THE LIBRARY

OF

THE UNIVERSITY

OF CALIFORNIA

LOS ANGELES

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COLLECTION PLACEE SOUS LE HAUT PATRONAGE

DE

l' AD M INI STR A TIC N I E S BEAUX-ARTS

COURONNÉE PAR l' ACADÉMIE FRANÇAISE (Prix Montyoïi)

ET

PAR J, 'académie des BEAUX-ARTS

(Prix Bordin)

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(^et ouvrage a été déposé au Ministère de l'Intérieur

en décembre 1S87.

BIBLIOTHEQUE DE L' E N S E I G N E M E B T DES BEAUX-ARTS

IMJHLIÉK SOUS LA IllIlECTlON DU M. .1 U L I{ S COMTK

L'ART

CHINOIS

PAR

M. PALÉOLOGUE

SECRETAIRE D AMBASSADE

PARIS

MAISON QUANTIN

COMPAGNIE GENERALE D'IMPRESSION ET D'EDITION

7, RUE SAINT-BENOIT

Art LibFary

MONSIEUR G. COGORDAN

MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE

Je vous offre ce volume, mon cher ami, en témoi- gnage de mon affectueux dévouement, en souvenir de nos longues causeries à travers les rues de Pékin, sur les bords du Peï-lio, sur les routes de Corée.

Novembre 18S7.

SoGO^l

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in 2009 with funding from

University of Ottawa

http://www.archive.org/details/lartchinoisOOpale

PRÉFACE

Dans un temps la critique a porté ses efforts sur des sujets si variés et par des voies si diverses qu'elle semble n'avoir rien laissé d'inexploré dans le domaine des connaissances accessibles, l'art chinois a eu la singulière fortune d'échapper à toute recherche. Parmi tant d'excellents travaux l'on s'est proposé d'assigner à la civilisation de l'Empire du Milieu sa place dans l'histoire du monde et de déterminer sa signification dans le développement de l'humanité, il n'en est pas un qui présente sur les manifestations esthétiques du génie chinois des idées générales ni des vues particulières. Une longue suite d'œuvres, d'une inspiration puis- sante ou délicate, ont été créées; des générations d'artistes doués d'une manière originale de penser et de sentir, émus d'une façon particulière aux spectacles de la nature et de la vie, se sont succédé; tout un monde de formes gracieuses ou gran- dioses a été évoqué, pendant près de quarante siècles,

PREFACE.

et l'histoire n'en est même pas encore ébauchée. Ni l'architecture, ni la sculpture, ni la peinture, ni ces arts qu'on est convenu d'appeler secondaires, n'ont été l'objet d'une étude d'ensemble ou de recherches spéciales. Seule, la céramique, dont les produits ont depuis longtemps accaparé la curiosité européenne, a donné lieu à des monographies complètes.

Entrepris dans de pareilles conditions, le présent ouvrage est nécessairement condamné à plus d'une erreur, à plus d'une lacune. Il me faut donc faire appel dès maintenant à l'indulgence du lecteur. Je ne me suis proposé d'ailleurs que de réunir le plus grand nombre de faits possible, de les contrôler, de les classer et de tirer de leur groupement les pre- mières conséquences : je voudrais avoir tracé de l'art chinois et de son histoire une esquisse que quelque personne plus autorisée reprendrait plus tard. C'est la seule ambition qui m'ait tenté.

Ce livre pourra paraître fort incomplet à un certain point de vue. Ce n'est pas, en effet, un manuel du collectionneur. Il m'a semblé plus inté- ressant d'étudier l'art chinois dans ses grandes lignes, d'en montrer les caractères généraux, d'en marquer les progrès et les transformations, et d'en définir les styles. Je n'ai donc indiqué que som-

PREFACE. 9

mairement les procédés qui permettent de contrôler l'authenticité d'un objet et d'en déchiffrer les mar- ques. De parti pris aussi, j'ai laissé hors de mon étude tous les objets qui pour précieux qu'ils pussent être aux yeux des collectionneurs pré- sentaient un intérêt de curiosité et non une valeur d'art.

Je m.e suis servi, à la fois, des notes que j'avais prises à Pékin et des documents bibliographiques dont on trouvera la mention dans le cours de l'ou- vrage. Les collections particulières qui m'ont été ouvertes à Paris m'ont fourni aussi de très précieux éléments d'étude et ont complété ou rectifié, sur bien des points, mes souvenirs de voyage. MM. L. Gonse, S. Bing, H. Cernuschi, R. de Semallé et M. Gentien voudront bien trouver ici l'expression de ma grati- tude pour l'empressement avec lequel ils ont mis à ma disposition les spécimens d'art chinois réunis par leurs soins.

Je priverais cet ouvrage de sa plus sérieuse re- commandation si je ne témoignais du concours obligeant que m'ont prêté MM. G. Deveria, secré- taire-interprète du Ministère des affaires étran- gères, et A. Vissière, premier interprète de la Léga- tion de France à Pékin. Leur expérience m'a été d'un grand profit, particulièrement pour l'indication

10 PREIACE.

et la critique des sources, pour la traduction des textes et le déchilîrement des inscriptions. Je dois, en outre, à M. G. Deveria la communication d'études historiques encore inédites j'ai puisé d'intéres- sants renseignements, et d'un important dossier de notes qui m'a fourni la trame même du chapitre consacré à l'histoire de la peinture.

L'ART CHINOIS

LE BRONZE

LES BRONZES RITUELS

/V/^;ilrr"? DÈS la plus haute anti- ' n -*i^ w quite dont les annales - ( ^ _:' OU les traditions nous y'.f -'-» aient transmis le sou- V venir, les Chinois con- ■■-^ naissaient Part de fabri- quer et de décorer le '-^yj bronze, et Ton peut dire \^ que cet art a été le lan- [ij,\v^,\é^) gage spontané des épo- ques archaïques de leur histoire, le moule naturel de leur pensée primitive.

Dans les temps les plus reculés, à la limite même de Tère mythique et de la période positive, c^est-à-dire vingt-sept siècles avant notre ère, on savait fondre et ciseler Tairain, et, en Pan 2220, la technique du bronze

L'ART CHINOIS.

était assez perfectionnée pour que l'empereur Yu pût

faire graver sur des vases la description figurée des neuf provinces de son em- pire^

Quelque réserve que Ton doive apporter dans l'admission de faits aussi anciens et dans l'adoption d'une chronologie qu'au- cune critique sérieuse n'a encore rectifiée, on peut affirmer qu'à la fin de la deuxième dynastie, celle des Chang, qui gouverna la Chine de 1783 à 11 34 av. J.-C, le travail des métaux avait tous les ca- ractères d'un art avancé. Ainsi que nous le verrons par la suite, il est établi, en effet, que sous le règne des premiers souverains de la dynastie suivante-, Kou, roDR CONTENIR LE Ics artlssns chinois créè- rent des formes et une dé- coration très savantes. Or,

à moins d'admettre que ceux-ci parvinrent, d'un seul

VIN SU SACRIFICE.

(D"nprès le Ta-Ths'ing-houei-iicn )

1. Cf. Ed. Biot, Considérations sur les anciens temps de rhistoire chinoise. Joiirn. asiat., VIII, 4* série.

2. Dynastie des Tcheou. (ii34-23b av. J.-C.)

LE BRONZE. ij

effort de leur imagination, à une science aussi consom-

//.'fz/oirti-lJ.''

VASE HI-GHEOU-IEÏ, POUR CONTENIR l'eAU DU SACRIFICE.

(D'après le Ta-Thsing-hoiicï-tini.)

mée, sans jamais connaître ni timidité dans Tinspira- tion ni tâtonnements dans les procéde's, on est amené

1+ L'ART CHINOIS.

à penser que, longtemps avant eux, Tart chinois avait commencé de naître, et que, pendant plusieurs siècles sans doute, il avait cherché sa voie et ébauché ses pre- mières conceptions.

Par ses formules comme par son objet, l'art du bronze était intimement lié aux anciennes croyances de la Chine.

Le Ciel et la Terre étaient adorés comme les formes matérielles d'un a Souverain suprême », Chmig-ti, dont les attributs restaient vagues et indéfinis. L'Em- pereur seul avait le droit desacrifier à cet Être suprême, et ce privilège lui est encore réservé.

A côté de ce culte supérieur, on adorait les Esprits des Montagnes, des Vents, des Astres, des Fleuves. Il semble que, comme les Aryens de l'époque védique, les Chinois des temps primitifs concevaient, au delà de ces phénomènes, les forces dont ils émanent, et que, sans croire à leur réalité personnelle, ils leur prêtaient la vie et la puissance.

Enfin, le Culte des Ancêtres, qui consistait, comme aujourd'hui encore, non pas en pratiques d'idolâtrie, mais en actes d'hommage et de respect envers la mé- moire des défunts, complétait la religion officielle, la seule qui existât alors par toute la Chine, si l'on ne tient compte des superstitions accréditées çà et dans le peuple *.

I. L'histoire de la religion des Chinois dans les temps anciens n'a jamais été traitée avec une méthode vraiment scientifique ni avec une critique suffisamment éclairée. L'étude de leur méta- physique religieuse et des origines de leurs rites, dont la con- naissance exacte éclairerait bien des points de leur art primitif, n'est même pas ébauchée. On ne possède encore à cet égard que

LE BRONZE.

'S

Le philosophe Confucius (Koung-fou-tse) , qui vivait au vr siè- cle avant notre ère et dont les idées morales ont, pour ainsi dire, façonné Tesprit chinois tel qu'il est en- core aujour- d'hui, a enve- loppé dans sa doctrine les tra- ditions religieu- ses primitives, et le Culte d'État n'a plus fait qu'un seul corps de prescriptions et de pratiques avec le Confu- cianisme.

La fabrica- tion des objets sacrés destinés aux cérémonies de cette religion a été la première manifestation de

VASE NEl-YEN-YOU.

(D'après le Ta-Ths'uig-hotui-tien.)

des notions incertaines et des interprétations mal justifiées. Nous nous sommes borné à résumer dans ce chapitre les don- nées fournies par l'ouvrage d'Edkins, Religion in China, ch. ii et

VIII.

,r, L'ART CHINOIS.

l'art chinois et elle lui a inspiré ou plutôt dicté, dès Torigine, àts formes et un décor particuliers.

Les formes. Par une particularité de Pesprit chi- nois, toutes les formes qui furent créées alors nous ont été religieusement transmises et conservées.

On sait, en effet, que dès la plus haute antiquité toutes les manifestations de la vie individuelle, re- ligieuse, sociale ou politique ont été soumises en Chine à un formalisme rigoureux, à la loi sévère des Rites.

Or les mêmes Rites, qui ont réglé,, en tous ses dé- tails, le culte primitif, ont déterminé en même temps les formes des vases réservés à l'accomplissement de ces cérémonies, et ils y ont pourvu avec une précision si minutieuse et si impérative, que les bronzes fabriqués aujourd'hui pour les sacrifices officiels sont encore composés du même alliage, ont le même galbe, les mêmes dimensions en tous sens et le même poids que ceux qui furent fondus dans le même but il y a plus de 2,5oo ans.

Des Rituels étaient rédigés, toutes ces formes, toutes ces mesures se trouvaient consignées. Tels étaient le Y-li, le Tcheou-li^ et le Li-ki, qui faisaient partie des livres canoniques, ou Kings. D'autres Rituels ont été composés postérieurement par lés dynasties qui se sont succédé au trône de Chine, et ont assuré à travers les siècles la suite des traditions. Parmi les ca- talogues officiels reproduisant les objets de l'art primitif

I. Cf. Biot, le Tcheoii-li ou les « Rites des Tcheou » (ii34 à 255 av. J.-C). Le marquis d'Hervey Saint-Denis a achevé la tra- duction des dernières sections de cet ouvrage.

LE BRONZE. 17

destinés au culte et à raccomplisscment des Rites, il faut citer :

Le Po-kou-toii^ ou « Figures à\\n grand nombre d'antiquités » composé vers l'an 1200, sous la dynastie des Soung;

Le Si-tlising-kou-kic?i, ou « Mémoire des anti- quités de la pureté occidentale ^ », ouvrage en quarante- deux volumes, composé par ordre de l'empereur Kien- long en 1749, et contenant la description et la gravure de tous les objets anciens déposés au Palais impé- rial ;

Le Ta-Thsing-IîOueï-tten, ou Recueil des statuts delà dynastie actuelle des Thsing.

Ainsi, à son origine même, à cette heure impor- tante entre toutes dans les civilisations primitives oti les formes se créent et les types se formulent, à ce mo- ment où les arts, prenant leur essor, ont le plus besoin de liberté et de franchise, quand tout doit être inven- tion spontanée et imagination active, l'esthétique chinoise se trouva étroitement enserrée entre les pres- criptions obligatoires et routinières des Rites.

Par là, la convention et la routine qui n'apparais- sent généralement dans l'art que chez les peuples vieillis, épuisés par une trop féconde production ou las d'une trop longue activité, s'imposèrent dès le premier jour aux artistes de l'Empire du Milieu, les dispensèrent de toute interprétation personnelle, de toute recherche expressive, et les astreignirent à répéter lidèlement, ser-

I. Ainsi qualifié, parce que ces antiquités ont été trouvées principalement dans les provinces occidentales de la Chine les trois premières dynasties avaient leur cour.

l'art chinois. 3

i8 L'ART CHINOIS.

vilement, avec une exactitude machinale, des types im- muablement arrêtés.

Ce fut en outre, pendant près de quinze siècles, la singulière fortune de la Chine de demeurer presque étrangère au reste du monde et d^échapper à ces grands mouvements philosophiques ou religieux qui, en re- nouvelant les idées et la conscience d^un peuple, modi- fient par contre-coup ses conceptions esthétiques et l'affranchissent plus ou moins de ses traditions.

Jusqu'à l'introduction du bouddhisme, en effet, c'est-à-dire jusqu'à la fin du i" siècle de notre ère, l'Empire chinois offrit le spectacle d'une civi- lisation sans contact continu et sans mélange avec les civilisations étrangères, et d'un art immobile, se répétant indéfiniment, sans progrès, sans luttes d'é- coles.

Ce qu'ont pu être les œuvres produites sous une pareille inspiration, on le pressent aisément. Si quel- ques vases ont de l'élégance, de la pureté de contours, la plupart des formes sont lourdes, barbares, mal équi- librées dans leurs proportions. On y devine la préoccu- pation de l'artiste ou, pour mieux dire, de l'ouvrier, de respecter le canon qui lai est imposé, de mesurer avec précision la courbe d'une panse, l'évasement d'un col, le profil d'une gorge, l'écartement des pieds, de repro- duire fidèlement le dessin du décor et le symbolisme des figures.

Même dans les galbes les plus heureux, on sent je ne sais quelle gaucherie, quelle raideur hiératique. Les vases dits cornets, les lagènes, quelques spécimens de coupes, des cratères révèlent en effet un sentiment plas-

LE BRONZE. 19

tique assez élevé : il faudrait peu de chose pour en faire

VASE Hl-rS OUEN, POUR RECEVOIR LE SANG DE LA VICTIME.

(D'après le Ta-Thsing-hoiieï-tien.')

des œuvres irréprochables et de grand style; mais ce qui manque, c^est précisément cette liberté d^inspiration

20 L'ART CHINOIS.

et cet amour des lignes pures qui guidaient la main des bronziers et des céramistes d'Athènes ou de Co- rinthe.

Nous les retrouverons plus tard, toutes ces formes archaïques, quand une influence étrangère, renouvelant Tart chinois, les empruntera pour les assouplir, les alléger et en mieux pondérer les éléments, et nous sen- tirons mieux alors de quel poids a pesé sur les artistes primitifs le rituali^me du culte officiel.

Le décor. Les motifs ornementaux que Ton re- trouve sur les bronzes primitifs sont de deux sortes :

Des motifs géométriques, simples ou compliqués, symétriques ou dissymétriques;

2" Des formes naturelles, que Tartiste a tantôt repro- duites conformément au modèle placé devant ses yeux (animaux, profils de montagnes, nuages, etc.), tantôt transfigurées par un effort de son imagination (dragons, chimères, phénix, etc.).

Parmi les motifs de la première catégorie, le plus usité est la grecque, appelée par les Chinois leï-oiien,

LEl- O U E N,

« festons ayant la forme du tonnerre «, que Ton retrouve sur les produits de la poterie hellénique et étrusque. Il est à remarquer que, tandis que ce dessin décoratif ne figure qu'à titre accessoire sur les terres cuites de la

LE BRONZE.

céramique occidentale, elle est le plus souvent, sur les bronzes chinois, le principal et quelquefois même le seul ornement.

VASE HI-TS'OUEN, POUR RECEVOIR LE SANG DE LA VICTIME

(D'après le Ta-Thsiiia-houct-tien.)

On a pensé pouvoir conclure de cette ressemblance entre deux motifs décoratifs, adoptés par deux arts dif- férents, à une influence de Tun de ces arts sur Tautre, C'est une opinion que rien ne justifie. Suivant toute pro-

22 L'ART CHINOIS.

habilité, en effet, il n'existait pas de rapports, aux époques reculées dont nous nous occupons, entre les civilisations établies aux deux extrémités de TAsie, et il est plus rationnel de reconnaître que le dessin en forme de méandre a se présenter naturellement à l'esprit des premiers artistes chinois, puisqu'on le trouve dans presque tous les arts primitifs i.

S'il fallait absolument indiquer une origine à la grecque qui figure sur les bronzes chinois, nous incli- nerions plutôt à croire qu'elle n'est qu'un dérivé d'une figuration symbolique qui date des plus anciennes tra- ditions de la Chine, les koua. C'est un motif formé de deux lignes, l'une continue, représentant le principe rang, c'est-à-dire le principe mâle, l'autre coupée en deux traits, représentant le principe j^m, c'est-à-dire le principe féminin. Ce symbole a donné naissance à quatre diagrammes figurant les forces et les puissances de la nature. Enfin, ces quatre diagrammes développés ont produit huit trigrammes ou Pa-Koua qui symboli- sent le ciel, les cours d'eau, le feu, le tonnerre, le vent, l'eau, les montagnes et la terre.

Ces figures, de provenance surnaturelle, furent vues, disent les traditions, par l'empereur Fou-hi, fon- dateur de l'empire chinois (2800 av. J.-C), sur le dos d'un cheval dragon.

Les formes de la seconde catégorie sont plus va-

I. Les Chinois semblent même avoir ignoré, jusqu'au i''' siècle avant notre ère, l'existence des pays de l'Asie antérieure situés sur le versant méditerranéen. Leurs notions ne sont devenues un peu précises sur ces régions que vers le milieu du 11' siècle ap. J.-C. Cf. Hirth, China and the Roman Orient, p. i38.

LE BRONZE. aj

riées; elles offrent, en outre, au point de vue de Fart, un plus sérieux intérêt, parce qu'elles sont la première interprétation que les Chinois aient donnée de la nature. Cette interprétation ne s'est exercée toutefois que sur des types peu nombreux, car il est à noter qu'il n'existe sur les œuvres des époques primitives aucune représen- tation de la figure humaine ni des productions du monde végétal.

C'est le monde animal qui a d'abord fourni ses mo- dèles, et l'artiste chinois s'en est inspiré soit directe- ment, cherchant à reproduire telles qu'il les voyait les formes qu'il avait devant lui, soit indirectement, en s'élevant par la pensée à la conception d'une animalité surnaturelle, terrifiante et grimaçante. Cette imagination du mojîstre, d'êtres fantastiques et gigantesques, plus puissants que l'homme et semblables à ses plus affreuses visions de rêve, a été une création originale du génie chinois.

Si haut que l'on remonte dans ses légendes, on la retrouve toujours, et les trois Hoang qui, à. la fin des temps préhistoriques, se partageaient la souveraineté du ciel et de la terre, sont encore représentés comme ayant des corps de serpent, des pieds de cheval et des visages humains.

Quatre animaux surnaturels ont été ainsi créés au début de l'art chinois et figurent sur ses premières pro- ductions. Ce sont :

Le dragon^ long;

La licoî'ne, lin;

Le phénix, fong;

La tortue, kotieï.

«4 L'ART CHINOIS.

Le dragon est le symbole de l'orient et du prin- temps. Il a la faculté de se rendre invisible ou d'em- brasser rimmensité du ciel en se développant. C'est lui qui soutient la voûte du ciel, qui distribue la pluie et régit les cours d'eau. Depuis le règne de l'empereur Kao-tsou, des Han (206 av. J.-C), le dragon est l'em- blème de la puissance impériale : ses pattes sont alors armées de cinq griffes.

Lorsqu'il figure comme attribut des Princes du sang, il n'a que quatre griffes.

La licorne a le corps d'un cerf, la queue d'un bœuf et une seule corne au front ; elle est l'incarnation des cinq éléments primordiaux, l'eau, le feu, le bois, le métal et la terre. Elle est l'emblème de la perfection, et la durée de sa vie est de mille ans.

Le phénix a la tête du faisan, le col de la tortue, le bec de l'hirondelle et le corps du dragon.

On le représente aussi avec la tête du faisan et le corps d'un paon aux ailes éployées. L'apparition du phénix annonce des hommes d'Etat vertueux. C'est l'emblème des Impératrices.

4"^ La tortue est considérée comme rincarnation divine de l'étoile Yao-Kouang (dans la Grande-Ourse). Elle est l'emblème de la force.

D'autres animaux ou figures d'animaux sont encore représentés sur les vases anciens : le plus commun est le t'ao-t'ié, littéralement « le glouton j).

Le t'ao-t'ié a des mandibules puissantes, des crocs aigus et des yeux énormes. Dans les époques posté- rieures, on a reproduit aussi cette tête grimaçante, mais en la traitant avec plus de liberté, en dénatu-

LE BRONZE. 25

rant pour ainsi dire les traits, en faisant de chaque

VASE RITUEL PORTANT l'eFFIGIE DU t'AO-i'iÉ.

H., o"\6o. (Collection Je M. H. Cernusclii.)

détail un motif ornemental, de sorte que parfois on

26 L'ART CHINOIS.

ne retrouve plus du type originel que les yeux et la mâchoire. (Voy. p. 25.)

Une des conséquences de la réglementation qui, en se perpétuant à travers Thistoire chinoise, a déter- miné les formas et le décor des objets rituels, est de rendre presque impossible toute attribution de date aux bronzes de cette sorte qui ne portent point d'inscrip- tions. Souvent même ces inscriptions sont insuffisantes à déterminer exactement l'époque elles furent gravées, soit par la concision symbolique de leur style, soit par rimpossibilité ou sont les sinologues et les Chinois eux-mêmes d'en tixer le sens.

Les éléments principaux des bronzes primitifs étant ainsi déterminés, il nous est permis d'aborder mainte- nant Tétude des spécimens qui nous ont été transmis à travers les générations ou dont des dessins authentiques nous donnent la copie.

Ces spécimens, dont les types ont été arrêtés sous la dynastie des Tcheou qui gouverna la Chine pendant 879 années, de 1134 à 255 av. J.-C, et quelques-uns même sous la dynastie des Chang qui régna de 1783 à 1 134, peuvent se classer en deux catégories :

Les bronzes rituels;

Les bronzes honorifiques.

Les premiers étaient destinés exclusivement et ser- vent encore aux cérémonies du culte officiel ; les autres participaient au culte des ancêtres ou étaient offerts par l'Empereur aux dignitaires de l'Etat et aux personnages ayant rendu d'importants services.

Les bronzes 7'ituels étaient de formes différentes suivant qu'ils devaient contenir le vin, les fruits, le

LE BRONZE. 27

grain bouilli, les animaux sacriliés, offerts au Sou-

VASE T EOU.

(D'après le Ta-Tbslng-hoaci-lien.)

verain Suprême, aux Dieux des Vents, des Monta- gnes, etc.

Voici les principaux types de ce genre : Les vases tsouen. Il y en a de six espèces.

2!!

L'ART CHINOIS.

<J. Le tchoîi-ts'oiicn est un vase sans pieds, avec deux

têtes d'animaux en guise d'anses. Il est destiné à contenir le vin.

b. Le hoii- tsouen, destiné au même usage, est décoré de nuages gravés à la pointe et de licornes sculptées en relief.

c. Le siang- ts'ouen, ou « vase de Téléphant » , est ainsi nommé parce qu'il est supporté par Ta- nimal de ce nom. Il n'est pas éton- nant que Télé- phant ait été connu en Chine du temps des Tcheou, puisque des rapports exis- taient déjà, à cette époque, avec les pays de Tlndo- Chine.

d. Le chan-ts'oueiu ou « vase de la montagne »,

VASE TS'OUEN.

H., o",58. (Collection de M. H. Ccrnuscbi.)

Lli Bl'vONZE. 2p

porte comme décor des proiils de montagnes grave's à la pointe, et des grecques.

c. Le hi-ts'^ouen, ou « vase de la victime », re- cevait la forme de Tanimal au sacrifice duquel il figurait. (Voy. p. 19 et 21.)

Quatorze sortes d'animaux pouvaient ainsi être sa- crifiées sur les autels: le cheval, le bœuf, le mouton, le porc, le chien, le coq, le cerf, Tours, le san- glier, Pantilope, le lièvre, la caille, le faisan et le pigeon.

Le corps du vase servant à recevoir le sang de la victime était fixé sur le dos de Panimal.

f. Le taï-ts'oiien, ou « grand vase «, avait la forme d'une jarre, sans ornement, et contenait de Peau.

Il faut encore classer parmi les ts'ouen un vase de la collection Cernuschi, qui est d'un aspect très archaïque. C'est un vase à panse large, surmonté d'un couvercle ; le décor se compose d'un semis àhimbos recouvrant toute la surface, et d'une grecque se déroulant à la base. Mais ce qui fait l'intérêt particulier de cette pièce, ce sont les empreintes de deux mains creusées dans les flancs du vase pour aider à le saisir et, sans doute aussi, à le porter dans les cérémonies religieuses. Ces em- preintes sont admirablement prises; il s'y voit encore des taches d'or. Dans l'intérieur du couvercle est gravée une inscription en caractères antiques^.

I. Cette inscription, comme d'ailleurs presque toutes celles qui datent des premiers temps des Tcheou, est intraduisible. Les archéologues chinois eux-mêmes ne craignent pas de reconnaître que le sens des caractères kou-ouen est le plus souvent impossible à restituer et que, pour fixer l'époque des objets qui les portent,

30

L'ART CHINOIS.

Les vases tsio, de forme assez élégante, ressem- blaient à un casque renversé monté sur trois pieds. Ils servaient aux libations.

COUPE TSIO, POUR LES LIBATIONS S A C R I F I C A T O I R E S.

H., o"',2S.

(Collection de M. H. Cernuschi.)

Lqs, \asQs pao-tsio figuraient dans les sacrifices aux céréales et dans les cérémonies du Temple du ciel. La

on ne doit consulter que l'aspect extérieur des inscriptions. A nous placer à ce point de vue, c'est au x^ siècle environ avant notre ère que nous attribuerons le vase aux mains.

LE BRONZE.

î'

forme de ce genre de vases est celle d'une calebasse montée sur trois pieds. Le couvercle est muni d'un bouton d'onyx.

KOUlii, BOITE POUR RENFERMER LE GRAIN BOUILLI DU SACRIFICE.

(D'après le Ta-Thsiiig-hoitei-l!en.)

Le grain bouilli était présenté dans des sortes de boîtes appelées fou ou koiiet, suivant qu'elles étaient de forme carrée ou de forme ovale. On plaçait les fruits dans des coupes dites pien ayant la forme d'une

Î2

L'ART CHINOIS.

sphère écrasée et montées sur un pied ciselé à jour.

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VASE HONORIFIQUE. H., 0"',6l,

(Collection de M. H. Cernuscki ' .)

Une des formes les plus heureuses des bronzes pri-

1. Ce vase porte une inscription en caractères ta-tchoiian. S. Exe. Tciieou, directeur de la mission chinoise à Paris, a

LE BRONZE. j,

mitifs est celle des vases nei-yen-you qui sont richement ornés, surmonte's d'un couvercle et munis d'une anse mobile qu'une chaînette, terminée généralement par une boucle de jade, rattache à une potence de bois dur. Les Rituels ont reconnu de nombreuses variantes de ce type, soit dans le galbe du vase qui est plus ou moins élancé, soit dans le décor qui admet tous les animaux symboliques et tous les motifs géométriques dont nous avons parlé plus haut. (Voy. p. i5.)

Signalons encore, puisque nous ne pouvons que faire un choix parmi tant de formes variées, les vases appelés hi-cheoii-leï et leï-ouen-hoUy qui servaient éga- lement aux sacrifices rituels et qui sont intéressants par leur galbe ou leur ornementation. (Voy. p. i3.)

Les bronzes honorifiques , destinés à perpétuer le souvenir d'un personnage célèbre par ses vertus ou ses exploits. Les vases de cette catégorie se distinguent gé- néralement des premiers par des formes plus heureu- ses, par un style moins sobre et moins sévère.

Le galbe le plus usuel est celui d'un cornet à trois compartiments, avec des anses dont le développement atteint parfois toute la hauteur de la pièce qu'elles sont destinées à porter. Des inscriptions placées sous la base rappellent les conditions dans lesquelles le vase a été décerné par l'empereur ou les princes du sang.

bien voulu nous déchiffrer cette marque, dont le sens est : « Que mes fils, mes petits-fils à jamais conservent (ce vase comme un obiet) pre'cieux.»

t ART CHINOIS.

34 L"ART CHINOIS.

II

LES BRONZES BOUDDHIQUES

Vers la fin du r"" siècle de notre ère, un fait se pro- duisit qui modifia profondément Part chinois en renou- velant les conceptions dont il s^était inspiré jusqu'alors: le bouddhisme s'introduisit en Chine.

Ce fut en l'année 6i ap. J.-C. que l'empereur Ming-ti, ayant vu en rêve, disait-il, un Dieu étranger, expédia des messagers vers l'Inde pour y chercher la doctrine et les livres du bouddhisme. Ces envoyés revinrent en l'an 6y, rapportant les images peintes, les eflfigies sculptées et les livres sacrés de la religion que Çakya-Mouni avait prcchée dans l'Inde 600 ans aupa- ravant ^

I. Dès l'année 200 av. J.-C, les Chinois avaient entendu par- ler de la grande révolution religieuse dont Çakya-Mouni avait été le promoteur à la fin du vu' siècle. Des missionnaires boud- dhiques étaient même venus prêcher leur doctrine jusque dans la capitale de la Chine, qui était alors située au Chen-si; mais leur tentative était demeurée infructueuse. Cf. Edkins, Chinese Buddhism; Eitel, Lectures on Biiddhism {Chinese Recorder, 1870) et Schott, Ûber den Buddhaismus in Hoch Asien und in China. Ce dernier ouvrage, qui est antérieur aux grands travaux de Bur- nouf, Foucaux, Vassiliew et Senart sur le Bouddhisme, ne doit être consulté qu'avec réserve sur les points d'histoire et de doc- trine où ces érudits ont appliqué leur critique; mais il contient de précieux renseignements sur le culte et la liturgie boud- dhiques en Chine, \oyez également, sur l'introduction du boud- dhisme dans l'Empire du Milieu et les conditions dans lesquelles il s'y est développé, E. Renan, Nouvelles études d'histoire reli- gieuse, p. 102 et suiv.

LE BRONZE. jj

Lcnomde « Bouddha », transcrit en chinois, devint

BOUDDHA. (•■>->■}

H., 0'",50.

(Collection de M. H. Cernuschi )

Fo-tho et se réduisit bientôt au seul radical de Fo^.

I. Le son Fo, dans les provinces de l'ouest, était alors la capitale de TEmpire chinois, se confond encore avec les sons Bo, Po et Ho.

}<î L'ART CHINOIS.

La doctrine bouddhique ne réussit pas tout d'abord à s'implanter dans l'Empire du Milieu; mais, dans les premières années du m'' siècle, ellQ commença de deve- nir populaire: le « Lotus de la bonne Loi » était traduit en chinois, des temples de la religion nouvelle s'éle- vaient dans les grandes villes, des monastères se con- struisaient dans les campagnes, et, Tan 38 1, l'empereur Hiao-0'u-ti, de la dynastie des Tsin, consacrait à Fo une pagode dans son palais de Nankin. La doc- trine se répandit dès lors rapidement à travers toute la Chine, faisant partout des adeptes. Quelques persé- cutions, ordonnées au début du v*^ siècle, puis bien- tôt abandonnées, ne firent que la rendre plus popu- laire.

Pendant tout le vi* siècle, la Chine continue à se couvrir de temples et de couvents bouddhiques : des prêtres hindous, chassés de leur pays par la réaction brahmanique, affluent à la cour des Empereurs; des ambassades chinoises vont en Inde et en Birmanie pour y chercher des reliques, des livres canoniques, des images et des statues sacrées; enfin des souverains abdi- quent le pouvoir impérial et se font moines ou bonzes. Il y a, dans toute la Chine, deux millions de religieux bouddhistes et trente mille temples.

Les relations des pèlerins chinois qui se rendaient dans PHindoustan pour s^ inspirer de la foi bouddhi- que nous fournissent, au point de vue qui nous inté- resse, de curieux renseignements. La plus célèbre de ces relations est celle de Hiouen-Thsang qui, parti en Tan 622 des bords du fleuve Jaune, traversa au milieu de difficultés inouïes les déserts de la Dzoungarie et les

LE BRONZE.

37

régions de la Transoxiane, visita les royaumes de Sa- marcande, de Balk et de Caboul, atteignit le Cachemire et parvint enfin dans le bassin du Gange, il demeura

LION DE FO (bouddha).

H., o"',3(î.

(Collection de M. H. Ceruuschi.)

près de douze années. Quand il revint en Chine, il rap- porta avec lui une précieuse collection de statues et de livres religieux. On l'accueillit dans sa patrie avec les plus grands honneurs, et la réception des objets sacrés

L'ART CHINOIS.

qui formaient son convoi donna lieu à d'imposantes cérémonies ^

Ainsi, des spécimens d'une esthétique nouvelle

/t', ^^ueA.ec/u)

BRULE-PARFUMS. XVI^^ SIÈCLE.

H., o"',33. (Collection de M. H. Ccrnuschi.)

s'introduisaient en Chine, et ils rencontraient, pour

I. Stanislas Julien, Histoire de la vie de Hiouen-Thsaug. On peut consulter sur les rapports de la Chine avec l'Inde, du n* siècle av. J.-C. jusqu'au xvii° siècle de notre ère, un mémoire publié par G. Pauthier dans le Journal asiatique (3* série, t. VIII) sous le titre : Examen méthodique des faits qui concernent le Thien-tchu (l'Inde) (traduit en partie d'un ouvrage chinois).

LE BRONZE. jp

s'y répandre, les conditions les plus favorables à la propagation des formes d'art, rétablissement d'une religion.

Les disciples de Confucius et ceux de Lao-tse ne pouvaient voir avec indifférence cette fortune inouïe du bouddhisme. Au vin* siècle, une réaction se forma, qui alla toujours grandissant et qui finit par triompher vers le milieu du ix® siècle. Un édit de Tempereur Hiouen-Tsong (845 apr. J.-C.) ordonna la destruction de 45,000 temples ou monastères. Cette mesure icono- claste acheva sans doute de détruire ce qui avait échappé aux persécutions du v* siècle, et il est probable que des premières productions de l'art bouddhique en Chine, peu ont survécu et ont pu parvenir jusqu'à nous.

L'avènement de la dynastie mongole des Youen, en 1260, fut pour le bouddhisme le signal d'une nou- velle prospérité, et en quelques années les bonzes eurent reconquis la situation dont ils jouissaient aux vi^ et vu* siècles.

Sous la dynastie des Ming (i368-i643) et sous la dynastie actuelle des Thsing, le bouddhisme continua de vivre sans être inquiété; mais il perdit peu à peu son prestige par suite de l'opposition savante des lettrés, de la concurrence peu loyale des Taoïstes, ou disciples de Lao-tse, de l'extension croissante de l'influence lamaï- que (bouddhisme réformé) et surtout de l'indifierence religieuse se complaît actuellement la masse des esprits en Chinée

I. Cf. Edkins, CInnese Buddhism, ch. vi, et Bazin, Recherches sur les ordres religieux dans V Empire chinois.

40 L'ART CHINOIS.

Au point de vue de Part, rintroduction de la doc- trine bouddhique dans Tempire chinois a eu des conséquences capitales : elle lui a apporté des formes et des idées nouvelles, elle a changé la façon de voir et de sentir de ses artistes, elle leur a donné quelque chose de Timagination des Aryens et de leur idéalisme.

Avec le bouddhisme apparaissent des œuvres d^une pureté de galbe qu^on n'avait point connue jus- qu'alors; il y a désormais une variété infinie dans les types, de Pélégance, de la souplesse et de la fantaisie, une habileté parfaite à établir les proportions d'un vase ou d'un brûle-parfums et à les équilibrer.

Si parfois il est fait emprunt de formes et de décors anciens, ce n'est plus pour les copier servilement, c'est avec un judicieux esprit d'imitation, avec la volonté sincère d'ajouter au modèle quelque chose du sentiment propre à l'artiste.

Les motifs ornementaux sont plus nombreux et plus riches aussi : sur la panse des bronzes courent de délicieux rinceaux, des branchages, des guirlandes, des fleurs; des animaux surnaturels ou réels, si finement modelés qu'ils semblent moulés, serpentent sur l'anse des vases ou se dressent sur le couvercle.

Enfin, et pour la première fois, les artistes chinois traitent la figure humaine, évoquent un monde de dieux et de déesses, de personnages héroïques, de sages im- mortels et de penseurs divins et font entrer dans l'art un élément mystique et spiritualiste. Si, dans cet ordre d'idées, ils n'ont jamais pu concevoir l'harmonie su- prême des formes corporelles consacrées par la sculp-

LE BRONZE.

4'

lure antique, ni la beauté accomplie des (tuvies de la Renaissance ita- lienne, du moins ils en ont eu par- fois le pressenti- ment et la vision presque directe. Il est à noter cepen- dant que, s'ils ont souvent donné à leurs créations la gravité solennelle des lignes, la sim- plicité majestueuse des draperies, la sérénité de la pen- sée et la noblesse des attitudes , ils n'ont jamais su leur attribuer la force passionnée des mouvements ni la grandeur pathé- tique des gestes. Il faut remarquer encore que, en de- hors des types re- ligieux, ils n'ont jamais songé non plus à idéaliser la figure humaine. Il fallait que la poésie du sujet leur fût dictée, impo- sée, pour ainsi dire, parles croyances, esquissée déjà dans

VASE DE BRONZE. X V «^ SlÊ

H., O'",^^..

(Collection de M. H. Ceniiischi.

42 L'ART CHINOIS.

la conscience de chacun, dans l'imagination de tous.

En même temps que les formes se renouvellent, les procédés techniques se perfectionnent.

Les alliages sont plus savamment combinés, les patines mieux nuancées, et le bronze prend alors toutes les teintes, depuis le vert olive très clair et très uni. jusqu'au brun noirâtre, sombre et profond,

La méthode de fonte la plus suivie est celle de la cire perdue : elle est exécutée avec une sûreté de main que les bronziers japonais du xvji« siècle ont seuls égalée. Le fini de certaines pièces est poussé à son dernier degré de précision. On n'y sent, même dans les plis et les fonds les plus fouillés, aucune imperfection, et cependant on n'y voit aucune reprise de ciselure ni de réparation. Le métal semble avoir pris au premier jet tous les accents du modèle. Les plus beaux spécimens apparaissent au début du xv siècle, vers 1426, sous l'empereur Siouan-te des Ming, puis sous les empe- reurs Thien-ki et Tsoung-ching, de la même dynastie (1621-1643).

Sous l'empereur Khang-hi , de la dynastie tartare des Thsing (1662], l'art du bronze est à son point cul- minant et s'y maintient à peu près jusqu'à l'avènement de son successeur, Young-tching (1723). A partir de cette époque, il n'y a plus chez les bronziers chinois une inspiration aussi heureuse, un goût aussi sobre, une étude aussi consciencieuse du modèle naturel; mais l'habileté d'exécution est intacte encore dans les œuvres du règne de l'empereur Kien-long, c'est-à-dire pendant la deuxième moitié du xvni<^ siècle.

Ces notions générales étant établies, à quels carac-

LE BRONZE.

4)

tères peut-on reconnaître un objet du culte boud- dhique?

BRUtE-PARFUMS BOUDDHI Q.U E. NIEN-HAO : SIOUAN-TE

(1+26-I436).

H., o'",ij. (Collection de M. H. Cenuischi.)

Inscriptions en pâli ou en sanscrit. Les premiers livres bouddhiques que les Chinois ont reçus de Plnde étaient composés en langue et caractères pâlis*; les in-

I. Cf. E. Burnouf et Lassen, Essai sur le pâli, ch. 11.

+t L'ART CHINOIS.

scriptions gravées sur les documents iconographiques qui leur parvinrent dans le même temps étaient de la même écriture. Mais, dès le début du n'' siècle, les ouvrages sanscrits affluèrent, et Pétude du pâli fut complètement abandonnée.

Si quelques bronzes portent encore des inscrip- tions en cette dernière langue, on peut donc les con- sidérer comme les plus anciens spécimens de Fart bouddhique en Chine, ou tout au moins comme la reproduction d'œuvres remontant aux ii" ou ni® siè- cles.

L'écriture sanscrite a fourni aux artistes bronziers de très heureux motifs de décoration, moins riches et moins entrelacés que les caractères arabes, mais se prêtant tout aussi bien aux courbes d'un vase, aux lobes d'une coupe, au modelé d'un brûle-parfums. Le sens de ces inscriptions est généralement une prière, ou quelque formule d'incantation.

Une série de figures symboliques, spéciales au bouddhisme, permet encore de reconnaître aisément les objets qui relèvent de ce culte et de son inspi- ration.

La plus fréquemment employée est le lotus, lien- lioa, la fleur sacrée, celle dont l'empreinte est gravée sous le pied du Bouddha. On la rencontre partout; elle s'enroule sur le col des vases et la tige des flambeaux, elle s'épanouit sur les parois des brûle-parfums, elle tapisse le socle des statues, elle entr'ouvre son large calice dans la main du divin Çakya.

Le lotus est généralement entouré de sept autres emblèmes, qui sont : la cloche, tchong, la coquille

LE BRONZE.

4S

univalve, lo, le parasol, san, le baldaquin, h-ai, le vase à cou- vercle, koiian, les deux poissons, j^îi, et enfin le nœud, tchang.

On trouve presque aussi souvent les feuil- les du figuier [pippala. ficus re- ligiosa] : c'est Par- bre sacré de Bo- dhimanda, . sous les branches du- quel Çakya-Mou- ni demeura tout un jour et toute une nuit en mé- ditation, au sortir de sa retraite d'Ourou vil va. Quand l'aurore parut, il sentit qu'il revêtait la qualité de Boud- dha accompli et qu'il atteignait

« l'intelligence parfaite et la triple science », Cet arbre, qui exista réellement, fut pendant de longs siècles l'objet de la vénération des fidèles, et Hiouen-Thsang,

VASE DE BRC.NZi:.— XV<^ SIECLE.

H., o'",ss. (Collection de ^[. H. Cernusclii.)

+•5

L'ART CHINOIS.

le pèlerin chinois, qui vovagca dans Flnde en Tan 632 de notre ère, affirme en avoir vu les restes.

Lepabiiier, pci-to {en sanscrit patra, borassus /la- belliformis], qui, d'après la légende hindoue, ne perd jamais ses feuilles, est également d'une reproduction fréquente. Il serait trop long de donner la liste com- plète de toutes les espèces végétales qui se trouvent figurées sur les objets bouddhiques et que Tartiste a tantôt copiées fidèlement, tantôt ornemanisées. Signa- lons encore les feuilles triangulaires de Parbre fabu- leux appelé le tchan-pou (en sanscrit djambii], les baies parfumées du Nj'ctanthes , mo-li (en sanscrit mallika] et les fleurs luxuriantes du man-fo-lo [Ery- thrina fui gens, en sanscrit mandârà\.

L'animal symbolique par excellence du bouddhisme est Véléphant, qui est Tattribut des boddhisatvas, c'est-à-dire des êtres qui n'ont plus à tra- verser qu'une seule existence humaine avant d'arriver à l'état de bouddha.

Le lion de Fo [che-tse] par- ticipe autant de l'art indien que de l'art chinois qui a imaginé les monstres primitifs. La face de l'animal est grimaçante, la gueule entr'ouverte laisse voir des crocs aigus, la cri- nière enveloppe tout le sommet de la tête et est frisée. La bête est généralement représentée assise sur son train de derrière, dressée sur ses pattes de devant. On la place à l'entrée des temples et des palais.

FA-CHE-LO.

(Symbole bouddhique.)

LE BRONZE.

+7

D'autres ornements symboliques, perdus souvent dans le détail du décor, permettent de reconnaître les objets bouddhiques. Cest d^abord \q fa-che-lo (en sans- crit vadjra), emblème d^Indra, dieu du brahmanisme, adopté par le bouddhisme, mais considéré comme infé- rieur à Çakya Mouni. Cet objet, lorsqu'il est isolé, sert dans les exorcismes et les pratiques de sorcellerie.

Leouan (en sanscrit svastika), sorte de croix gammée, est le symbole du cœur de ouan. Bouddha : il est ^ravé sur la poitrine. Voici fSymboie boud- encore, comme symbole du même ordre,

le che-li-mo-ts'o (en sanscrit sriva- staya) ^

Enfin, le bouddhisme a enseigné aux artistes chinois la reproduction de la figure humaine. La doctrine de Çakya-Mouni est en effet arrivée dans TEmpire du Milieu avec une (Symbole bouddhique.) icouographie Complète, que ses nou- veaux adeptes ont d'abord copiée telle qu'ils la rece- vaient de l'Hindoustan, puis qu'ils ont variée en sïns- pirant autant du génie propre à leur race que des modèles indiens.

De tous les types ainsi reproduits, celui qui a con- servé le plus longtemps le caractère que lui avaient at- tribué les artistes hindous, c'est le Bouddha lui-même. Les bronziers chinois s'appliquèrent à imiter, avec une

CH E-LI-M 0-TS O.

I. Cf. D''EiteI, lland-bookfor the student of chinese Biiddhism ; passim.

48 L'ART CHINOIS.

fidélité pieuse, les effigies que les missionnaires du II* siècle rapportaient du Népal ou du Pendjab et qui faisaient connaître les traits du Dieu nouveau. On avait enfin la physionomie vraie de celui que les Livres sacrés dépeignaient ainsi : « Il a le front large et uni; Toeil semblable au pétale du Nymphœa bleu; les lèvres pareilles au fruit du Wimba ; les veines cachées ; les épaules parfaitement arrondies ; le corps comme le tronc du figuier; les membres et les flancs parfai- tement ronds et polis ; la rotule pleine; les pieds et les mains doux et délicats; les doigts longs; le talon développé; le cou-de-pied saillant; les che- villes cachées^... , »

Quelque différence qu"'il y ait entre le type classique du Bouddha et les types de la race jaune, et si étrange que dût paraître aux artistes chinois Testhétique aryenne, ceux-ci en ont cependant saisi tout de suite le caractère ; ils ont su rendre admirablement le modelé gras et plein, les formes rondes et presque féminines du Bhagavat et tous les traits physiques de sa personnalité sacrée. Mais ce qui est plus singulier, c''est qu^ils aient su comprendre et exprimer aussi la beauté morale de sa figure pensive, la sérénité rêveuse, le majestueux recueillement du héros divin sur son lit de lotus. Pour la première fois dans les œuvres des artistes de la Chine, on aperçoit une âme et la physionomie qui manifeste cette âme. C'a été le plus grand bienfait que Part chinois ait reçu du bouddhisme : il lui doit la ré- vélation d'un idéal plus élevé, une conception plus

I. Lotus de la bonne loi. E. Burnouf, appendice VIII.

LE BRONZE.

49

haute de son objet, un peu de ce qui a fait la noblesse et la grandeur des arts occi- dentaux.

Le Bouddha qui est repré- senté plus haut (p. 35) est le type universellement adopté en Chine, à quelques détails près. Il est assis sur des lotus, les jambes croisées, la plante des pieds en dessus. Les che- veux sont crépus ou frisés, et, sur le sommet de la tête, il a la protubérance de la sa- gesse, surmontée générale- ment d'un diadème conique oli piriforme. Les deux mains posées Tune sur Tautre, la paume en dehors, tiennent quelquefois le vase pàtra. Quelques signes symboliques sont gravés çà et sur le corps ; les plus importants sont Voumd, au milieu du front, et Voitan, ou croix gam- mée, sur la poitrine.

Quelquefois le Bouddha est figuré debout. M. Cernus- chi en possède un qui est

LA DEESSE KOUAN-YIN

H., o">,58.

dans cette attitude. Il tient la (Collection de m main droite haute et deux

H. Cernuschi.)

doigts levés, dans le geste d'un prêtre qui donne la bé-

L ART CHINOI

jo L'ART CHINOIS.

nédiction. Ses yeux, sous Tarcade sourcilière très avan- cée, sont à demi clos; la physionomie est noble, recueil- lie; elle a la sérénité calme d'une âme supérieure aux agitations humaines. La dimension des statues de Fo est très variable : elles ne mesurent parfois que i5 à 20 centimètres lorsqu'elles sont destinées à des autels domestiques; elles atteignent 14 et i5 mètres lors- qu'elles décorent des édifices religieux. Il n'existe pas en Chine, à notre connaissance du moins, de statues de bronze du Bouddha qui soient comparables, pour les proportions, à celle du temple de Nara, au Japon, qui n'a pas moins de 26 mètres d'élévation.

Si les Chinois n'ont pas cherché à augmenter l'effet imposant de leurs idoles bouddhiques par l'exagéra- tion des dimensions, du moins ils semblent s'être proposé le même but en les recouvrant d'or. Cette ha- bitude de dorer les statues devint générale vers le viii*^ siècle, et les adversaires du bouddhisme en firent même un griet aux bonzes, les accusant de gaspil- ler ainsi les fortunes des particuliers et le trésor de l'État.

En dehors du Bouddha lui-même , les artistes chinois n'ont su reproduire qu'un type qui procédât d'une inspiration aussi élevée et qui participât encore à la beauté de ses formes comme à la noblesse de son expression, c'est celui de la déesse Kouan-yin.

C'est une Boddhisatva, déesse de la Miséricorde : elle a une pitié inépuisable pour l'humanité qu'elle voudrait sauver ; elle est la figure la plus touchante, la plus gracieuse du panthéon bouddhique, celle qui a le mieux inspiré ses peintres et ses sculpteurs.

LE BRONZE.

On la représente sous les traits et avec les vête- ments d'une femme (p. 49), mais elle peut prendre aussi bien la forme masculine. Parfois elle tient contre son sein un enlant. Souvent aussi elle a seize bras qui symbolisent son désir 'ardent de secourir toutes les mi- sères humaines.

Bien que cer- taines statuettes de Kouan-yin soient remar- quables par la grâce du style et la chasteté de l'expression , bien que quel- ques-unes d'en- tre elles soient même compara- bles , pour le charme mélan- colique et la piété virginale de la physiono- mie, à telle œu- vre de Donatello ou de Ghiberti, ce n'est pas à la statuaire que nous demanderons le type le plus accompli de cette déesse : la peinture nous en fournira un modèle nous mesu- rerons le [plus haut point qu'ait pu atteindre un artiste d'extrême Orient dans l'expression synthétique d'un sentiment humain.

COUPE DE BRONZE. XV 1"= SI

H., 0'",22.

(^Collectiou de M. H. Ccrnusclii.)

$2 L'ART CHINOIS.

A côté du Bouddha et de la déesse Kouan-yin, nous n^avons plus à faire, pour ainsi dire, qu'un cata- logue des divinités bouddhiques qui ont été le plus fréquemment reproduites par les bronziers chinoise

C'est d'abord Mi-li-fo (Maitreya-Boddhisatva) ou « le Bouddha qui doit venir », celui qui dans trois mille ans apparaîtra aux hommes quand ils auront perdu le souvenir des prédications de Çakya-Mouni. Il est représenté sous les traits d'un homme obèse, à la face souriante.

C'est encore Brahma (en chinois, Fan-fien] sortant d'un lotus ou tenant sur ses genoux Lakshmé, déesse de la beauté, Civa (en chinois, Ta-tsi-taï-fien]^ dieu de la destruction, avec huit bras armés d'un trident, d'une massue, d'un arc, etc., Ti-tsang^ qui s'efforce de re- tirer les damnés de l'Enfer ou les ont plongés leurs fautes ; il est corpul&nt et porte une couronne de lotus; parfois, il est entouré des dix dieux infernaux, Pou-liien, dieu de la prudence, monté sur un éléphant, Maritchi, déesse de la paix et de la lumière, avec huit bras dont deux tiennent en l'air un soleil et une lune, Ta-mo (Boddhidarma), vêtu d'un linceul et traversant sur une branche de bambou les flots du Gange pour rentrer, mort, dans sa patrie après ses longs voyages en Chine, etc., etc.

Viennent enfin les statuettes innombrables de pa- triarches, d'ascètes, de personnages mystiques, qui sont vénérés par les bouddhistes et qui encombrent leurs temples. Signalons, dans cette catégorie, un

I. Cf. Edkias, Chinese Buddhism, ch. xiv.

LE BRONZE.

ascète en méditation de la collection Cernuschi. Sa physionomie et son at- titude expriment une sorte de résignation douloureuse; mais sa maigreur n'est pas seu- lement physique, ma- ladive. Ce que le sculp- teur chinois a rendu par ces traits émaciés, ces muscles décharnés, ces os saillants sous la peau, c'est une idée plus profonde et vrai- ment artistique, la déformation du corps par les passions de Tâme.

L'influence indienne s'est fait puissamment sentir sur les formes et les décors que le boud- dhisme a empruntés à Part archaïque et dont il a fait usage dans les objets de son culte.

Un autel bouddhi-

A s C E r E EN MEDITATION. H.. 0'",28.

(Collection lie M. H. Ceriiusclii.)

que se compose, en

dehors de la statue de

Fo devant laquelle il est dressé, de cinq pièces : un

brûle-parfums, deux vases et deux chandeliers. Ces

5+ L' ART CHINOIS.

pièces sont gcncralement de bronze, quelquefois de porcelaine, rarement de jade.

L''usage de brûler des parfums devant les divinités est probablement au bouddhisme et les autres reli- gions de la Chine Pont adopté après lui. Les plus beaux spécimens de brûle-parfums appartiennent en tout cas au culte de Fo et en portent les emblèmes. Sur ces bronzes, comme sur ceux de Fart primitif, on voit aussi des dragons et des animaux fabuleux; mais quelle différence d'inspiration et d'exécution ! Avec quel sentiment de la vie est rendue cette animalité fan- tastique et contournée! Les parties tour à tour lisses et rugueuses, saillantes et rentrantes, les fines cassures des plis de la peau, les striures de Tépiderme, le bril- lant humide. des écailles, tous les moindres détails du corps sont aussi bien observés que traités : l'artiste sait désormais animer son œuvre d'une sorte de souffle frémissant et donner au métal quelque chose de la pal- pitation des chairs. 11 n'est pas jusqu'à la patine qui ne contribue à revêtir le bronze des tons chauds et colorés de la vie.

Les fleurs et les branchages qui ornent les objets d'autels et serpentent sur la panse des vases, sur la tige des flambeaux ou les flancs des cassolettes sont re- produits dans le même esprit : la sève végétale circule dans la pulpe des feuilles, dans les fibres des tiges, dans les lobes épanouis des lotus. On ne saurait trop le répéter, c'est le bouddhisme qui a appris aux Chi- nois à voir et à comprendre la nature.

Vers le milieu du xi« siècle, une réforme du boud- dhisme s'opéra au Thibet : l'athéisme du culte primitif

LE BRONZE. SS

se changea en théisme par la création d'un Adi- bouddha ou Bouddha suprême; des rites nouveaux, offrant une ressemblance singulière, mais proba- blement fortuite avec ceux du catholicisme, furent en outre introduits et modifièrent assez la religion an- cienne pour former à côté d'elle un culte séparé, le lamaïsme.

La réforme lamaïque, partie du Thibet, elle a encore son grand chef spirituel, le Dalai-lama, s'est étendue peu à peu sur toute la Chine (xiv" siècle), et elle a ses prêtres, ses temples et ses offices à côté de ceux du bouddhisme ^

Au point de vue de Tart, le seul qui doive nous occuper ici, le lamaïsme, s'il n'a pas créé des types ico- niques nouveaux, a parfois modifié les types anciens, et il a marqué de symboles spéciaux les objets de son culte.

L'écriture thibétainc a été introduite comme motit d'ornementation, et la souplesse de ses traits, l'élégance allongée de ses pleins et de ses déliés ont fourni souvent

PRIÈRE B0UDDH1Q.UE EN CARACTÈRES THIBÉTAINS.

aux artistes d'heureux effets décoratifs. C'est presque toujours la même formule mystique que l'on retrouve ainsi gravée sur les bronzes et les cloisonnés, l'éternelle

I. Cf. Schlagintweit, Buddhism in Tibet.

S6

L'ART CHINOIS.

invocation que, d'un bout à l'auire de TAsie, murmu- rent tous les croyants boud- dhistes : Om m an i p ad m é lioum ! « Salut ! perle enfermée dans le lotus. » Une autre fi- gure symboli- que, très fré- quemment re- produite sur les objets du culte lamaïque, est la roue de la loi, fa-loucn (en sanscrit tcha- kra). Cette roue était figurée sous le pied du Bouddha et for- mait le trente et unième signe de sa personne. L'expression « tourner la roue de la loi )', dans le sens de « prê- cher la doctrine bouddhique », devint sacramentelle depuis le jour Çakya-Mouni en fit usage dans sa

MOULIN A PRIERES.

H,, o"',43. (Collection de M. H. Cernuschi.)

LE BKONZE. 57

première prédication à Bc'narès. On trouve dans les temples des lamas toutes les statues du bouddhisme; mais la plus vénérée est celle (X'Amitâbha [O-mi-to- /b), qui règne dans les cieux occidentaux et qui est la première divinité du Thibet. On le représente tenant un lotus à la main et souvent aussi une corde ou lacet, thagpa, dont il se sert pour amener vers lui les créa- tures qu'il veut sauver. Près de lui sont généralement les statuettes de ses deux boddhisatvas préférés : Ta- chi-shi et Kouan-yin, qui revêtent indifféremment les formes féminine ou masculine.

Parmi les autres objets du culte thibétain, nous pou- vons citer encore le moulin à prières qnt les fidèles font tourner pour expédier plus rapidement un plus grand nombre d'oraisons, et qui est bien le symbole le plus saisissant de la pensée bouddhique tournant éternelle- ment sur elle-même, dans le vide de ses conceptions.

La collection Cernuschi en possède un curieux spé- cimen : c'est un cylindre de bronze ciselé, monté ver- ticalement sur un axe encastré dans un élégant cadre de bois de fer : des caractères thibétains dorés sont gravés sur le pourtour du moulin.

III

LES BRONZES TAOÏSTES

Quand le bouddhisme s'introduisit en Chine, il y trouva, à côté du culte officiel, une doctrine philoso- phique déjà ancienne et qui commençait à se formuler

L'ART CHl NOIS.

en religion, la doctrine du Tao. Elle avait été fondée, au vi* siècle avant notre ère, par le philosophe Lao-tse, dont les sectateurs ont fait presque une divinité. Le

LAO-TSE.

H., o-»,S2. (Collection de M. H. Cernuschi.)

« Tao-te-King », ou « Livre delà Raison suprême et de la Vertu », qu'il composa vers la fin de sa vie, est Pévan- gile de ses disciples.

D'après Lao-tse, TÉtre primordial, cause de tout.

LE BRONZE. jp

est le a Tao » ou la « Raison suprême » ; le Tao a deux natures ou modes d'être : le mode mate'riel et le mode immatériel. C'est de la nature spirituelle que l'homme est émané et il doit s'efforcer d'y retourner en s'affran- chissant de la matière. Lao-tse admet encore que « les modes d'être contingents ne sont que des formes passa- gères de l'existence, et que, une fois aépouillés de ces formes, les êtres reviennent à leur principe ».

Cette doctrine, c|ui réunit en Chine au moins autant d'adeptes que le culte de Fo (Bouddha), a vite dégénéré de ses conceptions premières. Un siècle à peine après l'introduction du bouddhisme, sa transformation était commencée, et elle ne tardait pas à devenir ce qu'elle est actuellement, c'est-à-dire une religion matérialiste avec une mythologie d'emprunt, avec des pratiques de magie et de sorcellerie ^

Quelques figures symboliques permettent générale- ment de reconnaître à première vue un objet servant au culte taoïste ou destiné à en représen- ter les idées.

Les principales sont : le dia- gramme appelé faï-ki, qui re- présente les principes masculin et féminin ; la pêche de lon- gévité; — la chauve-souris; t ai-ki.

, , (Symbole taoïste.)

une sorte de sceptre appelé

jou-y^ etc. Nous serons amené plus loin à reparler de

ces différents symboles.

I. Cf. Chalmerà, Tauisin; China Rcview, l, 201).

Go L'ART CHINOIS.

Les bronzes taoïstes les plus inte'ressants, au point de vue de Fart, sont les statues ou statuettes des divi- nite's que les sectateurs de Lao-tse ont créées pendant les premiers siècles de notre ère, pour les opposer aux idoles bouddhiques. Ces statuettes ne procèdent plus de Part indien : on y sent Tintention de constituer, pour ainsi dire, une iconographie nationale, à l'exclusion de tout élément étranger. Les types et les attitudes qui leur ont été attribués varient à Tintini. Il y a plus de mou- vement et d^animation, une observation plus précise de la réalité et souvent aussi une plus habile facture que dans les œuvres du bouddhisme ; mais celles-ci sont supérieures par la noblesse de l'expression, par la recherche de la sérénité dans la physionomie, par la simplicité des lignes et par la disposition sobre et majes- tueuse des draperies. Il semble que Tartiste taoïste, n'ayant pas été distrait par le souci de donner à ses figures telle physionomie morale, telle nuance de carac- tère, ait pu créer des êtres d'une vérité physique et ana- tomique plus précise. Aussi, c'est surtout la laideur expressive, la vulgarité réelle, et cette difformité grima- çante que l'on retrouve dans certaines œuvres du moyen âge chrétien, qu'il s'est attaché à reproduire. L'impres- sion générale que laissent toutes les œuvres de cette espèce est celle d'un naturalisme sans élévation qui s'est borné à copier les formes et à manier la matière sans y rien mettre de la personnalité de l'ouvrier, sans y déposer une parcelle de sentiment élevé ni d'idéal.

Lao-tse est représenté soit assis , soit monté sur un buffle ou sur un cerf. Le philosophe divin a le crâne monstrueusement développé par l'inten-

LtlBRONZE. 6,

site de sa méditation; la barbe est longue et les sour-

POU-TAl, DIEU DE LA SENSUAtlïE.

H., o'^ip. (Collection de M. H. Ceniusclu.)

cils épais; l'expression est doucement souriante, vide de pensée. Généralement, il tient à la main la pêche fabuleuse qui ne mûrit que tous les trois mille ans, ou

62

L'AJtT CHINOIS.

bien il est entouré de champignons de Tespèce ling-

tchy, qui assurent Tim- mortalite'.

A côté de lui, sur le même autel, figurent les Pa-sien ou les huit Immor- tels. Bien que ces person- nages aient été vénérés pour leur sainteté dès leur disparition de notre terre, c'est-à-dire dès leur entrée dans la vie éternelle, les légendes qui les ont déifiés et qui ont déterminé leur véritable caractère symbo- lique sont probablement toutes postérieures au xiir siècle. Il y aurait donc imprudence à attribuer une date antérieure aux œuvres qui s'en sont inspi- rées.

Voici les noms des Pa- sien et leurs attributs :

Le plus grand des Im- mortels est Tchong Li- k'iuan : ses emblèmes sont un éventail de plumes et une cigogne qui lui ap- porte un bâton ; Tchang Koîio, qui vient ensuite dans la vénération des fidèles,

LI T lE-KOUAl, L UN DES IMMORTELS.

H., o-,3i. (Collection de M. H. Cernuschi.)

LE BRONZE.

61

est représenté monté sur une mule, un long ctui (en forme de carquois) à la main ; Lm Tong-pin se recon- naît au chasse-mouches placé dans une de ses mains et àl'épée fixée derrière son dos, qui servaient à ses incantations magi- ques ; Ts'ao Kouo-kieou porte comme insignes deux plaques lon- gues attachées en forme de croix ; Li T'ie-koiiaï a les traits d'un mendiant boiteux et bossu, s^ap- puyant sur une béquille de fer (voy. p. 62) ; Han Siang-tse a pour emblème un chalumeau ; enfin Lan Ts'ai-ho Qi Ho Sien-Kou, qui sont du sexe féminin, sont repré- sentées Pune en haillons, un pied déchaussé et tenant à la main une sarclette, Tautre marchant sur des nuages et portant un bouquet de fleurs.

Les emblèmes des Immortels sont souvent groupés ensemble, comme motif de décoration. Ils impliquent un souhait de longé- vité et de bonheur. On les désigne sous le nom de Pa-pao, « les huit joyaux^ ».

Les taoïstes ont déifié un grand nombre d'autres personnages célèbres par leur piété, leur érudition,

VASE DE B RONZE

ORNÉ DES

PÈCHES DE lONGÉVITÉ,

XVI^ SIÈCLE.

(Collection lie M. S. Biiig.

I. Cf. Mayers, The Chinese reader's manital; passim.

6+

L'ART CHINOIS.

leur courage, etc. Une étoile, disaient-ils, descendait du ciel, s'incarnait en eux et leur donnait le caractère

divin. La liste de ces dieux serait trop longue à four- nir; nous nous bornerons à citer les suivants :

K'oueï'Sing^ dieu de la littérature, habite la cons- tellation de la Grande- Ourse. On le représente sous la forme d'un démon qui s'enlève sur un dra- gon ou qui frappe de son pied la mesure Teoii (le Teou désigne les quatre dernières étoiles de la Grande-Ourse). Il semble poursuivi par une chauve- souris, symbole de Tinspi- ration littéraire, et tient un pinceau à la main. Les statuettes qui le représen- tent sont souvent remar- quables par le mouve- ment hardi du corps qui paraît s'enlever vers les astres, et par la légèreté des draperies qui flottent au vent.

Kouan-ti, dieu de la guerre, vivait au ii« siècle après J. -G. Il s'était acquis la célébrité par ses exploits héroïques et sa fidélité à la dynastie des Han. Sanctifié

KOUEl-SINC, DIEU DE LA LITTÉRATURE.

(Appartenant à M. Guérard.)

LE B KO N Z F.. 65

en 1 128, il fut reconnu dieu de PEtat sous les Ming en 1594. 11 esi vêtu en guerrier.

VASE DE BRONZE.

H., o"',5s. (Collection de M. H. Cernuschi.)

Pou-taï, dieu de la sensualité, a le corps et les traits d'un homme obèse, au visage vulgaire et toujours rica- nant. 11 est couché et s'appuie contre une outre qui renferme les biens et les jouissances terrestres.

l'art chinois. 5

66 L'ART CHINOIS.

Pe'i-ki-tcheng-vou est le génie du Nord ; ses quatre

.isamsÊA

y, fi-cis^ia-Z^ .

VASE PORTANT LES SYMBOLES TAOÏSTES.

H., o"\sa. (Collection de M. H. Cernuschi.)

attributs sont le glaive, le serpent, la tortue et les sept étoiles de la constellation du « Boisseau » passe Taxe" du monde.

LE BRONZE.

rtr

Nous arrêterons cette nomenclature des dieux du taoïsme pour terminer ce qui concerne ce culte par Pexamen rapide de quelques bronzes qui s'y rattachent *.

Les formes de ces bronzes, vases ou brûle-parfums, ont été le plus souvent empruntées soit au culte officiel,

MIROI R T AOIS T E.

H., o-,u- (Collection de M. H. Cernuschi.)

soit au bouddhisme. Voici, par exemple, un remar- quable spécimen, appartenant à M. Cernuschi et rappelant, par son galbe, des types que nous avons déjà étudiés. Les pêches de longévité qui servent d'anses permettent de le considérer comme bronze taoïste. La

I. Pour plus de détails sur l'iconographie religieuse de la Chine, cf. J.-R. Morrisson, Mythology of China, cité par Cor- dier, Bibliotheca sinica, \, 298.

<58 L'ART CHINOIS.

patine qui recouvre cette pièce est admirable de pro- fondeur et d'éclat.

Quelques objets cependant sont bien spéciaux au taoïsme, entre autres les miroirs symboliques. Ce sont des disques de métal, polis sur une de leurs faces, et décorés en relief sur l'autre. Ces miroirs sont supportés par un des quatre animaux fantastiques du culte primitif, généralement la licorne. Leur destina- tion est de figurer dans les temples du Tao à titre de symboles des dieux qui président aux révolutions du cycle duodénaire. C'est pourquoi le décor habituel de ces bronzes est la figuration des douze animaux du zodiaque chinois, qui sont le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, la chèvre, le singe, le coq, le chien et le porc. Chacun de ces ani- maux exerce une influence mystérieuse sur la période du cycle à laquelle il appartient.

Cette superstition est d'origine étrangère et semble venir des peuplades tartares qui vivaient au nord et à l'ouest de la Chine. La première mention qui soit faite de la désignation des années par ces noms d'animaux se trouve dans une histoire de la dynastie des Thang (618-907); il y est relaté qu'un ambassadeur de la nation des Kirghiz était venu traiter de faits qui s'étaient produits « dans les années du lièvre et du cheval ». Mais il est probable que cette façon de dater ne devint populaire qu'à l'avènement de la dynastie mongole, c'est-à-dire vers le milieu du xiii" siècle. C'est à cette date seulement qu'il est permis de faire remon- ter les plus anciens spécimens de miroirs symboliques que nous connaissions.

LE BRONZE.

69

IV

LES BRONZES DE STYLE ARABE OU PERSAN

Dès le VII' siècle, la Chine était entre'c en rela- tions avec le monde de ITslam. Les auteurs chinois

BKONZE MUSULMAN. X ^' ^ SIÈCLE.

(Collection de M. Schefer.)

rapportent que, pendant les années Ou-te du règne de Tempereur Kao-tsou, des Thang (618-626), quatre saints personnages arabes étaient venus de Médine par la voie de mer, pour instruire Fempire chinois dans la religion du Prophète. Parmi eux se trouvait

70 L'ART CHINOIS.

le Saad ibn abou Ouaccas, oncle maternel de Mahomet, qui mourut à Canton, ou Ton voit aujourd'hui son tombeau, Tannée de Tavènement d'Omar au califat, en 634. Plusieurs ambassades arabes, dont quelques-unes avaient un caractère commercial plutôt que politique, sont signalées aux viir et ix' siècles.

Ces premiers rapports qui, par Tinsuffisance des connaissances nautiques et par la longueur des tra- versées, demeurèrent très rares jusqu'au xiv' siècle, ne semblent pas avoir eu au point de vue artistique une influence appréciable. Ce ne fut que six cents ans après l'arrivée de Saad ibn abou Ouaccas à Canton que Fart arabe fut mis en contact plus intime avec Part chi- nois et y laissa sa tracée

Au cours de la seconde moitié du xiii'' siècle, un événement considérable se produisit en Chine : la con- quête mongole. Koubilaï-khan (en chinois Hou-pi-lie), petit-fils de Gengis-khan , renversa la dynastie des Soung, et, pour la première fois après trente siècles d'histoire, la race chinoise obéit à des souverains étrangers (1260).

Les conséquences de ce fait politique d'une portée moindre, il est vrai, que celles de l'introduction du bouddhisme au i" siècle de notre ère furent ce- pendant très importantes au point de vue du dévelop- pement de la pensée chinoise. La Chine dut, en effet, à ses empereurs mongols le précieux bienfait d'être mise en rapports avec les civilisations occidentales et de

I. Cf. Reinaud, Relations des voyages faits par les Persans et les Arabes en Chine, et Yule, Cathay and the way thither.

LE BRONZE. 71

participer pendant tout un siècle (i26o-i368) au vaste mouvement d^echanges qu'ils entretenaient sur tout le monde civilisé.

C'est un point qu'Abel Re'musat a fort bien éclairé. En Chine, comme partout ailleurs ils s',établirent, les Mongols provoquèrent une grande révolution mo- rale en faisant naître des rapports entre des peuples jusqu'alors inconnus les uns aux autres. « L'irruption des Mongols, en bouleversant tout, franchit toutes les distances, combla tous les intervalles et rapprocha tous les peuples. Les événements de la guerre trans- plantèrent des milliers d'individus à d'immenses dis- tances des lieux ils étaient nés ^ »

La cour de Koubilaï-khan à Pékin offrit ainsi un spectacle des plus curieux : il y eut là, dans ce palais de Khan-bâlik, que Marco Polo nous a décrit et qui s'élevait sur l'emplacement même de la résidence ac- tuelle du Fils du Ciel, une affluence de savants, de let- trés, d'artistes, de religieux, d'hommes politiques, de négociants, d'aventuriers, originaires de toutes les contrées du monde. Il en vint de l'Inde, de Siam, du Pégou et du Thibet, des royaumes bouddhiques de l'Asie centrale, de la Perse et du Khorassan, domi- naient aussi des princes mongols, des grands centres de civilisation arabe qui avaient survécu à la destruc- tion des califats fatimites et abbassides; il en vint même de l'Europe, de la Moscovie, de la Pologne, de

I. Cf. Second Mémoire à l'Ac. des Insc vu, 325 et suiv. Voy. aussi, sur l'influence de la conquête mongole dans l'Asie orien- tale, l'ouvrage du même auteur intitulé Recherches sur les langues tartares, p. 197 et 19g.

L'ART CHl NOIS.

la Hongrie, des Flandres, du Frioul, des républiques

marchandes de Gênes, Pise et Venise \ etc. Nous aurons plus d\ine fois, dans le cours de cette étude, l'occasion de signaler rimportance des rela- tions qui s'établirent de la sorte à travers PAsie, aux xui'' et XIV- siècles, au point de vue de Tinfluence réciproque que subi- rent Tart européen et Tart chinois. Pour rinstant, nous ne voulons indiquer que les emprunts faits par les artistes chinois aux œuvres de style arabe ou persan qu'il leur fut donné de con- naître au temps de la conquête mongole.

De cette époque date l'adoption en Chine de toute une

série de formes et de dessins décoratifs, dont la Perse

BRONZE MUSULMAN. XV^ SIÈCLE

(Collection de M. Schefer.)

I. Cf. Abel Rémusat, loc. cit. et Nouv. mélanges asiatiques. En

LE BRONZE.

7i

des Sassanidcs et plus tard les califats arabes de l'Iran et de PAsie antérieure avaient cre'é les types. Ce tut alors que les bronziers chinois et, bientôt après, les céramistes, commencèrent de donner parfois à leurs vases certaines formes ovales, des évidements de gou-

BRONZK MUSULMAN. XV" SIECLE.

(Collection tie M. Scbefer.)

lot, des renflements de col, des évasements de bords, des courbes d'anse, des panses sphériques ou lenticu- laires, des couvercles piriformes, que ni Part ancien ni Part bouddhique n'avaient connus. En même temps apparurent, dans le décor, des motifs plus cursifs, des arabesques plus variées, des rinceaux d'une élégance plus allongée; le style des bordures devint plus savant;

ce qui concerne plus particulièrement les rapports de la Chine et de la Perse au xiv" siècle, voy. E. Quatremère, Hist. des Mongols de la Perse, par Raschid Eldin, 2" partie, xc (collection orientale).

7+ L'A 1\T CHINOIS.

on vit aussi figurer dans rornementation quelques fleurs qui n'y avaient point paru jusqu'alors, des pal- mes, des pampres et quelquefois même des tulipes et des iris.

Les objets les styles arabe et persan se révèlent le plus clairement sont des aiguières (voy. p. 79 et 240), des surahés (voy. p. 77), des gourdes plates (voy. p. 21 5) et cer- tains brûle-parfums posés sur des plateaux à larges bords.

On trouve assez fréquemment en Chine, particuliè- rement dans les provinces septentrionales, des bronzes décorés de caractères arabes. Ce sont des vases servant au culte islamique. La religion de Mahomet a été im- portée en Chine, ainsi que nous Tavons vu, vers Tan 6 1 8, par Saad ibn abou Ouaccas ; mais la prédication de ce saint personnage, se produisant au moment de la plus grande ferveur bouddhique, ne se répandit guère en dehors de la ville de Canton. Une immigration de colonies iraniennes, qui se continua presque sans in- termittence du XIII' au xvi<^ siècle, peut être considérée à plus juste titre comme Porigine véritable de rétablis- sement de la foi musulmane dans TEmpire du Milieu. Aujourd'hui, les Mahométans constituent, dans le nord de la Chine, le tiers de la population; dans le sud, ils sont en bien plus faible proportion.

Trois pièces composent les garnitures de vases des- tinés au culte musulman : une boîte à renfermer les parfums, une cassolette pour les brûler, un vase pour mettre les spatules de bronze avec lesquelles on prend Tencens et Ton attise la braise.

Le décor se compose de larges cartouches sont gravés, en caractères arabes, des versets du Coran. 11

LE BRONZF. 75

n^ pas d'autre ornementation, sinon parfois, sur le bord, une grecque ou une arabesque.

Les familles musulmanes placent ces vases sur leurs autels domestiques.

M. Schefer, directeur de TEcole des langues orien- tales, possède une précieuse collection de bronzes mu- sulmans provenant de Chine. Les spécimens représen- tés ci-dessus lui appartiennent; ils datent des premières années du xv^ siècle, ainsi qu'en font foi les marques gravées sous la base.

Nous pouvons citer encore, parmi les œuvres de bronze se révèle l'influence arabe, quelques-uns des instruments astronomiques conservés à l'Observa- toire de Pékin et, en particulier, une grande sphère céleste de six pieds de diamètre supportée par quatre dragons de bronze qui sont d'un modelé vigoureux et souple. Ces instruments ont été construits, vers l'an 1280, sous la direction des astronomes arabes que l'em- pereur Hou-pi-lie (Koubilaï-khan) entretenait dans son palais ^

V

LES BRONZES INCRUSTES ET DAMASQUINES LES BRONZES DORES

Comme tous les peuples de l'Orient, les Chinois ont cherché à rehausser l'aspect de leurs bronzes par des

I. Les autres instruments qui figurent à cet observatoire ont

7(5 LART CHINOIS.

incrustations métalliques ou par la damasquine, et ils y ont réussi au moins autant que les Arabes et les Persans. Le cadre restreint de cet ouvrage ne nous per- met que de signaler en passant Theureux parti que les artisans de TEmpire du Milieu ont su tirer de ces pro- cédés de surdécoration.

Il ne paraît pas que la damasquine ait été connue dans l'antiquité, et il est probable qu'elle a été importée de rinde au moment de la propagation du bouddhisme, ou plutôt encore des pays islamiques vers le xw siècle de notre ère.

Quant à Yincrustation proprement dite, c'est-à-dire l'application d'un métal ductile dans de larges creux évidés à l'aide de l'échoppe sur le bronze à rehausser, les Chinois l'ont pratiquée dans les temps les plus reculés et avec une perfection dont ils n'ont jamais livré le secret. Parfois, en effet, au lieu de simples cor- dons métalliques matés dans les tailles, de grandes taches d'or sont incorporées au bronze, comme si elles y avaient été fondues. Ces taches représentent tantôt des choses aux formes indécises, telles que des nuages ou des flots, tantôt même des figures aux contours plus précis, des phénix, des dragons. Certains bronzes ac- quièrent ainsi un charme de couleur qui semblait re- fusé aux surfaces métalliques et réservé aux seules œuvres de la céramique : l'éclat adouci des ors se fond harmonieusement avec les nuances sombres de la patine et les fait paraître plus riches, plus puissantes, presque

été fabriqués au xviii" siècle, sous la direction des mission- naires jésuites.

LE BRONZE.

71

vibrantes. La lumière produit parfois sur ces pièces rares de véritables enciiante- ments ; on dirait c]ue la ma- tière en fusion coule en- core sur le galbe du vase, et les macules d'or sem- blent noyées dans les colo- rations chaudes du bronze aux tons chatoyants.

M. Cernuschi possède un vase hou incrusté d^or, qui peut être considéré comme la pièce la plus parfaite de sa précieuse collection. Un décor de lancis orne la partie supé- rieure de la panse et se reproduit sur le couvercle qui est surmonté d'un lion de Fo, d'or aussi. La pa- tine du bronze est d'un vert olive, absolument unie, onctueuse à la vue. La délicatesse et le goût du travail d'incrustation sont certes merveilleux ; mais ce qui donne à cette œu- vre toute sa valeur esthé- tique, c'est l'admirable mo- delé de la surface restée nue. L'artiste s'est bien gardé, pour lui attribuer sa

.ç;,,,.. ,

SURAHÉ INCRUSTÉE d'or, H., 0"',45.

(Collection de M. H. Ceriuischi.)

78 L'ART CHINOIS.

forme, d'employer le tournage dont les produits cou-

vase HOU, INCRUSTK D OR. NIEN-HAO : SIOUAN-TF..

(l^2Û-i4}6). H , o"'.j7. (Collection de M. H. Cernuschi.)

servent toujours quelque chose de raide, de trop régu-

LE BRONZE.

79

lier; il a façonné à la main le galbe qu^il rêvait, il lui a donné une suavité de contours, une grâce souple et caressante, une douceur incomparable de lignes; on

BUIRE DE BRONZE DORE. H., 0"',39.

(Collection de l'auteur.)

dirait qu'il l'a modelé amoureusement comme un sculpteur modèle le sein d'une femme. Cette pièce porte le nien-hao de Siouan-te et date par conséquent de l'année 1430 environ, c'est-à-dire de la première épo- que des Ming.

8o

L'ART CHINOIS.

Les Chinois font i;rand usage du bronze doré. C'est le bouddhisme qui Va vulgarisé parmi eux en rem- ployant pour enrichir ses statues sacrées et ses objets

/V.^M.

CLOCHE DE BRONZE DORE. PÉRIODE KHANC-HI, l6Û2-I722.

(Collection de M. le V" de Semallc.)

rituels; mais rien ne permet d'affirmer que les procédés de la dorure ne fussent connus déjà à une époque an- térieure, c^est-à-dire avant notre ère.

Le procédé le plus communément usité est celui de

LE BRONZE. 8i

l'application au mercure. Nous le trouvons exposé, ainsi qu'il suit, dans un ouvrage technique publié à la fin de la dynastie des Ming (vers 1600), le Thien-'Kong Khaï-ou : on laissait séjourner les objets à dorer « dans une solution de salpêtre additionnée de suc de fruits acides 1 » pour les décaper; puis on chauffait le métal, on le frottait avec du mercure etonappliquaitdes feuilles d'or sur la surface ainsi amalgamée. On vola- tilisait ensuite le mercure par la chaleur et on achevait le travail en donnant à l'or resté adhérent le poli du brunissoir.

L'or dont on se servait était tiré du Yunnan, du Ho-nan et du Chen-si : on le réduisait en feuilles par le battage. On distinguait enfin quatre espèces d'or, sui- vant la nuance des reflets du métal : l'or rouge, l'or violet, l'or jaune et l'or verdâtre.

I. Cette solution tenait lieu des acides sulfurique, acétique, chlorhydrique, etc., dont l'industrie chinoise ignorait encore la préparation. Voy. sur l'état des connaissances industrielles des Chinois au xvi<= siècle, une note de Biot, insérée au Journal asiatique, i835, t. XVI.

L ART CHINOIS.

L'ARCHITECTURE

LES PRINCIPES ET LES PROCEDES

La première impression qui se dégage à la vue d'une ville chinoise que ce soitTien-tsin, avec les i5o,ooo maisons de sa population bourgeoise et ouvrière, ou Pékin, avec ses temples, ses palais impériaux ou prin- ciers et ses édifices publics est celle d'une certaine monotonie résultant de la prédominance d'un type ar- chitectural unique. Après un long séjour, cette impres- sion persiste encore, et quelques constructions seulement paraissent irréductibles à la formule générale.

La Chine, en effet, n'a eu, à toutes les époques de son histoire et pour tous ses édifices civils ou religieux, publics ou privés, qu'un seul modèle d'architecture.

En ce qui concerne l'antiquité chinoise, nous sommes obligés de nous en référer aux documents écrits et aux reproductions graphiques ; car il n'existe pas dans tout l'Empire du Milieu de monument anté- rieur au xi^ siècle de notre ère. Les voyageurs et mis- sionnaires qui ont parcouru toutes les provinces de

L'ARCHITECTUK E. fij

rintérieur soni unanimes sur ce point : il n'y a pas de ruines en Chine*. La cause en est à la fois dans la qua- lité des matériaux employés (bois et brique) et dans la légèreté du type de construction adopté; les pièces de charpente ont été détruites par le feu, Thumidité, etc. ; Pappareil des briques était si mince qu^il s'est toujours effondré, sans laisser ces grandes ruines, ces pans entiers d'argile cuite qui permettent de reconstituer encore après 2,5oo ans les palais de Chaldée et d'As- syrie.

Les documents graphiques que nous possédons - permettent d'affirmer que, quatre ou cinq cents ans avant J.-C, les Chinois construisaient déjà leurs monu- ments et leurs maisons sur le plan dont ils se servent en-

1. « Il n'y a rien, dans tout l'Empire du Milieu, qui mérite le nom de ruine architecturale, rien qui nous apprenne si les géné- rations précédentes construisaient des édifices plus splendides ou plus pauvres que ceux d'aujourd'hui. » Williams, Middle King dont, 1, 72b.

Seule, la Grande-Muraille fait exception. Elle s'étend depuis le golfe du Liao-toung, dans le fond du G. du Petchili, jusqu'à l'extrémité occidentale de la province du Chen-si, sur un espace de cinq à six cents lieues. Elle fut construite, pendant les pre- mières années du m" siècle av. notre ère, par l'empereur Thsin- chi-hoang-ti pour défendre l'Empire contre les incursions des Tartares Hioung-nou. C'est l'œuvre la plus gigantesque qui ait été jamais exécutée par les forces humaines. Elle mesure environ 20 pieds de hauteur et 12 d'épaisseur; elle est Hanquée, tous les 5oo mètres, de tours hautes de 40 pieds. Les matériaux em- ployés sont tantôt la pierre de taille, tantôt la brique. Sur cer- tains point du parcours, le rempart ne se compose que d'un ter- rassement. La Grande-Muraille détache plusieurs ramifications qui couvrent des provinces entières.

2. Voy., entre autres documents, les albums chinois cotés Oe. 14, Oe. 23, Oe. 16 et Oe. 17 au Département des Estampes.

i^^ L'ART CHINOIS.

core aujourd'hui. A y regarder de prés, cette fixité d'un type architectonique conservé intact à travers les siècles n'a rien qui doive surprendre en Chine, surtout si Ton se rappelle que les formes décoratives des autres arts ont si peu changé. De toutes les formules d'art, celles de Farchitecture sont, en effet, les plus lentes à se renou- veler chez un peuple, parce qu'elles sont l'expression la plus manifeste et la plus solide de ses instincts, de ses habitudes, de ses besoins, de son caractère et de ses tra- ditions. Or, comme précisément les Chinois ont poussé l'observance des traditions plus loin qu'aucune nation au monde, comme, d'autre part, leur tempérament po- sitif et leur pauvreté d'imagination leur ont épargné les brusques changements d'idéal et les grandes révolutions morales qui ont si fréquemment renouvelé l'inspiration des artistes occidentaux^ ils ont pu se contenter pen- dant plus de vingt-cinq siècles d'un seul mode de con- struction pour y abriter la pratique de leur vie privée ou politique et l'exercice de leur foi religieuse.

Seul, le bouddhisme, qui s'introduisit en Chine vers la tin du T" siècle de notre ère, fut assez puissant pour suggérer quelques formes nouvelles ou plutôt pour faire sentir que les formes anciennes ne suffisaient pas à exprimer les sentiments éveillés par la doctrine de Çakya-Mouni.

La brique et le bois ont été, de tout temps, les prin- cipaux, presque les seuls matériaux de construction usi- tés en Chine. Il est difficile de détermi_ger les raisons pour lesquelles les Chinois ont fait si rare'iwcnt usage de la pierre dans leurs édifices. Ce n'est pas la rareté de la pierre : on en trouve, en effet, et en abondance, dans

L'ARCHITECTURE. 85

toutes les provinces; d\ailleurs la plupart des villes ont des quartiers entiers paves de larges dalles. Ce n''cst pas la difficulté du transport des blocs, ni la dépense quMl eût imposée, puisque les jardins impériaux et princiers sont semés de rocs énormes amenés par des procédés de traction très perfectionnés, et que, d'autre part, le système de construction adopté a toujours né- cessité l'emploi de colonnes de bois qu'il a fallu, dans certains cas, faire venir d' Indo-Chine à prix d'or, les forets chinoises ne fournissant pas d'essences sulfisam- ment robustes. Ce n'est pas, enfin, la prévision des tremblements de terre, ces phénomènes étant beaucoup inoins fréquents sur le continent asiatique que dans l'ar- chipel du Japon.

Les seules constructions qui soient toutes de pierre sont \q% paï-sang ou -paï-leou, sortes d'arcs de triomphe, d'une hauteur de 12 à i5 mètres, percés de trois ou cinq baies et chargés de sculptures. Ces paï ont pour but de rappeler c[uelque fait mémorable de l'histoire ou quelque action méritoire d'un particulier. C'est géné- ralement sur décret impérial qu'on élève ces arcs. Le plus remarquable est celui qui précède l'entrée du temple de Confucius à Pékin ; nous en donnons plus loin la reproduction.

L'unique raison qui nous paraisse justifier l'emploi presque exclusif que les Chinois ont toujours fait des matériaux légers est l'idée, toute différente de la nôtre, qu'ils ont conçue de la durée à assigner aux construc- tions. Avec leur esprit éminemment positif, sans grande vue ni ambition, ils estiment qu'un édifice qui est de- meuré debout autant que la génération qui l'a vu élever,

66 L'ART CHINOIS.

a satisfait à sa destination. A quoi bon bâtir pour un avenir incertain, pour des descendants inconnus? Si Ton considèrp que, dans l'esprit chinois, le souci des descendants, la préoccupation de leur laisser fortune, honneurs, considération, en un mot le désir de se per- pétuer en eux n'existe pas, comme chez les races occi- dentales, — que, par un singulier contraste avec elles, par une étrange déviation psychologique, ces senti- ments d'hérédité se sont, pour ainsi dire, retournés et reportés vers les ancêtres seuls, à tel point que les anoblissements concédés par Tempereur, au lieu de rejaillir sur les générations à venir, remontent vers les ascendants et profitent à toute la ligne ancestrale, on comprendra que les constructions de la Chine portent si rarement ce caractère de durée que nous sommes habi- tués à rechercher dans les édifices.

Les Chinois ont connu de toute antiquité, semble- t-il, la voûte; mais ils en ont fait rarement usage. Ils Tont réservée pour les portes de remparts et les ponts; dans ce cas ils Font employée avec hardiesse et les spécimens qui nous en restent ne manquent pas de grandeur. La figure ci-contre représente une des portes voûtées de Pékin; construite en 1274 sous la dynastie des Youen, elle a été restaurée, ainsi que toute Tenceinte fortifiée dont elle fait partie, par l'empereur Young-lo, des Ming, en 1409 ^

Il est à noter que les Chinois n'ont pas su tirer de la voûte tous les partis qu'elle aurait pu leur fournir; ils n'ont jamais construit de coupole et ils se sont in-

I. Cf. Marco Polo, ch. lxxxiv.

L'ARCHITECTURE.

87

tcrdit ainsi lés lieureuses créations des arciiiiccturcs persane et byzantine. Seuls quelques monuments boud- dhiques, les stoupas (voy. p. i iq) affectent exté- rieurement la forme d'une coupole ; mais ce ne sont que d'épais massifs de maçonnerie sans aucun

PORTIQUE DU TEMPLE DE CONFUCIUS, A PEKIN.

des caractères essentiels de ce type architectonique. La formule générale des constructions chinoises est le fing. C'est un toit recourbé et surplombant, reposant sur des colonnes courtes. Quelle en est l'origine? Est-ce, comme on l'a déjà remarqué, la tente primitive des hordes asiatiques? Le t'ing^ avec ses extrémités recour- bées comme le sont les angles d'une tente relevés par des piques, avec cette incurvation du milieu de la pente qui rappelle le creux formé par la souplesse pesante de

88 L'ART CHINOIS.

la toile, présente en cftet une ressemblance frappante avec une tente : Tabsence du plafond, des fenêtres laté- rales, et généralement aussi d''étage supérieur, est un trait commun de plus. Le respect que les Chinois ont toujours professé pour les traditions, et la permanence des types primitifs à travers toutes les époques de leur histoire permettent de croire que le t'ing^ arrêté dans ses formes à une époque très reculée, provient de la tente et n'est qu'un souvenir effacé de la vie nomade.

Tous les édifices, temples, palais, hiaisons particu- lières, portes de ville, arcs de p-ioraphe, etc., sont conçus sur le plan du fing; tous, sauf quelques constructions bouddhiques, reproduisent le mémtî schéma. De vient cette impression de monotonie que le fouillis d'ornements, de moulures et de sculptures, dont sont parfois surchargés les monuments, ne parvient jamais à effacer.

La toiture est la partie principale des constructions, celle dont Tédifice tire ses caractères de grandeur ou de simplicité, de force ou d'élégance. Cette prépondérance, attribuée à une partie du bâtiment qui est généralement sacrifiée dans l'architecture occidentale, se justifie par le peu d'élévation du plan vertical : les toits sont, en effet, ce qui se voit le plus dans une construction chi- noise. Pour en varier l'aspect, on a imaginé de les doubler et parfois même de les tripier. La figure de la page 91, qui représente le temple principal de la sépul- ture où repose l'empereur Young-lo, des Ming, aux en- virons de Pékin, nous fournit un exemple de deux toits superposés. Cette disposition, qui est adoptée sui'tout pour les palais et les temples, semble reculer l'inté-

L'A RCHITF.CTURE.

89

rieur de Pedifice, l'envelopper d'ombre, et est parfois d'un effet assez puissant. Mais c'est surtout par la de-

PORTE DES REMPARTS DE PEKIN.

XV*- SIECLE.

coration que les arcliitectes chinois ont cherché à don- ner à la toiture toute son importance, à concentrer sur elle tous les regards.

90 L ART CHINOIS

La forme adoptée pour le t'ing et Timportance qui lui a été donnée ont rendu nécessaire Femploi multiple de la colonne et lui ont assigné une fonction de premier ordre : il a fallu, en effet, répartir sur des points d'appui nombreux la charge écrasante de la toiture.

La pierre a été rarement utilisée pour la construction des colonnes; c'est le bois qui, de tout temps, a été communément employé. Dans les maisons ordinaires on se sert de bois d'essences communes : les forêts de la Chine en fournissent d'abondantes quantités. Pour les palais et les grands temples, on emploie de préfé- rence le cèdre (iian-moii), qu'il faut faire venir des pro- vinces du sud de l'empire ou de l'Indo-Chine. Le Jian- moii est celui de tous les arbres qui fournit les troncs les plus droits et les plus hauts; c'est aussi une essence qui gagne à vieillir : le grain s'adoucit, la fibre se dur- cit, le bois prend une couleur feuille morte et conserve une odeur aromatique que les siècles ne peuvent lui enlever. Les superbes colonnes de cèdre que l'on voit dans la sépulture de l'empereur Young-lo, près Pékin, datent du xv" siècle et exhalent pourtant encore un vague parfum.

Le fût des colonnes est généralement svelte, il est cylindrique et parfois polyédrique; il n'est jamais cannelé.

Le chapiteau n'est le plus souvent qu'une sorte de console simplement équarrie ou formulée en tête de dragon.

La base n'est qu'un encastrement de pierre; nous ne croyons pas que les architectes chinois aient jamais songé à donner pour piédestal à leurs colonnes un des

92 L'ART CHINOIS.

animaux symboliques, le dragon, la licorne, le chien de Fo, etc., de même que les architectes assyriens ont employé leurs sphinx, leurs taureaux ailes et leurs griffons pour le soutien de leurs pilastres.

On a souvent reproché aux Chinois de n''avoir jamais admis d'éléments géométriques dans leur archi- tecture et de n'avoir pas connu les proportions qui seules peuvent donner à un édifice les apparences de stabilité, de majesté, d'élégance, d'ordre et d'harmonie que nous aimons à reconnaître dans nos monuments. C^est une critique imméritée. Les architectes de la Chine ont, de tout temps, eu le sentiment des rapports proportionnels qui doivent exister entre les différents éléments d'un bâtiment et en dehors desquels il n'y a ni équilibre des parties ni grandeur de l'ensemble. Dans le grand recueil d'architecture officielle qui fut publié au xv!!!*" siècle par ordre de l'empereur Young- tching et qui ne comprend pas moins de 5o volumes, les proportions à observer entre les parties principales d'un édifice sont minutieusement indiquées. Les règles adoptées pour les colonnes portent, par exemple, que la hauteur du fût doit être de sept à dix fois son dia- mètre, et que la hauteur de la base ne doit pas être supérieure au diamètre du fût*.

Les constructions chinoises se développent surtout en surface. Il y a donc prédominance des lignes hori- zontales. Le principe qui détermine le tracé du plan de projection est celui de la symétrie. C'est un principe

I. Voy. aussi le Kong-tching-tso-fa, ou Traité de l'art de bâtir, coté SyS au Département des ms. de la Bibliothèque Nationale.

L'ARCHITECTURE.

absolu : les corps de bâtiment et les ailes, les avenues, les cours, les pavillons, les motifs de la décoration, toutes les parties entin, sont distribués symétriquement.

Les architectes chinois ne se départissent de cette règle formelle que dans le plan des résidences d'été, qui est, au contraire, conçu de la façon la plus capri- cieuse. Ce ne sont alors que kiosques élevés au hasard, édicules détachés, ailes sans pendant, au milieu d'une nature tout artificielle et compliquée, faite de rochers apportés, de pièces d'eau, de vallonnements, etc.

Le plan vertical n'attribue généralement qu'un seul étage aux édifices. Cependant les palais impériaux, cer- taines maisons de ville telles que les restaurants et les théâtres, enfin les résidences de campagne des princes et des particuliers comportent souvent un deuxième étage. La figure de la page gS représente une de ces constructions surélevées. D'après les proportions com- munément admises, la hauteur du deuxième étage doit être égale aux deux tiers du premier, et le diamètre de ses colonnes égal aux quatre cinquièmes de celui des colonnes inférieures.

Il semble que les Chinois aient eu conscience de la pauvreté de la conception première qui inspire leurs œuvres architecturales et qu'ils aient essayé de la dissi- muler sous la profusion des détails décoratifs. Des dragons, des chimères, des phénix, des tortues, toute une zoologie fabuleuse et fantastique de bois sculpté ou de terre cuite, surchargent les faîtières ou courent sur les frises; des figurines et des fleurs d'argile peinte écrasent les corniches, les larmiers et les frontons; des couleurs voyantes, souvent criardes, bariolent les chapiteaux des

94- L'ART CHINOIS,

colonnes et les architraves; des tuiles vernissées de jaune, de bleu, de vert, font briller les toitures; une ornementation touffue et désordonnée envahit toutes les parties de la construction ; mais sous le fouillis des lignes reparaît toujours la monotonie du type originel. La richesse de la décoration ne parvient ni à en varier Paspect ni à en détourner Pesprit. C'a été la grande supériorité de Tarchitecture japonaise. Avec les mêmes éléments, les mêmes matériaux, le même schéma archi- tectonique (qu'elle avait emprunté d'ailleurs aux Chi- nois), elle a revêtu ses édifices d'un caractère esthétique individuel que n'ont jamais eu les monuments de l'Em- pire du Milieu. On sait le parti que les artistes du Nip- pon ont su tirer, à cet effet, de la décoration. Dans le désordre des motifs ornementaux du prototype chinois, ils ont su trouver l'harmonie des lignes ; à la poly- chromie violente du modèle dont ils s'inspiraient, ils ont substitué les nuances plus discrètes de leur palette, les tons adoucis de leurs laques et l'éclat amorti de leurs ors; enfin ils ont donné à leurs sculptures l'accent d'une vie si intense, si exubérante et si épanouie que tout le monument en a été comme animé et éclairé : de leur part, l'ornementation a été œuvre d'artiste, en Chine, elle est demeurée œuvre d'ouvrier.

Les Chinois attachent une importance capitale à Vorientation de leurs édifices, temples, tombeaux, pa- lais, maisons particulières, etc. C'est, en effet, une croyance établie parmi eux depuis la plus haute anti- quité et reconnue officiellement depuis le xi« siècle de notre ère, que des influences mystérieuses naissent de la configuration des terrains, de la direction des cours

96 L'ARTCHINOIS.

d'eau, des courants magnétiques qui traversent le sol, des fluides qui y résident, des vapeurs qui s'en élèvent, des astres qui se meuvent au-dessus, etc. L'ensemble de ces influences forme ce qu'on appelle le Fong-choiii, littéralement « le vent et l'eau ». C'est, en fait, un sys- tème de géomancie se retrouvent tout à la fois des principes scientiflques, des pratiques astrologiques, des préceptes d'hygiène, des croyances religieuses et de grossières superstitions empruntées au taoïsme et au bouddhisme. Le Fong-choui se rattache aussi, et très étroitement, au culte des ancêtres, car il procède de cette idée que les âmes des morts ont le pouvoir d'intervenir dans le monde des vivants ; il est l'objet d'un tel respect et il est entré si profondément dans l'esprit des Chinois qu'il domine toutes les manifestations de leur vie intime et sociale i.

En ce qui concerne l'architecture, le Fongrchoui édicté des règles minutieuses que seuls lesgéomanciens officiels peuvent connaître et interpréter. Il est indis- pensable de les consulter pour déterminer la situation précise et l'orientation d'un édifice à construire, de façon que les influences subtiles dont il sera entouré ne soient pas hostiles à ceux qui y établiront leur demeure.

Après ces brèves indications sur les principes et les procédés de l'architecture chinoise, il nous est permis d'étudier l'application qui en a été faite : dans les édifices civils; dans les édifices religieux.

I. Cf. Eitel, Feng-shui, or tlie Rudiments of natural science in China.

L'ARCHITECTURE. 97

II

L ARCHITECTURE CIVILE

Un principe domine Parchitecture civile en Chine: elle est soumise à une réglementation officielle.

Cette réglementation est aussi ancienne que Pétat social en vue duquel elle a été édictée, et nous la trou- vons consignée déjà, mille ans avant notre ère, dans le Tcheou-li. Elle porte, d'une manière générale, sur la hauteur, la largeur et la longueur des bâtiments, sur le nombre des cours, sur Télévation de la plate- forme qui sert de soubassement au rez-de-chaussée, sur le nombre des colonnes, etc. La mesure de.^es dif- férents éléments va en augmentant du simple particu- lier au lettré, du lettré au grand mandarin, du grand mandarin au prince et du prince à l'empereur. Ainsi, le corps de logis principal d'une maison ne doit avoir * que trois entre-colonnes de façade si elle appartient à un lettré, cinq, si elle est habitée par un mandarin du premier rang, et sept, si c'est la demeure d'un prince. Les palais de l'empereur seuls en comptent neuf ou da- vantage.

On conçoit aisément l'influence qu'ont avoir sur l'architecture chinoise des règles aussi étroites, se per- pétuant pendant plus de vingt-huit siècles. Elles ont tari toute inspiration chez les architectes, qui n'ont

L'ART CHINOIS. 7

98 L'ART CHINOIS.

plus eu à exercer leur fantaisie que sur les hors-d'œu- vre et les parties accessoires des édifices, sur le détail de la décoration.

Les palais. Le cadre restreint de cet ouvrage ne permet pas d^entreprendre la description détaillée d'un palais impérial en Chine. Celui de Pékin se compose d'une succession régulière et symétrique de cours rectan- gulaires et de jardins renfermant quarante-huit vastes pa- lais, environ autant de temples et un nombre plus grand encore de kiosques, d'arcs et de portiques. C'est toute une ville : une enceinte fortifiée l'enveloppe entièrement.

Ces bâtiments sont conçus sur le type éternel du t'ing ; mais les différents éléments qui figurent dans la construction ont reçu leurs plus grandes dimensions.

La composition architectonique en est donc fort simple et n'offre rien qui, en soi, doive produire une impression puissante. Et pourtant, Timpi-ession que l'on ressent en présence d'un palais chinois est assez gran- diose. C'est, en effet, de l'ensemble qu'elle se dégage. La largeur des cours et des esplanades, le développement horizontal des édifices, l'ordonnance symétrique du bâ- timent principal et des constructions environnantes, un tel déploiement d'espace et une disposition si régulière de toutes les parties suffisent à éveiller dans l'esprit des idées d'ordre, de puissance et de gravité majestueuse.

Il y eut cependant une époque, au commencement de la dynastie des Tcheou (xi*' siècle av. J.-C), ou l'ar- chitecture chinoise eut pour les palais de ses empereurs de plus hautes visées. On construisit alors des monu- ments, appelés taï ou hou, qui mesuraient jusqu'à cent mètres d'élévation; on accédait au sommet par un esca-

L'ARCHITECTURR.

99

lier extérieur. Pendant plusieurs siècles, ce l'ut le grand luxe, la ruineuse folie des Fils du Ciel. Au milieu du 111° siècle avant J.-C, Tempereur Thsin-chi-hoang-ti en fit construire dans toutes ses résidcnA:es, par tout

T AI -HO- TIEN, SALLE DE LA SOUVERAINE CONCORDE, AU PALAIS IMPÉRIAL, A PÉKIN.

(D'aprùs une peinture chinoise appartenant à M. G . Deveri.i.)

Tempire. Les princes voulurent imiter les souverains et firent élever aussi des taï dans leurs palais. Mais des édits impériaux leur interdirent bientôt ce luxe qui fut réservé désormais à Pempereur seul. A partir du xiir siè- cle, c''est-à-dire de Favènementde la dynastie mongole, on renonça à ces constructions dispendieuses, et aujour- d'hui il n^en reste même plus de ruines.

100 L'ART CHINOIS.

Les taï ou hou sont souvent cités par les poètes. Sou-chi-pa disait dans une ode (vers 200 avant J.-C.) : « Quand j'élève mes regards vers le hou de pierre, il me faut chercher son toit dans les nues. »

Tou-pe décrit ainsi le taï qui s'élevait dans la capi- tale des Thang : « L'émail de ses briques rivalise d'éclat avec l'or et la pouVpre, et réfléchit en arc-en- ciel les rayons du soleil qui tombent sur chaque étage 1. » Enfin, Te-li, parlant d'un taï haut de plus de iSo mè- tres, s'écriait dans une de ses strophes : « Je n'oserais pas monter jusqu'à la dernière terrasse d'où les hommes n'apparaissent que comme des fourmis. Monter tant d'escaliers est réservé à ces jeunes impératrices qui ont la force de porter à leurs doigts ou sur leur tête tous les revenus de plusieurs provinces. »

Quelle fut Torigine des taï? Les Chinois ont-ils créé de leur propre génie ce type architectonique qui est si différent de leur formule habituelle? L'ont-ils emprunté, et à qui ? La date éloignée à laquelle on a commencé de construire des taï en Chine impose une grande réserve dans la détermination des influences étrangères qui ont pu s'exercer à cette époque sur Part chinois. Les annales de l'Empire du Milieu mentionnent cependant certains faits qui permettent de croire qu''au xvir' siècle avant notre ère il existait déjà des rapports entre cet empire et les civilisations de l'Asie occidentale. Le premier de ces faits est l'arrivée en Chine, « dans la 3* année du règne de Tai-Ou » (1634 av. J.-C), d'ambassa- deurs expédiés par les Si-joung ou « barbares occiden-

I. Cf. Mémoires concernant les Cliinoii, II, 363.

TAl DON PALAIS IMPERIAL.

(D'après une peimurc chinoise du Département îles Esumpes.)

102 L'ART CHINOIS.

taux «. On lit, en outre, dans les grands Tableaux Chronologiques chinois que ces qpvoyés , « partis de régions éloignées, venaient de 76 royaumes «. Quelles causes extraordinaires déterminèrent la mis- sion simultanée de ces ambassadeurs à la cour de la dynastie des Chang? Fut-ce uil appel des monarchies occidentales, une demande de secours contre la grande invasion qui semble s'être produite, dans le même temps, en Asie centrale et les historiens grecs ont vu, par erreur, la suite des conquêtes de Ramsès 1 1 ? On ne sait ; mais il est certain que depuis cette époque des relations, très intermittentes, il est vrai, firent connaître à la Chine les civilisations étrangères qui l'entouraient vers Touest. Cinq cents ans plus tard environ, Pempereur Mou-Ouang, des Tcheou (1001-946) accomplit un voyage « dans les contrées situées à Poccident de la Chine » ; il fut ébloui par la somptuosité et la grandeur architecturales des villes qu'il y visita, et il ramena avec lui des architectes et des ouvriers dans le but de faire reproduire les mer- veilleux monuments qu'il avait admirés ^ Quelles étaient au juste ces contrées et ces villes ? Etait-ce la Médie, la Chaldée, l'Assyrie, Suse, Babylone, Ninive? On ne sait non plus. Mais parmi les ruines qui ont permis de reconstituer les types principaux de l'archi- tecture chaldéo-assyrienne, se trouvent précisément les restes de ces grandes tours à sept étages et à escaliers extérieurs dont la Chaldée et l'Assyrie avaient adopté la forme pour les plus grands de leurs temples. Ces monuments, tels que nous les montre la restitution

I. Pauthier, Chine ancienne, 1,95.

TAÏ d'un palais impérial.

(D'après une peinture chinoise du Département Jes Estampes.)

10+ L'ART CHINOIS.

tentée par M. Perrot dans son ouvrage sur l'Art dans Vantiquitc^^ offrent une ressemblance singulière avec les figures que nous représentons ci-contre et qui pro- viennent cfun carton chinois du Département des es- tampes. Cette ressemblance, qui se révèle autant dans le plan général de Téditice que dans les détails (escalier extérieur, superstructure légère, etc.), est trop frappante pour être fortuite. Si l'on tient compte, en outre, de la date à laquelle cette forme architecturale est apparue pour la première fois dans TEmpire du Milieu, on sera admis, peut-être, à attribuer une origine chaldéo- assyrienne aux anciens taï chinois-.

Les maisons PARxicuLiinŒs. La réglementation of- ficielle laisse moins de place à la fantaisie dans les maisons particulières que dans les palais. Construites toujours sur le type du fing, elles ne diffèrent guère que par le nombre de leurs entre-colonnements, la hau- teur et la largeur de leurs divers éléments et le tracé du plan horizontal.

Si Papplication des édits sur les constructions était rigoureuse, il devrait suffire de voir une maison pour connaître le rang que tient dans TEtat la personne qui y

1. Cf. Chaldée et Assyrie, H, p. 879 et suiv.

2. Cette attribution nous paraît d'autant plus admissible qu'il n'est pas douteux que la civilisation chaldéo-assyrienne ait exercé sur la Chine, vers la même époque, des influences d'un autre ordre. L'astronomie primitive des Chinois est incontesta- blement de provenance chaldéenne. (Cf. D"" Chalmers, Chinese c/a5S2C5.) Certaines idées philosophiques et religieuses accueillies plus tard par Lao-tse (vi" siècle av. J.-C.) renferment également des éléments étrangers dont l'origine occidentale est certaine. (Cf. Edkins, Chinà's place in philology, I.)

L'ARCHITECTURE.

los

demeure. Mais de grands tempéraments ont été apportés dans la pratique. Les promotions officielles, les dis- grâces, les transferts de propriété, etc., rendaient l'exé- cution stricte de la loi l'ort difficile et onéreuse. On imagina alors dMndiqucr la classe de Timmeuble par

mMÊ^

>\Vv^

TCHAO-P'iNG d'un TRIBUNAL CIVIL.

(D'aprcs U'ie peinture chinoise du Département des Estampes.)

une disposition architecturale qui pût être aisément modifiée ou remplacée suivant les changements apportés à la situation sociale du propriétaire.

Cette disposition est le tchao-p'ing. C'est un pan de mur isolé, une sorte d'écran élevé vis-à-vis de la porte d'entrée, à deux mètres environ en avant. La décoration du tchao-p'ing varie suivant la qualité des personnes dont il précède la demeure.

Les édifices publics ont également un tchao-p'ing

lofî L'ART CHINOIS,

qui indique Timportance du service administratif, judi- ciaire ou religieux qui y est installé.

Les superstitions populaires attribuent à cet écran de maçonnerie le privilège de détourner les mauvais esprits de la maison dont il masque Tentrée. Il dis- pense, en outre, de Pohligation imposée par la loi de

MAISON d'un particulier.

(D'après une peinture chinoise du Département des Estampes.)

descendre de cheval ou de charrette devant la porte des palais, temples officiels et tribunaux, puisque cette porte est ainsi dissimulée aux yeux des passants.

Suivant les cas, le tchao-p'ing prend les noms de tchao-pcï et de tchao-hiang.

Une autre façon de tourner les édits architecturaux s'est introduite dans l'usage et semble tolérée partout actuellement : il suffit que la porte, le^ mur de façade, les bâtiments sur la rue ci la première cour soient con-

L'ARCHITECTURE,

formes au type réglementaire. Dans les dernières cours, on laisse toute liberté au propriétaire, pourvu toutefois que le luxe et la hauteur de ses constructions n'attirent pas l'attention du de- hors.

L\rchitf,cturk des JARDINS. La place nous fait défaut ici pour parler des maisons de campagne et des jardins en Chine. Les Chinois ont une conception toute particulière de la décoration de leurs vil- las de plaisance et ils y ont mis toute la fantai- sie qui leur était inter- dite dans les villes. Renonçant absolument à leur principe de sy- métrie, ils n'ont eu d'autre but que d'ap- kiosq^ue.

DrOD'"ier leUl'S COnStrnr- (D'aprcsuue peinture chinoise du Département

des Estampes.)

tions au terrain, de les

encadrer dans le paysage, de tirer parti du pittoresque,

des accidents de terrain, des bois et des eaux.

Le kiosque, t'ing-tse, est le type habituel de ces constructions. L'ornementation en varie à l'infini. La toiture est faite de tuiles vernissées jaunes, vertes, vio- lettes, bleues, brunes, rouges, etc. Les colonnettes de bois sont peintes en couleur carmin ou vert foncé. Des

io8 L'ART CHINOIS.

plantes grimpantes, clématites, vignes vierges, roses tré- mières, s'attachent généralement à la charpente légère de ces édicules et les recouvrent presque.

Les Chinois ont de tout temps fait contribuer les poiits à la décoration de leurs parcs. Les formes les plus diverses ont été adoptées : à tablier horizontal, à tablier en dos d'âne, à tablier à deux plans inclinés. Les histo- riens et les poètes nous ont laissé de nombreuses des- criptions de ponts remarquables par leurs proportions et leurs ornements; il y en avait qui mesuraient plus de 3o mètres de large; d'autres étaient chargés de bas-re- liefs Jusque dans Peau, ou bordés d'une double allée d'arbres, ou recouverts d'un long péristyle. Marco Polo, qui visita la Chine et demeura à la cour de l'empereur Koubilaï-Khan auxiii® siècle, vit, sur la rivière Houen- ho, un pont de marbre qui avait vingt-quatre arches et dont les parapets portaient cent quarante colonnes séparées par des bas-reliefs*.

Le pont qui est représenté à la page 109 s'élève près de Pékin, dans les dépendances du Palais d'Eté et date de la tin du xvir siècle.

III

l'architecture religieuse

Ainsi que nous l'avons indiqué au début, les édifices religieux n'ont pas de formes qui leur soient propres,

I. Ce pont existe encore.

110 L'ART CHINOIS.

et à première vue il peut être malaisé de distinguer un temple d'un palais.

Les temples du culte off-jciel. Le Temple du ciel à Pékin est, sans contredit, le plus remarquable entre tous. C'est plutôt un autel qu'un temple proprement dit, car tout le monument se développe en plein air, sans toiture ni parois.

Trois terrasses, de forme circulaire et entourées de balustrades de marbre, se superposent et supportent une table de pierre destinée aux sacrifices officiels; la ter- rasse inférieure a 120 pieds de diamètre; la terrasse supérieure s'élève à 25 pieds au-dessus du sol. Un grand rideau d'arbres séculaires s'étend tout autour, voilant la vue sur les côtés et l'élevant, pour ainsi dire, vers la voûte céleste.

C'est que l'empereur vient, trois fois Tan (aux deux solstices d'hiver et d'été et au début du prin- temps), sacrifier au Ciel dont il est l'émanation sur la terre.

Cet édifice a été construit sous l'empereur Young-lo, 3" souverain de la dynastie des Ming, en 142 1. Jusqu'en i53i, les sacrifices que l'empereur doit à la Terre s'y célébraient également; mais, depuis cette époque, ils sont offerts sur un autel particulier qui s'élève de Tautre côté de l'esplanade est l'entrée principale du temple *.

Ces deux monuments, consacrés à un culte spécial et dont l'empereur est le seul officiant, sont uniques de leur espèce et font exception à l'identité de schéma adoptée en Chine pour les édifices de toutes les reli-

I. Cf. Edkins, Religion in China, p. 18 et suiv.

L'ARCHITECTURK.

gions. Ils nous présenteni sans doute le type primitif des

tcmplcschinois, Tau- tel en plein air dans un enclos sacré, [de- menas aryen. LUdée de loger la divinité, de lui construire une maison close et couverte, ne pou- 2 vait venir aux pre- w miers Chinois, qui ^ ne personnifiaient ^•^ pas leurs Dieux et •^ qui, tout en sacri- s fiant aux Puissances

o

a naturelles, les ado-

>j

^ raient comme des

H symboles et non p comme des réalités. 2 Ce ne fut que plus u tard, dans la suite des temps, lorsque le culte se fut compli- qué, lorsqu'aux pra- tiques simples et naïves des époques archaïques vint s'a- jouter un enseigne- ment philosophique, que l'on songea à abriter sous un toit et entre des murs les pratiques de la vie religieuse. Plus tard encore,

112 L'ART CHINOIS.

lorsqu^au ii'' siècle de notre ère le Bouddhisme apporta sa liturgie et son imagerie sacrées, le plan des temples subit de nouvelles modifications et reçut tout le déve- loppement, toute rimportance architecturale qu'il a conservés jusqu'à nos jours.

En dehors des deux autels du Ciel et de la Terre, les édifices dédiés au culte officiel et à Confucius ren- trent dans le type commun. Ils se composent, d'une façon générale, de plusieurs bâtiments disposés sur le même axe et séparés par des cours intérieures. Les con- structions ne s'élèvent que d'un étage.

La décoration intérieure est des plus simples ; elle procède d'une inspiration toute chinoise, l'on ne sent aucune influence étrangère. Des tablettes d'ébène, portant en lettres d'or le nom de Confucius et de soixante-dix de ses disciples, sont appendues au mur dans la salle principale du temple. Les adorations et les prosternemcnts rituels se font devant ces inscrip- tions qui personnifient les âmes du grand philosophe et de ceux qui ont illustré sa doctrine.

Il n'y a ni statues ni peintures pour évoquer l'image de leur physionomie ou pour rappeler les épisodes de leur vie passée. Seuls, sur des tables basses, des vases de bronze aux galbes archaïques témoignent qu'au temps vivait Confucius il y avait en Chine un art plastique. On saisit l'imagination chinoise dans son indigence primitive, dans son impuissance à donner une forme concrète à ses conceptions idéales.

Le temple de Confucius à Pékin est situé au nord de la ville. Une avenue de cyprès conduit du portique de l'entrée au bâtiment principal, se font les sacri-

L'ARCHITECTURE. XIJ

fices des équinoxes d'automne et de printemps. Des quartiers de viande sont offerts sur des plats, devant la tablette portant le nom du philosophe. On ne lui adresse pas de prières, on se prosterne en silence : ce n'est qu'un hommage de respect et de vénération.

Dans une des cours du temple, les empereurs qui se sont succédé à la cour de Pékin ont fait graver, sur des pierres dressées, des éloges qu'ils ont composés de leur main.

Il existe dans la province du Chan-tong, à Khiu- feou, patrie de Confucius, un temple remarquable que desservent en son honneur ses derniers descendants. Le principal d'entre eux porte le titre de « Duc toujours saint» et reçoit une pension de l'Etat. Le temple est de- venu un lieu de pèlerinage ; les documents officiels le désignent sous le nom de «Temple du premier saint et du premier instituteur des hommes » [thi ching siân sse miao], (Voy. p. 1 15.)

Les temples bouddhiques. L'aspect extérieur des temples bouddhiques ne diffère pas de celui des édifices consacrés au confucianisme; mais la décoration inté- rieure en est conçue d'après de tout autres principes.

Les temples dédiés au culte de Fo sont orientés dans la direction sud-nord; ils se composent, comme ceux du culte officiel, de plusieurs corps de bâtiments en en- filade, séparés par des cours.

Dès l'entrée, sous une forme de vestibule, on remarque généralement quatre statues de bois, placées symétrique- ment de chaque côté. Ce sont les grands rois des Dévas [Si-ta-tien-ouang] qui exercent leur empire sur les ré- gions situées aux quatre points cardinaux du mont

l'art chinois. 8

n^. L' ART CHINOIS.

Mérou, centre du monde. Ces divinités interviennent dans les affaires humaines et veillent à Tobservance de la loi de Bouddha.

Entre ces statues et le mur de façade, s''en dressent deux autres, d'attitude belliqueuse, revêtues d'un appa- reil guerrier. Ce sont les dieux Tseng et Ho, défenseurs du temple.

On voit encore dans le vestibule d'entrée Peffigie de Maitreya-Bouddha [Mi-li-fo] ou « le Bouddha qui doit venir «, celui qui, dans des millions d'années, apparaîtra aux hommes et leur enseignera la voie du repos éternel. Il est représenté la face riante, la poitrine découverte, le corps obèse.

Les personnages dont les statues figurent ainsi dans cette première partie du temple sont des Dévas, c'est-à-dire appartiennent encore à cette catégorie des êtres qui ne sont pas délivrés de la métempsycose.

En arrière de ce vestibule se dresse le corps prin- cipal du monument, le Ta-hioung-pao-tien ou a salle précieuse du grand héros divin ». C'est laque se trouve la statue de Çakya Mouni, méditant sur son lit de lo- tus. A sa droite et à sa gauche sont ses deux disciples favoris, Ananda [O-nan) sous les traits d'un jeune homme et Kashiapa [Kia-che] avec la physionomie d'un vieillard. Ces deux apôtres préférés du maître sont au premier des quatre degrés qui constituent les avatars bouddhiques, celui des Schràvakas [Cheng-oiien ou « auditeurs »).

Sur les bas côtés, dix-huit disciples, parvenus au rangd'Arhans (A-h-haii), semblent écouter l'exposition du « Lotus de la bonne Loi » ou des soutràs sacrés, tan-

L'ARCHITECTURE.

"S

dis que des animaux sauvages, symboles des influences surnaturelles dont ils sont investis, sont (dans les grands temples, au moins) couche's à leurs pieds.

TEMPLE DE CONFUCIUS A KHIy-FFOU.

(D'après une peinture chinoise du Département des Estampes )

Derrière les trois statues centrales, trois autres, de moindre dimension, sont placées face au nord: ce sont celles de Kouan-yin, « déesse de la Miséricorde »,et des deux Boddhisatvas Pou-hien et Ouen-chou.

iirt L'ART CHINOIS.

Cette distribution des statues sacrées est quelquefois modifiée. Ainsi, au lieu de dix-huit disciples parvenus au rang d'Arhans, on place quelquefois, dans les bas côtés, des statuettes du Bouddha, ou les trente-deux particularités de son corps sont mises en lumière. Le nombre des idoles exposées varie aussi, et certains sanctuaires, comme celui de Pi-yun-sse, près Pékin, en renferment plus de cinq cents.

Les quatre degrés de la métempsycose indienne ont ainsi leurs représentants dans le bâtiment principal, depuis le Bouddha lui-même jusqu'aux simples « audi- teurs ». C'est comme la vision raccourcie des cercles de transmigration qu'il faut traverser avant d'entrer dans le grand reposa

On conçoit l'impression profonde que dut faire sur les premiers adeptes du culte de Fo l'aspect de pareils temples. Rien jusqu'alors, dans les édifices réservés au culte primitif, ne les avait préparés à une telle magni- ficence ; toutes ces statues, dorées pour la plupart et apportées directement de l'Inde dans les premiers temps, leur apparaissaient comme des figures étranges, apparte- nant à un autre monde et supérieures à la race humaine. Il se produisit alors, dans l'Empire du Milieu, un mou- vement analogue à la grande crise mystique qui exalta les âmes du moyen âge chrétien et leur fit concevoir l'architecture gothique. Les Chinois connurent, mais à un moindre degré (leur imagination ne se prêtant pas à de si puissants écarts), ce besoin de sensations esthé- tiques multiples, extrêmes et raffinées, qui se traduisit

I. Cf. Edkins, Chinese Buddkism, ch. xiv.

L'ARCHITECTURE.

en Europe, aux xiii^ et xiv siècles, par la conception grandiose et compliquée des cathédrales gothiques.

PAGODE D-E OUAN-CHEOU-CHAN (pALAIS- d'ÉtÉ) PRÈS PÉKIN.

C'est pour satisfaire à ce besoin que la Chine bouddhique a emprunté à Plnde quelques formes ar- chitecturales différentes du type général de construction qui lui avait suffi jusqu'alors. Les principales de ces formes sont les pagodes ou fa et les stoupas.

ii8

L'ART CHINOIS.

Les pagodes sont des sortes de tours polygonales divisées en cinq, sept, neuf, onze et quelquefois treize étages. Les ambassadeurs persans de Chah-Rokh, qui traversèrent la Chine au commencement du xv° siècle, parlent même d'une pagode à quinze étages, située

MONASTERE BOUDDHI Q.U E DES CINQ_ PAGODES, OU-T A-SSE, PRÈS PÉKIN.

dans la ville de Kan-tcheou (province du Kan-sou). L'idée qui a inspiré ce singulier type de construc- tion est une conception bouddhique; les étages accumu- lés représentent symboliquement les cieux superposés au-dessus de la terre ou les Boddhisatvas vont attendre rinstant de leur apparition dans le monde en qualité de Bouddhas accomplis. On ne trouve plus de ces tours dans rinde, elles ont été détruites lors des grandes

L'ARCHITECTURE.

119

STOUrA DU PE t'a-SSE, A PEKIN. XII l'' SlÈCtE.

persécutions brahmaniques; mais on en a découvert

120 L'ART CHINOIS.

dans TAfghanistan, c'est-à-dire dans Tancien empire indo-bactrien, dont la population a professé autrefois le bouddhisme.

C'est donc surtout dans la hauteur, parfois exagérée, du monument que les Chinois ont cherché Teffet archi- tectural de leurs pagodes; c'est dans le revêtement exté- rieur de rédifice qu'ils en ont cherché Teffet décoratif.

Ce revêtement est tantôt de pierre, tantôt de marbre, tantôt de cuivre, de faïence ou de porcelaine. Telle était la fameuse tour de porcelaine qui s'élevait prés de Nankin, dans le « Temple de la gratitude et de la recon- naissance extrêmes » [Ta-pao-ngan-sse). Ce monument, éditié sous les Thsin au iv*^ siècle de notre ère, fut presque entièrement reconstruit au commencement du xv*^ siècle, sous l'empereur Young-lo, de la dynastie des Ming, et restauré encore en 1664 par l'empereur Khang-hi. Il fut détruit en i853, pendant la révolte des Taïpings.

La hauteur totale de la tour était d'environ 100 mè- tres, et sa largeur à la base de 3o mètres. L'édifice se composait de neuf étages percés de niches extérieures qui étaient ornées de statuettes bouddhiques. l<e revête- ment de chaque étage était fait de plaques de porcelaine.

Les stoiipas sont également d'origine indienne et da- tent du bouddhisme.

On en a découvert dans toutes les régions de l'Asie la doctrine de Çakya-Mouni a été florissante, au Népal, dans le Pendjab, dans l'Afghanistan, en Birma- nie ^ La forme en est très variable : c'est tantôt un

I. Cf. Cunningham, Buddhist monuments of central Asia.

L'ARCHITF.CTURE. 121

cône, tantôt une sorte de tour à renflements au sommet de laquelle se détache une superstructure rappelant, par son profil, les coupoles des églises russes. Le revê- tement qui, assure-t-on, était parfois jadis fait de pla- ques dorées ou argentées', est de pierre nue, de terre vernissée ou de pierre sculptée.

La destination primitive de ces monuments était la conservation des reliques de Bouddha; on y enfermait un os, des cheveux, un morceau de vêtement, un objet quelconque ayant appartenu au divin Çakya-Mouni. Quand on n'y déposait pas de reliques, la construction prenait le nom de chi-ti (en sanscrit chaïtyà] et n'avait alors d'autre but que de rappeler la naissance de Bouddha, son entrée dans le Nirvana ou tel autre fait mémorable de sa vie.

Les plus anciennes stoupas furent élevées au vir siècle de notre ère. Le fameux religieux bouddhiste Hiouen- Thsang en fit construire une au midi de la porte du couvent de Hong-fo-sse et y enferma les livres et objets sacrés qu'il avait rapportés de l'Inde. La figure ci-contre représente la stoupa du Pe-t'a-sse de Pékin. Ce monu- ment date du xii" siècle ; mais la décoration n'en fut achevée qu'en 1271 par l'empereur Koubilaï Khan : le caractère indien en est très frappant.

Les temples taoïstes. Les temples de la religion taoïste sont construits à peu près sur le même modèle que les temples dédiés au culte de Fo. Les sectateurs de Lao-tse ont ejnprunté aux bonzes la décoration in- térieure de leurs édifices sacrés, de même qu'ils leur ont

I. Cf. Marco Polo, ch. cxxiv.

122 L'ART CHINOIS.

pris la représentation plastique des divinités, Padora-

tion des idoles et la plupart de leurs pratiques rituelles.

Les statues de Lao-tse et des huit immortels

(voy. p. 60) remplacent celles de Bouddha et de ses dis-

MOSQ.UEE, DANS tA VILLE IMPERIALE, A PEKIN.

ciples. Les flambeaux, brùle-parfums et autres objets du culte portent les symboles du taoïsme.

Les mosquées. Ainsi que nous Pavons vu plus haut (p. 74), le mahométisme compte en Chine, à côté du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme, de nom- breux adeptes, 20 millions environ.

De même que pour les temples bouddhiques, rien dans les mosquées chinoises n^indique à Textérieur Pori- gine étrangère du culte auquel elles sont affectées.

L'ARCHITECTURE. 123

Elles sont de style chinois; seuls, quelques détails de la décoration révèlent la religion qu'on y professe. Des inscriptions tirées du Coran et écrites en caractères arabes, ouïgours ou turcs-djagataï, servent de motifs ornementaux ; ces inscriptions sont généralement les mêmes que celles qui figurent dans les mosquées de l'islam occidental : La ila lii il allah. (Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu.) Et La ila la allaW a:[ii. (11 n'y a que Dieu qui soit infiniment haut), etc.

A l'intérieur, les mosquées sont divisées en cinq nefs par trois rangs de piliers de bois. A l'extrémité de la nef centrale est le Mirhab, ouang-yu-lo.

Généralement, il n'y a pas de minaret dans les mos- quées chinoises; le muezzin annonce la prière à la porte d'entrée.

A côté de la mosquée proprement dite s'élèvent des bâtiments qui servent de logement aux mollahs [man- ia)^ à l'iman, au muezzin et au katib. Dans la même enceinte se trouve aussi une école les Jeunes musul- mans qui se destinent au culte étudient, sur des textes arabes ou persans, les livres sacrés de leur religion.

Les mosquées, dont le nom chinois est Li-paï-sse « temples des cérémonies rituelles », sont nombreuses dans l'Empire du Milieu. La plus ancienne est celle du « Saint-Souvenir », à Canton. Construite en 629 par Saad-ibn-abou-Ouaccas, oncle maternel de Mahomet, qui vint prêcher l'islamisme en Chine, elle a été incen- diée en 1341, réédifiée peu de temps après, puis com- plètement restaurée en 1699.

On compte environ 20,000 familles mahométanes (soit de 60,000 à 80,000 individus) et 1 1 mosquées

124 L'ART CHINOIS.

à I^ékin. Les musulmans de cette ville ont à peu près le monopole des boucheries et des bains publics. L'en- seigne de leurs boutiques est généralement surmontée d'un croissant.

IV

L ARCHITECTURE FUNERAIRE

Le principe d'après lequel les Chinois ont construit leurs sépultures découle de Tidée qu'ils se sont formée des destinées réservées à l'homme après la mort. C'est une croyance établie en Chine, depuis une très haute an- tiquité, que, le dernier souffle expiré, une vie nouvelle commence pour le défunt : il subsiste de lui une sorte de fantôme réunissant les linéaments de sa personna- lité physique et les traits de sa physionomie morale, une ombre vague, animée de la vie indécise du rêve, une image effacée de ce qu'il a été jadis et comme un autre exemplaire de son corps et de son âme. Cette se- conde existence est conçue sur le type de celle qui vient de prendre fin : le mort est doué, dans la tombe, de sen- sibilité; il connaît à nouveau tous les besoins matériels et intellectuels d'une créature humaine. De l'impor- tance des rites funéraires destinés à assurer la subsis- tance, le bien-être, la dignité du mort dans les régions mystérieuses de l'au delà.

En introduisant en Chine, au i'" siècle de notre ère, la croyance à un monde les actions d'ici-bas sont jugées, punies ou rémunérées, le bouddhisme n'a pas.

L'ARCHITECTURE. ,25

semble-t-il, modifié les iJces générales que les Chinois

TOMBEAU D UN MANDARIN DE RANG SUPERIEUR

(D'après une peinture chinoise du Département des Estampes.)

tenaient héréditairement de leurs premiers ancêtres. Ces idées subsistent entières, aujourd'hui encore.

12(5 L'ART CHINOIS.

D'après ces conceptions, qui paraissent avoir été' com- munes à presque toutes les races primitives, la sépul- ture chinoise est une demeure, la «demeure éternelle » des Egyptiens, Ton enferme à la fois le corps et Pâme. Elle a pour but d''abriter le mort pendant son existence immatérielle, comme Tabritait la maison qu'il possédait sur terre de son vivant, et surtout de défendre son cercueil contre le malheur irréparable d'une pro- fanation. Mais, ce qui est bien spécial à la race chi- noise, c'est sa croyance aux influences secrètes qu'exer- cent sur la tranquillité et le bonheur du mort la confi- guration du terrain il repose, la direction des cours d'eau voisins, la situation des astres dans le ciel au jour de ses funérailles, les fluides magnétiques qui traver- sent le sol à proximité de sa tombe, etc. L'effet de ces influences ne peut être rendu propice au défunt que par l'intervention des géomanciens du Fong-choui.

Aussi, la première règle à suivre pour l'édification d'une tombe est-elle de consulter le Fong-choui (voy. p. 94); les géomanciens officiels peuvent seuls in- diquer, d'après le Tsang-chou^, « livre des funérailles », l'emplacement et l'orientation à donner à la sépulture, de telle sorte qu'aucune étoile ni planète, aucun élé- ment terrestre, aucun courant magnétique, aucun souttie, aucune vapeur, aucune configuration fâcheuse d'une colline ou d'un cours d'eau ne puisse troubler

I. Le Tsang-chou, attribué à Ko-po, est le livre classique du Fong-choui. Cet ouvrage fut composé probablement au vu* siècle ap. J.-C, quoique les géomanciens chinois, pour en accroître l'autorité, aient cherché à lui attribuer une origine beaucoup plus reculée.

L'ARCHITECTURE. 127

le mort dans le monde mystérieux il va vivre sa seconde vie.

On retrouve, pour les constructions funéraires, une réglementation officielle analogue à celle qui régit l'architecture civile; les inégalités sociales se continuent après la mort et chacun reste à sa place hiérarchique.

Sous la dynastie des Tcheou (ii34 av. J.-C), les morts des classes inférieures étaient enterrés dans les plaines, les princes sur des collines de peu d'élévation, les empereurs sous un tumulus édifié sur le sommet des hautes montagnes. La tête du mort était tournée vers le nord.

Le tumulus élevé sur les tombeaux, qui dans le principe était réservé aux sépultures impériales, fut adopté, vers le vni*^ siècle, par les gens du peuple. Con- fucius protesta contre cette dérogation aux traditions primitives; il finit pourtant par s'y soumettre : à l'en- terrement de sa mère, il consentit à laisser élever un tertre sur la tombe, mais, dit-on, cette construction était à peine achevée qu'il survint une grande pluie qui fit ébouler la terre et nivela le sol \

I. Nulle part plus qu'en cette matière nous n'avons eu à regretter l'insuffisance des connaissances critiques que l'on pos- sède sur la Chine ancienne. Quelles étaient au juste les idées des Chinois sur la mort, dans les premiers siècles de leur histoire^ Quel était le sens précis des divers symboles funéraires.' Dans quelle mesure les doctrines de Confucius et de Lao-tse ont-elles modifié les croyances primitives et, par suite, l'expression plas- tique qu'elles avaient revêtue .' En quoi la tombe de l'époque des Chang (1783-1 134 av. J.-C.) différait-elle de celle du temps des Thsin (255-206 av. J.-C.) ? Ici, comme sur bien d'autres points, on ne saisit que l'ensemble et les rapports de similitude; les dif- férences sont impossibles à marquer.

128 L'ART CHINOIS.

Cependant, d'importantes différences ont été main- tenues entre les sépultures des diverses classes de TEtat, et elles sont strictement observées.

Les tombes impériales nous présentent le type le- plus complet de la sépulture chinoise. Elles se com-

ARC DE PIERRE/ A l'eNTRÉE DE LA SEPULTURE DES MIN G (XV* SIÈCLE).

posent de deux parties distinctes: le tombeau, les temples qui Tentourent.

Le tombeau, proprement dit, est un caveau creusé dans un tertre ou sur le flanc d'une colline : un long corridor voûté y conduit, la porte en est murée dès que le cercueil y a été déposé.

Les temples sont disposés en avant du tertre; on y célèbre les cérémonies funéraires devant une tablette est gravé, en caractères d'or, le nom du défunt.

Les révolutions dynastiques qui ont été si fré- quentes en Chine ont détruit, à peu d'exceptions près,

L'ARCHITECTURE.

129

toutes les sépultures impériales *, et nous ne pouvons nous faire que par des des- criptions ou des dessins l'idée de la magnificence qu'on avait déployée pour les édi- fier. Les empereurs mongols, qui régnèrent de 1260 à i368 ap. J.-C, s'appliquèrent par- ticulièrement à ne laisser subsister aucun tombeau qui perpétuât le souvenir des dy- nasties précédentes. Ce fut au contraire l'honneur des Ming de faire restaurer, dès leur avènement au trône, les mo- numents funéraires des prin- cipaux souverains de la Chine. Une trentaine de sé- pultures ont été ainsi recon- struites.

Les tombeaux que les Ming se sont élevés à eux- mêmes se voient encore aux environs de Pékin% dans une large vallée déserte, qui s'é- tend au pied de la Grande Muraille. Des temples en- fouis sous la verdure sont groupés devant chaque sé- pulture qui est creusée dans les parois mêmes des col-

1. Cf. Mémoires concernant les Chinois, II, 556.

2. Les deux premiers emoereurs de cette dynastie ont été en-

PLAN DE LA SÉpULTURE

DE l'empereur YOUNO-tO,

DE LA DYNASTIE

DES MING, PRÈS PEKIN.

XV'= SIÈCLE.

L ART CHINOIS.

ijo LART CHINOIS.

lines formant renceinte. A Tentrée de la vallée, un arc de pierre sculpte'e et une large chaussée dallée, que bor- dent des statues gigantesques d'hommes et d'animaux (voy. p. 141), forment une avenue monumentale con- duisant à la nécropole impériale. Les sépultures de la dynastie actuelle des Thsing, qui succéda en 1643 à celle des Ming, s'élèvent aussi à peu de distance de Pékin; elles sont du même style que celles des Ming.

Les tombeaux des particuliers sont construits avec moins de luxe et de développement que ceux des Em- pereurs ; mais la même idée a présidé à la conception de l'ensemble et à la disposition des parties. Les per- sonnages d'un rang élevé dans l'Etat sont toujours en- terrés à la campagne : le tertre qui recouvre leur cercueil est situé au milieu d'un jardin; un petit temple ou un simple autel abrité sous un fing est construit près de l'entrée, à l'intérieur de l'enclos funèbre. Des dalles de. marbre, sont gravées des sentences morales ou des prières bouddhiques, se dressent, en avant de la tombe, sur des tortues de pierre sculptée, symboles de félicité éternelle.

Les prêtres bouddhistes se font enterrer générale- ment sous une stoiipa, les musulmans sous un massif de maçonnerie ayant la forme trapézoïdale.

Les tombes populaires se composent d'un simple tumulus devant lequel est placée verticalement une pierre portant quelque emblème d'heureux augure ou une courte prière.

terrés près de Nankin : la capitale des Ming n'a été transférée à Pékin qu'en 1410 par l'empereur Young-lo.

LA PIERRE SCULPTEE

Il n'est pas d'art en Chine dont les origines soient plus obscures que celui de la pietve sculptée.

Et cependant ces origines ne semblent pas fort re- culées : suivant toute vraisemblance, elles ne remontent pas plus haut que le ni" ou le iv" siècle avant notre ère.

D'ailleurs, les monuments qui subsistent sont peu nombreux. La sculpture ayant toujours été comprise en Chine comme l'accessoire de l'architecture, et par- ticulièrement de l'architecture funéraire, les œuvres des statuaires ont presque toutes disparu avec les édi- fices qu'elles avaient pour but de décorer. Nous avons vu, en effet, au chapitre de l'architecture, qu'à plusieurs époques des dynasties nouvellement élevées au trône avaient ordonné la destruction de tous les monuments rappelant le passé, palais, tours, arcs et portiques, temples et tombeaux.

Les rares spécimens sculpturaux qui ont échappé à

lyi L'ART CHINOIS.

Taction combinée des hommes et du temps ont été notés et reproduits dans un ouvrage fort curieux, le King- che-so, « Penchaînement des métaux et des pierres ». Cet ouvrage, sorte de Corpus inscriptiomim, contient, par ordre chronologique, le texte ou la représentation figurée des plus anciennes inscriptions et sculptures de la Chine : il fut composé au xviir siècle.

Le monument le plus ancien signalé par le King- che-so est une série de dix bas-reliefs décorant un palais situé à Hiao-t'ang-chan, dans la province du Chan-tong. La date, authentiquement constatée sur le monument même, est celle du ii* siècle avant notre ère. L^aspect très archaïque de ces sculptures témoigne d^un art tout à fait primitif et ne permet guère de faire remonter à plus d^un ou deux siècles auparavant Tori- gine de la sculpture sur pierre en Chine.

Les figures représentées sur ces dix pierres, qui semblent monolithiques, sont sculptées en bas-relief, non pas d'après le procédé de la sculpture grecque le sujet s'enlève sur le parement du fond, mais d'après le procédé qui consiste à tenir la surface des figures dans le môme plan que le champ, en les cernant sim- plement d'un contour creux à angles émoussés. Dès lors, il n'y a plus de modelé, il ne reste qu'une sil- houette. C'est le procédé employé par presque tous les sculpteurs des époques primitives et, pour ne citer qu'un exemple, par les artistes égyptiens dans la déco- ration du Ramesséum et du grand temple de Médinet- Abou^

I. Cf. Perrot, Hist. de l'art dans Vantiquité, I, ySS.

LA P I E R R i: S C U L P T li E.

m

BAS-RELIEF DE H I A O T ' A N G - C H A N . II" SIÈCLE AV. J.-C.

Les sujets représentés sont tantôt historiques, tan

i}+ L'ART CHINOIS.

tôt légendaires. Ainsi, pour la décoration du bas- relief qui est reproduit ci-dessus, le sculpteur s'est inspiré d'un ouvrage datant du iv= siècle avant notre ère, le Chan-haï-king, « Livre des montagnes et des mers », sont décrits des régions merveilleuses, des mondes fantastiques.

Il y a, dans un de ces pays, un peuple d'hommes qui ont, de naissance, un trou dans la poitrine; quand ils veulent se faire porter, on leur passe à travers le corps une hampe de bambou et deux esclaves les em- portent sur leurs épaules.

Sur une autre façade du monument, l'artiste a traité une scène d'histoire : Tcheou-Koung, régent de l'em- pire pendant la minorité de son neveu Tching-Ouang (iiio av. J.-C), reçoit les envoyés du roi des Yue- tchang-che (voy. p. i35). Ce peuple habitait l'Indo- Chine et était renfermé à peu près dans les limites de l'Annam actuel. Les anciens auteurs chinois rappor- tent que ces ambassadeurs offrirent à la cour de Chine des éléphants et des faisans blancs et que, pour leur retour, Tcheou-Koung leur fit présent de « chars qui montraient le Sud ». On a voulu voir dans ces chars magnétiques la première application des principes de la boussole ^

Parmi les sculptures appartenant à la même dynastie, nous trouvons, dans le King-che-so, un ensemble de bas-reliefs décorant « le temple des ancêtres Ou- leang-tse, au pied de la montage Tse-yun-chan, à 26// (environ 12 kilomètres) au sud de Kia-tsiang-

I. Cr. Pauthier, Chine ancienne, p. 87.

LA PIERRK SCULPTER.

'3$

hien, dans la provii>ce du Chan-tong* ». Ces œuvres, bien que portant la date authentique des Han, sont

BAS-RELIEF DE HIAO-TANG-CHAN.

ri^ SIECLE AV. J.-C-

évidemment postérieures, par le style et le caractère

I. Ces sculptures existent encore, en parfait état de conser- vation. Un voyageur anglais les a vues, en décembre iS86. Cf. The Chinese recorder, xviii; 3.

ij6 L'ART CHINOIS.

de Texécution, à celles de Hiao-t'ang-chan et furent sculptées sans doute sous les derniers souverains de cette dynastie, c'est-à-dire vers le ii^ siècle après J.-C. Les sujets traites appartiennent également soit à la légende, soit à Thistoire.

A en juger par ces spécimens, la sculpture chinoise, du ir siècle avant J.-C. jusqu'au iii^ siècle après J.-C, en était encore aux premières formules de l'art plasti- que, aux procédés et aux conventions qui caractérisent chez tous les peuples la sculpture archaïque.

De vient sans doute la ressemblance qu'offrent, à première vue, quelques-unes des œuvres reproduites dans le King-che-so avec certains bas-reliefs de l'art chaldéo-assyrien. Il y a entre telle sculpture de Hiao- t'ang-chan et tel fragment de Khorsabad un air de pa- renté qui pourrait faire croire à une communauté d'ori- gine et d'inspiration, si le contrôle des dates n'interdi- sait un pareil rapprochement. Nous avons cru pouvoir admettre, en effet, que des influences venues de la Ghaldée, de la Susiane ou de l'Assyrie, s'étaient exer- cées jadis sur l'architecture chinoise. Mais les monu- ments où ces influences étaient saisissables remontaient authentiquement au siècle avant notre ère, c'est- à-dire à une époque les civilisations de Ninive et de Babylone étaient encore vivantes et florissantes. En ce qui concerne les sculptures chinoises, au contraire, les plus anciennes qui nous soient connues ne sont certainement pas d'une date antérieure au ir siècle av. J.-C. Or Ninive était détruite alors depuis plus de 400 ans, et Suse était un monceau de ruines; quant à Babylone, nous savons qu'elle était déserte lorsque Stra-

LA PIERRE SCULPTEE.

«J7

bon la visita, précisément à l'époque les Han ré- gnaient en Chine. Notons, en outre, que si les artistes de TEmpire du Milieu avaient cherché à imiter les œuvres

>A s- RELIEF DE HIAO-t'ANCCHAN.

il i;CL E AV. J. -c.

chaldéo-assyriennes, il est vraisemblable quMls auraient essayé de copier les sculptures savantes de la période classique, celles du palais d'Assourbanipal, par exemple, et non les œuvres imparfaites de Tépoque archaïque. Au- cun texte d'ailleurs, dans les auteurs chinois, n'indique cette source d'inspiration. Dans ces conditions, et tant

ij8 L'ART CHINOIS.

que l'archéologie de l'Empire du Milieu ne sera pas établie sur des documents plus nombreux, plus anciens et mieux critiqués, il nous paraît impossible d^admet- tre que la sculpture chinoise procède de celle qui, cinq ou six siècles auparavant, était arrivée à son complet développement, à Toccident de PAsie.

Les caractères communs que présentent certaines figurations plastiques de ces deux civilisations, qui furent si éloignées dans le temps comme dans Tespace, proviennent de cette loi qui impose à tous les arts naissants les mêmes procédés et les mêmes conventions, parce que, dans son inexpérience, Tesprit humain, à son éveil, est soumis aux mêmes conditions, a partout les mêmes ressources et les mêmes exigences expres- sives. En tout pays, en effet, Tartiste placé pour la pre- mière fois en présence de la forme vivante qu'il veut reproduire, rencontre les mêmes obstacles. La transfor- mation en une image plane de la vision réelle et palpa- ble qu'il a dans les yeux, les effets de la perspective, ceux des ombres et de la lumière, la réduction ou l'agrandissement proportionnels de toutes les parties du modèle, cent autres considérations encore l'embarras- sent, sinon l'arrêtent à ses débuts. De là, une série de conventions et d'artifices formant un minimum indicatif dont toutes les civilisations archaïques se sont conten- tées.

Et d'abord, c'est presque toujours de profil que la figure humaine a été reproduite : la silhouette est, en effet, nette et aisément saisissable. Aussi, presque tous les personnages des bas-reliefs du Chan-tong sont aperçus de côté. La représentation des deux moitiés

LA PIERRE S C a L P T t; E.

'39

symétriques de la face est trop difficile encore : on ne la tente que pour le personnage principal du sujet, pour le roi ou pour la figure qui est le centre de la compo- sition. Souvent aussi, comme dans les bas-reliefs égyp- tiens, Poeil est dessiné de face dans un visage de pro- fil : le raccourci de Toeil vu de côté est trop compliqué à rendre. Les animaux sont représentés également de

■REIIEF DE OU-LEANG-TSE.

Il'' SIÈCLE A P. J.-C.

profil; mais quelques têtes de chevaux sont traitées de face, le corps restant de côté. De même encore, lorsque le sculpteur chinois veut montrer un ensemble de per- sonnes ou d^objets disposés sur un plan horizontal, il les superpose verticalement. Cependant il y a çà et quelques essais heureux de perspective : ainsi, dans les attelages du cortège du grand Roi. Comme les Egyp- tiens et les Assyriens aussi, Tartiste chinois, pour mar- quer la supériorité hiérarchique ou morale d'un person- nage dans sa composition, lui a généralement attribué

140 L'ART CHINOIS.

une taille plus haute, une plus large stature qu'à ceux qui l'entourent.

Il n'y a pas d'expression dans les physionomies : les sentiments des personnages ne se traduisent que par les gestes. Enfin, il y a peu de variété dans les attitu- des, elles sont indéfiniment répétées.

On constate dans toutes ces œuvres primitives une ignorance absolue du corps humain, de ses propor- tions, de son modelé, de sa beauté formelle. Les artistes chinois n'ont pas la vision nette de la forme nue; non pas qu'ils n'aient occasion de la voir, les gens du peu- ple vivant et travaillant presque sans vêtement pendant les chaleurs accablantes des étés de Chine, mais sans doute parce que le sens plastique leur fait défaut. Ce- pendant les animaux, les chevaux principalement, sont assez bien saisis dans leur physionomie particulière, dans leur attitude ou leur allure.

Nous arrivons enfin au fait capital de l'histoire de l'art en Chine : l'introduction du bouddhisme. Nous avons vu, au chapitre précédent, l'influence considé- rable que, du vr au vu* siècle après J.-C, l'introduction de cette religion et l'importation des statues sacrées de l'Inde avaient eue sur l'art du bronze. A l'origine, cette influence ne fut pas moindre sur la sculpture lapi- daire.

Il semble, en effet, que les idoles bouddhiques rap- portées du Népal et du Pendfab parles pèlerins chinois inspirèrent aux sculpteurs de l'Empire du Milieu leurs premières statues. Jusque-là, ils n'avaient traité, dans la pierre, que le bas-relief, et un bas-relief sans saillie, sans modelé : ils ne s'étaient pas essayés à la ronde

LA PIERRE SCULPTF:e.

141

bosse, qui dégage complètement et affranchit, pour ainsi dire, Teffigie de sa paroi de pierre; ils n'avaient pu s'élever Jusqu'à la statue.

C'est ainsi que les plus anciennes statues qui soient connues en Chine sont la représentation des divinités

STATUES D ANIMAUX.

Avenue conduisant à la sépulture des Ming, près Pékin. xve siècle.

bouddhiques. Telles sont les deux idoles gigantesques que l'on voit encore à Hang-tcheou et à Sin-tchang, dans la province du Tche-kiang. Sculptées dans le roc, dont llles se détachent presque entièrement, elles me- surent, Pune 40 pieds et Tautre 70. Toutes deux datent de la fin du vnr siècle. L'élévation de ces statues nous donne lieu de croire qu'elles représentent non pas Çakya-Mouni, dont la taille traditionnelle est de

1+2 L'ART CHINOIS.

i6 pieds, mais Maitreya, le Bouddha à venir, qui aura 60 pieds de haut quand il apparaîtra, dans trois mille ans, pour rappeler au monde les prédications oubliées du divin Çakya.

Ces deux figures, assez grossièrement taillées et mal proportionnées dans leurs formes, ont, dit-on, une cer- taine grandeur, une majesté calme et sereine se reflète vaguement la mansuétude infinie du Dieu à naître.

Les œuvres de cette dimension sont assez rares en Chine : elles sont d'inspiration directement indienne et ont été exécutées généralement vers les viiie et ix' siè- cles de notre ère, c'est-à-dire dans le temps des grands pèlerinages bouddhiques.

Les artistes chinois continuèrent ainsi pendant quelque temps de reproduire, de copier servilement les idoles que, dans Tardeur de leur foi nouvelle, les croyants des premiers jours étaient allés chercher sur les bords de Tlndus et du Gange.

Mais, par un singulier contraste, Faction du boud- dhisme, qui fut si puissante sur Part du bronze, qui renouvela le génie des ciseleurs chinois, qui leur in- spira des œuvres si libres, si hardies et si sincères, s'arrêta net dans la sculpture lapidaire, et la statuaire de pierre en demeura toujours à la première, étape de son développement. En même temps, la production cessait et c'est à peine si nous avons quelques œuvres à signaler. Qu'on regarde les statues de la grande avenue qui conduit aux tombeaux des Ming (1420) ou de celle qui mène aux sépultures des Thsing (1644), qu'on étu- die les bas-reliefs qui ornent les arcs de triomphe, les pagodes et quelques temples, palais ou tombes de Pékin,

LA PIERR E SCU LPT1: E. I4J

la même impression se dégage, celle d'un tirt incom-

STATUEDEMANDARIN.

Avenue conduisant à Li sépulture des Ming, près Pékin. xv< siècle.

plet, sans élévation, sans idéal et sans fantaisie, inca- pable dMnterpréter les formes de la vie physique et les aspects de la vie morale, indifférent à la beauté plas- tique ou impuissant à la dégager. Il faut peut-être cher-

14+ L'ART CHINOIS..

cher la cause de cette décadence prématurée de la sta- tuaire dans la conception toute particulière que les Chi- nois se font de la personnalité humaine. Les traits phy- siques d'une créature vivante leur importent peu quand ils veulent la représenter ou en éveiller Tidée ; avec une imagination tout abstraite, ils estiment que leur écri- ture, dont les milliers de caractères représentent, comme Ton sait, non des sons, mais des idées et des nuances d'idées, est un procédé supérieur à tous les arts pour exprimer l'ensemble de qualités et de particularités qui constitue une personne. Et c'est ainsi que la Salle des Ancêtres, que l'on trouve dans chaque palais et dans chaque maison particulière, présente aux yeux des descendants non pas une série de bustes de marbre ou de bronze, comme les effigies funéraires de l'antiquité gréco-latine, mais une collection de planchettes de bois noir sur chacune desquelles est gravé en caractères d'or le nom symbolique du défunt.

Même lorsqu'il s'est agi de représenter les animaux, dont les sculptures primitives ont cependant toujours aimé à reproduire les formes franches, nettement saisis- sables, plus faciles à observer et à rendre que les mode- lés complexes du corps et du visage humains, les sculpteurs chinois sont restés au-dessous du médiocre. En visitant nous-meme les tombeaux des Ming, près de Péki'n, et en voyant les statues d'animaux que nous reproduisons ci-contre, nous nous rappelions involon- tairement les effigies si puissantes, si personnelles et si expressives des lions, des chevaux et des onagres dont la sculpture assyrienne décorait ses palais royaux, et ce souvenir nous révélait combien le génie plastique a

LA PIEKK E SCULPTEE.

«4$

manqué aux Chinois, puisque, entres dans la civilisa- tion vers le même temps que PAssyrie, ils n'ont jamais pu se hausser, dans la statuaire, jusqu'au point ou les artistes primitifs de Ninive s'étaient élevés d'instinct et presque au premier effort, vingt-cinq siècles aupa- ravant.

BAS-RELIEF DE HIAO-t'anG-CHAN 11' SIÈCLE A P. J.-C.

l'art chinois.

LE BOIS ET L'IVOIRE SCULPTES

LE BOIS SCULPTE

Il ne semble pas que la sculpture sur bois ait été pratiquée en Chine d'une façon artistique avant le H*" siècle de notre ère. Ici encore, comme dans tant d'autres branches de l'art chinois, c'est à l'introduc- tion du bouddhisme et à l'importation des œuvres in- diennes qu'il convient d'attribuer l'origine delà trans- formation opérée dans une industrie, sans doute très ancienne, mais qui n'avait jamais produit que des œu- vres sans valeur esthétique. Nous avons vu ailleurs que parmi les objets sacrés rapportés de l'Inde par les pèle- rins chinois, qui, du in® au vin'" siècle, allaient s'y ins- truire dans la doctrine du Bouddha, figuraient, en grand nombre, des statues de bois représentant le divin Cakya et tout son cortège de dieux, de déesses, d'as- cètes et de personnages mystiques.

On reproduisit, par la suite, ces modèles religieux, et bientôt la sculpture sur bois, profitant, pour ainsi dire, des progrès que réalisaient les autres arts plasti- ques, parvint à un degré très élevé dans la série des arts industriels.

LE BOIS ET L'IVOIKE SCULPTKS,

147

L'extrême" rareté des bois sculptés qui sont paivenus Jusqu'à nous impose une grande réserve dans la cri-

STATUETTE DE BOIS SCULPTE

(Collection de M. S. Bing.)

tique de cette branche de l'art chinois. Cependant quel- ques pièces attestent une telle perfection de travail, un style si caractérisé, qu'on est obligé de croire à la con-

1^8 L'ART CHINOIS.

tinuité d'une tradition, à une suite d'œuvres dont quelques spécimens seuls ont survécu.

Telle est, par exemple, la statuette qui est figurée ci-contre (p. 147). C'est un personnage glabre, tête nue, vêtu d'une robe large et sans ornements : il est assis dans une pose négligée et tient un rouleau de papier dans sa main. L'attitude et la physionomie sont d'un naturel parfait, d'une étonnante réalité; la sta- tuette a la sincérité d'un portrait. On songe, en la regar- dant, au scribe égyptien du Musée du Louvre, au Cheik-el-béled du Musée de Boulaq. On y trouve le même caractère de vérité, on est saisi par le même accent dévie; l'exécution est d'une largeur, d'une sû- reté, d'une décision magistrales.

A quelle époque faut-il attribuer cette statuette ? Un détail la tête rasée du personnage donnerait lieu de croire qu'elle date de la dynastie actuelle, par qui cet usage fut imposé (1644), Mais le style est d'une fer- meté et d'une sobriété qu'on ne retrouve plus guère après les Ming.

Les bois employés par les Chinois pour la sculpture sont le bambou, les bois de tek, de cèdre et de cam- phrier, le bois de santal et de rose, le bois de fer et le bois dur.

Le bambou est commun dans tout l'extrême Orient. On en travaille soit la tige, qui est lisse et droite, soit les racines, qui sont noueuses, contournées et à fibre compacte. La nature même de ce bois, dont l'intérieur est creux, ne permet pas d'attribuer aux objets qu'on en fabrique une grande variété de formes. On en fait prin- cipalement des pi-tong^ « étuis à pinceaux », et des

LE BOIS ET L'IVOIRE SCULPTKS.

'49

t

appuis-maiii pour écrire. Ces pi-tong sont des sortes

de cylindres formés par la section

normale de la tige du bambou, à

douze centimètres au-dessus et à

un ou deux centimètres au-dessous

d'un nœud ; le nœud sert ainsi de

fond. Dans la partie ferme du bois,

qui atteint parfois cinq ou six cen- timètres d'épaisseur, on sculpte le

décor. Tantôt de simples fleurs se déroulent sur la paroi du cylindre, tantôt des dragons ou des phénix ; le plus souvent, ce sont des per- sonnages illustres dans l'histoire littéraire et philosophique de la Chine.

Les bois de cèdre, de tek et de camphrier servent à de plus impor- tants travaux. Le sculpteur y re- présente généralement des dragons ou quelque autre animal fantasti- que qu'il traite avec une énergie un peu rude et non sans grandeur, l'on aimerait peut-être un faire plus gras et plus souple. Mais le '^. ^'«-TITr plus souvent il compose des sujets pi-tong de bois entiers, des scènes tirées de l'his- (Coiiec.ionrM^c vicomte toire religieuse ou politique, des '^^ Semaiié.

romans célèbres, etc. Dans ce cas, ce ne sont plus des bas-reliefs proprement dits qu'il cisèle, c'est-à-dire des sculptures à peine détachées du fond et ayant chacune

y^f^.

150 L'ART CHINOIS.

une saillie à peu près e'galc : ce sont de véritables tableaux de bois, avec des plans différents, des objets diminués dans leurs proportions en raison de leur éloi- gnement dans la perspective, la représentation pitto- resque de tout un paysage, le développement de toute une action. Tel est, par exemple, un bois sculpté de la collection Thiers, au Louvre, trois cavaliers che- vauchent à travers une nature accidentée, dans un ravin planté d'arbres. Suivant une pratique habituelle aux artistes de Textrême Orient, le sculpteur a placé son point de vue très haut; il a rendu les effets de la perspective par une superposition des plans.

Le bois de 7'ose est apprécié particulièrement à cause de la belle patine rousse, rouge châtaigne, qu'il est sus- ceptible de prendre avec le temps. On le réserve pour faire des coffrets, des cabinets, des boîtes à pinceaux et on le décore de nacre et d'ivoire.

Le bois de fer sert généralement de fond aux in- crustations d'ivoire, de jade, de lapis, de corail, etc. Cependant, malgré sa compacité, on le trouve parfois sculpté en statuettes, en animaux marins, crustacés et poissons, avec tout le fini d'un bronze ciselé. Il en est de même du bois dur [seciirineg-a des Indes) : on le décore également de nacre, de jade, de corail, de malachite d'or et d'argent.

II

l'ivoire sculpté

Les Chinois ont toujours été amateurs trop pas- sionnés des différents aspects de la matière, indépen-

I.E nOlS ET L'IVOlRo SCULI'TKS.

CARACTERE CHEOU <C LONGEVITE )), ORNÉ DE FIGURINES d'IVOIRE.

Fragment d'un panneau décoratif provenant du Palais d'été. xviii" siècle. (Musée de Fontainebleau.')

damment du travail d'art que Findustrie humaine lui

152 L'ART CHINOIS.

fait subir; ils ont eu, à cet égard, le sens trop délicat et trop raffiné pour n'avoir pas de tout temps apprécié rivoire, cette substance séduisante, tantôt ferme et claire, tantôt tendre et d'une chaude pâleur, aux trans- parences laiteuses ou doucement jaunâtres, aux reflets chatoyants et ambrés. Personne mieux qu'eux n'a com- pris comment il le fallait travailler pour en faire valoir le grain, le poli et les veines, pour donner à ce qui en constitue Pépiderme un éclat harmonieux, une douceur charmante. Seuls, les ivoiriers des xv et xvi'' siècles en Europe, et ceux du xviii" au Japon, sont arrivés à une pareille maîtrise. D'une façon générale, les ivoires chi- nois dénotent un travail franc, énergique, très ferme, une ciselure sans hésitation, incisive; le tissu serré de la matière est attaqué vigoureusement, fouillé avec des contours brefs, des faces nombreuses ou la lumière se glisse, s'éparpille et se reflète. Cette méthode n'exclut pas les accents souples et larges : certaines pièces doi- vent précisément leur séduction à ce qu'il y a de moel- leux, de tendre et presque de caressant dans leur mo- delé. Ce qui a manqué plutôt aux sculpteurs chinois, et ce qui fait l'incontestable supériorité des Japonais, c'a été l'originalité et la sobriété du style, la verve et la fantaisie dans l'imagination, la finesse et l'esprit dans l'observation du modèle.

Les beaux ivoires chinois sont d'une excessive ra- reté. Nous ne traiterons pas, en effet, comme œuvres d'art, cette infinité de figurines, hâtivement confection- nées à Canton pour les besoins de l'exportation euro- péenne, ni ces travaux bizarres et compliqués, tels que boîtes encastrées, sphères concentriques, etc., qui

LE BOIS ET L'IVOIRE SCULPTES.

'5Î

sont peut-être des prodiges de ciselure, des mer- veilles de patience et d'ingéniosité technique, mais ou rinspiration et le goût font absolument défaut.

Les statuettes bouddhiques nous offrent les plus in- téressants spécimens d'ivoire sculpté. La déesse Kouan-yin, en longs vétementsaux plis enveloppants, la tête demi- voilée, s'avance, tenant à la main une tige de lotus : la phy- sionomie est d'une grâce mélancolique, pleine d'onction, et la statuette exhale un charme tout mystique; Ta-mo, drapé dans son linceul, et prêt d'attein- dre à « l'intelligence parfaite » des boud- dhas, traverse le Gange sur un rameau de bam- bou pour rentrer dans sa patrie : l'étisie des traits, l'émaciation du

corps, le tannage de la peau sont rendus avec un réalisme saisissant; mais le visage respire un calme supérieur, une absolue sérénité ; la princesse Ouen-tcheng, déi- fiée après sa mort, est assise sur un lit de nymphœas, la jambe droite pendante, une fleur épanouie à la main :

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STATUF. TTE D IVOIRE SCIUTTE.

(Collection de M. S. Bing.)

IS+ L'ART CHINOIS.

le corps est délicatement modelé sous les voiles qui le recouvrent; le cou, légèrement incliné, est long; les doigts qui tiennent la fleur sont effilés, Pexpression de la figure est douce, recueillie, d\me poésie déli- cieuse.

On fait également en ivoire des étuis à pinceaux ou pi-tong, et surtout des sortes d'appuis-main pour sou- tenir Tavant-bras pendant qu'on manie le pinceau en écrivant.

Il est à remarquer que les bois et les ivoires sculptés ne portent jamais la signature de Tartiste qui les a ci- selés. Aux Miva, Ikkô et Bokousai du Japon, la Chine n'a pas un nom à opposer. Une des conséquences de ce défaut de signature est de rendre fort difficile, sinon impossible, l'attribution d'une date à un objet de bois ou d'ivoire : on n'a d'autre critérium, à cet effet, que l'aspect général du décor et l'apparence de la patine.

m

LES PIERRES DURES

LK JADK

Le jade,^r«, est une pierre dure, pesante, translu- cide, d^un grain très tin, onctueuse à la vue et au tou- cher i, et dont les tons varient du blanc graisseux au vert olive foncé, suivant les proportions d''oxyde de fer et d'oxyde de chrome qu^il renferme-. Sa dureté est telle qu'il raye le verre et le quartz.

Les principaux gisements de jade sont dans l'ancien Turkeslan chinois, près de la ville de Khotan et de celle de Yarkandc, dans le pays appelé par les Chinois Yii- thian « pays du Jade ». Dès la plus haute antiquité, les empereurs de Chine en tiraient de grandes quantités, et l'on voit fréquemment que les rois du Yu-thian en

1. Lq jade et le jaspe sont deux mine'raux absolument diffé- rents : le jade est un silicate d'alumine et de chaux, le jaspe est un quartz.

2. Quelques auteurs citent aussi des types de jade jaune et de jade orange ; mais il n'y a qu'un malentendu et l'on a appelé à tort du nom de jade des variétés de sardoine.

ijC L'ART CHINOIS.

expédiaient à leurs suzerains d'importants chargements à titre de présents ou de tributs ^

L'excessive dureté du jade impose à l'artisan qui le façonne des conditions particulières de travail. C'est d'abord une patience à toute épreuve; pour lui donner, en effet, outre la forme, tout le poli et tout Péclat dont il est susceptible, il faut souvent cinq ou six cents jour- nées de main-d'œuvre.

L'ouvrier, ayant arrêté son parti après examen atten- tif de la pierre brute, de sa forme, des irrégularités visibles ou probables, la dégrossit en pratiquant, avec une fraise à pointe de diamant, une série de trous juxtapo- sés, de profondeur variable, et en faisant sauter à la bou- terolle les parties restées pleines entre ces trous. Il re- nouvelle cette opération jusqu'à ce que l'objet qu'il se propose de fabriquer apparaisse dans ses lignes principa- les. Le décor est travaillé soit par la ciselure à la pointe de diamant, soit par Pusure à la pierre de jade. Le polis- sage est obtenu, pour le premier état, par une série de frottements sur des pierres communes à polir ; il est achevé à la poudre d'émeri et parfois à Pégrisée.

Le jade est, sans contredit, la matière à laquelle les Chinois attachent le plus de prix; ils le considèrent comme la plus belle substance puisse s'incorporer la pensée humaine.

Les raisons de cette prédilection qui remonte aux plus hauts temps de l'histoire chinoise, sont assez délicates à indiquer. Pour des yeux européens, elle semble quel-

I. Cf. Abel Rémusat, Histoire de Khotan (traduite des livres chinois), et Stanislas Julien, Voyage des pèlerins bouddhistes,

p. 223.

LES PIKKRF.S DURES.

'57

que peu exagére'e: si pur que soit le jade, il n'a en effet ni l'éclat du cristal de roche, ni les teintes diaprées de la cornaline, ni les riches colorations de la sardoine, ni

COUPE DE JADE BLANC. H., 0"',IJ5.

(CoUectiou de M. M. Gentien.)

les transparences irisées de Tonyx et de Tagate orien- tale; Taspect graisseux qui lui est particulier ne permet au contraire de lui donner, par le travail le plus déli- cat, qu'une vague translucidité et le laisse terne à côté dô6 tons riches et chatoyants des pierres quartzeuses.

15» L'A RT CHINOIS.

Ce n'est pas non plus la rareté qui en fait seule le prix; car, bien qu'il y ait quelque difficulté à rencontrer des fragments d'une pureté parfaite, sans veines ni taches, les gisements du pays de Khotan sont très abon- dants, et la production à laquelle ils suffisent depuis plus de vingt-cinq siècles ne paraît pas sur le point d'ctre tarie.

C'est d'abord la dureté du jade qui, dans l'antiquité, en a fait la matière impérissable par excellence, la sub- stance destinée à fabriquer les plus précieux objets consacrés par les rites.

Par cette raison, il fut établi, lorsqu'on arrêta vers le xn^ siècle avant notre ère les types de ces objets, que les plus importants d'entre eux seraient faits de la pierre dej'ii, et que le bronze servirait à la fabrication des autres. Le jade tint donc lieu, dans ces temps re- culés, de Tor et de l'argent que l'on ne pouvait se pro- curer que par trop petites quantités pour en fondre des pièces entières, et que l'on ne savait pas encore utiliser en incrustations pour le rehaut des bronzes.

Parla suite, le respect des rites dont les prescrip- tions déterminaient non seulement les cérémonies offi- cielles et religieuses, mais la forme, les proportions et la matière même des objets qui y figuraient a con- tribué à conserver au jade le caractère de substance très précieuse qu'il avait ainsi reçu aux premiers temps de l'art chinois.

Le jade a, en outre, aux yeux des Chinois, une va- leur symbolique, correspondant à des conceptions que nous avons peine à comprendre, mais qui forment la base de presque tous leurs systèmes philosophiques.

LES PIERRKS DURES.

'S9

Le Li-Ki, qui fut composé, dit-on, d'après des ma- nuscrits laisses par Confucius ou d'après ses leçons

COUPE DE JADE.

(Collection de M. le vicomte <ic Semallé,)

orales, rapporte en effet qu'un jour Tse-Kong, son dis- ciple, le questionna en ces termes :

« Oserais-je vous demander pourquoi le sage estime le jade et ne fait aucun cas de la pierre liiien^? Serait-

I. Cette pierre, qui a l'aspect du jade, n'en a ni la dureté ni

i^o L'ART CHINOIS,

ce parce que le jade est rare et que la pierre hue/i est très commune? » Confucius répondit : « Ce n'est pas parce qu'il y a de la pierre hiien en abondance qu'elle n'a aucun prix, ni parce qu'il y a peu de jade qu'il est très estimé; mais c'est parce que, dés les temps an- ciens, le sage a comparé la vertu au jade. A ses yeux, le poli et le brillant du jade figurent la vertu d'huma- nité; sa parfaite compacité et sa dureté extrême repré- sentent la sûreté d'intelligence; ses angles, qui ne coupent pas, bien qu'ils paraissent tranchants, symbo- lisent la justice; les perles de jade, qui pendent au cha- peau et à la ceinture, figurent le cérémonial; le son pur et soutenu qu'il rend quand on le frappe et qui à la fin s'arrête brusquement est l'emblème de la musique *; son éclat irisé rappelle le ciel ; son admirable substance, tirée des montagnes et des fleuves, représente la terre... Voilà pourquoi le sage estime le jade. )>

Les objets rituels et officiels, fabriqués en pierre de jade, peuvent être classés en deux catégories : les uns étaient employés dans les" cérémonies du culte civil, les autres servaient d'insignes hiérarchiques aux fonction- naires qui en étaient porteurs.

Parmi les premiers étaient principalement les coupes ts'io et les vases neï-yen-you (voy. pour la forme de ces objets le chapitre des bronzes), et enfin les instruments de musique dont se composaient les orchestres religieux.

l'éclat. On l'appelle aussi « pierre de lard » (voy. plus loin); c'est la « pagodite » de Brongniart.

I. 11 est à remarquer, en effet, que les vibrations sonores du jade ne s'éteignent pas progressivement comme celles des mé- taux, mais qu'elles cessent tout net.

LES PIERRES DURES.

I-ÎI

On suspendait, par des cor- delettes de soie, de minces plaques de jade à des cadres de bois dur, et on les frap- pait avec un marteau d^é- bène. Ces instruments por- taient le nom de king; quel- ques-uns comptaient jus- qu'à seize plaques de jade donnant chacune un son différent.

En dehors des objets ré- servés au culte, le jade avait une autre destination offi- cielle; il servait à fabriquer les ornements rituels, les insignes hiérarchiques du souverain, de sa cour et des milliers de fonctionnaires qui gouvernaient Tempire. Chaque rang avait sa mar- que distinctive.

Dès le vr siècle avant notre ère, Pempereur portait une sorte de mitre ornée de douze médaillons AQyu; des plaques de jade blanc pen- daient à sa ceinture. Ces or- nements variaientsuivant les ï'O'^^IONNAIRE EN COSTUME

, , . D E COUR

cérémonies pour lesquelles portant un chu de jade. le Fils du Ciel s'en revêtait. Il y avait déjà, sous la dy-

i'art chinois.

1(52

L'ART CHINOIS.

nastie des Tcheou (r 134 avant J.-C.)? un fonctionnaire du palais prépose spe'cialement à la garde des « maga- sins de jade » étaient renfer- més les insignes impériaux.

Les fonctionnaires, en cos- tume officiel, se ceignaient aussi d'une ceinture formée de mor- ceaux de jade fixés sur un ceintu- ron de soie ou de cuir. Des plaques de la même matière, enfilées et entremêlées de pendeloques d'or et d'argent, s'en détachaient comme un chapelet et tombaient jusqu'à terre. Cet ornement s'ap- pelait Peï. Au moindre mouve- ment, les pendeloques métalliques entre-choquaient les plaques de pierre et les faisaient résonner.

Les Rites [Li-Ki, ch. xii) re- commandaient aux fonctionnaires de s'habituer dans leur démarche à les faire ainsi tinter.

Dans les plus importantes cé- rémonies, l'empereur et les hauts personnages de sa cour tenaient devant leur bouche « pour arrêter leur haleine » une mince tablette de jade.

La tablette du souverain, tin, avaic la forme d'un long parallélogramme « taillé carrément en haut et en bas, symbole de la droiture avec laquelle il gou- verne son empire » ; celle des fonctionnaires, chu, était

CHU DE JADE.

LES PIERRES DURES.

l6j

S^^%'

ogivale ou pointue à sa partie supérieure, « en symbole de leur soumission à Pempereur * «. La Hgurc de la page i6i représente un fonction- naire tenant un chu devant sa bou- che ; elle provient, comme celles des pages 163 et i63, du Kou-yu-thou^ chapitre détaché du catalogue rituel appelé Po-kou-thou et qui fut com- posé au commencement du xm" siècle de notre ère. Signalons encore, parmi les insignes fabriqués en jade, les jou-j', sorte de sceptres qui, à Tori- gine du moins, furent usités sur- tout dans les cérémonies officielles. (Voy. p. 298.)

Les femmes portaient à la cour des agrafes de robe et des épingles de tête, faites de jade aussi, et desti- nées à indiquer le rang qu'elles te- naient au palais.

Les formes et le décor de ces diffé- rents attributs ont varié suivant les dynasties. Nous reproduisons plus loin un bouton de parure officielle du temps des Ming (i 368-1643).

Cette sorte de consécration, donnée au jade par les rites et par la philosophie chinoise, n'est pas la seule considération qui le fasse estimer à un si haut prix

CHU DE JADE.

I. Li-Ki ou Mémoral des rites, chap. xii. Voy. aussi le Tcheou-Li ou Rites des Tcheou, passim.

I(Î4

L'ART CHINOIS.

dans l'Empire du Milieu. D'aijtres raisons, postérieures à celles-là et reflétant une certaine physionomie du caractère chinois, ont répandu ce goût pour la pierre de yii.

Un épicurisme très raffiné s'était, en effet, déve- loppé en Chine vers le vi« siècle de notre ère: la civili-

/y ^<ev. X

BOUTON DE PARURE OFFICIELLE,

Dynastie des Ming (1368-1645). (Collection de M. le vicomte de Semallé.)

sation chinoise avait déjà plus de i,6oo ans d'existence historique, et d'une existence traversée de tant d'épreu- ves, de tant de luttes, d'oppressions et de malheurs publics, qu'un sentiment de lassitude d'abord, puis de mélancolie résignée, avait peu à peu envahi tous les esprits. L'influence des croyances bouddhiques y con- tribuant, on ne conçut plus ni grandes espérances

LES PIERRES DURES.

i6s

ni robustes ambitions. L'insignifiance de la vie, Tin- stabilite des choses, la rapidité du moment qui passe, et, partant, la nécessité de se hâter de jouir, de goûter l'heure présente sans souci du lendemain, furent le thème habituel de toutes les discussions, le sujet de toutes les œuvres littéraires.

L'idéal de vie des classes élevées fut dès lors une

TASSES DE JADE, PROVENANT DU PALAIS DETK.

(Musée de Fontainebleau.)

existence l'action personnelle et la passion forte n'avaient plus de place, chacun avait conscience de l'inutilité définitive de sa tâche, l'on cherchait dans le charme du rêve, dans l'agrément de la conversation et de la culture littéraires, daas une sorte de volup- tueuse insouciance, dans la douce ivresse de l'eau-de- vie de riz, l'oubli des misères humaines.

Les poètes de la grande dynastie des Thang, Li- taï-pe, Thou-fou et tant d'autres, nous ont dépeint cet état des âmes, et leurs œuvres sont un appel constant à

i66

L'ART CHINOIS.

l'insouciance, à la volupté, à Tivresse qui fait songeri. On se réunissait ainsi pour boire et pour converser, dans des pavillons ornés d'objets précieux qui étaient

peu nombreux, mais de qualité rare. La tasse à la main, on y composait de courtes poésies, on y par- lait une langue choisie et ornée; le pinceau et le cahier de papier, posés près de la main des cau- seurs, leur permettaient, à tout instant, de donner à leur pensée, par récri- ture, une forme plus déli- cate, plus nuancée. C'était une fête douce des sens autant que de Tintelli- gence, une discussion con- ciliante, un peu cérémo- nieuse, ou l'on cherchait moins à se convaincre qu'à être aimable ou à briller. La porcelaine n'étant pas encore connue à cette époque, c'était dans des coupes et des vases de jade que se faisaient les libations. On y mêlait des fleurs au vin de riz, comme dans la gracieuse « Improvisation » du poète Tsin-tsan : « . . . Le parfum de ces pauvres fleurs pénètre jusque dans les coupes de jade et le vin d'au- tomne en est embaumé. »

BLOC DE JADE CISELE A JOUR.

(Collection de M. le vicomte de Semallé.)

I. Cf. marquis d'Hervey Saint-Denis, Poésies de l'époque des Thanff

LES PIC RHI-.S DUIU.S. xGj

Les porte-pinceaux, les godets à encre, les brùlc- parfums, les presse-papiers, les sceaux, les porte-bou- quets, tous les menus objets dont les causeurs aimaient à s"'entourer étaient de jade aussi. La vague transluci- dité de la matière et le travail délicat dont elle est susceptible la faisaient moins priser que Pagréable sen- sation qu'elle procure au toucher, une sensation à la fois ferme et onctueuse, comparable pour le tact à celle que donne au regard la patine d'un beau bronze, une sorte de caresse au bout des doigts.

De cette époque, c'est-à-dire de la dynastie des Thang (vu" siècle après J.-C), date ainsi ce caractère de sensualisme qui ira toujours en se développant dans l'art chinois à côté du hiératisme des rites, et qui finira par dominer dans la céramique, dans l'émaillerie, et, le plus souvent même, dans la peinture.

Le jade devint de la sorte la substance vraiment précieuse, celle qui donnait les plus fines sensations, qui suggérait les plus gracieuses pensées et les plus déli- cates impressions. On en fit mille objets divers, d'usage familier, que l'on s'offrait en présent, qu'on se laissait en souvenir, chacun, en s'en servant, mettait quel- c]ue chose de sa personnalité comme ces bijoux que nous portons et qui nous deviennent intimes. C'est dans ce sens que Li-taï-pe fait dire à une femme : 'c Ces hiron- delles de jade, ornement de ma coiffure, elles étaient sur ma tête le jour je me donnai à toi; je te les offre aujourd'hui comme souvenir; ne manque pas de les essuyer souvent avec ta manche de soie. »

C'était précisément l'instant le bouddhisme ap- portait de l'Inde les conceptions d'une esthétique plus

i68 L'ART CHINOIS.

élevée, apprenait aux Chinois à mieux voir et compren- dre la nature et faisait prédominer désormais dans les œuvres d'art le sentiment individuel sur les conventions classiques.

On vit alors créer dans le jade, de même que dans le bronze, une infinie variété de formes, élégantes, as- souplies, inspirées directement de la nature, empruntant au monde organique, au monde végétal surtout, ses plus séduisantes créations.

Avec la matière dure entre toutes, l'artiste chinois excella à rendre l'élasticité serpentine d'un dragon fan- tastique, la molle flexuosité des lotus, les fines décou- pures d'un feuillage de fougère ou de mimosa, la pulpe tendre d'un magnolia épanoui.

Les difficultés ne sont pas évitées, loin de ; elles sont abordées de front, compliquées et multipliées à plaisir. Voici, par exemple (p. i66), un bloc de Jade appartenant à M. le vicomte de Semallé : c'est un fouil- lis de fleurs, de liges et de feuilles, sculptées à jour, en couches superposées. Le travail est si légèrement traité, si prpfondément fouillé, qu'on demeure confondu à la pensée des prodiges d'habileté réalisés pour ciseler cette dentelle de pierre dure, pour atteindre avec la bouteroUe le centre du bloc, pour manœuvrer la pointe de l'ou- til à travers l'enchevêtrement des couches superficielles.

Là, cependant, l'ouvrier chinois n*a fait preuve que de patience et d'ingéniosité. Mais nous nous rappelons avoir vu à Pékin, chez les marchands de jade établis près du temple de Long-fou-sse , tel brûle-parfums supporté par des phénix aux ailes éployées, tel vase dont les anses étaient deux dragons contournés, telle

LES PIERRES DURES.

169

statueue bouddhique enveloppée de lotus, d'autres œuvres encore nous croyions constater cette lutte

/-/ Cnn^nD

PANNEAU DE BOIS DUR INCRUSTE DE LOTUS DE JADE.

(Collection de M. S. Bing.)

puissante et généreuse que recherchaient parfois les ar- tistes de la Renaissance lorsqu'ils accumulaient les obstacles de Fexécution pour étreindre la nature avec

17Ô L'ART CHINOIS,

tous ses caprices, toutes ses bizarreries, pour vaincre la matière et la mieux saisir.

Afin de varier Taspect du jade, les Chinois ont eu parfois Fidée de le rehausser d'or et de pierres pré- cieuses. Comme spécimens de ce genre , nous indi- querons deux pièces de la collection Semallé : Tune est une plaque de jade vert, de style persan, sur laquelle sont ciselés des rinceaux terminés par des fleurs de gre- nat, de saphir et de nacre: l'autre est un livre dont les feuilles sont de minces plaquettes de yii sur lesquelles sont finement gravées des pièces bouddhiques en carac- tères d'or.

II

LES PIERRES DE QUARTZ

Les Chinois ont toujours eu un goût très vif pour les pierres de quartz, et Part de travailler ces gemmes, d'en faire valoir l'éclat, la transparence, les colorations riches et harmonieuses, les veines imprévues et chan- geantes, est arrivé de bonne heure à un haut point de perfection. Il en devait être ainsi, en effet, si l'on con- sidère que l'art dont nous nous occupons est, avant tout, sensualiste, et que l'artiste chinois s'est généralement assigné pour but de procurer par ses œuvres des sensa- tions vives ou raffinées, un ravissement des yeux, un plaisir du toucher, et non d'évoquer ce monde de pen-

LES PIF.RRKS DURES.

'7«

sées, d'cmotions et de rêveries qu'une esthétique supe'- ricure se plaît à révéler.

FEUILLE DE LOTUS DE CRISTAL DE ROCHE.

H., o"',23S. (Collection de M. M. Gentîen.)

Les pierres les plus recherchées sont le quartz hyalin ou cristal de roche, pe-che-yng ; Taméthyste, tse-che-yng; la cornaline, hong-ma-nao ou che-nao,

L'ART CHINOIS.

rouge cerise vaguement tachetée de jaune orangé; la calcédoine, tïang-yu [jade a^ur], ou yu-souï [moelle de

jade], ou bien en- core che-soui [moelle de pierre) , d'un blanc lai- teux, nébuleux, avec des teintes blondes ou azu- rées; — rhélio- trope , Hong- pan lu-ma-nao, vert foncé, semé de points rouges; la chrysoprase, /eï-isoui-yii [jade de mar tin- pê- cheur) ou lu-ma- nao [agate verte], d'un vert très pâle; la sar- doine, ma-nao, aux tons rougeâ- très, fauves et chauds; Ponyx, pi-yu, combinant harmo n i e u se - ment dans ses couches parallèles les colorations pré- cédentes ; enfin toutes les variétés de Tagate orientale. Plus que le jade encore, ces pierres imposent à l'ouvrier qui les travaille une patience inépuisable.

FLEUR DE MAGNOLIA d'aMÉTHYSTE. H., 0"',2I.

(Collection de M. M. Geniien.)

LES PIERRES DURES.

'7Î

DOUBLE VASB DE CRISTAL DE ROCHE. H., 0'»,27.

^Collection de M. M, Geiuien.)

Elles exigent, en outre, de lui une souplesse d'imagina-

174

L'AKT CHINOIS.

tion, une ingéniosité prodigieuses. A toute heure de son travail, en effet, il est soumis aux caprices de la matière dont les aspects se modifient à chaque coup de bouteroUe. Le noyau principal est-il régulier? La gangue se détachera-t-elle complètement ou pousse-

TABATIÈRE DE SARDOINE.

TABATIERE DE CALCEDOIiNE.

(Collection de M. le vicomte de Semallé.)

t-elle quelque filon, quelque filament dans la partie pré- cieuse de la géode? Les veines sont-elles continues ou brisées? Lestaches sont-elles profondes ousuperficielles ? Ainsi, à chaque instant, les conditions d'exécution se modifient : d'une sardoine, Partisan pensait faire d'a- bord une pêche retenue à sa tige; après deux mois de travail, une adhérence profonde de la gangue en un point le force à changer son idée première, et il fait une

LES PIERRES DURES.

17$

grenade ouverte ; six mois plus tard, quand son œuvre

est déjà fort avancée, des macules roussatres Tarrètent

encore; il en tire parti, les cisèle, par exemple, en

forme de feuilles et

trouve moyen de les

relier par des veines

laiteuses, perdues çà

et là, dont il fait des

rameaux en relief.

Ainsi encore, d'une

veine blanche d'onyx,

il improvise un dragon;

d'une tache d'oxyde

de chrome dans un

quartz hyalin, il fait

une libellule.

Dans de pareilles conditions de travail, l'artisan est parvenu cependant à faire des œuvres remarquables par la largeur du style, par l'apparente liberté de la composi- tion, par le charme délicat et imprévu du décor, par la souplesse et l'élé- gance infinies de l'ensemble.

Mais c'est particulièrement dans l'art de faire valoir les couches -inégales d'un camée que les Chinois ont toujours excellé. La collection de tabatières de M. de Semallé nous offre, à cet égard, les spécimens les plus

ry.f,.:.

BRANCHE DE PIN

FORMÉE d'une agate

VEINÉE DE CALCÉDOINE.

(Collection de M. le vicomte Je Semallé.)

I7<5

L'ART CHINOIS.

accomplis : la variété des motifs reproduits y révèle une finesse incroyable d'exécution, un sentiment déco- ratif exquis, et cette aisance de facture que la dureté de la matière semble interdire.

Le travail de certai- nes pierres plus ten- dres que le jade et les pierres de quartz a eu, de tout temps, en Chine, une grande importance. Parmi ces pierres, la plus estimée est la stéatite ou pierre de lard, appelée par les Chinois huen ou lioa- che (graisse de pierre], La stéatite est une va- riété de talc, douce et savonneuse au toucher, à structure compacte, qui se laisse couper et tourner avec la plus grande facilité, mais qui ne reçoit jamais un poli parfait. 11 y en a de plusieurs nuances : des blanches, pe-chc-tche, des violettes teintées de rose, kan-che-tche,àQsvo\is,Qà\Yts, tche-chc-tche, des Isabelle, thao-hoa-tche ijleiir de pêcher). On en fabrique, en quantité considérable, des coupes, des vases, des porté-

es ^<^>^

CARPES DE CRISTAt DE ROCHE.

Collection de M. le vicomte de Semallè.)

LES pif: KKKS DUKKS.

pinceaux, des bouts de pipe, des tigurines religieuses, etc. Mais ces objets ont rarement une réelle valeur d'art.

COUrK DONYX, PROVENANT DU PALAIS DETE.

(Musée de Fontaiiicble.iu.)

Notons encore quelques schistes à plusieurs couches qui sont parfois Tobjet d\in travail ingénieux et déli- cate

I. Dès la dynastie des Tcheou (i i 34-255 av. J.-C), les Chinois savaient falsifier les pierres dures, le jade et certains quartz. Ils employaient à cet effet une sorte de verre ou plutôt de pâte d'émail fort dur, mais très fusible. Actuellement, l'industrie des pierres fausses est très perfectionnée.

L ART CHINOIS.

LA CÉRAMIQUE

LA TECHNIQUE

Il résulte de documents historiques certains que, dès Tan 1700 av. J.-C, les Chinois connaissaient l'in- dustrie de la poterie : ils fabriquaient ainsi des terres cuites destinées aux usages domestiques, sans valeur d'art.

Sous la dynastie des Han, vers Pan 180 av. J.-C, la céramique réalise un premier progrès. On commence de faire alors des « vases brillants. . «, « de couleur bleue... », « réservés à l'Empereur* ». Ce n^était encore que des pièces cérames sans transparence, enduites d'un émail bleu. On donnait le nom de thao à ces produits.

I. Cf. King-te-tchin-thao-loii, « Histoire des porcelaines de King-te-tchin ». Cet ouvrage, publié en i8i5 par Tching-thing- Koueï et traduit en i856 par Stanislas Julien, est le premier qui ait apporté sur la porcelaine chinoise des renseignements sérieux et des vues d'ensemble. Nous y renverrons souvent dans le cours de ce chapitre. Nous nous référerons également à l'ouvrage de M. du Sartel, la Porcelaine de Chine (Paris, 1881). Signalons en- core, parmi les écrits qui nous ont fourni sur ce sujet des docu- ments précis et bien coordonnés, le livre de M. Franks : Oriental porcelain and pottery (London, 1878).

LA CEllAMIQUE. I7p

Puis, jusqu'à la fin du vu" siècle, Pindustrie céramique reste stationnaire. Sous les Thang (618-907) on voit apparaître, dans Farrondissement de Youci-tcheou, des vases dont la matière « ressemblait tantôt au jade, tantôt à la glace ». Cette comparaison indique évidem- ment que ces produits avaient une certaine transluci- dité. On les recouvrait d'un émail qui était bleu, jaune ou noir.

Vers le milieu du ix'= siècle, les céramistes de Ta-i, dans la province du Sse-tch'ouen, cherchant à perfec- tionner leurs procédés, parvinrent à produire des pièces « minces, solides et gracieuses, qui étaient de couleur blanche et rendaient un son clair^ ». La porcelaine était inventée.

La porcelaine est un compose de deux parties dis- tinctes : l'une, fusible, donne à la poterie la transpa- rence qui est son principal caractère : elle est fournie par une roche pétro-siliceuse; on l'appelle pe-tun-tse. L'autre partie composante est infusible ; c'est l'élément plastique de la porcelaine ; elle sert de corps à la pote- rie et lui donne la propriété de supporter la température nécessaire pour vitrifier l'élément fusible. Cette matière est le kao-lin; c'est de l'argile presque pure.

Les limites de cet ouvrage ne nous permettant pas d'entrer dans le détail des opérations que subissent les pâtes avant d'être mises au four et pendant la cuisson, nous nous bornerons à les indiquer sommairement, en renvoyant le lecteur, curieux de renseignements plus complets, au livre que M. Deck a publié dans cette

I. King-te-tchin-thao-lou, 1, § 10.

i8o L'ART CHINOIS.

même collection sur /t7 Porce/iTz/zf. Ces indications don- nées, nous ne nous occuperons plus, au cours de cette étude, que des procédés qui touchent à la décoration.

Au point de vue de la composition des pâtes cérami- ques, les porcelaines se divisent en deux classes, les por- celaines à pâte tendre^ les porcelaines à pâte dure. Les premières sont fusibles à une température d'environ 800 degrés ; les autres, au contraire, restent inatta- quables à i,5oo degrés et au-dessus.

Le façonnage des pièces s'effectue par l'ébauchage, le moulage, ou le.tournassage ; les Chinois ne parais- sent pas avoir connu le procédé du coulage.

Le vase ainsi arrêté dans sa forme est mis ensuite en couverte, c'est-à-dire qu'on le recouvre d'un enduit fusi- ble, transparent après vitrification et destiné à lui donner un aspect poli et brillant. Il est prêt dès lors à subir la cuisson. Après cette opération, le vase est cuit en blanc. Quand on veut obtenir des pièces d'un blanc mat et non vernissées, on les place au four immédiate- ment après le façonnage et sans les mettre en couverte : ces pièces sont dites cuites en biscuit.

L'application de décorations colorées sur la porce- laine se fait de deux manières : i" avant la cuisson : les matières colorantes employées doivent être inattaquables à la chaleur même que subit la pièce pendant cette opé- ration ; aussi les appelle-t-on couleurs de grand feu; elles sont soit mélangées à la couverte, soit appliquées, suivant les contours d'un dessin, sur cru et sous cou- verte; 2" après la cuisson : les couleurs ne sont appli- quées que sur des vases cuits en blanc ou en biscuit ; elles doivent être capables de se fixer sur les pièces à la tem-

LA CERAMIQU E. i8i

pérature peu élevée que celles-ci pourront, de nouveau, supporter ; ces couleurs sont désignées sous le nom {.Véniaiix de demi-grand Jeu K

II

L HISTOIRK

LMiistoire de la porcelaine en Chine se divise en sept grandes époques ;

i""" époque. Période primitive (850-1426); époque, Période Siouan-te (1426-1465) ; 3" époque. Période Tching-hoa (1465-1573); 4'' époque. Période Ouan-li (i 573-1 662); 5*-" époque. Période Khang-hi_(i662-i723); 6" époque. Période Young-tching et Kien-long (172 3- 1796);

7^ époque. Période contemporaine (1796-188.).

!•''' EPOQUE PÉRIODE PRIMITIVE (85O-I426)

Ainsi que nous Pavons vu, c'est vers le milieu du ix" siècle environ que furent fabriqués à Ta-i, dans le

I. 11 existe cependant des spécimens de porcelaine, à fond bleu principalement, le décor est peint avec de l'émail blanc de grand feu posé sur couverte à cru.

i82 L'ART CHINOIS.

Sse-tch'ouen, les premiers produits céramiques ayant tous les caractères de la porcelaine, à savoir la transpa- rence, la dureté et la sonorité.

Ces premières porcelaines étaient blanches, d'un blancd'ivoire. Cest en y faisant allusion que Thou-fou, le poète de la dynastie des Thang, disait : "■ Quand on frappe les tasses de Ta-i, elles rendent un son plaintif comme les coupes de jade. Les tasses blanches de Votre Seigneurie effacent Téclat de la neige. Envoyez-moi promptement une de ces tasses dans mon humble pa- villon d'études.» La décoration de ces pièces primitives était dessinée au trait ou peut-être même moulée en relief avant la cuisson : les sujets représentés étaient simples, des poissons, des fleurs, des veines imitant les rides de Teau.

Vers le même temps aussi, on fabriqua à Youeï- tcheou, pour l'usage de PEmpereur, des porcelaines dites Pi-se-yao^ '< porcelaines de couleur cachée. » Quel sens exact faut-il attribuer à ces mots « de couleur cachée »? Doit-on penser, avec Fauteur du King-te- tchin-thao-loii, qu'on signifiait par que ces pièces céra- miques étaient réservées au Fils du Ciel et que les par- ticuliers n'avaient pas le droit d'en posséder? Faut-il croire, comme l'affirme M. du Sartel, qu'il s'agit déjà de couleurs transparentes posées sous couverte ? Les éléments que Ton possède sur cette question délicate sont insuffisants à la résoudre.

Au siècle, la céramique réalise d'importants pro- grès : les procédés se sont perfectionnés, le talent des décorateurs se forme. D'ailleurs, c'est l'époque l'art chinois est sous l'influence toute-puissante du boud-

LA C F, R A M I Q U E.

ifi,

dhisme et où, sous l'action des idées indiennes, le goût des artistes s'élève et s'épure. La céramique profue de

STATUETTE BCUDDHI Q_U E ET LION DE FO (bOUDDHA)

Dccoréc d'émaux jaune et bleu turquoise,

XIII'' SIÈCLE.

(Collection de M. S. Bing.)

cette rénovation des conceptions esthétiques que nous avons constatée dans les bronzes, dans les jades et dans les peintures.

Les auteurs chinois nous apprennent que « lorsque

18+ L'ART CHINOIS.

les Soung furent montés sur le trône (960 ap. J.-C.) on fabriqua des porcelaines qui étaient bleues comme le ciel, brillantes comme un miroir, minces comme du papier et sonores comme une plaque de jade. Elles étaient lustrées et d'une finesse charmante. Il y en avait qui se distinguaient par la tinesse d'e la craquelure et la pureté de la couleur. Elles effaçaient par leur beauté toutes les porcelaines précédentes'. « On dit qu^un Jour, l'empereur Che-tsong (vers 954), ayant été prié d'indiquer la couleur des vases que Ton devait fabriquer à son usage, écrivit de son pinceau sur le placet qui lui était présenté : « Qu'à Tavenir on donne à mes porce- laines la teinte azurée du ciel, après la pluie, telle qu'elle apparaît dans les intervalles des nuages. » De est venu le nom de yii-kouo-thien- tsing^ « bleu de ciel après la pluie », qui a désigné dans la suite les imitations de cette porcelaine.

Ces pièces délicates furent comme une révélation pour le goût artistique des Chinois. Elles furent esti- mées à si haut prix et devinrent si rares que, « lorsqu'on avait le bonheur de se procurer un vase brisé ou seule- ment de menus fragments, on en faisait des ornements de coiffure, des chapelets, des objets de curiosité - ».

Cependant, d'importantes manufactures de porce- laines étaient ouvertes dans tout Tempire, sous la protection ou même sous la direction immédiate du gouvernement, La plus importante de ces fabriques est celle de King-te-tchin, dans la province du Kiang-

1. King-te-tchin-lhao-lou, I, § i3.

2. King-te-tchin-thao-lou, I, S i3.

LA CERAMIQU F.. 185

Si : fondée, en Pan ioo5, pur l'empereur King-te (d'où lui est venu son nom), elle fournit encore aujourd'hui les porcelaines destinées au Fils du Ciel.

Dans l'activité de la production, les progrès se suc- cèdent rapidement. C'est de cette époque, en effet (fin du x' siècle), que datent les premières applications d'émaux coloriés sur des pièces cuites en biscuit. Il s'agissait sans doute d'émaux plombeux. Les nuances étaient déjà très variées : violet pâle, violet aubergine, jaune d'ocre, bleu de ciel, bleu turquoise, bleu prune. Le décor de ces vases est peu compliqué et d'aspect ar- chaïque : il se compose des personnages symboliques du bouddhisme ou du taoïsme, de fleurs ou simplement de caractères anciens, ciselés à la pointe et coloriés ensuite. Souvent aussi, le décor consiste en filets en relief, avec réserves en biscuit. A côté de ces porcelaines figurent, dès lexm^ siècle, les craquelés, tsoui-khi-yao. « Au sortir du four, nous dit l'historien de King-te- tchin % les vases offraient des veines qui couraient en tous sens comme s'ils eussent été brisés en mille pièces. Avec de l'encre commune ou de la terre rouge (de l'ocre), on frottait les fêlures de l'émail; puis, le vase étant achevé, on enlevait, en essuyant, le superflu de la cou- leur. On voyait alors un réseau de charmantes veines rouges ou noires, imitant les fêlures de la glace. Il y avait aussi de ces vases Ton ajoutait des fleurs bleues sur le fond uni, couvert de veines craquelées, » Ces fendillures provenaient d'une différence de dilatabilité entre le corps de la pâte et la glaçure vitreuse qui l'en-

I. IH, § 98

i8<î L'ART CHINOIS.

veloppe : rharmonie de retrait e'tant rompue entre ces deux éléments, il se produisait, au refroidissement, un craquelage que le céramiste pouvait graduer par une modification savante de la composition formant la cou- verte. Lorsque les mailles sont très resserrées, le cra- quelé prend le nom de truite : Taspect de la surface rappelle, en etfet, les écailles de la truite.

EPOQUE PÉRIODE SIOUAN-TE* (1426-1465)

Si importants que soient les progrès réalisés pendant la fin de la première époque, la céramique chinoise n'est encore qu'à Tétat d'industrie imparfaite, d'art en formation. Elle n'arrive à un complet développement que sous la dynastie des Ming, à Tavènement de l'em- pereur Siouan-te, en 1426.

Le type caractéristique de cette période est la porce- laine décorée de fleurs bleues sous couverte. Le bleu dont on se servait était le Sou-ni-po : c'était un arsé- niure de cobalt, qui prenait après la cuisson une teinte bleu pâle, légèrement agatisée. Les pièces de cette épo- que sont infiniment estimées des Chinois : elles ont, en effet, un charme doux de coloris et de composition, une pureté de ton, une délicatesse d'aspect qui n'ont jamais été surpassés.

On commença aussi à employer le rouge de cuivre en

I. Cette période comprend les règnes de Siouan-te, Tching- toung, King-t'aï et Tliien-choun.

LA CF. RAMIQUE.

l97

rincorporant à rémail avant que le vase ait c'ic mis sous couverte. Pour obtenir un rouge très profond, on se servait parfois de poudre de cornaline. On fit ainsi un grand nombre de vases dont Panse e'tait ornée d\in poisson rouge. Voici, comme spécimen de ce genre, un vase de la collection du Sartel : c^est une potiche dé- corée de bordures en mosaïque; la panse est divisée en trois com- partiments qui sont remplis par un lion de Fo. Les couleurs em- ployées sont le rouge de cuivre et le bleu, en teintes pâles ou très fon- cées. La décoration sur biscuit se perfectionne aussi de Jour en jour : on associe le bleu de cobalt au rouge de cuivre, tsi-hong-yeoit.

A côté de la porce- laine, d'autres produits céramiques, très recherchés aussi, venaient prendre place.

VASE CORNET

Décoré sur cru de peintures

en bleu et ronge de cuivre avec pa rties

céladonnées et gravées en relief.

(nIEN-HAO : SIOUAN-TE, i+art-i^jfî.)

(Ancienne collection du Sjirtel.)

i88

L'ART CHINOIS.

C'était une poterie de grès, à pâte très fine, très serrée, de couleur rouge, grise ou brunâtre, que Ton enduisait d'une couverte épaisse et qu'on décora plus tard de brillants émaux bleus, blancs, jaunes et rouges. Les Portugais la désignèrent sous le nom de boccaro qui lui est resté.

courf. en forme de pêche de longevite. boccaro.

(période siouan-te, 1426-1^65.) (Collection de M. S. Bing.)

On fabriquait ainsi des pièces délicates, et particu- lièrement des théières aux formes les plus imprévues et les plus variées.

Le boccaro de qualité plus ordinaire fournissait la pâte des plaques de recouvrement qui ornaient les parois de certains monuments. Tels étaient, par exemple, les grands panneaux à décor en relief qui revêtaient la Tour de porcelaine de Nankin, commen- cée en 141 5 et terminée en 1430.

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La troisième époque s'ouvre avec Tempercur Tching- hoa, des Ming, en 1465.

BRULE-PARFUMS EN FORME DE CHAT.

Décoré d'émaux au grand feu. (période tching-hoa, 1465-1S7J.)

(Collection de M. L. Gonsc.)

A cette époque, on faisait encore des porcelaines à décor bleu; mais on en avait tant fabriqué, dans la pé- riode précédente, que le beau bleu Ac Sou-ni-po vint à manquer et qu''on dut employer du cobalt de qualité moins pure. Cette infériorité fut compensée, en partie,

1. Cette période comprend les règnes de Tching-hoa, Houng- tche, Tching-te, Kia-tsing et Loung-king.

I}>0

L'ART CHINOIS.

par un progrès notable dans Thabileté du dessin et dans la disposition des couleurs. Si les nuances ne sont plus aussi délicates qu'autrefois, il y a plus de grâce et de légèreté dans les contours des sujets représentés, un art plus heureux dans la com- position.

Mais, un demi-siècle plus tard, en i52i, sous Tempereur Tching-te, on se procura fort à propos un bleu nouveau, d'une couleur franche et foncée, avec lequel on obtint tout de suite des produits fort remarquables et que les Chinois ont toujours estimés à très haut prix. C'était proba- blement un silicate de cobalt. Le nom qu'on lui donna, Hoéi- tsing, « bleu des musulmans )>, permet de croire que ce furent les marchands arabes des comp- VASE toirs de Canton qui llmportè-

à fond noir èmaiiié, rent en Chine.

décoré en vert et lilas

sur biscuit A côté des porcelaines bleues,

(période TCHiNc-HOA, commcncèrent à apparaître les (Coiicctilfa! M. M^'oemien.) prcmières peintures sur porce- laine cuite en blanc. L'applica- tion des émaux de demi-grand feu sur couverte ouvrit à la céramique chinoise un champ nouveau, et Ton peut dire que de ce jour elle fut en possession de tous les

LA CÉRAMIQUE.

ICI

procédés qu^elle perfectionna plus lard à un si liaui degré.

Au lieu de peindre sous couverte, comme on Pavait fait jusqu^alors, on appliqua le décor et les couleurs sur des pièces déjà cuites et terminées. On appelait ces sortes de porcelaines Ou-tsaï-yao^ litt. des « porcelaines aux cinq couleurs », non pour indiquer que les émaux dont on faisait usage étaient de cinq nuances seulement , mais pour exprimer au contraire la variété de ces nuances : si rapproché qu'il soit de Punité, ce nombre, en effet, sert fréquem- ment, dans la langue chinoise, à signifier une -pluralité indéter- minée d'objets. Les nuances que l'on trouve principalement sur les Ou-tsaï sont le vert oxyde de cuivre, le jaune brun, le bleu clair, le bleu sombre presque noir, le violet, le rouge de fer, et le noir qui servait soit à es- quisser simplement le décor, soit à émailler tout le fond.

Avec ces ressources de palette, l'artiste chinois se sentit plus libre, plus dégagé dans ses allures, et il

//./,.

THÉIÈRE

décorée en verl sur biscuit (période tching-hoa, 1465-1573.)

(Collection de M, Grandidier.)

ly»

L'ART CHINOIS.

iiborda dans le décor des sujets plus hardis. Il ne se contenta plus de ne peindre que des ornements symbo- liques, des fleurs, des animaux; il traita la figure hu- maine, il reproduisit des scènes légendaires ou religieu- ses, des événements historiques, des paysages entiers.

Les porcelaines le vert dominait furent particulière- ment prisées. Dans la période précédente, on avait déjà fabri- qué, sous le nom de Tien-pe- khi, des pièces dans la décora- tion desquelles cette couleur tenait une grande place. Mais on ne peut les classer avec celles de la époque dont nous nous occupons. Elles n^ont, en effet, d'autre analogie entre elles que la coloration verte; les procédés de fabrication diffèrent absolu- ment. Les Tieji-pe-khi sont or- nés d'émaux appliqués sur bis- cuit*, tandis que les porcelaines vertes de la S*" époque sont décorées d'émaux sur couverte. On peut citer comme spécimen de la première famille verte une théière appartenant à M. Grandidier, dont la forme compli- quée représente le caractère cheou, « longévité ».

Dès le début de la S*" époque, vers 1480, on tenta un nouvel essai de décoration verte qui n'a laissé que

G O U R D U ,

décorée en émaux

de la famille verte

(nien-hao tchi nc-hoa,

1465-1 + 88.)

(Ancienne collection du Sartel.)

I. King-te-tchin-thao-loii, II, § 80.

LA CKRAMIQUE. I93

de très rares types, celui de rémail « vert d'huile », teou-jreou-che ycoii. Cet émail, qui avait de beaux tons d'olive, recouvrait entièrement la pièce qui était laissée nue ou que Ton décorait préalablement de dessins exécutés soit à la pointe, soit au trait noir.

Si intéressants que soient ces premiers types de la famille verte, il faut, pour en admirer les plus beaux spécimens, attendre que la céramique chinoise qui, dans cette époque, vient d'inventer les émaux sur co.u- verte, en ait perfectionné le procédé.

Signalons encore, parmi les produits de la période Tching-hoa, de nombreuses pièces décorées en bleu turquoise sur biscuit.

4^ EPOQUE PÉRIODE OUAN-LI ^ (15-3-1662)

La 4^ époque, qui s'ouvre avec l'empereur Ouan-li, des Ming, en i S/S, et qui s'étend Jusqu'à l'avènement de l'empereur Khang-hi, des Thsing, en 1662, est caracté- risée par la prépondérance que prennent, dans la fabri- cation des porcelaines, la famille verte et les peintures sur couverte des Ou-tsaï.

Deux faits importants venaient, en effet, de res- treindre tout d'un coup les ressources de la céramique : le bleu des Musulmans était devenu introuvable et disparaissait du marché, comme avait disparu aussi,

I. Cette période comprend les règnes de Ouan-li, Taï-tchang, l'art chinois. ij

19+

L'ART CHINOIS.

cent ans plus tôt, le bleu Sou-ni-po; en outre, Targile

Ma-thsun^ dont on faisait la porcelaine fine, était épuisée ^, et les terres que Ton pouvait encore se pro- curer ne donnaient que des produits grisâtres.

Les procédés décoratifs de la famille verte et des Ou-tsaï étaient bien ceux qui pouvaient le mieux at- ténuer ce dernier inconvé- nient : la richesse écla- tante de leurs émaux, d^une part, et, d''autre part, l'im- portance superficielle qu'ils prenaient sur le vase, dis- simulaient la qualité de la pâte laissée en blanc et en dissimulaient la surface. Quant au bleu, on dut y renoncer. Cependant, avec ceque Ton en possédait en- core, on put dans les pre- miers temps décorer quel- ques pièces à cru et sous

couverte. On n'appliquait la couleur que très sobrement,

VASE CO RN ET

décoré en bleu sous couverte.

(période ouan-li,

1573-1662.)

(Collection Je M. L. Gonse.J

Thien-ki et.Tsoung-tching de la dynastie des Ming, et ceux de Thien-ming, Thien-tsoung, Tsoung-te, et Chun-tche de la dynastie des Thsing.

I. King-te-tchin-tliao-loii, VII, § 3.

LA C tlRAMIQUE.

en la réservant aux mo- tifs principaux du décor, aux personnages, aux animaux ; on achevait ensuite l'ornementation avec des émaux rouges ou verts de demi -grand feu. Les spécimens les plus remarquables de ce genre sont des vasques destinées à recevoir de l'eau, ou l'on entretenait des cyprins dorés et des plantes aquatiques. Sur le pourtour extérieur de la vasque, des dragons et des poissons peints en bleu foncé nageaient dans des flots d'émail vert ou rouge.

Parmi les produits céramiques fabriqués en extrême Orient vers le milieu du xvn" siècle, figure un certain nombre de pièces dont Porigine précise a longtemps in- trigué les connaisseurs. Ce sont des vases à dé- cor archaïque, d'une pâte blanche et mate, à cou-

'9Î

^^

décoré 671 émaux de la famille verte. (période ouan-li, 1^7 j- 1662,

(Ancienne collection Ju Sartel.)

ipû

L'ART CHINOIS.

verte unie, mais non vitreuse. Les émaux qui les ornent sont d'une tonalité très douce, du bleu céleste, du vert

pâle, du rouge mat; et la sobriété avec laquelle ils sont distribués sur la surface laisse au blanc d'ivoire du fond toute sa valeur. M. Jacquemart ^, croyant reconnaître, dans le décor, des caractères à la fois japonais et chi- nois, voulut voir dans ces pièces des spécimens de la Porcelaine de Corée. Rien ne Justifie Tat- tribution de produits aussi délicats aux manu- factures coréennes. Au- cun document, en effet, ne nous autorise à croire que Tart céramique soit jamais parvenu en Co- rée à un si haut point de développement. Pen- dant le séjour que nous avons fait en ce pays, les seuls cérames indigènes que nous ayons vus étaient des coupes ou écuelles coniques, d'une pâte brune ou blanchâtre, et enduites d'une épaisse couverte sous laquelle un décor était parfois

GOURDE

de forme persane, décorée sous couverte.

(PKRIODE OUAN-LI, l$7J-l662.)

(Collection de M. L. Gonse.)

I. Cf. Histoire de la céramique, p. 117.

LA CKRAMIQUE. ,97

gravé au trait. L'aspect de ces pièces rappelait tout à fait celui des porcelaines des Soung.

Les porcelaines dites de Corée ne sont que d'an- ciennes porcelaines coloriées du Japon, qui furent fabriquées à Hizen vers i65o.

5" ÉPOQUE PÉRIODE KHANG-Hl(l 662-1723)

Cette période, qui correspond au siècle l'art chi- nois, dans toutes ses branches, est arrivé à l'apogée, comprend le long et brillant règne de l'empereur Khang-hi. C'est la belle époque de la porcelaine. Les procédés se sont perfectionnés, les ressources des céra- mistes et des peintres sont plus riches ; d'autre part, les formes sont plus heureuses et mieux pondérées, la com- position plus savante et plus variée; les colorations ont une harmonie douce ou une puissance d'éclat que les pièces anciennes avaient rarement réalisées.

Les produits principaux de cette période peuvent se grouper en quatre catégories :

i" Les porcelaines delà famille blanche;

Les porcelaines de la famille verte ;

Les porcelaines de la famille rose;

4" Les porcelaines à couverte colorée.

i*^ Les porcelaines de la famille blanche. L'auteur à\x King-te-tchin-thao-lou^ nous apprend que, vers le

1. 1, S 37-

198 L'ART CH INOIS.

milieu du xvii« siècle, on recommença de faire des por- celaines blanches. La manufacture on les fabriquait était à Te-hoa, dans le Fo-kien. «La plupart des tasses et des coupes qui en proviennent, nous dit- il, ont les bords légèrement déprimés. On les appelle Pc- 1 se (por- celaines blanches). Elles ont beaucoup de lustre et de poli ; seulement elles sont fort épaisses. Les statuettes de Bouddha qu'on y fabrique sont extrêmement belles.» C'est surtout, en effet, à la confection d'idoles bouddhi- ques que Ton a fait servir la porcelaine de Te-hoa, qui était laiteuse, vaguement transparente et, pour ainsi dire, coulante et onctueuse d'aspect. Certaines sta- tuettes faites de cette pâte ont un charme singulier; une déesse Kouan-yin, que nous vîmes à Pékin, avait, dans son immobilité hiératique, une délicatesse de formes, une grâce pensive, une douceur de physionomie et une suavité d'expression que n'ont jamais dépassées les plus beaux bronzes sacrés.

Des manufactures de Te-hoa sont sortis aussi des vases, des buires, des coupes et des théières. La déco- ration se composait généralement de méandres en relief couvrant toute la pièce, ou bien encore de fleurs jetées très sobrement sur la panse, et parfois même de sujets figurés.

M. S. Bing qui, par la sûreté de son goût et par le sentiment délicat qu'a développé en lui une longue pratique, est un maître dans la connaissance des arts d'extrême Orient, a réuni une collection inappréciable de porcelaines de cette famille : toute la gamme des blancs v est représentée, le blanc opaque, le blanc translucide, le blanc laiteux, le blanc d'amande, le

LA CERAMIQUE. IP9

blanc dMvoire, le blanc de cire, le blanc de céruse, le blanc pulpe-de-magnolia, etc. La théière reproduite ci-dessous provient de cette collection.

Les porcelaines dk la kamillk verte. Dans les

THÉIÈRE

de porcelaine blanche transparente (période khang-hi, 1622-1723.)

(Collection de M. S. Bing.)

premières années du règne de Khang-hi, il se produi- sit, parmi les peintres qui traitaient particulièrement la famille verte, une scission. Deux écoles se formèrent. L^une continua à s'inspirer des modèles anciens; mais elle en perfectionna le style, y mit plus de grâce et de finesse, avec une distribution plus heureuse des mo- tifs, avec plus de précision dans le dessin. Ce fut elle

aoo L'ART CHINOIS.

qui créa cette série nombreuse de flacons, de vases et de potiches où, dans des compartiments bordés de grecques et de mosaïques, des fleurs largement dessi- nées, des branchages en pleine frondaison, des grami- nées touffues jaillissent d'un arbre ou d'une rocaille, sous un vol d'oiseaux, de coléoptères ou de libellules. Le vert tendre domine dans le décor, à côté du rouge de fer qui le rehausse; mais il y a aussi, çà et là, sur l'aile des oiseaux, sur les élytres des papillons, sur la corolle des fleurs, des touches de jaune, de bleu et de violet.

Ces produits céramiques exprimèrent à leur heure le goût particulier que les Chinois professent pour les fleurs, la jouissance douce qu'ils éprouvent à les regar- der, l'ivresse légère qu'ils ressentent à en respirer le parfum. Nulle poésie plus que la leur n'a chanté les beautés du monde végétal, les couleurs tendres des plantes à leur première floraison, l'éclat opulent de leur épanouissement, les nuances maladives qu'elles revêtent quand elles se fanent. Ce culte délicat de la nature, qui a dicté aux poètes et aux romanciers de la Chine tant d'œuvres émues, tant de comparaisons gra- cieuses ou mélancoliques, a bien inspiré ses peintres céramistes et a trouvé parfois, sous leur pinceau chargé d'émaux, son expression la plus pittoresque et la plus brillante.

La seconde école, attribuant moins d'importance au coloris, a produit des œuvres d'une composition sa- vante, d'un dessin soigné, recherché même. L'esquisse du décor était faite sur cru au trait bleu ou au rouge de fer. Les sujets traités étaient des scènes historiques

LA CERAMIQUK.

OU religieuses, pleines de vie ei de mouvement.

Les porcelaines de la famille verte, à grandes com- positions, eurent dès leur apparition un succès consi- dérable ; mais les artistes qui sY adonnèrent n'eu- rent guère le temps de sW perfectionner, car un édit impérial, publié en 1677, les rappela au respect des traditions en interdisant la reproduction sur porce- laine des sujets historiques et religieux.

Les porcelaines de

LA FAMILLE ROSE. VcrS

l'année 1680, on décou- vrit trois couleurs nou- velles qui donnèrent aux peintres céramistes des ressources inconnues jus- qu'à ce jour : c'était le carmin tiré du chlorure d'or, le jaune franc ob- tenu de l'antimoine, et le blanc extrait de l'acide arsénieux. Pour employer ces couleurs, on les mêle à un véhicule abondant, et elles forment relief surla couverte. Ce rouge d'or, qui est notre pourpre de Cassius, fournissait les roses les plus pâles, avec des nuances d'une douceur exquise. Les sujets le plus habituellement traités sont des fleurs, des

VASE BALUSTRE

décore d'un émail bleu turquoise

(période khang-hi,

I622-I723.)

(CoUccuoii Jj AL L. Goiise.)

202 L'ART CHINOIS.

pivoines, des chrysanthèmes, des œillets épanouis, des lotus, etc. Quelque charme dont soient revêtues ces pre- mières pièces de la famille rose, nous attendrons, pour en dérinir le style, d'en être à l'e'tude de Tépoque sui- vante, ou ce genre atteint à son plus haut degré de per- fection.

4" Les PORCELAINES A COUVERTE COLOREE. Il s'agit ici de porcelaines dont le fond est décoré soit sur cru de couleurs de grand feu, soit sur biscuit de couleurs de demi-grand feu : elles ont des tons dMne rare délica- tesse ou d'un éclat vif et profond. Nous distinguerons particulièrement, dans celte classe, les céladons et les /ïambes.

Les céladons sont bleu turquoise, vert de mer, vio- let pensée. Ces teintes sont souvent associées sur la même pièce. On en fabriquait déjà dans les périodes précédentes, mais ce ne fut guère que sous le règne de Khang-hi qu'on parvint à composer des émaux qui, par la pureté, la douceur ou la puissance du coloris, riva- lisaient avec les gemmes et les productions les plus brillantes de la nature.

Les céladons dits « bleu de ciel après la pluie », en souvenir des porcelaines de Che-tsong dont ils étaient l'imitation % nous offrent les plus délicats spé- cimens de ce genre. Mais les céladons ornés de dessins gravés ou imprimés en relief dans la pâte du fond sont encore plus séduisants peut-être par les effets de modelé et de coloration que réalise la couverte accumulée sur le décor : la fluidité des teintes, la sorte d'ombre dont

I. Voy. p. 184.

LA CÉRAMIQUF,.

20}

elles s'enveloppent par places n'ont jamais pu être re- produites dans les porcelaines de fabrication euro- péenne. Notons enfin, dans le même groupe céramique, les céladons bleu empois dont la couverte, prépa- rée au cobalt, 'a un as- pect lumineux, semi- translucide.

En ce qui concerne les flambés, nous en avons réservé Pétude à la période suivante, ces produits furent le plus recherchés. Voici cependant, parmi les œuvres du règne de Khang-hi, un des spéci- mens les plusintéressants du genre flambé. C'est un vase à quatre pans sur les parois duquel se sont fixées des coulées d'émail bleu violacé et d'émail rouge sang de bœuf : par la puis- sance et l'éclat des tons, le vase semble fait de pierres précieuses en fusion.

Je pourrais citer encore, dans la môme vitrine, à côté de cette pièce accomplie, un petit nombre d'œuvres de la même époque que M. L. Gonse a choisies avec un discernement si délicat, avec une sûreté de goût si par-

vase flambe (période khang-hi,

1622-1723.)

(Collection de M. L. Gonse.)

204

L'ART CHINOIS.

faite que chacune d'elles est en soi le type de toute une série céramique. Deux, entre autres, méritent de retenir

Tattention par la grâce heureuse de la forme et par la beauté de la ma- tière : ce sorlt deux vases ba- lustres couverts, Tun d'un émail bleu turquoise, l'au- tre d'un émail violet auber- gine. (Voy. p. 201 et 204.) Nous avons vu que, dans la première période, on fabriquait des porce- laines craquelées qui étaient fort estimées. Sous le règne de Khang-hi, le procédé du craquelé s'était perfectionné : les artisans étaient plus habiles encore à modifier la couverte de façon à la rendre dilatable, à leur gré, et à obtenir un degré précis de craque- lure. De cette époque da- tent les céladons truites

VASE BAtUSTRE

décoré d'un émail violet aubergine, q^j jouirent de tant de

(PÉRIODEKHANG-HI, T-

1Û62-1723.) vogue en France au xvni'

(Collection de M. L. Goiise.) siècle.

Les plus beaux spéci- mens de la porcelaine dite de Long-Thsiouen peu- vent être attribués à la période Khang-hi. Ce sont

LA CERAMIQUF.

20$

de fins craquelés de couleur vert paie ou vert foncé.

La manufacture de Long-thsioucn (province du

Tche-Kiang) était en activité déjà sous la dynastie des

Ll N G-T CH Y,

Porcelaine décorée d'émaux flambés, (période khanc-hi, 1622-1723.)

(Collection de M. S. Bing.;

Soung (iioo environ ap. J.-C.) ; mais, pendant plu- sieurs siècles, elle ne fabriqua que des produits gros- siers, d'un bleu très sombre et sans craquelures.

Nous classerons, à la suite des céladons, des porce- laines unies à couverte de grand feu, dites porcelaines

ao6

L'ART CHINOIS.

de Tlisang, du nom du mandarin qui dirigeait, sous le règne de Khang hi, la manufacture de King-te-tchin.

L'émail qui décorait ces porcelaines était vert « peau de serpent » [che- pi-lii), jaune d'or [kin- hoang-yeou], jaune pâle, violet et vert pâle. Il y avait aussi des vases tse- kin-che, à fond laque, qui étaient susceptibles de recevoir toutes les colo- rations du bronze et qui étaient très recherchés. A l'occasion de ces por- celaines unies, nous de- vons noter l'idée, très différente de la nôtre, que se font les Chinois en ce qui concerne l'é- galité dans l'épaisseur et le glacé de la couverte. Tandis qu'à Sèvres, par exemple, on considère comme un grave défaut ^**''' ^ , le miroitageque prennent

dccore en verl sur fond noir. '-' ^ '

(l'ÉRioDE KHANG-Hi, 16(52-1723.) certalucs de ces pièces, (Collection de M. L. Gonse.) ^^ Chine, au coutralrc,

on estime cette sorte de moirure qui est, pour ainsi dire, la modulation de la couleur du fond.

Les porcelaines à fond noir sont intéressantes par

LA CERAMIQUE. 207

la façon dont cette coloration est obtenue : elle provient le plus souvent de Pépaisseur considérable d'une cou- verte colorée dans la masse; dans ce cas, Tintcnsité du ton fait paraître la teinte noire. D'autres fois, le même effet est produit par la superposition de deux couleurs différentes, le bleu sur le brun laque, par exemple. Ce procédé est usité non seulement pour les vases à cou- verte unie, mais aussi pour les pièces à décor multicolore. Il existe une série curieuse de vases à couverte colo- rée, dits « vases souflflés » ; ce sont des pièces sur les- quelles la couleur a été projetée à travers un morceau de gaze fixé à l'extrémité d'un tube de bambou. En soufflant dans cet appareil, l'ouvrier couvre toute la surface du vase de gouttelettes pulvérisées qui lui don- nent un aspect finement grenu, chagriné, l'apparence d'une peau d'orange. Certains vases ont reçu ainsi des couches successives de couleurs différentes.

ÉPOQUE PÉRIODE YOUNG-TCHING ET KIEN-LONG^ (1723-I796)

On peut dire que, dès l'avènement de l'empereur Young-tching, qui succéda en 1723 à l'empereur Kang-hi, la céramique chinoise entre dans une ère nouvelle, dans la première phase de l'école moderne. Au point de vue des procédés et de l'habileté tech- . nique, les peintres de la période que nous abordons ne le cèdent en rien à leurs devanciers ; ils leur sont

I. Young-tching a régné de 1723 à lySô et Kien-long de lySô à 1796.

208

L'ART CHINOIS.

même supérieurs sur quelques points. D'abord les pièces sur lesquelles ils travaillent sont de forme plus heureuse; il v a plus de variété dans les types et peut- être plus de grâce et de souplesse dans les galbes. Ensuite, le dessin est plus savant, d'une finesse qui par- fois— dans les porce- laines « coquilles d'oeuf «, par exemple touche à la minia- ture. La composition est mieux comprise et plus élégante. La pa- lette, qu'aucune cou- leur nouvelle n'est venue cependant en- richir, fournit des res- sources plus variées par la combinaison, presque inconnue jusqu'alors, des émaux de la famille rose et de la famille verte, ou par leur mélange avec du blanc opaque.

Mais, à côté de ces progrès, on aperçoit déjà les causes éloignées de la décadence la porcelaine chi- noise tombera dès le début du xix' siècle : il y a parfois de la recherche et de la surcharge dans la décoration.

Ell-A-i^^^Sk

STATUETTE DE BOUDDHA

en porcelaine dorée et dccorée d'cmaux

de la famille rose.

(période young-tching,

1723-1736.)

(Collection de M. le vicomte de Seniallé.)

LA CERAMIQUE.

ao9

dont les arabesques, les rinceaux compliqués, le fouillis de fleurs et de feuillages tendent à recouvrir toute la surface des pièces ; enfin, la préoccupa- tion d'adoucir les teintes commence déjà à faire perdre aux couleurs leur éclat d'autrefois.

Dans la prodi- gieuse variété des produits delà période Kien-long, les types principaux peuvent se ranger en quatre classes :

Les porcelaines de la famille rose;

Les porcelaines « coquilles d'œuf « ;

Les porcelaines flambées;

Les porcelaines d'exportation.

Les porcelai- nes DE LA FAMILLE

.-i^.c

PETIT VASE A POUDRE DE THE,

famille rose.

ROSE. Le rétine de (période young-tching, i723-i73<îO

- . , (CoUcctioa de M. L. Gonse.)

Young-tching est la

belle époque de la famille rose, dont nous avons déjà

parlé au paragraphe précédent.

A côté du rouge et du rose tirés du chlorure d'or,

I, ART CHINOIS.

I*

L'ART CHINOIS.

les peintres se servent du bleu pâle, du vert tendre, du lilas clair. Le décor habituel consiste en fleurs, en ani- maux, en arabesques et en rinceaux, d'une grâce charmante de composition et d'une harmonie délicieuse

de couleurs. Ces porce- laines sont peintes d'une touche légère , avec des émaux translucides, pres- que aqueux, qui rappellent la fraîcheur délicate des tons de l'aquarelle. Par- fois, de grands sujets se développent sur la panse des vases : des person- nages, historiques assistent à quelque cérémonie de cour, ou combattent dans une mêlée de chevaux et de guerriers. Souvent aussi, la scène est empruntée à quelque poésie célèbre, comme la Chanson des Lotus, de Ouang tchang- ling,ou celle du C/?<i^r/«, de Litaï-pe: elle se déroule alors dans un paysage aux teintes fines et douces, dans une nature les tons sont légers et diaphanes, les formes sont toujours sveltes et délicates. Les drames de l'époque classique offrent également aux peintres de la famille rose d'heureux motifs de décoration, et en particulier le Pi-pa-ki, litt. « l'Histoire du luth », et le Si-Siang-ki, litt. '< l'Histoire du pavillon d'Occident », La gracieuse

TAB ATI ERE

en porcelaine coquille d'œuf.

(période YOUNC-TCHING,

1723-1 73(î-) (Collection de M. L. Gonse.)

LA CERAMIQUE. ait

héroïne de ce dernier ouvrage se retrouve à tout in- stant, sur le flanc des potiches de cette classe, apparais- sant à son amant telle que la dépeint le poète : « Elle incline avec grâce ses épaules parfumées et sourit en tenant un bouquet de fleurs. Ses sourcils, noblement arqués, s^arrondissent comme la lune nouvelle... Dé- ployant comme une habile danseuse ses membres sou- ples et gracieux, elle ressemble à un saule qui se ba- lance au gré du soir. »

3" Les porcelaines k coquilles d'œuf », à la fabri- cation desquelles les artisans des époques précédentes s^étaient déjà essayés, apparaissent dans toute leur per- fection à la fin du règne de Young-Tching, c'est-à-dire vers 1732. On les appelait des tho-taï-khi, « vases sans embryon ». « L'expression tho-taï (enlever l'embryon) veut dire qu'on enlève [tho] la matière qui constitue le vase brut [taï]^ et que ces porcelaines semblent seu- lement faites avec de l'émail*. » Le mot taï^ littérale- ment « embryon », désigne la matière qui constitue le corps ordinaire d'un vase de porcelaine brute, et sur laquelle on applique la couverte. Dans les « coquilles d'œuf », cette matière est réduite à la moitié de son épaisseur, et même, dans les pièces très fines, elle paraît tout à fait supprimée, comme si la porcelaine ne se composait plus que de glaçure. Les tho-taï-khi^ qui sont soit tournées, soit coulées, exigent une habileté et une légèreté de main incroyables de la part de l'artisan qui les confectionne. C'est la matière indus- trielle la plus délicate , la plus parfaite qui soit

I. King-te-tchin-thao-lou, II, § 79.

L'ART CHINOIS.

jamais sortie des mains de l'homme. Sur cette pâte

blanche et transparente, les émaux roses, bleus, noirs et verts ont des douceurs exquises , des tendresses lumineuses que rehaussent à peine des tons d'or. M. E. de Concourt a fort bien montré ce qu'ont de particulier à l'extrême Orient les procédés décora- tifs de la famille rose et des « coquilles d'œuf ». Ces deux séries offrent , nous dit-il, « les échantillons sur lesquels s'épèle le mieux la différence de la porcelaine de l'Orient avec celle de l'Occident. Chez nous, les porcelainiers peignent avec les procédés de l'aquarelle. C'est delà peinture étendue au pinceau. En Chine et au Japon, toute autre chose. Rien que des tons posés avec une matière colorante toujours pénétrée de fluide vitreux : en un mot, de la peinture avec des émaux et non avec des couleurs. Et tout ce que celte peinture, cependant si fondue et si harmonieuse, accorde à la fonte et à l'harmonie géné-

CO RN ET

de porcelaine blanche opaque

(période YOU N G-TCHl N g ,

1723-17} 6.) (Collection ûc M. S. Bing.)

LA C FUI AMI QUE. 2ij

raie, consiste seulement dans une de'gradation des épaisseurs de rémail... Au fond, cette peinture, la vraie peinture de la porcelaine, est, pour ainsi dire, de la gouache translucide. »

Les porcelaines flambkks. On fabriquait déjà au xiii^ siècle des vases dont les couvertes de grand feu prenaient au four, par le hasard de la cuisson, des colorations étranges et puissantes. On les nommait Yao-pien, « porcelaines de transmutation «, pour signi- fier que, soumises au feu, elles se transformaient, se transmutaient, pour ainsi dire, en une matière aux tons chatoyants, aux veines irisées et diaprées, semblable à de Tagate, à du jaspe, à du porphyre, à des pierres pré- cieuses en fusion. Ces aspects différents de la couverte s^obtenaient par Tintroduction rapide de courants d'oxygène dirigés sur la pièce pendant la cuisson. Il y fallait un tour de main hardi, une rare justesse de coup d'œil, une pratique consommée : sur dix essais, c'est à peine si un seul réussissait.

Il semble que le secret de la fabrication des Yao-pien se soit perdu pendant plusieurs siècles, car on n'en signale pas dans les -périodes Siouan-te, Tching-hoa et Ouan-li, c'est-à-dire du xv* siècle jusqu'à la fin du xvir. Dans les dernières années du règne de Khang-hi, on recommença d'en confectionner i; mais la technique n'en fut parfaite que sous Kien-long. En vrais coloristes, les céramistes chinois ont cherché à copier tous les produits de la nature qui leur offraient des tons riches et cha- toyants, et ils ont été choisir des modèles dont les ar-

I. Voy. à la p. 2o3 le vase tiambé de la collection dcM. L. Gonse.

21+ L'ART CHINOIS.

tisres occidentaux n'auraient jamais songé à s'inspirer. C'est ainsi que Tauteur du Kïng-te-tchin-thao-lou nous apprend qu'il y avait des émaux couleur « d'aubergine », kia-hoa-tse-yeou, de « foie de mulet «, lo-kan-yeou, de « poumons de cheval », « ma-Jvï-j^eou », etc.

Les beaux_/7rt!;7zZ't\v ont des colorations rouge sombre, pourpre vineux, violet foncé, bleu lapis, vert éme- raude, dont les reflets sont imprévus, changeants et capricieux; des gouttelettes d'oxyde restent figées sur la couverte : on dirait que des coulées d'émail débordent sur les parois du vase, et les flammes qui l'ont léché dans le four y semblent visibles encore.

Les porcelaines d'exportation. Nous ratta- cherons, pour ordre, à la période Kien-long trois caté- gories de porcelaines qui, fabriquées exclusivement pour l'exportation, ont reçu une forme ou une décora- tion particulière, suivant le goût ou les besoins des peuples auxquels elles étaient destinées.

Telles sont d'abord les Porcelaines à Mandarins. Elles sont ainsi nommées parce qu'elles représentent des scènes historiques ou familières figurent, avec les attributs et insignes de leur costume officiel, des fonctionnaires de la dynastie de Thsing. Les plus an- ciennes pièces, qui datent de la fin du règne de Kang-hi, sont composées de réserves occupées soit par le sujet principal, soit par des oiseaux et des fleurs en camaïeu rose ou noir, et d'un fond semé de rinceaux et de fili- granes d'or, ou gaufré avec de fines dentelures en bleu sous couverte. Ces porcelaines jouirent, dès qu'elles apparurent en Europe, d'une telle vogue que, pour satisfaire aux commandes, la confection en dut être

LA CÉRAMIQUE.

21$

négligée : les décors furent dès lors sans charme, sans originalité, les colorations mal combinées, crues et criardes, Tensemble sans intérêt, sans valeur artis-

COURDEPLATE

décorée en bleu sous couverte (nien-hao kien-long, 1736-1791Î.)

(Collection de l'auteur.)

tique. D^ailleurs, la plupart des potiches à mandarin ont été fabriquées au Japon.

Nous rangerons aussi parmi les produits cérami- ques destinés à l'exportation les Porcelaines à décor persan. Ces porcelaines ont longtemps intrigué les con- naisseurs. Elles avaient été trouvées en Perse, et la

2irt L'ART CHINOIS.

forme comme le décor en étaient généralement per- sans; mais on y constatait les mêmes procédés de fa- brication et les mêmes colorations d^émaux que dans les produits d'origine chinoise.

On a cru d'abord que ces pièces avaient été fabri- qués dans riran, que des ouvriers chinois y étaient venus sans doute enseigner leurs procédés aux potiers persans, mais que ceux-ci n'avaient pas tardé à devenir leurs rivaux et même leurs égaux. Il est reconnu aujour- d'hui que les porcelaines kaoliniques à décor persan que l'on trouve dans l'Iran sont de fabrication pure- ment chinoise : la forme et l'ornementation en ont été copiées sur des poteries ou des bronzes apportés de Perse; elles ont été exécutées sur commande et pour l'exportation.

A cette classe des produits céramiques destinés à l'étranger se rattachent enfin les Porcelaines pour sur- décorations européennes. Ces surdécorations ont été exécutées en Europe dès les premières années du XVIII® siècle.

Les faïenciers de Delft, ayant découvert, vers 1700, le secret de la préparation des couleurs de petit feu, eurent l'idée de les appliquer sur des porcelaines chi- noises toutes blanches ou dont la composition primitive laissait de larges surfaces sans décor. « De là, dit M. du Sartel, sortit de toutes pièces une industrie nou- velle qui eut ses peintres et ses ateliers spéciaux et à qui la découverte de nouveaux émaux, le jaune, le blanc et les carmins violacés, permit bientôt de repro- duire les décors que la Compagnie des Indes faisait exécuter en Chine et au Japon.

LA CERAMIQUE. atj

Dans ces circonstances, la Compagnie s'aperçut

GARNITURE D ' A U T E L B O U D D H I (1_U E.

Porcelaine décorée en bleu sous couverte. (période kien-long, I 7 j 6- I 796.)

(Collection de l'auteur.)

qu'elle perdait un temps énorme à transmettre ses ordres jusque dans Pextrême Orient, à y faire parvenir

2i8 L'ART CHINOIS.

les modèles indiqués et à en rapporter entin les com- mandes que lui avaient faites les grands seigneurs ou les riches bourgeois. Elle trouva dès lors plus simple de faire venir à Tavance des vases, des services de table et toutes sortes de pièces en blanc ou à demi décorées de bleu sous couverte. Elle les vendait en cet état à Gerrit van der Kaade ou à ses émules. Ceux-ci les déco- raient de chiffres, d'armoiries, de sujets chinois, japo- nais, ou même hollandais, selon le désir de T acheteur ^ )i Le succès qui accueillit ces produits hollandais donna aux Saxons Tidée de les imiter, et c'est ainsi qu'une série de pièces chinoises ou japonaises, surdéco- rées à Dresde, envahit le marché. La manufacture de Venise entra bientôt aussi dans la voie qu'avaient ou- verte les céramistes de Delft. Il est souvent fort délicat de distinguer ces porcelaines et de déterminer leur caractère apocryphe : une étude attentive des émaux, de leurs qualités au point de vue de la transparence et de l'irisation, de la façon dont ils ont été appliqués, l'observation minutieuse des défauts et des raccords, et enfin l'examen du style général de la pièce y suffisent à peine.

7* ÉPOQUE PÉRIODE CONTEMPORAINE- (1796-188..)

Cette époque, qui compte déjà près d'un siècle, ne

1. La Porcelaine de Chine, p. 216.

2. Cette période comprend les règnes de Kia-king, Tao- kouang, Hien-foung, Tong-tche et Kouang-siu.

LA CEHAMIQUK. 219

se signale par aucune découverte céramique, par aucun progrès dans les procédés ; elle est marquée, au con- traire, par Toubli des traditions techniques chez les artisans, par Tabsence du style chez les décorateurs.

Les seules pièces qui présentent quelque intérêt datent du règne de Kia-king (1796-182 r) ou des pre- mières années de son successeur, Tao-kouang, et encore ce ne sont que des reproductions de types exécutés aux époques précédentes, principalement dans la période Kien-long. A partir de Tannée 1840 environ, l'excès de la production causé par le développement du com- merce occidental, la préoccupation de satisfaire à Ten- gouement irréfléchi et au goût inexpérimenté des ache- teurs européens pour les provenances de Pextrême Orient, et sans doute aussi un certain abaissement du sens artistique chez les Chinois de notre temps, ont dé- terminé la décadence tombe, chaque jour plus pro- fondément. Part céramique qui, il y a moins d'un siècle, brillait encore d'un si vif éclat.

LE VERRE

L HISTOIRK

Les annales de la dynastie des Han rapportent que, sous le règne de Pempereur Hiao-wou-ti (140-86 av. J.-C.)? il y avait en Cliine une manufacture de lieou-li. Ce mot ayant servi, plus tard, à désigner d'une fa- çon générale les produits de la verrerie, on a cru pouvoir penser que le verre était connu des Chinois dès le II" siècle avant notre ère *. Il semble, au con- traire, que le lieoii-li n'était qu'une sorte d'émail, opaque ou vaguement translucide. Quand, en effet, on sut fabriquer en Chine le verre véritable, un mot nou- veau fut inventé pour le distinguer : po-li. Par la suite, on se servit indifféremment des deux expressions pour désigner toutes les matières vitrifiées.

Deux cent cinquante ans environ avant de fabriquer le verre, les Chinois en avaient reçu, par le commerce étranger, des spécimens manufacturés, des fioles, des coupes, etc. Ces produits leur venaient des grandes ver-

I. Cf. Mémoires concernant les Chinois, par les missionnaires de Pékin, II, 463.

LE VERR i:, 221

reries d'Egypte et de Syrie. Dès le I" siècle de notre ère, en effet, des relations commerciales s'étaient éta- blies entre TEmpire du Milieu et les pays de TAsie antérieure placés sous la domination romaine. Nous avons vu (p. 22) qu'avant cette époque les Chinois ignoraient jusqu'à l'existence de ces régions : ce fut seu- lement sous la dynastie des Han (206 av. J.-G. 265 ap. J.-C), qu'ils en prirent la notion et les désignè- rent sous le nom générique de Ta-ts'in. Leurs données se précisèrent assez rapidement, en particulier sur le royaume des Parthes [An-si^ <(. Arsak » ?) et sur la Ba- bylonie (Viao-tchej^ qui venait de passer sous la do- mination romaine.

A la fin du 11' siècle, le trafic était presque constant, elles routes que suivaient les caravanes nous sont con- nues ^ Par les provinces occidentales de la Chine, on

I. Cf. Hirth, China and Roman Orient. Cet ouvrage, très consciencieusement étudié et d'après les sources chinoises les plus anciennes, est le premier qui ait éclairé cette question des rapports de la Chine avec l'empire romain. L'identification des noms chinois aux noms latinisés des localités traversées par les caravanes a été, en particulier, l'objet d'une élude très attentive, dont les conclusions paraissent tout à fait justifiées.

En ce qui concerne les connaissances des Grecs et des Ro- mains sur la Chine, cf., Yule, Cathay and the way thither. Les Grecs et les Romains ont su qu'il y avait une civilisation chinoise, bien avant que les Chinois aient soupçonné l'existence du monde occidental. 11 est fait fréquemment allusion aux Seres dans les auteurs anciens. Cf. Strabon, XV, 25; Virgile, Géorg. II, 120; Horace, Odes, 1, 12 et 29; 111, 29; IV, 1 5 ; Pomponius Mêla, 111, 7; Pline, Hist. nat., VI, 20; XII, i et 41. L'assertion de Florus {Epitome, IV, 12), au sujet de l'ambassade chinoise envoyée à la cour d'Auguste, est une erreur historique. Les an- nales des Han, qui relatent, dans les moindres détails, l'histoire de cette dynastie, n'en font pas mention. En outre, elles nous

222 L'ART CHINOIS.

gagnait le Turkestan, dont Mou-lou (Antiochia Mar- giana, Mourou, Merv) était le centre commercial. De Mou-lou, on allait à Ho-tou Hecatompylos), puis à .4 -ma/z (Ecbatana). En poursuivant la route jusqu^au Tigre, on pas- sait le fleuve à Sou-pin (Cté- siphon) , en face de Sou-lo (Séleucie), et on arrivait à Yu-lo iHîra), sur les lacs de Chaldce, d^ou, par le cours de TEuphrate, on atteignait le golfe Persique. On doublait ensuite toute la péninsule ara- bique, on remontait la mer Rouge jusqu'au fond du golfe ^lantique et Ton abordait à M\d, : il fallait deux mois de navigation de H ira jusqu'à ce port. De yEla, par Petra [Li- kan, Rekem), on gagnait Gaza ou quelque autre ville de la

TABATJERE DE VERRE.

DEUX COUCHES TEINTEES

( Collection de M. le vicomte de Semallé.)

cote syrienne'

Plus tard, à partir du nf siècle, le commerce suivit aussi une autre route. Depuis Hîra, on remontait TEu-

apprennent que le premier Chinois qui ait pénétré dans le Ta- ts'in fut Kan-Ying qui alla jusqu'en Chaldée (T^iao-tclie) (n'^ siè- cle ap. J.-C).

I. Pour de plus amples renseignements sur la voie commer- ciale qui, dans les premiers siècles de notre ère, reliait la Méso- potamie à la Syrie par le golfe Persique, la mer Rouge et les

LE VERRE. aaj

phrate et, par Palmyre [Tsic-lan] et Emèse [Sou- fou], on arrivait à Antioclie [An-tuu]^ résidence du pro- consul de Syrie et que les auteurs chinois ont toujours considérée comme la capitale de Tempire romain.

Les commerçants qui faisaient ainsi passer des mar- chandises à travers toute TAsie n^étaient pas des Chi- nois. Jusqu'à nos jours, en effet, la race chinoise n'a jamais été voyageuse : aucun peuple, peut-être, ne s'est attaché plus solidement au sol il était né, et l'on sait que les coolies chinois, que les grands courants de l'émigration vont porter actuellement sur tous les points du monde, ont la constante préoccupation du retour sur la terre chinoise. Suivant toute probabilité, c'étaient des Syriens qui s'enhardissaient ainsi à im- porter leurs marchandises jusque dans l'extrême Orient. Cette opinion paraît confirmée par la singu- lière aventure de ce marchand syrien, surnommé Ts'in-loun par les auteurs chinois, qui, vers l'an 23o de notre ère, parvint à la cour de l'empereur Ta-ti, après avoir erré plusieurs années à travers l'Annam et le Tonkin. Ce souverain lui confia la direction d'une mission qui devait se rendre dans l'empire romain, Ta-ts'in, et y nouer des rapports officiels. Les en- voyés chinois qui la composaient périrent en route, et Ts'in-loun seul put poursuivre son voyage; mais on ne sut jamais s.'il parvint au terme.

Parmi les articles les plus importants de ce com-

villes de l'Arabie-Pétree, cf. Reinaud, Mém. sur les royaumes de Mésène et de Kharacène, et, du même auteur, Mém. sur le périple de la mer Éi-ythrée, au tome XXIV des Mémoires de V Académie des Inscriptions,

22+ L'ART CHINOIS.

merce transasiatique, figurait le verre ^ L^auteur du Oueï-lio nous apprend qu'il y en avait de dix colora- tions différentes : blanc, noir, vert, jaune, bleu sombre, bleu clair, rouge sombre, rouge clair, rose et brun.

Ainsi, dès la fin du n" siècle, les Chinois connais- saient le verre. Ce ne fut qu'au V siècle qu'ils apprirent à le fabriquer.

Les historiens chinois nous fournissent sur ce point des données précises. D'après le Peï-tche, des marchands étrangers 2, partis du pays de Ta-yue-chi (situé sur la frontière nord-ouest de l'Inde), vinrent à la cour de Tai-ou (424-452), de la dynastie des Oueï septentrio- naux ^. Ils prétendaient trouver sur place les matières nécessaires à la vitrification, et ils fabriquèrent, en ef- fet, du verre qui était, dit-on, plus brillant et plus trans- parent que celui qu'on recevait de l'Ouest. Le Peï-tche assure qu'à partir de cette époque le prix du verre baissa considérablement en Chine.

Quelques historiens ont revendiqué pour l'empereur Ouen-ti (424-454), de la dynastie des Liou Soung, contemporain et rival de Tai-ou, l'honneur d'avoir fait adopter les procédés de la vitrification. Quoi qu'il

1. Les autres produits principaux, expédiés d'Occident en Chine en échange de la soie, étaient les tissus de laine brodés et teints, les drogues et les aromates, les pierres précieuses et les perles. Cf. dans Hirth, les citations du ûiœi-lio, ou Histoire abrégée de la dynastie des Oueï, ouvrage de la fin du ni^ siècle. Les pierres précieuses provenaient des tailleries d'Alexandrie. Cf. W. Jones, History of precious stones. London, 1880.

2. De quelle nationalité étaient ces marchands? Indiens? Sy- riens? L'auteur chinois a négligé de le spécifier.

3. La cour des Oueï septentrionaux était près de la ville ac- tuelle de Ta-t'oung-fou, dans la province du Chen-si.

LK VERRE. 225

en soit, la date du début de la fabrication du verre en Chine demeure établie : elle se place entre les années 424 et 452.

II

LA TECHNIQUE

Bien qu'aucun spécimen ancien de la verrerie chi- noise ne soit parvenu Jusqu"'à nous, il semble que la technique du verre se soit rapidement perfectionnée dans PEmpire du Milieu. Nous savons, en effet, par les auteurs, que, dès le ix" siècle, on le réservait à une fabrication de luxe. On le considérait presque comme une matière précieuse. Le poète Li taï-pe, parlant de la belle T"'aï-tchen, Tune des beautés classiques de la Chine, la représente pressant des grappes de raisin dans des coupes de verre et dans des vases d'or, de jade, d'émeraude, etc.

Les Chinois ont toujours su colorer le verre dans la masse : les colorations les plus fréquemment usitées sont le rouge de grenat ou de calcédoine, le rose de corail, le violet clair et le violet pensée, le bleu de sa- phir, le blanc opaque, le vert d'émeraude ou de jade. L'intensité et la pureté des tons donnent parfois à la matière l'aspect d'une pierre dure, d'une agate orientale sans défaut. Ils ont excellé également à foudre en- semble des verres de couleurs différentes, soit sans les mêler, soit en introduisant dans la pâte même l'une

l'art CHINOH. IS

2 26

L'ART CHINOIS.

des matières composantes, sous forme de macules, de veines ou de rubans, etc. La pièce qui est représentée ci-dessous, et qui provient de la collection de M. L. Gonse, nous offre un des spécimens les plus caracté- ristiques et les plus délicats de ce genre.

On a fabriqué en Chine et on y fabrique encore des verres décorés d'émaux trans- lucides, Koii-yiie-siien. Quel- quefois le verre est légère- ment craquelé par la cuisson qui a fixé Témail.

Suivant toute probabilité, c'est aux Arabes que les Chinois doivent la technique du verre émaillé. LMntro- duction des premiers mo- dèles a s'effectuer sous la dynastie mongole (1260- i368). C'est en effet le mo- ment où la verrerie arabe a produit ses œuvres les plus accomplies et celui les relations entre la Chine et le monde islamique ont été le plus suivies (voy. p. 70). Cette origine nous paraît confirmée encore par la présence en Chine, principale- ment dans les provinces de l'ouest, d'un certain nombre de lampes de mosquée, en verre émaillé, à forme éva- sée, décorées de caractères et de motifs arabes.

Les Chinois n'ont pas, à notre connaissance du moins, décoré d'émaux des pièces importantes. Ce ne sont généralement que des tabatières. La collection de

TABATIÈRE DE VERRE.

(Collection de M. L. Gonse.)

LE VERRE.

M. le vicomie de Semallé en possède quelques spé- cimens.

Tous les procédés employés en Occident pour le travail du verre ont été pratiqués dans l'Empire du Milieu : le soufflage, le coulage et le moulage y ont toujours été usités; mais c'est par la taille, et surtout par la ciselure profonde des verres à plusieurs couches colorées, que les verriers chinois ont créé leurs œuvres les plus originales. Dans ce genre de tra- vail, ils ont atteint à une sûreté de main, à une délicatesse de goût, à une fermeté de style, que la maîtrise des ouvriers de Bo- hême du xvi" siècle n^a certes pas dépassées.

Les verres chinois sont le plus souvent de petite dimension et de formes peu variées : ce sont des coupes ou des tabatières. Les coupes sont formulées en ove, en calice de nelumbium ou de magnolia : elles sont décorées, sur le pourtour, d'un dragon, d'un phénix, d'une branche de lotus, de quelque figure symbolique du bouddhisme ou du taoïsme, etc. Les tabatières ont des décors plus variés : la fantaisie de l'artiste y a

TABATIERE DE VERRE A DEUX COUCHES TEINTEES.

(Collection de M. le vicomte de Semallé.''^

228 L'ART CHINOIS.

gravé des fleurs, des animaux, des sujets familiers, etc. Souvent, ces tabatières sont ornées d'un décor colorié à la main. Dans ce cas, Tapplication de la couleur est faite à Tintérieur même de l'objet : ce n'est que par des prodiges d^habileté et de patience que Touvrier peut arriver à manier son pinceau à travers Tétroit goulot et à tracer son décor sur la paroi interne du verre.

Les objets de verrerie ancienne sont en Chine d^ne rareté excessive. La mode des tabatières, très répandue actuellement, ne date guère que du règne de Khang-hi (1662-1723), et nous n'en avons point vu, à Pékin, qui fussent antérieures au xviir siècle. On trouve assez fréquemment des coupes, dont la décoration sobre, ferme et large, présente tous les caractères du style des Min?.

LES EMAUX

LES EMAUX CHAMPLEVES ET CLOISONNES

Dans leur recherche de tout ce qui pouvait contri- buer à rehausser les bronzes, les Chinois ont été amenés à les décorer d'' émaux champlevés et dC émaux cloisonnés.

On sait en quoi consistent ces deux procédés de déco- ration. Dans le premier cas, on creuse dans le bronze même, et d'après un contour donné, une concavité Ton dépose un émail, c'est-à-dire une composition d'oxydes métalliques que Ton vitrifie en soumettant au feu la pièce ainsi préparée. Dans le second cas, on applique de champ, sur le métal destiné à servir de fond, des rubans de cuivre, d'argent ou d'or qui, suivant le tracé d'un dessin, divisent la surface en au- tant de compartiments ou cloisons qu'il y a de parties diversement teintées. Ces cloisons font de la surface à décorer un réseau métallique, un treillis de cellules dans lesquelles on introduit ensuite l'émail en poudre mêlée d'un peu d'essence. On passe enfin au four qui

230 L'ART CHINOIS.

fixe les couleurs sur le fond sans détruire les cloisons.

C'est rOccident qui a importé en Chine le procédé du cloisonné, qu'elle a ensuite poussé à un si haut point de perfection.

Cette origine nous paraît indiquée d''abord par le nom chinois de Témail cloisonné, /a-lan, dont le sens littéral est « émail franc ». Ce mot désignait autrefois en Chine tout ce qui était de provenance occidentale. En enveloppant ainsi sous la rubrique générale de « Francs « l'ensemble des peuples situés à l'ouest de TAsie, les Chinois ne tirent qu'adopter l'expression par laquelle les Orientaux, à la suite de la prédominance de l'influence française dans le Levant, ont désigné, jusqu'en notre siècle, la masse des pays chrétiens, sans distinction de nationalité. Le sens du mot était général et ne s'appliquait pas encore exclusivement aux Fran- çais.

A l'appui de cette interprétation, nous trouvons dans un ouvrage officiel chinois que « la 8* année Kia- tsing (en i529, sous les Ming), on fabriqua des p'ao ou canons que Ton nomma canons francs (fa-lang-ki-

p'ao) Fa-lang-ki est un nom de royaume (Koue

ming y e). A la fin de la période Tching-te (vers i52i) les vaisseaux de ce royaume étant arrivés à Canton, on obtint d'eux un modèle de leurs canons et on en fabriqua de pareils en cuivre ^ )< Il n'est pas vraisemblable qu'un vaisseau français se soit rendu à Canton en i52i; mais il est très probable qu'un des navires de Magel-

1. Hoang-tchdo-li-ki tliou-tchi, « Modèles des objets rituels ». (Section des instruments de guerre.)

LES EMAUX. 2JI

lan, qui prcciscmeiit avait franclii en i52o le dciroit qu'il a baptisé de son nom, et qui dans cette année avait découvert les Philippines, ait été reconnaître la côte voisine de Chine et visiter Canton. Cet exemple suffit à démontrer qu'au commencement du xvi" siècle les Chinois désignaient confusément sous le nom de « francs « tous les pays d'Europe, et que le nom de fa-lan donné aux cloisonnés témoigne bien d'une origine occidentale.

L'étude attentive des plus anciens cloisonnés nous fournit également des preuves de cette provenance eu- ropéenne : ces oeuvres présentent parfois, en effet, de singulières ressemblances avec certains émaux de l'école byzantine : mélange d'émaux différents entre les parois d'une même cloison , emploi d'incrustations d'or pour traiter les figures et les mains, etc.

Cette origine ainsi indiquée d'une façon générale, comment et à quelle époque se fit l'importation des cloi- sonnés en Chine? Nous ne pouvons présenter ici, en manière de solution, que deux hypothèses.

Les Chinois ont reçu le cloisonné par des arti- sans isolés, voyageant à travers toute l'Asie, et créant des ateliers dans les grandes villes qu'ils visitaient, comme firent à peu près ces petites colonies d'ouvriers syriens qui parcouraient la France à l'époque mérovingienne et y apportaient également les procédés byzantins*.

Nous avons eu déjà (voy. siiprà, p. 70) l'occasion de- signaler les conséquences considérables qu'entraîna

I. Cf. fiayet, l'Art by:^antiii, p. 291. (Bibl. de l'enseignement DES Beaux-Arts).

2J2 L'ART CHINOIS.

rétablissement d''une dynastie mongole en Chine dans la seconde moitié du xixr siècle, au point de vue de Pouverture de l'Asie orientale aux idées, aux connais- sances scientifiques, aux procédés industriels et aux formules d'art des civilisations occidentales.

Les relations qui existaient alors entre la Chine et l'Europe par la voie de terre, c'est-à-dire par la Perse et le Turkestan ou par la Sibérie et la Mongolie, étaient moins rares qu'on ne le pense. La cour que les Grands Khans tenaient Karakorum était le lieu de rendez-vous d'une foule d'envoyés politiques, de reli- gieux, de commerçants, d'aventuriers qui venaient de tous les points du monde civilisé. Beaucoup de religieux italiens, français, flamands sV rendirent, chargés d'une mission de la cour de Rome : un fran- ciscain du royaume de Naples y passa pour se rendre à Pékin, le pape l'avait institué évêque ^ Lorsqu'en i25i le moine Guillaume de Rubrouck y parvint, les premières personnes qu'il y rencontra furent « maître Guillaume Boucher, orfèvre parisien, qui avait de- meuré sur le Grand-Pont à Paris », et « une femme de Metz en Lorraine, nommée Paquette, qui avait été faite prisonnière en Hongrie » ; ce Guillaume était or- fèvre du grand khan qui allait devenir empereur de Chine-. 11 y avait encore à Karakorum des Arabes, des Syriens, des Moscovites. Il y avait aussi des mar- chands génois, pisans et vénitiens. Le voyage du père

I. Cf. Abel Rémusat, Second Mémoire a V Académie des Jiisc, VII, 335, et Mélanges asiatiques.

?.. Cf. Voyage de Guillaume de Rubrouck en Orient, annoté par de Backer.

LES EMAUX.

2J}

et de ronclc de Marco Polo en Tartarie (i356) n'était pas, en effet, le premier qu^eussent tente les Vénitiens pour chercher vers Textréme Orient des débouchés à

BOITE DEMAU CLOISONNE, XVl'' SIECLE.

(Collection de M. le vicomte de Semallé.)

leur commerce. Des artisans de Pologne, de Bohême et de Hongrie avaient pris également la route de la Mongolie et de Cathay : Jean du Plan Carpin, légat du Saint-Siège en Tartarie, fit le voyage avec des gens de Breslau et de Prague, et, quelques années plus tard, quand Jean de Montecorvino, religieux de TOrdre des

23 +

L'ART CHINOIS.

Frères Mineurs, partit pour la Chine, un artisan italien l'accompagnait ^

Lorsque Koubilai-khan, à la suite de ses conquêtes, établit sa cour à Pékin et assura sa domination sur

tout l'Empire du Milieu, la barrière que la Grande Mu- raille opposait aux influences occiden- tales cessa d'exister. Tous ces étrangers, savants, religieux, commerçants, arti- sans, dont il aimait à s'entourer à Kara- korum, le suivirent dans sa nouvelle ca- pitale et bientôt la Chine fut ouverte pour un temps qui ne dura guère, il est vrai à l'action extérieure. Nous savons par les récits de Marco Polo de quel crédit les Euro- péens jouissaient auprès de l'empereur mongol et en quelle faveur ce souverain tenait tout ce qui était d'ori- gine étrangère. Les marchands et artisans qui faisaient route vers la Mongolie poursuivirent désormais leur chemin Jusqu'au centre même du Cathay, et le francis- cain Odoric de Pordenone, composant à son retour en

I. Voy. d'autres exemples encore dans Cord[tiT,BibliothecaSi- nica, II, p. 884 et suiv.

.SE D 1 ; M A I L C L O I S O ,\ N h .

H., o"\i6.

XVl*^ SIÈCLE.

(Collection de M. L. Gouse.)

LLS EMAUX.

23S

Europe la relation de son voyage en Chine ei de son séjour à Hang-tcheou qu'il avait visité en i325, put écrire ces lignes : « La cité de Cansay est la plus

^Ct-C-r <

VASE d'Émail cloisonné. H., o",i2s.

XVl" SIÈCLE.

(Collection de M. L. Gonse.)

grande ville du monde; j'ose à peine donner cette indi- cation; car il y a tant de gens à Venise qui y ont été ^ »

I. Cansay, la Quinsay de Marco Polo, la Khanzai d'ibn-batou- tali, est Hang-tcheou-fou, autrefois King-sse, l'ancienne capitale des Soung. Cf. Yule, Cathay and the way tliither, l, p. ii3.

2]6 L'ART CHINOIS.

Si Ton accorde que les voyages dont le souvenir nous a été ainsi conservé ne sont qu'en petit nombre à côté de tous ceux qui furent entrepris par des mar- chands ou des artisans demeurés plus obscurs, on re- connaîtra que certains procédés de l'industrie occiden- tale, ceux de Témaillerie en particulier, avaient pu passer en Chine, à travers toute TAsie, vers la fin du xiii" siècle.

Les navigateurs arabes ont éié les importateurs du cloisonné. Nous avons parlé déjà (voir p. 70) du commerce établi entre la Chine méridionale et le monde islamique. L'importance que ce commerce prit, vers le xiv siècle, donnerait à penser que les émaux des « pays francs » ont été introduits plutôt par la voie de mer que par la longue route de terre. Nous devons cependant signaler un passage du Ko-koii-yao-loiin, ouvrage publié au début du xv° siècle, il est fait mention de vases arabes de cuivre émaillé « semblables aux bronzes fa-lan » : cette distinction tend à faire croire que les fa-lan, aux yeux des Chinois de cette époque, n'étaient pas de provenance arabe, et que, des deux hypothèses que nous venons de présenter, la pre- mière est la plus admissible.

Les émaux dont on se servait et qu'on emploie en- core en Chine sont d'une grande variété de nuances : le bleu est obtenu par Toxyde de cobalt, le rouge par Toxyde de cuivre et le sulfate d'argent, le vert par l'oxyde de chrome, le violet par l'oxyde de manganèse, le jaune par le chlorure d'argent, le blanc d'opale par Toxyde d'étain, le blanc vif par les oxydes d'étain et de plomb, le noir par un mélange des oxydes donnant

BRULE-PARFUMS d'ÉMAIL CLOISONNE, PROVENANT DU PALAIS

d'Été (nien-hao : kien-long, 1736-1796). H., i'",6s.

(Musée Je Fontainebleau.)

2jJ L'ART CHINOIS.

dans leurs valeurs les plus intenses le bleu, le vert et le violet. Ces émaux prennent au feu une certaine trans- lucidité qui leur donne Téclat chatoyant des pierres pré- cieuses. Pour les rendre opaques, il suffit de mêler à leur fondant un peu d'émail blanc; alors, ils absorbent la lumière, éteignent leurs tons et prennent Taspect plus doux de la turquoise, du lapis-lazuli, de Pivoire, etc.

Les Chinois n'ont pas disposé, dès le début, d'une si riche palette. Au commencement de la dynastie des Ming, c'est-à-dire dès les premières années du xv^ siè- cle, les cloisonnés sont de couleur très foncée : on y trouve surtout des bleus sombres, des jaunes profonds, du violet pensée, des blancs troubles et mats. Il y a aussi parfois des parties de fond laissées nues ou re- vêtues d'or. La qualité de la poudre d'émail, quand elle ne se compose pas de pierres fines pulvérisées (amé- thyste, turquoise, grenat), est souvent imparfaite; elle se comporte mal au feu et se pique d'une infinité de petits trous. Vers le milieu du xv siècle, sous l'empe- reur King-t'aï, la technique du cloisonné réalise des progrès sérieux : le cloisonnage est moins grossier et permet un décor plus savant ; les émaux sont d'une qualité plus fine et de nuances plus délicates.

Sous l'empereur Khang-hi, des Thsing (1662-1723), Part de l'émaillerie atteint à la perfection ; c'est un art robuste et délicat à la fois, créant des œuvres d'un style simple et large, d'un coloris opulent, d'une exé- cution forte et originale. Il reste ainsi à son apogée jus- que vers la fin du règne de Kien-long (1736-1796). A cette époque, il est capable encore de produire des chefs-d'œuvre de forme élégante et hardie, de coloration

LES KM AUX. 2J9

riche et harmonieuse. Mais après celte longue période d'incomparable éclat, il entre en décadence, et, à partir de la fin du xviii* siècle, il n'est plus qu'une simple industrie, l'instinct de la décoration et les dons de coloristes des artisans chinois trouvent parfois à se manifester encore, mais l'inspiration heureuse, le sentiment délicat des lignes et des nuances, le goût par- fait et le style manquent désormais : ici, comme dans tant d'autres branches de l'art, l'abus de la production, causé par la vogue des cloisonnés en Europe, a exercé la plus fâcheuse influence, et il n'est pas de cloisonné moderne qui puisse soutenir la comparaison des gran- des œuvres des xvi^' et xvni'' siècles.

II

LES EMAUX PEINTS

Les émaux peints^ furent mis à la mode, en Chine, au xviii^ siècle, par les missionnaires européens qui en enseignèrent les procédés aux peintres des ateliers im- périaux. Les modèles qui furent ainsi reproduits d'abord étaient sans doute des émaux de Limoges, à en juger par ceux que l'on retrouve encore chez les marchands de curiosités de Pékin. Mais la direction de ces ateliers ne demeura pas assez longtemps entre les mains des pères jésuites pour qu'ils aient pu fonder

I. En chinois, Yang-tse, « porcelaine des étrangers ».

a+o

L'ART CHINOIS.

une sérieuse école. Aussi l'art des émaux peints n''a jamais réalisé, en Chine, ce qu'il semblait devoir y pro-

AICUIKRE DÉCOR lÎE d'ÉMAUX, PROVENANT DU PALAIS d'ÉtÉ.

H., o'",^o. (nien-hao: kien-long, 1736-1796.)

(Musée de Fontainebleau.)

duire, et la technique en demeura toujours imparfaite- Néanmoins, quelques pièces sont d'une coloration déli- cate et d'une heureuse composition décorative.

LA PEINTURE

LES CARACTERES GENERAUX, LES PROCEDES, LES GENRES

Comme tous les arts que nous avons étudiés jus- qu'ici, la peinture a subi, en Chine, une évolution historique. Cependant, à travers la diversité des épo- ques, la variété des genres et la différence des écoles, on démêlé, dès les premiers temps de cette histoire, une certaine unité de principes, un ensemble continu de caractères communs, et, pour ainsi dire, un accord instinctif entre tous les peintres dans la façon d'inter- préter l'apparence matérielle des choses et des êtres, d'en dégager le sens intime, d'exprimer les sensations et les idées qu'ils éveillaient dans leur esprit, de traduire, en un mot, la vision intérieure qu'ils évo- quaient en eux.

De tous les caractères généraux, le plus frappant, celui qui a persisté avec le plus de force à travers le long développement historique de la peinture chinoise, c'est le caractère graphique de cette peinture : les peintres chinois ont été, avant tout, des dessinateurs et des calligraphes.

l'art chinois. i6

2+2 L'ART CH I NO IS.

L'ecriiure chinoise, en effet, a procédé d'abord à la notation des idées par la figuration plus ou moins exacte des objets: Télément idéo-phonétique n'a été in- troduit que postérieurement à une époque très avancée, semble-t-il, du développement de Tesprit chinois. « L'écriture est destinée à donner la ressemblance des objets «, tel fut son premier but : le nom de oiien, « peinture des objets^ », par lequel Tsang-hie désigna les caractères primitifs dont il fut, dit-on, l'inventeur, confirme cette citation du Tse-ho-tien.

D'ailleurs, la nature même de l'écriture chinoise impose à celui qui en veut tracer les caractères une étude, une éducation de l'œil et de la main, analogues à celles qu'exige le dessin. Les traits de ces caractères ont, en effet, des ténuités, des souplesses, des brusque- ries d'arrêt, des grâces de courbure, des énergies sou- daines ou des écrasements progressifs, qu'un très long apprentissage du coup de pinceau peut seul donner. C'est, en outre, une opinion reçue des lettrés en Chine, que les caractères de l'écriture transmettent à l'idée qu'ils expriment quelque chose de leur beauté gra- phique, et que la pensée qu'ils enveloppent prend en eux une nuance délicate, un tour particulier.

L'enseignement du dessin se fait, en Chine, suivant la même méthode que celui de l'écriture. Chaque motif de composition se divise en un certain nombre d'éléments que l'artiste s'étudie à traiter séparément,

I. Cette traduction du mot ouen nous est tournie par la pré- face du Cliou-oiien: « la classe des caractères qui ont quelque ressemblance avec les objets est celle de ceux quijigurent la forme {siang-hing); c'est pourquoi on les nomme ouen, ou peinture des objets ».

LA PEINTURE. 2^3

de même qu'il apprend à tracer isolement chacun des traits, des pleins et des délies, qui forment les carac- tères. Voici, par exemple, la figure humaine : on n'en- seignera pas à l'élève à la saisir dans son ensemble; on lui démontrera d'abord qu'il y a huit manières de dessiner un nez de face, et il reproduira patiemment chacune de ces manières comme on copie une page d'écriture; il passera ensuite à l'étude de la bouche, des yeux, des sourcils, etc., qui, vus de face ou de profil, comportent un certain nombre de types, etc. ; on lui apprendra encore que la barbe est composée de cinq parties, enfin qu'il y a dans le visage humain cinq points culminants dont la saillie doit être plus ou moins accentuée suivant l'âge du modèle.

Le groupement de tous les éléments du visage et les proportions qu'il faut leur attribuer sont déterminés par des sortes de canons. Chaque région de la figure humaine a reçu un nom symbolique

Cette méthode d'enseignement du dessin s'applique à tous les genres de composition : personnages, ani- maux, fleurs, paysages, fabriques, etc.

Cette façon de comprendre la représentation figurée des choses devait amener les Chinois à attribuer au dessin linéaire une importance extrême : les corps leur apparurent, non pas tels qu'ils sont dans la réalité, c'est-à-dire tournants et avec une lumière tournant au- tour d'eux, mais circonscrits dans un trait précis, sé- parés de l'air ambiant par un tracé visible. Aussi, les peintres de l'Empire du Milieu n'ont-ils jamais eu le sentiment de la substance réelle, du modelé des corps et du relief des objets : même aux plus belles époques

2+t L'ART CHINOIS.

de leur art, ils sont demeurés incapables de repré- senter des formes solides et vivantes, et après dix-neuf siècles de production, ils en sont encore ou en était la peinture italienne au temps de Giotto et de Simone Memmi; leurs aspirations n'ont pas été plus loin.

A cette insuffisance d'imagination plastique corres- pond une ignorance absolue de Tanatomie humaine. Le relief des os, Tentrelacement et le soulèvement des muscles, le contour fuyant des membres ou la plissure des chairs, la saillie des artères et des veines sont au- jourd'hui encore inconnus aux peintres chinois. Tout au contraire, les personnages qu'ils représentent sont dessinés sans le moindre souci de la vérité anatomique : les bras et les jambes sont attachés et articulés on ne sait comment; les proportions du corps sont faussées; la tête, trop forte généralement, est rigide et paraît ne pas pouvoir se mouvoir autour du cou; les mains ne sont jamais traitées avec leur aspect et, pour ainsi dire, leur physionomie particulière : elles sont les mêmes pour tous.

Si la vision nette des formes plastiques a été refusée aux peintres chinois, ils ont eu du moins un sentiment assez juste de la perspective linéaire : ils ont observé, en effet, que l'éloignement modifie les dimensions appa- rentes des objets et que leur grandeur varie pour l'œil en raison inverse de la distance ils sont placés de l'observateur. Mais ils n'ont jamais pu atteindre à la connaissance des lois exactes du raccourci des figures. Le plus souvent, lorsqu'ils veulent donner l'illusion du recul des plans, ils ont recours à un procédé particu- lier : ils placent très haut le point de vue de leur com-

LA PF.INTURF. a+j

position et échelonnent, en les superposant, les person- nages ou objets qui y prennent place; les dimensions de ces personnages ou objets vont en diminuant au fur et à mesure quMls se rapprochent de la partie supé- rieure de Tencadrement : en un mot, ce qu'un peintre d'Occident met dans le lointain de son tableau, l'artiste chinois le place dans le haut de sa décoration.

Au point de vue de la composition et de l'ordon- nance des sujets, certaines peintures chinoises révèlent un sentiment juste de l'harmonie générale qui doit régner dans une œuvre, en combiner les lignes princi- pales, en distribuer les figures, en répartir les masses. La symétrie paraît avoir été le premier principe adopté en matière de composition : la disposition symétrique donne en effet à la composition un caractère de raideur hiératique, de solennité mystique, un aspect grave et immobile, qui conviennent bien aux sujets sacrés ; or l'on verra plus loin qu'à son début la peinture chi- noise a été exclusivement religieuse.

Plus tard, lorsque le mouvement et la vie ont été introduits dans la peinture, les procédés de mise en scène se sont perfectionnés. Dans le désordre apparent des groupes on aperçoit le lien qui les rattache, on saisit l'intention de remplir par des accessoires les vides qu'ils laissent entre eux. Cette intention est souvent même trop manifeste.

Parmi tous les procédés de composition dont les Chinois ont fait l'essai, il faut noter celui qui consiste à représenter simultanément toutes les phases d'une action. C'est le procédé qu'ont suivi autrefois les peintres primitifs des écoles italienne ou allemande.

34<5 L'ART CHINOIS.

lorsqu'ils figuraient sur la même toile les scènes suc- cessives de la Passion, de l'Adoration des mages, etc.

Le reproche le plus sérieux que Ton puisse adresser aux peintres chinois en matière de composition est de ne s^être que trop rarement résignés à sacrifier les détails à Tunité du sujet. Les parties secondaires sont traitées avec autant de soin que la partie principale. Nulle part ce défaut n'est plus choquant que dans la peinture de portraits, les détails du costume, les bro- deries de la robe, les plaques de jade qui pendent au collier ou à la ceinture, les passementeries et le bouton du chapeau, reçoivent autant d'importance que le visage et les mains.

En dehors des qualités de dessin, les peintres chi- nois ont eu, de tout temps, le sentiment de la couleur : s'ils n'en ont jamais formulé scientifiquement les lois, ils les ont du moins appliquées, par intuition, avec une sûreté, une délicatesse parfaites.

Mais c'est surtout par le parti qu'ils ont su tirer de la vibration des couleurs que les Chinois se sont révé- lés coloristes. L'instinct et l'observation leur ont appris qu'en modulant les tons sur eux-mêmes on leur donne une profondeur singulière, une puissance intense. Dans la peinture sur porcelaine, plus encore peut-être que dans la peinture sur soie, ils ont fait vibrer et tressail- lir leurs couleurs en mettant bleu sur bleu, rouge sur rouge, rose sur rose, Jaune sur jaune, depuis la teinte la plus claire jusqu'à la plus sombre.

Il est un don qu'on a toujours refusé aux peintres chinois, celui de sentir et de rendre les effets de la lu- mière et de l'ombre, c'est-à-dire le clair-obscur. Cette

LA PEINTURE. 2+7

observation n'est Juste qu'en ce qui concerne leur façon d'interpréter la figure humaine. Il est certain, en ctfet, qu'ils n'ont jamais su modeler une tîgure dans la lu- mière, marquer la saillie éclairée des frontaux et des pommettes, la cavité sombre de l'arcade sourcilière, la profondeur mystérieuse du regard, la traînée lumineuse qui éclaire une joue, qui anime les lèvres, l'ombre fuyante du cou, toutes ces dégradations, ces ombres et ces demi-teintes sans lesquelles l'évocation de la forme humaine ne se produit qu'incomplètement à nos yeux. Même aux époques très avancées de son histoire, la peinture chinoise s'est contentée, à cet égard, d'un mi- nimum de conventions que nos écoles artistiques d'Oc- cident ont toujours cherché à dépasser dès leurs premiers essais et qui, par exemple, ne suffisaient déjà plus aux artistes italiens de la fin du xiv« siècle. Nous trouvons, sur ce point, dans la Relation du voyage de lord Ma- cartney, ambassadeur du roi Georges IH en Chine, le récit d'un fait curieux. Lorsqu'il exposa à Pékin les tableaux qu'il avait apportés d'Europe pour les offrir à l'empereur, les mandarins manifestèrent un vif éton- nement à la vue des lumières et des ombres qui étaient marquées sur les figures ; ils lui demandèrent sérieuse- ment si les originaux de ces portraits avaient un côté du visage d'une couleur différente de l'autre. » Ils regardaient l'ombre du nez, nous dit-il, comme un grand défaut dans la peinture, et quelques-uns d'entre eux croyaient qu'elle y avait été placée par accident *. »

ï. An authentic accoiint of an Embassy to tlie emperor of China, II. I.ondon, 1797.

2+8 L'ART CHINOIS.

Mais, tout au contraire, dans rinierprétation de la réalité pittoresque, dans la peinture de paysage, les Chinois ont atteint parfois à l'expression la plus savante des plus délicats effets du clair-obscur. La grande école paysagiste des Thang a produit, dans cet ordre, des œuvres parfaites. On trouvera, d'ailleurs, de plus longs développements sur ce point, dans la partie historique de ce chapitre.

Il n'est guère de genres que les peintres chinois n'aient abordés: ils ont traité tour à tour les sujets reli- gieux et historiques, les scènes que leur offrait la vie réelle et Journalière et celles dont l'inspiration leur était donnée par la poésie ou le roman, la nature morte, le paysage, le portrait, etc.

C'est le bouddhisme qui a inspiré toute la peinture religieuse. Ainsi que nous le verrons plus loin, la reli- gion bouddhique a, pour ainsi dire, créé l'art pittores- que dans l'Empire du Milieu, en y apportant les prin- cipes, les procédés et les modèles d'une esthétique nouvelle. Elle apporta en outre aux Chinois ce qui leur avait fait défaut jusqu'à ce jour, elle leur donna la ma- tière morale sur laquelle s'exerça par la suite leur génie national. Les premiers peintres, qui furent pour la plu- part des moines, des bonzes, des cénobites, s'adonnè- rent à la peinture comme à une tâche pieuse, et les œuvres qu'ils créèrent, toutes empreintes de sentiment religieux, de piété sincère et de candeur mystique, furent presque des actes de foi et d'adoration. Dans le genre religieux, ils arrivèrent ainsi jusqu'au style poétique, ils pénétrèrent très avant dans le monde moral, par la sincérité des émotions qu'ils cherchaient à traduire, par

LA PEINTURE.

249

l'élan de leur cœur, par la noblesse et le détachement de leur pensée. Mais la naïveté, Paspiration à Pidéal et ce sens du divin qu'exige Part religieux, leur tirent bientôt défaut, et les scènes de la vie de Cakya-Mouni, qui avaient été la source d'une si pure inspiration pour les artistes de la première époque, ne furent plus que des prétextes à de savantes compositions, à de brillan- tes figurations. La pensée religieuse ne s'y révéla plus à aucun degré; de tous les sentiments que l'artiste cher- chait à y exprimer, aucun ne dépassa la réalité.

A côté de la peinture religieuse, le genre les Chi- nois ont atteint au point le plus élevé de l'art est celui du paysage. On verra plus loin quel sentiment pas- sionné leur a inspiré la nature, avec quel charme délicat, quelle poésie sincère et émue, ils en ont inter- prété tous les aspects.

Ils n'ont compris la peinture d'histoire qu'au point de vue anecdotique, sans aucune curiosité de la couleur locale, sans aucun souci de la différence des temps, des races, des sentiments ni des costumes, en un mot, sans aucune prétention à ressusciter l'aspect moral ni phy- sique d'une époque ; on ne constate non plus, dans leurs compositions historiques, ni exagération épique ni tendance vers le genre héroïque.

La littérature a été pour les artistes chinois, après la religion, la source d'inspiration la plus abondante. Il en faut chercher la cause dans la conception parti- culière qu'on s'est faite, en Chine, du but assigné à la peinture et du rôle attribué au peintre. Avant d'être ar- tiste, le peintre est homme de lettres, poète, roman- cier; le dessin et la peinture sont des moyens d'ex-

250 L'ART CHINOIS.

pression par lesquels tout esprit cultivé doit savoir donner à sa pensée un tour plus précis, des nuances plus délicates. C'est un point que nous nous bornons à signaler dans cet aperçu rapide des caractères géné- raux de la peinture chinoise et qui retiendra plus loin notre attention (voy. p. 267).

, Les Chinois ont conçu d'une façon toute particulière la peinture de portraits. Ils estiment d'abord que le modèle doit poser de face, de manière que les deux côtés du visage soient également représentés, et regar- der fixement le spectateur qui est censé placé droit devant lui. En ce qui concerne la manière de traiter la figure humaine, nous avons vu plus haut à quel point leurs idées difîèrentdes nôtres. D'ailleurs, dans un por- trait, la personne physique leur semble presque secon- daire : l'artiste n'attache guère du prix qu'à la reproduc- tion minutieuse de certaines particularités du visage, telles que les plis des paupières, les cils, les sourcils et les poils de la barbe. Le sujet qui pose devant lui ne lui apparaît pas non plus comme un être sentant et pensant, dont il lui faut exprimer la physionomie inté- rieure et dégager le type moral, mais comme un per- sonnage ayant tel rang dans l'Etat, telle charge à la cour, tel grade aux examens, telles fonctions dans la grande hiérarchie de la société chinoise. Toute l'atten- tion, toute l'habileté du peintre se concentrent donc sur la représentation scrupuleuse et aussi finie que possible des détails du vêtement, de la coiffure et des insignes qui indiquent cette situation officielle. Avec de pareil- les conceptions, il était interdit aux portraitistes chinois de s'élever jusqu'au grand art, et, de fait, nous ne con-

LA PEINTURE.

251

naissons aucun portrait chinois qui nous ait laisse Tim- pression d'une œuvre forte et vivante.

Il nous reste à signaler, pour terminer cet exposé préliminaire, la peinture d'animaux et de fleurs les Chinois ont de tout temps excellé, avec un sentiment plus ou moins sincère, suivant les époques, mais avec une maîtrise de facture qui est toujours demeurée égale.

I

l'histoire

f" ÉPOQUE

DEPUIS LES ORIGINES JUSQu'a l'iNTRODUCTION DU BOUDDHISME (2600 ? AV. J.-C. 25o AP. J.-C, 1)

S'il fallait en croire les historiens chinois, les ori- gines de la peinture en Chine remonteraient jusqu'à la plus haute antiquité. Che-hoang, qui, au xxvir siècle avant notre ère, fut ministre de l'empereur Hoang-ti, en serait l'inventeur. Il était contemporain de Tsang- hie^ qui, le premier, enseigna aux Chinois à tracer des caractères d'écriture avec un pinceau.

1. La date que nous donnons ici pour l'introduction du boud- dhisme n'est exacte qu'en ce qui concerne l'influence que ce culte a exercée sur l'art chinois. Importée en l'an 79 de notre ère dans l'Empire du Milieu, la religion bouddhique n'a commencé à s'y répandre que vers la fin du ii'' siècle. (Voy. supra, p. 34.)

2. Quelques auteurs chinois ne veulent voir dans Che-hoang et Tsang-hie qu'un seul et même personnage.

253 L'ART CHINOIS.

Il est probable que Che-hoang n'était pas un dessi- nateur, au sens précis du mot, mais plutôt un calli- graphe, et que Pélégance des caractères graphiques qu'il savait tracer le lit considérer comme un artiste. Nous avons déjà insisté d'ailleurs sur l'étroite connexion qui a toujours existé, dans l'esprit des Chinois, entrai' écri- ture et le dessin, au point de leur faire considérer l'une comme une application, un dérivé de l'autre.

Sous la dynastie des Tcheou, vers le xii" siècle av. J.-C, l'idée de se servir de couleurs pour décorer les objets destinés aux cérémonies publiques et reli- gieuses avait certainement reçu de nombreuses appli- cations. Le Tcheou-li^ ou « Rituel de la dynastie des Tcheou «, fait allusion à une industrie qui consis- tait à appliquer des couleurs. S'agissâit-il déjà de peinture proprement dite, comme l'admettait Biot, le savant traducteur de cet ouvrage? Ne s'agit-il pas plutôt de la teinture d'étoffes, de l'application unie de couleurs sur des surfaces murales? On ne sait au juste.

Le papier n'étant pas encore inventé, et les tissus de soie étant encore trop grossiers pour recevoir le dessin et les couleurs, la peinture murale fut sans doute la première que l'on pratiqua. Les annales chi- noises parlent, en effet, fréquemment d'empereurs qui faisaient couvrir de peintures les murs de leurs palais. Les historiens nous ont aussi conservé le souvenir de deux artistes qui, au x'' siècle, étaient arrivés à la célé- brité; mais, en nous transmettant leurs noms, Feng- mo, surnommé Mo-tien-tse, et Yen-che^, ils ont

I. Cf. Mayers, The Chinese reader's Maniial, 914'.

LA PEINTURE. 253

négligé de nous donner aucun renseignement sur le genre de leur peinture, ni sur les procédés qu'ils em- ployaient.

Sous la dynastie des Thsin, vers l'an 25o av. notre ère, on savait peindre sur des tablettes de bambou et sur des tissus de soie fine, dont le prix était encore fort élevé. C'était, sans doute, sur des panneaux de soie qu'étaient peints ces dragons et ces phénix que Lie-jr offrit à l'empereur Che-hoang en 221. C'est la pre- mière mention qui soit faite « d'images peintes». Il ne s'agissait plus seiflement de dessins traités à l'encre de Chine, mais de véritables peintures de couleurs.

Pendant le 11* siècle av. J.-C, la peinture chinoise réalisa un progrès considérable : pour la première fois, elle chercha à représenter la figure humaine. Il semble qu'elle ait réussi très vite à donner à ses fi- gures une certaine expression de vie. En tout cas, l'impression produite par les premiers portraits fut si vive qu'on attribua à une influence magique l'imitation de la réalité vivante. On raconte, en effet, que, l'empe- reur Han-wou-ti (140-86 av. J.-C.) ayant commandé le portrait de sa concubine favorite, dont il déplorait la perte, des magiciens animèrent ses traits et donnèrent à son image tous les accents de la vie.

Suivant quelques auteurs chinois, ce ne serait que cinquante ans plus tard environ , sous l'empereur Yuan-ti, des Han (48-32 av. J.-C), qu'aurait été tentée la première représentation de la figure humaine, et l'honneur en reviendrait à Mao-yen-choii. Il n'est fourni aucune indication sur les œuvres de cet ar- tiste.

aS4 L"ART CHINOIS.

Au cours du i" siècle de notre ère, une invention fut réalisée qui mit à la disposition des peintres de pré- cieux moyens d^étude et de composition : le papier fut inventé. Ce n^était d'abord quMne pâte imparfaite, d'une consistance insuffisante, appelée /zo-?/; mais, en Tan io5, Ts'aï-louen parvint à fabriquer avec des fibres végé- tales un produit qui avait toutes les qualités du papier dont on se sert encore en Chine ^

Dès lors, le goût et la pratique de la peinture se répandirent avec rapidité parmi les Chinois des hautes classes. Ceux qui s'y livraient n'étaient pas exclusive- ment des artistes, c'étaient des lettrés, des philosophes, des hommes d'Etat, qui s'y adonnaient comme à une occupation supérieure, digne des loisirs des esprits élevés, intimement liée à la culture littéraire, excellente à affiner la pensée et à lui fournir des moyens d'expres- sion délicats et variés.

Tel fut Tsaï-yong^ smv nommé Po-Ki (i5o ap. J-C), qui était à la fois grand fonctionnaire, homme de let- tres, musicien, peintre et poète ; tels furent aussi Liou- paOj gouverneur d'une province, sous le règne de Heng- ti (i58-i6i), qui excellait dans la peinture des « nuages chassés par le vent du nord », et Tchou ko-leang, sur- nommé K'ong-ming, généralissime des empereurs Han (23o apr. J.-C), qui cherchait à rallier à sa cause les chefs des pays conquis, en leur montrant les pein- tures qu'il avait faites des cérémonies et des coutumes

I. Cf. A. Wylie. Notes on Chinese littérature. Cependant, d'après quelques auteurs chinois, le secret de fabriquer le papier aurait été découvert par Moung-tien, général de Thsin-chi- hoang-ti. (210 av. J.-C.)

LA PEINTURE. 255

chinoises. Tel fut enfin Tsaofou-hing^ (240), dont les dragons et les phénix semblaient d'une rcaliié saisis- sante.

2<-' ÉPOQUE

DEPUIS l'introduction DU BOUDDHISME JUSQu'a LA DYNASTIE DES THANG (35o-6 1 S AP. J.-c] ^

Nous avons montré plus haut, dans le chapitre consa- cré à l'étude des bronzes, les conséquences capitales qu'a eues pour l'art chinois l'introduction du boud- dhisme indien. En apportant dans l'Empire du Milieu, qui jusqu'à ce jour était demeuré presque complète- ment fermé aux influences extérieures, des idées et des aspirations nouvelles, en y introduisant du même coup les monuments figurés d'une esthétique toute différente, la religion bouddhique renouvela la face de l'art en extrême Orient.

Les peintures et les stîftues rapportées de l'Inde furent une révélation pour les artistes chinois. Un monde inconnu jusqu'alors s'ouvrit pour eux : la réalité phy- sique et matérielle, qu'ils interprétaient avec tant de peine et si imparfaitement, n'était donc pas le seul but de l'art; on pouvait traduire les sentiments humains, les passions du cœur, faire passer dans une œuvre

1. Cf. Mayers, The chinese reader''s Manual, 760. Tsao tou- hing fut connu au Japon sous le nom de So-futsii-ko. Cf. Ander- sen, Catalogue of Japanese paintings, p. 482.

2. En ce qui concei'ne la date de l'introduction du bouddhisme en Chine, voy, supra, p. iSi, note i.

35(î L'ART CHINOIS.

peinte ou sculptée un redet de cette flamme intérieure, de cette vie intime qui est Tâme des êtres.

Il faut se reporter aux historiens contemporains pour se rendre compte de la grandeur du mouvement reli- gieux qui s'empara des consciences chinoises, à partir de Pan 25o environ, et pour comprendre ce qu'il y eut de piété fervente et sincère, de mysticisme délicat et élevé, de foi enthousiaste et naïve chez les premiers adeptes du culte indien. Dix siècles plus tard, les âmes en étaient encore imprégnées ^

On se borna d'abord à copier fidèlement les spéci- mens d'iconographie religieuse rapportés du Pendjab et du Népal par les prêtres indiens et les pèlerins chinois.

Le plus souvent, c'étaient les religieux indiens eux-' mêmes qui exécutaient ou corrigeaient les œuvres des- tinées à la décoration des temples nouveaux.

Aussi ne relève-t-on que peu de noms chinois sur les compositions bouddhiques du iv'' siècle. L'artiste qui parvint à la plus grande réputation dans ce genre et à cette époque est Ouei-sie (3i5 ap. J.-C.) : c'est, dit-on, le premier peintre chinois qui ait signé une peinture bouddhique : son chef-d'œuvre représentait « les sept Bouddhas ».

Il fallut près d'un siècle encore pour que le boud- dhisme produisit une influence décisive sur la pein- ture chinoise, renouvelât les traditions et formât des écoles nationales. La création des monastères boud-

I. Pour les renseignements bibliographiques sur l'établisse- ment et l'influence du bouddhisme en Chine, nous renvoyons aux notes du chapitre des bronzes.

LES LAQUES. J05

sées ayant chacune leur style, leurs traditions et leurs tendances.

Il semble q[ue les procédés du tsi et du t'iao-tsi aient été connus dès les premiers siècles de notre ère; mais les plus anciens spécimens que nous connaissons ne datent que de la fin des Ming, c''est-à-dire des der- nières années du xvr siècle. Les laques sculptés de cette époque sont fort rares, et les Chinois les estiment à très haut prix : le vernis en est très épais, le travail en est ferme, d'un style sobre et sévère. Sous Tempe- reur Khang-hi, de la dynastie des Thsing (16Ô2), les artistes laqueurs réalisent dans ce genre de sérieux pro- grès, tant au point de vue de la qualité de la matière qui est plus compacte et plus grasse d'aspect qu'au point de vue de la décoration qui est plus libre, plus large et d'une inspiration plus franche. Sous Kien-long (1736-1796), on fabrique aussi des t'iao-tsi de beau stvle; mais ce sont surtout les laques peints qui nous offrent les spécimens les plus intéressants. Les plus remarquables d'entre ceux-ci proviennent des ateliers du palais. M. de Semallé possède une dizaine de pièces ayant, sans aucun doute, cette origine : ce sont des coupes formulées en calices lobés, légères à la main et délicatement modelées : l'une est d'un bleu paon à reflets verts, chatoyant et intense comme un émail ; une autre est d'un rose très pâle que re- hausse un rose de corail, et l'ensemble est d'une dou- ceur de tons incomparable; une autre encore est d'un noir uni et profond, de ce beau noir si apprécié des Japonais; signalons entin, dans la même collection, un laque avehturiné, à incrustations d'or et d'argent tigu-

l'art chinois. 20

jo(5 L'ART CHINOIS,

rant des lotus, qui est une merveille de goût et de finesse.

Ces pièces comptent à nos yeux parmi les rares ob- jets de laque chinoise peinte qui mériteraient de figurer

COUPE DE LAQUE. X V I I I " S I È C l E.

(Collection de M. le vicomte de Semallé.)

dans la collection d'un amateur au Japon. En existe- t-il beaucoup de semblables en Chine? Nous ne le pen- sons pas, car nous n'en avons vu qu'un petit nombre pendant notre séjour à Pékin ; mais il est probable que les tsi qui sont sortis des ateliers impériaux [au xvm" siècle sont encore au palais ou dans les rési- dences princières, et il est permis d'espérer que quelques spécimens en viendront encore en Europe.

CONCLUSION

Les idées générales qui se dégagent de l'étude de l'art chinois ont été exposées avi cours de cet ouvrage : le cadre étroit qui m'est imposé ne me permet pas de les reprendr e dans une vue d'ensemble.

J'ai tenté (particulièrement dans les chapitres consacrés au bronze, à la pierre sculptée, aux pierres dures et la peinture) de définir les caractères de l'imagination esthé- tique et du sens plastique chez les Chinois; j'ai recherché la forme artistique dont ils ont revêtu leur pensée religieuse , l'idéal de beauté sensible que le bouddhisme leur a révélé , le sentiment que leur a inspiré la nature et la façon dont ils l'ont transcrit. Chacun de ces points a été traité à l'occa- sion du genre d'œuvres, sculptées, ciselées ou peintes, qui le mettait le mieux en lumière.

Il est un autre point, qui domine cette étude et que je me suis efforcé d'éclairer par un grand nombre d'exemples et de docunients, je veux dire l'évolution historique de l'art en Chine au contact des civilisations étrangères. Contraire- ment à une opinion qui est admise même par des personnes d'une critique exercée, j'ai été amené à penser que la Chine n'est pas demeurée immuable à travers les siècles et fermée au monde extérieur, mais que des actions puissantes, parties du dehors, ont insensiblement modifié ses traditions et

3o8

L'ART CHINOIS.

transformé les conceptions de ses artistes; j'ai essayé de montrer que de grands courants d'influences sont venus, tour à tour, de la Chaldée et de l'Assyrie (p. 102), de l'Inde (p. 34), de l'Empire romain (p. 220), des pays arabes (p. 69), de la Perse (p. 72) et de l'Europe (p. 232). Je serais heu- reux d'avoir apporté quelques idées et ouvert quelques aperçus dans cet ordre de faits.

APPENDICE

TABLEAU CHRONOLOGIQUE

DES DYNASTIES CHINOISES

Commencement des temps

historiques ...... 2637 av. J.-C.

Dynastie des Hia 22o5

des Chang .... lySS

desTcheou^. . . 11 34

des Thsin . . . 255

des Han 206

265 ap. J.-G.

I. En ce qui concerne les faits et les dates antérieurs à la dy- nastie des Tcheou, les annales chinoises ne doivent être consultées

479

jio L'ART CHINOIS.

Dynastie des Oueï 220 ap, J.-C. 264 ap. J.-C.

des Ou 222 277

des Tsin 265 419

des Liang posté-

rieurs 400 420

des Liou Soung . 420

des Tsi méridio-

naux 479 5oi

des Liang .... 5o2 556

des Tchin .... 557 587

des Oueï septen-

trionaux .... 386 532

des Tsi septentrio-

naux 55o 577

des Tcheou sep-

tentrionaux . . 557 58 1

des Souï 58 1 618

des Thang . ... 618

des Liang posté-

rieurs 907 921

des Thang posté-

rieurs 923 984

des Tsin posté- rieurs 936 944

des Tcheou posté-

rieurs 951 960

des Thang méri-

dionaux .... 937 958

des Chou anté-

rieurs 908 925

qu'avec une grande réserve. Traduites par fragments, elles n'ont jamais été l'objet d'une critique sérieuse. D'autre part, l'archéo- logie et la philologie chinoises n'existent pas comme sciences : la Chine attend encore un Burnouf et un Mommsen. La chro- nologie que nous donnons ici est celle qui a été adoptée par Mayers.

907

APPENDICE.

î'«

Dynastie des Chou posté- rieurs 9^4 ap. J.-C. 9G4 ap. J.-C.

des Ou-yuc. . . . 92G gSa

des Léao gi6 1168

des Soung. . . . 960 1278

des Kin iii5 1234

des Youen . . . . 1260 i3b8

des Ming .... i368 1643

des Thsingi . . . 1644 18^*

I. Les Ming continuent de régner jusqu'en 1662 sur une partie de l'Empire, les Thsing commencent, en i6i6, à régner sur les provinces du Nord.

TABLEAU CHRONOLOGIQUE

DES EMPEREURS DES DEUX DERNIERES DYNASTIES

d'après LE NOM (nIEN-HAO) ATTRIBUÉ A LEUR? ANNÉES DE RÈGNE

Dynastie chinoise des Ming'.

Houng-ou ^^ ^ i36S ap. J.-C.

Kien-ouen ^ X '^99

Young-lo ..... ^1^ . 1403

Houng-hi ^^ !?!; '42 3

Siouan-te ^ . . . 142G

Tching-toung lE ^ '430

King-t'aï ^ ^ "4-0

Thien-choun ... ^ ||^ '4^7

I. Succédant à la dynastie mongole des Yoiien.

A I' P li N D 1 C E.

3'3

Tching-hoa . Houng-tche . Tching-te . . Kia-tsing . . Loung-king . Ouan-li . . . Taï-tchang ^ Thien-ki . . Tsoung-tching

mm

14G5 ap. J.-C. 148S i5oG ~

l522

i5G7

1573

1620

1621

ir)2S(-i- 1643).

2" Dynastie tartare-mandchoue des Thsmg.

Thien-ming. ... ^ -^ .

Thien-tsoung . . . ^ H^ .

Tsoung-te ^ ^iM .

. Chun-tche* "j|p '/j^ .

Khang-hi }jfC «ifi

Young-tching . . . |p lE

1616 ap. J.-C.

1627 i636

. 1644

1662

1723

1. Les Tartares Mandchoux, maîtres d'une partie de la Chine, coramencent à régner en 1616.

2. A partir de l'année 1644, la dynastie des Thsing a établi son autorité sur toute la Chine et règne seule.

31+ L'ART CHINOIS.

Kien-long .... ^ti ^ '736 ap. J.-C.

Kia-king MM ' '796 ' ^

Tao-kouang . . . »M" -^ ... 182 1

Hien-foung. ... |^ g i85i

Tong-tche .... ^ fa ' '^^^ ~"

Kouang-siu , ... % ^ 1875 ^ J

Les noms d'empereurs, énumérés ci-dessus, sont souvent inscrits sur les bronzes, les jades, les porcelaines, etc., et peuvent servir à en fixer la date. Dans ce cas, chaque nien- hao est précédé du nom de la dynastie à laquelle appartient

le souverain et suivi des deux caractères * ^.men-tchy.

dont le sens est « fabriqué pendant la période ». Voici la marque des deux dernières dynasties chinoises :

±

DYNASTIE DES MING (lj68-I(3 + 3). DES THSING (164+).

A 1' P E N D 1 C E.

3«$

Nous croyons utile, en outre, de reproduire, en carac- tères sigillographiques, les nien-han des derniers empereurs:

J

rHiLLllS

YOUNG-TCHINGj

1723 -< 73(3.

1^

KIEN-LONC, I7JÛ-I796.

II

£S»K

n-n

K 1 A- Kl NC , I7i,'6-l82I

i

m

TAO-KO U AN G , 1821-1851.

I

HIEN-FOUNG, 1851-1862.

an

B

TONG-TCHE, 1862-1875.

TABLE DES MATIERES

Pages. Préface 7

LE BRONZE.

I. Les bronzes rituels. L'art primitif ii

IL Les bronzes bouddhiques. Influence du boud- dhisme sur l'art chinois ; rapports de la Chine avec rinde 34

III. Les bronzes taoïstes 07

IV. Les bronzes de style arabe ou persan. Rapports de la Chine avec le monde islamique ; conséquences de

la conquête mongole 69

V. Les bronzes incrustés et damasquinés; les bronzes

DORÉS 75

L'ARCHITECTURE.

I. Les principes et les procédés. Les matériaux et

les modes de construction; les types architectoniqucs. . 82

IL L'architecture civile. Les palais : influence pro- bable de l'art chaldéo-assyrien. Les maisons particu- lières : réglementation officielle. L'architecture des jar- dins 97

IlL L'architecture religieuse. Les temples du culte officiel : type primitif du temple chinois. Les temples bouddhiques : influence de l'architecture indienne; les pa-

3i8 L'ART CHINOIS.

Pages

godes et les stoupas. Les temples taoïstes. Les mosquées. loS IV. L'architecture funéraire. Idées des Chinois sur la mort : type de la tombe chinoise. 124

LA PIERRE SCULPTEE.

Les œuvres de la statuaire en chine. Le sens plastique

chez les sculpteurs chinois i3i

LE BOIS ET L'IVOIRE SCULPTÉS.

I. Le bois sculpté 146

IL L'ivoire sculpté i5o

LES PIERRES DURES.

L Le jade. Histoire du jade; consécration de cette

pierre par les rites. Le sensualisme dans l'art chinois . i55 IL Les pierres de quartz 170

LA CÉRAMIQUE.

I. La technique 178

H. L'histoire.

i''* époque : Période primitive (850-1426) 181

2* époque : Période Siouan-te (1426-1465). Le décor bleu.

Les grès-cérames l86

-?• époque : Période Tchitig-hoa (1465-1573). Les émaux

de demi-grand feu iSq

4* époque : Période Ouan-li {i5y3-x662) 19?

5' époque : Période Khang-hi (i662-ij23). Les familles

blanche, verte et rose. Les céladons et les flambés. . i()7 6' époque : Période Youngtching et Kien-long (1723-

1796). La famille rose, les porcelaines « coquilles

d'œuf », les flambés, les porcelaines d'exportation. . 207 7* époque : Période contemporaine 2 1 q

TABLE DES MATIERES. J19

LE VERRE.

Pages. I. L'histoire. Rapports de la Chine avec l'Empire

romain 220

IL La technique 225

LES ÉMAUX.

L Les émaux champlevés et cloisonnés. Origine de l'e'maillerie chinoise. Rapports de la Chine avec l'Europe, sous la conquête mongole 229

IL Les ÉMAUX peints 239

LA PEINTURE.

I. Les caractères généraux, les procédés Et les genres. L'art du dessin et la calligraphie ; le sens plastique chez les peintres chinois; la perspective et le

clair-obscur. Différents genres de composition 241

IL L'histoire.

i"' époque : Depuis les origines jusqu'à l'introduction du bouddhisme (2600? av. J.-C. 25o ap. J.-C). Le dessin calligraphique; les premiers essais de peinture ... 25 1' 2" époque: Depuis l'introduction du bouddhisme jusqu'à la dynastie des Thang (25o-6i8 ap. J.-C). Influence du bouddhisme. Les écoles de peinture des monas- tères bouddhiques. Le sentiment religieux dans l'art

chinois 255

époque : De la dynastie des Thang à la dynastie des

5ojmg- (618-960). Écoles du Nord et du Midi 261

4^ époque : Dynastie des Soung (960-1278). Personnalité de l'artiste en Chine. Le sentiment de la nature dans

la peinture chinoise 266

5* époque : Dynastie mongole des Youen (i 260-1 368). . . 274 6* époque : Dynastie des Ming (i368-i643). Forme der- nière du grand art. Symptômes de la décadence de la peinture chinoise 279

320 L'ART CHINOIS.

P.>ges 7* époque : Dynastie des Tlising {i6^3-i88.)i Art conven- tionnel. Influence des missionnaires européens . . . 285

LES LAQUES. Les laques peints et les laques sculptés 295

Conclusion Soy

Appendice Sog

m0i

Paris. Maison Quantir, ", rue S;àut-Bcaoit.

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