, c'est qu'à côté de la cent- feuilles, regardée par Fée comme la forme type des espèces mentionnées par Pline, les Romains culti- vaient sans doute aussi la rose de Provins (À. gallica), de même peut-être que la rose à feuilles de pimpre- nelle. On doit admettre aussi qu'ils avaient proba- blement, quoique exceptionnellement, dans leurs jardins des roses rouges et des roses blanches”. Quant aux dénominations diverses de roses qu'on rencontre chez les auteurs, elles désignent le plus souvent bien plus des centres de cultures que des variétés, encore moins des espèces différentes de cette fleur. Mais qu'importe ces distinctions, incon- nues aux poètes de l'antiquité ? Pour eux, sous ses diverses formes, la rose fut la reine des fleurs ; c’est comme telle qu'ils l'ont chantée, sans se demander à quelle variété appartenaient celles qu’ils connais- saient et qu'ils confondaient toutes, quelles qu’elles fussent, dans un même sentiment d’admiration. cette espèce, mentionnée d'abord seulement par les écrivains arabes. Pietro Rubani, Flora Virgiliana, Firenze, 1868, 8°, p. 99, n'a pas été plus heureux quand, faisant un contresens, il a voulu trouver des roses blanches dans le XIfe livre de l'Énéide, — il s'agit de lis blancs, — et qu'il n'a pas hésité à les identifier avec la 2. moschata, L., espèce asiatique importée d’abord en Europe par les Arabes. 1. Il faut dire toutefois que Pline parle seulement de roses aux pétales blanchätres {albicantes), mais Ovide paraît bien en con- naître de blanches « Albentesve rosas ». Art. amat. lib. II, v0192. CHAPITRE II. CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Hérodote est le premier écrivain de l'antiquité qui ait, mais en passant seulement, parlé de la culture de la rose; d’après lui, nous l’avons vu, cette fleur aurait été importée dans la péninsule hellénique par Midas, ce qui la fait remonter aux temps antéhistoriques. Mais, pour savoir en quoi consistait sa culture, à quels procédés elle avait recours, il faut descendre jusqu'à Théophraste, c’est- à-dire au 1v° siècle avant notre ère. À cette époque la rose était répandue depuis longtemps déjà dans le monde grec tout entier, et l'influence hellénique avec le luxe croissant allait la faire pénétrer dans tout le monde connu des Anciens. La mention, au vu siècle, de cette fleur char- mante par Archiloque’ de Paros, l’éloge qu'en à fait Anacréon de Téos au siècle suivant, montrent que dès ces temps reculés elle était connue dans les îles de la mer Égée ; celles de Samos fleu- rissaient deux fois l’an*; Rhodes paraît lui devoir 1. Voir plus haut, p. 10. 2. Athénée, Deipnos., lib. XIV, cap. 68 (654). CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 31 son nom. Le témoignage de Pindare ! nous apprend qu'on la cultivait aussi dans la Grèce centrale. Les roses de Trachine étaient renommées ; celles de Lydie étaient encore plus célèbres. Nicandre place au second rang, après les roses d'Émathie, celles de Nisée de Mégare; 1l vante aussi les roses de Phasélis, ains: que celles qui «fleurissent sur les bords du Léthé de Magnésie* ». Les roses de Milet, tardives, mais d’un vif incarnat, étaient estimées, quoiqu'elles n'eussent que douze pétales”. La pâle couleur de leurs fleurs faisait, au contraire, négliger les roses de la ville voisine d’Alabanda *. Mais la culture de la rose ne resta pas longtemps renfermée dans les limites de l’Asie Mineure ou de l’'Hellade ; les colons grecs la transportèrent avec eux dans les établissements qu’ils formérent loin de la mère patrie. C’est ainsi que la rose pénétra tour à tour en Sicile, où le poëte Bion en racontera la naissance fabuleuse *, et où Ovide nous montre Per- séphone Îa cueillant, quand elle fut enlevée par Pluton°; dans l'Italie méridionale, enfin dans la Cyrénaïque, où elle s’acclimata rapidement et pro- 1. Dithyrambi fragm. LUI, v. 17-18. 2. Athénée, Deipnos., lib. XV, cap. 31, 683, b. Le Léthé, affluent du Méandre, se jette dans ce fleuve près de Magnésie. 3. « Addidere ali Milesiam, cui sit ardentissimus color, non excedenti duodena folia. » Pline, Æist. natur., lib. XXI cap. 10(4), 2. &. « Alabandicam viliorem, albicantibus foliis. » Pline, ibid. 9. Idyllion, IE, v. 65-66. 6. Plurima lecta rosa est. Fast., lib. IV, v. 441. 32 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. duisit une variété recherchée pour son exquis parfum *. C'est peut-être de cette dernière contrée, que la rose, si elle n'y fut pas directement importée d'Orient, fut transplantée en Égypte; inconnue dans ce pays, nous l'avons vu, à l’époque des Pharaons, on l’y trouve cultivée sous les Ptolémées ; la région d’Arsinoé — le Fayoum actuel — devint célèbre par les roses qu’elle produisait. On la rencontre aussi maintenant en Syrie, où elle était inconnue avant l'invasion babylonienne, et elle va prendre place dans la littérature juive, qui l'avait ignorée jusque-là. C'est au moment où la rose apparaît ainsi dans toutes les provinces de la Grèce ou de lOrient hellénisé que Théophraste a, le premier, fait con- naître la culture de cette fleur charmante. La rose, dit-il?, vient de graine. Puis, après avoir décrit le fruit de ce précieux arbuste, il ajoute: Mais, comme ce moyen de propagation est trop lent, on la reproduit plutôt par bouture. Taillée et passée au feu, elle donne des fleurs plus belles. Quand on la laisse intacte et qu'on l'abandonne à elle-même, elle se déve- loppe outre mesure et retourne à l'état sauvage. Il importe aussi de transplanter souvent les pieds de rosier; c'est le moyen, dit-on, de leur faire porter de plus belles fleurs. C'est peu; ces préceptes cependant n'ont guère 1. « Cyrenis odoratissima est », dit Pline /Æist. natur., lib. XXI, cap. 10(4), 5), en traduisant Théophraste. 2. Hist. plantarum, lib. VI, cap. 6. CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. J4 été dépassés dans l'antiquité, et Pline ne fera guère que les reproduire en les développant, encore que de son temps la culture des roses eût une impor- tance bien plus grande qu'à l’époque de Théo- phraste. Portée par les colons grecs dans leurs établisse- ments de l'Italie méridionale, la culture de la rose y devint florissante ; Lycophron parle des roses de Locres'; celles de Pestum ont été célèbres dans l'antiquité ; elles fleurissaient, dit-on, deux fois l’an*. De la Grande Grèce, sous le nom de rosa, dérivé de fox ou boètx", le rosier pénétra dans la Cam- panie et le Latium: sa culture prit surtout une grande extension dans la première de ces provinces, qui rivalisa pour ses roses avec l'Égypte. Dans le Latium, Préneste eut de bonne heure des roses renommées et tardives®; dans une pièce de vers connue, Martial parle aussi de celles de Tibur et de 1. Lycophron, Alexandra, v. 1429. 2: biferique rosaria Paesti, Virgile, Georgic. lib. IV, v. 119. nec bifero cessuro rosaria Paesto. Martial, Epigr. Hib. XII, 31, v. 3. Ovide, qui en parle aussi, se borne à les mentionner sans leur attribuer ce privilège. tepidique rosaria Paesti. Metam. Lib. XV, v. 708. 3. Pott, « Ucber altpersische Eigennamen. » {Zertschrift der deutschen morgenl. Gesellschaft. Leipzig, in-8, vol. XIIT (1859), p. 390). — H. Estienne, Thesaurus, s. v. 4. « Ab ea (Aegypto) Campania est, copia rosae. » Pline, Hist. natur. Lib. XIIT, cap. 6. 5. Pline, Hist. natur. Lib. XXI, cap. 10(4), 5. JORET. La Rose. 3 34 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Tusculum'. Plus tard les roses de Milan aussi furent célèbres *, comme l’étaient dès longtemps celles de Malte’. Poursuivant sa marche vers l'Occident, la rose pénétra à son tour en Espagne, où Cartha- gène fut renommée pour l’espèce qu’on y cultivait*, en Gaule, où Ausone la chantera, dans la Grande Bretagne mème”. Les écrivains latins ont laissé les témoignages les plus formels des progrès faits par la culture de la rose depuis la fin de la République, ainsi que les renseignements les plus curieux sur les soins dont elle était l’objet. Varron déja recommandait de s’y livrer dans la campagne romaine°. Virgile n’a point oublié de faire cultiver les roses par son vieillard de Tarente”. Columelle prescrit à l’homme des champs de planter dans son jardin cette fleur dont « la couleur est l’image de la pudeur rougis- sante »; il veut qu'au printemps elle « élargisse le jonc tordu de ses corbeilles », afin qu'il revienne de la ville, où il l’aura portée, ses poches chargées 1. Epigr. lib. IX, 61. 2. Flavius Vopiscus, Carinus, cap. 17. 3. Cicéron, Zn Verrem, V, cap. 11. 4. Pline, Hist. natur. lib. XXI, cap. 10(4), 5. 5. Voir pl. loin, Ile partie, chap. I et II. 6. « Itaque sub urbe colere hortos late expedit, sic violaria ac rosaria. » De re rustica, bb. I, cap. 16, 3. 7 Primus vere rosam atque autumno carpere poma. Georgic. bb. IV, v. 134. 8. Ponatur ... nimium rosa plena pudoris. De re rustica, Lib. X, v. 102. CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 35 d’argent'. Désormais la rose a sa place dans tous les jardins de Rome et de l'Italie. Dans la descrip- tion connue qu'il a laissée de sa maison de cam- pagne, Pline le jeune rappelle avec complaisance les bosquets de roses qui remplissaient l’intérieur du manège de sa villa *. | L'importance qu’on attachait à la rose fait com- prendre le soin apporté à sa culture et explique Îles détails avec lesquels les agronomes latins en ont parlé. Comme on le voit d’après ce qu'ils en rap- portent, on la pratiquait en grand, mais elle différait singulièrement de ce qu’elle est aujourd'hui. Pour faire un plant de rosiers, dit Varron *, on choisit des pieds qui aient des racines ; on les coupe à partir de la racine en brins d'une palme environ qu'on met en terre, et qu'on transplante plus tard, lorsqu'ils ont repris. Columelle est plus bref : il se borne à dire que « le rosier se met en graine et par boutures dans des fosses d’un pied ». Maisil ajoute qu'il faut le labourer 4. Jam rosa distendat contorti stamina junci, Acre sinus gerulus plenos gravis urbe reportet. De re rustica, hb. X. v. 306 et 310. 2. « Etiam rosas effert. » Æpistol. Lib. V, 6. 3. « Quod jam egit radicem, rosetum conciditur radicitus in virgulas palmares et obruitur. Haec eadem postea transfertur facta viviradix. » De agricultura, lb. T, cap. 35. &. « Rosam fructibus ac surculis disponi per sulcos pedales con- venit... Sed omnibus annis fodiri ante calend. Martias et interpu- tari oportet. Hoc modo culta multis annis perennat. » De arbo- ribus, cap. 30. 3b LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. et le tailler chaque année avant les calendes de mars ; ainsi cultivé, remarque-t-il, il dure plusieurs années. Mais c’est grâce à Pline surtout qne nous savons ce qu'était la culture de la rose chez les Romains et les préceptes qu’il a donnés devaient faire loi encore au moyen àge. Pour le rosier, dit-il', on travaille la terre plus profon- dément que pour le blé, plus superficiellement que pour la vigne. Il vient, remarque-t-il d'après Théophraste, très lentement de graine... aussi préfère-t-on le planter de bouture. Une seule espèce se plante comme le roseau par des yeux de racines ; c’est le rosier à fleurs pâles et à cinq pétales, à branches épineuses, très longues ?... Tous les rosiers, ajoute-t-il encore d'après Théophraste, gagnent à être taillés et passés au feu. La transplantation les fait, comme la vigne, pousser très bien et très vite ; on a des boutures de quatre doigts de long ou plus, — Pline suit ici Varron, — on les plante après le coucher des Pléiades *, puis lorsque le Favonius souffle, on les 1. « Fodiuntur altius quam fruges, levius quam vites. Tar- dissime proveniunt semine ... ob id potius caule conciso inserun- tur ; et ocellis radicis, ut harundo, unum genus inseritur, pallidae, spinosae, longissimis virgis, quinquefoliae, quae e Graecis altera est. » Lib. XXI, cap. 10(4), 6. 2. Pline ajoute que « cette rose est la seconde des roses grecques » : que pouvait bien être cette espèce ? Hardouin a sup- posé que c'était la même que la graecula ; mais qu'était alors celle-ci ? 3. « Omnis recisione atque ustione proficit : translatione quoque, ut vitis, optime ocissimeque provenit, surculis quaternum digito- rum longitudine, aut ampliore, post Vergiliarum occasum sata : CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 5 replante à des intervalles d'un pied et l'on remue fré- quemment la terre alentour. Palladius a peu ajouté à ce qu’avaient dit Varron et Pline. Comme ce dernier, il fait venir les roses de boutures ou de graines, qu'il prescrit de déposer en février dans de petites fosses ou tranchées. I] recommande également, pendant ce mois, de fouiller par le pied, avec des sarcloirs ou des dolabres, les vieux plants de rosier et d’en couper avec soin tout le bois sec”. Enfin il donne le conseil de renouveler les anciennes plantations devenues trop claires, en couchant en terre de jeunes branches en guise de seions*. Dans les Géoponiques il n’est plus question de semer les rosiers”. On conseille de transplanter les pieds tels quels avec leurs racines, ou, après les avoir arrachés, de les couper à la hauteur d’une palme, — nous retrouvons ici le procédé de Varron, dein per Favonium translata, pedalibus intervallis crebroque cir- cumfossa ». 1. « Hoc mense (februario) rosaria conseremus, quae sulco bre- vissimo aut scrobibus ponenda sunt, vel virgultis, vel etiam semine. » De re rustica, Hib. TT, cap. 21. Aïlleurs (lib. XI, cap. 11), Palladius dit qu'on peut aussi planter les rosiers au mois de novembre, mais dans les terrains chauds. 2. « Si qua etiam sunt antiqua rosaria, hoc tempore cireumfo- diuntur sarculis vel dolabris, et ariditas universa reciditur. » De re rustica, lib. TITI, cap 21. 3. « Nunc et quae rara sunt possunt ducta virgarum propagine reparari ». ’ N Al 1 LA 19 L LA 4. OÙ pév yas avtOpétta 0À0zÀnpa etapurebousiv, of dE Es Advzec ‘ 2 4 , , 5 , 0] , meta TOv PICGv, zatTarIntouIty ets Trahaigtiatx LEyEôn..…. tas Élus 38 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. — et de planter pieds et racines à un intervalle d’une coudée. Palladius ne s’est pas borné à donner des pré- ceptes pour la culture de la rose, 1l a indiqué encore le moyen de conserver fraîches les roses en boutons. On fend, dit-il, ‘ un roseau vert sur son pied et on renferme les boutons dans sa cavité de façon que la fente puisse se rejoindre ; on coupe ensuite le roseau, quand on veut avoir des roses fraîches. Il y a aussi des personnes, ajoute-t-1l, qui renferment des roses dans un pot non verni et bien bouché; elles les conservent ainsi en les enterrant à l'air hbre. Ces précautions montrent le prix que les Romains attachaient à ces fleurs aimées et quel soin ils prenaient pour en avoir de fraîches. Une préoccupation bien naturelle des jardiniers de Rome fut d’avoir des roses précoces; Pline, quand il parle de cette fleur, a bien soin de mentionner quelles variétés fleurissent de bonne heure et les lieux qui les produisent. Telles étaient les roses de Campanie, celles de Carthagène surtout, « précoces, dit le naturaliste”, pendant tout l'hiver ». Pour en pat T0 £E aûToy ÉxTEDUAOS, ZA TX TUMUATA OUTEUOUILY, aréy 0vTa ANR - Àwy &s riyuv. Geoponicorum sive de re rustica libri XX. Lipsiae, 1781, in-8. Lib. XI, cap. 18. 1. « Rosas nondum patefactas servabis, si in canna viridi stante fissa recludas, ita ut fissuram coire patiaris : et eo tempore cannam recidas, quo rosas virides habere volueris. Aliqui olla rudi condi- tas ac bene munitas sub dio obruunt ac reservant. » De agriculture, Éb; VI;-cap:a7. 2. « Hieme tota praecox. » Æist. natur., Hb. XXI, cap. 10(4), 5. CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 39 obtenir en tout pays de semblables, on eut recours à un moyen ingénieux, mais qui peut nous paraître un peu primitif; Pline’ et Palladius* nous le font également connaître. On creusait une fosse d’un pied autour du rosier et on y versait deux fois par jour de l’eau chaude, au moment où les boutons commencaient à pousser. Dans les Géoponiques*, on conseille, ce qui est plus simple, de mettre les plants de rosiers dans des vases en terre ou des caisses”, et de les placer à l’abri du froid dans des endroits exposés au soleil. C’est ce qu'on faisait, d’après Columelle*, pour avoir des concombres hâtifs. Il y a loin de ces procédés à nos serres chaudes, dont on a voulu‘ retrouver l’idée dans un passage cor- rompu de Sénèque. Le philosophe ne fait allusion évi- demment qu'à l'emploi des arrosages d’eau chaude, conseillés par Pline”. Il n’est pas davantage question 1. « Qui praecocem faciunt, pedali circa radicem scrobe aquam calidam infundunt, germinare incipiente calyce. » Hist. natur., hb. XXI, cap. 10(4), 6. 2. « Si rosam temperius habere volueris, duobus palmis ab ea gyrum fodies, et aqua calida bis rigabis in die. » Zbid. 3. Les Géoponiques préconisent aussi le procédé recommandé par Pline et Palladius, mais pour häter la maturité des fruits. k. Ta de É0da rpwiua ylverar puteudmeva Ev te xowivots nat xepanutots. Ibid. 9. De re rustica, hb. XI, cap. 3. 6. En particulier Loiseleur-Deslongchamps, Za Rose, p. 52. 7. « Non vivunt contra naturam, qui hieme concupiscunt rosam fomentoque aquarum calentium et locorum mutatione brumalium florem vernum exprimunt ? » Epist. lib. XX, 5(122), éd. Fr. Iaase. Les anciennes éditions donnent : « et calorum apta imita- 40 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. de serres, quoi qu'en ait pensé Hehn', dans un passage connu de Martial”, où le poète parle simple- ment de plaques de verre qui servaient à conserver la fraîcheur des fleurs en les préservant du contact de l'air, tout en permettant de jouir de leur vue. Mais on n’en peut dire autant du procédé indiqué dans une autre pièce de vers du mème poëte. Colu- melle recommandait de couvrir de plaques transpa- rentes les plants de jeunes concombres, afin de pou- voir les mettre sans danger au soleil par les jours sereins, mais froids”. Ce procédé, importé en Italie par les Ciliciens, que Pompée avait transplantés en Calabre“, s’était bientôt répandu dans toute la Pénin- sule. Martial, dans une de ses épigrammes”*, parle des plantations d’un de ses amis que « des plaques transparentes défendaient contre les vents d'hiver, tout en laissant pénétrer Jusqu'à elles un jour pur et tione bruma lilium », ce qui a fait croire qu'on obtenait des lis en plein hiver. 1. Xulturpflanzen, p. 206, 2. Condita sic pura numerantur lila vitro, Sic prohibet tenuis gemma latere rosas. Epigr. lib. IV, 22, v. 5-6. 3. « Specularibus integi debebunt, ut etiam frigoribus serenis diebus tuto producantur ad solem. » De re rustica, lib. XF, cap. 3. #. « Voss zu Virgils Landbau, » IV, p. 773, ap. Sprengel, Geschichte der Botanik, vol. 1, p. 116. 5e Pallida ne Cilicum timeant pomaria brumam Mordeat et tenerum fortior aura nemus : Hibernis objecta notis specularia puros Admittunt soles et sine faece diem. Epigr. lb. VIT, 14; v. 1-4: CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 41 les rayons du soleil ». S'il ne s’agit point encore là de serres chaudes, 1l faut y voir quelque chose d’a- nalogue à nos chassis, ou même à nos serres froides. Ces procédés étaient bien imparfaits ; ils permi- rent néanmoins aux Anciens d’avoir des roses bien avant ou après la saison qui les produit d'ordinaire, et ils les dispensèrent d’en faire venir des climats plus favorisés. Ce sont ces roses d'hiver, d’autant plus estimées qu’elles étaient plus rares”, dont parle Lucien”, contre la recherche desquelles Sénèque s’est élevé dans son penchant habituel à la décla- mation, et que Martial a célébrées comme le triomphe de l’horticulture de son temps. L'hiver, dit-il en s'adressant à Domitien dans une de ses épigrammes *, vous offre, César, ses couronnes pré- coces ; la rose était autrefois la fleur du printemps, elle est maintenant la vôtre. Dans une autre pièce de vers souvent citée, faisant allusion aux roses que les habitants de l'Egypte , avaient envoyées à l’empereur à l’occasion de sa fète 4 Rara juvant ; primis sic maior gratia pomis ; Hybernae pretium sic meruere rosae. Martial, Epigr. lib. IV, 29, v. 3-4. 2. Tobs pécou yemu@vos urirhauévous PODwY al T0 SrävIov avtov … œyar@vras. Epistola ad Nigrinum, 31. 3. Dat festinatas, Caesar, tibi bruma coronas ; Quondam veris erat, nunc tua facta rosa est. Epigr. lb. XIII, 127, v. 1-2. 42 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ L'habitant des bords du Nil, s'écrie le flatteur de Domitien!, jaloux de vous faire sa cour, vous avait envoyé, César, des roses d'hiver, présent d’un genre tout nouveau. Mais on vit le nautonnier de Memphis rire des jardins de l'Éyypte, quand il eut passé le seuil de votre ville : telle était la douceur des parfums du printemps et la beauté de Flore, tant on pouvait s'y croire dans la splendeur des bosquets de Pestum! De quelque côté qu'il portât ses pas et ses regards, toutes les rues étaient éclatantes de roses tressées en couronnes. O Nil! puisque tes hivers sont forcés de céder aux hivers de Rome, envoie-nous tes moissons et accepte nos roses. L’exagération est ic1 manifeste ; mais ces vers de Martial n’en sont pas moins un témoignage curieux etirrécusable des progrès qu'avait faits de son temps la culture des roses. Elle devait en faire encore de plus grands. Si l’on en croit les Géoponiques, les anciens horticulteurs seraient parvenus à avoir des roses toute l’année, en avant soin de les transplan- L: Ut nova dona tibi, Caesar, Nilotica tellus Miserat hibernas ambitiosa rosas ; Navita derisit Pharios Memphiticus hortos, Urbis ut intravit limina prima tuae. Tantus veris honos, et odore gratia Florae, Tantaque Paestani gloria ruris erat. Sic quacumque vagus, gressum oculosque ferebat, Textilibus sertis omne rubebant iter. At tu Romanae jussus jam cedere brumae, Mitte tuas messes, accipe, Nile, rosas. Epigr. lib. VI, 80. CULTURE DE LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 43 ter et de les fumer tous les mois!. ‘Ce précepte devait du moins produire de bons résultats et plus certains assurément que celui du même compilateur d’entourer d’aulx” les pieds de rosiers, afin d’en rendre les fleurs plus odorantes. Les Anciens ne cultivèrent pas seulement la rose proprement dite ou de jardin, ils cultivaient aussi l'églantier ; on s’en servait surtout en Italie, en y joignant parfois des ronces et des paliures”, pour clore les jardins. On faisait tout à l’entour de l’en- droit qu'on voulait protéger une double tranchée d’un pied et demi de profondeur, on y déposait à la fin de l'hiver des semences d’églantier enduites de farine d’ers, et, quand elles commencaient à pousser, on enfoncait entre les deux tranchées des appuis ou on y plantait une haie d’osier destinée à supporter les jeunes plants*. On avait ainsi une clôture que 1. Et di Déher adtadcintes Éyerv ÉOda, xaTà piva oÜTEUE Tadta, xai 20Tp1CE, nai Ebeus dax mavrôs. Lib. XI, cap. 18. 2. « La souefve odeur des roses est affinée par le voisinage des aulx, qui sont plantez près des rosiers », dit François de Sales, tirant de cette prescription singulière une gracieuse comparaison. (Flore mystique de $S. Francois de Sales. Paris, 1874, in-12, p. 220). 3. Ea sint vastissimarum spinarum, maximeque rubi et paliuri et ejus quam Graeci vocant zvy658azov, nos sentem canis appella- mus. Columelle, De re rustica, Hb. XI, cap. 3 &. Melius erit rubi semina et spinae, quae rubus caninus vocatur, matura colligere, et cum farina ervi ex aqua macerata miscere... Ubi sepes futura est, duos sulcos tribus a se pedibus separatos, sesquipedis altitudine faciemus, et... semina obruemus levi terra. Palladius, De re rustica, lib. T, cap. 3%. 44 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ rien, dit Columelle', ne pouvait détruire, si on ne l’arrachait, et que le feu même ne pouvait que forti- fier. Nos haies d’aubépine cependant sont incon- testablement préférables. 1. Hunc veprem manifestum est interimi non posse, nisi radi- citus effodere velis. Caeterum etiam post ignis injuriam melius renasci nulli dubium est. Columelle, De re rustica, Lib. XI, cap. 3. CHAPITRE III. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE DES GRECS ET DES ROMAINS. La nature de la rose, dit l'auteur des Géopo- niques”, a quelque chose de divin ; ce n’était là que l'expression du sentiment général qu'inspirait aux anciens la reine des fleurs ; les Grecs attribuërent à la rose une origine surnaturelle ; il en fut de même des Romains ; objet pour ces deux peuples d’une espèce de culte, elle joua chez eux un rôle presque égal à celui du lotus dans les croyances religieuses des Egyptiens et des Hindous, et l'imagination inven- 5 tive de leurs poètes entoura sa naissance des plus gracieuses légendes. Une tradition, qui paraît bien avoir un caractère primitif, rapporte que le premier rosier aurait surgl 1. Ilefouar GE Derotésas auto uetéyerv pÜsews, Geoponica sive de re rustica lib. XX, Cassiano Basso collectore. Lipsiae, 1781, in-8, p. 821, lib. XI, cap. 18, 15. 46 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ de terre le jour même où Vénus sortit de l’écume des flots, et une goutte de nectar, versée par les dieux sur le jeune arbrisseau, aurait alors donné naissance à la rose”. D’après une légende probablement d’ori- gine cyprienne, mais adoptée par Bion* chez les Grecs, par Ovide* et Servius* chez les Romains, c’est, au contraire, du sang d’Adonis, blessé mortel- lement par un sanglier, que naquit la rose, tandis que des larmes versées par Vénus sur la mort de son favori serait née l’anémone. Suivant une autre tra- dition, Adonis lui-même aurait été changé en rosier”. Mais la naissance de la rose avait été l’objet de bien d’autres légendes; un poète latin de la déca- ww, © / 5 ! 4. Xasorñs ot’ x Oalacons r0hvôa!ôxAoy Àdyeuux…. n > ! 7 r r 2e SL = d:0pocwuEyny Kulronv uaxtouy DeGy Ô’ opos, , 4 2 ! ? _ e Jan € , r EAOYEUGE TOVTOS ap... ÉOÛOY s YÉVOLTO, VÉXTAO r p SAC = A dorcie Has éritéyéas avelrev U ee 1> u \ 7 4 DEUX 1 TOTE ZA1 ÉOÈWY XYNTOV dyépooy € axivOns LA » r \ LA / véoy Éovos Tv0tse Üuiv ouTOv au6poToy Auaiw. Anacreontea, LIT (53), v. 11-25. (Poetae lyrici graeci, rec. Th. Bergk, III, 1071.) "4 Aïua 600oy tlatet, Ta DE Ddrpua Tav avELuivay. Idyll. X, v. 64. 3. At cruor in florem mutahitur, fait dire Ovide/{ Metam. X, 729) à Vénus s'adressant à Adonis expirant. 4. Sanguinem ejus vertit (Venus) in florem qui nunquam vento decuti dicitur. Ad Aen. cant. V, v. 72. 5. Servius, Ad eclog. X, v. 18. « Multi miseratione Veneris in rosam conversum (Adonidem) dicunt. » 6. Suivant Dierbach {Flora mythologica, Frankfurt, 1833, in-8, p. 156) qui, il est vrai, ne cite pas ses autorités, on aurait cru aussi que la rose était tombée de l'étoile du soir. À 8" LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 47 dence en a réunit quelques-unes dans les vers sui- vants : La rose, dit-1l!, est ou née d'un sourire de l'Amour, ou l’Aurore la fit tomber de sa chevelure empourprée qu'elle peignait, ou bien elle naquit quand Cypris, arrêtée par des ronces cruelles, teignit de son sang leurs piquants aiguillons. Toutes nombreuses qu’elles sont, ces fictions , n’ont point encore paru suflisantes ; les modernes n'ont pas hésité, chose bien superflue, à en inventer de nouvelles”, et les Anciens eux-mêmes en ont ima- Wie, À giné d’autres pour expliquer la couleur vermeille de la rose. D'après une légende qui de bonne heure eut cours chez eux, les roses étaient blanches à l'origine ; 1. Aut hoc risit Amor, aut hoc de pectine traxit Purpureis Aurora comis, aut sentibus haesit Cypris et hic spinis insedit sanguis acutis. Poetae latini minores, vol. VII, p. 125, éd. Lemaire. Anthologia latina, ed. Al. Riese. Lipsiae, 1878, in-8, vol. [, p. 100. 2. Le marquis de Chesnel, entre autres {La Rose, p. 18), rap- porte une prétendue « historiette grecque », d’après laquelle Roselia, s'étant mariée au « beau » Cymédore, quoique consacrée à Diane, aurait été frappée, en punition de ce parjure, d’un trait de la déesse et changée en rosier. Malheureusement Roselia n'est pas un nom grec el cette « historiette » parait bien avoir été inventée par un moderne, comme celle de la métamorphose de Rhodanthe, reine de Corinthe, imaginée par le P. Rapin et popu- larisée par l'imagerie d'Épinal. 48 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ mais, comme Vénus courait au secours d’Adonis, menacé par la jalousie de Mars, une épine lui pénétra dans le pied’, et le sang de sa blessure répandu sur les pétales de la rose en teignit en pourpre la blan- cheur primitive?. Une statue grecque du musée de Florence, qui représente Vénus arrachant de son pied l’épine qui l’avait blessée, semble avoir consacré le souvenir de cette légende”. On trouve du même fait une explication toute différente dans les Géopo- niques. Un jour, raconte l’auteur de cette compila- tion‘, que les dieux assistaient à un banquet dans l'Olympe, l'Amour, qui conduisait un chœur de danse, heurta de son aile et renversa un vase de nectar ; la liqueur divine, en tombant sur le sol, donna à la fleur de la rose, blanche jusque là, sa couleur vermeille. Ausone — on comprend qu'un pareil sujet lait tentée -——:4a repris cette fiction et l’a transformée. Un jour, dit-il’, les héroïnes, victimes de l'Amour, errant tristes et affligées sous les ombrages des Champs- 1. H &ravha r@v £ddwy raptodsay znv ’Awpoôirny Éxvioev, us Kürp1ot Aéyoust at Dofvrres. Philostrati Epistolae, IV. 2. ’Aolov'ou sov:stoù zecoyouväouata. Florentiae, 1515, in-8, p. 26. — Geoponica, lib. XI, cap. 17. 3. Marquis d'Orbessan, Æssai sur les roses. (Mélanges his- toriques et critiques, etc. Paris, 1768, in-8, vol. II, p. 307). Mus. florent. Statuae antiquae cum observ. Ant. Fr. Gorü. Hlor: 179%, {ol;; tab: 33: Ré Laih. ME, cap 17: 5. Idylle VI, éd. Nisard, 1887, in-8, p. 107-109 passim. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 49 Élysées, aux bords de leurs lacs immobiles et de leurs ruisseaux sans murmure, rencontrèrent l'Amour, venu étourdiment s'égarer au milieu d'elles ; à sa vue elles sentent se réveiller dans leurs cœurs leurs anciennes douleurs ; elles l'entourent, l'entraînent, l’attachent au tronc d'un myrte et, l’accablant de reproches, le sou- mettent à de longs tourments. Vénus, accourue au milieu du tumulte, au lieu de porter secours à son fils, se rap- pelant ses nombreuses trahisons, se joint aux infortunées, l'accuse à son tour et inexorable frappe d’un bouquet de roses l'enfant, qui pleure et tremble. Une sanglante rosée, ajoute le poète, jaillit alors de ses membres meurtris sous les coups répétés de la rose flexible, qui, déjà teinte de sa pourpre, rougit de feux plus vifs son vermeil incarnat. Cette scène nous transporte bien loin du sombre séjour des Ombres, tel qu'il nous apparaît dans les \ , GC } L } , poèmes homériques; ce n’est pas l'auteur de Odyssée qui aurait, même s1l l'avait connue, placé la rose dans l’Erèbe. Mais à mesure que les mœurs devien- nent moins rudes, que le luxe des jardins naît et se développe, la peinture des Champs-Elysées, qui en est l’image transformée, s’humanise ; leurs paysages se diversifient et s’embellissent ; la description qu’en font les poètes devient plus gracieuse ; Virgile, tout fidèle qu'il est à la tradition antique, met déjà dans le séjour des bienheureux, avec de frais bocages, un J ) Re L. OIli purpureum mulcato corpore rorem Sutilis expressit crebro rosa verbere, quae, jam Tincta prius, traxit rutilum magis ignea fucum. v. 90-92. JorET. La Rose. % 50 © LA ROSE DAXS L'ANTIQUITÉ bois odoriférant de lauriers’. Avec Tibulle, la flore des Enfers s'enrichit encore; le gracieux poète ne craint pas d'y faire croître des végétaux inconnus de l'Europe, comme la case, et il en émaille le sol fécond de roses parfumées”. Properce nous montre aussi les doux zéphyrs caressant les roses des champs Élyséens”*. Ces fleurs ne pouvaient pas plus manquer dans le séjour des Héros que dans le palais des Dieux. Mais c'était aux Dieux que la rose appartenait avant tout ; présent fait par eux à la terre, son ori- gine surnaturelle devait la leur rendre doublement chère. Elle devint en particulier, avec le mvrte, l’apa- nage et l’attribut habituel d’'Aphrodite*. Née avec elle ou créée par elle, teinte de son sang, elle fut sa fleur favorite. Le rhéteur Libanius a, dans une fiction ingénieuse, symbolisé la prédilection de Vénus pour la rose. Quand les trois déesses, raconte-t-1l°, se dis- putèrent sur l’Ida le prix de la beauté, Minerve et Junon ne voulurent pas se soumettre à la sentence de leur juge, qu'Aphrodite n'eût déposé sa ceinture, de Inter odoratum lauri nemus. Aeneidos Ub. VI, v. 652. 2 Fert casiam non culta seges, totosque per agros Floret odoratis terra benigna rosis. Elegiae, lib. I, 3, v. 61-62. 3. Mulcet ubi Elysias aura beata rosas. Elegiae, lib. IV, 7, v. 60. 4. ‘Poèoy uèv rat uv:o!vnv "Avpodlrns iso eivat. Pausanias, Descriptio Graeciae, Gb. VI, cap. 2%, 7. 5. Boissonade, Anecdota nova. Paris, 1843, in-8, p. 343. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. D1 dont le charme magique lui eût assuré la victoire. La déesse répondit que ses rivales avaient des attraits non moins puissants : Junon son diadème d’or, Minerve, son casque ; elle consentait néanmoins à se dépouiller de sa ceinture, s’il lui était permis d’aller chercher une autre parure. On le lui accorda. S’étant alors rendue au bord du Scamandre, Vénus, après s'être baignée dans le fleuve, se mit à cueillir sur ses bords des lis, des violettes et d’autres fleurs ; mais sou- dain, par son doux parfum, la rose attira son atten- tion ; alors, jetant loin d'elle les premières fleurs, elle se tressa une guirlande de roses etla posa sur son front, puis elle revint sur l’Ida. Mais les deux déesses n’attendirent pas le jugement de Pàris ; elles enle- vèrent à Aphrodite sa couronne, et après en avoir baisé les fleurs, elles la remirent sur la tête de leur rivale, comme seule digne de la porter, avouant qu'elle embellissait autant les roses que les roses l’embellissaient. On comprend, d’après cette fiction, pourquoi on représentait parfois Aphrodite avec une couronne de roses”. Une tradition attribuait également à cette déesse un jardin merveilleux que l’on ne pouvait voir sans être épris d'amour”. C'était là qu'Éros 1. Pauly, Real-Encyclopädie der classischen Alterthums- wissenschaft, vol. VI, p. 2463. à: Hortus erat Veneris, roseis circumdatus herbis, Gratus ager dominae, quem, qui vidisset, amaret. Dum Puer hic passim properat decerpere flores.…. Poetae latini minores, éd. Lemaire, vol. VII, p. 120. Alex. Riese, Anthologia latina, n° 82, vol. I, p. 100. 52 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ allait cueillir les fleurs dont il se parait" et qu'étaient prises celles que Vénus envoyait à ses favoris”. Les Grâces et les IHeures, re Hégésias dans ses Cypriennes*, avaient trempé la tunique d’Aphrodite dans le nectar parfumé des roses. Comme à Aphrodite, sa mère, la rose fut consa- crée au dieu de l’amour ; « elle en était vraiment la fleur, dit Philostrate*, puisque, comme lui, elle était jeune et délicate comme lui ». Elle en était aussi l'emblème et l’ornement accoutumé. Le pseudo-Ana- créon représente Éros « son beau front ceint d’une couronne de roses, quand il se mêle aux chœurs des Grâces”. » La rose n’appartenait pas moins à Dionysos qu'à Aphrodite et à Éros°; son histoire n’est pas moins mêlée à celle de ce Dieu. Lui également avait un jardin, où les roses croissaient d'elles-mêmes, le jardin de Midas. Quand il se rendit de Thrace en Phrygie, son maître Silène s’y enivra et y fut retenu 1. "Epuwtes dé É0dwv oteodvous rAs£quevor, oùs € ’Aopodirns xÉrwv, 6tav Véhwot, d-érovtat. Himeru Oratio 1, 19. 2. Claudien, Opera, XL, v. 9-10, et XLVIIL, v. 28-30. 3. Athénée, Deipnosoph., lib. XV, cap. 30(682). &, "Ovrws Ta Éda "Eputos gurd xat yYap vÉX, ds ÉxEIvOs, xaï dyo%, ds autos à "Ecws. Epistola EX (34). o. ‘Poèov, © re pra 1" tévetar 2aAOÙs oUAOU acitEGSt GUY 0pEUWY. Ode, XLII (V), v. 9-11. 6. Fr. Lenormant, art. Bacchus, dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, vol. I, p. 623, 2. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 33 enchaîné". Et une tradition nous le montre se pré- sentant à Ariadne vêtu d’une robe de pourpre et le front ceint d’une couronne de roses?. La rose aussi était chère à Dionysos ; une mosaïque du Vatican le représente arrosant de ses mains un rosier*. Dans la statue colossale de la Villa Albani, qu’on a sup- posée être l’image de Bacchus, le dieu apparaît le front ceint d’une couronne de roses*. La reine des fleurs était également l’attribut des Grâces. Le pseudo-Anacréon, dans une de ses odes, montre ces déesses s’en parant dans la saison fleurie 5 des Amours”. On les figurait parfois unies entre elles par des guirlandes de roses. Dans un temple d'Élis, nous apprend Pausanias®, l’une d’elles — sans doute Charis — était représentée une rose à la main. Cette fleur n’était pas moins chère aux Muses”. 1. Hérodote, Histor. lib. VITT, cap. 138. ’Ey +oÿtotst 6 Envds toïsr xnrorst Hhw. Cf. Ovide, Metam. lib. XI, v. 90-98 : Titubantem annisque meroque Ruricolae cepere Phryges, vinctumque coronis Ad regem duxere Midan. 2. “AXovoy!ôt otefhas ÉœutOv nat thv zepalnv É0dots av ous Epyetar rapx tv Aptäôvnv 6 Atdvuoos. Philostrasti Imagines, Hb#h Cap. x1v, 2: 3. Emil Braun, Griechische Gütterlehre. Gotha, 1854, in-8, p. 992. -“hoscher s Zexicon, p: 1102. OI LE Xaotsiv +’ &yalu” Ëv pas rokvaydéuy ’Ecuirov. Ode LE: y: 627: 6. Eliaca, lib. V, cap. 24, 6. je: Xapley ouroy te Mouv. Anacreontea, Ode LI, v. 9. ï 54 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Une couronne de roses, dit Plutarque”, leur était attribuée. Dans la vision où 1l se croit transporté sous les ombrages de l’Hélicon et près des sources de l'Hippocrène, Properce aperçoit une des Muses tressant des guirlandes de roses?. Stace parle” de la couronne de roses qui presse le beau front de Thalie. La Polymnie du musée du Vatican en porte une aussi’. On représentait évalement la déesse de la jeunesse, Hébé, et Ganymède, l’échanson des dieux, couronnés de roses”. Sur le bas-relief d’un sarco- phage romain*, on voit aussi des génies le front ceint d’une guirlande de cette fleur sacrée. IE. La rose, il ne pouvait en être autrement, avait place dans les fètes de Flore’; elle lui était consa- crée comme à Vénus, qui, non moins qu'elle, prési- . e A ! Là LE = 4 = L= 1. Tais Moÿsxis 0 z@v É0DwY orépavos érirsputstat. Sympo- siaca, lib. I, questio I, 2, 10. Cf. Théoc., Epigr. I, v. 2. 2. … illa manu texit utraque rosam. Elegiae, Kb, 3 VV, 2), v "86: a: crinemque decorum Pressisset rosea lasciva Thalia corona. Sylvae, MAL, dIS-TTE. Museo Pio-Clementino, Roma, in-fol., vol. [, tav. xxrv. O1 Dierbach, Flora mythologica, p. 159. 6. Mus. capitol. vol. IV, tab. 57. 7. Ovide, Fast., lib. V, v.-336. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 95 dait aux jardins et était la déesse du printemps”. La rose était l'emblème de la saison des fleurs, comme elle en était la parure. Elle en annonçait le retour. C'est seulement quand elle s’épanouissait qu'on crovë ait le printemps revenu?. Aussi le moment de la floraison des roses était-il or de comme un évé- nement heureux. Dans plusieurs villes d'Italie, en particulier à Capoue et à Rome, 1l y avait au mois de mai — le mois où elles fleurissent — une fête des roses. Il y avait aussi, les inscriptions en font foi, des fètes d’un caractère privé, données à cette occasion”. Compagne du printemps, la rose figure dans toutes les descriptions que Les poètes anciens ont fait de la saison des fleurs Vois comme à l'approche du printemps, s'écrie le pseudo-Anacréon ‘, les Grâces se couvrent de roses ! Il convient, dit-il encore ailleurs*, d'unir dans ses chants le printemps qui nous donne les couronnes et les douces roses. La saison empourprée du printemps fleuri a souri, 1. L. Preller, Rœmische Mythologie. Berlin, in-18, 3° éd. 1881, vol. I, p. 433-441. 2. Cicéron, Zn Verrem, V. Cf. plus loin, p. 105. 3. L. Preller, Ræmische Mythologie, vol. I, p. 43: f YT 0e PO 214 L. dE RGSs ÉXOOS VAVÉVTOS Xaputes Bo me 600. Ode XLIV, v. 1-2. 9. Zrevavnodsou met” ncos HEÀATONAt 6030v TÉPELVOY LA V7 GUVÉTA:POY avELLOÀTOV. Ode LIIT, v. 1-3 56 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ chante à son tour Méléagre!; les prairies s'égaient au milieu des roses qui s'entr ouvrent. Et trois siècles plus tard, le poète Pancrate célé- brera encore la rose comme la fleur qui s’épanouit au souffle des zéphyrs printaniers *. Son charme, son doux parfum avaient aussi fait de la rose la reine des fleurs ; son éclat, en effet, comme dit le poète Rhianos”, ne les efface-t-1l pas toutes ? Elle devint aussi le symbole et l'emblème de la beauté. C’est ainsi que Claudien compare Marie, l'épouse d'Honorius, et sa mère à deux roses épa- nouies en même temps dans les jardins de Pestum*. Les poètes anciens sont revenus souvent sur cet attribut de la rose: mais ce qui les a peut-être encore frappés davantage, c'est la rapidité avec laquelle se fane et meurt cette fleur délicate, image trop fidèle de l'instabilité des choses de ce monde. La rose ne fleurit que pendant peu de temps, dit l'un ’ L LA 272 SepayÜéos etaucos Won... LA Lan à ITopouoën pelônse we | | \ eg 4 ? ’ ! AeuLGVEs YEOMOLV, AVOLYOEVOLO ÉGO0LO. Anthol. palatina, éd. Dübner, cap. IX, n° 363, v. 3-6. “A BOdOV EtaotvotoLv AVOLYOHLEVOY Ceoupototv. Athénée, Deipnos., Hib. XV, cap. 21 (677). nf 0950v ëv &o1s ” , 4 1 “ ne IN &yJecty etaptvoïs 4XÀOV Éhaude 5000. 9 Anth. palatina, cap. XIT, n° 58, v. 3-4. Ceu genuinae Paestana rosae per jugera regnant. Cs De nuptiis Honori et Mariae, v. 247. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 97 d'eux dans l'Anthologie!; une fois passée, si tu la cherches, tu ne trouves qu'une épine. Ni l'amour ni les roses ne vivent longtemps, remarque à son tour Philostrate?; le temps est l'ennemi de la beauté dans son été et de la durée des roses. J'ai vu, chante Properce?, les roses parfumées de Pestum, qui paraissaient devoir toujours durer, tomber brülées dès le matin au souffle du Notus. Un autre poète — on a cru que c'était Florus * — après avoir montré le bouton de rose qui, sous l'influence féconde du printemps, apparaît un jour, s'allonge et se gonfle le lendemain, entr'ouvre son calice le troisième jour et s’épanouit au quatrième, termine sa brève description par cette réflexion attristée, «si on ne la cueille ce matin même, ce soir elle ne sera plus ». Le To 6000v axpaer farov yodvov: ÿv dÈ rapéAn, Ent@v ebonoers où É0dov, aXÀ& farov. Anth. palatina, cap. XE, n° 53. 2. Xpovov à’ oùr” "Epws oùte 600 oùdev: Ey0o0s yap © Oeds ai th xak ous Onupa nat 19 É0dwv érônuta. Epist. LV (34). 3: Vidi ergo odorati victura rosaria Paesti Sub matutino cocta jacere Noto. Eleg,, hb:V,,5, v. 61-62. k. Venerunt aliquando rosae. pro veris amœæni Ingenium ! una dies ostendit spicula florum, Altera pyramidas nodo maiore tumentes, Tertia jam calathos ; totum lux quarta peregit Floris opus, pereunt hodie, nisi mane legantur. Anth. latina, rec. Alex. Riese, vol. I, p. 101. ©Q7 8 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Heureuse, si je pouvais vivre pour un long destin, fait dire un autre poëte à la rose elle-même *. Rose, elle a fleuri et s'est fanée aussitôt, lit-on égale- ment sur une inscription ? qui fait songer aux vers si connus de Malherbe * Cette vie si courte des roses a inspiré à Ausone, ce poète gracieux et affecté, l’une de ses plus belles idylles: au milieu de léloge de ces fleurs aimées, se rappelant la rapidité avec laquelle elles se fanent et meurent, J'admirais, dit-il", les rapides ravages du temps dans sa fuite et ces roses que je voyais éclore tout ensemble 4; O felix, longo si possim vivere fato ! Anth. latina, vol. I, p.196. 3 Rosa simul floruit et statim perüt. Corpus Inscr. Rhen. 1053. 3. Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin. Ode à Duperrier, XI, v. 15-16. Mirabar celerem fugitiva aetate rapinam [rs Et, dum nascuntur, consenuisse rosas. Ecce et defluxit rutili coma punica floris, Dum loquor, et tellus tecta rubore micat. lot species, tantosque ortus, variosque novatus Una dies aperit, conficit una dues. Dana longa una dies, aetas tam longa rosarum, Quas pubescentes juncta senecta premit. Quam modo nascentem rutilus conspexit Eous, Hanc rediens sero vespere vidit anum. Idyllion, XI, v. 35-40 et 43-46. Éd. Nisard. | PATES LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. D9 et vieillir. Et voici que la chevelure empourprée de la fleur radieuse se détache au moment où je parle et la terre brille jonchée de sa rouge dépouille. Et toutes ces naissances, toutes ces transformations variées, un seul Jour les produit, un seul jour les enlève... La durée d'un jour est la durée de la vie des roses; pour elles la puberté touche à la vieillesse qui les tue. Celle que l'étoile du matin a vu naître, le soir, à son retour, elle la voit flétrie. La courte durée de la rose qui a fait donner à cette fleur une de ses épithètes les plus ordinaires chez les poètes latins — celle de brevis' — en a fait aussi le symbole de la fragilité des choses de ce monde. Un même jour ne la voit-il pas s'épanouir, se faner et mourir, comme dit Ausone, nous rappe- lant que notre âge est passager comme elle, et nous engageant à cueillir sa fleur « pendant qu'elle est nouvelle et que nouvelle est notre Jeunesse Pa pe É. Nimium breves Flores amænae ferre jube rosae. Horace, Carm- bb Il 3: v: 43-14. Aut imilata breves punica mala rosas. Martial, ÆEpigr. Ub. IT, 44, v. 6. 2. Collige, virgo, rosas, dum flos novus et nova pubes, Et memor esto aevum sic properare tuum. Ausone, /dyllion, I, v. 40-41. Il faut rapprocher de ces vers ceux du Tasse, dans le xvie livre de la Jérusalem délivrée : Cogliam d'amor la rosa ; amiamo or quando Esser si puote riamati amando. ÿ: 45-16: 60 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ TIT. Ainsi que de la fragilité et de la beauté, Ia rose fut aussi l'emblème de l’innocence virginale et de la pudeur rougissante ; la grâce qui la pare, sa fraicheur si délicate, son doux incarnat, la prédes- tinaient à ce nouveau rôle. Mais là on la rencontre avec une autre fleur, originaire du plateau de l’Iran”’, comme elle importée en Occident, et qui, comme elle aussi, a eu le rare privilège de fournir aux poètes les comparaisons les plus diverses: le lis blanc. [Il est, coïncidence qui n’a rien de fortuit, fait mention pour la première fois de cette plante nouvelle avec la rose, dans l'hymne à Déméter* ; c’est une des fleurs «belles à voir » que Perséphone cueille avec ses « douces compagnes » dans Îa prairie idéale décrite par le poète. Depuis lors on trouve la rose et le lis constamment réunis dans les chants des poètes grecs et latins”, comme dans les 1. V. Hehn, Xulturpflanzen, p. 202. 2. Voir plus haut, p. 12. On lit dans les Géoponiques, lib. XI, cap. 19, que le lis doit sa naissance au lait tombé sur terre, quand Junon allaita Hercule ; cette légende, toute d'origine grecque qu'elle est, semble bien indiquer l’origine lointaine du lis. 3. Claudien par exemple fait en même temps naître des lis et des roses, sous les pas de la reine Serena. quamcumque per herbam Reptares, fluxere rosae, candentia nasci Lilia. Laus Serenae reginae, v. 89-91. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 61 jardins, dont ces fleurs étaient l’une et l’autre l’or- nement ’. Le contraste si doux offert par la couleur diffé- rente des deux fleurs frappa les Anciens ; 1ls virent dans la blancheur du lis l’image du teint immaculé de la vierge, dans la rose celle de l'incarnat de ses joues ou de la rougeur provoquée sur son front par la pudeur émue ou offensée. Virgile, voulant peindre l’ardente rougeur répandue sur le visage enflammé de Lavinie : Comme rougissent les blancs lis, mêlés aux roses, dit-il?, ainsi éclataient les feux sur le visage de la jeune fille. Et Ovide, parlant de la honte qui couvrait les joues coupables de sa maitresse : Tels, remarque-t-1l*, brillent les roses au milieu des lis qui les entourent *. 1. C'est ainsi que dans le jardin du bouvier de Daphnis et Chloé se trouvent, au printemps, des roses et des lis: npos, £00& (aa) xpiva. Longus, Pastoralium lib. IE, 3. à: mixta rubent ubi llia multa Alba rosis, tales virgo dabat ore colores. Aeneidos lib. XII, v. 68-69. Conscia purpureus venit in ore pudor. Q2 Quale rosae fulgent inter sua lilia mixtae. Amorum hb. IT, eleg. V, v. 34-37. 4. Le lis est parfois remplacé par le lait : “Poda +G yélaxtt mas. Anacr. Ode XV (28), v. 23. 62 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Les poètes du moyen âge reprendront cette com- paraison, qui s'est fidèlement conservée depuis dix siècles : pour eux aussi, nous le verrons, la rose sera l'emblème de la grâce et de la beauté. Les Anciens les avaient devancés; chez eux la rose fut à la fois le symbole de l'innocence pudique comme de la beauté. Cachée au fond des réduits secrets d'un jardin, dit Catulle dans des vers restés célèbres!, ignorée des troupeaux, respectée par le soc de la charrue, tour à tour rafraîchie par la rosée, caressée par les zéphyrs et fortifiée par les rayons du soleil, la rose est la joie et le désir detous; mais lorsque l'ongle tranchant, la séparant de sa tige, l'a flétrie, elle cesse de plaire et de séduire. Utque rosae puro lacte natant folia. Properce, Elegiae, lib. I, 3, v. 12. ou par la neige : Candida candorem roseo suffusa rubore Ante stetit : niveo lucet in ore rubor. Ovide, Amorum lb. HI, Æleg. 3, v. 5-6. 1. Carmina, LXII, v. 39-47. Catulle se sert du mot géné- rique « flos », mais il est évident, et ses imitateurs ont été una- nimes à l'entendre ainsi, qu'il avait en vue la rose. Ut flos in septis secretus nascitur hortis, Ignotus pecori, nullo contusus aratro, Quem mulcent aurae, firmat sol, educat imber. Multi illum pueri, multae optavere puellae ; Idem cum tenui carptus defloruit ungui, Nulli illum pueri, nullae optavere puellae : Sic virgo dum intacta manet, dum cara suis est ; Cum castum amisit polluto corpore florem, Nec pueris jucunda manet, nec cara puellis. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 03 Ainsi, ajoute-t-1il, la jeune vierge, tant qu'elle reste chaste, est chère à tous les siens; mais a-t-elle, souillant ses charmes, perdu sa fleur de pureté, elle cesse de plaire et de séduire. L'idée de grâce et de fragilité attachée à la rose en avait fait l’emblème de l'innocence virginale, celle de beauté conduisit à lui comparer la personne aimée. Anacréon n'a pas cru pouvoir mieux louer son amie Myrille, qu’en disant qu'elleétait «une rose entre les jeunes filles! ». L'amie de Méléagre, « lPai- mable Zénophile, fleur parmi les fleurs, s’épanouit, semblable à la douce rose de la persuasion * ». Les poètes de l’antiquité toutefois n'ont pas poussé plus loin la comparaison, et ils ne sont pas allés, comme leurs émules du moyen âge, jusqu'à personnifier leur bien-aimée dans la rose ; mais la langue popu- laire l’a essayé : « ma rose » fut un terme de ten- dresse usité de bonne heure chez les Romains — on A | o le rencontre déjà dans Plaute* — pour désigner une personne qui était chère. S1 les Anciens n'ont point chanté la rose comme l' AN . À image et la personnification même de la personne 1 ‘Podoy ëv xdpats MoprAko. Fragmenta LV, éd. J.-B. Gail. L/4 s = VD ! L LA r! LU Hôn h vtAëoaotos, év aveotv wpuzoy &vos, 19 i 2 Zmvogtha, retods nÔù TE0nAE Éddov. Anthologia palatina, cap. V, n° 144. 3. Ubi tu lepide voles esse tibi, mea rosa, mihi dicito. Bacchis, acte [, scène I, v. 148. Cf. Asinaria, acte HE, scène 3, v. 101. 64 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ aimée, ils n’en ont pas moins fait de la reine des fleurs l'emblème de l'amour et l’attribut des divinités qui y président. C’est ainsi que l’Hyménée fut repré- senté sous les traits d’un jeune homme couronné de roses! et un flambeau à Ia main. Ovide, dans les Amours?, dépeint Vénus répandant une pluie de roses sur son fils triomphant ; et, dans ses Métamorphoses”, il nous fait le ravissant portrait de Cyllare et d'Hy- lonomé, « la plus belle des filles des Centaures », et nous les montre, symbole de leur mutuelle ten- dresse, « entremélant leurs blonds cheveux de roses, de violettes, de romarin et quelquefois de blancs lis ». Reposanius a embelli de lis et de roses le bocage, témoin des amours de Vénus et de Mars“; Éros, sur l’ordre de la déesse, couvre sa couche de roses ; des : F4 Sertis tempora vinctus Hymen. Ovide, Epist., VI, v. 44. 21 Laeta triumphanti de saummo mater Olympo Plaudet, et appositas sparget in ora rosas. Pabt2:"v: 240: 5 À Ut modo rore maris, mode se violave rosave Implicet ; interdum candentia lila gestet. Lib. XII, v. 410-411: k, Pingunt purpureos candentia lilia flores… Namque hic per frondes redolentia lilia splendent, Hic rosa cum violis, hic omnis gratia florum.…. Tu lectum consterne rosis, tu serta parato, Et roseis crinem nodis subnecte decenter.., Lilia cum roseis supponit candida sertis. De concubitu Martis et Veneris, v. 38, 41-42, 53-54 et 111. (Anth. latina, vol. I, p. 171-172.) LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 69 couronnes de roses retiennent sa chevelure et c’est au milieu des lis et des roses qu’elle reçoit son farouche vainqueur. Dans la description qu’il a faite des amours des mêmes divinités”, Claudien pare le seuil de Vénus de branches de myrte et couvre de fleurs de roses sa couche que voile la pourpre nuptiale. Et aux noces d'Orphée*, il fait apporter par les colombes de Vénus des guirlandes faites de roses dérobées dans le jardin même de la déesse. L'auteur du Pervigilium Veneris, cette description affectée de la fête du printemps et de l’amour, va jusqu’à dire * que « chaque matin les jeunes vierges, par l’ordre de Vénus, se marient aux roses ». Cueillir des roses, en tresser des couronnes, en effet, comme on le voit par un passage d’Aristophane*, était un signe qu'on était épris d'amour. LV. Consacrée à Bacchus, comme à Vénus, la rose fut 1 Festa frondentia myrto Limina cinguntur, roseisque cubilia surgunt Floribus et thalamum dotalis purpura velat. Magnes, v. 28-30. (Opera, XLVITI.) 22 Furatae Veneris prato per inane columbae Florea connexis serta tulere rosis. Ad Serenam, Epist. U, v. 9-10. (Opera, XL.) 3. Ipsa jussit mane totae virgines nubant rosae. v. 44, éd. Bücheler. Lipsiae, 1859, in-12, p. 53. 4. dv Tis XX! ThEXN YoYN GTévavoy, ÉoGv dOET. Thesmoph., v. 100-401. JorET. La Rose. 5 66 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ le symbole et la compagne de la joie qui règne dans les banquets, comme elle était l'emblème de l'amour. C’est pour cette raison qu'on donnait à Comus, personnification de la gaîté des festins, une couronne de roses’. La rose était considérée comme l’emblème de l’allégresse ; sa présence seule en était la marque et le symbole, comme son absence était un signe de tristesse. « Que soudain les sommets des Alpes se couvrent de roses », s'écrie Claudien*, conviant l'univers entier à célébrer les noces d'Honorius. Pour nous peindre, au contraire, le deuil qui s’étendit sur la nature au moment de l'enlèvement de Pro- serpine, le même poète nous dira que « les roses meurent et les lis dépérissent »”. Et présage du malheur qui va frapper le fils de Pélops, Sénèque fait dire à Thyeste que « les couronnes de roses sont d’elles-mêmes tombées de sa tête » *. Emblème de la joie et compagne du plaisir, la rose — Ja transition était naturelle — devint le signe et la marque de la mollesse. Pour donner une idée de la fermeté stoïque de Régulus, Cicéron dit que « la vertu le proclame plus heureux que Thorius », 1. Philostrate, Zmaginum lib. TI, cap. 11, 3. 2. Subitisque se rosetis Vestiat Alpinus apex. Fescennina, v. 8-9 (Opera, XIT.) 3 - Exspirare rosas, decrescere lilia vidi. De raptu Proserpinae, lb. IT, v. 241. (Opera, XXXVI.) 4. Vernae capiti fluxere rosae. Thyestes, acte V, scène 2, v. 948. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 67 — un célèbre voluptueux de Rome —, « vidant sa coupe sur un lit de roses" ». Et, dans Claudien, Honorius ne croit pas pouvoir mieux montrer à ses soldats à quel point le tyran Gildon était efféminé qu’en le leur représentant « marchant couronné de roses et oint de parfums ”* ». Malgré cette attribu- tion, si éloignée du caractère auguste et sacré qu’elle avait à l’origine, la rose conserva toujours la signi- fication symbolique la plus haute et la plus grave. Dès longtemps elle était devenue la marque et le symbole du mérite ou d’une supériorité reconnue. Sappho dit à une femme ignorante qu'elle mourra oubliée parce que les roses de Piérie ne lui ont pas ceint le front”. Dans les Chevaliers, Cléon promet au peuple qu'il régnera couronné de roses sur toute la contrée *. La reine des fleurs servit de récompense aux vainqueurs dans les luttes poétiques, aussi bien que dans les combats sanglants de la guerre. 1. Clamat virtus beatiorem fuisse quam potantem in rosa Tho- rium. De finibus, Lib. IT, cap. 20. 2. Umbratus dux ipse rosis et marcidus ibit Unguentis. De bello Geldonico, v. 444. (Opera, XV.) d KatÜdvorsa dE neloeat rota, xw0 uvauosbva oélev £oset” oÙr tot” oÙt Üotepov: où yap nedéyets BpOdwv T@v éx [ieolac. Fragm. 68 (19). (Anthologia lyÿrica. Curavit Th. . . j c c f. Bergk. Lipsiae, 1883, p. 204). Hp SANS XOÇAL GE OEL Æ 4 La ’ u ’ e JA AUQAS ATAGNS ÉTTEPAVWILEVOY GO. Aristophane, Equites, Y. 965-66. 68 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Contraste qui pourrait surprendre, si les divinités auxquelles elle était consacrée n'avaient pas présidé à la mort ainsi qu'aux plaisirs de la vie: de symbole de joie et d'amour la reine des fleurs, avec le lis et les violettes, devint aussi un emblème funéraire. De bonne heure, hommage pieux qu'on rendait à des êtres chers, on orna de fleurs les tombeaux. Créon défend sous peine de mort de couronner de fleurs et d’ensevelir le corps de son ennemi Polynice’, qu'il poursuit de sa haine jusque dans la mort. Dans Électre?, au contraire, Chrysothémis reconnaît l’ap- proche d’Oreste aux guirlandes de fleurs dont elle voit ornée la tombe paternelle. Lorsque, dans la vision qui montre à Énée toute sa postérité, le guerrier apprend que Marcellus est voué par les destins à une mort prématurée, 1l demande des lis et des roses pour les répandre, vain et dernier hommage, sur les mânes de son petit-fils*. : & Os GV VEXOOV TOVŸ’ 7 AATATTEUY GÀG ñ YA xahUrTwv, Oavatov ayrakdEetar. Euripide, Phoenissae, v. 1632-33. 2. OpGere de RSLIOTENT XULAW ravtwy 00° Zotiv avÜiwv Oanv raroos. Sophocle, Electra, v. 894-96. <È Manibus date lilia plenis, Purpureos spargam flores, animamque nepotis His saltem adcumulem donis et fungar inani Munere. Aeneidos lib. VI, v. 883-86. J'explique, ainsi que Servius, purpureos flores par roses, au lieu d'y voir avec M. Benoist une espèce de lis. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 69 Tibulle, dans une de ses élégies, souhaite que chaque année une main amie orne de couronnes son monu- ment’, et Properce espère dormir plus doucement dans sa tombe, si l’on dépose ses restes sur de ten- dres roses”. Dans Alciphron*, Pétale se plaint de ne pas avoir d'ami qui pleure sa mort prématurée et orne son tombeau de couronnes de roses. Ce ne sont point là de simples fictions poétiques, mais l'expression sincère du culte d'affection que les Anciens avaient voué aux défunts. Lucien, dans l’énumération qu’il a faite des devoirs qu’on rendait aux morts”, place au premier rang les couronnes de fleurs dont on parait leurs dépouilles, et saint Jérôme opposera aux roses, aux violettes et aux lis que les autres maris, dit-il”, répandaient sur les urnes qui É: Atque aliquis senior, veteres veneratus amores, Annua constructo serta dabit tumulo. Elegiae, Lib. IT, &, v. 47-48. Molliter et tenera poneret ossa rosa. Elegiae, lib. II, 17, v. 22. , \ aurE 4 S ? 2 \ LL 1 2 LA 3. "Eyw 0e h Tahatva OonvwÔov, oux Épastnv Éyuw' oTepavtx puot [Ro] za É0DX Woneo Audow Tapguw TéuTreEt, 4aù xhwELV ÔL'OÀNnS ON6t TAs voxt0s. Alciphronis rhetoris Epistolae, éd. Rudolphus Hercher. Parisiüis, 1873, in-8, lib. I, 36, p. 57. 4. otepavusavres Toïs Gao &vbeor. De luctu, 11, éd. Din- dorf. Opera, I, p. 567. 9. Caeteri mariti super tumulos conjugum spargunt violas, rosas, liliaŸ floresque purpureos, et dolorem pectoris his officiis consolantur. Pammachius noster sanctam favillam ossaque vene- randa eleemosynae balsamis rigat. Æpistola ad Pammachium. (Opera omnia, éd. Martianay. Paris, 1706, in-fol. vol. IV, p. 584). 70 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ renfermaient les cendres de leurs épouses, les œuvres de charité par lesquelles Pammachius honore le sou- venir de Paulina. V: Douée d’attributs si nombreux et si divers, consa- crée aux Grâces et aux Muses, la rose ne pouvait manquer d’être chère aux poètes de l'antiquité; aussi l'ont-1ls chantée à l’envi. La rose, dit le pseudo-Anacréon!, est la plus belle des fleurs, le souci du printemps, la Joie et les délices des dieux, la parure d’Aphrodite, et son fils en couronne ses beaux cheveux quand il se mêle aux chœurs des Grâces. Et ailleurs ? La rose est est le parfum des Dieux, le charme des mortels, le plus bel ornement des Grâces dans la sai- son fleurie des amours, la parure d'Aphrodite ; elle est € 1 CY ’ ” [AS = £ € 2 ! 1. “Poôov, w péprorov avbos, 602ov, w raïis 0 Kubrons er “1 r , SX nr POdOY elapos LéÀNUX, grépetat xmhOÙS LoUAOUS e > Ü = U 4 4 600a zat Deoïor reorva. Xap!te061 GuV{0pEUwY. Ode XLIT (5), v. 6-11. 0 % … x … = 2. Toûe yao Decv anua, JAuxd rat TotoDVTA reEtoav TD \ A "= À 4 ù 7 ! De - rOÛe za! fPpotT@v T0 yapua, Év aayivats ATaoToïs. r » 7” = e ‘ , rÉ f [= Xapto!v +” Gyalu, Ëv Goœtc yAvzxd À” ao Au6ovta Dane rohvaybéwy "Epurwv, malanaïor Enot xOUpaLS > 1! ! Ar pes )” sa Y/ xppod!o10v 7’ &Üuoua. rooodyetv t’”Eowtos avlos… TOdE at uéknua uV0ots yac'ev ÉOdWV d: hou RER Ne EU de 3) KAPEV.P ë YAPAS L u e9 4 ” LES r Hap'ev œurov te Movoüiy. VEOTNTOS ÉGYEV COUV. Odes LI (51), v. 4-15 et LIV, v. 8-9 (51, v. 27-28). LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 71 l'objet du chant des poètes, l’arbuste chéri des Muses. Elle blesse de ses rudes épines et cependant on la cueille avec plaisir. On aime à tenir dans ses mains cette fleur consacrée à Éros et à respirer sa douce odeur. Agréable jusque dans sa vieillesse, elle y conserve le parfum de ses premiers Jours. Si Jupiter, dira à son tour Achille Tatius!, avait voulu donner une reine aux fleurs, la rose eût été leur reine ; elle est la parure de la terre, la splendeur des plantes, l'œil des fleurs, la pourpre de la prairie, l'éclair de la beauté. Elle exhale l’amour ; elle attire et fixe Vénus : elle se couronne de feuilles odorantes ; elle étale avec orgueil ses flexibles pétales, qui sourient légers aux zéphyrs. Pour Phjlostrate encore la rose est le « monument d’Adonis, le sang de Vénus, l’œil de la terre »°. Les poètes de Rome ont rivalisé avec leurs émules de la Grèce dans ce concert de louanges en l’honneur de la rose ; l'un d'eux” ira jusqu’à l’appeler « l’astre des fleurs ». Mais nul ne l’a célébrée dans des vers plus gracieux, quoique non exempts d’afféterie, qu'Ausone. Dans une idylle* qu’on a parfois attribuée à Virgile, 1l feint qu'il erre au milieu d’un jardin au moment où « la douce haleine du matin et sa piquante 1. Leucippe et Clitophon, lv. IF, chap. 1. J'ai suivi en partie la traduction de M. Zévort. 2. "Aôwvidos brouviparta ÿ ’Agoodlrns Bapnv à is Ouuata. Epistola Y. 3. « Haec florum sidus. » Anthologia latina, éd. Al. Ricse, v. [, p. 240. (De laude rosae centumfoliae.) 4. « Rosae. » Zdylle XIT, éd. Nisard. Paris, 1887, in-8. 12 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ fraîcheur annoncent le retour doré du jour. » Il y voit! les rosiers que cultive Pestum briller humides au nouveau lever de Lucifer ; et çà et là, sur les arbrisseaux encore chargés de brouillards, luit une blanche perle qui doit mourir aux premiers rayons du jour. On doute, ajoute le poëte?, si l'Aurore emprunte aux roses son éclat vermeil, ou si le Jour naissant donne à ces fleurs la nuance qui les colore. Même rosée, même teinte, même grâce matinale à toutes deux ; car l'étoile et la fleur ont pour même reine Vénus; même parfum peut-être ; mais le parfum de l'une se dissipe dans les hautes régions de l'air; plus rapproché, on n'en sent que mieux le parfum de l'autre. Déesse de l'étoile et déesse de la fleur, la divinité de Paphos a voulu leur donner à toutes deux la couleur de la pourpre. On comprend d’après ces éloges enthousiastes quelle place la rose devait occuper dans les œuvres À Vidi Paestano gaudere rosaria cultu, Exoriente novo roscida Lucifero. Rara pruinosis canebat gemma frutetis, Ad primi radios interitura die. v. 11-184. 2. Ambigeres, raperetne rosis Aurora ruborem, An daret ; et flores tingeret orta dies. Ros unus, color unus, et unum mane duorum Sideris et floris, nam domina una Venus. Forsan et unus odor : sed celsior ille per auras Difflatur : spirat proximus iste magis. Communis Paphie Dea sideris, et Dea floris, Praecipit unius muricis esse habitum. v. 15-22, LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 73 des poètes anciens ; ils lui ont aussi emprunté les plus charmantes comparaisons. Quand les dieux ou leurs favoris parlent ou sourient, un parfum de roses s’exhale de leur bouche”; s'ils agitent leur chevelure, il en tombe des roses”; des roses aussi naissent partout où 1ls portent leurs pas”. Dans la langue des poètes, remarque le pseudo- Anacréon“, l’Aurore a des doigts de rose, les Nymphes des bras de rose, Vénus un teint de rose. Ce n’était là que la constatation de ce qu'on trouvait dans la réalité. Homére et Hésiode nous montrent l’Aurore ouvrant de ses doigts de rose les portes du matin. Théocrite a recours à la même fisure pour décrire le lever du jour : J Les coursiers de l’Aurore aux bras de rose, dit-il *, s'élancent dans le ciel, la ramenant de l'Océan. £: Dum loquitur vernas efflat ab ore rosas. Ovide, Fast. lib. V, v. 194. mois flores cecidere capillis, 1) Accidere in mensas ut rosa missa solet. Ovide, Fast. lb. V, v. 359. 8. Quidquid calcaverit hic rosa fiat. Perse, Satira I, v. 38. Quacumque per herbam Reptares, fluxere rosae. Claudien, Laus Serenae, v. 90. (Opera, XXIX). &. “Pododaxruhos uëv "Hu, Goddypous dE xappodita éodonnyees de Nouvar, FapXx TOV COPY ZAAETUL. Ode LIV, v. 1-4 (LIII, v. 20-24). à. GVÊL& THÉ TÉ HOT’ WOXVOY ÉTOEYOV (FO! Q7 ft ’ _ 4 e : LIFE à 0 = = 1 AG tay Godonayuy ar’ (lrexvoto pepotaur. Idyllion XX, v. 147-148. 74 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ A l'exemple de leurs précurseurs de la Grèce, les poètes latins emploient, à chaque instant, la même figure. Le soleil, chante Lucrece ‘, de ses feux couleur de rose ramenait la lumière dans le ciel. Et Virgile” L'Aurore, conduite par quatre coursiers couleur de rose, avait déjà parcouru la moitié de la céleste car- liÈre, Ou encore * : Du haut des airs brillait la blonde Aurore, trainée par deux coursiers aux crins de rose. Dans Tibulle aussi « l’Aurore ramene le jour brillant sur son char couleur de rose“ ». L'Aurore à la chevelure de rose avait dissipé les ténebres, 4. Dum rosea face sol inferret lumina caelo. De natura rerum, Lib. V, v. 974. 2. roseis Aurora quadrigis Jam medium aetherio cursu, trajecerat axem. Aeneidos lib. VI, v. 355-56. SE aethere ab alto Aurora in roseis fulgebat lutea bigis. Aeneidos hb. VIE, v. 26. Aurora nitentem [le Luciferum roseis candida portet equis. Lib. 1, 3, v. 93-94. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 75 dit également l’auteur du Moucheron'. Et dans Ovide : La vigilante Aurore, ouvrant les portes resplendis- santes de l'Orient, sort de son palais rempli de roses ?. Ailleurs, 11 la montre « blonde mère de Memnon, revenant visiter le monde traînée par des coursiers couleur de rose” », ou bien « emportée par ses coursiers, ramenant dans le ciel la lumière rosée du matin‘ ». L’Aurore, chez Valérius Flaccus, apparaît aussi « traînée par deux coursiers couleur de rose” ». Secouant de son bras de rose les rênes empourprées, dit Apuléef, l'Aurore lance ses coursiers dans les cieux ». Stace parle aussi des « rênes de rose » qu'agite 4: Crinibus et roseis tenebras Aurora fugarat. Culex, v. 43. 2. Ecce vigil rutilo patefecit ab ortu Purpureas Aurora fores et plena rosarum Atria. Metamorph. hb. If, v. 112-114. d veniet, terras visura patentes, Memnonis in roseis lutea mater equis. Fastorum lb. IV, v. 713-714. 4. roseam pulsis Hyperionis astris In matutinis lampada tollit equis. Fastorum lib. V, v. 159-160. 2. ut roseis Auroram surgere bigis Vidit. Argon. Lib. IT, v. 261. 6. Commodum punicantibus phaleris Aurora roseum quatiens lacertum, cœlum inequitabat. Metamorph. RE: ATTE. 76 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ l’Aurore ! et Valérius Flaccus va jusqu'à dire de Bacchus qu'il conduit avec des « rênes de rose » les nations vaincues ?. Comme à l’Aurore, on donna à la Lune un char couleur de rose; c’est ainsi que Stace la montre s’élevant au plus haut des cieux”. Valérius Flacceus la dépeint, guide propice à travers l'obscurité, rem- plissant les bois de sa lumière rosée“. Comme l’Aurore encore”, la Lune° reçut, ainsi que le Soleil — Titan” ou Phébus* — l’épithète de « rosée » ou « couleur de rose ». L'un et l’autre, dit Claudien des deux astres”, « nourrissons couleur de rose d'Hypérion », éclairent de leurs feux la plaine azurée. 4, roseasque movebat habenas, Punic. lb. I, v. 578. 2, roseis haec per loca Bacchus habenis Cum domitas acies... (duceret). Argon. lib. IIT, v. 538. 3. Scandebat roseo medii fastigia caeli Luna jugo. Stace, Achaill. Lib. I, v. 818-19. 4, roseo talis per nubila ductor Implet honore nemus. Argon. lib. VII, v. 30-31. d Conscia nox sceleris roseo cedebat Eoo. Silius Italicus, Punic. Lib. IX, v. 180. 6. Cephalus roseae praeda pudenda Deae. Ovide, Artis amat. lb. II, v. 84. 7. te roseum Titana vocari. Stace, Thebaidis lib. I, v. 717. 6. Ni roseus fessos jam gurgite Phœbus Hibero Tinguat equos. Aeneidos hb. XI, v. 913. 9. Cœruleusque sinus roseis radiatur alumnis. De raptu Proserpinae, I, v. 48. (Opera, VIE LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 77 l encore les cour- siers du soleil, les freins écumants, « lançant par les Le même poète nous montre narines des feux aux teintes de rose », ainsi que le Bélier céleste «à la corne de rose » qui ramène avec lui le fertile printemps”. Une couleur de rose est également attribuée par Stace à Lucifer, quand, au soir, 1l illumine les nuées de ses feux tardifs*. Valé- rius Flaccus donne aussi à ce dernier des « ailes rosées* ». Les nuages prennent de même cette cou- leur”, lorsque la rapide Iris les traverse. L'expression « lumière rosée », pour Stace, est synonyme d’Au- rore, et Silius Italicus donne à l'Orient le nom de « levant couleur de rose »'. L'auteur des Guerres puniques parle encore des « feux rosés » qui s'élèvent des régions de lAurore au milieu de l’azur du ciel*. d Efflantes roseum frenis spumantibus ignem. In consul. Probini et Olÿbrii, v. 5. (Opera, I.) r4 Phrixeus roseo producat fertile cornu Ver Aries. De laud. Stilichonis, I, v. 463. (Opera, XXIL.) 3. roseus per nubila seras Advertit flammas. Thebaidis lib. IE, v. 137. &. qualis roseis it Lucifer alis. Argon. lib. VE, v. 527. Ô. Velocem roseis demittit nubibus Irin. Valerius Flaccus, Argon. lib. IV, v. 77. ô. rosea sub luce reversi. Silvar. hb. II, 1, v. 134. 2: Terminus huic roseos amnis Lageus ad ortus. Punic. lib. I, v. 196. 8. ab aequore Eoo Surgebant roseae media inter caerula flammae. Punic: hb. IV, v. 481. 78 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Mais ce ne fut pas seulement à la lumière de l’Au- rore ou des astres qu'on donna l’épithète de « rosée», on l’attribua aussi aux diverses parties du corps humain et surtout du visage. La bouche, les lèvres, les joues, le front, le cou, la face tout entière furent « couleur de rose »; on le dit également des seins et des bras, de la main comme du pied. Sappho donne aux Grâces des bras’, Himère des pieds de rose?. Catulle parle du « sein de rose » de sa mai- tresse * ; 1l montre les bandelettes de neige qui cei- gnent le front de rose des Parques * et 1l nous décrit les accents plaintifs sortant des lèvres rosées d’Attis”. Virgile® comme son imitateur Silius Italicus”, fait parler Vénus d’une « bouche de rose ». Il en est de même d'Iris. Nous voyons aussi dans l'Énéide Vénus s'éloigner en détournant son cou ou sa face de rose”, et Lavinie déchirer, dans sa douleur, ses joues de 1: Boodoräyees ayvar Xaprres. Ed. Bergk, 65. 2; Goddoœucor Xaprtec. Oratio, I, 19. +. in roseis latet papillis. Carm. ENV. OUR k. roseo niveae residebant vertice vittae. Carm. LXIV, v. 309. +. Roseis ut huic labellis sonus editus abut. Carm. LXIIE, v. 74. 6. roseoque haec insuper addidit ore. Aeneid. lib. II, v. 593. suspirans roseo Venus ore decoros Adloquitur natos. Punic. Lib. VII, v. 448. roseo Thaumantias ore locuta est. Aeneid. lib. IX, v. 5. 8. avertens rosea cervice refulsit. Aeneid. bb. E, v. 402. “ LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 79 rose”. Horace parle aussi de la face de rose de Télè- phe*. Ovide, personnifiant l’Aurore, vante la bouche de rose de la déesse du matin”. Dans le premier livre de son Achilléide, Stace, voulant dépeindre l’écla- tante beauté de Déidamie, fille de Lycomède, dit que les roses de son visage relèvent la pourpre de sa tunique”; ailleurs, il parle du léger duvet qui viendra ombrager les joues de rose du fils d’Ata- lante, Parthénopée”, ou 1l rappelle quel vêtement Vénus inventa pour relever le teint de rose du visage. Martial met au rang des principaux traits de beauté des « lèvres rivalisant avec l’incarnat des roses de Pestum ” ». Dans une autre de ses épigrammes, il nous montre un jeune adolescent « efileurant une coupe % roseas laniata genas. Aeneid. lib. XII, v. 606. 2: cervicem roseam (laudas). Carmehbr ls. 1. 3. roseo spectabilis ore. Metam. Lib. VII, v. 705. roseo flammatur purpura vultu. Æ v..297: 9. Dum roseis venit umbra genis. Thebaid. hb. IV, v. 336. Au lib. IX, v. 703, il est question des joues dont un duvet de rose a changé l'aspect : mutatae rosea lanugine malae. 6. quae vestis roseos accendere vultus Apta. Sue bee. v: 51-52. 7: Paestanis rubeant aemula labra rosis. Epigr. üb. IV, 42, v. 10. 80 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ de ses lèvres de rose” ». On ne doit pas être surpris non plus qu'il soit question dans ses vers de « bouches de roses” ». Plus tard on verra encore Claudien réprésenter Achille peignant de sa « main de rose » sa blonde chevelure *. Les poètes latins des derniers siècles ont prodigué l’'épithète de « rosée » ou « de rose »; chez eux elle est devenue synonyme de l'adjectif « pourpre », ou même simplement de « brillant », « doré », « beau ». Déja Catulle parle d’un coussin d'ivoire que la pourpre de Tyr a recouvert d’un vernis couleur de rose“. Dans Valérius Flaccus, il est question d’une « jeunesse rosée” ». Claudien a chanté les « vallées de rose d’'Henna° » ; 1l a vanté aussi le « Douro aux rives rosées ? »,et donné même des « crêtes de rose » à FA Et libata dabat roseis carchesia labris. Lib. VIII, 56, v. 15. Fe roseo torserat ore puer. Epigr. lib. XI, 56, v. 12. = À Thessalicos roseo pectebat pollice crines. De nuptiis Honortii et Mariae, v. 19. (Opera, X.) kB, (pulvinar) Indo quod dente politum Tincta tegit roseo conchyli purpura fuco. Carm. LXIV, v. 48-49. h: Mole nova et roseae perfudit luce juventae. L Argon. lib. V, v. 366: 6. qualem roseis nuper convallibus Hennae Suspexere Deae. De raptu Proserpinae, WI, v. 85. (Opera, XXXVI.) 18 roseis formosus Duria ripis. Laus Serenae, v. 72. (Opera, XXIX). LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 81 L des serpents”. Il y a eu sans doute quelque chose de conventionnel et de factice dans l'emploi ainsi géné- alisé de cette expression, et elle a cessé dès lors d'être un témoignage toujours manifeste de l’impor- tance prise par la reine des fleurs dans la vie des Grecs et des Romains. Il n’en est pas de mème de la place qu'occupe la rose dans quelques-unes des plus belles descriptions des poètes anciens, ni des images gracieuses qu'elle leur à fournies. Une fleur aussi admirée et recherchée à pu seule les inspirer. Pindare, par exemple, dit des ancêtres de Mélissos qu'ils « brillèrent comme la terre émaillée des fleurs pourpres de la rose*.» Celui à qui Cypris n'a point donné un baiser ne sait point quelles fleurs sont les roses, dit la locrienne Nossis*. De douleur mon visage rougit, comme la rose sous la rosée, s’écrie Théocrite*. Pour peindre Adonis au moment d’expirer et perdant ses forces et sa couleur, Bion LE Erecti roseas tendunt ad carmina cristas. De raptu Proserpinae, V, v.14 (Opera, XXXIID). z: 100v bre pouvrréousty &vOnsev Éodots. Po Isthmiques, IV, vx. 330. 3. riva à” à Kürots oùx évilagey, » CS , 4 = er OU. O1dev xnvas TavÜex roïx GOÛa. Anth. palatina, lib. V, n° 170, v. 3-4. 100% potvly0nv 0x0 rûAyeos ds É00ov Époa. Idyllion XX, v. 16. JoreT. La Rose. ô Es 82 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ dit que « les roses fuient de ses lèvres”. » Et nous avons vu Rhianos comparer le jeune Empédocle, dont la beauté surpasse celle de ses compagnons, à la «rose qui brille entre les fleurs du printemps”. » Ne me fuis pas, dit le pseudo-Anacréon à son amie”, parce que mes cheveux sont blancs; ne dédaigne pas mes présents, parce que tu es dans la fleur de l'âge. Vois comme, dans les couronnes, les blancs lis se marient agréablement aux roses. Que ne suis-je une rose à la fleur empourprée, s'écrie, dans un sentiment tout moderne, un poëte grec ano- nyme*, pour que tu me déposes sur ton sein blanc comme la neige. Et Musée voulant décrire la beauté pleine de grâce de Héro 1. rÔ podov webyer T@ yefheus. Epitaphium Adonidis, x. 11. Ed. Didot. 2. 0560v Èv GAMOLS “ , = nt s ! MES avÜeotv etapivois xxA0Y EAaude Godov. Anth. palatina, Lh. XII, n° 58, v. 3-4. 3. M ue oùyns, 00Goa ÔGoa Taux OGM. [l ! "1 ÿnS; N ï i i Ty ToAuv Éderoav OPA AAY GTEPAVOLILV 17 “ ’ [4 (2 \ und’, OTL GO! TAPEGTLV ÜRWS TOËREL TA ÀEUXA ” , " "N en | ef EE « ! avÜos axuatov nas, éodots 2p!V' ÉUTAXKËVTA. Ode XLIX (XXXIV). >/4 ‘ &. "Eule É00ov yevounv brordpoupoy, Üppa [LE EpSLV Apsauévn axplon GTHÜESt AUDE Anth. palatina, cap. V, n° 84. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 09 Ses joues de-neige, dit-1l!, se couvrirent de rougeur, semblables à la rose à la double couleur, quand elle sort de son calice. On dirait que ses membres délicats étaient des champs de rose ; une lumière rosée l'enveloppait ; quand elle marchait, les roses brillaient sous les pas de la vierge vêtue de sa blanche tunique. Sa bouche, dit Clitophon de Leucippe, dans Achille Tatius?, était semblable à une rose qui commence à entr'ouvrir les lèvres de ses pétales. La rapidité avec laquelle passe la rose fournit en particulier aux poètes les plus charmantes compa- rAISONS : La rose est belle et le temps la flétrit, dit dans Théocrite”, un amant à l’amie qui le dé- daigne et qu'il voudrait fléchir. Et Straton * : 1. Axpa dE yrovéns votvioseto xbxÂa rapetñs, Os É0dov x xaAVAWY DOUUTY 000v" 1 TAy « pains s F0 VZU)V 2LOUILOY € 7 1] x ? ins; “Hpods év pehéeoot É0dwY ÀetuGva oavivar p GE [LE EGGL 2000V À C0 DXVT) Leoumv yap mekéwy Épulalvero: viocouévns dE Aa 600x hkeuxoy{twvos dTO sovox AduTreTto xoUpns. De Herone et Leandro, éd. F. S. Lehrs, p. 4, v. 58-62. 2. To orûua Sddwv &vÜos nv, Otav &oyntat TO É0dov avolyeuv T&V cop É0dwvV &y0os nv, OTav &pyn é0doy avolys o0kkowy Tœ yetAn. De Clitophontis et Leucippes amoribus 1, 4. 3. Kai to 60dov xakdy Eott, at O ypÜvos auto mapaiver. Idyllion XXIIT, v. 28. &. Et xahhet xavy&, ylvwoy” Gt zat É0ov ’avbet : aAÂAX papavÜëy &pve by xoroiots épion. Av0os yap aa xdkkos Tsov ypôvov gti Aa 0vTa radta d'ou gÜovéwv Efemdoave yp0vos. Anth. palatina, lib. XIT, n° 23%. 84 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Si tu t’enorgueillis de ta beauté, rappelle-toi que la rose aussi brille dans sa fleur ; mais bientôt flétrie, on la jette au loin; les fleurs et la beauté ont reçu du sort la même durée ; le temps envieux les flétrit en même temps. Même pensée dans cette épigramme latine ! Après l'heure de la rosée, les violettes se fanent, la rose perd son parfum ; après le printemps, les lis s'étiolent et perdent leur blancheur ; redoute, je t'en supplie, ces exemples et paie de retour ton ami; il aime toujours celui qui toujours est aimé. Telle encore cette autre épigramme toute em- preinte de mélancolie * : Comme la rose apparaît en son temps dans sa beauté et en son temps se flétrit, ainsi tu commençais en ton printemps à être belle, mais soudain tu cesses d'être à mol. De même, pour décrire la mort prématurée d’un 4 Marcent post rorem violae, rosa perdit odorem, Lilia post vernum posito candore liquescunt. Haec metuas exempla precor et semper amanti Redde vicem, quia semper amat qui semper amatur. Anthologia latina, rec. Al. Riese, vol. I, p. 82, n° 24. 2: Ac veluti formosa rosa, cum tempore prodit, Arescit certe tempore deinde suo. Sic tu cœpisti primo formosa videri Tempore, sed subito desinis esse mea. Anthologia veterum lat. epigrammatum cura P. Be MaANxi. Amst., 1773, in-4°, lib. IV, n° 152. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 89 fils enlevé à ses parents dans la fleur de la jeunesse, Stace s’écrie”: Tels les lis inclinent leurs tiges pâlissantes ou les roses fraîches écloses meurent aux premiers souffles de l’Auster. L’habitude que les Anciens avaient de vivre entourés de roses donna naissance aux locutions « vivre », « dormir », « être couché sur des roses? », synonymes d’être heureux, vivre dans la tranquil- lité ou même dans la mollesse. Cypris et la douce éloquence, dit Ibycus*, pour peindre l'heureuse jeunesse d’un ami, t'ont élevé au milieu des roses. Et Martial conseille à Liber, « digne de vivre sans cesse environné de roses », de se ceindre toujours le front de couronnes de fleurs“. 1. Qualia pallentes declinant lilia culmos, Pubentesve rosae primos moriuntur ad Austros. Silvarum lib. IE, 3, v. 128-129. 2. An tu me putabas in rosa dicere ? Cicéron, Tuscul. quaest. Hb. V, cap. 26. d. ZE pév Kôrpots & r'ayavofhépapos Ie Éoô£orsuw év avdest Opébav. Athénée, Deipnosoph. Bb. XIIT, cap. 17 (564). k, Liber, in aeterna vivere digne rosa, cingant florea serta caput. Epigram. HAVE 77. v. 922 ... 86 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ Personne, remarque Sénèque!, ne s'exerce à ce que, en cas de nécessité, il couche tranquillement sur des roses, donnant à entendre qu'il n’est point besoin d’ap- prendre à vivre dans la mollesse et l’oisiveté. Ce que tu me dis est pour moi des roses*, réplique l’Injuste au Juste qui l'injurie dans les Nuées d’Aristophane, ce qui est l'équivalent de « tu me dis des choses agréables ». Ici le mot rose est pris dans un sens métapho- rique ; on le retrouve avec sa signification ordinaire dans plusieurs locutions proverbiales tirées de la nature et des qualités de cette fleur ou de l’arbuste qui la porte. Ainsi dans Théocrite Il ne faut pas comparer aux roses la fleur de l'églantier ou les anémones *, pour indiquer qu'on ne doit pas mettre en parallèle des choses de valeur inégale. L'oignon ne produit ni roses, ni hyacinthes”, 1. Nemo discit ut, si necesse fucrit, aequo animo in rosa jaceat. Epistola XXX VI, 9. 2. É0da p” etonxas. Nubes, v. 910. — ’Avzt rod, épot ta 970 GoÙ eipnuéva 600 éot!. Scholia graeca in Aristophanem. Pari- i sus, 1843, in-8, p. 120. ? | LES 7 (] = 2 LES Éd 4 2E OÙ GUU6ANT ÉGTI AUVOGOATOS OUŸE AVUUIVX ! . _ Rap 0x. Idyllion V, v. 91-92. L 4 ‘ LI LA , LA %. OÙre yao Ex onfAÂne 600a œùetar, oùd” baxrvloc. Gnomae, v. 537. LA ROSE DANS LES LÉGENDES ET DANS LA POÉSIE. 87 sentence de Théognis, qui a pour contre-partie cette pensée d'Ovide : Souvent la rude épine produit de douces roses! Quand la rose est flétrie, on méprise l'épine ?, remarque encore le même poète. Souvent, dit-il encore”, l’ortie croît près de la rose, sentence qui, nous le verrons, a été imitée dans la plupart des littératures modernes. Tel ne trouve que des roses, a dit de son côté Pétrone , tel autre des épines, proverbe qu'il explique lui-même, en remarquant qu’« il n’est pas donné à tout le monde d’avoir ce qui plait. » : Sacpe creat molles aspera spina rosas. Ex Ponto, lib. IT, epist. 2, v. 34. Edition Lemaire ; l'édition de Rod. Merkel ne donne pas ce vers. 2. Contemni spinam, cum cecidere rosae. Fasthb:.V, v: 354: 3. urticae proxima saepe rosa est. Remedia amoris, v. 46. non omnibus unum est [rs quod placet, hic spinas colligit, ille rosas. Petronii Arbitri Satirarum reliquiae, Berolini, 1862, in-8. Fragmenta, XXXV, p. 99. CHAPITRE IV. USAGES DE LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. Si la rose occupe une place considérable dans la poésie des Grecs et des Romains, elle en occupait une non moins grande dans leurs usages: «qui pour- rait se faire sans la rose ? » dit le pseudo-Anacréon'; rien de plus vrai; 1l n’est pas un acte de la vie des Anciens auquel cette fleur n'ait été associée ; elle les accompagnait pendant leur existence tout entière et jusque au delà du tombeau. Sa beauté, son parfum, les propriétés qu'on lui attribuait, expliquent sans doute ce rôle immense de Ia rose dans les usages, comme dans les légendes et la poésie des Grecs et des Romains, il tient aussi à la place que, dès les temps les plus reculés, les fleurs prirent dans la vie de ces peuples ; c’est sous forme de couronnes qu'ils s’en servaient le plus souvent*. s Là 1: TE D’ ...diya ÉOdou yévoir” av; Ode LIIT (51), v. 19. 2. Voir sur l'emploi des couronnes chez les anciens le livre curieux de Carlo Pasquali (Paschalius) : Coronae, opus ... dis- tinctum X libris, quibus res omnis coronaria e priscorum eruta et collecta monumentis continetur. Parisuüs, 1610, in-4 de 730 pages. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 89 On attribuait à Janus, preuve de leur haute anti- quité, l'invention des couronnes ". Les plus anciens poètes lyriques de la Grèce du moins, Alcée, Sappho, Simonide, Anacréon, etc., en mentionnent l’emploi*. Aristophane parle, dans une de ses comédies *, de jeunes filles qui gagnaient leur vie en tressant des couronnes. Au siècle suivant, le poète Euboulos donna à une de ses pièces le titre de « la Marchande de couronnes »*. La bouquetière Glycère, au rapport de Pline”, inventa, vers la centième Olympiade (380 av. J. C.), l’art de les varier par une heureuse combinaison de fleurs, qui en relevait la couleur et le parfum. Les renseignements détaillés que tant d'écrivains, depuis Théophraste® jusqu'à Athénée”, ont donnés sur la composition des couronnes sont une preuve du prix qu'y attachatent les Grecs ; elles n'avaient pas moins d'importance aux veux des Romains ; mais l'emploi en était chez eux soumis à une règle- mentation sévère”: ils en firent usage dès les pre- 1. Athénée, Deipnosoph. lib. XV, cap. 46 (692). 2. Athénée, Deipnosoph. lib: XV, cap. 14, 4%, 16. “4 WOTE, EXV Ti HA! TAEZXT YUVN STéoavov, Éov Doxet. Thesmophoriazusae, x. 400-401. Athénée, Deipnosoph. bb. XIIT, cap. 6 (557). Hist. natur. hb. XXI, cap. 3. Hist. plantarum, Lib. VITE, cap. 6. Deipnosoph. lib. XV, cap. 8-47 (662-693). IL faut men- tionner aussi Pollux, Onomasticon, Lib. 1, 10, et Lucien, JO Où Nigrinus, 32 et Anacharsis, 9. 5. « Ingensque et hic severitas. » Æist. natur. hb. XXHE, cap. 6. 90 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ miers temps de leur histoire. Caton l’ancien recom- mandait déja de semer dans les jardins les plantes qui servalent à en tresser'. Les Romains, comme les Grecs, s’en servaient également d’ailleurs dans les cérémonies religieuses et dans les fètes profanes, au milieu de la joie des banquets ou du deuil des funérailles. Les couronnes figurèrent dès l’époque la plus ancienne dans le culte des Dieux”; ce fut à eux seuls, dit Pline”, qu’on en offrit d’abord. Eux-mêèmes avaient montré le prix qu'ils y attachaient ; le poète Phérécyde disait que Saturne * le premier avait porté une couronne. D’après Diodore, les Dieux auratent couronné de fleurs Jupiter, vainqueur des Titans ”. L'auteur des Cypriaques dépeint Vénus avec les Nymphes et les Grâces se tressant des couronnes de fleurs en chantant sur les sommets sourcilleux de 1. In hortis seri et coronamenta jussit Cato. Pline, lib. XXI, cap. 1. 2. Coronae deorum honos erant. Pline, hb. XXI, cap. 8. 3. Antiquitus nulla (corona), nisi Deo, dabatur. Hist. natur. lib. XVI, cap. 41. 4. Saturnum Pherecydes ante omnes refert coronatum, Jovem Diodorus post devictos Titanas (hoc munere a caeteris honoratum). Tertulliani Liber de corona, cap. 7. 5. Athénée, Deipnosoph. Wib. XV, cap. 31 (683). Et LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 91 l’Ida”. Suivant Pline, c’est Bacchus qui, le premier de tous, se serait ceint le front d’une couronne de lierre *. Les couronnes aussi étaient agréables aux Dieux ; Q1ls se détournent, dit Sappho, de ceux qui n'en portent pas.» Etle poète Chérémion les appelait les « messagères des vœux » des mortels*; « les Prières, fait-il dire à l’un de ses personnages , les placent devant les Dieux, comme expression de nos hommages ». Les couronnes prenaient aussi place dans toutes les cérémonies religieuses. Les statues et les temples des Dieux en étaient ornés. Pausanias rapporte qu’il ne lui fut pas possible de distinguer la statue d’Ino dans le temple de cette déesse près de Thalamé, en Messénie”, tant elle était chargée de guirlandes. Les sacrificateurs ne se présentaient à l’autel que couronnés de fleurs ou de feuillages ; les victimes elles-mêmes y étaient conduites parées de guirlandes”®. Dans les fêtes données en l'honneur de la fondation 1. « Ferunt primum omnium Liberum patrem imposuisse capiti ex hedera. » Æist. natur. Lib. XVI. cap. 4. 2. Evdvdex ydo nékstar zoi Xdpires uéxatpa mn ! » 2 S/ u (2 B&AOV TROTÉONY, AGTELAVUTOLTL D’ ATUOTLÉDOVTOL. Athénée, op. laud., lib. XV, cap. 16 (674). 3. Ztepdyous teudvres, ayyéhous evpnu'ac. Dionysus, ap. Athénée, op. laud. Gb. XV, cap. 19 (677). &. Zrepdvous étoudtousiv, os venues Arjpuzas EU al To006%)À0vT0 Üarovey. Centaurus, ap. Athénée, cbid. 9. Descriptio Graeciae, Lib. HE, cap. 26, 1. 6. « Deorum honori sacrificantes sumsere, victimis simul coro- natis. » Pline, Æist. natur. lib. XVI, cap. 4. 92 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ de Rome, le peuple tout entier portait des couronnes”, comme on le voit par une note d’un calendrier du temps de Tibère. Parfois même on parait de fleurs, ainsi que nous l’apprend une inscription *, jusqu'aux places publiques. Dans ce dernier exemple c’est de roses qu'il est question ; ce sont elles aussi qui bientôt furent le plus employées dans les cérémonies du culte”. Elles le furent avant tout, on le comprend, dans celui qu'on rendait aux divinités dont cette fleur était l’attribut et l’apanage, comme Aphrodite ou Vénus et Bacchus. À Rome, d’après Ovide“, on offrait à Vénus les premières roses du printemps. Le premier jour de la fête des Vinalia, célébrée aux calendes de mai, en l'honneur de cette déesse, les courtisanes lui offraient, avec des rameaux de myrte, des cou- ronnes où « le jone s’entrelacait à la rose ». Aux fêtes de Bacchus on portait aussi des couronnes de roses avec des guirlandes de pampre ou de lierre ; et l'une des principales fètes des thiases diony- 1. Roma condita feriae coronatis ommibus. Bull. della Com- mis. Arch. mun. an. IV, 1876, p. 16. 2 Macellus rosa sumat. C: 1: L'Nol.Æ,,p.7394. 3. « Transiere deinde ad rosaria. » Pline, Æist. natur. lb. XXI, cap. 8. h. Nunc (Veneri) nova danda rosa est. Fast. lb. IV, v. 138. D. Cumque sua dominae date graia sisymbria myrto, Textaque composita juncea vincla rosa. Ovide, Fast. lib. IV, v. 869-70. Cf. L. Preller, Ræmische Mythologie. 1881, 3° 1 6 2 4 p- 41. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 93 siaques de la région du Pangée, sous la domination romaine, portait le nom de ARosalia”. Mais la rose ne figurait pas seulement dans le culte de Vénus et de Bacchus; elle prenait place aussi, Columelle le dit expressément”, dans celui de presque tous les autres Dieux. Aux fêtes de Héra, à Argos, on couronnait de roses et de lis la statue de la déesse. Ces roses couvertes de rosée et cette touffe de serpolet, chante Théocrite *, sont pour les Vierges de l'Hélicon ; à toi, Apollon Pythien, ces lauriers au sombre feuil- lage. Lucrèce dépeint les adorateurs de Cybele faisant tomber une pluie de roses sur la déesse et sur son cortège, lorsque, gage assuré de salut, on promène, àtravers les grandes cités, sa muette Image*. L'auteur 1. Heuzey, Mission archéologique en Macédoine, etc. Paris, 1864-65, fol. p. 150, 152, 153. À Virgineas adoperta genas, rosa praebet honores Cœlitibus, templisque Sabaeum miscet odorem. De cultu hortorum, v. 261-62. 3. Ta poda Ta dposdevta at N xaTATuxVOS Éxelva Éprukos reîrar toïs Ekxowvuaotv. roi de pelauœuAhor Oaovar tiv, [IUte [lariv. Epigram. L, v. 1-3. &. Ergo cum primum, magnas invecta per urbes, Munificat tacita mortalis muta salute…. Largifica stipe ditantes, ninguntque rosarum Floribus. De natura rerum, Lib. IF, v. 624-28. 94 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. de l’Aigrette rappelle dans ses vers” les roses dont il jonche le seuil des Muses. Dans les Métamorphoses d’Apulée, Lucius parle des guirlandes de roses toutes fraîches qui ornaient la statue de la déesse Épone et qu'il s’efforça en vain d'atteindre ?. Aux fêtes de la Déa Dia, déesse de la terre et des champs, identique avec Tellus et Cérès, dans la seconde moitié de mai, les frères Arvales faisaient sur son autel une offrande de pains cou- ronnés de lauriers et de roses, et quand, après le festin, ils se séparaient en prononçant le mot de bon augure féliciter, les serviteurs enlevaient les restes du repas et les partagealent avec les roses entre les assistants *. Les roses prenaient place en particulier dans les fêtes de Flore, la déesse qui les fait naître; parmi les réjouissances dont elles se composaient figurait une course où l’on portait des roses et dont la rapidité était comme l’emblème de la fragilité de ces fleurs charmantes“. Les roses servaient aussi sans doute à orner les lares domestiques et publics, qu'on parait, dans toutes les circonstances solen- 4 Sparsaque liminibus floret rosa. Ciris, v. 98. 2. Respicio pilae mediae... in ipso fere meditullio Eponae deae simulacrum residens aediculae, quod accurate corollis roseis et quidem recentibus fuerat ornatum. Metamorph. Lib. IT. 3. Forcellini, Gloss. linguae latinae, s. v. arvalia. L. Preller, Rœmische Mythologie, vol. IF, p. 33. k. Eidoy ëv ‘Pœun vols avydogüpous toéyovras xai T@ TEL paprupobvras 0 &riotov tñs axuñs. Philostrate, Epistola LV. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 95 nelles, d’immenses couronnes de fleurs et de feuillage”. Dans une de ses élégies, Tibulle nous montre l’ha- bitant des champs ornant pieusement les siens de fleurs au retour du printemps*. IT. Associées au culte des Dieux, les fleurs et surtout la rose le furent aussi aux fêtes de lHymen. Le jour des noces, les époux”, ainsi que tous ceux qui prenaient part à la cérémonie, portaient des cou- ronnes *. Dans un tableau célèbre d’Aétion, décrit par Lucien, et qui représentait le mariage d'Alexandre et de Roxane, on voyait le prince macédonien offrant la couronne nuptiale à la fille de Darius”. Plutarque décrit aussi le conquérant, le front ceint d’une couronne, présidant lui-même au mariage de cent Macédoniens ou Grecs avec cent femmes Perses‘. Sur le bas-relief d'un sarcophage étrusque’, on 1. Pline, Æist. natur. hb. XXI, cap. 8. — Preller, Ræmische Mythologie, vol. If, p. 107. 2: Rure puer verno primum de flore coronam Fecit et antiquis imposuit Laribus. Eleg. lib. IL, 1, v. 59-60. 3 Le Fe: 2Ëe cr ME 7 ! ot \ ‘ GTEPOC ESERETUGGE VAUT) ALOV. Bion, ÆEpitaphium Adonidis, v. 88. &. Em. Egger, art. Corona, dans le Dict. des antiquités grecques et latines, p. 1528, 1. 9. Herodotus sive Aetion, 5. (Opera, XXI, éd. Didot, p. 243.) 6. Amatorius, cap. 26. 7. Monuments de l'Institut archéologique, 1863, pl. XIX. 96 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. voit deux nouveaux époux, portés sur un char, et la tête couronnée de fleurs. Himère décrit les Amours" tressant avec des roses cueillies dans les jardins d’Aphrodite des couronnes dont ils parent la chambre nuptiale de Sérènos. Et Claudien*, dans l'épithalame de Palladius et de Célérina, fait également répandre à pleines mains dans la chambre nuptiale une immense pluie de roses et des violettes cueillies elles aussi dans les jardins de Vénus. C’est surtout comme emblème de l’amour que la rose prit ainsi place dans les fêtes de l’Hymen ; elle était considérée à la fois comme un témoignage et un gage de tendresse et d'affection. Aussi, les amis en envoyaient à leurs amis, les amants en offraient à leurs maïîtresses. Portées sur leurs feuilles comme sur des ailes, écrit Philostrate à un ami”, ces roses se hâtent d'aller vers toi. Reçois-les avec faveur comme un souvenir d’'Adonis, le coloris de Vénus ou les yeux de la terre. Une couronne d'olivier sied à un athlète, la tiare droite au grand roi, à un soldat le casque, la rose à un bel adolescent. ” SL € rx , A ADAEU 1! r 2 1. "Epures dé Éoduwv steoavous rAeEauevor, ods &€ "Aocodltns 2rwv ns Otav Délwot pérovrat, Thy rastdda rüsav avartoust. Or. I, 19. 2. Tum vere rubentes. Desuper invertunt calathos, largosque rosarum Imbres, et violas plenis sparsere pharetris Collectas Veneris prato. v. 116-119. (Opera, XXXT). 3. Epistola 1 (29). Cf. Æpist. IL. « Je t'ai envoyé une cou- ronne de roses, non pour te faire honneur, encore qu'il en soit ainsi, mais pour être agréable aux roses, en les empêchant de se faner. » LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 97 Martial adresse de même à son ami Sabinus, comme le plus beau cadeau qu'il puisse lui offrir, une couronne de roses”, souhaitant seulement qu'il la croie faite des fleurs de son jardin. Ce sont des roses encore qu'il envoie une autre fois ceindre de leurs festons délicats le front de son cher Apolli- naris”. Et Properce, dans une de ses plus gracieuses élégies”, se représente enlevant de son front sa cou- ronne de roses pour en ceindre pendant son som- meil les tempes de Cynthie. C’est qu'il n’y avait pas d’offrande plus propre que les roses pour gagner l'affection ; aussi les amants en déposaient-ils au seuil de leurs amantes, soit, dit Athénée*, pour leur faire honneur, en ornant de couronnes l’entrée de leur demeure, comme si c’eût été celle d’un dieu; soit qu'ils en fissent hommage, moins à leurs maîtresses qu'à l’Amour lui-même, dont elles représentaient la divinité et dont leur habitation était comme le temple. Et le grammairien grec cite un passage de Lycophronide où ce poète montre un chevrier ” épris d’une bergère 4. Epigr. lib. IX, 61. Cf. pl. haut p. 33. 8 I felix rosa, mollibusque sertis Nostri cinge comas Appollinaris. Epigr. lib. VII, 89, v. 1-2. 3. solvebam nostra de fronte corollas, Ponebamque tuis, Cynthia, temporibus. Eleg. lib. I, 3, v. 21-22. &. Deipnosoph. lib. XV, cap. 9 (670). 9. T0d” avat{Ünu! cor ÉGdov, , 1 r 1 , se. ÊTRE! (LOL VOOS GAY HÉYUTEL ërt tav Xaouot pfhav raïda xai xaAav. Ibid, Jorer. La Rose. 7 Je LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. « belle et chère aux Grâces », consacrant des roses devant sa demeure. De Grèce cet usage symbolique se répandit dans l'empire romain. Lucrèce peint’ l'adorateur rebuté inondant le seuil de son amante inflexible de larmes et de fleurs, de guirlandes et de parfums, et 1m- primant de lamentables baisers à sa porte orgueil- leuse. Tibulle rappelle à sa maîtresse * ses longues supplications et les couronnes de fleurs qu'il a dé- posées au seuil de sa demeure. Dans l’Art d'aimer”, Ovide donne à l’amant, qui a soupiré en vain à la porte de sa maîtresse, le conseil de déposer sur le seuil, moyen assuré de la fléchir, les roses qui lui ornent le front. Les amants se paraient aussi de roses, comme d’un emblème de plaisir dans leurs rencontres : « Quel tendre adolescent, s’écrie Horace ‘, te presse, 4: -_ At lacrumans exclusus amator limina saepe Floribus et sertis operit, posteisque superbos Unguit amaricino et foribus miser oscula figit. De natura rerum, lb. IV, v. 1173-75. Te meminisse decet quae plurima voce peregi Supplice, cum posti florea serta darem. Eleg. lib. I, 2, v. 13-14. Tibulle, comme Lucrèce, ne parle que de fleurs, mais la citation d'Ovide montre que l’un et l’autre avaient évidemment en vue la to rose. 3. Capiti demptas in fore pone rosas. Art. amat. lib. IE, v. 528. &. Quis multa gracilis te puer in rosa LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 99 Ô Pyrrha, couvert de parfums et de roses, sous cette grotte voluptueuse ? » Palestre, dans l'Ane de Lucien’, s’empresse, en attendant Loukios, de couvrir sa couche de fleurs et de feuilles, ainsi que de guirlandes de roses. Et dans Apulée*, quand Fotis va retrouver son cher Lucius, elle porte des guirlandes de roses dans les mains, une rose détachée sur le sein, elle l’enlace de ses couronnes et le couvre de fleurs. ÉLTE Non moins que dans les fêtes de l’'Hymen et de l'Amour, la rose était associée à la joie des banquets, comme elle figurait dans le culte du dieu qui y prési- dait. C'était sous forme de couronnes qu’elle était alors le plus souvent employée. De nombreuses espèces de fleurs entraient dans la composition des couronnes qu'on portait dans les festins ; Théo- phraste * et Athénée* citent entre autres le lis, le Perfusus liquidis urget odoribus Grato, Pyrrha, sub antro ? Carm\hbPh"5,v..1-£% 1. Tv Ô otpwuätuwv É66da roXÂ& xateréraoto, Ta uÈv oÙtw yuuva xa0? Éauta, Ta dE Acluuéva, Tù DE OTEPAVOUS GUUTETAEYUEVE. Lucius sive Asinus, cap. VIL. 2. Fotis mea... proximat rosa serta et rosa soluta in sinu tube- rante.. Et corollis revinctis ac flore persperso. Metamorph. lib. IL. 3. Hist. plantarum, lib. VI, cap. 6. &. Deipnosoph. lib. XV, cap. 27 (680). 100 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. faux-narcisse, la violette, l’anémone, l’asphodèle, l'hyacinthe, l’ache, ainsi que la menthe sauvage, le serpolet et la marjolaine. Pollux' mentionne aussi le crocus et le lotus ; mais, ainsi que Pline *, 1l met la rose au premier rang des fleurs à couronnes. La coutume de porter des couronnes dans les festins remonte à une époque reculée ; en Grèce on la connaissait bien avant la guerre du Péloponèse. À Rome, on se servait déjà de couronnes au temps de la seconde guerre punique ; mais on ne pouvait avec elles se montrer en public. Pline raconte * que le banquier Lucius Fulvius, qui vivait à cette époque, accusé d’avoir, pendant le jour, regardé de son balcon dans le forum, en ayant une couronne de roses sur la tête, fut jeté en prison par ordre du sénat. Cette sévérité ne devait pas durer, et le relà- chement des mœurs contribua rapidement à répandre l’usage des couronnes dans la vie ordinaire. À Athènes, on vit de jeunes voluptueux en porter en plein jour et se rendre avec elles dans les écoles des philosophes *. On trouve à chaque instant, chez les poètes anacréontiques de la Grèce et de Rome, la preuve de ce luxe croissant des couronnes dans les banquets et de la place nécessaire qu'y occupait la reine des fleurs. Associons à Bacchus la rose dédiée aux Amours, dit 1. Onomasticon, lib. I, cap. 10. 2. Hist. natur. lib. XXI, cap. 10 (4) et 11 (5). 3. Hist. natur. lib. XXI, cap. 6. k. Pline, ist. natur. Lib. XXI, cap. 6. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET’'LES ROMAINS. 101 le pseudo-Anacréon ! ; buvons gaiement le front ceint des belles fleurs de la rose. » Et ailleurs * : « Les tempes ceintes de couronnes de roses, enivrons- nous galement. » « Qu'il me serait doux, s’écrie Properce *, à son tour, d'enchaîner mes esprits dans les flots de la liqueur de Bacchus et d’avoir tout le jour mon front demi-caché sous les roses du printemps. » Horace associe sans cesse dans ses vers la rose à ses joies et à ses plaisirs. Malgré la simplicité qu'il affecte parfois *, 1l ne veut pas que cette fleur manque à ses festins*. Que son ami Dellius fasse apporter « à l’ombre hospitalière d’un pin élancé et d’un 1. To fodov ro rüv ’Eputuv TO ÉOÛov T0 xx ApuAdov 'éwuey Atoyosuw- 2DOTÉPOLOLV RPILÔGAVTES RIVWUEV Gpa YEAGVTE. Ode XLII (5), v. 1-8. Zrepavous LÈv xpoTayotot t odlyous suvaoÜoavtes uelUwpey 6x VeAGytec. Ode XLI (6), v. 1-3. 3. Me juvat et multo mentem vincire Lyaeo Et caput in verna semper habere rosa. Elegiae, Wib. IT, 5, v. 21-22. Persicas odi, puer, apparatus. Car bel 32%: À: 5. Neu desint epulis rosae. Carm bb: 6:30; v: 15: ÆS 102 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. pâle peuplier, près du lit sinueux d’une onde mur- murante, du vin, des parfums et des roses sitôt flé- tries '. » ° “ « Pourquoi, lit-on dans une autre ode?, les cheveux parfumés par la rose ou le nard d’Assyrie, ne buvons- nous pas nonchalamment couchés à l'ombre d'un haut platane ou d'un pin? Dans la Cabaretière, cette piquante pièce de vers, qu'on a attribuée à Virgile, mais qui, si elle en rap- pelle le ton, n’en a point la sévère inspiration, le poète énumérant tout ce qui, dans sa taverne, peut attirer les buveurs, place des roses à côté des coupes et des flûtes*. Et quand, sous le nom de l’avenante hôtesse, il invite le passant à reposer à l'ombre des pampres ses membres lassés, il l’engage avant tout‘ à 14 Qua pinus ingens, albaque populus Umbram hospitalem consociare amant Ramis, et obliquo laborat Lympha fugax trepidare rivo ; Huc vina, et unguenta, et nimium breves Flores amoenos ferre jube rosae. Carm. lb. II, 3, v. 9-14. Cur non sub alta vel platano vel hac Le) Pinu jacentes sic temere, et rosa Canos odorati capillos, Dum licet, Assyriaque nardo Potamus uncti? Carm. lib. IL, 11, v. 13-17. Sunt cupae, calices, cyathi, rosa, tibia, chordae. Q2 Copa, *. 7. Eia age pampineo fessus requiesce sub umbra ; Et gravidum roseo necte caput strophio. v. 31-32. qe] LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 103 nouer sur sa tête appesantie une couronne de roses. Comme Horace, Martial représente son ami Flaccus” couché sur un gazon émaillé de fleurs, près d’un ruisseau limpide, buvant, loin des fâcheux et le front couronné des fleurs empourprées de la rose, son vin frappé de glace. Une seule couronne, ni une couronne ordinaire ne suffit même plus à l’adulateur de Domitien, 1l lui en faut plusieurs et qui soient faites de pétales de roses cousus ensemble {sutiles). Que dix fois, dit-il à son favori Calocissus ?, les pétales assemblés de la rose serrent nos tempes, autant de fois que le nom de celui qui a élevé un temple à son illustre famille compte de lettres ! Si, par adulation, Martial exagère ic1, il n’en est pas moins vrai que l’usage de porter plusieurs cou- ronnes, et des couronnes faites de pétales cousus ensemble, était connu depuis longtemps. Ovide fait allusion à ces dernières, Pline en parle aussi”. Anacréon recommande déjà aux convives d’avoir 1 Sic in gramine floreo reclinis, Qua gemmantibus hinc et inde rivis Curva calculus excitatur unda, Exclusis procul omnibus molestis, Perfundas glaciem triente nigro, Frontem sutilibus ruber coronis. Epigr. lib. IX, 91, v. 1-6. 2 Sutilis aptetur decies rosa crinibus, ut sit Qui posuit sacrae nobile gentis opus. Epigr. ib. IX, 94, v. 5-6. 3. Hist. natur. lib. XXI, cap. 8. 104 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. trois couronnes, deux de roses, la troisième naucra- tite, c’est-à-dire de myrte’. Le plus souvent on en portait deux, ordinairement de composition diffé- rente, l’une autour du front, la seconde, l'hypo- thémis, autour du cou. Les couronnes ne se por- taient pas d’ailleurs pendant toute la durée du festin ; c'était vers la fin du repas, quand on servait les vins fins, qu'on les présentait aux convives avec les parfums”; elles étaient ainsi les compagnes de l'ivresse ; « la rose régnait, suivant l'expression de Martial”, lorsque Bacchus était dans toute son effervescence ». Les convives, d’ailleurs, n'avaient pas seuls des couronnes, les esclaves aussi en portaient ; l’on en ornait jusqu'aux mets et aux coupes, en même temps que les murs de la salle du banquet étaient garnis de guirlandes de feuillage ou de roses. On ne s’en tint pas là ; on alla jusqu'à répandre des roses effeuillées (rosae solutae) sur la table et même sur le pavé de la salle du banquet. Dans la description brillante et gracieuse qu'il a faite des festins qui accompagnalent les fètes de Flore*, Ovide n’a oublié avr ÉXAGTOS EULEV, VAUXOGTITTIV. Fragm. XV. Ed. Gail. 2. Athénée, Derpnosoph. , Lib. XV, cap. 8 (669). 3. cum furit Lyaeus, Cum regnat rosa, cum madent capilli. Epigr. lib. X, 19, v. 20-91. Tempora sutilibus cinguntur tota coronis : TS Et latet injecta splendida mensa rosa. Fast. bb. V, v. 335-536. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 105 ni les couronnes faites de pétales cousus, n1 la « pluie de roses sous laquelle les tables disparaissent ». Ce luxe des roses, auquel le contemporain d’Au- guste fait ici allusion, comme de date ancienne, existait en effet bien avant lui et devait encore grandir après. Depuis longtemps les voluptueux de Rome avaient, comme ceux de la Grèce, pris l’habitude de vivre au milieu des roses. On raconte que Denys le jeune, alors retiré à Locres, fit joncher son palais de thym et de roses, et on le vit même se vautrer au milieu de ces fleurs’. Dans un passage célèbre d’un de ses plus éloquents discours, Cicéron à flétri le raffinement que Verrès porta dans l’usage des roses : Au printemps, dit-il?, etson printemps à lui ne datait pas du retour des zéphyrs ou de l'entrée du soleil dans tel ou tel signe, il ne croyait l'hiver fini que lorsqu'il avait vu des roses ; alors il se mettait en marche. À l'exemple des anciens rois de Bithynie, mollement étendu dans une litière à huit porteurs, il s'appuyait sur un coussin d'étoffe transparente et tout rempli de roses de Malte. Une couronne de roses ceignait sa tête, une guir- lande serpentait autour de son cou; il tenait à la main un réseau du tissu le plus fin, à mailles serrées et plein de roses, dont il ne cessait de respirer le parfum. A , ° LA ? . Le goût et l'emploi des roses ne pouvait qu'aug- menter et se dépraver au milieu de la corruption dont les empereurs romains donneérent si souvent 1. Athénée, Deipnosoph. lib. VIT, cap. 58 (541). 2. InVerrem, V, cap. 10 et 11. Trad. Nisard. 106 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. l'exemple. Spartien rapporte’ qu'Elius Vérus avait fait faire un lit formé de quatre gros coussins, en- touré de toutes parts d’un léger réseau et rempli de roses dont on avait enlevé l'onglet ; il s’y couchait couvert d’un voile tissu de fleurs de lis et parfumé des plus suaves odeurs de la Perse. Héliogabale faisait parsemer ses salles à manger, ses lits et les portiques où il se promenait de roses, de lis et de violettes, d’hyacinthes, de narcisses et de toutes sortes de fleurs”. On a reproché au premier Gallien de « construire au printemps des chambres à coucher avec des roses* », et Carin, dit-on“, ne prenait ses repas que sur des lits garnis de roses de Milan. L’invasion des Barbares et les progrès du christia- nisme devaient seuls mettre un terme à cette dépra- vation dans le luxe des roses, ainsi qu'à ce luxe lui-même. A'£ Mais toute profanée que fut ainsi parfois la rose, cette fleur divine n’en conserva pas moins tou- jours quelques-unes de ses plus hautes attributions. C’est ainsi qu’elle continua à servir de récompense aux vivants et à honorer les morts. On donnait une couronne de roses au vainqueur du dithyrambe dans 1. Aelius Verus, cap. 5. (Historia Augusta.) 2. Lampride, Antoninus Heliogabalus, cap. 19. ({bid.) 3. Trebellius Pollion, Gallieni duo, cap. 16. (Ibid) k. Flavius Vopiscus, Carinus, cap. 17. (Jbid.) LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 107 les fètes de Bacchus au printemps’. Les soldats victorieux s’en paralent en revenant du combat ; on en attachait des guirlandes à la proue du vaisseau qui rentrait heureusement dans le port”. On jetait aussi des roses sur le char” et sous les pas des grands. Lorsque, quarante Jours après sa victoire, Vitellius alla visiter le champ de bataille de Bédriac encore couvert des cadavres mutilés et en putréfaction des soldats d’Othon*, les habitants de Crémone, par une honteuse et horrible flatterie, jonchèrent de branches de laurier et de roses le chemin qu’il devait parcourir. Mais la rose servait surtout à honorer la mémoire des morts. Elle prenait place au premier rang parmi les fleurs dont on entourait les monuments funèbres : Grimpe doucement, Ô lierre, sur le tombeau de Sophocle, s'écrie Simmias , et que tout autour s'y épa- nouisse la fleur de la rose. 1. Lenormant, art. Bacchus, dans le Dictionnnaire des Anti- quités. 2. Jam mea votiva puppis redimita corona. Ovide, Amorum lib. HE, 114, v. 29. 3. ROTÉPÉIRTOY OT OIpOOV AVAATI, n roXÀG dE ubooivx oUXÀX Aœt ÉOÔIVOUS GTEpAVOUS. Stésichore, Fragm. 29. 4. Intra quadragesimum pugnae diem lacera corpora, trunci artus, putres virorum formae, ...nec minus inhumana pars viae quam Cremonenses lauro rosisque constraverant. Tacite, ÆZistor. lib. IT, cap. 70. fr: "Hoëu” Ürép tüum6ot0 ZopoxAëous, npëua, rio0ë, Écnôtou … xœù metalov rävrn O&Aot Éodou. Anthol. palatina, cap. VIT, n° 22, 108 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Que les fleurs abondent sur ton tombeau nouvellement construit, dit aussi un autre poète!, non la ronce hirsute ni le stérile égilops, mais les violettes, la marjolaine, le tendre narcisse, et que les roses t'environnent en foule, à Vibius ! Et autour du monument que la reconnaissance du pâtre, dans la pièce attribuée à Virgile, élève au moucheron qui l’a sauvé, entre les diverses plantes ou arbustes qu'y a mis le poète*, se voient au pre- mier rang « les rosiers aux fleurs purpurines ». La rose figurait aussi aux funérailles dans les « couronnes de fleurs de la saison », dont on parait le corps” et la tombe‘ du défunt ou qu’on répandait sur ses restes. Mais c'était à la fête des Parentalia, que chaque année on célébrait, au mois de mai ou de jun, en l’honneur des morts, qu'elle jouait un rôle tout particulier”. Dans le repas, dont cette fête se composait — les escae rosales*, — on distribuait 4: Avleæ roAÀG yévorro veoduntew Ent TÜu6w, un Pétos adyunon, un xax0v atyiruoov, GRAN” La ar cauduya xx büativn vapxtso0s, Oùlbre, nai reot dou ravtæ yévorro ÉD. Anthol. palatina, vol. IF, cap. IT, n° 238. De hic et acanthus Et rosa purpureo crescit rubicunda colore. Culex, v. 397-98. 3. Pline, Æist. natur. Lib. XXI, cap. 8. — Alciphron, Epist. lib. I, 36. Cf. pl. haut, p. 69. &. Lucien, De luctu, 11. Cf. pl. haut, p. 69. 5. Virgile, Aeneidos lib. VI, v. 883. Cf. plus haut, p. 68. 6. Marini, Gli atti e monumenti de’ fratelli Arvali. Roma, 1795, in-4. Vol. II, p. 581. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 109 des roses entre les convives, puis on déposait des guirlandes sur le tombeau de celui dont on venait vénérer la mémoire”. Les Grecs avaient le mot £odtoués pour désigner cette cérémonie*; les Romains lui donnaient le nom de rosatio”, et la fête elle-même, ainsi que le jour où on la célébrait, portait celui de Rosalia* ou même de Rosaria”. Les vers où Tibulle espère qu une main amie, en souvenir d’une ancienne affection, ornera chaque année de couronnes son monument*, nous montrent cette coutume établie à Rome au premier siècle de notre ère, et les nom- breuses inscriptions qui la constatent témoignent du prix qu'on attachait à cette cérémonie funèbre et du soin qu’on prenait pour en assurer l'exécution. C’est ainsi qu'on voit” Q. Titius Severus d’Adria, 1. Joach. Marquardt, Rœmische Staatsverwaltung, vol. Il, p. 299. (Zandbuch der rœmischen Alterthümer, Leipzig, 1878, vol. VI.) 2. Thesaurus utriusque linguæ Aporroport: Éodtou6s, rosalia. 3. « Rosatio est rosarum sparsio. » Forcellini, Glossarium totius latinatis, s. v. &. « Rosalia sunt solemnia rosarum seu dies, quo rosae in sepulcra ferebantur. » Forcellini, s. v. 9. Forcellini, Glossarium, s. v. 6. Atque aliquis senior, veteres veneratus amores, Annua constructo serta dabit tumulo. Eleg. lib. II, 4, v. 47-48. D. D. M. COL. NAVT. M A DEDIT Q. TITIO. SERTORI SN CCCC AD ROSAS ET ANO Q. TITIVS. SEVE ESCAS DVCENDAS EI RVS. FILIVS. QVI. ET OMNIBVS ANNIS. CREME, LAN; 46 2349: 110 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ fils de Q. Titius Sertorianus, léguer 400 sesterces au collège des bateliers de cette ville pour offrir chaque année sur le tombeau de son père des roses et un repas funèbre. De même Claudia Severa, en souvenir de son mari « très cher », L. Magius Magia- nus, de son fils « pieux » Cornelius Valerius, de son beau-père Magius Pricianus et d’elle-mème, lègue au collège des bateliers de Brixia 60,000 sesterces pour répandre chaque année des roses sur leur tombeau. Dans une inscription de Ravenne souvent citée”, on voit également Titus Germanicus, fils de Drusus, « César, Auguste, » léguer, en souvenir de son père, 1. L. MAG. MAGIANO ET. SIBI. ET. IN. MEMO CL. SEVERA. MARITO RIAM. EOR. ET. SVI. COLL. KARISSIMO. ET. CORN. N. B. AD. ROSAS. ET. PRO VALERIO. FIL. PIENTIS FVSIONES. Q. A. FAC SIMO. ET. MAG. PRISCI HS. N. LX. MIL. DEDIT. NIANO. SOCERO. B. M. CEE STN. A1; H990: L'inscription n° 4017 d’Aretica renferme un legs semblable. 2: TI. CLAVDIVS. DRVSI. F. CAES. AVG. GERM. PONT. MAX. TRIB. POT. II. COS. DESIG. III. IMP. III, P. P. DEDIT. OB. MEMORIAM. PATRIS. SVI. DEC. VII. COLLEGI. FABRVM. M. R. H.-S. CD. N. DONAVIT. SVB. HAC. CONDITIONE. VT. QVOTANNIS. ROSAS. AD. MONVMENTUM. EIVS DEFERANT. ET. EPULENTUR. DVMTAXAT. IN. V. ID. JVLIAS. QVOD SI NEGLEXERINT. TVNC. AD VIII. EIVSDEM. COLLEGII. PERTINERE DEBEBIT. CONDITIONE. SVPRA. DICTA. Orelli, Znscr. latin. selectarum amplissima collectio. Turici, 1828, in-8, vol. I, p. 175. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 111 au septième collège des orfèvres, une somme de 1,000 sesterces en présent, à la condition d’offrir chaque année, le 5 des ides de juillet, des roses sur son monument, et d'y faire un repas funèbre, ajoutant que s'ils négligeaient de s’y conformer, cette somme devait, aux mêmes conditions, appartenir au huitième collège. Le président d'Orbessan parle‘ d’une inscription de Torcello, dans laquelle* un affranchi, Longius Patroclus, par un sentiment de pieuse affection, avait, de son vivant, légué au collège des Centum, une maison et les jardins qui y étaient attenants, afin que leur revenu servit à offrir sur le tombeau de son patron et un jour aussi sur le sien, des roses et un repas funèbres. Une inscription du Montferrat* 1. Essai sur les roses, p. 331. 2: L. OGIVS SEPVLT A IVNCTOS PATROCLVS VIVOS DONAVIT VT SECVTVS EX REDITV EOR LAR PIETATEM GIVS ROSÆ. ET. ESCE COL. CENT. PATRONO SVO ET HORTOS CVM QVANDOQYVE SIBI AEDIFICIO HVIC PONERENTVR. CT; Le teN IA ne 21767 À Va IE. A UVETEIVS RATORES. SVBSTITVAM T . L. HERMES VTI. VESCANTVR. EX. HO SEPLASIARIVS. RVM. HORTORVM. REDI MATER GENVIT TV NATALE. MEO ET. PER MATERQ. RECEPIT ROSAM. IN. PERPETVO HI. HORTI. ITA. VTI. O. M. HOS HORTOS NEQVE DIVI QE. SVNT. CINERIBVS DI VOLO NEQ ABALIENARI. SERVITE MEIS NAM. CV CIS LIN SI Mn TEE 112 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. nous montre un parfumeur, nommé EL. Vettius Hermès, laissant des jardins « excellents et vastes » — il défendait de les diviser et de les aliéner — pour l'entretien de ses cendres. Des curateurs, auxquels il léguait pour vivre le revenu de ces jardins, devaient, le jour de sa naissance, faire à per- pétuité une offrande de roses sur son tombeau. On connaît aussi une inscription grecque‘, où un cer- tain Longus laisse au sénat une somme d’argent pour offrir des roses (553£ecûa) sur son monument. On voit, par ces exemples, qu'il eût été facile de multiplier, quelle place occupaient dans les hon- neurs funèbres les offrandes de roses, et combien on tenait à ce qu’elles fussent faites avec soin et au jour marqué. On y attachait une telle importance que ceux qui n'étaient pas assez riches pour laisser des legs analogues à ceux dont il vient d’être question faisaient, dit-on*, graver sur la pierre qui recouvrait leurs cendres une inscription par laquelle ils priaient les passants de répandre des roses sur leur'tombeau, tant l'hommage de ces fleurs symboliques était regardé comme un devoir Indispensable à la mémoire des morts. 1. Aôvyos .… arolrwv yepouoia X. B. @®. ëxt t@ £odiCeoar 9 4 Q . . adtov. Corpus inscriptionum graecarum, éd. Aug. Bæœckh. Berlin, 1848, in-fol. vol. IT, p. 960. 2. D'Orbessan (Essai sur les roses, p. 312) cite une ins- cription de ce genre commençant par les mots : Sparge, precor, rosas, supra mea busta, viator ; mais il ne dit pas où il l’a remarquée. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 113 LE Comme dans les usages de la vie et dans la poésie, la rose avait pris place dans les œuvres d’art. On la rencontre surtout, cela s'explique, dans les repré- sentations des divinités, à qui elle servait d’attribut, ainsi que dans celles des cérémonies religieuses ou des événements de la vie auxquels elle était associée. C’est ainsi que sur un sarcophage de la villa Alban’, qui représente les noces de Pélée et de Thétis, parmi les divinités qui viennent offrir des présents aux nouveaux époux, on voit l'Été apportant une immense guirlande de roses. Dans une fresque de Pompéi*, dont une des figures principales paraît être l’Arcadie, celle-ci porte une couronne où se trouvent deux roses parfaitement doubles. Un des monuments publiés par Édouard Gerhard nous montre aussi une déesse que l’on reconnaît pour Flore à la couronne de fleurs et peut-être de roses qui lui ceint le front. Sur un autre monument” de la même collection, on voit une tête de femme égale- ment couronnée de roses. 4. Winckelmann, Monumenti antichi inediti spiegati ed illustrati. Roma, 1767, in-fol., vol. II, p. 151 et vol. I, pl. 111. 2. W.Zahn, Die schônsten Ornamente und Gemälde aus Her- culanum, Pompeii in Italien. Berlin, 1828-45, in-fol. Vol. II, pl. 1. 3. Antike Bildwerke, München, 1827, in-fol. Tafel LXX X VIT, 7. &. Tafel CCCIIT, 11. Text, p. 392. Jorer. La Rose. 8 114 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. C’est en particulier dans les scènes funéraires et nuptiales, souvent réunies dans une même représen- tation, que l’on trouve des personnages avec des couronnes ou des guirlandes de roses. Ainsi le bas- relief d’un sarcophage, encastré aujourd’hui dans le mur du Belvédère, représente à la fois une scène de mariage et une chambre funéraire, et l’un des deux génies qui figurent dans la cérémonie nuptiale semble porter une couronne de roses, tandis que le front de l’autre est ceint d’une branche de laurier. De même parmi les génies bachiques du bas-relief d’un autre sarcophage, qui est aussi à Rome, on en voit un près de défaillir, poriant au cou une couronne funé- raire formée de roses”. Sur le fragment d’une urne sépulcrale reproduite par Winckelmann, se trouve également un génie portant une guirlande de roses doubles. Mais ce n'est pas seulement sur les monuments et sous forme de couronne qu’on rencontre les roses ; ces fleurs gracieuses avaient pris place aussi, on le comprend sans peine, dans la décoration des palais, et même des maisons particulières. C’est ainsi qu’on les trouve sur diverses fresques et dans une mosaïque de Pompéi; elles y sont presque toujours repré- 1. Antike Bildwerke, Tafel LXXV, 2. Text, p. 314. 2. Antike Bildwerke, Tafel XCII, 2. 5. Monument: antichi, vol. II, p. 265 et vol. I, ol. 203. Il est difficile de ne pas reconnaître aussi une rose double au milieu des fleurs de lotus et, je crois, d'olivier, dont est composée la cou- ronne que tient à la main l’Antinoüs colossal de la pl. 180. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 145 sentées, suivant le Dr. Orazio Comes”, en bouton ou les pétales non encore développés, mais de cou- leur vermeille. Il en est de même dans certaines fresques d'Herculanum. Les fleurs rouges en bou- ton ou à moitié ouvertes, qu’on voit aux angles des losanges décoratifs des planches LIT, LV, et LVI du quatrième volume des Peintures antiques de cette ville?, me paraissent, bien que les deux feuilles qui les accompagnent soient simples, être des roses. Les roses figurent aussi, avec les autres fleurs cultivées à l’époque des Césars, dans les peintures représentant des jardins d'agrément, peintures qui décoraient souvent, ainsi que celles de paysages hé- roïques ou de convention, les murs des anciens palais de Rome ou des villas de la Campanie. C’est ce qu'on voit dans les belles fresques qui remplis- sent les quatre murs d'une vaste salle de la villa de Livie ad Gallinas, à la Prima Porta près de Rome, et représentent, avec autant de réalisme que de fidé- lité, un magnifique jardin de plaisance. Derrière le treillis qui borne le gazon situé au premier plan, s'étend une espèce de massif de plantes en fleurs, parmi lesquelles on reconnaît entre autres des rosiers et des grenadiers *. On rencontre encore la rose en particulier sur les 1. Dr Orazio Comes, {{lustrazione delle piante rappresentate nei dipinti Pompeiant. Napoli, 1879, in-#4, p. 65. 2. Pitture antiche d’Ercolano. Napoli, 1757-95, in-fol. 3. Karl Woermann, Die Landschaft in der Kunst der alten Vôlker. München, 1876, in-8°, p. 331. 116 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. monnaies des villes, dans l’histoire desquelles cette fleur occupe une place ou joue un rôle quelconque. On a souvent répété qu'une rose figurait d'ordinaire sur les monnaies de l’île de Rhodes, ce que pourtant Spanheim avait mis en doute”; mais Mionnet n’en mentionne qu’une” où 1l soit possible de reconnaître à peu près une rose; sur toutes les autres on distingue clairement le balaustion ou fleur du gre- nadier, la seule d’ailleurs que Spanheim y avait reconnue, la seule aussi que Victor Guérin, dans son /Listoire de Rhodes”, dit expressément avoir vue, au lieu de la rose, sur les monnaies de cette île. Mais Mionnet indique cette fleur sur les monnaies de Rhoda, colonie de Rhodes en Catalogne, ainsi que sur celles de Tragilus*. Rasche la signale également sur les monnaies de Cyrène, d’Antissaædans l’île de Lesbos, de Béotie, de Naples, ainsi qu’un rosier sur celles de Pestum”. Sur les statères d'argent de Nagidos, on voyait aussi, devant une Vénus assise, un rosier couvert de fleurs et de boutons‘. Au con- 1. De praest.et usu numismatum antiquorum, vol. I, p. 315. 2. Description des médailles antiques grecques et romaines. Vol. VI p. 589, n° 180. « Rose ou fleur de balaustium, » dit-il. 3. Paris, in-12, 2e éd. 1880, p. 47 et 61. 4. Op. laud., vol. I, 48 et 507. 5. Lexicon universale rei nummariae veterum praecipue Graecorum ac Romanorum. Lipsiae, 1789, in-8. Vol. v. IV, pars p. 1279. 6. Imhoof-Blumer und Otto Keller, 7ïer- und Pflanzenbilder auf Münzen und Gemmen des Klassischen Altertums. Leipzig, 1889, in-8, 4, p. 62. Tafel X, 24. LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. LL A traire, sur une monnaie d'Antiochus VIII, roi de Syrie, où M. Ernest Babelon a cru reconnaître « une rose avec deux boutons sur sa tige” », il m’a été impossible de voir autre chose qu’une fleur de gre- nadier. JA S1 la rose n'occupe qu’une place secondaire, vu son importance, dans les œuvres de l’art hellénique, elle en avait une considérable dans l’onomastique. Elle entre dans la formation d’un nombre considé- rable de noms de lieu. L'ile de Rhodes paraît avoir tiré son nom des roses” qui croissaient, dit-on, en abondance dans cette île”, nom qui se transmit à ses colonies de la Tarragonaise et des bords du Rhône, — Rhoda. On retrouve probablement le radical qui sert à désigner la reine des fleurs dans Rhodia, nom d'une ville de Lycie, d'un territoire des Rhodiens en Carie, et d’une source de la Troade, dans Rhodiae, 1. Les rois de Syrie, d'Arménie et de Commagène (Cata- logue des monnaies grecques de la Bibliothèque nationale). Paris, 1890, in-8°, p. 188, n° 1448, pl. XXV, fig. 15. Quant à la rose qui se trouverait aussi sur une monnaie d'Antiochus IX (pl. XXVE, fig. 5), je n'en puis rien dire, car il m'a été impossible d'y distinguer aucune espèce de fleur. 2. V. Guérin, op. laud., met en doute cette étymologie, mais sans raison valable. ÿ. Eximias ea insula rosas habet, unde et Rhodum vocari quidem aiunt. Rasche, op. laud., vol. IV, 1, p. 1027. 118 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. ville des Peucétiens en Apulie, Rhodion, bourg des Ambianiens, tribu de la Narbonnaise, dans Rhodios, nom d’un petit fleuve voisin de Troie’, Rhodipolis, ville de la Tarragonaise, Rhodopolis, forteresse de la Colchide, Rhodos, nom de la ville située au nord- est de l’île de ce nom, ainsi que d’une ville de Gé- rénia, Rhodountia, lieu voisin des Thermopyles, Rhodoussa, nom d’une ville d’Argolide et d’une île située sur la côte de Carie, enfin dans Rhodoussae, nom porté par deux îles de la Propontide, ainsi que dans Rhodope, chaine de montagne entre la Macé- doine et la Thrace*. Le même radical se rencontre bien plus fréquem- ment dans les noms de personnages historiques ou mythologiques, surtout dans les noms de femme, par exemple dans ceux de Rhodeia et Rhodopé, filles de l'Océan et de Téthys et compagnes de Perséphoné, Rhodè, nom d’une fille de Poseidon et d’'Amphitrite, qui, dit-on’, épousa le Soleil, ainsi que d’une fille de Danaos ; c'était aussi le nom d’une Bassaris ou compagne de Bacchus”. Une autre fille de Danaos et l’épouse de Lycon s’appelaient Rhodia”. Rhodoessa 1. W. Pape, Wéærterbuch der griechischen Erigennamen, 3te Auflage neu bearbeitet von Gusrav Enuarp BENSELER. Braunschweig, 1863-70, in-8, s. v. 2. William Smith, Dectionary of Greek and Roman Geogra- phy. London, in-8, vol. IF, p. 712-713. 3. Hymni Homerict, V,in Cererem, v. 422. Apollodore, Bibliotheca, hb. T, 4, 6 et IL, 1, 5. Nonnus, Dionysiaca, cant. XIV, v. 223. . W. Pape, op. laud., s. v. H. Estienne, Thesaurus, s. v. DE LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 119 et Rhodos étaient des noms de nymphes'. On ren- contre encore les noms de Rhodanthé, Rhodiné, Rhodion, Rhodippè*. Il est fait mention d’une athé- nienne, appelée Rhodè, ainsi que la femme de Mé- gaclès *. On connaît aussi plusieurs esclaves de ce nom. Il y a eu encore une danseuse appelée Rhodo- kleia“ ; une pythagoricienne connue se nommait Rhodopé”; on cite également une femme du nom de Rhodô et de Rhodon*. Hérodote a rendu célèbre’ le nom de Rhodôpis, hétaïre de Thèbes en Égypte, dont Élien a égale- ment raconté l’histoire*. Un jour qu'elle se baignait dans le Nil, elle donna ses vêtements à garder à ses o suivantes, mais un aigle qui survint enleva une de ses pantoufles et l’emporta jusqu’à Memphis ; là 1l la laissa tomber sur les genoux de Psammétique, qui rendait à ce moment même la justice. Rempli d’admiration pour la forme et l’élégance de cette chaus- sure, non moins que surpris par la manière étrange dont 1l l'avait reçue, le roi fit chercher dans tout son royaume celle à qui la pantoufle appartenait ; on finit par découvrir Rhodopis ; Psammétique s’en Etym. magnum, 507, 40. — Pindare, Olymp. VIE, v. 130. W. Pape, op. laud., s. v. Corpus inscr., vol. I, n° 730. — Longus, Pastoralia, IV, 36. Anth. graeca, lb. V, n° 73. . W. Pape, op. laud., s. v. Corpus inscr. graec., vol. IV, n° 7468 et 8058. Histor. Ub. IT, cap. 135. Var. hustor. hb. XIE, cap. 33. OO 1 E® Or & D ND ra 120 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. éprit aussitôt qu'il l’eut vue et il l'épousa. Je termi- nerai cette longue énumération en mentionnant Rhodogoune et Rhodogune, noms grecs de prin- cesses perses', qui traduisent sans doute ceux qu'ils portaient dans leur langue maternelle. Tandis que les dérivés de rhodon, employés comme noms de femme, sont si nombreux, on en trouve assez peu, et cela se comprend, qui servent à désigner des hommes ; j'ai relevé les noms de Rhodippos, un athénien et un pythagoricien de Crotone; Rhodiôn et plus souvent Rhodôn — notre Rosier, — Rhodoklès, qu’on rencontre dans plusieurs inscriptions ?. On peut citer encore Rho- dopaeos et même Rhodopianos *, ainsi peut-être que Rhodophôn. Le nom de la rose, si fréquent dans l’onomastique des Grecs, n'apparait qu’exceptionnellement, au contraire, dans celle des Romains et seulement aux derniers temps de leur histoire. Ce n'est qu à l'époque de la transformation du latin que les villes d’origine grecque comme la Rhodé ou Rhoda de la Tarragon- naise, changèrent leur nom en Rosa. Quant aux noms de personnes, tels que Rosa, Rosalia, tirés du radical qui sert à désigner la fleur du rosier, 1: IW Page, op laud., s. vx. Une Rhodogoune fut l'épouse de Darius, fils d'Hystape, et une autre, sœur de Phraate, épousa Dé- métrius Nicanor. Rhodogune était fille de Zopyre. 2. W. Pape, op. laud., s. v. 3. Corpus inscr. graec., vol. II, n° 280% et 2997. 4. Athénée, Deinosoph. lib. X, cap. 63 (444). LA ROSE CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS. 121 on les rencontre seulement dans les monuments chrétiens. Mais on a de bonne heure employé ce même vocable pour dénommer des fleurs ou des choses qui offrent quelque ressemblance avec la rose. Ainsi Pline’ donne le nom de « rose grecque » (rosa graeca) à une plante qui paraît être un lychnis ([L. coronaria L.); on appelait le lis « rose de Junon*», et l’oléandre, — notre laurier-rose, — portait par- fois le nom de rosa laurea”, traduction du mot grec équivalent rhododaphné. Enfin on donnait encore le nom de « rose » à une espèce d’érysipèle d'aspect rougeâtre, dénomination qui s'est conservée dans plusieurs idiomes modernes. 1. Hist. natur., Gb. XXI, cap. 10(4). 2. Forcellim, Lexicon, s. v. rosa. 3. Apulée, Metamorph., lib. IV. CHAPITRE": LA ROSE DANS L'ANCIEN ORIENT. Tandis que la culture de la rose prenait en Ocei- dent une extension que la décadence et la destruc- tion de l’Empire devaient seules arrêter, elle se développait aussi en Orient ; ce n’est plus seulement en Asie Mineure et en Mésopotamie qu’on en retrouve les traces incertaines, on la rencontre maintenant à la fois en Perse, en Syrieeten Égypte. Des légendes se forment autour de la rose dans ces divers pays ; elle y entre de plus en plus dans les usages de la vie et elle y devient un objet de luxe, comme dans la Grèce et l'Italie. Il nous est impossible de suivre les progrès que put faire la culture de la rose dans l’ancien Iran ; mais qu’elle y remonte à une époque reculée, c’est là ce dont on ne saurait douter. Comment cette fleur n’aurait-elle pas pris place dans les Paradis célèbres que les souverains de la Perse, comme nous le voyons . LA ROSE DANS L'ANCIEN ORIENT. 123 par l'exemple de Cyrus le jeune”, ne dédaignaient pas de cultiver de leurs propres mains. Le Bundehesh, dont le texte le plus ancien est seulement du vu siècle de notre ère”, mais dont certaines tradi- tions ont un caractère primitif et nous reportent aux premiers temps du Zoroastrisme, connaît la rose à cent feuilles et la rose de chien ou rose sauvage; d’après lui deux amshapands différents veillent sur elles ; la première, la rose à cent feuilles, est confiée à la garde de Din, la seconde, la rose de chien — nestran — à la garde de Rashtu”; suivant une légende racontée dans le même livre sacré, la rose, comme tous les arbustes, aurait été créée sans épines ; ce n’est que depuis l'apparition d’Ahriman ou du génie du mal en ce monde qu'elle est armée d’aiguil- lons*, conception singulière dont nous retrouverons l’analogue chez plusieurs Pères de l'Église. Un renseignement plus ancien nous permet d'afhir- mer que la rose fut non seulement cultivée avant notre ère, chez les Médo-Perses, mais qu'elle y devint un objet de luxe et de parure et y servait, comme chez les Grecs, à faire des couronnes. Dans ses Questions de table”, Plutarque rapporte que le roi de Perse — c’était Artaxercès IT Mnémon, — 1. Xénophon, Oeconomici cap. IV, 21. 2. The Pehlavi texts, Part. I, Introduction, p. 27. (Vol. V des Sacred books of the East. Oxford, 1886, in-8.) 3. Bundehesh, chap. XXVIT, 24. h. Bundehesh, chap. XXVII, 1. 5. Symposiaca, lib. VIE, probl. VIT, 4, 1%. 124 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. envoya à Antalcidas une couronne faite de fleurs de rose et de safran, sur lesquelles on avait répandu des parfums, ce qui, remarque lécrivain grec, avait outrageusement détruit la beauté naturelle de ces fleurs. IL. Des faits non moins probants, mais contemporains de la domination hellénique, nous apprennent que la rose était cultivée et employée comme ornement en Syrie et en Judée, ainsi qu’en Grèce. Elle y était alors si connue que l’auteur de lÆcclésiastique, Jésus fils de Sirach, qui vivait vraisemblablement au second siècle avant notre ère”, lui emprunte, comme les écrivains de la Grèce et de Rome, de nombreuses comparaisons : Je m'élevai', dit-il, comme le palmier sur le rivage, comme les rosiers de Jéricho. Écoutez-moi?, vous qui êtes pieux, et croissez comme les rosiers plantés au bord des eaux. Il a paru comme l’arc-en-ciel qui brille dans les nuées lumineuses et comme les roses du printemps, comme les lis qui croissent près d’une source Jaillissante. 1. Éd. Reuss, La Bible. Ancien Testament, 6° partie. Paris, 1878, in-8, p. 337. 2. Chap. XXIV, verset 18. 3. Chap. XXXIX, verset 17. 4. Chap. L, verset 8. ; LA ROSE DANS L ANCIEN ORIENT. 125 Pour l’auteur du livre de la Sagesse, contemporain te) ? du fils de Sirach ou même postérieur’, cet usage poétique de la rose ne suffit plus ; comme un véri- table anacréontique, 1l veut se couronner de roses : Enivrons-nous de vin, s'écrie-t-1l?, parfumons-nous d'huile de senteur ; ne laissons pas passer la fleur du printemps ! Couronnons-nous de roses avant qu'elles se fanent. Ce n’est pas là une simple amplification de rhéto- rique, c'était la constatation du goût si général alors pour une vie voluptueuse et pour les roses, qui en étaient comme l'accompagnement obligé. Florus raconte * qu'Antiochus, roi de Syrie, ayant envahi la Grèce, établit son camp en Eubée, aux bords murmurants de l’Euripe ; [à, mollement installé sous des tentes d’or et de soie, entouré de joueurs d’ins- truments et d’une troupe de jeunes gens et de jeunes filles, afin que tout lui rappelât le luxe de sa patrie, il donna l’ordre de rassembler, quoiqu'on fût en hiver, des roses de tous côtés. Le Talmud fournit également la preuve que la rose était, au commencement de notre ère, l’objet d’une grande culture en Judée. Le traité de Maaseroth fait mention d’un jardin près de Jérusalem, dans lequel croissalent de magnifiques figuiers, sur lesquels on 1. Édouard Reuss, op. laud., p. 513. 2. Chap. IT, versets 7 et 8. 3. Epitome, lib. IE, cap. 8. (Cap. 24, éd. K. Halm.) 126 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. ne prélevait pas la dîime, parce que, pour préserver les roses, l'entrée n'en était permise à personne’. D’après le Talmud, avant la destruction de Jérusalem par les Romains, l'époux portait une couronne de , Me 2 - roses, de myrte ou d’olivier. ? III. La culture de la rose se répandit en Égypte, où cet arbuste est exotique, peut-être après la conquête perse, et elle y prit sous les Ptolémées une grande extension ; les roses de ce pays dévinrent célèbres ; c'est de là, au rapport de Pline”, qu’on en faisait venir à Rome pendant l’hiver, avant qu’on eût trouvé en Italie le moyen d'obtenir des roses dans cette saison. Cette découverte ne fut faite qu'au premier siècle de notre ère; aussi, comme le raconte Martial dans une épigramme que jai citée plus haut, quand les habitants de l'Égypte, qui l’ignoraient, crurent offrir à Domitien un présent digne de lui, en lui envoyant, à l'occasion de sa fète, des roses à l’au- tomne*, — Martial, par une licence poétique, dit au 1. Joh. Henr. Otho, Zexicon rabbin. philol., p. 302, ap. Schleiden, Die Rose, p. 31. 2. Sponsi corona erat sive rosea, sive myrtea, sive oleaginea. Joh. Selden, Uxor hebraica seu De nuptiis et divortiis libri tres. Londini, 1646, in-&, lib. II, cap. 15. 3. Hist. natur., lib. XXI, cap. 3. &. Domitien était né le 9 des ‘calendes de novembre ou le 24 octobre. LA ROSE DANS L'ANCIEN ORIENT. 127 milieu de l'hiver, — leurs messagers furent surpris de trouver dans Rome ces roses qu'ils croyaient propres à leur pays, et le poète termine son récit en invitant ironiquement les habitants ‘des bords du Nil à envoyer leurs moissons aux Romains, et à accepter leurs roses en retour. L'Égypte, si elle continua d’envoyer ses blés à Rome, n’eut pas à lui demander de roses précoces ou tardives ; son climat privilégié lui permettait d’en avoir avec moins d'efforts quel’Italie et elle suffit tou- jours à en fournir au luxe croissant de ses habitants et de ses princes. Une anecdote rapportée par Athénée” montre à quel point ces derniers avaient poussé le goût et la passion des roses. Cléopatre, étant allée à la rencontre d'Antoine en Cilicie, lui donna pendant plusieurs jours des fêtes d’une magnificence royale ; le quatrième elle poussa même la somptuosité jusqu'à faire rassembler pour un talent” de roses, et elle fit couvrir de ces fleurs, que retenaient des réseaux très fins, le pavé des salles du palais jusqu’à la hauteur d'une coudée. La fleur pour laquelle un souverain de l'Égypte faisait des dépenses aussi énormes avait dû prendre dans la culture de ce pays une importance considé- rable : elle ÿ figurait maintenant au premier rang, comme en Îtalie et en Grèce, parmi les fleurs employées pour faire les couronnes; elle passait avant le lotus, si recherché autrefois, et quand ce 1. Deipnosoph. lib. IV, cap. 29 (148, b). 2. Environ 5,600 francs. LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. 128 s Q dernier, offert à Adrien qu'il surprit et ravit par sa beauté, reçut par une honteuse flatterie le nom de « fleur d’Antinoüs »', le poète Pancrate put feindre, tant la rose était déjà connue depuis longtemps en Egypte, qu'elle y était indigène, tandis que le lotus aurait été de création ou d'importation récente. u a: S0doy elaptvoïotv avoryopevoy Cepopoustv: LA L LA ” ’ L] ! OÙTW VAT QUEV &v0Üoc ÉTUVULOY Avtty0010. Athénée, Deipnosoph. lib. XV, cap. 21 (677, f). CHAPITRE VI. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. La rose n'était pas seulement recherchée des Anciens pour l'usage qu’on en faisait dans les diverses cérémonies du culte et dans les banquets, elle l'était encore à cause des propriétés médicinales ou magiques qu'on lui attribuait, ainsi que pour les produits qu’on en retirait ou quelle servait à préparer. L’emploi quon en faisait dans les banquets tenait d’ailleurs en partie à certaines vertus réfrigérantes qu’on lui supposait ; comme telle, elle passait pour combattre l'ivresse‘ et pour calmer les maux de tête qu’elle cause”. Mais on lui reconnaissait des propriétés bien autrement puissantes ; pouvait-1l en être autrement avec l’origine surnaturelle qu'on lui attribuait ? Telles sont les vertus dont jouit cette fleur dans l’Ane de Lucien et dans les Métamorphoses d’Apulée. Lucius, héros de ce roman étrange, changé en âne par des pratiques magiques, ne peut recouvrer sa 1. Woxzuxov dE 2o7t duvauer. Plutarque, Symposiaca, lib. IT, probl. I, 3, 16. 2. ‘O züv Éodwy (orépavos) Eye ti xepalallas Tapnyostx0v Tp0s T@ xat Eudiyety. Athénée, Deitpnosoph., Lib. XV, cap. 18, 676. JorET. La Rose. 9 130 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. forme première qu'en mangeant des fleurs de rose. Longtemps le remède promis semble s'éloigner de lui, mais enfin le temps de ses épreuves est terminé ; la mère des Dieux et des hommes, la Nature elle- même, vient lui annoncer sa prochaine délivrance. Le lendemain, au milieu de la foule réunie pour célé- brer la fète de la déesse, il aperçoit le grand-prètre qui tenait à la main une couronne de roses”; il s approche, et, à peine a-t-1l avidement saisi avec les dents et dévoré encore plus avidement cette cou- ronne, qu'aussitôt il se voit débarrassé de son enve- loppe difforme et reprend sa figure humaine : le charme qui l'avait métamorphosé est rompu par la vertu merveilleuse de la fleur divine. Cette vertu attribuée ainsi à la rose, et à laquelle M. de Gubernatis*® voudrait reconnaître un caractère mythique, a sans doute du moins une origine ancienne; dès l’époque la plus reculée on reconnut d’ailleurs à la fleur du rosier, de même qu’au rosier lui-même, cultivé ou sauvage, de nombreuses propriétés médi- cinales. « Elle vient en aide aux malades, dit le pseudo-Anacréon”, et protège mème les morts. » Hip- pocrate la prescrit dans un grand nombre de cas, et, cinq siècles après lui, Celse n’en recommandait pas moins expressément l'emploi. Suivant Pline, elle 1. Metamorph. lb. XI, cap. 13. Coronam, quae rosis amœænis intexta fulgurabat, avido ore susceptam, cupidus cupidissime devo- ravi... Protinus mihi delabitur deformis et ferina facies. 2. Mythologie des plantes, vol. IE, s. v. Rose. à: Toûe at vosodoiy aoxer, Tode xat vexpots auvve. Ode LI, v. 24-25. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. MS 4 était astringente et réfrigérente”. Elle servait, soit seule, soit mêlée à d’autres ingrédients. Pline et Dioscoride, en particulier, ont décrit avec détail les diverses préparations dans lesquelles elle entrait. La plus ancienne dont il soit fait mention est l'huile de roses, qu'Homère connaissait déjà”. Pour l'obtenir on faisait bouillir dans une certaine quan- üté d'huile d’olive* du jonc aromatique, en agitant le tout avec soin, puis on coulait ; après quoi on met- tait dans le liquide ainsi préparé des pétales de rose bien desséchés ; on remuait encore et agitait pendant un Jour, puis on laissait reposer la nuit suivante et on filtrait de nouveau le mélange, qu'on versait alors dans un vase enduit préalablement de miel“. Dissous tout simplement dans du vinaigre, les pétales de rose donnaient un autre ingrédient recherché, le vinaigre rosat. À propos d’une fumi- gation, Hippocrate parle aussi de l’eau de roses” ; mais ni Dioscoride, ni Pline n'en donnent la compo- sition ; on la préparait sans doute d’une manière analogue a l'huile ou au vinaigre de roses. Hippo- 0 crate mentionne encore le miel rosat°; on l’obtenait, suivant Palladius’, en mêlant une livre de miel avec 4. Hist. natur., lib. XXI, cap. 73. 2 Ilias, cant! XX, v. 66. 3. Palladius, De re rustica, Lib. VI, cap. 1%, dit une livre d'huile et une once de pétales. & Dioscoride, De materia medica, lib. I, cap. 44. Œuvres, éd. Littré, vol. VII, p. 321. Œuvres, éd. Littré, vol. VII, p. 177. De re rustica, Lib. VI, cap. 16. SINMENMET 32 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. un sextarius de suc de roses, et on exposait cette composition pendant quarante jours au soleil. Le vin rosat, breuvage très recherché, se fabri- quait en pilant des pétales séchés de roses qu’on mettait ensuite, enveloppés d’un linge, dans du moût avec un poids pour les faire aller au fond ; au bout de trois mois on coulait et on transvasait le liquide‘. Pour le rendre plus parfumé, Héliogabale au rapport de Lampride y ajouta des pignons broyés?. Dioscoride mentionne encore les pastilles de rose* (odèes). On les préparait en broyant ensemble, en quantité déterminée, des pétales de roses frais cueillis, du nard indien et de la myrrhe. Quel- quefois on y ajoutait du costus, de l'iris d’Ilyrie et du vin de Chio avec du miel. On faisait de la pâte ainsi obtenue des pastilles qu'on mettait sécher à l'ombre dans un vase de terre bien bouché. Plusieurs préparations se faisaient aussi avec les seuls pétales de la rose. Après les avoir pilés entiers ou séparés de leur onglet dans un mortier, on expri- mait le suc à travers un linge et on le faisait réduire 1. Pline, op. laud., lib. XIV, cap. 19. — Dioscoride, op. laud., lib. IV, cap. 35. Palladius, VI, 13, donne une recette un peu différente : jeter cinq livres de roses, épluchées de la veille, dans dix sextarit de vin vieux et ajouter au bout de trente jours dix livres de miel écumé. Apicius Cœlius, De arte coquinaria, lib. I, cap. 4 en donne encore une autre. 2: Rosatum. :..: pinearum attritione odoratius reddidit. Vita Heliogabali, cap. x1x. 3. De materia medica, lib. I, cap. 131. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 199 dans un vase d’airain jusqu'à consistance sirupeuse", ou bien on le laissait simplement s’épaissir à l’ombre?. On employait aussi les pétales soit écrasés, soit brûlés ou desséchés, puis réduits en poudre, etc. Pausanias parle encore” d’un onguent qu’on fabri- quait à Chéronée avec des fleurs de rose, de lis, de narcisse et d'iris, comme d’un spécifique excellent contre les douleurs. L'huile de roses était à la fois un remède et un parfum ; comme remède, on s’en servait soit seule, soit en composition. Hippocrate parle d’un pessaire composé avec de la farine et de l’huile de roses, et employé dans une affection strangurique*. Cette huile servait dans les injections, elle entrait aussi dans Îa composition des cataplasmes. Seule, on la prenait dans les irritations d'estomac ou d’entrailles ; elle servait également en friction, pour calmer les douleurs d’oreilles” et les maux de dents. Contre ces derniers, Celse conseillait aussi le miel rosat avec du beurre. L'huile de rose était aussi un émollient utile contre les ulcères”. Le vin de roses, suivant Dioscoride*, était considéré Pline, op. laud., lib. XXI, cap. 73. Dioscoride, op. laud., lib. I, cap. 130. Descriptio Graectae, lib. IX, cap. 41, 6. Œuvres, éd. Littré, vol. V, p. 429. Théophraste, De odoribus, cap. VIIL, 35. Medicinae lib. VI, cap. 18, 2. Dioscoride, op. laud., lib. FE, cap. 53. De materia medica, Gb. I, cap. 130. JO OH © D Co 134 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. comme un adjuvant de la digestion et comme souve- rain contre la dysenterie. D'après Théophraste’, 1l dissipait les pesanteurs de tête causées par les parfums. Pline conseillait contre les douleurs d’esto- mac, au lieu de la préparation ordinaire, du vin, dans lequel on s'était borné à mettre des fleurs de roses « en quantité suffisante pour le parfumer ». Il parle encore d'une infusion de roses dans de l'hy- dromel pour arrêter les crachements de sang, etc*. Quant au suc de roses, il servait à faire un collyre excellent pour les yeux, d’après Celse”et Dioscoride*, mais il avait bien d’autres emplois ; Pline le dit bon dans les maladies d’oreilles, en gargarismes pour les ulcérations de la bouche, les gencives, les amyg- dales ; on s’en servait aussi contre les douleurs de tête, les maux de gorge, etc. On l'employait égale- ment dans la fièvre, seul ou dissous dans du vinaigre, pour combattre l’insomnie et les nausées. Les pétales écrasés étaient employés en cataplasmes dans les inflammations, contre les phlegmons, les érysipèles, ete. Préalablement desséchés, puis réduits en poudre, ils servaient contre les excoriations de la peau. C’est ainsi qu'Aspasie, au rapport d'Élien”, fut guérie d’une tumeur qui la défigurait dans sa jeunesse. Un médecin consulté par son père Hermo- 1. De odoribus, cap. X, 48. 2. Hist. natur., lib. XXI, cap. 75. 3. Medicinae lib. VI, cap. 6, 5. 4. De materia medica, bb. I, cap. 130. 5. Variae historiae, lib. XIT, cap. 1. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 155 time avait demandé trois statères pour la traiter ; Hermotime, qui ne possédait point cette somme, se retira avec sa fille. Aspasie revint à la maison pater- nelle dans un désespoir profond et refusa toute nour- riture; cependant un sommeil bienfaisant s'étant emparé de ses sens, elle vit en songe une colombe, qui, prenant la figure d’une femme, lui dit d’avoir courage, de réduire en poudre quelques roses sèches d’une couronne consacrée à Vénus et de les appli- quer sur le mal. Aspasie suivit le conseil et la tumeur disparut. Ainsi, grâce au secours de la plus belle des déesses, dit l’historien grec, Aspasie redevint la plus belle des femmes. Suivant Pline, les têtes de roses, c’est-à-dire sans doute les fleurs entières, prises en boisson, arrêtent le flux de ventre et les hémorragies. Les fruits du rosier aussi étaient utilisés, d’après les naturalistes romains, qui les considèrent comme diurétiques ; séchés à l'ombre après la maturité, on les appliquait sur l’estomac et sur les érysipèles récents ; mis sous les narines, dit encore Pline, ils purgent le cerveau ; on en frictionnait aussi les dents malades. Il n'y avait pas jusqu'aux étamines qui ne fussent employées; desséchées, on en saupoudrait les gencives dans Îles inflammations. La rose n'était pas seulement employée en méde- cine, on s en servait également comme cosmétique et dans la cuisine. L'huile de roses en particulier, à cause de son parfum, était recherchée pour la toi- 1. ist. natur. lib. XXI, cap. 73. 136 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. lette. On l’employait également, on le sait par le témoignage d'Homère, pour embaumer les morts. D'après Pausanias', on en oignait aussi les statues de bois pour les préserver de la corruption. J'ai parlé déja des pétales desséchés et réduits en poudre ; on s’en servait pour réprimer la sueur ; on leur donnait le nom de diapasma ; on en jetait sur la peau au sortir du bain; puis, au bout de quelque temps, quand celle-ci s'était imprégnée du parfum, on la lavait avec de l’eau froide”. On faisait encore avec les pétales desséchés et brülés une espèce de cosmétique pour les paupières”. Mêèlés à poids égal, avec du sel ammoniac, à un ingrédient composé d’encens, de nitre, de gomme, broyés et délayés dans du miel avec du fenouil et de la myr- rhe, les pétales de rose formaient un cosmétique précieux pour conserver le teint”. Enfin, 1ls entratent dans la composition d’un parfum auquel cette fleur donnait son nom, et qui était un des plus recherchés et des plus répandus. On le fabriquait, nous apprend Pline’, avec de l’omplacium ou jus d'olive, des fleurs de rose et de safran, du cinabre, du roseau et du jonc odorant, de la fleur de sel ou de l’anchuse et . Descriptio Graeciae, lib. IX, cap. 41, 6. Pline, Hist. natur., Ub. XXI, cap. 73. Dioscoride, De materia medica, lib. I, cap. 130. Ovide, De medicumine faciei, v. 91-98. Hist. natur., lib. XII, cap. 2, 5. Théophraste ne parle (De odoribus, V, 25) que de jonc odorant, d’aspalathe et de calamus. Ailleurs //bid., 33) il dit qu'on le colorait parfois avec de l’orca- nette. O2) D Où LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE, 17 du vin. Phasélis fut longtemps réputée pour celui qu’on y faisait, prééminence qui, rapporte Pline!, lui fut enlevée dans la suite par Naples, Capoue et Préneste. Le parfum des roses de Cyrène était également très renommé”; du temps de « la grande Bérénice », 1] passait pour le meilleur que l’on connût ”. La rose occupait une place non moins considé- rable dans la cuisine que dans la toilette chez les Anciens; on en confisait les pétales pour les manger“. On s’en servait également pour relever le goût des mets ou des boissons. Suétone raconte qu'un fami- lier de Néron dépensa, dans un festin, plus de quatre millions de sesterces pour une boisson à la rose’. Bouillis, les pétales entraient aussi dans la prépara- tion d’une compote faite avec des coings cuits dans du miel et écrasés ensuite. C'était un stomachique agréable et estimé. Le suc qu'on obtenait en pilant dans un mortier des pétales de rose, avec une quan- 1. Æist. natur., Lib. XII, cap. 2, 2. — Athénée, Deipnosoph., lib. XV, cap. 38, 688. L 2. Théophraste, Æist. plant., Lib. VI, cap. 6, 6. — Pline, Hist. natur., Nb. XXI; cap. 10 (4), 5. « Ibi unguentum pulcherrimum.» 3. ’Eyivero GE ëv Kuprvn Éddivoy yonstÜratov, xaf” üv Aeovoy En Bepevixn N ueytAn. Athénée, Deipnosoph., lib. XV, cap. 38, 689, a. &. Pline, Æist. natur., lib. XXI, cap. 73. « Cibo quoque lapathi modo condiuntur. » 5. Indicebat familiaribus cœnas, quorum uni mellita quadragies sestertio constitit, alteri pluris aliquanto absorptio rosaria. (Environ 900,000 francs.) Vita Neronis, cap. VI. 6. Pline, Æist. natur., lib. XXIIT, cap. 54. 138 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. tité d’eau déterminée, et en passant le résidu à travers un tamis, servait encore de principal condiment à un plat fait avec des cervelles et des œufs écrasés dans du vin et de l'huile, mets recherché dont Apicius a donné la recette, mais qu'il n’a pas inventé'. C’est le « plat aux roses » du Banquet des Sophistes qu'Athénée fait décrire par le cuisinier qui l’a com- posé et qu'il leur apporte tout fumant dans la salle du festin *. « Voici, dit-il, ce que j'appelle pâté aux roses ; Je l'ai ainsi préparé afin que vous eussiez tant sur la tête qu'intérieurement le parfum suave des cou- ronnes, et que tout votre corps se sentit de ce régal. Après avoir pilé dans un mortier les roses les plus odorantes, j'y ai ajouté des cervelles de volailles et de porc bien bouillies, dont j'ai ôté jusqu’au moindre fibre, des jaunes d’œuf, puis de l’huile, du garum, du poivre et du vin. Après avoir bien broyé le tout, je l'ai jeté dans une marmite toute neuve et l'ai placé sur un feu doux mais soutenu. En disant ces mots, 1l découvrit sa marmite ; 1l s’en exhala une odeur suave qui parfuma toute la salle, et l’un des convives, tant l'odeur des roses était pénétrante, ne put s'empêcher de s'écrier avec lé poëte :"c« Ce parfum agité remplit de sa vapeur le palais de Jupiter et se répandit dans le ciel et sur la terre ». 1. Avion CœLn de obsoniis el condimentis sive arte coqui- naria libri decem cum annotalionibus Mar'rint Lisrer. Ams- telodami, 1709, in-12, lib. IV, cap. 2, p. 110. &: Deipnosoph., lib. IX, cap. 70, 406, a. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 139 L’églantier, cynosbatos ou cynorrhodon, — Îles À. canina L., sempervirens L., ou rubiginosa L., — si négligé par la poésie des Grecs et des Romains, — ;l en a été autrement, nous le verrons, chez les nations romanes et germaniques avait, au con- traire, sa place dans leur pharmacopée. Une décoc- tion de sa racine était, assure Pline’, un remède infaillible contre l'hydrophobie, propriété, dit le naturaliste romain, révélée en songe à la mère d’un prétorien, qui avait été mordu par un chien enragé. Les fruits de cet arbuste, cuits dans du vin, arrêtaient, suivant Dioscoride *, comme ceux de la rose cultivée, le flux de ventre. Enfin l’excroissance produite sur cet arbuste par la piqûre d’une espèce de cynips — le bédégar — était, d’après Pline”, un remède excel- lent pour les calculeux. Le naturaliste latin dit aussi qu'on en employait la cendre mêlée avec du miel, pour guérir l’alopécie. Ailleurs* il conseille contre Ja même affection, comme un spécifique mer- veilleux, ce même produit avec de la graisse d'ours. D Mist. ratur., hb: XXV, cap..6. 2. De materia medica, lib. I, cap. 123. 3. Hist. natur., hib. XXIV, cap. 74. &. « Spongiolae, quae in mediis spinis ejus nascitur, cinere cum melle, alopecias capitis expleri. » Æist. natur., Hib. XXV, cap. 6. Littré traduit par « la cendre du fruit », mais le mot spongtola ne peut désigner ici que le bédégar et le bédégar n'est pas un fruit. 5. « Silvestris (rosae) pilulae cum adipe ursino alopecias mirifice emendant ». Littré traduit pilulae par « têtes », mais il est évi- dent que ce mot est ici synonyme de spongiolae ; Forcellini, s. v. Spongia, 11, ne laisse pas de doute à cet égard. Il s'agit donc encore du bédégar dans ce passage. 140 LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. La rose qui possédait, d’après les Anciens, tant de propriétés salutaires, passait aussi à leurs yeux pour en avoir à l'égard de certains êtres, ou dans certaines circonstances, de contraires ou de malfaisantes. Pline prétend” que les scarabées fuient l'odeur de la rose. Élien® va jusqu’à dire qu'on tue ces insectes en jetant dessus des pétales de roses. De même, suivant Artémidore”, c'était un signe de mauvais augure pour les malades que de rèver de couronnes de roses ; la fragilité de ces fleurs présageait leur mort prochaine. 1. « Fugantur... scabaei rosa. » Aist. natur., lib. XI, cap. 115: 2. Kavüaoov 05 aroheïs, et 27:fB4hots t@v É0Dwv avr@. De natura animalium, ex recogn. Rud. Hercheri. Parisiis, 1858, in-8, lib. IV: 18: 3. Artémidore, Onetrocritica, lib. I, cap. 79. SECONDE PARTIE LA ROSE AU MOYEN AGE. CHAPITRE PREMIER: CULTURE DE LA ROSE DANS L'ORIENT ET DANS L'OCCIDENT. Les deux grands faits, qui ont changé la face du monde au commencement des temps modernes, l'avènement du christianisme et l’invasion des Bar- bares, font aussi époque dans l’histoire de la rose. Sa culture poussée si loin dans tout l'empire romain dut être, sinon abandonnée complètement, du moins négligée, au milieu des guerres presque continuelles qui le désolèrent. Une autre cause devait lui être fatale ; ce fut le discrédit dans lequel cette fleur charmante, mais profane, tomba auprès des parti- sans chaque jour plus nombreux du christianisme. Une religion, fondée sur la mortification de la chair, ne pouvait manquer de condamner l’usage que les pañens faisaient de la rose ; n'était-elle pas d’ail- 149 LA ROSE AU MOYEN AGE. leurs associée aux pratiques d’un culte proscrit, comme aux plaisirs coupables d’une vie condamnée par les nouveaux croyants ? C’est là ce qui explique le dédain dont la reine des fleurs fut tout d'abord l’objet auprès des chré- tiens". Mais cette opposition disparut bientôt avec l'abus qui l'avait fait naître et provoquée, et elle fera place à un sentiment où le symbolisme se mélera avec je ne sais quoi de mystique et de respectueux chez les nations chrétiennes de l'Occident. Les des- tinées les plus brillantes étaient en mème temps ré- servées à la rose chez les peuples musulmans. Tandis que la culture de la rose avait été arrêtée pour longtemps, sinon détruite, en Europe, par les calamités et les troubles de l'invasion, elle prenait une extension chaque jour plus grande dans l’Asie antérieure. Nous l’avons vue se répandre avant notre ère dans tous les pays des bords de la Médi- terranée ; elle s'étend maintenant des plaines de la Mésopotamie jusqu'au delà de l’Hindou-Kouch et au Sindh. | La conquête arabe, qui détruisit l’ancienne civi- lisation hellénique dans l’Asie-Mineure et la Syrie, ainsi que la religion de Zoroastre et la civili- sation persane dans l'Iran, ne porta pas atteinte, ou 4. Voir plus loin, chap. IL. CULTURE DE LA ROSE EN ORIENT 143 ne porta atteinte que pour un temps, à la culture de la rose dans ces contrées ; cette fleur gracieuse ne tarda pas à être en aussi grand honneur auprès des vainqueurs qu'elle l'avait été près des vaincus, et les contrées soumises à la domination de l'Islam furent celles où la rose, au moins dans les pre- miers siècles du moyen âge, fut cultivée avec le plus de soin et prit la plus grande extension. « Elle vient en abondance en pays arabe », — c’est- à-dire musulman —, affirme Ibn-el-Beithar', qui écrivait en Espagne au xu° siècle, mais avait par- couru presque tous les pays soumis à l'Islam; on ne doit pas être surpris aussi que les auteurs musul- mans de ces diverses contrées, qui se sont occupés de botanique ou d’agronomie, aient parlé de la rose. Ishak Ibn-Amrâm, l’un des plus anciens, — il florissait au 1x° siècle — parle de deux espèces de roses cultivées, la blanche et la rouge, désignées l’une et l’autre sous le nom de djoul — le persan gul —. Abou Hanifah, originaire de l'Irak, son contemporain, outre la rose cultivée, mentionne une espèce qui vient dans les campagnes et la rose de montagne’. Ibn Tamim, cité par Ibn el-Beithar, connaît une rose jaune et 1l ajoute qu'il y en avait aussi, lui avait-on affirmé, une noire dans l'Irak *. 1. Traité des simples, art. 2274. Ouard, Rose, (Notices et extraits des manuscrits, vol. XXVI, p. 406). 2. Ap. Ibn el-Beithar, op. laud., p. 405. Malheureusement Abou Hanifah ne dit pas quelle différence il y a entre la rose des campagnes et celle de montagne. 3. [bn el-Beithar, op. laud., p. 406. 144 LA ROSE AU MOYEN AGE. Quoique antérieur à Ibn el-Beïthar, — 1l appar- tient au xu° siècle —, Ibn el-Awam est bien mieux renseigné : « Il y a, dit-il, d'après l'andalou Abou-el-Khaïr, une de ses principales autorités !, le rosier de montagne ?, le rosier rouge, le rosier blanc, tous deux à fleurs doubles, et le rosier de Chine*. La fleur du rosier de montagne est formée de cinq pétales. La rose double est la plus estimée de toutes les espèces ; elle se fend sans s'épa- nouir complètement ; elle est blanche, panachée d'un rouge plus foncé que celui de la rose de montagne ; elle se compose de cinquante pétales ou de quarante au moins. » Jusqu'ici tout paraît aussi exact que vraisemblable ; il n’en est pas de même de ce qui suit: « Il y a en Orient, c'est toujours Abou el-Khaïr qui parle, la rose jaune et la rose bleue et une autre espèce dont les pétales sont rouges à l'extérieur et bleus à A. Le livre de l’agriculture (Kitab-al-felah), traduit par J.-J. Clément-Mullet. Paris, 1864, in-8, vol. [, chap. VI, art. 26, p. 281. 2. C'est, d'après Clément-Mullet, l'églantier, mais quelle espèce d’églantier ? 3. Clément-Mullet ne dit pas quelle était cette espèce de rose. Ibn el-Beithar, op. laud., n°s 2222 et 2282, parait dire que c'est la rose de chien, nisrin ou nasrin; il est bien plus vraisemblable que la rose de Chine (Ouard Siny) est une tout autre plante, probablement une malvacée; Ibn el-Beithar donne lui-même le nom de rose {Ouard) à la pivoine, la guimauve, l’anémone et à la renoncule. CULTURE DE LA ROSE EN ORIENT 145 l'intérieur ; enfin une quatrième espèce dont les pétales, rouges à l'extérieur, sont d'un jaune blanc à l’intérieur. Cette espèce est cultivée dans les environs de Tripoli de Syrie. La rose jaune se trouve dans les parages d'Alexandrie. » De ces deux dernières espèces, la première est incontestablement la rose capucine, la seconde est la rose jaune ordinaire ou soufrée. Mais que faut-il penser des roses bleues ou rouge bleu, dont parle Abou el-Khaïr‘? Avant de répondre à cette question, voyons ce que Ibn el-Facel, autre botaniste du x1° siècle, cité aussi par el-Awam, dit de la rose et de sa culture: « On connaît, suivant cet écrivain ?, quatre espèces de roses: la rose blanche camphrée* ; elle est généralement connue sous le nom de rose double: dans une seule fleur on compte plus de cent pétales ; la rose jaune, de la couleur du narcisse ; la rose violette foncée, la rose rouge, la blanche nuancée de rouge‘, dont le parfum est plus agréable et plus pénétrant que celui de la rose Jaune et de la rose couleur foncée. » 1. Elles ont beaucoup embarrassé Loiseleur-Deslongchamps, qui ne connaissait que de seconde main et par extraits Ibn el-Awam. Voir son chap. sur la « Culture des roses chez les Maures d'Es- pagne ». Op. laud., p. 141. 2. Le livre de l’agriculture, vol. I, p. 282. 3. Clément-Mullet y voit la rose musquée (R. moschata L.). &. Sans doute couleur chair, comme le remarque avec raison Clément-Mullet. Jorer. La Rose. 10 146 LA ROSE AU MOYEN AGE. Cela fait cinq et non quatre variétés, analogues d’ailleurs, comme nuance, à celles qui sont cultivées de nos jours. Mais quelles étaient les roses bleues ou bleues et rouges, mentionnées par el-Awam d'après el-Khaïr et dont el-Façel ne dit rien ? Dans le chapitre XV de son livre, chapitre où el-Awam examine les « recettes et procédés » à l’aide desquels on peut communiquer aux arbres ou aux plantes des qualités qu'ils n’ont pas de nature, l’agronome musulman indique, d'après Hadj de Gre- nade, le « moyen d'obtenir des roses jaunes ou bleues” »; ce moyen consiste à soulever l’écorce des racines principales et à introduire entre l’aubier et l'écorce soulevée, soit du safran, soit de l’indigo trituré dans un mortier, suivant qu’on veut avoir des roses jaunes ou bleues; on lie ensuite les racines sur lesquelles on a opéré et on les recouvre de terre. Sans rechercher si par ce procédé on obtient, comme parait le dire el-Awam, à volonté, des roses jaunes ou bleues, on voit que pour lui les secondes au moins, car les premières existaient réellement, auraient été une production tout artifi- cielle, non un produit de la nature. EI-Awam n'a point décrit seulement la rose double ou rose de jardin, il mentionne aussi, d’après el- Khaïr, la rose sauvage, que celui-ci appelle, comme Abou Hanifah, rose de montagne”; d’après lui, 1l y en a deux espèces, l'espèce à ileur blanche, sans 1. Le livre de l’agriculture, vol. I, p. 602. 2. Le livre de l’agriculture, vol. I, chap. VI, art. 26, p. 282. CULTURE DE LA ROSE EN ORIENT. 147 aucun mélange de rouge, — on peut croire qu’il s'agit de la rose toujours verte (À. sempervirens L.), indigène dans le midi de l'Europe et dans l'Afrique septentrionale, — et l'espèce à fleur rouge, connue sous le nom de «rose des Mages», laquelle, ajoute- t-1l, est la « rose d'Orient, du pays de Ghaur ou de Syrie »; j'inclinerais à y voir une des formes non cultivées de la rose de Provins ou de Damas. La fleur de ce rosier, dit encore el-Awam, est formée de cinq pétales. Ailleurs ", tant ses renseignements concordent peu, 1l ne parle que d’une seule espèce de rose sauvage, l’églantier ou rose de chien, le nasrin des médecins arabes. « Son fruit — dalik en arabe — est rouge, dit-il, et ressemble à la datte qui commence à mürir; dans l’intérieur, il y a une espèce de laine; la fleur est celle du rosier, et d’un blanc nuancé de rose*. » Après cette description de l’églantier, el-Awam donne quelques renseignements sur la culture de cet arbuste et sur les moyens de le propager”; ilen a donné de bien autrement longs et détaillés, — preuve de l’importance qu’elle avait prise, — sur la culture du rosier proprement dit. Ces deux 4 Le livre de l’agriculture, vol. Ï, chap. VI, art. 54, D 977. 2. El-Awam, qui cite ici Abou Hanifah et Avicenne, oublie ce quil avait dit précédemment des roses sauvages rouges et blanches « sans aucun mélange de rouge ». 3. En particulier par semis. Il semble qu'il ait suivi Pline et Palladius. 148 LA ROSE AU MOYEN AGE. cultures offraient d’ailleurs la plus grande ressem- blance. Le rosier, dit-il, d’après Ibn el-Façel!, «se propage de graines, de branches éclatées, entières ou coupées, de rejetons enracinés; on l'obtient encore de rejetons marcottés pour leur faire prendre racine. » Puis, après avoir décrit longuement ces divers pro- cédés, en particulier la reproduction par semis, el- Awam donne quelques conseils sur le traitement des pieds vieillis ; 1l affirme qu’en les brülant en octobre au moment de la sécheresse, on pouvait leur rendre leur ancienne vigueur; au printemps, ils poussaient, Dieu aidant, des rejetons, qui ne tardaient pas à se couvrir de nombreuses fleurs. Ce qui est plus curieux, c’est le procédé à l’aide duquel on peut, d’après el- Awam, donner au rosier l’aspect arborescent. « Pour l'ornement des jardins, dit-1l?, on plante au mois d'octobre des pieds de rosiers de diverses espèces. Quand la reprise est bien assurée et la végétation bien établie, on les enferme dans des tubes réunis par groupes de six ou huit environ disposés verticalement, de deux coudées de hauteur environ, et qu'on peint de diverses couleurs. Le sommet des rosiers s'élève au-dessus des tubes qu'il dépasse. On a soin de remplir ceux-c1 de terre meuble ou de sable entretenu dans un degré conve- nable d'humidité. On laisse se déployer au sommet de 1. Le livre de l’agriculture, vol. I, ch. VI, art. 26, p. 283- 287. 2. Le livre de l’agriculture, vol. I, p. 286. CULTURE DE LA ROSE EN ORIENT. 149 ces tuyaux la tête des rosiers et lorsque leurs boutons s'épanouissent, ils ressemblent à des arbres portant des fleurs de diverses couleurs. Cet exemple suffit pour montrer que les Maures d’Espagne, car ce sont eux qu’el-Awam avait en vue surtout quand il donnait ces conseils, cultivaient les roses, non seulement à cause de leurs propriétés médicinales, mais encore comme plantes d'agrément. Il en était de mème dans tous les pays musulmans de l'Asie antérieure. Mais c’est surtout dans la partie occidentale du plateau de l'Iran que la rose a dès longtemps été cultivée avec succès et donné ses produits les plus merveilleux. Celles de Chiras et du Farsistan, dont cette ville était regardée comme le jardin, ainsi qu’elle en est la capitale, sont restées célèbres!. La terre de Chiraz, chante le poète Hafiz ?, qui composa ses vers à l'ombre de ses bocages fleuris, ne cessera ja- mais de porter des roses et jamais le rossignol ne s’en éloignera. La ville sainte de Koum est comme ensevelie sous des buissons de roses. Rien de comparable, au rap- 1. « Rosam uti Persia ex omnibus mundi partibus maxime copiosam ac suave olentem gignit, ita Sijrasum ejusque pagus praelaudatus, prae caeteris Persiae provinciis, fert copiosissimam ac fragrantissimam. » Engelbert Kaempfer, Amoentitates exoticae politico-physico-medicae. Lemgoviae, 1712, in-#, p. 373. 2. Schleiden, Die Rose, p. 264. 150 LA ROSE AU MOYEN AGE. port des voyageurs, pour leur grandeur et le parfum 5 de leurs fleurs, aux rosiers musqués de Téhéran, qui atteignent 15 et parfois mème jusqu'à 30 pieds de haut’. Les roses du Kourdistan et de l’Aderbeidjan ne sont ni moins belles, ni moins parfumées. On en peut dire autant de celles de la région de la Cas- pienne, « Que le Mazenderan, mon pays, soit célébré, » fait dire Firdousi à un div devant Kei Kaous?, un des héros de l'Iran, que ce chant décidera à entreprendre la con- quête de cette province fortunée, « que le Mazendéran soit célébré, que ses plaines et ses campagnes soient toujours cultivées. La rose ne cesse de fleurir dans ses jardins et la tulipe et l'hyacinthe croissent sur ses montagnes. L'air y est doux et la terre y est peinte de fleurs. Il y règne un printemps éternel et sans cesse le rossignol chante dans ses jardins. Tu dirais que dans ses rivières coule l'eau de rose qui réjouit l'âme de son odeur. » Au nord-ouest de l’Iran, la rose, cela était natu- rel, fut aussi cultivée en Arménie, la patrie véritable, peut-être, de l’espèce à cent feuilles, et l’on institua, dit-on, dans cette contrée en l’honneur de la reine des fleurs une fête particulière, appelée vartepar”, de son nom indigène, et qui, si elle ne date pas de 1. Ker Porter, cité par Schleiden, Die Rose, p. 264. 2. Livre des rois, publié, traduit et annoté par Jules Mohl. Paris, 1838, in-fol., vol. I, p. 489. 3. Félix Lajard, Recherches sur le culte du cyprès pyra- midal. (Mémoires de l’Académie des Inscriptions, vol. XV, 2, P 74.) à CULTURE DE LA ROSE EN ORIENT. tot l’époque fabuleuse que lui assigne Moïse de Khoren, n'en remonte pas moins à une haute antiquité. Mème spectacle au nord-est de l'Iran, dans le Ca- chemir ; les roses de ce pays sont célèbres et leur éclat et leur beauté, dit Georges Forster !} sont de- puis longtemps passés en proverbe dans l'Orient. Chaque année les habitants célèbrent par de grandes réjouissances l’époque où les boutons de rose com- mencent à s'épanouir. Ce jour là, raconte-t-on, des jeunes gens et des jeunes filles parcourent les rues des corbeilles de roses à la main, et jettent leurs fleurs aux passants ; celui qu’ils atteignent leur doit un présent et 1l le donne d'autant plus volontiers, qu'être touché par une rose est réputé porter bonheur. Les roses de la vallée de Péchawer, dans le Caboul, n étaient pas moins renommées que celles du Cache- mir; en y entrant, Babour, dit-on*, fut rempli d’admiration à la vue de celles qu'il y apercut. La rose à cent feuilles devait aussi pénétrer dans la presqu'île hindoustanique; mais le nom qu’elle y porte, gulab”, trahit son origine étrangère et oc- cidentale; c’est de l'Iran qu'elle à été importée au delà de l’Indus et qu'elle y est venue disputer au lotus son empire si longtemps incontesté. Mais elle n'a dû y pénétrer que depuis l'établissement, au 1. Voyages du Bengale à Pétersbourg..…., traduit de l’an- glais par L. Langlès. Paris, 1802, in-8, vol. I, p. 294. 2. Ritter, Erdkunde von Asten, vol. VI, p. 558. 3. William Roxburgh, Ælora indica. Serampore, 1832, in-8, vol. IT, p. 513. 152 LA ROSE AU MOYEN AGE. x1 siècle, des Ghaznévides dans le nord-ouest de la Péninsule ; ce n’est même qu’à une époque relati- vement récente, au xvin® siècle, qu'on en trouve mentionnée la culture. Tahcin-Uddin, poète hindous- tani de cette époque, dans le récit des Aventures de Kämrüp, a eu soin de mettre des roses et des lis avec des hyacinthes et des violettes dans le jardin de la princesse Kala, que son héros voit en songe‘, et Mir Hacan de Dehli, écrivain du même siècle, dans la description du Gulzar-i-Iram (Jardin d'Iram)”, parle aussi de la vue attrayante des roses qu'il ÿ apercut avec des milliers de tulipes. il: Tandis que la culture de la rose était poussée si loin, dans les pays musulmans, que devint-elle, au moyen âge, chez les nations chrétiennes ? Fut-elle, comme on l’a supposé”, inconnue, au moins de 1. Les aventures de Kämrüp, trad. par M. Garcin de Tassy. Paris, 1834, in-8, chap. III, p. 16. Au chap. XXII ,p. 130, il est aussi question des « jardins embellis par les fleurs demi-épanouies de la rose rouge et blanche. » Il y là, sans doute, une licence poé- tique, car les fleurs que Tahcin-Uddin place ainsi dans les jardins de Ceylan n’appartiennent pas à la flore de cette contrée, mais s'il n'en avait pas vu dans l'Hindoustan, il n'aurait point eu l'idée d'en parler dans ses fictions. 2. Garcin de Tassy, Histoire de la littérature hindoui et hindoustani. Paris, in-8, vol. II, 1847, p. 493. 3. Schleiden, Die Rose, p. 195. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 159 plusieurs d’entre elles, jusque vers la fin de cette époque ? Le fait est déjà invraisemblable à priori; il est de plus en contradiction absolue avec le témoignage formel des contemporains. Il est difficile de mettre en doute que les roses dont ont parlé, au v° siècle, l’Africain Dracontius' et le Gaulois Avitus?, au siècle suivant Ennodius* en Italie, Grégoire de Tours“ et Fortunat” en Gaule, ainsi que, au vu siècle, Isidore de Séville® et même l’Anglo-saxon Aldhelm *, — je reviendrai plus loin sur ce qu’ils en ont dit, — aient bien été la fleur qu’avaient connue et chantée les anciens, et qui avait continué d’être cultivée d’une manière ininterrompue, quoique non générale peut-être, depuis les derniers temps de l’Empire romain. Si ce n’est là qu’une induction, on ne peut en contester la légitimité, et l’on peut dire que, si la culture de la rose fut, conséquence de la destruction de l'Empire, négligée dans l’Europe romane, durant les premiers siècles du moyen âge, elle ne disparut pas plus dans l'Occident que dans l'Orient; elle devait d’ailleurs bientôt y être remise en honneur, et avec la culture des jardins, elle allait même, sous 1. Carmen de Deo, lb. I, v. 437. 2. De mundi initio, v. 132. 3. Carm. XLIII, v. 146; CLXIV, v. 11. (Monumenta ger- maniae historica, vol. VII, p. 44.) Hist. Francorum, lib. VI, cap. 44, B. Carm-) hub. .N},8:. kb: XI, 14. Etymol. Lib. XVII, cap. 9. De rebus aromaticis, n° 17. De laudibus virginum, éd. Migne, p. 241 D», 2428. LC . Jo 0 154 LA ROSE AU MOYEN AGE. son nom latin, pénétrer bientôt chez toutes les nations germaniques. Les ordres religieux contribuèrent pour une large part à cette diffusion de la rose. Au milieu des ruines dont l'invasion des Barbares couvrit le sol de l'Empire, le clergé recueillit les débris de la civilisation antique, et les monastères, qui s’élevèrent peu à peu dans toute l'Europe chrétienne, lui ser- virent d'asile et de refuge. Construits le plus souvent dans des sites, qui témoignaient, chez leurs fonda- teurs, d’un véritable sentiment des beautés de la nature’, on y trouvait toujours, à côté de spacieux bâtiments, un jardin destiné aux besoins du couvent”; s’il renfermait avant tout des légumes, qui servaient à la nourriture des cénobites, des arbres qui leur donnaient des fruits et de l’ombre, avec des herbes aromatiques ou médicinales cultivées pour les remèdes qu'elles fournissaient, on y trouvait aussi quelques fleurs destinées — l'expression est d'Albert le Grand* qu'à parer les autels aux jours de fêtes; comment au plaisir des veux et de l’odorat, ainsi parmi celles-ci aurait-on oublié le lis et la rose, que leur signification symbolique associait si naturelle- ment au culte? C’est ainsi que ces fleurs, d’origine orientale, pénétrèrent, au moyen âge, dans tout 1. Ferdinand Cohn, Die Geschichte der Gärten. Berlin, 1856, in-18, p. 36. 2. Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin. Paris, 1867, in-8, liv. [, chap. xxvr, p. 328. 3. « Ob delectationem.... visus et odoratus ». ALBERTI MAGxi, De vegetabilibus, Gb. VIX, tract. I, cap. 14, 119. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 155 l’ouest et le nord, comme à l’époque romaine, elles avaient pénétré dans le sud de l'Europe; déjà au temps d’Aldhelm elles paraissent avoir été connues en Angleterre. Elles le seront bientôt aussi en Allemagne. Du jardin des monastères la rose et le lis ne tardèrent pas à pénétrer dans celui des burgs et des châteaux des grands. Dans leur admiration pour la civilisation romaine, les rois mérovingiens ne pouvaient manquer d’en imiter le luxe; celui des jardins ne leur fut pas étranger. Fortunat a chanté le jardin de la reine Ultrogothe, veuve de Childebert, « où l'air, dit-1l", est embaumé du parfum des roses du Paradis ». Les soucis de la guerre et le soin de leur grandeur laissèrent peu de loisirs aux premiers Carolingiens pour s'intéresser à la culture des jar- dins ; mais bientôt les choses changèrent. Charlemagne, qui, dans ses expéditions en Italie, avait puisé le goût des constructions somptueuses, y puisa aussi, 1l semble, celui des jardins ; ils embel- lirent, dit-on *, sa résidence d’Aix-la-Chapelle ; toutes he. Paradisiacas spargit odore rosas. Carm. lib. VI, 6. De horto Ultrogothonis reginae, v.2. 2. Arthur Mangin, Histoire des jardins. Tours, 1888, in-8, p- 70. Malheureusement M. Mangin, qui ajoute Ingelheim, ne dit pas où il a puisé ce renseignement. Ermoldus Nigellus, qui vante le palais d'Ingelheim, ne parle pas de ses jardins et il se borne même à dire de la résidence impériale d’Aix-la-Chapelle qu'elle était entourée d'arbres et d'un frais gazon. Consitus arboribus, quo viret herba recens. Carmen in honorem Hludovici, lib. IE, v. 586. Ed. Ern. Duemmiler. 156 LA ROSE AU MOYEN AGE. les métairies impériales en possédèrent. Dans un de ses capitulaires", le grand empereur n’a pas dédaigné d’énumérer les espèces végétales qu’on y devait cul- tiver; à côté des plantes potagères et médicinales, ainsi que des arbres fruitiers dont la place y était marquée d’avance, il eut le soin de recommander d'y mettre des lis et des roses*. Il s’agit évidemment ici, quoi qu’en ait dit Schleiden”, de la rose à cent feuilles ; tous les historiens de la botanique, depuis Sprengel jusqu'à Ernst Meyer, sont unanimes sur ce point: comment supposer que Charlemagne aurait pu, ainsi que le prétend l’auteur de La Rose, recom- mander de planter dans les jardins de ses villas l’églantier, qui croît au bord de tous les chemins, et dans toutes les haies de l'Allemagne et de Ja France? Non, c’est bien la rose cultivée, — la cent feuilles —, qu’il avait en vue dans ses prescriptions, la mème qu'à cette époque également, Alcuim célé- brait comme l’ornement, avec le lis, de l’humble 1. « Capitulare de villis imperialibus », cap. 70. (Migne, Patrol., vol. XCVII, p. 358.) 2. « Volumus quod in horto omnes herbas habeant, id est liium, rosas, etc. » 3. Die Rose, p. 196. D'après lui …l serait question dans ce capitulaire, non de la À. centifolia, mais de la R. canina, parce que « Charlemagne ny recommande pas la culture d'une seule plante qu'on ne doive considérer que comme plante d'ornement. » Je ne vois pas dans quel autre but cependant on aurait planté le lis, dont la culture est recommandée par le monarque franc, comme celle de la rose. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 157 jardin de sa cellule, mais qui était loin, ainsi que le montre l'inventaire dressé, en 812, par l’ordre du monarque franc”, de se trouver dans tous ceux des résidences impériales. C’est encore évidemment la rose cultivée ou à cent feuilles que Walafrid Strabus a chantée, au ix° siècle, dans son Æortulus* comme la «fleur des fleurs ». Cette qualification ne peut guère con- venir qu'à cette espèce, et le sens mystique qu'il lui attribue empèche de voir dans ses vers, comme on l’a prétendu“, un simple pastiche ou une ampli- fication des louanges données à la rose par les poètes de l’antiquité. On ne peut douter non plus que ce ne soit bien la rose double que l’auteur anonyme d’une traduction 1: Lilia eum rosulis candida mixta rubris. Carm., 23. (Poetae lat. medii aevi, éd. Ern. Dümmiler. Berlin, 1881, in-8, vol. I, p. 243.) 2. Beneficiorum fiscorumque regalium describendorum for- mulae, ap. Pertz, Monumenta Germaniae historica, legum tomus I, p. 180. 3. « Hortulus ad Grimaldum. » Migne, Patrol., vol. CXIV, n° 24, p. 1123. &. Schleiden, Die Rose, p.199. « Walafridus Strabus hat nur (!) das Wort « Rose » und macht dazu aus den Versen der Alten einige neue Verse.» Est-ce dans «les vers des Anciens » que Walafrid a trouvé l'éloge de la Vierge et du Christ ? On serait tenté de croire que Schleiden n'a pas lu l’Aortulus qu'il traite avec tant de dédain. Biese (Die Entwickelung des Naturgefühls im Mittelalter, Altona, 1888, in-8, p. 81), qui l’a lu, na pas hésité à reconnaître ce qu'il y a de personnel et d'original dans les des- criptions de ce petit poème. 158 LA ROSE AU MOYEN AGE. de la Genèse en vieil allemand, faite au x° siècle, place, avant tout autres plantes, avec le lis, dans le Paradis terrestre, dont il a fait un jardin semblable à ceux qu'on voyait dans tous les coùvents de l’époque. L’éloge que Macer Floridus fait de la rose, dans son traité des « Vertus des simples »*; ce qu'il dit de ses propriétés curatives ne peut s'appliquer aussi qu'à l’espèce cultivée. Il en est de mème de la rose, dont l’abbesse de Saint-Rupert près Bingen, Hilde- garde, a décrit au xn° siècle, dans son livre Des Plantes”, les propriétés médicinales. Hildegarde ne parle pas par oui-dire, mais en connaissance de cause; c’est la religieuse habituée à préparer des remèdes qu'on entend ici; on ne peut mettre en doute dès lors qu’elle n'ait réellement connu, sinon même cultivé, les roses dont elle indique l’emploi et les vertus*; et cette circonstance qu'elle traite aussitôt après des propriétés du lis montre encore que dans la première de ces deux plantes, 1l ne peut 1. E.-G. Graff, Diutiska. Denkmäler deutscher Sprache und Literatur. Stuttgart, 1829, in-8, vol. IIT, p. 48. 2. De herbarum viribus, cap. xxr. Parisiüis, 1506, in-18, c. 3. Bibl. Méjanes, C. 1953. 3. Liber subtilitatum diversarum naturarum crealturarum et sic de aliis quammultis bonis. Physica. Lib. I. De plantis, cap. 22. (Migne, Patrol., vol. CXCVII, p. 1139.) 4. On devine que ce n'est pas là la manière de voir de Schleiden ; pour lui Hildegarde n'a pas vu les plantes dont elle parle, et elle n'a fait que copier dans d’autres ouvrages des mots quelle ne comprend pas. Il est impossible de pousser plus loin le parti pris. Cf. Die Rose, p. 220, note 246. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 159 être question pour la pieuse et docte abbesse que de la rose à cent feuilles, inséparable depuis si longtemps du lis dans la culture des jardins, comme dans la poésie. Tous les auteurs du moyen âge, qui se sont occupés d’horticulture, ont parlé de ces deux fleurs. Dans l’énumération. que l’un des plus anciens, Alexandre Neckam, a faite” des plantes que devait, suivant lui, renfermer un jardin plus idéal, il est vrai, que réel, et que Thomas Wright* a eu le tort de regarder comme le modèle d’un verger anglais au xu°siècle, — on y voit des arbres tels que le citron- nier et le dattier, qui n'ont jamais pu être cultivés dans un parterre de la Grande-Bretagne, — le reli- gieux anglais a, lui aussi, mis au premier rang des rares fleurs qu'il connaissait, les roses et les lis, auxquels 1l a joint la violette * et, chose singulière, la fabuleuse mandragore, ainsi que la pivoine qu'il paraît ‘anger parmi les herbes aromatiques. 1. Hortus ornari debet hinc rosis et liliis, solsequio, violis et mandragoris, inde petroselino, et costo, et maratro, et abrotano, et coriandro, salvia, et satureia, hysopo, menta, ruta, ditacmo, ...….. pionia. » De naturis rerum, etc., edited by Thomas Wright. London, 1863, in-8, lib. IT, cap. 166, p. 274. (Rerum Britanni- carum med aevi scriptores, vol. XXXIV.) 2. À history of domestic manners and sentiments in En- gland during the middle ages. London, 1862, in-8, p. 297. 3. Au lieu de etolis, Th. Wright avait lu d’abord molis, mot qui n'existe pas plus que ortulano, qui n'est que l'adjectif quali- ficalif de nasturtio (du cresson de jardin), mais dont il a fait, par une singulière inadvertance, un nom de plante. 160 LA ROSE AU MOYEN AGE. Jean de Garlande”, au siècle suivant, avait aussi, dans son jardin, qui semble avoir été celui d’un bourgeois de Paris, à cette époque, des roses et des lis, ainsi que des violettes. C’étaient là les princi- pales et presque les seules fleurs d'agrément culti- vées de son temps. Albert le Grand n’en mentionne guère davantage. On ne s’occupait à peu près alors que de la culture des plantes aromatiques et pota- gères avec celle de quelques arbres fruitiers. Alexandre Neckam en a donné une liste assez longue, Albert le Grand a suivi son exemple ; mais il à fait plus ; il nous a laissé une description précieuse — je pourrais dire scientifique — du jardin, tel qu’on le comprenait et qu'il existait alors *. L’horticulture avait fait bien des progrès depuis les premiers siècles du moyen âge; les expéditions en Orient avaient révélé l'existence d'espèces végé- tales, jusque-là inconnues dans l’Occident, et dont quelques-unes y furent importées ; Thibault IV, comte de Champagne, en particulier, rapporta, dit- on *, de Syrie la rose de Provins cultivée jusqu’en ces 1. Dictionarium, n° LXXIII, ap. Géraud, Paris sous Phi- lippe le Bel. Paris, 1837, in-8, p. 609. 2. De vegetabilibus libri VII, historiae naturalis pars XVIIT. Editionem criticam ab Ernesto Meyero coeptam absol- vit Carolus Jessen. Berolini, 1867, in-8, p. 636-38, lib. VII, tract. I, cap. 14. 8. « Il alla au secours des chrétiens... et rapporta de la Terre- Sainte la fameuse rose rouge dont nous voyons l'espèce se perfec- tionner à Provins. » Félix Bourquelot, Aistoire de Provins. Provins, 1839-40, in-8, p. 179. « Le plant en a été apporté de la CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 161 dernières années dans cette ville et aux environs. Ce ne fut pas là sans doute un fait isolé. Le sentiment croissant de la nature dont témoignent les œuvres des poètes contemporains, comme le bien-être gran- dissant, ne pouvaient que développer le goût des jardins. Chaque demeure seigneuriale * et, bientôt, chaque habitation bourgeoise en possédèrent un, comme chaque monastère. C’est dans le « verger » féodal que se déroulent le plus souvent les scènes héroïques ou gracieuses décrites par les poètes. Les assemblées les plus graves s’y tenaient, comme les réunions les plus gaies et les plus joyeuses. Le jardin occupait dans la vie tout entière une place trop grande pour que les écrivains du moyen âge n'aient point songé à°’le faire connaître. Albert le Grand n'y a pas manqué. Le savant allemand a consacré un chapitre de son traité des végétaux à la « plantation du verger *. » Syrie par Thibaut VI et ce n’est qu'à Provins que ces fleurs ont conservé la belle couleur pourpre et le parfum qui leur sont propres, ainsi que toutes les propriétés médicinales. » Christ. Opoix, Histoire et description de Provins, 2e édit., 1846, in-8, p. 388. Malheureusement Opoix ne cite aucun document, ce qui eût bien mieux valu que de chercher à identifier la rose de Provins avec les « roses milésiennes » de Pline, ou ce qui est encore plus étrange, avec les prétendues « roses de Saron » du Cantique des Can- tiques. 1. « Der Garten fehlte an keiner Burg. » Alvin Schultz, Das hôüfische Leben sur Zeit der Minnesinger. Leipzig, 2e éd., 1888, vol. I, p. 43. | 2. Lib. VIL, tract. I, cap. 14, par. 119-125, « De plantatione viridariorum. » JorET. La Rose. {1 162 LA ROSE AU MOYEN AGE. Il comprendra d’abord, dit-il, un gazon d’une herbe fine, soigneusement sarclé et foulé aux pieds, vrai tapis de verdure, dont rien ne doit dépasser l’uni- forme surface *. A l’une de ses extrémités, da côté du midi, se dresseront des arbres: poiriers, pommiers, grenadiers, lauriers, cyprès et autres de ce genre, où s’enlaceront des vignes, dont le feuillage pro- tégera en quelque sorte le gazon et fournira une ombre agréable et fraiche”. Derrière le gazon, on plantera en quantité des herbes aromatiques et médicinales, par exemple la rue, la sauge, le basi- lic, dont le parfum viendra réjouir l’odorat, puis des fleurs, telles que la violette, l’ancolie, le lis, la rose, l'iris et d’autres semblables”, qui par leur diversité charment la vue et excitent l'admiration‘. Enfin, à l'extrémité du gazon, dans l’espace réservé aux fleurs, 1. « Caespite macro subtilis graminis totus locus impleatur..…. et conculcentur gramina a pedibus in terram, donec... vix aliquid de ipsis possit considerari ; tunc enim paulatim erumpent capilla- riter et superficiem ad modum panni viridis operient. » 120. 2. « In caespite etiam contra viam solis plantandae sunt arbores aut vites ducendae, ex quarum frondibus quasi protectus caespis umbram habeat delectabilem et refrigerentem... piri et mali et mala punica et lauri et cypressi et hujusmodi. » 122. 3. « Per quadratum aromaticae herbae, sicut ruta et salvia et basilicon plantentur, et similiter omnis generis flores, sicut viola, aquilea, lilium, rosa, gladiolus et his similia. » 4. « Post caespitem sit magna herbarum medicinalium et aro- maticarum diversitas, ut non tantummodo delectet ex odore secundum olfactum, sed et flores diversitate reficiant visum, et ipsa multimoda sui diversitate in admirationem trahant se aspi- cientes. » 123. CR CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 163 Albert le Grand recommandait de relever le terrain de manière à y former un siège verdoyant et « fleuri », où l’on pourrait venir s'asseoir et se reposer douce- ment l'esprit *. Tel était, d’après le célèbre dominicain, le verger ou jardin d'agrément du moyen âge. Qu'on le restreigne à l’espace planté d'herbes aromatiques et de fleurs, en y joignant quelques légumes, oignons, poireaux, ail, bettes, melons, concombres et autres”, et l’on aura le jardin d'un bourgeois du xr1° siècle, comme celui de Jean de Garlande, comme l'était encore à peu près, à la fin du siècle suivant, celui de l’auteur du Ménagier de Paris * — lequel, outre les quelques fleurs déja mentionnées, cultivait aussi la lavande et la giroflée, plantes inconnues avant lui, mais qu'on trouve désormais dans tous les jardins. Qu'on agrandisse, au contraire, ce verger, qu'une fausse poterne y conduise de la demeure seigneuriale*, qu'on l'entoure d’une enceinte de murs, qu’un parc peuplé de fauves et où retentit le chant des oiseaux, s’y joigne 1. « Inter quas herbas et caespitem in extremitate caespitis per quadratum elevatior sit caespis florens et amoenus et quasi per medium sedilium aptatus, cum quo reficiendi sunt sensus et homines insideant ad delectabiliter quiescendum. » 121. 2. De naturis rerum, lib. II, cap. 166, p. 2784. 3. Le ménagier de Paris, traité de morale et d'économie domestique composé vers 1393 par un bourgeois parisien. Paris, 1846, in-8, vol. IL, p. 43. &. Et desfreme un guicet d’une fauce posterne Par ou ele sieut issir et les soies pucheles, Quant vient el mois de mai, por colir la florete. Elie de Saint-Giles, v. 1405-1407. 164 LA ROSE AU MOYEN AGE. à l’occasion, enfin qu’une source limpide l’arrose, et l’on aura «enclos! » attenant à tout château féodal, avec ses arbres fruitiers, ses bosquets et ses quelques fleurs, en particulier les roses et les lis, tel que nous le décrivent les poèmes chevaleresques ?. Albert le Grand n’a pas seulement le mérite de nous avoir fait connaître le verger du moyen àge, avec ses herbes et ses fleurs; le premier écrivain de cette époque, 1l nous a laissé, dans son traité des Plantes”, une description complète et exacte dans ses traits généraux des roses qu'on y cultivait; le premier il les a nettement distinguées des roses sauvages. Après quelques renseignements sur la nature du rosier, son port et ses dimensions, Albert ajoute * : 1. Léon Gautier, La Chevalerie. Paris, 1889, in-8, p. 526. 2. Par exemple le Karl Meynet, p. 184, v. 1. An eynen bungart fier Dar standen lilien und rosiere Zederboum und Olyvere Und ander gode bome vele. On peut rapprocher de cette description la définition qu'Hugues de Saint-Victor fait du jardin : « Ortus circumfoditur... arborum distinctione ornatus, floribus jucundus, gramine viridante suavis… umbrarum amoenitatem praestans, murmure fontis delectabilis, fructibus varus refectus, volucrum cantu laudabilis. ». De bestiis et aluis rebus. lib. IV, cap. 13. (Migne, Patr., vol. CLXX VIT, p. 154.) 3. Lib. VI, tract. I, cap. xxxu1, par. 212-216. Ed. E. Meyer- Jessen, p. 445-247. | k. « Flos ejus vocatur rosa, et est flos primum habens siliquam viridem quinque foliorum, quae cum aperitur, egreditur rosa CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 165 « On donne le nom de rose à sa fleur ; cette fleur est renfermée dans un calice à cinq sépales verdâtres ; quand il s'ouvre, apparaît une corolle composée d’un grand nombre de pétales, si c’est une rose des jardins, en particulier la rose blanche, qui a souvent jusqu'à cinquante ou soixante pétales, tandis que la rose sauvage n'en compte que cinq. » Quelle est cette rose sauvage ou «champêtre» que le dominicain allemand oppose d’une manière si expresse à la « rose des jardins »? A-t-1l connu de l’une ou de l’autre plusieurs espèces ou variétés ? Albert à été frappé, et cela était naturel, par le grand nombre de pétales de la rose cultivée à fleurs blanches ; il revient à deux reprises sur ce caractère. Il a été également frappé par les dimensions qu'acquiert le rosier qui la porte: «C’est un arbre, dit-il', dont le tronc atteint parfois la grosseur du bras ; 1l est très rameux et les branches en sont touffues, mais longues et minces. » Quant à la rose à fleurs purpurines, Albert n’en parle qu'indirectement, en paraissant dire qu'elle a moins de pétales que la rose blanche et il se borne à remarquer, comme en passant, que multorum foliorum, quando est hortensis, et maxime rosa alba, quae frequenter excedit numerum quinquaginta foliorum vel sexaginta. Sed tamen in campestri rosa non inveniuntur nisi quinque folia. » Op. laud., Lib. VI, cap, xxxrr, 213. 1. « Illa quae fert rosas albas multorum valde foliorum, pro certo arbor est, cujus stipes efMicitur sicut brachium hominis .…. Et est arbor valde ramosa; et sunt rami eius spissi, sed parvi et ongi sicut surculi rubi. » Cap. xxxrr, 212. 166 LA ROSE AU MOYEN AGE. sa fleur d’abord verte devient rouge à la fin. Il n’y a la rien, onle voit, qui permette d’en déterminer l'espèce. Il peut se faire qu'il s'agisse de la À. gal- lica, comme de la centifolia. Pour la rose à fleurs blanches on serait tenté de l'identifier avec la R. alba de Linné? ; mais il est impossible de rien affirmer. Ceci n’a d’ailleurs qu'un intérêt secon- daire ; ce qui importe, c’est que la rose double, Albert le Grand nous l’apprend, était cultivée en Allemagne au xim° siècle, et qu'elle y produisait les fleurs les plus belles. Le fait sans doute n’était pas nouveau ; Albert ne le donne pas non plus comme récent; mais 1l est intéressant de le trouver aussi incontestablement, quoique si tardivement, cons- taté. Ce qui n'offre pas moins d’intérèt, c'est que le savant encyclopédiste distingue nettement, ce que n'avaient point fait les anciens et ce qu'avaient fait si mal les écrivains arabes, plusieurs espèces de roses sauvages. Dans la « rose champêtre » opposée par lui, à cause du nombre de ses pétales, à la rose des jardins ou cultivée, Carl Jessen a reconnu, avec toute raison, je le crois, la « rose des champs » — Rosa arvensis de Linné*. — Cette tige unique — 1. « Flos rosae incipit primo a virore et terminatur in rubo- rem. » Cap. xxx1, 213. 2. C'est ce que fait Jessen, tandis qu'il n'assigne aucun nom particulier à la rose rouge d'Albert le Grand. 3. Ernst Meyer, dans son histoire de la botanique, avait cru pouvoir l'identifier avec la Æ. villosa. (Geschichte der Botanik. Kôünigsberg, 1857, in-8, vol. IV, p. 73). "2 CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 167 culmus unus —, qui se dresse au milieu de la fleur !, paraît bien désigner les styles soudés en colonne de cette espèce, que le pollen vient, au moment de la fécondation, recouvrir d’une poussière jaunâtre — respersio crocea. — Le fruit arrondi de cet églantier est bien aussi celui de la Rosa arvensis. | Mais Albert le Grand connaissait encore deux espèces de roses sauvages auxquelles il ne donne pas, il est vrai, le nom de rose, — :l les appelle l’une bédégar, V'autre tribulus, — et qu'il a, on ne sait trop pourquoi, dans un chapitre à part, décrites comme des épines et séparées de la rose des jardins, à laquelle il a, au contraire, réuni la rose des champs, quoiqu'elle ne lui ressemble pas davantage. Il ne lui est pas échappé néanmoins tout ce qui les rappro- chait, au moins la première, de la « rose champètre » et de la rose des jardins. « La rose, disait-il?, en commençant la description de cette dernière, est un arbre ou un arbrisseau, pourvu de nombreuses épines, tout comme le hédégar, auquel elle ressemble d'ailleurs par la forme de ses feuilles. Mais les épines de la rose sont plus faibles et ses feuilles plus larges que celles du bédégar. Et en parlant du fruit de la rose champêtre, Albert 1. « In medio ejus (rosae campestris) est respersio crocea, stans in culmo uno simul. » Cap. xxxr1, 213. 2. « Rosa est arbor aut frutex cum spinis multis sicut et bedegar, cui etiam per omnia habet folia similia. Sed spinae rosae debiliores sunt et folia eius latiora, quam folia bedegar. » Cap. xxx1r, 212. 168 LA ROSE AU MOYEN AGE. remarquait qu'il était « fait comme celui du bédé- gar, seulement qu'il était plus arrondi ». Le savant encyclopédiste avait insisté déjà, dans sa description du bédégar, sur la ressemblance de cet arbrisseau et du rosier. « Ses feuilles, remarque-t-il ?, ainsi que la fleur et le fruit ressemblent à ceux du rosier, mais la fleur est plus petite. » Et il ajoute‘: Les feuilles exhalent, surtout au printemps et quand elles sont fraîches, une odeur vineuse. Ce dernier caractère ne permet pas de se mé- prendre sur la nature du bédégar; par ce nom Albert le Grand désigne évidemment le rosier odo- rant ou rouillé — la À. rubiginosa de Linné, la Weinrose des Allemands, la sweet briar des Anglais, — arbuste auquel, par une confusion étrange, 1l a attribué le mot arabe, qui désigne, nous l'avons vu, l'espèce de galle produite sur l’églantier par la piqûre d’un ichneumon, le Cynips rosae. Il n’est pas plus diflicile d'identifier l'espèce de rosier sauvage auquel Albert a assez singulièrement 1. « Cum perficitur pomum eius, est sicut pomum bedegar, nisi quod est rotundius illo. » Cap. xxxir, PE 2. «In foliis similis est rosario et similiter in flore et fructu, nisi quod flos ejus parvae est latitudinis. » Lib. VI, cap. x1, 42, p. 358. 3. « In folüis praetendit quasi odorem vini et maxime in vere, quando recentia sunt folia. » CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 169 donné le nom de tribulus, mot qui sert d'ordinaire à désigner la macre ou châtaigne d’eau. C'est, dit-1l!, une autre espèce d'épine, plus robuste que le bédégar, mais qui lui ressemble par la forme de ses feuilles et de ses épines; sa fleur aussi est plus grande. Quant à son fruit il est plus allongé que celui du bédégar ou de la rose. Mais sous le rapport de la couleur et des graines, les fruits de la rose, du bédégar et du tribulus — pourquoi n’a-t-il pas ajouté de la rose cham- pêtre ? — sont entièrement semblables. | Albert, tout en disant, erreur assez peu explicable, que le tribulus n’est pas vraiment de la nature de la rose, ajoute néanmoins qu'on lui donne parfois le nom de rose sauvage”. On se serait attendu à ce qu'il eût dit «rose de chien », — Rosa canina, — car cest évidemment de cette espèce si commune qu'il s’agit 1c1. Malgré ce qu'il y a d’incomplet et d’inexact dans les descriptions d'Albert le Grand, elles témoignent, 0 le fait est incontestable, d’une observation person- nelle de Ia nature. C’est un spectacle curieux de voir le dominicain du xin° siècle, devancant les 1. «Est aliud genus spinae, quod quidam vocant tribulum, quod est maioris ligni quam bedegar, sed in foliis et spinis est isti simile ; et flos eius latior est quam flos istius... Pomum autem illius est longius quam pomum bedegar vel rosae. Sed in colore et granis sunt similia pomum rosae et bedegar et tribuli. » Cap. 1x, 43. 2. « Hoc quidam vocant rosam silvestrem, sed non est vere de natura rosae. » Cap. 1x, 43. 170 LA ROSE AU MOYEN AGE. botanistes modernes, s'appuyer, pour distinguer les différentes espèces de roses, sur la forme du fruit. Ce qu'il remarque de la situation de la fleur par rapport à celui-ci, ainsi que des divisions du calice, des laciniures qu’elles présentent d’un côté, de leur alternance avec les pétales”, de leur persistance enfin, tant que le fruit n’est pas arrivé à maturité ?, est nouveau et original; on n’avait rien dit de semblable depuis Théophraste et Théophraste était loin d’avoir si bien et tant observé. Toutefois 1l ne faut demander à Albert le Grand aucun renseigne- ment particulier sur la culture de la rose“, mais il a exposé longuement, il est vrai presque exclusive- ment d’après Avicenne, les propriétés médicinales de cette fleur *. 1. « Suus flos super pomum suum sicut in cucurbite et malo granato. » Cap. xxx11, 213. 2. « Quodlibet foliorum (siliquae) ex una parte est barbatum pluribus barbis... et in alia parte est planum sine barbis... Sub qualibet compaginatione duorum foliorum siliquae subjicitur recte medium dorsum unius folii rosae. » Cap. xxx1r, 214. 3. « Siliqua rosae non cadit quidem cum foliis rosae, sed cadit, quando maturatur pomum ejus. » Cap. xxx1r, 215. &. Je ne puis regarder comme tel, du moins, ce qu'Albert, sur l'autorité prétendue du fabuleux Hermès, dit de la manière d'obtenir des roses en hiver, laquelle consisterait à planter dans une terre mêlée de sang et arrosée avec du sang les rosiers dont on lierait les branches au printemps. Lib. NISreap mur, 217;"et lb: IV, cap. 111, 160. 5. Cap. xxx, 216. Dans ce chapitre Albert mentionne une « rose fétide », quil ne parait connaitre que par ouïi-dire et dont la racine serait brülante comme le pyrèthre. « Quaedam est quae CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. TTL Ce sont elles aussi qui avaient presque exclusi- vement fixé l’attention de l’auteur De la nature des choses !, Thomas de Cantimpré. Dans ce traité, qui dut être écrit, comme l’a montré M. Léopold Delisle”, avant 1244 et qu'il avait mis, dit-il, quatorze ans à composer, ce « compilateur »*, — c’est le nom quil se donne lui-même —, n’a rien dit de la culture de la rose; il ne l’a pas décrite davantage: tout ce qu'on y trouve c’est que le « rosier est plutôt un arbuste qu’un arbre“». On ne pouvait donner moins au point de vue botanique et l’on s'étonnerait de cette indigence de renseignements sur une fleur si bien étudiée par Albert le Grand, dont Thomas de Cantimpré avait été un instant Île disciple, s1 le livre De la nature des choses, de l'élève, n'avait nominatur rosa foetida et radix eius est sicut piretrum adustiva. » C'est évidemment | Ouard montin de Razès et d'Ibn el-Beithar, probablement l’Anison (anis), c'est-à-dire tout autre chose qu'une rose. Traité des simples, n° 2276. 1. De natura rerum, tel est le titre que la plupart des manus- crits donnent à cet ouvrage; une note du manuscrit 14720 de la Bibliothèque nationale l'appelle De naturis rerum ; c'est ainsi également que le manuscrit de Gotha, étudié par Ernst Meyer, {Geschichte der Botanik, vol. IV, p. 92), désigne ce traité. 2. Léopold Delisle, Histoire littéraire, vol. XXX, p. 377. Dès lors le De natura rerum dut être écrit avant le De vegetabilibus d'Albert le Grand, composé seulement après 1249. 3. « Revolvi autem librum illum de natura rerum, quem ipse multo labore per annos XIII de diversis auctoribus utilissime com- pilavi. » Liber apum aut de apibus mysticis, s. lin: d:7in fol: (Incunable de la Méjanes, 18131). 4. « Rosa est potius frutex quam arbor. » Man. 14720, fol. 13%. 172 LA ROSE AU MOYEN AGE. probablement été composé avant le Traité des plantes, du maître. Les livres du Miroir de la nature”, de Vincent de Beauvais, qui traitent du règne végétal, sont-ils aussi antérieurs à l'ouvrage d'Albert le Grand sur le même sujet? Cela est vraisemblable; du moins Vincent n'y cite point son illustre contemporain auquel il a tant fait d'emprunts dans son histoire des animaux. Composé d'extraits des auteurs qui avaient dans l’antiquité ou durant les siècles précédents écrit sur la rose, les chapitres consacrés par Vincent a cette fleur ne renferment aucun renseignement nouveau”. Vincent n'a point essayé de la décrire, et 1l en est encore à Pline, pour ce qui regarde sa culture ; il n’y a à apprendre chez lui qu'au sujet des usages longuement énumérés de la rose dans la médecine et des préparations pharmaceutiques qu’on en retire. Heureusement 1l en est tout autrement, au point de vue botanique, de ce qu'en a dit Bar- thélemy l'Anglais. Dans le chapitre 136 du dix-septième livre de son traité Des propriétés des choses *, livre consacré aux 1. Cf. au sujetdela chronologie des œuvres d'Albert, Ernst Meyer, Op. laud., vol. IV, p. 33. 2. Speculum naturale. Duaci, 162%, in-fol. Lib. X-XV. 3. Lib. X. cap. 131, De Rosa ; cap. 132, De rosarum cultura ; cap. 133, De operatione rosae in medicina; cap. 13%, /terum de eodem ; cap. 155, De his quae procedunt vel conficiuntur ex rosa. P. 761-653. 4. BartThoLOMAEr AxGuicr de genuis rerum caelestium, terrestrium el infernarum proprietatibus libri XVII, opus 3 CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 13 plantes, Barthélemy, comme Albert le Grand, s’est d’abord attaché à distinguer la rose des jardins ou « domestique » de la rose sauvage ou champètre. « La rose des jardins, dit-il!, diffère de la rose sauvage par son parfum, sa couleur, les vertus et le nombre de ses fleurs. » « Les pétales des roses sauvages, ajoute- t-il ?, sont planes, larges, d'une teinte blanchâtre mêlée d'un peu de rouge ; ils sont aussi moins odorants et moins efficaces en médecine. Les pétales de la rose des jardins, au contraire, sont nombreux, serrés et appliqués les uns contre les autres, entièrement rouges ou entière- ment blancs, d'un parfum exquis, d'une saveur stiptique et quelque peu mordante et d'une grande eflicacité en médecine. » On a ici une description de la reine des fleurs, dont les principaux traits appartiennent bien à Barthélemy, et l’auteur anonyme du Poëme moralisé sur les propriétés des choses, dont M. Gaston Raynaud a publié des extraits, dans le tome XIV de incomparabile, ac theologis, jurisconsultis, medicis, om- niumque disciplinarum et artium alumnis utilissimum. Francofurti, 1619, in-8. 1. « Est autem rosa duplex, quia quaedam est domestica sive hortensis et quaedam est sylvestris. Differt autem rosa hortensis a sylvestri in florum multitudine, in odore, in colore et in virtute. » Op. laud., p. 913. 2. « Folia sylvestrium sunt plana, lata, subalbida, pauco rubore. admixta, minus odorifera et minus operantia in medicina. Folia autem hortensis rosae sunt multa mutuo cohaerentia et connexa, omnino rubra vel omnino albissima, mire redolentia, in sapore stiptica et quodam modo mordicantia et magnae efficaciae in me- dicina. » 174 LA ROSE AU MOYEN AGE. la Romania”, n'a pas hésité à les lui emprunter, sans en conserver la précision et l’exactitude. En ce que Barthélemy nous apprend de l'inflores- cence et du développement de la rose de jardin, ainsi que de sa culture, 1l y a encore plus d’un trait ou d’un renseignement que le savant du moyen âge peut revendiquer comme sien. S'il dit, par exemple, que la rose se reproduit par semis, par bouture ou par greffe”, ce qu'on trouve déjà dans Pline, il remarque, ce qui n’est pas dans l’auteur latin et paraît dès lors être de lui, que «la rose sauvage peut donner par la culture et de fréquentes trans- plantations des « roses véritables »°, c’est-à-dire évidemment des roses doubles : preuve, 1l semble bien, qu'on était, dès cette époque, parvenu à anoblir et à doubler les roses sauvages. » 1. Année 1885, p. 442-484. Il (le rosier) est d’une double substance, Si com demonstre l’apparance : L'un en jardin croist, l’autre as chans. De jardin est mieux odourans La rose, que ne fait icele Qui est as chans et est plus belle: L'une est blanche, l’autre vermeille. Rosier, v. 5-12, p. 455, Art. XXXI. 2. « Nascitur arbor rosae quandoque per seminationem, quando- que per plantationem, quandoque per insertionem.» /bid., p.91#. « Le rosier naist aucunes fois par semer et aucunes fois par planter », se borne à dire Jean Corbichon dans la traduction qu'il a donnée de l’ouvrage de Barthélemy. 3. « Agrestis rosa per frequentem mutationem et culturam effi- citur vera rosa. » CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 179 Une autre remarque qui n’est pas davantage dans Pline, et où, circonstance curieuse, Barthélemy se rencontre avec Théophraste, qu'il ne pouvait con- naître, c'est que «la rose des jardins restée sans culture et non débarrassée de ses rameaux superflus revient à l'état sauvage” ». Ne semble-t-il pas aussi qu’on entende l'amateur des jardins et des fleurs, quand Barthélemy dit” que la rose, — raison pour laquelle elle sert à couronner la partie la plus noble de l’homme, c’est-à-dire la tête, — occupe le premier rang parmi les fleurs, à cause de sa beauté, de son parfum, de sa douceur et de ses vertus. « Car, ajoute-t-1l°, par sa beauté elle réjouit la vue, par son parfum elle affecte agréablement l’odorat, par sa douceur elle plait au toucher; enfin, grâce à ses propriétés médicinales, elle prévient ou guérit nombre d’indispositions et de maladies. » Barthélemy l'Anglais est l'écrivain du moyen âge qui, avec Albert le Grand, fournit les renseigne- ments les plus complets, comme les plus originaux, sur la rose. On aurait pu s'attendre à ce que, en sa qualité d’horticulteur et d’agronome, Pierre de Crescence en aurait donné d'aussi étendus, sinon de 1. « Si remanserit inculta et a superfluis non purgata, degenerat in sylvestrem. » 2. « Flos rosae inter flores obtinet principatum et ideo solet principalis pars hominis, scilicet caput, rosarum floribus coronari et hac ratione decoris, odoris, suavitatis et virtutis. » 3. «Nam sua pulchritudine aspectum reficit, suo odore olfactum afficit, suavitatis mollicie tactum delinit, sua virtute multis languo- ribus et morbis obviat et succurrit. » 176 LA ROSE AU MOYEN AGE. plus importants ; il n’en est rien ; le savant italien, peut-être parce qu'il la regardait comme suffisam- ment connue‘, s’est borné, dans son traité d’agri- culture”, à donner quelques vagues indications sur cette fleur. « Rosiers, dit son traducteur français *, sont arbres bien congneuz et en sont les ungs blancs et les autres rouges, et aussi en sont les uns francs (cultivés) et les autres sauvages. Les blancs, soient francs ou sauvages, font très bonnes et fortes haies pour ce qu'ils ont bonnes branches et fortes espines et si se reteurdent et entre- lacent en telle manière que l'on ne peult passer parmy pour les espines qui arrestent a force. » Puis, après quelques mots sur cet arbuste, — j'y reviendrai plus loin —, Pierre de Crescence termine, comme ses devanciers, par l'exposé des propriétés médicinales de la rose et des divers produits phar- maceutiques qu’on en retire. C’est peu sans doute ; on n’en trouve pas davan- tage ou encore moins dans le Livre de la nature”, de Conrad de Megenberg, «traduit du latin », 1l 1. « Rosaria nota sunt », dit-il Jui-même p. 273. 2. De agricultura omnibusque plantarum et animalium generibus libri XII, auctore optimo agricola et philosopho Perro CrescenTiENsi. Basileae, 1538, in-#, lib. V, p. 273. 3. Le livre des prouffitz champestres et ruraulx. Paris, 1486, in-fol. p. I, ch. 22. 4. Konrad von Megenberg, Das Buch der Natur, hgg. von Franz Pfeiffer. Stuttgart, 1861, in-8. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. A l'avoue lui-même ‘, vers le milieu du xiv° siècle, non toutefois d'Albert le Grand, comme il le croyait”, mais de Thomas de Cantimpré, puisque le Liber de natura rerum, qu'il a suivi, est de ce dernier et non d'Albert, ainsi que l'avait avancé déjà Ernst Meyer”, et que l’a prouvé d’une manière irréfutable M. Léo- pold Delisle*; mais il a traduit ce traité avec une grande liberté, car on trouve dans sa version des passages et même des chapitres entiers, qui ne sont point dans l'original, comme celui-ci en contient en retour, mais en bien moins grand nombre, qu'on cherche en vain dans la traduction. De mème que son modèle, Conrad n’a point donné de description de la rose, ni parlé de sa culture ; il s’est attaché seulement à en faire connaitre les propriétés médi- cinales ; mais 1l y a joint, ce qu’on ne trouve pas dans Thomas de Cantimpré, une longue énumération des comparaisons mystiques qu'on a établies entre la reine des fleurs et la reine des cieux. À: Alsô trag ich ein puoch von latein in däutschen wort. P. 2, v. 6-7. 2. Daz hat Albertus meisterlich gesammet von den alten. Une note de la dernière page du manuscrit 14720 de la Biblio- thèque nationale, comme le manuscrit de Gotha d’ailleurs, attribue expressément le Traité de la nature des choses à Albert : « Explicit liber de naturis rerum, quem composuit frater Albertus, ordinis fratrum Praedicatorum doctor eximius ». Daunou (His- toire littéraire, vol. XIX, p. 184), mettait encore en doute que le De natura rerum fût de Thomas de Cantimpré. 3. Geschichte der Botanik, vol. IV, p. 200. &. Histoire littéraire, vol. XXX, p. 377. Jorer. La Rose. 1: 1 178 LA ROSE AU MOYEN AGE. L'ouvrage de Conrad de Megenberg présente une autre différence avec celui de Thomas de Cantimpré ; tandis que ce dernier ne parle point de la rose sauvage, son imitateur allemand a consacré un cha- pitre à l’églantier, le bédégar ou 4agedorn'. Sous ce nom, 1l désigne évidemment, comme Albert le Grand, le rosier rouillé ou odorant; car le « goût vineux », que les feuilles de cet arbuste, d’après lui’, ont « surtout au printemps », ne saurait s’appliquer qu'à cette espèce de rose. Outre le bédégar, Conrad connaît aussi un autre églantier, qu'il appelle vel/tdorn et qu'il en distingue. « Les fruits du premier, dit-1l”, sont plus petits que ceux du second ; 1l en est de même des fleurs ». Faut-il d’après cela identifier le veltdorn de Conrad avec le tribulus d'Albert le Grand, c’est-à-dire avec la Rosa canina, comme l'ont pensé Schleiden* et Pritzel-Jessen’? Il est difhcile de se prononcer, mais j'inclinerais à voir dans cet églantierla À. arvensis L., dont les fleurs, sinon les fruits, sont plus grandes que celles de la À. rubiginosa. Si Conradde Megenberg ne nous apprend rien au 1. « Bedegar haizet ain hagedorn oder weithagen ». Cap. 1v, Von den Paumen, p. 316, 8. 2. « Des hagdorns pleter habent ainen weinsmack und allermaist -in dem lenzen, die weil si new sint ». 3. « Der paum..…. hat pleter gleich aim rosendorn oder aim veltdorn, iedoch sint sein früht kleiner wan des veltdorns früht, ez sint auch sein rôsen kleiner wan des veltdorns rôsen ». 4. Die Rose, p. 199. 5. Die deutschen Volksnamen der Pflanzen. Hannover, 1882, in-8, p. 199. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 179 sujet de la culture de la rose, on ne trouve pas plus de renseignements à cet égard dans les Livres des simples remèdes latins”, les Arboristes ou Herbiers français *, ainsi que dans les Arbolayres* ou Grants Herbiers", qui ne sont que la reproduction imprimée de ces derniers, ou dans l’Herbarius de Mayence” et le Jardin de santé*, l’un en haut-allemand, imprimé en 1485, l’autre en bas-allemand, publié en 1492 à Lubeck. Issus tous d’une source commune, le Circa instans primitif de Platéaire, auquel sont venus s’adjoindre des emprunts faits aux médecins arabes ou aux encyclopédistes du xirr° siècle, ce sont des traités de pharmacopée ; comme tels, ils énumèrent soigneusement les propriétés médicinales de la rose, mais ils ne nous apprennent rien sur son histoire ou sur sa culture. Les témoignages si nombreux et d'ordre si divers qui précèdent ne laissent aucun doute sur l'existence 1. Par exemple, le Ziber de simplici medicina ou Circa instans de Platearius, publié à Ferrare en 1488, et le Tractatus de herbis, manuscrit de Modène, étudié par M. Jules Camus. (L'opera Salernitana Crrca iNsraxs ed il testo primitivo del Grant HERBIER EN FRANGOIS secondo due codici del secolo x1v conservati nella regia bibliotheca estense. Modena, 1886, in-4). 2. Ainsi l'Æerbier, Arboriste où Traité des plantes des manuscrits du commencement du xve siècle, 1307, 9136, 12319 et 12320 de ia Bibliothèque nationale. 3. Arbolayre contenant la qualitey et vertus, proprietey des herbes, arbres, gommes, et semences, etc., s. 1. n. d. in-fol. 4. Le Grant Herbier en francois contenant, etc. Paris, in-fol. 9. Herbarius cum herbarum figuris. Moguntiae, 1484, in-#. 6. Der ghenocliche Gharde d' Suntheit. 1485, in-&4. 180 LA ROSE AU MOYEN AGE. de la rose double au moyen âge; c’est par un parti pris inexcusable que Schleiden* et par une inad- vertance peu explicable qu'Alvin Schultz, d’ordi- naire si bien informé, en ont paru coñtester la pré- sence à cette époque. Lorsqu'Alvin Schultz, par exemple, pour nier l'existence des roses doubles au temps des Minnesænger, s'appuie sur le témoi- gnage de l’un d'eux”, lequel dit que, quand les roses auraient les étamines, — qui sont jaunes comme l’on sait, aussi rouges que les pétales, la bouche de sa bien-aimée serait encore plus ver- meille*, le savant allemand oublie que dans les roses même les plus doubles, à plus forte raison dans celles qui ne le sont qu'à moitié, comme les roses de Provins en particulier, toutes les étamines ne sont pas transformées en pétales*. De ce que les 1. Die Rose, p. 195 : « Gänzlich unbekannt waren unseren Vorfahren die im Süden schon früh geschätzten gefüllten Spielarten, die erst ganz allmälig am Ende des Mittelalters sich nach und nach, érst in Frankreich und Holland, dann in Deutschland einbür- gerten ». Cf. Hehn, Xulturpflanzen,p.207: «Im Mittelalter… blieben Rose und Lilie, beide verhältnissmässig leicht zu erziehen, in den Gärten gewühnlich. » 2. Das hüfische Leben zur Zeit der Minnesinger, vol.I, p. 50. 3. Le poète grec Philé, qui vivait au xrre siècle, parle aussi de l'union charmante des pétales vermeilles de la rose et de la couleur jaune des étamines : is ToppÜpas TO GYÂuX pardouver TAËOV TŸ Rp TO xOÉOV This Pavñs rapalece. Peut-on dire que Philé ne connaissait pas les roses doubles ? &. Il est à remarquer que l’enlumineur des Heures de la reine Anne, dans les roses qu’il y a peintes avec tant de vérité et auxquelles CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 181 roses, dont parle le poète de Der rôte Mund, avaient encore des étamines et étaient par suite incomplète- ment doubles, il ne s'ensuit pas qu'elles ne le fussent pas du tout, ni qu'il n’y eût point à cette époque, en Allemagne et en France, de roses de jardin entièrement doubles : le témoignage d'Albert Île Grand et de Barthélemy l'Anglais prouve le contraire. Ce quiest vrai, c’est que depuis le xnr° siècle Îe culture de la rose parait avoir pris une extension considérable dans toute l’Europe romane et germa- nique. C'était la conséquence naturelle de l'usage de plus en plus grand qu’on faisait alors de cette fleur et de ses produits. En Italie 1l en est déjà question, au commencement de ce siècle, dans une espèce de tournois donné à Trévise', et cent ans plus tard on se servait même dans la Péninsule, Pierre de Cres- cence en fait foi, des rosiers à fleurs blanches pour faire des clôtures ; Boccace parle aussi, à plusieurs reprises?, de rosiers blancs et vermeils, qui, avec les jasmins, bordent les allées des jardins, et à chaque instant il fait mention de roses dans ses ouvrages. En Espagne la culture de ces fleurs con- il ne donne pas moins de cinquante ou soixante pétales, a eu grand soin de figurer au centre de chacune d'elles un petit buisson d’étamines jaunätres. 1. Alvin Schultz, Op. laud., 2e éd., vol. I, p. 578. Cf. plus loin, au chap. v, le Siège du Château d'amour. 2. « La latora delle quali vie tuttedi rosai bianchi e vermigli et di gelsomini erano quasi chiuse ». Decamerone. Giornata terza, no- vella 4. Firenze, 1827, in-8, vol. IT, p. 15. « Da spessissimi gelso- minie da pugnenti rosal sono per tutto cinmte,» Amelo, vol, XV, P- FO 182 LA ROSE AU MOYEN AGE. tinua d’être l’objet de soins assidus après l’expulsion des Arabes, qui l’avaient poussée si loin. Nicolas Monardès parle de nombreuses variétés de roses qu'on rencontrait dans la Péninsule ; il cite en par- ticulier celles de Tolède comme surpassant toutes les autres en éclat et en parfum. En France l'impulsion donnée à l’agronomie et à l’horticulture par Charles V ne fut pas arrêtée par les troubles qui suivirent ce règne réparateur. De- puis lors la culture des roses prit la plus grande extension. Sauval rapporte * que Charles VI fit, en 1398, planter dans le jardin du Champ-au-Plätre, à l'hôtel de Saint-Pol, trois cents gerbes de rosiers blancs et rouges, avec trois cents oignons de lis, autant d'oignons de flambes (iris) et huit lauriers. En 1432, dit-1l encore, le duc de Bedford fit de même planter dans le jardin de l'hôtel des Tournelles «une infinité de rosiers blancs. » Le roi René de Provence, qui « joignait à des goûts chevaleresques celui de la culture des fleurs », rivalisa avec eux. Dans les jardins de ses châteaux d'Aix, d'Angers, de Baugé, des Ponts-de-Cé, on voyait, dit son historien”, avec des arbres fruitiers 1. « Superant quae Toleti leguntur omnes Hispaniae rosas et fragrantia et rubore. » De rosa libri tres in latinum donati a Carolo Clusio. Antverpiae, 1611, in-fol., p. 45. 2. Histoire et antiquités de la ville de Paris. Paris, 1725, in-fol. Liv. VIF, vol. II, p. 283. 3. À. Lecoy de La Marche, Le rot René, sa vie, son adminis- tration, ses travaux arlistiques et littéraires. Paris, 1875, in-8, vol. II, p. 8, 9, 33% 35 et 50. le CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 183 des plantes variées, spécialement des rosiers, et Bourdigné” a été jusqu à attribuer à ce prince le mérite peu probable d’ailleurs d’avoir le premier importé dans l’Anjou les roses de Provins. Les rela- tions de nos rois avec l'Italie à la fin du xv° et au commencement du xvi° siècle contribuèrent à déve- lopper, en même temps que l'amour des construc- tions luxueuses, le culte des jardins ; les enluminures des /leures de la reine Anne ne sont pas seulement un monument unique de l’art contemporain, mais encore un témoignage manifeste de la passion crois- sante qu'on avait alors pour les fleurs, en particulier pour les roses. Partout les plantations de rosiers vont se multi- pliant, partout se répand la culture de ces fleurs aimées. Les femmes surtout aimaient à s’y livrer, goût que leurs maris étaient d’ailleurs loin de con- trarier : Sachiez, dit à sa femme un bourgeois de Paris?, de la fin du xiv*° siècle, que je ne prends pas desplaisir, mais plaisir, en ce que vous aurez a labourer rosiers, a garder violettes et a faire chapeaulx. Et au xvi° siècle Louis Vivès recommandait encore aux jeunes filles la culture de ces mêmes fleurs *. 1. « Pour certain il futle premier quid'’estrange pays feist apporter en France... fleurs de œilletz de Provence, roses de Provins et de muscadetz... ignorées en Anjou auparavant. » {ystoire agregalive des Annalles et Croniques d'Anjou. Angers,1529,in-fol., p.168, b. 2. Le Ménasgier de Paris, vol. I, p. 2. 3. « Aussi sera honneste à la jeune fille de cultiver herbes et vio- 184 LA ROSE AU MOYEN AGE. Il serait intéressant de connaitre quels furent, au moyen âge, les principaux centres de culture de la rose ; malheureusement on ne trouve que bien peu de renseignements à cet égard dans les écrivains du temps, et l’on a encore à peine songé à recueillir dans les Archives ceux qu'elles pourraient fournir *. Les historiens de Provins, MM. F. Bourquelot et Opoix, ont omis de dire ce que fut autrefois la culture de cette fleur dans cette ville, où elle a dû avoir tant d'importance, et ils ne parlent des produits de la rose et du présent qu'on en faisait aux rois à leur passage par Provins qu’à partir du xvi° siècle ?. Que Provins ait été depuis une époque reculée un lieu de culture renommé par ses roses, le fait est incontestable ; mais bientôt Paris rivalisa avec lui. Un document, dont je dois la connaissance à une bienveillante communication de M. Siméon Luce, lettes es courtils et jardins selon leur vocation et exercice, pour les induyre par après a meilleur et plus grand besongne ». /nstitu- tion de La femme chrestienne, composée par Loys Vives et nou- vellement traduite en langue francoise (par Pierre de Changy). Lyon, s. d., in-12, chap. m1, p. 19. 1. Je ne connais qu'une exception, ce sont les recherches faites par M. Léopold Delisle dans les dépôts publics de Normandie. Malheureusement cet exemple si utile na pas été suivi et la Normandie est la seule province de France jusqu'ici dont nous connaissions bien l’état de la culture au moyen âge. 2. « En 1574, la Reine-Mère et les princes du sang... arrivèrent à Provins... On offrit des conserves et des roses sèches... Henri IV, le 46 avril 1607, arriva au château de Montglas, près Provins. Le corps de ville... lui offrit des conserves ct des sachets de roses ». Opoix, p. 136. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 185 nous apprend qu’à la fin du xv° siècle on achetait également les roses dont on avait besoin à Paris et à Provins. C’est ainsi que, sur l’ordre de Louis XI, qui se trouvait alors à La Mothe d'Esgry, dans l'Orléa- nais, deux messagers furent envoyés en même temps dans ces deux villes « querir des rozes et boutons »”. Mais il y avait alors bien d’autres centres de cul- ture'de la rose en France. Au Homme près Rouen, elle avait pris déjà au xim° siècle assez de dévelop- pement pour que le curé perçût la diîme sur les rosiers *. L'usage si répandu des chapeaux de rose, auxquels les poètes des x11°, xiv° et xv° siècles font sans cesse allusion, les fréquentes mentions des rede- vances qu'on en faisait”, montrent que la culture de la rose était générale en France à la fin du moyen âge. Cette fleur occupe une trop grande place dans la poésie allemande ou néerlandaise contemporaine 4. « À Nicolas Mesnagier, varlet de fourrière du dit seigneur (le roi Louis XD), la somme de vingt-sept livres douze solz huit deniers tournois que le dit seigneur lui a ordonnée ou dit mois pour le rembourser de pareille somme quil a baïillée du sien par l'ordonnance et commandement du dit seigneur, c'est à savoir vi livres xvu solz vi deniers tournois pour avoir envoyé deux hommes à cheval de la Mothe d'Esgry à Paris et à Prouvins querir des rozes et boutons ». 1480, juin, Arch. nat., registre KK 64, folio 62. 2. « Le prestre prend toutes autres diesmes comme de pois ra- miers, de rosiers...» Livre des jurés de $S. Ouen, ap. Léopold Delisle, £tudes sur la condition de la classe agricole et de l'agriculture en Normandie au moyen âge. Évreux, 1851, in-8, p. 491, note 36. 3. Léopold Delisle, 0p. laud., p. 492. Voir pl. loin chap. v. 1806 LA ROSE AU MOYEN AGE. pour qu'il n’en fût pas de même dans les pays de langue germanique. Depuis Frédéric IT, qui en fut le protecteur, l’horticulture avait fait de grands pro- grès en Allemagne, la faveur dont au siècle suivant elle jouit auprès de Charles IV contribua encore à la développer‘. Mais le goût des fleurs ne fut pas le privilège des princes et des grands ; les riches mar- chands de la Souabe et de la Bavière, ainsi que de la vallée du Rhin, le partagèrent de bonne heure ; les jardins des villes d'Augsbourg, Ulm, Nuremberg, Bâle, Cologne, furent célèbres à la fin du moyen âge”; on y voyait les plantes les plus diverses, mais surtout des rosiers ; les roses d'Ulm furent renom- mées de bonne heure, et le nom de rose de Batavie ou de Hollande, donné à une variété de la cent- feuilles”, témoigne de l'importance que vers l’époque de la Renaissance prit aux Pays-Bas la culture de cette fleur. Dans toute l’Europe centrale il n’y aura pas désormais de jardin, si humble soit-il, qui n'ait quelques rosiers. Même spectacle en Angleterre. Un roman du xiu* siècle nous apprend que déjà alors les roses y étaient employées comme fleurs d'ornement“; un manuscrit du British Museum nous les montre au 1. Oscar Teichert, Geschichte der Ziergärten in Deutschland, Berlin, 1865, in-8, p. 12 et 21. 2. K. W. Volz, Beitrüge zur Kulturgeschichte, ap. Schleiden, Die Rose, p. 197. 3. Car: Clusius,Rar. plantarum historia, Antverpiæ, 161,p.114. 4. Thomas Wright, À history of domestic manners and senti- ments in England during the middle Ages, p. 243. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. L'on siècle suivant cultivées, non seulement pour l’agré- ment, mais encore pour servir à la distillation ?, ainsi que cela se faisait d’ailleurs en France. Ainsi qu'en France et en Allemagne aussi, depuis la fin du moyen âge les roses se multiplient en Angleterre : nul pays n’en connaissait un plus grand nombre d'espèces vers la fin du xvi° siècle. Mais à quels procédés avait-on recours dans la culture des rosiers ? Le Ménagier de Paris se borne à recommander de les planter, ainsi que les oignons de lis et les groseilliers, après la septembresse*. Pierre de Crescence est plus explicite ; 1l n'a guère fait cependant que résumer les enseignements de Pline et de Palladius. On plante les rosiers, dit son traducteur”, par plantes et vergètes divisées en petites parties et mises en semoir ou semence jetée en semoir“. La semence est recueillie dedans les boutons rouges et congnoist on leur meureté quant apres vendanges les dictz boutons deviennent jaunes et molz. Se les rosiers sont vieilz on les doit fouyr autour et retailler le secq et peuvent estre retaillez (re- produits) les rosiers tendres et foibles par leurs gettons *. Pierre de Crescence ayant été bientôt connu en . Thomas Wright, op. laud., p. 301. . Vol. II, p. 49. La septembresse est Notre-Dame de septembre. avi, chap. 22h; tol. p: 1 &. « Plantantur autem plantulis et virgultis in parvas particulas CO D Le divisis, et in seminario satis seminibus ». P. 273. On voit que par semoir le traducteur veut dire pépinières, et qu'il a fait un demi contresens. 5. « Si qua sunt antiqua rosaria circumfodiantur, et ariditas 188 LA ROSE AU MOYEN AGE. original dans tous les pays et traduit dans presque toutes les langues de l'Europe, ses préceptes peuvent ètre considérés comme l'expression exacte de ce que dut être dans les derniers temps du moyen âge la culture de la rose chez les nations romanes et ger- maniques. On ne la poussa point d’abord jusqu’à créer des espèces nouvelles et pendant longtemps on se contenta des roses blanches et rouges que l’on possédait depuis des siècles. On sut encore moins obtenir des roses remontantes ; mais comme on dési- rait néanmoins avoir ces fleurs en toute saison, on s’efforça de les conserver bien après l’époque de leur floraison. Le Ménagier de Paris donne une recette pour « garder les roses en yver ». Elle consistait à mettre des boutons non encore complètement épa- nouis dans une bouteille ou un tonnelet, avec du sable ou sans sable ; on bouchait hermétiquement le vase, puis on le plongeait dans un courant d’eau vive. Ce procédé primitif ne pouvait longtemps satis- faire; les Géoponiques avaient d'ailleurs, ce qui valait mieux, indiqué le moyen d’avoir des roses pré- coces et en toute saison. Quand ce recueil précieux, mais resté ignoré de l'Occident jusqu’à l’époque de la Renaissance, y fut enfin connu, on mit en pratique les préceptes qu'il contenait ; Mizauld les énumere longuement dans son livre De la culture des jardins”; reciditur universa. [tem quae rara sunt, possunt virgarum propagine reparari. » 1. Vol. IE, p. 52 et 252. 9. Hortorum secreta, cultus et auxilia. Lutetiae, 1575, in-8, p. 48-49. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT 189 avec les Géoponiques, 1l recommande en particulier, pour obtenir des roses de bonne heure, de mettre les rosiers dans des caisses ou des vases, tenus à l'abri du froid et à une bonne exposition. Ce sont aussi les préceptes du même recueil que l’auteur du Théâtre d'Agriculture, Olivier de: Serre, suivra pour la culture des roses et surtout des roses précoces": Pour avoir des rozes de hastiveau ou fort primeraines, dit-il, convient avancer les Roziers par le fumier. Ce moyen est, qu'estans les Roziers plantés joignant quelque muraille au regard de Midi et par la à l'abri de la bize, soient au mois d'Octobre ou de Novembre deschaussez profondément, et la fosse remplie de bon fumier de cheval meslé parmi un peu de bonne terre; apres durant l'Hyver, tous les huict jours une fois, seront arrousés avec de l'eau tiede... Par telle adresse dans l'Hyver aurez des Rozes, pourvu que les preserviez des gelees, les tenant couvertes. Les soins apportés ainsi maintenant à la culture des roses devaient finir par en multiplier les espèces ; on en recut d'ailleurs des contrées lointaines. La rose de Damas se répandit alors dans toute l’Eu- rope ; il en fut de mème de la rose musquée, venue comme elle d'Orient; d’après Mizauld*, ces deux espèces étaient communes de son temps dans les jardins des gens riches. Claude Mollet connaissait 1. Le théâtre d'agricullure et mesurage des champs, Ge- nève, 1639, in-4, p. 490. 2. « Divitum hortis hodie familiares ». Op. laud., p. 48 b. 190 LA ROSE AU MOYEN AGE. aussi déjà, sinon la première, du moins la seconde ; le célèbre Fugger l’importa à Augsbourg*?. Le même Claude Mollet, dans son Théatre des plans et jardi- nages, distinguait huit espèces de roses cultivées, les mêmes à peu près que le bressan Agostino Gallo ‘; mais ce dernier ne parle pas de la rose jaune à fleurs doubles (À. sulphurea L.), que mentionne, au con- traire, Claude Mollet. L'Écluse ne la reçut qu’en 1607*; jusque-là 11 ne la connaissait que par ouïi- dire *. Olivier de Serre, qui parle, de la rose jaune à fleurs simples (À. eglenteria L..), ne fait pas encore mention non plus de la rose jaune double, bien qu’elle ait dù être importée dans la presqu’ile des Balkans peu de temps après la conquête de Cons- tantinople. III. Tandis que la culture des roses se répandait et se développait ainsi chaque jour davantage dans l'Europe 1. Théâtre des plans et jardinages. Paris, 1563, in-#, p. 172. Peut-être par « roses incarnates qu'on emploie pour l’eau de rose » désigne-t-1il les roses de Damas. 2. Schleiden, Die Rose, p. 201. 3. Cité par Loiseleur-Deslongchamps, La Rose, p. 173. 4. Curae posteriores seu plurimarum non ante cognitarum aut descriptarum stirpium..…. novae descriptiones. Raphelen- gli, 1611, p. 12. 5. « Accipio flavas rosas multiplici foliorum serie praeditas ex- CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 191 occidentale et centrale, elle pénétrait aussi chez les peuples scandinaves, comme le montre sa présence, avec le lis, dans leurs légendes et leurs chansons popu- laires. Elle y fut, ce semble, importée par les ordres religieux, les véritables créateurs, dans les pays du Nord, de l’horticulture, restée à peu près inconnue des populations païennes de ces contrées, mais l’une des occupations favorites des cénobites chrétiens‘. À quelle époque la rose commenca-t-elle à être cultivée dans les jardins des couvents scandinaves ? Il est dificile de le dire ; mais il est vraisemblable que les religieux étrangers établis en Scandinavie ne purent manquer longtemps d’y faire venir des rosiers, avec les autres plantes, arbres ou arbustes qu'ils prirent à cœur d'importer dans leur patrie d'adoption *. C’est ce que fit entre autres, à la fin du xn° siècle, Guillaume, abbé d'Eskilsô, religieux de l’abbaye de Sainte-Geneviève de Paris. Appelé, en 1165, par l’évêque Absalon en Danemark”, on le voit, dans une lettre écrite par lui, entre 1192-1194, au moine Etienne, « s’en remettre aux bons soins » de tare. » Rariorum plantarum historia. Antverpiae, 1601, in-fol., p. 114. 1. F. C. Schübeler, Die Culturpflanzen Norwegens, mit einem Anhange über die altnorwegische Landswirtschaft. Christiania, 1862, in-4,p. 1684. 2. « Die Münche brachten Osthäume, Wurzeln, Kräuter und Blumen vom Auslande mit sich ». F. GC. Schübeler, 1bid. 3. Il mourut en 1202. Rasmus Nyerup, Æistorisk-statistike Skildringer af Tilstanden i Danmark og Norge i aeldre og nyere Tider. Kjôbenhavn, 1803. in-12, vol.-I, p. 166. 192 LA ROSE AU MOYEN AGE. ce frère pour lui envoyer, de France probablement, des graines de divers légumes et herbes, ainsi que des drageons et des greffes d'arbres’. Y avait-il parmi ces arbres ou arbustes des rosiers? Je l’ignore ; mais moins d’un demi-siècle plus tard, Henri Har- pestreng, dans sa pharmacopée *, énumérait longue- ment les propriétés médicinales de la rose, et comme il parle d’une préparation faite avec des roses fraîches, il n’est guère douteux que ces fleurs ne fussent déjà cultivées en Danemark. Elles ne durent pas tarder non plus à l’être en Norvège et en Suède. La culture fut poussée très loin dans les jardins des couvents que les religieux de l’ordre de Cîteaux fondèrent dans le premier de ces deux pays; et on rencontre aujourd'hui encore natu- ralisées dans la contrée où se trouvait en parti- culier celui de Hovedô, près Christiania, des plantes non indigènes qui n'existent ailleurs que cultivées. Lorsque les poètes nationaux parleront de la rose et lui emprunteront, ainsi qu'au lis, quelques-unes de leurs plus gracieuses comparaisons, ils pourront bien le faire à l’imitation de leurs modèles de France ou d'Allemagne, mais ils seront compris de tous 1. « Caeterorum olerum semina et herbarum diversarum atque radicum et arborum surculos tuae nobis prudentiae providere relin- _quimus ». Jacobus Langenbeck, Scriptores rerum danicarum medit aevi. Hauniae, 1786, in-fol. vol. VI, p. 75, ep. Lxxvi. 2. Danske Laegebog fra det 13de Aarhundrede, fürste Gang udgivet efter et Pergamenthaandskrift i der store kongelige Bibliothek, med Indledning, Anmärkninger og Glossarium, af Christian Molbech. Kjühenhavn, 1826, in-8, p. 88. CULTURE DE LA ROSE EN OCCIDENT. 193 leurs compatriotes, puisqu'ils chanteront des fleurs connues aussi d’eux tous. . La rose fut connue chez les peuples slaves, comme chez les nations scandinaves, après leur conversion au christianisme, et peut-être mème plus tôt chez quelques-uns d’entre eux ; il faut ici, en effet, distinguer entre les Slaves méridionaux et les Slaves septentrionaux et occidentaux. Les premiers trou- vèrent la rose cultivée à leur arrivée dans le nord de la péninsule des Balkans, habitée à la fois par les Grecs de la Macédoine et par les populations romanes de la Mésie et de la Dacie ; c’est d’eux qu'ils reçu- rent la rose ; de là les deux noms que cette fleur porte chez ces peuples ; l’un d’origine hellénique, trendiphil (gr. m. retavrägurxho ‘), usité en Bulgarie et, sous la forme troianda, dans l'Ukraine et la Russie méridionale, l’autre d’origine latine”, slavon roja, bulg. rouzt, serbe rouja et rosa, rousa dans le dia- lecte de Raguse*. 1. Bern. Langkavel, Botanik der spaeteren Griechen. Berlin, 1866, in-8, p. 7, donne encore les formes roavräouAhov et rotaxoyra- gu A0. 2. Le nom roumain de la rose est rosa et dans certaines localités rousa. À. T. Laurienu si J. C. Massimu, Dictionariulu limbei romane. Bucuresci, 1876, in-8, s. v. 3. Miklosisch, ZLexicon palæo-slovenico- graeco - latinum. Vindebonae, 1862-65, in-8, s. v. À ces mots il faudrait ajouter le vocable gjul, emprunté plus tard aux Turcs par les Bulgares. &. « Das Serbische hat fur die Rose eine zweifache Benennung ruza und rosa, rusa ; in beiden Formen ist es entlehnt, nur ist es in der ersteren eine jungere, in der letzteren, in Dalmatien üblichen JORET. La Rose. 13 194 LA ROSE AU MOYEN AGE. Quant aux Slaves septentrionaux et occidentaux, il est évident qu’ils ont connu la rose beaucoup plus tard que leurs frères du Sud, et ils l'ont peut-être reçue à la fois par l'intermédiaire de ces derniers et des Allemands ; mais de quelque côté qu’elle leur soit venue, les noms qu'elle porte chez eux sont, comme chez les Slaves méridionaux, d’origine latine : russe roja, pol. ro3a, lith. ro I au milieu des jardins ». L’éclosion de la rose sert aussi à Jawan pour décrire cette saison charmante, en son roman de Barah Maça* : Le printemps arrive pompeusement dans le monde. La rose à cent feuilles s’'épanouit en tous lieux. La beauté 1. Voir plus haut, chap. [, seconde partie, p. 15. 2. Garcin de Tassy, /Zistoire de la littérature hindoutr et hindoustani, vol. IF, p. 314. 3. Garcin de Tassy, Op. laud, vol: IE, p. 479 et suivantes. 216 LA ROSE AU MOYEN AGE. de la rose en bouton fait l'admiration du monde et lui donne le contentement. Assis au milieu des roses, tous se revêtent d’un vêtement printanier. Et après avoir énuméré les divers arbres ou plantes dont les fleurs parfument alors les airs ou parent les jardins, tels que les maulsari (Mimusops elengi), les manguiers, les jasmins jaunes, etc., le poète dit que « la rose — il s’agit de l’espèce à cent feuilles — les illumine, en y montrant réunies « les couleurs de l'amant et de sa maitresse! », et en y répandant un parfum qu’on sent jusqu'au Khoutan”. Son cœur se dilate, ajoute-t-il, quand il se promène au milieu des roses, ou qu'avec ses amis il boit un vin couleur de rose. Ailleurs® 1l nous montre une jeune fille plaçant une rose à son oreille, tandis qu'une autre en attache un bouquet à son corsage. Il vante aussi la Séoli — la rose glanduleuse* — « qui remplit les jardins de son éclat ». Ainsi la rose à cent feuilles et ses variétés ont fini par pénétrer à la fois dans la culture et dans la poésie de l’Hindoustan ; toutefois ce n’est que longtemps après la fin du moyen âge que j'ai réussi à en trouver => Le vert du calice et le rose des pétales. Lo Partie de la Tartarie où l’on trouve le musc. Op. laud., vol. If, p. 495. © _s Rosa glandulifera Roxb. Elle était à fleurs blanches. Roxburgh (Flora indica, vol. IE, p. 51%) dit qu'on lui donne le nom de Sheouti gulab (rose douce). LA ROSE DANS LA POÉSIE DE L'ORIENT. 211 la trace. Aussi je ne crois pas devoir m'’étendre plus longuement sur le rôle qu'elle y a joué et je n’en ai parlé que pour montrer comment elle a pris place successivement dans la littérature de tous Les peuples indo-européens. IV. La rose occupait une trop grande place dans les fictions des Orientaux pour que leurs poètes, comme ceux et encore plus que ceux de la Grèce et de Rome, ne lui aient pas emprunté les images les plus gra- cieuses et les plus variées. [ls comparent leur amie à une rose ou mème à une feuille de rose ; c’est pour eux une rose de beauté ; ils parlent des roses de son front et même de ses oreilles, de la rose délicate de ses joues”, de ses lèvres et de son visage, de l’émail rose de ses joues”, mème de son éclat glorieux de roses *. Sa bouche et ses lèvres sont pour eux comme un bouton de rose, ses joues comme les roses de l’Éden ; elles en ont l’éclat rougissant. [ls les comparent à un bouquet de roses entr'ouvertes ; pour eux enfin sa bouche et ses lèvres ressemblent à une rose vermeille qui sourit, son sein à la nesrin 1. « Ses joues se composent de tendres feuilles des roses. » Firdousi, ap. Jolowicz, Op. laud., p. 462. 2. Der Diwan von Hafñis, vol. IL, p. 23, XIV, v. 3. 5. Anszari, Wamik und Asra, das ust der glühende und die 29 kühlende, übersetzt von Joseph von Hammer. Wien, 1833, in-8, P- 47 218 LA ROSE AU MOYEN AGE. ou rose blanche‘. Son visage, remarque l’un d’eux, rougit comme la rose pourpre au lever de l'aurore. Sa taille élancée, dit Anszari ?, se balance comme les bosquets de roses et les moissons d’œillets au souffle du printemps. Et Djami n’a pas hésité à dire d’une de ses héroïnes, Suleika, que « la rose de son bonheur s’'épanouit dans toute sa fraîcheur »; 1l parle égale- ment d'une «rose cueillie sur le rosier de lespé- rance * ». Mais les poètes orientaux ne se sont pas bornés à comparer leur amie à la rose, 1ls comparent aussi, ce qui leur est particulier, la rose à leur amie. Nous avons vu * un poète arabe dire que le bouton de rose qui s’entr'ouvre est semblable aux lèvres d’une jeune beauté ; on pourrait croire que c’est là une simple imitation de vers connus du persan Anvwari* : La brise embaumée du matin répandait sur ce parterre une odeur suave ; le jasmin qui l'ornait avait les charmes des joues de ma maîtresse ; le bouton de la rose entr'ouvert par le zéphyr matinal était semblable à la jeune beauté qui entr'ouvre à demi les lèvres pour sourire à son ami. 1. Joseph von Hammer, Geschichte der schünen Redekünste Persiens, p. 29-32. Wamik und Asra, p. 12. . Schleiden, Die Rose, p. 253. 4. Cf. plus haut p. 212. 5. Traduction de Garcin de Tassy, cité par Trébutien, Op. laud., Co D vol. LIT p. 397, note. LA ROSE DANS LA POÉSIE DE L'ORIENT. 219 Le contraste offert par la beauté de la rose et Les épines qui l'entourent devait frapper les poètes de l'Orient, comme ceux de l'antiquité. Hafiz entre autres en a tiré plus d’une comparaison ingénieuse : On ne peut vivre, dit-il, par exemple, dans un de ses chazels!, sans que les gens parlent de vous; on ne peut cueillir de roses sans que les épines vous piquent. Les poètes hindous modernes devaient rivaliser dans l'emploi métaphorique de la rose avec leurs modèles de l'Iran. Sa bouche, fait dire Tahcin-Uddin de Kamrup à la suivante de Kala?, ressemble à un bouton de rose. Le bouton du cœur, dit un autre poëte hindou*, s'épanouit comme une rose. Et ailleurs‘ : Dans le jardin du monde sont disséminées les roses de l'espérance, que les hommes cueillent à l’envi. VE Les poètes de la Perse ne se sont pas bornés à chanter dans la rose la reine des fleurs, à en faire, 4. Cité par Schleiden, Die Rose, p. 246. 2. Les aventures de Kamrup, traduites de l'hindoustani par Garcin de Tassy. Paris, 1834, in-8, p. 20. 3. Garcin de Tassy, Zistoire de la littérature hindoui, vol. IF, p- 473. 4, Garcin de Tassy, Op. laud., vol. IT, p. 477. 290 LA ROSE AU MOYEN AGE. comme leurs devanciers de la Grèce et de Rome, le symbole de la beauté et de la grâce, ils lui ont donné une vie réelle et ont placé à côté d’elle le rossignol comme son admirateur et son ami. Cette fiction des amours du rossignol et de la rose, dit Joseph von Hammer!, est un des mythes les plus anciens et les plus gracieux de la poésie persane, un mythe aussi gracieux et aussi ancien que les bocages de roses de l'Iran, où, déjà avant Firdousi, le rossignol s'exprimait en pehlvi? ou en zend*. La rose aux cent feuilles (Gül sad berg) est la reine de beauté dans l’em- pire des fleurs, le rossignol aux mille voix (Hesar das istan), le roi des oiseaux chanteurs, et tous deux sont les compagnons du printemps, la saison de la Jeunesse et de la joie. Alors la rose brille dans son orgueil et sourit dans sa joie, tandis que le rossignol gémissant et suppliant dit à la nuit les douleurs de son amour. Là où fleurissent les roses, gazouillent aussi les rossignols, sans cesser, sous les mille formes changeantes de leur chant harmonieux, de déclarer leur amour à la rose, tandis que celle-ci se réjouit, insoucieuse, de la vie, et ne prend pas garde à la plainte attristée du rossignol. Sans trêve ce dernier, quoique non payé de retour, chante de son amour, et, modèle d’amouret de fidélité, il invite à l'amour le voyageur. Aussi est-il à vrai dire la seule 4. Geschichte der schônen Redekünste Persiens, p. 25. 2. « Hier encore, dit le poète Hafiz, perché sur les branches d'un haut cyprès, le rossignol tenait en pelhvi les assises de l'amour. » Joseph von Hammer, Der Diwan von M. Schemsed-din Hafis, vol. II, p. 389. 3. C'est-à-dire, dans la langue des anciens Perses; de Hammer se sert du mot altpersisch. LA ROSÉ ET LE ROSSIGNOL. 291 muse des orientaux, qu'ils ne manquent jamais d'invo- quer au début de chacun de leurs chants. On ne pouvait mieux caractériser cette fiction, laquelle, suivant le mot de Gœthe”, remplace pour les peuples de l'Iran la mythologie qui leur fait défaut. On comprend d’après cela la place considé- rable qu'elle occupe dans les œuvres de leurs poètes. On la rencontre chez les plus anciens, comme chez les plus récents d’entre eux. Déjà Firdousi lui a donné place dans ses plus belles descriptions : Le rossignol, dit-il ?, dans une pièce de vers que J'ai citée en partie, se plaint dans le bocage; à ses chants la rose répond en soupirant. Ce poète s’est méme servi de la succession des amours du rossignol et de la rose pour compter le temps ; Soixante-dix fois, fait-il dire à un de ses personnages”, la rose avait fleuri, soixante-dix fois elle s'était fanée, et le rossignol l'avait chantée et s'était tu soixante-dix fois. À la même époque, tant cette fiction était devenue d’un emploi ordinaire, on voit le poète Anszari com- parer les doux entretiens de deux amants à ceux 1. Westüstlicher Diwan (Noten und Ablandlungen. Allge- meines): « Rose und Nachtigall nehmen den Platz ein von Apoll und Daphne. » 2. Voir plus haut, p. 13 3. Jolowicz, Der poetische Orient, p. 442, 2. Trad. de Heine. 299 LA ROSE AU MOYEN AGE. nn qu'au retour du printemps le rossignol a dans Île bocage avec la rose à Mais c'est Ferid-eddin-Attar, qui le premier a donné à cette gracieuse fiction tout son développe- men ; dans la Diète des oiseaux, il nous montre « le rossignol ivre d'amour » et, ravi par la beauté de la rose, oubliant abimé dans sa passion sa propre existence : Je ne pense, dit-il?, qu'à l'amour de la rose, ne désire rien que la rose. Le rossignol suffit à la rose ; pour lui s'épanouit sa centuple corolle. À mon gré la rose fleurit et me sourit avec une douce joie. Quand elle me sourit dans sa fleur, la joie éclate sur mon front. Que serait une seule nuit passée loin de ma bien-aimée ? Ces derniers vers nous montrent clairement le sens de l’allégorie qui se cache sous cette fiction ; gul — la rose — n'est autre que l’amie du poète, bulbul — le rossignol — le poète lui-même. Ce sont ses amours que celui-c1 raconte ou chante sous ces noms empruntés ; c'est là « le secret, comme s’ex- prime Djelal-eddin-Roumi”, que la langue du lis raconte à l'oreille des cyprès ». C’est ainsi que Hafñz en particulier à entendu les amours du rossi- Le So pflesten diese Liebenden zu kosen, Wie in dem Rosenhain, zur Rosenzeit, Die Nachtigallen sprechen zu den Rosen In ungetrübter Ruh’ und Heïterkeit. Wamik und Asra, p. 33. 2, Joseph von Hammer, Geschichte der schünen Redekünste Persiens, p. 144. 8. Voir plus haut, p. 167. LA ROSE ET LE ROSSIGNOL 22 Le gnol et de la rose. Comment se méprendre sur le sens qu'il y attache, quand, à la fin d’un de ses ghazels, il s’écrie : « Viens et sois une rose pour le rossignol ? » Le poète anacréontique revient sans cesse sur cette fiction, à laquelle il doit peut-être ses plus beaux vers : Plains-toi, plains-toi, Bulbul, s’écrie-t-11l dans un de ses ghazels {, si tu es mon ami; tous deux nous sommes épris, la plainte nous sied. » Et dans un autre ghazel* : De bonne heure, je suis allé dans mon jardin pour cueillir des roses ; la voix du rossignol est venue frapper mes oreilles. Ah! l'infortuné est comme moi épris des roses, aussi pleure-t-il en accents plaintifs dans le bocage. Et ailleurs encore * : Séduit par le parfum des roses, de grand matin je suis allé dans leurs bosquets, pour calmer, semblable au rossignol, ma tête enivrée. D'un œil fixe j'ai regardé face à face et dans les yeux la rose qui à l'aube brillait comme une lampe. Elle était fière et de sa beauté et de sa Jeunesse, parce que le rossignol est tout à elle. Jamais Hafiz n'a été mieux inspiré que par cette fiction ; qu’on en juge par le ghazel suivant, où se 1. Der Diwan von Hafis, vol. I, p.101, XXXVIL, v. 1-2. 2. Der Diwan von Hafis, vol. IT, p. 405, XXX VIII, v. 1-5. 3. Der Diwan von Hafis, vol. IE, p. 110, I, v. 1-2. 224 LA ROSE AU MOYEN AGE. fait entendre, chose rare chez lui, un accent sincère et profond ‘ : J'ai salué au matin la plaine couverte de perles de rosée; la nature de son sourire faisait par myriades éclore les roses. Alors j'ai entendu les douces plaintes du rossignol. Elles révélaient les tourments que son cœur éprouve... O rossignol, ton chagrin, que je le comprends bien ; pour nous deux l'amour nest que peine. Quoi de plus gracieux encore que ces vers, qu'on r prendrait pour une épigramme de l’anthologie grecque * Sache-le, à rose, il ne te sied pas d'être si fière de ta beauté, que dans ton orgueil tu ne daignes même pas t'informer du triste rossignol. Cette note attristée et résignée à la fois se retrouve avec le même charme dans les deux ghazels sui- vants : Écoutez, le rossignol chante de nouveau dans les branches des cyprès; qu'un œil malveillant n'ose point regarder la rose ! Rose, dans l'ivresse du bonheur d'être une sultane de beauté, ne t'éloigne pas si fièrement des pauvres rossignols *. 1. Jolowicz, Der poetische Orient, p. 557. 2. Der Diwan von Hañfis, vol. Il, p. 19, XI, v. 1-4 Der poetische Orient, p. 553. 3. Jolowicz, Der poetische Orient. On reconnait là la source des vers célèbres de Byron dans le Giaour, x. 21-24. The rose o'er crag or vale Sultane of the nightingale, The maid for whom his melody His thousand songs are heard on high. LA ROSE ET LE ROSSIGNOL 295 Le rossignol songe comment il pourrait faire de la rose son amie; mais la rose ne pense qu'à faire souffrir le rossignol . Cette fiction offrait aux poètes persans un moyen trop commode d'exprimer leurs sentiments cachés, pour qu'ils ne lui aient pas eu toujours recours ; on la rencontre aussi à chaque instant dans leurs vers ; parmi ceux qui s'en sont servis après Hafiz Je n’en citerai qu'un, Kiatibi, qui a rivalisé de grâce, mais encore plus d’afféterie avec son prédécesseur; 1l appartient à la période de décadence de la littérature persane”. Dans son Poème des roses, 1l nous montre Bulbul — c'est-à-dire lui-même —, chantant, retenu par l'amour, sur un cyprès. » O toi, s'écrie-t-1l*, dont la bouche est un vrai bouton de roses, tant que tu demeures ici, Je n'ai point d'ailes (pour m'envoler), blessé que je suis par l'enivrement de ton regard. C’est là d'ailleurs le seul passage où l’on trouve quelque vérité de sentiment ; le reste du poème est un simple jeu de l'imagination, et Île monde des fleurs et des animaux n’y est qu’une machinerie dont le poète se sert pour éblouir le lecteur. 1. Der Diwan von Hafñfis, vol. I, p. 59, IT, v. 1-4. 2. Kiatibi mourut de la peste en 1435. 3. Joseph von Hammer, Geschichte der schünen Redekünste Persiens, p. 282. Voici le début du poème de Kiatibi ; il peut donner une idée de sa manière : « Les roses reviennent dans la plaine, les flacons du ciel versent sur terre de l’eau de rose; le printemps prend une livrée verte et rouge, etc. » Jorer. La Roïe. 15 226 LA ROSE AU MOYEN AGE. Tout autre avait été Saadi; l’auteur du Gulistan a, lui aussi, mis en œuvre l’allécorie des amours du rossignol et de la rose, mais pour en faire sortir une de ces vérités morales qui lui sont chères. Dans sa fable du rossignol et de la fourmi, sujet de la pre- mière des fables de La Fontaine, qui a remplacé le roi des oiseaux chanteurs par la cigale, Saadi nous montre le rossignol qui voltige jour et nuit autour des bosquets de rose, en répandant ses chants aux mélodies enchanteresses”. Tandis que la fourmi peine et fatigue, 1l s’entretient de ses secrets avec la rose et prend le zéphir pour confident. Cependant l'automne vient, les vents dépouillent les arbres de leur parure, les feuilles jaunissent et tombent. Les frimas ont succédé aux tièdes zéphyrs. Le rossignol revient visiter les parterres qui l'avaient charmé, mais il n'y retrouve plus, ni l'éclat des roses, ni le parfum des jasmins. Le cœur lui défalle en présence du bocage dépouillé de ses feuilles, sa voix s'arrête dans son gosier au milieu du silence universel et cesse de se faire entendre. Nu et affamé, il na d'autre recours que d'aller demander à la fourmi l’'aumône de quelques graines, mais l’économe ouvrière le refuse : Tu passais les nuits, lui dit-elle, en entretiens amou- reux, tu n'étais occupé que des charmes de la rose et des joies du printemps; ne savais-tu pas qu'au printemps 1. Joseph von Hammer, Geschichte der schünen Redekünste Persiens, p. 207. (A) LA ROSE ET LE ROSSIGNOL. Cr: succède l'automne et que tout chemin conduit au désert ? Ici les amours du rossignol et de la rose servent seulement de cadre au récit du poète; ils n’en sont pas le sujet même. Chez Saadi, ainsi que chez ses prédécesseurs ou ses émules, l'allégorie, quelque complète qu’elle soit, n’en est pas moins renfermée dans des proportions modestes ; 1l n’en fut pas de même chez leurs imitateurs ottomans, qui lui ont donné les développements les plus vastes. L'Tran a été subjugué tour à tour, on le sait, par les Arabes et les Osmanlis, mais tour à tour aussi ces peuples ont subi l'influence littéraire de ceux qu'ils avaient vaincus. Les Arabes ont emprunté aux poètes persans leur langage de convention et quel- ques-unes de leurs fictions ; c’est ce que, six siècles plus tard, a fait également et bien plus encore la poésie ottomane, à qui la poésie iranienne a servi surtout de modèle . Facile, aimable et voluptueuse comme elle, comme elle cherchant ses inspirations dans le monde des sens et de la nature, elle ne pou- vait manquer de lui emprunter la fiction des amours du rossignol et de la rose ; mais ce que n'avait point fait la poésie persane, elle devait, en l’adoptant, lui donner les proportions de l'épopée. 1. Parmi les livres que lit de préférence la princesse Rose, l'héroïne du poème de Fasli, Gul et Bulbul, figurent le Beha- ristan de Djamietle Gulistan de Saadi, avec beaucoup de Diwans. Hammer-Purgstall, Geschichte der osmanischen Dichthunst, vol. IT, p. 311. 298 LA ROSE AU MOYEN AGE. Un poète de cette nation, Fasli, s’en est emparé au xvi* siècle! et en a fait un long poème moral, Gulet Bulbul, dont la Rose est l'héroïne, le Rossignol le héros, et où figurent personnifiés la rosée du matin, le zéphyr, le cyprès, le narcisse, l’hyacinthe, la violette et l’épine avec les quatre saisons de l’année. Le Rossignol éloigné par la fierté de la Rose et repoussé par l’orgueil du roi Printemps, indisposé par l’Hyacinthe, philosophe grognon, fuit désespéré dans la solitude. Il est même jeté en prison, au moment où la Rose, gagnée par le Narcisse et tou- chée par une lettre de son admirateur, se déclare prête à l'écouter. Tandis qu'il gémit dans la capti- vité, n'ayant pour confident que la Violette, les armées du roi Été avagent les états du Printemps ; l’Automne s’interpose, mais bientôt l'Hiver vient achever de détruire les bosquets de roses dévastés par l'Été. Cependant l’année nouvelle ramène le printemps ; la Rose revient trôner au milieu des fleurs qui composent sa cour. Avertie que le Rossi- gnol languit toujours en captivité, elle prend la résolution de le visiter, et, conduite par le Zéphyr, elle se rend auprès de son amant, qu'elle trouve amaiori et si faible qu’il s’évanouit à sa vue. Elle envoie aussitôt demander sa délivrance à son père. Le Rossignol amené devant le roi est remis en liberté. Il se hâte de se rendre auprès de son amante ; tandis qu'il raconte ses aventures et ses chagrins au Cyprès, 4. Fasli est mort en 1563. Hammer-Purgstall, Op. laud., vol. Il, p. 309. LA ROSE ET LE ROSSIGNOL. 229 gardien du palais, la Rose tient une diète, dans laquelle elle confesse devant toutes les fleurs assem- gnol; celui-ci est introduit par le Zéphvr et vivra désormais heureux blées son penchant pour le Rossi dans la société de la Rose. Tel est ce poème gracieux, sous les fictions duquel se cache, nous dit Fasli, un sens profond, car la rose y personnifie l'esprit engendré par la raison, et le rossignol, le cœur, dont l’accord avec la raison constitue le bonheur de la vie humaine. Cette allé- sorle, si elle était entièrement exacte, eût jeté de la froideur sur l’œuvre de Fasli; heureusement l’expli- cation qu'il a donnée a été faite après coup; en réalité la rose, dans tout son poème, n’est que la reine des fleurs, sous l'emblème de laquelle se cache la personne aimée. Telle elle apparaît encore plus dans le poème du contemporain de Fasli, Muidi, Gul et Newrous”. Newrous {le printemps), fils du chah Ferrouch, qui à vu Gul en songe, en est épris et le Rossignol, devenu messager d'amour, porte ses lettres à son amie. Rapprochés par ses soins, les deux amants voient leur bonheur troublé par un message du Zéphyr qui demande la main de Gul pour son maitre, Désespérés 1ls prennent la fuite. Attaqués par des brigands au passage d’un fleuve, ils parviennent à leur échapper, arrivent au bord de la mer et s’em- barquent ; mais ils font naufrage ; Gul tombe entre . 1. Hammer-Purgstall, Op. laud., vol. IT, p. 527-529. 230 LA ROSE AU MOYEN AGE. les mains d’un marchand, qui la conduit au roi Rebu, Newrous est vendu comme esclave au chah de l'Yémen, Bebu, par le pêcheur qui l'a sauvé. Cepen- dant la guerre éclate entre le chah Rebn et Bed ; le général de ce dernier est tué par Newrous ; Gul, pour venger la mort du héros, attaque Newrous, à son tour ; mais les deux amants se reconnaissent bientôt et désormais, réunis, 1ls passent le reste de leur vie dans la joie et le bonheur. CHAPITRE Il LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES La rose avait été trop intimement mêlée aux pra- tiques du paganisme, elle avait joué un rôle trop considérable dans ce que la vie des anciens avait de plus profane, pour n'avoir pas été tout d’abord suspecte au christianisme ; elle fut proscrite aussi par les premiers docteurs de l’Église. Tertullien, en blämant l'emploi des couronnes” condamnait par là même l'usage des roses ; Clément d'Alexandrie pros- crivait également l’emploi des couronnes de fleurs, en particulier de roses et de lis, ainsi que l'usage des parfums*. Prudence se vante de ne se servir, dans ses repas, ni de roses, n1 d’aromates”, et il félicite sainte Eulalie d’avoir toujours dédaigné et méprisé 4. « Neminem dico fidelium coronam capite nosse alias extra tempus tentationis. » De corona, cap. 11, éd. Migne, vol. IT, p. 77. 2. Ov yas apuodtov Éodwy x4AUEL, à Lots, à zptvors, à &Xots tua! Totoùtots AvDeot yaitnv ruxaCes0a: xwuastixiv. Paedagogus, lib. II, cap. 8 (78). d : Hic mihi nulla rosae spolia, Nullus aromate fragrat odor. Cathemerinon, Hyÿmnus ante cibum, v. 21-22. re LA ROSE AU MOYEN AGE. les couronnes de roses, aussi bien que les ornements d’ambre et les colliers d’or’. Mais cette opposition prit fin avec le spectacle des excès auxquels la rose avait été associée. Mer- veille du règne végétal, cette fleur devait bientôt, avec toutes les autres, prendre place dans le culte qu'on rendait au Créateur et aux saints ; les poètes de la religion nouvelle la chantèrent comme l'avaient fait autrefois ceux du paganisme ; le mysticisme chrétien lui attribua une signification symbolique et elle en devint un des emblèmes les plus chers. I: Parure de la terre, la rose ne pouvait manquer dans le Paradis terrestre ; elle y figure au premier rang avec le lis dans toutes les descriptions que nous en ont données les écrivains du moyen âge. Mais, par une conception qui rappelle une des tradi- tions du Bundehesch?, saint Basile” et saint Am- broise ‘ ont supposé qu'elle était alors sans épines”. 1: Spernere succina, flere rosas, Fulva monilia respuere. Peristephanon, Hyÿmnus in honorem Eulaliae, v. 21-22. 2. Voir plus haut, Ile partie, chap. 1, p. 130. 3. De peccato, cap. 10. Dans une épitre adressée à Libanius, Basile parait dire, au contraire, que la nature a donné des aiguil- lons aux roses pour exciter le désir de ceux qui les cueillent. 4. Surrexerat ante floribus immixta terrenis sine spinis rosa et pulcherrimus flos sine ulla fraude vernabat. /exameron, cap. xx, 48. 5. Milton a soigneusement conservé cette légende, quand il parle | LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 299 Elles n'auraient apparu qu'après la désobéissance d'Adam et d'Eve, fiction qui devait être la source d'innombrables comparaisons. L'un des poètes les plus anciens qui aient décrit le Paradis terrestre, Dracontius, nous montre Adam et Eve se promenant dans ce jardin délicieux « au milieu des fleurs et des vastes bosquets de roses »°. L'hiver, dit-il ailleurs?, y produisait des roses; en plein été s’épanouissaient encore les lis empourprés ; toutes les fleurs y étaient parfumées et jamais l'éclat des violettes à la pudique pâleur ne s'y ternissait. Les lis, chante également Avitus*, y brillent sans que le soleil les flétrisse, aucun souffle n'y ternit les vio- lettes et les roses vermeilles y conservent toujours une grâce inaltérable. Dans la description du Paradis que Madoiïous* adresse à son ami Théowulf, l’évèque du vin siècle décrit aussi ce séjour de délices et ses ruisseaux au des fleurs de toute nuance et de roses sans épines qui remplissent les vallées de l'Éden : Flowers of all hue and without thorn the rose. Paradise lost, book IV, v. 256. 1 Tbant per flores et lata rosaria bini. Carmen de Deo, lib. I, v. 437 (Migne, Patrol., vol. IX, p. 754). 2. Et rosulas proferret hiems, servaret et aestas Lilia purpurea, flos omnis staret odore, Nec marceret honos violae pallore decenti. Ibid., Lib. IF, v. 442-244. 3. De initio mundi, Éd. Migne, p. 328. 4. Florigeras sedes, jucundo et murmure rivos Undique stipatos floribus atque rosis. De Paradiso, y. 5-6 (Poctae aevi Car. rec. Duemmler, T, 573). 234 LA ROSE AU MOYEN AGE. doux murmure tout bordés de fleurs et de roses. Deux siècles plus tard, l’auteur de la traduction allemande de la Genèse, dont j'ai parlé plus haut, place également dans le Paradis terrestre des roses et des lis, ainsi que toutes sortes d'herbes aroma- tiques ‘. Milton est resté fidèle à cette tradition et 1l nous montre le berceau fleuri, sous lequel som- meillent Adam et Eve, répandant sur eux « une pluie de roses que renouvelle chaque matin »: on their naked limbs the flowery roof Showered roses, which the morn repaired?. 1. Dans le Paradis, où le conduit son voyage miraculeux, saint Brandan aperçoit de Bels gardins et grant praerie Qui tousjours est verde et florie, Ses flors souef et moult bon flairent. Der Brandan des Arsenal publ. par Th. Auracher, v. 1651-53 (Zeitschrift für rom. Philologie, vol. IT, p. 456). De même dans la « terre nouvelle » que visite le saint, d'après la version en ancien anglais, « le soleil est plus brillant, la joie règne... chaque herbe est couverte de fleurs et chaque arbre de fruits » : Euerech herbe was ful of flowres : and ech treo was ful of fruyt. Vita sancti Brandani abbatis de Hibernia (The early south- english Legendary or lives of saints... ed. by Carl Horstmann. London, 1887, in-8, p. 222). Mais le saint, chose remarquable, n'y voit ni lis, ni roses. Le chevalier Owen n'en aperçoit pas davantage dans le Paradis terrestre où il aborde après sa visite au Purgatoire : Si cum uns prez fust cis pais Herbes i out de bone odur De flors e d'arbres planteis, E gentils fruiz de grant valur. Le Purgatoire de saint Patrice, v. 1587-90. (Poésies de Marie de France... publiées par B. de Roquefort. Paris, 1831, in-8, vol. IT, p. 472). 2. Paradise lost, book IV, v. 772-73, dm LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 235 Par une analogie qui s'explique de soi, on mit aussi des roses dans le séjour des bienheureux, qu'écrivains et poètes, l'identifiant avec le Paradis terrestre, représentent à l’envi comme un lieu de délices, un parterre rempli d'arbres verdoyants et de fleurs parfumées. Il est, dit une inscription funéraire !, entré, à Paradis, dans tes demeures angéliques et tes royaumes brillants d'or, au milieu de tes richesses, et de tes parterres aux gazons embaumés de fleurs divines. Sedulius dépeint également le Paradis et «ses champs remplis de fleurs éternelles *, le charme de ses bosquets entretenu par des eaux toujours vives et ses jardins ravissants où les fruits ne manquent jamais ». « C'est un verger immense, dit Saturus dans les Actes de sainte Perpétue”, rempli de rosiers et de fleurs de toute espèce ». Ailleurs“ 1l nous L- Angelicasque domos intravit et aurea regna, Divitias, Paradise, tuas, flagrantia semper Gramina et habentes divinis floribus hortos. CITES ol RTE" n0 9249, p.122; . ubi flore perenni LL Gramineus blanditur ager, nemorunque voluptas frriguis nutritur aquis, interque benigne Conspicuos pomis non deficientibus hortos. Opus paschale, lib. V, v. 222-25. Cf. Éd. du Méril, Poésies populaires latines. Paris, 1843, in-8, p. 113, note 2. 3. « Spatium grande... quasi vividarium, arbores habens rosae, et omne genus floris. » Acta primorum martyrum sincera et selecta collecta opera et studio Th. Ruinart. Amsteld., 1713, in-fol., cap. x1, p. 98. 4. « In vividario, sub arbore rosae... universi odore inenarrabili 2306 LA ROSE AU MOYEN AGE. peint les martyrs, réunis dans ce jardin céleste, « sous un rosier, et se nourrissant à satiété de par- fums inénarrables. » Dans la patrie des justes, chante Prudence! célébrant l'aurore dela Pâque, la terre est tout embaumée de rosiers aux fleurs empourprées qui la couvrent, et, arrosée par des sources vives, elle y produit de brillants soucis, de molles violettes et le tendre safran. Fortunat, parlant des vierges qui, au ciel, célè- brent dans de divins banquets leurs vœux exaucés, les montre cueillant « l’une des violettes, l’autre des roses »°; et des roses et des lis y sont aussi l’éternel aliment de leurs yeux *. Dans les demeures éclatantes d'or et de pierres pré- cieuses, lit-on dans un hymne de Pierre Damien, mais attribué parfois à saint Augustin“, jamais ne sévissent, alebamur, qui nos satiabat ». /bid., cap. XIIT, p. 99. Cf. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, s. v. Paradis. 4 Ilic purpureis tecta rosariis Omnis fragrat humus, calthaque pinguia Et molles violas et tenues crocos Fundit fonticulis uda fugacibus. Cathemerinon. V. De novo lumine Paschalis sabbati, v. 113-114. 2: Per paridisiacas epulas sua vota canentes, Ista legit violas, carpit et illa rosas. De virginitale, v. 29-50, lib. VII. M Floribus aeternis oculos rosa, lilia pascunt. Ad virgines, v. 11, lib. VIII. Hiems horrens, aestas torrens illic nunquam saeviunt. qe Flos purpureus rosarum ver agit perpetuum, Candent lilia, rubescit crocus, sudat balsamum. Rhythmus de glorita paradisi, v. 13-15, éd. Migne, vol. LI, LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 237 ni les frimas de l'hiver, ni les chaleurs de l'été ; un prin- temps éternel y produit sans cesse la fleur vermeille de la rose; sans cesse y brillent la blancheur du lis et la pourpre du safran et sans cesse y coule le baume. Adam de Perseigne dépeint également le « jardin du ciel » comme rempli de fleurs mystiques au milieu desquelles brille la « rose d'amour »'. Et un vieux poète italien, dans la description de la « Jérusalem céleste »*, la montre arrosée par un beau fleuve, dont les rives sont ombragées d'arbres verdoyants et embellies de lis, de roses, de violettes et d’autres fleurs qui exhalent les plus doux parfums. IT. La rose ne fut pas seulement considérée par les écrivains mystiques du moyen âge comme Îa parure p. 915-16. Migne en avait fait d'abord le chap. xxv1 du Livre des méditations de saint Augustin. 4. Fragmenta Mariana (Migne, Patrol., vol. COXI, p. 750). 2, … per meco un bello flumo ge cor Lo qual e circundao di molto gran verdor D'albore et de çigi e d'altre belle flor De rose et de viole ke rendo grande odor. De Jerusalem celesti et de pulcritudine ejus, etc., v. 89-92. Mussafia, Wonumenti antichi di dialetti italiani. Sitzungsbe- richte der Akademie der Wissenschaften. Wien, vol. XLVI (1864), p. 137. (Il faut rapprocher de cette description celle du jardin céleste dont parle Jacopone de Todi, avec ses forêts chargées de fruits, ses ruisseaux qui fuient parmi les gazons et les fleurs. Ozanam, Des sources poétiques de la Divine Comédie (0Euvres complètes, vol. V, p. 418). 238 LA ROSE AU MOYEN AGE. et l’ornement du paradis et du ciel, ils la regardèrent encore comme le prix de toute action noble et belle, l'emblème de ce qu'il y avait de plus auguste et de plus vénéré dans les croyances chrétiennes. C’est ainsi qu'elle devint le symbole et l'apanage de la Vierge et du Christ. À l'exemple de saint Paul qui exhortait les fidèles à acquérir par une vie exemplaire « une couronne de gloire incorruptible’, » saint Cyprien encourageait les confesseurs et les martyrs de son église à gagner de blanches couronnes de lis et des couronnes ver- meilles de roses. Dans les camps célestes, écrivait-il?, la paix et la lutte ont leurs fleurs propres, dont le soldat du Christ se cou- ronne dans sa gloire. Et rappelant dans un autre ouvrage que Jamais Dieu ne laisserait nos mérites sans récompenses. À ceux qui vainquent dans la paix, disait-il °, il don- nera, en retour de leurs bonnes œuvres, une couronne de lis blancs ; à ceux qui triomphent dans la persécution, en récompense de leur mort, il accordera une couronne de roses vermeilles. 1. Epist. ad Corinthios, Ub. 1, Captt) v. 25. 2. « Floribus ejus (ecclesiae) nec lilia nec rosae desunt.. Accipiant coronas vel de opere candidas, vel de passione purpureas. In caeles- tibus castris et pax et acies habent flores suos, quibus miles Christi ob gloriam coronetur. » Epistola ad martyres et confessores. (Epist., Hib., 1, 8, Migne, p. 249-50). 3. « In pace vincentibus coronam candidam pro operibus dabit, in persecutione purpuream pro passione geminabit. » Liber de opere et eleemosynis, cap. 26 (Éd. Migne, p. 646). LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 239 Saint Jérôme tient le même langage : Le sacrifice d'un cœur pur, écrit-il à Eustochius!, est un martyr, aussi bien que l'effusion du sang pour con- fesser sa foi; par celle-ci on se tresse une couronne de roses et de violettes, par celle-là une couronne de lis. Dans une autre épitre adressée à Rusticus, il fait encore de la rose l’emblème de la pudeur, ainsi que du lis celui de la pureté”. Et ailleurs* on le voit associer les « violettes » des veuves aux « lis des vierges » et aux « roses des martyrs ». Saint Augustin, à son tour, rappelant combien l'Église honore, et la dignité de la vie, et la gloire du martyr, ainsi que la pureté inviolée de la foi, ajoute que n1 les roses ni les lis ne manquent aux ré- compenses qu elle donne”. Ailleurs encore, il dit que 1. « Non solum effusio sanguinis in confessione reputatur, sed devotae quoque mentis servitus immaculata quotidianum martyrium est. Illa corona de rosis et violis plectitur, ista de liliis. » Epist., CVIIL, 31. Ad Eustochium, Epitaphium. Paulae matris. Éd. Migne, vol. I, p. 905. 2. « Non mihi laborandum (est) uti ostendam tibi variorum pulchritudinem florum, quid in se liia habeant puritatis, quid rosa verecundiae possideat ; quid violae purpura promittat in regno. » S. Hieronymi, Epist., CXXV, 2. Ad Rusticum monachum. Éd. Migne, vol. I, p. 1073. 3. « Suscipe viduas, quas inter Virginum lilia et Martyrum rosas, quasi quasdam violas, misceas, » Æpist., LIV, 14. Ad Fu- riam, Dé viduitate servanda. Éd. Migne, vol. I, p. 557. « Est quoque, dit aussi S. Hildefonse, candidum lilium flos Virginum, rosae purpurantis sanguinis martyrum, violae gratia continentium. » Du Cange, s. v. Rosa. &. « Floribus ejus nec rosae, nec lilia desunt. » Sermo CCIX. In festo omnium Sanctorum, 1. Éd. Migne, vol. V, p. 2135. 240 LA ROSE AU MOYEN AGE. Dieu qui, dans la persécution, donne des couronnes de fleurs vermeilles, récompense du martyre, don- nera aussi à ceux qui vivent dans la paix de blanches couronnes, récompense de leurs mérites de justice". On voit par là comment la rose est devenue Île symbole du martyre, comme elle était la récom- pense de ceux qui le souffrent; mais elle devait prendre bien d’autres significations : Il y a trois roses mystiques, suivant Pierre de Mora ?, qui a fait en quelque sorte la théorie du symbolisme de la reine des fleurs; la première est le chœur des mar- tyrs; la seconde, la Vierge des Vierges; la troisième, le médiateur de Dieu et des hommes. La première est rouge, ajoute-t-il,.…. la seconde, blanche... la troisième, rouge et blanche... La première est bonne, la seconde meilleure, la troisième excellente. Et encore : la pre- mière rose naît des épines de la persécution et des héré- tiques. La seconde est sortie des épines de la perversion des Juifs, d'où le proverbe : comme l'épine produit la rose, ainsi la Judée a engendré Marie. La troisième est née sur la tige sortie de la racine de Jessé, suivant la 1. « Qui coronam in persecutione purpuream pro passione do- navit, ipse in pace viventibus pro justitiae meritis dabit et can- didam. » Zbid., vol. V, p. 2137. « Flos rosae, écrit S. Grégoire, qui mira est fragrantia, rutilat et redolet ex cruore martyrum. » Homil. VI, Lib. I. 2. E rosa alphabelica seu ex arte sermocinandi, ap. J. B. Pitra, Spicilegium Solesmense complectens sanctorum patrum scriplorumque ecclesiasticorum anecdota hactenus opera. Paris, 1855, in-8, vol. IIT, p. 490. 3. « Qualis est rosa? Prima rosa est chorus martyrum ; secunda, Virgo Virginum, tertia, mediator Dei et hominum. » LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 241 prédiction d'Isaïe : « Une verge sortira de la racine de Jessé et une fleur surgira de cette racine! ». On a là comme le résumé de ce que les écrivains mystiques ont dit et chanté de la rose depuis les premiers siècles jusqu'à la fin du moyen âge. Pru- dence compare les saints Innocents voués à la mort, « au seuil même de la vie, » par le « persécuteur du Christ », à des roses naissantes que l'ouragan détruit et disperse”*. Le jeune martyr qui vint au devant du captif chré- tien, conduit par Agapius au banquet céleste, portait autour du cou une couronne de roses merveilles. Peu de temps avant son martyre, la bienheureuse Digne vit en songe sainte Agathe portant des roses et des lis dans la main”. « Je suis Agathe, lui dit celle- el, qui jadis ai souffert pour le Christ les plus affreux tourments; Je viens t'apporter une partie de ces présents empourprés, » ajouta-t-elle, en lui offrant des roses vermeilles, présage de son prochain martyre. Saint Ambroise a été jusqu'à dire que la rose est 1. « Prima rosa nascitur ex spinis persecutionis et haereticorum. Secunda rosa orta est ex spinis Judaicae pravitatis, unde Sicut spina rosam, genuit Judaea Mariam. Tertia rosa nata est ex virga de radice Jesse. Isaias. Egredietur virga de radice Jesse et flos de radice ejus ascendet. » 2. Salvete, flores martyrum, Christi insecutor sustulit, Quos lucis ipso in limine Ceu turbo nascentes rosas. Cathemerinon, XI, Hymnus de Epiphania, v. 125-128. 3. E. Le Blant, Les songes et les visions, p. 9. :. Acta sanctorum, vol. TL, p. 646, c. Joret. La Rose. 16 249 LA ROSE AU MUYEN AGE. l’image du sang ou plutôt le sang même du Sei- gneur *. Si Walafrid Strabus se borne à remarquer que le Christ « a coloré les roses par sa mort* », un poète latin du xiv° siècle, reprenant la tradition de saint Ambroise, salue « la rose du sang sorti à torrents de la chair divine du Sauveur * ». Les mysti- ques parlent à chaque instant du « sang couleur de rose du Christ‘ ». « L'effusion de son sang sacré, dit de Jésus l’auteur de la Vigne mystique”, a rougi les feuilles de la rose sanglante de sa souffrance ». Et un poète du xv° siècle compare à des roses vermeilles les cinq plaies sanglantes par lesquelles le Christ a racheté tous les hommes”. Le piétisme 1. « Carpis rosam, hoc est, domini corporis sanguinem ». Com- mentarium in psalmum 118. 2: Morte rosas tingens. Hortulus, XVI, Rosa, v. 35. Ave rosa sanguinis © Fusi more fluminis De carne Salvatoris. Philipp Wackernagel, Das Deutsche Kirchenlied von der ältesten Zeit bis zu Anfang des xvri. Jahrbunderts. Leipzig, in-8, vol. I, 1864, n° 283. 4. « Mundamur roseo sanguine, Christe, tuo, » lit-on au-des- sous d'une image du Christ à Nuremberg. 5. « Rosa passionis effusionibus crebris sacratissimi sanguinis psius specialiter fuit rubricata. » Bernardi opera, WI, 712 (480). 6. Merkt, ihr Kristenleute ! Die Rosen ich euch deute ; Das sein fünf Wunden roth und zart, Damit er uns erlôset hat, Die Frauen und auch die Mann. J. Gürres, Altdeutsche Volks- und Meisterlieder, p. 239. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 243 allemazd a, même après la Réforme, fidèlement constrvé cette comparaison : au xvu siècle Paul Gerhard s’en servira encore. Elle ne suffit pas à l’ardeur mystique du moyen âge. Saint Bernard est allé plus loin; il a fait de la rose l’image même du Christ dans sa passion : Contemplez, s'écrie-t-il dans une de ses homélies sur les Évangiles !, cette divine rose, où la passion et l'amour se disputent pour lui donner son vif éclat et sa couleur pourprée. Celle-ci lui vient sans nul doute du sang qui coule des plaies du Sauveur... Comme durant une nuit froide la rose demeure fermée et s'entr'ouvre le matin aux premiers rayons du soleil, ainsi cette déli- cieuse fleur qui est Jésus-Chrit a paru se refermer comme par le froid de la nuit, depuis le péché du pre- mier homme, et lorsqu'est venue la plénitude des temps, elle s'est épanouie soudain au soleil de l'amour. Autant de plaies sur le corps du Sauveur, autant de roses ! Regardez ses pieds et ses mains, n'y voyez-vous pas des roses? Mais contemplez surtout la plaie de son cœur entr ouvert! Ici c'est plus encore la couleur de la rose, à cause de l'eau qui coule avec le sang, quand la lance a percé son côté! Ecoutons un autre mystique, qu’on a voulu parfois identifier avec saint Bernard? : 1. Homeliae in Evangelia, hb. IE, cap. 38, ap. Mgr. de la Bouil- lerie, Étude sur le symbolisme chrétien de la nature. Paris, 1866, in-8, 2e édit., p. 267. IV. « Jésus-Christ assimilé à la rose à cause de sa passion. » 2. « Floret in vite nostra, benigno Jesu, nihilominus rosa rubens et ardens : rubens sanguine passionis, ardens igne charitatis, 244 LA ROSE AU MOYEN AGE. Sur notre vigne — le divin Jésus — fleurit une rose vermeille et ardente: vermeille du sang de la passion, ardente du feu de la charité, humide de la rosée des larmes du doux Jésus. Noble rose, dit également un cantique des frères Moraves!, grand est ton amour; Seigneur, tes plaies couleur de rose ont triomphé du péché, du démon et de la mort. Un vieux lied, qu'on rencontre à la fois en Alle- magne et en Hollande, en Suède et en Danemark, a mis en œuvre d’une manière dramatique ces compa- raisons mystiques de la rose et des plaies du Sau- veur”. À la première heure du jour, la fille du sultan est allée cueillir des fleurs dans le jardin de son père; la vue des belles fleurs, toutes brillantes de rosée, élève son cœur vers celui qui les a créées; elle l’adore sans le connaitre et souhaite de le voir. Et voilà que le jour suivant à minuit, le Christ lui :L roscida effusione lacrymarum dulcissimi Jesu ». Witis mystica, cap. xxxu1, 121 (Migne, Patrol., vol. 184, p. 708). « Il nous faut, dit-il encore, unir la rose de la souffrance à la rose de la charité, afin que la rose de la charité rougisse dans la souffrance et que la rose de la souffrance brûle du feu de la charité. » Necessarium habemus rosam passionis rosae charitatis conjungere : ut rosa chari- tatis in passione erubescat et rosa passionis igne charitatis ardescat. Cap. xxxv, 126. 1. Du edle Ros', Dein Lieb ist gross, Herr, durch die rosinfarbnen Wunden Hast du Sünd, Teufel und Tod überwunden. Paul Cassel, ose und Nachtigall, p. 22. 2. Hoffmann von Fallersleben, Niederlaendische Volkslieder. Hannover, 1856, in-8, n° 199, p. 345-353. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 245 apparaît sous la figure d’un beau jeune homme: elle s'étonne et lui demande comment il a pénétré dans la demeure royale. Et Jésus lui répond qu'il a quitté pour elle le royaume du ciel et qu’il est le maître des fleurs. Seigneur, s’écrie-t-elle alors, y a-t-il loin d’iei au jardin de ton père? Je voudrais bien en soigner les fleurs pendant toute l’éternité. « Mon jardin, reprend Jésus, est situé à des milliers, milliers de lieues, » et il lui offre une couronne vermeille, présent de fiançailles, qu’elle accepte. À ce moment les blessures du Christ s’ouvrent. « O bien-aimé, s’écrie-t-elle, pourquoi ton cœur est-il si rouge ? Tes mains se couvrent de roses ? » — « Mon cœur saigne pour toi, répond Jésus”, pour toi je porte ces roses ; je les ai cueillies dans la mort, en versant mon sang pour toi. Mon père m'appelle, à fiancée; viens, je t’ai conquise depuis longtemps. » Elle a eu confiance en l’amour de Jésus, dit le poète en terminant; une couronne lui est tressée au ciel. Mais quelque habituelle que soit la comparaison de Jésus et de sa passion avec une rose, la compa- raison de la Vierge avec cette fleur se rencontre encore plus fréquemment au moyen âge. Symbole de la grâce pudique, la reine des fleurs devint alors, il en sera de même et plus encore à l’époque de la Renaissance, l'apanage naturel de la reine des anges; de Mein Herz, das ist um dich so roth, Für dich trag’ ich die Rosen Ich brach sie dir im Liebestod, Als ich mein Blut vergossen. Des Knaben Wunderhorn, Berlin, 1873, vol. 1, 61. t9 46 LA ROSE AU MOYEN AGE. elle en fut la compagne inséparable, comme l’em- blème habituel. Chaque fois qu'elle se manifeste aux hommes, des roses naissent sous ses pas. Des roses sont sa parure accoutumée. Suivant une tradition, peu ancienne il est vrai, quand Marie monta au ciel, elle laissa son tombeau rempli de roses”. C’est à une rose aussi que depuis le xu° siècle la comparent le plus souvent les écrivains mystiques, poètes ou prosateurs. Pour Fortunat, Marie n’est encore que la verge sortie de la racine fleurie de Jessé et qui porte des fruits”. Fulbert de Chartres ne voit aussi en elle que la verge dont Jésus est la fleur divine : Jessé * a produit une verge, et cette verge une fleur ; sur cette verge repose l'esprit saint; la verge est la Vierge, mère de Dieu, et la fleur son fils. Mais les choses changent quand on arrive à saint 1. Jacob de Voragine l’ignore encore : « Sepulcrum aperientes, dit-il, corpus minime invenerunt, sed tantum vestimenta et sindonem reperunt ». Legenda aurea, rec. Th. Graesse. Dresdae, 1846, in-8, cap. cxix, De assumtione sanctae Mariae Virginis. Dans la première moitié du xvie siècle, Ribadeneyra ne parle pas davantage de cette légende ; on la trouve déjà représentée cependant dans des enluminures du siècle précédent. 74 Radix Jesse floruit Et virga fructum edidit. Miscellanea, Gb. VIIT, cap. 9. . Stirps Jesse virgam producit virgaque florem, Et super hunc florem requiescit spiritus almus, Virgo, Dei genitrix, virga est, flos, filius ejus. De beata Virgine, v. 4-6 (Hymni et Carmina ecclesiastica, éd. Migne, XI, p. 356). Cette comparaison se rencontre à chaque instant LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 247 Bernard; avec lui la Vierge est devenue une rose et telle elle apparaîtra désormais. Après avoir opposé à Eve, « l’épine qui a apporté la mort dans le monde, » Marie, « la rose source de salut pour tous les hommes, » le célèbre mystique poursuit ainsi cette comparaison de la mère du Sauveur avec la reine des fleurs ‘ : Marie a été une rose, blanche par sa virginité, ver- meille par sa charité; blanche par la chair, vermeille par l'esprit; blanche par la pratique de la vertu, ver- meille par l'écrasement du vice; blanche en purifiant les passions, vermeille par l'esprit en mortifiant les ap- pétits charnels ; blanche par l'amour de Dieu, vermeille par sa compassion pour le prochain. Si les poètes religieux n’ont point imité toutes ces antithèses scholastiques, ils ont varié à l'infini chez les écrivains mystiques, poètes ou prosateurs, du moyen âge. Voici comment l’a mise en œuvre un trouvère du xrrre siècle. Se nos dist Isaïe en une profesie c'une verge d'Egipte de Jesse espanie istroit par signorie de tres grant biaulteit. celle verge d'Egipte est la virge Marie, la flor nos senefie de ceu ne doutes mie. Wilh. Wackernagel, Altfranzoesische, Lieder und Leiche, Basel, 1846, in-8, p. 66, n° XLIL, str. 2 et 3. 1. Maria rosa fuit candida per virginitatem, rubicunda per cha- ritatem : candida, carne : rubicunda, mente : candida, virtutem sec- tando ; rubicunda, vitia calcando ; candida, affectum purificando ; rubicunda, actum carnalem mortificando ; candida, Deum diligendo ; rubicunda, proximo compatiendo. Sermo de beata Maria, vol. UT, p- 1020, éd. Migne. 248 LA ROSE AU MOYEN AGE. les comparaisons de la Vierge’ avec la rose. La double couleur de cette fleur, le vermeil éclat de sa corolle, son parfum, les épines au milieu desquelles elle croît, offraient autant d'images allégoriques qu'ils ont à l’envi appliquées à la mère du Sauveur. Adam de Saint-Victor la salue comme « un myrte de tempé- pérance, une rose de patience, le nard odorant* »; pour saint Bonaventure c'est « une rose sans épines, remède des pécheurs* » ; elle lui apparait comme « douée d’une beauté suprème », et, comparaison souvent répétée”, « plus vermeille que la rose, plus blanche que le lis ° ». Marie, dit Albert de Regensbourgf, est une rose fleurie sortie de la souche cuopable d'Éve, notre mère commune...» « Elle est, dit-1l encore, pourpre comme la violette, brillante de rosée comme la rose, blanche à l'égal des lis7. 1. Léon Gautier, Prières à la Vierge. Paris, 1874,in-32, p.339. AR Salve, decus Virginum, myrtus temperantiae, rosa palientiae, nardus odorifera. Philipp Wackernagel, Das deutsche Kirchenlied, n° 194%, IV, v. 1-4. eo: Eia, rosa sine spina, peccatorum medicina. Jbid'; n° 229;-XE, x: 1-2. . On la trouve encore dans l'hymne anonyme n° 297. O1 Æ Tu es illa speciosa, qua nulla est pulcrior, rubicunda plus quam rosa, lilio candidior. Ibid., n° 228, I, v. 5-8. Cf. Man. lat. 1196, fol. 456a dela Bibl. Nat. 6. A rea virga primae matris Evae florens rosa O I ? processit Maria. Jbid: 00 22EMP AE J': Purpura ut viola, roscida ut rosa, candens ut lilia. Tbid., no 2%4, IE y "46: LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 249 « Salut, rose suave, s’écrie Conrad de Gaming, annoncée par le buisson de Moïse ». « Réjouis-toi, belle rose, dit un autre poète”, livre-toi à lallé- gresse, Ô rose unie maintenant aux lis ». C’est la « rose du ciel », lit-on dans un hymne* ». Pierre Damien l’appelle également une « rose du Paradis Les poètes provençaux et français ont rivalisé avec les mystiques latins. Pour Pierre de Corbiac, la Vierge est « une rose sans épines, la plus odorante des fleurs. » Roza ses espina Sobre totes flors olens*. Elle est pour lui encore « l’églantier que Moïse trouva verdoyant au milieu des flammes ardentes” Le trouvère Gautier de Coincy, cela se comprend de cet écrivain mystique, s’est complu à ces compa- raisons de la Vierge avec la rose. Pour lui, c'est une 1: Ave, rosa delicata..…., rubo Moysi signata. Third 002710 1-3; 2: Gaude, rosa speciosa, Gaude fruens delicuis, Nunc rosa juncta lilio. . J. Mone, Lateinische Hÿmnen des Mittelalters. Freiburg-1- B. Fe in-8, n° 458. 3. « Caeli rosa. » Ph. Wackernagel, n° 300, IV, v 4. Index Marianus. (Migne, Patrol., vol. COXIX, p. 509). 5. Karl Bartsch, Chrestomathie provencale, p. 207, v. 10-11. 6. l’aiglentina Que trobet vert Moysens Entre las flammas ardens. Karl Bartsch, Chrestomathie provencale, p. 207, v. 24-27. 250 LA ROSE AU MOYEN AGE. Rose en toute douceur emmiellée et souciée, ainsi qu'il s'exprime dans une de ses Prières'. Il faut, dit-il en parlant d'elle, aimer la fresche rose, La fleur espanie, En qui sainz Espirs repose *. « Elle est », dit-il de même dans son Prologue”, Elle est la fleur, elle est la rose En cui habite, en cui repose Et jour et nuit sainz Esperiz. Et, dans un cantique*, C'est la fleur, la violete, La rose espanie. Il l'appelle encore, dans un de ses miracles”, La flor de lis et d'englentier, L'odorant fleur, l’odorant rose, Qui souef 1 out seur tote chose. 1. L'abbé Poquet, Les miracles de la Sainte Vierge, traduits et mis en vers par Gautier DE Corxcyx. Paris, 1857, in-4, p. 760, v. 81. * 2. Chanson pieuse, v. 61-63, ap. Paul Meyer, Recueil d'an- ciens textes bas-latins, provençaux et francais. Paris, 1874- 77, in-8, p. 381 a. 3. L'abbé Poquet, op. laud., p. 5. Prologue, v. 91-94. Et de même ailleurs, Wan. fr. 1530, fol. 6 a 2, de la Bibl. nat., Rose fresche et chiere De saint Esperit plene. k. Chanson pieuse, v. 20-21, ap. Paul Meyer, op. laud., p. 380. 5. Du clerc qui fame espousa et puis la laissa, v. 2.-4, ap. l'abbé Poquet, op. laud., p. 631. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 291 Ailleurs ‘ il la salue comme une Flors d'églantier, flors de lis, fresche rose, Flors de toz biens, flors de totes flors. Ou encore* comme Cele qui la rose est des roses. L'auteur des Miracles de la Vierge revient à chaque instant, et sans craindre de fatiguer, sur ces images, qu'il a parfois développées outre mesure ” ; mais il n’est pas le seul à s’en servir; elles parais- sent tellement naturelles qu’on les rencontre chez tous les poètes du temps. Tout sceptique et volage qu'il est parfois, Rustebeuf les a employées comme Gautier de Coincy : Tu es rosiers qui porte rose Blanche et vermeille, dit-il, par exemple dans son 4ve Maria*. Et dans les Neuf joies de Nostre Dame : Man. fr.1530; fol: 8; a 2; 2. De presbitero quem beata virgo defendit ab injuria, ap. Karl Bartsch, La langue et la littérature francaises. Paris, 1888, in-8, p. 366, v. 21. 3. Par exemple au début du Miracle de sainte Léochade, v. 63- 67 (L'abbé Poquet, p. 112) : La mere Dieu est la grant rose En cui toute douceur repose, Ceste rose est de tel douceur Et si plaine de bone oudeur Qu'ele refait le cors et l'ame. k. V. 116-117. Gedichte nach den Handschriften der Part- ser National-Bibliothek hgg. von Dr. Adolf Kressner. Wolfen- büttel, 1885, in-8, p. 196. LA ROSE AU MOYEN AGE. (AS) O7 è) Tu es li buissons Sinaï. Liz et trones au roi de gloire. Olive, eglantier, flors d’espine… Et ysopes d’umilité Et li cedres de providence, Et li lis de virginité Et la rose de pacience!. Dans le miracle de Théophile enfin il l’appelle tout comme Gautier, Flors d’eglantier et lis et rose En qui le fils Dieu se repose ?. On lit de même dans un vieux cantique anonyme en l'honneur de Marie : Tu es la flour, tu es la rose, Tu es celle en qui se repose La doulceur qui tout aultre passe *. Un autre cantique de la mème époque nous offre accumulées comme à plaisir toutes les comparaisons si chères aux mystiques de la Vierge avec la rose et les fleurs : Tu ïes roze colorée, Tous jours nete et pure. Tous tens est vermoille... Tu ies roziers, Tu ies lis et violete Tu ies vergiers, Tu ies li tres dous paradis *. V. 4h, 74, 79 et 141-144. Jbid., p. 202-204. Gedichte, p. 220, v. 555-56. Bibl. nat., man. fr. 13167, fol. 138 b. Wilh. Wackernagel, Altfranzüsische Lieder und Leiche, p. 69, n° xrv, str. 3 et 4. Bibl. nat., fr. 1688, fol. 86. © 1 Æ LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 253 Une prière du xv° siècle salue également en la Vierge la Rose tres odorissant Violette tres flourissant Et vray lis de securité, Marguerite d'humilité...! Enfin, dans une autre prière plus ancienne, elle est aussi invoquée comme une Rose de grace et de douceur. La rose ne joue pas un rôle moins grand dans les invocations adressées à la Vierge par les poètes des pays germaniques”. Pour eux aussi c’est une « rose sans épines * » ou « sans les épines du péché », une « rose de Jéricho” », « du Paradis » ou « du ciel? »; ou encore une « noble rose épanouie* », une « rose vermeille” » ou « parfumée” », une « fleur souriante de rose “», ou bien une « rose baignée de la rosée 1. Catalogue Durel 1889, n° 355. J'ignore ce qu'est devenu le manuscrit d'où sont tirés ces vers. 2 biblnat:, fr. 13167, à la fin. 3. W. Grimm a réuni, sans les épuiser, les comparaisons mysti- ques dont la Vierge a été l’objet, dans la préface de son édition de la Forge d'or de Konrad de Wurzhourg, p. 25-53. &. Ph. Wackernagel, vol. IT, nos 59, 179, 541, 711, etc. 9. Hoffmann von Fallersleben, Niederlaendische geistl. Lieder des XV Jahrhunderts, n° 20. — Konrad v. Wurzbourg, Die goldene Schmiede, v. 422, etc. 6. Mederl. geistl. Lieder, n° 28, str. 3, v. 8. 7. Wernher v. Tegernsee, Warta. 8. Loblied auf die Jungfrau, sir. 13%%, 7. 9. Ph. Wackernagel, vol. 11, n° 541, 2. 10. Joh. der Münch v. Salzburg. ap. Ph. Wackernagel, Il, 583, 10. 11. Gottfried v. Strasburg, Lobgesang, st. 14, 2. ss 54 LA ROSE AU MOYEN AGE. de mai», ou « du ciel? ». D'autres fois même ils l’appellent une « couronne de roses” », une « vallée“ ou un « champ” », un «parterre® » ou bien encore un « jardin de roses gardé par Dieu même’ », etc. Mais les anciens poètes allemands ne se sont pas bornés à ces courtes comparaisons de la Vierge avec la rose; ils l'ont chantée sous ce gracieux symbole dans des lieds étendus et nombreux. Un rosier, dit l'un d’eux*, est sorti d'une souche délicate ; comme les anciens l'ont annoncé, rejeton de la race de Jessé, il a porté une fleur au milieu de l'hiver et de la nuit; la fleur dont je parle, c'est Marie la Vierge pure qui l'a portée. Un autre” a chanté la naissance de la mere du Sauveur comme celle d’une rose miraculeuse, sortie du sein de sainte Anne et plus belle que toutes les 1. Konrad v. Würzburg, Ave Maria, str. 36. 2. Ph. Wackernagel, op. laud., II, n° 180, etc. 3. Meister Sigeher, ap. Ph. Wackernagel, II, n° 485, str. 4, 10. Gottfried v. Strasburg, Lobgesang, str. 17, 1. 5. Ph. Wackernagel, II, n° 194 — Mariengrüsse, v. 97. Gœdeke, Deutsche Dichtung in Mittelalter, p. 151. 6. W. Grimm, £inleitung, p. x. + 7. Hoffm.v. Fallersleben, n° 60, st. 4, v. 1. 8. Es ist ein Ros entsprungen Mitten im kalten Winter. Aus einer Wurtzel zart Das Rôüslein das ich meine Aus Jesse kam die Art, Hat uns gebracht alleine Und hat ein blümlein bracht Marie die reine Magd. Ludw. Uhland, Alte hoch- und niederdeutsche Volkslieder, Stuttgart, 1845, in-8, vol. II, p. 176, n° 340. 9. Müttler, Deutsche Volkslieder, Frankf. a. M. 1856, in-8, 298, n° 368. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 299 roses que le printemps produisit jamais, plus salu- taire au cœur et à l'esprit, plus secourable à l'heure de la mort. Un troisième, feignant que Dieu à donné à la « Vierge pleine de grâces » sept roses, emblème des sept principaux actes de sa vie, lui en a tressé une mystique couronne”. Dans un autre lied, qui unit dans un même sym- bolisme le Christ et sa mère, celle-ci est représentée comme ayant apporté au monde trois roses d’une beauté sans égale; la première parut lorsqu'elle mit au monde Jésus; la seconde fut cueillie le jeudi saint, quand le Christ institua le sacrement de vie; la troisième enfin s’épanouit, quand il rendit l'esprit sur la croix *. Ce lied est du xv° siècle; 1l offre un exemple curieux des images que la rose a fournies aux mys- tiques allemands de cette époque. En voici un autre non moins frappant, tiré de la littérature néerlan- daise. C’est Bertha d’Utrecht* qui parle. : Mon fiancé, dit-elle{, voit avec complaisance les lis, ; DR Der Maid Genaden voll.. Gott, der gab ihr sieben rosen fein, Damit mach’ ich das Kränzlein. Die sieben Rosen der heiligen Jungfrau, ap. J. Gürres, op. laud., p. 313. 2. Mittler, op. laud., n° 364. 3. Née en 1457, morte en 1514. &. Die lelyen siet hi gaerne, die minre mijn, Als si te rechte bloeyen ende suver sijn. Als die rode rosen daer onder staen, So laet hi sinen sueten dau daerover gaen. Moll, Joannes Brugman, vol. IT, p. 187. 256 LA ROSE AU MOYEN AGE. qui s'épanouissent dans leur beauté et leur pureté, et quand les roses vermeilles s'y mêlent, il fait tomber sur ces fleurs sa douce rosée. Il s’en faut qu’on trouve dans l’ancienne poésie religieuse de l'Espagne ou de l'Italie cette abon- dance de comparaisons entre la Vierge et la rose ; Gonzalo de Berceo les ignore complètement. On en trouve, au contraire, comme un écho affaibli dans le refrain d’une des Cantigas d'Alphonse le Sage, où la Vierge est représentée comme la « rose des roses et la fleur des fleurs ‘». Si Juan Ruiz, l’archiprètre de Hita, l'appelle sur- tout une fleur — « fleur non ternie »* ou « la fleur des fleurs »°—, il lui donne aussi le nom de « rose »“. Dans la vie de Marie l'Égyptienne, imitée, 1l est vrai, d'un poème français, on rencontre également la com- paraison de la Vierge avec la reine des fleurs : 4 Rosa das rosas e fror das frores. Cantigas de Santa Maria de don Alfonso el Sabio. Madrid, 1889, in-4, n° x. Il est probable que si nous possédions les Can- tares dont parle le « Sage » monarque, nous y trouverions plus d'une autre comparaison de ce genre. VE Santa flor non tannida. Del Ave Maria de Santa Maria. Libro de cantares del arci- prestre de Fita, sir. 1639, 2. {Biblioteca de autores espa- ñoles. Madrid, in-8, vol. LVII, 1864. Poetas castellanos anteriores al siglo xv). 3. Quiero seguir à ti, flor de las flores. Cantica de loores de Santa Maria. Libro de cantares, str. 1650; 4: &, O bendicha fror e rosa. Del ave Maria de Santa Maria, str. 1636, 8. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 297 Ce fut, dit la sainte, dans sa prière à Notre Dame, chose merveilleuse que de l’épine sortit une rose et de cette rose le fruit par qui tout le monde a été sauvé. La comparaison de la Vierge avec la rose et Le lis se retrouve encore dans un cantique espagnol ano- nyme, mais évidemment fort ancien. La Vierge appa- raît au vieux poète comme « plus belle que les fleurs », « plus remplie de grâce que le lis et la rose fleurie » *. Cette même comparaison ne se rencontre qu’assez tard et assez rarement chez les poètes italiens du moyen âge ; l’un d'eux, qui semble être de la fin du xin° siècle, se borne à saluer la Vierge comme la « rose brillante du Paradis, plus odorante qu'aucun autre parfum »°. Disciple et émule des mystiques du moyen âge, Dante ne pouvait oublier de leur em- prunter une de leurs images les plus ordinaires ; un passage célèbre de la Divine Comédie représente la 4 Fue marauillosa cosa, Que de la espina ssallié la rosa Et de la rosa ssallié friciô Porque todo el mundo salué. Biblioteca de autores españoles. Vol. LVIT, p. 311 à. 2. Mas hermosa que las flores… Venis con mäs galania Que lirio y rosa florida. J. Nic. Bühl de Faber, Æloresta de rimas antiguas castellañas. Hamburgo, 1828, in-8, vol. 5, p. 27. a Rosa encoloria del parais Aolente piu ke n’è eonsa nesuna. Lodi della Virgine, v. 9-10. {Mon. antichi di dialetti italiani, p: 192). Jorer. La Rose. 17 958 LA ROSE AU MOYEN AGE. Vierge, dans « le beau jardin qui fleurit sous les rayons du Christ », comme « la rose dans laquelle le Verbe divin s’est fait chair », La rosa, in che ‘1 Verbo Divino carne si fece, entourée des « lis dont l’odeur enseigne le bon chemin »‘. III. La rose ne fut pas seulement l’attribut de Jésus et de la Vierge, elle prit place aussi dans la vie des Saints; elle est le témoin de leur innocence mé- connue ou persécutée ; elle sert à manifester la vertu ou la gloire des élus et sa naissance ou son appa- rition miraculeuse proclame aux yeux de tous leurs mérites. De nombreuses légendes illustrent cette signification de la rose. Après sa mort, rapporte l’une d’elles *, saint André Corsini apparut à un chanoine de ses amis, revêtu d’habits magnifiques et d’une blancheur éclatante, un bouquet de roses et de Îis à la main. Et comme le chanoine lui demandait pourquoi il portait un bouquet de fleurs, chose peu séante pour un évèque, André répondit qu’il portait ces roses et ces lis en témoignage de la pureté et de la chasteté de sa vie. Une vierge d’une grande sainteté, dit une autre : 1 Quivi son li gigli, AI cui odor s’aprese ‘1 buon cammino. Il Paradiso. Canto XXIII, v. 73-75. 2. Acta sanctorum, vol. II, p. 1069, 25. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 259 légende, étant venue vers Suson, ce « maître de gnait de ne pouvoir le trouver au milieu de ses frères, mais la voix qui sagesse » au xiv° siècle, crai l'avait envoyée lui dit qu’elle le reconnaitrait sans peine à la couronne de roses vermeilles et de roses blanches qu'il portait sur la tête, symboles, les pre- mières de sa patience au milieu de ses nombreuses afflictions, les secondes de sa chasteté. Suson est encore le héros de la légende suivante, qui, elle aussi, met bien en évidence la signification mystique des roses miraculeuses. Un jour une reli- gieuse nommée Anne vint le trouver et lui raconta qu'elle avait vu « en esprit » un immense rosier tout couvert de fleurs magnifiques et vermeilles. Au milieu de l’arbuste se trouvait l’enfant Jésus, le front ceint d'une couronne de roses également vermeilles. Au pied était assis Suson lui-même. Et l'enfant Jésus, cueillant des roses, les jetait sur son serviteur, qui en fut bientôt tout couvert. Anne ayant demandé ce que signifiaient ces roses, l'enfant répondit : « Ces roses nombreuses signifient les croix innom- brables que Dieu enverra à son serviteur et qu'il acceptera avec douceur et supportera avec pa- tience » ?. Mais ce n’est pas seulement sous forme allégorique que la rose figure dans les légendes religieuses du 1. Acta sanctorum, vol. Il, p. 667, 62. 2. Laurentius Surius, Vita Susonis ap. Acta sanctorum, vol. Il, p. 677, 99. 260 LA ROSE AU MOYEN AGE. moyen âge, elle y apparaît aussi comme fleur véri- table. Le ciel lui-même pour justifier, ou honorer les saints, en envoie parfois sur terre. « Sainte Dorothée, raconte Jacques de Voragine”, ayant été conduite devant le proconsul Fabrice, celui-ci voulut la forcer à abjurer : « Choisis, lui dit-il, ou de sacrifier et de vivre, ou de périr dans les tourments. » Mais la sainte répondit : « Je suis prête à souffrir tout ce que tu voudras et je le ferai pour Jésus-Christ, mon époux avec lequel je jouirai de la vie éternelle; J'ai cueilli dans son jardin des roses et des fruits déli- cieux. » Le tyran la condamna alors à la mort. Comme on la menait au supplice, le greffier du tri- bunal, Théophile, lui demanda comme par dérision de lui envoyer des roses du jardin de son époux, ce qu’elle promit. Au moment où elle allait tendre la tête au bourreau, un enfant se montra près d'elle tenant une corbeille où il y avait trois roses et trois pommes. Alors Dorothée dit : « Seigneur, Je vous supplie d’avoir pitié de Théophile. » Et elle reçut la mort. Théophile, étant entré dans le palais du pro- consul, recut les roses ; il crut en Jésus-Christ et il obtint la couronne du martyre. » Vincent de Beauvais raconte de Valérian et de sa fiancée sainte Cécile une histoire analogue”, que 1. La légende dorée, traduite du latin, par M. G. B. Paris, 1843, in-12, vol. IL, p. 284. L'histoire de Dorothée a été mise en vers allemands à l’époque de la Réforme. Mittler, op. laud., n° 509. 2, Vixcexrin Berrovacensis Speculum historiale, hp cap. 22. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 261 la poésie religieuse a popularisée*. Cécile était chré- tienne, mais Valérian était païen ; 1l se convertit et le jour de son baptème un ange apparut, portant deux couronnes, l’une de fleurs de lis, l’autre de roses ; 1] donna la première à Cécile, l’autre à Valé- rian. « Gardez, leur dit-il, d’un cœur et d’un corps purs ces couronnes apportées du Paradis de Dieu ; jamais elles ne se faneront ni ne perdront leur parfum. » Ce sont encore ces roses célestes « dont la beauté jamais ne passe n1 disparait », que l’épouse du drame italien de saint Thomas aperçoit sur un «arbre mer- veilleux » du Paradis”, symbole de la récompense promise à quiconque croit et se dévoue au Christ. Sous l'influence du redoublement de ferveur mystique qui marqua la lutte engagée contre la Ré- forme la légende des roses se transforma. Ce n'est plus du ciel qu'elles viennent ; c’est au ciel qu'on envoie celles de la terre. On conte que Rose de Lima”, avant lancé vers le ciel des roses qu'elle avait cueillies de ses propres mains, comme pour en faire hommage au « Suprème jardinier », ces fleurs 1. Elle fait l’objet du 38e des Miederlaendische Geistliche Lieder, publiés par Hoffmann von Fallersleben. À, Vidi una pianta in ciel maravigliosa Qual sopra ogni cosa felice assurge. Questa a ciascun di noi dava una rosa, La cui bellezza mai trapassa o fugge. Alessandro d'Ancona, Sacre rappresentazsiont det secoli xIv, xv e xvi. Firenze, 1872, in-12, vol. I, p. 436. 3. Acta sanctorum, vol. XXXVII, p. 970, d,e. 262 LA ROSE AU MOYEN AGE. bénies restèrent suspendues dans les airs et s’y réunirent en forme d’une croix entourée d’un limbe lumineux, signe que Jésus acceptait son offrande. Un jour que la fille du commandant de Gross- wardein se promenait, attristée qu’on la voulût marier, dans le jardin de son père, Jésus se présenta à elle et lui mettant un anneau au doigt : « Je veux, lui dit-il, que tu sois ma fiancée ». La jeune fille devint toute rouge de joie et, cueillant une rose, elle l’offrit à son céleste fiancé. Mais Jésus, la prenant par la main, reprit : « Viens, que je te montre le jardin de mon père », et 1l l’emmena dans le Paradis”. La légende ajoute qu'elle ne revint sur terre qu’au bout d’un siècle et pour mourir aussitôt. Le plus souvent l'apparition miraculeuse des roses est destinée à témoigner du mérite des saints, sur- tout de leur mérite méconnu ou ignoré. Suivant une tradition locale « les gouttes de sang du chef » de saint Lucien, martyr et premier évèque de Beauvais, se seraient changés en rosiers couverts de roses vermeilles”, Un auteur espagnol raconte la même 1. Büsching, Volkssagen, p. 163, ap. W. Menzel, Christiche Symbolik, vol. II, p. 195. 2. « C'est chose véritable que les gouttes de sang du chef de nostre martyr, dont la terre fut empourprée, engendrèrent telle quantité de rosiers garnis de roses vermeilles, que le lieu du mar- tyre s'appelle encore la Rosière, pour signifier, comme dit Tertul- lian, que le sang des martyrs est une graine et une semence des belles fleurs du Paradis. » Louvet, Histoire et antiquités du diocèse de Beauvais. Beauvais, 1631, in-8, vol. [, p. 387. Louvet ignorait que rosière signifie bien plutôt un lieu rempli de roseaux, que planté de rosiers, LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 203 chose du martyr saint Magin; des gouttes de son sang seraient nés des rosiers dont les fleurs, dit son biographe', portaient en témoignage de leur origine des taches couleur de sang. Quand on ouvrit, quelque temps après sa mort, le tombeau de saint Lucius, on apercut trois* roses sur sa poitrine, qui disparurent aussitôt qu'on voulut les enlever”. On conte la même chose du bienheu- reux Gandolf, évèque de Milan. Les fidèles, ayant voulu transporter sa tombe du milieu de l’église, où elle était foulée aux pieds, au chevet du chœur, un nuage épais et un parfum délicieux remplirent la basilique, et quand on vint à ouvrir le sépulcre du saint, on y trouva une rose d’une beauté merveilleuse et d'une odeur exquise, aussi fraiche, ajoute le chro- niqueur, que si on venait de la cueillir‘. Suivant une ancienne tradition”, on aurait trouvé aussi une rose dans la bouche de saint Louis, de Toulouse. D’après la légende, beaucoup plus récente, de saint Antoine de Stronconio, ce n’est plus une fleur naturelle, mais une rose de chair qu'on trouva dans sa main”. Dans l’histoire de saint Julien de Vienne et de 1. Acta sanctorum, vol. XXXVII, p. 119, e. Suivant une légende anglaise des fleurs aussi naquirent sur la colline où fut déca- pité saint Alban. Ém. Montégut, Sir John Maundeville. (Revue des Deux Mondes, 15 nov. 1889, p. 300.) 2. Acta sanctorum, vol. XXXVI, p. 28 f. 3. Acta sanctorum, vol. XXII, p. 581 a. &. Les petits Bollandistes, vol. X, p. 35. 5. Les petits Bollandistes, vol. X, p. 31. 6. Waddingus, Annales minorum, vol. XIIF, p. 470, 20. 264 LA ROSE AU MOYEN AGE. sainte Agnès de Monte-Pulciano, la légende a pris une forme toute différente. Une nuit, rapporte Gré- *, le diacre de la basilique où saint goire de Tours Julien était enterré entendit un grand bruit, comme si on eût ouvert et fermé la porte de l’église avec violence ; il n'y fit d’abord aucune attention; mais le bruit ayant recommencé, 1l se rendit tout inquiet auprès du tombeau du bienheureux; quelle ne fut pas sa surprise de voir le pavé de l'église tout cou- vert de roses vermeilles, « aussi fraiches, remarque l'historien, bien qu’on fût au mois de novembre, que si on venait de les cueillir sur la branche ». Deux ermites, attirés par la réputation de sainteté d’Agnès de Monte-Pulciano, étaient allés lui rendre visite”; après de longs et pieux entretiens, Agnès les reçut à sa table. Au moment où l’on servait le repas, ils aperçurent tout à coup, à leur grand éton- nement, au milieu de l’écuelle placée devant la sante, une rose d’une merveilleuse beauté et d’un parfum délicieux. On conte” que des moines de Norwich ayant, vers la Saint-Michel, planté près du tombeau de saint Guillaume l’enfant une branche d’un rosier de leur couvent, ce rameau prit bien vite racine et se couvrit de fleurs, qui persistèrent jus- qu'au jour de la Saint-Edmond (16 ou 20 novembre). Un ouragan survint alors et les emporta toutes, une 1. De miraculis S. Juliani, cap. 46. (Miraculorum Lib. IT, p- 826, éd. Migne.) 2. Raymond de Capoue, ap. Acta sanclorum, vol. X, p. 800 f. 3. Acta sanctorum, vol. VII, p. 590 e. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 205 seule exceptée qui resta épanouie jusqu'à la Noël, Cette forme nouvelle de la légende se rencontre encore dans l’anecdote suivante. Un jour que saint Jacques de Venise, se trouvant en compagnie de quelques religieux, vint à passer devant un rosier privé de feuilles et de fleurs, — on était au milieu de l’hiver, — une rose de toute beauté et d’un parfum délicieux apparut tout à coup sur le rosier. Il la cueillit et la présenta aux reli- gieux du couvent, que remplit d’admiration la vue de cette fleur en une pareille saison”. La bienheu- reuse Rita étant restée malade au couvent de Cascia, une de ses parentes vint lui rendre visite et lui demanda, en la quittant, si elle ne désirait rien. « Je voudrais, reprit Rita, une rose de mon jardin de Rocca-Porena. » Or on se trouvait au mois de jan- vier; sa parente crut aussi que la sainte était dans le délire et elle s’éloigna en souriant. Mais combien grand fut son étonnement, quand, de retour à Rocac- Porena, elle aperçut une fleur fraiche et vermeille sur un rosier du jardin. Se rappelant alors le désir exprimé par Rita, elle s’empressa de cueillir cette rose et la lui envoya à Cascia*. On comprend que les roses miraculeuses durent prendre place de bonne heure dans les légendes de la Vierge. Elles y apparaissent, pour révéler le salut non soupçonné que la mère de Dieu ne manque pas d'assurer à ceux qui lui ont toujours été fidèles. 1. Acta sanctorum, vol. XVIIL, p. 465 c. 2. Acta sanctorum, vol. XVI, p. 226 b. 266 LA ROSE AU MOYEN AGE. Durant toute la durée de son séjour au couvent de Déols', raconte Thomas de Cantimpré, le moine Josbert n'avait jamais omis de réciter chaque jour les cinq psaumes qui commencent par les lettres du nom de Marie”. Le jour de la fête Saint-André 1156, le prieur ne l'ayant pas vu à la chapelle se rendit dans sa cellule ; il l’y trouva mort, une rose dans la bouche, dans les yeux et dans les deux oreilles, cha- cune portant gravée une des cinq lettres du mot Marie. Cette légende a été célèbre au moyen âge; Gautier de Coincei l’a rapportée à son tour”; mais 1l l’attribue 1. Bonum universale de apibus. Duaci, 1627, in-8, p. 289, lib. IT, cap. 29. 2. De ces cinq saumes sont li non Magnificat. Ad Dominum. Retribue servo tuo. Li carte est Zn convertendo. Ad te levavi lo cinquisme. Gautier de Coinci, l Miracle de Nostre Dame, Bibl. nat. fr. 22928, fol. 42, 2. 3. Je devrais dire traduite, puisque, sous sa forme primitive, cette légende, ainsi que les suivantes, se présente d’abord sous une forme latine. Il faut en rapprocher celle des manuscrits lat. 14857 de la Bibliothèque nationale de Paris et 612 de la Bibliothèque de Metz, où il s'agit d'un frère convers qui ne sait réciter que l’Ave Maria et du cœur duquel. après sa mort, sort un arbuste {{umba parit quasi ficum de dulci corde fratris), sur les feuilles duquel se trouvaient inscrites les lettres À. M. A. Mussafa, Studien zu den mittelalterlichen Marienlegenden, WI, 9. (Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften, vol. CXIX, an. 1889). Dans les rédactions allemandes de cette dernière légende, c'est un lis qui sort de la bouche du mort et sur chacune de ses feuilles se trouve gravé en lettres d'or Ave Maria. Gœdeke, Deutsche Dichtung im Mittelalter, 140. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 207 à un moine inconnu et ignorant, et, dans le récit qu'il en a fait, c’est dans la bouche du mort qu'on trouve « encloses » les cinq roses Cleres, vermeilles et foillies Con se luez droit fuissent voillies!. Cette forme de la légende était trop conforme à l’es- prit du mysticisme de l’époque pour n'avoir pas fait fortune. Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci en présentent plusieurs variantes curieuses. Un clerc, raconte-t-1l”?, Des lettres iert bien enbeuz Mais tant iert soz et durfeuz Qu'il ne pensoit a nul bien faire; 5) son oncle, abbé d’un riche monastère, après s’être efforcé en vain de le ramener au bien, l’abandonne à son sort. Le clerc se livre à tous les déportements et se trouve bientôt réduit à la plus grande pau- vreté ; il se repent alors et revient vers son oncle ; il lui promet mème de dire chaque jour une prière à la Vierge‘; mais bientôt il retombe dans ses an- ciens désordres et l’on est contraint de l’excommu- M Riblinat-Pmans fr: 22998, 101 9971b,2,: BNP enat man. fr: 1530 ;>tol. 107, 1308 PQ l'abbé Poquet, Les Miracles de la sainte Vierge traduits et mis en vers par Gau- tier de Coincy. Paris, 1857, in-4, p. 363. d: Deditus ülecebris vite factisque superbis. Man. d'Erfurt, &4. Cf. Man. de Heiligenkreuz (A. Mussafia, op. laut: À,.p..956et/IIL: p- 14). 4. D'après le man. de la Bibliothèque nationale lat. 12595, n° 39, c'est la prière O intemerala. 268 LA ROSE AU MOYEN AGE. nier. [Il mourut sans avoir pu, malgré son repentir, se réconcilier avec l'Eglise, et Honteusement a grant misere En un fossé Jeter le firent. Mais Notre-Dame, qu'il n'avait point cessé d’invo- quer au milieu de ses plus grands dérèglements, touchée de l’affront fait à son serviteur, apparaît par trois fois au doyen; elle lui reproche le traitement indigne infligé au clerc, et, comme marque de son mérite méconnu, elle ajoute qu'on trouvera une « fraîche rose » dans la bouche du mort. Le doyen et tout le peuple s’étonnent à cette nouvelle ; on se rend au lieu où le clerc était enterré, et, ô surprise, Une rose fresche, novele, Maintenant qu'il le deffoirent, Troverent en sa bouche et virent!. Ce fut sans doute aussi une rose que la fleur Si fremiant et si florie Com se lues droit fust espanie ?, 1. Comme l'avait fait Gil de Zamora dans son Ziber Mariae, cap. V, n° 2, Gonzalo Berceo, qui a raconté ce miracle, parle seu- lement d'une fleur : Yssieli por boca una fermosa flor De muy grant fermosura, de muy fresca color. Milagros de nuestra sennora, WI, str. 112. 2. Bibl. nat., man. fr. 22928, fol. 78, a 2. Le man. 1530, fol. 38, b 2, donne : Com ce fust rose espanie. Dans la rédaction allemande il est aussi seulement question d’une LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 2069 trouvée, trente Jours après sa mort impénitente, dans la bouche de ce clerc de Chartres Orgueilleux et despers Et du siecle moult curieus, mais dévot à la Vierge, dont Gautier de Coinei a également raconté l’histoire, et que la mere de Dieu, en récompense de sa fidélité, honore ainsi aux yeux de la foule émerveillée. IL faut rapprocher des légendes qui précèdent celle de la pieuse Ada, rapportée par Thomas de Cantimpré*. Pendant une absence que fit son mari, un lépreux las et épuisé vint lui demander lhospi- talité; non seulement elle s’empressa de le recevoir, mais elle ne crut pouvoir mieux faire que de lui donner, pour se reposer, le propre lit de son mari. Il y était à peine, que celui-ci revint de son voyage et se dirigea vers ses appartements. À cette vue Ada s’effraya; son mari surpris et inquiet força la porte ; mais quel fut son étonnement, en pénétrant dans sa chambre, de trouver, bien qu’on fût en hiver, sa couche toute couverte de roses parfumées. fleur qu'on trouve sur le palais du clerc volage dont la langue est restée fraiche et rose comme s'il était encore en vie : Man vant dû einen blumen Vrisch üf sime gumen Ligen in sinem munde. Franz Pfeiffer, Marienlegenden. Wien, 1863, in-8, n° XI, v. 99- 101, -p::81. 1. Liber apum aut de apibus mysticis... in-fol. s. 1. n. d., lib. IT, cap. 17, fol. 39. J. W. Wolf (Nederländische Sagen. Leipzig, 1843, in-8, p. 281) lui donne le nom d’Ada de Belomeir. 270 LA ROSE AU MOYEN AGE. On trouve dans la vie de saint Jean l’Ange une légende encore plus merveilleuse”. Pendant son séjour au couvent de Cavacurta, au diocèse de Lodi, on l’accusa de ne se rendre si souvent au jardin, voisin d'une des rues de la ville, que dans un but profane; le prieur le fit surveiller; mais les religieux qu’il avait envoyés pour l'observer le trouvèrent, à leur grand étonnement, en prières au milieu de rosiers en fleurs, encore qu’on füt en hiver et que la terre fût toute couverte de neige. Ici l'apparition merveilleuse des roses rend écla- tante la vertu soupconnée de saint Jean l’Ange. Le rôle de ces fleurs miraculeuses apparaît d’une ma- nière non moins frappante dans l’histoire suivante racontée par le prétendu voyageur John Mandeville*. Une jeune fille de Bethléem, accusée d’avoir enfreint les lois de la chasteté, avait été condamnée au feu. Déjà le bûcher était dressé quand elle invoqua le Seigneur, le priant, si elle était sans faute, de lui venir en aide et de manifester son innocence aux yeux de tous. Puis elle entra dans le feu ; mais aus- sitôt les flammes s’éteignirent et les brandons qui brûlaient déjà se changèrent en rosiers couverts de fleurs vermeilles, ceux qui n'étaient pas encore allumés devinrent autant de rosiers à fleurs blan- 1. Acta sanctorum, vol. LVI, p. 887 b. 2. The buke of John Maundeville being the travels of sir John Maundeville, knight, 1322-1356, from the m. copy k.s. Egerton 1982, together with the french text... by George Fr. Warner. London, 1889, in-fol. ch. 1x, p. 35. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 271 ches. « Et ce furent, ajoute naïvement le narrateur, les premiers rosiers et les premières roses qu'on eût encore vues. » Bien que le pseudo-Mandeville *, pour donner plus de crédit à ce miracle, dit que le nom de « Champ flori » porté par le lieu où se serait passée la scène, en avait conservé le souvenir, 1l semble avoir tout simplement arrangé et intercalé dans le récit de son voyage une légende qui avait cours de son temps. On la rencontre sous une autre forme, dans un poème inédit sur le Nouveau Testament”. Ier il s’aoit d’une fille d'Abraham, devenue grosse pour avoir respiré le parfum d’un arbre du jardin de son père, — l’arbre de la science du bien et du mal —; elle est condamnée à être brülée; mais quand elle monte sur le bûcher, les brandons s’éteignent aussitôt et se couvrent de fleurs et de roses : Onques n'i ont .1. sol tison, Tant bien espes, ne vif charbon, Ne fussent roses de rosier Et flor de lis et aiglentier ; Le feu estaint, c'est verites. Cette naissance miraculeuse des roses, leur subs- 1. Le voyage mis sous le nom de John Maundeville est proba- blement l’œuvre du médecin liégeois Jean de Bourgogne, dit à la Barbe, — « Johannes de Burgundia, aliter vocatus cum Barba » — qui se sera caché sous ce nom. Edward B. Nicholson, The Aca- demy, n° 623, 12 april 1886, p. 261. 2, Renfermé dans le manuscrit de Grenoble 1137. Jean Bonnard, Les Traductions de la Bible en vers francois au moyen âge. Paris, 188%, in-8, p. 181. . [ae] 42 LA ROSE AU MOYEN AGE. titution à d’autres objets, se produit surtout quand il s’agit de soustraire un saint aux reproches ou au châtiment qu'il aurait encourus pour une infraction faite dans un but de charité. Sainte Casilde, fille du roi de Tolède, Aldemore, dans l’ardeur de sa charité, portait aux esclaves chrétiens les mets qu'elle pouvait dérober à la table royale ; un jour son père la surprit, mais lorsque, irrité, 1l souleva son manteau, à la place des vivres que celui-ci recou- vrait, il n’apercut que des roses". Sous cette forme dramatique la légende de la naissance de roses mi- raculeuses devait bien vite se répandre; on la re- trouve dans tous les pays. Sainte Rose de Viterbe* portait un jour, suivant sa coutume, du pain aux pauvres; son père la ren- contra et lui demanda ce qu'elle avait dans les pans de sa robe ; elle l’entr’ouvrit aussitôt et la lui montra remplie de roses de diverses couleurs. Saint Nicolas, moine du couvent de Tolentino, fut aperçu par le prieur, comme 1l portait aussi du pain aux pauvres ; le prieur lui ayant demandé ce que renfermait sa corbeille, 1l la découvrit, et, encore qu’on fût en hiver, elle se trouva pleine de roses vermeilles et parfumées”. La légende qui concerne sainte Élisabeth de Hon- grie est surtout célèbre, depuis que la peinture l’a popularisée : 1. Les petits Bollandistes, vol. IV, p. 305. 2. Acta sanclorum, vol. XL, p. 434 c. 3. Acta sanctorum, vol. XLI, p. 642 f. Mig LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 213 Elle aimait, dit son historien !, à porter elle-même aux pauvres non seulement l'argent, mais encore les vi- vres et les autres objets qu'elle leur destinait.… Un jour qu'elle descendait, accompagnée d'une de ses suivantes favorites, par un petit chemin très rude, portant dans les pans de son manteau du pain, de la viande, des œufs et d'autres mets, pour les distribuer aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari qui revenait de la chasse. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau, 1] lui dit : « Voyons ce que vous portez, » et en même temps ouvrit malgré elle le manteau qu'elle serrait tout effrayée contre sa poitrine; mais il n'y avait plus que des roses blanches et rouges, les plus belles qu'il eût vues de sa vie ; cela le surprit d'autant plus que ce n'était pas la saison des fleurs. On raconte une histoire analogue de sainte Élisa- beth de Portugal; mais celle-ci pour s’excuser ne recule pas devant un pieux mensonge. Un jour qu'elle portait dans sa robe une grosse somme d’ar- gent pour la distribuer aux pauvres, elle rencontra son mari, qui lui demanda ce qu'elle cachait. Elle répondit : « Ce sont des roses, » et en effet, dit son biographe*, dépliant sa robe, il se trouva que c’en était réellement, quoiqu'on fût dans un temps où il ne pouvait y en avoir. Si l’on en croit son récent historien”, sainte Rose- 1. Le comte de Montalembert, Vie de sainte Élisabeth de Hongrie. Paris, 1836, in-8, p. 57. 2. Les petits Bollandistes, vol. VIIT, p. 35. 3. Le comte H. de Villeneuve-Flayosc, Æistoire de sainte Jorer. La Rose. 18 974 LA ROSE AU MOYEN AGE. line de Villeneuve aurait aussi, pour excuser sa cha- rité, répondu à son père par un mensonge semblable, et les aliments qu’elle distribuait aux pauvres se se- raient également changés en roses fleuries. Saint Pierre Régalat ne craignit pas davantage de mentir dans une circonstance analogue et il est le héros d’un pareil miracle *. Il portait un jour du pain et des viandes à une pauvre malade, quand 1l se trouva en face du prieur de son couvent. « Pierre, lui dit celui-ci, tu parais bien occupé, que portes-tu là? » « Ce sont des roses, répondit-il tout troublé, desti- nées à une pauvre affligée. » Or on n'était pas à la saison des roses. « Montre-les », reprit aussitôt le prieur. Et comme Pierre, tout couvert de confusion, dit : « Les voici, » en entr’ouvrant sa robe, le pain qu'il portait se changea en roses blanches et les viandes en roses vermeilles. Le miracle de la naissance des roses a pris place également, en se transformant, dans la vie du bien- heureux Eelke Liaukama, abbé du couvent de Lidlum en Frise?. Poursuivi par des frères convers, auxquels il avait reproché leurs désordres et qui avaient Juré sa mort, il essaya en vain de les fléchir. Mais quand Roseline de Villeneuve. Paris, 1867, in-8, p. 296. Sainte Rose- line naquit en 1263. 1. Acta sanctorum, vol. VII, p. 862. On raconte une histoire semblable, à part le mensonge, de sainte Germaine Cousin ; mais ce sont de simples fleurs dont son historien nous montre rempli son tablier. 2. Acta sanctorum, vol. VIII, p. 397 e. — J. G. Wolf, Deutsche Sagen, 1864, in-8, p. 987. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 210 ils saisirent et retournerent les manches de sa robe pour voir s'il n’y avait rien caché, 1ls les trouvèrent remplies de roses. La rose figure en particulier dans les légendes destinées à glorifier l'intervention de la Vierge en faveur de ceux qui lui sont fidèles. En voici une dont le but d’édification est manifeste, telle qu'Alphonse le Sage l’a traduite du latin en langue portugaise”; il s’agit d’un gentilhomme qui avait fait vœu d'offrir chaque jour une couronne de roses à la Vierge, ou, si cela lui était impossible, de dire en son honneur un Ave Maria. Un jour qu’il traversait une vallée sauvage, 1l s'arrêta pour faire sa guirlande accou- tumée ; tandis qu'il était tout à cette pieuse occupa- tion, des ennemis survinrent pour le tuer; mais au moment de mettre leur criminel dessein à exécution, œentilhomme une dame 5 d’une grande beauté, qui faisait elle aussi une cou- ils apercurent auprès du ronne de roses. Cette vue les frappa d’étonnement et de crainte et ils se dirent qu'ils n'avaient qu'à s'éloigner au plus vite, car 1] ne plaisait pas à Dieu qu'ils tuassent ce gentilhomme”. Dans une rédaction allemande de cette légende” il s’agit d’un jeune écolier si indolent qu'il ne voulut 1. « Milagro do cavaleiro que fazia a guerlanda das rosas a santa Maria. » Cantigas de santa Maria de don Alphonso el Sabio. Madrid, 1886, in-#%, n°.cxxr. 524 Tornemos d’aqui logo, pois esto non praz a Deu que est’ ome nos matemos. 3. Franz Pfeiffer, Marienlegenden, n° xxt. 276 LA ROSE AU MOYEN AGE. et ne put rien apprendre; mais en dépit de sa pa- resse 1] avait la bonne habitude d'aller tous les jours aux champs cueillir des fleurs et d’en faire une cou- ronne dont il ornait une image de la Vierge qui se trouvait dans sa ville natale. Touché par la grâce, 1l entra dans un couvent de l’ordre de Ciîteaux et s’y fit remarquer par son intelligence et sa vertu. Aussi gagna-t-il la confiance de l'abbé et celui-ci le chargea un jour d’une affaire hors du couvent. Son voyage le conduisit au milieu d’un bocage délicieux, plein de fraicheur et d'ombre. Il s’y arrèta et, descendant de cheval, il se mit à réciter les cinquante Are qu'il avait oublié de dire ce jour-là. Pendant ce temps deux voleurs de grand chemin vinrent pour lui dé- rober son cheval. Mais en s’approchant ils aperçu- rent la Vierge toute rayonnante de beauté et parée des plus beaux atours debout près du religieux, cueillant sur ses lèvres, à mesure qu’il les récitait, les Ave changés en roses, et elle en fit une couronne qu’elle placa sur la tète du pieux moine, lorsqu'il eut fini sa prière, puis elle disparut”. Les voleurs étonnés renoncèrent à leur dessein et, s’approchant du religieux, ils lui demandèrent quelle était cette dame merveilleuse ; il leur raconta ce qu’il venait de faire; alors frappés du miracle dont il avait été 1. Als der munich hete entsaben mit griffen harte lôsen ein ävê Marjà unde gesprach, die vrouwe dû begunde. scht, welch ein wunder dä ges- im brechen von dem munde [chah! . eine rôsen nach der andern. wan ez wart zeiner rôsen. v. 278-285. LA ROSE DANS LES LÉGENDES CHRÉTIENNES. 2771 l'objet, au lieu de le dépouiller ils se jetèrent à ses pieds, lui confessèrent leurs péchés et se retirèrent dans son couvent pour y faire pénitence. Il existe diverses variantes de cette légende en Allemagne ; l’une d’elles rapporte qu’un jeune homme d’une grande dévotion envers la Vierge succomba dans une forêt sous les coups des brigands; un ange recueillit sur ses lèvres expirantes ses der- nières prières, sous forme de douze roses blanches et trois roses rouges et les réunit en couronne * : telle aurait été l’origine du rosaire. En France, la même légende a été également po- pulaure; au xiv° siècle elle revêtit même la forme dramatique. Un marchand, qui traversait une forêt, allait être tué par un voleur qui l’épiait, quand il se rappela qu'il avait oublié de faire ses dévotions accoutumées à la Vierge; 1l s’arrêta aussitôt pour remplir ce pieux devoir. Pendant qu'il récitait ses prières, s'approche de lui, sans être vue, une femme, Plus belle et de plus noble arrOY Conques ne fut femme de roy. Un chapel de roses faisoit Et les prenoit la dame doulce De ce marchant dedanz la bouche, Puis li assist dessus son chief: récompense de sa dévotion et des couronnes qu'il 1. Binterim, Denkwürdigkeiten, vol. VII, Th. 1, 2, p. 98, ap. Schleiden, p. 105. 278 LA ROSE : De adlige rôsenblôme. Uhland, Volkslieder, n° 128. 3. Martina hgg. v. Ad. Keller. Stuttgart, 1858, in-8, p. 66. 4. . . . Beaus advocas jolis. Qu on doit bien tenir en chierté, La nobleet haulte flor delys, N'a elle souveraineté Sus la rose et sus toutes flours ? Poésies pub. par A. Scheler. Bruxelles, 1870, in-8, vol. IT, p. 233. 5. Sus toutes fleurs tient on la rose a belle. Paradis d'amour, v. 1627 { Poésies, vol. I, p. 49). LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 297 niques ont été unanimes à assigner à la rose, et aussi bien à la rose sauvage qu’à la rose cultivée, le pre- mier rang parmi les fleurs du printemps. La bruyère, dit le minnesaenger Gotfrid de Nîfen!, s'est revêtue de sa ravissante parure, les roses en sont le plus bel ornement. Dans la ballade danoise de « la fière Mettetil »°, les roses forment avec les lis la parure du jardin symbolique que «le noble Pierre » avait planté et qu en son absence un cerf est venu dévaster, foulant aux pieds les fleurs et détruisant l’unique plante qui pouvait donner de la joie à son cœur. Les roses, il est à peine besoin de le dire, figurent encore au premier rang des fleurs qui servent à construire les demeures fantastiques que les poètes romans et ger- à 1E Nust diu heide wol bekleidet mit vil wunneclichen kleiden : rôsen sint ir besten kleit. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 156, v. 51-53. 2. Ich hab gepflanzt ein Würzgärtlein mit Blumen und adlichen [Rosen : Nun ist noch andres dazwischen gewachsen, dieweil ich nach [Rom gezogen. In meinem Garten ist gewesen ein Hirsch der die Blumen [hat niedergetreten, Er hat mir verwüstet das einzige Kraut, das Freude meinem [Herzen konnt geben. Altdänische Heldenlieder, Balladen und Märchen übersetzt v. Wilh. Carl Grimm. Heidelberg, 1811, p. 283, n° 69, v. 18-21. 289 LA ROSE AU MOYEN AGE. maniques donnent parfois aux héros de leurs chan- sons amoureuses”. En faisant de la rose l'emblème de la beauté, les poètes du moyen âge se sont montrés les continua- teurs et les disciples fidèles des poètes de l’anti- quité. Mais, plus que de la beauté, ceux-e1 avaient été frappés de la fragilité de la rose; la courte durée de cette fleur, au contraire, a été à peine remarquée par les trouvères et les minnesaenger, et les rares allusions qu'ils y font leur ont été inspirées par leurs précurseurs de la Grèce ou de Rome. Telle est cette comparaison d’un trouvère belge : Pucele est com flors de rose Qui tost vient et tost trespasse?. De même quand le ménestrel anglo-saxon Aelfred déplore que la violence de la tempête détruise la beauté de la rose”, il ne fait que traduire Boëce, et ce dernier s'était lui-même inspiré des poètes an- ciens pour chanter «le bocage qui, au souffle des 4. Ainsi dans le Tristan : De flors et de roses sans giel Iluec ferai une maison. Éd. Fr. Michel, vol. I, p. 222. Et dans un vieux lied allemand : Got gebe uch ein gute nacht, von rosen ein dach von liligen ein pet. Uhland, Schriften, vol. IT, p. 360. 2. Aug. Scheler, Trouvères belges, 2e série. Bruxelles, 1879, in-8, p. 29. d: Se stearca storm, thonne hé strong cyndh, nordhan and eästan, hè genimedh hradhe thaere rôsan vlite Metra, VE, v. 11-13. Grein, Bibliothek der angelsächsischen Poesie, vol. IX, p.301. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 290 tièdes zéphyrs, se pare des roses du printemps, dont l’impétueux auster vient dépouiller bientôt leur tige fleurie »'. Mais si ce motif poétique n’a été qu'exceptionnel- lement mis en œuvre au moyen âge, 1l en est un autre que les poètes romans et germaniques de cette époque ont abordé aussi souvent et plus souvent même que ceux de l’antiquité : c’est le rapport de la rose et du printemps. Emblème préféré de la saison qui réveillait en eux l'inspiration, la rose leur ser- vit, avant toutes les autres fleurs, à en marquer le retour et à en embellir la fête. ja estoit passez yvers Et l'aubespine florissoit Et (que) la rose espanissoit, dit l’auteur du Roman du Renard?. Ce fu en mai que la rose est fleurie, L'oriol chante et le rossignol crie, remarque le poète du Siege de Narbonne”. Bertrand de Bar s'exprime de même * : 4: Cum nemus flatu zephyri tepentis vernis inrubuit rosis, Spiret insanum nebulosus auster : iam spinis abeat decus. De consolatione Philosophiae, bib. IT, cap. 3, v. 114-17. 2. Ed. Méon. Paris, 1826, in-8, vol. II, v. 9660-63. 3. Bibl. nat. man. fr. 24369, v. 54-55. . Girart de Vienne, ap. K. Bartsch, La langue et la littéra- ture francaises, p. 333, v. 19. Adenet le Roi, au contraire, fait fleurir les roses à la fin de juin : Æ Entour la saint Jean que la rose est florie Berte, v. 36. Ed. Aug. Scheler. 300 LA ROSE AU MOYEN AGE. Ce fu en mai qu'il fait chaut et seri, Que l'erbe est verz et rosier sont flori. Adenet le Roi, dans Buepe de Commarchis, a éga- lement eu recours à l'épanouissement des roses, ainsi qu'à la longueur des jours, pour marquer le retour de l'été : En esté quant li jour sont bel et lonc et clerc, Que la rose est florie et bele a esgarder!. Après avoir rappelé que le froid hiver est fini, que les nuits sont courtes maintenant et longs Îles jours, qu’un temps ravissant vient remplir de joie le monde entier, Nithard ajoute” : Un brillant spectacle s'offre à nos yeux, les roses, vraie merveille, ont paru sur la bruyère. Mai vient avec sa multiple parure, s'écrie de son côté Gotfrit de Nifen°, la douce bruyère se revêt et de fleurs et de roses vermeilles. En tous pays, chante également un autre minnesaen- ger, Ulrich de Winterstetten*, monts et vallées sont 1. Ed. Aug. Scheler. Bruxelles, 1874, in-8, v. 53-54. 2. Komen ist uns ein liehtiu ougenweide : man siht der rôsen wunder üf der heide. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 109, v. 215-16. 3. Meie kumt mit maniger bluot, nu hât aber diu liebe heide beide bluomen unde rôsen rôt. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 155, v. 5-7. &. Berc und tal in allen landen sint erlôst üz winters banden, heide rôte rôsen treit. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 163, v. 74-76. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 301 affranchis des liens de l'hiver, la bruyère se couvre de roses vermeilles. Et dans un lied anonyme recueilli par Gærres” : Maintenant verdoient dans les forêts les douces fleurs, dans les champs (brillent) les roses aux mille couleurs. Sois le bienvenu, Ô mois de mai, dit un autre lied?, aussi loin que s'étend le monde, poussez, roses fleuries. Mème spectacle dans la poésie néerlandaise et scandinave, mais ici la rose et le lis annoncent, non le retour du printemps, mais celui de l'été : Avec lui, dit un lied néerlandais, l'été a ramené mainte fleur couverte de rosée, elles rendaient un si plaisant éclat que le monde en était tout éclairé; le tré- sor des parfums est ouvert; j'y ai vu de belles roses 1. Es grünen jetzt in den Wäldern Die Rosen auf den Feldern Die Blümlein fein, Von Farbe mancherlein. Frühlingscur, Altdeustche Volkslieder, p. 36, str. 3. 2: Maie, sei wilkommen ! AII so weit die Welt ist, Spriesset, 1hr Rosenblumen ! Schleiden, p. 141. 3. Der zomer bracht in den hove zin Bedauwet menich bluemelin Die gaven so wonnenlichen schin, Das ze verlichten die werolt al. Outlossen wart der zalden scrin, Darin so sach ich rosen fin vurich blenchen zam ein robin ; van vruden zanc der nachtegal, da hoert man menigen rychen scal. G. Kalff, et Lied in de middeleeuwen. Leiden, 1884, in-8, p. 299. 302 LA ROSE AU MOYEN AGE. briller comme des rubis. De joie chante le rossignol, et l’on entend maint accent Joyeux. Voici la saison si douce de l'été, lit-on dans une vieille chanson danoise‘; le froid hiver est passé; les roses et les lis s'épanouissent et les bois se couvrent d'une gaie verdure. À Thann en Alsace, c'était la coutume qu'au pre- mier jour de mai une petite fille, la « Rose de mai », toute couverte de fleurs et de rubans, parcourût les rues avec une amie chargée de recueillir dans une corbeille des dons, pour la fête du printemps, tandis que leurs compagnes chantaient”* : Rose de mai, tourne-toi trois fois, fais-toi voir et revoir ! Rose de mai, viens dans la verte forêti Réjouis- sons-nous, mai nous ramène au milieu des roses. En Provence, suivant une coutume très ancienne, dit César de Nostredame”, on choisit le premier mai 1. Her stunded saa blid en sommer i Aar, forgangen er Vinter hin kold : der springer ud Roser og Lillier, og Skoven hon stander saa bold. Vore Folkeviser fra middelalderen. Studier over Visernes : Aesthetik, rette Form og Alder af Joh. C. H. R. Steens- trup. Kjübenhavn, 1891, in-8, p. 149. FA Maienrôslein, ker dich dreimal'rum, Lass dich beschauen ‘rum und num ! Maienrôslein, komm in grünen Wald hinein, Wir wollen alle lustig sein. So fahren wir vom Maien in die Rosen. Aug. Stôber, Elsässisches Volksbuchlein. Strassburg, 1842, in-8, p. 42. — Bühme, Altdeutsches Liederb., n° 497 a. 3. Mistral, Lou tresor dou Felilrige, s. v. maio. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 303 une petite fille, la mayo, qu'on habille de blanc et qu'on pare d’une couronne et de guirlandes de roses; on la place ensuite sur une sorte d’estrade ou de trône élevé et chaque passant lui donne quelque menue pièce de monnaie ‘. Symbole et parure du printemps — et, dans le Nord, même de l’été — le retour de la rose provoque le poète à chanter dans cette saison des amours et lui rappelle l'amie dont il est séparé : Quant voi le douz tens venir, La flor en la prée, La rose espanir, Adonc chant, pleur et sospir, s’écrie Philippe de Nanteuil*. Quant voi la glaie meure La rousée resplendir, Et le rosier espanir Lors souspir Et sur la bele verdure Pour celi qui tant desir Et aim, las, outre mesure, chante également Raoul de Soissons. Mème inspiration chez Thibaud de Blazon* : Quant je vois esté venir Au point du Jor, Et sa verdor Adonques souspir Et la rose espanir Et plaing et desir. 1. Cf. Alfred de Nore, Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, 1846, p. 17. 2. Chansonniers de Champagne, Reims, 1850, p. 102, zxxvi, v. 1-4. 3. Eduard Mätzner, Altfranzüsische Lieder. Berlin, 1853, in-6, p. 18, n° 10, v. 1-7. 4. Chansonniers de Champagne. D TPE LOG. 304 LA ROSE AU MOYEN AGE. Et Thibaud de Champagne dit à son tour‘: Au renouvel de la doucçor d'esté, Que resclarcit li dois en la fontaine, Et que sont vers bois et vergiers et prés, Et le rosier en mai florist et graine, Lors chanterai que trop m aura grevé Ire et esmai qui m'est au cueur prochaine. Mais la vue de la rose et le retour du « temps nouveau » ne sugoéralent pas toujours au poète des pensées de tristesse ou de regret, ils étaient aussi pour lui une invitation à s’abandonner à la gaieté et à la joie : Le tens qui raverdoie Si que tot en sautele ; Et la rose nouvele Talent m'est pris de chanter, Fet mon cueur estre en Joie Car bone amor m'i semont, s'écrie un ancien poète”. « Par deu », dit également l’auteur anonyme d’une vieille pastourelle” : Par deu, belle compaignete, Et espanir la rosete Voi le tens renoveler Ke nos semont de juer, Pour Colin Muset, la vue de « la rose espanie » est un simple encouragement à boire « vin sus lie, » ainsi qu'à mener « bone vie »*. L’inspiration ne 1. Chansons de Thibaut IV, comte de Champagne et de Brie. Reims, 1851, in-8, p. 7, n° 1v, v. 1-6. 2. Les Chansonniers de Champagne, p. 121. 3. Karl Bartsch, Romanzen und Pastorellen. Leipzig, 1870, in-8, p. 139. IT. n° 24, v. 12-15. &. Les Chansonniers de Champagne, p. 89, n° 66, str. 4. LA ROSÉ DANS LES LÉGENDES PROFANES. 305 pouvait être plus réaliste ni plus vulgaire, et la signi- fication de la reine des fleurs plus rabaissée. C’est, au contraire, une Joie toute pure que la vue des roses vermeilles, toutes couvertes de rosée au milieu de la verte prairie, inspire à un des héros de l’épo- pée allemande”, spectacle qui attire et charme ses regards. De même, dans le roman de Guillaume de Pa- lerne*, la vision d’une rose offerte suffit pour éloigner la douleur du cœur du héros et y ramener la joie : Si li ert vis Que de la chambre issoient fors Ahxandrine et Meliors, Dessi en droit a lui venoient, Une rose li aportoient. Tantot com recevoit la flor, Ne sentoit paine ne dolor, Travail, grevance ne dehait. IHE Ce qui réjouit ainsi le cœur de Guillaume, c’est que la rose apportée par Alexandrine et Mélior lui apparaît, ce qu'elle était réellement, comme une marque de sympathie et d'affection. La rose était, en 1. Min ougen vuoren mir schiezen rôte rôsen in dem touwe Als sie sachen entspriezen in einer grüenen ouwe Ges. Abenteuer hgg. v. der Hagen, vol. IT, p. 123, v. 448-51, 2. Id. Michelant. Paris, 1876, in-8, v. 1452-57. Jorer. La Rose. 20 306 LA ROSE AU MOYEN AGE. effet, avant tout et surtout l’emblème de l’amour; en cueillir et encore plus en offrir était le signe d’un cœur épris ou capable de s’éprendre. C’est ainsi qu'une vieille chanson nous montre un amant, séparé de celle qu'il aime”, Quant se vient en mai, ke rose est panie, Allant coillir par grant druerie, pour apaiser sa douleur, cette fleur symbole de son amour. « Où est la jeune fille qui m'aime tant? Elle est dehors dans son jardin et cueille des roses », dit un lied allemand?, montrant ainsi l’étroit rapport des roses et de l’amour. De même dans une chan- son néerlandaise”, 1l est question d’une jeune fille dont le cœur est épris et qui va cueillir des roses vermeilles sur la bruyère. Même motif dans une romance espagnole“ : 1. Wilhelm Wackernagel, Altfranzüsische Lieder und Leiche. Basel, 1846, in-8, p. 84, n° 51, v. 1-2. 2: Wo ist dann das Mädchen, das mich so lieb hat ? Es is draussen im Garten, pflückt Rôüselein ab. Fr. L. Mittler, Deutsche Volkslieder, n° 938, v. 1-2. 3. Rode rooskens woude si plucken die aen der heiden staen. Antwerpener Liederboek, n° 22, 1. k. - Cuales la niña la rosa florida, que coge las flores el hortelanico si no tiene amores ? prendas le pide Cogia la niña si no tiene amores. Bôhl, Floresta de rimas antiguas castellanas. Hamburgo, 1821, in-8, vol. I, p. 303, n° 278. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. JU Quelle est la jeune fille qui cueille des roses, si elle n'a pas d'ami? Voyant la jeune fille cueillir la rose fleu- rie, le petit jardinier lui demande un gage, si elle n’a pas d'ami. Et dans une autre romance également espagnole", ami va aux bords du ruisseau cueillir en soupirant sur le rosier fleuri des roses, qui lui rappellent ses amours. De même dans un chant grec”, nous voyons Mel- pomène, « la belle au corps d'ange », presser le nau- tonnier qui l’aime de la conduire sur la rive, afin qu’elle puisse, signe qu'il lui est permis d'espérer, y cueillir des roses, avant que le soleil se lève. Et dans une autre chanson également grecque”, l’ami rêve que son amie cueille avec ses compagnes, dans une belle prairie, des roses et des fleurs de myrte couvertes de rosée, emblème du sentiment qu’elle éprouve et que le baiser qu’elle lui donne vient confirmer. C'est à cause même de cette signification symbo- lique que la rose occupe une place d'élection dans le jardin du Dieu d'amour; voilà pourquoi aussi Guillaume de Lorris en fait porter une couronne aux principaux personnages de sa cour“, depuis le dieu lui-même, 1. A riberas d’aquel rio viera estar rosal florido.. Cogi rosas con sospiro. Bôhl, Floresta, vol. I, p. 302, n° 273, v. 6-10. 2. Chants du peuple en Grèce, par M. de Marcellus. Paris, 1851 in-8, vol. I, p. 373, n° 10, Melpomène. 3. Op. laud., vol. IT, p. 309, n° 20, Chansons des roses. 4. Le Roman de la Rose, éd. Fr. Michel. Paris, 1864, in-12, v. 899-900, 833-34 et 557-586. 308 LA ROSE AU MOYEN AGE. Qui ot ou chief un chapelet De roses, jusqu’à Déduit, à qui « Léesce » en a aussi donné : Li ot s'amie fet chapel De roses qui moult li sist bel, et à Oyseuse, « la noble pucelle, » laquelle Ung chapelet de roses tout frois At dessus le chapel orfrois. « Celui dont le cœur brûle d'amour », dit le Tann- häuser' faisant en quelque sorte la théorie de cette coutume, « doit porter une couronne de roses ». Chez tous les poètes des derniers siècles du moyen âge, un « chapel » de roses apparaît comme la parure ordinaire des amants : Si voit de la forest issir, Tot bellement et a loisir Dusc’ a i1j.xx. damoiselles..…. Capeaux de roses avoient En lor chiés mis et d'aiglentier Por le plus doucement flairier..…… Et sur .]. destrier de les lui Avoit cascune son ami, lit-on dans un ancien lai”, dont il est superflu d’ex- D P pliquer le sens allégorique. 1. Ob im sin herz von minne enbran, der soll von rôsen einen kranz tragen. Minnesinger, vol. II, n° 83, v. 19-21. 2. Lai du trot, v. 76-85 et 112-113, publié par Francisque Michel. Paris, 1845, p. 74 et 76. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 309 Au jardin du voisin je suis entré, dit le héros d'une chanson morave !, Je m'y suis couché et endormi, et j'ai rêvé de ma belle amie. Quand je me suis réveillé, per- sonne près de moi, rien que deux roses vermeilles épa- nouies au-dessus de ma tête. J'ai cueilli ces roses, j'en ai tressé une couronne, les ai mises à mon chapeau et suis allé à la danse nuptiale. Cette couronne mise ainsi par le jeune Morave à son chapeau, qu’est-elle, sinon le signe manifeste des sentiments d'amour qui l'animent ? Une chanson serbe * nous montre également Mitza, « la belle», et « qui a la maison la plus blanche », cuetllant des roses et en faisant des bouquets; elle en offre un au faucon gris, c'est-à dire à son fiancé, comme gage de son amour. Dans un chant tchèque” nous voyons de même une jeune fille cueillir une rose, qu'elle offre successivement à son père, à sa mère, à son frère; mais cette fleur n'est point faite pour eux; enfin elle la présente à son fiancé, à qui seul elle doit appartenir. Les chansons de l'Ukraine parlent aussi d’une jeune fille qui ne veut donner la rose qu elle a cueillie à aucun des siens, mais la garde pour son fiancé*, tant la rose était devenue le sym- bole et l'emblème de l'amour. 1 Uhland, Schriften, vol. Ill, p. 252. 2. Kurelac, Jatke, n° 50, ap. Potebnia, Obiasnenia, ete. (Ex- plication des chansons populaires de l'Ukraine). Kharkov, 1887, in-8, vol. I, p 488. 3. Plohl-Hordvig, //rvatske narodptesne, n° 53, ap. Potebnia, op. laud., vol. II, p. 489. 4. Golovatzki, Recueil de chansons populaires, ap. Potcbnia, op. laud., vol. I, p. 488. 310 LA ROSE AU MOYEN AGE. Ne peut-elle s'épanouir, c’est la marque d’un amour dédaigné’; vient-elle à s’effeuiller, c’est un signe d'abandon”. Les amants se jettent des roses” en signe d'affection. C’est sous un bosquet de ro- siers que l’amie attend son ami-éloigné*. Si des amants jettent sur un cours d’eau des pétales de rose et que deux d’entre ceux-ci surnagent sans se sépa- rer, c’est signe que leur mariage est prochain”. Dans une ballade danoise, le noble Tidemand, ne pouvant gagner l'amour de la befle Blidelille, grave des runes puissantes sur des roses et les jette à la mer près du rivage où les porte le flot; la belle Bli- delille trouve ces roses, elle les porte chez elle et les place sur sa couche*; mais voilà qu'à minuit elle s’éveille, violemment agitée par un songe; c’est l'amour du noble Tidemand qui pénètre à son insu dans son cœur. Iei les roses exercent une action ma- gique qu'elles doivent peut-être à la présence des runes, et qui est inconnue aux autres traditions 1. Chanson tchèque, ap. Sobotka, Rostlinstvo a jeho vyznam vnarodnich pisnich.. slovanskych. V Praze, 1879, in-8. 2. Chanson tchèque. /bid. Chanson de la Lusace. Zhid. Chanson tchèque. Zbid. À. Ritter von Perger, Deutsche Pflanzensagen, p. 232. Det var Jomfrud Blidelille, Tog hun op de Roser to, hun ganger ud med den Strand : Stak dem i Aermelin, fandt hun dèr de Roser to, saa bar hun dem i Bure hjem, de flüde ind for det Land : lagde dem paa Sengen sin. Svend Gruntvig, Danmarks Folkeviser 1 Udvalg, I, n° 23. Hr. Tidemands Runer, p. 290. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. sd LE romanes ou germaniques, dans lesquelles elles figu- rent. Mais 1l n’était point besoin de runes pour que les roses servissent à gagner l'affection; le présent de ces fleurs était le plus agréable et le plus propre à l'obtenir. « Fleur, reçois cette fleur », dit dans un chant anonyme du x siècle un ami à son amie, à qui il présente des roses’. C’est à cause de cette signification symbolique reconnue de tous qu’on offrait des roses à l’ami ou à l’amie dont on recher- chait l'affection : En no jardin Je suis entrée Trouvay la rouse espanouye : Si doucement Je l'ay cueillie Et l’ay donnée à mon amy, lit-on dans une chanson du xv° siècle*. Pour gagner l'amour de sa dame, Froissart aussi se rend dans un jardin rempli de fleurs, Et la une vermeille rose Coillit sus un moult vert rosier, et « sans point noisier » 1l va l’offrir à celle à qui 1l veut plaire. Et la jeune reine du Chatiment des Dames de Fran- 4: Suscipe Flos florem quia flos designat amorem. Carmina Burana, p. 217, n° 147. La vignette qui accompagne ces vers représente une double branche, l’une qui porte des lis, l’autre des roses. 2. Chansons du xve siècle, p. 74, n° 76, str. 2. 3. L'espinette amoureuse, v. 986-87. (Poésies, vol. I, p.115.) S à LA ROSE AU MOYEN AGE. cesco da Barberino envoie une guirlande de roses au roi, signe de l’amour qu'elle lui donne et qu’elle lui avait d’abord refusé. Faisons chose plaisante, fait dire Nithard à un gai compagnon qui brigue la main d'une villageoise ? ; allons au milieu des fleurs cueillir des roses et tressons-en une couronne qu'en ce mois de mai nous porterons à la danse. Une chanson allemande, plus récente”, 1l est vrai, parle aussi de roses cueillies et envoyées pour la danse des fiançailles par un ami à son amie. Un autre lied nous représente l'ami endormi dans un jardin, révant de celle qu'il aime et vers laquelle se repor- tent toutes ses pensées; mais à son réveil il n'aper- çoit que des roses vermeilles; il en cueille ce qu’il peut et les donne à son amie, qui en fait une cou- ronne et la lui place sur le front; longtemps cette couronne fait sa joie; enfin elle se fane; mais que lui importe, puisque celle qu'il aime est maintenant à lui°. 1. Del regimento e de’ costumt delle donne. Roma, 1815, in-8, p. 121. 2. Nu tuo wir gemelichiu dinc unt gè wir in die bluomen brechen rôsen z’ einem kranz, die wir in dem meien tragen zuo dem tanz. Minnesinger, vol. HT, p. 236 a. 2 À Ich brach mir die rüslein abe zu einem kranze, Ich schickt sie meinem feinen lieb zum lobetanze. Franz M. Bühme, Altdeutsches Liederbuch, no 140. #. Franz M. Bühme, op. laud., n° 176. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. S1à Dans l’ancienne poésie allemande et néerlandaise, l'expression « cueillir des roses » — il en est de mème de celle de « boire du vin frais" » — est syno- nyme de briguer l’amour de quelqu'un ou de se marier. Dans un lied allemand?, deux amants s’en- tretiennent de leur séparation prochaine : « Quand reviendras-tu, mon bien-aimé, cueillir des roses vermeilles et boire du vin frais ? » — « Quand il nei- gera de vermeilles roses, ma bien-aimée, et pleuvra du vin frais. » Restée seule, l’amie se rend un jour dans le jardin de son père; elle s’y couche, s’y en- dort et rève qu'il pleut du vin frais. Mais quand elle se réveille, elle voit seulement des roses en fleur au- dessus de sa tête. Alors elle se fait construire une maison — sa dernière demeure; — quand elle est terminée, elle s’y endort, une couronne de roses à la main et après avoir bu le vin du Seigneur. Cepen- dant son ami revient enfin; 1l se rend au jardin avec une couronne de roses et une coupe de vin. Mais il heurte du pied une tombe; il chancelle. « Alors, dit le poète, 1l neigea des roses et 1l plut du vin. » Partout la rose apparaît ainsi comme l'emblème de l’amour qu'on éprouve ou qu'on réclame : c’est aujourd’hui encore la coutume, dans le midi de la France, — on la rencontre aussi dans d’autres pro- vinces, — d’attacher, le premier jour de mai, une 1. Par un souvenir, comme le remarque Hoffmann von Fallers- leben {Wiederländische Volkslieder, préface, p. xiv), de l’an- cienne coutume d'offrir du vin aux nouveaux mariés le lendemain des noces. 2. Des Knaben Wunderhorn, vol. IT, p. 52. 314 LA ROSE AU MOYEN AGE. rose à la porte de la jeune fille dont on recherche l'amour’. En Allemagne, on jetait une rose dans la chambre de celle qu’on aimait”, ou on linvitait à venir voir les fleurs de son jardin et à en cueillir, ou on en cueillait pour elle. L'été est venu, mes belles roses sont en fleur; ne veux-tu pas venir les voir dans mon jardin? dit un vieux lied allemand ?. Il lui cueillit les plus belles roses ; un bai- ser, un baiser elle lui donna en retour. Et dans un autre lied* : Mon trésor, va m'attendre dans le jardin, nous y dirons de douces choses et cueillerons des roses en ce beau lieu. 4. Mistral, Lou tresor dou Felibrige, s. v. roso. 2: Er thät ein Rôslein brechen, Zum Fenster stiess er s hinein. Uhland, Schriften, vol. IIT, p. 422. E. Der Sommer ist da, meine Rosen blühn schôün : Willst du nicht meine Rosen im Garten ansehen ? Die schünsten Rosen pflückte er ihr, Einen Kuss, ein Kuss gab sie ihm dafür. Fr. L. Mittler, Deutsche Volkslieder, n° 310, str. 16 et 17. 4. Schatz, geh in Garten, Ein angenehmes Wort, Da sollst du warten, Und Rosen brechen Da wollen wir sprechen An jenem Ort. Mittler, /bid. Dans un autre lied. le poète invite sa dame à venir avec lui dans la prairie, où fleurissent de belles roses : Ach Jungfrau! wollt ihr mit ihm gan ? Da wo die schünen Rôslein stan, Draussen auf jener Wiesen. Gürres, op. laud., p. 190. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 315 Le même motif se rencontre également dans les vieilles chansons néerlandaises : Ah ! jeune fille, voulez-vous venir avec moi? dit l’une d'elles!; je vous conduira là où fleurissent les roses. Trois roses qui se trouvent sur la même tige, — ce qu'on appelle en Allemagne un « roi des roses » (Rosenkünig), — étaient considérées comme le pré- sage d’un mariage”; le présent de l’une d'elles avait dès lors une valeur toute particulière : Si J'avais à faire trois souhaits, trois nobles souhaits, dit une chanson néerlandaise, je me souhaiterais trois roses sur la même tige; j'en cueillerais une, je laisserais la seconde ; la troisième Je la donnerais à l’amie que j'ai. Ces trois roses sont parfois aussi représentées comme quelque chose de rare ou même d’impossible à trouver, surtout en hiver. C’est ainsi qu’au che- valier qui lui demande son amour une jeune fille répond qu'elle ne sera à lui que s’il lui apporte « trois roses, qui aient fleuri dans l’année, entre les 1 Och maechdelijn, woudi met mi gaen, ic soude u leien daer rooskens staen. Antwerpener Liederbuek, n° 61, 4. 2. À. Ritter von Perger, Pflanzensagen, p. 231. 3. Had ic nu drie wenschen, Die ene soude ic plucken, drie wenschen also eel, die ander laten staen, so soude ic nu gaen wenschen die derde soude ic schenken drie rosen op enen steel. der liefster die ic haen. Hoffmann von Fallersleben, Niederländische Volkslieder, n° 103, str. 6 et 7. 316 LA ROSE AU MOYEN AGE. jours gras et Pâques »'. Le chevalier, n'ayant pu découvrir ces roses, en fait peindre trois; 1l les porte à la jeune fille, qui se met à pleurer*. « J’ai dit, reprend-elle, ces paroles en plaisantant; je ne croyais pas que tu pusses trouver ces roses. » — « Si tu as dit ces paroles en plaisantant, sérieuse- ment tu dois les tenir; je suis à toi comme tu es à moi; remets-t’en du reste à Dieu”. » Dans un conte allemand les trois roses ont une signification merveilleuse toute différente’. Un homme avait deux filles, l’une méchante, l’autre bonne. Un jour qu'il allait à la foire, la première lui demanda de lui apporter une robe de soie, la seconde ne lui demanda que trois roses sur une tige’. Le : M Dein eigen das en werd ich nicht, Du bringst mir denn drei rosen, Die in dem jar gewachsen sein Zwischen fastnachten und ostern. Franz M. Bühme, op. laud., n° 62, str. 2. 2. Dans une autre version, n° 61, c'est en hiver que les roses doivent avoir fleuri; le chevalier finit néanmoins par en découvrir, et quand il les apporte à la jeune fille, elle se met à rire. 3. Und da das mägdlein die rüslein ansach hub an heimlichen zu weinen : « Ich habe ein wort im schimpf geredt, ich meint , du fündest ir keine. » « Hastu ein wort im schimpf geredt, im ernst solstu es mir halten! so bin ich dein und du bist mein, drum lass dir den lieben gott walten. » Meier, Volkssagen, p. 202, ap. Ritter von Perger. p. 233. 4. 5. Suivant une autre version, il ne s'agit que d'une seule rose, LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 31% père acheta la robe, mais 1l ne put sur tout le mar- ché trouver les trois roses. Il s’en revenait tout attristé de n’avoir pu satisfaire au désir de sa douce et bonne fille, quand 1l passa devant un jardin rem- pli de rosiers et aperçut trois roses épanouies sur la tige de l’un d'eux; il s’empressa de les couper. Mais soudain un monstre apparut devant lui, le saisit et ne le laissa aller qu'il n’eût promis de lui donner sa fille comme épouse. Le père, effrayé, le promit et, laissé libre, revint chez lui avec les roses. Sa fille, qui ignorait à quelle condition 1l les avait obtenues, se réjouit beaucoup de les avoir. Tout paraissait oublié lorsque, à quelque temps de là, un char s’ar- rêta devant la maison; c'était la jeune fille qu'il venait chercher et elle partit au milieu des larmes des siens. Elle finit cependant par s’accoutumer à sa nouvelle existence et à la société du monstre, et un Jour que celui-ci ne revint pas comme à l’ordi- naire, elle se mit tout inquiète à sa recherche ; elle le découvrit étendu sans vie près d’un étang; une violente douleur la saisit à cette vue; elle se baissa en versant d'abondantes larmes sur le mort; mais à peine l’eurent-elles touché qu'il revint à la vie sous la forme d’un beau jeune homme. L'amour avait levé le charme qui le tenait transformé. Dans nos vieilles chansons 1l n’est point question de trois roses croissant sur la mème tige, mais seu- mais demandée pendant l'hiver. Paulus Cassel, Zose und Nachti- gall, p. 1. 318 LA ROSE AU MOYEN AGE. lement de « trois fleurs d'amour », lesquelles néan- moins étaient sans doute des roses : Hier au matin mi levai En notre jardin entrai, Trois fleurs d'amour j'y trouvai, Une en prins, deux en laissai, A mon ami l'envoirai, Qui sera Joieux et gay. Dans une variante de cette chanson, c’est l’ami qui trouve les roses, et de celles qu'il cueille il tresse une couronne pour son amie * : Ung chapelet fait en ay; De trois rens le començay Et a quatre l'achevay A m'amye le donray En ceste nouvelle saison. Les roses n'étaient pas seulement un gage d’affec- tion ; elles étaient aussi regardées comme s'associant à la joie des amants dans leurs rencontres; un min- nesaenger*® est allé jusqu'à dire qu'elles poussent de terre à la vue de l’ami qui presse son amie dans ses bras; elles leur sourient du moins et s'associent à leur allégresse. Comme la rose était le gage et l’emblème de 1. Uhland, Schriften, vol. III, p. 519, note 199. 2. Chansons du xv®e siècle, p. 9, n° 8. 3. Die boum begonden krachen und der ritter näch neic… die rosen sêre lachen.….. Vil rôsen üz dein grase gienc, D diu vrouwe nider seic dô liep mit armen liep enphienc. Ges. Abenteuer, vol. I, p. 464, v. 3:5-46, 349-50, 353-5#. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 319 l’amour, un poète a pu supposer qu'il était interdit aux moines de s’en parer : Vert ne vermeil porterés, Bouqués, roses ne marjolaines. Il leur défend même de se reposer à l’ombre d’un rosier où d'un églantier, ainsi que de prêter l'oreille aux chants du rossignol : En printemps nouvellet, Quant par boys ou champs passerés, Des que orrez le rossignolet, Vos vigilles des mors dirés, Et (que) jamais ne dormirés Soubs aubespins ou esglantiers, Autre part tant que vous vouldrez, Pourveu qu'il n'y ait des rosiers!. En Allemagne, c’est aux vilains qu'il était interdit de se parer de roses, et un poète leur assigne en échange des couronnes d’orties, marque de dédain et de mépris : Vilain, dit-il à un paysan arrogant?, laisse ces roses; elles ne sont pas pour toi; c'est une couronne d'orties quil te convient de porter. Kriemhild, dans une des rédactions du grand 1. L'amant rendu cordelier à l’observance d'amour, publ. par À. de Montaiglon. Paris, 1881, in-8, v. 1399-1400 et 1369-76. 2: O Bauernknecht! lass die rôslein stan ! Sie sein nit dein ; Du tregst noch wol von nesselkrant Ein krenzelein. Bôhme, op. laud., n° 222. 320 LA ROSE AU MOYEN AGE. Rosengarten', fait dire aussi aux guerriers de Berne qu'ils pourraient bien emporter de Bourgogne une couronne d’orties, au lieu de roses vermeilles. Dans un de ses poèmes les plus gracieux, Caris- tine de Pisan suppose que la déesse de Loyauté a été chargée par le dieu d'Amour d'établir un «ordre », destiné à prendre la défense des dames contre leurs détracteurs. Elle apparait tout à coup au milieu d'une noble assemblée, réunie, le 14 février 1401, chez le duc d'Orléans, et offre aux assistants, de la part du dieu, des « roses odorables, blanches et ver- meilles ». Ce sont les insignes de l’ordre nouveau, et chaque membre, avant de « prendre la jolie rose » qui lui revient, fait le vœu suivant : A tousjours mais la bonne renommée Je garderay de dame en toute chose, Ne par moy ja femme n'y ert diffamée : Et pour ce prens Je l'Ordre de la Rose?. On comprend que la rose ait été choisie comme P q insigne d’un ordre supposé établi par le dieu d'A mour lui-même; ce qui est plus surprenant, c'est qu'elle at aussi servi d’emblème de paix et d'amitié. Dans nos plus anciens poèmes, un rameau d’olivier P P ) 1. Kriemhilt hat iuch entbotten und heisset iuch mere sagen, Ir mühtent lieber heimen ein kranz uz neslen getragen, Den da zuo Burgentriche die liechten rosen rot. Éd. v. d. Hagen, v. 207-209. 2. Le dit de la Rose, v. 201-204. OEuvres poétiques de Christine de Pisan publiées par Maurice Roy, vol. If, Paris, 1891, p. 35. LA ROSÉ DANS LES LÉGENDES PROFANES. 321 en était, ainsi que chez les Grecs et les Romains, regardé comme le symbole : Branches d'olive en vos mains porterez, Ce sinefiet pais et humilitet, dit Marsile, dans la Chanson de Roland, aux députés qu’il envoie auprès de Charlemagne. Dans le roman de Renaud de Montauban, au contraire, ce sont des roses que les fils Aymon, se voyant dans l’impuis- sance de résister à Charlemagne, portent dans leurs mains en allant implorer la clémence du redoutable monarque * : Es plains de Vaucolors nos covient chevaucier… Mais nos ni aurons ja palefroi ne destrier, Sor nos muls aragons irons esbanoier : Aurons rosses es mains et flors par amistié. Ils partent avec leur offrande pacifique et se ren- dent rassurés et contents vers le grand empereur : Or chevalchent li conte a Joie et a baldor, Chascuns porte en sa main une molt bele flor*. Non seulement la rose formait les liens de l’amour, elle pouvait servir encore à réunir les amants que le sort avait séparés. Telle elle apparaît dans le ro- 1. Laisse V, v. 72, éd. Léon Gautier. 2. Renaud de Montauban oder die Haimonskinder. alt- franzüsisches Gedicht nach den Handschr. hgg. von Dr. H. Michelant. Stuttgart, 1862, in-8, p 170, v. 29, 32-34. 3. P. 175, v. 1-2. Dans un autre passage, c'est un rameau de pin qui sert d'emblème : Chascuns porte en sa main .r. rain de pin petit Ce fu senefiance de joie et de delit. P:=095.20; JorET. La Rose. 21 299 LA ROSE AU MOYEN AGE. man si célèbre au moyen âge de Floire et Blancheflor", noms qui rappellent la rose et le lis”, ainsi que la saison dans laquelle les deux amants vinrent au monde. Élevés ensemble, malgré la différence de condition et de croyance, — Floire est le fils d’un roi sarrasin, Blancheflor a pour mère une esclave chrétienne, — les deux enfants éprouvent l’un pour l’autre la plus tendre affection. Le père de Floire, qui redoute pour son fils les effets de ce penchant, l'envoie étudier au loin et, en son absence, il vend Blancheflor à des marchands étrangers. Mais Floire ne peut supporter les tourments de l'absence; il revient à la cour, et quand il apprend le départ de Blancheflor, il se met à sa recherche. Après de longues aventures, 1l arrive à Babylone, dont l’émir 4. Floire et Blancheflor, poèmes du xie siècle publiés d’après les manuscrits... par M. Edélestand du Méril. Paris, 4856, in-18. Outre une double rédaction française, on connaît en- core une rédaction en haut et bas allemand, une version tchèque et flamande, plusieurs rédactions scandinaves, une traduction anglaise, l'imitation qu’en a donnée Boccace dans le filocopo et une version italienne en vers, une rédaction espagnole en prose et un poème en grec moderne. Introduction, p. 28-89. Cf. Emil Hausknecht, Floris and Blanchefleur, mittelenglisches Gedicht aus dem 13. Jahrhundert. Einleitung, p. 1-89. 3. Flos bedudet eine blome schone, ghelikent einer gulden kronen, Blanckflos bedudet eine witte blome wool. Van Flosse en Blancflosse, v. 102-103. 2: Le jour de la Pasque florie… Li doi enfant, quand furent né, De la feste furent nomé. Floire et Blancheflor, v. 161 et 169-70. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. SU a acheté son amie et la tient renfermée dans une tour. Floire gagne le gardien de la tour, et après avoir revêtu des vêtements couleur rose, il se place dans une corbeille pleine de roses” et on le porte ainsi dans la chambre de Blancheflor. Il est décou- vert, mais le sultan lui pardonne, et désormais les deux amants réunis vivent heureux. Sur leur tom- beau commun on les représenta sous la figure de deux jeunes gens, Floire offrant à son amie une rose vermeille, tandis que son amie lui donne un lis blanc*. Mais la rose ne rapproche pas seulement les amants éloignés, elle peut servir même à désigner l'époux marqué par le sort. C’est ainsi que dans un conte sicilien”, un roi en mourant recommande à son fils, quand une de ses sœurs se voudrait marier, de jeter dans la rue une fleur cueillie sur le beau rosier de la terrasse; celui qui la ramassera sera l'époux qui lui est destiné. La rose peut encore 1. Le trouvère français parle seulement de fleurs et non de roses, v. 2033 : De fleurs assez a fait cueillir ; mais son éditeur croit qu'il faut lire « de roses » et son imitateur allemand, Konrad Flecke, parle de roses encore couvertes de rosée : Wir wurde nie sû müede Von sû vil rôsen noch sû laz. Ich wæne sie wurden naz Gelesen in dem touwe. V. 5556-62. 2. Flore hüveschliche Siner friundin eine rôse bôt gemachet üzer golde rôt, Dà wider bôt im sin friundin ein gilje. V.2002-2006. 3. Laura Gonzenbach, Sicilianische Märchen, 1870, vol. IF, p. 111. Die Geschichte von Peze e fogghi. 324 LA ROSE AU MOYEN AGE. révéler la présence non soupconnée d’un ami caché ou déguisé’; sa vue rappelle à l'ami le souvenir de son amie absente”, à l’amie le chagrin que la sépa- ration à causé à son ami ; enfin elle encourage la première à supporter l'absence du second et à lui rester fidèle“. Aussi le délaissé prend-il cette fleur à témoin de sa douleur”; l’amie lui demande des nouvelles de son ami éloigné”, son éclat terni ou conservé révèle le sort d’un être cher’; elle peut même devenir le gage de la constance et de la fidé- > . Schleiden, Die Rose, p. 158. 2 Ich sach dà Rosenblumen stân Die manent mich der Gedanke vil, Die ich hin zu einer vrowen häàn. Dietmar von Aist, Minnesinger, vol. TI, p. 98, b, 4. 3. Ich sach boten des sumeres, daz wâren bluomen also rôt : weistu, schœne vrouwe, waz dir ein riter enbôt ?.… im trüret sin herze, sit er nu jungest von dir schiet. Minnesinger, vol. I, p. 220 b, 12. Es sten dri rosen in jenem dal ps die rufent jungfraw an : Got gesegeneuch, schüne jungfraw, und nement kein andern man! Franz M. Bühme, op. laud., n° 156, str. 12. . Klag’ Alles, das Der Himmel beschlos ! Klag Rôslein fein ! Gœærres, Volkslieder, p. 73. 6. Nun sag’, nun sag, gut Rôslein roth, lebet mein Buhl’ oder ist er todt ? Er lebet noch, er ist nit todt, er liegt vor Münster in grosser Noth. Ubhland, Schrifien, vol. IIT, p. 428. 7. J. G. von Hahn, Griechische und albanesische Märchen, Leipzig, 1864, in-8, vol. I, p. 231. L LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. BRU lité conjugale; c’est ce que montre l’histoire du chevalier Margon dans le Roman de Perceforest. D'une condition humble, mais vaillant, Margon avait épousé la belle Lisane, fille d'un des seigneurs les plus puissants de la Grande-Bretagne. Mais se voyant, à cause de sa pauvreté, dans l’impossibilité de tenir un rang convenable, il résolut, sur le con- seil de sa femme, de chercher fortune à la cour du roi. Une chose le retenait toutefois, l’amour qu'il avait pour Lisane et la crainte des dangers que sa jeunesse pouvait courir dans l'isolement. Mais Lisane le rassura, en lui donnant, renfermée dans une boîte d'ivoire, une « rose de telle nature que s’il advenait qu’elle méfit de manière à mériter reproche, cette rose deviendrait toute sèche. (Mais) tant qu’elle demeurerait loyale envers lui la rose resterait fraiche, comme s1 elle fût nouvellement cueillie du rosier et tant tiendrait sa couleur »'. Rassuré par la possession de ce talisman, Margon se rendit auprès du roi Perceforest, dont 1l gagna bientôt les bonnes grâces. Mais la faveur dont 1l jouissait ne lui fit pas oublier sa chère Lisane, et plusieurs fois Le jour on le voyait se retirer à l'écart, et là 1l contemplait la rose qu’elle lui avait donnée et s’abandonnait à la joie de la «trouver toujours vermeille et odorante ». Son bonheur devait bientôt être troublé. Deux chevaliers de la cour d'Angleterre, Méléan 1. Anciennes croniques Dangleterre faicts et gestes du tres pieux et redoubté en chevalerie le noble roy Perceforest A. Paris, 1582, lib. IV, chap. 16, fol. 45, b 2 et 50, a 1. 326 LA ROSE AU MOYEN AGE. et Nabon, jaloux du crédit de Margon, épièrent ses démarches et accusèrent sa conduite auprès du roi; mais quand Perceforest eut appris de la bouche de Margon pour quelle raison celui-ei se retirait chaque jour loin de la foule, il n'en eut que plus d'estime pour ce chevalier et conçut en même temps la plus grande admiration pour Lisane. L’envie que Méléan et Nabon ressentaient pour Margon n’en fit que gran- dir, et, dans leur haine, 1ls formèrent le dessein de séduire sa femme et de ruiner par là la faveur dont il était entouré. Méléan partit le premier et se pré- senta devant Lisane, comme envoyé par son mari. Après plusieurs jours passés au château de Margon, il crut le moment venu d'accomplir son projet; Lisane feignit de l’écouter, mais l’enferma un soir dans une tour dont elle emporta la clef. Le lende- main, à son réveil, Méléan se trouva prisonnier, et sur la muraille il lut une inscription qui le condam- nait par « pénitence » à rester dans la tour et à y filer pour « gagner son pain'». En même temps 1l aperçcut sur une table une quenouille et du lin, avec des fuseaux. Cette vue le remplit d’abord de fureur; mais bientôt, la faim venant, 1l se calma et finit même par se résigner à son sort. Cependant Nabon, n'ayant point vu revenir son ami Méléan, se rendit à son tour au château de Mar- gon. Comme Méléan, il fut bien accueilli par Lisane ; comme lui, 1l chercha à la séduire; mais, comme 1. Anciennes croniques Dangleterre, etc., Liv. IV, chap. 16, fol. 47, b 1. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. ser) lui encore, il fut enfermé dans la tour et obligé de filer pour obtenir à manger. Un an presque s’écoula ainsi. Margon commenca à s'inquiéter et demanda au roi Perceforest la permission de retourner dans son pays. Arrivé chez lui, sa femme n'eut rien de plus pressé que de le conduire à la tour où étaient enfermés Méléan et Nabon; là 1l apprit de leur propre bouche le récit de leur criminelle tentative et de leur punition. Il revint ensuite à la cour de Bretagne, mais cette fois accompagné de sa femme, qui se vit fètée et honorée comme la « dame qui avait appris aux chevaliers à filer” ». Il faut rapprocher de cette légende celles de la tunique toujours blanche et inusable du soixante- neuvième récit des Gesta Romanorum”, donnée par une mère à son gendre en gage de la fidélité de sa femme, ou du portrait de l'héroïne de la vingt et unième nouvelle de Bandello*, qui doit rester frais et brillant, tant que sa vertu sera immaculée, mais se ternira si elle trahit sa foi, ainsi que du fableau 1. Anciennes croniques Dangleterre, etc., Liv. IV, chap. 18, OC UE. @, 2. 2. Camisia ista talem virtutem habet, quod nunquam toto tem- pore vitae tuae lotione indiget, nec frangi potest, nec consumi, nec colore mutari, quamdiu inter te et filiam meam sit amor fidelis ; si vero (quod absit!) aliquis ex vobis matrimonium violaverit, statim camisia omnes ejus virtutes amiserit. P. 108, éd. Keller. 3. Si la moglie tua non ti romperà la fede maritale, vedrai sem- pre la imagine si bella e si colorita... ma se per sorte ella pensasse sottoporre a chi si sia il corpo suo, la imagine diverrà pallida. Fol. 141 vo, éd. de Lucques, 1550. 328 LA ROSE AU MOYEN AGE. du Mantel mautaillé”, qui s'adapte de lui-même à la taille des épouses qui ont gardé la foi conjugale et s’allonge ou se raccourcit pour ne pas aller aux femmes infidèles*; mais elle rappelle surtout les talismans qui figurent, nous l’avons vu”, dans le Livre du perroquet du persan Nachshebi et dans le recueil ture intitulé La Joie après la tristesse, et elle est sans doute, comme ces contes eux-mêmes et le récit des Gesta Romanorum, d’origine orientale"; mais elle dut passer de bonne heure en Occident et elle y devint populaire, en particulier en Angle- terre. L'auteur anonyme du roman de Perceforest dit qu’elle fut chantée par les Bretons dans un lai « qu’on appela le lai de la rose” ». Ce lai est perdu; mais on possède encore l’imitation qu'Adam de Cob- sam a faite de l’histoire merveilleuse de la rose de Lisane dans un de ses plus jolis contes : La chaste 1. La fée fist el drap une oevre Se ele a de rien messerré Qui les fausses dames des- Vers son seigneur, se ele l'a, [cuevre : Ja puis a droit ne li seira. Ja fame qui l’ait afublé, Ferd. Wolf, Ueber die Lais, p. 346. 2. Il y a bien d’autres légendes de ce genre. Cf. Édélestand du Méril, Floire et Blanceflor, Introd. p crxvur. 3. Partie IL, chap. III, p. 120. 4. Après l'avoir dit dans sa belle étude sur le conte d'Adam de Cobsam, M. Reinhold Kühler semble admettre, dans un post-scrip- tum, que cette légende, au contraire, a passé de Grèce en Orient. Jahrbuch f. rom. u. engl. Literatur, vol. VII, p. 167. 5. Anciennes croniques Dangleterre, etc., liv. IV, ch. 18, fol:'515 4:72, LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 329 femme du charpentier". Ici seulement, ce n’est pas une simple fleur, mais une couronne de roses, qu'une pauvre veuve donne à son gendre, joyau précieux dont la fraîcheur conservée doit l’assurer de la fidé- lité de sa femme. VE Comme dans la poésie orientale, la rose est deve- nue aussi, dans la poésie occidentale du moyen âge, l'emblème et la personnification de la personne aimée. L'auteur anonyme du poème latin de Phyllis et Flore appelle son amie « la fleur des jeunes filles et la rose des roses” »; pour un autre poète”, également latin et anonyme, son amie est une « rose*», la « rose 1. The wrightes chaste wife or a fable of a wright that was mayde to a pore wydows dowtre, the which wydow having noo good to geve with her gave as for a precious Johelle to hÿm a Rose garland, the which she afjirmed wold never fade while she kept truly her wedlock. À merry tale by Anam or Cogsam, ed. by Fred. Furuival. London, 1865. 2: Flos est puellarum Et rosa rosarum. Carmina Burana. Lateinische und deutsche Lieder und Gedichte einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuren. Stuttgart, 1847, in-8, n° 65, p. 208, str. 140-3. 3. L'auteur du poème appelé Carmen de rosa par M. Ernest Langlois, Origines et sources du Roman de la rose. Paris, 1891, p- 37. 4. per quandam vetulam rosa prohibetur, Ut non amet aliquem atque non ametur. Carmina Burana, p. 151, n° 50, str. 4, v. 3-6. 330 LA ROSE AU MOYEN AGE. du monde‘», ou encore une « rose de mai, la fleur des fleurs, plus belle que toutes les autres? ». Pour un trouvère, aussi anonyme et leur contemporain, C’est la rosete, c'est la flor, La violete de doucçor*. Un autre l’appelle Flor de lis, rose espanie, Taillie por esgarder*. L'auteur du Dit de la Rose à expliqué lui-même cette allégorie charmante : Par la rose puet l'en entendre, La belle qui assez plus tendre Est et fresche come rose en may, Et je suis cil qui esté ai En si grant desir longuement D'avoir s'’amor entirement*. La bien-aimée, pour laquelle le véritable amant se « dueil », n’est-elle pas aussi « sans pareille » à ses yeux, comme la rose, i Ave mundi rosa. Zbid., str. 8, v. 6. vidi florum florem, Vidi rosam madü, cunctis pulchriorem. Ibid., str. 6, v. 2-4. 3. Recueils de motets francais des xu® et xin° siècles, pu- bliés par Gaston Raynaud. Paris, 1881, in-12, vol. I, p. 150. 4. Recueil de motets, vol. I, p. 146. Adenet dit aussi de Clar- mondine qu'elle est une Flor de lis et rose espanie. Cléomadès, v. 6034. 5. Bartsch, La langue et la littérature francaises. Paris, 1887, in-8, p. 606, v. 27-33. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 3931 Qui plus bele est sus toutes choses. Et par coleur et par odeur Vaut [ele] miex que nule fleur. Dans le Roman de la Rose, où Guillaume de Lorris a repris la donnée du Dit de la Rose, déve- loppée une première fois dans le poème de Vénus la déesse d’amour?, nous voyons l’amant poursuivre le dessein longtemps traversé de cueillir le bouton de rose, dont la beauté et l’éclat l’ont charmé dans le jardin du Dieu d'amour, Car une color l’enlumine, Qui est si merveille et si fine, Com nature la pot plus faire, et les maux d’amer, Qui lux soloïent estre amer, ne s’apaisent que quand, secouru par Vénus, Ung baisier dous et savoré Ali] pris de la Rose erraument*. Guillaume de Lorris ne pouvait désigner sous une forme plus gracieuse et plus claire son amour et celle, tant digne d'estre amée Qu'el doit estre rose clamée#, qui en était l'objet. 1. Dit de la rose, Bartsch, p. 609, v 6 et p. 610, v. 2-6. 2. De Venvs la deesse d'Amor, altfranzüsisches Minne- gedicht aus dem XIII. Jahrhundert nach der Handschrift B. L.F.283 der Arsenalbibliotheck in Paris zum ersten Male hgg. v. WenpeLiN Forster. Bonn, 1880, in-12. 3. Roman de la Rose, v. 1667-69, 4093-94 et 4088-89. &. Vers 43-44, vol. I, p. 2. 33 LA ROSE AU MOYEN AGE. Nos anciens poètes sont restés fidèles à cette allé- gorie'; c’est, dit l'un d’eux de son amie, La doulce fleur que mon cueur aime tant. Je suis, chante un autre, Je suis amoureulx d'une rouse *?. L'imitation italienne du Roman de la Rose dans Il fiore* et les traductions qui furent faites de ce poème en anglais* et en néerlandais” portèrent bien au delà de nos frontières cette ingénieuse fiction; on la rencontre dans toutes les littératures du moyen âge. La personne aimée est la « rose sur la bruyère » des minnesaenger allemands; pour eux encore « elle ressemble à un rosier » et « fleurit comme une rose? ». « O toi, mon étoile du matin à son lever, ma fleur, ma rose », s’écrie Schionatulander, en par- lant à son amie”. 1. Chansons du xv® siècle, p.78, n° 80, v. 3; p.74, n° 76, v.1. 2. Villon de mème appelle son amie «m amour ma rose », n° Lxxx, L'AE LA 3. D'Ancona, Varietà storiche et letterarie. Milano, 1885, vol. II, p. 1-31. 4. W.W.Skeat, Essays on Chaucer, Chaucer's Society, 1884, vol. V, p. 437-53. 5. Petit, Bibliographie der meddelnederlandsche Taalen Letterkunde. Leiden, 1888, n° 468, p. 72-73. Le traducteur néer- landais le plus célèbre du roman de la Rose fut Heinrike van Aken. 6. Rôsen aüf der heide. Nithard, éd. Ben., v. 441. 72 Sie gleicht wol einem rosenstock… Sie blüet wie ein rüselein. Franz Bôhme, Altdeutsches Liederbuch, n°147, v. 1 et 5. 8. Dù min üfgender morgensterne, Dù bluom , dù rôs. Titurel, éd. F. Pfeiffer, str. 220. LA ROSÈ DANS LES LÉGENDES PROFANES. 399 Pour les poètes néerlandais, imitateurs des trou- vères et des minnesaenger, leur amie est un « ro- sier » ou un «églantier odorant'». Dans les lieds danois la bien-aimée du poète est aussi une « fleur de rose », une « rose vermeille”® ». Ulva, la fille du petit nain, dans la ballade suédoise du noble Thinne, est une « rose au milieu des lis ». La bien-aimée des poètes italiens’ et espagnols”, est également une « rose fraîche » et « parfumée », «belle et chère ». Mème symbolisme chez les poètes slaves‘. Leur amie est une «fleur de rose», une « rose fleurie* », ou encore une « rose vermeille, ni plantée, ni gref- fée* », elle est « belle comme une fleur de rose‘ » ou «comme une rose double" ». Dans la poésie 1. wel rieckende eglentier Antw. Liederboek, n° 7, ap. Kalff, Het lied, p. 335. 2: Rosens blomme, rose rüd, etc. Uhland, Schriften, vol. III, p. 496, note 143. 3. Eine Rose unter Lilien. O. L. B. Wolff, Proben altholländischer Volkslieder, Greiz, 1832, in-18, p. 115, str. 9. k, Rosa fresca ed aulentissima. Ciullo d'Alcamo, Z{ contrasto, v. 1. 5. Rosa fresca, rosa fresca, Tan garrida y con amor. Bühl, Floresta, vol. I, p. 256, n° 149. 6. Sobotka, Zostlinsivo a jeho vyznam v narodnich pisnich ‘*-slovanskych. V Praze, 1879, in-8. 7. Chanson de la Petite Russie. 8. Chanson bulgare. 9. Chanson serbe. 10. Chanson tchèque. 11. Chanson de la Petite Russie. 334 LA ROSE AU MOYEN AGE. hongroise aussi la personne aimée est une rose. « Ma chère rose, que fais-tu ? » dit une vieille bal- lade‘. Et dans une chanson populaire? : Scarabée de mai, petit scarabée d'or, je ne te demande pas quand viendra l'été; dis-moi seulement, ma rose sera-t-elle à moi? « O ma chère rose vermeille », dit aussi un poète grec à son amie’. Un autre‘ l’appelle une « fleur charmante et une rose parfumée ». Pour un troi- sième c'est «une blanche petite rose », une « rose effeuillée, fleurette parmi les fleurs” VIE. Quand la rose servait ainsi, dans la poésie du moyen àge, à personnifier la bien-aimée du poète, on pourrait s'attendre à ce que celui-ci y apparût, ainsi que dans la poésie persane, sous les traits du rossignol et à ce que les troubadours et les trou- 1. Ballades et chansons populaires de la Hongrie, traduites par Jean de Néthy. Paris, 1891, in-18, Ballade n° XX VII. 2. Ibid. Chanson n° I, 1. 3. TotavrapuAkxx 1° x0x%2:v0. M. de Marcellus, Chants du peuple en Grèce, vol. T, p. 342. &. ‘Poûoy ebocuov Kat vo: eûuosonv. Ibid., vol. IF, p. 311. 5. "Acrpo, ÀERTO TotavtænuAAov. *Q $odo pou Ecpobvrwto. Émile Legrand, Recueil de chansons populaires grecques. Paris, 1873, in-8, p. 38, 9 et p. 366, 88. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. SA vères ou les minnesaenger aient raconté, comme les poètes persans et turcs, leurs amours sous l’allégorie transparente des amours du rossignol et de la rose. Il n'en est rien. Les poètes de l'Occident ont bien fait une place au rossignol dans leurs chants, mais ils ne se sont pas, comme leurs émules de la Perse, identifiés avec lui et ils n'en ont pas fait l'interprète de leur amour. Héraut du printemps, la saison des amours et des fleurs nouvelles, son « doux chanter » provoque‘ et « semont” » le poète à se faire entendre; il lui remet en souvenir ses propres amours‘, et le fait penser 1. Quan lo rius de la fontana el rossignoletz el ram s’esclarzis, si cum far sol, volf e refraing et aplana e par la flors aiglentina son dous chantar et affina Dreitz es qu'eu lo meu refraigna. Jaufre Rudel, ap. Bartsch, Chrest. provencale, 61, v. 7-13. Rossignor cui joi chanteir… Me fait mon chant renovelleir. Wilh. Wackernagel, Altfr. Lieder, n° 30. 2: Li noviauz tens et mais et violete Et rossignols me semont de chanter. Le châtelain de Coucy, chanson VI (IX), v. 1-2. (Éd. Fr. Mi- chel, Paris, 1830, in-8, p. 33. — Éd. Fritz Fath. Heidel- berg, 1883, p. 54). Li rosignox mi semont que jaime loiaument. K. Bartsch, Altfranzüsische Romanzen und Pastourellen. Leipzig, 1870, in-8, I, n° 52, v. 7-8. 3. Bel m'es quan lo vens m'alena En abril ans qu'intre mais, E tota la noit serena chantal rossinhols el jais... 3306 LA ROSE AU MOŸYEN AGE. A la plus belle, a la millor Ke soit dont jai ne pertira(i)!. Le rossignol est sans doute représenté plus d’une fois comme chantant au moment même où la belle rose est en bruit ?, dans le jardin où elle naît et fleurit”, ou même au milieu de ses rameaux : Par la flors aiglentina, El rossignoletz el ram volf e refraing e aplana*; mais il ne chante pas pour elle, comme chez Îles poètes de la Perse. Il n’en joue pas moins un rôle considérable dans notre vieille poésie; elle le fait non posc mudar nom sovena d'un’ amour per qu'eu sui jais. Arnaut de Maroill, ap. Bartsch, Chrest. provencale, p. 87 et 88, v. 37-28, et p. 89, v. 6-7. 1. Chanson anonyme, ap. Bartsch, La langue et la littéra- ture françaises, p. 517, v. 21-22. 2. Phil. de Beaumanoir, La Manekine, éd. H. Suchier. Paris, 1884, in-8, vol. I, p. 69, v. 2158. g- En la huerta nace la rosa Quiérome ir alla Por ver al ruiseñor Como cantaba. Bôhl, Floresta, vol. I, p. 272. &. Jaufre Rudel. Voir p. 335, note 1. De même dans un vieux lied allemand : Auf dem Kirchhof steht ein Rosenbaum.… Darauf setzt sich Frau Nachtigall. Karl Simrock, Die deutschen Volkslieder, n° 86, v. 1-3. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. JO servir de messager à l'amant auprès de son amie ou à l’amante auprès de son ami : Rossignol, en son repaire M'iras ma domna vezer, E diguas lil men afaire, s’'écrie le troubadour Peire d'Alvernhe. Rossignol, va, si li di Les maus que je sent por li; Di li qu'il avra m'amor, fait dire également à son héroïne un vieux trouvère anonyme”. Et dans une chanson du xv° siècle un autre poète s’écrie” : Roussignolet sauvaige Je t'en prie par ta foy : Qui chante de cueur gay; Va dire à mon amy Va moi faire un messaige, Qu'il m'a mys en oubly. Parfois aussi l’ami ou l’amie demande au doux chanteur aide ou conseil : Roussignolet du bois ramaige, Conseille moy et je t'en pry*. Et encore : 1. Bartsch, Chrest. provencale, p.73, v. 1-3. Dans une « now velle » d'Arnaut de Carcasses, c’est un perroquet qui porte le mes- sage d'Antiphanor à son amie, enfermée par un mari jaloux. Dans les lieds allemands le même rôle est assigné aussi au coucou, à la colombe ou à n'importe quel oiseau. 2. Alfred Jeanroy, Les origines de la poésie lyrique en France au moyen &ge. Paris, 1889, in-8, p. 467-68. 3. Chansons du xve siècle, p. 70, n° 72, v. 19-24 k. Chansons du xve siècle, p. 116, n° 117, v. 33-34. Jorer. La Rose. 29 330 LA ROSE AU MOYEN AGE. Roussignolet mon amy, Mais tousjours chante et Par amour Je te prie, Cryee Ne prens repoux ne demy, Tant que puisse parvenir À ce queje désire{. Même spectacle chez les poètes germaniques. Quand, au retour du printemps, les tièdes zéphyrs font épanouir la reine des fleurs, le rossignol — Frau Nachtigall— fait entendre ses accents joyeux”; parfois même, perché sur un tilleul, 1l chante de l'amour qu'il ressent”; alors le poëte va dans le vert bocage l’interroger sur l'éloignement de son amie; il l’engage à chanter pour la dame qui « a son cœur et le laisse sans joie et sans courage», ou bien il 1. Chansons du xv° siècle, p. 135, n° 132, v. 39-48. Le Van vruden zanc der nachtegal da hœrt man menigen rijchen scal. Lied van den zomer en van den winter, ap. Uhland, Schriften, vol. IL, p. 41, note 7. Cf. p. 301. … in meines Vaters Hof O2 da steht eine grüne Linde, darauf so singt die Nachtigall, sie singt so wol von Minne. Uhland, Volkslieder, vol. II, n° 17. Nun will ich zichn in den grünen Wald, > die stolze Nachtigall fragen : ob sie alle müssen geschieden sein, die einst zwei hebchen waren. Antwerper Liederboek de 154%, n° 193, ap. Uhland, IE, 92. HE Nahtegal, guot vogellin, miner frowen solt du singen in ir dre dar, sit si hât daz herze min und ich âne früide und âne hôhgemüete var. Hèr Heinrich v. Stretelingen (K. Bartsch, Deutsche Lieder- dichter, n° LXI, v. 1-#). 7 LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 339 l'envoie porter ses souhaits et ses vœux à sa toute aimée ‘. Tandis que la poésie populaire de l’Europe occi- dentale ne sait rien des amours de la rose et du ros- signol, cette fiction a pénétré dans celle de l'Europe orientale, qui l’a empruntée sans doute aux poètes persans ou turcs, chez lesquels elle occupe, nous l'avons vu, une si grande place. On la rencontre dans plusieurs chants serbes et grecs. L’un de ces der- niers” nous montre le rossignol, silencieux pendant dix longs mois, retrouvant sa voix harmonieuse au retour du printemps; 1l appelle la fleur, cause de sa souffrance; enfin il apercoit la rose qui l'attend; il vole aussitôt vers elle; mais à la vue des épines qui l'entourent, comme autant de glaives, il s'arrête l’âme désolée et sa voix n'a plus d'accents que pour la douleur et la plainte. Mais si l’ancienne poésie des nations romanes et : A Frau Nachtigall, du kleins waldvüglein… ich wolt’, du soltst mein bote sein. und faren zu der herzallerliebsten mein. Bühme, Alideutsches Liederbuch, n° 166, str. 4-5. Dans un lied néerlandais, c'est une amie qui l'envoie à son amie : O nachtegael, clein voghel, woudt ghijder mijn bode wel sijn en vlieghen tot den ruiter, den alderliefsten van mijn en segghen dat hi comt alhier ? Niederläündische Volkslieder, gesam. von Hoffmann von Fallersleben, n° 56, str. 5. 2. Chants du peuple en Grèce, par M. de Marcellus, vol. IT, p. 271, n° xi1 : « Le rossignol et la rose. » 340 LA ROSE AU MOYEN AGE. germaniques — leurs poètes modernes aussi ont em- prunté cette fiction à l'Orient" — ignore les amours de la rose et du rossignol, elle a donné à la reine des fleurs une amie dans une plante, qui, venue comme elle de l'Orient”, a été aussi presque constamment et partout cultivée avec elle, le lis, dont l'union étroite avec la rose est comme l’emblème de leur origine et de leur culture communes, et est devenue, dans la tradition portugaise, un véritable amour”. O cravo (lis) por simpatia Foram laços täo estreitos A° linda rosa se uniu, Que amor perfeita sahiu. L'ART Comme dans l'antiquité, la rose a été au moyen âge, ainsi que de la grâce et de la beauté, le symbole de l’innocence pudique et de la chasteté. « Comme le vainqueur dans la lutte, dit Aldhelm*, recoit au milieu du cirque des couronnes de lis et de roses à la couleur sanglante, ainsi la chasteté, victorieuse de la chair rebelle, portera, dans le royaume du Christ, des couronnes de ces fleurs brillantes. » Saint Mé- dard, évèque de Noyon au v° siècle, voulut, d’après 9 4. Voir plus haut, partie If, chap. 1v, p. 3. 2. Cf. plus haut, partie T, chap. 111, p. 60. 3. Leite Vasconcellos, £tnographia popular portugueza, p. 116, ap. À rosa na vida dos povos por Csecrcia Scamipr- Braxco, p. 25. 4. De laudibus virginum, Patrologie, vol. LXXX, p. 242 B. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 441 une tradition’, accorder à l'innocence vertueuse cette récompense future dès cette vie. Il résolut de donner chaque année une couronne de roses et une dot à la jeune fille de ses terres de Salency reconnue pour la plus vertueuse. Cet honneur échut d’abord à sa sœur, qui fut ainsi la première des Rosières. Les anciens poètes romans et germaniques font souvent allusion à ce symbolisme nouveau de la rose, qui devait inspirer à l’Arioste des vers célè- bres”, imités des vers non moins célèbres de Catulle. Isote, dans le Tristan allemand, dit que son cœur est toujours resté insensible à tous les hommes, excepté à celui qui a eu la fleur de rose de sa virgi- nité”. Mème figure dans une chanson populaire fran- çaise, dont l'héroïne pleure sur sa chasteté perdue*. 1. J.-L.-A. Loiseleur-Deslongchamps, La rose, p. 70. 2. La virginella è simile a la rosa, Ch’ in bel giardin su la nativa spina Mentre sola e sicura si reposa Nè grege nè pastor se le avvicina. L'aura soave et l’alba rugiadosa, L'acqua, la terra al suo favor s’inclina. Orlando furioso, canto [, v. 329-534. 32 hiute und iemer alle man vor minem herzen sint verspart niwan der eine, dem dà wart der èrste rosenbluome von minem magetuome. V. 14766-70. h. E. Rolland, Æecueil de chansons populaires. Paris, 1885, in-8, vol. I, p. 202, n° CVI, 5. Il faut dire que d'autres variantes de cette chanson présentent un sens tout différent. 342 LA ROSE AU MOŸEN AGE. En revenant des noces Car moi je ne l'ai guère, J'étais bien fatiguée: Mon amant m'a quittée; Au bord d'une fontaine Pour un bouton de rose Je m'y suis reposée. Que trop tôt j'ai donné. Sur la plus haute branche Je voudrais que la rose Le rossignol chantait: Füût encore au rosier Chante, rossignol, chante, Et que mon ami Pierre Toi qui as le cœur gai. Füût encore à m'aimer. Au lieu d'un bouton ou d’une fleur, l’emblème de la chasteté était le plus souvent une couronne de roses; aussi, l’infortunée qui s'était laissée séduire n'avait plus le droit d’en porter une et elle était la première à s’en dépouiller. Elle arracha sa couronne, dit un vieux led allemand, et la jeta dans l'herbe verte. « Je t'ai portée volontiers tant que j'étais vierge. » — Klle enleva sa couronne et la jeta au milieu du trèfle vert. « Dieu te bénisse, ma cou- ronne, Jamais Je ne te reverral.» Les poètes germaniques ne se lassent pas de re- commander aux jeunes filles, et souvent de la façon la plus piquante, de bien conserver leur couronne et d'éviter avec soin tout ce qui pourrait la leur faire 1: Da zog sie ab ihr Kränzelein, warf's in das grüne Gras : «ich han’ dich gerne tragen, dieweil ich Jungfrau was. » Auf hub sie wohl ihr Kränzelein, warf s in den grünen Klee : « gesegen’ dich Gott, mein Kränzelein, ich seh’ dich nimmermeh. Mittler, op. laud., Gœærres, Volkslieder, p. 182. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 343 perdre. Tantôt c’est un oiseau, d’autres fois un arbuste qui les conseille. Une jeune fille voudrait forcer au silence un rossignol, mais 1l répond qu'il est un oiseau de la forèt et que personne ne peut le contraindre”. « Si personne ne peut te contraindre, reprend-elle, le givre et la neige glacée, ainsi que le tilleul dépouillé de ses feuilles, te contraindront bien. » — « Si le tilleul perd son feuillage, répond le rossignol, 1l garde du moins ses rameaux; penses-v, jeune fille, et tiens ferme ta couronne. » Et 1l ter- mine en lui recommandant de ne pas se laisser tromper en écoutant les éloges menteurs qu'on pour- rait lui donner. Dans un autre lied*, nous voyons une jeune fille qui, voulant aller à la danse, va chercher des roses sur la bruyère; au bord du chemin elle aperçoit un coudrier tout couvert de feuilles; elle s'étonne et lui demande pourquoi 1l est si verdoyant; le coudrier à son tour lui demande pourquoi elle est si belle; c'est, dit-elle, qu’elle mange du pain blanc et boit du vin frais. « Si tu es si belle parce que tu manges du pain blanc et bois du vin frais, sur moi tombe la fraîche rosée, voilà ce qui me rend si verdoyant. » — «Prends garde, prends garde, cher coudrier, que je ne te fasse abattre; j'ai deux frères qui pourraient bien te couper. » — «S'ils me coupent en hiver, en 1. Uhland, Volkslieder, vol. I, n° 17. 2. Bôhme, Altdeutches Liederbuckh, n° 65. Mittler, Deutsche Volkslieder, n°5 621 et 623. 344 LA ROSE AU MOYEN AGE. été je reverdirai; quand une jeune fille perd sa cou- ronne, elle ne la retrouve jamais plus. » Si, sous sa forme connue, ce beau lied est mo- derne, le motif en est d’origine ancienne, comme le montre une rédaction anglaise du xvi* siècle, où le coudrier est remplacé par l’aubépine". Il en existe aussi une rédaction suédoise, qui met en scène un tilleul?. Dans une chanson vende”, au contraire, c’est une simple branche d’arbuste, qui, menacée par une jeune fille qu’elle a frappée au visage, d’être coupée par ses frères, lui donne le conseil de bien garder sa couronne. Ce conseil n’est pas le seul que renferment les chansons populaires à l'adresse des jeunes filles; elles leur recommandent de ne point quitter seules la maison paternelle pour aller chercher des roses, et, comme dans la ballade écossaise des trois sœurs”, leur montrent d’une manière tragique le danger au- quel elles s’exposent alors. Un lied allemand du Kuhlaendchen en particulier les met en garde contre le péril de cueillir des roses et d'en faire des cou- ronnes pour la danse le jour consacré au Seigneur”. 1. Ritson, Ancient songs and ballads. London, 1829, in-8, vol. II, p. 44. 2. Svenska Folkwisor, vol. IT, p. 115. 3. Volkslieder der Wenden, vol. 1, p. 88, ap. Uhland, Schriften, vol. IH;,p:427. 4. Minstrelsy, vol. Lil, p. 56, ap. Uhland, HIT, 520. 5. Uhland, Schriften, vol. IL, p. 126. (DL LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 34 IX. Par une opposition d'idées dont nous avons déjà eu un exemple, la rose a été aussi regardée parfois comme un présage funeste, en même temps qu'elle est devenue un emblème funéraire. Quand elle fleu- rissait à l'automne ou en hiver, — on ne connaissait pas alors les roses remontantes —, c'était un signe de malheur. Grégoire de Tours place à côté des « prodiges » et des « dévastations » de l’année 584 les roses que l’on vit au mois de janvier”. Suivant une croyance populaire, les roses qui paraissaient ainsi hors saison annoncçaient un décès dans la maison du possesseur du jardin où elles avaient crû. L'apparition soudaine de roses, surtout de roses rouges, était aussi considérée comme un signe de mauvais augure où de mort. Un ami, dans un lied allemand?, attend son amie, couché sur le vert ga- zon; tout à coup deux roses rouges de sang lui tom- bent sur les genoux; à cette vue, 1l s'inquiète et se demande si son «trésor » est encore en vie ou s'il est mort. Il vit, mais il est près d'un autre et à jamais perdu pour Jui. Une légende allemande parle de deux sœurs et d’un frère qui avaient choisi chacun un arbre dans 1. « Hoc anno multa prodigia adparuerunt in Galliis vastatio- nesque multae, Nam mense Januario rosae visae sunt. » Historia Francorum, Lib. VI, cap. 44. Éd. Bouquet, p. 289. 2, Mittler, Deutsche Volkslieder, n° 789, 790 et 1091. 34 6 LA ROSE AU MOYEN AGE. le jardin de leur père ; quand le printemps fut venu, les arbres des deux sœurs se couvrirent de fleurs blanches, signe qu’elles seraient religieuses ; l’arbre du frère porta une rose rouge, emblème de mort ; dans la suite aussi 1l fut martyrisé à Prague par les Hussites !. Il est souvent question, dans les chansons popu- laires germaniques, de roses répandues ou de rosiers plantés sur les tombeaux; les amants souhaitent de reposer au milieu de ces fleurs si chères, faible sym- bole de leur inaltérable fidélité. Je sais que je dois mourir, dit l'un d'eux dans un lied allemand®, mais mon trésor plantera sur ma tombe un rosier rouge après ma mort. Dans un autre lied* il s’agit de rosiers qu'une fille en larmes a plantés sur la tombe de sa mere. Souviens-toi des heures passées, dit ailleurs une fian- cée à son fiancé qui lui survit‘; répands sur mon tom- beau des roses et des violettes, Ne m'oublie pas. 1. Mannhardt, Baumkultus der Germanen. Berlin, 1875, p. 49. 2 Weiss wohl dass ich sterben muss, Und ein Rôüslein rosenroth Pflanzt mein Schatz nach meinem Tod. Mittler, Volkslieder, n° 762. 3% Die Rosen die pflanzt ich ihr weinend aufs grab. Mittler, Volkslieder, n° 310, str. 4, 2. Gedenk an jene Stunden ! RH Bestreu das Grab mit Blumen, Mit Rosen und Veiïlchen. Vergiss mein nicht ! Mittler, Volkslieder, n° 833. str. 5. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES, 347 Dans un lied néerlandais, un amant demande, quand il sera mort, à être enterré sous des rosiers à fleurs rouges”. Les deux amants sont morts, dit un autre lied égale- ment néerlandais?, où les enterra-t-on ? Sous un églan- tier, ainsi leur tombeau portera des roses. Et dans une chanson serbe* : Creusez, dit un amant désespéré, creusez-moi une tombe dans la plaine ! Qu'au-dessus de ma tête on plante un rosier! Qu'à mes pieds on fasse couler une source limpide! Si par là passe un Jeune homme, qu'il se pare de roses ! Si un vieillard y passe, qu'il puisse étancher sa soif ! On répandait aussi des roses dans le cercueil des défunts; mais suivant une croyance populaire, le rosier sur lequel elles avaient été cueillies se fanait : ( Och sterve ic nu, so ben ic doot, So graeft mi onder die rooskens root. Antwerper Liederboek, n° 63, str. 3. to Nu sijn daer twee gheliefkens doot, och waer sal men se graven ? al onder enen eglentier, dat graf sal rooskens draghen. Hoffmann v. Fallersleben, Mederl. Volkslieder, n° 17, str. 9. 3. Grabt, grabt ein Grab mir Leitet eine Quelle ? Auf dem weiten Felde! Geht vorbei ein Jüngling, Ueber meinem Haupte Schmücke er sich mit Rosen ! Pflanzet eine Rose! Wenn ein Greis vorbei geht, Unter meinen Füssen Lüsch’ er seinen Durst dort! Volkslieder der Serben, Metrisch übersetzt (... Von Talv].) Leipzig, 1853, 2 ter. Theil, p. 82. 348 LA ROSE AU MOYEN AGE. alors et mourait. Quant aux roses qui poussaient sur les tombeaux, elles étaient parfois regardées comme une incarnation de l’âme même des défunts. « Mais ce n’est pas une fleur », dit dans une chan- son lithuanienne”, une mère à sa fille, qui lui apporte une rose cueillie sur la tombe de son bien-aimé, » c’est l’âme de ton fiancé. » La poésie regarda aussi comme doués de senti- ment ou animés des passions des êtres aimés les arbres et les fleurs plantés sur leur tombeau. Sui- vant le continuateur de Gotfrid de Strasbourg, Hein- rich de Freiberg, après que Tristan et Isolt eurent été enterrés non loin l’un de l’autre, le roi Mark fit planter un rosier sur la tombe de Tristan et une vigne sur celle d’Iseult* : Le rosier et la vigne, ajoute le poète, s'enracinèrent 1 1 Das ist ja die Rose nicht, Ist des Jünglings Secle. Koberstein, Fortleben. {Weimarer Jahrbuch, vol. I, p. 96, ap-tPerger, p.13.) [e) Uf Tristan den werden Lez der künic üz erkorn pelzen einen rôsendorn.… und einen grüenen winreben lez er üf Isôten pelzen ; den zwein tôten gelieben edel und hôchge- (born, der winrebe und der rôsen- :dorn wurzelten schône an der stunt ieglichem in sins herzengrunt, da noch der glüende minne- [tranc in den tôten herzen ranc und sin art erzeigete. ieglich ris da neigete dem andern ob den grebern [sich, und in ein ander minnenclich vlehten... Herxrica’s von FRrerserG Tristan, hgg. von Bech- stein. Leipzig, 1877, in-12, v. 6822-6839. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 349 bientôt jusqu'au fond du cœur des deux chers et nobles morts; l’ardent breuvage amoureux, qui couvait encore dans ces cœurs éteints, montra sa force; les arbustes s'inchinèrent l’un vers l’autre et s'entrelacèrent amoureu- sement au-dessus des deux tombes. Cette gracieuse légende avait déjà été acceptée par Ulrich de Turheim', le premier continuateur de Gotfried, et le Livre populaire”, consacré à l’his- toire des deux amants infortunés, l’a soigneusement conservée. Cette fiction du sentiment communiqué par les morts aux fleurs et aux plantes destinées à honorer leurs restes ne suffit pas à l’imagination populaire ; elle en fit sortir de leurs cendres elles-mêmes. Dans une vieille ballade anglaise, la ballade de la « belle Marguerite » et du « doux Guillaume », morts, la première d'amour, le second de chagrin, et enter- rés, elle en bas, lui en haut du sanctuaire, un rosier naît des restes de Marguerite, un églantier de ceux de Guillaume, et, en croissant, leurs branches s’élè- vent jusqu'au faîte de l’église, se rejoignent et s’en- lacent*, manifestant ainsi aux regards étonnés le lien indestructible qui unissait les deux amants. Dans une ballade écossaise, celle de « lord Tho- 1. Karl Gœdeke, Deutsche Dichtung im Mittelalter. Dres- den, 1871, in-8, p. 816, col. 1. 2. Karl Simrock, Deutsche Volksbücher, p. 179. 5 Fair Margaret dyed for pure true love, Sweet William dyed for sorrow. Margaret was buryed in the lower chancel, And William in the higher; 350 LA ROSE AU MOYEN AGE. mas » et de la « belle Annette », un bouleau croît sur la tombe du lord, un églantier sur celle d’An- MÉRLC Are en SE rapprochant, leurs branches mon- trent aussi que là reposent deux amants”. On les enterra tous deux à côté l’un de l’autre, dit une chanson serbe en parlant de deux amants malheureux, leurs mains unies sous terre, et dans leurs mains on plaça des pommes encore vertes. Et voilà qu'au bout de quelques mois s'élève au-dessus de la tombe du Jeune homme un vert sapin, au-dessus de celle de la jeune fille un rosier à fleurs rouges, et le rosier s'enlaça autour du Out of her breast there sprang a rose, And out of his a briar. They grew till they grew unto the church top, And then they could grow no higher ; And there they tyed in a true lovers knot, Which made all the people admire. Thomas Percy, Reliques of ancient english poetry. Leipzig, in-12, vol. LIL, p. 130-131, v. 65-76. 1. And ay the grew, and ay they threw As they wad faine be neare; And by this ye may ken right weil, They were twa lovers deare. Francis James Child, The english and scottish ballads. Bos- ton, s. d., in-#, vol. LIL, p. 183, v. 117-120. La poésie populaire de la Grèce connait des légendes semblables, comme celle de l'ami qui se tue de désespoir en apprenant la mort de son amie; mais sur sa tombe croit un cyprès, sur celle de son amie un roseau et non un rosier. ’Lyct TT à Oz! VE ñ Où LÉ Y: YUT2A0!d0 NET, 7OÙ Oxbave Toy vLOv, EG YTXE xUTapto01 OR Po - = , ‘’ 1 CS = & K’'exet, rod Oxbave rnv vrav, ECYirE xaAautGvES. Chants du peuple ex Grèce, par M. de Marcellus, vol. IT, n° x11 LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 391 sapin, comme un fil de soie autour d'un bouquet d'im- mortelles t. Une romance portugaise, plus récente, 1l est vrai, nous montre encore un rosier poussant sur la tombe d’un amant mort de désespoir, mais c’est un jasmin qui croit sur celle de son amie”. Perger” parle, mais sans en donner la source, de trois roses sorties de la tombe d’une jeune fille, et que son bien- aimé seul peut cueillir. Et dans la ballade suédoise de « Petite Rose“ », des lis croissent sur son tom- beau et sur celui de son ami, et de leur bouche sort une rose. C'est encore la naissance miraculeuse des roses, fait si fréquent dans les traditions chrétiennes, que A: Sie begruben beide zu einander, Einten ihre Hände durch die Erde, Legten in die Hände grüne Aepfel. Und nach wenig Monden ob dem Jüngling Hob empor sich eine grüne Fichte, Ob der Jungfrau eine rothe Rose; Und die Rose schlang sich um die Fichte, Wie ein seiden Band um Immortellen. P. von Gôtze, Serbische Volkslieder. Leipzig, 1827, p. 93. 2. Alvaro Rodriguez de Azvedo, Romanceiro de Archipelajo de Madeira. Funchal, 1888, p. 122. 3. Pflanzensagen, p. 13. Malheureusement Perger est si peu soucieux de l'exactitude qu'on ne peut accepter qu'avec défiance ce qu'il dit. &. Perger, Pflanzensagen, p. 12. Je ne sais d’où Perger a tiré cette légende; dans le recueil des anciens lieds suédois de Erik Cr: Geïjer et Arvid Aug. Afzelius, il est seulement question d'un Uileul qui croit sur la tombe des deux amants réunis. 392 LA ROSE AU MOYEN AGE. nous montre la légende allemande du Tannhäuser'. Poussé par la curiosité, il n'avait pas craint de péné- trer dans la montagne de Vénus et avait succombé aux séductions de l’enchanteresse. Après de longs efforts, 1l parvient enfin à s'éloigner de ce séjour coupable, et, plein de repentir, va à Rome deman- der pardon au pape. « Je suis, lui dit-il, resté un an auprès de dame Vénus, j'en viens faire pénitence et demander pardon. » Le pape tenait à la main un bâton blanc, fait d’un rameau desséché : « Quand ce bâton portera des roses, répliqua-t-1l, tu obtiendras ton pardon. » À ces mots, le chevalier se retira triste et désespéré. Cependant, le troisième jour, des roses poussèrent sur le bâton du pape; surpris et repentant, 1l fit chercher partout le Tannhäuser. On le retrouva enfin, mais mort au milieu de la mon- tagne de Vénus, où il restera jusqu'au jour du juge- ment. La légende de sainte Rose de Lima et celle de l’Autel de Seefeld dans le Tyrol offrent le plus grand rapport avec la naissance miraculeuse des roses de l'histoire du Tannhäuser. Lorsqu'on proposa, dit-on, au pape de canoniser la sante du Pérou, il répondit 1. Wolfgang Menzel, Zur deutschen Mythologie. Berlin, 1855, in-8, vol. [, p. 312, ap. Schleiden, p. 166. Le volkslied publié par Uhland, p. 761, dans le Des Knaben Wunderhorn, 1, 55, ainsi que par Simrock /Die deutschen Volkslieder, n° 4), parle de feuilles et non de roses, qui poussent sur le bâton du pape ; il est, au contraire, question de roses dans le lied néerlandais « Herr Daniel » {Niederländische Volkslieder, n° 4), imitation du lied allemand du Tannhäuser. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 399 qu'il ne croirait pas à la sainteté d’une Indienne, même s’il pleuvait des roses. Il avait à peine pro- noncé ces paroles qu'une pluie de roses couvrit le Vatican, et ne cessa que quand, se rendant à l’évi- dence, 1l eut prononcé la formule de canonisation!. Le seigneur de Seefeld, Arnold Müller, s’étant, le jour du jeudi saint 1384, rendu coupable d’un sacri- lège, allait ètre englouti sous terre, lorsqu'il se repentit; mais l’hostie qui avait touché ses lèvres fut aussitôt couverte de sang. Sa femme, à qui on raconta ce qui s'était passé, refusa d’y croire, disant que c'était aussi peu vrai que si des roses pouvaient pousser et fleurir sur un bâton desséché et pourri. Mais aussitôt le bâton qu'elle portait, tout sec qu'il était, se couvrit de feuilles et de belles roses blanches ?. L'histoire transformée du Tannhäuser se retrouve aussi dans une légende suédoise*. Un soir un prêtre, en traversant un pont, entendit retentir les sons har- monieux d'une harpe; il regarde autour de lui et aperçoit au milieu du torrent un jeune homme blond, nu Jusqu'à la ceinture, un bonnet rouge sur la tête et une harpe d’or à la main. Il reconnut un esprit des eaux et dans son zèle il lui eria : « Comment en es-tu venu à jouer des airs si joyeux sur ta harpe ? Le bâton desséché que je porte à la main reverdira et se couvrira de fleurs, avant que tu obtiennes ton 1. Cecilia Schmidt Branco, À rosa na vida dos povos, p. 76. 2. Gebr. Grimm, Deutsche Sagen, n° 356. 3. Afzelius, Volkssagen aus Schweden, deutsch von Unge- witter (1842). Th]. II, p. 327-929. Jorer. La Rose. 93 354 LA ROSE AU MOYEN AGE. pardon. » À ces mots, l’infortuné musicien jeta tout troublé sa harpe au milieu de l’eau et s’assit au bord du fleuve en pleurant amèrement. Le prètre cepen- dant poursuivit son chemin; mais à peine avait-il fait quelques pas qu'il vit son bäton se couvrir de feuilles et au milieu d’elles apparaitre les plus belles roses. Il reconnut là un avertissement du ciel et revenant en hâte vers l'esprit en pleurs, 1l lui mon- tra son bâton tout verdoyant : « Vois, lui dit-1l, mon bâton verdit et fleurit comme un rejeton du jardin des roses, ainsi doit fleurir l'espérance au cœur de tous les êtres créés. » L’ondin, consolé, saisit de nouveau sa harpe et fit entendre toute la nuit sur la rive de joyeux accents. Les traditions scandinaves parlent aussi de roses qui naissaient en signe de joie. Ainsi dans une chan- son populaire suédoise’, un fiancé décédé apparait à sa fiancée éplorée, et, après avoir blâmé l'excès de sa douleur, 1l lui dit pour la consoler : « Chaque bonheur, qui t'émeut le cœur, remplit ma tombe de roses parfumées. » La ballade danoise de Aage et d'Elfe nous offre la mème pensée*: « Chaque fois 1. Mohnike, Volkslieder der Schaeden, ap. Schleiden, Die Rose, p. 163. FA Men hver en Gang du kvaeder, din Her er glad : da er min Gray far inden omhaengt med Rosensblad. W. Grimm, Altdünische Volkslieder. Heidelberg, 1811, in-8, p. 73. — Svend Gruntvig, Danmarks Folkeviser i Udvalg. Kjübenhavn, 1€82, in-12, n° 30, 19, p. 354. Ce LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. 300 que tu te réjouis, dit Aage à son amie, et que ton cœur s'égaye, ma tombe se remplit de fleurs de roses. » Mais les roses dont il est ici question n’ont point d'existence réelle et ne sont guère que des expressions métaphoriques. X. Un attribut inconnu de l'antiquité et qu’on a, sur- tout en Allemagne et en Angleterre, donné à la rose ge, est celui d’être l'emblème du secret qu'on doit à ses amis. Un poète anonyme, vers la fin du moyen à dont on ignore l’époque, mais qui n’était point un ancien’, quoiqu on ait parfois joint ses vers à ceux d'Ausone, a feint que l'amour donna une rose à Har- pocrate, le dieu du silence, afin de l’engager à taire les larcins de sa mère”. Ce serait, parait-il, pour cette raison, encore qu'on ne la comprenne guère, que la rose serait devenue l'emblème de la discré- tion. Quoi qu'il en soit, on la suspendait au-dessus de la table des festins pour signifier que tout ce qu'on y entendait devait être gardé secret par les 1. « Neque ipsius proverbii memoriam in antiquitate exstare, neque morem rosae e lacunari suspendendae satis antiquum esse arbitror », dit avec raison Saumaise. Poelae latini minores, éd. Lemaire, vol. VII, p. 125, note 1. 2. Est rosa flos Veneris, cujus quo furta laterent, Harpocrati matris dona dicavit amor. Inde rosam mensis hospes suspendit amicis, Convivae ut sub ea dicta tacenda sciant. 356 LA ROSE AU MOYEN AGE. convives. (Dit) « sous la rose », — sub rosa, under der Rosen, — est une expression familière aux écri- vains allemands du xv° et du xvi° siècle, équivalente de « dit sous le sceau du secret ». Murner, entre autres, l’a employée, en l’expliquant, comme si elle était encore peu connue de son temps : « Dis-le, remarque-t-il*, sous la rose ou sous le sceau de la confession. » On ne se borna pas à répéter cette sentence, on l’inscrivit au plafond de la salle des festins*; on y peignit également ou sculpta une rose*. On trouve aussi sur des verres à boire antiques cette autre sen- tence qui nest que le développement de la pre- mière : « Que tout ce que nous disons ici reste sous la rose*.» Par une raison analogue, on a représenté une rose au plafond de la salle des délibérations de certains hôtels de ville ; on la voit encore sur la porte 4. « Die rose bezeichnet nicht sowohl das urtheil, als die heim- lichkeit und stille des gerichts. » Jacob Grimm, Deutsche Rechts- alterthümer. Güttingen, 1854, in-8, p. 941. 2. « Sprich das unter der Rosen oder bichtwys. » 3. J. C. Rosenberg, Rhodologia seu philosophico-medica generosae Rosae descriptio. Francofurti, 1651, in-12, p. 14. &. Verisimile est morem illum profectum, ut multis in locis Germaniae in cœnaculis rosa lacunaribus supra mensae verticem affixa conspiciatur, quo quisque fit secreti tenax, ne quid temere effutiat, sed omnia reticenda meminerit : hinc proverbium quoque illud pervulgatum apud Germanos : haec sint sub rosa acta sive dicta. » Joh. Guil. Stuckins, Antiq. éonvival. Tiguri, 1597, lb. IT, cap. 16, p. 371. d: Was wir all hier thun kosen, Das bleibe unter der Rosen. LA ROSE DANS LES LÉGENDES PROFANES. JO de quelques vieux confessionnaux, dans les églises allemandes”. AT Aux légendes de la rose se rattache le mythe slave des Rusalky. Le mot Rosalia avait pénétré chez les populations à moitié romanisées de l’ancienne Macé- doine et de la Thrace. On le rencontre dans une ins- cription découverte par M. Heuzey à Drama, près Philippes”. Cette ville avait, de temps immémorial, été un des sanctuaires du culte de Bacchus. Deux habitants de Drama lèguent aux thiases de ce dieu — Liber Pater Tasibastenus, comme :l est appelé d’un surnom local —, une somme d'argent dont le revenu devait être employé à faire chaque année sur leur tombeau une offrande de roses — rosalia — et un repas funèbre. Ce monument précieux nous montre à la fois le vocable rosalia porté dans la péninsule hellénique et les offrandes de roses qu'il désigne mêlées au culte de Bacchus”. Mais le sens que l’on trouve encore 1e1 attribué au mot rosalia se perdit peu à peu et ce mot ne désigna bientôt plus que celui de fêtes où figuraient Îles . Stieglitz, Altdeutsche Baukunst, p.18%, ap. Schleiden, p. 191. . Revue archéologique, juin 1865, vol. XI, p. 451. 3. Cf. Tomaschek, Ueber Brumalia und Rosalia.{(Sitzungs- berichte der philos.-historischen Klasse der kais. Akademie der Wissenschaften. Vol. IX, an. 1868, p. 370.) D æ# 38 LA ROSE AU MOYEN AGE. roses; il devint ainsi l'équivalent de l'expression « jour des roses » — % ñpépa tüy péèwy — que Jean de Gaza’, au vi siècle, a chanté comme la fête de la joie et du printemps. C’est avec cette signification que furent adoptées les rosalia, transformées en rou- salia par les tribus slaves, qui s’installèrent au nord de la péninsule hellénique, et peu à peu par tous les peuples de la même race. Miklosich*® en a constaté la présence successive au nord de l’Albanie, chez les Roumènes, les Slovènes et les Serbes, puis chez les Russes blancs et les petits Russiens, les Ruthènes, les Slovaques et mème chez les Lithuaniens. À la fin du xu° siècle, époque où, pour la pre- mière fois, Théodore Balsamon en a signalé l’exis- tence, les Rousalia, par une coutume païenne, se célébraient dans les campagnes après la Pâque”; au commencement du xm° siècle elles avaient lieu le dimanche qui suit la Pentecôte et, d’après le témoi- gnage de Démétrios Chomatianos, archevêque d’A- chrida‘, elles étaient accompagnées de réjouissances, de danses et de représentations scéniques. On voit que, si l’époque où l’on célébrait les Rousalia semble les rattacher, comme l’a voulu Miklosich, à la fête 1. Poetae lyrici graeci, éd. Th. Bergk, vol. III, p. 1082, n°s 4 et 5. 2. « Die Rusalien. » {Sitzungsberichte der kaiser. Akademie der Wissenschaften, vol. XLVI, an. 1861, p. 389 et suiv.) 3. Ta heydueva ‘Pousdhix Tà meta T0 dyiov micya ÜxO xaxñs ouvnlelus v Tais 2Em yopais yevouevzx. Ap. Miklosich, p. 387. Cf. Du Cange, s. v. rosalia. 4. Miklosich, op. laud., p. 388. Me - LA ROSE DANS LA POÉSIE 359 de la Pentecôte, la pascha rosarum des Ttaliens et des Espagnols”, elles rappelaient bien plutôt le culte de Bacchus, comme le « jour des roses » chanté par Jean de Gaza. Mais le mot Rousalia devait subir une transfor- mation bien plus grande encore; à une époque qu'on ne peut préciser, il a cessé de désigner des réjoutis- sances, et, sous la forme altérée rusalky, il est devenu, chez les Russes blancs, les petits Russiens et les Tehèques, la dénomination habituelle d'êtres surnaturels, espèces d’esprits des eaux*, qu'on ren- contre dans les légendes de ces peuples. XIE Entourée de légendes si nombreuses, regardée comme la compagne et le symbole du printemps et de l'amour, l'emblème de la personne aimée, la rose a occupé une place considérable dans la poésie du moyen âge; comme leurs précurseurs de l'antiquité, les poètes de cette époque lui ont emprunté les com- paraisons et les images les plus variées et Jui sont redevables de quelques-unes de leurs plus belles descriptions. 4. « Pentecostes die, qui Hispanis aeque ut Italis rosarum pascha dicitur. » Acta sanctorum, vol. XXX VIII, p. 902, col. 2. 2. « Die Rusalky waren nach dem Glauben der alten Slaven die Gôttinnen der Gewässer, namentlich der Flüsse und Bäche. » Jos. Virgil Grohmann, Sagen-Buch von Bühmen und Mühren. Prag, 1863, in-8, p. 136. 360 LA ROSE AU MOYEN AGE. Revêtue d'une pourpre brillante, dit un poëte latin du xun° siècle‘, la rose est la gloire, la joie et l'honneur des jardins au printemps. Fleur des vierges, elle n'est pas moins chère aux jeunes gens. Elle est l'emblème de la pudeur virginale. Ornement sitôt fané des beaux Jours, la rose est l'image de la jeune beauté, et, chose passa- cere, elle nous apprend que tout ici-bas est passager. Agréable par son aspect, non moins agréable par son parfum, cette fleur l'emporte encore par le nombre de ses merveilleuses propriétés. Cette description de la rose est presque isolée dans la littérature du moyen âge; celle de Mathieu de Vendôme, où le poète scolastique se borne à dire que « dans sa riche parure la douce rose fleurit, compagne délicieuse de l’odorat*», ne peut guère compter, et c’est à peine si on peut rapprocher des distiques de Neckam les vers du trouvère, Beaudoin de Condé, tant ils sont rudes et dénués de poésie*. 1. Et rosa, purpureo vestita rubore decenter, Vernans est horti gloria, laetus honos. Flos est virginibus aptus, gratusque juventae, Grataque virginei signa pudoris habet. Virginis est speculum, rosa vernans sed cito marcens, Et quod sit species res fugitiva docet. Flos gratus specie, flos gratus odore, sed eius Virtutum celebris gloria pluris erit. Alexandri Neckam De laudibus divinae sapientiae, v. 295- 302. }Oper. p. 295-302). 2. Natali tumulo dulcis rosa dives amictu. Vernat odoratus deliciosa comes. Descriptio loct, Bibl. nat. lat. 15155, fol. 60. 3. Li contes de la rose, v. 343-51. /Les dits et contes de LA ROSE DANS LA POÉSIE. 301 Rose est sor toutes flors la fine Et la rousée qui l'afine Quant nature de tans l'esclot, Les fuelles rousée les clot Et joint ensamble, et si les garde Si em biauté quant on l'esgarde Que trop hi fait grace aquellir Et trop plaist la rose a quellir Por la biauté de la coulour. Le plus souvent les poètes français ou allemands se sont bornés à célébrer, sans la décrire, la beauté de la rose, beauté qui leur paraît surtout admirable, quand cette fleur est couverte de rosée : En mai la rosée que nest la flor Que la rose est belle au point du jour! s’écrie Guillaume de Champagne’. Et Reinbot de Durnen * : La rose humide de rosée resplendit comme une lu- mière, quand le doux éclat du soleil vient l'éclairer. Mème sentiment d'admiration, mais plus motivé, chez Wolfram d'Eschenbach. Beaudoin et de Jean de Condé, éd. À. Scheler. Bruxelles, 1866, in-8, vol. I, p. 145). 1. Les chansonniers de Champagne, p. 23, XVII, v. 1-2. 2: Die Rose in dem {ouwe ein licht auzuschauen, wann sie anget süsser sonnenschein. Der heilige Georg, v. 402. « Qui égale la joie que cause la vue d'une rose couverte de rosée?» dit aussi le minnesaenger Der von Wildonje (Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 211) : Was gelichet der wonne dà ein rôse in touwe stat? V. 10-11. 302 LA ROSE AU MOYEN AGE. Au milieu de la rosée, la rose, du fond de son calice, brille d'un nouvel éclat, où la pourpre se mêle à la blan- cheur de la neiget. Il est, dit un autre minnesaenger?, une fleur nom- mée rose qu'on aime à porter à la main à cause de son doux parfum; elle est si belle en tout temps qu'on la regarde volontiers; mais quand elle est couverte de rosée elle est encore beaucoup plus belle. C’est surtout dans les comparaisons que la rose a pris place dans les œuvres des poètes du moyen âge*: « Comme une rose embaumée, il me charme le cœur, » dit de son mari, qui lui a sauvé la vie*, la femme de Digénis Acritas, dans le poème grec du x1° siècle, composé en l'honneur de ce héros. Plus bela que bels jors de mai... roza de mai, ploja d'abriu, {. von dem süezen touwe blecket niuwen werden schin, diu rôse uz ir bälgelin der beïdiu wiz ist unde rôt. Parzival, IV Buch, v. 268-71. 2. Ein bluome ist rôse genant, si ist so schoene allen tac, Die treit maneger in der hant daz man si gerne schouwet : durch ir vil süezen smac. dÔ si aber wirt betouwet, sû ist si schoener vil dan &. Haupt's Zeitschrift, vol. VIT, p.327: 3. Cf. Max Kuttner, Das Naturgefühl der Altfranzosen, 1889, p. 13-17 et 23-26. — Heinrich Drees, Die poetische Na- turbetrachtung in den Liedern der deutschen Minnesänger, 1888, p. 31-34. — Otto Lüning, Die Natur... in der altgerma- nischen und mittelhochdeutschen Epik, 1889. p. 456-159. h. ds 60dov ravedosuoy Dékye: pou Tv xapôtav. Émile Legrand, Les exploits de Basile Digénis Acritas. Paris, 1892, in-8, ch: ve, v. 108: LA ROSE DANS LA POÉSIE. 303 chante de son amie Arnaut de Maroil’. Et la sœur de Charlemagne, Erminjart, a La color fresca com roza de rozier*. Elle est plus gracieuse ne soit la rose en mai, remarque de son héroïne l’auteur de Berte*. Il ot miex coulouré le vis Que n'est la rose el tens de mai, dit également de Girard Gerbert de Montreuil”. Le poète de Aenaut de Montauban, voulant fare le portrait de Clarisse la cortoise au gent cors envoisié, la montre Plus vermeille que rose de rosier*. 1. Bartsch, Chrestomalhie provencale, p. 9%, v. 8-10. 2. Daurel et Beton, éd. Paul Meyer. Paris, 1880, in-8, v. 144. SUÉd. Aug. Scheler. v. 1407. Le poète d’Aliscans dit de même de son héroïne : La rose samble, en mai, la matinée, v. 2652. 4. Roman de la Violette, éd. Fr. Michel. Paris, 1834, in-8, p- 11, v. 167-68. 5. Ed. Michelant, p. 170, v. 9-10. De même le poète de la Chanson du Chevalier au cygne chante de la fille de la duchesse de Bouillon, La pucele est plus blance que n'est flor d'aiglentier Et assez plus vermeille que rose de rosier. Ed. Hippeau, Paris, 187%, in-8, v. 4053-54. — Marie de France dit plus simplement de la femme du maréchal dans £quitan : Sa face avait couleur de rose, v. 39. Die Lais der Marie de France, p. #2. 30% LA ROSE AU MOYEN AGE. Suivant l’auteur de Fierabras, Floripas, « la fille l’amiré », La car ot tenre et blance comme flours en esté, La face vermellete comme rose de prét. Et dans une estampie, publiée par M. Paul Meyer, il est question De lèvres vermoilletes Plus ke la rose n’est en mai°. L’amie du poète du Dit de la Rose aussi coleur a fresche et novele Plus que n'est pas la rose en may*. De mème la « elère facon » de l’héroïne du Conte de Poitiers plus est bele enluminée Que ne soit rose encolorée 4 image que l’on retrouve, tant ces comparaisons se répètent comme autant de lieux communs, dans la peinture que le Roman de la Violette fait de la frai- cheur d’Euriant : La rose qui naist en esté, Quant s'aeuvre la matinée, N'est pas si bien enluminée *. Ed. Krœber et Servois, v. 2008-2009. Recueil d'anciens textes, p. 372, n° 44%. Bartsch, Langue et littérature francaises, 605, v. 17-18. Éd. Fr. Michel. Paris, 1831, in-8, p. 24, v. 516-17. . Éd. Fr. Michel, p. 49, v. 879-81. De mème le biographe de sainte Élisabeth dit qu’elle ot & D LA ROSE DANS LA POÉSIE. 309 Chrestien de Troyes s’est aussi servi de la même comparaison, mais en la développant, pour montrer combien Enide surpasse toutes les autres dames : Mais ensinc come la clere jame Reluit desor le bis chaillo Et la rose sor le pavo, Aussi est Enide plus bele Que nule dame ne pucele. Beaudoin de Condé a fait, dans son Conte de la Rose, comme la théorie de cette comparaison de la beauté avec la rose : Biens et biautés en dame ensamble Bien affierent, et moi en samble C'on doit comparer à la rose La biauté*. « Des grands biens », ajoute-t-1l dans son rudestyle, Tant a biauté k'’en la rose a Sour le rosier a la rosée. fut tant bele et colorée come rose est la matinée. Sainte Ysabiel l’estoire. Bibl. nat. fr. 19531, fol. 1226, b, v. 73. 1. Édit. d'Imm. Bekker, v. 2400-4095. (Haupt's Zertschrift, vol. X.) Chrestien de Troyes a eu aussi recours à la rose pour montrer que la largesse est la plus grande des vertus : Meis tot ausi come la rose Est plus que nule autre flors bele, Quant ele neist fresche et novele : Einsi la ou largece vient, Desor totes vertuz se tient. Cligès, éd. W. Fœærster, Halle, 1888, in-8, v. 208-212. 2. Dits et contes, vol. I, p. 144, v. 331-34 et 336-37. 366 LA ROSE AU MOYEN AGE. Mais le plus souvent, dans la description qu'ils font de la beauté de leur amie ou des héroïnes qu'ils chantent, les poètes du moyen âge, à l'imitation de leurs précurseurs de l'antiquité, — les poètes mo- dernes suivront à leur tour leur exemple’ — nous montrent la blancheur du lis s’unissant à l'éclat de la rose. « Elle est plus belle que le lis ou la rose », dit un poète latin” du xn° siècle. « Elle est vermeille comme la rose et surpasse en parfum le lis de la vallée‘ », lit-on dans un autre. Plus fresca que rosa ne lis, remarque à son tour Cercalmont de la dame qu'il aime *. Roza de pascor sembla de sa color et lis de sa blancor, chante Peire Vidal de son amie. L'auteur de Berte nous la peint Vermeille come rose, blanche com flours de sf. L'héroïne des Enfances Ogier aussi Com flours de lis estoit blanche et polie de Voyez si de son teint les roses et les lis Dans l'hiver de la mort sont bien ensevelis, dit entre autres Mairet, dans la Sophonisbe, acte V, scène 8, en transformant la comparaison en métaphore. v: pulchrior lilio vel rosa. Carmina burana, p. 145, n° IT, v. 22. 3. Carmina burana, p. 200. 4. Bartsch, Chrestomathie provencale, p.26; ve 1 5. Chant IV, v. 61-63. Éd. Karl Bartsch, Berlin, 1857, in-8. 6. Éd. Aug. Scheler, v. 789. LA ROSE DANS LA POÉSIE. SO Et plus vermeille que n'est rose espanie!. Et, suivant Marie de France, l’amie de Lanval, Flur de lis et rose nouvele, Quant ele pert el tens d'esté, Trespassot (ele) de bealté*. Dame, mar vi le clair vis et la fache Ou rose et lis fleurissent cascun jour, s'écrie aussi le Châtelain de Coucy”, en s'adressant à son amie. Et, pour donner une idée de la beauté de Soredamors, Chrestien de Troyes dit à son tour‘ Qui poiïst la façon descrivre Del nes bien feit et del cler vis, Ou la rose cuevre le lis, Einsi qu'un po le lis efface, Por miauz anluminer la face ? Adenet aussi, voulant peindre le teint de roses et de lis de Clarmondine, n’a pas craint d’avoir recours ; P à cette métaphore prétentieuse” : La rose forment se penoit De la flour de lis honnorer En son tres douz viaire cler. Dans ces comparaisons le lis est remplacé parfois par l’églantier, plus souvent par la neige ou par le Éd. Aug. Scheler. Bruxelles, 1874, in-8, v. 1470-71. Lanval, v. 94-96 : Die Lais der Marie de France, p. 90. Chanson XI, p. 48, éd. Fr. Michel. — Chanson XV, p. 70, éd Fritz Fath, str; &, v. 1-2. Cligès, v. 816-820. Cléomadès, vx. 14579-81. C2 LL £ ) Le » 306 LA ROSE AU MOYEN AGE. cristal, ou même à la fois par l’un et l’autre. Ainsile traître Gombaut dit de la compagne d’Aiol” : La dame, ele est plus blanche que n'est flor d'aiglentier, S'a la color rovente plus que rose en rosier. Dans le Mystère d'Adam, au contraire, le diable, voulant dépeindre la nature délicate et fragile d'Éve, la compare à la rose, ainsi qu’au cristal et à la neige : Tu es fieblette et tendre chose Et es plus fresche que n'est rose ; Tu es plus blanche que cristal, Que neif qui chiet sor glace en val*. Les comparaisons tirées de la rose et du lis se rencontrent dans la poésie anglaise, comme dans Ja nôtre; c’est ainsi que Chaucer dit de Cléopâtre qu’elle 1. Aiol, chanson de geste, publiée par Jacques Normand et Gustave Raynaud. Paris, 1877, in-8, v. 6696-97. 2. Adam, mystère du xue siècle, texte critique accompagné d'une traduction par Léon Palustre. Paris, 1877, in-4, p. 40. Parfois nos poètes n'ont établi de comparaison qu'entre la blan- cheur du teint et le lis, auquel se joint souvent l’aubépine, ou qui est remplacé par la neige ou la glace, le cristal, l'argent et l'ivoire. gola e peitrina Blanca com neus e flors d'espina. Arnaut de Mareuil (Mahn, 7roubadours, T, 153.) ele ot plus blanc col et poitrine que flour de lis, ne flour d'espine. Roman de la Violette, v. 888-89. Neis la gorge contreval Sanbloit de glace ou de cristal. Guillaume au Faucon, v. 105, etc., etc. LA ROSE DANS LA POÉSIE. 369 était « belle comme est la rose en mai»', compa- raison dont il faut rapprocher la locution anglaise « frais comme une rose en juin »*. Chaucer dit même du soleil à son lever qu'il est « vermeil comme une rose». Le même poète, pour peindre la beauté d'une des héroïnes des Canterbury tales, en montre le teint rivalisant avec le doux éclat de ces fleurs“ : Émilie, qui était plus belle à voir que ne l’est le lis sur sa verte tige et plus fraîche que le mois de mai avec ses fleurs nouvelles (car son teint le disputait à la couleur de la rose et je ne sais lequel des deux était le plus admi- rable). La rose, cette « fleur favorite » des minnesaen- ser”, joue dans leur poésie un rôle encore plus grand que dans celle des minestrels, le même que chez les troubadours et les trouvères ; mais les com- : 1e And she was faire, as is the rose in May. The legend of Goode Women, I, v. 34. 2. Hazitt, English Proverbs and proverbial Phrases. Lon- don, 1882, 2e éd., p. 68. 3. The sonne, that roos as rede as rose. The legend of goode Women. Prol. v. 112. Cf. William Haec- kel, Das Sprichwort bei Chaucer, p. 57. (Erlanger Bei- träge zur englischen Philologie, fasc. VIIT, 1890.) ke. Emily that fairer was to seen Than is the lily, on her stalke green, And fresher than the May with flowers new, (For with the rosè colour strove her hue, I n'ot which was the finer of them two). The Knights tales, éd. John Saunders. London, 1889, in-12, p. 177. 5. Otto Lüning, op. laud., p. 156. Cf. Karl Finsterwalder, Die Jorer. La Rose. 22 370 LA ROSE AU MOYEN AGE. paraisons qu'ils lui ont empruntées ont parfois un caractère plus sentimental ou plus tendre. Ses joues de neige, dit le poète de Wolfdietrich!, brillaient comme la rose vermeille, quand elle va s’en- tr'ouvrir. Amoureusement colorés de l'éclat vermeil de la rose, chante Konrad von Kilchberc?, fleurissent de cette belle les joues, la bouche et le menton. D'amour, lit-on dans les Nibelungen*, le clair visage de Kriemhild devint vermeil comme une rose. Rien ne me paraît aussi bon, ni aussi digne d'être loué, fait dire un minnesaenger à sa dame“, que la rose brillante et l'amour de mon mari. La vue des dames réjouit plus le cœur, chante un autre, que celle d'une rose encore humide de rosée. Rose, eines der drei Wahrzeichen deutscher Dichtung, 1882, in-8. L: Ir wiziu wangel Iühten an derselben stàt reht als diu liehte rôse swenn si erste üf gat. Wolfdietrich, B. v. 576-77. 2. Minneclich gevar in rôsen rœte Blüet der schænen wengel, munt, ir kinne. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter des zwülften bis vrerzehnten Jahrunderts. Stuttgart, 1870, in-8, p. 265, v. 17-18. 3. Wart ir lieht antlitze vor liebe rôsenrot. Mibelungenlied, v. 340. 4. Mich dunket niht sû guotes noch sô lobesam, Sô diu liehte rôse unt diu minne mines man. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 289, v. 39-40. 5: Vrouwen vrüuwent verre baz danne ein rose in touwe naz. Minnesinger, Adesp. I, v. 2. LA ROSE DANS LA POÉSIE. So La chasteté, remarque Reinmar von Zweter!, est la parure de la femme, comme la rose celle de l'épine. Comme nos anciens poètes, les minnesaenger ont aussi désigné par la métaphore de la rose et du lis la blancheur et l'éclat du visage, ainsi que la rou- geur qui le couvre parfois. Walther von der Vogel- weide*, parlant d’une jeune fille à laquelle il vient d'offrir une couronne de fleurs : « Ses joues, dit:il, devinrent rouges, semblables à la rose qui est près du lis. » Et voulant dépeindre la beauté du teint de son amie, 1l dit qu’on voit briller sur ses joues « ici l’éclat de la rose, là la blancheur du lis »°. Il a même inventé le mot /{/jerosevarwe « couleur de lis et de rose »*, pour désigner l'éclat blanc et vermeil d'un beau teint. Un autre poète, Der Durner, subs- tituant la neige aux lis, parle des « roses vermeilles répandues sur la blanche neige des joues de son amie »°. Mais l’union des lis et des roses est pour les min- nesaenger la marque et l'emblème de la beauté su- prème du corps comme de l’âme. 1. Ap. H. Drees, Die poetische Naturbetrachtung, p. 31. 2. Jr wangen wurden rôt Same diu rôse, dà si bi der liljen stât. Éd. Pfeiffer, VI, v. 19-20. - Hie rœselocht, dort liljenvar. Éd. Pfeiffer, XVII, v. 24. . Éd. Pfeiffer, LXX VI, v. 19. rôsen rôt gestrüit üf wizen snê Fs ot sint der lieben under ougen. K. Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 279, XC, v. 6-7. 1e LA ROSE AU MOYEN AGE. Je voudrais qu'il me fût possible, s’écrie Walther von der Vogelweide dans les vers où il implore les secours de Frédéric I1*, de me chauffer à mon propre foyer. Ah! comme je chanterais alors des oiseaux, de la bruyère et des fleurs, ainsi que j'en chantais jadis; à la belle dame qui m'en prierait Je ferais briller sur ses joues les roses et les lis. A notre avis, dit-il ailleurs?, la constance est la cou- ronne de la femme; quand la joie de l'âme s'unit (chez elle) à la pureté, on dirait que le lis se marie à la rose. La rose entre aussi, quoique assez rarement, dans les comparaisons des poètes italiens et espagnols. « Péricon, raconte Boccace”, avait un frère beau et frais comme une rose. » Dans une romance espa- gnole, une « gentille dame » dit que son teint a les nuances de la rose sur le rosier »‘. Mais le plus souvent, dans ces comparaisons, à la rose se joint le 1. Gerne wolte ich, mühte ez sin, bi eigem fiure erwarmen. Zahi wie ch dann sunge von den vogellinen, von der heide und von den bluomen, als ich wilent sanc. Swelch schœne wip mir danne gæbe ir habedanc, der lieze ich liljen unde rôsen üz ir wängel schinen. Éd. Franz Pfeiffer, CXLIX, v. 3-7. 2. Wir wellen, daz diu staetekeit iu guoten wiben gar ein krône si. kumt iu mit zühten sin gemeit, sô stêt diu lilje wol der rôsen bi. Éd. Franz Pfeiffer, XVI, v. 17-20. 3. Aveva Pericone un fratello bello et fresco, come una rosa. Decamerone, Giornata Il, novella 7. 4. La color tengo mezclada como rosa en el rosel. Primavera de romances, n° 145, vol. IL, p. 65. LA ROSE DANS LA POÉSIE. D TÉS: lis. Bonagiunta Urbiciani chante de sa dame que « son visage esmeré et brillant porte des lis et des roses»'. Dante et, à son exemple, Pétrarque ont remplacé les lis par la neige : Ah! le doux sourire, s'écrie le premier?, à travers lequel perce la blanche neige au milieu des roses tou- Jours vermeilles. Je verrais, dit le second en parlant de Laure*, appa- raître sous la neige les roses vermeilles de son teint. Et ailleurs 1l vante « les roses de son visage éparses sous les doux flocons d’une neige vivante »°. Boccace, au contraire, est resté fidèle à la com- paraison empruntée aux lis: Ses joues, dit-il, dans la Théséide, de la belle Émilie 2 1 Le Gigli e rose novelle Vostro viso ha portate Si smerato e lucente, Vincenzio Nannucci, Manuale della letteratura del primo secolo della lingua italiana. Firenze, 187%, in-12, vo Ep: 129: 2 Ome ! lo dolce riso Per lo qual si vedea la bianca neve Fra le rose vermiglie d'ogni tempo. Canzone 233. Il canzoniere di Dante Alighieri publ. da Pietro Fraticelli... Firenze, 1873, in-12. 3 Le rose vermigli infra la neve Mover (vedrei). Zn vita di Laura, son. CI, v. 9-10. k. rose sparse in dolce falda Di viva neve. 1014: OX 56: DL Le guance sue... eran delicate e graziose Bianche e vermiglie, non d’altra misura Che in tra gigli le vermiglie rose. Canto XII, str. 58, v. 1-4. 374 LA ROSE AU MOYEN AGE. tendres et charmantes, étaient blanches et vermeilles, semblables aux roses empourprées au milieu des lis. Mais dans la romance espagnole de Guiomar, c’est le cristal qui a remplacé les lis ou la neige : Guiomar, dit le poète anonyme, sort du bain, ver- meille comme une rose, son visage brille comme le cristal. Par leur couleur et leur éclat, la bouche et les lèvres surtout ressemblent à une rose, on ne doit pas être surpris aussi de les trouver comparés à cette fleur : Quand sa voix mélodieuse disait rose, chante Digénis de sa femme, dans un poème grec du xr° siècle?, je croyais qu'elle avait une rose sur les lèvres, tant elles ressem- blaient vraiment à une rose nouvellement fleurie. Les minnesaenger surtout se sont servis de cette gracieuse comparaison. Sa bouche ressemble à une rose vermeille, s’écrie l’un d’eux. le Durner*. 1. Ya se sale Guiomar colorada como la rosa de los baños de bañar su rostro como cristal. Primavera de romances, n° 178, v. 1-4, vol. II, p. 290. Le ‘O5 dE ro Éodov EÀsyEv h x0pn pEAWÈOIE. évopiTov Ott xpatet É00OV ER! TX EiÂn éoiraot yap aAn0&: &ott avÜodvrr 600. Émile Legrand, Les exploits de Basile Digénis Acritas. Paris, 1892, chap. vi, v. 109-111. Als ein rôse rôt ist ir der munt. Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 280, n° XC, v. 50. O2 LA ROSE DANS LA POÉSIE. 319 Vos lèvres, dit un autre!, ressemblent à la rose humide de la rosée de mai. Comme une rose brillait en tout temps sa bouche, chante de la jeune Herràt l’auteur de la Raben- schlacht*. Mon amie, dit un vieux lied°, a une bouche si ver- meille qu'elle brille comme une rose, quand elle est dans toute sa fleur. L'éclat du soleil s'éteint à mes yeux, chante non sans afféterie Kraft von Toggenburc“, quand je vois les roses qui s'épanouissent sur une bouche vermeille, comme les roses sous la rosée de mai. Une « bouche qui brille comme une rose » ou qui est « mille fois plus vermeille qu’une rose »°, des : Als diu rôse in meien touwe ist iuwer lip. Minnesinger, IV, 2. Reht alsam ein rôse brann alle zit ir munt. Deutsches Heldenbuch, W Teil, éd. E. Martin, str. 121. Se Mein Lieb, das treit ein Mund 50 rot Der prinnet als die Rosen, 9 Wenn sie in rechter Blüthe staht. Gürres, Volkslieder, p. 14. diu liehte sunne [rs erlischet in den ougen min, swanne ich den rôsen schouwe, der bluet uz einem mündel rot, sam die rôsen uz des meien touwe. Karl Bartsch, Die Schweizer Minnesänger. Frauenfeld, 1837, in-8, p. 75, 1, v. 28-32. Ir ist der munt tüsentstunt OX rœæter danne ein rœselin. Der Taler, ap. Bartsch, Zbid. p. 67, v. 37-39. 370 LA ROSE AU MOYEN AGE. « joues roses » ou « couleur de rose »! sont des ex- pressions habituelles chez les anciens poètes alle- mands. Ha! s'écrie Rost Kilchherre®?, bouche qui brille comme les roses, quand voudras-tu finir mon long chagrin ? De sa bouche couleur de rose ne sortait jamais une parole qui ne fût bonne, lit-on dans le Lanzelot allemand”. Pour désigner la bouche et les lèvres de son amie, Wernher von Hônbere va jusqu'à dire qu'elle «a mangé une rose vermeille »“. Mèmes images chez les poètes italiens. Boccace, dans l’Amneto, dit de la bouche d’une des compagnes de la belle Lia qu’elle « ressemble à une rose ver- meille »°. Pour Pétrarque, la bouche même est une rose et les dents des perles : Des perles et des roses vermeilles, où la douleur re- cueillie formait des sons vifs et charmants". 1. « Rôsenwengel ».— « Wangen so gar rosenvar ». Drees, Die Naturbetrachtung, p. 31. 2: Hey, rœselehter munt, wanne wilt erfrischen mich ? K. Bartsch, Die Schweizer Minnesänger, p. 393, II, v. 1-2. a 3. Vonir rosenvarwem munde kom nie wort, ezn waere guot. v. 4026. &. Sô hât si einen rôten rôsen gezzen. Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 267, v. 7. 5. La bocca... somigliava vermiglia rosa, p. 39. 6. Perle e rose vermiglie, ove l’accolto Dolor formava ardenti voci e belle. In vita di Laura. Son. CX XIV, v. 13-14. LA ROSE DANS LA POÉSIE. JA C’est surtout quand elle sourit que la bouche ressemble à une rose épanouie, aussi un minne- saenger, Heinrich von Trosthere, a-t-1l comparé le sourire à cette fleur : Vermeil comme la rose est le sourire de ma bien-aimée dame. La bruyere est dépouillée de ses fleurs, s'écrie un autre minnesaenger?; mais Je vois encore des roses lors- que sourit sa bouche vermeille. Un troisième parle des roses qui tombent des lèvres vermeilles de sa dame”. La bouche de mon amie, chante Nithard*, peut ré- pandre des roses, on le voit à son sourire. Quand :il sourit, dit également un proverbe néerlan- dais*, il neige des roses. ile Rôsenrût ist 1r daz lachen der vil heben frouwen min. K. Bartsch, Die Schweizer Minnesänger, p. 273, IL, v. 15. 2: SÔ diu heide bar der bluomen lit, dannoch sihe ich rôsen, swann ir rôtez mündel lachet. Winli, ap. K. Bartsch, Die Schweizer Minnesänger,p.156,1IV, v. 23-25. + Rôsen de vallen an mir frowen rôder lèr, dèr van wil ic singen. Wizläw, ap. K. Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 264, v. 76-78. 4. Der trüten munde künnen rôsen giezen, Siht mans durch ir lachen lüsteliche strôun. Minnesinger, vol. III, p. 187, v. 2. 5. « Als hy lacht, dan sneuwt het rosen.» Tuinman, vol. I, p. 306, ap. J. Grimm, Deutsche Mythologie, p. 1054. 318 LA ROSE AU MOYEN AGE. Une chanson calabraise parle d’une « bouche qui jette des roses et des fleurs » !. Quand vous portez la main à votre front, dit aussi une chanson populaire de la Sicile?, vous la remplissez de roses et de fleurs. Dans la version allemande du roman d’Apollo- nius de Tyr se trouve l’histoire d’un mendiant qui, ayant obtenu l’amour d’une belle reine, saute de joie et son sourire répand tant de roses que monts et vaux, arbres et prairies en sont couverts”. Un chant grec parle aussi d’une jeune fille « qui, quand elle sourit, fait pleuvoir des roses dans son tablier »*. Dans un conte sicilien il est question d’un enchanteur qui confère à une jeune fille vertueuse le don de laisser, chaque fois qu'elle parle, tomber des roses de sa bouche”. Cette fiction se retrouve dans le Pentamerone, mais là aux roses se joignent les E: Boccazza che getta rose et fiori. Nic. Tommaseo e Bellini, Dizionario della lingua italiana. Roma-Napoli, 1872, in-4, s. v. rosa. ee Quando mettete la mano alla fronte L'impiete piena di rose e di fiori. Nic. Tommaseo e Bellini, /bid. Das sach der rosenlachender man, der lachet, das es voll rosen was, perg und tal, laub und gras. Altdeutsche Wälder, vol. I, p. 72, ap. Uhland, vol. IT, p. 51%, note 183. 4. ‘Oroë yeh&, za réprouve Ta Éd ’o Tnv roÛtXv Ts. Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, vol. IT, p- #92; no lv 97 . L. Gonzenbach, Sicilianische Mäürchen, vol. I, p. 228, n° 3%. Qt LA ROSE DANS LA POÉSIE. sh jasmins'. Dans un conte grec il est question d’une « jeune fille qui rit des roses et pleure des perles »°. Un conte polonais connaît également la mème fic- tion. Il faut en rapprocher l'expression « parler des roses », employée, nous l’avons vu‘, dans l’an- cienne poésie grecque, avec le sens de « dire des choses agréables ». On la rencontre dans le Triomphe de l’hiver, pièce de Gil Vicente, du commencement du xvi° siècle : Avec toutes tes querelles, tes paroles sont toutes au- tant de roses, et tu dis de si douces choses que j'ai plaisir à t'écouter *. Après avoir comparé à la rose la bouche et son sourire, on fit un pas de plus, on compara a cette fleur gracieuse les baisers que donne ou reçoit une bouche aimée. Un minnesaenger”, dans un de ses plus beaux chants, nous présente la rose sous ce 1. Ap. Schleiden, Die Rose, p. 168. 2. J. G. von Hahn, Griechische und albanesische Märchen, gesammelt, übersetzt und erlüutert. Leipzig, 1864, in-12, vol. I, p.495, n° 28. . 3. Dans un conte suédois du Smäland, « Petite Rose » /Zilla Rosa) reçoit le don de laisser tomber de sa bouche un anneau d'or chaque fois qu'elle rit. Schwedische Volkssagen und Mür- chen. Deutsch von Carl. Oberleitner. Wien, 1848, in-8, p. 151. 4. Voir première partie, chap. 111, p. 86. 5. Con todo tu querellar. y dices tan buenas cosas cuanto hablas todo es rosas, que huelgo de te escuchar. Teatro español anterior a Lope de Vega. Hamburgo, 1332, in-8, p. 94. 6. Minnesinger, vol. I, P: DA AN AR PAL À 300 LA ROSE AU MOYEN AGE. triple sens métaphorique et nous montre comment on est passé du premier au troisième. Fleurs, feuillage, trèfle, montagne et vallée, ainsi que le charme si doux du mois de mai, sont pâles en compa- raison des roses que porte ma dame; le brillant soleil s obscurcit à mes yeux, quand je vois les roses qui s'épa- nouissent sur sa bouche vermeille, semblables à celles que recouvre la rosée printanière. Qui y cueillit jamais des roses, ajoute-t-il!, peut bien se réjouir du fond du cœur; quelques roses que j'aie vues, Jamais je n'en vis d'aussi plaisantes; quelque belles que soient celles quon peut cueillir dans la vallée, sa bouche vermeille en sourit en un instant un millier d'aussi charmantes. Le roi Wenceslas de Bohème parle d’une manière non moins poétique des baisers, cueillis sur la bouche de son amie : Comme une rose qui entr'ouvre son calice, quand elle boit la douce rosée, elle m'offrit ses levres tendres et vermeilles ?. Si sa bouche, vermeille comme la rose, voulait me 1: Swer dà rôsen ie gebrach der mac wol im hôchgemüete lôsen ; swaz ich rosen ie gesach dàä gesach ich nie sô lôsen rôsen. swaz man der brichet in dem tal, dà sie die schœnen machet, sà zehant ir rôter munt einen tüsent stunt sd schœnen lachet. Le) Recht als ein rose diu sich üz ir klôsen lât,. swenn si des süezen touwes gert, sus bôt si mir ir zuckersüezen rôten munt. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p- 261, v. 21-23. LA ROSE DANS LA POÉSIE. 301 donner un baiser, j'oublierais sur l'heure mes soucis, chante à son tour Kuonrât von Kilchberc. On rencontre les mêmes comparaisons chez les poètes néerlandais : Mon amie est mon été, mon amie est ma joie, dit l'un d'eux?, et toutes les roses fleurissent, aussi souvent qu'elle me donne un baiser. Ce ne sont pas là les seules comparaisons que les poètes du moyen âge ont empruntées à la rose, ils s’en sont encore servis comme de symbole et d’em- blème pour désigner ce qui était beau et précieux ; n'était-elle pas pour eux « la plus noble des fleurs », digne d'être « prisée également de l’empereur et de l’impératrice »°, comme s'exprime un minnesaenger ? Il était naturel dès lors qu'on lui comparât ce qu'on estimait ou ce qu'on regardait comme ayant une valeur particulière. C'est des plus belles la rose, dit un vieux poète*. 1. Wolde ir ræselehter munt, sorge mich verzihen mir ein küssen lihen, wolt ich sà ze stunt. Karl Bartsch, Deutsche Liederdichter, p. 266, v. 62-65. 2. Mijn liefken is mijn somer, mijn liefken is mijn lust, en al de rosen bloejen so dicmal si mi cust. Altniederlündische Lieder, p.73, n° 7, v. oO: Keiser und keiserinne ist diu rôse ein edel werdiu bluome. Der jüngere Titurel, éd. Boisserée, ch. 111, v. 84-85. 4. Man. 6572, fol. 80, ap. Lacurne de Sainte-Palaye, s. v. rose. 382 LA ROSE AU MOYEN AGE. Fleur de chevalerie et vertu esprouvée ! Roze de hardement, car plus qu'achier temprée ! s’écrie l’armée acclamant Baudoin qui l’a sauvée!. Mais li Francois, s’on dire l'ose, Sont de tous cavaliers la rose, dira Philippe Mouskiés ?. De même Wolfram d'Eschenbach loue Gamuret 3 d’être « pour ses amis une douce fleur de rose »°. « Elle brille entre toutes les femmes, comme la rose entre toutes les fleurs», dit de la fille du roi païen Marchorel l’un des personnages d’Ortnit*. Dietrich, déplorant la perte de Jubart de Latran, l’appelle « une rose de fidélité »°, et Wernher n'a pas cru pouvoir donner une plus haute idée de Capharnaüm qu’en disant qu’elle « brille comme une rose au-des- sus des autres villes » °. À cause de la couleur écarlate de certaines espèces de roses, un trouvère n’a pas hésité à leur comparer des murs couverts de sang : Et li mur sont vermeil comme rose esmerée*. 1. Li romans de Baudoin de Sebourc, chant VIIT, v. 405- 406. Valenciennes, 1841, in-8, vol. [, p. 214. 2. Lacurne de Sainte-Palaye, s. v. rose. 3. Den friunden ein süeziu rosenblüete. Titurel, éd. Pfeiffer, str. 159, v. 4. 4. Siu lüht uz allen wiben, reht als diu rôse tuot. Str. 15, 3. 5. Dietrichs Flucht, v. 9983, ap. Lüning, p. 157. 6. Siu lühte sam diu rôse ob anderen steten. Ap. Otto Lüning, Die Natur, p.157. 7. Gui de Bourgogne, v. 4296. LA ROSE DANS LA POÉSIE. 383 Et dans la Divine Comédie, Dante, par une autre association d'idées, compare à une rose immense, éternelle, dont les feuilles s’épanouissent et se su- perposent rosa sempiterna Che si dilata, rigrada!, les bienheureux, — « milice sainte, que le Christ épousa avec son sang »*, — contemplant, rangés autour du Créateur, la lumière divine. Enfin, à l’imitation des poëtes de l’antiquité, les poètes des derniers temps du moyen âge — Îles écri- vains modernes suivront cet exemple — ont comparé les feux de l'aurore à l’éclat d’une rose vermeille. « Je vois, dit Pétrarque”, descendre du ciel l’Au- rore au front de roses et aux cheveux d’or ». « L’Au- rore nous apparait avec les couleurs de la rose la plus fraiche », dit de même Boccace dans l’Ameto*. « Le soleil, chante à son tour Chaucer”, se levait vermeil comme une rose. »- Le contraste entre la beauté et le parfum de la rose et la rudesse des épines qui l'entourent devait 4. Zl Paradiso, canto X XX, str. 42, v. 126-27. Z. la milizia santa, Che nel suo sangue Cristo fece sposa. Il Paradiso, canto XX XI, str. 4, v. 2-5. 3. io veggio dal ciel scender l’Aurora Colla fronte di rose e co’ crin d'oro. In morte di Laura. Sonetto XXIII. « Nell’ aurora freschissima rosa si manifesta », p. 37. OU + The sonne, that roos as rede as rose. The leg. of good women. Prol., v. 112. Cf. p. 369. 384 LA ROSE AU MOYEN AGE. donner naissance aux comparaisons les plus diverses et à de nombreux proverbes. Pour les écrivains mys- tiques la rose fut l’image de la sainteté, les épines, l'emblème du péché, de lidolätrie ou de l'incrédu- lité; c’est ainsi qu'un minnesaenger appelle la Vierge « une vraie rose sans épines, bien qu'issue de la race juive, c'est-à-dire du milieu des épines »”. Fleur née sans épines du milieu des épines, chante Adam de Saint-Victor?; fleur, gloire des épines, nous, épines, nous sommes ensanglantés par l'épine du péché, dont tu ne sais rien. Hilarion, remarque de même son historien, qui eut des parents idolâtres, fleurit, comme l'on dit, semblable à une rose au milieu des épines. Cette image devait se développer et s'appliquer aux choses les plus diverses“. C’est ainsi que le poète du Dit de la Rose compare les médisants qui 1. Von judischem kunne also von dorne geborn, ein reht rosa ane dorn. Legende des Pilatus, v. 112-114. (Wilh. Wackernagel, Deutches Lesebuch, Basel, 4° éd. 1871, p. 266.) 2. Flos de spinis spina carens, Spina sumus cruentati, Flos spineti gloria. Sed tu spina nescia. Nos spinetum, nos peccati In Assumptione, str. 2. 3. Girolamo, ap. Nic. Tommaseo, Dizionario della lingua italiana, s. V. rosa. &. « L'’espine, dit Pierius Valerian., a environné la rose comme représentant le miroir de la vie humaine, en laquelle ce qui est doux et gracieux aigrit et devient amer, estant atteint des aguillons de sang et fascherie. » Commentaires hiéroglÿphiques ou images des choses. Lyon, 1576, in-fol., p. 495. LA ROSE DANS LA POÉSIE. 385 poursuivent l’amie du poète aux épines qui entourent la rose‘. Aussi comme la rose nest Entre poingnanz espines, est Cele qui de mon cuer est dame Entre les mesdisanz, qui blasme Li porchacent a lor pooir. C’est dans le même sens que Pétrarque appelle Laure une « blanche rose née entre de dures épi- nes »°. Un de nos vieux poètes”, voulant montrer que le plaisir et la douleur sont souvent inséparables, s’écrie : Li rosiers est poingnauz et s'est souef la rose. Et la locution « il n'y a pas de roses sans épines »°, qui exprime la même pensée, se rencontre sous des formes diverses dans toutes les langues. Tel est le proverbe italien * : 1. Bartsch, La langue et la littérature francaises, col. 603, v_ 15-19. D Candida rosa nata tra dure spine! In vita di Laura, son. CCVIIL, v. 5. 3. Rustebuef, Zt dis des Jacobins (Bartsch, La langue et la littérature francaises, col. 450, v. 9). 4. « Nulle rose sans espines. » Gabr. Meurier, Trésor des sen- tences, ap. Le Roux de Lincy, Le livre des proverbes francais, vol. E, p. 84. « Non ve rosa senza spina. » Tommaseo, Dizionario, s. v. rosa. « Keine Rose ist ohne Dornen. » Karl Simrock, Die deutschen Sprichwôürter. Frankfurt a. M.,in-12, 4e éd., p. 461. 5. « Ne rosa senza spine, nè amore senza impacci. » Tommaseo, Ibid. JorerT. La Rose, 25 386 LA ROSE AU MOYEN AGE. Point de roses sans épines, ni d'amour sans ennuis. Et le proverbe allemand : Qui veut la rose ne doit pas redouter l'épine. Qui peut cueillir des roses sans se piquer à leurs épines, remarque le rabbin Dom Sem Tob*. Cueillir les roses et laisser les épines, dit à son tour Boccace*. De l'épine naît la rose, de la rose l'épine ‘; Entre les épines naissent aussi les roses ‘; proverbes italiens qui signifient que la joie peut suc- céder ou être mêlée à la tristesse et la tristesse à la joie. Pour naître sur une épine, la rose certes n'en vaut pas moins — ou n'en sent pas moins bon‘. Si elle est rose, elle fleurira; si elle est épine, elle piquera’. 1. « Wer die Rose will, darf den Dorn nicht scheuen ». K. Sim- rock, Zbid. 2 Quien puede cojer rosas Syn toccar sus espinas. Proverbios morales, n° 110. {Poetas castellanos anteriores al xv siglo. Madrid, 186%, in-8, p. 334.) CE Cogliete le rose e lasciate le spine stare. Decamerone, Giornata quinta, novella x, p. 108. 4. Di spina nasce rosa, da rosa spina. TK Anco tra le spine nascono le rose. Nic. Tommaseo, Dizionario, s. v. rosa. 6. Por nascer el spino Non val la rosa cierto menos. Por nacer en spino La rosa no siente menos. Proverbios morales, n° 47. S'ell’ è rosa, fiorirà ; s'ell” è spina, pungerà. SI Nic. Tommaseo, Dizionario, s. v. rosa. LA ROSE DANS LA POÉSIE: 3871 autres sentences dont il est inutile d'expliquer le sens. Mais la rose a donné lieu à bien d’autres expres- sions proverbiales. Ainsi : Cueille la rose pendant qu'elle est en fleur!. Qui ne cueille point de roses en été, n'en cueille pas non plus en hiver?. Le temps produit les roses, non le rosier*. Et à cause de sa courte durée : Périssable comme la rose, — Bien vite effeuillée est la rose*. Il n'est point de rose si belle qui ne finisse par se faner. Toute vermeille qu'est la rose, elle finit par pâlir‘. Voulant montrer que le voisinage de ce qui est laid ne diminue en rien la vraie beauté, Ovide avait dit que « souvent l’ortie croît près de la rose»'; un 4. « Pflück die Rose, wenn sie blüht. » K. Simrock, Zbid. — Proverbe tchèque. 2. Wer sie (rosen) nicht im sommer bricht, Der brichts’im winter nicht. Franz M. Bühme. Altdeutsches Liederbuch, n° 137, v. 3-4. 3. « Zeit bringt Rosen, nicht der Stock. » Sebastian Franck. 4. « Vergänglich wie die Rose », — « Rosen sind bald verblät- tert. » K. Simrock. /bid. 5. « Keine Rose so schôün, dass sie nicht auch endlich welkte. » K. Simrock. /bid. 6. Nomis, Oukrainski prikazkr, etc. S. Petersburg, 1864, in-8, p. 104. 7. Voir première partie, chap. 1117, p. 87. 388 LA ROSE AU MOYEN AGE. trouvère s’est emparé de cette comparaison et l’a développée dans les vers suivants ‘ : Les roses selonc les orties Ne lor flairor ne lor bonté ; Ne perdent mie lor biauté, J'ai veu delez l'ortuer Florir et croistre lou rosier. Un proverbe de l'Ukraine”, preuve que cette mé- taphore a pénétré Jusque chez les peuples slaves, dit de même : La rose reste toujours rose même entre les orties. Il faut en rapprocher le proverbe de l'Esthonie, d’un sens tout différent * : Ce n'est pas à cause de toi que les orties porteront des roses. L'habitude qu'on prit à la fin du moyen âge de répandre des feuilles de roses sur l’eau du bain donna naissance à l’expression proverbiale « se bai- gner au milieu des roses », synonyme d’être à son aise, éprouver quelque chose de doux et d’agréable. Le roys Lois*, dit Guillaume Chastelain, se baignoit en roses, ce luy sembloit, d'oyr cette bone aventure. Et la ballade allemande du chef de bandes Bur- 1. La Bible Guyot, ap. Bartsch, Chrestomathie de l’ancien francais, col. 212, v. 11-15. 2. Nomis, Op. laud., p. 10%. 3. Esthnische Sprichwürter, gesammelt von Dr J. Altmann, ap. Schleiden, Dre Rose, p. 23. &. Louis XI. Chroniques des ducs de Bourgogne, vol. IT, p. 189. LA ROSE DANS LA POÉSIE. 309 khardt Münch nous le montre parcourant le champ de bataille, où avec le dauphin, le futur Louis XI, il avait battu près de Bâle les Confédérés, et disant à un de ses compagnons grièvement blessé : « Vois, aujourd'hui nous nous baignons au milieu des roses »!. C’est dans un sens analogue que l'auteur de L'amant devenu cordelier emploie le mot rose, au vers 720 : Car tels douleurs ne sont que roses, et qu'un proverbe allemand dit qu’ «on ne peut toujours marcher sur des roses »*°. à Le schau heut zu Tage hiebei, Da baden wir in Rosen frei. Des Knaben Wunderhorn, vol. I, p. 498. D 2 Man kann nicht immer auf Rosen gehen. K. Simrock, op. laud., p. 461. CHAPITRE V. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE, DANS LE CULTE ET DANS L'ART. L'extension de la culture de la rose, ainsi que la place considérable qu’elle a prise dans la poésie, pendant les derniers siècles du moyen âge, étaient la conséquence de l'emploi de plus en plus grand qu'on fit à cette époque de cette fleur et de ses pro- duits. De même que chez les anciens, la rose devint alors l’ornement habituel des fêtes profanes et reli- gieuses, en même temps qu'elle figurait dans les usages les plus ordinaires de la vie. La proscription dont avait été l’objet cette fleur naguère s1 recherchée prit bien vite fin, quand on n'eut plus le spectacle de l’abus qui en avait été fait ou des excès dont elle avait été l’accompagnement ordinaire, et elle fut associée au culte nouveau, comme elle l'avait été à celui du paganisme. Orne- ment du Paradis, la récompense, ainsi que le sym- bole, du martyr, la rose, avant toutes les autres LA ROSE DANS LE CULTE. 391 fleurs, avait sa place marquée sur les autels et dans les temples chrétiens. Paulin de Nole recommandait déjà aux fidèles, à l’occasion de la fête de saint Félix, de devancer le printemps, en jonchant le sol de fleurs et en ornant le seuil de l’église de guirlandes'. Dans une épître à Héliodore”, saint Jérôme loue l’évèque Népotien de parer les basiliques et les chapelles des saints de fleurs, de feuillage et de pampres. Le prêtre Sévère, nous apprend Grégoire de Tours’, cueillait de ses propres mains des fleurs de lis pour en décorer les murs de son église. Et, dans une pièce de vers connue, Fortunat félicite la reine Radégonde et sa compagne Agnès de ne point imi- ter les femmes qui se parfument de roses et de ré- server pour les temples sacrés les prémices du prin- temps : Aux jours de fêtes, dit-il‘, vous tressez de vos mains 4. Spargite flore solum ; praetexite limina sertis : Purpureum ver spiret hiems : sit floreus annus Ante diem. De $S. Felice natalitium carmen IX, v. 110-112. 2. « Hoc idem possumus et de ista dicere, qui basilicas, ecclesias et martyrum conciliabula diversis floribus et arborum foliüis vitium- que pampinis obumbrat. » Æpist. LXIIL. 3. « Solitus erat flores liliorum tempore quo nascuntur, colligere ac per parietes hujus aedis appendere. » Liber de gloria confes- sorum, cap. 1v. Ed. Migne, p. 866. kB. Texistis varis altaria festa coronis Pingitur ut filis floribus ara novis. Aureus ordo crocis, violis hinc blatteus exit. Coccinus hinc rubicat, laetus et inde nivet. 392 LA ROSE AU MOYEN AGE. des couronnes pour les autels et les parez de guirlandes de fleurs nouvellement écloses, unissant habilement le safran à la corolle dorée et la violette empourprée. Ici éclate le rouge vif, là la blancheur du lait. Toutes ces couleurs luttent entre elles, et l’on croirait ces fleurs en guerre dans le sanctuaire même de la paix. Nous savons par le témoignage du poète Th1o- fried' que sainte Amalbergue prenait plaisir à offrir sur les autels les fleurs, les herbes aromatiques et les fruits qu’elle avait cueillis dans le jardin de son père. Les statuts du monastère de Xante prescri- vaient aux diacres de parer le chœur et le maître- autel de fleurs et d'herbes odoriférantes aux fêtes de saint Jean et des saints Pierre et Paul”. Dans la vie de saint Martin qu'il nous a laissée, l’abbé Richer de Metz raconte * que le jour de la fète du patron de son couvent, les religieuses offraient sur l’autel des roses et de blanches couronnes de lis. Stat prasino venetus, pugnant et flore colores. Inque loco pacis herbida bella putas. Lib. VIT, 7. De floribus super altare, v. 9-14. Ed. Ch. Nisard. Paris, 1887, in-8, p. 206. 4: Floribus et pomis vernant pomeria patris, Hic altare Deo dicat alma puerpera virgo. Punica mala, nuces offert, thymiamata, flores. Adam Reiners, Die Pflanze als Symbol und Schmuck im Heiligtume. Regensburg, 1886, in-8, p. 39. 2. Binterim, Denkwürdigkeiten, ap. Adam Reiners, op. laud., p- 99. 3. Chorus sacrarum virginum, sequendo semper dominum, Offert rosas et lilia serta quoque candentia. Adam Reiners, op. laud., p. 39. LA ROSE DANS LE CULTE. 393 Tous les témoignages sont unanimes pour nous montrer quelle place immense les fleurs et en parti- culier les roses occupaient dans les cérémonies du culte. Dans un document de 1366, preuve mani- feste du rôle qu'y jouait cette fleur, l’Ascension est appelée la « fête de la rose ». Mais c'est là, il faut le dire, un cas isolé; la Pentecôte, au contraire, dans la plupart des pays, était bien réellement une fête des roses. À Rome, nous apprend une prescription du chanoine Benedetto”, on lançait, en ce jour, du haut de l’église de Santa-Maria-Rotonda, des roses, figure des dons du Saint-Esprit. Cette coutume n'était pas particulière à la ville éternelle; on en trouve de semblables bien ailleurs, entre autres à Rouen et à Lisieux, ainsi qu à Senlis, à Orléans et à Tours*. Mais aux fleurs que l’on jetait avec des feuilles sur le pavé de l’église, on joi- gnait aussi parfois des étoupes allumées, pour figurer les langues de feu du Saint-Esprit, en mème temps qu'on lâchait des passereaux et surtout des colom- bes*. Cette pluie de roses au jour de la Pentecôte 4. « Comme le jour de l'Ascension, icelui Goeron, demourant au bourc la royne, venoit de la Feste de la Rose. » Lit. remiss., ap. Du Cange, s. v. Festum rosae. 2. Avellino, Opusculi, vol. IIT, p. 263. « Statio ad Sanctam Mariam Rotundam, ubi Pontifex debet canere missam et in prae- dicatione dicere de adventu Spiritus Sancti, quia de altitudine templi mittuntur rosae in figura eiusdem Spiritus Sancti. » 3. Du Cange, s. v. nebula 2. — Dom Martène, De antiquis ecclesiae ritibus libri tres. Venetiüs, 1783, in-folio, vol. II, p. 195 a. 4. « Tunc etiam ex alto ignis projicitur quia Spiritus Sanctus 39% LA ROSE AU MOYEN AGE. a fait donner, en certaines contrées, à cette fête le nom de « dimanche des roses », et, en Italie et en Espagne, de « pâques des roses » — Aosarum pascha', Pascha rosata* ou rosa*. Les roses figuraient aussi parfois à la fête de saint Jean et de saint Pierre. À Duyven, en Hollande, on ornait, le Jour de la Saint-Jean, les maisons de ra- meaux de noyer et de roses*. Dans quelques localités de la Belgique, à l’occasion de la Saint-Pierre, on se pare aujourd’hui encore de couronnes de roses”. Quand la fête du Saint-Sacrement eut été insti- tuée, avec la procession solennelle qui en est le com- plément indispensable, la rose, à cette époque dans toute sa floraison, en fut l’ornement naturel. Le Cérémonial des évêques prescrit de garnir de ten- tures les rues par lesquelles la procession doit pas- ser et de les joncher de fleurs et de feuillage *. Cette descendit in discipulos igneis linguis, et etiam flores varii ad deno- tandum gaudium et diversitatem linguarum et virtutum. Colombae etiam per ecclesiam demittuntur, in quo ipsa Spiritus missio designatur. » Durandus, Æatio divinorum officiorum, lib. VI, cap. 107. 1. Cf. Ile partie, chap. IV, p. 359. 2. « Ita Pentecosten appellant Itali, quod eo fere tempore rosae floreant. » Æist. morlis et miracul. Leonis IX, ap. Miklosich, Die Rusalien. 3. L. Foresti, Vocabolario piacentino, s. v. 4. Ad. Kuhn, Sagen, Gebräuche und Mürchen aus West- phalen, vol. IT, p. 482. À rosa, p. 42. 5. Ad. Kuhn, op. laud., vol. IL, p. 490. 6. « Viae per quas processio transire debebit, mundentur et ornentur auleis, pannis, picturis, floribus frondibusque virentibus. » Caerimonale episcoporum, Gb. I, cap. xxxu. LA ROSE DANS LE CULTE. 395 prescription a toujours et partout été soigneuse- ment observée; mais on ne s’en est pas tenu là; des enfants, au moment de l’adoration du Saint-Sacre- ment, lancent en l’air des fleurs et en particulier des feuilles de roses. Dans certains diocèses les offi- ciants portent aussi des bouquets de roses; autre- fois 1ls en avaient des couronnes, comme les enfants en ont encore aujourd'hui. Un compte de Péglise de Saint-Quiriace de Provins, de l’année 1350, parle de « chapeaux de roses pour la fète du Saint-Sacre- ment ». [l est également question, dans un compte de Notre-Dame-du-Val, autre église de Provins, en 1436, de « chapiaux de roses et fleurs » au jour de la même fête. On les avait payés 2? sols 6 deniers”. Une miniature d’un missel du xv° siècle montre la confrérie des orfèvres assistant en corps à une pro- cession avec la chàsse de leur patron, chaque mem- bre ayant sur la tète et quelques-uns mème autour du cou des guirlandes de roses”. Le Cérémonial des évèques, qui ne fait ici que confirmer une ancienne coutume, recommande, les jours de fêtes majeures, d’orner les portes extérieures de l’église, ainsi que le maître-autel, de feuillage et de fleurs. À Béthune, au xv° siècle, on jonchait de fleurs le chœur de l’église à toutes les fêtes doubles depuis le jour de l'Ascension jusqu’à celui de l'Élé- 4. « Pro cappellis roseis in festo sancti Sacramenti. » F. Bour- queiot, Æistoire de Provins, p. 259, note 3. 2. Paul Lacroix et Ferd. Seré, Le livre d'or des métiers, Paris, 1858, in-8, p. 71. 396 LA ROSE AU MOYEN AGE. vation de la Croix. On rencontre des usages analogues en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Belgique et en Angleterre”. Les roses et les lis prirent naturellement une grande place dans le culte de la Vierge, dont elles sont l'emblème : J'offre à votre royale personne, dit un vieux chant espagnol ?, des roses dignes d'une tête si auguste. L'éclat de la rose vermeille, à reine excellente, ne messied pas entre les diamants et les émeraudes et il rendra plus brillant l'or de votre couronne. La coutume païenne de faire des offrandes sur la tombe de ceux qui n'étaient plus fut tout d’abord combattue et proscrite chez les chrétiens ; Minutius Félix la regardait comme inutile, « parce que s'ils sont heureux les morts n’ont que faire de fleurs, et que, s'ils sont malheureux, elles ne sauraient les réjouir »°. Saint Jérôme, nous l'avons vu, opposait les œuvres de charité de Pammachius aux violettes et aux roses que les autres maris répandent sur le tombeau de leurs épouses”. Saint Ambroise dit qu'il ne veut 1. Reiners, op. laud., p. 66. De Rosas ofrezco a vuestra real persona, dignas de tal cabeza..…. Que no parece mal, Reina excellente, entre el diamante y la esmeralda hermosa, sobra el oro mas puro y refulgente el rosicler de la purpurea rosa. Bühl de Faber, Floreêta, vol. I, n° 86, v. 7-12. 3. « Cum et beatus non egeat et miser non gaudeat floribus. » Patrologie, vol. LIX, p. 688, note c. 4. Première partie, chap. 11, p. 69. LA ROSE DANS LE CULTE. 397 pas couvrir de fleurs le tombeau de Valentin, mais embaumer son esprit du parfum de Jésus-Christ”. Mais ce dédain pour une pratique si naturelle et si réellement pieuse ne l’empêcha pas de se répandre en Occident, comme en Orient. Les saints eux-mêmes qui l’avaient d’abord condamnée finirent par s’y conformer. Saint Jérôme rappelle les larmes qu'il a répandues avec des fleurs sur la tombe de Népotien*. Saint Augustin parle d'une femme aveugle, qui, après avoir prié sur le tombeau de saint Étienne, \ fit une offrande de roses”. À l'entrée du monument de sainte Agnès, dans les Catacombes de Rome, on voit deux génies ailés qui portent chacun une cor- beille remplie de fleurs sur le tombeau de la sainte, image des offrandes qu'on y faisait dans la réalité *. Les Actes de saint Nicolas parlent d’offrandes de roses — rosalia® où rhodismos® — que l’on faisait sur sa tombe. 1. « Non ego floribus tumulum ejus aspergam, sed spiritum ejus Christi odore perfundam. » /n consolatione de obitu Valentini imperatoris. 2. « Quotiescunque nitor... super tumulum ejus flores spargere, toties lacrymis implentur oculi. » Æpist. xxxv. Ad Heliodorum. 3. « Hic caeca mulier, ut ad episcopum portantem duceretur et oravit, flores quos ferebat, dedit. » De civitate Der, lib. XXII. &. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, s. v. Paradis. 5. Dôioavros DE toÙ vezxpod +Gv Éossakiwy. Avellino, Opuscolt diversi, vol. IL. Napoli, 1836, p. 365. 6. ’Oyôoatn rekéouot Éoûtouoy Bcovroyovoto, dit un vers cité par Tomaschek d'après Morelli. { Sitzungsberichte der Kais. Aka- demie der Wissenschaften, vol. LX, p. 370.) 398 LA ROSE AU MOYEN AGE. Dans son /ymne en l'honneur du martyre de sainte Eulalie, Prudence engage les vierges et les jeunes £ gens à cueillir les violettes empourprées et le rouge safran, que les champs attiédis et l'hiver près de finir ont produits, et à les offrir avec du vert feuil- lage sur le tombeau et l’autel de leur patronne”. Et dans un autre hymne : Nous honorerons, dit-1l?, les restes de nos morts ca- chés sous terre avec des violettes et du vert feuillage et nous inonderons de parfums liquides leurs vaines ins- criptions et leur froide pierre. Cette pieuse pratique ne devait pas cesser d’être en usage chez tous les peuples chrétiens; le rituel romain recommande de parer les enfants apres leur mort de couronnes de fleurs ou de plantes odorifé- rantes et aromatiques. Mais cet hommage n'était pas réservé à leurs seuls restes ; des chansons popu- laires parlent souvent de roses répandues sur le tombeau des êtres qui sont chers. On plantait aussi des rosiers aux lieux où ils reposalent. L'amant 4. Nos tecta fovebimus ossa Titulumque et frigida saxa Violis et fronde frequenti Liquido spargemus odore. Hymnus cirea exsequias defuncti, v. 169-172 {Catheme- rinon, X). Carpite purpureas violas, Ista comantibus e foliis Le] Sanguineosque crocos metite ; Munera, virgo puerque, date. Non caret his genialis hyems, Sic venerarier ossa libet, Laxat et arva tepens glacies... Ossibus altar et impositum. Peristephanon, IIL: str. 420494 à 3. « Imponitur ei corona de floribus, seu de herbis aromaticis et odoriferis, in signum integritatis carnis et virginitatis. » Er LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 399 malheureux de la chanson serbe citée plus haut demande qu’on en mette un près de sa tête’. Dans un lied allemand, une jeune fille en deuil rappelle les rosiers qu'elle a plantés en pleurant sur la tombe de sa mère”. IT. À partir du xu° siècle surtout, depuis que les mœurs se furent adoucies sous l'influence de la che- valerie et que les progrès du luxe allèrent chaque jour augmentant, l'emploi des fleurs et en particu- lier des roses prit la plus grande extension dans les usages domestiques ; on se croirait, du moins à lire les poètes de l’époque, revenu au temps de l’anti- quité, où elles jouaient dans la vie un rôle si consi- dérable. On s’en servait dans les occasions solen- nelles pour joncher les rues et les places publiques : De la cité fu li marchies De fresche herbe trestos joncies*. On en répandait également sur le plancher des appartements les jours de réception, en particulier le jour d'un festin de noces, encore, ce qui peut 1. Deuxième partie, chap. 1v, p. 348. 2. Die Rosen die pflanzt ich ihr weinend aufs Grab. Mittler, n° 310, v. 8. 3. Durmars, éd. Edm. Stengel, 1873, in-8, v. 945-46. Totes sont jonchies les rues Et pardeseure portendues De cortines, de dras de soie, Guillaume de Palerne, v. 2995, 400 LA ROSE AU MOYEN AGE. surprendre, que ce plancher fût recouvert de tapis ou de riches étoffes, que devaient salir ou gâter les plantes ou les fleurs foulées aux pieds : Dedans une grande chambre peinte, Jonchiee de flors et de glai, Si com drois est el mois de mai!, Et dans Gui de Nanteuil nous voyons que La sale pourtendue e bien encourtinée De jonc et de mentastre fu bien englaiolée?. Mème spectacle dans le Durmart : Totes sont Joncies les sales De roses et de flors de lis Et de fres jons novel coillis. Et dans Atol* : Li hostes les fis bien servir et honorer ; Sieges orent et coutes et boins tapis ovrés : De rose et de mentastre font tout Joncier l'ostel. Cet usage n'était pas particulier à la France, on le trouve également en Allemagne. Ainsi dans le FVz/- leham de Wolfram d'Eschenbach : De nombreux tapis avaient été étendus dans tout le palais; dessus on jeta une couche épaisse de roses encore . Dolopathos, éd. Brunet et Montaiglon, 1856, in-8, p. 364. . Ed. Paul Meyer. Paris, 1861, in-8, p. 14. . Éd. Edm. Stengel. Stuttgart, 1873, in-8, v. 940-42. . Éd. Jacques Normand et Gaston Raynaud, v. 7083-85. + © D LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 401 humides de rosée; leur brillant éclat fut foulé aux pieds, ce quin'en répandit pas moins un doux parfum !. De même dans le Zristan de Heinrich von Frei- berg : De riches tapis de soie le sol fut recouvert et des roses répandues dessus en abondance ?. Les murailles étaient parfois également tendues de riches tapis” et ornées de roses ou d’autres fleurs”, en même temps que le sol en était jonché. Le poème anglais de Richard Cœur de Lion nous montre aussi, à l'époque joyeuse du mois de mai, quand les oiseaux chantent et que les fleurs s’épanouissent, les dames parant leurs demeures de roses vermeilles et de blanes lis. Dans les premiers temps du moyen âge, on le 4. Vil teppech übr al den palas Touwic rôsen hende dicke : Lac, dar üf geworfen was Den wurdn ir liehte blicke Zetreten : daz gap doch süezen wäz. Str. 144, v. 1-5. à. Mit tiuwern teppichen sidin Wart der esterich beleit Und rosen vil daruf gespreit. V. 2526-28. 3. A chambre ou ele jut ot fait encortiner De riches dras de soie por son cors honorer. La chanson de Godefroid de Bouillon, publ. par C. Hippeau. Paris, 1877, in-8, v. 592-983. 4. Die wende gar bestecket Mit bluomen und das hüs bestreut. Wigalois, p. 265, v. 12. 7. Floures on appyl trees and perye, Smale foules synge merye, Ladyes strouwe here boures With rede roses and lylye flowres. Th. Wright, op. laud., p. 283. Jorer. La Rose. 20 402 LA ROSE AU MOYEN AGE. voit par la description de Fortunat, on ornait aussi de roses la table des festins : Regarde, heureux convive, ces mets délicieux! que l'odeur embellit, avant que le goût lui-même les pare; la foule de ces fleurs vermeilles te sourit ; les champs ont à peine autant de roses que cette table en porte. Toutefois cet emploi des roses emprunté aux Ro- mains ne paraît pas s'être conservé longtemps après Fortunat; du moins je n’en ai pas trouvé de trace dans les siècles postérieurs; les trouvères et les minnesaenger n'en parlent pas; tout au plus est-il question dans quelques écrits, par exemple dans la vie de saint Martin, par l'abbé Richer, de roses et de plantes aromatiques répandues sur le sol des salles à manger”. Dans les fètes nuptiales, au contraire, les roses ont pris place, comme dans l'antiquité, durant tout le moyen âge. On en répandait en par- ticulier avec des lis dans les salles où se donnaient les festins de noces” : 4: Respice delicias, felix conviva, beatas, Quas prius ornat odor, quam probet ipse sapor. Molliter arridet rutulantum copia florum, Vix tot campus habet quot modo mensa rosas. Lib. XI, cap. x1. De floribus, v. 1-4. DE. Rosa, storax et galbanum, cum terebintho platanus Pavimenti planitiem, per florem pingunt speciem. 3. Ouch was üf dem esterich Durch ir selber ère gebot : Ein pfellor über all gebreitet Liljen unde rôsen rôt. Unde dar üf gespreitet Dise edlen bluomen wâren, Von bluomen ein grôziu kraft, Darumbe daz sie bâren Als ez diu vrouwe tugenthaft Dem sal einen edlen smac. Crône, v. 17409-18. LA ROSÉ DANS LES USAGES DE LA VIE. 403 On étendit sur le sol un précieux tapis et dessus on répandit une grande quantité de fleurs, comme la noble dame l'avait ordonné en son propre honneur : des lis et des roses vermeilles, belles fleurs qui devaient remplir la salle d'un doux parfum. Une chanson populaire” nous apprend qu'en Ser- bie on répandait des roses sous les pas des nouveaux époux, et, avant le mariage, des jeunes filles, en Lusace”, distribuaient aux invités des roses qu’elles avaient cueillies elles-mêmes. Les roses figurent aussi dans des espèces de tour- nois — le siège du château d'Amour — dont l’ori- gine parait remonter aux premières années du xt111° siècle. Rolandinus Patavinus nous a laissé la des- cription des fêtes de ce genre qui se donnèrent, peut-être pour la premuère fois, à Trévise en 1214, mais ont persisté dans certaines contrées presque jusqu'à nos Jours’. Si elles ont été rarement dé- crites, ces réjouissances, véritables batailles de fleurs aux proportions héroïques, ont été souvent repré- sentées, en particulier sur des coffrets ou boîtes en ivoire, On y voit un château flanqué de tours avec sa poterne et leurs créneaux. Sur les créneaux et aux fenêtres du château des dames se défendent avec . Ap. Sobotka, Rostlinstvo, etc. . Chanson de la Lusace, ap. Sobotka. D = © . Annales Veronenses, an. 121%. 4. « Le siège du Château d'amour ». Mémoires de la Société des Antiquaires de France, vol. I, p. 184-87. L'auteur de l'ar- ticle dit que ces réjouissances se sont données, dans les cantons de Vaud et de Fribourg, jusqu'au commencement de ce siècle. 404 LA ROSE AU MOYEN AGE des roses qu’elles jettent sur les assaillants; ceux-ci ont recours aux mêmes projectiles. L'un d'eux est armé d'une arbalète chargée d’une rose; du côté opposé à celui où il se trouve, un chevalier escalade les murs avec une échelle de corde, bien accueilli par deux dames, qui tiennent à récompenser sa valeur. Plus loin deux autres chevaliers sont occupés à charger un trébuchet, afin d'opérer une action déci- ‘sive sur la forteresse. Sur le devant deux dames à cheval sont sur le point d'en venir aux mains avec deux guerriers armés de pied en cap. Au-dessus de la porte d'entrée apparaît un ange ou le dieu d'Amour tantôt avec un arc, d’autres fois armé d’une lance et un faucon sur le poing gauche *. Quand les bains furent devenus d’un usage pres- que journalier et qu’on regarda comme un des pre- miers devoirs de l'hospitalité d’en offrir aux étran- gers qu’on recevait, on chercha à en relever le prix et l'agrément en répandant sur l’eau des feuilles de 1. Il y a une de ces boïtes au Musée du Louvre. Le Musée de l'École des Beaux-Arts de Paris en possède le moulage, ainsi que de celles qui se trouvent à Boulogne, à Marbourg, etc. The Gentle- mans Magazine du mois de février 1835 contient la description d’un coffret, conservé à Goodrich Court, dans le comté de Here- ford. Alvin Schulz a donné, dans la Vie de cour, la reproduction du Siège du chäteau d'Amour, qu'on voit sur une boite à miroir conservée au monastère de Reun. Le Musée de South-Kensington possède également une boïte à miroir en ivoire, sur le couvercle de laquelle se trouve représenté le Siège du chäteau d'Amour. Descrip- tive catalogue of the fictile ivories in the S. K. Museum by Jo. Westwood. London, 1883, n° 58200. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 405 roses’. Le lendemain matin du jour où Parcival est reçu chez Gournemanz, celui-ci lui fait apporter près de sa couche un bain sur lequel on répand des roses en quantité”. Dans le Frauendienst, après qu’on a préparé un bain au héros du poème, deux valets lui apportent des roses fraîches et vermeilles, et on en répand sur lui une si grande quantité qu’en vé- rité, dit-il, on ne voyait plus ni lui, ni l’eau du bain”. Une des enluminures du manuscrit des Minnesaen- ger, placée en tête des chansons de Jacob de Warte*, nous représente nu dans une baignoire un chevalier dont la poitrine, ainsi que l’eau, est couverte de fleurs. Une damoiselle s'approche et lui présente une couronne, tandis qu'une autre lui offre une coupe à boire. Cette couronne ainsi offerte était faite de roses”. C'était sous cette forme qu'au moyen âge ces fleurs étaient le plus souvent employées dans les usages de 1. Alvin Schulz, op. laud., vol. I, p. 224. 2: man warf dà rôsen oben in. Parzival, éd. Fr. Pfeiffer, liv. IIL, v. 1522. co. Dä er zwên ander knehte vant : Die truogen näch im rôsen dar, Gepletert vrisch und wol gevar, Der streut er dar üf mich so vil, Für wär ich iu daz sagen wil, Daz mich noch daz bat niemen sach. p-228,v:22-27. 4. Fr. Heinrich von der Hagen, Bildersaal altdeutscher Dich- ter. Berlin, 1856, in-fol., pl. XL. 9. On en portait souvent pendant le bain : Et se baignent ensemble es cuves... Les chapels de flors en testes. ÆRom. de la Rose, v. 11133, 106 LA ROSE AU MOYEN AGE. la vie. Les chapeaux de roses servaient d’ailleurs dans les circonstances les plus diverses : Il n'y avait point de cérémonie d'éclat, dit Le Grand d'Aussy!, qui généralise peut-être trop, il est vrai, point de noces, point de festins, où l’on ne portât un chapel ou chapeau de roses. Les religieuses, quand elles faisaient profession, les filles, quand elles se mariaient, portaient aussi une couronne de roses ?. Cet usage existait déjà en Allemagne au x° siècle *. La couronne qu’elle portait était comme l'emblème de la virginité de la mariée; aussi la lui enlevait-on au moment où elle allait entrer dans la chambre nuptiale ou quelquefois pendant la danse qui suivait le repas de noces*. En France, d’après d’anciens coutumiers*, un père, en mariant sa fille, pouvait ne lui donner qu’un chapeau de roses, c'est-à-dire sa parure de noces. Le chapeau de roses du moyen âge a été, depuis la Renaissance, remplacé, dans les pays romans et germaniques, par une couronne d'oran- ger; mais chez les nations slaves, du moins en Russie, les fiancés ont continné jusqu'au xvim° siè- cle de porter des couronnes de roses vermeilles°. 1. Histoire de la vie privée des Francais, vol. Il, p. 245. 2. Dans des Lettres de rémission de 1371, il est question d'une « jeune femme à marier (qui) avait un chappellet de fleurs sur sa teste ». Du Cange, s. v. cappelletus. 3. Karl Weinhold, Die deutschen Frauen in dem Mittelalter. Wien, 1882, in-8, vol. I, p. 385. 4. Karl Weinhold, op. laud., vol. I, p. 400. 5. Le Grand d’Aussy, op. laud., vol. IF, p. 246. 6. Revue du Ministère de l'Instruction publique. Avril 1889. Je dois ce renseignement à mon ami, M. L. Léger. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 407 Les femmes, surtout les jeunes filles, qui restaient le plus souvent tête nue, aimaient à se parer de cha- peaux de roses ou de fleurs; ces couronnes servaient à retenir leur chevelure : Et ele ot un capel de flours En la tieste ki li tenoit Ses cheveus et li avenoit, nous dit l’auteur du Chevalier as deus espées”. Une miniature du manuscrit du Sachsenpiegel de Wolfenbuttel, qui représente le partage de la terre, nous montre les jeunes filles qui y figurent, une cou- ronne de roses sur leurs cheveux flottants”. Dans deux miniatures du manuscrit des Minnesaenger, où l’on voit des damoiselles qui assistent à un tour- noi, l’une d'elles est aussi représentée portant une couronne de roses sur la tête”. Porter ainsi un chapeau de roses était un hon- neur et un privilège auxquels ne pouvaient plus pré- tendre les jeunes filles qui avaient failli; en Alle- magne, elles étaient alors condamnées, en signe de leur déshonneur, à mettre une couronne de paille, ce dont elles se consolaient d’ailleurs, puisqu'ainsi elles conservaient leur liberté”. Les femmes mariées portaient aussi, quoique plus rarement, des cou- 1. Éd. W. Fôrster. Halle, 1877, in-8, v. 4294. 2. Karl Weinhold, op. laud., vol. II, p. 232. 3. Von der Hagen, Bildersaal, pl. XIT et XXIX. 4h. Alvin Schultz, op. laud., vol. I, p. 598. D Mir ist von strôwe ein schapel und min vrier muot Lieber danne ein rôsenkranz, so bin ich behuot. Hèr Burkart von Hôhenvels, ap. Bartsch, Liederdichter, p.149. 408 LA ROSE AU MOYEN AGE. ronnes, mais elles les mettaient sur leur coiffure, — leur guimple, all. gebende’. — Cette parure même leur était interdite dans certains pays. On rapporte que la duchesse Dubranka de Bohème fut blämée pour en avoir porté une”. Les hommes portaient aussi des couronnes de roses, de fleurs ou même de feuillage dans les fètes et dans certaines circonstances particulières. Lorsque le connétable servait le roi à table, 1l avait une verge blanche à la main et une couronne de roses sur la tète*. En Angleterre aussi, quand l’écuyer-tranchant se préparait à remplir son oflice, il se mettait un chapeau de fleurs sur la tête et ceignait un baudrier*. Dans le roman de Foulques Fitz-Warin, écrit au xin1° siècle, le héros rencontre un jour dans une forêt un messager qui « jolivement chantait » et avait un chapeau de roses vermeilles sur la tête”. Arecite, dans Chaucer*, pour célébrer le retour du mois de 1. Karl Weinhold, vol. IT, p. 317. Alvin Schultz, vol. I, p. 239. 2. Menken, Script. rer. Saxon., vol. I, p. 1997. 3. Le Grand d’Aussy, op. laud., vol. II, p. 246. k. He set a chaplet upon his hed, A belt about his sydes two. Romance of the squyer of Lowe Degree, ap. Th. Wright, op. laud., p. 289. 5. Nouvelles francoises en prose du xive siècle publ. par L. Moland et C. d'Héricault. Paris, 1858, in-18, p. 59. 6. By adventure his way he gan to hold, To maken him a gerlond of the greves, Were it of woodbind or hawthorn leves. Canterbury tales. Ed. Th. Tyrwhitt, London, 1874, in-8. The knightes tale, x. 1507-9. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 409 mai, se rend au bocage voisin pour se faire un cha- peau de fleurs de chèvre-feuille ou d'aubépine. Et le même poète nous représente l’appariteur (Sumpnour) des Canterbury tales ayant lui-même une couronne’, qu'un manuscrit figure comme étant faite de roses”. Mais les couronnes ou chapeaux de roses étaient plus particulièrement la parure des amants. Chaucer nous montre Vénus ayant sur latète, « parure qui lui sied si bien », une guirlande de roses parfumées”. Dans un lied de Nithard, l’amie du poète parle du brillant « chapeau de roses » — rosenschapel, mot qui nous révèle l’origine de la coutume allemande, — qu'il lui a envoyé *. Printemps verdoyant et plein de fleurs, dit une ro- mance espagnole ÿ, couronne mes amours de guirlandes faites de blancs lis, de jasmin, de roses vermeilles et musquées, de violettes et de verveine, d'œillets et de mille autres fleurs. À garland had he set upon his head. V. 668. 2. Man. Ellesmere, ap. Th. Saunders, Canterbury tales. Lon- don, 1884, in-12, p. 82. SA on hire hed full semely for to see À rose gerlond fressh and wel smelling. The knightes tale, v. 1964. 4. Er sante mir ein rôsenschapel, dàz het liehten schin üf das haubet min. Éd. Moriz Haupt, 1858, p. 21, v. 14. Fe Verde primavera de jasmin y rosa Ilena de flores mosqueta olorosa, coronad de guirnaldas violetta y verbena a mis amores, de claveles Ilena de blanca azucena, y de otros mil flores. Bôhl, Floresta, n° 259, 410 LA ROSE AU MOYEN AGE. Dans le Lai d’Aristote, l’amie d'Alexandre Un chapel en son biau chief pose, pour séduire le maître du puissant monarque. Une miniature du manuscrit des Minnesinger, placée en tête des lieds d'Henri de Stretlingen, nous montre un Jeune homme — le poëte sans doute — avec sa dame, qui a une couronne de roses sur la tête. Dans une autre miniature du même manuscrit, qui représente le comte Kraft de Toggenbure esca- ladant la fenêtre de son amie, celle-ci lui offre une couronne de roses et de feuillage”. Quand les amants se trouvaient réunis, une de leurs occupations était de tresser des chapeaux de roses ou de fleurs. Tels le poète de Beuve de Commarchis dépeint Limbanor et Malatrie dans le verger où ils se sont rencon- trés * : Puis s'assist les la belle, moult va la regardant, Et que plus la regarde, plus li samble plaisant ; Par tres grant amisté va l’uns l'autre araisnant, Un chapel de floretes vont entre aus deux faisant. Et une miniature du recueil de Manassé nous montre une dame tressant une couronne de roses, tandis qu’elle s’entretient avec un chevalier *. C'était surtout quand ils se rendaient à la danse 1. Henri d'Andel, Le Lay d'’Aristote, v. 368 {Fabliaux et contes publiés par Barbazan. Paris, 1808, in-8, vol. IT, p. 108). 2. Fr. Heinrich von der Hagen, op. laud., pl. XLVI et VIL 3. P. 85, v. 2425-28. &. Fr. von der Hagen, op. laud., pl. VI. / 411 LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. que les amants se paraient de chapeaux de roses : « Nombre de jeunes gens, lit-on dans un ancien lied’, sont venus à la danse; chacun portait une couronne de roses. » Et dans une de ses chansons, Walther von der Vogelweide offre à sa dame une couronne de ces fleurs aimées, qui « embelliront la danse », quand elle la mettra”. Cette couronne, d’ailleurs, ne servait pas uniquement de parure aux danseurs; elle devenait aussi une marque de distinction enviée, la danseuse donnait la sienne à celui qu'elle préférait, le danseur à celle dont il recherchait l’affection : Avec joie je prends part à cette danse, dit le héros d'un vieux lied*; j'espère qu'une belle couronne me sera donnée par une jeune fille non moins belle; aussi je veux être tout à elle. Il n’était pas rare, cela se comprend, qu'on se dis- putât avec ardeur ces présents recherchés; de là, 1. Dar kam hin durch tanzen junger liute ein michel teil, jetweder truoc ein rôsenkranz. Minnes, III, 193 b, 3. LS Nemt, frowe, disen kranz, Alsô sprach ich z'einer wol getänen maget, so zieret ir den tanz mit den schœnen bluomen, als ir's üfe traget. Gedichte, p.19, n° 6, v. 1-4. 3. Franz M. Bühme, Geschichte des Tanzes in Deutschland, Leipzig, 1886, in-8, vol I, chap. 11, p. 39. k. Mit Lust tritt ich an disen tanz, ich hoff, mir werd ein schôüner kranz von einem schün jungfrewelein, darumb wil ich ir eigen sein. Franz M. Bühme, Altdeutsches Liederbuch, n° 281. 4192 LA ROSE AU MOYEN AGE. surtout entre paysans, des querelles dont parlent les poètes du temps'; non seulement dans la mêlée les couronnes étaient foulées aux pieds, les coiffures et les cheveux arrachés, mais plus d’une fois le sang coula et des danseurs restèrent sur le terrain. « Pour un chapeau de boutons de roses brillantes, dit un minnesaenger”, trente-six d’entre eux ont été tués. » Les couronnes de roses ou de fleurs servaient aussi de récompense dans les jeux populaires”, ainsi que dans les concours de chant ou de danse et par- fois dans les tournois. À Provins, nous apprend un document du 19 mai 1414*, des chœurs de jeunes filles se disputaient les jours de chanchis, nom local de ces réjouissances, le chapeau de roses vermeilles que le chapitre de Saint-Quiriace décernait à celle qui dansait avec le plus de grâce. J'ai déjà eu occa- sion, en parlant des jardins de roses et des maîtres chanteurs, de faire mention des couronnes données aux vainqueurs dans les défis poétiques. Cet usage se conserva en Allemagne pendant les deux derniers siècles du moyen âge et tout le seizième. « Avec lui je veux chanter pour avoir une belle couronne de 16 Rôsenschapel wart dà vil zerstrôut ; Här unt hüûüben sach man rizen. Minnes, UE, 189 &, 5. Seht, dà wart verhouwen manic rôsenkranz, dà daz bluot begunde her nàch dringen. /Zbid., II, 221 a. to Umb’ ein kranz von manger liehten rôsen knopf wart ir sehs und drizeg erslagen. /bid., IT, 260 D, 11. 3. « Garlands of flowers were the common rewards for success in the popular games. » Thomas Wright, op. laud., p. 290. Fo Bourquelot, Histoire de Provins, vol. IT, P 291, LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 413 roses », lit-on dans un vieux lied”. Et dans un autre : Aux lointains pays étrangers croissent des fleurs ver- meilles et blanches, que cueillent avec grand soin les jeunes filles, elles en font des couronnes, les portent à la danse du soir et invitent les jeunes gens à chanter, jusqu’à ce que l’un d'eux gagne ces couronnes ?, La miniature placée en tête des lieds du duc Henri de Breslau, dans le recueil des Minnesinger*, re- . présente un tournoi dans lequel un chevalier, pro- bablement le poète lui-même, recoit une couronne de roses. Et l’on voit sur la couverture d’une boîte à miroir en ivoire, peut-être d’origine anglaise, qui se trouve au Musée de South-Kensington*, trois chevaliers qui combattent, tandis que du haut des créneaux du château au pied duquel se donne le tournoi, des dames leur jettent des roses et l’une d'elles même tient à la main une couronne de ces fleurs destinée au vainqueur. Au lieu d’être le prix gagné par l’habileté ou la valeur, les chapeaux de roses, et c'est ce qui explique le grand nombre de redevances qu’on en faisait dans les derniers siècles du moyen âge, étaient souvent considérés comme une simple marque de soumis- sion, l'hommage d’un inférieur envers son supérieur, , à Mit im sô wil ich singen Umb einen hübschen rôsenkranz. Mone s Anzeiger, an. 1838, p. 376. 2. Franz M.Bühme, Altdeutsches Liederbuch, n° 271, str. 2-3. 3. Fr. Heinrich v. der Hagen, op. laud., pl. IV. 4. Catalogue of the fictile ivories, n° 58208. 414 LA ROSE AU MOYEN AGE. d’un tenancier envers son donateur ou son suzerain. C'est ainsi que, en 1124, Geffroi, chevalier de Graffart, donnant au prieuré de Heauville une rente d’un quartier de sel, déclare que pour conserver le souvenir de cette donation, les religieux, quand ils viendront en réclamer le paiement annuel, devront faire hommage d’une guirlande de roses. On voit de même, en 1398°, Pierre Porte s'engager à donner à l’abbesse, « en l’abbaye de Sainte-Trinité de Caen, au jour Saint-Jean-Baptiste, un chappel de roses vermelles, par raison et à cause d’une pièce de terre au terroir de cette ville ». Le 26 octobre 1438, « haut et puissant seigneur Thomas, sire d’Escalles, de Melles, etc., prit en fief et par hommage de Jean d’Argouges, seigneur de Grestot et de Granville, la roque, manoir et circuits de la dite roque de Granville... et fut par ce fait par en faisant par icelui seigneur au dit écuyer et à ses hoirs un chapeau de roses vermeilles pour chacun an de rente, à la fête Saint Jean Baptiste »”. Dans une charte de Henri VI, roi d'Angleterre, datée de la 24° année de son règne, 1l est imposé à un certain comte Richard, en retour des biens recus de la cou- ronne, de présenter chaque année à la fête de la nati- vité de Saint Jean-Baptiste une rose, « chaque fois 1. Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole en Normandie, p. 91. 2. Cart. de Calix, ap. Léop. Delisle, op. laud., p. 492, n. 41. 3. Guidelou, Notice sur La ville de Granville. Granville, 1846, in-8, p. 116. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 415 qu’elle lui serait demandée ». Il est question d’une redevance semblable dans deux autres chartes an- glaises de la même époque, avec la mention que la rose ainsi donnée tiendrait lieu de « tous services »!. Le coutumier des forêts nous apprend que Pierre de Poissi, seigneur de Goui, prenait sur le revenu de la forêt de Roumare un chapeau de roses le jour de la Trinité’. Au xrv° et au xv° siècle les rede- vances de couronnes de roses deviennent très fré- quentes. M. Léopold Delisle en a relevé de nom- breux exemples dans les « aveux » de seigneurs normands de cette époque. Ces couronnes de roses étaient alors estimées, tantôt six deniers, d’autres fois deux sous tournois. Je suis loin d’avoir énuméré tous les usages qu'on faisait des roses au moyen âge. En voici encore quelques-uns. Des lettres patentes de Charles VI, délivrées en février 1415”, obligeaient le crieur juré, à son entrée dans la confrérie, à donner « des cha- peaux de roses aux maistres qui allaient quérir leur confrérie à la Saint-Martin le Bouillant » (4 juillet). Une ancienne coutume obligeait aussi les ducs et pairs d'offrir des roses au parlement de Paris, en avril, mai et juin‘. Cet hommage, appelé « Baillée des 1. Du Cange, Glossarium, s. v. Rosa. 2. Léopold Delisle, op. laud., p. 492. 3. Collection des ordonnances des rois de France, vol. X, D 279. &. Sauval, Histoire des antiquités de la ville de Paris, vol. IL, Liv. var, p. 446. Le Grand d’Aussy, op. laud., vol. IT, p. 248, peut-être par une confusion avec ce qui précède, dit que les pairs 416 LA ROSE AU MOYEN AGE. roses », était comme la marque de la suzeraineté du parlement, qui représentait le roi dans ses attribu- tions judiciaires. Le pair, qui était appelé à faire les honneurs de cette cérémonie, allait dans chaque chambre, faisant porter devant lui un grand bassin d'argent, lequel contenait autant de bouquets de roses et d’autres fleurs naturelles ou artificielles, qu'il y avait d'officiers, avec un pareil nombre de couronnes composées des mêmes fleurs et rehaussées de ses armes. On donnait le nom de « rosier du par- lement » à l'officier de la cour chargé de fournir ces roses. [les tirait d'ordinaire de Fontenay-aux-Roses. Des documents, cités par Sauval, font aussi men- tion à plusieurs reprises” de roses blanches et de vio- lettes, ainsi que de chapeaux et de bouquets de roses vermeilles distribués aux présidents et conseil- lers de la Cour du Parlement de Paris la veille de la Pentecôte, en particulier à l’occasion de la déli- vrance des prisonniers. Il existait des usages ana- logues dans d’autres villes. À Toulouse, on offrait au parlement des boutons de rose; à Rouen, les ma- gistrats municipaux présentaient à l’échiquier un chapeau de roses et de violettes *. laïques offrirent, depuis la fin du xve siècle, des roses aux magis- trats, quand ils avaient un procès devant le Parlement. 4. Op. laud., vol. IE, p. 517, an. 1497; p. 521, an. 149,6; p. 526, an. 1498. Les roses avaient été achetées à « Marguerite la mercière », les chapeaux 8 sols parisis et les bouquets 6 sols la douzaine. 2. A. Chéruel, Dictionnaire historique des mœurs, institu- tions et coutumes de la France. Art. Redevances féodales.. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 417 L'usage des chapeaux de roses et de fleurs était si général que ce fut une profession particulière d’en faire ou d’en vendre”. Quiconque le voulait avait le droit de l'exercer, à Paris, du moins”; mais il lui était interdit de « cueillir ou faire cueillir au jour du dimanche en ses courtils, nulles herbes, nulles fleurs à chappeaulx faire. » Une exception cependant avait lieu en faveur des roses, dont 1l était permis de faire « chapeau en toute saison ». Toutefois les chapeliers de roses étaient soumis à diverses obligations : Il appartient, dit Brussel”, au voyer de faire cueillir chacun an de chacun chappelier qui vend chappeaulx de roses, ung chappel de roses environ l'Ascension. Et cha- cun chappelier, qui a rosier ou rosiers, est ou sont tenus de apporter chez le voyer plain panier de ponpons de roses à faire eau rose. C'était le matin, à la première heure du jour, ou même, si l'on en croit un minnesaenger*, au milieu de la nuit, alors qu’elles étaient toutes couvertes de 1. Le Grand d'Aussy, op. laud., vol. IT, p. 248. Le commerce quon en faisait au xive siècle avait une telle importance que, d'après Guillebert de Metz, les droits dont il était frappé avec le cresson rapportaient au roi dix mille francs l'an. Renan, Discours sur l’état des beaux-arts en France au xiv® siècle, Paris, 1865, in-8, p. 133. 2. Etienne Boileau, Livre des métiers, éd. R. de Lespinasse et F. Bonnardot. Paris, 1879, in-fol., {re p., ch. xc. 3. Nouvel examen de l'usage général des fiefs en France. Paris, 1750, in-#, vol. II, p. 746. 4. Die Rôslein soll man brechen mit dem külen taw beladen, zu halber mitternacht. so ist es rüsleinbrechens zeit.' Dann seind sich alle bletter Bühme, n° 138, str. 4. Jorer. La Rose. | 418 LA ROSE AU MOYEN AGE. rosée, qu'on cueillait les roses ou les fleurs dont on faisait les couronnes ou chapeaux. Bele Aliz matin leva Cinq fluretes 1 truva, Sun cors vesti et para, Ung chapelet fet en a Enz un verger s'en entra, De rose flurie, lit-on dans une vieille chanson’, qui nous fait en quelque sorte assister à cette occupation. Elle n’était pas seulement celle des « chapeliers » de profession ; c'était aussi un des passe-temps auxquels les dames du moyen âge aimaient le plus à se livrer. Les poètes nous montrent souvent leurs héroïnes cueillant des fleurs et s’en tressant des couronnes. Ainsi la jeune sarrasine d'un fableau publié par Adelbert Keller nous est dépeinte descendant le matin de sa cham- bre dans le jardin, où elle achève sa toilette à la fontaine, après quoi elle se place sur la tête une cou- ronne de fleurs et de feuillage”. Quand Jean de Dam- martin se met à la recherche de son amie Blonde d'Oxford, il l’aperçoit « en un prael », où elle aussi « faisoit un capel »°. 1. Citée, fait curieux, et commentée par Étienne de Langton dans un de ses sermons. B. de Roquefort, De l'état de la poéste francaise dans les xne et xrrie siècles. Paris, 1815, in-8, p.244. =. La sarrazine a landemain Vint a la fonteinne bien matin Sy se fut lavee et peinie... En son chef ot un chapelet De florettes et de fenoilles. Zwei fabliaux aus einer Neuenburger Handschrift. Stutt- gart, 1840, in-8, p. 12. - 3. Jehan et Blonde, v. 861. OEuvres poétiques de Philippe de Remi sire de Beaumanoir. vol. IT, p. 29, v. 861-62. LA ROSE DANS LES USAGES DE LA VIE. 419 Le lendemain de ses noces, la reine du Chastie- ment des dames de Francesco Barberino se rend dans le jardin du palais, au milieu des roses et des fleurs, et de sa propre main elle fait une couronne pour elle et une autre pour le Roi. Nous voyons de même, dans le Conte du Chevalier de Chaucer, Émilie allant se promener au lever du jour dans le jardin et y cueillant des fleurs blanches et vermeilles, pour s’en tresser une couronne”. Il est aussi, dans les Romances espagnoles, ques- tion de dames qui vont cueillir des roses et en font des couronnes. « Je l’ai perdue dans un jardin, dit l’une d'elles”, où elle faisait des couronnes. » Et une autre * raconte comment, le matin de la Saint-Jean, Zara, l'épouse du roi Chico, alla cueillir des guir- landes de roses avec ses femmes les plus chères. L'auteur anglais du Passetemps agréable nous dé- 1 & le donne menan la Reina In un giardin tra le rose e tra fiori, Quivi comincia di sua man la Donna, E fa per se una sua ghirlandetta, Una ne fa che la presenta al Re. PA2TE PA In the gardin at the sone uprist She walketh up and doun wher as hire list; She gathereth floures, partly white and red, To make a sotel gerlond for hire hed. Canterbury tales, v. 1053-56. 3. Perdila dentro de un huerto cogiendo rosas y flores. Bôühl de Faber, Floresta, vol. I, n° 313. 4. La mañana de San Juan Salen a coger guirnaldas Zara muger del rey Chico Con sus mas queridas damas. Depping, Sammlung span. Romanzen, p. 387. 420 LA ROSE AU MOYEN AGE. peint lui aussi la « Belle pucelle » gaiement assise auprès de la fontaine de son jardin et faisant de « maintes fleurs belles et plaisantes un brillant cha- peau ‘ ». Une enluminure d’un manuserit du British Mu- seum, du commencement du x1v° siècle, nous montre des dames qui cueillent des fleurs dans un jardin et en font des chapeaux”. Une autre enluminure, celle du mois de mai, dans le calendrier qui précède les Heures de la reine Anne*, représente également une dame tressant des couronnes avec des fleurs cueillies par ses femmes sur les rosiers qui entourent le jar- din au milieu duquel elle est assise. III Une fleur qui occupait une si grande place dans les usages religieux et profanes du moyen âge ne pouvait manquer de figurer sur les monuments de cette époque, comme elle l'avait fait sur ceux de l'antiquité. Dès les premiers temps de notre ère, les artistes chrétiens furent naturellement amenés à or- ner de fleurs les cryptes et les cimetières où reposaient 1. Besyde which fountayne, the most fayre lady La bel Pucel was gayly sitting : Of many floures fayre and jolly À goodly chaplet she was in makyng. The pastime of pleasure, ap. Th. Wright, p. 430. 2. Thomas Wright, op. laud., p. 289. 3. Bibl. nat., lat. 9474. LA ROSE DANS L'ART. 491 les restes vénérés des martyrs et mème des simples fidèles"; c'était comme un symbole de la gloire cé- leste devenue leur partage, ainsi que des fleurs divines et des ombrages du paradis, au milieu des- quels ils reposaient. On voit aussi le plus souvent sur les tombeaux des premiers chrétiens des arbres, des fleurs, des couronnes, parfois de vrais bosquets, image allégorique du lieu de délices, tout verdoyant d'un printemps éternel”, tel qu'on se représentait le Paradis. C’est ainsi qu’au cimetière de Calliste se trouve sculptée autour d’une inscription chrétienne une branche de rosier couverte de boutons et de fleurs *. Parfois l’âme du défunt apparaît figurée par une colombe, reposant au milieu des fleurs « dans le bien par excellence », comme s'exprime l'inscription du tombeau de Sabinianus*, dans la crypte de saint Alexandre, sur la voie Nomentane, inscription qui fait songer, avec les deux arbustes qui l'entourent, 5 aux martyrs réunis dans le céleste verger, à l’ombre des rosiers. Sur une des fresques de la crypte qui sert de 1. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes. Paris, 3° éd., 1877, in-8, s. v. Fleurs et Paradis. 7 TEMPORE CONTINUO VERNANT UBI GRAMINA RIVIS. J. B. de Rossi, Inscriptiones chrislianae vrbis Romae sep- timo saecvlo antiqgviores. Romae, 1861, in-fol., vol. I, PAL CN 7317 3. J. B. de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana. Roma, in-4, vol. VI (1868), p. 12. &. SABINIANE SPIRITVS TVYS IN BONO. Martigny, op. laud., art. Fleurs et Paradis. 4929 LA ROSE AU MOYEN AGE. monument à sainte Cécile, on voit représenté saint Urbain au milieu de rosiers à fleurs doubles!. Il semble bien aussi qu'au haut de l’arcosolium prin- cipal de la crypte dite des cinq saints”, l’artiste chrétien ait peint des branches entrelacées de ro- siers à fleurs rouges, et on y voit sainte Dionysade, en particulier, entourée d’arbustes couverts de fleurs” et de fruits. Une fresque de l’arcosolium d’une chapelle qui se trouve dans le cimetière de Pontien, sur la via Por- tuensis, représente d’un côté le baptème du Christ, de l’autre la croix se dressant au milieu d’un buis- son de rosiers aux fleurs doubles et épanouies*. Dans la crypte de Lucine, au cimetière de Calliste, on voit sur une autre fresque des oiseaux, emblème des âmes délivrées des liens du corps, se faisant face, posés chacun sur un tronc, de chaque côté d’un arbre, au milieu d’un champ semé de roses*. Une peinture de la tribune gauche d’une chapelle du même cimetière représente sous une figure allégo- rique le Printemps cueillant des roses*. À chacun 4. G. B. de Rossi, Za Roma sotterranea cristiana. Roma, in-fol., vol. II, 1867, pl. 6. 2. G.B. de Rossi, La Roma sotterranea, vol. HT, pl. 1-2, p. 49. 3. Ges fleurs, qui, à en juger d'après la chromolithographie 3 de la Roma sotterranea, pourraient bien être des roses, ressem- blent plutôt à des oranges dans la reproduction qu'en a donnée L. Perret, Catacombes de Rome. Paris, 1858, in-folio, pl. 49. 4. Bottari, Sculture et pitture sagre estratte dai cimiteri di Roma. Roma. 1737, in-folio, vol. I, pl. 4%, 2. 5. G. B de Rossi, Roma sotterranea, vol. I, p. 323, pl. 12. 6. Bottari, op. laud., vol. IT, pl. 55, 4. LA ROSE DANS L'ART. 493 des quatre angles d’une fresque de la voûte d’un tombeau situé dans la troisième chambre de ce même cimetière, se trouve également, comme motif de décoration, un rosier couvert de fleurs !. Ce sont encore, Je le crois, des branches de rosier qu’on aperçoit de chaque côté des vases mystiques peints sur la voûte d’une chapelle située dans le cimetière de la Voie latine”. On ne peut pas ne pas reconnaître non plus deux rosiers, assez grossière- ment figurés, 1l est vrai, et deux roses sur un vitrail symbolique, où est peinte une femme étrangère (peregrina) entre saint Pierre et saint Paul*. Sur un autre vitrail, où sont aussi représentés ces deux apôtres, l'artiste a placé une rose entre eux deux”. Enfin une des quatre zones horizontales, dans les- quelles est divisée la voûte si remarquable d’une crypte historique du cimetière de Prétextat, est dé- corée en entier de rosiers couverts de fleurs”. Ainsi partout dans les monuments de la primitive 4. Bottari, Op. laud, vol. If, pl. 67. Dans la fresque de la voûte d’un autre tombeau, pl. 65, deux rosiers et deux lis servent aussi de motifs de décoration; dans les arabesques qui séparent les cinq groupes de la coupole d’une chapelle érigée par le pape saint Fa- bien, pl. 59, il faut reconnaitre aussi des rosiers à fleurs simples. 2. Bottari, op. laud., vol. IT, pl. 91. 3. Raffaele Garrucci. Vetrt ornati di figure in oro trovalti net cimiteri dei cristiani primitivi di Roma. Roma, 1858, in-fol., p. 49, pl. xx1, 6. Dans la fig. 1, qui représente sainte Annes entre saint Pierre et saint Paul, on voit aussi une rose de chaque côté de la sainte. , 4. Raffaele Garrucci, Op. laud:,. p. 82;"pl. xxxrx, 4: 9. G. B. de Rossi, Bullettino, vol. 1 (1863), p. 3. 424 LA ROSE AU MOYEN AGE. Église apparaît l'image symbolique de la rose. Quand, sorti victorieux des catacombes, le christia- nisme les remplaça par les basiliques qui, dans leur institution première, n'étaient que les monuments destinés à protéger ou à garder les tombeaux des martyrs’, la rose entra aussi dans l’ornementation de ces nouveaux lieux de réunion pour les fidèles. C’est ainsi que dans une mosaïque de l'église Sainte- Agathe-Majeure à Ravenne, qui représente le Sau- veur assis sur son trône entre deux anges, l'artiste a couveïrt le sol de rosiers couverts de fleurs”. Des rosiers couvrent aussi le sol de Ja partie inférieure de la mosaïque qu’on voit dans l’église Saint-Michel de Ravenne, mosaïque où se trouve également re- présenté le Sauveur, mais debout entre les archanges Michel et Gabriel et tenant sa croix à la main°. Il y a dans l’église Sainte-Suzanne à Rome une mosaïque ancienne, quoique d'une époque plus récente que celles de Ravenne, sur laquelle Charlemagne est re- présenté recevant à genoux, de la main de saint Pierre, un étendard semé de roses”. Ce motif de décoration se voit aussi sur des étoffes antiques; Anastase le Bibliothécaire mentionne des draperies, des voiles, ainsi qu'un vêtement d’autel et 4: Ossibus altar et impositum. ‘Prudence, Peristephanon, VIE, str. 44, v. 2. 2. Ciampini, Velera monimenta, in quibus praecipue musiva opera. illustrantur. Romae, 1690-99, in-fol., vol. I, pl. 46. 3. Ciampini, 0p. laud., vol. IL, pl. 17. 4. Marquis d'Orbessan, Mélanges historiques et littéraires, vol. IL, p. 333. 2 LOS LA ROSE DANS L ART. 4e) des tuniques ornés de roses’. Toutefois cette orne- mentation, du moins dans l'Occident, semble avoir cessé d’être employée; elle parait étrangère au style roman proprement dit, et pendant longtemps on n'en retrouve plus trace dans la plus grande partie de l'Europe; mais elle devait reparaître avec le style gothique, et durant les trois siècles qu’il fleurit, tous les arts y eurent également recours, l'architecture comme Ja statuaire, la sculpture sur bois et sur ivoire, ainsi que l’orfévrerie qui à cette époque s'y rattachait si étroitement, la ferronnerie, comme l’émaillerie ou la verrerie, l’enluminure enfin et la peinture. Les artistes laïques, qui donnèrent sa forme défi- nitive au style gothique, en empruntant à la flore indigène la plupart de leurs motifs de décoration, devaient nécessairement faire une place nouvelle à la rose dans l’ornementation; cependant on ne la rencontre d’abord qu’à titre d'exception dans leurs œuvres, et c'est, non pas en France, mais en Syrie, en Espagne et en Italie que cette fleur apparait pour la première fois dans l’ornementation architecturale. Des roses sont sculptées au-dessus de plusieurs des 1. « Cortinas albas holosericas rosatas. » — « Tetravela alba holoserica rosata. » — « Vestem albam holosericam rosatam. » — « Vestem albam sigillatam cum rosulis. » — « Vela alia alexandrina, ex quibus unum habens rotas et rosas in medio et aliud arbores et rotas. » — « Vestem habentem arbusta et rosas ». Historia de vilis romanorum pontificum, cap. 98, an. 795; cap. 10, an. 817; an. 827; an. 858 (Migne, Patrologie, vol. CXXVIIL, p. 1210, 1242 (417), 1243 (419), 1266 (441), 1282 (462), 1362 (585). 426 LA ROSE AU MOYEN AGE. portes du château de Kalaat el Hossn, situé près du couvent grec de Saint-Georges en Syrie, mais cons- truit par les Croisés"; — on voit les armes du comte de Toulouse au-dessus de l'entrée principale. Sur les murs de Djébail, l’ancienne Byblos, construction de la même époque, se trouve aussi une grande rose en pierre avec deux plus petites de chaque côté”. On voit également, aux angles de l'arc en fer à cheval de la tour des deux sœurs à l’Alhambra, une rose entourée d’une guirlande de feuillage*. Il y a aussi des roses sculptées, avec des perroquets, sur le marbre du tombeau de Gunther, évèque de Bam- berg, travail du xi° siècle et probablement italien *. Mais la rose finit par prendre place à côté de la flore indigène dans la décoration architecturale des monuments gothiques. La corbeille du second cha- piteau de la tribune de lecture dans le réfectoire du prieuré de Saint-Martin-des-Champs est couverte de feuilles et de fleurs de rosier”. Des branches de ro- sier garnies de fleurs et de feuilles décorent aussi les chapiteaux du porche de la façade de Notre- 1. Schleiden, Die Rose, p. 175. 2. John Lewis Burckhardt, Travels in Syria. London, 1822, in-4, p. 179. 3. Schleiden, Die Rose, p. 175. 4. Ch. Cahier et Arthur Martin, Mélanges d'archcologre, d'histoire et de littérature. Paris, in-#, vol. IT (1851), p. 258 et pl. xxxv. 5. Statistique monumentale de Paris. Paris, 1867, in-#, + vol. E, p. 133, pl. xv, LA ROSE DANS L'ART. 497 Dame, à Reims”. Un rosier également tapisse de ses feuilles, de ses boutons et de ses fleurs la console sur laquelle reposent les pieds de la Beauté (Pulchri- tudo), une des béatitudes célestes que l’on voit au porche nord de la cathédrale de Chartres, et cette . femme puissante est représentée la main gauche appuyée sur un bouclier, où sont sculptées quatre roses épanouies”. On a voulu voir aussi un rosier dans la plante qui sort du vase placé près de la sta- tue couronnée d’une niche de la facade principale de la cathédrale d'Amiens”. Dans le palais de la Aagione (Raison), à Padoue, on voit une femme debout sur une roue d’or et tenant trois roses à la main‘. Sur le huitième chapiteau du palais des doges à Venise est sculptée l'Espérance une rose à la main’. Au chapiteau sept, 2° place, du même palais est représentée une femme couron- née de roses et portant une robe semée de ces mêmes fleurs, avec cette inscription : VANITAS IN ME HABUNDAT*. Comme les roses, qui se rencontrent sur les mo- numents religieux et même civils du moyen àge, 1. Jules Gaïlhabaud, L'architecture du ve au xvrie siècle et les arts qui en dépendent. Paris, 1858, in-#, vol. I. 2. Paul Durand, Wonographie de Notre-Dame de Chartres. Paris, 1881, in-8, p. 93, pl. xx1. 3. H. Dusevel, Notice historique sur l'église cathédrale d'Amiens. Amiens, 1839, in-8, p. 17. h. Didron, Annales archéologiques. Paris, in-#, vol. XXVI (1869), p. 196. 5. Didron, op. laud., vol. XVII (1857), p. 80. 6. Didron, op. laud., vol. XVII (1857), p. 81. 498 LA ROSE AU MOYEN AGE. affectent parfois une forme conventionnelle et ont un nombre variable de pétales, 1l n'est pas toujours facile de les distinguer du fleuron des monuments orientaux et grecs ou romains. Sont-ce des roses véritables, par exemple, que ces fleurs à six ou cinq pétales sculptées sur un chapiteau et un pilastre de l’église de Tyr, construite par l’évêque Paulin, cha- piteaux transportés par les Vénitiens sur la place Saint-Marc?! Il est difhicile de le dire, comme de beaucoup d’autres ornements de ce genre, appelés indifféremment roses, rosettes ou rosaces. On voit une de ces roses à six pétales sur un chapiteau de l’église Saint-Laurent de Rome*; des rosettes à cinq pétales ont été sculptées sur les fonts baptismaux de l’église de Bercy et sur un autel d’Asti ; 11 y a aussi des roses, mais à six feuilles, sur la facade du palais bâti par les Visconti à Pavie, ainsi qu'aux chapiteaux d’une vieille maison à Saint- Yrieix”. Il semble également qu'il y en.ait deux à l’un des chapiteaux en marbre de la nef de l'ancienne église de Montmartre’. Au-dessus de l'entrée de la tour de Ruprecht, dans la grande cour du château de Heidelberg, on voit, supportée par deux anges, une couronne de roses entrelacées de feuillage”. 1. Albert Lenoir, Architecture monastique. Paris, 1852, in-4, vol. I, p. 363 et 371. 2. Albert Lenoir, op. laud., vol. I, p. 217. 3. Gailhaubaud, op. laud., vol. II. 4. Stalistique monumentale de Paris, vol. IF, pl. 1x. 5. E. L. Stieglitz, Von altdeutscher Baukunst. Leipzig, 1820, 4, p. 184. — Baedeker, Süd-Deutschland, p. 18. In- DITSE VY 1 LA ROSE DANS L'ART. 4929 On a dit parfois que les roses ainsi ouvrées sur les monuments étaient un emblème maçonnique, celles que l’on voit dans chacun des quatre angles de la croix placées sur la façade du Catholicon à Athènes”, ainsi que les roses sculptées à l'extrémité des deux bras, au sommet et au milieu de quelques vieilles croix, telles qu'était celle de l’ancien cimetière des Innocents”, sont bien, elles, le symbole religieux, auquel les écrivains mystiques ont si souvent com- paré le sang divin du Sauveur”. On rencontre également, mais comme simple motif de décoration, des roses sur les dallages d'anciens monuments; telles sont, par exemple, les rosaces vert-olive, qu'on voit, au milieu de rosettes rouges‘, sur celui de la chapelle Saint-Pellegrin à l’abbaye de Saint-Denis. Ce ne sont là que des figures de convention ; la dalle tumulaire de Jean Disse, cha- noine de Notre-Dame de Noyon, aujourd’hui au Musée de l'École des Beaux-Arts, nous ramène à limitation de la véritable nature. À gauche de ce personnage se dresse, sorti de la gueule d’un dra- gon qu'il foule aux pieds, un rosier avec ses boutons, ses fruits et ses feuilles”. 1. Albert Lenoir, op. laud., vol. I, p. 271. 2. Statistique monumentale de Paris, vol. IF, pl. v. Telle est aussi la croix que tient à la main, dans le man. Ellesmere, le Par- doner des Canterbury Tales. 3. W. Menzel, Christliche Symbolik, vol. IX, p. 283. &. Viollet-le-Duc, Diction. de l'architecture, art. dallage. 5. Gailhaubaud, op. laud., vol. HE. — E. Müntz, Guide de l'École des Beaux-Arts. Paris, s. d.,in-8, p. 57. 430 LA ROSE AU MOYEN AGE. Cette vérité dans la reproduction artistique de la rose que nous retrouvons Ici se rencontre encore dans les ouvrages d’orfévrerie. Parmi les joyaux si nombreux que possédait le duc Louis d'Anjou se trouvaient plusieurs statuettes en argent de la Vierge, représentée avec l'enfant Jésus sur le bras gauche et tenant à la main droite une branche de rosier à fleurs vermeilles ou dorées’. Dans la volute de la belle crosse, dite de l’abbaye d’Estival, est encadrée une image de la Vierge tenant aussi une rose à la main, en même temps que sur la hampe en ivoire de ce joyau précieux court une branche de rosier cou- verte de feuilles et de fleurs*. Le duc d'Anjou possédait aussi entre autres un gobelet garni à l’extérieur de feuilles de rosier et à l'intérieur duquel il y avait une rose double, avec un bouton «fait en manière de rose » sur le cou- vercle *. Un bouton de rose blanche se trouvait éga- lement sur deux hanaps de Charles V, et parmi les joyaux de ce prince, dont les lis étaient l’ornement le plus ordinaire, on voyait une cassette d’argent doré « cizelé a roses »*. Des roses ciselées ou repous- sées se trouvaient aussi sur de nombreux joyaux de 1. De Laborde, Znventaire des joyaux du duc Louis d’An- jou. Paris, 1853, in-8, nos 18, 37, 58, 67. 2. Annales archéologiques, vol. IV (1856), p. 249, pl. xvir. Aïnsi que les feuilles, les fleurs de ce rosier sont simples et à cinq pétales. 3. Inventaire du duc d'Anjou, n° 213. 4. Jules Labarte, Znventaire du mobilier de Charles V, roi de France. Paris, 1879, in-4, n°s 2363, 2365 et 2562. 0 à < PANTA APE LS LA ROSE DANS L'ART. 431 Louis d'Anjou, ce grand curieux d'art, en particu- lier sur divers bassins d'argent”. On en voit même sur des agrafes à cinq et à six pétales”. Ce n’est pas seulement en France et sur des joyaux princiers ou royaux que la rose fut employée comme motif de déésration; on la rencontre de même sur des bijoux de fabrication étrangère et jusque dans l'extrême nord; dans une ballade danoise”, il est question d’anneaux d’or, sur lesquels sont ciselés des lis et des roses. Un joyau du commencement du xv° siècle mérite ici une mention spéciale, à cause de sa beauté et de sa richesse, c’est le Rüssel d'or qui se trouve dans le trésor de la sainte chapelle d'Alttôtting en Bavière, mais qui est de fabrication française“. De chaque côté de la Vierge-mère, qui, avec sainte Catherine, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Évangéliste, com- pose le groupe le plus important de ce magnifique objet d'art, se dressent deux rosiers, couverts de fleurs à cinq pétales ; un personnage agenouillé à droite et au-dessous de ce groupe, et dans lequel on a cru reconnaitre le roi Charles VI, porte lui-même une couronne de roses et la selle de son coursier, que tient en laisse un page, est elle aussi semée de roses. 1. Inventaire du duc d'Anjou, n°s 591, 592, 617, 627. 2. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier fran- cais. Paris, in-8, vol. II, p. 198 et 226. 3. Es lagen darinnen Goldringe fünf Aus Rosen und Lilien getrieben. Wilh. Grimm, Altdänische Heldenlieder, p. 357, n° 88. 4. Annales archéologiques, vol. XXVI (1869), p. 119. 439 LA ROSE AU MOYEN AGE. Si ce produit de l’ancienne orfèvrerie est le plus précieux où figure la rose, le plus célèbre est la «rose d’or », joyau qui en réalité est un rosier en or garni de feuilles, de boutons et de fleurs. Ce rosier mystique est béni par le pape, avec une solennité toute particulière, le quatrième dimanche de carème ou de Lætare Hierusalem". De temps immémorial, la rose d’or a été destinée à récompenser quelque prince ou quelque grand, distingué, soit par son mérite, soit par des services particuliers rendus à l'Église. Le plus ancien docu- ment où 1l en soit fait mention remonte au x siècle. Ce fut sans doute, en effet, une rose que la «fleur d'or», remise par Urbain Il, lors de sa visite à l'église Saint-Martin de Tours, au duc Foulques d'Anjou. Une lettre d'Eugène III à Alphonse de Cas- tille, en 1145, paraît bien aussi faire allusion à la rose d’or. Il en est question du moins en 1159 d’une manière irréfragable; cette année-là, Alexandre III en donna une à Louis VII, en témoignage de sa reconnaissance pour l'accueil qu'il avait recu pen- dant son voyage en France. Douze ans après, le même pontife remit également une rose d’or au doge de Venise, comme une marque de la « faveur spéciale du Saint-Siège? ». La statue de Raymond-Béranger IV, qui se trouve à Aix, dans l'église Saint-Jean-de-Malte, serre de la 4. Sacrarum caerimoniarum... sanctae romanae ecclesiae libri tres. Coloniae, 1572, in-8, lib. I, p. 81, et lib. II, p. 223. 2. Du Cange, s. v. Rosa aurea. LA ROSE DANS L'ART. 433 main droite sur sa poitrine une fleur, reproduction de la rose d’or qu'en 12%4 le pape Innocent VI en- voya à ce prince pour reconnaître son zèle envers l’église”. Quand, durant le carème de l’année 1367, Jeanne, reine de Naples, vint à Rome avec Pierre, roi de Chypre, Urbain V, le dimanche de Lætare, lui donna, « comme à la princesse la plus noble et la plus digne, » la rose d’or qu'il venait de consacrer”. Un «rosier d’or » est mentionné dans l’Inventaire de Charles V, ce qui doit faire supposer que ce prince reçut aussi ce présent papal”. Le musée de Cluny possède une magnifique « rose d’or », com- posée d’une tige garnie de six feuilles et surmontée par une fleur épanouie, ornée à son centre d’un beau saphir. De cette même tige partent cinq branches, qui portent ensemble vingt-cinq feuilles, trois fleurs et deux boutons'. Ce précieux joyau, qui fit long- temps partie du trésor de Bâle, fut donné par le pape Clément V au prince-évèque de cette ville dans les premières années du xrv° siècle. Parmi les princes les plus connus qui ont, depuis A. Aix ancien et moderne. Aix, 1833, in-8, p. 169. Millin, Voyage dans les départements du midi de la France, Paris, in-8, vol. II (1807), p. 287, dit que Raymond déposa cette rose dans l’église Saint-Sauveur. 2. Vita Urbani V, ap. du Cange, s. v. rosa aurea. 3. « Un rosier d’or a tenir en sa main ouquel a 11 pommelles rons et est la rose que le pape donne le jour de la mi caresme au plus noble. » De Laborde, Émaux, p- 487. &. E. du Sommerard, Catalogue des objets d'art du Musée de Cluny. Paris, 1884, in-8, p. 403, n° 5005. JorerT. La Rose. 28 434 LA ROSE AU MOYEN AGE. cette époque, été gratifiés de la rose d’or, il faut citer l’empereur Sigismond, qui la reçut successi- vement de Jean XXIIT et de Martin V. En 1446, elle fut envoyée par Eugène IV à Henri VI d'Angleterre, et Pie IT en fit don en 1461 à Thomas Paléologue, qui venait d’être dépouillé de ses États par les Turcs. Jules Il et Léon X l’envoyerent tour à tour à Henri VIII, ce qui n'empècha pas ce prince de rompre avec la cour de Rome. Le présent qui en fut fait à Frédéric le Sage, électeur de Saxe, ne put le détourner non plus de se poser en protecteur de la Réforme *. | Comme dans la sculpture sur pierre et l’orfevrerie, on rencontre la rose dans la sculpture sur ivoire et sur bois. On la trouve tout naturellement sur les nom- breuses réprésentations du Siège du Château d’A- mour. Îci, toutefois, comme dans la représentation du Lai d’Aristote, sur un coffret du xiv° siècle, où l’on voit Alexandre jeter d’une fenêtre de son palais une rose à son ancien maître et à Campaspe qui l’a séduit”, cette fleur n’a rien de décoratif ; 1l n’en est plus de même dans les boiseries où parfois on la trouve sculptée, par exemple sur les vantaux de la porte de l’église à Voulte-Cilhac, décorés de rosettes à six ou sept feuilles, ainsi que sur les boiseries des armoires de la sacristie de Santa Maria in Organo à Vérone, ornées de roses formées d’un double rang oi de cinq pétales alternés*. C’est bien un motif de 1. Schleiden, Die Rose, p. 108. 2. Collection Spitzer.Paris, 1889, in-fol., vol. [, p. 52, pl. xx. . Gailhabaud, op. laud., vol. IF. © LA ROSE DANS L'ART. 435 décoration qu'on a cherché en sculptant ces roses; c’est dans le mème but aussi qu'ont été ouvrées entre autres les rosettes que l’on voit sur les stalles de l’église Saint-Pierre à Pérouse, et sur celles de Saint-Andoche de Saulieu, ainsi que sur un des panneaux d’une salle de Middle Temple à Londres”. Ce motif de décoration tiré de la rose a été par- fois aussi employé dans la ferronnerie ; mais là cette fleur affecte les formes les plus fantaisistes; telles sont, par exemple, les rosettes à quatre feuilles qua- drangulaires qui terminent les branches des ferrures d’une porte du château de Lahneck, ainsi que celles du grillage d’une maison à Troyes”. Sur les vantaux d’une porte en fer, qui se trouve à Rouen, on re- trouve, au contraire, des roses aux formes naturelles, encore qu'elles aient six grandes feuilles extérieures, alternant avec six plus petites à l’intérieur. Plus tard la ferronnerie, comme les autres arts indus- triels, s’appliqua à reproduire les roses avec la plus grande exactitude ; c’est ainsi qu'une grille non cataloguée, mais probablement d’une date assez récente, qu'on voit au premier étage du Musée de Cluny, est ornée de roses d’une ressemblance par- faite. Mais dans les arts dont je viens de parler, la rose ne joue comme ornement et même comme symbole qu'un rôle secondaire; il en est tout autrement dans 1. J. Gaiïlhabaud, op. laud., vol. HIT et IV. — Viollet-le-Duc, art. Stalles. 2. J. Gailhabaud, op. laud., vol. IT et IL. Les rosettes du gril- lage à Troyes ont deux fois quatre feuilles. 436 LA ROSE AU MOYEN AGE. l’enluminure et dans la peinture. Dans le premier de ces arts, toutefois, la rose, tant les premiers enlu- mineurs montrèrent d'indifférence à la reproduire", n'apparait que sous une forme conventionnelle. Ainsi dans la plupart des anciens manuserits du Roman de la Rose, les rosiers que l'amant voit en songe ou qui croissent dans le jardin du dieu d’A- mour n'ont pas de feuilles ou n'ont que des feuilles simples, ils n'ont aussi d'ordinaire que des fleurs simples, et presque indifféremment à cinq, six, ou même quatre pétales”; c’est exceptionnellement et relativement assez tard que ces roses sont représen- tées comme doubles. Le rosier du manuscrit 305 de la Bibliothèque nationale, par exemple, manuscrit du xv° siècle, est encore à feuilles simples, mais 1l a des fleurs doubles et vermeilles; les deux rosiers qu'on voit à la première page du manuscrit 25,526, qui est pourtant seulement du xrv° siècle, ont non seulement des fleurs doubles, — celles du pre- mier blanches, les roses du second vermeilles, — mais les feuilles, quoique assez inexactement dessi- nées, sont la plupart trilobées”; des branches de 1. L’enluminure du man. fr. 22928 de la Bibliothèque nationale qui représente le moine des Miracles de Gautier de Coincy, dans la bouche duquel on trouve après sa mort « cinq roses nouvelles ». ne reproduit aucune de ces fleurs. 2. Les fleurs du rosier du man. 1567, fol. 26 b, xrve siècle, ont l'une six, trois cinq et une quatre pétales. Le man. 1560 n'a que des fleurs à six pétales, etc. 3. Les feuilles des rosiers du man. 803 sont également compo- sées. LA ROSE DANS L'ART. 437 rosier servent de plus d'encadrement au texte de ce premier folio. La rose devint à cette époque avec quelques autres fleurs, dont le nombre ira bien vite en augmentant, un des motifs de décoration le plus recherchés par les enlumineurs. La passion des princes du temps pour les beaux manuscrits’ les avait encouragés à en perfectionner l’ornementation; le développe- ment du sentiment de la nature, dans l’art, dû peut- être à l'influence des « imagiers » flamands * et des peintres italiens, avec le goût croissant pour les fleurs*, en fit multiplier les représentations et porta à y chercher des motifs de décoration; c’est ainsi que la rose, les fraises, l’œillet, plus tard bien d’au- tres plantes, sont entrés dans l’ornementation des manuscrits de la fin du moyen âge. Un des plus anciens et des plus beaux où la rose ait été employée à cet usage est le manuscrit 620 de la bibliothèque Méjanes, — les Heures du roi René, — daté de 1458; les enluminures de la majuscule du mot Deus*, aux pages 418 et 447, sont un chef- 1. Il suffit de citer Charles V et ses frères, en particulier le duc de Berry, «le plus grand curieux de son temps ». Renan, Discours sur l'état des Beaux-Arts au xiv° siècle, p. 262. — Louis Gonse, L'art gothique. Paris, 1890, in-8, p. 602. 2. Léon de Laborde, Les ducs de Bourgogne. Études sur les lettres, les arts et l’industrie pendant le xve siècle. Paris, 1849-52, in-8, vol. I, Introduction, p. 81, note 1. 3. Lecoy de la Marche, Les manuscrits et la miniature. Paris, 1889, in-8, p. 231. 4. On a prétendu que ces enluminures étaient l’œuvre du roi 438 LA ROSE AU MOYEN AGE. d’œuvre d'exécution, surtout celle de la page 447, qui représente une branche de rosier portant trois fleurs vermeilles avec deux feuilles composées et deux entières. Si elles sont moins belles, on ren- contre un bien plus grand nombre de roses dans les illustrations du manuserit 74 de la même biblio- thèque'; elles garnissent en partie plusieurs des vignettes qui encadrent le texte. De magnifiques branches de rosier couvertes de fleurs vermeilles servent aussi d'encadrement aux folios 6 a, b, 18 a, 49 à, b du manuserit latin 1159 de la Bibliothèque nationale. Les roses des enlumi- nures du Breviarium Sarisberiense® sont également remarquables par leur habile reproduction; il en est de même des rosiers en treillis du livre d'Heures d'Étienne Chevalier, livre antérieur à l’année 1474. Mais rien n’égale la perfection de formes et la finesse d'exécution des roses, que Bourdichon a, trente ans plus tard, peintes, avec 338 autres espèces de fleurs”, René lui-même. Fauris de Saint-Vincens, Mémoires et notices relatifs à la Provence. Paris, 1814, in-8, p20. 4. Man. de Mgr. Rey, évèque de Dijon, qui en a fait cadeau à la Méjanes. 2. Bibl. nat., lat. 17294. Par exemple le rosier à fleurs ver- meilles qui sert d'encadrement au folio 8 a, b. 3. Bibl. nat. lat. 1416. C'est la date de sa mort. Quant à la cor- beille de roses qu'on voit au-dessous du treillis, c'est l’œuvre d’un peintre moderne. Je pourrais encore citer les roses à fleurs doubles et vermeilles du man. 1176. 4. Lud. Lalanne, Mém. inédit d’Ant. de Jussieu sur Le livre d'heures d'Anne de Bretagne, p. 6. (Extr. du Bulletin histo- rique et philologique, an. 1886.) LA ROSE DANS L'ART. 439 dans les Heures d'Anne de Bretagne; les roses ver- meilles qui forment l'encadrement du folio 27 à, et les roses blanches et rouges” du folio 31 à sont de la plus exquise beauté. Dans la peinture proprement dite, qui offre un champ plus libre et plus vaste, la rose devait occu- per une place encore plus grande que dans l’enlu- minure, et elle y apparaît dès les premiers temps de la restauration de ce grand art en Occident. Les artistes qui la firent entrer dans leurs œuvres ne faisaient que se conformer à l’ancienne tradition et continuer ce que l’on n'avait pas cessé de faire en Orient. Le Guide de la peinture de Denys” recom- mande entre autres de représenter avec une cou- ronne de fleurs — probablement de roses — Île moine véritable. Les fresques des premiers monu- ments chrétiens n’étaient-ils pas, nous l’avons vu, souvent ornés de roses? Les peintres du moyen âge s’inspirèrent de cet exemple. La Charité de Giotto, que l’on voit sur une fresque de l’église de l'Arena à Padoue, porte une couronne de roses doubles”, et dans la corbeille qu’elle tient 1. Ces dernières sont désignées par l'appellation de « roses de la marque d'Ancone ». 2. Traduit par Paul Durand sous le titre de Wanuel d’icono- graphie chrétienne, grecque et latine. Paris, 1845, in-8, p. 403. 3. Didron, Annales archéologiques, vol. XXI, p. 8, a vu dans les fleurs de cette couronne des renoncules, non des roses, les gra- vures et la photographie de cette fresque ne permettent pas de douter que Giotto n'ait donné à la Charité une couronne faite de ces dernières fleurs. 440 LA ROSE AU MOYEN AGE. à la main droite se trouvent aussi des roses avec des fleurs de lis et des grenades. Sur une fresque de Benozzo Gozzoli, qui représente l’Adoration des Mages, des buissons de rosiers bordent la route que suivent ses personnages". Dans le tableau du Musée du Louvre, où le Pérugin a peint la Vierge avec l'enfant Jésus, qu’adorent deux anges et deux saintes, l’une de celles-ci, sainte Rose, tient à la main une branche de rosier couverte de boutons et de fleurs”. Sandro Botticelli, dans son tableau de « la Vierge, l'enfant Jésus et saint Jean », a représenté le pre- mier couronné de roses. Un autre tableau du même peintre, « le couronnement de la Vierge, » nous montre les parvis célestes jonchés de fleurs de roses*. Une toile de la galerie de Dresde, attribuée aussi à Gozzoli, représente la Madone avec l'enfant Jésus, qui tient une rose à Ia main‘. Dans son tableau de saint Georges et de saint Étienne, Jean Bellini a donné au premier une couronne de roses”. ° Et Léonard de Vinci a représenté la Vanité une fleur a la main et trois roses dans les cheveux”. Dans un tableau de Van Eyek, « la Vierge et l’en- fant Jésus », la Madone tend une branche de rosier au divin enfant et des roses ornent le dossier du 1. E. Müntz, Les précurseurs de la Renaissance, p. 151. 2. Charles Blanc, Histoire des peintres. Ecole ombrienne. . Histoire des peintres. Ecole florentine. CO 4. Le même sujet a été traité par Carlo Dolce; mais dans son tableau l'enfant Jésus tient à la main une branche de rosier. 5. Histoire des peintres. École vénitienne. 6. /istoire des peintres. École florentine. LA ROSE DANS L'ART. 441 siège où elle est assise. Un tableau de Van der Goes, à la Pinacothèque de Munich, représente le même sujet, mais c'est un ange qui offre des roses à l’en- fant Jésus'. Stéphan Lochner a peint la Madone au milieu d’un bosquet de rosiers”. Un tableau de Schœngauer, qui se trouve dans la cathédrale de Colmar, représente aussi la Vierge assise avec l’en- fant Jésus sur un gazon verdoyant entouré de rosiers en fleurs, au milieu desquels chantent des oiseaux”*. Dans un de ses tableaux, qui se trouve à Prague, Albert Durer a peint la Vierge couronnée de roses par deux anges en présence de l’empereur Maximi- lien, de l’impératrice, de l'artiste lui-mème et de son ami Willibald'. Lucas de Leyde a représenté aussi la Charité accompagnée de deux enfants, dont l’un lui offre une rose”. Dans toutes ces œuvres, la rose à pris un sens symbolique que l’on ne peut méconnaître ; il apparaît d’une manière encore plus manifeste dans une gra- vure qu’on voit en tête d’an vieux missel du diocèse de Cologne. La Vierge y est représentée sous les traits d’une jeune fille ayant à sa gauche un rosier portant deux fleurs; plus haut on voit un buisson de rosiers avec la devise Plantatio rosarum. 1. Histoire des peintres. École flamande. 2. Waagen, Geschichte der Malerei, ap. École allemande. 3. W. Menzel, Die christliche Symbolik, vol. IT, p. 281. 4. Histoire des peintres. École allemande. Qt . Meussel, Miscellanen, ap. Schleiden, p. 188. 6. Rohault de Fleury, La sainte Vierge, études archéolo- giques et iconographiques. Paris, 1878, in-#, vol. I, p. 54. 449 LA ROSE AU MOYEN AGE. Les grands peintres de la Renaissance sont restés fidèles à cet emploi symbolique de la rose. Dans une des saintes familles de Raphaël on voit un ange qui répand des roses sur l’enfant Jésus et sa mère‘. Le Dominiquin a représenté la Madone répandant des roses sur les martyrs. Un ange, dans le tableau de « la Nativité » de Procaccini, en répand aussi sur la divine crèche”. Dans son tableau si gracieux de la « Fuite en Égypte », Johann Rottenhammer nous montre des anges cueillant des fleurs sur un buisson de rosiers, tandis que le petit Jean-Baptiste en ap- porte une corbeille à l'enfant Jésus*. Claude Lorrain a peint la Madone avec son divin enfant tenant une rose à la main, et, dans son « Assomption », Vouet a re- présenté la Vierge qui s'élève au ciel, laissant après elle dans son tombeau des roses et des fleurs". Mu- rillo a perpétué le souvenir du miracle des roses de saint François, et Alonso de Tobar peindra même, allusion au rosaire, la Vierge nourrissant, « divine pastoure », ses brebis avec des roses *. Il va sans dire que, quand ils ont représenté des sujets profanes, les peintres de la fin du moyen âge se sont inspirés de l'emploi que les artistes de l’an- tiquité® avaient fait de la rose. Dans le tableau où > . Histoire des peintres. École ombrienne. . Histoire des peintres. École bolonaise. . Musée de Dresde. Histoire des peintres. École allemande. . Histoire des peintres. École francaise. . Histoire des peintres. École espagnole, app., p. 26. D Où & © D . Sur une plaque de coffret du ve siècle de notre ère, le tau- ed NE 6 D ANR T 7 > / / LA ROSE DANS L'ART. 443 Botticelli a peint Vénus sortant du sein de la mer, il nous montre une pluie de roses tombant sur la déesse et couvrant les flots’. Le Titien a représenté aussi la déesse de lamour étendue sur un coussin de velours rouge couvert de roses blanches?. Dans le tableau des Noces de Psyché, par Raphaël, à la Far- nésine, des génies ailés répandent des fleurs et des roses sur les deux époux et les serviteurs eux-mêmes sont couronnés de roses. Raphaël a représenté aussi, sur une des fresques de cette galerie célèbre, la « Première heure du jour » un bouquet de roses à la main“; de même, dans un tableau du Guide, on voit l’Aurore répandre, à son apparition, des roses sur la terre”, etc. Mais la rose n'a pas été employée seulement comme se ; 1ls s’en sont D encore servis comme d'ornement; ils ne faisaient en symbole par les peintres du moven à v cela qu'imiter leurs précurseurs de l'antiquité, qui ont prodigué les fleurs dans la décoration de leurs édifices privés et publics. Une ancienne fresque du château de Lichtenberg dans le Tyrol, qui date du commencement du xrv° siècle, représente un homme et deux femmes cueillant dans des corbeilles sur un reau de l'enlèvement d'Europe est représenté portant autour du cou une guirlande de roses. Collection Spitzer, vol. I, p. 29. 1. E. Müntz, Les précurseurs de la Renaissance, p. 203. 2. Histoire des peintres. École vénitienne. 3 Anton Springer, Æaffael und Michelangelo. Leipzig, 1878, in-8, p. 549. 4. Schleiden, Die Rose, p. 187. 5. Histoire des peintres. École bolonaise. 444 LA ROSE AU MOYEN AGE. gigantesque rosier de magnifiques roses doubles, dont les deux femmes portent aussi des couronnes”. Les roses de cette fresque, représentation d’une scène de la vie commune, servaient en même temps à orner les murs de la salle où elles se trouvaient. La peinture finit en effet par employer les roses comme motif de décoration, comme le faisait déjà l'enluminure ; c’est ainsi qu’elles servirent, avec les autres fleurs, d’enca- drement aux tableaux, en particulier aux portraits. Les artistes y trouvèrent aussi le sujet de quelques- unes de leurs plus gracieuses compositions; mais ce ne fut guère que dans la seconde moitié du xvi° siècle que les peintres cherchèrent, dans la reproduction des fleurs et des roses, la matière à de véritables ta- bleaux; elles avaient longtemps auparavant pris place dans la tapisserie et sur les étoffes. Dès les premiers siècles du moyen âge on avait recherché les « draps de soie » et les « pailes » ornés d'animaux, d'oiseaux ou de fleurs. Si on cessa peut- être pendant plusieurs siècles d'en faire en Occi- dent, ces étoffes continuërent toujours d’être fabri- quées en Orient. C'était de là qu'on les faisait venir. Dans un document du xrm° siècle”, 1l est question 1. Alvin Schulz, Deutsches Leben im x1v. und xv. Jarhundert. Wien u. Prag, 1892, in-8, pl. 9. 2. «Item capa magistri Joh. de S. Claro de quodam panno Tar- sico, viridis coloris, cum plurimis piscibus et rosis de aurifilo con- textis. » — « Item casula de panno Tarsico, indici coloris, cum pis- ciculis et rosulis aureis. » Visit. facta in thesauro S. Pauli Lond. ap. Fr. Michel, Recherches sur les étoffes de soie, d'or et d'ar- gent. Paris, 1852, in-#, vol. IT, p. 164, note 1. Le LA ROSE DANS L'ART. 445 d’une chape faite de « drap de Tharse, de couleur verte, orné de poissons et de roses brodées en or », ainsi que d’une chasuble de même étoffe, mais de couleur bleue, décorée de petits poissons et de ro- settes d’or. Les poètes du x, du xiv° et du xv° siècle parlent souvent de ces étoffes, dont les grands aimaient à se parer, et qu'on fabrique maintenant en Italie! et bientôt dans les Flandres. Ils sont d'un drap d'or a oisiax Vestu, a flors et a lunettes?, lit-on dans le Roman de l'Escoufle. I est fait men- tion, dans l’Inventaire du mobilier de Charles V, d’un «chaperon fourré, orné de broderies et à plu- sieurs roses », ainsi que d’une pièce de « soudanin sur champ d’azur semé de petites feuilles et de pe- tites roses d’or°». Le roman de Perceforest parle d’un roi « vestu d’une cotte de samyt blanc, estin- celée de rosettes d’or“ ». « Il était couvert de brode- ries, dit Chaucer de son écuyer”, et l’on eût dit une 4. « Cinq pieces de drap de soye de Lucques blancs, ouvrez a grans osteaulx... et a petites rosettes ou milieu.» nv. du mobilier de Charles V, n° 3355. 2. Cité par Fr. Michel, op. laud., vol. I, p. 360. 3. Nos 3902 et 3377. Le soudanin était une étoffe de soie. 4. Hystoire du roy Perceforest, vol. I, chap. 44. Le samit était une espèce de brocart de soie très fort. Alvin Schulz, Das hôfische Leben, vol. I, p. 259. Fe Embroidered was he, as it were a mede AIT ful of freshe floures white and rede. The Canterbury tales. Prol. v. 89. 446 LA ROSE AU MOYEN AGE. prairie toute pleine de fraiches fleurs blanches et vermeilles ». Ces fleurs servaient en particulier d'ornement aux tapis. L’Inventaire de Charles V mentionne entre autres une « chambre blanche a rozes vermeilles », et une autre « chambre de camocas vert tout d’une soye a rozes et à lettres de Damas'». Dans l'hôtel de Bourgogne qu'habitait à Paris le duc Louis d'Or- léans, 11 y avait « une pièce tendue de drap d’or à roses, bordé de velours vermeil »°, Les « Comptes de Bourgogne » font mention d’une « tapisserie de haute lice… garnie de ciel, dossier et couverture de lit... (dont) les dits dossier et couver- ture sont au bout d’en hault faiz de trailles de rosiers sur champ vermeil »°. Il sy trouve aussi six tapis blancs « ouvrez de roses ». La collection Spitzer renferme plusieurs tapisseries historiques du xv° siècle dans l’encadrement desquelles on voit des roses de la plus grande beauté. Une autre tapisserie qui représente l’adoration des Mages, mais qui est du xvi° siècle et de fabrication italienne, est égale- ment encadrée de deux magnifiques rosiers, celui de droite à fleurs blanches, celui de gauche à fleurs 1. Nos 3330 et 3356. Le mot « chambre » est synonyme de « tenture de chambre ». On donnait le nom de camocas à une es- pèce de satin. 2. Fr. Michel, op. laud., vol. IT, p. 393. 3. Inventaire des joyaux d'or et d'argent de Philippe le Bon, n° 4262. (Léon de Laborde, Les ducs de Bourgogne, etc., vol. II, p. 268). LA ROSE DANS L'ART. 447 rouges'. Des roses avec des raisins forment aussi l'encadrement des belles tapisseries qui ornent le chœur de lPéglise métropolitaine d’Aix*. Comme dans l’enluminure, la peinture et la tapis- serie, la rose fut employée dans la décoration des émaux, mais elle y a le plus souvent ce caractère conventionnel que nous avons rencontré parfois dans la sculpture; simple d'ordinaire et avec un nombre variable de pétales, elle n’y est aussi bien souvent que de petites dimensions: c’est une « rosette ». C'est ainsi qu'on la rencontre sur un grand nombre de joyaux du duc d'Anjou et de Charles V‘. L’ai- ouière d'argent qui porte le n° 430 dans l’Inventaire de Louis d'Anjou, par exemple, avait, au dedans émaillé du couvercle, une « rose de trois feuilles ver- meilles et trois vertes avec le milieu jaune ». Sur le pied d’une croix d’or « à trois marches », que pos- sédait Charles V°, on voyait des « rozettes esmaillées de rouge celer ». Le couteau du n° 2732 avait aussi un manche d’émail « à roses vermeilles et blanches ». On rencontre également la rose dans l’ornemen- 4. Nos 1, 3, 5 et pl. retuxr. Cf. Müntz, La tapisserie, Paris, s.-d., in-8- 2. Ces tapisseries, faites en 1511, représentent les principaux épi- sodes de la vie du Christ; elles passent pour avoir appartenu à l'église Saint-Paul de Londres. F(auris d(e) S(aint) V(incens), Mé- moire sur la tapisserie du chœur de l'église cathédrale d'Aix, Aix, 1816, in-8. 3. Inventaire du duc d'Anjou, n°S 137, 140, 350, 391, 431, 432, 506, etc. 4. Inventaire de Charles V, nos 291, 397, 1303, 1387, etc. 5. No 2574 de l’Inventaire. 448 LA ROSE AU MOYEN AGE. tation des vitraux du xim° et des xiv° et xv° siècles ; dans le vitrail de sainte Anne à la cathédrale de Chartres, la mère de la Vierge est représentée te- nant de la main droite un sceptre qui s’épanouit au sommet en trois roses blanches’. Sur une verrière de la cathédrale de Fribourg en Brisgau est peinte la Madone avec l’enfant Jésus, tenant à la main une rose vermeille et à qui elle offre une pomme”. Dans le médaillon du vitrail d’une des fenêtres de Middle Temple, à Londres, on voit, faisant pendant à une fleur de lis, une rose, mais à quatre pétales et à feuilles simples *. Enfin, la rose a servi dans la décoration des faïences, en Occident, du moins. Il est vrai qu'elle n'y apparaît guère que dans des œuvres postérieures au moyen âge et la plupart même modernes; mais on la trouve, dès le xiv° siècle, avec un caractere d'originalité toute particulière, dans les produits d’une fabrique de l’Europe orientale, ceux de Lindos en Chypre; les nombreux spécimens qu’en possède le Musée de Cluny‘ nous montrent des branches de rosier garnies de feuilles composées, de fleurs épa- nouies et de boutons dont la forme trahit l’influence persane qu'avait subie cette fabrication. 1. Paul Durand, op. laud., p. 146. 2. Art. Martin et Cahier, Vitraux peints de Saint-Etienne de Bourges. Paris, 1841, in-fol., pl. XII. On voit aussi des rosaces à six pétales sur la verrière de la planche V et à huit pétales sur celle de la planche XII. 3. J. Gailhabaud, op. laud., vol. IT. 4. Du Sommerard, Catalogue du Musée de Cluny, p. 180. : L/, LA ROSE DANS L ART. 449 Ce n’est plus comme motif de décoration, mais comme emblème allégorique que la rose apparait dans les armoiries, ainsi que sur les monnaies et divers insignes. L’Armorial général de la France en dix volumes” ne contient pas moins de soixante écus- sons, où se trouve la rose, et 1l est loin de les don- ner tous; la plupart ne remontent guère au delà du xv° siècle, c’est-à-dire à l’époque où la rose est devenue l’objet d'une culture toute particulière; le plus grand nombre sont du xvi° siècle, et on les rencontre également dans toutes les provinces. Parmi les familles les plus anciennes et les plus connues, dans les armoiries desquelles se rot rose, on peut citer les Riquetty de Provence*, les Chappuis du Lyonnais”, les Lamirault de l’Orléa- nais*, xiu° siècle, les Chavagnac d'Auvergne”, les Crugi de Marcillac (Auvergne et Quercy), xiv° siècle, les Caquerai (sénéchaussée de Vitré)®, les Chastenai de Lanti, les Courtoux de Noyan, les Cussi de la Basse-Normandie”, les Fournier d'Isamberteville (vi- comté d’Arques), les Gervais de Roquepiquet (Agé- nois), les Longueil de Paris, les Macé de Gastines et les Le Roy de Macé (Normandie), les Malherbe, qui 1. Paris, 1738-68, in-folio. 2. « D'azur à une bande d’or accompagnée en chef d'une demi- fleur de lis et en pointe de trois roses d'argent. » 3. « D'azur à une fasce d'or, accompagnée de trois roses d'argent. » 4. « D'or à une rose de gueules et un chef de même. » 5. « De sable à trois fasces d'argent et trois roses d'or en chef. » 6. « D'or à trois roses de gueules, deux en chef et une en pointe. » 7. « D'azur à une fasce d'argent, accompagnée en chef de deux roses de même, » Jorer. La Rose 29 450 LA ROSE AU MOYEN AGE. « portaient d’hermines à six roses de gueules posées trois en chef, deux en face et deux en pointe’, etc. Des roses se trouvaient en particulier dans les armoiries des familles qui portaient le nom de cette fleur ou d’un de ses dérivés vrais ou supposés; c'est ainsi qu’on en voit dans celles des Rose (Paris) et Roze (Berri), des Rosier (Dauphiné)”, et Rosié (Guyenne), des Rozey (Roumois), comme des Rosen- dal (Flandre)*. Des villes elles-mêmes en avaient; Grenoble « porte d’or à trois roses de gueules ». La rose ne se rencontre pas moins souvent qu'en France dans les armoiries des autres pays. Florence a une rose dans son écu; on voit cinq roses à cinq feuilles chacune, au milieu d’une rosace à huit pointes, sur le sceau du chapitre de Christ-Church, à Cantorbéry”; la rose blanche et la rose rouge, qui se trouvaient dans les armes des maisons d’Yorck et de Lancastre, sont restéés célèbres, comme la riva- lité de ces deux familles®. Il y avait une églantine dans les armes du margrave de Misnie et d’une prin- 1. Armorial général. Bibl. nat. Normandie-Caen, n° 277. 2. « Porte d'argent à trois roses de gueules, tigées, feuillées et pointées de sinople. » 3. « Porte d'argent à un rosier de sinople, fleuri de trois roses de gueules. » 4. « Porte de gueules à un chevron d'or, accompagné de trois roses de cinq feuilles chacune. » 5. Revue archéologique, 1re série, vol. X, p. 231. 6. Renowned Yorck the white Rose gave, Brave Lancaster the red. R. Johnson, À crown garland of goulden Roses (Percy Society, voi. VI, p. 3). FUME TEA NT R A4 FANS Re al LA ROSE DANS L'ART. 454 cesse de Lippe enterrée à Saint-Goar'. Le chapitre d’Altenbourg portait une rose rouge dans son éeu. On en voit une également dans les armes de Mag- debourg, ainsi que dans celles des seigneurs de Gutz- kow en Poméranie, des princes-évèques de Schlei- nitz, des comtes de Stolberg et de Lœwenstein. Les barons de Trautmannsdorf, les chevaliers de Schwar- tzenberg, etc., les seigneurs de Grumbach, Neuen- dorf, Friesen, de Rosenberg, de Rosenbusch, de Roseneck, etc., les burgraves de Strasbourg, Alvers- leben, etc., des patriciens de Francfort, de Nuren- berg, d'Augsbourpg, les villes de Hagenau, de Rosen- feld, Rosenheim, Wertheim, etc., avaient des roses dans leur écusson *. On retrouve encore la rose sur diverses monnaies et plusieurs insignes; cette fleur a donné son nom aux « rosenobles » établis par Édouard III, elle figure sur les « Georgenobles » de Henri VIIT; elle sert d'ornement à l’ordre de la Jarretière et à l’ordre du Bain. Une rose était empreinte sur les Oselli de Venise, les Pristole et les Livornini della rosa, de même que sur les Duetti de Toscane, les Barbone de Lucques et les « pfennigs à la rose » du comté de Lippe. Sur une médaille frappée en 1541 en l’hon- neur de Luther, on voit, allusion à sa devise, au- dessous de son efligie, une rose épanouie, au milieu de laquelle repose un cœur à côté d’une croix; à l’exergue on lit la sentence : « Le cœur du chrétien 1. Schleiden, Die Rose, p. 172. 2. Rosenberg, Rhodologia, p. 32. 459 LA ROSE AU MOYEN AGE. est au milieu des roses, quand il est au pied de la croix. » LV. La rose est entrée dans l’onomastique des nations modernes comme dans celles de l’antiquité, ; on la rencontre dans la dénomination d’un grand nombre de localités ou de personnes. Les noms des colonies grecques de Gaule et d'Espagne, Ahodé, Rhodai, lati- nisés en hoda, Rhodae, se sont conservés, après la chute de l'Empire, en se transformant, suivant les lois de la dérivation romane; mais ces vocables, rares encore dans la toponomastique latine et propres seulement à quelques localités du litttoral méditer- ranéen, se répandirent dans tout l'Occident avec la culture de la fleur d’où ils sont tirés; on les ren- contre avec leurs dérivés en Italie, en France, en Portugal, surtout en Espagne. Ainsi en Italie”, Rosa, Rosali, Rosario, Rosata, Rose, Roselle, Roserio, Roseto, etc. En Portugal”, Rosa, Rosario, Rosas et Rozas, Rosal et Rosaes, Roseiro. En Espagne”, Rosa, Rosal, Rosalejo, Rosales, Rosallo, Rosario, Rosas et las Rosas, Roseiro, Rosel, Rosell (Catalogne), 1. Schleiden, Dre Rose, p. 174. 2. Disionario statistico aei comuni del regno d'Italia. Sa- vona, 1879, in-fol. s. v. 3. À. Soares de Azvedo, Portugal antigo e moderno. Diccio- nario geografico, etc. Lisboa, 1878, in-8, s. v. 4. Don Pascual Madoz, Diccionario geografico-estadistico- historico de España. Madrid, 1849, in-#, vol. MIT, s. v. LA ROSE DANS L'ONOMASTIQUE. 453 Rosello, Rosera, etc. En France', Rozier et Le Rosier, Rosiers et Les Rosiers, auxquels 1l faut joindre sans doute la plupart des Roset, Rozet et Rozey, Rosay® et Rozay ou Rozoy, dérivés de rose- tum, que Du Cange traduit par « roseraie », lieu planté de roseaux, mais dont le sens primitif est « lieu planté de rosiers ». Quant au mot Rosières, dérivé de rosaria, et qui sert à désigner un grand nombre de localités, 11 paraît bien plutôt être un dérivé du germanique ros (roseau)*, que du latin rosa, encore quil ait dû prendre parfois ou qu’on ait fini par lui attribuer le sens de « plantation de rosiers ». Les noms de lieu germaniques dérivés du vocable rose paraissent aussi, du moins à première vue, être nombreux ; mais beaucoup d’entre eux ne vien- nent pas de ce radical, comme on l’a souvent répété. Færstemann ne regarde aucun des composés vieux- allemand du thème ros-, tel que Rosenburg, Ros(en)- heim, comme venant du nom de la rose, 1l les rat- tache, soit au radical rod (rouge), soit à ros (cheval)*. Il est évident néanmoins que plus tard le nom de la rose dut entrer dans un certain nombre de noms géographiques allemands, anglais ou scan- 1. Joanne, Dict. des communes de la France. Paris, 18684, 5. v. 2. Rosetum. Dict. topographique de l'Eure, s. v. 3. « Rosaria, si bene interpretor, arundinetum. » — « Roseria, arundinetum. » Du Cange, s. v. — « Rosière, lieu planté de ro- seaux. » Lacurne, s. v. — Néanmoins les Rosières de Metz avaient trois roses d’or dans leurs armes. :. Alideutsches Namenbuch. Ortsnamen. Leipzig, 1872, in-8. _ 454 LA ROSE AU MOYEN AGE. dinaves; tels sont tout d’abord les ARosengarten, — Rosengaard, Rosengard, Rosengarth, — qu'on rencontre dans tant de régions différentes; les Aosen, Rosengrund, les Rosenhagen et Rosenhain, Rosen- kranz, Rosenschün, peut-être aussi quelques-uns des nombreux Aosenau et Rosenow, Rosenberg, Rosen- feld, Rosenthal, Rosendaal et Rosendael', où l'idée de rose, comme on le voit par les armoiries, a péné- tré, sielle ne s’y trouvait pas à l’origine. Le nom de la rose et ses dérivés ont servi égale- ment à désigner les personnes; on trouve déjà le nom Rosa et son dérivé Rosula dans des Actes fort anciens. Une sainte Rose, originaire de Sardaigne et mère d’un martyr, si elle ne le fut pas elle-même, vécut au 11° siècle”; une autre sainte du même nom souffrit, dit-on*, le martyre en Perse, peut-être au siècle suivant. Sainte Rosule de Filasa (Dacie) fut martyrisée en Afrique sous Dioclétien, avec le prêtre Simplice et saint Florence‘. Au xn° siècle, sainte Rosalie de Palerme brille par sa piété; au sièele suivant vécurent sainte Rose de Viterbe et sainte Roseline de Villeneuve. Le nom de Rose, on le voit, prédestinait à la sain- teté; 11 prédestinait encore plus aux légendes; celles de la rose occupent une place considérable dans la 1. Ritters Geographisch-Statistisches Lexicon über die Erdtheile, etc. Leipzig, 1883, in-4, s. v. 2. Acta Sanctorum, vol. XLI, p. 107, 1er septembre. 3. Petits Bollandistes, 21 février. &. Acta Sanctorum, vol. XVI, p. 455, 15 mai. Le LA ROSE DANS L'ONOMASTIQUE. 45€ vie de presque toutes ces saintes; Roseline, en par- ticulier, recut ce nom, parce que sa mère, avant sa naissance, avait rèvé qu'elle portait dans son sein une rose sans épines'. Mais c’est surtout dans la vie et dans l’iconographie de sainte Rosalie que la rose, emblème de ses vertus, a pris place. Elle était fille de Sinibaldo, seigneur de Rosas; au lieu de rester dans la maison paternelle, poussée par l’amour de Jésus-Christ, elle se retira, toute jeune encore, dans une grotte”. La elle vit dans la société des anges et des roses; elle offre à Dieu des corbeilles de ces douces fleurs, symbole de sa piété et de ses prières; c’est aussi couronnée de roses qu un ange, lui-même le front ceint de roses, la conduira, divine épouse, « aux célestes noces ». Porté d’abord uniquement par des femmes, le nom de Rose le fut aussi plus tard par des hommes : les Rosa d'Italie, les Rose de France et d'Angleterre, les Rosen d'Allemagne et de Suède sont connus. Les noms d'hommes toutefois ont plutôt été empruntés au mot rosier ou aux noms de localités, dans la dési- gnation desquelles entre ou paraît entrer le vocable rose ou l’un de ses composés ; tels sont Rosier, Ro- siers, Rosenau, Rosenberg, Rosendal ou Rozendael, Rosenthal, Rosenhain, Rosenkranz, Rosenkreuz, Rosenmüller, Rozenzweis, etc., dérivations que la 0? 1. Acta Sanctorum, vol. XXIT, p. 486, F, 11 juin. 2. « Ego Rosalia Sinibaldi Rosarum domini filia, amore domini mei Jesu Christi in hoc antro habitari decrevi. » Acta Sanctorum, vol. XLIT, 4 septembre, pl: 111, vu, xiv. 4506 LA ROSE AU MOYEN AGE. légende a cherché parfois à justifier, comme l'ont fait aussi les armoiries'. Dans une bataille, le chef qui commandait les troupes vit revenir près de Jui un de ses pages tout couvert du sang qui coulait de ses blessures. « Mon pauvre ami, lui dit-il, que t’'est-il donc arrivé ? » — « Seigneur, répondit vail- lamment le page, j'ai cueilli trois roses que Je veux porter à ma mère. » Le général, frappé du courage de ce jeune homme, le fit chevalier sur-le-champ, en lui disant : « Désormais tu t’appelleras le seigneur de Roses ({ARosen)*. » Il fut la souche de la famille illustre de ce nom; elle porte trois roses dans ses armes. Par une métaphore facile à comprendre, le nom de la rose ést entré au moyen âge, comme cela avait déjà eu lieu dans l'antiquité, dans la désignation d’un certain nombre d'êtres ou d'objets, qui offraient avec cette fleur quelque analogie de forme ou d’'as- pect. J'ai parlé des roses, rosaces et rosettes, em- ployées comme motif de décoration dans les arts, et qui offrent plus souvent une ressemblance lointaine avec la fleur dont elles tirentle nom qu’elles n’en sont une reproduction véritable. Telles étaient aussi les roses, espèce d'ornement que les femmes portaient à leur soulier. Dans l’orfèvrerie on donnait le nom de 1. On en cite parfois d'autres, en particulier, d'origine germa- «nique, comme Rosamunde, Fürstemann, Altdeutsches Namen- buch. Personennamen, ne fait dériver aucun de ces noms de rose (rosa), mais de kros (cheval). 2. Schleiden, Die Rose, p. 176. LA ROSE DANS L'ONOMASTIQUE. 457 rose à une espèce de médaillon’: « Une roze d’or ou est esmaillé le Roy a genoulx devant monseigneur saint Denis et l’évangéliste saint Jean*». Les « roses », une des créations les plus belles de l'architecture gothique, méritent une mention toute spéciale. On donne ce nom aux fenêtres circulaires et à compartiments qu'on voit à la façade et aux deux ailes d’un grand nombre des cathédrales et des églises du xr1° et du xiv° siècle. On Îles rencontre. d’abord dans les monuments de l'Ile-de-France et de la Champagne. La plus ancienne peut-être est Ia rose qui s'ouvre sur la façade occidentale de l’église de Mantes ; elle remonte à la fin du xu° siècle. Les roses de Notre-Dame de Paris, celle de la facade occidentale, qui est de 1220, et surtout les deux roses énormes, postérieures de près de quarante ans, des pignons sud et nord du transept de cet antique édifice, à la fois puissantes et solides, sont les plus beaux spécimens que les architectes de l'Ile-de-France aient laissés de ce genre de construc- tion. Les roses de la Champagne les surpassent encore sous le rapport de l'élégance et de la har- diesse. La rose occidentale de la cathédrale de Reims est admirable par la proportion et l'harmonie de ses diverses parties. Il faut en rapprocher Îles roses de la cathédrale de Chartres, surtout celle de la facade occidentale. On ne trouve rien de compa- 1. L. de Laborde, op. laud., Glossaire, s. v. Rose, p. 486. 2, Cf. {Inventaire du mobilier de Charles V, n° 3138. « Une roze d'argent, blanche, neellée, à ung escuçon de Bourgogne. » 458 LA ROSE AU MOYEN AGE. rable en Bourgogne; les architectes de cette pro- vince ont préféré à ces baies immenses des roses de petite dimension”. Au xiv° siècle, la hardiesse et l'élégance que les architectes de l’âge précédent avaient portées dans la construction des roses, parut diminuer; on le voit bien à la rose de la cathédrale d'Amiens, tout ad- mirable qu’elle est, d’ailleurs”. Au delà des limites de la France centrale les roses eurent de la peine à être acceptées. Les architectes normands et anglais ne les employèrent qu'avec hésitation ; l'architecture rhénane leur préféra les fenêtres ordinaires ; dans la France méridionale on y substitua des æils de un à deux mètres de vide. Cependant on trouve aussi de fort belles roses dans ces contrées; par leur exécu- tion et leur style achevé, les roses de la cathédrale de Rouen sont de vrais chefs-d’œuvre; celle qui s'ouvre sur la facade de la cathédrale de Clermont n'est pas moins remarquable. On cite aussi comme un modèle d'élégance la rose de l’église de la Batalha à Lisbonne. On a appelé également du nom de rose diverses plantes qui ressemblent à cette fleur, telle que la rose trémière, d'outre-mer ou passerose/{Althaea rosea L.), la rose de Noël {/Æelleborus niger L.), en all. Werh- nachtrose; angl. Christmasrose; la Rose de Notre- Dame, Aosa del monte esp. (Pæonia ofjicinalis L. ; 1. Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l'architecture, s. v. Rose. 2. Elle représente les vicissitudes de la vie humaine. Didron, Manuel d'iconographie chrétienne, p. 115. og LA ROSE DANS L'ONOMASTIQUE. 459 la Seerose où Wasserrose en all., Waterrose en angl., nom des Nymphéacées ; la Rouselio prov., Rosella cat., Kornrose all., Cankerrose ang. {Papaver rhaeas 1.) ; la Roso de bos pr., rosella pg., nom de divers cistes; la Rose des Alpes, all. A/penrose (Rhododendron ferrugineum L.), ete.” Ces noms toutefois ne paraissent pas anciens; aussi je n’en citeral pas d’autres et je me borne à y ajouter la rose de Jéricho Anastasia Hierochuntica L.), espèce de crucifere, qui, après la dessiccation, s’étale, sous l'influence de l'humidité, en forme de rose. Une légende veut qu'elle fleurisse seulement dans la nuit de Noël; on lui attribue aussi la pro- priété merveilleuse de protéger contre la foudre la maison où elle se trouve”. La « rose du saule », nom donné aux excroissances foliacées, déterminées sur les rameaux de cet arbre par la piqûre d’un insecte, est, elle, le présage d’un événement important; la fin de la guerre de Trente ans aurait été annoncée 8 par les nombreuses roses que l’on vit sur les saules en 1648*. Quelques polypiers, des minéraux même ont pris, surtout en allemand, un nom tiré de la rose, mais à 1. Remberti Dodonaei, Stérpium historia. Antv., 1616, in-fol. — J. Britten and R. Holland, À dictionary of english plant- names. London, 3 v.in-8, 1877-81. — G. Pritzel, und C. Jes- sen, Die deutschen Volksnamen der Pflanzen. Hannover, 1882, mure. Mistral, s: v. 2. Schleiden, Die Rose, p. 108. 3. Abbé de Vallemont, Curiositez de la nature et de l'art. Paris, 1784, in-12, vol. I, p. 237. 460 LA ROSE AU MOYEN AGE. une époque postérieure, il semble, au moyen âge. On a dès lors, au contraire, ce qui se faisait déjà dans l’antiquité, donné le nom de «rose » à l’érysi- pèle; un chroniqueur du xv° siècle l'appelle le « mal des roses Nostre-Dame' », en allemand rosem, ro- samo; cette dénomination se rencontre aussi dans les langues slaves. Enfin on a, à la fin du moyen âge, appelé du nom de «rose », « jardin des roses », ou même de « ro- sier » divers recueils historiques ou scientifiques. Tels sont les /osa anglica, Rosa gallica, livres de médecine célèbres, le « Jardin des roses {Rosen- garten) des sages-femmes », la Rosa Ursina, traité d'astronomie, la Aosa pœnitentialis, le Rosarium logices, le « Rosaire {Rosenkranz) hermétique », ou- vrage d'alchimie, etc. Il y a aussi un « Rosier des guerres », attribué parfois à Louis XI. 1. Lacurne, s. v. Àose. CHAPITRE VI LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE, LA CUISINE ET LA TOILETTE Rose est de grande medecine, dit un poète anonyme du commencement du xiv° siècle’, qui n’est ici que l’écho de la croyance géné- rale de son temps aux vertus de cette fleur aimée. Tous les auteurs, chrétiens ou arabes, qui, depuis les premiers siècles du moyen âge, ont écrit sur la thérapeutique ou l’histoire naturelle, ont parlé des vertus médicinales de la rose et des ingrédients fournis par cette fleur, pour eux non moins salutaire que belle. Bien qu'il se soit surtout attaché à célébrer les beautés de la rose et à en faire connaitre la signifi- cation symbolique, Walahfrid mentionne néanmoins l'huile de roses, en ajoutant — on ne pouvait en faire un plus grand éloge — que « personne ne saurait dire combien de fois elle a guéri les maux des mor- 1. « Poème moralisé ». Romania, vol. XIV, p. 458, xxx, v. 29. 462 LA ROSE AU MOYEN AGE. tels »'. Hildegarde est déjà bien mieux informée”; d’après elle, les pétales écrasés de la rose, appliqués sur des yeux chassieux, les guérissent; ils font également disparaître les ulcères qui n’ont pas un caractère malin. Mélangés aux potions, aux on- guents, aux divers remèdes, ils les rendent d’au- tant plus efficaces, qu'ils y ont été ne en plus grande quantité. Après Hildegarde, il faut placer le faux Æmilius Macer, l’auteur d’un traité sur les vertus des plantes”, célèbre pendant les derniers siècles du moyen âge. Plus instruit et mieux renseigné que l’abbesse de Saint-Rupert, le pseudo-Macer connait nombre de propriétés médicinales de la rose ignorées de la docte religieuse. Aïnsi les pétales écrasés de cette fleur guérissent, d’après lui, le feu sacré; mélangés à du vin, ils arrêtent le flux du ventre; le suc qu'on en retire, ajoute-t-il, entre dans la composition de divers collyres; réduits en poudre, ils font dispa- raître, seuls ou méêlés à du miel, les ulcères de la bouche; appliqués en cataplasme ou bien écrasés dans du mout, ils calment la fièvre. Enfin Macer rappelle, d’après Palladius, et comme Walahfrid, de quelle utilité médicale peut être l'huile de roses 1. Inficit hic oleum proprio de nomine dictum, Quod quam saepe fiat mortalibus utile curis, Nec meminisse potest hominum nec dicere quisquam. Hortulus, XXVI, v. 402-4084. 2. Liber de plantis, cap. xx1r, éd. Migne, p. 1139. 3. Macer Floridus, De viribus herbarum. S. 1. n. d., in-4 Cap. XXI, d'El LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 463 convenablement préparée. Il y a progrès, on le voit, sur Hildegarde; néanmoins le poëète-médecin en est encore, en somme, à la pharmacopée grecque et romaine; mais la rose allait servir à bien d’autres usages thérapeutiques ignorés des anciens et entrer dans des produits que ni Macer, n1 les écrivains qu'il a suivis n’avalent connus. sa here a, depuis le xn° siècle, fait de grands progrès, grace aux travaux des savants arabes et aux découvertes de l’École de Salerne. Les Arabes avaient inventé les sirops, qui d'Orient et d’ Espagne devaient passer dans toutes les officines de l’Oceci- dent; la distillation perfectionnée par eux permit éga- lement de fabriquer des produits nouveaux; 1l n’est pas surprenant aussi que, depuis lors, l'emploi mé- dical de la rose se soit étendu. Eissa 1bn Massa reconnaissait à cette fleur, surtout à la variété à pétales rouges, une vertu fortifiante, en mème temps qu’elle rafraichit, suivant lui, les inflamma- tions de la tête’. Pour Ishac ibn Amräm, la rose convient à l’estomac et au foie; elle réduit en parti- culier les obstructions de ce dernier viscère, occa- sionnées par la chaleur. Razès, de son côté, dit que la rose calme la fièvre, mais 1l affirme en même temps qu'elle provoque le coryza. D'après lui en- core, le miel rosat est bon à l’estomac, « qui con- tient des humeurs ». Razès vante également le sirop de roses et le sucre rosat*. 1. Ibn el Beithar, Traité des Simples, n° 2274 (Notices et extraits des manuscrits, vol. XX VI, p. 406). 2. Opera. Venise, 1500, p. 12 et 15. 464 LA ROSE AU MOYEN AGE. Avicenne, et après lui Vincent de Beauvais’, regar- dent la rose à la fois comme acide, styptique et amère; pour eux encore elle est apéritive, ainsi que détersive, et calme l’effervescence de la bile; en infusion, elle est bonne contre les nausées et les palpitations fébriles et salutaire à tous les viscères; elle fortifie les membres inférieurs. En cataplasme, elle attire les piquants et les échardes, résout les apostèmes, guérit les excoriations de la peau et régé- nère les chairs rongées par les ulcères. Grâce à sa froideur, dit-il encore, la rose calme les douleurs des yeux, et celles de la matrice. Une infusion de pétales séchés est bonne contre la chassie des yeux et les ulcères des intestins. Le suc de la rose est excellent pour entretenir l’humidité de l'estomac; dans une infusion il est efficace pour les maux d'oreilles et de gencives. Il est souverain aussi dans les syncopes. Les jeunes pousses et les têtes de la rose, à l’en croire, sont excellentes pour les crache- ments de sang et ses graines raffermissent les gen- cives. Enfin, suivant lui, l’eau et l'huile de roses font éternuer, quand on les respire. G D’après le Livre des Expériences, Ibn el Beithar” enseigne que les pétales de roses desséchés et ré- duits en poudre cicatrisent et assouplissent la peau des malades atteints de la variole, et 1l vante égale- ment, d'après le même ouvrage, les propriétés salu- 4. Liber canonis. Basiliae, 1556, in-fol. Tract. II, p. 291. — Speculum naturae, p. 761 et 762. 2. Op. laud., p. 407. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 465 taires du sirop de roses, qu'il recommande entre autres dans la fièvre bilieuse. Nous retrouverons à l'instant cette préparation d’origine arabe, dans la pharmacopée de POccident, où la rose n’occupe pas moins de place que dans celle de l’Orient. Son em- ploi y a été généralisé surtout par l'École de Sa- lerne. Nicolas Praepositus, qui contribua à en fonder la renommée au xn° siècle”, recommande l'emploi de la rose dans les maladies d’estomac et de foie; elle fait cesser, dit-1l*, les embarras gastriques, dégage la tète des « fumées » de la bile et arrète les hémorrhagies nasales. Cuite dans du vin elle apaise les douleurs d'oreilles et en gargarismes guérit les ulcérations des gencives. Ses graines pilées produi- sent le même effet. Enfin, les pétales en cata- plasme, ainsi que l'écorce en décoction, guérissent, d’après lui, les hémorrhoïdes. Mais c'est dans Platearius qu'on trouve l’'énumé- ration la plus complète des usages de la rose au moyen âge et des propriétés qu'on lui supposait; le célèbre médecin nous a laissé dans son Livre de simple medecine ou Circa instans, une véritable pharmacopée de cette fleur ; 1l n'a omis aucune des préparations dans lesquelles elle peut entrer, ni aucun de ses emplois”. Aussi a-t-il servi de modèle et de guide à tous les auteurs de thérapeutique qui 1. Ernst Meyer, Geschichte der Botanik, vol. HI, p. 506. 2. Macisrrr Nicocar PrepositTr Dispensarium ad aromato- rios nuper diligentissime recognitum. Lugduni, 1512, in-#, fol. 4. 3. Liber de simplici medicina secundum Platearium, dictus Circa instans. Basileae, 1528, in-#4. fol. 121 b. JoRET. La Rose. 30 466 LA ROSE AU MOYEN AGE. sont venus après lui. Vincent de Beauvais le cite en tète des autorités qu'il invoque; si Albert le Grand ne paraît rien lui devoir, Thomas de Cantimpré, Barthélemy l'Anglais et Pierre de Crescence, dans son traité d'agriculture, l'ont suivi presque textuel- lement ; il en est de mème, à plus forte raison, des Herbiers ou Arboristes français du xv° siècle, qui ne sont que des adaptations ou mème des traductions plus ou moins complètes du Livre de simple médecine du savant Salernitain, ainsi que des Arbolayres et Grants Herbiers, simples éditions de ces curieux ma- nuscrits. Inutile de parler de Conrad de Megenberg, qui n’a le plus souvent fait que reproduire Thomas de Cantimpré. Quant à l’Aerbarius de Mayence et au Ghart de Gesundheït, s'ils invoquent d’autres auto- rités, ils citent eux aussi Platearius au premier rang et lui ont emprunté le meilleur de ce qu'ils disent. D'après le plus illustre représentant de l'École de Salerne, les principaux ingrédients faits avec la rose sont Le miel et le sucre rosat, le siropet l'huile de roses. Quant à l’eau de roses qu'il ne décrit pas, comme s’il la supposait trop connue, il ne s’agit point d’un liquide auquel des pétales de roses auraient donné, par un contact plus ou moins prolongé, quelque chose de leur parfum, mais d’une eau distillée avec des roses; Ibn el-Awam déjà en avait indiqué la préparation; elle était analogue à ce qu'elle est aujourd’hui. Ainsi que le Ménagier de Paris’, les Herbiers français du xv° siècle, donnent un moyen plus simple de l'obtenir : 1. Vol. II, p. 252. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 467 La manière comme‘ l'en fait l'eaue rose ne pouvons pas exprimer se l’en ne la voit faire. Aucuns toutefois la font ainsi. I1z mettent roses avec eaue en une fiole de voire, en cette fiole mettent dedens ung pot? plain d'eaue bouillant, et ainsi cuisent les roses de la fiole avec l’eaue qui y est et devient rouge * et met on la fiole au soleil et se l'en met moult d'eaue avec ung peu de roses elle n’en est pas si bonne. Aucuns cueillent les roses avec la rosée qu'elles ont et les mettent en la fiole comme dit est, sans y mettre autre eaue et celle eaue rose faicte ainsi est tres bonne. L'eau de roses distillée, dont on a parfois attribué la découverte à Razès', ou même à l’alchimiste Glaber, qui vivait en Mésopotamie un siècle avant lui”, fut connue de bonne heure en Occident ; Cons- tantin Porphyrogenète en fait déja mention dans la description d’une fête donnée à la cour de Constan- tinople en 946*; elle avait donc pénétré en Europe dès le x° siècle; elle ne tarda pas non plus à péné- trer avec la fleur qui la produit dans l'Hindoustan, à la suite des Gaznévides. S1 l’eau de roses du moyen âge était tout autre que celle des anciens, le miel rosat décrit par Platearius n'était pas moins différent que celui dont parlent 1. Bibl. nationale, fr. 1230, fol. 164 b. Le man. 9136, f. 243 a, donne « comment », le 9163 « dont ». 2. Fr. 9136 et 12319, « vaissel ». Fr. 9136, « vermeille », « bouter ». . Loiseleur-Deslongchamps, La rose, p. 92. . Gmelin, Geschichte der Chemie, vol. I, p. 20. . Schleiden, Die Rose, p. 269. A OH © 468 LA ROSE AU MOYEN AGE. Pline et les autres écrivains latins. Pour le prépa- rer, on commençait par faire bouillir le miel qu'on voulait aromatiser; on l’écumait, puis on le coulait; ensuite on ajoutait des pétales frais de rose, dont on avait coupé l'onglet et on faisait bouillir le tout quelque temps. Pour préparer le sucre rosat, on pilait dans un mortier avec du sucre des pétales encore frais de rose; puis on mettait le mélange dans un vase de terre ou de verre, qu’on laissait pendant trente jours ex- posé au soleil, en ayant soin de le remuer chaque jour. Le Ménagier de Paris donne la recette plus simple de faire bouillir du sucre réduit en poudre dans de l’«eaue rose » jusqu’à consistance sirupeuse”. Le sirop de roses s’obtenait en faisant bouillir des pétales de ces fleurs dans de l’eau, à laquelle on ajoutait ensuite du sucre. On faisait l'huile de roses en mettant bouillir des roses dans de l’huile com- mune, puis on coulait le tout; ou bien on plaçait des roses et de l’huile dans un vase de verre que l’on faisait chauffer au bain-marie. Nous voilà loin des recettes primitives de Pline. Enfin Platearius parle encore d'une décoction de roses dans du vinaigre, sans rien dire toutefois de la manière de la préparer. Elle était la même, sans doute, que pour l'huile de roses. Je n'ait point l'intention d’énumérer toutes les propriétés médicales que le Livre de simple médecine 4. Vol. IT, p. 274. Il convenait de plus, d’après lui, de mettre par chaque livre de sucre un blanc d'œuf bien battu. LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 469 attribue à la rose” ou à ses produits; je me bornerai à en indiquer quelques-unes”. Le miel rosat, d’après lui, fortifie et mondifie, c’est un dissolvant puissant ; avec de l’eau chaude il relâche, avec de la froide il resserre. Le sucre rosat passait aussi, et cela ne doit pas surprendre, pour avoir des propriétés astrin- gentes et fortifiantes ; 1l en était de même du sirop et de l’eau de roses. Platearius conseille le premier contre la dyssenterie et la lienterie. Il était réputé bon encore contre les vomissements de bile, contre les syncopes et les troubles du cœur. Le sirop de roses était donné avec de l’eau de pluie contre le flux de ventre et les vomissements, et dans de l’eau de rose aux malades atteints de fièvre. On l’adminis- trait dans de l’eau froide contre les syncopes. L'huile de roses servait à oindre la région du foie dans les inflammations de cet organe; on en frottait égale- ment le front et les tempes pour combattre les mi- graines produites par le chaud ou le froid. L’eau de roses était employée contre la dyssenterie accompagnée de vomissements; on y ajoutait avec succès une décoction de mastix et de girofle. Aujour- 1. Voici ce qu'en dit, v. 19-22, le poète anonyme cité au com- mencement de ce chapitre : Humeur maise dedens le cors Le cervel, c’est desconforté, Ele degaste et boute hors. Par la rose est reconforté. 2. Ces propriétés ont été résumées en quelques mots dans le man. fr. 12308, fol. 165 b, de la Bibl. nationale : « Pour le saint- feu, pour la matrice et le ventre, pour la bouche, pour restreindre chaleur, pour l'estomac et le ventre, pour le chief, pour plaies, pour douleurs de dos, pour les yeulx. » 470 LA ROSE AU MOYEN AGE. d’hui encore, dans l’Hindoustan, c’est, avec quel- ques grains d’un médicament mystérieux, le zahar- mora (contrepoison), qu'on y dissout, presque le seul remède qu’on emploie contre le choléra’. Mèlée avec de la poudre et du sucre de roses, et concentrée au soleil, elle servait à oindre les gencives. On la prenait en boisson dans les syncopes et les affections du cœur; en collyre elle était excellente pour les yeux; elle servait à composer des espèces de pom- mades pour la figure, à cause de la propriété qu’elle avait d’assouplir la peau et de faire disparaître les éphélides de la face. Elle passait en Orient pour avoir une vertu purifi- cative. Quand Saladin se fut emparé de Jérusalem sur les Croisés en 1187, 1l fit laver avec de l’eau de roses les murailles et le parvis de la mosquée d'Omar, qui avait été transformée en église par les Chré- tiens. Sanuto rapporte, par une exagération mani- feste, que cinq cents chameaux furent nécessaires pour porter l’eau de roses employée en cette occa- sion”. Bibars, quatrième sultan de la dynastie des Mamelouks-Baharites, fit aussi laver, quand 1l la visita, la Kasbah de la Mekke avec de l’eau de roses”. 1. Schleiden, Die Rose, p. 271. 2. Les écrivains orientaux ne sont pas tombés dans cette exagé- ration; l’un d'eux, en rapportant ce fait, se borne à dire que Taki- Eddin, neveu de Malek-Adel, après avoir « lavé avec de l’eau les murs et les lambris à plusieurs reprises, y passa ensuite de l'eau de rose.» Reinaud, Extraits des historiens arabes relatifs aux guerres des Croisades. Paris, 1829, in-8, p. 214. 3. La Grande Encyclopédie, s. v. Bibars. he.‘ LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 471 Et Mahomet IT, après la prise de Constantinople, n'entra, dit-on’, dans l’église de Sainte-Sophie, con- vertie en mosquée, qu'après l’avoir fait purifier avec cette même eau. Les Chrétiens d'Orient ont adopté cet usage, et dans l’église du Saint-Sépulcre c’est en- core la coutume de laver avec ce précieux liquide la pierre sur laquelle, d’après la tradition, aurait été dé- posé le corps du Christ après la descente de la croix?. Quant au sucre rosat ou conserve de roses, il était recommandé aux estomacs débilités; on en prenait, ainsi que du diarrhodon à la rhubarbe, pour se donner du ton, surtout au printemps et en été*. Celui que l’on préparait à Provins était si renommé, que c'était un des présents qu’on offrait aux princes et aux rois, quand ils traversaient cette ville”. Le Livre de simple médecine, on doit s'y atten- dre, connaissait encore d’autres produits dans les- quels entrait la rose. Il donne entre autres comme un spécifique souverain contre les douleurs de reins ou de poitrine un emplâtre fait de pétales de roses (pilés) avec du blanc d'œuf et du vinaigre faible. Il préconise de même contre les vomissements une 1. Lebeau, Æistotre du Bas-Empire, vol. XXI, p. 282. 2. T.R. Joliffs, Reise in Palästina, etc., ap. Schleiden, p. 270. 3. « Pour conforter l'estomac », dit le Wénagier de Paris, Lo p. 274. En estyeu o vas lo pascor, (e) tu prent de sucre rosat, dyarrodon reubarbizat. Diätetik, v. 81-83 (Herm. Suchier, Denkmäler provenzalischer Literatur und Sprache, Halle, 1883, in-8, p. 203). 4. Loiseleur-Deslongchamps, La rose, p. 100, 472 LA ROSE AU MOYEN AGE. décoction de roses dans du vinaigre, dont on imbibe une éponge qu'on place sur « l’orifice de l'estomac ». La rose était aussi employée seule; ses pétales desséchés, dit Platearius', mis sous les narines, forti- fient le cerveau; contre la diarrhée cholériforme, il conseille aussi une décoction de roses dans de l’eau de pluie. Un cataplasme de pétales de roses préala- blement bouillis était excellent, d’après lui encore, contre la rougeur des yeux. Les étamines, que Pla- tearius appelle anthères, déjà utilisées dans l’anti- quité, ont été également employées par l'École de Salerne. Elles passaient pour bonnes contre le flux de ventre et les vomissements. En décoction dans du vinaigre pur ou rosat, on s'en servait pour se garga- riser, après l'extraction d’une dent. Réduites en poudre elles calmaient l’inflammation de la luette. Si le moyen âge s’en tint aux propriétés attribuées à la rose par le Livre de simple médecine, les phar- macologues de la Renaissance devaient renchérir encore sur l'importance médicale attribuée à la rose par le maître de l'École de Salerne. « Il n’est point de simple, remarque Rosenberg”, indigène ou exo- tique, qui soit plus utile, plus nécessaire et plus agréable. » «Il n’y en à point, ajoute-t-1l, qui four- nisse autant de remèdes, soit internes, soit externes.» « Elle est, dit un autre auteur*, la lumière et la richesse des pharmacies. » 1. Circa instans, p. 122. 2. Rhodologia, « Praeludium », p. 1 et pars IT, cap. xvrur, p.225. CO « Non esset vel lux vel luxus apothecis, si Rosa pharmacopaeis LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 473 À cette époque de faveur extrême, la rose eut le privilège d'entrer dans la composition de quelques- uns des spécifiques les plus célèbres : tel que le sirop d’or du duc de Mantoue, l’or potable de Roderic a Fonseca, le secret royal, envoyé en présent par Élisabeth d'Angleterre à l’empereur Rodolphe 11°, et, plus anciennement, l’aquavit de Frédéric II. Le hasard heureux qui fit découvrir, au commence- ment du xvri° siècle”, l’essence de roses, — attar- gul, — vint encore augmenter, avec le nombre des produits, le renom pharmaceutique de la rose. La rose sauvage n'était guère d’un moindre em- ploi que la rose cultivée. D’après Albert le Grand’, une infusion de ses pétales est bonne pour les enfants atteints de rachitisme; en gargarisme 1ls calment les maux de dents; sa racine passait aussi pour salutaire contre les crachements de sang et pour les estomacs débilités; on la disait encore bonne contre la constipation, ainsi que pour les fractures anciennes. Elle passait également pour souveraine desideraretur. » Minderer, Aloedarium. Vindeb., 1616, cap. x1, p. 153. « On en retire tant de choses, dira encore Pomet à la fin du xvue siècle, en ne parlant toutefois que de la rose de Provins, que sans elle la médecine ne serait pas si florissante. » Histoire générale des drogues. Paris, 169%, in-fol., p. 1784. 1. J. C. Benemann, Die Rose zum Lobe 1ihres Schüpfers. Leipzig, 1742, p. 43, ap. Schleiden, p. 166. 2. En 1612, à l'occasion d une fête donnée par la sultane favorite Nur-Djihan au grand-mogol Djihan-Guir. L. Langlès, Recher- ches sur la découverte de l'essence de rose. Paris, 1804, 1in-8. 3. De vegetabilibus, lib. VE, tract. I, cap. 1x (44), p. 359. Ce que dit Albert s'applique surtout à l’églantier rouillé. 474 LA ROSE AU MOYEN AGE. contre les fièvres de longue durée. Mächée et mise sur une piqüre de scorpion, elle en attirait le venin. Ses graines aussi étaient excellentes contre la mor- sure des reptiles et dans beaucoup d’autres cas. Loin de diminuer, l'efficacité supposée de l’églan- tier ne fit que croître à la fin du moyen âge et au commencement des temps modernes. Une décoction de ses graines, dit Conrad de Megenberg”, guérit les enfants dont les membres ont souffert de mouve- ments trop brusques. D’après lui encore, la sève en est bonne en gargarismes contre les maux de dents. Et il ajoute avec Albert que sa racine est excellente contre les crachements de sang, ainsi que dans les maladies d'estomac et les fièvres paludéennes. Ha- gendorn”, un siècle et demi plus tard, reconnaîtra à l’églantier encore bien d’autres vertus ; il n’énumère pas moins de trente-trois maladies, la plupart même dangereuses, telles que lépilepsie, l’hydropisie, le croup, l’hémoptysie, le goître, les hémorrhoïdes et la podagre, contre lesquelles cet arbuste offrait un remède assuré. Mais on n’attribua pas seulement des propriétés curatives ordinaires à la rose cultivée ou sauvage, on lui en reconnut aussi de merveilleuses et de surna- turelles. Telle était la vertu soporifique attribuée par les anciens Germains à l’églantier. Odin, irrité contre la walkyrie Sigurdrifa, qui avait tué Hialmgunnar son protégé, la plongea dans le sommeil, en la tou- 1. Das Buch der Natur, p. 316, 8. C. von Megenberg parle plus particulièrement des fruits de la X. rubiginosa. 2: Cynosbatologia, ap. Schleiden, P- 186, vel LA ROSE DANS LA PHARMACOPÉE. 475 chant avec une branche de cet arbuste — Île spefn- thorn'. L'excroissance moussue produite sur l’églan- tier par la piqûre du Cynips rosae — le bédégar — passait surtout pour posséder cette propriété d'endormir*; on croyait qu'un homme plongé dans le sommeil, sous la tête duquel on place cette ex- croissance, ne se réveille point qu'on ne l'ait enlevée. Près d’une image de Notre-Dame, non loin de Lucques, croissent des roses dont le parfum suffit un jour pour faire parler un petit berger muet de nais- sance, qui cueillit l’une d’elles”. Il y a dans ce fait merveilleux quelque chose d’analogue à l’action mi- raculeuse que la rose exerce sur les possédés. Mais c'est dans les incantations surtout que cette fleur a pris place; en Westphalie, on arrète le sang au nom des trois roses symboliques qui sont supposées se trouver dans le jardin du ciel*: | Dans le jardin de Dieu, il y a trois roses; l’une s’ap- pelle bonté de Dieu ; la seconde, sang de Dieu; la troi- sième, volonté de Dieu; sang, arrête-toi, je te l’or- donne. Q 1. Die Edda, die ültere und jüngere übersetzt von Karl Simrock. Stuttgart, 1864, in-8. « Sigrdrifumäl », p. 204. 2. J. J. Grimm, Deutsche Mythologie, vol. Il, p. 1007. 3. Wolfg. Menzel, op. laud., vol. II, p. 282. %. In Gottes Garten stehn drei Rosen, Die eine heisst Gottes Güte, Die andere Gottes Geblüte, Die dritte Gottes Wille, Blut, ich gebiete dir, stehe stille. A. Kuhn, Sagen, Gebräuche und Mürchen aus Westphalen, vol. IE, p.199, 476 LA ROSE AU MOYEN AGE. Certains idiomes, nous l’avons vu, ont donné à l’érysipèle le nom de rose; ce mot est ainsi entré dans plusieurs formules magiques destinées à guérir la maladie qu'il désigne. En voici une qui est usitée dans la région du Minho ‘: Que faire à la rose vermeille qui ici mord, brüle et point? Donne-lui du sel de la mer et de l'herbe de la montagne... et Notre-Dame permettra que ce mal dimi- nue.. Que Dieu te rende à ton premier état, tel que tu naquis et fus créé. La suivante est employée dans la Lithuanie* : Neuf roses flottent sur la mer, trois noires, trois blan- ches et trois grises. Les noires s'enfoncent sous l'eau, les grises aussi, seules les blanches surnagent et fleu- rissent. Qu'ainsi, semblables aux roses abîmées dans les flots, disparaisse cette maladie ; qu'ainsi, semblable aux roses blanches et fleuries, fleurisse de nouveau ta santé. IT: Comme dans l’antiquité, la rose et ses produits ne furent pas, au moyen âge, employés seulement dans la médecine, ils le furent encore comme cosmétiques et dans la cuisine. L’eau de roses jouait un rôle con- sidérable dans les usages de l’Orient; on en offrait 1. Que faria a rosa vermelha Que a Senhora permittirä Que aqui come, arde e doe? Que este mal abrandara… Dä-lhe com sal do mar Deus te torne a teu estado, E herva do monte... Como foste nado e creado. Ad. Coelho, Romances sacros, oracoes e ensalmos popu- lares do Minho {Romania, vol. IIF, p. 276.) 2. Potebnia, Obrasnenia, etc., p. 110, s LA ROSE DANS L ART CULINAIRE. 477 aux hôtes à leur arrivée; dans les festins on en répandait sur les convives. Sucrée et rafraîchie avec de la neige, c'était aussi, dès le vinr° siècle, un breu- vage recherché des femmes musulmanes". Dans les fètes princières de l'Inde, on offre aujourd’hui encore de l’eau de roses auxinvités pour se parfumer la barbe et les cheveux. Cet emploi de l’eau de roses passa de l'Orient en Occident, peut-être à la suite des Croi- sades; c’est depuis lors du moins qu’on rencontre l'usage de se laver la figure avec ce liquide*. Avant de se mettre à table, les dames se lavaient les mains avec de l’eau de roses”. Après le repas, on se net- toyait aussi la bouche, en France du moins, avec une espèce de poudre et cette mème eau‘. Dans le Cha- tüiment des dames de Francesco Barberino, on voit les femmes de la jeune reine lui laver les mains et le visage avec de l’eau de roses, avant de la conduire à la couche nuptiale”. 1. Kremer, Aulturgeschichte des Orients. Wien, 1875, vol. I, p- 149. Ibn-Batuta dit qu on en offrait aux invités avec du sirop. Il parle aussi de sorbets que les Persans faisaient avec du jus d'orange et de citron, des roses et des violettes. Voyages, I, 247 et 366,11, 78. 2: D'eve rose (ont) lor vis lavés. Parten., v. 10660. 9: Prisent l’aigue en dorés bacins Aigue rose tot a fuison, Onques d'autre n'i lava on. Parten., v. 10846. Et quant ce vint a la parclose <> Letuaires et eve rose Por laver sa bouche et son vis. Cortois d'Arras, v. 79 (Méon, Fabliaux, vol. I, p. 382). Lavano il viso elle mani alla donna D'acqua rosata. Parte V, p. 128, v. 58. ox 478 LA ROSÉ AU MOYEN AGE. Comme aujourd’hui, on recherchait les roses et les violettes, à cause de leur parfum, regardé comme fortifiant; le traité provençal de Diététique, publié par M. Suchier, recommande de s’en faire apporter en été, « pour sentir bon »'. On faisait aussi usage de pétales desséchés de roses, surtout de roses de Provins, pour parfumer les vêtements, et peut-être pour les préserver des mites”*. L'eau de roses et la rose elle-mème n’occupaient pas moins de place, au moyen âge, dans les usages culinaires que dans la toilette. Les habitants des lacustres de la Suisse paraissent déjà avoir mangé les fruits de l’églantier*. Au moyen âge on en fai- sait une espèce de compote. Peut-être aussi faisait- on déjà frire alors dans une pâte légère des pétales de rose, comme on le fait aujourd’hui dans l’Alle- magne méridionale. En Orient, nous apprend Abdellatif, ils entraient dans la composition de divers mets et pâtisseries. Le sirop de roses, lui, servait, avec du gingembre, de la cannelle, du jus de citron et plusieurs autres ingré- dients, à faire une sauce qu'on versait sur une espèce de pâté rempli de poulets et de petits oiseaux*. Dans l'Allemagne méridionale les pétales de roses 1. En aprop ti fai aportar en estieu entorn lo pascor… d’espetias per bon flairar... de rozas o de violetas. V.93-99. 2. Ménagier de Paris, vol. II, p. 252. 3. Heer, Pflanzen der Pfahlbauten. Zurich, 1866, in-4, p. 29. 4. Relation de l'Egypte, trad. de S. de Sacy, p. 311 et 317. LA ROSE DANS L'ART CULINAIRE. 479 servaient aussi à assaisonner les « poulets à la grec- que », plat qui paraît avoir été prisé au xv° siècle”. Mais c’est l’eau de roses surtout qui, depuis le xin° siècle, a joué dans la cuisine un rôle considérable; on l’employait comme assaisonnement dans les sauces, dans les ragoûts et mème dans diverses soupes”. Arnaud de Villeneuve, qui blämait l'usage immodéré des épices, permettait, dit-on, d'apprèter la volaille avec du vin, du sel et de l’eau de roses. D'après le Meénagier de Paris”, les perdrix rôties se mangeaient «au sel menu ou à l’eaue rose et un petit de vin ». Elle entrait aussi dans la préparation de ce « blanc- manger », que le cuisinier des Canterbury Tales excellait à faire“. Suivant Le Grand d’Aussy, l’eau 1. On les préparait en mettant ensemble des poulets rôtis et de la chair de porc bouillie; puis on y ajoutait un quarteron de roses, du gingembre et du poivre, du vin et du vinaigre, avec du sucre et du miel; après quoi on faisait revenir le tout sur le feu. Edm. O. von Lippmann, Geschichte des Zuckers. Leipzig, 1890, in-8, p. 240. 2. Le Grand d'Aussy, op. laud., vol. Il, p. 244. Le Grand cite en particulier, p. 230 et 232, la « soupe dorée » et la «soupe au chènevis » où entrait de l’eau de roses. 3. Vol. II, p. 183. &. For blanc manger he madè with the best. John Saunders, Chaucer’s Canterbury tales annotated, p.162, donne la recette de ce mets, d'après À proper new Booke of Cookery de 1575; on le faisait avec le blanc d'un chapon bouill, puis séché et ensuite cardé, qu’on mélait avec du lait, de la crème et de la farine de seigle; on mettait le tout dans une poêle sur le feu, on l’agitait et quand il commençait à bouillir, on ajou- tait une demi-livre de sucre en poudre et un gobelet d’eau de rose. Taillevant, cité par Le Grand d'Aussy, IF, 252, avait, un siècle auparavant, donné de ce mets une recette analogue. 480 LA ROSE AU MOYEN AGE. de roses servait également dans la confection de certains desserts; on l’employait en particulier, dit-il, pour assaisonner les cerneaux. Il parle aussi de tartes aux prunes et à l’eau de roses". Chose surprenante, la rose, dont le parfum est si suave et si recherché, a été parfois un objet d’anti- pathie. D’après Michel Glykas”, qui se fait 1e1 l'écho d’une croyance de l'antiquité, les vautours et les coléoptères fuient le parfum des roses. Il suffit aussi pour tuer les escargots, suivant le persan Enweri*. Des hommes eux-mêmes, dit-on, l’ont redouté; le cardinal Olivier Caraffa quittait Rome dans la sai- son des roses et allait s’enfermer dans son pare, voisin du Quirinal, afin d'éviter toute visite qui pût lui apporter l’odeur de ces fleurs. Quand le doge de Venise, Francesco Venerio, allait à l’église les jours de grandes fêtes, il avait soin d’en faire enlever les guirlandes de roses, dont l’odeur l’eût fait tomber sans connaissance”. [Il arrivait au cardinal Henri de Cordoue, et à un dominicain de la famille des Bar- berigi de Venise, de tomber aussi sans connaissance lorsqu'ils sentaient et le dernier mème quand il voyait de loin une rose”. . Op. laud., vol. TIE, p. 275. . M. Glykas, Annales. Venetiae, 1729, in-fol., p. 39,4. . Schleiden, Die Rose, p. 266. . Rosenberg, Rhodologia, p. 216. . Schleiden, Die Rose, p.182. © D = O1 BIBLIOGRAPHIE: Bez (J.), La rose. Histoire et culture. Paris, 1892, in-8. *Benemanx (J.-C.), Die Rose zum Ruhme ihres Schüpfers. Leipzig, 1742. Buc'roz (J.-P.), Monographie de la rose et de la violette, considérées sous leur aspect d'utilité et d'agrément, etc. Paris, 180%, in-8. Cagraxr-Lovarezrr (E.), La festa delle rose.{ Nuova antologia, 1er nov. 1888, vol. XVIII, 3e série). Guesxer (A. DE), La rose chez les différents peuples anciens et modernes. Description, culture et propriétés des roses. Paris, 2° éd., 1838, in-8. GuErRAPAIN (T.), Almanach des Roses. Troyes, 1811, in-18. Guizremeau, Histoire naturelle de La rose. Paris, 1800, in-12. *Hacexporx (Ehr.-Fried.), Cynosbatologia. enae, 1681, in-8. *Hermanx (Joh.), Dissertatio inauguralis de rosa. Argentorati, 1672, in-#. Jorer (Charles), La légende de la rose au moyen &ge chez les nations romanes et germaniques. Macon, 1890, in-8. 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Cette bibliographie ne comprend que les ouvrages qui traitent exclusivement de la rose; j ai marqué d'un astérisque ceux que je n'ai pu consulter moi-même. JoRET. La Rose. 31 ADDITIONS ET CORRECTIONS Page 3, note 5, der alten bre : des alten = 48 mote À, we — — 50, note 4, tepa — spa — 83, note 4, zavya... ’avûet — zavy3... avber — 140, note 1, scabaei — scarabael — 169, lig. 5, épines — aiguillons — 193, note 3. Miklosisch — Miklosich — 207, lig. 3, gaement — gaiement = 935, note #, vividario — viridario — 239. Un renseignement, qui me paraissait digne de toute confiance, m'a fait croire que la poésie religieuse de la Grèce igno- rait la comparaison de la Vierge avec la rose; le fragment suivant d'un poème du mont Athos, communiqué par le cardinal Pitra à Rohault de Fleury /La sainte Vierge, etc., 1, 382), nous offre néanmoins celte comparaison : ELXÂGAS ALVALOLOV, vAPÈOV, 20020, 4PIVOV, 60dwv uÜcov TE at x4ÀUxa. Page 285, note 1, L. 4, effacer pg. — 293, note 1, v. 2, geitchte lire : getichte — 315, note 1,1. 3, Antwerpener Liederbueklire: Antwer- per Liederboek. — 315, note 3, v. 2, cel lire : edel —"319,;mote2, v.93,-krant —kKraut: — 356, note 4, 1. 6, Stuckins — Stuckius. Pages RUE Eat DOS ET RS NA TR PT SRE US PREMIÈRE PARTIE. LA ROSE DANS L'ANTIQUITÉ. Cuarrrre 1°, — Des espèces de roses connues dans l'antiquité. . . il Cuaprrre Il. — Culture de la rose dans l’antiquité. . . . . . 20 Cuarrrre III. — La rose dans les légendes et dans la poésie des Grecsebdes Romains Mein EN EL UE 45 Cuaprrre IV. — Usages de la rose chez les Grecs et les Romains. . ss CmaApirre LV. [La rose dans l’ancien Orient... : .. ... " 129 Cmarrrre VI. — La rose dans la pharmacopée grecque et romaine. 129 P pee grecq SECONDE PARTIE. LA ROSE AU MOYEN AGE. Cuapirre 1°. — Culture de la rose dans l'Orient et dans l’Occi- ENT NON SEE TE PIE ae RTE AGE 141 Cnarrrre Il. — La rose dans les légendes et dans la poésie de l’Orient. La rose et.le rossignol. . . . .. . 196 Cnaritre III. — La rose dans les légendes chrétiennes. . . . . 23 Cuarrrre IV. — La rose dans les légendes profanes et dans la poésie HebOECiIden NEA A CN ER ST ue TA rte 985 Cuaprrre V,. — La rose dans les usages de la vie, dans le culte et Go ETES ENT PRO ETES Cuarirre VI. — La rose dans la pharmacopée et dans l’art culi- MR PU NP MT EM CNE LANCE, ue ve FAO Pa EE ONE A NS RE Rent | M TONS ET CORRECTIONS A Le 4 MU dé AU) UT te ler 28e CHARTRES, —- IMPRIMÉRIE DURAND, RUE FULBERT, 1 LAC , À LA " }) ? ANA PORN DR / RCE, : LE mi ti Lg AMEN . À : HN « ù y, 4 1" rl L 4 A 00 u & UNE ENT \ l. RD /H CARO EPINEAX D PAT LA CUTH HE LE X t vi RAS L VA ù } à VIA "6 AN PL 1) e i ils y RUN # HU 3 5185 00074 300: LS