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L'ART POETIQYE

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SIEVR DE LA FRESNAYE (1536 - 1607;

PUBLIÉ PAR

AGH. GENTY

lEAN VAVQVELIN

PARIS

LIBRAIRIE POULET-MALASSIS

9", rue Richelieu.

Et aux Bureaux de rÉGRIN DU BIBLIOPHILE

Rue de Seine-Saint-Germain, 2).

1862

Tous droits réservés.

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TIRÉ A 355 EXEMPLAIRES ;

150 sur raisin. 145 sur vergé. 50 sur vélin. 10 sur chine.

\101

INTRODUCTION

Dans l'ordre intellectuel, non plus que dans l'ordre physi- que, pas de solutions de continuité. Tout s'enchaîne, s'articule, s'adapte ou se juxtapose. Les anneaux ne manquent jamais à la chaîne, les échelons à l'échelle. Si l'un d'eux n'est point aperçu, ce n'est pas qu'il soit absent ; c'est que notre œil, presbyte ou myope , ne peut atteindre il est. Ou nous allons au-delà, ou nous demeurons en-deçà.

De Ronsard à Malherbe , l'intervalle est immense. Grande solution de continuité. Entre ces deux hommes , sont les points de contact?

Malherbe peut-il directement procéder de Ronsard? La né- gative est évidente. Pour joindre ces deux hommes , il faut

II

un pont, un trait-d'union, un anneau. Quel sera cet anneau?

Le voici C'est Vauquelin de la Fresnaye (4).

De Ronsard est Vauquelin, et de celui-ci Malherbe.

II

Jeune homme, presque un enfant, à l'époque régnaient la langue el la httérature de la Pléiade, Vauquelin adopte cette littérature et cette langue, ou plutôt elles s'imposent à lui. Les Foresteries, publiées en 1555, sont pour attester le fait. En 4 555, et même en 1567, date probable de la mise en lumière du discours Pour la Monarchie contre la Diuision, Vauquelin n'est qu'un poète, et un poète assez médiocre, du xvi« siècle. Impossible alors de prévoir son futur rôle , sa future influence sur la langue et la littérature du xyii^.

Mais la langue de la Pléiade se modifie. Le « faste pédan- tesque » d'un grand nombre de ses mots tombe. Vauquelin subit encore ou accepte la révolution. Il le dit lui-même , et ses œuvres le proclament. Le poète des Idillies diffère du poète des Foresteries. Au fond, les deux œuvres émanent bien du même homme, mais du même homme avec un autre vête- ment.

Ces deux transformations devaient être suivies d'une troi- sième. La plus importante.

(i) Il est certain qu'entre Ronsard et Malherbe, il y eut d'autres hommes de transition. Mais les autres, comme Bertaut^ etc., exercèrent sur Malherbe une influence beaucoup moins accentuée.

III

La France est en feu. La guerre civile est partout, en haut et en bas. Les princes ne s'entendent pas mieux que les vas- sau.x. On se harcelle, on se pille, on s'égorge. L'ambition, le fanatisme, tout ce que le cœur humain a de plaies secrètes, s'étale au jour. Vauquelin est témoin des scènes qui désolent son pays ; quelquefois il y est acteur. En faut-il davan- tage pour métamorphoser un homme, une langue, une na- tion? En faut-il davantage pour chasser d'un cerveau bien conformé les vapeurs et les rêves qui l'offusquaient, pour lui rendre la conscience de la vie courante, en un mot, pour le réintégrer dans le monde réel, un instant ou longtemps dé- serté?

Vauquelin rentre dans ce monde de la réalité, autant qu'il y pouvait rentrer, lui , poète. Il y rentre, en écrivant VArt poétique, en écrivant ses Satires. La langue qu'il parle ne ressemble plus ni à l'une ni à l'autre de celles qu'il a an- térieurement parlées. Il n'a pas, sans doute, entièrement rompu avec le xvi^ siècle, mais, on peut l'affirmer, il tient maintenant beaucoup plus des écrivains du siècle qui s'avance que de ceu.x du siècle qui s'en va.

Sa langue est simple; sa pensée forte.

Malherbe peut venir. L'instrument dont il a besoin, est inventé. Il le reçoit des mains mêmes de l'inventeur (1). Qu'il le perfectionne!... On sait s'il y a manqué.

(1)Voy. la Satire adressée par Vauquelin à Malherbe au moment celui-ci quitte la Provence pour venir à Paris. L'intimité de Vauquelin et de Malherbe résulterait sufBsamment de celte pièce, si l'on ne savait d'ailleurs

IV

III

Jean Vauquelin naquit en 1336, à la Fresnaye-au-Sauvage, non loin de Falaise (Calvados). Cette bourgade, qui fait au- jourd'hui partie du département de l'Orne, a 666 habitants. Elle en avait moins au temps de Vauquelin , mais il en était le seigneur et maître.

La noblesse de la famille remontait au Conquérant, et au- delà. C'est du moins la prétention du poète :

Bes ce tem'ps mes maieurs desia nobles vhioient Et nos ducs généreux en leurs guerres suiuoienl.

(Diuerses Poésies, 1605 J.

Le père du poète était lieutenant de gens d'armes sous le maréchal d'Annebaut. Il mourut à trente ans.

La guerre n'avait point enrichi les Vauquelin. Elle avait même singulièrement appauvri le lieutenant. En mourant, il

que Malherbe fut présenté à la Cour par Vauquelin des Yveteaux , fils de La Fresnaye C et Du Perron;. Prétendra-t-on que Malherbe a (fe7em< sur Vauquelin et non Vauquelin sur Malherbe?... VArt poétique et le plus grand nombre des Satires, étaient écrits avant que Malherbe fut connu ailleurs qu'en Provence. Vauquelin commença VArt poétique vers 1574. En 1584 ou 85, Malherbe écrivait le quatrain sur la Main de Pasquier ; en 1587, il n'en était encore qu'à sas grotesques Larmes de Saint-Pierre. Les Stances à Du Perrier sont de 98 ou 99 seulement. Vauquelin devait alors avoir produit à peu près tout ce qu'on a de lui ; et si le tout ne fut pas communiqué à Mal- herbe, du moins est-il vraisemblable que Vauquelin l'entretint plus d'une fois de sa manière et de son plan. Cela devait suffire à Malherbe.

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laissa la terre de La Fresnaye grevée et en assez mauvais

état.

Le futur auteur de VArt poétique n'avait encore que quel- ques années. Heureusement, il avait pour mère une femme de tête et de cœur , Barbe de Boislichausse. A force de ten- dresse et de bonne gestion , elle libéra de ses charges le pa- trimoine de l'enfant. Ce fut sa première tâche.

Bientôt, elle s'en imposa une seconde. Vers 1549, elle en- voya son Gis étudier à Paris. Vauquelin avait alors treize ou quatorze ans.

IV

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De 1 549 à 1 354 , Vauquelin étudie les belles-lettres sous Buquet, Tournebu et Marc- Antoine de Muret. Le moment était propice. L'école de d'Aurat avait renouvelé le cheval troyen ; seulement , au lieu de guerriers , il s'en était élancé des poètes. C'est un équivalent (1). Du Bellay, Ronsard, le percheron Belleau, etc., imprimaient aux esprits un élan qui ne devait plus s'arrêter; ils avaient partout éparpillé l'amour du beau, et surtout (hélas!) du nouveau. Vauquelin connut la plupart des novateurs, et le feu sacré dont ils embrasèrent sa jeune âme, ne s'éteignit qu'au tombeau.

Ses humanités terminées, Vauquelin dut faire choix d'une profession, la poésie n'en étant pas une, dit-on. Après

(i) Celte étonnante période, il en faut lire la description dans le Tableau de la poésie française au xvi" siècle, p. 46 et s., Paris, 1857, in-12.

IV

III

Jean Vauquelin naquit en 1536, à la Fresnaye-au-Sauvage, non loin de Falaise (Calvados). Cette bourgade, qui fait au- jourd'hui partie du département de l'Orne , a 666 habitants. Elle en avait moins au temps de Vauquelin, mais il en était le seigneur et maître.

La noblesse de la famille remontait au Conquérant, et au- delà. C'est du moins la prétention du poète :

Des ce temps mes maieurs desia nobles viuoient Et nos ducs généreux en leurs guerres suiuoient.

(Diuerses Poésies, 1605).

Le père du poète était lieutenant de gens d'armes sous le maréchal d'Annebaut. Il mourut à trente ans.

La guerre n'avait point enrichi les Vauquelin. Elle avait même singulièrement appauvri le lieutenant. En mourant, il

que Malherbe fut présenté à la Cour par Vauquelin des Yveteaux , fils de La Fresnaye (et Du Perron). Prétendra-t-on que Malherbe a déteint sur Vauquelin et non Vauquelin sur Malherbe?... VArt poétique et le plus grand nombre des Satires, étaient écrits avant que Malherbe fut connu ailleurs qu'en Provence. Vauquelin commença VArt poétique vers 1374. En 1584 ou 85, Malherbe écrivait le quatrain sur la Main de Pasquier ; en 1587, il n'en était encore qu'à ses grotesques Larmes de Saint-Pierre. Les Stances à Du Perrier sont de 98 ou 99 seulement. Vauquelin devait alors avoir produit à peu près tout ce qu'on a de lui ; et si le tout ne fut pas communiqué à Mal- herbe, du moins est-il vraisemblable que Vauquelin l'entretint plus d'une fois de sa manière et de son plan. Cela devait suffire à Malherbe.

laissa la terre de La Fresnaye grevée et en assez mauvais

état.

Le futur auteur de VArt poétique n'avait encore que quel- ques années. Heureusement , il avait pour mère une femme de tète et de cœur , Barbe de Boislichausse. A force de ten- dresse et de bonne gestion , elle libéra de ses charges le pa- trimoine de l'enfant. Ce fut sa première tâche.

Bientôt, elle s'en imposa une seconde. Vers 1549, elle en- voya son Gis étudier à Paris. Vauquelin avait alors treize ou quatorze ans.

IV

De 1549 à 1554, Vauquelin étudie les belles-lettres sous Buquet, Tournebu et Marc- Antoine de Muret. Le moment était propice. L'école de d'Aurat avait renouvelé le cheval troyen; seulement, au lieu de guerriers, il s'en était élancé des poètes. C'est un équivalent (1). Du Bellay, Ronsard, le percheron Belleau, etc., imprimaient aux esprits un élan qui ne devait plus s'arrêter; ils avaient partout éparpillé l'amour du beau, et surtout (hélas!) du nouveau. Vauquelin connut la plupart des novateurs, et le feu sacré dont ils embrasèrent sa jeune âme, ne s'éteignit qu'au tombeau.

Ses humanités terminées, Vauquelin dut faire choix d'une profession, la poésie n'en étant pas une, dit-on. Après

(i) Celte étonnante période, il en faut lire la description dans le Tableau de la poésie française au xvi" siècle, p. 46 et s., Paris, 1857, in-12.

VI

maintes tergiversations, il jette son dévolu sur le Droit. Il quitte Paris et, accompagné de deux compatriotes, Toustain et Grimoult, se rend à Poitiers.

Les trois jeunes gens avaient fait une ample provision de bonnes résolutions. Leur plan était superbe : l'étude du droit devait être leur occupation principale , et celle de la littéra- ture, l'accessoire, une friandise. Mais,

Mais tout est vanité : Gentilhomme de verre, Si tu tombes par terre, Adieu ta qualité.

Tous les hommes sont gentilshommes verriers, nommé- ment les poètes.

A Angers , la petite caravane est assaillie par le Diable. Il lui apparaît sous les traits enchanteurs du mignard Tahu- reau, lequel en ce temps-là chantait son Admirée. Tahureau se moqua de la jurisprudence et vanta la poésie. Les jeunes gens de faire chorus. Premier échec. L'histoire ne finit pas là.

A Poitiers, ils arrivent enfin, nouvelle manifestation du Diable. Il prend ici la forme du jeune Scévole de Sainte- Marthe, s'insinue dans leur confiance, conquiert leur amitié,

VII

les fascine et bref « Les rives du Clain, le Mont-Joubert,

furent le tliéâtre de promenades il n'était guères question du Digeste. » ( B°" J. Pichon).

VI

En revanche, il y était largement question de poésie, et vers la fin de l'an 155a (1), les libraires de Poitiers offraient à leurs clients (qui s'en souciaient fort peu) le petit volume in-8 dont le titre suit (2) :

LES

DEVS PREMIERS LIVRES

des Foresteries de I. Vauquelia de la Fresnaie.

Prima Syracusio dignata est ludere venu Noslra. nec erubuit syluas habitare Thalia.

VlRC.

Auec Priuilege du Roy.

A POITIERS,

Par les de Marnefz, et Bouchetz, frères. 4 555.

(I) Le volume est dédié à l'Evêque de Séez. La lettre-dédicace est du S|0 septembre 4555.

(3) Il y a dans ce volume des sonnets élogieux de Se. de Sainte-Marthe, de Toutain, de Guillaume Boucbet, etc.

VIII

VII

Vauquelin comptait bien sur les applaudissements mater- nels. Aussitôt après la publication des Foresteries, il accourt en Normandie. Mais Barbe de Boislichausse , femme sérieuse et pratique, mère dévouée, mais sans faiblesse, fit subir au pauvre poète « vne dure reprise. » Aussi, malgré les charmes de La Fresnaye , Vauquelin ne tarde-t-il pas à quitter de re- chef la Normandie. Il gagne Orléans, puis Bourges.

A Bourges, les professeurs de droit se nommaient Balduin, Duarin, et Donneau. Avec de tels hommes, tout s'étudie, tout s'apprend (i). Vauquelin mordit au droit, pour employer l'expression consacrée. Ce ne fut pas, pourtant, sans quel- ques rechutes. En pouvait- il aller autrement? Scévole de Sainte-Marthe était venu à Bourges et l'on correspondait avec les vieux amis de Poitiers. Le moyen de ne lâcher pas quel- ques vers en la compagnie de Sainte-Marthe? Le moyen de n'en pas glisser peu ou prou dans des épistres à de vieux amis, dont cela flatte les goûts connus?

Le cours de droit, cependant, se termina en 1559. Vau- quelin est avocat. Il revient à La Fresnaye.

(1) M. Georges Delisle, mort doyen de la Faculté de droit à Caea, donnait une idée matérielle de ce qu'étaient les anciens professeurs. M. Delisle professait mal, mais quelle universalité de connaissances! Et quelle bonté!

IX

vin

Peu après, il obtient la charge d'Avocat du roy au bailliage de Caen. Sa fortune était assez belle. Outre sa terre de La Fresnaye , il possédait plusieurs fiefs, qui lui étaient revenus comme aîné de sa famille.

En 1560, il se marie. Il épouse la Philis de ses IdiUies, Anne de Bourgueville, fille de Charles de Bourgueville, sieur de Bras , conseiller du Roy et lieutenant général au bailliage de Caen, auteur des Antiquitez de la ville de Caen, etc. C'était du bonheur. Dans M"® de Bourgueville, Vauquelin épousait la seconde édition de ses rêves d'amour, peut-être la pre- mière , la Myrtine des Foresteries et la Philis des IdiUies n'é- tant, il semble, qu'un seul et même personnage, vu à deux époques différentes. Ce qui le prouve, c'est qu'il projeta, cette année même, de publier pour la seconde fois ses Fores- teries. Est-il vraisemblable que Vauquelin eût offert à sa femme, comme cadeau de noces, un livre inspiré par une autre? C'eût été montrer peu de délicatesse et beaucoup d'ef- fronterie.

IX

Les années I S59 et 1 560 furent désastreuses pour la France. Henri II périt, et François II mourut. La conjuration d'Am-

X

boise donna le signal de ces guerres d'ambition , qui ne de- vaient prendre terme qu'à l'avènement définitif d'Henri IV, et même à celui de Louis XIV. Quoique gentilhomme, Vauquelin comprit que la grandeur de la France ne se réaliserait que par son unification, et qu'il fallait entrer, toutes voiles dehors, dans le plan de Saint Louis, continué et augmenté par Louis XL « Vive le roi ! « tel fut son cri. Peut-être ajoutait-il in petto : « A bat la féodalité ! »

Donc, il écrit, en 1562, son discours intitulé : a Pour la Monarchie contre la Diuision. A la Royne, mère du Roy. Par I. Vauqueliîi de la Fresnaye. Paris, de l'imprimerie de Federic Morel , rue S. lean de Beauuais , au Franc Meurier. 1570. Auec Priuilége (1). »

Vauquelin ne s'en tint pas là. En 4574, il a dépouillé sa robe de magistrat, et on le trouve aux sièges de Domfront et de Saint-Lô. Il est commissaire des vivres. Au siège de Dom- front, il compose l'épitaphe de Jacques d'Assi, qui y fut tué; au siège de Saint-Lô, peu s'en faut qu'il ne soit tué lui-même (Rathery).

Notre poèle-magistrat-soldat revient ensuite à Caen , ayant plus que jamais au cœur l'horreur des guerres civiles. Pour en chasser le fantôme, il projette un Art poétique, et fait part à Desportes de son projet.

(^) Ce titre est celui de l'exemplaire de la Bibliothèque Impériale. 11 porte la date de 1570. M. le baron J. Pichon croit que la première édition date seulement de 1568, quoique le discours ait été écrit en 1562. La forme de ce discours est mauvaise, le fond est bon.

XI

X

Desportes, favori de Joyeuse, ( favori lui-même d'Henri III, qui venait de succéder au malheureux Charles IX), Desportes parle de Vauquelin au nouveau roi. Henri écrit à Vauquelin, l'encourage , et voilà bien et dûment VArt poétique sur le chantier.

A ce moment, Vauquelin était lieutenant-général au bail- liage de Caen. Il avait succédé à son beau-père, l'historien normand Charles de Bourgueville (i). Joyeuse, amiral de France, investit le poète de l'intendance des côtes de Nor- mandie.

Le favori du roi espérait-il hâter ainsi l'achèvement du poème? Son erreur était grande. Vauquelin n'était pas homme à mettre de côté les devoirs de ses deux charges, pour se li- vrer à la poésie. En 1604, il put se rendre ce témoignage admirable : « lamais ie ne mouhliay tant, que ie laissasse

mes affaires pour entendre à mes vers le nescoutoy les

Syrenes des Muses qu'à mon grand loisir et aux heures d'autres s'ebaient à des exercices moins honnestes. » ( Préface des Diuerses Poésies.)

Commencé vers 1574, VArt Poétique n'était pas terminé en 1589 (année de l'assassinat d'Henri III). Aussi ne parut-il qu'en 1605, dans les Diuerses Poésies.

(i) Ou il était près de lui succéder. Voy. la Notice du baron J. Pichon.

XII

On dirait qu'à cette époque, Vauquelin préférât de tra- vailler à ses Satires, à ses IdiUies, et surtout à son Israelide. La plupart des Satires furent composées de 4 581 à 1585. Ceci n'est pas douteux. Le poète dit quelque part qu'il avait alors « par les maisons du Ciel ia veu passer quarante cinq » saiso7is (1). » Or, il était « en Van, que le grand Roy François conquesta la Sauoye (1536). » Quant à Vlsraelide^ poëme inédit (et peut-être perdu , sauf un beau fragment conservé dans VArt Poétique), Vauquelin y travaillait depuis longtemps déjà , puisque Le Fevre de la Boderie , son com- patriote et son ami (2), parle de cet ouvrage dans son Enci- clie des secrets de V Eternité, Anvers, 1570, in-4.

L'excellente Notice de M. Julien Travers apprend que Vau- quelin mit au jour, en 1586 et 1587, deux ouvrages, aujour- d'hui fort peu connus, savoir :

1°. « Oraison, de ne croire légèrement à la calomnie, digne d'estre en ce temps tousiours deuant les yeux des Rois, des Princes et des Grans. A Monseigneur le Vicomte de Cheuerny, Messire Philippes Hurault, Cheualier, Chancelier de France, etc. Caen, laques Le Bas, 1587, in-4 de iv et de 78 pages. »

2°. « Oraison funèbre sur le trespas du sieur de Bretheuille Rouxel, prononcée le 7 d'ocfoftre 1 586 (eu latin) par M. laq. de Cahaignes, docteur et professeur du Roy en Médecine à VVni- uersité de Caen. » Caen, Le Bas, 158G, in-4. » Dans un

(1) Voy. la Satire-Epitre à Desportes, liv. 1 des Satires.

(2) En tête du discours Pour la Monarchie , on lit un très-bizarre sonnet de La Boderie.

XIII

Sonnet, Vauquelin revendique cette traduction, qui renferme en outre un certain nombre de poésies , entre autres , deux quatrains et une Pastorale de 332 vers.

XI

L'année 1588 fut glorieuse pour Vauquelin. Aux sièges de Falaise et de Saint-Lô, il s'était montré soldat ; aux Etats de Blois, il assistait comme député, il se montra citoyen. Il eut le courage de tenir tête à la fois aux Huguenots, aux Po- litiques et aux Catholiques, ou mieux aux intrigants et aux fanatiques qui prenaient ce dernier titre. On a lieu de sup- poser que l'espèce de disgrâce qu'il encourut alors, eut pour cause son opposition aux mesures extra-légales qu'allait pren- dre Henri HI contre les Guise. Ces mesures, Vauquelin dut les connaître avant leur exécution ; car, dans un Sonnet du 6 novembre 1588, il dit aux Ligueurs, en majorité aux Etats, et qui à tout instant molestaient le Roi :

N'enuoyez plus vers luy de rudes ambassades; Car vous pourriez forcer son naturel courtois A se ressouuenir du iour des Barricades (1).

H) Ces beaux vers, la fidélité due au chef de l'Etat est si noblement tra- duite, font pendant à la fière réponse d'Achille de Harlay. « C'est grand'pitié, avait-il dit au Balafré dans le temps des Barricades, quand le valet chasse le maître. Au reste, mon âme est à Dieu, ma foi est au roi, et mon corps aux mains des méchants-, ils en feront ce qu'ils voudront. »

XIV

Etait-il possible de plus clairement prédire l'assassinat des Guise (23 décembre 1588)? Le Balafré disait parfois : « On n'oserait! » On osa. On ose tout, quand on est, comme Henri, acculé dans une impasse (1).

C'est aux Etats de Blois que Vauquelin se lia avec Pontus de Tyard, le poète-évêque de Chàlons, député comme lui. 11 lui a adressé une satire sont déplorées la corruption des prélats, l'ambition des grands, la vénalité et la rébellion de tous. L'honnête Vauquelin dut souffrir à Blois.

XII

Jusqu'à la reddition de Paris (22 mars 1594), le poète de- meure confiné dans sa province , exerçant ses fonctions de lieutenant -général, revoyant ses Satires, ses Idillies, son Art poétique, et y ajoutant. Son genre de vie n'est pas à dédai- gner.

Magistrat intègre, il donne aux affaires tout le temps qu'elles exigent; poète et seigneur, il se procure les distractions de la poésie , de la chasse , de la pêche , de l'équitation , etc. ; mari et père, il goûte toutes les joies de la famille, sans ses amertumes. De Myrtine-Philis , il a huit enfants : quatre fils et quatre filles. Quelques nuages se glissent bien, par-ci par- là, sur le ciel du ménage. L'auteur des Foresteries et des

(0 La duchesse de Montpensier, sœur du Balafré, s'était vantée de possé- der les ciseaux qui devaient tondre la chevelure d'Henri HI.

XV

IdiUies a toujours le cœur ardent, et son œil, qui sait toutes les beautés de Philis , s'arrête un peu trop complaisamment parfois sur les beautés étrangères; mais, en définitive, comme le berger est toujours fidèle à sa bergère, les nuages se dis- sipent et l'azur de ce ciel, un instant chargé, n'en paraît que plus suave et plus pur.

Henri IV nomma Vauquelin président au siège présidial de Caen, dit M. Rathery. Il semble, cependant, qu'il l'était déjà sous Henri IH. A la fin du troisième livre de son Art Poétique, on lit, en effet :

Je composât/ cet Art pour donner aux François Quand vous, Sire, quittant le parler polonais, Voulustcs, reposant dessous le bel ombrage De vos lauriers gaignez, polir vostre langage. . .

Et plus loin :

le viuoy cependant au riuage Olenois, A Caen, l'Océan vient tous les iours deux fois. moy, de Vauquelin, content en ma prouince, Présidant , ie rendoy la iustice du prince.

Mais il est probable qu'une confusion s'est établie, à ce sujet, dans l'esprit de Vauquelin. Le premier acte que l'on connaisse de lui comme lieutenant-général date de 1 578 , et il n'est pas immédiatement devenu président. VArt poétique fut tant de fois pris, repris et abandonné par son auteur que celui-ci put parler de sa position, au temps il le termi-

XVI

nait , comme s'il l'avait toujours eue. Détail , au surplus , peu important. Ce qui l'est davantage, c'est que, si l'on com- pare telles parties de Y Art poétique à telles autres, on acquiert la conviction que ce poëme dut subir, à diverses périodes , de profonds remaniements, et que, quand l'auteur le com- mença, il ne possédait pas encore la langue qu'il avait, en le terminant ou aux époques de révision.

XIII

On est en <604. Vauquelin a soixante-huit ans. Ses quatre fils ont une profession ; ses quatre filles sont mariées. La pensée de la mort et la pensée de ses Poésies inédites , le tracassent. Il veut se mettre en règle avec Dieu et avec le monde. Pour Dieu , il écrit ses Sonnets chrestiens ; pour le monde, il fait un tri de ses œuvres.

C'est ce Choix qu'il publie en 1605, à Caen, chez le hbraire Charles Macé, sous le titre suivant : les diverses poésies du sieur de la Fresnaie Vauqueli7i. Il se compose de VArt Poé- tique, des Satires, des Epigrames et Epitaphes, et de Son- nets. Le volume a 744 pages. Cent pages de trop.

Dans ces cent pages, il y a des choses pitoyables et des choses ordurières. L'idylle de la Nuit de mariage est déplo- rable. Les licences poétiques qu'on se permettait au xvi^ siè- cle, ne justifient pas une pareille... distraction. Comment l'auteur des Sonnets chrestiens a-t-il laissé passer cette énor-

XVH

mité? Le caractère de Vauquehn étant connu, on ne peut envisager ce fait comme le résultat de quelque gangrène se- crète; l'hypothèse d'une naïveté sans bornes, inqualifiable, est plus plausible (1). Deux ans encore, et Vauquelin allait paraître devant Dieu. Uniquement pour grossir son volume, eût-il consenti à rendre compte d'une aussi fâcheuse incar- tade?— Certes, il ne faut point être bégueule, mais il ne faut pas non plus être immoral. Et d'ailleurs, un mari a-t-il bien le droit de divulguer les secrets de son alcôve? Ces se- crets sont-ils à lui seul?. . .

Vauquelin mourut en 1607. Il avait soixante-dix ans. Anne de Bourgueville ne mourut qu'environ dix ans après.

XIV

Il n'est pas sans intérêt de passer en revue quelques-uns des jugements portés, à diverses époques, sur Vauquelin de la Fresnaye. On y verra si Vauquelin avait tort de ne pas faire fonds sur ses contemporains et de compter beaucoup sur V ultime postérité.

D'abord, qu'en a pensé Boileau, Boileau qui l'a si souvent imité, disons mieux copié? On l'ignore. Boileau parle d'Horace , de Juvenal , de Colin même et de La Calprenède peu importe en quel sens ) , mais il se taît sur Vauquelin.

H) Règle générale : ce sont les hommes les plus forts qui sont les plus naïfs.

XVIII

C'est mal. Copier n'est pas un crime; Molière l'a péremptoi- rement démontré; mais il est injuste de ne pas faire acte de reconnaissance envers les tiers dont on a obtenu des ser- vices.

L'illustre Académicien Auger n'a , selon toute apparence , rien lu de Vauquelin, mais, du moins, il en parle. Il résume ainsi notre poète : « La poésie de La Fresnaye a presque tous les vices du temps, et ils n'y sont point rachetés par le mé- rite des pensées ou des images. Son style , sans force et sans élévation, est encore défiguré par beaucoup d'expressions pro- vinciales. »

Avant de juger Vauquelin , Auger eût lire au moins les extraits qu'avaient donné de ses œuvres les Annales Poéti- ques de 1779. Il eût méditer un moment la Notice qui précède ces extraits. Il eût vu que Vauquelin « avoit bien moins de réputation que de talent, » dit la Notice. Il n'eût pas assigné à Vauquelin un caractère qui se trouve littérale- ment tout l'opposé du sien.

Depuis quelques années , Vauquelin a été suffisamment vengé. M. Sainte-Beuve, qui a réhabilité tant de vrais grands hommes, a aussi réhabilité Vauquelin. Dès 1828, il écrivait : « Vauquelin de la Fresnaye , écrivain instruit et laborieux , doué d'un goût sain et d'une verve tempérée, prit à tâche de suivre Horace pas à pas, et, après avoir rimé un Art poé- tique, qui est curieux encore aujourd'hui par plusieurs dé- tails d'histoire littéraire, il composa, à l'instar de son mo- dèle , un assez grand nombre de satires ou épitres morales ,

XIX

dont il adressa la plupart aux illustres du temps, à Scév. de Sainte-Marthe , à Bertaut , à Desportes, même à son compa- triote Malherbe. Celui-ci devait en estimer la pureté. » {Ta- bleau de la poésie française au xvi^ siècle).

Qu'ajouter à cette défense splendide? Et que dire là-contre?

Que dire ?

M. Nisard ne dit rien. Il imite l'inconcevable silence de Boileau.

M. Gérusez dit deux mots : « D'Aubigné et La Fresnaye méritent aussi de n'être pas oubliés. » [Hist. de la littér. franc., p. 181). A la vérité, M. Gérusez, pris de remords sans doute, revient, p. 4 88, sur le poète : « Donnons encore un souvenir, dit-il , au Normand Vauquelin de la Fresnaye , qui a mis de la grâce et de la délicatesse dans ses poésies pastorales , de la gravité et de Vélévation dans des satires et épitres morales à l'imitation d'Horace, et qui de plus a re- nouvelé l'art poétique du poète latin en l'honneur de l'école de Ronsard. Ce code poétique, en vers un peu languissants, a été connu de Boileau qui n'a pas dédaigné d'en tirer quel- ques hémistiches. » M. Gérusez connaît bien les Idillies et les Satires de Vauquelin ; mais a-t-il vu que son Art poétique fût érigé en l'honneur de l'école de Ronsard? Cet Art poétique n'est-il pas, au contraire, l'arrêt de mort de la Pléiade? Vauquelin, dans cet Art poétique [volens aul nolens), que se montre-t-il, sinon un Boileau rudimentaire et anti- cipé? N'y dit-il pas :

XX

Si quelques mots nouueaux tu veux mettre en vsage, Montre toy chiche et caut à leur donner passage ?

Et n'ajoute-t-il pas maintes autres réflexions aussi remar- quables , et aussi fatales à Ronsard et à son servum pecus ? Qu'on lise attentivement ses jugements sur Ronsard , Tyard, Desportes, etc., et l'on verra si Vauquelin, malgré sa cour- toisie pour les idoles qu'il avait jadis adorées lui-même, était homme à s'aveugler encore. Il était demeuré courtois , mais il voyait clair. La meilleure preuve qu'il pût donner de sa défection, de son opinion contraire à Ronsard, consistait à ne plus écrire comme lui. Or, quel est le style de l'Art poétique? Rappelle-t-il beaucoup celui de Ronsard?

Mais le silence de M. Nisard, dont le livre n'est souvent qu'un simple (et toujours très-savant) commentaire de Des- préaux: mais l'erreur de M. Gérusez (petite tache sur un grand tableau), ont une explication possible et facile. Ce qui n'en a pas , c'est celte appréciation laconique et trop singu- lière des poésies de Vauquelin par M. Bachelet : « Ce sont des œuvres, dit-il, assez médiocres. Vauquelin fut le père de Des Yveteaux. » [Dict. d'Hist. et de Oéogr., v" Vauquelin). Eh quoi ! Monsieur. Des Yveteaux serait-il, à votre estime, le moins médiocre ouvrage de La Fresnaye? Des Yveteaux n'est pas un rien qui vaille, sans doute, et l'on doit des re- mercîments à l'homme de goût qui, dans ces derniers temps, lui a élevé un monument durable (M. P. Blanchemain); mais, Monsieur, son père était à la fois et un autre homme et un

XXI

autre poète. Daignez lire M. Sainte-Beuve, si vous ne daignez lire La Fresnaye.

L'appréciation de Vauquelin par M. Bachelet est d'autant plus surprenante que, depuis M. Sainte-Beuve, plusieurs écri- vains ont étudié le grand poète, pour ainsi dire, au micros- cope.

M. le B"' Jérôme Pichon a consacré à La Fresnaye une No- lice qu'on ne saurait consulter sans fruit. Il a pénétré dans tous les détails de cette existence laborieuse, utile et poé- tique.

M. Julien Travers, l'un de nos anciens et vénérés maîtres, a complété la Notice du B"" Pichon.

M. Rathery (de la Bibliothèque Impériale) s'est longuement étendu sur Vauquelin de la Fresnaye dans son Etude sur Vauquelin des Yveteaux.

Enfin, M. Bachelet pouvait recourir à l'ouvrage intitulé : « Les Poètes Normands. » Il y eût dérouvert une bonne No- tice sur le poète assez médiocre qu'il a fort peu lire ; elle est signée : Edouard Neveu. M. Bachelet avait encore à sa disposition les Notices biographiques sur les Hommes du Cal- vados, par F. Boisard. Caen, 4 848, in-12. Mais M. Bachelet fait , il semble , ses articles biographiques comme l'abbé de Vertot faisait ses sièges. Plus courts, pourtant (1).

(4) Peut-être avons-nous, dans ces lignes, montré un peu trop d'emporte- ment. Il faut être juste, même à l'égard de M. Bachelet, qui ne l'a pas été envers Vauquelin. M. Bachelet est un professtur d'histoire distingué; les tra- vaux historiques qu'il a publiés sont remarquables à plus d'un titre. . . Mais

XXII

Ce n'est pas de la sorte que procède M. Hippolyte Babou. Son travail sur la Fresnaye est sérieux. Mais pourquoi M. Ba- bou met-il Vauquelin au-dessus de Boileau? Quels que soient les mérites du premier, il ne saurait entrer en parallèle avec le second. « Despréaux, disait Voltaire, a très-bien fait ce qu'il voulait faire. » En peut-on toujours dire autant de Vau- quelin?— N'exagérons ni les hommes ni leurs œuvres. Per- sonne et Rien n'est sans défaut. Le travail de M. Hippo- lyte Babou n'est pas, nonobstant nos reproches, le moins im- portant des Poètes français, recueil publié l'an dernier et ap- pelé à détrôner tous les Almanachs et Annales poétiques an- térieurs.

XV

Oserons-nous, après tant d'autres, émettre sur La Fresnaye une opinion quelconque? Nous pardonnera-t-on cet excès d'audace?. . .

Vauquelin est un grand poète, un robuste penseur, un es- prit lucide. Le fait n'est plus contesté. N'y a-t-il rien à ajouter?

pourquoi, lui, Normand de la Seine-Inférieure, s'avise-t-il de réprouver un Normand du Calvados et de l'Orne ? Si les membres d'une famille se déchi- rent, qu'attendre des étrangers?. . D'ailleurs, Vauquelin n'a pas mérité l'ar- rêt que lui inflige M. Bachelet. Ce n'est point un Normand galeux; c'est un Normand très-sain. Pour en convaincre M. Bachelet, nous le prierons d'ac- cepter un exemplaire de l'édition présente, à condition qu'il le lira.

XXIII

Au début de celte Introduction , nous avons écrit : « De Ronsard est Vauquelin, et de celui-ci Malherbe. »

Nous le répéterons purement et simplement.

La plus grande gloire de Vauquelin , ce n'est pas d'avoir fait V Art poétique, les Satires, etc.; c'est d'avoir, par cet Art poétique, ces Satires, etc., déterminé et fait Malherbe qui, lui, a déterminé et fait le xvii<= siècle.

Paris, 21 janvier 1862.

I

t.

I

AV LECTEVR

-&e^

ECTEVR, ce sont ici des vieilles et des d*v^J nouuelles Poésies : Vieilles, car la plus- k*Jlypapt §Q^[ composées il y a longtemps :

F?Nouuelles, car on n'escrit point à cette heure, comme on escriuoit quand elles furent escrites. Si elles ne sont telles qu'elles deuroient estre , c'est mon défaut : car de mon temps on escriuoit assez bien. Si elles ne sont assez reueïies et pollies, c'est ma paresse. Aussi que iamais ie ne m'oubliay tant , que ie laissasse mes affaires pour entendre à mes vers : Et me donnant garde que les Syrenes des Muses ne m'abusassent, ie me tenoy lié à ma profession toute contraire à leurs Chansons, lesquelles ie n'escoutoy qu'à mon grand loisir et aux heures d'autres s'eba- tent à des exercices moins honnestes. Le Public

1

2

i'estois attaché, tous les troubles de ce Royaume aue- nus de mon âge et le soin de mon ménage m'empes- cherent de les reuoir et de les faire imprimer alors que leur langage et leur stile eust esté, peut-estre, receu comme celuy de beaucoup qui firent voir leurs ouurages au mesme temps. Mais grand nombre des Poésies de mon siècle et de ceux à qui i'auoy donné de mes vers sont trépassez , et le Roy mort , par le commandement duquel i'auoy paracheué mon Art Poétique : et quant et quant ces doux passetemps tombez en tel mespris, que depuis on n'en a tenu guère de conte. Ce qui fera que ceux-ci venants hors de sai- son et comme mets d'entrée de table à la fin du dîs- ner, (ou comme ceux qui après la dixiesme année vinrent au secours de Troye) ne seront si bien receus qu'ils auroient esté du viuant de mes contemporains. C'est pourquoy vn ancien disoit bien à propos, qu'il estoit malaisé de rendre conte de sa vie deuant des hommes d'vn autre siècle que de celuy auquel on auoit vescu. Toutefois ne les pouuant changer ni r'accou- irer suiuant la façon des habits de maintenant, ie les laisse à leur naturel. Et me souuenant qu'en AEtiopie encor que les plus grands et les plus beaux fussent choisis pour estre Rois, que pourtant ceux-là n'es- toient chassez du Royaume , ni de la Chosepublique

3 qui en la stature et en la proportion des membres auoient eu la Nature moins fauorable : i'espere ainsi, que mes vers en leur premier accoutrement pourront auoir quelque place entre les moindres, s'ils ne peu- uent attaindre à la hauteur des grands. Sinon me voyant garanti par la defence de mes ans (et que la postérité sera iuge des ouurages d'autruy et non ceux qui viuent) ie les laisseray au rang des vanitez du monde, dont ie me moqueray auec ceux qui s'en mo- queront; ie te prie, Lecteur, d'en faire de mesme : car ie ne trouue plus rien ici bas d'admirable que les œuures de Dieu : aux volontez duquel, i'essaye à me ranger et à me conformer de sorte, que quand il me faudra partir pour aller à luy, ie m'y en aille volon- tairement et sans regret.

EXTRAICT DV PRIVILEGE

DV ROY.

Par Lettres patentes du Roy, données à Paris le vingt troisiesme iour de Décembre mil six cents qua- tre, signées par le Roy en son Conseil Angenoust, et

4

scellées du grand sceau en cire iaune. 11 est permis au Sieur de la Fresnaie Vauquelin, de faire imprimer, vendre et distribuer ses Poésies Francoises durant le temps de dix ans, sans qu'autres que ceux qu'il y commettra les puissent imprimer, ou faire imprimer, vendre et distribuer, sur peine de confiscation et d'a- mende arbitraire , comme il est plus amplement con- tenu ésdites Lettres.

Ledit Sieur de la Fresnaie au Saunage, Sassi, Boes- sey, les Yueteaux, les Aulnez, et d'Arri, Conseiller du Boy, et Président au Bailliage et Siège Presidial de Caen, a transporté ledit Priuilege à Charles Macé, pour en iouir suiuant l'intention de sa Maiesfé, deuant les Tabellions Boyaux à Caen, le vingt troisiesme de l uillet mil six cents cinq.

L'ART

POETIQ VE

FRANÇOIS

OD l'on peyt remarquer la perfection et le defavt des anciennes

ET DES MODERNES POESIES

AV ROY

Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin

L'ART

POETI Q VE

FRANÇOIS

ou l'on PEVT REMARQVER la perfection et le DEFAVl DES ANCIENNES ET DES MODERNES POESIES

AV ROY

Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin

U\M. PREMIER

l^ôiIRE, ie conte ici les beaus enseignemens 5 De l'art de Poésie, et quels commencemens 'Les Poèmes ont eu ; quels auteurs, quelle trace >I1 faut suiure, qui veut grimper dessus Parnasse. Muses, s'il est permis d'enseigner l'Art des vers, Et montrer d'Helicon les saints écrins ouuers,

8

Que chacune de vous me montre sa cachette ; Permettez que les huis de Cirrhe ie crochette, Que ie monte en Parnasse ouurant vos cabinets, Que ie cueille les fleurs des féconds iardinets De Pimple et de Permesse : et que l'eau de Pirene Ruisselle dans mes vers sur la francoise arène.

Apollon, pren pour moy ton Luth harmonieux, Etoufe d'vn son doux le bruit calomnieux De ceux qui blâmeront cette mode enseignante Pour ne sentir assez sa façon élégante. Et vous, ô mon grand Roy, soyez le deffendeur De l'ouurage, duquel vous estes commandeur.

Comme Dieu, grand ouurier, fist de rien toute chose. Son œuure aussi de peu le Poète compose : Mais quand vn homme va pour vn plaisant soûlas, Dans quelque beau iardin, dressé par entrelas D'aires, de pourmenoirs et de longues allées. Partis diuersement en sentes egallees; S'il marche dédaigneux par dessus les plançons Des aires, compartis en diuerses façons, El qu'il rompe en passant les bordures tondues. Et d'vn gentil dedal les hayetles fendues. Au lieu d'aller ioyeux par les petits sentiers, Diuisant le parterre en ses diuers quartiers, Le iardinier fasché de voir les pieds superbes De ce hautain gaster son iardin et ses herbes. De mots iniurieux à luy s'adressera,

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Et hors de son iardin, dépit le chassera.

Ainsi quand le grand Dieu, iardinier de la terre, Nous void marcher hautains au monde son parterre, Hors de ses chemins droits, les espalliers brisant. Les berceaus et les fleurs de son iardin plaisant. Il nous chasse dehors : il luy déplaist que l'homme Retenté de nouueau regouste de la pomme : Sa loy, ses mandemens, sentiers de la cité. Sont chemins Ton peut marcher en seureté.

SIRE, pareillement si quelcun plein d'audace. Malin, outrecuidé, vos Edicts outrepasse. De vos grands Parlemens le seuere pouuoir Le fait bien tost ranger à son humble deuoir. Vostre image parlant en vos licts de iustice, Fait de vostre Royaume obseruer la police. Et vostre bras vangeur poursuit de toutes pars Ceux qui vous irritant veulent irriter Mars. Les Edicts de nos Roys, vos iustes ordonnances, Doiuent à vos suiets seruir de souuenances Du trac, dont on ne doit iamais se détraquer, Qui ne veut le couroux du prince prouoquer. —■De mesrae en tous les arts formez par la Nature, Sans art il ne faut point marcher à l'auenture : Autrement Apollon ne guidant point nos pas -^ Monter au double mont ne nous soufTriroit pas; Les chemins sont tracez; qui veut par autre voye Regaigner les douants, bien souuent se fouruoye : .

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—^ Car nos sçauans maieurs nous ont desia tracé Vn sentier qui de nous ne doit estre laissé.

Pour ce ensuiuant les pas du fils de Nicomache, Du liarpeur de Calabre, et tout ce qui remâche Vide, et Minturne après, i'ay cet ceuure apresté, Sire, l'accommodant au langage vsité De vostre France, afin que la francoise Muse Sans Art à l'auenir ne demeure confuse. Mais qui selon cet Art du tout se formera Hardiment peut oser tout ce qui luy plaira Escriuant en francois ; ainsi vostre langage Par ces vers ne reçoit vn léger auantage Veu qu'il se trouue plus de comments mille fois Au latin, que de vers en l'Art du Calabrois : Et puis ce n'est pas peu de ioindre à vos domaines, Sans dépence ou hasard, les dépouilles Romaines. ^ Mais tout par art se fait, tout par art se construit,

Par art guide les Naux le Nautonnier instruit,

. —Et sur tous le Poète en son dous exercice

Mesle auec la nature vn plaisant artifice ;

-Tesmoin en est cet Art, qui par les vers conté,

■- A tous les autres arts aisément surmonté.

Comme on void que les voix fortement entonnées Dans le euyure étrecy des trompettes sonnées, leltent vn son plus clair, plus haut, plus souueram. Pour estre l'air contraint dans les canaux d'erain : Ainsi les beaus desseins, plus clairs on fait entendre.

11

De les soumettre aux loix qu'eu prose les étendre. Premier cette raison fist asseruir les voix, Soubs l'air de la syllabe à conter par ses doigs.

L'inuention des vers estre des cieux venue, Est vne opinion des plus sçauans tenue, Et le fils de Latone ils y font présider Et les vierges qu'on fait en Pinde résider, Pour monstrer que la source en est toute céleste ; Ce qu'vn rauissement à plusieurs manifeste. Car, estants idiots, de fureur sainte épris, Ils sentent tellement eleuer leurs espris. Et de Phœbus si fort échauffer leurs poitrines, Que, comme s'ils auoient apris toutes doctrines, Ils chantent mille vers qu'on pourroit égaller A ceux qui font la Muse en Homère parler : Puis quand cet éguillon plus ne les epoinçonne, Ils remâchent leurs vers, leur Muse plus ne sonne : Et demeurants muets ils sont émerueillez Quel Ange auoit ainsi tous leurs sens reueillez. Quel Bacchus leur auoit l'ame tant éleuee, Et du Nectar des dieux tellement abreuuee, Que sans corps ils estoient en tel rauissement Tirez iusques au Ciel, le saint souflenient De la bouche de Dieu leur halenoit en l'ame Vne fureur diuine, vn rayon, vne flame. Qui sans art, sans sçauoir, les faisoit tant oser, Qu'en tous arts ils vouloient et sçauoient composer ;

12

Cela fisl que l'on vid maints doctes recognoistre

Les Orateurs se faire, et les Poètes naistre.

Et truchemens des dieux beaucoup les appeloient,

Croyans que par leur bouche aux humains ils parloient.

On void aussi que l'homme ayant dés la naissance Le Nombre, l'Armonie et la Contrefaisance, Trois points que le Poète obserue en tous ses vers, Que de sont venus tous les genres diuers Qu'on a de Poésie : à raison que naissante Premier cette Nature en nous contrefaisante, Fist que celuy qui fut enclin pour imiter, S'enhardit peu à peu de nous représenter Tous les gestes d'autruy, chanter à l'auenture, Rapportant à la voix l'accort et la mesure : Depuis il s'ensuiuit qu'en beauco\ip de façons Elle fut diuisee en l'esprit des garçons. Selon que de leurs meurs la coustume diuerse A faire les poussoit des vers à la trauerse. Delà vint qu'on voyoit les sages généreux Les gestes imiter des hommes valeureux : Les prudens contrefaire vne vieille prudence, Et mettre d'vn Nestor l'esprit en euidence. En imitant leurs meurs, leurs belles actions, Comme elles ressembloient à leurs intentions: Les autres plus légers les actions légères Imitoient des mauuais : et comme harengeres Touchoient l'honneur de tous, vsant de mots picquants.

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Au contraire de ceux qui les dieux inuoquants, Faisoienl à leur honneur des Hymnes vénérables, Ou celebroient des bons les bontez fauorables : De Nature ils estoient poussez à cet effet : Nul ne pensoit à l'Art qui depuis s'en est fait : Mais l'vsage fist l'Art ; l'Art par apprentissage Renouuelle, embellit, règle et maintient l'vsage ; Et ce bel Art nous sert d'escalier pour monter A Dieu, quand du nectar nous desirons gouster. Le Nombre, et la Musique en leur douce Harmonie, Sont quasi comme l'ame en la sainte manie De tout genre de vers, de qui faut emprunter Le sucre et la douceur pour les faire gouster. Bien que la vigne soit aussi belle, aussi viue Qu'aucun autre arbrisseau qu'vn laboureur cultiue. Il la faut toutesfois appuyer d'échalas, Ou quelque arbre à plaisir luy bailler pour soûlas : Ainsi des autres Arts il faudra qu'on appuyé La Poésie, afin qu'elle en bas ne s'ennuye : Le Lierre en la sorte en forme de serpent. Sans son grand artifice en bas iroit rampant: Aux arbres il s'attache, industrieux il grimpe Par son trauail, plus haut que le coupeau d'Olimpe : H grauit conlremont sur les antiques murs, Il s'eleue collé dessus les chesnes durs, Et sa force si bien haussant il etançonne. Que plus ferme est son pied qu'vne ferme coulonne.

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De mesme la Nature aux Arts a son recours, Pour auoir vn souslien, pour auoir vn secours, Qui ferme rend sa peine en plaisir égayée De se voir par les fleurs de science étayee. C'est pourquoy quand on fait, par vn prix droicturier, La couronne aux sçauans de verdoyant laurier, (Signe que la verdeur d'immortelle durée Aura contre le temps vne force asseuree) On y met du lierre ensemble entrelassé. Pour montrer que sans l'Art l'esprit est tost lassé : Ainsi representoit l'Egiptienne écolle Le Poëte parfait, par ce gentil symbolle. Comme vn autre disoit, que de laict doucereux. Pour montrer la Nature, et de miel sauoureux Peur marquer l'artifice, on debueroit repaistre Celuy qui veut aux vers se faire appeler maistre. Personne ne pouuant sans leur conionclion lamais toucher au but de la perfection. /C'est vn Art d'imiter, vn Art de contrefaire j Que toute Poésie, ainsi que de pourtraire, ' Et l'imitation est naturelle en nous: Vn autre contrefaire il est facile à tous; Et nous plaist en peinture vne chose hideuse, Qui seroit à la voir en essence fâcheuse.

Comme il fait plus beau voir vn singe bien pourtrail, Vn dragon écaillé proprement contrefait, Vn visage hideux de quelque laid Thersite,

15

Que le vray naturel, qu'vn sçauant peintre imite : Il est aussi plus beau voir d'vn pinceau parlant ,,. Dépeinte dans les vers la fureur de Roland, _

Et l'amour forcené de la panure Climene, _^

Que de voir tout au vray la rage qui les mené.

Tant s'en faut que le beau, contrefait, ne soit beau, Que du laid n'est point laid vn imité tableau : Car tant de grâce auient par celle vray-semblance, Que surtout agréable est la contrefaisance.

Donc s'vn peintre auoit peint vn beau visage humain, Y ioignantpujs après, d'vn trait de mesme main, Vn haut col de cheual dont l'estrange figure D'vn plumage diuers bigarrast la nature. Et qu'ores d'vne beste, et qu'ores d'vn oyseau Il adioutast vn membre à ce monstre nouueau, Ses membres assemblant d'vne telle ordonnance, Que le bas d'vn poisson eust du tout la semblance, Et le haut d'vne femme, ainsi qu'on dit qu'esloient Celles qui de leurs voix les nochers arrestoient : Sire, venant à voir ce monstre de Sirène, De rire, que ie croy, vous vous tiendriez à peine. Croyez, ô mon grand Roy, qu'en ce tableau diuers, Semblable vous verrez vn beau liure en ces vers, Auquel feintes seront diuerses Poésies, Comme au chef d'vn fieureux sont mille fanlasies : De sorte que le bas ni le sommet aussi Ne se rapporte point à mesme sorte icy :

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Toutesfois tout le corps des figures dépeintes Donnent vn grand plaisir ainsi qu'elles sont feintes : Ce sont des vers muets que les tableaux de prix, Ce sont tableaux parlants que les vers bien écris.

Le Peintre et le Poëte ont gaigné la puissance D'oser ce qu'il leur plaist, sans faire à l'Art nuisance : Au moins nous receuons cette excuse en payraent, Et la mesme donnons aux autres mesmement. Mais non pas toutesfois que les choses terribles, Se ioignent sans propos auecques les paisibles : Comme de voir couplez les serpens aux oyseaux, Aux tigres furieux les dous bellants agneaux. Tout se doit rapporter par quelque apartenance, Tant qu'vn fait ioint à l'autre ait de la conuenance, Comme en Crotesque on voit par entremeslemens De bestes et d'oyseaux diuers accouplemens.

Bien souuent bastissant d'vn hautain artifice Quelque ouurage superbe, on met au frontispice Et de pourpre et d'azur maint braue parement, Pour enrichir le front d'vn tel commencement. Tout de mesme on descrit la forest honorée. Et l'autel iadis fut Diane adorée, Ou le bel arc en ciel bigarré de couleurs. Ou le pré s'émaillant de différentes fleurs , Ou le Rhin Germanique, ou la Françoise Seine, Qui par tant de beaus champs en serpent se pourmeine. Puis embrasse en passant de ses bras tortueux

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Paris le beau seiour des libres vertueux. Mais de ne mettre point chose qui ne conuienne Au suiet entrepris , tousiours il te souuienne : Et ne fay pas ainsi que ce peintre ignorant, Qui peindre ne sçauoit qu'vn Ciprez odorant ; Et désirant de luy tirer quelque peinture, Tousiours de ce Ciprez il bailloit la figure. A quel propos cela? quand pour argent donné Veut estre peint celuy qui, sur mer fortuné, Le nauffrage a souffert , te chargeant de pourtraire Vn Satire cornu, ne fay rien au contraire. Parquoy doncques au lieu d'vn Satire paillard, Nous viens tu figurer Silène le vieillard?

Si tu fais vn Sonnet ou si tu fais vne Ode, Il faut qu'vn mesme fil au suiet s'accommode : Et plein de iugement vn tel ordre tenir, Que hautain commençant haut tu puisses finir. Pour dire en bref il faut qu'à toy mesme semblable, ■^Ton vers soit tousiours mesme en soymesme agréable,

Si bien que ton Poème égal et pareil soit. ^ Soubs l'espèce du bien souuent on se déçoit : '^ui fait que la pluspart des Poètes s'abuse. Car l'vn pour estre bref importunant la Muse, Trop obscur il dénient : à l'autre le cœur faut, Suiuant vn suiet bas : trop s'enflant s'il est haut : Qui trop veut estre seur, et qui trop craint l'orage, 11 demeure rampant à terre sans courage.

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Qui veut d'vne autre part, prodigue de ses vers, Vn mesme fait changer par vn parler diuers, Il conduit aux forets les Dauphins hors des ondes, Les Sangliers hors des bois dedans les eaux profondes, Et les Cerfs il veut faire en hardes abbander, Pour aller hors la terre en la mer viander : Au vice nous conduit la faute qu'on euite, Si par Art elle n'est du iugement conduite.

A Paris, Renaudin, Imager diligent, Sçait bien représenter en bronze et en argent Les ongles et la main : et de douce enlailleure Imiter gentiment la crêpe cheueleure; Mais le chetif ne peut d'vne dernière main Parfaire son ouurage : Ainsi ie fais en vain Mille vers, quand ie veux composer vn Poëme, Qu'imparfait, ie ne puis paracheuer de mesme Que ie l'ay commencé : comme si mal en point l'auois la chausse neufue, et quelque vieux pourpoint.

0 vous qui composez, que prudens on s'efforce De prendre vn argument qui soit de vostre force : Pensez long temps au fais que vous pourrez porter : Car s'il est trop pesant, il s'en faut déporter. Qui sçait bien vn suiet selon sa force élire, Point ne luy manquera l'ordre ni le bien dire.

La grâce et la beauté de cet ordre sera, Si ie ne me deçoy, quand bien on dressera Ce qui dire se doit, et non se dire à l'heure,

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Reseruant plusieurs points en leur saison meilleure, Et quand bien à propos on sçaura prendre vn point, Et quand hors de propos on ne le prendra point.

Sur tout bien inuenter, bien disposer, bien dire, Fait l'ouurage des vers comme vn Soleil reluire. Comme sur tous louable est l'édifice, l'art Fait priser la matière, auquel d'vne autre part La matière fait l'art estimer dauanlage : Tout ainsi le Poëme a l'honneur en partage, Quand vn digne suiet fait les vers eslimer, Et quand les vers bien faits font le suiet aimer.

fSi quelques mots nouueaux tu veux mettre en vsage, Montre toy chiche et caut à leur donner passage : 1 Ce que bien lu feras les ioignant finement \ Auec ceux dont la France vse communément. \ Si mesme le premier il le faut d'auenlure, \ Découurir en françois des secrets de nature Non encor exprimez, lors prudent et rusé. Tu peux feindre des mots dont on n'a point vsé : Et puis les mots nouueaux que les nostres inuentent, Qui de l'Italien la langue représentent, Ou qui sont du Latin quelque peu détournez, Ou qui sont du milieu de la Grèce amenez, Seront receus, pourueu qu'auec propre matière La France rarement en soit faite héritière : Et tous les mots qui sont proprement françoisez, Et tous ceux qui ne sont du françois déguisez,

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El les vieux composez desquels tousiours en France On vsoit à l'égal de la Grecque éloquence.

Mais ne seroit raison qu'à Thiard fust permis, Comme à Sceue, d'auoir tant de mots nouueaux mis En France, dont il a nostre langue embellie Par les vers éleuez de sa haute Délie, Et que Bellay, Ronsard et Baïf, inuentant Mile propres beaus mots, n'en poussent faire autant. Si l'en inuente aussi, par la trace suiuie Des plus doctes, pourquoy m'en porte l'on enuie? Puis que tant ont ainsi nostre langage orné, Quand à nouuelle chose ils ont vn nom donné ; Comme ont fait nos Hérauts, en beaucoup de manières Blasonnant les escus armoyés aux banieres : Comme en la chasse ont fait nos antiques chasseurs, Comme ore font aussi nos recens bastisseurs : Tesmoin vn lean Martin qui nostre langue a faite Propre pour exprimer Vitruue l'architecte. En la chasse il y a pour les champs et les bois. Du Fouilloux et Modus, et le prince de Foix, Dont puiser tu pourras les mots de vénerie; Et puis lean de Franciere en la fauconnerie. Voilant t'enseignera les traits et les façons D'affaitter et leurrer les Gerfauts et Faucons. Et du braue cheual cauacadour agile Le parler tu sçauras d'vn escuyer habile. Et voirras le Grisou (bien qu'à le manier

21

Il ne soit à la fin qu'vn françois escuier) Et d'autre part Nicot, qui de plume diuine Voyageant t'assembla des termes de marine. L'idiome Norman, l'Angeuin, leManceau, Le François, le Picard, le poli Tourangeau Aprens, comme les mots de tous arts mécaniques, Pour en orner après tes phrases Poétiques. ' Si tu veux vn dessein ou d'armes ou d'amour, Ou de lettres montrer qui soit digne du iour, Que tu saches la règle au vray des Entreprises, Cris-de-bataille, Mots, Ordres, Chiffres, Deuises, Brisures et Couleurs, les Armes des maisons. Anagrammes, Rébus, Emblesmes et Blasons, Et des Egiptiens des choses les images Soubs lesquels ils couuroient leurs doctrines plus sages.

Aux festins solennels, aux ioustes, aux tournois Tu rempliras ainsi les Oualles des Rois D'ames et de beaus corps : ce sont Mots et Figures Qui de guerre et d'amour cachent les auantures. Alors il te sera permis de mots vser Que la nécessité ne pourroit refuser : (le ne veux toutesfois qu'vn bon esprit se fiche A faire vn Anagramme, à faire vne Accrostiche D'vn trauail obstiné : ce sont fruicts abortifs Dont la semence vient de poures apprentifs); Lors en renouuelant vne vieille empirance Changer tu peux des mots par quelque tolérance.

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On a tousiours permis, est, et permis sera Faire naislre vn beau mot, qui représentera Vne chose à propos, pourueu que sans contrainte Au coin du temps présent la marque y soit emprainte. Comme on void tous les ans les fueilles s'en aller, Au bois naistre et mourir, et puis renouueler, Ainsi le vieux langage et les vieuls mots périssent, Et comme ieunes gens les nouueaux refleurissent.

Tout ce que nous ferons est suiet à la mort : Ce qui fut terre ferme à cette heure est vn port, Oeuure haute et royalle : et maintenant la Seine Pour enceindre la ville abandonne la pleine : Et ce qui d'vn costé n'estoit rien que marests. Et qui d'vn autre endroit n'estoit rien que forests Est, fendu soubs le soc, deuenu champ fertille Des blonds cheueux que tond la dent de la faucille. Comme ore en mainte part Loire a changé son cours. Et sans plus nuire aux bleds, des prez est le secours : La mer en maint endroit de nos costes Normandes A pris, sans partager, des campagnes trop grandes ; Ailleurs se reculant de ses bords sablonneux, Elle a fait des pastils de marests limonneux. A la fin périront toutes choses mortelles ; Aussi fera l'honneur des paroles plus belles : Car si l'vsage veut, plusieurs mots reuiendront Après vn long exil, et les autres perdront Leur honneur et leur prix, sortant hors de l'vsage

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Soubs le plaisir duquel se régie tout langage.

De quel air, en quels vers on doit des Empereurs, Des Princes et des Rois descrire les erreurs. Les voyages, les faits, les guerres entreprises, D'vn siège de dix ans les grandes villes prises. L'enseigne Homère grec, et Virgile Romain : Autre exemple choisir ne te trauaille en vain. / Comme Appelle en peinture estoit inimitable, i En ses traits, en ses vers Virgile est tout semblable. I En l'Epique tu peux suiure ce braue autheur : ^Nul ne peut en sa langue attaindre à sa hauteur.

Pour t'aider tu pourras bien remarquer tes fautes Dedans la Thebaïde et dans les Argonautes, Suiure vn coulant Ouide, et cet Italien, Qui ne les suit de loin, bien que d'vn seul lien. Dans vn mesme suiet de trois digne, il assemble Vn long siège, vn voyage et maint amour ensemble.

Et d'autant qu'il ne sied au Poète fameux De prendre rien des siens quand il écrit comme eux, Estant de bon siècle auec la véhémence Qu'en la France a produit la première semence) Sans rien luy dérober honore ce bel art En Francus voyageant soubs nostre grand Ronsard.

Si, soubs bon aspect, tu auois le génie Qui d'Apollon attire à soy la compagnie, Pour d'vn ton assez fort l'Héroïque entonner, Les siècles auenir tu pourrois étonner;

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Mais il faut de cet Art tous les préceptes prendre, Quand tu voudras parfait vn tel ouurage rendre : Par ci par meslé, rien ici tu ne lis, Qui ne rende les vers d'vn tel œuure embellis.

Tel ouurage est semblable à ces fecons herbages. Qui sont fournis de prez et de gras pastu rages, D'vne haute futaye, et d'vn bocage épais, courent les ruisseaux, sont les ombres frais, l'on void des estangs, des vallons, des montagnes, Des vignes, des fruictiers, des forests, des campagnes : Vn Prince en fait son parc, y fait des baslimens, Et le fait diuiser en beaus appartemens; Les cerfs, soit en la taille, ou soit dans les gaignages, Y font leurs viandis, leurs buissons, leurs ombrages; Les abeilles y vont par esquadrons bruyants Chercher parmi les fleurs leurs viures rousoyants ; Le bœuf laborieux, le mouton y pasture, Et tout autre animal y prend sa nourriture.

En l'ouurage Héroïque ainsi chacun se plaist, Mesme y trouue dequoy son esprit il repaist : L'vn y tondra la fleur seulement de l'Histoire, Et l'autre à la beauté du langage prend gloire ; Vn autre aux riches mots des propoz figurez. Aux enrichissemens qui sont elabourez ; Vn autre aux fictions, aux contes délectables Qui semblent plus au vray qu'ils ne sont véritables. Bref, tous y vont cherchant, comme sont leurs humeurs,

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Des raisons, des discours, pour y former leurs mœurs; Vn autre plus sublim à trauers le nuage Des sentiers obscurcis, auise le passage Qui conduit les humains à leur bien-heureté Tenant autant qu'on peut l'esprit en seureté.

C'est vn tableau du monde, vn miroir qui raporte Les gestes des mortels en différente sorte. On y void peint au vray le gendarme vaillant, Le sage capitaine vne ville assaillant, Les conseils d'vn vieil homme, ecarmouches, batailles, Les ruses qu'on pratique au siège des murailles. Les iousles, les tournois, les festins et les ieux, Qu'vne grand' Royne fait au Prince courageux, Que la mer a ielté par vn piteux naufrage. Apres mille dangers, à bord à son riuage. On y void les combats, les harengues des chefs. L'heur après le malheur, et les tristes méchefs Qui tallonnent les Roys : les erreurs, les tempestes Qui des Troyens errants pendent dessus les testes, Les sectes, les discords, les points religieux. Qui brouillent les humains entre eux litigieux : Les astres on y void et la terre descrite. L'océan merueilleux quand Aquilon l'irrite : Les amours, les duels, les superbes dédains, l'ambition mist les deux frères Thebains : Les enfers ténébreux, les secrettes magies. Les augures par qui les citez sont régies :

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Les fleuues serpentants, bruyants en leurs canaux ;

Les cercles de la Lune, sont les gros iournaux

Des choses d'ici bas, prières, sacrifices ,

Et des Empires grands les loix et les polices.

On y void discourir le plus souuent les Dieux,

Vn Terpandre chanter vn chant mélodieux

A l'exemple d'Orphée : et plus d'vne Medee

Accorder la toyson par lason demandée :

On y void le dépit (1) poussa Cupidon

La fille de Dicaee et la poure Didon :

Car toute Poésie il contient en soyméme

Soit tragique ou Comique, ou soit autre Poème.

Heureux celuy que Dieu d'esprit voudra remplir,

Pour vn si grand ouurage en françois acomplir l

En vers de dix ou douze après il le faut mètre :

Ces vers la nous prenons pour le graue Hexamètre,

Suiuant la rime plate, il faut que mariez

Par la Musique ils soient ensemble appariez,

Et tellement coulans que leur veine poUie

Coule aussi doucement que l'eau de Castallie.

(4) Dans l'édilioD de Caen, Charles Macé, 1605, in-S, point d'accent grave sur Vu. Ou, conjonction, et où, adverba de lieu, s'écrivent absolument de la même manière. Il y a, dans cette édition (la seule, car l'édition de 4612 n'est autre que celle-ci, sauf les titres), un certain nombre d'irrégala- rités orthographiques. Mais nous ne nous sommes permis de les corriger que lorsque le sens en souffrait trop gravement. Il était bon de respecter jusqu'à un certain point cette orthographe de transition comme la poésie de Vauquelin.

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Mais du vers Heroic ailleurs nous parlerons Et tandis d'autres vers ici nous meslerons. Les vers que les Latins d'inégale iointure Nommoient vne Elégie, aigrete en sa pointure, Seruoient tant seulement aux bons siècles passez, Pour dire après la mort les faits des trépassez; Depuis à tous suiets : ces plaintes inuentees Par nos Alexandrins sont bien représentées, Et par les vers communs, soit que diuersement En Stances ils soient mis, ou bien ioints autrement. I Cette Elégie vn Lay nos François appelèrent, BEt l'Epitete encor de triste luy baillèrent: (Beaucoup en ont escrit ; tu les imiteras, El le prix non gaigné peut estre emporteras. Breue tu la feras, te réglant en partie Sur le Patron poli de l'amant de Cinthie, Les préceptes tousiours généraux obseruant, Tels que nous les auons cottez par ci deuant.

Nos Poètes François, qui beaus Cignes se fient A leur voler hautain, or' la diuersifient En cent genres de vers ; si trop long est leur cours, Ils couurent sa longueur du beau nom de discours.

Qui la triste Elégie a premier amenée, Cette cause au Palais encor est démenée : Car les Grammairiens entre eux en vont plaidant, Et soubs le luge encor est le procez pendant. Tibulle est le premier dont la Muse bien nette

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A, romaine, imité Callimaque et Philœtte :

Puis Ouide et Properce, et Gallus le vieillart,

Dont tu peux emprunter les règles de cet Art.

Mais ta Muse ue soit iamais embesongnee

Qu'aux vers dont la façon ici t'est enseignée

Et des vieux chants Royaux décharge le fardeau ;

Oste moy la Ballade, oste moy le Rondeau.

Les Sonnets amoureux des Tançons Prouençalles

Succédèrent depuis aux marches inegalles

Dont marche l'Elégie : alors des Trobadours

Fut la Rime trouuee en chantant leurs amours :

Et quand leurs vers Rimez ils mirent en estime,

Ils sonnoient, ils chantoient, ils balloienl sous leur Rime;

Du Son se fisl Sonnet, du Chant se fist Chanson,

Et du Bal la Ballade, en diuerse façon :

Ces Trouuerres alloient par toutes les Prouinces

Sonner, chanter, danser leurs Rimes chez les Princes.

Des Grecs et des Romains cet Art renouuelé.

Aux François les premiers ainsi fut reuelé.

A leur exemple prist le bien disant Pétrarque

De leurs graues Sotmets l'ancienne remarque:

En récompense il fait mémoire de Rembaud,

De Fouques, de Remon, de Hugues et d'Aarnaud.

Mais il marcha si bien par cette vieille trace,

Qu'il orna le Sonnet de sa première grâce :

Tant que l'Italien est estimé l'autheur

De ce dont le François est premier inuentexir.

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Jusqu'à tant que Thiard (J) épris de Pasithee L'eut chanté d'vne mode alors inusitée, Quand Scène par dixains en ses vers Deliens Voulut auoir l'honneur sur les Italiens, Quand desia Saingilais (2), et doux et populaire Refaisant des premiers le Sonnet tout vulgaire, En Court en eut l'honneur : quand bien tost du Bellay Son OUiue chantant l'eut du tout r'appelé : Et que Ronsard bruslant de l'amour de Cassandre Par dessus le Toscan se sceut bien faire entendre : Et Baïf dudepuis (Meline en ses ébats N'ayant gaigné le prix des amoureux combats) Ces Sonnets repillant, d'vn plus hardi courage, Et changeant son amour, et changeant son langage Chanta de sa Francine au parangon de tous. Faisant nostre vulgaire et plus bas et plus dous. Puis Ronsard reprenant du Sonnet la mesure Fist nostre langue aussi n'estre plus tant obscure Et deslors à l'enui fut des François repris L'interest du vieux sort, que l'Itale auoit pris. Et du Bellay quitant cette amoureuse flame, Premier fist le Sonnet sentir son Epigrame :

(\) Ce pofcte-mathémalicien-philosophe-évèque du 16« siècle a son nom ainsi orthographié sur le titre des Discours philosophiques. Paris, -«587, in-8: Pontus de Tyard. L'orthographe de sa signature est identique.

(2J Mellin de Saint-Gelais. Vauquelin aura écrit ce nom comme il le pro- nonçait, en vrai Normand qu'il était. On dit encore en Normandie, liger pour léger, etc.

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Capable le rendant, comme on void, de pouuoir Tout plaisant argument en ses vers receuoir.

Desportes d'Apolon ayant l'ame remplie, Alors que nostre langue estoit plus accomplie, Reprenant les Sonnets, d'art et de iugement Plus que deuant encor écriuit doucement. De nostre Catlielane ou langue Prouençalle La langue d'Italie et d'Espagne est vassalle : Et ce qui fist priser Pétrarque le mignon, Fust la grâce des vers qu'il prist en Auignon : Et Bembe reconnoist qu'ils ont pris en Sicille La première façon de la Rime gentille. Que l'on y fut planter auecques nos Romanis, Quand conquise elle fut par nos Gaulois Normands, Qui faisaient de leurs faits inuenter aux Trouuerres Les vers que leurs louglours, leurs Contours et Chanterres Rechantoient par après : (Ainsi les Grecs auoient Des Rapsodes, qui lors tous les carmes sçauoient D'Homère et d'Hésiode, estant les secrétaires, Interprètes, conteurs des fabuleux raisteres De ces poètes vieux) lors Tristau de Cisteaux En Pouille auec Guiscart plantoit ses panonceaux. Puis en suite plus grand Tancred de Hauteuille Conduisant douze fils de sa terre fertille, Mist en Fouille et Calahre vn vulgaire François Du Cathelan, Roman, Vualon et Thiois, Langages tous formez sur la langue Gauloise,

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Que corrompit ainsi la Latine et Thioise ;

Qui par les Cours des grands Romande se forma,

Et chacun à la fin ceste dernière aima.

Les Normands derechef, suiuant hors de leur terre

Guillaume leur grand duc, mirent en Angleterre

Leur coustume et leur langue, et delà d'autres lois,

Qu'en François bien long tems n'ont point eu les Anglois.

D'Archilocque premier la furieuse rage De son ïambe propre arma le fier courage : Ce pied du gros soulier des Comicques fut pris, Et du beau brodequin des tragiques espris: Outil propre à traiter des communes affaires, Des propos mutuels et des bruits populaires. Se pouuant comme on veut en François r'apporter, Car il peut en tous vers l'oreille contenter : Mais noslre vers d'huict sied bien aux comédies (1), Comme celuy de douze aux graues Tragédies.

Nos longs vers on appelle Alexandrins, d'autant Que le Roman qui va les prouesses contant D'Alexandre le grand, l'vn des neuf preux de l'aage En ces vers fut escrit d'vn Romanze langage : Héroïques ainsi les Carmes furent dits. D'autant que des Héros les hauts gestes iadis

(1 ) A la farce, oui; mais non à la haute comédie. Le vers de huit syllabes est trop sautillant. L'Alexandrin, au contraire, avec quelques rejets, n'est ni trop lourd ni trop léger. C'est ainsi que Molière l'a compri.s, et l'on peut s'en rapporter à lui, ce nous semble.

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En ces vers on chanta : Héros qui de la Grèce Guidèrent en Colchos la ileur de la ieunesse Dans la parlante Nef, quand le preux fils d'^Eson, Mais desloyal amant, emporta la toyson.

On peut le Sonnet dire vne chanson petite : Fors qu'en quatorze vers tousiours on le limite : Et l'Ode et la Chanson peuuent tout librement Courir par le chemin d'vn bel entendement. La chanson amoureuse, affable et naturelle Sans sentir rien de l'Art, comme vne villanelle, Marche parmy le peuple, aux danses, aux festins, Et raconte aux carfours les gestes des mutins : L'Ode d'vn graue pied, plus nombreuse et pressée Aux dames et seigneurs par toy soit addressee : De mots beaus et choisis tu la façonneras, De mile belles fleurs tu la couronneras : D'ornemens, de couleurs, de peintures brunies, En leurs deiectemens également vnies. En cent sortes de vers tu la peux varier : Mais tousiours aux accords du Luth la marier : Et que chacun couplet r'entre de telle sorte, Que quelque mot poignant en sa fin il rapporte Sentant son Epigramme, et tellement soit ioint Qu'au lecteur il semble estre acomply de tout point. Si d'vne fiction d'vn long discours tu causes. Tu pourras diuiser cette longueur en pauses, Ou par les plis tournez des Odes du Sonneur,

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Qui Grec sur les neuf Grecs lyriques eut l'honneur.

Mais rien n'est si plaisant que la courte Odelette Pleine de ieu d'amour, douce et mignardelette : Si tu veux du sçauoir philosophe y mesler, Par la Muse il le faut à ton aide appeler, A toy mesme asseruant la douce Polimnie, Autrement sa faueur, dépite, elle dénie, Et non l'assuiettir aux mots sentencieux Sans qu'elle sente vn peu son air capricieux. Sur quelque fantasie éleué (par la grâce De contes fabuleux) dessus la prose basse.

La Muse sur le Luth pour suiet fist iouer Et les Dieux et les Rois, et leurs mignons loiier, Les ioustes des combats, la ieunesse s'aymante A picquer les chenaux sous la bride ecumante ; Les ballets et le vin, les danses, les banquets Et des ieunes amants les amoureux caquets. Mais auec son fredon, or la Lyre cornue En la France est autant qu'en la Grèce connue : Et nul vulgaire encor n'a iamais entrepris De vouloir par sus elle en emporter le pris. Car depuis que Ronsard eut amené les modes Du Tour et du Retour et du Repos des Odes, Imitant la pauane ou du Roy le grand bal, Le François n'eut depuis en l'Europe d'égal : D'Elbene le premier cette lyre ancienne A l'enui des François fait ore Italienne.

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En ce genre sur tous proposer tu te dois L'inimitable main de Pindare Gregois, Et du Harpeur Latin, et t'esiouir et rire Et sur la Téïenne et la Saphique lyre.

Le but de Galien c'est garder de mourir Le malade qu'il veut par drogues secourir : Le but de Ciceron c'est de bien faire croire Par ses viues raisons, son fait comme vne histoire. Mais quand et l'vn et l'autre à ce but n'atteindroit, Le nom de médecin Galien ne perdroit Ni Ciceron son tiltre : à raison que procède Le mal souuent d'vn point qui n'a point de remède : Et qu'aussi d'vn procez l'entremeslé défaut Empesche qu'on ne soit entendu comme il faut : Mais sans donner plaisir son nom perd vn Homère ; Il deuient de Poëte vne laide Chimère. C'est le but, c'est la fin des vers que resiouir : Les Muses autrement ne les veulent ouir. Les Peintres sont ainsi peignants la Madelene, Pleurante, ils la feront ressembler vne Hélène, Nonchalante, agréable, ouurant de tous costez, En son rauissement vn thresor de beautez.

Ce qui fist sembler beaus à la Grèce ancienne Et les vers et les chants de Saphon Lesbienne, C'est qu'ils parloient tousiours de mile faits plaisans, Des ombrages, des prez, des oyseaux degoisans, / Des épesses forests, des sources gazouillardes,

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Roullant sur le grauois leurs ondes babillardes, Des Hesperides Sœurs, de leurs iardins encor, le dragon vueillant gardoit les pommes d'or : Des Nimphes, de leur bal, des danses mesurées Qu'elles branloient en rond sur les tardes serees, De mile autres plaisirs qui tous délicieux Sont, sans les regarder, agréables aux yeux : Semblables au Printemps, dont les fleurs aurilleres, Bigarrant vn iardin, promtes et iournalieres, Vous plaisent sans penser aux bons fruicts de l'Esté, Tant vous est à propos ce plaisir présenté : Sans fruict ainsi vous plaist vne rose nouuelle, Et le baiser sans fruict qu'on prend d'vne pucelle.

Puis des vers le Génie estant du Ciel venu, Pour céleste plustost que terrestre est tenu. Car encor que la perle Indienne et gemmeuse Naisse dedans le nacre en la mer escumeuse, Toutesfois elle tient plus du Ciel que de l'eau, Aprochant en couleur de son visage beau : Aussi l'esprit conduit par la Muse diuine. Despend plustol du Ciel dont il prend origine Que non pas de la terre son corps est viuant. Ainsi que le Soucy son beau Soleil suiuant.

C'est pourquoy des beaus vers la ioyeuse alegresse Nous conduit aux vertus d'vne plaisante addresse. Et pourquoy Dieu se prie aux Temples en chantant Et d'vn cœur réioui, plustost qu'en lamentant.

So- ie sçay bien toutesfois que profiter et plaire, Comme ailleurs ie diray, est le seul exemplaire De la perfection; mais tousiours si faut il Qu'on trouue quelque chose au profit de gentil : Chasteau-vieux bouffonnant pour gosser et pour rire Ne laisse à profiter et plaire en son médire.

Des gemmes que l'on trouue aux riuages Indois, l'estime tousiours celle estre de plus grand chois. Qui non seulement belle en couleur variante Sçait réiouir les yeux, agréable et riante, Mais qui sçait à des maux remèdes aporter, Et par vertu secrète vn esprit conforter : Ainsi des Muses est la chanson souueraine Qui n'a pas seulement la voix belle et sereine, La parole plaisante et l'air délicieux, Mais qui scait d'auantage enchâsser précieux Le diamant en l'or ; tirant auec délices Par ses enseignemens vn homme de ses vices.

Si quelqu'vn douant vous, si quelqu'vn puis après Imite en mesme endroit les Latins et les Grecs, [Vous rencontrant ensemble, il ne faut par enuie i par dépit laisser l'œuure non poursuiuie : ,es Aulheurs sont communs; tels les imiteront ui mieux que les premiers les représenteront : Oui va mesme chemin et fait mesme voyage, ' Quelquefois se rencontre en vn mesme passage. Comme tout peintre n'est parfait en chaque part

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De tout ce que requiert la règle de son art :

Mais rvn en simples traits tant seulement charbonne,

L'autre sait porfiler l'ombre d'vne personne :

L'vn des membres fait bien vn raccourcissement,

L'autre sçait de couleurs faire vn rehaussement :

L'vn peindra seulement des grands dieux les images,

Et l'autre au naturel contrefait les visages :

L'vn sçait bien les couleurs subtil entremesler,

Et l'autre en Symmetrie aussi tout egaller :

Des Poètes ainsi, l'vn fait vn Epigrame

L'autre vne Ode, vn Sonnet, en l'honneur d'vne dame,

L'vn vne Comédie, et l'autre d'vn ton haut,

Tragique fait armer le royal echafaut;

Lvn fait vne Satyre, et l'autre vne Idillie,

Qui iusque aux petits chants des Pasteurs s'humillie,

Et peu, qui sont bien peu, la trompette entonnant,

Font bruire d'vn rebat l'air au tour resonnant.

Mais comme auec Apelle on loiie vn Timagore,

Protogene, Zeusis, Timante, Apollodore,

Parrasse et Pollignot, peignants diuersement :

Homère seul ainsi, ni Maron seulement

N'ont gaigné le Laurier : De cette branche on pare

Comme eux, Catule, Horace, Hésiode et Pindare :

Aussi pour le suiet des premiers ne traitter,

On ne doit de leur rang les seconds reietter :

Chacun en son espèce ii part à la Couronne

De l'arbre Delphien, qui leurs chefs enuironne.

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Mais celuy qui ne peut garder l'ordre diuers, Et les couleurs de l'œuure en escriuant des vers, Et donner son vray iour à l'argument qu'il traite, Ne méritera point qu'on l'appelle Poëte. Pourquoy veut il honteux, ignorant demeurer, Plus tost qu'en aprenant, plus hardy s'asseurer?

Par vn Tragicque vers ne peut estre traitée Vne chose Comique, ains bassement contée : Et ne faut reciter en vers priuez et bas De Thieste sanglant le plorable trespas. Chacune chose doit en sa naïfue grâce Retenir proprement sa naturelle place : Si l'Art on n'accommode à la Nature, en vain Se trauaille de plaire en ses vers l'escriuain ; Néanmoins quelquefois de voix vn peu hardie S'eleue en son couroux la basse Comédie : Et d'vne bouche enflée on voit souuentefois Chrêmes se dépiter en éleuant sa voix; Le Tragicque souuent de bouche humble et petite, Bassement sa complainte aux échaffauts recite.

Quand Telephe et Pelé banis et caimandans S'efforcent d'émouuoir le cœur desregardans, Et Ragot belittrant, vn Euesque importune. Il a des mots piteux propres à sa fortune ; Tous laissent les gros mots empoulez et venteux, Comme mal conuenant aux banis souffretteux.

Non, ce n'est pas assez de faire vn bel ouurage.

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Il faut qu'en tous endroits doux en soit le langage, Et que de l'écouteur il sçache le désir, Le cœur et le vouloir tirer à son plaisir ; Montre face riante en voulant que l'on rie ; Pour nous rendre marris, montre la nous marrie ; Si tu veux que ie pleure, il faut premièrement Que tu pleures et puis ie plaindray ton tourment.

Ragot, si tu venois en prière caimande, Me faire, trop hautain, vne sotte demande, le me rirois, ou bien tu n'aurois rien de moy; Vn doux parler est propre aux hommes tels que loy, Aux hommes furieux paroles furieuses, Lasciues aux lascifs, et aux ioyeux ioyeuses, Et le sage propos et le graue discours A quiconque a passé de ieunesse le cours : Car Nature premier dedans nous a formée L'impression de tout pour la rendre exprimée Par le parler après ; et selon l'accident Elle nous aide, ou met en vn mal euident. Ou d'angoisse le cœur si durement nous serre, Qu'elle nous fait souuent pâmez tomber à terre, Et decouurir après d'vn parler indiscret, Aueuglez de fureur, de nos cœurs le secret. 11 faut que la personne, à propos discourante, Suiue sa passion pour estre bien disante.

Si le graue langage à celuy qui le tient. Selon sa qualité, peu séant n'appartient.

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La noblesse Françoise et le bas populace Se pasmeront de rire en voyant son audace.

Grand' différence y a faire vn maistre parler, Ou Dauus qui ne doit au maistre s'égallcr, Ou le bon Pantalon, ou Zany dont Ganasse Nous a représenté la façon et la grâce : Ou le sage vieillard, ou le garçon bouillant Au mestier de l'amour et des armes veillant : Ou bien faire parler vne dame sçauante, Ou la simple nourrice, ou la ieune seruante, Ou celuy qui la pleine en sillons va trenchant, Ou bien de port en port vagabond le marchant ; L'Allemand, le Souisse, ou bien quelque habile homme Qui n'est point amendé de voyager à Rome, Ou celuy qui nourri dans l'Espagne sera, Ou celuy qui d'Italie en France passera.

Toy qui, sçauant, escris d'vne plume estimée Au plus près suy cela que tient la renommée : Ou bien des choses fein conuenantes si bien, Que de non vray-semblable en elles n'y ait rien.

Si tu descris d'Achille, honoré par Homère, Les faits et la valeur, l'ardeur et la colère, Fay le brusque et hautain, actif et conuoiteux, Ardant, impitoyable, inuaincu depiteux. Ne confessant iamais que les loix engrauees Pour luy soient en du cuyure es tables eleuees, Mais voulant par le fer, poussé de son dédain

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Soumettre toute chose à son pouuoir hautain.

Descris vne Medee, indomtable et cruelle, Inon toute epleuree, Ixion infidelle, Oreste furieux, Ion vagabondant De son dieu rauisseur le secours attendant.

Si tu veux sur le ieu de nouueau mettre en veiie, Vne personne encor en la Scène inconneiie, Telle iusqu'à la fin tu la dois maintenir Que tu l'as au premier fait parler et venir (1). Mais il est malaisé de bien proprement dire Ce qu'on n'a point encor veu par vn autre escrire : Pour ce plus seurement tu pourras imiter L'Aueugle clair voyant, qu'vn suiet inuenter (Qui n'ait point esté dit) de choses inouyes, Rendant sans aucun fruict des fleurs epanouyes. Ou bien si d'vne Histoire vn grand Prince fameux Tu veux faire floter sur les flots ecumeux, Faire tu le pourras, et, Chrestien, son nauire Hors des bancs périlleux et des ecueils conduire : Aussi bien en ce temps, ouïr parler des dieux En vne Poésie est souuent odieux. Des siècles le retour et les saisons changées Souuent soubz d'autres loix ont les Muses rangées.

(1) Boileau a dit, avec la netteté du M' siècle :

D'un nouveau Personnage inveutez-vous Tidée? Qu'en tout avec soi-mesme il se montre d'accord^ Et qu'il soit jusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord. Art. Poét., ch. 3.

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Tasso, qui de nouueau dans Solyme a conduit Le deuol Godefroy, qu'vne grand' troupe suit, Certaine preuue en fait; mais vn suiet semblable Il te faut imiter sur vne vieille fable, Et pour n'estre dédit, il faut bien aduertir De prendre vn argument l'on puisse mentir : Le vers du vra y-semblable aime vne conte rie, Qui plustost que le vray suit vne menterie.

Si d'vne longue alaine vn bel œuure tu yeux Parfaire pour passer iusqu'aux derniers neueux, Chante d'vn air moyen, non tel que l'Héroïque, Ni si bas descendant que le vers Bucolique, Mais qui de l'vn et l'autre vn vers enlassera, Qui tanlost s'éleuant, tantost s'abbaissera : Tel que du grand Maron le doux plaisant ouurage. Qu'imitant Hésiode il fisl du labourage : Et que celuy d'Ouide ayant par les retours De l'an, chanté l'honneur de leurs chommables iours Et tel qu'après Pontan en nostre langue encores Auoit bien commencé Baïf aux Météores : Tel que de Saintemarlhe est cet œuure diuin Qu'il a fait sur le Clain au bel air Poiteuin, Quand Latin et François imitant la Nature, Il chante des enfans la chère nourriture, Et tel qu'après Arat Manile chante ainsi Les Estoiles du Ciel, leurs figures aussi : Tel qu'après Empedocle, ô Lucrèce, tu oses

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Chanter d'vn air pareil la Nature des choses.

Premier souuienne toy, par vu humble recours, De la toute puissance inuoquer le secours Soubs quelque nom diuin, puis de trop d'abondance, Garde toy de la Muse enfraindre l'ordonnance, EnûUant tes propos si Poétiquement Qu'ils ne sentent grossiers la Prose aucunement : Et ne mets nul suiet, nul conte, nulle histoire, Qui dans le cabinet des filles de mémoire Ne. puisse bien entrer : de peur de cette erreur, Rends au bon iugemeat snietfe ta fureur: A quoy te seruiront mile chose chantées Par les Grecs, dudepuis des Romains imitées.

Les argumens connus aux Poèmes ouuers Comme tiens se liront estre tes propres vers. Si tout tu ne veux point t'embrouiller à la suite De l'ample et du vil tour de la matière escrite. Pour ce tu ne doibs point, mot pour mot t'arrester, A vouloir vn suiet fidelle interpréter : Car on ne doit iamais, lorsque libre on imite. De son gré s'engager en place trop petite : La honte d'en sortir nous viendroit empescher, Et la loy de l'ouurage ensemble d'y toucher. Qui veut trop curieux vne langue traduire Veut la langue estrangere et la sienne destruire : Ce qui proprement est au langage ancien Il le faut proprement dire au langage sien.

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Pourtant ie ne veux pas à nos François deffendre De ne traduire plus, et fidellement rendre Le Grec et le Latin : quiconque aura cet heur De rapporter au vray le sens d'vn vieil autheur, Profile à la ieunesse en la langue suiuante Qui sans Grec et Latin sera tousiours sçauante : Salel, premier ainsi, du grand François conduit. Beaucoup de l'Iliade a doucement traduit, Et lamin bien disant l'a tellement refaite Qu'à l'autheur ne fait tort vn si bon interprète : Long temps auparauant le bon Octauien De Saintgilais fist voir le preux Dardanien En habit de François : et depuis des Mazures Le fist marcher encor soubs plus douces mesures. Mais nos deux Cheualiers doctes frères ont ioint Leurs esprits, et l'ont mis encores mieux en point : Et pour eslre François, Apolon mesme auoue Qu'en eux se reconnoist le Cigne de Mantoue: Qu'ainsi puissions nous voir tous autres vers chantez Auecques la trompette en France interprétez, le voudrois bien aussi quelquefois variable Rendre nostre François au Latin mariable, Et suiure en traduisant nostre langue sur tout : Mais ô mechef ! souuent nous n'allons iusque au bout De la course arreslee, et reculions arrière Douant qu'auoir attaint le but de la carrière. Car les vns retirez par leurs empeschements.

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Les autres délournez par fouis débauchements Abandonnent les vers : Mais bien peu par addresse Fendent l'empeschement, comme on fend vne presse De gens en vn passage : et l'ayant renuersé, Le chemin d'ignorance est bien tost trauersé.

Comme pour s'esiouir de voir briller la flame Des rais d'vn beau Soleil par les yeux d'vne dame Qui soit auecques nous : nous ne pouuons pas voir Que l'Amour ait sur nous encor aucun pouuoir : Car à tous est commun de sentir quelque ioye Quand vn œil amoureux ses regards nous enuoye ; Puis elongnez de luy la flame s'amortit Aussi tost qu'autre part son œil on diuertit. Mais ne le voyant plus, et porter dedans l'ame Le trait de la beauté qui nostre cœur entame, De ce triste départ tousiours s'entretenir, Ne paissant nos esprits que de son souuenir, C'est d'Amour qui commence vne enseigne certaine, Qui porte en son drapeau pourtraite nostre peine, Qui nous pousse à reuoir ce bel œil messager D'Amour, qui s'est venu dans nostre ame loger : Aussi pour voir plusieurs s'esiouir et se plaire Auprès du saint troupeau des neuf Muses, et faire Mille sortes de vers, ce n'est pour asseurer Qu'ils pourront amoureux des neuf Sœurs demeurer : Aux affaires tirez, aux vers plus ils ne pensent. Et de suiure la Muse oublieux se dispensent :

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Mais celuy qui vrayment sent l'éguillon picqueur Des Muses iusqu'au vif luy chatouiller le cœur, Il fait doux et modeste, amoureux ses caresses, Courtisant par ses vers ses sçauantes maistresses : Puis s'il en est distrait, aux affaires tiré, On le verra fascheux, bruslant et martiré De toute autre entreprise : Impatient encore De se voir absenté, de l'amour qui deuore Son esprit eslongné des Sœurs et d'Apolon, Oubliant ses amis : dépiteux et félon, lusques à tant qu'il soit de retour auec elles : Tant le point le désir de ses doctes pucelles. Tant il se tient heureux en son loisir dequoy Il peut viure seulet comme elles à recoy, Sçachant pour en iouir prendre l'heure opportune, Aidé de la science et non de la fortune. Car bien qu'vn bon Pilote aborde par hasard Aussi tost à bon port, comme il fait par son art, Et qu'vn grand Capitaine aussi tost mette en fuite L'ennemy par hasard comme il fait par conduite : Toutefois la fortune aux arts ne sert de rien, Sinon qu'elle soruit à ce Peintre ancien Lequel ayant tiré de main presque animante Vn cheual furieux à la bouche ecumante, Il n'en put onc l'écume au vif représenter : Ce qui le fist cent fois à la fin dépiter : Et iettant dédaigneux son éponge souillée,

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(Et de toutes couleurs du pinceau barbouillée) Au mords de son coursier, le dédain par hasart Fist ce que le pinceau ne peut faire par art. Mais le beau iugement à l'art conioint, assemble Vne perfection qui les vnit ensemble.

De ce beau iugement vn exemple se voit, Quand Polignot, Scopas, et Diocle (qu'on croit Trois peintres excellons auoir des leur bas aage Payé soubs Apellès le droit de l'écollage) Entreprindrent chacun de tirer curieux Le Roy borgne Antigène, à qui feroit le mieux.

Polignot lors estant à son art tout fidelle, Bien qu'il sceust que le Roy portast haine mortelle A ceux qui se moquoient de son œil arraché, Toutefois sans respect de l'en rendre fasché, Marchant par le chemin aux peintres ordinaire, Le Roy borgne et hideux au vray va contrefaire : De sorte qu'il sembloit auec son œil osté, Estre en l'image mort mieux qu'au vif rapporté. Mais Scopas plus craintif n'ayant pas osé peindre Le Roy tel qu'il esloit : ni ne voulant enfraindre Les règles de son Art, il le peignit moins vieux. Tel qu'il estoit alors qu'il auoit ses deux yeux : Son pinceau deslié rapportoit chose vraye, Antigène n'ayant encor receu la playe Qui luy fist perdre l'œil. Ce pourtrait bien tiré Semblable à ceux du temps, fut de tous admiré.

Scopas par ce moyen se pensa digne d'estre De ses deux compagnons le premier et le maistre, Pouuant se conseruer en la grâce du Roy, Auecques le renom que TArt tire après soy.

Mais Diocle d'ailleurs desseignant mesme chose Que Polignot faisoil, en l'ame se propose Les respects qui rendoient Scopas aussi douteux, Ne voulant se iouer à ce prince airêteux, Ni suiure de son Art le plus commun vsage, Ni trop flaler le Roy par vn lasche courage : Ains suiuant du moyen le sentier asseuré, Auecques vn espoir du laurier espéré, Il peignit en profil d'Antigone la face. Dont le tableau couuroit, d'ombre de bonne grâce, Vne part du visage : et son oeil emporté En droite ligne estoit couuert de ce costé. Tant qu'auecques bien peu de soigneux artifice, En l'ombre se cachoit de son œil tout le vice : Et l'outreplus si bien le Roy representoit. Que le Roy si semblable à luy mesme n'estoit.

Quand au iour arresté les trois se rencontrèrent, Et leurs tableaux au Roy chacun à part montrèrent : Le Roy voyant celuy de Polignot, soudain Conceut en son esprit vn superbe dédain, Pensant lors receuoir vn affront, vn outrage De se voir peint ainsi d'vn si hideux visage, Des l'heure le faisant hors de sa Court chasser,

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Et hors de son Royaume vri autre endroit passer. Par ce que la prudence il auoit par enuie, A son art glorieux trop malin asseruie ; Art dont il haussoit plus la basse qualité Que de l'honneur Royal la haute dignité.

Le tableau de Scopas à tous fut agréable Pour reporter au vray cet aage fauorable Auquel fut Antigone au beau May de ses ans, Ayant encor ses yeux amoureux et plaisans : Toutefois au visage vne rougeur luy monte, Qui naturelle fait qu'il semble qu'il ait honte D'auoir esté trompé par le pinceau menteur, Qui trop ieune l'a fait dans son tableau flateur : La façon de flater est douce et délicate Quand point elle n'importe à celuy que l'on flate : Mais celle la despleut à sa simple bonté, Et le voulut chasser comme vn homme ehonté.

A l'heure Diodes son tableau luy présente Qui des le premier front tout le monde contente : Et sur tous Antigone en fut fort satisfait : Luy mesme remarquant le iugement parfait De ce peintre modeste, ayant plustost laissée La grandeur de son art par sa gloire abaissée Que de manquer prudent à l'auis tempéré, Qui de l'extrémité rend l'erreur modéré, Et pour ne sembler pas aimer la courtoisie Qui par vn noble choix des nobles est choisie.

4

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De sorte que voyant le défaut du pourlrait Du visage en profil en épargne retrait, Il sembloit qu'à dessein cette petite espace Plustost qu'vne plus grande adioutast de la grâce A ce que cachoit l'ombre : et le Roy de costé Mieux que parlant esloit muet représenté. Anligone depuis luy fist de l'auantage, Autant que meritoit le prix de cet ouurage, Et luy fist reconnoistre en prenant le tableau Qu'il payoit son esprit plustost que son pinceau (4).

Beaus esprits pensez y, vostre Muse auertie Ne soit doncques si fort à l'Art assuiettie Que le bon iugement ne face élection De tout ce qui dépend de la discrétion : Donnez puissance egalle aux mœurs, au tems, aux Muses, Sans pourtant tromper l'Art de quelques fausses ruses.

Quand vous voudrez les Roys à vos chants amuser, De paroles de soye il faut touiours vser (2) : Et sans les flater trop d'vne ame trop mauuaise. Leur ombrager le vray par chose qui leur plaise. Sans pourtant offusquer du tout la vérité : Mais leur faire à propos paroistre sa clarté.

(1) Admirable vers. Vauquelin a quelquefois le bon sens de Boileau et la finesse de Molière. . . Mais (qu'on ne s'y trompe pas pourtant), il n'eût pu suppléer Malherbe. Vauquelin n'est qu'un magnifique trait- d'union entre Ronsard et Malherbe, ou plutôt entre le xvi" et le xvii" siècle. Qu'on juge par de la valeur de Malherbe. Ce grand homme n'a pas été mis à sa place.

(2) Aujourd'hui nous disons : gazer^ velouter une pensée.

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Vous en aurez ainsi de l'honneur sans dommage,

Et vostre iugement fera que davantage

Vous tirerez profit de cet Art, souuent

Les scauants indiscrets n'emportent que du vent.

le ne fay point du Ciel vn Apolon descendre

Pour faire ce bel Art mieux par sa bouche entendre

Et donner à mes vers plus grande auctorité

Suiuant des vieux autheurs la docte antiquité :

De peur d'estre semblable à ces bouffons tragiques

Qui vestus de drap d'or pompeux et magnifiques,

Ouuroient la bouche grande vn Priam imitant,

Ou le Roy des Gregois enflez représentant,

Puis disoient quelque chose indigne d'estre à peine

Ou dite par Hecube ou dite par Hélène :

Mais sans déguisement, sans le masque d'autruy,

Ces Préceptes ie mets comme on parle auiourdhuy,

Marri que n'est ma Muse et plus nette et polie,

Sans geindre soubs le fais de la mélancolie :

Plus nette elle seroit si les criarts tabus

Du Palais (1) ne m'auoient séparé de Phœbus.

Car pour néant aux vers mes esprits s'euertuent :

le suis tousiours troublé : les affaires me tuent :

le suis comme vn grand lac beaucoup vont à l'eau,

(i) Vauquelin était Conseiller du roy, et Président au Bailliage et Siège Piesidial de Caen. Il était trop consciencieuï pour donner à Phébus-Apollon le temps qu'il devait aux affaires de sa charge. « Les affaires me tuent, » dit-il plus loin. Voy. aussi la Préface.

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Qui tarissent ma source et troublent mon ruisseau. Il faut laisser r'asseoir cette eau tant épaissie : C'est assez iusqu'à tant qu'elle soit eclairsie.

FIN DV I. LIVRE.

L'ART

POETIQ VE

FRANÇOIS

OC l'on pevt remarqver la perfection et le defavt des anciennes

ET DES modernes POESIES

AV ROY

Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin

L'ART

P 0 E T I Q V E

FRANÇOIS

OU l'on pevt remarqver la perfectiox et le defayt des akcie.nxes

ET DES MODERNES POESIES

AV ROY

Par le sieur de la FhesiNaie Vavqvelin

LIVRE SECOND

VSES, filles de dieu, qui tous les Arts sçauez, Le reste de cet Art, Nimphettes, acheuez : Montrez moy le chemin par lequel il me loise Conduire seurement la ieunesse Gauloise :

Quitez, Vierges, quitez le mont de Citheron,

Habitez des François le plaisant enuiron,

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Et faites que les eaux d'Hipocrene chantantes, Aprennent leurs chansons à nos eaux écoutantes : Donnez moy de l'esprit la reluisante ardeur, Que la grâce Aglaïe accorde à la verdeur De Thalie, agréable en sa ieunesse blonde, Faites que la gayeté d'Euphrosine responde Auecques la douceur de sa ioyeuse vois, Et qu'vn plaisir parfait ie recoiue des trois.

Faites que vostre grâce, ô riantes Charités, Couure ici le défaut de ces Règles escrites En vers mal agencez : et vous, Phœbus, ostez Les cailloux des chemins, qui sont mal rabotez : Marchez deuant, afin que ces masses rocheuses Rendent suiuant vos pas les sentes moins fâcheuses.

SIRE, qui sçauez faire vn saint accouplement Des neuf filles du Ciel, (diuin assemblement 1 ) Et des Grâces ensemble : aportez vostre grâce. Qui ces filles du Ciel et les Charités passe : Il est fort mal aisé les Muses bien gouster, Qui ne sçait, attentif, leurs beaus chants écouter : De bien loin on ne peut la hauteur reconnoistre Des hauts monts que l'on voit seulement aparoistre Mais en les aprochant on tient pour merueilleux De grimper sans danger sur leur dos orgueilleux : Et puis on s'esbahit quand quelque sente estroitte Nous conduit au plus haut de la montaigne droitte : On ne regarde aussi combien sont les espris

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Des Poêles hautains en leurs faits entrepris, Comme ils sont esleuez sur toute chose humaine, Si soymesme on ne veut entrer en leur doumaine Et contempler de près leurs diuines façons, En l'antre Thespien imitant leurs chansons : Et puis on s'esbahit que pas à pas on gaigne Au haut sommet cornu de la double montaigne.

Comme l'Emant le fer, et l'Ambre le festu Attire sans effort, par secrète vertu : La Muse attire ainsi, sans force violente, Par vn secret instinc, à soy l'ame excellente ; Quasi des le berceau tout bel entendement Met à suiure ses pas tout son contentement. L'Auette, pour aimer la douceur sauoureuse, De toute plante douce est tousiours amoureuse : L'homme aussi de luymesme estant ingénieux Aime, embrasse et chérit tout œuure industrieux. C'est pourquoy l'enfançon de sa nature en haste Prendra plustost qu'vn pain vn oiselet de paste. Et quand on luy présente vn pourtrait, vn belet En argent imprimé, l'argent luy semble laid Qui n'est qu'en simple masse : il aime vne meslange Qui la chose suiette à l'artifice range. Ce qu'on voit de gentil et d'artificieux. De nature est à l'homme aimable et précieux : Les paroles ainsi des Muses animées Sont naturellement de tous hommes airaees :

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Ils aiment beaucoup plus vn parler mesuré Que celuy qui sans pieds marche mal asseuré : De fait les Muses sont l'Océan, dont les ondes Arrousent nos esprits de sciences profondes . Et ne faut pour y voir des discours mensongers Croire qu'y voyageant s'y trouue des dangerti.

Comme en la vigne on void dessoubs la feuille verte La grappe cramoisie estre souuent couuerte Sans qu'on la puisse voir : ainsi soubs les discours D'vn conte Poétique et dessoubs les amours Des Héros et des Dieux, entremeslez de fables, Sont des enseignemens richement profitables.

Souuent nous nous plaisons à l'odeur, aux couleurs, Sans chercher les vertus des odorantes fleurs. L'abeille toutefois en tirera sacrée La cire et la liqueur dont son œuure est sucrée : De mesme on voit plusieurs s'abuser aux beautez Des parolles qui sont pleines de nouueautez : Mais d'autres n'arrestant aux paroles fleuries, Recueillent le beau sens couuert d'allégories. De feuillage d'Acante et de plaisans festons, j-Les Muses cachent l'or des vers que nous chantons.

Mais rentrons au chemin de la forest sacrée, parmi les lauriers la Muse se recrée A rendre des Héros les beaus faits immortels. Et disons comme on doit chanter en œuure tels.

Pour vn commencement tu n'enfleras ta veine,

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Comme fist vn Ciclic, d'vne trop forte aleine :

« De Priam les destins hautain ie veux chanter, » Ses valeureux exploits, et ses guerres conter. » Ou comme a fait celuy, qui tout plein de brauade, Voulut du premier mot router vne liliade : « le chante les combats de ce grand Pharamont, » Qui les Gaules iadis bouluersa conlremont. » Que pourrait aporter ce prometteur qui dresse L'aisle si haut, qui fust digne de sa promesse? Les monlaignes s'enflant, grosses accoucheront, Vne mouche en naistra dont les gens se riront !

0 combien mieux a dit d'Vlisse la trompette, Qui rien messeamment en ses œuures ne traitle ! « Musc, di moy celuy qui tant a voyagé » Apres Ilion pris et son mur saccagé : » Pratiqué tant de mœurs et tant d'ames diuerses, » Et tant souffert de maux dessus les ondes perses ! »

Ou bien nostre Ronsard, si d'vn air entonné Hautement sa trompette en long vers eust sonné :

» Abusé du plaisir qui trompe la ieunesse (1), » Seruiteur des beaus yeux d'vne ieune maistresse, » En vain i'ay souspiré les amours bassement : » Puis renforçant ma voix vn peu plus hautement, » Le premier des François i'ay façonné les modes » De marier la lyre au nouveau son des Odes :

(1) Critique de Ronsard, qui a adopté le vers décasyllabique dans sa Franciade. Voy. l'Introduction.

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» Maintenant, plus hautain, Charles Roy trcschrestien,

» le chante les valeurs et les faits du Troyen,

» Qui poussé du destin, des dieux et de Cassandre,

» Fuitif de son pays quand Troye fut en cendre,

» Ayant beaucoup souffert et par terre et par mer

» Vint de son nom Francus la France surnommer :

» De qui de père en fils nos Roys ont pris naissance,

I) Et qui nous raportant vne autre Troye en France

» Fonda pour Ilion la cité de Paris

» Et l'enrichit du nom de son oncle Paris

» Apres mile combats. Tant il y eut de peine

» Avant que de l'enclorre entre les bras de Seine,

» l'empire d'Europe ébranlé tant de fois

» Deuoit à tout iamais y demeurer François.

» Filles de lupiter, Muses, venez moy dire » Si ce fut par fortune, ou si ce fut par l'ire » D'vn dieu trop couroucé que Francus a esté » Si loin du bord Gaulois tant de fois reieté ? »

Et s'il m'estoit permis d'aleguer de ma rime, Peut estre ie pourroy me mettre en quelque estime En l'ouurage que i'ay des long temps auancé, Autant qu'autre qui soit en France commencé.

« Inspiré de l'esprit qui, diuin, tout inspire (1), fl Muse, fay moy chanter sur la céleste lire, n Les faits et la valeur du magnanime Hebrieu, » Qui berger fut choisi par le conseil de Dieu,

(\) Vhraelide. Voy. l'Iniroduction.

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» Flouet, ieune et cadet d'vne maison petite,

» Pour estre l'oinct sacré du peuple Israélite,

» Et qui, suiuant de Dieu les éternels destins,

» Du Royaume promis chassa les Palestins,

)) Chassa l'Ammonien et soustint la colère

» De Saiil enuieux sur son règne prospère :

)) Par bois et par forests, par déserts pleins dhorreurs,

» Il souffrit mile maux, fuyant à ses fureurs.

» Car Saiil tout ardant de voir sa main puissante » S'affoibiir par la force en Dauid accroissante, » Brusloit ouir d'ailleurs le destin prédisant » Que du Ironc de lessé le Sion florissant » Ombrageroit le monde. Ainsi par mainte guerre » Il endura beaucoup pour asseurer la terre » il deuoit fonder l'admirable Cité » Qui aux Pères croyants promise auoit esté.

» Cité qui deuoit estre en son contour assise, » Pour figurer du Christ l'vniuerselle Eglise » Dont Chrestiens nous venons : et ce nom ancien » Par dessus tous retient nostre Roy treschrestien » Henry, soubs lequel puisse Europe, Asie, Afrique, » Couronner de ce nom du monde la fabrique.

» 0 parler souverain, dont la Triple-vnité » Est vne auecques Dieu de toute éternité, » Ayant en toy parfait vne parfaite essence » En la perfection de la grand prouindence : » Qui Père, Fils,. Esprit, es le Dieu tout-puissant,

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» Commençant toute chose, aussi la finissant, » Par ta parole fais, que cette ceuure conceue » De moy soit enfantée à bien heureuse issue.

» Seigneur, raconte moy comme des Cieux amis » Ce Prince fut esleu pour estre leur commis? » Pourquoy tant il souffrit pour vn courroux inique, » Et pour vn feu sorti d'vne flamme impudique?

» Mais pour sonner, Seigneur, tes honneurs bien à plain, » Cette harpe il faudroit dequoy sur le lourdain, » Prophète il fredonnoit tes célestes louanges, » Qui vont encor bruyant depuis Eufrate et Ganges » lusques sur nostre Seine ! 0 bien heureux sonneur, » Celuy qui du grand Ihoue (1) auroit eu cet honneur » De retoucher les nerfs de ta harpe seraine, » Diuin rabaisseroit la gloire plus hautaine » De ces fameux Harpeurs, dont les fables contoient » Qu'au mouuoir de leurs doigs les fleuues s'arrestoient, » Et qu'ils estoient suiuis des arbres et des plantes » Marchant aux doux accords de leurs voix souspirantes! »

Mais ce n'est nous qu'il faut aux François aleguer, II faut en la mer Grecque et Latine voguer, Amener ses vaisseaux tout chargez de la proye. Que tant d'esprits trouuoient aux beaus restes de Troye, Suiuant Virgile ainsi, (quand du suiet plus bas Passant par le moyen, il chanta les combats :) « Ce fut moy qui flulay ma chanson bocagere

(1) Jehovah.

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« Au pipeau pertuisé d'vne auene légère : » Puis sortant des forests, apris aux champs voisins » A doubler au fermier les bleds et les raisins : » Au laboureur champestre œuure bien agréable. » Maintenant de la guerre et de Mars effroyable X le chante les combats, et ce Prince guerrier, » Qui fugitif de Troye aborda le premier )' Aux champs Italiens : auec peine infinie » Arriuant par destin au port de Lauinie.

» Il passa maints hasards : on ne peut estimer ') Combien dessus la terre et combien sur la mer » Il endura de maux : de lunon couroucee » Et des dieux ennemis sa flote estant poussée : « lunon qui dans son cœur la vengeance couuoit » Des affronts du passé que soufferts elle auoit. » Aussi de grands périls il courut en Latie, » Auant que la cité superbe y fust bastie, » Et qu'il eusl mis ses Dieux, par vn fatal destin 9 Et par ses grands exploits, dans le terroir Latin » D'où vint la gent Latine, et d'où tant on renomme » Et les Pères Albains et les hauts murs de Rome.

» Muse, raconte moy la cause de ces mau.x, » Et quel Dieu luy brassa tant de fâcheux trauaux? y Pourquoy fut à ce Preux si iusle et débonnaire » La Princesse des cieux si cruelle et contraire? » Que de le voir ainsi sur les mers agité » Peut vn céleste cœur estre tant irrité ? »

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Voyez comme le Grec rend la Muse estimée Tirant vne clarté d'vne obscure fumée : Ne voulant pas aussi la lueur enfumer, Mais d'vn épais brouillas vne flamme allumer, Afin qu'il chante après des choses merueilleuses, Vn Antiphat, Caribde et Scile périlleuses : Vn Cyclops qui, cruel, Vlysse eust englouti S'il ne s'en fust, plus caut que les siens, garanti.

Ainsi le doux Virgile a sa voix abaissée. Afin qu'elle parust dauantage haussée, Pour dire de lunon le couroux tempestueux Et d'Eole animé les tourbillons venteux, Vne Troye embrasée, vne Didon pleureuse, La descente d'AEnee en la cauerne ombreuse De Pluton où, chetif, il fust lors demeuré Sans sa guide fidelle et le rameau doré.

Le Grec n'a commencé des l'œuf iumeau, la guerre Des Troyens et des Grecs : le retour en sa terre De Diomede aussi, des le fatal trespas Du faé Maleagre il ne raconta pas.

Et de sorte Maron n'a son œuure ordonnée Qu'elle commence aussi des l'enfance d'AEnee ; Mais le milieu prenants ils font subtilement Sçauoir la fin ensemble et le commencement, El tendant vers la fin, chacun d'eux rend connues Les choses qui ne sont et qui sont auenues : Car ils font au liseur le milieu si bien voir

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Que tout le précèdent il en peut conceuoir : S'ils trouuent quelquefois la matière choisie Ne pouuoir aisément couler en Poésie Ils la quittent bien tost, et si vont tellement Meslant le faux au vray mentant si doucement, Qu'au premier le milieu se rencontre en la sorte Qu'au milieu le dernier proprement se raporte.

Or comme eux l'Heroic suiuant le droit sentier Doit son œuure comprendre au cours d'vn an entier : Le Tragic, le Comic, dedans vne iournee Comprend ce que fait l'autre au cours de son année : Le Théâtre iamais ne doit estre rempli D'vn argument plus long que d'vn iour accompli : Et doit vne Iliade en sa haute entreprise Estre au cercle d'vn an, ou guère plus, comprise.

En Prose tu pourras poétiser aussi : Le grand Stragiritain te le permet ainsi. Si tu veux voir en Prose vne œuure Poétique, D'Heliodore voy l'histoire Ethiopique : Cette Diane encor, qu'vn pasteur Espagnol, Bergère, mené aux champs auecques le Flageol. Nos Romans seroient tels, si leur longue matière Us n'alloient déduisant, comme vne histoire entière.

Comme on void les couleurs beaucoup plus emouuoir Qu'vn trait simple ne fait ou qu'vn Creon à voir. Pour vnie ne scay quoy qui l'homme représente. Trompant le iugement et toutefois contente :

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Ainsi dedans les vers le faux enlrelassé

Auec le vray-semblant d'vn conte du passé,

Nous émeut, nous chatouille et nous poind dauantage

Que l'estude qu'on met à polir son ouurage,

Sans faire vne meslange, vne variété,

Qui ne suit, mensongère, en rien la vérité.

Le changement diuers tousiours affectionne,

Selon l'euenement qui le cœur passionne.

Les vers aiment tousiours cette diuersité : Car le changement tient vn esprit excité A se passionner, selon que veut le conte. Soit ioyeux ou fâcheux que la Muse raconte : Le plaisir estant plus agréable et plaisant Que la fin est contraire à l'aduis du lisant: Mais d'ailleurs ce qu'on void estre simple et semblable Ne passionne point, pour estre vn et sans fable : Cela fait qu'vn Homère ou Virgile ne fait Qu'vn homme soit tousiours ou vainqueur ou parfait. Et quand ils font les dieux se mesler des affaires, Heureux et malheureux, doux les font et colères : Afin qu'en nulle part ne manque l'action Qui tient l'homme tendu tousiours en passion. Ce qui n'aduiendroit pas si les choses heureuses Ne trouuoient du malheur parmi les dangereuses.

0 maistre du grand fils du Macédonien, Si tes yeux eussent vu du Cigne Ausonien Les admirables chants, ta voix docte et hardie

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Les eusl lors préférez à toute Tragédie,

A tous vers Heroïcs : car n'en desplaise aux Grecs,

Soit au commencement, à la fin, au progrés,

Il les a surpassez : et d'Homère il seconde

En âge, en rang il est le premier par le monde.

Il sçait bien à propos l'esprit raui saisir Tantost d'ennuy fâcheux et tantost de plaisir, Quand il chante les faits du débonnaire AEnee, Pour rendre d'autant plus l'ame passionnée : Tantost d'vn grand bonheur en malheur l'abaissant, Et tantost d'vn péril en honneur le haussant : Aux vices naturels le faisant vn peu tendre. Mais ferme à la vertu tousiours le fait entendre, Et sans du vray-semblant du tout se départir. Il sçait bien les vertus aux vices assortir : Luy baillant vne grâce, vne ame, vne faconde, Qui luy fait contrefaire à propos tout le monde : Comme quand il luy fait à Didon raconter Le piteux sac de Troye, il luy fait emprunter Les gestes, les discours, la posture et les âges (Lorsqu'il les fait parler) de plusieurs personnages.

Oy donc ce que le peuple et moy te desirons, Si tu veux que chacun publie aux enuirons Du Théâtre ta gloire, alors que le murmure De l'applaudissement et du chant dernier dure : Soit qu'Homère imitant tu fasses outremer Derechef Saint Loys en son voyage armer.

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Soit que, graue, des Roys, soit que la Muse basse Te chante en l'échafaut les tours du populace, Tu dois de chacun âge aux mœurs bien regarder, La bienséance en tout soigneusement garder, Et tout ce qui siet bien aux natures changeantes : L'enfançon qui petit assied fermes ses plantes Desia dessus la terre, et qui sçait bien parler, Auecques ses pareils aux ébats veut aller : Soudain il pleure, il rit, il s'appaise, il chagrine. D'heure en heure changeant de façon et de mine.

Le ieune gentilhomme à qui le poil ne poind, Et qui sort hors de page, et de maistre n'a point. Aime chiens et chenaux, et loin de son pédante, A voir après le Cerf la meute clabaudante : Aime les champs herbeux et se plaist dans les bois, D'entendre retentir des bergères les voix : Au vice, comme cire, il est ployable et tendre, Aspre et rude à ceux-là qui le veulent reprendre, Paresseux à pouruoir à son vtilité, Despencier, désireux, rempli de vanité : Qui bien tost est fâché de ses folles délices. Aimant diuers plaisirs et diuers exercices. Quand il a l'âge d'homme il se veut augmenter. Acquérir des amis, aux grands estats monter. Garder le point d'honneur, ne faisant téméraire Ce qu'il faudroit après rechanger ou deffaire. L'âge aporte au vieillard mainte incommodité.

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Soit qu'aux acquêts il soit ardemment incité,

Soit que son bien acquis il ne veuille despendre

Qu'il aime mieux garder qu'à son dommage vendre.

Soit qu'en toute entreprise il soit timide et froid,

Dilayeur, attendant, riotteux, mal adroit,

Conuoiteux du futur, chagrin plaignant sans cesse,

Loiiant le temps passé qii'il estoit en ieunesse :

Seuere repreneur des mœurs des ieunes gens,

Se fâchant négligent de les voir negligens :

Plusieurs commoditez l'âge venant ameine,

Et plusieurs quant et luy s'en allant il entraine.

Le ieune est tout conduit de courage et d'espoir,

Espérant riche et grand quelqueiour de se voir :

Au contraire le vieil vit plus de souuenance

Du temps qu'il a passé qu'il ne fait d'espérance.

Pour ce il ne faut iamais qu'vn ieune homme gaillard

Représente en parlant la façon d'vn vieillard.

Ni qu'vn ieune homme aussi son vieillard sente encore,

Ayant tousiours égard à ce qui plus honore

La personne parlante, et ce qui conuient mieux

A l'âge de chacun, ou soit ieune ou soit vieux.

Quand la forest n'est plus en Hiuer cheuelue

Si plaisante elle n'est que quand est fueillue :

Qui diroit son ombrage estre lors verdoyant,

Chacun dementiroit son parler en l'oyant :

Quand vne Dame n'est tout au vray contrefaite

Du sot Peintre on se rit qui l'a si mal pourtraite.

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Guidé de iugement rien ne faut ignorer, Ains clair et net de l'Art les règles honorer : Celuy qui puisera d'vne source troublée, De la bourbe mettra dans son œuure assemblée.

Or pour loy le Tragic et le Comic tiendront Quand aux ieux vne chose en ieu mettre ils voudront Qu'aux yeux elle sera de tous représentée, Ou bien faite desia, des loueurs récitée: Et bien que ce qu'on oit emeuue beaucoup moins. Que cela dont les yeux sont fidelles tesmoins, Toutesfois il ne faut lors montrer la personne Quand la honte ou l'horreur du fait les gens étonne : Ains il la faut cacher, et par discours prudens Faut conter aux oyants ce qui s'est fait dedans : Et ne montrer le mort, aporté sur l'Etage, Qui caché des rideaux aura receu l'outrage : Car cela se doit dire : et plusieurs faits estez Hors de deuant les yeux sont mieux après contez. Et ne faut que Medee inhumaine maralhre, Massacre deuant tous ses enfans au Théâtre : Ou qu'Astree en public impudemment meschant De son frère ennemi les fils aille trenchant : Ou que Progne en oiseau deuant tous soit muée. Ou Cadme en vn serpent : ou Cassandre tuée : Ou qu'vn monstre en Toreau dans les flots mugissant Engloutisse Hypolite en son char bondissant : Ou qu'on montre Antigone en la caue pendue,

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Et son amant Hemon lequel auprès se tue : Tout ce qu'en l'Echafaut tu nous faits voir ainsi, Fâché ie le dédaigne et ne le crois aussi. Mais le fait raconté d'vne chose aparente Fait croire le discours de tout ce qu'on inuente.

Le Comic tout ainsi sur l'Etage fera Conter ce qu'au couuert l'amoureux fait aura : Ne descouurant à tous la honteuse besongne Qu'à Paris on fait voir en l'Hostel de Bourgongne ; Ains sortant vn Cheré ieune, affetté, mignon, Il dit sa iouissance au loyal compagnon Que premier il rencontre : et qu'ayant la vesture Et d'vn Eunuque pris la grâce et la posture, Il a d'vne pucelle, au naturel déduit, CueiHi la belle fleur, de lupiter conduit. Qui, peint en goûtes d'or, tomboit comme vne pluye Dedans le beau giron d'vne fille eblouye De ce plaisant métal! l'aspec de ce tableau Rendit plus courageux l'amoureux iouuenceau.

Quand au commencement, au temps de leurs vendenges, Que les Grecs celebroient de Bacchus les louenges, Ils dressoient des autels de gazons verdelets. Et chantoient à l'enlour quelques chants nouuelets : Puis ioyeux, enuinez, simples et sans malice, D'vn grand Bouc amené faisant le sacrifice, Us le mettoient en ieu trépignant des ergos: Et ce bouc s'apeloit en leur langue Tragos,

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D'où vint premièrement le nom de Tragédie :

Et celuy qui chantoit de plus grand mélodie

De ce loyer estoit content infiniment :

Ces vers n'estoyent sinon qu'vn gay remerciment

De la bonne vendange, vn los de la sagesse

De Dieu, qui leur donnoit de biens telle largesse.

Mais pour ce que les grands, les Rois et les Tirants Commencèrent depuis, les siècles s'empirants, D'vsurper la louange aux dieux apartenante, Il y eut des esprits qui, de Muse sçauante. Commencèrent aussi par leurs vers à montrer Que l'homme à tous propos peut la mort rencontrer : Combien de maux diuers sont ioints à nostre vie, Et d'heur et de malheur egallement suiuie. Au respect du plaisir, de la félicité, Qui tousiours est au Ciel, des Dieux seuls habité : Et pour le faire voir par des preuues certaines Lors ils ramenteuoient des plus grands capitaines, Des Princes et des Rois les desastres soudains. Comme ils esloient tombez de leurs estats hautains En misère et souffrête : et cela nous fait croire Que c'est du vers Tragic la plus vieille mémoire : Ainsi la Tragédie eut son commencement ; Ainsi les Rois chetifs en furent l'argument.

La braue Tragédie au Théâtre attendue, Pour estre mieux du peuple en la Scène entendue, Ne doit point auoir plus de cinq actes parfaits :

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Ange ni Dieu n'y soit, s'il n'est besoin de faits Qui soient vn peu douteux, ou d'vne mort celée Qui d'vne Ombre ou d'vn Dieu lors sera reuelee : Et ne parle vn quatriesme en l'Etage auec trois : Trois parlant seulement suflSsent à la fois.

Le Chœur de la vertu doit estre la defence Du parti de Pautheur repreneur de l'offence : Doit parler sagement, graue et sentencieux, Se montrant de conseil, aux grands officieux; Chose n'entremeslant aux actes, que bien dite. Bien ne vienne à propos, et qui bien ne profite. Aux bons et vertueux il fauorisera. Et les non feints amis, ami vray prisera. Qu'il apaise tousiours vne ame couroucee. Et plein de iugement descouure sa pensée. Qu'il honore celuy qui du vice est vainqueur, Loiiant ouuertement les hommes de grand cœur, La table sobre et nette, et l'vtile lustice. Les Edits et les Loix qui vont bridant le vice. Et qu'il loiie en passant la douce oisiueté Qu'on reçoit en la paix viuant en seureté : Et qu'il tienne secrets les secrets qu'on luy baille. Et que les puissants Dieux tousiours priant il aille ; Qu'aux humbles afligez il oste la douleur, Et qu'aux fiers orgueilleux il donne le malheur.

La Flûte, aux premiers temps, aux Scènes ordonnée N'estoit, comme depuis, de Cuyure enuironnee,

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Et l'esclatant Hautbois n'enuioit point encor La Trompette guerrière aux longues houpes d'or : Mais tenue, gresle et simple, et bien peu pertuisee, Es ieux de ce temps la n'estoit point mesprisee Quand elle ne pouuoit si haut son entonner, Qu'aux sièges elle pust grands troupes amener : Car le peuple nombrable estoit petit à l'heure, Honteux, chaste, modeste et plein d'vne foy seure.

Ainsi nos vieux François vsoient de leur Rebec De la Flûte de bouis et du Bedon auec, Quand ils representoient leurs Moraliiez belles, Qui simples corps voloient sans plumes et sans ailles : De Choeur ils n'auoient point, et par Actes leurs ieux N'estoient point séparez : mais or plus courageux Ils feroient esleuer le Théâtre de France, S'ils auoient longue paix, sur l'antique arrogance.

Or quand le Romain eut, riche et victorieux, Estendu son doumaine, et d'vn mur glorieux Plus ample enuironné l'enclos de sa grand'ville, Et que libre viuant soubs vne loy ciuille Impuniment sortoit par les beaus iours festez Pour plonger ses esprits dedans les voluptez. Aussi tost on vit naistre auecques la licence Et des vers et des ieux la grand'magnificence : Car qu'eust peu lors sçauoir le paisan apelé Auecques le bourgeois confusément meslé ? Et qu'estoit ce de voir vn mal propre mesnage

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Des champs estre en la ville et la ville au village Et l'habile homme ioint auec le mal apris, Et voir les ignorants parmi les beaus espris?

Mais après que le temps rendit ciuilisee, Par l'abondant plaisir, l'allégresse prisée, II aduinl dudepuis qu'auec le mouuement, Le Violon ioua beaucoup plus plaisamment : Et par l'attrait mignard des voix musiciennes Fist celte gayeté passer les anciennes, Sur le Théâtre ouuerl ioyeux se proumenant, Et pompeux à longs plis sa grand'robe traînant : Sur les cordes aussi mieux que deuanl sonnantes Creurent les doux accents des voix bien accordantes Et du parler encor l'ornement estimé Vn langage esleua lors non accoustumé.

Auecques l'ornement de la langue pollie Volontiers la science et s'vnit et s'allie, Qui fist qu'vn beau sçauoir à l'vtil auisant, Et sage par raison, le Futur prédisant, Obtint es faits priuez comme es choses publicques Honneur pareil à ceux des Oracles Delphiques : Par loix et par vsage, vn Règne policé, Quasi comme diuin est conduit et dressé.

La France tout ainsi comme estant en enfance, Gaillarde mesura ses pas à la cadance Diuerse en diuers lieux, quand des Pasteurs apris De Bourgongne et Poitou, furent les branles pris.

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Les Ballets tremousants, les branles et la dance, Auec la Poésie ont grande conuenance : Car on peut par la mine et le geste branlant Démontrer ce que font les Muses en parlant : Et comme en la Pirriche en nos bouffonneries On peut représenter mille plaisanteries, Qui font 'aux passions les âmes emouuoir, Et nous font sans parler vn fait Tragicque voir. Vn fait Comic aussi, qui par la contenance Nous montre des humains les mœurs et la semblance, Vn plaisant Matassin, qui sçaitbien bouffonner, Et contrefaisant tout sçail tout plaisir donner.

Chantant en nos festins, ainsi les vau-de-vire, Qui sentent le bon temps, nous font encore rire.

Vau-de-vire plaisant, ie te tiens bien heureux D'auoir pour gouuerneur Bordeaux le généreux Qui, Csesar imitant dans la fureur des lances, Mesle les doctes Arts auecques ses vaillances. Muses, de vostre main tortissez le Laurier Dont i'ombrage le front de ce ieune guerrier.

Le temps qui tout polit depuis rendit polies La grâce et la douceur de ses chansons iolies, Auec vn plus doux air les branles accordant, Et la douce Musique aux nerfs accommodant : Et nous représentant ses farces naturelles. Choisit vn chant qui fut alors bien digne d'elles. Mais, à dire le vray, la France n'eut iamais

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Vn repos assez long pour iouir de la paix : La misère tousiours sa tristesse a meslee Auec la gaillardise elle est appelée : Toutefois imitant tant qu'elle peut les vieux, Elle tient aux malheurs son courage ioyeux : Et nous a ramené de la Lyre cornue (Qui fut au paravant aux nostres inconnue) Les chants et les accords, qui vous ont contenté, Sire, en oyant si bien vn Dauid rechanté De Baïf et Couruille. 0, que peut vne Lyre 'Slariant à la voix le son et le bien dire. / La France aussi depuis son langage haussa, / Et d'Europe bien tost les vulgaires passa, 1 Prenant de son Roman la langue délaissée, \ Et dénouant le neud qui la tenoit pressée, \ S'eslargit tellement qu'elle peut, à son chois, j Exprimer toute chose en son naïf François. Suiuamment c'est aussi la science eleuee. Au cœur des bons esprits des l'enfance grauee. Qui, soit en faits communs, soit en diuinité, A gaigné sur les vieux le prix d'éternité. Et d'autant que meilleurs sont en Gaule les hommes. D'autant plus excellons que les autres nous sommes En toute Poésie, et brossons à trauers Tant soient ils buissonneux, des haliers plus couuers.

Toutefois l'Artisan n'entreprend point d'ouurage, S'il n'a fait son Chef d'œuure et son apprentissage :

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Mais nous, du premier pas, les Muses nous suiuons ; Sçauans et non sçauans des vers nous escriuons.

Neaumoins ie diray cette douce folie, Cette gentille erreur, estre toute remplie De beaucoup de vertus. lamais premièrement Le Poète n'est point auare aucunement : II aime ses labeurs, son seul but et sa ioye ; Il aime des forests la solitude coye : Il aime ses égaux qui, de franche bonté, N'estrangent de leurs mœurs l'honneste volupté. Il se mocque, il se rit des grands citez rasées, Des pertes, des ennuis, des maisons embrasées; Contre Dieu ni Testât il n'a point comploté : En l'Océan d'erreur son esprit n'a floté : Comme, vn peu Philosophe, il laisse aller le monde. Les Destins plus courants volontaire il seconde : Contre ses compagnons il ne machine rien : Il ne tache d'auoir les orphelins le bien : Sa table est sobre et nette, et comme il se présente, Du peu comme du prou, souuent il se contente. S'il n'est propre à la guerre, aux armes nonchalant, Il est bon à la ville, aux meilleurs s'egallant : Et si lu reconnois que les choses petites Aux grandes aident bien, tu connois ses mérites. Car aux ieunes il sçait aprendre la vertu. Leur former le parler, que ce monstre testu, Que ce peuple ignorant, par mauuaise prononce

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Des vulgaires plus bas, diuersement annonce : Leur fait haïr le vice et, gracieux et doux, Leur corrige l'enuie et l'aigreur du couroux : Les beaux gestes passez il remet en mémoire: Il raconte tousiours quelque agréable histoire, Il donne enseignements, par le ressouuenir Des exemples connus, pour le siècle aduenir: Plaisante est son humeur, vtile sa hantise, Estant tout courtisan, hormis par la feintise : Et quand. Sire, aux honneurs vous l'auez éleué. Estant de la liqueur d'Hipocrene abreué, Beau laurier entre tous il paroist en la sorte Que fait la fueille verde au près la fueille morte.

Mais en mettant moymesme on nos moissons la faux, l'ay veu dire d'ailleurs qu'on trouue des défauts Aux Poètes aussi. Vostre maiesté mesme Qui les Muses connoist, les chérit et les aime, Sire, s'en aperçoit lorsque mal à propos Vous présentant des vers, on rompt vostre repos : C'est vne faute encor quand dépit on mesprise De l'ami de nos chants vne iuste reprise; Quand on le fait vn vers plusieurs fois écouter Que, des le premier coup, il a bien sceu gouster: Et quand nous nous plaignons que nos chants et nos veilles. Que nostre Luth, qui donne aux forests des oreilles, N'est point ouy de vous, qu'il n'est point recherché, Pour estre comme il deust de vous, Sire, aproché :

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Et que nous espérons que, quand vous aurez, Sire, Connu comme si bien nous iouons de la Lire, Qu'enclin à nous aimer, vous nous apelerez, Et chanter voslre nom vous nous commanderez : De sorte que iamais la piteuse soufrête N'aportera chez nous de fain ni de disete. Phœbus est de soymesrae vn peu présomptueux, Tousiours ieune et vanteur, toutefois vertueux.

Beaucoup de nous aussi leurs ouurages n'amendent : Beaucoup à les reuoir trop curieux se rendent. On nota Protogene en son art souuerain Pour ce qu'il ne pouuoit iamais oster la main De ses tableaux polis, sans tousiours l'y remettre : De mesmes on en voit cette faute commettre Par trop grand'diligence à polir leurs escris, Et ne trouuent iamais vn œuure assez repris.

Mais, Sire, vous auez fait vn choix honorable En beaucoup qui rendront Apolon fauorable A vostre Maiesté, qui d'vn si grand donneur Couronne les bienfaits d'vn immortel honneur. Qui diroit qu'Alexandre auroit fait dauantage, Voulant que seulement fust faite son image D'Apelle et de Lysippe, il se mesconteroit, Et l'œuure de la main aux vers r'aporteroit : Car vn visage n'est rapporté par le cuiure, Si bien comme les mœurs le sont par vn beau hure, l'entens par les beaus vers des Poètes sçauants,

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Qui vont voslre louange à qui mienx escriuants.

Mais reuenons au lieu de nos vieilles brisées. Voici la grand forest, les chansons prisées Des vieux Satyres sont : ie m'estoy forlongné Du labeur i'estoy n'aguere embesongné : Et n'estant ces ramas qu'vn plaisant tripotage D'enseignements diuers, i'en faits vn fagotage De bois entremeslé : Car l'arbre Delphien S'y peut voir des premiers : l'arbrisseau Paphien Joint au rampant Lierre ; et d'Oliuier paisible S'y faire vne couronne à tous il est loisible : De ces bois sont sortis les Satyres rageux Qui, du commencement, de propos outrageux Attaquoient tout le monde, estant dessus l'Etage. Mais depuis ils se sont polis à l'auantage : Car sortant des forests, lasciuement bouquins, En la bouche ils n'auoient que des vers de faquins, Tantost longs, tantost cours, comme les Dithyrambes Des mignons de Bacchus, qui n'ont ni pieds ni iambes.

Les bons esprits d'alors, afin que depiteux Ils peussent mieux taxer les vices plus honteux, Us mettoient en auant ces Satyres rustiques Qui sont Dieux ehontez, impudens fantastiques, Qui les fautes nommoient et le nom des absents Et les forfaits secrets quelque fois des présents : Telle estoit des Grégeois la Satyre première. Lucile, à Rome, mist la nouuelle en lumière.

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Et celuy qui premier debatit au passé, Par vn Tragicque vers, pour le bouc barbasse, Ce fut mesme celuy qui le cornu Satyre, Sauuage pied-de-bouc, nous descouurit pour rire : Qui, seuere, gardant la meure grauité, Entremesloit le ris et la simplicité, Afin de retarder, par nouueauté plaisante Et par riants attraits, la troupe regardante, Quand le peuple sortoit, ioyeux et desbauché. Apres le sacrifice et le ieu despeché.

Et comme nos François les premiers, en Prouence, Du Sonnet amoureux chantèrent l'excelence D'auant l'Italien, ils ont aussi chantez Les Satyres qu'alors ils nommoient Siruentez Ou Syluentois, vn nom qui des sylues Romaines A pris son origine en nos forests lointaines : Et de Rome fuyant les chemins périlleux, Premier en Gaule vint le Satyre railleux.

Depuis les Coc-à-l'asne à ces vers succédèrent. Qui les Rimeurs François trop long temps possédèrent. Dont Marot eut l'honneur. Auiourd'huy toutefois, Le Satyre Latin s'en vient estre François, Si parmi les trauaux de l'estude sacrée. Se plaire en la Satyre cf Desportes agrée ; Et si le grand Ronsard, de France l'Apolon, Veut poindre nos forfaits de son vif eguillon ; Si Doublet (animé de lumel qui préside.

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Sçauant au Parlement de nostre gent Druide, )

Met ses beaus vers au iour, nous enseignants moraux,

Soit en dueil, soit en ioye, à se porter égaux;

Et si mes vers gaillards, suiuant la vieille trace

Du piquant Aquinois et du mordant Horace,

Ne me deçoiuent point, par l'humeur remontreux

Qu'vn Satyre au follet soufla d'vn Chesne creux.

Mais rendre il faut si bien les Satyres affables, Mocqueurs, poignants et doux, en contes variables. Et mesler tellement le mot facétieux Auec le ralliement d'vn point sentencieux Qu'egalle en soit par tout la façon rioteuse, Qu'agréable on rendra d'vne langue conteuse, Sautant de fable en fable, auec vn tel deuis Qu'on fait quand priuément chacun dit son aduis D'vn fait qui se présente : en langue Ausonienne On apelle Sermon cette mode ancienne. Horace a soubs ce nom ses Satyres compris ; Nos Sermonneurs preschants aussi l'ont mis en prix.

Et si tu fais parler quelques Nimphes diuines, Des Dieux ou des Héros auec leurs Heroines, Accoutrez brauement de pompes convoiteux. Qu'après on ne les voye, et bouffons et boiteux, Suiure par leurs discours la vulgaire manière De ceux qui vont hantant l'escole tauerniere : De sorte que pensant bas la terre euiter, On te voye haut au ciel mal à propos monter,

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Et peu digne Tragicque, estendre à la voilée, Vne parole basse et puis vne empoullee.

Suiuant vn dous moyen subtil faut ioindre l'Art Auecques la sornette et le graue brocart; Et mesme faire encor que l'ami ne se fâche Quand d'vn vice, commun à chacun, on l'atache. Comme la Dame honneste aux Dimenches chommez Se trouue quelquefois aux banquets d'elle aimez. Ou contrainte à danser, ne laisse bien modeste, De courtoise montrer vn graue et ioyeux geste : Ainsi doit la Satyre, en sornettes riant, La douce grauilé n'aller point oubliant : Estant et de plaisir et d'honnesteté pleine, Comme la belle Grecque et la chaste Romaine. Ainsi void on souuent la ioyeuse beauté Coniointe chastement auec la loyauté. Des mots dous et friants il ne faut point élire, Ni ceux qui sont trop lours, en faisant la Satyre ; Les communs sont les bons ; dehors du rond compas Du Tragicque du tout ie ne sortiray pas : Mais ie mettray tousiours vne grand'difïerence Alors que Zani parle auec quelque aparence : Ou Pite ayant Simon de son argent mouché : Ou bien quand de Bacchus vn Sylene embouché le feray discourir. D'vne chose vulgaire Et commune à chacun, mon vers ie pourray faire, D'vne facilité si douce la traitant

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Que chacun pensera pouuoir en faire autant :

De sorte qu'il dira que mes vers et la prose,

En discours familiers sont vne mesme chose,

Que chacun parle ainsi, qu'on ne craint le malheur

De voir friper ces vers pour leur peu de valeur :

Mais s'il vient pour en faire à l'enui de semblables,

Il verra qu'aisément ils ne sont imitables,

Tant bien l'ordre, le sens, et les vers se ioindront,

Et le langage bas et commun ils tiendront :

Et tant d'honneur adulent et de bonne fortune

Au suiet que l'on prend d'vne chose commune,

Selon mon iugement, ces Faunes fron-cornus Qui des noires forests aux villes sont venus, Ainsi que s'ils estoient aux citez dans les rues, Aux Palais, aux marchez des villes plus courues. Comme ieunes muguets n'vseront affettez Du parler de la ville ou d'ordes saletez. Et ne vomiront point d'vne manière sote Vn propos indiscret, vne iniure ou riote ; Les riches et les grands s'en tiendroient offensez. Et bien que des bouffons il se rencontre assez, Et tels marchants louans cette façon bouffonne, Si n'acquerront ils point des sages la couronne.

En Satyre tu n'as en Grec autheur certain : Suy doncques la façon du Lyrique Romain, De luvenal, de Perse, et l'artifice brusque Que suit le Ferrarois en la Satyre Etrusque.

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Remarque du Bellay; mais ne l'imite pas. Suy, comme il a suiuy, la marque des vieux pas, Meslant sous vn dous pleur enlremeslé de rire, Les ioyeux eguillons de l'aigrette Satyre : Et raporte vn butin de Latin et Grégeois, Ainsi comme il a fait au langage François, Et ieune ne suy pas ces Damerets Poètes Qui larrons ne sont rien que Singes et Choëtles.

Quand la syllabe longue après la breue alloit, Ce pied vite, en Latin ïambe on l'apeloit; Et si nom de Trimetre à l'ïambe l'on donne, Pour ce que sous les doigs par six fois il resonne. A soy premièrement semblable il fut sans plus : Mais depuis, les Spondés pesans et résolus, En fm auecques luy plus fermes prindrent place : L'ïambe patient les receut de sa grâce. Mais en les receuant il ne leur quitta pas Ni le siège second ni le quatriesme pas. Plus dous par ce moyen ils furent à l'oreille, Et les vieux les faisoient de cadence pareille.

Apres que maints esprits rangeants la quantité De la langue Françoise à la Latinité, Eurent rendus aux pieds de leurs mots ordinaires La démarche et les pas de leurs légers Senaires : De ces vers l'artifice en la France a esté Par maints autres esprits diuersement tenté, De sorte que Toutain a fait que l'Alexandre

En la Rime pouuoit en Phaleuces se rendre.

Baif qui n'a voulu corrompre ni gasler L'accent de nostre langue, a bien osé tenter De renger sous les pieds de la Lyre Gregoise, Mais en son propre accent, nostre Lyre Françoise : Et tant a profité ce courageux oser Que, comme luy, plusieurs ont daigné composer, Allians à leurs vers mesurez à l'antique. L'artifice parlant de la vieille Musique. le ne sçay si ces vers auront authorité : C'est à toy d'en parler, sage Postérité, Qui sans affection peux iuger toutes choses, Et qui sans peur les prendre ou réieter les oses.

Bref, ces Ïambes sont biserres et diuers, Par nous représentez à maints genres de vers ; Comme sont d'autre part les doux vers de Catule, De Fontan, de Second, de Flamin, de Marule, Qui d'vnze pieds marchoient : mais les François gaillars, Qui les font plus petits, ne les font moins mignars : Tesmoins tant de baisers. Chansons, Airs, Amourettes, Mignardises, Gaytez, et telles œuurelettes, Dont leurs escrits sont pleins, peignans d'vn dous pinceau Tout ce que la Nature a de rare et de beau.

Les vers pesants et lourds enuoyez sur la Scène, Langoureux ou hâtez, ou composez à peine, Ne sont pas estimez par vn sçauant en l'Art : Il blasmera celuy qui tente le hasard

De se faire mocquer, quand trop mal il s'asseure, En balançant au poids des nombres la mesure. Et de n'enfanter pas en termes bien receus, Les vers qu'en luy premier Phœbus aura conceus, Et de n'estre soigneux d'vne Rime coulante, Qui se rende à l'oreille agréable et plaisante.

Chacun n'auise pas les vers qui, mal limez, Sont montrez au public, d'entre les estimez. A la Muse Romaine ayant esté permise Vne grande Licence, (indigne d'estre admise,) Alors qu'on commençoit : et mesme nos François S'estants plus largement estendus mile fois. Me dois-ie hasarder de mètre sur la presse Mes Poèmes qui sont pleins de toute rudesse? Ou si pluslost ie doy par iugement preuoir Que chacun pourra bien ma faute aperceuoir? Si bien que, me taisant par vne sage ruse, le ne sois point tenu de faire aucune excuse? La faute en ce faisant ie peux bien euiter, Mais de louange aussi ie ne puis mériter.

Esprits, qui recherchez et matins et serees Des Grecs et des Latins les traces asseurees, Feuilletez leurs labeurs et vous trouuerez Comme vn renom fameux acquérir vous pourrez : Le sçauoir, l'artifice, auec l'experte vsance. Donnent en quelque temps au renom accroissance. Comme on void l'vne fois nostre ombre aller deuant

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Et l'autrefois derrière : ainsi va s'esleuant Le renom des humains : quelquefois des la vie Et quelque fois après la mort en est suiuie. Et les Muses tousiours laisseront renommez Tous ceux qu'elles auront chéris et bien aimez.

Mais nostre Poésie en sa simplesse vtile, Estant comme vne Prose en nombres infertile, Sans auoir tant de pieds comme les Grecs auoient, Ou comme les Romains qui leurs pas ensuiuoyent, Ains seulement la Rime : il faut, comme en la Prose, Poète n'oublier aux vers aucune chose De la grande douceur et de la pureté iQue nostre langue veut sans nulle obscurité, iEt ne receuoir plus la ieunesse hardie A faire ainsi des mots nouueaux à l'estourdie. Amenant de Gascongne ou de Languedouy, D'Albigeois, de Prouence, vn langage inouy : Et comme vn du Monin faire vne parlerie Qui, nouuelle, ne sert que d'vne moquerie.

Ceux qui cherchent des mots empoulez et bouffis, Et des discours obscurs, qui ne sont point confis Dans le sucre François, font vne faute telle Que ceux qui vont quittant vne fontaine belle, Pour puiser de l'eau verte en vn palu fangeux Ou dans le creux profond d'vn lieu marescageux. Vos paroles soient donc et vos pointes eleues En figures, qui sont des Muses bien voulues :

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Manières de parler qu'vn Relhoricien

En Grec apelle Scheme enseignant l'Arlien.

Chasser on ne doit pas par les forests espaisses, Qui ne sçait les détours, les roules, les adresses, Qui ne sçait redresser les chiens à leur défaut, De faire vn Horuari requêter comme il faut. Ainsi dans l'espaisseur du buisson de Permesse Ne faut s'auenturer qui ne sçait la r'adresse. Qui conduit au sommet du double mont cornu : Car Poète on n'est point qu'on n'y soit paruenu.

le confesseray bien que les Romains antiques Auoient fort estimé les nombres Poétiques, Les vers et plaisants mots de Plaute qu'ils portoient Par trop patiemment, et qu'ils s'en contentoient Par grossière simplesse, et que l'innocent âge De nos bons vieux Gaulois estimoit le ramage De nos premiers Roman ts (qui le Romain parler Fait Gaulois, au Gaulois sçauoient entremesler ) Vn peu légèrement : et si ne veux pas dire Qu'à l'heure qu'ils oyoient quelque bon mot pour rire En leurs chants, Chanterels, Sons, Seruantois, Tançons, Pastorelles, Déports, Soûlas, Sonnets, Chansons, Triolais, Virelais, leux-partis, Lais, Sornettes, (Sans les bonnes iuger d'entre les imparfaites) Goffes, tout leur plaisoit en tel contentement Qu'ils n'ont iugé depuis des Rondeaux autrement Balades, Chants-royaux, Epistres et Complaintes,

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Que bons ils adoroient d'affections non feintes : Descriuant leurs amours, ainsi comme en tableaux, Dedans leurs beaus Tlomants, et dedans leurs Fableaux. En France lors n'esloit de race grande et belle Qui n'eust quelque Roman particulier pour elle.

Depuis long temps encor Guillaume de Loris, lean de Meun-clopinel, on prisoit à Paris Auec peu de raison, au moins si, pour cette heure, Des rimes nous sçauons discerner la meilleure, Et si nous scauons bien à l'oreille et aux dois luger le vers qui marche au nombre de ses lois.

Or rVualon estant tout le premier vulgaire. Et ritale, et l'Espagne, ont formé l'exemplaire Du leur sur son Roman, ayant pris pour leçons De nos chants et Sonnets les antiques façons : Et puis comme celuy qui de ruse maline, Dérobe le chenal en l'eslable voisine, Luy fait le crin, la queue et l'oreille couper, Et quelque temps après le reuend pour tromper A son mesme voisin : ainsi nostre langage Ils ont prins et planté dans leur terreur (1) sauuage. Et l'ayant déguisé, nous le reuendent or, Comme fins maquinons, plus cher qu'au prix de l'or (2).

Et comme nous voyous beaucoup d'herbes plantées

0) Sic, dans l'édit. 1605, Caen, Charles Macé. Il faut lire : terroir. (2) Comparer ce passage avec ce que disent Brunelto Latini et Dante eux- mêmes.

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D'vn bon terroir en l'autre, et les greffes entées Dessus vn autre pied, derechef reuenir Et de leur premier tronc perdre le souuenir, (iTout de mesme les traits, les phrases et la grâce, Prenant d'vne autre langue en nostre langue place, S'y ioignent tellement qu'on diroit quelquefois Qu'vn trait Latin ou Grec est naturel François. [Virgile ainsi pilla d'Homère la richesse ^tjiaturalisa des Grégeois la sagesse ; Et l'Arioste après, en les pillant tous deux, Plus hardiment a pris les gestes hasardeux De nos vieux Paladins, connus par tout le monde, Et des preux Cheualiers de nostre Table-ronde ; Du Prophète Merlin les forts enchantemens; De Turpin l'Archeuesque, en ses racontemens Suiuant l'histoire vraye, alors que Charle-magne Pauoit, à Ronceuaux, de morts toute l'Espagne, Et qu'Agramant venu cet outrage vanger, Vouloit dessous ses lois la grand'Cité ranger.

A l'heure Lancelot, en Prose Héroïque, Montroit de nos maieurs la fureur Poétique, Et rauissoit l'esprit de cent diuersitez, Meslant auec l'Amour les grands solennitez Des ioustes, des Boubourds, lors que de Connoissances Ils honoroient le bout de leurs guerrières lances, Et dessoubs le secret des figurez blasons Se cachoient de l'Amour les plaisantes raisons.

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Aux combats mesmement on voit! mile manières De porler armoyez les Escus aux Banieres, Le Tymbre menaçant l'Armet enpanaché, Et le Mot-de- bataille au dessoubs attaché, Cotte-d'armes, Harnois, les armes etofees Par la courtoise main des gracieuses Fées.

Nostre Amadis de Gaule en vieil Picard rimé, N'estoit moins que nos Pairs entre nous estimé. D'Amadis, l'Espagnol a sa langue embellie. Et sa langue embellit de nos Pairs l'Italie : Et quand nous reprendrons ces beaus larcins connus, De rien nous ne pouuons leur en estre tenus.

De Thespis le premier la manière est venue De la Farce Tragicque encor lors inconnue. Quand dans les Chariots et Tombereaus couuers Conduit, il fist iouer publiquement ses vers Par des gentils bouffons, qui d'vne lie epesse Leur face barbouilloient par les villes de Grèce. Ainsi vont à Rouen les Conards badmants. Pour tout déguisement leur face enfarinants.

Mais par AEschyle fut celte façon oslee Depuis que braue il eut la manière inuentee De se seruir de masque, et proprement changer D'habillemens diuers, commençant à ranger Les limandes, les ais, pour dresser le Théâtre : Il enseigna deslors à parler, à s'ébattre Vn peu plus hautement, et lors fut amené

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L'vsage encor non veu du soulier cothurne.

De fausse barbe ainsi nos vieux François vserent, Quand leurs moralitez au peuple ils exposèrent. Ils ont montré depuis d'vn vers auantageux, louant deuant les Rois leurs magnifiques ieux, Qui feroient aisément que la Muse Françoise Peut estre passeroit la Romaine et Grégeoise, S'elle auoit eu l'apuy d'vn grand Roy pour soustien Pluslost le bien estrange on prise que le sien, lodelle, moy présent, fist voir sa Cleopatre En France des premiers au Tragique théâtre, Encor que de Baïf vn si braue argument Entre nous eust esté choisi premièrement. Peruse ayant depuis cette Muse guidée Sur les riues du Clain, fist incenser Medee : Mais la mort enuieuse auançant son trespas, Fist que ces vers tronqués parfaire il ne sceut pas, Quand Saintemarthe emeu de pitié naturelle De ces doux orphelins entreprist la tutelle, Scauant les r'agença, leur patrimoine accreut, Et grand'peine et grand soin pour ses pupiles eut. Puis Toutain nous fist voir de la couche royale Du Prince Agamemnon la traison desloyale, Cependant que Morin, en tout sçauoir profond, Et d'vn autre costé le bien disant Nemond, S'efforcoient d'enseigner en nostre langue ornée La loy qui fut iadis aux vieux Romains donnée.

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Et maintenant Garnier, sçauant et copieux, Tragique a surmonté les nouueaux et les vieux, Monstrant par son parler assez doucement graue Que nostre langue passe auiourd'huy la plus braue.

Maisonnier d'autre part qui se plaisoit souuent D'ouyr son Pin sifler aux aubades du vent, La Satyre escriuoit. En sa prime iouvance, Chantecler arriuant paya la redeuance A Phœbus comme nous, et d'autres que le temps Eniura du plaisir de ces vains passetemps ; Quand en mesme saison, plein d'vne ardeur diuine, Le Feure bouillonnant dans sa vierge poitrine, Des Hébreux et des Grecs, Poète tout Chrestien, De bien chanter de Dieu rechercha le moyen.

En ce temps, ô quel heur ! sans haine et sans enuie, Nous passions dans Poitiers l'Auril de nostre vie ; Au lieu de demesler de nos Droits les débats, Muses, pipez de vous, nous suiuions vos ébats. Mais comme vn pèlerin, qui retourne au voyage, D'oîi s'estant plusieurs fois, par maint diuers bocage, Egaré, ne s'égare encore vne autre fois : Ainsi, Muses, depuis, le chant de vostre vois Ne nous a tant deceus, que n'ayons fait seruice Au Roy, tenant le poix de l'egalle Justice ; Que nous n'ayons aussi par vos douces liqueurs, De la guerre ciuile adouci les rigueurs, Et que chacun de nous en sa douce contrée,

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0 Muses, n'ait de vous la science montrée : Tesmoins sont de ma part la belle eau de Cressy, Ante petit, la Roche, et mon grand Orne aussy, ieune le premier i'enflay vostre Musete : Mais nul n'est, ô malheur ! en sa terre prophète. Les soupçons enuieux, les médits, la rancœur Des nostres, me faisoit tout refroidir le cœur.

La muse est enuiable et l'ignorant s'irrite, Quand il oit de Phœbus vne chanson bien dite. Comme on conte qu'vn Tigre au son du Tabourin Et s'irrite et bondit, comme vn monstre marin, Et tant plus le Tabour il oit sonner et bruire. Dépit en se mordant plus fort il se déchire : Ainsi fait l'enuieux, les louanges oyant Du vertueux qu'il va misérable enuiant. Tousiours il se tourmente, et tousiours vne enuie Luy ronge les poulmons le reste de sa vie. Chetiue enuie, encor, tu fais bien seulement En donnant à tous ceux qui t'aiment du tourment. Vne belle lumière amené vn bel ombrage, Qui les yeux enuieux éblouit d'vn nuage. de bonne maison par la faueur des Cieux, Mon bonheur offusqua l'œil de mes enuieux.

Mais quel vent ma nacelle en haute mer enuole Car i'ay passé le temps que marque ma Boussole. Reuenons au courant les grands Empereurs Mourants sont faits egaulx aux poures laboureurs.

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Au Tragique argument pour te seruir de guide, Il faut prendre Sophocle et le chaste Euripide, Et Seneque Romain : et si nostre Echafaut Tu veux remplir des tiens, chercher loin ne te faut Vn monde d'argumens : car tous ces derniers âges Tragiques ont produit mile cruelles rages. Mais prendre il ne faut pas les nouueaux argumens : Les vieux seruent tousiours de seurs enseignemens. Puis la Muse ne veut soubs le vray se contraindre : Elle peut du vieil temps, tout ce qu'elle veut, feindre.

Pauvre France qui dors, quand tu t'eueilleras, De tes enfants mutins tu t'emerueilleras. Celuy qui pourroit voir vne forest arbreuse, Grande, belle, peuplée, antique, noire, ombreuse, Et la reuoir après sans ombre ni rameaux, Vn Taillis remarqué de quelques balliueaux, Ayant senti le fer de la hache, émoulue Pour faire trébucher sa richesse fueillue : France, il te void ainsi, sans Sceptre maiestueux, Sans couronne Royale, en port calamiteux, Ta robe par lambeaux, comme à l'accoustumee N'estant plus de lis d'or sur l'azur parsemée. Tes massacres cruels aux beaux ans qui suiuront Aux Poètes Tragics de suiet seruiront : Mais ore appaise toy ; permets que tes contrées Ne soient à l'auenir de tes fureurs outrées. Nous, en ce peu de paix, Nous, qui sentons en nous

7

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Vn Dieu qui nous échauffe et nous chatouille tous, Nous nous reiouirons, tachant par vn bel aise, A faire quelque chose en quoy Phœbus se plaise. Aussi bien pouuons nous, Muses, vous dire adieu ; Car, Muses, de long temps ici vous n'aurez Heu. Des bons loueurs de Luth la main est engourdie. L'ardeur de la ieunesse est partout refroidie, Et desia de vos sons, et desia de vos chants, Moins de conte il se fait que des contes des champs. Et si par celte paix vn peu d'eiouissance Ne nous donne pouuoir sur l'aueugle ignorance, Tous vos arts se perdront. Muses, donc, aprouuez Que parmi tant de maux ioyeux vous nous trouuez.

Comme vn forçat Chrestien qui, depuis mainte année, Viuoit dessoubs le Turc en triste destinée^ De Tripoly sortant à Malle va ioyeux, Echapé hors des mains d'vn bascha furieux : Ainsi gais nous viurons si, sortis de l'oppresse, De la guerre il se peut tirer quelque alegresse.

Vous, Sire, cependant aimez le saint troupeau Qui du guide Apolon a suiui le drapeau. Replantez les Lauriers, refournissez les places Des monts et des vallons, des Muses et des Grâces. Faites que leurs recois de Mars endommagez, Ainsi qu'au parauant ne soient desombragez. Vous laisserez le Sceptre et le beau Diadesme, Les ornemens Royaux, et la Couronne mesme.

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Mais cela que la Muse acquis vous gaignera, Sire, lousiours par tout vous accompagnera, Et dans le Ciel les vents en la bouche des Anges, Les Anges iusqu'à Dieu porteront vos louanges

FIN Dv 2. Livre.

BIBLIOTHECA Ottavienst»

L'ART

P 0 E T I Q V E

FRANÇOIS

00 l'oîH PEVT REMARQVER LA PERFECTION ET LE DEFAVT DES ANCIKNNES ET DES MODERNES POESIES

AV ROY

Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin

L'ART

PO E TI Q VE

FRANÇOIS

OU l'on PEVT REMARQVF.a lA PERFECTION ET LE DEFAVT DES ANCIENNES ET DES MODERNES POESIES

AV ROY

Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin

LIVRE TROISIESME

^^ IRE , ie voy le port : montrez vostre faueur. -. Dans ce trouble Océan, soyez l'Astre sauueur

Qui me face espérer que vous, ma petite Ourse, Conduirez mon esquif seurement en sa course. Muses, ayant passé les flots plus oragez, Ne permettez qu'au port nous soyons submergez.

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leunes, prenez courage, et que ce mont terrible Qui du premier abord vous semble inaccessible, Ne vous estonne point. Jeunesse, il faut oser, Qui veut au haut du mur son enseigne poser. A haute voix desia la Neuuaine cohorte Vous gaigne, vous appelle et vous ouure la porte, Vous montre vne guirlande, vn verdoyant lien. Dont ceint les doctes fronts le chantre Delien, Et par vn cri de ioye anime vos courages A vous ancrer au port en dépit des orages : Elle répand desia des paniers pleins d'oeillets. Des roses, des boutons, rouges, blancs, vermeillets, Remplissant l'air de musc, de fleurettes menues. Et d'vn parfum suaue enfanté dans les nues : Ces belles fleurs du Ciel vos beaus chefs toucheront, Et sous vos pieds encor la terre enioncheront. Dans le Ciel, obscurci de ces fleurs epandues. Sont les diuinesvoix des Muses entendues. Voyez comme d'odeurs vn nuage épaissi De Manne, d'Ambrosie, et de Nectar aussi Fait pleuuoir dessus vous vne odeur embamee

\Qui d'vn feu tout diuin rend vostre ame enflamee. Les vers sont le parler des Anges et de Dieu, La prose des humains. Le Poète au milieu

^S'eleuant iusqu'au Ciel, toutrepeu d'Ambrosie, En ce langage escrit sa belle Poésie. Pleust au Ciel que tout bon, tout Chrestien et tout Saint,

105 -

Le François ne prist plus de suiet qui fust faint ! Les Anges à miliers, les âmes éternelles Descendroient pour ouir ses chansons immortelles!

C'est desia trop long temps cette Muse inuoqué, Qui rend d'vn court plaisir vn bel esprit moqué, Sur l'Helicon menteur couronnant les perruques De Lauriers abuseurs, flestrissants et caduques. Apres elle tousiours il ne faut s'incenser. Il faut monter aux Cieux sur l'aisle du penser : Là, cette Muse voir, qui d'Astres couronnée, Ayant de beaus rais d'or la teste enuironnee, Couronne les beaus chefs de Lauriers qui sont tels Que non mourants ils font les mourables mortels, Dessus vn vray Parnasse oîi la sainte verdure Des Myrthes amoureux éternellement dure, Ne laissant toutesfois d'embellir, d'emperler De fleurs d'humanité ses vers et son parler : Du sage Médecin imitant la coustume, Qui pour faire aualer la fâcheuse amertume D'vn breuuage salubre, au bord du gobelet Met du iulet sucré, plaisant et doucelet (1).

Mais les Prouinces sont en France si troublées Que pour Mars seulement s'y font les assemblées. Les Muses n'y sont plus, Phœbus en est parti ; Les doctes autrepart veulent prendre parti.

(4) Cette comparaison, traduite de Lucrèce, l'a été beaucoup inieu:i: par le Tasse, Gerus. Liberala.

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Vn orage partout les beaus lauriers fracasse, Saccage nos forests, destruit nostre Parnasse.

Viendra iamais le temps que le harnois sera Tout couuert des filets que laraigne fera? Que le rouil mangera les haches émoulues, Que les hantes seront des lances vermoulues? Que le son des clairons ne rompra nuict ne iour Du pasteur en repos le paisible seiour? Viendra iamais le temps que les amours iolies Et les Muses ie voye en France racueillies. Sans que de la discorde on parle désormais? Viendra iamais le iour que retourne la paix? La main pleine d'espics auec l'Oliuier palle, La corne d'Amallee et qu'ici liberalle Abondante elle semé vne moisson de bien Qui remette la France en son heur ancien? Que derechef encor les Bouffons on reuoye, Masquez et déguisez, se brauer par la voye. Et laissant leurs vieux ieux, à la façon du temps Des Grecs et des Romains, iouer leur passetemps?

Or aux Grecs vint ainsi la vieille Comédie, Non sans grande louange outrageuse et hardie, Quand en vice tomba cette grand'liberté, Qui de tout blasonner prenoit authorité. Et par Edict exprès elle fut reformée, Ce qui fut bien receu, la vieille estant blamee; Et le Chore des lors s'en teut honteusement,

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Et de piquer ne fut permis aucunement.

Ainsi dedans Paris i'ay veu par les collèges, Les sacrilèges estre appelez sacrilèges Es leux qui se faisoient, en nommant franchement Ceux qui de la grandeur vsoient indignement, Et par son nom encor appeler toute chose. Médire et brocarder de plus en plus on ose. Alors vous eussiez veu les paroles, d'vn saut, Comme balles bondir, voilant de bas en haut.

Mais cette liberté, depuis estant relrainle, Mile gentils esprits sentant leur ame attainte De la diuinité d'Apolon, ont remis Le soulier du Comicque aux limites permis : Fuyant d'Aristophane en médisant la faute, Et prenant la façon de Terence et de Plaute, Ils ont, en leurs Moraux, d'vn air assez heureux De Menandre meslé mile mots amoureux. Mais les Italiens, exercez d'auantage. En ce genre eussent eu le Laurier en partage, Sans que nos vers plaisants nous représentent mieux Que leur prose ne fait cet argument ioyeux : Greuin nous le tesmoigne, et cette Reconnue Qui des mains de Belieau n'agueres est venue, Et mile autres beaus vers, dont le braue farceur, Chasteau-vieux, a monstre quelque fois la douceur.

Premier la Comédie aura son beau Proëme, Et puis trois autres parts qui suiuront tout de mesme.

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La première sera comme vn coijrt argument

Qui raconte à demi le suiet breuement,

Retient le reste à dire, afin que suspendue

Soit l'ame de chacun par la chose attendue.

La seconde sera comme vn Enu'lopement,

Vn trouble-feste, vn brouil de l'entier argument

De sorte qu'on ne sçait quelle en sera l'issue

Qui tout'autre sera qu'on ne l'auoit conceue.

La dernière se fait comme vn Renuersement,

Qui le tout débrouillant fera voir clairement

Que chacun est content par vne fin heureuse,

Plaisante d'autant plus qu'elle estoit dangereuse.

Des ieuneson y void les faits licencieux.

Les ruses des putains, l'auarice des vieux.

Elle eut commencement entre le populaire

Duquel l'Athénien bailla le formulaire :

Car n'ayant point encor basti sa grand'Cité

En des bordes ce peuple estoit exercité

Marcher comme champestre, et par les belles plaines,

Auprès des grands forests, des prez et des fontaines

Tantost il s'arrestoit, tantost en autre lieu.

Il faisoit cependant sacrifice à son Dieu

Apolon Nomien. En grandes assemblées

Faisant tous à l'enui des chères redoublées,

Buuants, mengeants ensemble, ensemble aussi chantanl

Ils apeloient cela Comos, qui vaut autant

Que commune assemblée, et de leurs mariages,

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De leurs libres chansons et de leurs festiages, Qu'ils faisoient en commun, ce fist en fin le nom De Comédie, ayant iusqu'ici son renom.

La Comédie est donc vne Contrefaisance D'vn fait qu'on tient meschant par la commune vsance ; Mais non pas si meschant qu'à sa meschanceté Vn remède ne puisse estre bien aporlé, Comme quand vn garçon vne fille a rauie, On peut en l'espousant luy racheter la vie.

Telle dire on pourroit la mocquable laideur D'vn visage qui fait rire son regardeur : Car estre contrefait, auoir la bouche torte. C'est vn défaut sans mal pour celuy qui le porte.

Mais le suiet Tragic est vn fait imité De chose iuste et graue, en ses vers limité, Auquel on y doit voir de l'affreux, du terrible, Vn fait non attendu, qui tienne de l'horrible, Du pitoyable aussi, le cœur attendrissant D'vn Tigre furieux, d'vn Lion rugissant : Comme quand Rodomont, abusé par cautelle, Meurtrit se repentant la pudique Isabelle, Ou comme quand Creon, aux siens trop inhumain, Vit sa femme et son fils s'occire de leur main.

On fait la Comédie aussi double, de sorte Qu'auecques le Tragic le Gomic se raporte. Quand il y a du meurtre et qu'on voit toutefois Qu'à la fin sont contens les plus grands et les Rois,

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Quand du graue et du bas le parler on mendie,

On abuse du nom de Trage-comedie ;

Car on peut bien oncor, par vn succez heureux,

Finir la Tragédie en ébats amoureux :

Telle estoit d'Euripide et l'Ion et l'Oreste,

L'Iphiginie, Hélène et la fidelle Alceste.

Tasso par son Aminte aux bois fait voir d'ailleurs

Que ces contes Tragics ainsi sont les meilleurs.

Au Poëme Tragic se raporte et réfère Vne Iliade en soy. Le Margite d'Homère Respondoit au Comic des hommes moyens (Comme des plus grands Rois) des humbles citoyens Se voyoit la nature et la façon bourgeoise, Comme Héroïque escrite, en sa langue Grégeoise. Le Tragic ne montroit que des faits vertueux, Magnifiques et grands, Royaux et somptueux ; Le Comic que des faits qui, tous, dignes de blâme, Ne rendroient pas pourtant le bon Margite infâme. Las ! le temps deuorant Margite a deuoré Et le nom seulement nous en est demeuré. Depuis nul autheur Grec, ni Romain, ni vulgaire. De Poëme pareil n'ont entrepris de faire.

Mais rien n'est si plaisant, si patic ne si dous Que la reconnoissance, au sentiment de tous! Vlysse fut connu par vne cicatrice Qu'en luy lauant les pieds remarqua sa nourrice. Par ioyaux, par vn merc, qui sur nous apparoist,

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Et par cent tels moyens, les siens on reconnoist.

Puis qu'est il rien plus beau qu'vn aigreur adoucie Par le contraire euent de la Péripétie? Polinisse croyoit la mort d'Ariodant, Espérant voir ietter dans vn brasier ardant L'innocente Geneure, alors que misérable Au contraire il se void mourir comme coupable.

Léon, de Bradamante ayant esté vainqueur, Par Roger inconnu, son amour et son cœur, Par la loy du combat de Charles ordonnée Elle deuoit au Grec épouse estre donnée : Mais elle ne pouuant en son ame loger Vn autre amour égal à celuy de Roger, Pluslost que de le prendre elle se veut défère : Son Roger d'autrepart de mourir délibère.

Par vn euent diuers il arriue autrement : Roger est reconnu pour auoir feintement Combattu soubs le nom du Prince de la Grèce, Soubs ce masque vaincu soymesme et sa maistresse : Desia toute la Court de l'Empereur Latin La donne bien conquise au fils de Constantin : Quand Léon le voyant estre Roger de Rise, De sa vaine poursuite abandonne la prise, Luy quitte Bradamante, et courtois généreux Aide à conioindre encor ce beau couple amoureux. Ainsi sont ioints ensemble et la reconnoissance Et le contraire euent qui luy donne accroissance.

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L'Heroic, le Tragic, vse indiferemment Auecques le Comic, de ce dous changement. Tu ne dois pas laisser, ô Poète, en arrière Croupir seule es foresls la Muse Forestière : Mais tu la dois du croc dépendre, et racoutrer Son enche et son bourdon, et pastre luy montrer domme Pan le premier soufla la Chalemie, Coniointe des roseaus de Syringue s'amie, Qu'Apolon ensuiuit, quand sur le bord des eaux D'Admete en Thessalie il gardoit les troupeaux. Apres, vn Berger Grec es champs de Syracuse, A l'égal de ces Dieux enfla la Cornemuse. Sur le Tybre Romain Tytire, dudepuis Les imitant, sonna la FluLe à sept pertuis ; Long temps après encor reprist cette Musette Vn Berger sur les bords du peu connu Sebethe : Et ce flageol estoit resté Napolitain, Quand, pasteur, des premiers sur les riues du Clain, Hardi ie l'embouchay, frayant parmi la France Ce chemin inconnu pour la rude ignorance, le ne m'en repen point, plustost ie suis ioyeux. Que maint autre depuis ait bien sceu faire mieux. Mais plusieurs toutefois, nos forests epandues Ont sans m'en faire hommage effrontément tondues : Et mesprisant mon nom ils ont rendu plus beaux Leurs ombres decouuers de mes fueillus rameaux. Baïf et Tahureau, tous en mesmes années,

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Auions par les foresls ces Muses pourmenees.

Belleau, qui vint après, nostre langage estant

Plus abondant et dous, la nature imitant,

Egalla tous Bergers. Toutefois dire l'ose

Que des premiers aux vers i'auoy meslé la prose.

Or', Pibrac et Binet, pasteurs iudicieux.

Font la champestre vie estre agréable aux Dieux.

Tu peux encore faire vne sorte d'ouurage Qu'on peut nommer forest ou naturel bocage. Quand on fait sur le cham, en plaisir, en fureur, Vn vers qui de la Muse est vn Auancoureur, Et que pour vn suiet on court par la carrière. Sans bride galloppant sur la mesme matière, Poussé de la chaleur, qu'on suit à l'abandon, D'vne grand'violence et d'vn aspre randon.

Stace fut le premier en la langue Romaine, Qui courut librement par cette large plaine. Comme dans les forests les arbres soustenus Sur leurs pieds naturels, sans art ainsi venus, Leur perruque iamais n'ayant esté coupée, Sont quelquefois plus beaus qu'vne taille serpee. Aussi cette façon en beauté passera Souuent vn autre vers qui plus limé sera. Les François n'ont encor cette façon tentée : Si Ronsard ne l'a point au Bocage chantée. En mon âge premier chanter ie la pensoy, Quand ma Foresterie enfant ie commencoy.

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Si puis après on veut la toile ourdir et tistre Du vers sentencieux de l'enseignante Epistre, Le vray fil de la trame Horace baillera, Libre, graue, ioyeux à qui trauaillera, Et tu verras chez luy qu'aux Satyres il tache Arracher de nos cœurs les vices qu'il attache , Et que tout au contraire aux Epistres il veut Mettre et planter en nous foutes vertus s'il peut. Vne Epistre s'escrit aux personnes absentes, La Satyre se dit aux personnes présentes Sans grande différence : et pourroient proprement Sous le nom de Sermons se ranger aisément.

Imite dans les Grecs l'Epigramme petite; Marque de Martial, trop lascif, le mérite. Sur tout breue, r'entrante et subtile elle soit : De Poëme le nom trop longue elle reçoit. Elle sent l'Keroic, et tient du Satyrique; Toute graue et moqueuse elle enseigne el si pique. L'Epigramme n'estant qu'vn propos racourci. Comme vne inscription, courte on l'escrit aussi.

Les Huictains, les Dixains, de Marot les Estreines, T'y pourront bien seruir comme adresses certaines, Et les vers raportez qui, sous bien peu de mots. Enferment brusquement le suc d'vn grand propos.

L'Epicede se chante auant que l'on enterre Le corps du trespassé. Quand la voûte l'enserre, L'Epitaphe se met sur le Tombeau graué.

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Ou bien dans vn Tableau dignement eleué.

Quand en vers l'Epitaphe on fait en Epigramme, Mis contre vne coulonne en Cuyure en quelque lame, Celuy pour le meilleur on doit lousiours tenir, Qu'on peut mesme en courant et lire et retenir.

Or si d'vn plus beau feu ton ame est échauffée Pour des Hymnes chanter : suy les restes d'Orphée, Homère et Callimach : et suy ce Bisantin Marule, et Claudian les chantans en Latin. Note pareillement la généreuse audace De Ronsard, qui les vieux en ce beau genre passe, Et le iugement grave et la facilité Du scauant Pelletier, en son antiquité. Et si tu ne veux point vser de noms estranges, Donne leur, comme luy, le beau nom de louanges. Ou si tu veux, plus sage, imite de Sion Le Prophète Royal sur le Psalterion.

A dire il reste encor que Poèmes se prennent Pour vn suiet petit que peu de vers comprennent, Comme qui descriroit le superbe pauois Ou du Troyen AEnee ou d'Achile Grégeois, Et dessus tout au long de leur race future, Et du temps auenir la diuerse auenture. Ou l'amour d'Angélique et du soldat Medor, La fureur de Roland, de Rodomont encor, Qui d'vne Poésie estant vn petit membre, Qu'en peu de vers à part de son corps on démembre.

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Les Cartels de deffy, qu'on présente aux tournois, Des Poèmes ce sont pour le plaisir des Rois, Et qui seruent aussi de nuict aux Mommeries Soubs le masque muet : mesme aux bouffonneries Que sans despence on fait. Mais les Italiens Faisant représenter à leurs Comédiens, (Soit Tragic, ou Comic) vn fait soubs la parade De la non contageuse et braue Mascarade, Nous ont laissé ce nom, prenant l'effect de nous. C'est pourquoy nous suiuons leurs mascarades tous, Ou soit que d'vn ballet la feste on solennise, Ou soit qu'en vn Tournoy se face vne Entreprise Couuerte d'vn beau corps et d'vn mot généreux Qui montre d'vn amant le dessein amoureux, Comme a fait du Bellay, quand il fait d'Hibernie Venir de Cheualiers vne grand' compagnie, Qui portent à la louste vne Entreprise, aOn Qu'on conneust le dessein du gentil Roy-Dauphin.

Nos Poètes vrayment, pleins de haute pensée, N'ont point, sans la tenter, chose aucune laissée, Et n'ont pas mérité peu de gloire et d'honneur D'auoir laissé du Grec et du Romain sonneur Le vieux chemin batu, faisant chanter la gloire De leurs gestes priuez aux filles de Mémoire Et ne seroient point plus les François trauaillans, En lustice, en proësse, en fait d'armes vaillans, Qu'à bien dire ils seroient, si plus soigneux la lime

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Le Poëte employoit à bien polir sa Rime : Et si tant à l'enui ne faisoient voir au iour Leurs Sonnets enfantez, plustost que leur amour, Sans prendre le loisir de penser qu'vn bon Astre Regarde le Poëte et non le Poetastre. Vn secret est aux vers que ie ne diray point : On le gouste, on le sent, son cguillon nous poind, Quand nous oyons sa voix qui nous frappe l'oreille ; Et mesme l'ignorant admire sa merueille.

Tous, ô vray sang Gaulois, reprenez et blâmez Les vers qui ne sont pas assez veus et limez, Assez bien repolis dont la Rime tracée N'a plusieurs fois esté refaite et r'effacee ; Et par plus de dix fois corrigez vous si bien Qu'à la perfection il ne manque plus rien.

D'autant que Deraocrite aimoit plus vne veine Coulante naturelle en son grauois sans peine, Que l'art trop misérable l'on mordoit cent fois, Deuant que faire vn vers, ses ongles et ses doigts ; Qu'il banissoit encor d'Helicon et Parnasse Çeluy qui tous les vers par le seul Art compassé, '\ La Nature estimant plus heureuse que l'Art, Pour ce maints on voyoit, qui faisoient bien à lard ! Rongner leur poil hideux, leurs ongles pleins d'ordure, (Pensant par ce moyen figurer la Nature : Comme encor on en voit qui vestus simplement. Solitaires ne vont sont communément

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Les gens en compagnie, estimant fantastique Vn homme estre agité de fureur Poétique, Et remporter le nom de Poète parfait, Si iamais au Barbier son poil raire ne fait : Pour garir ce catarre vn monde d'Elebore D'Anticire aporté ne sufRroit encore.

Mais moy n'estant Poète, vne Queux ie seray, Qui le fer des esprits plus durs aiguiseray : Car bien que la Queux soit à couper inutile. Elle rend bien coupant tout l'acier qu'elle affile. Ainsi n'escriuant point, ie diray le deuoir Du Poète, et comment il peut des biens auoir, Et ce qui peut encor le tenir à son aise, Le dresser et conduire en chose qui luy plaise, Ce qui conuient le mieux et ce qui point ne duit, Oiî la vertu nous meine, l'erreur nous conduit. Et ie seray celuy qui porte vne lumière La nuict pour éclairer à ceux qui vont derrière. Son flambeau seulement flambera pour autruy; Fort peu, quoy que ce soit, il flambera pour luy.

Le sage et saint scauoir est la fontaine claire Et le commencement d'escrire et de bien faire : Chose que te pourront montrer les hauts escris De Socrate et Platon tous biens sont compris, Et mieux nos liures saints, dont la sainte science Allume vn ray diuin en nostre conscience : Qui nous fait voir le vray, qui du faux est caché,

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Et le bien qui du mal est souuent empesché : Puis les choses suiuront doctement préparées Les paroles après non à force tirées. Quand seront amassez ensemble tels aprets, Gisement tout dessein tu conduiras après.

Le parler le scauoir de telle Poésie (Qui n'entrera iamais qu'en belle fantasie) Nest point comme vn graueur qui fait sans sentiment Vi Satyre qu'il met sous vn soubassement, Ol bien qui taillera de ces images riches Que muettes on met aux Palais dans les niches : Car il veut rendre vn cœur actif eguillonné Aux exploits généreux, bien qu'il n'y fust pas né. Il donne des eslans, qui poussent les personnes A. faire vertueux tousiours des œuures bonnes, Et sous vn plaisant voile, il va cachant souuent Des choses auenir vn admirable euent.

Mais comme tu vois bien que tousiours verdoyantes Les forests ne sont pas, ni les eaux ondoyantes, Et que iusques aux bords Orne et Seine tousiours N'emplissent regorgeant les riues de leurs cours : Aussi foible est parfois la veine Poétique, Et langoureuse encor s'estend melencolique, De sorte qu'on voit bien qu'Apolon dépité N'a pas de son esprit cet esprit agité, Et que les doctes sœurs et des Grâces la suite Ont ailleurs, loin de luy, pour l'heure pris la fuite.

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Lors fl faut retourner à la saincle liqueur Du beau mont dont Phoebus nous échauffe le cœur, Et se reposer, mesme à l'heure détendre La corde lentement, pour ses forces reprendre : On rendroit son esprit tout morne et rebouché, Qui le tiendroit tousiours au labeur attaché. Il faut espier l'heure, attendre qu'à la porte Frape le Delien, qui la matière aporte. Lors doucement les vers de leur gré couleront, Et dans l'œuure auancé d'eux mesme parleront, Sans forcer violent les Vierges Tespiennes, Versant contre leur gré leurs eaux Pegasiennes. Dans vn bocage ombreux, les Rosignols plaisans Vont d'vn si grand courage à l'enui degoisans, Que souueut en chantant, la puissance débile Défaut plustost au corps que la chanson gentille : Ainsi beaucoup sont tant des Muses amoureux Que par trop de trauaux leurs corps sont langoureux, Et tandis qu'en sçauoir leur sçauoir chacun domte, Leur peine surmontée eux mesme les surmonte. Pour ce gardez vos corps; versant modérément De bonne huyle en la lampe, on void plus clairement. Celuy qui bien preuoit, bien ordonne et commence, En n'allant que le pas souuent le plus auance.

Comme le voyageur (après plusieurs détours D'vn long chemin suiuis) qui voit les hautes tours D'vne cité fameuse, faut qu'enfin il rande

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D'vn cœur deuotieux vne deuote offrande, S'esiouit et prend cœur se sentant aprocher Des murs de la Cité dont il voit le clocher : Ainsi fait le Poëte, alors qu'il se repose loyeuï de voir de loin le but qu'il se propose, Et voir les arbres hauts qu'il a sceu remarquer, De peur qu'vn ombre obscur ne le fist détraquer.

lamais d'enfants ioyeux vne brigade belle. Plus volontairement en la saison nouuelle Ne se trouua parmi les vermeillettes fleurs Qu'vn pré d'email bigare en cent mile couleurs. Ni iamais d'vn beau fils belle Dame accouchée, Ni la Dame bien peinte et bien endimenchee Ne s'aima iamais plus aux danses et aux sons, Aux deuis amoureux, aux mignardes chansons, Que la Muse se plaist aux peines et aux veilles, En recherchant des vers les secrettes merueilles. Et l'homme n'a iamais plus grand plaisir trouué Que celuy du Poëte en son œuure acheué.

Celuy qui du Deuoir a la science aprise, Ce qu'il doit au Pays, naissance il a prise. Ce qu'il doit à son Roy, ce qu'au public il doit. Ce qu'il doit aux amis; qui bien iuge et bien voit Comme respectueux il faut estre à son père, De quelle affection il faut chérir son frère, Son hoste, son voisin, comme encore chérir L'estranger qui nous peut quelquefois secourir;

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Et qui sçait bien gist d'vii vray iuge l'office Et de celuy qui doit régler vne Police ; Et ce que doit tenir vn braue Chefuetain En la charge que haute il n'entreprend en vain, Soit pour aller vaillant en estrangere terre Reuancher vne iniure, ou soit pour la conquerre, Cettuy la, certes, sçait donner ce qui conuient A chacun, quel qu'il soit, selon le rang qu'il tient.

Le docte imitateur qui voudra contrefaire De cette vie au vray le parfait exemplaire, Tousiours i'auertiray de regarder aux mœurs, A la façon de viure et aux communs malheurs : Et puis de tirer vne façon duisanle, Vn parler, vn marcher, qui l'homme représente : Bref, que Nature il scache imiter tellement Que la Nature au vray ne soit point autrement.

Quelquefois vne farce au vray Patelinee, par art on ne voit nulle rime ordonnée ; Quelquefois vne fable, vn conte fait sans art, Tout plein de gosserie et tout vuide de fart, Pour ce qu'au vray les moeurs y sont représentées, Les personnes rendra beaucoup plus contentées, Et les amusera plustost cent mile fois Que des vers sans plaisir rangez dessous les lois, N'ayant sauce ni suc, ni rendant exprimée La Nature en ses mœurs de chacun bien aimée. Nature est le Patron sur qui se doit former

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Ce qu'on veut pour long temps en ce monde animer.

Zeuxis fut si soigneux de suiure la Nature, Que voulant de lunon faire la pourtraiture Pour un peuple lascif, premier il voulut voir Les belles qu'il pouuoit en sa grand'ville auoir; Il les fist dépouiller en secret toutes nues, Et cinq tant seulement de luy furent esleues Pour d'elles retirer les marques de beauté Dont fut le naturel de son œuure emprunté : De mesme aussi, qui veut escrire vn bel ouurage, Il faut que des Aulheurs par choix et par triage, Il choisisse tousiours les plus excellens traits, Pour l'embellissement de ses parlants pourtraits, Et que tous au patron de Nature il les tire : Car en tout, fors en elle, il se trouue à redire. 1 Phœbus donna iadis aux Romains et aux Grès I La grâce de parler, la bouche ronde exprès.

Pour atteindre au vray but : et rien que la louange j De surpasser ainsi toute autre langue estrange, i Doctes ne les guidoit (leur langage ils plantoient Dedans tous les pays, vainqueurs ils estoient, Ainsi que leurs Edits), car Tardante auarice Ne bruloit point leurs cœurs, pour estre exempts de vice. Mais la plus part de France enseigne ses enfants Au trafic et au gain, comme à faits triomphants.

C'est pour le seul profit, c'est pour la seule enuie D'eslre riche et d'auoir que l'eslude est suiuie ;

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Ce n'est pour la bonté, ce n'est pour la vertu, Que des lettres on suit le sentier peu batu; Qui des richesses a, n'a besoin de science : Les hommes seulement aux biens ont confiance. Les vns aprendront bien à porter sur le poin Vn oiseau pour voler; les autres auront soin Des chiens et des chenaux : mais tousiours niesprisees. Les Muses seruiront dans leurs cœurs de risées : Les autres aux Barreaux s'emploiront aprentifs, Aux seules actions profitables actifs. Autres à séparer et les cens et les rentes D'vne succession en parts equipolentes, A bien dresser vn compte, et l'ample reuenu Et la mise reprendre après par le menu : Et de conuoiteux de la riche finance Se iettent afiiamez aux Bureaux de la France. Les ieunes à Paris aprennent à ietter Combien d'vn milion se peut le tiers monter : A partir, à sommer, multiplier, distraire, A sçauoir d'vn Banquier l'adresse nécessaire. S'en demande au garçon : « Qui de mile estera Sept cents escus, di moy, qui plus te restera Trois cents. « C'est bien conté. C'est assez. Bon courage. Tu peux à l'auenir te garder de dommage. Si l'en remets deux cents, combien demeureront Sur le conte dernier ? Cinq encor resteront. » Tu peux garder le tien; car celte expérience,

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Mon enfant, vaut bien mieux que toute autre science

Or comme pourrons nous espérer que ceux ci, Nourris des leur enfance après les biens ainsi, Ayans desia graué des leurs tendres ieunesses Les gloutons appétits des friandes richesses, Aimassent la vertu, faisant quelque œuure beau, Qui fust pour ne tomber iamais dans le tombeau ? Voire qui meritast d'estre en planche imprimée, Consacré seulement à peu de renommée ? Tant s'en faut qu'il deust estre en vn ecrin doré. En vierge parchemin bien peint, bien azuré, Escrit illuminé pour chatouiller l'oreille D'vn second Alexandre à l'heure qu'il sommeille ?

Enseigner, profiter, ou bien donner plaisir. Ou faire tous les deux, le Poète a désir, Comme propre à la vie : en faisant tout ensemble Chose qui profitable et plaisante nous semble.

Or si premier tu veux enseigner, sois tousiours Clair et bref, sans vser d'obscurs et longs discours. Afin qu'incontinent tes préceptes faciles Se grauent au cerueau des auditeurs dociles. La chose superflue aussi bien sortira Hors de l'estomac plein, qui la reuomira. Et si plaire tu veux, tousiours conte les fables. Pour donner du plaisir, comme estant véritables. Car n'estant vray-semblable vn propos inuenté. Comme vray sans propos ne veut estre conté.

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Pourtant tu ne feindras rien qu'on ne puisse croire. Comme celuy qui conte ainsi comme vne histoire Que les Fées iadis les enfançons voloient Et de nuict aux maisons, secrettes, deualoient Par vne cheminée : en tout sois vray-semblable. Le vieillard ne se plaist au conte d'une fable, Ni voir des vers qui soient sans quelque vtilité : La chose graue plaist aux gens de grauité, Et la Muse seuere, en ce temps nous sommes, Pareillement deplaist aux ieunes gentils hommes. Qui sçait entremesler l'vtile auec le dous, L'honneur facilement remportera sur tous, Enseignant les liseurs, et de IMuse pareille, D'vn rauisseur plaisir leur rauissant l'oreille.

Vn tel Hure scauant, plein d'vn iugement meur, Aporte de l'argent bien tost à l'Imprimeur, Et tost outre les mers il passe en telle sorte, Qu'à son autheur connu grand renom il apporte. Il s'y trouue pourtant quelques défauts souuent, Ausquels fait pardonner la suite et le deuant : Car la corde ne rend tousiours à la pensée Vn son tel que voudroit la chose commencée, Sous les doigs fredonnants ; et cherchant vn ton bas Souuent en rend vn haut, et ne vous respond pas. Tousiours l'arquebusier ne frape ce qu'il mire, Ni l'archer bien expert n'atteint le blanc qu'il tire. Mais s'vn œuure en maint lieu son lecteur satisfait,

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le ne le diray pas tout soudain imparfait

Pour vn petit d'erreur passé par non-chalance,

Ou que n'a peu preuoir l'humaine preuoyance.

Et quoy donc, ie vous pry? comme on ne deuroit point

Excuser l'imprimeur, qui faut au mesme point

Dont on l'auoit repris; et comme on se doit rire

De l'escriuain qui faut tousiours à bien escrire

Au\ mots qu'on luy a dits, et mesme du sonneur

Qui faut en mesme ton à son grand deshonneur :

Tout ainsi de celuy, qui fait comme vn Chaerile,

Qui pour faire des vers est rimeur mal habile,

Et de Sagon se fait appeler Sagouyn,

Meslant en nostre langue vn sot barragouyn

De propos décousus, rie à rie voulant prendre

Le Latin à la barbe et vulgaire le rendre,

Et duquel ie me ri, de merueille surpris.

Quand deux ou trois bons vers ie trouue en ses escris.

Souuent en œuure long la Muse mesme chomme. Parfois le bon Homère est surpris par le somme : Mais vn ouurage long on excuse es endroits le sommeil glissant fait errer quelque fois.

La douce Poésie est comme la peinture Que belle on trouuera bien prisg en sa nature : Car l'vne de plus près plus belle semblera, Et l'autre de plus loin dauantage plaira. L'vne se voudra voir dans vne sale obscure, El l'autre au iour plus clair d'vne pleine ouuerlure.

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L'vne en iour se deuise ou par ombragements, Et l'autre a de couleurs mile deiettements, Qui d'vn iuge ne craint la plus subtile veue. L'vne contentera si tost qu'on l'aura veue, Et l'autre d'autant plus qu'on reuisitera Ses beaus traits, d'autant plus elle contentera.

Comme le voyageur qui d'vn beau lac aproche, En son bord se va mettre au coupeau d'vne roche : demeurant long temps oisif en son repos, 11 n'a rien pour obiect que les vents et les flots : Toutesfois les fores Is dedans l'onde vitrée Montrent de cent couleurs leur robe diaprée, Et l'ombre des maisons, des tours et des Chasteaux Cette eau luy représente au cristal de ses eaux. Il s'esiouit de voir que l'onde luy raporte Par vn double plaisir ces forests en la sorte : Tout ainsi le Poëte en ses vers rauira Par diuers passetemps celuy qui les lira, Emerueillé de voir tant de choses si belles. En ses vers repeignant les choses naturelles, Et de voir son esprit de ce monde distrait, Mirer d'vn autre monde vn autre beau pourlrait.

Combien que de vous mesme, ô Françoise ieunesse, Qui suiuez ce bel Art, vous ayez la sagesse, Toutesfois ie veux bien vous auertir ici Qu'il faut vn grand sçauoir aux hommes en ceci : Nous voyons beaucoup d'Arts, ausquels est suportable

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D'vn apparent scauoir l'apparence notable : Comme pour n'estre aux droits vn Duarin second, Ou pour docte à plaider vn Marion facond, On ne laisse pourtant d'auoir en bonne estime Sa part de l'or que tant es Palais on estime.

En tout scauoir aisé, pour n'estre Historien Autant que Titeliue, il suffit du moyen : Le Peintre qui peint bien d'vn homme la figure, Sans l'avoir mesme apris, peut tirer en peinture Tout autre tel qu'il soit : ainsi qui sçait des Arls Le principe et la fin, s'en aide en toutes parts, Pourueu qu'à son suiet d'vne gentille mode Du scauoir qu'il a veu l'vsage il accommode, Mais les hommes ni Dieu ne veulent receuoir Celuy qui pour les vers n'a qu'vn m^oyen scauoir.

Toutes langues ont eu leurs Poètes chacune. Ne pense donc auoir si courtoise fortune Que de les surpasser, sinon qu'en ton parler Comme ils ont fait au leur tu vueilles exceller. Tapprouue toutefois d'escrire en ces langages. Afin de remarquer les siècles et les âges Par les hommes sçauanls, entre qui les lauriers Du Poëte Roussel verdoiront des premiers : Car Phœbus et les sœurs eux-mesmes les arrosent Dans les iardinsde Caen ; et les beausvers disposent Du Fanu, de Michel, de Cahaignes auec, Qui doctes le Romain escriuent et le Grec.

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Et comme Sainte Marthe escrit de raesme plume

Le Latin et François quand sa fureur l'allume,

De sorte qu'il egalle vn Dorât d'vne part,

Et de l'autre il seconde vn doux bruyant Ronsart :

Ainsi nostre Malherbe et Tirmois, l'éloquence

Et les vers balançants d'vne mesme cadence

Vn Ciceron Latin font deuenir Gaulois,

Et Phœbus tout Romain est comme tout François.

Le grand de l'Hospital a toute Ausonienne

En France ramené la troupe Aonienne,

Et Filleul a conduit à la Cour ces neuf Sœurs.

Dauid qui son Perron orne de leurs douceurs,

Possède à iuste droit leur éternelle gloire,

Comme elles filles sont, estant fils de Mémoire.

Berlaut, qui du Soleil a le cœur allumé

Chez luy mesme leur dresse vn seiour bien aimé.

Et qui taire pourroit la douce Polymnie

De ce diuin Vaillant, tirant la compagnie

De ces iumelles Sœurs hors de dessus leur mont,

Pour les faire habiter en son sacré Pimpont? ^

Et le sçauant Sueur, que Latin on compare,

Au peu, iusqu'à présent, imitable Pindare?

Et Passerat ayant trois langages diuers.

Qui, comme aux deux, au sien mesure ces beaus vers?

Et Chantecler profond, qui de Rome et d'Athènes

Fait bruire en ses dous vers les bouillantes fontenes?

Et qui pourroit cacher le rayon qui reluit

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En l'Ascalle et Chreslien, que tous Phœbus conduit? Et cette Aurore ouurant au Soleil la barrière Sur le Tybre Romain, iaune de sa lumière? Et cet autre Apolon de Thou, qui tout diuin Va par les airs traçant le peu connu chemin Des Sacres et Faucons, la Muse Romaine Atteindre ne peut cnc tant fust elle hautaine? Et quel Siècle d'ailleurs a receu si beau don Qu'en son Poète a fait l'isle de Caledon? De Baïf, Grec-latin, comme François la Muse Au combat des nouueaux ni les vieux ne refuse, Et Pasquier a montré par ses vers excelens Que Phœbus hante aussi les barreaus turbulens.

Mais qui met son esprit pour rendre plus connues Ces Langues qui nous sont pour estranges tenues, Et contenue la tienne, adultère il commet : Car son ioug délaissant sous l'estrange il se met ; Et tel est que celuy qui de tout meuble rare, Riche tapisserie et de beaus lambris pare Vn chasteau solitaire, écarté dans les bois, seulement il couche en deux ans vne fois, Pour estre loin du lieu. Son Palais, au contraire. Qu'il choisit en tout temps pour demeure ordinaire. Il délaisse sans meuble et sant nul parement : A soy mesme bien faire on doit premièrement.

Comme entre les banquets et les ioyeuses tables, Les chants mal accordez seront désagréables,

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Et fâcheux le parfum, dont la forte senteur Trop aspre passera jusqu'à la puanteur (Car bien souuent encor aux festins on s'en passe ) : Ainsi la Poésie, amoindrissant sa grâce, ( Comme estant inuentée et faite seulement Pour donner du plaisir et du contentement ) Nous deplaist aussi tost qu'elle s'esleue ou baisse, Ou que bas trébucher du tout elle se laisse.

Qui lutter ne sçait point se garde de lutter. Et qui iouster ne sçait se garde de iouster. Ni de vouloir froisser, mal apris, vne lance ; Et qui ne sçait danser ne se trouue à la dance ; Et qui ne peut la balle au tripot bricoller, Passant son temps ailleurs se garde d'y aller, De peur qu'vn grand amas de personnes s'assemble Qui librement de luy se gaudiroient ensemble. Et toutefois celuy qui ne sçait l'Art des vers S'en veut pourtant mesler de tort et de trauers : Pourquoy non? dira-t-il. Moy qui suis gentil homme Et qui reçoy du Roy de pension grand'somme, Desia tenu Poète, à qui sa Maiesté Pour ses vers mainte fois a libérale esté. Qui de la chambre suis deuenu Secrétaire, Des vers à mon plaisir ne pourray-ie bien faire? Estant au bel estât des favoris couché. Et d'ailleurs n'estant point d'aucun vice entaché?

Ne di rien, ne fais rien en dépit de Minerue :

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En cet Art ne veut point la Nature estre serue. Mais, amis, vous auez vn tel entendement Que vous pouuez en vous en faire iugement.

Si quelquefois encor, ô Françoise ieunesse, Quelque œuure vous voulez mettre dessus la presse, Il la vous faut soumettre au iugement exquis D'vn sçauant, qui tout ait ce qu'en l'Art est requis, Et la garder neuf ans dedans le coffre enclose ; Cependant, vous pourrez corriger mainte chose : La parole parlée on ne peut déparier, Et l'œuure mise hors ne se peut rappeler,

On raconte qu'Orphé, des grands Dieux interprète. Les humains qui viuoient d'vne façon infete De massacre et de sang, sceut bien desauuager, Et sous plus douces loix hors des bois les ranger : C'est pourquoy l'on disoit qu'il sçauoit bien conduire Les Tigres, les Lions, aux accords de sa Lyre : Et mesme qu'Amphion (le gentil bâtisseur Des nobles murs Thebains ) sceut par la grand'douceur De son Luth façonné d'vne creuse tortue Faire marcher des rocs, mainte roche abatue, Qu'il conduisoit au lieu que meilleur luy sembloit„ Et, les faisant ranger, en mur les assembloit.

Telle fut des premiers iadis la Sapience De sçauoir séparer, par prudente science, Le public du priué, du prophane le Saint, D'auoir par vn dous frein son appétit retraint

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D'vn vague accouplement, d'auoir du mariage Ordonné les Saints droits, d'auoir trouué l'vsage De bas tir les Citez; dans des tables de bois En grauant l'équité des droiturieres lois.

Voila comme s'aquist aux vers et aux Poètes Vn honneur, vn renom tel qu'à diuins Prophètes. Puis Homère et Tyrté mirent des vers au iour Qui, graues, détournants les hommes de l'amour, Les firent suiure Mars ; et par les vers, à l'heure, Des Oracles se fist la responce meilleure ; Et furent mis en vers les beaus enseignemens Pour maintenir la vie en tous gouuernemens ; Et par la Muse encor fut la grâce tentée Des Princes et des Rois, pour leur gloire chantée. Puis vinrent les derniers les ébats et les ieux, L'agréable repos de tous trauaux fâcheux.

Premier ainsi iadis nos Poètes Druides, Nos Samothes Gaulois, nos Bards, nos Sarromides, Policerent la Gaule; et leurs vers animez Rendoient après la mort les Princes plus aimez. Et mesme auparauant Dauid auoit choisie. Pour mieux célébrer Dieu, la sainte Poésie, Et tant peurent ses vers que sans pompeux arroy, Ce berger maiesteux de Poète fut Roy. Ce que ie dis, afin que vous n'ayez point honte De faire d'Apolon et de la Muse conte. De l'Apolon surtout qui, diuin et sacré,

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Desancrant de Delos en France s'est ancré. Portez donc en trophé les despouilles payennes Au sommet des clochers de vos citez Chrestiennes.

Si les Grecs, comme vous, Chrestiens, eussent escrit, Ils eussent les hauts faits chanté de lesus Christ. Doncques à les chanter ores ie vous inuite, Et tant que vous pourrez à despouiller l'Egipte, Et de Dieu les autels orner à qui mieux mieux De ses beaus parements et meubles précieux : Et des autheurs humains, comme l'vtile auette, Prenons ainsi des fleurs la manne et la fleurete, Pour confirmer de Dieu les auertissemens Contenus aux secrets de ses deux testamens.

Vous, Prélats, qui n'auez qu'à Dieu seul la pensée, A luy seul soit aussi vostre Muse addressee. Ainsi que ton du Val, Moulinet, chante nous Cette grandeur de Dieu, qu'on voit reluire en tous. Toy, Dangennes scauant qui bois en la fontaine De l'Hippocrene vraye, et de bouche Romaine Et Grégeoise et Françoise, épuises, ( bien disant), Le puis de vérité, dont tu vas arrosant De Noyon la contrée, ouure nous ta poiclrine Que nous goûtions ici les fruits de ta doctrine. De Cessé, qui ne quiers les Lauriers flestrissants, Qui sur le mont menteur des Muses vont croissants, A ce recoin du Monde, au mont Michel l'ange Tient ferme sous ses pieds cette chimère estrange.

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Plante par les beaus vers de Dieu les estandarts Qui facent l'Océan trembler de toutes parts. Toy, race d'Espinay, qui de maison antique, Deuot, polices seul ton Eglise Armoriqiie, Apren les flots Bretons, selon le saint Hebrieu, A redire après toy les louanges de Dieu. Desportes, que ta Muse à Dieu toute tournée, Ne soit des vers d'amour désormais prophanée. Maintenant, fauori, ( puisque dans le cerueau Apolon t'a versé toute la céleste eau ), Arrouse, doux coulant, la Royale prairie De l'onde que iamais on ne verra tarie.

! quel plaisir seroit-ce à cette heure de voir Nos Poètes Chrestiens, les façons receuoir Du Tragique ancien? Et voir à nos misteres Les Payens asseruis sous les loix salutaires De nos Saints et Martyrs, et du vieux testament Voir vne tragédie extraite proprement ? Et voir représenter aux festes de Village, Aux festes de la ville en quelque Escheuinage, Au Saint d'vne Parroisse, en quelque belle Nuit De Noël, naissant vn beau Soleil reluit, Au lieu d'vne Andromède au rocher attachée, Et d'vn Perse qui l'a de ses fers relâchée, Vn Saint George venir bien armé, bien monté, La lance à son arrest, l'espee à son costé. Assaillir le Dragon, qui venoit effroyable

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Goulûment deuorer la Pucelle agréable,

Que pour le bien commun on venoit d'amener?

0 belle Catastrophe ! on la voit retourner

Sauue auec tout le peuple ! Et quand moins on y pense

Le Diable estre vaincu de la simple innocence!

Ou voir vn Abraham, sa foy, l'Ange et son fils!

Voir loseph retrouué! les peuples deconfis

Par le Pasteur guerrier qui vainqueur d'vne fonde,

Montre de Dieu les faits admirables au monde!

C'est vn point débattu par argumens diuers, Si, de Nature ou d'Art, se compose vn beau vers, Et laquelle des deux plus on estime et prise En vers, ou la Nature ou la Science aquise : Quant à moy ie ne voy que l'Art ou le Sçauoir, Sans veine naturelle, ait beaucoup de pouuoir : Ni que sans la Science vne veine abondante Soit pour bien faire vn vers assez forte et puissante. Et tant bien l'vn à l'autre aide, sert et suuient, Et d'amiable accord s'vnit et s'entretient, Que si Nature et l'Art ne sont tous deux ensemble, Vn vers ne se fait point bien parfait, ce me semble.

Or celuy qui paruient enfin au haut sommet le but désiré de ce bel Art se met, Qui se fait remarquer par la belle couronne Du laurier verdoyant qui son chef enuironne, A porté des l'enfance vn monde de t'-auaux, Enduré chaud et froid et souffert mile maux,

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N'a connu de Bacchus la liqueur honorée, Ni la belle Venus des autres adorée.

Qui sçait d'vn pouce expert à bien rauir les Dieux loindre au Luth la douceur d'vn vers mélodieux, En aprenant il a quelquefois craint son maistre, Et sceu premièrement cet Art aussi cognoistre : Auiourd'huy c'est assez de dire et se vanter Que sa Muse sçait bien de beaus vers enfanter : « Moy, ie fay bien vn vers, soit à l'Italienne, » Soit à le mesurer à la mode ancienne. » Si IMecœne viuoit, ainsi comme autrefois, » le serois à bon droit son Virgile françois. » La Pelade et le mal venu de Parthenope Puisse partout saisir cette vanteuse trope, Ces Poëtastres fouis, qui, pour scauoir rimer. Pensent comme bons vers leurs vers faire estimer. le n'ose de ma part ni confesser ni dire Qu'vn vers ie puisse bien fredonner sur la Lyre; Ains ie reconnoistray franchement désormais Que ie ne sçay cela que ie n'aprins iamais.

Comme vn crieur public à l'encan sçait attraire, Sous ombre de profit, la tourbe populaire, Pour luy faire acheter les meubles des deffuns ; Tout ainsi le Poète, au fumet des parfums De sa bonne cuisine et de sa grand'despence Chacun attire à luy, comme par recompense ; Et riche, par présents attrayant les flateurs,

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Il orra de ses vers mile contes menteurs. S'il est homme qui tienne vne table friande, Donnant franche repue, on vient à sa viande; Et s'il sçait, libéral, et prester et piéger, Pour aider au besoin ceux qui sont en danger Ou de perdre vn procez ou de souffrir dommage, Ce seroit grand merueille en luy faisant hommage Qu'il les peust remarquer ou vrais ou faux amis : Se masquer le visage aux flateurs est permis.

Si doncques, riche et grand, tu desires de faire Plaisir à telles gens, tout franc et volontaire, Ne les prens pour iuger tes vers aucunement. Car esleuants leurs voix souriants faintement. Te diroient ; « 0 quel vers! ô quelle douce veine! » Comme Nature et l'Art tu scais ioindre sans peine 1 » Que ces vers sont bien faits ! » Et faussement rauis, Repaistront dessus leurs esprits assouuis. Feront plouuoir encor dessus tels rudes carmes De leurs yeux façonnez quelques flateuses larmes; Ils dresseront au Ciel les yeux en t'admirant, Comme ceux que, iadis, on alloit requérant A gages, pour pleurer aux grandes funérailles, Qui, faignant lamenter du profond des entrailles, Disoient et faisoient plus par leur pleurer moqueur, Que ceux qui pleuroient leurs amis de bon cœur. Ainsi le flateur faint, d'vn desguisé sourire, Plus que le vray loueur s'ébahit et s'admire.

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Les grands, ainsi qu'on dit, font quelquefois tenter Vn homme par le vin, pour l'expérimenter, Le font boire d'autant, luy font faire grand'chere, Pour sçauoir s'il pourroit bien celer vue affaire : S'il est d'amitié digne ils veulent lors sçauoir; Par espreuue se peut vn mal aperceuoir. Aussi faisant des vers tu te dois donner garde D'vn esprit qui se masque, en sa façon mignarde, De la peau d'vn Renard. Auiourd'huy rarement On trouue des amis de libre iugement.

S'on recitoit des vers à Quinlil, dit Horace, II disoit : « Mon enfant, il faut que ie t'efface » Cet endroit, et cet autre, et corriger ceci. y. Tes vers n'ont point de sens, n'ont point de grâce ainsi. » Si lu luy confessois ne pouuoir mieux escrire, Ayant beaucoup de fois taché de les réduire, Lors il te les faisoit tout du long effacer, Et sçauoit de nouueau plus beaux les retracer; Te les' faisant remettre et tourner sur l'enclume, 11 les repolissoit des bons traits de sa plume.

Mais si mieux on aimoil défendre sa fureur Que de les r'agencer, corrigeant son erreur, Plus rien ne t'en disoit, estimant chose veine De perdre après tes vers son conseil et sa peine; Et seul te permettoit de priser sans riual, Comme aueugle en ton fait, toy, ta faute et ton mal.

L'homme bon et prudent, d'ame non violante,

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Reprend des vers grossiers la rime mal coulante, Et les vers qui ne sont polis et relimez, D'vn trait de plume sont par luy deseslimez. Il retranche d'vn vers comme chose ocieuse L'ornement superflu, la pompe ambicieuse ; Il donne vne lumière au passage obscurci ; Il rend vn dire obscur beaucoup plus eclairci, Et ce qu'il faut changer, clair voyant il remarque, Prenant l'authorité que prenoit Aristarque; Et si ne dira point : « Pourquoy veux-je offenser » Mon ami pour si peu? » Ce peu peut radresser L'homme qui s'alloit perdre à la sente égarée, Qu'on voit estre sans fruict des hommes séparée. Car en ayant le faux pris pour la vérité, Moqué dans son ouurage il se fust dépité.

Il est vne autre humeur d'hommes, qu'on dit Poètes, Inconstans et légers, comme des Giroëtes Qui vont vireuoltant, à tous vents, sur les tours. Ces gens malasseurez, par incertains détours, Veulent gaigner du Mont la cime double et haute. Ils ont la volonté; mais par la grand'defaute De la Lune (qui n'est forte comme Phœbus) Qui leur ceruelle occupe, en l'Art font mile abus. Ils font cent mile vers, Megere préside. Qu'au lieu de Caliope ils prennent pour leur guide.

Le sage doit fuir ces hommes affolez, Autant comme on feroit les poures verolez,

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Ou bien les furieux pleins d'erreur frénétique

Et pleins d'opinion deuote et fantastique.

Mais les petits enfans en tous lieux les suiuront.

Les garçons débauchez auec eux se riront,

Imitant toutefois les pitaux de Village

Qui suiuent vn chien foui tourmenté de la rage,

Quand l'vn, epoind du bruit de ses voisins prochains,

Prend en hâste vne fourche, et l'autre entre ses mains

Vn vouge bien trenchant s'asseurant de defence,

Si l'animal cruel leur veut faire vne offence.

On voit leurs vers escrits partout aux cabarets ; Farouches et gourmans, ils vont dans les foresls Apres vne débauche importuner les Muses, Meslant en leurs discours mile choses confuses. Ils seruent bien souuent aux Seigneurs de plaisants, Vanteurs, iniurieux, iureurs et médisants.

D'ailleurs les courtisans les incitent sans cesse A chanter leur amour de quelque grand' Princesse ; Et leur dernière fin c'est de mourir batus, Langoureux, verollez, déchirez, deuestus, Dedans vn hospital, si leur fureur subite Pour irriter quelqu'vn morts ne les précipite ; Et ne reste rien d'eux que, contre les parois, Les noms qu'ils egaloient aux noms des plus grands Bois.

Horace de son temps vouloit qu'en patience On laissast de ces fols l'indiscrète science : Et si quelqu'vn d'entre eux (tandis qu'il vomiroit

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Mile vers que raui seul il admireroit, Ainsi que l'oiseleur, trop entenfif à prendre Les oiseaux à qui sots les filez il veut tendre), Tomboil dedans vn puis, ou dans vn creux profond, Bien qu'il criast d'embas longuement contremont : « Amis, secourez moy, mes voisins, ie vous prie, » Il dit qu'il ne faut pas à son secours aller, Ni pour le retirer la corde deualier. Que sçait il si ce fol de fait apens luy mesme S'est point allé ietter en ce péril extresme. Et s'il veut glorieux qu'on l'aille secourir? Il conte, à ce propos, qu'ainsi vouloit mourir Vn Poète en Sicile : Empedocle, pour estre Estimé comme vn Dieu, qu'on a veu disparestre, Secret s'alla ietter dans Mongibel ardant. Qu'il soit loisible donc à ces fouis, cependant Qu'ils seront en humeur de mourir ou de viure. Ainsi comme ils voudront, pour Empedocle suiure. Qui sauue ces gens là, s'oposant à leur mort. Il s'opose à leur gloire et leur défend le port. Les gardant de passer l'onde non renageable : Ils tiennent ce bien fâcheux et dommageable. Aussi bien d'autrefois d'vn esprit résolu, Ils voudront derechef cela qu'ils ont voulu. Désireux d'acquérir vne gloire nouuelle Par ce mourir fameux, qui les tient en ceruelle. Mais courtois de ces fouis il faut auoir pitié.

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Les garder, secourir d'vne douce amitié, Et prier le grand Dieu que leur ame agitée Du Démon tourmenteux ne soit plus tourmentée. Comme vn Alambiqueur tire des minéraux L'esprit, la quintessence et vertu des métaux. Fait des eaux de parfum, des huiles salutaires, Et sçait bien allier maintes choses contraires : Tandis souuentefois de faux coin, faux alloy, Il frape monnoyeur sur la face du Roy : Tout ainsi maint Poète ayant à gorge pleine Beu de l'onde sacrée à la docte Neuuaine, Fera mile beaux vers : Mais souuent orgueilleux Il meslera des traits mutins et périlleux, Et souuent contre Dieu superbe il outrepasse Par folle opinion les loix du Saint-Parnasse; Et puis il dénient fol, car Dieu le veut punir D'auoir aux Saints Edits voulu contreuenir. Et deslors plein de gloire et de sotte vanlance, Il sera le vangeur de son outrecuidance ; Et si n'aparoist point pourquoy, si furieux, Il veut hausser au Ciel son vers ambitieux. Ni quelle est la raison de sa fureur si grande, Ni quel vice mutin sur son ame commande; Ou s'il a le tombeau de son père brouillé Ou si dedans son sang son sang il a souillé, Polu les saints autels, et que par pénitence Il luy fust de besoin de punir cette offence.

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Il est pourtant tousiours incensé caqueteur, De ses vers à chacun importun reciteur, Comme l'Ours irrité ; si de sa caue il ose Défaire les barreaus, rompre la porte close, Loin il chasse tous ceux qui marchent deuant luy. L'ignorant et le docte, ainsi craignants l'ennuy, S'enfuiront autrepart. Si quelqu'vn il arreste, De ses vers iargonnant il luy rompra la teste : Car comme la Sangsue ayant trouué la chair, Il s'emplira de sang, auant que la lâcher.

La fureur de ces fols, l'erreur des Poëtastres Suiuis malencontreux de quintes, de desastres. Le decouure bien tost ; et se decouure aussi La passion de tous sous vn voile obscurci. Car chacun va tousiours le plaisir le tire : L'vn souhaite Bacchus, l'autre Venus désire. Homère a tant souuent fait les Dieux banqueter Que d'aimer le bon vin des Grecs se fist noter. Car comme on vit iadis que le peintre Arelie Decouuroit par ses traits sa lasciue folie. En pourtrayant au vif, sous chacun sien pourtrail Celles dont il avoit desia senti le trait. Aux Temples ayant paint les Romaines déesses. Par leur face on connut aisément ses maislresses. Ainsi voit on souuent que beaucoup d'escriueurs Descouurent leurs désirs, descouurant leurs labeurs, Tant il est bien aisé de cotter la pensée

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Qui leur ame relient aux vicea enlassee.

Or, Sire, vous offrant souuent de mes escris, Importun, ie craindrois de pécher mal apris Encontre le public : voyant que vos espaules Seules portent le fais des affaires des Gaules. Toutefois puis qu'il plaist à vostre Maiesté Que de moy fust escrit des vers quelque traité, M'ayant tant honoré que daigné m'en escrire : A vous, ô mon grand Roy, le Prince de bien dire Et de toute vertu, qui d'esprit excellent Retenez par douceur ce Siècle turbulent, le présente cet Art des Règles recherchées, Que sans art, la Nature aux hommes tient cachées : Non pour vous enseigner (bien qu'en mesmes raisons Horace ait autrefois enseigné les Pisons), Mais afin que la Gaule, ainsi que vous sçauante, De ses enseignemens à l'auenir se vante, Et que tous ces esprits qui de mots entassez D'vn ordre non suiui font des monceaus assez, Se réglant, ne soient plus à ces Singes semblables Qui, regardans bastir des maisons habitables, Tentèrent plusieurs fois, marmots et babouins. Le mesme, mais en vain, n'ayant pas les engins Propres à cet effet : et leur ménagerie Ne fut rien à la fin que toute Singerie.

le composay cet Art pour donner aux François, Quand vous. Sire, quittant le parler Polonnois,

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Voulûtes reposant dessous le bel ombrage De vos Lauriers gaignez, polir vostre langage, Ouir parler des vers parmi le dous loisir De ces Cloestres deuots vous prenez plaisir : Ayant auprès de vous, comme Auguste, vn Mecœne, loyeuse qui, sçauant, des Virgiles vous mené, Des Horaces, vn Vare, vn Desportes qui fait, Composant nettement, cet Art quasi parfait.

Depuis vn chant plus haut i'entrepri tout céleste, Alors que Mars, armé du dernier Manifeste, Me rabaissa la voix. le demeuray soudain, Comme dans la forest demeure vn petit Dain, Qui voit vn Ours cruel au pied d'vne descente, Ouurir les flans batans de sa mère innocente. Il fuit par la brossaille, il fuit de bois en bois; Timide et défiant, il pense à chaque fois Reuoir l'Ours qui sa mère et la France deuore : Depuis ce iour tout tel ie suis poureux encore.

le viuoy cependant au riuage Olenois, A Caen, l'Océan vient tous les iours deux fois; moy, de Vauquelin, content en ma Prouince, Présidant, ie rendoy la lustice du Prince.

FIN.

•fJJ^Wersitas

BJBLlOTHtCA

TABLE

Introduction i à xxiv

Art Poetiqve.

Liure i ^

Liure ii 53

Liure III 101

FIiN DE LA TABLE.

LIBRAIRIE POULET-MALÂSSIS, 97, rue Richelieu. L ÉCRIN DU BIBLIOPHILE, rue de Seine, 21 .

COLLECTIOIV ACH. GEÎVTY.

In-^6 ; tirée à 5S3 exemplaires ; titre rouge et noir.

Papier véliu 1 f. 50 c.

raisin 2 »

vergé 2 SO

de Chine 5 »

" Série.

RIMES INÉDITES EN PATOIS PERCHERON, avec une introduc- tion et des notes, par Ach, Gentï.

«... Dans une Introduction, oii les mots et les tournures de noire ancienne langue sont mis en re- gard destournureset des motsde l'idiome percheron, M. Ach. Genty fait voir que le percheron a être, en quelque sorte, le prélude de la langue des \n', xni' et xiv» siècles, et qu'on doit le considérer comme

étant réellement la langue française primitive »

(h'Ami des Livres, août 1861).

CHANSONS SUR LA RÉGENCE ; trois chansons attribuées au Ré- gent. Avec une Introduction sur le rôle social de la Régence et du règne de Louis XV, par Ach. Gentï,

LA FONTAINE DES AMOVREVX DE SCIENCE, composée par Iehan de La Fontaine, de Valenciennes, en la comté de Ilenault, POEME HERMETIQVE DV XV* SIECLE. Avec une Introduction et des notes, par Ach. Gentï.

LES OEVVRES POETIQVES DE NICOL.AS ELLAIN, parisien, avec une Introduction, par Ach. Gentï.

L'ART POETIQVE DE lEAN VAVQVELIN, sieur de la Fresnaye. Introduction par Ach. Gentv. Le portrait photographié de La Fresnaye est vendu séparément I fr. 25 c.

Cette première Série sera terminée par

LES OEVVRES POETIQVES FRANÇOISES DE JEAN ET LOVYS D'AVRAT. Introduction par Ach. Genty.

Lies séries suivantes comprendront:

Les Satyres, Idillies, Foresteries, Poésies inédites, Sonnets, etc. , de lean Vauquelin de la Fresnaye ; le Catéchisme de G. Postel ; l'Horatie, de P. Aretin ; le Manuel du Diplomate, de Pecquét ; une traduction inédite de l'Imitation de N. S. J. C, par Ach. Genty 5 les Poésies de Jean Passerat ; le Pater Noster de M. de Fortengueule, translaté du Chaldéen par le sieur de Grosbec, et commenté par M™« la marquise de Becpincé ( piquante facétie du XYiii^ siècle ) ; les Amours de J. A. de Baïf; les Poésies d'Anne de Rohan, etc., etc.

AVTRES OVTRACtES

DE M. ACn. GENTÏ

Le Musénm des Sciences et des Arts, choix de traités sur

les sciences physiques et leurs applications aux usages de la vie, par feu le docteur Lardner, delà Société royale de Londres, etc. ; traduit et annoté par Ach. Genty. 3 vol. in-8°, figures. {Epuisé).

Le Ont des Jennes fllles, de Moratin, traduit de l'espagnol et aonoté par G. -A. Mortagxe. In-8», à 2 col.

Le Platus, d'Aristophane, traduit et annoté par D.-A.-G. Verneoil, In-8", à 2 col.

Le Bourru bienfaisant, de Goldoni, annoté par G. Moutiers. ïn-8«, à 2 col.

Les Tolontalres anglais, coup-d'œil sur le peuple et l'oligarchie britannique, par Ach. Genty. Paris, 1860. Broch. in-8»

Catalogue des Livres rares de SI. Ach. Genty, ancien avocat à Mortagne (Orne), ancien rédacteur du Feuilleton scientifique de la Gazette de France, etc. Paris, Techener, 1 862; i vol. in-16 de 132 pages. Introduction et notes.

» » Papier vélin (Titre noir) 2 fr.

100 ex. vélin fort (Titre rouge et noir;. *

100 ex. veigé Id. 5

10 ex. chine Id 10

Ce Catalogue, rédigé par M. Ach. Genty sur un plan qui lui a valu l'approbation des hommes compétents, sera prochainement suivi d'un ouvrage plus considérable :

LE GUIDE DU BIBLIOPHILE ET DE L'HOMME DE LETTRES

5 VOL. IN-8° DE 600 A 700 PAGES

Guider le Bibliophile dans le choix des éditions, et surtout pro- curer à l'homme d'étude le moyen d'embrasser, avec une notable économie de temps, ce qui s'est fait en chaque siècle et dans chaque branche des connaissances humaines, tel est le but que s'est pro- posé l'auteur.

Le prix de chaque volume sera de -fO fr.

Chaque volume sera illustré de figures sur acier et sur bois.

On peut dès maintenant souscrire aux Bureaux de VEcrin du Bibliophile et de l'Amateur d'Autographes , rue de Seine, 2^ . Le prix des volumes ne sera remboursé qu'après réception.

L'ÉCRIN

BIBLIOPHILE

L'AMATEUR D'AUTOGRAPHES

REVUE SEMESTRIELLE ILLUSTREE.

2 VOL. IN-I 2, PAR AN ; ^ 0 FR.

L'Écrin donnera, chaque semestre, un résumé de ce qui se sera passé, pendant ce laps de temps, dans le monde des Bibliophiles et des Autographiles français et étrangers.

Il reproduira les pièces les plus curieuses , les plus importantes et les plus rares, ressortissant aux lettres, aux arts et aux sciences.

Il sera rédigé par les hommes les plus compétents de Paris, de la province et de l'étranger.

L'Écrin formera, chaque année, deux volumes in-12, de 224 pages chacun. Chaque volume sera illustré de figures sur bois et sur acier, de spécimens de reliure, de portraits , de fac simile, de reproductions photographiques, etc.

L'Écrin ne sera tiré qu'à 553 exemplaires et sur quatre papiers, «avoir : iAb vélin (10 fr.) ; 120 raisin (H2 fr.); 80 vergé (14 fr.); iO chine (20 fr.) ; plus I sur peau de vélin.

On souscrit pour l'année entière. Le montant de la souscrip- tion est versé en deux fois, moitié a la réception de chaque volume.

Il sera fait aux souscripteurs une remise de ^0 p. °/o sur les volumes de la Collection.

Adresser souscriptions et communications à M. Ach. Gentï, secrétaire de la Rédaction, rue de Seine, 21.

Les Bureaux sont ouverts de midi à six heure?.

Sotis presse:

LES ŒUVRES

FRANCOISES ET PATOISES

DE

PIEERE GENTY

MARÉCHAL-FERRANT (1770-1821)

Avec notice biographique, Introduction, Notes et Traduction littérale^ par son petit-fils Ach. Gentï.

i VOL. IN-18, PORTRAIT.

Pour donner une idée de l'intérêt que ce petit volume doit offrir aux linguistes, nous en détacherons le morceau suivant. L'orthographe de l'auteur, qui diffère singulièrement de celle par nous adoptée dans les Rimes en patois percheron (<<"■ vol. de la Collection), a été scrupuleusement respectée.

L'BAATAON AOU BAON GUIEU

Vlao lao Noai, Gas, qu'éproochain : Sounj'ous ao bin néti vofi poche? Cieutx qu'on fa n-ao leû prouchain Tumbron n-aou pormiei coup d'cloche (^), Faout reufleucbi : l'baou Guieu n-ée baon, Ma neun foà qu'i s'fout n-eiu coulére, Y n'acout pu pér mère ; Ria n'pouion artai saou baàtaoa.

II

C'baâtaon-lao, n-i u'ée minchot. Pu Ion qu'd'Emeinquiér ao Mortaigue, Quan n-i va, li, c'ée n-aou gailop, (Mé Gas, faout qu'çao vo seurpreigne),

(<) La tradition à laquelle ce vers fait allusion, est complètement perdue aujourd'hui. La voici telle que nous l'avons connue dans notre enfance. A Noël, si l'on n'avait pas restitué ce qu'on avait dérobé dans l'année, on tom- bait mort ou gravement malade au premier coup de cloche par lequel s'ou- vrait la fête. Les sorciers souffraient épouvantablement aussi pendant la nuit de Noél et pendant les fêtes de Pàque?.

Aon l'ao veu, meum dain nout cantaon. Maeleu n-ao cieutx su qui n-i s'ieuue ! Dedsû l's'aepoul's d'nout gran mér Euue Aon vion co maerqu's c'baâtaon.

III

Y-ein n-flo trébin qui l'ont seinluj Quan n-i sTon vaî, tou pertou traimbe ; I caâssion, com ein vra féetu, rein ao l'ein, ao l'août jaimbe. Rin n'ié fson rin, niil-vintt-cin-naon 1 J'euom si tréfo lac téet dure Qu'euan d'no chingi d'aellure, L'baon Guieu bersillra saon baâtaon.

IV

J'iron loein ; j'seintom bin çao ; Ma lao Mo n'on rin qui m'aeffràe. Neuu brin pu toû, neun brin pu lao, Faout toujou s'cochi sou lao hâe. J'm'ein foutlain, ma c'qui m'eimbéetion

D'frainchi l'gran décimû passaige, C'ée l'baon Guieu (j'on atai saige), Çao qu'ée d'Tai d'si prés saon baàtaon.

Le volume renferme, (en outre des poésies), des Eléments de grammaire percheronne et un Vocabulaire. L'idiome percheron n'existant plus aujourd'hui que dans la mémoire de quelques lettrés indigènes, ces Eléments et ce Vocabulaire acquièrent une importance évidente.

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