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LA

SOCIÉTÉ FRANÇAISE

sous U TROISIÈME RÉPUBLIQUE

OUVRAGES DE L'AUTEUR

Les Vies parallèles, roman de grande ville (Fasquelle). Le Zézère, amours de blancs et de noirs (Fasquelle). Le Secret des Robes, roman de la couleur (Fasquelle). La Sarabande, roman de mœurs électorales (Fasquelle).

A PARAITRE :

Théorie nouvelle de la Beauté.

Le Triomphe de la Science.

Dans la Mer des Indes, nouvelles des îles.

892-04. Coulommiers. Imp. Paul BR0D.\RD. 11-04.

LITTERATURE SOCIALE

LA

r r

SOCIETE FRANÇAISE

sous LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

D'APRÈS LES ROMANCIERS CONTEMPORAINS

L'ENFANT LES OFFICIERS LES FINANCIERS LA NOBLESSE LES ANARCHISTES ET LES SOCIALISTES

MARIUS-ARY LEBLOND

ADAM BARRES BEREN'GER BOURGET CLEMENCEAU CORDAY DAUDET DESCAVES FRANCE GYP HENNIQUE HERMANT HERVIEU HUYSMANS LEMONNIER LOR- RAIN — LOTI MARGUERITTE MAUCLAIR MAUPASSANT MIRBEAU NION PRÉVOST RACHILDE RENARD ROSNY VILLIERS DE LISLE-ADAM VOGUÉ ZOLA,... ETC.

PARIS

FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR

ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

1905

Tous droits réservés.

BIBLIOTHfCA

Oc

A Monsieur HUG

CE TEMOIGNAGE HISTORIQUE AUX IDEES QV IL DEFEND

En hommage.

PRÉFACE

I

On pourrait parfois s'étonner un peu de nous voir envisager le roman contemporain exactement comme la vie, comme de la réalité, en analyser les personnages avec les mêmes minutie, précision et assurance que si c'était des êtres vivants que nous étudions sur le vif, et ainsi édifier un certain système sociologique vision d'ensemble et philosophie de la société sur ce qui n'est tout de même que du roman, et, comme l'on dit, de la fiction. Y a-t-il assez de garanties de certitude?

Déjà l'exemple de bien des historiens autorise cette méthode : combien de fois la civilisation de périodes anciennes a-t-elle été évoquée, recomposée exclusi- vement d'après des œuvres d'art et de littérature', si souvent inspirées et altérées de fantaisie? Le roman contemporain, le plus souvent réaliste, est une pein- ture autrement exacte et scrupuleuse, et fréquem-

1. « L'histoire s'est transformée depuis cent ans en Allemagne, depuis soixante ans en France, et cela par l'élude des littératures. •> (Taine, Préface de la Littérature anslaise.)

VI PREFACE

ment même une photographie de la vie. D'ailleurs, délicatement, inconsciemment, avons-nous toujours fait abstraction de la personnalité de Fauteur; des parenthèses et des incidentes indiquent ce qui est la touche personnelle dont l'artiste modifie la réalité.

Un des mérites de la littérature réaliste a été de faire prendre l'art au sérieux. Du jour l'on a su que les romanciers, au lieu d'inventer, reproduisaient ce qu'ils avaient observé, la critique n'eut plus à approuver ni à condamner l'imagination et les concep- tions des auteurs, mais à se prononcer sur l'exacti- tude, la vérité des personnages. Elle n'eut plus à juger des rêves d'après ses facultés de fantaisie, mais à apprécier l'observation d'après son obser- vation propre. Et c'est ainsi que bientôt ce n'est plus de la littérature, mais de la vie qu'elle doit faire la critique à travers les livres. L'œuvre d'art tend de plus en plus à être considérée comme une œuvre d'histoire, ce que Concourt voulait qu'elle fût. On pourrait aller jusqu'à dire que c'est à la littérature réaliste qu'on doit la critique d'un Taine, par exemple, qui, parce qu'il savait qu'un Balzac n'avait fait que reconstruire, seulement avec des caprices d'archi- tecte, ce qu'il avait vu, en était venu à vouloir chercher l'expression de la société dans les œuvres d'art d'autres siècles, d'autres siècles l'esprit avait beaucoup moins nettement conçu qu'au xix^ l'idée que l'art put représenter la réalité. 11 se trouvait en outre que Taine était historien et que tel il eut fré- quemment recours à la littérature pour la psycho- logie d'une époque. 11 en résulta que la littérature

PREFACE

acquit dans l'esprit contemporain une valeur d'his- toire et de science. Et Ton peut donc d'après elle dessiner la monographie d'un personnage social, le financier ou le professeur, comme d'après les diverses contributions de la science on a pu constituer la monographie d'un animal ou d'une plante, U Ecreçisse ou Le Sapin.

S'il serait très aventureux de poursuivre l'étude de la société d'après l'œuvre d'un seul écrivain, il y a au contraire tous gages de certitude à l'entreprendre sur l'ensemble des romanciers : Zola complète Daudet, Rosny corrige Bourget, Mirbeau s'oppose à Vogué : chacun d'eux peut se tromper en ne percevant qu'un côté de la vérité, tous ensemble ils voient juste. C'est la société, complexe, qui s'exprime elle-même en sa complexité par la diversité des tempéraments d'écri- vains qu'elle a façonnés. Nous n'irons pas jusqu'à dire, dociles à un subjectivisme allemand que nous réprouvons, que la vérité ce n'est pas ce qui existe en soi mais ce que chacun de nous sent : il y a seule- ment le maximum de chances qu'elle soit la résul- tante de ce que tous sentent.

Et maintenant l'avantage d'une telle méthode est considérable. Ce n'est plus la pénétration d'un histo- rien, d'un spécialiste, enfermé dans son cabinet et comprimé dans sa spécialité, qui analyse, juge, syn- thétise, avec des partis-pris de classe, de métier et de doctrine; ce sont vingt romanciers, des êtres intime- ment mêlés à la vie, en ayant joui et en ayant souffert, des témoins et des sujets, fidèles et sincères par la naïveté ou la vanité quand ils ne le sont point par la

VIII PREFACE

maîtrise ou les nécessités du métier; ce sont vinst sensibilités et vingt intelligences, c'est leur essence, c'est la quintessence de tout ce qu'une période a fourni d'observation.

Corollairement, la critique devient bien plus sûre juste et proportionnée : en comparant les réalisations que divers auteurs ont tentées d'un même type, elle apprécie mieux la profondeur et la souplesse d'obser- vation de chaque écrivain.

II

C'est ici de la critique par fresques '; ou plutôt nous voudrions qu'après lecture de ces études particulières il put se former, devant l'imagination du lecteur dési- reux d'évoquer la Société, comme de grandes fresques sociales où, avec l'unité d'ensemble d'une époque, l'Art, multiple et nuancé, aurait groupé les figura- tions diverses, en attitudes originales, des profes- sions et des classes. En un même tableau peut se rassembler, par exemple, toute l'aristocratie qui fut dépeinte dans la littérature contemporaine, les per- sonnages des romans divers se prêtant mutuellement de la vie, par un jeu de reflets, de contrastes et d'har- monies, en entremêlant leurs mouvements et leurs langueurs, leurs vanités et leurs souffrances, leurs ennuis, leurs déceptions et leurs vices :

Dans un jardin, près de l'escalier du « château », un cercle de frêles et nerveuses jeunes femmes,

1. Nos premiers articles laits dans ce sens datent de 1896 [Voltaire) et ne sont donc pas écrits sous l'inspiration du critique qu'on a crue.

PREFACE IX

coquettes et désœuvrées, entend le babillage fat des hommes élégants et prétentieux : le plus jeune, Charlexis, adolescent au teint de fille et au cœur blasé, sous les yeux jaunissant d'envie de son père, vieux duc goutteux et encore galantin du Second Empire, frôle de sa tête bouclée une jeune femme qui se trouble, lui jetant distraitement l'heure à laquelle il l'enlèvera, cette nuit, pour fuir vers un port il compte l'abandonner aussitôt à elle-même et au suicide. Cependant l'hystérique Bérengère d'Auflers, fixant de ses prunelles somnambules un capitaine de dragons, pousse de petits rires aigus comme des cris; d'autres demoiselles, très allongées sur les chaises, ne songeant à rien, songeant au mariage avec des étrangers laids et aux gentils cousins qui seront leurs premiers amants, y ajoutent leur gaîté fausse.

Un peu détachée, Giselle d'Exireuil semble écouter la conversation, mais, l'âme blessée de honte, elle se rappelle avec un effroi profond qu'elle a été violée l'aiitre jour, dans les larmes et l'évanouissement, par le baron SafFre qu'elle hait; ses épaules frissonnent : il faut qu'elle aille le retrouver demain et le subir, fût-ce en lui mordant la main, sinon l'époux qu'elle chérit, ruiné, devra partir pour l'Australie sa santé délicate l'exposerait à la mort. Maud de Rouvre, somptueuse et hardie sous le vêtement trop riche qui n'est pas encore payé, oubliant qu'elle sort de chez son amant pauvre à qui elle a livré la moitié de son corps, exalte de ses regards chauds et purs un loyal hobereau de Vendée qui, depuis hier soir, lui est fiancé. Elle est debout dans une stature de mélan-

X PKEFACE

colie. La pelouse, fleurie de boutons d'or, s'arrête au bas de sa jupe voluptueuse. Le lycéen Serge de Ménassieux y joue dolemment à la raquette avec une jolie fillette que son impuissance sentimentale ne songe pas à chérir. Contre le bosquet de rhododen- drons, Thérèse de Sauves, étendue en un « rocking- chair » dans sa grâce blonde d'héroïne perverse de Bourget, presse à la dérobée la main de son Sigisbée qui ne voit pas les jeunes filles et lui récite un vers amoureux de François Coppée. Plus loin des marron- niers opulents à chatons roses groupent des dames en mantille à leur ombre noire : la beauté mûre et fondante de Mme de Gromance qui, n'ayant point d'idées, balance le souvenir imprécis de ses amants, est assise près de la douairière de Nécringel, restée si amoureuse en ses soixante-dix ans qu'il ne lui est de plus chère distraction que de provoquer les confidences détaillées d'Anna de Courlandon, mariée suivant la règle à un mari odieux et amoureuse d'un peintre trop délicat à qui elle s'est offerte aujourd'hui et se refusera demain, restant honnête par surprise. Mme de Rebelle, l'intellectuelle de l'aristocratie, écoute sous un beau front grave les pâles discours métaphysi- ques de quelques nobles pauvres ; leurs grands mots infinis n'ont d'autre but et d'autre effet que de troubler ses sens par la cérébralité, et son beau sein se sou- lève; à sa gauche s'éploie un jeune saule de Babylone. A quelques pas, sur le sable de l'allée, le comte de Gromelain, qui a cherché en vain parmi les femmes son épouse, morphinomane en ce moment distraite par quelque officier de hussards dans un cabinet de

PREFACE XI

restaurant, le crâne vide et grave, cause de chasse avec le général nationaliste Cartier de Chalmot, ven- tripotent et imbécile. N'ayant garde de les écouter, le vicomte de Courpières s'ennuie à califourchon sur une chaise, ne s'amusant qu'au milieu des filles et des souteneurs de Montmartre; mais il se lève sou- dain pour aller saluer le mari de sa maîtresse, le duc de "*, qui le prend à l'écart et lui intime, par la pro- messe d'une rente régulière, la prière de ne plus reparaître chez lui. Une allée de cyprès conduit la perspective jusqu'à l'horizon. Très loin à l'écart Jean de Floressac des Esseintes, Hamlet neurasthénique, disserte avec un abbé à tête de Cranach; en étirant des idées laminées, il se dandine sur des jambes maigres, et, le sourire aigu à la bouche fardée, il montre, tourne et retourne dans ses doigts adustes et couverts de bagues un crâne de mort il a lait enchâsser les plus rares diamants de sa collection particulière.

Par l'élégance des lignes et le choix des nuances précieuses, l'ensemble apparaît d'abord gracieux dans un chatoiement de moires et de souples poses, mais on sent bien que dans ce décor luxueux, une atmos- phère d'ennui et de tragédie fade obsède les physio- nomies émaciées d'affinement et maquillées de préten- tion; les yeux sont hagards ou vides; les gestes sont crispés ou falots; les groupes lâches ou incohérents. Il y a seulement quelques jolies robes, de sédui- santes attitudes, une ou deux figures attendrissantes. C'est la photographie, muette et expressive, de la scène du milieu d'une pièce qui s'appellerait Déca-

XII PREFACE

dence^ des robes de soie bruissante, robes de cocot- tes aussi bien que de duchesses, évolueraient avec une certaine fraîcheur autour des saluts compassés de gommeux et de décavés, oîi les adultères se noueraient à l'avance en les flirts précoces d'enfants charmants et corrompus, des douairières proxénètes et des vicomtes souteneurs s'entr'aideraient pour attirer der- rière les charmilles les dernières filles naïves, des prises de voile, des fuites impromptues avec des tziganes, des coups de pistolet maladroits, des viols rapides, des crises de nerfs à la cantonade et un ou deux meurtres compliqueraient, dans un tapage assourdi aux musiques des fêtes, l'intrigue banale entremêlée des mille éphémères affaires sentimentales d'êtres dénués de sentiment, impulsifs et impuis- sants.

En une telle fresque que nous recomposons ici pour cette classe, qui se compose d'elle-même pour les autres dans l'esprit du lecteur toute l'aristo- cratie d'ime époque revit en se rassemblant, telle qu'une grande famille dont les membres eurent des peintres différents et dont la ressemblance, impalpable et profonde, se perçoit néanmoins aux portraits de touches les plus dissemblables : Charlexis fait mieux comprendre et complète Courpières, plus âgé et moins riche, et avec Xavier de Tarves qui habite un quartier plus neuf et plus financier de . Paris, on perçoit les nuances de variétés dont de petites diversités d'héré- dité, d'éducation et de milieu modifient un même type ce qui intéresse particulièrement le naturaliste ;

Gromelain, quadragénaire, est la stylisation, dans une forme plus osseuse, du parasitisme des Caréan-Priolo, des Arcole, des Candale et des Sauve; la comtesse de Gromance d'Anatole France et la comtesse de Rebelle des Rosny se font valoir Tune Fautre comme une Jjrune et une blonde dans un même tableau, comme une intellectuelle et une sotte dans un même roman ency- clopédique consacré à Fétude d'ensemble de cette classe. Il apparaît bien que la littérature d'une époque est une grande œuvre en collaboration où, néces- sairement, chacun, cherchant à ne pas répéter ses devanciers, s'attache dans un sujet à ce qui n'a pas encore été traité par eux, complète ainsi leur œuvre, et, gardant malgré tout cette œuvre dans son souvenir, y adapte de loin ses propres créations comme, même en se renouvelant d'une manière à une autre, un romancier rattache toujours ses derniers livres aux premiers par des arabesques subtiles : l'unité qu'il y a dans l'œuvre la plus complexe se fait aussi dans l'ensemble d'une littérature, et d'un roman à Fautre les personnages se donnent la réplique. Ce que, avant tout, doit faire sentir la critique, c'est cette solidarité. Un tel genre de critique offre plus d'intérêt à une époque orientée vers le collectivisme et le senti- ment même de la beauté a évolué avec l'idéal social, la beauté ne se recherche plus tant dans l'expres- sion, analytique, d'une individualité que dans l'har- monie, synthétique, d'une communauté, l'émotion, au lieu de se ramasser dans le sourire équivoque d'une Joconcle, se répand avec une bienheureuse lumière a utour des gestes d'âme caressants des fraternels grou-

M.-A. Leblond. "

XIV PREFACE

pes d'êtres d'un Puvis de Chavannes, ce grand évocateur sans le savoir des félicités de la vie communiste, l'admiration préfère aux plus alliciants portraits le concile serein d'un Bois Sacré^ par lequel tout à la fois la volupté et la rêverie altruiste sont satisfaites.

La peinture de fresque répond particulièrement à notre idéal moderne ; elle est la mise en scène instruc- tive des types différents à qui l'ordre de la composi- tion et la répartition de la lumière donnent une simi- litude de communauté. Conciliant l'individualisme de notre intelligence et le socialisme de notre instinct, nous aimons que les individus y paraissent avec toute la force de leur caractère dans le groupement harmo- nieux d'une même famille. Et c'est bien à des sortes de fresques sociales auxquelles atteindra ce genre de critique qui, empruntant les couleurs des palettes différentes, les traits de diverses observations, dérou- lera selon la ligne de dessins propres la guirlande des personnages les plus significatifs, en quelque sorte les plus décoratifs de la société.

Ainsi en même temps que le roman, au lieu de se cantonner dans l'observation d'un type ou l'analyse d'un cas, s'habitue de plus en plus à étudier dans leur rythme l'ensemble des foules et ne trouve de vie riche et profonde qu'à embrasser la complexité des milieux, la critique est incitée à grouper les œuvres ; et cela répond également aux tendances récentes par l'effet desquelles la critique d'une littérature nationale s'est renouvelée en comparant cette littérature à celles des autres pays.

PnÉFACE XV

III

Voici le plan de ce livre :

Nous avons crabord envisagé la société dans son origine commune : le premier chapitre est consacré à l'enCant. Puis nous Favons considérée dans ses forces adultes; tenant compte de ce que la première néces- sité fût de se défendre, nous avons étudié l'officier, qui est en réalité le seul militaire dans l'humanité civilisée, le soldat n'étant guère plus aujourd'hui qu'une machine, l'arme, le soldat étant dans notre société ce qu'a été la lancé ou le javelot pour l'huma- nité primitive. Sous la Troisième République, au len- demain de 1870, l'importance de l'officier ne pouvait qu'être plus considérable. Il convenait ensuite de choisir un exe_nple des forces adultes de direction intérieure : certes le clergé est encore très puissant et nous l'étudierons une autrefois, mais entre cette force directrice du passé et l'université, force de l'avenir, nous avons choisi comme plus significative peut-être de cette époque, comme plus moyenne, la classe des financiers : on sait le rôle capital qu'ils ont joué sous la Troisième République dont ils ont été presque les créateurs, en étant les bailleurs de fonds au lendemain du paiement des cinq milliards. L'aristocratie enfin représentait une classe qui disparaît définitivement; et la qualité d'une société s'éprouve fortement par ce qu'elle élimine autant que par ce qu'elle assimile. C'est le socialisme qu'elle est en train d'assimiler lente-

PREFACE

ment, le socialisme qu'il faut se garder de confondre avec Fanarchisme : d'oîi la juxtaposition des deux der- nières études sur les Anarchistes et les Socialistes.

Bien que Les Rougon-Macquart soient « l'histoire d'une famille sous le Second Empire, nous avons étudié dans ce livre les œuvres de Zola : il est trop visible, en effet, particulièrement pour L'Argent^ qu'il a pris dans la société contemporaine toute la documentation de ses romans. L'œuvre des Concourt, même en général ce qui a paru après 1870, appartient au con- traire au Second Empire. Nous avons aussi considéré les œuvres de Camille Lemonnier, bien qu'il soit en Belgique, tant il est vrai que cet écrivain, instruit, inspiré et consacré par la France, étudie une société en réalité française.

En général, nous avons arrêté nos enquêtes à. l'année 1900.

LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

sous LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

CHAPITRE PREMIER

L'ENFANT

Depuis quelques années, depuis que la nation entière commence à s'apercevoir du danger de la dépopulation et s'en plaint,^ tous, par un sentiment inanalysé, par une association d'idées puérile mais heureuse, s'intéressent bien davantage non seulement à l'enfant, mais aux eniants. Dans la rue on regarde passer ces petites vies fragiles avec l'amour qui va aux choses rares et de prix, qu'on souhaite plus nombreuses, et l'on achète les livres qui, avec grâce ou éloquence, parlent d'enfants. Alors les écrivains en composent davantage : il n'est plus que chez Hachette ou chez Hetzel que s'éditent les livres dont les enfants sont les héros ; ce ne sont plus que des Mme Guizot ou des comtesses de Ségur, mais des artistes qui les écrivent, et jamais, comme si nous étions à une période de fécor 'ité de la race, il n'y a eu une si abon- dante littérature consacrée à l'enfance.

Au fond, la bourgeoisie est toujours malthusianiste : le mouvement de réaction contre son égoïsme n'est encore

^I. A. Leblond. ^

2 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TliOISIEME RÉPUBLIQUE

sensible qu'à la surface; mais l'apparition simultanée d'œuvres telles que La Charpente de J.-II. Rosnv et Fécondité de Zola (1900), traitant toutes deux le même problème, la première avec plus de finesse, de pénétra- tion incisive, de hauteur spéculative, la seconde avec plus de largeur et de documentation, plus de persuasion com- miinicative, une puissance d'action sur un public immense, une éloquence fécondatrice de Nil qui déborde 1 appa- rition de telles œuvres manifeste qu'il existe dans la masse publique une émotion, un sentiment, des idées de moins en moins vagues et éparses. En outre elles peuvent préciser et fortifier les tendances. 11 nest pas impossible que le feuilleton de Zola ait sur le peuple une iniluence analogue à celle que VEmile a exercée sur les mères de la bourgeoisie au deruier siècle. La mémoire de Rousseau, depuis quelques années mieux étudié, mieux compris et remis en juste gloire, aidera les contemporains à une œuvre plus durable.

C'est encore Rousseau directement ou à travers ses disciples, Sand et Michelet, Rousseau dont est nourrie toute la littérature du xix*^ siècle, qui agit sur les roman- ciers contemporains et par eux. Le souci philosophique de pédagogie qu'il leur a donné sest entretenu par le succès mondain, après les poèmes de Hugo, des autobio- graphies, des mémoires d'enfant de Michelet, de Renan,

de Tolstoï Encore les deux littératures étrangères dont

nous avons été le plus pénétrés, le roman anglais, par goût moralisateur jusque dans l'humour, et le roman russe, par plus de naïveté, par plus de simplicité de peuple neuf, ont beaucoup étudié l'enfant. On se sou- viendra de Dostoiewsky, notamment de hrotkaïa, de A?)ie d'enfant, de L'éternel Mari, à lire les monogi'aphies des petites sensibilités nerveuses auxquelles se sont attachés

L ENFANT

passionnément les pins divers de nos romanciers, nn Paul Margueritle et un Paul Adam; on a trop souvent déjà rapproché Dickens et Daudet pour qu'il y faille insister; l'inlluence enfin d'un Bulwer Lytton (avec son exquis et noble Pisistrale Caxton) sur Anatole France est incontes- table. Il n'en fallait pas tant pour développer ce genre chez un peuple aimable qui sut toujours rester jeune, et qui si souvent redevient enfant.

Il y a une vingtaine d'années, au contraire, dans la décade qui suivit 1870, nous étions tous vieux et, pis, vieillis. Ou n'avait plus le cœur a jouer avec les enfants : ou cherchait des hommes. La littérature pessimiste de l'époque n'a observé les entants qu'au hasard de la vie regardée, par désir et nécessité de tout montrer, sans tendresse ni luème préoccupation spéciales. Le seul grand roman littéraire consacré presque entier à dire une exis- tence d'enfant et d'enfant malheureux, Jack, surprit les lettrés comme un retour a un thème délaissé, passa pour l'adaptation d'un roman anglais; encore est-il tout autant une satire des mœurs bohèmes. Les naturalistes u'ont peint d'enfants qu'au milieu d'adultes, coulbndus dans le troupeau social. Ressuscitant et étalant l'animalité de l'homme, ils ne purent qu'accentuer cette animalité en l'enfant plus instinctif, plus près de la bestialité originelle.

Dans Zola Fécondité, bien postérieure, est une œuvre il part les enfants de la campagne et des faubourgs sont de petites brutes grandies dans la promiscuité des accou- plements paternels, avec tous les vices de l'homme adulte : voyouterie, crapulerie, grossièreté, obscénité, débraille- ment et dé])auche. \ ictor, de L'Argent, est le type le plus complet, haillon de Paris, a quinze ans voleur, violeur et criminel. Ceux de la bourgeoisie sont hvpocrites et

L ENFANT

malingres, les aboutissants d'une race appauvrie par la jouissance, tels les enfants du vieux « patron » de La Terre, Maxime le collégien-fille [La Curée), telle Angèle Campardon [Put-Bouille) élevée chez elle dans une chambre blanche en crainte des pensionnats, sa mère estimant cju'un souille même de la rue ne doit venir aux fillettes, et qui, dans la turpitude d'un ménage à trois, est aban- donnée aux vices ancillaires. Quelques-uns sont gras, mais alors adipeux, roses petites pièces de charcuterie (Le Ventre de Paris). Et toute cette menue humanité, qui manque tant de la légèreté enfantine, est laide et malsaine, chlorotique ou empâtée, déjà marc|uée de la misère terrestre comme si elle avait déjà vécu, fait l'amour.

Seules, pour un effet de contraste, une ou deux figurines ressortent pures et auréolées de la sentimentalité trop longtemps contenue de l'auteur, entre autres la fillette-martyre de VAssommoir. Quant à Angélique du Rêve, elle est une rêveuse d'aventures de mysticité sensuelle et, tout en restant fraîche, elle a la monomanie de l'amour, dans une obsession et avec une pesanteur de sentiment qui sont le propre des adultes. Pour Zola, l'enfance, même la plus pure, est seulement un stage d'amour. Pauline, dans La Joie de i'is^'re, œuvre remar- quable qui est plutôt une étude de caractères, se distingue par lîi même des enfants des autres romans de Zola, est une petite figure féminine sans cesse retouchée avec minutie. Zola a voulu ici exprimer son idéal pédagogique, donner V Emile naturaliste; et c'est ce qui fait que, sortant de la formule ordinaire des romans de mœurs, Pauline nous présente un intérêt spécial. Orpheline élevée chez sa tante, cœur affectueux qui a la vocation du dévouement, esprit clair et positif, volonté ferme et pratique, elle fait soi-même son instruction en feuilletant avec une ardeur

6 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

purement cérébrale des ouvrages et des albums de méde- cine : ainsi, sans trouble, avec un beau calme de saine individualité, elle acquiert la science détaillée des lois physiologiques, h l'âge Angélique apprend h broder. Elle sait toute la vie et de cela même elle a l'esprit plus généreux et plus pur, insoucieuse des mille hypocrisies et curiosités dont s'entretient la perversité des fillettes élevées à la méthode ignorantine.

Maupassant, plus nettement encore qu'à l'ordinaire Zola, n'a vu dans les enfants que « de mignonnes larves humaines » ou de petits veaux; l'attendrissement avec lequel il les considérait comme toutes choses, était formé d'un peu de mépris et de beaucoup de pitié; lui, qui a parfois fait vivre les bètes avec autant d'intensité que des hommes, n'a le plus souvent remarqué dans l'enfant que ce c[u'il a de grotesque, d'inachevé, de boiteux. Plus il allait, moins il s'y intéressait, et il l'a surtout peint en très lias âge, alors qu'il n'est qu'une chose mouvante, prétexte plutôt à montrer les sentiments de paternité et de famille (notamment dans M. Parent).

Mirbeau, dans Le Calvaire, semble avoir voulu moins une autobiographie qu'une monographie d'enfant repré- sentatif de la movenne des enfants de la France, pays appauvri et race épuisée par les divers gouvernements qui s'y succédèrent. Jean Mintié est essentiellement le petit bourgeois dégénéré du mariage « de raison » d'une demoiselle de vieille aristocratie énervée et d'un

L ENFANT

notaire lymphatique amolli dans la paperasse. Mirbeau le fait naître vers 1850 et combattre contre IWllemand, mais en réalité c'est bien nn enfant du lendemain de la défaite, avant 1870, mais entré en croissance après 1870, grandi dans une atmosphère lourde du deuil d'hier et de l'angoisse de demain, déserté de toute espérance, vidé de toute énergie, décérébré, déséquilibré, sans volonté, à la merci prochaine de la première fille cj^ui côtoiera son adolescence. C'est le fils d'une veuve, d'une nation veuve. Sébastien Roch, beau, tendre, rose, sain, agile, assoupli aux jeux de petit animal libre dans les champs, est mis au collège noble des Jésuites de Vannes par un père stupide, hypno- tisé de royalisme et de cléricalisme. Intelligence éveillée au sentiment artiste de la nature, àme pure et affectueuse, Sébastien est desséché par l'enseignement formaliste et sans àme des Jésuites et par leur éducation inégalitaire ; et l'abus d'un jésuite vicieux brise son anie, le rejette hors du collège et dans la vie, sali, écœuré, dévirginisé de toute confiance en les autres et de toute estime de soi-même, émasculé de toute énergie qu'il ne recouvrera que dans la possession d'une amie passionnée, à la veille de sa mort sous les balles prussiennes . Sébastien Roch semble d'abord une monographie d'enfant, mais l'enfant y est moins le sujet que le lien d'action d'une satire sociale : de l'importance sociale de cette peinture de l'enfant qui n'est plus détaché du milieu mais qu'on voit encadré dans la société comme un soldat dans son bataillon, accablé déjà sous la discipline des hiérarchies et des institutions routi- nières et préjugés restés de l'Ancien Régime. L'humanité actuelle, selon Mirbeau, est une humanité d'âme anarchiste ([ui se débat impuissamment sous les cadres d'Ancien Régime conservés dans la société républicaine; surtout l'enfant, symbole par son âge de cette humanité nouvelle,

8 LA SOCIETE FliANÇAISE SOUS LA TROISIEME IlEPUISLIQUE

est anémié, souillé et entravé par les règlements et l'àme vétustés de réclucation contemporaine (1870 à 1882), et au moment même il va s'élancer dans la liberté de la jeu- nesse adulte, il est pris, enrégimenté, jeté à la mort.

quelques années plus tard. Le P'tit de Jean Ajalbert est plus exactement un enfant de la guerre, sérieux, studieux, concentré, amaigri, frêle, jauni. C'est un enfant de cette banlieue malingre et désolée que Raffaëlli, avec tant de joénétration désespérée, a montrée plus désolée encore au lendemain du siège et qui aujourd'hui même semble toujours un peu être restée à ce lendemain. Le p'tit grandit dans ces paysages qui paraissent une nature attristée, précocement vieillie, anémiée et tourmentée, résignée à la monotonie du labeur industriel. En outre il a h se dégager de l'envoûtement et de l'affadissement d'une éducation religieuse, assoupi, endormi par l'internat et la routine d'une instruction qui ne sait employer les forces du jeune être. D'ancestration mi-paysanne, mi-parisienne, il participe de la griserie des grandes villes et de la torpeur des champs; il sera dégourdi par le frottement d'une jeune cabotine italienne dont les mœurs libres et les déhanchements sensuels remuent en lui une virilité à la fois trouble et radieuse. Usant de lui comme d'un petit « chandelier », la tentatrice, par des caresses brutales et de secs refus, lui communique une nervosité perplexe, le blase à jamais sur la femme, en fait une jeunesse désabusée et banalisée de n'avoir plus d'illusions. Les désirs lui prêtent une force factice, maladive, et il est promis à la lente névrose. Ce roman d'une âpre psychologie h la Rops, (jui a été justement célèbre, est l'histoire de la

L EXFANT

jeunesse de l'époque qui, au sortir d'une éducation classique surannée satrophie rintcllectualité et du régime déprimant de l'internat, alors lort h la mode, était jetée aux lètes bohèmes du boulevard, ici personnifié par Laura, àme sèche de noceuse, incapable de comprendre la pureté et l'amour jeune, coureuse de trottoirs aux jupes frétillantes et h la chevelure ébouriffée.

Comme [Nlirbeau, ■Marcel Prévost a noté dans la jeunesse mondaine labsence de virilité. Frédéric de Périgny [La confession d' un amant), en qui il voit volontiers le type de l'amant de la fin du xix^ siècle, fut un enfant sentimental de physiologie délicate, élevé par de vieilles femmes et de vieux prêtres. Moins soucieux de jouir que d'aimer, trop épris d'émotions passives pour désirer l'action, ne goûtant la nature que dans la solitude, et sachant dès le bas âge apprécier la saveur des larmes, c'est un être féminin trop émotif : amoureux h l'année de la première communion d'une fillette maladive, il ne saura aux jours de maturité que s'abandonner aux bras de ses maîtresses plus viriles que lui.

Dans Mademoiselle Jaiifre, c'est encore le petit garçon Louiset qui est le plus délicat, nerveux, le plus timide, le plus sentimental, alors que Camille Jaufre, saine, rose, s'agite pleine de force, harmonieuse et épanouie dès l'enfance. Camille est un tvpe parfaitement étudié de la femme vigoureuse en face de l'homme maladif de la géné- ration précédente, plus vigoureuse peut-être de la mala- divité de l'homme par une loi de contraste et d'équilibre, parce que son éducation fut moins déprimante et que le souci de la revanche contre l'Allemagne ne pesa point sur

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son sexe. Elle est lei fillette sensuelle, gentiment et atTec- tueusenient, sans vice et par impérieuse nature : de puberté précoce, déjà amoureuse avec presque des gestes de cour- tisane dans son enfance inconsciente, elle cherche les baisers aux lèvres et les caresses par instinct et prématu- rité d'un sang riche. Elle n'a pas reçu d'éducation intel- lectuelle, proportionnelle à sa force physique, capable de distraire sa sensualité; elle ne sait que sa beauté, ne s'intéresse qu'à elle, et elle cherche à l'imposer aux autres, à en voir sur eux les efiPets; toute petite, elle se cambi'e afin d'exciter le passant, marche lentement pour mieux se laisser voir, recherche les fêtes foraines il y a plus d'admirateurs sans cesse renouvelés et inconnus, regarde avec curiosité les couples énamourés attardés sur les grandes routes et plutôt les femmes que les hommes par une plus égoïste curiosité.

Qu'arrivera-t-il plus tard? Elle se laissera prendre par un officier et, délaissée, épousera un jeune homme honnête cju'elle aimera, sans trouver le courage de le prévenir. C'est que la culture de sa seule beauté, unique éducation donnée en général à la petite fille de la bourgeoisie, détermine la passivité, comme font les vices égoïstes. L'éducation intellectuelle lui est plus indispensable encore qu'à l'homme, car elle est le contrepoids nécessaire de sa sensualité passive, caractère de son sexe cjui est entretenu et développé sous forme de beauté avec d'autant plus de soin cpae cette beauté est sa dot.

Passant de l'étude de la psychologie réaliste au roman moralisateur, de plus en plus dans les romans suivants, depuis Le Jardin serre/ jusqu'aux Vierges fortes, Prévost silhouettera avec justesse des fillettes fermes, précises, décises, mâles, exquisses des futures « femmes nouvelles ». Mais le type fortement observé de son œuvre reste la petite

L ENFANT 11

Jaufre, qui a bien été pour lui un type représentatif de la fillette de la bourgeoisie et un exemple de l'éducation insulfisante que cette classe donne à ses filles.

Rachilde, dont le témoignage est particulièrement précieux parce que c'est une des rares femmes cjui ait parlé de la femme avec la sincérité absolue et la hardiesse de pénétration que l'homme met à s'analyser, renforce singulièrement d'un talent vif, souple, et nerveusement nuancé l'observation de M. Marcel Prévost, romancier spécialiste de la femme. Sa critique de la société est plus amère parce qu'elle a sous les yeux la petite Bourgeoisie et surtout ce qu'on pourrait appeler la Bourgeoisie à côté.

La fille du colonel Barbe ' est une « petite née vieille » ; chérissant passionnément sa chatte (dormant avec elle et la prenant toujours contre soi) par plaisir de jouer avec ce qui peut la griffer, adorant tout ce qui grouille sur la terre, nerveuse, sensible à l'orage et à la chaleur, et s'évanouissant à tout propos. D'une sensualité gour- mande, elle mange les roses, elle cherche des sensations inconnues : elle a déjà soif d'être aimée, aussitôt exi- geante et despote dans son idylle précoce avec un petit jardinier, et elle sait que sa chair d'enfant trouble. Cependant, brutalisée par son père ainsi que l'a été sa mère, sacrifiée à un laideron de frère, il se prépare en elle une hostilité instinctive contre l'homme : petite femelle concentrant dès l'enfance toute la haine du mâle; cette inimitié ira jusqu'au crime, quand elle laisse s'étouffer, non sans plaisir, le frère préféré. Elle a commencé la

1. Rachilde, La Marquise de Sade.

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guerre aux màles qu'elle méprise pour avoir été élevée au milieu de la bohème libertine et sotte des olficiers qui, aux soirs de réception de son père, soucieux d'avancer, la caressent de compliments tandis qu'elle tient salon. Elle a été élevée « dans le rouge » du monde militaire qui « la surexcite et la blesse », et, petite panthère à griffes, elle aime, elle rêve la guerre, cpi'elle voit comme une dispute sanglante autour de sa jeune beauté fauve et cambrée.

En elle le talent violent et félin de Rachilde sest plu à révéler la léminité passionnée dont sont maladivement atteintes les fillettes mal élevées, le précoce chatouillement de leurs sens énervés par la croissance, la vive tyrannie de leur imagination sexuelle : ce qui est exprimé avec un réalisme d'une crudité masculine. Mais la tendresse de la femme intervient pour analyser ce qui, en ces tempéra- ments de petites filles, est à l'éducation : ici c'est le type malheureux de la fille du militaire, cahotée de garnison en garnison, abandonnée par un père coureur à l'office, elle assiste aux amours des bonnes et des ordonnances, et aux ménages cabotins d'oificiers ivrognes.

Et ce n'est pas encore tant l'étude d'une petite fille sensuelle que celle d'une mauvaise éducation que Rachilde fera dans U Animale, hviwve, Lordès est pourrie et échauffée par une horrible nourriture, épicée de sauces et de chipo- latas, que ses parents lui imposent par gâterie : elle est dorlotée mais mal soignée, gorgée mais mal nourrie, adorée comme un ange et mal élevée. Elle aussi démange d'idées bizarres; elle a une curiosité froide et intense des choses de l'amour, elle joue à dormir et à se frotter contre un petit garçon, avec le sentiment qu'elle fait mal pour l'énervement de commettre des actions défendues et pour le plaisir d'avoir peur; elle apprécie ses avantages dès sept ans et reçoit les garçonnets de dix à quatorze ans

L ENFANT 13

dans la iVaiche alcùve crun buisson d'angéliques dont elle aspire l'âpre senteur aphrodisiaque ; ainsi, avec des caresses blasées, elle a appris à obtenir ce qu'elle veut. « Jolie petite Messaline, »

Ces deux études d'enfants laissent l'impression d'une même conception générale. Rachilde n'a guère analvsé de jeunes garçons; pour elle, l'enfant, c'est surtout la femme, qui est, elle-même, l'enfant malade et impure de Vigny, et elle nous la montre presque toujours « née avec le germe du mal » ; « elle était la Aiute même », ajoute-t-elle, ou bien encore elle l'appelle d'un terme cher à Baudelaire : ange des ténèbres. On retrouve évidemment ici, par l'intermédiaire des meilleures et des pires influences litté- raires, la conception catholique de la femme, de l'Eve con- damnée au péché, de la diabolique telle qu'elle effrayait et attirait Barbey. Mais Rachilde, toujours inspirée h tra- vers son anarchisme d'un souci d'éducation qui prime même son goût du réalisme pour ce qu'il a de scandaleux, a voulu expliquer par des motifs humains cette prédesti- nation vicieuse de l'enfant (et c'est ce qui donne à son œuvre, description complaisante de la pourriture bour- geoise, la générosité saine d'un Vallès) : cette prédesti- nation n'est pas une fatalité divine mais atavique : les enfant naissent généralement de la luxure froide des bourgeois, gens de métiers sédentaires et mécaniques, alourdis et congestionnés. Ils ont par des tempéraments d'hystériques, et les parents ne se soucient point de remé- dier a la sensualité de l'àoe inorat par un régime de dis- cipline et de tendresse. En somme, dans ses romans, c'est l'enfant détraquée des vieilles civilisations, oisives et militaristes, autoritaires et anarchiques.

En résumé le réalisme, à mesure qu'il se développe et

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vieillit, que ses procédés et son pessimisme foncier s'adoucissent, qu'il fait appel à la psychologie minutieuse pour se renouveler, s'intéresse de plus en plus à l'enfant; il voit plus distinctement en lui sous l'apparence présente qui l'attirait jadis presque exclusivement, ce qu'il sera, la a puissance » d'un être. Mais, avant de se rajeunir et se renouveler, le réalisme s'était borné h photographier la nature elle se montre stable et fixe pour faire des tableaux de la réalité : on comprend cpie, l'enfance, étant l'âge les formes sont les plus instables et éphémères, lui fut le plus difficile à peindre; et c'est ce qui est sen- sible chez un Zola ou un Maupassant.

11

C'est pour des raisons tout opposées que les roman- ciers dénommés idéalistes ont été, en général, de médio- cres peintres d'enfants : par réaction contre le natura- lisme, les uns ont donne dans la recherche excessive des cas d'analyse subtile et compliquée et ce n'est point chez les enfants qu'ils pouvaient le plus aisément les trouver; les autres, en horreur des impassibles, ont exagéré la sen- timentalité, ce qui a été d'autant plus accentué dans la peinture de l'enfant, par lui-même déjà sujet sentimental.

La petite Adèle Raftraye [La Terre pj-omise) est un « être d'exception » : nerveuse presque mystique, ins- pirée, ardente, de pensée et d'àme précoces, petite artiste de sensibilité, elle offre une copie réduite des vierges de Burne-Jones; fdiette gracile aux boucles blondes abon- dantes, grave et farouche, aux mouvements frémissants d'antilope, elle est sauvage et tout à coup enfantine, amusée aux riens mais avec passion, dépensant au jeu de la poupée d'intenses ardeurs maternelles. Simone, Lucie et Adèle des Pastels, comme les deux petits garçons des ^OHÇcaiiA' pastels, sont encore de frêles créatures à âmes et à regards d'anges parfois ténébreux ou, comme dit M. Bourget, qui n'a jamais été aussi fade et qui semble avoir dès lors recherché l'approbation épiscopale de

16 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIÈME REPUBLIQUE

Tours, des « fées en miniatures » bonnes ou mau- vaises, exagérées toujours.

Halévy, Bazin, Peyrebrune, d'autres nous ont montré de jolies fillettes de contes de fées, espiègles, excellentes, dévouées h tous, sacrifiées et édifiantes, parfaites, toutes ayant plus ou moins le pied et le cœur sinon la fin heu- reuse de Cendrillon. Criquette. Henriette Madiot, la pupille des frères Colombe, sont des personnages char- mants et irréels destinés a faire pleurer les bonnes gens à qui ne suffit point le style des feuilletonistes populaires. Elle sont maintenant innombrables, les petites savoyardes habillées à la mode pour jouer A la grâce de Dieu dans les salons parisiens. AI. Coppée, qui aima toujours voir dans Tenfant un enfant de chœur, leur a donné un frère en Ange la s.

III

Il faudrait volontiers classer Gyp parmi ces derniers écrivains si elle ne se rattachait plutôt au groupe de ceux qui, tout en discernant dans l'enfant une matière a succès auprès du public sentimental, l'ont surtout pris comme moyen d'études de mœurs. Entre tous, Gyp, Lavedan et Willy l'une pour l'étude de la ville, et l'autre du vil- lage, ce qui fait qu'ils se complètent heureusement ont vu quel parti il y avait à tirer de l'enfant, naïf observateur, curieux jamais satisfait, pour laire valoir le pittoresque et le détail des mœurs des mondes l'on s'amuse même en s'ennuyant. Ce procédé, qui avait déjà été à peu près employé assez heureusement au théâtre par Dumas fils,

1. Ainsi dans La Brcqiicc. M. René Boylesvc n'a guère voulu en le refit de son enfance qu'un motif à décrire en légèreté un peu sèche les mœurs provinciales.

L ENFAXT 17

Sardou et Paillcron, est particulièrement manifeste dans leur création de l'enfant terrible, moderne Eliacin cjui voit tout, qui dit tout, qui montre tout du doiot,

A côté de Petit Bleu, nouvelle de sensiblerie sensation- nelle, il y a Petit Bob, œuvre gaiement comicjue et inci- sive, œuvre d'ironie frétillante et d'anarchie rieuse, album d'un Mars satiriste. Bob est un type très poussé d'enfant riche, à l'esprit éveillé et sagace, paresseux ii l'étude mais vif à observer, gouailleur et tendre, Anglais et Gaulois, très gâté mais de fond excellent et c|ui dit beaucoup parce c|u'il vit dans un milieu l'on en voit beaucoup. Il a paru ii la généralité des lecteurs un enfant extraordinaire parce qu'il dit des choses qui dépassent son âge, mais c'est le propre de tous les enfants de son monde élevés dans l'intimité de parents, de conversations et parfois de mœurs très libres; il a la précocité des enfants grandis dans les salons, même un peu dans les offices, et dans les cafés ils s'attablent à côté de leurs oncles a tout moment abordés par des connaissances légères et frissonnantes de soie ; il leur reste un peu dans la conversation le souvenir, le murmure et le parfum de ces jupes agitées : ce sont des enfants boulevardiers. Ils disent des mots (jui étonnent mais qui ne sont cjue des échos plus ou moins directs; ils paraissent de petits phé- nomènes, très logiquement ils ne seront dans la maturité f[ue des gens fort ordinaires, de banales intelligences de cercleux, vite usés par leur précocité même.

Claudine, fdle de Willy, est une demi-sœur de Bob, plus jolie, délicieuse du désordre de ses boucles blondes et de la fraîcheur aromatique de son teint, plus vivante, plus naturelle, grandie à la campagne : petit produit com- plexe et bizarre mais harmonieux, d'individualité plus riche, de personnalité plus vivace, elle croîtra, elle évoluera

M. A. Leblon'd. «-

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mais sans trop vite vieillir en une forme tôt arrêtée, sans perdre la jeunesse de son originalité. Claudine n a plus sa mère, et son père s'occupe d'escargots : abandonnée à soi seule et à une bonne assez naturaliste, elle passe un grand nombre d'iieures h l'école commu-nale parce qu'elle sait ne point s'y ennuyer; elle s'amuse fort h tourmenter ses stupides camarades ou ii taquiner du frôlement de ses boucles moqueuses les jeunes maîtres de l'école voisine des garçons, et elle se passionne à suivre les progrès de l'intimité des institutrices, suffisamment éveillée qu'elle est par la lecture des livres de "Louys et de Paul Adam. x\vec des yeux curieux et très pénétrants, elle regarde la vie campagnarde qui abonde en laideurs , en petites intrigues, en méchancetés sournoises et en vices; de tout cela elle se trouve très blasée, elle n'a plus d'illusions sur le commun des hommes, mais elle reste jeune, fraîche, sincère, amoureuse de nature et d'amour naturel, et elle reste soi-même, précisément parce que, intelligente, elle est trop informée pour avoir envie d'abdiquer son indi- vidualité gracieuse et souple sur la peu attrayante humanité d'alentour. Aux heures troubles elle se sent portée au vice, elle va faire un tour dans la campagne, observe les herbes et les bestioles, et rentre sereine au logis. A Paris (dans un deuxième livre) ', elle se pervertira. Cette conclusion est à retenir.

1. Nous ne l'envisageons que dans Claudine à l'école. Dans Claudine à Paris, elle n'est plus guère enfant et il n'est pas sûr qu'elle soit encore tout à fait Claudine. Ce second livre est une rajoute commerciale; le pre- mier reste une très originale étude de caractère, et nous n'y envisageons point la satire de l'école primaire qui est par trop tendancieuse, généra- lisation arbitraire d'un cas exceptionnel.

IV

Avec Jules Renard nous restons h la campagne que, comme le poète Francis Jammes clans son admirable comédie lyrique Existences ', il observe avec un réalisme humoristique.

On n'a jamais mieux senti qu'avec Renard combien, en dépit de l'opinion courante, les humoristes diffèrent des auteurs amusants. Leur ironie se trempe d'une philosophie large et pitoyable; approfondie d'une conscience vive de Ja nature, leur malice devient indulgente; ils connaissent et ils aiment les champs, les bêtes et les bois, et de cela leur rire est plus doux, un peu mystérieux, presque sacré. Ils semblent s'amuser de toutes choses mais avec le respect de ce qu'elles contiennent de grand; ils sentent en même temps l'humble et le divin de toutes choses et c'est une adoration sourieuse. Rien ne peut donc autant les inspirer que l'enfant, être à la Ibis éphémère par sa fragilité et majestueux de contenir l'avenir, tendre animal gazouilleur et éveil de la mentalité terrestre la plus complexe.

Il n'est personne qui n'ait lu Poil-de-Carotte, et il convient d'en parler bien que ce ne soit pas la conception vraiment originale de Jules Renard. Poil-de-Carotte est

]. « Le triomphe de la vie ■• [Mercure de France).

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l'enfant dont la laideur a déterminé l'espièglerie, une espièglerie de nouvelle souche qui n'est plus gamine mais d'un gamin vieilli : ce petit villageois est presque un Pari- sien dont la gavrocherie est seulement un peu retrempée de nature, hàlée aux courses par les rivières et ii la chasse, ce qui en fait la couleur et la saveur. Il a grandi au milieu de bourgeois ternes, aigrelets et épineux, petite sensibilité dont l'épiderme se durcit à être sans cesse pincée par les méchancetés et les moqueries de sa mère. Le père, absorbé et assommé par sa femme, la laisse faire ce qu'elle veut ; Poil-de-Carotte devient le souffre- douleur de la maison parce qu'il est avec de l'esprit comme il en est qui naissent borgnes ou manchots et que l'esprit, l'originalité, constitue une infirmité aux yeux des gens communs ; et les tracasseries développent son petit génie jemenfichiste naturel, par lequel il se raille soi-même avec une philosophie assez pessimiste. A force de le persé- cuter, on l'a fait rentrer en lui : ses réparties sont souvent voilées; il a de l'esprit pour soi plus que pour autrui, il se console avec de bons mots que lui seul comprend. Souffre- douleur, il a pris le parti de « rigoler » a sec ; et il ne sait plus rire pleinement ni sourire; il plaisante sans gaîté. Il ignore la bonté ; il lui arrive d'être mauvais sans le savoir, pour faire quelque chose. Il aurait été excellent, mais on l'a forcé h taire son cœur : et les enfants ont besoin d'expansion comme leur corps a besoin de se développer. C'est le garçonnet que la laideur amusante isole : on n'a jamais songé qu'à rire de lui, il a prendre le parti de l'accepter en artiste, et cela a desséché en lui la sensibilité. Il a le sens ironiste plutôt désabusé de la nature; tout sens poétique, c'est-à-dire de confiance, a été tué. 11 ne se laissera jamais illusionner sur la vie, simplement il se laissera voler par elle eu affectant de l'ignorer.

l'enfant 2t

C'est dans le bonheur, dans raffection large des parents, que le naturel se développe en perfection et intégrale- ment : ainsi en est-il de Pierre et de Bertlie dans Bucoli- ques, les A-raies créations de Jules Renard qu'on peut dire géniales. Berthe surtout est reniant- humour , l'humour plus que naturel et comme on dit « nature », h sa naissance. Dans ce livre profond et frais on sent combien l'humour, à la différence de l'esprit du xviu'' siècle, qui est un produit quintessencié de vieillesse mondaine, est une chose enfan- tine, d'éclosion rustique, originelle, complexe et subtile mais naïve, près de l'animalité et de la nature, et que, si notre siècle aime tant l'humour, c'est qu'il a besoin de se rajeunir. Berthe a l'esprit fin d'observation des choses de la campagne, du pittoresque bien plutôt que des sentiments et des idées ; le sens pittoresque du sauvage ouvrant étonnés des yeux vierges h la vie extérieure se retrouve chez l'enfant, même ultracivilisé : il est alors aiguisé par la subtilité acquise de la race, mais il ne perd rien de sa fraîcheur et de sa savoureuse originalité; pour avoir été amenuisé, il n'en garde pas moins son acuité, sa force et son parfum sylvestre.

C'est par l'éducation scolaire que ce sens sera peu à peu poli, deviendra fruste; d'abord efFeuillé, puis ébranlé, il dépérira. Car ce sens, qui nous ravit chez Berthe, est au fond la plus jolie « mauvaise-éducation » ; c'est du tempé- rament artiste, c'est de la simplicité, c'est du jaillisse- ment de nature, c'est de l'individuel, tout ce que détruit l'éducation courante qui émonde et uniformise les tempé- raments. Cela est si vrai que tous les artistes originaux sont ceux qui redeviennent naïfs, enfants. Et l'on arrive à penser que tous les enfants ont du talent, que tous sont des poètes. De quoi donc en effet est composé le talent sinon de ce qui nous charme en Berthe : comparaisons impré-

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vues et ingénues, comparaisons violentes bien qu'avant un fondement logique, rapprochements un peu incestueux des mots et des idées, coq-à-l'àne qui ne résultent pas d'un saut brusque d'un sujet à l'autre mais de ce que, en sourdine, la petite fille a passé par cent intermédiaires, observatrice impitoyable des travers, de l'anormal, de tout ce qui fait saillie : bosse, nez, prétention, dis- tractions, hardiesses, charmants irrespects, parfois de petits troubles et des rougeurs soudaines, des choses graves perçant soudain au milieu de mille choses gaies et espiègles, un mélange de réalisme et de Ivrisme.

Il y a en les enfants, il y a en Pierre et Berthe le sens iéerique d'un Banville parfois un peu naturaliste et toujours naturiste; ce sont des êtres très avisés à la fois et naïfs, ingénieux et ingénus, ce sont des bêtes qui parleraient. Ils disent ce que les bêtes sentent peut-être sans pouvoir le dire. Ils sont encore comme des fleurs de jardins et de prés qui seraient malicieuses et spirituelles. Ils expriment par des mots ce que les fleurs et les plantes disent par la couleur ou le parfum. Etres que l'âge rapproche davan- tage des choses et des autres êtres de nature, ils sont la Nature parlant une nouvelle langue, ajoutant à son réper- toire de voix dramatique, lyrique, sentimentale, philoso- phique, dont le Romantisme notamment l'avait fait parler, une voix qu'on n'avait pas encore entendue d'elle : humo- ristique. Pour une vieille civilisation comme la civilisation européenne qui veut se rajeunir, il est précieux de l'écou- ter et c'est une des nécessités qu'il v a pour nous à con- templer l'enfance.

Poil-de-Caroltc était un livre d'observation exacte, Berthe serait plutôt un petit être d'exception et Bucoli- ques un modèle d'éducation libre. Mais que ce livre se soit produit à notre époque, cela prouve un peu aussi

l'enfant 23

qu'on s'y rend compte de ropportunité de laisser plus d'indépendance et de spontanéité aux enfants et qu'un certain nombre d'entre eux commencent à se développer librement pour l'agrément et pour une plus grande ori- ginalité de la prochaine société.

De plus en plus voici des écrivains qui se sont occu- pés spécialement de l'enfant, qui se sont intéressés h lui beaucoup plus qu'à l'adulte, sans doute parce que, comme Renard, ils ont considéré qu il était plus près de la nature et que c'est à la nature que va tout l'amour de ce siècle, mais surtout parce que, chair molle en croissance, esprit indécis en formation, il est plus malléable et qu'on peut le polir aisément à l'inspiration de son caprice, de son rêve poétique ou altruiste, de sa méditation philoso- phique ou scientifique. France, Loti, Adam ont principa- lement vu dans les enfants des thèmes à exposer leurs philosophies personnelles, ou tout au moins ont-ils dégagé de préférence les individualités philosophiques qui sont avec les autres en puissance chez les enfants.

Le Iwre de mon ami, complété par Pierre Xozière, est moins une vie enfantine que le souvenir d'une vie d'en- fant habillée de philosophie très adulte. Pierre est un petit garçon trop bien élevé, donc assez gâté, nerveux, dont le goût de la solitude a développé la sensiliilité et l'imagination, et alTaibli les facultés actives au profit des contemplatives ; il joue volontiers avec ses camarades mais davantage avec les formes de ses rêveries ou sim- plement les formes du grand rêve permanent qu'est la vie : spectateur toujours intéressé des choses. Ce petit

I. ENFANT

Parisien philosophe qui prend son expérience au visage souriant ou triste de la grande ville, qui la cueille comme des bonbons ou des joujoux au grand Arbre de Noël qu'est Paris, qui fait son expérience cette chose sérieuse en se jouant, en suivant gracieusement le fil des jours comme en promenade, est un fragile disciple de Montaigne, un naïf sceptique, en même temps qu'il est un fils de savant, crédule et gai collectionneur d'impres- sions et d'imao-es. Le Lh've de mon ami et Pierre Nozdere sont des collections de contes d'enfance, beaux comme des papillons épingles par la plus subtile observation,* ce sont de fins mémoires de sagesse, de tendresse, de goût et d'érudition, le roman-sans-intrigue de l'enfance avec la seule intrigue que peuvent fournir la vie de l'àme et l'évolution de sa charmante destinée : cela rappelle une Vie de Saint écrite en grâce et en légèreté, une Vie de Saint, car quoi de plus saint que l'enfant? Sage, érudit et malgré tout naïf, c'est un saint. Anatole France aime l'enfance d'être l'âge il faut tout apprendre avec joie et surprise de néophyte, mais Ton garde le plus d'illu- sions curieuses et jolies. D'ailleurs la sainteté est h la portée de tous : Pierre est un enfant rare mais non excep- tionnel, la précocité de l'imagination étant courante; il se distinguerait plutôt par une précocité d'indulgence de doux et gai altruiste. Tous les hommes d'élite qui notent leurs souvenirs d'enfance y ont d'ailleurs toujours cherché plutôt ce par quoi ils ressemblaient aux autres, y trouvant plus de charme vague et unanime.

Dans Le Crime de Sylçestre Donnard^ la façon parti- culière à M. France de regarder en l'enfant un être de sveltesse, de spiritualité, d'essence aristocratique, s'accuse de ce que, ici, ce n'est plus un garçonnet mais une fillette. Jeanne est une figurine, un délicieux bibelot de vie, une

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chose ancienne qui reste toujoais neuve parce qu'elle est de prix, un objet de luxe en même temps que de simpli- cité. Minuscule individualité qui se suffit à soi-même, elle doit aussi être la mignonne divinité du foyer, dont la présence rajeunit les vieillards mélancoliques : ange gar- dien de l'âge qui décline. Au garçonnet il convient d'être abandonné à soi-même et à l'éducation des choses (Pierre); à la fillette de recevoir une éducation délicate et appropriée. Bien plus que lui, elle est une œuvre d'art parce qu'elle est déjà un peu femme. Et on l'apprécie en expert et en érudit mais plus vivement que nul texte ancien aimable et suggestif, plus savoureusement qu'aucune édition rare, elle est plus évocatrice que tous bibelots et statuettes des siècles morts. C'est la poésie qui existe pour soi en ins- pirant autrui, le livre frais, et spirituel, et touchant, le jardin et la promenade, l'émotion et la rêverie, l'image, l'idée. Petite fille, poème parfait résumant les finesses de la civilisation !

Par la féminine enfant Sylvestre Bonnard, membre de l'Institut, qui ne connaissait que des livres, connaît le plaisir divin de i'oir la vie vivre, de pénétrer l'apparence du mystère, de cueillir les charmes de ce printemps subtil et grisant qu'est une fillette. C'est la récompense des âmes honnêtes, généreuses et fines de goûter la douceur des sentiments, l'affinement de l'esprit et la joie des formes harmonieuses en la personne d'une enfant. Elle est aussi le luxe, délicat, parfois un peu mièvre, qui égaie notre civilisation fatiguée par la paperasserie.

On doit h France d'exquises biographies d'enfants curieux de la vie avec des tactilités de femmes, sages comme des érudits, malicieux et ingénieusement vaniteux, fraîchement égoïstes, et dilettantes dans un dandysme innocent. Ces enfants sont des composés joliment com-

L EXFAXT 27

plcts et presque aJorablement défuiitirs, qui refont une humanité raffinée en miniature en montrant avec la mianar-

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(lise et la nouveauté de l'enfance l'épicurisme subtil de la plus vieille civilisation. Il apparaît chez lui que, pour un grand nombre, les enfants de notre société, particulière- ment de notre bourgeoisie; sont une réduction ciselée de l'humanité des siècles antérieurs.

Ils remontent vers le passé. Curieux des choses anciennes et légendaires, ils vivent dans le passé et s'y parfument; ils ne songent pas à l'avenir, et c'est de que leur vient une sorte de mélancolie et de vieillesse. Ce caractère de délicate antiquité, France veut même le leur conserver toujours et défend de leur donner à lire au lieu des contes de fées des romans scientifiques. Gela est très significatif : homme du passé, il ne voit en eux que la floraison der- nière du passé '.

La Parisienne, dans Enfance d'une Parisienne de ]Mme Julia Daudet, est sœur de Pierre Nozière, mais la petite femme a plus de sensibilité que le petit homme de Paris ; elle est un jeune poète lyrique, l'autre un jeune poète érudit et scepticpie. Fillette qui a appris à voir Paris par ses visites au Musée, déjà sensible à l'art, petite « femme d'artiste » en enfance, elle goûte le plaisir avec l'arrière-

1. Il faut mettre à part dans son œuvre Éloi, fils de paysans, qui fut « le petit ctre le plus délicat et spirituel qui ait jamais effleuré cette vieille terre ■> , de frag-ile et d'ingénieuse inspiration puérile. Cette création an- cienne de France est un enfant messie de science, très jeune enfant en qui un médecin de campagne devine un futur inventeur : « Je me plai- sais, dit-il. à surprendre en ce petit paysan les prémices d'une de ces âmes lumineuses, qui apparaissent à longs intervalles dans notre sombre humanité et qui, sollicitées par le besoin d'aimer autant que par le zèle de connaître, accomplissent partout le destin les place une œuvre utile et belle ». On le voit, c'est moins un portrait d'enfant que l'anima- tion d'une idée originale. Parmi les disciples de France, il faut citer M. André Lichtenberger avec son livre bien connu, La petite sœur de Trotl, et M. René Wisner {Coin d'enfance) qui a une subtilité et une élé- gance vraiment francienne

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pensée de ceux qui ne le connaissent pas et le vœu que tous le connaissent. De féminité précieuse, elle est une très tendre àme déjà intuitive et altruiste dans la joie de son bonheur individuel. Paris lui a communiqué la sympathie du prochain, une poésie déliée du cœur et de l'esprit; mais elle est en même temps délicieusement provinciale de goûter les plaisirs d'une famille agréablement grave et vieillotte. Voici des mémoires d'une unique finesse de sincérité, de douceur et de pénétration chère. Mme Daudet, à se souvenir de son enfance, en parle comme d'un de ses propres enfants qu'elle aurait observés avec amour et intelligence, de telle sorte que ce sont les plus charmants cahiers de souvenir d'une fillette a soi-même maternelle.

Loti, qui a vécu parmi les solitudes l'humanité fut enfant, a toujours été attiré à peindre l'enfant, et en l'homme même, n'est-ce pas toujours le grand enfant qu'il montre ? Le cher Roger Couëc [Figures et choses qui passaient) mourut i\ deux ans, mais il reste de lui un sou- venir de petite personne étrangement profonde, d'intelli- gence mystérieuse, saisissante, qui attachait par le charme vieillot très doux de son drôle être erave habillé d'une robe chinoise, qui confondait d'émotion par son regard insondable et vaste comme ceux des animaux.

Le Roman cVun Enfant, écrit en gris d'une monotonie très douce, est le récit de la croissance sentimentale d'une enfance protestante mais éclairée de tendresse. C'est bien le roman d'un petit homme exceptionnel, mais comme il y en a encore beaucoup qui seulement, pour diverses rai- sons, ne deviennent pas plus tard des Loti : frêle, sen- sible, élevé loin des garçons de son âge avec des petites

L ENFANT 29

filles et par de douces femmes, tapageur mais docile, ne perdant jamais ses bonnes manières même en faisant ses volontés, rêveur dans son isolement et par cette délica- tesse C[u'entretient l'éducation faite par des femmes : l'imagination a un développement précoce dont la fièvre excitera 1 activité. Comme le candide et rieur Jean Berny [Matelot' , cet enfant qui joue très jeune du Chopin a de splendides visions tropicales devant une coquille, un papillon; il fait un musée colonial dans les retraits du logis et organise avec les fils des paysans des expéditions robinsonnieunes.

France et Loti, en recueillant leurs premiers souvenirs, nous ont montré des enfants qui sont du passé; dans la première moitié des Ii)ingcs sentimentales, partie niagni- ficjue où, en dépit d'un style d'une fougue trop adulte, les impressions d'enfant sont notées avec une délicatesse pres- tigieuse, Paul Adam a écrit ce cju'il y a peut-être de plus fort et de plus complet sur l'enfant de la Troisième Répu- blique.

Paul est bien le fils de parents du Second Empire, sous un régime de bohème pompeuse et décorative, et gran- dissant dans la fièvre de croissance d'une nation ramenée à l'enfance par la Défaite, qui l'obligeait à se reconstituer; à une époque de grosses préoccupations nationales, il est à peine surveillé dans les Ivcées soudain gorgés d'élèves par l'impatience générale d'une éducation intensive. En cette période ardente, tous les matériaux sont jetés au bûcher de limagination qui, dans un tempérament vio- lent et nerveux, bondit irréglée par grandes flammes magnifiques. Imagination orageuse, citadine : Paul n a

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pas reçu l'éducation de douceur que donne la campagne, malgré de courts séjonrs en province. Il est resté en ville, V subissant les persistantes influences d anciens régimes (royaliste et impérialiste) mêlés : il est fantasque, très personnel et lyrique, fanatique d'émotions belli- queuses, sonores et dramatiques, et de parades élégantes, par l'eflet d'une hérédité complexe de courtisans et de militaires; il est un enfant romantique, en qui sont déjà intégrés les goûts acquis par un Byron, un pur cérébral. Par la brutale surveillance d'un père protestant et la nonchalance d'une mère absorbée en lectures roma- nesques, il fut poussé à mettre toutes ses puissances de sensation et d'affection dans les premières camaïaderies et amourettes, il fut préparé à la sensualité sentimentale et à la précocité cérébrale. Tel, il a la grâce équivoque des gestes gauches ou brusques avec la luxuriance des éclosions d'idées, il possède intensément la poésie tro- picale que l'enfance met jusque dans ses vices et ses bru- talités. Il se trouve le petit garçon qui, en synthèse trouble, concentre en soi les instincts opposés et violemment asso- ciés de la France actuelle : militariste et démocrate, colo- nisatrice et sédentaire, intellectuelle et sanguinaire, pas- sionnée et légère.

VI

D'autres spécialistes de renlaut, Alphonse Daudet que l'on ne saurait, surtout en ce sujet, confondre parmi les naturalistes et Paul Mar^ueritte ont avec écfale force fait valoir Tindividualité de l'enfant, mais de façon plus impersonnelle. Il y a certainement une orande part d'autobiographie dans leurs romans : Jack, c'est encore le Petit Chose, Daudet s'est raconté, et « Le petit ffarcon » est Algérien comme Margueritte ; mais, moins égotistes, ils ont retrouvé dans leurs propres souvenirs d'enfance cette intensité de sentir qui pousse h communier avec autrui : l'émotion est si profonde qu'elle semble ne pouvoir être l'émotion de soi seul, on porte avec la sienne la joie ou la souffrance de beaucoup de frères d'àmes iden- tiques, et bientôt l'on ne pense plus qu'à eux, avec pas- sion. Daudet et Marguerittc sont des passionnés de l'en- fance : il leur a semblé que trop souvent ces êtres faibles et charmants étaient les victimes de la société organisée par les forts, et qu'il n'y avait peut-être pas de plus noble cause à défendre ; ils l'ont fait avec éloquence ; ardemment ils ont été des enfantistes comme il en est qui sont fémi- nistes. D'ailleurs dans l'enfant c'est un peu le féminin qu'ils ont défendu avec amour : les enfants de leurs romans ont la plupart de longues boucles soyeuses, des teints de frais satin, de grands yeux d'afi'ection, la c;*»li-

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nerie des gestes, un charme gardé des robes maternelles souvent frôlées ; et de tout cela ils les ont chéris un peu plus.

Daudet sut montrer l'importance des premières années dans l'existence d'un être, comment elles déterminent le tempérament de l'individu, quelque triste ou heureux c[ue doive être l'avenir. Par il combat le préjugé commun qui attribue légèreté, mémoire fugace et inconscience aux enfants comme aux bêtes. Ils lui sont apparus comme étant presque toujours des sortes d'orphelins : quand ils ont de la famille, ils sont accablés ou exploités par elle au lieu d'y trouver du soutien ; et la société industrialiste et jouisseuse ne prenant guère souci d'un tel ordre de choses, qui est général, ils sont en outre des orphelins sociaux. Dans ses romans ce sont de ces êtres malheureux n'avant pas de père cju'on sent trop destinés à supporter plus tard toute la responsabilité de la famille, une telle charge que leur jeunesse en est à l'avance opprimée. Pro- duits d'une humanité besogneuse et consciencieuse qui a connu la lutte pour le pain, ils sont nés et ont été élevés pour le combat de l'existence comme il y a des enfants de troupe : Jack est le drame moderne de l'enfance réduite h gagner sa vie, le drame de la précocité obligatoire. Ils sont obligés d'avoir des courages d'homme dans des orga- nismes frêles; et à cause d'une sensibilité plus vive h cet lige, ce sont des âmes de mélancolie; ils héritent de l'humanité laborieuse qui souft're autour d'eux le senti- ment trop aigu de la peine universelle avec une afFectuo- sité, une délicatesse prématurées; trop tôt initiés au mal et h l'injustice de vivre, ce sont de petits sacrifiés, une pitoyable jeunesse pessimiste. Jack dupe de sa mère comme un amant de sa maîtresse, Maurice Hulin [Rose et Ninetté) caressant et boiteux, Zara [Les Rois en exil)-\ic-

L ENFANT 33

tlme de rinfamie de son père, tous ces petits êtres char- mants nés pour le J^onheur sont plus ou moins de jeunes rois en exil de joie. Ce sont des canirs lourds et malades d'amoureux avec des délicatesses d'amants, avec l'énergie des désespérés, martyrs sentimentaux ; ils savent appré- cier les finesses de cœur et les agréments ténus de la vie, âmes qui étaient nées pour un bonheur intime et qui sont opprimées et vieillies d'émotions trop violentes, prosti- tuées en quelque sorte dans la société moderne et rosse (Christian, Ida, d'Argenton, Mme de Fagan. Ces enfants ne connaissent donc pas d'enfance. Enfermés dans Paris comme dans une école, petits internes de Paris, ce orand lycée malsain et hybride, ils ue se trouveront bien que dans la liberté des champs [La belle Nivernaise, Le petit Chose, etc.); tempéraments minés par l'existence nerveuse et factice des capitales, il leur faut le régime hygiénique de la campagne. L'existence dans les grandes villes ne peut guère convenir qu'aux adultes; elle est en soi une sorte d'internat social qui ne convient pas plus aux enfants que l'internat scolaire; il leur faut la vie au grand air et il II soleil. Conformément aux lois d'emlirvologie, n'est-ce pas h l'âge le plus jeune que l'homme moderne se rap- proche davantage de l'homme primitif, éprouve par suite quelque besoin de vivre comme lui dans la liberté spa- cieuse de nature?

Il est à remarquer que Daudet ne peignit d'enfants gais et charmés de vivre que ceux qui restent au Midi. Premier Voyage, Premier Mensonge est une jolie charge ensoleillée, et sentant bon la brise du Rhône, dune enfance tarasco- naise. Alphonse, allant de Nîmes au lycée de Lyon, conte sur le bateau remontant le fleuve qu'il est élève de marine à la veille de devenir officier h la suite d'une campagne en Orient et doit soutenir ce mensonge de mille autres.

M.-.\. Lkblond. 3

34 LA SOCIETE FliANÇAISE SOLS LA TROISIEME nEPLBLIQLE

Daudet a mis eu épigraphe à son Taitarin qu'en France tout le monde est un peu de Tarascon : dans ce récit, il apparaît vraiment que ce sont surtout tous les enfants de France qui sont de Tarascon : c'est une pittores(|ue étude par les procédés révélateurs de caricature de la naissance de l'imagination chez l'enfant turbulent, enthou- siaste, intrépide, en les veines de qui le sang coule comme un Rhône, qui a l'imagination bronzée parle soleil comme le teint, qui a beaucoup de sang, qui court, qui grimpe, qui gambade, de la langue aussi. A cet âge capricant l'imagination est plus que jamais « la folle », la folle des champs. L'imagination n'est-elle pas la mémoire des pi'c- mières aventures de la race.' alors il est naturel quelle s'exalte particulièrement au premier âge. Elle court, elle court, en tous sens, revient sur ses pas et repart, tourne en rond, s'enivre. Hé! le joli petit Provençal aux cheveux et aux récits follement bouclés, aux yeux grands ouverts et ardents comme la bouche, aux solides jambes qui trottent comme l'imagination, le petit méridional de sang bouil- lonnant, déjà amoureux de toutes celles rencontrées, jeune sang fleurissant rapidement en grappes d'illusions.

Le Petit Chose est joyeux en Provence, avant de vieillir et de s'attrister dans les brumes de Lyon, de connaître ensuite dans Paris la misère d'un adulte. Jack, enfant du Nord, meurt d'avoir vécu en peu d'années une longue vie noire encombrée d'aventures tragiques, de lutte, de désespoir et de résignation. Rose et Ninette \ parisien- nettes frivoles et intéressées, jouissent aussi peu de leur enfance que leur père d'elles-mêmes. Pour illustrer, pour vivifier le tempérament et l'àme de l'enfance, pour que l'enfant croisse en charme, en sincérité, en santé, en

1. Rose et Ninette étudie l'inlluonce du divorce sui- l'éducation des enfants : sujet si délicat qu'il doit être traité longuement à part.

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gaieté, il faut la lumière, l'espace, la gloire jeune du Midi, cette tiédeur d'air qui est comme une naturelle couveuse, les champs doublement libres d'être plus clairs, au lieu de la nervosité, l'inconstance, l'humidité afflioée ou les joies trop aiguës du climat septentrional.

Ainsi que Daudet, Jean Aicard s'émeut à montrer que l'enfance est la partie déterminante de la vie. Victime de la famille comme Jack, comme lui ballotté dans le monde, Raymond Martel [L\ime cVnn enfant) est un enfant de grâce, de gravité et de sentimentalité, un enfant d'un passé de lyrisme prêt à s'épanouir en fleur. Pauvre, sen- sible à l'injustice et à l'illogisme, ne trouvant que dans la nature affection et enseignement, il est malheureux aux pensions il cherche vainement l'amonr et la nature. Contemplatif d'indépendance, rêveur h la façon de Ber- nardin, aimant la bête et les plantes, les formes innocentes de la vie, inquiété par la cruauté des hommes, mal armé pour l'existence, forcément précoce en amour, il est la victime profondément consciente des institutions d'une société adulte et bourgeoise, le martyre de linternat, bagne, caserne et couvent des jeunes Français. Lui qui avait besoin d'être élevé en pleine vie par l'amour et la joie, il est un Enfermé, glisse à l'humilité terne et à la rési- gnation stérile, tombe dans la mélancolie et la désillusion. Avant d'être un roman, VAnie d'un enfant est une revendication sociale : seulement la poésie passionnée d'un Michelet parlant de Toiseau et de la femme en attendrit la vigoureuse logique et en exalte la généreuse àpreté.

Dans toute revendication sociale il y a un peu le sentiment, attendri, que l'humanité, particulièrement l'humanité prolétaire, est enfant : dans toute peinture

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émue creufaiice, il y a une reveuclication sociale; et nul âge en effet n'est plus perspicace et plus frappé des imperfections de la société. Comme on la senti chez un Daudet ou un Aicard et qu'on le sentira chez un jNIar- gueritte, on en est dramatiquement saisi dans le Peiif de Léon Ilennique, œuvre brève mais très intense et com- plexement suggestive.

L. Hennique, en couleurs d'une éclatante précision, a peint l'enfance d'un petit Français, fils de fonctionnaire, aux colonies. Tout en subissant le charme mystérieux et puissant de la nature tropicale aux vergers il promène ses jeunes rêves paresseux de petit enlant ou ses premières amourettes câlines, il s'y sent assez dépaysé, comme en exil : instinctivement, par une native nostalgie de la France ignorée, il s'intéresse peu à peu, plutôt qu'à celui de son entourage indigène, au sort de l'ordonnance de son père, le touchant Peuf, ingénieux et prévenant comme une nourrice, qui, avec une àme puérile, lui parle de la Bretagne, son pays. Choyé de tous, il préfère Peuf, d'un attachement familier et comme négligent dont il ne soupçonne pas la force. Et c'est soudain sur me igno- rante de ce petit, élevé parmi les beaux oiseaux et les arbres fruitiers du jardin comme en un Eden antillais, le choc violent d'un drame passionnel dont il doit, seul, se reconstituer la trame : Peuf passe en conseil de guerre pour avoir tué par jalousie un de ses supérieurs; Peuf est condamné ii mort. Le petit garçon en reste malade, fiévreux, hanté par des visions de la peine de mort; remué par un délire de bonté il s'éprouve impuissant, il devient bientôt lui-même sauvage et comme hirouche, de sentir au-dessus de soi une force inexplicable qui ciiàtie et tue; et c'est Jjien par une sorte de révolte inconsciente que, désobéissant à ses parents, il s'échappe et va voir

L ENFANT 37

fusiller Peuf, haletant et hagard. Il est rentré tremblant, étourdi par le spectacle de la mort ainsi que frappé ^\ui coup de soleil trop dur pour sa tendre àme de petit Euro- péen. Avec un très grand tact de psychologie mesurée aux émotions de l'enfance, Léon Hennique a subtilement étudié dans Peuf Véxe'il d'une jeune àme d'enfant riche à l'altruisme et marqué l'efTarement du petit humain, non devant la mort, accident naturel qu'il aurait vu sans le comprendre, mais devant la mort organisée, décrétée par les hommes, qu'il comprend avec épouvante.

L'àme délicate et généreuse de Paul Margueritte devait s'attacher chèrement à l'enfant.

Paul Margueritte, dont le premier roman est une peinture denfance, et qui, dans le parfumé Jardin du passé, avec tant de charme mélancolique, a dit la nos- talgie de son enfance de vastes vergers et de chaudes plages, indirectement se conte encore lui-même dans V Histoire d'un petit garçon. Cette œuvre exquise est doublement intéressante de nous présenter un petit colonial, très simple, très authentique, vraiment colonial, ne s'élonnant point du pittoresque local parce qu'en naissant il a vu tout cela et qu'une bonne mauresque ou son boy bico sont aussi familiers à ses veux qu'une nounou lorraine à un nourrisson parisien. Mais d'avoir erré dans les grands jardins d'arbres et d'ombres merveil- leux au lieu de gambader aux squares parisiens, le très doux et très prenant enfant est un sensitif rêveur, un Imaginatif gonflé de sensations, et le petit tropical îi la tête riche de visions bâtit mille et un châteaux lumineux. On le mettra au lycée, mais il y sera incapable de s'atta- cher à l'étude de ce qu'il ne comprend pas, il restera poète et artiste, savoureusement paresseux de sentir

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précocement la beauté des choses, végétatif délicieuse- ment'.

Ainsi il souffrira l^eaucoup du collège : il faut aux enfants la liberté et la tendresse maternelle; privées d'elles les âmes d'enlant se faneront et mourront. Ainsi, dans Tous quatre, Tercinet, fils d'un officier et d'une Arabe morte en couches, éduqué par un sous-officier, est timide, rentré, sournois, d'amour-propre excessif et de bizarre tendresse nerveuse. Boursier à Mamers, il se demande dès l'entrée ce qu'il vaudrait, après avoir vécu dix ans « cette vie de chien qui danse ou de cheval qui tourne m; par hasard il n'est pas trop maltraité, seulement tourmenté à l'infirmerie par les sœurs pour insuffisance de piété, mais il voit à côté de lui le souffre-douleur Pipathe devenir fou ; et il sortira du Ivcée et vivra médiocre parce que, interne, il n'a pas connu l'enfance et a été machinisé tout jeune. Jean Baudet-, doux, féminin, affectueux, a beau être bousculé par un père soudard, il est encore heureux de rester près de sa mère et de jouer au jardin avec une amie aux yeux bleus. Mais on le met au bagne militaire d'un lycée d'enfants-de-troupes. Faillie, timide, laid et gauche, poil-de-carotte, il sera persécuté par ses lâches camarades et ses professeurs méchants et bêtes : c'est un petit Cavalier-Miserey ^ accablé de punitions injustes, terrassé par le règlement militaire dur, stu-

1. Celte longue nouvelle se trouve dans Fors l'ho/ineur. Il est curieux de signaler que dans La Maison de l'enfance, le poète Fernand Gregh a témoigné une âme de frappante ressemblance. C'est exactement avec le même grand charme de précoce beauté méditative et seulement une lan- gueur encore plus volupteuse, la même enfance de mélancolie tour à tour attristée ou égayée, rêveuse toujours avec passion, dans le décor, gran- diose à l'iime, des beaux parcs que jjIus tard on se rappellera immenses et magnifiques, peuplés des anciennes émotions se dressant immobiles et claires comme des statues.

2. Ame d'enfant.

3. Le Cavalier- Misercy, d'Abel Hcrniant (voir ch. II).

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picle, aveugle : Jean Baudet sera renvoyé chez lui san- glant, mourant, l'àme a jamais alTolée. Et vraiment, dans l'émotion de cette lecture, il y a une conclusion à ce beau livre de protestation contre l'internat : l'État ne devrait pas permettre à des parents d'engager ainsi l'avenir des enfants par seul motif d'économie.

Chez Paul Margueritte la conception générale de l'enfant est vraiment fraternelle de celle de Daudet; il l'a vu doux et abusé, malheureux et même quand le hasard le favorise de bons parents, sensitif au malheur; et si Poum est un livre gai, c'est qu'en collaboration avec un frère plus jeune, plus gai, actif et confiant, moins aggravé de vie observée, il a voulu se distraire à un livre de clarté et de frais amusement, comme en rentrant au soir on arrose ses fleurs. Puis Poum est si petit qu'il n'a pas encore eu le temps de souflVir; il a bien des chagrins passionnés^ de grandes peurs provoquées par le méchant cousin Step, et de minuscules rages militaires, mais vite oubliés h des jeux et à des flâneries curieuses de .Tohn Lounger un peu rosse, de petit Algérien ce louet )> : c'est le mioche pour qui la vie est un guignol il joue. L'enfance est une petite comédie : ce sont les jolies bêtises et les exquises niaiseries, les pittoresques gro- tesqueries et les menues aventures sentimentales de l'enfance, de mignons flirts à la fraise, une tendre ado- ration de la cousine Mad, fillette qui est à la lois pour lui récréation, promenade et dessert, bel album d'images d'émotion. Petit Adam charmant au Jardin de l'Enfance, il joue avec une plus grande Eve aux jupes volantes en tourbillon de jeunesse; et déjà le voilà un peu homme, amoureux de baisers frais et de robes moelleuses, en mille autres occasions encore curieux de sensations nouvelles inexprimables, comme sur d'avance que la vie

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est trop monotone et lourde et qu'il faut jouir des pre- mières années en augmentant le plus possible leurs attraits.

VII

Jusqu'ici les écrivains ont surtout montré dans l'enfant l'œuvre et parfois le chef-d'œuvre du passé, sa résultante; il semble d'abord que si Rosnv a aimé peindre l'enfant, c'est dans un esprit analogue, parce qu'il a évoqué sans cesse les origines de l'humanité; mais ce qui l'intéressait dans ces origines mêmes, c'était l'humanité en puissance, c'était l'avenir. Romancier du Devenir, il voit avant tout dans l'enfant non ce que furent ses pères, mais ce par quoi il se distingue déjà d'eux et inaugure le futur, l'apport nouveau h l'humanité, le legs à ceux de demain. Par suite sa considération de l'enfant n'est plus seulement historique comme chez un France ou un Adam, morale comme chez un Daudet ou un Margueritte, mais sociolo- gique.

Un peu avant lui Jules Verne créateur dont les critiques ont trop peu parlé et à qui pourtant ils n'ont pu reprocher que l'absence d'un style personnel, reproche mérité de la plupart des gens qu'ils étudient à l'ordinaire avait donné des romans d'aventures, bien supérieurs h ceux de Dumas père, vivaient des enfants d une humanité hardie, savante et spéculative vraiment moderne et même précurseuse. Les enfants du capitaine Grant, le capitaine de quinze ans, l'adolescent de L'Ile Mystérieuse, les jeunes Robinsons colonisateurs ne sont pas seulement les fils d'une époque que passionnèrent les explorations des Franklin et des Livingstone, ils sont experts en toutes les sciences et déjà instruits des découvertes des prochains

l'exfant 41

Edisons, et raltruisine est inné en eux; par là, évidem- ment, ils sont plus encore des êtres de demain que d'au- jourd'hui, et de la sorte ils sont aussi les modèles que Jules Verne, esprit libéral et scientifique, propose aux écoliers contemporains.

Nous en trouvons d'analogues dans les Rosny, et un Marc Fane, studieux et contemplatif, bayeuv aux étoiles et constructeur de bonheurs humains au milieu de ses lectures, a rêvé toute son enfance aventures et découvertes sociologiques. Georges et Albert Lamarque (dans L'impé- rieuse Bonté), le soir attablés devant le modique lumi- gnon, dévorent les livres de la Bibliothèque de la mairie, puis couchés, se parlant d'un lit à l'autre, rôdent aux forêts vierges ou évoquent les steppes interplanétaires. Il nest point jusqu'au plus jeune, François, qui, après avoir refait le Robinson Suisse à sa manière, ne se rêve l'Enlant Sauveur des races faibles dans des Espaces conlus tra- versés d'Amazones. Eperdus en imaginations scientifiques, ces enfants ouvriers sont aussi de petits êtres sociaux : Albert l'imprimeur, aigri par la misère, naïf mais sagace adepte de l'anarchie, méprise les riches, se sent l'aristo- cratie de l'intelligence et du cœur devant ses cousins riches, « bourgeoisie camuse ». Georges, hoquetant de misère, halluciné h force d'être affamé, persévère à couloir la Bonté, l'Indulgence, la Justice. Il veut et agit, va mora- liser les souteneurs assemblés aux fortifs. Abandonnés par de honteux parents, sans feu ni pain, ils s'excitent tous au sacrifice, partagent leurs bardes avec d'autres pauvres.

Au contraire de chez Jules Verne, la sociologie de Rosny se nourrit par les racines actives de l'analyse psycho- physiologique; par la puissance de son analyse touchant au fond des choses et y retrouvant les principes divers de l'humanité, il met h jour le multiple travail de formation

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de l'intelligence. Dans Nell Honi il montre d'abord le lent développement de l'organisme nonveau-né, sa poussée h la vie, le travail « des bonnes chimies réparatrices de la digestion », la poésie bienlaisante de l'alimentation : dans les pages peut-être les plus touchantes de la littérature française, Rosny suit la transformation de la parcelle de viande et du légume minuscule, enfin obtenus par la mère misérable, en un peu de sang qui irrigue les joues pâlottes de May. Et comme il y a très rarement de quoi donner à manger à Mav, Nell nourrit le bébé de contes écoutés avec passion : et c'est le petit intellect qui se développe trop fébrilement, qui prend un accroissement excessif pour la mignonne santé anémiée. Ah! la délicate genèse de l'intelligence, sa distillation goutte à goutte de l'informe cerveau ! L'homme de sciences Hélier ', distrait de son travail par le gazouillement du bébé Claire suçant avec gravité une clef, l'analyse amoureusement, observe avei' minutie ces gestes de tâtonnement et de préhension par lesquels l'enfant prend une conscience tactile du monde, cette menue intelligence des gestes. Il tàte le crâne puéril, en appréciant la capacité et la conformation. Puis il se dirige vers le cadet, admire l'intelligent jjctit paysage que présente la face « les cheveux drus sont dressés comme des blés », et il s'amuse à le faire penser^ lui demande une histoire, force au travail l'instable esprit d'où la pensée peu à peu goutte comme la pluie des nuages. Et Jane l'aînée s'interpose : « Elle avait quatre ans. L'art éternel l'avait faite suave de corps et d'esprit, de splendeur iilonde sans tache, et toujours la cervelle en travail »; elle dit aussi son histoire, frissonnante, pleine d'élégance vibratile, la mimique abondante, déjà inventant

1. J.-H. I\osny, Le Bilatéral, l-"asquelle.

L ENFANT 43

des détails. En une autre de ces scènes uniques dans notre roman, seule avec Albert, elle lui chuchote une délectable histoire qu'il écoute avec un balbutiement de ravissement trouble; et ces enfantillons h peine nés d'hier sont déjà, dans toute la grâce lumineuse de leurs traits ouvrés par de substiles hérédités, dans leurs gestes de touchante gaucherie s'esquissent les futurs gestes de riiomme dominateur de la terre, sont déjà d'exquis intel- lectuels, dadorables volontaires, ceux qui aideront à transformer le monde comme déjà ils s'essaient à innover en répétant les contes entendus.

Marc Fane adore les enfants; sans cesse auprès de soi il les appelle pour contempler (( les petites vies », pour sentir avec extase la grande vie universelle s'agiter dans leurs petites côtes en frétillements de bestioles. Plus que Marine et Victor, Rite passionne le jeune sociologue parce qu'elle est <( à l'âge elle se socialise », le non-moi commence à s'extérioriser pour elle et elle en prend une conscience humaine. Alors se pose pour elle le problème de ses rapports avec les objets : sera-t-elle libérale ou despotique, h quel degré s'exercera sa tyrannie sur les objets et les êtres? Marc et Honoré l'observent : de ses rapports avec les objets naît en elle une philoso- phie, elle prend le goût « de la Solitude, de la Pénombre, du Refuge », cela visible par de délicieux événements, par sa retraite derrière la porte d'armoire dans une béatitude rêveuse. Chez Marine, plus âgée, le caractère féminin prend déjà des complications que beaucoup de femmes jamais n atteignent; et comme il est intéressant de sentir plus nettement chez elle en quoi le bébé déjà est supérieur au chien, a le rire, la parole, les joies plus intellectuelles, les imaginations plus complexes ». Voilà ce qui est passionnant : saisir, en délicatesse infinitési-

4i LA SOCIEÏ1-: FP.ANÇAISE SOUS LA TROISILME REPUBLIQUE

raale, les différences de l'homme et de ranimai, les abstraire pour l'analyse, pour l'étude d'où sortira une conception plus nette de l'originalité et par suite des destinées de l'homme. Voilii pourquoi, comme il est remonté aux toutes premières périodes de l'humanité les races se diversifient, l'écrivain étudie les tout petits enfants, parce qu'à leur âge d'extrême instabilité la minus- cule est plus importante, les nuances sont innombrables et offrent à l'analyse scientifique un terrain très riche pour la spéculation évolutionniste. Rosny est celui qui a montré les plus petits enfants et qui les a vus avec le plus de pénétration. Hugo s'est satisfait d'admirer en eux de petites fleurs humaines, des êtres de grâce et de faiblesse, et, ce qu'il y a de plus fort dans sa vision de l'enfant, des liens moraux, des centres d'amour de la famille. Rosny, romancier du Devenir, a été le plus conscient poète de l'enfant parce qu'il a su montrer en lui l'être sont le plus de forces vagues, sont en résen>e le plus de forces indéfinies, l'être en qui l'avenir déjà s'élabore et aussi h qui est l'avenir, par vraiment divin, infiniment poétique. Rosny a été le plus vaste et le plus profond Poète de l'Enfant.

Ce grand romancier est un poète, est un observateur, mais ne montre pas plus que les autres dans ses romans la voca- tion et la conscience pédagogiques : il se satisfait d'analyser, avec la passion égoïste du psychologue, de ne voir en les enfants que d'intrigants sujets d'étude donnés par la nature ; tempérament d'action, il nous eût écrit le drame de noble angoisse du père qui est obligé de choisir entre les ins- tincts de l'enfant, de cultiver les uns en détruisant les autres, ({ui en cela surtout lait œuvre d'homme, d'homme moderne différant profondément de l'animal reproducteur par le sentiment de la responsabilité. Marc Fane est un

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très remarquable roman d'éducation, mais d'éducation personnelle et passwe, opérée par la vie qui modèle le jeune homme, et il eût surtout fallu un livre qui lût pour la France d'aujourd'hui ce qu'aurait pu être VEinile pour la fin du y.\uf siècle, au moins ce qu'a été le Williem Meister pour l'Allemagne du wiii*^ siècle, œuvre admi- rable qui diflere d'un autre livre français analogue, L'Edu- cation Sentimentale, en ce que, ii côté de l'observa- tion profonde du donquichottisme de la jeunesse, sinon s'affirment, du moins se discutent des principes pédago- giques. Après lui il reste donc ii écrire le roman de l'éducation, le plus utile qui puisse être aujourd'hui ii la France aljondent les tempérameiits riches, mais man- quent les caractères. C'est une méthode, un esprit d'édu- cation qui fait défaut en ce moment à la France : la plupart des romans que nous avons examinés sont d'excel- lentes critiques contre l'ancien régime d'éducation auto- ritaire, mais il n'y a pas un seul Emile depuis la Joie de vivre de Zola qui répond substantiellement mais un peu trop grossement h l'esprit moderne; parmi nos romanciers nous n'avons guère de grands cerveaux constructeurs si nous avons de grandes intelligences analyticjues.

Ainsi l'enfant qui n'avait guère été auparavant qu'un thème sentimental depuis le Petit Savoyard jusqu'à Jack, est devenu un sujet social : on ne le considère plus seule- ment comme un petit animal digne d'amour, mais comme un prochain homme. Par la suite, le littérateur ne songe plus à n'attirer l'attention que sur l'enlant malheureux dont le sort doit être amélioré; par un très giand pro- grès, il ne veut plus n'être qu'un avocat de justice; il veut, dans une nation anémiée et stérile, donner au public des modèles de force et d'énergie ; il ne se con- tente pas de prêcher en thèse générale [Fécondité, La Charpenté) la repopulation, il crée lui-même des enfants sains, vigoureux, intelligents, volitifs, altruistes, qui soient des exemples admirés pour la bonne contagion; il ne montre plus que la misère pour attendrir, il montre la beauté, et c'est ce qu'il faut pour rénover, pour exciter le désir fécond, pour inviter à créer plus de beauté! N'est-il déjà pas évident que d'avoir longtemps regardé le bel enfant, l'écrivain, qu'avait desséché la pratique presque exclusive du roman d'adultère, a allégé la langue, lui a acquis la grâce, de la fraîche mièvrerie, le mouvement libre et la simplicité, la sincérité naïve, l'image spon- tanée? Le printemps que l'enfant a mis dans l'art, l'écri- vain le fera éclore multiple dans la vie.

L ENFANT 47

Et eu corollaire de la philosophie historique, assez juste, de Taine, il semble évideut que si la Troisième République a produit et d'autre part su admirer des œuvres vivent des enianls sains et pleins d'initiative, c'est qu'elle en a elle-même de réels, c'est qu'en eux elle possède des cléments importants de reviviscence. Le journal L'Européen menait dernièrement une Ciiquète auprès de personnalités européennes pour savoir si oui ou non la France est en décadence. C'est l'étude des romans sur l'enfance française qui peut vraiment v répondre. La France n'est pas en décadence, mais on ne saurait non plus affirmer qu'elle soit dans une période de complète et vio'oureuse renaissance, car il s'y trouve encore trop d'enfants délicats, mièvres, indolents,, déplorablement « gâtés » ou, au contraire et h l'autre extrême, tyran- nisés par leurs parents et par les régimes scolaires. Il y a deux choses également graves : les uns laissent les enfants l'aire toutes leurs volontés et, s'il faut l'amour de l'en- fant, rien n'est plus dangereux que le culte aveugle de l'enfant qui prend ainsi dans la famille l'habitude, les goûts aristocratiques de commandement et d'insolence si peu en rapport avec les principes d'une société démocra- tique et les conditions il aura à y gagner plus tard sa vie, les autres étouffent chez eux toute initiative, tout éveil de volonté.

De l'étude d'ensemble de ces œuvres si diverses se dégage aussi une conception assez nette de la vraie beauté de l'enfant, par suite de ce qu'il faut faire pour l'amélio- ration de l'enfance contemporaine. Evidemment d'abord la vie matérielle de l'enfant devrait être assurée, car la misère l'aigrit, appauvrit son corps, jette à la société des infirmes et des anarchistes [Jack, Ame d'enfant, L'impé- rieuse Bonté), mais le remède n'est malheureusement pas

48 LA SOCIÉTÉ FnANÇAISE SOUS LA TROISIKME RÉPUBLIQUE

prochain et ce n'est pas sur ce point de vue qu'on peut efficacement arrêter l'attention. Une réforme plus aisée est énergiquement ou implicitement réclamée par tous les écrivains : la suppression de l'internat, régime militariste de l'enfance conservé de la période napoléonienne et plus funeste encore à la nation que cet autre legs impérial, le bureaucratisme : Anatole France, Mirbeau, Jules Renard, Daudet, Aicard, Margueritte exigent la liberté pour l'en- fance; tous ceux que les romanciers montrent heureux sont libres, les autres ne sont plus des enfants, et ceux qui n'ont jamais été des enfants ne seront point des hommes sains et bons.

Enfin il ressort de la lecture générale que tous les enfants ont en quelque sorte du génie quand ils sont petits : la société le leur gàclie ou annihile. 11 n'y a en effet que peu de différence entre les enfants qui seront très intelligents et ceux qui seront médiocres. Il serait excessif de conclure que la société abêtit l'homme; mais, en émon- dant les qualités qui font l'oi'iginalité et en desséchant sa générosité native, elle le rend médiocre parce quelle lui impose, pour le bénéfice d'une instruction souvent oiseuse et toujours fatigante, une éducation uniforme et étroite (|ui est une sorte d'internat intellectuel.

Et ainsi, les enfants étant des miroirs grossissants s'accusent les défauts de la société d'étudier les enfants comme d'étudier la première humanité, on se rend plus dèlicalement compte que l'œuvre sociale est impar- faite, que la civilisation n'a point été que perfectionne- ment et qu'elle a appauvri l'homme d'une bonne part de ses vertus initiales, et que, sans nullement retourner à la sauvagerie, il est indispensal»lc sur bien des points de revenir à plus de nature.

CHAPITRE II

L'OFFICIER

Particulièrement aujourd'hui la démocratie est tiraillée du militarisme au désarmement, on parle sans cesse de l'armée : rien ne serait plus intéressant que d'avoir, sur ceux qui la dirigent, le sentiment de la France intellectuelle. Interviewer nos écrivains eût été bien délicat et périlleux, sinon tout à lait inutile : on ne dit dans une interview que ce que l'on veut dire, et quand on exprime sa pensée, c'est sa pensée du moment seule, celle que les circonstances vous façonnent, voire vous dictent. 11 vaut mieux fouiller les œuvres se reflètent d'elles-mêmes les opinions comme les tempéraments, s'accuse franche- ment la vision sincère de la réalité. Et plus particulière- ment l'étude du roman contemporain, genre si complexe dans sa richesse, peut être source abondante de renseigne- ments. Jamais le moment n'aura été plus propice : nous sommes, en ce qui concerne la littérature militaire, l\ la fin d'une période : on a tant écrit sur l'armée ces derniers temps et avec une telle passion que la matière en a été

1. Dans un sujet aussi délicat, nous avons cru devoir multiplier les cita- tions, pour plus d'impersonnalité.

M. -A. Leblond. 4

50 LA SOCIKTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

toute tianslormée et illuminée. Il y a eu des révélations. Les plus indifférents ont ouvert les yeux. Chacun a se faire une idée nette, a étudier la question. Bien peu laisseront se perdre le fruit de leurs observations et de leurs méditations : nous aurons dès ici de nombreuses œuvres des genres les plus divers sur la vie militaire. L'on y exaltera, les uns leur optimiste chauvinisme, les autres leur pessimisme. Rares seront ceux qui conserveront le regard froid et impartial avec lequel la plupart ont jusqu ici observé l'armée.

LES OFFICIERS SUPÉRIEURS

Ou ne voit pas beaucoup crolficiers généraux ou supé- rieurs dans les romans qui ont paru depuis 1870, ou, du moins, ceux que Ton a fait le plus intensément revivre sont presque tous des acteurs de la guerre franco-alle- mande dont les souvenirs dominent tous autres, ce sont donc des hommes du Second Empire. Et rien n'est plus naturel si Ton songe au rôle effacé que les généraux des troupes métropolitaines, les seuls qui soient constamment restés dans le champ de vision de nos romanciers, ont tenu sous la Troisième République que n'agita aucune guerre euio- péenne.

Ceux qui sont sortis des rangs pour aller h la politique par même ne sauraient plus nous intéresser comme militaires et enfin la littérature héroï-comique qui s'attarde encore parfois a poursuivre le panache multicolore du général Boulanger tient plus de la chronique sentimentale ou amusante que du roman.

La vie terne, médiocre, de nos généraux, assis par la paix sur des ronds-dc-cuir en des bureaux ombrés de lustrine verte, ne séduisait point le pinceau brillant de nos écrivains toujours en quête de pittoresque. Les figures congestionni'es, les tailles épaissies aux longues siestes

52 LA SOCIÉTÉ FliAXÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

digestives, les ventres arrondis au séjour prolongé en d'amples fauteuils prêtaient bien plutôt matière aux farces rabelaisiennes ou aux gauloiseries bourgeoises des Courte- line ', des Bergerat^, des Armand Silvestre et des Charles Leroy. Les seules sonneries bruvantes de nos héroïques victoires coloniales devaient couvrir le rire qu'éveillait en nos villes de garnison le passage quotidien des Laripète et des Ramollot, types qui furent plus vrais qu'on ne l'a cru et qu'a retrouvés aux salons de la ville et des châteaux l'observation finement malicieuse de Gvp, charges dont la truculence était bien parfois égalée par l'énorme comique de certaines anecdotes véridiques dont le récit secoue encore la torpeur des fins de soupers.

Les vieilles « moules » et antiques « culottes-de-peau », compagnons de Lebœuf ou dévots de Mac-Mahon, devaient encombi-er longtemps encore après 1870 le cadre de notre armée de terre. Les observateurs les moins suspects de légèreté ou d'antinationalisme le remarqueront eux- mêmes. Rappelez-vous, dans Cruelle Enigme de Paul Bourget, le général comte Alexandre Scilly (cinq bles- sures et quinze campagnes) , brave soudard à cœur « d'or », qui fait des visites à son ancienne « aimée » et à sa mère dans les loisirs que lui laisse son grand ouvrage perpétuel sur la réorganisation de l'armée. En ces quelques lignes se dessine assez nettement l'individualité de cette sorte de Trocliu sentimental :

Cet homme maigre e( comme tassé sur lui-même, chez qui tout révélait la stricte discipline, depuis l'efracement de son regard jusqu'à la régularité de sa marche et la rigueur ponctuelle de sa tenue, décou\rail en lui, lorsqu'il s'agissait de ses amies, tous les

1. Lidoire, Le Train de S li. -'à, Les Gaietés de Cescadron^ œuvres de fine boulTonncrie et d'une gaieté salée de quelque amertume.

2. Va-l-en i'tierre.

L OFFICIER 53

trésors de sensibilité que sou genre d'existence ne lui avait guère permis do dépenser; et par ce soir du mois de février 1880 il se trouvait dans l'état d'agilaliou d'un amant qui a vu les yeux de sa maîtresse noyés de larmes, sans en savoir le motif.

En dépit de celle curiosité cependant, le général ne fit pas un geste plus rapide. L'habitude de la minutie militaire était trop forte chez lui pour qu'aucune émotion en triomphât.

Daudet, dont M. Jules Lemaître a vanté la vision très nette et fidèle, n'a laissé du général qu'un joortrait tout balzacien. Le général duc d'Alcantara est un Hulot de Second Empire qui neut jamais de scrupules ni de sentimentalité, et que la torture physique sait seule réduire a un demi-repos, un érotomane dont les rhuma- tismes mêmes ne peuvent avoir tout à lait raison, et qu ils rendent encore plus Apre. Couché sur une chaise longue, « ce blessé eavé d'ans et de gloire » est encore amoureux de toutes les jolies femmes dont le frôle le froissement des jupes, vrai « Don Juan cul-de-jatte )). Il promène sur elles des regards languissants avec des lenteurs de volupté sénile. Sa vieillesse excuse bien des privautés et il dit h Lvdie (( avec la caresse de ses grandes mains tremblantes » : « De tout ce qu'il m'a fallu sacrifier, de tant d'ambitions Ibudroyées, ce que je pleure, c'est vous. Et lorsque je songe que vous êtes h mon fils... oh! w C'est cette même férocité bestiale qui lui arrachait au lendemain de Wisseni- bourg ce cri sanguinaire : « Il y avait de la viande », qui échauffe son amour. Ses instincts paternels en sont viciés : il pleure son fils comme un vieux miche pleure une fille : il a jusque-là tout supporté avec a grand courage « : Oh! mon cher Delcrous, j'ai assisté dans ma vie de soldat à des tueries atroces, mais quand j'ai vu ce qu'on me rapportait de mon garçon, de ce joli blondin ! » Et sa douleur paternelle même n'est pas pure de tout mélange : s'il veut se venger du meurtrier, c'est parce

5'+ LA SOClETh: FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME KEI-LULIQUE

qu'il croit que le meurtrier est le mari de J.ydie. et quand le vrai coupable avoue, il veut retenir Richard quelque temps encore en prison : « Avant ce soir? Et pourquoi? dit-il au jwge. Il vous tarde donc bien que cette brute rentre en possession de sa femme? »

Maupassant, peintre encore plus exact de l'existence movenne, dans des contes d'un réalisme spontané la vie se réfléchit d'elle-même au clair miroir de sa vision, ne nous montre que des généraux ou colonels galantins, comme s'il n'avait jamais rencontré dans les mondes diffé- rents qu'il a tour h tour fréquentés que de vieilles barbes amoureuses, de ces pseudo-Henri IV démocratiques dont le courage belliqueux s'adoucit en baisers aux pieds des plus diverses Gabrielles, type sans doute bien français, puisqu'on le retrouve h tous les âges, dans le ^lontcornet de Balzac comme dans le colonel Laporle de Maupassant*. a Je suis vieux, j'ai la goutte, les jambes raides comme des poteaux de barrière, et cependant, si une femme, une jolie femme, m'ordonnait de passer par le trou dune aiguille, je crois que j'y sauterais comme un clown dans un cer- ceau. Je mourrai ainsi, c'est dans le sang. Je suis un vieux galantin, moi, un vieux de la vieille école. La vue d'une femme, d'une jolie femme, me remue jusque dans mes bottes. Voilà... Si j'avais à donner mon avis sur la sup- pression des tambours et des clairons, je proposerais de les remplacer dans chaque régiment par une jolie fille. Ça vaudrait encore mieux que de jouer La Marseilldise! »

Dans l'école réaliste, il s'est trouvé après Maupassant une femme d'observation pénétrante et poignante, de talent impétueux, cinglant et d'une brusquerie très vivante qui s'est visiblement éduquée à l'école de militaires, pour

1. Les idées du Colorie.'.

I, OFFICIER 55

avoir senti comment de tels tenuDéiaments, galantins de profession, peuvent se comporter dans le mariage et la paternité : avec une véracité qui s'éprouve h la verve révoltée, Rachilde révèle le désordre de la vie familiale aux milieux militaires ; et il est criant h quel point cela a été vu. Le père de la future Marquise de Sade devait être nécessairement un officier, le colonel Barbe, « aux yeux cruels de bonhomme qui s'ennuie ferme ». Il est cassant au service, mais quand il réunit chez lui les officiers, se souvenant de sa vie d'Afrique, il fait seryir des punchs copieux et permet à ses lieutenants de se saouler devant lui. Déjà instinctivement persuadé en tant qu'homme de la supériorité de l'homme sur la iemme, il la méprise doublement parce cpi'il est militaire; il la dédaigne pour sa délicatesse puisque lui n'a peur de rien. Il fait habiter devant un cimetière son épouse qui se meurt de phtisie, - se demandant d'ailleurs si ce n'est pas « un genre adopté » par une nature trop sentimentale, et il se répand en récriminations furibondes sur sa mièvrerie C[uand elle refuse de se promener parmi les tombeaux : il trouve cjue l'odeur des morts est très saine. 11 voudrait la traiter en soldat, il traite sa famille comme ses hommes : voilà de l'écjuité ; il ne veut pas qu'on l'embrasse, par principe de dignité, et, quand la colonelle meurt, il se retient de pleurer devant le cercueil parce que le régiment est là. 11 l'oubliera d'ailleurs assez vite dans un adultère avec la femme d'un de ses inférieurs jaloux seulement d'avancer en grade. 11 lui reste une fille mais il lui en a toujours voulu de n'être pas un garçon pour la « faire rentrer dans le rang », et il a complètement négligé son éducation, la lais- sant se corrompre dans la bohème des ménages d'oKiciers, voire des généraux qui font des réunions de femmes d'où les hommes sont exclus et ils embrassent dans le cou

f,G LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

les fillettes de douze ans tout en pinçant les mères. Rachilde nous montre, dans ce colonel brutal et bouffon un militaire lourvoyé dans la vie de iamille il se trouve aussi mal a Taise que dans la paix, incapable, par gros- sièreté de tempérament, de vivre avec une iemme et d'élever une jeune fille. Elle discerne aussi le vice des déplacements continuels et inutiles des officiers qui, cahotant lenlant d'une garnison ii l'autre, empêchent une éducation lerme et bien assise.

On a entendu les « idées » du colonel Laporte, voici celles du g-énéral Cartier de Chalmot, inoubliable marion- nette de cette exquise féerie réaliste U Orme du Mail, l'ironisme d'un Renan mondain fait jouer avec exactitude et précision les ficelles des poupées sociales.

« Permettez, mon cher abbé ! La guerre est une nécessité cruelle sans doute, mais qui fournit aux officiers et aux soldats l'occasion de déployer des qualités supérieures. Sans la guerre on ignorerait encore jusqu'où peuvent aller l'endurance etle courage des hommes. «

Et très sérieusement il ajouta :

« La Bible établit la légitimité de la guerre et vous savez mieux que moi que Dieu est nommé Sabaoth, c'est-à-dire Dieu des armées.

... « Bazainel Comprenez bien : inobservation des règlements concernant les places de guerre, hésitations blâmables dans le com- mandement, arrière-pensées devant l'ennemi. Et devant l'ennemi, on ne doit pas avoir d'arrière-pensée.. . Capitulation en rase cam- pagne... Il a mérité son sort. Et puis il fallait un bouc émissaire!

Les bons Chrétiens faisaient les bons soldats; c'était une faute que de bannir la religion de l'armée. » Le Général approuva ces maximes. « Je l'ai toujours dit, mon cher abbé. En détruisant les croyances spirilualistes, vous ruinez l'esprit militaire. De quel droit exigez-vous d'un homme le sacrifice de sa vie, si vous lui ôtez l'espoir d'une seconde existence ? »

Jamais on n'a su avec plus d'habileté mesurée incarner dans un personnage bien vivant tout ce que le cadre des

L OFFICIER 57

préjugés de classe et de caste et dos routines de métier peut contenir de sottise humaine.

Le général Cartier de Chalraot avait mis sa division en fiches dans de petites boites de carton qu'il posait chaque matin sur son bureau et qu'il rangeait chaque soir sur des tablettes de bois blanc au-dessus de son lit de fer. Il tenait ses fiches à jour avec une exactitude scrupuleuse, dans un ordre qui le remplissait de satisfaction... La forme sous laquelle il considérait désormais ses officiers, et ses sous-ofllciers, et ses soldats contentait son instinct de régularité et correspondait à son intelligence de la nature. Car- tier de Chalmot avait toujours été noté comme excellent officier. Le général Parroy, qui l'avait eu sous ses ordres, avait dit : « Chez le capitaine de Chalmot, la faculté d'obéir et celle de commander se contrebalancent : prérogative rare et précieuse du véritable esprit militaire. »

« Cartier de Chalmot a^ait toujours été l'honnne du devoir. Probe et timide, excellent calligraphe, il avait enfin trouvé la méthode appropriée à son genre et il l'appliquait avec la dernière rigueur, commandant sa division sur fiches... »

Ayant la plus profonde « aversion pour l'intrigue et la fausseté »,... « il n'avait jamais rien demandé au gouvernement. Cartier de Chalmot, monarchiste et chrétien, gardait à la République une désap- probation pleine, silencieuse et simple. Ne lisant point les journaux et ne causant avec personne, il mésestimait par principe un pouvoir civil dont il ignorait les actes. Il obéissait et se taisait. On admirait dans les châteaux de la région sa douloureuse résignation, inspirée par le sentiment du devoir, affermie par un mépris profond de tout ce qui n'était pas militaire, assurée par une difficulté croissante de penser et de dire rendue sensible et touchante par les progrès d'une maladie de foie ».

Et elle est vraiment imaginée par le plus fin, le plus délicatement pénétrant des psychologues, cette scène, révélatrice, de la réception du président chez le préfet Worms-Clavelin :

« Présent au milieu de son état major, le Général vit pour la pre- mière fois le Président Sadi-Carnot, et soudain, sans motif apparent, sans raison exprimable, il fut transpercé d'une admiration fou- droyante. En une seconde, devant la gravité douce et la chaste

58 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA THOISIKME REPUBLIQUE

raideur du chef de l'Etat, tous ses préjugés étaient tombés. Il oublia que ce souveraiu était civil. Il le vénéra et l'aima. Il se sentit tout à coup enchaîné par des liens de symjîathie et de respect à lliomme jaune et triste comme lui, mais auguste et serein comme un maître... Ce que Chalmot avait depuis vingt-cinq ans amassé de dévoùnient au prince absent, jaillissait de son cœur vers M. le Président... A son admiration se mêlait de l'attendrissement.

Attendrissement qui vient des sources inépuisables de tendresse cachées dans le cœur de ce bon gros homme (Poulot pour sa femme), à la fois « timide et infaillijjle », innocent et dangereux, d'une simplicité d'esprit qui est l'aliment ordinaire du fanatisme mais qui ne se traduit chez lui que par une passivité à la fois animale et héroïque. Carnot mort, il ignorera les maîtres civils de la France. Il ne voudra rien savoir que de ses supérieurs hiérarchiques auxquels il obéira « avec une morne exactitude' ».

Rien ne pourra fléchir cette rigide ligne de conduite, pas même les douces insinuations de Mme de Courtrai^ lors des récents scandales qui troublent la simplicité de son esprit et la candeur de son âme. « Prolbnd spiritua- liste )), il se réfugiera dans une piété pratiquante qui (;roît avec l'Age et la maladie, « ayant d'ailleurs toujours consi- déré la croyance à une vie future comme la base même des règlements militaires », et « priera mentalement Notre-Dame de Lourdes de protéger l'armée française ». Il plonge aux profondeurs rafraîchissantes du silence il

1. Avec la jolie finesse légère d'observation d'Anatole France Mau- rice Donnay met quelques minutes en scène dans Georgette Lcineuiiier un général très vivant, peut-être aussi très peu réel. En face de lui, en pose d'antithèse, un aimable et un peu fade Jeune-France cause de IW/faire, sceptique, d'indifférence polie. Et cette indifférence de politesse agace le vieux brave homme, tout au contraire franc jusc[u'à la brutalité et qui n'admet pas f[u'on ne dise pas carrément sa façon de penser, qu'on n'ait même pas d'opinion nettement tranchée. II a du nerf, lui, et méprise ceux qui ont seulement des nerfs.

2. L'Anneau d' amvihysie.

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puise la sérénité qui emplit et élargit sa dernière proiession de foi :

« 11 ne me reste qu'à émettre cette maxime qu'il faut considérer, en fait d'hommes, la qualité prcférablement au nombre et s'attacher à former des corps d'élite. En exprimant ces idées, je suis sûr de n'être démenti par aucun grand capitaine. Mon testament militaire est contenu dans cette formule. « Le nombre n'est rien. La qualité est tout. » J'ajouterai que l'unité de direction est indispensable à une armée et que ce grand corps doit obéir à une volonté unique, souveraine, immuable. »

11 se tut. Le regard de ses yeux pâles était noyé de larmes. Des sentiments confus, inexpliqués, envahissaient l'âme de cet hon- nête et simple vieillard, le plus beau capitaine, jadis, de la garde impériale, malade maintenant, usé, perdu comme dans une forêt au milieu de ce monde militaire nouveau qu'il ne comprenait pas.

On dira qu'ainsi Anatole France se complaisait en une critique fine mais aisée du général de l'ancienne manière, pour ne pas dire de l'ancien régime', qui se fait de jour en jour plus rare. Des généraux instruits par les mathé- matiques et l'expérience ont remplacé les officiers ignares et bravaches qui nous commandèrent a Woerth et à Bitche. Cependant INI. Abcl Ilermant semble leur préférer encore les premiers, moins bureaucrates, moins secs, attachés à leur armée comme à une fnmille. Au colonel de Malle- ville qui est nouveau jeu il oppose la grande figure du colonel de Yermandois, son prédécesseur :

1. Il importe de ne pas oublier le colonel Piol, curieux homme, san- guin el belliqueux, que nous devons au talent ironiste, d'une rare et profonde ironie embusquée, simple, journalière et souvent macabre, de Maurice Beaubourg. « Ancien sabreur, et quoique ne pratiquant guère, cagot comme tous les militaires », bonapartiste, ancien tireur fou- gueux, tartarinesquc et susceptible au jeu de boules de Saint-Mandé, plein de sang et d'entrain apoplectique aux récréations amoureuses qui s'abritent aux verts fourrés du bois, le colonel Piot, avec une bonne grâce de Scrongnougnieu digne et littéraire, s'avoue « insolent comme un paon... un vrai paon... car il a peut-être été un peu trop un paon toute son existence... qui passe trop tout son temps à faire la roue. » {Les Joueurs de boules de Saint-Mandé.)

60 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

Ses bonnes fortunes des pays chauds avaient usé avant 1 âge le colonel de Malleville... Il fixait les hommes de ses yeux grands ouverts dont les paupières ne clignaient jamais, de ses yeux méchants et cadavéreux, des yeux ternes et troubles de fantôme qui vous dévisageaient et qui n'avaient pas l'air de vous voir. Il avait le teint mort, les lèvres pâles. Quand il parlait, sa bouche ne sentr'ouvrait que d'un côté. Et rien qu'au ton dont il vous disait : « Teuez-vous droit », on sentait que cet homme avait le droit de vous infliger sept jours de cellule et huit jours de prison.

Le colonel de Yeimandois, lui, aime son régiment « d'un amour paternel qui grandit à chaque nouvelle blessure ». Derrière ses habitudes de minutie, sous son masque de sang-froid, c'est l'homme le plus sensible et le plus délicat; son regard serein pénètre l'àme de ses hommes et les rassérène. Quand il passe la revue, « il sent sur lui le regard fixe du régiment et l'émotion confuse qui oppresse tous ses hommes, comme s'ils attendaient cjuelque chose de solennel et de mystérieux ». A son régiment il a donné sa vie et ses rêves :

Il avait rêvé un régiment instruit en vue de la guerre : d abord l'intelligence de chaque homme mise eu éveil par une éducation individuelle, parce que la carabine doit s'éparpiller dans la cam- pagne et que la première unité constituée du régiment c'est l'homme à cheval qui peut à l'occasion marcher, observer et combattre seul. Ensuite l'homine est pris dans le peloton qui a son existence à part, le peloton dans l'escadron. Et le jour chacune de ces fractions est instruite, le Régiment arrive à la vie. Il travaille d'ensemble. Il s'entraîne. Il s'assouplit par la gymastique des manœuvres.

Quand des mesures radicales le condamnent à une retraite prématurée', « il se retire discrètement, sans

1. Rapprocher de ce passage celui Marcel Luguet nous montre dans son talentueux Klct'e-iiiariyr, le général Ilielland, original du premier ordre, bourru et généreux, qui fait o^ec quelque franchise indisciplinée ses adieux à un brave officier qu'on vient de mettre injustement à la retraite, grâce à <c l'envie basse et aux préoccupations politiques qui troublent l'esprit des hommes qui nous dirigent, ou l'inqualifiable oubli de toute ]ju(k'iir de la part des chefs ».

L OFFICIEn 61

bruit, renfermant son chagrin tout au fond de son CŒ'ur blessé ». Dignité et noblesse, c'est une fig-ure à la Many, d'une grandeur mélancolique qui s'élève jusqu'à la majesté.

Le contraste se perpétue avec le portrait de l'Inspecteur, un général lont Jeune, rude et gourmé, qui « fait son petit Gallifet », servilement, poussant l'imitation jusqu'à la copie de sa coifFure en brosse... Il punit les chefs parce que dans les chambres, sur les pancartes sont inscrits les officiers supérieurs et généraux, le scribe avait omis la moitié de son nom : « Je ne m'appelle pas de Chau- vififué, mais Cliéruel de Chauvioné. »

M. Lucien Descaves, dans son roman très étudié, Sous- Offs, a, en passant, silhouetté les bonshommes peut-être les plus simplement représentatifs de la moyenne.

Le général inspecteur (c furil^ond, petit, chétif, hargneux, l'air d'une figurine japonaise terreuse et grimaçante », promène partout l'inquisition de son nez de fouine, de son esprit pointu et pontilleux, flairant les petites négli- gences, reniflant les taches sur les habits et les boutons décousus. A côté de cet « austère républicain » s'empresse le colonel Le Taillandier, dit Beaux-Pieds :

Des gloii'cs d'un jDassé impérial il n'a conservé qu'une carrure de Cent-Gardes et des pieds, des pieds vraiment petits, des pieds qu'il regarde en causant, en dictant, en marchant et qu il couche, dresse sur la pointe, avance, retire, impose à l'attention de l'inter- locuteur, du passant, de messieurs les officiers. « Hein ! qu'est-ce que vous dites de cela? Vous ne croiriez jamais que je chausse du... devinez?... » Mais il vieillit, la limite d'âge va l'atteindre et on l'a vu, seul, en un coin du quartier, les considérant, ses chers beaux pieds, d'un œil de statue dont la base est ruinée.

i La musique est là? »

C'est sa première question, ou préoccupation de tous les jours, trahissant l'invétéré goût de parade de l'ancien séducteur, médiocre

62 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIKME REPUBLIQUE

stratégiste. Oui, la musique est là, sa dernière conquête, avec ses valses en bouquets, ses mélodies évocatrices, ses fantaisies sur de très vieux opéras que le colonel a fredonnés dans leur fleur, aux jours de gala...

Et surtout le commandant Mauvezin, très vrai, et qu'on dirait vu par un œil do soldat même,

plus rude aux officiers responsables qu'aux soldats, rachetant vis- à-vis de ceux-ci ses exigences de rude chef par un parfait mépris

pour les inspections de détail, bourru mais juste, entendu et

crâne, bouclant le sac d'un soldat d'un brusque geste expcrimenlé qui fait dire : « il la connaît », populaire pour cela plus que pour toute autre chose, plus encore que parce qu'il a garde des rigueurs pour les infractions graves à la discipline et conserve aux peines, par l'application mesurée qu'il en décide, leur caractère d'exemple et de justice.

Figures de second plan nettement dessinées en un rapide, sec, et sûr coup de crayon, et plus encore attrapées en des gestes significatifs, comme par la merveille du hasard, par l'objectif d'un appareil à instantanés.

Si M. Paul Margueritte témoigne une sympathie plus respectueuse aux officiers généraux, c'est qu'il reporte sur tous les chefs de l'armée un peu de la piété due à la mémoire paternelle; il n'en voit pas moins très nettement les défauts des anciens compagnons de son père.

Le général Jorleu, dans le beau roman fataliste La Force des choses, a pris dans l'habitude du commande- ment une étroitesse et une inflexibilité de vues auxquelles il entend soumettre ses enfants comme ses soldats; il est autoritaire jusqu'au despotisme et au sentiment de l'infail- libilité; il met tout au-dessous de l'honneur dont il a un id('>al très mesquin : c'est un honneur mondain conven- tionnel follement trempé de bigotisme. Le colonel de Francœur, dans le roman fraîchement anglais Sur le Retour, n'est âgé que d'une cinquantaine assez légèrement

L OFFICIEU 63

portée. Il « fait pendant » à Joricu. La naïveté de son à me toujours jeune, le respect de la terre, une tendresse de cœur envers la nature l'ont préservé de la sécheresse et de la l'igidité militaires, a On ne sait quoi de simple et de bon dément son air d'autorité rude. » Jorieu et Fran- cœur aiment leurs régiments comme des chevaux qu'on dompte et dont on soigne la belle robe, le colonel avec plus de tendresse, parce qu'il est plus près de ses hommes. Bien qu'asservis aux préjugés mondains, tous deux ont pour le monde le même respect mitigé du mépris de tout ce qui nest pas militaire : ils connaissent peu l'amour et ne lisent jamais. Et tels ou h très peu près sont aussi les commandants ou colonels que, sur la toile du fond de ses romans autobiographiques, laisse voir de temps à autre, en se déplaçant, M. Art Roë, braves gens immobilisés à dessein en des attitudes sympathiques, vraiment évan- géliques jusqu'en leur simplicité d esprit.

ij

LES OFFICIERS

Nos officiers sulialternes, plus jeunes et par conséquent plus proches de nos écrivains, élevés dans les idées nou- velles, formés par la science de l'histoire et une éducation moins traditionaliste et routinière, participaient davan- tage à la vie moderne et attiraient ainsi la sympathie des maîtres divers du roman contemporain, les Bourget, les Prévost, les Rosny, les Margueritte.

Pour cela, ils n'en continueront pas moins à servir d'aliment aux amateurs de littérature héroïco-scntimen- tale. Vous les retrouverez dans les longues romances dramatiques de Mme Daniel Lesueur dont la jolie iVai- cheur de stvle, voire d'émotion, ne peut donner la force de la vie a ses délicats chromos'. Le Jean Raynaud de Uabhé Constantin est un jeune premier d'opérette bleue dont l'idéale sentimentalité règle toute l'existence.

Le Jean d'Agrève de M. Eugène Melchior de Vogiié est un officier sentimental de la manière d'Henri Rivière,

1. Voir notamment Inciacible cliarme, dont le fond n'a pas plus de soli- dité que les fadaises rococo de Mme Claire de Chandcneux il y a pourtant quelques personnages étudiés d'assez près, mais piteusement rendus, des officiers de garnison de province.

L OFFICIER 65

mais qui aurait lu Homère, Dante et Alfred de Vigny, peut-être aussi Vauvenargues, qui ferait de Sbelley son bréviaire et écrirait avec la chaude élégance délicatement maniérée du vicomte académicien, bref à peu près, supposons, l'officier « intellectuel » imaginé par M. Jules Lemaitre '. Toutefois il ne se défie pas moins de la littérature que de l'amour dont il a la plus héroïque peur d'être dupe; et un beau dégoût romantique du monde rythme ses rêveries; nature sincère et sensible, il ne croit pas h la sincérité et h l'émotion d'autrui. C'est un être d'élite, bien supérieur au reste des hommes, un rêveur méditatif, un poète voyageur h la Bvron. Soucieux de conserver son indépendance, il n'en est pas moins jaloux de commander; l'idée de le faire l'emplit d'une joie enfantine et livresque. Il comprend son rôle d'officier en vrai romantique, toujours ; il en a une idée presque toute sentimentale, le moins du monde rationnelle, quoi qu'il en pense. Au fond bien qu'il dise « des choses très fortes » sur la nécessité de la guerre, il n'aime pas, il ne peut aimer la guerre, ayant une sensibilité toute féminine et littéraire. « La guerre... ce serait pourtant le seul emploi de l'énergie qui peut encore me passionner, le seul je n'aperçoive pas l'effroyable inutilité de tous les gestes qu'ils appellent action. » C est encore une nature de femme froissée, craintive du monde, qui aime dans son métier l'éloignement, la poésie de l'absence et des voyages exotiques bercer sa rêverie de penseur féminin. Peu ont pesé sur lui le sérieux, le rigide, le mathématique du métier : il n'est ni froid, ni calculateur; le cœur avant tout le domine, et les coups de tête dirigent son existence. La guerre n'est en réalité qu'un dérivatif au

1. Écho de Paris, 21 juin 1899.

M. -A. Lebloxd. 5

66 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUnLIQUE

désespoir d'amour. Au moment de la mort, à Formose, sous les balles chinoises, il voit sa dame, comme les preux movenàgeux succombant dans une croisade contre les

De tels personnages peuvent être parfois vivants par la force et la noblesse de leurs sentiments, mais ils n'appar- tiennent pour ainsi dire pas à la vie réelle. Bien davantage y participent tels héros de Bourget ou de Rosny, qui, sans doute, sont encore par de nombreux côtés des per- sonnages de roman idéaliste ou d'abstraction, qui ne se rencontrent pas souvent dans la société mais s'y peuvent néanmoins rencontrer : s'ils sont tout schématiques ils ont été créés avec quelque puissance de vitalité par une imagination d'esprits pénétrants.

Dans Le Disciple, le comte André s'oppose vigoureuse- ment à Robert Greslou, l'officier traditionnaliste au phi- losophe anarchiste, la robustesse animale assouplie à l'in- tellectualité effrénée :

« Si j'avais songé à la supériorité que représente la belle et solide énergie animale de l'homme, dit Robert Greslou, c'avait été d'une manière abstraite, mais je ne l'avais pas sentie. Le comte André, âgé de trente ans, était un exemplaire admirable de cette supério- rité-là. Figurez-vous un homme de moyenne taille, mais découplé comme un atlilète, des épaules larges et une tournure mince, des gestes qui trahissaient à la fois la force et la souplesse de ces gestes l'on sent que le mouvement se distribue avec cette per- fection qui fait l'agilité adroite et précise, des mains et des pieds nerveux, disant seuls la race, avec cela le visage le plus martial, un de ces teints bistrés derrière lesquels le sang coule, riche en fer et en globules, un front carré dans un casque de cheveux très noirs, une moustache de la couleur des cheveux sur des lèvres serrées et fermes, des yeux bruns rapprochés d'un nez un peu busqué, ce qui

l'officier 67

donne au profil un vague caractère d'oiseau de proie; enfin un menton découpé hardiment achève cette physionomie dans un carac- tère d'invincible volonté. Et la volonté, c'est bien tout le personnage : l'action faite homme. Il semble qu'il n'y ait, dans cet officier rompu à toutes les bravoures, aucune rupture d'équilibre entre penser et agir et que tout son être soit toujours tout entier dans ses moindres gestes. Je l'ai vu, depuis le premier soir, monter à cheval de manière à réaliser devant moi la fable antique du Centaure, mettre au pis- tolet dix balles de suite à trente pas dans une carte à jouer, sauter des fossés à la promenade, et, pour se divertir, avec la légèreté d'un gymnaste de profession, de même que, parfois, et pour amuser son jeune frère, il franchissait une table en y posant seulement les deux mains. J'ai su que pendant la guerre, et quoiqu'il n'eût encore que seize ans, il s'était engagé et qu'il avait fait la campagne de la Loire, suffisant à toutes les fatigues et rendant du cœur aux vétérans. Il me suffit de l'étudier, au dîner mangeant posément, avec cette belle humeur d'appétit qui décèle la vie profonde, parlant peu mais de cette voix pleine et qui commande, pour éprouver, à un degré sur- prenant, cette impression que j'étais devant une créature différente de moi, mais achevée dans son espèce. »

« De riionneur, du sang-froid et des muscles, dit le comte André, quand, avec cela, on aime bien la France, tout va. » Des muscles ! il pratique avec passion tous les exercices physiques, il a le culte de la force poussé h l'extrême comme un barbare, et barbare aussi sera-t-il quelque peu : « Celui-là je suis bien sûr de lavoir des- cendu moi-même... Vous ne connaissez pas cette sensa- tion-là d'avoir un ennemi au bout de son fusil, et de l'ajuster, et de le voir qui tombe, et de se dire : Un de moins, » Du sang-froid, il en a jusqu'à l'àpreté; il voit très nettement la lione de conduite à suivre, il a le sens impérieux du devoir ; il est froid comme une épée, il a l'insensibilité et la rigidité d'une arme passive, il est une arme que manient rHonneur, le Devoir, les grandes idées de vieille noblesse. L'honneur, c'est le « mot » qui guide toute sa conduite ; c'est à cause de l'honneur de la race

68 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

qu'il est entré clans l'armée, c'est par culte de l'honneur qu'il aime la guerre et la France, c'est parce qu'il est « afFamé d'honneur » qu'il n'hésitera pas longtemps h rejeter le poids qui oppresse sa conscience, c'est par devoir d'honneur qu'il parle et c'est pour l'honneur, plus que pour Injustice, qu'il « exécute » Greslou.

En dehors de cela rien ne compte pour lui : « I/ins- truction, pour moi, dit-il, ce n'est rien, pire que rien quelquefois, quand ça vous fausse les idées. La grande chose dans la vie, je devrais presque dire l'unique chose : c'est le caractère. » Par cela même, il n'est pas un être aussi bien équilibré que le croit M. Bourget, l'équilibre résultant de l'égalité des forces mentales et des physi- ques, de l'égalité de puissance du raisonnement et du caractère. Son « caractère », cultivé à l'excès, a une force irréfléchie d'élément déchaîné : il ne doute pas un instant de lui-même, il n'a pas de scrupules, il est persuadé suivre toujours le vrai chemin, il se constitue juge, il usurpe des fonctions. Comme tel, c'est un homme dange- reux qu'aveugle l'orgueil de la caste. « A l'heure présente, voyez-vous, dit-il, il n'y a en France pour un /lo/nme de notre nom qu'un métier, celui de soldat », il veut dire d'officier, le métier il puisse le plus aisément com- mander et donner libre jeu à l'orgueil de sa caste.

Le plus puissant des romanciers contemporains, J.-H. Rosny, a tracé dans la nouvelle du Serment, délicate et forte, une marquante figure d'officier en laquelle il fixe un moment son idéal du Héros moderne, sérieu.r, conscient de son rôle social et ferme devant la Destinée, idéal dont il poursuit l'incarnation en quelques-uns de ses plus divers romans.

Le capitaine d'artillerie Béthune a trente ans, une phy-

L OFFICIEK 69

sionomie rude, mais belle; une voix grave qui est comme le symbole musical de son àme austère, un masque puis- sant « aux lignes intellectuelles et fermes n : « l'énergie n'y emprunte d'ailleurs aucun caractère bestial, réfugiée aux parties hautes, au front, aux yeux, non dans la car- rure des mâchoires ». « Un corps solide, sans pesan- teur, d'une structure assez harmonieuse pour porter tous les costumes. »

Au seul portrait physique déjà vous reconnaissez la « forme » d'un type idéal. Béthune n'est pas un person- nage de roman réaliste, mais presque plutôt de roman symboliste. En lui Rosny personnifie, anime une vertu. On sait quel culte il a pour la belle force physique au ser- vice de la belle force morale (cf., outre ses romans préhis- toriques, la nouvelle typique : Le Champion). Il a allégo- risé en lui ce qu'il y a de beau et d'utile dans l'existence de l'armée', ce que peuvent engendrer de noble la vie des camps, les vertus du soldat, l'endurance, la disci- pline. Béthune est encore un philosophe du militarisme, un darwinien militaire. En Béthune Rosny étudie la forme particulière que le système philosophique prend dans un cerveau d'officier : « de sa croyance au combat pour vivre, un merveilleux instinct de travail lui était venu. De bonne heure, on le considérait un peu partout comme une des

1. A Béthune, fils de bourgeoisie épurée par la haute culture, s'oppose assez bien, dans le roman de Rosny, La Charpente^ œuvre de beauté pla- tonicienne et de force balzacienne, le piteux lieutenant de dragons de Béric, « nature décevante et misérable qui mariait des enthousiasmes délirants avec des vices singulièrement froids; plein, d'ailleurs, de convictions nourries à grand renfort de phrases creuses et d'hystérie sen- timentale, montrant une foi religieuse fanatique, il était d'une intransi- geance absolue sur les questions de noblesse ». Type le plus fréquent de l'officier aristocrate, trop souvent copié par les fils de la bourgeoisie parvenue, rejeton dégénéré de l'ancien soudard domestiqué par la société polie, et qui appartiennent à l'histoire des monstruosités sociales et à la physiologie pathologique.

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gloires probables de l'armée. Merveilleusement cloué il se donnait tout a sa carrière, » probablement sentant le besoin de l'unité de direction de la vie qui fait la force. Entrons dans le détail, recueillons les traits épars : « Rudesse lacédémonienne », « fond autoritaire », « inconscient dédain pour les facultés féminines », la féminité; il choque les jeunes filles mondaines en quête d'amant tendre et subtil, d'adolescence délicate et quasi impubère, il n'a rien du ce chevalier galant et fleuri, il ne leur semble pas qu'il « puisse posséder les qualités d'un être d'amour ». Il « semble prendre en pitié leur faiblesse physique et intellectuelle », seulement poli. « Ses poli- tesses, ses gracieusetés même deviennent une forme de tyrannie, une clémence de despote en belle humeur ». Il est orgueilleux de sa logique supérieure, de son aus- térité.

Ses propos :

Malheur aux races qui ne veillent, ni ne veulent.

Ses théories et sa ligne de conduite :

Il croyait à l'affaiblissement d'une patrie par l'exagération de l'amour. De bonne heure il s'était raidi, il s'était refusé les faciles succès du plastron, les séductions hypocrites. Confiné dans l.àpre travail du cerveau, on ne lui avait connu qu'une ou deux liaisons, brèves d'ailleurs, excusées par le fait qu'il n'avait mentir à per- sonne ni rompre aucune promesse. Toujours sa volonté avait dominé les circonstances.

Ses projets :

Les jours s'écoulaient dans une grande paix, un travail harmo- nique, une œuvre d'étude puissante et opiniâtre, le généralat à atteindre avant la cinquantaine. Il n'y avait pas de place pour les passions! La science et le positif en occupaient toutes les avenues. Non qu'il se refusât la famille ! Il se marierait certainement, il vou- lait donner des enfants à la France, tout comme il lui donnait son labeur.

L OFFICIER

Ses rapports avec ses hommes : « Il est si sérieux quand il a tait quelque chose, dit sou ordonnance, qu'on ne se permettrait pas d'avoir de la reconnaissance. » Mais de la plus généreuse obligeance, celle qui s'ignore.

Nous insistons : ce n'est pas un type observé, mais imaginé. Il n'est pas plus réel, quotidien, que l'ingénieur polytechnicien de M. G. Ohnet, mais il y a entre eux la différence qu'il y a entre la vie que, même dans ses heures de surproduction, crée le génie et une imagerie d'Epinal.

Plus idéal, plus imaginaire encore et néanmoins très intensément vivant est le héros des Corneilles, cette magistrale transposition du Roméo et Juliette dans le monde moderne. // est « très beau » et la vie entre toute pure dans « ses grands yeux celtes candides ». Pour la belle et éternelle idylle de nature que Rosny évoque après Shakespeare, il faut un être de robustesse puissante et d'infinie douceur. Et c'est pourquoi l'exquis sentimental nécessaire à la fabulation est en même temps un soldat. Il a la grande fraicheur d'àme primitive et la magnifique force physique que Rosny unit dans quelques-uns de ses préhistoriques. Et comme primitif il ne saurait choisir que le métier des armes, celui se peuvent le mieux dépenser au service d'une grande cause le courage et le dévouement.

C'est au lycée qu'il comprit sa Patrie, qu'il pleura le désastre de 1871, c'est qu'il entrevit, à travers son horreur de l'homicide, le devoir du Français défendant la civilisation. Il ne songeait qu'à son devoir, se montrait un grave, un austère serviteur de la Patrie. Son père lui allouait une pension royale et le jeune homme se sentait une honte de cette fortune imméritée, ne voulait pas la dépenser en plaisirs. Sans avoir encore toute la lucidité du juste, il en avait les principes au fond de sa haute nature. Il employa l'énorme revenu à faire du bien dans sa compagnie, augmentant le confort des soldats, procurant des professeurs et des livres aux studieux, offrant des primes à ceux qui trouvaient quelque menue

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amélioration dans l'exécution des travaux, enfin dépensant beau- coup d'argent en expériences mécaniques, chimiques, balistiques, dans le but d'ajouter quelque engin perfectionné à la richesse défen- sive de la France. Il fut de l'expédilion de Tunisie. C'est là, aux bivouacs, aux travaux difficiles, qu'il se montra admirable comme officier et comme homme, plein de pertinacilé, d ingéniosité et de cœur donnant son intelligence, ses bras et sa bourse à la patrie et aux soldats.

Nos romanciers réalistes et ceux d'observation pure ou encore d'information, amateurs de la notation brève et du petit lait, ont tracé quelc[ues vives silhouettes, quelques menus portraits bien campés en deux ou trois coups de plume. Ce ne sont pas ceux qui importent le moins; les personnages principaux, plus profondément fouillés, sont aussi moins impersonnels, déformés par l'action dont ils supportent tout le poids, la figure estampillée du cachet personnel de l'auteur; les personnages épisodiques au con- traire vivent pour ainsi dire d'une vie spontanée, ils ont jailli précipitamment de la mémoire avant que l'imagina- tion n'ait eu le temps de les embellir, les léchant et les « repolissant » sans cesse avec trop de complaisance : ils échappent au parti pris optimiste ou pessimiste de l'écrivain.

Quel officier ressemble moins en effet à ceux qu'entre deux articles protecteurs de INI. Quesnay de Beaurepaire exalta confusément hier M. Jules Lemaître, que celui à qui, dans sa nouvelle de L'Aînée, la sagacité s'aiguise de l'ironisme le plus ému, il donne le rôle symbolique de séducteur, le seul véritable rôle se soient encore complu les petits bourgeois frais galonnés de Saint-Cyr. Relisez la nouvelle et la pièce qui en fut tirée, et vous verrez quels étaient alors le sentiment de M. Lemaitre sur la moyenne de nos jeunes officiers et le rôle social qu'il

L OFFICIER 73

leur attribue comme habituel. Voyez même, pour plus d'édification, ce passage d'un sien article de la lievue des Deux Mondes qui ne date pas davantage d'avant le 1^'' mai 1898. « A ce moment critique, dit-il en substance et en forme, se présente un lieutenant de hussards, neveu de Dursay, et qui n'a d'autre caractère que à' être lieutenant de hussards, car c'est tout ce qu'il fallait ici. Le bel officier propose h Lia un tour de valse. »

M. Henrv Bérenoer a buriné avec force, dans son

I/O '

remarquable roman de mœurs politiques, La Proie, un des plus solides de ce temps, le caractère de Varnottes, en lequel il a voulu représenter les jeunes fonctionnaires arrivistes frais émoulus des Ecoles militaires :

Lieutenant de dragons et vicomte, il monte bien à cheval et descend du xv" siècle. En dehors de cela il n'est qu'un « grand serin «. « L'autre jour, dit Marcelle Guermanles, la « créature d'élite » du roman, on faisait devant lui un bel éloge de Vlntelligence de Taine. Il a pris un air ahuri, et il m'a dit qu'il déjeunait souvent chez la baronne de Taisne, mais qu'il ne savait pas qu'un de ses parents s'occupât de philosophie.... Qu'est-ce qu'il recherche en moi, dit- elle encore, le million de ma dot, l'héritage à venir et peut- être le piston de papa auprès du ministre de la Guerre? Ses 15 000 francs de rente en terres lui semblent maigres; il voudrait avoir des chevaux, des écuries, conduire à quatre, devenir tôt capi- taine, commandant, et je signifie tout cela pour lui. »

A côté de l'arriviste « l'histoire contemporaine » pré- sente assez fréquemment, pour contraste parfait, l'ama- teur de décadence, aussi désintéressé et inconsistant que l'autre est net et positif :

« J'ai, dit M. Roux, un capitaine tout jeune qui observe la plus exquise politesse. C'est un esthète, un rose-croix. Il peint des vierges et des anges très pâles dans des ciels roses et verts. C'est moi qui fais les légendes de ses tableaux. Il est charmant. Il s'ap- pelle Marcel de Légère et il expose à l'Œuvre sous le pseudonyme de Cvne.

74 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

«... Uu Saint-Georges. Il se fait une idée mystique du métier militaire. Il dit que c'est un état idéal. On va, sans voir, au but inconnu. On s'achemine, pieux, chaste et grave, vers des dévoue- ments mystérieux et nécessaires. Il est exquis. Je lui apprends le vers libre et la prose rythmée. Il commence à faire des proses sur l'armée. Il est heureux, il est tranquille, il est doux. Une seule chose le désole, c'est le drapeau. Il trouve que le bleu, le blanc et le rouge en sont d'une violence inique. Il voudrait un drapeau rose ou lilas. Il a des rêves de bannières célestes. «Encore, dit-il avec mélancolie, « si les trois couleurs partaient de la hampe, comme trois flammes « d'oriflamme, ce serait supportable. Mais leur disposition perpen- « diculaire coupe les plis flottants avec une obscurité cruelle ». Il souffre, mais il est patient et courageux. Je vous répète que c'est un Saint -Georges. »

{Le mannequin d osier.)

Vous rencontrerez clans Paul Hervieu', et quelques autres jeunes maîtres contemporains des silhouettes fuyantes d'officiers qui se ramènent tous au moins à deux types : le fendard et le galantin. Prou d'intellectuel. De même chez iNIaupassant, qui en avait beaucoup connu, à côté du capitaine Marret, « un des plus vieux africains de l'armée, un officier de fortune, ancien spahi arrivé à coups de sabre », celui qui proclame dans \vetle :

« Mais je ne suis pas le seul, non vraiment ; toute l'armée fran- çaise est comme moi, je vous le jure. Depuis le pioupiou jusqu'aux généraux nous allons de l'avant et jusqu'au bout, quand il s'agit d'une femme, d'une jolie femiue. »

1. Dans L'Armature, un bel arriviste de race.

III

LES SPECIALISTES

L'impression générale que devraient laisser ces petits portraits est celle de la médiocrité du caractère et de la place de lofficier dans la société moderne. Quelle place prend-il dans la littérature des siècles?

Ayant figuré au premier rang des épopées guerrières des races [Iliade, Chanson de Roland^), il s'y maintient à l'époque de la féodalité triomphante le seigneur, riche, est à la fois un militaire. Aux siècles intervient la renaissance des lettres et des arts, son prestige baisse sensiblement devant celui des savants : on conçoit la noblesse dans d'autres fonctions. Aux àoes civilisés des Cours, c'est le courtisan, produit d'intellectualité et de salon, qui fait oublier le militaire en province; et c'est presque plutôt par le goût des fastes belliqueux de l'an- tiquité qu.'on célèbre les grands capitaines : même Racine ne voit-il surtout en Achille qu'un amoureux. Les cam- pagnes malheureuses, le luxe et la frivolité des officiers, au xviii*^ siècle, attirent sur l'armée le même ridicule

1. Noter que c'est bien l'officier, si l'on peut dire, et non le soldat, qui s'illustre dans ces épopées, écrites par des aèdes ou trouvères de sociétés aristocratisées, tandis que dans les légendes d'un Coclès ou d'un Grand Ferré c'est le plus souvent le soldat qui accomplit les exploits.

76 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

galant que sur le clergé. La grandeur des guerres de la Révolution, elle se bat au service d'une idée, relève dans l'opinion ceux qui la conduisent; mais les conquêtes napoléoniennes, exagérant trop brutalement l'importance de l'armée dont on subit la supériorité et la morgue d'un fonctionnarisme onéreux, déterminent une réaction, et le jugement qu'on porta sur l'officier se confondit avec celui que méritèrent le rôle néfaste et le caractère aventurier de 'Napoléon. La guerre de 1870 accusa cette tendance amère de l'esprit public à la critique et au contrôle.

Ce qui la rend de plus en plus précise, c'est d'une part le désir de la paix universelle qui induira à vouloir utiliser l'officier, instrument de guerre, comme un éducateur, instrument de paix, d'autre part l'initiation de tous les citoyens, de la nation entière aux difficultés, responsabi- lités et secrets du métier des armes; du jour le service a été rendu obligatoire, ce ne sont plus seulement des illettrés qui servent, tous les esprits critiques eux- mêmes et notamment les littérateurs ont passer par le régiment, le contrôle n'est plus resté une cbarge profes- sionnelle mais est devenu une chose publique et dont chacun pouvait constater la sincérité et l'exactitude ; il est devenu pénétrant et minutieux, avec la force d'une reven- dication civique.

Le service obligatoire ayant h peu près concordé avec l'instauration du vrai suffrage universel, les facultés cri- tiques qui s'éveillent en tout électeur ont appris à s'exercer sur le pouvoir militaire en même temps que sur le pouvoir civil. Chacun, ayant été soldat, est un peu un spécialiste; et il faut donc accorder une autorité et une attention particulières aux romans des spécialistes, de ceux qui, ayant été des soldats d'un certain rang intel- lectuel ou même, pour la plupart, des officiers, ont pu

L OFFICIER 77

peindre leurs camarades avec une minutie attentive, sévère ou afFectucuse. et que les questions de métier elles-mêmes intéressaient.

On verra que c'est naturellement chez ceux-là que l'officier commence h prendre dans la littérature en même temps que dans la société une place plus impor- tante et plus grave : moins particulière, moins brillam- ment anecdotique et superficielle, moins décorative et plus active, plus profonde et simple, moins détachée, reliée davantage aux diverses sortes d'activit*.^ de la vie, plus humaine.

Nous en isolerons d'abord M. Richard O'Monroy, une sorte de Gyp militaire, dont le rire aurait quelque peu grossi au milieu des camps, et M. René Maizeroy, dont le vaudevillisme erotique se relève parfois d'observation juste, car ils n'ont jamais vu dans l'observation qu'un moyen de nourrir et d'élargir copieusement la fantaisie. De même il convient de ne pas insister ici sur l'œuvre de M. Pierre Loti, capitaine de frégate Julien Viaud, dont le caractère est trop franchement autobiographique. Celle d'Henri Rivière est bien terne, et il ne serait pas décent même de rapprocher des noms qui précèdent ou suivront celui de M. Pierre Maël. Nous en finirons en même temps avec les autres écrivains exotiques, la littérature militaire exotique n'ayant encore eu le temps de fournir un type d'officier profondément étudié dans la nouveauté de son rôle colonial.

M. Pierre Mille, qui a ouvert sur le monde malgache des yeux peut-être trop naïvement curieux d'Européen dépaysé, déroule en une série de petits tableaux plus ou moins bien reliés, mais très frais, et d'un exotisme qui sait ne pas être criard, la vie de l'officier colonial voya- geant en pays ennemis et inconnus, dont le charme

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étrange se pimente pour lui de l'obligation d'être toujours sur la défensive. Vie aussi de douceur amollie, et de tendre curiosité amoureuse pour les petites indigènes d'originalité exquise, « presque animaux qui caressent, aiment, parlent » et qu'il finit par aimer naturellement dans cette « relative solitude » qui le fait « très simple ».

« Une volupté lente, indéterminée, savante et d'un rythme inconnu », voilà pour distraire la moitié nerveuse de leur vie; l'autre moitié, c'est l'action courageuse et persévérante, les raids, les trottes par les bois sombres et traîtres, souvent seul avec cjuelques miliciens peu sûrs, sans camarade européen. C'est alors qu'on sent la force cachée de la fraternité qui unit entre eux les officiers de même race : quand, dans Ramanj et Kètaka, Galliac quitte son compagnon pour une croisière d'une quinzaine de jours dans le Sud, celui-ci sent le cœur qui se serre. Mais

« le cœur qui se serre, l'ennui douloureux de celui qui reste, est-ce que cela se dit? Ah! que je 1 aimais pourtant, et comme il m'aimait! Mais l'avouer, mais l'embrasser quA.nd ou vieillit, quand on a la peau durcie par le soleil de là-bas, et des lèvres viriles qui trembleraient dans un sanglot, si l'on tentait de leur faire dire la tristesse de l'abandon? Non : Adieu, tu m'écriras? Crois pas. Alors adieu?

Adieu. »

Poignantes émotions qui secouent la douceur du far- niente, et aussi apreté des heures de lutte héroïque, souvent suprême, angoisses et tortures de la fin cruelle, haché et brûlé dans quelque case.

11 serait injuste d'oublier M. Vigne d'Octon qui, avec une préoccupation de la vérité qu'outrepassait la fantaisie poétique de iNl. Pierre Loti, a bien dit la vie monotone des officiers au Sénégal, leurs amours épuisées sous un ciel épuisant, et les très curieuses pages de Paul Bonnetain

L OFFICIER 79

sur cet Extrême-Orient, terre d'opium et de fièvre, s'anémièrent tant d'intellioences cultivées.

o

Marcel Prévost, sorti dans les premiers de l'École polv- technique, choisit les Tabacs, mais il avait vécu deux ans avec nombre de nos plus « brillants » officiers auxquels le rattachent les liens de cette étroite camaraderie si célèbre. Il a gardé, dépouillé de toute naïveté, l'orgueil d'avoir passé par ces X que nous envient, dit-on, les Deux- Mondes'. Aussi considère-t-il tous les polytechniciens comme très intelligents et de science profonde et étendue, et leur fait-il provoquer l'admiration, d'ordinaire très mesurée, du philosophe Jaufre [Madetiioiselle Jaiifre). Le capitaine d'artillerie Giacometti, « en dehors de ses études spéciales et de son service, est parvenu a se tenir au courant du mouvement philosophique contemporain », c'est un homme de science pure, ou mieux de sciences pures , aussi dénué de scrupules moraux que Robert Greslou, qu'il est très intéressant d'opposer comme tvpe d'officier moderne, d'officiers mathématiciens au comte André. Ce produit mathématique de l'École polytech- nique tient peut-être plus encore de Julien Sorel qui, de nos jours, eût été officier, prétorien : c'est essentiel- lement un expérimentateur, il veut avant tout exercer sa volonté, éprouver sa maîtrise, son sang-froid (notam- ment quand il presse, la nuit, dans le jardin, la taille de Camille tout en poursuivant avec M. Jaufre une discussion sur la certitude), il veut étudier quel empire peuvent avoir sur la faiblesse féminine « sa tète de Manfred à moustaches et h cheveux noirs, ses yeux bruns très bril- lants »,... son visage énergique, vrai masque de consul

1. M. Jules Lemaitre a écrit conti-e l'Ecole polytechnique des articles remarquables qu'on ne doit cesser de rappeler à tous.

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comme on en voit sur les médailles », l'énergie militaire de sa taille souplement robuste, de son parler bref a net comme un commandement d'armes », de son ton qui trahit la certitude d'être obéi ». « Il semble jouer avec les nerfs de Camille et prendre plaisir h exaspérer chez elle le vertige du danger » : bref une expérimentation psycho- physiologique dirigée avec une calme précision scienti- fique. Giacometti est un très curieux spécimen des êtres amoraux que produit logiquement l'éducation donnée dans nos grandes Ecoles, desservies par les institutions religieuses de préparation.

L'École de Fontainebleau n'est guère une meilleure maison d'éducation sociale : dans Les Bleaux, le regard clair et net de Michel Corday éveille la vie de potaches à galons des sous-lieutenants de l'Ecole d'application de Fontainebleau, vie de sports élégants et d'exercices stupi- dement monotones, de paresse routinière et d'aimable bidonnage en compagnie. Les deux personnages princi- paux, les binômes Tramontel et Verdelin, opposent en une antithèse peut-être moins artificielle qu'elle ne le parait d'abord, l'un une conscience passionnée travaillant une figure au teint pâle des « yeux mordorés qui semblent brûler les paupières bistrées paraissent témoi- gner de l'ardeur de sa nature », l'autre un tempérament de sentimentalité poétique, visible dans le regarçl bleu un peu voilé et égayée seulement de clairvovance malicieuse. Bien vivants sont dès les premières pages les deux Bleaux, un peu gauchement dessinés par endroits, mais si sim- plement vrais, si francs, si réels, moins observés et fouillés que vécus intimement au jour le jour d'une fréquentation quotidienne. C'est de la précieuse « information » pour employer le mot même de la préface à Paul Margueritte, celle qui résulte de la notation à l'heure l'heure sans

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arrière-pensée, au fur et à mesure des impressions.

Tramontel est « le laboureur-soldat,- le gentleman- farmer en dolnian ». « Droit comme un eucalyptus de sou Esterel, il passe d'institution en institution, du lycée aux écoles et des écoles au mariage ; » il est déjà fiancé, il turbine ferme pour bâter son mariage; Verdelin est le faubourien de vie mêlée et énigmatique, un peu désor- donné. Mais cbez l'un et l'autre même inconscience de jeunesse iolle qui s'accuse dès la première scène, cette course avant l'heure vers Paris, sous les projectiles de l'exercice qu'ils désertent, au fi de la mort et de la discipline; même bonté naturelle, même franchise de caractère, même ingénuité enfantine, saupoudrée d'esprit un peu trop facile.

L'auteur a évidemment voulu mettre en scène des personnages sympathiques, et ce parti pris d'observation bienveillante ne fait que mieux ressortir la stupidité de l'existence banale et étroite l'on réoularise au rouleau de l'ennui et du surmenage les jeunes individualités, où, la mémoire « gavée d'un fatras d'abstractions inutiles », « on se laisse pénétrer par le lourd sentiment d autorité » qui pèse sur le logis banal comme sur des chambres de filles. L'habitude de l'obéissance « passive » et irréfléchie endort les esprits que seules les rivalités de corps réveil- lent, qu'aiguillonne le mépris de l'artillerie pour le génie, (c les sapeurs », « qu'égaie le choix des uniformes, des belles bottes de cheval éperonnées qui exalte les ambitions naissantes, si bien qu'on se figure alors être pour le sabre, « pareils a ces excellents époux mariés par des tiers eu trois semaines et qui se persuadent en moins de temps encore qu'ils ont fait un mariage d'amour ». Deux parts : l'une, celle des heures de récréa- tion et de permission c'est la démangeaison perpé- tuelle d'enfantillages et de turbulences tels que décro-

M.-A. Lebloxp. 6

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chages d'enseignes la nuit, tapage pour réveiller les marchands accagnardés au lit, plaisirs variés de noce et de galanterie séductrice, orgies à Fontainebleau sous le couvert des vêtements civils, débauchage des jeunes blanchisseuses, des filles de logeurs, des petites mar- chandes que leur commerce met eu contact avec les sous- lieutenants... « Elles montent, bavardent, s'attardent et, peu après, se marient ailleurs, avec des bosquets de fleurs dorangers sur la tète... Les parents ignorent ou sont fiers d'une telle parenté de la main gauche. Les officiers sont très recherchés dans les familles : c'est une façon de patriotisme » ; l'autre part, celle des heures de travail, « travail oiseux » : pages apprises par cœur et oubliées le lendemain de l'examen, consignes idiotes pour des riens, arrêts immérités que leur motif ridicule sauve seul d'être odieux » : quatre jours pour bailler, pour un bouton échappé à une boutonnière de dolman, pour un gant incomplètement boutonné; dévouement à des tâches qui en sont très souvent « indignes ».

(( Oui, mon capitaine », cela vous tient lieu de point de direction dans la vie, dit Yerdelin, de morale, de tout ; avec ces trois mots-là on peut faire de vous un héros ou un imbécile. »

Et, comme ce sont les guerres seules qui donnent l'occa- sion d'être un héros et qu'elles sont rares... c'est la servi- lité dorée du fonctionnarisme : « La plupart ont choisi le métier pour son éclat honorable, son attrait et sa sécurité de carrière d'état. » S'il est vrai que « tous débordent de bonne volonté, de dévouement, d'abnégation », ils sont « contraints de les dépenser en des besognes qui ne méritent point tant de hautes qualités, en des soucis d'avancement, de hiérarchie, qui les déforment plutôt, telle une machine qui marche à vide ».

L OFFICIER 83

« Sous ce régime, dit encore Verdelin, le sentiment de la respon- sabilité s'atrophie : sous prétexte de nous briser, on le brise dans l'œuf... L'immense, la prodigieuse bonne volonté que je sens en nous, au lieu d'être canalisée adroitement, déborde, s'étale, se perd en inondations stériles. »

Que diable alors sont-ils allés faire en cette galère capitane? « Quand on choisit un métier, dit quelque part Verdelin, quand renchaînement des hasards amène à prononcer ce vœu si grave, on ignore absolument l'enga- gement qu'on prend. » Les premiers jours on est étourdi, aveuglé par la joie de porter l'uniforme.

Les uns se cambrent dans leur brillante tenue d'artilleurs : c'est leur premier uniforme d'ofilcier^, et ne le reconnaît-on pas à leur unique galon qu'on le devinerait à la na'ive recherche de leur dolman haut de col et mince de taille, au geste amoureux de leur main sur le pommeau de leur sabre de cavalerie, à toute la joie qui paraît au travers de leur masque de gravité.

Puis, petit h petit s'éclaircit la vue, se fait nette la vision de la réalité mesquine. Et il n'y a pas d'autre moven de se consoler que par l'abêtissement, il faut se taire : « Si quelqu'un dit tout haut ce que tous pensent tout bas, il est suspect, il est mal noté » : de ses cama- rades comme de ses chefs.

Et quels exemples pour se réconforter! Voyez les vieux : le capitaine iNIorgue, « froid h faire pâlir de rage un glacier », le capitaine Juvert :

« Aigri par une ambition que ses états de service n'avaient point assouvie, on eût dit que chaque nomination, chaque décoration d'un camarade rayait sa figure, prématurément fanée, d'une petite ride.

1. Voir aussi La Confession d'un enfant du siège qui, polytechnicien, se résigne à servir dans l'armée, ayant eu un mauvais numéro. Il n'a guère de souci que du mariage riche et de la dorure des galons. « Le cheval va devenir sou unique orgueil )>. Ame médiocre et lasse de sa médiocrité, il n'a de goût pour rien, réduit à une sorte d'automatisme d'appareil.

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Fort duiie intelligeuce qui fut belle, il ne la sentait pas décomposée par cette espèce de fermentation acide. Et toute sa bile coulait sur les élèves. Sa susceptibilité maladive s'effarait d'un souffle et le cherchait pourtant. Familier avec les sous-lieutenants, il s'irritait soudain quand leur ton s'inspirait du sien, et sa réplique, lancée à voix d'acteur, lui valait quelques rires courtisanesques, qui trom- paient, sans l'assouvir, sa soif inextinguible de notoriété et de succès. La scène se terminait par quelque âpre observation sur le dessin en cours, le conseil affectueux de se faire maçon, et de bonnes séances supplémentaires qui avaient lieu le dimanche. »

Éducation de vieille routine, surmenage stérile, rien de plus : « S'intéresser aux /lom/nes, c'est un point de vue auquel, à Fontainebleau, on ne vous tourne pas l'esprit »... On n'y voit d'ailleurs jamais « le bout de nez d'un soldat ».

Ces polytechniciens, Bleaux ou Saint-Cvriens, il faut les voir maintenant a larmée. Ils y forment, selon M. Lucien Descaves,

deux catégories : ceux qu'on nomme Père un Tel et ceux qu'on nomme un Tel tout court. C'est un Tel tout court quand l'officier est une rosse. Et dans l'application ronde, au contraire, dans la filiale confiance de cette parenté imaginaire, il y a tout le soldat, ne demandant pas mieux que de croire à cette famille vantée, à ce grou- pement autour du chef, à cette hiérarchie dans la tendresse qui ferait du colonel une sorte d'aïeul respecté, galonné d'indulgence et chamarré de sollicitude.

Le père Montereau,

est un petit homme d'une quarantaine d'années, 1 air bon. brave et bête. Sorti des rangs, sergent-major en 1870, sous-lieutcuant de 71 à 75, en Afrique il avait encore « fait colonne » en 1881 et 82, comme lieutenant, le capitaine Montereau tirait le sobriquet de l'Arhi, que lui décernèrent immédiatement les soldats, du goût maniaque qu'il avait gardé pour les choses d'Algérie. Comme il était poli, n'entrait jamais sans frapper dans une chambre de sous-ofli- ciers et s'excusait quand il réveillait le sergent le matin, il eut la

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coutlance des cadres pour la considération qu'il leur témoignait. Il ne savait rien de la comptabilité, signait la feuille de prêt sans la vérifier, se faisait lire la décision, expliquer les ordres, puis s'en allait « visiter les chambres ». Il quittait rarement le quartier avant d'avoir trouvé une oreille verser un souvenir d'Afrique.

Ignorant et paterne, au demeurant, il avait le plomb du métier dans la cervelle et se regardait dans le soldat sans colère, plutôt avec plaisir môme, au rebours de nombreux parvenus militaires que ce constant rappel d'origine exaspère.

Il a d autant plus de plaisir à se i'e£rarder dans le soldat, dans son sergent notamment, qu'il lui aI)andonne tout le travail,

tenu d ailleurs en haute estime par son commandant de compagnie dont il était le secrétaire infiniment précieux. 11 arrivait, en effet, que Montereau fût obligé d établir, personnellement, un rapport. Il s'asseyait en face du fourrier, son sabre entre les jambes, les yeux au plafond, l'inspiration rétive; puis tout à coup : « Tenez, dictez- moi donc... J'irai plus vite. » De temps en temps, il s'arrêtait, s'ébrouait devant un mot :

« Un ;•, deux p, hein? Pardon, mon capitaine : un p et deux ;•.

C'est bien ce que je pensais; merci. Continuez '. »

Son prédécesseur, le capitaine Kiihn, (?tait au contraire sec et bilieux. M. Descaves nous en a accompli le plus achevé portrait de oenre :

Jeune (il avait trente-deux ans), grand et mince, avec une petite tète de reptile économiquement vrillée sous le front, sorti de Saint- Cyr avec le n'^ 2, ancien officier d'ordonnance, le capitaine, sans déprécier la méthode de Schnetzer, procédait différemment. celui-ci, ignare et massif, allongeait le muffle; déculottait le soldat pour mettre le nez dans ses douhlures, Kuhn affectait un outrecui- dant dédain, et, quand il avait fortuitement effleuré un homme de sa compagnie, se faisait apporter une cuvette pour s'y tremper les doigts. Il parlait de haut, de loin, ne descendait jusqu'aux sous- officiers que pour les punir, le foie malade. Une faute, la défail-

1. M. Georges Darien, dans son remarquable Blribi. rappelle M. Huys- mans par son réalisme pittoresque et les vigoureuses qualités du récit.

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lance physique ou morale du soldat le trouvaient également inflé- chissable, prêt à des comparaisons d le Français sortait amoindri, inférieur, plat et méprisable comme rien du tout.

« Ah! nous irions loin avec vous!... quelle engeance! Vous mar- cherez ou vous crèverez, je vous briserai »,..

Et il les brisait, ainsi que des bottes neuves. Toutes y passaient, la botte de fatigue, sans talon et grossière, qui était le pioupiou, et la botte de parade, représentée par les lieutenants eux-mêmes, noa exempts d'avanies et détestant Kiilin dans les parlotes de mess sans toutefois aller, comme les soldats, à s'écrier : « Toi, si l'on entrait eu campagne demain et que tu tiennes à la peau de ton dos, tu pour- rais demander ton changement de corps. »

On ne peut que citer la page suivante s'agite tout le corps des officiers, au complet, clans le mouvement pitto- resque et une belle couleur vigoureuse de panneau déco- ratif :

« Bidel, le petit lieutenant-colonel et son inséparable cravaclie ; un air d'entrer dans la cage du régiment pour y dompter de féroces édentés rogneux, blasés sur les coups de botte ; le major, monté en épingle de cravate; M. le médecin-major de 1''° classe, lequel a la tête des cadavres qu'il a faits, blafard et 1 œil de merlan; le capitaine-trésorier, épais, inquiet, dépaysé, comme sous un dégui- sement : 20 kilos dans le fond de sa culotte; Vert-de-Gris, le capitaine d'habillement, sur la lamentable épée de qui semblent être tracées les divisions du double-mètre, habituellement brandi; Angelini, le chef de musique, long et pensif, portant dans son vaste front, toujours pensif, le génie du pas redoublé et du solo de clari- nette... De ci, de là, dans les com^Dagnies, maintenant, la bonne figuie d'un père de famille bourgeoisant sous le dolman et la visière du képi en abat-jour, en pensant : « Mon Dieu! si c'était fini! » Les trente ans de service de Chapelin allant directement au soldat et l'interpellant : « Relève ton pantalon »; un vieux capitaine gourmandant son caporal d'ordinaire avec une ingéniosité d'épicier avise; jjuis, en face de ces épaves de 70, la jeune armée, les pro- duits, apparemment dissemblables, de Saint-Cyr et de Saint-Maixent, l'officier sorti du rang, se targuant, vis-à-vis du soldat, d'une rou- blardise acquise dans la pratique du métier et s'abaissaut à des constatations qui révèlent moins d'une capacité que d'une origine ; Saint-Cyr suppléant par une raideur élégante et dégoûtée à l'expé-

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rience qui lui fait défaut et Saint-Maixent af(irmaut la sienne en de tatillonnes persécutions ; Saint-Cyr, riche et frais émoulu, prome- nant un index méprisant sur l'équipement inspecté; Saint-Maixent, pauvre et vexé, plongeant brutalement la main dans le sac pour en inventorier l'ordonnance, des cartouches à la brosse en graisse '... y

Humbles, cuistres et prétentieux, vous les retrouvez en la même proportion clans les romans de jNI. Abel Hermant. Y voici les humilies, tels que le père Miserey, sous-lieutenant démissionné qui a compris que « sa place n'était pas marquée dans ce brillant corps » des officiers modernes, tous titrés ou riches, d'une autre classe ou d'une autre éducation que la sienne, et qui conserve seulement une religion attendrie pour le métier militaire. Ils sont peu nombreux; la majorité est composée des offi- ciers sortis des écoles et vaniteux de leur science encore indigérée ou de ceux qui sont nés des rangs, dont la vie de soldat a durci le cœur et raccorni l'esprit et qui ne songent plus qu'à punir comme ils ont été punis, bestia- lement farouches. Abel Hermant en fait grouiller tout un tas, bien vrais, bien divers, en de multiples fresques animées et pittoresc^ues, mouvementées comme des Yernets. On a parlé de charge, de caricature : oh! rien pourtant des plantureuses bouffonneries de Charles Leroy, mais bien plutôt quelque chose de très nettement perçu,

1. M. Marcel Luguet présente avec Elève-Martyi- une étude parfois un peu terne, mais consciencieuse, minutieuse, exacte.... Très observé est le lieutenant de la mairie, « indifférent pour le service, dur avec les hommes, haut et très cassant dans sa placidité, disant les choses les plus pénibles et faisant les reproches les plus graves d'un ton tranquille ou jDlutôt dég-oùté, excédé ». <( Pour le lieutenant Pichard l'esprit et la lettre ne font qu'un : Il ne fait pas de zèle pour ne pas se rompre et croit avec sagesse que la médiocrité est nécessaire. « D'automatisme ponctuel », « de fidélité mécanique », il estime que son métier est par-dessus tout ordinaire. » « Routine intelligente prête à céder quand cela est néces- saire. ■> Tout ceci très finement vu, très sagace.

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finement observé, et chalenieuscment rendu^ vu et « exé- cuté » par un ti'ès honorable disciple de Flaubert.

A côté de Virey, le parfait gentilhomme qui salue avec affectation de politesse et que raidit une éternelle correc- tion, passe le capitaine de Chassanl-Thléry, a petit pète- sec )) qui ne rend jamais le salut. Le capitaine Pimard de Joyeuse est un jockey vieilli, toujours collé au cheval, si bien au courant du service qu'il demande chaque fois qu'il entre au quartier : « Ahé... ahé... ahé... est... est... mon escadron? )> Et la même phrase sert de leit- motiv peu harmonieux mais parfaitement harmonique à cette vieille existence éculée qui traîne encore derrière soi un vieux collage héroïque avec Mme Blanche Potonié, sorte d'Emma Bovary pour caserne, bêtasse, filasse et fillasse. De même, le capitaine Weber promène jour et nuit lànon- nement de sa voix pleurarde; un éternel « c'est embê- tant ! » sert de ponctuation à ses jérémiades. Procédé à la Zola, dira-t-on ? Qu'importe ! il n'est point si factice : la vie, qui répète sans cesse, crée aussi bien des êtres dont les neuf dixièmes de l'existence sont la monotone répétition du premier.

Le capitaine Ratelot est bête comme une oie éternel- lement effarouchée, mais au moins c'est un brave bougre, tandis que le capitaine Grapote est « méchant à froid » et allonge h tout bout de champ huit jours de consigne sans plus de raison : ainsi au brigadier Fandemer, parce qu'en balavant la cour, les hommes n'ont pas séparé les cailloux ronds des cailloux pointus. Coudougnan, que ses camarades ont surnommé Perrucador, « veut surtout épater les gens, et, pour cela, il leur assène des punitions que ses discours abracadabrants, semés de citations latines, n'égayaient pas toujours assez : ce fumiste devenait terrible à ses heures ». Gresset est un officier brutal qui

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abuse de son autorité pour exiger des bleus un effort au- dessus de leur faiblesse et les harceler de petites punitions bêtes, et qua.nd il recherche la compagnie de ses infé- rieurs, c'est pour dénigrer ses égaux. Il a l'esprit faux et pointu et tout juste bon h malmener des populations vain- cues, ne songe qu'à invectiver l'existence stupide de l'offi- cier en temps de paix, « l'abrutissement des garnisons ». Ségalas va jusqu'à donner des coups de trique à son ordonnance.

Nul parti pris pourtant de pousser le tableau au noir; cette vision triste est bien exacte. On sait plutôt de quelle affection profonde et intelligente M. Hermant aima le régiment et le soldat, pauvre être à demi conscient que cahote et affole cette vie d'anarchie fouettée de despo- tisme.

D'ailleurs voici de braves gens, Grand Cyr,

un géant mou, voûté comme un singe, tout étonné ce jour-là de se trouver au régiment, il paraissait de loin, faisant annoncer chaque fois son retour dans les « déplacements et villégiatures » du Figaro, plus étonné encore de se sentir à cheval... y étant comme un singe sur le dos d'un cochon et mettant pied à terre sans attendre le commandement,

et ma foi aussi le baron Ancelis de Cheradame, qui n'est que ridicule :

Un officier de Crafty ou de Robida, prodigieux de chic, avec un monocle vissé dans la visière de son képi. Il arrivait au galop ras- semblé sur un cheval encapuchonné comme un cheval de cirque, son gros corps balancé gracieusement et essuyant la selle, les coudes très écartés.

Il en est même d'excellents auprès desquels Abel Her- mant s'attarde complaisamment : Mangenay-Joyeuse, capi- taine-instructeur qui se met au niveau des hommes, les fait rire et les emballe d'un seul mot, et surtout le sous-

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lieutenant Maurice Swift, « le petit Maurice », qui fait des compliments à Miserey: ^'à douceur de sa parole et de son sourire aflPable, font naître tout à coup en !Miserey une amitié naïve et passionnée; Swift est un petit sous-lieute- nant débarqué de Saumur l'année dernière, très noceur et très pioclieur, ayant encore des fougues de gaieté, de tra- vail et d'ambition.

Pour les hommes, c'est « l'officier gentil », le supérieur plus que poli, qui rend toujours le salut avec un sourire, qui ne refuse jamais une permission, qui a une façon charmante de vous dire, avec son fausset féminin et enroué : « Vous êtes un rossard ! » L'autorité de son commandement, pleine de modération et de tact, vous tenait et vous mettait à votre aise, comme la finesse de sa main mettait à son aise la jument Hallebarde.

Swift est camarade avec ses hommes; à la' promenade,

il s'amuse à les voir se griser de campagne et de grand air, comme une bande d'ouvriers lâchés tout un dimanche dans les ban- lieues. Un jour, de sa voix douce, il fait quelque compliment à Miserey et, de ce jour, l'existence de INIiserey eut un intérêt, un charme. Ses journées se remplirent et s'abrégèrent. Ses yeux allaient vers Swift invinciblement. Il devinait l'entrée du sous-lieutenant dans la cour et se retournait pour le voir. Il s arrangeait pour le rencontrer et pour avoir quelque chose à lui dire, se trouvait tou- jours dans ses jambes comme un chien qui vient se frotter à vous. Il ne le saluait pas comme les autres, il y mettait une correction particulière, et en même temps tout ce que la raideur militaire peut autoriser d'abandon. Dès que Swift surveillait les classes, sa posi- tion devenait irréprochable, ses mouvements précis; et il manœu- vrait sans une faute malgré l'intolérable ennui du travail à pied.

Cela n'est-il pas du plus charmant idyllique? On n'en a pas moins vivement reproché à Abel Hermant d'avoir fait une satire injustement méchante'.

1. Rien peut-être ne saurait mieux accréditer la justesse d'observation de M. Hcrmanl que la lecture du Canon de M. Jules Perrin. On gagerait que les deux auteurs ont rencontré et portraicturé les mêmes originaux. Comparez donc au petit Swift le lieutenant Gaine, délicat et gracieux

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A la vérité !MM. Paul et Victor Margueritte, dont on n'a cependant jamais pour cela suspecté le patriotisme, ne se montrent pas beaucoup plus débonnairement indulgents. Dans La Force des Choses, de Paul Margueritte, s'accuse « l'égoïsme lourd » d'Henri Morlet, « militaire correct et médiocre comme on en a tant connus au régiment )>, bète et prétentieusement spirituel, par-dessus le marché ingrat, sans plus de cœur que d'esprit. C'est un bellâtre hypocrite. Il se tortille tout le temps les moustaches, « il passe sa main sur son dolman comme les femmes qui assurent leur corset ». Pour faire sa cour au général, il en accompagne tous les dimanches la femme et la fille h la messe et « fait ses Pâques ostensiblement ».

Tel autre. Desportes, est « un petit homme résolu, ambi- tieux et prudent, très dévot, à l'œil de Normand madré ». « Il a ce grand mérite : de plaire; il fait la conquête du général, si difficile à contenter, de sa femme. » 11 est

comme lui, stick et monocle, essayant en vain de « hausser jusqu'à la brutalité et la correction de l'officier ses manières timides de mathéma- ticien devenu soldat par le hasard des classements de l'Ecole polytech- nique ». Le capitaine Chéri fait plutôt penser à ceux de M. Descaves, mais le lieutenant Gentroux, « bon garçon mais tatillon, se perdant dans les détails d'étiquette, d'astiquage raffiné, « est très proche de Simard. Le lieutenant Crotel est une très originale figure d'officier universitaire. « Sorti dans un bon rang de l'Ecole polytechnique, il s'attardait avec com- plaisance dans les questions de détails minutieux, comme de savoir le nu- méro de forage de certaines rondelles d'essieu, et la longueur des épissures des traits en corde. Dédaignant les autres lieutenants, « fort d'une supé- riorité évidente, il est dur, cruel, sans pitié, persuadé sans doute que la brutalité devait être la marque d'un esprit sérieux et vraiment militaire ». « Il ne fait une manœuvre que pour les défauts répréhen- sibles qu'il peut trouver dans son exécution, >> tout comme le sorbonnien, pion de grade supérieur, ne fait faire une dissertation que pour les fautes qui lui donneront matière à corrections. Il trouve qu'il ne faut pas de soldats qui raisonnent. « Est-ce moi ou vous qui faisons la classe? » dit sèchement le professeur de philosophie à l'élève qui veut discuter.

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évident que, clans ce minutieux roman d'observation, Paul Margueritte a voulu décrire toutes les espèces du genre officier, et malheureusement le seul qui soit d'esprit supé- rieur est celui qui renonce à l'armée et qui trouve dans le monde intellectuel une situation bien plus en rapport avec son mérite.

Lorsque les deux frères se mirent à collaborer, ce devait être pour composer des romans militaires, par le double effet d'une éducation sur laquelle veillait la mémoire de leur père tue en 1870 et d'un tempérament qui les portait à l'amour de la force ordonnée, nécessaire h la réfection de la France. Ayant fait la psychologie de l'armée en 1870 dans Le Désastre et Les Tronçons du Glaive, ils devaient utiliser leur science historique à mieux comprendre et montrer celle de 1900 : et ils ont écrit Le Poste des Neiges. Sans doute n'ont-ils pas songé h donner h cette œuvre l'importance la densité et l'énergie d'intention qu'elle méritait autant que leur Une Epoque, mais c'est un livre substantiel l'expérience professionnelle de l'un se for- tifia de la philosophie que l'autre avait recueillie de l'observation du monde. C'est un beau livre, clair et har- monieux, harmonieux de toute la paix grave des âmes laborieuses, et des paysages alpestres, et de la sérénité d'un idéal de résio-nation et de dévouement, livre haut, calme et pur comme une cime neigeuse montant au ciel large, et lumineuse des rayons de l'aube nouvelle, livre plus que lumineux, rayonnant...

Il traite de la grave question de la Paix Armée, peut- être plus lourde, selon certains, que la Guerre. Avant d'être l'objet des considérations sereines et moralistes des Margueritte, elle avait été le thème spécial d'un roman de critique, pénétrante et lancinante, de M. Eugène Morel,

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La Rouille du Sabre \ qui attira vivement l'attention de M. Coppée et de Séverine sur la situation pénible des offi- ciers de la France pacifique. En des pages d'abord lati- gantes, d'un style énervé, s'avère bientôt une sen- sibilité profonde, accablée et compatissante, relevée d'un humour fin et triste, par des personnages vrais et pitoyables qui se débattent dans une vision générale de la vie noire, agitée, brutale et étreignante, M. Morel, avec un esprit chagrin et aigument affectueux, a fait sentir la tristesse de faillite de l'existence de l'officier moyeu, médiocre, sans grande instruction, éducation ni philoso- phie, après 1870.

Lui et les autres ont été élevés pour la guerre, et durant la paix continue c'est l'oisiveté, corporelle et spirituelle; l'énergie s'ankylose, le sabre se rouille; eux, les guerriers, ce sont eux qui restent immobiles, l'arme au pied comme un boulet, à l'écart de la grande bataille qu'est la vie civile ouvriers, commerçants, hommes de professions libérales luttent quotidiennement, développant leurs facultés. Ils sont à l'écart de la vie comme des moines.

Ils sont bien, ces guerriers, de lâches et pieux moines, qui prient et scolastiquent quand règne la famine, et, quand le pays se bat, qui s'enferment au couvent loin du bruit des batailles, et vou- draient bien au moins le soir, ils ont le temps prendre part à la lutte, vivre le sort des hommes, gagner quelque salaire, ne plus vivre d'aumônes, et, le temps que ne prennent pas les dévots exer- cices, — travailler! Mais la règle le défend; et ils sont prisonniers. La règle n'autorise que passe-temps anodins. Ils jouent, parfois, ils boivent, dit-on, et ont des femmes : celles des autres. Mais surtout, et la règle le conseille, ils fixent dans des livres comme en leur existence l'inutile passé; ils rédigent l'historique de leur ordre et de leur maison, racontent la vie de leurs saints, héros et fondateurs, ils édifient ce siècle auquel ils ne sont rien; ils publient leurs

1. Eugène Morel, La Rouille du Sabre, Havard.

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pouillés, chartriers, cartulaires ; ils fout des livres pieux pour les petits, des chemins du ciel, des règles de l'âme, des livres d'or, manuels de piété, journées du bon soldat, étendent sur du pain sec des sentiments exquis, ou bien ils éclaircissent des points de la théorie, argumentent patiemment sur les textes inamovibles, les actions des grands saints et les méthodes fameuses; ils font un peu de musique, ayant leur liturgie; ils sont juristes, ayant un code exprès pour eux; ils commentent le canon, les rapports, les décrets. Surtout, méticuleux, ils discourent sur les rites, règlent des points précis de leur cérémonial; jamais le rituel n'a des plis assez droits ; ils prennent la règle pour en fixer le hiératisme. En grande pompe, revêtus de somptueux habits, les jours de fête, devant de grands chefs qui officient, ils processionnent. C'est un beau spectacle auquel la foule se presse, avide de dorures, de musique, de cor- tèges, de bannières.

Mais enfin que font-ils?... On dit qu'ils prient pour nous!

Cependant ils sont mariés. Aussi inij^ropres à la vie que des moines célibataires, ils ont des charges de famille : et c'est le côté le plus angoissant de leur existence. Le capitaine Jeannin a épousé la fille d'un artiste dont il n'a jamais pu comprendre l'àme indécise de petite fille, et il s'en est d'autant plus éloigné chaque jour qu'il ne pouvait lui appliquer les règlements militaires, les seuls dont son esprit sût le maniement. Père, tour à tour brutal et débonnaire, il n'est pas davantage à même de com- prendre, d'éduquer ses enfants, de les diriger dans la vie civile dont il ignore l'organisation : aussi son fils, devant les premières difficultés de l'existence, se suicide- t-il, et sa fille, renvoyée de la légion d'honneur pour une peccadille, puis mariée sans dot, quitte-t-elle le foyer conjugal, lui laissant la nouvelle charge de deux garçons.

Tant de malheurs l'ont ensemble abasourdi et assoupli : il se dévoue courageusement à élever ses petits-fils, mais sa pension de retraite est plus qu'insuffisante et, vieil olficier à demi-inculte, bavard et roide, il trouve difficilement à

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s'employer. Il meurt abruti; un piquet de soldats vient lui rendre les honneurs militaires à sa porte mais ne raccompagne même pas au cimetière, trait symbolique du règlement de l'armée qui, après avoir accaparé et façonné les hommes à son seul service, les abandonne toujours h demi-route.

C'est un roman douloureux, pji'esque anarchiste, qui, en sa force amère, exprime plus encore un désenchante- ment fondamental, un sentiment pessimiste de la vie entière que de la carrière militaire : aucunes visions de ménages civils satisfaits ou au moins aisés n'y encadrent en e|ïet la peinture du ménage d'officier. Les personnages, M. et Mme Jeannin, sont constitutivement si gauches qu'on n'aperçoit joas que dans une autre condition ils eussent pu être plus heureux. Il en résulte que, tout en accusant avec éloquence les vices du régime militaire contemporain, l'auteur ne nous fait guère pressentir par quelle réforme, pratique ou morale, ils puissent être corrigés.

Il ressort terriblement de ce roman que la souffrance des êtres piteux ne peut pas être féconde pour l'humanité. MM. Margueritte, en plaçant dans leur Poste des Neiges, sinon du tout un être exceptionnel, un homme d'une bonne intelligence moyenne, ont posé avec mesure et effi- cacité la question :

Clerget est un mondain d'un « égoïsme ingénu », fat et orgueilleux, beau garçon de parade, courtisant plusieurs femmes indifféremment, voire habillé d'une maîtresse, tout à la mode enfin, le vrai type courant et gentiment coureur de l'officier français. Dans quelques années il sera comme ce capitaine de hussards, « le marquis Ilaussois du Sausset, héros habituel des bals et conducteur assermenté de tous les cotillons », sans oublier les cheveux teints^ séparés par

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une raie trop large, le visage craquelé d'une infinité de petites rides. Clerget a d'ailleurs des qualités, mais

le commaudant Schlem, son chef de corps, uu apôtre de la gran- deur et de la servitude militaires, s'irrite de le trouver correct, exact, irréprochable en apparence, et de le sentir au fond distrait, léger, dissipé; il lui fait presque un crime de ne pas développer davantage ses qualités de fond, de se contenter de la surface, du brillant. « Clerget, lui a-t-il dit un jour avec une tristesse dans sa voix rude, on n'est un véritable soldat que lorsqu'on a la foi... »

Clerget est subitement appelé h occuper le poste péril- leux des Neiges. Ennuyé d'abord de quitter sa vie mon- daine, toute légère et pailletée d'or, pour rentrer dans cette rude solitude, il arrive, après bien du spleen et des trouilles et crises de conscience, par honnêteté de carac- tère, hauteur d'à me et intelligence pure, à prendre goût à son métier, h le remplir non seulement avec conscience mais avec joie et charme. Prudent, sachant commander et se faire obéir, soucieux de l'exemple à donner, il par- vient à avoir naturellement le souci fraternel de ses hommes : un à un, il les interroge, les regardant dans les yeux, leur parlant d'un ton cordial, cherchant à se mettre dans la mémoire leurs noms et leurs visages. Plus tôt il les connaîtra, plus vite il aura action sur eux et les tiendra en main ; il leur fait de courtes conférences moralisatrices. C'est un petit gouvernement d'intelligence et d'affection : administrateur idéal, il métamorphose en un séjour délicieux ce poste désolant, parce qu'il a groupé autour de lui des âmes amies, parce qu'ayant pris con- naissance des qualités comme des défauts, il a su trouver le moyen de relever en même temps le physique et le moral de ses hommes. Administration aussi paternelle que fraternelle : les soldats ont pour chef un homme grave et tendre dont ils finissent par jalouser l'affection.

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Altaclié h tous il prend de plus en plus conscience de sa mission, il monte de l'indifférence au dévouement, au beau zèle, h l'ardeur altruiste, il acquiert la réelle vertu militaire.

L'éducation du collège, ce métier des armes si prôné, illustré par tant de hauts faits, tant d'exemples valeureux, César, Alexandre, Napoléon, avaient rempli son cœur d'enthousiasme et d'admiration. S'il ne s'était pas dit :' « Je serai Bonaparte », c'est que la guerre de 1870 avait laissé trop d'ombre sur ses rêves; et dans l'humilia- tion, dans la fierté aussi de son cœur d'écolier, il lui a suffi d'être d'Assas, La Tour d'Auvergne, de sabrer comme La Salle à travers les champs de bataille de l'Furope, de grimper, clairon ou porte- drapeau, à l'assaut de Malakoff. L'héroïsme d'une heure, d'une minute flamboyante, voilà par quoi il brûlait de se signaler; un acte lui eut suffi pourvu qu'il fut sublime. Il avait eu un excellent tailleur, des succès de femme; il avait fait preuve d'une brillante adresse à l'escrime, d'un beau sang-froid au jeu. Il passait pour un garçon d'esprit, de mérite. « Très intelligent, Clerget. Il deviendra ce qu'il voudrai... » Il le savait, et se reposait sur ces lauriers faciles, sans joie. 11 souriait de ses illusions d'enfant; oh non! elle n'avait rien de sublime, sa vie! Visites des chambrées, inspecter la propreté des hommes, des armes, des locaux, commander l'exercice, quelle fastidieuse besogne à la longue! De bons garçons, des cama- rades, plusieurs même distingués; mais les propos de mess man- quaient vraiment de variété. Une ville agréable, Chambéry, mais à tout prendre, la province. Et ainsi Clerget, sans y penser, se lais- sait, de par son intelligence désabusée, aller à la sécheresse. Ses soldats, il se montrait pour eux juste, courtois, jalutôt bienvaillani, mais un sentiment aristocratique inavoué ne l'en éloignait-il pas ?

Tout en appréciant leur force collective obscure et ce qu'ils représentaient de valeur, d'énergie, de dévouement latent, les dis- tinguait-il suffisamment les uns des autres? Etaient-ils pour lui autre chose que « les hommes », troupeau docile qui manœuvrait à son commandement ! Jamais il n'avait abusé de son autorité, mais avait-il tenté de combler un peu cet abîme qui sépare le soldat de l'officier ? Avait-il cherché quelque rapprochement compatible avec sa dignité? Sa sollicitude s'était-elle assez marquée dans les détails ! Un vague resjject humain, de l'indifférence, ne l'avaient-ils pas souvent retenu, au moment de parlera un « homme »,de s'informer de ses besoins, de ses désirs, de ce qui pouvait le peiner ou l'huini-

M.-.\.' Ledlond. ~

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lier? N'avait-il pas pratiqué celte maxime qu il ne faut pas avoir trop de zèle, sous peine de se voir investi de toutes les corvées?

Maintenant...

Améliorer de toutes les manières sou petit poste, la sécurité et le bien-être de ses hommes, était pour lui une obsession pleine d'intérêt et, pour un peu, d'agrément. Ainsi les cheminées recon- struites après la tourmente de Noël fumaient avec une obstination diabolique; quelle malédiction quand la fumée envahissant la baraque, il fallait éteindre les poêles, subir le froid ! Clerget fut très lier de découvrir le moyen d'y remédier, en faisant fabriquer par le menuisier Sainjoire des boîtes en bois, recouvrant et haussant les cheminées; on y avail ménagé deux petites ouvertures. Il suffirait dorénavant de déplacer les caisses suivant les caprices du vent.

Préoccupé de la santé des hommes, il ordonnait de fréquents lavages des planchers et boiseries avec une légère quantité d'eau additionnée de grésil, l'exposition à l'air, quand le temps le permet- tait, des fournitures, draps, couvertures, effets, etc. Il prenait son métier au sérieux, se disait avec complaisance : c< Si Schlem me voyait... », puis il doutait : « Serait-il satisfait, le vieux Rabat-Joie ? » Sans doute, il trouverait qu'on pouvait mieux faire encore, et ce mieux, Clerget le cherchait de tout cœur.

Il s'était pris d'un intérêt passionné pour le coin de frontière qu'il gardait. Pendant des semaines, son unique souci avait été d'eu pratiquer les abords, d'en reconnaître les défenses naturelles ; il les avait expliquées sur place à ses hommes, il leur en avait fait comprendre l'importance pour l'attaque et la défense. Que de fois, devant eux, en de courtes causeries, il avait évoqué ces mots qui palpitent d'un sens mystérieux, qui contiennent plus d'infini que d'autres : la guerre, la patrie, le drapeau, la discipline! Des exem- ples venaient à ses lèvres, les plus glorieux de noire histoire. Il se gardait seulement d'avoir l'air d enseigner, appuyait ses conférences morales sur quelque fait immédiat, une impression, un sentiment de la minute; et il savait aussi les faire désirer par ses hommes, intéressés et heureux de s'instruire.

Ce Clerget, avisé et délicat éducateur d'hommes, les Margueritte ne nous le donnent point pour autre chose qu'un olficier idéal. Il n'est pas précisément l'exception qui sert à confirmer la règle, mais il se distingue assez

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nettement des compagnons que le hasard a rapprochés momentanément de lui : l'olficier lourdement pléhéien, Bermud, pour qui l'essentiel est l'entraînement physique, ou le lieutenant Duménil, léger, blagueur, peut-être jusqu'à la méchanceté, friands des racontars mondains, des potins et des scandales de la vie de cercle!

Le Poste des Neiges garde aussi de l'importance comme roman de réalité, car il est l'aboutissement dans la litté- rature du mouvement d'idées de réforme C[ui tend aujour- d'hui à renouveler l'esprit de l'armée en la républicanisant. Un certain nombre de jeunes officiers qui souffrent de voir la suspicion jetée par la plupart des intellectuels sur l'ensemble de leur corporation estiment pouvoir servir efficacement la Répul^lique en faisant l'éducation morale et même civique des hommes que chaque année la conscription enlève quelque temps à l'abrutissant labeur des campagnes et des villes : très courageusement, ils ont pris h cœur cette besogne quotidienne cju'ils accomplissent avec modestie, tout en sachant parlaite- ment déplaire à leurs supérieurs qui ont conservé et veu- lent maintenir l'esprit du Second Empire.

Ils ont senti l'importance, le privilège moral de la situation les place un ordre de choses cjui met sous leur direction toute la jeunesse française h l'àgc criticjue l'adolescent devient homme, ils ont éprouvé avec la beauté de leur rôle la gravité de leur responsabilité ; ce que manifeste entre tous le livre du lieutenant Demongeot, Citoyen et soldat, dont il s'est trouvé justement que les Margueritte ont écrit lavant-propos. La lecture de cette œuvre, forte, noble, qui, il est vrai, n'est point complète, car il y manque les statistiques et documentation néces- saires h en faire le travail pour c{uelc[ues années définitil.

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mais qui est déjà ingénieuse h exposer les réformes, notam- ment par des comparaisons avec les armées des autres pays, complète celle des romans : elle établit la véracité des romanciers en donnant la même impression générale sur l'armée actuelle, mais elle se distingue par une force d'énergie, l'optimisme d'une àme active et dévouée, saine et vigoureuse, la volonté d'être utile qui manquent aux romanciers d'observation et s'affirment seulement chez les Margueritte dans un simple éclat. C'est le livre excellent d'un esprit à la fois pratique, qui comprend par exemple la nécessité de transformer l'armée en une école de prépara- tion h l'agriculture ou à l'industrie ce qui existe déjà dans certaines armées étrangères, et idéaliste, qui prétend donner aux conscrits une constante éducation civique de solidarité quotidienne; et il est à l'honneur de l'armée française d'avoir été l'atmosphère il lut composé.

Il appartenait aux Margueritte d'écrire le livre, très utile à la France, qui avait pour double but de soutenir moralement ces officiers dans leur pénible effort et de détourner d'eux, en révélant leur caractère, les attaques trop souvent confuses, bohèmes, aveugles et irrationnelles contre « l'armée », pour longtemps encore nécessité des temps modernes. 11 est précieux d'employer à la réforme d'un corps une partie des forces criti(|ucs qui, en se préci- pitant toutes ensemble au travail de démolissement, ne font que paralyser et vicier leur œuvre salutaire de destruc- tion. L'armée existe, ne peut être supprimée : il faut en faire une institution doublement utile, qui ne soit pas seulement une force de défense mais une force de progrès, une entreprise sociale, un mode d'éducation nationale. Les auteurs d'67ie Epoque, ensemble des quatre romans historiques sur 1870-1871, œuvre exacte et puis- sante, apitoyée et sévère, la race peut prendre enfin

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conscience des raisons profondes de sa défaite, de ses défauts, et en parliculier contrairement à l'opinion courante de la mollesse qu'elle a montrée a se défendre ', de l'embourgeoisement des paysans dans l'égoïsme, étaient bien constitués et élevés pour écrire, avec une simplicité vigoureuse, l'évangile des officiers d'esprit nouveau. De tous les romanciers contemporains ce sont peut-être l*es tempéraments les plus sains, les esprits les plus équilibrés, les consciences les plus honnêtes; et tout en possédant le sens historique péné- trant et impartial, rintelligence critique et l'esprit réfor- mateur qui les a conduits à écrire avec tant de couraere le plaidoyer de la Commune-, ce sont des cerveaux con- structeurs, organisés pour bâtir plutôt que pour détruire. Ils ont le sentiuient grave de la vie, la compréhension de la beauté et de l'utilité à soi-même du devoir, de celles de la responsabilité et de la discipline qui assouplit à l'ini- tiative, le goût du travail et de l'édifice, l'instinct altruiste; la seule chose cjui ne soit pas assez profonde en eux, c'est le goût et le sentiment esthétique de la pauvreté, indis- pensables avant tout à une démocratie en genèse. Ils sont le Vigny démocratique qu'il fallait à l'armée d'aujourd'hui, moins altier, moins désenchanté que le grand écrivain de Servitude et grandeur militaires, la confiance étant juste- ment une des qualités actives les plus nécessaires, aujour- d'hui, à la démocratie.

On retrouve une lumineuse figure tolstoïenne^ dans Pingot et moi de M. Art Roc, dont les œuvres offrent, avec

1. Il s'agit ici non de l'armée, mais de la nation entière, citadins et paysans.

2. La Commune, Pion, lOO'i.

3. Voir même l'amour pour les chevaux.

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le même intérêt que Le Poste des Neiges, celui de montrer l'influence russe sur l'armée française en imprégnant certains officiers de la vertu d'un autoritarisme mystique.

Analyser les impressions qu'un jeune officier éprouve en entrant au service; montrer le grand changement qui se fait alors dans son esprit et sa jeunesse ensuite, plus jeune que son adolescence ; dire sa joie, après tant d'études, de rencontrer enfin sou devoir, sa sur- prise de découvrir jour à jour cette vie, belle entre toutes, sou bonheur d'agir, sa fierté de vouloir, sa jouissance de posséder des hommes et de leur appartenir; puis, par moments, le remous en lui de ses souvenirs studieux, ravivés comme tout son être, et reparais- sant plus clairs dans celte condition seconde : son souci, dans le fort 011 il est retranché d'entendre hors des remparts, au delà des fossés, si loin, hélas! d'entendre le bruit que font ses pairs en menant eux, la bataille des idées: voilà ce que j'avais voulu jeter dans le cadre de ces douze mois. (Prélace, à M. de Vogué).

En somme, c'est son autobiographie que fait M. Art Roc% et comme tel il faudrait presque écarter ce volume d'une enquête h travers le roman français ', et aussi sans doute parce qu'il est un peu trop en même temps une sorte de manuel de vertus militaires. Mais, d'autre part, l'idéale personnalité de M. Art Roë, en s'en détachant lumineu- sement, ne peut que mieux faire ressortir la médiocrité ambiante, et, encore, s'il ne faut pas considérer comme des tranches d'observation, mais plutôt comme des dédoublements de lui-même la plupart des portraits d'officier qui forment dans son volume ainsi qu'une galerie de miroirs, il s'y trouve quelques spécimens de vieux officiers, destinés à donner la réplique, qui représentent

1. L'Echo de la Semaine a publié (en février, mars, avril 1900), sous la signature du « lieutenant G... «(Guieysse), devenu directeur des Pages libres, le Journal d'un officier, savoureux d'être presque un roman et encourageant d être d'authentiques mémoires : on y retrouve Ja beauté apostolique de Clerget, la belle pitié intelligente, la sympathie de M. Art Roé, en plus une jolie ironie à la Jules Renard.

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l'esprit ancien, d'ignorance et de routine, en face duquel se dresse l'esprit nouveau. Et cela est assez visible dans ce dialoQue significatif :

Le lieutenant : L'éducation militaire est avant tout une édu- cation morale ; la fonction de l'officier est une sorte d'apostolat.

Un commandant : Nous avons assez de besogne dans l'artil- lerie. Si vous y ajoutez encore la morale!

Un vieux lieutenant : Nous ne sommes pas des curés.

hc jeune lieutenant : C'est vrai, mais nous avons charge d'âme.

Le commandant : Tout ça, c'est très joli, mais d'abord c'est irréalisable et puis ça fait perdre trop de temps.

Voilà qui est nettement révélateur. Et il n'est pas moins intéressant d'entendre M. Art Roë déclarer : « Moi Je suis fin peu en de/iors des idées courantes : Je ne suis pas à çrai dire de ce siècle. H' aucuns pensent que Je suis deux cents ans trop tard; d'autres, au contraire, i'ingt ans trop tôt. »

11 semble par même que l'officier de bonne volonté ne puisse encore réussir à faire grande œuvre utile et c'est la conclusion des lUeaux de Corday et de La Force des choses de Paul Margueritte, c'est l'exemple de Victor Margueritte et de Cbarles Guieysse, c'est la constatation de certains chapitres du livre du lieutenant Demongeot. Il est en tout cas réduit aux rôles secondaires : qu'il v trouve sa grandeur en attendant mieux : c'est, à leur tour, la conclusion des Bleau.r, de Pingot et moi et du Poste des Neiiies .

JV

Fermons les yeux, laissons-nous seulement pénétrer, emplir de la belle lumière intérieure des maximes de MINI. Margueritte et Roc, et évoquons, pour qu'ils viennent se détacher en se précisant dans Tenveloppement subtil de cette pure lumière, les officiers svmpatliiques que nous avons rencontrés au cours de cette enquête : Béthune, Galliac, Verdelin, Swift, Clerget, Roë, quelques autres encore. Attardons-nous avec ces braves, ces héros des humanités, ancienne ou nouvelle, dont la vue, la présence, consolent et rassérènent. Ce qui fait naître, ce qui déve- loppe en tous la grandeur morale, c'est la solitude, solitudes rudes et mystérieuses des forêts madécasses sauvagement peuplées de dangers, solitude d'austérité lacédémonienne et des sévères études se retranche Béthune, « âpre besogne du cerveau » il se « confine », solitude blanche du poste des Neiges, solitude grise du fort INI. Roë se sent (( si loin » du monde, derrière « les remparts et les fossés ».

Eloignez le gentil petit Swift des camarades et des cafés, en quelque poste élevé : il s'y révélera vite un autre Clerget. Celui-ci s'est transformé dès qu'il a quitté cette Irivole vie de société mondaine dont les frères ^Margueritte nous avaient si aigument montré, dans leur précédent roman Le Carnaval de Nice, que Le Poste des Neiges

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complète logiquement, l'inanité fiévreuse. Béthunc s'est refusé « les faciles succès de plastron, les séductions hypocrites ». C'est lorsque, détaché des amours faciles, il a trouvé « à qui s intéresser, aux ho mines ^ » que Verdelin rencontre la sérénité : a C'est le vrai, c'est le bon... c'est le rêve ! » s'écrie-t-il.

Et ce n'est pas seulement la solitude qu'il faut aux officiers, c'est la solitude de la paix. Dans la guerre bondissent les vertus sauvages de notre farouche animalité ; dans la paix s'élèvent les pures et hautes vertus du héros moderne.-

Ces hautes et pures vertus, combien de nos officiers les possèdent? Faut-il écouter les écrivains que nous avons interrogés? L'enquête est là, menée sans parti pris d'aucune sorte; sans exagération dans aucun sens sont aussi les réponses, les unes un peu optimistes, et il faut remercier ceux qui ont voulu nous réconforter, les autres peut- être trop pessimistes, mais scrupuleusement sincères, et dont il faut écouter en silence la leçon parfois un peu sévère. Il serait aussi coupable, même bien davantage, de dire aujourd'hui : « Pas une vertu ne manque h nos offi- ciers », qu'il le fut en 1870 d'affirmer que pas un bouton de guêtre ne manquait a nos soldats.

CHAPITRE III

LE FINANCIER

Aux temps de monarchie, un Samuel Bernard doit payer jusqu'il II millions l'honneur de se promener avec Louis XIV dans les jardins de Marly : la puissance de l'homme d'argent est équilibrée par celle des hommes de race, de guerre et de Dieu. En une monarchie démocratique comme le second Empire, il n'y a guère plus en lace l'un de l'autre que l'homme de guerre et l'homme d'argent, tous les deux s'entendant pour mieux dominer. Sous la troi- sième République s'inaugure un nouveau pouvoir, le pouvoir politique, mais que l'homme d'argent immédiate- ment accapare. A oici que seulement la masse prolétaire commence à élire des députés chargés de ses revendica- tions et capables d'une représentation effective, mais ils sont encore bien peu nombreux, et, en dépit de sérieuses alertes comme celles du procès de Panama, le financier, pour quelque temps encore, reste le maître incontesté. L'étudier, c'est faire la psychologie du Maître des Rois. Et vraiment il n'est pas une si grande différence de ton entre le Majesté de Couperus et Un homme d'a/faires de Bourget; les fils de roi et les fils de financiers ont offert a Emile Zola et II Henry Bérenger, comme à Elémir Bourges, le sujet

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de répuiseiiient de race; encore la philosophie du ^alxih ou de U Armature ne diffère pas sensiblement de celle de Candide ou des Rois en exil. Il est en même temps Theure de fixer par la critique ce qu'est le financier dans le roman, car c'est un des types de la société sinon qui va disparaître, du moins dont la situation devient hypothé- tique par les préparations actuelles à des sociétés collec- tivistes.

L'AMOUR

Le sentiment le plus humain, celui qui se retrouve au fond des cœurs les plus arides comme l'eau au sous-sol des déserts, chez Ferragus et jusque chez Vautrin, il semble que le financier en soit incapable. Nortier ' a épousé une fille de noblesse pour être accepté dans le monde et la hait de le tromper, mais cette haine n'est nullement l'amour, exaspéré d'être refoulé, d'un Maître de forges : elle est toute de vanité réduite au silence. Il a pris une maîtresse parce que cela est chic, et il l'a choisie de la Comédie-Française parce que cela est du plus haut ton et va jusqu'à lui donner quelque air de ministre des Beaux- Arts, forme actuelle et ('conomique du Mécénat; elle est pour lui intelligente, spirituelle, jolie, élégante, fine de race, de culture et de plaisir, elle ne le touche pourtant pas autrement qu'un bibelot de collection qu'on sait lui avoir coûté très cher. Ses sens sont cuirassés d'arofent, le maniement des billets de banque a enlevé h ses doigts ce poudroiement de volupté qui en fait chez les êtres d'amour des ailes de papillon frémissant. Xortier ne connaît qu'une' passion, celle de la correction la plus sélect; et sa sensua-

1. La homme (Vfi/f aires , 1901.

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lité reste toujours hermétiquement gantée. SaccarcP, bien que méridional, n'aime pas : en pleine agonie, à cette heure universellement sentimentale tous les souAenirs charmants de l'amour viennent se grouper en essaim comme les hirondelles avant de disparaître, sa première femme l'entend supputer froidement avec sa sœur dans la chambre voisine les chances d'un remariage avantageux. Il épouse ainsi une jeune fille de beauté très riche et de grâce aphrodisiaque h faire madrigaliser lEmpereur vieilli aux soirs des Tuileries, mais il n'imagine de cour- tiser son opulente vénusté qu'au moment il a besoin de sa signature pour une affaire d'importance. Cependant, il entretient publiquement de fastueuses hétaïres qui font à sa maison de bancpie une tapageuse enseigne, sans jamais songer qu'elles puissent lui être d'autre profit.

Pirouart" épouse la petite Gavarnelle le lendemain d'un scandale qui la chasse de la Comédie et s'en sert, ainsi que de sa maîtresse Kate, pour traiter « en monnaie de catin plus d'affaires que lui-même n'en peut conclure ». C'est bien l'amour ou plutôt le stupre qu'il recherche finalement, mais en une mixture de volupté et de puissance rien ne se distingue plus que le besoin bourgeois d'une vague et immense jouissance de nerfs et de vanités mêlés. Ludovicus Bax", dont la cruauté luxurieuse s'avive de magnétisme, est capable de violents caprices, ainsi pour l'impériale beauté de Béatrice Reuss; mais cet amour n'est qu'une sorte de complication cérébrale d'un duel d'argent avec son mari le gros baron Reuss : comme ils se livrent des batailles de Bourse pour la suprématie, Ludovicus, qui possède la sorte de sensua-

1. L'Argent, La Curée, de Zola.

2. Les Cœurs utiles, de Paul Adam.

3. Le Mystère des Foules, de Paul ,\dam.

LE FINANCIER 111

lisme mystique et symbolique des héros de Renaissance panlatiniste de iNI. Paul Adam, imagine en la possession de la femme de son adversaire le signe concret de son triomphe abstrait.

Le baron Oppert ' prend pour maîtresse la coûteuse vicomtesse de Fourchamps, parce qu'il est en quête d'autorités mondaines. William Andermatt " personnifie, en face de son beau-frère, le galantin Contran, la native indifférence à la femme. Il n'épousa la fille du marquis de Ravenel, belle et sommeillante amoureuse, que pour étendre ses spéculations dans un nouveau monde; et sans cesse il rabandonne brusquement pour courir h ses affaires à Paris, oubliant même de l'embrasser au retour dans la hantise de ses spéculations, ainsi bien prédestiné au cocuage par son caractère et sa profession. Guermantes *, au contraire, trompe sa femme avec toutes les filles, sensuel et rapace, a colosse jovial et cynique, travailleur au menton dur, jouisseur au front bas, » par lii sceptique, désabusé, incapable d'estime et d'une considération égali- taire de la femme.

Le baron ^lunstein ^ est laid, grossier, repoussant. Il sera donc davantage porté à l'amour, par cela même qu'il lui sera plus malaisé et qu'il y trouvera une occasion d'affirmer durement sa puissance. Plaisantin avec quelque chose de féroce, il déclare en simplicité à ses amis que ne pouvant compter être aimé pour soi-même, il savoure le délice de s'imposer par l'argent aux femmes les plus difficiles, de les violer en quelque sorte par l'argent et jouir voluptueusement de leur horreur épicée de cupi-

1. Les plus Forts, de G. Clemenceau.

2. Mont-Oriol, de Maupassant.

3. La Proie, de Henri Bérenger,

4. Peints par eux-mêmes, de P. Hervieu.

112 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TliOISIEME RÉPUBLIQUE

dite. C'est une manière de sadisme ploutocratique. Saffre ' est encore une bête féroce, de plus noble famille. En la femme, être de tendresse fragile et palpitante, il se complaît à tourmenter la proie. Il aime h dompter pour jouir de la terreur qu'il inspire et du sang ou de la douleur qui coulent. 11 viole la charmante et délicate et suavement pure Giselle, après l'avoir étourdie d'un jeu cruel, que firent plus effarant la dextérité de son approche et la souplesse de sa griffe. Et il éprouve du plaisir, intense, a la posséder ensuite maintes fois, haïssante et dégoûtée, dans les spasmes d'une agonie d'horreur. M. Hervieu le classe « lion ». Il y a de l'hvène dans ce lion. II est le roi des animaux d'aroent.

Le baron Sinaï" ne manque pas de cœur, car il adore sa mère, mais le cœur n'existe que dans les sentiments familiaux. L'amour reste uniquement un commerce et il ne faut pas et il ne peut pas y placer du cœur. Pas plus que Saffre, il n'est capable de délicatesse clans l'amour; toutes celles qu'il y met sont purement sensuelles. Croyant ne pouvoir posséder Mme Guérande qu'en légitimité, il la demande; mais, apprenant soudain la mort de son amant par qui il comptait pénétrer dans le grand monde, il lui déclare qu'il ne peut plus l'épouser, bien qu'elle ait déjà annoncé le mariage : il la désire avec autant d'ardeur mais est sûr que, dépensière et a court d'argent, elle deviendra forcément sa maîtresse. Et il demande une demoiselle de vieille noblesse qui s'est éprise de lui en la prévenant sans ambages qu'il gardera sa maîtresse, sans soupçonner un instant qu'il blesse ainsi son orgueil de caste et sa jalousie de femme. Il n'a la notion de la jalousie ni pour autrui ni pour soi, au point d'accepter le partage avec

1. L'Aiiiindcrc, de P. Hervieu.

LE FIXAXCIEU 113

l'amant d'une femme qu'il désirait assez pour l'épouser pauvre.

De tous les financiers qu'ait désignés la littérature, le baron Duvernoy ' est seul à aimer d'une passion âpre, fauve, exaspérée et désespérée. Dédaigneux de sa femme et indifférent à son cocuage, homme fort que nulle senti- mentalité ne saurait chatouiller ni les plus menaçantes révélations troubler, il obéit en vieil esclave gâteux aux caprices d'une actrice de café-concert, Mcssaline au profil de madone. Elle lui refuse le moindre baiser jusqu'au jour il la fera entrer h la Comédie-Française : il doit renverser un ministère pour y arriver et obtient la présence des ministres nu début triomphal de la fille. Cette nouvelle conception du financier de Zola diffère assez de la première le Saccard de La Curée et de L'Argent qui est bien autrement véridique : elle se rapproche plutôt de celle d'un Vogiié, qui a également renversé un ministère eu faveur des débuts d'une actrice h la Comédie [Les morts qui parlent). Mais Paris appartient à la série des œuvres de Zola qui ne sont plus tant d'observation que de polémique sociale, et il a seulement voulu symboliser, en le débat amoureux de Sylviane et de Duvernoy, la décrépitude rapide, par la luxure, de la nouvelle aristocratie. Duvernoy d'ailleurs n'est plus comme les autres un selfmademan, mais un fils de banquiers riches, de physiologie aristocratique qui va sépuisant progressivement jusqu'au vrai fin-de-race qu'est son fils. Pour les financiers l'amour n'est ni un aaent social ni un ferment de race, jamais un but, mais quelquefois un simple moyen. 11 est en général un divertissement, une boisson dont on est plus ou moins sobre, rien de plus.

1. Zola, Paris.

M. -A. Leblosd. 8

n'i LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

LE CŒUR ET L'AME

Le sentiment de la famille, que l'analyse du psychologue pessimiste ou utilitaire ramène à de l'intérêt inconscient, prend chez le financier sa forme la plus consciente :

Le répugnant Munstein prodigue à sa fille les restes nombreux d'une tendresse qui ne peut se dépenser en amour, mais il conçoit son bonheur de la même façon que M. Poirier ou M. Moriceau [U Etrangère). Le baron Justus Hafner' prépare de longue et fourbe main le mariage de sa fille Fanny, maladive h force de délicatesse d'à me, avec le plus perverti viveur, le prince Ardea, parce que, débar- rassés des hypothèques et pour peu que l'on puisse attendre, les terrains du prince sont appelés à reprendre une valeur décuple. Guermantes envisage uniquement le mariage de sa fille comme une affaire. Son tempéra- ment est despotique et sec, et il échappe à toute manifes- tation de tendresse qu'imposeraient les événements par des épanchements d'humeur comique. Saffre a l'absolu dédain des siens, et sa violence naturelle ne reculerait point à battre fille et femme au moment leur égoïsme ou leur sottise se dressent en obstacles imprévus. Sur une insolence, il rejette impitoyablement l'une à la rue; et l'autre, ayant dérobé sa fortune à sa gérance, ne peut échapper à la mutilation que par une retraite immédiate dans sa chambre elle se verrouille. Chef de famille autoritaire, il prétend la diriger en tout absolutisme, avec le sentiment que quiconque lui nuit commet un « crime » de lèse-majesté.

Sinaï a le culte de sa mère, mais ce qu'il vénère en

I. Paul Dourg'et, Cosr/in/'oH.i.

LE FINANCIEU 115

elle, c'est surtout la force et rintëgrité de sa race, l'élé- ment de résistance incorruptible, la majesté des prin- cipes auxquels fut soumise sou enfance et qui ont sou- tenu ses ancêtres à travers la dure vie des âges. Le patriarche Gundermann ' travaille au milieu de ses petits- enfants comme l'ancètre nomade dans l'unique salle de la tente tout se fait. Sa nombreuse descendance lui entretient une constante atmosphère de chaleur néces- saire au paria dans la lutte sociale ; et elle est la tribu qui doit être plus considérable pour conquérir le monde en un âpre combat. Tous les financiers qui désirent une abondante géniture sont ceux de races persécutées, chez qui linstinct de procréation est une des premières formes de l'instinct de conservation.

Hommes d'un métier dont la nécessité quotidienne est de réduire dlnnombrables familles à la ruine, les pères et les époux au suicide, les enfants h la mendicité, les femmes a la prostitution, un Saccard, un Nortier, un Saffre, un Hafner, un Guermantes ne peuvent avoir de cœur, indubitablement. 11 suffit de considérer un Nortier', de face flegmatique, froid jusqu'au cœur, et dont l'œ'il même a le luisant de l'œil animal. C'est de réflexion et sans l'éveil d'un remords, sans l'émotion nerveuse même du victimaire, qu'il condamne au plus honteux mariage la fille adultérine de sa femme, délicate, fragile et frémis- sante amoureuse d'un fiancé parfait. Pour se venger d'avoir été trompé, en cinq minutes il' révèle à lenfant pure, innocente et respectueuse, la faute d'une mère

1. Zola, L'Argent.

2. Un homme d'affaires, de Boui'get (1901). Le personnag;e est d exécu- tion ba':ale et guindée, mais témoigne d'une fidèle observation assidue : Le romancier sait tirer parti du monde il vit.

116 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

vénérée, saccageant avec volupté toutes les grâces de son amour et les délicatesses de sa pudeur. Justus Hafner voit mourir sans une émotion un père de famille ruiné par ses conseils intéressés. Julien Dartot ' donne à son ancienne maîtresse délaissée et épuisée, mère de famille sup- pliante, le conseil qu'il faut pour anéantir ses suprêmes économies. Quelle sensibilité pourraient garder des gens qui spéculent sur les passions humaines, pour cjui les besoins sont la matière h exploiter? Saccard n'estime aucune chose de son entourage qu'à valeur monnayable; il ne s'occupe pour la première fois de son fils que vers ses vingt ans, dès qu'il présente h peu près surface de mari, et il le vend immédiatement à une bossue poitrinaire susceptible d'infecter sa physiologie déjà débilitée par une enfance vicieuse ; en même temps il facilite l'inceste de ce fils avec sa première femme pour plus d'aise à la voler. A la vérité il ne méconnaît point la poésie de la sympathie et de la bonté, mais elles ne sont que de très efficaces alcools pour fouetter la folie de gain et d'agran- dissement. Le cœur n'est qu'un foyer de chaleur animale h utiliser comme toute autre chose.

Il va sans dire que le problème de l'âme ne les tra- cassa, même ne les occupa jamai.«. La religion est essen- tiellement une administration de haute police nécessaire à régenter la turbulence de la masse', et, à quelque con- fession qu'ils appartiennent, ils tendent l\ lui donner une forme de hiérarchie papiste. Le juif Oppert, devenu baron authentique du pape \ ne renie pas ses origines et même

1. Le Ferment, d'Estaunié.

"2. Voir notamment au chap. x de Cosmopolis le discours à sa fille de Justus Hafner, qualifié par M. Bourget •• defî'royable positivisme ».

3. C'est ici le lieu de remarquer que tous les financiers anoblis sont barons, litre papal.

LE FINANCIER 117

s'est fait chrétien parce que le catholicisme ayant triomphe, le Christ juif est en quekpie sorte arrivé. H a le concours le plus empressé de l'église en quoi il cherche purement une police. INI. Fernand Vandérem a soutenu avec originalité dans Les deux Rives cette thèse que les financiers juifs ne sont pas voleurs parce qu'ils sont juifs, mais parce qu'ils ne le sont plus, parce qu'ils n'ont plus la foi ancestrale cpii fut égalitaire. Ce sont des juifs dégénérés comme les papistes sont des chrétiens déo'énérés. Punis et Herchstein, membres de la bande noire (internationale) des Ijanquiers cosmopolites, ont la souplesse diplomatique, l'obséquiosité rusée et hypocrite d'une catégorie de jésuites financiers, voleurs pour la bonne cause et exploiteurs de gogos. Ils pratic[uent avec un art loyoliste d'assimilation l'opportunisme et se sont fait franciser pour opérer à l'aise, conservant l'allemand comme langage maçonnique. Saccard, exaspéré par la richesse méthodiquement progressive de la finance juive, veut opposer à l'esprit de spéculation trop lente et sure des Allemands, la fougue el la hardiesse de son tempéra- ment latin : voilà la raison d'un antisémitisme nécessaire à se garantir la confiance des capitaux catholiques. Non plus que Pirouart, affilié aux intérêts du pape après en avoir été l'adversaire politique, il n'a rien du catholique sincère : le catholicisme lui est une haute chaire d'où jeter plus loin la bonne parole, le catholicisme lui prête sa façade et son parvis, selon M. Adam si favorables aux évolutions des barnums. Et les vendeurs chassés du temple y sont rentrés armés et s'y sont retranchés pour assaillir les crédules qui en restent avec eux les derniers fidèles.

Il

LES AFFAIRES

Jésuites laïques, les financiers n'ont point la force des jésuites parce qu'ils n'en ont pas la sobriété. Ils ne se contentent de la robe noire qu'aux premières années des difficiles déljuts. Parvenus, ils aiment la pourpre romaine. Leur impuissance métaphysique ne leur permet de conce- voir leur royaume que dans ce monde, et leur nullité sen- timentale qu'en extériorité. Le Nabab étale, dans une fresque de personnages clairs, nerveux et fugaces, sa large figure bronzée de financier méridional qui n'ima- gine le bonheur que comme une expansion dorée, la célé- brité comme un entassement de flatteries achetées, et la générosité comme un long gaspillage. Générosité de fille, célébrité de barnum, bonheur de feu d'artifice! La for- tune n'a de valeur qu'en espèces sonnantes et en façades étincelant au soleil. Il dépense les millions pour des articles de journaux, pour un ruban rouge, pour un siège législatif. En lui, Daudet a fait la satire de toute la France, superficielle et dépensière, du coté espagnol et marseillais d'un peuple qui veut à tout prix représenter, mettant son idéal dans la toilette et dépensant le double de ce qu'il gagne. Avec l'Américain, dont Ilermant a donné une étour- dissante charge dans Les Transa/Ian/ifji/cs, le financier

LE FINANCIER ll'J

français est le plus vaniteux des financiers et celui dont la fortune se dissipe le plus rapidement.

Saccard en est le type moyen assez fidèle, tout en sur- face et en agitation, habitant hôtel aux quartiers fastueux et logeant derrière grille dorée et comptoirs de marbre un coffre toujours vide, n'ayant jamais la veille le dixième des sommes h verser. II se représente la Banque comme un Temple, mais le Dieu n'est présent qu'aux heures de cérémonie, pour l'élévation solennelle. En ce maigrichon nasillard et verveux comme Roumestan, Zola a peint l'autre aspect du financier méridional, lequel poite deux fronts pour plus de surface. Aussi chafouin, noirâtre et renard que le Nabab a la tête camuse et poupine, Sac- card est très vif; il dort à peine trois heures par jour et lit sa correspondance en voiture, reçoit le matin, deux heures en pèle-mêle et i\ la course, sénateurs et clercs d'huissiers, duchesses et marchandes à la toilette, les accueillant et expédiant dun ton pressé, de gestes impa- tients et nerveux, bâcle les affaires en deux paroles, résout vingt difficultés à la fois, remuant d'une agitation de clown, parlant haut et fort par un besoin de tapage qui multiplie et prolonge en échos la minute.

Il aime la complication pour le gain mais aussi pour elle-même, parce qu'elle décuple l'apparence des choses. Ainsi il est poète. Il est le poète de l'Argent. Il brasse des aflaires non pour le gain mais pour l'amour des affaires, de combiner sans cesse et d'étendre partout ses combinai- sons, d'en jeter les fils en tous sens afin d'envelopper le monde d'un vaste réseau que dorera le soleil, pour Téton- nement ébloui de tous. C'est un poète matérialiste aux yeux de qui tout est dans l'apparence. Il fait des affaires pour manier de l'or : non pour l'entasser, mais, par une façon de sensualité, pour en laisser couler entre ses doigts

120 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

le flot sans cesse fuyant et toujours renouvelé. Le Méri- dional a la vision très nette, réaliste, du Pactole, il croit h l'Eldorado et au pays d'Ophir, il voit et il crée des mer- veilles, il les imagine naturellement, transformant en un instant la réalité en féerie. D'où cette imagination brouil- Ion ne et folle de Saccard qui lui « eût fait proposer sans rire de mettre Paris sous une immense cloche afin de le changer en une serre chaude et y cultiver les ananas et la canne à sucre ». La réalité n'existe pas, c'est le Rêve qui existe; la fortune n'existe pas, c'est le maniement de la fortune d'autrui qui est la vraie jouissance, immesurée. Le Méridional est un grand poète.

Saccard fait des affiures comme Balzac des romans, pour créer de la complexité, du grouillement, par une fièAa'e de mathématiques somptueuses et pour cette jouis- sance physique et mécanique de l'or, que Balzac a exaltée en grand lyrique dans Facino Çanc. L'Argent est l'épopée d'une humanité vivant du travail de l'argent, dans un échauffement continuel, une précipitation d'enquêtes et de spéculations, en galériens de l'or, mais allégeant son immense besogne de la musique moderne de son mouve- ment, d'un déploiement de ressorts neufs, d'une élabo- ration d'ingéniosité particulière , de l'enfantement de personnalités nouvelles et presque d'une race spéciale, pétrie par la frénésie du lucre et du hasard. De la con- science de tout cela Saccard s'électrise : il a la foi; homme d'argent qui suit son tempérament, il se croit une mission. Pour ce génial coquin, escroc halluciné, l'argent offre une affolante beauté d'élément. C'est le « fumier dans lequel pousse l'humanité de demain; l'argent empoisonneur et destructeur devient le ferment de toute véÊfétation sociale, le terreau nécessaire aux grands travaux qui facilitent l'existence... Pourquoi faire porter à l'argent la peine des

LE FINANCIER 121

saletés et des crimes dont il est la cause? L'amour est-il moins souillé, loi qui crée la vie?... Sans luxure on ne ferait pas d'enfants; sans spéculation, on ne ferait pas d'affaires ». Saccard a la beauté du paysan : il travaille l'or comme l'autre travaille la terre. L'un et l'autre labourent l'avenir, l'un et l'autre sont attachés à la glèbe et regardent seulement l'horizon sans se retourner. La splendeur des moissons éclaire la face de l'un, l'éclat de l'or illumine la face de l'autre. Celui-là, à force d'habi- tude, finit par ne plus entendre la voix de messidor; celui-ci l'entend toujours et, la multipliant, prolonge sa musique dont il canalise les ondes fécondes pour irriguer l'avenir.

11 œuvre pour l'avenir; il est désintéressé; il n'a pas de famille et il n'aurait pas de temps à lui consacrer. Il tra- vaille insensément pour la vague et vaste gloire. Homme d'un élément, d'un élément dont la récente découverte bouleverse la civilisation, Saccard est une « force.», tel qu'un Prométhée ou un Giliatt, h la fois maitre et esclave de l'élément. Bandit triomphant, il est au fond le martyr et l'halluciné. C'est un art-pour-artiste de tempérament américain, furieux de toujours ascensionner, pris de cet excès dans le sport que connaît la folie des aéronautes et des bicyclistes. Saccard est un fou, un lyrique pas- sionné de hauteur et d'espace, un tempérament fougueux et magnifique qui rêve large comme un Chateaubriand, pesant comme un Balzac, magnifique comme Flaubert l'Orientaliste, génie violent et orcfueilleux. Il n'est ni cupide ni avare : il est ébloui par l'orgueil satanique de la création par l'argent, l'orgueil de l'énergie rapide et indomptable, conquérant pour la beauté de l'action. « Capitaine d'aventure emportant un royaume d'un coup de main, » individu d'irréductible indépendance, voulant

122 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

régner pour assouvir son tempérament, et qui, s'il n'eût pas fait de la Bourse, eût fait de la politique.

Zola le compare souvent h Bonaparte. Le financier est le Napoléon d'une époque de démocratie industrielle. Saccard en a le tempérament excessif, inéquilibré, exalté, optimiste, la confiance dans le hasard, l'audace et l'énergie, l'amour de violer la chance, l'ingéniosité sou- daine, l'intrépidité folle, jalouse de remuer le monde d'un vent d'affaires énormes ; Saccard en a le mépris du public et de la morale vulgaire, épousant, pour le premier mil- lion nécessaire, une débutante Joséphine de la haute bourgeoisie, jetant les dividendes fictifs comme l'autre les trompeuses proclamations, aboutissant à un ^Varterloo sa vie précipitée et surmenée.

De même que la conception du provençal Zola, Ludovicus Bax, déclaré oriental pour la nécessité d'un portrait de genre et francisé « notre chère patrie française », commandeur de la Légion d'honneur, est bien au fond un latin; il est doué de ce génie latin que possède et se représente souvent en actions, belles du genre de beauté des gestes, la somptueuse imagination gallo-romaine de M. Paul Adam. Il a le rêve de la création : « Je manie les races, » clame-t-il avec quelque intellectualisme méri- dional. Il voit grand et il procède par visions qui sont voyantes. Actif à couvrir de voies ferrées les pays danu- biens et à V découvrir mille sources ferrugineuses, c'est par un luxe colossal de grandes affiches multicolores qu'il lance sa bière de Lorraine, en ornant les moindres bouti- ques de village comme faisait le seigneur de ses armoiries. H ne conçoit l'action que par tapage de dépense et d'acti- vité, vivant perpétuellement en mail-coach et en spleeping- car, achetant fastueusement les petits parlements alle- mands et les députés français, faisant assassiner le résident

LE FINANCIER 125

général crinclo-Chine, se plaisant à la vie la plus drama- tique, mais au milieu de l'imbroglio dédaignant toujours la dissimulation et le mensonge, ce cjui est un vrai luxe pour un Méridional,

A l'opposite, Gundermann est la puissance discrète et solide, un simple marchand d'argent le plus habile et zélé. C'est le fonctionnaire financier, cjui entretient le mépris terrifié de la passion, qui va lentement d'une sûre marche de plantigrade, soutenu d'absolue croyance à la logique, du flegme de joueur mathématique, d'une obsti- nation froide d'homme-chifire, procédant avec « la belle sécurité du sagecjui met simplement son argent à la caisse d'épargne » ; sorte de Louis XYIII retranché derrière la légitimité de ses millions, abstrait dans sa vieillesse soul- freteuse, avare se défiant de l'aventure, uniquement pré- occupé de léguer son domaine intact aux siens.

L'utilitaire Nortier s'oppose avec une même netteté au Méridional tapageur. Son idéal est également une fas- tueuse extériorité, mais il préfère le style jésuite au style Haussman, il admire les* façades lourdes, monumentales, imposantes, il a le. goût du copieux, et du massif, et du cant anglais. D'hérédité rurale et de physiologie vigou- reuse, il ne faudra jamais. Il détient la plus parlaite maî- trise de soi, pouvant grâce h l'hygiène mener sans fatigue une vie très mondaine, et capable par la patience de son audace d'affronter sans péril les plus vastes entreprises. « Un de ses amis «, qui est M. Bourget en personne, l'a appelé « le surveillé des surveillés ». Fils de Normands et anglicisé, il constitue le financier du Nord.

C'est dans les villes d'eaux et de saisons cpie le protes-

124 LA SOCIÉTÉ FUANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLinUE

tant IlaCner, fils de Hollandais, ancien écumeur des mar- chés de Berlin et de Vienne, a acquis par le frottement le luisant de distinction suffisant. Après une amère carrière de luttes obscures, de sinueuses convoitises et d'énergie, l'usurier marchand de bric-à-brac, maintenant décoré de plusieurs ordres et d'une fille d'affinement aristocratique, aimable causeur, cavalier courtois, élégant sportsman, comme Nortier toujours maître de soi, garde la modéra- tion jusque dans le luxe, bien que « la période de vanité ait succédé pour lui h la période d'avidité » « Et l'on dirait avec sa parole mielleuse, ses gestes mesurés, sa tenue sobre, son teint comme neutre et sa physionomie comme éteinte, cet air de distinction effacée qui joue la supériorité chez tant de vieux diplomates », un monsi- gnore italien, si l'inquiétude des prunelles ne révélait à « l'observateur perspicace » qu'il y a toujours dans les coins de romans de Bourgct, élève de Dumas fils, l'ancien corsaire toujours en éveil. Tournure, manières et esprit de diplomate compassé et sobre, tel est bien l'essentiel idéal du financier du Nord.

Mais la sobriété d'un Gundermann et la correction minutieuse d'un Nortier sont rares. Gundermann, qui se serait francisé autrefois en Nucingen, le fait aujourd'hui en Andermatt et en Sinda. Le financier français moyen, sans arriver toujours au méridionalisme de Saccard, ne garde pas un long temps la lourde prudence du Germain septen- trional. Croisé de Nord et de Midi, il n'est ni avare comme l'Allemand, ni prodigue comme le Latin, ni uniquement passionné de risque comme l'Anglais. Géographiquement et de tempérament, il est entre les trois. Il aime le jeu

LE FINANCIER 125

non tont à fait comme rAnglals pour le plaisir sportif, mais pour celui de combiner et cla combiner à haute voix, d'une éloquence de calculateur dialecticien, en politicien. A son beau-frère, étourdi et impertinent noceur, Wil- liam Andermatt établit assez péremptoirement que, tout juif qu'il est, il sait non seulement prêter de l'argent, mais décerner spontanément des cadeaux de haute tenue : rien ne saurait mieux accréditer sa francisation. Il a de la race, il méprise les petites affaires, les affaires de bourgeois, il est aristocrate d'affaires. Nullement il n'est avare, il sait seulement le prix des choses « pour ne pas favoriser la fraude », et ce qu'on appelle avarice n'est donc que probité commerciale, esprit scientifique apporté dans les affaires, amour de logique bien français. Très jeune, rompu à toutes sortes d'opérations, souple, intuitif, d'esprit net, d'une certitude de jugement « tout h fait merveilleuse », de sûre méthode spéculative, hardi, mais régulier, ne se fâchant jamais des plaisanteries, il est bien Français; même il est le type du financier parisien, vif, audacieux et agile, cachant un fond très pratique sous une armure tapageuse de loquacité et sous un mince vernis de snobisme. Avec ce besoin parisien de tout embrasser, il aime les grandes affaires parce qu'elles sont « très amusantes », résumant tout ce qu'ont aimé les hommes, politique, guerre, diplomatie. « 11 faut tou- jours chercher, trouver, inventer, tout comprendre, tont prévoir, tout combiner, tout oser. » Il sent la poésie du métier, mais une poésie d'esthétique utilitaire, la blancheur de la ville qu'il dresse soudain à la place d'un villaoe sale est une blancheur d'argent. D'un oenre d'ima- gination que Déroulède même reconnaîtrait française, il imagine les pièces de cent sous habillées en petits soldats et s'en allant en guerre conquérir la place, le monde.

126 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TnOISIKME HÉPUBLIQUE

11 faut savoir les conduire et il faut savoir conduire les hommes : c'est un métier de psychologie et de mathéma- tiques. Andermatt est la machine à calculer l'argent, mais aussi l'esprit à diriger les passions. 11 est le combinateur. Il représente parmi les politiciens le politicien parisien.

Goguel ' n'aime pas l'argent pour thésauriser, mais la vie, l'action, les vastes entreprises. Avec l'argent escroqué à un capitaliste qu'il a fait chanter, c'est un journal qu'il achète et dirige, un journal, parce que par lui on tient à tout. L'aventurier s'enivre de s'être fait lui-même dans une société l'on ne parvient qu'avec aide et protection. Ce petit Saccard vieilli et usé, actif, audacieux, vif, trépi- dant à donner le vertige, surmené, brouillon, soupant et se saoulant avec des filles et jamais couché avant cinq heures, est sans conteste un politicien d'oligarchie démo- cratique. Directeur de journal, il organise le commerce et le chantage, fait payer toutes les rubriques et tripote dans les annonces, subit le goût du public tout en le pervertis- sant par un goût excessif de la gaudriole, ainsi tout ii à la fois comme les politiciens valet et corrupteur de la masse.

Goguel n'est qu'un personnage de second plan. Le baron Duvernoy, dont la fortune est immense, a un pouvoir dictatorial, asservissant les journaux, achetant les suf- frages comme un Louis Napoléon pour asseoir son empire, faisant et défaisant les ministères au caprice de sa Mon- tijo. I^e baron Gédéon Sinda", au milieu de retentis- santes fêtes données au monde cosmopolite, il promène son « air somnolent de fauve repu », monte le ministère avec le concours de la comédienne Rose Esther, par l'in- fluence achetée des députés et même du président de la

1. P. Brulat, La Faiseuse de Gloire, 1901.

2. M. de Vogilé, Les Morts qui parlent.

LE FINANCIER 127

Chambre. « Nous parlons la politique, vous la faites, » lui dit Elzéar Bayonne.

Dans Les plus forts, M. Georges Clemenceau a noté avec autorité le rapprochement forcé, en temps de démo- cratie, du financier et du politicien. Le baron Oppert, dont « la voix douce et chaude avait un accent de Iranchise orientale dont Ihomme d'Occident, s'il est sage, se méfie » et ffarde « sous ses formes de bonté un reste de l'obsé-

o

quiosité des anciens servages, revanche traîtresse des vaincus », est encore Asiatique par la hantise d'un rêve de trésor: mais il s'est francisé en politicien philosophe, dédaigneux des parlementaires autant que des intellec- tuels, seulement préoccupé de savoir choisir dans les « fantaisies » des parleurs, écrivains et artistes, qui sont les impulsionneurs du monde. « Nous sommes des modestes, des hommes d'action simplement, cpii se con- tentent des réalités du pouvoir et laissent la pompe offi- cielle à d'autres. » Le député financier Pirouart, associé avec les barnums Mauser et Bothwed et l'écuyère Maïa pour susciter au Quesitado la guerre qui leur donnera les millions, leur fait sentir, en prélevant la bonne part, qu'il est indispensable par sa situation politique et qu'elle seule peut permettre a son argent et a leur ruse de centupler le capital commun.

Paul Guermantes, maître financier, ne se contente pas d'avoir entre ses mains et à ses pieds une certaine majo- rité de députés, il participe de sa puissante personnalité au pouvoir législatif : sénateur, membre souverain des hautes commissions et plusieurs fois ministre. Comme les autres il fait des afFaires en politique, et met la politique au service de ses affaires, prélevant deux millions et demi de bénéfice dans le Panama, mais, plus qu'eux, type plus complet, heureuse synthèse, il ne distingue même pas les

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unes de l'autre, il les confond absolument en une seule branche d'activité. Ne dit-il pas h Rozel : « Ma politique n'était pas la vôtre ; vous êtes un homme d'idées, je suis un homme à' affaires Vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre ce que vous appelez dédaigneusement la politique d'afl'aires? » Or, à son sens, la politique n'est pas plus affaire d'idées que de sentiments mais d'intérêts et d'appé- tits, et ingénieusement il prétend appuvcr cette théorie sur l'histoire : « Croyez-vous que la République aurait tenu dix ans si elle n'avait été soutenue par les banquiers et leur clientèle? Vous imagineriez-vous que ce sont les belles phrases de Gambetta, de Ferry et de Freycinet qui les ont maintenus au pouvoir? Derrière ces phrases, il y avait des réalités : l'avènement d'une bourgeoisie puissante, le triomphe des grandes compagnies, la mine de la banque catholique, la possil)ilité de vastes spéculations. Si les républicains ne s'étaient pas solidarisés avec tout cela,

il n'y aurait plus de République » Affaires et politique

étant identiques, il les mène avec une commune rondeur, dirigeant les millions et spéculant sur les hommes comme avec des valeurs monétaires, réduisant Rozel au rôle de capital politique en une maîtresse scène de dialogue serré, véritable joute oratoire de Chambre il manœuvre, sous le haut comique d'un magistrat municipal de Descaves, la plus souple astuce, Guermantes est le tvpe le plus précis, parlait, du financier-politique individualiste, amoral, ani- déen au point de pressentir l'avenir non par le flair des idées qui courent sourdement, mais des hommes (pii les symbolisent, de n'avoir pas cru à l'idéalisme social, mais à Rozel, uniquement porté d'un inassouvissable besoin d'agir, de jouir, de dominer.

Politicien, ministre, ministre de son argent, sans cesse et seulement préoccupé d'équilibrer le budget de son

LE FINANCIER 129

gouvernement, tel ressort bien le financier français. Mi- nistre arrivé au pouvoir le plus souvent par mille lâchetés et mille intrigues rampantes, maintenant portant beau avec une poitrine de confiance et d'emphase, avec les gestes oratoires de Tescrimeur qui pare les paroles comme des coups, défendant sa poitrine comme un cofire-fort, dressé devant son cofFre-fort comme en une chaire, ministre sans cesse à la tribune, ministre passionné du pouvoir, et h l'heure de la chute aussi rapacement acharné qu'il était superbe triomphateur, s'agrippant furieusement, se défendant par tous les moyens, violent, hurlant, sortant les dents. Le baron SafFre, dont tous avaient pu saluer la dignité rigide d'un prêtre de l'argent, sitôt touché par la ruine, rue des griffes, saccage tout de ses violentes convulsions, poursuit sa femme pour l'écraser, lacère les toiles et fracasse les vitrines des salons, précipite vases et bronzes par les fenêtres et les escaliers, fou furieux à grand'peine ligottable, lion exaspéré. Et jamais le fauve qu'est le financier comme le politicien contemporain, ne s'est révélé avec plus d'intensité exacerbée et de bestiale cruauté qu'à cette heure de mort sanglante..., de mort du lion. Alors que le méridional Saccard, jeté en prison, au lieu de se briser le crâne aux barreaux de sa cag^e, se ressaisit tout entier et, tiré de l'agitation mondiale, repose et clarifie ses idées, alors que souple et félin, il se met immédiatement à compulser ses souvenirs et à les ordon- ner pour un « Mémorial » de défense, Saff're, violent et sanguin, est foudroyé d'apoplexie à la menace pressante de l'emprisonnement. C'est qu'ils ont deux politiques et deux tempéraments différents, l'un ayant travaillé pour la gloire et le bruit, l'autre pour la jouissance dans la puissance.

M. -A. Leblond. , 9

111

Plus que la femme et l'enlant, plus que l'homme de lettres, le médecin ou le prêtre, le financier fut difficile à connaître. On ne saisit facilement de lui que l'apparence salonnière, qui n'est que partielle et incomplètement vraie. Il faudrait le prendre en affaires et dans son bureau, vivre en son intimité comme a fait Balzac pour ses employés, ses usuriers, ses avoués et ses notaires. Mais on ne peut l'y poursuivre, même il n'en a point. Il n'a qu'un antre.

En outre, la science du calcul étant celle qui rebute le plus l'écrivain, être de sentiment ou d'imagination, il ne tente pas de créer le type complet du financier : on n'a vu s'y risquer qu'un Balzac, réduit toute sa vie aux spécu- lations les plus embrouillées, et un Zola, de patience ency- clopédique. 11 faut un siècle l'écrivain puisse ne pas craindre d'affronter les sciences du chiffre et de l'économie politique, pour que l'on ait en littérature le type réel, prolbnd, complet, détaillé du financier. Ensuite, on réagit après Balzac contre l'introduction des financiers dans le roman parce que Balzac en avait mis dans tous les siens. Le roman se mondanisa sous le second Empire. On afficha le dédain des affaires et des questions d'argent, on crai- gnit de paraître les écrivains d'une nation seulement spéculante et commerçante, on voulut être un peuple artiste,

LE FINANCIER 131

spirituel, galant, somptueux, friand de vérité fraîche et légère. On ne représenta plus le financier que comme un bailleur de fêtes et dans le décor à effet des criardes richesses cosmopolites. Aujourd'hui il semble que, devant les préoccupations socialistes, l'étude du financier s'impose plus fortement : l'écrivain, de son côté, est plus apte à le peindre, vivant dans un milieu l'élaboration d'un pro- chain avenir social l'initie aux spéculations d'économie politique. Cette évolution s'indique :

Bourget fut secrètement attiré vers le financier parce qu'il est l'aristocratie contemporaine, le parvenu et l'anglicisant. Il a affecté de le traiter de puissance à puis- sance, académicien honorant du prestige de la pensée libre les salons du boursier, goûtant les plaisirs de luxe en anathématisant 1 argent. Par une assimilation obstinée, il y a aussi en lui de l'homme de noblesse qui vient prendre sa part, en invité, des fêtes données dans les palais qui furent h ses aïeux, et serre avec urbanité la main de celui qu'il ne peut plus faire embastiller, d'ailleurs sans abandonner l'espoir en Dieu d'un retour vers le passé. ^laupassanf a fréquenté les salons riches qui lui étaient ouverts et seuls on s'amusât, observateur impartial, entre les contredanses avec des femmes décol- letées, des travers et des cjualités des hôtes, h qui il garde quelque reconnaissance du spectacle abondant et voluptueux. Hervieu est un sentimental qui se venge de la société moderne uniquement âpre et financière, arma- turée d'une raide ossature d'argent le corps et le cœur dépérissent, société corrompue il n'est plus de place pour la famille et l'amour simple dont elle ne saurait même plus jouir. L'altruiste Daudet a souffert de la pauvreté des petites gens et s'est étonné de voir que ceux qui la causaient n'en étaient point plus heureux. Gyp,

132 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

Forain du financier, s'acharne après lui avec la jDréten- tion de n'en avoir rencontré que de juifs : nous nous rap- pelons à ce propos que Saccard est antisémite et Nortier nationaliste.

Anatole France avait dédaigné ces fonctionnaires spécia- lisés de l'argent, incurieux d'autres choses, de la philo- sophie et de la vie, natures opaques de fauves aux crânes fuyants; le France social s'y intéressera sans doute plus vivement. Encore faut-il dire que France aurait pu décou- vrir parmi les financiers contemporains un type qui fût en même temps qu'excellent banquier, ne ruinant ni lui ni personne, honnête, d'intelligence élégante et desthétisme lucide, un ami de l'art et bienfaiteur d'artistes, ne mépri- sant pas plus le génie que l'argent, un type tel enfin que ce Paul Vandrenne dont Théodore de Banville fit un des personnages sympathiques de Marcel Rabe, comme si, à côté de celle de la fille de joie, il avait tenté la réhabili- tation de l'homme d'argent. Rosny ne s'est pas plus occupé de financiers que de députés : il aurait peut-être montrer un dt'tenteur de l'argent qui fût généreux, intellectuel, capable, comme Dargelle, d'utiliser la grande force d'aujourd'hui pour l'élaboration d'une société de demain elle ne comptera plus.

M. Estaunié se préoccupe aussi d'avenir, mais d'avenir immédiat : ainsi que la plupart des universitaires, il a évolué vers le socialisme utilitaire, et avec eux il ne craint point, au contraire de Rosny, les sujets rebattus : il a donc traité de la finance en un travail solidement ordonné aucun point n'a été omis; il a épuisé le sujet connu sans l'élargir d'aucune vision sociale bien nouvelle; mais il a vu, en même temps que M. de Vogué [Les Morts gui parlent), cependant avec tout autre impartialité, maîtrise scientifique et instruction du sujet, que le terrain louche

LE FINANCIER 133

de la finance était le seul laissé aux lauréats de l'ensei- gnement supérieur. Bérenger, qu'avait attaché le même problème dans ses Prolétaires intellectuels, n'a montré que les débuts de la lutte de Thomme social se débattant entre les mains de l'homme d'argent, et nous devons attendre la suite de La Proie pour en voir les péripéties et apprécier les résultats. Il laut reprocher h M. Brulat, qui a écrit un livre généreux, une certaine impuissance dans l'anarchisme, lequel veut contre le capi- talisme une révolte moins sentimentale et désordonnée, plus précise dans l'énergie, volontaire vers un but net par des réformes pratiques. On a réalisé sur le financier quelques remarquables romans d'observation; le roman d'idées reste à faire.

Seul M. Paul Adam, de fervente imagination et de génie souple, a témoigné d'une pénétrante compréhension des affaires et de conceptions financières ingénieuses et vastes, mais trop fiévreuses et confuses. Il a magnifi- quement senti la beauté complexe, moderne., de la finance, ce qu'il y a en elle de mouvement vertigineux jusqu'au lyrisme et de sport cérébral; mais il n'a pas songé à créer une figure géniale de financier conscient d'un rôle social à remplir, rôle défini et limité par ce qu'il a de circons- tanciel. Si ce type manque dans notre littérature, peut- être faut-il l'attribuer à la qualité même du monde de la finance française parmi lequel abonde le boutiquier cir- conspect, borné et chiche, simple rentier, qui ne joue que sur afi'aires sûres, manque l'exemple du financier d envergure, associé à l'ingénieur ou au savant avec lequel il collabore avant de l'exploiter, conscient qu'il ne faut l'exploiter que dans la mesure à ne pas amoindrir sa personnalité féconde, intelligent éleveur d'intellectuels. Mettant Saccard en présence de l'ingénieur Hamelin, Zola

134 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

eût pu s'attacher à fixer les rapports qui doivent exister du capitaliste d'idées au capitaliste d'argent, pour parfaire en Saccard trop peu intellectuel le véritable finan- cier moderne et génial.

Tous ont dit le rôle et le pouvoir considérables des financiers : c'est l'aristocratie, la puissance de l'époque. Comme toute aristocratie, celle-ci s'usera, par le pouvoir même; elle sera remplacée par une autre puissance qui est en train de s'élaborer, de s'organiser dans l'incon- science des choses, probablement par les savants; et c'est ce qu'il eût été intéressant de montrer, d'une façon com- plexe et ingénieuse, dans un roman : les préludes mysté- rieux et confus, sous des étiquettes vagues, dans le monde contemporain, de la lutte qui confrontera un jour dans un corps-à-corps acharné la science et l'argent, l'université et la finance, comme se heurtèrent la noblesse et le tiers. Lors de l'antisémitisme il s'est trouvé qu'une partie de la finance, ayant encore à lutter contre les anciens pouvoirs, s'est rangée du côté' des intellectuels au lieu d'aider à les accabler, mais il n'en sera pas toujours de même. Dès maintenant la finance, par l'intermédiaire de la politique, par le moyen des achats particuliers et des commandes d'état, des prix, des pensions et des sinécures dont elle dispose, opprimant les talents et favorisant les médiocres, la finance tend de plus en plus à asservir et affaiblir le monde intellectuel qui essaie timidement et désordonné- ment d'assurer son indépendance. C'est ce qu'on ne voit pas assez dans ces romans, ce qui tendrait a indiquer que c'est une situation qui sera plutôt qu'elle n'est encore; cependant les romanciers, représentants des intellectuels, sentent bien déjà que les financiers sont leurs ennemis :

Aucun de ces écrivains, en effet, n'a peint le financier

LE FINANCIER 135

avec sympathie, fût-ce (sauf Zola dans sa première œuvre) avec cette sympathie qu'on a pour le monstre et qui est une sorte de fascination, ni même avec cette pitié qu'on peut porter aux criminels. Zola a encore une certaine indulgence pour les industriels, tels que Jordan père, dont l'activité n'est point exclusivement bureaucratique, mais il considère net comme des voleurs les financiers qui tra- vaillent le plus [TrcH'ail, 1901). Dès L'Argent il estimait : « ce ne sont qu'usurpateurs qui exproprient la masse du peuple, et quand ils seront gorgés, les collectivistes n'auront qu'à les exproprier à leur tour ». En un certain sens rien n'est plus juste, et l'on peut souhaiter dans les temps les plus prochains possible la disparition du finan- cier plus encore que du commerçant, rouages complica- teurs et dispendieux d'une civilisation imparfaite.

Mais s'il fut un être très nuisible, il est susceptible d'avoir eu quelque utilité. Dans une époque de fonction- narisme il a été l'esprit du risque, l'activité, l'énergie, l'indépendance, l'individualisme humain déchaîné. Encore son amoralité aura contribué à déblayer le vieux terrain de la caduque morale aristocratique (honneur du nom, etc.), les préjugés de la triomphante et égoïste morale de la bourgeoisie. Par là, bien indirectement, il est certain, et inconsciemment, à hâter l'élaboration d'une morale future répondant aux nécessités de la démocratie. Insen- sible aux idées, il a aidé à la réaction contre les fumeuses idéologies qui de l'Allemagne ont envahi la France dans la première moitié du siècle : prenons garde qu'ama- teur de faits il a triomphé en même temps que le positi- visme pratique de Taine. Enfin le financier a complètement transformé en France la condition et jusqu'à la notion de l'homme politique: en la corrompant, il a rendu un service humain, il a fait la confusion des castes aussi nécessaire

136 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

socialement que ce que l'on appelle la confusion«des genres en art. Il aura enseigné que les distinctions usitées sont arbitraires, plus scolastiques et universitaires que natu- relles et même rationnelles : l'homme politique ne peut pas se séparer de l'homme d'intérêt, et leur refusion produit harmonieusement l'être social. Il a donc servi à la transi- tion de l'humanité politique à l'humanité sociale, comme, d'autre part, il a préparé, par son cosmopolitisme inté- ressé, le passage du nationalisme à l'internationalisme humanitaire.

En somme l'aristocratie d'argent est, par rapport à celle du sang (ou de la guerre), une forme d'aristocratie plus sympathique pour la société contemporaine, parce qu'elle est plus démocratique dans son origine et par son renou- vellement. Et tout en portant donc sur lui le jugement le plus juste en sa rigueur, tout en étant prêt sans nulle sen- timentalité à le sacrifier à l'heure opportune, il ne faut pas oublier que, dans un univers dont nous ne possédons même pas complètement les lois d'harmonie, il a avoir, comme les plus dangereux fauves h leur heure, sa raison circonstancielle d'utilité supérieure.

CHAPITRE IV

LA NOBLESSE

Il n'y a jamais eu, dans la France monarchique des derniers siècles, de séparations bien nettes entre les diverses classes et sous-classes de la société, ainsi qu'il en est, par exemple, en Russie. Les anoblis, avisés et hardis, savaient maintes fois accréditer leur roture rehaussée d'or au-dessus des hobereaux, réduits à la modestie ; et l'intérêt persuadait de taire l'insolence des mémoires trop fidèles. Le roi imposait l'exemple de considérer plus que les courtisans les plébéiennes dont son caprice consacrait le sang. La confusion des rangs ne faisait que s'accroître chaque siècle par les mouvements de la plèbe s'agitant vers la vie sociale, La démocratie, triomphant avec les Napoléon, parait les plus rusés des siens de titres et de chamarrures qui brillèrent pour l'Europe, peureuse d'être frottée de la rudesse des victoires. La Restauration, poli- tique, prêta de l'honneur aux traîtres en leur donnant la sanction d'une sorte de « légitimité «. La monarchie de Juillet élut des pairs parmi les boutiquiers influents. La papauté vendit à l'amiable des titres à la finance et à la bourgeoisie ralliées. La Troisième République, parvenue, facilita aux rastaquouères l'usurpation de titres capables

138 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

d'entoiirei' les Félix Faiire d'un personnel lastneux de cérémonies.

De tout cela il se trouve qu'il n'y a pas aujourd'hui moins de cinq ou six sortes de noblesses : la noblesse marronne de la Troisième République, la noblesse papale, la noblesse orléaniste, la noblesse légitimée de la Restau- ration, la noblesse d'Empire, enfin les restes de l'ancienne noblesse de royauté, elle-même très mêlée d'anoblis, ané- miée par la vie de cour et décimée par les guerres, les frondes, les révolutions et l'exil miséreux. Le tout est intimement confondu par le croisement des vanités, des luxures, des intérêts; le tout est mêlé en un élixir compo- site et frelaté dont la Troisième République se plaît à alcooliser ses digestions bourgeoises. 11 subsiste aujour- d'hui beaucoup d'aristocraties, mais il n'y a plus d'aristo- cratie. Si l'on cherche à délimiter « l'aristocratie » pour l'étudier, on est assez perplexe; et finalement, en l'absence d'un critérium officiel, on est obligé de comprendre sous ce nom tous ceux dont les titres gardent auprès de la bourgeoisie enrichie ou des Américains une suffisante valeur commerciale, et tous ceux encore qui, sans titres dûment appuyés de parchemins, simplement particules, sont reçus dans la familiarité des titrés, s'y accréditant par une intensive culture d'élégance et l'importance de leur fortune. Dans le présent sujet la délimitation est facilitée par les écrivains, qui ne manquent jamais à déclarer si, pourquoi et à quel degré leurs modèles et les personnages qu'ils en ont copiés doivent être considérés comme étant de « l'aristocratie )>.

Celle-ci reste donc une classe, c'est-à-dire assez vague, et ne se limite que rarement en caste (dans quelques salons du Faubourg qui restent encore assez strictement fermés). Elle n'en présente pas moins un intérêt spécial

LA NOBLESSE 13»

d'étude en raison du rôle qu'elle continue à tenir dans la société actuelle. Même, sa diversité h travers les âges- double Fintérct d'une étude qui devient par contre-coup celle de l'évolution de l'élite politique dans le pays. Si cette classe n'offre plus le même mérite de supériorité physique et d audace qui lui valut de conquérir le premier rang, elle ne nous intrigue pas moins d'avoir su rester une élite dans la considération publique : elle n'a point cessé, en effet, par le prestige de ce qui porte un cachet d'antiquité, d'en imposer à un très grand nombre, mal- gré sa déchéance avérée, malgré qu'elle s'écarte davan- tage de la masse civile, malgré que son importance sociale diminue progressivement dans une civilisation en pleine évolution vers une période socialiste.

LA PHYSIOLOGIE

L'un des moindres résultats de cet éloignement de masse n'est pas d'avoir appauvri, à force d'affinenient, leur physiologie. La sélection par unions consanguines aboutit à une extrême débilité, et les apports de lobus- tcsse que fait de temps en temps la bourgeoisie, d'ailleurs le plus souvent déjà anémiée par la richesse, ne peuvent que précipiter la déchéance physiologique de l'aristo- cratie, comme il va d'un vin fort pour des nervosités trop sensitives.

Un préjugé esthétique, entretenu avec soin par la noblesse, est d'attribuer la supériorité idéale au type de beauté gracile et de lignes ténues jusqu'à la fragilité. A la vérité, nous continuons par éducation à la goûter : on est encore touché délicatement par la souplesse féminine des Serge de Menassieux ^ et des Roland de Prébois-, adoles- cents imberbes et pensifs dans l'auréole voluptueuse de longs cheveux soyeux, « à la grâce de corps finement débile et au front élevé de Chatterton que ses succès au lawn-tennis ou à danser le boston auraient accommodé

1. Abel Hermant, Serge, Ollendorff.

2. Paul Hervieu, Flirt, Lemerre.

LA NOBLESSE 141

avec l'existence ». Les femmes recherchent encore, entre tous, les jolis blondins aux yeux satinés, « au teint de fleur rose », aux cols Irêles et aux gestes de filles tels que le prince Charlexis d'Olmutz, duc d'Alcantara ', ou le prince Silvère de Caréan-Priolo '. Une virile et un peu virago Maud de Rouvre se passionne pour la beauté aiguë et les bleus yeux de femme de Julien de Suberceaux^.

Les hommes, même l'intellectuel procureur de Sanci, trouvent quelque charme sadique dans le commerce d'une 'Marguerite d'Auflers *, dont la figure laminée au teint d'ivoire jauni, dont la lourde chevelure sur fragile cou, le corps sans hanches, sans croupe et sans gorge, inspirent la délicieuse frayeur qu'en la touchant ses membres s'émiet- teront comme du Saxe et sa peau trop diaphane s'ouvrira. A plus forte raison M. Paul Bourget pourra-t-il exalter la bleuité exquise des prunelles, la suave ténuité du visage, la chaude nuance des cheveux blonds, bref, le « visage déli- catement patricien » de la comtesse de Caudale, « un des grands noms historiques de France )> - dont « l'air grande dame ne s'imite pas », sans moins goûter tant « il était impossible devant cette créature de ne pas penser à quelque portrait du temps passé la bouche d'Héro- diade,... le type de madone familier à Luini », la chevelure noire, la pâleur ambrée, la langueur dans les mouvements de Mme de Sauve •^, bâtarde d'un beau comte.

]Mais déjà la joliesse mobile de lévrier d'une princesse de Seyriman-Frileuse et l'élégance maniérée, les mille petites rides du visage efféminé par quatre cents ans de

1. Alphonse Daudet, La Petite Paroisse, Lemerre.

2. P. Hervieu, Peints pai' eux-mêmes, Lemerre. .3. M. Prévost, Les Demi-Vierges, Lemerre.

4. Paul Adam, Robes rouges, Ollendorff.

5. P. Bourget, Un Cœur de femme; Cruelle Enigme, Pion.

142 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

noblesse sans mésalliance, le profil oiseau de proie de mignon neurasthénique du comte Aimery de Muzarett ^ donnent quelque malaise à ceux-là mêmes qui la savourent perversement. De plus en plus l'idéal esthétique cesse d'être une Longueville ou même une Lamballe : nous aimons une beauté plus énergique, d'intellectualité moins frivole, de charme plus vivace, de fard plus scientifique, de doux éclat minéral et de moins éphémère vénusté, dont les romanciers contemporains ne trouvent les épreuves vivantes qu'en dehors de l'aristocratie.

Les corps ne sauraient davantage réserver à l'amour sain, qui veut perpétuer l'énergie de la race, la puissance substantielle :

Frédéric de Pérlgnv", qu'un de ses professeurs et ami dénomma « chérubin de décadence », énervé par l'héré- dité d'une mère souffreteuse et une éducation de femmes et de jésuites, languit après la mort de sa grand'mère dans la solitude, sans même la force de travailler, dégoûté de la jeunesse, écœuré à seulement traverser le Quartier Latin; enfin violé par l'audace d'une amoureuse du Monde, il ne goûte, par efféminement, dans l'amour que la dou- ceur du péché. Dès la première entrevue c'est elle qui est a ses pieds ; il reste assis et tremblant ainsi qu'une pucelle : « Tu es beau comme une femme », lui dit-elle; et h mesure qu'elle le presse, il se sent étreint d'une incompréhensible froideur physique, il perçoit par réfiexes. « J'ai été la femme de cet accouplement », ne peut-il s'empêcher de crier, bientôt meurtri du dégoût de Tacte. 11 l'aimera dans la suite, mais seulement parce qu'elle vient avec régularité

1. Jean Lorrain, M. île l'hocas, OUend. rff.

2. M. Prévost, La Confession d'un amant, Lemerre.

LA NOBLESSE 143

le délivrer de la solitude, par une analogie avee la demoiselle pauvre et isolée des siens, institutrice ou dame de compagnie. Sa maîtresse morte, comme il a rencontré une jeune femme parfaite qui le chérit, il s'enfuit à l'étranger pour ne plus aimer. C'est qu'il n'a pas la lorce phvsique de l'amour; il aurait voulu ne jamais dépasser les caresses; et Vomne animal post coïtum triste, que ne con- naissent point les robustes créateurs d'avenir, n'a jamais été plus angoissant que pour sa sensibilité consomptive.

Le comte Henri de Poyanne', enlance mélancolique puis jeunesse rongée de chagrins, manque également de la capacité physique de l'amour par lassitude de sang, pau- vreté de nature et précoce épuisement. Ce n'est pas à autre chose que, dans ce roman de style et d'inspiration féminins, M. Bourget aurait attribuer son insuccès amoureux auprès de la comtesse de Tillière qui préfère à ce dyspeptique au teint bistré le vigoureux sportman Raymond Casai. Le comte Gérard de Quinsac, en qui Zola- déclara svmboliser la noblesse actuelle, « derrière la noble façade de la race, grande taille et mine fière, n'est que cendre, toujours menacé de la maladie et de récroulement. Au fond de sa virilité apparente, il n'y a qu'un abandon de fdle, un être faible et bon capable de toutes les déchéances » ; et s'il reste l'amant de la baronne Duvillard qui le surprit, c'est qu'il n'a pas la force de rompre le collage.

Le comte de Feysin ^ accuse une autre sorte de féminité que les P'rédéric de Périgny. Son enfance fut tourmentée par la peur de l'enfer. Adolescent, il lut Renan et Çakva-

1. P. Bourget, Un Cœur de femme, Lemerre.

2. Zola, Paris, Fasquelle.

3. F. de Nion, La Peur de la mort, Stock. Ce roman, qui est un des pre- miers de l'auteur, est très important pour l'étude de l'aristocratie.

144 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

Mouni avec enthousiasme, mais pour ne plus éprouver qu'une désolante stérilité cérébrale. Caractère mou, frôlé de songes, àme délicate desservie par un corps grossier, cœur neurasthénique, il n'a pas le courage de déclarer son amour à une cousine dont les jeux confiants énervèrent sa sensualité précoce : c'est qu'il fut féminisé avant sa virilité par cette fillette, ayant vécu si près d'elle « qu'il connais- sait toutes les parties de son corps et avait toujours eu le parfum de sa chair dans ses narines ». Il la laisse prendre par un autre, puis, jaloux, va à Paris et sollicite une cabo- tine qui le subjugue et trompe. Tempérament poltron qui, adulte, sefTraiera encore devant la mer, devant la nuit, devant l'invisible l'atavique terreur des phénomènes physiques renaissant en lui »), il est fréquemment réveillé la nuit par l'idée nerveuse qu'il va mourir, il a sans cesse la sensation de la mort, avec l'enfantine révolte contre la dispersion de son moi, et la hantise de sa chambre mortuaire. Tel, fatalement il redoute de savoir que son actrice le dupe : il ferme lâchement les yeux, il cherche des distractions, il se complaît à la regarder se maquiller, faible, jusque dans la dispute amoureuse, de la sentir si désirable au moment même il se perçoit trompé. Le hasard l'ayant aidé à fuir, il retrouve à la campagne sa cousine mariée; aussitôt sa jalousie se trouble de visions ensanglantées; et il la surprend après souper, prenant enfin un peu de pleine joie dans la' fierté de sa brutalité irresponsable.

Dans cette physiologie, anémiée à en être translucide, les hérédités transparaissent beaucoup plus qu'en qui- conque : il en çoit le jeu en lui, le combat des hérédités pures avec celles de ses ancêtres paillards. Ce qui, en l'amour, attire ce peureux, c'est l'allégeant voisinage de la chair, qui lui donne la sensation de sécurité, la sensa-

LA NOBLESSE 145

tion que reuvahissent des fluides de tiède douceur maternelle. F. de Nion a parfaitement analysé quelle sorte de poésie peut offrir h ce noble fatigué une jolie jeune fille qu'il épouse : Pendant la nuit de noces en wagon, notée avec intense sobriété, il peut h peine se retenir de la prendre tandis qu'elle est endormie, parce que son sommeil ressemble à un peu de mort. Cette sensation de la mort, il l'a, immanquablement, devant toute grâce^ toute nudité, frappé même, lorsqu'en remontant son arbre généalogique il parvenait à la préhistoire, qu'il y ait tant de gens morts qui en ont tué eux-mêmes tant d'autres.

Et voici que, devant son fils mort-né, il éprouve que c'est un peu de sa chair qui est mort, et la vision du petit corps mangé par les vers le hante. Il se rappelle la boîte on l'a enfermé; et dès lors, toujours le possède l'effroi des endroits resserrés, l'horreur de l'étroit, l'image de la mort, et il est surpris que sa femme et sa sœur n'en soient pas obsédées. Envoûté par le genre de deuil et de mort que les sombres idées assyriennes ont mis dans le chris- tianisme (démons, haine de la joie), il a la constante vision du Jugement Dernier; et il faut noter l'importance, dans son testament, des passages concernant l'ensevelissement et le respect de son cadavre. Les évocations préhisto- riques, qui sont un rappel de jeunesse pour l'intellectuel sain, sont funestes pour ce noble. La science n'a fait que multiplier ses terreurs, lui suscitant une vision de néant sidéral plus terrible que le néant terrestre seul connu de ses ancêtres. Et il s'éteint dans l'angoisse après avoir appelé le curé, non par foi, mais pour être assisté de quel- qu'un de plus contre la mort.

Comme Feysin avait, dans le sommeil, des aperçus et des visions d'au-delà magnétiques, Bérengère, fille du général,

M.-A. Leblond. 10

Hd LA SOCIETE KHANÇAISE SOUS LA mOISIEME REPUIiLIQUE

mcarne un très curieux cas de suggestion. M. Paul Adam \ Gfui fui passionné d'occultisme, a réalisé plusieurs créations de sujets hypnotiques et c'est presque exclusivement dans l'aristocratie qu'il les classe : celle-ci présenterait, selon lui^ le véritable terrain de sujétion par l'excessif affine- ment du système nerveux et l'anormalité cérébrale. Curieux de spiritisme, le baron Xavier de la V...", pâle jeune homme, débile et farouche, spleenétique et impres- sionnable, est hanté du monde de l'Invisible, par un somnambulisme moven-àgeux qui tient les descendants de vieille race châtelaine et alchimiste. A côté d'un rejeton l'achiticjue et baveux du prince de Saxe et de la marquise àe Sennabrucht, bouc amoureux réduit par l'idiotie au yôle de factotum servant les gâteaux avec les domestiques, Bérengère, élégante et coquette hystérique, s'entretient dans le merveilleux par la lecture ardente d'Hoffmann et de Poë. Fréquemment le passage de a l'Esprit » la traverse ; alors troublée d'un rire et d'agacement diaboliques, elle crispe ses doigts aux damassures de la nappe, s'exalte soudain contre l'inoffensive rudesse d'un officier, dénonce avec conviction d'illusoires insultes, délire nue dans sa chambre contre un attentat imaginaire et meurt dans une agitation démoniaque. Son amie Marguerite d'Auflers se borne a la sentimentalité provocante de menus frôlements et de rires titilleurs, de rougeurs et d'œillades, commen- tant les effeuillements de marguerites, satisfaite d'extrêmes excitations en une inconscience savante et rusée.

Mme de Sauves^ offre un autre genre d'hystérie dans son « m('dange singulier de corruption et de noblesse ». M. l^ourget imagine de lui cacher un « cœur i-omanesque »

1. Paul Adam, Robes rouges, OllendorfT.

2. Villicrs de l'Islc-Adam, L' Intersigtic . Galmann Lévy.

3. Paul Bourget,07<c//t'A'«/o^/«('. Anatole France, Z-e I.y s rouge ,(ln\mi\nn Lévy

LA NOBLESSE 147

dans « un tempérament passionne ». Ce n'est nullement le cœur qui est romanesque chez cette jeune femme dont les « appétits invincibles de sensations » furent déjà aiguisés chez la fillette en robe courte par les conversations perverses des dîners du grand monde. Et c'est par un euphémisme inconscient que M. Bourget lui attribue une « dme tragique ». En cette prédication de casuistique amoureuse l'émotion ose à peine éclairer la tonalité générale du roman cérémonieux et gris, M. Bourget a cédé au besoin universitaire de distinguer en les êtres des dualités; ce dont se gardera bien M. Anatole France, trop avisé pour vouloir nous expliquer cette Mme de Vressin ' (c dont on contait d'effroyables histoires et qui gardait, après vingt ans de scandale mal étouffé, des veux d'enfant sur des joues virginales ». Instruite au liber- tinage par le prédécesseur d'Hubert, tentée de luxure, ardente vers les ivresses sensuelles, frissonnante de désirs « presque brutaux », bref, comme conclut indulgemment M. Bourget, « capable de dépravation », si elle se plait l\ se partager entre deux amants, ce n'est nullement par une lutte de l'instinct sensuel et de l'àme idéaliste, car ce qui mérite d'être appelé idéalisme suppose une tout autre culture intellectuelle. Et cette perversion, tous les roman- ciers suggèrent qu'elle est aristocratique, M. Jean Lorrain comme M. J.-K. Huysmans.

Perdu de cauchemars, le duc de Phocas % névrosé qui a sombré dans l'occultisme, recherche les gvnandres avec autant de passion que les personnages princiers dont s'entourait en hypnose le sàr Péladan. Et la perversité

1. Anatole France, Le Lys rouge, Calmann Lévy.

2. Jean Lorrain, Monsieur de P/tocas, Ollendorff.

148 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUIiLIQUE

chez lui est complexe, aiguisée de sadisme, savourant avant tout en soi ce qu'elle implique de cruauté. Dans le moindre amour il veut du meurtre, aimant les filles dont la chétivlté appelle la violence, inspiré d'une étrange rage de destruction devant la nudité : « La palpitation de la vie m'a toujours rempli d'une étrange rage de destruction ». Même le spectacle anhelant d'un acrobate en équilibre périlleux lui impose le désir de sa mort baignée de sang. D'une famille composée d'abord d'athlétiques soudards mais l'efféminement du maie s'était accentué pendant deux siècles de mariages consanguins, Jean de Floressas des Esseintes ' est anémique et nerveux, joues caves, mains fluettes et sèches. Durant une enfance funèbre menacé de scrofules et accablé de fièvres, n'ayant repris qu'au grand air, des Esseintes, adulte, recherche les plaisirs languides et extrêmes, combine des jouissances subtiles et diverses avec des coquetteries de courtisane et des caprices de grand seigneur, dispose sa physiologie falote dans un cadre fastueux. Fin-de-race n'empruntant un peu de vie et de personnalité qu'au décor, qui n'était que simple récréation pour l'ancêtre, il veut réagir par la turj)itude d'un régime de stupre contre l'austérité vieillotte de sa famille et l'internement monastique de son enfance. « Il tàte des actrices et des chanteuses, entretient des filles déjà célèbres, contribuant à la fortune de ces agences qui fournissent moyennant salaire des plaisirs contestables, » et recherche les prostituées aux bras desquelles il devient femme. Cérébral dans l'amour, il est attiré par les femmes phénomènes; épuisé, il quête les caresses des virtuoses, connaît les joies déviées, ressuscite en résumés tous les vices mâles et femelles d'une ancestration nobiliaire ; puis

1. .I.-K. Huysmans, A rebours, Fasquclle.

LA NOBLESSE 149

excédé, il tombe h la léthargie d'une solitude désœuvrée. De morbidesse suraigue, l'organisme de ce collection- neur en toutes choses souffre de toutes les formes de la névrose. Il se soutient par la seule surexcitation mentale; impuissant et sédentaire, il se procure laborieusement l'illusion d'une vie mouvementée et nomade : débile aris- tocrate de ce siècle, il se donne l'illusion d'être un sei- gneur des époques fortes du passé; sybarite de la dégé- nérescence d une race, d'être une courtisane de puissante sensualité; profane par son scepticisme et sa somptuosité, d'être un moine ascétique.

C'est donc avant tout un Névrosé, une pauvre loque que tordent les souffrances, un martvr subtil et excen- trique. Raté de la Vie et de la Santé, esclave monomane de sa physiologie, prisonnier du Passé et de la corruption luxueuse des vieilles sociétés, victime pantelante luttant avec la vie qui le rejette, il paie la dette des ancêtres jouisseurs qui ont vécu des souffrances mCdes d'une plèbe obscure. A en analyser la personnalité tourmentée et piteuse, Huysmans montra la science détaillée d'un alié- niste; et, malgré sa sympathie d'artiste pour le faste pit- toresque du sujet, il insista, avec une éloquence religieuse, sur la fatalité justicière qui condamne à la putrélaction les restes d'un sang heureux s'étant « débordé » en luxures et en fêtes. Très nettement il a voulu créer en des Esseintes un type essentiel de Noblesse. Est-il véridique? 11 apparaît certes la somme logique des observations des autres romanciers : le Noble, physiologiquement, serait un désorganisé.

II

LE SENTIMENT

Pour passer d'un chapitre à un autre, on s'apercevra d'abord n'avoir guère changé de sujet : c'est que, pour l'aristocratie, l'amour est plus souvent question de phy- siologie que de sentiment : aussi bien pour un Julien de Suberceaux que pour un Lacroix-Firmin.

Julien ' ne réussit pas plus h tempérer de dévoùment que d'intérêt sa passion aigument charnelle pour la somptueuse Cubaine Maud de Rouvre. Sans le sou pour l'entretenir, il est d'abord réduit à n'accepter qu'une demi- possession et à subir son mariage avec un homme plus for- tuné; mais, surénervé et aveuli par la volupté qu'elle lui dispense en prémices de la possession complète que per- mettra son mariage, il ne peut supporter plus longtemps la pensée qu'elle livrera h un autre la part capitale qu'il n'a pas eue : à la veille du mariage, il le rompt par un esclandre; puis, chassé par iNIaud, se suicide. Le comte Muffat de Beuville ruine femme et enfants pour satisfaire une passion (pie la courtisane Nana se complaît ii rendre chaque jour plus honteuse, le poussant au gâtisme à quoi il avait des dispositions natives. D'ancestration campa- gnarde, Lacroix-Firmin en qui M. Bourget caractérise

1. Marcel Prévost, Les Demi-Vierges, Lemerre.

LA XOBLKSSE 15<1

amèrement un athlète launesque, l'étalon de haras noble, perpétue la brutalité indiscrète du mousquetaire, utilisant ses aventures galantes pour la réclame. Il inaugure avec superbe les amants professionnels.

Contran, comte de Ravenel ', et ses camarades se passent les femmes de la rue et de leur monde comme des chevaux en approximant « à termes de maquignons » leurs qualités amoureuses; ils prêtent plus d'élégance au métier d'amour, mais une élégance de quartier Bréda, « ayant pris h la fréquentation des femmes galantes des mœurs et des cœurs de fdles ». Plus délicat par culture de lettré, Paul de Brétigny^ mis à point par un récent désespoir d'amour, persuade de son éloquence doulou- reuse Clotilde Andermatt, la sœur de Contran; il l'alFole des mièvreries passionnées d'un caprice sincère, et, quand elle a assouvi sa véhémence , il se dégoûte du corps déformé par la maternité que son inconscience passionnée lui imposa, et se fiance à une fillette riche avant même qu'elle ait accouché.

La comtesse de Cromance ", pieuse et pleine de respect envers les choses saintes, tient l'amour pour le plus précieux don du ciel et répand l'aljondantc manne de sa sève dans les cœurs arides de nombreux amants. Par un sentiment inspiré de Sainte-Marie l'Egyptienne, elle revêt de l'anonymat et de l'universalité de tout ce qui est catho- lique le service en communion de son beau corps, au point qu'elle n'ose jamais appeler ses amants par leurs prénoms. M. Anatole France, dont l'imagination païenne est évangélique, a mûri en elle son idéal d'aristocratique beauté amoureuse, dont la générosité s'offre en belles

1. Maupassant, Mont-Oriol, Havard.

2. L'Orme du Mail, Le Mannequin d'osier, L'Anneau d'amethysle, M. Bcr- gcrct à Paris, Calmann Lévy.

152 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

grappes juteuses, lourdes d'un vin léger, aux désirs des multiples vendangeurs.

On ne saurait dire que les héroïnes aristocratiques de M. Hervieu, qui est de tempérament sentimental, soient sentimentales. Françoise de Trémcur^, pour être honnête et pure dans l'adultère au point d'avoir rompu toute relation avec son mari, incorruptiblement fidèle à son amant Glé-Glé au point d'être prête à quitter sa fillette pour le suivre à l'étranger, n'en est pas moins une pure sensuelle : la plus tendre en mignardise, la plus alliciante en pratiques dévotieuses, la plus ingénue en une multiple et fervente ingéniosité.

Amoureuse^ en l'enfance du portrait de Louis XY ado- lescent, la marquise de Nécringel était née pour l'éternelle volupté et affirme qu'à son âge de grand'mère, elle apprête un mariage riche pour le fils de son amant, l'amitié n'a pas encore remplacé l'amour. Elle re^it ses premières émotions h écouter avec dignité les confidences des jeunes lémmes et à dispenser, avec une mesure harmonieuse, les conseils de délicate hardiesse. Cette vigilante douairière du xix*^ siècle qui a l'art d'être aimée et respectée de tous, même des domestiques, pleine de majesté et de tact dans une existence obligée à être pra- tique, restée grande dame jusqu'en les situations délicates auxquelles elle accepta bravement de se hasarder, repré- sente la dignité de la sensualité devenue rationnelle tant elle est naturelle.

Sans prendre profession, comme Mme Riverol-Saligny ^ « l'appareilleuse », de tenir maison en son salon, la sage

1. P. Hervieu, Peints par eux-mêmes, Leinerre.

2. Abel Hermant, Mémoires du cicomte de Courpière, Ollendorfl.

LA NOBLESSE 153

Mme de Prébois ' se plaît h accueillir sous son toit les flirts d'autrui et invite toujours ensemble les gens « qui font la paire dans ce genre d'ornementation » : ce n'est pas tant que, descendante de soubrette, elle aime recevoir, trôner, placer des phrases sur chacun des objets provenant de Marie-Antoinette qu'elle possède, mais se sentir enve- loppée moelleusement de la clialeur des jeunes adultères. Dans Le Lys rouge, roman subtil consacré à l'analyse stylisée de ce que l'amour passionné et l'art comportent de ferveur, de prestige et de volupté aristocratiques, le marquis de Ré, « grand et beau de trente ans de triomphes intimes et de gloires mondaines », prolonge sa jeunesse au delà de l'ordinaire par sa grâce virile, par son élé- gance sobre et jaar l'habitude de plaire que perfection- nèrent trois générations de femmes idolâtres. Il convoite de parfumer sa barbe blanchissante du contact, à sa boutonnière, d'une « ultime fleur d'amour » : l'exquise comtesse Martin-Bellème ayant déçu son espoir, il s'en- terre vivant dans une solitude d'exilé du seul bien de la vie. L'aristO(-ratie, classe déchue du pouvoir, s'éperd à retrouver sa souveraineté dans l'amour, elle prétend au dernier privilège d'être unique et essentiellement rare.

Le vicomte de Gourpière, en qui M. Abel Hermant synthétise avec une discrète évidence son idée de l'aristo- cratie, conquiert cette suzeraineté par les aptitudes et vertus naturelles d'un souteneur, condition réservée aux professionnels cjui sont nés des classes déchues de richesse. Les cocottes se reconnaissent en telle fraternité d'àme et de race avec lui qu'elles ne se font pas payer,

1. Paul Hervieu, Flirt.

lô'i LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

bien qu'elles n'en aient pas reçu le coup de foudre. Par une intimité naturelle, elles lui racontent leurs petites affaires, il s'y intéresse et y répond par des confidences dont il est avare avec ses meilleurs amis. Elles assimilent justement son égalité d'humeur pour toutes h leur propre passivité, et elles lui communiquent sans peine leur goût pour la brutalité et les amours sanglantes de souteneurs. Elles l'ont surnommé l'a ami des femmes », mais c'est l'ami des filles que M. Hermant a accompli en ce jeune noble. Il lui arrive au demeurant d'être l'ami des femmes de son inonde, et cela ne semble point beaucoup le changer dans ses habitudes. Après avoir courtisé la baronne Duval pour obtenir de son mari une pension mensuelle de 25 louis, il s'aperçoit au vide prompt de sa bourse avoir été trop modeste, et il fait entretenir sa maîtresse par un ami, s'entretenant lui-même par les vols de cette maîtresse à son ami. Il finit par en épouser la sœur richissime, obte- nant ainsi la vie sauve du duelliste Arrow, qui l'épargne parce qu'il sait pouvoir désormais tirer de lui par sa femme tout l'aroent désiré.

D

Ruiné par la noce, le prince de Lucques ' introduit moyen- nant redevance les riches étrangers dans les salons du faubourg Saint-Germain. Expert en modes, juge suprême des cotillons et des déguisements, débiteur aux salons des aventures scabreuses, ce prince de sang n'est plus à soixante ans que le cabotin de sang. Et si la mascotte de mairiisin le choisit comme amant lanceur, c'est à titre purement représentatif, par une bonne entente de réclame mutuelle. Sa carrière aboutit logiquement à la fonction honorifique de « chandelier ». L'honneur du nom n'en est pas moins fièrement tenu.

1. Georges Clemenceau, Les plus forts, Fusquelle.

LA NOBLESSE lôi>

M. Paul Hervieu,- pour avoir fréquenté un meilleur monde, n'y rencontre guère plus de puissance naturelle de sentiment, et des susceptibilités d'honneur qu'à peine plus chatouilleuses. Cela tient à ce que les aristocrates conçoivent la vie comme toute décorative et n'accordent d'importance qu'à la beauté des gestes. Le vicomte de Gromelin*, tvpe suprême de l'aristocratie, n'est que gestes : son âme entière est une àme de srestes de haute correction. Quand il parle, quand il veut exprimer quelque sentiment à un autre ou même h soi, c'est par des gestes extérieurs ou intérieurs; quand il se voit dans la pensée, c'est toujours en gestes de distinction pleins de race, naturellement compassés, dont l'ctudié môme est devenu instinctif. L'être de caste seul subsiste en lui, et il accepte l'entière humiliation d'être publiquement cocu parce que la représentation c'est-à-dire l'ensemble d'une vie de gestes mondains que permet l'argent conjugal est le premier devoir de caste, et parce qu'il sait que les siens apprécient davanta'^re les cornes d'abondance que les mains vides. Mais, ayant soudain hérité d'un vieux parent, il va immédiatement chez un avoué pour faire surprendre sa femme et obtenir le divorce, estimant qu'il doit avoir de l'honneur marital maintenant qu'il s'en peut payer le luxe. Et il garde la plus grande correction, une froideui^ impartiale, un détachement d'aristocratie que rien ne saurait tacher, dans ses rapports délicats avec l'avoué. Il est respectueux de la légalité parce qu'elle est un code de société aristocratisée, un code compliqué et sec aussi malaisé que le code des convenances, pour la science de quoi il faut une longue et oiseuse éducation; il la respecte pour ses termes aussi difficiles que ceux de la cynégé-

1. P. Uei'vicu, L Armature, Lemerre.

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tique, parce qu'elle représente dans la vie nouvelle quelque chose de très compliqué, d'absorbant, d'antique, d'inutile, de superficiel, d'entravant, quelque chose entre les mille mailles de quoi il faut apprendre à passer, un appareil de formules et de formalités cérémonieuses. A la fin, sur la pression de son beau-père millionnaire, le baron Saffre, il se décide à reprendre sa femme au prix d'une grande terre de chasse célèbre il pourra diriger les meutes suivant les rites.

Ainsi la superbe violence ancestrale, d'amour et de guerre, peu à peu assagie par des siècles de courtisanerie, s'est alentie jusqu'à ce débile flot, lourd et rare, d'un sang pauvre, d'un honneur prudent, d'une vie médiocre. L'amour reste la profession de la caste; mais, comme ils sont devenus oisifs, la profession n'est plus qu'un sport rituel; mais, comme ils sont devenus indigents, le sport n'est plus que cabotinage payé. Ils épousent des dots et des cocuages, jockeys honorifiques de chevaux entretenus par la bourgeoisie riche.

Plus valeureux caractères, -laccjues et Giselle d'Exireuil s'aiment avec constance et force. Mais ils sont ruinés et ils ne peuvent se passer de richesse. Quand il apprend qu'elle a céder à SafFre pour le préserver d'aller seul refaire fortune en Australie, la violence de sang des ancê- tres revient tumultueusement : pendant huit jours il attend le retour de Saffre pour le mettre en pièces, et, le trou- vant fou, incapable de résistance, il ne peut se contenir de lui cracher au visage. Il est décidé à ne plus rien lui devoir. Cependant il accepte bientôt de devenir Ihomme d'affaires de la baronne SafFre, ce qui offre en outre l'avantage d'indiquer au monde cjue ce n'était point comme mari salarié mais représentant de la baronne qu'il résidait auprès du baron. M. Hervieu ayant peint indulgcmment

LA NOBLESSE 157

en Jacques le plus noble des aristocrates actuels, il reste que, pour les meilleurs, l'argent représente l'honneur mondain, plus fort que l'amour.

Avec la physiologie, la puissance de sentiment s'énerva : cœur comme corps s'avouent être de fin de race. Chez un vicomte de Sartine ' c'est la volonté qui faillit : il aime Jacinthe de Mesmes mais il est incapable de l'audace nécessaire à la reconquérir et se laisse dominer par l'ou- vrière Léontine, qui en obtient ce qu'elle veut par des scènes. Chez un Armand de Querne -, ce sont non seu- lement les sentiments, mais le sentiment qui a tari, par une manière d'impuissance. Il trompe son ami parce qu'il est incapable d'amitié ; il est incapable de croire à la généreuse honnêteté de celle qui se donne h lui; et il se reconnaît incapable de répondre aux chaudes délicatesses de la belle jeune femme, parce qu'il est incapable de tout amour. Et véritablement il ne saurait même point souffrir du malheur qu'il causa, mais seulement en être énervé.

Charlexis d'Olmiitz^, ingambe et ardent sans fatigue au jeu physique de l'amour, à dix-huit ans s'avère sentimen- talement vieux et las, fermé à toute ambition, n'aimant rien, ne s'intéressant h rien, vovant d'avance le bout de n'importe quelle joie : « Nous ne brûlons pas plus pour l'amour que pour la patrie, n écrit-il dans son Journal. Après quelques semaines de volupté, il abandonne Lydie seule en Bretagne, n'ayant pour celle qu'il a séduite ni

1. F. de Nion, Les Façades, Borel.

2. Boui'get, Crime d'amour, Pion.

3. Daudet, La Petite Paroisse, Lemerre.

158 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

un mot ni une pensée. Il se demande si c'est parce qu'il est <c un petit de la conquête » (1870) : n'est-il pas simple- ment l'héritier de mauvaise santé et de luxure, « vieux sol épuisé par trop de moissons heureuses et qui réclame h présent une longue jachère ».

Xavier de Tarvcs*, très grand et joli garçon de pulpe de fille, « a soupe » de tout et désole la femme de chambre la moins naïve par son absolue sécheresse, n'accompa- gnant jamais l'acte, que ses pères appelaient aimable, du moindre mot de gentillesse amicale. Maximilien de V.. . ^, poète intellectuel, cœur et esprit froids, est mené sans émotion au suicide par lutte contre la sentimentalité vul- gaire. Il attribue h la qualité d'artiste cette sorte de dessè- chement cérébral, ce scepticisme pour les choses de sen- timent commun : il ne devrait pas l'attribuer a Taristocra- tisme de l'art mais a celui du sang, de la race finie. Olivier du Prat^, « enfant de ce déclin du siècle », blessé et corrompu par un précoce désencliantement, lucide analyste, psychologue brutal, cynique et implacable, méprise sa famille, est écœuré de son pays, nie Dieu, petit La Rochefoucauld d'ambassade, anarchiste moral. Violemment jaloux, très susceptible de trouble sensuel, il méprise foncièrement la femme ; mais il est sentimental en amitié, ce qui indique bien que l'impuissance physiologique est la base première de l'impuissance sentimentale. Il érige l'amitié en principe de conduite d'ancien régime, il ne croit qu'à elle contre l'amour : type du martyr cheva- leresque de l'amitié, héros moven-àgeux de croisades.

M. Abel Ilermant a donné une un peu longue mais très délicate analyse du cas le plus curieux et significatif:

1. Mirbeau, Journal d'une femme de chambre, Fasquelle.

2. Villiers, Contes cruels, Gulmann Lévy.

3. P. Bourgel, Idylle tragique, Lemerre.

LA NOBLESSE 159

le trop fin Serge', affiné encore par nne chaste éducation, à dix-sept ans joue idylliquement avec la plus séduisante amie de seize ans sans pouvoir même se rendre compte qu'il l'aime. Aline est demandée en mariage par le mar- quis de Gravilliers, et Serge ne s'aperçoit pas encore qu'il l'aime, seulement fier et h demi-embarrassé d'être garçon d'honneur. Enfin dessillé par une révélation imp^révue, il tente de se tuer, sans passion, machinale- ment. Il reste éloigné d'elle sans vraie souffrance et con- naît des succès mondains et demi-mondains. Remis en sa présence par le plus pénible deuil, ils décident enfin qu'ils ont trop tergiversé et que, s'étant aimés si longtemps, ils doivent rationnellement se posséder. Ils passent un mois ensemble à la campagne et ils constatent alors leur stérilité sentimentale. Et le Platonique trouve seulement le bonheur dans la suffisante espérance que l'enfant du marquis lui ressemblera : toute autre joie eût débordé son cœur trop menu. De son côté le marquis est impuis- sant h l'amour normal : indifférent h la femme, il n'aime Aline que par l'excitant spectacle de son idylle avec Serge. L'ayant épousée, il s'aperçoit qu'il ne l'aime plus parce qu'elle est éloignée de Serge. L'amour ne peut s'entretenir que d'une perverse et complaisante jalousie : il lui faut l'aide délicate d'un tiers pour en supporter le poids.

La théorie de l'amour mondain épuré de la sentimen- talité commune est condensée avec une incisive ros- serie par un homme de lettres dans Le Vicomte de Coiir- pières. Il établit que « le Monde » est fondé sur l'adultère

1. Hermant, Serge^ OHendorff.

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comme la société civile sur le mariage, par cette série de déductions de plaisant engrenage : le monde se com- pose d'oisifs bien nourris; 2" « quand les oisifs ne sont pas des penseurs, ce n'est pas leurs nombrils qu'ils regar- dent » ; 3" les conversations du monde, avant pour objet le plaisir, ne sauraient donc être chastes; toute réunion d'humains tendant à s'organiser, le monde s'organise en petits groupements qui ne peuvent être qu'erotiques; 5" ceux-ci se superposeront aux groupes civils qui ne sont pas « de plaisir », d'où nécessité de l'adultère.

L'adultère est l'élément constitutif du monde, le mariage n'en est que l'armature. Le mariage n'étant qu'une simple union d'intérêts, non plus que les hommes les femmes ne mettent le point d'honneur dans la fidélité à l'époux qui les acheta pour la parade. Mme Nortier hospitalise son amant San-Giobbe chez son mari. Clotilde Andermatt, fille du marquis de Ravenel, n'a jamais songé qu'elle puisse aimer son mari; elle n'acquiert la science de l'amour que dans les caresses passionnées de l'amant, et ne redevient « honnête » que par l'abandon de celui-ci et dans le soin jaloux de son enfant. Si Anna de Cour- landon ' manque à être la maîtresse de Guy Marfaux, c'est que ce peintre d'élégances témoigna a une heure suprême plus de patience sentimentale que n'en aurait pu avoir la brutalité ordinaire des gentilshommes; et elle ne se rac- commode avec M. de Courlandon que parce que l'amant, toujours regretté, lui oppose une froideur que nul ne saurait réchauffer. Jacinthe de Mesmes^ se laisse léga- lement vendre par ses parents à M. Grandier par docilité et par ignorance du mariage qui, le soir de noces, la révolte : elle ne renoue avec l'époux que pour avoir ren-

1. P. Hervieu, Peints par cux-jnêines, Lemerre.

2. F. de Nion, Les Façades, Borel.

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contré au bras d'une fille de magasin l'aimé de sa fière adolescence. Pour Jacinthe, pour Marie-Louise deRabutin, pour toutes, le mariage est une corvée dont les honnêtes sortent avec la conscience d'une salissure morale et d'un sac physique. Elles le subissent par défaut d'énergie, par respect peureux des préjugés, façades derrière lesquelles elles vivent, résignées vite à trouver un peu de joie com- pensatrice dans le commerce de leurs cousins pauvres.

Ceux dont l'honnêteté d'exception veut mettre l'amour dans le mariage, y doivent aussitôt renoncer. Le comte Maxime de Chantel', ancien lieutenant de dracfons aux traits ardents et aux yen» pensifs, au cœur de berger et de landes, aima de passion concentrée Maud de Rouvre; instruit de son indignité, il se retranche solitaire dans son domaine en une mélancolie désolée de Samson provincial. Charlotte de Jussat-Randon -, enfant reli- gieuse dont l'amour secoue le fragile corps comme une crise nerveuse, se tue pour n'avoir pu trouver dans Robert Greslou, roturier sans cœur, un homme digne de' l'épouser. Ame délicate qui met de l'art dans l'intimité, la marquise de Tillières s'est laissée épouser secrètement par le comte de Poyanne, Egérie moderne induite à le consoler par une passion de confidences, par le sens et le goût du cœur d'autrui. Or, elle est au fond une passionnée qui se bride toujours, et soudain elle s'enflamme pour un professionnel de l'amour, le viveur Raymond Casai. Et M. Bourget ne lui permet d'autre fin logique que la prise de voile.

Quand le mariage n'est pas une cérémonie de caste, il ne saurait être qu'une affaire d'intérêt : en dehors de ces

1. Prévost, Les Demi- Vierges, Lemerre.

2. P. Bourget, Le Disciple, Lemerre.

M. -A. Leblond. Il

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deux solutions, il n'est pas d'autre politique. Le vicomte Jean épouse pour la dot une naïve et charmante pension- naire dont il séduit la servante durant les fiançailles mêmes; et, sitôt marié, il se préoccupe uniquement d'ac- cumuler les rentes par la plus sordide avarice, refusant les moindres satisfactions à sa femme. Maupassant a ici ' étudié, avec un réalisme profond, l'avarice médiocre qui n'a plus rien du lyrique de Molière ou de Balzac, mais qui est basse, plate, vulgaire comme Ja vie courante des gentilshommes campagnards devenus paysans. Dans Mont-Oriol, roman qui prend son intérêt à présenter le conflit des classes, bourgeoisie et aristocratie, citadins et paysans, dans une opération d'industrialisme moderne, il oppose à la ladrerie paysanne la prodigalité parisienne, non moins rapace. Contran de Ravenel et ses amis comptent tous sur le mariage riche, « ont des listes d'héritières comme on a des listes de maisons à vendre, » épiant surtout les millionnaires exotiques par plus de facilité à leur en imposer. Exilé de Paris par la pauvreté, Contran courtise la fille cadette du paysan Oriol qui est plus vénuste, et s'en fait aimer; mais, apprenant que la plus grosse dot est réservée à l'ainée, il se retourne vers elle du jour au lendemain avec une souplesse de pur- sang.

Le vicomte de Courpières s'ingénie pour obtenir en justes noces la comtesse de Pagelieu qu'ont enrichie ses amants. Gromelain, Arcole, Caudale, Sauves, épousent en môme temps la dot et l'assurance de l'adultère. Se satisfaisant des millions du père, le marquis de Longue- ville - épouse Mlle Nortier avec la complète connaissance qu'elle aime' un autre et qu'elle se vengera de son amour

1. Maupassant, Une Vie, Havard.

2. Bourget, Un homme d'affaires, Pion.

LA NOBLESSE 163

brisé. Le baron de Treuil', qui vit avec une cocotte chic, est trompé par sa femme, en mépris de cet « imbé- cile qui lui a vendu son nom ». Gérard de Quinsac " épouse la fille intirme de sa maîtresse dont la fortune permettra h sa fainéantise de ne pas lutter quotidienne- ment pour vivre et d'assurer h sa mère un grand train de maison. Maud de Rouvre, aventurière de race qui porte la folie d'un sang impérieux aux mains, aux sens et jusque dans l'àme, fière et méprisant la société à dédaigner de lui mentir, se sent née pour dominer un monde de fête et veut le luxe nécessaire à la splendeur de son corps créole et aux ardeurs impériales de son sang. Elle séduit le châtelain de Chantel ; son mariage manquant par la révélation de l'amant pauvre, elle l'envoie sans faiblesse à la mort et se donne contre la plus forte somme au ban- quier Aaron.

Le marquis de Tiercé^, sorte de Gaston de Presles déjà un peu américanisé même avant son mariage par la vie moderne, fut conçu par M. Hermant à la seule fin de montrer quel pas le monde a fait depuis Augier : les décavés préfèrent aujourd'hui aux filles de la bourgeoisie parisienne celles des marchands de porcs de Chicago a qui l'éloignement constitue comme une noblesse. Son esprit a changé en même temps que le boulevard, plus anglais; plus anglais aussi est-il par l'utilitarisme, car il tient en réserve moins de cœur encore que Presles, le cœur sans nul doute tarissant avec la race : « Vous n'êtes pas un mari usuel, dit avec une incisive logique son beau-père, Jarry Shaw; vous êtes une espèce de femme pour qui on fait de l'arofent, et ma fille Diana a le droit d'exiger de

1. Gyp, Leurs âmes, Galmann Lévy.

2. Zola, Paris, Fasquelle.

3. A. Hermant, Les Transatlantiques , OllendorflP.

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VOUS la fidélité d'une bonne épouse. » Elle aurait même le droit de le tromper, puisque pécuniairement elle est le mari. Ainsi estime une autre Américaine, Aurora de Candole^, et le duc accepte qu'elle se distraie de lui avec d'autres femmes, et divorce même pour 25 000 francs de rente, consentant à cet effet à passer pour impuissant. Jacinthe de Mesmes, innocente mais ardente amoureuse de Sartines, se laisse marier à Grandier, dans l'ignorance du mariage, afin d'assurer l'aisance à ses parents; fille d'aristocratie, elle n'a pas, une fois instruite de la hideur de l'acte maternel, l'élan de vigueur nécessaire à refuser de renouer avec son mari pour se venger de ses parents qui sont intéressés au replâtrage.

Tel est en effet le sentiment de la famille chez Mme de Mesmes. Vieille entremetteuse, combinant mariages et toutes autres sortes d'affaires louches à friser la cour d'assises pour le plaisir de faire des affaires et pour tenir le rang, elle vend sa fille à un riche protestant, afin de payer ses dettes et les frais de noce de son mari. Mme de Prébois, assez bourgeoise, est donnée par M. Hervieu pour le modèle des mères de famille de l'aris- tocratie ; uniquement préoccupée de l'avenir de son fils, elle force sans hésitation Mme Ilobbinson h marier la tendre Agnès avec un boursier cinquantenaire, en voyant que son fils Roland veut faire sa femme de cette enfant désargentée; peu importe qu'il en doive souffrir longue- ment avant de se démoraliser dans le fatal adultère. Mme de la Morinière, sœur maternelle de Feysin, née

1. De Nion, Les Façades, Borel.

LA NOBLESSE 165

douairière, égoïste, pratique, toute au présent malgré ses fiertés nobiliaires, humiliée de s'être mariée à un hobe- reau pour en avoir la fortune, ne veut conserver en son iVère que « la Maison » : elle le tient serré, le mène h la messe et en visite, aussi avare pour son argent de poche que prodigue pour ses dépenses de représentation.

Le prince Silvère de Caréan-Priolo nous atteste que les sentiments filiaux valent les paternels. Dans une lettre qui mérite d'être conservée à des archives de psychologie, il expose à son père qu'il est candidat à la main de Mlle Flora Munstein au chiffre de quatre millions, qu'il se contenterait d'un s'il n'avait à payer les dettes de son père, lequel ne doit pas avoir oublié qu'il lui a en outre fixé de verser une rente de 6000 Francs à sa sœur Maria-Pia. Très diplomate en affaires à fort bien se com- porter en face du banquier Munstein, Silvère ne croit pas à la nécessité de moins de rudesse vis-à-vis de son père, lui mesurant sa part à l'excellence de ses conseils. Courpière, rencontrant opposition de ses parents h son mariaçre avec une femme valante enrichie, leur fait une scène muette d'insolence hautaine, il insulte sa mère h mots couverts très vifs, et rappelle à son père que sa maison est entretenue par le baron Duval. Dans le Journal d'une Femme de chambre, M. Mirbeau a groupé, avec une rosserie gourmande, les pièces les plus faisandées de la noblesse, Xavier de Tarves tient a sa mère légitime ce petit discours tout juste piqué de vers : « Ma petite mère chérie, je me rangerai le jour tu auras renoncé à avoir des amants. »

La noblesse ne conserverait guère plus d'honorables sentiments que chez quelques-uns de ses représentants attardés en province. Telles Mme et Mlle de Chantel,

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vieille aristocratie terrienne sans macule de sang roturier, cœurs et visages de religieuses, mère et sœur dévouées et adorantes, fiancée très pure et innocente passionnée avant d'être fidèle épouse. Dans un récent roman, La Force de i>U>ie, Mme Jean Dornis, qui s'annonce un Octave Feuillet plus sobre, nous montre l'effet de la vie pari- sienne sur deux âmes nobles de l'aristocratie. Mlle d'Hau- teville, ayant épousé le politicien Darsenne, s'éloigne chaque jour davantage de ce mari d'àme sèche exclusive- ment arriviste; son enfance romanesque rêva de l'amant idéal; elle le trouve en un musicien : mais il l'aime de pas- sion si jalouse qu'épuisée et froissée elle doit s'en séparer. Désolée de la séparation, elle cherche un peu d'apaise- ment dans le commerce philosophique, loin de Paris, d'un vieil ami également désabusé de la passion ; ils conviennent que celle-ci ne saurait être le but de la vie mais le moyen, pour la supporter, de tremper l'âme par la douleur. Car la vie est lourde pour les forces humaines, et le but en est lointain et indécis; ou se transmet de père en fils une espérance de l^onheur futur comme les coureurs antiques se passaient épuisés les flambeaux pour qu'ils parvinssent allumés au Ijut ignoré. Désenchante- ment symptomatique de ces âmes pitoyables, un peu fra- giles, que l'impuissance de supporter la force de la vie en la violence de la passion conduit à une telle philosophie sentimentale, désespérée, qui peut être belle et noble mais seulement pour ceux qui croient encore à la morale du sacrifice et édifient sur elle leur conception de la noblesse.

Bref, en province, l'aristocratie se consume dans la solitude où, par l'inertie des autres facultés, la sentimen- talité prend un développement excessif. A Paris, elle

LA NOBLESSE 167

s'épuise dans les fêtes, dont le bruit assourdit et éteint la voix délicate de tout sentiment. Que ce soit hypertrophie ou atrophie du sentiment, ce n'est plus l'équilibre normal de l'être de famille. Sentimentalement, les aristocrates seraient des déséquilibrés. Et l'obsei'vation des romanciers est conforme au rationnel : classe née de l'action et pour le commandement, il est logique que l'aristocratie se désorganise dans l'inactivité que lui impose le nouvel état social avec ses préjugés. Il y a déjà deux siècles l'un des siens, Saint-Simon, avait prévu de telles destinées.

A la vérité il apparaît que le nombre des déséqui- librés est considérable en France et qu'ils ne se ren- contrent point que dans la noblesse. Particulièrement il est très sensible que 1 impuissance sentimentale est une maladie courante en France et qu'elle n'afFecte pas seu- lement les Charlexis d'Olmiitz, comme dans le roman de Daudet, mais les Robert Greslou comme dans le roman trop célèbre de M. Paul Bourget. Mais prenons garde d'abord que R. Greslou n'est qu'une seconde épreuve de l'Armand de Querne du même auteur, que M. Bourget a simplement dédoublé son premier héros en le transposant dans un autre monde, ce qui est un procédé habituel aux romanciers dont la sphère d'observation n'est pas très large. Cependant nous ne nions même pas que Robert Greslou puisse être réel : considérons alors que c'est un jeune universitaire, précoce et surmené, appartenant à la classe de l'aristocratie intellectuelle, et qui s'est précisé- ment surmené et perverti à lire les romans qui dépei- gnaient presque exclusivement la noblesse avec ses domestiques, des « états d'àme w de nobles ou de familiers des nobles, et les lui ont peu à peu communiqués.

L'impuissance sentimentale peut être devenue très fré- quente dans la bourgeoisie française, mais c'est bien plutôt

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en général chez les êtres qui en sont frappés, une affec- tion contractée de l'aristocratie ou un chic copié sur elle qu'une chose qui lui est naturelle et spontanée. L'admi- rable observateur et psychologue qu'était Flaubert nous l'avait déjà fait voir : Emma Bovary ou Frédéric Moreau sont malades et impuissants d'avoir eu leur imagination d'enfance et de jeunesse hantée des visions de l'existence fastueuse et frivole des nobles.

III

LA MORALE ET LA RELIGION

Il semble que ce soit sans parti-pris, et comme photo- graphiquement, que les romanciers ont accusé chez les nobles, avec cette unanimité assez significative, le déséqui- libre physiologique et sentimental. Mondains, ils en ont d'ailleurs pour la plupart les goûts et les manières de vivre ; et ils se préoccupent bien plutôt d'exactitude pittoresque que de critique sociale : ce qui garantit leur véracité.

Dénués de sentiment, les nobles seraient incapables de morale, celle-ci étant une sorte d'élaboration, en synthèse, de la sentimentalité. Tout le minutieux et délicat roman Leurs âmes la baronne Gyp exprime son sentiment moyen, affectueux mais avisé, sur la noblesse, tend à établir qu'elle est essentiellement amorale et que œla résulte nécessairement des conditions de la société :

Le comte de Morière, « vivant dans un autre monde moins préoccupé de choses mesquines, se fût aperçu peut- être que son intelligence était belle et son cœur bon »; mais dans son horizon borné à être un « homme chic », il se satisfait d'être le plus recherché des mondains. M. d'Argonne, tenu en sa jeunesse par des parents avares

LA. NOBLESSE 169

et desséchés, se pâme devant le Grand Monde fortuné et élégant; sa morale est de faire comme tous ceux de son milieu, d'arriver h y bien marquer, inconsciente et cynique victime qu'il est, en sa quête de considération, d'une société dépravée sous sa correction. Sa femme descend saine et simple de province et est précipitée par ses rela- tions dans le Monde frivole, fat et malsain; pour jouir de toutes les satisfactions d'honneur aristocratique que con- fère le titre, il prétend à l'imposer comme la femme la plus chic, et il la jette aux bras de Morière dont l'appré- ciation et le flirt sont le suprême lançage : obligée par lui à se ruiner puis à se vendre, elle est le symbole pitoyable de la Famille détruite par le Monde.

Comme il faut de hautes façades à cette noblesse amorale, elle a recours aux morales vétustés dont se maçonnait la vieille société. Il messiérait d'insister sur la routine et la sottise des préceptes de la duchesse de Tiercé, élevant ses enfants à la mode de la Restauration, ou de la comtesse de Pontarmé effrayée qu'à trente-trois ans sa fille de Cour- landon soit éloignée de l'immonde époux que lui donna sa sagesse borgne. On a un type bien autrement significatif encore dans le comte André de Jussat qui personnifie avec rigidité pour M. Bourget la morale de l'Honneur, guidant et restreignant h ce mot toute sa vie familiale et militaire. Or l'Honneur est essentiellement codifié et universel, et la morale contemporaine (Guyau, Fouillée) est souple et per- sonnelle.

Exclusivement et étroitement traditionaliste, la noblesse ne saurait élaborer de morale telle.

Dans la débîlcle des sentiments personnels l'égoïsme seul surnage. Le marquis de Ravenel assiste sans mot dire a la liaison adultérine de sa fille et aux fiançailles de son

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fils, tenant à principe de sauvegarder avant tout sa tran- quillité. La duchesse mère de Latorel ' va chez la comé- dienne Samy pour la supplier de laisser son fils épouser l'héritière qu'elle cultiva longuement.

L'égoïsme nobiliaire a pour conséquence immédiate et première le malthusianisme. Les Florifères-, fleurs de serre d'aristocratie contemporaine, élégantes monstruo- sités artificielles des jardins de la Société, ne se marient qu'à la condition de n'avoir pas d'enfants. La baronne Séraphine ^ recrute les clientes pour l'ovariotomiste. « Quelle folie de procréer des gosses ! » déclare des Esseintes en une protestation de foi contre saint Vincent de Paul acharné à prolonger les vies. Après Charlcxis et Morière, les séducteurs professionnels, après le baron Desforges ^ , égoïste (bncier , dilettante de la morale pessimiste, type du Jouisseur-pour-jouir, des Esseintes spécifie, en sa vitalité de création littéraire oh se svn- thétisent génialement mille cas observés, que l'immo- ralité est aristocratique de première essence. Après s'être amusé à regarder les ménages choir à la rue, il se paie le plaisir de grand seigneur de former des débauchés et d'orienter des assassins, pour se venger de la « hideuse société )) qui est insuffisamment propre a intéresser son désœuvrement et à faciliter ses spéculations d'oisif exacerbé.

La Religion même, que leurs derniers privilèges mon- dains et sociaux sont intéressés h conserver, n'a aucune

1. J.-H. Rosny, La Faiwe, Fasquelle.

2. Camille Pert, Les Florifères.

3. Zola, Fécondité, Fasquelle.

4. Bourget, Mensonges, Pion.

LA NOBLESSE 171

action sur leur moral. Les fois les plus robustes sont tout extérieures, sont pure civilité ; et Duhamel ' oppose à Mme de Rebelle que sa tante, proclamée martyre de cha- rité, ne saurait renoncer h ses titres pour « marcher dans le peuple » comme un Tolstoï. Feysin ne recommande la religion à ses enfants que comme une pratique exté- rieure et de bon ton. En lui la foi ne renait qu'à la mort, parce qu'elle est le « repos » en Dieu. - Seules quelques femmes, jNIarguerite d'Alencon ^, Mme de Tillères, ont encore de la foi, ne se jetant d'ailleurs au couvent que par désespoir d'amour ou dégoût de la turpitude de leur milieu, par une manière mondaine de suicide.

Des Esseintes, qui n'a plus la foi, conserve le mysti- cisme, l'extase, et le goût de la pompe sacerdotale du papisme; il désire un catholicisme « salé d'un peu de magie comme sous Henri III et d'un peu de sadisme comme à la fin du dernier siècle ». La religion ne reste qu'un sport, plus ou moins compliqué suivant les amateurs. Selon Huysmans, le décor de la religion les retient seuls. Ils en ont le mépris, car, classe déchue et qui ne doit plus de subsister qu'à des compromis et à des corruptions, ils voient en le clergé la même décrépitude et la même poli- tique louche. Leur faiblesse physique et leur anémie morale auraient plutôt la nostalgie des premiers siècles la religion était austère et forte, et ils lui en veulent en quelque sorte de ne plus être forte, de ne plus savoir les soutenir et relever maintenant qu'ils sont débiles. Et de cela ils sont démoralisés.

1. J.-H. Rosny, La Cliarpenie, Fasquelle.

2. Les Façades.

IV

LA MENTALITE

L'intellectLialîté ne saurait pas plus que la morale trouver d'éléments nutritifs dans les cerveaux appauvris de la noblesse contemporaine. Aussi bien la pauvreté morale entretient la pénurie intellectuelle :

La comtesse de Pontarmé et la duchesse de Tiercé ne permettent point la lecture des livres profanes. Le marquis de Fitudo défend à son fils de lire Jules Verne parce qu'on n'y^trouve jamais le nom de Dieu. L'Histoire de France de Duruy est la lecture préférée que proclame le comte de Rosebelle. Encore ces deux derniers sont-ils les plus intellectuels des nobles réunis par Rosny dans son livre sur l'Aristocratie (2" partie de La Charpenté). Les causeries des salons, ainsi que celles rapportées avec une grosse ingénuité à son mari par Mme Vaneau de Floche dans les lettres de Peints par eux-mêmes, n'y vont pas au delà des anecdotes sur les domestiques et les animaux, et de préférence les animaux domestiques. L'on tolère bien, voire l'on arbore quelques nobles intellectuels comme Mme de Giromagny, « la dinde intellectuelle » citant Nietzsche et Wagner'; on invite, pour la décora- tion, des gens de lettres chargés de tenir conversation,

1. Hennant, Vicomte de Courpières, Ollendorff.

LA NOBLESSE 173

en se groupant autour de leurs monologues clans une hébétude d'admiration et de dédain mêlés ; mais le plus souvent les Gromelain et les RoseJjelle méprisent l'intellectualité avec une intensité proportionnelle à leur ignorance. Ils opposent triomphalement que la science est un métier de roturiers et qu'elle crée une foule de déclassés, ils citent triomphalement Brunetière sur la faillite de la science ' sans savoir le lire. Ainsi encore procèdent les aimables figurants de M. Anatole France qui, bien plus que de mépriser l'intellectualité, en avouent encore, avec tant de grâce qu'elle en est trou- blante, une ignorance ingénue.

Nul n'a raillé, avec plus de souriante et impalpable ironie d'indulgence détachée, les talents littéraires d'ama- teurs que M. Paul Hervien. Sa malice dut vraiment en être maintes fois chatouillée pour qu'il n'ait jamais manqué de nous narrer, avec quelle discrète verve et sucrée de convenante bienveillance, les fêtes galantes des comédies auxquelles vous convient les châtelains en commerce de tendre politesse avec la Muse. Il ne néglige jamais de nous rapporter quelques vers, tels ceux-là de la savnète enrubannée jouée chez le baron Saffre :

Le temps de la jeunesse est le temps des amours La femme est la colombe et l'amour c'est la fleur.

Le orentilhomme savovard des Frasses ^, très ffàteau de Savoie en amour, essaie, sur sa voix mélancolique et traînante de beau ténébreux, de tels versiculets exhumés de Malfilâtre :

Daignez sourire à mes accents Ne refusez pas un encens.

l.J.-H. Rosny, La Charpente, Fasquelle. 2. Hervieu, Flirt. Lemerre.

174 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

Le comte de Pontarmé travaille dans un geni'e plus sérieux, peinant à des à-propos sur Gabriel d'Estrée ou Charles VIII à Pontarmé emplis de mouvement et surtout de mouvements; dans l'abondance aqueuse des allusions politiques aux dernières élections dont il fut le vaincu, les bons mots grouillent, vite délavés d'un « stvle courant ». Plus talentueux, le comte Aimery de Muzarett (en qui M. Jean Lorrain prétendit peindre R. de Montesquiou), poète alambiqué des Rats ailés, ferme, des opales de ses veux à reflets duplices et de sa bouche en cœur et fardée, ce cvcle précieux de complaisants auteurs, « courtisan de soi-même,... Narcisse de l'encrier ».

Par habitude de désœuvrés et d'impuissants, les nobles sont portés au dilettantisme. Le dilettantisme n'est pas une profonde maladie mentale, mais une affection des esprits, sinon faibles, anémiés, qui n'ont plus assez de force pour s'attacher vigoureusement à une idée, chose qui est le commencement et presque le synonvme de l'action, pour laquelle il faut de l'énergie, qui alors font avec détachement le tour de toutes les idées, dans le besoin inconscient d'y trouver une à laquelle se retenir, et qui attribuent la faiblesse de leurs esprits examinateurs aux idées examinées. Comme en amour le flirt, il devrait être seulement le désintéressement obli- gatoire des vieillards, mais il est devenu le passe-temps des êtres jeunes des races ou des classes vieillies, en premier lieu de l'aristocratie, le déguisé brillant sous lequel elle cache, en se jouant, son impuissance intellec- tuelle.

Paul Adam recueillit dans les propos et la personnalité même du duc de Lorraine', blond gentilhomme embour-

1. Adam, Mystère des Foules, OllendorfT.

LA NOBLESSE 175

geoisé de graisse rose, un parfait manuel de dilettan- tisme; et, si le duc élabora « d'admirables » travaux d'occultisme, c'est que nulle science ne se satisfait mieux du dilettantisme en le desservant. La comtesse de Rebelle* présente le plus savoureux cas de dilettan- tisme que puisse offrir une femme d'élite de cette classe d'amour : elle est intellectuelle par amour. D une exquise sincérité qui n'est pas chez elle résultat d'un effort moral mais qui est toute naturelle, qui n'est que spontanéité sensitive, c'est par la sensualité qu'elle arrive h être un esprit compréhensif : prenant en l'amour son critère, elle se hausse par magnétisme amoureux jusqu'à la pensée de l'amant, alors voluptueusement attentive et doublement grisée de se sentir profonde. Ses grandes passions sont cérébrales. Mais la délicieuse femme ne peut s'élever au- dessus d'un certain niveau, pensant à son confesseur tout le temps de ses causeries philosophiques avec Duhamel, mettant sa foi au-dessus de tout, incapable d'une concep- tion de la beauté qui ne soit pas celle de sa caste, et ne sachant trouver de poésie que dans les choses mélancoliques et funéraires, comme le vicomte de Chateaubriand. Encore chez elle cette poésie peut-elle devenir féconde parce qu'elle est femme. Il en est autrement pour le marquis d'Escroix : d'abord ruiné, il avait été obligé au travail et, de ce fait, amélioré, presque déclassé, par un acquit de savoir. Mais le gentilhomme qui est en lui veut dominer dans les discussions; pour y arriver, il est forcé à y user de mauvaise foi et d'insolence, et, vaincu en duel philoso- phique par Duhamel dont l'éloquence passionne une jeune fille qui dédaigne ses avances, son suprême argument s'exprime en cette menace typique qu'il se murmure :

1. Rosny, La Charpente , Fasquelle.

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« Toi, je te ferai cocu ». Pour les nobles la principale qualité de l'intellectualité est d'être brillante, et elle ne saurait être qu'un moyen sexuel.

Ce goût du brillant a sa raison dans leur impuissance à la profondeur, laquelle nécessite la cohérence mentale. Leurs cerveaux instables s'éparpillent en giboulées d'idées sans lien. Chez le marquis de Ravenel, vieillard sans opinions ni croyances, fermente une certaine poésie idéo- logique très brouillonne; ses enthousiasmes varient avec l'heure, et, après la lecture d'un livre de Michelet, il passe, avec aisance, du regret de la monarchie du xviii^ siècle à la passion de l'égalité : il reproduit ainsi l'état d'esprit de la noblesse contemporaine de Voltaire. Avec un soin intelligent F. de Nion a noté chez Feysin l'éparpillement de la pensée dans la rêverie d'idée et l'impuissance à s'assimiler les découvertes scienti- fiques, à plus forte raison l'esprit scientifique. Chez une caste d'aussi faible mentalité, il faut plus de temps pour qu'une idée s'intègre. Ainsi il n'entre pas bien dans la tête de Feysin que les étoiles soient des mondes; et la conception transformiste le dépasse et le précipite en effroi au sceptisme incurable : il appert de cette étude très fouillée que tout aristocrate qui aborde la science doit tomber au scepticisme, le scepticisme (qui n'est pas le scepticisme provisoire des savants) n'étant peut-être bien qu'une infériorité mentale aristocratique. M. de Phocas et des Esseintes naquirent sceptiques et, de cela, virèrent précocement à une anarchie intellectuelle absolue :

Oisif et riche, des Esseintes voue son temps à la lecture. Incapable de vivre une vie de force et d'action, il s'oublie.

LA NOBLESSE 177

il s'épei'd dans le rêve sensuel des œuvres littéraires qui sont en principe, par rapport à la vie et h la nature, un luxe d'artificialité. Encore préfère-t-il parmi les époques littéraires celles de décadence^ la santé, l'équilibre, la robuste simplicité cèdent aux recherches outrées et anormales, à l'hybridation, à l'inceste des genres-pourris. Les auteurs de la décadence latine le retiennent et le débauchent somptueusement. L'aiguë perversité de Baude- laire, l'ironie seigneuriale de Villiers, l'insolence cléricale de Barbey et son dandysme excentrique, l'outrageuse éloquence de croisé de Veuillot, la métaphysique astrale de Poë, le génie privilégié de Mallarmé composent ses préférences et meublent luxueusement son goût fragile. Ils sont la reliure riche de sa personnalité et, de cela, ils lui appartiennent a l'exclusion de la foule stupide.

Il demande aux lettres de le venger de la Nature qui ne fut acceptable qu'au début et doit être maintenant « lem- placée ». Il ne comprend pas plus la nature que les sciences, et pas davantage la vie moderne : le peuple froisse son esthétisme néronien; la bourgeoisie l'écœure par son matérialisme et son inintellectualité ; les inventions scien- tifiques organisant la société actuelle ne lui plaisent qu'autant qu'elles peuvent inspirer son imagination hagarde. Cet homme qui est incapable de subir le contact de ses contemporains, emprisonné dans le chatoyant cachot de sa maison, réclame de la littérature l'illusion d'appartenir aux époques révolues : des Esseintes s'en tient aux Concourt, aux Flaubert, aux Leconte de Lisle, aux Verlaine, aux Gustave Moreau, parce qu'ils ont su remonter aux siècles révolus pour fuir le spectale du leur.

L'art ne saurait être pour lui qu'un doux poison coûteux versant une telle illusion aux natures raffinées, doulou- reuses et nostalgiques. Son aristocralismc dolent, son

M.-A. Lkbloni). 12

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impuissance craintive élisent le poème en prose comme forme suprême de l'art, synthèse hybride de genres, abou- tissement bâtard de toutes les formes littéraires, pastille quintessenciée de littérature dégénérée pour halluciner la nervosité d'une élite décrépite. Il s'en nourrit à petites doses et prend à ce régime les forces de haïr son siècle. Entretenu par le constant commerce des cauchemars d'Odilon Redon, familier au spectacle livresque des « décadences », il ne peut voir de la vie moderne qu'une face de putréfaction, de prostitution, de lourdeur épaisse et ordurière. Le pessimisme, fatal, de ce malade hargneux est irraisonné , involontaire et incurable comme une maladie de l'organisme.

Des Esseintes s'abuse quand il croit que c'est la tri- vialité bourgeoise et le matérialisme cynique de la Démo- cratie qui l'écœurent : il est simplement rejeté de tout ce qui est réalité, mouvement, action, évolution, vie. Ce n'est pas du siècle mais de la vie qu'il est en exil. Ce n'est pas du siècle mais de la vie qu'il cherche une luxueuse et vaine consolation dans le culte cénobitique d'un art perverti. De consentir finalement h rentrer dans le siècle, il croit abdiquer sa personnalité : mais l'invétération du mal empêchera la guérison d'un être qui est décéréb/^é tant le cerveau, hypertrophié, s'isola du reste de l'organisme.

C'est ici le lieu de remarcjuer combien, dans la littéra- ture et dans la vie, on se trompe sur le sens et dans l'application du mot de « décadence ». On le confond généralement avec celui de « barbarie » qui est précisé- ment tout le contraire, et on l'emploie à propos d'écrivains qui cherchent, parfois il est vrai avec une certaine lébrilité, des formules nouvelles. La décadence n'est jamais dans la recherche de la nouveauté, fut-elle rare et précieuse, mais dans la sénilité, dans l'épuisement d'une

LA NOBLESSE 179

forme d'art ou d'une classe sociale qui se survit à elle- même. Parce que M. Huysmans peignit avec un style abondant en épithètes et néologismes la maladie de des Esseintes, on s'est imaginé, par confusion, que la déca- dence était dans sa forme d'art tandis qu'elle est essen- tiellement dans la maladie de son héros : Bernardin de Saint-Pierre décrit la nature avec une égale abondance d'épithètes et de néologismes, mais son sujet est sain et l'on ne saurait h propos de lui parler de décadence. Elle est synonyme de débilité, d'impuissance, de pastiche, d'incapacité h s'adapter h son milieu : être décadent, c'est n'avoir pas la force de s'adapter au présent et par même à l'avenir, c'est continuer à vivre dans son siècle la vie, les idées et sensations du passé. Des Esseintes, qui est un mignon de la cour de Henri IIl attardé au xix" siècle, ou un professeur qui ne sait que copier le style des grands classiques, l'esprit de Voltaire ou la précio- sité de Racine, voilà des décadents. L'écrivain moderne qui emprunte très subtilement des images et des mots neufs à la science naissante ou l'homme du peuple auto- didacte qui, comme les héros de George Sand, parle encore avec les termes et les imaoes de l'argot ou s'assi- mile trop rapidement d'autres langues et des connais- sances nouvelles, peuvent être des barbares, ne sont pas des décadents quoiqu'on ait dit trop souvent. La déca- dence est exclusivement affaire d'aristocratie de l'esprit qui s'anémie à force de se raffiner dans l'élégance du passé. Et notez que c'est en parfaite conformité avec la seule définition que, transformistes, nous puissions donner aujourd'hui du Mal qui n'est plus, comme pour les Manichéens, le contraire du Bien, mais une forme périmée du Bien qui ne se trouve pas adaptée à l'état nouveau du reste du monde.

LES ROLES SOCIAUX

A tout noble, rentrer clans ce siècle ce semble descen- dre des siècles passés, c'est une déchéance. La noblesse eut le monopole des commandements; les révolutions le lui ôtèrent; mais plutôt que de disputer dans une lutte égalitaire les premières places de la nation, ils veulent garder le prestige d'être éloignés de la foule. Ne la pou- vant plus dominer par le privilège, ils s'efforcent de con- server le luxe qui soutient l'éclat du titre, et le souci de tenir leur rang le plus haut possible persiste leur pre- mière préoccupation sociale. C'est ce que Zola a voulu le plus faire ressortir : Mme de Quinsac s'entête à vivre hé- roïquement des débris de sa fortune, et, ruinée, vainquant en soi l'amour-propre de l'honneur et de la délicatesse morale, accepte le mariage de son fds avec la fille de la juive pour continuer à vivre en décorum; les Beau- villiers ' jouent h la Bourse afin de conserver l'apparat, bientôt précipités par cela même à une plus vile misère. Gyp publie le roman documenté du prolétariat de la noblesse; et c'est sans doute par la nécessité eflarée d'échapper h ce prolétariat que presque toute la noblesse ne recherche, dans le mariage, que l'argent, selon l'obser-

1. LArs^crit, Fasijuelle.

LA NOULESSi: 181

vation coniniuiie des écrivains. Le décor est la préoccupa- tion, même la raison d'être essentielle assignée par M. Paul Adam ;i laristocratie [E?i décor) : de cette faci- lité des nobles à être les arbitres des élégances, parlant toilettes et modes comme une femme, donnant le ton de la mode comme une élégante ou un grand tailleur (de Morières, prince de Lucques); de aussi leur unanime prédisposition et précellence au flirt, passe-temps d'aris- tocrates en quoi ils se complaisent d'autant plus qu'il n'est qu'une sorte d'art décoratif de l'amour [Flirt).

Les nécessités pécuniaires auxquelles ils sont soumis pour tenir leur rang les invitent h plus d'accommodement avec la bourgeoisie, et les Dame de Jurieu, entichée de noblesse au point d'être insolente même avec un ministre, ont le bon goût et le bon sens de devenir de plus en plus rares. Mais, logé avec prévenance au château des Pon- tarmé, le peintre Guy iNIarfaux note avec tact que la familiarité physique est exclue de leur conduite habituelle de traiter les artistes sur un certain pied d'égalité : la considération que ce charmant garçon « n'est pas de son monde » ne contribue pas peu à refroidir à son égard Anna de Courlandon, « l'amant n'étant qu'un second mari qu'on aime et dont on est aimé » et la situation pécu- niaire d'Anna ne la réduisant pas à une mésalliance. Le roman d'analyse La Fauve devient un roman social en représentant, sur une scène qui s'élargit du recul des per- sonnages secondaires, âmes petites ou médiocres, la lutte avec les préjugés de son monde de Charles de Latorel, amoureux de la comédienne Samy. Charles, le plus pur représentant de l'aristocratie contemporaine, sang appau- vri dans l'oisiveté élégante, individualité dont le reste

1. Les Façades.

182 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

d'énergie succombe sous le poids des convenances, res- sort comme un être de finesse et de sensibilité quasi fémi- nines à côté de Samy, virile par son àme honnête et sin- cère. Cette féminité de race dégénérée, dont la délicatesse séduit d'abord Samy dans la brutalité du siècle, ne tarde pas à blesser sa mâle fierté de créature de belle et triom- phante vertu. Elle est forte, car elle est pure, car elle a la plus calme conscience de son intelligence et de son talent et de la noblesse de son cœur, parce qu'encore elle est la nature libre, supérieure aux complications des vieilles sociétés malades. Elle s'est donnée entière parce qu'elle aime, sans calcul, sans avoir songé à devenir sa femme légitime et titrée, mais elle ne veut pas qu'il ait honte d'elle devant le monde mesquin dont il sait la vanité et qui l'intimide tout de même, auquel il reste attaché par une lâcheté d'enfant. Elle lui demande de prouver qu'il n'ait pas honte d'elle et, comme il hésite, elle se sépare de lui, elle rentre seule dans la douleur, dans la grande solitude des êtres supérieurs, le rejetant à son mariage médiocre et malheureux avec l'héritière Blanche du liarclay. Et jamais n'est tant apparue la différence de la noblesse d'àme et de la noblesse de condition.

Cette préoccupation du rang fait aux Nobles une situa- tion fausse dans l'Etat en même temps que, les obligeant à des mésalliances de rano- ou de caractère, elle leur fait une situation fausse dans la famille. Par paresse et par considération de société, ils choisissent les professions représentatives où, aristocrates et réactionnaires, ils ne peuvent cependant représenter que la République : Mili- taires, ils sont les généraux d'ancien régime d'une armée

LA NOBLESSE 183

démocratique : général comte Scilly*, royaliste; général duc d'Alcantara, impérialiste; général Cartier de Chalmot, nationaliste. Le général de Bozonet^, militariste fougueux et nostalgique des guerres impériales, va jusqu'à déclarer que, en décrétant le service obligatoire et la nation en armes, la République a tué la guerre et la patrie : Zola a consciencieusement buriné en lui le type du noble qui a choisi l'armée afin de pouvoir vivre dans cette société à laquelle il essaie de se rattacher par une sorte d'activité honorifique.

Fonctionnaires, ils ne s'occupent que d'avancements distinctifs (M. de Prébois), et ils opposent l'inertie ou l'hypocrite incompréhension aux ordres et aux décrets : le marquis de Larombardière, vestige de l'ancienne magistrature, se ferme h toute évolution, à tout sens nouveau des êtres, des choses et du droit.

Politiques, ils endiguent le progrès démocratique par leurs oppositions vétustés, resserrant ainsi un cours qui, de naturellement pacifique, devient susceptible de dange- reuses irruptions; et ils maintiennent la vie politique dans une atmosphère mélodramatique retentissent les voix de morts (E.-M. de Vogiié : Les morts qui parlent). Ou bien, députés de la droite, marquis de Morigny et marquis d'Auberive, ils sont réduits h une théâtrale et stérile opposition ils immobilisent par entêtement leurs facultés politiques, comme Morygny immobilise ses millions plutôt que de les faire fructifier au service des travaux du siècle. Ou bien politiciens, ils se rallient secrètement tel le vicomte de Félines et se jettent dans les affaires tel M. de Sauves, utilisant dans les entreprises privées leurs

1. Bourget, Cruelle Énigme; Daudet; France.

2. Paris, Fasquelle.

184 LA SOCIETE FIîANÇAISE SOLS LA TROISIÈME REPUBLIQUE

relations politiques : Dédaigneux et désintéressés du gouvernement actuel, ils n'ont plus qu'à être arrivistes, avec la sécheresse vulgaire d'un Ernest de Bonmont ou le cynisme prétentieux d'un comte Martin-Bellème.

Socialistes, ils entravent le socialisme de considérations religieuses ou de manies mondaines, tel le très riche marquis de Salmon-Roquebert, dont la charité chrétienne se borne à devenir démocrate trois jours par an en s'asseyant avec les pauvres et les servant ', ils l'énervent de dilettantisme, ainsi le duc de Lorraine"', ou ils le pervertissent en anarchie.

Anarchiste, tel serait le seul logique caractère social de l'aristocrate. Des Esseintes estime que l'aristocratie a versé dans l'imbécillité et l'ordure, que la noblesse décom- posée est morte. « Elle s'éteint dans le gâtisme de ses descendants dont les facultés baissent à chaque génération et aboutissent h des instincts de gorilles fermentes dans des crânes de palefreniers et de jockevs, ou bien encore ainsi que les Choiseul-Praslin, les Polignac, les Chevreuse, elle roule dans la boue de procès qui la rendent égale en turpitude aux autres classes. » Il en peut seulement conclure que rien ne répond plus à son esprit, qu'il est un déraciné de l'ancien régime, et que partout la mort le poursuit. Méprisant le peuple, la bourgeoisie, l'aristocratie d'argent, l'aristocratie de sang corrompue par celle-ci, l'église devenue vénale, il réclame la fin de la société. Déraciné, il s'affaiblit, souffre de toute force des autres et en veut l'extinction anarchiste.

Déracinés du Passé, les « Nobles » actuels paraissent dans notre régime démocratique des sortes d'émigrés

1. Zola, Lourdes, Fasquelle.

2. P. Adam, Le Mystère des Foules, Ollendorfl".

LA NOBLESSE 185

d'une patrie qui n'existe plus. Socialement, moralement, et intellectuellement, ils ne s'adaptent pas plus et ne réussiraient pas plus à s'adapter h la société démocratique que les émigrés de 1789 n'ont su gagner leur vie à l'étranger.

Ces derniers n'avaient aucune capacité personnelle qui leur permît d'y subsister lorsqu'ils lurent privés du jour au lendemain de leurs pensions ou fortunes. Ainsi, en tant que classe même, ils ne jjeuvent survivre dans la démocratie parce que leur classe n'a aucune force indivi- duelle, n'ayant aucune conscience de soi puisqu'elle n'a aucune instruction, même historique, aucune connaissance de la tradition : elle ne peut encore avoir de force indivi- duelle puisque, assujettie et domestiquée par Louis \l\ , corrompue sous Louis XV, elle a depuis longtemps de ce fait perdu toute puissance, toute existence de corps, et elle n'a pu en reprendre sous la Restauration ni sous le Second Empire; or cela seul lui eût permis, si médiocres que fussent ses membres chacun pris à part, de reconquérir une place dans la République aristocratique que fut la troisième République et d'y tenir le rôle politique que la noblesse de province commença de jouer a l'Assemblée de Bordeaux après 1871 et qu'elle dut très vite céder à la grosse bourgeoisie.

Les nobles, ce sont bien les vrais déracinés, et seuls ils eussent être l'objet du roman de M. Maurice Barrés; appliquée aux gens du peuple, sa théorie du déracinement est des plus critiquables. Un homme du peuple normal qui quitte sa ville, se déracine, selon le mot de M. Barrés, reprend vite racine ailleurs il retrouve du peuple parlant la même langue et ayant à peu près les mêmes habitudes de prolétaire (la vérité proclamée en programme par Marx au prolétariat universel : que des prolétaires

186 LA SOCIETE PHANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

peuvent s'entendre plus aisément avec les prolétaires d'un autre pays qu'avec l'aristocratie de leur propre pays, s'appuie sur une profonde observation psychologique de la vie pratique); il reprend vite racine et vitalité, parce qu'il est un organisme robuste développé à la dure. L'aris- tocrate, anémié et d'une sensibilité extrême, vrai sybarite social, une fois déplanté de son rôle social héréditaire, dépérit, et d'autant plus que les différences de milieu et de fortune sont beaucoup plus sensibles que celles de terroir.

Désorganisation physique, déséquilibre sentimental, démoralisation, décérébration, déracinement social, ne sont-ce pas autant d'anarchies partielles? Aiiaî'cliiste, ieX est le côté fondamental que fait ressortir Huysmans en sa synthèse qui, par son caractère de caricature géniale, a une singulière force révélatrice.

VI

De cette revue des plus divers spécimens de la faune aristocratique, il ressort que ce sont les exemplaires de noblesse sans mésalliance qui sont, physiologiquement, sentimentalement, moralement, intellectuellement et socia- lement, les inférieurs, viciés par une e.icessive sélection.

Plus largement, toute iine moitié de la noblesse, qu'on peut dénommer idéaliste, ne fusionnant pas, ne procréant plus parce qu'elle s'est ainsi affaiblie, s'épuisant dans le parti-pris de ne pas fusionner et s'emmurant dans le passé, présente la même communauté de déséquilibrés physiologiques et mentaux que les couvents, avec la même exception de quelques hautes cérébralités anormales illuminées. L'autre moitié a compris qu'il fallait s'allier à la bourgeoisie et h la finance juive pour redorer la bourse et rénover le sang.

Sans doute, selon les romanciers, l'intérêt seul guida ces derniers et se retrouve au fond de leurs sentiments et de leurs idées et à la fin de leur morale et de leur poli- tique ; mais, si l'on veut se placer h un point de vue de sociale supérieure, il faut louer qu ils aient fait le sacrifice de leur c( honneur » pour participer, d'une façon qui deviendra de plus en plus efficace, à la vie civile moderne en accep- tant les emplois de la Républi([ue, susceptibles ainsi d'être peu à peu convertis au présent et à l'avenir. Il faut noter

188 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUo LA TliOISIEME REPUBLIQUE

ici que la noblesse d'Empire (Martin-Bellème, Desforges), assez voisine de la noblesse d'argent et de sa synonyme la noblesse papale, plus amorale et utilitaire, a participé à ce mouvement plus que la vieille noblesse (Tiercé, Gromelain pour ne pas parler de des Esseintes). La noblesse orléa- niste et la noblesse anoblie sous la troisième République, étant de consécration plus récente, renchérissent sur les préjugés par excès de zèle, et attestent les défauts et la grotesquerie des parvenus (d'Argonne, Vanneau de Floches). Les romanciers ont eu une facilité presque égale à peindre ces diverses noblesses, la vieille étant plus bienveillante et pénétrable si la nouvelle est plus super- ficielle et plus accueillante. Aussi la littérature sur la noblesse est-elle encore très abondante, si elle n'est plus exclusive.

Au xvii'^ siècle, en effet, presque toute la littérature était consacrée à la noblesse, seul grand juge et seul public : la noblesse a créé la littérature de ce siècle et l'a modelée à ses besoins et goûts. Une bonne partie de la littérature de notre temps en suit la tradition ; mais la noblesse ne crée plus de littérature, elle est réduite à s'y refléter maigrement, la noblesse et le genre d'art qu'elle a créé mourant ensemble. La littérature devient démocratique et sociale, et la noblesse, parti mort, n'a plus d'expression en art; essentiellement, ce qui est nou- veau et porte l'originalité du siècle est social : l'œuvre même des Villiers de llsle-Adam ou des Henri de Réiifnier, magnifique floraison suprême d'une littérature périmée, ne compte pas, au point de vue cvolatif, auprès de celle des Paul Adam, des Anatole France ou des J.-H. Rosny, «ntre tous supérieurs.

LA NOBLESSE 189^

Des romanciers qui étudièrent l'aristocratie, la part ({ui, d'inspiration, lui est favorable, forme l'arrière-garde de cette littérature d'ancien régime. Il est à noter que les aristocrates écrivains, par une impartialité élégante, ne sont point de ceux-là. Presque seul avec Mme Raoul de Navcrv, le vicomte Euffène-Melchior de Vog-ué, de l'Aca- demie française, en innocence plaisante, s'est arrêté au parti-pris de combler la noblesse de toutes les vertus d'opérette et de féerie. de la bourgeoisie et guindé au Faubourg, M. Bourget, après Octave Feuillet, a payé l'hospitalité anoblissante d'un tribut d'hommages flat- teurs : il est h regretter que celui qui a vu l'aristocratie sous le jour le plus favorable, ait fait œuvre d'art si con- ventionnel ; il faut remonter jusqu'à Balzac pour trouver des tvpes sympathiques qu'ait créés bien vivant le génie artistique, garant de vérité. Au point de vue littéraire, notons que le procédé d'annotation pédagogique et d'ana- lyse minutieuse de M. Bourget est maladroit à rendre la vie propre de l'aristocratie, déclarée par les autres inintel- lectuelle et confuse. Certains enfin, comme M. Jean Lor- rain, dont la littérature serait un peu la fille bâtarde de Barbey d'Aurevilly [M. de Boui^rclon), avouent d'autres raisons de préférer comme sujet l'aristocratie : ce serait pour l'affinité de celle-ci avec les mondes de névrose vicieuse qu'il excellerait h l'analyse pénétrante et pitto- resque de ces cas de déviation cérébrale et d'épuisement d'une race finissant en Goyas.

Pour l'autre part, les écrivains de la démocratie, s'ils jugent très sévèrement la noblesse au critère de leur idéal social et scientifique, ne peuvent s'empêcher d'en aimer la finesse et les rares dons qui y persistent; et ils se montrent heureux de pouvoir parfois noter les progrès de cette classe, ses tentatives d'éducation moderne et d'assi-

190 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

milation nationale. Ils arrivent, de la sorte, à une certaine conformité de jugement d'ensemble avec les aristocrates écrivains qui, attachés par quelque piété à la noblesse, n'en accusent pas moins, par goût de la vérité ou de l'art, la décrépitude. C'est à peu près ainsi qu'on ne peut man- quer de rapprocher Huysmans et Villiers de l'Isle-Adam. Dans son goût des raines, des agonies et des décomposi- tions naturalistes, Huysmans s'attache particulièrement à la pittoresque décadence des classes no}:)les qui gardent je ne sais quelle grâce de race, quel charme essentiel du passé, dans l'extrême et triviale calamité physique. Le génie de Yilliers fut au contraire très peu observateur de réalité; mais, par cela même, il ne cessa de singulariser avec candeur et prédilection dans le noble le type, trop rare dans un siècle d'industrialisme, de l'idéaliste pur, du penseur désintéressé, du poète farouche et solitaire. Guy de Maupassant et le comte François de Nion furent servis par une affinité de race pour pénétrer la physiopsychie des aristocrates de province ou de quartiers riches dont les salons s'ouvraient aisément à leurs titres : et leur bel amour d'un art sincère et d'une forme adéquate h chaque matière spéciale a produit des œuvres de grande vérité et de style, suivant le cas, robuste et pastoral ou nerveux et précieux. Gvp, avec une force de sécheresse pénétrante, s'avère observateur fin et impartial, esprit nuancé et de subtilité judicieuse, moraliste juste en sa souplesse, dans ses fourmillantes fresques de frivoles mannequins, de fats snobs, d'erotiques calotins, tous « desàmés ».

On rapprochera donc immédiatement MM. Ilcrvieu et Hermant que la carrière ou la haute correction accrédi- tèrent a très peu près comme des égaux dans ce grand monde que M. Hermant était si bien pour exprimer. Il l'a fait, dans ses premières œuvres, avec un sentiment

LA NOBLESSE 191

d'aimable nonchalance et avec une psychologie un peu prolixe et complaisante en sa jolie délicatesse tactile, et, de plus en plus dans les dernières, avec une Ame et un stvle stricts, une sécheresse énervante h force d'élégance mondaine, une u férocité » ' seulement épuisée de neuras- thénie. — INl. Paul Hervieu, avec plus de finesse, de lar- geur, de diversité et de justesse, encore bien supérieur à Bourget par la pénétration et l'audace, la qualité du tact et de l'ironie, fait vivre en proportion exacte les fantoches convaincus du Monde; peut-être seulement, un peu litté- rateurs, parlent-ils trop bien et longuement. Il excelle à dire même les vertus de douairière avec un ton sel et poivre d'ironie à peine perceptible, convenable en sa coquetterie comme un demi-deuil; et il n'excelle pas moins à faire valoir, par le contexte des sous-entendus, le charme fané des mots devenus banals qu'emploie le monde. Sa phrase, toujours en habit un peu serré mais souple, réalise en plastique son élégance ironiquement cérémonieuse.

D'un génie de sensibilité fraternelle, Daudet acquiert par la pitié et le respect un sentiment juste de la vieille noblesse malheureuse; et s'il est très rigoureux pour le « dernier bateau » c'est avec la même impartialité qui lui fit condamner les bohèmes. De M. Paul Adam, c'est le génie de la sensualité qui le fait communiquer avec ses plus divers sujets ; et, merveilleux résurrectionniste, il évoque, comme par don magnétique, les noblesses des siècles révolus incarnés dans quelques contemporains attardataires. M. Marcel Prévost étudia avec la préci- sion d'un homme d'éducation scientifique les dégénéres- cences sentimentales, avant d'observer dans les salons

1. Selon le terme d'une de ses « prières d'insérer ».

192 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

rastas, panachés de politique et de finance, la curieuse noblesse d'à côté. M. Georges Clemenceau, haJjitué à mener le monde politique, y dut connaître les ducs cjue son esprit altier sait dévisager avec la hauteur qui con- vient.

M. Anatole France ne dut guère fréquenter les salons du Faubourg, mais il a tant aimé le xviii'' siècle et sa phi- losophie malicieuse croit si intimement à l'uniformité des êtres sous la diversité des plus attravantes apparences, qu'il est sur de ne pas l)eaucoup se tromper en imaginant, parmi l'agitation bariolée du nationalisme, des légèretés et des sensualités assez Louis XV, des égoïsmes et des ignorances tout à fait Louis XVL M. J.-H. Rosny, sans moins savourer les beautés sensuelles du passé, les apprécie inférieures à la beauté plus complexe et mobile du peuple, car c'est en lui que résident aujourd'hui les élé- gances les plus pures et durables et les plus dynamiques splendeurs. Dans une partie théorique, très ingénieuse et substantielle, de La Charpente^ il démontre, par l'histoire naturelle comparée, l'infériorité des classes les plus anciennes et par voisines de l'animalité, « couches de singe » de la société. M. Emile Zola, dont la vision est symboliste, figure en scène dramatique l'apothéose de la bourgeoisie cosmopolite par le mariage de Gérard de Quinsac avec une fille de finance juive, « la vieille noblesse sacrifiant un de ses fils à l'autel du Veau d'or pour que le bon Dieu et les gendarmes, redevenus les maires de la France, nous débarrassent de ces fripouilles de socialistes ». Mais l'apothéose ne peut durer qu'une fin d'acte; et à la débilité de la noblesse, Zola, dans ses récents « Evangiles », oppose l'énergie vivace, l'intellec- tualité hardie, la morale robuste, la générosité féconde du peuple lal)orieux.

LA NOBLESSE 193

Le commerce de l'aristocratie ne pouvait manquer d'agir sur l'esprit des écrivains. Entre tous et bien plus aigument, Iluysmans atteste la perversion, grâce à lui, d'un goût artistique très fin en cxcesswe recherche de l'anormal, et d'un esprit avisé sur la vanité mondaine en égoïste religiosité de moine. Les cas d'impuissance senti- mentale ont été décrits avec trop de complaisance par ceux qui fréquentaient presque exclusivement l'aristo- cratie, et ils les ont desséchés et amiévris. Le pessimisme dilettante de la plus grande partie de la littérature du siècle vient de s'être trop exclusivement penché sur l'aristocratie que sa dégénérescence physique et sociale ne pouvait rendre optimiste. Enfin les écrivains sociaux, d'une George Sand à un Geffioy, sont ceux qui ont préféré se tourner vers le peuple; Zola est devenu bien plus large- ment et fécondement social du jour il délaissa la pein- ture du monde de la richesse pour celle des hommes de labeur.

- Le commerce d'une aristocratie que les écrivains leur montraient telle n'a pas été moins nuisible aux lecteurs , il a dévié les imaginations de la masse qui lit vers des idéals de châteaux bâtards composés de tous les styles, de vies de fêtes galantes, de cérémonies guindées de protocole, de politesse archaïque et toute formulaire, de beautés anémiées, d'élégances ou raides ou mièvres. Combien d'Emma Bovary furent, par la littérature, détournées de l'honnête rusticité vers les élégants adul- tères, vice de noblesse selon Ilermant, ou même du mariage pour déchoir finalement à l'aigre célibat. Cer- tains romans mondains, toute la littérature d'adultère, n'ont pas été moins funestes en leur genre que les jour- naux illustrés détaillant les crimes, sans d'ailleurs valoir littérairement plus que les feuilletons dits populaires.

M. -A. Leblond. 13

Wt LA SOCIÉTÉ FRAXÇAISI-: SOUS LA TROISIÈME RÉPUI5LIQUE

Si la noblesse fut parfois, sans le vouloir, utile à la société, c'est dans le même sens que le financier '. Il n'en faut pas moins avoir pour elle une piété analogue au res- pect que nous conservons aux chefs-d'œuvre classiques si lointains de nous et qui sont froids à notre sensibilité moderne ; il faut anssi avoir la pitié que ce qui fut la splendeur de jadis s'est prostitué.

Dissolue et morte, l'aristocratie de sang, quelque temps renouvelée par celle d'argent, semble devoir être rem- placée par une aristocratie sociale plus complexe. Sera-ce Yarislocratie intellectuelle en laquelle Renan, étourdi par la guerre de 1870, en ces périodes de fatigue et d'aveu- glement où l'on se confie à un dictateur, mettait tant d'espérance? 11 semble qu'au sein même du corps intellec- tuel des classes différentes achèvent de se délimiter plus nettement, hostilement, et que les académies tendent de plus en plus à représenter aux jeunes générations et presque au public une grosse bourgeoisie littéraire et scientifique, recrutée généralement parmi des médiocres brillants, parvenus et fils de grands hommes ce qui est bien le trait et le vice essentiels des aristocraties dont tous attaquent de plus en plus les privilèges, l'esprit conservateur et despotique, le népotisme. Parmi }«s intellectuels même se forme un parti, plus ou moins anarchiste, qui repousse la suprématie des intellectuels au point de lui préférer jusque celle des militaires'-. D'autres, réservant la conduite de l'avenir aux êtres d'élite qu'ils appellent siirJionimes, les envisagent sou- vent beaucoup moins comme de purs intellectuels que comme des hommes d'action. Tout cela montre déjà,

1. Voir p. 134.

'1. A ce point de vue l'anleur des Moi ticoles est bien mentalenienl le fils de l'auteur de V Immortel .

LA NOBLESSE 195

après quelques années, la caducité de la conception de Renan, souvent développée après lui par d'autres, bien qu'il eut été lui-même amené à contredire dans son Marc- Auièle ses idées de 1872.

En son principe même l'idée d'une aristocratie intel- lectuelle est inacceptable, contradictoire, parce qu'elle implique une concomitance de choses successives. L'élite intellectuelle artistes et savants ne peut gouverner socialement, l'intelligence étant un instrument de recherche, de tâtonnement, d'intuition, et le gouverne- ment une méthode d'application, de précision (évidem- ment relative), le gouvernement chose d'application étant par définition une chose postérieure. La politique est une application d'idées sociologiques, elles-mêmes synthéti- sations d'idées scientifiques, elles-mêmes généralisations de nombreuses découvertes opérées dans les diverses sciences : toutes opérations qui nécessitent du temps. La politique ne peut jamais être qu'une vulgarisation laite par des esprits de culture générale, et la science tend de plus en plus h se spécialiser. Certains savants n'ont pu être appelés h des fonctions politiques qu'à cause de la nullité des politiciens de leur temps, esprits, il est vrai, de culture générale, mais partout trop basse.

Néanmoins, quelle qu'elle soit, pour éviter de recom- mencer une même évolution, la prochaine aristocratie devra étudier avec l'attention la plus analytique tout ce qui reste des anciennes aristocraties et a été écrit sur elles : elle en formera les considérations suffisantes sur la nécessité pour toute aristocratie de se renouveler fré- quemment d'éléments populaires, de replonger sans cesse, ainsi et par l'étude ', dans la masse dont on ne peut

1. Ce qu'ont fait si heureusement les Concourt.

196 LA SOCIETK FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

s'écarter sans tomber A'ite à l'impuissance et à l'anor- malité ; elle verra ne pouvoir persister qu'autant qu'elle se préoccupera seulement de l'avenir de la masse, toute aristocratie étant son élite et l'élite n'ayant de raison que dans la préparation de l'avenir; elle percevra que la néces- sité capitale d'une élite est de ne pas être héréditaire, même par la filiation de maître à disciple ; elle sentira enfin que, tout en participant à la politique en tant qu'unités civiques, elle devra éviter d'accaparer le pou- voir directeur, la pensée ayant besoin d'un certain recul de solitude pour tenir compte des proportions, car c'est la possession des pouvoirs et surtout des pouvoirs repré- sentatifs — politique, argent l'on s'immobilise for- cément, qui a perdu les aristocraties successives.

CHAPITRE V

LES ANARCHISTES

Longtemps la masse n'a eu qu'une notion très confuse de l'anarchie et de l'anarchiste. Pour le peuple et une grande partie de la bourgeoisie, l'anarchiste était couram- ment un assassin et un voleur, ou au moins se le repré- sentait-on destructeur pour le plaisir de détruire comme agit le voleur. L'affaire Ravachol contribua h accréditer la confusion, et le défenseur de Vaillant à Paris, comme auparavant celui de Menau à Bruxelles, dut avant tout lutter contre les erreurs de l'opinion publique. Mais peu à peu les argumentations des avocats et les campagnes successives de la presse élucidèrent la question : en tète de toutes mérite de retenir l'attention la plaidoirie de M* Henri Rover à Bruxelles, qui cita h décharge de son client les principales œuvres de la littérature et de l'art contemporains, invoquant comme complices en anarchie les écrivains Zola, Richepin, Lemonnier et Eekhoud, le peintre Léon Frédéric V Lors des procès Vaillant et Henry, les articles de Geffroy, Barrés, Ivahn, Mirbeau créaient un mouvement de sympathie ou de tolérance en

1. Son œuvi-e a été analysée au point de vue socialiste avec celle d'Eu- gène Laërmans dans la Revue des Refîtes des l'' et 15 octobre 1902.

198 LA SOCIÉTÉ FnANÇAISE SOUS LA TROISIÈME ItÉPUBLIQUE

faveur des accusés ; les interviews et les polémiques d'académiciens et de professeurs de facultés dans les grands journaux et les revues avertissaient le public que l'anarchiste n'est pas forcément et exclusivement un homme qui jette une bombe, mais qu'il y a des anarchistes de mœurs honnêtes et de caractère doux : des savants et penseurs admirés et respectés de tous se réclamaient ou se laissaient réclamer de l'anarchie, comme les Reclus, Tolstoï et tout récemment Anatole France, de l'Académie Française. Mieux qu'aucune dialectique, de tels noms quasi officiels imposaient à la foule un examen plus minutieux : aujourd'hui, malgré les campagnes, lors de l'affaire SéJjas- tien Faure, d'une partie de la presse intéressée h accroître la confusion, la majorité du public détient une notion assez nette et juste de l'anarchie et lui fait l'honneur de la dis- cussion au lieu de la condamner en bloc et de la marquer d'infamie comme autrefois.

On se rend compte que ranarchie ne signifie pas seu- lement désordre, mais constitue une doctrine sociale, que, d'une façon générale, l'anarchiste est celui qui ne croit pas aux bienfaits d'un pouvoir fort et même en la possi- bilité pratique d'un gouvernement juste. 11 estime dès lors qu'il laut réduire au minimun les pouvoirs de l'Etat et parfois qu'il ne faut pas du tout de gouvernement. 11 con- vient encore de distinguer parmi les anarchistes ceux qui croient possiljJe d'étal)lir rapidement l'anarchie ou ceux qui ne l'admettent réalisable que dans un certain temps, h la suite de mesures progressives. Tout cela fait que dans la doctrine anarchiste il y a plusieurs sectes et que les romanciers ont pu étudier les types d'anarchistes les plus divers. F^t comme ils se sont trouvés assez intimement mêlés par la curiosité ou par la communion de pensée et de caractère aux milieux anarchistes, ce sont leurs œuvres

LES ANARCHISTES IIRI

qui permettent le mieux de s'en faire une idée analytique? ou une image réaliste. Aussi ne s'explique-t-on pas que M. riamon ait négligé les résultats de leur observation dans sa notoire Psychologie de l'anarchiste^ .

En effet les Jean Grave, les Kropotkine, les Charles Malato sont de purs théoriciens de l'anarchie, et le grand public ne lit pas leurs œuvres, tout au plus achète-t-il et parcourt-il certaines qui lui sont signalées par le veto de la censure. Le Fumée et le P'ere et Fils de TouraueniefF. les romans de Dostoie^vsky et de Tolstoï, les nouvelles de Herzen et de Multatuli, de Morris et de Arne Garborg, en France les œuvres de Zola, Barres, Rosny et Adam ont contribué bien davantage à faire connaître l'anarchie et par la suite à lui acquérir des sympathies. Le préjugé de vandalisme dont on l'accablait n'a pu subsister quand il s'est avéré que de grands artistes érudits comme William Morris professaient la loi anarchiste. Enfin n'a-t-il pas été significatit de voir en France un Jules Lemaitre, à ce sujet attacpié d'ailleurs par la presse royaliste", publier un article apologétique au début de la publication de liésur- rection dans un grand journal conservateur de Paris? L'étude de l'anarchie a été longtemps une mode littéraire de la France et rien n'accrédite tant dans ce pays que la mode. Au cours de lectures agréables ou de bon ton, le public a pu prendre un contact prudent avec des anar- chistes de véridicité suffisamment garantie; il leur a trouvé des qualités sympathiques, des vertus privées, voire « de beaux gestes », il s'y est habitué, il ne s'efFraierait même plus de les rencontrer dans la vie. Cette étude impersou-

1. Librairie Stock, qui a réuni d'une part les ouvrages théoriques et, d'autre part, avec quelques romans français, les principaux romans étran- gers sur l'anarchie.

2. Notamment par Charles Maurras, à la Gazette Je France.

200 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

nelle, dont le ton est donné par les romanciers tour à tour consultés, achèvera de le rassurer : il y verra bien deux ou trois tempéraments violents (n'y a-t-il pas des assassins pour tous les cas passionnels), mais surtout quelques cœurs faibles, des esprits âpres mais généreux, des intelligences lucides.

Il faut simplement se borner à prévenir que, tout en restant impartiaux par nécessité de métier et par vertu scientifique d'hommes habitués à l'analyse, les écrivains ont de fatales tendances à favoriser leurs sujets anarchistes. Eux-mêmes ne sont-ils pas en une certaine manière des anarchistes? La littérature, en effet, qui prétend ne relever de personne et plutôt régenterait les rois, ne reconnait pas de lois fixes, et les académies n'ont de réelle autorité que sur les profanes. Toutes les grandes œuvres origi- nales, enfin, ont valu h leurs auteurs autant d'injures et de haine, et produit en quelque sorte autant de surprise que des bombes.

CEUX DU PEUPLE

On était jadis porté à s'imaginer les anarchistes comme des ouvriers révoltés, grossiers, hargneux, sordides, ii figures bestiales et vêtus de loques, et tels h très peu près les représentaient les suppléments illustrés des journaux lors des procès. On n'en trouve de semblables dans aucun roman; seul le Ragu de Travail^ s'en rapproche- t-il. C'est bien d'ailleurs le type imaginaire et suranné de l'anarchiste dont Zola a voulu se servir, par un procédé littéraire, pour faire ressortir la claire beauté nouvelle de la société idéale. Son génie humanitaire y trouve en même temps l'occasion de s'apitoyer avec une généreuse abou-. dance sur « ces produits gâtés du salariat ». Abruti dès l'âge tendre par une besogne d'adulte, forcé à une lâche docilité, Ragu ne rêve que vengeance et paresse dans le dégoût définitif du travail qui brisa trop tôt ses épaules d'enfant; désormais tout ordre lui pèse comme une tyrannie parce c[ue la tyrannie fut systématique ; et il fuit la ville heureuse dans l'impuissance de pouvoir jamais goûter le bonheur du travail libre. Vis-à-vis de lui, le potier Lange représente l'anarchiste fougueux d'indépendance, mené au malheur par son aveugle parti-pris de violence éruptive

1. Emile Zola, Travail, Fasquelle.

202 LA SOCIETE KUANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUIîLIQUE

dont il souDTiua le premier, mais ainsi plus sympathique que le salarié abruti, aimable même en sa poésie libertaire de vagabond logeant dans une grotte, en sa sauvage beauté parfumée de campagne et de solitude. Il forme avec la bohémienne Nu-Pieds, fine et robuste, le couple superbe de la primitive idylle naturaliste, attardée aux coins les plus libres des siècles de civilisation.

Si, comme lui, Galaiieu * est incapable de supporter l'existence méthodique, il ne peut y avoir de raison sinon cju'il porte en lui la satiété et l'écœurement des sociétés encasernées. Henry Fèvre a négligé de dégager les raisons héréditaires de la psychologie de son personnage : il est heureux que son roman, au contraire des nouvelles par lui prodiguées aux quotidiens, n'en soit pas moins ori- ginal et bienvenu par une très intelligente observation ironiste : appropriée au genre d'humour révolutionnaire d'un Galafieu, elle fait valoir la justesse et la pénétration de la psychologie. Mal conformé pour la lutte, mis au monde pour la fainéantise, faible et sans volonté, Galafieu accuse la môme impuissance de gagner son pain qu'un infirme ou un idiot. Il ne fait rien pour assurer même son idéal de farniente. Il voudrait égoïstement une vie libre et simple de nature et il se révolte contre les hiérarchies, les classements, les complications qu'entraîne l'organi- sation de la société plus vétilleuse qu'un comptable : la vie est une chose si simplement belle qu'on ne devrait point avoir à travailler pour la gagner; le seul fait de naître implique le droit d'en jouir animalement, végétalemcnt. Encore consentirait-il à un travail clair, sain, au grand air, non spécialisé, si complexe et allègre qu'il fait partie de la jouissance intelligente de vivre. Mais il refuse le

1. Henry Fèvrc, Ga/afteu, Stock.

LES ANARCHISTES 203

travail qui est une militarisation administrative. Phvsi- quement et moralement il nest pas de son époque. Il eût été un vaillant aux jours de la préhistoire; il est aujour- d'hui un malade, un parasite, un hors-la-loi, avec la même douceur résignée que mettent à soufliir la lutte pour la vie ceux qui se résignent à l'existence sociale actuelle. Il est anarchiste cheinineau, tvpe purement instinctif, nulle- ment philosophique ni intellectuel, de l'anarchie. H.Fèvre a mis le comique aigu de la bonhomie railleuse d'un RaffaOlli à profiler ce tant-soit-peu rôdeur de barrière sur un lond de bouroeoisie aisée, sravée avec la même verve sincère. Son analyse stricte et sentie l'ait vivre en détail pittoresque le bohème badaud, plein de goût pour trop de choses, honnête et sentimental dans le scepticisme, victime de la société parce qu'il est invalide de volonté, déraciné péiissant dans la ville alors qu'il eût trouvé sa vie dans la vastitude simple des campagnes. C'est en tant que raté qu'il est et finit anarchiste; Fèvre a étudié en lui un de ces spécimens de ratés qu'observait avec prédi- lection Daudet, en a révélé le caractère foncier d'anar- chiste et l'a conduit à une mort sauvage, hurleuse et ensanglantée d'anarchiste manifestant et martyr.

Georges Eekhoud, dans Le Cycle patibulaire et Mes Coni- munions\ déclare avec une beauté rude de franchise son admiration pour tous les réfractaires aux lois et aux mœurs trop arrêtées de l'Etat bourgeois. Flamand d'exubérante vigueur, il ne peut admettre qu'on contienne les somp- tueuses sèves de l'être de nature; il lui parait criminel de tendre à un idéal chétif d'humanité rabougrie dans les bureaux, les sacristies et les prétoires. Alors, les animant d'une amitié exubérante, il compagnonne avec les mendi-

1. Aux éditions du Mercure de France.

204 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIKME REPUBLIQUE

gots et les coureurs de route, avec tous les passionnels qui ne volent que parce qu'on les a volés de la terre mater- nelle et commune, et qui redeviennent dans l'existence errante par les bois et les prairies de superbes indivi- dualités musclées, redondantes de sang fauve et d'énergie, farouches en altière indépendance. Ses héros de cape loqueteuse et de poignard eussent été aimés de Hugo, Valjeans plus simples, plus vrais, dévêtus de tout roman- tisme, sentant fort la boue des fossés et l'àcreté d'un sang sauvage.

De tels hères, d'ailleurs fort différents des criminels- nés inventés par les folliculaires ' pour les commérages de pipelettes, expliquent néanmoins les erreurs de l'opi- nion générale sur les anarchistes. Mais ce ne sont que des comparses de l'anarchie, des anarchistes d'occasion. On verra que tout autres sont les doctrinaires et profes- sionnels. Lesclide ~ même, si difïerent des précédents, n'est pas encore le vrai anarchiste. Au fond ambitieux et autoritaire, il ne voit en la bombe que le moyen de con- quérir l'admiration dévote des foules. De tempérament et d'esprit religieux, il croit au droit humain, il a la foi en des principes immuables révélés, il rêve une justice épi- neuse et rigide, il dédaigne l'expérimentation, il élabore des théories antivitales et antipanthéistes. Cœur sans ten- dresse, il a la tête fervente aux mots. Il est donc aussi éloigné que les Ragu de Tanarchisme généreux, de la dévotion jjéate à la nature, impuissant même à lamour humjjle et dévoué. C'est encore parce qu'il est un raté, parce que le hasard l'a fait naître parmi les pauvres, que cet autoritaire est devenu anarchiste. C'est un faux com-

1. Il n'y a pas ici d'allusion aux savants italiens, mais à ceux r[iii vul- garisent leurs hypothèses.

2, Dans Le. Bilatéral de J.-H. Rosny, Fasquelle.

LES ANARCHISTES 205

pagnon, un anarchiste accidentel : l'anarchie lui est un moyen, non une fin.

Le caractère altruiste désintéressé et libertaire domine au contraire chez le Salvat de Zola, le Malicaud et le Bessières de Rosny et le Berats de Paul Adam. L'anarchie est la seule fin de leurs désirs et de leurs actes : ils rêvent une société libre leur individualité s'effacera joyeusement parmi les autres, tout au plus par un reste de vanité héréditaire la reconnaissance, purement honorifique, de la masse les récompensera de l'acte coura- geux par lequel ils l'auront délivrée.

Paul Adam n'a voulu cpiesquisser dans la fresque sociale du Mystère des foules le type de l'ouvrier socialiste jeté à l'anarchie par un généreux dégoût de toute politique. Jeune mécanicien, Bérats bouquinait tous les soirs un peu de Marx, songeait une république chacun ferait suc- cessivement un peu de tout ; puis il lut Herbert Spencer et les Reclus, quand prélude l'affaire boulangiste : la perver- sion du collectivisme en césarisme cjui caractérise le bou- langisme, le dégoûte du socialisme et en lait un anarchiste individualiste.

Malicaud', Salvat et Bessières furent au contraire mis au relief d'une analyse minutieuse. Un même personnage historique bien connu fournit les détails utiles à compléter la plus vivante physionomie des deux derniers, mais il est superflu de dire que Zola et Rosny les ont composés sur une connaissance sérieuse et générale des plus divers anarchistes : aussi bien ÎNIalicaud, créé de beaucoup avant

1. Dans Le Bilatéral.

SOfi LA SOCIETE FliANÇAlSE SOLS LA TKOISIEME REPUBLIQUE

rafîjiire Vaillant, offre une première réalisation de Bessières. Tous trois également sont des élres religieux, de doux fanatiques. Zola et Rosny y ont insisté : la foi seule peut conduire ces fils du peuple, ces âmes simples au dévouement et à l'action.

Malicaud, honnête et bon, désintéressé au point de ne pouvoir croire aux trahisons, nourrit avec persistance la. conviction que ce sont les énergies qui manquent le plus pour la régénération, pour la libération du Monde; en outre son ignorance le détourne de la propagande par l'éducation; alors son âme populaire, avide d'exercer et de prouver sa foi, se décide pour l'acte révolutionnaire. Il a la conscience d'être un héros, et Rosny, avec une grande et forte délicatesse de sympathie, qui est une sorte d'humour tragique - nous montre l'attendrissant ravisse- ment de ce naïf christ étonné que des idées héroïques puissent lui venir, à lui l'humble fils de forgeron. Il va au Palais de Justice tirer sur Alphonse Delferrière, avocat général qu'il choisit pour avoir insulté lâchement les anarchistes dans un procès récent par flatterie cupide de la bourgeoisie.

Robert Bessières ' est également un ouvrier autodidacte. Ame de sacrifice, il ne se plaignait jamais de ses infortunes pourtant excessives, et sa colère n'éclatera qu'en faveur des misérables. Seul le spectacle d'une société « féroce et sans grandeur, lâche devant les puissances, indifférente aux misères, implacable pour les vaincus, les faibles et les meurtris », put le précipiter à la violence : une bombe jetée en pleine séance de Sénat blesse ou tue quelques- uns des vieillards, et provoque son arrestation.

Ici Rosny, avec une délicate dialectique, intéresse le

1. Les Ames Perdues, Fas(juelle,

LES ANARCHISTES 207

public au sort du meurtrier en des pages de fine analyse et de poésie : il montre que Bessières est ^n-aiment à plaindre, est une victime : son acte n'a pas seulement blessé des bourgeois, il a blessé, il a tué Bessières lui- même. Dans la prison, en effet, Bessières se rappelle le petit être doux, subtil et craintif qu'il fut, dans son enfance, amoureux de rêve et de vie. Il songe qu'un autre Bessières, idéologue, plus tard en lui, a tué te pre- mier. « Tel Scipion croissant pour la cliute de Carthage, ainsi je croissais pour ma chute... Ah! je ne me suis pas manqué ! » En lui il y a bien dualité, dissociation de la personnalité, anarchie intérieure. Après l'attentat l'être qui adore la vie, une fois l'autre être idéologue assouvi, se réveille le plus fort : voilà le secret physiologique de son regret. Et il se dit alors que l'autre n'a pas le droit de l'exposer à l'exécution, que la vie seule vaut, qu'on n'a pas le droit de sacrifier h rien d'autre la part primordiale de soi. Rosny a très loin poussé, par le détail charmant et poignant des analyses intuitives, cette révélation de l'être de nature en Bessières. Et il est fort bien pour cela que celui-ci soit un simple homme du peuple, plus proche de la nature : tandis que Victor Barrucand, étu- diant les anarchistes nés de la bourgeoisie, peut seulement atteindre l'individu sentimental, l'analyse de Rosny va plus loin, retrouve l'animal, le pauvre être gonflé de la vaste vie et palpitant d'une peur instinctive de la perdre! Mais au jour suprême, devant le procureur que, sans phrases ni partis pris, Rosny montre perfide et lâche, l'être idéologue, évoqué par la discussion malhonnête, se réveille, reprend l'ascendant, se dresse en accusateur : « Armés de forces immenses, d'un outillage merveilleux, servis par cent millions de chevaux-vapeur équivalant à deux milliards d'esclaves antiques, et sans que la propor-

208 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

tien des forces vivantes artisans et bêtes de somme ait diminué, les blancs d'Europe et d'Amérique demeurent en proie à la misère. » Cette critique de la société est d'ordre rigoureusement scientifique. Encore son argu- mentation contre la. bourgeoisie est de logique souple et incisive, caractéristique d'intelligence complexe. « La magistrature et le gouvernement, dit-il dans une déclara- tion aussi rationaliste que celle des Vaillant et des Menau, sont pareils h ces remèdes qui empoisonnent tout l'orga- nisme pour guérir une maladie éphémère. Un jour xâendra votre appareil de justice paraîtra aussi aveugle, atroce et funeste que ces tribunaux qui jugèrent les sorciers, les relaps et les hérétiques. » Mais il ne faut pas se tromper à tout cela : Bessières, pour avoir su intelligem- ment assimiler les théories des savants, est avant tout et presque exclusivement un impulsif et un rêveur mys- tique. Dès qu'il passe de la critique h la conception, c'est la plus vague rêverie d'harmonie spontanée, d'union libre dans l'exaltation des énergies solidaires.

Salvat', enfant abandonné, a pour vivre s'essayer h tous les métiers, exploité par tous et finalement par un inventeur américain qui le force h rentrer en Europe malade et sans le sou. Sa souffrance personnelle s'évertue en inventions altruistes, ne fait qu'entretenir « la flamme et le rêve des yeux incendiant sa face blême de meurt-de- faim ». Peu a peu le désir du bonheur de tous jette cet ouvrier sobre et brave hors de la réalité dont son horreur s'exaspère à la vision quotidienne de la misère des siens. Alors, s'écrie Zola, comment vouloir qu'il ne vive dans le rêve, « un rêve de rachat qui tourne à l'incendie et au meurtre »? Et il va jeter une bombe chez un des rois de

1. Emile Zola, Paris, Fasquelle,

LES ANARCHISTES '209

l'argent, sacrifiant son existence clans la certitude que d'autres héros naîtront de son exemple. Zola anssi et à sa façon particulière de réaliste signifie en lui l'hoinme du peuple. Salvat est une force brute et rude, une sau- vage énergie libertaire qui jaillit comme nn arbre vierge de l'humus des vieilles sociétés pourrissant sur place. Zola a insisté, plus encore que Rosny, sur la lâcheté des vengeances légales ; c'est qu'il n'était pas seulenienl tenu par le souci absorbant d'apitoyer sur des forces inu- tilement perdues; il a voulu, avec nn courage soutenu d'une robuste patience, exposer dans un tableau complet de la société actuelle la \utic polifùj ne, la fermentation des partis. Ceci l'engageait à signaler davantage l'action et les intérêts du gouvernement dans un procès de retentis- sement public : la mort de Salvat est décidée en conseil des ministres pour détourner l'attention du scandale d'un Panama Africain. Et ce n'est plus de lui-même mais de la société (ip'/À 4^6 Salva ressort la victime.

Ce gouvernement bourgeois, impitoyable pour les Bes- sières et les Salvat, se prouve relativement assez tolérant pour les réfugiés des autres pays. Leur abondance sur le territoire permet h nos romanciers une étude assez docu- mentée si elle n'est pas toujours de première main.

Elle est très intéressante parce qu'elle nous permet la comparaison instructive avec nos anarchistes. On remarque d'abord que ceux de l'étranger n'appartiennent nette- ment à aucune classe, h part un ou deux aristocrates dilettantes pour qui l'anarchie est plutôt une manière d'opposition extrême : aussi doit-on les compter tous parmi le peuple avec lequel ils fraternisent complètement,

M. -A. LEBLOxn. 14

210 LA SOCIl^TE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

même quand, comme Souvarine S ils sont de la noblesse, suivant l'exemple inimité en France des Tolstoï et des Kropotkine. D'autre part les romanciers nous les présen- tent en général sans caractère de secte bien déterminé : le Francis O'Kent de Marcel Prévost, l'Audotia de Jules Lemaître, le Ribalta de Paul Bourget, sont-ils des collec- tivistes, des démoc-autoritaires ou des anarchistes? on sait seulement que ce sont des révolutionnaires. On serait porté h croire que cette imprécision tient de l'ignorance doctrinale des romanciers : bien plutôt faut-il noter que les étrangers, beaucoup moins théoriciens que les Français et les Latins, n'ont pas même le souci du classement par sectes ni de ratiociner avec passion sur les divergences de partis. Sans doute parce cju'ils subissent un régime beau- coup plus dur, les étrangers songent d'abord à l'action, insoucieux pour cela de s'affaiblir en se divisant.

Ainsi le libraire Ribalta' est un assez vaoue garibaldien, encore qu'en une scène dramatique dont il y avait à tirer une belle analyse balzacienne ou même racinienne, Bourget ait su lui prêter quelque caractère : la maladive fille du banquier Hafner lui reprochant un prix exagéré qu'il fait pour un vieux bouquin, il lui réplique qu'elle ne l'aurait pas trouvé excessif pour certain petit livre se prouve avec surabondance la scélératesse de son père; et comme le romancier Dorsenne lui reproche cette cruauté, il professe ne pouvoir nourrir aucune pitié pour la fille de celui qui condamna tant d'enfants à la prostitution et de pères à la mort. Il est « l'incarnation de ce que Dorsenne (Bourget) haïssait le plus en sa qualité d'intellectuel pas- sionné... le révolutionnaire moderne qui n'a plus qu'un programme : détruire ».

1. Dans Germinal, d'Emile Zola, Fasquelle.

2. Cosmopolis, Lemerre.

LES ANARCHISTES 211

La rigueur de Bourget semble se tromper d'adresse ; l'impartialité de Jules Lemaître, aussi bien que de Marcel Prévost et d'Alphonse Daudet, accorde une tout autre sympathie aux anarchistes. En la slave Audotia Latanief ', il a désiré faire un portrait attendri et intelligent de Louise Michel. Sermonnaire à « diction monotone et chantante qu'une flamme intérieure échauffait graduelle- ment )), elle n'appartient à aucune secte; elle est appelée par tous parce qu'elle est un foyer de chaleur, l'éloquence, Voratrice. Elle est une fonction. D'àpre logique, elle arrive à faire de soi un être, un cœur impersonnel, par la répression systématique de tout égoïsme, et il ne lui reste plus aucune sentimentalité : « Vous l'aimez », dit-elle en proposant à Frida de tuer le prince Hermann, « il ne faut pas l'aimer, voilà tout... L'amour comme vous l'entendez est un vol à l'humanité. » Pas un instant ne la C[uitte la persuasion que certains crimes sont glorieux, légitimes certains meurtres.

Francis O'Kent- est un Finn patriote; le souvenir d'Erin lui mouille les paupières, « met une fêlure dans sa voix ». Cet Irlandais, en qui Marcel Prévost a spécifié un huma- nitaire lyrique et déclamatoire inspiré par nos révolution- naires de 1848 comme les écrivains européens par Quinet et Sand, n'entretient son sentiment patriotique cjue parce que son altruisme est et s'en est activé. Il condamne toute sentimentalité : « L'amour n'est qu'un geste : sa moralité est toujours limitée par le bien et le mal que ce geste cause autour de lui... C'est pour cacher son égoïsme que les femmes et les poètes ont tissé et brodé le voile des complications sentimentales... L'amour égoïste n'est que la première étape vers l'amour impersonnel, la pitié. »

1. Jules Lemaitre, Les Rois, Calmann Lévy.

2. Marcel Prévost, La Confession d'un amant, Lemerre.

212 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Tel est le discours que devant sa femme, époux honnête et dévoué en sérénité, il tient à son disciple Frédéric de Périgny; et Prévost l'a choisi en tant qu'anarchiste étranger pour l'opposer dans le même roman au jeune homme français sentimental par égoïsine de neurasthé- nique.

Avec beaucoup moins de connaissance et de tact, Alphonse Daudet s'est distrait dans Soutien de famille à esquisser une figure de révolutionnaire russe : elle reste un peu chromo. Il a voulu une occasion de s'étonner avec quelque naïveté que Lupniak soit très généreux bien qu'ayant brûlé vifs un gouverneur de district, sa femme et trois enfants. Sentimental très noblement mais de façon un peu féminine, Daudet n'admet pas qu'on n'ait point de remords à tuer fût-ce ceux qui ont tué eux-mêmes des centaines de gens, et il oppose à Lupniak l'autre russe Sofia CastagnarofF, anarchiste tolstoïenne, médecin révo- lutionnaire par la douceur et le dévoùment. La différence qui est entre Sofia et la Sonia de Wassilief de Tartarin sur les Alpes', jeune nihiliste dont il apprécia, en face du gros égoïsme bon vivant du Tarasconnais, la frêle grâce ardente de jolie vierge renonçant aux joies de la vie pour la rude œuvre d'altruisme, indique chez lui la crois- sance annuelle de cette sensiblerie. Compréhensible chez Zola dans des cas tels que celui de Paris, elle s'explique malaisément h propos d'une autocratie sauvage que la violence seule peut convaincre, surtout ne prenant pas son fondement dans la philosophie comme chez Tolstoï.

Le Souvarine de Germinal, au contraire, bien que ses camarades n'aient aucune notion précise sur lui et le prennent pour un simple réfugié politique, est très nette-

1. Alphonse Daudet, Soutien de famille, Tartaiin sur les Alpes, Lemerre.

LES ANAilCMlS'IKS 213

ment déterminé par Zola. C'est (ju'au fond il est pure création du romancier, qui Ta lait Russe et disciple de Bakounine parce qu'il avait besoin d'un anarchiste et ne l'imaginait pas autrement sous le Second Empire : il le dit lui-même en l'opposant h Etienne Lantier, révolté de théories et de sentiments auxquels <( se refuserait sa race » : Souvarine, fils de noblesse, répudié par ses parents, et dont la femme lut pendue en son lieu pour l'avoir aidé à faire sauter le train impérial, a pour idéal la commune primitive et sans lorme, un monde nouveau, un recommencement de tout. 11 y faut arriver (( par le feu, le poison, le poignard. Le brigand est le vrai héros... 11 faut qu'une série d'efFrovablcs attentats épouvante les puissants et réveille le peuple ». 11 descelle des poutres d'un cuvelage au moment d'une grève et provoque l'efFon- drement d'une fosse, périssent nombre de mineurs non solidaires des grévistes, n'hésitant pas à sacrifier quelcpies travailleurs pour aider à l'avenir de justice, prêt à sacrifier l'humanité entière si la justice est impossible. C'est un caractère très net, rigoureusement délimité : on sait le goût de Zola pour la classification.

En laissant de côté ces étrangers et en renvoyant h un autre moment de discuter sur la valeur de la doctrine, on ne peut manquer de remarquer que ces anarchistes, Salvat, Berats, Bessières, Malicaud, voire Galafieu, appa- raissent supérieurs à la movenne de la classe ils naqui- rent : de nature plus fière, de sentiment plus généreux, d'intelligence plus déliée, de volonté studieuse méritoire- ment orientée vers les mieux.

II

LES ANARCHISTES DE LA BOURGEOISIE

Le roman ne dénonce pas un seul anarchiste de l'aristocratie française. Le Mouravline de François de Nion ' est Russe, et la Frida de Thalberg de Jules Lemaître ^ est assez voisine de l'être.

Réunissant dans La peur de la mort les plus divers types d'aristocratie épuisée, F. de Nion présente comme anar- chiste le comte Mouravline. Tandis que son ami Schaenhorn propose, pour mettre fin au monde, d'emmagasiner dyna- mite, mélinite et panclastite dans toutes les grandes cavités afin de provoquer le déséquilibre cosmique par la disparition de la Terre, le comte s'en tient h la castra- tion forcée et administrative : rien n'indique davantage qu'il fut conduit à l'anarchie par l'épuisement d'une race princière. ^

Frida de Thalberg est entraînée par Audotia Latanief dans les réunions anarchistes, parce que son grand-père, le prince Karyskine, fut déporté en Sibérie pour compli- cité h un complot nihiliste. Le socialisme lui est un Rêve de Sacrifice, assez vague. Au fond, Jules Lemaître s'est simplement amusé à une mignarde figurine de catéchiste,

1. La peur de la mort, Stock.

2. Les Rois.

LES ANARCHISTES 215

de « petite vierge charmante de la revendication sociale ». Il n'y a pas à s y arrêter davantage.

Nous n'avons pas dans le roman français une seule figure de noble comparable à Besoukhow ', à Mitia'^, à Nekludow ^.

La grosse bourgeoisie actuelle, détentrice du pouvoir, a encore moins de raison de former des anarchistes : seuls, quelques fils-à-papa donnent dans l'anarchie par sno- bisme : dans Paris, Hyacinthe Duvillard est un type, assez curieusement chiffonné par Zola, jouvenceau efféminé par la noce et dégoûté de son monde par chic. Camille Lemon- nier en avait déjà imaginé un analogue dans La fin des Bourgeois. Le bossu Régnier Rassenfosse ^, de mineurs enrichis, représente la Cassandre méchante et perverse d'une famille de parvenus s'épuisant par la richesse. Élevé à l'oisiveté et à la satiété, il ne saurait plus renoncer à la débauche; mais il a pleine conscience de la fin pro- chaine de sa race et la prophétise sans cesse aux siens en discours volontiers déclamatoires par un procédé de rhétorique que l'auteur subissait encore de l'influence de Zola (1892). Ce lui est déjà une façon de se venger de sa famille, qui le fit bossu et corrompu. Ayant une fois réuni en une saturnale parents et courtisanes dans un puits miné, il marque l'intention de les faire sauter par le grisou pour une vengeance éclatante des mineurs exploités. Il se plaît quotidiennement à dilapider la fortune paternelle, recueillant et saoulant de jouissance des misérables pour qu'ils s'exaspèrent à retrouver le lendemain la pauvreté et s'enfièvrent d'une cupidité dévastatrice.

1. Léon Tolstoï, La Guerre et la paix.

2. Les Frères Karamazof, de Dostoiewsky, Pion.

3. Résurrection, de Tolstoï, Perrin.

4. Camille Lemonnier, La Fin des Bourgeois. Dentu.

2t6 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOLS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Au contraire la petite bourgeoisie, frustrée de ses plus légitimes ambitions, entretient une atmosphère de mécon- tentement OÙ fermentent les révoltes. Instruite maladroi- tement dans les écoles comme si elle doit en les quittant entrer dans une société parfaite, elle est brutalement désabusée dès qu'elle prend contact avec le monde. De soi-même cela ne se dégage nulle part autant que du livre généreux de Han Ryner, Le Crime cVobéir, précisément parce que le ton général en est assez puéril : Pierre Daspre, frais débarqué à Paris, a des surprises enfantines devant les actes égoïstes les plus ordinaires ; et le carac- tère de son anarchisme s'en ressent, vraiment peu mâle et presque maladif. Indigné de la flaccidité universelle, il décide tout d'un coup de ne plus jamais obéir à qui- conque : obéir est un crime. En conséquence il ne se préoccupe pas de satisfaire au recrutement. Déclaré, réiractaire, il est saisi. Phtisique, il lui suffirait de passer au conseil de revision, mais à cela même il ne daigne point se prêter : accepter les faux-fuyants serait une lâcheté. Au conseil de guerre l'avocat plaide pour la folie et on l'interne. Divers médecins l'examinent, dissertant sur l'anarchie qu'ils classent folie d'orgueil. Enfin on le libère. Sa maîtresse a succomjjé au chaorin et il décide qu'il n'a plus qu'à mourir, puisqu'il a tué malgré lui une femme qu'il aimait et qu'on ne peut vivre sans faire le mal. Il va prendre un pain dans une boutique pour le donner h un mendiant, est arrêté et s'éteint épuisé sous la brutalité des gardiens exaspérés de sa désobéissance. C'est un Christ qui même refuse de porter sa croix. Exemple d'anarchie poussé par la logique jusqu'à l'ab- surde, il est une significative victime de l'éducation latine, antiréaliste et abstraite. Les médecins ne se trompent point : c'est un fou, non un anarchiste, car l'anarchie veut

LES ANAI5CHISTES 217

le bonheur dans la vie et ne recherche la liberté complète qu'à cet effet. Lui intervertit le moyen et le but, néglige le bonheur que l'exil assurait à défaut même de la petite lormalité du conseil de revision. Esprit faussé par une éducation dans l'absolu, il ne se rend pas compte qu'il est des transitions nécessaires, qu'on ne peut prétendre h atteindre d'un coup lidéal, et qu'il compromet par son absolutisme même l'avenir parfait de 1 anarchie. Il ne recherche pas le bonheur, mais le martyre : c'est un monomane de l'indépendance absolue.

Il y est amené par cette sorte d'esprit absolutiste (variété extrême de l'esprit géométrique), œuvre d'une éducation romaine, qui produit aussi bien les robespierristes que les doukhobors. Ainsi Victor Mathis'. Très bien élevé et taès instruit, il allait entrer h l'Ecole Normale quand sa mère est frustrée des dernières ressources. Il travaille pour ne pas lui être à charge. Front dur, face pâle de vive intelligence, avec « dans les yeux clairs la sécheresse et le tranchant d'un couteau », il n'a pas de passion poli- tique, ni de démence humanitaire, ni même ne s'exaspère de sa pauvreté. Il est blasé. Energique et de sang-froid, il concentre toute son intelligence à raisonner le meurtre et l'utiliser comme instrument de l'évolution sociale. L'enseignement dogmatique en a fait un pur théoricien de la destruction, lui ayant en outre inculqué par sa rhé- torique du sacrifice « l'orgueil fou » d'être un crucifié pour l'avenir.

C'est déjà Vanarcliiste intellectuel. Dans le peuple l'anar- chiste est sentimental, rarement dans la bourgeoisie. Daspre est certainement un sentimental, mais de senti- mentalisme rhétorique. Dans le roman français il n'y a

1. Zola, Paris, Fasquelle. On ne parle pas ici des doukhobors russes.

218 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

guère qu'un exemple de fils de bourgeoisie devenu anar- chiste par le sentiment pur et simple. Georges Darien nous le présente avec la sorte de talent et d'esprit impul- sivement généreux d'un Mirbeau, en un intéressant roman qui eut guigné à moins de verbosité. Les types vivotent sans grand relief artistique et la fin est insignifiante, ce qui atténue la portée polémique de l'œuvre; mais elle vaut par le détail et l'ensemble de la thèse sociale. Georges Randal ' assiste h la dureté de ses parents pour ceux que la justice condamne et, après leur mort, se voit dépouillé par son oncle avec une minutie et une maîtrise conformes aux lois : h jamais il rompt avec la société régulière si bien représentée par ce tuteur légal. 11 se fait voleur par écœurement universel. Certes le vol lui est une façon de se venger personnellement de la société dont l'indifFé- rence ou la complicité facilite le dépouillement des faibles par leurs tuteurs; mais surtout il est une vengeance sociale, la société étant constituée sur le vol légal. M. Darien le considère un peu exclusivement comme une force de combat : d'après les péripéties mêmes de son roman Le Voleur, il serait plutôt en face du Capital ce que la Ruse fut en face de la Force animale; encore sa beauté serait d'être en même temps de la Force et de la Ruse. Pour Randal le vol s'élève h être un instrument d'anarchie, le contrepoids des vols autorisés, l'ennemi des lois. En frustrant les voleurs couverts par le code, il empêche le vol légal de devenir nne puissance régulière, immuable, exclusive, ce qui l'aurait fait trop puissante, écrasante pour l'humanité, pour l'individu. Le vol est l'acte individualiste. Quand les vols se multiplieront, la société sautera comme une maison d'affaires dont la caisse

1. Georges Darien, Z,f Voleur, Stock.

LES ANARCHISTES 219

fut trop fréquemment dilapidée; et après la banqueroute l'individu revivra. Telle est, en substance, la théorie de G. Darien. Le mal est que son roman ne présente que des voleurs ou des canailles, nulle honnêteté moyenne : on garde l'impression d'une réalité incomplète, à moitié véri- dique. De plus Randal s'acoquine à la besogne : la théorie anarchiste du vol ne lui devient plus qu'une excuse vis-à- vis de la société bourgeoise, et il vole finalement pour s'enrichir, pour « passer » bourgeois : il jouit de son vol, s'éprouve voleur de tempérament, fiévreux et passionné. C'est un nerveux qui devient énervé, neurasthénique à la façon des types de Mirbeau. Le roman y perd en valeur de thèse ce qu'il gagne en vérité. Le type d'Hélène Canonier v est peut-être plus conséquent. Orpheline recueillie par une matrone honorable, elle est vendue à un vieux magistrat par sa protectrice qui a besoin d'ar- gent pour son fils. Endormie au chloroforme, elle se réveille souillée. A jamais sa tendre àme sentimentale fut bouleversée, faussée, horrifiée : froidement elle accepte la vie qu'on lui impose et, fille, dissout les ménages, provoque les meurtres jaloux et les suicides, instrument de justice plus terrible en ce qu'il ne peut tomber sous les coups du Code.

Sauf d'aussi spéciales exceptions (Hélène même n'est qu'une fille du peuple élevée hors de son milieu), le bourgeois ne devient donc anarchiste que par la cérébra- lité. Dans les pays de démocratie, l'intellectuel représente parmi les anarchistes la bourgeoisie ou l'aristocratie. Ainsi dans Paris, dont le titre indique le parti pris de faire un complet tableau d'ensemble, Zola oppose Guillaume Fro-

220 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

ment h Salvat, sentimental et populo, qui lui rappelle les esclaves de l'ancienne Rome conspirateurs de la nouvelle religion de douceur et de rédemption. Le science seule conduisit Guillaume a l'anarchie en lui révélant que les unités créent le monde et que les atomes lont la vie par l'attraction, l'ardent et libre amour. Il imagine alors un peuple sauvé de la tutelle de l'État, sans maître et presque sans loi, un peuple heureux dont chaque citoyen acquiert par la liberté le complet développement de son être et s'entend h son gré avec ses voisins pour les mille néces- sités de l'existence. De naît la Société, association librement consentie des centaines d'associations diverses : plus d'oppresseurs, plus de riches et de pauvres, le domaine commun de la Terre rendu à la masse, son légi- time propriétaire. Scientifiquement et socialement, Guil- laume avait admis l'évolution lente et simple enfantant l'humanité ainsi que fut l'être humain par lui-même; mais alors, dans l'histoire des sociétés comme dans celle du globe, il lui faut faire la place de la révolution comme celle du volcan, brusques éruptions marquant chaque phase géologique et chaque période historique. Même il arrive h constater que jamais un progrès n'a été accompli sans l'aide d'épouvantables catastrophes : toute marche en avant a sacrifié des milliers d'existences.

Cette théorie du savant anarchiste répond en quelque sorte il la question posée par Rosny marquant, dans le Bilatéral, son étonnement de voir Reclus parmi les anar- chistes. Selon lui les anarchistes sont des esprits fana- tiques, et l'éducation scientifique et la connaissance des lois de l'évolution ne peuvent former d'anarchistes. L'es- prit scientifique de son roman, Hélier, condamne avec force la révolution comme un procédé de sauvage trop hasardeux (c'est un billet de loterie), et plutôt propre ii

LES AXAnCHISTES 221

arrêter le cours lent du progrès. Les anarchistes rie Rosny sont des passionnels, que l'un rêve d'être martyr ou l'autre soit ambitieux. Dans les Ames perdues, paru en même temps que Paris, il développe la théorie de l'inuti- lité du sacrifice contenue en germe dans le Bilatéral, et il persévère à considérer l'anarchie comme antiscienlifique. Bien plus, Bessières lui-même, dans la cellule, sous la menace de la mort, s'éveille le critique aigu de son propre acte : il le reconnaît inutile, seulement apte h favoriser la réaction. Il s'avoue n'avoir été qu'un impulsif, provoqué par la sentimentalité à l'acte irréfléchi. Zola paraît d'abord mettre de l'insistance à faire de son savant un anarchiste, et son Guillaume l'est a peu près exactement pour les mêmes raisons que Bessières. Il n'aboutit à l'anarchie qu'après avoir parcouru les autres sectes socia- listes entachées de tyrannie. Encore s'en tient-il d'abord h la théorie, purement idéaliste : a Les savants vont-ils donc être les derniers grands enfants rêveurs, et la foi ne poussera-t-elle bientôt plus que dans les laboratoires des chimistes? » Mais outré d'injustice à l'exécution de Salvat, il décide de faire sauter la basilique de Montmartre. Sans doute Zola a bien voulu que ce soit « le savant » qui lait sauter « la Forteresse de Mensonge et d'Iniquité » ! Mais ce n'est qu'effet scénique et non raison psychologique. Tandis que Bessières accomplit son acte dans les condi- tions personnelles les plus normales, Guillaume le décide en une crise de douloureuse jalousie ou au moins de sacrifice : il a cédé sa jeune fiancée h son frère et, désolé devant sa vieillesse solitaire, il déclare le monde mauvais. Sa violence anarchiste est d'origine mélodramatique vrai- ment trop peu philosophique. De même, après un pugilat, c'est h la vue d'une goutte de sang de son frère qu'il renonce brusquement à l'anarchie fratricide. M. Zola n'a

222 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

VU en Guillaume qu'un moyen, éloquent mais un peu trop oratoire, de révéler son évolution personnelle. L'auteur de Germinal arrive dans Paris, solidairement avec Rosnv, a condamner l'anarchie comme n'étant un acte de fraternité ni d'amour, et h trouver que la science seule est révolu- tionnaire sans faiblesse et avec certitude. Et cela appert de Traçail avec une évidence plus simple, plus naturelle, plus grande.

Paul Adam sut donner au drame une valeur méta- physique de signification universelle par l'aventure svmbo- lique de Pascal'. Cet enlumineur de vitraux à fine tète de Christ qui suggère de la crucifier aime Anne, la princière fille aux yeux de perle. A lui fiancée, la vierge perverse et cruelle flirte cependant avec un politicien venu de Paris pour conquérir les suffrages de la capitale lorraine : ainsi prétend-elle, par la souffrance de jalousie, purifier de sensualité l'amour de Pascal, de même que la ville succes- sivement s'offre aux candidats adversaires, courtisane tour à tour avenante et dédaigneuse, pour désintéresser leur patriotisme. Mais la souffrance amoureuse imposée par la fille symbolisant la ville énerve l'humanité trop sensible, jette Pascal à l'anarchie. Anarchiste chrétien-, il professe que tout le mal du peuple vient de sa stupidité servile; pour son bonheur, il faut le châtier au lieu de le flatter, l'avertir par des actes puisque les idées ne le touchent pas. Ainsi son anarchisme, excité de la crise passionnelle, s'en suggère des raisons supérieures d'agir.

Il ne reste pas moins que cette anarchisme, aussi bien que chez Zola, n'est pas oeuvre d'iutellectualité pure; seulement rintelligence charpenta de raisonnements la

1. Mystère des Foules, Ollendorf.

2. Le Christ a dit : « Je ne suis pas venu porter la paix aux houimes, mais la guerre. »

LES ANARCHISTES 223

sentimentalité. D'après la critique de ces romans, la thèse de Rosny serait fondée : l'anarchie serait plutôt senti- ment que raison, et la science la condamnerait. De nouvelles considérations viendraient la soutenir : l'intel- lectualité exacerbée qui n'est plus équilibrée par la force sentimentale aboutirait à l'anarchie, comme la sentimen- talité excessive. L'anarchie naîtrait toujours d'une exagé- ration du tempérament. Henry Bérenger a étudié dans son premier roman ' la maladie de la jeunesse contempo- raine fatiguée par une culture intensive. h'Effort, sans doute de forme juvénile, n'en est pas moins très intéres- sant d'analyser, avec la gravité d'un esprit sain, un cas d'autant plus pathétique que la réalité en a offert trop de semblables : après ceux cjui provoquèrent son attention, le suicide récent d'un jeune homme de grand talent, dont Paul Adam préfaça le volume h la fois premier et posthume, prouve la fréquence de cette sorte d'anarchie par lassitude physiologique. Georges Lauzerte naquit du mariage de raison de deux millionnaires, de ce que M. Bérenger appelle un mensonge matrimonial : produit anémique d'une union sans amour, il se trouve, par le fait de sa grande richesse, vite blasé. Pour le surcroît une éducation toute formelle, monotone et de sécheresse cléricale, avait affadi son àme et l'avait desséchée en cendre qu'un moindre souffle eût vite éparpillée. A la veille de partir pour une place enviée, il se tue par impuissance de vouloir, par lassitude de l'effort même si petit qu'il faut h un millionnaire pour diriger sa vie. Ici c'est plus que de l'anarchie, c'est de l'anarchie intime, du nihilisme.

Un roman notoire de Victor Barrucand : Avec le feu,

1. Henry Béreng-er, L'Effort, A, Colin.

224 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

présente des cas analogues est plus visible la parenté de l'anarchie et du nihilisme. Ses personnages n'ont même été considérés par la presse que comme des anarchistes. Robert* est au fond malade d'une phtisie morale : il cherche dans l'amour l'illusion de la lutte et de la disper- sion et il goûte le commerce des courtisanes parce qu'il est stérile. On ne peut être plus profondément néantiste. Fils d'un communard, il fut affilié à l'anarchie révolution- naire; les circonstances seules l'empêchent de jeter une bombe longuement préméditée. Alors il se désespère de n'avoir pas les grandes forces d'activité nécessaires au parti et de l'impuissance actuelle de l'Anarchie; Louise Vignon, depuis peu rencontrée, écarte son amour; et il se tue loin des villes par impuissance de supporter le monde mais sans haine, et par dédain suprême, par impuissance aussi de savoir comment agir, pour tuer en soi la douleur universelle, pour un exemple sans théâtral.

On a prétendu ne voir dans son acte que dépit amoureux, et l'on a cru à une satire de Barrucand qui aurait voulu ne considérer l'anarchie que comme une maladie sentimen- tale. Au fond, Robert est bien plutôt un malade cérébral. Il reconnaît qu'il aurait vécu s'il avait été aimé, mais uniquement parce que l'amour aurait engourdi sa pensée. L'amour est un suicide comme un autre et un suicide intellectuel. C'est un malade intellectuel de la même famille que Georges Lauzerte, et il est très logique que ce soit un nihiliste qu'ait créé V. Barrucand, bien connu pour être l'auteur de subtiles études documentaires sur les nihilistes russes. Robert, Georges Lauzerte, une grande partie de la jeunesse parisienne sont plus russes que français.

1. Victor Barrucand, Avec le feu, Fasquelle.

LES ANARCHISTES

Russe aussi est la « jeune-filliste * » Louise Yignon, figure sobrement dessinée de vierge décidée au célibat, de virginiste, type si nouveau de jeune Française ne différant de la Russe et de l'Américaine que par une jolie sou- plesse animale fort délicatement nuancée par V. Barrii- cand. Louise Vignon trouve Robert très gentil et plaint sa névrose, mais veut rester stérile par haine d'être sou- mise à l'homme et, semble-t-il, aux lois mêmes de son sexe. Bonne sans sénérosité, intelligente mais sans force expansive d'altruisme, elle crée un cas très intéressant de « femme nouvelle » : nonne laïque satisfaisant par la musique, comme par une religion, les expansions du tempérament. Elle résulte de l'éducation d'un père égoïste qui est encore nihiliste à sa façon : dédaigneux du public, incrédule au progrès comme sera sa fille, il ne veut point faire représenter ses opéras parce qu'il ne croit pas à la bienfaisance de l'art.

Dernier comparse, le riche Meyrargues représente dans le roman le dilettante par anarchisme : anarchiste par paresse inconsciente, il ne croit pas h l'amélioration sociale, afin de ne pas y travailler, et il a choisi l'amour et la noce et la critique intellectuelle comme movens de destruction. Ainsi se complète ce roman, élégant par le choix mesuré d'images sveltement décoratives et par une ironie sobre issue de ses idées anarchistes, écrit dans un ton francien relevé d'un peu de nervosité de Paul Adam.

Il reste seulement à dire que les personnages n'en sont pas de vrais anarchistes. On a le plus souvent confondu les nihilistes parmi les anarchistes, mais c'est par une

1. Nom donné en Amérique aux jeunes filles partisans systématiques du célibat; mais en Amérique elles vivent par groupes.

M. -A. Leblond. lo

226 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

extension abusive. L'anarchie est optimiste et idéaliste, le nihilisme est pessimiste et athée au sens philosophique et même renanien du mot. On en pourrait conclure, en ramenant même très aisément les personnages de G. Darien à des nihilistes, que, le nihilisme en étant la perversion cérébrale, l'anarchie n'est foncièrement que sentimentale et qu'elle peut seulement être dans la classe bourgeoise une complication intellectuelle de la sentimen- talité.

m

LES -MILIEUX, L'ACTION ET L'AVENIR DE L'ANARCHIE

Il se prouve crailleiirs autrement que les intellectuels de Y. Barrucand ne sont pas de vrais anarchistes : ce sont des orgueilleux, des isolés et, pour être une religion de l'individualisme, l'anarchie est une religion et une religion nouvelle ; ses adeptes éprouvent le besoin d'une communion au moins nécessaire avant l'établissement du nouveau régime et pour la destruction de l'ancien. M. Hamon a démontré, par quelques théorèmes de psychologie, que l'esprit de prosélytisme était fondamental chez l'anarchiste. N'est-ce point une forme même de sa combativité et une expansion de son sens intensif de logique? C'est sa raison et sa fin, son « besoin » et sa joie. Il est malheureux que seul Rosny, dans le Bilatéral, nous l'ait rendu vraiment sensible chez ses divers anarchistes, et aussi bien ce roman est l'unique œuvre se révèlent des milieux et des réunions anarchistes ^ Il importait pour des portraits vivants d'anarchistes de les faire discourir dans l'atmos- phère spéciale fermentent leurs idées.

Le désordre est la loi on peut dire logique de ces réunions. Dans une des séances fermées d'un club,

1. Dans le Mijstère des foules, il était naturel que le socialisme fût de préférence l'objet de l'étude de Paul Adam.

228 LA SOCIÉTÉ FBANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

Lesclide demande en vain la parole pour des motions urgentes, et comme il se plaint du tapage, un jeune aminclie ' proteste que la liberté individuelle est la base de l'anarchie et qu'ils ont le droit de commencer par ne point écouter. Sur ce de jouer et de boire. Le même, dans une réunion de toutes les sectes antiboursfeoises, tirera du pistolet pour empêcher par la bagarre le triomphe des socialistes autoritaires. Les plus tapageurs sont au demeu- rant bons et enfantins, avec un gros fonds de commérage, de parlottes cancanières sur les mœurs privées de Ferry, de Gambetta, du prince de Galles, se créant ainsi une sorte d'intimité avec ces hauts personnages. Enfantins aussi par le besoin de crier, de prouver leur force avec des jurons, ils le sont encore par la ténacité h s'approprier quelques vieux arguments d'un orateur ou d'un livre célèbre et à les répéter avec obstination, les servant en coups de poing péremptoires. Les grands meetings sont décrits en souplesse, animation et mouvement coloré, avec un don de résurrection de la vie turbulente et bariolée des masses que Paul Adam seul possède aussi parfait. C'est une vaste distribution de prix s'ontreproclament eux-mêmes de grands enfants, et c'est un théâtre aux planches duquel se relayent les spectateurs, dans une intime collaboration de discours sur la scène et des lazzis des loges. La grâce des femmes avec l'éclat des parures et des sourires ondule dans la masse comme l'écume aux crêtes des vagues humaines. De l'ensemble un orrand fracas qui fume : interruptions, sonnettes, tabagies bleuâtres, assourdissante odeur d'écurie humaine. Bagarre finale et intervention de la police. Rien de tout cela n'étonne ceux qui ont pu lire, dans Vlliunanilé nouçcUe, le compte rendu

1. Terme de l'aigot désignant un anarchiste.

LES ANARCHISTES 229

sténographique de la session des grandes assises interna- tionales à Paris pendant l'Exposition de 1900.

Le public ne manque point à railler ces turbulentes scènes qui discréditent le parti révolutionnaire comme d'analogues pugilats discréditent les corps politiques constitués, Chambres des députés de France ou d'Autri- che. L'action du parti s'en ressent. Les romanciers s'oc- cupent peu en général de son efficacité. M. Zola seul, avec une pénétrante vigueur et un grand talent polé- miste, sonde l'avenir, dit les espérances, s'inquiète del vicissitudes :

A la fin de Paris, qui reste une œuvre lourde mais chaleureuse et active, et impose d'être une svnthèse consciencieuse assez réussie et complète, Zola conclut contre l'action violente, avec une intelligence éloquem- ment imagée : « Quel aveuglement de croire que la destruction, que l'assassinat puisse être un acte fécond, ensemençant le sol d'une heureuse et lar^e récolte! On arrive tout de suite au bout de la violence, et elle n'est bonne qu'à exaspérer le sentiment de la solidarité, même chez ceux pour qui l'on tue. Le peuple, la grande foule se révolte contre l'isolé qui croit faire justice. Le volcan, oui! mais le volcan, c'est toute la croûte terrestre, c'est toute la masse populaire qui se soulève, sous l'irrésistible poussée de la flamme intérieure, pour dresser des Alpes, pour refaire une société libre. Et quels que soient l'hé- roïsme de leur folie, leur soif contagieuse du martyre, les assassins ne sont jamais que des assassins dont l'action est une semence d'horreur. » Faisant ainsi du peuple, fier de la révolution, le juge, le modérateur et l'ouvrier même de cette révolution, il donne à la politique la base la plus rationnelle qu'on voie jusqu'ici. Il condamne donc, avec

230 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Rosny et la plupart des romanciers, la brutalité maladroite des dynamiteurs.

On ne saurait y contredire : il paraît injuste d'assimiler même un A^aillant à un Blanqui, et d'autre part la bombe, agissant sans précision, n'augmente-t-elle pas encore la part de hasard déjà trop grande dans l'humanité, dont les Tragiques grecs ont si bien senti le poids terrible sur nos destinées?

Aussi les poètes mêmes, qui, par la générosité de leur esprit, ne peuvent s'accommoder de l'état présent et, d'autre part, par l'imprécision et l'indépendance répugnent au socialisme, n'ont-ils pu apothéoser en l'acte anarchiste qu'un moyen magnifique tout provisoire.

Alors fougueux idéaliste, Camille Mauclair ^ qui évolue avec souple maîtrise vers une attention réaliste aux choses sociales ■', déploie dans le Soleil des Morts les merveilles pittoresques d'une formidable explosion foudroyant la Chambre, elîVitant les boulevards, incendiant des cjuartiers de Paris. Claude Pallat, chef des anarchistes* avait longuement préparé cette dissolution du vieux monde bourgeois non seulement avec des chimistes mais avec des politiciens, des publicistes et des écrivains dont l'éloquence travaillait à dissocier la conscience publique; mais il meurt dans l'aventure. Et le roman semble ne pas conclure; il aboutit seulement à une fin de théâtre de la société et des idéals actuels, fermant sur le spectacle pessi- miste de gigantesques décombres paiement éclairés par un symbolique m soleil des morts )).

1. Camille Mauclair, Le Soleil des Morts. L'Orient Vierge, OUendorft.

2. Ainsi dans Les Mères sociales.

LES ANARCHISTES 231

Mais dans l'Orient vierge, roman de l'an 2000 (d'ailleurs antérieur), on voit comment la société future s'organise dans la pensée du romancier idéologue. Par la volonté du chimiste Médion et de l'idéologue Claude Laigle, les parlements de Paris et Berlin, de Londres et de Rome s'effondrent en une seule nuit; l'orateur Dessort, qui avait préparé les désertions massives et fait avorter par un désarmement général la dernière guerre franco-allemande, aide puissamment à l'établissement anarchiste « lorsqu'il a compris que le socialisme ne peut être qu'un mouvement économique sans avenir politique ». Ce gouvernement anarchiste qui succède rapidement au socialisme est une confédération des Etats de l'Europe occidentale, présidée par un dictateur responsable qui gouverne avec un conseil. Sauf l'activité responsable du dictateur, le régime demeure assez semblable h l'ordre actuel ; la révolution a été plus sociale que politique; et son œuvre fut surtout l'annihile- ment de la bourgeoisie par la terreur. La démocratie seule a fait place à une aristocratie intellectuelle : la masse, de culture individualiste, s'incline avec une volonté exclusive devant quelques surhommes dont Mauclair nous a tracé quelques portraits vifs, caractères originaux et finement svmpathiques d'intellectuels divers. Camille Mauclair, certes le plus intelligent des jeunes écrivains attentivement informés alors sur l'anarchie, représente donc ainsi le régime anarchique de l'avenir : une dictature ne différant de la république bourgeoise que par une administration décentralisée, un gouvernement plus cen- tralisé et restreint, une élite nouvelle plus intellectuelle- ment recrutée et de garantie supérieure toute morale.

Un an plus tard, dans ses Lettres de Malaisie, un de ses aînés, Paul Adam, a choisi pour sujet principal de détailler une vision identique, avec une richesse d'imar

232 LA SOCIETE FfiANÇAlSE SOCS LA TROISIEME REPUBLIQUE

gination toute orientale. Même le reproche mérité par ce livre est qu'il soit une vision byzantine, hallucinée de moyen âge, de la société future. Sous la dictature anarchiste, les descendants de Jérôme le Conquérant et des autres libertaires français émigrés en Malaisie en 1848 ne semblent guère se souvenir des mœurs et de l'esprit patriarcaux des hommes de la Seconde Révolution. Ce sont les décors de féerie et la luxueuse corruption de la capitale voluptueuse de l'Empire grec. Les femmes, spécia- lement, professent le plus baudelairien des dilettantismes, fleurs d'un Mal étrangement artificiel. On se croirait presque en un Jardin des Supplices. Entre toutes l'alli- ciante Pythie ' est une création ingénieuse et sapide, trop sœur des perverses Maïa, Sonia-, Lucy et JaheP dont Paul Adam a émaillé ses romans parisiens; cette femme-future fut d'ailleurs intelligemment appropriée à l'époque de scepticisme paisible et cynique qu'imagine le voyageur de Malaisie. Mais précisément la vision générale reste trop personnelle et ne peut s'accepter. Leconte de Lisle (socialiste de 1848) et Puvis de Chavannes en ont exprimé une qui est diamétralement autre, conforme à un idéal libertaire beaucoup plus logique et sobrement harmonieux; dans leurs poèmes ou leurs fresques primi- tivistes, une humanité mi-homérique et mi-virgilienne poursuit une vie frugale et décorative, des rêveries plato- niciennes et des œuvres d'art et de paix dans le cadre serein d'une nature abondante et suave.

1. Paul Adam, Lettres de Malaisie, Fasquelle.

2. Les Cœurs utiles, Ollendorf.

3. L'Essence de soleil, Stock.

CONCLUSIONS

L'anarchie serait l'idéal à réaliser clans le futur; les anarchistes restent aujourd'hui des types d'exception, et c'est bien comme tels qu'ils ont intéressé les romanciers et que ceux-ci ont cherché à les caractériser.

En dehors même d'aucune doctrine lombrosienne ou autre, il faut tenir compte de leur hérédité, car, au contraire du socialisme, l'anarchie est a la fois une doctrine et un état d'esprit; même, le plus souvent, c'est l'état d'esprit qui détermine le choix de la doctrine. On ne saurait aller jusqu'à dire que tous les anarchistes sont nés tels, mais ils viennent au monde avec une prédisposition à l'indépen- dance absolue ou rêveuse : ainsi Ragu, Lange, Robert, Galafieu. Cet état est même morbide chez quelques-uns qui, nés de la misère, ont des déviations de l'esprit comme dauties de la colonne vertébrale, et demeurent toute la vie anormaux, inaptes à s'adapter au corps social constitué : ainsi ces « microcéphales », ces « strabiques », ces fous aux yeux phosphoriques que le Bilatéral rencontre en abondance dans les groupes anarchistes et qui lui repré- sentent les héritiers des névrosés religieux du moyen âge, Flagellants et Danseurs de Saint-Guy. Physiologiquement l'anarchisme serait un développement, parfois extrême jusqu'à la maladie, d'une « faculté «instinctive de l'animal

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humain, rindépendance, trop rabrouée par les lois de la société.

L'influence de l'éducation est plus considérable et presque générale. Le roman n'offre pas d'exemple d'indi- vidu conduit h l'anarchie vers l'âge adulte par la seule philosophie sociale : tout au plus Guillaume Froment. Presque toujours le sentiment détermina l'anarchiste dès l'enfance ou l'adolescence. L'a me alors est généreuse, elle est molle et féminine, impressionnable à jamais aux dou- leurs personnelles, malléable aux soufl'rances d'autrui, tandis que plus tard l'épiderme en a durci au grand air d'une vie active : ainsi Robert, Frida de Thalberg, René Daspre, Randal, Ragu, Francis O'Kent. Il faut d'ailleurs regretter, particulièrement pour Salvat, que les roman- ciers aient seulement esquissé l'enfance de leurs types : même le côté d'éducation humanitaire de Bessières vers l'adolescence a été négligé alors que l'enfance en était décrite avec minutie créatrice. L'importance du régime scolaire sur la détermination de la mentalité a été signalée par Bérenger, Darien et Fèvre qui l'attribue à l'internat comme Jean Aicard'.

De leur éducation résultent leur sentiment et leur men- talité. L'éducation fut parfois si rude et précoce que la source instinctive de sentiment en est desséchée : Louise Vignon, Mathis, Lesclide aboutissent h l'asentimentalité. Celle-ci existe encore chez Randal et Hélène Canonier par la violation du sentiment dans l'âme enfantine. La volonté âpre du devoir la détermine chez Daspre. Chez Ribalta, ()'Kent, Lepniak, Malicaud, tous les autres, le sentiment se socialise et, refoulant les sentiments égoïstes (Malicaud) ou familiaux (Bessières), devient impersonnel, ce qui

1. Jean Aicard, L'âme d'un enfant, Flammarion.

LES ANARCHISTES 235

constitue h vrai dire une seconde sorte d'asentimentalité.

I/esprit est critique, parfois même satirique comme chez Galafieu : il perçoit aigument les défauts d'un monde qui blesse la sensibilité : Salvat, Bessières, Hélène, Randal, Malicaud. Il ne reste que plus intimement con- vaincu de l'excellence de ses idées : Audotia, Lepniak, Lesclide; et en est parfois comme halluciné, s'y attachant tout d'une pièce : Salvat, Souvarine. De son impatience, son incapacité, par l'effet de cette impatience, de prudence scientifique, son insouci et son irritation de la règle tem- porisatrice de l'évolution. Non seulement Salvat et Bes- sières sont des révolutionnaires intempestifs, présompteux de leurs forces individuelles qu'ils croient capables de bouleverser l'état social établi par des siècles, mais Guil- laume Froment lui-même jusqu'à sa conversion. C'est qu'en lui, Zola Ta très bien montré et avec une heu- reuse insistance, coexistent le savant et le rêveur d'impossible. Dans Salvat, Bessières, Malicaud et Galafieu prédomine le côté non positif, impratique parce qu'il est brouillon et incomplet. En moyenne, on arrive ainsi à une sorte d'intellectualité individualiste (puisqu'elle est sûre de soi et critique) sans être égoïste (puisqu'elle est impratique et impatiente). Par sa constitution mentale autant qvie par ses actes, l'anarchiste résout le fameux débat sur la prétendue antinomie de l'individualisme et de l'altruisme : il est ensemble individualiste et altruiste.

Tel de sentiment et d'intelligence, quel métier choi- sira-t-il et cjuelle sera sa situation sociale? Ceux qui sont de tempérament un peu maladif et qu'on pourrait appeler les anarchistes de constitution, errent dans une sorte d'indécision jamais satisfaite de Bouvard-et-Pécuchet : ainsi Galafieu et les personnages secondaires du Bilatéral. Ceux dont une science trop précoce fit des révoltés à jamais

236 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

désabusés, reculent au ban des métiers légaux : le voleur Randal et la prostituée Hélène. Hors-la-loi est aussi à sa façon Audotia, mendiante errant par les villes, dont la seule profession est de porter l'étendard des émeutes. Tous ceux qui exercent un métier l'ont choisi humble et utile à la cause, au moins logique avec leur doctrine comme le doukhobor Pierre Daspre, cordonnier à l'imi- tation de Tolstoï. Ici voit-on que la science constitue moins pour eux une section intellectuelle qu'un métier indispensable à l'anarchie : les Salvat et les Bessières choisissent des professions mécaniques, les O'Kent et les Lepniak sans cesse étudient les sciences diverses, les Pallat et les Froment sont des chimistes. De tous ceux qui se dévouèrent à l'anarchie l'existence apparaît modeste et chrétienne.

II

I.a littérature a pu très facilement les étudier parce que ce sont des tempéraments très simplistes. En outre l'anarchisme est une tendance, un état d'esprit fonda- mental; l'individualisme, qui en est l'essentiel, se trouve un chose de première importance humaine autant qu'intel- lectuelle; le problème de l'individualisme et du socialisme ne se pose pas seulement pour la société mais pour chaque individu, èi propos de chaque esprit, de chaque conscience intellectuelle : le duel scientifique qui se livre chez Froment sur cette question se répète en petit dans chaque cerveau soucieux de se diriger.

H. Bérenger et V. Barrucand étaient naturellement portés à ne point étudier devrais anarchistes : le premier, esprit trop net, régulier, ordonné et méthodique pour sympathiser avec l'anarchie, n'a écrit VEffort cjue par

LES ANARCHISTES 237

curiosité des maladies intellectuelles et pour eu chercher le remède; le second, alors trop sec et dilettante*, nourrit évidemment quelque dédain de l'anarchiste naïf et dogma- tique. Jules Lemaître et Alphonse Daudet ne se sont occupés de l'anarchie qu'en chroniqueurs commandés par l'actualité. De même P. Bourget, qui a trouvé une occa- sion de faire ressortir, par le contraste, la vertu pacifique des esprits catholiques bien rentes. Au contraire, Henry Fèvre, si peu affilié qu'il soit h l'anarchie, a su trouver en Tanarchiste le fond indépendant et sauvage, presque aroma- tique, capable d'inspirer subtilement et pittoresquement un écrivain. Les Rosny, esprits scientifiques, infirmaient l'anarchie, mais l'anarchie offrait h leur pénétration psvcho- logique l'occasion d'étudier en détail parfait la forme actuelle du tempérament et de l'esprit religieux; leur génie humanitaire pouvait s'attendrir avec pitié très haute sur l'infortune d'àmes sacrifiées en vain et nuisibles dans une maladroite passion d'être utiles. Il est vraisemblable d'après le reste de leur œuvre qu'une telle destinée eût heureusement inspiré les ^Nlargueritte. Camille Lemonnier prend justement place entre Rosny et Zola qui l'ont diver- sement mais également influencé : son tempérament com- batif l'a poussé à attaquer avec véhémence la bourgeoisie, mais, par son esprit d'ordre, il n'a admis son anarchiste que comme un produit de perversion bourgeoise. Emile Zola, presque exclusivement combatif, a été fatalement induit à une apologie du martyr anarchiste, sinon tout à lait à une apologie de l'anarchie dont sa culture vaste et consciencieuse l'a finalement détourné. Paul Adam, sym- pathique en tant que poète à l'anarchisme individualiste.

1. Depuis il a dirigé et créé divers journaux politiques à Alger, notai ment CAkhbar, qui est toute une œuvre, complexe et personnelle.

238 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

a cédé a rintelligence critique de faire saillir, en prudente ironie, les vicissitudes de l'œuvre anarchique. Camille Mauclair, idéologue d'impulsions moins réticentes, a carressé avec plus de complaisance ses figures idéales d'aristocrates de l'anarchie, parfaisant avec telle richesse leur surhumanité que leur hautain élan, épuisé, se brise net. Il reste que Darien, Ryner et Eekhoud ont plus plei- nement et sans réserve sympathisé avec leurs anarchistes : c'est qu'ils sont moins intellectuels, plus sentimentaux d'un Apre et fougueux tempérament de nature animale rebelle à une organisation humaine.

III

On a aperçu la gradation de l'intérêt personnel que portaient les romanciers à leurs sujets. Il est intéressant de saisir les rapports de l'anarchie intellectuelle '■ à l'anar- chie active qu'on dénommerait plus proprement politique, l'idée étant bien aussi active à sa façon. Disciples des Rousseau, des Chateaubriand et des Stendhal, les Adrien Sixte et Robert Greslou^, les personnages des fantaisies philosophiques et sociales de Maurice Barrés ou de Paul Adam, eux-mêmes Charles Maurras, Rémv de Gourmont, Léon Bloy, Tailhade, Gohier, Mirbeau, Albert Lantoine, Adolphe Retté ^, tous plus ou moins sont intellectuelle- ment des anarchistes. Cet anarchisme d'idée est foncière- ment le même que celui qui se résout en actes politiques

1. Poui- éviter avec soin toute conlusion, rappelons que dans les pag'es précédentes on n'a pas parlé de ce que l'on appelle \ anarchie inlellec- tuelle, c'est-à-dire des idées anarchistes des écrivains : on a seulement discuté s'il entrait des éléments d'intellectualité dans l'anarchie politique chez les anarchistes doctrinaires.

2. Dans Le Disciple, de Bourget, Lemerre,

3. A citer particulièrement ses livres de poèmes.

LES ANARCHISTES 239

seulement s'est-il condensé en intellectualité? etavec la science il peut devenir la plus effective des anarchies, de la façon qu'a montrée Camille Mauclair. Mais il lui est une autre manière d'être actif en réunissant toutes les svmpathies, même de ceux qui répugnent a l'acte brutal et aveugle : il constitue le levier social, l'instrument paci- fiquement révolutionnaire que tous désirent, sans être larme criminelle et fratricide dont E. Zola a bien accusé riiorreur. Il devient ainsi la seule Ibrme de l'anarchie conciliable avec la science et l'évolution, belle et utile : il est vrai qu'il n'est dès lors plus une fin régime idéal de gouvernement mais seulement le moyen vers une fin inconnue et toujours changeante, vers une phase nou- velle de la vie infixable.

C'est le lieu de discuter le subtil roman de Maurice Barrés, VEnnemi des Lois, qui a l'avantage de présenter en même temps le plus parfait tvpe littéraire d'anarchiste d'idée. André !Maltère', agrégé de l'Université, est empri- sonné h la suite d'un article anarchiste qui se trouve avoir précédé un attentat. Il est visité en prison par une sen- suelle qui devient sa maîtresse et une intellectuelle dont il accepte la main et la dot après lui avoir fait des confé- rences critiques sur Saint-Simon et Fourrier. Ennemi instinctif des lois, il ne saurait observer la fidélité con- jugale et sa femme le reconnaît non sans gràcc^ en lui donnant la réplique pour des dialogues philosophiques d'élégante sécheresse, sur un ton renanien un peu timbré des meilleurs boulevards. En paroles de finesse exsangue, le jeune-premier universitaire expose que l'humanité, élevée par les lois au degré actuel de civilisation, n'a plus besoin de ces lisières maintenant qu'elle est adulte.

1. Maurice Barrés, L'Ennemi des lois, Fasquelle.

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Ici apparaissent la qualité et la faiblesse spéciales de l'esprit si aigument intelligent qui faisait travailler pas- sionnément alors (1890-1895) la jeunesse littéraire. L'insuf- fisance de sa culture scientifique est évidente ; en mettant les lois scientifiques sur le même rang que les autres et en raillant avec humour leur égale tyrannie, Barres semble ne point s'aviser qu'on ne demande pas à leur égard le même genre d'obéissance. Il les assimile un peu trop rapidement aux lois civiles et religieuses. Sans doute celles-là furent des lisières bonnes seulement à contenir l'enfance civile et religieuse de la société; mais, si la société est adulte devant ces lois, elle est encore enfant devant la science. Un jour la science d'aujourd'hui aussi deviendra vieille, et les André Maltère de l'époque auront lieu de demander leur mise h la retraite, mais toujours pour faire place à de nouvelles lois d'un autre ordre qui ffuideront l'humanité d'alors vers un nouvel âge adulte. L'anarchie intellectuelle restera toujours et uniquement le moyen révolutionnaire de renouveler les organisations successives de l'humanité. La conception de cette anarchie se précise encore : elle est utile lorsqu'on s'en sert comme d'un moyen mais ne peut jamais être un état définitif d'organisation de la société parce qu'il ne peut y en avoir; elle s'emploie à dissoudre chaque organisation qui vieillit au profit d'une nouvelle; en ce cas, elle est, par son carac- tère de désordre, le seul intermédiaire logique et scienti- fique, car le passage d'un état social a un autre ne peut se faire qu'à tâtons comme toutes les recherches expéri- mentales des savants eux-mêmes. On ne peut trouver de lois radicalement nouvelles ou des méthodes nouvelles, qu'en dehors des lois courantes, ce qui n'empêche pas qu'on n'obéisse toujours à quelques règles fondamentales de logique. Le parfait anarchiste intellectuel ne serait pas

LES ANARCHISTES 241

l'ennemi des lois, de toute espèce de lois, mais des lois établies et prétendant h l'éternité. An fond, sans qu'il s'en doute, en détruisant, il suit un ordre dont il n'est pas conscient; ainsi que les savants lorsqu'ils usent de l'intui- tion, il opère suivant l'instinct encore très vague de lois futures.

IV

On souhaite que cette littérature anarchiste pénètre, lentement, mais de plus en plus, les milieux anarchistes populaires, dont elles ne peuvent que fortifier les doctrines tout en les épurant : et à ce point de vue il est précieux que des hommes de l'élite, comme Anatole France, com- prennent le devoir et la beauté d'aller porter l'enseigne- ment dune parole érudite dans les clubs révolutionnaires. Réciproquement, l'influence des anarchistes, qui ne pou- vaient vraiment pervertir les écrivains en dynamiteurs, aura été excellente sur la littérature et sur sa forme même. L'ironie n'était chez les anciens qu'un jeu de dilettantisme psychologique ; elle s'aiguise de devenir un procédé anarchiste de style. Instrument de dissociation, elle a émietté la grande phrase classique. A cela, d'ailleurs, elle ne s'est point trop affinée : elle ne reste pas, comme chez certains modernes aristocratiques, une arme de duel littéraire. D'aristocratique elle devient populaire. Son objet, s'élargissant, la force a varié son essence et sa tactique. Moins tranchante et plus criblante, elle n'est plus d'acier mais de poudre; elle est plus vaste, plus impersonnelle, plus naturaliste en un certain sens, pre- nant l'àcreté odorante de la nature à railler la civilisation artificielle trop guindée et efféminée. Nulle part cela n'est aussi remarquable que chez Georges Eeckhoud, elle devient une sorte d'humour capiteux et fauve secouant le

M. -A. Leblond. 16

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lecteur bourgeois avec une bonne bumeur un peu animale, encore elle devient âpre et brutale, force sauvage de priape flamand elTaroucbant de sa turbulence musquée l'ordonnance coutumière des phrases d'eurvthmie un peu lymphatique.

Pour le fond, les anarchistes forcent les écrivains cpii les ont étudiés et critiqués à mieux sonder et h raisonner leur propre individualisme instinctif; leur exemple les met souvent en garde contre les perversions maladives ou brutales dont il est aisément susceptible. D'autre part, ils contraignent les écrivains dogmatiques vraiment atten- tifs à prendre conscience et à tenir compte des besoins et tendances individualistes d'une partie de 1 humanité. En littérature comme en politique, l'exaspération et le fana- tisme de leur indépendance a ceci de bon qu'ils préviennent tout gouvernement ou académie qu'il y faut laisser place à l'individualisme.

Surtout l'étude de l'anarchiste valut contre l'embour- geoisement, dont la littérature était menacée par la néces- sité de plaire h une démocratie trop stationnaire. Elle exigea du romancier qu'il descendît au plus profond du peuple pour l'y rencontrer et au plus animal pour le mieux expliquer : bien que le peuple et les anarchistes soient loin d'être chose commune, la connaissance de l'un est liée à celle des autres : n'oublions point que Paris précéda immédiatement et presque provoqua Fécondité et Travail. En l'anarchiste encore l'écrivain saisit l'occasion de con- centrer toute la satire du monde actuel : ce fut un type de mécontent dont le roman put profiter en utilité et en franchise sociales. Mécontentement doublement fécond : n'exigea-t-il pas aussi que l'écrivain, pour bien l'expli- quer, s'instruisit en théories économiques et sociales et les vulgarisât dans le [grand public? Surtout l'anarchiste,

LES ANARCHISTES 243

lutteur désintéressé, se sacrifiant pour les prochaines générations, entraîna le roman français à s'orienter davantage vers l'avenir, à se soucier des destinées incer- taines du futur d'après ce qu'en laissent présumer les savants, intellectuels et autres anarchistes de la société actuelle : toute l'œuvre des Rosny, les « Evangiles » de Zola, les romans anticipateurs de Camille Mauclair et Paul Adam en sont des preuves pleines de promesses ou de réalisations.

Et cela précisément devra être compté à titre capital par ceux qui jugeront les anarchistes. L'on n'a évidemment point à parler ici des tribunaux civils ou politiques, mais du sentiment de l'élite intellectuelle. Ceux-mêmes à qui la belle netteté ou la temporisation, hautement scientificpie, de leur esprit font improuver et craindre les anarchistes, ne devront pas être trop sévères : pour eux, plus que pour quiconque, il faut songer au relatif et au temporaire des lois et des morales humaines. Eeur violence tient, en effet, à ce qu'ils sont de transition : n'est-elle point un caractère presque nécessaire des précurseurs, puisque leur rareté et leur nouveauté les obligent h frapper plus fort pour se faire mieux entendre, et ils veulent hâter les libérations de l'avenir; encore ne sont-ils pas, d'autre part, les retardataires du passé, les derniers venus des âges indépendants de la période sauvage, exacerbés de se sentir en si petit nombre à lutter contre le régime autoritaire actuel?

CHAPITRE VI

LES SOCIALISTES

Il V a beaucoup moins de romanciers français s'intéres- sant aux types et à l'idéal socialistes qu'à l'anarchie.

Cela tient à ce que chez nous l'homme de lettres, surtout avant la dernière décade, est en général non seu- lement individualiste, soucieux d'indépendance et parfois d'originalité, mais personnel à l'extrême, souvent dédai- gneux de la masse même lorsqu'il requiert sa clientèle ou travaille servilement pour elle, voire encore brouillon et bohème. L'ordre pèse au littérateur, lequel s'imagine que l'inspiration et le désordre sont concomitants, presque synonymes; et remarquez que précisément les écrivains socialistes, une George Sand ou un Emile Zola, sont ceux qui travaillent le plus méthodiquement, à des heures fixes. Enfin longtemps la Démocratie lui a paru mépri- sable et incapable d'inspirer son goût fin et choisi; la tyrannie démocratique lui a semblé la plus dure et la plus hostile à l'art; et ne voit-on pas aujourd'hui même des gens aussi graves que le philosophe Alfred Fouillée assem- bler dans la Re^>ue des Deux Mondes les arguments enlan- tins, qu'on dirait recueillis des lèvres pâlies de poètes mondains inquiétés par les progrès de l'art social, pour

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affirmer indiscutablement l'impossibilité de l'art sous un régime socialiste ? Il est heureux que son exemple , notoire, reste rare. Il exprime, en les résumant, les senti- ments tremblants de la vieille génération, qui s'éteint.

On voit au contraire depuis dix ans les plus divers écri- vains de tempérament et surtout de culture intellectuelle aristocratique, comme Gustave Kahn ovi Camille Mauclair, évoluer avec activité vers un art soucieux de la masse et nourri d'elle, et prouver des sympathies pour l'ordre et pour la paix égalitaires, en attendant que viennent des générations nouvelles ayant introduit l'ordre jusque dans leurs procédés et dans leurs méthodes de travail. Sans remonter trop loin, il faut accorder une influence consi- dérable à Taine*, notre grand critique, sur cette trans- formation des esprits et, postérieurement, des tempéra- ments. Tout au contraire de Sainte-Beuve n'a-t-il pas été persuadé de l'importance du milieu pour la détermination de la littérature, et le souci d'interroger sans cesse la masse pour estimer sa conformité avec elle n'a-t-il pas fatalement fini par démocratiser l'écrivain? On a, sans se le formuler, repris sa conception pour lui donner de l'extension : s'il est vrai que l'écrivain soit déterminé par la race et le milieu, il y a des chances que sa puissance soit proportionnelle a l'intensité de sa conformité avec eux. Éealement le croût de la méthode et des classifications de la méthode chez un si grand esprit nous a rendu sensible que l'originalité, loin de tenir dans le désordre, était servie par l'ordre, nécessaire à la puissance, sans laquelle elle n'est que coquette frivolité. Admirateur de la belle et

1, Il n'est pas superflu de noter, surtout en ce moment, qu'il ne faut pas voir Taine à travers Bourget. On lui a fait dire bien des choses qu'il n'a jamais pensées. Signalons un retour récent à plus de justice, d'intelligence, de Taine avec les pénétrantes critiques de Francis de iMio- mandre et de Jules de Gaultier.

LES SOCIALISTES 247

harmonieuse Sand, si décriée par la génération qui nous a précédés Taine est à son tour admiré par Zola, Rosny, Lemonnier, tous ceux que leur esprit et leur tempérament ont portés au socialisme. Paul Adam, plus mobile, lui semble moins attaché; mais, avec les précédents, ses habitudes de labeur considérable et régulier, en même temps que son intelligence éveillée des profonds mouve- ments de la masse, l'a de plus en plus éloigné de l'anar- chisme vers le socialisme.

Le socialisme, net et organisé, est d'existence relative- ment récente : ainsi en va-t-il pour les romans qui en traitent. On est amené h les étudier suivant l'ordre chro- nologique dans lequel ils se sont produits : cela s'impose presque pour une matière aussi neuve, dont il importe plus que tout de suivre le mouvement de croissance.

Germinal parut vers 1885, après la Joie de Vivre, Emile Zola avait fait une étude psychologique, très poussée de ton et de trait, de la famille bourgeoise. Il s'y montre déjà h peu près, mais de façon beaucoup moins marquée que quinze ans après dans Paris et Travail, qu'il a plus de sympathie pour le socialisme que pour l'anarchie. Seulement, dans le roman de réalisme qu'est Germinal, son ouvrier socialiste, Etienne Lantier, n'est encore qu'un obscur mineur presque ignorant, tandis que dans le roman idéaliste Travail, Luc Froment est un savant et un pro- phète. Même ce qu'il v a de très intéressant dans Germinal c'est de voir la conscience socialiste s'éveiller peu à peu dans le cerveau d'Etienne, opaque et dur comme le sol des mines. Lentement, très lentement, les idées nouvelles, l'armée des petites phrases des livres pris au hasard comme on embrigade des mineurs, percent les galeries du cerveau, font de la lumière dans son esprit. Parfois aussi de brusques révoltes éclatent comme des détonations de grisou, interrompant le travail, anéantissant une partie de l'œuvre déjà faite. Etienne, avec des fragments de bro- chures et de journaux, s'initie peu à peu aux théories révolutionnaires, et il s'affilie à l'Internationale, dont il crée une section dans le pays minier il travaille. Il ne se rend pas bien compte l'on va; mais, animé de la

LES SOCIALISTES 249

meilleure volonté, il obéit à l'instinct de marcher, de ne pas stationner : Zola a très bien montré que pour cet ouvrier autodidacte, ignorant mais passionné de science, c'était le besoin pressant. De même, esprit très honnête, il se scrute avec angoisse, se demandant si ce n'est pas l'ambition d'être chef de la section qui le pousse incons- ciemment à embrigader des camarades dans l'Internatio- nale. Or voici même que bientôt il leur fait décider la grève : l'analyse de Zola devient plus minutieuse et sagace * : à tous les moments de succès et d'enthousiasme général, sa conscience d'agir pour le bien commun s'affermit et s'exalte; dès que surviennent les événements malencon- treux, abattue par les faits, sa conscience est bouleversée comme celle d'un enfant, et il s'accuse d'ambitions. Seul le malheur le grandira. Il est enterré vivant dans une galerie par un éboulis; il voit mourir près de soi, affolée par la faim, la femme depuis longtemps désirée et enfin retrouvée; au bout du quinzième jour, il est délivré par l'escouade de secours, délirant et exténué. Et c'est l'esprit et le cœur mûris, désabusé de la passion humaine, qu'il quitte le Voreux pour Paris. 11 ne compte plus sur les triomphes immédiats; il rejette tout son espoir, encore tenace et vaillant, sur la révolution future, consciente, longuement préparée, plus terrible d'être armée de la légalité. La révolution doit être un grand travail naturel, une lente et chaude germination de la Terre.

En même temps que paraissait Germinal, Camille Lemon- nier achevait d'écrire Happe-Cliair, s'accuse une frap- pante fraternité de vision et d'exécution. La profonde diffé-

1. C'est qu'il a inconsciemment objectivé son caractère en Lantier. Il est très curieux de constater que, par la suite, il a personnellement expé- rimenté une évolution analogue.

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rence de ces deux livres, « étudiant en même temps la souffrance du peuple », le premier chez les hommes de la houillère, le second chez les hommes du laminoir, tient précisément en ce que Happe-Chair ne présente guère ni théories de revendication sociale, ni types de socialistes ou d'anarchistes, comme si dans le pays wallon, si voisin de la France et même si français, les souffrances de la plèbe n'avaient encore su s'organiser en une conscience poli- tique. Happe-Chair s'arrête à être une puissante, poignante étude naturaliste du labeur de l'usine et de la déchéance du lamineur; de composition et d'esprit sobres dans une langue martelée et véhémente, forgée avec un vocabulaire provincial et vieux-français la personnalité de l'ouvrier s'exprime dans sa robustesse antique et sa couleur popu- laire, c'est une œuvre importante, ferme, sincère à mon- trer la grossièreté ou l'avilissement des manœuvres abrutis par l'excès de la peine. Elle détaille surtout, avec une psychologie sûre et forte, la misère d'un ménage la femme, fille d'alcooliques et de brutes, est nécessairement désordonnée et vicieuse et bouleverse la vie de l'ouvrier laborieux et doux.

I)ans ce roman passent trop rapidement les figures, esquissées d'un crayon gras et net, de Marescof, le mineur enrichi par la découverte d'un filon, qui se rap- pelle la dureté de son existence de tâcheron et consacre une bonne partie de ses dividendes à secourir les victimes des accidents, et Jamioul, petit manœuvre arrivé à être ingénieur à force de travail de nuit en passant par tous les degrés, « ayant trop fortement ressenti en lui les oppres- sions du peuple pour oublier, au sortir des longues épreuves subies, l'humanité fraternelle qu'il avait vue haleter à ses côtés sur les rocailleux calvaires ». Faisant alliance, l'ingénieur et le capitaliste pèsent sur le conseil

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bourgeois de l'usine, bigot et avare, et réussissent à intro- duire quelques améliorations sociales : caisse d'avances et de secours, infirmerie, école obligatoire.

La réforme sociale s'apprête par la générosité de quel- ques chefs, sortis il est vrai du peuple, mais l'ouvrier lui- même, Huriaux, dont Camille Lemonnier a fait le person- nage typique du roman, est encore trop ignorant et abruti, voire avili par la femme, pour réfléchir et travailler lui- même à son affranchissement.

II

Dans Germinal, Zola s'était reporté à la fin du second Empire, à la période l'Internationale se fonde et essaie de s'implanter. Deux ans après, dans deux ouvrages suc- cessifs, le Bilatéral et Marc Fane, un jeune écrivain, réaliste mais indocile au naturalisme*, J.-II. Rosny, connu seulement pour un roman humanitaire dans la nuance de Victor Hugo, Nell Horii', révèle les milieux puis les chefs socialistes contemporains.

Le parti, confus dans Germinal, apparaît ici divers, mais net dans ses divisions. Zola, libéral et curieux du peuple, mais vivant d'habitude dans la bourgeoisie, n'avait ([ue des connaissances, patientes et méritoires, d'encyclo- pédie et de documentation; J.-H. Rosny, tout d'abord mêlé aux petits employés de Bruxelles puis aux milieux

1. On sait qu'il signa le célèbre manifeste des Cinq contre Emile Zola, au moment de la publication de La Terre. 11 se refusait au naturalisme non seulement brutal mats pessimiste de Zola, alors très éloigné de l'uto- pisme enthousiaste des Quatre Evangiles, parce que, précisément, un cer- tain optimisme et idéalisme s'entretenaient chez lui de l'activité et de l'espoir socialistes.

2. Nell Ilorn vient d'être réédité chez Ollendorf. Le Bilatéral, édité par Savinc, se trouve encore chez Fasquelle. Marc Fane est épuisé.

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ouvriers de Londres et de Paris, se trouvait en terrain familier; il n'étudiait pas pour faire un roman : c'était son expérience quotidienne qui, spontanément, s'exprimait dans des romans. De vient qu'il n'a pas seulement cons- truit un ou deux types de socialistes, mais qu'il en a peint la masse. De cette vie diverse et nombreuse de l'œuvre les foules ont la chaude animation colorée de chez Renoir. Cent silhouettes vivantes se précisent et se fixent dans le souvenir en leur chatoyante mobilité. Ainsi l'ou- vrier Langlois, pitoyable autodidacte tourmenté du géné- reux délire des théories capables de révolutionner le globe; ainsi Longetourne, rédacteur en chef de lix Revendi- cation prolétaire, folliculaire malhonnête gagnant dans le parti les deux ou trois mille francs nécessaires à son exis- tence râpée, chipant des idées dans diverses brochures pour atteindre à une individualité de chef, de Guesde. Au cours d'un grand club général s'éclaire soudain, très viva- cement, la figure de Louis Mizel en la beauté tragique d'un masque de Blanqui : appelé par des acclamations univer- selles, le vieux héros de la Commune monte en tremblant sur l'estrade; sa Aoix chevrotante se gonfle soudain par l'émotion jusqu'à l'éloquence grave, religieuse ; pressé par les souvenirs, il soulève d'enthousiasme la masse. Il est l'apparition, grandiose d'être quasi-historique, d'un homme de Vautre âge ; et Rosny a noté avec tact ses sensations à la sortie de la longue prison devant un public nouveau : frappé de la mollesse générale que son prestige seul put soulever d'une émotion plus dramatique que sociale, il perçoit soudain que sa génération qu'il a crue prédes- tinée à accomplir seule la grande œuvre de nivellement ^ n'a été, si l'on peut dire, qu'une phase d'un mouvement de plusieurs siècles.

De môme Ravièrc, déporté à Nouméa et revenu à

LES SOCIALISTES 253

l'amnistie, apparaît un homme d'autrefois dans ce milieu nouveau le sacre son prestige de communard. Il n'a pas la notion nette des nécessités du moment ; son esprit et sa conduite restent déterminés par les graves événements antérieurs auxquels il fut mêlé. Il persiste dans la convic- tion que, si elle avait fusillé davantage, la Commune aurait triomphé : c'est ce qui fait que, doux et tolérant de fait, en théorie il est démoc-autoritaire ; il demeure à jamais aigri par le souvenir du « jésuitisme bourgeois, de l'impla- cabilité du petit Thiers, du morbus féroce du général de Satory )). Il continue à croire à ce que dans le langage socialiste on appelle « la Révolution «, c'est-à-dire au sou- lèvement brusque et universel; « il déifie » le cataclysme prochain. Elle ouvrira l'ère future dont la vision le préoc- cupe sans cesse, cherchant h la préciser en dédain du trop nuageux Cabet. Toujours orienté vers l'avenir, révolution- naire convaincu et religieux, il n'en garde pas moins cer- tains préjugés et des idées du passé : ainsi discute-t-il très vivement avec un main-calleuse ' dans son respectueux désir de dispenser du travail manuel les intellectuels; ainsi surtout son vieil instinct familial de père autoritaire se révolte devant la prétention de sa fille h sortir le soir et à choisir soi-même son époux, conformément aux principes qu'il défendit devant elle. Dans cette dernière scène, toute de force et de délicatesse, et dans plusieurs autres, Rosny, par la souplesse d'une analyse aiguë, a révélé en lumière le combat intérieur que l'instinct et le raisonnement se livrent dans tout homme : il est singulièrement pathétique de se livrer sur cette délicate question des droits de la jeune fille, c'est-a-dire de celle qui est à la fois femme et

1. Surnom donné à ceux qui veulent évincer les intellectuels de leur parti socialiste.

264 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

enfant. Il a été touché ici à un des plus passionnants cas de la morale socialiste, particulièrement troublant de ce que celle-ci n'est encore qu'en genèse.

Eve Ravière, la vierge socialiste, est la plus orifrinale figure de femme-nouvelle qui soit dans la littérature con- temporaine. Il faut remarquer qu'au contraire des femmes- nouvelles de Paul-Victor Margueritte et de Paul Adam, elle est née et reste dans le peuple. Cela vient de ce que Rosny a vécu dans le peuple dont il a eu, comme par exemple Hugo et Sand, un sens intime qui est presque une fraternelle affinité. Il en résulte que son type est plus naturel, plus logique et plus conséquent. C'est la logique simpliste, instructive et hardie du peuple qui parle en Eve : ce n'est pas seulement par éducation mais par esprit et instinct de classe quelle revendique les droits de la femme et réclame l'union liljre. Une délicatesse féminine veut seulement que son choix soit lent, dénué de toute violence animale, bien au contraire guidé par le sentiment et l'idéalisme ^ Jeune fille élevée au milieu des socialistes et dans leur foi, elle a juré de ne jamais épouser qu'un ouvrier, tout élégante que son métier de modiste l'ait faite. Elle a peu de goût pour les étudiants bourgeois, prétentieux et égoïstes, et résiste aisément à la séduction de leur propreté parfumée. Elle cherche son « homme » parmi les compagnons, voulant le plus mâle et le plus intelligent. Quelques-uns lui font la cour : leurs propos

1. Dans les milieux rcacLionnaires, on affiche la coutume de considérer que le matérialisme est la seule base philosophique du socialisme. L'idéa- lisme l'est tout aussi bien, à la vérité un idéalisme aussi différent de celui de certains philosophes académiciens qu'en littérature l'idéalisme alimenté de science des Rosny l'est de la religiosâtrie des Feuillet-Bourget. Une phase de socialisme idéaliste succédera au positivisme actuel qui fut en réaction nécessaire contre l'utopisme de 1840-48. (Il reste entendu que le mot « positivisme » a été employé ici dans le sens étroit qui lui est donné couramment.)

LES SOCIALISTES 255

ordinaires sont des discussions théoriques sur l'anarchie et le socialisme. C'est qu'elle est passionnée de raisonne- ment au point d'en être un peu pédante. Rosnv le lui a reproché par la bouche de son principal personnage, Hélier dit le Bilatéral. Hélier a la haine de la « socialo- manie » d'Eve et ne cesse de l'en railler; dans la société nouvelle qu'il rêve, lui, il ne veut pas que la femme, égale de l'homme, devienne sa semblable; un peu dans la tradition de Molière, il demande qu'elle se réserve entière h l'amour conjugal et à la maternité, délaissant le souci trop intense des sciences sociologiques. Il semble que cette haine soit excessive : Hélier ne se rend pas assez compte, lui l'évolutionniste, que la socialomanie reprochée à Eve remplace, clans la vie de la nouvelle société, le commérage ordinaire des femmes, qu'elle est la petite dose de surexcitation cérébrale nécessaire à la fermentation de l'intelligence. iSIême c'est un peu la pédanterie d'Eve, naïve et généreuse, qui le séduit inconsciemment : en discutant fréquemment, il éprouve et apprécie sa vive grâce intellectuelle, la voluptueuse har- diesse de son jeune esprit, les résistances aiguillonnantes de sa raison. Conquise par son intelligence vaste et puis- sante, Eve, finalement, renonce à un rôle actif dans le socialisme, satisfaite de devenir la compagne constamment dévouée de l'altruiste Hélier.

Hélier est une création non seulement littéraire mais sociale. 11 est presqvie en quelque sorte le prototype de ce socialisme évolutionniste dont les jeunes générations sont actuellement si préoccupées. Ce lui constitue en 1887 une intense originalité \ Hélier est socialiste en ce qu'il hait

1. M. Rappoport a excellemment étudié dans la Revue Socialiste le socialisme évolutionniste allemand : il resterait à rechercher si les ori- gines n'en sont point françaises. Peut-être y aurait-il à faire à ce sujet

256 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

la société actuelle et veut sa transformation complète dans le sens foncier demandé par les socialistes; et il fréquente les ouvriers les plus ignorants de préférence aux bourgeois, « punaises » de la société. Mais il ne croit pas au bienfait d'une Révolution qui serait simple billet de loterie gagné par le Hasard et aurait toutes les chances de provoquer une réaction. Homme nourri de sciences, voire inventeur, il estime que toute transformation, pour être solide, doit être lente et graduelle comme chacune des évolutions de la planète. C'est ce qui fait qu'il méprise intellectuellement les anarchistes et que toutes ses sympathies vont aux formes organisées du socialisme les plus pacifiquement actives.

Il reste un intellectuel sinon détaché, trop éloigné de l'action. Dans Marc Fane, complétant l'année suivante le Bilatéral, Rosnv a donné les raisons de cet éloiffnement en montrant un jeune intellectuel en contact avec l'igno- rance brutale de la masse et la perfidie des leaders. Quelques figures très nettes de leaders complètent ce livre et en font une étude du côté politique du socialisme.

Le jeune télégraphiste Marc Fane s'indique déjà plus soucieux de pratique que le Bilatéral dans son élaboration d'un parti transformiste « au delà du radicalisme ». 11 abandonne au radicalisme son programme trop modeste de séparation de l'Eglise, suppression du Sénat et de la

quelque beau travailanalogue à celui d'Andler sur le marxisme (Marx et Engels : Le manifeste communiste, traduction nouvelle et commentaire d'Andler, librairie Bellais, 1902). Par ailleurs, il n'est pas superflu de noter que le Bilatéral a marqué une date importante dans l'histoire de la littérature française, peut-être plus qu'une Madame Bovary. Révolu- tionnaire de style et par l'ardeur socialiste en une période de littéra- tui-e bourgeoise ce chef-d'œuvre a valu à l'auteur plus d'inimitiés qu'aucun roman de haine à E. Zola, brisa net sa « carrière » pour un assez long temps.

LES SOCIALISTES 257

Présidence, et, d'autre part, s'oppose au collectivisme révolutionnaire, trop brut, intransigeant, trop dogmatique, et actuellement impossible. Il prépare seulement son avè- nement futur en concentrant toute l'attention et les forces populaires sur deux ou trois réformes essentielles d'ordre positif : restriction du pouvoir individuel de capitaliser et d'hériter, respect « du personnalisme intellectuel et créateur » qu'il estime sans doute menacé par INIarx.

De ce parti nouveau, ^larc Fane veut être le directeur, et il pense en trouver le noyau parmi les « praticabilistes » ' dont W prévoit la scission, aujourd'hui en effet réalisée, en révolutionnaires et évolutionnistes. Il entre dans leur groupe du X" arrondissement et se fait écouter par la grâce hardie et la solidité de son intelligence. Dans sa lutte contre Digues (Guesde), le chef des praticabilistes, Garoulle (mélange de Brousse et de quelques autres) sent le besoin d'un auxiliaire éloquent, et il appelle Marc Fane, décidé à le briser dès qu'il deviendra trop puissant. Marc lui servira à conquérir sur Digues le journal socialiste le plus influent, à alléger son propre parti praticabiliste de la doctrine des « mains-calleuses » et à conquérir l'alliance de Germane (Allemane). Il fait venir Marc et lui propose d'être son secî)nd, dans une entrevue qui est un admirable duel entre la combativité du jeune et la rouerie du vieux. Marc accepte et, dans une réunion générale, répond à Digues qui a fait valoir l'infirmité de la doctrine des mains-calleuses : il démontre que si aujourd'hui on peut et doit la laisser de côté, elle a eu son heure de nécessité appelant à la direction les ouvriers dont se réveillèrent

1. Nom donné dans le roman aux Possibilistes.

2. Il est inutile de dire que ces ressemblances ne prêtent à aucune satire personnelle : elles tiennent à l'esprit, non au caractère et à la vie publique.

M. -A. LEULOxn. 1 '

253 LA SOCIETE FRANÇAISE SOIS LA TROISIEME REPUBLIQUE

ainsi les énergies endormies depuis 1871 et dont les connaissances spéciales amenèrent une orientation plus pratique de la politique générale du socialisme. (Rosny a noté avec une minutie heureuse ses émotions d'orateur et la volupté de son triomphe.) Mais aussitôt Marc est écarté par Garoulle qui réussit seul à chasser Digues du grand journal socialiste. Alors rejeté au silence, Marc, que l'ivresse de ses succès et de les prolonger avait failli mener aux « révolutionnaires », médite ses anciennes idées et s'y fortifie. Il élabore tout un plan d'éducation et de discipline sociale, se fait applaudir en de petits clubs. L'attention réveillée, Garoulle le désavoue et le fait calomnier comme traître et mouchard des radicaux, Marc ne peut obtenir le silence nécessaire à se disculper dans une réunion, est injurié et à moitié assommé par les hommes de Garoulle : l'intervention seule de la police lui sauve la vie. Pour longtemps il renonce à la politique : il travaillera dans le silence, mûrira l'idée qui éclora plus forte dans plus de sérénité.

Voilà deux romans, deux chefs-d'œuvre (le premier surtout, qui est une des œuvres capitales de notre littéra- ture), où le socialisme n'est plus un simple sujet de curiosité qui a intéressé le romancier réaliste des mœurs, mais une matière hautement littéraire, d'intérêt complexe pour l'action et la spéculation de l'idéaliste : psychologie morale, philosophie, idéologie. Il nous est présenté sous ses traits profondement humains et dans ses rapports avec le cœur tout autant qu'avec Tesprit et avec le sens social. Le socialisme en littérature devient la Vie, la vie supé- rieure, diverse et infinie, la belle dynamique des existences futures. Il est la Vie, parce qu'il est dans le présent l'élaboration de l'avenir et parce qu'il est l'avenir, ce qui

LES SOCIALISTES 259

importe principalement à l'évolutionniste. Cette œuvre de Rosiiv est lexiiltation du socialisme par Ihomme de science qui, voyant en elle la Vérité, y admire aussi la Beauté. Nul poète n'a perçu et exprimé une plus passion- nante vertu du socialisme, parce qu'il est en même temps un savant. Il a le premier révélé du Socialisme la haute dignité artistique.

III

Paul Adam, qui avait débuté a peu près en même temps que Rosny, appartenait à un tout autre monde. Descendant de bourgeoisie enrichie par la Révolution, fils de haut fonctionnaire du second Empire, il avait beau- coup souffert du milieu il avait grandi et sa jeune sensualité avait été viciée par une éducation ultramontaine desséchée de toute tendresse [Les Images sentimentales '). Son adolescence fermenta aux idées généreuses; une exubérante ardeur intellectuelle le fatigua à la poursuite de toutes les idéologies contemporaines. Il entra avec passion dans les théories nouvelles; une tendance natu- relle à l'exaltation idéaliste le détourna des républicains, assez A'ulgairement positivistes, qui s'étaient contentés de consolider la Troisième Républic[ue, par l'alliance avec la finance, en une sorte de gouvernement ploutocratique, lequel ne saurait jamais être qu'un trouble compromis et qu'une ébauche grossière de la démocratie. L'historien futur des agitations sociales du siècle le constatera : c'est d'un même dégoût de la bourgeoisie repue de la troisième République que sont nés le socialisme laïque et le socia- lisme chrétien. Complètement ignorant du mouvement

1 . Voir p. 29.

260 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

ouvrier et de rouvrier, dont la littérature s'était jusque-là bornée à vulgariser l'aspect pittoresque, même détourné de sympathiser avec lui par les peintures rudes du natu- ralisme, Paul Adam devait tout naturellement incliner au socialisme chrétien, en faire l'épreuve nécessaire à la désillusion ' prochaine. Les jouvenceaux de ses premiers livres, notamment de En décor, songent h utiliser le chris- tianisme en en faisant un levain de transformation sociale. Ainsi peut-on s'expliquer cette méconnaissance du vrai socialisme, confondu avec le radicalisme anticlérical dans V Essence de soleil'.

Ce livre, qui date de 1890, est très intéressant de nous offrir le sentiment de la partie intellectuelle de la géné- ration symboliste sur le socialisme. Le leader radical- socialiste lui apparaît comme une sorte de Hugo vulgarisé, éloquent et paillard, altruiste par ressouvenir de souf- frances personnelles " : Yaubert transpose, dans le do- maine al)strait de la généralité, les agacements de la famille, les vexations de collège, les humiliations par des camarades plus riches, s'en échauffant et s'en inspirant pour la défense à la tribune des revendications sociales. Paul Adam, en même temps qu'il nous indique peut-être de quelle façon il fut lui-même incité et attaché au socia- lisme, a fait ici une étude de la mentalité latine et de son adaptation au socialisme qu'il est curieux de considérer. Il lui semble que le latin est trop tapageur et loquace

1. Remarquer que même la génération immédiatement suivante crut à la possibilité d'une renaissance du christianisme primitif : citons Vi<:tor Charbonnel, Henry Bérenger, dont le remarquable roman de mœurs poli- tiques et de caractère social La Proie étudie précisément le dégoût chez la jeunesse de la bourgeoisie ploutocratique.

2. Cet ouvrage, très rare et pas assez connu, se trouve chez Stock.

3. La lecture de Vallès, très connu de la bourgeoisie, a bien pu con- tribuer à former cette idée. A ce point de vue, il est curieux de comparer Jacques Vmgtras et Les images sentimentales.

LES SOCIALISTES 261

pour pouvoir suffire aux calculs profonds et froids que nécessite le programme économique du parti. Il n'a pas le sens politique, mais seulement la force éloquente et l'électricité sensuelle qui convainquent la masse après l'avoir ébranlée par une vision apocalyptique des révolu- tions prochaines : de virulents discours de Vaubert à la ChamJjre nous manifestent le pouvoir orageux de sa « for- midable vocalise ». Dans ce roman symbolique, Paul Adam nous montre que, de la sorte, il sera joué par la finance sémite, dont il est incapable de percevoir, sous les appa- rences démocratiques, les projets religieux et archaïques de représentants de la race juive.

En somme, volontairement ou non, il nous faisait res- sortir dans ce roman que le socialisme, œuvre d'avenir, ne peut arriver à bonne fin par l'action ou le concours des races du passé. Il se trouve que le socialisme chrétien offert par ses premiers livres contient le même principe de déchéance. Bien qu'il n'en fasse plus profession de foi, il ne semble pas que Paul Adam ait formellement avoué l'impossibilité d'amalgamer le vieux catholicisme et le jeune socialisme, comme l'ont très vite reconnu, après une tentative de néo-catholicisme, les esprits lucides et pra- tiques de Victor Charbonnel et Henry Bérenger.

Il laut encore noter dans ce roman des visions, telles qu'en le passage suivant, dont continuent jusqu'aujour- d'hui à s'illustrer les chroniques de l'écrivain au Journal :

« Scrive magnifie aux oreilles éblouies des profanes la vie future des phalanstères harmoniques réalisés par l'emploi simultané de toutes ressources du globle concou- rant au bonheur des êtres. Bientôt la transmission de la force remplacerait l'efFort humain par l'action d'un simple clavier électrique dont les touches sauraient mouvoir aux plus lointaines distances le pilon du Creusot, Avec le

262 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

robinet d'eau et le compteui' à gaz, chaque demeure possé- derait son clavier de force accomplissant les travaux domestiques. Un fort petit nombre de pianistes experts suffirait h l'œuvre des plèbes universelles, cultiverait le sol. Et les âmes libres enfin de labeurs physiques pourraient s'instruire aux philosophies, exercer leurs centres nerveux à jouir et tendre au bonheur des contemplations mystiques chaque peuple, concentré en une àme magnétique, se verrait produire les merveilleuses extases de sainte Thé- rèse et des mages anciens, éperdu à la béatitude de créer éternellement. » En de semblables pages d'un des deux ou trois plus beaux stylistes de l'époque le socialisme est le thème d'un étincelant lyrisme de civilisation raffinée l'espèce humaine tout entière devient une aristocratie, fournit vme sorte de Merveilleux industrialiste. Un socia- lisme réduit à cela serait bien artificiel ; mais on peut trouver en cette conception une contribution précieuse a une esthétique socialiste supérieure.

L'année suivante, dans le roman Robes Rouges, le pro- cureur général Sancy, en qui l'auteur concrétisait quelques- unes de ses idées, donnait raison à des grévistes contre une puissante Compagnie, bien que la lettre du droit et son interprétation quotidienne fussent pour celle-ci. Il établissait, en pleine chaire du ministère public, l'égalité du Capital-Argent et du Capital-Travail devant la réparti- tion des bénéfices, en bravant la colère du préfet. Réprou- vant que la violence ait déconsidéré l'idée féconde et juste du socialisme et dédaignant le mot de République bon h tromper le peuple, il tendait au césarisme socialiste. On sait à quoi dans l'histoire contemporaine celui-ci a jamais pu aboutir. Il sera curieux d'étudier quelles illusions sui- vies de quelles désillusions il a données à Paul Adam, un de ses candidats en Lorraine en mênie temps que Barrés.

LES SOCIALISTES 263

Après quelques années, ses nouveaux livres exposeront la beauté d'un socialisme épuré de boulangisme et plus altièrement serein à la suite de l'orageuse épreuve.

IV

Le Ml/stère des Foules (1893) ' révèle les illusions puis les désillusions des intellectuels fourvoyés dans le boulan- gisme; par suite il montre les raisons d'être circonstan- cielles de ce mouvement et la cause foncière de son avor- tement. Comme cette œuvre, une des meilleures de l'auteur, l'observation est à la fois la plus minutieuse et la plus nombreuse dans sa largeur de panorama, très précise dans l'analyse et le détail historique et juste dans la synthèse idéologique, a été écrite par le plus impul- sif, le plus sincère et le plus pénétrant des littérateurs mêlés au mouvement, comme ainsi ce n'est plus de la lit- térature mais de la vie vécue, elle présente l'occasion d'étudier en soi le césarisme, maladie du socialisme, per- version intellectuelle du socialisme.

Dessling s'offre d'abord à nous comme tempérament faunesque : il désire les femmes par impulsion de brutalité maladive, sans les aimer; néanmoins il ne prend pas Anne qu'il aime lorsqu'elle s'amuse h le provoquer de façon très pressante : il est donc violent et timide. Fort logique avec ces traits nous est représentée sa mentalité : il est pas- sionné d'idéologie mais il se fatigue très vite de l'effort nécessaire à la réalisation de l'idée. Dans ces conditions, le socialisme lui sera une occasion de ofénéreux emballement, mi-sentimental, mi-intellectuel, mais sa raison n'v partici- pera que peu ou prou. C'est un cérébral qui s'est éloigné

1. Le Mystère des foules, de Paul Adam, Ollendorff.

264 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

du monde bourgeois h cause de sou épaisseur et de son ignorance des chefs-d'œuvre, par un sentiment hérité de Flaubert, mais qui s'écartera du peuple au premier choc, dès qu'il le constatera grossier et intéressé comme le bourgeois. Artiste, il n'a vu en le peuple qu'une matière sculpter une forme plus heureuse de société, une matière avec laquelle faire œuvre d'art individuelle. Il n'a pas la moindre idée que c'est le peuple lui-même qui doit travailler à son bonheur et qu'on doit être seulement son collaborateur; il veut le pétrir en toute maîtrise et il le hait parce qu'il est indocile. Son socialisme est celui d'un invidualiste. Yoila ce qui apparaît nettement dans la monographie de Dessling, tempérament combatif « nervo- bilieux-sanguin » que la physiologie caractérise le tempé- rament le plus précisément individualiste ; voilà qui accuse le vice fondamental d'antinomie qu'il y a dans le césarisme : socialisme d'individualistes-excessifs. Examinez tous les césariens : on constatera généralement une certaine générosité altruiste sincère, ardente jusqu'à les pousser à certains sacrifices', impulsive, physic|ue, oîi se tapit et d'oii saillit un individualisme maladif.

Il apparaît aussi à suivre la vie de Dessling en qui s'est objectivé Paul Adam qu'il y a toujours de la duperie chez les césaristes sincères et que leur opportu- nisme se liquide en erreur : Dessling était trop intelligent pour ne pas percevoir l'indignité des amis du Général, mais il s'v est rallié avec l'espérance de mener, sous leur couvert, une campagne antibourgeoise, en préconisant le fédéralisme qui doit faciliter le communisme dans les pays l'idée est déjà mûre. Il s'aperçoit finalement que le jeu

1. Dessling manque un niariag-e avec une cousine jolie et riche à cause de SCS opinions; sa mcrc, intellectuelle qu'il aime et admire, se brouille avec lui par haine du peuple.

LES SOCIALISTES 265

outrepassait toute souplesse individuelle et que le socia- lisme ne saurait tirer nul profit d'une compromission. Cet aveu, fait par un des plus marquants et le plus honnête des boulangistes, est bon à recueillir sous sa forme impersonnelle, et d'autant plus sincère, de roman psycho- logique.

Le roman présente à côté de l'autobiographie de Dessling le fin, nerveux et saisissant portrait de Césarès (Barrés), retors et féminin barnum du boulangisme. De touche nette et souple, prestigieux en son impressionnisme vivant, il compléterait assez heureusement la galerie de Leurs Figures *.

L'étude des foules n'est pas moins passionnante pour la critique socialiste. Le titre du livre requiert Lattention sur la vision philosophique que finalement l'auteur peut réaliser des foules. Le livre fermé, on a goûté le chaud mouvement et la riche couleur des descriptions de clubs : désordre, agitation de grands gestes pour la plupart ivrognes, de voix gesticulantes, éructation de discours prétentieux, enfantillage de l'auditoire à entourer de célé- brité d'une minute des gosses qui récitent avec conviction clamatoire des phrases célèbres de récents congrès, et enfantillage des orateurs prétendant chacun à représenter un groupe à nom pompeux, assaisonnement de boutades de camelots et de cris de femmes. Spectateur attentif tandis qu'il jouait son rôle, Paul Adam a su voir et marquer que tous au fond sont menés par les patrons d'estaminet dont les intérêts sont les véritables pi-incipes des mouve- ments électoraux. Mais tout cela, noté en excellence pitto-

1. Leurs Figures, Maurice Barrés, 1902.

26G LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

resque par un œil très sensible de témoin artiste, n'indique pas encore sa conception du « mystère des loules ».

Sans nul doute l'àine actuelle des foules est mystérieuse : indécise, protéenne, incohérente, trouble comme tout ce qui est en croissance, contradictoire et fébrile; mais on ne saurait se borner à le constater, et l'intérêt est précisé- ment de chercher à déterminer les lois du mouvement primitif de ce chaos, à y connaître l'ordre qui est en tout désordre. Paul Adam avait à nous faire savoir sa psycho- logie des foules dans une œuvre d'art spontané elle se serait inconsciemment manifestée : la sienne est aussi inexistante que celle du sociologue confus dont il fait sa lecture favorite, Gustave Le Bon \ Cela est d'autant plus regrettable que la vision intuitive d'un Balzac qui aurait regardé les mœurs électorales eût été des plus instructives pour ceux qui veulent prendre une conscience plus nette de la transformation socialiste des masses. A. ce titre, comme à bien d'autres, Le Vent clans les moulins de Camille Lemonnier sera un document précieux, mais il n'offre que la vision des masses campagnardes belges. Rien d'analogue n'existe pour celles des foules urbaines fran- çaises. Nul pourtant mieux que Paul Adam n'était constitué pour nous le donner. Génie sensuel, il a la « communica- tion » magnétique de l'àme des foules; il l'eût exprimée en admirable suooestion dans le relief d'une forme d'art intensive. Mais au moment il écrivait le Mystère des foules et où, surtout, il le scrutait pratiquement, des déboires personnels troublaient la pénétration de son regard, le jetaient à un pessimisme sans nul doute beau- coup moins grossier que celui de Zola (pendant sa pre- mière manière) mais encore impropre à la justesse de vue

1. Auteur de la Psychologie des foules (Félix Alcan).

LES SOCIALISTES 267

qui ne se rencontre ([ue dans la sérénité désintéressée. De plus, idéologue systématique, il ne possédait pas encore l'impersonnalité nécessaire h l'observation exacte des traits d'où s'élaborera, seulement ensuite et mécaniquement, la conception d'ensemble.

Cœurs nouçeaux^ est un peu postérieur : l'œuvre s'indique immédiatement plus sereine, de cette sérénité douloureuse qui plane après les crises de la passion. Il va de soi qu'elle est encore marquée de turbulence. Les per- sonnages surtout apparaissent contradictoires et troubles, ce qui est fort naturel chez l'adolescente Valentine, rare mais vraie, h la fois léçrère et érudite en sa culture excen- trique, puisque l'adolescence est l'âge naturel de l'incohérence, mais ce qui s'accepte moins aisément chez les adultes. Tous les personnages de Paul Adam gardent bien jusqu'en l'âge mùr la physiologie orageuse de la puberté : ainsi M. et !Mme Cadenat, tour à tour intelligents et stupides^ primitifs et philosophes entités allégorisées et tragi-comiques. Le héros, Karl de Cavanon, n'est pas moins contradictoire sinon inconsistant :

Ancien officier, il donna sa démission après avoir assisté aux supplices infligés aux réfractaires en Afrique et il voyagea plusieurs années. Au début du roman on le voit convalescent d'amour en une immense propriété qu'il se distrait à transformer en phalanstère. Il ne parvient pas il effacer le souvenir de l'actrice Maria-Pia, dont la perversité baudelairienne imprégna ses nerfs, et même il se plaît douloureusement a retrouver dans l'harmonie de

1. Cœurs nouveaux, Ollendorff.

268 LA SOCIÉTÉ FliANÇAISE SOUS LA TROISIÈME RÉPUnLIQUE

son rêve social les belles formes de la courtisane. Yalen- tine Cadenat vient séjourner au château. Pensionnaire mobile, beauté capricante, elle le flagelle sans cesse de son ironie de fougueuse petite « intellectuelle-sensuelle » : elle raille son utopisme, qu'elle accuse d'être simple emballement artistique d'une imagination latine, fait ressortir son amour de la dissertation, avec malice le ramène sans cesse h n'être que « le Diseur de Chimères ». Cependant elle l'aime, fascinée par sa gravité et la passion de sa conviction, fouettée du désir d'effacer de son cœur l'amour de Maria et de l'utopie socialiste en en synthétisant en soi les beautés. A cet effet elle travaille, elle bouquine les théories, se veut socialiste et tolstoïenne. Sa constance reçoit enfin l'aveu de Karl, après que des incidents divers ont ruiné son entreprise phalanstérienne et le jettent désemparé à la vie.

Karl a donc consacré sa fortune immense à créer un phalanstère industrialiste tous les ouvriers sont traités selon les principes d'hygiène et d'égalitarisme : cependant, ainsi qu'il est naturel, tous regrettent l'ancien état de choses ils étaient exploités mais avaient la liberté de dépenser à leur guise l'infime salaire et de se saouler. On pille et dilapide le fonds commun. Comme Karl a poussé le sentiment de l'égalité jusqu'à choisir pour part de tra- vail d'être casseur de cailloux et ramasseur de crottin, il passe même universellement pour toqué. Il supporte avec héroïsme tous les déboires, suivant le principe qu'il faut aimer une créature pour ses imperfections graves ce qui est bien la philosophie, au moins incomplète, du tolstoïsme, alors fort h la mode. Son abnégation persiste, très sincère. On éprouve donc quelque difficulté a voir ensuite un être de son intelligence raffinée et humanitaire aller à 1(1 ville souffleter en un café un journaliste qui l'a

LES SOCIALISTES 269

calomnié. M. Paul Adam argumenterait qu'il a fait son personnage a dessein un peu actenr, ce qui est une façon très défendable de construire un type d'utopiste par céré- braUlè\ mais le rôle n'est pas soutenu : trhs souvent après des péripéties de burlesque, Karl se montre simple et grand sans que le changement d'humeur soit expliqué par une analyse suffisante. Il apparaît que, bien plus équilibré que Dessling, Karl est encore un emballé, un sensuel sentimental et Imaginatif dont la raison ne distribue pas les énergies. Au lieu d'utiliser sa richesse à une œuvre plus opportune, il la gaspille rapidement dans des entre- prises inutilement grandioses, plus figuratives que pratiques, sans tenir compte des nécessités d'adaptation, et se laisse ruiner avec le désir final « d'aller marcher dans le peuple »'. Aussi aboutit-il h désespérer de tout avenir collectiviste au lieu de comprendre, par l'analyse de son expérience, que son essai devait fatalement échouer, venu trop tôt et entrepris sur des bases trop larges. Descaves et Donnay auront l'intelligence, dans leur pièce La Clai- rière (1900), dont, par une juste observation réaliste, l'issue est identique, de faire déclarer par un de leurs personnages que nulle forme sociale ne saurait arriver d'un coup à maturité et que le sort logique des tentatives est d'échouer. En les Cœurs nouçeaua-, l'imprévovance seule de Karl de Cavanon précipita la ruine du phalanstère, et Adam n'a pas assez indiqué que cet échec ne saurait valoir contre des applications aisément plus sages de l'idée phalanstérienne.

La belle œuvre de Paul Adam est encore incomplète en ce que le communisme y est envisagé trop exclusivement

1. Formule tolstoïenne, signifiant : de renoncer à toute sa fortune pour devenir aussi pauvre que le peuple.

270 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

au point de vue esthétique. L'idéal communiste est mai^ni- fiquement représenté en fort décoratives visions dune rutilance de couleur égale à celle de ses peintures de la Byzance impériale et sanglante; mais l'étude des senti- ments y est nulle, et pas un seul des nombreux ouvriers réunis par Karl ne semble avoir pu être touché de ferveur altruiste. Il reste que la vision d'esthétique collectiviste de P. Adam sollicite toute la curiosité :

Au phalanstère, harmonieuses d'une hellénique grâce, les femmes sont habillées avec élégance plastique, et l'art sait même cacher sous des tuniques sombres la déchéance des plus âgées. La beauté vigoureuse des hommes s'inspire au rythme de sonnets de Baudelaire c^u'ils chantent adaptés à des thèmes wagnériens. La Maison des Métiers expose des façades de céramiques vertes à personnages incrustés représentant les tisseurs de tous les âges; des baies immenses s'y ouvrent dans des encadrements de glycine : de l'on voit des donjons de verre s'arrondir au milieu de spacieux parterres. « Chaque bâtisse était une chose isolée, mystérieuse, somptueusement magique au milieu des sapins, des ruisseaux vifs, des prairies grasses. « Les ateliers s'ornent de statues de Donatello et de Jean Goujon; « un tireur d'arc assyrien en bas-relief derrière le volant d'une machine semble lui donner la propulsion ». T^t voici les dortoirs : salles vernies en clair les cloisons de pitchpin forment chambrcttes munies de lits en cuivre, tapissées contre le froid de nattes multicolores; l'eau chaude y arrive jumellement à l'eau froide; les baignoires recommandent les grands lavages parfumés; c'est, dans la demeure, le charme des larges eaux. Cependant dehors, aux jardins d'Armide, les orgues disent des nocturnes graves ; on se sent, dans les bosquets, des âmes savantes et providentielles. Bref, encore que

LES SOCIALISTES 271

son idéal décoratif rejoigne un peu trop exclusivement les réalisations composites des grands halls de la nouvelle gare d'Orléans qu'il chroniqua avec enthousiasme dans le Journal, il a su exprimer de façon représentative toute la saine poésie des usines à salles hautes et claires, à machines neuves et parfaites, usines-muséGs.

Il ne convient pas de s'étendre sur le côté économique de l'œuvre. Notons seulement qu'il faut être reconnaissant à l'auteur d'imposer par l'excellence du style à l'élite bourgeoise l'idée qu'un jour le labeur physique deviendra un sport comme la chasse. « Ceux qui travaillent cent heures à présent pourraient en prendre soixante consa- crées à leur repos ou à la culture de leur âme. Alors l'idée, multipliée par la méditation des peuples, fournirait chaque jour mille inventions nouvelles propres h réduire encore la peine de chacun. » On est satisfait d'entendre un poète proclamer de telles choses par la beauté du verbe en un siècle les Fouillée et les Faguet condamnent le socialisme au nom de l'avenir intellectuel. L'œuvre de P. Adam, parfois puérile, n'en brille pas moins d'une chaleureuse éloquence esthétique. Il a été le 'poète de l'usine future, et l'artificialité de son goût se purifia à sti ferveur lyrique.

VI

Le critique littéraire socialiste très connu, M. Georges Renard, a raconté dans Un Exile les malheurs excessifs d'un jeune homme que le hasard avait fait employé de la Commune et qui, à la suite, avait gagner la Suisse et y souffrir des rigueurs et suspicions de l'exil avant de rentrer en France à l'amnistie et d'y retrouver de plus vives misères. Ce n'est point proprement un roman socia-

272 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

liste, mais il accuse l'emlioiirgeoisement du parti répu- blicain vers 1880 et le manque absolu de solidarité des républicains entre eux.

La Co/wersion d'André Sai>enaij (1892) s'intitule « roman socialiste » et y a bien plus de titres ; il les aurait même tous s'il était en même temps un roman d'observation et d'idée, mais il se borne à ne vouloir être qu'un roman d'idée, de discussion, h la manière des paral- lèles classiques donnés en philosophie pour l'exposition de théories adverses, ce qui reste un excellent exercice de dialectique. Les personnages de ce roman sont des personnifications de thèses et n'ont pas été étudiés sur le vif : ni la jeune fille socialiste, émule d'Eve Ravière, ni le vieux libertaire de 1848, ni le faubourien révolutionnaire, ni môme le jeune bourgeais que la sentimentalité et une ruine subite convertissent ensemble au socialisme; et cela est regrettable : en effet, M. Renard qui il le montre par un gracieux épisode de ce roman eut écrit de si charmants contes bleus socialistes pour les enfants des écoles ce qui n'est point du tout œuvre dédaignable n'est pas seulement un esprit généreux mais une intelli- gence souple et prompte qui, s'il se fût astreint au com- merce quotidien et h l'étude attentive des milieux et mili- tants socialistes contemporains \ eut su reproduire avec fidélité et vie la réalité quotidienne, car il a de la sensi- bilité. Mais M. G. Renard, quoique esprit très honnête, n'est pas un observateur, il donne plus de temps à parler qu'à écouter et à regarder, c'est un caléchiste, un insti- tuteur, un esprit philosophique et théoricien. Son roman est un bon roman de théorie socialiste pour un public pri- maire et secondaire :

1. Selon la méthode des romanciers naturalistes qu'il a su aimer et louer pendant plusieurs années d'intéressante critique d'avant-garde.

LES SOCIALISTES 273

André Savenay, bourgeois, est sauvé, clans un club deux de ses amis ont manifeste intempestivement, par l'intervention d'une jeune vierge socialiste, Jeanne Des- champs, fille d'un communard fusillé, et de son grand-père ; et le lendemain il va les remercier. Pendant sa A'isite, une voisine vient conter le suicide dans un appartement con- tigu de deux malheureux qui laissent une fillette, et c'est l'occasion pour André de faire preuve de charité, puis de revenir voir et secourir l'enfant que les Deschamps ont adoptée. Cependant on cause : discussions sur la bour- geoisie, qu'André défend mollement, et sur le socialisme. En même temps de l'autre côté, dans son monde, André est blagué pour ses amitiés populaires : discussion de salon sur le socialisme, exposé juste et alerte des idées ignorantines des riches sur le socialisme. André continue à aller voir les Deschamps, mais une vieille femme qui désire devenir la belle-mère de Jeanne, insinue que les visites d'André peuvent compromettre la jeune fille, et le grand-père prie André de ne pas revenir. C'est alors qu'André est ruiné par un petit panama de phosphatiers, et que sa conversion qui aurait du être l'objet d'une analvse - achève de s'accomplir au milieu des déboires. Après des vicissitudes, il fait profession de sa foi socialiste h Jeanne Deschamps; les derniers obstacles tombent et leur mariao-e s'arrête.

On voit que, par cette intrigue, c'est un roman dans la manière de G. Sand, mariant les classes entre elles; seu- lement, par la différence des époques, il n'y a plus dis- cussion, personnelle aux héros, de pensées analytiques

originales sur le communisme comme dans le PècJié de

o

jl/..l/îio//?f, mais exposition courante des principales reven- dications du socialisme contemporain le moins marxiste.

M.-x\.. Leblond. 18

'■J.l't I.A SOCIETE FliANÇAISE SOUS LA TROISIÈME REPUBLIQUE

VII

On peut choisir parmi les romans de Roguenant la Fourmilière, qui parut vers 1895 à la Amoncelle Bévue, parce que c'est une œuvre sobrement écrite avec précision et des expressions justes révélant une observation directe et modeste que n'avait pas encore faussée chez l'auteur la fréquentation des milieux pseudo-littéraires. Ensuite se complétera parfaitement par elle cette enquête sur les formes perverties du socialisme/ Le personnage principal s'accuse en effet dès cette éqoque socialiste nationaliste; il est d'autant plus intéressant à étudier que sa naïveté laisse transparaître davantage la valeur intrinsèque du sentiment nationaliste, dépouillé de toutes ses complica- tions politiciennes. Il est nationaliste parce qu'il naquit Lorrain, voisin de la frontière, et il ne s'indique pas moins simpliste dans tous les autres traits de son caractère : ce n'est point sans quelque sentiment de fierté, inutilement bruyante, qu'il gille le journaliste Mouchin parce que celui-ci a osé compter sur sa complicité pour une opé- ration louche. Nommé secrétaire du syndicat du fer, il s'admire d'être un employé modèle et se peint, en chromo, bon patriote. Jamais mieux que par une autobiographie ne s'avère la naïveté inhérente h tout nationaliste honnête. Ce roman d'un autodidacte a en outre l'avantage de pré- senter quelques figures d'ouvriers exactement observées par un camarade (tels le délégué chaufleur et le délégué lamineur) et de nous offrir une psychologie sobre mais curieusement stricte des assemblées; il a remarcpic la lumière grise, le caractère glacial des salles de fêtes boui'- geoises qui ne furent point disposées à l'usage de congrès, l'exiguïté des statures mangées par l'espace et la lumière,

LES SOCIALISTES 275

la sensation angoissante du murmure confinant au tapaoe, « l'aisance lourde » du président habitué à tout cela : autant de traits simples mais nets qu'il est intéressant de voir, noter par un ouvrier et dont se compose vivement une impression d'ensemble, scrupuleusement terne.

Les figures secondaires ressortent de la même exacti- tude moyenne. L'internationaliste Verdun, sec et sûr de soi, conclut alliance avec le journaliste Mouchin à qui il promet l'argent du syndicat pour le faire nommer député; il méprise d'ailleurs Mouchin, tous les journalistes et avo- caillons, mais les utilise parce qu'ils sont encore néces- saires et qu'ils ornent les listes électorales. Virgile Mou- chin, directeur de la Plèbe, beau parleur et exploiteur de talents, ne paie pas ses ouvriers les plus pitoyables, dépensant leur salaire aux courses. Fizaine, médiocrissime Saint-Just, écrit peu et d'un fielleux style incolore; mais, beau, blondasse, fhiet, parfumé comme une fille et amou- reux de ses mains, androoyne au reoard de fixité éteinte, il sait se faire déléguer à chaque grève, et c'est de quoi il vit. Les autres rédacteurs apparaissent pour la plupart noçards et ivrognes, sectaires et prétentieux, fuinail- leurs, grands lycéens cancres causant argot et couchant de la copie comme des lignes. On voit ici quelle impression exacte se fait l'ouvrier moyen du personnel de la presse socialiste. Prise d'en bas, elle n'est pas sensiblement diffé- rente de l'opinion d'un vicomte de Vogiié, dédaigneuse- ment formulée d'en haut. (Les Mor/s qui parlent.)

VII

En 1898, après avoir terminé la série des Rougon-Mac- quart, Zola publie à la suite de Lourdes et de Rome un roman de mœurs sur Paris. Il l'oppose aux villes de la

276 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

crédulité primitive et de l'intrigue moyenâgeuse comme la ville de progrès, d'avenir : de science et de socialisme. C'est encore un roman d'observation réaliste, mais déjà s'en dégagent les spéculations sur l'avenir, spéculations que Zola poussera jusqu'à la rêverie utopique dans ses œuvres suivantes : les quatre « Evangiles ».

Le savant Guillaume Froment se donne à l'anarchie après avoir traversé toutes les sectes socialistes qui lui répugnèrent « parce qu'elles sont entachées de tyrannie ». Mais l'expérience douloureuse de la vie, l'observation de la misère et la métaphysique de souffrances personnelles le ramènent finalement et définitivement au socialisme qui est évidemment le régime politique le plus concordant et le plus souple à la science, surtout sous sa forme évolution- niste, qui est l'élaboration la plus méthodique mais la plus libérale, la plus prudente mais la plus active tous carac- tères scientifiques du présent en avenir. Ce n'est pas la philosophie rationaliste qui conduit Guillaume Froment au socialisme, mais la science de la nature : ce qui est très important puisque cela ne donne pas une base idéolo- gique mais naturelle et presque animale beaucoup plus profonde et sûre au Socialisme. Rien ne mérite davantage d'être considéré : alors que la Révolution fran- çaise a été toute logique et construite a priori dans le domaine spiritualiste, le Socialisme se fonde sur l'obser- vation de la nature, se rattache étroitement à ce qu'il y a de premier en elle, consulte son évolution; il est ainsi une construction à la fois matérialiste et vraiment métaphy- sique, si l'on veut bien ne pas perdre de vue que la méta- physique doit suivre pas à pas les progrès de la science de la nature (ccua-^)'. Tout cela est seulement indiqué dans

1. Ce à quoi manquent totalement les métaphysiciens en cours officiel dont les métaphysiques se basent sur les physiques du temps de Descartes.

LES SOCIALISTES 277

Zola, mais en un roman la simple indication est déjà con- sidérable, et c'est aux générations littéraires nouvelles, instruites minutieusement du socialisme et particulière- ment de ses crises actuelles de croissance en Allemagne et en France, c'est h de jeunes essayistes vigoureux comme MM. Daniel Halévy ou Jean Eriez, h écrire le roman oîi le sujet sera traité en détail avec l'ampleur de connaissance nécessaire.

Tableau synoptique de Paris, Tout-Paris social, le roman de Zola groupe quelques figures de personnages socialistes connus. Bâche, fouriériste convaincu, Morin, admirateur de Proudhoii et de Comte, ennemi de la richesse et de la propriété, Barthès antiguesdiste ayant passé les deux tiers de sa vie en prison pour la cause de la Liberté. Ils s'animent en de petits portraits qui sont des articles de dictionnaire éclairés de lumière mobile et de chaude sympathie.

IX

La vie de l'œuvre, toujours un peu lourde et conges- tionnée, de Zola apparaît surtout à la comparaison avec le roman Les Morts qui parlent, de peu postérieur, le vicomte de Vogiïé a prétendu refaire Paris à sa façon, qui est immédiatement antipodique. La force et la vertu de Paris ne sont plus dans l'avenir mais dans le passé, et le vicomte ne considère plus dans la capitale de la Fi'ance républicaine que la ville étranglée de tradition que Zola avait vue en la laocoonesque Rome.

J'indiquerai au contraire comme bel essai de métaphysique, vraiment tirée de l'observation de la nature avec des yeux éclairés de science moderne, la Vie des Abeilles de Maurice Maeterlinck qui ne pouvait cire que socialiste.

278 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

Long et pâle mélodrame encore inférieur aux Rois de Jules Lemaître, prose larveuse, ce roman n'en offre pas moins l'intérêt de nous présenter, dans la franchise de la naïveté, le sentiment, sur le parti socialiste, des milieux aristocratiques ralliés à la ploutocratie sous la 'J'roisième République. Nous voyons en Elzéar Bayonne, orateur et poète du socialisme, la façon dont on s'y imagine la per- sonnalité de Jaurès, ou mieux : dont on compose la syn- thèse de Jaurès, Millerand et Yiviani. Pour eux, l'élo- quence socialiste est de la phraséologie ; le socialisme politique, de la poésie Imaginative et chaude, généreuse et vaine ainsi qu'apparait toute poésie h cette gent, la plus utilitaire du inonde ; le député, un mousquetaire de la finance; l'homme socialiste, un bohème ayant en amour les goûts, l'intrigue et le dénouement des théâtres de Belleville ou de Montparnasse. Ce roman est proprement effrayant par la façon dont il nous renseigne sur la pau- vreté de vision des vicomtes de Yogiié et autres académi- ciens de salons : ils ne se sont jamais doutés de ce qu'était la nature, l'humanité, l'instinct, ils ne sont jamais des- cendus dans la rue et n'ont jamais côtoyé d'êtres en muscles et en robustes carnations; on ne peut pas s'ima- giner comment ils aperçoivent la vie, de quelles prunelles de verre coloré et à travers quels tempéraments de papier mâché.

Brel, Elzéar Bayonne, étant député socialiste, est juit et tenu en tutelle par des juifs. Il devient le jouet d'une petite cousine juive qui s'est faite actrice sous le nom de Rose Esther, parce qu'évidemment une intellectuelle juive ne saurait être qu'actrice, et qui, pour arriver à monter sur les planches de la Comédie-Française, dirige de telle sorte Elzéar et d'autres comparses que le ministère est renversé. Mais tout cela ne va point sans complication.

LES SOCIALISTES 279

Car le vicomte Melchior de Yogùé, qui est patriote russe, au moins par la nostalgie d'origines asiatiques, veut opposer au socialiste français opportuniste arriviste, le socialiste russe, absolu et hiératique. Pour lors, Daria Veraguine, grande dame moscovite, se mêle à l'intrigue. Elle s'est fait aimer d'Elzéar pour mieux le guider h des fins politiques dont Vogué nous laisse à peine entr'aperce- voir, d'un seuil réservé, les mystérieuses arcanes; et elle le dispute à l'influence aphrodisiaque de sa cousine Esther. Elzéar va refuser le portefeuille qui lui est offert par amour de l'intransigeante Daria quand la balle d'un officier sou- danais, revenu d'Afrique depuis quelques jours et tombé amoureux de Daria, le tue en un duel impressionnant.

Les Morts qui parlent : tel est le titre de ce roman qui eût mérité à tous les égards l'affichage aux colonnes de la Libre Parole. Les morts qui parlent et qui tuent ! car l'exécution du député socialiste et juif par l'officier royaliste et nationaliste revenu du Soudan allégorise la revanche de l'Ancien Régime sur la Révolution grâce à l'intervention russe. Cela est d'autant plus édifiant qu'inconscient.

X

Revenons à la vie. Les A/nes perdues^ de J.-H. Rosny montre l'inanité des sacrifices faits par les individualités aveuglément généreuses à l'absolu des causes aussi bien socialiste qu'anarchiste. L'anarchiste Robert Bessières (Vaillant) jette une bombe au Sénat et est exécuté, sans amener autre chose qu'une réaction bourgeoise. Le socialiste Abel Roland renonce à sa fortune en faveur des ouvriers, avec la parfaite science que Marie-Louise Mouriès

1. Les Ames perdues, Fasquelle.

280 LA SOCIÉTÉ FIîANÇAISK SOUS LA TROISIÈME RÉPLBLIQUK

refusera pour ce fait de devenir sa femme : il se consume alors de douleur, et sa fortune est dilapidée par l'inexpé- rience des ouvriers. Les sacrifices sont inutiles.

Rosny étant évidemment le plus beau génie littéraire de ce temps, il convient de Tattaquer avec le plus d'àpreté. Sans nul doute est stupide le sacrifice tel que le conçoit la morale tolstoïenne qu'il est à l'honneur de Rosny d'avoir combattue avec une intelligence de beaucoup supérieure en ce qu'elle est plus pratique et non moins généreuse. Mais Abel Roland ne saurait personnifier ici le sacrifice socialiste :

Abel est la plus charmante et vibrante figure du jeune homme ardent, dévoué, altruiste jusqu'aux profondeurs féminines de l'instinct. Plnjsiquement il n'aurait pas pu ne point abandonner cette fortune qu'il sait n'avoir pas méritée, et déjà de ce fait, il n'y a pas sacrifice. INIais, dans de telles conditions de tempérament, s'il est équilibré, harmonieux avec soi-même, ainsi qu'il est nécessaire en une thèse il ne peut point rester à jamais désemparé de la rupture avec ^laric-Louise. Que la souffrance soit immense à l'heure oraoeuse de la crise toute raison tournoie au cyclone, rien n'est plus vrai. Mais rien au fond, au point de vue amoureux même, ne saurait lui être plus utile et finalement plus doux que ce que les Rosny appellent « le sacrifice », puisqu'il lui a permis, en éprou- vant l'amante, de constater que son âme n'était point sœur de la sienne. Abel se connaît trop pour ne pas prendre conscience que Marie-I.ouise n'était point la compagne harmonique, que son caractère égoïste et ses goûts de richesse eussent froissé les délicatesses les plus intimes de son àme; et, comme il est aussi intellectuel que passionné, cette idée eut finalement désagrégé la passion. En ce sens il n'y a donc eu nullement chez lui sacrifice.

LES SOCIALISTES 281

Il n'y a eu sacrifice qu'au point de vue socialiste. La seule faute est économique et consiste en le lait d'avoir abandonné sa fortune sans prendre le souci nécessaire à en empêcher la dilapidation, si aisément prévisible. Abel est coupable d'avoir provoqué la ruine de l'usine et par d'avoir servi à la cause bourgeoise un exemple h invoquer contre l'impossibilité matérielle du communisme. Et c'est de cela que finalement, après les heures du désespoir amoureux, il aurait du souffrir, de souffrance autant physiologique qu'intellectuelle, puisque c'est seulement qu'il y eut sacrifice inutile, même nuisible. La beauté idéo- logique du roman subsiste en ce que l'absolu y est attaqué; le dévouement à la cause socialiste et celle-ci elle-même ne sauraient prendre les caractères passionnés, irréfléchis et absolus qui se marquent en l'acte d'x\bel Roland. La masse ouvrière n'est pas encore apte à diriger seule une grosse entreprise industrielle en concurrence avec la bourgeoisie. La tutelle la plus désintéressée de bourgeois ayant rompu avec leur monde, comme Abel Roland, lui est indispensable. Le socialisme qui ne le comprendrait pas aboutirait à l'anarchie. Et Rosny eût pu le faire sentir davantage en cette œuvre il avait eu l'intellioence de mettre en parallèle le socialisme et l'anarchie.

XI

Dans la Cliarpente (1901) ', l'œuvre la plus synthétique de Rosny, le socialisme, qui n'est point l'objet de l'in- trigue, est la matière intellectuelle dont s'entretient constamment le roman, le sujet de toutes les conversa- tions où s'expose le système de la société.

\.La Charpente, Fasquelle.

282 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

Le géographe Duhamel, intellectuel socialiste, n'est affilié à aucun comité, mais il a profité de gros bénéfices pour résoudre dans son usine le problème qu'Abel Roland n'avait pas su résoudre. Dans ces temps de civilisation bourgeoise, il en reste le propriétaire mais il en emploie les recettes au profit, sagement distribué, des ouvriers, refusant a sa mondaine femme les toilettes et les attelages qu'elle réclame avec insistance.

En villégiature dans une société aristocratique, il discute avec rintellectuel de ce milieu sur le socialisme, sur la participation des trois classes à l'avenir social. Il considère la société comme un immense organisme les diverses structures sociales, aristocratique, républicaine, socialiste, se pénètrent comme des plexus nerveux h différentes phases de son développement. Dans tout corps ce sont les couches extérieures qui travaillent le plus; les plèbes sont les couches extérieures de la société, et comme elles travaillent le plus, c'est-à-dire c|u'elles s'adaptent le plus aux conditions du milieu, elles se transforment avec lui, progressent, croissent en force sur les autres. Il est démontré « par l'anatomie comparée » (|ue ce sont les classes ouvrières qui font et sont l'avenir, et d'autre part que (( l'aristocratie étant de structure ancienne, la bour- geoisie une structure présente, le collectivisme une struc- ture en formation », toute régression politique vers l'ancien régime est anatomiquement impossible, que tout piétinement sur place en l'état bourgeois entraînerait la mort de l'organisme, selon les lois de l'évolution.

L'avenir doit donc se faire par la classe ouvrière. Mais cette classe ouvrière est toujours dirigée par une petite minorité intellectuelle de la Bourgeoisie : on eût aimé voir Rosny traiter plus en détail la (piestion des rapports de l'intellectuel socialiste dans la bourgeoisie avec la

LES SOCIALISTES 283

classe ouvrière. Duhamel, saus nul doute, consacre à ses ouvriers une grande part des gains de son entreprise; mais, en ce roman s'explique la façon dont se pénètrent amplexueusement les différentes couches de la société, nous eussions désiré apercevoir de temps à autre Duhamel au milieu de ses ouvriers. Il reste un peu trop bourgeois par ses manières, le choix de ses sujets idéologiques, le Sfoût mondain de la conversation oalante, la manière de son intellectualité, il a trop l'air d'être un Alceste du XIX* siècle qui va dans la société choisie dire la vérité sociale comme l'autre la vérité humaine, il n'est pas phy- siologiquement et mentalement assez imprégné de peuple, il n'est pas humble, et s'il est laborieux c'est avec élé- gance. Voilà qu'il va, répudiant par le divorce son indigne femme mondaine, épouser la jeune Alice, généreuse dis- ciple élevée dans sa ferveur altruiste. Nous ne discernons pas assez quelle sera l'atmosphère et l'intimité morales de ce couple, nous savons que cela fera du très bel amour humain mais nous ne sentons pas ce qu'il pourra y entrer de pensée et de sentiment sociaux dans cet amour qui ne saurait être profond et large qu'intimement pénétré d'une perpétuelle conscience socialiste de la misère humaine. Car l'altruisme seul peut féconder la famille et lui donner, avec le bonheur, la sensation de son utilité, de sa justice. La compréhension des rapports de la famille à la société eût être manifestée dans cette œuvre étaient parallè- lement envisagés les principes de la morale familiale' (couple Delafon, répudiation de iMme Duhamel), et de la physique sociale (théorie de la Cliarpente). 11 manque ainsi un peu d'unité synthétique à cette œuvre ample de sociologie socialiste. Notez que si l'on demande autant à l'œuvre des Rosny, c'est parce qu'elle est supérieure.

28'i LA SOCIÉTÉ FnANÇAISE SOUS LA TROISIEME HÉPUDLIQUE

XII

Fécondité d'Emile Zola (1899) avait également traité le problème de la famille sans le rattacher h celui de la société; car aucun de ces romanciers ne semble avoir for- tement senti leur connexité et qu'il y a une unité très pro- fonde et nécessaire dans la vie. Travail [i^^i] ne la dégage pas davantage avec la conscience et la force nécessaires, bien que le sentiment de cette connexité v soit à l'état latent.

Travail d'Emile Zola est une œuvre de première importance, car depuis le Bas-Empire Français, c'est-à- dire dans une période d'un demi-siècle, elle est le seul roman, écrit par un littérateur français ayant une célé- brité mondiale et par suite une influence considérable, qui présente un tableau de vie idéale envisagée comme pro- chainement réalisable et, à ce propos, une profession de foi socialiste. (Nous disons socialiste en donnant au mot le sens général qui embrasse les systèmes d'écoles assez diverses). Ainsi Zola a repris la tradition de George Sand, qui a écrit plusieurs romans socialistes fort beaux, aujourd'hui incompréhensiblement oubliés; on ne parle pas de Cabet dont le Voyage en Icarie n'a qu'une puérile intrigue, insignifiante comme psychologie et qui n'est qu'un lien léger nouant ingénument les chapitres d'un traité.

Il importe d'en exposer le sujet avec quelque détail. Luc Froment vient attendre à Beauclair un ami, Jordan, et, cependant, visite la petite ville que parcourent les ouvriers d'une usine locale, abrutis par la dure vie de labeur incessant et meurtrier qu'on leur impose. Il voit un de ces ouvriers pris de vin battre sa maîtresse, Josine,

LES SOCIALISTES 285

et lui refuser la clef du logis. Il secourt la pauvre fille que Touvrier Ragu finit par reprendre chez lui et bientôt épouser. Jordan arrive : c'est un savant uniquement épris de travail, grandi et sanctifié par le Travail, fait généreux par le Travail : il met la moitié de sa fortune à la dispo- sition de Luc pour qu'il tente en face de l'Usine capita- liste, gâcheuse d'ouvriers, une usine syndicale dont les bénéfices soient répartis entre les manœuvres, l'intelligence directrice et le capital. Au fond Luc est communiste mais évolutionniste ; il croit qu'avant d'arriver au communisme il faut passer par le collectivisme et que le collectivisme lui-même ne peut lutter contre le capitalisme que sous une forme pour quelque temps mitigée : il faut en effet craindre et l'inéducatiou des ouvriers qui, intelligences encore étourdies par le salariat, pourraient gaspiller les premiers bénéfices nécessaires à combattre la concur- rence capitaliste, et la perfidie bourgeoise qui insinuerait si aisément la discorde parmi les ouvriers associés. En effet Luc ne peut triompher des obstacles survenus et des crises produites qu'avec le concours de Jordan : celui-ci, qui n'avait d'abord voulu que s'intéresser h une expé- rience, se laisse peu à peu gagner à la cause et abandonne l'autre moitié de sa fortune.

Le plus grand obstacle que Luc ait eu à surmonter est l'inconstance des ouvriers. Ils étaient mal préparés à l'œuvre. Le séjour dans l'usine capitaliste les avait per- vertis : ils y avaient contracté le goût du désordre et de la boisson et les habitudes routinières. Ragu, choisi par Zola comme type significatif, « le produit gâté du salariat «,. est incapable d'autre conception que celle du chambarde- ment brutal et ne peut se faire à un travail organisé; et au fond il regrette l'ancienne Usine on le traitait en esclave mais en lui laissant, en lui assurant même toute

286 LA SOCIlixÉ FnANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

facilité de s'enivrer. Aussi y retourne-t-il, emmenant avec lui la malheureuse Josine, qui, battue sans cesse, s'est éprise du bel et doux Luc, l'homme de force et de bonté. Fauchard, l'arracheur chargé de retirer les creusets du feu, pauvre vieux gas cuit par la flamme et incapable d'autre jouissance que de boire ses quatre litres par jour, s'est aussi tant abruti par le métier qu'il préfère rester l'ancienne Usine, par une sorte de vertige de la misère et de la souffrance.

Enfin la nouvelle Usine, la Crècherie, jîrospère en face de l'ancienne dont les propriétaires sont des bourgeois pourris de tous les vices attachés à la possession du cor- rupteur argent. Irritée par la diminution des bénéfices, la maîtresse du propriétaire de l'ancienne Usine fait venir Ragu pour lui apprendre que Josine est devenue la maî- tresse de Luc. Ragu blesse Iaic et quitte le pays. Luc guérit et prend publiquement avec lui la chère femme qu'il n'avait pas voulu plutôt avérer sienne pour ne pas compromettre, par des démêlés légaux avec le mari légitime, la situation de la collectivité, les temps n'étant pas encore mûrs pour l'union libre. Ils ont de nombreux enfants. Leur bonheur, de leur sagesse, est un exemple persuasif : gagnés par cet exemple ou forcés par les succès de la Crèclieric, tous les habitants du village, un à un, entrent dans la collectivité, tandis que la désagréga- tion des derniers récalcitrants se poursuit progressivement dans la petite ville désertée.

Et alors, abondamment, avec une heureuse prolixité de créateur enthousiasmé par son œuvre, Zola développe un tableau essentiellement fouriériste de la nouvelle société harmonienne dont Luc, vieilli et entouré sans cesse de plus d'enfants de plus en plus beaux, est le prophète adulé. Le travail est devenu si aisé et si divers qu'il est un

LES SOCIALISTES 2S7

plaisir, un vigoureux sport. Les ouvriers ont de nom- breuses heures de liberté employées aux bibliothèques ou aux jeux de l'art le plus frais. Les enfants sont élevés suivant l'indispensable méthode de Fourier inspirée de Rousseau : au lieu de les soumettre h une discipline mili- tariste et uniforme, on consacre tous ses efibrts à flatter leurs inclinations, à entretenir leur originalité, à favoriser leurs qualités spéciales. Grandissant heureux et sains, ils se développent avec rapidité et forment bientôt de nou- veaux couples que le seul instinct affiné par l'éducation a unis. Et ce n'est partout que joie, danses harmonieuses et guirlandes de fleurs et de fêtes.

Mais Ragu n'était point mort. Le Salarié Errant revient de sa course insatisfaite par les villes et les bois. Vieux, épuisé, malheureux, il arrive dans l'intention de tuer Luc, qu'il sait avoir survécu, et Josine. Il les voit assis, un jour de fête anniversaire, au centre des immenses tables de la communauté, dans la vénération universelle, et ils sont tellement empreints de majesté par la sagesse et le bonheur, que la volonté du mal en lui s'anéantit. Il s'enfuit, incapable de l'acte. Luc mourra de la plus belle vieillesse, dans la gloire de la grande œuvre accomplie.

Ce qui paraît encore Utopie à la majorité des gens, Zola le croit très aisément réalisable, on peut même dire prochainement réalisable. Son roman, aussi ingénieux qu'ingénu, n'a pour cela rien de ridiculement chimérique, il faut le dire avec courage. Sans cloute, lorsque les pro- grès sociaux qu'il énumère seront réalisés, l'humanité n'aura pas conquis ad leternuni la félicité absolue, et seu- lement, délivrée des maux sociaux, il ne lui restera plus à surmonter que des difficultés, aujourd'hui imprévisibles, d'ordre nouveau et plus complexe, des maux supérieurs en finesse sur l'échelle évolutive; sans doute la société

288 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

idéale qu'il propose à notre admiration s'épanouira avec moins de rapidité que ne le comportent les exigences d'un roman, fût-il de six cents pages; mais il n'est nulle- ment impossible que l'on parvienne à vaincre assez tôt la société capitaliste sur certains points. L'important pour cela est qu'on ait la foi. Et c'est ici qu'on sent l'impor- tance de tels romans, trop aisément regardés comme des amusettes par les économistes. Seuls ils peuvent, par leur puissance d'expansion, créer dans la masse une atmos- phère mentale d'enthousiasme suffisamment chaude pour qu'y éclose, féconde, la volonté des hommes pratiques. T?-ai>ail, déjà très beau et très utile comme poème du Labeur réalisé et de l'activité, vaut infiniment et comme œuvre de vulgarisation se trouvent exposés avec svm- pathie les divers systèmes (anarchie révolutionnaire, communisme libertaire, collectivisme, socialisme révolu- tionnaire, fouriérisme, etc.) et comme roman-feuilleton répandant dans la masse des idées de justice et d'amour sociaux, mettant sous les yeux des simples des tableaux d'un idyllisme facile sans être mensonger. Trop long- temps le peuple a dîi se repaître d'aventures, de crimes et de vices. Après le mauvais vin littéraire, voici le bon lait de la campagne. Zola, qui avait achevé de pourrir la bouroeoisie en la nourrissant d'histoires de vols et de viols, a écrit ensuite pour le peuple des romans de sain optimisme dont la lecture réconforte et éveille les bons vouloirs sociaux, sans fausser les esprits de trompeuses promesses, sa vision optimiste de l'avenir s'étant dégagée d'une minutieuse analyse pessimiste du présent.

LES SOCIALISTES 2vS9

XIII

Camille Lemonnier ;uii-a le très orand honneur, en Le Vent dans les moulins^ de réunir, sous la transparence d'une forme lumineusement artistique, une vision nette et exacte de la réalité et une philosophie hautement pla- nante de la vie. Joignant là, en synthèse supérieure, les ([ualités opposées d'un Adam et d'un Zola, il a produit une œuvre qui n'est plus seulement un thème esthétique pour l'emballement des dilettantes ou un feuilleton pour l'édification populaire, mais une leçon de vie immédiate : élevée et universelle. Et l'on a la satisfaction de constater que, par une logique profonde et harmonieuse, son œuvre la plus précisément socialiste est son chef-d'œuvre.

En Vile ^'ierge, Adam et Eve et Au Cœur frais de la forêt, c'était un magnifique mais incomplet évangile naturiste : des humains retrouvaient le bonheur sain et vrai loin de la ville ; mais il nésfliffeait de considérer h la conclusion cjue toute vie humaine, fût-elle la plus natu- riste, ne saurait être pleine, harmonieuse et naturelle dans l'éloignement absolu du reste de l'espèce. Le Vent dans les jnoulins est au contraire un roman de mœurs quotidiennes l'idéal se dégage lentement et logique- ment de la réalité, comme la fumée bleue monte du toit. Ce n'est plus la voix fraîche de la forêt qui parle, mais la voix chaude des champs, œuvre collaborée de la nature et des hommes.

Ce roman socialiste s'épanouit dans la beauté des tableaux de douceur, de réconfort et de santé, des descrip- tions abondantes de la richesse de la terre, dont le rôle

1. Le Vent dans les moulins, l'JOl, OllendorfT.

M.-A. Leblonfi. IJ

290 LA SOCIKTK FnANÇ.VlSE SOUS I.A TROISIEME RÉPURLIQIE

est si important dans la destinée des Flamands. C'est un roman de tendre lumière et de vie croustillante et par- fumée, en même temps que de vaste svmpathic humaine et pittoresque, d'un pittoresque qui est de l'amour humain ; el les images y sont de heauté familière et précise, de pénétration amicale. Il a la grandeur spacieuse d'un roman-fresque. A vrai dire la personnalité de Dries Abeels elomine, mais l'àmc de Dries, peuplée de foule, embrasse l'humanité du village, l'humanité de la Flandre, embrasse les paysages de luxuriance et de sérénité que Lemonnier peint avec extase, les intérieurs humbles et cordiaux qu'il décrit avec une bonne humeur et un doux amour évangélique.

Dries Abeels, rentier, s'intruisit au socialisme, et il va prêcher la parole émancipatrice dans chaque logis paysan; les villageois le regardent avec amitié parce que c'est un bon garçon îi figure rose et franche, mais ne lui répondent rien parce que Dries est riche et qu'ils trouvent trop aisé aux riches de parler travail et partage. Dries n'a que cela à faire et rien n'est plus doux que de rêver l'avenir entre deux ])ienhenreuses siestes au soleil, car Dries est ado- rablement paresseux. Mais, comme l'idée socialiste s'est intégrée en lui, elle le travaille jusqu'à ses heures de béate digestion, elle le transforme, elle le fermente len- tement, et voici qu un beau jour Diies achète un tabliei', se met au travail chez un menuisier du matin au soir. H prend un métier afin de s'autoriser à prêcher aux frères l'énergie contre les liches et ii déclarer son amour ii la fraîche et laborieuse Amie. Le travail universel, outil de l'avenir et du bonheur futur, le travail saint, sacré, patient comme la vie de nature, est le principe premier et le souffle même du socialisme.

C'est la thèse que l'exemple du travail vaut mieux pour

I

LES SOCIALISTES 291

le bien commun que la suprématie oisive de celui qui sème les paroles de vérité, [.es persounaoes secondaires sont tous artisans : le musicien, le peintre, sont agricul- teurs; le romancier est boulanger; il est logique que l'apôtre peut et doit être ouvrier. Dans la pratique seule du travail il saura ausculter ses énergies intimes, prendre le mouvement, le rythme de la vie, le goût du progrès, il pourra être socialiste. Le socialisme retourne à l'état d'inspiration de nature, de religion entendue à la voix des champs comme l'amour et la poésie, il est enseigné par la joie de vivre en cordialité et en santé, utilisant vers le mieux l'àme chrétienne de la race. Ce n'est plus un socia- lisme qui s'ébruite en politiques, se chaude en clubs et meetings, rageur, cérébral, conspirateur, révolutionnaire, comme le socialisme citadin du Mystère des foules, mais un socialisme campagnard, végétatif, un socialisme de patience, de ruminement, participant de la sûre évolution des saisons, rentré au fond de la vie champêtre, poétisé et élargi de la beauté du monde, trempant l'humanité comme un élément : un socialisme qui n'est que le familisme étendu, le païadis patriarcal (|ue ces chrétiens rêvent pour plus tard sur terre, cette terre qu'ils aiment comme Rubens sut aimer les ciels. Le livre, concluant à la néces- sité morale et vitale du travail pour communier avec l'hu- manité et la terre nourricière, est d'une inspiration évan- gélique fraternelle à celle de J'olstoï prêchant le travail. Mais Lemonnier perçoit en la vie et particulièrement dans le travail plus de lumière, plus de parfum, plus de beauté; pour Lemonnier le travail est un champ de mois- sons et de fleurs qui sent bon et ondule avec magnificence, tandis que pour Tolstoï, c'est la steppe muette et triste, égalitaire et religieuse. Prêtre du travail : Tolstoï; poète du travail : Lemonnier. Leuionnier crie la vie, beauté.

292 LA SOCIETE FnANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

bonté, ivresse de vivre. Mais quelle que soit ici la magni- ficence un peu païenne de la volupté de vivre, il v associe le christianisme mystique du Septentrion, un encens de brume religieuse. On l'admire d'avoir fait dans le socia- lisme la synthèse du christianisme et du paganisme, alors qu'un socialisme d'origine seulement chrétienne resterait terne et antivital. Et la poésie du travail et du socialisme est à la fois évangélique et voluptueuse.

En cette œuvre, ainsi, le socialisme est promu à une superbe dignité végétale, ce qui est fort heureusement logique en ce milieu de champs. 11 prend justement à la nature une sérénité silencieuse et patiente. Révolution- naire aux fiévreux centres des villes secouées du tapage des machines, il est évolutionniste à la campagne, d'un évolutionnisine paisible et lent qui se règle à la pacifique évolution des saisons.

N'oublions point que sagesse ne saurait être « oppor- tunisme )), que cette lenteur est relative et, jîuisque le socialisme est une agriculture, que celle-ci contient l'art souple et vif de la serpe qui émonde et de la faux qui coupe. Camille Lemonnier nous le rappelle par quelques épisodes d'agitation paysanne.

Le peintre naturaliste et pessimiste du paysan sale et avare, Zola, aboutit au roman prophétique d'un socialisme candide. Le portraitiste des snobs, des seigneurs boule- vardiers, des byzantines de petits théâtres, des types essentiels de race ancienne, Paul Adam, conduisit ces vieux rejetons à la solution pratique et féerique du socia- lisme. Le romancier du monde autodidacte des savants et des ouvriers, J.-H. Rosny, commence et revient au roman socialiste puisque le socialisme est la solution scientifique d'avenir et aussi la promesse d'un monde de beauté natu- relle qui vaudra les âges de Vamireh. Camille Lemonnier, le peintre de la brutalité, de la bête de terre, conclut au roman édénien d'une réalité flamande s'exprimant déjà en paraboles de félicité socialiste. Il s'est opéré une jonction des voies ditTérentes de l'art dans l'unique sens de l'avenir.

Lorsqu'ils ont peint des socialistes, les romanciers les ont presque toujours mêler à des anarchistes, dans l'intrigue du livre ainsi que dans la vie. Tous les grands écrivains, hommes de labeur, d'ordre, d'intuition, sont finalement arrivés à accuser leur sentiment de la supé- riorité du socialisme sur l'anarchie, alors même que, comme chez M. Paul Adam, une fougue toujours juvénile les inclinait physiologiquement à l'individualisme exa-

294 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

cerbë. C est ce qui fait dailleiirs (|ue celui-ci a trop consi- déré le socialisme comme une idée relioieuse, divisée en sectes qui intéressèrent d'abord en lui Thistorien des reli- gions maçonniques du moyen âge : en son œuvre les socialistes se meuvent dans des chicanes politiques qui sont comme les désordres des sociniens et des pauliciens; il n'a pas montré la belle conscience honnête, recueillie et pure, du socialisme.

Si l'on s'arrête maintenant aux écrivains secondaires cjui se sont occupés du socialisme, Vogué et Roguenant, il est visible qu'ils ont une tendance instinctive à préférer les anarchistes aux socialistes, parce que ceux-là sont moins Ibrts et oi'ganisés, plus désordonnés, plus proches de la bête. Les réactionnaires sont flattés de retrouver en eux l'animalité fauve des Ages aristocratiques de guerre et de grande chasse; le modeste et patient socialiste les déroute, leur insupporte comme un homme de temps nouveaux. C'est que l'anarchiste commun appartient à la structure aristocratique et leligieuse de l'humanité, tandis que le socialiste à la structure scientifique et démocratique.

De la place de plus en plus considérable cjue tiennent les socialistes dans la société : ce Cjui n'a échappé à Zola ni Rosny, Adam ni Lemonnier. Mais ils ont plutôt dit la valeur qualitative qu'ils n'ont songé à montrer en détail l'importance quantitative du socialisme; et cela eût pu être l'objet d'un loman la statisti(pie, avec ses mouvements changeants de chifl'res, pouvait fournir le même intérêt dramatique «pi'une intrigue guerrière : il y avait particu- lièrement à écrire, sur le mouvement ouvrier après 1870, dont M. Daniel Ilalévy a été le remarquable historien*, une étude sociale se fût peinte dans son ensemble, en

1. Daniel Halévv, Essai sur le moiifei/ie/it utirricr, Bellais, ISOl.

LES SOCIALISTES 295

grandes fresques, la vie ouvrière, se tussent marqués la psychologie des travailleurs terrorisés par la réaction qui suivit la Commune et l'état d'ànie et la pénurie des iamilles décimées par les déportations, les lemmes condamnées h la misère et à la prostitution tandis que les hommes peinaient en compagnie des criminels à la Nouvelle-Calé- donie, — les répercussions de telles souflTrances et de la répression du Gouvernement sur les idées des socialistes; et, en même,. temps que le drame moral de la vie ouvrière de 'J870 à 1880 on eût montré l'évolution, dans la soli- tude, les foyers de famille, et les petits clubs cachés des idées socialistes en syndicalisme, la formation des âmes nouvelles, le développement intellectuel de ces délicieux et admirables esprits autodidactes, appelés militants, qui de 1890 à 1900 ont créé dans toute la France, de Lille et Amiens à Saint-Etienne et au Dauphiné, le passionnant mouvement de Renaissance aussi beau, poétique et lyrique dans riiistoire sociale que la Renaissance du xvi" siècle le fut pour la littérature.

C'est bien d'ailleurs une partie de cela que les Rosny ont si généreusement réalisée dans leur Bilatéral, mais en arrêtant leur observation h une époque particulière (vers 1885) et en condensant tout l'intérêt dans la per- sonnalité exceptionnelle de Hélier; ce qu'on eût aimé voir dans un autre roman complétant celui-là, c'est, au lieu des anarchistes ivrognes et brouillons du Bilatéral, les petits ménages honnêtes et douloureux des patients ouvriers et les rapports quotidiens des socialistes avec les classes régnantes de la société, la joie et la confiance humanitaire .progressant avec la sérénité et le triomphe lent de leurs idées de 1875 ii 1900.

Pour celui qui a observé avec impartialité la vie contem- poraine, qui a lu avec une attention éveillée les périodi-

296 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

(|aes de caractère social et notamment depuis quelques années l'hebdomadaire Pages Libres, il apparaît que, comme le montrent les romanciers contemporains, un Zola, un Rosny, ou un Lemonnier, les beaux caractères, les âmes fraîches et les intelligences d'avenir sont dans le peuple, parmi les socialistes. Cela ne se décèle pas dans l'œuvre, très importante, d'un Anatole France; mais il faut bien considérer que de 1870 à 1900 le grand écrivain de la bourgeoisie, qui donne d'ailleurs aujourd'hui le bon exemple aux écrivains socialistes, lesquels se sont laissé gagner et paralyser par la vie mondaine, n'a guère connu le peuple, et le témoignage de son œuvre ne saurait donc valoir contre la supériorité de celui-ci.

Evidemment dans Mtu-c Fane ou dans le Mystère des Foules, à côté des types d'observation, les personnages principaux- sont le plus souvent l'incarnation des idées des auteurs, mais, même au point de vue historique de ce livre, ces idées et ces auteurs n'ont pas moins d'importance puisque ce sont eux qui élaborent et expriment les désirs et aspirations inconscientes de la masse.

Par la on arrive aussi aux considérations suivantes, qui pourraient d'ailleurs aider à établir la légitimité de l'esprit de ce livre :

L'influence du socialisme sur la littérature est immense et vague, telle que peut l'être celle de la compréhension actuellement la plus naturelle et la plus scientifique de la vie. Vainquant l'anarchie, le socialisme délivra l'àme con- temporaine du pessimisme fatalement attaché à la vaine agitation de révoltes qui ne peuvent aboutir parce qu'elles, sont individuelles. C'est lui qui sauva le roman natura- liste, l'infléchit au livre de courage, de patience et de bonheur réalisé dans la satisfaction de l'activité, en lui

LES SOCIALISTES 2'j7

montrant l'ampleur des avenirs collectifs. Le socialisme renouvelle l'art français en lui versant une plus grande somme de vertus, d'énergie, de sérénité, de vie.

Par contre-coup, la littérature peut-elle avoir quelque influence sur le socialisme? Il n'en faut point douter; et la société sera pratiquement heureuse en proportion de la sérénité et de la pureté idéaliste de la littérature. Celle-ci seule peut profondément pénétrer et travailler l'àme des foules, dont la sensualité animale est Imaginative; et la raison n'est que l'imagination élaborée. Elle seule encore peut faire percevoir l'utilité et la beauté du socialisme dans la diversité mol:)ilc de la vie, qui n'est point seule- ment économie mais art; et les anti-artistes du socialisme ne tiennent point compte que l'art n'est que le sentiment intensif de l'économie. Le socialisme dans la littérature n'est plus seulement un problème, mais une sensation, un sentiment, une morale, une métaphysique, le tout perçu en synthèse, et il y sent son intégrité.

Tableau spontané, si l'on peut dire, peinture instinctive et comme photographie de la réalité, le roman a dès maintenant l'avantage de nous montrer le présent tel qu'il fut vu par un œil impersonnel, que ne voilait aucun parti-pris de système et qui regardait d'assez loin pour tout embrasser. Une semblable observation du présent permet d'y voir poindre l'avenir et de méditer sur lui; et h de tels romans, comme particulièrement Marc Fane, qui mérite d'autant plus d'être envisagé à ce point de vue qu'il est l'autobiographie d'un jeune homme, par suite d'un être constamment tendu vers l'avenir et en ayant pour cela la magnétique intuition, il apparaît qu'un des grands dangers prochains du socialisme tient dans la jalousie des aînés *, qui n'hésitent pas un instant à écraser l'élite des générations nouvelles pour garder plus long-

2y8 LA SOCIETE FliANÇAlSE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

temps une suprématie acquise avec d'autant plus de peine que le parti est nouveau. Or, comme la Nature, comme la Vie, le socialisme est et doit être beaucoup moins une chose du présent que de l'avenir, et rien ne vaut qu'en tant qu'il a pour soi la jeunesse et qu'il sait l'utiliser. C'est sur de telles observations qu'il convient le mieux de s'arrêter, car toutes les études de littérature, car toute considération du présent seraient vaines si leur fin, con- sciente ou non, n'était de suggérer sur l'avenir et pour l'avenir.

1. Rosny, dans Marc Fane, montre Garulle « frappé soudain de l'insuf- fisance des orateurs » (dont il était cause, ayant toujours abattu les plus éloquents), et plus loin : « Il ne sentait pas de victoires aussi chères à remporter que dans l'ambiance récolutionnaire ». Son rival Digues n'est pas moins hostile aux jeunes, « faisant une grimace dédaigneuse » devant Marc alors que tous deviennent attentifs, étonnés et flairant du neuf.

CONCLUSION

La société contemporaine n'est peut-être pas aussi belle, aussi souriante et bienfaisante aux nobles individualités, que pourrait lètre celle d'une époque en pleine renais- sance sociale, en pleine jeunesse, fùt-elle étourdie et ora- geuse,— que l'ont pu être certaines nations à des périodes de renouvellement presque complet. Le passé, l'ancien régime, dominent encore trop lourdement le présent d'une jeune Réjiublique, entravant l'essor du prochain avenir : nous voyons l'importance considérable que détiennent les financiers dont la puissance est encore trop peu tempérée par le pouvoir politique, ou que garde la noblesse dont la dégénérescence prolonge trop longtemps sa décrépitude malsaine. Mais par cela même il est plus utile de l'étudier, et l'époque est plus passionnante ii vivre.

L avenir démocratique et le passé étant à cette heure à peu près de forces égales, comme il est apparu dans l'Affaire Dreyfus, c'est une période de vie intensive pour la nation : l'abstention n'est permise à personne; chacun, de part et d'autre, voit la nécessité d'utiliser toutes ses forces. Les réformes en deviennent à la fois plus malaisées et plus courageuses : il n'y a point aujourd'hui, pour les tempéraments fortement combatifs, de plus fatigante et donc de plus noble et de plus belle carrière que celle d'officier; les esprits plus particulièrement organisateurs.

300 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

qui savent lutter et ils lont prouvé ces dernières années mais qui préfèrent construire, organiser les conquêtes déjà faites, trouvent le meilleur emploi de leurs qualités dans l'Université' : l'enfance, l'adolescence fran- çaises leur offre la plus riche et aimable matière à modeler. Et les ardeurs actives et la ferveur intellectuelle, la com- plexité et la vigoureuse jeunesse du socialisme offrent le plus admirable milieu développer toutes ses forces, exercer, avec intensité et en harmonie, tous ses instincts. Agir en socialiste, conscient, actif et conséquent, c'est entreprendre l'existence la plus large qui se présente à un homme daujourdhui; ainsi semble bien le montrer le chapitre VI de ce livre : la plus généreuse sans exaspéra- tion de dévouement, désintéressée sans sacrifice, cordiale, libre sans anarchie, active, complexe mais sim.ple, volup- tueuse, intellectuelle sans académisme, morale, religieuse et évangélistc sans fanatisme, la plus heureuse possible parce quelle est la plus intégrale. C'est vivre la part la plus grande et la plus diverse possible de l'avenir. Or, à côté de la contemplation passive indolente et un peu mélancolique des beautés du passé, les joies vives nous sont toujours données par la participation à l'avenir dans laquelle entrent les plaisirs de la spéculation intellectuelle et du risque (auxquels se lattache l'intérêt psvchologique et dramatique de l'intrigue), la fierté morale de la respon- sabilité, par-dessus tout la grande joie physiologique de l'activité, du travail dans l'inconnu s'exercent nos facultés d'initiative, s'affirment l'originalité, c'est-à-dire la complexité de notre être, et la maîtrise de création. Le bonheur est la participation la plus grande à l'avenir : il est dans le travail, le travail est l'eflet de la complexité,

1. Dont l'élude est pour cela même réservée à un second volume.

CONCLUSION 301

et c'est elle qui se rencontre dans le socialisme plus que partout ailleurs. Le socialiste est actuellement celui qui a le plus de devoirs, ce qui est bien se rattacher le plus au futur. Il recueille à la fois les devoirs et les satisfactions d'un militant, comme un officier, d'un économiste comme un financier, d'un éducateur et d'un catéchiste^ d'un ouvrier et d'un intellectuel.

L'utilité de telles études est de nous donner de l'exis- tence une vision de plus, par de nous assurer une façon de plus de la goûter, de multiplier notre intérêt et notre joie conscients de vivre. La Société contemporaine ne nous apparaît plus seulement en ses individus mais en ses petites collectivités, en ses corporations sociales, qui ne . sont point seulement des abstractions; elles prennent une réalité objective particulière, se juxtaposent et s'entre- mêlent les unes aux autres, dans une ordonnance dont il est Aoluptueux de percevoir et pénétrer la beauté. Nous jouissons davantage de la Société par l'ordonnance, la beauté nouvelle de cette société qui nous apparaît en les études de cet ordre : la beauté socioloi^ifjiie. De même, à la jouissance c|ue les révélations de l'anatomie réservaient autrefois à l'artiste pour la contemplation du corps humain, s'ajoute celle que lui donne la science de la physiologie, la vision des grandes fonctions diverses et anastomosées entre lesquelles se répartit Texercice de la vie. Comme une femme est plus belle pour celui cjui a la connais- sance parfaite de la circulation, comme la fraîcheur de son teint s'éclaire, se répartit et se renouvelle à chaque pulsation, comme le mouvement universel de son corps prend une splendeur plus fluide et nombreuse! Par ce spectacle nouveau des fonctions de l'activité sociale, il semble que la vie s'intensifie, se développe en nous, et

302 LA SOCIETE FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

qu'à mesure que nous voyons mieux se dessiner les grandes forces de l'avenir, nous éprouvions un plus impérieux désir de nous abandonner à l'une d'elles, comme devant la mer se précise le désir de naviguer pour celui qui sait le dessin des courants sur la mappemonde.

Le dernier siècle fut h ce point un siècle de critique que chacun aujourd'hui nait armé d'esprit critique. On s'en plaint : l'élan poétique, l'énergie confiante de la race en seraient entravés. Il est vrai qu'entre toutes les sciences d'investigation \ la critique littéraire fut jusc[u'ici plus négatrice que créatrice. Avant qu'on n'arrivât a l'œuvre d'un Taine, vivifiante et active dans son effort de svnthèsc, on traversa un âge ce genre, exercé par des tempé- raments de mécontents, tels que les Gustave Planche, que ne dirigeait nulle méthode homogène, que ne conte- nait nul système précis, parut avoir sa fin dans la satis- faction de railler et de saper. Le vieux caractère frondeur et tombeur du Français, qui aujourd'hui s'est assouvi et achève de s'épuiser dans la politique et le journalisme, aigrit et pervertit longtemps la critique littéraire. Même un Sainte-Beuve'^ n'échappa point à l'esprit d'envie et de dénigrement, ce qui fait qu'en dépit d'un réel souci d'im- personnalité, son œuvre se rattache bien h la période anarchiste de la critique.

1. Voir même Texégèse d'un Renan, qui est édifiante, constructive [Vie de Jésus).

2. On pourrait aller jusqu'à soutenir qu'il n'a été juste que pour les classiques. Il ne faisait guère l'éloge de ses contemporains que lorsqu'il ne pouvait résister au mouvement de faveur qui les portait. Il n'a été généreux pour aucun d'eux, pour Vigny, Balzac ni Flaubert (se rappeler leur correspondance à propos de Salammbô); quand il exaltait G. Sand, ce n'était pas tant avec celle plénitude d'enthousiasme dont un Heine même fut ému que pour être désagréable aux autres romanciers ou à Musset. Encore ne désignait-il particulièrement au public que les œuvres qui s'imposaient d'elles-mêmes, laissant l'ombre sur celles dont l'élite seule pouvait encore discerner ce mérite plus subtil.

CONCLUSION 303

Ceci condamna d'autre part la critique à être en quelque sorte un genre ingrat et négatif, infécond, voire stérili- sant, qu'elle fut longtemps presque exclusivement aux mains d'hommes qui, enseignant la grandeur inégala!)le des auteurs anciens, examinèrent les écrits des contem- porains avec l'idée préconçue de leur infériorité ou avec le même détachement que s'ils appartenaient h des siècles morts. Ainsi la critique ne fut plus que la science, sans aboutissement, de la curiosité. La sympathie, l'humanité lui fit défaut. En analysant l'œuvre, elle oubliait bientôt l'homme; et elle voulait y pénétrer si intérieurement qu'elle n'y percevait plus ses raisons d'utilité extérieure; elle perdait la notion du milieu en poursuivant trop minu- tieusement la connaissance abstraite de fesprit individuel, qui avait créé. Elle isolait, elle dissociait. L'auteur, lui, à être scruté dans ses particularités extrêmes, n'avait plus conscience de ses similitudes, de sa solidarité avec la masse, était déraciné de son pays et de son époque : se percevant étudié et jugé non par la conscience pour ainsi dire de son temps, mais par un autre individu d'une pro- fession livale, il ne pouvait trouver aucun enseignement, aucun secours dans la critique. Loin de se sentir soutenu, il se sentait plutôt perdu. Quant au public, à qui ne furent jamais assez montrés les liens étroits qui l'unissent à l'écrivain, il se dégoûta logiquement d'un genre qui se préoccupait surtout de faire saillir les imperfections des ouvrages qu'il avait achetés, et d'une littérature qui lui représentait un travail si aisément démontable.

Sans méconnaître l'utilité et l'importance des contri- butions d'esprits individualistes comme les Sainte-13euve et les Anatole France ou de leurs émules contemporains, c'est surtout dans la tradition sans cesse élargie de Taine que la critique littéraire peut devenir généreuse, efficace,

304 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME RÉPUBLIQUE

vivante. Elle cesse de s'ingénier h détruire, elle s'efforce h construire. En utilisant la littérature comme un clioix de documents, elle veut se constituer elle-même en genre utile, poétique, crçateur. Qu'on compare, h cet effet, la sensation de morne repliement et de solitude que laisse la lecture des portraits les plus ("ouillés d'un Sainte-Beuve au sentiment de joie laborieuse, de solidarité féconde, de courage social que fortifie en nous la lecture d'un essai de Taine.

Si ces études pouvaient contribuer h donner la passion, plus complexe, de la vie contemporaine, ajoutant au plaisir naïf de vivre le présent, celui de le considérer avec la joie d'art, la joie d'histoire qu'on est habitué de ne chercher que dans la contemplation du passé! Apprenons îi trouver dans la lecture des romans l'agrément subtil de discerner en historiens notre propre existence quotidienne pour savoir l'apprécier avec une volupté plus désintéressée, plus haute et plus générale, dans une vision a la fois plus abstraite et plus artiste : colorée et sculpturale. Le propre de la critique et de l'histoire est de nous apprendre à jouir de notre temps avec plus de sûreté, de constance, de plénitude, par suite d'activité à mieux vivre : à agir. Un peu de critique amène au scepticisme, beaucoup de critique ramène h l'action, h une action nous tenons le même plaisir de subtilité et de complexité que nos pères dans le scepticisme et en plus l'allégresse jeune du travail.

l<J0O-19O'i.

POST-SCRIPTUM

Trois romans très récemment parus présentent des cas d'aristocratie intéressants. MM. Poinsot et Normandy, dans L'Echelle (Fasquelle), ont choisi pour type de cruauté maladive attardé dans notre siècle un fds d'aris- tocratie en qui fermente une terrible perversité d'atavismes. Soucieux d'argumentation physiologique, ils ont vu logi- quement en lui le descendant de ceux qui menèrent à travers l'histoire une vie de « plaisirs cruels », guerriers chasseurs, tyrans de serfs et de vilains. M. Charles de Bordeu, dans son généreux Chevalier d'Ostahat, a écrit l'histoire sympathique d'une famille noble surprise par la Révolution en une vie campagnarde toute de vertus patriar- cales et de philosophie idyllique. C'est une très curieuse étude de l'action magnifiante de Rousseau et de la nature sur la noblesse des champs vers 1789. L'éveil de la bourgeoisie et le prochain problème de la fusion des classes y est aussi pathétiquement et tendrement signifié dans l'amour malheureux d'un jeune fils de médecin rural pour la fille d'aristocratie. 11 faut signaler de façon toute spéciale La Nouvelle Espérance, de la comtesse de I Noailles (Calmann-Lévy, 1903), roman dont la forme délicieusement impressionniste convenait parfaitement h

M. -A. Lkblonu. 20

306 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SOUS LA TROISIEME REPUBLIQUE

faire valoir la Confession hardiment sincère et péné- trante d'une aristocrate, qui analyse son âme nerveuse et son artiste maladivité à travers les aventures imaginées de son personnage principal. C'est un document très important.

INDEX DES MATIÈRES

Action (Pour 1'), 194, 195, 256, 288,

300 à 304. Affaire Dreyfus, 58, 299. Anarchie, 1, 8, 47, 184. 197 à 243, 255,

276, 282, 293. Antisémitisme, 111, 134, 278 à 279. Art, 177 à 179, 188, 193. -Avenir (De 1), 40, 44, 195, 243, 258,

298, 299 à 304. Beauté, xiii, 140 à 142, 270, 301. Bovarysme, 167 à 168, 193. Boulangisme, 51, 128, 205, 263 à 265. Cléricalisme et christianisme, 6, 7,

91, 93 à 94, 117, 145, 161, 170 à 171,

172, 176, 184, 222, 227, 254, 259,

261, 293. Critique (De la), i à xi, 241,302 à 304. Décadence, 178à 179 (de la notion de) ;

XI, 47, 142 à 149, 157 à 159, 167,

171, 177, 189, 305, Déracinés (Des), 178, 184 à 186, 303. Déséquilibrés, 167. Dilettantisme (Du), 174 à 177, 193. Enfantisme, 31. Exotisme et Colonies, 28 à 29, 31, 36,

38, 39, 55, 65, 74, 77 à 79, 121, 123,

163, 279. Famille et éducation, 11 à 13, 17, 20,

21, 32, 47, 55, 94 à 95, 114 à 116,

160, 164 à 166, 223,225,234, 283, 284. Guerre de 1870 (Influence de la), xv

et XVI, 5, 7, 8, 9, 29, 50, 52, 71,

76, 93, 100, 105, 158, 293, 294. Honneur (De 1'), 67 à 68, 135, 155 à

157, 169. Individualisme, 236 à 238, 264, 292. Intellectuels (Les), 134, 167, 172, 194

à 196 (aristocratie intellectuelle!

199 à 200, 217, 236, 238 à 240, 253,

282, 301. Internat et Lycée, 7 à 9, 26, 32 à 34,

35, 37, 38, 39, 47, 48, 82, 202, 234,

300. Langue (De la), 46, 250. Mal (Le bien et le), 179. Malthusianisme (Du), 1 à 2, 46, 170. Métaphysique (Sur la), 276, 277. Nationalisme, 57, 192, 274 à 275, 279. Naturalisme, 4 à 6, 14, 251. Nature (Retour à la), 22, 33 à 35, 48,

97, 203 à 204, 232, 276, 291 à 292,

305. Nihilisme, 223 ù 226. Pessimisme (Du), 4, 7 à 9, 13, 14, 20,

32 ù 35, 38, 46, 50, 95, 169, 193,

251, 288, 296. Politique (La), 195. Sacrifice (Sur le), 280 à 281. Scepticisme (Du), 176, 304. Science (Les rapports de}, vi, 40 à 41 ,

173, 176, 195, 220 à 222, 236, 237,

2.54, 276 à 277, 292, 293, 301. Socialisme, xiii à xiv, 132, 135, 184,

192, 214, 245 à 298, 300 à 304.

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES AUTEURS CITÉS

Adam (Paul), 3, 18, 29, 30, 40, 110, 111, 117, 122 à 123, 127, 133, 141, 146, 174 à 175, 181, 184, 188, 191, 199, 204, 213, 222, 225, 227, 228, 231 à 237, 238, 243, 247, 254, 259 à 271, 289, 291, 292 à 298.

Aicard (Jean), 35, 36, 48.

Ajalbert (Jean), 8 à 9.

Bakounine, 213.

Balzac, VI, 53, 54, 109, 119, 121, 130,

162, 189, 210, 266, 302. Banville (Théodore de), 22, 132. Barbey d'Aurevilly, 13, 177, 189. Barres (Maurice), 'l84 à 186, 198, 199,

238, 239 à 241, 262, 265. Barrucand (Victor), 207, 223 à 226,

227, 233 à 237. Baudelaire, 13, 177, 270. Bazin (René), 16. Beaubourg (Maurice), 59. Bérenger (Henry), 73, 107, 112, 114,

115, 127 à 129, 133, 223, 236, 260,

261. Bernardin de St-Pierre, 179. Bordeu (Charles de), 305. Bourges (Elémir), 107. Bourget (Paul), VII, X, 15, 52, 66 à

68, 107, 109, 114, 115, 116, 123 à

124, 131, 141, 143, 147, 150, 151,

157, 158, 160, 161, 162, 166, 169, 170, 183, 188, 189, 210, 234, 238, 254. Brulat (Paul), 126, 133.

Cabet, 253, 284.

Charbonnel (Victor), 260, 261 .

Clemenceau (Georges), 111, 116, 127,

154, 191. Coppée (François), X, 16, 93. Corday (Michel), 80 à 84, 103, 104,

105. Gouperus (Louis), 107. Courteline, 52.

Darien (Georges), 85, 218, 219, 226, 234, 238.

Daudet (Alphonse), VII, 3, 4, 31 à 35, 39, 40, 46, 47, 48, 53, 108, 118, 119, 131, 141, 157, 166, 170, 183, 191, 194, 203, 211, 212, 234.

Daudet (Madame), 27, 28.

Demongeot (L.), 99, 100, 103.

Descaves (Lucien), 61, 62, 84 à 87, 104, 128, 269.

Dickens, 3.

Donnay (Maurice), 58, 269.

Dornis (Jean), 166.

Dostoïevsky, 2, 199, 215.

Dumas (Alexandre) fils, 16, 114, 124.

310

Eckhoud (G.), 197, 203, 20'., 238, 241. Eriez (Jean), 277. Estaunié, 115, 116, 132.

Feuillet (Octave), 166, 189.

Fèvre (Henry), 202, 213. 233 à 237.

Flaubert (Gustave), 121, 168, 177,

193, 23.5, 2.56, 26'i, 302. Fouillée (Alfred), 169, 245, 260. France (Anatole), XIII, 3, 24 à 27, 29,

40, 48, 56 à 59, 74, 147, 148, 151,

153, 173, 183, 184, 188, 191, 198,

241, 296, .303. Fourier, 239, 286 à 287, 288.

Gaultier (J. de), 246.

Geffroy (Gustave). 38, 193, 198.

Goncourt, VI. XVI, 177, 195.

Gourmont (Remy de), 238.

Grave (Jean), 199.

Greg-h (Fernand), 38.

Guyau, 169.

Guvesse (Ch.), 102. 103, 296.

Gyp, 16, 17, 52, 112 à 113, 114 à 115,

132, 163, 168 à 169, 170, 180, 188,

190.

Halévy (Daniel), 276, 293.

Halévy (Ludovic), 16, 64.

Hamon (A.), 199, 227.

Hennique (Léon), 36 à 37.

Hermant (Abel), 38, 59 à 61, 87 à 90, 118, 140, 152, 154, 158 à 160, 161, 162, 163, 165, 172, 188, 190, 193.

Hervieu (Paul), 74, 108, 112 à 113, 114, 115, 129, 131, 140, 141, 152, 153, 155 à 157, 160, 162, 164, 165, 169, 172, 173 à 174, 181, 183, 188, 191.

Hugo, 2, 44, 121, 204, 2.54, 260.

Huysmans (J.-K.), 85, 148 à 149, 170, 171, 176 à 179, 184 à 186, 188, 190. 193.

Jammes (Francis), 19. Jaurès (Jean), 278.

Kahn (Gustave), 198, 246. Kropotkine, 199, 210.

Lanloine (Albert), 238.

Lemaîtrc (Jules), 53, 65, 72, 73, 79, . 199, 210, 211, 214, 234 à 237. Lemonnier (Camille), XVI, 197, 215,

237, 247, 249 à 251, 266, 289 à 292,

293 à 298. Lesueur (Daniel), 64. Lichtenberger (.\ndré), 27. Lorrain (Jean), 142, 148 à 149, 174,

176, 189. Loti (Pierre), 24, 28, 29, 77, 78. Louys (Pierre), 18. Luguet (Marcel), 60, 87.

Maizeroy (René), 77. Malato (Ch.), 199. Maeterlink (Maurice', 277. Margueritte (Paul et Victor), 3, 31,

37 à 40, 47, 48, 62, 63, 65, 80, 91 à

101, 103, 104, 237, 254. Marx (Karl), 185, 256, 273. Mauclair (Camille), 230, 231, 238, 239,

243, 246. Maupassant (Guy de), 6^ 14,, ,54, 74,

111, 124 à 126,' 131, 151, 160, 162,

176, 190. Maurras (Charles), 199, 238. Michelet, 2, 35. Mille (Pierre), 77, 78, 104. Miomandre (Francis de), 246. Mirbeau (Octave), VII, 6 à 8, 48, 158,

165, 198, 219, 232, 2.38. Morel (Eugène), 92 à 95. Nion (François de), 143 à 145, 157,

160, 162, 164, 165, 171, 177, 181,

190, 214.

Noailles (Comtesse de), 305.

O'Monroy (R.), 77.

Pailleron, 17.

Perrin (Jules), 90, 91.

Pert (Camille), 170.

Peyrebrune, 16.

Prévost (Marcel), 9 à 11, 79, 88, 141

à 143, 150, 161, 163, 165, 191, 210,

211, 212, 234. Poinsot et Normandy, 305. Puvis deChavannes^ XIV, 232.

un

Rachilde, 11 à 13, 55.

Raffaëlli, 9, 203.

Reclus, 198, 205, 220.

Renan (Ernest), 194 à 196, 302.

Renard (Georges), 271 à 273.

Renard (Jules), 19 à 23, 48, 102.

Renoir, 252.

Retté (Ad.), 238.

Roe (Art.), 63, 101 à 103, 105.

Roguenant, 273 à 275, 293.

Rosny (J.-H.), YIl, XIII, 2, 40 à 45, 46, 47, 66, 68 à 72, 104, 132, 170, 171, 172, 173, 175 à 176, 181 à 182, 188, 191, 199, 204 à 209, 213, 220 à 223, 227 à 229, 230, 233 à 237, 243, 247, 251 à 259, 272, 279 à 283, 292 à 298.

Rousseau, 2, 238, 286.

Ryner (Han), 216 à 217, 234, 238.

Sainte-Beuve, 246, 302, 303, 304.

Sand (George), 2, 179, WS, 211, 245, 246, 254, 273, 284, 302.

Sardou (V.), 17.

Taine (II.), Y, VI, 47, 135, 240, 302, 303, 304.

Tolstoï, 2, 171, 198, 199, 210, 212, 215, 268, 280, 291.

Vallès (Jules), 13, 260.

Vandérena (Fernand), 117.

Verne (Jules), 40, 41, 172.

Vigne d'Octon, 78.

Vigny (Alfred de), 13,61,65, 101,302.

Villiers de l'Isle-Adani, 146, 158, 177,

188, 190. Viviani, 278. Vogué (E.-M. de), VII, 64 à 66, 113,

124, 126 à 127, 132, 183, 189, 275,

277 à 279, 293.

WiUy, 16 à 18. Wisner, 27.

Zola, VII, .XVI, 2, 4 à 6, 14, 45, 46, 88, 106, 110, 113, 115, 116, 117, 119 à 122, 123, 124, 126, 130, 132, 134, 135, 143, 150, 163, 170, 180, 183, 184, 191, 193, 197, 199, 201, 202, 204 à 209, 210, 212, 213, 215, 217, 219 à 222, 229, 233 à 237, 239, 242, 243, 245, 247, 248 à 249, 251, 266, 275 à 277, 284 à 288, 289, 292.

TABLE DES MATIERES

I.N'TR0DUCTIO>' V

CHAPITRE I

L'ENFANT 1

Chez les romanciers naturalistes 4

Chez les romanciers idéalistes 15

Chez les satiristes 16

Chez les humoristes 19

Les analystes de l'enfance . *. 24

Les enfantistes. 31

L'enfant de l'avenir 40

L'enfant et la société , 46

CHAPITRE II

L'OFFICIER 49

Les officiers supérieurs 51

Les officiers 64

Chez les spécialistes 75

L'officier de l'avenir 91

Sentiment général 104

CHAPITRE III

LE FINANCIER 107

L'amour 109

Le cœur et l'âme 114

Les affaires 118

Le financier devant les écrivains 130

Le rôle du financier 134

314 TABLE DES MATIERES.

CHAPITRE IV

LES NOBLES 137

La physiologie 140

Le sentiment 150

La morale et la religion 168

La mentalité 172

Les rôles sociaux 180

Conclusions et rapports 187

CHAPITRE V

LES ANARCHISTES 197

Ceux du peuple 201

Ceux de la bourgeoisie 214

Les milieux, l'action et l'avenir de l'anarchie 227

Conclusions et rapports 233

CHAPITRE YI

LES SOCIALISTES, leur évolution 245

Germinal et Happe-chair 248

Le Bilatéral et Marc Fane 251

L' Essence de soleil, et Robes rouges 250

Le Mystère des Foules 263

Cœurs nouveaux 267

La conversion socialiste 272

Socialiste nationaliste 274

Paris (le socialisme et la science) 275

Antisémitisme 277

f^es Ames perdues 279

/,a Charpente (sociologie socialiste) 231

Travail 284

Le Vent dans les moulins 289

Le socialisme et la littérature 293

Conclusion : La société nouvelle 299

post-scriptum 305

Index des matières 307

Index alphabétique 309

32-01. Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. 11-04.

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L'Aloérie, par Al. Wahl et A. Bernard.

4"> édition. 1 vol. in-8. . . . 5 fr. » Les civilisations tunisiennes, par

P. Lapie. l vol. in-!2. ... 3 fr. 50 L'Indo-Chine française, par J.-L. de La-

nessan. In-8 avec 5 cartes. . 15 fr. » Les rapports de l'Eglise et de l'Etat en

France, par A. i)e6i'rfo!()'. 1 V. in-8. 12 fr. Histoire de la liberté de conscience

EN France (1598-1870), par Bonel-

Mauri/. 1 vol. in-8 5 fr.

L.A Papauté, par 1. Dœltinger. 1 v. 7 fr.

H. Cordier. L'Expédition de Chine de 1857-1858. 1 vol. in-8 , . . 7 fr.

Paul Louis. L'ouvrier devant l'Et.\t. 7 fr

Eng. Despois. Le vandalisme révolution- naire. Fondations litt., scieni. el artist. de la Convention. In-12. 5" éd. 3 fr. 50

Em. de Laveleye. Le socialis.me contempo- rain. 11« édit. 1 vol. in-12. . . 3 fr. 50

Eug. Spuller. Figures disparues. 3 vol. in-12, chacun 3 fr. 50

L'éducation de la démocratie 1 vol. in-12 3 fr. 50

L'évolution politique et sociale de l'Eglise. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Hommes et choses de la Révolution, 1 vol. in-12 3 fr. 50

ANGLETERRE

Histoire de l'Angleterre, depuis la reine .\nne, par i/. Reynald. in-12. 3 fr. 50

Le Socialisme en Angleterre, par A. Me'tin. 1 vol. in-12 .... 3 fr. 50

ALLEMAGNE

Histoire de la Prusse, de la mort de Fré- déric Il à la bataillede Sadowa. par K. \é- ron el P. Bondois. In-l'J. éd. 3 fr. 50

Histoire de l'Allemagne, depuis la bataille deSadowa.par ^j/p. Véron'&\. P. Bondois. In-12. edit 3 fr. 50

Origines du socialisme d'État en Alle- magne, par C/i. Andler. 1 vol. in-S. 7 fr.

La dé.mocratie socialiste allemande , par Edg. ililhaiid. 1 vol. in-8. 10 fr. »

La Prusse et la IIévolution de 1848, par P. Matter. 1 vol. in 12. . . 3 fr. 50

AUTRICHE-HONGRIE

Histoire de l'Autriche, depuis la mort de Marie-Thérèse jusqu'à nos jours, par L. As- seline. 1 vol. in-12. édition. . 3 fr. 50

Races et nationalités en Autriche-Hon- grie, par S. .4 «eî-èac/i. 1 vol. in-8. 5 fr.

Les Tchèques et i.a Bohème contempo- raine, par/. Bourlipr. 1 vol. in-12. 3 fr. 50

Le pays magyar, par R. Recoubj . 1 vol. iii-1-2 3 fr. 50

ESPAGNE Histoire de l'Espagne, depuis la mort de Charles III jusqu'à nos jours, par H. Rcij- nald. 1 vol. in 12 3 fr. 50

snissE

Histoire du peuple suisse, par Daendliker. 1 vol. in-S .0 fr. >

ITALIE Histoire de l'Italie, depuis 1815 jusqu'à la mort de Victor-Emmanuel, par E. So- rin. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Histoire de l'unité italienne (1814-1871), par Bolton Kinr/. 2 vol. in-8. . 15 fr.

TURQUIE

La Turquie et l'hellénisme contempo- rain, par V.Bérard.\n-V2. 5" éd. 3 fr. 50

EGYPTE

La transfor.viation de l'Egypte, par ■Alb. Métin. 1 vol. in-12. ... 3 fr. 50

ROUMANIE Histoire contemporaine de la Rou.manie (1822-1900), par /•>. Damé. 1 v. in-8. 7 fr.

CHINE

Relations de la Chine avec les puis- sances occiDENT.iLEs (1860-1902), par H. Cordier. 3 vol. in-8 30 fr.

L'expédition de Chine de 1857-58, par H. Cordier. Ivol. in-8 10 fr.

AMERIQUE

Histoire de l'Amérique du Sud, depuis sa conquête jusqu'à nos jours, par Deherle. In-12.3''édit..revuepar A..l/î7/ia»rf. 3fi-.50

Hector Dépasse. Transformations so- ciales. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Du travail et de ses conditions. 1 vol. in 12 3 fr. 50

G. Isambert. La vie a Paris pendant une

ANNÉE de la révolution (1791-1792).

1 vol. in-12 3 fr. 50

G. WeiU. L'école Saint-Simonienne. 1 vol.

in-12 3 fr..50

A. Lichtenberger. Le socialisme utopique.

1 vnl. in-12 3 fr. 50

Le socialisme et la Révolution fran- çaise. 1 vol. in-S 5 fr. »

J. Bourdeau. Le socialisme allemand et LR NIHILISME russe. 2"éd.In-12. 3 fr. 50

L'évolution du socialisme. In-12. 3fr.50 M. Courant. En Chine. 1 vol. in 12. 3 fr. 50

FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR

BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Volumes in-16; chaaue vol. broché : 2 fr. 50

EXTR

J. Stuart Mlll.

Auguste Comte. édit. L'utilitarisme. 3' édit. Corresp. avec G. d'Eichlhal.

Herbert Spencer. Classi6cal. des sciences. S" éd. L'individu coiUre l'Etal. 6'éd.

Th. Rlbot. La psych.del'atlenlion. 1' éd. La pliil. de Soliopen. 10' éd. Les mal. de la mém. 17' édit. Les mal. de la volonlé. 19' éd. Mal. de la personnalité. lO'éd.

Hartmann (E. de). Larelieion de l'avenir. 6' éd. Le Darwinisme. édit. Schopenhauer . Essai surle libre arbitre. éd. Fond, de la morale. 8' édit. Pensées et fragments. 18' éd.

L. Liard. Logiciens angl. contem. 3* éd. Définitions géoinét. 3" éd.

Na'vllle. Nouv. classif. des soienc. 2" éd.

A. Blnet. La psycbol. du rai9fiuii.3' édil.

Mosso. La peur. 2" édil. La fatigue. édil.

G. Tarde. Lacriminaliteo,om(iarée.5'éd. Les transform. du droit. 4" éd. Les lois sociales. 4' eil.

Cta. Rlohet. Psychologie générale. 5' éd.

Bos Psych. de la croyance. 2' éd.

Guyau. Genésedel id. de leiiips.4'éd.

Tissié. Les rêve». 2' édil.

J. Lubbock.. Le boa beur de vivre lîS v. l 5'éd. L'emploi de la vie. 5" édit.

Queyrat L'iiiiaKiiiation et ses variétés

cdi'Z l'enfant 3' éd. L'atislraolion «ians l'êdiic. Le» caractères et l'pdncation

morale. 2"éd. Laloeique chez l'enfant. 2' éd. Les jeux des enfants.

Wundt. Hypnolisiiie et suggesiioii.

Fonsegrlve. La CHiisaliié efficieiiie.

Guillaume de GreeC. Le» loi» socioloeiques. 3'édit.

Gustave Le Bon. Lois psycbol. de l'évolution

des peuples. 7* édil. Psychologie des fouies. 9" éd.

G. Lefèvre. Obligat. morale et idéalisme.

AIT DU CATALO E. Durkheim. |

flèerles de la méthode sociol. 3' éd.

P. -F. Thomas. La suggestion etl'éduc. 3' éd. Morale et éducation. Mario Pilo.

Psyclioloeiedii beauHldeliirl.

R. AUler. Philos. d'Ernest KHiiHu.2''édi t.

Lange.

Les émotions.

E. Boutroux.

Conting. des lois de la nature.

L. Dugas. Le psittaclsme. La timidité. 3' édition. Psychologie du rire. L'absolu.

C. Bougie. Les sciences soc. en Alleiu.

Max Nordau. Paradoxes psycbolog. 5' èdù. Paradoxes sociolog. 4" édil. Génie et talent. 3" édil.

J.-L. de Lanessan. Morale des philos, chinois.

G. Richard. Social, et SCI e 111' asocial e.2" éd.

F. Le Dantec.

Le déterminisme biol. 2' éd. L'individualité. Lamarckiens et Darwiniens.

Flérens-Gevaert. Essai sur l'art conleini). 2' éd. La tristesse contemp. 4" éd. Psychologied'une ville. 2' éd. Nouveaux essais sur l'art contemporain.

A. Cresson. La morale de Kant 2*éd.

J. Novicow. L'avenir de la race blanche.

G. Milhaud. La certitude logique. '3* éi. Le rationnel.

F. Pillon. Philos, de Ch. Secrélan.

H. Llchtenberger. Philos, de Nietzsche. S' édii. Frag. et aphor. de Nietzsche.

G. Renard.

Le régime socialiste. 4" édit.

Oasip-Lourié. Pensées de Tolstoï. 2' édit. Nouvelles pensées de Tolstoï. La philosophie de Tolstoï. La philos, sociale dans Ibsen. Le bonheur et l'intelligence.

M. de Fleury. L'âme du criminel. P. Lapie. La justice par l'Etal.

G.-L. Duprat. Les causes sociales delà folie Le mensonge.

GUE

Tanon.

L'évolution du droit. Bergson

Le rire. 3" éd.

Brunschvicg. Introd. a la vie de l'espril.

Hervé Blondel. Approximations de la vérité.

Mauxion. L'éducation par l'instruction. La moralité.

Arrèat. Dix ans de philosophie. Le sentiment relis, en France.

Fr. Paulhan. La fonction de la mémoire. Psychologie de l'invention. Les phénomènes a irectifs.2'éd. Analystes et esprits synthéliq.

Murisier. Malad. du sentim. relip.2"éd.

Palante. Précis de sociologie 2' édit.

Fournière. Essai sur l'individualisme.

Grasset. Limites de la iiiolosrie. 2" éd.

Encausse Occult.el Spiritual. éd.

A. Landry

Laresponsabilité pénale.

Sully Prudhomme

et Ch. Richet

Probl. des causes finales. 2' éd.

E.Goblot Justice et Liberté.

"W. James La théorie de l'éniolion.

J. Philippe. L'image meiUale.

M. Boucher Sur l'hypcrespace, le temps, la matière et l'énergie. Coste. Dieu et l'Ame. 2" édil.

P. SoUier. Les phénomènes d'auloscopie

Roussel-Despierres L'idéal esthétique.

J. Bourdeau Maîtres de la pensée conlem[>.

C. A. Laisant. L'édueat.fondét' sur la science.

Romaine Paterson. L'éternel conflit.

A. Réville. Do£rme et divinité de J.-C. 3' éd.

M. Jaëll. La musique et la psycliophy-

siologie. Mouvements artistiques.

Fouillée. Propriété soc. et démocratie.

A. Bayet. La morale scientifi(iue.

FÉLIX ALGAN, ÉDITEUR

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS, 6" NOVEMBRE 1904

BIBLIOTHÈQUE

D'HISTOIRE CONTEMPORAINE

I. France et Colonies, p. 1. II. Pays Étrangers, p. 7 III. Histoire sociale, p. 13

I. FRANGE ET COLONIES

ÉTUDES ET LEÇONS SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Par A. AULA.RD, Professeur à la Faculté des leltres de l'Université de Paris.

Quatre volumes in-12, chacun 3 fr. 50

1" SÉRIE, 3" édition. Le programme royal en 1789. Le serment du Jeu de Paume.

Les Jacobins. André Chenier. La procla"mation de la République. —Danton. —Carnet.

La presse sous la Terreur. L'art et la politique en l'an II. Aux apologistes de Robes- pierre. — Robespierre et le gendarme Méda.

•2" SÉRIE, édition. Auguste Comte et la Révolution française. Danton et les massa- cres de septembre. La séparation de l'Église et de l'État. Les causes et le lendemain du 18 brumaire. Le consulat à vie. L'authenticité des mémoires de Talleyrand.

3' SÉRIE, r'' édition. L'Iiistoire provinciale de la France contemporaine. Le tutoiement pendant la Révolution. La Convention nationale de Monaco. La diplomatie du premier

comité de salut public. La querelle de la « Marseillaise » et du « Réveil du Peuple ».

Bonaparte et les poignards des Cinq-Cents. La liberté individuelle sous Napoléon I«^

4'= SÉRIE, [vient de paraître). L'éducation scolaire des hommes de la Révolution. Les origines du socialisme français L'enfance et la jeunesse de Danton. La vie et la poli- tique do Danton. Le centenaire de la Légion d'honneur. Napoléon et l'athée Lalande.

Le Culte de la Raison et le Culte de TÊtre suprême

ÉTUDE HISTORIQUE (1793-1794)

Par le même

Un volume in-12, 2' édition 3 fr. 50

On sait qu'en 1793 et en 1794, la France révolutionnaire essaya, sans y réussir, d'abolir la religion clirétienno au moyen du culte de la Raison, puis de la" remplacer par le culte de l'Être suprême. C'est cette tentative de déchristianisation que rapporte M. Aulard. La thèse de l'auteur est que ce double mouvement n'est iioint sorti d'une idée ]ihilosophique préconçue, mais des nécessités de la défense nationale. C'est surtout jiarce que le clergé faisait cause commune avec l'étranger que les patriotes de l'an II culbutèrent l'autel. Cette thèse, M. Aulard l'a appuyée sur un récit impartial, d'après les documents originaux. On y voit revivre, dans la rue, dans le club et dans l'église, la France révolutionnaire au moment le plus critique et le plus intéressant de la lutte de l'esprit nouveau contre l'ancien régime.

LA THÉOPHILANTHROPIE ET LE CULTE DÉCADAIRE

(1796-1801)

{Essai sur l'histoire religieuse de la Révolution)

Par Albert MATHIEZ, Agrégé d'histoire, docteur è.s Icllres.

L'n volume in-8 12 fr. (vient de paraître).

Les théopliilanthropes s'étaient efforcés de créer une « institution », un « culte » qui fût le nature à remplacer avantageusement les anciens cultes mystiques et à refaire riinité morale de la France. Déjà, dans ce but, avaient été créés le culte de la raison, le culte do l'être suprême, le culte décadaire et plusieurs autres essais ou projets de .cultes déistes. Mais parmi ceux-ci, la théophilanthropie garde une physionomie originale. L'autorité n'est pour rien dans son existence ; elle vit, concurremment avec le culte décadaire, pendant cinq années, plus qu'aucun autre culte révolutionnaire. ^'

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU MAND.VT-P0STE

2 FÉLIX ALCAN. ÉDITErR, lU8, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS. C^

Ses adeptes furent peu nomljreux. mais ce fut la religion d'une élite convaincue ^t fidèle. Elle inspira des craintes justifiées aux cultes mjstiques, au protestantisme comme au catho- licisme. Rome savait qu'elle pouvait empêcher une partie de la bourgeoisie , française de retomljcr sous la domination de l'église romaine; aussi Rome obtint-elle de Bonaparte Tarrêt de mort des théophilanthropes.

Le problème attaqué par les théophilanthropes subsiste et les plus nobles esprits du XIX'' siècle ont cherché sa solution : Parmi ceux-ci nous rappellerons Saint-Sin\on, Auguste Comte. Quinet et Michclet. C'est une des raisons qui donnent à cette étude historique et pliilosophique son intérêt, ainsi que les rapproclicments nombreux qu'elle présente avec les circonstances actuelles.

CONDORCET ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Par Léon CAHEN, Agrégé dhi.-toire. docteur ùs lettres.

Un volume in-8 , . 10 fr. {vient de paraître).

Peu de noms ont été aussi souvent prononcés, au cours de ces dernières années, que celui de Condorcet. Les luttes récentes ont rappelé l'attention sur l'auteur du projet de décret sur l'instruction publique de 1792, du premier projet de constitution républicaine. L'ouvrage qui paraît aujourd'itlii présente donc un véritable intérêt d'actualité. L'auteur, grâce à de patientes recherches à la bibliothèque de l'Institut et aux ."Archives nationales, a réussi à découvrir un grand nombre de textes inédits et à renouveler comjjlètement son sujet. Dans ce livre. Cond'brcet se révèle à nous comme un politique remarquable, qui a constamment préconisé la méthode évolutive, et cherché à réaliser sans secousse un idéal éminemment démocratique. Parmi les passages les plus curieux, citons ceux qui concernent le système de Condorcet avant 1789, le rôle de Condorcet pendant les élections de 1789 et à l'Hôtel-de- Ville, l'élaboration <lu projet de Constitution de 170:i. etc.

LA VIE A PARIS

PENDANT UNE ANNÉE DE LA RÉVOLUTION (1791-1792)

Par G. ISAMBERT

Un volume in-12 3 fr. 50

L'année choisie, c'est celle qui s'est écoulée du 21 juin 1791, jour oii les Parisiens se réveil- lèrent sans roi, au '20 juin 1792, date de la première invasion des Tuileries par le peuple des faubourgs. Confiné dans cette période, l'auteur saisit les nouveaux arrivants au saut de la dilio'ence. leur montre les monuments neufs ou en construction, les fait passer des salons au.x clubs, do l'Assemblée aux spectacles, des cortèges de fête et des manifestations de la rue au perron du Palais-Royal se bousculent les agioteurs, passe en revue les modes, les jour- naux, les, chansons, les caricatures, l'enseignement, les expositions d'art, les cafés, les res- taurants, jusqu'aux maisons de jeu en guerre avec la police, toutes les manifestations de l'activité parisienne dans un temps de liberté débordante. Aucune part n'est faite à l'inven- tion dans ce tableau entièrement composé d'après les témoignages contemporains, rassemblés i)ar une érudition patiente et sagace ; il ne s'en dégage pas moins une impression do vie intense. La variété des tons s'accorde avec celle des sujets. C'est un livre d'une lecture tou- jours attachante et, en plus d'un passage, franchement récréative.

HOMMES ET CHOSES DE U RÉVOLUTION

Par Eugène SPULLER Un volume in-12 3 fr. 50

Cet ouvrage a pour objet non seulement la défense, mais la glorification de la Révolution française, ifauteur y traite nombre de questions controversées; les chapitres qui le compo- sent sont consacrés la Révolution et à quelques-uns des hommes les jinis illustres qui l'ont aidée à se produire : Sieyès, La Fayette, Mirabeau. , , . , ^.

Ce Niiiit do simples essais d'histoire, composes avec le dessein de taire connaître des hommes dont la personnalité, le rôle, le caractère et les services méritent d'être mis en luiuicrc.

VARIÉTÉS RÉVOLUTIONNAIRES

Par Marcellin PELLET

Trois volumes in-12, chacun 3 fr. 50

\" sÉRiK Les .Mmanachs sous la Révolution. Les revues de tin d'année au tlu-âtre sous le Directoire et le Consulat. Théveneau de Morande. Paris en 1787. Rivarol. La vraie Du Darry. Les orateurs de la Constituante. Un historien allemand de la Révolution française. Insignes des députés pendant la Révolution. - Instruction du comité de Salut public. Une lettre inédite de M'"" Tallien. Le camp de Jalcs. Réen- minaiions de Monsieur de Paris. La Sitlnt-lluberty et le comte d'Autraigucs. -- Concours

. -— *

ENVOI FRA.NCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

BIBLIOTHEQUE D HISTOIRE CONTEMPORAINE

artistiques de l'an 11. Concours ilo l'an II pour les livres classiques. 'SI"'" de Tourzcl et SCS mémoires. Le •< Livre du Soldat français », de Championuet. Quelques strophes peu connues de la Marseillaise. La jeunesse du conventionnel Romnie. Le général Bona- parte. — Lucien Bonaparte. Le capitaine Vallé. La propagande philosophique sous la Restauration.

-2« SÉRIE. Dubois-Crancé. La Révolution et iVI. Taine. Les débuts de la Révolution dans les Pyrénées-Orientales. La B.ildiothèque de Porthiez (de l'Oise). Le général Rigau. Les monuments de Desaix. M. Aulard et la Révolution en Sorbonne. La prise de la Bastille d'après deu.x favoris de lu reine. La place de la Bastille et l'architecte CoVbet. Mirabeau et Sophie. Mirabeau grammairien. Mirabeau au fauteuil. Les « Sources impures » des biens du clergé. Marie-Antoinette en Vénus. Trianon et les « Bols-Seins » de la Reine. Gracchus Babœuf et Marie-Antoinette. Ma<lanio Elisabeth.

Suzanne Labrousse. L'aéronaute Garnerin et les pudeurs du Comité de Salut public.

Chansons populaires sur les aéro.stats. Claude Fauriel et Cadoudal. La prétendue fille de Soubrany. L'histoire de France do l'abbé Le Ragois. La capitulation de Bayleu. Chansons de sacristie et de corps de garde. Le duc de Berry franc-maçon. La Géron- tocratie.

3" SÉRIE. Le Misofiallo d'Altieri. La Révolution et l'Irlande. La cassette de Grac- chus Babœuf. Tlieroigne de Méricourt. Les dessins du général Champiounet. L'am- bassade de Bartliélemy en Suisse. La conspiration Malet. M"" de Geulis et Jules Verne.

Un peu de numismatique. Les Historiens italiens de la Révolution française. Le Ça ira de Giosué Carducci. Napoléon !"■ agent matrimonial. Monti et la Basseviliana.

LE

VANDALISME RÉVOLUTIONNAIRE

Fondations littéraires, scientifiques et artistiques de la Convention

Par Eugène DESPOIS

Un volume in-12, 4" édition 3 fr. 50

M. Pespois a, dans le livre plein de vigueur et de faits, intitulé le Vandalisme révohdio/maire, tenu à venger cette révolution dont il connaissait si bien l'histoire, de l'accusation stupide d'avoir détruit à plaisir les monuments do la vieille France et jonché le sol de ruines. 11 a montré tout ce que la Convention, au milieu de ses tourmentes, en pleine Terreur, avec quatorze armées en campagne et en luttant contre l'Europe coalisée, avait su faire pour les lettres, pour les arts, pour les sciences, pour l'instruction à tous ses degrés.

Ch. Bigot [Revue {joli tique et littéruire).

LES CAMPAGNES DES ARMÉES FRANÇAISES

(1792-1815)

Par Camille 'VALLA'UX, Professeur agrégé d'histoire au lycée de Bresl.

Un volume ih-i2, avec 17 cartes dans le texte 3 fr. 30

M. Camille Vallaux a voulu résumer en autant de pages qu'il y a de jours dans l'année les guerres de la Révolution et de l'Empire. Il s'est acquitté de sa tâche avec conscience et talent, exposant avec clarté les causes et les préliminaires des campagnes, décrivant avec précision les mouvements des armées et les phases des combats.

Les luttes héroïques de la Vendée, les campagnes de 1792, les grandes batailles de l'Empire et notamment celles d'Austerlitz, d'Essling, de Waterloo, sont fort exactement condensées, et les croquis qui les accompagnent en facilitent la compréhension.

{Revue des Questions historiques.)

LA POLITIQUE ORIENTALE DE NAPOLÉON

Sébastiani et Gardane (Î806-Ï808)

Par E. DRIAULT, Professeur .njrcgé d'I.istoire au lycée de Versailles.

Un volume in-8 7 h\ (vient de paraître).

(Ouvraye couronné par l'Iuslitut) Ce livre est fait d'après les documents les plus proches des événements qu'il expose, d'après : les Mémoires des contemporains ou la corres])ondance de Napoléon I"'', d'après les sources encore plus sûres qui sont dans les manuscrits des .Vrchives Nationales ou du Dépôt des -Art'aires étrangères. Le moment de Ihistoiro Napoléon s'est le plus occupé de l'Europe orientale, c'est-à-dire de la Turquie et des Balkans, est rtxé par l'entrevue de Tilsit : après avoir vaincu l'Autriche, la Prusse et la Russie, Napoléon se trouva en présence de la question d'Orient; c'est pourquoi M. Driault a renfermé son étude entre les années 1800 et 1808; la politique orientale de Napoléon s'exprima alors dans la Mission de Gardane en Perse et surtout dans l'ambassade du général Sébastiani à Constantinoplo : celle-ci fut, avec 'es ambassades célèbres de Villeneuve et de Vergennes au wiir' siècle, un des plus glorieux pisodes de la politique de la France on Orient. On y trouve, comme au xviii'' siècle, les ambitions rivales des grandes puissances et les premières entreprises de l'.Xngleterro sur la Méditerranée. On y trouve quel(|ue cliose de nouveau : les premières tentatives des popu- Liiions chrétiennes pour se constituer en nationalités indépendantes, et on sera peut-être

ENVOI FR.VNCO CONTRE TIMBRES OU M.VND.AT-POSTE

FÉLIX ALC.VN, ÉDITEUR, 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS,

étonné de voir que la carte politique des Balkans ne fut pas alors tort différente de ce qu elle ^st .levenuc de nos ionrs. On y trouve enfin un essai pour dehnir par 1 Orient la politique de Xanraéon à lanor^ée de sa grandeur: M. Driault conclut, daprès des témoignages coutcm- mfra ns, que Napoléon voulut surtout écarter la Russie de la Méditerranée et de Constant,, nocle (ue même l'alliance russe servit ce dessein hostile aux Russes, qu il prétendit établir sa propre suprématie sur l'Orient comme sur l'Occident pour être vraiment <• 1 Empereur ... 11 échoua et devait échouer; mais il faut bien constater que, depuis, la Russie na fait aucun pro-rès dans les Balkans, qu'elle n a pas franchi la barrière qui des lors se dressa devant elle, et que Napoléon ruina, peut-être à jamais, le grand .. projet grec ■. de Catherine 11.

DE WATERLOO A SAINTE-HÉLÈNE

'•20 JUIX-16 OCTOBRE iSlôi

Par J. SILi'VESTRE. Pio!eî>eur à l'École libre des Sciences politiques.

Un volume in-16 3 fr. oO {vient de paraître).

L'auteur a divisé son sujet en six parties : à l'Eli/x'-'e, à la .Valmjiison, de la Malmaison à > Boche fo^t ^ Roche fort, en rade et à l'Ue dAlr. de Vile d'Aix a Samte-Uélene, forment les; divers tableaux du court drame ((ui se joua après les Cent jours. i

AI Silvestre a mis à contribution des ouvrages, des mémoires, des pubhcations çpars et ) na'rfois bien oubliés, il a puise aussi dans les notes manuscrites conservées par les JamiUes . le Rochefort dont les membres ont pu assister aux scènes poignantes de la dernière heure. 3 Ft son livre attravant comme un roman l'on voit vivre les personnages, se distingue par une scrupuleuse certitude gui suffit à le recommander aux curieux de ventés historiques.

NAPOLÉON ET LA SOCIÉTÉ DE SON TEMPS

paj. p_ BONDOIS. Pro:"e>>eur d'bisloirc au lycée Buffon.

Un volume in-8 ' "•

I 'auteur a cherché à expliquer l'influence de Napoléon sur les Français de la dernière période révolutionnaire, et celle des contemporains de l'empereur sur son caractère et sa

''®M° Boîdois a évité, autant que possible, les accusations de parti et les affirmations con- testées. Il a voulu fonder son li\Te sur des paroles et des faits admis aussi bien par les admirateurs que par les détracteurs de Napoléon P^

HISTOIRE DU PARTI RÉPUBLICAIN EN FRANCE

DE 1814b A 1870

Par Georges "WEILL, Docteur es lettres, professeur d'histoire au lycée Louis-le-Grand.

Un volume in-8 ^'^ '^''•

Ce livre donne pour la première fois une étude d'ensemble sur l'Iiistoire du parti républi- eain Les débuts secrets du parti sous la Restauration; son avènement à la vie publique en I8.^o'et ses pro-^rès jusqu'aux émeutes de 1834; son écrasement suivi dune longue période Je tornettr a, Jarenti. mais d'activité réelle; la victoire éphémère de 1848: la reaction de lR4q contrar ée par la propagande habile des démocrates jusqu'au 2 décembre; la proscrip- iïn'avëc un tab'^^eau d^e la ?ie des républicains détenus, transportés ou exilés; la vitalité du narîi pendant les années de compression; enfin son réveil depuis 1800 et ses rapides succès tous ces faits sont étudiés dans leur ordre chronologique. Au récit des événements sonrioints^es portraits de tous ceux qui ont influé sur la vie dit part. CarreL Cava.gnac I edri RoUin Barbes, Gambetta. Jules Favre. Enfin une grande place est donnée à lustoirc des idées des théories artistiques, philosophiques, religieuses, et surtout de ces doctrines sociales qui ont toujours préoccupé fes républicains. Ce n'est pas un livre de polémique, mais de science, conçu d'une façon toute objective. ^ ; ^_^

HISTOIRE DU MOUVEMENT SOCIAL EN FRANCE

{18.r2- 100-2. Par le même

Un volume in-8 10 fr- ("^e«' ^'^ paraître).

î 'auteur entend par mouvement social l'ensemble des efforts tenter pour améliorer la con- di ion économi(,ue le la classe ouvrière. Il est question dans ce livre du patronage considère Pnmme système général tel que l'entend l'é :ole de Le Play. Il est question plus encore du erZcment "ùvife^^^^ ses deux formes habituelles, la coopérative et le syndicat. Enfin U

insiste surtout sur les rapports entre le gouvernement et la classe ouvrière. .....

Cette histoire du mouvement social est donc avant tout une histoire j.oitique. destinée a montrer comment les questions ouvrières ont été posées ou résolues par les divers goiiver- Xents et les diverl partis. Le rôle le plus considérable y revient au part, socialise, nnisnu'il sest occupé spécialement de grouper les travailleurs manuels et de faire aboutir feurs revendications. M. WciU a insisté sur ce parti sur ses vicissitudes, sur les raisons oui l'ont fait grandir ou sur les divisions qui ont parai vse ses efforts. . , ' I e récit commence après le coup d'Ktat du ■> décembre; il finit par les événement polid tiques, aux élections législatives davril-mai U't'2- i

ENVOI FU.VNCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

lîIBLIOTIlÈQUE d'histoire CONTEMPORAINE

HISTOIRE DE LA TROISIÈME RÉPURLIQUE

Par Ed. ZEVORT, Recteur de lAcadémiû de Caen.

I. La présidence de M. Thiers. 1 vol. in-8, 2"= édition " fr.

II. La présidence du Maréchal. 1 vol. in-8, 2" édition " fr-

III. La présidence de Grévij. 1 vol. in-8, 2" édition T fr.

IV. La présidence de Carnot. i vol. in-8 " fr-

L'auteur a pris à tâche de raconter, d'après les documents officiels et les nombreii-x écrits consacrés à cette période de l'histoire contemporaine, les événements auxquels il a assisté et dont les conséquences ne sont pas encore épuisées, de les juger impartialement et de parler sans haine et sans crainte des hommes et des choses d'aujourd'hui.

Si l'histoire du second Empire montre comment un D:rand peuple a pu s'abandonner et a été sur le point de succomber, celle de la Troisième Répuljlique montre comment il a su se ressaisir et se relever. La .première période, (pii nous conduit du 4 septemljrc 1870 au 24 mai 1873, de la proclamation de la République à la chute de son premier Président, nous met en présence de graves et dramatiques événements, de grandes et intéressantes indivi- dualités, parmi lesquelles se détachent surtout les ligures de Thiers, do Trochu et' do Gambetta.

Sous la présidence du Maréchal de Mac-jNIahon, dans cette période de fondation, dans ce pénible enfantement do la République, l'intérêt de l'histoire intérieure prime celui de l'his- toire extérieure. Le traité de Francfort a borné notre influence au dehors, mais les Constitu- tions provisoires de 1871 et de 1873 n'ont jias fixé notre situation jjolitique; même à la suite du 25 février 1875, il faut que la République conquière le Sénat après la Chambre et la Présidence après le Sénat.

Avec la présidence de Jules Grévy, commence pour la République, enfin sortie de la période des luttes pour sa propre exis'tence, de la «période héro'ique ». l'ère de l'organisation et du progrès. Une série de lois fondamentales sur la presse, sur l'enseignement primaire, sur l'élection des maires, sur le divorce, sur les syndicats sont votées. D'un autre côté, par les conquêtes de la Tunisie, du Tonkin. de Madagascar, par la fondation du Congo français et l'extension vers le Soudan, la République reconstitue le domaine colonial de la France.

Sous Carnot c'est l'histoire actuelle dr la Troisième République qui commence véritablement. On sait les principaux faits de l'histoire intérieure de la France pendant cette présidence : la crise terrible du boulangismc, qui se termine par le procès devant la Haute-Cour, l'exil et le suicide du principal héros de cette équipée ; la loi militaire de 1889, qui oblige tous les Français à passer un an au moins sous les drapeaux; dans l'ordre économique et social, divers projets dirigés dans un sens démocratique sont également adoptés. La politique exté- rieure se résume ))ar la guerre du Dahomey et par l'alliance russe.

HISTOIRE DE DIX ANS

(1830-1S40)

Par Louis BLANC

Cinq volumes in-8, 23 fr. Chaque vol. séparé 5 fr.

Ce qui fait l'intérêt principal do l'ouvrage de Louis Blanc, c'est son caractère éminemment social. Ecrit à uno époque les idées démocratiques, n'avaient pas encore libre cours, ce livre fut une véritable révélation; c'était un réquisitoire en forme contre la bourgeoisie intransigeante qui, sans vouloir comprendre la volonté du peuple, avait fait Louis-Philippe lui au lendemain de 1830, et prétendait présider aux destinées de la France avec ce prince qui était son obligé. Tout l'intérêt de cette histoire subsiste encore à l'heure actuelle; ce livre 'io Louis Blanc est indispensable à quiconque veut bien connaître les événements concernant la France à l'intérieur comme à l'extérieur, de 1830 à 1840.

HISTOIRE DU SECOND EMPIRE

(18.32-187(1) Par Taxile DELORD

Six volumes in-8, 42 fr. Chaque vol. séparé 7 fr.

Le même illustré par F. Regaraey. Six vol.gr. in-S, 48 fr. Chaque vol. séparé. 8 fr. Le Second Empire, après avoir étonné ses contemporains par l'imprévu de sa morale à ses débuts, a continué à les surprendre par ses pratiques, qui en étaient la conséquence torcée. Toutefois, ce sentiment de stupéfaction a été surtout profond chez ceux qui avaient vu d'autres régimes. Taxile Delord a écrit une histoire véridique et sincère du Second Empire. Il raconte les événements du règne avec impartialité, mais il les juge avec la sévérité qui leur est nécessaire.

FIGURES DISPARUES

Par Eugène SPULLER

Trois volume in-12, chacun 3 fr. 50

Parmi les fujures retracées par l'auteur, nous citerons notamment : Changarnier. Mac- Mahon. Etienne Arairo, Edmond About. Castagnary, Lavigerie, Frcpuel, Waddington, Benoit Malon, .Jules Ferry. Tous ces hommes ont exercé, à divers titres, leur influence sur les idées ou sur les destinées de notre pays. .\mis ou adversaires, tous sont traités par ^M. Spuller avec la même hauteur de vues, l'a sincérité et la loyauté qui le caractérisent.

ENVOI FR.XNCO CONTRE TIMBRES OU M.\NDAT-POSTE

G FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR, 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS,

LES COLONIES FRANÇAISES

Par Paul GAFFAREL, Professeur à la Faculté des lettres de lUniversité d'Aix. SIXIÈME ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE

Un volume in-8 5 fr.

Les éditions successives de cet ouvrage ont toujours été tenues au courant des progrès de notre de^^veloppcment colonial. On y trouve l'histore de nos colonies, leur description pitto- resque, 1 étude de leurs produits, eeile des ressources qu'elles peuvent ortrir à l'industrie fran- çaise. Ces développements se présentent dans une succession de chapitres d'une lecture attrayante, ce qui ne nuit en rien a leur valeur scientifique.

L'ALGÉRIK

Par Matirice 'WAHL, Ia.«pecleur général lionoraire de l'instruction publique au.i: colonie?.

UUATRIÈ.ME ÉDITION MISE A JOUR PAR

A. BERNARD, Chargé du Cours de géographie de l'Afrique du nord, à la Sorboone.

Un volume in-S o fr. (vient de paraître).

{Ouvrage couronné par l'Institut.)

Cet ouvrage est bien connu du public de plus en plus nombreux qui s'intéresse aux questions africaines et coloniales. Divisé en 6 parties : Le Sol, l'Algérie dans le passé, la Conquête fran- çaise, les Habitants, la Politique, les Forces productives, il constitue une monographie com- plète de notre grande possession méditerranéenne. Les auteurs se sont pas bornés à mettre à jour les statistiques, ils ont soumis tout le livre à une revision attentive et refondu entièrement toute la partie ])olitique et économique. On lira surtout avec intérêt les chapitres relatifs au riiouvement de la population, aux Israélites naturalisés, aux étrangers, au gouvernement de l'Algérie, au budget, à la question des indigènes, à la colonisation, à l'agriculture, à lélo- vage, au commerce, aux chemins de fer. au crédit.

Cette nouvelle édition a été mise à jour par M. A. Bernard; le distingué professeur de la Sorbonne a révisé l'ouvrage comme M. Maurice Wahl. prématurément enlevé, l'eût fait lui-même. On trouve néanmoins sur Ijieu des points des modifications nombreuses, rendues nécessaires par les transformations si considérables survenues en .Algérie dans ces dernières années, transformations qui ont engagé ce pays dans des voies absolument nouvelles, direc- tement contraires à celles qu'il avait suivies depuis trente ans.

L'INDO-CHINE FRANÇAISE

ÉTUDE ÉCONOMIQUE, POLITIOUE. ADMINISTRATIVE, SUR LA COCniNCHINE, LE CAMBODGE, l'aNNAM ET LE TONKIN

Par J.-L. DE LANESSAN député, ancien minisire.

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie commerciale de Paris.) Vn volume in-8, avec o cartes en couleurs hors texte 13 fr.

LES CIVILISATIONS TUNISIENNES

Musulmans , Isi-aélites, Européens

ÉTUDE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE

Par Paul LAPIE, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux

Un volume in-12 3 fr. 50

{Ouvrage couronné par l'Académie française.)

L'auteur, pendant un séjour de plusieurs années à Tunis, a étudié les civilisations tuni- siennes, leurs contrastes et leurs rapprochements ; il explique pourquoi les. trois sociétés ont pu vivre côte à côte dans le passé et examine dans quelles conditions elles pourront conti- nuer à vivre côte à côte dans 1 avenir.

Il montre comment ces trois sociétés se complètent mutuellement : l'une conservant le dépôt des richesses naturelles, la seconde produisant les richesses artificielles et la troisième les faisant circuler. Pou commerçants, les Arabes avaient besoin du commerce Israélite ; nul- lement agriculteurs, les Israélites avaient besoin du blé musulman. L'arrivée des Européens a suggéré aux uns et aux autres le désir de s'assimiler notre civilisation. Les Israélites ont commencé et les Arabes suivent le courant, quoique leur assimilatlou soit moins rapide et moins universelle que celle des Israélites. Mais si les coutumes tendent à être abandonnées, les crojances résistent victorieusement.

M. Lapie tire de cette étude la conclusion suivante : les trois peuples tunisiens peuvent remplacer leurs comiiromis par une alliance durable et, sans perdre leurs qualités distinc- tivcs. ils pourront, en élargissant leur esprit, s'associer pour la prospérité du pays.

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

BIBLIOTHEQUE D HISTOIRE CONTEMPORAINE

LA FRANCE HORS DE FRANCE

XOTRE ÉMIGRATION, SA NÉCESSITÉ, SES CONDITIONS Par J.-B. PIOLET

Un volume in-S 10 fr.

[Ouvrmje couronne par l'Institut.)

Sommes-nous capables de coloniser? Si jusqu'ici le Français a très peu émigré hors de France vers nos colonies, les circonstances économiques actuelles sont telles que cette émi- gration est devenue une véritable nécessité ; nous devons envoyer au loin un grand nombre de nos enfants.

Ce sont ces idées que l'auteur expose. L'ouvrage est divisé en cinq parties, dans lesquelles il montre successivement : l" Pourquoi nous émiç/rons si /jei(,-Q° que nous devons t'niii/rer; que nous pouvons vmii/rer; 4" quels sont ceiuo qui doivent émif/rer; quels sont les pays ils doivent éniigrer. Il démontre clairement la possibilité et la nécessité d'un fort mouvement d'émigration des Français vers leurs colonies.

Le livre se termine par les statistiques du commerce dans nos diverses colonies, indiquant la progression générale du tratic durant ces dernières années.

Les rois frères de Napoléon I*"', par le Baron Du C.\.SSE. 1 vol. in-8. . 10 fr.

Histoire de la Restauration, par L. Roch.vu. 1 vol. in-16 3 fr. oO

La campagne de l'Est (1870-1871), par M. PoULLET. l vol. in-S. ... 7 fr. Pages républicaines, par Joseph Reinach. 1 vol. in-12 3 fr. 50

II. PAYS ETRANGERS

\

HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE L'EUROPE

Depuis l'ouverture du Congrès de Vienne Jusqu'à la clôture du Congrès de Berlin {'18 -14- 187 S)

Par A. DEBIDOUR, laspecteur général de l'Iastructiou publique.

2 forts volumes in-S 18 fr.

{Ouvrwje couronné par l'Institut.)

L'auteur ne s'est pas donné pour but, de retracer la vie diplomatique de l'Europe dans la variété presque infinie de ses manifestations. Il a recherché simplement, dans les relations des cabinets, tout ce qui, depuis le congrès de Vienne jusqu'au congrès de Berlin, a pu avoir pour etfet l'établissement, la consolidation ou l'ébranlement de l'équilibre politique dans cette partie du monde. Tout ce qui ne lui a pas paru se rapporter de près ou de loiil à cette grande question, il l'a laissé de côté. Cette histoire a donc été entreprise pour retracer, dans un enchaînement raisonné, non tout ce que la diplomatie a fait de 1814 à 1878, mais ce en quoi elle a contribué, durant cette période, à restaurer, à affermir ou à compromettre la paix générale de l'Europe.

HISTOIRE DE L'EUROPE

PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Par H. DE SYBEL

Directeur des Archives royales, membre de l'Académie des sci<'nces de Berlin.

Traduit de l'allemand par Mlle Marie DOSQUET.

Edition revue par l'auteur et précédée d'une préface écrite pour l'édition française. L'ouvrage complet, 6 volumes in-8. . i-î fr. | Chaque volume séparément ■/ fr.

Depuis l'ouvrage de M. de Sybel, nous avons eu, en France, diverses publications dont le mérite est incontestable. Il s'est fait des travaux très sérieux sur la politique extérieure du gouvernement républicain. Ce qui reste comme fait acquis, c'est que M. de Sybel a, lo premier en Europe, exposé la situation exacte des relations extérieures do la France et de la politique des grandes puissances dans cette iicriode qui va de 1189 à nOO.

Si l'on ajoute qu'il est un des écrivains les plus érudits de l'Allemagne, en ce qui concerne les questions historiques, on se rendra facilement compte de l'importance de son livre.

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU M.ANOAT-POSTE

8 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR, 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS, 6''

LA QUESTION D'ORIENT

DEPUIS SES OUIGINES JLSQU'a NOS JOLRS

Par Ed. DRIAULT, Professeur agrégé d'histoire au Lycée de Versailles.

Préface de G. MONOD, membre de l'biatital.

Un volume in-b. 3" édition 7 fr.

(Ouv>'0!/e couronné par l'/nslilut.)

Dans une première partie, intitulée Les Origiiiex. l'auteur fait un rapide résumé des progrès et de la décadence de l'islamisme depuis les premières couqu("-tes des Arabes, au vu'' siècle de notre ère, jusqu'à la chute de Xapulcon et aux traités de Vienne.

IjO. deuxième partie, qui a jiour titre La réforme de la Turquie et les démembrements. renferme liiistoirc des luttes jiour l'indépendance de la Grèce, de la crise de 1810, de la guerre de Crimée, enfin de la guerre russo-turque de 1817-1878 et du traité de Berlin qui la suivit.

Dans sa troisième et dernière partie. Zes Queutions actuelles, l'auteur, suivant un plan qui , fait lumineusement saisir les situations respectives du monde musulman et du monde chré- tien, présente successivement l'exposé des massacres d'Arménie de 1894 à 18%, du conflit gréco-turc, de la question de Macédoine; puis de la rivalité de la Russie et de l'An- g'ieterre en Asie; enfin des conquêtes des nations européennes sur le continent africain, notamment de la France en Algérie, en Tunisie et au Soudan, de l'Angleterre au Soudan et en Egypte.

La conclusion de l'auteur est que l'Empire ottoman est fatalement destiné à être démembré et détruit. Son livre, dont les éditions successives ont montré la faveur acquise auprès du puljlic, peut être considéré comme un véritable annuaire de la tjuesfion d'Orient.

LE SOCIALISME EN ANGLETERRE

Par A. MÉTIN, agrégé de l'Université. Un volume in-12 3 fr. 50

Comment rAngleterre, qui était encore il y a vingt ans la terre classique de l'indi- vidualisme libéral et qui l'est restée pour la candide ignorance de nos plus distingués économistes, est devenue la patrie d'adoption du socialisme et la terre d'éclosiou des doctrines interventionnistes les plus larges, les plus souples, les plus ouvertes et les plus hardies, c'est ce que M. Méliu explique aujourd'hui largement, prolondément, complètement, dans un livre qui est à la fois une excellente étude d'histoire et une |)récieuse enquête actuelle. 11 ressort clairement de ce livre, pour quiconque sait lire, que, si la doctrine socialiste est destinée à s'élargir, à se compléter, à s'adapter plus étroitement aux réalités sociales et aux réalités politiques, elle le devra, plus encore qu'au doctrinarisme allemand, à l'énergique poussée et à la libre expansion des théoriciens de l'Angleterre.

(Revue de Paris.)

LA DÉMOCRATIE SOCIALISTE ALLEMANDE

Par Edgard MILHAUD, Prorcsseur h l'Univcrsilé de Genève.

Un volume in-8 10 fr. {vient de paraître .

M. Milhaud a vécu en ,\llemagne et a ainsi complété ce qui peut s'apprendre dans les documents imprimés par le spectacle des choses. Son livre est l'œuvre d'un témoin. 11 montre dans ces pages ce qu'est la démocratie socialiste allemande; il fait connaître ses ressources d'organisation, ses moyens de propagande, caractérise sa vie intérieure et son action au deiiors, définit ses tendances générales et les tendances particulières qui la sollicitent en des sens divers. L'histoire générale du parti est exposée brièvement, mais l'auteur s'est efl'orcc, par contre, à propos des diverses (|uestions abordées, de suivre leur évolution. A côté du parti proprement dit, il fait une plac(; à l'étude des groupements ouvriers divers, syndicats, coopératives, sociétés d'éducation, qui. sans entrer dans le cadre de son organisation, pré- sentent une importance qui ne saurait être négligée.

LES ORIGINES

DU SOCIALISME D'ÉTAT EN ALLEMAGNE

Par Ch. ANDLER, Prof sseur à lUniversilé de Pan>.

Un volume in-8 " fr.

L'auteur trouve l'origine de la conception socialiste du droit dans Hegel, Savigny, Ferdinand Lasallc et Rodbertus. Il étudie la propriété, la iiroduction et la répartition des richesses, l'organisation du travail social, les revenus cl les salaires, et dans toutes ces questions, il montre l'influence des penseurs du commencement de ce siècle. Il constate que ces philosophes ont tous été plus attentifs aux relations de l'individu avec l'Etat qu'aux relations des indivi<lus entre eux. D'où le mouvement d'idées qui a conduit rAllom;vgue au Socialisme d'État, c'est-à-dire à l'État exerçant son contrôle et son action sur tous les faits de la vie sociale.

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

BIBLIOTHÈQUE d'HI^OIRE CONTEMPORAINE

LA PRUSSE ET LA RÉVOLUTION DE 1848

Par Paul MATTER, Sul.slitiil nu tribunal de la Seine, Dncleur eu droit.

Un volume iii-16 3 fr. 50 (vient de paraître).

En Prusse, depuis ravènemcnt de Frédéric-Guillaume IV en 1840, l'opinion pul)liquc était en éveil. Le roi comprenait la nécessité de réformes libérales, mais ses promesses étaient vagues, et le peuple prussien prenait ses propres espérances pour des réalités; en les voyant s'évanouir, il avait éprouvé un dépit qui pré|)arait im terrain à la révolution. En 1817, l'espoir renait, le roi convo<|ue les Etats; la nation croit au règne de la liberté politique. Des ce moment la Kévolution se prépare.

M. Malter montre la série des déceptions qui s'échelonnent do 1815 à 1818, l'avènement du régime d'autorité après les guerres d'indépendance, l'arrêt du mouvement national de 1840, Tes vaines espérances londées sur Frédéric-Guillaume IV, pour aboutir aux journées de mars 1848, l'année d'agitation qui' les suit, après laquelle le parti de la réaction reprend le pouvoir et éloigne encore pour longtemps l'espoir de la formation de l'unité nationale.

Cette période de l'histoire de la Prusse est jiarticulièrement intéressante. A ce moment apparaît déjà Bismarck, il l'ait partie de la CainaviUa q\ii pousse Frédéric-Guillaume IV dans le idiomin de la réaction.

L'ALLEMAGNE NOUVELLE ET SES HISTORIENS

Niebùhr, Ranke, Moiiimsen, Sybel, Treitschke

Par Antoine GUILLAND, Professeur d'iiiftoirc à l'École polytechnique suisse.

Un volume in-S 5 fr.

M. Antoine Guilland raconte l'histoire du grand mouvement national qui a abouti à la formation du nouvel empire. Il montre que les historiens de tendance prussienne Niebiihr, Ranke, Mommsen, Svbel et Treitschke ont eu une part très grande dans ce mouvement: qu'ils ont été les vrais promoteurs de la politique nationale libérale qui a triomphé après les victoires de 1866 et de 1870. Maîtres des grandes Universités allemandes, ces professeurs, qui étaient des partisans de la « petite Allemagne » sous l'hégémonie prussienne, ont pro- pagé ces doctrines du haut de leurs chaires et "dans leurs livres qui sont les chefs-d'œuvre de l'historiographie allemande au xix' siècle. Libéraux d'abord, puis réactionnaires à la suite des victoires, ils sont devenus les plus ardents défenseurs de la politique bismarckienne.

Outre les monographies consacrées à ces historiens, l'auteur donne des tableaux de la vie

Folitique allemande depuis léna (Berlin vers 1840, l'Allemagne de 1860, la fondation de Empire allemand, etc.), avec des portraits de Guillaume I". de Bismarck, de Frédéric III et de Guillaume II. dans lequel il montre le « vrai représentant do l'Allemagne nouvelle «.

LES TCHÈQUES ET Li BOHÊME CONTEMPORAINE

Par J. BOURLIER

Préface de M. FLOUREXS, ancii^n iuiniitre des A/fuires étrangères. Un volume in-12 3 fr. 50

Les Races et les Nationalités en Autriche-Hongrie

Par B. AUERBACH, Professeur i rUuiversité de N.iiicy.

Un volume in-8 avec une carte ethnographique et des graphiques. ... 5 fr.

La question des races et des nationalités en Autriche-Hongrie est d'ordre européen. Mais l'intelligence des événements qui se déroulent et s'embrouillent sous nos yeux risque d'échapper à ceux qui n'en possèdent pas les raisons premières, singulièrement complexes. Pourquoi cette mêlée furieuse de peuples? Pourquoi cet effort des groupes ethniques qui composent ou décomposent l'Empire des Habsbourg pour constituer des sociétés politiques, sinon même des Etats d'un type nouveau? Par quels procédés s'élaborent et se développent ces jeunes nationalités? C'est ce problème qu'on a voulu éclaircir dans ce volume en mter- rogeant les faits primitifs et essentiels : à savoir les caractères anthropologiques, l'idiome. lo mode de colonisation, l'influence du milieu géographique, puis les phénomènes d'un degré plus élevé : la restauration de la langue et de la littérature, le réveil des traditions. les péripéties de la lutte des races. Dans la revue et le dénombrement de toutes ces commu- nautés, il ne suffit pas de mettre en vedette les grands premiers rôles, Allemands, Tchèques. Polonais, Magyars, mais aussi les figurants qui s'agitent encore dans la pénombre; Slovènes. Rutlicnes, .Slovaques, Roumains, Serbes. Croates, méritent aussi l'attention. C'est que les mouvements de ces nationalités entraînent les oscillatioi s de l'équilibre européen : l'issue des conflits entre les Allemands, les Magyars et les Slaves aura son contre-coup sur les destinées de notre pays.

LE PAYS MAGYAR

Par Raymond RECOULY

Un volume in-12 !! fr. .jO [vient de paraiti-e).

Des observations très lincs sur les ni'ours, les types, la vie sociale des différentes classes de la société hongroise, mêlées à d'intéressants récits de voyage et à des descriptions

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

10 FÉLIX ALCAX, ÉDITEUB, 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS. 6''

colon-es d'un pays si mal connu en franco, voilà ce que contient d'abord Le Puijs Maijijar de M. Ka3'iïiond Recouly.

La seconde partie contient une remarquable étude sur ce qui est la grande question hon- proiso. les luttes des nationalités : Saxons et Roumains de Transylvanie, colons allemands et menées pangermaniques de la Hongrie du Sud, Serbes et Croates. M. Raj'moiid Recouly est allé chez tous ces peui)les ; il a noté leurs revendications et essayé de pénétrer sur les lieux mêmes le vrai caraclèrcr du débat. Le Journal Li; Temps a publié une partie de ces études, sous forme d'articles qui ont été particulièrement appréciés.

Ajoutons que les troubles récents de Croatie et le drame qui ensanglanta le Palais de Serbie donnent à ce livre un très vif intérêt d'actualité.

HISTOIRE DE L'UNITÉ ITALIENNE

(1814-1871)

Par BOLTON KING

Traduit de l'anf/lais par E. MACQUART. précédé d'uni; introduction par YVES GUYOT. Deu.v volumes in-8. avec cai'tes 15 fr.

Cet important ouvrage est une histoire documentée et sincère des événements dramatiques qui se sont déroulés en Italie de 1814 à 1871 ; il est indispensable à quiconque veut connaître l'histoire contemporaine de ce pays. L'auteur a mis dix ans à le composer, en s'entourant de tous les documents qui lui permettaient d'approcher autant que possible de la vérité objective. On voit à chaque page la critique qu'il a apj)ortée dans le choix des documeijts, et la conscience qu'il a mise dans la recherche de la vérité.

Plein de sympathie pour l'émancipation italienne, il constate avec une grande franchise les qualités et les défauts des Italiens des différentes provinces et des diverses couches sociales. En ce qui concerne le catholicisme, il le considère respectueusement en tant que religion, mais il soumet la papauté à la critique en tant qu'institution politique, et il diminue plutôt qu'il n'amplifie la réalité. Il ne présente pas les grands acteurs de l'indé- pendance sous un seul jour. Il sait que les liommes sont complexes, qu'ils ont tous des qualités et des défauts, et il trace leur portrait exact, qu'il s'agisse de Charles-.'Vlberr ou de Victor-Emmanuel, de Cavour ou de Garibaldi, de Ricasoli ou de Mazzini, de Napoléon I*' ou de Napoléon III.

BONAPARTE ET LES RÉPUBLIQUES ITALIENNES

(1796-1799)

Par Paul GAFFAREL, Professeur à lUniversilé dAi\.

Un volume in-8 5 fr.

L'Italie, depuis un siècle, a subi des transformations. Principautés, républiques, royaumes s'y sont succédé dans une sorte de mêlée confuse. Ce n'est qu'après de nombreuses péripéties, souvent dramatiques, que s'est enfin dégagée l'unité nationale. La première, et non la moins importante, de ces transformations, est celle qui bouleversa la péninsule à la tin du .wni* siècle. Sous la puissante main de Bonaparte, il y eut alors en Italie comme une éclosion de républiques. Leur existence fut éphémère, car le' redoutable conquérant qui les avait créées n'était plus pour les organiser, et la plupart d'entre elles disparurent. L'histoire de ces filles de la République Française, comme on les nomma, n'a pas encore été étudiée dans son ensemble. Oràce aux mémoires contemporains et aux documents récemment publiés, M. Gaffarcl a essayé de combler cette lacune. 11 a successivement raconté la fondation de la Cisalpine, les troubles intérieurs de la Ligwlvnne. la chute et le déplorable partage de Xeniae, les improvisations hâtives de la République romaine et la tragique révolution de la Parthénopéenne .

HISTOIRE DE LA ROUMANIE CONTEMPORAINE

DE 1832 .iusqu'a nos jours

Par Frédéric DAMÉ

Un volume in-8, avec carte ~ îr.

BERNADOTTE ROI

Par Christian SCHEFER Un volume in-8 ^ ir.

Cliacun sait qu« le maréchal Bernadette devint, en 1810, prince royal de Suède et monta quelques années plus tard, sur les trônes de Suède et de Norvège ; mais, à l'exception de .son intervention dans la guerre de 1813 et do son dessein de remplacer Napoléon, son rôle et sa destinée, après qu'il eut quitté la France, demeurent complètement ignorés du public irançais.

C'est ce rôle en Scandinavie que M. Christiaif Scliefer a entrepris de démêler ei d exposer, d'après les sources suédoises. Il n'a point voulu retracer l'histoire proprement dite <lu long

ENVOI FRANCO CONTRE TIMBRES OU MANDAT-POSTE

BIBLIOTHEQUE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE M

rcfrne de raneieii maréchal, car un tel travail aurait nécessite l'exposé de maints détails de très médiocre intérêt. Se bornant donc aux faits essentiels ot aux in^ idents les plus carac- téristiques, il s'en est servi pour évoquer Bcrnadotto roi, étudier son caractère, ses principes et ses procédés de gouverncmont, atin de montrer ce que le béarnais fantaisiste, dont les exubérances étonnaient à Paris, put devenir, brusquement placé dans des conditions tout à fait imprévues, quelle tâche il accomplit dans le Nord et par quels moyens surtout il la réalisa.

La Turquie et rHellénisme contemporain

Par V. BÉRARD, .ancien membre de l'École d'Athènes.

Un volume in-l2, o'' édition 3 fr. oO

(Ouvrage couronné j^ar l'Académie française.)

Durant un sc'jour de trois années dans le Levant. 'SI. Bérard a visité les pavs precs et la majeure partie des pays turcs. Il a pu ainsi étudier sur place la Question à'Orient et en particulier l'Hellénisme. Quels sont actuellement les frontières de l'Hellénisme, ses forces eu Europe et en .-Vsie. ses réformes, ses moyens de propagande, son influence et ses ennemis? L'auteur s'est proposé la reclierche impartiale de la vérité sur ces questions et rapporte fidèlement ce qu'il a vu et entendu au milieu du monde dans lequel il a vécu. 11 nous fournit ainsi un intéressant récit de voyage et nous instruit sur les mœurs, les habi- tudes et les aspirations des peuples qu'il a visités en même temjis qu'il éclaire une des faces <Ie la Question d'Orient, dont les événements actuels prouvent toute l'importance. Ce livre a été couronné par l'Académie française, ce qui prouve qu'à l'exactitude de l'information, son auteur a su joindre les hautes qualités littéraires qui ont donné à ce livre utile un attrait tout particulier.

LA TRANSFORMATION DE L'EGYPTE

Par Albert MÉTIN, Professeur à lÉcole coloniale- Un volume in-JG 3 fr. 50 {vient de paraître).

M. .Vlbert Mctiu a visité l'Egj'pte au moment de la crrse de Fachoda. On trouvera dans >on livre une comparaison des deux politiques et des deux tempéraments, anglais et français, 1 ondée sur l'élude des faits et qui prend un intérêt tout particulier dans un temps les deux nations commencent à se mieux connaître et à s'apprécier. L'auteur ne dissimule rien de ce que la France a perdu ou risqué de perdre en Egypte, prédominance dans les fonctions publiques, direction des écoles officielles, emploi du framjais comme langue inter- nationale; mais il fait, dans le bilan, la part qui revient à l'ignorance ou à l'indill'érence du jiublic français et à la politique dont le principe est « tout ou rien » et qui eut comme moj'en les coups d'épingle. L'Egypte elle-même et les différentes classes qui composent sa population y sont décrites. On a cherché surtout à donner une idée du sentiment panislamique qui tient lieu de sentiment national et à expliquer l'état d'esprit des lettrés indigènes qui rêvent, comme en plusieurs autres pays dominés par l'Europe, de constituer une opposition sur le modèle occidental.

Enfin, on a étudié en détail, et avec l'aide de statistiques puisées aux renseignements officiels et aux sources particulières, la transformation économique développement de l'irrigation méthodique (barrages d'.A.ssouân et Assiout/, extension des deux cultures indus- trielles, sucre et coton, établissement de l'industrie sucrière. commencement de quelques autres et les transformations sociales qui en sont la conséquence tous changements qui ont commencé sous la période d'influence internationale avec prédominance française, mais qui, sous l'influence britannique, s'accélèrent avec une rapidité nouvelle.

BONAPARTE ET LES ILES IONIENNES

(1797-1816)

Par E. RODOCANACHI

Un volume in-8 5 fr.

Ce qu'étaient les îles Ioniennes à la fin du siècle dernier sous la domination endormie de Venise ; comment les femmes qui allaient masquées et les honmies qui s'enorgueillissaient de leurs longues moustaches étaient en proie aux vendettas les jdus tenaces et aux superstitions les plus variées; comment, en cas de deuil, il était do bon ton de ne pas changer de lingo une année durant; comment certaines chemises rendaient invulnérables, à condition qu'elles eussent été taillées et cousues par des jeunes filles du nom de Marie et en nombre impair, dans la nuit du jeudi au vendredi saint; comment ce petit monde isolé fut réveillé et secoué l>ar la brusque irruption des idées et des soldats de la Révolution française; comment, iisputé par les Français, les .\nglais, les Russes, le petit archipel connut alors une vie accidentée, les esprits furent décidément arrachés à leur sommeil séculaire : voilà ce que raconte avec abondance de documents nouveaux M. Rodocanachi, qui, comme son nom l'indique, a des raisons personnelles de s'intéresser à ce fragment de la terre grecque.

ENVOI FRANCO CONTRE Tl.MBRES (jU -MAND.AT-POSTE

12 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR, 108. BOULEVARD SAINT-GERMALN, PARIS, 6"

HISTOIRE DES RELATIONS DE LA CHINE

AVEC LES PUISSANCES OCCIDENTALES (1860-1901)

Par Henri CORDIER, Prufesseur à l'École des langues orientales vivantes.

Trois volumes in-8, avec cartes 30 fr.

On vend séparément :

Tome I, L'empereur Toung-Tcfic, 1861-181.5. 1 vol. in-8 10 fr.

Tome II, L'eynpereur Kouang-Sin (T" partie, 1876-1887j. 1 vol. in-8 ... 10 fr. Tome III, L'empereur Kouang-Sin (2° partie, 1878-1901). 1 vol. in-8 {sous presse).

Les relations officielles de la Chine et de l'Europe ne soiit guère antérieures à 1860; c'est seulement vers cette époque que les Occidentaux ont commencé à connaître ces yiays se sont depuis déroulés tant d'événements qui passionnent encore à l'heure actuelle l'Europe entière. Dans l'iiistoire de ces quarante dernières années nous retrouvons la genèse de presque tous les faits qui ont amené les complications actuelles.

L'ouvrage est écrit à un point de vue purement historique, rien n'y perce des opinions ])ersonnelles de M. Cordier. Tout nom propre cité est accompagné d'une courte notice bio- graphique, tout document porte l'indication de la source à laquelle il a été puisé. On y trouve des détails intéressants sur des personnages ou des faits peu connus ; le rôle de Gordon en Chine, les sociétés secrètes, et particulièrement la révolte de T'ai-Ping, le massacre de Tien-Tsin en 1870, l'affaire du Tonkin. la guerre sino-japonaise, la révolte des Boxers, enfin le siège des légations et le protocole de 19Ô1 font l'objet de curieux chapitres.

L'EXPÉDITION DE CHINE DE 18.J7-.-J8

HISTOIRE DIPLOMATIQUE NOTES ET DOCUMENTS

Par le même Un volume in-S, avec cartes 10 fr.

EN CHINE

]MCEURS ET INSTITUTIONS, H0:MMES ET FAITS Par Maurice COURANT

Ancien interprète de la légation de France à Pékin, maîlre de conférences à l'Université de Lyon.

Un volume in-12 3 fr. 50

L'auteur, à qui un long séjour en Chine a permis d'examiner de près les hommes et les choses de ce pays, a peiisé que ces études présenteraient quelque intérêt: elles pourront en outre jeter quelque lumière sur la civilisation si mal connue du grand empire asiatique et sur ses rapports avec le reste du monde.

Ces études sont groupées sous les titres suivants : les commerçants et les corporations, les (($.iocii(tions, la femme dans la famille et la société, le théâtre, le coup d'Etat de IS9S, la xitttation dans le nord en 1900, étrangers et Chinois, de l'utilité des études chinoises, tes cours de chinois à Lyon, l'éducation de la Chine et le i-ôle que la France y doit jouer.

LE DRAME CHINOIS

(JuUlct-Aoùt 1900)

Par Marcel MONNIER

Un volume in-12 2 fr. 50

Sous ce titre, un des e.vplorateurs et des écrivains qui connaissent le mieux la Chine, M. Marcel Monnicr, a réuni en un volume une série d'articles publiés dans le Temps au fur et à mesure que se déroulaient les événements 'l'Extrême-Orient. Les titres des chapitres en montrent l'intérêt : les Causes éloiijnées, l' Éducation de la Chine, les Leçons de Choses et le Culte du pas.%é, la Conquête industrielle, les Chemins de fer et l'opinion publique, la Poli- tique patiente, la Chine et les missions, la Garde européenne. Ce sont des études documentées, écrites d'un style alerte, entraînant, dont la lecture s'impose à qui veut comprendre et suivre les phases de la lutte entre rEurojio et la Cliine. Elles évoquent très clairement et très exactement cette Chine toujours énigmatique et dont désormais il est devenu nécessaire pour l'Europe de trouver le mot. 11 la connaît, non pas pour en avoir aperçu les lûtes de la dunette d'un steamer, mais pour l'avoir traversée dans tous les sous et y avoir séjourné.

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RIBLIOTIIEOUE D HISTOIRE CONTEMPORAINE 13

Histoire de l'Angleterre, depuis la reine Anne jusqu'à no? jours, par H. Rev-

NALD, doyen de la Faculté d'Aix. 1 vol. in-12, û" édition . 3 fr. 50

Histoire gouvernementale de l'Angleterre, de 1770 à 1830, par SiH Cornewal

Lewis. 1 vol. in-8 7 fr.

Lord Palmerston et Lord Russell, par A. Laugel. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Histoire de la Prusse, depuis la mort de Frédéric II jusqu'à la bataille de

SadoNva, par E. Véron. 1 vol. in-12. Nouvelle édition, augmentée d'un chapitre

contenant le résumé des événements jusqu'à nos jours, par P. Bondois.

professeur agrégé d'histoire au lycée BulTon 3 fr. 50

Histoire de l'Allemagne, depuis la bataille de Sadowa jusqu'à nos jours, par

E. Véuox. 1 vol. in-12. 3'= édition, mise au courant par P. Bondois. . 3 fr. 50 Histoire de l' Autriche-Hongrie, de la mort de Marie-Thérèse à nos jours, par

L. AssELi.NE. 1 vol. in-i2, 3'' édition 3 fr. 50

Histoire de l'Espagne, de la mort de Charles 111 à nos jours, ]iar H. Reynald.

doyen de la Faculté d'Aix. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Histoire de l'Italie, de 1815 à la mort de Victor-Emmanuel, par E. Sùrin. 1 vol.

in-12 3 fr. 50

Histoiredu peuple suisse, par Daendliker. 1 vol. in-8, traduit de l'allemand. 5 fr. Histoire de l'Amérique du Sud, de la conquête à nos jours, par A. Deberle.

1 vol. in-12. 3'' édition 3 fr. 50

III. HISTOIRE SOCIALE

PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX

Par É. DRIAULT, ProfostC-ur agrégé d'histoire au Ivcée de Versailles.

Un volume in-8 7 fr.

Sous ce titre, M Edouard Driault étaljlit, pour ainsi dire, le bilan des graves questions que le siècle précédent lègue, sans avoir pu les résoudre, au siècle qui s'ouvre : question d'Alsace-Lorraine, question romaine, question d'.^utriclic-Hongrie, question chinoise, question ottontane. Le Partage de l'Afrique, les Alliances, les Grandes Puissances et le Partage du monde, les Conflits et la Pai.x, la Société, l'Église et la Science, tels sont les sujets traités et lumineusement exposés par le docte auteur, en cet ouvrage plein de justes vues et de généreuses espérances. [Journal des Débats.]

HISTOIRE DES RAPPORTS

DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT EN FRANCE

DE 1789 A 1871

Par A. DEBIDOUR, Inspecteur générai do l'Instruction publique.

Un volume in-8 12 fr.

[Ouvrar/e couronné par l'Institut.)

M. Debidour s'est proposé de retracer les rapports de l'État et de l'Église catholique en France, depuis la Révolution jusqu'à la chute du second Empire. La question est passion- nante, mais l'auteur a entendu exclure de ce livre la politique contemporaine avec ses débats irritants, ses exagérations, ses incertitudes, et c'est pour ne jias être tenté d'y touclier qu'il a arrêté son récit à une époque déjà éloignée de nous et appartenant définitivement à l'histoire.

Ce travail n'est donc ni une thèse, ni un plaidoyer, ni un pamphlet; c'est une narration explicative d'où se dégagent, par la force des choses, des jugements basés sur deux prin- cipes : la liberté des cultes et la souveraineté de l'État.

L'ouvrage se termine par un certain nombre de pièces justificatives : concordat, circulaires ministérielles, lois sur l'organisation civile du clergé, "bulles et instructions papales, tous documents do première importance venant à l'appui des faits historiques relatés au cours du récit.

LA PAPAUTÉ

Son origine au moyen âge et son développement jusqu'en IS70.

Par I. DE DŒLLINGER

Avec notes et documents de I. Frikihuch, professeur à l'Université do Municli. Traduit de l'allemand par A. GIRADD-TEULON, professeur honoraire à l'Université de Genève.

1 vol. in-8 7 fr. {vient de paraître).

Cet ouvrage est la traduction du célcl)rc livre dans lequel In chanoine Dndlingcr, mort en 1890, a retrace l'histoire de la formation de la Papauté. .lusqu'à la fin du xi" siècle, l'évoque de Rome n'est que l'égal des autres évoques : il jouit d'un droit de prééminence

ENVOI FR.VNCO CO.NTRE TI.MBRES OU .M.VND.VT-POSTE

14 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR, 108, BOfLEVARD SAINT-GERMAIN. PARIS. 0'*

ou do primauté, puromeut honorifique. A partir de Grégoire VII. et sous ses successeurs Innocent III et Boniface YlII. cette primauté se change en souveraineté : la législation de IKglise se transforme. Les papes invoquent, à l'appui de leur droit à la suprématie, lies textes de Pérès de l'Eglise, des Canons de Conciles ot autres documents. Mallieureuse- nient. les textes produits par les Papes sont des textes falsifiés ou apocryphes : tout le pouvoir que s'est arrogé l'évêquo de Rome sur ses collègues repose sur ces textes. Ce n'est que gràco à l'épaisse ignorance du moyen âge que ces écrits ont pu être acceptés : la moindre critique en eût fait justice.

Cet ouvrage, dans lequel chaque assertion est appuyée sur les documents originaux,- est un guide précieux pour quiconque cherche à s'orienter dans les questions de politique reji- gieûse actuelle.

L'ÉCOLE SAINT-SIMONIENNE

Son histoire , son influence jusqu'à nos jours

Par Georges 'WEILL, Professeur au lycée Louis-le-Graiid, docteur es letlref-

Un volume in-12 3 fr. 50

L'École .Saint-Simonienne est morte : il y a encore des Fouriéristes, des Comiistcs, il n'ya plus de Saint-Simoniens ; mais son influence dure encore. Son sj'stème est une vaste synthèse qui renferme une méthode : le positivisme, une métaphysique : le panthéisme, et une orga- nisation sociale : le collectivisme. Mais, de plus, elle a joint l'exemple au précepte; son action philosophique et morale, bien que moins visible, a été grande; surtout son plus beau titre d'honneur est d'avoir développé chez ses adhérents l'activité personnelle et le dévoue- ment à un idéal.

Ce livre est une étude historique dont l'intérêt frappera tous ceux qui s'occupent des questions sociales si ardemment discutées en ce moment, et qui désirent améliorer le sort de toutes les classes de la société.

L'OUVRIER DEVANT L'ÉTAT

Histoire comparée des lois du travail dans les deux mondes

Par Paul LOUIS

Un volume in-8 7 fr. (vierit de paraître).

L'auteur s'est proposé, en ce volume, de présenter un tableau succinct de la législation ouvrière dans le monde civilisé. Il s'attache à la condition do l'ouvrier dans la société moderne ou chez les peuples de nos jours, les deux expressions étant au surplus équiva- lentes, puisqu'un même régime, le régime capitaliste, a prévalu dans les deux hémisphères,

A beaucoup de points de vue, l'ouvrier de notre époque souffre ou bénéficie des règles juridiques qui s'appliquent à l'ensemble des citoyens. Il n'est question, dans ce livre, que des dispositions qui le visent particulièrement et qui déterminent son statut social, ou des prescriptions légales qui, étendues à. toutes les catégories, possédantes ou non. ont été plus spécialement favorables à son émancipation. Sous la première rubrique se classent les légis- lations relatives aux mineurs et aux employés des voies ferrées par exemple; sous la seconde, celles qui se réfèrent au groupement syndical et à la grève.

j\I. Paul Louis ne se préoccupe pas exclusivement d'aualj'ser des textes ou de fournir des sta- tisti(|ues qui en précisent la répercussion. Il montre comment s'est élaborée cette législation ouvrière, qui, si elle n'est pas identique dans tous les Etats, trahit cependant des aspirations assez analogues.

Son livre, fortement documenté, est un guide indispensable pour quiconque s'intéresse aux conditions d'existence et de liberté de la classe ouvrière.

L'ÉVOLUTION DU SOCIALISME

Par Jean BOURDEAU

Un volume in- 12 3 fr. 50

Le socialisme n'est pas une doctrine fixe et immuable, un mouvement uniforme en vue d'établir au sein des sociétés modernes un ('tat social définitif d'où les maux qui résultent do la concurrence et de l'inégale distribution des richesses seraient bannis; ses tendances et ses aspirations ont beaucoup varié en ce siècle, elles sont très complexes. Le but do ce livre est do refléter cette complexité des problèmes sociaux dans la politique et la législation, l'admi- nistration communale, à l'usine et aux champs. C'est une histoire à la fois du mouvement et des idées socialistes qu'on ne peut séparer de leur milieu, ni étudier isolément.

LE SOCIALISME ALLEMAND ET LE NIHILISME RUSSE

Par le même. Un volume in-12. 2" édition 3 fr. 50

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BIBLIOTHÈQUE d'h'^TOIRE CONTEMPORAINE

LE SOCIALISME UTOPIQUE

ÉTUDES SUR QUELOUES PRÉCURSEURS DU SOCIALISME Par André LICHTENBERGER, Docteur os lettre?.

Un volume in-12 3 fr. oO

Les dix monographies que l'auteur a réuuiivs sous le titre général de Socialisme utopif/ue sont consacrées à des écrivains an^'lais et fraïu-ais du xvni"^ siècle. La philosophie senti- mentale de l'époque vit une véritable efflon-scciice d'un socialisme humanitaire qui, pour n'avoir pas l'allure scientifique du socialisme actuel, a, en partie au moins, des origines analogues. M. André Litchtenberger a esquissé les physionomies et analysé les théories de quelques-uns des plus singuliers parmi ces précurseurs inconnus ou oubliés. MM. Afra Behn et GueudeviUe, devanciers de Rousseau : Linguet. ancêtre de Karl ;Marx ; le général Caffareli du Falga, émule et contemporain de Saint-Simon, etc., sont des ligures curieuses qui ont une valeur pittoresque et historique indéniable.

LE SOCIALISME ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

o

ÉTUDE SUR LES IDÉES SOCIALISTES EN FRANCE DE 1789 A 1796

Par le même.

Un volume iii-S o fr,

M. André Lichtenbcrger détermine ici l'origine et les caractères généraux du socialisme ^ous la Révolution. Y eut-il du socialisme dans les cahiers et brochures de 1789? Quel fut le développement des idées socialistes avant, puis pendant la domination jacobine, puis dans le babouvisme? Y eut-il un public socialiste sous la Révolution? Quel est le bilan de ces idées à cette époque? Certains actes de la Révolution furent-ils inspirés par les idées socialistes? Quelle fut, enfin, la politique sociale de la Convention? Telles sont les questions que. guidé par le seul souci de la vérité historique, l'auteur examine avec une entière impartialité dans ce travail consciencieusement documenté et qui présente sous leur jour exact plusieurs faits importants. (Journal des Débats.)

Histoire de la Liberté de Conscience en France

Depuis l'Edit de Nantes jusqu'en 1870

Par G. BONET-MA0RY

Un volume in-S o fr.

La France politique et sociale, par Al'G. Laugel. 1 vol. in-S o fr.

Le socialisme contemporain, par E. de Laveleye. 1 vol. in-12, 11* édit. 3 fr. oO L'évolution politique et sociale de l'Eglise, par E. Spcller, ancien ministre de

rinsIriKlion pulili(}ue. 1 vol. in-12 3 fr. 50

L'éducation de la démocratie, par le même, i vol. in-12 3 fr. 50

Le peuple et la bourgeoisie, par Emile DESCHANEL,anc. sénateur. 1 vol. in-S. 5 fr.

La politique internationale, par J. Novicow. 1 vol, in-S 7 fr.

La France et l'Italie devant l'histoire, par Joseph Reinach. 1 vol. in-S. . o fr. Souveraineté du peuple et gouvernement, par G. d'Eichthal. 1 vol. in-12. 3 fr. oO

Transformations sociales, par H. Dépasse. 1 vol. in-12 3 fr. 50

Du travail et de ses conditions (Chambres et conseils de travail), par le méyyie.

1 vol. in-12 3 fr. 50

Le centenaire de 1789. Evolution politique, littéraire, artistique et scientifique de

l'Euro/je pendant cent ans, par G. Guéroult. 1 vol. in-12 3 fr. 50

La dissolution des assemblées parlementaires, étude de droit public et d'histoire,

par P. .Matter, substitut au tribunal île la Seine. 1 vol. in-8 5 fr.

MINISTRES ET HOMMES D'ÉTAT

Chaque volume de format in-lG couronne de 200 pages environ. 2 fr. 50

Allemagne. Bismarck, par Henri Wehchinger. Espagne. Prim, par H. Léonardon. Angleterre. Disraeli, par Maurice Courcelle.

Japon. Okoubo, par Maurice Courant (Avec un portrait en phototypie).

SERA CONTINUÉ

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iG FÉLIX ALCAN, EDITEUR, l08, liOULEVAUD SAINT-GERMAIN, PARIS, 6"

RECUEIL DES INSTRUCTIONS

DONNÉES AUX AMBASSADEURS ET MINISTRES DE FRANCE

DEPUIS LES TRAITÉS DE WESTPHALIE JI.SQU'A LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Public sous les auspices de la Commission des Archives diplomatiques

au Ministère des Affaires étrangères.

Beaux volumes in-S raisin, imprimés sur papier de Hollande, avec introduction et notes.

I. Autriche, par Albert Sorel, de l'Académie française [Epuisé).

II. Suède, par A. Geffroy, de l'Instiliit 20 fr.

in. Portugal, par le vicomte de Caix de Sai.nt-Aymour 20 fr.

IV et V. Pologne, par Louis Faroes. 2 vol 30 fr.

VI. Rome, par G. Hanotaux, de l'Académie française 20 fr.

VII. Bavière, Palatinat et Deux-Ponts, par André Lebon. . . . 2o fr. VIII et IX. Russie, par Alfred Rambald, de l'Institut. 2 vol. Le

premier vol. : SU fr. Le second vol 23 fr.

X. Naples et Parme, par Joseph Reinach 20 fr.

XI. Espagne (1649-1750), par Morel-Fatio et Léonardon (t. I). . . 20 fr.

XII et XII /As. Espagne (noO-1789) (t. Il et III), par les mêmes . . 40 fr.

XIII. Danemark, par A. Gkffroy, de l'Institut 14 fr.

XlVetXV. Savoie-Sardaigne-Mantoue, par HoriucdeBeal'caire. 2v. 40 fr.

XVI. Prusse, par A. Waudington. 1 vol 28 fr.

INVENTAIRE ANALYTIQUE

DES ARCHIVES DU MIJIISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Public sous les auspices de la Commission des Archives diplomatiques.

Correspondance politique de MM. de Castillon et de Marillac, ambassa- deurs de France en Angleterre (to37-l.oi2), par Jean Kaulek, avec la colla- borationdeMM. Louis FARGEselGermain LefèvrePoxtalis. 1 v. in-8 raisin. 15 fr.

Papiers de Barthélémy, ambassadeur de France en Suisse, de 1792 à 1797, par Jean Kaulek. 4 vol. in-8 raisin. 1. Année 1792, 1 vol., 15 fr. 11. Jan- vier-aoïU 1793, 1 vol. in-8, 15 fr. III, Septembre 1793 à mars 1794, 1 vol., 18 fr. IV. Avril 1794 à février 1795, 1 vol. in-8, 15 fr. —V. Mars à septembre 1796, Néçiociations de la Paix de Bdle, \ vol. in-8 . . 20 fr.

Correspondance politique de Odet de Selve, ambassadeur de France en Angleterre (1546-1549), par G. Lefèvrr-Pontalis. 1 vol. in-8 raisin. . . 13 fr.

Correspondance politique de Guillaume Pellicier, ambassadeur de France à Venise (15i0-15i2), par Alexandre Tausserat-Radel.1 fort vol. in-S raisin 40 fr.

REVUE HISTORIQUE

Dirigéo par G. MONOD, Membre do l'Institut, Professeur à la ."^orbonno, J

Président de la section liistoriquo et philologique à l'École des hautes éludes. fl

Fo)}dée en 1875. fl

Paraît tous les deux mois, par livraisons grand in-8 de 15 fouilles, et forme par an trois S

volumes de 500 pages chacun.

Abonnement: Un an, Paris, 30 fr. Départements et étranger, 33 fr. La livraison, 6 fr.

ANNALES DES SCIENCES POLITIQUES

Revue bimestrielle, publiée avec la Collaboration des professeurs et des anciens élèves de l'École libre des Sciences politiques.

Fondée en ISS5.

RMncteur rn chef : M. A. Viallate.

Abonnement : Un an, Paris, 18 fr. Départ, et étranger, 19 fr. La livraison, 3 fr. 50

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8-21-01. Coulommiers. Imp. Paul BR0D.\RD. lO-Ol.

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