'if ^} \ài'^^ jf.'i t^' ^.* -^^ L' A R DE FORMER LES JARDINS MODERNES, O U UART DES JARDINS ANGLOIS, Traduit de V Anglais. A quoi le Tradufieur a ajouté un Dlfcours préliminaire fur l'origine de l'art , des Notes fur le texte , 6i nuQ Defcription détaillée des Jardins de Stowc , accompagnée du Flan. „_ rt» T\.: garde ces coteaux Vun à l'autre enchaînés , Et ces riches vallons de pampres couronnés; Vois dans ces champs , ces bois , la nature affranchie , Se livrer librement à fa noble énergie. Poème des Salfons de M. de S. Lambe?vT.' 'I' A P A R I s ^ Chez Charles - Antoine Jombert père, Libraire du Roi , pour l'Artillerie & le Génie , rue DauDhine. M. D C C. L X X I. Avec Approbation & Privilège du Roi. Digitized by the Internet Archive ^ in 2010 with funding'from Researcii Library, Tiie Getty Researcii Institute littp://www.arcliive.org/details/lartdeformerlesjOOwliat .j^&^ ië^?^^^^« DIS COURS PRÉLIMINAIRE DU TRADUCTEUR. SOMMAIRE. Le Nôtre. 3 Dufrefny , Kent, Origine des jardins Anglais, Dejcription des jardins Chinois en général^ & particulièrement de celui de l'empereur de la Chine. Goût des anciens,. Description du jardin d'Eden, Réflexions Jur cet ouvrage. P ARMi les fîngularités que nous oiFrent les Anglois dans tous les genres, &: qui caradtérifent leur génie libre, & ennemi de toutes les règles; celle dont j'ai été le plus af^réablement frappé ? c'eft la manière dont ils compofcnt ôc décorenc leurs jardins. On ne fauroit en imagi- a f| DISCOURS ner , ce me fcmble , qui préfentc plus de grandeur tk. de fimplicité , puifqu'eilj nous charme par les feules beautés de la na- ture, Se que tout l'art confifte à favoir lesimircrou les employer avec choix. Peu de gens, je le fais , font difporés à porter fur les jardins Anglois un jugemenc aulîi favorable. Voilà, difent-ils, l'elïec de cette ridicule anglomanie qui faii tant de progrès en France. On voudra bientôt nous pcrfuader que rien n'eft parfait que ce qui vient d'Angleterre: Congrève fera iupérieur à Molière ; les peintures de Tornhill l'emporteront fur celles de le Brun ; &: Montefquieu ne fera qu'un foi- ble génie en comparaifon de Hobbes. Que ne nous fera-t-on donc pas croire fur les jardins Anglois ? J'avoue qu'il effc difEcile de juger une nation., &: fur -tout une nation rivale, d'après les récits des voyageurs, qui font prefque toujours extrêmes dans l'admira- tion ou dans le mépris. L'expérience m'a prouvé que, pour fe guérir d'une infinité de préjugés pour 5c contre les Anglois > il faut les voir chez eux . Sans prétendre que leurs jardins foient exempts de dé- PRÉLIMINAIRE, iij fauts, je crois que tous ceux qui les ont vus , 6c qui fentenc combien la noble fim- plicité de la nature eft rupériture à tous les rafincmens fymmétriqucs de l'art, leur donneront la préférence fur les nôrres. Si les jardins Anglois ont paru ri iicuies à quelques-uns de ceux niême qui ont voyagé en Angleterre , c'eil parce qu'ils ont été accoutumés à regarder les prin- cipes reçus comme des règles infaillibles, ôc que les hommes remontent difEcilc- ment à la (ource de leurs jugemens. Le Nôtre fut un homme (i fupérieur dans Ton genre, les circonftances oùil fe trouva ^-furent il heureufes pour donner de la célébrité à Tes talens , & fes delTeins parurent d'un goût fî neuf, que toute l'Eu- rope les adopta univ^erfcUemenc , & les appliqua à toutes fortes de fujets indifFé- remment. Il n'avoit cependant fait que varier cette régularité qu'il trouva établie : les bofquets furent mieux diilribués, fes parterres mieux deiîinés-, mais il ne s'é- carta jamais de la fymmétrie. On s'accou- tuma à croire qu'elle éroit efTentielle aux jardins ; & il eft arrive en ce genre une chofe adez ordinaire aux arts en général, aij iv DISCOURS c'eft: que la réputation extraordinaire d'un homme de génie en a retardé les progrès , par le préjugé oii l'on cH qu'il a atteint la pcrfeâiion. Auffi le traité fameux de M. le Blond, & tous les autres qui ont été publiés fur la théorie du jardinage , font- ils fondés furies principes de le Notre? lis ne pré- fentent jamais que des lignes droites , des figures régulières , des plans de niveau. L'on fe doutoit 11 peu qu'il pût exifter quelqu'autre manière de compofer des jardins agréables, que des auteurs eftimés ont dit , en parlant de la manière Chi- noife, qu'il n'eil: guère polTible qu'elle foie jamais adoptée en Europe (i). Ce n'eft effectivement que long-tems après, que les Anglois ont abandonné la fymmétrie qui étoit devenue la règle uni- verfelle , pour ne fuivre que la nature. Le théâtre de la Grande-Bretagne, imprimé (i) Les Chinois (dit le chevalier Temple dans Ton traité des jardins ) ont un goût diamétralement oppofé au nôtre. Je ne confeiUe à perfonne de l'imiter. Ce font de trop grands chcfd'œuvres de l'art que d'y réuffir. Te- .îions-nous-en aux figures régulières. PRÉLIMINAIRE. v en deux volumes //7/c>//o_,d'abord en 1708, enfuice en 1 7 1 6 , prouve qu'au commen- cement de ce fieclej les jardins d'Angle- terre écoient entièrement femblables à ceux du rcfte de l'Europe. Kent _, artifte plein de goût , connu de fon tems par Tes ralens dans l'architecture &: la peinture, mais dont le nom n'eft aujourd'hui cé- lèbre que par les changemens qu'il a in- troduits dans l'art des jardins; Kent, dis-je, cfl: le premier en Angleterre qui ait ofé s'écarter vers l'année 1720 j des règles de le Nôtre , dans la compofition des bof- quets d'Esher^ maifon de campagne du premier miniftrePclham (i). Les Anglois qui font très-fenfibles aux beautés natu- relles y qui aiment paffionnément la cam- pagne, où il paiïent une partie de leur vie (1), Ôc qui ne négligent rien pour (i) On en trouvera la defcrlption au chapitre XXI de cet ouvrage. (2) Thompfon, ( dit M. de S. Lambert dans le beau dif- cours qui précède fon poëme ), Thompfon chantoit la nature chez un peuple qui la connoît & qui l'aime. Il parle à des amans de leur maîtrcfle , & il eil fiir de leur plaire. a iij vj D ISCOURS l'embellir , reçurent avec tranfport un genre (i analogue à leur cara6lcre ennemi de l'uniformité. Les progrès du nouvel - art furent très- rapides^ &; fcs productions ont été depuis très-perfeâ:ionnées& très- variées dans toutes les provinces de la Grande-Bretagne. Tout Anglois qui pol- ! fcde une maifon de campagne, quels que foient fon rang & fa fortune, eft jaloux de fe procurer un beau jardin , & de le rendre remarquable par quelque fingularité qui ne s'éloigne pas de la nature. Kent a eu la gloire d'introduire dans fa patrie la méthode la plus naturelle de compofer des jardins, mais il n'en efl pas l'inventeur; car, outre qu'elle a été con- nue en Afie de tous les tems, il avoir été prévenu en France par le célehreDiifref/iy^ à-peu-près contemporain de le Nôtre , génie hngulier , & qui fembloit né pour la perfection des arts d'agrément. « Du- >î freny ( dit l'auteur de fa vie (i) ) avoic » un goût dominant pour l'art des jardins; î5 mais les idées qu'il s'étoit faites fur cet , « art , n'avoient rien de commun avec (i) A la tête de fes œuvres. f PRÉLIMINAIRE. vlj celles àc$ grands hommes que nous avons eus & que nous avons encore en ce genre. 11 ne travailloit avec plaifir , & pour ainfi dire, à l'aife, que fur un terrein inégal &; irrégulier. Il lui falloic 3 des obllaclcs à vaincre ; 6c quand la na- > ture ne lui en offroir pas, il s*en don- > noie à lui-même : c'cfk-à-dire , que d'un » emplacement régulier Se d'un terrein ) plat , il en faifoit un montueux > afin, 3 difoit-il , de varier les objets en les mul- 3 cipliant; & pour fe garantir des vues > voifines, il leur oppaloitdes élévations > de terre , qui tormoient en même tcms 5 des belvédères. Il difpofa dans ce goût les jardins de Mignaux près PoifTy , ceux de l'abbé Pajot prèsdeVinccnnes, enfin deux autres jardins qui lui appar- tcnoicnt au fauxbourgS. Antoine, donc l'un eft connu fous le nom du moulin ^ &c l'autre lous celui du chemin creux. Dufrefny palla les dix dernières années de fa vie à compofer des jardins. Louis XIV, qui i'aimoit beaucoup &qui con- noidoit Ton mérite , lui a voit accordé un brevet de contrôleur de (c^s jardins. Il avoit préicnté à ce prince , deux plans a iv viij DISCOURS « dilFércns de jardins pour Verfailles ; 6c »> ce plan , pour lequel il n'avoit confulté M que Tes idées fingulieres , ne fut pas ac- 55 cepté, à caufcderexceilîve dépenfe que >5 demandoit Ton cxécutioa (i) w. J'ai dit que la méthode Angloife étoit celle d'Afie. Pour juger de fon antiquité, il fuffit de nommer les Chinois , c'eft-à- dir • 5 le peuple du monde, dont les mœurs 6c les arts ont le moins varié. et Les Chinois ( dit le P. Duhalde (i) ) ^ w ornent leurs jardins de bois , de lacs , 55 6c de tout ce qui peut récréer la vue. Il 53 y en a qui forment des rochers & des *5 montagnes artificielles, percées de tous n côtés , avec divers détours en forme de 53 labyrinthe , pour y prendre le frais. 33 Quelques-uns y nourritrent des cerfs &C 53 des dains, quand ils ont aflez d'efpace 33 pour y faire un parc. Ils y ont aufli des (i) Le voyage de Londres de M. Grofley m'a indiqué -■ • '■' de C'ufVefijy. On trouve dans ce voyage, plein : ^ recherches fur l'Anglererre , un morceau in- .jaolque très-court, fur les jardins Anglois. acriprion de l'empire de la Chine , tome 2 , PRÉLIMINAIRE fx M viviers pour des poifTons ôc pour des 55 oifcaux de rivière w. K2Empfcr(i )dic que les Japonais ont tou- jours dans leurs jardins, entr'autres orne- mcns , un petit rocher ou une colline ar- tificielle 5 lur laquelle ils élèvent quelque- fois le modèle d'un temple. Il ajoute qu'on y voit fouvent un ruifleau qui fe préci- pite du haut du rocher avec un agréable murmure, ôc que l'un des côtés de la col- line eft orné d'un petit bois. On reconoîc là le goût des jardins d'Angleterre. Mais pour fournir une preuve complette de la parfaite reiîemblance des jardins An- glois avecies jardins Chinois, je donnerai ici le chapitre tout entier, a de l'art de dif- jy tnhuer les jardins , jelon Uufagc des Chi- nois'^ extrait d'un livre aflez rare, intitulé: w dejfeins des édifices , meubles , habits &c y w des Chinois , gravés fur les originaux 5? defjinés à la Chine par M. Chambers ^ar^ )y chuecle , inFolio , Londres , 1757. ?5 Les jardins que j'ai vus (2) à la Chine, 3> étoient très- petits. Leur ordonnance , (1) Kiftoire du Japon, 1. 5, ch. 4. (a) C'eft un Angiois qui parie. f DISCOURS w cependant , 5c ce que j'ai pu recueillir ^j des diverfes converfations qu j'ai eues 5? fur ce fujec avec un fameux pei.itre yy Chinois , nommé Lepqua , m'ont don- 3:) né , fi je ne me trompe , une connoif- w Tance des idées de ces peuples fur ce 'iy fujet. 3:) La nature efl: leur modèle , &: leur but w eft de 1 imiter dans toutes iç.s belles ?:> irrégularités. D'abord ils examinent la 3^ forme du terrcin : s'il eit uni , ou en ")•> pente : s'il y a des collines , eu des mon- 5:> tagnes : s'il efl: étendu ou refferré , fec 3:) ou mareca^reux : s'il abonde en rivières 'iy ôc en fourccs , ou fi le manque d'eau s'y yy fait fentir-. Ils font une grande atten- yyùon à ces diverfes circonilanccs, Sc yy choifîfTent les arrangemens qui con- 3^ viennent le mieux avec la nature du 3:) terrein , qui exigent le moins de frais , 3^ cachent les défauts, &: mettent dans le yy plus beau jour tous (es avantages. yy Comme les Chinois n'aiment pas la 33 promenade , on trouve rarement chez 3:> eux les avenues , ou les allées fpacieufcs 3? des jardins de l'Europe. Tout le terrein 3? eft diftribué en une variété de fcenes ; PRÉLIMINAIRE, xj 55 & des paiïagcs tournans , ouverts au 55 milieu des bofquets, vous font arriver 55 aux différens peints de vue , chacun 55 defquels cfl indiqué par un Tiege, par 55 un édifice, ou par quelque autre objet. 55 La perfcélion de leurs jardins confifte 55 dans le nombre , dans la beauté , êc 55 dans la divcrfité de ces fcencs. Les jar- 55 dins des Chinois , comme les peintres 55 Européens, ramaflent dans la naiure 55 les objets les pins agréables , '5c tâ- 55 chent de les combiner de manière que, 55 non-feulement ils paroiiïent féparémenc 55 avec le plus d'éclat , mais même que 55 par leur union ils forment un tout yy agréable & frappant. 55 Leurs artifles diftinguent trois difFé- 55 rentes efpeces de fcenes, auxquelles ils jy donnent les noms de riantes , d'horri- 55 blcs 5 & d'enchantées. Cette dernière 55 dénomination répond à ce qu'on nom- 55 me fcene de roman , 6c nos Chinois (e 55 fervent de divers artifices pour y exci- 55 ter la furprife. Quelquefois ils font 55 pafTer fous terre une rivière , ou un 55 torrent rapide , qui, par fon bruit turbu- 55 lent, frappe l'oreilie fans qu'on puifle xîj DISCOURS )? comprendre d'où il vient. D'autres fois 5:) ils difpofcnt les rocs , les bâtimens , & 55 les autres objets qui entrent dans la w comporition , de manière que le vent , y> paflant au travers àcs interftices oc des ^y concavités qui y font ménagées pour w cet cfFet , forme des fons étranges &: w finguliers. Ils mettent dans ces compo- 5) (itions , les cfpeces les plus extraordi- 55 naires d'arbres , de plantes , & de fleurs : 55 ils y forment des échos artificiels 6c 55 compliqués , & y tiennent difl-erentes 55 fortes d'oifeaux 6c d'animaux monf- ^y trueux. 55 Les fcenes d'horreur préfentent des 55 rocs fufpendus , des cavernes obfcures > 5:) ôc d'impétueufes cataractes , qui fe pré- 55 cipitent de tous les côtés du haut àts 55 montagnes ; les arbres font difformes^ 55 Se femblent brifés par la violence des 55 tempêtes. Ici l'on en voit de rcnverfcs, 55 qui interceptent le cours des torrcns , ôc 55 paroiffent avoir été emportés par la 55 fureur des eaux. Là il femble que , frap- 55 pés de la foudre , ils ont été brûlés 6c 55 fendus en pièces. Quelques - uns des 55 édifices font en ruines , quelques autres PRÉLIMINAIRE, xiij >:> confumés à demi par le feu : quelques 55 chétives cabanes, dirperfëes çà ôc là fur 55 les montagnes, femblent indîquer à la 5:> fois i'cxiftcnce & la mifere des habi- 55 tans. A CCS fcenes , il en fucccde com- 5:) munément de riantes. Les artiftes Chi- 55 nois favent avec quelle force l'ame efl 55 afFe6tée par les contrafles , êc ils ne 55 manquent jamais de ménager des tran- 55 filions fubitcs 5 & de frappantes oppofi- 55 tiens de formes , de couleurs , 6c 55 d'ombres. Auffi_, des vues bornées, vous 55 font- ils paflcr à des perfpe6tives éten- 5:5 dues ; des objets d'horreur , à des fcenes ^y agréables ; & des lacs &: des rivières , 55 aux plaines , aux coteaux, & aux bois. 5:) Aux couleurs f ombres 6c trilles 5 ils en 55 oppofenc de brillantes , & des formes 55 fimples aux compliquées: diftribuant, 55 par un arrangement judicieux, les di- 55 verfes mafles d'ombre 6c de lumière de 55 telle forte que la compofition paroîc 55 diftincte dans fes parties , 6c frappante yy en fon tout. 55 Lorfque le terrein efl étendu , 5c 55 qu'on y peut faire entrer une multi- 55 tude de fcenes^ chacune cfl ordinaire- xiv DISCOURS 5> ment appropriée à un fcul point àc yy vue. Mais lorfque l'erpace eft borné , 3) & qu'il ne permet pas aflez de variété , yy on tâche de remédier à ce défaut > en ' i) difpofant les objets de manière qu'ils yy produifent des repréfentations diflfé- iy rentes, fuivantles divers points de vue : ?:) & fouvent l'artifice eft poufTé au point iy que ces repréfentations n'ont entr'ellcs yy aucune relTemblance. 55 Dans les grands jardins , les Chinois yy fe ménagent des fcencs différentes pour 3^ le matin , le midi 6c le foir, &c ils 5? élèvent aux points de vue convenables , yy des édifices propres aux divertifTemens yy de chaque partie du jour. Les petits jar- yp dins où, comme nous Pavons vu , un j^lcul arrangement produit plufteurs re- 35 préfentations , prélentent de la même «manière aux divers points de vue, des » bârimensqui, par leur ufage, indiquent yy k: tcms du jour le plus propre à jouir » de la fcene dans fa perfection. 53 Comme le climat de la Chine eft ex- 53 cciTivement chaud , les habitans em- 33 ploient beaucoup d'eau à leurs jardins. 33 Lorfqu'ils font petits ^ ^ que U fitua- PRÉLIMINAIRE, x? 5? non le permet , rouvènc tout le terix:m ' ■ cÇi. m\s fous l'e?:ii y êc il n'y refre qu'un petit nombre d'ifies-&: 5c des lacs. Tantôt ces bords font arides ?:) êc o;raveleux; tantôt ils font couverts y> de bois jurqu'aa bord de l'eau ; plats en 35 quelques endroits , & ornes d'arbrif- 33 féaux ôc de fleurs ; dans d'autres ils fe 33 changent en rocs efcarpés, qui forment 53 des cavernes où une partie de l'eau fe 33 jette avec autant de bruit que de vio- 33 lence. Quelquefois vous voyez des ptai- 33 ries remplies de béiail 5 ou des champs 33 de riz qui s'avancent dans des lacs , ô£ 53 qui lairtent entr'eux des paflTages pour 33 des vai{îeaux : d'autres fois ce font de€ 33 bofquets pénétrés en divers endroits par 33 des rivières Sc des ruiiïeaux capables 33 de porter des barques. Les rivages 33 font couverts d'arbres , dont les bran* 33 ches s'étendent , fe joignent , êc for- 33 ment en quelques endroits , des ber- 33 ccaux, fous lefquels les bateaux pafTent. xvj DISCOURS 5> Vous êtes ainfi ordinairement conduit w à quelque objet intércGTant , à un fu- i) perbe bâtiment placé au fbmmet d'une )y montagne coupée en lerrafTes : à un w cafin litué au milieu d'un lac : à une yy cafcade , à une grotte divifée en divers yy appartemens : à un rocher artificiel , yy ou à quelque autre compofition fem- yy blable. 5:) Les rivières fuivent rarement la liç^nc yy droite ; elles ferpcntent , &C font inter- yy rompues par diverfes irrégularités. Tan- 5:? tôt elles font étroites, bruyantes, ÔC w rapides: tantôt lentes, larges, 6c pro- yy fondes. Des rofeaux&: d'autres plantes w & fleurs aquatiques , entre lefquelles fe jj) diftingue le lien-hoa , qu'on eftime le ^:)plus, fe voient, & dans les rivières, w 6c dans les lacs. Les Chinois y conftrui- yy fent fouvenc des moulins , & d'autres 5:) machines hydrauliques, dont le mou- 5:) vem.ent fcrt à animer la fcene. Ils ont 5^ auffi un grand nombre de bateaux de yy forme Se de grandeur différentes. Leurs » lacs font femés d'ifles : les unes ftériles yy & entourées de rochers Se d'écueils : les yy autres enrichies de tout ce que la na- ture PRE'LIMINAÎRË, ^vîj M ture & Parc peuvent fournir de plus J:) parfait. Ils y incroduif<^nt auiîi des rocs 5? arcincicls , ôc ils lurpaîTent toutes les >y autres nations dans ce genre de compo- 5^ iltion. Ces ouvn"ai;;es forment chez eux 55 une profciiion diil:in(ft:e: on trouve à y-) Canton , &. probablenicnt dans la pltl- 3:> part des autres villes àc la Chine , un ?:) srrand nombre d'artilans conftamment jy occupes a ce métier. La pierre dont ils bj fe fervent pour cet ufage , vient des « côtes méridionales de l'empire : elle eft 55 bleuâtre £c ufée par l'action des ondes ^ 55 en formes irrégulieres. On poufTe ladéli- )5 catcfle fort loin dans le choix de cette 35 pierre: j'ai vu donner plufieurs taëls 35 pour un morceau de la groircur du poing, 55 lorfque la figure en étoit belle , èc la >5 couleur vive. Ces morceaux choids 55 s'emploient pour lespayfages des appar- 55 temens. Les plus grolîiers fervent aux 55 jardins, 6c étant joints par le moyen 55 d'un ciment bleuâtre , ils form.ent des >5 rocs d'une grandeur coniidérable. J'ea >5 ai vu qui étoient extrêmement beaux 55 & qui montroient dans i'artifte un<« » élégance de goût peu commune. Lorf- b 5cviij DISCOURS yy que ces rocs font grands , on y crcufe 5:? des cavernes ôc des grottes, avec des V ouvertures, au travers dciquelles on ap- y} perçoit desloinrains. On y voit en divers j^ end roi es , des arbres , des arbriiïeaux, yy des ronces, 6c des mouircs , à: fur leur 5:)/omaiet on place de petits temples , ôc yy d'autres bâiimens , où Ton monte par le «.moyen de degrés raboicux 5c irrégu- yy iJers , taillés dans le roc. jy Loriqu'il fe trouve aiTcz d'eau , &C »que le terrein cft convenable , Ls Chi- 5,7 noLS ne manquent point de fornxr des ?;> cafcades dans leurs jardins. Ils y évitent 5^ toute lorte de ré^;ulariiés , imirnnr les 30 opérations de la nature dans ces pays ):> montagneux. Les eaux jailiiflènt des yy cavemes ^ des (inuciités des rochers. yy Ici paroît une grande ÔC impétueufe ca- 5:> taracke : là c'ell une multicude de pe- x> tiics chûres. Quelquefois la vue de la X'j cafcade efl interceptée par des arbres , yy dont les feuilles ôc les branches ne per- y;} mettent que par intervalles, de voir les j5,caux qui tombent le lon.^ des côtés de w la montagne. D'autres fois au delFus de 9} la partie la plus rapide de la cafcade > F RE' LIMINAIRE, xlx » font jettes d'un roc à l'autre , des ponts ?5 de bois o-roffiéremcnt faits : &c fouvcnt yy le courant des eaux eu: interrompu par w des arbres èc des nionceaux de pierre, » que la violence du torrent fcmblc y >5 avoir tranfporcés. j:) Dans les bolqucts , les Chinois va- w rient toujours les formes & les couleurs yy des arbres 5 joignant ceux dont les bran- 5? ches font grandes ôc toufFu.s , avec ?^ ceux qui s'élèvent en pyramide , ôc les yy verds foncés avec les verds gais. Ils y V entremêlent des arbres qui portent des yy fleurs , pn mi lefquels il y en a plufîeurs w qui flcuiifient la plus grande partie de 3:) l'année. Entre leurs arbres favoris, eft yy une efpece de fauîc : on le trouve tou- yy jours parmi ceux qui bordent les rivières 3^ ôc les lacs , & ils font plantés de ma- 3:) niere que leurs branches pendent fur yy l'eau. Les Chinois intro:îuifent auiîi des 33 troncs d'arbres , tantôt debout, tantôt 3:> couchés fur la terre , & ils pouffent 33 fort loin la délicatelTe fur leurs formes, yy fur la couleur de leur écorce j &c même 53 fur leur m ou (Te. V Rien de plus varié que les moyens bij X3Ç D IS COURS yy qu'ils emploient pour exciter la fur- 9) prife. Ils vous conduifenr quelquefois yy au travers de cavernes & d'allées fom- ?^ bres , au fortir defquclles vous vous yy trouvez fubitement frappés de la vue ^^ d'un payfage délicieux, enrichi de tout yy ce que la nature peut fournir de plus yy beau. D'autres fois on vous mené par yy des avenues , 6c par des allées qui di- 5:> minuent , 6l qui deviennent raboteufes >:> peu à peu. Le paffage eft enfin tout-à- ?:) fait interrompu ; des buiflons , des yy ronces &. des pierres, le rendent impra- 5:) ticable , lorfque tout d'un coup s'ouvre yy à vos yeux une perfpedlivc riante &: w étendue , qui vous plaît d'autant plus «que vous vous y étiez moins attendu, w Un autre artifice de ces peuples , w c'eft de cacher une partie de la compo- yy fition par le moyen d'arbres , &C d'autres yy objets intermédiaires. Ceci excite la w curiodté du fpecbateur : il veut voir de >:> près, ÔC fe trouve, en approchant, agréa- 5) blement furpris par quelque fcene 5) inattendue, ou par quelque repréfenta- yj tîon totalement oppofée à ce qu'il cher- » choit. La terminaifon des lacs eft ton- PRELIMINAIRE, xxj 5? jours cachée , pour laifler à l'imagina- "iy L'ion cic quoi s'exercer : la même règle w s'obferve autant qu'il eft poiTible dans 5:) toutes lesautres compofitions Cliinoifes. 55 Quoique les Chinois ne foient pas 5:) fort habiles en optique , l'expérience 55 leur a cependant appris que la grandeur 35 apparente des objets diminue , 6c que 35 leurs couleurs s'affoibliiFent à mcfure 35 qu'ils s'éloignent de l'œil du fpeâiareur. 35 Ces obfervations ont donné lieu à ua 35 artifice qu'ils mettent quelquefois en 35 œuvre. Us forment des vues en perf- 35 pedlive ,enintroduifant des bâtimens > 35 des vaifïeaux , êc d'autres objets dimi- 35 nues à proportion de leur diftance du 35 point de vue: pour rendre l'illudon plus 3j frappante, ils donnent des teintes gri- 35 fâtres aux parties éloignées de la com- 35 pofition 5 6c ils plantent dans le loin- 35 tain des arbres d'une couleur moins 35 vive _, & d'une hauteur plus petite que 35 ceux qui paioiflent far le devant: de 35 cette manière, ce qui en foi-même efl: 35 borné cC peu confidérable , devient en 35 apparence grand & étendu. V Ordiuairemenc les Chinois évitent b iij xxij DISCOURS yy les lignes droites , mais ils ne les re- 5:) jettent pas toujours. Ils font quelque- j> fois des avenues lorfqu'ils ont quelque j) objet intéreffant à mettre en vue. Les ?:> chemins font conftammcnt taillés en yy ligne droite , à moins que l'inégalité yy du cerrcin , ou quelque autre obftacle > yy ne fourniiïc au moins un prétexte pour 5? agir autrement. Lorfque le terrein efl: 5:> entièrement uni , il leur paroîiabfurde yy de iaire une route qui ferpente: car, 3^ dî(ent-ils ,c'cil , ou Part , ou le paOagc ?:) confiant des voyageurs qui l'a faite ; dC ?:> dans l'un ou l'autre cas , il n'eft pas na- w turel de fuppofcr que les hommes vou- 5:) luirent choifir la ligne courbe, quand w ils peuvent aller par la droite. w Ce que nous nommons en Anglois » cliimp , c'cft: à-d're , peloton d'arbres , wn'cfl point inconnu afux Chinois , mais w ils ne le mettent pas en œuvre aulïï wfouvent que nous. Jamais ils n'en oc- y) cupent tout le terrein : leurs jardiniers 3^ confiderent un jardin , comme nos ):> peintres confîderent un tableau , &: les yy preniiers grouppent leurs arbres de la yy même manière que les derniers group- PRELIMINAIRE, xxiij 5) pcnc leurs figures ; les uns &: les autres » ayant leurs mafTes principales ôc fjcon- « daires. 5? Tel eft le précis de ce que m'ont 5:) appris, pendant mon léjour à la Chine, w en partie mes propres obrcrvations , ij mais principalement les leçons de Lcp- w i-;ua ; ôc l'on peut conclure de ce qui 5? vient d'être dit , que l'art de diftribucr 5) les jardins dans le goût Chinois , cft jj) exirêmem-cnt difficile, & tout-à-fait 3> impraticable aux gens qui n'ont que des 3:) tiens bornés. Car quoique les préceptes w en foient finipLs, & qu'ils Te prcien- ?:> t_ent naturellement à refprit , leur exé- î> curion demande du génie , du jugement, ):) & de l'expérience , une imciginatioii i-> forte , &: une connoiiïance parf^urc de )) Pefprit humain , cette méthode n'étant w aflujettie à aucune règle fixe , mais jj) étant fufceptible d'auranr de variations yy qu'il y a d'arrangemens différens dans yy les ouvrages de la création >:>. Je joindrai à cette defcription générale, l'extrait d'une lettre intéreiïante , écrite de Pékin le premier novembre 1745 , à M. d'AlTaut , par le Frère Attirer , de U b iv xxîv D I se O UR S compagnie de Jcfus , &: peintre de l'em- p- reur de la Chine (i). Ce morceau ren- ferme des dérails fi curieux , qu'on ne me faura pas mauvais gré de l'aYcir inféré ^^ns ce dircours, a Le palais de l'empereur à Pékin , 55 8c Tes jardins , n'offrent rien que de w grand ôc de véritablement beau, foie 3:> poiir le deflein , foit pour l'exécution. ;:> J'ai vu la France & l'Italie , & jamais w rien de fcmblable ne s'eft ofFert nulle p part à mes yeux. w Le palais ell: au moins de la gran-^ » dcur de Dijon. l\ confiftc en général , y> dans une grande quantité de corps de w logis, détachés les uns des autres, mis w dans une belle fymmetrie, & féparés w par de vades cours , par des jardins &: >5 des parterres, La façade de tous ces n corps de logis , cfl éblouiflante par la p dorure , le vernis, & les peintures. L'in-r >^ té rieur eft garni de tout ce que la Chine^ y:> ]&s îndrs & l'Europe ont de plus, beau n Ôc de plus précieux. ( i ) Elle fe trouv* dans le xxYii' recudides lettre^ ^difianies ^ publié en 1749.. PRELIMINAIRE. xx# 3? Les jardins font délicieux. Ils con- 5^ fiftent dans un vafte terrcin , où l'on a 9-) élevé à la main de petites montagnes, 3:) hautes depuis lO jufqu'à 50 à 6o pieds ; ^y ce qui forme une infinité de petits val- iy Ions. Des canaux d'une eau claire ar- ?:> rofent le fond de ces vallons , ôc vone yy fc rejoindre en pluficurs endroits pour yy former des lacs Ôc des mers. On par- py court ces canaux , ces mers oc ces lacs yy fur de belles & magnifiques barques : yy j'en ai vu une de treize toifcs de longueur, yy èc de quatre de largeur, fur laquelle yy étoic une fuperbe maifon. Dans cha- 3:) cun de ces vallons , fur le bord des eaux, yy font des bacimens parfaitement afTortis yy de plufieurs corps de logis , de cours, yy de galeries ouvertes 6c fermées, de bo- 33 cages , de parterres , de cafcades &c. 33 ce qui forme un enfemblc dont le coup- 33 d'œil eu. admirable, yy On fort d'un vallon , non par de yy belles allées droites comme en Europe, yy mais par des zigzags , par des circuits , 33 qui font eux - mêmes ornés de petits 53 pavillons , de petites grottes, ôcau for- •K< tir dcfquels or retrouve un fécond val- xxvj DISCOURS T> Ion tout difFërent du premier, foît pour w la forme du terrein, foie pour la ftruc- i) tare des bâtimcns. yy Toutes les montagnes & les collines w font couvertes d'arbres, fur-tout d'ar- » brcs à fleurs, qui font ici très-com- w muns. C'eft un vrai paradis terrellre. 5> Les canaux ne font point , comme chez >:> nous, bordés de pierres de taille tirées j:) au cordeau , mais tout ruftiquement , >^avee des morceaux de roche , dont les w uns avancent , les autres reculent, ôc yy qui font pofés avec tant d'art , qu'on w diroit que c'eft l'ouvrage de la nature. w Tantôt le canai cfl: large , tantôt il cft yy étroit : ici il ferpente , là il fait des w coudes , comme 11 réellement il éroic yy pouffe par les collines ôc par les rochers. yy Les bords font femés de fleurs qui 5:) fortent des rocaillcs , &C qui paroiffent w y être l'ouvrage de la nature : chaque yy laifon a les fîenncs. yy Outre les canaux, il y a par-tout des 5? chemins, ou plutôt des fentiers, qui font ^? pavés de petits cailloux , d>c qui con- ^? duifent d'un vallon à l'autre. Ces fen- 3:) tiers vont auflî en ferpentant; tantôt PRELIMINAIRE, xxvij py ils font fur les bords des canaux , tantôt w ils s'en éloignent. w Arrivé dans un vallon , on apper- w çoic les bâtimens. Tourc la façade efl 5^ en colonnes ôc en fenêtres: la char- jj pente dorée , peinte , vernifTéc : les mu- yy railles de brique grife , bien taillée , yj bien polie : les toits font couverts de 5:) tuiles vernifTées 5 rouges, jaunes, bleues, yj vertes , violettes , qui par leur mélange, « 6c leur arrangement , font un agréable 5? variété de compartimcns 6c de delTeins. yy Ces bâtimens n'ont prefque tous qu'un yy rez-de- chauffée. Ils (ont élevés de terre, yy de deux , quatre , (ix , ou de huit pieds. yy Quelques-uns ont un étage. On y monte, yy non par des degrés de pierre façonnés ?:5 avec art, mais par des rochers, qui ); fcmblent être des degrés faits par la >:> nature. Rien ne reiïemble tant à ces )^ palais fabuleux de fées , qu'on fuppofe 5> au milieu d'un défert, élevés fur un roc , 5) dont l'avenue eft raboteufe , 6c va en w fcrpentant. ?:> Les appartemens intérieurs répon- 55 dent parfaitement à la magnificence du yy dehors. Outre qu'ils font très-bien dif- xxviij D ISCOURS >:) tribucs , les meubles & les orncmens y >:> font d'un goûc exquis , &: d'un très - i-) grand prix. On trouve dans les cours 35 ôc dans les pafTages, des vafes de marbre, w de porcelaine , de cuivre, pleins dcfleurs, 556c quelquefois des figures de bronze, 35 qui repréfcntenc des animaux fymbo- 33 liques, ôc des urnes pour brûler des yy parfums. 35 Chaque vallon , comme je l'ai déjà 5:) die , a fa maifon de plaifance , petite 3:3 eu égard à l'étendue de tout l'enclos , 33 mais en elle-même aficz confidérablc 33 pour loger le plus grand de nos feigneurs iy d'Europe avec toute fa fuite. 33 Plufîeurs de ces maifons , ou palais , 33 font bâties de bois de cèdre , qu'on 33 amené à grands frais de cinq cents lieues 33 de Pékin. Il y en a plus de deux cents , yp fans compter autant de maifons pour 33 les eunuques , qui ont la garde de 33 chaque palais ;ôc leur logement eft tou- 33 jours à coté , à quelques coifes de dif- 33 tance: logement allez fimple, ôc qui, 53 pour cette raifon, eft toujours caché, 33 quelquefois par les montagnes. 33 Les canaux ou rivières font coupés PRE LIMINA IR E. sxî^c w par àts ponts de diftance en diftance , ^•y pour rendre la communication d'un lieu 5:) à l'autre plus aifée. Ces ponts font or- ?;> dinairement de briques , de pierres de >:> taille , quelques-uns de bois , ÔC tous ):> afTcz élevés pour laiiïer pafTer libre- 5:> ment les barques. Ils ont pour gardc- 5:) foux 5 des baluftrades de marbre blanc, w travaillées avec art , &c fculptécs en ')•) bas-reliefs; du rcftc, ils font toujours w différens entr'eux pour la ce nflru6tion , ?:> t)^ vont toujours en tourner, t ôc en fcr- r pentant. On en voit qui , foit au mi- -i-) lieu 5 foit à l'extrémité , ont de petits 3> pavillons de repos , portés fur quatre , 5:> huit ou feize colonnes. Ces pavillons 5^ font pour l'ordinaire fut les ponts , 5> dont le coup-d'œil eft le plus beau. ?:) D'autres ont, aux deux bouts, des arcs a:) de triomphe de bois , ou de marbre 5^ blanc , d'une très-jolie ftructure ^ mais ?:> infiniment éloignés de toutes nos idées w Européenes. n J'ai dit plus haut , que les canaux 55 vont fe rendre & fe décharger dans des 55 lacs ou baflins , ou dans des mers. Il y 55 a en effet ua de ces lacs , qui a près XXX DISCOURS w d'une demi lieue de diamètre en tous \ w fens, ôc à qui on a donné le nom de w mer. C'fft un des plus beaux points de w perfpective de tous les alentours de cette y:> maiion de plailance. Autour de ce lac > ?> on voit fur les bords , de diftance en w diftance j de grands corps de logis, fé- » parés entr'eux par des canaux, & par w ces montagnes artificielles dont j'ai jy déjà parlé. jj Mais le lieu le plus charmant , eft 5? une ifle ou rocher d'un afpe£t très-fau- n vage, qui s'élève du milieu de cette mer, r> Sur ce rocher , eft bâti un petit palais > y> où cependant l'on compte plus de cent » chambres ou Talions. Il a quatre faces j » 6c il eft d'un beauté 6c d'une goût mer- yj veilleux. La vue en eft charmante. De là r> on voit tous les autres batimens qui font 5? fur les bords du lac ; toutes les monta- 5? gnes qui s'y terminent; tous les canaux yy qui y aboutifTent pour y porter ou pour w en recevoir leurs eaux ; tous les ponts w qui font fur l'extrémité , ou a l'embou- 5? chure des canaux ; tous les pavillons ou 55 arcs de triomphe qui ornent ces ponts ; }y tous les boiquets qui fcparent ou cou- PRELIMINAIRE, xxxj -^-vrcnt tous les palais , pour empêcher 1? que ceux qui font d'un même côté , ne x> puifîent avoir vue les uns fur les autres. ^:> Les bords de ce lac délicieux font w variés à l'infîiii : aucun endroit ne ref- 5:) femble à l'autre : ici font des quais de >^ pierres de taille, où aboutilTent des 3:> paieries , des allées & des chemins : là, ij font Hes quais de roc&ille , coivftruits en ):> amphithéâtre avec tout l'arc imaginable: 31? ou bien ce font de belles terraffcs , & w -de chaque coté un degré pour monter yy aux bâtimens qu'elles fupportent ; Se w au-delà de ces terraffes, il s'en élevé 3^ d'autres, avec d'autres corps de logis j:? en amphithéâtre. Ailleurs , c'eft un bois y^ d'arbres à fleurs qui fe préfente à vous: 3:) un peu plus loin vous trouvez un bocage w d'arbres fauvages , ÔC qui ne croiiîent >y que fur les montagnes les plus déferres, V II y a auiîi des bois compofés d'arbres » de haute-futaie & de bâtifle , des arbres î) étrangers , des arbres à fleurs , des arbres î) à fruits. 3? On trouve auflî , fur les bords de ce 33 même lac, quantité de cages Se de pa- 3.3 vlllons 5 moitié dans l'eau > ÔC moitié xxîcîj DISCOURS >:> fur terre , pour toutes fortes d'oifeaul yy aquatiques ; comme fur terre on rcn- ?> contre de tems en tcms de petites mé- >^ nagerics , Ôc de petits parcs pour la ?:> chafle. On eftime fur-tout une cfpece 3^ de poifTons dorés, dont en cfïet la plus yy grande partie eft d'une couleur aufli )^ brillante que l'or , quoiqu'il s'en trouve ):> un aiïcz 2:rand nombre d'arî^entés , de yy bleus , de rouges , de verds , de violets , yy de noirs , de gris-de lin , & de toutes ces yy couleurs mêlées enfemblc. Il y en a plu- yy fleurs réfervoirs dans tous les jardins ; » mais le plus conGdérable efl celui-ci : iy c'eft un grand efpace entouré d'un trcil- yy lis fort fin de fil de cuivre , pour empe- sa cher les poilTons de fe répandre dans >^ tout le lac. ?:> Je voudrois pouvoir vous tranfporter? 3^ dans ce féjour enchanté , lorfque le lac 3:> eft couvert de barques dorées ôC ver- >3 nies, tantôt pour la promenade, tantôt J> pour la pêche, quelquefois pour le com- 5:) bat , la joute 6c autres jeux ; mais fur- » tout dans une belle nuit y lorfqu'on y 5^ tire des feux d'artifice, & qu'on illu- y> mine tous les palais ^ toutes les barques, iy^ PRELIMINAIRE, xxxiij 5> & prefque tous les arbres (i); car en w illuminations & en feux d'artifice , les 5:) Chinois nous laifTent bien loin derrière yy eux. 55 L'endroit où loge ordinairement )> l'empereur , 6c oii logent auiïî toutes ij Tes femmes , l'impératrice, les Koucy- V Fey , les Fcy ^ les Pins^ les Koucigin y yy les Tchangtjai[z) , les femmes de cham- y» bres , les eunuques , efl un aiïemblage w prodigieux de bâtimens, de cours, de J5 jardins , 6cc. en un mot , c'efl: une ville 3:) (3) ; les autres palais ne font guère que ):> pour la promenade ^ pour le dîner ^ yy pour le fouper. 3) On a voulu que les bâtimens , ou pa- » lais qui ornent l'enclos , n'euflent (i) Les fîtes da mariage de M. le Dauphin nous nous ont donné, l'année dernière , une idée de ces efFets magiques. ( 2 ) Ce font les titres des femmes , plus ou moins grands, félon qu'elles font plus ou moins en faveur. Lé nom de l'impératrice eft Hoanghéou ; celui de l'impefa- <-trice mère , Tay-Heou. (3) Je fupprime ici tous les détails relatifs à ce palais l & à la petit® ville renfermée dans l'enclos. xxxiv DISCOURS 3:)entr'eux aucune reflemblancc , 6c que, )) dans toutes les parties des jardins , 3> régnaflcnt la variété , l'irrégularité , 5) l'anti - fymmétric. Tout roule fur ce w principe : ccjl une campagne ruftique yy & naturelle quon veut repref enter , une ")-> jolitude 5 & non pas des palais bien or don- jy nés dans toutes les règles de la fymmêtrie. ?? On diroit en ciFec que chacun de ces 5) bâtimens cft fait fur les idées 6c le mo- 3:>dele de quelques pays étrangers. D'après 5) une fimple defcription , on s'imagine s:) que tout cela ell ridicule , & doit faire •>•) un coup-d'œil défagréable ; mais quand 5> on y cft , on admire l'art avec lequel ')•> cette irrégularité a été conduite, &. le y-) goût qui a préfidé à la diftribution de j:) ces ornemens. -ij L^admirable variété qui règne dans w CCS maifons de plaifancc , ne fe trouve 5> pas feulement dans la pofition , la vue , w l'arrangement , la diftribution , la gran- ?:> deur, l'élévation , le nombre des corps y-) de 1o2;îs , en un mot dans l'enfemble, yy mais encore dans les parries différentes w de ce tout. Je n'ai vu qu'ici des portes, 5^ des fenêtres de toute façon 6c de toute PRELIMINAIRE, xxxv >^ figure , de rondes , d ovales , de quarréeS| w ôc de tous les polygones, en forme d'é- w ventail, de Heurs , de vafes ^ d'oifeaux, « d'animaux , de poiiîons ; enfin, de toutes w les formes régulières &. irregulieres. >:> Je crois que ce n'eft qu'ici qu'on peut >:> voir des galeries telles que je vais vous 5:) les dépeindre ; elles fervent à joindre yy des corps de logis aflez éloignés les uns ^) des autres. Quelquefois , du cozé inté- )^ rieur , elles lont en pilaftres , ôc au dc- w hors elles font percées de fenêtres dif- 5:) fé rente s cnir'clles pour la figure; qucl- >:> quefois elles lont toutes en pilaftres , 35 comme celles qui vont d'un palais "à ?:) un de ces pavillons ouverts de toutes w parts , qui iont deilinés à prendre le i-) frais. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft ?:) que ces n^aleriesne vont suere en droite 3^ ligne; elles font cent détours , tantôt 33 derrière un bofquet , tantôt derrière un 33 rocher , quelquefois autour d'un petit 33 lac , ou d'une rivière. Rien n'cft fi. 33 agréable. Il y a dans tout cela un air 33 champêtre qui enchante &: qui enlevé. 33 Tous ces petits palais, dont j'ai parlé , 33 font quelquefois d'une grande magnifi- xxxvj DISCOURS yy cence. J'en ai vu bâtir un l'année dcr- jy niero dans cette même enceinte , qui yy coûta à un prince, coufin germain de ^:) Tcitipereur , foixante ouanes ( i ), fans 3^ parier des ornemens, & des ameublc- yy mens intérieurs, qui n'écoicnt pas fur yy Ton compte. On peut juger , par cet w échantillon , des fommcs immcnlcs w qu'ont dû coûter la totalité des jardins. 3:> 11 n'y a en effet qu'un prince, maître 5:) d'un état aufii vallc & aulli fîoriffînc )^ que celui de la Chine, qui puifîe faire yy une fcmblable dépcnfe , 6c venir à bout yy en H peu de tems d'une fi prodigieufc yy entreprife ; car ces jardins , avec tous yy leurs palais , font l'ouvrage de vingt w ans : le père de l'empereur régnant les 5:) commença , 5c celui - ci ( i ) n'a faic w que l'augmenter dc Pembellir. 5> Au refte , l'enfemble de cette éton- (i) Une note nous apprend que la ouane vaut dix mille taëls, Si que le tacl vaut y liv. lo fols : ainfi 6o ouanes valent quatre millions cinq cents mille liv. (n) Kicn-lon^j; , fils de Tong-tching , lequel avoit fuc- cèdé au fameux empereur Kanghi, qui aima tant les Eu- rope!; ns. PRELIMINAIRE. xxxvij 3? nantc maifon de plaifancc s'appelle ^y yven-ming-yven , c'cft à-dire , le jardin ^y des jardins. Ce n'eft pas la feule qu'aie M l'empereur : il en a trois dans le même wgoût, mais plus petites &: moins belles. >5 Dans l'un de ces trois palais , qui eft 55 celui que bâtit Ion aïeul Kang-hi , loge >:> l'impératrice reine avec toute fa cour : w il s'appelle tchamg-tchun-yvcn , c'cft-à- ^•) dire , Le jardin de r éternel primems. Ceux )? àçis princes , &: des mandarins de tous 3? les ordres , font , en raccurci , ce que 33 ceux de l'empereur font en grand 33. Telle eft la fmguliere defcription du Frerc Attiret. Malgré tout le merveilleux qu'elle préfente , je crois qu'il y aura très- peu de gens qui ne jugent que ces jardins font trop magnifiques, & trop remplis de palais , pour que l'imagination s'y peigne une folitude. Tant de richefles étonnent plus qu'elles ne plaifent, 5c ex- cluent toute idée d'un féjour de paix 5c de bonheur. Les anciens AJfyriens fe plaifoicnt à cultiver un terrein fpacieux , couvert d'arbres de toute efpece , &. fur - tout d'arbres fruitiers. On y trouvoit des allécs> c iij xxxviij DISCOURS des fontaines > des ruiflcaux , des plantes & des fleurs de toute cfpece. Ce terrein , enclos d'un mur ou d'une forte paliiïadc , s'appellolt chez les Perfes, un paradis (i). C'ëtoit fouvent encore une efpece de parc, rempli de bêtes fauves de toute forte pour le plaifir de la chafle. Semiramis (i) femblc avoirété la première qui ait donné à ces parcs ôc à ces jardins une très- grande étendue; elle en avoit dans toute les provinces de fon empire. Xenophon ( 3 ) nous donne une grande idée de la maifon de campagne de Pliar- nabaze à Dajcyle. On voyoit dans ce vafte (i) Les Grecs en empruntèrent le nom Ua^kaîta-oç. M. le chevalier de Jaucoiirt a remarqué qu'Athénée doane ce nom à une contrée de la Sicile auprès de Pa- lerme , parce que c'étoiîun pays agréable , fertile & bien cultivé. (2)VoyezDiodore de Sicile, aux règnes des Aflyriens. x.a!jicui -srifi uZtoi TroXXut x.ui ftiyu.'Xai , kcli aÇS-ovct e'j^atreu rat S7r<^^)<^£W« x«< .%()<«<, m fctnv TTîpuiÇ'yeis-fitvots Tra^ecouavis , al çi x.%1 àyu.TTivrlce.fii'iioiç tcttois 7FW/Kûi.Xoitj Trepàppe? Je Koit 7r<}- joii ûfviB-iZ(7xci i^uyxfiîyot;, Xcnoph. hift. grCC. l. IV. PRELIMINAIRE, xxxix enclos 5 des batimens très-beaux & très- nombreux , un fleuve très-poilTonneux , de niagniiiques parcs, où 1 on pouvoics'a- mufer à toutes fortes de chaffcs. Strabon(i)décrivant le pays àQ Jéricho^ dit qu'il eft environné de montagnes qui préfentent de tous côtés un bel amphi- théâtre ; qu'il eft planté de palmiers 6c de toutes fortes d'arbres fruitiers ; que le terroir y effc très - fertile 5c très - varié, arrofé par divers ruifTeaux l'efpace décent ftades 5 & que c'cft là qu'étoit le palais du roi , & le paradis ou les jardins qui produifoient le baume. Je ne dis rien des vergers d'Alcinoiis , chantés par Homère : ils ne peuvent être mis au rang des jardins dont je parle. Quoique les P^omains n'eufîent pas to- talement banni la régularité de leurs mai- fons de campagne , ils fe rapprochoienc (il llftKXÇ èiçTl TTiOtOV X.VKXûI '^ipti^OfiDIOV OOltvîi Tt'H^ KCA TTit xen B-iuB-ooiiààis Téfioç ùurè KîK?^i/xîvi ivrctu^tt a-çltv o ÇotutKWv ci To) (potuy-t , iTTt y.^Kos fiecàiaiv eicciTûv , otcc^'jTOS UjTTctç xi7»fctii -n^khiio,. Strab. lib. XYI. G ÎV xî DISCOURS beaucoup plus que nous de la nature : leurs jardins avoient prcfquc la même étendue, èc renfermoienr une grande partie des objets qui compolent ceux des Anglois. Hortorum nomme ^ dit Pline l'ancien (i) , in Lpfâ urbe delicias ^ ^g^os^ villafque pof- Jident : c'eft-à-dire, qu'on y voyoit des champs , des lacs , des vergers , de char- mantes perfpcdtives , &: de iuperbes mai- fonsde plaifancc. Voyez aufTi Plutarque , vie de Lucullus. Pline le jeune, dans une de fes lettres (2) à Apollinaire, fait la defcrip- tion d'une de fes mailons de campagne , fituëe en Tofcane. C'efl peut-être la plus détaillée qui nous refle de l'antiquité', 6c ceux qui lont curieux de çonnoître le goût des Romains en cegenre^ peuvent y avoir recours. Milton ^ dans fa charmante defcription du paradis terreflrc (3) , en ne conful- tant que la nature , a raiîcmblé prefque tous les genres de beauté que nous offrent les jardins d'Angleterre. Cet homme , ( I ) Liv. 29 , çhap. 4. (2) Liv. 5 , lett, 6. (3) Chant IV, PRÉLIMINAIRE, xlj dont les idées étoienc (î fubîimes , & l'ima- gination (i féconde , avoir deviné Part plus d'un demi fiecle avanr que Kcnr ne Teûr mis en pratique. Il fembleroit que fcs compatriotes n'auroicnt fait qu'exé- cuter d'après le beau modèle qu'il leur a laifTé 5 fî le grand nombre de bâtimens dont ils ont décoré leurs jardins , ne prou- voit clairement qu'ils n'ont imité que les Chinois. Ces bâtimens , trop multipliés à mon gré , décèlent l'art qu'ils veulent cacher , & gâtent la belle nature. Milton l'a préfentée dans toute fa fimplicité. Je ne doute pas que le plus grand nombre des lecteurs ne retrouve ici avec plaifîr cette defcription toute entière (i). 5:) ( 2 ) Le jardin d'Eden * étoit placé (i) Je me fers de la traduftion de M. Racine , comme de la plus fidelle ; mais je me fuis permis d'y faire beau- coup de changemens , d'après le texte. * Ce mot Hébreu fignifie un lieu planté d'arbres , & fi'.r-tout d'arbres fruitiers. J'ai déjà dit c^q paradis figni- fioit la même chofe. (2) Voici cet énergique morceau en original , pour ceux qui entendent l'anglois. «s Eden y v.'here délie ious paradife H.-' ' -» crowns wit/i^ her inclofure green 3 xlij DISCOURS ?> au milieu d'une plaine dëlicieufe, cou^ yy verte de verdure , qui s'écendoic fur le as witli a rural mound , the champain head of a fleep wilderness ; whofe hairy fides with thicket overgrown , grotefque andwild ^ access deny'd : and over head up-grew infuperable hei^ht of loftieft fhade , ctdar andp'me , and fir , and branchingpalm ; a fylvan fcene ! and as the rangs ascend piade above fiade , a vjoody théâtre of flateliefl view. Yet higherthan their tops the verdurous wall ofparadife up fprunv : wich to our général Sire gave profpeB large Info his nçather empire , neighbowing rounds And higher than that wall a circling row, ofgoodliejl trees, loaden with fairefl fruit y JBlofsomsand fruitkat once of golden hue ' appear'd ^with gay ena-mel'd colors mix'd • in this pleafant foil his far more pleafant Garden God ordain'd eut of the fertile grounrd he caus'd to grow ail trees of noble fl kind ,forfzght , fniell , tajle ar.d ail amidjl themflood the Tree oflife high eminent , bloaming , ambrofial jrnit ofvegetable gold ; and next to life , our Death , the Tree of Knowledge , grew f^Jlby ; Knowdledge ofgoed bought dear by Knowing ill l Southward through Edèn went à river large , PRÉLIMINAIRE. xlij 5> fommet d'une haute montagne , 5c for- iy moit , en la couronnant , un rempart nor changd his courfe , hut throii^h the shaggy hill pafs'd underneath ingulf ' d ; for God had thrown that mountain , as his garden mound, kigk raifed iipOH the rapid entrent , which through veins of porous earth witk kindly thirst iip drawn , rofe a fresh fountain , and with many a rill fVaterd the garden ; thence iinited fell down the fleep glade , and met the neather flood , Wich from his darkfome pa(fîge now appears : and now divid'd into four main (Ireams , Tuns diverfe , wand'ring many à famous realm. And country y Whereof hère needs no account. But rather to tell how ( if art coiild tell hovv ) from that faphire fount the crifped brooks rovvling an oriental pearl , and fands of gold with many error under pendent shades ran neâary vifiting each plant , and fed flovvers vvorthy of paradife , vvich not nice art in beds and curions knots , but nature boon pour'dforth profufe on hill , and dale , and plain , hoth vvhere the morning fun firjl vvarmly fmote the open field^ and vvhere the un-pierc^d shade imbrovvnd the noon-tide bovvers. Thus vvas thîs place a happy rural feat , of varions vievv ! Graves, vvhofe richtrees vvept odorous gums , and balm ; çihçrs vvhofe fruit , burnish'd vvith golden rind. xliv DISCOURS jy inacccfîible. Tous les côtés de la mon- V ragnc , cfcarpés èc défères , étoient hé- V riirés de huilions épais & fauvages qui 5^ en défendoicnt l'abord. Au milieu de ces V buiiïons s'ëlevoient majeftueufement y w à une prodigieufe hauteur _, des cèdres , y) des pins, des fapins, des palmiers , qui hung amiable ; Hesperian fable true, iftrue , hère only , and of ddicious tajle ! Betvvixt them lavvns -, or level-dovvns y and flocks gran^ing th; tender herb , were interpos'd; Or palmy hillock , or the flovvry lap ,\ offome irriguons valley , fpread her flore; fiow'rs of ail hew , and without thorn , the rofe : another , umbrageous grots , and caves of cool recefs , o'er vvhich the mantling vîne lays forth her purple grapes , and gcntly creeps luxuriant, Mean whilc murm'ring vvater-fall dovvn the slope hills , difpersd ^ or in a lake th.it to the fring'd bank^ vvith myrtle crovvndy her cryfldl , mirrour holds , unité their flreams. the birds theïr choir apply : airs, vernal airs y breathing the smell of field and grave y attune the trembling leafs , vvhile univerfal Pan knit vvith the Grâces , and the Hours in dance , t(d on tli etenial ffif^g^ > i i ■■ . .« Book IV. PRÉLIMINAIRE, xlv ^> étendoient leurs branches , &; en s'em- w brafTant , cfFroicnt la décoration d'une 5:) fccne champêtre; en élevant par degrés 55 cimes fur cimes , ombrages fur ombra- 55ges, ils formoient un amphithéâtre, donc 55 les yeux écoicnc enchantés. Les arbres 55 les plus élevés porroient leurs têtes 55 jufqu'à la verte palifîade, qui, comme 55 un mur , environnoit le paradis. Du 55 centre de ce beau féjour qui dominoic 55 tout le reffce , notre premier pcie pou- 55 voit librement promener ia vue fur fon 55 empire j ôc en coniidérer les contrées ^y voiiînes. Au-defTus de la palifîade , ôc 55 dans l'enceinte du paradis , regnoient 55 tout à l'entour des arbres Tuperbcs , 55 chargés des plus beaux fruits , &: de fleurs n émaillécs des plus brillantes couleurs. 55 Au milieu de ce charmant payfage, 55 un jardin encore plus délicieux avoic 55 eu Dieu lui - même pour ordonnateur, 55 II avoit fait fortir de ce fertile fein , 55 tous les arbres les plus propres à char- 55 mer les yeux ôc à flatter l'odorat ôc le 55 goût. Au milieu d'eux s'éîevoit l'arbre 95 de vie , d'où découloit l'ambroiiïe d'un 55 or liquide. Non loin étoit l'arbre de x\v] D ISCOURS 3) la fcience du bien ôc du mal , qui nous >:) coûce ficher : arbre fatal, doncle germé w a produ t li mo; t. 55 Dans L s jardins, couloit versle midi )y une large rivière, dont le cours ne chan- yy geoit point , mais qui difparoiflbit fous yy la m jntagnc du paradis , dont la mafïe 5> le cojvroit entièrement : le Seieneut >:> ayant p;>le cette montagne qui lervoit iy de fondement à Ton jardin , fur cette yy onde rapide , qui , doucement attirée w par la terre altérée ôc poreufe , montoit 55 dans Tes veines jufqu'au fommet, d'où yy elle fortoiten claire fontaine, &c fe par- w tageoic en plufieurs ruilTeaux qui , après yy avoir arrofé tout le jardin , le réunif- 5^ foient pour fe précipiter du haut de yy cette rhontagne efcarpée , & après avoir w formé une fuperbe cafcade , fe divifoient w en quatre principales rivières, 6c tra- 3^ verfoient différens en^pires. 3:) Que n'eit-il polîîble à l'art de décrire 5> cette fontaine de f^phir , dont les rulf- 35 féaux argentins 6c tortueux , roulant 35 fur des p; ries orientales fie (ur des f blés 35 d'or, f n-moient des labvrlnîhes -nfinis yy fous les ombrages qui les couvroient en PRÉLIMINAIRE. xUij 5) vcrfantle neélar fur toutes les plantes> 3^ & nourriflant des fleurs dignes du para- Jj) dis. Elles n'étoient point rangées en ^y compartimens iymmetnques , ni en ?:> bouquets façonnés par l'art. La nature 5? bienfaifante avoit prodigué des beautés 5? fans nombre fur les collines ôc dans les 5> vallons. Ses richeifes écoient répandues )> avec profufîon fur les plaines décou- 5:> vertes qu'échaufFent doucement les 5? rayons du foleil , &; dans ces berceaux , ?> où des ombrages épais confervent pen- ^y dant Pardeur du jour une agréable fraî- yy cheur. yy Cette heureufe êc champêtre habita- 55 tion charmoit les yeux par fa variété : yy la nature , encore dans fon enfance , 6c 35 méprifant l'art & les règles, y déployoic 35 toutes fes grâces & toute fa liberté. On 33 y voyoit des champs 6c des tapis verds 33 admirablement nuancés &: environnés 33 de riches bocages remplis d'arbres de 33 la plus grande beauté; des unscouloienc 33 les baumes précieux , la myrrhe Ôc les 33 gommes odoriférantes ; aux autres , 35 étoient fufpendus des fruits brillans 6c 53 dorés ^ qui charmoient l'œil 5c le goût. xlviij DISCOURS >:> Tout ce que la fable attribue de mcf- w veilleux aux vergers des Hefpérides , w s'olFroit réellement dans l'admirable i) jardin d'Eden. Entre ces arbres paroif- w foient des tapis de verdure : fur les y> pcnchans des vallons ôc des petites w collines, on voyoit des troupeaux qui w paiiïbient Pherbe tendre. Ici les pal- w miers couvroient de jolis moncicules : w là ferpentoient les ruiiïcaux dans le yy fein d'un vallon couvert de fleurs , qui w préfentoit fes richcfîes de toutes cou- w leurs, parmi lefquelles brilloit la rofe ):> fans épines. D'un autre côté paroif- 5:) foient des grottes impénétrables aux 5> rayons du foleil , 6c des cavernes où w régnoit une fraîcheur délicieufe. Elles yy étoient couvertes de vignes qui,étendant yy de tous côtés leurs branches flexibles > yy ofFroient en abondance des grappes de w pourpre. Les ruifl^eaux, coulant avec un 5:) doux murmure , formoient d'agréables yy cafcadcsle long des collines, ôc fe dif- w perfoient enfuite , ou fe réuniflToient yy dans un beau lac , qui préfentoit fon yy miroir de cryftal à fes rivages couverts yy de fleurs êc couronnés dç myrrhes. Les oifeaux PRÉLIMINAIRE, xlk >? oifeaux fornioientun chœur mélodieux, ):> 6c les zcphirs portant avec eux les ?^ odeurs fuaves des vallons ôc des boca- 3^ ges , murmuroicnt encre les feuilles lé- ?:> gérement agitées , tandis que Pan (i) , yy danfant avec les Grâces 6c \qs Heures , >? menoit à fa fuite un printems éternel ?:>. Si cette defcription nous plaît, fi un tel féjour nous paroîc délicieux , une plus longue apologie des jardins Aoglois fcroit fuperflue. Que le Nôtre , dira-t-on , deffine des parterres , mais que Milton compofe des jardins. Il cfl: tems de parler de cet ouvrage. Sir Thomas JVhately ^ ancien fecretairc de la tréforerie , fous le miniftere du fa- meux George Grcnville , &: membre a£tuel du parlement , eft le premier qui ait publié à Londres l'année dernière f fous le titre modefte àJobfcrvations , le feul ouvrage connu fur la compoficion des jardins Anglois. C'eft celui qui a été annoncé avec éloge dans le journal ency- clopédique du mois de feptembre dernier, ôc dont j'ofFre la traduction au public. Quoique l'auteur l'ait deftiné particulier ( I ) C'cft ici la nature , ou le Dieu univerfel. 1 DISCOURS rcmcnt aux amateurs ôc aux componceurs des jardins , les gens de goik ^ les arriftes , & fur tout les peintres , y trouveront avec plailir un grand nombre d'obfervations fines Ôc fingulicres (ur plufieurs effets de pcrfpc^tive , 5c fur les arts en général ; les philofophes , des réflexions juftcs , Se cjuelquefois profonJcs , fur les afFedlions de notre ame , lorfqu'elle cft frappée de cer;:ains objets; les poètes , des defcrip- tions vives, quoiqu'exactes, des plus beaux jardins d'Angleterre dans tous les genres, qui décèlent dans l'auteur un œil infini- ment exercé , une o-rande connoifTancc des beaux arts , une belle imagination , 6c un elprit accoutumé à penfer. Enfin on peut aiFurcr , ce mç: fembie, que c'efl: un ouvrage neuf. Auilia-t-il eu le fuccès le plus complet en Angleterre Je ne diiîimuîerai pas cependant , que quelques gens fcnfés ( même parmi les Angîois) reprochent à l'auteur de s'être un peu trop jette dans des rc flexions , ôc des diftinéllonsfubtiles & méraphyfiques, ce qui rend quelquefois fon ftyle obfcur & cmbarralFé ; de n'avoir trop fouvent préfenté que des idées ôc des règles gêné- PRELIMINAIRE. \] taies , qu'il eue fallu du moins éclaircir par des exemples 6c des gravures ; eniin, d'avoir outré le nouveau lyltême, en ban- niflànc lafymmétrieavec trop de rigueur* Sans prétendre juftiiicr entiéremene l'auteur fur tous ces points ( eh î où eft l'ouvrage fans im.pcrfedlion ? ) j'obfer- verai d'abord> relativement à la première objection , que les Angiois font en géné- ral plus raiionneurs que nous, 5c facri^ fient fouvent les grâces à la profondeur* D'ailleurs 5 la tournure de leurs expref-= fions eft entièrement conforme à leur manière finguliere de voir ôc de fentir : ainfi leurs ouvrag-es , pour être bien en- tendus , exigent neceilanement beaucoup d'attention , 6c ordinairement plus d'une le^turCo Quant aux autres objections , j^ai pris la liberté de les faire moi - même à iVL Whatcly ,qui a eu la bonté d'y répondre j ainfi qu'à quelques autres qucflions rela- tives à Ion ouvrage , dans la lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire de Londres le mois de décembre dernier. J'efpere qu'il ne trouvera pas mauvais que je k dij Hj DISCOURS jaiflc fe défendre lui-même, en publiant ici la traduction (\cs articles de la lettre les plus intérefTans. «Vous auriez dcfirë, Monficur, que 5^ mon ouvrage eût été moins concis, èc yy c]uc pour le rendre plus intelligible, j'y yy eufTe joint des gravures. ... A vous ^y dire vrai , je ne m'attendois pas que ce yy foible e{iai dût jamais exciter la curio- jy fité des étrangers. D'ailleurs , vous yy favcz qu'il n'cft guère poilible que mes yy obicrvations ôC mes defcriptions foicnt 5:) parfaitement entendues de ceux qui ne yy (ont jamais venus en Angleterre. Mes yy compatriotes font fi familiarifés avec yy le nouvel art des jardins , Se toutes les ;>:) maifons de campagne , dont j'ai donné yy la defcription , font fi généralement 3^ connues, que je n'ai pas craint de me yy livrer à mon goût pour la précifion. ?:> Des îrravures feroient donc plus 55 utiif s aux étrangers qua nous autres yy Anglois. Je defirerois cependant de w tout mon cœur pouvoir vous Hitisfaire 5) fur cet article : mais je vous avoue que 5) je fuis très-difficile fur toutes les imita- x> tiens de la nature ^ 6c que j'aime mieux PRELIMINAIRE, liij )> qu'il n'y en ait point du tout que fi 5? elles étoienc médiocres. Les plus belles 5? perfpecliv^es naturelles font prefque ?:> toujours très-peu intércfTantes dans un » tableau. D'ailleurs , nos jardins préfen- 3:) tent des fcenes ii nombreules & (i va- 33 riées , qu'on ne fauroit s'en procurer 3> des gravures , même médiocres , fans 33 beaucoup de foin &: de dépenfe. Nous 33 en avons de fupportablcs pour l'txécu- : 33 tion ; mais outre qu'on a manqué de 33 goût dans le choix des pcrfpedîives , 33 le local a tellement changé , qu'elles 33 ne le repréientent plus que très-impar- 33 faitement: à peine celles de Stove ont- 33 elles confervé une foible reiTemblance j) avec la réalité. 33 J'ai palTé fous fdence quantité de nos 33 jardins célèbres par leur beauté &: leur 33 fmgularité : mais j'ai fait choix pour 33 mes defcriptions , de ceux qui , dans 33 chaque genre , m'étoient plus parfaite- 33 ment connus^ 6c m'ont paru convenir 3>le mieux à mon fujet. 33 J'avoue de bonne foi que je fuis l'en- 3^ nemi de la fymmécrie , ôc que perfoone d iij \W DISCOURS y? n'admire plus fincérement le nouveau V goûc qui règne dans les jardins d'An- V gleterre : mais la régularité, me direz- y) vous 5 eft une des fources de la beauté. 5:) Oui , lorfque l'utilité s'y trouvée jointe. y) Il ne fuffit pas même qu'elle Toit utile ; w elle doit être néceflaire , pour être fup- )) portable lorfqu'clle eft fubftituée à la 5; liberté , &; à la variété de la nature. yy Je crois m'être afTez expliqué fur ce >y point dans la fection de /'^/y. Vous y ?:) avez vu que j'admets la régularité dans y> certaines circonftances , au nombre yy defqucllcs on peut ajouter un jardin yy public -i quoique je n'en aie fait aucune yy mention , parce qu'il n'entroit pas dans yy mon plan. Les jardins de cette efpece ?:> forment une clafTe à part, 6c doivent yy être compofés fur d'autres règles que yy les jardins des particuliers. On man- :>:> qu croit le but 5 11 l'on n'y planroit des 3:) allées très-larc^es 6c en li^ne droite. Je yy crois , Alondeur , que ces obfcr varions 5:> générales font. une réponfe fuflifantc à 5:) votre queftion furies Thuilleries. C'efl yy. encore d'après les mêmes principes que "iy j'ai iniiHé , dans la fcction des faijbns j^ PRELIMINAIRE. Iv )5 fur la nécefiicé d'une allée droite ôC w couverte de gravier pour les exercices 5> d'hiver. J'ai dit que la fymmétric dcvoic 9^ régner dans l'aichiteclure, parce qu'elle 9-) y eil d'une nécelllté abroîue , ôc que 55 c'cfl: de là que dépendent la folidité 5) & la commodité des édifices. 55 Comment la Tymmétrie feroir - elle 55 une fource de beauté dans nos jardins , 55 puifqu'elle nous choque même dans les 55 objets auxquels elle fcmble convenir 55 d'une manière plus particulière ? Les 55 deux côtés du corps humain font fem- 55 blables : cependant , pour que les arti- 55 tudes foient agréables, il faut que les 55 membres foient contrailés. J^.'îc permet- 55 trez-vous cette comparaifon ? Les an- 55 ciens jardins font, aux nouveaux , ce 55 qu'efl une momie d'Egypte auprès d'une 55 belle ftatue antique. )y Vous feriez bien aife , Monfieur , de 55 fa voir ce que je penfe fur la poffibiliîé 55 d'établir en France 5 des jardins dans i-) le goût des nôtres. Comme je n'y ai 55 jamais voyagé , je ne puis répondre à 55 cette queilion d'une manière pré ife. 55 Je ne faurois pourtant concevoir que d iv ivj D I s COURà ^y la France difFere fi prodigieufcmenç 5^ de rAnglctcrre , que l'on ne puifTe y }y créer des jardins dans le même goût (i). 5^ J'avoue que l'humidité conftante de w notre climat nous procure cette belle w verdure à laquelle vous devez généra- w lemcnt renoncer. Mais ce qui doit vous w confoler, c'efl: que quelques-uns même jy de nos plus beaux jardins ne jouiflent yy que très - foiblement de cet avantage , w parce que la qualité du terrein s'y op- w pafe (2). Ne pourriez vous pas profiter yy en France , de ces fituations où un con- w cours de circonftances hcureufes balan- yy ceroit les défavantages du climat , (i) Toute ma difficulté rouloit fiir les tapis-verds : car du refte , la France etl admirable pour les }ai'dins dans le genre de la belle nature. Elle eft par-tout arrofée de fuperbes rivières bordées de coteaux très-variés; de hautes montagnes la traverfent , & les perfpeftives lesi plus vaftes & les plus agréables s'offrent de toutes parts. (2) Le chevalier Temple a fait la même remarque; il ajoute qu'on ne trouve nulle part du fable aufli beau pour les allées , que celui d'Angleterre : Je ne fais f; c'çft bien çxaft. PRELIMINAIRE. Ivij w par rapport aux nuances du vcrd ? Ne w vous feroit-il pas poflîble ( fi vous vous w livriez un peu féricufement à ce genre w de recherches } de découvrir qucl- w ques efpeces de gazon qui confervc- yy roient plus long-tems leur verdure que >:> ceux dont vous faites ufagc ? Il ne feroit ?:> pas nécefTaire que vous priffiez à tâche 5^ de conferver toujours vos tapis-verds 55 dans l'état de pcrfe£^ion. Cela nous w feroit impoffiblc à nous mêmes , depuis yy que nous avons Çi prodigieufemcnc yy étendu nos jardins : & nous fommes bien yy moins fcrupuleux qu'autrefois fur cet 5:) article. N©us enfemençons maintenant 5> quantité de pièces de terrein que nous yy avions accoutumé de couvrir de gazon. 3? Quant aux tapis verds d'une étendue 3? moins confidérable, je ne puis imaginer 35 que ce foit une chofe bien difficile en 33 France , d'y entretenir une belle ver- 33 dure fi la terre eft bien humc6î:ée. Il efl yy vrai que fi on ne l'arrofoit que légére- yy ment , à diverfes reprifes, 6c à toutes les 35. heures du jour indifféremment , le ga- 33 zon périroit bientôt^ brûlé par le foleil : yy mais fi ai; contraire les arrofemens Iviij DISCOURS 3? font toujours abondans ( effet qu*on yj peut Te procurer par des machines ) , n &c qu'on ait attention de n'en faire 3> ufagc que le foir , afin que le terrein foie wpar aitenicnt imbibé avant le lever du n foleii , je fuis perfuadé que vous auriez 55clestapis-verds de la plus grande beauté, » & même très-étendus, fans une dépenfe r) exorbitante 53. Je finirai ce difcours par une réflexion {vLï ma traduclion. Quelques perfonnes de goût , à qui je l'ai communiquée en manufcrit, auroient defiré que j'eulTe donné plus d'étendue à quelques endroits qui leur ont paru: obf- «urs , que jeuffe fupprimé certains détails qu'ils jugent inutiles,& que je me fuffè atta- ché à donner à mes phrafes une certaine liaifon que les Anglois négligent aïïez dans leur ftylc. J'ai cru que je ferois mieux de traduire l'ouvrage tel qu'il efl: , fans me permettre que très-rarement de le para- phrafer ou de l'abréger. C'efi: une liberté que la plupart de nos tradu6bcurs pren- nent, ce me femble, un peu trop fré- quemment ; 6c pour habiller toutes les p-roduélions étrangères à la manière Fran- PRELIMINAIRE, Ik çoife , ils facriiient trop fouvent la fidé- lité à l'elégancc. J'ai leulemenc indiqué dans mes notes quelques païïagesen très- petit nombre, qui m'ont paru peu intelli- gibles : peut-être même eft-cc ma faute, £c des gens plus habiles que moi y dé- couvriront-ils un fens qui m'eft échappé. J'ai ajouté, à la fin du texte de l'auteur, une delcription des fameux jardins de Stowe ^ d'après mes propres obfervations, & j'y ai joint le plan du terrein. Je fais que, pour compofcr de bonnes defcrip- tions 5 il faut joindre à beaucoup de goût une connoiflance profonde des beaux arts ; auffi me ferois - je bien donné de garde de publier la mienne, fi nous en avions eu de meilleures : mais telle qu'elle efl , c'eft la première defcription détaillée qui ait paru en France , d'un jardin Anglois : genre intérefl^nt, dont les voyageurs ne nous ont encore préfenté que des idées très-générales. Ix TABLE DES CHAPITRES, INTRODUCTION. I. Uu fujet & des matériaux de Vart de former des jardins. page i DU TERREIN. II. Du terrein de niveau. Defcripdon de la plaine de Moorpark. 4 III. Du terrein convexe & du terrein concave. 8 ly. Du rapport qu'ont entr elles les parties d'un terrein. i o V. Du rapport des parties avec le tout. 1 4 VI. Du caractère d'un terrein, 17 VII. De la variété. 20 VIII. Des lignes tracées par les différentes parties d'un terrein. 22 IX. Du contrajle. 24 X. Des effets extraordinaires. Defcription de la colline d'Ilam. 26 XI. Des effets d'un bois fur la forme d'un terrein. ^q TABLEDES CHAPITRES. Ix) DES BOIS. XII. Des différences caraciériftiques des arbres & des arbri (féaux, 3 3 XI II. Des variétés qui naîjjent des différences dans les arbres & les arbrijjeaux. 38 XIV. Du mélange des verdures. 41 XV". Des effets de la difpojition de verdures. 44 XVI. Des di^ér entes ejpeces de bois, j^j XVII- De la furface d'un bois dijiingué par fa grandeur. 40 XVIII. De la furface d'un bois pittorefque , & d'un lois clair. <4 XIX. De la ligne extérieure d'un bois, 5 J, XX. De la furface & de la ligne extérieure d'un bocage. 6 1. XXI. De l'intérieur d'un bocage. Defcription d'un bocage à Claremont. 63 XXII. Des formes des maffifs. 70 XXIII. Des ufag^s & des fituations des ^naffifs ifolés. 73 XXXY .Des maffifs quife rapportent l'un à Vautre.n^ XXV. Des arbres ifolés. 77 D E S E A U X. XXVI. Des effts des eaux & de leurs diff rentes efpeces. 8a XXVI I. Des di^érences entre un lac & une rivière, 8 3 îii) TABLÉ XXVIII. D'un Lac. 87 XXIX. Du cours d'une rivière^ 93 XXX. Des Ponts. 95 XXXI. Des ornemens d*une rivière» Defcription des eaux de Blenheim» 1 00 XXXII. D'une rivière qui coule au travers d'un bois. Defcription des eaux de Wotton. loS XXXm. Des Ruiffeaux. 116 XXXI V. Des Cajcades. 1 1 9 DES ROCHERS. XXXy. Des objets qui accompagnent les rochers. Defcription du vallon de Middleton. 123 XXXVi. Des rochers caraclérijés par la majejlé.. Defcripùonde Madlock-Bath. 130 XXXVII. Des rochers caraclérifés par la terreur. Defcription de la perfpecîive de New-Weir fur la Tfye. 139 XXXVIII. Des rochers caraclérifés par le mer- veilleux. Defcription de Dovedale. 146 DES BATI MENS. XXX ÎX. Des ufages des bâti mens. 1 5 f 'KL. Des Bâtimens confdérés comme objet. i ^6 XLI. Des Bâiimens relativement au caractère qu'ils expriment. 163 XLII. Des Bâti mens relativement a leurs efpeces & à leurs jituations, Defcription du temple de Panj DES CHAPITRES. hiij qui orne la maifon du midi dans U bois d'En- fieid. 1 67 XLIII. Des ruines. Defcription de l'Abbaye de Tintern, 1 7 i DE L' A R T. ' Xî IV. Des apparences de VAn aux environs de la maifon. 18* ! XLV. Des avenues. Defcription de l'avenue de Ca^ versham. 185 )iLV\.Dd la régularité conjîdérêe dans les différentes parties d'un jardin. 190 DE LA BEAUTÉ PITTORESQUE. XLV II. Des différens effets qui naijjent des mêmes objets dans unefcene réelle & dans un tableau. 1 94 DU CARACTERE. XLVlîL Du caractère emblématique, 100 XLIX. Du caractère imitatif 20X L. Du caractère oripinal. loS D'UN SUJET GÉNÉRAL. LL Des dij^érences entre une ferme ^ un jardin , un parc & une carrière. no D' U N E FERME. Ll\. D'une fermepaJlorale.Defcrip. dcLeafowes.iiG LIIL D'une ferme ancienne. 229 LIV. D'une ferme fimple. 254 LV. D'une ferme ornée. Defcription de la ferme de Woburn, 237 hdv TAB L E DES CHAPITRES. D' U N PARC. LVI. D'uu pare terminé par unfkrdin. Deferîpùon de PainshilL 244 LVII. D'un parc mêlé avec un jardin. Defcription de Hagley. 257 D' U N JARDIN. LVIII. D'un jardin qui environne un enclos. lyS LIX. D'un jardin qui occupe tout un enclos. Def- cription de Stowe. 281 D'UNE CARRIERE. LX. Des décorations d'une carrière. 302 LXI. D'un village. 307 LXII. des bâtimens conjldèrês comme ohjets dans une carrière. 309 LXIII. D'un jardin traité dans le goût d'une car- rière. Defcription de Persfield. 3 1 2 DES T E M S. LXIV. Des effets d'occafion. Defcription de V effet de foleil couchant fur le temple de la Concorde & de la Vicloire à Stowe. 325 LXV. Des différentes parties du jour, 328 LXVI. Des faifons de l'année. 333 CONCLUSION. LXVIl. De V étendue petits arbres, de ma- nière qu'ils fe donnent de l'éclat & fe cachent leurs défauts mutuellement \ de ne pas vifer à des effets dont le fuccès dépend d'une délicatelTe que le fol, l'expofition , ou une diverfe température peuvent détruire , & de s'occuper beaucoup plus des group- pes & de l'enfemble , que de chaque arbre en par- ticulier. Us Jardins modernes. 41 XIV. Dm mélange des verdures. J-(ES différentes nuances des verdures paroifTent, au premier coup-d'œil , devoir être rangées au nombre des petites variétés , & non parmi les dif- tjndions caradériftiques ; mais l'expérience ap- prendra que ces nuances, depuis les plus foibles jufqu'aux plus fortesj font très importantes; qu'elles le font plus dans, une grande étendue que dans l'étroite bordure d'un bois, & que par leur union ou leur contrafte, elles produifent des effets très- fenfibles dans de vafles & de magnifiques perfpec- tives. Un bois qui fait un point de vue , paroît en automne enrichi de couleurs, dont la beauté femble faire oublier les approches de la faifon rigoureufe qu'elles annoncent j mais lorfque les arbres com- mencent à fc faner, & que la verdure perd peu à peu de fon éclat , il ne refte plus que les teintes les plus fortes , ces couleurs qui forment les om- bres de toutes les efpeces de verd quand il eft dans fa vigueur , & auquel fuccedent maintenant un blanc plus pâle , un jaune plus éclatant , ou un brun plus obfcur. Les effets ne font pas différensj il n'y a que leur impreffion ^i eft plus foible dans un 41 L* Art de former lems que dans un autre. Mais c'eft lorfqu'elle a le plus de force , qu'il faut obferver ces effets avec le plus de foin. C'eft donc la chute des feuilles qui eft le lems convenable pour s'inftruire des efpeces> de l'ordre &: de la proportion des teintes j don: le mélange forme de il beaux points de vue , &: pour diftinguer en même tems celles qui ne peuvent figurer enfemble , &: qui font comme incompa- tibles. * La beauté particulière des nuances du rouge ne« | peut alors échapper à notre obfervation, & nous regrettons qu'elles manquent dans les mois d'été. Mais on peut y fuppléer , quoiqu'imparfaitement ^ parce que les plantes ont nnQ cqxxXqmï permanente ^ ^ une couleur accideiiLelle. Les difïérens verds- foîjt la permanente , mais toutes les autres cou- leurs font accidentelles j & parmi celles-ci c'eft le- rouge dont la production exige le plus grand con- cours de circonftances. Il lui faut fuccelîîvement le bouton , la fleur , le fruit , l'écorce & la feuille, îl ed: quelquefois répandu avec profufion ; fou- vent il ne teint les plantes que fort obfcurément; & en général un verd rou^ieâtre eft la couleur des plantes qui gardent long-tems le rouge, ou fur iefqueiles il revient fréquemment. En admettant cette co'^'e'"-, du moins pendant les Jardins modernes. 45 fiuelques mois de l'année , parmi les différences caractériftiques, on verra qu'une grande pièce de verd rougeâcre, avec une bordure étroire d'un verd très-foncé du côté le plus éloigné , & au-delà de laquelle on aura placé une pièce d'un verd claie encore plus vafte que la première, compofera un bel enfemble ; une autre qui n'eft pas moins belle, efl: un verd jaune fort près de nos yeux , plus loin un verd clair , enfuite un verd brun . fuivi d'un verd foncé. Le verd foncé doit être le plus abon- dant, après lui le verd clair, & enfuite le verd jaune. C'eft par zt% comblnaifons qu'on connoîtra les agrémens que produifent ces différentes nuances. Un verd clair peut venir après un verd jaune , ou un verd brun , & un verd brun après un verd fon- cé , en très-grande quantité ; & l'on peut mettre une petite bordure de verd foncé fur un verd rou- geâtre , ou un verd clair. Des pbfervations plus iuivies, apprendront que le verd jaune &: le verd blanc s'uniffent aifément , mais que de grandes pièces de verd clair j Jaune ou blanc j ne fe mê- lent pas fore heureufement avec une grande quan- tité de verd foncé \ que pour former une compo- iition agréable, le verd foncé doit être réduit à une fîmple bordure, ôi ^a'un verd brun ou un 44 VArt de former verd moyen doivent être interpofés; que les verds rougeâtres , bruns & moyens s'accordent fort bien , & que chacune de ces couleurs fe mêle à l'autre \ mais que le verd à teinte rouge fupportera une- bien plus grande quantité de verd clair que de \'erd foncé , & ne fe mêle pas fi bien , ce femble > avec le veid blanc qu'avec les autres. En formant un mélange de touies.ces nuances^ il faut éviter avec la plus grande attention , qu'eU ' les ne forment pas de larges bandes les unes der- rière les autres ; mais il faut qu'elles foienr parfai- tement fondues enfemble , ou ce qui eft ordinaiie- Ênent plus agréable , que de grandes & belles pie- ces de différentes teintes foient placées à côté les. unes des autres en différentes proportions. îl ne faut pas vifer à l'exaditude dans les contours , on, u'y parviendroit pas : mais fi les grandes lignes, extérieures font bien tirées, de petites variations produites p^r les inégalités qui fe trouvent dans la hauteur des arbres , ne gâteront rien. X V. "Des effets qui naijjent de la difpojltîon des verdures. Un petit bois eft ordinairement très agréable, lorfq^u'il çIL comoofé de veidures bien mélangées: I i les Jardins modernes. 45 c'efi: d'un tel mélange que refaite cette unité de l'enfemblejqu'on n'exprimeroit jamais aufii parfai- tement par d'autres moyens. Lorfque l'étendue d'une plantation exige plus d'un bois, fi lecontrafte i n'eft pas trop fort , fi les gradations de l'un à l'autre \iom bien ménagées, l'unité n'eft pas détruite par la variété. Si l'heureux affortiment de ces différentes nuan- ces produit de charmans effets, leur oppofition Ipeut de fon côté en produire de vigoureux. Pac i exemple , le verd clair & le verd foncé , mêlés en- hfemble en très-grande quantité, mettent en pièces la furface où ih fe trouvent j & des contours exté- rieurs, dont on ne peutgueres varier la figure , fe- ront cependant très- variés en apparence, fi l'on fait ménager- les ombres. Chaque oppofition de couleurs rompt la continuité de la ligne. Les en- foncemens paroîtront beaucoup plus profonds, fi Ton donne au verd une couleur plus foncée. Un [arbre qui s'écarte du groupe , peut autant en être féparé par fon degré de verdure que par fa pofition. L'air de pefanreur ou de légèreté des arbres ne dé- pend pas feulement de leur grofTeur , mais aufii de la couleur de leurs feuilles. Ce font les diffé- rens verds qui rendent les mafîifs plus ou moins diftinds à une certaine diftance j & le bel effet que 4-6 VArt de forrrnr produit un arbre, ou un groiippe d'arbres d'un verd foncé, lefquels n'ont derrière eux que le brillant d un beau matin , ou le feu de la voûte célefte au foleil couchant, ne peut être inconnu de celui qui aura été charmé des peintures du Lorrain ( i ) , ou d'autres payfages que les grands maîtres ont peints d'après nature. Un autre effet qui eft le réfultat des différentes nuances , eft fondé fur les premiers principes de la perfpeclive. Les objets deviennent foibles , à me- fure qu'ils s'éloignent de l'œii j un grouppe détaché, ou un arbre feul d'un verd clair paroîtra donc plus éloigné qu'un objet femblable également diftant , mais d'une couleur plus foncée \ & la gradation régulière d'une teinte à l'autre modifiera en appa- rence la longueur d'une plantation continue, fé- lon qu'un verd clair ou un verd foncé commen- cent cette gradation. Cela fe voit aifément dans une li'^ne droite ; mais dans une ligne dont la di- redion eft rompue, cette erreur de perfpedlive eft rarement découverte , parce qu'il eft difficile de juger de l'étendue réelle. Au refte , les expériences ( I ) Claude Gelée , dit le Lorrain , mort à Rome en .1678, eft un des plus fameux payfagiftes qui aient jamais, paru. •Jl les Jardins modernes. 47 viendront à l'appui du principe, fi elles foncfaires fur des grouppes qui ne foient pas trop petits, ni trop près de l'œil. C'efl: alors que les différentes parties pourront être raccourcies ou allonaées , Se la variété de l'extérieur perfeélionnée par un ju- dicieux arrangement des différentes nuances du • verd. X V I. Des différentes e/peces^ de bois. JL) 'autres effets qui naiflTent des mêlancres des rerdures , fe préfenteronc d'eux-mêmes dans la difpojiùon d'un bois. Certe difpofition fera le fu- jct des obfervations fuivantes. Un bois eft un terme général , qui comprend tous les arbres &: arbrilfeaux, de quelque manière qu'ils foient àiî-poïés : mais on lui a donné une* fignification plus limitée j 6c c'eft celle dont je fe- rai ufage. Toute plantation confifte dans un bois, un bocage^ un maffij\ ou un arbre Jcul. Un bois eft compofc d'arbres & de taillis qui couvrent un efpace confidérable. Un bocage n'a que des arbres fans taillis j un m.>JfLf' ne diffère d'un bois ou d'un bocage que par l'étendue j s'il eft fermé , on l'appelle quelquefois bofqaet 3 s'il eft 48 VArt de former ouvert , c'eft un grouppe d'arbres : mais tous les deux font également malîîfs, quelle que foit leur forme & leur fituation ( i ). (i) Toute cette divlfton des bois eft fi particulière â l'auteur, qu'il n'eft guère poffible de trouver dans notre langue , des mots qui répondent parfaitement à ceux de clump, dcgrovi & de thicket, que j'ai rendu par maffif, bo- cage & boftjuet, parce que j'aime mieux employer des mots déjà connus , quoiqu'ils s'éloignent un peu des ac- ceptions ordinaires. Nous entendons ordinairement par majfif^ un bouquet de bois bien taillé, bien élagué, & dont les extrémités fupérieures préfentent fouvent une furface uniforme. ,' Majfif, dans un parterre, fignifie encore des bandes de gazon , roulées & entourées de fable. Un clumpeù. donc plutôt un grand bouquet de bois naturel & refpefté par les cifeaux, qu'un majfif; mais ce dernier mot eft plus court, raifon décifive pour l'adopter, en déterminant exaâe- tnent fa fignincation. Un bofquet {thicket) nous rappelle l'idée d'un petit bois deftiné à rembellifTement de nos jardins , & dont l'inté- neur préfente ordinairement une falle régulière , ornée de fontaines, dt; gafon & de fieges. On voit qu'il ne figni- fie ici qu'un majjif ouvert , c'efi-à-dire , une mafle d'arbres avec des ouvertures ou clarierev. Un bocage ( grove ] eft une touffe ou bouquerae bois non cultivé & afiez épais , pianié dans la campagne pour fe mettre à l'ombre. La définition que l'auteur donne ici >>i De les Jardins modernes. 49 XVII. De lafurface d'un bois dijîingué par fa grandeur. \J N des plus beaux objets de la nature eft \a.Jûr- f.::e d'un bois vajle & épais ^ commandé par une hauteur , ou vu d'en bas fufpendu fur le penchanc d'une colline : celui-ci , fur- tour , eft un objet très- intérenfant. Sa fituaiion élevée lui donne un air de grandeur. Il eft ordinairement terminé par l'ho- rifon j (?c s'il étoit privé d'aufil brillantes limires, fllefommetdela collme étoit plus élevé/à moins qiie quelque efret particulier ne caradérifâc ce fomraet), il perdroit beaucoup de famagniticcnce, & feroic inférieur â un bois qui couvriroit une colline moins élevée depuis le pied jufqu'au fcm- met , car un efpace entièrement rempli eft rare- ment petit : mais un bois commandé par une émi- nence^n'eft ordinairement qu'une partie de la fcene inférieure, & les objets qui l'environnent font fou- d"LUi bocage , a cela de particulier, qu'elle exclut le mé- lange d'un taillis. Il eft important d'avoir bien préfcntes toutes les défi- nitions du chapitre XVI , ii l'on veut l»ien entendre la fcvlion des bois, & même tout ce traité. D to LAn déformer vent peu proportionnés à fon étendue. Alnd on doit le continuer jufqu'à ce qu'il fe dérobe à la vue, ou qu'il fe perde dans l'horifon j mais alors les va- riétés de fa fiirface deviennent confufes à mefure qu'il s'éloigne, pendant que celles d'un bois fuf- pendu font toutes diftinctes, cjue fes parties les plus éloignées frappent l'œil fans confufion, &: qu'il n'y en a aucune qui paroififeà une trop grande diflance, quoique le tout foit fort étendu. Les variétés de la furFace font elfentielles à fa beauté. Un feuillacre de niveau bien taillé 5c bien aligne , n'eft ni agréable , ni naturel. Les différentes grandeurs des arbres diminuent réel- lement cette uniformité , 6c leurs ombres en- core davantage , quoiqu'cn apparence. Ces om- bres font autant de différentes teintes, qui for- mant des ondulations autour de la (ut ir.ce , font le plus grand de fe^s embellilTemens. On eft I3 maître de rendre l'effet de ces teintes plus vif & plus fiir par un judicieux mélange des nuances du vcrd. On peut y ajouter en même tems beaucoup de variété par des arbres diiféremment grouppés j & différemment contraftésj & foit que la variété porte fur les verdures ou fur les formes , l'exécu- tion en efl: fouvent aifée & rarement impoflible. En formant un jeune bois, on peut y réullir par les Jardins moucnics. 5 i fairemenr. Dans les vieux bois jsftl y a plufieurs en- droits qui peuvent erre éclaircis ou renforces ^ &: tl'ed: lA que les diftcrences caradcciftiques doi- vent déterminer ce qu'il faut planter ou arraciicr; elles indiqueront fouvent du moins ce qui doit erre oré csmme défaut, & deux ou trois arbres de moins produiront quelquefois cet effet. Le nom- bre des belles liormes, & à^s mafTes agréables qui peuvent décorer une furface, eft fi grand, quelcrf- qu'un lieu ne peut en recevoir une, il s'en pré- fente fur le champ une autre. Et comme rien de délicat ^ de fini n'eft ici néceflaire, &: qu'on n'y defire point une minutieufe exaélitude , de petits obftacles ne fauroient nuire à de grands effets. 11 ne faut pas cependant que les contrallies des maffes & des grouppés fcient trop forts , lorfque la grandeur e'à le caraétere d'wn bois ; caf l'anité eft efrentielle à la grandeur. Ainfi lorfque deux grouppés directement oppdfés, font placés l'un à côté de l'autre , le bois cefle d'être un feul objet j ce n'efi; plus qu'un alfemblage confus de plufieurs plantations féparées ; au lieu que fi les graduations font bien obfervées_, des formes & des couleurs totalement dififérentes peuvent (e reunir fur la même furface , &c occuper ciir.cunc un efpace con- fidéiable. Un arbre feul , ou un petit nombre d'ar- D.j 5 2 L'art de former bres réunis au milieu d'un bois d'une grande éten- due , eft un défaut choquant, foit pour la gran- deur, foit pour la couleur. Les grouppes &: le^ malTes doivent être confidérables pour produire quelque variété fenfîble. Cependant des arbres feuls au milieu d'un boi?>, quoique rarement utiles pour diverfiher une fur- face, méritent comme individus une attention particulière, &: font importans pour la grandeur du tout. La furface d'un bofquet compofé d'ar- britfeaux, quelque étendue qu'elle foit, n'imprime pas les m;mes idées de magnificence qu'un bois fufpendu \ quoiqu'à la première vue, la différence ne foie pas toujours bien fenfible. Ce dernier exige qu'on réuniiTe diverfes circonftances pour fe faire une idée de l'élévation oii ce vafte feuillage a été porté, de la groîTeur des troncs, &: de l'é- tendue des branches : ce font toutes ces diftérentes idées de grandeur réuhies qui donnent de la ma- jefté à cet objet de perfpeélive, lequel fans le fecours derimaginarion,repréfenteroit également lafurface d'un bois , & celle d'un bofquet : un petit nombre de grands arbres que l'œil apperçoive aifément , point élevés aa-deffus des autres, mais diftingués par une légère féparation, éclaircit fur le champ le doute: ce font des objets nobles par eux-nîèmes, les Jcri'ins modernes, 53 qui conviennent à leur pofition, èc fervent à faire juger des autres. D'après le même principe, les ar- bres qui n'ont que peu de branches & de feuil- les , ceux dont les branches tendent en haut , & ceux dont les têtes s'élèvent en cônes élances, ont plus de légèreté que de majefté, & font déplacés dans un bois dont la grandeur eft la qualité domi- nante. Les arbres au contraire, dont les branches tendent directement en bas , ont un volume par- faitement analogue à leur fituation , quoiqu'ils y perdent en même tems leur beauté particulière. Ces ornemens font des grâces naturelles qui s'al- lient très-bien avec la grandeur. Ce font Ats om- bres qui jouent fur une belle furface , y' jettent de la variété j & animent cette uniformité, qui lorf- qu'elle domine, réduit tout le mérite d'un des plus magnifiques objets de la nature, à celui d'un pur efpace. Ainfî remplir cet efpace de beaux ob- jets ; charmer l'œil après qu'il a été frappé ; fixer l'attention .où l'on a voulu qu'elle fe portât j chan- ger la furprife en admiration : ce font des projets dignes des plus grands maîtres , &: dont l'exécu- tion devient la fource de mille embelliflemens ca- radérifés par la richelTe & la magnificence. D iij 5 4 L'An de former X V I 1 I. De Idfurj ace d'un hoispittorefquey & d'un lois clair. JLjOrsque dans une fituation pirtorerque, un rer- lein roupc fort inégalement eft couvert d'un bois , il peut ctre avantageux de marquer les inégalités du terrein fur !a furhice de ce bois. La rude'Je , &: non la grandeur e'I ici le caraârere dominant. Qu3 les objers dont vous ferezchoix, foient direclcmenc contraires à ceux qui produifent l'unité \ prodi- guez les forts contraries, & même les oppoluions; le but doit être ici de défunir plutôt que de join- dre: qu'un creux profond foit coloré par des ar- bres d'un verd foncé j que fur une hauteur efcar- pée fe préfente un amphithéâtre d'arbres extrcme- iViCnt élevés j qu'une faillie tranchante foin bien marquée par une fuite. d'objets de figure conique. Les lapins font ici d'un grand ufage par leur forme, leur couleur & leur fingularitc. Un grand bois fort clair , fitué fur un penchant élevé, & vu d'enbas, eO: rarement agréable. Ces arbres trop éloignés les uns des autres font rappro- chés par la perfpeclive. ils perdent la beauté d'un bois clair j (Se font défedueux comme bois épais. les Jardins modernes. • 5 5 La manière la plus naturelle d'y remédier eft d'en planter un plus grand nombre. Mais un bois clair vu de deflus une éminence e(l fou vent un point de perlpedtive qui a beaucoup de piquant & d'élé- gance. Il eft plein d'objets, &: chaque arbre fé- paré brille de fa propre beauté. Pour augmenter cette vigueur qui eft lemériteparticulier d'un bois clair j les arbres devroicnt être fortement diftin- gués par leurs couleurs & leurs formes j 5c ceux qui par leur légèreté ont été profcrits d'un bois épais, jouent ici le plus beau rôle. Les différences de grandeur font encore une autre fource de va- ricté : chaque arbre doit être confidéré comme un objet diftinct, excepté lorfqu'il n'y en a qu'un pe- tit nombre de giouppcs eufemble. Dans ce cas les difïérences doivent ctrenulles : mais alors les group- pes eux-mêmes coniidérés comme arbres ifolés n'en feront que plus fortement contraftés. Un taillis for- mera leur laifon fans nuire à leur variété. X I X. De la ligne extérieure d'un bois, C} uoiQUE lafurfaced'un bois,Iorfqu'ileft dominé, mérite toutes les attentions que je viens d'indiquer^ Div 56 L'An de former cependant/<2 ligne e xtérieur e[i)yit\re plus fréquem- ment nos regards^elleeftplusen notre pouvoirjel'.e a quelquefois de la grandeur, & peut toujours être belle. La première chofe qu'elle exige eft l'irrégu- « larité. Un mélange de bois & de taillis qui forme une longue ligne droite, n'eft jamais naturel j &: une fuite d'ondulations extrêmement adoucies, dont chacune feroit une portion d'un grand ou d'un petit cercle, & qui compoferoient toutes en- femble une ligne ferpentant régulièrement , fe- roit encore pire, s'il étoit poflible. Cette ligne fe rcduiroit à un certain nombre de régularités mê- lées confufément , & également éloignées àç:% beautés de l'art & de la nature. La vraie beauté des contours extérieurs d'un bois, confiftc beau- coup plus dans de brufques inégalités que dans des entoncemens adoucis j dans les angles que dans les p.rrondifTemens j dans la variété, que dans àQ^ fuites uniformes. La ligne extérieure d'un bois efl: une ligne con- tinue : ainfî de petites variétés ne fuflSfenr pas pour (i) Outline. Le bord latéral, les contours extérieurs qui de loin le peignent dans notre œil comme une ligne fortement tracée. Cette efpece de zone eft la feule chofe que nous appercevions d'un bois en rafc campagne. I les Jardins modernes. 57 ;la fanver de l'infipidité , cette éternelle compa- gne de l'iiniformité : un enfoncement profond , une faillie hardie ont plus d'effet que vingt peti- tes irrégularités : la ligne eft divifée , fans que l'u- nité en ait reçu aucune atteinte j la continuité du bois fubfifte toujours; fon étendue même eft aug- mentée j la forme feule a été altérée. L'œil qui fe précipite vers l'extrémité de tout ce qui eft uni- terme, fe plaît à tracer une ligne variée a travers cet enchaînement d'obftacles j il fe plaît à fe re- pofer de diftance en diftance , & à prolonger fa marche. Cependant malgré ces obfervations _, il ne taut pas trop multiplier les parties , lorfqu'elles fe- roient trop petites pour être intéreflantes , 8c alTez nombreufes pour produire de la confuiîon. On fe contentera d'un petit nombre de grandes divisons oien diftinguées dans leurs formes , leurs direc- :ions de leurs fîtuations. Chacune de cesdivifions 3eut enfuite être décorée de variétés fubordon- lées. La feule différence de grandeur dans les ar- bres produira des irrégularités, qui fufjKnt en beaucoup de circonftances. Toutes les variétés des contours d'un bois fe éduifent à des faillies & à des cnfoncemerts. La lar- geur n'eft pas fînéceftaire dans l'un & l'autre genre, jue la longueur l'eft pour les faillies , & la profon- 5 s VArt de former deur pour les enfoncemens. Terminez une raillie par un angle aigu , ^ diminuez un enfoncement jufqu'à ce qu'il ne forme qa'un point • ces inéga- lités auront plus de force qu'une dentelure p2u profonde, &: un avancement peu. fenlîble, quel- que largeur que vous leur donniez d'ailleurs. Ce font là les plus grands écartetpens par lefquels on puiHc rompre la ligne continue; t<. leur eftet efl: û'aggrandii" le bois lui-même, qui paroic s'allong,L depuis le point le plus avancé , &: reculer jufqu'uu- delà du point le plus enfonce. L'étendue d'un grand bois fur une plaine qui n'eft poiât dominée, ne paroît jamais (î bien que par un enfoncement profond , fur-tout fi cet enfoncement forme des re- plis qui en cachent l'extrémité , 5c donnent car- rieie à l'imagination. D'un autre côté la pauvreté d'un bois peu protond peut difparo'itre jufqu'à un certain point par quelques arbres jettes en avant, ou quelques grouppes répandus c'a & là , lef quils paroîtronr réunis au bois , & en être des ap- pend^m. Un bois plus vafte, mais avec une iign, extérieure plus régulière ( à moins qu'il nç fût do miné) ne paroîtroit pas (i confidérable. L'entrée dans le bois femble avoir été taillée ex près, fi les points oppofés fe répondent exa<îte ment j bc cet effet trop fenlîble de l'art en diini les Jardins modernes. 59 nue le mérite: mais ii vous avancez un point, 6c reculez l'autre , ce feul changement de fituation em- pêche Gjye l'art ne paroiûTe. Les antres points c]ui diftinguent les grandes pnrrics, doivent être en gé- néral marquésforrement^ unemflexion courte a plus de vivacité qu'un circuit ennuyeux j & une ligne coupée par des angles a une force & une précifion , donc une ligne à ondulations eft toufours privée. Il eft vrai que les angles doivent ordmairemenc être un peu adoucis :1a rondeur de l'arbre ou de l'arbrifTeau qui les forme , luffit quelquefois pour cet effet; mais ii faut erre attentif à ne pas paflTer le but. Trois ou quatre grandes parties ainfi vi- ' goureufement diftinguées rompront un très- long contour. On peut fouvent introduire un plus ' grand nombre dedividons, mais rarement font- elles de première néceiîité j & lorfque deux bois •en oppofition forment les côtés d'un échappé de vue fort étroit , ni l'un ni l'autre ne peut être auflî ' varié que s'il étoit feul. S'ils font très-différents, le contrafte fupplée ce qui manque à chacun, Sc l'intervalle ofîre beaucoup de variété. La forme de cet intervalle eft auffi importante que toutes f les autres: les lignes extérieures des deux bois op- pofés auront en vain leurs beautés particulières , fi l'efpace qu'elles leur laiflenr entr'elles ne forme pas 6o VArt de former une ouverture agréable, toute la perfpedlve perdi i beaucoup de Ton agrément j or cette ouverture n'eftj jamais agréable, lorfque les côtés fe Côrrefpon- | dent trop parfaitement. Soit que leurs formes;-^ foient exadement femblables , ou exactement op- ; pofces l'une à l'autre, elles paroiflent également' : artificielles. Chaque variété de la ligne extérieure , dont fai parlé j peut être tracée par un feul taillis ; mais il cft poffible de produire les mêmes effets avec plus de facilité , & d'ajouter beaucoup à leur beauté , par quelques arbres avancés qui tiennent ou pa- roiflent tenir au bois aflez pour fiire partie de fa, figure. Lors même qu'on ne les a pas deftinés a ; cet objet, des arbres détachés font des objets (î.; ! agréables, fî diftinds, fi élégans, lorfqu'ils forit comparés avec le bois qui les environne,qu'en bor- dant fes contours en quelques endroits , & les divi- fant dans quelques autres , ils lui donnent des grâces naturelles , dont il feroit privé fans ce fecours. Ces arbres ont encore un autre effet, lorf- qu'ils croifent l'entrée d'un boisj ou qu'ils font) placés au-devant d'un de (&% cnfoncemens : on les voit alors dans le jour le plus favorable,à caufe de l'efpace qui eft derrière eux, & entre leurs tiges ^ ôc le bois en eft extrêmement embelli. Un autrai les Jardins modernes. 6 i 'aigrémenrj quoiqu'inférieur, qu'on peut créer dans le mcme genre, c'eft de diftinguer fortement les I liges de quelques arbres dans le bois même , 8c |[de tenir le bofquet au deflous. Si ce projet n'efl; pas d'une éxecution facile, on peut garnir le bois extérieur d'arbres Se d'arbriffeaux dont la groiïeur aille en diminuant du milieu aux extrémités, ou Ibien l'on aura le choix entre ceux qui s'élèvent en .cône étroit j ceux dont les branches tendent en 'haut ; c«ux donc la bafe eft très-petite en propor- 'lion de leur hauteur, ou ceux enfin qui n'ont que ■ peu de branches & de feuilIes/Dans la Tcene étroite i& relTerrée d'un jardin , qui n'a pas aifez d'efpace 'pour l'effet qui réfulte des arbres détachés, la li- ; gne extérieure fera lourde, fi l'on néglige ces pe- tites attentions. X X. I ,De lafurface & de la ligne extérieure d'un bocage. \]__tE cara6tere dominant d'un bois eft la grandeur 'en général :ainfi la principale attention qu'il exige 'efl d'en prévenir l'excès j de diverfiher l'unifor- ''"mité de fon étendue j de diminuer la pefanteur de 'fa maffe , & de mêler les grâces avec la majefté : li 6i VArt de former Mais le caradere d'un bocage (i) efll'ngrcment. De jolis arbres font d'agréables objets, & c'cft un bo* cage qui les rairemble : là, chaque arbre en parti- culier confcrve une grandi partie de l'élégance qai lui eft propre, & l'autre eft facrifiée à la beauté de l'enfemble. Ainlî dans un bocage qui efl: rufceprible d'une variété infinie dans la dirpofition des arbres,, les différences des formes & des verdures font ra- rement bien importantes ; &" quelquefois même elles font nuifibles. De forts contraftes dcfunilTen^ les arbres qui font déjà alfez écartes, & ne font poinj liés par un taillis : ils ne forment plus un mcmi tour, & deviennent des arbres ifolés. Un bocage épais n'eft pourtant pas expofé à cet inconvénient] & certaines fituations peuvent donner du relief: différentes formes & différents verds, relative* ment à leurs effets fur h/urface du bocage; mai^ rarement ces différences font-elles de quelque iinj portance fur la ligne extérieure. L'œil qui plongé dans la profondeur du bocage, néglige toutes le^ p' tites différences du dehors ; les variérés mcme que pré fente la JF^^//;^ des contours, n'attirent pa^ toujours (on attention : car elles ne font pas à beauj (i) Il faut fe rappeller ici les définitions du chapitre X'^ page 48 , avec la note du tradmSfeur. les Jardins moderms, 63 coup près aufli fenfibles que dans un bofqnet, & on ne les apperçoit que difficilement, fi clîes re font fortement exprimées. De l'intérieur d'un bocage. Defcription d'un bocage à Claremont JVlATS la furfacc & la ligne extérieure ne doi- ivent pas feules fixer ici notre attention. Quoiqu'un bocage foie beau en tant qu'objet de perfpeclive, il efi: encore délicieux comme lieu de promcnide ou de repo<:. Le choix & la difpofitir>n des arbres pour les effets intérieurs, doivent donc entrer prin- cipalement en confîdération. L'irrégularité toute feule n'y fauroit plaire. La parfaite fymmctrie fc- roic encore à préférer au cahos , *^ il vaut mieux que l'art fe montre , que s'il n'y en avoir point du tour. Des arbres plantés régulièrement, ne font pas abfolument privés de beauté : mais cette beauté donne peu de plaifir, parce que nous favons que ces mêmes arbres pourroient être difpoies d'une manière beaucoup plus belle _, & plus agréable. Cependant une dirpoution telle qu'il n'y eût que les lignes de rompues, fans que les diftances fuf^ fent variées , eft la moins naturelle j nous ne trou- <5'4 LAn de former vons point à la vérité de lignes droires ou conil- nues dans une forêt, mais les haies que nous voyons fî fréquemment dans les champs nous y ont accou- tumés : au lieu que nul terrein ni fauvage , ni cul- tivé , ne nous offre jamais des arbres plantés à une égale diftance : cette régulariré eft l'ouvrage de l'art feul. Les diftances doivent donc ici varier prodigieufement. Les arbres feront ralfemblés en grouppes, ou feront plantés fur des lignes variées & irrégulieres, qui décriront diverfes figures. Leurs intervalles feront contraftés, tant dans les formes que dans les dimenfions. 11 y aura dans quelques endroits de grands efpaces entièrement découverts : dans d'autres, les arbres feront fi rapprochés, qu'à peine lailTeront-ils un pafiTage entr'eux ; & dans d'autres, ils feront auffi éloignes qu'ils peuvent l'être, en formant un même grouppe. C'eft dans les formes & les variétés de ces grouppes, de ces . lignes & de ces efpaces vuides, que confiftc princi- palement la beauté intérieure d'un bocage. Claremont (i) en offre une preuve bien fenfible. Une promenade qui conduit à une fimple cabane efl fon plus bel ornement; cependant cette prome- nade efl privée de plufieurs avantages naturels, (i) Près d'Esher dans le Surrey. fans iâs Jardins modernes^ iîj. fans exceller dans aucun ; elle ne domine aucune perfpective ; elle n'a pour pièce d'eau qu'un fort pecic étang j c'eH: de ces feules inégalités qu'elle tire to ue fa beauté. Ce bocage préfente une courbe fort adoucie, fur le côté d'une colline, & le leng d'un bois qui s'élève audeifus j de grands enfonce- msns le divifenc en plusieurs grouppes fufpendus furie penchant de la colline, & dont aucun ne defcend jufqu'en bas , quoique plufieurs en ap- prochent. Ces entoncemens font fi profonds, qu'ils forment de grandes ouvertures au milieu du bo- cage, & pénètrent prefque jufqu'au bois; mais les grouppes qui femblent fufpendus au bois à diftances égales, 5«: les lignes formées par des efpaces vuides, lefquels régnent conflamment fur tout le fommet, quoiqu'un peu trop rapprochées quelquefois, con- fervent la continuité du bocage, 8c la connexion entre fes parties. Un gronppe même qui , près d'une des extrémités, en eft entièrement détaché , .eft encore d'un caraclere aiïez femblable au refte, pour qu'on puifTe l'y rapporter. Chacun de ces grouppes eft compofé de plusieurs autres beaucoup plus rapprochés, Se plus ou moins confidérables, étant compofésjles uns de deux , les autres de quatre pu. cinq arbres , & quelquefois d'un plus grand .nombre. Une ligne ondulét & igcéguliere, qui nâjic (5^ VArt de former de quelques petits grouppes, fe perd dans îes group- ées fuivans j & quelques arbres font difperfés çà Sic là , aifez éloignés les uns des autres. Les inter- yalles font autant de percés, qui deviennent plus larges en s'enfonçant, ^ différent en étendue , en figure & en direction. Mais tous ces grouppes , toutes ces lignes , «S: tous ces intervalles , font réu- nis en diftérens maffifs , dont chacun eft en même tems dépendant & ifolé , varié & uniforme. Tout le bocage eft un féjour charmant, où l'on peut s'ar- tèter long-tems avec plaifir, ou fe promener arec tin amufement continuel. Le bocage d'Esher (i) cfl: l'ouvrage de l'excel- lente main qui a planté Claremont : mais la né- ceflité de lier les jeunes plans à de grands arbres ^ui s'y trouvoient déjà, lui a beaucoup ôté de fa variété. Les grouppes font petits & peu nombreux, |)arce que le terrein n'a que fort peu d'étendue \ te comme il ne s'y eft pas trouvé de lieux propres a former des percés bien fuivis , les efpaces vuides qui fcnr dans le bocage , s'étendent de tous côtés indifféremment. Les grandes différences de dif- tâhce entre les arbres, en font donc les principales variétés , mais le bocage ferpente le long des bords 'd'une large rivière , fur les côtés & au pied d'une (i ) Eshicr touche Qaremom. les Jardins mode'rhesl €j "élévation rapide j dont la partie fupérieure eft Couverte de bois , d'un côté il touche le bois , d'un autre il s'en éloigne, Ôc ailleurs il croife un eji- ■foncemenc très-hardi qui pénètre fort avant dans un bofquet. Les arbres s'érendent quelquefois juf- que fur la plaine , qui eft au pied de la colline , quelquefois ils lailTc:" an efpace ouvert du côté de la rivière , & quelquefois ils couronnent le fom- tnetd'une large colline, Scforment un amphithéâtre, (OU font fufpendus fur une pente douce. Ces varié- tés 5 dans la lîtuation j compenfent de relie le dé-* faut de variété dans la difpofition des arbres , d4 «et heureux concours de circonflances Qui forme pour Pelhafn (i) ce paifible i)cfcagé De Kent, de la nature ingénieux ouvrage. rend cette petite folitude plus agréable que celle de Claremont j mais quoiqu'on ait très-bien fait de conferver les arbres déjà venus , & de ne pas facri- her des beautés préfenres à de plus grandes beau- -. (i) Vers d'un épitre de Pope à M. Kent , habile dan» l'architeâure & la peinture , & fur-tout fameux par les changemens qu'il a faits dans Fart des jardins. Esher, mai- fon de campagne du premier miniftre Pelham fut fon coupf d'effai. Les jardins d'Esher fe trouvent dans le théâtre de la grande Bretagne, in-folio. Ils étoient dans le goût de W 'Nôtre, ainfi que tous ks autres jardins d'Angleterre, 68 L'An de fomer tés dont on n'auroit joui que tard , cette précaùv tion a donné des entraves à l'art ; & le bocage ds Claremont, con»îdéré comme une plantation en général, efl: pour la délicatelTe du goût, ôc la fer- tilité de l'invention, fupérieur à celui d'Esher. Tous les deux font des premiers eflais de l'art tnoderne de créer des jardins :& peut-être eft-ce par le defir immodéré d'en voir l'effet, que les arbres y ont été plantés trop ptès les uns des au- tres. Quoique ces arbres foient loin encore d'être parvenus à leur grandeur naturelle , ils commen- cent à fe dépouiller , & les bocages ont beaucoup perdu de leur beauté. On réfiftera donc déformais, guidé par l'expérience , à la tentation de planter pour jouir prompteraent. Cependant fi l'on n'avoir pas la patience d'attendre, il eft polTible de jouir du préfent fans fe priver de l'avenir, en donnant au bocage une difpoiîtion telle qu'elle ne puilTs manquer de produire un bel effet , lerfque les ar- bres feront grands,& en mêlant dans les intervalles ^QS arbres de paffage qui feront un joli point de vue pendant qu'ils feront petits, 5c qu'on arrachera enfuite avant qu'ils puifTent nuire aux autres. La variété dans la difpofîcion , produit celle des jours &: des ombres d'un bocage; variété qui peut ccre, augmentée parle choix des arbres. Quelques- îes Jardins modernes, ^9 'uns font impénétrables aux rayons du foleil ls5 plus perçans ; d'autres lailTenc palier de Icin en loin , un rayon au travers de la malTe énorme de leur feuillage j d'autres enfin qui n'ont que peu de broches & de feuilles , ne marquent la terre que de légères ombres. Chaque degré de lumière ôc d'ombre , depuis l'éclat le plus vif jufqu'a l'obf- curitc , peut être ingénieufemenc ménagé , tanc par le nombre , que par la contexture des arbres. Les feules différences de grandeurs ont leurs effets relatifs. L'efpace e(l petit & refferré fous les arbres, dont îes branches defcendent fort bas & s'étendent au loin; il ell vafte & libre fous ceux qui formenc un berceau élevé : & les fréquens pafï}i§es des uns aux autres font trçs -agréables. Ce ne font pas là toutes les variétés dont l'inté- rieur d'un bocage efl fufceptible; par exemple, îes arbres dont Iss branches touchent prefqued terr^,, êc propres à former des bofquets, ne fauroien: ffcibfifler d-ans des plantations ouvertes: mais quoi- que cette exclufion fafiTe difparoître quelques dif- ; férences caradlériftiques, d'autres variétés nioins , çonfidérables prennent leur place : la liberté d'err<;i: ; dans tous les détours du bocage , met tour à tou!: ■chaque arbre fous les yeux, de permet d'obrervesr, QUEçs le? différences de feuillage j celui qui oft^g *^o VArt de former le plus de légèreté & ci'éiégance eO: le plus agréable \ il ne fau: pourtant pas en faire un point capital, parce que quelques ornemens de moins ne font pas nécenTairement un défaut, XXII. Des formes des maffifs. \J)A a déjà obfervé que les majfîfs{i) nedifferenr que par rérendaejd'un bois s'ils font fermés , &c d'un bocage s'ils font ouverts. Ce font de petits bois & de betits bocages (i) dirigés par les mêmes principes que les plus grands , d'après les dimen- fions qu'on leur a fixées. Mais outre les propriétés qui leur font communes avec les bois ou les bo- cages, ils en ont de particulières qui méritent d'être examinées. Les maflîfs font ifolé»; ou dépendans, Lorfqu'ils fonç ifolés, on n'exan.ine leur beauté que commç objets particuliers^- lorfqu'ils font dépendans, les beautés de leurs parties doivent ctre facrifîées à l'effet du tout , qui eO; ce qui mérite le plus de confidération. (î) Cîumps ou bouquets de bois. (2) Ceft uns dènnitioa qu'il eft Important de ne pas per Jrs de vue. Voyez la note du chap. XVÎ , pag. ^3, les Jardins modernes» 7 je Le plus petit mafîîFdoit être de deux arbres au moins ; Se le meilleur effet qu'ils puifTent avoir, eft que leurs tètes unies paroiffent ne former qu'un feul gros arbre: ainfî deux arbres d'efpece diffé- rente j ou bien fept eu huit arbres dont les formes ne s'uniffentpas aifément, feront difficilement un beau grouppe, fur-tout s'ils tendent vers la forme circulaire. De pareils mafîlfs, ccm.pofés de fapins , quoique très-communs, font rarement agréables; ils ne font jamais un feul tout , & leurs cimes font toujours mêlées confufément : on peut cependant éviter la confufion,en les difpofant par files, & non par grauppes circulaires; un maffif d'arbres de cett& efpece étant beaucoup plus agréable , lorfqu'il s'é^ îend en longueur cm'en brgeur. Trois arbres réunis forment une ligne droite ou un triangle. Peur cacher la régularité , il faut cx- ; trêmement varier les diftances. On parviendra au même but, en variant les formes , & fur- tout les grandeurs. Lorfqu'une ligne droite eft formée p3C deux arbres prelque femblables , de un troiliemc un peu plus petit, à peine peut -on di.fcerner s'ils is , trouvent dans la même diredion. Si des arbres plus petits, placés aux exïrêmité^, peuvent mafquer la plus parfaite régularité , çn ^ doit en faire ufage dans d'autres citconftances^js.. h iv ft L'Art de former variété dans la grandeur, efl: celle qui convienj par:icu,.:remenc auxmaffifs. Lorfque l'ouvrage de l'arc eft trop fenîible dans les objeis de la nature, il devient faftidieux. Or les mailifs font des objets Ç\ marqués , fî propres à faire naître le foupçon qu'ils ont été difpofés de telle maaiare pour pro- duire tel eff,iC particulier , que pour eujpecher l'at- tention de fe porter fur l'arc j l'irrégulariré dans la compofition efl: ici plus importante que dans un bois ou un bocage j d'ailleurs un mafliFétant moins étendu j ne peut être fufceptible d'autant de va- riété dans les contours : des grandeurs variées font plus re.narquables dans un petit efpace ; & de nom- breufes gradations peuvent louvent delliner les plus beiges formes. L'étendue & la ligne exté''ieure d'un bois oa d'un boc-ig-3, s'attirent b^^ucaup oUis d'attention que ÎCi extrêmii^^îj mais dans les mailifs, celles-ci font de la pi as grande importance : elles déter- minent la ferme de renfenible,& toutes les deux s'apperçoivent en même tems. Il faut donc s'atta- chei particulièrement à les rendre agréables & à les divcrdher. La facilité avec laquelle on peut les comparer , ne permet pas qu'elles fe refiTemblenr ^ Car la plus petite apparence d'égalité réveille l'idée de i'ârt, Ainû un mafnf dont la largeur eft égalée les Jardins modernes. 73f ïa longueur , paroît moins robvrage de la nature, que celui où la longueur l'emporte de beaucoup. Une autre particularité des maflîfs , eft la facilité avec laquelle ils admettent le mélange àQS arbres & des arbriffeaux, d'un bois & d'un bocage , entîa de toutes les manières de varier une plantation. Quoique de telles compofitions foient les plus belles de toutes, elles conviennent pourtant mieux dans des malîîfs ferrés , que dans ceux dont les pirties s'écartent davantage les unes des autres. Elles font plus agréables quand elles ne forment qu'une maife. Si les paflTages des arbres les plus élevés aux plus petits , des bofquets aux planta- tions ouvertes, font fréquens &fabi£s , ce défordre convient beaucoup mieux aux fcenes fauvages , qu'à celles dont le caraâ:ere eft l'élégance. X X 1 I I. Des ufages & des Jiiuaûons des msjfifs ifole's. L y a un grand nombre de fituations qui per- mettent ou qui demandent àts maffifs ifolés. On doit les employer fouvent comme objets beaux par eux-mêmes, &: quelquefois ils font néceiTaires pour rompre l'étendue trop vafte d'une pièce de gafon, çu d'une ligne trop uniforme , foie d'un terrein , lÇ'4 L*Art de former jfoit d'une .plantation 5 mais dans toutes les occa-^ - iîons, l'art cherche à fe montrer, & la feule irré- gularité de figure , ne fuffit pas pour le couvrir^ Quoique les élévations préfentent les mafllfs fous ( le jour le plus avantageux , une éminence cjui pa- , roîtroit clairement n'avoir été créée que pour ê:re couronnée d'un maffif, deviendroit faftidieufe, tant l'art s'y montreroit à découvert. Qn plantera donc fur les cotés quelques arbres, pour faire illu- Con. On peut employer le même expédient à l'é- gard des maffifs placés fur le fommet d'une colline, afin d'en diminuer l'uniformité : l'effet en paroîtra plus naturel encore , fi les grouppes s'étendent en .partie fur le penchant. L'objection déjà faite au .fujet de plufieurs grouppes répandus fur le fommet, tient au même principe. Dans un feul mafllf, Par- lifice eft moins apperçu : s'il efl: ouvert , il ne peut avoir de ficuacion plus avantageufe que fur le bord d'une colline efcarpée, ou fur un terrein qui s'a- vance dans un lac ou dans une rivière. Il eft alors embelli par fa pofition , 6c animé par la grande furface que préfentent autour de lui le ciel & les ' €aux. De tels avantages peuvent balancer de pc tits défauts d'arrangement ; mais il font perdus fi ; l'on place d'autres malfifs auprès de celui-ci : l'arç jreparoît: encDr£ , Se cet enfemble n'eft plus (^u'ubô ehofç défsgréable. les Jardins modernes, ^5' Q XXIV. Des majjïfs qui Je rapportent l'un a Vautre. uoiQUE plufieurs mafliFs, lorfquo chacun d'eux eft un objec indépendant , paroiflTent rarement na- iu:eîs , on peut en admettre un certain nombre - ns la même perfpeitive , fans que l'art y paroilTe ... aucune manière , s'ils fe rapportent les uns aux tu-res; c'eft-à-dire que, (î en fe fuccédant, ils di- verlîhent la ligne extérieure du bois , s'ils forment entr'euxde belles clarieres , s'ils contribuent tous enfemble à donnée à une vaile peloufe la forme la plus ngréable, cîî n'examine alors que l'effet^ &c non h mân iere dont il eft produit. Mais il fautaufllque Lit ie reile contribue à l'embelliflement de la'fcene; & dans cette' vue, ce qui mérite la plus grande attention , c'eft la figure des efpaces vuides ou cla- rieres, des tapis verds Se des bois. Les plus beaux u)^iTjfs qui ne prcfentent pas de grandes lignes, font défagréables : leurs liaifons , leurs contralles font de plus grande importance que leurs formes. Une fuite de ma(îifs,dont les intervalles font ter- minés par d'autres maffifs, a lair d'un bois ou d'un bocage ; Se quelquefois la relfemblance a ub avantage fur la réalité : c'eO; que dans différens peints de vue , les mafiifs ne confervsnt plus les f6 LArt déformer mêmes rapports, d'où il naît une variété cîe for-i mes qu'un bois ou un bocage, quelque diverfilîés;! qu'ils fuOTent, ne fauroient piéfenter. Ces formesJ ne peuvent pas toujours être également agréables; & peut-être même trop d'efforts & de foins poui \qs rendre belles , empêcheroient qu'elles ne la fuiTent; c'eft un effet (ouvent dû à un heureux ha- iard. Examinez cependant l'effet de vos mafTifsde chaque pomt de vue principal , pour juger s'il n'efi: pas néceflaire d'y faire, ou un enfoncement , ou une faillie , ou quelqu'auire changement dans U ligne extérieure. Cependant, malgré tous les avantages attachés à cette efpece de plantation , il faut fou vent l'ex- clure, lorfqu'elle eft commandée par'uneémin^încQ voifîne. Des maiîîfs vus d'en haut , perdent quel- ques-unes de leurs principales beautés; & lorfqu'ils font nombreux , ils décèlent l'art dont on les foup- çonne toujours. Ils ne préfentent plus la furface d'un bois ; & tous les effets réfultans de leurs rapports font entièrement perdus. Il efl difficile «qu'il y ait de la grandeur dans un point de vue trop fourni de malîifs : ainii à moins qu'ils ne foient aiïez diftinds pour former comme autant d'ob- jets ifolés, ou affez rapprochés les uns des autres pour ne former qu'une feule maife, ils embelli-» ront rarement une perpedive. les Jardins moder r XXV. Des arbres ifolis. Les fituations qui conviennent aux arbres ifolcs, jTonc ordinairement les mêmes que celles des maf- fifs. Elles feront fouvent déterminées par la feule ;onhdération de la proportion entre l'objet & le ieu qu'il doit occuper \ 5c Ci l'effet defirc peut être jroduit par un feul arbre, il plaît par lalîmplicité du moyen. Quelquefois on lui donnera la préfé- rence uniquementpour la variété j 5c onpeut en faire iifage pour marquer un point dans une perfpedtive, Hi deux ou trois points font déjà diftingués par des maffifs. Il arrive même très-fouvent qu'on met un arbre à la place des maffifs j il peut être un objet ifolé , rompre la continuité d'une ligne, ou déco- der un grand efpace : il n'y a qu'un feul effet ré- fultant des mafîifs, que des arbres ifolés ne puifTent jroduire jufqu'à un certain degré; c'efl: que, quel- que nombreux qu'ils foient, ils ne s'uniront j"a- mais en grandes maffes , & qu'il faut obferver de les tenir à de plus grandes diftances. Répandus au- tour d'un grand tapis-verd , ils lui donnent une forme agréable; & pou,r CQt effet, il faut que cha- que arbre foit placé, relativement aux autres, de la ^< ^Àn de fotmet jTianiere la plus avancageufe :jls peuvent avoir dlf férentés diredions , & focmer tous enfemble des dclTeins très-agréables: on peut aulU ménager de petites clarieres au milieu de plufieurs arbres un peu plus écartés que les autres; ce qui jettera fur ce point de vue beaucoup de beauté & de variété. Les lignes qu'ils tracent font plus foibles que ceils: que décrivent de plus grandes plantations; mai:î âulîi leurs formes leur font propres , l'on n'y feat point l'art & le travail j & toute difpofition, pour v a qu'elle foit irtéguliere , y paroît naturelle. Ce qu'il faut d'abord obferver dans les arbres ifolés, c'eft leur ficuation , parce que c'efl: de la différence de leurs diflances , qu'ils tirent leur principale variété. Quant au choix de leur forme, c'eft d'après leurs efpeces qu'il faut fe décider : ce qui les rend toujours intéreflans^ c'eft la grandeur & la beauté du feuillage ; quelquefois la feule grof- feur , & de tcms en tems quelque iingularité. Leur fituation déterminera fouvent l'efpece dont il faac faire ufage. S'ils font placés au-devant d'un bois dont l'alignement foit trop uniforme, uniquement ' pour le diverfifier, ils feront ordinairement fem- blablesaux arbres de ce bois. Sans cette précaution, il n'y auroit aucune liaifon , & ils ne produiroient aucun changement fur la ligne excérieuce ^ mais les "Jardins moiIertUs. y^ sils ont été placés comme objets ifolés , il faut qu'ils foient parfaitement diftingués, par leur forme ôc leur verdure, des plantations qu'ils environnent. ; Ce choix, après tout, fe borne très-fouvent aux arbres qui font fur le lieu, fur- tout lorfque la perfpctive efl: fort étendue. De jeunes mafTifs , dès le premier jour qu'ils ont été plantés, ont un effet fenfible , qui devient bientôt très-confîdérable; mais un jeiïne arbre ifolé eft comme nul pendant plufieurs années : il vautdonc quelquefois mieux conferver un arbre déjavenu , quoiqu'il n'ait pas précifément toutes les qualités requifes , que d'en planter un autre à fa place , qui pourroit devenir un objet plus beau oumieux fîtué, mais dont on ne jouiroit que dans iin avenir fort éloigné. / I<9 VAn de former DES EAUX. XXVI. Des e^ets des eaux & de leurs différentes efpeceSi Q UAND on confidere les matériaux que met en œuvre l'arc de former des jardins , le terrein & les bois fe préfentenc d'abord j 5c les eaux viennenc enfuite. Quoique les eaux ne foient pas d'une né- cefïité indifpenfable dans une belle compofuion, cependant elles s'ofFient fi fouvent, & jettent tant o'cclat dans une fcene , qu'on regrette toujours qu'elles manquent : on ne peut fuppofer un terreia fort étendu , & on imagineroit difficilement un petit efpace , où elles ne fulTent pas un des princi- paux agrémens. Elles s'accommodent à tontes les fituations ^ elles font l'objet le plus intérelTant dans un payfage , 6c la partie la plus délicieufe d'une retraite : elles fixent l'attention dans l'éloignemcnt , invitent à s'approcher, & charment lorfqu'on eft près: elles donnent^ pour ainfi dire , du coloris à une expofuion ouverte : elles animent un ombrage, adoucifTent l'horreur d'un défert, & enrichirtenc le point de vue le plus varié Se le plus fourni. Pouc tes Jardins modernes. Si ■ ja forme, le ftyle &: l'érendue, elles s'égalent aux {> plus grandes conipofirions, &defcendent jufqu'aux l plus petites : en s'écendant majeftueufemenc, elles I préfentent une grande furface calme ôc unie , qui j fîed fi bien à la tranquillité d'une fcene paifible ; ou Ce précipitant avec fracas dans leur cours irré- gulier, elles ajoutent au brillant & à la vivacité d'une fituation gaie, Ôc au merveilleux d'une fcene pittorefque. Telle eft la variété des caraderes que les eaux peuvent recevoir, qu'il eft difficile de for- mer un plan où elles nepuitfent entrer, & d'ima- giner un effet auquel elles ne donnent plus de force. Un étang , dont les eaux font profondes & obfcures , ôc couvertes d'un ombrage fombre qu'elles réfléchiffent , eft un lieu propre à la mé- lancolie : telle eft aufli une rivière qui coule entre des bords affreux, dont le mouvement eft auiTi lent que fa couleur eft terne, & qui n'offre au-deffus de Ces eaux mortes ôc pefantes , qu'un épais nuage que l'art ni les rayons du foleil ne peuvent diftiper. Le doux murmure & legafouil- lement à peine ienlible d'un ruilfeau tranfparenc ôc peu profond j impofe lîlence, eft un des charmes de la folitudê , ôc plonge dans la rêverie. Un cou- rant mu avec plus de vîtelTe, qui fe joue contre de petits obltacles fur un fond fablonneux &bril- F Si L An de former lanr, & fait entendre un petit bruit en roulant parmi ^ts cailloux, répand la gaieté dans cous fes envi- rons. Plus de rapidité & d'agitation nous réveillent & nous animent; mais fi cette rapidité eft portée à l'excès, elle jette l'alarme dans nos fens j le fracas & la rage d'un torrent, fa force, fa violence, fon impétuofité infpirent la terreur \ cette terreur (i étroitement liée avec la fublimité , foit qu'on la resarde comme caufe ou comme effet. En faifant même abftradtion de toute idée & de toute fenfation mélancolique , ou agréable, ou ter- rible, &c ne confidérant Amplement les eaux que cotTime objet , il n'y en a point qui foit auilî propre à s'attirer promptemenc l'attention & à la fixer long- tems ; mais elles peuvent manquer de certaines beautés , donc nous favons qu'elles font fufcep- libles: & les marques qui nous fervent à diftin- guer leurs efpeces , peuvent être confufes. Ce font deux défauts toujours défagréables. Pour les éviter, il faut bien déterminer les propriétés de chaque efpece. Toute efpece d'eau eft courante o\i Jlagnante. Quand elle eft ftagnante , elle forme un lacoQ un étangy qui ne différent que par leur étendue (i). ( I ) Il y a encore d'autres différences que celle qu'éta les Jardins modernes. 8 5 )L''eaa courante forme àQ% rivières 5c àesruijfeauxj dont toute la difFcrence confifte dans la largeur. En général _, l'eau dans un jardin reçoit de l'arc différences formes. Dans un pays ouvert , celle qu'on pourroic appeller un grand étang , y prend le nom de lac, &c doit ccre figurée comme fi el'e en avoir l'étendue, fa largeur ézan: proportionnée aux autres parties du terrein. Quoiqu'une rivière palTe quelquefois au travers d'un jardin , on n'en voit qu'une petite partie , •& plus fréquemment l'imitation de cette partie eft fubfticuée à la réa- lité (1). Dans l'un & l'autre cas, l'effet ne fubfifte plus, fi les diftinârions caracbériftiques, entre un lac & une rivière , ne font pas faunuleufemenc ob- fervées. XXVII. Les di^érenccs entre un lac & une rivière. XjE caradere diftindlif d'une eau courante , eft de couler en ligne droite ; 6c celui d'une eau ftagnanre, i)lit l'auteur ; par exemple, reau d'un étang fe vuide.& non celle d'un lac. (1) Le chapitre des ponts fervira beaucoup à éclaircir ceci. E ij 84 rArt de former de fe mouvoir en ligne circulaire (i) : l'une s'étend en longueur , & l'autre dans tous les fens- Mais il n'eft pas nécelTaire qu'on apperçoive toute la cir- conférence d'un lac, ou que la perfpeârive d'une rivière n'offre point de bornes : au contraire, une rivière n'eft jamais plus belle que lorfqu'elle fe perd dans un bois, ou qu'elle Te dérobe à la vue derrière une colline : un lac ne paroît jamais fl grand que lorfqne (qs extrémités font cachées ; c'eft de fa figure^ ôc non de fes limites propres^ qu'il emprunte fon caradtere. Si les deux bords oppofés font concaves , il femble qu'on ait vifé à leur union &: à la ligne circulaire y s'ils font à peu près paral- lèles, ils ne paroident plus à la vérité tendre vers leun réunion, mais ils font naître l'idée de la continuité. Si l'on donne la forme concave aux deux bords d'une rivière, c'efi: pécher contre le premier prin- cipe ; cependant on tombe fouvent dans cette faute, pour vouloir donner trop d'étendue à la furface j mais îorfqtie les inégalités hardies d'une rivière ( I ) A la rigueur , une eau Gagnante n'a point de moy- veinent; mais l'auteur n'examine les objets que relative- ment H la perfpeftive. Il donne le nom d'eau ftagnante , non-feulement à celle d'un étang , mais encore à celle d'une rivière qui s'élargit tout-à-coup , & dont le mouve- ment eft devenu prefque uiiienfible. les Jardins modernes. î^ ibntainfi transformées en érang peu confidérable , on gagne beaucoup moins en largeur réelle qu'on ne perd en longueur par l'imaginarion; & il eft très- certain ( quoique cette afTerrion ait l'air d'un para- doxe ) que la rivière paroîtroit plus confîdérable fi . fon lit étoit plus étroit, Ainfi, lorfqu'un de fes bords eft reculé , fi Tautre n'avance pas, il faut du moins fe garder de rien changer à fa dire6tion , lorfqu'e'la n*eft pas exadement convexe., car on peut alors ra- mener la courbure vers la ligne droite. Enfin , il ne faut jamais que le courant s'écarte en même tems de cette ligne droite aux deux rives oppofées. Il y a cependant des cas particuliers,où cette règle paroît fouffrir à^s exceptions. S'il s'agit de former une ifle , on petit quelquefois élargir la rivière des deux côtés: alors fes eaux fe divifent pour envi- ronner rifle de tous côtés & fe réunir en fuite » pendant que les deux courans confervent leur carac- tère principal. On peut ufer de la même liberté dans la réunion èos courans : cette réunion influe fur la largeur & fur la forme ; mais il faut être ici très-modéré , de peur que la largeur ne foitdifpro- portionnée, & ne divife la rivière en deux courans dont l'un tombera dans un érans , & l'autre en for- tira (i). Les deux bords d'un lac peuvent toujours {i) La rivière feroir alors divifèe, non dans fa largeur ï n\ t6 VArt de former être reculés"; mais s'il eft grofli d'une rivière, raggrandifTemenc doit venir principalement du ri- vage oppofé au courant, afin qu'il paroifTe que ;; c'efi: un é'-irgilTement réel du lac , &: non pas fiiTi- « plement l'embouchure d'une rivière. Les courans qui divifent une rivière , doivent ij conferver pendant quelque tems , foit rcelleçaenc, : foit en apparence, à peu près la même largeur: i| s'ils diminuent trop fenfiblement, il faut qu'ils fi- nifTent bientôt , &: ils relTemblent plus à de petites bayes qu'à des courans. Il efl: vrai que c'efi; afiTez in- différent lorfqu'ils tombent dans un lac ; mais il efi: rare qu'une petite baye foit agréable dans une ri- vière; elle détourne le courant , & fes eaux pa- roififent ftagnantes. Tout enfoncement dans lequel le courant fe perd , eft un défaut dans une rivière, de quelque grandeur & de quelque forme qu'il foit. Si ce n'eft qu'une efpece de réfervoir & non un paf- fage, c'eft un figne que l'eau s'étend en tout fens plus qu'elle n'avance, ce qui eft eftentiellement op- pofé à une rivière. Mais une pointe de terre qui ne fait que d«|purncr ou relTerrer le courant , malgré l'efpece de baye qu'elle forme , n'eft pas fujette à comme par une ifle, mais dans fa longueur, comme le Rhône Teft par le lac de Gefieve. tes Jardins modernes. 87 la. même objedion. Cette baye ne ferme pas le pafîage j ce n'eft qu'un obftacle qui renforce le courant, & ne préfente aucune idée de ftagnation. Il eft peut-être inutile d'ajouter que dans un lac, qui eft précifément l'oppcfé d'une rivière, les pe- tits creux, bayes ^ & autres inégalités de cette ef- pece , font des attributs de earaâlére , qui ont prefque toujours de la beauté, ^ font quelquefois néceifaires :ce qu'on leur reproche dans une rivière eft juftemgnt ici ce qui fait leur mérite. XXVIII. D^m Lac. i-j ES différences elTentielles dont nous avons déjà parlé , qui fe trouvent entre un lac &: une rivière, & les points de relfemblance entre ces deux objets trop fenfibles, pour mériter quelque explication, ne font pas les feules chofes dignes de remarque qu'ils offrent à notre obfervationj ils ont encore quelques fingularités propres à chaque caradtere^ qui, très-communes dans l'un, fe trouvent diffici- lement dans l'autre , du moins jamais affez fré- quemment, ni d'une manière aflez fenfîble , pour fouffrir la comparaifon. Il eft effentiel à un lac d'être étendu en tous fens j & l'ame qui faifit tou- F iv 8 s L'Art di former jours avidement les grandes idées, trouve du charme à parcourir une vafte furface. Un lac na peut guère être trop étendu , foit qu'on le con- fîderc en détail, ou qu'on n'en examine que l'en- femble : mais l'oeil eft peu fatisfait, lorfqu'il ne trouve pas un objet fur lequel il puilTe fe repofer. L'océan lui-%ième nous dédommage à peine de fon immenfité par fa majefté & fa fublimicé : pour qu'il forme une perfpeclive agréable, il faut qu'on puilfe appercevoir à une diftance médiocre un rivage , un cap , ou une ifle , qui donneron.c une figure à cet efpace immenfç. Si l'étendue la plus vafte que des yeux puifiTent parcourir, doit être reflerrée pour qu'elle plaifej fi les plus fublî- mes idées que la création ait pu imprimer dans r.otre ame , doivent être arrêtées au milieu de leur carrière , fi l'on veut les réduire aux principes du beau : combien feroit-on choqué de voir ces , principes violés par une étendue fans bornes dans des objets infiniment moins vaftes! Un lac dont • les bords oppofés font à perte de vue , fait oublier qu'il a des limites, & ne préfente que l'immen- fitc ; en même tems qu'il trompe l'œil , il déplaît à l'imagination : ce n'eft qu'une furface où l'on fé perd , & qui n'offre rien d'injérefTant & d'agréa- bU:une cote pla:e & éloignée, qu'on n'apperçoi-i: les Jardins modernes. §9 qu'obrcurément & peu diftindement , ne corrige pas ce défaut ^ mais elle peut devenir un moyen de le faire difparokre, parce que des objets plus élevés & plus diftingués paroifTent plus rappro- chés , & reflerrent l'efpace qu'ils terminent. C'efl: U l'effet conftant d'une cote élevée j celle qui eft plusbafle, mais couverte de bois, s'élève réelle- ment y & fi elle eft marquée par des édifices , elle devient encore plus fenfible. /Des obfervations , quoique directement rela- tives à de irès-grands lacs naturels , font encore applicables aux lacs des parcs ôz des jardins qui en font une imitation. Les principes fur lefquels elles font fondées, font également vrais dans les uns & les autres :& quoiqu'on ne puilfe fnppofer un lac artificiel d'une grandeur exceffive , confidéréen lui-même, il peut être tel par comparaifon : c'eft- d dire qu'il peut être fi peu proportionné à tout ce qui l'environne, qu'il n'offre que l'inlipidité d'une immenfe plainp liquide : on fait que route gran- deur eft relative. Si le lac excède les dimenl?t->ns convenables, & que fes bords trop plats contri- buent encore à rendre cette perfpedive plus dé- fagréable , un bois qui élèvera les bords , & des objets qui les feront distinguer, produiront les mcmçs efFçts que fur une échelle plus confidérable. 9(5 L*An déformer Si !a longueur d'une pièce d'eau eft trop grande pour fa largeur, & au point de détruire toute idée de courant circulaire , les extrcmirés dans le fens de la longueur font trop éloignées : pour les rapprocher , il faut les élever &: les diftinguer for- tement , pendant qu'on augmentera la largeur ap- parente , en abaiflTant {^% deux bords oppofcs. En partant du même principe , fi le lac eft trop petit , wn rivage à fleur-d'eau le fera paroître plu? confi- lahle. Mais il n'cll pas nécefîaire que l'on appêr- çoive toutes les extrémités du lac : fi fa forme eft bien marquée dans une partie confidérable, l'au- tre partie peut fe dérober à nos yeux , fans avoir rien de choquant. On obferve mcme avec plaifir ces tremblemens à la furface , qui font une preuve cjue Peau eft encore loin du rivage. On eft tou- jours dans une agréable incertitude fur fon éten-^ due: une colline, un bois même & la campagne peuvent cacher une de {q% extrémités , & donner carrière à l'imagination , qui ne manque pas de fe figftrerune immenfe pièce d'eau. Les occafions de produire de femblables effets , fe pré fentent fré- quemment j & de toutes les formes celle dont je parle eft la plus parfaite : la fcene eft limitée , & l'étendue du lac eft indéterminée : un horizon bien deffiné fatisfait l'oeil, pendant qu'une futface fans les Jardins modernes. 9 1 bornes eft abandonnée â l'iniagination ; mais une figure route fimple prévienr le dégoût, fans don- ,ner beaucoup de plaifir. Il faut donc s'attacher ^ dans les pièces d'eau à perfeétionnerles bords qui font fufceptibles d'une extrême beauté : les bayes y les pointes de terre. Se autres petites inégalités, font les parties ordinaires de cette ligne extérieure : joignez y les iiles , les encrées Se i^^s /orties des ri- vières , &c. & vous aurez un fonds inépuifable de variétés. Une ligne droite d'une longueur confidérable peut contribuer à cette variété; elle eft quelque- fois très-utile pour éviter qu un canal formé en- tre des ifles & le rivage, ne reiïemble à une ri- viere. Mais il ne faut jamais fouffrir de figures parfaitement régulières, parce qu'elles paroiflTent toujours artificielles , à moins que leur grandeur n'écarte abfolumeni cette fuppoiîtion. Une baye demi-circulaire, malgré la beauté de fa forme, n'eft pas naturelle ; & toute figure compofée de lignes droites, eft très- vilaine. Il faut donc expri- mer ^ tantôt des lignes courbes , & tantôt des li- gnes prefque droites ; elles formeront un contrafte agréable : ainfi la multiplicité des contraftes peut fouvent être une raifon de donner plufieurs di- re6tions à un enfoncement , & plus de deux # 9rz L'Art de former côtés à un avancement ou promontoire. Les bayes & promontoires, quoique d'une grande beauté , ne doivent pas être en trop grand nombre j car un rivage coupé en petites portions & en petits creux , n'a point de ligne extérieure fixe; il eft mis en pièces fans être diverfifié : la lïetteté & la fimplicité des grandes parties eft dé- truite par la multiplicité des fubdivifions : mais les ifles s'accordent beaucoup mieux avec une grande compofition, quoique les canaux qu'elles forment foient forts étroits , parce qu'elles nous rcpréfentent au delà un efpace dont les bornes ne peuvent être apperçues, &c que la perfpedive de leurs difFérens rivages eft extrêmement reculée, toutes CQS interruptions dans les points de vu3 multipliant beaucoup l'étendue à l'imagination. 'Lts entrées fc les forties des rivières produifent des effets femblables : l'imagination fuit le cou- rant bien plus loin que les yeux , & (es excurfionS' ne connoilfent point de limites. Ainli la plus ma- gnifique compofition dont les eaux foient fufcep- tiblcs, eft celle qui confifte, partie en lac, & par- tie en rivière; qui a route l'étendue de l'une, &: toute la continuité de l'autre, chaque genre étant fortement caradérifé au point de réunion. Lorf- que lariviere entre dans le lac , il faut que -^ les Jardins modernes. 95 iireâ:ion foit oblique à la ligne qu'elle coupe \ les reâ:ions à angles droits étant ici, comme par-tout ailleurs, trop régulières. Mais lorfquele confluent forme un angle aflTez aigu , pour que le bord de la rivière s'uniflTe avec celui du lac , & fuive quel- que tems la même direcftion , une petite courbure donnée a cette ligne, précifémenc à la fortie, dé- tachera le lac de la rivière. XXIX. Du cours d'une rivière, V^uoiQUF. le cours tortueux d'une rivière entre totijoursdans l'image qu'on s'en forme, tien n'em- pêche qu'elle ne foit naturelle , fans fefpentercorx- tinuellement ; & ce ne font pas les détours feuîs qui décident fon caraiflere. Au contraire, s'ils font trop fréquens & trop fnbits , la rivière fe trouve réduite à un certain nombre d'étangs fépaccs , Se '(on cours devient confus par la difficulté de le fuivre. La longueur eft le figne le plus marqué de i.i continuité: ainlî de longs courans car;ictérifent une rivière , & contribuent beaucoup à fa beauté : chaque courant peut erre regardé comme une pièce d'eau conlidérable , &: l'on peut exrrememenc va- rier & embellir fes bords, Mais il ne faut employer 5)4 VAn de former que rarement la ligne droite: elle donne à la ri- vière l'apparence d'un canal tronqué j à moins qu'une grande largeur , un pont, & des objets for- tement contrafiics fur les rives oppofées , ne faf- fent illufîon fur la régularité. Une très petite cour- bure efface toute idée d'art ^ de ftagnation , pen- fiant que des inflexions plus marquées feroient fouvent beaucoup moins heureufes , parce qu'un écarrement exceflîf de la ligne droite vers le cer- cle _> rétrécit la perfpe6tive, 5i affoiblit l'idée de la continuité, & que s'il eft exempt de roideur, ilapprvoche de i gui arité. La ligne véritablement belle ell celle qui s'éloigne également de toute figure décrite par la règle & le compas. Ce n'eft pas que la rondeur j même à un de- gré confidérable, ne foit fouvent très-convenable , lorfque le cours de la rivière change de diredion; .'fî le décour eft produit par une langue de terre fort aiguc d'un côté, c'eft le cas d'arrondir le côté op- pofé , & d'élargir le lit : car l'effet naturel de l'eai; détournée de fon cours ordinaire , eft de miner & détruire la rive oppofée. Une courbure paroîtra donc naturelle, & terminera le point de vued'une manière diftinde & fitisfaifante : il faut que l'an- gle d'inflexion foit plus grand qu'un angle droit; s'il étoif moindre , il termineroit le courant immé- diatement, ^détruiroic toute idée de rivière. les Jardins modernes. ^f XXX. Des Ponts, i-«£S ponts font admirables pour nous peindre le cours d'une rivière : quoiqu'ils croifent le courant , ■ ils ne nuifent point à la vue : on voit l'eau couler ifous les arches, & l'imagination la conduit bieii "loin au-delà. Une telle communication entre deux: rivages oppofés, eft une preuve qu'il n'y en a pas d'autre , & donne en même tems de la longueur bi de la profondeur à une rivière. La forme d'un lac, au contraire, indique que tous Tes bords fonc accen'ibles en faifant un certain circuit. Les ponts fonc donc incompatibles avec la nature d'un lac , mais ils entrent dans le caraélere d'une rivière: c'eft d'après cette idée qu'on s'en eft fervi pouc fauver un point de vue trop limité : il eft vrai que cette fraude a été ii fouventmife en œuvre, qu'on ne veut plus s'y lailTer tromper : quelques tentati- ves 'plus hardies dans les mêmes vues , auront maintenant beaucoup plus de fuccès. Si l'extré- mité du courant peut être tournée de manière qu'elle échappe à la vue , un pont à quelque dif- tance jette dans une agréable erreur , & i'eaa qu'on apperçoit au-delà ne lailTe plus aucun doute <)i6 UAr de former fur la continuité de la rivière. On fuppofe d'a- bord, que fi l'on avoir eu delFein de tromper, le ponc eût été beaucoup plus reculé, & la fource de l'illufion vient du peu d'apparence qu'elle exifte. Comme un pont n'eft pas (împlement accef- foire d'une rivière , mais une de fes parties eiren- tielles , il faut avoir grande attention à leurs rap- ports mutuels : c'eft pour n'avoir pas aflez obfervé ces rapports, qu'on a tant multiplié ces nouveaux ponts de bois d'une feule arche , qui me paroif- fent ordinairement fi déplacés. Cette arche fi cle-^ vée fans nécelîité, eft totalement détachée de là rivière relie paroît fouvent fourenue en l'air, fsnslji aucun rapport avec l'eau far laquelle elle s'élève ^Hi & cetornement de pure oftentation détourne tou-j les les idées que fon ufage fuggér^roit en qualité de fimple communication. La grandeur du pont d Walton ne peut, fans afledlationjêtre imitée dan un jardin , oà l'on eft privé du fpeclacle ma gnihque qu'oftre la Tamife renfermée fous un^B| feule arche.Ainfi, à moins que fa fituation n'exig^B| qu'il foit très-élevé, ou que le lieu d'où il eft 2p--^v perçu ne le domine de beaucoup; ou qu'un l^o^^Bj, ou une colline, au lieu du ciel, ne rempiifle tier'B||. riere lui l'efpace vuide que l'arche découvre ; u tel pont paroît un effort fans néceflité , & tout à'Hi fait déplacé. Uifl/ Us Jardins modernes, 5^7 Un petit point ordinaire fait de planches , def- x'mé aux gens à piedj muni d'un garde-tou , ôc foutenu par un petit nombre de limples piliers, eft fouvent préférable. Comme moyen de com- munication , ôc ne prétendinc à rien de plus, il eft parfait dans fon genre. L'art venant au fecours de la nature , ne peut porter plus loin la (implicite j & fi les bords de la rivière, fur iefqnels il eft fou- tenu , font d'un® hauteur médiocre , fon élévation empêchera qu'il ne paroiife mefquin. Rien ne ca- radtérife plus fortement une rivière : il eft trop fim- ple pour être un ornement, trop obscur pour pré- tendre à l'illufion • il eft deftiné à la feule utilité , &_ne peut être qu'un paftage : l'orner, c'eft le dé- grader ; Sc.fi l'on s'avifoitde le peindre autre'menc qu'en couleur brune , on le défigureroit totale- ment. Mais auflî un pont tel que je viens de le dé- peindre , eft trop peu confîdérable pour une grande fcene , &c trop lîmple pour une fcene élégante : «n pont de pierre eft plas convenable à l'une &c à l'autre. Mais une élévation extraordinaire ne lui fied pas mieux , à moins que fa grandeur ne balance fa hauteur. Il y a aufti un cercain degré d'union à obferver entre les bords de la rivière ôc le pont j qui doit paroître s'élever, & naître du G i^^ VAn de former rivage. En général, il ne doit pas être fort élevé au- deiïus du niveau j il faut tenir le parapet très-bas, ou le terminer vis à-vis des bois ou des collines, pour en diminuer l'uniformité. Enfin il ne faut né- gliger aucun moyen de marquer la liaifon de ce morceau d'archireéKire avec l'eau qu'il croife, & le terrein qai lui ferc d'appui. Dans les fcenes fauvages & pittorefques, on peut introduire un pont de pierre ruiné, dont quelques arches fubfiftôront encore : l'efpace vuide qu'auront laifle les arches abattues, fera rempli par quelques •planches accompagnées d'un garde- fou. C'eft un objet pittorefque, & fait pour fa fitua- tion : l'air antique de ce palTage , le foin qu'on a pris pour le tenir toujours ouvert, malgré la ruine de l'ancien pont , la néceffité apparente qui en ré- fuhe d'une communication, lui donnent l'air im- pofint de la réahté. Dans toutes les fcenes magnifiques , & dans quelques-unes de celles où l'élégance domine , un pont furmonté d'une colonnade ou de quelqu'autre ornement d'architedure, eft un morceau de ca- radtere qui leur eft propre; c'eft une beauté parti- culière, qui convient à diverfes fituations. La CO' ionnade feule eft un objet parfliit en lui-même d<. indépendant , qui fert à orner plufieurs efpeces de Ifs Jardins modernis, Ç)^ bâtimens. Elle embellira donc une fcene où l'eau ne peut erre apperçue , mais il ne faut pas qu'on la voie au deiîous de la baluftrade. Si les arches pa- roififent, le pont rentre alors dans la clafTe ordi- naire. Elles peuvent dans certaines occafions être utiles pour marquer la continuation du cours de l'eau, qui fans cela paroifloit douteux : mais eu général elles ne font que nous rappeller ce qui manque au point de vue. Il y a d-es lituations ou deux ou trois ponts peuvent entrer dans une perfpedive. Une rivière qui fe partage , donne toujours le moyen de les placer dans différentes diredtions , & les dé- teurs du même courant procurent fouvent le même avantage. Il eft rare qu'il fe préfenre des circonftances où il faille établir une différence Jîlus marquée qu'entre deux ponts de conftrutlion femblable , dont l'un fert réellement de paflTage, & l'autre fitué au deflous , n'eft que pour le plai- 'fîr de l'œil. On n'a donné aux ponts tant de va- riété , qu'afin de les rendre des objets propres à décorer des fcen*es d'un genre très-oppofé. La feule difpofirion des objets voifins, donnera lieu encore à des diflérences fenfibles. Un pont qui, par une inflexion de la rivière, fe trouve terminé pac un bois ou par quelques hauteurs, relTemble aifez G ij ï Oo Ï/Art de former peu à un autre pont, qui ne laifiTe voir derrière lui que l'eau & le ciel , Se s'il arrive que les grouppes foient bien diftingaés du pont, par exemple, qu'un ou pludeurs arbres foient tellement fitués, que leurs riges paroiireni fous les arches , 8c leurs tètes au- dellus , l'enfemble fera un objet très pittorefque , ■ qui ne conferve plus qu'une relTemblance très- cloignée avec un pont ordinaire, privé de cous ces ces accompagnemens. Au milieu de cette variété, il efl: aifé de choifîc deux ou trois arbres qui diverfilîent lemêmepay- fage , bien loin d'y jetter de l'uniformité : & s'ils font placés avec intelligence , enforte qu'ils ne foient ni grouppés confufément, ni féparés régu- lièrement , ils ne gâteront jamais une perfpec- tive. XXXI. Des ornemens d'une rivière. Defcription des eaux.mm de Blenheim. Une rivière exige quelques embelliiïemens. Son cours qui change continuellement , devient une fource de variété pour les licuations. La fertilité, l'abondance & les agrémens qui l'accompagnent, i'cadent ordinairement ^qs bords bien peuplés 5cffl j les Jardins modernes. iqi bien cultivés; des ornemens répandus avec prolru- fion le long d'une rivière artificielle, ne font qu'une imitation d'un beau pays qu'arrofe une rivière na- turelle. On peut bâtir &c planter fur fes bords de toutes les manières, 6c la lituation des bois & des bâtimens fera d'autant plus heureufe , qu'ils feront plus près de l'eau.. C'eft de-là qu'il fe répand un certain éclat fur tous les environs. Les objets qui font affez près de l'eau pour pouvoir être réfléchis, font les plus intérelfans ; ceux qui lont un peu plu? éloignés, fervent aufli à animer la fcene. Il n'eft^ pas, jufqu'à ceuxqui paroiflent totalement déta-' cKés des autres, qui ne rentrent dans l'enfemble & ne contribuent à le rendre plus intéreHant. Au-devant du château de Blenheim ( i ) il y avoit un large & profond vallon qui féparoit bruf- quement le château d'avec la peloufe &c les bois. Il avoit donc fallu conftruire un énorme pont pour traverfer cette profondeur : mais cette communi- ! cation forcée étoit ua fujet perpétue} de raillerie, (i) Ce fameux château eft à fept inlUes d'Oxford au nord, & près de la petite v^Ue de Woodftock. Il fut bâti €n 1705 , par ordre de la reins Anne , pour récompenfer le duc de Malborough après Tes vi(îloires. Son plus beaijt point de vue eil du portail de Woodflock. G iij îOi VArt de former & les objets compris fous le même point de vue étoient toujours tiivifés en deux parties .ibfola- nient diftinfles l'une de l'autre. Ce vallon eft de- venu depuis peu le lit d'une rivière; mais il n'a pas été rempli , & il n'y a que le fond qui foit couvert d'eau. Les bords , quoique toujours extrê- mement élevés, ne préfencent plus l'idée d'un pré- cipice: ils ne font que les rives hardies ( i ) d'une n:!agnifique rivière. Le même pont a fubfifté fans aucun changement i mais il a ceiTé d'être ridicule : l'eau lui a rendu fa beauté & l'a mis à fa place. Au- delTus du pont, la rivière du lieu d'où on la dé- couvre, parok naître, en ferpentant dans le vallon , de derrière un petit bois épais; & bientôt après>. prenant un cours plus déterminé, elle eft aOTez large pour contenir une ifle couverte des plus beaux ar- bres. Les rivages voifins font ornés de beaux group- pes d'arbres qui , pour la grandeur & la difpofition, reiïemblent à ceux de l'iiie, & font mêlés de jeunes plants. Immédiatement an-de(Toi-is du pont, la ri- vière forme une plus belle nappe d'eau , dont les deux côtés font de vailes peloufes (i). Sur celle qui (i) Elles ont environ deux cents cinquante pieds de déclivité. {%) Tous ces bça ux tapis vcrds font toujours couverts tes Jardins modernes. ' 105 eft la plus éloignée du château, éroit autrefois ii- tué le palais de Henri II, célé'oïc dans nos an- ciennes chanfons , foas le nom du berceau de ia belle Rofamonde. Une perite fource d'eau claire qu'on voit dans cet endroit, & qui efi marquée par un faule , eft encore appellée par le peuple des environs, le puits de la belle Rofamonde ( i ). l'CsCJ'l.WU^USU ^^ISf^'S. en Angleterre, de bre'oîs, d'agneaux , à.c vaches, de dains, &c. ce qui rend ces perfpedlves fi intérefTantes. (i) Rofiinonde , fille de Gautier lord Clifford , fut la beauté la plus célèbre du douzième fieclc. Le roi Henri II l'aima éperduemenr , & pour n'être pas troublé dans fes amours par la reine Eléonore fa femme (cette héritière de Guyenne répudiée par Louis le Jeune, & qui porta à. l'excès, dit M. Hume , la galanterie & la jaloufie , c'eft- à-dire, toutes les foiblefies de Ton fexe ) il fit bâtir à Woodftock une maifon en forme de Isbyrlfithe, cii Xoxx ne pouvoir entrer fans en avoir appris le fecret. Ceft là que demeuroir ordinairement la belle Rofamonde, & que le roi pada avec elle les plus doiixmomens de fa vie. Ce- pendant la reine découvrit enfin le imyfl;ere,par le moyen du fil qu'elle apperçut uajour aux pieds du roi. Elle péné- tra jufque dans le lieu où étoit Rofamonde, & la rnamaica- fi fort , que cette malheureufe beauté en mourut peu de tems après, & fut enterrée chez les rcligieufes de, Woodllock. D'autres difeut c^u elle fut empoifonnéSo O.Xii, G i"^ Ï04 ' L'an de former Près de-là eft un très-beau ruiiïeau ,qui conferve fa Iarg3ur jufqu'â ce qu'il le dérobe à la vue derrière une colline. Il contribue à groflîr les eaux de la rivière principale, qui, après avoir fait un pecic détour , forme un large canal en ligne droite , Sc fe termine par une fuperbe cafcade , précifémenc dans le lieu où on la perd de vue (i).Sur un àes co- tes de ce canal eftle jardin. Les bords efcarpés font diverfifiés par àcs bofquets & des clarieres j & ce font les plus beaux arbres qui couronnent le fom- mst. De l'autre côté fe préfente dans le parc un bois magnifique en empliithéatre : ce bois étoit beaucoup moins agréable quand il venoit fe per- dre dans le fond du vallon. C'eft à préfent un des plus riclies & des plus beaux orneraens de la rivière. Il fe continue par une pente douce jufqu'au bord de l'eau j où fans la couvrir de fon ombre , il eft réfléchi fur la furface. Ce même bois reened'un mit fur fa to:r.bs ces deux vers, dont les jeux deijiotsfont dans le goût du fiecle. Hic jacet in tumhâ Rofu mundiy non Rofa mundu-. Non redolet 3 fed olet, qiiœ redoUrefolet. (i) Cette rivière n'cA qu'un ruiffeau- avant d'être en-- trèe dans le parc de Blenheiini elle va fe jettcr dans l'Ifis, ^ui palTv; à Oxford.'. les Jardins modernes, lo^ autre coté le long da ruiireau voifin ; le bord qui en effc couvert, eft très-coupé & très- varié, étant en oppofition avec un grand malîîf fort irrégulier, qui orne le penchant de l'autre bord. Ce dernier eft à une ^ftanceconlîdérable de la rivière principale; mais le ruilTeau le raoproche & lui donne de la liaifon avec tout lerefte; tous les autres objets, qui auparavant étoient difperfés, (2 trouvent main- tenant former différentes parties d'un même tout, 6c compofent par leur réunion un des plus magni- fiques tableaux de ce genre. Le château eft un édifice immenfe qui, avec tous les défauts de fon architeélure , pafferoit aifément pour une belle maifon royale (i). Après avoir été jette fur le bord d'un précipice, il s'cft trouvé placé tout à coup dans une des plus belles fituations du monde, il (i) On ne peut nier que Blenheim n'ait toute la graa- deur & la magnificence d'un palais ; mais il efi trop maf- fif, & l'architefte Wanbriigîi qui l'a bâti , manquoit de goût. Pour ce qui regarde l'intérieur & l'ameublement , il ferolt difficile d'imaginer quelque chofe de plus fuperbe. La galerie où efl: la bihlotheque,en eft le plus beau mor- ceau; elle a cent quatre-vingt-quatre pieds de long iur Irente-quatre de large. Toutes les pièces font ornées, de tableaux des plus grands maitrçs. îo6 VAn de former domine cette fuperbe rivière qu'on fuit ds l'œil à une très-grande diftance, & il s'ouvre fur un im- menfe tapis verd(i), digne de ce beau palais, & propre à donner une idée de fon domaine. Au mi- lieu de cette vafte peloufe, s'élève une colonne (i), magnifique trophée qui rappelle les exploits du célèbre duc de Malborougli , 5c la reconnoiirance de la Grande-Bretagne. Entre ce monument 6c le château, eft le pont qui fe trouve maintenant placé fur une rivière digne de lui . & dont la grandeur répond à la majefté de la fcene (3). L'arche du mi- lieu eft plus large que le Rialto , fans l'être trop pour le lieu où elle eft placée, qui eft cependant celui où la rivière eft le plus étroit. Il fe forme ici (i) Quelques jolis grouppesd'arbresverds, répandus çà & là , varient un peu cette vafte peloufe, qui fans cela feroit un peu nue , niali;ré les bois dont elle eft bordée. (2) Cette colonne qui eft canelée a cent trente pieds de haut. On y voit la ftaïue du fameux duc de Malbo- rough, avec un long verbiage d'infcriptions peu honora- bles à la France. L'Angleterre & toutes les nations four- millent de ces monumens fi propres à perpétuer les haines nationales , & qui révoltent tout voyageur philo- fophe. (3) Ce pont qui reflembîe , dit-on , au Hialto , m'a pj^UL grand , mais un peu lourd. les Jardins modernes. , t 07 plufieurs belles pièces d'eau , donc la plus confidé- rable fe perd infenfiblemenc dans le bois, qui de ce côté là termine le tapis verd & Ihorifon^Tout eft grand au-devant de Blenheim; & cependant dans lin efpace auffi vafte, chaque partie eft fi confiué- rable, chaque objet fî magnifique, qu'il ne paroîc aucun vaide : la plaine efi: d'une étendue immcnfe, le vallon très-large, le bois très-profond. Quoique les intervalles entre les bâtimens foient fpacieux, ils font remplis par cette grandeur importante que le palais répand fur tour ce qui l'environne; &: la rivière dans fon cours fi long &: fi varié , tenant à toutes les parties » donne de l'ame à cet enferable. Tous CCS objets, quoique très- éloignés les uns des autres, paroifiTent aiTemblés autour de Icau, qui forme de toutes parts de belles napes , dont les extrémités font indéterminées. Enfin la grandeur & la beauté des eaux de Blenheim , &: le goût dins lequel elles ont été traitées, font dignes de cette fcene majeftueufe. Tout y eft noble , tout y eft animé , tout y rappelle ce palais d'un grand roi, préfent magnifique du peuple Anglois à un héros l'honneur de fa patrie. *%,#* *c8 LArt déformer XXXII. D'une rivière qui coule au travers d'un bois. Def- cripùon des eaux de Wouon. JLa rivière qui unit toutes les parties de cet en- femble , en eft l'objet principal. Ses eaux ne font pas perdues, quoiqu'elles fe dérobent à nos yeux dans ces retraites obfcures & écartées, dont elles font un lieu de délices : elles font fufceptibles des formes les plus belles, & même de beaucoup de grandeur , finon par leur étendue , du moins par leur difpofition ; divifces en plufieurs branches, elles formeront quantité d'ifles toutes liées en- femble , elles arroferont toute l'étendue du bois , & fembleront multiplier l'efpace. L'air de folitude qui caradérife ce lieu , eft dCi aux arbres dont il cft couvert; mais il y aune chofe à obferver dans leur difpofition, qui mérite beaucoup d'attention j c'eft qu'une rivière qui coule au travers d'un ter- rein couvert d'un feul & mcme bois fans aucune divihon , &: une rivière qui coule entre deux bois bien diftin^uésjfe trouvent daVis deux polirions très- difrérences. Lorfque les bois font féparés , ils peu- vent être contraftés dans la forme & le ftyle , de leur liçne extérisure doit être fortement deûinde'" les Jardins modernes. lo^ C'eft tout le contraiie dans un bois qui ne forme qu'une feule maffe. Il ne faut pas qu'on y puifle dillinguer une ligne extérieure, car la rivière pafiTe entre des arbres , & non entre deux bords réelle- ment diltinds \ & quoique dans fon cours elle traverfe des grouppes diverfement figurés , les deux rives oppofées doivent être conftamment unifor- mes , pour qu'on ne puifle jamais douter que ce ne foit le même bois. Une rivière qui coule entre deux bois, peuc n'ctre pas totalement dérobée à la vue : alors elle ell: foumife aux mêmes principes qui règlent le cours & les ornemens d'une rivière qui traverfe ua pays ouvert. Mais lorfqu'elle fe perd dans un bois, elle celTe d'être en petfpective. Il fe préfente natu- rellem^ent mille obftacles qui font qu'elle ne peuc être .ipperçue j ëc une ouverture afiez confidérable pour que l'œil pût long-tems la fuivre , paroîcroic un effet de l'art. Il faut donc que la rivière fer- pente dans un bois beaucoup plus que dans une prairie, où fon cours eft entièrement libie j mais il ne faut pas non plus que fon aclrion foit auflî fen- fible fur fes bords. Les bâcimens feront très-près du rivage, & s'ils font trop nombreux, ils paroî- tront entalfés , parce qu'ils font de niveau Se dans des fituations à-peu-près femblables. Cependant, tïO VAn de former bien loin que la fcene foie dénuée de variété , il en eft peu qui en foienc plus fufcepcibles j &; quoi- que la difféience des objets n'y foit p^s aufîi feH- Cble que dans un pays découvert , ces objets font pourtant très- variés ôc plus multipliés. Remarquez qu'il eft ici queftion de l'intérieur d'un bois , où chaque arbre devient un objet, chaque grouppe, une variété , où un grand efpace n'eft pas nécef- faire pour diftinguer chaque difpofition différente , où le bocage, le bofquet , les grouppes intérelfenc tour à tour j où toutes les figures & les rapports peuvent changer à volonté , fans que l'imagination y perde, & que les objets deviennent trop nom- breux. Les eaux font un objet fi univerfellemenc & fi juftement admiré dans un point de vue,qi'e lorf- qu'il s'agit de leur difpofition , (a première idée qui fe préfente , eft de les découvrir autant qu'il eft poflible. Qui les cachefoit à deflTein , fembleroic vouloir fe priver lui-même d'une des plus grandes beautés de perfpective. Cependant ces eaux font fi belles lorfqu'elles palfent au travers d'un bois , qu'on peut en facriher une grande partie à orner des retraites écartées, leur prodiguer par-tout des embellitremens de différens genres, qui contrafte- ront merveilleufement les uns avec les autres. , les Jardins moiirnes. 1 1 ï ^ Si les eaax de Wotton ( i ) éroient entiéremenc â découvert , l'allée de deux milles de longueur qui règne le long du rivage., deviendroit excrcme- fnenc ennuyeufe, parce qu'elle feroit privée de ces changemens de perfpedive , qui réveillent fans ceife par leur extrême variécé. Ces eaux font d'une étendue (î confidérable, qu'elles fe divifent en qur.- ire principales parties, toutes dans le grand du côté du ftyle 5c des dimenfions , & toutes différentes quant à leur caradtere & à leur fituation. Les deux premières font les moins confidérables : l'une eft un canal d'environ un tiers de mille de long, & de largeur fuffifante , qui coule au travers d'une belle prairie, & eft orné d'une fuite d'arbres bien group- pcs, & fi vaftes, que leurs branches s'entrecroifenc & forment un berceau fort élevé an-deffus de l'eau , excepté dans les endroits qui s'ouvrent pour laiffer voir de jolies collines dans la cam- pagne. Le fécond morceau femble avoir été au- trefois un bafliii régulier environné d'arbres, & l'on apperçoit encore des deux côtés quelques traces de régularité j mais la forme de l'eau en eft tout-à-fait exempte. Sa furface eft d'environ qua- (i) Maifon de campagne de M. Grenvllle, dans la vallée d'Avlesburj' en Buckinghamshire. ^ I i L'Art de former torze arpens. Ici naifTentdeux larges ruidéaux qui ferpentent l'un près de l'autre vers une belle ri- vière, à laquelle on jiireroit qu'ils vont mêler leurs eaux. Mais leur jondtion réelle avec la ri- vière , eft impoflible par la différence des niveaux. Cependant les limites ont été cachées avec tant d'art, qu'on eft nécefîairement dans l'erreur , oc qu'on n'en demcle pas facilement la caufe , lors même qu'elle eft reconnue. La rivière eft la troilîeme des grandes divifions de l'eau , & le lac dans lequel elle Te dégorge eft la quatrième. Ces deux parties fe joignent ou plu- tôt font la continuation l'une de l'autre ; mais leurs caractères font directement oppofés ; les fcenes qu'elles décorent, font totalement diftinctes ^ cZ le paflage de l'une à l'autre eft dans une parfaite gradation : une iile placée à l'entrée des eaux de la rivière ,'les fépare en deux parties, cache l'extré- mité du lac dont elle diminue Tefpac* dans l'en- droit le plus près de l'œil, & ne lui permettant de s'éren'dre que fuccellivement, jette dans l'ame l'idée du grand. Le fpettateur d'abord incertain n'eft point trompé dans fon attente : l'ille qui forme le pouu de. vue, eft digne du tableau donc elle fait partie^ elle eft vafte & fort élevée au def- fus du lacj le terrein eft coupe irrégulièrement; de I les Jardins moderhes. î i 3 des touffes de bois en ornent les bords : & fur I0 lieu le plus élevé , eft placé un périftyle d'ordre ionique , qui domine une magnifique nappe d'eau de plus d'un mille de circonférence , terminée d'un côté par un bois , &c de l'autre, par deux tapis verds qui fe préfentent de biais , dont le moindre eft de cent arpens j ils font diverfihés par de pe- tits bois Bc bordés d'arbres. Cependant ce lac , vu fous le jour le plus favorable, & avec toute la beauté. qu'il emprunte de fa grandeur , de fa forme & de fa fituation , n'a rien de plus intéreffant que cette rivière dont j'ai déjà parlé , qui ferme la troifieme divifion des eaux de Wotton. Elle x:oulc au travers d'un bois d'environ trois quarts de mille de long j fa largeur eft par-tout fort con- iîdérable , & fon cours infiniment varié , fans con- fufion» Ses bords étoient autrefois couverts d'un taillis qui n'eicifte plus ; mais on y voit encore quel- ques bofqucts : d'un côté , à peu de diftance du rivage, commence un bois li touffu , qu'il eft im- pénétrable aux rayons du foleil. L'intervalle eft un bocage charmant, tapiffé du plus beau verd. C'eft au milieu de tous ces arbres qiie la rivière coule lentement, en ferpentant continuellement, fans que fon cours offre jamais d'inflexion trop rapide> ou de direction trop long-tems continuée. Le9 H I f4 V Art de former mcmes adoucifiT^mens fe font fentir dans toutes les différentes jfcenes que la rivière embellit fucceflî- vement. Elles n'ont en général rien de faillant : ma- jeftueufes fans trifcefle \ fufHfamment éclairées, fans ctre expofées à un jour trop vif, ou plongées dans les ténèbres \ Se n'offrant jamais par de forts con- traftes de lumières ôc d'ombres l'excès des unes Se des autres. Rien n'en trouble la jouilTance j ni retendue des perfpeârives au dehors, ni la multi- plicité des objets intérieurs: la douceur eft propre- ment leur caradere , qui fe fait toujours mieux fentir lorfque les ombres deviennent plus foi- bies en s'allongeant ; lorfque le petit gafouille- ment des oifeaux , l'élancement des poilTons au- deHus de la furface des eaux , Se l'odeur forte dix chèvrefeuille , annoncent les approches du foir ; lorfque le foleil couchant lance (es derniers rayons fur le périftyle tofcan , bâti fur le bord de la ri- vière, près du balîîn fupérieur. Se qu'à travers les feuillages & l'obfcurité du bois, on voit cet édi- fice briller Se fe réfléchir fur la furface des eaux. Dans une autre partie de ces bois , peut-être la plus remarquable , on aconftruit un pont des plus clégans, furmonté d'une colonnade j ce pont n'eH: pas feulement un bel ornement pour le lieu où il eft placé, mais encore un objet fingulier Se très- !es Jardins modernes. îï5 piiîorefqne, vu d'un bâtiment odogone qui ed près du lac. On n'apperçoic que des arches cnvi- tonnées de bois, fans aucune apparence de rivière Le bâtiment à fon tour, vu de deffus le pont, eft un agréable objet , de même qu'un falon chinois , qui eft placé au milieu d'une petite lûe voifine. Ces deux bâtimens font alfez petits, &c les autres objets qui peuvent être apperçus , font éloignés. Mais des ornemens plus nombreux^ plus recherchés,feroienc inutiles dans un tableau fi rempli de beautés pro- pres à fon caradtere. On y voit de tous côtés les eaux couler avec profufion ; le lac fe déploie dans toute fon étendue , & Ton apperçoit une petite portion du baflin fupérieur ; l'un des ruilTeaux voifins eft un tout entier j ôc le pont lui-même fe trouve placé au milieu de la plus belle partie de la rivière: tous lesdifFérens objets du tableau fe fon- dent admirablement bien les uns dans les auti^s. Quoique les maftîfs &les grouppes d'arbres cachent fouvent la vue, ils ne rompent jamais la liaifon entre les différentes pièces d'eau. Elles forment toujours une ligne qu'on peut fuivre au travers des plus groiTes branches, 5c du feuillage le plus touffu j de petites ouvertures laiffent palfer les rayons de lumière que l'eau réfléchit à une grande diftance , lors même qu'une pièce d'eau fe dérobe à notrâ H ij ï 1 6 L'An de former vue; quelques arches d'un pont de pierre , vu en partie au travers du bois, peuvent conferver la liai- fon. Quelque interrompues , quelque varices que ioienc les fcenes dont il eft queftion, elles paroif- fent toujours former les parties d'un même tout, qui conferve en même tems le mélange dont une multitude d'objets eft fufceptible , 6c la grandeur de l'unité, la variété d'un courant, & lavafte éten- due d'un lac , la majefté d'un bois & tout ce que les eaux ont de vif & d'animé. X X X 1 1 r. Des Ruïffeaux. ^ I l'on peut quelquefois faire pafler une grande rivière au travers d'un bois, on y introduira plus facilement encore des courans d'eau moins con- fidérables. Ils défigurent plus fouvent qu'ils ne parent un pays découvert \ leur cours étant moins marqué par les eaux que par une ligne confufe de gazon , plein d'inégaltés , dont le verd eft diffé- rent de celui des objets qui l'environnent. Un grand ruiifeau peut n'être pas déplacé dans certaines ex- pofitions, quoiqu'à découvert ; mais un petit ruif- feau eft toujours plus agréable lorfqu'il fe dérobe à un point de vue général. Les principales beautés les Jardins modernes. 1 1 7 qui le caractcrifent, font le mouvement & la va- riété, qui exigent de l'attention _, du loifir &: de la tranquillité , pour que l'œil puifTe en faifir les agrcmens , & l'oreille les moindres murmures Tans interruption. 11 faut donc à un petit ruiffeau un lieu écarté &: reiïerré : ainfi un taillis bien couvert, fera toujours préférable à un bois fort élevé , & un vallon enfoncé à une exposition ouverte. Un feul ruilTeau à une très - petite diftance, n'eft qu'un fîmple courant; il perd tous fes charmes & tout fon mérite, & n'eft nullement proportionné à la fcene. Un grand nombre de petits ruilTeaux onz beaucoup d'effet dans certaines fituations, mais non pas comme objets. Ils ne font intéreffans que comme attributs de caradere , en arrofant touc Vintérieur du bocage, La maile des eaux d'une grande rivière a plii5 de force que de rapidité , & paroît trop lourde pour des détours &: des paflTages précipités : mais unrui(îèau , dont le mouvement eft très-vif, fe prête à toutes les fantaifies. De fréquens détouts déguifent fa petitelTe ; des inflexions courtes &: peu ménagées le rendent plu5 animé; des chan, gem.ens fubits dans fa largeur y jettent encore beaucoup de variété; & de quelque manière qus foîi canal fcrpente, augmente ou diminue, il par H iij j 1 8 rJrc de former roîtra toujours naturel. L'efprit trouve un amufe- YnQni à fuivre ce petit ruilTeau dans tous les laby- rinthes; à le voir forcer un pafTage étroit, s'éten- dre dans un canal plus large , lutter contre les obf- racles, & continuer fon cours embarralTé. Il y a des ruiflTeaux fi confidérables , qu'ils tiennent le milieu entre une rivière & les petits ruiiïeaux or- dinaires : aufîî empruntent-ils de ces deux efpeces les traits qui les caractérifent. Sans être aufli aflTu- jettis que l'une a de certaines règles , ils ne peu- vent jouir comme l'autre de cette extrême licence qui lui eft particulière ; leurs détours peuvent être plus fréquens que ceux d'une rivière, &; ils peu- vent couler plus long-tems que les petits ruiifeaux dans la même direction. C'eft la largeur de leur canal qui fert à déterminer fi leur beauté princi- pale rcfulte de l'étendue ou de la variété. Le murmure d'un ruiffeau eft un des princi- paux agrémens qui îui font propre?. Si le fond fur lequel il coule , eft plein d'inégalités , la pente feule fera naître continuellement un petit bruic agréable \ la moindre petite cafcade , le plus petit creux, d'où l'eau ne fort qu'avec effort, produira un gafouillement délicieux qui , fans être uni- forme , fe répétera fans ceiïe, & c'eft celui qui eft préférable d tous les autres. Le moins agréable eft I les Jardins modernes. 1 1 c> celui d'une eau qui coule à- peu-près de niveau , & que de petits obftacles font rejaillir. Mais il n'y a aucun de ces murmures qui doive être entière- ment exclus , & qui n'ait fon agrément particulier. Leur choix eft en notre pouvoir. En obrervant les caufes qui les produifent ^ nous fommes les maî- tres de les augmenter , de les afFoiblir & de les changer entièrement. Souvent une feule pierre ou quelques cailloux de plus ou de moins fuffifenc pour cet effet. XXXIV. \Des Cajcades. \J N petit ruiiïeau ne peut prétendre qu'au gafouil- lement d'une très - petite chiue d'eau. Le grand bruit d'une cafcade ne convient proprement qu'à une rivière , quoique de grands ruiflTeaux en ap- prochent de fort près j & toutes les tentatives qu'on a faites pour pafiTer ces bornes , ont été générale- ment fans fuccès. L'ambition ridicule d'imiter la nature dans fes grands écarts , ne fait que déceler la foiblelfe de l'art. Quoiqu'une belle rivière, don: la chute eft rapide & profonde , foit un objet de plus magnifiques, il faut avouer qu'une iimple cafcade préfente uns forte de régularité qui n» "1 zo VAn de former peut cire balancée que par fa grandeur. Mais ce n'eft pas fa largeur qui frappe, c'eft fa profondeur. Lorfqqe fa cbûte n'çft que de quelques pieds de hnur,larégularicé prédomine, & fon étendue nefert qu'à prouver l'ollentation de ceux qui ont traité une cafcade artificielle dans le goût d'une cataraâie. Elle fercit moins ridicule , fi elle étoit divifée en plufieurs parties , parce que chaque partie prifefé- paiement , feroit afTez large pour fa profondeur » & qu'en général ce feroit la variété, & non la grandeur, qui deviendrcit le caradterc dominant: mais il n'eft pas facile de former un aflTemblage de pierres brutes, grandes èc détachées, dont la force foit fuffifante pour fupporter une maffe d'eau con- fidérable , & on eft fouvent obligé de s'en tenir a une conftrudiion polie & uniforme , qui détruit le plus bel effet d'une cafcade. Plnfieurs petites chûtes d'eau qui fe fuccedent, font préférables a une grande cafcade , dont la fisiare & le mcmve- ment font trop réguliers. Lorfqu'un tout d'une grande étendue a été ainfi divifc en plufieurs parties, & que la longueur eft devenue plus importante que la largeur, un grand îuifFeau peut le difputer à une rivière, parce qu'été général fâ pente eft plus fenfibîe &z plus uniformé- ?iient co^ti^uce5 ce qui eft très- favorable 9 une les Jardins modernes. lit iiite de cafcades. La moitié de la dépenfe & du ravaii qu'exige une rivière pour qu'elle fe préci- :ipite d'une certaine hauteur Se une feule fois» u^Hroit pour embellir & animer un grand ruifTeau lans toute la longueur de fon cours. Or, tout bien ;xo.miné,ce que les eaux qui fe précipitent ont îe plus intérelTant , c'eft l'air vivant &: animé qu'elles donnent à une retraite. Une grande cafcade îxcite la furprife j mais la furprife dure peu j au ,ieu que le mouvement, l'agiration , la fureur, , /écume & la variété des eaux , font des effets pro- pres à captiver l'attention. Un grand ruiifeau eft idmirable pour les produire, fans cet air d'appareil. Se CQS efforts qui réveillent perpétuellement les idées de l'art. Pour détruire tout foupçon d'artifice , il eft fou- rent avantageux de dérobera la vue le commence- ment de la cafcade; car c'eft toujours ce commence- nent qui fait la difficulté. S'il eft caché, les chûtes i'eaa qui fe fuccéderonc , paroitront une fuite na- lurelle de plufieurs cafcades précédentes , dont .'imagination grollît toujours le nombre. Lorfqu'un uiiTeau fort d'un bois , cette petite fupercherie produira un grand effet ; 5c dans un pays ouvert , liantôt les décours fréquens d'un ruiffeau qui fer- pente , tantôt un pont large & peu élevé , pré- 121 L'Art de former teront naturellement les moyens d'en faire ufage» Une petite chute d'eau, ménagée adroitement fous une arche , commencera le mouvement qui don- nera un air très-naturel à une cafcade inférieure beaucoup plus confidérable. A yllS) J les Jardins modernes, ï 2 1 DES ROCHERS. XXXV. Des objets qui accompagnent les rochers. Dejcription du vallon de Middleion. Les ruiffeaux & les cafcades fe trouvent abon- (arnment dans les rochers , & les accompagnent larurellemeiu. C'eft dans les fcenes de cette ef- )ece qu'il faut prodiguer tous les enibelliiremens lont elles font fufcepcibles. Des rochers tout nuds •euvent exciter la furprilej mais ils plairont difii- ilement, à moins qu'ils ne foient de(Hnés à pro- luire certaines impreffions particulières. Ils fonc rop éloignés de tout ce qui préfente une idée l'utilité, trop liéfiles , trop déferrs. Ils peip-nenc 'lus le défaftre que la folitude, ôc infpirent plus .'horreur que d'elîroi. Une telle perfpedive fati- ueroit bientôt. Il elle n'éroit adoucie oar lout e que des lieux cultivés peuvent offrir de plus gréable j & lorfque des rochers font exnêmemenE luvages , de petits ruififeaux & de petites cafcades ç fuliifent pas pour diminuer leur âpieié, ii faut 124 V Art de former encore animer la fcene par des bois , & quelque- fois par tout ce qui défigne un lieu habité. Le vallon de Middlecon (i) s'ouvre entre des rochers qui s'élèvent infeniîblement d'un village très-pittorefque j il fe continue l'efpace d'environ deux milles jafqu'aux vaftcs marais de Peake. Là eft une entrée afFieufe , dans un défère parfemé d« rochers nuds , grifâtres , hérilfés &" fauvages , ter- minés, tantôt par des pointes efcarpées, & tan- tôt par de lourdes malTes: quelquefois ils s'élèvent en vaftes arcs boutans_, pofés les uns fur les autres, ''^ & quelquefois ils s'élancent hardiment & relient fufpendus fous la forme la plus bifarre. On n'y ver- roit point de traces d'hommes fans up chemin dont "° l'effet efl; très-peu fenfible dans cqi affreux tableau, & quelques fours à chaux qui fument continuelle- ment fur les côrés ^ mais les laboureurs qui en pren- '^ nentfoin, demeurent fort loin de là. Il n'y a point de cabane dans le valion ; &:ie fol, prefque au(B ftérile que les rochers , ne produit que quelques buiifons à demi deflTéchés : c'efl: une terre colorée'^' de toutes les nuances de brun &: de rouge qui dé-' notent fa (lériliic. Dans quelques endroits ce n font que des couches peu nombreufes de pierres (i) Près de ChatAvonh. ne la: na ica ae les Jardins moierms', 1 1 5 ©ires enfevelies dans un terrein mouvant; & dans .'autres , des efflorefcences 3«; des débris de mines (ui fe font précipitées dans les fonds. On obferve |ue les veines de plomb d'un des côtés du vallon , prrefpondenc à d'autres veines du côté oppofc , rccifément dans la mcme direction \ Se que les 3chers, quoique très - difFérens, félon les diffé- ïns lieux où ils font placés , ont pourtant des ormes du même genre aux deux côtés oppofés du allon, & paroUrent n'être que les parties d'ua îêrae tout. Il eft donc afTez vraifemblable que le allon de Middleton a été formé dans ces rochers ar quelque ébranlement violent de notre globe, lais trop ancien pour n'être pas effacé de la mé- loire des hommes, ou qui eft peut-être arrivé ,j ans le tems que l'Angleterre n'étoit pas encore j, euplée. L'afpedt du lieu juftifie cette conjedure, c n'a pas peu fervi à donner du crédit aux contes ue fait le peuple des environs pour en augmenter il horreur. Ils montrent encore un abîme on feprc- ipita , difcntils, une jeune bergère au défefpoir .'avoir été abandonnée de fon amant. Se ils vous onduifent à une caverne où l'on a trouvé un quelettej maisc'efttout ce qui refte d'un malheu- suxqui a dû périr de mort violente, & dont on 1 15 VArt de former ignore le nom. Cetce fcene afFrcufe, fi digne de | pareilles tradirions, commence à s'adoucir un peu, ' en fe mêlant avec un autre vallon , dont les col- lines font aufli des rochers , mais couronnés d'un !" très beau bois : près du lieu où fe forme cette réu- ■ nion , on voit couler , du fond d'un rocher, un grand ruifleau d'eau clairet brillante, groffi fuc- ceffivemcnt par quantité de petits courans , & ''''' embelli par une infinité de petites cafcades écu- mantes j qui fe fuccedent quelquefois aflfez long- temsdans la même direction. Quelquefois le ruif- feau ne fait que ferpenter, & forme une cafcade à chaque détour , ou fe promené parmi des touffes'' de gazon fur une pente alTez fenfible,fans êtr^**' trop précipitée. Lorfqu'il eft le plus tranquille, mille petits enfoncemens marquent toujours fon mouvement, qui eft par-tout très -vif, quelque-' "^' fois très-rapide, rarement lent, Jamais furieux ni terrible. Les premières impreflions qu'il fait naître, font celles du plaifir &. de la gaieté, très -diffé- rentes de celles que jette dans l'ame la fcene af- freufe qui l'environne. Mais comme il fe trouve placé entre deux perfpedtives fi différentes, il les rapproche, & l'on ne peut fe défendre d'une ré- flexion allez trifte,c'eft qu'un objet auffi charmant les Jardins modernes. iiy auffî animé aille fe perdre dans un défert qui , loin d'en être embelli, n'en paroît que pIusafFreux. Si une fembiableperfpecftive fe rencontroit dans 'enceinte d'un parc ou d'un jardin, il ne faudroic ien épargner pour améliorer le terrein dans tous s endroits fufceptibles de culture. Des rochers 'ans plantes ne font que des objets de curiofité u d'admiration pafTagere. C'eft la verdure feule ui peut en diminuer l'horreur ; des arbrifTeaux u même des builfons fuffiront pour cet effet. es bouquets de bois pourront être allongés ar des plantes rampantes , telles que le pyraca- ha (i) , la vigne Se le lierre, qui rempliront les lôtés & garniront le fommet des rochers. Il faut ncore jetter parmi les bois quelques habitations, ais de loin en loin 5c en très-petit nombre, leur rincipal ufage étant d'égayer & non de faire dif- jjjlaroître une folitude. On choifira donc de préfé- ence celles qu'on trouve quelquefois dans des ff^, [eux écartes : une cabane a l'air très-folitaire , mais jf, I ne faut pas qu'elle paroifTe ici ruinée ni négli- ni^,j jée : elle doit être propre , bien clofe , 6c de plus llîii (i) C'eftle Mefpitus aculeata pyri folio, de Tournefort, eft-à-dire. Néflier épineux à feuille de poirier. ii8 VJn de* fermer accompagnée de toutes les petites commodités de première néceffité, à quoi fa fituation dans una retraite profonde peut beaucoup contribuer. Une cavité dans lé roc, dont on aura rendu l'accès fa-* cile &: la forme plus commode y ôc qui fera bien entretenue , peut réveiller les mêmes idées : elle offre un abri commode contre les injures de l'air, ôc mcme un lieu de rafraîchilfement & de repos. Mais hafardons d'aller plus loin ; un moulin eft fouvent conftruit à quelque diftance de la ville qui en tire fa fubfiftance *. s'il étoit placé dans la foli- tude dont nous parlons, l'eau deviendroit un objet d'utilité publique , S>c fon mouvement feroit pro- digieufement accéléré. Le vallon peut encore fer- vir de retraite à certaines efpeces d'animaux , tels, que les chèvres, qui font quelquefois fauvages êc\ quelquefois domeftiques. En paroiifant toutà coupi devant nos yeux, ils feront une agréable diverfion a la mélancolie qu'infpire une telle folitude , &) quiceffe de plaire dès qu'elle dure trop long-tems. C'eft par de femblables moyens qu'on peut ani- mer la fcene la plus fauvagej & changer ce qu'ui lieu d'exil a de plus affreux , en une retraite pai- fible, où l'on vient fc dérober quelquefois au tour- billon de la fociété. Cependan! les Jardins modernes. 129 Cependant quand on atr.ique h nature par des contraftes trop forts, on manque toujours de fuccès: un fentier tortueux qui paroic avoir été fait natu- rellement par les paifans , a plus d'eiîet qu'un grand chemin artificiel , bien uni & bien aligné, qui ell trop foiblepour détruire le caracftere de la fcene , & trop fort pour loi erre analogue. Il ne faut intro- duire que des objets qui tiennent le milieu entre l'ait trop animé d'une campngne bien peuplée , & l'horrcuf d'un défertj&lonfe décidera fur le choix de ceux qui approchent davantage de l'un de ces deux extrêmes, félon que la fcene eft plus oa moins fauvage : quelquefois elle l'eft fi excefîivement , qu'elle exige beaucoup d'adauciiFemens : quelque- fois elle ne l'efl: pas afTez : mais dans tous les cas , il faut que chaque objet rentre dans le principal ca- ractère,& tende à le conferver. Les rochers forment toujours le caractère dominant qui infîue fur tout le rerte, Se que tout doit faire valoir les irrégularités les plus bifarreSjd'un bois Se d'un terrein, les replis les plus extraordinaires d'un ruiiTeau , qui ne fe- roient pas fupportables dans une campagne culti- vée , perfectionnent 5c embellilTent dss tableaux au'ili pittorefques. Les bâtimens mîme, tant par leur forme hngalicre , que par leur polition étrange, dif- Ecile ou dangereufe, fervent à défignet les endroii? 1 i^b VArt de former îes plus extraordinaires de la fcene, & à leur donner du relief; c'eft au choix & à l'application de ces embelliffemens, que fe borne notre pouvoir fur les lochers. Ils font trop vaftes & trop intraitables pour fe foumettrc à nos fantaiiies j mais en ajou- tant fimplement , ou en retranchant quelques orne- mens,nous pouvons découvrir ou voiler certaines parties, affoiblir ou renforcer leur caractère , & par conféquent les impreflions qui en dérivent. Si dans une fcene où les rochers dominent, l'art fa- voit donner à chaque objet l'ornement qui lui eft analogue, il auroit atteint la perfedion (i). Les caraderes principaux des rochers font lemajejlueux, le terrible , & le merveilleux. Le fauvage en eft i'expreffion générale; & quelquefois ils ne fonc que fauvages, fans qu'on puifTe leuraffigner d'au- tre caradere particulier. XXXVI. Des rochers caraclérifés par la majejlé. Defcriptlon de Madlock-Baùh. J[ ouT ce qui fait naître l'idée du grand, qui eft bien différent du terrible dans une fcene de ro- (i) C'eft une maxime qui n'eft pas feulement applicable SHX rochers , mais à tous les arts. les Jardins rnoderhes. ï^ï diêrs , eft moins fauvage que tout le refte. Il y a une forte de gravité dans le majtfiueux , laquellô eft incompatible avec les pafTages brufques &: ra- pides de la variété : ainfî une laite d'objets à peu près femblables , & élevés les uns fur les autres , ne fauroit s'éloigner d'un genre qui confifte beau- coup plus dans l'étendue que dans le changement d'une perfpeétive. Les dimenfions qui lui convien- nent , laifTeroienc trop peu d'efpace à la variété* H faut que toutes les parties en foient vaftes. Si des rochers ne font que très- élevés , ils étonne- ront & n'auront rien de màjeftueux. Le caradere de grandeur fé fera donc fentir dans toutes leurs dimenfions , & aucune forme déliée ni grotefquô ne peut leur convenir. L'art fuffit quelquefois pour mettre fous les yeux des objets très- étendus , & les faire paroître plus magnifiques. On peut placer à propos des maflifs qui croifent les rochers & en cachent les bords : on peut remplir par des bois les petits intervalles qu'ils laiflent entr'eux , & conferver ainii l'appa- rence de la continuité. Lorfque des rochers s'éloignent de l'œil , en s'ab- bailîant par degrés, nous pouvons en élevant les terrein fupérieur , rendre la chute plus profonde , âlongcr la perfpedive , & aggrandir par ce moyen i 'j 132, VArt dt former les rochers cîans toutes leurs dimenfions. Cet effet aura encore plus de force, fi l'on couvre le ter- rein fupérieur d'un bouquet de bois qui finira avant de parvenir jufqu'au fond, ou dont les arbres fe- ront beaucoup moins élevés en defccndani. Dans prefque toutes les circonftances, des rochers qui s'élèvent du milieu d'un bois paroilfent beaucoup plusconlidérables que s'ils étoient nuds. S'ils font placés fur une hauteur couverte d'arbrilTeaux , leur commencement eft au moins incertain , Se l'on imagine qu'ils naiffent du fond. Ce taillis négligé a un autre ufage, c'efi; de dé- rober aux yeux tous les fragmens détachés des cô- tés & du fommet de ces malTes pierreufes qui fe- roient fouVent défagréables à voir. Les rochers fe diftinguent rarement par l'élégance : ils font trop vailes 5c trop brutes pour prétendre à la délica- tefle. Cependant leurs formes font fouvent agréa- bles, & nous pouvons les modifier jufqu'à un certain point , ou du moins nous pouvons cacher plufieurs de leurs défauts, en \ts environnant d'arbriffeaux & de plantes rampantes. Mais lorfqu'il s'agit de produire de plus grands effets, les grands arbres deviennent néceffaires : ils font dignes de la fcene \ Ôc ajoutent à fa ma- jefté. Nous fommes û accoutumés à les mettre au les Jardins modernes. 133 rang des plus magnifiques objets de la nature , que iorfqa*ils ne peurent attemdre à la moitié de la hau- teur des rochers qu'ils environnent , l'imagination cleve ces rochers dans la même proportion. Un feul arbre eft donc fouvenc préférable à un maflif j fa grandeur , quoique moindre , eft plus remar- quable ; d'ailleurs les maffifs doivent être bannis généralement de toutes les perfpedives fauvages , parce qu'on les foupçonne d'être l'ouvrage de l'art. Mais un bois paroît toujours naturel, & la la grandeur qui le caraderife le place nécefifaire- ment dans les fcenes où règne la magnificence. C'eft pourquoi les rivières tiennent ici une place fi diftinguée. L'effet d'un grand nombre de petits ruiiïeaux ne fera jamais égal à celui d'une rivière , & il faudra toujours dans le courant principal facri- fier la variété à la grandeur, fans nuire cependant trop à fa rapidité. Car le mouvement des eaux ne doit être ni trop lent, ni trop violent. Le caractère rncjeftueuxj lorfqu'il eft le plus tranquille, n'eft ja- mais languiffant. Et fi une furface n'eft pas animée, c'eft un défaut que la plus vafte étendue ne fauroic réparer. La majefté, lorfqu'elle n'eft pas accom- pagnée de la terreur , a pourtant beaucoup de douceur & de tranquillité : elle n'exclut donc point les habitations , quoiqu'elle n'en ait pas befoia liij 134 VArt de former pour affeiblir ce qu'elle a de fauvage; & faivj exiger des plantations, elle ne s'y refufe point. Ell(j ne rejette pas même les bâtimens qui ne font def-r- tiués qu'à décorer la fcene : mais il faut qu'iU foient dignes d'elle par leur grandeur & leur ftyle» Si l'on y fait entrer la culture , il faut qu'elle foie traitée dans le grand comme tout le refte. Il nç fuffit pas de cultiver un petit coin de terre dans unç vafte étendue , il faut toujours frapper l'œil par de grands objets : on peut par exemple embraffer toute l'extrémité d'un grand terrciu qui defcend infenriblement vers le vallon. En un mot, il ne faut rien de petit ni de mefquin. Cela ne veut pas dire cependant qu'une perfpeCfeive dont le carac- tère cft la majefté, fe refufe à un heureux mé- lange d'objets purement agréables j encore moins qu'elle exige dans fa compofition , ce qui n'eit que fîngulier , & hors des règles prefcrites. Des formes bifarres dans des pofitions extraordinaires ; àzs mafles énormes fufpendues comme par en- chantement ; àQS. arbres foutenus fur des penchant perpendiculaires \ des torrens furieux qui fe préci- pitent au pieddes rochers, font des fingubrités peu riÇçelîaires. Dans une fçene majeftueufe , il règne ui^ jufte milieu qui n'eft guère compatible avec v^s cçirts viclviii. d.ç la nacuie : de magnifiques ol^- les. Jardins modernes. 135 ;ets grands par les dimenfions & par le ftyle , fuf- âfent amplement pour remplir l'ame &c la facis- faire. Ce n'eft qwe lorfqu'ils ne fe trouvent pas en aflTez grand nombre, qu'on peut avoir recours au merveilleux pour exciter i'atlmiration. Une grande partie de ces circonftances fe trou- vent réunies à Madlock Bath ( î ). c'efl: un vallon d'environ trois milles de long, terminé d'un côté par un marais naiifant, & Je l'autre par de vafte.s Eochers efcarpés. L'entrée a été taillée dans un de ces rochers , qui devient un fuperbe portail ruf- tique très-analogue à une des plus pittorefques & des plus magnifiques fcenes que l'imaginatiou puilTe concevoir. Un des côtés du vallon eft formé d'une chaîne de coteaux très élevés, couverts d'ar- brifleaux , &c hérilTés de grands quartiers, de rt>- chets. L'autre côté eft baigné par la rivière de Derwent(2), & confifte principalement en de grandes malfes dics rochers qui lailfent cependant entr'eux beaucoup d'intervalles remplis par des pe- loufes dont la pente eft très-rapide , par de vaftes maflifs , & par de très beaux champs cultivés qui defcendent doucement jufqu'au vallon , 6c for^: (i) En Derbyshire. (%,) Elb pafTs à Darby, î iy 1^6 VArt de former partie des camgagnes voifmes. Tantôt les rochers couronnent le fommei de la colline, tantôt ils en hérilfentle pied, & quelquefois ils s'élancent fur les côtés. Ils s'élèvent dans certains endroits j.ifqu'à trois cent cinquante pieds au-defîus de l'eau, 6i dans quelques autres ils ne forment qu'un ri- vage efcarpé d'une très-petite élévation. Ils font prefq^ue tous perpendiculaires, & piéfenrcnt oa un amphithéâtre , ou un précipice effrayant de- puis la bafe jufqu'au fonimet ; mais quoique leur» formes foientprefque femblables,il règne dans leurs grouppes la plus grande variété. Ici vous les voyez s'unir de la manière la plus irréguliere; ailleurs préfenter une furface plus uniforme, &c quelque- fois toute unie d'une extrémité à l'autre. Ils font pour la plupart compofés de malïes énormes de pierres entaflfées les unes fur les autres. 11 eft pro- bable que c'efk un pareil afped qui frappa l'ima- gination des anciens TheflTaliens, & donna naif- fance à la fable des géans qui entalTerent , dit-on , le Pélion fur l'OlTa. Ici tout ed vafte. La hauteur, la largeur, la folidité , la hardielfe de l'exécution , l'unité de ftyle , tout tend également à former un caractère de grandeur qui ne fe dément jamais fans être uniforme , & n'a rien de mefquin fans être gigantefque, La couleur des rochers eft pref- tes Jardins modernes, 1]J que blanche. le lierre Se les ifs jettes çà 5^ là fer- vent encore à relever leur éclat naturel, &C pref- que tous les intervalles qui fe trouvent entr'euxj font remplis par de finnples taillis qui diverfifient & embellilTent extrêmement cette perfpe(5tive , mais n'ajoutent rien à fa majefte. De grands ar- bres produiroient cet effet , mais il n'y en a que fort peu dans ce vallon. Les plus beaux fe trouvent dans un petit bois qui joint les bains ( i ), encore font-ils peu dignes de la magnificence des objets qui les environnent, de ^élévation & de la roi- deur de la montagne, de la majefté des rochers, &c derimpétuofitc du Derwenr. Il eft vrai que cette rivière eft d'un genre trop fort pour la fcene de Madlock Bath. Elle ne préfente aucune défec- tuofité , quant à fa largeur & à la dire6tion de fon cours j mais c'eft un torrent furieux & terrible qui fe précipite en mille & mille cafcadesj l'eau nz jamais alfez d'efpace pour devenir plus tranquille après fes diverfes chûtes , Se la rapidité de fon mouvement étant augmentée par des chocs répé- tés, elle fe précipite de nouveau avec plus de vio- lence , vient fe brifer contre des fragmens de ro- chers. Se répand des flots d'écume fur les mon- (i ) Mudlock-Bath {i^nïfÏQ les bains de Madlock, 138 V An de former ceaux de pierre entraînés par le courant. Sa cou- leur eft conftamment d'un rouge brun , & fon écume eft d'une teinre prcfque aufli forte. Dans les endroits même où il n'y a point de calcades , la pente du lit de la rivière eft fi rapide , & les chocs fi multipliés , que le courant conferve tou- jours la même violence & la même agitation. Quoiqu'il y ait de la grandeur dans ce morceau de perfpedive, il faut convenir qu'une rivière plus tranquille, coulant avec force & rapidité, fans avoir rien de la fureur orageufe d'un torrent j fe précipitant en une feule maisfuperbe cafcade, au lieu de mille autres mains confidérablcs j quel- quefois animée par la rcfîftance, fans avoir à lut- ter fans celfe contre des obftacles toujours nou- veaux , feroit un objet bien plus analogue à la ma- jefté, la tranquillité &: la folidité de ces magnifi- qtres monceaux de rochers. Leur couleur brilkinte mêlée avec le beau verd de ces arbres vigoureux ^z touft'us, le avec les teintes variées de quelques champs bien cultivés, répand fur cet enfemble une douce &. agréable férénicé , quin'eft troubiég quç par l'impétucfité du DerNYent. ies Jardins modernes. 139 XXXVII. Des rochers caratlérifés par la terreur. Defcriptîon de la perfpeciive de New- Weir fur la Wye. U NE riviçre telle que le Derwenc conviendroic infiniment mieux à une fcene d'un genre tenibla qui eft l'effet de la grandeur combinée avec U force j elle eil: toujours animée ô: intérelfante par l'étonnement ^ le trouble qu'elle jette dans l'ame. On peut comparer la terreur qu'infpire ime fcenede la nature, à celle qui naît d'une fccne dra- matique. L'ame ell fortement ébranlée : mais i^^ fenfations ne font agréables que lorfqu'elles tien- nent à la feulé terreur , fans avoir rien d'horrible ni de choquant. On peut donc employer les ref- fources de l'art pour rendre ces fenfarions plus vi- ves, développer les objets dont la gr.indsur eft le caraclere , donner plus de vigueur à ceux qui fe diflinguent parla force, marquer avec foin ceux qui impriment la terreur, & jctter ci & là quel- ques teintes obfcureai £c propres à infpirer une douce mélancolie. La grandeur eft aullî eflentielle au terrible qu'aa piajeftueux. De grands eâorts fur de petits objets font toujours ridicules, parce qu'on ne peut fup- 140 VAn de former pofer qu'on ait beroin de force pour dompter des bagatelles incapables de réfîftancc. On doit ce- pendant convenir qu'un effet qui fuppofe beau- coup d'efforts & de violence, fupplée quelquefois au défaut d'étendue. Un rocher qui fcmble fuf- pendu par un att invifible , &: qui menace conti- r.uellement de fa chute, tire toute fa grandeur de fa fituation , &: non de fes dimenfions. Un tor- rent nous remue d'une toute autre manière qu'une rivière tranquille d'une largeur égale : un arbre qui ne feroit rien dans une plaine ordinaire, devient intéieffant s'il fort avec effort du milieu d'un ro- cher. C'eft dans de pareilles circonftances que l'arc eft toujours mis en oeuvre avec fuccès. Il cft quel- quefois nécclTaire de couper plufieurs arbres pour en faire voir un feul qui paroît avoir fes racines dans le roc. Il efl polîible qu'en ôtant feulement quelques buiffons, on offre à la vue lefpectaclc effrayant d'un rocher , dont la bafe a été creufée & détruite par quelque caufe extraordinaire ; &: (î fur ce fommet efcarpé, il fe trouve un peu de bonne terre, & quelques arbres plantés, ce fera un objet encore plus étonnant. Quant aux eaux, on fait' qu'elles ll)nt généralement fufceptibles des plus grands changemens. C'eft pourquoi il eil utile de bien déterminer celles oui convien- les Jardins modernes, 1 4 1 r.ent à telle ou telle perfpedive , parce qu'il t(k 2n notre pouvoir d'augmenter ou de diminuer leur étendue j d'accélérer ou de retarder leur rapi- pidité , de créer ou de faire difparoître les obf- tacles qu'elles éprouvent, & toujours de nuancer ou changer entièrement leur caraéierc. Des habitations fervent très-fouvent à donner be.iucoup d'énergie au tabiesu, en faifant naître i'idée d'un péril imminent. Un; maifon placée ifur le bord d'un précipice, un bâtimeiît élevé fur le fommet d'un rocher efcarpé , rend formidable une pofition qui fouvent n'eut pas excité notre at- tention. Un creux profond peu remarquable par lui-même , devient allarmant s'il eft bordé d'un fentier : un fimple garde-fou placé fur les bords d'une hauteur taillée à pic, réveille l'idée d'un lieu fréquenté ôc dangereux: Se un petit pont or- dinaire jetré entre deux rochers eH: encore plus frappant. Dans toutes ces perfpeétives, l'imagi- nation rranfporte le fpeibateur fiir le lieu mcme , ^ la profondeur lui paroît effrayante ; mais à l'af- ped: de ce pcnt, il fe voit fufpendu fur un préci- pice affreux, & fes yeux égarés n'apperçoivent de toutes parts que des objets de terreur. Quelquefois ce fondes dangereufes occupations des habitans mêmes qui effrayent. t4i V Art de former Voyez ce malheureux qui bravant les danger^ , Arrache leCrithmum (i) du haut de ces rochers (2)* C'eft un objet intérelTant , choifi par un excel- lent peintre de la nature pour rendre plus terrible la fcene qu'il décrit. Les mines fe trouvent fré- quemment dans les lieux couverts de rochers , & font très-propres à produire des idées analogues à la fcene: on peut y ajouter l'appareil des machi- res \ mais c'eft principalement lorfque les puif- fancesde ces machines font furprehantes, &: leurs effets formidables, qu'elles paroifTent des efforts de l'art très analogue à ceux de la nature. La fcene de New-'VC'^eir fur IaW^ye(3 ), qui par elle même eft véritablement grande & terri- ble , a encore une deftination utile , qui loin de la déparer , la rend plus inréreffante j c'eft un abyfme (i ) Le crithmum ou fenouil marin j eft une plante dure & rampante , qui naît fréquemmenr dans les fentes des pierres : on confit fes feuilles au vinaigre. (z) Vers de Shakefpear, dans la tragédie du roi Lear, il fait la dffcription des hauteurs de Douvres. (3) La Wye eft une rivière deDarbyshire, qui fe jette dans le Dnrwent. Un peu au-deflbus de fa fource , il y a neuf fontaines , dont huit font chaudes & une froide , AVic- ÎVeir eft près d'un lieu appelle Sydmons's-GateyQatra Rofs 6' Monmouth. les Jardins TTiodernesl 145* ^nrre deux rangs de haïues montagnes qui s'é- lèvent prefque à plom b au-defTus des eaux. Lesro- cherç des deux côtes font compofcs de m.ifles d'une erandeur énorme. Leur couleur eft tzcnéra- lemenc brune j il s'en détache de diftance en dif- tance certaines portions blanchâtres nues , fortef- carpces, & qui s'élèvent a une hauteur prodi- cieufe. Quantité de beaux arbres fortent avec ef- fort du fein de ces rochers, & il y en a beau- coup qu'on apperçoit de loin derrière un bois qui renforce de Ton ombre leur verd naturellement foncé; la rivière, après avoir orné quelque tems cette perfpedcive, va fe perdre dans les bois, qui dans cet endroit font fort épais & fort élevés. Au milieu de leurs ombres obfcures eft placée une forge couverte d'un épais nuage de fumée, & en- vironnée de fcories de charbon de terre entier, ^ à demi éteint ; toas les bois qui fervent à allu- mer le charbon, font placés plus bas fur un fentier fort roide , coupé en pluheurs marches, étroit, ^ tournant autour de plufîeurs précipices. Non loin de là ert: uq marais, autour duquel font dif- perfées les cabanes àts ouvriers. On y voit auflî une cafcade, fuivie d'un courant dont l'agitation eft augmentée par de grands quartiers de rochers, qui ont été féparés des bords de la rivière par la 144 10 Art de former rapidité des eaux , ou précipités du haut de la mcntague par des ouragans. Le bruit terrible que font les coups cadencés des grands marteaux de forge , empêche qu'on n'entende celui de la caf- cade. Ptécifcment au deOTous , dans un lieu où le <:ourant ell toujours rapide, il effc traverfé par un bac; &c plus bas, on voie quantité de petits ba- teaux ronds à l'ufage des pêcheurs (i) j feulsreftés peut-être de la navigation des anciens Bretons : le moindre défaut d'équilibre les renverfe , & le choc le plus léger fuffit pour les brifer. Toutes les occupations des habitar.s des environs femblent exiger , ou des efforts , ou des précautions \ & ces ( I ) Ils les appellent tmckles , c'efl-à-dire , roulettes. Ces e'fpeces de bateaux fe trouvent chez plufieurs peu- ples fauvages. C'eft une chofe affcz curieufe pour des voyageurs , que de voir chez les nations qui ont porté la raifon & les arts à leur plus haut point de perfcftion, quantité d'ufages & de machines , qui n'a\ ant rien perdu de leur première fimplicité , nous rappellent l'état des fociétés primitives , & nous donnent l'idée de l'enfance des arts & de refpace immenfe qu'on a franchi depuis. Qui croiroit que la province de Berry,le centre de la france , renferme des peuples fauvages, image vivante des anciens Gaulois ? ii vous parcourez les landes de Bordeaux, vous y trouverez un peuple il fingulier , que vous croirez voyager chez des Hottentots. idées les Jardins modernes. 145 idées cîe force & de danger jettent dans toute la fcene une ame & une vigueur peu connues dans une folirude , quoiqu'elles s'accordent fi parfaite- ment avec les perfpedlives les plus fauvages 5c les plus pittorefques. Mais il faut bien fe garder de mettre des habitations dans les lieux cultivés qu'of- frent de pareilles fcenes. Ce feroir ttop en adou- cir l'âpreté , & y répandre un air de gaîté qui efl incompatible avec le caractère terrible. Un peu de - .-. triftelTe , & un air un peu ténébreux lui font plus , . analogues. Dans cette vue, les objets d'une cou- .leur obfcLire font préférables, ôz ceux qui font trop brillans doivent être jettes dans l'ombre j on. peut rendre le bois plus épais , & les verds plus foncés. Si le bois eft nécelTairement fort clair, on plantera tout autour, &: fans ordre, des ifs & des fa- pins les moins touffus ; quelquefois même, pour faire d'un arbre delTéché, ou qui dépérit, unob- Ijet de perfpedlive , on coupera jufqu'à une cer- taine diftance les arbres qui l'environnent. Tous ces moyens que l'art met en ufage , font utiles, s'ils ne choquent en aucune manière le caractère prin- c pal y car il ne faut jamais perdre de vue que là où le terrible domine , le genre trifte ne doit ja- mais entrer que pour tenir le fécond rang. K 1 4^ VAri de former X X X V i I I. ï)cs rochtrs caraciérifés par le merveilleux, ^^f" crïption de Dovedale. JL ous les différens genres de rocî^ers font fou- vent réunis dans le même lieu , & compofent une fcene magnifique, qui n'eft diftinguée par aucun caradtere particulier. Un caradtere ne devient ex- clufif , 5c ne mérite la préférence que lorfqu'il fe diftingue éminemment de tous les autres. Il ar- rive quelquefois qu'une perfpedlive qui n'eft que fauvage eft finguliérement pittorcfque j lorfque ce genre fauvage tient du merveilleux , que les for- mes & les combinaifons les plus fingulieres & les plus oppofées font jettéesenfemble, files différens caraderes s'y trouvent réunis, ce mélange pour- ra erre rangé parmi ceux qui fervent à nous don- ner une idée de l'inépuifable variété delà nature, li eft rare qu'une même perfpeétive réunifiée au- tantde variété & de verveilleux que Dovedale (i). C'eft un vallon de deux milles de longueur , pro- fond & étroit; (q^ deux côtés font bordes de ro- (i) Ce lieu qui figoifie le vallon de la Dove ou de la Colombe y eft près d'Ashbom*ne en Derbyshire. les Jardins modernes. 147 chers; & la rivière de Dove,en letraverfantjchange perpétuellement fon cours , fon mouvement &: fa figure. Elle n'a jamais moins de 30 pieds, ni plus de foixantc pieds de largeur , 5i fa profondeur efl: en général de quatre pieds : mais elle efl: tranf- parente jufqu'au fond, excepté dans les endroits où elle efl: couverte d'une écume blanche comme la neige; ce qui efl: l'effet de plufieurs cafcades très brillantes. Ces cafcades font aulli diverfitiées que nombreufes. Dans certains endroits elles croi- fent entièrement la rivière, foit diredlemcnt, foit obliquement ; dans d'autres elles ne la traver- fent qu'en partie ; & leurs eaux ou viennent fe brifer contre les rochers, & s'élancent enfuiteaii- deflus avec impétuofité , ou elles fc précipitent en bas , Se rejailliflcnt en écume : quelquefois elles fe frayent rapidement un palTage à travers les ou- vertures des rochers ; quelquefois elles tombent très-doucement, &: fouvent elles font repouflees, & reviennent en tournant fur elles-mêmes. Dans un endroit très remarquable , le vallon devient (î ferré que la rivière ne peut y paflTer que très-diffi- cilement. L'agitation , la fureur , le mugilfemenr, l'écume des eaux , tout annonce la grandeur de l'obftacle qu'elles ont à vaincre. Ailleurs le coU' rant eil doux fans être langullfanc , il fe partage K.j 14^ VAn de former pour environner une petite ifle déferte , coule parmi des touffes de jonc , de gafon & de moufTe, s'agite un peu autour des plantes aquatiques j donc les racines font affermies dans le limon , & fe joue avec les filets entrelacés de celles qui flottent fur fa furface. Les rochers qui bordent le vallon va- rient autant dans leur ftrudure que la rivière dans fon cours & fes mouvemens. Ici vous voyez une grande mafle qui diminue par degrés depuis fa large bafe jufqu'à fa pointe j là un fommet très- lourd , qui par une fiillie des plus hardies couvre de fon ombre les objets qui font au-deffbus de lui : tantôt c'eft un mélange confus ào.'i ftruétures les plus finguliérement diverfihées, tantôt ce font Azs grouppes de deux ou trois rochers j fouvenc d'un plus grand nombre, fort tranchans , peu lar- ges, 5c crès-élevés. Us font en général nuds d'un côté du vallon ; mais de l'autre ils font mêlés de bois. Leur extrême élévation de toutes parts j & le peu de largeur du vallon, produifenr encore une autre variété. Les rayons du foleil, lancés de der- rière un des deux côtés viennent frapper diftinc- tement ôc avec force les rochers du côté oppofé ; l'inégalité & les afpérités des furfaces qui les ré- fléchilfent, diverfifient les teintes de lumières; iSc fouvent l'éclat le plus vif efl: à côté des ténèbres les Jardins modernes. 1J^() les plus cpaifles. Les rochers changent perpétuel- lement de figure ou de ficuation, & font très-fé- parés les uns des autres. Quelquefois les bords du vallon ne préfentent que précipices ou rochers à pic, &c en forme d'amphithéâtre ; quelquefois les rochers naiflfent du fond , & s'appuient obliquement fur la colline ; fouventils font entièrement ifolés, & s'élèvent, en forme de tours ou de pyramides, jufqu'à cent pieds de hauteur. Quelques-uns font entiers St folides dans la totalité de leur maffe , d'autres font crevalfés , (5c d'autres , quoique tendus dans leur longueur, & minés par la bafe, font mer- veilleufement foutenus par des fragmens infé- rieurs en apparence au poids qu'ils fupportent. Leur difpofition varie à l'infini, & l'on découvre à chaque pas quelque nouvelle combinaifon: ils avancent, reculent, & fe croifent fans ceiïe. La largeur du vallon eft prefque auflî variée que les rochers. Au palTage étroit que j'ai Aéyx fait remar- quer, les rochers fe joignent prefque à leur fom- met , ôc l'on ne voit le ciel qu'à travers le petit intervalle qui les fépare. Au fortir de cet abîme ténébreux, la fcene change tout à coup, $c le vallon n'eft nulle part plus étendu , plus éclairé , plus verd, plus charmant. Les figures oc les fîtua- Kiij 150 L'Art de former lions des rochers ne forment pas toutes leurs va- riétés. Il y en a plusieurs qui font percés de gran- des cavités naturelles ; quelques uns le font à jour ; d'autres fe terminent en cavernes profondes ÔC ténébreufes j d'autres charment la vue par une fuite d'arcades & de colonnes ruftiques , toutes bien dé- tachées & bien éclairées. Un rocher fort éloigné au-delà de ces colonnes termine la peifpe eft refté fufpendu jufqu a une grande hauteur , découvert & inacceflible. Rien n'eft parfait, mais ilrefte des traces de chaque par- tie : ce ne font que ^q^ ruinés , mais dés ruines qui ne lailTenc aucun doute fur les proportions de l'an- cien édifice , & raflemblent en foule dans notre efprit , toutes les idées qui peuvent naître à l'af- pect d'un lieu antique , confacré à la religion., & qui n'offre de toutes parts que folitude & dé- folation- C'eft fur de tels modèles que l'art devroit for- mer des ruines. Et fi quelques parties doivent être entièrement détruites , ce font celles que l'imagi- nation peut aifément fuppléer d'après celles qui fubfiflcnt encore. Des traces bien difîrinâies d'un bâtiment qu'on fuppofe avoir exifté , font moins foupçonnées d'artifice , qu'un monceau de ruines confufesjoù l'on ne peut rien démêler. Nous fem- mes toujours fatisfaits de la netteté &: de la pré- cifion j mais fi elle nous plaît dans les originaux, elle eft encore plus efTeniielle dans les ouvrages d'imitation. 11 eft importanr,pour là vérité des refTemblances, .'^ue les ruines paroilTent très-anciennes : un mo^ M lyS VÂn de former nument d'antiquité eft d'ailleurs intéreflant par lui- même , & n'eft jamais vu avec indifférence. La couleurs des matériaux, le lierre & d'autres plantes, des crevaflTes & desfragmensqui paroiffent moins l'effet de la démolition que de la vétufté , peuvent donner cet air antique à des. ruines artificielles. Le moindre acceffoire qui foit d'abord jugé très-mo- derne en comparaifon du bâtiment principal, aug- mentera quelquefois cet effet. Un fimple auvent, élevé par des mains ruftiques au milieu des débris d'un temple , forme un contrafte parfait entre l'é- tat ancien & l'état adluel de l'édifice \ un arbre qui s'élève parmi des ruines, eft une image de leur antiquité. Rien ne peint avec plus d'énergie le dé- faftre dans un lieu qui fut autrefois habité , que ces changemens produits par la feule force de la na- ture. Ce vers d'un grand pocte. Sur ces champs s*élevolt la fuperbe lUon (i). eft une image plus vive d'une cité détruite de fond en comble, que la defcription la plus détail- lée de fes ruines (i). Mais lorfqu'il s'agit d'une (i) Campos ubi Troja fuit. { 2 ) Cette feule réflexion de l'auteur prouveroît com- bien il eft vivement aiFedé des vraies beautés des arts. les Jardins modernes» 179 imitation réelle, il faut qu'on apperçoive des frag- mens : s'ils font appliqués à des ufages ordinaires ou mêlés avec des arbres & d'autres plantes vigou- reufes, ce fera une preuve qu'on a défefpéré de les cétablir. ¥n lÈo VAn de former 9 DE r A R T. X L I V. Des apparences de l'Art aux environs de la maifon» A PRÈS avoir examine les difFcrentes parties qui compofent les fcenes de la nacure , il nous refte à difcuter les principes auxquels elles font foumifes, lorfqu'on les applique aux jardins. On a toujours jfuppofc queT^rrétoit néceflTaire; mais qu'il étois porté à l'excès , lorfque d'acceflToire il devenoit le principal j lorfque' les objets auxquels on l'appli- quoit, fe plioient difficilement à des regles.lorfque le terrein , les bois & les eaux fe trouvoient ré- duits à des figures mathématiques , & que la fym- métrie & l'uniformité étoient préférées à la liberté & à la variété. On a aufîi obfervé que ces mauvais effets venoient moins de l'ufage que de l'abus de l'art, qui faifoit difparoître la nature, au lieu de l'embellir. Il eft probable qu'on n'eût pas auffi étrangement abufé des préceptes de l'art, fi l'on ne fe fût perfuadé qu'il y avoit une correfpondance nécef- faire entre la maifon & la perfpedlive qu'elle les Jardins modernes. î 8 r domine. Au(îî les différentes parties de Tune & de l'autre furent - elles tracées far les mêmes règles. Les terraffes, les canaux, les avenues, n'offrirent que des variations du plan du bâti- ment (i). La régularité ainli établie , s'étendit juf- qu'aux pièces les plus éloignées. Mais, c'eft auflî par- là que l'abfurdicé s'efl: fait d'abord fcncir^&: a difparu pour faire place à une difpofiîion plus naturelle. Cependant ce préjugé, en faveur de l'art ( c'eft le term_s dont on fe fert) n'a pu encore ctre banni des environs de la maifon. Si par ce mot d'^rr j. on enxend la régularité, le principe eft également applicable au voifinage des autres bâti- mens , d'un jardin, dont chacun devroit être ac- compagné de plantations régulières j ou en renver- fant le rapport , nous pourrions foutenir avec au- tant de rajfon ,. que le bâtiment devroit être iir«- gulier , pour confcrver fon analogie avec la fcene dont il fait partie. La vérité e.ft, que ces deux pro- , (i) Ce plan même a quelquefois été tracé d'après une idée bizarre , témoin le fameux palais dé l'Efcurial , q.ui préfçnte la forme d'un gril en Hionneur du martyr S. Laurent. On voit en Normandie quantité de châteaux qtii repréfentent la première lettre du nom qu'ils portent , comme ce château de Roeux , dont parle Madame de Staahl 5 dont la forme eil celle d'uo R gothique . M iij 1 8 1 VArt de former pofitions font faufles ; l'architedure exige la fymc- trie, & les objets de la nature la plus grande liber- té ; ainfi ce feroit une chofe ridicule que d'appli- quer à l'une les proportions de l'autre. Mais fi par le mot d'arr , on n'entend fimplement qu'un but ^ un dejjein , tout le monde fera d'accord : le choix, l'arrangement, la compofition , rembelliflement, la confervatiou , font autant de fignes de l'art qui doivent paroître dans chaque partie du jardin , mais d'une manière encore plus fenfible aux envi- rons de la maifon. Là rien ne doit être néglige ; c'cft une fcene plus cultivée, plus enrichie, plus ornée : il faut que le delTein &: la magnificence de l'exécution s'y montrent à découvert. La régularité même ne doit pas en être exclue^ Un édifice aufii important peut étendre fon in- fluence au-delà de (es murailles j mais elle doit fô borner aux acceffbires qui lui font propres. Lat plate-forme fur laquelle la maifon eft fituée,fe continue en général jufqu'à la diftancede quelques toifes de chaque côté. Mais , foit que cette fuper- ficie foit couverte de pavé ou de gravier , il faut qu'elle fe lie avec le bâtiment. L'avenue qui conduit au portail , doit couper la façade ï angles droits, & même certains ornemens, quoi- que détachés du corps de l'édifice ,^ tiennent plus les Jardins modernes^» l8j à l'architeiSbure qu a l'art des jardius ; des ouvrages de fculpture , tels que desvafes, desftatues, des termes , objets moins familiers dans les jardins que les bârimens , font des ornemens qui accompagnent ordinairement un édifice confidérable, & qui peu- vent même s'avancer un peu dans les jardins, pourvu que ce ne foitpas au point de perdre leur iiaifon avec le bâtiment principal. La terraffe ôc la grande avenue font aufîî des dépendances de la maifon. Il faut donc que tous les environs parti- cipent de fa forme, & acquièrent un certain degré de régularité. Mais affujettir aux mêmes règles les objets de la nature, à caufe de leur voifinage avec d'autres objets qui doivent y être fournis , ce feroic un abus de l'art, ou tout au moins un rafinemenc excelîif. X L V. Des avenues, Dejcripdon de l'avenue de Caversham, C-i'est en partant des mêmes principes qu'on & conclu que les avenues (i) dévoient êtres régu- lières. On a dit auflî que par ce moyen , l'influence (i) On entend ici par avenue , tout chemin qui conduit à l'édifice principal. M iv i 84 l*An de former de la raalfon fe faifoit fentir à une plus granda diftance. Mais cet effet peut être produit autre- ment que par une grande avenue en ligne droitew Un chemin ordinaire s'apperçoit aifément \ Se s'il eft conduit au travers d'un parc ou de différent terreins , il eft ordinairerïient très - fcniible , lors même qu'on le fait pafTer à travers les haies & les brolTailles^ quelques petits ornemens placés çà &c là comme un hêtre , une pone peinte , un grouppe d'arbres, &c. l'indiqueront fuffifamment , pourvu que foo çnjtrce foit bien mapquée', l'indication U plus fimplç en confervera l'impreflion dans toute la longueur. Ce chemin peut au3i ferpenter au milieu de différentes perfpeilives diftinguées par des ob*- j^ts , ou par une excellente culture ; $c alors la lon^ gueur du chemin, & la variété des fcenes, augmeii- teron.t l'importance de la maifon 6c du domaine , beaucoup plus que n$ poutrpit le faire une ave- nue en droite ligne. Une avenue qui fé borne à une feule terminaifor^, & n'offre de point de vue d'aucun côté , nous l.a(Tç par fon uniformité. Sa grandeur,à laquelle on a tout facrifié , 1^ rend trifte & ennuyeufe , &c même il eft rare que le, feul objet qui en eft le point de 'tfue,. fe préfente fous l'afpe(5t le plus avantageux. Les bâtimens en général ne paroiireî)t pas i» les Jardins modernes. 185 grands ni fi beaux , lorfqu'ils font vu$ de front , que du côté de leurs angles , parce que dans cette d«rniere perfpedlive on apperçoit deux de leurs cô- tés à la fois. Or , un chemin tracé de biais 6c fer- pentant , n'eft fujet à aucun des inconvéniens des grandes allées, & peut d'ailleurs être conduit juf-^ qu'au pied de l'édifice , fans que rien nuife à fes différens points de vue j au lieu qu'une grande avenue bien alignée coupe toujours la fcene di- redement en deux parties égales , &: la réduit à un échappé de vue fort étroit. Mais une ligne droite, quelque longue qu'elle foit , dont l'extrémité , femblable à celle d'un télefcope , ne laiire voir qu'un petit nombre d'objets, peut-elle jamais ba- lancer la perte de cette grande étendue qu elle di- vife , & des variétés qu'elle cache ? ^ Quoique l'avenue de Caversham (i) n'ait qu'un mille de longueur, &: qu'elle ne préfente la maifon pour point de vue, que lorfqu'elleen eft fort près , on né peut fe méprendre fur fa deftination. C'cft le feulpafiage au travers du parc qui foit parfaite^ ment diftingu.é , ôç marqué dans toute fa longueur (i) C'eft une maifon de campagne du Lord Cadogan , 'fttuée près de Reading , capitale du Berkshire & fur la Tamifs , au-deffus de Windfor. lî^ VJn de former avec la plus grande précifion. Les deux côtes de *'entréefont ornes d'unpaviUon élégant, dont l'in- tervalle eft rempli par une belle paliffade ouverte » &croirant toute la largeur d'un joli vallon.L'avenue fcrpente dans le fond fur un terrein dont les iné- galités font très-douces , & tous les détours prc- fentent quelque fcene nouvelle. Cette route agréa- ble fe termine obliquement à une petite colline, fur laquelle eft fituée la maifon. Quoique cette cminence foie réellement très- élevée au^delTus du niveau de la plaine, elle paroît peu confidérable, parce qu'on y eft monté infenfiblement & fans ja- mais fortir du vallon. L'avenue ne coupe aucune des fcenes qu'elle traverfe. Les plantations ôc les percés fe continuent fans interruption, en croifant le vallon, dont les côtés oppofés font parfaitement liés l'un à l'autre, & confervent leur rapport fans fymméirie & fans contrafte. Il ne 'paraît pas que dans la difpofirion des objets on ait fait quelque attention au chemin, & les différentes fcenes fe rapportent toujours au parc. Chacune en particu- lier eft confervée toute entière, & fe déploie dans toute fon étendue. Le commencement de la def- cente du chemin dans le vallon eft très-doux , &: parfemé d'un petit nombre de grands aubepins, de hêtres & de chênes , donc les intervalles font les Jardins modernes'. 1 S7 remplis par la perfpedive qu'offre la (înuofîté da vallon. Dans l'angle du premier détour, fur une élévation très hardie, eft fufpendu urtvafte maflîf qui diminue en defcendant , & fe fubdivife en grouppes toujours plus petits, jufqu'à ce qu'ils ne foient plus que des arbres feuls , qui aboutiflTenc à un charmant bocage fur le fommec oppofé. Le chemin palTe entre les grouppes , fous un fuperbe berceau de frênes, pour entrer dans une clariere tranchée à gauche par un feul arbre , & à droite par quelques hêtres li rapprochés les uns des autres , qu'ils femblenc n'en former qu'un feul. Cette cla- riere eft terminée par un joli bocage , qui préfente d'un côté une obfcurité profonde , & de l'autre, fe divife en différens bouquets , qui donnent paf- fage à des malTes de lumière. Ce bocage vient gagner le bord, & couvre en partie le penchant d'un petit vallon qui naît du premier , & fe dé- robe infenfiblement à la vue. Le fond en eft plus bas & plus applati que celui du vallon principal. Les bords de ce dernier près de la réunion , s'adou- cilTent beaucoup j mais ceux du côté oppofé font efcarpés & couverts de maflifs', parmi lefquels d'une éminence , dont la forme eft très-agréable, defcendent deux ou^trois grouppes de beaux arbres qui viennent remplir le fond ,& dont les branches ï?S L' Art de fortnsr pendantes rendent ce point de vueplusagré^able. A tous CQS objets fuccede un efpace ouvert, diverfîôé feulement par quelques arbres répandus çà& là, & dont le milieu eft marqué par ungrouppe de beaux hêtres qui fe croifent &; ombragent l'avenue , qui les traverfe, en profitant de l'intervalle étroit & obfcur que forment leurs tiges. A quelque dif- tance de-là, après avoir traverfe un bois fort épais, elle s'élève rapidement jufqu'à cette partie du jar- din qui touche la raaifon , d'où l'on découvre tout- àrcoup une des perfpedives les plus riches & les plus vaftes. On voit à plein la ville ôc les temples de Reading , & les hauteurs de W^indfor rafenc l'horizon. Un femblable point de vue, qui eût ter- lïiiné une longue avenue en droite ligne , aurait à peine balancé l'ennui d'une promenade auffi uni- forme ; mais la route qui, conduit à Çaversham eft auflî agréable que la fcene qui la termine. On pour- r.oir peut-être y blâmer un peu d'uniformité dans le ftyle ; mais ce défaut eft couvert par cette grande quantité de plantations ouvertes, jettées fans con- fufion , & forrqanc différentes fcenes, toutes mar- quées, par quelque particularité. L'une eft c.araç- lérifée, par un bocage , la fuivante par des malîîfs, d'autres par de petits grcuppes, ou des arbres ifolés : les bois couvrent quelquefois le fgmtîiec les Jardins modemesl Vt^ et fe dérobent à nos yeux ; quelquefois il paroiffènc fufpendus fur les bords, les côtés ôc le penchant. Ici le fond eft clair-femé , là tout le vallon eft cn- îiéremenr rempli j fouvent les intervalles préfen- tent des tapis verds aiTez étendus j d'autres}fois ce ne font que de petites clarieres dans les bocages ou des percés fort étroits qui s'ouvrent au milieu d'un bois. Le terrein, fans être coupé en parties trop petites , fe divife en une infinité de formes élé- gantes , qui pafTent infenfiblement de la pente la plus douce à la chute la plus précipitée. Les arbres même font de différentes efpeces, & leurs ombres fe peignent par les gradations & les teintes les plus variées ; celles des maronniers d'inde font très- cpaiffes SiC très -fortes. Les hêtres en général ré- pandent un ombrage moins obfcur, mais plus éten- du : ces arbres font quelquefois fi vaftes , & for- ment des fuites de maflifs fî prodigieufes, qu'ils jettent des ombres aflez profondes pour marquer chaque arbre en particulier. Les intervalles font fouvent remplis par d'autres efpeces. Les érables font fi grands, qu'on les diftingue même auprès des plus grands arbres. Desaubépins fort touffus, quelques chênes, &c beaucoup de tilleuls, peut-être trop nombreux, feuls reftes des anciennes avenues. Ï90 L'Art de former entrent dans ce mélange. On y voitaufllî des frèhet extrêmement élevés , dont le feuillage clair eft lé- gèrement réfléchi fur le gazon, qui tapifle le ter- rein inférieur, pendant que leur verdure particu- lière diverfifie les nuances des grouppes dont ils font partie. Si l'on examine en détail les beautés de cette avenue ou de ce chemin par où Ton arrive à Caversham , & fi l'on fait réflexion qu'il eft en- foncé dans un vallon étroit, fans vues (i) , fans bâtimens, fans eaux, il fera difficile d'en conce- voir quelqu'autre moins fufcepiible de variété, & au point de faire trouver fupportable l'uniformiéé d'anc avenue. X L V I. De la régularité confidérée dans lesdîfférentes parties d'un Jardin. ^ I la régularité n'a aucun titre pour mériter la préférence dans la difpofition des environs de la maifon & des avenues, elle doif régner encore (i) Ou du moins fans vues qui s'étendent au-delà du vallon , excepté la dernière. ^ les Jardins modernes, 191 moins dans les parties d'un parc ou d'un jardin ^ui s éloignent davantage du bâtiment principal : 1 des portions de terrein qui s'clevenc 8>c s 'abaiiïent régulièrement, font choquantes: des lignes droites ou circulaires qui terminent des eaux, ne changent point la nature de cet élément qui ne peut jamais perdre toutes fes beautés ; mais des figures géomé- triques le dégradeat. La régularité dans les plan- tations nous choque moins, parce que, comme nous l'avons déjà remarque , nous fommes accou- tumés à ces arbres en ligne droite, que préfentent les terreins culti vés.Un double alignement de beaux arbres qui fe joignent par leurs fommets , Se for- ment un berceau parfait, terminé par un point de vue , a fon agrément particulier j de il feroit quel- quefois difficile d'altérer ou déguifer une telle difpofition , fans détruire quantité d'arbres magni- {'iîques qu'on ne peut éloigner : mais il arrive très- rarement que les circonftances doivent nous forcer à préférer un tel arrangement dans une plantation . 1 nouvelle. ILa régularité étoit autrefois regardée comme I cflTentielle à toutes fortes de jardins , & à toutes les avenues, & elle n'a pas encore été entière- ment bannie d'Angleterre. C'eft toujours un ca- ractère qui défigne le voifinage de quelque mai- 19^ L'An de former ' fon de campagne j &c une avenue régulière qui fé fait d'abord remarquer , donne un air d'impor- tance à la mriifon la moins confidérable. Des bâ- timens qui marquent des deux côtés l'entrée d'une avenue ou d'an percé, produifcnt le même effet; ils établilîent une diftinclion précife entre la mai- fon & le rcfte de la campagne. Quelques morceaux de fculpture, tels que des vafes & des terrties, peu- vent fervir quelquefois i reculer en apparence un jardin au-delà de Tes limites réelles , & à don- ner à une prairie un air plus cultivé & plus foi' gné que ne leTont ordinairement les objets de li campagne. On peut les employer aufil comme ornemens dans les peloufes les plus unies. LeS peintures que notre imaginatiori fe forme dei fcehes arcadiennes , d'après les defcripticns des poëtes , conviennent très-bien à de telles décora- tions. Quelquefois une urne placée dans un lieil écarté , avec une infcription à la mémoire d'une perfonne qui frcquentoit autrefois les mêmes lieux , ^' venoir repofer fous les mêmes om- brages, eft Uii objet également élégant 6c inré- reffant (i). ( I ) L'auteur , en écrivant ceci , avoit peut-être cri vue ce tableau de payfage du Pouflin , où l'on voit dans Cependant îes Jardins mùdefnes', î P J Cependant les occafions où l'on peut , fans cho- quer le bon goût, pafTer de beaucoup les bornes dé la cukure naturelle , font très-rares. 11 n'y a que l'empreinte énergique du caractère qui puifle rendre fupportable i'att qui fe montre à découvert. Un lieu écarté, un tombeau avec cette infcription -.Et ■moi aujji je vivais dans la délicieufe Arcadie. )'\f %^{ N I tt}4 V Art de former - — — — < DE LA BEAUTÉ PITTORESQUE. X L V I I. Des diffsrens effets qui naîjjent des mêmes objets dans unefcene réelle & dans un tableau, J-fA régularité ne peut jamais atteindre jafqu'à un certain degré de beauté ; mais elle eft fur-touc irès-éloignée de celle qu'on appelle beauté pitto-, refque. Cette dénomination , qui femble défigner la beauté par excellence , peut devenir une fource d'erreurs lorfqu'on en ignore l'application. Tout le monde convient qu'un fujet manié fous le pinceau d'un excellent peintre, nous attache & nous plaît: nous fommes enchantés de voir dans la réalité ces mêmes objets que nous avons ad- mirés dans la repréfentation , & nous nous for- mons.une plus grande idée de leur mérite intrin- feque, en rappellanr à notre imagination les effets de leurs images. Les grandes beautés de la nature donneront fouvent lieu à de tels fouvenirs, parce que c'eft à les favoir bien choidr , que conlîfte l'habileté d'un peintre en payfage , qui jouit à cet égard de la plus grande liberté. Il eft le maître dô Us Jardins modernes, 195 aonner l'exclufion à tous les objets qui cboque- roient fa compofition , de de dirpofcr ceux qu'il choifitjde la manière la plus agréable. Il peut même fixer la faifon de l'année &c jufqu'à l'heure da jour , pour donner à fon payfage les ombres & les teintes qui lui plaifent. Ainfi les ouvrages d'un grand maître font de belles images de la nature, ^& une excellente école, où l'on peut fe former dans le goût du beau ; mais leur autorité n'eft pas abfolue : il faut en faire ufage comme d'études, 6c 'lîon comme de modèles exclusifs : car quoiqu'une peinture & une fcene natireiie aient beaucoup de conformité, il s'y trouve auiîî des dift^rences qu'il faut bien faifir avant de décider quels font les ob- jets qui peuvent palTer de l'une à l'autre. La différence dans les dimenfwns eft très- fen- fible. Les mêmes objets fur diverfes échelles produifent des effets très-différens , car ils peuvent paroître monflrueux dans l'une & peu fenfîbles dans Tautrc; de une forme élégante pour un périt objet, peut être trop délicate pour une grande maffe. D'ailleurs, une petite échelle ne fauroit I Journir aflez d'efpace pour contenir toutes les va- riétés qui nous charment dans la nature. On peut i>isn y exprimer les différences caradériftiques des Nij 1^6 VAn defùrmtr arbres , mais non routes ces petites nuances quî cmbellilîent tant une plantation. Cette multitude d'enclos j ces cafcades, ces cabanes, ces troupeaux, & mille autres objets qui animent une perfpedive, ne forment que des grouppes confus, lorfqu'on veut les renfermer dans un petit efpace j mais d'un autre ,c6[é, il eft fouvent néceflaire que les principaux objets foient plusdiverfitics en peinture, qu'ils ne le font dans la nature : un édifice qui occupe une partie conhdérable d'un tabjeau, paroît petit au milieu d'une campagne , parce qu'on le compare à l'efpace qui l'environne \ & les divifions qui fe- roient nécelTaires pour fauver fon uniformité dans l'un, augmenteroient fa petiteiTe dans l'autre. Un arbre qui préfente un riche feuillage , fait quel- quefois un très-bel effet dans la nature; mais lorf- qu'il eft peint , ce n'eft qu'une lourde maffe, à la- quelle on ne donnera de la légèreté , qu'en divi- fant fes gro^Tes branches & exprimant fes ramifi- cations. Ainfi quantité d'objets ont plus ou moins d'importance , félon leur proportion avec l'efpace réel (& non l'efpace idéal) qui les environne. La peinture, avec toute fa magie, ne peut s'é- lever jufqu'àdes lujets d'un certain ordre, ou du moins elle ne les repiéfentera jamais que foible- les Jardins modernes. t^j fnent,au lieu que tout eft durelfort du jarclinier(i). II peut profiter d'une perfpedtive qui s'abaifle juf- qu'au pied d'une colline, ou d'un horizon fort au- deûTous du niveau de fon jardin , quoique la pein- ture ne lui ait offert rien de pareil (2). Lors même qu'elle iniite exadtement les objets de la nature , elle eft trop foibJe , en excitant en nous les idées que fait naître leur afpecl , Se d'où dépendent leurs principaux effets. Ce n'eft pourtant pas tou- jours un défavantage. L'imnga toute feule peut être plus agréable que l'idée qui accompagne les objets réels , & quelquefois même elle g^gne à €n être privée. De très belles couleurs annoncent fouvent quelque chofe de trifte : la bruyère la plus aride peut être finement diveriîhée : un terrein fec 5c ftérile eft quelquefois ombré des Huances les plus délicates , & cependant nous pré- ferons une verdure uniforme à cette variété de (i) Oa du créateur des jardins , car le mot de jardinier, eft loin de répondre à l'homme rare , que M, Whateley nous a dépeint dans, fon introducliou , fous le nom de Gardener. (i) C'eft aux artiftes à décider jufqu'à quel point-cette affertion eft fout«nable , que la peinture n'ofFre jamais- de perfpeftiye inférieure à.L'horiaon.. J'ai cra voir le con- traire. N iij ic)8 VArt de former couleurs. Dans la peinture les diverfes teintes na- turelles peuvent être mêlées & charmer par leur beauté j fans rappeller la pauvreté du fol qui les produit j mais dans la réalité, la caufe eft plus puiflante que l'effet : la vue de ces agréables nuan- ces nous réjouit moins que nous ne femmes attrif- tés par les réflexions qu'elles font naître, car le mélange des couleurs le plus partait peut ne pré- fenter d'autres idées que celles de la défolation &: de la ftérilitc. Mais aufli r«ri//r^'fupplée quelquefois à la beauté dans la nature, ce qui n'arrive point dans la pein- ture. Nous ne fommes jamais totalem.ent fans at- tenion pour ce qui eft utile j tout ce qui en porte le caractère nous eft familier j & un objet qui ne feroit recomm^ndable que par l'utilité, nous in- térefte toujours. Un bâtiment régulier eft ordinai- rement plus agréable dans une perfpective natu- relle , que dans un tableau. Un terrein qui accom- pagne la maifon & paroît faite pour elle j eft fupportable dans la réalité , au lieu qu'en peinture, ce n'eft jamais qu'une ligne droite. L'utilité eft du moins une excufe dans la nature , jamais dans la repréfentation. Je pourrois apporter d'autres preuves que les fujets de la peinture , & ceux de l'art des jardins les Jardins modernes. 1 99 ne font pas toujours les mêmes ; quelques-uns très-agréables dans la réalité, perdent leur effet dans l'imitation j d'autres font moins intéreffans dans une fcene réelle que dans un tableau. Le terme de pittore/que (^en admettant les dif- férences entre l'art du peintre & celui du jardinier) n'eft donc applicable qu'aux objets de la nature , fufceptibles de fe former en grouppes, ou d'entrer dans une compofition dont toutes les parties fe rapportent les unes aux autres. Ainfi ces objets font très-oppofés à ceux qui fe répandent en détail , ÔC font naturellement ifolés. Niy ICO VArt de former DU CARACTERE. X L V I 1 I, Du caraHere emblématique . JLe caractère s'allie très-bien avec la ^beauté; êc îors même qu'il ne l'accompagne pas naturelle- ïTient, il efl regardé comme ii important, que pour le créer, on a recours aux m,oyens les plus frivoles. C'eft la raifon pour laquelle on a introduit dans les jardins Içs ftatues, les infcriptions , à^î, pein- tures j l'hiftoire, la mithologie, SccToutes les, di- vinités & les héros du paganifme ont eu leurs places marquées da.ns les. bais & fur les gazons :. des cafcades naturelles ont été défigurées par des. dieux marins j & l'on n'a érigé des colonnes que pour y graver des infcriptions. Tous lescomparci- mens d'un pavillon ont été remplis de peintures , qui repréfencent des danfes & des feftins , fym- bole de la gaîté j les cyprès ont été confacrés à la. uiftefFe, parce que les anciens s'en feryoient dans, Içurs funérailles; enfin les décorations , l'ameu-. ^iement 6c les environs d'un bâtiment, tour aéi4 le tes Jardins modernes^ lot rempli de puérilicés, fous prétexte que ce font des ornemens de caradere. Mais tous ces objets font plutôt emblématiques quexprejjifs. Us peuvent être le fruit d'une invention ingénieufe, de rappelles de loin certaines idées à l'imagination ; a>ais leur impreflion n'eft pas immédiate , parce qu'ils doi- vent être examinés, comparés, ôc fouvent même expliqués , avant qu'on apperçoive leur rapport avec la fcene où ils figurent; & quoiqu'une allu-^ fion à un fujet intérelTant Se très-connu de l'hiftoire, de la poéiie ou de la tradition, puiflTe quelquefois animer une fcene & lui donner de la dignité , ce- pendant comme le fujer n'eft pas naturellement du relTort dt^s jardins,, l'allufion n'eft jamais qu'ac- ceiToire. Il faut qu'elle paroifle avoir été indiquée par la fcene même , de n'être qu'une image paffa- gere qui s'eft d'abord préfentée fans travail $c fans efforts. Elle doit avoir la force de la méta- phore, fans les détails pénibles de l'allégorie (i). .. (i) Il fe peut que la peinture & la fculpture régnent un peu trop dans les jardins, même dans les jardins An-» glois ; mais foit que cela vienne de l'habitude ou de la magie de ces arts divins , ils paroiffent effentiels à toute retraite deftinée à l'agrément, lur-tout la fculpture.Quelle £\qs dimenfions & d'autres circonftanccs éranc les mêmes dans la copie &: clans l'original , leurs effets font femblables; & s'ils n'ont pas la même force , n'en attribuons pas la caule à un défaut de reffem- \t petit travail qu'exige fa découverte , peut la rendre plus piquante & plus agréable ; car il faut fuppofer que les morceaux deftinés à orner des jardins, ne préfentent jamais lesdiîHcuhés allégoriques de la galerie de Rubens, qui exigent une conncifTar ce profonde de la mythologie & de l'hiftoire d'Henri IV. Je conçois cependant que l'auteur foit de très-mauvalfe humeur contre cette multi- tude d'ornemens ridicules , qui rempllffcnt nos jardins où l'on trouve quelquefois de tout, excepté de la ver- dure & de l'ombrage. Les jardms ou vergers d'Alcinous, doFit quelques modernes fe font tant moqués , n'étaient- ils pas plus agréables ? 204^ l^Art de for mer blance , mais à rimintion elle-mcme, qiii ne. produit jamais une illulîon compleae. Ileft fi diffi~ cile de tromper le fpe^tareur fur ce point, qu'une attcncioa trop fcrupuleufe à déguifer la fupevche- rie, eft fouvent le moyen le plus fur de la décou- vrir : une relTemblancetrop parfaite détruit le pief- tige, parce qj.ie tout y paroîc étudié & forcé \ un ,. hermitage eft l'habitation d'un homme feul , ce^ ■ qui le caradérife eft la falitude & la fimplicitéy mais s'il eft rempli de crucifix , d'horloges de fable, de chapelets , & de tous les autres petits meubles re- ligieux., on oublie la retraite elle-même , en exa- minant cette nialtitude d'acceifoires ( i ). Toutes. les circonftances qui conviennent â un caractère,. fe rencontrent très rarement dans le même fujet î ainfi, lorfqu'on les entafle fans aucun choix, quoi- que chaque partie foit naturelle , la collection pa- roîtra un ouvrage de l'art.. (i) J'aimerois encore mieux toutes ces bagarelles d'her- raite,quc les vers licencieux & finguliers, qu'on Ut fur les petites trapes de l'hermitage de Stowe , appelle la grotte^ de S. Auguftin. Cet hermitage eft d'ailleurs parfaitement, caraftérifé. Il eft enfoncé dans le plus épais du bois, Si conftruit de greffes racinçs d'arbres , pcfécs lç> uues fiu^ tes autres a v ec toutes leurs irrégularités. Us Jardins fndiernes, 'lo^ Les avantages particuliers de l'art des jardins fur les autres arts d'imitation , bien loin d'être des titres fuffifans pour introduire des caracCberes aux- quels l'étendue du terrein fe refufe , ne fervent au contraire qu'à les prôfcrire. En fortant d^un jar- din, on entre avec grand plailir dans un champ ordinaire, où l'on ne voit rien que de (împle & de rultique ', mais fi ce champ eft très-petit,rien de ce qui pourroits'y trouver naturellement, comme une pilede foin, une cabane, une barrière, un fentier, ne pourra lui donner l'air naturel , & fi tous ces objets s'y trouvoient rafTembléSjCe feroit encore pis. Il fe- roit ridicule de former un pont fur un lac artificiel, parce qu'un lac ne pouvant réveiller aucune idée de péril , exclut auffi l'idée d'un lieu de refuge Se de fureté. Il cfl: naturellement détaché de la grande milfe des eaux , & n'eft jamais par lui même qu'un petit baffin qui doit être compté pour rien , quand on le compare à la majefté de l'océan. Concluons cjue, lorfque des caraderes imitatifs font très-dé- feétueuK dans quelque circonftance importante, tout ce que le refte préfente de vrai &; d'exaâ:, rend le défaut encore plus confidérable de plus fenfible. 2.o(S VAn de former L. Du caractère original. JVIais l'arc des jardins rîe fe borne pas à l'imita- tion : il crée des caractères originaux -^'û. donne aux fcenes de tout genre , des exprelîions très - fupé- rieures à celles de l'embK'me & de l'allégorie. Tous les objets -de la nature ont des propriétés & des difpofitions telles qu'ils produifent en nous cer- taines idées «Se certaines fenfations particulières. J'en ai fait remarquer quelques unes, d>c toures font parfaitement connues, hlles n'exigent ni dif- cernement, ni examen, ni difcufllon • nous les app(^rcevons d'un coup d'oeil, & nous les Tentons au premier inftant. La beauté toute feule ne nous attache pas autant que le caractère original. Ses im- prelîîons font moins durables , moins intérelTantes, parce qu'elle fe borne an plaifîr de l'csil ^ au lieu que l'autre nous afïede vivement, L'airemblaCT;^ des formes les plus élégantes & le plus heureufe- ment fituées nous touche peu , fi leur choix bc leur arrangement n'eft deftmé à produire certaines expreilî^ns. L'enfemble doi[ frapper d'abord par un air de magnificence , ou de fimpliciré , ou de g.ùié , ou de tranquillité, enfin par quelque carac- les Jardins modernes. 207 tere général, Se tous les objets qui choqueroient ce caractère, quelqu'agréabies qu'ils tulTent d'ailleurs, doivent être exclus. Ceux qui n'ont d'autre défaut: que de manquer d'exprelîion , doivent difparoître devant ceux qui s'adaptent mieux à la fcene. 11 en eft de défa^réâbles & qu'on choifit cependant de préférence par le feul mérite de l'expreffion , &: la ftérilité même peut trouver fa place dans une fcene entièrement confacrée à la folitude & à la triftefTe. La force des caractères originaux ne s'arrête pas aux idées que les objets produifent immédia- tement : car ces idées font liées avic d'autres qui conduifent infenfiblement à des fujecs fouvenc très-éloignés de la penfée originale , & qiù n'onc, avec elle d'autre rapport que celui de la refiTem- blance dans les fenfations cii'ils excitent. Une perf- peélive enrichie & animée par la culture & la po- pulation , frappe & captive d'abord notre atten- tion par tout ce que la faifon préfente de plus agréable 5 c'eft un verger fleuri , ou une prairie qu'on fauche , ou un champ couvert de gerbes &Z. tJe moitronneurs : mais la gaîté une fois répandue dans notre ame , palTe enfuite à d'autres objets que ceux qui s'offrent à nos yeux , & nous nous livrons avec délices à une foule d'idé^^s agréables io8 L^Art de former & variées , & aux fenfations les plus douces. À rafped des ruines , que de réflexions viennent na- turellement fur les viciflîtudes , la décadence & la défolation dont elles font l'image ! Ces réflexions Gonduifent beaucoup à d'autres , qui portent , comme elles, le cara(5);ere mélancolique : fi le mo- num.ent eft deftiné à conferver la mémoire des an- ciens tems, nous ne nous arrêtons pas au fait par- ticulier qu'il rappelle, nous réfléchiflfons fur d'autres pacricularités du même fîecle, que notre imagi- nation fe peint , non telles qu'elles étoient peut- être , mais telles qu'elles font parvenues jufqu'à nous , vénérables par leur antiquité, & embellies par la renommée. Je dis plus , la nature feule j fans le fecours des bâtimens 6c des autres objets qui lui font accelToireSi a des matériaux fufïifans pour créer des fcenes qui expriment prefque tous les caractères. Leur adion efl: générale , & fes effets font variés à l'infini. Notre ame s'élève , s'abat , ou fe trouve dans une douce férénitc, en raifon de la gaîté j de la trifl:efl~e ou d« la tran- quillité qui régne dans la fcene : enfuite nous per- dons bientôt de vue les objets qui conftituent l« caractère j & nous livrant à leurs effets fans fon- ger à la caufe , nous fuivons plus ou moins conf- tamment , félon leur analogie avec le caradere j qui ' les Jardins modernes. 109 gui nous eft propre , cette faite nombreufe d'idées qui s'enFantenc les unes les autres. Il fufîit pour leur origine, que les fcenes de la nature puiiTenc affecfter notre imagination & réveiller n.os fenfa- lions; car telle eft la conftitution de i'ame humaine, que lorfqu'elle eft une fois ébranlée , l'émotion s'étend fouvent au-delà du fujet qui l'a produite, que les paflions allumées ont un cours qu'on n« peut régler , &z que le vol de l'imagination n'a point de bornes, & nous tranfporte fucceffive- ment des objets inanimés dans un monde intel- leélueljpar une chaîne d'idées toujours différentes, quoique du même cara6tere , jufqu'à ce que nous foyons élevés des fujets les plus communs aux con- ceptions les plus fublimes, & ravis dans la contem- plation du vrai grand & du vrai beau , que nous voyons dans la nature , que nous fentons dans l'homme, & que nous attribuons à la divinité (i). ( ! ) Ceci paroît du platonifmc tout pur , & renou- velle l'ancien fyftême des qualités abfolues. L'auteur a riinagin-.tion belle & grande comme Platon , & nous transporte quelquefois comme lui dans les pays de la mé- tach Tique, où peu de gens pourront le fuivre. Je fuis bien trompé fi ce philofophe & les poètes ne font fes leiiures favorites. o 210 VArt de former ^»».-»nLii'u -]iBftm«iiii>wmniiiMnii ■! riiiiii I -xrzn. -■" ■ r lan'iMiiikiiM jywi— a^^ D^UN SUJET GÉNÉRAL. L I. Des dî^érences entre une ferme ^ un jardin , un parc & une carrière (i). l-( E s fcenes de la nature dépendent auflî du fujet général dont elles font partie. Il y a quatre efpeces de fujets généraux j \\x\^ jerme^ un Jardin ^ un parc & uuQ carrière (i). Ces quatre efpeccs peuvent fe (i) Le refte de cet ouvrage eft prefque entièrement confacré à ces quatre fujets généraux. Ce chapitre-ci, def- tiné à déterminer exaftement leurs différences, doit donc être lu avec beaucoup d'attention. (2) Ceft le feul aiot de notre langue qui approche le plus du mot anglois ridïnçr, far-tout dans le fens de l'au- teur. Carrière a toujours fignifié dans notre langue une route , un chemin , une courfe en général , & plus parti- culièrement , un terrein defliné à une courfe de cheval. Or ridln^ eft , fclon l'explication de l'auteur , une route deftinée à des exercices plus vifs que celui d'une fimple prom.enade ; elle traverfe un pays entier , & a beaucoup plus d'étendue qu'un parc: de forte qu'étant uniquement deftinée à l'amufement, on ne peut la parcourir qu'à che- val. Je prie le Isileur d'être un peu indulgent fur la figni- ■.;.1 >■ j: ■ i. les Jardins modernes. m trouver à côcc l'une de l'autre j elles peuvent même être mêlées jufqu'à un certain point, mais chacun conferve toujours fon caradtere avec tant de force, qu'il perce de toutes parts , & que les propriétés des autres cara(5teres & les beautés de chaque genre doivent lui être analogues pour entrer dans fa corn, pofition. C'eft principalement VclJgance qui carac- térife un jardin j la grandeur^ un parc; hjïmplickéj une ferme j 5cV agrément jUne carrière : ces qualités diftindives divifent les objets de la nature , de manicre que ceux qui conviennent à l'une , font fouvcnt incompatibles avec les autres; mais ce ne font pas là les feules différences efïèntielles. Une carrière n'eft pas deftinée, comme un jardin, à la promenade & à la retraite : un parc renferme les ufages d'une carrière &: d'un jardin , &: ce font ces ufages qui déterminent Vécendue proportionnelle des fujets. Un grand jardin ne feroit qu'un petit parc, & un parc d'une vafte enceinte ne feroit qu'une petite carrière. Si une ferme excède de beaucoup les dimenfîons d'un jardin, de forte'que fes limites fication particulière que j'ai donnée à trois ou quatre mots de notre langue. J'aime mieux tirer mes expretTions de notre propre fonds , que de me fervir de périphrafes ou , de mots purement angiois. Oij 2, 1 2 VArt de former pafTent les bornes d'une promenade, elle devient une carrière. Une ferme & un jardin femblent donc deftin.es à des amufeniens tranquilles , une carrière convient à des exercices plus vifs, & un parc fe prête à tout. Ainfi des édifices confacrés à la tranquillité & à la retraite , orneront différentes fcenes d'un jar- din ou d'une ferme : ils fe préfenteront moins fré- quemment dans un parc, & jamais dans une car- rière , du moins n'y font-ils d'aucune néceffiré. Un jardin n'eft pas a(fez vafte pouf les e^ets qui exigent une grande dijlance , mais on peut y placer des objets admirables pour iinfeul point de vue _, & propres à fixer l'attention du fpedateur , Jorfqu'il eft ailîs ou qu'il fe promené lentement, & il en eft d'autres qu'il ne verra qu'à demi & à tra- vers l'obfcurité. Tout cela eft perdu dans une car- rière où l'on ne s'occupe que des agrémens relatifs aux voyageurs & aux chemins publics, &noa d'une (<:ç:riQ particulière. Ses plus grands embel- lilfemens font les lointains qui s'apperçoivent d'une infinité de points, & le long d'une route con- lldérable. Les beauté-, de détail doivent fe trouver en abondance dans un jardin, & fréquemment dans une ferme : c'eft là qu'elles font fourni (es à une obfervation lente & réfléchie. Dans un parc elles s'attirent peu nos regards^, & nous échappent dans unç cacrisre. les Jardins modernes. uj Les perfpeciives font agréables dans tous les fu- jets généraux , mais il en eft où elles font moins néceiraire^. Dans un jardin ou dans une ferme , il fuffic fouvent qu'elles n'en paflent pas les bor- nes ; &; même dans les fcenes deftinées à la re- traite , une ouverture qui laifleroit voir un loin- tain , fortiroit de leur caradere. Un parc eft dé- fectueux s'il fe borne d fon enclos ; il faut que de belles perfpedlives extérieures varient celles de l'intérieur, qui nous laiferoient à la iîn,'fielles fe continuoient fans interruption dans une aufli grande étendue. Gardons-nous cependant de trop multiplier ces variétés, & fans choix. Le pars four- nira par lui-même de très-beaux points de vue, & feroit peu embelli par un lointain confus oa un échappé de perfpe6tive peu digne du refte delà compofition. Une carrière a rarement des beautés qui lui foient propres ; tous fes agrémens dépen- dent des objets dont elle eft entourée. Si lorfqu'on la traverfe, elle n'oftreque de loin en loin quelque perfpe(5tive frappante , & que le refte de la route foit ennuyeux, elle fera peu fréquentée. Il eft vrai que la feule variété j jointe à une beauté médiocre,, fuftîr pour la rendre agréable, Ainfi les embelliliemens d'une route ne fe fe- ront jamais aux dépens des perfpectives qu'oftre la O iij 114 VArt de former campagne , parce qu'en cachant les lointains j nous détruifons les agrémens d'une carrière. Dans un jardin , au contraire , un ombrage continu eft très- agréable , &: fi les points de vue font quelquefois interceptes d'un côré , nous fommes les maîtres d'en jouir dans plufieurs autres parties du jardin ; ils diminueroient mcme de leur prix , s'ils étoient par- tout expofés à la vue. La plus heureufe fitua- lion d'une mai Ton de campagne , n'eft pas celle qui domine une plus vafle étendue de pays. Tout ce que le propriétaire doit defirer , c'efl: de jouir de fes fenêtres d'une perfpective riante. Il eft beauctnip plus fenfible aux charmes d'un grand payfage lorfqu'il ne les voit qu'en pafiTant; car s'ils lui étoient trop familiers, ils lui deviendroienc infip.des. Ceft pour cette raifbn qu'ils ne doivent pas fe préfenter dans toutes les parties du jardin , ôc qu'un voile jette à propos dans une fcene, peut leur donner dans une autre les grâces de la nou- veauté. Mais les perfpedi ves d'une carrière ne font pas examinées affez fréquemment , pour que leur effet en devienne moins fenfible. Ainfi les planta- tions parfemées dans une campngne , doivent être confidérées moins comme des ombrages deftinés aux voyageurs que comme objets de petfpective. Dans un parc elles peuvent fervir à ces deux fins. les Jardins modernes, n'y Dans un jardin , ce font principalement des pro- menades & des lieux deftinés au repos & à la retraite. Dans une ferme, elles jouent le plus grand rôle, parce que rien ne marque plus fenfiblemenc la différence entre une ferme ordinaire &• une ferme embellie, que la difpofition àçs arbres. Un bois, I en qualité d'objet , y eft donc encore plus impor- i tant que dans un jardin. I Quoiqu'une ferme & un jardin fe reflembicnt à beaucoup d'égards, leur différence efi: totale du côté àii Jlyle. La culture leur eft également nécef- faire j mais dans Tune c'eft économie^ Se dans l'autre décoration. Une ferme eft confacrée à Vut'dké^ un jardin à Vagrément. Une campagne oii les orne- mens font répandus avec profufîon , ne reftemb'e plus à une ferme \ &c la moindre apparence d'a- griculture choque l'idée d'un jardin. Un parc peut ne fe refufer ni à la culture ni aux ornemens. Une carrière doit nous conduire de beautés en beautés, & préfenter une fcene toujours agréable. Comme c'eft là fon unique deftination, elle eft plus fufcep- tible d'embelliftemens & de points de vue frap- pans , qu'un chemin qui traverfe une ferme. O iv 2i6 VAn de former D'UNE FERME- L I I. T>'une ferme paflorale, Defcription de LeafoWes. J_jOR.';qu'on réfléchit fur la révolution qu'a fubi l'art des jardins(i),on regrette que les premiers eflais des hommes de génie qui l'ont opérée, n'aient pas été dirigés vers une ferme, afin de préfenter un heureux mélange de l'utile &: de l'agréable. Mais le contraire eft arrivé. Un périt terrein fut entiè- rement confacré à ragrénient, & tout le refte à l'utilité; & c'eft peut-être la principale caufe de ce mauvais goût qui a fî long- rems régné dans les jardins (2). On fe figura qu'un lieu féparé du refte de la campagne , ne devoir lui reffembler en au- cune manière \ cette erreur conduifît à s'ccarter de la nature , & ces écarts furent portés à un tel excès, que las objets fimples & naturels furent prefque "■»!»" ""■■"^-" ..i.u I ■ Il mmmm^Êmmmm (i) Ou fil'on veut l'ait de difpofer de la manière la plus pa: faite les objets de la nature. (2) Ajoutons , & qui règne encore chez toutes les na- tions , excepté en Angleterre & à la Chine. les Jardins modernes. ll'f bannis de l'enceinte d'un jardin, & qu'on ne per- mit pas même qu'au dehors ils s'offrifiTent en perf- peclive. Ainfi le premier pas vers la réformation , a été d'ouvrir du jardin une pleine vue dans la campagne , ce qui a bientôt conduit à l'idée de les aflimiler. Cependant le préjugé fur la néceffité d'un lieu deftiné uniquement au plaifir& àl'amu- fement, n'a jamais pu s'effacer j & ce mélange de la culture économique avec celle de décoration, efl: un des changemens nouveaux les plus importans, 11 eit allez lingulier que les fermes ornées par les mains de l'art, aient précédé les fermes ruftiques, & que nous ne foyons revenus à la {implicite qu'à force de rafinemenr. Les images que fournit la poéjie pajlorale ^ (ont le modèle aduel de cette fimplicité , & tout lieu qui les réalife, comme Leafowes (i), mérite le nom ^Q ferme par excellence. Toutes les parties & tous les objets qui compofent celle-ci , rappellent fi vivement les idées paftorales, tracées par les poètes, & font h agréables, qu'elles font chérir la mé- "(i) Cette délicieufe ferme eft dans le Shropshire entre Birmingham & Stourbridge , à vingt-huit lieues de Lon- dres. Feu M. Dodiley en a publié «une defcription très- detaillée. L'auteur ne donne ici que des idées générales., 21 8 V An de former moire & juftifieiu la réputation de M. Shendone qui a créé cette ferme, en a fait fon habitation & l'a rendue célèbre. C eft une image parfaite de fon ame fimple , douce & belle , & l'on doute toujours fi c'eft ce lieu charmant qui lui a infpiré fes vers , ou fi dans les fcenes paftorales dont il eft le créateur , il n'a fait que réalifer ces tableaux intérefians qu'il a répandus dans fes chanfons. L'en femble préfente par-tout le même caractère, & cependant rien de plus varié que les détails. Et fi vous en exceptez deux ou trois morceaux peu importans,tout y eft champêtre, tout y eft naturel. C'eft exactement une ferme dont tous les environs de la maifon font deftinés à la nourriture des troupeaux , & tous les divers enclos font traverfés par un chemin aulli fimple & aufti peu orné que ceux d'une campagne ordinaire. Près de fon entrée dans les champs de Leafo-Wes, ce chemin s'enfonce tout à coup dans un vallon étroit &: obfcur, plein de petits arbres qui s'é- lèvent fur des précipices roides & efcarpés. Le fond du vallon eft arrofé par un ruilleau qui tombe en cafcades naturelles au milieu des racines d'arbres & des rochers. Il eft d'abord rapide & découvert, & fe cache enfuite«dans desbofquets où l'on peut fuivre fon cours par le bruit de fon gafouillement. les Jardins modernes. 219 i I^orrqu'il reparoîc, il coule fur un terrein beau- coup plus bas , fc gliire au travers de quelques petits bofquets de bois, & fe peid enfin dans une pièce d'eau qui eft placée à l'extrémité de ce lieu iblitaire , Zc ouvre un payfagc très-joli , quoique des plus fimpies, dont les diviiions font peu nom- breufes , & tous les objets familiers. Ils confiftent dans la pièce d'eau , des ckamps qu'on voit au- delà & qui s'élèvent doucement , & un clocher qui eft placé fur le fommet. La fcene fuivante eft plus folitaire, & abfolument confinée dans (qs propres limites. C'eft un vallon fauvage & négligé, dont les côtés font couverts de buifibns & de fougère , entremêlés de quelques arbres. Un ruilTeau coule aufli au travers de ce petit vallon, & fort d'un bois qu'on voit fufpendu fur un des penchans. Il ferpente dans ce bois l'efpace de quatre- vingt toifes fur une pente rapide & par une fuite continuelle de cafcades. Des aulnes & à.QS charmes croilfent au milieu de fon lit, & d'une feule racine partent quantité de tiges qui embar- raifent le courante augmentent fon aoication. Ses bords font couverts de quelques gros arbres, dont l'ombrage entrecoupé permet aux rayons du foleil de fe jouer fur les eaux. A peu de diftance de ces arbres, eft un léger taillis qui , fans jetter aucune ^îd Î/Art de former" obfcarité fur la fcene, fufEt précifément pour em- pêcher qu'elle ne s'ouvre fur des points de vue plus éloignés. Tout l'jifitérieur de cette fcene eft très animé. La rapidité du courant & l'afpeét lîn- gulier des cafcades fupérieures qu'on voit au tra- vers des feuilles & des branches, eft d'une beauté très-piquante & très-pittorefque. Le chijmin ayant traverfé ce bois , revient ferpenter dans le même vallon y mais d'un autrec 6té,il eft femblable à celui qui lui eft oppofé, & paroît cependant former une fcene toute différente par la feule pofîtion du che- min ; car d'une part , il eft découvert & entière- ment enfoncé, & de l'autre il eft fur le fommer, couvert d'un ombrage épais , & préfente à gauche l'afpect fauvage du fond du vallon , & à droite des champs emblavés , dont la vivacité des cou- leurs & le voifina^e détruit toute idée de folitude. A l'extrémité du vallon eft un bocage dont les arbres font fort élevés ^ fitué fur une pente rapide, & près de deux champs cultivés, également beaux & inéguliers , mais différens dans toutes leurs par- ties; car la variété de Leafowes eft admirable Tous les divers enclos y font fi parfaitement dif- tingués les uns àcs autres , qu'ils conviennent à peine dans une feule particularité. Des deux champs qui touchent le bocage , l'inférieur comprend les 11 hs Jardins modernes, iii deux plans inclinés d'un enfoncement profond , donc les bords font entourés d'un bois fort épais. Le champ fupérieur eft une colline fort coupée , terminée par une haie 5c par un grand ruilleau à replis tortueux. Quelques arbres , foit ifolés , foie grouppés , couronnent les inégalités de la col*» line , mais il n'y en a aucun fur les bords efcarpés. Le chemin fe glilTe fous une haie autour d'un gros arbre , & fournit çà & là quelques échappée^s de vue de la campagne; Se après avoir croifé une au- tre haie, il s'élève jufqu'à la plus haute éminence. C'eft ici que s'offre une des plus riches , àss plus variées, des plus valles &: des plus riantes perf- pediives que l'imagmation puiiTe fe peindre. C'eft un pays montueux , parfaitsmer.c cultivé , plein d'objets de toute efpece Se très*peuplé. On vci: en détail la belle ferme de Leafowe?, & tout p es, la ville de Hales-Ov/en (i). Celle de W^rekin, qui eft à plus de trente milles de d.ftance, s'apperçoic aufli très-diftinGl:ement à l'extrcmi.é de l'horifon. Dans plusieurs endroits on a planté des bois oa pratiqué des clarieres , pour cacher ou découvrir certains points de vue. Préci;c;nent au-deifous de (i) Sur la petite rivière de Stour , qui fe jette dans la Seveaie. 221 L'Art de former la principale éminence qui domine ce magnifique payfage , eft la maifon donc les objets les plus frap- pans étant dérobés à la vue par des arbres , le refte de la ferme préfente fimplemsnt un payscompofé d'une nombreufe fuite d'enclos. Mais un village , une ferma , une cabane que nous n'avions point obfervé dans l'immenllté d'une perfpedtive géné- rale , deviennent importans dans des fcenes plus relTerrées ; & le même objet qui , dans telle poli- tion , paroifloic ifolé, dans un autre eft précédé; d'un bois ou terminé poftérieurement par une col-- line. L'attention s'eft portée fur les moindres cir- conftances qui pouvoienc diverfifier les fcenes ; mais l'art n'eft jamais apperçu , & l'effet paroîc toniours naturel. Les pafiTages à des décorations très- différentes ( fi l'on me permet cette expreiïion ) font en géné- ral très -rapides. De cette expofition fi gaie & Ci élevée , on defcend immédiatement à des fcenes plus graves &c plus tranquilles. La première efl une prairie aufii belle, auffi unie & auflî étendue qu'une peloufe, & parfemée d'une grande quantité de beaux arbres : au de^ous eft un petit défert ter- miné par une efpece d'amphithéâtre ruftique &par des taillis négligés & fufpendus. Un des côtés eft remarquable par-un bois compofé de quelques les Jardins modernes. 225 iftrbres de haute futaie & d'un taillis extrêmemenc ! icpais, qui renferme une petite pièce d'eau irrégu- liere, dont une àes extrémités efl à découvert, & fournit aflez de lumière pour animer tout le refte. Quoique la profondeur deseauxjej ombres qu'elles réfléchilfent, & répaiffeur du bois répandent beau- ! icoup de fraîcheur fur la fcene, le froid ne s'y fait point fentir j c'efl; une retraite qui n'a rien d'obf- [ -curci ni de mgjeftueux, mais où régnent la paix & I le fifence : c'eft un afyle délicieux contre la cha- i leur brûlante du midi , fans participer de Thumi- \ dite ni des ténèbres de la nuit , Un ruiflTeau plus tranquille que les précédens , : ligule de cette pièce d'eau au travers d'un long tail- lis 5 il formed'efpace en efpace'quelques petites ca'- l'.^ades, ou ferpente autour de quelques iflors couverts l'^ar des touffes de petits arbres. Le chemin borde le I :j:ui(îeau jufqu'au pied d'une colline, fur laqaelle I ,il s'élève par (\es 'm'à:>x\ons très-irrégulieres. Par- 1 venu au fommet, il entre dans une allée étroite, ( qui forme un très - beau berceau. Mais quoique t cette élévation, & la rerraffe dont elle eft couron- ) ^ée, offrent les plus charmantes perfpe^lives, tout \ cela n'eft pas atFez naturel pour le caraélere de ; Leafowcs. Cependant, auffi-tôt que le chemin eft ■j .dégagé de cette efpece d'entraves , il reprend fa 214 V^n de former première fimplicitc , & defcend â travers placeurs champs, d'où la ferme préfente fiiccelîîvement quantité de jolis points de vue, diftingués p.ir les variétés du terrein , les differens enclos, les haies, les paliflades &c les bofqiiecs qui les féparent : quel- quefois ce font des mairifs , des arbres ifolés, ou des meules de foin qui interrorupent les limites, ou font placés au milieu des prairies. Au pied de la colline , un t^cage enchante couvre un petit vallon, dent les bords efcarpés renferment une jolie petite rivière qui fcrpente dans le fond. EILe fe précipite dans le vallon par une cafcade des plus rapides 8c des plus bruyantes, qu'on voit briller à travers les petits jours 6c les ombres du bocage. La rivière fe partage encore £n plufieurs petites cafcades , mais fon cours eft. lent & tranquille dans l'intervalle qui fe trouve entre chaque cafcade. Ses eaux font par- tout claires & brillantes, & quelquefois diverfifiées par des rayons de lumière , lorfque l'ombre de chaq-.e feuille y eft marquée , Se que le verd du feuillage de la moulTe, du gazon, Ôc des plantes fauvagcs quicroiflent fur {çs bords , s'y réfléchit avec éclat. Les rives font parfemées de plufieurs jolis group- pes qui compofent un taillis ou»'ert j 6c fur toutes les éminences des environs, s'élcvent des arbres, les Jardins modernes, 125 de forêt , dont les cimes fuperbes préfentenc les plus belles maffes. Il s'en détache quelquefois un ou deux, qui femblent fufpendus fur le pen- chant , ou qui croifenc la rivière. Le vallon , en defcendant , devient plus obfcur , &: la rivière fe perd dans un étang, dont les eaux, prefque I fans mouvement , font environnées Se obfcur- cies par de grands arbres. Un peu avant que la rivière ne fe mêle à l'étang , 5c au milieu d'un terrein planté d'ifs , eft un pont d'une feule arche, bâti de pierre noirâtre, & dans le goût le pîusfim- ple & le plus ruftique. Loin que le noir de cet édifice jure avec le refte de cette fcene , ce n'eft qu'une teinte plus forte de la couleur générale : nulle partie n'en eft éclairée; il y règne par-touc un fombre religieux qui infpire du refped; & ce qui ajoute encore à famajefté, eft une infcription gravée fur une petite obélifque, qui indique que le % bocage eft dédié au génie de Virgile. Près de cette fcene délicieufe, font les premières divifions du terrein qui compofe la ferme. Le chemin vient y ' aboutir, en fe continuant le long d'ua ruiffeau. Je ne faurois quitter Leafowesfans faire remar- ! î quer une ou deux circonftances fur lefquelles je I n'aurais pu m'arrêter fans interrompre la defciij"- lion de la route. La première eft Tart avec lequel P ^^6 V Art de former on afu diverfifier les divifionsdes champs. 11 n*eft pas jufqu'aux haies qui ne foient diftinguées les unes des autres : ici c'eft une flmple haie vive qui forme la fépararion j là, une fuperbe palifTade très- épaiflfe dans toute fa hauteur : ailleurs, c'eft une ligne d'arbres, dont les tiges bien féparées, laifTent voir des buiffons dans leurs intervalles , & donc les têtes , quoique touffues, admettent de grandes maffes de lumière. Quelquefois ces lignes d'arbres font coupées à certaines diftances par des grouppcs j & quelquefois c'eft un bois, un bocage , un taillis ou un bofquet, qui forment les limites apparentes, & varient la forme &: le ftyle des enclos. La féconde circonftance digne de remarque, font les infcriptions qu'on trouve en grand nom- bre. Elles font toutes très-connues & admirées des connoiiïeurj. L'élégance de la poéfie & la jufteffe des allufions fait pardonner leur longueur & leur nombre (ij; mais en général les infcriptions ne plaifent qu'une fois j & à moins qu'elles ne foient (i) Les infcriptions font un genre de beauté, dont les Anglois , ce me femble , ont le plus abufé. Elles font or- dinairement fi longues & fi nombreufes dans leurs monu- mens , qu'on prend à la fin le parti de ne les point lire ; & nous auffi nous ne fommcs pas exempts de ce reproche. les Jardins modernes. 227 emblématiques, leur ufage fe borne à indiquer les beautés ou à décrire les efFets des lieux oii elles font placées; mais les beautés font toujours très- médiocres & les efFets très-foibles, lorfqu'un tel fe- cours leur eft nécedaire. Cependant une infcription £1 la mémoire d'un ami que nous avons perdu , eft vifiblement hors de cette cathégorie , parce qu'elle eft la partie eftentielle du monument ; & une urne placée dans un bocage fombre & écarté, ou au mi- lieu d'un champ , eft une des grandes beautés de Leafowes : les bâtimens n'y font , pour la plupart, que de fîmples repofoirs ou de petites loges de jar- diniers :les ruines d'un prieuré font l'édifice le plus confidérable , 8c n'ont rien de particulier qui les diftingue ; mais la multiplicité des objets eft peu néceftaire dans la ferme : les campagnes qu'elle a en perfpedtive en font couvertes j & tous les avan- tages particuliers que la nature a prodigués à Lea- foves, ont été découverts, appropriés, contrallé^ôc ' portés au plus haut degré de perfection , traités dans le goût le plus exquis ôc de la manière la plus pittorefque. Parmi toutes les images de la pocfie paftorale , celles que fournir la mythologie n'ont point été oubliées. On y voit de fréquentes allufions aux p.) liS L'Art de former fables, tant anciennes que modernes j quelquefois aux fées & aux fylphes, & quelquefois aux nayades bc aux mufes. Les objets font empruntés, tancôc des fcenes telles qu'il en exiftoit en Angleterre il y a quelques fiecles , &: tantôt des fcenes Arca- diennes. Celles où fe trouvent les ruines du prieuré & ledifice gothique , font encore caradérifées plus particulièrement par une infcription antique, & les caraderes noirs qu'on voit dans l'une , & les urnes , robélifque de Virgile, & le temple ruf- tique de Pan, qui accompagnent l'autre. Toutes ces allufions, tous ces objets font éga- lement champêtres j mais les images d'une cglogue Angloife , & les images d'une églogue antique ne fc reiïemblent point. Chaque efpece eft un ca- radere imitatif diflinâ;, &: s'applique à àas ob- jets qui lui font propres j mais toutes les deux élèvent une ferme au-delTus de l'état ordinaire. Si ces deux caradteres étoient rapprochés ou mclés enfemble , ils fe détruiroient réciproquement ; & ces images , qui nous rappellent fî agréablement certains fieclcs & certaines contrées, s'évanoui- roient. Il conviendroit cependant de laiffer à l'ex- trémité des fcenes oppofées, de petites portions de terrein qui feroient comme leur lien commun j &: les Jardins modernes. 129 foniiroient en quelque forte les unes dans les au- tres les idées correfpondantes (i). L I I I. D'une ferme ancienne. JJans la diftribution des perfpedlives , les plus découvertes & les plus agréables feront traitées dans le goût Arcadien, celles qui le font moins , feront plus rapprochées des manières ruftiques des anciens Bretons. Nous ne pouvons nous perfuader que, de leur tems, la campagne fût entièrement défrichée, ou divifée par des limites précifes. Les champs étoient terminés par des bois, &: non par des haies ; Se (î certains pays ofFroient une étendue confidérablc de terres cultivées , elles n'étoient pas CFicore diftinguées par des enclos. Cette efpece de (i) \Jn tel mélange peut n'être pas déplacé dans une ferme, où tout doit être fimple & champêtre, & préfentcr tcuiours des Images doucesjjamais fortes ou terribles; mais il efl quantité de fcenes dans la nature, qui ne s'accom- moderoient point de cette efpece de me^^^o termine. L'ame doit y être remuée fortement, par des contraftes & des paffages rapides à des tableaux d'un genre totalement différent. P iij l^o LArt de former caradere convient donc particulièrement dans les endroits où la culture n'a fait que gagner du ter- rein dans un paysfauvage, fans l'avoir fubjugué \ comme lorfque le fond d'ua vallon eft emblavé , pendant que fes côtés font entièrement couverts de bois, 6c que la ligne extérieure de ce bois eft plus oi| moins pénétrée par les terres labourées qui gagnsnt les hauteurs des collines. Quelques pièces de gazon, qui font un ornement (î analogue à un parc ou à une ferme paftorale j feroient ici dépla- cées. Si elles font admifes dans une ferme an- cienne, ce ne peut être qu'aux extrémités d'un ter- rein abandonné ou d'une commune. Si ce pâtu- rage eft confidérable , on en tranchera l'uniformité par des brolfailles , de petits bouquets de bois ou des taillis répandus fans ordre, & les arbres feront entourés de buiffons & de ronces. Toutes ces cir- conftances ajoutent à la beauté du lieu , qui n'of- fre cependant que les reftes d'un pays fauvage , fans aucune prétention à l'agrément.Tousces objets deftinés à rompre l'uniformité , feront moins fré- quens dans les terres labourées de la ferme ; mais elles peuvent être diverfifiées d'une autre manière, & divifées en pluiîeurs parties par la feule diffé- rence des grains enfemencés. L'agriculture ne peut offrir de perfpeâ;ivc plus agréable que cette efpece les Jardins modernes. 231 de variété, pourvu que l^'étendue en foit modérée, & que l'œil foit arrêté par des limites qui l'amufenc & rintéreiïent. Un bois eft elTeniiel au caradlere d'une ferme ancienne, & il eft fufceptible de certains embellif- femens : on peut y choifîr un lieu où de petites tours s'élèveront au-defTus des arbres , ou au tra- vers defquels on verra quelques arcades qui rap- pelleront l'idée d'un château ou d'une abbaye, ^l eft bon que ces objets ne préfentent qu'un de leurs côtés, parce qu'ils doivent paroîcre faire partie d'un bâtiment entier, quoiqu'ancien, & que des ruines tiennent à une plus haute antiquité. D'ailleurs, on ne fauroit imaginer rien de plus pictorefque, qu'une tour plongée dans un grouppe de beaux arbres, ou qu'un cloître apperçu au travers des tiges & des branches. Mais les idées religieufes de nos ancê- tres nous fourniiïent d'autres objets d« caractère, encore plus fréquens. De leur tems les hermitages étoienc réels, &: les chapelles écartées très- com- munes: plufieurs fources de la campagne qui paf- foient pour des fontaines facrées, étoient marquées par de petits dômes gothiques , & chaque hameau avoit fa croix : ainfi une croix élevée fur une pe- tite colonne ruftique, & un petit dôme foutenu fijr une bafe compofée de marchss circulaires , fe- Piv 232 L'Art déformer Tont quelquefois des objets importans dans cer- taines perfpectives. Si l'on pouvoir trouver une fîtuation pour un mai (i) , telle qu'on ne l'apper- çCit point de toutes les différentes parties de la ferme , une fcene pourroit en être embellie. Je vais même plus loin : une ancienne églife , quelque peu agréable que foit cet édifice , fera toujours placée naturellement, lorfqu'elle empê- chera qu'une ferme caradtérifée , comme je viens de le dire, ne relTembleà un parc ou à un jardin. Un vieux if placé dans le cimetière (2), feroit (i) C'eftun arbre qu'on plante dans chaque village le premier jour du mois de mai. On choifit celui dont la tige sft la plus haute & la plus droite. Cette cérémonie, qui femble ouvrir les premiers beaux jours du printems, eft toujours fort gaie , & marquée par des chanfons & des danfes. Cet uf ige cft auffi connu en France. (2) C'eft une des chofes qui me déplaît le plus des jar- dins Anglois , que ces cimetières qui s'y trouvent quel- quefois , & je n'ai jamais été furpris fi défagréablement , que de voir une églife & un cimetière dans les fuperbes jardins de Stowe , dont on verra plus bas la defcription. Ceci fert à nous confirmer dans l'idée que nous avons du caraélere des Anglois. Naturellement mélancoliques , ils aiment à contempler les objets propres à faire naître des réflexions férieufes, ou à plonger dans la rêverie ; aufli leurs ouvrages, de quelque genre que ce foit, ont-ils les Jardins modernes. "^2,33 encore un coup de pinceau unie dans ce tableau. Il ferviroit à rappeller plus vivement les tems oii I: l'on en faifoit ufage. }\ ' Nous pourrions nous rappeller plufieurs autres objets propres à peindre les mœurs & les manières de nos ancêtres; mais ceux-ci fuffiront de refte pour une ferme d'une grande étendue. Les cabanes ont toujours été très-fréquentes dans tous les fiecles ■ & dans tous les pays : on peut donc les y intro- duire avec des formes très-différentes , & dans une infinité de pofitions. De grandes pièces d'eau en font encore des parties cfTentielles. Quant aux va- riétés des ruitfeaux , elles fe prêtent à toutes les efpeces de ferme. toujours une teinte de noir , & reflemblent plus ou moins à ces feflins Egyptiens , où la tête de mort qu'on mettoit fur la table , jettoit le poifon de la trifteffe au milieu du plalfir & de la gaîté. J'avoue que cette profonde mélan- colie eA quelquefois une fource féconde d'idées fublimes : témoin les nuits d'Young , le Caton d'Adiffon , le Paradis perdu de Mtlton ; mais à tout prendre, la gaîté franche du peuple François, quoique mêlée de beaucoup de légèreté, vaut encore mieux , ce me femble , que la trifte profon- deur Angloife. J'efpere que nous imiterons nos voifms , en rappellant , comme eux , la belle nature dans nos jar-. dins; mais que les cimetières en feront bannis à jamais. ^34 LArt de former Une ferme ancienne , quels que foient la force & les effets de fon caraâ:ere , peut nous prcfenter , foit dans une promenade , foit dans un pays , ua (i grand nombre de fcenes agrébles qu'elles con- trafteront merveilleufement avec celles qu'on peut créer dans le même pays d'après les images pafto- rales ou Arcadiennes , & peuvent même leur être fubftituées (î la néceffitc l'exige. L I V. D*une jerme Jîmple. \)n peut ne faire ufage d'aucun de cq^ caradlercs imitacifs, & fe contenter d'une ferme^mple 8c or- dinaire , car des champs cultivés & l'agriculture économique ont aulîî leurs grandes beautés par- ticulières. Les bois 8c les eaux s'y préfentent de mille manières différentes : nous pouvons étendre ou divifer les enclos , 8c leur donner les formes êç les limites qui nous plaifent : chaque enclos particulier peut devenir un lieu très- agréable, 5c tous enfemble compofer une des plus belles perf- pedtives ; les terres labourées , les pâturages 8c les prairies fe fuccéderont alremativement, 8c quel- cjuefois jmême un terrein inculte & fauvage en- cci^ra dans ce mélange fans le déparer. Enfin il n'efl les Jardins modernes. 135 aucune efpece de beauté dont les enclos font fuf- ceptibles , qui ne trouve ici fa place , foit que U nature l'offre d'elle vnhmQ , ou qu'elle foit un effet de la culture. Les bâtimens qui fe préfentent fréquemment dans un tel pays, y feront fouvent un bel effet , fur-tout l'églife & la maifon principale. Si la cour & l'enceinte de la ferme font dans une pofition avantageufe ; fî les différentes piles , fi les granges, auvents & autres édifices acceffoires , font dlfpo- fés de manière qu'ils forment des grouppes mêlés . de beaucoup d'arbres parfemés avec choix , cet enfemble fera pittorefque. Plufieurs bâtimens peu- vent être détachés des grouppes te difperfés dans les environs, tels que le colombier & la laiterie, qui font fufceptibles d'une forme élégante & d'une expofitionheureufe. Une grange ordinaire, accom- pagnée d'un mafîif , eft quelquefois très-agréable , lorfqu'on en eft à une certaine diftance : une grange Hollandoife au contraire produit cet effet lorfqu'on en eft fort près , & une meule de foin nous plaît or- dinairement, fous quelque point de vue que ce foir. Chacun de ces objets peut être ifolé dans une perf- pedive , & rien n'empêche que des cabanes n'y 1 paroiffent fous toutes leurs formes. Parmi tous ces bâtimens , il en eft un certain nombre qu'on 23 ô I^*Art de former ' peut convertir à d'autres ufages que leur conftruc- tion ne femble l'annoncer ; Se quel que foit leur extérieur , vous en ferez des retraites charmantes & des lieux de repos &: de rafraîchifTement. On imagine aifément qu'une ferme, dont l'inté- rieur eft compofé de pièces fi parfaitement culti- vées, fans manquer totalement de décoration, & dont l'extérieur efl: une campagne féconde en jolis points de vue, doit être très-agréable: elle le fera encore davantage pour le propriétaire , fi elle tient au parc, ou au jardin ; par la raifon que ces objets de luxe qui lui rappellent fon rang ou fa fortune, lui impofent une forte de contrainte , 5C qu'il fc fent foulage comme d'un fardeau, quand il paffe de la fplendeur de fa maifon & de (^^ jardins , â la fîmplicité d'une ferme. C'eft ici plu? qu'un changement de fcene , c'efl; un vrai paflTagç momentané à une nouvelle vie, qui a tous les charmes de la nouveauté, de la liberté &: de la tranquillité. Ainfi une pareille retraite qui man- queroit à une maifon de campagne , y feroit une perfection de moins. Mais elle ne doit pas non plus en être le feul embelliffement. Les ornemens d'une ferme an- cienne, & même d'une ferme paftorale , feroient trop difproportionnés à l'édifice principal , qui I les Jardins modernes. 237 paroîtroit nud & négligé , & ne feroit pas afTez diftinsué des maifons ordinaires. Le maîcre &:ceux que la curiofité amené chez lui , feroient bientôt las de ne voir aux environs que les objets com- muns de la campagne , & rien qui annonce l'opu- lence. Il faut donc , comme je l'ai déjà dit, que l'arc prodigue les ornemens aux environs de la maifon plus que par-tout ailleurs , & l'on traver- fera toujours un jardin, avant d'arriver à une ferme de quelque efpece qu'elle foir. L Y. D'une ferme ornée. Defcripiion de la ferme de W'oburn. Il eft naturel de penfer que c'eft la néceffité de répandre des ornemens plus recherches autour de la maifon, jointe au goût des plaihrs iimples de la campagne , qui a fait naître l'idée d'une/èr/;z^ or- née ^ comme le feul moyen de préfenter les images champêtres dans l'enceinte d'un jardin. Cette idée a fouvent été réalifée à certains égards j mais jamais. Ci mefemble,au(îicompletcemenc,nidansunefpace aulli étendu qu'à Woburn ( i). Cette ferme con- I (i) La ferme de Woburn appartient à Millrefs South- 238 VAn de former lient cent cinquanre arpens, (iont il n'y en a que trente-cinq qui ont reçu tous les embelliiïemens dont ils écoient fufcepribles. Environ les deux tiers de ce qui refte ont été mis en pâturage , & l'autre tiers eft en terres labourées. Cependant les décora- tions fe répandent fur toutes les parties de l'en- femble j par la manière ingénieufe dont elles ont été difpofées le long des côtés d'un chemin qui environne entièrement les pâturages , & fe conti- nue au travers des terres labourables , quoique (t largeur n'y foit plusficonfidérable. Ainfi le jardir confifte dans le chemin , & le refte eft la ferme Le tout enfemble eft compofé des deux côtés d'un( colline , féparée par une plaine qui eft dans le fond Les champs de bled occupent la plaine, & la col line eft couverte des pâturages , environnés di chemin dont j'ai déjà parlé, 6c traverfés par ui autre chemin de communication qui règne fur L fommet, dz les divife en deux grands tapis verdî Comme ce dernier chemin a été aufllî rrcs-embelli chacun de ces tapis verds eft exàcfbement terminé d tous côtés par un jardin. Ils offrent d'ailleurs par eux-mêmes une perfpec cote, près de Weybrldge , & du beau pont de Walto fur laTamifCjdans le Surrey, entre Chertfey & Kingftoi U les Jardins modernes, 239 "tîve trcs-agréable. Ils font diverfifiés par des maf- ' (îfs & à^s arbres ifolés, & les édifices qui ornent le chemin femblent leur appartenir j car on voit fur le fommec de la colline un grand bâciment oc- togone , & non loin de- là les ruines d'une cha- pelle. Ces ruines, fituéesfur l'endroit le plus élevé d'une éminence où l'on monte infenfiblement , 5c 'grouppées avec un bois, femblent faire partie de l'une des deux peloufes , pendant que de l'autre , on apperçoit l'odogone fur lebord d'un petit pré- cipice j & à côté d'un joli bocage fufpendu fur le : 'penchant de cette hauteur efcarpée. Cette peloufe eft encore embellie par un bâtiment gothique des plus élégans , & la première par la maifon & le pa- villon d'entrée. Toutes les deux offrent continuel- lement d'autres petits édifices, tels que des grottes, des ponts, &:c. Les bâtimens ne font pas les feuîs ornemens du chemin. Il eft féparé de la campagne pendant un efpace rrès-conficiérable,'par une épaifle & fuperbe ■ paliflade , embellie par le chèvrefeuille , le jafmin & autres plantes odoriférantes qui s'y trouvent en ■ abondance, & dont les branches allongées s'en- tortillent aux arbres du bofquet. Le chemin , qui eft ordinairement couvert de fable ou de gravier, va toujours ferpentant : tantôt il borde la haie. 140 VAn de former tantôt il s'en éloigne. Les lits de gazon font di- verfihés de chaque côté par des grouppes d'arbrif- feaux ordinaires , de fapins ou de petits arbres , de fouvent par Témail des fleurs, qui peut-être même y font répandues avec trop de profufion, & blef- fent les yeux par leur petireiTe; mais l'air en efh paifumé j & le moindre zéphir nous apporte leurs douces odeurs. Cependant certains endroits nous offrent des ornemens plus mâles j le chemin palTe au milieu de grands maflTifs d'arbres verds , de bofqnets d'arbrifleaux, dont les feuilles font an- nuelles, &c d'autres plantations ouvertes encore plus confidérables. Enfuite il devient très-fimple , fans bordure , fans gravier , fans haie qui le fé- pare des rapis verds , & il n'eft diftinguc que par la beauté de fa verdure , fa propreté & fa précir (ion. Dans les terres labourées , c'efl: encore du gazon, & il fuit la diredtion des haies quidivifent les enclos : ces haies font quelquefois ornées d'ar- brififeaux fleuris , & tous les angles & les efpaceç vuidcs font remplis par des rofiers , des maflifs ouverts, ou des rapis de fleurs. Mais fi les parterres ont été empruntés des jardins pour embellir les champs, des arbres de toute efpece ont aufll été tranfooiiés de la campagne pour l'ornement des jardins. Les arbrifleaux & les fleurs n'ont plus été conlinés les Jardins modernes, 141 Confinés dans un lieu particulier, exclufivemeni à roue autre, & leur nombre femble s'être multipiié depuis que leurs combinaifons ont été plus variées. Remarquons cependant qu'on auroittlûen faire à Wûburn un ufage plus modéré , & que la variété portée à l'excès, y perd beaucoup de fes agrémens. Il eft vrai que cet excès ne fe fait fentir que fuf les bords du chemin , & que les différentes fcenes qu'il parcourt , font par-tout élégantes , riches &: charmantes à la vue. Les prairies nous offrent deux perfpeâiives délicieufes par la beauté des objets , l'éclat des bâtimens, les inégalités du terrein de les variétés des plantations. Les mafîifs & les bo- cages, quoiqu'alTez petits lorfqu'on les examine féparément, forment des grouppes confidérables vus d'une certaine diftance , & nous attachent par la beauté de leurs formes , de leurs nuances &: de leurs fîtuations. Le fommet de la colline domine deux perfpeélives également agréables. L'une riante & fpacieufe ell une plaine fertile, arrofée par la ; Tamife , & divifée par la colline de Sainte-Anne & le château de Windfor(i). Une vafle prairie (i) Ce château fi fameux fut bâti par Guillaume le Con- quérant , il y a environ fept cents ans , & il a été embelli ijucceflîveraent prefque par tous les rois d'Angleterre , 24Î VArt de former ë'un verd foncé, commence au pied de la colline, & s'étend jufqu'aux bords de la rivière. Plus loin, la vue eft frappée d'une multitude de fermes , de maifons de campagne & de villages , & de tout ce qui fert à marquer l'opulence & une excellente culture. La féconde perfpe<5bive eft plus garnie de bois : on y voit quelquefois s'élever parmi les ar- breSjdes clochers ou des tours; & cette arche unique & hardie , qui compofe le pont de Walton (i) , eft un objet des plus piquans & des plus magni- fiques. Les enclos répandus fur la plaine, font plus écartés & plus tranquilles. Ils ne préfenrent que les <)"bfets renfermés dans leur enceinte.Tous enfemble forment un contrafte parfait avec l'expolîtion dé- couverte qui les domine. itiais fur-tout par Charles IL H eft difficile d'imaginer une fituatîon plus d'élicieufe^ & uîic perfpeftive plus étendue, plus riche & plus variée. Tout le monde connoît le poème charmant de Pope, fur la forêt de "Windfor. Quoique ce poète eût le talent d'eihbellir tout ce qu'il décrivoit , il n'a fait ici que peindre la nature Le feu duc deCumber- lant a fait bâtir un fuperbe pavillon dans le parc deWind- cr , & y a créé de beaux jardins. "Windfor eft fur la Ta- mife a vingt-quatre milles de Londres. (i) Sur la Tamife. les Jardins modernes, 243 A toutes les beautés qui animent un jardin , fe joignent celles qui caradérifent une ferme. Les deux tapis verds font des pâturages, & l'on entend retentir de tous co\.é^ parmi les bois , le mugifle- ment des beftiaux , le bêlement des brebis & des agneaux , & les tintemens àts clochettes qui font au cou des rnoutons. Il ne faut pas oublier le glouf- fement des poules & les chants divers des oifeaux d'une ménagerie conftruite dans le goût le plus funple, près du bâtiment gothique. Une petite ri- vière , deftinée aux oifeaux]aquatiques, la traverfe en ferpentant ; Se pendant que les uns fe jouent fut fes eaux , les autres errent parmi les arbrifleaux fleuris , dont fes bords font couverts, ou fe répan- dent fur les prairies voidnes. Les champs enfemen- cés contribuent aulTi à animer les fcenes par les divers travaux qu'ils exigent depuis le tcms des femailies jufqu'à celui de la moilTon. Mais, comme je l'ai déjà obfervé , au milieu de toutes ces images champêtres , on chercheroit en vain cette iîmplicicé ruftique qui fait le cara6tere propre d'une ferme, tant les ornemens dont on ùécore les jardins , y ont été répandus avec pro- fuhon. ^'^ 244 VArt de former * ■■ ■ DU N PARC. L VI. D*un parc terminé par un jardin, Defcription de PdinshilL \J N parc &: un jardin ont des rapports plus mar- qués ôc s'unilTent parfaitement l'un à l'autre fans fe dégrader mutuellement. Une ferme perd dans le mélange quelques-unes de Tes propriétés carac- tériftiques , & l'avantage eft du côté du jardin : au lieu qu'un parc bordé d'un jardin , conferve toutes les qualités qui lui font propres , & en emprunte même des beautés, fans que le jardin perde rien ^e Ton éclat. La compofition la plus parfaite que puilîe offrir la campagne, confiée dans un jardin, qui s'ouvre fur un parc traverfé par une avenue courte & irrégulicre, dont l'extrémité foit une ferme , àc par d'autres chemins ménagés dans desclarieresqui conduifentà de vaftesperfpeclives. Ainlî le parc n'eft guère qu'un palîage relativement à la ferme & aux pays j fes bois 6c (es bâcimens peuvent entrer dins leurs différent points de vue j mais les fcenes ou perfpedives qui lui font pro- les Jardins modernes, 245 près, n'ont de communication qu'avec le jardin. Ces deux fujets s'uniffent d'une manière fi in- time , qu'il feroit difficile de tirer enti'eux une ligne de féparation bien exadle (i). Depuis les dernières innovations, les jardins fe font beau- coup rapprochés du caractère des parcs du côté de 1 étendue & du ftyle ; mais il y a toujours dans les uns des fcenes qui ne fauroient convenir aux autres. De petites retraites écartées , qui font (î agréables dans un jardin , feroient peu remarqua- bles dans un parc j & cts vaftes peloufes qu'on compte parmi les parties les plus fuperbes d'un parc, fatigaeroient dans un jardin, parce qu'elles manquent de variété: celles même qui, parleur étendue mitoyenne, peuvent convenir aux deux fujets , paroîtroient nues & ftériles dans l'un , fi rien ne les diverfifioit, & perdroient beaucoup de leur grandeur dans l'autre , fi quelques objets en diminuoient l'uniformité.C'eft la proportion d'une partie au tout , qui eft la mefure de fes dimen- fions, Se qui détermine fouvent la fituation na- (1) Cela eft fi vrai , que les étrangers ne peuvent s'ac- coutumer à appliquer aux jardins Anglols l'idée qu'ils ie forment des jardins en général. Ils les appellent toujours des parcs , & ne s'éloignent pas beaucoup de la vérité. Qiij l^C VAn de former lurelle d'un objet, ainfi que refpace& le ftyle con- venable à chaque fcene. Mais quelque différence qu'il y ait entre un parc & un jardin par rapport à l'étendue , les agrémens fi variés y que l'art ajoute à la nature , peuvent être prodigués à l'un & à l'autre , 5c feront précifément de la nicmeefpece, quoique dans des degrés différens. On doit y reconnoître le même ftyle dans les objets les plus diftingués, les orne- mens Se les perfpedives : & quoiqu'une grande partie d'un parc puille être abandonnée à la na- ture, & que les fcenes les plus pitcorefques ne foient pas incompatibles avec (oi\ caradtere , une forêt paroît plus analogue à cet eîfet. Il ne faut dqnc pas que le fauvage domine dans un parc ; mais c'eft un heureux accefloire, quand on en fait un ufage modéré. La culture y ell cflentielle, & il eft même néceffaire qu'elle y foit quelquefois portée au plus haut point. Toutes les perfpectives où elle règne, fe lient naturellement; & l'éloi- gnement de celles qui ne font point cultivées, en adoucit la rudelfe. Lors même que celles-ci font très-rapprochées , elles ont beaucoup de noblelTe dans un parc, &: feroient trop vaftes & trop fau- vages dans un jardin : ajoutons que les beautés de détail d\ui chemin ou d'une avenue, qui croife les Jardins modernes. 247 on immenfe tapis verd, fe combinent en grandes maflTes, & s'élèvent par leur nombre & leur réu- nion jufqu'au majeftueux. Ainfij comme un parc & un jardin ont quantité de points de reflTcmblance, & peuvent même fe rapprocher dans les chofes oii ils différent, par le fecours de la perfpedive , il fera facile de les réunir fréquemment de la ma- nière la plus intime. Painshill (i) eft (îtué à l'extrémité d'un marais, fur un terrein qui domine une plaine fertile , .ai:- rofée par la Mole. De larges vallons defcendenc vers la rivière dans différentes diredions, Se di- yifent le fommet des collines en plufieurs émi- nences. Les jardins régnent fur les bords efcarpés en forme demi- circulaire , entre la rivière qui ferpente Se le parc qui remplit les vallons. Le ma- rais eft derrière la maifon. Se fe montre quelque- fois un peu trop à découvert; mais les points de vue, qu'une campagne bien cultivée fournit par d'autres côtés j font plus agréables. Ils font ter- minés par des collines à une diftance fufïifanre. La / (i) C'eft la maifon de campagne de M, Hamilton , près de Cobham dans le Surrey, fur la Mole, rivière qui coule fous tene l'eipacede plufieurs milles,entre Lcather-Head & Darking. Qiv 248 LArt de former plaine efi; affez variée , & de riches prairies ta- pilTent le fond. Cependant toutes ces perfpedtives refont que jolies , fans avoir rien de frappant, & la rivière coule avec tant de lenteur, qu'elle ref- fcmble à un étang. Ainfi Painshill efi: peu remar- quable quant à l'extérieur ; mais les divifions de l'intérieur , qui lui font propres , font auflî belles que vaft:es; & les jardins font fi bien difpofés , que chaque fcene en laifTe voir un grand nombre d'autres au travers du parc, & que toutes lesfitua- tions en font heureufes, & brillent fur- tout par la variété. La maifon eft placée fur une colline féparée du parc, mais elle s'ouvre dans la campagne, & U perfpe6tive en efi: charmante. Les environs com- pofent un jardin des plus élégans , & dont toutes les prétentions fe bornent à l'agrément. Au milieu du bofquet qui le fépare du parc, efl: une orange- rie où l'on met pendant l'été des plantes exotiques, mêlées d'arbriffeaux ordinaire^, & un parterre émaillé des plus belles fleurs. L'eTpace qui eft au- devant de la maifon , eft rempli d'ornemens ex- ticmement variés j &c de très-beaux arbres de plu- fieurs efpeces ont été difpofés fur les côtés en pe- tits maflifs ouverts. Cette colline eft féparée d'une autre colline plus les Jardins moderne 'l 249 confidérabTei par un petit vallon : & fur le fommec de cette féconde éminence, dans l'endroit où eft une maifon , &c au-deffus d'un grand vignoble qui couvre tout ce côté du vallon, eft une fcene tota- lement différente. Le point de vue générai, quoi- que beau , eft ce qu'il y a de moins frappant : l'at- tention fe porte immédiatement de cette plaine ;ultivce à un bois fufpendii qui eft dans l'éloi- ynement, quoique renfermé dans l'enceinte du Darc. Ce bois n^eft pas feulement un objet magni- ]5que par lui-même ; il eft encore très-propre à en- :ourager par de flatteufes efpérances, ceux qui font eurs délices de l'art des jardins , car il a été planté 5ar le poftefteur adtuel de Painshill : fa fîtuation , on épaifteur , fon étendue de la beauté de fa ver- 3ure , lui donnent en même tems cette fraîcheur ^ui eft particulière à de jeunes plantations, & cette najeftueufe richefte qui diftingue une antique fo- êf. En oppofîtion à cette colline ainfi ornée, il .'en préfente une autre dans la campagne dont la "orme eft femblabîc , m.ais entièrement nue & lérile. Au-delà de cette éminence eft le marais ]ui vient tomber dans un grand enfoncement, & emplir l'intervalle qui eft entre les deux collines. il toutes ces hauteurs avoient appartenu au même iropriétaire , & qu'elles euffent été plantées de la 2 ^o VArt de former même manière , elles auroient compofé une de ce pictorefques & magnifiques perfpedlives que non voyons fi rarement, mais que nous admirons tou jours: ouvrage de la nature feule, perfedionné par 1 tems. Painshillefl: tout entier de nouvelle création le dclTein en eft hardi , l'exécution heureufe , C5 ,i] les efforts de l'art pour égalsr la nature , y ont éc 1; portés à un point furprenant. D'un autre côté, de la même hauteur , on dé couvre un payfage très-difFérenc du dernier dan toutes (es particularités , à l'époque près de foi exiftence. Il efl: entièrement concentré dans le par & dominé par un bâtiment gothique, ouvert, fitu fur le bord d'un précipice très-élevé , dont le pie( ^ eft baigné par les eaux d'un très-beau lac artificiel on ne peut jamais voir ce lac dans toute fon éten- due; mais fa forme, la difpofition de quelque: ifles , & les arbres dont elles font couvertes, ainl que le rivage , le font paroître plus confidérablc qu'il n'eft. A gauche, font des plantations conti- nues qui cachent la campagne j à droite, le parc s'ouvre tout entier, & l'on voit en face au-del: ■ du lac ce bois fufpendu , qu'on n'avoit apperçu que comme un point , mais qui remplit ici prefquc entièrement la perfpe(51:ive, & déploie toute for étendue & toutes fes variétés. Une belle rivière qui les Jardins modernes. 2. 5 ï ^^ fort du lac jpafTe fous un ponc de cinq arches aflèz ^' près du point de fa fépàracion , èc dirige fon cours vers le bois, au-deflous duquel elle ferpente. Sur 1< un des côtes de la colline , efl: placé un petit her- mitage entouré d'un bofquet & plongé dans l'om- ^ bre. Et à une certaine diftance vers la droite , fur H le fommet le plus remarquable , s'élève une fu- perbe tour àu-delTus de tous les arbres. Aux envi- rons de l'hermitage , l'épaifleur du bofquet Se les ^f verds foncés répandent beaucoup d'obfcurité ; mais ">[ ailleurs les teintes font plus mélangées , & il y a tel endroit oiî un vif rayon de lumfere marque une ouverture dans le bois , & diverfifie fon uni- formité fans diminuer fa grandeur. Malg-tjé la va- riété de cette belle perpeélive^ toutes fes parties font parfaitement liées les unes aux autres. Les plantations qui ornent le fond , tiennent au bois '''? fufpendu fur la colline : celles qui couvrent les '^' (portions de terrein les plus élevées du parc, percent dans des bocages qui fe divifent enfuite en maf- /iis , dont les grouppes dimmuent fuccelîîvemenc ôc' deviennent enfin des arbres ifolés. Le terrein, quoique très-varié , tend de tous côtés vers le lac , ■ & defcendant moins rapidement à mefure qu'il en efi: plus près , vient fe perdre infenfiblement dans l'eau. Les bocages & les peloufes fe diftinguenc 2 f 2 VArt de former par la richelTe & l'élégance. Cette belle napf)e d'eau que préfente le lac , animée par les arbres qui font fur fes bords , & par l'image du pont qu'elle réfléchit , donne de la vie à ce payfage , pendant que d'un autre côté , l'étendue & la hau leur du bois fufpendu, jettent un air de grandeur fur l'enfemble. Une pente douce & tortueufe conduit du bâti- ment gothique au lac, & fe continue par un che- min le long du rivage , & au travers d'une ifle , étant terminée d'un côté par les eaux, & de l'autre par un bois. C'eft une fcene des plus riantes, quoi- que parfaitement folitaire. Le lac eft calme , maii plein jufqu'aux bords , point obfcurci par d® ombres : le chemin eft doux, prefque de ni- veau , & rafe le bord de l'eau. Le bois qui cache la campagne, eft compofé d'arbres de la forme Ja plus élégante & du verd le plus gai. Il eft bor- dé d'arbrifteaux & de fleurs , & quoique toute h fcenë foit prefque entièrement environnée de bois, elle eft découverte , très-riante , & embellie pai trois ponts , une arche ruinée &: une grotte. Le bâ- timent gothique, qui eft très-près & fufpendu di- rectement fur le lac , fait auflî partie de la mêm< fcene : mais tous ces objets ne fe préfentent pai en mêmetems^on les apperçoit fucceflivementen !! les Jardins modernes, 253 parcourant le chemin , Se leur multitude enrichie la perfpedtive fans confufion. De ce lieu charmant, où l'on a tant prodigué les ornemens, le pafTage eft rapide & prefque immé- diat, à une (ceuQ moins cultivée, $c qui n'eft pré- cifément que fauvage , fans avoir rien de terrible ni de pittorefque. C'eft un bois qui couvre entiè- rement un terrein vafte & très-inégal. Les clarieres dont il eft percé, font les feuls endroits d'où l'on ait enlevé les buifTons &c les plantes naturelles au fol. Ces clarieres font quelquefois terminées par des bofquers ( i ) , quelquefois elles ont été pratiquées dans les efpaces découverts & au tra- vers des bruyères. Les m.elèzes même & les fapins qui font mêlés aux hêtres fur un des côtés de la principale clariere,font dans un état fi négligé,qu'ils reffemblent plus à des produdions de la nature fauvage , qu'à des objets de décoration. C'eft là le bois fufpendu qu'on a jufqu'ici admiré comme un des plus beaux points de perfpedive, & qui forme maintenant une folitude profonde & écartée. Près (i) Je ne me lafle point de rappeller que les défini- lions des mots bois , bofquety bocage. Sec. font particulières à ce traité , & qu il fauc confulter de tems en tems le chapitre XVL JT 154 LAn déformer de la tour les arbres font clair-femés; mais aux environs de l'hermitage , le bois eft très-épais & d'un verd très-foncé. Des fapins d'Ecoiïe & de fuperbes fapins ordinaires couvrent de leur om- brage un terrain fi ftérile d'ailleurs, qu'il ne pro- duit qu'un peu de mouflTe, & point de fougère, Sou5 cet ombrage , un chemin étroit & obfcur conduit à la cellule qui eft compofce de rroncs d'arbres & de racines. Ledeifein en eft aufli fimple que les matériaux , & les meubles dont elle eft ornée font vieux & groflîers. Toutes les circonf- tances relatives à ce caractère, ont été confervées dans toute leur pureté le long du chemin & aux environs de l'hermitage. Mais bientôt après, la fcene change tout-à-coup j on jouir pleinement de ïa vue des jardins & d'une riche campagne bien peuplée & bien cultivée. La perfpective qu'offre ie haut de la tour ficuée fur le fommet de la col iine , eft beaucoup plus étendue fans être plus belle. Les objets n'en font pas aufii bien choifis, te ne fe prcfént'en't pas fous un afpe(Cb auftî favo- rable : quelques-uns font trop éloignés,;5c d'autres trop près de l'œil ; d'ailleurs , un vafte champ de bruyère jette une efpece de nuage fur cette peri^ pedtive. A peu de diftance de la tour, on eft conduit les Jardins modernes, 25-5 ; une fcene qui a été cravaillée & ornée avec un - art exquis. On y remarque un grand bâtiment j d'ordre dorique , appelle le temple de Bacchus , , dont le frontifpice préfente un fuperbe portique, . furmonté d'un riche fronton , rempli par de beaux morceaux de fculpture, avec un rang de pilaftres • de chaque côté. L'intérieur eft décoré de quantité cie bulles antiques, & d'une très-belle ftatue du j dieu, placée au centre. On n'y trouve point cette \ obfcurité majeftueufe qu'on affede de répandre : dans les bâcimens de ce caractère ; mais fans avoir i rien de pompeux, ce temple eft fufïifamment éclai- [ ré , & décoré avec goût. Sa Tituation eft fur une j feauteur qui domine une agréable perfpeclive , 6c 5 lont le fommeteft un terrein plat, diverfifié par J quantité de bofquets & de larges promenades qui jles traverfent en ferpentant. Ces promenades fe j, .Étoifent fi fréquemment, &: leurs rapports avec le .(tout font fi fenfibles , tant du côté de l'étendue, que du côté du ftyle , que l'idée de l'enfemble ne fe perd jamais dans les divifions; les interrup- tions ne détruifent donc pas la grandeur ; elles ne font que changer les limites &: multiplier les fi- : .gures. Ajoutez-y toute la richefie dont les planta- tions font fufceptibles. Les bofquets font compo- i-fés d'arbrifieaux fleuris , & toutes les falles «u aç6 VAn de former places découvertes , font ornées de jolis peti grouppes d'arbres très-élégans , qui bordent o croifent les clariercs j mais cette fcene n'a rien c trop petit , rien qui ne réponde aux environs d temple. Ici finifTent les jardins. Tout l'efpace compr: entre cette extrémité du terrein élevé & la maifci bâtie fur l'extrémité oppofée, eft une promenaes découverte, qui traverfe le parc. Dans l'endroit ci elle paflTe, fur une belle éminence, on a élevé u pavillon, d'où la vue plonge dans le lac, qui i! fe préfente nulle part fous un afped auflî favoi- ble. La plus grande étendue eft au pied de la ce» line , & la rivière qui en eft la continuation , s - tend dans différentes directions ^^quelquefois elj " s'arrête au-delTous des bois j quelquefois elle p- netre jufqu'au milieu, & fouvent elle vient 5, perdre fur les derrières en ferpentant. Le princ- pal pont de cinq arches eft précifément fous le p- , villon \ plus loin, dans le fond du bois, eft un autî pont d'une feule arche j jette fur la rivière, qu'ches plus longues, $c forme un petit treillage voûté. •Quelquefois c'eft un ombrage couvert d'un ber- .ceau de frênes extrêmement élevé > ou qui s'étend .aune grande diilance fous des chênes antiques, difpofés de toutes manières & fous diverfes for- mes. Quoique le terrein préfente quelques furfaces plates & des inégalités extrêmement adoucies , il eil en général très-irrégulier & très-coupé ; dans plufieurs endroits , on voit ferpenter au pied des collines, des ravins larges & profonds , creufés de- puispluiieurs lîecles par des courans rapides qu'oigc iy'î VAn de former produit des orages. Des chênes très-vieux Se très- gros qui s'élèvent au milieu de ces ravins, prou- vent leur antiquité. Quelques- uns font entière- ment à fec la plus grande partie de l'année \ d'autres font arrofés pendant tout l'été par de petits ruif- feaux. Les bords font ordinairement fort élevés, fouvent creufésj &: les arbres qui s'y trouvent, étendent quelquefois leurs racines couvertes de moufle jufqu'au milieu du canal. Dans un de ces petits vallons, fous les ombres cpaifles des maron- niers, on voit un banc des plus fimples, placé au milieu d'un grand nombre de petits ruifleaux âc de cafcades, qui coulent à travers de grandes pierres réparées, 5i de gros troncs d'arbres fecs. Sur le bord d'un autre petit vallon ou ravin remarquable par la grande quantité de freux (i) qui viennent s'y réfugier, efl: un temple dont la fituation eft en- core plus fauvage, près d'un enfoncement très profond & dans d'épaifles ténèbres. Les inégalités (i) Le freux ou la grolle eft une efpecc de corneille affcz grofie & très-nuifible aux champs enfemencés. On ne voit point cet oifeau en Italie , & il eft très-rare en France, du moins dans les provinces méridionales , mais il y en a une quantité prodigieufe en Angleterre. du ies Jardins modernesl i 7^ du terrein font prefque perpendiculaires. Les ra- cines de quelques arbres font à nud , la rerre dortt ils écoient couverts, leur ayant été enlevée fuccef- fivement j & les plus grofTes branches de quelques autres fuccombant fous leur propre poids, femblene être fur le point de fe rompre , & de fe féparer de leurs troncs. Un très-beau frêne, qui n'a pas encore ceiïé de croître, traverfe le courant j & quoique le fond fur lequel il fe trouve placé , ne foit arrofé que pendant l'hiver , il conferve toujours ce verd foncé, qui naît de l'humidité (i) & répand tout autour un ombrage frais. Des chemins couverts de gros fable & de petits cailloux croifent les vallons en traverfant des bois> des bocages ou des bofquets, ou en bordant des.ta- pis-verds. Quoique dérobés à la vue , on le trouve toujours près de foi pour les paflTages aux fcenes principales. La multitude de ces routes , le grandi nombre & le caradere des bâtitfiens , & le foin extrême avec lequel les différentes parties deHa- ' gley font entretenues ^ donne à tout le parc l'aie d'un jardin. On y voit cependant une fcene oii ' (i) Le verd d'Angleterre eft parfaitement beau ; mais le gazon eft prcfque toujours fi humide , que cous nô \oudrions peut-être pas en jouir à ce prix. S 174 VArt déformer l'on a mis plus d'art 5c de recherche que dans \e$ autres , & qui eft tout-à-fait digne d'un jardin. C'éfl: un vallon étroit divifé en trois parties : l'une eft entièrement pleine d'eau, èc bordée de chaque côté d'arbres nombreux , au travers des- quels on découvre un pont orné d'une colonnade, qui termine la vue. La féconde partie eft un lie» ténébreux , couvert par les fommets réunis de frênes ôc de chênes de la plus haute tige , dont les ombres deviennent plus obfcures par la grande quantité d'ifs plantés au-deftous , fur un terrein inégal. L'intérieur de cette plantation a beaucoup d'ouvertures; mais elle eft environnée d'un bois épais , traverfé par un grand ruifleau qui tombe d'an rocher, & qui, après avoir été grofii par d'au- tres petits ruifleaux, produit une belle cafcade en fe précipitant dans la troifieme divifîon du vallon, eu il forme une pièce d'eau , &: fe perd fous le pont. La perfpedtive qui s'offre à nos yeux de delfus ce pont , peut être comparée à une des fcenes les mieux décorées de l'opéra. On y dif- tingue parfaitement toutes les divifîons du val- lon , & le point de vue s'étend jufqu'à la ro- tonde. Les bâtimens & les autres ornemens de l'art qui décorent ce parc , ne s'appliquent en général Us Jardins moderntsl ^'xyj, qu'aux jardins : l'hermitage même 8c les objets qui l'entourent , font d'un ftyle peu analogue à, un parc j mais dans tout le refte , les deux carac- eres ont été fi parfaitement mêlés , que l'enfemble ne forme qu'un feul &c même fujet: c'eft une idée des plus hardies , que d'avoir imaginé une pofî- tion fufceptible de tant de variété j &; l'exécution d'un tel projet me paroît un des efforts les plus vigoureux d'une belle imagination. S ij zyG VAn déformer DU N JARDIN. L V I I I. "D* un jardin qui environne un endos. X-jES chemins couverts de gravier font, comme |c l'ai déjà dit, du refToit d'un jardin , &: paroif- fent ailleurs de peu d'utilité. Ils pré fen cent conf- tamment l'idée d'une promenade : la correfpon- dance de leurs côtés , l'exactitude des lignes qu'ils H tracent , la propreté de leur fùrface, & l'élégance de leur bordure, femblent les confacrer particu- lièrement à des lieux ornés & cultivés avec toute B la perfection dont ils font fufceptibles. Appliqués ■ a tout autre fujet qu'un parc> leur effet eft le même; i un champ, entouré d'un chemin fable ou couvert de gravier , eft en quelque forte bordé d'un jardin ; S>c l'on peut y introduire quantité d'ornemens qui, fans cet accefloire , y feroient très-déplacés. Lorf-I que ces ornemens occupent un efpace confidérable, & font féparés du champ , ils compofent un jar-j din^ mais fi cette promenade fablée n'exiftoit pas,l & qu'élis ne coi/ifntât que dans du gazon , plus de largeur dans les bordures &c plus de richelTe dans L les jardins modernes. Z77 les décorations fcroient abfolument néceflaires pour conferver l'apparence d'un jaràin. Quantité de jardins ne font autre chofe qu'une femblable promenade qui environne un champ. Ce champ prend fouvent le carad:ere d'une peloufe, &: quelquefois l'enclos n'eft précifément qu'un champ rempli de bêtes fauves (i). Mais quelque carac- tère qu'il prenne , la promenade ou le chemin préfente toujours l'idée d'un jardin. C'eft un ter- rein uniquement confacré au plaifir de l'œU : on peut prodiguer fur chacune de fes bordures les ornemens les plus élégans 5c les plus recherchés. Il a d'ailleurs pluiîeurs avantages ; on peut le foimer & l'entretenir fans beaucoup de dépenfe : il con- duit aux points de vue les plus variés , &; s'em- bellit dans tous fes détours par les diftérens objets qui appartiennent à l'enclos qu'il environne , foie qu'ils tiennent de la fimpiicité d'une ferme , ou de l'élégance d'une fcene ornée. Mais cette promenade a aufii fes défauts & (ts inconvéniens : elle n'arrive à différens points que par des circuits qui mettent les objets à une grande (i) V Pi.n'^o'is dàt paddock , mot qui exprime un lieu renfermé dan^ un parc où l'on exerce les chiens à la chafle du cerf. Il fignifie aulîi un lieu rempli de daims. S ii; 27S VArt de former diftance de la maifon , & les éloignent beaucoup l'un de l'autre. Il n'y a point de route qui y con- duife à traverts les lieux découverts j il faut que le chemin foit conftammentfemblable à lui-même. Toute fa longueur ne préfente qu'une feule ou- verture, & elle exige un art particulier dans la diftribution de fes ornemens pour paroître fuffi- famment variée\ parce que ces ornemens font ra- rement d'un grand genre: leur nombre efl: limité; & l'efpace étroit , deftinc à les recevoir , n'admet que ceux qui conviennent à une petite échelle, & font analogues à un caradere peu élevé. Ainfî cette efpece de jardin ramené prefque à l'uniformité toutes les fituations où l'on en fait ufage. Le fujet femble épuifé : il n'eft guère poflible qu'un che- min foigné , qui envir onne un champ , foit bien difTc'rent de tous les autresdemème efpece : ce n'eft jamais qu'une promenade , qui eft privée des plus belles fcenes que peut offrir un jardin, fans qu'elles foient jamais remplacées par les champs qu'on leur fubftitue, parce que le genre eft très-inférieur. D'ailleurs , la Hiiaifon de ces champs avec le ter- rein qui les domine , eft ordinairement très-im- parfaite, à caufe des haies qui les féparent ; & l'extrême différence de culture eft encor^ un dé- faut fenfîble. I tes Jardins modernes. 179 Cette dernière objection a cependant plus ou moins de force , relativement au caradere de l'enclos. Si c'eft un lieu deftiné à des hêtesfauves , ou bien un fimple tapis-verd, il peut ofTrir des perfpedives dignes du jardin le plus élégant j elles s'uniront avec la promenade , & feront du même genre. Les autres inconvéniens font auflî plus forts ou plus foibles en raifon de l'efpace deftiné aux embellilfe- mens , & ne fauroient avoir lieu dans l'intérieur d'un jardin donc le circuit eft très vafte, de peut fe prêter à des fcenes variées & d'un grand carac- tère ; mais ces promenades étroites & communes, qui font fi fort à la mode , Se qu'on a prodiguées fans choix, lorfqii'elles font d'une longueur consi- dérable , deviennent très-ennuyeufes j 5c quelque agréables que foient les objets où elles conduifent, ils nous dédommageront rarement de ce qu'elles, ont de fatigant. On peut remédier, il eft vrai, a cette unifor- mité qui nous lafTe, fans trop élargir le circuit, en ajoutant à chaque côté , de diftance en diftance, un efpace fuffifant pour y créer une petite fcene, qui jettera de la variété iur cette bordure mo- notone. La promenade devient alors une commu- nication j non pas fimplement entre les points de vue, quoiqu'elle y conduife également, mais entre S iy ÎJJd L'An de former les différentes parties d'un jardin , à chacune def- quelles elle vient aboutir. A k rigueur , ce fera, jfi l'on veut, la répétition, mais non la continua- tion de la même idée. L'œil & l'efpric ne font pas toujours renfermés dans la même ligne , ils peu- vent quelquefois fe donner carrière , & fe repo- fer avant de reprendre leur marche ordinaire. Il eft de certaines occafions où l'on peut mettre en pratique un expédient tout-à-fait contraire au pre- mier , c'eft de rétrécir l'efpace au lieu de l'élargir, de porter quelquefois le chemin direârement dans le champ, ou du moins en le rendant inaccefiible aux troupeaux, de le réduire à l'état le plus iimple, fans lui laifTer aucun de ces ornemens, ni rien qui rappelle l'idée d'un jardin. Si Ton ne fait ufage d'aucun de ces moyens , ni des autres qu'on peut imaginer pour diminuer la longueur du chemin , ce fera en vain que les enclos offriront une fuite de perfpeâ:ives les plus belles & les plus heureu- fement contraftées , la promenade y répandra tou- jours de Tuniformicé. Cette efpece de jardin paroît donc convenir plus particulièrement à un terrein d'une étendue médiocre. Si fa longueur étoit très-confidérable , & qu'il ne fût pas coupé par des fcenes de diffé- Tens genres , il feroit privé de ce qui faitfon grand mérite, je veux dire» de la, variété. les Jardins modernes'. i.ît L I X. D'un Jardin qui occupe tout un enclos. Defcription de SLOTFe. j\/l Aïs les avantages qui réfultent quelquefois de l'efpece de jardin donc je viens de parler, & le grand ufage qu'on en a fair en tant d'occafions , ont établi des préjugés trop forts en fa faveur. On l'a fouvent fait fervir de bordure à d'autres jardins qui occupoient tout un enclos. Alors les efpaces découverts & les communications de l'intérieur fuppléent au nombre Se à la variété de ces orne- mens acceffbires , qu'il eft nécelTaire d'y introduire pour varier le circuit uniforme d'une promenade, mais qui détruifent fouvent de plus grands effets. Ces ornemens font peu néceffaires dans un jardin tel que celui dont nous parlons • mais on croit ordi- nairement qu'il eft au moins indifpenfable de les border de toutes parts de chemins ou de prome- nades fablées & bien unies. Elles y font utiles , je l'avoue ; mais il faut convenir auffi que , fi elles font quelquefois un ornement , elles défigurent ■fouvent les fcenes au travers defquelles on les a fait patTer. Quoique le polfedeur des jardins fe plaife à en examiner les différentes divifions dans iSi L*An de former tous les tems de l'année, il defire fur-tout de jouir de toute leur beauté dans la belle faifon. Ce n'eft pas une grande privation pour lui de ne pouvoir toujours aborder avec la même facilité vers chaque perpeélive; & il eft bientôt fatigué de voir perpé- tuellement devant lui un chemin bien fable & bien uni, fur- tout s'il eft inutile. On doit donc fe donner de garde de le montrer à defifein , & dans beaucoup d'occafions on aura foin de le dérober aux yeux. Il eft allez qu'il conduife aux points prin- cipaux , & ce n'eft jamais une néceiïité qu'il règne le long de chaque divilion dans toute fon étendue, Il s'en écartera" fouvent pour difparoître j ou ne te fera que rafer le bord &: s'en éloignera enfui Enfin, fi on ne pouvoir l'introduire dans les dit férentes fcenes d'un jardin fans les dégrader, faudroit le fupprimer. On obfervera que.les bords d'un chemin fable correfpondent,&que toute fa longueur ne foit qu'uni :tiite continuelle de petites inégalités obliques d'inflexions très-douces. Il faut qu'il conferve to jours fa forme, à quelque excès que foit portée l'i régularité des bois & des clarieres qu'il traverfe mais un chemin de gazon ne connoît point d'enj traves , fes bords peuvent varier perpétuelleme & changtr fréquemment de direction. Cependan les Jardins modernes. îSj les détours trop brufques font défagréàblesi'6£ ne préfentent plus Tidée de la continuité. Ce font plutôt àQs obftacles que des variétésj & s'ils étoient femblables , ce feroit le comble du mauvais goût & de l'afFedlation. Il faut que la ligne foit courbe , mais non entortillée , qu'elle avance conftamment & que (es détours fufïifent jurtement pour varier le point de vue à chaque paSj & que l'extrémité du chemin ne s'apperçoive jamais. La ligne la moins naturelle de toutes , eft celle qui ferpente régulièrement. Les bofquets d'arbres & d^arbrif- feaux dont elle eft bordée, doivent être diverfifiés par les mélanges des verdures & des formes, dont on failîra aifément les moindres beautés en les examinant de fi près. On pourra y prodiguer les combinaifons 6c les contraftes comme de véritables ornemens de caractère : car c'eft fur-tout dans les lieux qui ne fauroient produire de grands effets , que les beautés de détail doivent être répandues. Ain(i une promenade fablée, qui eft d'une certaine largeur, peut acquérir aflez d'importance pour êtte au-deffus d'une (impie communication. Mais le mérite particulier de cette efpecede jar- din qui occupe tout un enclos, confifte en de gran- |des perfpeârives, auxquelles on peut donner toute Irétendue nécslTaire, Comme il eft entièrement 1?4 L^Art de former •• confacré a ragrcmenc & <îcgagc de tout ce qui pourroit y être contraire , chaque fcene y reçoit le caradere que fa fîcuation exige. Il faut qu'il y en ait un grand nombre, toutes différentes , quelque- fois contraftées , & toujours belles dans leur genrej cependant fi le jardin croit divifé en petites par- ties réparées par des paffages nombreux, il feroit privé de tous fes avantages , perdroic fon carac- tère j & n'auroit plus d'autre mérite que celui qu'il emprunteroic de fa fituation j au lieu que par une difpofition plus grande & mieux entendue , il peut être indépendant de tous les objets extérieurs : &: quoiqu'il n'y ait rien de plus délicieux que des lointains vus d'un lieu très-agréable par lui-même, iî un jardin artiftement diftribué manquoit de ce genre de beauté , des fcenes élégantes , variées &: pittorefques dans l'intérieur , pourroient y fup- pléer jufqu'd un certain point. Tel eft le caradtere des^ jardins de Stowc[\). Les (i) Superbe maifon de campagne du lord Grenville- Temple, frère du fameux miniftre George Grenville, qui vient de mourir. Elle eft fituée près de Buckingham , à 60 milles de Londres. On trouvera à la fin de ce livre , une defcription très-détalllée des jardins deStowe,que j'ai faite moi-même fur les lieux l'année dernière , & la plus exaftemcnt qu'il m'a été pofîible, hs Jardins modefnest i^j' perfpedives que fourniflTent les campagnes des en- virons , ne font qu'accefioires & fubordonnées i celles de l'intérieur , & le principal mérite de la iîcuation de ces jardins confifte dans la variété du terrein compris dans leur enceinte. La maifon cft placée fur le bord d'une éminence où l'on monte fans fe fatiguer, & dont la pente eft couverte par une partie des jardins, qui s'étendent enfuite dans le fond. Un vallon large & tortueux fépare cette éminence d'un autre beaucoup plus haute & plus efcarpée. Les defcentes que forme chaque côté des deux collines, font coupées par de grands en- foncemens qui les traverfent obliquement. L'en- ceinte générale renferme une fuite nombreufe de fcenes toutes compofées avec goût , toutes agréa- bles Se pittorefques. Les changemens font fi frc* quens , fi fubits , fi complets , &c les paffages fi paN faitement ménagés , que les mêmes idées ne fe re- tracent jamais, ou dumoins fans quelque variété qui fauve le dégoût. Ces jardins furent commencés dans un tems ovt la régularité étoit encore à la mode , & les an- ciennes limites ont été confervées , pour donner une idée de fa magnificence. Elles confiftent dans une large promenade couverte de fable & de gra- vier, donc le circuit a près de quatre raillée de 'l85 VArt de former longueur. Elle eft bordée d'arbres de* deux côtés t & s'ouvre également fur le parc & fur la campagne. Un fofle profond l'environne de toutes part* , &c renferme dans fon enceinte l'efpace d'environ quatre cents arpens (i). Mais dans les fcenes de rintérieur du jardin , la régularité a difparu , ex- cepté dans quelques plantations anciennes oCi même elle a été déguiféeavec beaucoup d'art. Lafymmé- trie a été entièrement bannie du terrein ; & un baffin'odogone qui étoit dans le fond , a été con- verti en une pièce d'eau fort irréguliere , qui reçoit d'un côté deux rivières, & de l'autre tombe dans le lac par une cafcade. Au devant de la maifon eft un magnifique tapis verd, terminé par cette pièce d'eau, au-delà de laquelle font deux beaux pavillons d'ordre dorique, placés à l'entrée du jardin , mais fans la marquer, quoiqu'ils fe correfpondent ; car beaucoup plus loin hors du parc , fur le fommet de plufieurs champs qui s'élèvent, a été érigée une fuperbe ar- cade ou porte d'ordre corinthien , qui eft fur la ligne de la grande avenue. C'eft de ce bâtiment (i) Le plan de Stowe que j'ai feus les yeux , n'en con- tient que trois cents cinquante' ou environ. Le^arc & les plantations qui environnent les jardins , font immenfes. les Jardins moderneK itf qu'on jouit de la pleine vue des jardins, qaifem- blenc s'appuyer fur les collines : ils étalent la ri- chefle de leur bois S>c des bâtimens nombreux qui les décorent prefque à égales diftances de la mai- ifon j & leurs différentes parties paroiflTent être dans •un éloignement convenable , malgré la grandeur de l'enfemble. Sur la droite du tapis-verd , mais hors de la vue de la maifon , eft: une fcene de jardin parfaite, appellée l'amphithéâtre de la reine. Quoique l'art s'y montre à découvert, l'on n'y voit point defym- métrie. Le premier terrein qui fe préfente î eft un enfoncement très-adouci. Les plantations de droite & de gauche n'ont été divetfifiées qu'au point né- ceffaire pour les fauver de la régularité , & cepen- dant elles font très-heureufement contraftées l'une avec l'autre. D'un côté , ce ne font prefque que des bofquets féparés d'un bois , &c de l'autre des bocages , au traders defquels on voit briller quel- ques rayons réfléchis de la furface des eaux. A l'extrémité de l'enfoncement , fur une petite émi- nence intiérement ifolée , eft placée une rotonde ouverte d'ordre ionique , au-delà de laquelle une vafte pièce de gazon croife obliquement la perf- peâ:ive,en couvrant une pente alTez douce, termi- née à droite par une autre émiiience , fur laquelle I aS5 VArt de former s'cleve une pyramide Le monument de la reinei eft fur le penchant & un peu enfoncé dans le bois. Ces trois batimens, évidemment confaccés à la feule, décoration , ont une analogie particulière avec un jardin, fans pourtant que leur nombre jette plus d( gaîté fur la fcene. La couleur fombre de la pyra- mide, l'enfoncement de la colonne de la reine, 1; Situation ifolée & folitaire de la rotonde, impri ment dans ce lieu un caradtere grave & majeftueux Un bois termine la vue de toutes parts, & cachi entièrement la campagne. Il n'y a qu'un feul paf fage dans un tapis-verd, qui eft en même tem une entrée dans le parc. La colonne du roi qui eft fort près de l'amph.' théâtre de la reine , oftre une autre Ijolie perfpec tive , elle eft petite fans être circonfcrite ^ cî d'un côté & de l'autre , les eaux femblent fu fous des arbres , fans former de ligne précife ni des limites qu'on puilTe fixer. La vue fe por : d'abord fur un terrein coupé très-inégalemenc, li couvert d'arbres clair- femés & difpofcs de lam- niere la plus irréguliere : enfuite viennent deu beaux maffifs qui couvrent tout le fond de le " riche feuillage; enfin , au travers d'une clarie; & d'un petit bocage qui eft au-deU , on découv! cette partie du lac, où les bofquets plantés fur is bord, les Jardins modernes, l§f> bords, 3c réfléchis par le miroir des eaux, répan- dent fur leur farface la douceur ôc h rranquillité. Rien ne trouble cette fcene paifible , Se l'on n'y voit pas un feul bâtiment. Dqs objets propres à fixer nos regards , feroient inutiles dans un point de vue qu'on doit faiiir d'un feul coup d'œil, ÔC toute fcene paftorale du genre de celle-ci eft trop élégante pour qu'une cabane puilTe y trouver place, ÔC trop fimple pour tout autre bâtiment. La fituation de la rotonde promet de loin une perfpedive plus étendue , de le fpectateur n'efl: point trompé dans fon atrente. Prefque tous les objets qui ornent ce côté des jardins,', peuvent être apperçus de ce point de vue ; mais ils ne forment entr'eux ni liailon ni contrafte. Chaque objet en particulier appartient à une fcene qui lui eft propre. Celle - ci les préfente dans une projec- tion générale , Se les mêle fans oidre : c'eft plu- tôt une efpece de carte qu'un tableau. Les eaux font ici l'objet capital j leur vafte furface eft G. rapprochée , qu"'on la voit fans interruption fous les petits grouppes d'arbres qui ornent le bord du lac du côté de la rotonde. Un bois couvre auflî le bord oppofé, mais il s'ouvre l'efpace de queir ques toifes , pour laifter voir un beau bâtiment, compofé de trois pavillons joints par des arcades, T i()0 V An de former S>c qu'on appelle le temple de Kent. Le defTeln en eft heureufement conçu , & s'accorde parfaite- ment avec le caraâ:ere d'un jardin , dont les orne- mens doivent être purs, élégans &: variés. 11 eft directement oppofé à la rotonde, & l'on apperçoic une petite partie d'un lointain au de 'fus des arbres qui le bordent par derrière. Cependant l'effet d'un objet auffi diftingué, eft ici plus foible que dans les autres points de vue, & il n'efl guère plus re- marquable que les autres bâcimens, dont aucun vu de la rotonde , n'eft un objet capital. La fcene qui s'offre du temple de Bacchus, eft d'an caractère entièrement différent de celle que domine la rotonde , quoique l'efpace & les objets foient àpeu près les mtmes dans toutes les deux; mais dans celle-ci , toutes les parties concourent à former un feul tout : le terrein de chaque côté s'abaiffe infenfiblement vers le lac. Le bois ou- vert fur la rive la plus éloignée pour découvrir le temiîle de Kent, s'élève du bord de l'eau vers la petite c'minence fur laquelle il eft fitué, & forme un deir.i cercb, dont il enveloppe cet élégant édifice j qui n'eft pas entièrement vu de front , mais n'en paroît que plus beau , en offrant route fa maîfe. Quoiqu'il foit beaucoup plus éloi- gné qu'auparvanr, il paroît beaucoup plus confi- dcrabie, parce qu'il eft le feul objet de ce genr© les Jardins modernes. i 9 1 qu'on apperçoive : car la colonne de la reine &c la rotonde font écartées &c fort éloignées , & tous les autres points de la fcene fe rapportent à cet objet intérelfant. Les eaux , le terrein &• les bois y conduifent l'œil naturellement :1a campagne ne paroît point ici dans un lointain , mais elle s'élève immédiatement au-deflus des bois qui Tu- nilTenc avec le jardin. Toute la fcene compofe le payfage le plus animé. La fplendeur du bâti- ment, fon image réfléchie dans le lac, la tranfpa- rence des eaux, la forme fin<7uliere de leurs con- tours , embellis par de petits grouppes d'arbres qui ne jetttent fur la vafte furface du lac que les om- bres fufïifantes pour en varier les teintes ; toutes ces circonftances diverfes,dont chacune a fa beauté particulière , & qui fe réuniflent pour faire valoir le feul objet auquel tout le refte eft fubordonné, jettent un éclat extraordinaire fur ce fuperbe ta- bleau. Le point de vue du temple de Kenteft très-dif- férent de ceux dont je viens de donner la defcrip- tion. Le même tapis- verd , dont l'oBil fuivoit le penchant jufqu'au lac, s'élève par degrés jufqua une éminence couronnée d'un bois fuperbe qui la fait paroître plus c^nfidérabîe. Les monticules qui varient la pente générale, s'étendent très-loin fous Tij -, 9 i VArt de former ce point de vue, & acquièrent une importance qu'ils n'ont point d'ailleurs : celle fur-tout où eft placée la rotonde , paroît une des plus belles fituations, &; le bâtiment convient parfaitement à une expofition auflî découverte.Le temple de Bacchus au contraire, qui dominoit cette magnifique perfpedive, s'en- fonce fous des arbres. Le bois qui couvre le fom- mer &: un des côtés de la colline , paroît profond èc élevé. Le tapis-verdeft vafte, & une partie de fes limites, dérobée aux yeux avec art, fair naître l'idée d'un efpace plus étendu. On ne voit auflî qu'une petite partie du lac j mais il n'eft pis def- tiné à figurer comme objet principal dans cette fcene : d'ailleurs fes extrémités, cachées comme celles du tapis- verd , ne diminuent point fa gran- deur à l'imagination. Si une plus grande partie de fafurface eût été expofée à la vue, elle eût heurté le caradere de la fcene , qui eft douce & tran- quille , fans avoir rien de vif ni de majeftueux. L'élégance y eft jointe à de la grandeur & de la fimplicité, &■ elle eft également éloignée de la rufticité & de la magnificence. Ce font là les fcenes principales qui ornent un côté des jardins. De l'autre côté, au bord de la grande avenue en gazon, eft le «vallon ferpentanc dont j'ai déjà parlé. Tout le fondeft confacréaux les Jardins modernes. Î95' champs clifées. Ils font arrofés par un beau ruif- feau, & les arbres qui les terminent, y ont été plantés à de il grandes diftances, que la lumière y pénètre deroutespartSj& y répand de la gaieté. Ces arbres s'ouvrent fur une clariere du côté où les eaux préfentent plus defurface, & ils lailTentvoir fréquemment, au travers de quantité d'autres ou- vertures plus étroites , des lointains qui paroiiTent encore plus reculés par la manière dont on les ap- perçoit. On entre dans les champs élifées par une arcade dorique, placée à Textrèmité d'un percé, qui nous offre de beaux points d'optique. C'eft le pont dePembroke dans le tond \ ôc beaucoup plus loin, hors des jardins , un grand pavillon conftruit en forme de château. Ce pont & la colonne de la reine font fitués aux deux extrémités des jardins , & peuvent cependant s'appercevoir d'un feul point des champs élifées. Tous ces objets extérieurs a la fcene s'offrent naturel lemenr, dépouillés de leurs accelToires, 3c combinés avec d'autres objets qui lui font propres. Le temple de l'Amitié qui en efl peu éloigné, fe voit dillinéVemenr. Dans l'inté- rieur des champs élifées, font les temples de l'an- cienne Vertu, & des grands hommes d'Argleterre. L'un eft fîtié fur un endroit é evé, l'autre dans le fond du va; ion &l p.ès de la rivière. Tous le>. Tiij 25?4 I^Art de former deux font ornés des buftes de ces hommes célèbre?, qui ont itnmortalifé leur nom dans les emplois ci- _ vils ou militaires , ou par leurs écrits. Près du temple de l'ancienne Vertu, s'élève une colonne roftrale , confacrce à la mémoire du capitaine Gren- ville, qui périt dans un combat naval. C'eft une idée auffi belle que poétique , d'avoir placé la ré- compenfe de la valeur dans les champs élifées, &: de les avoir décorés des images de ceux qui ont fî bien méiité de leur patrie & du genre humain. Le grand nombre des buftes & le fouvenir qu'ils exci- tent , n'ont rien que d'analogue au caractère de la fcene. J.imais la folitude ne fut comptée parmi les charmes de l'élifée , qu'on nous a toujours dépeint comme le féjour du plaifir & de la joie. Dans cette imitation , toutes les circonftancess'accordent avec les idées écablies. La rapidité de ce grand ruUTeauqui coule au travers du vallon; quelques rayons de lumière réfléchis d'un autre ruilTeau , qui vient s'unir au premier ; le gazon d'un verd foncé j & les buftes des grands hommes d'Angle- terre, qui font réfléchis dans l'eau •, la variété des arbres ; Téclat de leur verdure ; leur difpofirion ingénieufe , qui fait , de chaque arbre en particu- lier, un objet diftincb, & les difperfe fur les petites inégalités du terrein j tout cela joint à cette mul- les Jardins modernes. 29 J tirude d'objets intérieurs Se extérieurs, qui embel- lilfent & animent la fcene, y répand une gaieté par- ticulière,que l'imagination avoit peine à concevoir, & qui femble parvenue à Ton plus haut point. Une fcene qui touche celle ci, 5^ forme avec elle un contrafte parfait, c'eft le bocage des aulnes , retraite profonde, enfevelie dans l'ombre , &; que la lumière du folsil la plus vive ne peut péné- trer. Les eaux minent leurs bords , pacoilFent ftag- nances , fans être bourbeufes , &c font d'une couleur fort obfcure : c'eil l'effet du verd foncé des maronniers £c des aulnes nombreux qui bor- dent les rives & fe réfléchiffent dans l'eau. Les tiges de ces derniers forment de jolis grouppes , en s'é- levant obliquement de la même racine , 5c fe croi- fant àu-deiïus des eaux. On voit fréquemment dans le bois qui environne le fond, des ormes gâtés, des fapins imparfaits , &: des troncs d'arbres morts. De (impies fumacs , des ifs , des noyers & des houx, avec quelques tilleuls & quelques lau- riers , mais en petit nombre , compofent le taillis. Le bois eft généralement d'un verd foncé, ôc le feuillage devient plus épais, mêlé avec le lierre, qui non- feulement s'entortille autour des arbres, mais rampe fur les diverfes pentes du terrein , qui font profondes & efcarpées. Le fentier rempli de Tiv tt^è VArt de former gravier, eft couvert de moufTe. Une grotte conf- truite à une des extrcmitcs , & dont la façade eft ornée de filex brifés & de cailloux , eonferve par la fimplicité de fes matériaux , & fa couleur obf- cure , tout le caradere de fa {îtuation. Deux pe- tites rotondes, placées au-devant de cette grotte, font fupecflues dans cette profonde folitude, que plusieurs circonftances réunies plongent dans l'obf- curité , ôc où un feul bâtiment eft plus que fufîi- fant. Immédiatement au-delTusdu bocage àe^ aulnes, efl: la principale éminence des jardins. Elle eft di- vifée par un large & profond vallon en deux col- lines, fur l'une defquelîes eft un grand temple go- thique. L'efpace qui efl: au-devant du temple, pré- fente une peloufe des plus étendues: le terrein, d'un côté , defcend immédiatement dans le vallon, avec les arbres dont il eft bordé, & lamaifon qui de loin s'élève au-deffiis , remplit l'intervalle. Ce vafte édifice paroi't de ce point de vue plus confi- dérable qu'il n'eft. On apperçoit au-delTus des arbres, & entre leur feuillage & leurs branches, l'étage fapérieur , les portiques , les tours , les ba- lufttades, & les combles couverts d'ardoife, group- pés confufément, mais fous l'afped; le plus majef- tueux ; de l'autre côté du temple gothique, le les Jardins modernes", Î07 terrein s'abaifTe par une pente alTez douce & fore allongée jufqu'aii fond, qui paroîc parfaitement arrofé de toutes parts. Plufieurs bras de rivière ferpentent fur cette furface plane dans toutes fortes de diredions. La réunion des eaux qui coulent des champs élifées, avec celles de la rivière prin- cipale qui eftau-deflous , & le fimple pont de bois conftruic fur celle -ci , uniquement pour fervir de communication , s'offrent pleinement en perfpec- tive. Plus loin on apperçoit au travers de quelques arbres , & un peu élevé au-deffus de l'eau , un des pavillons doriques, qui répondent au frontifpice de la maifon. Ce pavillon ainfl grouppé Se avec de tels acceflToireSj eft une heureufe circouftance qui concourt , avec beaucoup d'autres , à caradtéri- fer ce tableau par la douceur & la gaieté. Une promenade plus confidérable conduit du bâ- timent gothique au vallon grec (i). C'eft de toutes les perfpedtives du jardin la plus diftinguée par fa grandeur. Elle s'étend fort au-delà du parc, où elle eft très-vafte. Dans les jardins elle ferpenr« des l'entrée, & devient toujours plus étroite, mais plus profonde, & fe perd enfin dans un bofquec, I (i) C'eft le vallon qui s'offre dans fé longueur au- devaut du temple de la concorde. 1 9 s VArt de former derrière de très-beaux ormes qui en intercepte; les limites. Des bois &: àçs bocages charmans cou vrent dans toute leur longueur les pentes du val Ion , & les efpaces ouverts font comme gazés pat des arbres dccachés, qui ont d'abord été répandu' a peu de diftance du parc en très-petit nombre & avec beaucoup de précaution, de peur que la Lir- geur du parc n'en parût diminuée; mais à mefiirc que le vallon devient plus profond , ils s'avancen; plus hardiment en defcendant fur les cotés ; il' rempliflTent le fond,& forment çd & là desgrouppe* de différentes figures, qui multiplient les variété- des plantations plus étendues , ccmpofées de bc continus, & quelquefois de bocages ouverts. Soa- ventles arbres d'un bocage élevés fur de hautes tige^ jettent leur feuillage dans un autre, & laiffent entre eux de petites ouvertures , au travers defquelles ou voit le parc & les jardins. Au milieu de la fcene, fui un des angles du vallon qui domine les deux côtés, •Scoii l'on monte par un plan naturellement incliné, fort large & fort doux, s'élève le temple de la Con corde & de la Victoire. D'un certain point de vue on eft frappé par un frontifpice majeftueux, coin pofé de fix colonnes ioniques , qui fupportent ua fronton orné, de demi-reliefs , ^ couronné Je fta tues : tous les autres points offrent en perfpeâ;iv« tes Jardins modernes. i^p I fuyante, un beau périftile, dont chaque face a dix fuperbes colonnes. Cet objet imprime un caraélere de majefté fur tout ce qui l'environne , 5c jette dans l'ame thne forte d'admiration & de refpeft religieux qui fe répand fur l'enfemble, mais fans avoir rien de noir ni de mélancolique; ôc les fen- farions qu'il produit, ont plus de douceur que de triîleffè. Il ne s'y trouve point d'eaux pour embellir la fcene , point de lointains qui l'enrichiflent. Toutes fes parties font vaftes : l'idée en eft fublime, & l'exécution heureufe : elle eft indépendante de tous ornemens étrangers , ôc fe foutient par fa, 'j propre grandeur. J- Les fcenes dont je viens de donner la defcrip- aâon 5 font les plus belles & les plus caradérifées; tnais les jardins en renferment beaucoup d'autres , ^ dont les objets nombreux diverfement combinés, produifent les effets les plus variés , ôc quelque- fois à de très - petites diftances. Ces effets font ' toujours dus à l'inégalité du terrein & à la variété des plantations ôc des bâtimens. On a fouvcnc ■ blâmé la multiplicité de ces derniers ^ comme un des défauts de Stowe ; ôc il faut avouer qu'ils doivent paroître trop nombreux à un étranger qiii ïe en revue , en deux ou trois heures, vingt ou trente édifices du premier ordre, mêlés avec quel- jjfbO VAn de former ques autres moins confidérables ^ mais lesbc' qui deviennent tous les jours plus beaux , î infenfiblement difparoître ce défaut , en cach n lesbâcimens, &: empêchant qu'on n'enapperçoi un aufli erand nombre à la fois. Chacun fert à u^ corer une fcene qui lui eft propre ; & lorfqu'on le conddere féparément , en diftérens tems & à loiiir il ell très-difficile de déterminer celui qui efl: f;i perflu. Je conviens aufli que ces bâtimens fi mu! tipliés détruifent toute idée de filence & ds re traite. Stowe n'eft caradérifé que par la magnili cence & la fplendeur. 11 eft, comme ces lieux cèle bres de l'antiquité , confacrés à la religion & rem plis de bocages myftérieux, de fontaines facrées il- de temples érigés en l'honneur de plufieurs di\ nités. Ils étoient Tobjet de la vénération &: .. culte de la moitié des nations païennes , & 1 y accouroit en foule des climats les plus éloig La magnificence & la grandeur de Stove fe tro vent par-tout mêlées avec l'agrément , la beaui & l'élégance. Au milieu de tous les embelliiTemens qu'on pei introduire dans cette efpece de jardin , un cham ordinaire, ou un chemin deftiné aux troupeaux eft quelquefois un délafiement agréable \ & 1^ fcenes même les plus fauvages dans certaines pa o p.. ^ les Jardins modernes'. 301 fîtions , n'y feront pas déplacées. Je conviens qu'à nroprement parler, ce ne font pas des parties d'un I jardin , mais elles peuvent être renfermées dans fon enceinte \ Se Ci elles font placées dans le voifî- na2;e des fcenes les plus embellies, elles fervironc à adoucir les palîages de l'une à l'autre , & nous ferons toujours les maîtres des changemens. Cette culture exquife , qui eft nécelTaire aux accelToires d'une maifon , manqueroit d'une certaine perfec- tion , fi l'on n'y voyoit quelques traces des autres caraderes ,même fur une très-petite échelle. Tous les genres ont tant de chofes communes entr'eux, qu'on peut fouvent les mêler avec fuccès, 6c tou- jours les placer comme bordures. I' k:îO [oi VAn de former D'UNE CARRIERE. L X. Des décorations d'une carrière. \Jn£ carrière (i) qui diffère fi prodigieufemenc! d'un jardin par l'écendue , fe rapproche pourrant de fon caractère dans beaucoup de circonftances ; car,indépendamment de leur refTemblance du côté' de la culture & des agrémens, l'analogie devient encore plus fenfible par cet effet propre à une carrière d'étendre l'idée de la maifon^ &: de lier J"! tout un pays au bâtiment principal. Il faut donc ^i) J'ai déjà déclaré, dans ma note au commencement 'du chapitre LI ,pag. aïo , la ralfon qui m'a déterminé à me fervir du mot carrière , pour exprimer celui de riding. Il n'eft pas étonnant que nous n'ayons pas le terme fy- nonyme de cette efpece de chemin orné à la manière An- gloife , puifque nous n'avons pas la chofe même. Je prie donc le ledeur de ne pas oublier, que j'entends par carrière^ un chemin fort long (quoique renfermé dans l'enceinte d'un domaine), varié & embclUjfoit parTart, foitparla nature, & principalement deftiné aux prome- nades à cheval. les Jardins modernes. 305 eue les marques qui fervent à la caradlérifcr Se à la diftinguer d'un chemin ordinaire , foient )rincipalem3nc empruntées d'un jardin : celles que joiirroicnt fournir une ferme ou un parc, font ■oibles vC en petit nombre. Les feuls objets propres aux jardins , la placeront naturellement dans l'éten- due du domaine. Des arbres d'une certaine ejpece "ufHfent affez fouvent pour cet effet : des fapins )lanré3 fur les bords des chemins, ou préfentés en »erfpedive fous la forme de maffifs ou de bois , indiquent le voillnage d'un château ou d'une mai- fon de campagne confidérable. Les tilleuls même & les maronniers d'inde en rappellent l'idée, par- ce qu'on les a extrêmement multipliés dans les lieux qu'on a voulu orner, & qu'on en voit rare- ment dans les campagnes ordinaires. Lorfqu'une carrière traverfe un bois , on feroit très -bien de jetter dans les taillis une grande quantité de ces arbrilTeaux que nous avons tranfplantés des cam- pagnes dans nos jardins, à caufe de leur beauté ou de leur bonne odeur , tels que l'églantier odo- rant (i) , le viorne, le fufain & le chèvrefeuille , (i) Ceft unefpece de rofier commun en Angleterre & en Suiffe , dont les fleurs font jaunes & les feuilles très- G dorantes. ■304 JJAn de former Se bien d'autres encore qu'on peut répandre dans les bois les plus fauvages , Se qui n'exigent aucur foin. Lorfque l'efpece des arbres n'a rien d'extraor- dinaire, un dellein très-apparent dans leur di/po- fition j indique un chemin qu'on a voulu embel- lir : quelques arbres plantés le long d'une haie , lu donnent une forte d'élégance qui l'élevé au-deiïu dos objets communs de la campagne : des maflif au milieu d'un champ font un ornement encor plus diftingué , & digne d'un parc. Un chemin pa lifTadé de tous côtés , peut être orné de plantation dans tous les petits efpaces vuidesj & lî les group pes d'arbres ont été bien choifis, & qu'on n'ait lailT que les plus beaux fur le terrein ( que ce foit ui bois , un champ, ou un chemin , n'importe ), il produiront toujours beaucoup d'effet , parce qu fi les beautés de cette efpece fe trouvent dans 1 nature , il eft rare de les voir réunies en aufli grani nombre , & que ce n'eft jamais fans mélange leur multiplicité &c leur choix font toujours de fîgnes de l'arr. La variété en eft un autre fîgne. Lorfjue les a( ceiïbires d'une carrière font diverfifiés dans le dilTérens champs , que les détours des chemins o des bois font marques par des objets nouveaux o Us Jardins moderhis. ^cj ou que la carrière vient aboutir à divers points de vue en ferpentant dans une expofition ouverrej on voit alors évidemment que l'intention a été de diminuer la longueur de la route, en amufant le fpeclateur par des changemens de fcene con- tinuels. Quelquefois le conrrafte féul d'un chemin or- dinaire , qui fuccede à un chemin plus orné, fera extrêmement agréable j & certaines beautés très- fréquentes dans un grand chemin Se qui lui fem- bient propres , pourront être heureufement répan- dues dans une carrière : une route bordée de haies & couverte de gazon nous charme toujours; celle qui ferpente parmi des ronces de des builTons, au milieu defquels s'élève de loin en loin de petits bois naififans , ou qui traverfe une plaine couverte de fougère , mêlée avec la bruyère ôc le genêt épi* neux, nous plaît auffi par fa variécé. Le caraébere ne fe perd jamais totalement dans ces fortes d'in- terruptions, parce qu'il reparoît promptement ,& qu'on n'a pas le tems de l'oublier. Lorfqu'il a d'a- bord produit une impreffion forte , les plus petits moyens fuftifent pour en conferver l'idée. La fimplicité peut être le caradere dominant d'une carrière, qui préfente naturellement dans toute fa longueur une fuite d'objets agréables i y 3 o6 VAn de forme f fur-tout lorfqu'elle fert de communication entre des fcenes beaucoup plus ornées que le refte de la campagne. Un bocage ouvert bien entretentl , ne fe voit que dans un parc ou dans un jardin ; fa dif- podtion eft fî élégante , qu'on peut l'attribuer au hafard , & l'on juge aifément qu'il exige des foins recherchés, & une culture au-delTus de l'ordinaire. Une (impie barrière pofée fur le bord d'une hau- teur efcarpée qui domine une perfpective, fuffit pour diftinguer de toutes les autres cette partie de la carrière ; un bâtiment eft un point encore plus remarquable : il peut n'être qu'un objet de déco- ration y mais auflî rien n'empêche que ce ne foie un lieu de délafTement , où un homme à cheval peut mettre pied à terre pour fe rafraîchir & fe repofer j & l'utilité feule rendra ce bâtiment agréable , quoiqu'il interrompe le cours de la car- rière. Un petit terrein qu'un feul homme pourroic cultiver , entouré par des champs , & couvert d'ar- briiTeaux , ou rempli par d'autres objets qui com- pofent les jardins , termineroit quelquefois très- agréablement une courfe peu éloignée \ elle fervi-' roit également à étendre l'idée de la maifon jus- qu'à une très-grande diftance. Ce feroit un de ces objets qui, étant vus rarement, confervent toujours ks charmes de la nouveauté $i de la variété. les Jardins modernesl 5®7 L X I. D^uH villiige. Xj o R s même qu'on fait paflTer une carrière au travers d'un grand chemin , on peut y établir une apparence de propriété , en plantant des arbres des deux côtés & à diftances égales , pour lui donner l'air d'une avenue , car la régularité an- nonce le voifinâ^e d'une maifon de campagne* Ainfi un voifînage paroîtra faire partie du domaine, fî quelques-unes des routes qui y aboutilTent, ref^ femblent à des avenues : quelques autres planta- tions régulières, & les objets les moins confidé- rables , lorfqu'il eft évident que ce font àes orne- mens , produiront quelquefois le même effet, &: lui donneront toujours plus de force. Il n'eft pas même nécelfaire qu'un village réveille cette idée j pour fournir un palfage très-agréable à une car- rière, s'il eft d'ailleurs remarquable par fa beauté^ ou feulement par fa fingularité. Le même terreinqui, dans les champs, paroit informe de fauvage, s'offre fouvent fous l'afpedb le plus pittorefque , lorfqu'il eft orné d'un village j les bâtimens & les autres objets marquent d'uns manière très-fenfible les irrégularités. Pour donner Vij 3o8 L'An de former encore plus d'énergie à une telle perfpedtive , oa placera une petite maifonde villageois fur le bord d'une éminence efcarpée , & un efcalier de pierres brutes y conduira en tournoyant ; on bâtira une autre cabane dans le fond j & les petits acceffoires qui l'accompagnent, paroîtront s'élever au-deflTus. On obtiendra fouvent le même effet par le moyen de quelques arbres; des ponts deftinés aux gens à pied , & placés çà & là entre les bords d'un enfon- cement étroit feront des coups de pinceau intéref- fans dans ce tableau. Si l'on pouvoit y faire pafTer de petits rui(reaux,la fceneen feroic extrêmement embellie. Un village privé de tous les avantages du ter- rein, peut avoir des beautés d'un autre genre. Il fe diftingue par l'élégance, lorfque les grands in- tervalles d'une maifon à l'autre font remplis par des bocages ouverts , & le refte par de petits maf- (ifs. Une cglife eft fouvent un objet irès-pitto- refque , ^' en général il efl: aifé de la rendre telle. Une maifon de berger peut être très- agréable, fur- tout lorfqu'elle eft grouppée avec des bofquets.Si le village eft arrofé d'un ruilfeau , fon cours tor- tueux , varié de mille manières , fera un charmant fpecbacle \ Se s'il s'y trouvoit une fontaine ou un puits creufé fur le bord du chemin , on feroit bien de Us couvrir d'un petit bois. les Jardins modernes^ yOa 11 eflrpeu de villages qu'on ne puiflTe embellir aifémenc. Le plus petit changement dans unemai- fon , produit quelquefois une grande différence dans la perfpeilive. Quelques Iégcr«is plantations' peuvent ajouter-beaucoup d'éclat à des objets dont l'afpedt efl: agréable , cacher ceux qui bleffent la vue, Se diverfifier ceux qui pèchent par trop de reflTemblance. Les moyens les plus fimples , tels qu'une petite paliffade avancée ou un banc, fuf- fifent quelquefois pour corriger les difformités d'unterrein, d'un bois, d'un bâtiment. Dans le fujet dont il eft queftion , & dans quelques autres du même genre , la beauté & la variété dépen- dent beaucoup plus de l'attention que de la dé- penfe. L X I I. Des bâdmens conjidérés comme objets dans une carrière. Aïs fikpafTage au travers d'un village ne peut être agréable, fi les bârimens font d'une forme ÔC d'une fituation femblable, 5c rangés fur des lignes droites j s'il ne s'y trouve point d'efpaces fuffifans pour contrafter les maifons avec leurs auvents Sc Viij 3IO VArt de former autres accefloires, pour y introduire des arbl*ès& At% bofqn.ets , inrerpofer àt% cbirnps & des prai- ries , mcler des fermes avec des cabanes ,6^ placer ,.- une multirude d'objets difFérens dans différences pofitions : cependant les environs de ce village fourniront toujours l'efpace nccefTaire pour un bois, avec lequel il pourra former un beau grouppe. Cet enfemble bordé d'une carrière & fur- tout vu dans l'éloisinement, fera très-açréable. Des fermes féparces dans des champs, peuvent devenir des objets très-intéreflans , fi l'on plante quelques ar- bres tout autour , ou fi l'on fait tirer parti de ceux qui s'y trouvent naturellement. Lorfqu'on crée une ferme nouvelle, on eft le maître de lui donner toute la beauté dont elle eft fufceptible , foit dans la forme du bâtiment , foit dans la dif- pofition des environs. Elle peut même emprunter quelquefois un caradere qui ne lui eft pas naturel, tel que celui d'un vieux château (i) ou d'une ab- baye : cette forme étrangère lui donnera un air d'importance , qu'elle n'eût point eu par elle- incme. De riches points de vue font fi efTentiels à une carrière , que par le feul motif de fe les pro- (i) Comme celle de Stowe, qui eft à plus d'un millg tjçs jardins, les Jardins modernes. 3 1 1 curer , on eft quelquefois obligé d'élever des bâci- mens, donc l'effet confiant fera toujours 'de jetter de la beauté & de la majefté dans une perfpedive ; mais il ne faut jamais avoir recours à ces petites fupercheries, fi fouvent mifes en ufage. Elles font trop connues pour avoir du fuccès, êc n'ont au- cun mérite lorfqu'elles manquent leur effet. Car, quoiqu'une apparence trompeufe donne quelque- fois de l'énergie à un caradere , ou faffe naître de nouvelles idées , elle peut ne contribuer en rien par elle-même à l'embelliffement de la fcene. Le fommet d'une tour , la pointe d'un clocher , Se les autres objets qui fervent à ces frivoles effais, font fi peu importans j comme points de perfpec- rive, qu'il eft prefque indifférent d'être frappé de kur image ou de leur réalité (i). (i) J'avoue que je ne pais concilier cette réflexion , ni avec les règles de la logique, ni avec le fyftême de l'auteur. Il eft impoffible que des objets,quels qu'ils foient, rendent le caraélere plus énergique, & faflent naître des images, fans que la fcene n''en devienne plus intéreflante. L'au- teur a déjà mis plus d'une fois les tours & les clochers avs nombre des objets les plus pittorefques. Pourquoi le fe» roient-ils moins dans les perfpeftlves d'une route deftinée à l'amufement, que dans les autres ? L'auteur n'en dit pas i9s raifons , & je crois qu'il feroit difficile d'en donner ê..Q bonnes. ! Y iv 3 1 1 VArt de former L X I I I. D'un jardin traité dans le goût d'une carrière^ Defcription de Persfield. ij E s mêmes moyens dont on fe fert pour embel- lir les points de vue d'une carrière, peuvent s'ap- pliquer à ceux d'un»jardin. Ces fortes d'embellif- femens, il efk vrai, ne font pas eflTentiels à Con çaradtete , mais ils contribuent à le rendre beau- coup plus agréable j & lorfqu'ils fe trouvent en abondance , ce n'eft que le degré d'étendue du terrein orné, par lequel ils font dominés , qui dé^ terminera fi c'eft d'une carrière ou d'un jardin , que déper-d la perfpedlive. Si c'eft d'un jardin , elle polTede encore jufqu'à un certain degré les propriétés dominantes de celle qui convient a. une carrière j & les deux caraderes feront excrème- ment analogues , mais ils différent dans quelques particularités. Un mouvement continu eft la pre- pîiere idée qui fe préfente dans une carrière: ainfl c'efl aux embellifTemens ds la route qu'on doit principalement s'attacher, au lieu que dans un jar- din , ce font les diftérentes fcenes qui méritent \q\ plus d'attention , ôc leurs communications font; beaucoup moins importantes. Il faut, en générai ^ <^ue leurs. direc en pâturages*, des haies, des taillis &: des bof- quets en forment les féparacions j des maiîifs ou- verts , 5c des arbres ifolés , mêlés de maifons Bè d'autres bâtimens qui appartiennent à àes fermes, font répandus indiflinéVement fur les prairies, Cee enfemble, compofé d'une fcene fi cultivée & d'ob- jets fifauvages, dont elle efl environnée de toutes parts , eft un des payfages les plus finguliers & les plus charmans (i). îj (i) 11 arrive fouvent ( dit M. de Montefquieu , dans î)fon excellent fragment fur le goût) que notre ame fen£ 3) du plalflr lorfqu'elle a un fentiment qu'elle ne peut pas «démêler elie-méme,& qu'elle Voit une chofe abfoîumèriÉ n différente de ce qu'elle efl ordinairement. Le fpeftatetei' X 5 il L'An déformer Les communicatious entre les points les plus re- marquables de Persfield , confiftent en général dans des promenades bordées de difFérens objets dans toute leur longueur. En fortant du bois qui fe termine près du bâtiment Chinois, on trouve un chemin qui conduit à travers les parties fupc- rieures du parc jufqu'à un temple tuftique , donc les vues font très-amufantes. D'un côté il domine quelques-unes de ces perfpectives fi pittorefques , dont j ai déjà parlé , &: de l'autre, les collines cul- tivées , & les riches vallées de la comté de Mont- mouth. A ces tableaux fi magnifiques, quoique Ci fauvages , fuccede un pays agréable, riche & fer- tile. Il eft divifé en enclos, & l'on n'y voit ni bois, ni rochers , ni précipices. Quoiqu'il ne foit varié que par de petits monticules, & des enfoncemens » furpris , ne peut concilier ce qu'il voit avec ce qu'il a ïj vu. Il y a en Italie un grand lac „ qu'on appelle le lac « majeur, c'eft une petite mer, dont les bords ne montrent « rien que de fauvage. A quinze milles dans le lac , font i) deux ifles d'un quart de mille de tour , qu'on appelle les M Barromées. C'eft, à mon avis, le féjour du monde le plus j? enchantéX'ame eft étonnée de ce contrafte romanefquc, j> & rappelle avec plaifir les merveilles des romans , où « après avoir paffé par des rochers & des pays arides , « on fe trouve dans un lieu fait pour les fées. les Jardins modernes, 515; tfès-donx, le point de vue n'a rien de petit : ce font de hautes collines , & le vafte circuit de la Severne qu'on voit couler d'ici refpace de plu- fîeurs milles , Screcevoir dans fon cours les rivières deWye & d'Avon. Un autre chemin conduit du temple rufliqûè à Windcliff. C'eft de toutes les collines de Pers- fîeld la plus élevée 5 elle domine tout le pays des environs. La Wye coule au pied de la hauteur^ &• la péninfule eft |uftement au-defTous. On voit pleinement le bois profond qui couvre le penchant de la colline oppofée , & donr la forme eft celle d'un croilfant \ au-deffas de ce bois , le grand ro- ièher avec fa bafe & tcîus \qs objets qui l'envi- ronnent*, immédiatement au-delà, de vaftes cam- pagnes, couvertes de jolies éminences j enfin les payfages élevés des comtés de Sommerfet & de Glocefter, qui terminent l'horizon. La Severne ell un objet frappant par fa beauté. Sa largeur au- deffbus de Chepftowe eft d'environ quatre milles 5 &: {qs eaux s'étendent rhajeftueufement , comme celles de la mer, Les rives les moins éloignées font dans la comté de Montmouth j &: entre les belles collines dont elles font couvertes, paroinTehê à une très-grande[diftàhce, les montagnes de Brek- X ij 5 î 4 'VAn de former nock &: de U comté de Glamorgan. Peu de perf- pedlives fonc auflî vaftes , aufli majeftueiifes & aufli variées que celles-ci : elle comprend toutes les magnifiques fçenes de Persfield , environnées 4'un des plus beaux pays d'Angleterre. * * tl les Jardins modernes. 3^5 DES T E M S. L X I V. Des effets d'occajlon. Defcripùon de l'effet dujoleil couchant fur le temple de la Concorde & de la Vicioïre a StoWe, Il n'eft point de perfpsdive qui n'ait fon degré de lumière, fous lequel elle fe montre de la ma- nière la plus avantageufe. Chaque fcene 5c chaque objet n'eft à fon plus haut point de beauté qu'à certaines heures- du jour j & tous les lieux du monde , par leur fituation ou leur caradere , ont leurs agrémens particuliers dans certains mois de l'année. Les tems (i) méritent donc auflî notre at- tention dans l'art des jardins j & lorfque plufieurs circonftances propres àembellir une fcene beaucoup plus dans un tems que dans un autre , fe trouveront réunies , ce fera fouvent un heureux coup de l'art, que de les rendre plus nombreufes , & d'exclure toutes celles qui leur font oppofées, fans d'autres (i) On voit que les tem% fignlfient ici les momens de l'année ou du jour, relatifs à chaque perfpefttve. L'An- glois dit/eafom , iaifons , tems propres à quelque chofe. X iij 5 1^ VAn de former vues que celle de donner plus de force à leur effet dans ce tems marqué. Ain(î Ton peut adapter dif- férentes parties à difîerens rems , de forte qu'elles fe Trouvent chacune à leur tour dans leurs véritables points de perfection. Mais fi l'enfemble fe refufoit à cette efpece d'alternative , on peut fouvent fe procurer des e^ets d'occafion, & les perfection- ner, fans dégrader en aucune manière lafccne où ils. s'çxécutent , & fans qu'ils paroifiTent affedés Iprfqu'ils fe répètent. J'ai déjà parlé du temple de la Concorde Se de la Victoire qu'on voit à Stowe, comme un des plus magnifiques objets qui aient jamais décoré un jar- din j mais il y a fur-tout un mornent où il paroîç d'une beauté exrraordinaire, c'eft lorfquele foleil couchant darde fes rayons fur la belle colonnade qui e(t tournée du côté de l'oueft : toute la partie inférieure du bâtiment eft obfcurcie par les oni^ bre-; du bois voifin , les colonnes forteni de ces té- nèbres en s'élevant à différentes hauteurs ; quel- ques-unes fqnt entièrement enfevelies dans l'om- bre j d'autres ne font que légèrement frappées par 4e foibles rayons j -^^^^====^^^ ^> Description détaillée des Jardins de STOJVE _, par le Traducteur, A-«Es jardins de Scowe font fi fameux en Angle- terre & dans les pays étrangers, & ils ont été fi fou- vent cités aux voyageurs comme un modèle parfait de ce qu'on appelle \x\\ jardin Anglais ^ que j'ai cru faire plaifir aux amateurs de publier à la fin de la iradu6tion , la defcription que j'en ai faite d'après mes propres obfervations fur les lieux l'année der- nière. Dans celle qu'on a lue au chapitre LIX, l'auteur n'examine que les grands effets de perf- pedive , & néglige les détails, parce qu'il fe feroic trop écarté de fon objet , & que d'ailleurs il parle à des Anglois \ mais comme le but que je me fuis propofé , en traduifanc fon ouvrage, a été de don- ner en France une idée nette de l'art des jardins, tel qu'il exifte adluellement en Angleterre, &que toutes les defcriptions générales ne préfentent pref- que jamais que des images confufes, je conduirai le leéteur comme par la main dans les fuperbes jardins de Stowe , & je lui en détaillerai tous les objets fucceffivement, s'il veut bien fe donner la peine de me fuivre fur le plan ci-joint, que j'ai fait graver pour cet effet, & auquel fe rapportent des Jardins de Stowe, 54^ ics chiffres & les lettres alphabétiques de ma def- cripcion. Ce petit voyage fera une efpece de com- tnentaire, qui fervira peut-ctre à éclaircir certaines obfervations de M. Whateley , prefqu'inintelligi- bles pour ceux qui n'ont jamais vu de jardins An- ^ glois. Stowe eft fitué dans le Buckinghamshire , à 60 milles de Londres, & à un mille &c demi de la ville deBuckingham. Il appartient à Richard Grenville comte Temple & baron Cobham , membre du confeil privé , &: chevalier de l'ordre de la Jarre- tière. Richard Grenville lord Cobham, fon oncle j efl: le créateur de Stowe. Le terrein compris dans l'enceinte des jardins , eft entre 5 & 400 arpens* Ce lieu n'eft fameux que par fes jardins j car le château, quoique fort beau , n'égale ni Blenheim, lîi quelques autres châteaux d'Angleterre* On compte e)oo pieds de l'extrémité d'une dès ailes à l'autre. Toutes les pièces font meublées rhagnifi- quement , & ornées à b manière Angloife ; c'ellà- dire , de quantité de tableaux des plus grands pein- tres , & de beaux buftes , de tables & de vafes de marbre. La galerie eft la plus belle partie de la maifon : l'or & le marbre y font répandus avec profufion. Je me hâte de pafTer aux jardins. La maifon ( b ) eft fîtuée fur le fommec applati (b} Zij 3 5 c» Defcrîptîon d'une colline plus élevée que toutes celles des en- virons. La perfpeétive qui s'offre de la grande {A\ porte d'entrée ( d ) , 5c fous la colonnade qui orne le centre de la façade méridionale , eft une des plus belles de Stowe. Vous plongez de tous côtés fur les jardins , &: vous découvrez l'immenfe (41) prairie (41) & la belle porte qui efl: au-delà du parc vers Buckingham, avec un lointain qui efl; une partie du Euckingliamshire. De là vous def- (e) cendez fur la terrafle ( e) , dont la longueur égale celle de la fciçade. Elle efl; couverte de gravier très- (25) fin , & domine une vafte pièce dega^on ( 23 j , qui ( zi) en fe retréciffant forme une large avenue (22.) bien, iilignée ôc bien unie , jufqu'à une grande pièce (k) d'eau (k) très-irréguliere, où deux rivières vien- nent fe réunir en ferpentant. Cette pièce étoit au- trefois un grand baflSn exagone , au milieu duquel s'élevoit un obélifque qui a été tranfporté dans le parc. Cette avenue & la pièce de gazon forment un des plus beaux tapis-verds, animé par toutes fortes de troupeaux. Il préfente une pente douce depuis la terralFe jafqu a la pièce d'eau. Aux deux bouts (i 5) (f.) de la terralTe font deux jardins potagers (15) (f.) tour-à-fait environnés de bois. En tournant à droite , vous trouverez Vorange^ (14) rie ( 14), qui fait partie de l'aile gauche, 6c a des Jardins de Swwe. 3 5 1' plus de 1 10 pieds de long. Outre les orangers , il y a des ferres pour les plantes étrangères. Le devanr de l'orangerie eft orné d'un joli parterre ( e ). (e) De ce même côté , à l'extrémité du fofTé d'en- ceinte , eft le fallon de Nelfon ( 1 3 ) j portique (i 5) quarré , dont le plafond ôc les murs font ornés de peintures à frefque, médiocres & gâtées, avec ces infcriptions latines, qui en expliquent le fujet j favoir : Adroite: Ultra Euphratem & T'igrlm ufque ad Oceunum propagatâ dltîone y «rhïs terrarum imperium Romce adji^nat optimus prlnceps l cul fnperadvolat ViSlorla laurigerum ferîum hinc inde utrdque manu extcndens , comïtantïbus Putatt 6* Abuniantiâ. In arcu Conjlantînî» C'eft-à-dire t Cet excellent prince ayant étendu fa puiffance au-delà de l'Euphrate & du Tigre jufqu'à l'Océan , établit à Rome l'empire de l'univers. La Viftoire , accompagnée de la Piété & de l'Abondance, vole au-deiTus de lui ^ tenant de fes deux mains une couronne de laurier. Sur l'arc de Conflantin; A gauche :. Pofl obitum L. Veri in imperio cum Marca confortls Z iif 5 5 - Defcripîioû Roma întegram orbis tcrrarum potejîatem ei & in eo contulit. Jn capîtofio^ Ce qui fignifie : Après la mort de Lucius Verus , Rome confère à fou collègue Marc-Aurele ladminiftratlon totale de l'empirç du monde. Dans le capitole. Deux colonnes & deux pilaftres en. ofnent là façade. De chaque c6té,;à peu de diftance, font tîsiix grands vafes de plomb doté. Ce repofoir , ouvrage de Vanbiugh , eft environné d'arbres Verds, & répond à deux allées; au bout de l'une eft la rotonde j &; un des pavillons qui ornent l'entrée du parc vers le couchant, termine l'autre, A droite on a la vue de tout le parc. De là vous palfez dans un joli bofquet , coupé très-irréguliérement par des routes tortueufes , & compofé d'arbres verds & d'arbres qui quittent leurs feuilles. Ceux qui bordent les allées font plus confidérables. A l'extrémité de ce bofquet eft le temple de lu) Bacchus (il), dont M. Whateley décrit fi bien la perfpective [Voy.ci-delTus, page 290J qui confifte en un immenfe tapis-verd, terminé par un grand Jac, au-delà duquel eft le temple de Venus, & ua des Jjrdins de Stowe. 355 lointain. Le temple de Bacchus efl: d'ordre dori- que j on y monte par trois marches ornées de deux fphynx. Les peintures , qui font de NoUikins , re- préfentent le réveil de Bacchus & des Bacchanales. Le dieu eft trop gros; ce n'eft pas ain(i que Phi- lollrate & les anciens le peignoienr. Aux deux cô- tés du temple font deux ftatues, l'une de la Poéfie lyrique , Se l'autre de la Poéfie fatyrique. En quittant ce temple & fon beau point de vue , fi vous vous enfoncez dans le bois à droite , vous aTrivez à une cabane des plus ruftiques, appellée Vhermitage de S. Augujlin (10). Elle eft faire de (lo^ racines & de troncs d'arbres en leur état naturel , entrelacés avec beaucoup d'art, & furmontée de deux croix. L'intérieur repréfente parfaitement une cellule des pères de la Thébaïde : ce font des planches couvertes de foin & de farmens, des ra- cines faillantes, fans ordre & couvertes de mouîTe, des bancs aux encoignures, 5i des fenêtres à trape, fur lefquelles on lit de fingulieres infcriptions en vers léonins , dans le goût des (îecles barbares, M. Glover pafTe pour en être l'auteur. Je ne don- nerai que le texte, fans me permettre de le tra- duire. Le latîn dans les mots brave l'honnêteté; Mais le lefteur françois veut être refpe6lé, Z iv 554 Defcrifiion , Sur la fenêtre à droite font ces vers: |; Sanflus pater Au^uflinus , Prout al quis dïvinus j. Carrât , contra fenfualctn i AElum veneris lethalem ( AuJLit dcricus^ ex nîve Similcm pncllam viva . yirte mira conformatat , . | Qjiiâcum bonus vir cubabat, Quhd fi fj.s eii in errorem '■ ' Tantum Cddtre doElorem , ■ Quari potcjî , an carnalîs Muiier , potiiis quàtn nivalls , iVo/z fit apta ad domandum , Subigendum , deb.llandum Garnis tumidum furorcm , Et importunum ardorcm ? Nam ignis igni pellitnr , Fétus ut verhum loquitur. Sed innuptus , kâc in lits Jippellabo te , rnarite, O n lit à gauche ; Apparaît mihi nuper in fomnio cum nudls &• anhelantî» hus molliter papillis ^ 6* hianti fuavitcr vultu——Ehml benedicite ! Cur gaudes , fatana , muUebr^m fumere formant ? JSon faciès voti ca'Xi me rumpere normam. Heu ! fugite in cellarn ; pulchram vitate puellam ^ _Nam radix mortis fuit olim femina in hortiSt Vis fiçri foitii ? JSoli conçumhcre fcorùs^ \ des Jardins de Stowe, 555 In fanElum Orïgcncm eunuchum. Films ecclejioi Ongmes fon Jf. probe ur 1 ly EJfe patrem nunquam je fine te fie pTobat, VïrtUi diabolï efi in lumhis. Sur la fenêtre en face : Mente pie elatâ , peragro dum dulcia prata, Dormiit abfque dolo pulchra puella folo ; Multa ofiendebat dum femifupina jaceiat , Pulchrum os , divimim peâîus, aperta finum. Ut vidi mammas , concept ex tempore flammas , Et diElurus ave , dico , Maria, cave : Nam magno totus violenter turbine motus , Pcnè illam invado , penè & in or a cado. Jîla fed haud lente fiurgit , curritque repente, Currit & invita me , fugit illa cita. Fugit caufa mali , tamcn effîflus fiatanall, Internoque meum cor vorat igné reum ; O inferne canis , cur quotidiè efi tibi panîs , Fer vifus miras , folUcitare viros ? Cur monachos velles ficri tam carne rebelles ? Nec cafix legi turbida membra régi ? Jam tibi , jam bellum dico , }am tri fie flagellunt ■ Efuriemque para , queis fubigenda .aro. Quin abfcinddtur, ne pars fine ra trahatur Radix , quâ folus naficitur ufique dolus. Cet hermitage eft dans un lieu forcobfcur, & ©ut à fait caché par des bois. En fuivant le fentier on arrive à une ftatue qui epréfente une dryade danfante (ii). Là étoic (n) 55'» Defcript'ion autrefois l'obélirque de Coucher. Mais ce nom , ainfi que celui de quelques autres amis du feu lord '- Cobham , ont difparu des jardins. Si vous conti- nuez la longue terraiTe appellée la promenade de -■ Nelfon , qui eft bordée à gauche par un joli bof-' On quet peu profond , elle vous conduit à deuxpa- h (7) villons (7) , qui terminent cet angle des jardins.j K^» Ils font d'ordre dorique, & à voûte unie. Le dôme extérieur eft orné de quatre buftes, & fur-i.i;- monté d'une petite rotonde ouverte à huit co-' le lonnes. L'un de ces deux pavillons eft hors di parc , & fert de ferme. Au milieu de l'intervalh (7) eft une belle grille de fer Ç-j) du deflein de Kent laquelle donne paftage dans les immenfes peloufes & les bois qui compofent le parc. A peu de dif tance des pavillons hors des jardins , & fur 1 même rivière qui vient de les arrofer , on voit u fort beau pont. Du coin de la terrafife, & au travers des arbres (9) on entrevoie une pyramide ( 9 ) fort noire. Le gens qui aiment ce qui leur retrace l'antiquitc verront toujours ce bâtiment avec plaifir. Il e d'une élégante fimplicité , & conftruit précifc ment comme les pyramides d'Egypte. On peij monter extérieurement jufqu'au fommet par I quatre faces , fur des marches de trois pouces cm y^^ 4 des Jardins de Stowe. 3 ^7 largeur, S: de quatorze pouces de hauteur. Il y a deux portes fort baffes , & d'un dorique très- maffif. L'intérieur eft une voûte à fix coupes. La hauteur de cette pyramide eft de foixante pieds, ,On lit tout autour ces mots en gros caradtere : Ir Inter plurima hortorum horutnce œdificia à Jokanne Fan- •hru^k équité dejîgnata , hanc pyramidem illius memorid facram ejfe volidt Cobham. c'eft-à-dire : Le lord Cobham a voulu qu'entre tous les édifices de ces jardins , conftruits d'après les deffeins du chevalier jjean Vanbrugh , cette pyramide lui fût confacrée. Vanbrugh n'ctoit cependant pas un archi- tede du premier ordre. C'étoit un homme ai- mable, de bonne compagnie, &raifan£ des, comé- dies qui ont eu du fuccès. On crut que, parce qu'il écrivoit bien , il étoit bon architecte , & toute l'Angleterre s'y trompa. Blenheim , malgré fa mr.gnificence , fera un monument durable du pu de goût de cet artifte. Dans l'intérieur de la p iimide , fur un côté des murs , on lie ces vers d Horace: Lufifii fiùs , edifli fatls , atque hib'ijii ; Tempus abire tibi eji ; ne potum largius De là vous defcendez fur le bord du lac qui ■«ft tapilfé d'un beau gazori , oc s'élève doucement. Aa 3 ^4 Defcrîption Tout fe réunit ici pour rappeller a votfe imagina- tion les idées poétiques; les arbres, les plantes ôc le gazon dont vous êtes environné, le lac, & le vafte tapis-verd qui efl: au-delà , donc vousmefu- rez l'étendue ; l'afped des ruines couvertes de lierre èc d'arbres verds ; les tritons & les nayades qui s'ofrrent fous diverfes attitudes dans leurs grottes humides j le chant de mille oifeaux , & le bêlement des troupeaux , mêlés au bruit àQS feuilles agitées , & d celui des eaux de la cafcade. Tout près eft une grotte rullique de l'invention [z) cie Kent , appcllée l'hermitage (z) ou la grotte du berger. Elle ed couverte de lierre , &c au-devant d'un bocage qui s'élève jufqu'à la terralTe , ou i'allce du midi j le dedans eft voûté. On y trouve une infcription angloife prefque effacée, à la mé- moire d'un lévrier d'Italie, appelle le fignor fido. La voici traduite dans le même ordre, & prefque mot à mot. A la. mémoire du SIGNOR FIDO. Càoit i:n Italien de bonne race , qui vint en Angleterre , l(lon pas pour nous dévorer , comme la plupart de fes com- patriotes ; mais pour y g^i^nerfa vie en exerçant un art honnête. des Jardins de Stowe. jêj Sans courir après la réputation i il l'obtint. Il fit peu de cas des louanges de fes amis J mais il fut très-fenfibU à leur amour. Quoiqu'il vécût parmi les grands , il n'imita jamais ni ne flatta leurs vices. Il n'était pas fuperflitieux , quoiqu'il ne doutât d'ancun des 36) articles f & fi la philofop-hie confifle à fiiivre la nature & à refpeâer les loix de la fociétéy ce fut un philofopke parfait y un ami fidèle , un compagnon a^éâble, un excellent mari , difiingué par une famlle nombreufe. Il a vécu afie:^ pour voir tous fes enfans fournir de brillantes carrières^ Dans fa vieillejfe il trouva une retraite chc^ un minijhe de cette province y où il a fini fa vie mortelle. Il fut l'honneur & l'exemple de toute fon ejpecei Pa s SA N T, ce monument efi exempt de flatterie ; car celui pour qui il a été érigé n'était pas un homme , mais un lévrier. Si vous remontez en traverfant îe bocage jufqu'a l'allée méridionale , appellée la tcrrajje de pegs ^ Aaij ^66 Defcripdon (i) (i) (i) vons trouvez deux /7czvi//o/2i (I) en forme de periftyles , placés aux deux côtés de l'entrée la plus ordinaire des jardins. La porte de fer ne s'é- lève qu'au niveau de la terraflTe , ainfi que toutes les autres portes d'entrée, pour ne pas marquer le« bornes des jardins, & afin que rien n'empêche qu'ils ne s'unifTent en apparence avec le refle de Ja campagne. On monte fous chaque pavillon par fîx marches. Le plafond fculpté en exagones avec une rofe au centre , eft fupporté par fix colonnes doriques. La perfpedive eft ici de la plus grande beauté. Les maflifs bordés d'arbres verds qui régnent le long de la terraOTe , s'ouvrent pour laiifer voir la pièce d'eau , & ce beau tapis de verdure de bois qui s éieve continuellement juf- qu'à la maifon , & devient alTez large pour que la fuçsde foit pleinement découverte. A droite ôc à gauche on apperçoit j au travers des arbres 6c des percés, d'autres objets, tels que le lac j les rivières, &c. Continuez votre promenade à droite le long de la terra(Te , vous arriverez à une efpece de (27) demi-lune décorée par le temple de l Amitié (27). C'eft un bâtiment d'ordre dorique & diftinguc par la juRelTe de Çqs proportions. La façade pré- fcnce un portique à quatre colonnes , ôc deux des Tardins de Stowe. 5 6j niches j & les côtés font compofcs chacun de trois arcades qui forment: deux autres portiques. Le delTus de porte eft orné de l'emblème de l'Amitié \ & fur la frife eft cette infcripcion :. j^miciticc S, C eft-à-dire : Ce monument eft confacré à l'Amitié. L'intérieur du temple offre une fuire de dix: buftes de marbre blanc , fur des piédeftaux de marbre noir , tous bien exécutés. Us repréfentcnt le feu lord Cobham, & fes meilleurs amis dans cet ordre: Frédéric, prince de Galles ; les comtes de Chefterfield , Weftmorland & Marchmont ; les lords Cobham, Gower & Bathurft j Richard Grenville ( maintenant lord Temple) ; William Pitt ( maintenant lord Charam ) , & George Lyttelton ( maintenant Lord Lyttelton ). Le pla- fond peint par Sleter, préfente la Grande-Breta- gne afîîfe , & à fes cotés les emblèmes de ces règnes qu'elle regarde comme les plus glorieux ou les plus honteux de fes annales^ tels iont d'une part ceux d'Elizabeth, & d'Edouard III; Se de l'autre , celui de Jacques 11, qu'elle femble vou- loir couvrir de fon manteau , & refetrer avec dé- dain. De ce temple , la vue fe porte immédiate- ment fur un charmant vallon traveré par una A a iij ■568 Defcript'wn rivière , dont le coté le plus éloigne eft un vaile (25 ) tapis-verd (15) triangulaire , en plan incliné coupe très-irrégulicrement , parfémé de quelques arbres, couvert de troupeaux , & terminé au fommet par le temple des dames. Les principaux objets de ce point de vue font d'ailleurs le temple gothique , le pont de Palladio, la colonne Cobham, & le châ- teau antique qui eft dans le parc. L'angle des jardins, qui eft: peu éloigné du temple de l'Amitié, (y) eft: marqué par une ht\\Q grille de Fer, (y) élevée de toute fa hauteur du deffus de la terralfe, Cette porte eft: le paftage pour aller à l'ancien château. Defcendez dans le vallon , le long de la ter- rafte du levant, qui eft la plus irréguliere; vous trouvez bientôt un très - beau pont , appelle le (50) pont de 'Pembrocke (30) _, ou \t pont Palladien ^ parce qu'il eft conftiruit félon la manière de Palla- dio. Ses deux extrémités offrent deux élégantes baluftrades qui fe continuent dans les entre-co- lonnes. Le plafond , foutenu par des colonnes ioniques , eft divifé en quatre ceintres fculptés en grands exagones. Les quatre coins intérieurs fonc ornés de vafes de plomb doré. On voit de deflTu? ce pont, la principale rivière ferpentér dans les jardins & dans le parc , & fes bords couverts de froupeaux qui viennent s'y défaltcrer j les autres _j des Jardins de Stcwe, 3 6() points de vue font une ferme , le châieau gO' thique, le temple des Vertus, l'arc d'Amelia, &: le temple de l'Amitié. Après avoir traverfé le pont , continuez la même allée (51) le long du tapis- verd, dont l'clc- (3 1) vation eft très-fenfible , jufqu'à ce que vous arri- viez à un temple (53) rongeâtre, qnife volt de très- (33) loin, parce qu'il eft fitué fur une éniinence. II eft bâti d'un grès fort tendre & très- rouge , & fa forme imite parfaitement celle des anciens tem- ple du XIII & du XlVe fiecle. On l'appelle le temple gothique. Tout eft dans le goût antique , les portes , les vitraux , les tours , &z les ornemens. On monte, nar un efcalier fort ufé , à une r^alerie qui forme un fécond étage , & de là jufqu'au haut d'une grofife tour , d'cù l'on découvre tout le pays d'alentour, à la diftancede plufieurs milles. Ce temple à 70 pieds de haut. Le dôme eft orné des armes de la famille des Grenville. On lifoît autrefois fur la porte d'entrée, ce vers de Cor- neille , qui a été effacé : Je rends grâces aux dieux de nêtre pus Romain. L'extérieur a trois faces femblables, &c chaque angle a une tour pentagone , dont celle qui eft tournée au levant, eft la plus élevée Scfurmontée de cinq petites (lèches avec des croi'^; les autres Aa iv 370 J^efcription ont de petics donjons à cinq fenêtreç. Chaque façade a fepr portes , & autant de fenêtres vitrées. Au levant & à quelques toifes du temple , on a placé en demi-cercle fur le gazon, \esjêpt divini- (0 tés Saxonnes ^ (^ ) qui ont donné leurs noms aux jours de la femaine chez les Anglois. Ces ftatues font de pierre , & du cifeau de Risbrack , célèbre fculpteur, dont on voit de très- beaux morceaux , fur-rtout à Weftminfter. Le lord Cobham les avoit (i i) placées dans un bocage ( i i), autour d'un autel rufti- que. C'était obferver le coftume , & ne pas mêler le facré avec le profane. Derrière ces ftatues il y a une porte d'entrée qui s'ouvre dans le parc fur de vaftes prairies. De tous les côtés du temple gothi- que , on a de beaux points de vue : le vallon qui paroît d'ici très-profond, couvert de troupeaux & d'arbres , la maifon qui s'élève au - deflTus des arbres , le temple de Mylady , la colonne Cobham au bout d'une longue allée, la rivière & le pont, d'immenfes prairies &: des lointains. (Voyez ci- deffus, pag. 296.) Suivez toujours la terrafle , ou fi vous l'aimez mieux , la route irréguliere (ç) qui luieft à-peu- près parallèle , & qui traverfe de vaftes mafîifs diverfement grouppés , dont l'enfemble préfenrç une forme triangulaire. Vous trouvez à l'exaê-' des Jardins de Stowe. 371 mité de cette route , une fuperbe colonne {^^) (35) cannelée & odogone, dontlefommet eft fiirmonté d'une rotonde ouverte fur huit petites colonnes quarrécs. Sur cette rotonde eft placée la ftatue du lord Cobham , habillée à la romaine , & en atti- tude de J. Cefar. On monte jufqu'au fommet par cent quarante marches fort roides. Autour de U bafe on lit ces mots en gros caractères : Ut L. Lu:uUi fummi viri quis? at quàm multî vdUnim magnificentiam imitati junt ' Ç'efl-à-dire : Qui de nous refTemble au grand Lucullus par fes qua- lités perfonnelles r mais combien de gens qui l'ont imité dans la magnificence de fes jardins! Cependant le lord Cobham (fi l'on me permet de lecomparer à ces deux Romains ) relTembloit plus i Xucullus qu'à J. Cefar. J'ai oui dire à mylord Lyttle- ton, fon neveu , qui fut fon ami intime, que c'étoit un homme plein dégoût, de beaucoup d'efprit, 8c très-propre aux affaires, mais totalement privé de cette éloquence forte & hardie , qui captive &c entraîne un peuple d'auditeurs: fon extrême timi- dité l'empêcha toujours de haranguer dans le parlement. Malgré cet obftacle , qui n'eft pas peu confidérable en Angleterre , il parvint aux premiers emplois , 6c fut à la tête du parti oppofé à Robert 57* Defcript'ion V^alpole. Sur une des faces du piédeftal , a été gravée cette infcription en anglois : Pour conferver la mémoire de fon cher époux ^ Anne , vicomtejfe Cobham , a fait ériger cette colonne en l'année M. dcc. xlvii. £t fur une autre face : Quatenhs nobîs dene^atur dih vlvere 3, relinquamus aliquid quo nos vixijfe teflemur. C'eft-à-dire : Puifqu'il ne nous a pas été accordé de vivre long- tems, laiflbns da moins quelque monument qui prouve, que nous avons vécu. Cette colonne eft apperçue de prefque tous les points du jardin , dont elle eft un des objets les plus remarquables. Indépendamment des payfages & des champs du côté du parc , elle domine dans les jardins , une belle peloufe qui fe termine de chaque côté par des bois , Se vient fe perdre dans im profond vallon , au-delà duquel efl: le fuperbe temple de la Concorde 5 à gauche on voit le tem- ipt pie gothique , la grande arcade vers Buckingham, & au-delà un agréable payfage. Achevez de parcourir la terra(Te jufqu'à cette (■^) grande dçmi-lune (S-j qui la termine , &: n'eft ornée des Jardins de Stowe. 373 que de quelques grouppes d'arbres plantés fans . ordre. J'excepte roujours ceux qui régnent le long du mur & du folTé d'enceinte , dans tout le cir- cuit des jardins : M. Whately a déjà obfervé que c'croient là prefque les feules traces de fymmétrie qui euffent été confervées à Stowe. La terraffe du nord (40) eft: entièrement bordée f^o) de bofquets & de bocages percés très- irrégulière- ment. En général , les arbres & arbriffeaux toujours verds , tels que les cyprès , les ifs , les fabines j les thuya , les lauriers de toute efpece , les houx , les magnolia, &c. régnent principalement le long des -bordures dans toutes les plantations de Stowe; & les arbres qui fe dépouillent de leur verdure , rempliflent l'intérieur des bois , quoiqu'ils foienc auflî mêlés d'arbres toujours verds. Le commence- ment des bofquets de la terraiïe du nord, eft orné d'un pavillon odogone (^) ouvert , orné de quatre (^) termes en dehors , Se de quatre têtes de béliers çn dedans , avec une voûte qui fe termine en pointe. On l'appelle le temple de la Poéjie pjJiO' raie. A quelques pas du pavillon vers l'angle de la terrafle , eft une ftatue qui repréfente la Poéfie \paJlorale (40); elle tient dans fa main une toile (40) écroulée , fur laquelle on lit ces mots : PaJIorum carminé canto. 574 Defcription C'eft-à-dire: Je chante les chanfons des pafteurs. } En fe promenant le long de la terraflTe , on a pour perfpe6tive d'immenfes peloufes couvertes de bêtes fauves, ^ de toutes fortes de troupeaux, des champs , des villages , de vaftes forêts percées d'allées à perte de vue , & l'obélifque de Wolfe. Quand vous êtes parvenu au bout de la terralîe, vous êtes arrête par une porte de fer qui ne s'élève qa'à la hauteur de l'allée : tournez à gauche , & percez quelques grouppes d'arbres , vous ferez agréablement frappé de l'afpect du bâtimen-t le plus ^58) fupetbe de ces jardins : c'eft le temple Grec (58), dont la forme reftangulaire porte environ quatre- vingt huit pieds de longueur fur cinquante-deux de largeur. Il eft d'ordre ionique , & conftruic exactement fur le modèle du temple de Minerve à Athènes j on monte par quinze marches fous un fuperbe periftyle de vingt huit colonnes, qui règne tout autour du temple , & donc le pla- fond eft fculpté en petits quarrés ornés de rofes. Le fronton préfente en demi-relief les quatre Par- ties du monde , qui apportent à la Grande-Breta- gne les principales productions qui les caradé- rifent. C'eft l'ouvrage d'un habile fculpteur , ap- pelle Scheemaker , donc les Anglois ont quantité 1 des Jardins de Stowe, 575 àt beaux morceaux. Le fommer cîu fronton efl: orné de trois ftitues plusgrandes que le naturel , & celui du fronton oppolé en a autant. Sur la frife ■du portique on a gravé cette infcription : Çoncordiœ & VicîorliZ. Ceft-à-dire : A la Concorde & à la Vifloire. Sur le mur de face aux deux côtés de la porte , qui eft peinte en bleu & or , font deux grands médaillons , fur l'un defquels font écrits ces mots : Concoidia fxdcratorum, C'ed-à-dire : Concorde des alliés. Et fur l'autre : Concordia clvium^ 'C'eft-à-dire : Concorde des citoyens. Sur la porte on a gravé ce palTage de Vaîere- Maxime : Qjtio tsmpore falus eorum in ultimas angujlias deduéla j nullum ambitioni locum relinqucbat. Ce qui (ignifie : Il fut un tcms où le dnnger extrême de la république étouffa les vues ambitieufes des citoyens. L'intérieur du temple eft d'une grande fimpli- ' cité. On y voie quatorze niches vuides , indcpen- 5y6 Defcnption damment d'une autre niche , oiieft placée une fta-i^ - tue, avec certe infcriprion: Libertas publica. / Et au-defTus de laquelle on lit cet autre paHage de Valere-Maxime : Candidis autem animis voluptatem prabuerint in confpicuo pojîta quœ cuique magnifica meritb contigerunt. C'eft-à-dire : Quel plaifir pour les âmes honnêtes, de voir que les aftlons belles &. vertueufes, reçoivent les éloges publics qui leur font dus ! Au-deiTus de ces niches , font autant de médail- lons, où font repréfentées en bas-relief les con-' quêtes des Anglois fur les François. Il efl dommage que le plus bel édifice de Stove ne foit qu'un monument de triomphe, c'eft-.i-dire, un monument moins glorieux pour une nation eii particulier , que honteux pour Thumanité. Plutar- que nous apprend que les anciens , plus fages que nous, n'élevoient que des trophées de bois, pour ne pas perpétuer les haines nationales. Les Anglois, en érigeant la colonne de Londres, appellée le mO' num^nr. y ôc en bâciflanc Blenheim , femblent avoir voulu renchérir à cet é^ard fur les autres nations de l'Europe. Le temple Grec efl: admirablement bien fitué , &: domine une magnifique perfpedive , prefque ^ntiérem.ent compofée de bois ôc dt peloufes. des Jardins de Stowei yj^ La vue fe porte immédiatement fur un pro- fond vallon de traverfe (r-), entièrement couvert de*} 'de gazon , dont les côiés ont depuis deux cents cinquante jufqu 'à deux cents quatre-vingt pieds de talud. Au-delà du vallon, la fcene fedivife en trois ouvertures qui, en partant du temple, forment comme trois rayons divergens. Celle qui eft à gauche eft une clariere affez étroite , au bout de laquelle on apperçoic l'obélifque qui eft dans le parc. Celle de la droite confifte en un beau tapis- verd , terminé par la colonne Cobham (35) : enfin (35)^ la diviiîon du milieu _, qui eft ians comparaifon la plus fuperbe , préfente dans toute fa longueur un large & profond vallon (v) , marqué par de {y\ petits monticules , &: de légers enfoncemens , 6c dont les bords fupéneurs font couronnés de beaux mafîîfs » d'où fe détachent quelques grouppes d'arbres jufques dans le fond. Le long de ces bois ont été placés quelques grouppes de ftatues de plomb blanchi , dont les plus beaux font ceux ^Hercule &z A niée j, Ôc de Cazn & Jl^el^ mor- ceaux pleins de vigueur. Ce terrein couvert de gazon , ôc ces bois où l'on diftingue toutes les nuances du verd , ces bâtimens & ces ftatues , tous ces objets placés à une jufte diftance, com- pofent un point de vue qui étonne ôc attache î@ }'jS ï)efmptîon ^pedateur. Voyez aufli ladefcription de cette perf-» pedive, ci-delTus, pag. 297, & celle de l'effet dei^' ay ns du foleil couchant fur les colonnes , iC l'entablement du temple , pag. 3 16. Vous ne pour- rez quitter ce bâtiment , où règne tant de goût & de fimplicité, qu'après en avoir fait le tour plus ,d'une fois. Si de là vous traverfez le vallon à droite, & en- fuite la première allée qui fe préfente, vous décou- vrez un édifice fitué entre deux beaux tapis de ver- dure,ik de vaftes bofqners : c'eft le teivpLe des dames \57y (37). Vous entrez de plein pied fous trois rangs d'arcades qui fe croifent quarrément, & forment neuf voûtes à fix coupes,dont les points d'intcrfec- tion font marqués par une rofe. Le pavé efl: com- pofé de petits cailloux, & varié par des deflins de pierre plate circulaires & exagones. Un efcalier aifez joli conduit à un fallon, dont les murs font ornés de peintures de Sleter, qui m'ont paru fore médiocres ; elles repréfentent plufieurs dames occupées , les unes à des ouvrages d'aiguille , les autres à peindre , ou à jouer àes inftrumens. Ce fallon eft encore décoré de huir colonnes, Sl quatre pilaftres d'ordre ionique, & de marbre veiné rouge & blanc. Ce bâtiment a pour perfpective d'un côté, le 'des Jardins de Scowe. fy^ le magnique tapis-vcrd , ou vallon triangulaire (25), avec tous les objets qui l'accompagnent, (^5) tels que la rivière , le pont , le temple gothique, & le temple de l'Amitié ; & de l'autre côté une belle peloufe de niveau, la colonne de Cobham , &: la colonne roftrale. Defcendez le vallon au midi , en côtoyant îe' bois à droite , jiifqu'à ce que vous trouviez à la féconde allée de traverfe , un petit côceàu rapide (;r). Defcendez ce coteau , & vous ne trouverez C'^) plus en vous promenant le long des trois pièces d'eau qui fe fuccedent jufqu'à la rivière , èc rem- pliiTent le rond d'un grand vallon, qu'une alter- native délicieufe de bocages fombres, de pièces de gazon , & de petits lieux de repos. Le premier objet qui fe préfente au bas du Coteau , & au milieu d'un ombrage épais, cft une ]o\\q grotte {{) ^ dont la furface extérieure eftcou- (0 verte de petits fîlex à fufil , èc de plaques de por- celaine. L'intérieur eil divifé en trois comparti- mens , dont les murs font incruftés de fiîex & de coquillages. La voûte du milieu eft ornée de glaces, dont la forme repréfente un foleil. Les murs des deux autres divifions font auffi couverts de glaces, comme des cheminées. Mais îe plus bel ornement de cette grotte, eft une admirable Racue de marbre, Bb 380 Defiiipùôn qu'on dit être Quique fui memores alios fecêre merendo. C'eft-à-dire ; Ici font les hommes célèbres par leur valeur , qui ont f épandu leur fang pour leur patrie ; les poètes religieux qui ont chanté des vers dignes d'Apollon ; ceux qui par l'invention des arts ont rendu la vie humaine plus douce & plus agréable ; enfin tous ceux qui par leurs bienfaits ont mérité de vivre dans la mémoire des hommes. Voici les infcriptions quiaccompagnentchaque bufte dans l'ordre où ils ont été placés. Je n'en donnerai que la tradudion , parce qu'elles font en anglois. Alexandre Pope, Qui unit la correflion du ftyle au feu du génie. Par l'harmonie & le charme de fes vers , il rendit la raifon aimable , & prêta des grâces à la philofophie. Il em- ploya la fupériorité de fon efprit , & le zèle de fa cri- tique , à rendre le vice ridicule , & toute la force de fa poéfie à célébrer la vertu ; & quoiqu'il fût fupérigur aux autres écrivains de fon fiecle , il a imité & traduit les meilleurs poètes de l'antiquité , en confervant toute l'élégance & l'énergie des originaux. des Jardins de Stowe, 385 Sir Thomas Gresham^ Qui clans la profefîîon honorable de négociant ayant fait une fortune très-confidérable , & enrichi fon pays , fit bAtir la bourfe royale, pour étendre le commerce de l'Angleterre dans tout l'univers. Ignace Jones, Qui pour embellir fon pays , introduifit & égals i'architefture grecque & romaine. Jean Milton, Dont le génie vafte & fublime , ne fut pas inférieur au fujet de fon poëme , qui franchit les limites du monde matériel. Guillaume Shakespear, Dont l'excellent génie s'ouvrit les refforts du cœur humain , les vaftes pays de l'imagination , & les fccrets de la nature, & le difiingua de tous les autres écrivains , par la faculté d'émouvoir, d'étonner & de charmer les hommes, Jean Locke, Excellent philofophe , qui connut parfaitement la puif^ fance de l'entendement humain & celle de la nature , ainfi que l'utilité & les bornes du gouvernem.ent civil , & réfuta avec autant de courage que de fagacité , le fyftême favori de ces âmes viles & nées pour l'efcla- vage, qui défendent coranie légitime une autorité abfo- hie & ufurpée fur les droits , les coiifciences & la raifou du genre humain. Sir Isaac Neutov, Que le Dieu de la nature créa pour comprendi*e fes ouvrages , & qui partant des principes les plus fimples;> Bbiij 1^4 Defcription a découvert les loix , & expliqué les phénomènes de cet admirable univers. SirFrançois Bacon, lord Verulam, Qui par la force & les lumières de (on génie fupé- rleur , rejertant toutes les vaines fpcculations , & les théories trompsufes , nous apprit à chercher la vérité , & à perfe6lionner la philofophie par la méthode fûre des expériences. Le roi Alfred, Le plus jufls , le plus doux & le plus bienfaifant des rois , qui chaffa les Danois , rendit les mers libres, pro- tégea les lettres , établit les jurés , bannit la corruption , défendit la liberté , & fut ie fondateur de la conftitution d'Angleterre. Edouard, prince de Galles, La terreur de l'Europe , les délices de l'Angleterre , qui conferva toujours fa douceur & fa modeftie , an combledela gloire & delà fortune. La reine Elizabeth, Qui confondit les projets , & détruiûtie pouvoir de ceux qui|menaçoient d'opprimer la liberté de l'Europe; fecoua le joux de la tyrannie eccléfiaftique , & par un gouvernement fage, modéré & populaire, fit refpefter l'Angleterre , & y répandit la tranquillité & l'abou-, dance. Le roi Guillaume m. Qui par fa vertu & fa confiance , ayant fauve Can pays .d'un maître étranger, par une entreprife auffi har- die que généreufe , conferva la liberté & la religion de la Grande - Bretagne. des Jardins de Stowe. j S 5 Sir Walter B. aleigh; Vaillant capitaine & habile politique , qui pour l'hon- neur de fon pays s'étant efforcé de réveiller le courage de fon roi , contre l'ambition de la cour d'Efpagne , fut facrifié aux Efpagnols qu'il avoit toujours vaincus les armes à la main , & dont il avoit toujours traverfé les projets. Sir François Drake, Le premier des Bretons qui à travers mille périls, ofa faire le tour du globe , & porter fur des mers , & chez des nations inconnues , les fciences de la patrie , ^ la gloire du nom Anglois. Jean Hampden, Qui 5 plein d'un noble courage , & avec une habileté confommée , s'oppofa vigoureufement aux deiïeins d'une cour arbitraire , lui réfifta dans le parlement , & mourut glorieufement , en défendant la liberté de fon pays. Sir Jean Barnard, Qui fe diftingua dans le parlement par une oppofî- tion ferme & aftive centre l'ufage pernicieux & injufte de l'agiotage ; confacrant en même tems tout fon génie & fon habileté profonde à augmenter la puifTancc de la patrie, en réduifant les intérêts des dettes nationales: projet qu'il propofa à la chambre des communes l'aji 1737, & qu'avec le fecours du gouvernement il mit à exécution l'an 1750 , en rendant une jufiice égale aux particuliers & à l'état , malgré tous les obftacles que les intérêts particuliers oppoferent à l'utilité publique-. Cette fuite de niches eft terminée en bas , pas Bb iv ^%6 Vefcripùon trois grandes marches , & s'enfonce dans un bo- cage de lauriers , dont les branches tombant natu- rellement fur les frontons, forment une couronne à chaque bufte. Le terrein compris entre le bâti- ment & les eaux , forme une pente douce de ia largeur de deux ou trois toifes , & couverte dç gazon. Ces moniimens confacrés aux hommes célèbres, & ces hommages publics rendus à la vertu & au génie , font un fpectacle délicieux pour tous les voyageurs que la curioficé attire à Stowe , &: dans plulîeurs autres jardins anglois, pour peu qu'ils aiment l'humanité , & qu'ils foient fenfibles à la gloire. Le philofophe Ariftippe ayant apperçii des figures de géométrie fur le rivage d'une i(îe déferte où il avoit fait naufrage , s'écria : Je vois ici des traces d'hommes. S'il fût entré dans les jardins de Stowe, ou dans le temple auguftede Weftminfter, il eût du : Je vois ici des traces d'une nation digne d'avoir des grands hommes. Le temple d^s illuftres Bretons eft l'objet le plus intéreffant des champs Elifées. On appelle ainfl t ^/ N tout le vallon compris entre la grande avenue ,. (ii , 23) & la peloufe triangulaire (15) , &: dont / \M ^o^d eft rempli par les trois pièces d'eau (u, p, i,). des Jardins de Stowe. 3S7 Maislafcene divifée par la pièce d'eau du milieu, a reçu plus particulièrement le nom de champs Elifées. Pour achever de les parcourir, revenez fur vos pas, &:traverlez le pont de rocailles (u) \ en- fuite montez à droite , Se percez quelques group- pes d'arbres verds fort touffus , vous verrez une églife paroiJfLale (r) , entourée d'un cimetière ter- (x's miné par un mur^ & rempli d'épitaphes. Cette églife, quoique tout-à fait cachée par des bois , n'eft pas un objet digne des champs Elifées ; 6c des jardins charmans ne me paroifîènt pas faits pour renfermer un cimetière. Vous quittez bien vite ce trifte féjour , pour examiner un monument plus digne de votre at- tention , & qui s'offre à vos yeux en fortant du cimetière: c'eft une colonne rojîrale (11) , érigée (11) en l'honneur du capitaine Grenville. Sur le fom- met efl: une ftatue qui repréfente la Poéfie héroïque, tenant un rouleau déployé où font ces mots : Non n'ifi grandia canto. C'eft-à-dire : Je ne chante que les avions héroïques. Sur la plinthe & fur le picdeftal ,'font les inf- criptions fuivanres: Dignupi lande virum mu fa y état mon» ijSS Defcrlption C'eftà-dire : Les mufes empêchent qu'un héros ne meure da^it l'oubli. Sororîs fu3I C'eft-a-dire : Obfervez rigoureufement la juftice & la piété envers ceux qui vous ont donné la naiflance , & le refte de vos pi-oches , mais fur- tout à l'égard de votre patrie : c'eft là le chemin qui doit vous conduire aux régions céleftes , & dans la compagnie des bienheureux qui vous ont pré- cédé» Chaque ouverture du periftyle entre les co- lonnes, préfente quelque point de vue agréable. De la porte du levant on voit la colonne de Gren- ville, le temple des fameux Bretons, le pont de Pembrocke , & la rivière; & de celle du midi on découvre les colonnes du roi George & de la reine Caroline , & le château antique. A côté de ce temple , eft celui de la moderne Venu ^ qui n'eft qu'un monceau de ruines , avec une arcade &: une ftatue brifées : le tout couvert de lierre & de ronces. Marchez le long du bofque: à droite , vous trouvez une voûte tortueufe 5i ornée , qui vous mené à une arcade [£} d'oidre dorique, érigée en (^) l'honneur de la princeife Amélie , tante du roi. Ce monument eft fur le fommet du vallon des champs Elifées , prefque fur le bord de la grande prairie d'avenue , & au milieu d'un joli bofque c Une clariere étroite qui s'ouvre dans les bois • e^4 Dejcr'ptîon lailTe voir fur la même ligne , mais fort éloignés l'un de l'autre , le pont de Palladio , & le château gothique. Le ceinrre de l'arcade, orné d'exagones remplis par une belle fleur finement fculptée , efl: fupporté par des pilaftres cannelés. On lit fur l'at-- tiqne du côté de l'avenue : AthelicE. Sophiœ. aug» C'eft-àdire: A la princeffe Amelie-Sophle. Et du côté du vallon , on voit fon médaillon avec cette exergue prife d'Horace : 0 colenda fanper & cuit a ! Ceft-à-dire: O vous digne dès honneurs qUe voiis avez toujours reçus ! Aux deux côtés de cette arcade , font placées en demi-cercle, les ftatues d'Apollon, & des neuf mufes qui ouvrent de ce cô:é la fcene des champs Elifées. Entre l'arcade Se l'avenue, on admire un beau grouppe àQ gladiateurs entrelacés & renverfés l'un fur l'autre. C'eft d'après un excellent original. Le refte des maflifs ou bofquets , vient fe terminer Mi) près de la grande pièce d'eau (k). Il y avoit autre- fois le bâtiment &c le bocage magique dans le centre; mais aujourd'hui il n'y a plus qu'un ou deux fen- tisrs des jardins de Sto'we. '5 9 * tiers tortueux qui condaifent à une cahane{r) en- (r) tiérement cachée par les arbres. En defcendanc de l'arcade d'Amelia , Se du temple des Vertus , on fe promené fur un char- mant tapiS'Vetd (n), parfemé de quelques arbres, (n) & qui préfenre une pente douce jufqu'à la pièce d'eau. 11 eft toujours couvert de troupeaux ,& dès le commencement du printems ^ les roflîgnols & les autres oifeaux y font entendre leurs ramages. A(Tis fous un orme antique & touffu, qui ré- pand au loin fon ombre fur le tapis-verd , Se au pied duquel on a placé un banc des plus iimples , vous voyez devant vous la pièce d'eau (p) , & au- (p} delà , cette fuite de buftes des grands hommes d'Angleterre , environnés de lauriers & de myr- rhes , qui fe refléchiffent dans l'eau. Quoique cette perfpedtive foit véritablement Elifienne à beaucoup d'égards , elle feroit encore plus* agréable, ce me feinble, (i l'on y voyoit moins dé bâtimens. ■ ■ Lucis hab'itamus opacis , Ripanimque toros &■ prata recentia rivis IncoUmus. Virg. Enéid. 1. 6i Nous habitons ( Jit Anchife à Éhée ) des bocages fom- bres ; nous nous promenons fur le bord des eaux, & dads des prairies arrofées par des ruliTsaux. Gg ^e)6 Defcrîptîon (W) Des champs Elifées vous traverfezun;7onr (\^) bordé d'arbres , pour entrer dans la grande peloufe (24) triangulaire (14). Ce pont féparela pièce d'eau du milieu, de la troifieme qu'on appc:lle la rivière ( 1) inférieure ( 1) , pour la diftinguer de la principale rivière , à laquelle elle vient fe joindre , ^ qu'on ( f j appelle la rivière fupérieure[ f). Le point de réu- nion de ces deux rivières , eft marqué par un ( h "^ fimple pont de pierres ( h ) , que vous traverfez en ferrant de la peloufe, pour achever de parcourir les derniers bofqucts qui vous reftent à voir dans l'enceinte des jardins. Le premier bâtiment qui vous frappe , quand vous marchez à gauche fur le bord de la rivière, (g ) eft le monument de Congreve (g). C'eft une pyra- mide tronquée , fur le fommet de laquelle eft un linge àffis , qui fe regarde dans un miroir. On y lit cette infcription : Vit ce imitât io , confuetudinis fpeculurri comadia. C'eft-à-dire : La comédie eft une imitation de la vie , & le miroii^ des mœurs. Le refte de la pyramide eft orné d'un vafe , fur Sequel font fculptés les attributs du genre drama- des Jardins de Sto'we'. . 397 tique, propre à Congreve. Au bas du monumenr , font deux morceaux ieparés , & appuyés contre le piédeftal obliquement, & d'une manière fort fiégligce ; c'eft d'un côté lebufte du poëte en demi relief, & en forme de mafque comique 5 & dé l'autre , une picce de marbre fur laquelle eft gra- vée cette infcription : Jngemo acri , facsto , expolito ^ morïbufque urbarùs , candid'is , faallimls GULIELMI CONGRE y E. Hoc qualecunque dejîder'û fui folamen fimuL ac monumentum pofuit CosHAM M. DCC. XXXVI. Cela figniiîe : Cobham a érigé en M. DCC. XXXVI cette py- ramide coiTime un monument de fa douleur , SiL une foible conroJation de la perte de fon ami Guillaume Congreve , à qui îa nature donna un génie vif, agréable, & auffi propre à faifir le ridicule qu'à le peindre ; une âme fimple & ingénue , & des mœurs douces & hon- nêtes , avec l'élégance & la politefFe des manières. Si vous vous enfoncez dans le bofquet , vous voyez encore un périt bâtiment cppelié la grotte ' Cclj - 39S Defaiptîon (2.6) de cailloux (16). C'eft une demi-coupole qui ï ù femble à une coquille. Elle eft enduite d un mor- tiei' fort dur, couvert de gravier très-fin, ôc de petits cailloux , difpofés de manieie qu'ils imi- tent des fleurs , & préfentent dans le fond les armes du lord Cobham , ou des Grenvilles , dont la devife eft : Templa quàm dileSîa ! Ceft-à- dire : Que les temples me plaifent ! On voit que les jardins répondent à la devife. De la grotte des cailloux , vous remontez par la première allée qui fe pré fente, jufqu'à la terralTe (i) du midi , Se vous revenez aux deux pavillons (i) qui répondent à l'avenue , après avoir parcouru &c examiné tous les objets renfermés dans l'en- ceinte de Srov/e. Au - delà des jardins, il refte encore dans le parc quelques objets que j'ai indiqués en parlant de certaines perfpeâ;ives , & qu'il faut confidérer de plus près. Vous ne les trouverez pas dans le plan , parce qu'ils font trop éloignés des jardins. A un mille & demi ou environ de l'angle orien- tal de la terraffe , vous trouvez au milieu des champs & des prés , une ferme conftruite comms les petits forts du XIV'^ fiecle , avec des créneaux des Jardins de Stowe. 35>9 au fommet des murs. On Tappeile le château. Il efl environné de petits bouquets de bois du côté oppole aux jardins. Là eft une laiterie qui fournie d'excellente crcme , & d'autres bons laitages. Du château, en allant dire6lement au nord, vous arrivez à Vokélif^iue que le lord Temple a érigé en 1759 , à la mémoire du major général Wolje y avec cette infcripion tirée de Virgile: Ojïcndunt terris hune tantktn fata. C'eft- à-dire .' Les defiins n'ont fait que le montrer à la terre. Cet obélifque, qui a plus de cent pieds de hauteur,eft fîtué fur une éminence,au milieu d'une immenfe peloufe peuplée de troupeaux , & fur- tout de bêtes fauves. La perfpective eft ici fort étendue; & du côté oppofé aux jardins, c'eft à- dire , vers le Northamptonshire , eft une vafte forêt percée d'allées à perte de vue , &: terminée par des lointains. De l'obélifque , vous revenez a la terraffe du nord, pour voir hjlame équejirede George I. (39). [59) tUe eft placée hors des jardins, quoique fur la même ligne que la terralfe , & à l'extrémité d'un tapis-veid ( a ) fort vafte & parfaitement uni , ( a ) qui règne dans toute la largeur de la façade du nord. Cette ftatue m'a paru très médiocre. L'inf- C c iij 40O "Befcripîwn criprion qui efc fur le piédeflal , eft prife d; Virgile : • Jn medio mihi Ccefar erît , Et viridi in campo Jîgnum de marmore ponam. C-eft-à-dire : Ccfar fera au milieu , & je placerai fa ftatue de mar- bre fur un tapis de verdure. A peu de diilance de la ftatue , commence une vallée , dont le bord règne parallèlement à la ter- raff^. Depuis ce bord jufqu'au fond de la vallée , la pente oblique eft d'environ fept à huit cents pieus. Le terrein , extrêmement diverfifié , & cou- vert de toutes fortes de troupeaux ^ tant dans la vallée que dans les campagnes qui font au-delà , oftre une perfpedive des plus agréables &: des plus champêtres. Faites entièrement le tour de ces belles allées qui environnent les jardins de toutes parts , ex- cepté au levant, & terminez le petit voyage de Stowe par la faperbe pone ou arcade qui eft au midi des jardins, fur le bord du chemin qui con- duit à Buckingham. Elle eft conftruite dans le goût de la porte S. Martin , quoique moins vafte , Se fans figures ni trophées. Chaque façade eft ornée de quatre belles colonnes corinthiennes. L'inté- rieur ce lavoLUe, qui eft très-large, eft fculpté en des Jardins de Stcwe. 401 grands quarrés creux , & l'encablement eft fur- rnonté d'une très-belle baluftrade. Cette porte de décoration répond exaâ:emenc à la grande ave- nue des jardins , au fommec de laquelle eft placé le château qu'on voit tout entier s'élever du milieu des bois, ainfi que plufîeurs autres bâtimens , tels que le temple gothique , la rotonde , les colonnes, &c. ce qui forme un magnifique tableau. Tels font les jardins de Sto\re , où vous voye^, dit Pope, l'ordre dans la variété j oie tous les ob- jets j quoique différens ^ fe rapportent à un feul tout : ouvrage admirable de Vart û' de la nature ^ que le tems achèvera de perfectionner, Where ordcr in variety we fee ; and where ^ tho' ail things differ , ell agrée nature shall join you , time ihall make it graw ^ a work to wonder at- — perhaps a Stowe. Popè. ï l N. 40 2- NO TES de renvoi au plan de Stowe, a. L'avenue ou tapis-verd de la façade feptentrionale, b. La maifon & les offices. c. Les deux orangeries. d. La terraffe. e. Les promenades des deux orangeries. f. La rivière fupérieure. g. Le monument de Congreve, h. Le petit pont de pierre. i. L'entrée dans le jardin , & les deux pavillons du midi, k. Le baffin ou la grande pièce d'eau. \. La rivière inférieure. m. Le temple des grands hommes d'Angleterre. n. Le tapis-verd des champs Elifées. 0. p. L'ancien bois magique. q. Les temples de l'ancienne & de la moderne Vertu» r. L'églife & le cimetière. f. Partie du jardin potager. t. La grotte & les rotondes, u. La rivière des aunes. W. Le pont de rocailles. w . Le fécond pont. X. La cafcade &, les ruinesi y. Le lac. z. L'hermitage. 1. La terraife du midi ou de Peggs. 2. Le temple de Venus. •3. La terraffe de l'oueft, ou la promenade deWardenhill. 4. La promenade du lacJ' 5. Colbath ou les bains froids. 6. Coîonne de la reine Caroline. 7. Pavillons de l'entrée du parc avec la porte de fer. 8. TerraiTe du nord ou promenade de Nelfon, 9. La pyramide d'Egypte. 10. La cellule de S. Auguflin. > II Le temple de Bacchus. 12. Dryade danfante. 13. La retraite de Nelfon. 14. L'allée de Roger, L'orangerie.' 15. Les jardins potagers. î6. La colonne de la reine. 17. La rotonde. 18. Le théâtre de la reine. 19. La colonne du roi. 20. La promenade ou l'allée de Gurnet, avec la caverne de Didon. 21. La colonne roftrale du capitaine Grenville, a2. La grande avenue. 23. Varie tapis-verd. 24. Le parc intérieur. 25. La colline & le champ de Hawkwell ou la peloufe triangulaire. 26. La grotte des cailloux. 27. Le temple de l'Amitié. * 28. L'arc de la princefîe Amelîa. 29. Prairie & promenade de Hawkwell, 30. Le pont de Palladio. 31. L'allée de la colline de Hawkwell, 404 32. La promenade de Thanet; 33. Le temple gothique. 34. Les promenades gothiques , ou la terrafîe de Teft. 35. La colonne du lord Çobham. 36. L'allée du lord Cobham. 37. Le temple des Dames. 38. Le temple de la Concorde &: de la Viftoirc. 39. La flatue équeftre de Georges L 40. Paddock Courfe , ou partie de la terrafle du nord. 4ï. Prairies & champs entre les pavillons de l'entrée dir midi , & la belle porte du côte de Buckingham. (es ) Lieu où étoit autrefois le Talion du repos. ()8) Allée des ruines. • (y) Grille de fer de Tangle oriental des jardins. ( t) Les fept divinités Saxonnes. (Q Route irréguliere qui conduit à la colonne de Cob- ham. ( J") Grande demi-lune du nord. (a) Temple de la Poéfie paflorale. (:*) Grand vallon qui traverfe les jardins du nord au midi. ( v) Autre grand vallon, dont la dire<5lion eu du levant au couchant. (-) Coteau rapide par où l'on defcend dans les champj Ellfées. ( p) Pièce d'eau du milieu, (s-) L'arcade d'Amélia,' (T)La cabane. î'Impcrrant fe conformera en tout aux Réglemens de la Li- brairie j & notamment à celui du lo Avril lyxf , a peine de déchéance de la prcfente Permiflîon ; qu'avant de i'ex- pr fer en vente , le Manufcrit qui aura fervi de copie à rimprelîion dudit ouvrage , fera remis dans le mcme ct?.t où l'approbation y aura été donnée , es mains de notre très-cher & féal Chevalier , Chancelier , Garde des Sceaux de France , le lîeur te Meaupou**, qu'il en fera enluite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre , & un dans celle d'idit fleur db Meaupoi' ; le tout a peine de nullité des Préfentes. Du contenu defqi.elles vous mandons & en- joignons de faire jouir ledit Expofant & (es ayans caufe, pleinement Si p^ifîblement , fans foufFrir qu'il leur foie fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'a la copie des Préfentes , qui fera imprimée tout au long, au com- mencement ou à la fin dudit Ouvrage , foi (oit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huif- fîer ou Sergent fur ce requis , de faire pour l'exécution d'icelles tous ades requis & nccefTaires , fans demander autre permiflîon , & nonobflant clameur de haro , charte Normande , & lettres à ce contraires : Car tel eft notre plailir. Donné à Paris, le dix-neuvieme jour du mois de décembre , l'an mil fepr cent foixante dix, 8c de notre règne le cinquante fixieme. Par le Roi en fbn Confeil. LE BEGUE. Regljîré fur le Regiflre XVIII de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires (y Imprimeurs de Paris , A'^'^. 1 44J , f)Ho 40Z , conform(ment au rés,lement de 172.3 , A Paris ^ ce 24 Décmbre '770. P. F. DIDOT le jeune, Adjoiin. -^ $