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LA TAILLE EN NORMANDIE

AU TEMPS DE COLBERT

(1661-1683)

COL'LOMMIERS Imprimerie Paul BRODARD.

ETUDES SUR LES INSTITUTIONS FINANCIÈRES DE LA FRANCE MODERNE

LA

TAILLE EN NORMANDIE

AU TEMPS DE COLBERT

(1661-1683)

PAR

Edmond ESMONIN

Docteur es lettres.

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1913

EcPF 67 i960

* 3 -' j-f

PRÉFACE

Les questions financières ont tenu une place considérable dans la vie de l'ancienne monarchie. Jamais l'argent n'a joué un si grand rôle que dans ce gouvernement, parce que jamais gouvernement n'en a autant manqué. A toutes les époques, mais surtout depuis le xvie siècle, les rois se sont débattus contre les embarras d'argent : à l'intérieur, des réformes fonda- mentales, unanimement souhaitées, ne purent être accomplies, parce que l'état du Trésor ne les permettait pas ; à l'extérieur, des alliances avantageuses furent abandonnées, des guerres sus- pendues ou arrêtées, faute d'un ou deux millions d'écus dont il eût fallu pouvoir disposer en temps opportun. Tous les efforts de ministres de talent, depuis Sully jusqu'à Necker, furent paralysés par les difficultés financières 1 ; on peut dire que la royauté a du sa perte en grande partie à ce qu'elle n'a pas su instituer un système fiscal approprié à ses besoins.

Ce sont les impôts excessifs, mal répartis et mal levés, qui suscitèrent le grand mouvement philosophique du xvme siècle : Boisguilbert et Vauban furent les premiers critiques du régime monarchique; les premières grandes plaintes furent motivées par la misère et la famine. Or, de tous les impôts, aucun ne souleva plus de mécontentement que la taille, parce qu'aucun n'était plus visiblement injuste et plus ruineux. D'abord, c'était

1. Sur l'incapacité des ministres de l'ancien régime à modifier le système fiscal, voir Lavisse, Histoire de France, t. IX, lre partie, p. 406-408. Le dernier d'entre eux, Necker, a fait publiquement cette déclaration au roi : « Il n'est aucune con- quête, il n'est aucune alliance qui puisse valoir à Votre Majesté ce qu'elle pourrra tirer un jour du développement de ses propres forces : l'essor de l'agriculture et de l'industrie par la bonne répartition des impôts, l'essor du crédit par la sage administration des finances; voilà tout ce qui manque à la puissance [de votre] royaume » (Compte rendu au Roi en janvier 1181, p. 68). C'est l'aveu implicite, à la veille de la Révolution, que tout restait à faire dans ce domaine. Il sera répété par Calonne à l'assemblée des Notables.

le plus important de tous (il fournissait environ la moitié (les ,,,): en outre, c'était le plus rexatoire et le ploi m. il réparti'; enfin, il établissait une démarcation sociale : quiconque le payait étant nécessairement rangé dans la classe inférieure, disqualifié. C'est pourquoi il préoccupa non seulement les financiers et tes économistes, mais tous les réformateurs .lu t. -1111)8. Si le régime de la taille avait pu être ohangé, uned ttes de. la Révolution n'aurait

pas subsisté. Il est pou d'institutions financières qui aient eu un aussi grand rôle politique et social darfs notre histoire2.

Pourtant elle ne semble pas avoir été, jusqu'à maintenant, l'objet d'une étude approfondie Sans doute, une ioule d'ou- vrages anciens et récents en ont traité la bibliographie que l'on trouvera plus loin ne catalogue que les plus importants; m. lis dans aucun on ne trouve les précisions qui nous feraient connaître, en toute certitude, le mécanisme de l'impôt et sa répercussion sur la vie des contribuables et sur la marche du :u>u\riuement. Tous les ouvrages modernes, sauf de rares exceptions, se bornent à reprendre, et souvent pillent, ceux des wii et xvuie siècles; nos connaissances dans ce domaine n'ont presque pas fait de progrès depuis cent cinquante ans; on cluiclieiait en vain un meilleur traité que les Mémoire* wmr les- Impositions, de Moreau de Beaumont, ou la partie Finances de Y Encyclopédie métkodÊfn*. Mais ces ouvrages anciens, auxquels j'ai moi-même beaucoup emprunté, sont loin de nous apprendre sur la taille tout ce que nous en désirerions savoir : les uns, comme ceux de Bouehei <; Moreau de Beaumont,

Guyot, MAI dos traités techniques, des compilations d'ordon- «s. qui négligent les conséquences matérielles et sociales de l 'impôt; d'autres, tels OOUS de La Barre, Vieuille, Loisel de Boismarc. ne sont que des manuels a l'usage des praticiens, destinés I donner aux agents «lu fisc la solution des principales

1. Tout les osai» de réformes tentes nu cours du xvin' siècle seront infructueux. Necker dira encore en 1781 que In taille est l'impôt le plus à charge de tous aux habitants des campagnes . (Compte rendu, p. ti'i).

uvent l'exemple de la taille ;\ été invoqué dans les polémiques récentes au sujet «le l'impôt sur le revenu : mois il semble qu'on ne doive guère en faire >:tat, tu la grande différence des conceptions, des mœurs et de l'état social. La taille était une forme de contribution très rudimentaire, presque barbare; on ne peut la comparer a aucun des impôts actuels. Il ne faut pas oublier que l'impôt foncier, tant décrié aujourd'hui, est apparu ù sa naissance comme un progrès incontestable sur la taille. * 6

PREFACE. VII

difficultés rencontrées dans leurs fonctions. D'autres enfin, ceux de Boisguilbert, de Vauban et de leurs innombrables disciples, sont des ouvrages de polémique, la passion peut avoir déformé la vérité; pour entrer dans l'histoire, leurs réquisitoires manquent de preuves. Nulle part on ne trouve une étude précise et impartiale de la taille, apparaisse la répercussion de l'impôt sur l'histoire du gouvernement et de la société.

C'est cette étude que je voudrais commencer en ce livre.

Pour la faire, je ne pouvais pas me borner à l'analyse des édits et règlements : de ce qu'une chose a été ordonnée, il ne s'ensuit pas qu'elle ait été exécutée. De nos jours, beaucoup de lois ne sont ni appliquées, ni respectées ; sous l'ancienne monar- chie, la plupart avaient ce sort. En 1665, un conseiller d'État, dans un rapport au roi sur la réformation de la justice, écri- vait : « Les François ont les plus belles lois, mais jusques à présent il n'y a point de nation qui les exécute si mal ' ». Sitôt, en effet, qu'on arrive à saisir ce qu'était réellement la vie du temps, on s'aperçoit qu'elle ressemble fort peu à l'idéal que s'était formé et que prétendait établir le législateur. A quelques lieues de Paris, les volontés du roi n'étaient même pas connues. Des règlements tombaient en désuétude quelques mois après leur publication. Ici, des officiers refusent d'enregistrer ou d'appliquer une ordonnance; là, un intendant fait des règle- ments qui la contredisent2; partout, le gouvernement, incapable de diriger et de surveiller la conduite de ses agents, de réprimer leurs écarts ou leurs négligences, apparaît dépourvu des moyens nécessaires pour assurer l'exécution normale et constante des réformes qu'il croit avoir faites. Dans ces conditions, on ne saurait restituer le régime vrai de l'impôt, non plus que de toute autre institution, avec des textes de lois.

Pour connaître ce régime, il n'y a d'autre méthode que l'étude de la réalité concrète, la reconstitution de la vie elle-même..

1. Mémoire de M. de Gomont, septembre 1665, B. N. Clairamb. 613, i" 199; cf. le mémoire de M. de Lu Marguerie. ibid. 275, et la lettre de Boisguilbert du 15 juin 1700, dans la' Corresp. des contrôleurs généraux, t. II, p. 524.

2. Il faut prendre garde que la plupart des textes législatifs du xvii0 siècle n'ont pas le caractère d'universalité qu'on tend à leur donner. La plupart ne sont connus et appliqués que dans une partie du royaume. Pour la taille notamment, beaucoup d'ordonnances s'appliquent au ressort de la pour des aides de Paris, et non à la Normandie, ou inversement, et leur texte ne nous en avertit pas toujours. Des usages locaux prévalent souvent sur des textes écrits, et la pratique fait souvent varier du' tout au tout l'application des ordonnances. On en verra des exemples frappants au cours de ce travail.

Mil ACE.

Il (V ndre jusqu'au répartiteur <jui impose, jusqu 'au

contribuable qui paie, in receveur qui encaisse, au juge local qui contestations; il (tut saisir dans sa complexité la .-II.-, observer les individus, distinguer les lieux, les dates, les eiroonstsnces, renoneer à tout*- théorie préconçue, à toute matisation native. Dèi Ion on est obligé de consulter une quantité énorme de documents très divers : comptes de recc- I, rôles d'impositions, plumitifs d'audiences, correspon- dances administratives et privées, procès-verbaux, règlements et écrits contemporains de toutes sortes. Tous ces papiers sont dispersés, souvent mal classés, mal inventoriés, parfois mal écrits et difficiles a lire; pour le moindre sujet, la documenta- tion est longue et laborieuse. Une étude d'ensemble, portant sur une {ongue période, est, à l'heure actuelle, impossible; il <st nécessaire de restreindre les recherches et de mener une Série d'enquêtes partielles, méthodiquement poursuivies; leurs résultats, coordonnés, permettront seuls de formuler les con- elusions générales que notre intelligence désire. Toute autre voie conduirait à des résultats discutables, sans valeur scientifique.

Parmi toutes les régions qui peuvent être l'objet d'une enquête, aucune ne m'a paru plus intéressante que la Normandie.

D'abord, elle avait une individualité bien nette : elle possé- dait son Parlement, sa Cour des aides, sa Chambre des comptes; de la i Charte aux Normands ». renouvelée et confirmée à chaque changement de règne, elle tenait des privilèges particu- liers; des lois étaient faites spécialement pour elle; ses usages ratâmes achevaient de lui donner une physionomie propre. Les Normands avaient d'ailleurs le sentiment que leur province formait un véritable État, n'ayant d'autre lien avec le reste de la France que le commun souverain ; jaloux de leur autonomie, ils l'ont défendue jusqu'à la veille de la Révolution contre les entreprises du gouvernement central1.

Autre raison : cette province, plus qu'aucune autre, était

1. Cette (individualité, jointe & ce qui a été dit plus haut pour les ordonnances, doit "•Jï!tre1 . . ? H™denU, dan9 '«• généralisations. On ne peut systématiquement elendre à toute la 1 -rnnce Ua conclusions tirées des faits constatés en Normandie- inversement, on ne peut sans précautions appliquer à la province ce qui est dit a une autre partie du royaume.

PREFACE. IX

chargée d'impôts. Nous en avons la preuve non seulement dans les doléances répétées de ses Etats *, mais encore dans des témoi- gnages particuliers, qui ne peuvent pas être suspectés : écri- vains, économistes, administrateurs l'ont maintes fois établi2. A ne considérer que les chiffres, on constate que presque tous les impôts y atteignent un taux plus élevé qu'ailleurs : dans les ports, des droits de douanes spéciaux sont prélevés, en sus du tarif ordinaire; les droits d'aides y sont, de l'aveu d'un inten- dant, « considérablement plus hauts que dans toutes les autres provinces du royaume3 »; le sel y est payé au tarif des grandes gabelles, sauf dans une partie de la Basse-Normandie; pour la taille enfin, alors que les trois généralités réunies n'auraient payer, à proportion de leur territoire, que 10 p. 100 du total des pays d'élections, elles en fournissent environ 15 p. 100. Quoique la province fût fort riche, il était impossible qu'elle ne souffrît pas d'une telle surcharge, et les vices de répartition

1. Voir la collection des Calders des Étals, publiée par Ch. de Beaurepaire pour la Société de l'histoire de Normandie, avec l'introduction : en novembre 1567 les Etats se plaignent de « l'inégalité de la contribution des dites tailles avec les autres provinces de ce royaume, dont elle [la Normandie] ne fait la douzième partie ». Même plainte en novembre 1580 (Cahiers, art. 5), novembre 1581 (art. 5), février 1611 (art. 6), etc. A leur dernière réunion, en février 1658, les Etats rappel- lent encore au roi que la généralité de Rouen « est la plus chargée de toutes » (supplément aux Cahiers, règnes de Louis XIII et de Louis XIV, p. 6). Aux Etats généraux de 14S3, les députés de Normandie protestent parce qu'on fait porter au duché le quart de la taille, bien qu'il « ne forme guère que la huitième partie du royaume, tant pour l'étendue du pays que pour sa richesse » (Journal de J. Masselin, publié et traduit par Bernier, p. 423-425). La même doléance sera reprise par les nobles révoltés en 165S, et par les cahiers de 1789.

2. Scipion de Grammont, dans son Denier royal, en 1620, déclare que la Normandie est réputée la province « la plus chargée du royaume », et que « les receptes de Rouen et de Caen payent quasi le quart des charges de la France » (p. 236 et 288). L'intendant Voysin de la Noiraye, dans son mémoire sur l'état de la généralité de Rouen en 1065, écrit que la province est, de toutes, celle « qui porte au Trésor royal le revenu le plus considérable, et qui ne l'est pas moins que celui que 1 Espagne tire des Indes » (Bibl. Nat. mss. Cinq cents Colbert, 274, fol. 2; Cf. mon édition du Mémoire, p. 153). Boulainvilliers, un peu plus tard, calcule qu'une paroisse de Normandie imposée pour la taille et la gabelle à 6 600 1. n'en payerait que 4 300 si elle était située dans la généralité de La Rochelle (Mémoires présentés au duc d'Orléans, 1719, t. I, p. 95-96). En 1661, Guy Patin écrit pareillement : « Cette province n'en peut plus, tant elle est accablée d impôts et de gabelles; pour la taille seule, elle paie tous les ans huit millions au roi, sans le trafic qu'ils font de tant d'autres marchandises qui paient au roi des sommes immenses. » Lettre du 17 juin 1661, éd. Réveillé-Parise, II, p. 136. Pas- quier cite le proverbe : « Qui fit Normand, il fit truand », et l'explique par ce fait que les Normands sont surchargés d'impôts, le mot truand étant, selon lui, dérivé de trus = tributs, lesquels « réduisent le petit peuple à la mendicité ». (Rec/ierc/ies de la France, éd. 1621, p. 747). Cf. encore Dumoulin, Ilisl. de Normandie, 1631, introd., Boisguilbert, Le Détail de la France, éd. 1707, I, p. 80, De Masseville, Hist. sommaire de Normandie, 1722, t. III, p. 156, Boulainvilliers, État de la France, éd. 1737, in-12, t. IV, p. 2, et Legrelle, La Normandie sous la monarchie absolue, p. 45.

3. Lettre de l'intendant de Caen, 14 déc. 1684, dans De Boislisle, Corresp. des contr. gén., I, 149.

I

1(M1 v ,! r.uir m-, <-sairrme.it des consé-

raoilleoro'. Nom avons donc an bon

,.,,.„„,, ,| , .„„ ,,uur étudier la taille et sa répercussion

sur l;i f΀ loi « ontribuablcs.

nûèrc raison a déterminé mon choix : la taille, en Normandie, axait M l'objet «1«- llglu—llllo spéciaux, plus par- tais qot .l.u.s la reste in royaume, l trouvera lénuméra- ti,,n ai < "ins de 00 travail. Colbert ne manqua pas de les appre- étendre a toute la France : c'est donc que nous trouverons l'origine de plusieurs réformes importantes du w ii siècle, tels l'usage de la « comparaison de taux2 », la nomi- nation des eolleeteurs par les « échelles5 », l'appel des taxes œ*. Apres lui. c'est principalement en Normandie que les réformateurs tirent hurs enquêtes et leurs expériences : Vauhan choisit les environs de Rouen pour ses observations5, et l'élec- tion de Lisieux fut désignée, en 1718, pour essayer la taille proportionnelle. Enfin ne faudrait-il pas rattacher à la même particularité ce fait remarquable que la plupart des économistes français antérieurs à notre sieele furent des Normands, à com- meiieer par leur ancêtre Montchresticn, et à finir par Turgot6? Obligé de limiter chronologiquement mon étude, comme je l'avais localisée, je l'ai restreinte au ministère de Colbert, de ' i 1G83. J'ai été guidé d'abord pa* une raison matérielle. Avant 1661, Ineuments d'histoire financière sont relativement rares et Dentaires. Les fonctionnaires ayant l'habitude déconsidérer

1. La surface des cinq départements de Normandie, à peu près égale a celle des trois généralités, est de 10 CM kilomètres carrés. Celle des pays d'élections

Ct être évaluée à 330 000 kilomètres carrés. On aurait des chiffres plus pro- >ts encore si l'on comparait les impositions et la surface de la Normandie à l'ensemble du royaume, puisque les pays qni n'avaient pas d'élections étaient beaucoup moins imposés que les autres. On verra aussi, au chapitre 1", que l'im-

Ksition moyenne d un feu en Normandie était sensiblement plus élevée que dans .ités voisines, tire de Colbert à l'intendant de Riom, 15 avril 1G83, dans Clém. II, p. 218. Cf. ci-dessous, chap. vi. '1' partie.

3. Ibii!., II, 11%. Cf. ci-dessous, chap. iv. k. Edit de mars 1667 (C. d. T.. t. II, p. 1ii).

5. La Uirme roiale, éd. 1707, lo-lX, ]>. 5

6. Montchresticn est n à 1- alaise vers 1500. Boisguilbert est à Rouen en 1646. et y passa presque toute sa vie; Boulainvilliers naquit (1658) Pt vécut à

•■n Bray; l'abbé de Saint-Pierre était des environs de BarÛeur; leprin-

: ur de Vauban pour la Dîme royale, l'abbé Ragot de Beaumont,

Xlval'_ Dupont de Nemours est de famille normande (Bull, du ProL, I908t

S Turgot avait ses principales terres en Normandie; Le Play est près

•• Honneur. A cette liste on pourrait ajouter d'autres grands remueurs d'idées 1-- I i fui .in xvm sitoh- : liayle, Fontenelle, Richard Simon, Launoy, Saint-Evre- mond, l'abbé de Vertot, Mézeray, également originaires de la province.

PREFACE. XI

comme leur propriété les papiers de leur administration, beau- coup de documents précieux ont été perdus. Les destructions volontaires pratiquées par la Chambre de Justice et par les financiers qui craignaient des poursuites, en ont fait disparaître d'autres ; ce qui nous en reste est extrêmement dispersé, et d'utilisation difficile. A partir de 1661, au contraire, l'ordre une fois rétabli dans l'administration, les comptes et papiers de toutes sortes ont été tenus avec plus de soin; des statistiques d'ensemble ont été dressées, des enquêtes méthodiquement pour- suivies; les documents nous sont parvenus en séries beaucoup plus complètes, l'organisation du dépôt des Archives nationales nous a conservé des collections assez riches; enfin la publication des papiers de Colbert facilitait considérablement mon travail.

Un autre motif s'ajoutait à celui-là pour me faire choisir cette période. La puissante personnalité de Colbert donne à ces vingt- trois années un caractère et une importance exceptionnels. Le ministre avait un plan systématique de réformes, qu'il a déve- loppé avec clairvoyance et ténacité ; il a introduit l'ordre par- tout, abandonné les expédients ruineux, rendu l'autorité du roi incontestée. Après lui,' les énormes dépenses pour la cour et pour la guerre amèneront le déficit permanent, le retour à l'ancienne « bursalité », l'oppressio» des peuples; les attaques contre le régime s'élèveront publiquement; au lieu de perfec- tionner la taille, on cherchera à la remplacer, parce qu'on recon- naîtra, avec Vauban, qu'elle est « tombée dans un tel état de corruption que les anges du ciel ne pourroient pas venir à bout de la corriger ' » ; douze années de tâtonnements aboutiront à l'établissement de la capitation, puis des essais contradictoires, tous infructueux, se multiplieront pendant un siècle, et l'œuvre de réforme commencée par Colbert demeurera au point il l'a laissée à sa mort.

J'ai le projet de continuer cette étude au delà des limites géo- graphiques et chronologiques que je lui ai fixées. Mais j'espère que, telle quelle, elle suffira à montrer l'importance de la taille dans l'histoire économique et sociale de l'ancienne France, et invitera d'autres travailleurs à poursuivre avec moi l'enquête que je ne fais que commencer ici.

1. Mémoire de Vauban sur la capitation, 169Ï, dans la Corresp. des contrôleurs généraux, t. I, p. 565.

BIBLIOGRAPHIE

I. SOURCES MANUSCRITES

Archives nationales.

Série G7 (fonds du contrôle général)1. 1. Minutes de lettres du contrôleur général (1677-1685). 71. Correspondance des intendants d'Alençon (1677-1683). 213. Correspondance des intendants de Caen (1678-1683). 491-492. Correspondance des. intendants de Rouen (1678-1683) 2. 551. Lettres adressées par des particuliers au contrôleur général, 1681 et années suiv.

1128-1129. Mémoires et documents sur la taille (1688-1727). 1837. Documents sur le conseil des finances.

Série K.

870-900. Documents et mémoires sur les finances, les impôts, les Tré- soriers de France (la plupart se rapportent au xvma siècle). 910. Mémoire sur les Trésoriers de l"&pargne (1663).

Série KK.

1885°. Mémoire anonyme sur les finances (fin du xvnc siècle).

Série O ' (Secrétariat d'Etat de la Maison du Roi).

1-26. Registres des expéditions, 1661-1683. On y trouve notamment les brevets de la taille, et les commissions pour les élections dépendant de ce secrétariat d'Etat (celles de Normandie ne sont pas du nombre : la province était rattachée au secrétariat des Affaires Étrangères).

Série AD (collection Rondonneau) :

293 et suiv. Lettres patentes, édits et règlements, par ordre chronolo- gique, à partir de 1661 (la plupart imprimés).

Les lettres patentes, édits, et règlements sur les tailles qui se trouvent dans les cartons AD ix, 470-471, se retrouvent imprimés dans les recueils législatifs indiqués ci-dessous.

1. Pour l'histoire de ce fonds, voir l'avant-propos de M. De Boislisle dans la Correspondance des contrôleurs généraux, t. I (Paris, 1874, in-4°), p. lii-lix.

2. Les années 1679 et 1681 sont très peu représentées. On peut y suppléer à l'aide des papiers de Leblanc, Bibl. Nat., mss. fr. 8759-61bis, indiqués ci-dessous.

BI1LIOGBAPH1

.1 «uiv. Minutes des arrêt» du Conseil, rangés par ordre chronolo-

s. il relatifs à la recherche de la noblesse. Lrrétl <l" Conseil relatifs aux finances.

Si h if. U.

noires sur les fonctions des élus et des receveurs des tailles. iments sur les attributions des cours des aides.

Archives de la Seine-Inférieure.

ik C (Intendance et Bureau des finances). Inventaire par Ch. de Beaurep.ii

1 164-1179. Plumitifs du Bureau des finance» \ 1661-1683. Un registre par

: il manque les registres des années 1662, 67, 70, 71, 73 et 82. 1381-1391. États de distribution des finances de la généralité, années . T."). 76, 77. (Le vol. 1381, détérioré par l'humidité, est en partie illisible.)

1%63-1464, Portefeuilles contenant des édits, déclarations et arrêts du conseil relatifs aux finance», Î661-t688 (collection incomplète; la plupart des pièces sont imprimées).

1718-1108. Ponds des élections (rôles de tailles, états de département, etc.). Quelques pièces seulement se rapportent à la période 1661-83, et concer- nent les élections d'Arqués. IN'eufchâtel et Rouen.

2215. Mandements de l'intendant de Rouen aux paroisses, 1671-72. 2319 et 21522. Ktats au vrai des receveurs des tailles de Rouen et d'Evreux, la liasse 2316 contient ceux de Rouen pour la période 1656-1660). I. Correspondance du Bureau des finances, 1666 et années suiv. 27. Bordereau de voiture de deniers, 1666. 2845. Mémoire sur les fonctions des trésoriers de Prance (xvin* siècle). 2373-88. Recueil de documents « sur les matières rentrant dans la com- étence du Bureau des Pinances », formé à la fin du xvine siècle par avocat Lemaistre - (très peu de documents sur la taille).

6-8. Documents sur la recherche de la noblesse, 1666-68, principale- ment dan» l'élection de Caudebec.

2464. Registre «lu greffe de l'Election de Caudebec, 1666-73. 2483-2531. Plumitif <ie l'Election de Caudebec (série complète pour la le 1661-16

I. Plumitif de l'Élection de Neufchâtel. ; 2696 et 2709. Rôles de taille de l'élection de Neufchâtel, 1654-1670. . Plumitif de l'Election de Rouen. 2736. Rôles de taille de l'Election d'Andely.

S.l;:

79-95. Mémoriaux de la Chambre des comptes: un registre pour chaque année; il manque ceux de 1661, 16<">.>, 67, 81, 82 et 83. Un inventaire des Mémorisas est publié dans les Mémoires de la Soc. des antiquaires de Normandie, série, U VU! I

Partis non inventoi .

Archives de la Cour des aides, comprenant quatre séries principales :

i tiennent les procès-verbaux des délibérations du Bureau. m •■ tenante : ainsi un acte du 15 mai 166.Ï est i a In date du 22 mai (v..l. Il(i7. fol. 117 v ). et le scribe déclare en tète qu'il la f°'1 ' «le ». Le» affaires relatives a la taille j tiennent peu de place.

roi* quelques détail» sur le personnage dans unnrt. de M. Carré, da tioa française, t. XXM (1894), p.

!'

IHBLIOGnAPHIE. XV

les Mémoriaux, sont enregistrés les actes émanant du pouvoir central (t. XL et suiv.);

les Registres du conseil, contenant les règlements et arrêts de la Cour; Plumitifs des audiences, souvent difficiles à déchiffrer ; les Requêtes introduites devant la Cour.

Archives du Calvados.

Série C (Intendance et Bureau des finances).

Cette collection est extrêmement riche pour l'époque qui nous intéresse; elle n'est malheureusement ni classée ni inventoriée *. Je ne peux ici en donner un catalogue exact, de même que, dans le cours de mon ouvrage, je n'ai pu y faire des renvois précis. Voici du moins les principales séries de pièces qu'elle renferme :

Fonds du Bureau des Finances de Caen. Collection importante de plumitifs, formant une suite complète pour la période 1661-1683 (un registre par année). Collection des ordonnances enregistrées au Bureau. Etats du roi pour la distribution des finances dans la généralité. Etats au vrai de receveurs généraux et particuliers. .btats de restes. Procès- verbaux de chevauchées des Trésoriers de France. Correspondance et papiers divers.

Fonds des Elections. Election de Caen : plumitifs ; ordonnances ; correspondance. Election de Falaise : plumitifs. élection de Vire : procès-verbaux d'exécutions et d'écrous. Rôles de taille de diverses paroisses.

Fonds de V Intendance. Ordonnances de l'intendant. Rôles de département entre les paroisses.

Série G.

Dans le fonds de l'Abbaye de St-Etienne, terriers de Bretteville l'Orgueil- leuse en 1666 et 1687, de E.ots et de Noroy.

Bibliothèque nationale. Fonds des Mélanges Colbert.

Cette collection et les deux suivantes contiennent la majeure partie des papiers du ministre. L'histoire en a été écrite par L. Delisle dans son ouvrage sur Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. I, p. 439 suiv.; voir aussi De Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. I, p. vu, notes 2 et 3.

Les 100 premiers volumes, formant les « Mélanges » proprement dits, ne contiennent rien sur la taille 2.

Les n03 101 à 176l,is, formant jadis une collection séparée connue sous le nom de Volumes verts3) comprennent 112 volumes de lettres adressées à Colbert de 1656 à 1677 4 ; elles sont classées chronologiquement, et une double table, à la disposition des travailleurs, en facilite la consultation. Les lettres d'intendants y sont abondantes surtout pour la période

1. Je dois des remerciements tout particuliers à M. l'archiviste Besnier, qui m'a largement ouvert son dépôt, et maintes fois aidé dans mes recherches à travers cette masse de documents non classés.

2. On trouve cependant, au vol. 33, fol. 286-294, le mémoire de Pescheur sur les abus de la levée des tailles en 1665, dînt j'ai cité plusieurs passages.

3. Depping a beaucoup puisé dans cette collection pour sa Correspondance administrative (voir ci-dessous); Jal, dans son Dictionnaire critique, a publié éga- lement un certain nombre de ces lettres, mais l'immense majorité d entre elles sont encore inédites.

4. On y trouve aussi quelques minutes de lettres écrites par Colbert, et des mémoires joints aux lettres des correspondants.

xv, IIBLIOGRAPHI

; r,66 ; les volumes ai iz années 1667-1677 contiennent princi-

1. s correspondances relatives à la marine, et semblent provenir

des bureaux «I «y. . . .

no« 177 -, , -onstitucs par les brevets et commissions des

tailles, de 1661 I 1663 pour les brevets et de 1662 à 1681 pour les commis- sions (sauf les années 1667 et 167:5, en déficit) l.

Du 26i m ii :U0* sont les registres de recettes et dépenses du Trésor, de 1662 à 1G«1.

Les derniers volumes (de 311 à 'i 16; n'intéressent pas la taille.

Fonds des Cinq cent3 Colbert.

Vol. 256 à 260. État et évaluation des offices de judicature et de finances du royaumc'en 1665 *.

161. Tableau des paroisses du royaume, rangées par généralités et élec- tions, en 1677. '

17%. Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de Rouen en 1665 * .

Fonds Clairambault.

Collection formée en grande partie avec des papiers provenant de Col- bert.

'i'i'i -î'i8. Mémoires extraits de la bibliothèque du Roi pour l'instruction du Dauphin (1661-1683).

461-468. Copies de lettres de Colbert aux intendants, 1679-1683. La majeure partie en a été publiée par Clément.

474. Documents sur la population du royaume au xm* siècle.

500, p. 585-596, Mémoire sur les fonctions des trésoriers généraux.

647. Papiers de Colbert.

659-660. Inventaire et extraits d'arrêts du conseil, 1661-1683.

791-797. Papiers de Colbert, lettres et analyses de lettres reçues par le ministre, mémoires, etc., surtout pour la période 1670-1681 (complète la collection des Volumes verts).

Fonds français.

ï 222. Pièces 119 à 133, sur les impositions, 1643-1661. 4 286. Mémoires sur l'état des généralités de Rouen, Caen, Alençon, en 1698-99. Copie provenant des papiers de Letellier, archevêque de Reims. : i. Tableau des impositions, de 1688 à 1712. 7 752. Mémoire sur les finances de la France, par Mallet.

7 771, fol. 170-202. « Observations sur la taille », par Lallemant de Lévignen, intendant d'Alençon * : mémoire exécuté en vertu de la lettre du contrôleur général, du 22 février 1732.

8 759 à 8 761bl». Papiers de Leblanc, intendant de Rouen. Le vol. 8 759 contient la copie des lettres adressées par Leblanc aux ministres, du 21 novembre 1675 an 7 mai 1677. Au vol. 8 761 se trouve la suite de cette correspondance, du 1er janvier au 20 novembre 1682. (Les lettres de 1671

1. En tétc du vol. 238 est un tableau des impositions mises sur les généralités de 1649 à 1660.

i, Les vol. ï\~ à 260 concernent les gabelles.

3. La partie concernant la généralité de Rouen est publiée dans mon édition du Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 20."> et suiv.

'«.Je publie, en même temps que cet ouvrage, une analyse et des extraits de moire, mais il sera nécessaire, parfois, de se reporter au manuscrit.

•">. Noir L. Duval, Lallemant de Le\ignan, intendant d'Alençon, Alençon, 1902.

BIBLIOGRAPHIE. XVII

à 1681 manquent.) Le vol. 8 760 contient les lettres reçues par Leblanc, en original. Le vol. 8 761"''', intitulé au dos « Recueil pour la taille », ren- ferme d'importants documents, manuscrits et imprimés, sur la taille de la généralité de Rouen, du 14 mars 1676 au 18 décembre 1678'.

11095. Traité des tailles (Le dernier acte cité est de novembre 1692.) Une copie s'en trouve au ms. 14 089, fol. 1-76.

11 096. « Mémoire concernant l'imposition et levée des tailles ordonnées par S. M. être faites sur les dix-huit généralités des pays d'élections de son royaume », rédigé pour Boucher d'Orsay, qui fut intendant de Limoges de 1711 à 1715 (voir fol. 57 et 58). L'acte le plus récent qui y est cité est d'avril 1690; la rédaction doit pas être de beaucoup postérieure à cette date ; une allusion à la capitation, faite au fol. 58, a été sans doute introduite après coup. Ce mémoire est un véritable manuel d'intendant pour la taille ; il donne de précieux renseignements sur la pratique de l'imposition, spécialement en Normandie.

11 149. Recueil de deux mémoires : l'un (p. 1-63), sur. l'état des finances en 1688; l'autre (p. 65-131), sur les finances en général. Le premier résume les rapports des commissaires envoyés dans les provinces en 1687. (Voir De Boislisle, Mémoire de Vintendant de Paris, p. 781-6.)

11924-11 933. Documents de la recherche de la Noblesse en Normandie.

14 089. Recueil de traités sur la taille. Aux fol. 1-76 est une copie du ms. 11 095, indiqué ci-dessus ; aux fol. 77 à 89, un <c recueil de prononcia- tions » sur la taille, à l'usage d'un intendant; aux fol. 113-232, « Maximes de la cour des Aydes de Paris, année 1683 ». On y trouve d'utiles rensei- gnements sur la pratique administrative.

16 898-16 900. Recherche de la noblesse de la généralité de Rouen, faite en 1667 par Barin de la Galissonnière.

17 311. Papiers de Séguier relatifs à la taille.

18 479. Id. Pièces concernant les trésoriers de France, les élus et les intendants (1649-1653).

21 419. « Règlements sur les tailles » : compilation méthodique de ces règlements, faite en 1690 ou peu après.

21 442. « Traité des finances de France, tiré du cabinet du feu roy Henri III, dont M. Le Vayer, substitut, a l'original. »

21 812. D'Aube, « Mémoire concernant les fonctions d'intendant », 1738. L'auteur, neveu de Fontenelle et intendant de Caen, puis de Soissons, a résumé dans cet ouvrage les connaissances nécessaires à un jeune homme entrant dans l'intendance.

Il projetait d'établir à Paris « une espèce de noviciat », un séminaire, pour recruter les intendants. Son travail résume exactement les devoirs et les attributions de la fonction, mais il s'applique à une date postérieure à Colbert d'un demi-siècle.

Nouvelles acquisitions du fonds français.

\11 . Etat de distribution des finances pour les trois généralités de Nor- mandie, année 1660. 180. Id., année 1661. 184. Id., 1662. 187. Id., 1665. 189. Id., 1667.

199. Etat des recettes et dépenses du Trésor, année 1674. 207. Id., 1679.

209. Id., 1682.

200. Brevets de la taille, années 1663, 1665 et 1672.

1. Les lettres de Colbert qui se trouvent dans cette collection ont été publiées par Clément.

LA TAILLE EN NORMANDIE. '•*

Win BIBLIOGRAPHIE.

I 3(6. Btftt ou vrai de» recettes et dépense» faites en 1678 par Cousin, rai (le Caen. 10. Documents sur les Trésorier» généraux : recueil formé par Fournival en vue de son ouvrage (ci-dessous, p. 17).

Collections diverses. Bibliothèque Ste Geneviève, à Paris. .M>. \\1. Mémoire sur la Chambre des comptes de Paris, vers 1670. Bibliothèque municipale de Rouen.

Ms. 2 706. Traité sur la Cour des Aides de Normandie, provenant de Jean Bigot.

Ms. 1890. Abrégé des tailles.

Ms. 3 316. Propositions de réforme de la taille.

Archives municipales de Bayeux.

llùlcs de taille des paroisses de l'élection de Bayeux, 1663-1683.

Archives municipales de Rots {Calvados').

BB ï-7. Registres de consentement des paroissiens, 1661-1681.

II. IMPRIMÉS SOURCES

Je ne puis donner ici tous les ouvrages utilisés au cours de ce travail. Ceux qui n'ont été employés qu'accidentellement, pour des points particu- liers, sont cités dans les notes aux endroits convenables.

Je renvoie aussi, pour plus de détails, aux bibliographies qui se trouvent dans les ouvrages suivants :

Camus et Dupin, Lettres sur la profession d'avocat, et bibliothèque choisie des livres de droit qu'il est le plus utile d'acquérir et de connaître, éd., Paris. 18:5'*, 2 vol. in-8, au t. II (notamment, titre VII, art. 1-i, et, à l'art. 5 le paragr. 4).

Stourm, liibliographie historique des finances de la France au xvin° siè- cle, Paris. 1895, in-8° (surtout les chap. i à vin).

Vignes, Histoire des doctrines sur l'impôt en France. Les origines et les destinées de la Dixme royale de Vauban, Paris, 1909 (nombreuses indi- cations d'ouvrages peu connus, dans le texte et en notes).

A. Recueils législatifs.

Recueils généraux d'ordonnances*.

Les nombreux recueils généraux d'ordonnances, règlements, arrêts du Conseil et des cours souveraines contiennent tous des actes relatifs à la taille: mais la plupart de ceux-ci sont publiés également dans les recueils spéciaux mentionnés plus bas, on les trouvera plus facilement. Je n'indique ici que les principaux de ces recueils généraux.

1. Sur tous ces recueils, voir : Aucoc, Les collections de la législation anté- rieure à i'H'j et leurs lacunes, dans les Séances et travaux de l'Acad. des se. mor. et pol., 1883.

BIBLIOGRAPHIE. XIX

Guénois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, distri- buée en XII livres..., 5e éd., Paris, 1678, 3 vol. in. fol.

La lre éd. est de 1596. Dans l'ouvrage, les ordonnances sont dépecées pour faire rentrer chacun de leurs articles dans un cadre méthodique : c'est ainsi que le titre XVI du liv. X contient ce qui concerne les tailles.

Néron et Girard, Recueil d'édits et ordonnances royaux... Nouvelle édi- tion, par Laurière et de Ferrière, Paris, 1720, 2 vol. in-fol.

De nombreuses éditions avaient été publiées avant celle-ci, qui est la dernière. Celle de 1666, connue sous le nom de « Petit Néron », donne les ordonnances par ordre de matières, comme Guénois; celles qui concer- nent les tailles sont aux p. 982 à 1002. L'édition de 1720 les donne dans l'ordre chronologique.

Isambert, Jourdan et Decrusy, Recueil général des anciennes lois fran- çaises, depuis Van U20 jusqu'à la révolution de 1789, Paris, 1822-27, 29 vol.

Nau, Abrégé des ordonnances royaux par ordre alphabétique... 3e éd. Paris, 1664, in-4° (Bibl. de la Faculté de droit de Paris, 10709).,

Papon, Recueil d'arrests notables des cours souveraines de France, nouv. éd., Genève, 1637, in-4°.

Le titre XI du liv. V, p. 264 et suiv., est relatif à la taille.

Brillon, Dictionnaire des arrêts, ou jurisprudence universelle des parle- ments de France et autres tribunaux, nouv. éd., Paris, 1727, 6 vol. in-fol.

Journal des principales audiences du Parlement de Paris, par Dufresne de la Guessière, Nupied, Duchemin, dernière éd., Paris, 1757, 7 vol. in-fol.

Froland, Recueil d'arrêts de règlement et autres arrêts notables donnés au Parlement de Normandie, Paris, 1740, in-4°.

Recueil des édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et règlements du roy registres en la cour de Parlement de Normandie, Rouen, 1755, 8 vol. in-4° (Bibl. Nat., Inv., F 12740).

Recueils spéciaux sur la taille et les affaires de finances.

Nouveau code des tailles, ou recueil par ordre chronologique et complet des ordonnances, édits, déclarations, règlements et arrêts rendus sur cette matière..., 4e édition, Paris, 1761, 3 vol. in-16.

L'ouvrage parut pour la première fois en 1706 sous le titre : Recueil des ordonnances, édits, déclarations, réglemens et arrests de la Cour des aydes de Paris sur le fait des tailles depuis 1583 jusqu'à présent. 1 vol. in-12. Des rééditions successives, avec des variantes dans le titre, parurent en 1712, 1723 et 1740; un supplément à l'éd. de 1761 a été publié en 1783 i.

Je renvoie à cet ouvrage par l'abréviation C. d. T.

Réglemens rendus sur le fait des tailles et personnes privilégiées, aug- mentez des édits, déclarations et arrêts , tant du Conseil que de la Cour des comptes, aides et finances de Normandie donnez jusqu'à présent, Rouen, 1710, in-12.

Une première édition de ce recueil avait été donnée à Rouen en 1672 sous le titre : Recueil d' édits.., concernant Vauiorité, compétence... de la cour des aydes de Normandie; une seconde en 1692 sous le titre : Ordonnances,

1. Le Code des Tailles a été pendant tout le xviii0 siècle le manuel des prati- ciens : voir, par exemple, une lettre du subdélégué de Sainte-Menehould, du 15 mars 1776, dans Milhac, Les subdélégucs en Champagne, p. 98, n. 2.

xx i.i i.i i«>i.r.A ru il. .

édits el déclarations rcnrrrnanl V autorité, jurisdiclion et compétence de la c0ltr j, /,• Normandie, et une troisième en 170:5, intitulée ; Recueil

de» teilles augmenté en cette édition des édits... et arrests tant du Conseil que dr lu r,,,ir des ardes de Normandie...

Je renvoie au recueil par l'abréviation : Règlements de Normandie ».

Edict du ro) sur le règlement général des tailles, [janvier 1634], avec les annulations sur iceluy, Paris, 1658, in-12 (Bibl. Nat. F 42609).

Corbin, Nouveau recueil des edicts, ordonnances et arrests de l'autorité, jurisdiclion et cognoissance des cours des ay des... Paris. 1623, in-4°. Une lrC édition, sans nom d'auteur, avait été publiée en 1612*.

D'Escorbiac, Recueil dédits, arrests et réglemens concernant les juges et autres officiers royaux, Paris, 1638, in-fol.

Recueil des édits... concernant la justice et les personnes qui l'admi- nistrent, Paris, 1638, in-4°.

Ouvrage publié par ordre du Chancelier8.

Du Lys, Recueil des ordonnances, édicts, déclarations, lettres-patentes, depuis le roy Jean de l'an 1350 jusqu'à Louis XIII à présent régnant, concer- nant V origine, progrès, création et reslablissement des eleus particuliers, Paris, 1635, in-12» (Bibl. Nat., F 42610).

Recueil des édits, déclarations et arrests du roy concernant la Chambre des comptes [de Rouen], Rouen, 1702, inl4° (Arch. S. Inf., C 1463, pièce 7) *.

Recueil des édits... concernant l'Epargne, le Trésor royal et les parties casuelles, Paris, 1732, in-4°.

La Maréchaussée de France, ou recueil des ordonnances, édits... concer- nent la création, établissement, droits et privilèges de tous les officiers et archers des maréchaussées, Paris, 1697, in-4°.

Fournirai, Recueil général des titres concernant les fonctions, rangs, dignitez, séances et privilèges des charges des Présidens trésoriers de France, généraux des finances et grands voyers de France... Paris, 1655, in-fol. (Le privilège est daté du 4 lévrier 1651 5.)

Code des commensaux de la maison du roi, Paris (Saugrain), 1720, in-12.

1. Le recueil n'est pas complet; il y manque certains édits qui furent cependant enregistrés à la Cour des aides de Normandie : par exemple, celui d'août 1661 sur Ta réduction du nombre des élus (voir son enregistrement dans les Mémo- riaux de la Cour, t. XL, f" 41-44), de même les arrêts du conseil des 4 juillet 1664 (C. d. T., I, j>. 555). et 3 janvier 1665 (Arch. Calv., Registre d'ordonnances de l'élection de Caen, 1664-1674, fM 109-114).

2. L'ouvrage de Bagereau, Leçons et décisions notables sur les ordonnances des tailles et aydes, Paris, 1624, in-12, est insignifiant.

3. Autres éditions en 1690, 1712, 1737, toutes publiées par les soins du gouver- nement.

4. Pour la chambre des comptes de Paris, il existe un recueil semblable, dont la dernière édition a été donnée en 1738 par Gosset, 3 vol. in-4".

5. Sur cet ouvrage, voir ci-dessous, p. 47. Une suite en a été publiée par Du Bourgneuf en 1745 sous le titre : Mémoires sur les privilèges et fonctions des trésoriers de France, 2 vol. in-4°, avec une Table générale et chronologique des ordonnances concernant les mêmes officiers.

BIBLIOGRAPHIE. XXI

B. Documents sur les finances et les institutions administratives '.

Argouges (d'), procès-verbal de la généralité de Moulins en 1686, publ. par Yayssière, Moulins, 1892.

Auber, Mémoire concernant les tailles et les moyens de faire cesser les abus qui se commettent dans son imposition, Paris, 1721, in-4°.

L'auteur était receveur des tailles de l'élection de Caudebec et commis- saire pour l'établissement de la taille proportionnelle dans l'élection de Beauvais. Il donne des détails utiles sur la pratique de l'imposition.

Auger, Traité sur les tailles et les tribunaux qui connaissent de cette imposition, Paris, 1788, 4 vol. in-4°.

Les trois premiers volumes renferment les principales ordonnances sur la taille, en vigueur à la Cour des aides de Paris à la fin du xvm8 siècle; le quatrième contient un traité sommaire de l'impôt. L'auteur était avocat du roi en l'élection de Paris 2.

Avis du désordre qui est à présent à V assiette des tailles et de Vordre qu'il r faut apporter, s. 1. n. d., in-4° (un ex. Bibl. Nat., Rec. Thoisy, vol. 443, fol. 155 et suiv.).

Au même vol. de la collection Thoisy se trouvent divers autres docu- ments imprimés sur la taille.

[Bellet-Verrier], Mémorial alphabétique des choses concernant la justice, la police et les finances de France. 3e éd., Paris, 1713.

La première éd. est de 1697; la seconde, de 1704. Une nouvelle fut donnée par Duchemin en 1742.

Malgré son titre, l'ouvrage ne traite que des matières concernant la taille, et donne surtout la jurisprudence de la Cour des aides de Paris.

Boisguilbert, Le détail de la France, ou traité delà cause de la diminu- tion de ses biens et des moyens d'y remédier, Rouen, 1695, in-12.

Id., Factum de la France, Paris, 1706.

Sur l'auteur et les diverses éditions de ses œuvres, v. les ouvrages de Cadet et de Horn, indiqués ci-dessous. Je renvoie toujours à l'éd. de 1707,

De Boislisle, Chambre des comptes de Paris. Pièces justificatives pour servir à l'histoire des Premiers présidents, 1506-1191, Nogent-le-Rotrou, 1873, in-4°.

Id. Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les intendants, Paris, 1874 et suiv., 3 vol. in-4°.

Id., Mémoires des intendants sur Vétat des généralités dressés pour Vinstruction du duc de Bourgogne. Tome I, mémoire de la généralité de Paris, Paris, 1881 (coll. de doc. inéd.).

Publication importante par les notes, l'introduction et les appendices qu'y a ajoutés l'éditeur. Voir notamment les documents sur la taille,

1. Je range dans les documents tous les ouvrages antérieurs à 1789.

2. Le même auteur a publié les remontrances de la Cour des aides de Paris, de 1756 à 1775, sous le titre de Mémoires pour servir à l'histoire du droit public de la France en matière d'impôts, Bruxelles, 1779, in-4°. Cet ouvrage, très impor- tant pour l'histoire financière du xvm6 siècle, n'est guère utile pour notre sujet.

xxil ini;i.ioi;i!Ai'Hii:.

F. 865-544, < i les mémoires sur la misère en 1684-87, p. 764-786. Je désigne ouvrage par le titi-.- abrégé : Mémoire de l'intendant de Paris.

Bouchcl, l.n Bibliothèque nu trésor du Droit français, nouv. éd. par de

h«;fer, 1667, 3 vol. in-fol. I... I" édition est de 1629. Ce qui concerne la taille est, dans l'éd. de 1667, au t. III, p. 618 et suiv. É

Boulainvilliers, Mémoires présentés à Mgr le duc d'Orléans, régent de France, contenant les moyens de rendre ce royaume très puissant et d' 'augmenter considérablement les revenus du roi et du peuple, La Haye et Amsterdam, 1727, 2 vol. in-12.

A la fin de cet ouvrage est inséré (t. II, p. 111-226) un Extrait d'un mémoire de Mr. de Fougerolles en il 11... pour assurer les revenus du Roi.

Id., L'État de la France, Londres, 1727, 3 vol. in-fol.

('ailiers des Etats de Normandie... publ. par Ch. de Beaurepaire (Soc. de l'Hist. de Normandie), Rouen, 1876-87, 7 vol.

Chasles, Dictionnaire universel, chronologique et historique de justice, police et finances, Paris, 1725, 3 vol. in-fol.

Chevillard, Le nobiliaire de Normandie, s. 1. n. d., in-fol. gravé.

De Claveret, L'écuyer, ou les faux nobles mis au billon, Paris, 1665, in-12.

Colbert, Lettres, instructions et mémoires, publ. par P. Clément, Paris, 1861-1882, 8 tomes en 10 vol. in-4°.

Cette publication importante, qui donne environ 5 500 lettres, mémoires ou ordonnances, est une des principales sources de ce travail. Elle ne contient pas tous les papiers connus de Colbert (cf. l'Avertissement du t. VII), mais elle en réunit une masse assez grande pour faire connaître dans son ensemble l'œuvre du ministre. La table, qui forme le tome VIII, en facilite beaucoup l'utilisation. Les documents sur la taille sont princi- palement aux tomes II, 1" partie, IV et VII. Les lettres de Colbert sont malheureusement trop rares pour la période 1661-69.

J. Combes, Traité des tailles et autres charges et subsides tant ordi- naires que extraordinaires qui se lèvent en France, Paris, 1576 (B. Hat. Lf**l); nouv. éd. Paris, 1598. C'est le premier traité spécial sur la taille. L'auteur était avocat à Clermont.

Couchot et Du Roussaud de la Combe, Le praticien universel, ou le droit français et la pratique de toutes les juridictions du royaume, éd., Paris, 1738, 2 vol. in-4".

Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, 1757, 2 vol. in-4°; nouv. éd. par Camus et Bavard. Paris, 1783-90, 9 vol. in-4°.

Sur cette réédition, voir . Du pin, Lettres sur la profession d'avurnt. 866. Sauf indication contraire, je renvoie à l'éd. de 1783.

Depping, Correspondance administrative sous le règne dp Louis XLV, Paris, 1850-55, 4 vol. in-4°. (Coll. de Doc. inéd.).

Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public et le Legum delectus, nouv. éd. Paris, 1777, 2 tomes in-fol.

La !«• éd. est de 1689 (Domat est mort en 1695). Le traité du Droit public (en tête du t. II) contient un chapitre très clair sur les finances.

BIBLIOGRAPHIE. XXIII

Du Crot, Le nouveau traité des aydes, tailles et gabelles. Paris, 1636, in-12. La lre éd. est de 1627.

[Du Lys], Traité sommaire de l'origine et progrès des offices, tant des trésoriers de France que des généraux des finances, fait en octobre 1618 ; de l'union et multiplication d'iceux, Paris, 1618, in-4° *.

L. Duval, Etat de la généralité d'Alençon sous Louis XIV, [Alencon], 1890, in-4°.

Publication du mémoire de l'intendant Pomereu sur la généralité en 1698.

Eon de Beaumont (d'), Essai historique sur les différentes situations de la- France par rapport aux finances sous le règne de Louis XIV... Amsterdam (Paris), 1753, in-12.

Id.,, Mémoires pour servir à l'histoire générale des finances, Londres, 1758, 2 vol. in-12. '

Essai sur la répartition de la- taille et des vingtièmes, précédé d'un examen succinct de plusieurs systèmes sur la réforme et la conversion des impôts, Londres et Paris, 1788, in-4° (un ex. aux Arch. Nat. ADix 470170).

L'auteur, inconnu, semble être un intendant de province : cf. p. 11.

Encyclopédie méthodique, partie Finances, publ. sous la direction de Rousselot de Surgy, Paris, 1784, 3 vol. in-4°.

Rousselot de Surgy était intendant des finances. Quelques articles de l'ouvrage sont empruntés à Y Encyclopédie de Diderot et Dalembert (ils sont marqués d'un astérisque), mais la plupart sont originaux et excellents. L'art. Taille, « a un ancien receveur des tailles », est très développé (t. III, p. 637-681). Voir aussi les art. Charges publiques. Collecteur, Géné- ralités. Impositions, Intendants, Receveurs généraux.

Farin, Histoire de la ville de Rouen, Rouen, 1668, 3 vol. in-12. Nouv. éd., Rouen, 1731, 6 part, en 2 vol. in-4°.

De Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique contenant l'explication des termes de droit, d'ordonnance, de coutumes et de pratique, avec les juridictions de France, nouv. éd.. Paris, 1771, 2 vol. in-4°.

La lre éd. est de 1734; la majeure partie des additions et corrections faites ensuite sont dues à Boucher d'Argis (Dupin, Lettres sur la profession d'avocat, 1257).

Fleurv (abbé Cl.), Institution au droit français, éd. Laboulaye et Dareste", Paris, 1858, 2 vol.

Forbonnais (Véron de), Recherches et considérations sur les finances de France depuis l'année 1595 jusqu'à l'année 1721, Bâle, 1758, 2 vol. in-4°.

Une édition en 6 vol. in-12 a été publiée à Liège la même année; mais je renvoie toujours à l'éd. in-4°2.

Foucault, Mémoires, publ. par Baudry, Paris, 1862 (Coll. de Doc. inéd.).

1. Sur les Trésoriers de France, une série d'ouvrages sont indiqués dans le P. Lelong, Biblioth. hist., t. III, n°! 34 032 et suiv.

2. Sur l'auteur et l'importance de son ouvrage, voir la notice placée en tète de ses Fragments économiques, dans la Collection des principaux économistes, t. I, et Véron-Duverger, Etude sur Forbonnais, Paris, lOOO.L'étude critique sur les tableaux de recettes et de dépenses des Recherches et considérations publiée par M. Bou- tarel, dans les Séances et irai', de VAcad. des se. mor., 1904, est sans valeur.

XXIV UIBLIOCHAl'HIE.

Foucault fut intendant de Caen. En appendice de la publication sont des - et I ault et de Colbert.

Gaultier de Biauzat, Doléances sur les surcharges que les gens du peuple su/i/tiirlent en toute es/ièrr d'impôts, S. 1., 1788.

Gauret, Stile du conseil du Boy. Paris, 169'*, in-4°.

Guyot et Merlin, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en Fiance à chaque dignité, office.*. Paris, 1786-88, 4 vol. in-'i ".

[Hennequin], Le guidon général des finances, nouv. éd. par S. Hardy, « receveur des tailles et aydes de l'eslection du Mans », Paris, 1644, in- 11'.

La première édition est de 1581; de nombreuses autres suivirent jus- qu'à celle-ci, qui est la dernière. L'ouvrage eut une grande célébrité; en 1667, Boileau le cite encore comme le manuel courant du financier (sat. VIII, vers 184), et même en 1727, Bouthilier de Chavigny, dans ton Dic- tionnaire des finances, le recommande aux praticiens (p. 234).

Hoiiard, Dictionnaire analytique, historique, étymologique... de la cou- tume de Normandie. Rouen, 1780-82, 4 vol. in-4°.

L'instruction des officiers des finances, de la Chambre des comptes, des trésoriers de France et autres qui reçoivent et distribuent les deniers du roy, Paris, 1662, in-'« .

La Barre, Formulaire des esleuz, auquel sont contenues et déclarées les fonctions et devoirs des dits officiers... Rouen, 1622, in-16 (un ex. Bibl. Nat. Inv. F 25 459).

L'auteur était président en l'élection de Mortain (voir Annuaire de la Manche, 1848, p. 302-310). Il donne quantité de renseignements et d'ob- servations sur les usages de Normandie. Une seconde édition, identique à la première, est de 1627, et une troisième, très peu différente, de 1629.

Lambert (Joseph), Instructions courtes et familières sur les évangiles... en faveur des pauvres, et particulièrement des gens de la campagne, Paris, 1721, in-12 (B. Nat. D 15 864).

Le sermon pour le 8e dimanche après la Pentecôte est tout entier con- sacré à la taille.

Lange, La nouvelle pratique civile, criminelle et bénéficiale, ou le nou- veau praticien français, 10° édition, Paris, 1706, in-4°.

Sur les diverses éditions de l'ouvrage, voir la bibliographie de Camus et Dupin, 1174.

La Poix de Fréminville, Traité général du gouvernement des biens et affaires des communautés d'habitans, Paris, 1760, in-4°.

Le chap. i\ (p. 228 et suiv.) est spécialement consacré à la taille.

Lebeurier (abbé), État des anoblis en Normandie, de lobo à 1661, avec un supplément, Evreux, 1866.

Le Bret, OEuvres, nouv. éd., Paris, 1689, in-fol.

Outre le Traité de la souveraineté du Roy, paru en 1632, ce recueil contient (p. 334-559) les plaidoyers prononcés par Le Bret comme avocat général à la cour des Aides de 1593 à 1599, sont traitées beaucoup de questions relatives à la taille.

Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel... Plus l'eslection ou de la jurisdiction des esleus, Lyon, 1618, 2 vol. in-4° (Bibl. Nat. Inv. F. 11 719).

BIBLIOGRAPHIE. XXV

Lefebvre de la Bellande, Traité général des droits d'aides, Paris, 1760, 2 parties en 1 vol. in-4°.

O. Lefèvre d'Ormesson, Journal, publ. par Chéruel, Paris, 1860, 2 vol. in-4° (Coll. de Doc. inéd.).

Le Trosne, De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt, Bâle, 1779, in-4°.

Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des tailles, ou conférence rai- sonnée des édits, déclarations du roi, arrêts et réglemens de la Cour des comptes, aides et finances de Normandie... Caen, 1787, 2 vol. in-12.

L auteur était avocat à Lisieux. Cet ouvrage donne des renseignements très précieux sur la jurisprudence et les usages de Normandie, mais ils se rapportent surtout au xvme siècle.

Louis XIV, Mémoires pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss, Paris, 1860, 2 vol.

Loyseau, Œuvres, éd. de Lyon, 1701, in-fol.

Mallet, Comptes rendus de V administration des finances de la France sous Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, avec des recherches sur l'origine des impôts, Londres, 1789, in-4°.

L'auteur était premier commis du contrôle général sous Desmaretz; son travail, précieux surtout par les tableaux d'impositions, a été fait à l'aide de documents authentiques : cf. le ms. fr. 7 752 de la B. N. Sur l'ouvrage, voir De Boislisle, Corresp. des contr. généraux, I, p. xvm-xix.

[De Merville], Maximes générales sur les tailles, aydes et gabelles, tirées des ordonnances, édits, déclarations, Paris, 1725, in-12.

Mirabeau (marquis de), L'ami des hommes, ou traité de la population, Avignon, 1756-58, 5 vol. in-12.

Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les impositions et droits en Europe, Paris, 1768-1787, 5 vol. in-4°.

Le t. II (ou t. Ier de la seconde partie) est consacré à la taille. L'auteur, intendant des finances, avait été officiellement chargé de la publication de cet ouvrage très précieux pour nous.

Necker, De l'administration des finances de la France, P., 1784, 3 vol.

Id., Compte rendu au Roi au mois de janvier 1181, Paris, 1781, in-4°.

Id., Eloge de Jean-Baptiste Colhert, discours qui a remporté le prix de V Académie française en 1773, Paris, 1773.

Ces trois ouvrages ont été réédités dans les Œuvres complètes de .¥. Necker, publ. par le baron de Staël, Paris, 1820, 15 vol.

Pontas, Dictionnaire des cas de conscience, Paris, 1727, 3 vol. in-fol. Rééd. dans l'Encyclopédie de Migne.

Procès-verbal des séances de l'assemblée provinciale de la généralité de Rouen, Rouen, 1787, in-4°.

Id., de Basse-Normandie, Caen, 1788, in-4°.

Id., de la Moyenne Normandie et du' Perche, Généralité d'Alencon, Lisieux, 1787, in-4°.

Sur les assemblées provinciales, voir Condorcet, Essai sur la consti- tution et les fonctions des assemblées provinciales, t. II (sur les impôts),

\\V| ltlIlI.KKillAI'lli: .

«•1 De I.ih-.iv, l.rs ,i s w//i l,l,'-rs jnn^incinles sous Louis \ 17, Paris, 1871.

Rerueil (1rs mlr.s, litres rt nirmoirrs ronrrrnant les affaires du Clergé

mer, Paris et Avignon, 1768-1781, 13 vol. in-4°. Voir la table de ce recueil, au mot Taille.

/Irprrtoirr univrrsrl rt raisonné de jurisprudence civile, criminelle, c<um- nitjiie et briir/iiinlr, publ. sous la direction de P. G. Guyot, nouv. éd., P«rb, 178'»-85, 17 vol. in-4°.

De Rochas d'Aiglun, Vauban, su famille et ses écrits. Ses Oisivetés et sa correspondance, analyse et extraits, Paris et Grenoble, 1910, 2 vol. in-4°.

Publication partielle et très fautive des écrits de Vauban : voir Bull, de la Soc. d'il ist. moderne, juin 1912 (Xe année, p. 130-134).

Saint-Pierre (Ch. I. Castel, abbé de), Mémoire pour rétablissement de la taille proportionnelle, s. 1., 1717.

ld., Annales poliliaues, Londres, 1758, 2 vol. in-12, nouv. éd. par Drouet, Paris, 1912.

Cf. Goumy, Etude sur la vie et les écrits de Vabbé de Saint-Pierre, Paris, 1859; Drouet, L'abbé de Saint-Pierre, Paris, 1912; et l'ouvrage de Paultre, indiqué ci-dessous.

Saint-Simon, Mémoires, éd. Chéruel et Régnier, Paris, 1873, 22 vol. in-12. Ed. de Boislisle, Paris, 1878 et suiv. (en cours de publ.; 24 vol. parus).

Id., Ecrits inédits, publ. par Faugère. Paris, 1880-83, 6 vol.

[Saugrain]. Le dénombrement du royaume par élections, paroisses et feux, Paris, 1709. Nouv. éd., 1720.

Spanheim, Relation de la cour de. France en 1690, éd. Bourgeois, Paris et Lyon, 1900.

Turgol, Œuvre*, édit. Daire, dans la Collection des économistes français du xviiic siècle, 18'i4, 2 vol.

Vauban, Projet d'une dixme royale... s. 1., 1707, in-4°.

Sur les rééditions de cet ouvrage, les polémiques qu'il a soulevées, et sur 1 auteur, voir le travail de Maurice Vignes, cite en tête de ce chapitre, et les ouvrages sur Vauban indiqués ci-dessous.

Vieuille, Nouveau traité des Elections..., Paris, 1739. L'auteur était élu à Saintes. Ses chapitres décrivent, en se référant aux ordonnances, toutes les opérations de 1 imposition !.

Voltaire, Le siècle de Louis XIV, éd. Bourgeois, Paris, 1903, in-16.

\ ovsin de la Xoiraye. Mémoire sur la généralité de Rouen (1665). analyse et extraits, avec notes cl appendices, publ. par Ed. Esmonin, Paris, 19*13.

1. On cite parfois, à côte de cet ouvrage, celui de De Vulson, intitulé également Traite des élections, Paris, 1G«'J (par exemple le P. Lelong, t. III, 33 875), mais u traite des « élections d'héritiers, contractuelles et testamentaires ». il n'a aucun rapport avec la taille.

BIBLIOGRAPHIE. XXVII

OUVRAGES

Ouvrages généraux sur l'histoire et les institutions.

D'Arbois de Jubainville, V administration des intendants d'après les archives de l'Aube, Paris, 1880.

Le chapitre II, sur la taille, ne fait guère que résumer l'art. Taille du Répertoire de Guyot.

G. d'Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, Paris, 1884-90, 5 vol.

Babeau, Le village sous V ancien régime, Paris, ,.1879, in-12.

Id., La vie rurale dans V ancienne France, Paris, 1882.

Beaucorps (Ch. de), L'administration des intendants d'Orléans de 1686 à 1713, Orléans-, 1911.

Le chap. iv (p. 52-93) traite de la taille.

Bonnemère, La France sous L,ouis XIV, Paris, 1865, 2 vol.

Id., Histoire des paysans depuis la fin du moyen âge jusqu'à nos jours, Paris, 1874, 2 vol.

Caillet, L'administration en France sous le ministère du cardinal de Richelieu, 2e éd., Paris, 1861, 2 vol. in-12, Voir t. I, p. 398 et suiv.

Cans, L'organisation financière du clergé de France à 'l'époque de Louis XIV, Paris, 1910.

Chéruel, Histoire de France sous la minorité de Louis XIV, Paris, 1879- 80, 4 vol.

Id., Histoire de France sous le ministère de Mazarin, Paris, 1883, 3 vol.

Id., Mémoires sur la vie privée de Fouquet, Paris, 1864, 2 vol.

Id., Histoire de V administration monarchique en France depuis l'avène- ment de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, Paris, 1855,

2 vol.

Dareste, Histoire de l'administration et des progrès du pouvoir royal en France depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu'au règne de Louis XIV, Paris, 1848, 2 vol.

Id., Etudes sur les origines du contentieux administratif, Paris, 1855-57,

3 vol.

R. Dareste, La justice administrative en France, Paris, 1862; nouv. éd., Paris, 1897.

Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV. Récits et tableaux, Paris, 1871-76, 6 vol.

Godard, Les pouvoirs des intendants sous Louis XIV, particulièrement dans les pays d'élections, de 1661 à 1715, Paris, 1901.

Les chapitres VII et VIII exposent le rôle des intendants dans la répar- tition et la levée de la taille ; ils sont bourrés d'inexactitudes. Des docu- ments utiles sont publiés à l'appendice.

Lair, Nicolas Fouquet, Paris, 1890, 2 vol.

XXVIII IIIHI.KMJIIAPHIB.

Lange, /.'/ Brutire critique des conditions et des institutions sociales, Paris, 1909.

Lavisso, Histoire de France, des origines à 1789, Paris, 1900-1911, 9 tomes en 18 vol.

Particulièrement t. VII, lre partie, p. 188-193.

A. Leroux, Introduction de l'Inventaire sommaire des archives départe- mentales de la Haute-Vienne, série C, Limoges, 1891, in-4°.

Levasseur, H-stoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789, 2e éd., Paris, 1901, 2 vol. in 4°.

11. Monin, Essai sur l'histoire administrative du Languedoc pendant l'intendance de Basville, 1685-1719, Paris, 1884.

Taine, Les origines de la France contemporaine. L'ancien régime, 26e éd., Paris, 1907, 2 vol. in 12.

Warnkœnig, FranzOsiscke Staats-und lîechtsgeschichte, 2e éd., Bâle, 1875, 3 vol.

Ouvrages sur les finances, et en particulier sur la taille.

Bailly, Histoire financière de la France depuis Vorigine de la monarchie jusqu'à l'année 1828, t. II, Paris, 1830.

C. Bloch, Une enquête officielle sur la taille dans la généralité d'Orléans, article de La Révolution française, février 1898.

De Boislisle, Les intendants et la taille, dans son éd. des Mémoires de Saint-Simon, t. III, appendice XV.

L. Bouchard, Système financier de l'ancienne monarchie, Paris, 1891, in-12.

A. Brette, La noblesse et ses privilèges pécuniaires en 1189, dans La Révol. française, 14 août 1906.

F. Cadet, Pierre de Boisguilbert, précurseur des économistes, Paris, 1871.

Callerv. Histoire de la taille royale aux xvnc et xvme siècles, étude des- tinée à l Histoire des institutions financières de l'ancienne France, dans la Rev. des Ouest, hist., 1882, et tirage à part, Bruxelles, 1882.

Etude très sommaire, l'auteur veut réfuter les critiques adressées habituellement à la taille; sa thèse est loin d'être démontrée.

Clamageran, Histoire de l'impôt en France, Paris, 1867-76, 3 vol.

Cossa, Histoire des doctrines économiques, trad. de l'italien, Paris, 1899.

Dessart, Traité de l'impôt foncier, Paris, 1902.

A. Dubois, Précis de l'histoire des doctrines économiques dans leurs rap- ports avec les faits et avec les institutions. T. I (L'époque antérieure aux Physiocrates), seul paru à ce jour, Paris, 1903.

P. Duchemin, L'impôt sur le revenu en Normandie... dans la Revue... de la Société libre d'agriculture... de l'Eure, 1897 (Ve série, t. V).

Dupré, Mémoire sur les anciens impôts directs de la généralité d'Orléans, dans Congrès scientifique de France, 18e session, 1851, t. II, p. 67.

BIBLIOGRAPHIE. XXIX

Fspinas, Histoire des doctrines économiques, Paris, s. d.

Esquirou de Parieu, Histoire des impôts généraux sur la propriété et le revenu, Paris, 1856.

Id., Traité des impôts, nouv. éd., Paris, 1872, 4 vol.

Fournier de Flaix, La réforme de Vimpôt en France. Tome premier. Les théories fiscales et les impôts en France et en Europe aux xvne et xvme siè- cles, Paris, 1885.

L'ouvrage n"a pas été continué. C'est l'exposé le plus complet des théories sur l'impôt avant 1789.

De Fréville, Les divisions financières de la France avant 1789, dans Y Annuaire de la Société de V Histoire de France, 1840.

Horn, L'économie politique avant les Physiocrates, Paris, 1873.

De Jouvencel, Le contrôleur général des finances sous l'ancien régime, Paris, 1901.

G. Lardé, La capitation dans les pays de taille personnelle, Paris, 1906.

De Luçay, Vimpôt sur le revenu et en particulier sur le revenu agricole en France au XVIIIe siècle, dans les Comptes rendus de l'Acad. se. mor., t. CXLIX, 1898, et en tirage à part.

Marion, L'impôt sur le revenu au XVIIIe siècle, principalement en Guyenne, Toulouse, 1901 (collect. de la Bibliothèque méridionale).

Id., Les impôts directs sous l'Ancien régime, principalement au XVIIIe siècle, Paris, 1910 (Collect. de textes sur l'hist. des institutions et des services publics de la France moderne et contemporaine, publ. sous la direction de M. C. Bloch).

Recueil de textes, avec une bonne introduction et une bibliographie.

De Montyon, Particularités et observations sur les ministres des finances de France les plus célèbres depuis 1660 jusqu'en 1791, Paris, 1812. Le premier chapitre (p. 20-79) est consacré à Colbert.

Nouveau dictionnaire d'économie politique, publ. sous la direction de L. Say et J. Chailley, Paris, 1891-1892, 2 vol. Voir l'art. Taille.

Paultre, La « taille tarifée» de l'abbé de Saint-Pierre et V administra- tion de la taille, Paris, 1903.

Prouhet (Dr). Contribution à l'étude des assemblées générales des commu- nautés d'habitants, dans les Mém. soc. des Antiquaires de l'ouest, 1902.

Jos. Rambaud, Histoire des doctrines économiques, Paris, 1902.

Stourm, Les finances de l'ancien régime et de la Révolution. Paris, 1882, 2 vol.

Histoires locales.

Voiries bibliographies générales de :

Frère, Manuel du bibliographe normand, Rouen, 1858-60, 2 vol. Lavalley, Catalogue des ouvrages normands de la bibliothèque munici- pale de Caen, Caen, 1911-12, 2 vol.

XX\ HIIII.IOMIAI'IIII .

La plupart des ouvrages indiquas ci-dessous ne contiennent que de petits renseignements sur la taille.

i;.)i. i\. Butoir* i* lu ville du Havre et de son ancien gouvernement, Le Ha>ro. M80-88, 9 vol.

L. Charles, De i administration d'une ancienne communauté d'habi- tants du Maine, Le Mans, 1862.

L. Delisle, Etude sur la classe agricole et Vétat de l'agriculture en Nor- mandie au mm en âge, Paris. 1851.

Id., Des revenus publics en Normandie au XIIIe siècle, dans la Biblio- thèque dr riîmle des Charles, 1848-49.

P. Duchemin, Histoire de Bourg- Achard, Pont-Audemer, 1890.

Id., Histoire de Bourgthéroulde, ibid., 1888.

Id., Histoire de Saint-Etienne du liouvray, Rouen, 1892.

Id., Sotleville-lès-Rouen et le faubourg Sainl-Sever. Emendreville. Rouen, 1893.

Id., Notice historique sur Flcury-la-Forêt, Gisors, 1893.

Id., et Saint-Denis, Notices historiques et statistiques sur les communes dr l arrondissement de Berna?, Elbeuf, 1885-90,5 vol. in-16; de l'arron- dissement de Pont-Audemer, 1892; des environs d' Elbeuf', Elbeuf, 1885-90, 8 vol. in-16.

Id. et Lebreton, Notice historique sur Illeville, Pont-Audemer, 1886.

Dumaine (abbé), Les sergenteries, dans le Bull, de la Soc. hirt... de l'Orne, t. V (1886), p. 13.

Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Rouen, 1840-49, 7 vol.

Hù. Le baillage seigneurial de Pontlevoy... I, L'impôt, Blois, 1884.

Hunger, Histoire de Verson, Caen, 1908.

Legrelle, La Normandie sous la monarchie absolue, Rouen, 1903.

Id., Notice historique sur Pont de l'Arche, Pont-de-1'Arche, 1900.

Le Prévost (A.), Anciennes divisions territoriales de la Normandie, dans YAnnuaire historique pour 1838, p. 231 et suiv.

A. Martin, Histoire de la ville de Saint-Romain de Colbosc (Seine-Infé- rieure), Fécamp, 1892.

Potiquet, Tableau général de l'élection de Chaumont et Magny, Magny, 1881.

E. Semichon, Histoire, de la ville d'Aumale, Paris, 1862, 2 vol.

Sion, Les paysans de la Normandie orientale,... Etude géographique, Paris, 1909.

Vitet, Histoire de Dieppe, Dieppe, 1844.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

A. U. Archives départementales (du Calvados et de la Seine-

Inférieure). A. Mun. Archives municipales.

A. N. Archives nationales.

B. Mun. Bibliothèque municipale.

B. N. fr. Bibliothèque nationale, Département des manuscrits,

fonds français.

C. d, T. Le nouveau Code des tailles (ci-dessus, p. xix). Clairamb. Biblioth. nationale, manuscrits, fonds Clairambault. Clém. Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés

par P. Clément (ci-dessus, p. xxn).

Cinq-Cents Colb. Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds des Cinq- Cents Colbert.

Depping, Correspondance administrative sous le règne de LouisXIV,

publiée par Depping (ci-dessus, p. xxn).

M. C. Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds des Mélanges

Colbert.

Mém. alphab. [Bellet-Verrier], Mémorial alphabétique des choses con-

cernant la justice... (ci-dessus, p. xxi).

Néron, Recueil dédits et ordonnances royaux, par Néron et

Girard, éd. 1720 (ci-dessus, p. xix).

Règlements Règlemens rendus sur le fait des tailles... de Normandie,

de Normandie, Rouen, 1710 (ci-dessus, p. xix).

Tous les ouvrages cités dans la bibliographie ou dans les notes sont de format in-8°, sauf indication contraire.

Les textes cités sont donnés avec l'orthographe de la source à laquelle ils sont puisés.

Tous les actes législatifs mentionnés dans ce travail se trouvent dans les Règlemens rendus sur le fait des tailles... de Normandie, à leur ordre chronologique, sauf indication contraire.

LA TAILLE EN NORMANDIE

AU TEMPS DE GOLBERT (1661-1683)

CHAPITRE PREMIER

LE BREVET DE LA TAILLE

I. LE DROIT D IMPOSER. El. L ADMINISTRATION CENTRALE.

m. l'établissement du brevet

I. LE DROIT D'IMPOSER

La taille était l'impôt que le roi levait sur certains de ses sujets à raison de leur fortune ou de leur revenu1.

Impôt royal, la taille se distingue des levées faites par les seigneurs sur leurs hommes ou par les communautés sur leurs membres. Impôt levé sur les personnes, elle se distingue des taxes sur les marchandises vendues ou transportées, comme la gabelle, les aides, les traites, les droits sur le tabac, etc. Enfin, impôt proportionnel à la fortune ou au revenu, elle diffère des impôts sur les personnes, comme certaines formes de capita- tion, les péages, le service militaire, etc.

Le nom de taille désigna à l'origine un impôt féodal : c'était la redevance perçue par le seigneur sur ses hommes; le roi la leva d'abord sur ses domaines propres en qualité de seigneur;

t. Cette définitioni est à peu près celle de tous les auteurs qui ont traité du sujet; leur énumération formerait une liste démesurée. Je me borne à signaler une définition singulière donnée par la Cour des aides de Paris dans un arrêt du 6 mai 1775 : « La taille, le plus ancien des impôts directs, est celui qui se lève sur les roturiers non privilégiés dans les provinces qu'on appelle pays d'élections, c'est-à-dire dans celles qui n'ont point, d'états provinciaux » (dans Auger, Mémoires sur le droit public de la France, p. t;59). Il y a une grosse erreur; la taille existait également dans les pays d'états : la Normandie eut des états jusqu'en 1657 tout en payant sa part de taille; le Languedoc, la Provence, la Bourgogne, furent dans le môme cas. 11 est curieux que le plus haut tribunal, celui qui jugeait en dernier ressort les affaires relatives à la taille, n'ait pas su définir exactement cet impôt.

LA TAILLE EN NORMANDIE. I

LA TAILLE BN NORMANDIE.

il ne l'étendit qu'ensuite à ses autres sujets. L'impôt royal s'ap- pela d'abord aide, fouage ou subside; sans changer de carac- tère, il prit plus tard le nom de taille, qui lui est resté.

L'origine des impôts royaux est une question extrêmement complexe '. La taille en particulier doit sa naissance aux besoins d'argent extraordinaires des rois pour la guerre. Elle ne fai- sait pas partie primitivement des droits régaliens, et c'est sous divers prétextes qu'elle lut d'abord levée, toujours à titre exceptionnel et temporaire; au bout d'un long temps seule- ment, par habitude, on en vint à la considérer comme un devoir régulier des sujets envers le souverain. Tantôt les rois invo-

3uèrent, au début, le principe de l'aide féodale : tel fut le cas e Philippe-Auguste partant pour la croisade; tantôt, suivant la théorie des légistes, ils s'appuyèrent sur la loi romaine, qui faisait du droit d'imposer un des attributs de la puissance sou- veraine; tantôt enfin ils firent racheter l'exemption du service militaire, qu'ils avaient le droit d'exiger de tous.

Mais en toutes circonstances, à l'origine, un principe était unanimement admis, c'est que le souverain hors de son domaine n'avait pas le droit de lever des impôts à sa volonté; il ne pouvait, comme l'a reconnu Boulainvilliers, « exiger aucune somme des vasseaux des seigneurs si eux-mêmes n'y avoient consenti et n'en avoient fait l'imposition* »; il deman- dait son consentement, soit à chacun individuellement, par des négociations privées, soit en même temps à tous les seigneurs d'une région, d'où sont nés les Etats provinciaux, soit à tous les seigneurs du royaume réunis, et c'est l'origine des Etats généraux. Pour obtenir ce consentement, il devait, en général, justifier de besoins exceptionnels. Ainsi l'impôt, a ses débuts, fut une mesure extraordinaire, justifiée par les circonstances. Ces circonstances se multipliant, la taille devint permanente en fait sans l'être jamais reconnue en droit. C'est un peu arbi- trairement qu'on fixe à l'année 1439 le début de l'impôt per- manent.

De cette origine, il est resté plusieurs traces au xvne siècle, dans le langage et dans les formes de l'imposition : la taille continue à être communément qualifiée par les théoriciens

1. Sur cette question, qui dépasse le cadre de cette étude, voir, outre les ouvrages généraux indiqués dans la bibliographie, les introductions de Pastoret aux t. XV et XVI du Recueil de» ordonnances des rois de France; Viollet, llist. des institutions de la France, t. III, p. 442 (avec bibliographie); Borrelli de Serres, Recherches sut quelques services publics, 1895-1904; Vuitry, Etudes sur le régime financier delà France, Paris, 18/8-1883; Jncqueton, Documents relatifs à l'admi- nistration financière en France, Z443-/523, Paris, 1891 ; Flammermont, De concessu legis et auxilii XIII" saeculo, Paris, 1883. L'ordonnance de 1270 publiée en tête du Code des failles a été souvent prise par les historiens anciens pour l'acte d'établissement de la taille royale; en réalité, elle concerne uniquement la levée de la taille dans le domaine du roi.

2. Etat de la France, éd. 1717, t. III, p. 490, Cf. Ord. des rois de Fr., I, 371.

LE DROIT D IMPOSER. 3

d'impôt extraordinaire, le nom de « revenus ordinaires » étant réservé pour les produits du domaine. Le roi lui-même, dans certains actes, fait cette distinction ; ainsi l'Ordonnance civile d'août 1669 qualifie les officiers des élections de « juges extra- ordinaires », et le commentateur Bornier explique ainsi cette expression : « Les tailles, aydes, gabelles et autres impositions sont matières extraordinaires dont connoissent les officiers des élections, des greniers à sel et des autres jurisdictions extra- ordinaires créées a l'effet d'entretenir ces nouveautez qui leur ont donné ce nom»1. Théoriquement, la Chambre des comptes ne connait que des revenus ordinaires, et la Cour des aides que des revenus extraordinaires. Il n'est pas besoin d'un acte légis- latif pour lever les droits domaniaux, tandis qu'une ordonnance est nécessaire pour les autres impôts; c'est ainsi que, pour la taille, le roi est obligé d'expédier chaque année des « com- missions » en forme.

Si le consentement de l'impôt était un principe de droit public pour l'ensemble du royaume 2, il était tout particulièrement néces- saire en Normandie. La Charte aux Normands , de mars 1315, en son art. 7, consacrait en effet le privilège de la province de ne payer des impôts que dans les circonstances extraordinaires3; en conséquence la levée de subsides ne pouvait y être faite qu'avec l'assentiment des intéressés : d'où la convocation des Etats. Chaque « aide » accordée était un « don » fait pour une fois seulement, « de pure amour et grâce », sans obliger les contribuables pour l'avenir. Il arrivait que ce don fut refusé; ainsi en avril 1351, les députés des villes, considérant que la province a le privilège de ne « faire aide ou subside aucun », n'accordèrent pas l'impôt qui leur était demandé. En avril 1458, le roi Charles VII après avoir repris la province aux Anglais,

1. Conférence des ordonnances de Louis XIV..., édit. 1755, t. I, p. 447. Pendant tout le xvme siècle cette distinction sera conservée (voir Auger, Principes du droit public, p. 147; Gaultier de Biauzat, Doléances sur les surcharges... du peuple, 1788, p. 45 et suiv. etc.). Mais dès le milieu du xvii* siècle, de nombreux auteurs font observer que la distinction est désuète : ainsi, le géographe Davity, dans sa Description de la France, 1626 (éd. 1660, t. II, p. 30); l'Etat de la France dès sa première édition ; un traité sur la Chambre des comptes, contemporain de Colbert (Bibl. Sainte Geneviève, ms. 412, 121), etc.

2. La doctrine est formulée avec netteté aux Etats de 1484, les députés du tiers déclarent que les tailles ne peuvent être levées sans le consentement du peuple et que, « ayant été instituées à cause de la guerre, [elles] devraient être supprimées, cette cause cessant ». Elles sont un impôt « extraordinaire » et « inique », et c'est à tort que les gens du roi « s'appliquent à ce que les tailles, de même que le reste des impôts, et tel qu'une redevance royale, se maintiennent toujours et enfin s'immortalisent » (Journal de Jean Masselin, publ. par Baudry, trad. française, p. 414 et 418 ; cf. le cahier d î commun des états, p. 679). Les Etats du xvi" siècle et encore ceux de 1614, formulèrent toujours la même théorie, celle du reste qui sera reprise en 1789.

3. « Dores en avant, par nous ou par nos successeurs en ladicte duchié es per- sonnes ou es biens outre rentes, chevels et services deus à nous, tailles ou sub- vencions ou exactions quelsconques faire ne puissions ne ne doions, se prouffit évident ou nécessité grant ne le requiert ». Ordonnances des rois de France, t. I, p. 552; cf. Goville, Les Etats de Normandie, Paris, 1894, p. 38.

k LA TÀ1LI.I I I \o i:\l.VNDIE.

lui avait renouvelé ses privilèges, s'engageanl notamment à ne lever l'impôt que du consentement de ses trois états*.

h.s [a lin dn xiv" siècle, les rois l'appliquèrent à détruire cette indépendance locale, et ils y réunirent* » plusieurs reprises; ii partir du milieu du xvie siècle surtout, ils arrivèrent, au moyen de subterfuges et de ménagements, à lever régulièrement la taille en Normandie sans le consentement des Etats.

Le procédé le plus ordinaire lut de ne réunir l'assemblée qu'après avoir donné l'ordre de lever l'impôt3. Ainsi, toute réclamation devenait inutile : le roi se bornait à répondre que, les commissions des tailles étant déjà expédiées, il ne pouvait « pour cette année » examiner les doléances des députés. Vai- nement les Etats protestèrent contre ces convocations tardives4.

Un autre subterfuge consista à créer des impôts nouveaux, en tons points semblables h la taille, au lieu d'augmenter celle-ci : tel lut le cas pour la crue des garnisons, le taillon, la solde des maréchaussées; malgré les protestations des Etats, ces impôts furent levés « au sol la livre » de la taille, sans aucun consen- tement15.

Peu à peu l'assentiment des contribuables cessa de paraître une condition indispensable à la levée de l'impôt, et le roi put sans inconvénient supprimer la régularité des assemblées. A partir de 1632 surtout, les réunions s'espacent; on voit passer deux et trois ans sans convocation : de 1632 à 1657, en vingt-six ans, il n'y en a que cinq6. A partir de 1657, le roi

1. « Niai per convontionem et congregationem gentium trium statuum dicti ducatus, sicut factum fuit et consuetum temporeretrolapso. » Cf. de Beaurepaire, Cahiers des étals... récites de Louis A /// et de Louis XII', 1. 11 1, introduction et p. 130.

2. Voir Coville, Les Etats de Normandie... p. 187.

3. C'est ainsi que, dès le xvi" siècle, on prit l'habitude de fixer la taille de la Normandie avec celle des autres pays d'élections, alors que la Bourgogne, le Languedoc, la Provence, le Daupluné, recevaient des commissions séparées.

4. Cf. sur ce point et sur tout ce qui suit les cahiers des états depuis le règne de Charles IX jusqu'à 1657, publiés par De Beaurepaire dans la Collection de la société de l'histoire de Normandie, et l'introduction du dernier volume de ces cahiers. Voir notamment les réclamations des Etats de novembre 1581, de décembre l.V.tf», et de décembre 1616. Ce n'est guère que pendant la minorité de Louis XIII, avec un gouvernement très faible, que les Etats obtinrent satisfaction sur ce point. Mais il arrivait très souvent que l'assemblée fût convoquée en jan- vier et en février de l'année suivante. Même lorsque les Etats invoquent une famine, comme en décembre 1623, pour obtenir un dégrèvement d'impôts, il ne leur est rien accordé. Cf. les plaintes du président Labatre sur l'inutilité des remontrances des Etats : Formulaire, p. 79. Le roi laisse souvent s'écouler un délai considérable avant de répondre aux cahiers; par exemple, le cahier de décembre 1«>34 n'a de réponse qu'en avril 1638.

5. Cf. déjà les plaintes faites aux Etats généraux de 1484 (Journal de Masselin, p. 480-481) et aux divers Etats de Normandie au xvi* siècle, par exemple ceux de novembre 1581 (Cahiers, règne </<• Henri III, p. 140). A peu près aucune réunion n'a lieu au xvu« siècle sans que cette protestation s'y rencontre. Le roi répond par exemple en 1634 qu'il « n'ordonne aucune levée de deniers qu'avec bonne cognoissance, et Sadite Majesté les emploie utilement, pour le bien de tout son Estât ».

6. En 1634, 1638, 1643, 1655, et 1657. La réunion de 1655 avait été datée par erreur de 1658 dans le t. III des Cahier» des états, règnes de Louis XIII et de Louis XIV, mais dans l'Appendice à ce volume, M. de Beaurepaire a corrigé cette

LE DROIT D IMPOSER. 5

s'abstient complètement de réunir les Etats, mais aucun acte ne les déclare supprimés. Longtemps après 1657, on trouve trace de leur survivance ; les fonctionnaires permanents qui agissaient au nom de l'assemblée dans l'intervalle des sessions (commissaires, procureur-syndic, trésorier, huissiers) sont conservés,et reçoivent leurs appointements; jusqu'en 1664, on lève en Normandie la « crue des Etats » à cet effet1; jusqu'en 1666, le roi s'excuse chaque année dans les commissions des tailles de n'avoir pas fait assembler les Etats, parce qu'il a voulu, déclare-t-il, donner de bonne heure « les ordres nécessaires pour les impositions de ladite année prochaine, afin que, les choses se faisant plus à loisir, avec cognoissance, l'égalité soit mieux gardée que par le passé ». Dans des lettres-patentes du 17 novembre 1662, il va jusqu'à se déclarer résolu à n' « apporter aucun changement aux affaires du pays et à l'ordre qui a esté de tout temps gardé » relativement aux Etats 2.

Ces innovations ne furent pas sans provoquer les protesta- tions des Etats. Ceux de novembre 1643 disaient au roi :

« Vostre peuple n'est pas criminel, et la taille qu'il doibt n'est pas un interest de satisfaction pour faute qu'il est faite... C'est une capitation, qui, du commencement volontairement consentie pour fournir aux

erreur et donné un cahier plus complet. Les Etats de février 1638 se plaignent des « impositions faites d'autorité, comme en pais privez de la liberté desdits estats », l'assemblée n'ayant pas été convoquée depuis trois ans. A quoi le roi répond : « Il en sera usé à l'advenir comme par le passé » (Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 38), réponse cruellement ironique, car cette l'ois le roi attendit cinq ans pour les réunir à nouveau.

1. Cf. les lettres-patentes du 17 novembre 1662 pour la levée de la crue : il y est dit qu'elle est destinée « au paiement des taxations des commissaires desdits estats, attendu qu'ils s'estoient tenus prêts de se trouver en l'assemblée desdits estats comme s'ils eussent tenu » (Mémoriaux de la chambre des comptes de Rouen, A. D. Seine-Inférieure, 1663, 41). Ces personnages feignent d'exercer leurs fonctions comme si elles avaient encore quelque raison d'être; par exemple le 19 mars 1664, le procureur-syndic, nommé Aveline, vient déclarer au Bureau des finances de Rouen qu'il est obligé de s'absenter, se rendant à Paris « pour les affaires desdits estats » (A. D. S. Inf. G, 1166, 64). Le 24 octobre 1661, le même Bureau enregistre les lettres de commission de la charge d'huissier des Etats appartenant à Pierre Viard, qui succède à feu Pierre Leleu « en attendant la première tenue desdits estats » (Ibid. G, 1164, 186). C'est seulement en décembre 1666 que fut remboursée la charge de procureur-syndic (De Beaure- paire, Cahiers,... règne de Louis XIV, t. III, p. 414).

2. Lettres patentes ordonnant la levée de la crue des Etats (A. D. S. Inf. Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, 48). Dans son mémoire sur l'état de la généralité de Rouen en 1665, l'intendant Voysin décrit le fonctionnement des Etats delà province, comme s'ils se réunissaientencore régulièrement (P. 11-12.). La même année, l'avocat de Gomont, dans son mémoire à Golbert sur la réfor- mation de la justice, cite la Normandie parmi les pays d'états, ajoutant toutefois qu' « il n'y en a plus qu'une ombre » (B. N. Clairamb. 613, 171). Voir aussi Mélanges de la Soc. Hist. Norm., t. V, p. 154-158, une lettre de Médavy à Mazarin.

C'est vers le même temps que le roi détruisait le** Etats de Dauphiné, par les mêmes procédés. L'opération est bien expliquée par l'intendant Saron-Champigny dans un mémoire du 15 mai 1665 : lorsque, dit-il, le roi a établi des élections en Dauphiné (en mars 1628) il n'a « en façon quelconque parlé de suppression des estats, et... s'est contenté de changer la forme des impositions, en sorte que, s'estant auparavant approprié les gabelles et en ayant faict une ferme, il ne

6 LA TAILLE EN NORMANDIE.

despenses des guerres nécessaires, et, par l'utilité de son usage et facilité des subjets, tournée dans la nécessité de vous la payer tous les ans, encor que parmy nous elle retienne tousjours son premier nom d'octroy, et que, pour ce sujet, en toutes les provinces lesquelles ont retenu la liberté des estais, elle n'est demandée que par la commission de leur convocation, dont elle est le sujet principal1. »

Et ceux de février 1655 :

« Si le sujet de nos assemblées est la communication des volontés de V. M. sur les levées qu'Elle demande pour l'année suivante (ce qui montre que toute autre imposition que celle qui est envoyée par la commission de la tenue de nos cstats est illégitime, ladite commission portant tousjours une clause de stille ordinaire : Défenses aux Tréso- riers de France, Eleus et tous autres, à peine de la vie, d'imposer autre ny plus grande somme que celle qui y est employée), nous avons bien sujet de plainte d'un abus qui s'est introduit depuis notre dernière assemblée, d'ordonner des levées par simples arrests du conseil*... »

Mais ces manifestations demeuraient sans résultats : c'est à peine si le roi daignait y répondre, et les Etats n'avaient aucun moyen d'empêcher la levée.

À maintes reprises, en dehors des Etats, les Normands reven- diquèrent leurs privilèges. En 1620, dans son Formulaire des esleuz, le président La Barre ne manque pas de soutenir qu'en la province « ne se peuvent faire levées de deniers sans grande ceremonye et convention des trois ordres qui y ont interest à donner leur consentement; autrement les levées seroient exac- tion et substraction de l'autruy, tenues à restitution a (p. 77). En 1650, un trésorier général de Rouen est député par ses col- lègues à Paris pour protester contre la forme des impositions, et remontrer « que nous sommes en pays d'Estats, et que l'an- cien usage n'a esté perverty que depuis 1643 ou 44 que le sieur de Miromesnil a esté intendant en nostre generalhté* ». Les mazarinades normandes, comme celles de Paris, soutiennent fréquemment que tout impôt doit être consenti par les sujets, que le roi est comptable envers ses peuples, que les Etats de la province n'ont jamais renoncé à leur droit... En 1658, la noblesse normande insurgée se plaint, entre autres choses, que les Etats de la province, qui se doivent réunir tous les ans, ne « s'étaient tenus qu'une fois depuis un fort longtemps, et

restait plas aucune affaire qui peust donner occasion d'assembler les estats; ainsy sans estre suprimés par aucun édict et déclaration ils l'ont esté en effect; les commis du pays qui ayoyent soing des affaires générales n'ont pas laissé de rester et de s'assembler, mais comme leur pouvoir n'estoit que a'exécuter les résolutions des estats, ne s'en tenant plus, ilz restent sans fonction » (M. C. 129»", f> 440). V

t. De Beaurepaire, Cahiers... règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 109.

2. Ibui. p. 130, 131.

3. Lettre du sieur de Ridel, trésorier de France à Rouen, à ses collègues du Bureau, G juillet 1650, A. D. S. Inf., C, 2346.

LE DROIT D IMPOSER. 7

encore n'avait-on pas voulu voir leurs cahiers et faire raison sur leurs plaintes1 ».

Ces protestations se faisaient facilement jour à la faveur de la faiblesse du gouvernement, mais elles n'étaient pas bien appuyées. Les Etats comme les corps, trésoriers généraux, Par- lements, Cours des aides, Chambres des comptes, ne pouvaient rien; la noblesse vaincue était aussi impuissante. Le roi put mettre la Normandie au rang des autres pays d'élections 2 sans que personne, après 1661, osât faire entendre une plainte. C'est seulement à la fin du xvme siècle qu'on recherchera les anciens privilèges de la province, pour en demander le rétablissement3.

Différentes théories étaient invoquées au xvne siècle pour légitimer les impôts. Nous les trouvons exposées dans les écrits des gouvernants ou des publicistes de leur entourage.

La plus simple est celle de Richelieu. Elle justifie l'impôt par la nécessité de maintenir les sujets dans l'obéissance :

« La raison, dit-il, ne permet pas de les exempter [les sujets] de toutes charges, parce qu'en perdant en tel cas la marque de leur sujé- tion, ils perdroient aussi la mémoire de leur condition, et que s'ils estpient libres de tribut, ils penseroient l'estre de l'obéissance ; il faut les comparer au mulet qui, estant accoutumé à la charge, se gaste par un long repos plus que par le travail *, » e, n i^V^o ^

D'autres invoquent la raison d'Etat ff le prince, chargé de gouverner et d'assurer la prospérité publique, demande à ses sujets l'argent nécessaire. C'est ce qu'explique Domat :

« La nécessité des deniers publics pour faire subsister l'Etat en paix et en guerre demande les contributions d'où ces deniers doivent se tirer. Ainsi le bien commun rend juste l'imposition et la levée des tributs que les besoins de l'Etat rendent nécessaires 5. »

Un Traité des tailles écrit vers 1690 nous dit :

Les tailles « servent à nos roys pour deffendre le royaume et les peuples que Dieu leur a commis, pour punir les rebelles et récom- penser les fidelles. Les tailles sont pour ainsi dire les nerfs de la

1. Legrelle, Les assemblées de la noblesse de Normandie en 1658-59, dans les Mélanges de la Société d'Histoire de Normandie, 1892. I 2. C'est seulement à partir du moment les Etats de Normandie et ceux de l Dauphiné furent supprimés que l'on put identifier les pays d'élections avec la région le roi levait les impôts de sa seule autorité. Auparavant, cette assi- milation était inexacte, puisque les deux provinces, quoique pourvues d'élections, possédaient des états particuliers.

3. Voir les documents réunis aux t. V et VI de Hippeau, Le gouvernement de Normandie... et la brochure de D. Lenoir, La Normandie, pays d'états, 1789.

4. Testament politique, t. I, p. 225. Il ajoute que les impôts doivent être modérés, pour ne pas accabler les contribuables.

5. Les loix civiles dans leur ordre naturel..., éd. 1756, t. II, p. 27. Cf. au contraire une lettre de Le Camus sur un libelle paru en 1665, M. C. 130b", 1083.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

monarchie, les sûretés et le maintien de la guerre, et les ornements de la paix; donc elles sont justes suivant l'équité naturelle, puisqu'elles s'emploient pour la conservation générale de tous les sujets de ce royaume; ce sont d'ailleurs des devoirs que les bons sujets doivent rendre volontairement et sans contrainte ' ».

Le chanoine Claude Joly, à qui son érudition juridique don- nait en son temps de l'autorité, déclare :

« Les impôts sont non seulement innocens, mais aussi nécessaires. Je dis plus, c'est que la contribution est obligatoire et qu'elle doit se faire en conscience par ceux qui peuvent y satisfaire... La raison en est que quand l'impôt estestabli comme il doitl'estre, selon les formes et les lois approuvées, il appartient à la république * ».

Bossuet dira plus brièvement : « La raison fait voir que tout l'Etat doit contribuer aux nécessités publiques auxquelles le prince doit pourvoir3. »

A ces arguments, les jurisconsultes et les théologiens ajoutent l'autorité du droit romain et celle de l'Ecriture sainte. « L'on a tenu pour maxime, dit Lebret, qu'il n'y a qu'eux [les rois] qui aient le pouvoir dans leur royaume de lever des impositions sur les peuples de leur obéissance. En quoi nous avons imité la loi romaine, qui dit en termes exprès... » et il cite le Digeste et Tacite; pour lui, le roi de France a hérité des droits que possé- dait l'empereur*. Les théologiens, comme Bellarmin, et encore Bossuet, invoquent le passage de Saint Paul : Reddite Caesari

Suae sunt Cnesaris : « Rendez donc à chacun ce que vous lui evez, le tribut à qui est le tribut, la taille à qui elle est due, la crainte à qui est due la crainte5. »

Tous s'accordent sur la nécessité de modérer les impôts et de ne pas accabler les sujets; mais leur raison principale est la crainte : « Qui presse trop la mamelle, dit Bossuet, pour en tirer du lait en l'échauffant et la tourmentant, tire du beurre. Qui presse trop les hommes, excite des révoltes et des séditions6 ». A côté de ces théories, anciennes et souvent reprises, nous en trouvons une autre qui ne fut guère en faveur qu'au temps de Louis XIV. Elle fait du roi le seul propriétaire de tous

1. B. N. fr. 14 089, 6. Cf. encore le Dictionnaire des cas de conscience, de Pontns : « On ne peut douter de la justice de ce tribut, car, puisque l'Etat forme un corps dont chaque particulier est membre, il est nécessaire, afin que ce corps subsiste, que chacun contribue selon son pouvoir à sa conservation... » (Art. Taille).

2. Traite des restitutions des grands, Paris 1665, p. 53. Sur l'importance de Claude Joly, voir Lacour-Gayet, l'Education politique de Louis XIV, p. 79 et suiv.

3. l'olitique tirée de l'Ecriture sainte, VI, II, § 3.

4. De la souveraineté du roy, liv. III, ch. vu. Œuvres, éd. 1689, p. 109. Cf. également d'Espeisses, au début de son Traité des Tailles, dans ses Œuvres, éd. 1750, t. III, p. 246.

6. Politique tirée de PEcriture sainte, VI, il, 3. 6. Ibid., X, i, 7. '

LE DROIT D IMPOSER. 9

les biens de son royaume; tout ce que les sujets prétendent posséder est en réalité à lui, il ne leur en laisse que la jouis- sance ; quand il réclame l'impôt, il ne fait que prendre une partie de son bien; le sujet n'a pas plus le droit de le lui refuser qu'un fermier ne peut refuser le fermage à son propriétaire.

Cette doctrine est à la vérité ancienne ; Gerson l'expose et la réfute1; on la trouve dans l'entourage du roi Charles VII vers le temps la taille devint permanente; aux Etats de 1468, Juvénal des Ursins prit la peine de la combattre2; aux Etats de 1484, les gens du roi la reprennent, en faisant toutefois quelques réserves sur son application 3. Bodin la discute dans sa République 4 ; l'avocat Grimaudet la réfute également5; Lebret fait un chapitre spécial de son Traité de la souveraineté sur la question de savoir « en quels cas le prince souverain peut dis- poser des biens des particuliers contre leur gré6 ». En Angle- terre, Hobbes en fait un exposé complet, et les traductions de Sorbières font connaître son œuvre aux Français 7.

Mais elle prend une importance particulière au temps de Louis XIV parce qu'elle fut adoptée par le roi lui-même, et nous devons spécialement nous y arrêter. Vers 1642, un petit traité anonyme destiné à l'éducation du jeune roi et dédié à la reine sa mère, déclarait : a Nos vies et nos biens sont du roi... qui nous en souffre par sa clémence l'usufruit8 ». Le con- fesseur d'Anne d'Autriche, le P. Faure, dans un libelle écrit en

1652 avec l'approbation du gouvernement, demandait encore : « Les lois ne permettent-elles pas aux rois de faire ce que bon leur semble?... Voulez-vous soutenir que nos biens, notre sang,

ït même nos vies, ne soient sous l'absolu pouvoir du roi? » Et

1. Contra adulatores Principum, tŒuvres, éd. Dupin, t. IV, p. 622.

2. Discours de Juvénal des Ursins au roi, cité dans Péchenard, Jean Juvénal des Ursins (1876) p. 376 : « Quelque chose qu'aucuns disent de vostre puissance ordinaire, vous ne pouvez pas prendre le mien: ce qui est mien n'est point vostre... Vous avez vostre domaine, et chacun particulier le sien. »

3. Journal de J. Masselin, p. 420.

4. Liv. I, ch. vin, éd. 1578, p. 114. Cf. Du Ghalard, Ilemarques sur l'article 111 de l'ordonnance de 1560, dans Néron, t. I, p. 415.

5. Opuscule VII, dans ses Œuvres, éd. 1623, p. 521.

6. « Quelques anciens, par une honteuse et servile flatterie, ont mis en avant que les sujets ne possédoient leurs biens qu'à titre de précaire et d'usufruit, et que la propriété en appartenoit au prince par droit de souveraineté... Les rois, encore qu ils aient une puissance absolue sur leurs sujets, toutes fois il ne leur est pas

Î>ermis d'occuper injustement le bien d'autrui ni de chasser les propriétaires de eurs héritages » (Œuvres, éd. 16S9, p. C0). Lebret renvoie ù différents textes sacrés. Cf. Boehmer, Introduclio in jus publicum, p. 250, qui distingue les Etats despotiques par le fait que le prince y est propriétaire de tous les biens de ses sujets. Voir aussi Loyseau, Traité des seigneuries, ch. m, 7, et Dumoulin, Com- mentaire de la coutume de Paris, tit. Ier (Des fiefs) et Bodin, De la république, liv. I, ch. vin.

7. Cf. notamment Essais de morale et de politique, 2e partie, ch. xxi « Que le prince a tout droit sur le bien de ses sujets, c'est-à-dire qu'il en est le maître ».

8. Maximes d'éducation et de direction puérile, Paris s. d. Voir l'indication d'autres ouvrages soutenant ou combattant cette doctrine et destinés également à l'éducation du roi, dans Lacour-Gayet, Y Education politique de Louis XIV, liv. II, chap. vin.

10 LA TAILLK IN NoitMANDIE.

sa réponse, appuyée sur des textes de l'Ecriture sainte, était affirmative l. Une mazarinade, le Catéchisme des partisans, sou- tient au contraire la négative en termes violents : « Ce sont maximes impies, damnables et abominables... qui n'ont esté inventées que depuis quelques années par des sangsues popu- laires, par des hommes de gourmandise, de luxure et d'avarice, pour servir de prétexte aux vols et aux violences qu'ils ont faites à l'oppression de tout le monde, qui sont cause des troubles et des mouvemens que nous voyons2. » La Mothe Le Vayer exprime les mêmes sentiments dans sa Politique du prince 3, et Claude Joly dans son Recueil de maximes attaque violemment « l'audace et l'extravagance » des courtisans qui déclarent les rois maîtres des biens de leurs sujets 4.

La théorie fut sans doute inculquée de bonne heure au jeune roi; en tout cas, devenu grand, il la fit sienne et voulut l'ensei- gner à son fils. Dans ses Mémoires pour l'instruction du Dau- phin, on lit en effet :

« Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposi- tion pleine et libre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par les gens d'Eglise que par les séculiers... Les deniers qui sont dans leur cassette [des souverains], ceux qui demeurent entre les mains de leurs trésoriers, et ceux qu'ils laissent dans le commerce de leurs peuples, doivent être par eux également ménagés s. »

Louis XIV, confirmé dans ses convictions par son entourage, ne changea pas d'avis jusqu'à la fin : en 1710, il fit la con- fidence suivante à Maréchal, qui la rapporta à Saint-Simon :

1. Réponte du P. Faure... sur la harangue faite à la reine par un R. P. char- treux, Paris, 165:!, cilé par Lacour-Gayet, Y Education politique de Loui* XIV, p. 429.

2. Catéchisme des partisans, pnr le P. Pierre de Saint-Joseph, feuillant, daté du 19 février 1649, dans Moreau, Choir de Mazatinades, t. 1, p. 279. Voir encore la Lettre d'Advis à Messieurs du parlement, ibid. p. 387, 390; le Politique uni- versel, quest. Il, p. 15 : « Nul n'a pouvoir de nous oster ce qu'il ne nous a pas donné ». Cf. bée, Les Idées politiques à Cépoque de la Fronde, dans la Kevue d'histoire moderne et contemporaine, 1897.

3. La politique du prince, Paris 1655 : « La puissance des rois a encore besoin d'estre expliquée à l'égard de ce qu'on leur fait parfois entendre indiscrètement et sans restriction qu'ils sont muitres de la vie et des biens de leurs sujets ■.

. 4. Recueil de maximes véritables et importantes pour l'institution du roi, Paris 1652, ch. xi. Sa conclusion est a que les rois n'ont pas le droit de mettre des impôts sur leurs peuples sans leur consentement ». Cf. son Traité des restitu- tions des grands, Paris 1665, ch. ni.

5. Mémoires de Louis XIV pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss, t. H,

F. 230, et t. I, p. 250. On pourrait objecter que ces phrases représentent plutôt opinion des rédacteurs des Mémoires que celle du roi lui-même, puisque la matière des Mémoires fut fournie en grande partie par les ministres, et la rédaction faite par des secrétaires, comme Périgny ; mais une note de Périgny lui-même détruit celte allégation : à la date du 20 février 1666, il écrit : « Réflexion que S. M. m'a suggérée qu'un roi ne doit pas avoir plus de soin de ce qu'il pourrait posséder •ous son nom que de tout le reste de ce qui se trouve dans ses Etats « (Dreyss, t. I, p. 22). Nous avons ainsi la certitude que le fond de l'idée appartient bien au roi. Du reste la rédaction définitive fut relue et approuvée par Louis XIV (Cf. l'introduction de Dreyss).

LE DROIT D IMPOSER. il

« Je suis à bout de ressources et je vois que j'opprime et que je ruine mes peuples... J'en ai parlé à mon confesseur, qui m'a dit que tous les biens de mes sujets m'appartenoient et que ce qu'il leur'res- toit dependoit de moi et qu'ils ne le tenoient que de moi. Je vous avoue que je ne l'ai pu croire, et mon confesseur, voyant qu'il ne pouvoit me rassurer, m'a proposé de le faire consulter en Sorbonne. J'en ai été bien aise, et il m'a rapporté la consultation conforme à son avis signée de douze docteurs, tous des meilleurs. Je vous avoue que cela m'a ôté un poids qui m'accabloit. Maintenant, je serai fâché de faire de la peine par les impôts, mais puisqu'il n'y a plus de scrupule et que tout est à moi, cela m'est bien différent1. »

Il semble bien que l'opinion du roi ait été commune à la Cour. Suivant un nouvelliste qui paraît bien renseigné, le duc de Berry aurait répondu en novembre 1710 à une dame qui se plai- gnait de l'établissement du dixième « qu'il n'y avoit que de mauvais sujets qui pussent y trouver à redire, et que le roi pou- voit prendre encore davantage, puisque tout lui appartient2 ». On sait la phrase de La Bruyère : « Dire qu'un prince... est maître absolu de tous les biens de ses sujets, sans égard, sans compte ni distinction, c'est le langage de la flatterie, c'est l'opi- nion d'un favori qui se dédira à l'agonie 3 ». Bossuet avait la même pensée lorsque, dans sa Politique tirée de l'Ecriture sainte, il racontait l'histoire d'Achab prenant la vigne de Naboth et concluait : « Le crime que Dieu punit avec tant de rigueur, c'est dans Achab et dans Jézabel la volonté dépravée de disposer à leur gré, indépendamment de la loi de Dieu, qui était aussi celle du royaume, des biens, de l'honneur, de la vie d'un sujet*. »

L'opinion fut également attribuée aux deux ministres Lou- vois et Colbert : Sandras de Courtils, dans son Testament poli- tique du marquis de Louvois, fait dire par Louvois au roi :

« Il est vrai que tous vos sujets quels qu'ils soient vous doivent leur personne, leurs biens, leur sang sans avoir le droit d'en rien

1. Saint-Simon. Additions au journal de Dangeau, publ. par de Boislisle, en appendice aux Mémoires, t. XX, p. 370. Cf. les Mémoires eux-mêmes, t. XX, p. 169-170. Maréchal était l'ami intime de Saint-Simon et le renseignait sur ce qui se passait à la Cour. Le récit de Saint-Simon a été contesté par le P. Bliard dans Les Mémoires de Saint-Simon et le P. Le Tellier, p. 371-377. Mais comme l'a remarqué de Boislisle, (op. cit. p. 169), le P. Bliard n'apporte aucun argument décisif. Il faut observer toutefois que le récit de Saint-Simon concorde mal avec le passage des Mémoires cité plus haut. Il est possible que le dialogue n'ait pas été rapporté de façon très fidèle et que Louis XIV ait été plus disposé que ne le dit Saint-Simon à admettre son droit de propriétaire universel.

2. Nouvelles à la main de nov. 1710, B. N. Nouv. acq. fr. 4037 11.

3. Caractères, éd. Servois, t. I, p. 384-5. Les commentateurs admettent qu'ici La Bruyère fait allusion à Colbert (Cf. notamment Ed. Fournier, La comédie de La Bruyère, p. 101), mais leurs arguments sont insuffisants. Cf. ci-dessous, p. 12.

4. Politique tirée de l'Ecriture sainte, liv. VIII, n, § 3 et 4.

12 LA TAILLE EN NOltMANDIE.

prétendre. En vous sacrifiant tout ce qu'ils ont, ils font leur devoir et ne vous donnent rien, puisque tout est à vous '. »

Mais dans cet ouvrage, Sandras fait œuvre de polémiste : il veut rendre Louvois odieux; il irivente des faits, déforme la réalité; nous n'avons aucun indice qui confirme son assertion.

Un autre pamphlet analogue prête à Colbert la même théorie; ce sont les Soupirs de la France esclave : dans son deuxième mémoire, daté du 15 septembre 1689, l'auteur que nous ne connaissons pas affirme que Colbert voulait, par une ordon- nance, déclarer le roi « propriétaire de tous les fonds et de toutes les terres de France » ; à cet effet il aurait demandé au voyageur Bernier un mémoire sur la façon dont les despotes mahométans, dans l'Inde, administraient leurs Etats dont ils se déclaraient entièrement propriétaires, et c'est en réponse que Bernier aurait écrit sa Lettre à Monseigneur Colbert, publiée à la suite de ses Voyages2. Cette lettre, qui est bien authentique, est un réquisitoire en règle contre la théorie du roi proprié- taire universel3. Il est très probable qu'effectivement Colbert l'avait sollicitée de Bernier, avec qui il était en relations par l'intermédiaire de Chapelain. Mais on n'en peut pas conclure que Colbert ait été lui-même partisan d'un tel régime. Dans les neuf volumes de sa correspondance, on ne trouve pas un mot qui confirme l'assertion des Soupirs, et les Soupirs à eux seuls ne sont pas probants : c'est une violente critique du gou- vernement de Louis XIV, des ministres, et particulièrement de Colbert. Toutefois un des auxiliaires du ministre, Le Vayer de Boutigny, qu'il fit nommer intendant de Soissons, et qui tra- vailla à l'Ordonnance de la marine, fut chargé de rédiger, en 1682, un traité De l'autorité du roi en matière de régale pour soutenir la thèse du gouvernement dans le débat : or dans cet ouvrage, la théorie est exposée tout au long : elle constitue le principal argu- ment de l'auteur pour établir que le roi a le droit de régale dans tous les évêchés du royaume. Divers autres mémoires manus- crits sur le droit de régale, conservés dans les papiers de Col- bert, contiennent le même développement4. Les seuls adver-

1. Testament politique du marquis de Louvois, Bruxelles 1695, in-12, p. 81.

2. Les Soupirs de lu France esclave, éd. originale, 2* mémoire, p. 4.

3. La lettre, qui n'est pas datée, est rééditée dans les Voyages de Bernier, Paris, 1830, t. I, p. 273 et suiv. Bernier dit notamment : « A Dieu ne plaise que nos monarques d'Europe fussent ainsi propriétaires de toutes les terres que possèdent leurs sujets. Il s'en faudrait bien que les royaumes fussent dans l'état qu'ils sont, si bien cultivés et si peuplés, si bien bâtis, si riches, si polis et si florissants qu'on les voit. Nos rois... se trouveroient bientôt des rois de déserts et de solitudes, de gueux et de barbares, tels que sont ceux que je viens de repré- senter... Oter cette propriété des terres entre les particuliers, ce serait introduire en même temps comme par une suite infaillible, la tyrannie, l'esclavage, l'in- justice, la gueuserie, la barbarie, rendre les terres incultes », etc. Cf. L. de Lenz, Les correspondants de François Dernier, Angers, 1872.

4. On le trouve encore exposé par un intendant : Basville, dans son mémoire ■ur l'état du Languedoc en 1698, écrit que tout le royaume est le domaine du roi,

LE DROIT D IMPOSER. 13

saires de la doctrine, après 1661, sont les adversaires du régime, Bayle, Jurieu ' et l'auteur des Soupirs, ou des indépendants, La Bruyère, Saint-Simon, Sandras de Courtils. Seul parmi les serviteurs du roi, Bossuet a esquissé une protestation, mais très voilée.

Aussi Louis XIV n'eut-il pas de scrupules soit à ajouter le dixième à tous les autres impôts, soit à élever la taille au chiffre le plus haut que le contribuable pût supporter. Il ne voyait d'autres limites à son droit que les ressources de ses sujets. Il écrivait dans le préambule des lettres-patentes ordonnant la levée de la taille que le chiffre de l'impôt étai,t déterminé par les dépenses qu'il était obligé de faire. Il eût été plus juste de dire qu'il le déterminait d'après ce qu'il comptait pouvoir tirer des contribuables. Il ne voulait pas réduire ceux-ci à la misère, parce que « la misère des peuples » lui faisait « de la peine »; mais il jugeait avoir assez fait quand, au paysan quitte d'impôt, il laissait de quoi vivre. Faire rendre à la taille le maximum compatible avec l'existence des contribuables et la sécurité du gouvernement, telle semble avoir été en dernière analyse la formule de sa politique fiscale. Colbert, sans doute, avait des vues plus hautes. Il voulait enrichir les « peuples » et leur rendre l'impôt le moins onéreux possible; mais pour réaliser ses vues, il lui eût fallu le pouvoir de limiter les dépenses du roi. Réduit, en général, au rôle de pourvoyeur d'argent, il devait abandonner successivement tous ses projets de réformes.

Au-dessus de toutes les théories, de tous les droits acquis, un fait domine : c'est que le roi est le maître. La défaite des Frondeurs a détruit toutes les résistances locales, l'insurrection de la noblesse normande a été durement réprimée, et la sou- mission aveugle à l'autorité devient générale. Les Etats de la province ne sont plus convoqués, les Cours des aides, comme les Parlements, perdent le droit de remontrances2; les com- missaires du Conseil établis à demeure dans les provinces pren- nent la tête de l'administration; personne ne peut plus parler, ni écrire ni agir librement. L'impôt est à la discrétion du roi :

c'est-à-dire sa propriété (Monin, L'intendance de Banville, p. 223). M. Monin rattache la théorie au droit féodal, qui fait du roi le suzerain de tous les fiefs du royaume. Cette filiation reste à démontrer.

1. Bayle, Commentaire philosophique sur le compelle intrare, dans ses Œuvres, éd. 1738, in-f°, t. II, p. 463-464. Cf. aussi Boulai nvilliers, Mémoires historiques, éd. 1727, t. I, p. 182, et Vauban, Œuvres, éd. de Rochas, I, p. 98, art. 43.

2. Du vivant de Mazarin, la Cour des aHes de Paris avait demandé audience au roi à diverses reprises pour lui faire des remontrances sur le recouvrement des impôts; le roi avait toujours refusé. Après la mort du cardinal, Louis XIV inclina d'abord à recevoir la Cour, puis il changea brusquement de résolution : une partie des conseillers furent exilés, et il" n'admit plus jamais les remontrances (Mémoriaux du Conseil de 1661, publ. par J. de Boislisle, t. I, p. 96; 118-lly; 391. Cf. Mémoires pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss, II, p. 399).

14 LA TAILLE EN NORMANDIE.

on impose, chaque année, comme dit YEtat de la France en 1661, « la somme qu'il plaît à S. M. de lever sur son peuple »; et les contribuables doivent payer. L'impôt est un droit pour le roi, un devoir pour les sujets : les deux mots « droit » et « devoir » sont employés indifféremment pour le désigner1 : quiconque refuse de payer (chose fréquente avant 1661) voit venir le sergent, puis les dragons. Le roi fait « ce qui lui plaît », il est « arbitre » de tout : cela tient lieu de toivs les droits.

II. L'ADMINISTRATION CENTRALE

L'administration chargée d'établir les impôts, de les répartir et de les lever, a à sa tète, au-dessous du roi, le Conseil des finances, les deux Directions des finances, le contrôleur général et les intendants des finances.

Le Conseil des finances, dont l'existence était très ancienne, fut réorganisé dix jours après l'arrestation de Fouquet. Le règle- ment du 15 septembre 1661, en même temps qu'il supprimait la surintendance, donnait au Conseil la connaissance de toutes les affaires financières, et notamment des brevets de la taille, qui devaient être « signés par S. M. et par tous ceux qui auront l'honneur d'assister audit Conseil2. »

De ce Conseil sont exclus les grands seigneurs et les mem- bres de la famille royale3. On n'y trouve que des conseillers d'Etat, au nombre de quatre; l'un d'eux a le titre de chef du Conseil. En outre, le chancelier y a entrée et préséance en sa qualité de « chef de tous les conseils du roi ». La place du roi est marquée par un fauteuil de velours violet. Le chef du Conseil désigné par le roi en 1661 est le maréchal de Villeroi; les con- seillers sont de Sève et d'Aligre, ministres d'Etat, et Colbert, intendant des finances. Le maréchal de Villeroi, qui conserva sa fonction jusqu'à sa mort, en 1685, était un vieux militaire,

1. Le mot i devoir » est surtout employé pour la gabelle : on dit faire son devoir de Gabelle », « le sel de devoir ». Colbert parle aussi du devoir à imposer sur les maisons (Clém. II, 209).

2. Le règlement du conseil est publié dans Clém. II, 750. Il avait été souvent publié auparavant, notamment dans l'Etat de la France de 16C3, dans le Nouveau recueil de» édits... rendus depuis François I" jusqu'à présent concernant ce gui doit estre observe pour V administration de la justice, Paris 1664, in-t2, p. 761, et dans le Recueil d'Isambert, t. XVIII, p. 0. De nombreuses copies s'en trouvent également dans les principaux dépôts de manuscrits et aux Archives nationales.

Le développement donné ici sur le conseil des finances est en grande partie le résumé de l'étude de M. De Boislisle publiée en appendice au t. VI des Mémoires de Saint-Simon, p. 477 et suiv. J'y renvoie ici une fois pour toutes.

3. L'exclusion des membres de la famille royale et des personnages purement décoratifs qui auparavant envahissaient les conseils, a été depuis longtemps signalée. Le Dauphin lui-même n'entra que très tard au conseil, en avril 1682, et il n'eut voix délibéra tive qu'en juillet 16X8.

L ADMINISTRATION CENTRALE. 15

ancien gouverneur du roi, qui avait grande confiance en lui. Il était sans doute bien « informé des affaires du dedans et du dehors du royaume l » ; mais pour ses contemporains il est le courtisan docile, le « bon valet » prêt à toutes les concessions pour avoir des honneurs, recherchant « les titres les plus hono- rables sans en faire les fonctions2 ». Il ne paraît pas avoir eu grande influence au Conseil; un jour, il ne put arriver à faire nommer dans son gouvernement de Lyon un intendant de son choix3. Saint-Simon dit que sa charge était « inutile » 4.

Le chancelier Séguier, âgé de soixante-treize ans en 1661, « ne fait plus que prêter son nom à tous les actes de son ministère3 ». Après lui, d'Aligre (nommé en 1672) et Le Tellier (nommé en 1677) négligeront le Conseil des finances pour s'oc- cuper surtout de leur charge de chancelier. Toutefois, quand le roi est absent, ils signent à sa place les arrêts rendus dans ce Conseil et président effectivement les grandes séances6. Ils sont consultés pour les affaires importantes et visent la plupart des circulaires adressées aux intendants.

Les deux ministres d'Etat, MM. de Sève et d'Aligre, qui seront remplacés le premier par Poncet de la Rivière et Bou- cherat et le second par Pussort7, touchent de gros appointe- ments — près de 30000 1. et, n'ayant pas d'autre fonction importante, ils peuvent se donner entièrement à celle-là : « M. de Breteuil disoit que ceux qui remplissoient ces deux places étoient comme de petits dieux placés entre le Conseil

1. Mémoires du P. Rapi.n, t. I, p. 272.

2. Mémoires de Mme de Motteviilc, éd. Riaux, t. IV, p. 310. Cf. Saint-Simon, Ecrits inédits, publ. par Faugcre, t. IV, p. 437 ; Mémoires de La Porte, p. 266, etc. Choisy rapporte un mot de La Meilleraye à Villeroi en 1661, qui peindrait bien le rôle du maréchal : « Tu seras le chef des finances, mais en idée, comme je l'ai été, moi qui te parle, et Golbert en sera le chef véritable; mais que t'importe, tu auras de gros appointements et n'est-ce pas assez? »

2. Mémoires d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, éd, Chéruel, t. II, p. 421. Il n'apparait dans ses fonctions que quand il signe des états de finances, ou assiste à des cérémonies d'apparat, par exemple lorsqu'il va enregistrer à la Cour des aides de Paris, accompagné du prince de Gondé et de Messieurs de Sève et d'Aligre, des lettres de jussion du roi, le 29 décembre 1663 (G.d.T. I, 532).

4. Mémoires, éd. de Boislisle, t. XX, p. 171. Cependant M. de Beauvilliers, qui lui succédera, pourra jouer un rôle effectif.

5. Kerviler, Le chancelier Séguier, 2" éd. Paris, 1875, p. 400.

6. « Les minutes des ordonnances, édits, déclarations et règlements qui se rendent au conseil royal des finances ne sont point signées du roy à moins que ce ne soit une affaire de grande conséquence; il suffit qu'elles soient signées de M. le chancelier... ensuite elles sont signées du chef du conseil royal et des trois conseillers au dit conseil ». Ensuite, les secrétaires d'Etat intéressés « font faire des expéditions sur les minutes sur du parchemin timbré qu'ils signent Louis ou le font signer par le commis qui l'écrit » (Mémoire sur le règlement du conseil, un peu postérieur à 1709, B. N. fr. 7 496, ms. non folioté). Le contrôleur général ne peut donc pas faire lui-même l'expédition d'un arrêt du conseil. Sur le rôle du chancelier en l'absence du roi. cf. le règlement du conseil des finances du 10 avril 1674, B. N. Clair. 6'<7, f°131.

7. De Sève meurt en 1673; son successeur Poncet de la Rivière, en 1681. D'Aligre, étant passé chancelier en 1672, fut remplacé par Pussort, qui conserva la fonction jusqu'après 1683 (B. N. fr. 7 654, 37-43).

LA TAILLK l.S XDIIMAMUI .

ordinaire, qu'il COU) paroit à la nature humaine, et les ministres, qu'il regaraoit comme les <lieu\ de la terre' ».

Qaanl à l'intendant des finances, «pii est Colbert, il n'a en apparence qu'un rôle subalterne, son titre et son rang étant intérieurs a t eux de ses collègues; mais en réalité, il est le véri- table administrateur des finances royales : le règlement du 15 septembre 1661 lui donne en elîet l'Epargne dans son département : il « tiendra le registre de toute la recette et la dépense qui sera faite, dont il ne donnera communication à aucune personne sans ordre exprès de S. M. Toutes les ordon- nances seront remises entre ses mains pour estre rapportées à S. M. Il fera rendre tous les comptes des fermes, recettes géné- rales, bois, domaine, et autres recettes de toute nature. » Il est donc seul au courant des besoins et des disponibilités du Trésor, et seul il peut suivre complètement les affaires; tenu au secret, même envers ses collègues, il peut demander une mesure sans avoir à la justifier. En outre, il est accrédité auprès des intendants de province et des trésoriers généraux, qui doivent le tenir au courant de toutes les affaires concernant les finances*. Il a la confiance du roi, qui le consulte particulièrement en maintes circonstances, et le titre de contrôleur général, qui lui sera donné en 1665, achève de le mettre hors de pair3.

Le Conseil4, qui doit se réunir « tel jour qu'il plaira » au roi, se tient habituellement deux fois la semaine, le mardi et le samedi5. Il prend connaissance des affaires qui lui sont trans- mises, juge des procès, arrête les comptes, rend des arrêts. Son activité nous est mal connue parce qu'aucun procès-verbal des séances n'était tenu. D'après Saint-Simon, il n'aurait été qu'un « mécanisme trompeur »% un « vain fantosme »; tous ses membres, à commencer par vous, dit-il au roi dans une lettre anonyme, « ignorent si, pourquoi, quand et comment les choses les plus principales et les plus légères se passent en matière de finances, qui est uniquement dans la main despotique du seul contrôleur général, qui en dit en particulier à Y. M. ce qu'il en juge à propos seulement6». Mais Saint-Simon est animé par la haine du « despotisme » ministériel, auquel il voudrait substi-

1. D'Agucsseau, Œuvres, t. VIII, p. 71.

2. Cf. lu circulaire du 16 novembre 1662 écrite de la main dn roi et adressée aux Bureaux des finances pour accréditer particulièrement Colbert auprès d'eux (A. D. Calv. Bureau des finances, dans une liasse de pièces de l'année 1666). Cette circulaire ne fut reçue à Caen que le 7 mai 166:!.

3. V. Lavisse, Histoire île France, t. VII, 1™ part., p. 177 et suiv.

4. Sur le Conseil des finances, voir, outre le trawiil de M. de Boislisle mentionné plus haut, Y Encyclopédie méthodique, partie Jurisprudence, et Viollet, Le roi et ses ministres aux trois derniers siècles de la monarchie, Poris, 1912.

.">. Il peut y avilir des séances extraordinaires : d'Ormesson en cite une du jeudi 18 mars 1666 (Journal, éd. Baudry, II, p. 478). Le conseil commence à dix heures, et peut continuer après diner si les affaires l'exigent.

6. Lettre anonyme nu roi, avril 1712, dans ses Ecrits inédits, t. IV, p. 33.

L ADMINISTRATION CENTRALE. 17

tuer un gouvernement les conseils examineraient et décide- raient toutes les affaires. Le Conseil des finances fut en réalité mieux qu'un fantôme. Colbert, dans un mémoire présenté à Louis XIV en 1668, explique comment « les articles qui regar- dent les finances sont examinés, rapportés au roi en conseil des finances; » quand le roi a donné ses ordres, « on s'assemble chez M. le chancelier, le cahier est rapporté, examiné et répondu1 ». Rien d'important n'est décidé par un ministre seul. Les fréquentes et longues séances ne pouvaient être de pure forme; quelques années après la mort de Colbert, l'intendant Basville se plaint que le Conseil soit surchargé de besogne et ne prenne pas de décisions assez promptes2.

Au-dessous du Conseil des finances se trouvent deux commis- sions : la grande et la petite Direction des finances. La grande Direction ne diffère du Conseil lui-même que par l'absence du roi (sa place n'y est pas marquée) et du chancelier. Elle se tient dans la même salle que le Conseil; on y traite des mêmes affaires, et même on y rend des arrêts3.

La petite Direction ne comprend que les intendants des finances (plus tard le contrôleur général), et les conseillers d'Etat. Les maîtres des requêtes qui ont à y rapporter s'y tiennent debout et découverts (ils sont assis et couverts à la grande Direction). Elle siège chez le chef du Conseil des finances, ne rend jamais d'arrêts et se borne à faire un premier

1. Clém. VII, 228. La note est destinée à protester contre l'indépendance exces- sive de Louvois en matière de finances : Louvois. dans les provinces de son département, dit Colbert, résout seul les affaires « en telle sorte que l'on n'en entend point parler en finances » et systématiquement il adopte la solution con- traire de celle qui lui est proposée par son collègue. Même si l'on fait la part de l'exagération dans une -pareille lettre, il faut pourtant en conclure que Colbert n'avait pas entièrement à sa disposition les affaires des finances de tout le royaume; les autres secrétaires d'Etat conservaient une certaine autonomie.

2. De Boislisle, Correspondance, t. I, 705. L'affirmation de Saint-Simon est presque exactement reproduite dans les grandes remontrances de la Cour des aides de Paris du 10 avril 1775 : « Il faut que V. M. sache que depuisxplus de cent ans, ce qu'on appelle son Conseil en matière de finances consiste dans le contrôleur général et un seul rapporteur : c'est depuis longtemps un intendant des finances C'est dans ce tribunal de deux hommes que se prononcent toutes les cassations d'arrêts des cours des aides, et on ne doit pas dire que ce soit V. M. elle-même qui rende ces arrêts... On ne peut pas dire non plus que ce soit le véritable conseil de V. M. qui rende de tels arrêts, car nous avançons un fait notoire en disant que le conseil n'en entend jamais parler » (Auger, Mémoires sur le droit public, p. 625). Le 6 mai suivant, la Cour dit encore : le brevet de la taille « s'arrête au conseil des finances ; mais V. M. sait qu'à l'exception du contrô- leur général et d'un intendant des finances, aucun de ceux qui assistent à ce conseil ne peut être instruit de la situation des provinces ni des besoins de l'Etat; c'est donc le ministre seul qui fixe tous les ans la somme de l'imposition... Le brevet de la taille est donc réellement an acte fait p :r autorité arbitraire. » (Ibid. p. 651.) Mais dans ces remontrances, il faut aussi faire la part des senti- ments de la cour à l'égnrd des ministres, et observer que la personnalité de Louis XV remplaçant celle de Louis XIV avait changé bien des choses dans le gouvernement.

3. Il existe une formule spéciale pour ces arrêts; ils débutent par les mots : « Extrait des registres du conseil du roi » (Richelet, Dictionnaire, 1680, p. 25).

LA TAILLE EN NORMANDIE. 2-

18 LA TAILI.l: I M \nilMAXniE.

examen des projets ou ii expédier les affaires peu importantes. C'est plutôt une commission préparatoire.

Le contrôleur général existait depuis très longtemps; il était adjoint au Trésorier de l'Epargne, pour assurer la régularité de ses comptes. Mais l'office avait été divisé pour rapporter de l'argent aux Parties casuellcs, et il avait perdu de son impor- tance. On avait vu jusqu à quatre contrôleurs généraux au temps de Mazarîn; en 1661, il en restait encore deux, MM. Hervart et Breteuil. La suppression de la surintendance leur rendit un certain pouvoir; mais la fonction ne prit son vrai caractère que lorsque Colbert en fut seul pourvu, en décembre 1665. Les lettres-patentes qui la lui conféraient lui donnaient le pouvoir très général de vérifier les quittances des comptables, de « con- trôler toutes les commissions qui seront expédiées » pour la levée des tailles, et de « faire rapport » au Conseil des finances « de toutes les affaires » qui concernaient le service du roi*. Ainsi il parvint à réunir en sa personne toutes les attributions du surintendant et a devenir le chef suprême de l'administra- tion financière, n'ayant au-dessus de lui que le roi. Cette date de 1665 est marquée par un certain nombre de changements notables dans les services qui relevaient de lui : c'est alors que les intendants sont établis à demeure dans les généralités, et deviennent des fonctionnaires réguliers; au même moment, le remboursement des offices supprimés, qui traînait en lon- gueur, est terminé, la recherche de la noblesse reprise sur de nouvelles bases ; le nom même des Etats de Normandie cesse de figurer sur les actes royaux ; enfin les grands règlements sur la taille, la gabelle, les aides sont mis h l'étude.

Au temps de Fouquet, il y avait 12 intendants des finances. Un arrêt du conseil du 12 octobre 1660 en avait supprimé deux*, d'autres arrêts en supprimèrent encore sept dans le courant de 1661, de sorte qu'il ne subsistait plus, en septembre 1661, que MM. Le Tellier, Marin et Colbert. Un édit de septembre 1662 ordonna le remboursement de la charge de Le Tellier*; en 1665, quand Colbert ajouta a sa fonction d'intendant celle de contrôleur général, la troisième charge fut rétablie au profit d'Hotman, et le nombre de trois demeura jusqu'après 1683.

De ces intendants, l'un, Colbert, a entrée au Conseil, le second

1. Colbert n'a pas, comme on le dit souvent, échangé cette charge avec celle d'intendant des finances qu'il avait déjà : les provisions disent qu'il exercera < conjointement » les deux fonctions (Clém. VII, 403). De Breteuil et Hervart con- servaient également leurs fonctions jusqu'à leur complet remboursement.

2. V. l'arrêt du conseil du 12 octobre 1660 supprimant les deux charges de MM. Bordier et de Bordeaux, B. N. fr. 18 511, f* 70. La charge de Bordier valait 600 000 1.; elle fut liquidée par arrêt du conseil du 28 février 1665; celle de Bor- deaux en valait 400 000 et fut liquidée le 16 février 1665: elle ne fut remboursée effectivement que dans le deuxième semestre de 1666 (M. C. 275, 'J74).

3. B. N. fr. 22 643, f 107 (Papiers de Dangenu). La charge de Le Tellier lui fut remboursée 400 000 livres.

L ADMINISTRATION CENTRALE. 19

s'occupe des fermes, et le troisième a spécialement dans son département « les dix-huit généralités des pays d'élections, pour la taille et le taillon ' »; c'est lui qui nous intéresse particu- lièrement. La charge fut remplie successivement par Denis Marin, qui mourut en fonctions le 27 juin 1678, puis par Nicolas Desmaretz, marquis de Maillebois 2. Cet intendant des finances correspondait avec les commissaires départis et les trésoriers généraux sur l'état des récoltes, les recouvrements des imposi- tions, les affaires administratives courantes. Il recevait les avis sur le brevet, les mémoires sur les abus à supprimer et les réformes à faire3. Lorsque Colbert, dans sa correspondance, reçoit des mémoires et des avis concernant la taille, il les remet à l'intendant des finances v, qui fait ordinairement rap- port au Conseil de toutes les affaires sur la matière, dresse des projets d'arrêts, donne des ordres aux agents inférieurs. Il a donc un rôle considérable dans l'administration de l'impôt. Ce rôle est malheureusement difficile à préciser, parce que les archives du service sont perdues : de rares billets à Colbert, quelques lettres à des intendants et à des trésoriers généraux sont à peu près les seuls restes des papiers de Marin et de Desmaretz 5.

1. Dès 1660 il en était ainsi (lettre de Marin au Bureau des finances de Caen, 24 août 1660, A. D. Galv. Bureau des finances, registre de commissions. 1661, 1). Un arrêt du conseil du 27 avril 1666 (B. N. Glairamb. 647, 119) précisa les attributions des deux intendants Marin et Hotman : Marin avait, outre la taille, les rentes sur l'hôtel de ville de Paris, les octrois des villes, la Chambre des comptes et la Cour des aides de Paris; Hotman avait le reste des affaires de finances. Hotman était apparenté à Colbert comme Marin et Desmaretz.

2. Le 18 août 1674, Colbert écrit à son cousin Michel, intendant d'Alençon, que, pour les affaires relatives aux tailles il doit consulter « M. Hotman de Fontenay [l'autre intendant des finances] ou moy » (Clém. II, 348). Mais nous avons sans doute ici un cas exceptionnel, car Marin ne cessa pas de s'occuper des tailles. Il faut observer aussi qu'Hotman était le beau-frère de Michel Colbert.

3. « Quoyque je prenne la liberté, écrit de Marie à Colbert, de vous escrire et de vous importuner quelquefois pour les affaires de Conséquence qui regardent les tailles, néanmoins j'ai coustume d'en escrire pareillement à M. Marin. » Cf. les annotations marginales mises par Colbert aux lettres qui sont restées dans sa correspondance, comme celle-ci : « Donner à M. Marin une copie de ce qui est contenu dans cette lettre concernant la taille » (M. C. 142, 26i>).

4. M. C. 150, 404. Le 12 novembre 1668, il écrivait déjà : « J'envoie à M. Marin un mémoire des choses que j'ay observé dans les eslections en procé- dant au déparlement des tailles ; je l'ay supplié de vous en entretenir et de me faire savoir vos intentions » (M. C. 149, 406). De même encore en 1676, lorsqu'il propose de réglementer les changements de domicile des taillables, il consulte d'abord Marin (B. N. Clairamb. 797, p. 35). Déjà au temps de Fouquet, c'était Marin qui recevait les avis des trésoriers de France : Cf. la circulaire de Marin, août 1660, invitant les trésoriers à envoyer leur avis sur le brevet à l'inten- dant des finances qui, dit-il, m'en fera rapport » (A. D. Calv. bureau des finances, registre de commissions, 1661, 1 et 2).

5. Les billets et notes des deux intendants se trouvent dans la correspondance des Mélanges Colbert (cf. la table de l'inventaire à leurs noms). Des lettres écrites par eux se trouvent aux A. D. Calv. Bureau des finances, et dans la correspon- dance de Breteuil. La disparition de leurs archives explique pourquoi nous avons relativement peu de mémoires d'intendants, d'avis sur les brevets, de lettres administratives sur la taille : tout cela était réuni dans leurs bureaux.

Chacun des personnages indiqués ici a naturellement une foule de commis dans

20 LA TAILLK EN NOIIMANDIB.

Sur toute cette administration domine la personnalité de Colbcrt. Les pouvoirs déjà considérables qu'il ft comme inten- dant des finances, membre du Conseil et contrôleur général sont accrus par la confiance du roi. C'est lui qui a préparé l'arresta- tion de Fouquet et la réorganisation administrative qui s'ensuivit. Il a dressé le projet de règlement du conseil des finances et même rédigé le discours du roi à la première séance du conseil1. Tout ce qui se fait dans son département a été préparé et ordonné par lui. Il écrit de sa main les projets d'ordonnance que signe le roi; il donne seul les instructions nécessaires pour leur application. Mais il ne nous est pas toujours possible de reconnaître son œuvre, parce que beaucoup de ses actes ont un caractère impersonnel, et sont signés par le roi seul : ce fut un système chez lui, plus encore que chez les autres ministres, de s'effacer devant le souverain et de lui faire croire qu'il dirigeait tout. Louis XIV s'y est laissé prendre; c'est ainsi qu'il a pu se vanter d'avoir, lui-même, dans le conseil des finances, travaillé continuellement... à démêler la confusion qu'on avoit mise » dans les affaires 2. Saint-Simon a bien vu que ce n'était qu'une apparence. Ses ministres, dit-il, « faisoient venir comme de lui ce qu'ils vouloient eux-mêmes et condui- soient le Grand selon leurs vues... Ils étoient les maistres de tout, et le roi le vouloit bien ou ne s'en apercevoit pas3. »

En matière de finances, incontestablement, le roi ne fit rien de sa propre initiative. Il l'avoue par ce billet adressé à Colbert un jour qu'ils étaient séparés l'un de l'autre : « Vous savez que sur les finances j'approuve tout ce que vous faites et m'en trouve bien * ». Quantité de réformes furent faites sur des mémoires rédigés par Colbert et simplement approuvés par Louis XIV. Lorsque le roi s'absenta pour prendre la tête de l'armée, en 1671, il fit un règlement par lequel toutes les affaires de finances étaient remises aux mains du ministre 5. Lorsque Col- bert offre des explications sur les projets d'ordonnances, le roi

ses bureaux. Nous n'en connaissons guère que les noms. Ainsi, en 1<>76, on trouve auprès de Colbert les sieurs Desmaretz (le futur intendant des finances), Perrault, Vieuville, Bragelone, Hosdier, Lagnrde, Lelez, De Sestre, Le Fouyn ; le sieur Picon tient < les registres de la surintendance ». Marin a connu premier commis François Rozée, etc. (B. N. fr. 32 646, 105; Clairamb. 474, 30.)

1. Sur le rôle, bien connu, de Colbert dans la préparation de la réforme, voir Clém. II, introduction, et, p. CCI, la note au roi pour la formation du conseil;

5. CCII, le discours du roi à l'ouverture du conseil d'après la minute autographe e Colbert; voir aussi de Boislisle, Mémoires de Sainl-Simon, t. VI, p. 478.

2. Mémoires, éd. Dreyss, t. I, p. 108. Il n'est pas sûr que les ministres aient usé de ce procédé seulement par déférence pour le roi et afin de flatter sa vanitr. Ils désiraient aussi être mieux obéis : « Ce qu'un roi fait, écrivait Mazarin à Louis XIV en 1650, est d'un autre poids et lait un autre éclat et impression que ce que fait un ministre, quelque autorisé qu'il puisse estre ». (Mémoriaux du Conseil de 166t, publ. par J. de Boislisle, introd.).

3. Mémoires, t. XV, p. 427.

4. Billet du 19 mai 1G73, publ. dans la Revue des chefs-d'œuvre, 1884, p. 499.

5. Règlement sur l'administration des finances en l'absence du roi, du 22 avril 1672 (A. Nat. O», 16, P" 240-7). C'est la reine qui, théoriquement, tiendra

L ADMINISTRATION CENTRALE. 21

répond : « Vous ferez ce que vous voudrez sur les ordonnances ; quand je m'y applique, je vois pourquoy elles sont expédiées1. » Le 9 mai 1670, il écrit :

« Voici le temps que Vostre Majesté a accoustumé de régler le brevet de la taille. Vostre Majesté me fera sçavoir, s'il luy plaist, si Elle veut que les impositions de 1671 soyent pareilles à celles de 1670, ou si Elle voudroit soulager ses peuples d'un million de livres. »

A quoi le roi répond par retour du courrier : « Il faut faire les impositions et soulager les peuples d'un million 2. » De la même façon est arrêté le brevet de la taille en 1673 3. En mai 1677, Colbert demande au roi à quelle somme il veut arrêter le brevet de la taille, et le roi lui répond : « Je croys qu'il faut faire le brevet de la taille comme celuy de cette année, à moins que vous ne jugiez, par les connaissances que vous avez, qu'il y faille changer quelque chose *. » En ces billets intimes, Louis XIV se montre à peu près indifférent aux finances; lui qui donnait tant d'attention aux marches des armées, aux cons- tructions, au cérémonial, n'a jamais arrêté son attention sur les problèmes économiques ; il n'a vu en Colbert qu'un appro- visionneur du Trésor ; il a été le spectateur beaucoup plus que l'auxiliaire de son œuvre.

Colbert fut le maître non seulement par la confiance que lui f" , accorda le roi, mais aussi par le soin qu'il mit à s'entourer de j 4&*i collègues et de subordonnés à sa dévotion. Les deux conseillers \ des finances nommés en 1661, De Sève et D'Aligre, sont ses amis particuliers ; ils seront remplacés l'un par Pussort, qui est son oncle, l'autre par Boucherat, qui est son protégé 6. Des deux intendants des finances qui eurent la taille dans leur département, l'un, Marin, lui doit sa fortune, et a épousé une ( cousine de Colbert 6; l'autre, Desmaretz, est son propre neveu : il l'a pris dès son jeune âge dans les bureaux, il l'a formé, S

la place du roi, mais c'est Colbert qui présentera toutes les affaires au Conseil et arrêtera personnellement les registres de recettes et de dépenses « attendu que la reyne ne pourroit pas escrire les arrestez desdits registres de sa main ainsi que S. M. a accoustumé de faire ». Ce règlement avait été préparé par Colbert, ainsi qu'en font foi ses notes autographes non publiées par Clément (B. N. Clair. 647, 124-125). Cf. la commission donnée à Colbert le 30 avril 1673 pour signer les aTrèts du Conseil en commandement (A. N. O1 17, 75) et le règlement du 18 avril 1674 (Clairamb. 647, 131).

1. Clém., II, p. CCXXXIV.

2. lbid., p. CCXXVII.

3. Ibid., p. CCXXXIV.

4. Ibid., p. CCLII.

5. Sur les rapports entre de Sève et Colbert, voir la lettre de ce dernier à de Sève fils lors de la mort du père, Clém. II, 258, n. 2. Sur d'Aligre, voir Clém. I, p. 98, 100, 198. Pussort était frère de la mère de Colbert et servit entièrement le contrôleur général dans toutes les circonstances. Boucherat devait à Colbert, notamment, son intendance de Guyenne.

6. Denis Marin, sieur de la Chasteigneraye, à Auxonne en janvier 1601, était fils d'un petit marchand; amené à la cour par un de ses parents éloignés, il avait épousé en secondes noces Marguerite Colbert, de la branche de Terron. Il

H LA TAILL1 I \ NOUMANDIE.

poil il l'a fait nommer inaitrr des requêtes1. Ainsi Colbert est assuré du dévouement et de l'obéissance de tous ceux qui l'en- tourent : sa volonté unique dirige toute l'administration des finances.

III. L'ÉTABLISSEMENT DU BREVET

La taille ayant son origine dans les besoins financiers extraordi- naires du roi, l'acte initial de l'imposition était l'indication de la somme qui devait faire face aces besoins. Ainsi, par son principe même, la taille est un impôt de répartition. On commence par fixer la somme totale à lever, puis on la répartit entre les diffé- rentes circonscriptions. L'opération comprend quatre degrés :

entre les généralités;

entre les élections de chaque généralité;

entre les paroisses de chaque élection;

entre les contribuables de chaque paroisse.

Chaque année le roi arrête en son Conseil des finances la somme nécessaire pendant l'année suivante « pour l'entretene- ment des maisons royales et de ses troupes et autres dépenses nécessaires » et pour les gages, appointements, droits et autres « charges » de chaque recette générale. C'est d'après ce chiffre que le montant de la taille sera fixé; en d'autres termes, le roi commence par dresser son budget de dépenses; il arrête ensuite son budget de recettes.

.En juin 1661, alors que Fouquet était encore surintendant, la somme fixée pour l'année suivante était de 41534672 1. Mais le jour même de l'arrestation du surintendant, Sa Majesté déclarait « qu'Elle prétendoit administrer ses finances... avec une telle économie et une si juste dispensation, qu'Elle espéroit dans peu se mettre en état de soulager ses peuples au delà de ce qu'ils pouvoient espérer 2 ». Aussi, à la première séance du

fut successivement trésorier général des fermes (1C38), conseiller d'Etat (1648), intendant d'armée, enfin intendant des finances en mai 1G50. Lors de la suppres- sion de huit charges d'intendants des finances, il perdit sa fonction, mais reprit peu de jours après la succession d'un des réservés, M. de Mauroy, décédé. De ses

Suatre fils, l'un devint intendant d'Orléans et premier président au Parlement 'Aix; l'autre succéda à son frère à l'intendance d'Orléans; un troisième servit à l'armée. Une de ses filles épousa le marquis d'Oppède, umi de Colbert et prési- dent au Parlement d'Aix (cf. Amanton, Recherches biographiques sur Denis Marin, avec notes pour faire suite aux Recherches, Dijon 1807, B. N. Lnî7 10 778. Clém. II, p. 241, et B. N. fr. 7 654, F 42).

1. La mère de Desmaretz était Marie Colbert, sœur du ministre. On trouve déjà le jeune homme dans les bureaux de son oncle en 1665, alors qu'il n'u que seize ans (Clém. VII, 345). De muitre des requêtes il devint directement intendant des finances, ce qui était un avancement extraordinaire.

Un autre intendant des finances, Hotman de Fontenay, est allié à Colbert : il a épousé Marguerite Colbert, cousine du ministre.

2. Lettre de Brienne fils à son père, 5 septembre 1661 (publ. dans J. de Bois- lisle, Mémoriaux du conseil dt 1661, t. III, p. 128).

L ETABLISSEMENT DU BREVET.

23

conseil des finances, fut-il résolu que le brevet de la taille serait diminué de 3 millions de livres1 : l'imposition de 1662 fut donc/ réduite à 38534672 1. 2. C'était une mesure de bonne politique, suggérée sans doute par Colbert, mais il ne faut pas en exagérer la portée ; depuis longtemps les non-valeurs pour la taille étaient très élevées, et le roi savait qu'il ne recouvrerait pas, à beaucoup près, toute la somme imposée; il ne faisait donc qu'abandonner une chose qu'il ne pouvait avoir. Mais il témoi- gnait par sa bienveillance pour les peuples, et leur donnait un encouragement précieux.

Pour 1663, le brevet arrêté en mai 1662 monte a 38 128269 1., soit une diminution d'un peu plus de 400 000 1. Les années suivantes encore, on fit des réductions, si bien qu'en 1665, le brevet s'élevait seulement à 33860 000 1. Dans son mémoire écrit en 1663 pour servir à l'histoire du roi, Colbert disait : « Le roy travaille à enrichir les peuples par la diminution des impositions3 ». Tel était bien le but qu'il se proposait. Il aurait voulu réduire le montant de la taille à 30 millions ; mais dès 1666, il fallut renoncer à ces réductions, le roi voulant mettre sur pied une armée considérable. Le brevet alla donc de nouveau en augmentant, pour atteindre 35 685 000 1. en 1669. Après la paix de 1668, on reprit les réductions; jusqu'en 1672, le brevet se maintint au-dessous de 34 millions. C'est en 1672 qu'il fut le moins élevé de toute la période : il montait à 33306881 1. Mais dès 1673, tes besoins de la guerre obligent ï Colbert à consentir un relèvement. Chaque année le chiffre s'élève et on arrive à la somme de 40152 000 1. en 1678, puis après la paix, on redescend aux environs de 34 millions. En 1683, le dernier brevet arrêté par Colbert s'élève à 34 447 212 1. Le ministre ne put donc autant qu'il l'aurait désiré « enrichir les peuples par la diminution des impositions » 4.

1. Clém. II, 53.

2. Un édit de mars 1662 accorda encore une réduction d'un million; on verra plus loin le détail. Colbert, dans son Mémoire sur les affaires de finances en 1663 (Glétn. II, 58) dit que la remise fut faite « sur les tailles de l'année sui- vante », mais il faut entendre par les tailles de 1662; le texte de l'édit ne permet aucun doute.

3. Clém. II, 65, n. 4.

4. Montant et date des brevets pour les 18 généralités des pays d'élections, de 1661 à K583 :

1661 15 août 1660. . . 40 660 8051.

1662 2 juin 1661 . . . 41534 672

1663 15 mai 1662 . . . 38128 269

1664 1er mai 1663. . . 36 047 23;»

1665 24 mai 1664 . . . 33 860 000

1666 22 mai 1665 . . . 34 200 000

1667 3 juin 1666. . . . 36000000

1668 10 mai 1667 . . . 36154 000

1669 15 mai 1668 . . . 35 685 000

1670 28 mai 1669 . . . 33 967 000

167 1 31 mai 1670 . . . 33 917 400

1672 3 juin 1671 . . . 33 306 881 Les textes des brevets se trouvent à leur date dans les registres du Secrétariat

1673

26 avril 1672. .

. 34 560 000 I

1674

29 avril 1673. .

. 36 556 000

1675

18 avril 1674. .

. 36 584 000

1676

27 avril 1675. .

. 40 206 360

1677

11 avril 1676. .

. 40166 360

1678

1er juin 1677 . .

. 40152 000

1679

11 juin 1678 . .

. 34 353 000

1680

23 mai 1679 . .

. 34 353 000

1681

21 mai 1680 . .

. 33613 000

1682

20 mai 1681 . .

. 34 260 682

1683

16 mai 1682 . .

. 34 447 212

■_•', LA TAILI.K KN NOHMANDIE.

C'est qu'il v avait une opposition permanente entre les vues du roi et celles de son ministre. Colbcrt faisait de la taille un instrument de gouvernement économique; il voulait la répartir , plus justement, la percevoir moins durement et diminuer non seulement le total de l'impôt, mais aussi la part relative de .chaque contribuable. Louis XIV voulait se procurer le plus d'argent possible pour satisfaire ses goûts de guerre, de con- structions et de luxe. « Vous ne sçauriez manquer de songer d'avoir de l'argent » : ce mot écrit à Colbert donne sans doute toute la pensée du roi en matière de finances. Il a dit à diverses reprises que la misère des peuples lut faisait de la peine, mais on ne voit pas qu'il ait fait grand effort pour la réduire.

La somme totale à lever, débattue d'abord entre Colbcrt et le roi, était arrêtée définitivement au Conseil des finances, puis on dressait le « brevet général de la taille ». Un brexet est un acte « rédigé en forrne_dii-nrocès7rVprbai-pa4- ua-seccétaire d'Etat, mais ne portant point de sceaiijitjîon soumis à l'enregistrement déT cours ' »TLe TSrevet de la taille n était que le procès- verbal de la séance du conseil le montant de l'impôt avait été arrêté. La formule initiale était : « Aujourd'huy jour

de mil six cens , le roy estant à , traitant

de la conduite et administration de ses finances », et la formule finale : « Faict les jour et an susdicts ». Le roi n'y parlait pas à la seconde personne comme dans les lettres de cachet; il y indiquait simplement sa volonté; l'acte était destiné uniquement aux agents de l'administration, et ne devait pas être publié; c'était une décision administrative plutôt qu'une loi2. En règle générale, un brevet n'avait pas besoin d'être signé du roi pour être valable, mais celui de la taille l'était toujours, au moins au temps de Louis XIV, le roi étant censé présider le Conseil des finances. Même cette signature, contrairement à ce qui se passait pour beaucoup d'autres actes, était « de la main3 ». En mai 16/2, en effet, alors que le roi était à la tête de l'armée en Flandre, Colbert prit soin de lui envoyer l'original du brevet et dans le billet qui accompagnait l'envoi, il disait : « Cette expédition m'a paru trop importante pour estre signée en

d'Etat de la maison du roi (Arch. Nnt. O1) et dans les Mélanges Colbert, vol. 177 et suiv. Des brevets séparés étaient expédiés pour les pays d'États.

1. Giry, Manuel de diplomatique, p. /85.

2. V. Giry, pass. cité, qui donne des formules un peu différentes. Cf. Encyclo- pédie méthodique, Finances, t. I, p. 142; Guyot, Hépertoire de jurisprudence, article Brevet; Cl. de Beaune, TraiW de la Chambre des Comptes de Paris, Paris, 1647, Hv. I, p. 220-221. Pour désigner un acte de ce genre, on employait souvent l'expression de « Résultat du Conseil ».

3. Sur l'imitation de la signature du roi au bas des actes par un secrétaire, cf. Saint-Simon : « On n'ignore pas que la prétendue signature du roi mise au bas de chaque expédition qui sort des bureaux par le sous-commis qui écrit l'expédi- tion même, n'a de force et d'autorité que celle qu'elle reçoit de la signature du secrétaire d'Etat.... Cette prétendue signature du roi, dont personne n'étoit la dupe, n'étoit qu'une prostitution indécente. »

L ETABLISSEMENT DU BREVET. 25

l'absence de Vostre Majesté *. » On peut conclure de qu'ha- bituellement le roi lui-même signait les brevets. Au-dessous de sa signature était celle du contrôleur général ou du secrétaire d'Etat en quartier.

Le fait que le brevet n'était pas enregistré par une cour souve- î raine marquait que le roi l'établissait de sa propre autorité, sans contrôle. C'était par excellence un acte d' « arbitraire ». Au cours du xvine siècle, les protestations contre cet usage seront violentes et les réformateurs considéreront comme une grande victoire d'avoir obtenu l'enregistrement du brevet à la Cour des aides de Paris 2. Mais à l'époque de Colbert, ces protesta- tions ne se font pas encore entendre3.

La date à Laquelle le frrevet devait êtrft %rr^*^ flVftî* une gran,(îg_i,napûr-tanfiej.„ le bon recouvrement de l'impôt en dépen- dait. Si en effet la répartition n'était pas terminée avant le début de l'année financière, c'est-à-dire avant le 1er octobre, la perception était retardée d'autant, et comme les peuples payaient toujojur&.^eç_jjjQJi_^^ l'année finissait sans que la

taille fût complètement acquittée; les exercices chevauchaient l'un sur l'autre, et tout l'ordre de la perception était détruit. On verra qu'à tous les degrés du répartement on eut la préoccu- pation de terminer le travail en temps utile; ce fut un des gros / soucis de l'administration, et elle n'y réussit qu'imparfaitement. Les chevauchées d'intendants duraient un mois au moins4; le ( département entre les paroisses de chaque élection exigeait autant de temps5; le seul transport des lettres de Paris aux généralités les plus éloignées, comme Montauban ou Grenoble, demandait une semaine6. Pour peu qu'une difficulté, un procès, une rivalité entre différents agents royaux retardât les travaux, un délai de deux mois entre le brevet et le commencement de l'année financière était insuffisant, toutes les opérations étaient reculées et le recouvrement compromis. C'est pourquoi des ordonnances avaient prescrit dès le xvie s. que le brevet fût

1. Glém., VI, 294.

2. V. par ex. les remontrances de la Cour du 20 juin 1761, dans A.uger, Mémoires pour servir à l'histoire du droit public, p. 132, ou celles du 6 mai 1775, ibid., p. 664. Le sujet est très souvent traité dans les écrits du temps.

3. Cependant, à l'époque de la Fronde, l'enregistrement par les cours souve- raines des édits relatifs aux impôts était très demandé (voir Sée, Les idées poli- tiques à l'époque de la Fronde, dans la Rev. d'hist. mod., t. III, p. 113 et suiv.), et le roi l'avait accordé dans sa déclaration du 31 juillet 1648, art. 3. Mais cette revendication était déjà oubliée en 1661.

4. Cf. une lettre de Colbert à l'intendant de Paris du 17 juillet 1682 : « Visiter cinq élections en 15 jours de temps ne peut pas estre d'une satisfaction entière pour le roi, estant impossible que vous puissiez satisfaire en si peu de lemps à ce que S. M. désire » (Clém. II, 200). Or la généralité de Paris avait 22 élections.

5. « Au moins six semaines dans les généralités qui ont beaucoup d'élections », écrit l'intendant d'Orléans le 31 juillet 1684 (De Boislisle, Correspondance, t. I, 97).

6. Le brevet daté du 2 juin 1661 n'est reçu que le 1er juillet au Bureau des finances de Caen (Plumitif du bureau, à cette date).

Jt; I.A TAILLE BU NOHMANHIL.

arntc avant la lin de juillet*; Mais en 1661 la règle n'était plus respectée; ce n'était pas seulement négligence de l'administra- tion : les recouvrements se faisant très lentement, on voulait surtout laisser aux contribuables le plus longtemps possible pour I s'acquitter. Au temps de Mazarin, la date habituelle du brevet I était le mois d'août, ou de septembre; certains brevets furent I arrêtés en novembre; celui de 1654 est daté du 22 décembre*. En 1661, Fouquet avait fait un effort pour hâter l'expédition : elle est datée du 2 juin. \ Colbcrt se fit une règle d'expédier le brevet en mai. Dès 1626 il s'y conforma*. Quatre fois seulement (en 1666, 1671, 1677 et 1678) le brevet ne fut arrêté qu'en juin, mais c'est parce qu'à ces dates le roi était à l'armée et ne pouvait signer l'acte plus tôt. Mais en 1667, Colbert invite le roi dès le 4 mai à « résoudre le brevet de la taille, qui doit estre envoyé dans les provinces le 20 de ce mois4 »; pendant cinq années, de 1672 à 1676 inclusivement, le brevet fut expédié dès le mois d'avril5. Colbert donnait l'exemple à tous les agents ses subordonnés. Toutefois, une si grande hâte n'était pas sans inconvénient : en mai, il était impossible de savoir si les récoltes seraient bonnes ou mauvaises, et les intendants ne pouvaient donner en connaissance de cause leur avis sur le brevet. On risquait ainsi de faire une mauvaise répartition.

I Après avoir fixé le montant total du brevet, le conseil devait arrêter la part de chaque généralité 6. C'était lui qui faisait la répartition au premier degré. Il va sans dire que le travail était

f>réparé par l'intendant des finances chargé des tailles et par e contrôleur général. La généralité était une circonscription financière administrée / par des trésoriers généraux. Au début, les généraux des finances résidaient à Paris et leur juridiction s'étendait sur tous les pays d'élections. En 1450, le royaume fut partagé en 4 géné- ralités ayant chacune ses généraux; la Normandie en fut une7. Au xvie siècle, le besoin d'argent fit multiplier les offices de généraux des finances, et par conséquent les généralités : en décembre 1542, la Normandie fut divisée en deux : Haute et Basse Normandie, ayant respectivement leurs sièges à Rouen

1. Règlement du 19 janvier 1599, art. 1, publ. dûns la Revue Henri IV, t. I, p. 189; ordonnance de janvier 1629, art. 344, etc.

2. Arch. Nat. K 891, pièce 6.

3. Cf. les dates des brevets ci-dessus, p. 23, note 4.

4. Clém. Il, p. CCLI1.

5. 11 est probable que Colbert voulait faire signer l'acte par le roi avant son départ ù l'armée; c'est du moins le cas pour 1673 (Clém. II, p. CCXXXIV).

6. 11 est bien entendu qu'en cet ouvrage je ne parle que des pays d'élections.

7. Les trois autres étaient celles de Languedoil, Languedoc et Outre-Seine. Les documents relatifs à la formation des généralités ont été réunis par Fournivol dans son Recueil dont il sera parlé au chapitre n. Cf. Corbin, Nouveau recueil des

L ÉTABLISSEMENT DU BREVET. 27

et à Caen. Enfin, en mai 1636, la généralité d'Alençon fut faite de parties enlevées aux deux précédentes *. Les motifs de cette dernière création, d'après le préambule même de l'édit, étaient les grands besoins d'argent du roi qui l'obligeaient à « recourir aux moyens extraordinaires »; nous espérons, disait-il, que l'établissement d'un Bureau des finances, « dont il nous peut revenir une grande et notable somme de deniers pour nous secourir dans l'occasion urgente de nos affaires » ne sera pas à charge au peuple; mais il n'avait pas le moindre souci de régu- lariser les circonscriptions ou de faciliter l'administration2. Il ne faut pas s'étonner si les généralités étaient bizarrement composées et très inégales3.

En 1661, les pays d'élections, entre lesquels le montant du brevet est partagé, comprennent les 18 généralités de : Paris, Soissons, Amiens, Châlons, Orléans, Tours, Bourges, Moulins, Lyon, Riom, Poitiers, Limoges, Bordeaux, Montauban, Rouen, Caen, Alençon et Grenoble.

Les trois généralités normandes ont une étendue plus grande que les ressorts du Parlement et de la Chambre des comptes de ' Rouen : elles comprennent en effet et dès le xve siècle il en était ainsi la châtellenie de Pontoise et la vicomte de Chau- mont et Magny, c'est-à-dire qu'elles vont jusqu'à l'Oise, tandis que le ressort du Parlement, de la Chambre des comptes, et du gouvernement militaire s'arrête à l'Epte4; elles comprennent

édita... concernant les cours des aides, Paris 1623, liv. VI; Pasquier, Recherches, liv. XVII; Girard, Trois livres des offices de France, Paris, 1638, t. I, et Jac- queton. Documents relatifs à l'administration financière... ÎUU3-1Ù23, Paris 1891.

1. L'édit de décembre 15'i2 portait le nombre des généralités du royaume à 16, savoir : Paris, Châlons, Amiens, Rouen, Caen, Bourges, Tours, Poitiers, Issoire (plus tard Riom), Agen (plus tard Bordeaux), Toulouse, Montpellier, Lyon, Aix, Grenoble et Dijon (Fournival, p. 159; Fontanon, Recueil, t. Il, 625). Voir la liste des élections comprises dans chaque généralité dans Jacqueton, p. 279-283. En 1552 fut créée la généralité de Nantes ; en septembre 1558, celles de Limoges et d'Orléans; en septembre 1587 celle de Moulins; en novembre 1595 celle de Soissons; en janvier 1635, celle de Montauban; celle d'Alençon fut la dernière créée; jusqu'en 1683, il n'y aura plus de créations nouvelles.

2. Voir la liste des édils bursaux enregistrés à la Chambre des comptes de Normandie du 16 au 19 mars 1637, avec celui-ci, dans de Beaurepaire, Cahiers des états, .... règne de Louis XIII, t. III, p. 227-229. V. aussi Forbonnais, Recher- ches... éd. in-4°, I, 228. Le roi invoque accessoirement comme motif son désir de dédommager la ville de la suppression de l'échiquier et de supprimer les inconvénients du transport des deniers à Rouen, distant de 30 lieues. Mais ce motif était très secondaire. L'édit d'établissement, plusieurs fois imprimé au xviie siècle, a été réédité dans Duval, Etat de la généralité d'Alençon sous Louis A IV, p. 363-379.

3. Au temps de Colbert, la plus grande généralité d'élections est celle de j Montauban, avec 2194 paroisses; ensuite viennent celles de Paris (2046 paroisses) \ et de Bordeaux (2041). Les plus petites sont celles de Bourges (671 paroisses) et de Lyon (837). Voir la statistique complète des généralités, dressée par ordre de Colbert en 1677, B. N., Cinq-cents Colb., 261. C'est par erreur que Malicorne déclare la généralité d'Amiens « la plus petite de toutes » (Rech. hist. sur l'agri- cult. dans le pays de Rrai/, II, 110).

4. Le Vexin français fut enlevé à la généralité d'Outre-Seine non pas vers 1474-78 comme le dit Jacqueton p. 282, n. 9, mais en 1382 : cf. ci-dessous p. 61-3.

28 LA TAILLE EN NOIIMANDIB.

aussi, au sud, la châtcllenie de Nogent-le-Rotrou et la vicomte du Perche, qui sont en dehors de la province pour la justice et le gouvernement militaire1. Les limites de ces généralités, sans être aussi vagues que l'a soutenu Brette, n'étaient pas tou- jours très précises; les enclaves d'une ou de plusieurs paroisses étaient fréquentes; l'intendant d'Alençon signale des paroisses « mixtes » entre sa généralité et celles de Tours et d'Orléans *; pendant longtemps un faubourg de Pontoise dépendit de la généralité de Paris, tandis que la ville dépendait de Rouen; un faubourg d'Alençon était de la généralité de Tours.

Avant 1636, la généralité de Rouen comprenait 21 élections et celle de Caen, 9*. La généralité d'Alençon enleva 8 élections à celle de Rouen et une à celle de Caen. En définitive, les trois généralités sont composées au temps de Colbert de la façon suivante : >

Rouen, élections d'Andely, Arques, Caudebec, Chaumont et Magny, Évreux, Gisors, Lyons, Montivilliers, Neufchâtel, Pont- Audemer, Pont de l'Arche, Pont l'Evêque, et Rouen4, soit 13 élections, comprenant 1 893 paroisses taillables.

Cabn, élections d'Avranches, Bayeux, Caen, Carentan, Coutances, Mortain, Valognes, Vire-et-Condé5, soit 8 élections, 1 233 paroises taillables.

Alençon, élections d'Alençon, Argentan, Bernay, Conches, Domfront, Falaise, Lisieux, Mortagne, Verneuil, soit 9 élections, 1321 paroisses taillables6'.

On voit qu'il y a une assez grande inégalité entre les trois circonscriptions, celle de Rouen ayant moitié plus de paroisses que celle de Caen; il ne semble pas que le gouvernement ait jamais rien fait, après 1636, pour corriger ce défaut. Telle

Le rattachement fut fait uniquement au point de vue financier; pour tout le reste, le pays dépendait de Paris. Cf. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 85.

1. Voir de Beaurepaire, Cahiers des riais... règnes de Louis XIII et de Louis XIV, t. III, p. V. Quelques remaniements de détail dans ces limites furent faits à l'époque de Colbert. Ainsi, le faubourg de l'Aumône sur la rive gauche de l'Oise, fut rattaché à Pontoise par une déclaration du 27 janvier 1663, comme on le ▼erra plus bas. De même, la paroisse du Courdimanche fut enlevée à la généra- lité d'Alençon.

2. Voir la liste des élections en décembre 1597, dans Néron, Recueil, t. I, p. 6D0, et dans C.d.T. t. I, 221. Autre liste semblable dans Lescuyer, Le guidon des secrétaires (lli22) p. 30.

3. Une élection avait été créée à Pontoise par édit de décembre 165'» (C.d.T. I, 45ti). Elle fut supprimée en août 1661 (ibid. p. 495).

4. Lettre au contrôleur général, du 27 juillot 1682. L'inconvénient de ce par- tage est de favoriser les translations de domicile frauduleuses. L'intendant demande à s'entendre avec ses collègues d'Orléans et de Tours pour achever ce qu'on a desjà proposé plusieurs fois, et mettre toutes ces paroisses mixtes tous une mesme eslection » (A. N. G7, 71). Nous ne savons s'il fut ou non donné suite à sa proposition.

5. L'élection de Saint- fut supprimée en août 1661, ainsi qu'on le verra plus loin.

6. Voir ci-dessous, p. 64, le tableau des élections avec le nombre des paroisses de chacune.

L ETABLISSEMENT DU BREVET. 29

quelle, la généralité de Rouen occupe, par le nombre de ses paroisses, le cinquième rang dans les pays d'élections; Alençon vient au septième rang, et Gaen au dixième.

Pour fixer la part de chaque généralité, le gouvernement ne disposait d'aucun élément statistique précis. On verra qu'il en était de même à tous les degrés de la répartition : les collecteurs n'avaient que leur opinion personnelle pour juger des facultés d'un taillable, les intendants, les trésoriers généraux, les élus/ ^ n'avaient aucune base pour évaluer les ressources d'une paroisse ou d'une élection. La taille étant un impôt global sur le revenu et comportant des exemptions personnelles, ne pouvait être exactement tarifée; on n'avait aucun moyen de savoir chaque année qui était contribuable en chaque lieu et à combien il devait être taxé. L'arbitraire dans l'assiette était la caractéris- tique essentielle de l'impôt. En pratique, on se guidait sur les chiffres d'imposition de l'année précédente; en les reproduisant, ou à peu près, on risquait de ne pas faire trop d'erreurs; mais on risquait aussi de perpétuer les inégalités; une circonscription qui avait été soulagée une fois avait chance de l'être toujours; celle qui au contraire avait été une fois surchargée le demeu- rait toujours.

En dehors de cette base, l'état des recouvrements pouvait donner des indications utiles : lorsqu'une généralité payait ses impôts sans non-valeurs et sans retards, il était a présumer qu'elle n'était pas surchargée; si au contraire elle payait lente- ment et avec beaucoup d'arriérés, il y avait risque qu'elle fût trop imposée. Mais ici encore, que valait le raisonnement? Cer- taines circonscriptions payaient bien par habitude, soit qu'elles fussent bien administrées, soit qu'elles eussent connu une période passagère de prospérité ; d'autres, les peuples étaient « endurcis », payaient mal, en dépit de tous les dégrè- vements.

Les chances d'erreur dans la répartition étaient d'autant plus grandes que le gouvernement ignorait la consistance et la richesse relative des circonscriptions. Avant 1661, personne ne savait! combien il y avait de paroisses, à plus forte raison de contri- buables dans chaque généralité; si l'on s'était parfois préoccupé de le savoir, on n'avait pas eu le moyen d'y parvenir. Colbert le premier comprit l'importance de ces renseignements statis- tiques et s'efforça de les réunir1. En 1664 il demandait aux f intendants « le nombre véritable des villes, bourgs et paroisses » dont chaque circonscription était composée. L'année suivante,

1. Voir mon édition du Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de Rouen, introduction, p. V-VII, et appendice, p. 161-163. Montchrestien avait déjà proposé ces enquêtes dans son Traité de l'économie politique (1615).

10 LA TAILLE EN NORMANDIE.

il faisait dresser une liste des paroisses, élection par élec- tion avec le nombre des feux de chacune, ses impositions ta 1658, 1659, 1662 et 1665, et la nature de son terroir1. K ri L671, dans une nouvelle circulaire, il demandait à ses subordonnés une « comparaison du nombre des cotes de cette année awe rrluy des cinq ou six dernières* ». En 1677 encore, il réunissait dans un registre le tableau complet de toutes les paroisses par élections, avec leur chiffre d impôt. Souvent il calcula l'imposition moyenne d'un feu dans chaque généralité pour juger approximativement si l'une n'était pas surchargée par rapport à l'autre. Ainsi, en 1682, il constatait que dans les élections de Beauvais et de Clermont, de la généralité d'Amiens, un feu payait moins que dans les généralités voisines de Paris et de Soissons, et il invitait l'intendant de Breteuil à y remédier3. Souvent les intendants, sur son ordre, lui signa- laient de ces inégalités : celui d'Alençon en sept. 1683 lui apprend que les contribuables de l'élection de Mortagne font des translations de domicile fictives dans la généralité de Tours, et ceux de l'élection de Verneuil dans les généralités d'Orléans, de Paris, de Rouen, pour payer moins de taille*. En 1672, ' l'intendant de Rouen lui écrit que des taillables de l'élection de Neuchâtel se retirent dans la généralité d'Amiens « parce que la taille n'y est pas si haulte qu'en cette province5 ». Le 12 sep- tembre 1683, l'intendant Méliand, qui passa successivement plusieurs années dans chacune des trois circonscriptions nor- mandes, écrit : « Cette généralité de Rouen est fort surchargée et beaucoup plus que les deux aultres de cette province, ce que je sais pour y avoir servi6 ». Deux mois auparavant, il envoyait un mémoire il montrait les accroissements de taille infligés à la généralité depuis 1674 : le chiffre était passé

1. Voir dan» le Mémoire de Voysin, p. 161 et suiv., ce tableau pour la généralité de Rouen.

2. Clém. IV, 58.

3. Lettres à Breteuil des 28 octobre et 6 novembre 1682 (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièces 495 et 513).

4. Mémoire du 1" septembre 1683 (A.N. G7 83). Sur la répartition traditionnelle de la taille, cf. Labarre, Formulaire, p. 77 : il explique comment, des deux géné- ralités de Normandie, celle de Caen porte habituellement le tiers de celle de Rouen : « s'il y a 1 803 160 1. (pour la généralité de Rouen) ainsi qu'es années 1619 et 1620, Caen, marchant au tiers, a porté 634 720 1. »

5. Lettre du 30 octobre 1672 (M. C. 169, 189. Cf. Clairamb. 795, p. 485). Si nous calculons après Colbert l'imposition moyenne par feu dans les généralités pour lesquelles nous avons des données, nous trouvons qu'en 1665, celle de Rouen étant imposée à 2 272 698 1. pour 182 348 feux taillables, paie en moyenne 12 1. 9 s. 3 d. (Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de Rouen, p. 166 et suiv.). Pour la généralité de Caen, nous avons un état des feux dressé en 1668; le total est de 135 403. L'impôt étant de 1767 000 1. on a une moyenne de 13 1. 1 s. par feu (état recueilli par l'abbé de Dangeau, B. N. fr. 22 613, 142-144). Nous n'avons pas de liste des feux pour la généralité d'Alençon à l'époque qui nous concerne. On trouve un tableau comparatif de l'imposition moyenne par habitant dans chaque j^ênoralité, vers 1784, dans Y Encyclopédie méthodique, partie Finances, t. II, p. 368.

6. A. N. G' 492.

L ETABLISSEMENT DU BREVET. 31

de 2 430000 1. à 2 515000, sans que le nombre des contri- buables ni leur fortune eussent notablement changé1.

Les renseignements de cette nature étaient les moins impar- faits que le Conseil pût avoir pour fixer la quote-part d'une généralité. Mais ils étaient loin de suffire. D'abord, on peut se demander si l'intendant avait des éléments d'information suffi- samment exacts et s'il prenait la peine de se renseigner avec précision avant d'écrire. Les chiffres ne doivent pas être pris en eux-mêmes, il faut les interpréter; une circonscription payant , en moyenne 15 1. par feu pouvait n'être pas plus surchargée '<^ qu'une autre payant 10 "17, si la première était en pays riche et la seconde en pays stérile. En second lieu, il fallait tenir compte des autres impôts, très inégaux suivant les provinces : il eût été injuste de faire payer autant de taille à une généralité de grande gabelle et à une généralité de petite gabelle; à une élection accablée par les logements de troupes et à une élection exempte de soldats. Enfin, les réclamations des intendants S n'étaient pas Jtoujqurs désintéressées : il était naturel qu'un i administrateur cherchàtlTfàîrësouïager s^a çiFconscription pour ' se faire 1^ri^vmrlîè"se^adini^^ se vante d'avoir

fait âccDrdèT^ûrTe^iminutîÔn" de 30000 1. de taille à la géné- ralité de Caen en 1705 et une nouvelle réduction de 40000 1. en mai 1706 2. Les fréquentes plaintes de tous les intendants ; sur la surcharge de leur généralité par rapport aux voisines doivent nous mettre en éveil 3. En 1679, Colbert réprimande ' l'intendant d'Auvergne à ce sujet : « Je vous vois, lui dit-il, un grand penchant, en toutes occasions, pour favoriser la pro- vince d'Auvergne, ce qui ne s'accorde pas du tout avec le ser- vice du roy 4. » Nous avons du reste l'aveu de l'un d'entre eux : en 1732, Lallemant de Lévignen, intendant d'Alençon, écrit :

« Le conseil est prévenu que lorsque les intendants demandent des diminutions, c'est dans la vue de s'attirer la considération des pro- vinces confiées à leurs soins 5. »

1. A.N. & 492.

2. Mémoires de Foucault, éd. Baudry, p. 366 et 368.

3. Ces discussions sur la surcharge relative de telle ou telle conscription étaient très anciennes. Aux Etats de 148i, les Picards se déclarent surchargés : « Il est aisé, disent-ils, d'avoir la preuve de ce fait dans le bailliage d'Amiens et ses environs, deux cultivateurs, l'un étant des nôtres et l'autre son voisin, quoi- qu'ils eussent une aisance égale, n'étaient pas assujettis à une taille égale, et pour 3 1. que le premier payait, le second en payait 2 au plus » (Journal de Masse- lin, trad. française, p. 471). Or, les Normands leurs voisins soutiennent pour leur compte la même thèse : « dans les villages situés sur les limites de la Normandie, disent-ils, le paysan normand paie une cote deux fois plus considé- rable qu'un autre paysan son voisin, qui a les mêmes moyens et demeure hors de nos limites (ibid., p. 477).

4. Glém., II, p. 108.

5. B.N. fr. 7 771, 176. Les intendants et les ministres trouvaient d'ailleurs leur compte à ces protections. En 1679, les Etats de Maçonnais votent des gratifi- cations de 1000 liv. à Colbert, 500 1. à Desmaretz, 200 1. à Boissier, secrétaire

32 LA TAILLE EN NOIt M AN M I .

f En définitive, le gouvernement n'était pas en mesure de faire I un répartement exact et équitable de la taille; il nous est d'ail- leurs impossible à nous-mêmes aujourd'hui de juger ses opéra- tions : nous avons bien des indices que telle région était sur- chargée, telle autre soulagée1, mais nous ne pouvons dire de combien.

Le tableau qui suit donne, en centièmes, pour quatre années différentes, la part relative de chaque généralité; les quatre années choisies sont : 1661 (brevet arrêté par Fouquet) ; 1663 (premier brevet arrêté par Colbert); 1672 (brevet le plus faible de notre période); 1683 (le dernier brevet arrêté par Colbert).

1661 1663 1672 1683

Pari» 10,772 p. 100. 10,179 p. 100. 10,498 p. 100. 10,561 p. 100.

Soissons .... 2,766 2,756 3,033 2,68

Amiens 2,188 2,032 2,436 2,595

Chnlons 3,962 4,591 4,588 4,1fi6

Orléans 6,418 6,447 6,005 5,744

Tours 9,523 9,707 9,177 8,889

Bourges 2,102 2,141 1,967 1,8»6

Moulins 3,541 3,781 3,726 3,732

Lyon 4,205 4,143 3,988 3,632

Riom 7,085 6,396 6,877 6,911

Poitiers 7,001 6,752 6,347 6,387

Limoges .... 5,388 5,894 5,193 5,511

Bordeaux .... 7,9.>9 7,935 8,580 8,759

Montauban . . . 8,650 8,418 8,394 9,366

Rouen 6,418 6.504 6,722 6,6:<9

Caen 4,869 4,834 4,885 4,588

Alencon 4,094 4,216 4,257 4,141

Grenoble .... 3,060 3,272 3,324 3,829

Ce tableau montre combien la quote-part d'une généralité variait d'une année à l'autre : entre 1661 et 1663, la part de Limoges croit de 5,3 à 5,8 p. 100, celle de Paris décroit de 10,7 à 10,1, celle de Poitiers, de 7 à 6,7; il n'est pas une cir- conscription qui ait conservé sa même proportion. De même, entre la première et la dernière année de Colbert, on trouve des écarts importants : Amiens, de 2 à 2,6 p. 100; Orléans, de 6,4 à 5,7, Montauban, de 8,4 à 9,3, Grenoble, de 3,2 à 3,8; il serait difficile de les expliquer par l'accroissement ou la diminution des ressources de ces circonscriptions; il faut plutôt y voir un effet de l'indécision du Conseil dans le répartement.

du contrôleur général, 500 1. à l'intendant Bouchu, attendu qu'il est extrême- ment important de prendre quelques mesures pour se faire dans les affaires les mesmes ouvertures que les autres provinces se sont acquises par le moyen de la juste reconnoissance qu'elles ont envers les personnes puissantes en crédit qui veulent bien [leur] donner une partie de leurs soins » (Clém., IV, p. 596). La Normandie paye 7 500 1. chaque année a La Vrillière, dans le département duquel elle se trouve, et celui-ci estime cette gratification juste, uttendu qhe ses collègues « jouissent entièrement de semblables gratifications dans les provinces de leurs departemens > (Billet à Colbert, 24 avril 1666, M. G., 137, fol. 450). 1. Cf. la préface, p. V.

L ETABLISSEMENT DU BREVET.

33

Voici maintenant le montant des brevets pour les trois géné- ralités normandes, de 1661 à 1683 :

Rouen.

1661 2 610 000 1.

1662 2 786 533

1663 2 480 083

1664 2 361083

1665 2 288 000

1666 2 316 000

1667 2346000

1668 2 356 000

1669 2 380 000

1670 2 251000

1671 2 258 900

1672 2 239 040

1673 2 291000

1674 2 430 000

1675 2 430 000

1676 2 700 000

1677 2 700 000

1678 2 700 000

1679 2 300 000

1680 2 300 000

1681 2 260 000

1682. 2 288100

1683 1580 550

Caen.

Alençon.

1980 0001.

1 665 000

2 068 758

1 768 744

1 843 059

1 607 411

1 733 059

1 527 411

1 622 000

1 483 000

1 650 000

1518 000

1 678 000

1 538 000

1 767 000

1 538 000

1 767 000

- 1538 000

1 647 000

1 438 000

1 647 000

1 438 000

1 627 000

1418 000

1 668 000

1 448 000

1 768 000 .

1 537 000

1 768 000

1 537 000

1 930 000

1 700 000

1 930 000

1 700 000

1 930 000

1 700 000

1 600 000

1 450 000

1 600 000

1 450 000

1 550 000

1 400 000

1 577 400

1 429 500

1 426 500

1319 233

OC

Les chiffres arrêtés pour chaque généralité étaient inscrits sur l'original du brevet de la taille. Ce brevet général se ter- minait par la clause suivante :

« Veult S. M. qu'il soit envoyé aux Presidens trésoriers de France desdites dix-huit generallitez, des extraicts signez de S. M. et con- tresignez par l'un -de ses secrétaires d'Estat et de ses commandemens, contenant les sommes que chacune desdites generallitez doit porter, pour en faire le département sur les eslections en dépendantes, et donner sur ce leurs ad vis à S. M. »

On copiait donc sur ce brevet général autant de « brevets \ particuliers » qu'il y avait de généralités. Chaque brevet par- ticulier débutait par la formule suivante : « Extrait du brevet contenant les sommes que le roy, estant à le a

résolu estre imposées et levées en l'année prochaine mil six cens ». Il se terminait par cette autre : « Collationné sur l'original signé par nous ». Chaque brevet particulier

indiquait la somme imposée sur la généralité à laquelle il était adressé. On n'y trouvait pas l'imposition des autres circon- scriptions, de sorte que les trésoriers généraux et les intendants ignoraient le rapport entre l'imposition de leur généralité et celle de l'ensemble du royaume. C'était leur interdire de dis- cuter le chiffre même du brevet et leur enlever le moyen de savoir si les autres généralités avaient été comme la leur aug-

3

LA TAILLE EX NORMANDIE.

34 LA TAILLE EN NORMANDIE.

menthes ou diminuées. Les brevets particuliers étaient expédiés sur parchemin par un commis du secrétaire d'Etat qui avait signé le brevet général, et scellés du sceau de cire jaune '.

D'après son libellé, le brevet particulier ne devait être adressé qu'aux trésoriers généraux; il en était ainsi avant l'établisse- ment des intendants, mais dès 1642, les intendants avaient reçu un double du brevet, et pendant tout le ministère de Colbert on ne cessa pas de le leur expédier en même temps qu'aux tréso- riers. Néanmoins, la formule ne fut pas corrigée, soit par négli- gence, soit pour ne pas provoquer les réclamations des tréso- riers de France.

A chaque brevet particulier était jointe une lettre de cachet du roi sur parchemin, adressée aux trésoriers et leur enjoignant d'envoyer leur avis sur le brevet sans retard. Cette lettre était de pure forme et ne contenait aucune 'indication particulière*. On y ajoutait encore une lettre de l'intendant des finances chargé des tailles et souvent aussi, à partir de 1666, un billet du contrôleur général. Ces lettres étaient également de pure forme. La copie adressée à l'intendant était une simple expé- dition sur papier non signée ni scellée, et destinée uniquement à renseigner ce fonctionnaire; elle était sans valeur authen- tique. Colbert y joignait une lettre circulaire, signée de lui, il faisait à ses subordonnés toutes les recommandations rela- tives à la taille, leur adressait toutes les demandes de rensei- gnements qu'il jugeait utiles. Une partie d'entre elles nous sont parvenues et se trouvent dans la publication de Clément3; nous

1. En 1067, il est accordé 300 1. d'indemnité au sieur de Rez, commis de Guéné-

Pud, pour l'expédition du brevet de la taille (Aff. Etr., France, mém. et doc. i*22, 75). C'était le secrétaire d'Etat en quartier qui signait les brevets particuliers, comme toutes les autres expéditions.

2. Voici par exemple celle qui fut adressée au Bureau des finances de Rouen le 3 juin 1671 avec le brevet :

De par le Iloy,

« Nos amez et feaulx, nous tous envoyons l'extrait du brevet de la taille de Tannée prochaine 1672, signé de notre main, par lequel vous connoistrez les sommes que nous voulons estre imposées en vostre généralité, et voulant avant que de faire travailler à nos commissions de ladicte année, avoir vostre départe- ment contenant voslre advis sur ce que chacune élection en doit porter, Nous vous mandons et ordonnons de nous envoyer vostre dict département dans la fin du mois de juin prochain, après avoir pris connoissance de restât des biens de la terre, et à ce ne faitos faute, enr tel est notre plaisir. Donné à Tournay le troi- sième jour de juin mil six cens soixante et onze (signé) : Loui*, ^et plus bas) Colbekt. (A.D. Calv. Bureau des finances, registre de commissions, 16til-1672,

D'autres lettres semblables pour les autres années se trouvent au même registre. Des copies des lettres envoyées chaque année au bureau des finances se trouvent à la suile des brevets de la taille dans les registres du secrétariat d'Etat de la maison du roi (A. N. O* 5 à 27). Celle de 1681 est publiée dans Clément, t. II, p. 783, n. 2. Le seul détail à relever dans ces lettres c'est que le roi enjoignait aux trésoriers généraux d'envoyer leur uvis le plus tôt possible, généralement avant le 1" juillet.

3. Voir par exemple Clém., II, 330.

L ETABLISSEMENT DU BREVET.

35

aurons souvent à y recourir pour connaître les réformes de Colbert. Voici, à titre d'exemple, celle qui fut expédiée avec le brevet de 1672 :

« Le roy ayant résolu et signé le brevet de la taille de l'année prochaine dont je vous envoyé l'extrait, je vous prie de prendre connoissance de Testât de chacune eslection pour bien distribuer la somme portée par ledit brevet, en sorte que l'imposition se fasse sans non-valleurs en vertu des commissions qui vous seront envoyées dans le temps accoustumé. Je ne doutte pas que vous n'en preniez un soin particulier, puisqu'il s'agit du service de Sa Majesté, et de soulager les peuples de l'inégalité des impositions qui cause d'ordinaire beau- coup de frais et de vexations. Je suis *. »

Jusqu'en 1666, des paquets séparés étaient faits pour le Bureau des finances et pour l'intendant; après cette date, on ne fit plus qu'un seul paquet, qui fut adressé à l'intendant; celui-ci faisait parvenir au Bureau l'exemplaire du brevet et les lettres qui lui étaient destinés.

1. A. N.OU6, f°334, v°.

CHAPITRE II

LES COMMISSIONS DES TAILLES

I. LES TRESORIERS GENERAUX. II. LES INTENDANTS. III. LES

ÉLECTIONS. IV. LES AVIS SUR LE BREVET. V. LES IMPOSITIONS

DES VILLES. VI. LA FORME DES COMMISSIONS.

Le chiffre d'impôt attribué à chaque généralité par le brevet» doit être réparti entre les élections. Cette besogne était à l'ori-j gine confiée aux généraux des finances ! ; mais ceux-ci ayant abusé de leur pouvoir, le roi s'était réservé le droit de pro- noncer lui-même en dernier ressort, ne laissant que voix con- À sultative à ses agents locaux. Nominalement, la répartition au | second degré est donc faite par le Conseil, mais d'après l'avis j des agents locaux, lesquels sont seuls en mesure de con- f naître les ressources et les capacités contributives de chaque région.

Leur travail, qui porte le nom d' « avis sur le brevet », doit servir à déterminer :

la part de chaque élection;

l'imposition de certaines villes, qui ont le privilège d'être imposées directement par le Conseil;

les impositions annexes qui doivent être levées avec la taille.

Ces agents locaux sont, dans chaque généralité, les trésoriers généraux et les intendants.

1. Les États de Normandie avaient eu, au début, le droit de faire la réparti- tion, mais ils l'avaient de très bonne heure perdu. Cf. leurs doléances en novembre 1569, Cahiers des Jitats, règne de Charles IX, t. I, p. 59, et encore en mars 1579 {ibid., t. II, p. 40) : à cette dernière date ils font valoir l'avantage qui résultera de la suppression de ce « grand nombre d'officiers qui tous ron- gent et mangent jusques aux oz la substance [du] peuple ». Mais le roi avait ses raisons pour conserver et même multiplier ces mangeurs.

38 I.A TAII.LK l\ Nult.M ANDIi:.

I. LES TRESORIERS GENERAUX

« On peut dire de l'origine des trésoriers généraux, écrit Four- nival, qu'il en est comme du Nil, dont on n'a jamais pu découvrir la source; ces officiers sont si anciens dans le royaume, qu'il ne se trouve rien de leur origine '. » Leur charge s'était formée par la réunion de deux fonctions différentes : celles de trésorier de France et de général des finances. Les trésoriers de France administraient le domaine du roi, ils étaient d'institution pure- ment royale; les généraux des finances avaient été créés au xive siècle pour surveiller la répartition des impôts nouveaux, à la demande des Etats : ainsi les premiers administraient les finances ordinaires et les seconds les finances extraordinaires. A la fin du xivc siècle, il y eut pour tout le royaume quatre tré- soriers et quatre généraux des finances; ils avaient chacun une des quatre généralités à administrer; lorsqu'en décembre 1542, le nombre des généralités fut porté à seize, celui des trésoriers et des généraux ne fut pas augmenté; ils continuèrent à demeurer à Paris, et envoyèrent leurs commis surveiller les receveurs dans les circonscriptions nouvelles2.

En janvier 1551, le roi réunit en un seul les deux offices de

I trésorier de France et de général des finances sous le nom de trésorier général, et décida que chacune des dix-sept généra- lités alors existantes aurait un de ces nouveaux officiers. Ainsi, dit Loyseau, à partir de ce moment, ils ne furent plus en réalité « ny officiers de France (j'entends de la Couronne), ny géné- raux par tout ie royaume; mais ces beaux titres leur ont esté laissez pour mieux vendre leurs offices3 ». Après une division passagère, les charges de trésoriers généraux furent définitive- ment constituées et servirent maintes fois au roi à battre mon- naie par des créations d'offices. En 1576, il y ^ayjait-déjà quatre trésoriers n é rau x d âlïschaq u e généralité; on en créa un^îh-

atrîèmêPën juHleTI^TT^oû^-prétexte d'avoir un nombre impair e délibérants, et leur réunion prit alors le nom de BureajLjles finances; c'était un véritable conseil auquel étaient attachés un greffier et deux huissiers 4. On créa encore deux offices de tré- soriers par généralité en 1581, trois autres en 1586, deux en 1621, deux en 1626, quatre en 1627, etc., et les offices subalternes se multiplièrent h proportion5. En 1665, leur nombre total était

1. Recueil des privilèges... des trésoriers de France, p. 2.

2. Edit du 15 décembre 1542 dans Fontanon, Recueil, éd. 1611, t. I, f 625.

3. Loyseau, Du droit des offices, 1. IV, ch. n, § 46. V. l'édit de sept. 1552 sur les attributions des nouveaux officiers, dans Fontnnon, Recueil, t. II, t 63.

4. Edit de juillet 1577, dans Fontanon, t. II, 86.

5. Un adversaire des trésoriers a lui-nu'me reconnu : « Il n'est point d'officiers qui ayent éprouvé autant de vicissitudes et de variations dans leur état que les trésoriers de France;... on les a considérés depuis leur dégradation, c'est-à-dire

LES TRESORIERS GENERAUX.

39

de 5Q2^ -celui des officiers inférieurs des bureaux était de .£21 î tous ces offices étaient inscrits aux parties casuelles, et soumis au droit annuel. Leur valeur totale en 1665, d'après le tableau qui en fut dressé par ordre de Colbert, dépasse 38 millions ' ; celle des offices de trésoriers seuls atteint 25 millions, soitj environ 17 p. 100 du prix de tous les offices du royaume. } Dans les trois généralités de Normandie, à la même date2, les Bureaux des finances comprennent au total 119 offices, dont la valeur vénale est de 2 603 000 livres ; les gages qui leur sont attribués s'élèvent à 136875 1. En voici le tableau détaillé :

V.

1. Voici ce tableau, d'après les registres 259 et 260 des Cinq cents Colbert. Bureaux des finances en 1665.

NOMBRE

DES

TRÉSORIERS

GÉNÉRAUX

AUTRES OFFICES

AUTRES OFFICES

VALEUR TOTALE

DE TOUS

LES OFFICES

DES FINANCES

DES BUREAUX DES FINANCES

DES FINANCES

23

18

13

1 094 200 1.

19

24

12

916 000

23

22

40

1 671 800

Bordeaux ....

23

27

46

1 638 400

*3

24

28

1 316 000

Bretagne ....

o 19

2 19

8 20

376 000 1 509 999

23

28

51

1 842 200

24

11

41

1916 600

Grenoble . '. . .

28

19

24

1 314 700

2i

21

29

1 315100

23

21

39

2 103 400

Metz

2

3

6

162 000

Monlauban. . . .

19

26

18

1 053 700

Montpellier . . .

25

28

133

4 168 900

23

10

33

1 447 300

23

16

20

1 680 000

Paris

23

15

47

2 815 000

23

20

36

1 571 000

23

27

24

1 451 900

19

19

43

1 748 000

23

23

24

1 302 900

Toulouse ....

23

30

15

1 226 000

23

18

34

2 759 800

502

471

784

38 400 899 1.

depuis 1551, comme une ressource toujours subsistante pour les besoins de l'Etat : on les supprimoit, on les rétablissoit, on en multiplioit le nombre sans autre motif que celui de procurer de l'argent au fixe par la vente de leurs offices » (Mémoire de Poitevin de Maissemy, Arcli. Nat., K, 888, p. 72).

Dans ce tableau ne sont |>as comptés les 20 receveurs des fouages de Bretagne. La dernière colonne indique la valeur de tous les offices de finance de chaque généralité: dans ce total, les offices des Bureaux des finances seuls entrent pour 25 1,')6 800 1. D'après les mêmes registres, la valeur totale de tous les offices du royaume s'élève à 419 630 S42 1.

2. Registre Cinq cents Colbert 260, à l'article de chacun des trois bureaux. La liste détaillée des offices du bureau de Rouen est publiée dans le Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 208-2J9; cf. ibid., p. 243.

40

I.A TÂILLB KX NOItMAMMF..

opficki

OAjOM

ACTUELS

l'K

Il M ! \

ÉVALUA- TION

Trésoriers généraux.

Greffier»

Receveur des épices.

Premier huissier-con- cierge

Huissiers des finances.

Huissiers collecteurs.

Procureurs postu- lants

Trésoriers généraux

Greffiers

Premier huissier-con

cierge

Autres huissiers. . , Autres huissiers. . , Receveur des épices Procureurs postu- lants ....

Trésoriers généraux.

Trésorier garde-scel.

Greffiers

Maitres-clercs desdits greffiers

Premier huissier-con- cierge-garde-meu- bles

Autres huissiers. . .

Procureurs postu- lants

Bureau des finances de Rouen.

Bureau des finances de Caen.

PRIX COURANT

2 5001.

2

32 000 1.

5331.

:;">n

2

»

358

1

1000

16

230

2

1600

26

66

2

533

8

117

2

1600

26

»

*

*

»

19

2 348 1.

2

29 333 1.

488 1.

3

420

2

3 259

H

1

180

2

3 600

60

2

62

2

1066

17

2

125

2

1066

17

1

368

2

6 000

100

10

»

>

.

38

Bureau des finances d'Alençon.

18 1 3

1 993 1.

2 893 382

2 2

»

26 666 1. 26 666

444 1. 444

»

3

105

o

»

»

1

7

100 37

2 2

B

j

10

»

»

>

»

43

45 000

20 000

3000

6 000 2000 3 000

500

50 000 20 000

6 000 3 000 3 000 3 000

500

30 000 36 000 10 000

3000

2 000 1000

400

TOTAUX DF.S PRIX

COURANTS

855 000

60 000

3 000

6 000 4000 6 000

5 000

939 000

950 000 60 000

6 000 6000 6 000 3 000

5 000

1 036 000

540 000 3'> 000 30 000

9 000

2 000 7 000

4 000

628 000

Il faut observer que les gages de ces officiers ne représentent qu'une partie de leurs revenus; on peut évaluer à .300000 1. au moins, soit environ 6 p. 100 du montant de la taille1, la somme que chaque année les contribuables de Normandie leur

1. Sons compter, bien entendu, les gages des intendants, des élus, des huis- siers, de tous les commis, ni les remises faites aux collecteurs et aux rece- veurs. Voici la liste des gages effectivement payés aux officiers du Bureau de

LES TRESORIERS GENERAUX. 41

payaient. Evidemment ce nombre de 119 officiers pour faire laf répartition de l'impôt dans une seule province était excessif1. Presque tout le monde le pensait alors; on savait bien que les offices n'avaient été créés en si grand nombre, que pour pro- curer de l'argent au roi. Un trésorier de France, Fournival, a cependant soutenu que leur nombre n'était pas exagéré : Il est logique, dit-il à peu près, que, le chiffre des impôts s'étant accru, le nombre des agents chargés de le répartir se soit accru également. Le raisonnement est fragile.

Les trésoriers généraux avaient des attributions jnultiples. Ils étaient administrateurs du domaine et des ponts et chaussées : J ils faisaient ou surveillaient la répartition de tous les impôts : taille, aides, gabelle, octrois des villes; ils recevaient le ser- ment des élus et des receveurs, qu'ils contrôlaient, rendaient la . justice en toutes ces matières2. Pour la taille particulièrement,, ils ont à donner leur avis sur la répartition entre les élec-i tions; ils participent au département entre les paroisses, sur-j veillent les receveurs généraux et particuliers et vérifient leurs comptes; ils jugent les affaires relatives aux comptes et con- naissent des lettres de noblesse, qui confèrent exemption de taille3, jls forment un corps, un collège; toutes leurs décisions sont prises, toutes leurs ordonnances rendues en nom collectif. Ils siègent généralement trois fois la semaine, mais peuvent tenir des réunions extraordinaires*. Dans les séances, ils déli- bèrent à la majorité des membres présents; en cas d'égal par- tage, la décision est ajournée. Il ne semble pas qu'un minimum de membres présents ait été exigé pour la validité des délibéra- Rouen en 1665 : le trésorier garde-scel reçoit 3 348 1. 15 s.; le président 2 948 1. 15 s.; deux trésoriers 2 748 1. 15 s.; douze autres 2 498 1. 15 s.; le propriétaire des deux offices de greffier 1353 1. 15 s.; le premier huissier 230 1. 12 s.: le receveur des épices 358 1. 15 s.; deux huissiers 117 1. 17 s. 6 d. et les deux autres 66 1. 12 s. au total 47 982 1. 1 s. A quoi s'ajoutent les épices et les autres profits casuels (état des gages arrêté au Conseil le 25 juillet 1664, A. D. S. Inf., G. 1 382, f°170 suiv.).

1. Dans une circulaire du 21 sept. 1668, Colbert exhorte les trésoriers à bien surveiller les impositions : « il vous est d'autant plus facile de réussir, dit-il, qu'estant un nombre considérable d'officiers dans vostre Bureau, vous pouvez vous deparlir et diviser tout le travail » (A. D. S. Inf., G, 2 330).

2. Sur le détail de leurs fonctions, voir l'ouvrage déjà cité de Fournival, Recueil des privilèges des trésoriers de France. Guyot, Traité des Offices. Pasquier, Recherches, liv. If, chap. vil et vin. Jousse, Traité de la juridiction des trésoriers de France, Paris, 1778, 2 vol. in-12. L'Etat véritable des trésoriers de F'ranec, Amster- dam, 1779, in-4. Poitevin de Maissimy, Mémoire sur les trésoiiers de FranCe, 1780, Arch. ISat., K, 888, en partie publié dans Vignon, Etudes historiques sur l'admi- nistration des voies publiques, t. I, doc, p. 30-37 (ce mémoire est tendancieux : l'auteur est un adversaire de trésoriers). De Boislisle, Mémoire de Vlniendant de Paris, p. 191-194 et 676-678.

3. Voir la formule de leur serment de réception à la Chambres des comptes dans Cl. de Beaune. Traité de la Chambre des comptes, 1647, liv. I, p. 136, et un acte de réception à Rouen, dans Mél. Soc. IJist. de Norm., II, p. 373-37Ô.

4. Voici par exemple le nombre des séances tenues par le Bureau de Rouen en 1665 : Janvier 11, février 11, mars 12, avril 8, mai 10. juin 13, juillet 14, août 12, septembre 4, octobre 13, novembre 15, décembre 11. Total : 134 séances (A. D. S. Inf., G, 1 167).

42 LA TAILLK EN NORMANDIE.

lions; il arrive souvent, principalement pendant la période des vacances, qu'un seul membre siège et rende des ordonnances. Toutefois, lorsque la décision ;i prendre est importante, on attend que le Bureau soit en nombre : par exemple le lundi 5 octobre 1GG1, au Bureau de Rouen, trois membres seulement étant présents, on expédie les menues affaires, mais quand vient en discussion un arrêt de la Chambre des comptes de Rouen, il est « différé ii pourvoir jusques à ce que la compagnie soit assemblée en plus grand nombre1». Les délibérations sont ins- crites par le greffier sur un registre, le Plumitif, l'on transcrit également les ordonnances royales enregistrées au Bureau*.

L'assiduité des trésoriers de France aux séances, que l'on constate à l'aide des noms inscrits en marge des plumitifs, était des plus médiocres; sur dix-neuf membres de chaque bureau, on vient de voir qu'un seul parfois était présent. Il est ordinaire de n'en trouver que quatre ou cinq; il est tout à fait exceptionnel que plus de la moitié de l'effectif soit réuni. Il arrive même que personne ne vienne siéger, ce que le greffier mentionne sur le plumitif en ces termes : « Il n'y a eu ledit jour aucun bureau, pour n'y avoir aucun de messieurs. » Certains trésoriers n'ont jamais siégé, même sans avoir obtenu de dispense d'assiduité. Beaucoup sont employés à d'autres fonctions : M. de Mon- ceaux, trésorier de France à Caen, est envoyé en mission par Colbert au Levant3. Une liste des trésoriers généraux de Caen, dressée le 30 mai 1670, nous apprend que l'un d'eux, Gueston, est « demeurant à Paris et l'un des directeurs de la compagnie des Indes Orientales » ; nous ne trouvons jamais sa présence aux séances; un autre, Brice, est en même temps receveur général à Limoges et ne fait aucune fonction de sa charge. A Rouen, un des deux présidents, M. de Tilly, « ne fait point sa charge et ne vient point au Bureau' ». La Bruyère posséda une charge de trésorier général à Caen, qu'il n'exerça jamais5; il se borna à faire le voyage de Caen, pour se faire recevoir et regagna Paris immédiatement6. On achetait ces charges pour placer ses capitaux et avoir un titre; c'étaient de douces sinécures.

1. A, D. S. Inf. C, 1167, 191, cf. le règlement de janvier 16M, art. 42 : Les paroisses trop peu imposées parles élus seront taxées par les trésoriers de France « assemblez en leurs bureaux en nombre suffisant >.

2. Les plumitifs des bureaux de Rouen et de Caen sont conservés en séries complètes pour la période 16U1-1683 aux archives de la S. Inf. et du Calvados. C'est de ces plumitifs que sont tirés tous les renseignements ci-dessus. Ceux d'Alençon font défaut pour notre période.

3. Sur cette mission, voir Clément, t. VII, p. 460.

4. Mémoire de l'intendant Voysin, p. 89.

•">. \ . E. Chatel, Etude c/ironologi-fue sur Jean de La Bruyère, trésorier de France au bureau des finances de Caen, dans le Bull, de la Soc. des Antiquaires de Normandie, 1860.

6. Du Cange était aussi trésorier à Amiens, Racine à Moulins; jamais ils ne parurent à leurs Bureaux (Œuvres de Racine, éd. des Grands Ecrivains, t. I, p. 97 et 526 et Vayssière, dans les Archives hist. du Bourbonnais, t. I, 1890, p. 10-13).

LES INTENDANTS. 43

Colbert j/oulut remédier à cet absentéisme, : l'arrêt du Con- seîT^u3Î~ octobre lbTl divisa les~rmm7Eres de chaque bureau en quatre séries, chaque série devant siéger pendant un tri- mestre à tour de rôle; les autres étaient dispensés de servir pen- dant ce temps1. Mais ce ne fut qu'un remède insuffisant; les trésoriers généraux étant propriétaires de leurs offices, le gou- vernement ne pouvait ni les casser, ni les déplacer, ni les stimuler par l'espoir d'un avancement ou la crainte d'une rétrogradation; il pouvait seulement suspendre le paiement de leurs gages et encore dans des conditions bien définies ; il n'avait à peu près aucune prise sur eux. En outre, ils se sen- taient dépossédés de leurs fonctions par de nouveaux agents royaux : les intendants.

II. LES INTENDANTS

Depuis longtemps, le gouvernement s'était résigné à la négli- gence des trésoriers généraux, et il avait cherché le moyen d'as- surer sans eux une bonne répartition de la taille. A partir du milieu du xvie siècle, à différentes reprises, des commissions temporaires avaient été envoyées dans les provinces pour veiller au « régalement » de l'impôt. La première dont nous trouvions trace en Normandie est de 1567 : elle est composée du maître des requêtes Guillaume Postel et de l'avocat au Parlement de Paris, Imbert du Lac2. En 1578, les Etats de la province s'étant plaints de l'inégalité de l'assiette des tailles, une nouvelle com- mission, composée de 4 personnes, vint opérer un nouveau régalement, qui devait être valable « au moins pour trois ans3 ». En mars 1593, des commissaires royaux sont départis dans toute i la France, avec mission de corriger toutes les inégalités de / répartition et de révoquer les exemptions illégitimes qui ^ s'étaient multipliées à la faveur des troubles 4. En 1598, Henri IV envoie encore des commissaires dans les provinces pour enquêter sur les « abus, inégalitez, malversations et exac- tions qui se commettoient en la levée et perception des tailles»; une longue instruction leur indique les points principaux sur lesquels devra porter leur inspection et résume la législation en vigueur. C'est à l'aide des rapports envoyés par ces enquê-

1. A. D. S. Inf. C. 2 372 à sa date et A. D. Calvados, Bureau des finances, plu- mitif, à la date du 24 novembre 1671. La déclaration du 29 déc. 1663 avait astreint les trésoriers à- la résidence, conme tous les autres officiers des finances (Clém., ir, 753).

2. De Beaurepaire, Cahiers des états... règne de Charles IX, t. I, p. 235. Ces deux personnages furent continués dans leurs fonctions par les lettres patentes du 28 décembre 1570, citées ibid.

3. Ibid., règne de Henri III, p. 40, 123, et 150. Les quatre commissaires étaient les sieurs Séguier, Maigriny (ou Mesgrigny), Novince, et Repuchon.

4. C. d. T. I, 147, art. 17 et suiv.

4% LA TAILLE KN NORMANDIE.

teurs que fut dressé 1<- grand (dit de mars 16001. En 1617 et en 1618, le roi s'engage encore, en répondant aux cahiers des Etats de Normandie, à envoyer des commissaires du Conseil; en 1623, nous en voyons fonctionner d'autres, avec des pou- avoirs très étendus*. La grande ordonnance de janvier 1629 (art. 58 et 404) prescrit l'envoi de maîtres des requêtes dans toutes les provinces pour surveiller l'administration '. L'édit de janvier 1634 la renouvelle, et au mois d'avril suivant on organise des commissions extraordinaires* « pour assurer 1 éga- lité de la répartition et faire imposer ceux dont les privilèges furent révoquez » 5.

» Toutes ces commissions avaient l'inconvénient de connaître J fort mal les pays elles opéraient et de ne pouvoir surveiller l'exécution des réformes prescrites. A part les règlements qu'elles contribuèrent à faire élaborer, il est douteux qu'elles aient eu un rôle utile. Elles mécontentaient les pouvoirs locaux, qu'elles dépossédaient, sans améliorer beaucoup la condition des contribuables6. On abandonna donc, après 1634, les

( commissions temporaires, pour un systëme "~'phig~ëffi.cace7. Des mStTres des requêtes étaient déjà établis à demeure dans les

1. L'instruction aux commissaires du 23 août 1598, en forme d'arrêt du Conseil, se trouve en copie B. N. fr. 17311, f°* 27-32. Elle avait été enregistrée à la Cour des aides de Paris avec quelques réserves. Les rapports des commissaires sont mentionnés dans le préambule de ledit de mars 1600.

2. Voir lu commission donnée aux enquêteurs en 1623, B. N., ms. fr. 17 311, fol. 33-37.

3. Il ne semble pas que celte prescription ait été suivie d'effet, du moins en ce qui concerne la taille.

4. Voir l'instruction aux commissaires du 2~> mai 1034 dans Ducrot, Traité des aydes... éd. 1636, p. 475 et suiv.

5. Vieuille, Traité des élections, p. 10 : Les commissaires désignés pour la Normandie furent les sieurs Deuiesle de Soisy, Saint-Just, conseiller en la cour des aides de Paris, et Repichon, trésorier de France à Caen.

6. Les protestations des Etats de Normandie contre les opérations des commis- saires furent incessantes, et pourtant c'était presque toujours sur leur demande que les commissions étaient instituées. En 1570, la Cour des aides de Kouen déclare que les commissaires sont incapables de connaître le détail, et que leurs opérations ont « apporté dommage de plus deux foys que les tailles ne montoient >. (Cahiers des étals, règne de Charles IX, I, p. 235-238). En 1580, les états deman- dent que l'on révoque tout ce qui a été fait par les commissaires (ihid., t. II,

Ii. 123-125). En 1637 encore, les états réclament contre les amendes prononcées et es frais faits, et concluent : Ce régalement prétendu n'a esté que un vrai des- reiglement » (Ibid., règne de Louis XIII, t. III, p. 8 et 56).

A la suite du rapport des commissaires de 1634, un arrêt du conseil du 20 jan- vier 1635 réglementa un certain nombre de points relatifs à l'impôt, notamment le changement d'octroi, le domicile d'imposition des taillables, la dérogeance des gentilshommes, l'exemption de collecte, les limites de la banlieue de Rouen, et la répartition entre les paroisses (A. Mun. Rouen, 183, pièce 3). On verra ces diffé- rents points à leur place dans cette étude.

7. Il est singulier de voir reprendre l'idée des commissaires temporaires envoyés par le conseil longtemps après l'établissement des intendants, en 1686. A cette date en effet, le contrôleur général Le Peletier décida « d'envoyer dans toutes les généralités des commissaires du conseil choisis... entre ceux qui avoient servi dans les intendances » (De Boislisle, Correspondance, t. I, p. 556) avec une instruction analogue ù celles que l'on donnait avant 16'i2. Cf. un des rapports dressés par ces commissaires dans De Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris, p. 781, et & l'appendice du présent volume.

LES INTENDANTS. 45

provinces, pour surveiller Ja_ justice; le règlement. du_J22 anrtt 1642'afouta à leurs attributions antérieures la surveillance dp» , ^ impositions^ ainsi les intendants de justice devinrent inten- ^" a1ïnTs~cle ^jusilêo ot fînftftees1. Avant de se résoudre à cette mesure, le gouvernement avait mis en demeure une dernière fois les agents réguliers des finances de remplir soigneusement leurs fonctions 2, mais il s'était bientôt convaincu de l'inutilité de ces menaces.

Le règlement nouveau disait : les commissions « seront adressées aux intendants de justice, présidents et trésoriers de France de chacune généralité conjointement » (art. 1). Elles « seront portées aux Bureaux des finances, l'intendant de la justice de la généralité se trouvera, et présidera, et y aura la première séance, pour en sa présence faire expédier s,ur lesdites commissions les attaches et ordonnances nécessaires desdits Bureaux » ; elles seront remises incontinent à l'inten- dant^ qui_procédera au département entre les paroisses.- des élections avec trois_ élus de son choix, un trésorier deJFrance délègue par~Te"Bureau, et jejyceveur des tailles.. (art. 2). Si les trésoriers de France font « dmiculte~3e souffrir la présidence et séance libre en leurs Bureaux auxdits intendants », alors, « au premier refus ou délay, lesdits intendans expédieront seuls leurs ordonnances sur lesdites commissions, les feront signer à ? leurs greffiers », et procéderont au département entre les '( paroisses sans les trésoriers généraux (art. 4). Ce sont les intendants qui, avec les trésoriers de France et les élus, feront les taxes d'office en vertu de l'édit de novembre 1640 (art. 7); ils choisiront aussi et surveilleront les receveurs des tailles t*^'' (art. 10 à 16) 3. Cet acte, qui, jusqu'ici. e»t. passé inaperçu »■■-*] unQj^rjjmjp impnrTïïnoo; on y trouve à pou près tputes les attri- butions qu'auront dans la suite les intendants /en matière de finances 4. **, ' i' Co^fc<<

1. Néron, Recueil, t. II, p. 673. D'après ce règlement, on voit clairement qu'il existait déjà des intendants de justice dans les provinces : il y est dit qu'une instruction a été déjà envoyée le 9 avril 1642 « aux intendants de justice étant

es generalitez de ce royaume ». Mais jusque-là, ces fonctionnaires n'avaient pas t "> eu d'attributions financières; ils ne portaient pas le titre d'intendants de justice! *• et finances, mais simplement celui d'intendants de justice.

2. Arrêt du conseil du 27 nov. 1641, Néron, t. II, p. 663. Sur l'origine des intendants, voir Dareste, La justice administrative, p. 104-107; Hanotaux, Ori- gines de l'institution des intendants des provinces, Paris, 1884, et Mafiéjol, dans l'Histoire de France de La^i&sey t. VI, partie, p. 406-411.

3. Ce règlement fut confirmé par la déclaration Ï8 avril 1643, qui se trouve dans C. d. T., 1, 370-406. Elle n'est pas dans le Recueil des règlements de Nor- mandie, parce qu'elle ne fut pas enregistrée dans la province. Voir aux Arch. Nat., K, 891, pièce 4, l'instruction remise aux intendants le 10 juillet 1643 « sur le fait des tailles et impositions ». Il n'est pas certain que le règlement du 22 août 164:î ait été le premier en ce sens : v. Mém. Soc. antiquaires de l'Ouest, 1902, p. 612.

4. Ainsi, contrairement à ce que l'on pense d'ordinaire, la fonction ne fut pas | créée en bloc; ce sont des mesures de détail qui la constituèrent et lui donnèrent toute son importance. Il est d'ailleurs certain qu'à partir de ce moment, les

46 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Les trésoriers généraux étaient partiellement dépouillés de leurs fonctions, mais ils n'étaient pas supprimés. On n'aurait pu h- (aire, d'abord parce qu'ils formaient un corps très puissant, bien organisé; les supprimer eût provoqué une crise parmi eux et parmi tous les gens qui leur étaient attachés; en outre, il eût fallu rembourser leurs offices, 25 ou 30 millions que le gou- vernement n'avait pas et ne pouvait se procurer par aucun moyen. On laissa donc subsister deux administrations concur- rentes pour un même service.

L'établissement définitif des intendants ne fut pas sans difficultés ; il provoqua de nombreuses protestations. En novembre 1643, les Etats de Normandie dénoncent au roi « cette pompeuse escorte de gardes qui accompagnait l'inten- dance de la généralité de Caen et qui vit aux despens de vostre pauvre peuple » ; qu'on rappelle à Paris, ils ne verront qu'abondance d'honneurs et de biens, ajoutent-ils, ces grands seigneurs qui ne sauraient « habiter ces lieux d'horreur et de désolation ». Mais le roi, depuis longtemps, ne tenait plus compte de telles doléances; il répondit en confirmant simple- ment les pouvoirs des intendants1. Un peu plus tard, pen- dant la Fronde, parmi les récriminations les plus violentes des mazarinades normandes, se trouvent les plaintes contre les exactions et l'avarice des intendants; on leur reproche d'avoir ruiné la province : ils sont les « valets de la monopole »; on les appelle les « intendants de l'injustice »; on les accuse de bri- gandage, de profanation de temples, de meurtre; on les rend responsables de tous les malheurs du peuple *. \ La lutte fut menée avec méthode par les trésoriers de France. Ils avaient conservé le souvenir du temps ils résidaient à Paris et formaient une cour souveraine analogue à la Cour des aides et à la Chambre des comptes : la Chambre du Trésor. Ils s'étaient fait donner en janvier 1586 le droit d'entretenir

3uelques-uns des leurs comme députés auprès du roi; ces éputés se réunissaient en une « assem]iléc__g-é4iér.ale » au Palais, dans la Chambre du Trésor; les frais de l'assemblée étaient couverts par un versement de 100 1., fait par chaque

; attributions financières des intendants l'emportèrent sur toutes les autres; c'est [ pourquoi on assigna à chacun comme département non pas une circonscription judiciaire ou militaire, mais une généralité, circonscription uniquement finan- cière.

1. Cahiers des e'imls... règnes de Louis XIII et de Louis XIV, session de novembre 1643, art. 47, et réponse du roi, t. III, p. 10G-114.

2. Voir notamment Y Apologie des Normans au roi pour la justification de leurs armes. Paris, chez Cardin liesogne, 1049, avec privilège; et une mazarinade en vers, dans Moreau, Choix de mazarinades, t. I, p. 7. Cf. Floquet, Hist. du Par- lement, t. V, p. 541 et suivantes. Ces plaintes contre les intendants sont d'ail- leurs générales dans tout le royaume. Il est probable qu'elles étaient justifiées par l'appui qu'ils donnaient aux exactions des traitants.

LES INTENDANTS.

47

trésorier à son entrée en fonctions. Ce versement avait été officiellement agréé par un arrêt du conseil du 26 août 1636. Les Bureaux_4gs finances étaient donc une véritable association corporative reconnue parle gouvernement1. Cette association entreprit d'obtenir la suppression des intendants, et son activité fut surtout grande à partir de 1648 : à cette date, le secrétaire de l'assemblée était Simon Fom*niyal, dont on a la correspon- dance avec les différents Bureaux et qui a publié en sa qualité de secrétaire un recueil de documents extrêmement précieux sur les fonctions des trésoriers généraux 2. Au début de juil- let 1648, les Bureaux dressèrent le cahier de leurs griefs. Le principal est que « les intendants des provinces prennent tous les jours cognoissance des aydes, tailles, et des gabelles, qui sont la matière essentielle de nostre establissement... font à leur fantaisie des règlements de très pernicieuse con- séquence sur ce subject... S y ces dangereuses nouveautés continuent et sont autorisées, il ne nous reste plus' dé_jâo"s offices qu'un vain nom de magistrats. » Ce sont d'ailleurs les intendants, est-il ajouté, qui ont été les instruments des trai- tants pour piller le pauvre peuple : ces gens « qui ont depuis longtemps perdu toute intention et conscience » sont venus dans les provinces uniquement pour « ordonner comme des ennemis des meurtres, des incendies et des violemens3. »

Vers la même date , les mémoires au roi, placets et appels au peuple contre les intendants, se multiplient ; on les appelle « des excroissances et des bêtes dans le corps des officiers et de tout l'Estat4 ». On déclare que si les 500 trésoriers de France sont rétablis dans leur dignité, ils « seront obligez et encouragez par cette protection à découvrir et donner des moyens de mesnager des sommes imenses sur les despenses de l'Estat5 », ce qui implique que jusque-là ils avaient oublié de ménager les deniers royaux : singulière déclaration de la part d'agents du gouvernement. Dans cette campagne, les Bureaux des finances furent appuyés par tous les autres officiers : le syn-

/

V

1. Fournival, Recueil..., p. 870-871.

2. La correspondance originale des Bureaux des finances avec leur secrétaire se trouve au ms. fr. 7 686 de la B. N. Le Recueil des privilèges des trésoriers de France n'est pas complet ; la publication eu fut retardée par diverses circons- tances. C'est pour le compléter que Jousse entreprit plus tard son traité, qui est beaucoup moins soigné que le Recueil de Fournival. Les matériaux de celui-ci forment les volumes 1419, 1420 des ms. fr. nouv. acq. à la B. N. Des papiers du syndicat des trésoriers généraux se trouvent aussi dans le ms. fr. 18 479 (papiers de Séguier).

3. Le réquisitoire est publié en entier dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 447-451 ; cf. p. 10. Hanotaux, Origines des intendants, le donne comme émanant de la cour des aides. Il serait possible que la cour eût repris ces griefs pour son compte, mais il est certain que l'initiative des plaintes est venue des trésoriers de France.

4. B. N. fr. 18 479, 33.

5. Ibid., 19.

48 I.A TAILLE EN M»i:MVNDIB.

dicat des élus1 fit cause avec eux contre l'ennemi commun; la Cour des aides et le Parlement prirent l'affaire en mains, et tous ces efforts réunis aboutirent ii la révocation des inten- ! dants, en juillet 1648. Le roi, dans l'acte de révocation, recon- ^ naît que les intendants ont commis « plusieurs abus », que leur institution est « contraire à l'intérest notable qu'ont les officiers ordinaires, créez et instituez à cette fin, qui se trouvoient par ce moyen privez de la principalle fonction de leur charge »; si l'on excepte de la révocation les intendants de Languedoc, de Bourgogne, de Provence, de Lyonnais, de Picardie et de Cham- f pagne, c'est en spécifiant bien qu'ils auront exclusivement des ' attributions militaires et « ne pourront se mesler de l'imposi- tion et de la levée de nos deniers ny faire aucune fonction de la jurisdiction contentieuse^».

Les intendants demeurèrent supprimés pendant tout le temps . que les Frondeurs furent les maîtres du gouvernement; mais dès , que la Cour eut repris le dessus, elle entendit les rétablir. ) Il était difficile d'annuler d'un coup un engagement solen- ( nellement pris, une déclaration en forme, vérifiée et enregistrée dans les cours souveraines. Mazarin usa d'adresse, réinstallant sous divers prétextes, subrepticement, quelques intendants, s'efforçant d'éviter les protestations bruyantes. D'autre part, il se trouva que les trésoriers généraux, absorbés par leur lutte contre les élus, ne furent plus capables de défendre efficace- ment leur cause 8. Sous prétexte de surveiller les logements de troupes, de rétablir l'ordre, d'inspecter des tribunaux, les inten- dants furent petit à petit réintroduits dans quelques provinces; les généralités de Rouen et de Caen furent des premières à en recevoir. En février 1650, Louis Laisné de la Marguerie fut chargé de différents pouvoirs que nous ne connaissons pas exac- tement dans les deux généralités a la fois4. En 1653, fut nommé intendant de Caen et d'Alençon Thomas Morant, conseiller 'd'Etat, fils d'un trésorier de France à Rouen : dans ses actes, il ] prend simplement le titre de « commissaire départi par Sa ' Majesté pour la visite de la généralité de Caen » (ou d'Alençon)5.

1. Sur ce syndicat, voir ci-dessous, p. 111 et suiv.

2. Déclaration publiée dans Godard, Les pouvoirs dez intendants, p. 451-454. j Cf. les Mémoires d'Orner Talon, collection Michaud et Poujoulat, p. 1:33 et 245, | et ceux du cardinal de Retz, éd. Chantelauze, t. I. p. 321.

3. Cf. une lettre du bureau des finances de Lyon à l'assemblée, du 12 mai 1 « -r> 1 : il recommande à tous les officiers de s'unir contre le conseil, qui est leur véritable ennemi, et de ne pas attendre le rétablissement des intendants. Il faudrait obtenir un règlement solennel pour le maintien des fonctions et des droits des trésoriers généraux (B. N. fr. 7 685, 230). Mais cette lettre n'eut pus de suites. On trouve encore des délégués des Bureaux des finances a Paris en 1663; mais ils ne font plus ouiune manifestation contre les intendants (M. C. Il5b1*, fol. 919).

4. Nous ne savons pas combien de temps il demeura en fonctions D'après Godard, Les pouvoirs des intendants, p.526et538, il serait resté ù Rouen jusqu'en 16.il et à Caen jusqu en 1653, mais les dates données par cet ouvrage sont très souvent inexactes.

5. A. D. Calv. Bureau des finances, plumitif, à la date du 2'i juillet lo71, conte- nant un acte du 29 octobre 1654.

LES INTENDANTS. 49

Le 3 décembre 1657, il est transféré a Rouen et remplacé par Michel d'Aligre, auquel succède en 1659 Jacques Favier du Boulay. A partir de cette date, toutes les généralités sont pour- 1 vues d'intendants ; mais il reste à savoir si tous avaient recouvré / leurs anciennes attributions financières, et ce point, qui méri- terait une étude spéciale, n'est pas éclairci1. Dans tous les cas, il est c*ertain qu'en 1661, ils n'étaient pas encore installés! comme fonctionnaires réguliers et à demeure, avec des pouvoirs I partout semblables; on trouve souvent deux et même trois généralités surveillées par un seul intendant; beaucoup ne résident pas dans leur circonscription; en 1658, les trois inten- dants de Normandie sont à Paris, et Colbert n'ose pas proposer à Mazarin d'obliger M. d'Aligre à rejoindre son poste parce qu'il est « un grand personnage 2 » ; dans un de ses mémoires sur l'arrestation île Fouquet, il propose de faire rentrer dans | leurs généralités ceux qui en sont absents. Au .jJeJ3u_t_.de jiotre ' p é r i o de, les^j^^jrniaji^^Qnt-jdQnc loin d'avoir l'autorité-âncon- testée et régulière, en matière de_finances corn m e_ pour— taut-le reste, qu'ils auront plus tard3.

" C'est ColbérTc[uiétablit définitivement les intendants comme / agents réguliers de son administration. Dans un mémoire à j Mazarin du 1er octobre 1659, il énumère toutes les réformes fiscales à entreprendre, il conclut :

« Toutes ces choses ne peuvent estre exécutées dans les provinces \ que par le ministère des intendans, auxquels il faut donner des instructions fort amples, observer soigneusement leur conduite, révo- quer ceux qui ne s'acquitteront pas bien de leurs emplois, leur donner à chacun autant de généralités qu'ils en pourront conduire en travail- lant toute Tannée avec application, et gratifier ceux qui satisferont Son Eminence et qui feront payer plus ponctuellement les imposi- tions et voiturer plus diligemment les deniers à l'Espargne en sorte que la preuve de leur suffisance et de leur mérite venant de cette ponctualité, et estant bien assurés qu'ils seroient révoqués s'ils n'y satisfont, il n'y en a pas un qui n'y travaille avec succès *. »

Pour lui, le rétablissement des intendants doit être la base

1. bureau des finances de Caen, dans une de ses sentences du 14 novembre 1661, qualifie l'intendant de la généralité, Dugué, de « conseiller du roy en ses conseils, maistre des requestes ordinaire de son hostel, et commissaire departy par Sadite Majesté pour la visite d'icelle généralité pour la dite année prochaine » (A. D. Galv. bureau des finances, plumitif).

2. Clém. I. 308.

3. En 1663 encore, la Cour des aides de Paris, lors de l'enregistrement d'une déclaration du 12 février, proteste par deux fois contre l'ingérence des inten- dants dans le département des tailles (Nau Abrégé des ordonnances..., p. 497-498). En 1667, le premier président de la Chambre des comptes de Rouen critique aussi cette innovation (Met. Soc. Hist. Norm. t. II, p. 343, n. 1). Domat et l'abbé. Fleury, dans leurs ouvrages sur le droit public de la France ne parlent pas des intendants au chapitre des impôts. En 1725, encore, Ghasles, dans son Diction- naire de justice, police et finances, observe le même silence à l'article Taille.

4. Clém. VII, 177.

LA TAILLE EN NORMANDIE. i

60 la TAii.i.i: SU NOBMAMDIB.

de la réforme économique*. 11 commence par les astreindre rigoureusement a la résidence, leur Interdisant de quitter leur poste sans autorisation. Puis, il établit avec eux une eorrespon-

Idance régulière contrastant avec la rareté de ses relations avec les trésoriers de France*. Il ne part guère de courrier pour une province sans une dépêche a l'intendant. Il Leur demande des rapports, au moins un par semaine à partir de 1666, les rappelle ;i l'ordre quand ils restent quelques jours sans lui

x répondre, Ici tient sans cesse en haleine. Les deux tiers environ des lettres qui ont été recueillies par Clément leur sont adressées, et ce qui reste de leur correspondance forme une masse considérable dans les archives. De l'examen de ces lettres, il ressort avec évidence, que, lps JM?pdanH^fiirent les véritables agelîlsctu ministre jjan_s_jes provinces, les exécuteurs frdèlcs"cî5"sa vojoaté.

Les trésoriers généraux étaient devenus à ce point inutiles, que Colbert projetait de les supprimer : dans le plan de réor- ganisation des finances qu'il traça en 1661, il écrivait : « Tra-

I veiller fortement à la suppression des trésoriers de France...' et examiner les moyens de faire cette suppression avec le moins d'injustice qu'il se pourra*. » C'est dans la même note qu'il propose de dresser une instruction générale pour les intendants et de renvoyer dans leur province ceux qui sont à Paris. Il semble que ce projet ait eu un commencement d'exécution4, mais il fallut bientôt l'abandonner : on vient de dire pourquoi la suppression était difficile5. Colbert les laissa donc subsister.

1. Ce mémoire nous montre les intentions de Colbert d'une façon précise. On voit qu'uu début il songeait ù confier plusieurs gcnérnlités ù un même inten- dant. En lti66, il établira le principe qu'un intendant ne doit avoir qu'une géné- ralité. A la fin de son ministère il constatera que, avec le développement de leurs attributions, ils ne peuvent convenablement administrer une circonscrip- tion aussi vaste; tout après lui. on sera obligé de leur donner des subdélégués pour les seconder.

2. C'est tout au plus si, dans ses papiers, on trouve quelques circulaires à eux adressées pour accompagner les brevets ou les commissions des tailles, les ordonnances a enregistrer, ou pour demander des renseignements sur le domaine, la voirie, les offices de finances. Encore Colbert leur enleva-t-il la partie tech- nique des ponts et chaussées pour la donner aux intendants (Viguon. Etudes sur l'administration des voies publiques, t. I, p. <>.*>). Il n'avait du reste pus à se louer de leur exactitude : ayant adressé une lettre au bureau des finances d'Aix le 23 septembre 1670, il ne reçut une réponse qu'un an après (Clém. IV, 4'i7). Cf. les plaintes de Sully : Economies royales, éd. Michaud et Poujoulat, II, 407, 557, 558.

3. Dans une circulaire du 8 mars 1C62, Marin, exhortant les trésoriers à hâter le remhonrsement des élus supprimés, leur dit : « ce sera le moien de faire voir la nécessité de vos fonctions et de parler plus hardiment pour vostre conserva- tion » (A. D. Calv., Bureau des finances, curresp. de Marin). Dans son mémoire sur la réforination de la Justice en 1GG.'>, le conseiller d'Etat de La Marguerie

. insiste également sur la réduction du nombre des trésoriers (B. N. Clairamb., 013, fol. 308 verso).

'.. Clém. II. 198.

.*>. Sur les difficultés de ces remboursements, voir au chapitre m la question du remboursement des officiers des élections. Cf. une lettre du président Brulart à Colbert, de Dijon, 18 juin 1664. au sujet de l'edit de suppression de certains procureurs et notaires : « Je suis obligé à vous dire que s'il est exécuté ù la rigueur, plusieurs familles en seront ruinées, parce que ces charges sont leur seul

LES INTENDANTS. 51

La déclaration du 29 décembre 1663 les astreignit à la rési- dence ! ; un édit de février 1672 ordonna en apparence une réduction de leur nombre, puisqu'il ramenait à 10 l'effectif des trésoriers dans chaque généralité de Normandie, et à 14 dans les autres, mais ce n'était qu'une opération « bursale » pour remplir les coffres du Trésor : il était en effet spécifié que les gages des officiers supprimés seraient attribués aux réservés « en payant par eux la finance à laquelle ils seront modérément taxés au conseil2 »; puis dans un arrêt du conseil du 13 sep- tembre 1672, le roi, considérant que la plupart des officiers des bureaux de Normandie ont demandé à être rétablis dans leurs charges, veut bien le leur accorder « en paiant par chacun bureau la somme de 120000 1. 3 ». Enfin, en mars 1673, consi- dérant encore que les trésoriers de France se sont « soumis volontairement à nous donner un grand secours pour les dépenses de la guerre et pour estre tous conservez4 », il les maintient tous dans leurs fonctions, y ajoutant même le pri- vilège de— committimus et une réduction du droit annueîT En

,— >2^-r' | - . J ^~ . , , , , . *

définitive, la situation des trésoriers généraux se trouvait con-

solidée5 par cette opération.

Tout l'effort de Colbert tendit désormais à les subordonner aux intendants : ceux-ci fournirent en secret des notes sur leur compte ; ils les surveillèrent dans tous leurs actes publics, et prirent le pas sur eux dans les cérémonies. Il arriva que des trésoriers de France furent placés sous les ordres d'intendants comme subdélégués, et bientôt ils en vinrent à considérer cette désignation comme une faveur6. Pendant les premières

ul employ, que ceux qui en sont pourveus ne doivent recevoir par i jdommagement, et qu'ayant esté nourris toute leur vie dans ces '

bien et leur seu

l'édit aucun

professions, ils sont à présent incapables du commerce et de l'agriculture » (M. C.

121 bis, 668).

1. Au début, les trésoriers firent des tentatives pour se faire rendre leurs fonctions usurpées par les intendants, en promettant de les exercer à l'avenir avec « toute la fidélité et l'exactitude possible » (lettre des trésoriers de France d'Alençon à Colbert, 14 décembre 1665 (M. G. 184 bis, 477). Cf. lettre des tréso- riers de Lyon 30 juin 1664 (M. C. 121 bis, 1 116,. et autre lettre ibid., 153 bis, 704). Mais ces essais furent infructueux.

2. A. D. S. Inf. G, 1463, pièce 53.

3. Ibid., pièce 56.

4. Tout le préambule de l'édit est un aveu d'impuissance de la part du roi : « Nous avions aussi résolu, y est-il dit, de réduire les officiers des Bureaux de nos Finances, qui jouissent de gages considérables, et dont le nombre Nous avoit paru trop grand pour les lonctions de leurs charges. Mais les dépenses extraordinaires ausquelles nous avons esté obligez pour la subsistance des grandes armées que Nous avons tenu en campagne ayant consommé les fonds que Nous avions destiné à leur remboursement; et d'ailleurs tous lesdits officiers s'estnnt soumis volontairement à Nous donner un grand secours pour les dépenses de la guerre, et pour estre tous conservez, Nous avons écouté volontiers leurs propositions... »

5. Un arrêt du Grand Conseil, du 29 mars 1678, confirma encore leurs privi- lèges et droits honorifiques (Arch. S. Inf. G, 2 372).

6. Cf. par exemple lettre de Colbert à Pellot, 3 décembre 1662 (Glém. II, 236); autre lettre à Leblanc, 23 févr. 1676 (ibid., 373). Choisissez, dit le ministre, des trésoriers « en qui vous puissiez prendre une entière confiance ».

52 LA TAILLE EN XOHMAN 1)1 1. .

années de Colbert, les trésoriers de Fiance suppléent l'inten- dant absent ou font l'intérim entre deux commissaires1; mais dans la suite, on renonça à se servir d'eux, même dans ces circonstances : un intendant ne quitta sa généralité qu'après l'arrivée de son successeur. Toutes les lois qu'on conflit s'éleva

I entre intendant et trésoriers généraux, le Conseil donna raison

I à l'intendant. A la fin du ministère de Colbert, les trésoriers

1 étaient complètement anéantis.

Par ces mesures de détail, échelonnées sur une longue période, les intendants devinrent les véritables chefs de l'admi- nistration financière dans les provinces. Dépendant uniquement du Conseil, ils se trouvaient soustraits à toutes les autorités

| locales et aux cours supérieures; ils pouvaient agir en véritables souverains. On s'explique ainsi les plaintes de Saint-Simon contre leur toute-puissance : ces nouveaux fonctionnaires, dit- il, sont « les maistres de tout » ; ils ont « bridé » les évêques, « contre-carré » les parlements, « soumis » les communautés urbaines; par la répartition des impôts, ils sont devenus « maistres de l'oppression ou du soulagement des paroisses et des particuliers »; bref, en les instituant, le roi a trouvé « l'art d'anéantir partout grands, seigneurie, noblesse, corps, particu- liers, par des gens de rien par eux-mesmes, dont le pouvoir

j énorme ne fust que précaire et incapable de porter nul ombrage2 ». Mais SaJnt^Sjjn^iii-axjigère. Les intendants n'avaient

1 pas en matière de justice d'autorité ordinaire ; l'auteur du mémoire dressé pour l'intendant Orsay vers 1690 dit fort bien qu'ils « ont une inspection generaîle sur tous les officiers de leur département, de quelque qualité qu'ils soient, mais ne doivent as prendre connoissance des matières contentieuses, si elle ne eur est attribuée par arrest ou ordre particulier du Conseil »; tout au plus peuvent-ils, dans certaines circonstances, rendre des sentences par provision, et encore il faut que les affaires soient de peu d'importance3. Même lorsque l'intendant rend des arrêts en matière administrative, il a a craindre l'oppo- sition des cours, et il est obligé de faire expédier un arrêt du Conseil pour confirmer sa décision; pour lui délivrer l'arrêt, le Conseil exige qu'il justifie la mesure proposée*. 11 arrive

1. Ainsi, les trésoriers de France ù Alençon suppléent Fa vie r du Boulay rappelé ù Paris le 10 décembre H'.»;."> (M. G. 134. f* 33 4), jusqu'à l'arrivée de De Marie (ibid., 134 bis, f. 747). Ceux de Lyon font l'intérim de l'intendance après le brusque décès de Saron Champigny eu 1665 (ibid., Ni), Ceux de Paris sont commis pour faire l'imposition des tailles en l'absence de Charles Colbert (B. N. Clairamb. 660, p. 500).

2. Parallèle des trois premier» rois Bourbon*, dans les Ecrits inédits, t. I, p. 285-287. Cf. Mémoires, éd. de Boislisle, t. XVIII, p. 441 et 469.

3. B. N. fr. 11096. f 'l't.

4. Ainsi, l'intendant Barin de la Galissonnière propose à Colbert des mesures ù

5 rendre pendant l'épidémie de peste qui sévit à Rouen en 1608. Mais il faudra, it-il. « Pauthoriser par un arrest en commandement, car si je rends quelque ordonnance, le Parlement la cassera et ce que je feray ne servira qu'à faire un

le

LES INTENDANTS. 53

souvent que des intendants sont réprimandés parce qu'ils dépassent leurs pouvoirs : Colbert invite celui de Rouen, le 3 février 1673, à « ne connoistre que des matières qui peuvent estre » de sa « compétence », et lui interdit de s'occuper « de toutes les matières concernant les tailles, qui sont de la juridic- tion des élus et de la Cour des aydes » ; s'il arrive que les élus ou la Cour jugent mal, l'intendant en informera le ministre, qui lui expédiera le pouvoir nécessaire pour réformer leurs sen- tences1. « C'est à vous seulement, lui disait-il le 27 janvier précédent, à tenir la main à ce que les élus et la Cour des aydes exécutent ponctuellement les édits sans s'en départir2. » Les intendants avaient le désir de bien administrer leur pro- vince, non seulement pour satisfaire le contrôleur général et le roi, mais aussi pour assurer le paiement des impôts. Une géné- ralité ruinée aurait été très vite hors d'état de payer la taille, et l'intendant, convaincu de négligence dans la répartition ou dans la surveillance des agents subalternes, aurait été rendu responsable de ce mal. Enfin, pour être juste, il faudrait mettre à côté de la diatribe de Saint-Simon le mot de l'abbé Fleury : « Bon intendant, grand secours à une province3 ».

Malgré la création des intendants, les trésoriers généraux conservèrent nominalement le droit de faire la répartition de l'impôt entre les élections. L'article 40 du règlement de jan- vier 1634 disait : « Les trésoriers de France feront le départe- ment de la taille sur les élections dépendant de leur généralité, huit jours après avoir reçu le brevet que nous leur envoyons par chacun an » ; or cet article ne fut ni rapporté ni modifié pendant tout le ministère de Colbert.

Pour faire cette répartition en connaissance de cause, ils devaient s'informer de l'état de chaque élection, et pour cela « faire des « chevauchées » , c'est-à-dire des tournées pour j v enquêter sur l'état des récoltes, les moyens dont disposaient/ les peuples et la facilité plus ou moins grande des recouvre- ments. A cet effet, ils se répartissaient chaque année les élec- tions, de façon que chacune fût visitée au moins par l'un d'eux. Ils devaient se transporter au chef-lieu, interroger les élus et les receveurs, examiner la qualité des récoltes, enfin s'occuper de toutes les matières qui étaient dans les attributions du Bureau : « Lors de leurs chevauchées, ils sont en droit de connaître de

conflit » (M. G. 148 bl9, 626, v°). C'était on effet au Parlement qu'appartenait la police en cas d'épidémie, et le parlement était da taille à résister à l'intendant.

1. Clém. II, 270.

2. Ibid., p. 267.

3. Le droit public de la France, éd. 1769, t. II, p. 126. Il faut aussi noter que Fénelon, dans son Plan de gouvernement pour le duc de Bourgogne, en 1711, proposait la suppression des intendants, sans dire ses motifs (Œuvres, éd. de Saint-Sulpice, 1851, VII, 183).

54 TAILLE ta NORMANDIE.

tout ce qui regarde le service du roi, soit à l'égard de la con- duite des officiers, soit à l'égard des fermiers pour en informer le conseil... parce que c'est un de leurs principaux emplois1 ». Le procès-verbal de la chevauchée était déposé au Bureau; tous les trésoriers réunis en devaient prendre connaissance avant de donner leur avis sur le brevet. | La tâche des trésoriers généraux était compliquée par leur 'conflit avec les élus. Il arrivait souvent que les élus, méconnais- sant leur autorité, refusaient de répondre à leur convocation, I et de les renseigner sur l'état des élections9.

D'autre part, les trésoriers ne mettaient aucun empressement i à faire leurs chevauchées, et souvent même s'en abstenaient \ complètement. La Chambre des comptes de Rouen est obligée de les rappeler à l'ordre, et, a partir de 1666, elle suspend le paiement des gages de tous ceux qui ne lui présentent pas leurs procès-verbaux de chevauchées lors de la vérification des comptes. Mais les trésoriers font observer qu'il y a moins d'élec- tions que de conseillers, et que, par conséquent, ils ne peuvent avoir chacun une élection à visiter3. Pour les satisfaire, la Chambre décidé, par un règlement du 2 juillet 1676, qu'ils ne devront présenter qu' « autant de procès-verbaux de chevau- chées qu'il y a d'eslections dans chaque généralité, et lesquelles chevauchées seront faites par les dits trésoriers de France tour à tour* ».

Les procès-verbaux qui nous sont parvenus 8 sont très courts, ne donnent aucun détail intéressant, et contrastent étrange- ment avec ceux des intendants aux mêmes dates. Le même ques- tionnaire est répété partout; les réponses des élus, toujours les mêmes, sont de véritables formules reproduites d'une élec- tion à l'autre dans toute la Normandie, et d'une année à l'autre pendant toute l'époque qui nous intéresse. On y voit presque toujours que l'élection est surchargée d'impôts et devrait être diminuée, que les officiers de finances font bien leur devoir, que les peuples ne s'en plaignent pas, ou, s'il y a eu des plaintes, que le trésorier en a informé et fait justice; les huissiers ne font aucune vexation, les receveurs aucune con- cussion ni malversation; les greffiers tiennent parfaitement leurs registres : c'est l'optimisme qui dispense d'examiner à fond les choses. L'intendant d'Alençon, dans une lettre du

1. Mémoire sur les fonctions des trésoriers de France, 1684, publ. par De Bois- lisle. Mémoire de l'intendant de Paris, p. 678. Cf. l'arrêt du-xonseil du 2 octobre 1683 (A. D. S. Inf. C. 1464, pièce 43) elle mémoire sur les fonctions dea trésoriers généraux (B. N. Cluiramb. 500, p. 585).

2. Voir ci-dessous, ch. m.

3. Placets des trésoriers généraux de Rouen a la ebambre du 26 novembre 1675 et du 15 avril 1679 (A. D. S. Inf. C. 1463, pièce 72, et C. 1464, pièce 12).

4. A. D. Calv., Bureau des finances.

5. lbid.

LES INTENDANTS. 55

8 mai 1684, dit nettement que les trésoriers de France « ne font leurs chevauchées que dans les villes de résidence des | eslus, auxquels, pour la forme seulement, ils demandent Testât k de leur eslection, à quoy les officiers des eslections ne répondent jamais juste1 ». Les trésoriers avouent d'ailleurs leur indiffé- rence à l'égard des chevauchées et ils en indiquent la cause lorsque la chambre des comptes exige leurs procès-verbaux pour leur délivrer leurs gages : nos chevauchées, disent-ils, sont « assez inutiles et sans fruit » depuis que le roi « a envoyé dans la généralité des commissaires départis qui ont fait presque tousjours les departemens seuls, au préjudice des dits sieurs trésoriers2 ». Les trésoriers généraux de Moulins écrivent à Colbert en 1663 : « Les commissaires départis en cette généra- lité... semblent prendre à tache de destruire toutes nos fonc- tions, au grand préjudice des affaires du roy et de nos charges3 ». Dans la suite, c'est de l'établissement des intendants que les ^ trésoriers généraux feront dater la décadence de leur charge. [ En 1756, l'un d'eux écrira : « Depuis l'establissement des inten- dants dans les provinces, nos chevauchées sont totalement inu- tiles, et les Bureaux devroient se réunir pour demander au Conseil d'en être dispensés à l'advenir4 ». Le 14 novembre 1788 les trésoriers de France à Bordeaux déclareront pareillement à Necker : « Nous avons vu les intendants venir nous enlever nos fonctions par des attributions subreptices5 ». Enfin, un mémoire i de 1780 sur les fonctions des trésoriers, après avoir énuméré en détail les empiétements des intendants sur leurs attributions, conclut :

« Il résulte de tout ceci que les trésoriers de France, comme géné- raux des finances, n'ont plus qu'un fantôme d'autorité quant à la répartition des tailles. On leur adresse bien le brevet, et ils envoient au conseil, c'est-à-dire à l'intendance des finances, une espèce de projet de répartition entre chaque élection de la somme totale qui est le montant du brevet pour la généralité. Ils y ajoutent quelques réflexions sur l'état de chaque élection d'après les prétendues chevau- chées, qu'ils ne font presque jamais... Dans le fait, c'est l'avis de l'intendant seul qui règle les opérations du ministre des finances 6. »

Nous savons ^du reste par les rapports des intendants que les trésoriers généraux s'acquittaient très mal, en général, de

1. Lettre au contrôleur général, A. N. G7 71.

2. Placet de 1675 (A. D. S. Inf. G. 1463, pièce 72). Cf. le placet de 1665 {ibid., pièce 21); celui de 1679 (C. 146i, pièce 12).

3. M. G. 115, fo 89.

4. A. D. S. Inf. C. 2 345.

5. Cité dans 13rette, Les limites et les divisions territoriales de la France en 1189, p. 110, n. 1.

6. Mémoire de Poitevin de Maissemy, conseiller à la Cour des aides, publ. dans Vignon, Etudes sur V administration des voUs publiques, t. I, pièces justificatives, p. 36. V. aussi deux mémoires des trésoriers de Rouen au contrôleur général, 7 nov. 1787 et 5 avril 1788, exposant les mêmes doléances, Arch. Nat. H, 1596.

H LA TAILLE BN NORMANDIE.

leurs fonctions. On a vu déjà ce qu'en dit l'intendant d'Alençon pour les chevauchées ; celui de Rouen écrit que dans les affaires domaniales, si on les leur confiait, « les trésoriers de France, avant leur intérest particulier, ceux de leurs familles et de leurs amis, ne chercheroient qu'à éluder l'exécution des édicts et déclarations, ce qui a donné lieu à casser la plus grande partie des arrests qu'ils ont rendus dans les affaires de S. M., dont la connoissance leur avoit esté renvoyée ». En général, conclut-il, ce sont gens « fort inutiles, ne m'ayant servy de rien dans les affaires ausquelles il vous a pieu d'en commettre1 ». « Jusqu'à présent », écrit-il encore le 2 janvier 1682, « il a esté impossible d'obliger un trésorier de France à prendre le moindre soin des chemins et des réparations qui sont à y faire2 ». Lorsque Colbert entreprend de vérifier les dettes des communautés, l'intendant d'Alençon, de Marie, lui déclare que l'on ne peut aboutir « à rien » si l'on remet le soin de cette affaire aux trésoriers de France et à la Chambre des comptes, à qui elle revient « dans l'ordre ordinaire3 », et son successeur, de Bouville, dit plus catégoriquement encore pour la répartition de la taille : « Messieurs les trésoriers de France n'assistent présentement au département [entre les paroisses] que pour avoir soin de leurs terres et de celles de leurs amis* ». Peut- être pourrait-on suspecter les témoignages de rivaux, mais il est certain qu'au fond les intendants avaient raison. L'inertie des trésoriers, leur indifférence à l'égard des intérêts du roi, leur indépendance excessive à l'égard du gouvernement, sont trop évidentes pour qu'on puisse les contester. Comme l'a dit Colbert, on ne pouvait entreprendre aucune réforme en matière fiscale avec leur seul concours.

(Les intendants furent donc chargés de faire des chevauchées à la place des trésoriers. L'obligation n'en était pas inscrite dans leurs commissions5, mais une circulaire spéciale, renou- velée chaque année, les leur prescrivait. Il n'est pas sûr que cet usage ait existé dès le début. Colbert parle bien en 1683 des ordres de visite « que S. M. [leur] a donnés tous les ans' »,

1. Lettre à Colbert du 8 avril 1682, B. N. fr. 8 761, fJ 47.

2. Ibid., f 38.

3. Lettre du 24 juin 1669, M. C. 153 bis, f 757.

4. Lettre du 8 mai 1684. clans de Boislisle. ( orretpondance, t. F, n" 64.

5. Cf. une commission- type du temps de Colbert dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 4Ô8-4G3. Selon Godard, toutes les commissions auraient été sem- blables pendant tout le ministère de Colbert. Ce n'est pas exact. Il n'en fut ainsi

3ue pour les intendants dépendant du secrétariat d'Etat de la maison du roi, ont les commissions sont transcrites dans les registres du secrétariat; mais Sour les intendants qui dépendaient des autres secrétaires d'Etat, la formule était ifférente.

6. Depping. t. III, p. 47. En 1673 il écrit encore que les ordres pour la -visite générale de toutes les paroisses ont été donnés « depuis beaucoup d'années... à tons les commissaires départis » (lettre à l'intendant de Poitiers, 17 novembre).

LES INTENDANTS. 57

mais on ne peut en conclure qu'effectivement dès 1662 la visite était prescrite. La grande instruction aux maîtres des requêtes j de mars 1JJÔ4 ' est souvent considérée comme contenant une prescription en ce sens, mais c'est une interprétation inexacte : t l'instruction se termine en effet par l'ordre aux intendants de ' faire leur visite en 4 ou 5 mois pour que le roi puisse ensuite les envoyer dans une autre province, « S. M. voulant que... lesdits maistres des requestes visitent tout le dedans du royaume en l'espace de sept ou huit années de temps et se rendent par capables des plus grands emplois2 ». Il est clair qu'il s'agit non pas d'une inspection pour la répartition de l'impôt, mais d'une enquête générale destinée à faire connaître à chaque j intendant l'état exact de tout le royaume ; à cette date, Colbert ne songeait pas encore à_ laisser les intendants ajcfemeure dans chaque jgénjéj^gjii^et^onsidérait leurs {'onctions comme tempo- raires; ïl voulait surtout faire leur apprentissage et les former -en vue d'un emploi dans le gouvernement central 3. La première circulaire de Colbert qui nous soit conservée sur les chevau-; chées des intendants est de 1672 4. Toutefois, comme, pour la' période/antérieure, une grande quantité de lettres et de circu- laires de Colbert sont perdues, il est possible que les chevau- chées d'intendants aient été instituées plusieurs années aupara- vant. En 1673, Colbert écrit qu'elles sont prescrites « depuis beaucoup d'années »; dès 1666, l'intendant d'Orléans parle de chevauchées qu'il a faites dans sa province, sans en préciser i le but, il est vrai 5. En tout cas, nous n'avons aucune trace detf pareilles inspections dans les premières années du ministère.] Les renseignements précis que nous fournissent, à partir de 1672, les circulaires de Colbert, montrent quelle importance le contrôleur général attachait à cette visite : il n'y a rien, dit le minis.tre, « qui puisse contribuer davantage au bien [du] ser- vice et au soulagement des peuples que ces visites6 ». « Il est d'une très grande conséquence que vous ayez une connoissance particulière, détaillée, de toutes les élections de la généralité, pour vous mettre en estât de bien faire le régalement [des tailles] et de réformer tous les abus qui s'y peuvent estre glis- sés7 ». « Comme c'est un moyen de procurer du soulagement

1. Sur la date de cetle instruction, que Clément dit être de septembre 1663, voir mon édit. du Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. x-xi.

2. Clém. IV, p. 42. Cf. ci-dessus, p. 49.

3. C'est ainsi que Charles Colbert, frère du ministre, inspecta successivement le Poitou, la Touraine et la Bretagne. Il n'est du reste pas sûr que tous les inten- dants aient reçu l'instruction. Cf. mon introduction au Mémoire de Voysin sur la généralité de Rouen, p. xm.

4. Lettres à Michel Colbert, intendant d'Alencon, 16 septembre 1672 (Clém. II, 252), et à l'intendant de Riom, 15 juillet 1672 (ib'id., IV, 248).

5. M. C. 140, f 63.

6. Lettre à l'intendant de Poitiers, 27 novembre 1672 (Clém. II, 299).

7. Lettre à l'intendant d'Alencon, 16 septembre 1672 {ibid., 252).

58 LA TAU I I IN NOIIMAXMI'..

aux peuples presque égal à oelni <|in- 1«' roy leur a accordé par la grande diminution qu'il a faite sur les tailles, S. M. m'a ordonné de vous faire icaroir qu'Klle veut que vous fassiez cette anme une visite plus exacte de toutes les eslections et paroisses de la dite généralité que vous n'avez encore fait jusqu'à pré- sent '. »

La visite est avant tout destinée à leur faire connaître leur généralité et « faire en sorte que cette connoissance soit utile au soulagement des peuples2 ». Il précise les points sur les- quels il devront faire porter leur attention, les met en garde contre les faux renseignements que donneraient les élus et autres officiers intéressés. Il leur demande des réponses détail- lées : rendez compte « article par article » de ce qui vous est demandé « parce que le roy désire voir l'exécution ponctuelle de ses ordres, S. M. étant persuadée que c'est le soulagement le plus considérable qu'Elle puisse donner à ses peuples3 ». Lorsqu'un intendant n'apporte pas tout le soin nécessaire dans ce travail, il est sévèrement réprimandé : Foucault, dans son intendance de Montauban, a expédié trop vite la besogne; Col- bert lui écrit le 14 juillet 1G82 : S. M. veut « que vous visitiez avec loisir chacune des eslections de votre généralité, et que vous lui rendiez compte en détail de Testât auquel vous l'avez trouvée sur tous les points contenus en mes depesches. C'est l'ordre que Messieurs les intendants, commissaires départis, observent, et le seul qui puisse plaire au roy*. » Ceux de Nor- mandie sont particulièrement surveillés, car la visite est encore plus nécessaire dans cette province qu'ailleurs : c'est ainsi qu'il écrit à son ami Chamillart, intendant de Caen :

« Quoyque... vous vouliez me persuader que vous y avez assez donné de temps pour la faire avec grande connoissance, je vous diray que je suis convaincu qu'il est impossible de pouvoir connoistre la véritable force des paroisses, et tous les abus qui se commettent dans l'impo- sition et la collecte, particulièrement dans la province de Normandie, tous les esprits sont fort subtils et ils trouvent tous les jours de nouveaux moyens pour se procurer du soulagement, sans y employer plus de temps que celuy que vous y avez mis. Croyez-moy, en une matière si importante, il ne faut pas se persuader que Ton sçait tout ce qu'on peut s<;avoir5. »

Quand un intendant a fini trop tôt sa visite, il est à pré- sumer qu'il n'a pas observé par lui-même tout ce qu'il avait à voir, mais s'est borné à interroger quelques officiers, auxquels

1. Circulaire aux intendants du 28 avril 1679 (Clcm. II, 96).

2. Circulaire du 18 mai 1683 (Deppin^, t. III. p. 47). Cf. les circulaires des 12 juin 1(180 (Clém. II, 132) et 2 janvier 1682 (Dcpping, III, 43).

3. Lettre à l'intendant de Moulins, 4 juin 1683 (Clém., II, 220).

4. Clém. II, 19«J.

5. Lettre du 11 nov. 1672, ibid., 256.

LES INTENDANTS. 59

il s'en est rapporté : c'est un procédé blâmable, que l'inten- dant de Paris se voit durement reprocher1. Colbert veut que j ses subordonnés passent la plus grande partie de leur temps à i parcourir leur circonscription. Il contrôle leurs déplacements / par le nom du lieu d'où ils expédient leurs lettres2. Il va jusqu'à écrire à son parent Michel Colbert : « Vous devez observer de ne jamais demeurer dans la ville d'Alençon et estre toujours dans toutes les élections3 », et comme celui-ci persiste dans sa négligence, il est disgracié4.

La visite doit commencer de très bonne heure pour que la perception ne soit pas retardée : mettez-vous en route, dit Colbert, « avec diligence » ; « il n'y a pas un moment à perdre... j'ay mesme lieu de m'étonner que vous ne l'ayez pas commencée, vu que je vous en ay si souvent escrit5 ». Leblanc, intendant de Rouen, commence en 1678 dès la fin d'avril6; la plupart se mettent en route dès le reçu du brevet. Comme leur principal objet était de connaître l'état des récoltes1, un départ trop hâtif eût été d'ailleurs peu utile; mais d'autre part, comme la visite exigeait souvent plusieurs mois et que l'intendant était surchargé de besogne, il était bien nécessaire de la commencer aussi tôt que possible. Les intendants trouvèrent le moyen de résoudre cette double difficulté : ils firent leurs chevauchées dès les mois de mai-juin, et gardèrent leur rapport par devers eux, au lieu de l'envoyer au Conseil; si une calamité surve- nait, ils pouvaient en tenir compte et modifier en conséquence leur avis*.

Souvent, d'ailleurs, Colbert leur adresse vers le mois de juillet une nouvelle circulaire pour leur demander cet état des récoltes. Je vous prie, dit-il, « de m'informer en détail de Testât auquel sont à présent les biens de la terre dans vostre généralité, et si, suivant les apparences, la récolte sera bonne; me marquant, s'il vous plaîst, les endroits du pays qui auront esté affligés de la gresle ou d'autres accidens, et ceux qui n'en auront rien souf- fert, afin que j'en puisse rendre compte au roy »9. Selon son

1. Lettre du 17 juillet 16S2 (Clém. II, 201).

2. laid., 132.

3. Lettre du 15 janvier 1672, ibid., 2i6.

4. Ibid., 25K.

5. Lettre a l'intendant de Riom, 24 juillet 1681, ibid., 163.

6. A. K., Gi '(91.

7. Cf. lettre de Colbert à Foucault, 15 juin 1674, Clém., Il, 343.

8. C'est ce qu'explique l'intendant de Rouen dans une lettre du 29 juillet 1667 : J'ai difl'éré, dit-il, l'envoi de mon rapport, « jusques a ce que M. Marin m'ait mandé qu'il en estoit temps, et qu'il «voit ordre de travailler aux commissions, afin de recognoistre tousjours cependant avec plus d'assurance quel seret le succès de la récolte dans chaque élection, et s'il fust arivé quelque gresle ou autre disgrâce de cette qualité dans quelques endroits de la généralité, pour en faire considération » (M. C, 122, fol. 929).

9. Clém. IV, 216. Circul. du 15 juillet 1663. D'après le début de la lettre, celle-ci fut motivée par des pluies exceptionnelles arrivées au milieu de l'été. Mais, d'après Clément, chaque année une circulaire analogue fut expédiée (Clém. IV, p. 41).

60 LA TAILLE EN NOIIMANM I .

habitude, il insiste pour avoir des renseignements détaillés et exacts :

a Je vous prie de vous informer soigneusement de l'es ta t auquel sont les bleds dans Testendue de la généralité de Caen, si les pluies, ont esté aussy continuelles qu'icy Paris], si elles auront fait tort à la récolte ou non, et enfin s'il y en aura abondance ou nécessité, et s'ils enchérissent, comme aussy Testât auquel sont les autres biens de la terre1. »

A la fin de son ministère, devant la misère grandissante, il devient encore plus pressant; il voudrait un rapport tous les quinze jours : Pour « que S. M. puisse régler les impositions sur les peuples, il est nécessaire que vous me donniez avis, tous les quinze jours de l'opinion que les peuples auront de la récolte de toutes sortes de fruits2 ». Mais les intendants ne pouvaient satisfaire de pareilles exigences.

III. LES ELECTIONS

La taille de chaque généralité doit être répartie entre les élections. L'élection est un groupe de paroisses administré par des élus3. Son origine est encore mal connue. Il semble qu'en Normandie, les élections, lorsqu'elles furent créées, aient eu la même étendue que les bailliages; mais bientôt des modi- fications survinrent, et souvent les limites des deux circonscrip- tions ne coïncidèrent plus : en 1484, les députés de l'élection de Rouen nous apprennent qu'on a « détaché du bailliage de Caux la vicomte de Gournay » pour la joindre à l'élection de Gisors avec tout le Vexin français. On multiplia le nombre des élections, comme celui des généralités, principalement pour amener de l'argent dans les coffres du roi, par les ventes d'offices. A maintes reprises, des élections furent divisées, réunies, remaniées sans autre raison apparente; l'histoire de ces remaniements est compliquée; personne ne l'a encore faite en détail8. Vers 1478, l'élection de Bernay est créée par démembrement de celle de Lisieux6. En 1525, l'élection de

1. Clém. IV, 203, lettre à l'intendant Chamillart, 28 juillet 1673.

2. Circulaire du 15 m ni 1681, Clém. IV, 2"4.

3. Il sera parlé des élus au chapitre suivant-

4. Journal de Massclin, p. 579.

5. La principale étude est celle de Jacqueton. Document* relatifs <"< l'administra- tion financière en Fiance, de Charles VII à François I" (/443-/Ô23), Paris, 1891 (Collection de textes pour servir à l'étude et à renseignement de l'histoire). Mais elle contient des inexactitudes et beaucoup de lacunes. Pour la Normandie, quel- ques essais sans valeur ont été faits, comme Cardin, L'ancienne élection de Bernay, Bernay 1874. On trouve aussi quelques renseignements dans le Formulaire du président Labarre, et dans les cahiers des états de Normandie publiés par de Beau repaire.

6. Jacqueton, p. 282, n. 8.

LES ELECTIONS 61

Mortain est faite de 84 paroisses distraites de celle d'Avran- ches, qui en conserve 279 *. En 1554, est créée l'élection de Carentan. Vers 1580, l'élection de Châteauneuf-en-Thime- rais est distraite de celle de Verneuil2. Celle de Lyons est formée vers le même temps3. En 1572, cinq élections nou- velles sont établies d'un coup : Argentan et Domfront, dis- traites d'Alençon, Pont-Audemer et Pont-de-1' Arche, distraites de Lisieux, et Conches, distraite d'Evreux4. Vers le même temps, l'élection de Mortagne ou du Perche est créée avec des paroisses prises à celles d'Alençon et de Verneuil5. En décembre 1597, les deux généralités de Normandie compre- naient 30 élections6; ce nombre demeure immuable jusqu'en 1639, date à laquelle, le roi, pour faire face aux dépenses de la guerre, créa l'élection de Saint-Lô7. Elle fut formée de 100 paroisses, dont 54 cédées par Bayeux, 25 par Goutances, et 21 par Carentan; en compensation Bayeux reçut 17 paroisses de Caen, 2 de Vire, 1 de Carentan, et Carentan en reçut 15 de Valognes8. En 1648 enfin, le Vexin français forma l'élection de Pontoise. Cette circonscription avait eu des vicissitudes singu- lières : avant le xive siècle, elle faisait partie, on l'a vu 9, de la « France » et non de la Normandie ; mais en 1382, il fut décidé « que ceux dudit païs de Vexin payeroient comme François et que la taille seroit assise et imposée par ceux dudit païs pourveu qu'elle fust levée en la forme et manière qu'elle se lève en la province de Normandie » et que les deniers seraient versés

1. Labarre, Formulaire, p. 31.

2. De Beaurepaire, Cahiers... renne de Henri III, p. 109. Toutefois, d'après le président Labarre, la séparation n'aurait été faite que « pour le fait des aides » (Formulaire, p. 30). Mais il est possible qu'il emploie le mot aides avec son ancien sens général d'impôt comme on le trouve encore souvent au cours du xvne siècle.

3. Labarre, Formulaire, p. 30.

4. Ibid.

5. « Geluy qui leva le premier office d'esleu [en cette élection] fit employer en ses provisions l'eslection de Mortagne. au lieu de dire l'eslection du Perche, à cause qu'il estoit de ladite ville de Mortagne et neantmoins tenoit son siège alternativement ez villes de Belesme, Nogent, et dudit Mortagne... Jusques à présent, il n'y a eu aulcun reiglement qui aye déterminé lequel des deux sièges de Belesme ou Mortagne, doibt estre le principal » (Placet de Germond, prési- dent de l'élection, au Chancelier, en 1643, pour demander que le siège principal soit fixé à Bellême : B. N. fr. 18 479, 135.)

6. Généralité de Rouen : Alençon, les Andelys, Argentan, Arques, Bernay, Gaudebec, Chaumont et Magny, Gonches et Breteuil, Domfront, Evreux, Gisors, Lisieux, Lyons, Montivilliers, Mortagne, Neufchâtel, Pontaudemer, Pont de l'Arche, Pont l'Evêque,' Rouen, Verneuil.

Généralité de Caen : Avranche, Bayeux, Gaen, Carentan, Goutances, Falaise, Mortain, Valognes, Vire et Gondé.

7. Edit d'avril 1629. Elle avait été antérieurement créée : on la trouve dan9 le Formulaire de Labarre en 1622 (p. 31); elle sera supprimée en 1661 et recréée à nouveau en mars 1691 (G. d. T., II, 354).

8. Voir la liste nominative des paroisses dans les commissions des tailles de la généralité de Gaen pour 1663 (M. G. 225, 67-69) et A. D. Calvados, Bureau des finances. Sur le caractère fiscal de la création, voir le préambule de l'édit d'aoùl 1661 (G. d. T. I, p. 493).

9. Gi-dessus, p. 27-28.

62 LA TAII.l.K KN NOIIMANIIIK.

à la recette des tailles de Gisors, « comme le plus proche bureau de recepte ' ». M;iis elle ne cessait pas pour cela de relever de la cour des aides de Paris, devant laquelle était interjeté appel des sentences des élus. 1/édit d<- mais 1451 autorisant lef élus ii détacher de leur siège principal quelques-uns d'entre eux pour administrer les circonscriptions trop éloignées, un de ces « commis » ou élu particulier, comme on dira plus tard, fut mis a Pontoise*. Kn janvier 1648, le besoin d'argent fit transformer cette élection particulière en élection « en chef3 », et elle fut adjointe ii la généralité de Paris*; puis, sur les plaintes des Normands, cet édit fut rapporté, et le Vexin français demeura rattaché à la Normandie. Ce fut alors aux habitants à n'être

f>as satisfaits : en 1054, ils demandèrent à être « maintenus en eur droit et privilège de l'exemption de la juridiction de Nor- mandie », donnant pour motif principal que si on les laissait en l'état, ils « se trouveraient assujettis, au préjudice de leurs droietz et privilèges, et contre leur inclination, à des juges estrangers, officiers de Normandie, de la dépendance desquels ils se sont toujours exemptés jusqu'à présent; et il est indu- bitable que dans l'antipathie qu'il y a entre les uns et les autres, il ne naistroit de ce meslange qu'un continuel trouble et désordre dans la justice, une infinité de procès et differendz ». Ils sont appuyés dans leur demande par fa sœur du chancelier Séguier, la Mère Jeanne, prieure des Carmélites de Pontoise*. et il est fait droit à leur requête. Un édit de décembre 1054 établit enfin l'élection de Pontoise en la rattachant, comme en 1648, à la généralité de Paris8. Les Etats de Normandie ne manquèrent pas de renouveler leurs protestations en 1655 en donnant pour motif cet argument singulier que la généralité

t. Préambule de l'édit de janvier 1G48 (B. N. fr. 18 479, P 144). Cf. Voysin, Mémoire sur la généralité de Houcn, p. 3 et 153.

2. Au cours du xvi" siècle, les élus de Gisors qui, comme tous les autres offi- ciers, avaient tendance à multiplier les affaires appelées devant leur juridiction, avaient attiré ù eux les procès de l'élection particulière de Pontoise, de sorte que la sentence étant rendue à Gisors et non plus à Pontoise, l'appel devait être normalement porté devant la cour des uides de Rouen. C'était un double incon- vénient pour les contribuables du Vexin français : d'une part, il leur fallait por- courir 9 lieues pour aller plaider h Gisors: d'autre pnrt, ils se méfiaient de la cour des aides de Rouen, dont ils craignaient l'Iiostitité pnree qu'ils ne faisaient pas partie de la Normandie. C'est pourquoi, «-n 1579, ils demandèrent à former une élection û part; les états de Normandie protestèrent et la demande n'eut pas de suites.

3. Faite des 43 paroisses composant l'ancienne Chatellenie de Pontoise, 4 paroisses prises a Ciiaumonl, et 28 prises aux élections voisines de la généralité de Paris (14 à l'élection de Paris, 4 à Beauvais, 5 à Senlis et 5 à Mantes), au total 75 paroisses, De Beaurepaire, Cahiers, règne de Henri III, p. 67.

4. Voir le texte de l'édit de janvier 1648 (B. N. fr. 18 47*J, 144, papiers de Séguier).

.i. Kerviler, Le chancelier Séguier, 2" éd., p. 177. Voir le placet : B. N. fr. 18 479, f* 145.

6. C. d. T. I, 445 et suiv. Cf. ci-dessous, p. 91 sur les privilèges obtenus par la ville à la même occasion.

LES ELECTIONS. 63

de Rouen éprouvait de ce fait une surcharge accablante, comme si l'on n'avait pas réduire en conséquence son chiffre d'impôt1. L'élection fut donc, pour ces raisons ou pour d'autres, supprimée, par une déclaration d'août 1661 2; l'élu particulier, détaché du siège de Gisors, y fut rétabli, et le pays continua à dépendre de la cour des aides de Paris.

A la suite de toutes ces opérations, le nombre des élections et ' de leurs officiers était devenu excessif. Après la paix des Pyrénées, le gouvernement résolut d'en supprimer quelques- unes. Un édit d'août 1661 supprima toutes celles qui avaient été créées depuis 1630, excepté celle de Mayenne. En Nor- mandie, l'élection de Saint était seule dans ce cas; les paroisses dont elle était composée furent restituées aux élec- tions dont elles dépendaient avant 1639. Mais la mesure n'eut pas pour résultat de soulager sensiblement les contribuables, comme le roi l'annonçait, car le remboursement des officiers fut laissé à leur charge; pendant quatre ans, on leva chaque année en sus de la taille la somme nécessaire pour y pour-i voir, soit de 40 à 60000 1. 3.

Cette modification fut la seule que Colbert apporta dans les élections de la province. On peut compter parmi ses grandes réformes, avec l'abandon des créations d'offices, la stabilité introduite dans toutes les circonscriptions administratives 4.

Le tableau suivant donne le nombre des paroisses dont chaque élection était composée en 1"677 5 :

1. Sans doute les élats avaient pour eux d'autres raisons qu'ils n'osaient pas dire, parmi lesquelles la diminution du ressort de la cour des aides, et par conséquent la réduction du nombre des procès appelés devant la cour.

2. Elle ne reparaîtra plus pendant le ministère de Colbert, mais lorsqu'on battra à nouveau monnaie avec des ventes d'offices, on la rétablira par édit de mars 1691 (liègl. de Normandie, p. 285). Voir aussi la déclaration du 14 avril 1691 portant échange de paroisses entre les élections de Pontoise et de Paris, dans le Hem. alphab. p. 520. Les plaintes des Etats et la promesse de suppression du roi se trouvent dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et de Louis XIV, Supplément, p. 6.

3. Arrêts du conseil des 9 août 1663, 3 mai 1664, 7 juin 1665, et état de rem- boursement aux officiers de l'élection (A. D. Galv. bureau des finances, registres de commissions des tailles de 1661 à 1672, 364 et 400). L'élection demeurera, supprimée pendant toute l'époque de Colbert, mais, comme celle de Pontoise, elle sera rétablie en mars 1691. C'est l'intendant Foucault qui proposa ce rétablisse- ment (Mémoires, p. 270). Dans le préambule de l'édit, le roi déclare vouloir remédier à « l'incommodité » que souffraient les habitants « de l'éloignement des villes de Bayeux, Coutances et Carentan sont les sièges de leurs élections », et céder aux sollicitations des habitants eux-mêmes (Règlements de Normandie, p. 580). Mais la préoccupation de se procurer de l'argent par les ventes d'offices ne fut certainement pas étrangère à ce rétablissement.

4. Il y eut cependant quelques exceptions, mais hors de Normandie. Ainsi, en 1673, il rétablit les élections de Thiers et de Salers sur la proposition de l'in- tendant de Clermont, qui fait valoir surtout l'argent que rapportera cette « affaire extraordinaire » (Clairamb. 795, p. 245). En mars 1667, il supprime l'élection de Franc-alleu, qui était trop petite, ne comprenant que 30 paroisses (C. d. T. H, 22).

5. D'après les registres déjà cités des Cinq-Cents Colbert, 259 et 260.

(,, LA TAILLE ES NORMANDIE

Généralité de Rouen l.

PawiMw.

Andelys (les) ISS

Arques 274

Caudebec 199

Chaumont et Magny 109

Evreux

Gisors 100

Lyons 60

Montivilliers 157

Neufchatel 121

Pont-Audemer 158

Pont-de-1' Arche. 76

Pont-1'Évéque 136

Rouen 109

1 893

Généralité de Caen *.

Avranches 97

Bayeux 228

Caen 236

Carentan 112

Coutances 164

Mortain 84

Valognes 186

Vire et Condé 126

1 233

Généralité d'Alençon 3.

Alençon 126

Argentun 170

Bernay 130

Conches 165

Domfront 44

Falaise 235

Lisieux 147

Mortagne 157

Verneuil 147

1321

Ce tableau montre qu'il existait une grande inégalité entre les élections : Arques est quatre fois et demie plus grande

1. Cf. d'autres chiffres de paroisses un peu différents, dans mon éd. du Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 129. Dans le même ouvrage j'ai publié la liste des paroisses de chaque élection en 1665 (p. 164-182). Des listes analogues, mais se rapportant au xvin* siècle, se trouvent dans Duplessis, Description de la Ilaute-Sormandie, ù l'article de chaque élection. V. aussi B. N. fr., 14 089, fol. 228; 4 2K6, fol. 26, et 11 385, et l'atlas de La Mothe, 1<>83 (ibid., cartes géo- graphiques, GeUl), 2 023).

2. Cf. d'autres listes : B. N. mss. fr., 22 613 (état dressé pour Dangeau en 1668), 14 089 (pour 1690). et 11 385 (pour 1713).

3. Cf. d'autres listes : A. Nat. G? 71 (lw sept. 1683), B. N. fr., 14 089 (pour 1690). et 11 385 (pour 1713).

Les mémoires des intendants en 1698 donnent également de ces chiffres de paroisses pour les trois généralités. Voir aussi les listes de Saugrain, Nouveau dénombrement du royaume, 1709, empruntées aux rôles de taille.

LES ELECTIONS. 65

que Lyon s, six fois plus grande que Domfront; un pays pauvre et peu peuplé n'a que la petite élection de Mortain; le riche pays de Caux a par contre les grandes élections d'Arqués et de Caudebec. La même circonscription, Caen ou Vire par exemple, embrasse des terroirs très différents. Certaines paroisses sont très éloignées du chef-lieu et communiquent difficilement avec lui, tandis que d'autres chefs-lieux sont plus voisins et d'accès plus commode. Enfin, les frontières entre élections sont indé-, cises, certaines paroisses formant enclaves, Colbert. avec son \ amour de l'ordre, fut frappé de ces défauts et voulut y remédier, j Il forma le projet de refondre les élections et les greniers à sel, en les « composant... des paroisses plus proches »*.

A son habitude, il procéda par enquête préalable; dans sa grande circulaire de mars 1664, il demanda aux intendants l'état de leurs circonscriptions, « le nombre véritable des villes, bourgs et paroisses dont chacune... est composée2 »; en août 1665, il leur fit dresser un tableau des paroisses par élections, avec leurs impositions3; ce tableau fut à nouveau dressé en 1677*. Toutes les irrégularités lui sont signalées5.

Il entreprit parallèlement un grand travail cartographique, qui avait pour premier et principal objet de reconnaître sur le terrain les limites de ces circonscriptions, avant de les modifier. Sa circulaire du 20 juillet 1679, dont le texte nous est perdu, donnait la direction du travail aux intendants; des géographes furent mis en campagne dans toutes les généralités. Leur besogne était ardue : aux instruments imparfaits, aux mauvais chemins, à l'inexpérience des graveurs, s'ajoutait la difficulté d'avoir des renseignements exacts. L'un d'eux, le P. Lubin, écrit en 1678 qu'ils sont souvent trompés « à des- sein » par des gens qui « ne veulent pas que leur village ou château soit sur la carte, afin d'éviter les logemens des gens

1. Glém., VII, p. 265. Ce projet était très ancien : l'ordonnance d'août 1452 prescrivait déjà d'établir les sièges des élections « de cinq en cinq lieues près l'un de l'autre, affin que nos dits subjects peussent plus aisément venir et retourner en leurs maisons en ung mesme jour ». Elle avait été reprise par les lettres patentes du 8 août 1573 (De Beaurepaire, Cahiers, règne de Charles IX, p. 305-306). Le P. Lubin écrit en 1678 dans son Mercure géographique : « On nous promet depuis fort longtemps des, cartes de la France divisées par élections » (p. 388).

2. Glém., IV, p. 29.

3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 161-163.

4. Cinq-Cents Colbert, vol. 261.

5. L'intendant de Châlons, Caumartin, lui écrit le 21 janvier 1667 que les élections de sa généralité sont « meslées les unes dans les autres ; par exemple celle de Troyes a des paroisses dans les portes de Vitry, et d'autres par-delà l'élection de Sézanne ». Il ajoute que les élus, dans leurs rares chevauchées, « ne vont jamais dans les lieux qui sont les plus écartez, et n'en connoissent nullement les forces » (M. C. 133, 128); son succe&3eur, Miromesnil, envoie à Colbert, en novembre 1679, un projet de rectification de ces circonscriptions (A. N. G7 223). En 1668, l'intendant de Soissons travaille, sur ses ordres, à refaire les élections de son intendance (M. C. 149, 437). La même année, Voysin de la Noiraye pro- pose un travail analogue en Touraine (ibid., 158) ; cf. sa lettre à Colbert du 18 novembre 1667, dans Depping, III, p. 159.

LA TAILLE ES NOB5IA.NDIE. "

>-,.; LA TAILLE IX XOIt.MANDIl .

de guerre et la fâcheuse taxe de la taille » l. Le travail n'était Ml terfltiné en 1683; il fut abandonné. Le seul résultat atteint en Normandie fut l'établissement de « cartes détaillées des eslections ». que l'intendant Leblanc envoie à Paris le 4 jan- vier 1680 J; mais nous ne savons pas ce qu'elles sont devenues3. Les élections demeurèrent mal composées, irrégulières et enchevêtrées.

IV. LES AVIS SUR LE BREVET

Le gouvernement recevait simultanément, on l'a vu, deux projets de répartition entre les élections, celui des trésoriers généraux et celui des intendants.

. Le projet des trésoriers généraux, très sommaire, ne donne aucun renseignement à l'appui, aucune indication précise qui pût amener le gouvernement à une répartition plus juste. La seule chose qu'ils demandent, ce sont des dégrèvements, mais ils prennent rarement la peine de les justifier. Il leur arrive cependant de transmettre des réclamations précises : ils appuient une requête de la ville de Montivilliers, qui, acca-

1. Le Mercure géographique, Paris, 1678, p. 350. « Aller soi-même sur les lieux

Sour en faire la carte, ajoute-t-il, seroit une entreprise de trop grands frais et e trop longue haleine pour un particulier; cette retlexion en a fait perdre l'envie a tous les géographes ». Sa conclusion est qu'on ne peut pas faire de cartes par- faitement exactes.

2. A. N. G\ 491.

3. A moins que ce soit V Atlas de La Mothc, B. N. Cartes, GeDD, 2 023; mais on peut en douter : La Mothe semble avoir travaillé de son initiative privée.

Pour les autres généralités, nous avons quelques indications dans la corres- pondance de Colbert. 11 écrit à Breteuil, intendant d'Amiens, le 22 mars 1680, r'il peut utiliser comme géographe le sieur Pasquine (B. Mun. Amiens, ms. 508, 250) et le 12 décembre suivant, il lui indique encore le sieur Hinard « pour faire la reconnaissance et la nouvelle répartition des paroisses de chacune élec- tion » (ibid., pièce 368). Le 5 décembre, il lui avait recommandé « de prendre soin de faire la reconnoissance de toutes les paroisses des eslections pour en faire une nouvelle division plus commode aux peuples, ninsy que je vous l'ay escrit » (ibid., pièce 361) et le 27 mai 1681 : « Je ne doubte pas que vous ne soyez bientost en estât de m'envoyer les cartes que vous avez fait faire des eslections de vostre généralité, en exécution des ordres du roy contenus dans ma lettre du 20* juillet de l'année 1679, et vostre advis pour la rélormation du ressort desdites eslec- tions. Je vous prie de me faire sçavoir dans quel temps vous croyez qu'elles pourront estre achevées, et mesme, en cas que vous en ayez desja quelques-unes, de les porter dans les visites que vous faites des eslections pour verifher vous- mesme si elles sont justes et exactes. Surtout, tenez s. v. p. la main à ce que ce travail finisse le plus tost qu'il sera possible » (ibid., t. II. pièce 202). Il écrit encore à l'intendant de Bourges, le 14 août 1683 : < Comme l'un des princi- paux travaux que le roy ayt recommande à MM. les intendants commissaires départis dans les provinces, u esté celui de l'arrondissement des élections pour le soulagement des peuples... je vous prie donc de vous appliquer avec un très grand soin à faire en sorte que ce travail soit aussi exuet que le roy le désire et de bien prendre garde qu'il ne faut omettre aucune paroisse ou hameau de cha- cune élection « (Clém. II, 224). Foucault parle également des cartes qu'il fit dresser en 1679 (Mémoires, p. 426), et d'Argouges, des dépenses qu'il fit pour le même objet dans la généralité de Moulins (Mémoire sur la généralité de Moulins en 1686, publ. par Vayssière, p. 37).

LES AVIS SUR LE BREVET.

6?

blée d'impôts en 1661, demande à être soulagée : requête appa- remment fondée, car la ville est dégrevée de 800 1. en 1662 '. De même, ils font dégrever de 500 1. en 1666 la ville d'Evreux qui avait été inondée l'année précédente : dégrèvement très appréciable, puisque la taille de l'élection était augmentée de 2 000 1. Encore faut-il remarquer que ces interventions devien- nent rares après 1666; désormais, c'est aux intendants que les contribuables s'adressent de préférence.

Il n'est pas douteux que les trésoriers eux-mêmes, après l'établissement définitif de leurs rivaux, ^considérèrent leurs avis sur le brevet comme de simples formalités : la série de ces actes pour la généralité de Caen, qui nous est parvenue à peu près complète, laisse voir en effet une grande différence entre les avis antérieurs à 1668 et ceux qui suivirent : les premiers paraissent étudiés, les seconds au contraire sont la simple reproduction, soit des avis de l'année précédente, soit des commissions de la même année 2.

Tout autres sont les avis des intendants : à partir de 1666 surtout, ils fournissent des détails sur les ressources de chaque élection et de chaque ville, sur l'état des récoltes, sur la facilité plus ou moins grande des recouvrements. Souvent très déve- loppés, ils contiennent la notation soigneuse de tous les abus à réformer. C'est une de nos principales et de nos meil- leures sources de renseignements sur l'état économique des provinces.

Dans ces avis, les intendants examinent d'abord si la géné- ralité, dans l'ensemble, ne doit pas être soulagée, vu l'état des

1. A. D., S. Inf. G 1164, 143.

2. Je donne, dans le tableau suivant, la série des avis dressés par le Bureau de Caen pour les années 1662 à 1668, les autres étant dénués d'intérêt. La série s'en trouve aux Arch. Galv., fonds du Bureau des finances :

Bayeux. . . .

Goutances . . Garentan . . . Saint-Lô . . . Valognes . . . Avranches . . Mortain . . .

1662

1663

1664

1665

1666 a

1667

1668

215 056 229 007 329 000 265 828 165 879 185 721 281813 177 454 219 000

202 563 248 944 303 693 282 092 173 780

281 084 159 484 191 419

189 413 232 594 290 043 262 592 162 880

261 584 149 634 184 319

159 363 232 300 281043 266 600 165 900

260 700 152 200 184 928

164 057 237 200 292 243 271 600

165 900

263 900 154 600 187 500

171930 246297 300 250 273 292 166 765

261 455 155 282 192 729

169800 247 300 301 300 272 700 167 200

259 500 155 300 193 900

2 068 758

1 843 059

1 733 059

1 622 000

1 737 000

l 768 000

1 767 000

a. Le brevet arrêté le 22 mai 1665 ne montait qu'à 1 650 000 1., mais une impo- sition extraordinaire de 87 000 1., destinée à des travaux de voirie, avait été ajoutée par un arrêt du conseil subséquent.

68 LA TAILLE EN NORMANDIE.

récoltes. On a dit plus haut que le brevet était expédié à une date l'on ne pouvait à peu près rien savoir de cet état; d'ailleurs, les intempéries, les incendies, les logements de troupes ', qui pouvaient survenir à tout instant, modifiaient les ressources du pays; en conséquence, l'intendant avait la préoc- cupation de renseigner très exactement et continuellement le Conseil sur le chiffre d'impôt que pourrait porter sa généralité. Le brevet n'étant pas publié, il était très facile d'en modifier le chiffre, sans que personne, en dehors de l'administration, eût connaissance du changement2.

Les avis des intendants ont par malheur en partie disparu. Ils étaient conservés par Marin et, après lui, par Desmaretz, dont les papiers ne nous sont pas parvenus. Néanmoins, il nous en reste assez pour suivre, année par année, avec le secours des autres documents administratifs, l'état économique de la province.

1662. L'hiver de 1661-1662 fut terrible pour la Normandie comme pour tout le centre de la France. La famine, conséquence de trois mauvaises récoltes successives, fait des ravages. Le blé devient très cher; les mendiants affluent dans les villes; la mortalité est grande. Les trésoriers généraux de Rouen écrivent à Colbert en 1663 que « l'année dernière, il est mort dans les

f»aroisses au moins la tierce partie des habitants *. » Autre ettre écrite de Caen à Colbert, le 13 mars 1662 :

« Dans toute la province, les moins incommodés des villages ne boivent que de l'eau et ne mangent plus qu'un peu de pain pétri avec un peu de lie de cidre, et les autres ne soutiennent leur vie qu'avec de la bouillie d'avoine et de sarrazin... Le boisseau de froment, que l'on avoit pour trente sous, se vend 3 et 4 1., et celui d'orge, 60 sous... Il y a des paysans, à trois ou quatre lieues de Caen, qui ne se nour- rissent plus que de racines, de choux et de légumes, ce qui les fait

1. Très souvent les ordonnances énumèrent ces trois catégories d'accidents qui peuvent faire diminuer la taille d'une paroisse ou d'une élection. On en conclut parfois que le logement des troupes était une « calamité > analogue à un incendie ou une inondation; mais c'est une interprétation abusive : dans l'esprit du légis- lateur, les logements de soldats sont une forme d'impôt analogue à la taille, et ils doivent équitablement faire réduire celle-ci : on le verra au chap. VII.

2. Les intendants relèvent assez souvent des erreurs dans le texte des brevets : ils les signalent dans leurs avis. Celui de Rouen fait observer à Colbert en 1665

3u une omission a été faite dans le brevet de sa généralité : un arrêt du conseil u 28 février 1665 avait en effet déchargé la ville de Rouen d'une somme de 20000 1. qu'elle payait eiv guise de taille pour l'ustensile des troupes; cette décharge lui avait été accordée parce que la Compagnie des Indes occidentales avait obtenu la concession des droits sur la cire et sur le sucre à l'entrée de la ville, et s'était engagée à verser directement les 20 000 1. au trésor; en d'autres termes, la taxe mise comme taille sur la ville était remplacée par un impôt indirect sur les marchandises consommées dans la ville. On aurait donc diminuer le brevet de la taille pour 1666 de ces 20 000 1. L'intendant Voysin écrit à. Colbert le 30 juin 1665 pour lui signaler cette omission : et en effet les commissions furent rectifiées en conséquence (M. C. 130, 492).

3. M. C. 116 bu, 650.

LES AVIS SUR LE BREVET. 69

tomber dans une certaine langueur qui ne les quittte plus qu'à la mort, et je peux vous assurer qu'il y a des personnes qui ont passé quatre jours entiers, dans cette ville, sans avoir eu autre chose à manger. La grande quantité de pauvres a épuisé la charité et la puis- sance de ceux qui avoient accoutumé de les soulager1. »

Le roi fait distribuer du blé dans les provinces pour alimenter les pauvres2. Les bourgeois des villes se cotisent; des hôpitaux sont ouverts. Mais la misère n'en reste pas moins grande et il est impossible de faire rentrer les impôts. Quoique le brevet général ait été réduit de 4 millions de livres 3 par rap- port à celui de 1661, les trésoriers généraux et les intendants sont unanimes à réclamer une diminution, qui est accordée par le roi : le brevet arrêté en 1661 montait à 6 624 055 1., pour les trois généralités; en 1662, 5 930 553 1. *.

1663. En cette année, la récolte est encore médiocre. Les trésoriers de Rouen écrivent à Colbert, le 13 août, que la sécheresse de l'automne précédent a empêché les semailles, puis les eaux et le vent ont fait périr une partie des blés; on a « réensemencer une partie des terres emblavées, et le peu de blé qui a esté fait est presque tout perdu par de petites brouées qui sont survenues, qu'on appelle en Normandie de la manne et qui ont noirci la paille et l'épi, en sorte qu'il se trouve peu de grain dans l'épi, et, dans le grain, peu ou point de farine. Heureusement, il y a davantage de seigle, d'orge et d'avoine5 ». Le chiffre du brevet, montant à 5 621 553 1. pour toute la Nor- mandie, est accru de 72 000 1. dans les commissions. Mais l'année suivante, on tint compte de cette mauvaise récolte : le brevet présentait une diminution d'environ 230 000 1.

1664. La récolte des blés est encore mauvaise dans la Basse Normandie. Dans la généralité de Caen, les pluies du

1. Publ. dans Bonnemère, La France sous Louis XIV, t. I, p. 268.

2. Clém., II, 53. Mémoires de Louis XIV, éd. Dreyss, t. II, p. 548. Journal d'un bourgeois de Caen, publ. par G. Mancel, p. 27-29.

3. Ce dégrèvement avait été annoncé par un arrêt du conseil du 2 avril 1661, le roi publiait son désir de « donner à ses peuples des marques de sa justice par son application au gouvernement » ; en même temps il avait « promis de pourvoir aux proceds des surtaux, et d'empescber les vexations du recouvre- ment, sursis les taxes sur les courtiers et jaugeurs de vin, celles des francs-fiefs et nouveaux-acquêts, et de la confirmation de leur exemption es villes franches; les taxes sur les recettes des deniers commungs et d'octroys, les maires et esche- vins des villes... révoqué les taxes sur les hosteliers, cabarettiers et marchands de vin pour la décharge de la collecte des tailles » (A. D. S. Inf., G. 1164, 71). Cet arrêt accordait une diminution de taille de 3 millions; un autre du 27 sep- tembre suivant, portait ce chiffre à 4 millions (A. D. Galv., Election de Caen). Mais ces diminutions, on l'a déjà vu, ne faisaient qu'abandonner des sommes irrecouvrables. « C'est si peu, dit Guy Patin, que ce n'est point la peine d'en parler (Lettre du 5 avril 1661).

4. Se reporter au tableau des brevets annuels des trois généralités, ci-dessus, p. 33.

5. M. C. 116 bis, t* 650.

70 LA TAILLE EN NORMANDIE.

mois de juin ont fait pourrir les foins coupés et verser les blés l. Mais dans la généralité de Rouen, la récolte en grains et en cidre est bonne2. Le chiffre du brevet est augmenté dans les commissions3.

1665. L'augmentation de l'année précédente est main- tenue par le brevet; elle atteint le total de 101 000 1. A Alençon, des pluies abondantes en juillet ont gêné la moisson; l'inten- dant écrit que le peuple « ne se restablit point depuis la misé- rable année de 1662 » *. Toutefois, on commence à sentir l'effet heureux des manufactures établies dans la province, à Rouen et à Caen surtout; on en fonde de nombreuses dans les cam- pagnes comme dans les villes, et le peuple y trouve une nou- velle ressource 5.

1666. Le brevet est augmenté de 28 000 1. dans la géné- ralité de Caen, 20000 dans celle d'Alençon, 30000 dans celle de Rouen. Mais le pays est en état de supporter cette surcharge. La récolte est bonne, et les manufactures se déve- loppent, surtout dans la généralité de Caen. Chamillart écrit le 6 juin qu'à Coutances la manufacture de bas d'Angleterre occupe 400 ouvriers, et cela « commence à se respandre dans la cam- pagnefi ». Les manufactures de bas sont installées non seulement dans les villes : Caen, Bayeux, Cherbourg, Saint-Lô, Coutances, Valognes, Louviers, mais encore dans les bourgs et les vil- lages7. Il écrit le 17 novembre :

« La généralité me paroist en fort bon estât, et sans l'extrême sei- cheresse qui a faict manquer les bledz en plusieurs endroitz, et le manquement de cidre, qui est général, et la garde de la coste, je pou- rois vous assurer que les subjectz du roy commenceroient à jouyr du bon ordre que S. M. establit partout8. »

1. Lettre de Du gué à Colbert, 23 juin 1664, M. C. 121 bis, P 857.

2. Cette même année, les habitants de Honfleur déclarent qu'ils ne peuvent souscrire a la Compagnie des Indes « veu la misère du public » (Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 119). Il est vrai que cette misère était peut- être « affectée », comme disait Colbert.

3. Cependant le roi avait fait valoir les diminutions de taille qu'il ne cessait d'accorder depuis plusieurs années, dans la déclaration d'août 1664 (Clém., II, 785).

4. Lettre de Du Boulay Favier à Colbert, Alencon, 30 mars 1665 (M. C. 128 bis, 707).

5. Voir les lettres écrites à Colbert par Brévedent sur les manufactures de la généralité de Rouen (M. C. 130 bis, f* 875, et 132 bis, 507); par Legcndre sur celles âe Caen (ibid., 130, 197, 130 bis, f 863). Ces lettres donnent des détails très complets. A Alençon, les manufactures furent très difficiles à établir. In sieur Le Prévost voulant établir une dentellerie, « toutes les femmes, oh nombre de plus de mille, se sont assemblées et l'ont poursuivy en telle sorte que s'il n'eust évité leur furie, il eut esté asseurément en mauvais estât.... Cette multitude ne sera point en repos jusqu'à ce qu'il ayt pieu au roy leur donner quelque assurance qu'on ne leur oslera pas la liberté de travailler ». Cependant, il est incontestable « que depuis quelques années, la ville d'Alençon a subsisté par le moyen de ces

Ëetits ouvrages de dentelle que le menu peuple a faicts et débités » (Lettre de u Boulay Favier à Colbert, 30 août 1665, M. C. 131 bis, f 792).

6. M. C. 138, f> 245.

7. M. C. 142, f 234.

8. Ibid., f 100.

LES AVIS SUR LE BREVET. 71

Les commissions augmentent encore l'imposition de Caen de 130000 1. ; la somme à lever s'élève à I 808 100 1.

1667. Le brevet de la généralité de Rouen a été augmenté de 10 000 1.; celui de Caen de 90 000; Alençon demeure tel quel. La généralité de Rouen continue à prospérer par le commerce et les manufactures. Dans celle de Caen, le nombre des mou- tons augmente, depuis que l'intendant a interdit de les saisir pour la taille et de tuer les agneaux1. Il y a eu en avril et mai de la sécheresse qui a fait craindre pour la récolte; mais les pluies du début de juin en ont réparé les mauvais effets, sauf dans les élections de Coutances, Vire et Mortain; les « menus grains » sont beaux, mais il n'y aura pas de cidre 2. « La foire franche est remplie d'un plus grand nombre de marchandises que les années précédentes; les draps façon d'Espagne et d'Hollande de la fabrique de Caen, les draps de Valongnes, les sarges façon de Londres, y estoient en très grand nombre; les finettes et ratines fabriquées à Saint-Lô ont esté fort estimez des marchands de Paris 3. » Le seul incon- vénient dont souffre le commerce, c'est que la réduction du taux légal de l'argent, ramené à 5 p. 100, a raréfié le capital dans la généralité; ce taux est trop bas. Malgré cette prospérité relative, Colbert réduit de 41 100 1. l'imposition de Caen, « afin, dit-il, que tous les peuples aient connoissance de l'affec- tion paternelle du roy pour ses subjects »; l'intendant fait publier la lettre; les peuples en manifestent « une joie incroiable »*.

1668. Le brevet est augmenté de 24 000 I. pour la généra- lité de Rouen seule, le commerce prospère; les autres géné- ralités sont imposées à la même somme que l'année précédente.

1669. La peste s'est déclarée à Rouen et a Dieppe à l'au- tomne de 1668. Non seulement la mortalité est grande, mais tout le commerce de la région est paralysé, à cause de l'inter- diction de communiquer avec la ville5. Le 13 septembre 1668, le président du Parlement, de Bonneval, écrit que la campagne « va tomber dans la dernière misère, par la raison que les foires et marchés ne tiennent plus, et sans lesquels il ne se peutrespandre d'argent parmy les peuples, manque de traffic et de commerce, c'est ce qui les met présentement dans l'impuissance de payer ce que l'on leur demande, soit pour tailles ou pour fermages6». La foire de Guibray, en 1668, a été mauvaise 7. En outre, dans la

1. Voir ci-dessous, ch. vu.

2. Lettre de Chamillart, 17 juin 1667, M. G. 143, 437-438.

3. Lettre du 2 mai 1667, M. G. 144, 54.

4. Ibid., 499 et 145, 53.

5. Sur cette peste, voir les lettres de l'intendant Barin de la Galissonnière, du marquis de Beuvron, gouverneur, et du premier président du Parlement, dans M. C. 148, 148 bis et 149.

6. M. G. 148 bis, 619.

7. Ibid., 486.

72

LA TAILLE EN XOHMAXDIE.

généralité de Caen, la réglementation excessive des manufac- tures de draps et de serges a gêné les marchands; la fabrique est en baisse1. A en juger par les recettes des octrois, le com- merce a notablement diminué; pendant le carême, il est entré en général deux fois moins de provisions qu'en 1667 et 1668*. Le nombre des moutons continue à augmenter; la moisson est assez bonne; mais « les fermiers regorgent de grains qu'ils ne peuvent vendre*. » Depuis trois ans, il n'y a presque pas eu de cidre; les grains étant à bon marché, les fermiers qui avaient pris leurs baux à des taux assez élevés il y a trois ans, se trouvent dans une situation fâcheuse4. Dans la généralité de Rouen, l'épidémie a cessé en janvier 1669; mais on trouve encore quelques cas dans l'élection d'Arqués au mois de juin. Quant aux récoltes, elles ont bon aspect; « l'espérance de la moisson est fort belle et il y aura cette année quantité de pommes » ; mais les fermiers sont également dans l'embarras

f>arce qu'ils ont mal vendu leurs récoltes; leurs propriétaires es ont fait saisir, et si le blé ne se vend pas mieux, ils se trou- veront dans une situation embarrassée 5. Le brevet de la taille pour la généralité d'Alençon est réduit de 29 000 1., pour celle de Rouen de 20000, et pour celle de Caen de 120000 1. Ce chiffre est maintenu par les commissions6.

1. Lettres de Chamillart, 29 mars et 14 juin 1669, M. C. 150 bis, 9S2 et 153, (•425.

2. Lettre de Chamillart. 8 avril 1669, M. C. 151, 294.

3. Id., 11 nov. 1668, M. C, 149, f> 389.

4. Id., 29 mars 1669, M. C. 150 bis, 982.

5. Lettre de Barin delà Galissonnière. 17 Juin 1669, M. C. 153 bis, (• 513-514.

6. Voici an état des tissus vendus à la foire franche de Caen, de 1666 à 1669; il fut envoyé par l'intendant en juillet 1669 (M. C. 153 bis, 731-732).

Serges de Caen.

Pièces de 45-50 aunes.

1666

1667

1668

1669

3 257

3 825

2 557

1742

Prix

33-34s.

30-32 s.

29-30 s.

31-33 s.

Serges de Saint-Lô.

Pièces de 40-45 aunes.

346

287

173

339

Prix

41.l5s.-51.

41.8s.41. 10s.

4 1. 2 8.-4 1. 7 s.

4 1.5 8.-4 1.10 s.

Drap de Vire.

Pièces de 11-13 aunes.

677

480

532

500

Prix

41.5s.-51.

4-5 1.

4-5 1.

ont bien vendu

Drnp de Valognes.

Pièces de 36-40 aunes.

40

30

25

32

Prix

6-71.

5 1.-7 1. 10 s.

4 1.15 8.-61.158.

ont assez bien vendu

Drap de Cherbourg. Pièces de 36-40 aunes.

175

120

135

200 «

Prix

5 1.-51.108.

41. 10 8.-5 1.

41. 15 s.-5 1.5 s.

4 1. 10s.-5 1.

1. « Il en est beaucoup resté que les marchands ont porté à Paris. »

LES AVIS SUR LE BREVET. 73

1670. Le brevet de la généralité de Rouen est augmenté de 7 9001., les autres demeurant tels quels. De l'avis de l'inten- dant de Rouen, il eût mieux valu le diminuer que l'augmenter; les élections d'Arqués et de Caudebec, en particulier, sont trop imposées1; les bestiaux sont à vil prix2. Dans la généralité de Caen, l'interdiction d'exporter les blés gêne le recouvrement de l'impôt3; la fabrique de papier dans l'élection de Bayeux est en décroissance4. A Alençon, il y a « plus de mendiants qu'en aucune autre ville du royaume »5.

1671. Chacune des généralités est dégrevée de 20 000 1. par rapport au brevet de l'année précédente. En même temps, la prospérité de l'agriculture et des manufactures s'accroît; la situation est bonne partout. L'intendant de Caen signalera, le 6 septembre 1671, « le bon estât des manufactures de draps, de serge et de toile qui se font dans sa généralité », ajoutant « que tous les marchands, d'une commune voix, l'ont asseuré que la Guibray n'a pas esté si bonne depuis longtemps que cette année 6; les herbages sont chargés de bœufs et vaches autant qu'ils en peuvent porter7 ». Berryer écrit le 7 septembre : « Dans tous les lieux du Costentin je passe, le comerce des bestiaux et des heures, des manufactures du pays, va très bien. Il y a mesmes beaucoup de pomes de ce costé là8. » Il signale seule- ment la rareté de l'argent causée par la mévente des blés 9,

1. Avis sur le brevet, 4 août 1670, Clairamb. 792, p. 153.

2. Ibid., p. 38(5.

3. Lettre de Chamillart, 16 août, ibid., p. 211.

4. Ibid., p. 319.

5. Lettre de Berryer, 3 novembre 1670, M. C. 155, 338.

C'est à cette date de 1670 que l'ambassadeur de Hollande signale à Colbert le poids excessif des impôts mis sur le vin et le blé, disant que le roi ruinait ses sujets pour nuire aux Hollandais, « qu'il falloit aller en Bretagne et en Guyenne, l'on verroit que les peuples gémissoient et étoient dans la mendicité parce que les impositions qu'on avoit mises sur les vins et blés qu'ils avaient cou- tume de vendre en Hollande, leur en empêchait le débit » (Lettres du marquis de Saint-Maurice sar la cour de Louis XIV, publ. par Lemoine, t. I, p. 506.) Cf. les lettres des autres intendants à cette époque, II. G., 162, et Clairamb., 191-192. Colbert lui-même signale au roi « la grande disette d'argent qui se trouve dans toutes les provinces » (Clém. Vil, 257).

6. Sur l'importance de cette foire en ce moment, voir une lettre de Michel Colbert au contrôleur général, du 17 août 1672 : « Il s'y vend en gros quantité de draps, serges et soyes de toutes sortes de manufactures du royaume à des marchands destaillants, particulièrement des provinces de Normandie, Maine, Poictou et Bretaigne; il s'y vend aussi, Monsieur, tant en gros qu'en destail toutes sortes de quincailleries et ouvrages de fer, et de menues marchandises de laine ; il y a, Monsieur, pareillement grand commerce de bœufs et vaches maigres qui s'acheptent pour les engraisser dans le pays d'Auge... et ne se vend, Monsieur, en ladite foire que très peu de bestiaux gras, mais seulement pour l'usage du pays, non plus que de moutons, brebis et porcs. Il se fait, Monsieur, encore grand débit de cuirs en cette foire ». (M. C. 161, 148-149).

7. Lettres des 5 août et 6 septembre 1671, analysées dans Clairamb. 793, p. 43 et 93; cf. p. 25.

8. M. C. 157 bis, 445.

9. Pareille rareté est signalée dans la lettre de Berryer du 7 septembre; le Cotentin seul en a davantage, à cause de l'abondance des pommes (M. C. 157 bis,

74 LA TAILLE EN NORMANDIE.

« ce qui luy fait appréhender les recouvremens de l'advenir1 ». Mais les manufactures continuent à progresser*.

1672. Les préparatifs de guerre contre les Hollandais ont fait augmenter le chiffre de l'impôt. Pour la généralité de Rouen, la somme fixée par le brevet passe de 2 239 000 1. en 1671 à 2 291000; pour Caen, de 1627 000 à 1668000; et pour Alençon, de 1418000 à 1448000; soit, au total, une augmentation de ,123 000 1. Cette augmentation était consi- dérable pour la province. Néanmoins, la récolte du cidre s'annonce bien, les manufactures continuent à produire beau- coup dans la généralité de Caen ; l'exportation du beurre d'Isigny est en progrès depuis trois ans3. L'augmentation sera donc supportée sans trop de peine, mais bientôt on ressent les effets de la guerre. Dès le 15 octobre 1672, l'intendant de Rouen écrit que le trafic a cessé, ce qui va rendre le recou- vrement des impôts difficile4.

1673. Nouvelle augmentation du brevet : la généralité de Rouen se voit imposer 2 430 000 1. ; Caen, 1 768 000 1. ; Alençon, 1537 000, soit une augmentation de 328000 1. Fort heu- reusement, la récolte est encore bonne. Dans la généralité de Caen, les menus grains (seigle, orge, avoine) sont très beaux. Les blés seulement ont un peu versé5. Dans celle d'Alençon, les blés sont abondants; il faudrait autoriser l'exportation à l'étranger, notamment en Angleterre6. Dans celle de Rouen, l'état reste bon, malgré une misère locale aux confins de la Picardie7, laquelle est sans gravité : « chacun fait la misère plus grande qu'elle n'est8 », dit l'intendant. A la foire de Guibray, on a vendu quantité de draps, de bestiaux, de cuirs et de quin- cailleries 9. Toutefois le commerce avec l'étranger a presque complètement cessé dans toute la province 10.

1674. Le brevet est identique à celui de l'année précé- dente; mais la misère s'étend dans la généralité de Rouen; un long mémoire de l'intendant de Creil à Colbert signale le danger qu'il y aurait à laisser les impositions à un taux si élevé :

« Je prendray la liberté de vous dire,'en gênerai, que toutes les eslec- tions sont extrêmement chargées, et qu'il y en a quelques-unes qui le sont tellement, que j'ai veu les habitants en estât de tout abandonner,

1. M. C. 157 bis. 605.

2. M. C. 157, f> 37.

3. Chamillurt à Colbert, 16 novembre 1672, Clairamb. 793, p. 796.

4. Analyse de sa lettre, ibid., p. 773.

5. Lettre de Chamillart du 1" août 1673 analysée dans Clairamb. 795, p. 40.

6. Lettre de Michel Colbert. 2 novembre 1673, ibid., p. 121.

7. Lettre de De Creil, 1er juin 1673, ibid., 794, p. 426.

8. Ibid., 795, p. 58.

9. Lettre de Michel Colbert, 21 août 1693, M. C. 165 bis. f> 39'i-399.

10. Lettre de Chevalier à Colbert, 2 février 1673, Clairamb. 794, p. 155; il vient d'inspecter pour la gabelle les départements de Caen et d'Alençon.

LES AVIS SUR LE BREVET.

75

sans l'assurance de quelque petite diminution que je leur ay fait espérer. Cependant, comme le brevet de la taille que vous m'avez fait l'honneur de m'envoier porte la mesme somme pour l'année prochaine que celle de l'année présente, je ne puis rien faire de mieux, pour le service du roy, que d'augmenter les eslections les moins chargées, pour soulager les plus pauvres, afin d'éviter les non-valleurs, ainsi que je croy avoir fait dans mon advis, que vous trouverez ci-joint, et dont j'envoie pareillement une copie à M. Marin.

Le grand mal de toutes les eslections est la cessation du commerce; mais il est encore à observer que les unes ont souffert l'inondation de plusieurs parroisses par les pluyes du printemps, et la stérilité entière des menus grains par la sécheresse de l'esté. D'autres ont despensé et perdu extrêmement par les armes qu'on leur a fait achepter, et par les gardes continuelles sur les costes et dans les places, et par les reveues qu'ils ont esté obligez de faire. 11 y en a dont les parroisses ont autant paie pour le tiers et danger ' que pour la taille.

L'on aurait pu soulager un peu la campagne en augmentant l'impo- sition des villes; mais, outre qu'elles ont esté beaucoup haussées les années dernières, j'ai cru qu'il falloit encore les ménager, à cause des taxes que l'on leur demande pour le franc-alleu, les arts et mestiers, et papier-terrier; je n'ay pas laissé néanmoins de donner à la pluspart quelque petite augmentation. Enfin, Monsieur, l'on peut juger que cette généralité est plus chargée que toutes les voisines, puisqu'elle perd tous les ans, par les translations de domiciles, grand nombre de taillables qui en sortent pour aller dans lesdites generalitez, ils paient moings de taille.

Tous les receveurs particuliers demandent chacun des diminutions si grandes pour leur eslection, que je n'ozerois vous en parler, et je leur ay fait entendre qu'il falloit encore donner courage au peuple pour l'année prochaine, veu Testât présent des affaires, dans l'espérance d'un soulagement pour les suivantes. Ils se plaignent aussy de ce que les termes des paiements sont trop pressez, et que l'on ne donne pas assez de temps aux collecteurs pour faire leurs levées, ce qui les oblige de les emprisonner, ou de faire discuter les parroisses, qui est encore un plus grand mal que l'emprisonnement.

Quoyqu'il n'y ait point de remède à toutes leurs plaintes, j'ay cru néanmoins, Monsieur, que vous trouveriez bon que je vous en rendisse compte en peu de mots, afin que vous soyez informé de Testât des choses : tout ce que je puis de ma part, est de partager avec une juste proportion sur toutes les eslections la somme de 2 430 000 1. que S. M. ordonne estre imposée pour Tannée 1675, vous priant de considérer que si, par des interests et recommandations particuliers, on vous donne des advis qui soient contraires, ils ne seront pas sincères ny équitables, et produiront assurément de la vexation et du désordre. A mon égard, je n'ay pour but que le service du roy et le soulagement des peuples2... »

1. Cette affaire du tiers et danger alarma beaucoup la province, et faillit pro- voquer une révolte de la noblesse : voir Clém., II, 2(>1 et suiv. ; Depping, t. III, p. 221 et suiv.; Floquet, Hist. du parlement, t. V, p. 564; Gérard, Défense pour les particuliers qui possèdent des bois en Normandie, s. 1. n. d; in-4°; O'Reilly, Claude Pellot, liv. XIII, chap. iv. Sur la nature de ce droit, voir les ouvrages indiqués dans mon édition du Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 119, n. 4.

2. Glairamb. 795, p. 485-7.

76 LA TAILLE BN NORMANDIE.

Mais l'intendant savait que ses remontrances ne seraient pas écoutés : le 6 avril précédent, Colbert lui avait écrit : « Il sera difficile en Testât présent des affaires de l'Europe, que le roy puisse prendre la résolution de diminuer les impositions des tailles, vu les prodigieuses dépenses que S. M. est obligée de faire, et nous courons mesme assez de risques que le roy voudra les augmenter »'.

1675. Malgré les avertissements reçus l'année précédente, Colbert est obligé d'augmenter le brevet dans les trois généra- lités : 270000 I. pour Rouen, 162 000 pour Caen, 163000 pour Alençon, au total 595000 1., soit plus de 10 p. 100 sur l'année précédente. Cette même année, Bossuet invite le roi à soulager ses peuples qui sont écrasés par la taille, et les ambassadeurs des puissances étrangères constatent partout la misère grandis- sante. Nous n'avons pas les avis des intendants de Normandie pour cette année; mais une lettre de Pellot, du 1er mai, nous apprend que « dans le pays de Caux il y a de pauvres paysans qui vont en troupes demander l'aumosne à des gens qu'ils croient accommodez2 ».

1676. Le chiffre du brevet demeure fixé a la même somme que l'année précédente; en outre, les généralités sont obligées de loger les troupes soit en quartiers d'hiver soit à leur passage; les recouvrements pour l'année courante se font mal et Colbert est obligé de presser les receveurs plus encore que d'ordi- naire, le roi ayant besoin d'argent , En envoyant son avis le 27 juin, Leblanc écrit : « Vous observerez, s'il vous plaist, que quelques précautions que j'aye pu prendre, toutes les élections ont esté fort fatiguées par le passage et logement des gens de guerre, et qu'il n'y a que celle de Magny qui en ayt esté exempte et de la contribution des fourrages * » ; et le 4 août suivant : « Comme vous m'avez fait l'honneur de me mander que le roy ne pouvoit faire des diminutions sur la taille, j'ay veu exactement dans ma dernière visitte les lieux sur lesquels je croyois la pouvoir mettre, mais je les ay trouvez si chargez qu'ils auront peyne à satisfaire à leurs impositions... toutes les villes avoient esté augmentées les années précé- dentes, elles ont souffert les passages et de longs séjours, et la pluspart des quartiers d'hiver, ce qui fait que les habitans désertent. J'ay creu pour les obliger d'y demeurer qu'il falloit

1. Clém., II, 331.

2. Depping, III, 227. Cette même année éclatait en Bretagne la révolte du « Papier timbré », qui faillit s'étendre à la Normandie (J. Lemoine, La révolte du Papier timbré, Paris et Rennes, 1898; de Masseville, Ilist. sommaire de .Xor- mandie, t. VI, p. 215).

3. Lettre de Leblanc à Colbert 13 avril 1676 : « Suivant l'ordre que vous m'avez donné j'ay pressé les habittans... de porter incessamment aux receptes les deniers de la taille, et aux receveurs de faire leurs diligences » (B. N. fr. 8 759, f 57.)

4. B. N. fr. 8 759, 66.

LES AVIS SUR LE BREVET.

77

leur faire quelque diminution1. » Colbert montrant quelque scepticisme à l'égard de cette misère, Leblanc dut protester, le 9 août, de l'exactitude de ses informations : « Je scay bien que je suis dans un pays l'on fait tout valoir et il ne fault croire que ce qu'on voit; ainsi faites-moi, s'il vous plaist, la justice d'estre persuadé qu'ils ne m'en font point accroire 2». Par surcroît, la grêle vint endommager les récoltes ; le prix du setier de blé passa de 7 1. à 8 1. 10 s. 3, et un incendie détruisit presque entièrement le bourg de Bolbec.

1677. Le chiffre du brevet demeure encore le même : la misère dans la généralité de Rouen s'aggrave; partout il y a des troupes à loger, la ruine est complète ; il est indispensable de diminuer toutes les élections, sauf peut-être celle d'Arqués, qui a été considérablement soulagée les années précédentes4; nous n'avons aucun renseignement pour les deux autres géné- ralités.

1678. Une diminution notable a été accordée : par l'arrêt du Conseil du 7 juin 1678, le roi rappelle que la taille est tombée de 56 millions en 1658 à 40 millions en 1678; voulant encore « donner des marques de sa bonté paternelle envers ses peuples », il réduit le chiffre de 1679 à 34 millions5; Rouen est soulagée pour sa part de 400000 1., Caen de 330000 1., Alençon de 250 000 1.. Dans les deux généralités de Rouen et de Caen, pour lesquelles nous avons des renseignements, la récolte est belle, la misère, sans disparaître, ne s'aggrave pas6; à Caen, le recouvrement de la taille demeure toujours « très difficile »7.

1679. Le chiffre du brevet est le même que l'année précé- dente, mais l'hiver de 1678-79 a été rigoureux; les gelées ont commencé dès la fin de novembre et duré jusqu'à la fin de mars; une partie des terres dans la généralité de Rouen n'ont pu être ensemencées en blé8. Ensuite les pluies continues ont empêché de semer l'orge et l'avoine; en mai, à Bernay, le bois- seau de blé pesant 63 livres vaut 6 1. 4 s., c'est-à-dire le double de ce qu'il valait l'année précédente9. Vers le même temps à Mortagne le boisseau pesant 104 livres vaut 11 1.; il est vrai qu'au 15 juin il est redescendu à 7 1. 10 s.; mais c'est encore un prix

1. B. N. fr. 8 759, f08 68-69.

2. Ibid., 69.

3. Ibid., 72.

4. B. M. fr. 8761 bis, 47-48.

5. A. D., Galv., Registre d'ordonnances de l'élection de Caen. Cf. la lettre de Colbert aux intendants, du 15 juin, accompagnant cet arrêt : il leur recommande de bien répartir cette diminution sur les pays qui en ont besoin (Clém., II, 380).

6. Lettres de Méliand à Colbert, 17 juin 1678, A. N., G' 213, et de Leblanc, 6 mai, ibid., 491.

7. Lettre du 24 mars 1678, A. N., Gi 213.

8. L. de Leblanc à Colbert, 21 mars 1679, A. N., G? 491.

9. L. de Morangis à Colbert, 27 mai 1679, A. N., G"i 71.

78

LA TAILLE EX XOIt.M AM)I I. .

de famine*. A la fin de L'alinéa dans la môme généralité, d'après un tableau enrayé* par 1 intendant le 4 décembre, les 100 livres de blé valent jusqu'à G 1. ,i s. dans l'élection de Lisieux 2.

Les manufactures établies dans la généralité d'Alençon sont uniformément en baisse; à Alençon l'on fabrique plus de 100 pièces de toile par semaine valant en moyenne 70 livres chacune, les prix ont baissé d'un quart depuis six ans, le fil est devenu plus cher parce que les marchands étrangers viennent l'acheter depuis que le privilège de la manufacture des points de France a cessé, les ouvrières se relâchent, et leurs ouvrages sont moins beaux; or ce travail faisait vivre non seulement la ville d'Alençon, mais toute la campagne environnante : au total plus de 10000 personnes. Dans l'élection d'Argentan, le com- merce du cuir qui produisait jadis 80000 1. par an est diminué à cause des droits de tarif, de marque, de contrôle, établis depuis six ans : « Il y avoit 60 maîtres tanneurs, il n'en a plus que 40 et il ne s'en vend que pour 50000 1. »; la ville de Bernay qui « estoit riche autrefois, présentement est pauvre et dépeu- plée... elle ne se maintient que par le commerce des chapeaux et bas de laine ». L'élection de Conches a peu de commerce, « il n'y a point d'élection dans la généralité le recouvrement de la taille me paroisse plus dificile ». La ville de Domfront « est si peu de chose qu'elle ne mérite pas qu'on parle de son comerce ». L'élection de Lisieux, qui a un terroir très fertile et fait le commerce des toiles et des frocs, est appauvrie : la manufacture de toiles est gênée par les procès que les maîtres toiliers intentent aux particuliers « qui espousent leurs veuves et prétendent se servir de leurs privilèges »; la ville a été dépeu- plée par le passage des gens de guerre, mais « elle commence à se remettre en bon estât ». L'élection de Verneuil, quoique le sol en soit très fertile et le débit des produits fort aisé, « n'est

1. L. du même. 10 juin, A. R., G" 71.

2. Mémoire du prix des blés dans la généralité d'Alençon envoyé par l'inten- dant de Morangis le 4 décembre 1679 (A. N., G1 71) :

ÉLECTIONS

POIDS

DU

BOISSEAU

VALEUR

DU

BOISSEAU

VALEUR

DES

100 LIVRES

CE QU'ON PEUT TIRER

de l'élection

32 1.

52

70 90

36 8. 3 1.

55 s. 3 1. 4 s. 53 s. 3 1. 55 s. 3 1. 13 s. 5 1.

5 1. 8 8.

5 1. 15 s.

5 1. 5 s.

6 1. 3 s. 5 1. 2 s. 5 1. 15 s. 5 1. 15 s. 5 1. 4 s. 5 1. 12 s.

4 000 boisseaux. 9000 4000 à 5 000

10000

3 000 à 4 000

4 000 à 5 000

5 000 à 6000

rien.

LES AVIS SUR LE BREVET. 79

pas en bon estât », la ville est « dépeuplée depuis très long- temps... Chateauneuf-en-Timerais est si pauvre et si ruinée par les gens de guerre qu'à peine la doit-on compter pour une ville » ; toutefois « il s'y faict encor un assez grand commerce de bledz, et si cela continue on le peut restablir 4 ». Dans l'élection de Lisieux encore 2, l'intendant écrit le 20 mai qu'il a trouvé « un très grand nombre de pauvres » ; on s'efforce de les renfermer dans un hôpital général, « mais il sera impossible présentement d'en venir à bout3 ».

Le 26 juin, il résume ainsi la situation des campagnes :

« Jamais il n'y a eu tant de mendians dans les villages et les fau- bourgs des villes... Quoyque les biens de la terre fassent espérer une bonne moisson, je puis vous assurer que la misère de la plus grande partie des paroisses est beaucoup au-dessus de ce qu'on peut vous dire, et que si les grâce du roy avoient à estre rependues sur quelque province, il ni en a point dans le royaume qui en ayt un plus pressant besoin que celle-cy 4. »

La misère est la même dans toute la province : le 15 mai, le parlement de Rouen rend un arrêt « pour subvenir à l'instante nécessité des pauvres des villes, bourgades et paroisses de ce ressort, causée par le long hiver et la rigueur de la saison, le prix et la chèreté des grains de la présente année5 ». Dans la généralité de Rouen, les pommiers sont mangés par les che- nilles : il n'y aura pas de cidre6; toutefois au mois de juin, les pluies viennent « rétablir » les récoltes, et, sauf dans le pays de Caux, les blés sont assez beaux7. La récolte, passable dans la Normandie en général, fait que la foire de Guibray n'est pas aussi mauvaise qu'on aurait pu le craindre; « tout compté, écrit l'intendant de Morangis le 31 août, on peut dire que le commerce de cette foire a été moindre d'un cinquième que l'année précédente8 ».

C'est en vain que Colbert avait réduit la taille à 34 millions9; les effets ne répondaient pas à son atteinte. Un arrêt du con- seil du 16 août 1679 réduisit encore l'impôt de 2 millions

1. Tous ces détails sont contenus dans ]e rapport descriptif de l'élection d'Alencon envoyé par l'intendant de Morangis à Colbert le 17 juillet 1679, A. N., G? 71."

2. Dans celle de Bernay, quoique la récolte s'annonce bien « cependant le nombre des mendiants augmente, il est excessif à l'abaie du Bec les pauvres de ce voisinage reçoivent des aumosnes proportionnées à leur nécessité »; on ne peut songer à faire cotiser les ricbes des paroisses pour secourir les pauvres car « cela pourroit apporter du retardement aux deniers du roy ». (L. du 27 mai, ibid.) Le blé a partout enchéri.

3. A. N., G? 71.

4. A., N. G? 71.

5. A. N., G 7 492, liasse de l'année 1685.

6. L. de Leblanc, 16 juin 1679, G 1 491.

7. L. du même, 16 juin et 18 juillet, ibid.

8. A. N., Gl 71.

9. Clém., II. 88.

80 LA TAILLE KN NORMANDIE.

et les intendants reçurent l'ordre de donner à l'acte une grande publicité « Rendez publique cette nouvelle grâce, leur écrit-il le 27 septembre, et en mesme temps faites bien con- noistre a tout le monde combien les peuples sont heureux d'avoir un maistre qui, ayant tiré pendant la guerre les assis- tances nécessaires pour porter la gloire de l'Estat au plus haut point qu'elle ayt jamais esté, et pour estendre ses conquestes, ne gouste pas de plaisir plus sensible pendant la paix que d'en faire gouster les fruits a ses peuples par les décharges et les soulagemens qu'il leur accorde en toutes occasions » '. Cette remise fut accueillie avec une grande satisfaction : « La joie en a esté excessive dans cette généralité, écrit l'intendant d'Alençon le 31 août, et il n'y a personne qui ne redouble ses prières pour la conservation d'un si grand et si bon maistre » 2.

1680. La taille est maintenue au même chiffre que l'année précédente. Colbert espère que ces soulagements « donneront aux peuples les moyens de se bien restablir3 ». Il prescrit aux intendants de faire leurs visites encore plus minutieusement que les années antérieures, de façon à lui envoyer des rap- ports bien détaillés et sûrs : celui de Rouen, Leblanc, qui commence la sienne le 16 mai ne la termine que le 21 juillet4; celui de Caen ne termine que le 15 août, et celui d'Alençon le 21 juillet. Mais leurs rapports sont très brefs sur la situation générale des contribuables : nous y voyons seulement que dans l'ensemble de la généralité de Rouen, la récolte est bonne, les « menus grains » sont très beaux partout, mais il n'y aura ni pommes ni poires nulle part et la récolte de vin sera mauvaise; le nombre des bestiaux augmente. Dans les généralités de Caen et d'Alençon, l'état des récoltes est à peu près le même6; dans celle de Caen les manufactures « ont leur cours ». Nous ne savons si la misère continue ou disparaît.

1681. La Normandie est augmentée, quoique sa part dans le chiffre total des pays d'élections soit légèrement réduite (15,45 p. 100 au lieu de 15,50 l'année précédente). Nous n'avons de renseignements que pour la généralité de Rouen : le printemps a été froid et l'année est en retard dans le Vexin normand ; en mai « les bleds sont fort clairs à cause de la lon-

1. Clém., II, 386; cf. la circulaire du 17 août, ibid., p. 114.

2. A. N., G^ 71.

3. L. du 18 juillet, Clém. II, 390.

4. Colbert le félicite pour les soins qu'il a apportés dans son travail : Lettre du 18 juillet, Clém. II, 390.

5. En somme il y a amélioration notable sur Tannée précédente, et le signe de cette amélioration est la diminution du prix du blé : dans la généralité d'Alençon, à Lisieux le boisseau pesant 32 livres vaut 24 s. au mois de juillet contre 50 s. Tannée précédente; à Argentan et à Falaise le boisseau de 52 livres vaut 35 s., tandis qu'il vnllait le double Tannée passée; à Conches, même, le boisseau de 32 livres ne vaut que 20 s. A Domfront Ton consomme surtout du sarrasin, cette graine vaut 22 s. 6 d. les 40 livres. (De Morangis à Colbert 22 juillet 1680 A. N., G' 71.)

LES AVIS SUR LE BREVET.

81

gueur de l'hyvert et de la sécheresse ; les mars ont peyne à lever, on sème encores l'orge et s'il ne vient de l'eaue la récolte ne sera pas bonne l » ; toutefois les pommiers promettent des fruits, et l'abondance du cidre facilitera le paiement des impôts; mais les symptômes de misère n'ont pas disparu : à Louviers la mendicité est « très grande 2 » ; les porcs sont « extraordinaire- ment chers » partout.

1682. La généralité de Caen est augmentée des 3000 1. qui sont retranchées à Alençon; celle de Rouen conserve son impo- sition à 1000 1. près; toutes les généralités restent encore au-dessous du chiffre de 1679. A Rouen, les céréales sont très belles, sauf dans quelques paroisses qui ont été grêlées; les pommes sont rares dans les élections de Pont-1'Evêque, Neuf- châtel et Arques3; à Caen, en juin, les récoltes ont en général belle apparence; mais beaucoup d'élections souffrent encore des logements de troupes : a Mortain et à Avranches notamment, « le pauvre peuple ne s'en remet pas encore » ; aussi y a-t-il très peu de commerce4; à Alençon on a en juillet a toutes les apparences d'une année très abondante... le commerce des bes- tiaux est très considérable... celui des toiles va fort bien »; il n'y a jamais eu tant d'ouvrières pour la dentelle dans la ville d'Alençon, mais la richesse n'accompagne pas cette prospérité apparente : les grains sont à très bon marché, les ouvrières gagnent fort peu, et il y a toujours des mendiants 5. Dans les élections de Mortagne, Verneuil et Conches, il y a « beaucoup de pauvreté6 ». C'est alors que Colbert engage l'intendant à chercher la cause de cette misère pour y remédier, soit en diminuant la taille de ces élections, soit en donnant du travail aux habitants, « soit en examinant si cette pauvreté provient d'une fainéantise naturelle, parce que dans ce dernier cas ils ne méritent pas beaucoup de soulagement». Il négligeait la seule cause de misère qui fût cependant la plus certaine et la plus profonde : le trop grand poids des impôts pendant les années précédentes.

1683. Le chiffre de la taille est conservé à peu près tel quel dans les trois généralités; la récolte s'annonce bien dans l'ensemble de la province, comme dans tout le reste du royaume 7. Mais dans les villes les mendiants continuent à affluer; le

1. Lettre de Leblanc, 24 mai 1681, A. N., Gi 491.

2. Ibid.

3. Rapports des 22 juin et 2 juillet, ibid.

4. L. du 7 juin, A. N., G? 213.

5. Rapport de l'intendant 2-20 juillet 16S2, A. N., G' 71.

6. D'après la lettre de Colbert à de Morangis, 16 octobre 1672, Clém. II, 208.

7. Colbert écrit à Breteuil le 3 juin 1683 : « J'espère que nous aurons une année abondante dans tout le royaume », (Bibl. Mun. Amiens, ms. 508, t. IV, pièce 221) ; l'intendant d'Alençon rapporte le 6 mai : « Les biens de la terre sont aussi beaux qu'on le peut soubaiter, et il y a apparence d'une bonne année pour les grains... à l'esgard des pommes je crois qu'il y en aura peu, mais il y a tant

LA TAILLE EN NORMANDIE.

82 LA TAILLK l.N NORMANDIE.

28 janvier, les échevins de Honflcur ont interdit de loger en ville; les pauvres qui viennent de la campagne1. Les rapports des intendants sont très brefs : aucun d'eux ne parle de cette misère. Cette réserve est inquiétante. Elle cesse brusquement à la mort de Golbcrt.

Les rapports de 1684 et de 1685 sont beaucoup plus pessi- mistes : en janvier 1684 dans la généralité de Rouen, « les néces- sités sont extresmes », les pauvres de la ville « sont réduits à de très grandes extrémités »; le 1er octobre, l'intendant après avoir visité les riches élections de Gisors, Gournay et Lyons, écrit : « Je suis obligé de vous dire que j'y ai veu des choses qui surprennent de la misère de cette année », et après avoir par- couru le pays de Caux : « En vérité la misère y est grande, et il y a plusieurs terres qui demeurent sans estre cultivées, et cette province-cy tomberoit sy on ne la soulageoit davantage... Les biens y deviennent ù rien, et le commerce y diminue ». Le 15 mars 1685 : « La misère est si grande que tel paysan achetait un habit de drap, qui se passe d'un de toile, et les femmes de la campagne qui étoient curieuses d'un cotillon rouge ou bleu, n'en portent plus guère; elles sont fort mal habillées, et presque toutes de toile blanche2 ». Le 0 juillet 1685 il écrira encore :

« Le besoin est pressant à la campagne il fault garder les bleds la nuit de peur qu'on en vole tout verds qu'ils sont, ceux qui en ont à eux sur pied en couppent tous les jours qu'ils font seicher au four pour vivre..; les entrepreneurs de Honfleur sont obligez de donner demy-paye les jours de feste pour retenir les ouvriers qui iroient aux villes demander l'aumosne parce qu'ils gagnent peu 3. »

Dans la généralité d'Alençon la misère est identique; le 27 mars 1685 l'intendant écrit que le paiement de la taille est très en retard :

« Je puis vous assurer que c'est la seule misère qui est cause de ce retardement, car le receveur des tailles fait ses diligences, mais les huissiers ne trouvent quasi plus rien à exécuter, je m'en suis fait rap- porter les procès-verbaux et mesme j'ay visité quelques paroisses sans paroistre que ce fut à dessein, je n'ay point veu de pain qui ne fust d'orge ou d'avoine : le bled néantmoins n'est point enchéry depuis deux mois, mais les paysans mangent ce qu'ils ont faute d'ar- gent pour achepter le bled et nayans point de bestiaux pour en faire ; j'ai marqué au receveur des tailles qu'il est bon de mesnager les

de vieux cydre que ce ne sera pas un grand malheur ». Et encore le 19 juin : Il y a lieu d'espérer que la récolte sera parfaitement bonne dans toutes les élections, à l'exception des lieux il est tombé de la gresle. > (A. H., G7 71.)

1. Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 140.

2. De Boislisle, Corresp., t. I, 165.

3. Tous ces détails se trouvent dons les lettres de l'intendant de Rouen au con- trôleur général, A. N. G "> 492.

LES AVIS SUR LE BREVET. 83

contribuables et que supposé que je visse qu'il en usast bien, je tasche- rois d'obtenir de vous, Monsieur, quelque prolongation de ses paye- mens '. »

Une telle misère ne peut avoir éclaté brusquement en 1684, alors surtout que la récolte de 1683 était bonne. Si l'on note d'autre part que Colbert a maintes reprises rabroua les inten- dants qui lui signalaient la ruine, soit en les accusant de mal faire leur devoir, soit en les invitant à se tirer d'embarras quand même et à faire rentrer les impôts à tout prix, on peut se demander s'ils ne cachèrent pas à leur chef l'état véritable des peuples. La misère signalée en 1677 et 1678 avait pour cause principale l'augmentation des impôts; comme ces impôts ont été très peu diminués, il est certain que la misère ne dut guère diminuer non plus. Il aurait donc fallu réduire les impôts. Col- bert a fait effort auprès du roi pour obtenir cette réduction ; il a souvent exprimé le regret de ne pas aboutir ; toute la res- ponsabilité de cet état de choses ne lui incombe pas.

En somme, pendant les vingt-deux années du gouverne- ment de Colbert, la situation des paysans peut se résumer ainsi :

de 1661 à 1666, période de relèvement, les impôts sont diminués, la vie économique prend une intensité qu'elle n'avait jamais eue, par la protection de l'agriculture, le développement des manufactures et l'accroissement des bestiaux;

De 1666 à 1673, grande période de prospérité correspon- dant à des chiffres de taille plus bas qu'on ne les avait connus depuis fort longtemps;

De 1673 à 1683, dix années de misère causées par l'ac- croissement des impôts de toutes sortes pour aboutir à la ruine totale des paysans et des ouvriers.-

Après avoir donné son avis sur l'état général de sa circon- scription, l'intendant devait indiquer la somme à lever dans chaque élection. Pour cela, il avait à tenir compte non seule- ment des chiffres portés par le brevet, mais encore d'imposi- tions supplémentaires, dont le brevet ne faisait pas mention et qui, répondant à des besoins locaux ou temporaires, ne pou- vaient être confondues avec la taille proprement dite, quoi- qu'elles fussent levées en même temps. Voici la liste de ces impositions pour la Normandie, de 1661 à 1683. On peut les ranger en trois catégories :

A. celles qui sont levées sur toutes la province,

B. celles qui sont spéciales à une généralité.

1. A. N., G' -71.

S'i LA TAILLE EN NORMANDIE.

C. celles qui sont spéciales à certaines élections ou à cer- taines paroisses.

Sur l'ensemble de la province, on a levé :

Jusqu'en 1664, la gratification des Etats, imposée par lettres patentes séparées; elle s'élève à 44 500 LA

Un arrêt du conseil du 31 mars 1661 impose une somme de 300 000 1. par an pendant deux ans pour la révocation du droit domanial sur le fer.

En 1667 chacune des trois généralités paye 40000 1. pour le rachat des captifs de Barbarie.

Le remboursement des offices des Élections et des Bureaux des finances est fait au moyen d'impositions sur les généralités ou les élections intéressées, de 1661 à 1668.

En 1666 (arrêt du conseil du 10 novembre 1665), en 1667 et 1672, on lève sous le nom d'étapes un véritable supplément de taille, sorte de dispense de logement de troupes.

Les réparations au pont de Rouen sont payées également par imposition annexée à la taille dans toute la province : on lève a cet effet 10000 1. que les trois généralités se partagent chaque année de 1672 à 1683*.

Les impositions spéciales à une généralité sont rares : en 1680 et 1681, on lève sur la généralité de Rouen une somme élevée pour l'entretien du pont de Pont-Audemer 3; en 16^3, on impose 37000 1. « pour le port d'Honfleur et les réparations du

frand chemin de Paris4»; sur celle de Caen, un arrêt du conseil u 22 avril 1679 établit une imposition de 44 000 1. pour les travaux de navigabilité de la rivière d'Orne5; en 1680 et 1681, on lève encore 300 1. pour le loyer du local siège le Bureau des finances.

Enfin, il arrive que certaines élections ou certaines paroisses sont imposées spécialement, pour faire face à une dépense qui les concerne.

Dans l'élection d'Arqués, de 1667 à 1672, on lève une somme de 1 000 1. pour le bois et la chandelle des corps de garde de Dieppe et du Pollet, somme qui est portée à 3 000 1. par arrêt du Conseil du 16 novembre 1672 et est levée jusqu'en 1675 ;

1. M. C. 127 b", 907.

2. Arrêts du conseil des 13 sept 1672, 19 oct. 1675, 2't avril 1678, mentionnés par les commissions. Il paraissait un peu abusif de faire payer les réparations du pont de Rouen à des pays qui n'en retiraient aucun avantage comme le Perche ou le CotiMitin par exemple; mais lu considération de l'utilité pi >s ou moins grande des dépenses faites avec le produit des impôts pour ceux qui les payaient n'entrait guère en ligne de compte. En 1672, lellot, premier président du Parle- ment, propose à Colbert comme une chose naturelle d'imposer une somme élevée sur les trois généralités de la province pour les dépenses municipales de Rouen « a6n que l'on continue à la policer et embellir et y mettre un bon ordre comme Ion a fort bien et heureusement commancé •• (Depping, III, 221.)

3. Bréard. Les archive* de. la ville de Hon/leur, p. 134.

4. L. de Leldanc, 17 février 1672, B. N. fr. 8 761, 4.

5. Commissions des tailles pour t«80.

LES AVIS SUR LE BKEVET. 85

l'élection de Gisors paye tous les ans 1 000 1. pour l'entretien d'un commis à la recette des tailles à Pontoise. Un arrêt du Conseil du 26 octobre 1669 ordonne la levée de 140 1. par an pendant six ans sur la paroisse de Sommery (élection de Lyons), pour dépenses municipales extraordinaires, de même sur la paroisse de Corneille (élection de Gisors), on lève 340 1. en chacune des années 1675, 76 et 77 '.

Après ses observations sur le total du brevet, l'intendant devait proposer ce que chaque élection aurait à payer. Il avait à indiquer pour chacune non pas une somme globale d'impôt, mais toute une série de chiffres partiels.

Le brevet maintenait en effet la vieille distinction entre le principal de la taille, le taillon et le fonds des ponts et chaussées2 : il fallait donc indiquer ce que l'élection porterait de chacune de ces impositions. A cela, s'adjoignaient les impositions accessoires, qu'il fallait aussi répartir quand elles étaient mises sur toute la généralité : au total, le chiffre d'impôt d'une circonscription était fait de cinq, six, et même huit cotes additionnées.

Mais répartir isolément chacune de ces impositions partielles eût été impossible. Dans la pratique, l'intendant prenait la somme globale de la généralité, la répartissait au mieux entre les élections; ensuite, une simple opération arithmétique sub- divisait le chiffre proportionnellement au montant des impôts partiels; par exemple, si le taillon de la généralité était égal à 1/5 de la taille totale, on attribuait invariablement à chaque élection pour le taillon 1/5 de son imposition; quand un impôt est spécial à une élection, on réduit d'autant les autres chiffres de cette élection, de façon que le total ne s'en trouve pas accru. Cette manière de procéder n'avait aucun inconvénient, puisque la distinction entre taille, taillon, impositions annexes, etc., ne devait pas être faite dans le département entre les paroisses ; elle ne servait guère qu'aux receveurs, pour la distribution de leur recette.

L'évaluation exacte des ressources d'une élection était impos- sible; on verra qu'on ne pouvait pas davantage faire exacte- ment celle d'une paroisse, ni celle d'un individu.

« Il est inûniment difficile, dit Richer d'Aube, qu' [un] intendant puisse proposer son avis avec une connoissance suffisante, puisque ce n'est que par la connoissance détaillée des parties qu'on peut con- noître un tout, et que le détail des parties à connoître pour donner un

1. Arrêt du conseil du 3 mai 1674.

2. Jusqu'en 1664, chacune de ces impositions était divisée en deux parts : une première payable « par avance dans les huit premiers mois », et la seconde payable ensuite. Il fallait indiquer ces deux parts pour chaque élection.

I

M LA TAILLE EN NORMANDIE.

avis qui mérite d'estre suivy sur la distribution des impositions par villes et élections est presque infiny '. »

A l'état des récoltes, l'intendant ajoutait les indices de richesse ou de misère les plus apparents : état des recouvrements, irais de contraintes, emprisonnements de collecteurs, aspect d'ai- sance ou de pauvreté du pays 2. La méfiance des contribuables rendait sa documentation difficile3. Il consultait aussi les rece- veurs, qui avaient également leur intérêt*; enfin il se repor- tait aux chiffres des précédentes années. Comme à tous les degrés de la répartition, les cotes antérieures et la plus ou moins grande facilité de la perception étaient les principaux guides du répartiteur.

Il n'est même pas certain que l'intendant ait toujours eu le souci d'une égalité scrupuleuse. Lallemant de Levignen fait à ce sujet une déclaration singulière. Lorsque, dit-il en résumé, une élection est accablée, on pourrait lui retrancher une partie de sa taille et la reporter sur d'autres plus riches; mais il faut s'en garder, car on pourrait ruiner toute la généralité :

« Il vaut mieux que, dans un département5, en attendant qu'il vienne du secours, il y ait deux ou trois élections qui souffrent plus considé- rablement, que de les réduire toutes au mesme point; Tinterest du roy semble au moins y estre plus conservé 8. »

On ne pouvait donc avoir qu'une répartition très imparfaite et très critiquable. Les intéressés n'avaient aucun moyen de la faire réformer, la suppression des Etats leur ayant enlevé leur dernier recours. Quant au Conseil, il n'avait d'autre ren- seignement que les rapports de ses agents ; il ne connaissait même pas, dans les premières années, le chiffre des imposi- tions antérieures7; aussi est-ce toujours à l'avis de l'intendant qu'il s'en rapportait8.

1. Mémoire sur les fonctions d'intendant, 1738, B. N. fr. 21812, p. 49-50.

2. Voir une lettre de l'intendant de Paris, du 21 juillet 1682, il explique sa façon de procéder, dans De Boislisle, Mcm. de Vint, de Paris, p. 700, note. Se reporter ci-dessous, p. 146 et suiv.

3. D'Aubray dOûemont, intendant d'Orléans, écrit le 2 sept. 1666 : « J'ay esté obligé d'explicquer la raison par laquelle on désiroit scavoir le nombre des bes- tiaux, car en faisant mes chevauchées j'ay remarqué que la demande que j'en faisois estonnoit les paisans qui croioient que S. M. ne désiroit ce destail que pour faire taxer plus considérablement les lieux qui en auroienl le plus grand nombre » (M. C. 140, fol. 63).

4. Voir ci-dessous, p. 141.

5. Un département d'intendant, c'est-à-dire une généralité : on sait que les intendants avaient le titre de « commissaires départis ». A la fin du xvm* siècle surtout, le mot fut très couramment employé en ce sens.

6. B. N. fr. 7771, fol. 176, verso.

7. Dans sa grande instruction de mars 1664, Golbert écrit : « Pour ce qui con- cerne la taille, il est nécessaire de s'informer par le moyen des commissions... combien il a été imposé les dix dernières années, affin de connoistre clairement les augmentations ou diminutions faites par le roy » (Aff. Étr., France, Mémoires et documents, 1753, fol. 12).

8. Mémoire de Richer d'Aube, B. N. fr. 21812, p. 49.

LES AVIS SUR LE BREVET. 87

J'ai calculé, en partant des sommes globales imposées sur les élections1, la part de chacune d'elles en centièmes dans sa géné- ralité, pendant les quatre années 1661, 1663, 1672 et 1681\

1661 1663 1672 1681

Généralité de Rouen.

Andelys (les) 5,75 p. 100.

Arques 11,97

Caudebec 11,80

Chaumont et Magny. 4,72

Evreux 6,48

Gisors 7,12

Lyons 3,59

Montivilliers 8,83

Neufchâtel 4,58

Pont-Audemer. . . . 11,65

Pont -de-1' Arche . . . 4,79

Pont-1'Evêque .... 6,05

Rouen 12,66

Généralité de Caen 3.

Avranches 8,68

Bayeux 11,71

Caen 10,03

Carentan 8,11

Goutances. ..... 12,90

Mortain 10,07

Saint-Lô 9,46

Valognes 13,50

Vire et Confié .... 15,51

Généralité d'Alençon.

Alençon 4 12,56

Argentan 9,69

Bernay 7,40

Conches 11,01

Domfront 6,73

Falaise 12,37

Lisieux 8,56

Mortagne 23,95

Verneuil 7,76

La quote-part d'une élection a donc varié notablement d'une année à l'autre : Neufchâtel paye 4,5 p. 100 en 1661, et 5,8 vingt ans après; Rouen voit au contraire tomber son taux d'année en année, passant de 12,66 à 10,08; Vire augmente régulièrement de 15,5 à 17,7, Lisieux de 8,5 à 9,4. Il n'est pas une circonscri- ption qui ait conservé sa part, même sous Colbert, de 1663 à 1681. En général, les variations ont été plus grandes dans la

1. Je prends l'année 1681, et non 1683, comme au chapitre précédent, parce que je n'ai pu trouver les trois commissions de l'année 1G83.

2. Voir les tableaux de l'appendice. J'utilise les chiffres définitivement arrêtés par les commissions, et non ceux des avis des intendants, parce que les seconds sont perdus pour la plupart; mais noi.s savons que, sauf exception, l'avis des intendants était toujours adopté.

3. Les grands écarts de pourcentage, dans la généralité, entre 1661 et les autres années, sont dus en partie à la suppression de l'élection de Saint-Lô.

4. Dans cette élection, le grand écart de pourcentage entre 1661 et 1663, d'une part, 1672 et 1681, d'autre part, est à l'affranchissement de la ville d'Alençon en 1664 (ci-dessous, çh. v). _

5,63 p

. 100.

5,81 p

. 100.

6,14 p

. 100.

12.81

12,20

12,74

11,69

10,66

9,89

4,85

4,82

5,57

6,05

6,48

6,53

7,36

7,37

7,07

3,92

4,07

3,63

8,41

8,66

7,97

5,15

5,87

5,88

11,49

11,89

11,35

5,30

5,36

5,04

6,61

6,61

7,59

10,68

10,18

10,08

8,65

8,81

8,71

13,50

14,09

13,56

10,98

9,33

9,27

9,43

9,64

9,94

15,30

15,33

15,94

10,38

11,16

10,55

15,25

14,47

14,31

16,48

17,14

17,74

12,36

8,39

8,43

9,41

10,18

11,51

8,04

8,56

9,48

10,75

11,66

11,05

6,79

7,01

6,55

12,32

12,97

13,58

•8,31

8,83

9,46

24,43

2't,61

22,26

7,60

7,77

7,64

88 LA TAILLE EN NOIlMAMiII..

rnéralité de Rouen que dans les deux autres; l'incertitude es intendants dans la répartition résultait de l'absence de base pour calculer l'impôt1.

V. LES IMPOSITIONS DES VILLES

Dans leurs avis, les trésoriers généraux et l'intendant doivent spécialement s'occuper des impositions des villes.

A l'égard de la taille, les villes et les principaux bourgs ont une condition privilégiée. On peut les ranger à cet égard en trois catégories :

Les villes franches.

Les villes abonnées.

Les villes purement taillables.

Les villes franches sont exemptes de taille; nous examine- rons la condition de leurs habitants au chapitre des exempts2.

Les villes abonnées sont celles dont la taille est fixée à une somme invariable, quel que soit le chiffre de la généralité.

Un grand nombre d'abonnements avaient été vendus aux villes au temps de Louis XIII; mais l'édit de janvier 1634, article premier, en même temps qu'il révoquait les anoblissements et exemptions de taille accordés depuis vingt ans, annulait « tous abonnemens obtenus par aucunes villes bourgs et villages, pour quelque cause et occasion que ce soit », ordonnant que les villes antérieurement abonnées fussent imposées « selon leur pouvoir et puissance ainsi que les autres villes et bourgs tail-

1. Le calcul des moyennes d'imposition par feu, dans chaque élection, pourrait donner des renseignements intéressants; mais nous n'avons pas assez de chiffres de feux pour faire des comparaisons concluantes. Pour la généralité de Caen, nous avons une liste de 1668, recueillie par l'abbé de Dangeau (B. N, fr. 22613). La voici, avec la moyenne d'imposition :

Imposition Élections. Feux. moyenne.

Caen 13 211 12',17-

Bayeux 15 953 15,10

Vire 21987 13,14

Carentan 11666 15,3

Coutances 20 789 13 ,2

Valognes 20 952 12,8

Avranches 15 900 9,15

Mortain 14 945 12,19

135 403

2. Les villes franches de la généralité de Rouen sont : Dieppe, le Havre, Rouen et Yvetot. Quillebeuf a été déclarée franche par l'article premier de l'édit de janvier 1C34, mais elle est imposée chaque année à une somme variable au titre de la subsistance des troupes. Dans la généralité de Caen sont franches les villes de Cherbourg, Granville et le Mont Saint-Michel. Alençon seule de sa généralité est franche à partir de 1665, date à laquelle les revenus de son tarif sont annexés à la ferme des aides.

LES IMPOSITIONS DES VILLES. 89

labiés ». Postérieurement à cet édit, le trafic des abonnements avait repris, mais en 1661, il ne restait qu'une seule ville abonnée en Normandie : Eu, imposée à 7 000 1. Elle conserva son privilège jusqu'en 1672; à partir de cette date elle fut sou- mise à la condition des villes purement taillables. En 1664, un abonnement fut concédé à la ville de Caen, le montant en était fixé à 28 000 l.1.

Les abonnements, écrit de Merville, « s'accordent par le roy seul et s'expédient par letres patentes au grand sceau pour être ensuite registrées dans les Chambres des comptes, à la Cour des aydes et partout ailleurs ou sera besoin chacun en droit soy ; de manière qu'une province, ville, bourg ou village étant une fois abonné avec les formalités requises et nécessaires, moyen- nant certaine somme une fois payée ou à payer par chacun an, il ne peut plus être augmenté ni diminué 2. »

La concession d'un abonnement était un véritable privilège; aussi n'était-elle faite que pour des motifs graves, et la révo- quer équivalait à une punition. Sens avait été abonné à 1 300 1. par ledit de janvier 1625 « pour aucunement récom- penser lesdits supplians des dommages et préjudices qu'ils reçoivent par l'érection de l'évêché de Paris en archevêché et distraction des évêchés d'Orléans, Chartres et Meaux dudit archevêché de Sens, dont la ville de Paris est d'autant honorée et enrichie3 ». Lorsque la ville de Sarlat avait abandonné le parti de Condé pour celui du roi, en 1652, Mazarin lui avait fait accorder en récompense un abonnement de 300 1. 4. Colbert fait abonner les 34 paroisses du gouvernement de Brouage parce qu'elles consentent à fournir beaucoup de matelots au roi, et il écrit que si certaines n'en fournissent pas on leur retirera « la grâce dont elles jouissent5. » L'intendant Voysin raconte dans son Mémoire sur la généralité de Rouen en 1665, comment la ville de Pont-Audemer avait obtenu en 1635 un abonnement à 8 000 1. en qualité de ville maritime : « on la fit déclarer telle par les soins de M. de Blérancourt sous prétexte d'un vaisseau que l'on y fit venir par la rivière de Rille à force de cordages et de chevaux, le reflux de la mer n'y venant pas6 ». Lorsque l'abonnement fut révoqué, en novembre 1640 7, elle fut imposée jusqu'à 20 et 25 000 1.; pendant toute la période 1661 à 1683,

1. La ville de Honfleur, dont l'abonnement avait été révoqué en 1640, sera de nouveau abonnée à 25 000 1. pendant 15 ans, en vertu de l'arrêt du Conseil du 27 déc. 1684 (Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 44 et 152).

2. Maximes générales sur les tailles, 1725, p. 2.

3. Recueil des privilèges de la ville de Seno, Sens, 1788, in-4", p. 30.

4. Arrêt du conseil du 15 fév. 1C52 : Boysson, dans la Bévue des Quest. Hist., janvier 1909.

5. Clém. III 2, p. 98 et 373 : instructions à Seignelay, 1672.

6. Mémoire de Voysin sur la généralité de Rouen en 1665, p. 147.

7. Edit de novembre 1640 rappelant l'art. 1 de janvier 1634 qui n'était pas exé- cuté, dans C. d. T., I, 365.

90 LA TAILLE I \ NON M AN 1)1 !'.

elle paya des sommes variant de 17 000 à 31 000 1. '. Ces chiffres font assez voir 1 (tendue de La faveur qu'elle avait reçue. On fera pareille constatation pour la ville de Cacn en comparant le chiffre de son abonnement, 28 000 1., avec ce quelle payait auparavant : 72000 1. en 1601, 07 000 en 1663; aussi lorsque le roi fit payer à la ville en 1674 un « don gratuit » de 50 000 1. en raison de la guerre, les habitants se gardèrent-ils de pro- tester2.

Très souvent les villes sollicitèrent des abonnements comme des faveurs particulières : en 1664 le maire et les habitants d'Auxerre en demandent un pour leur ville afin de pouvoir y attirer des ouvriers et établir des manufactures3; la même année, la ville de Fécamp en sollicite un semblable pour encourager son commerce : elle « prétend, dit le chevalier de Clerville, le demander avec d'autant plus de justice qu'estant un port assés considérable, il peut aussy considérablement servir au com- merce, et qu'il importe au roy qu'il soit pour cela fort en monde, comme aussy pour la conservation du dict port et pour la deffense des costes qui en sont voisines »A. En 1687 les habitants d'Evreux font faire des démarches par leur évêque et p#ar le duc de Bouillon à la même fin 5. Vers le même temps, les habitants de Séez demandent la même faveur sans l'obtenir et, en 1741, La Martinière écrira à leur sujet : « Ils font des démarches depuis près de soixante ans pour [se] faire abonner à l'égard de la taille, laquelle fait beaucoup de tort à leur com- merce et empêche les bons ouvriers de s'y établir, car ils n'ont encore pu parvenir à obtenir cette grâce quelque juste qu'elle paroisse, ainsi les arts y languissent et le peuple n'y est point animé au travail par l'émulation0 ».

Le roi accordait difficilement ces abonnements, d'abord parce qu'ils étaient au détriment du Trésor, et ensuite parce qu'ils étaient une source de fraudes : la faible imposition de la ville attirait dans ses murs les contribuables de la campagne qui,

1. Les habitants avaient espéré que l'édit de novembre 1640 serait rapporté, c'est pourquoi ils avaient demande et obtenu que leur imposition fût décomposée en deux : l'une de 8 000 1. montant de leur abonnement, le reste qualifie d'impôt

Sour la subsistance des gens de guerre. En 1649, lorsque la ville se rendit au uc d'Harcourt, elle obtint un arrêt du conseil qui l'abonnait à 12 000 1., mais cet arrêt ne fut exécute que pendant un an. (Mémoire de Voysin.)

2. A. D. S. Inf. B 90, 30, cf. l'arrêt du conseil du 16 juin 1674.

En 1684 le roi essaya d'enlever à la ville son 'privilège par un subterfuge; les commissions de celte année portèrent que l'impôt de Caen serait diminué à proportion de l'impôt total de la généralité, c'était en apparence une augmen- tation de faveur pour la ville, mais les habitants comprirent que s'ils laissaient diminuer leur taille une année ils autorisaient par même un accroissement une autre année, et par voyaient disparaître leur privilège ; ils demandèrent donc au conseil le retrait de la faveur qu'on leur accordait et l'obtinrent, l'intendant joignant ses instances aux leurs.

3. L. à Golbert du l«r juillet 1664, M. C. 122, 80.

4. Mémoire de Voysin, appendice, p. 196.

5. De Boislisle, Correspondance, t. I, n" 141.

6. Dictionnaire, art. SÉEZ.

LES IMPOSITIONS DES VILLES.

91

n'étant plus taxés dans leur paroisse d'origine, faisaient en définitive perdre au roi le montant de leur cote !.

Les villes purement taillables sont dans les mêmes conditions que les paroisses de la campagne : leur taille varie chaque année. Mais elles ont le privilège d'être imposées directement par le Conseil du roi et non pas par la commission de dépar- tement. Habituellement leur impôt est fixé dans les commissions des tailles ; par exception il est fixé par un arrêt du conseil séparé 2.

Cette fixation était très recherchée par les villes; ainsi Pon- toise l'avait obtenue en 1655 en faisant valoir sa situation parti- culière, prise comme elle était entre les ressorts de Paris et de Rouen; les habitants avaient acquis la protection de Séguier, par l'intermédiaire de sa sœur, prieure des Carmélites du lieu, et dans l'arrêt de concession, le roi déclarait nettement sa volonté de les « rédimer de l'oppression que leur faisoit souffrir les trésoriers de France à Rouen et les esleuz de Gisors » 3. Une fois en possession du privilège, les habitants purent s'adresser directement au roi pour se faire dégrever; ainsi en 1658, ils obtinrent une réduction en invoquant la diminution de leur nombre par la mortalité, par l'exode des taillables dans le faubourg de l'Aumône situé dans l'élection de Paris *, et par la multiplication des exempts5.

Malgré la modération des cotes ainsi fixées, le roi y trouvait son compte, car il empêchait l'effet des protections que les per- sonnages influents de la ville auraient pu trouver auprès des intendants et des élus : c'est pourquoi toutes les villes sièges d'élections étaient soumises à ce régime.

L'état des villes imposées directement par le Conseil fut dressé en 1663 h la suite d'une enquête de Colbert auprès des Bureaux des finances par circulaire du 21 février6. En voici la partie relative à la Normandie :

Généralité de Rouen : Le Grand Andely, Le Petit Andely,

1. Sur ce point, voir ci-dessous, chap. v.

2. Le cas se présenta dans la généralité d'Alençon de 1661 à 1669, dans la géné- ralité de Gaen en 1662, dans celle de Rouen en 1661 et 62; il est probable que des motifs exceptionnels expliquaient cette mesure; on l'abandonna dans la suite.

3. Voir l'arrêt B. N. fr 18 511, f" 20. Sur la protection de la mère Jeanne, voir Kerviler, Le chancelier Pierre Séguier, éd., p. 177, et une de ses lettres de novembre 1643 dans Bonnemère, La France sous Louis XIV, I, p. 319.

4. Ce faubourg1 sera rattaché à la ville par déclaration du 27 janvier 1663 (B. N. fr. 11 048, 65 v°.)

5. Us ajoutent que la récolte de l'année a été mauvaise, l'inondation a détruit une partie du pont; les collecteurs, que l'on a eu grand'peine à trouver, « menacent d'abandonner la collecte pour la misère et pauvreté des babitans qui leur est très connue ». B. N. fr. 18 511, f08 20-21.

6. Plumitif du Bureau des finances de Gaen à la date du 26 février 1663. Le Bureau répond le 28 : cf. son état, A. D. Galv. Election de Caen, registre de commissions 265, et les réponses d'autres Bureaux des finances dans les vol. 115 et 116 des M. C. On voit dans la circulaire que le gouvernement ignorait quelles villes étaient imposées, et quelles sommes elles payaient.

92 LA TAILLE KN NO II MANDIE.

Arques, Aumalc, Caudebec, Chaumont, Eu partir de 1672), Evreux, Gisors, Gournay, Harfleur, Honfleur, Louviers, Lyons, Magny, Monti\ illiers, Neufchàtel, Pont-Audemer, Pont-de- l'Arche, Pont-1'Evèque, Pontoise (ville, et, à partir de 1664 faubourg de l'Aumône)1, Quillebeuf et Vernon.

Généralité de Caen : Alleaume (jusqu'en 1678)*, Avranches, Baycux, Caen (jusqu'en 1663)', Carentan, y compris les fau- bourgs de Beaumont, Longueval, Pontmenanque et Pont- douvre. Les faubourgs de Cherbourg (jusqu'en 1663), Isigny partir de 1667), Mortain (y compris le faubourg du Rocher), Pontorson, Saint-Lô, Saint Sauveur-le- Vicomte partir de 1667), Thorigny (Notre-Dame) et Thorigny (Saint-Laurent), Valognes, Vire avec ses faubourgs dans lesquels rentre la rue du Pont, distraite de la paroisse de Talvande par arrêt du Conseil du 23 mars 1658.

Généralité d'Alençon : Argentan, y compris les faubourgs de Manneville et Colandon, Bellême, Bernay, Châteauneuf-en- Thimerais, Conches, Domfront, Falaise, Laigle, Lisieux, Mor- tagne, Moulins, Nogent-le-Rotrou, Séez, Verneuil.

En dehors de ces villes qui chaque année furent taxées par le Conseil, il y eut des paroisses qui, accidentellement, obtinrent la même faveur; c'était lorsque le roi avait eu à intervenir dans leurs finances pour un motif quelconque, par exemple pour éteindre leur dette, pour réparer le dommage d'un incendie ou d'un passage de troupes, ou pour éviter la protection d'un puis- sant personnage. Ainsi les commissions de la généralité d'Alençon pour la taille de 1678 fixent l'imposition des paroisses de Saint- Pierre- sur-Dive (5 000 1.), la Ferté-Macé (7 000 IX et Cham- prond-en-Perchet (1 100 1.) et même pour celle-ci il est spécifié que « le fermier de la ferme des Prez portera 100 l.4». Les commissions de 1679 imposent Saint-Pierre-sur-Dive à 4 2001. et la Ferté-Macé à 6500, etc.

Pour imposer ces villes en connaissance de cause, le Conseil était obligé de consulter ses agents locaux; c'est pourquoi les trésoriers généraux et l'intendant devaient dans leur avis sur le brevet indiquer la somme à leur attribuer.

Ce mode de taxation n'avait pas les mêmes conséquences fâcheuses pour le fisc que l'abonnement ou la franchise; si des

1. Une déclaration du 27 janvier 1663 avait enlevé ce faubourg ù la généralité de Paris pour le rattacher à la ville de Pontoise, c'est-à-dire à la généralité de Rouen, mais il continua a être imposé séparément. En échange la généralité de Paris recevait la paroisse de Courdimanche. (B. N. fr. 11 0'i8, P 60 v°).

2. Alleaume est un faubourg de Valognes; après 1678, son imposition est confondue avec celle de la ville.

3. Après 1663, Caen fut abonnée (voir ci-dessus, p. 89), mais le chiffre de son abonnement figurait toujours sur les commissions.

4. M. C. 238, f> 38.

LES IMPOSITIONS DES VILLES. 93

habitants nouveaux venaient y demeurer il était possible d'aug- menter l'impôt à proportion, et dans le cas contraire de le diminuer. Toutefois une perturbation se produisit lors de la révocation du changement d'octroi1 en 1671 : plusieurs habitants quittaient des villes pour aller en d'autres dans le seul but d'être diminués à la taille et, au dire de l'intendant de Caen. les taux de ces villes ne pouvaient être modifiés à temps « à cause qu'elles sont taxées par les commissions » ; c'est pourquoi un arrêt du conseil en 1677 autorisa les intendants à modifier l'im- position de ces villes suivant qu'ils le jugeraient à propos en faisant les départements 2.

Il semble aussi que les villes aient été plus mal imposées que les paroisses de la campagne; leur étendue empêchait de connaître exactement l'augmentation ou la diminution du nombre des feux; les revenus des bourgeois, provenant de biens mobi- liers ou de terres affermées à la campagne, étaient plus difficiles à connaître ; l'avis était rédigé et l'imposition fixée avant que les délogements fussent enregistrés; enfin le Conseil ne voulait pas toujours suivre l'avis de l'intendant3. Le 25 juin 1684, l'inten- dant de Caen écrit que pour l'imposition de la ville de Mortain on n'a « pas diminué les sortans qui ont esté en grand nombre les deux dernières années; il sera juste, ajoute-t-il, d'y remédier au département prochain4 ».

En dehors des sommes portées par les commissions, aucune levée ne pouvait être faite sur les contribuables5; depuis très longtemps les ordonnances l'avaient établi, et la peine de mort était encourue par les contrevenants; les commissions rappe- laient parfois la loi, ainsi celles de 1661 portent la défense « d'imposer ny souffrir qu'il soit imposé sur lesdits contri- buables de ladite généralité autres ny plus grandes sommes que celles contenues en cesdites présentes durant ladite année pro- chaine 1661, à peine de la vie Et en cas que nonobstant

lesdites deffences il soit imposé autre somme que celles conte- nues en cesdites présentes, voulons que le fonds en soit porté

1. Sur le « changement d'octroi », voir ci-dessous, chap. vi.

2. Reproduit dans les commissions des tailles pour la levée de l'impôt en 1678 et dans le mandement de l'intendant de Caen aux paroisses du 9 sept. 1677.v (A. D. Calv. Elect. de Caen.)

3. Ainsi Golbert réduisit parfois l'impôt de villes qu'il voulait encourager aux manufactures, ou dont il voulait liquider les dettes : Vernon vit modérer sa quote-part à 10 000 1. pendant 6 ans à partir de 1682, pour y permettre la levée d'un droit d'octroi supplémentaire destiné au remboursement de ses dettes (Lettre de Leblanc, 28 avril 1680, A. N. G? 191).

4. A. N., G? 213.

5. Elle était défendue même si un arrêt du conseil l'ordonnait : du moins en ce cas. il fallait un nouvel arrêt your autoriser la dérogation : V. une lettre de Menars à Golbert, 6 oct. 1674, dans Depping, t. III, p. 244. Sur les inconvénients de ces impositions ordonnées après les commissions, voir De Boislisle, Corres- pondance, t. I, 604.

H LA TAILLE EN NOIIMAMHE.

en nostre Espargne, sans avoir esgard aux destinations particu- lières. »

Dans ces impositions défendues, il faut distinguer le cas elles sont levées par un particulier pour son profit personnel, sans apparence d'utilité publique, et celui elles sont levées par un agent du gouvernement en vue d'une dépense d'intérêt commun : dette municipale, frais imputables à une élection ou une généralité, etc.

Le premier cas s'était rencontré fréquemment avant 1661. Suivant Forbonnais, Mazarin lui-même « se réservoit des géné- ralités sur lesquelles il surimposoit, par simples lettres de cachet, contre les lois et les ordonnances du royaume, les sommes dont il avoit besoin2 » pour alimenter sa caisse noire. Parmi les « abus de finance » que Colbert notait en 1661 pour les soumettre à la Chambre de justice se trouvaient les « impo- sitions faites par les élus au delà des commissions du Roy », et « les impositions faites sur les peuples par les gentilshommes 3 », mais la Chambre ne fit pas d'autre exemple que celui du rece- veur de Crespy4. Elle rendit un arrêt en 1663 pour rechercher les surimpositions; quelques receveurs furent» punis, quelques malheureux collecteurs inquiétés, qu'il eût mieux valu laisser en repos; l'intendant d'Orléans écrivait à ce sujet le 29 sep- tembre 1663 :

« 11 a esté vérifié dans l'élection de Chartres que la pluspart des col- lecteurs ont imposé quelsques sommes modiques ou pour les frais faits contre les parroisses faulte de nomination de collecteurs ou pour des exécutions faulte de confection des roolJes: on les a condamnés à les payer trois jours après la signification qui en a esté faicte; ainsi les prisons seront bientost pleines de ces pauvres gens ou de leurs veufves, et par ce moyen le recouvrement des deniers du roy arresté. Si cet arrest s'exécute il n'y a point de parroisse dans tous le royaume qui n'en ait uzé ainsi, et ces sommes sont si peu considérables qu'on peut les laisser aux collecteurs qui perdent assez d'ailleurs. J'ai entretenu M. le lieutenant général qui est subdélégué ", qui m'a assuré qu'ils ne passoient pas trente francs dans les grandes parroisses. Vous jugerez aisément, Monsieur, que les frais qu'il faudra faire pour ce recouvre- ment excéderont le principal et que c'est une pratique qui tombera entre les mains des huissiers qui seuls en auront le profit. Je ne doute pas, Monsieur, que vous ne trouviez juste de faire cesser l'exécution de Tarrest à l'esgard des collecteurs seulement qui n'auront imposé que des sommes modiques6. »

1. A. D. Cnlv., El. de Caen, Commissions des tailles 1661-72, f* 17-18.

2. Recherches et considérations, t. I, p. 267.

3. Clém. VII, 196-197. L'idée est reprise dans la grande instruction aux inten- dants de mars 1(164 (ibid., IV, p. 37).

4. Voir Clém., II, p. cev, et Bonnemère, La France sous Louis XIV, I, p. 298.

5. C'est-à-dire chargé des poursuites par la Chambre de justice. La subdélé- gation était normalement employée pour décharger un juge ou un tribunal des fonctions qu'il ne pouvait exercer lui-même.

6. M. C. 117, f 263.

LES IMPOSITIONS DES VILLES. 95

Vers 1662, clans la généralité de Rouen, un sieur Roquelin, usurpant le titre de commissaire-élu-voyer, avec la complicité d'un sieur Boudet et de « beaucoup d'autres », levait sur plu- sieurs paroisses des contributions à son profit sous prétexte de réparations aux chemins. Il adressait à chacune un imprimé intitulé « De par le Roy et nos seigneurs les commissaires géné- raux » enjoignant aux habitants « de s'assembler avec tous leurs chevaux, charrettes, harnois, poelles, piquois et autres instru- ments pour réparer et amender les grands chemins royaux et autres de cette généralité a. peine d'amende » ; il saisissait journellement sous ce prétexte les bestiaux et les meubles des habitants qui étaient « obligés de composer avec luy et luy payer le prix convenu entr'eux1 ». Le Bureau des finances informa contre lui, nous ne savons s'il fut ou non condamné, toujours est-il qu'en 1666 nous le retrouvons dans le comté d'Eu où, se disant « élu de mer », il fait payer 6 1. à chaque paroisse sous prétexte d'entretenir le chemin des chasse^marées. Colbert en est fort heureusement informé, il ordonne une enquête2, à la suite de laquelle un arrêt du 29 janvier 1666 interdit à Roquelin et à ses complices de continuer ces levées illicites mais il ne semble pas qu'aucune punition ait été pro- noncée contre eux3.

En 1680, un sieur Maubuisson s'est emparé d'un château fort dans la généralité de Rouen il « retirait les voleurs et faisoit contribuer le pays » ; il faut un ordre du roi à l'intendant pour le faire arrêter ; encore le prévôt de Normandie vient-il demander à Colbert « le remboursement des frais extraordinaires » qu'il a faits en la circonstance4.

Dans la paroisse de Massy, élection de Neufchâtel, les collec- teurs avec la complicité des élus lèvent en sus de la taille, de 1654 à 1663, une somme de 137 1. 14 s. 8 d. La chose vient à la connaissance du Bureau des finances qui, le 7 mars 1665, interdit la levée à l'avenir s.

En 1666 les trésoriers généraux vérifiant l'état au vrai de la recette des tailles de l'élection de Caudebec, année 1662, con- statent qu'on a perçu dans l'élection en vertu de simples arrêts de la Cour des aides de Rouen une somme de 6 714 1. en sus de

1. Information faite par le Bureau des Finances de Rouen, le 30 août 1663, A. D. S. Inf., G, 1 165, f 179, cf. f°s 173, 180 et 185.

2. M. C. 135, 551.

3. A. D. S. Inf., C., 1 363, pièce 20, l'arrêt est daté du 20 janvier 1665, il semble bien que ce soit une erreur pour 1666 : cf. la lettre indiquée ci-dessus de M. C. 135, 551.

4. L. de Leblanc à Colbert, 8 juillet 1680, A. N. G 7 491 ; nombreuses autres exactions et brigandages de ce genre dans le reste du royaume : en Provence 1665 {M. G. 131, 240), en Lorraine 1664 (Depping. III, p. 25), à Bordeaux,. 1663 (M. C. 117, 124), cf. let. de Colbert à l'intendant de Limoges, 8 nov. 1661, Clém. II, 172, etc.

5. A. D. S. Inf., G, 1 165, 54.

86 LA TAILLE EN NORMANDIE.

la taille pour payer diverses dépenses locales. Colbert en est informé, il prescrit une enquête par l'intendant pour que le Conseil décide s'il y a ou non lieu à remboursement1.

En 1673 l'intendant d'Alençon, Michel Colbert, signale de ces levées illicites dans sa généralité '.

Le 28 décembre 166o les élus de Mortain ordonnent par sen- tence la levée d'une somme de 901 1. pour se payer de salaires qu'ils se prétendent dus, et pour rembourser certains de leurs confrères de sommes auxquelles ils « avoient esté taxez d'office à la descharge des contribuables aux tailles des parroisses ils estoient demeurans en ladite élection ez années 1655 et 1657 par les sieurs intendants et commissaires départis en cette généralité » ; ils en font eux-mêmes la répartition entre les paroisses et la font percevoir. L'affaire est découverte par le Bureau des finances lorsqu'il examine les comptes du receveur; l'argent est repris à ceux qui l'ont touché, et porté en décompte sur la taille de l'élection en 1667 ; en outre le procureur du roi et le président de l'élection sont assignés à comparaître au Bureau pour expliquer leur conduite, mais ils ne semblent pas avoir été davantage inquiétés3.

En 1662, trois habitants de Saint-Lô font percevoir sur les ta il la Mrs de la ville une somme de 7000 1. qu'ils prétendent leur être due à la suite d'un procès relatif à une taxe de 200 1. induement faite sur eux. Le Bureau des finances intervient encore pour le leur interdire l.

Dans la deuxième catégorie rentraient les impositions ordon- nées par les élus, la Cour des aides, les intendants, pour recou- vrer des taxes, des frais de procès, payer des dépenses d'intérêt général; le but de ces surimpositions était légitime, mais la forme n'en était pas admise : ledit de janvier lb34, à l'art. 51, considérant que « la plus grande surcharge des habitans des paroisses provient des diverses levées qui se font sur eux au courant de l'année par assiettes particulières, la plupart des- quelles procèdent de dépens de surtaux », réglementait la pro- cédure à suivre pour diminuer ces dépens et interdisait de les lever sur les paroisses en sus de la taille. Un arrêt de 1673 permettait aux Cours des aides d'ordonner des réimpositions pour rejets, frais de procès, dépens, etc., mais jusqu'à concur- rence de 500 1. seulement; par un autre arrêt de 16/7 la somme fut rabaissée à 200 1., puis à partir de 1678 il fut inscrit dans les commissions qu'aucun tribunal, y compris les Cours des aides, ne pourrait faire une réimposition quelconque sans y

1. Arrêt du conseil du >\ mai 166 "•, A. D. S. Inf., C, l'«63, p. 29.

2. L. du 30 janvier 1643 analysée dans Clairamb. 794 p. 149.

3. D'à >rès l'ordonnance du Bureau des Finances de Caen du 17 février 1666, A. D. Calvados, Bureau des Finances, liasse de papiers de l'année 1666.

4. Ordonnance du 16 janvier 1662, ibil., liasse de 1662.

LES IMPOSITIONS DES VILLES. 97

être autorisé par un arrêt du conseil : nouvel exemple des empié- tements graduels du pouvoir central sur les autorités locales à cette époque.

Maintes fois le Conseil eut à intervenir pour défendre ces impositions supplémentaires : le 6 mai 1666, il casse des arrêts de la Cour des aides de Rouen qui, en 1662, ont ordonné sans permission la levée dans l'élection de Caudebec de deux sommes : l'une de 4 630 1. « pour remboursement d'estapes de 1649 à 1650 aux habitans de la paroisse d'Hocqueville et soubs d'autres prétextes » ; la seconde de 1 084 1. « pour un rejet de surtaux et frais au proffit d'un particulier »; le rece- veur devra se faire rendre les sommes ainsi perçues, et l'inten- dant fera un rapport au Conseil pour savoir comment les con- tribuables en seront remboursés2. Dès 1663 Colbert ordonnait à l'intendant de Tours de ne pas laisser mettre d'imposition extraordinaire sans arrêt du Conseil : « Il sera bon que vous me donniez précisément avis de toutes les impositions extraor- dinaires qui se feront dans vostre généralité, afin que, sur ce que je vous feray scavoir, vous ne procédiez qu'à celles que S. M. aura ordonnées1 ». Le 13 mai 1682, il écrit à l'intendant de Soissons :

« Sur le sujet des impositions qui sont faites sur les communautés taillables de la généralité de Soissons, non comprises dans les com- missions qui vous sont envoyées tous les ans, je dois vous dire que vous n'en devez souffrir aucune sans un arrest du conseil qui For- donne, et ce pour quelque cause ou sous quelque prétexte que ce soit, n'y ayant rien qui soit plus important que de restreindre la liberté que les communautés, les élus et la Cour des aides ont prise d'or- donner ces impositions 3. »

En 1683, comme l'intendant de Dauphiné lui demandait un arrêt pour imposer extraordinairement quelques communautés de la province, il lui répondit : « Je dois vous dire que cet arrest est contraire aux réglemens et ordonnances du royaume en ce qu'il permet des régalemens et des impositions sans lettre du roy; j'ay de la peine à croire que S. M. veuille autoriser un usage de cette nature par un arrest donné de son règue4. »

1. L. du 3 décembre, Clém. II, 242.

2. A. D. S. Inf., C, 1463, pièce 29.

3. Clém. II, 185. Colbert n'admet pas que les villes lèvent de leur autorité une imposition sur leurs habitants, même pour leurs dépenses communes : « elles doivent s'adresser au roy », et celui-ci leur accordera « quelque imposition sur le vin par forme de droit de courte-pinte, ou sur les autres denrées qui se con- somment dans lesdites villes », plutôt qu'une augmentation de taille.

4. Lettre du 17 sept. 1683, Clém., VII, 277, note.

TAILLE IÎN NORMAND!!:.

98 LA TAILLE EN NORMANDIE.

VI. LA FORME DES COMMISSIONS

Dès qu'il avait reçu les avis des intendants et des trésoriers généraux, le Conseil se préoccupait d'arrêter le texte des com- missions. L'acte se compose de trois parties' :

Un préambule, analogue à celui d'une ordonnance : le roi y expose les motifs pour lesquels il lève la somme indiquée. Ces préambules, très développés au début de notre période, deviennent par la suite de plus en plus brefs.

Le détail des sommes qui devront être imposées sur les élections, villes et paroisses.

Des prescriptions législatives au sujet de l'imposition : tantôt le roi y rappelle des règlements antérieurs, tantôt il en fait connaître de nouveaux; ainsi la jurisprudence est périodi- quement remise sous les yeux des agents royaux et des contri- buables2.

Les commissions étaient expédiées par les bureaux du Conseil en forme de lettres patentes; elles étaient écrites sur parchemin et scellées du grand sceau de cire verte, signées du roi et contre-signées d'un secrétaire d'Etat; on marquait ainsi que l'impôt était levé par un acte de la volonté royale3; elles légitimaient la levée et permettaient d'interdire toute percep- tion qu'elles ne mentionnaient pas ou qui n'était pas ordonnée par un acte équivalent.

La falsification en était difficile et punie de peines rigou- reuses; toutefois, suivant un mémoire adressé à Colbert le 5 novembre 1673, une lacune subsistait dans la législation à cet égard : les ordonnances ne visaient expressément que les notaires pour les faux actes publics; il n'y était pas parlé des fal- sifications commises par de simples particuliers; il en résultait une grande incertitude de la jurisprudence, des peines très diverses étaient prononcées suivant les tribunaux et les cir- constances. La question avait été discutée dans le Conseil de jus- tice mais on n'avait pas jugé une loi nouvelle nécessaire, et l'on avait continué à s'en tenir « à l'ancienne ordonnance, à l'usage

1. Voir le texte d'une commission à l'appendice.

2. Il ne faut pas oublier que les règlements étaient très mal connus, et généra- lement inappliqués. L'enregistrement dans les cours et tribunaux était mal fait, et les officiers ne se souciaient pus d'étudier les lois nouvelles. Dans une lettre à Colbert, le procureur général du Parlement de Rouen se plaint, le 2*2 nov. 1667, de ne pouvoir se procurer < des imprimés des nouvelles ordonnances, pour les envoier au reste des jurisdictions de cette province » (M. C, 146, 223). La per- pétuelle répétition des mêmes ordres était nécessaire pour obtenir l'accomplisse- ment d'une réforme.

3. Cf. Cl. Fleury, Institution au droit français, éd. Laboulaye, t. I, p. 189 : « Quoique la taille soit continue, elle recommence tous les ans, comme si c'étoit une nouvelle taille tout à fait distincte de la précédente ».

LA FORME DES COMMISSIONS. 99

et aux préjugez » ; la peine des galères était le plus communé- ment prononcée contre les faussaires i. Un édit de mars 1680 combla cette lacune : « Que tous ceux qui auront falcifié les lettres de notre grande Chancellerie, et de celles qui sont établies près de nos Cours de Parlement, imité, contrefait, appliqué ou supposé nos grands et petits sceaux, soit qu'ils soient officiers, ministres ou commis de nosdites chancelleries, ou non, soient punis de mort2 ».

Les commissions sont signées par le roi, à qui le secrétaire d'État en quartier les présente3; les membres du Conseil des finances signent également. Elles sont contrôlées au contrôle général avant d'être expédiées. L'expédition en est faite par l'intendant des finances chargé de la taille4. Pour la Normandie et le Dauphiné on n'expédie qu'une commission par généralité; pour les autres pays d'élections, il y a une commission par élection8. Jusque vers 1666, l'intendant et le Bureau des finances reçoivent séparément chacun un exemplaire des com- missions; ensuite, l'intendant les reçoit tous deux et se charge de remettre au Bureau celui qui le concerne. Le paquet com- prend en outre 6 :

Une lettre de cachet du roi adressée aux trésoriers géné- raux dans laquelle il leur est enjoint d'expédier leurs attaches sans retard ; voici par exemple celle de 1671 :

« Nos amez et féaux, nous vous adressons nos commissions pour l'imposition des deniers de nos tailles de l'année prochaine 1672 afin d'expédier vos attaches sur icelles incontinent après que vous les aurez receues, et deslivreres le tout au sieur commissaire departy pour l'exécution de nos ordres en vostre généralité, à quoy nous vous ordonnons de satisfaire sans perdre de temps à peine de nous en respondre, car tel est nostre plaisir. Donné à Versailles le douziesme jour de septembre 1671 7. »

1. M. C. 166, 270. Le mémoire n'est pas signé, il semble être de l'écriture de Berryer.

2. C. d. T. II, 146-147.

3. Billet de Lavrillière à Colbert, 23 août 1673 : « Je vous renvoie vostre cour- rier avec les expéditions des tailles signées du roy ». (M. C. 165b" 417). Ce qui n'implique pas nécessairement que la signature était autographe.

4. Cl. de Beaune, Traité de la Chambre des comptes, liv. I, p. 215.

5. Il semble que ce soit un reste du temps fonctionnaient les états de la province : le môme usage était encore suivi pour la Bretagne, le Languedoc et la Provence.

6. Il ne s'agit ici, bien entendu, que de la Normandie. L'usage n'était pas uni- forme dans toutes les généralités. En 1674, d'après une note rédigée dans le» bureaux du Contrôle général (Clairamb., 647, 258), les commissions et pièces annexes sont envoyées aux trésoriers de France seuls dans la généralité de Paris; à l'intendant seul dans les généralités d'Orléans, Tours, Bourges, Moulins, Limoges, Poitiers, Riom, Bordeaux et Montauban ; à l'intendant et à un trésorier de France nommément désigné dans les généralités de Soissons, Amiens et Cha- lons ; à l'intendant et à deux trésoriers de France non désignés, en Normandie et dans les généralités de Lyon et de Grenoble.

7. A. D., Calv., reg. de commissions des tailles 1681-72, 711.

100 LA TAILLE EN NOHMANDIE.

Une missive de l'intendant des finances chargé des tailles il invite également le Bureau à expédier ses attaches; il y joint toutes les instructions particulières qu'il peut avoir à donner aux trésoriers.

Des instructions de Colbert à l'intendant et quelquefois aussi aux trésoriers généraux !.

Une ou deux lettres de cachet avec le nom en blanc adressées à un trésorier de France pour qu'il assiste l'intendant dans les départements2.

L'intendant au reçu du paquet le fait porter par son secré- taire au greffe du Bureau des finances : le Bureau l'ouvre en séance et expédîe aussitôt ses attaches*.

L'attache du Bureau consiste dans un mandement adressé par les trésoriers aux élus de leur ressort pour les informer de la somme imposée sur leur circonscription, et leur ordonner de la répartir entre les paroisses. Accessoirement, le Bureau y joint toutes les instructions qu'il juge à propos; voici à titre d'exemple l'attache du Bureau de Caen pour 1661 :

« Les présidens et trésoriers généraux de France au Bureau des finances et grands voyers en la générallité de Caen aux présidens, lieutenans, esleus, controlleurs-esleus, advocat, et procureur du roy en l'eslection de..., autres que les non receus en cedit Bureau, Salut.

En exécution des lettres patentes de commission de S. M. données à Paris le douzième jour d'octobre dernier... pour l'imposition et levée es eslections de cette dite généralité de Caen l'année prochaine 1661 de la somme de 1950 000 1. scavoir... [suit le détail des sommes imposées].

Nous vous mandons et ordonnons et très expressément enjoignons de procéder et agir incessamment à l'imposition et levée de la somme de à laquelle montent et reviennent les parties contenues en ladite commission pour cette dite eslection, scavoir... De tonttes lesquelles impositions à faire comme il est dit cy-dessus, la ville et fauxbourgs de... porteront pour leur part Et en outre impo- serez et ferez lever sur lesdits contribuables auxdites tailles six deniers pour livre de touttes les sommes qui seront receues par les collecteurs desdites tailles des paroisses de ladite eslection, lesquelz

1. Voir ces documents pour la généralité de Caen de 1661 à 1672, reliés en un volume intitulé : Commissions du roi pour les tailles. A. D., Cilv., fonds du Bureau des Finances. Parfois aussi un secrétaire d'Etal autre que Colbert y joint une lettre a l'intendant : par ex. Le Tellier écrit longuement à Dugué en 1661 (Arch. guerre, vol. 170, 378).

2. Cf. ci-dessous, p. 137. Dans la généralité de Rouen il y avait habituellement un seul trésorier désigné par l'intendant: dans celles de Caen et d'Alençon deux trésoriers désignés d'abord par le Bureau et ensuite par l'intendant.

3. D'après un mémoire sur la taille rédigé en 1<>"> I, l'intendant envoie ordre au greffier du Bureau des finances de le venir trouver et de luy faire mettre lesdites commissions entre les mains par son secrétaire <jui en prend ses décharges, et luy dit de prendre le soin de l'attache que les, lits trésoriers de France sont obligez de mettre ». (B. N. fr. 11 i»96, 6.) D'après les plumitifs des Bureaux des finances de Rouen et de Caen le greffier apportait lui-même le paquet au Bureau, au moins avant 1683.

LA FOIIME DES COMMISSIONS. 101

ils retiendront par leurs mains pour leur droict de collecte, dont ne sera faict aucun retranchement pour quelque cause ou occasion que ce soit; moyennant quoy ils ne pourront prétendre aucune exemption de tailles suivant Tarrest du Conseil du 19e décembre 1639; le tout con- formément à la susdite commission. Pour estre tous lesdits deniers des tailles et creues y joinctes, taillon et solde, ponts et chaussées et augmentation du droict de port des commissions, receus par les rece- veurs ou commis aux receptes des tailles des dites eslections aux termes susdits, et par eux paiez et voicturez, scavoir...

Contraignant et faisant contraindre tous ceux qu'il appartiendra au paiement de leurs cottes et taxes par les voyes portées par ladite commission, de ce vous donnons pouvoir et mandement spécial en vertu d'icelle, de laquelle extraict est cy-attaché pour ce qui con- cerne vostredicte eslection, vous enjoignant aussy comme ez années précédentes de nous envoyer dans quinzaine le double de vos dépar- temens et assiettes desdites impositions et levées.

Donné au Bureau des finances à Caen le lundy 8e jour de No- vembre 1660 i. »

L'acte était expédié également sur parchemin, contrôlé au Bureau et remis soit à l'intendant soit au receveur général ; ce dernier était chargé de le faire distribuer aux élections.

En dépit de toutes les précautions prises et de toutes les formalités prescrites, il arrivait très souvent que des erreurs fussent glissées dans l'original, notamment dans les chiffres, parce que les sommes étaient indiquées en lettres de compte2. La longueur du texte et le grand nombre des copies qu'il en fallait expédier exposaient aussi les scribes à des omissions et des inadvertances. Dans la collection des commissions qui était conservée au Contrôle général, et qui nous est parvenue, le nombre des textes faux est certainement plus grand que celui des textes exacts ; voici quelques exemples pris dans une seule commission, celle de l'année 1662 3 : on lèvera « sur ceux de l'élection de Baveux la somme de 57299 1., scavoir pour reste du principal des tailles et creues y jointes 54151 1., pour reste du taillon et solde 1 679 1. et pour les pontz et chaussées 469 1. », (le total des trois dernières sommes devrait être équivalent à la première, or il manque 1000 1.) Plus bas : « sur ceux de l'eslec- tion de Mortain la somme de 55 950 1., pour reste dudit taillon et solde 1712 1. et pour les pontz et chaussées 1 147 1. » (un membre de phrase a été passé); plus bas : « de laquelle somme de 7 400 1. l'eslection de Caen portera 1150 1., celle de Bayeux 1 150 1., celles de Vire et Condé 1650 1., celle de Mor- tain 900 1. » (plusieurs élections ont été omises avec leur chiffre de taxe); plus bas : « de laquelle somme de 30286 1. 6 s. 8 d.

1. A. D. Galv. Registre de commissions des tailles, 1671-72, fos 29-31.

2. Sur les lettres de compte, voir Encyclop. méthodique, Finances, art. Chiffres.

3. M. G. 22i, P 28-29.

102 LA TAILLE H NORMANDIE.

l'eslection portera 3586 I. » (le nom de l'élection a été omis), etc. Les actes sont très bien calligraphiés mais pleins d'inadver- tances de ce genre. Il est a penser qu'elles étaient relevées et que les fonctionnaires qui les remarquaient les faisaient cor- riger; mais elles pouvaient être un bon prétexte à des exactions ou à des fraudes.

Les Bureaux des finances commettent de pareilles fautes dans leurs mandements aux élections; ainsi le 14 janvier 1664 le procureur du roi en l'élection de Rouen déclare au Bureau des finances que l'on n'a pas pu lever l'année précédente la taxe pour la crue du gouverneur de la province « parce qu'il y avoit erreur en l'assiette de la taille mise au greffe de l'ellec- tion de 297 1. » ; on avait demandé au receveur général l'ori- ginal de l'assiette, il a promis de la donner « quand elle aura esté renvoyée de Paris1 ».

1. A. D. S. Inf., C, 1 166, 16.

CHAPITRE III

LE DÉPARTEMENT ENTRE LES PAROISSES

I. LES PAROISSES. II. LES ELUS. III. LES CHEVAUCHEES DES

ÉLUS. IV. LA COMMISSION DE REPARTITION. V. LA REUNION

DE LA COMMISSION. VI. l'ÉGALITE DANS LE DEPARTEMENT.

VII. LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES.

I. LES PAROISSES

La distribution de la taille entre les paroisses ' de chaque élec- tion forme le troisième degré de la répartition. L'opération est habituellement désignée sous le nom de « département » 2. Ce degré ne peut pas être évité : « Personne ne peut estre distrait ni se distraire de sa paroisse pour payer à part et séparément la taille et autres charges », dit Lebret3. C'est pourquoi on employé communément la maxime : « Les tailles suivent les clochers* ».

La paroisse est bien antérieure à l'établissement des impôts royaux; c'est une circonscription d'origine ecclésiastique"; elle, consiste essentiellement dans la portion de territoire confiée à un curé. L'administration royale avait adopté ce cadre, de même

1. La paroisse n'est pas simplement un groupe d'habitations; le mot a un sens plus précis : il y a des groupes d'habitations (bourg, ville) qui comprennent plu- sieurs paroisses, inversement plusieurs groupes peuvent ne former qu'uue paroisse. Le président Labarre distingue formellement les termes village et paroisse : il est défendu aux élus, dit-il, « de ne faire leurs assiettes par les hameaux ou villages, ains par les parroisses pour obvier aux fraiz et regarder au soulagement du peuple ». (Formulaire, p. 9.) Elle n'est pas partout usitée pour la répartition de la taille ; l'intendant d'Amiens, dans son mémoire de 1698, observe qu'eu Artois le terme paroisse est employé uniquement dans le sens ecclésiastique, et que politiquement on se sert du mot de communauté. (Boulain- villiers, Etat de la France, éd. in-f°, 1727, t. I, p. 105.)

2. « Ce qu'on appelle département \st l'acte par lequel on impose chaque paroisse ou communauté. » (Remontrances de la Cour des aides de Paris, 6 mai 1775, dans Auger, Mémoires sur le droit public, p. 659.)

3. Dix-huitième action, 1596, dans ses Œuvres, p. 432. Cependant les taxes d'of- fice, on le verra plus bas, étaient une dérogation à cette règle.

4. Labarre, Formulaire, p. 9, cf. Lebret, I. c.

5. L'autorité judiciaire ne reconnaît généralement pas cette circonscription : elle ne distingue que les « villages », au sens féodal du mot.

104 LA. TAILLK EX NORMANDIE.

que (es diocèses et les provinces1. Toutefois, quand l'Eglise modifiait ses circonscriptions, le gouvernement ne reconnaissait pas toujours ces modifications, parce que les intérêts des deux pouvoirs n'étaient pas les mêmes.

L'Eglise pouvait créer une nouvelle paroisse pour des raisons de commodité, ou sur la simple demande de personnes qui s'engageaient à la doter2. Mais si le gouvernement avait auto- risé toutes les divisions demandées par des personnes puissantes ou par les intéressés eux-mêmes, s'il avait admis des réunions de paroisses par simple assentiment des habitants, il aurait ouvert la porte à quantité d'abus. Aussi les lettres patentes accor- dant des divisions ou des réunions de paroisses étaient-elles relativement rares3. La principale crainte du gouvernement était que des contribuables ne parvinssent par ce moyen à se faire décharger de taille. Lebret l'a expliqué dans un de ses plaidoyers à la Cour des aides, en février 1596 : « On a reconnu que le plus souvent [ces divisions] étoient recherchées et pour- suivies par les plus riches, pour s'afranchir du tout ou de partie des tailles, ou par des seigneurs qui tachoient par ce moien de faire décharger leurs sujets, à la foule, opression et surcharge des autres plus foibles et impuissants », et après avoir cité la loi romaine qui punit cette pratique d'une amende de cent livres d'or, il conclut : « Que si nous avions cet heur que d'en avoir une semblable et aussi bien observée, nous ne verrions pas tant d'inégalité au département de la taille, et pour une paroisse sauvée, dix autres perdues et ruinées »4.

Le règlement de janvier 1634 (art. 57), après beaucoup d'autres, prétendait interdire les divisions faites sans l'autorisation du roi :

« D'autant qu'en aucunes eslections, les élus... se sont ingérez de distraire les hameaux d'aucunes paroisses de leur élection..., ce qui

1. Dans les pays ou la religion réformée était permise, c'était la circonscription desservie par le pasteur qui était pareillement adoptée par l'administration financière; la confusion de l'administration ecclésiastique et de l'administration civile est une chose constante dans les institutions d'ancien régime.

2. La seule condition exigée par le droit canonique est que la nouvelle paroisse comprenne au moins 10 maisons. Horjon, Décision» qui regardent les curt's, dans le Code des Curés, t. I, p. 439- 'i0; Févret, Traité de l'Abus, éd. 1778, t. I; Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, art. Paroisse. V. un placet adressé, en 1692, à Bossuet par les hameaux de Jouarre, pour être érigés en paroisse, dans la Correspondance de llossuet, éd. Urbain et Lévéque, t. V, p. 98.

3. Voir par exemple les lettres patentes d'avril 1663 ratifiant la division de la paroisse de Norolles, près de Lisicux : Les sieurs de Paysant et de Norolles étant

ftatrons alternatifs de la paroisse, ont conclu une transaction le 14 juin 1651 par aquelle ils s'engagent, pour terminer les différends mus entre eux, à ériger en paroisse la chapelle de Saint-Lubin faisant jusque-là partie de Norolles; ils ont obtenu l'approbation de l'évéque à condition qu'ils dédommageraient le curé de Norolles pour cette distraction; les habitants ont également approuvé la division et réglé les limites par acte du 3 décembre 1652; le roi déclare en outre que la division sera valable pour la taille, et les officiers des finances devront faire dorénavant des mandements séparés pour les deux paroisses. (A. D. S. Inf., Mém. de la Cour des Aides, t. XLII, 1°" 260-262.) Cf. encore B. N. fr. 8761b,,l 61 et 87.

4. Œuvres, éd. de 1689, p. 483.

LES PAROISSES. 105

apporte de grandes incommoditez et frais aux uns et aux autres, et plusieurs procès et diférens. Nous voulons que les hameaux ainsi distraits par les élus de leur autorité, soient réunis avec le corps de la paroisse sous une même taxe..., excepté ceux qui, pour quelques considérations, ont obtenu nos lettres de desunion \ »

Mais l'abus n'en avait pas moins continué dans la plupart des provinces. En 1665, l'intendant de Chalons écrit : « A présent il se trouve une infinité de ces collectes séparées dans toutes les élections de Champagne, plusieurs d'icelles n'étant que de 8, 10, 15, 20, jusques à 40 livres, et aucunes mêmes qui ont été ruinées et abandonnées sont toujours comprises dans les départemens et assiettes pour un denier ou pour néant, afin que, si elles venoient à estre habitées et cultivées ce qui arrive souvent , elles soient imposées comme elles l'estoient auparavant leur désertion, par un mandement séparé ». « Les- dits hameaux ou censés n'ont jamais esté séparés qu'afin de les soulager dans les impositions plus qu'ils ne l'estoient lorsqu'ils dépendoient de la taille de leurs paroisses ; et cela s'est fait par l'autorité, participation et facilités que lesdits élus y ont données, lesdits lieux leur appartenant et à leurs parens et amis, ou à des seigneurs et officiers principaux dont ils consi- dèrent les intérests 2. »

Toutefois, en Normandie l'abus semble avoir été moins considérable qu'ailleurs : en mars 1600, la Cour des aides de Rouen faisait observer au roi qu' « en ladite province il y a peu de hameaux qui aient la taille séparée d'avec leur paroisse3 ». L'édit de mars 1667, ordonnant à nouveau de réunir au corps des paroisses les hameaux qui en avaient été frauduleusement distraits, ne fut pas enregistré en Normandie 4, sans doute parce qu'il n'y était pas jugé utile.

Les rares hameaux qui sont imposés à part se trouvent tous dans des conditions exceptionnelles : à Montivilliers, les trois faubourgs de Porte-Chef-de-Caux, Porte-Châtel et Porte-Assi- quet, font « par rapport au sel et à la taille un rôle séparé... quoique tous des trois paroisses de la ville » ; de même à Harfleur, pour les trois faubourgs de Colleville, la Pêcherie et la Porte de l'Heure, parties de la paroisse de Saint-Martin

1. Cf. encore édit de mars 1600, arl. 9, et divers arrêts de la Cour des aides de Paris, octobre 1551, 8 mars 1563, mentionnés dans Guénois, Conférence des Ordonnances, t. II, p. 1455, n. 20 et de février 1596 publié dans les Œuvres de Lebret, p. 482-3; autre arrêt d'octobre 1552, relatif à la Basse Auvergne, dans La Barre, Formulaire, p. 9. »

2. Cinq-Cents Colbert, 273, p. 76. Le successeur de l'intendant Machault, Cau- martin, constate également l'inconvénient de ces collectes séparées : « Les bons laboureurs s'y retirent, ce sont doubles roolles et doubles frais, la taille se paye plus difficilement ». (L. à Colbert, 20 janvier 1667, dans Depping, t. III, p. 170.)

3. Règlements de Normandie, p. 53.

4. Voir l'édit dans C. d. T., II, p. 21 : cet édit fut probablement rendu à la suite de la lettre de Caumartin du 20 janvier 1667, indiquée ci-dessus.

KM LA TAILLK l.N NUIlMAMlli:.

d'Harfleor '; il est probable que dans les deux cas le développement de la population de ees faubourgs est la cause de leur isolement. A Pontoise, le faubourg de l'Aumône, situé sur la rive gauche de l'Oise, est taxé à part et directement par les commissions, jusqu'au moment il est érigé en paroisse et annexé à la généralité de Paris, en 1679. A Valognes, le fau- bourg d'Alleaume est également imposé à part2. Dans l'élection de Lyons, les fermes a'Oustrebosc et La Lande sur Andelle, appartenant à l'abbaye de Mortemer, comptent comme paroisses pour la taille 3. Les villages formant deux paroisses pour l'église et une seule pour la taille sont rares*.

Parmi les paroisses, on en trouve d'cxtraordinairement petites et de très grandes. Dans la généralité de Rouen en 1665, beau- coup n'ont qu'un, deux, ou trois feux, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours signe qu'elles sont négligeables, car elles peuvent porter des chiffres d'impôt élevés : le Manoir Denise (Election de Neufchâtel) paie 100 1. de taille; les Granges (Châtcllenie de Pontoise) paient 250 1.; Oustrebosc (Election de Lyons) 470 1. pour un seul feu 5.

Les paroisses trop grosses se rencontrent non seulement dans les villes comme Louviers, qui a 1337 feux en 1665 et Honfleur qui en a 1313, mais encore dans les campagnes : Tatteville (Election de Pont-Audemer), compte 441 feux à la même date; Appeville, 417; Bourgthéroulde, 559; Berville-en-Roumois, 551 ; Beuzeville, 532, Bolbec, 1031; Saint-Valery-en-Caux, 973; Grainville, 882, etc. La même inégalité se retrouve dans les chiffres de taille : beau- coup ne paient que 20, 30, 40 1., tandis que d'autres, même dans la campagne, sont imposées à plusieurs milliers de livres6.

La plupart des paroisses avaient leur territoire fixé et borné comme aujourd'hui. Les plans de certaines d'entre elles, comme Bretteville l'Orgueilleuse7, indiquent des limites de finages aussi

1. Duplessis, Description de la Haute Normandie, t. I, p. 106.

2. L'imposition est faite directement par les commissions jusqu'en 1678 puis normalement à partir de cette date. Cf. ci-dessus, p. 92, n. 2.

3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 86 et 178.

4. En 1725 l'enquête générale sur les greniers à sel nous apprend que près d'Ecouis, la paroisse du Mcsnil « ne fait qu'un rôle pour la taille avec Vcrque- line » (B. N. fr. 23 918, p. 160). Il en est déjà ainsi en 1665 (Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 179). Aujourd'hui, les deux localités forment la seule commune du Mesnil-Verclive.

5. Il est à penser que ces feux uniques comprenaient une très grosse exploita- tion faite par un cultivateur avec beaucoup de domestiques, mais il est possible aussi qu'ils aient été le résultat de divisions intéressées. On trouve aussi, dans les trois généralités, des paroisses désertes, comme Caumartin en signale en Champagne, qui sont maintenues sur les rôles pour le cas elles seraient de nouveau habitées.

6. Voir le tableau des paroisses de la généralité de Rouen en 1665, à l'appen- dice I du Mémoire sur la généralité de Itouen, et les états publiés en 1709 par Saugrain sous le titre de Dénombrement général du royaume (l'auteur lui-même déclare, dans la préface, que ses chiffres de feux ne sont pas sûrs).

7. Terrier de Bretteville l'Orgueilleuse, près de Caen, 1664, A. D. Calv., Fonds de l'abbaye de Saint-Etienne. Voir d'autres terriers aux mêmes archives, et à celles de la Seine-Inférieure.

LES ELUS. 107

nettes que les limites actuelles, mais la démarcation était quel- quefois incertaine. Il est vrai qu'au point de vue de la taille cette incertitude n'avait pas grands inconvénients, puisque l'on considérait beaucoup moins les terres composant le finage de la paroisse que le domicile des contribuables ; l'important était de savoir dans quelle paroisse était située telle ou telle habitation. Dans un pays de population dispersée comme la majeure partie de la Normandie cette question était parfois difficile à résoudre1. On trouve des contestations entre paroisses pour se disputer des contribuables, et les inégalités de taux entre les circon- scriptions contribuaient à entretenir ces procès. Peut-être y avait-il aussi des paroisses mi-parties entre deux élections, comme entre deux généralités2; mais aucun document ne nous les signale. En somme, l'inégalité et l'incertitude que l'on trouve dans toutes les autres divisions territoriales de la France se rencontrent ici également 3.

II. LES ELUS

Primitivement le département de la taille entre les paroisses était l'attribution exclusive des élus. Ceux-ci, choisis à l'ori- gine par les contribuables ou par les Etats, étaient devenus simples agents royaux dès le xive siècle, mais le nom d'élus leur était demeuré, « jaçoit qu'ils ne fussent pas élus et choisis par le peuple 4 ». D'abord chacun opérait dans plusieurs circon- scriptions, puis il reçut une portion de territoire, qui prit le nom d'élection (Ordonnances des 10 juin 1445 et 26 août 1452). Le nombre des élus alla en se multipliant indéfiniment comme

1. Les habitants eux-mêmes étaient parfois dans l'embarras. Cf. le procès- verbal de la visite de l'archevêque Colbert dans son diocèse en 1680 : les habi- tants des Essarts, près de Foucarmont, au nombre de 200, ne savent de quelle paroisse ils dépendent; de même ceux des Erables (A. D., S. Inf., G, 726). Il en est de mémo pour certains hameaux des environs de Lyons.

2. Cf. un Mémoire d'un commis des fermes sur le grenier à sel de Doullens, 23 novembre 1746 : il y a dans ce grenier des paroisses qui font partie moitié de l'Artois et moitié de la Picardie ; les habitants pour frauder le fisc bâtissent leur maison à cheval sur la limite, plaçant « leur cuisine et l'endroit ils mangent sui l'Artois afin d'avoir le privilège du sel et du tabac, et leurs écuries sur Picardie, afin de ne point payer de morte et vive herbage sur les bestiaux ». (Inventaire des Archives départementales de la Somme, t. III, p. 481, 1 U38).

3. Turgot dans son mémoire sur les Municipalités considère cependant les paroisses comme des divisions acceptables, et il ne propose pas de les remanier comme les autres : « la police ecclésiastique a fait à cet égard d'assez bonnes divisions de territoire. Les paroisses n'ont pas entre elles une inégalité fort notable... on a été conduit à ces divisions par la nécessité de ne donner aux paroisses qu'une étendue dans laquelle il ne soit pas au-dessus des forces d'un curé de remplir les fonctions de son ministère, ni trop pénible aux citoyens de se réunir pour un devoir qui leur est commun. » (Œuvres, éd. Daire, II, p. 509.) Mais peut-être Turgot voit-il trop les choses comme il faudrait qu'elles fussent, ce n'étaient pas seulement des raisons du genre de celles qu'il indique qui avaient déterminé les circonscriptions paroissiales.

4. Guy Coquille, Histoire... de Nivernois, dans les Œuvres, éd. 1665, I, 148.

108 LA TAILLE EN NORMANDIE.

celui de tous les autres officiera, à cause du revenu que produi- sait au roi la vente de leurs charges.

Les élus avaient pour fonction de répartir la taille et les autres impôts directs, de surveiller les receveurs particuliers et de juger toutes les contestations relatives aux « finances extra- ordinaires ». Le département de la taille était, selon Vieuille, « le plus ancien et le plus important attribut de leur institution f et création1 ». Toutes les ordonnances leur faisaient un devoir d'y travailler et leur indiquaient les règles à suivre; en dernier lieu celle de janvier 1634 (art. 42) disait expressément : « Les- dits élus... feront le département des tailles des paroisses de leur élection ».

Beaucoup de vertus étaient nécessaires à un élu. Le président La Barre en a fait un tableau touchant :

« Est bien requis qu'il soit civilement homme de réputation, sans avarice et ambition, qui ne regarde aux presens, ny preste l'oreille aux inductions et sollicitations : ains qu'il se montre rond et entier en sa function, marchant en sa charge comme Dieu, estimant icelle luy estre commise et baillée en édification et non en ruine, et pour servir et profiter au public, et non autrement. » Il ne doit pas « se soucier du tour du baston, comme font les autres praticiens* ». Le département des tailles sera fait « en toute équité, consciencieuse- ment », les élus devront se réunir en secret, « pour éviter aux sollici- tations et importunitez », être « a jeun et non troublez de vin ny d'aucune passion sinistre ny exorbitante », travailler « de jour au lieu de leur siège, en la chambre du conseil ou de la juridiction, et non ailleurs », surtout pas à la taverne, « lieu suspect de toutes bonnes affaires3 ».

Mais cet élu modèle était un rare personnage. Dès l'origine on trouve des plaintes violentes contre ces fonctionnaires : amour de l'argent, partialité dans la distribution de la justice, négligence à exercer leurs fonctions, sont leurs moindres défauts. Leur nombre cxcessil, depuis le xvie siècle, était jugé comme une calamité publique :

Ce royaume, dit Lebret, « depuis quelques ans est devenu quasi mons- trueux par le nombre excessif d'oficiers qui y ont été prodigieusement multipliez, » et cela est surtout frappant dans « le grand nombre d'élec- tions et afluence d'oficiers en icelles, dont les deux tiers restent du tout inutiles pour le peu d'exercice qu'il y a en ces charges, et ne laissent pourtant de tirer de grans gages et jouir d'une immunité dont toute la charge retombant sur le peuple le va afligeant et oprimant jusqu'au desespoir4 ».

1. Traité des Elections, p. lit.

2. La Barre, Formulaire des esleuz, p. 41 et 43.

3. lbid., p. 151-153.

4. Quatrième action, mars 1593, Œuvres, éd. 1680, p. 444. Cf. J. Combes, Traité des tailles (1576), fol. 28 : Tous ces élus « acheptent leurs offices en gros a pris

LES ELUS. 109

Richelieu a porté sur eux un jugement sévère :

« Ils sont la vraie source de la misère du peuple, tant à cause de leur grand nombre... que pour leurs malversations, si ordinaires, qu'à peine y a-t-il un élu qui ne décharge sa paroisse, que beaucoup tirent [de l'argent] de celles qui leur sont indifférentes, qu'il s'en trouve de si abandonnées qu'ils ne craignent point de se charger de crimes en en augmentant à leur profit les impositions à la charge du peuple1. »

Le maréchal Fabert, qui les a vus à l'œuvre dans les pro- vinces n'est pas plus indulgent :

« Gomme la corruption est extrême parmi les officiers établis pour les tailles, ils ont trouvé moyen de continuer leurs vols, donnant des mémoires faux de la force des lieux, prenant argent de ceux qu'ils ont fait taxer bas, et cela avec tant d'insolence, qu'ils ne le nient pas... 11 semble nécessaire de prendre une autre voie que celle des élus pour faire la répartition de la taille 2. »

Enfin ils furent publiquement flétris dans de nombreuses ordonnances; dans l'arrêt du conseil du 27 novembre 1641, le roi disait :

« La plus grande partie des non-valeurs qui se trouvent sur les deniers des tailles depuis quelques années ne procède pas tant de la surcharge des contribuables que de l'inégalité qui se rencontre dans les assiettes et départemens des impositions faites par les officiers des élections, esquelles grand nombre des paroisses se trouvent soulagées et déchargées par la faveur et crédit d'aucuns officiers, au préjudice et surchage des autres paroisses 3. »

Ils étaient extrêmement onéreux au roi et aux contribuables : . le 7 juillet 1648 le Chancelier faisait déclarer au Parlement que les 3000 officiers des élections, par leurs gages, absor-j baient sur les tailles plus de 9600000 1., et ces gages nel représentaient qu'une petite partie de leurs revenus, leur prin- cipale ressource étant les frais de procès qu'ils s'efforçaient de multiplier4. Leur pratique du ce tour du bâton » fut énergique- d'argent, qui leur donne occasion de se remplumer par le détail de la justice qu'ils administrent sur le commun populaire ».

1. Testament politique, t. II, p. 169.

2. Mémoire à Mazarin, 9 déc. 1656, dans Bourelly, Le Maréchal Fabert, t. II, p. 121.

3. Dans Néron, Recueil, t. II, p. 663.

4. Déjà aux Etats de 1483, il avait été longuement question de ces officiers « car, dit Masselin, ils nuisaient au peuple presque autant que les tailles elles- mêmes », /? irnal de J. Masselin, trad. française, p. 489. Un mémoire présenté à François l" fuit connaître au roi que ces procès suscités par eux à toute occa- sion et traînés en longueur accablent le « pauvre peuple » qui y « consomme et deppense en proceddeures tout ce qu'il a vaillant, de sorte que à la fin il tumbe en mendicité et impuissance de paier et porter taille ». B. N. Cinq cents Colb. 491, 5.

110 LA TAILLR KN NORMANDIE.

ment condamnée, à maintes reprises, par les Etats de Nor- mandie : « Telles gens n'ont prins leurs offices pour l'utilité publicquc, moins pour le service du roy, mais seullement comme sansues, pour tirer le pur sang de ses pauvres vas- saux1; tous rongent et mangent jusques aux oz la substance du peuple2; les taillablcs... leur sont une moisson dorée, chascun glane son espy, de sorte que les frais montent ordi- nairement trois fois le principal 3. » En 1578, 1579, 1593, . 1620, 1623, 1626, 1638, 1643, 1655, leurs cahiers demandent f avec insistance la diminution du nombre de ces « sangsues » : « Nous ne cesserons jamais, disent-ils en 1620, de prier, voire importuner V. M. jusques à ce qu'Elle aye exaucé nos si justes prières et réduict ce nombre effréné d'esleuz et controolleurs à un ou deux pour le plus, qui vous rendront plus de services, plus de justice à vostre peuple que la confusion du nombre desréglé qui diminue vos finances par leurs gaiges et exemptions de taille, et comme sangsues tirent la substance de vos sujetz*. » A chaque fois le roi fait des promesses vagues ou bien s'excuse de la nécessité il fut de créer de nouveaux offices, ou bien même invoque la foi des édits, ce qui est singulièrement iro- nique 5. Cette « manne » était trop tentante pour que le fisc y renonçât.

De leur côté les élus ne manquaient pas de se plaindre de ces incessantes créations. L'un d'eux, La Barre, a maudit cette pra- tique en termes violents :

« En matière de finances, il y a tant de finesses, de subtilitez, de traverses et d'inventions d'attraper et divertir le liard, que tous les ans la malice d'aucuns donne occasion à nouvelles ordonnances et à nouveaux officiers et reiglemens, qui est cause d'un grand désordre, que l'on oste les uns et remet-on les autres, qu'il n'y a rien d'asseuré en telles affaires. Il ne faut qu'un ou deux de ces donneurs d'advis de court avec leur diable d'invention, pour troubler tout le reste. Contre eux faudroit procéder criminellement, attacher telles harpies au croq *. »

En 1648, les élus publièrent un état des offices créés, des

1. Cahier de Novembre 1578, dans de Bcaurepaire, Cahiers... règne de Henri III, U III, p. 7.

2. Cahier de mars 1579, art. 27, ibid., p. 40.

3. Cahier de décembre 1623, ibid., Règne de Louis XI II, t. II, p. 60.

4. Cahier de 1628, art. 8, dans de Beaurepnire, Cahiers... règne de Louis XIII, t. I, p. 205. Cf. le cahier de 1614, art. 22, ibid., p. 105 : « Au département des tailles, chacun d'eulx veult favoriser les parroisses dont ils sont originaires, ou leurs biens sont situez et assis, de sorte que les unes sont sans raison, voire contre raison, soullagées, les autres, qui n'ont aulcune recommandation, injus- tement foullées et vexcées ».

5. Réponse à l'art. 10 du cahier de février 1658 : « S. M. ayant restably les éleus dans leur exemption, Elle n'y peut toucher » (ibid., supplément, p. 5), cf. les réponses au cahier de novembre 1578, art. 12, nov. 1593, art. 60, nov. 1638, art. 24, nov. 1643, art. 72, etc.

C. formulaire, p. 44.

LES ELUS. 111

augmentations de droits vendues, des privilèges concédés moyen- nant finance dans- les élections depuis 1622 : il ne comprend pas moins de 77 édits portant atteinte à leur bourse dans cet espace de vingt-six ans, soit en moyenne trois par an. Les mêmes charges sont créées, supprimées, rétablies indéfiniment; on vend des droits nouveaux, des augmentations de droits anciens, des privilèges de toutes sortes, puis, sous prétexte de soulager les sujets, on supprime le tout, et peu de temps après le roi consent « moyennant une finance modique » à rendre les droits supprimés. Au total, d'après le calcul des élus, c'est « plus de 200 millions de livres que lesdits officiers ont esté depuis 1622

jusques à présent forcez de payer par des voyes extraordinaires \

en sorte que la plupart d'iccux et leurs familles sont réduits à ( faire abandonnement de leurs biens pour ne pouvoir acquitter I les deniers par eux empruntez pour le payement des taxes sus- [ dites1 ».

Pour se protéger, les élus avaient été amenés à former un « syndicat ».

llTut constitué en 1641, « sous le bon plaisir de S. M. », « par plusieurs assemblées de députez des officiers des eslections du royaume » tenues au couvent des Augustins à Paris 2. Pour subvenir aux dépenses communes, chaque élection dut verser une cotisation annuelle qui, aux termes du règlement, était payable « par advance dans le mois de mars de chaque année3 ». Comme l'assemblée est trop nombreuse, elle a choisi des « syn- j dics » qui forment une commission permanente et reçoivent des appointements spéciaux; l'un d'eux, « l'orateur », est chargé de prendre la parole « en public », c'est-a-dire sans doute au Parle- ment ou à la Cour des aides; il est le personnage le plus consi- dérable, et reçoit des appointements plus élevés. La place fut successivement occupée par les sieurs Potière, qui mourut en fonctions, Braux, lieutenant criminel en l'élection de Chalons, et enfin Penot, qui exerce encore en 1655. Un secrétaire reçoit la correspondance, signe les circulaires adressées aux élections 4, et probablement tient un registre des délibérations. Le sieur Boyrot remplira cette charge pendant toute la durée du syn-

1. B. N., fr. 18 479, f°* 121-124 (papiers de Séguier), imprimé. L'idée est reprise par le premier président de la Cour des aides clans sa harangue à la reine régente, le 21 décembre 1641 : « Depuis vingt ans le seul corps des éleuz a fourny au roy plus de 200 millions, de compte fait ». (B. N., Lb3? 362.)

2. Circulaire des syndics 1650, B. N., Lf3» 12, 1.

3. Elle fut d'ailleurs versée fort irrégulièrement et les retardataires seront sou- vent rappelés à l'ordre pour ce motif. Ces détails se trouvent dans la lettre du sieur Dorville aux élections du royaume, 14 août 1655, Clairamb. 4^2, p. 67.

4. Ces circulaires se trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, Imprimés, Lf38 7 à 14 et Manuscrits fr. 10 479 et Clairamb. 154 et 442. La collection n'en est pas complète; ainsi la circulaire du 27 avril 16i4 en mentionne deux autres des 22 décembre 1648 et 2 avril 1649 que je n'ai pu retrouver; s'il y eut des registres de délibérations, ils sont égarés ou perdus.

Itî LA TAILLE IN NORMANDIE.

dieat. Enfin les élus ont un avocat, Chesneau, et un procureur. Mauparty '.

» Le syndicat n'avait rien d'irrégulier; il était reconnu par le gouvernement. « Cet establissement, disent les syndics en 1650, a esté confirmé par plusieurs arrests du Conseil d'estat des 16 avril 1644, 7 janvier 1645 et 27 juin 1648 rendus pour raison de contributions dudit syndicat*. » Les syndics furent à différentes reprises reçus en audience par le roi et le Conseil, et obtinrent

1 des arrêts en faveur de leurs revendications; ils haranguèrent MM. Servien et Foucquet sur leur promotion à la surintendance en février 1653; leur secrétaire avait qualité pour « collationner

Iles arrests et autres pièces » les concernant1. Ils étaient en relations régulières avec la Cour des aides, qui les soutenait, et avait rendu, le 15 octobre 1649, un arrêt portant « l'homolo- gation dudit syndicat en ladite Cour* ».

Ils s'occupaient de tous les intérêts collectifs de leurs com- mettants, notamment des créations ou suppressions d'offices, des réductions et augmentations de gages opérées par le gouver- nement à leurs dépens; ils s^jn tarissaient à la^ lutte jl es cours souveraines contre les intejidajais^ej^s^traitan^ts, enfin ilsdis- putaient^aux trësorTers ^d^^aiic^_J^jdj^mt^e^_,ùiire le départe- ment desYâHtes^ "Le" Secrétaire Boyrot travaillait en 1648 « à la recherche de tous les édits, arrests et réglemens qui concernent l'honneur et la fonction de nos charges, la jouyssance de nos âges et droits et de nos privilèges », il tenait « un répertoire e toutes les choses qui nous pouvoient servir 6 ». En 1652, il demandait à toutes les élections des « mémoires instructifs et bien certifiez » sur « les contraventions que les gens d'affaires ont apportées aux déclarations du roy de l'année 1648 7 ».

L'activité du syndicat nous est connue principalement par ses circulaires; voici la liste de celles qui nous sont connues : A Monseigneur V Eminentissisme Cardinal, 1646, requête

f>our demander la conservation de deux quartiers et demi de eurs gages, qui viennent de leur être enlevés 8. Au roi et à Nosseigneurs de son Conseil, placet du

1. B. N., LP« 7.

2. Lf>» 12, P 1.

5. Lf>< 7.

4. B. N., Lf38 12, V 1 ; cf. la harangue du premier président de la Cour à la reine en faveur des élus le 21 décembre 1648. Lh3î 3<>2.

5 En 1655, un élu félicite le syndicat d'avoir obtenu « le restablissement de nos privilèges en l'année Ili44, à bonnes conditions et modiques, le maintien de notre jurisdiclion... et reculement du retran bernent de nos droits en Tannée 1642 » ; Glairamb. 442, i>. ti7.

6. Circulaire de Norville, élu à V'iilefrancbe à ses collègues, 14 août 1655, Clai- rarub. 4'i2 p. 68.

7. Circulaire du 25 mars 16S2. B. N., Ll38 14. Son recueil faisait pendant à celui que Fouinival composait en faveur des trésoriers généraux, mais il ne fut pas publié et il est à craindre qu'il ne soit perdu.

8. M. N., Lf3« 8.

S

LES ELUS. 113

3 février 1648 pour réclamer le maintien de tous leurs droits et privilèges '•'.

Estât des offices créés de 1622 au début de 1648, mentionné ci-dessus.

Remonstrances très humbles des officiers des Eslections de France à Nosseigneurs de Parlement, pour appuyer leur requête tendant à « estre restablis en l'entière jouyssance de leurs gages et droicts héréditairement2 ».

Remonstrances très humbles des syndics des Eslections de ? France au Roi et à son Conseil pour que S. M. fasse « défenses/ aux trésoriers de France de venir aux bureaux des Eslections] pour présider aux départemens des tailles » a.

Responsq des élus aux trois mémoires publiés contre eux par les trésoriers de France, 1650 4.

Response des syndics généraux des officiers des Eslections du royaume aux observations qui ont esté faites par les Trésoriers provinciaux en France sur les remonstrances desdits syndics adressées au Roy et à Nosseigneurs de son Conseil, qui est de 1650 5 : continuation de la polémique engagée par l'écrit précédent. Il y est fait allusion a deux « libelles » des trésoriers généraux, parus récemment.

Discours au roi à l'occasion de sa majorité 6.

Discours faits par les syndics des officiers des Eslections de France, sur la promotion de Nosseigneurs Servien et Foucquet à la Surintendance et de M. Menardeau-Champré à la Direction des Finances, en février 1653 7. Les élus se réjouissent de ces trois nominations, qui leur donnent des protecteurs.

Abrégé des justes et légitimes plaintes des Esleus9.

Les très humbles suplications et les offres sur icelles au Roy et à Nosseigneurs de son Conseil, des officiers des Eslections de France 9.

Propositions faites au Roy par les Elus, et Remontrances au

1. B. N., Lf38 9.

2. Ibid., 10, une feuille imprimée, en forme d'affiche. Cet écrit est, d'après son contenu, peu postérieur à la déclaration du 17 juillet 1648, qui s'y trouve indiquée.

3. Ibid., 11, k pages in-'i°. Est de l'année 1649 : « la présente année 1649 » est-il dit p. 2 et postérieur au 14 juillet de cette année, puisqu'un arrêt de cette date est cité p. 1. Je vais revenir sur cet écrit.

4. Ibid., 13. Sans titre. La date est donnée par le § 4 du mémoire il est dit : « L'année dernière 1649 ». Chaque page est divisée en deux parties : d'un côté les mémoires des Trésoriers de France in-extenso, de l'autre la réponse des élus, paragraphe par paragraphe.

5. H. Nat., Lf38 12, 4 p. in-4°, s. d. La date de 1650 est donnée par l'allusion faite (p. 2) à la réforme des commissions des tailles de cette année, qui enlevait aux trésoriers de France le pouvoir de présider aux départements.

6. Lf3»18.

7. Ibid., 15. Fouquet et Servien furent nommés surintendants conjointement le 7 février 1653.

8. B. N., Rec. Thoisy, t. 413, f0' "222-3 et mss fr. 18 749 (papiers de Séguier) t" 124-5 (imprimé).

9. B. N., fr. 18 479, 127 (imprimé).

LA TAILLE EN NORMANDIE.

11', LA TAILLK EN NOIl.MANDIB.

Roy et à Nosseigneurs de son Conseil sur les propositions des officiers des Estéctions4, 1654.

{ A partir de 1654, l'activité du syndicat se ralentit, les circu- laires cessent de paraître2, les assemblées n'ont plus lieu régu- lièrement; mais les délégués continuent à venir à Paris. En

l mars 1661, le roi décide de prohiber leur réunion', mais sa défense demeure lettre morte : il faut un nouvel arrêt, le 17 mai J1662, pour les renvoyer « dans les lieux de leur demeure, a peine de prison* ». A cette date seulement, dispa- rait le_syjidi£at.

Son activité fut employée à défendre les droits des officiers /contre la fiscalité royale. En 1648, il concourut à la révocation 'des intendants8; en 1652 il obtint le rétablissement des gages suspendus l'année précédente; en 1654 il fit rétablir les charges d'élus dont le gouvernement ordonnait la suppression 6. Les doléances qu'il présentait à cette occasion à la Cour des Aides faisaient de leur misère un tableau impressionnant :

« Depuis trente ans on a exigé de nous, par des voyes extraordi- naires, plus de deux cens millions de livres. Combien depuis ce temps

1. Ibid., t" 120 et 130.

2. Maintenant nostre correspondance générale ne subsiste plus •', écrit l'élu Dorville n ses collègues le 14 août 1655 et il en explique In cause : Lorsque Penot eut remplacé Braux comme orateur du syndicat, en 1653, il rencontra une violente hostilité de la part de son prédécesseur. Celui-ci forma une « faction > avec plusieurs autres syndics tandis que Penot était appuyé par le secrétaire Boyrot. La cause de cette scission, suivant Dorville aurait été l'intervention des traitants qui se seraient entendus avec Braux pour être maîtres du syndicat; mais il est du parti de Penot. Toujours est-il que la division empêcha désormais le syndicat d'agir. Boyrot démissionna de ses fonctions, et, frappé de taxes par les traitants, il vit vendre ses meubles et saisir son recueil de documents. LYdit de mars de 1654 qui supprimait, comme on va le voir, une partie des élus, ne rencontra aucune protestation efficace : « Quand vous voudrez rechercher la cause de ce désastre, écrit Dorville à ses collègues, vous la trouverez dans vos divisions et dans les traverses que le sieur Boyrot a reçues de la part de ses parties adverses n; ensuite Penot lui-même abandonne ses fonctions. (Clairamb. 44-2, p. 68.)

3. Mémoriaux du Conseil de 1661 publiés par J. de Boislisle, t. 1, p. 121. Séance du Conseil du 31 mars : le Surintendant Fouquet est chargé d'expédier l'arrêt, qui est motivé par la nécessité de « rétablir l'ordre que le malheur des guerres

Sassées a longtemps interrompu » et. d'assurer le « recouvrement des deniers estinés aux dépenses de l'Estat >. (A. N., E 1714, n" 62.)

4. A. D. Calv. Plumitif du Bureau des Finances, 1662, 63. A la suite de ledit d'août 1661 qui supprimait une grande quantité d'offices des élections, le syn- dicat fut un instant ressuscité pour publier le factum général de» officiers de* eslections de France, contenant leurs très humbles supplications et remonstrances au Roy leur souverain seigneur. B. N., Lf38 19 et Recueil Thoisy 413, f* 2*JJ.

5. Dans une circulaire de 1652 ils disent que ces déclarations leur « promet- taient, ensemble à tous les peuples de France, un abry pour nous garantir de tout orages et des atteintes des harpies ». (Lf38 15.)

6. Édit de mars 1654. Dans le préambule, il est dit que les créations d'offices ont tellement multiplié le nombre de nos officiers que la meilleure part des habitans des villes qui s'occupoient auparavant en diverses professions utiles au bien commun de l'Estat ont quitté tous autres emplois pour s'adonner au seul exercice des charges..., le grand nombre des officiers et particulièrement de ceux dont la fonction regarde la distribution des impositions et la levée des deniers de nos tailles et gabelles, a multiplié les exempts de taille et les procès

LES ELUS. H5

avons-nous veu de nouvelles créations d'offices ! Tous les ans l'inven- tion d'un nouveau mot fabriqué par l'avidité des gens d'affaires estoit le sujet d'une nouvelle taxe, tousjours quelque suppléement, ou la con- firmation d'un droict imaginaire qui desjà nous avoit esté chèrement vendu, servoit de moyen pour nous oster la jouissance de nos revenus ; ensuitte on est venu à des retranchemens qui n'ont eu autre prétexte que celuy de l'ordinaire nécessité des affaires de l'Estat; les gens d'affaires sembloient estre trop intéressez en la vente de ces vaines attributions.

En l'année 1640, on nous a retranché un quartier de nos gages; en l'année 1641, on nous a retranché un quartier de nos gages et droicts ; en l'année 1643, pareil retranchement avec une taxe pour la jouissance sans retranchement d'un denier pour livre des imposi- tions dont le traicté estoit de trois millions ; en l'année 1644, une taxe de douze cens mil livres pour la révocation du droict royal, une autre de trois millions pour le restablissement de nos privilèges auparavant révoquez, avec attribution de cinq sols pour parroisse sans retranche- ment, et pareil retranchement d'un quartier et demy de nos gages et droicts; en l'année 1645, aussi pareil retranchement; en l'année 1646, retranchement de deux quartiers de nos gages et retranchement d'un quartier et demy de nos droicts. Depuis, pour consommer entièrement le revenu de nos offices, on a joint le prétexte des taxes aux retran- chemens, sous couleur d'une augmentation de trois cens mil livres de gages, d'un restablissement d'un troisiesme quartier de nos gages et droicts, et de la descharge de la Chambre de Justice, dont nous avons tousjours esté exemptez par les arrests de la Cour, mesme par les arrests du Conseil : nous avons esté retranchez en l'année 1647 des quatre quartiers de nos gages et de trois quartiers de nos droicts, et en l'année 1648 de trois quartiers de nosdits gages et droicts. Retran- chemens procédés de la seule avidité des traittans cachée sous les ombres de cette augmentation de gages, et du restablissement d'un troisiesme quartier de nos gages et droicts : aussi le fonds de ces trois cens mil livres de gages ne nous a point esté fait, et le restablissement de nostre troisiesme quartier ne s'en est point ensuivy. La fidélité de ceux qui nous ont vendu ces attributions a esté telle, que les droicts d'un denier pour livre des impositions, et de cinq sols pour parroisse qui nous ont esté vendus ez années 1643 et 1644 pour en jouyr sans aucuns retranchemens, ont esté toutes fois retranchez les années suivantes, ainsi que les autres attributions.

Depuis encore, pendant l'année dernière 1653, pour nouvelle augmen- tation de gages, et pour nous vendre plusieurs fois un même néant, joint avec le prétexte de la descharge de la Chambre de justice à laquelle les officiers juges comme nous ne peuvent estre subjets, nous avons encore esté retranchez d'un troisiesme quartier de nos gages et droicts qui a esté porté en la seconde partie de l'Espargne. Ainsi on a tiré de nous depuis quatorze ans plus de soixante millions de livres *. »

entre les contribuables, a causé l'inégalité dans les assiettes, a exempté les plus riches au préjudice des pauvres et a donné lieu à tant de vexations et de contraintes... que nos peuples des campagnes avaient peine à subsister ».

1. Discours faict par les scyndics des officiers des eslections de France, le sieur Penot l'un d'eux portant la parole, sur leur requeste présentée à la Cour des Aydes le 28 mars 1654 ; B. N., Lf3» 17, in-4°, 8 pages. Signé : « Penot et Boyrot, Syndics

116 LA TAILL1 ! m NOIÎMAMMI..

Ces protestations aboutirent à faire ajourner la réforme, mais le gouvernement ne l'abandonna pas. Un nouvel édit, en août 1(>()1. ordonna la réduction des élus à 8 dans les élections I de plus de ccut paroisses, et à 5 dans les autres. Le syndicat fit de nouvelles remontrances au roi ', mais à ce moment le gou- vernement changeait de direction ; le conseil de Colbert com- mençait à être suivi par le roi, et la maxime de l'ordre était introduite dans les finances; l'exécution de ledit apparut comme le prélude nécessaire de toute réforme fiscale. Colbert en a expliqué les motifs en 1663 dans les commissions des tailles : S. M. a voulu « soulager ses sujets contribuables aux tailles des exemptions dont lesdits officiers jouissoient, ensemble des vexa- tions qu'ils leur faisoient souffrir par la protection qu'ils don- noient à leurs parens et à leurs fermiers, qui alloit à la ruine desdits contribuables2. »

Mais on n'aboutit pas sans difficultés. Il fallut envoyer Mon- sieur à la Cour des aides pour y faire enregistrer ledit; à la Chambre des comptes, le procureur général dut, pour obtenir la vérification « diligemment et sans difficulté », représenter que « c'estoit une affaire que S. M. avoit fait mûrement examiner en son Conseil, qu'elle alloit au soulagement de ses sujets parce

des officiers des Eslections de France. » En conclusion, ils demandent à la Cour de rétablir leurs charges par un arrêt cassant l'édit royal.

1. Voici quelques-unes des raisons qu'ils donnaient : « si le nombre des offi- ciers est à charge à l'Estat d'un costé, il est utile de l'autre estant autant d'otages qu'a V. M. dans toutes les villes de vostre royaume ». Même, on ne peut dire que leurs gages coûtent cher à l'Etat, puisque les taxes qu'ils ont payées depuis Tingt ans en dépassent le montant. On leur reproche d'avoir causé les non- valeurs des tailles; mais, disent-ils, et leur réponse est singulière, « V. M. consi- dérera s'il lui plait que tant qu'ils on' eu la fonction de leur charge et que les impôts ont esté tant soit peu réglés et modérés, il n'y a point eu de non-valeurs ou fort peu,... mais depuis qu'il n'y a eu plus de règle ni de mesure dans les impositions, et qu'on a envoyé des intendants et des commissaires dans les pro- vinces pour faire leurs charges, il y a eu des non-valeurs et des restes; » les inten- dants, « pour la plupart a la dévotion des traitons qui les choisissoîent et envoyoient dans les provinces >, ont fait les départements « selon leurs caprices... chargeant pour l'ordinaire les bonnes paroisses qui payent et font leur devoir, et diminuant les mauvaises afin d'assurer les recouvrements qui estoient en party sans se soucier de ceux de l'advenir, tellement qu'ils les ont toutes réduites à un mesme point, c'est-à-dire hors d'état de pouvoir payer leurs impositions ». (B. N., Rec. Tlioisy, vol. 413, P" 222 et suivants (imprimé).

En même temps qu'ils présentaient ces remontrances, les élus offraient de payer au roi une forte somme pour être maintenus. Mais, dit Colbert en 1663, S. M. a préféré le soulagement de ses peuples < aux propositions qui lui estoient faites de donner 61 millions de livres en leur accordant (aux élus) leur conser- vation, et mesme au payement d'une autre somme de t»l millions de livres dont elle se chargeoit pour le remboursement de leurs finances. » (Clém. II, 61 : la seconde partie de cette phrase est obscure).

2. Il le dit au roi dès 1659 et revint sur ce point en termes plus explicites en 1663 : S. M. considérant qu'il n'y avoit rien qui portait plus de préjudice à ses peuples que la multiplication des officiers des eslections du royaume qui estant jusqu'au nombre de 22 ou 23 en chacune eslection, non seulement vivoient aux dépens du peuple par l'exercice de cette nature d'administration, mais mesme causoient une infinité de désordres dans les paroisses par les décharges et sou- lagemens qu'ils donnoient aux plus riches par divers motifs d'intérest. » (Clém. II, 60.)

LES ELUS. 117

que le régallement des tailles pourroit estre fait à l'avenir avec plus d'égalité et moins de faveur pour les uns et surcharge pour les autres; que d'ailleurs les taxes des officiers réservés s'em- ployant au remboursement des suprimés, Elle croyoit que dans l'année 1662 le remboursement seroit entièrement achevé, et qu'ainsi cet édit ne nuisoit à personne, et pouvoit profiter à plu- sieurs l ».

Dans chaque bureau d'élection les intéressés firent leur possible pour que ledit ne fût pas appliqué. En juin 1662, le roi dit savoir « tant par les sieurs commissaires départis en ses provinces que par les trésoriers de France, qu'en la pluspart des élections les officiers réservez et supprimez sont dans une telle intelli- gence que l'édict du mois d'aoust dernier et les arrêts du Conseil donnez en conséquence demeurent inexécuttez2 ». L'hésitation du gouvernement devant ces obstacles avait des conséquences fâcheuses pour l'administration, comme le signale l'intendant Pellot à Colbert le 9 novembre 1661 :

11 faut, dit-il, « donner le plus promptement que l'on pourra aux esleus le coup de grâce, car l'incertitude de leur suppression ou de leur choix peut causer beaucoup de désordres, et jusqu'à ce qu'ils soient assurés d'estre choesis ou réservés, ils ne pourront point tra- vailler avec soin et utilité, et ceux qui auroient bonne intention seroient empeschés par les autres 3 ».

C'est avec l'aide des trésoriers de France, adversaires irréduc- tibles des élus, que le remboursement fut opéré : chaque Bureau reçut l'état des officiers supprimés, fut chargé de percevoir les taxes des réservés et de juger les procès survenus à cette occasion. Une série de lettres furent adressées par Marin aux trésoriers pour les exhorter à ce travail : « ce sera le moien de faire voir la nécessité de vos fonctions et de parler plus hardiment pour vostre conservation, à quoy je contribueray de tout mon cœur4 ». Faites « voir que le roy agit de bonne foi 5, » et liquidez

1. Extrait des registres de la Chambre des Comptes, séance du 19 décembre 1661, B. N. fr., 11 048, 238, v°. De leur côté les élus, quoique leur syndicat fût désor- ganisé, intriguaient auprès des personnes influentes à Paris, et entretenaient leurs collègues des provinces dans l'espérance « qu'ils obtiendront leur restablissement comme par le passé, ou en tout cas que les réservez auront diminution de leurs taxes, et les supprimez augmentation de remboursement ». (Préambule de l'arrêt du Conseil du 17 mai 1662, A. D. Calv. Plumitif du Bureau des Finances à sa date). Mais on ne trouve plus trace du syndicat après cette date.

2. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 1662, 69. Des influences de toutes sortes interviennent : En Auvergne, les habitants de Thiers se vantent que leur « Eslection sera restablie par le crédit de Mademoiselle d'Orléans » (Lebas à Colbert, 21 sept. 1664, M. C. 123bis 921); des gens forment un projet « pour le restablissement de l'eslcction de Salers moyennant 600 louis d'or en cas de succès, et pour créer un second président dans celle d'Aurillac moyennant 1650 1. ». (Joly à Colbert, Riom 27 nov. 1663, dans Depping, t. III, p. 59.)

3. Depping, III, p. 4.

4. Lettre de Mann au Bureau des Finances de Caen, (A. D. Calvados, Bureau des Finances, 8 mars 1662.)

5. Lettre de Marin au même, 30 mai 1662, A. D. Calv., registre des commissions

118 LA TAILLE EN NORMANDIE.

l'affaire sans retard. Il leur demande périodiquement l'état de leur travail. Les intendants, de leur côté, reçoivent de Colbert des instructions pressantes; ils doivent activer les trésoriers, envoyer fréquemment des rapports sur les opérations faites. Le mauvais vouloir des élus1, et souvent aussi leur pauvreté*, firent traîner l'affaire en longueur : encore en 1671 on trouve des arrêts du Conseil relatifs à cette question1; en 1681 dans son mémoire général sur les fermes, Colbert dit qu'il faut « fixer les officiers des élections suivant la déclaration de 1661*», ce qui montre que l'opération avait été abandonnée sans être terminée 8.

Maintenir aux élus le droit de faire seuls le département des

^tailles avait été un autre but du syndicat. Ce droit leur avait-été

enlevé en 1642 par le même arrêt qui étaLlissajtJçA^ouypirs

des intendants en matière de taille; le roi avait donné ses

motïïs dans le règlement du 'Il novembre 1641 6, qui mettait les

élus en demeure, pour la dernière fois, de faire le département

« avec égalité et sans aucune faveur ni considération... de faire

porter lesdites impositions aux plus puissants selon leur facultez

et position sans avoir égard à recommandation, considération

» ni affection quelconque »; s'ils n'obéissaient pas, ils étaient

i avertis que le roi établirait « des commissaires en chacune élec-

\ tion, au lieu des officiers d'icelle », et comme ces menaces

des tailles, 1661-72, f" 200. Cette lettre et la précédente semblent être des circu- laires adressées à tous les bureaux des Finances des pays d'Elections.

1. Le 6 juillet 1665 les trésoriers de France à Caen écrivent à Colbert que si, dans leur généralité, le remboursement n'est pas encore achevé, c'est à cause de « la résistance de plusieurs » à se laisser rembourser. M. C. 130 b", 632.

2. Le 24 mars 1664, Claude Bougnrd, élu réservé de Pont-1'Evèque demande au Bureau des finances la permission de vendre son office parce que « à cause des taxes faictes continuellement sur son office d'Elleu il seroit devenu en impuis- sance de payer la dernière », celle de 1661, montant à 2 000 1. (A. D. S. Inf., C, 1166, I°* 65-66). Le 23 mars 16^5, les trésoriers de France à Rouen déclarent qu'ils ne peuvent assurer le complet remboursement dans les élections de Gisors, Magny et Neufchatel « dans lesquelles il y a 5 officiers réservez qui n'ont point acquitté leurs taxes par impuissance de paiement, sur lesquelles taxes le fonds de remboursement des supprimez est en partie assigné ». M. C. 128, 536; cf. une requête présentée au même Bureau par Louis le Boucher, lieutenant en l'élection de Chaumont et Magny, pour obtenir le complément du prix de son office sup-

f trimé : il devait recevoir 3 000 1. et à cette date il n'a reçu que 2 580 1. 13 s. 6 d., e Bureau lui fait payer encore 280 1. 16 s. et le renvoie à l'année suivante pour le paiement du reste. (A. D. S. Inf., C, 1167, f 201.) Le 22 février précédent, l'inten- dant Voysin faisait le même rapport (M. C. 127"", fol. 1001.) A ces difficultés il faudrait aussi ajouter le manque de fonds, les impositions destinées au rembour- sement étant très mal payées (Cf. la lettre de Voysin précitée).

3. Mentionnés dans une lettre des trésoriers de Rouen à Colbert, 12 octobre 1671, M. C. 157 b", f 651.

4. Clém., VII, 265.

5. Du moins Colbert eut le mérite de n'avoir plus recours à des créations d'élus

6our se procurer de l'argent: la proposition lui en fut faite pendant la guerre de ollande, alors qu'il cherchait de l'argent, mais il refusa. Cf. de ces propositions dans Clairamb. 797, p. 60 et suiv., datées de novembre 1676 : on voit entre autres le projet de créer deux, trois ou quatre élus dans chaque élection, de vendre des augmentations de gages, etc., à l'imitation de ce que l'on avait fait au temps de Louis XIII. Tout fut écarté.

6. Ci-dessus, page 45.

LES ELUS. 119

avaient été inutiles, l'arrêt du Conseil du 22 août 1642 avait / ordonné que le département serait désormais fait conjointement | par les élus, l'intendant et un trésorier de France, et même les / élus ne pourraient pas tous y participer : leu^ nombre était limité, à trois.» choisis par l'intendant, qui se trouvait ainsi le maître de l'opération". Si aucun élu n'accepte sa désignation, ajoûTaTTT'aTï'él, lesTntendants recourront à « tels autres officiers ou notables des villes qu'ils adviseront » (art. 4)1.

Les élus se trouvaient ainsi dépossédés de leur principale et plus intéressante fonction. Leur syndicat entreprit la lutte pour / ce motif contre les intendants et contre les trésoriers généraux. Appuyés par la Cour des aides, ils dénoncèrent [es exactions ) X des iixtenjian.ts., les accusant d'être complices des traitants et d accabler le peuplê~au lieu de le soulager suivant leur mission2,' et ils obtinrent satisfaction en juillet 1J348 : ce fut une de leurs grandes victoires. Mais il restait les trésoriers de France : ils avaîènT "êT;é""maintenus" dans leur droit de participer" atf départe- ment par une autre déclaration de juillet 1648, il était spécifié qu' « au cas il fust reconnu par ledit trésorier commissaire lorsqu'il travaillera à ladite assiette et département qu'il y eust quelque intelligence entre lesdits esleus pour soulager aucune desdites paroisses ou en surcharger d'autres, la voix du dit tré- sorier de France depputé estant suivie de deux voix des dits officiers de l'eslection prévaudra ». L'acte ajoutait que les man- dements aux paroisses, intitulés à la fois des trésoriers de France et des élus, devraient être expédiés « devant que ledit trésorier délégué soit party de l'eslection » ; enfin si les élus refusaient de vérifier les rôles des collecteurs, il appartiendrait au trésorier de le faire à leur place3.

Le syndicat des élus entreprit de faire abroger cet acte; mais il rencontra en face de lui je syndicat des trésoriers généraux, et la lutte s'aggrava parce que chaque grôïïpë'Tùr s'ouTënuIpar une Cour souveraine : les élus par la Cour des aides, les tréso- riers de France par la Chambre des comptes*.

1. Le texte de l'arrêt se trouve dans Néron, t. II, p. 674. L'arrêt s'applique à l'imposition de l'année suivante 1643, mais ces dispositions seront rendues per- pétuelles par la déclarntinp du 16. nvrjl Jj&W qui, dans ses grandes lignes, demeu- rera en vigueufjusqu'au xvm* siècle. Cette déclaration ne fut pas enregistrée en Normandie, et ne figure pas dans les Règlements sur le fait des Tailles... en Nor- . . mandie, mais il est probable qu'elle fut néanmoins appliquée dans la province/ Jpfif*-' par les soins des intendants, comme partout ailleurs; au Parlement de Paris! l'enregistrement rencontra des difficultés : il fallut pour l'obtenir les lettres du

16 juin 1643. (Vieuille, p. 95.)

2. Voir notamment les plaintes des élus de Fontenay-le-Comte contre l'inten- i dant de Poitou, le sieur de Villemontée en 1643. B. N., fr. 17479, 167-8.

3. B. N., fr. 18 479, f°' 23-30, papiers de Séguier. Cette déclaration fut sans doute rendue à la suite des démarches des trésoriers de France auprès du Gou- vernement : cf. leur requête au roi, ibid., 32.

4. Circulaire des syndics des élections à leurs collègues, 25 mars 1652. « Il est encore de nostre devoir de vous faire expressément scavoir les singulières obligations que toutes les compagnies des eslections ont aux Cours souveraines,

120 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Les écrits publiés de part et d'autre exposent les prétentions réciproques des deux corps : les trésoriers soutiennent qu'ils sont les supérieurs des élus : « ils ont l'honneur d'estre les aisnez entre les officiers, et quand ils ont esté partagez avec les généraux des aydes, qui sont venus d'eux, les roys ont conservé aux trésoriers généraux de France le soin et la direction du sacré domaine et de toutes les finances ordinaires et extraordi- naires » ; les Cours des aides n'ont donc pas le droit de sou- tenir les élus dans leur « rébellion », et le roi doit « faire ren- trer les esleus dans leur devoir, authorisant sur eux le pouvoir légitime des trésoriers généraux de France, en donnant un nouveau règlement entre les Bureaux et les Cours des aides1 ». Les élus leur « doivent naturellement honneur et respect par l'institution de leurs charges, par quantité d'édicts et déclara- tions, et par autant d'arrests portans peines et amendes contre ,eux, et pouvoir aux trésoriers de France de les mulcter, qu'il leur est arrivé de fois de sortir des termes de leur debvoir2 ». Il faut donc « faire tenir dans leur devoir tous ces officiers qui entreprennent sur la jurisdiction les uns des autres, et les esleus surtout, par un chastiment exemplaire, pour avoir perdu tout respect envers leurs supérieurs naturels et légi- times* ».

Sur leur droit à faire les départements, les trésoriers invo- quent non seulement les récentes déclarations, mais de vieux textes législatifs : un règlement de 1603 leur avait attribué la réformation des départements faits par les élus quand les paroisses seraient « tombées en non-valeurs » ; les édits de mai 1635 et mars 1637 qui créaient de nouveaux offices de tré- soriers de France leur conféraient expressément le pouvoir de

et particulièrement à Nosseigneurs les Premier Président et Procureur général de la Cour des Aydes, qui en toutes occasions se portent à nous donner des preuves très-constantes de leur favorable protection, ainsi qu'ils ont fait lors de l'arrest d'icelle Cour du 1er mars dernier, qui est l'arrest le plus advantageux et le plus considérable que nous puissions souhaiter >, et ils les invitent à leur adresser « des lettres de remerciement *. (Lf 38 14.) Cf. encore le mémoire des Trésoriers de France de 1649, art. 3 : « leur audace [des élus] a esté fomentée et peul-estre suscitée par la Cour des Aydes qui entreprend impunément de favoriser leur rébellion; il est notoire que ce n'a esté qu'ensuitte des arreats qu'elle a donnez qu'ils ont eu la hardiesse de violer les ordres du Conseil et des trésoriers de France ». (Lf 13.)

1. Troisième mémoire des trésoriers de France, 1649, art. 7 et 9. (Lf 38 13.)

2. Premier mémoire, art. 2, Lf '* 13. Les trésoriers de France réclament donc le droit de surveiller les élus, de les corriger et les réprimander quand ils contre- viendront aux ordonnances, d'enregistrer leurs nominations, de juger en appel leurs sentences, de régler les difficultés relatives à leurs gages « et tout ce qui regardera le faict et direction des finances » ; en même temps ils prennent des précautions contre la Cour des aides en demandant que leurs sentences ne puis- sent être frappées d'appel que devant le Conseil; puis ils cherchent à faire sup- primer le syndicat des élus : il faut, disent-ils, leur défendre « de continuer ce com- merce par eux entrepris sans aucun titre ny permission » ; qu'on renvoie dans leurs provinces ces « prétendus syndics » qui s'assemblent à Paris (art. 4 et &).

3. Phrase d'un mémoire des trésoriers de France citée dans la réponse des syndics des élections, 1650, B. N., Lf 3* 12, 2.

LES ELUS. 121

« présider » au département des tailles1. Ces actes confirmés par la déclaration du 16 avril 1643 et celle de juillet 1648 consti- tuent pour les trésoriers un droit à leur avis incontestable.

Les élus répondent sur le premier point la supériorité hié-/ rarchique des trésoriers de France que ceux-ci l'affirment', sans la prouver; ils rappellent qu'à l'origine les élus étaient! seuls agents financiers du roi dans tes provinces, les trésoriers de <France~ ne s'occupant^gue du domainër*lës~généraux des finances, à leur création, n'eurent autorité que sur les comptables comme agents de la Chambre des comptes et. non sur les élus, subordonnés à la Cour des aides ; la fusion des deux fonctions de trésoriers de France et généraux des finances ne changea rien à leurs attributions. Quoi qu'ils en disent, les Bureaux des finances ne forment pas une cour souveraine puisque leurs sen- tences sont sujettes à l'appel2.

Quant au département des tailles, il est certain que les tréso- A riers ne l'ont fait qu'à titre exceptionnel : le règlement de 1603 « qui est leur plus fort bouclier,... n'a point esté adressé aux cours souveraines, qui ne l'ont point vérifié, mais a esté seu- lement adressé aux trésoriers, qui ne sont point capables de faire aucune vérification, n'estant point juges souverains; dont s'ensuit que l'on n'y doit avoir aucun égard, veu mesme qu'il n'a jamais esté observé, ce qui fait que Fontanon ne le rapporte point dans ses Ordonnances 3 » ; les édits de mai 1635 et mars 1637 ne sont que des édits bursaux, un accroissement de pouvoir n'a été accordé aux trésoriers que pour leur vendre plus cher leurs offices; enfin les actes de 1642 et 1643 étaient « des com- missions extraordinaires, lesquelles ont pendant ce temps des-

1. Ces textes sont mentionnés dans les mémoires des trésoriers de France. B. N., Lf38 11 et 12.

2. Sur les reproches adressés à leur syndicat, les élus font une réponse vive : « Jamais les syndics des eslections n'ont escrit des lettres dans les provinces gré-

judiciables aux affaires de S. Si Ce reproche peut estre fait avec beaucoup

plus de justice aux adversaires, qui ont esté chastiez pour des lettres séditieuses par eux envoyées dans les provinces ». « Jamais les syndics n'ont donné autre conseil aux officiers des élections que de contribuer de tout leur pouvoir pour l'accélération du recouvrement des tailles, de faire leurs charges avec honneur et se maintenir contre les entreprises des trésoriers généraux. » (Réponse des élus aux art. 1er et 11 du 1er mémoire. B. N., Lf 38 13, p. 1. Je n'ai pu trouver les « lettres séditeuses » dont il est parlé ici). Et ils concluent : « C'est ce désir insa- tiable d'empiéter sur la juridiction des eslus qui leur a fait vomir dans leurs libelles tant d'injures et de calomnies, pour lesquelles il y a lieu non pas de les renvoyer dans leurs bureaux, car ils y sont inutiles au service du Roy et de l'Estat, mais de les punir d'un chastiment digne, sauf correction, de la fausseté de leurs accusations. » Les trésoriers de France qualifient les élus de « saute- relles d'Egypte qui avoient dévoré la terre » et ceux-ci répondent que leurs adver- saires ont parmi eux des « commis de partisans, fils de procureurs, roturiers et de si basse naissance que leurs parens sont encore taillables et cottisez par les officiers des Eslections », et ils affirment que certains trésoriers sont complices des partisans, et ont commis des « crimes » dans l'exercice de leurs fonctions. (Lf 38 12.) Par on voit à quel degré la polémique était montée.

3. Lf 3S 18 : Respouse des syndics généraux des officiers des Eslections... aux observations des trésoriers provinciaux en France, 1650.

122 LA TAILLE EN NORMANDIE.

f touillé les officiers du royaume de la jurisdiction et fonctions de eurs charges », et ont été révoquées en juillet et octobre 1648*. Par contre, le droit exclusif des élus est proclamé par nombre d'ordonnances solennelles et incontestables, comme celles de 1452, 1508, juin 1517 (art. 5 et 6), décembre 1594, mars 1600 (art. 2), janvier 1634 (art. 42).

A ces arguments de droit, ils ajoutent des arguments de fait :

« Que si les Trésoriers de France estoient admis en l'assiette des- dites tailles, le service du roy en recevroit un notable préjudice, parce qu'estans puissans en biens, et possédans plusieurs seigneuries dans I l'estendue de leur généralité, ils travailleroient à la descharge et au i soulagement de leurs paroisses, et ainsi réduiroient en non-valleurs toutes les tailles de S. M. *. »

« Lintérest, disent-ils ailleurs, que quelques-uns des trésoriers ont dans le party des tailles, dont ils demeurent tacitement d'accord, est un des motifs qui les portent avec tant d'ardeur à vouloir devenir maistres des impositions; ils ne font point de difficulté en ce rencontre de se rendre juges de leur propre faict, d'opprimer les peuples pour se tirer d'affaire... Mais si en présidant aux départemens ils avoient si peu d'authorité que de ne pouvoir donner une favorable diminution aux paroisses qui leur appartiennent, comment pour- roient-ils empescher le soulagement de celles qui seroient, ainsi qu'ils dient, favorisées par les eleus'? »

/ A la suite de cette polémique, les élus obtinrent en partie gain de cause : à la fin de 1648, la déclaration qui donnait la présidence des départements aux trésoriers, répétée par les commissions des tailles, fut rapportée, et les élus recouvrèrent leur ancien privilège. Voici comment l'obtention de ce succès est racontée par les syndics a leurs collègues dans une circu- laire du 27 avril 1649 * : « Leurs députez [des trésoriers de France] qui sont de par de ça avoient, par leur intrigue, fait insérer, dans les commissions de l'année présente 1649 qu'ils pourroient députer quelqu'un d'entr'eux pour assister et pré- sider dans les bureaux de nos eslections aux départemens des tailles, afin de se rendre, s'ils pouvoient, maistres d'une de nos principales fonctions; nous avons esté obligez, pour nous acquitter de notre devoir, de faire très humbles remonstrances sur ce sujet à Nosseigneurs des Finances, qui les auroient trouvées plaines de justice, et fait dresser lesdites commissions en la manière accoustumée, etcontrooller de nouveau, dont nous vous avons pleinement informez. » Les trésoriers n'ayant pas voulu reconnaître ce changement, la Cour des aides, sur les

1. B. N., Lf" 11 (1649).

2. Ibid.

3. Ibid., 12.

4. Ibid., 7.

LES ELUS. 123

instances du Procureur général l, a rendu un arrêt « en vertu duquel vous pouvez et devez maintenir l'authorité de vos charges, non seulement en ce chef, mais aussi en tout autre et en la conservation de vos privilèges ». Mais la Cour n'a rétabli le privilège des élus que pour un an, et elle y a mis comme condition qu'ils emploieraient tous leurs soins « pour bien faire payer les deniers du roy ». A la suite de leurs instances, elle prolonge ce délai de deux ans, malgré les protestations des tré- soriers2, mais les élus ne cessent d'être tracassés par leurs adversaires. .»— ,

Le retour de Mazarin en 1653 mit un terme a cette que- j relie. L'épreuve avait montré que ni les trésoriers ni les élus n'étaient capables de répartir l'impôt avec zèle et désintéres- sement; un gouvernement fort ne pouvait employer ces agents dénués de zèle et d'honnêteté. Tandis que l'on travaillait à dissoudre les deux syndicats 3, les intendants étaient réinstallés dans les provinces4, et prenaient la place des deux adver- saires. "*--

Ce rétablissement des intendants, on l'a vu, n'alla pas sans

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d'intervenir dans la répartition de la taille entre les élections, les élus" voulaient leur enlever le département. A la fin de 1661, ifs adressèrent au roi un long mémoire ou" la conduite de ces intrus était sévèrement jugée. Tant que les impôts ont été « tant soit peu réglés et modérés », disaient-ils, il n'y a pas eu de non-

1. Il faut adresser des remerciements particuliers à Mgr le Procureur général, « qui s'estant rencontré en cour avec nosseigneurs des Finances, ausquels les sieurs trésoriers de France vouloient persuader qu'ils avoient droict d'aller par les paroisses de l'eslection de Paris et par les eslections de la généralité pour informer des dommages et degasts faits par les gens de guerre pendant les troubles derniers et faire le régalement de la somme de 700 000 1. dont S. M. veult et entend faire remise aux contribuables des tailles de ladite eslection de Paris, et de la somme de 200 000 1. sur les autres paroisses de la généralité de Paris qui ont pareillement souffert pendant lesdits mouvemens; ausquelles pré- tentions desdits sieurs trésoriers Mgr le Procureur général se seroit opposé, et remontré qu'iceux n'ayant aucune jurisdiction contentieuse, ils ne pouvoient faire lesdites informations ny procéder audit régalement, que cela dépendoit de la fonction des officiers des Eslections... De quoy nosdits seigneurs du Conseil sont demeurez d'accord, et dont nous estimons nécessaire de vous donner advis. »

2. Les trésoriers de France publient un mémoire à la fin de 16'i9 ponr expli- quer que leur droit de présider au département a été supprimé « la présente année pour quelque motif particulier, sans tirer à conséquence », parce qu'il n'y avait qu'à « suivre celuy [le département] de l'année passée à la diminution près de 1/5 de remise sur chaque paroisse, suivant la déclaration du roy ». Lf3S 12; les élus répliquent que « ce qui a esté trouvé bon en une année ne peut estre vicieux et défectueux l'année prochaine ny les suivantes ». Pendant les deux années 1650 et 51 encore, certains bureaux des finances refusent de leur délivrer les commissions des tailles et les gardent à leurs greffes. (Circulaire des syndics, 25 mars 1652, Lf38 14.)

3. Une réorganisation de l'administration centrale était également faite dans les finances : Servien et Fouquet étaient nommés surintendants des finances et Menardeau-Champré, directeur; les élus espéraient que ces nominations leur seraient favorables : cf, les harangues flatteuses qu'adressèrent aux nouveaux promus leurs syndics (B. N., Lf38 15) mais ils ne tardèrent pas à être détrompés.

4. Voir ci-dessus, p. 48.

124 LA TAILLK KX NOHMANDIE.

valeurs; « mais depuis qu'il n'y a eu plus de régie ni de mesure dans les impositions et qu'on a envoyé des intendants et des commissaires dans les provinces, il y a eu des non-valeurs et restes ».

Les intendants, « estant pour la plupart à la dévotion des traittants qui les choisissoient et envoyoient dans les provinces, (ils) ont faict et font encore les départemens et assiettes selon leur caprice, sans prendre les suffrages des offleiers, et sans considérer les forces des

f croisses, chargeant pour l'ordinaire les bonnes qui payent et font eur devoir, et diminuant les mauvaises, aCn d'assurer les recouvre- mens qui estoient en party sans se soucier de ceux de l'advenir : telle- ment qu'ils les ont toutes réduites à un raesrne point, c'est-à-dire hors d'estat de pouvoir payer leur imposition, s'il n'y est pourveu par V. M., au lieu que les officiers avoient coustume d'y procéder tout d'une autre manière, faisant droit à chacune parroisse sur ses pertes et transla- tions de domicile des habitans, et visans plustost a conserver et faire subsister leur eslection qu'à servir aux volontez et à l'avarice des traittans... On a procédé avec toutes les rigueurs et violances imagi- nables; on a traitté vos subjects, Sire, non comme subjects, mais comme ennemis ou comme rebelles; on a employé premièrement des fuzeliers et carrabiniers destinez exprès, puis on a envoyé contre eux les trouppes qui estoient dans les provinces, qui ont vescu à discré- tion dans les paroisses, pillé et rançonné les habitans, et n'en sont sortis qu'après les avoir ruynés de fond en comble, ayans bien sou- vent eux-mesmes mangé et consommé vos deniers, comme il se pra- tique encore à présent en divers lieux : au lieu qu'auparavant un huissier ou deux les faisoient venir dans vos receptes '. »

Mais cette opposition fut sans résultats. Les intendants, appuyés par le Conseil, demeurèrent dans les généralités, avec le pouvoir de faire le département de la taille; les élus virent leur nombre réduit par ledit d'août 1661, et tout rentra dans l'ordre. Trésoriers généraux, élus, intendants, durent collaborer à la répartition des impôts, et l'intendant devint bientôt leur chef incontesté.

L'hostilité subsista pendant bien des années entre les tréso- riers et les élus; elle se manifestait surtout lors des chevauchées des trésoriers dans les élections : le 13 juillet 1662, M. du Boscage, trésorier de France à Caen, vient faire sa chevauchée a Valognes; il convoque devant lui le président de l'élection, qui lui fait répondre par deux fois « qu'il alloit en conférer à sa compagnie » et finalement ne comparaît pas. M. du Boscage apprend que les élus font, dit-il, « raillerie de nos semonces et du sujet de nostre dit voiage », et il doit se retirer sans rien faire2. Le 20 décembre lb70, les élus de Caen refusent également de comparaître devant M. de Fourmentin, trésorier

1. B. N„ Recueil Thoisy, 413, 222.

2. A. D. Galv., Bureau des Finances, liasse de chevauchées des trésoriers généraux.

LES ELUS. 125

de France1. Le 23 juin 1683, les élus de Mortagne ont déclaré à M. Farcy du Parc, trésorier général en chevauchée, « qu'ils ne pouvoient obéir aux ordres du roi, parce que cela faisoit tort à leurs charges et qu'il leur estoit préjudiciable de reconnoître tant de supérieurs » ; en outre ils se « sont portez à cet exceds d'hardiesse qu'ils ont fait signifier des actes dudit sieur de Farcy du Parc en des termes dont le stile et le discours sortent du respect qui est deu à S. M. » Même refus est fait, quelques jours après, par les élus d'Alençon. Ces deux dernières affaires eurent une suite assez grave : le Bureau des finances, offensé par ces « rébellions », sans doute concertées, intligea aux deux élections des amendes de 50 1. et suspendit les gages des officiers jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait; mais les élus firent appel de cette sentence devant la Cour des aides qui annula les poursuites. Cet arrêt, loin de régler l'affaire, la compliquait, car les trésoriers généraux refusaient d'admettre l'appel de leurs sentences devant la Cour des aides; ils décla- rèrent qu'ils ne devaient « raison de leurs ordonnances qu'à S. M. et à son conseil, ainsi que ladite Cour », et il fallut faire régler le conflit par le roi : à la poursuite de l'intendant, un arrêt du conseil du 2 octobre 1683 cassa la procédure et ordonna « que les officiers des eslections d'Alençon et de Mortagne seront tenus de recevoir dans leurs bureaux les trésoriers de France au Bureau des finances d'Alençon faisant leurs chevauchées et de conférer avec eux sur Testât des biens de la terre et sur les ordres de S. M. et de son Conseil qu'ils auront à leur commu- niquer, à peine d'interdiction contre les officiers qui refuse- ront de s'y trouver. Enjoint aux officiers desdites eslections de porter honneur et respect auxdits trésoriers de France d'Alençon 2 ».

En 1663, le Bureau des finances de Rouen ne peut obtenir des élus les copies des départements faits par eux depuis 1657 ; ayant rendu à cet effet une ordonnance au début de l'année, il constate le 7 décembre qu'aucune élection n'a envoyé ses copies; le 18 avril suivant, les élus de Rouen n'ont pas encore envoyé la leur; le Bureau ordonne de saisir les biens du greffier de l'élec- tion pour l'obliger à s'exécuter3. Mais, comme disait un con- seiller d'Etat en 1665, ces élus avaient

« des appuys et supports dans les Cours des aydes, ce qui ne doit estre, et on ne doute point que la Chambre de justice n'aye desjà donné à V. M. les advis nécessaires pour corriger tels abus 4 ».

On a vu que Colbert aurait voulu supprimer complètement

1. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 22 déc. 1670.

2. A. D. S. Inf., G, 1464, pièce 43.

3. A. D. S. Inf., C, 1165 fos 22 et 82.

4. Rapport du conseiller La Marguerie, Clairamb. 613, 304.

126 LA TAILLE EN NORMANDIE.

les élus. Faute de moyens, il les conserva pour la plupart et se résigna a les utiliser. Ils demeurèrent des agent! très médiocres. Sur ceux de Normandie, nous avons des renseignements qui ne laissent aucun doute. A maintes reprises les intendants leur interdisent « d'exiger aucune chose des collecteurs des paroisses », sous prétexte de percevoir directement leurs gages; de se faire payer leurs déplacements quand ils vont constater les ravages d'une grêle ou d'une inondation ; de surtaxer leurs frais de procès1. Ils prononcent des sentences contraires aux ordonnances et à l'équité, ils couvrent de leur autorité les fraudes et les injustices. Des rapports dressés par les intendants entre 1682 et 1684 nous apprennent que dans la généralité de Rouen « il y a quelques eslections, et dans les autres quelques officiers qui abusent du pouvoir de leurs charges » ; il y a long- temps, ajoute l'intendant Leblanc, « que je les ay advertis que s'ils ne changeoient vous en feriez un exemple; j'ay remédié autant qu'il m'a esté possible à leur mauvaise conduitte2». A Gisors, le président et le lieutenant « sont gens ruinez et capa- bles de tout » ; ils « ont pris des mesures pour empescher que l'imposition de 4000 1. que vous avez ordonnée estre faite sur privilégiez et non privilégiez ne pust réussir, par les difficultez et descharge qu'ils donneroyent ». Il a ordonner que la nomi- nation des collecteurs de la ville de Gisors fût faite « à l'hostel de ville en présence des eschevins afin que les esleus n'en feussertt pas ies maistres » ; de même l'adjudication des octrois est une source de voleries pour ces personnages malfaisants *. Le 27 octobre 1683, il dénonce au Conseil un élu de Rouen qui, prétextant une maladie de sa femme, s'est absenté du bureau et a tenu, seul avec un clerc, une audience « pour juger des affaires qu'il affectionoit* ». Le 2 juillet 1682, il écrit encore : « J'excite depuis longtemps les officiers des eslections et des greniers à sel à faire leur devoir, une partie des eslections et greniers a sel se sont réduits et ont quitté le mauvais usage de la province,

1. Voir B. N. ma. fr. 8761";, P 223: M. C, 239, f> 79; A. D. S. Inf., C, 1166, 13: C, 2215, etc. Voir aussi dans Depping, t. III, p. 4-3, les abus commis par les élus de Poitiers en 1661. Dans les antres généralités on trouve fréquemment des jugements défavorables aux élus : dans la généralité de Chalons en 1678 l'in- tendant écrit que les désordres de l'élection de Troyes tiennent à « la méchante conduite des élus qui, n'estans capables de résister aux présens, changent les col- lecteurs nommés par les communautez autant qu'ils s'en présente, et donnent des sentences de modération sans nombre, passant par-dessus toute formalité ». (L. du 20 juillet, A. N., G~ 223.) Dans la généralité de Bordeaux, l'intendant de Ris écrit le 23 juin 1684 que les élus sont presque tous < indisciplinés et prévari- cateurs » ; le pseudo-testament politique de Colbert attribué à Sandras de Courtils déclare traduire une opinion courante en disant qu' il n'y a pas une élection en France qui ne soit pensionnaire des partisans ». (3* éd. t. II, p. 232.)

2. L. du 23 mai 1682, B. N. fr. 8761, 53. Cf. 8761"", f 59 et 63.

3. L. du 13 février 1682, ibid., P 42. Cf. lettre de Barin de la Galissonnière du 2 sept. 1671 : les élus de Pont de l'Arche, dit-il, n'ont ny sens ny raison. » (M. C. 157, P 410).

4. A. N., G^ 492.

LES ELUS. 127

aprez leur avoir dit que vous ne souffririez point qu'ils abusassent des fonctions de leurs charges pour vexer et piller le peuple1 ». Dans la généralité d'Alençon, les élus de Conches « sont peu habiles et paroissent aymer fort la pratique; il sera bon, ajoute l'intendant, que j'aye souvent l'œil sur leur conduite2 ». A Mor- tagne,

« les eslus se taxent de très fortes espices pour les soliditez et pour tous les procez qu'ils jugent; ils obligent mesme l'un des collecteurs de prester le serment afin de pouvoir saisir les meubles des contri- buables Enfin on peut dire que les eslus du siège ne perdent

gueres d'occasions de taxer leurs salaires un peu trop fortement et pour des choses desquelles ils ne doivent rien prendre, mais il y a un nouveau procureur du roy qui est honeste homme et qui s'aplique aux fonctions de sa charge, lequel estant un peu secondé, restablira un meilleur ordre. »

Leurs abus viennent en partie de ce qu'ils sont divisés en trois sièges : Mortagne, Bellême et Nogent3. En revanche les élus de Bernay « sont pour la plus grande partie fort habiles, fort exacts et désintéressés4 ». En 1684 le même intendant écrira au contrôleur général : « En vérité, Monsieur, la chose la plus utile que vous pouviés faire pour le peuple est la réforme que vous voulés faire dans les eslections en ostant les mauvais offi- ciers 5. »

Les élus de Caen, en 1684, sont « capables et assidus », mais « les espices sont un peu fortes6 »; ceux de Mortain « sont fort ignorans, mais en récompense ils ne sont pas fripons et il y a peu de procès dans leur jurisdiction 7 » ; le président, qui possède sa charge depuis 1682, passe pour un honnête homme, a de l'esprit et, détail notable, n'a pas commis de friponnerie avant son entrée en fonctions 8.

1. A. N., G? 491.

2. L. du 25 mai 1683, A. N., G? 71.

3. L. du 11 septembre 1683, ibid. Cf. ci-dessous, p. 131.

4. L. du 6 mai 1683, ibid.

5. L. du 10 déc. 1684, ibid.

6. L. du 30 juin 1684, A. N., G' 213.

7. L. du 25 juin 1684, ibid.

8. L. du 26 janvier 1682, ibid. i Pour la généralité de Rouen, nous avons des notes envoyées par l'intendant

en 1673; elles concernent seulement les élus qui avaient été choisis pour faire les taxes des francs-fiefs, c'est-à-dire apparemment ceux qui étaient jugés les meil- leurs. Ces notes ne sont pas excellentes et permettent de mal juger les autres élus :

Election de Rouen : Lepage, président de l'élection est « honneste homme mais il ne peut pas se transporter dans l'estendue de l'eslection à cause qu'il est . trop âgé ».

Pont-de-1' Arche : Duparc-Vallée, lieutenant, est « honneste homme ».

Caudebec : Marpellé, président, est « honneste homme mais peu intelligent ».

Montivilliers : Lemarchand, président, est « intelligent mais malhonneste homme; il a donné des mémoires de gens qui ne sont points sujets au droit [de franc- fief] et a celé ceux qui le doivent ».

Lyons et les Andelys : Delatour, lieutenant, est « honneste homme ». (Clairamb. 795, p. 313.)

ISI LA TAILLE EN NOIIMANDIK.

ii mauvaise conduite des élus était entretenue, en grande partie, par l'insuffisance de leurs appointements : leurs gages déjà modiques (ils varient de 160 à 500 1. pour des charges qui ont coûte de 4000 1. à 8 000 1. '), ne leur sont payés qu'en partie, et très irrégulièrement; aucun ne touche plus de deux quartiers par an, et les retards de plusieurs années dans les payements sont chose courante : en 1665, un élu de Rouen en est encore à réclamer le reste de ses gages des années 1646 et 1652, montant à 95 1. 15 s. 6 d.; pour les obtenir, il lui faut une sentence du Bureau des Finances dont les frais s'élèvent à une douzaine de livres2. En 1661, un élu de Carentan établit qu'il n'a reçu aucuns gages depuis 1653 : le receveur lui déli- vrait des bons pour se faire payer directement par les collec- teurs de deux paroisses qui étaient insolvables; le Bureau des finances de Caen, le 30 mai, ordonne le paiement de la moitié de ses gages pour les années 1653 à 1658 seulement, et encore « à proportion des fonds laissez dans les estats du roys ». A tout propos, sur les états de comptabilité, leurs gages sont rayés, suspendus, réduits, et pour obtenir ensuite leur paiement ils sont obligés d'entamer des procédures longues et coûteuses.

Il leur était nécessaire de gagner de l'argent au moyen de « la pratique »; les épices devaient suppléer à l'insuffisance des appointements. Mais le nombre des affaires soumises à leur juridiction allait sans cesse en diminuant depuis que les attri- butions des intendants se multipliaient, et leurs revenus étaient réduits par la volonté de Colbert qui leur faisait juger « som- mairement et sans frais » la plupart des procès relatifs aux impôts. Leur abaissement est manifesté par la diminution du prix de leurs offices : telle charge d'élu qui valait 5 ou 6000 1. en 1665 n'en vaut plus que 3 ou 4000 en 1680. En 1684, l'inten- dant de Caen écrit : « Les officiers des élections ont si peu de pratique pour les tailles que le revenu de leurs charges est diminué d'un tiers depuis six ans* »; les élus de Lisieux en sont réduits à demander l'autorisation de payer l'annuel en trois paiements échelonnés chacun à un an d'intervalle : « nous ne jouissons, disent-ils, que d'un quartier de nos gages qui à peine pourra suffire pour paier chacun an les prests des trois premières années et le droit annuel » ; ils sont tous endettés6. En 1689, le contrôleur général sera obligé d'inviter

1. Par exemple dans l'élection de Rouen en 1665, le président, dont la charge vaut 12 000 1., a 374 1. de gages; le greffier dont la charge vaut 15 000 1. n'a que 254 1. ; dans l'élection d'Arqués, le président reçoit 165 1. pour une charge de 10 000 1., etc. (Mémoire de Voysin, p. 219-223.)

2. A. D. S. Inf., C, 1167, f°' 165-6.

3. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, 1661, 222.

4. L. du 10 juillet 168'i, A. N., G? 213.

5. L. du 3 février 168», ibid.

Cf. les plaintes des élus au début du ministère sur l'avilissement de leurs

LES ELUS. 129

les intendants à laisser aux élus plus de procès à juger, pour que leurs charges ne s' « avilissent » pas complètement1.

Depuis très longtemps les ordonnances faisaient une obliga- tion stricte aux élus de résider au siège de leur élection 2. Par on voulait non seulement assurer leur assiduité aux séances, mais aussi permettre aux agents du roi qui avaient besoin d'eux de les trouver aisément. Mais les élus préféraient demeurer sur leurs terres ou dans leur ville d'origine, et la plu- part ne résidaient pas. La seule peine édictée en pareille matière, la privation de l'office, était d'application difficile, car elle entraînait le remboursement de cet office. Le règlement de janvier 1634 avait atténué la pénalité pour la rendre plus sen- sible, en ne stipulant plus que la privation de l'exemption de taille3, mais le désordre de la période mazarine avait empêché l'exécution de cet article.

Un des premiers arrêts rendus par le Conseil des finances réorganisé fut pour inviter les élus à résider. La suppression de l'office, de nouveau prononcée en cas de non-résidence, devenait plus facilement applicable par la réduction du nombre des élus à laquelle on travaillait depuis le mois d'août précédent : les élus conservés qui ne résideraient pas pouvaient être rem- placés par des officiers supprimés \ L'obligation fut encore rappelée par la déclaration du 29 décembre 1663, visant géné- ralement tous les officiers des finances, des maréchaussées et autres 5. Les procureurs du roi dans les cours des aides et les élections étaient chargés de l'application : ils devaient fournir un certificat de résidence, qui seul permettrait aux élus de tou- cher leurs gages.

offices; ceux de Saintes écrivent encore en 1665 que leurs charges sont « depuis quinze ans hors de tout commerce par leur villité et leur malheur ». (M. G., 130b", 6'J5).

1. De Boislisle, Correspondance, t. II, 1076.

2. Par exemple ordonnance de 1483, art. 201 : « Les élus et greffier par nous establir sur le fait de nos aydes et tailles es eslections de nostre royaume... résideront et feront leur demeurance continuelle en la ville capitale et principal siège de leur Election, sur peine de privation de leurs offices » (Guénois, Confé- rence des Ordonnances, t. II, p. 1441), cf. édits de 1435, art. 268; de nov. 1508, art. I (ibid.); let. pat. 30 juin 1517, début (G. d. T. I, 45-46), édit de mars 1600, art. 14, etc. L'Assemblée des Notables de Normandie, en 1617, avait demandé que l'on obligeât à la résidence les trésoriers de France et les élus. (Héron, Documents concernant la Normandie extraits du Mercure de France, p. 82.)

des bourgeois des villes franches. (Cf. ci-dessous, ch. v.)

4. Arrêt du conseil du 29 octobre 1661, A. D. Galv., Bureau des Finances, Plu- mitif 1662, 8 v°.

5. Ils devront aller « résider es lieux de leur établissement incontinent après la publication des présentes, à faute de quoy ils seront privez de leur exemption et de leurs gages et droicts, lesquels seront portez en notre espargne » ; les procu- reurs du roi en chaque siège tiendront registre des officiers de leur compagnie en indiquant s'ils résident ou non; ils en informeront les intendants et les bureaux des Finances; les gages d'un officier ne pourront lui être payés que sur un cer- tificat du procureur attestant qu'il réside effectivement. (C. d. T., I, 5'i7.)

LA TAILLE EN NORMANDIE.

ISO LA TAILLE EX NOIl M AM>1 1: .

Les intendants eurent ipéoUlem— I mission de surveiller l'exé- cution de ces ordres; ils les rappelèrent aux intéressés dans leurs ordonnances ou dans les mandements aux paroisses pour la levée de la taille '. Leur correspondance avec le contrôleur général nous fait connaître les résultats obtenus.

Dès 1667, la déclaration du 29 décembre 1663 est méconnue dans la généralité de Caen; l'intendant doit la renouveler par une ordonnance spéciale il nous apprend que beaucoup d'élus « abandonnent et négligent l'exercice de leur charge, qu'ils ne considèrent que pour l'exemption de la taille, et résident aux terres et fermes qu'ils font valloir en des paroisses de la campagne esloignées du siège de leur jurisdiction, les audiences sont bien souvent abandonnées et tenues par un seul officier qui juge les affaires contre les réglemens, selon son caprice, à l'oppression des pauvres taillables qui n'ont le moyen, et se consomment bien souvent en frais pour se pour- veoir de ces sortes de jugements ». Les procureurs du roi négli- gent d'envoyer les certificats de résidence, et les receveurs payent les gages sans les exiger 2.

En 1685, un successeur de cet intendant écrit encore : « La plus grande partie des élus de Carentan et de Mortain n'y demeurent pas et ne viennent à la ville que le jour de la juris- diction 3 ».

Dans la généralité de Rouen en 1682, l'intendant se déclare impuissant à appliquer le règlement et demande un arrêt du conseil « pour obliger les esleus de Montivilliers à résider au siège de l'eslection *». Dans celle d'Alençon, l'intendant ne peut rencontrer un seul élu au siège de Lisieux en août 1683 5.

En beaucoup d'élections, les officiers ont trouvé le moyen d'exercer sans résider au chef-lieu : ils ont installé des « sièges particuliers » dans les lieux ils demeurent, et ils y pro- noncent des sentences valables comme celles du siège principal. Ils y ont été encouragés par les seigneurs des lieux qui ont vu là, suivant un mémoire de 1666. un moyen de « s'authoriser » et de « se rendre maistres » du pays*. Cette pratique, d'après le même mémoire, est générale dans les grandes élections de Nor- mandie; mais on la trouve aussi dans les petites comme Lyons7.

1. Principalement dans la généralité de Caen.

2. Ordonnance de l'intendant Chamillart, 9 septembre 1667, A. D. Calv., élec- tion de Caen, registre d'ordonnances. 1664-74, 195.

3. L. au contrôleur général, 27 juillet. A. N., C 213.

4. L. du 2 janv. 1682, A. N., G' 491. Il accuse réception de l'arrêt le 8 janvier

5. Rapport du 1" sept. 1683, A. N., G7 71.

6. Mémoire anonyme adressé à Marin, publ. en appendice du Mémoire sur la géné- ralité de Rouen, p. 274. Des « élections particulières avaient été instituées autre- fois par le gouvernement lui-même, mais différents édits les avaient supprimées.

7. L. de Leblanc à Colbert, 13 juin 1682 : « Quoyque l'eslection de Lyons n'ayt que soixante-cinq ou six parroisses (en réalité 60), quelques esleus pour leur commodité ont estably une espèce de siège à la Ferté-en-bray dont ils sont voi- sins, où ils jugent les affaires des parroisses circonvoisines; dans le règlement

LES ELUS. 131

L'élection de Gisors détache régulièrement un de ses membres à la châtellenie de Pontoise ; celle de Chaumont a un siège parti- culier à Magny, celle des Andelys en a deux, à Gournay et à Vernon; de même celle d'Alençon à Séez et à Moulins. Un élu de Verneuil siège a Châteauneuf, distant de huit lieues *, etc.

Dans ces sièges isolés, il arrivait souvent qu'un seul élu pro- nonçât les sentences : à Séez et à Moulins, « pour l'ordinaire, un seul officier juge et quelquefois mesme le plus ancien advocat ». L'élu de Châteauneuf n'a jamais vu un collègue à côté de lui pour juger. Les injustices sont ainsi grandement facilitées. Si les élus de Mortagne, dit l'intendant d'Alençon, n'avaient des sièges particuliers à Bellême et a Nogent-le-Rotrou, « peut-estre, ne feroient-ils pas bien des choses qu'il seroit bon d'empescher, et ce qui me donne lieu de le croire c'est que ceux qui sont à Bellesme en usent beaucoup mieux que les autres et se plaignent mesme de la conduite de leurs confrères2 ».

Un tribunal d'élection comprend, outre les présidents, lieu- tenant et élus, en nombre qui a été dit plus haut, un procureur du roi, un greffier, des huissiers et des procureurs3. Le nombre total de ces officiers, pour la Normandie, atteint le chiffre de 421 en 1665.

Le tribunal 4 siège et délibère comme les Bureaux des finances ; les juges doivent être présents au nombre de trois au moins pour rendre des sentences valables5; les sentences doivent être pro- noncées en l'audience ou en la chambre du conseil, les juges en robe et en bonnet carré.

Ils connaissent en première instance de toutes les affaires contentieuses qui concernent les aides, les tailles, le tabac, les octrois des villes; ils informent des rébellions produites par la levée de ces droits, enregistrent les baux des fermes, les titres de noblesse et les provisions d'offices portant exemption d'impôts. Leurs jugements sont sans appel pour toute cause n'excédant pas 30 1.; pour les autres, l'appel a lieu exclusivement à la Cour des aides de la province.

Le ou les présidents ont spécialement pour fonction d'« exa- miner les comptes des collecteurs, faire les enquestes et audi- tions de tesmoins, et taxer les dépens ». Le lieutenant doit

(jue tous ferez pour les tailles, il faudra s. v. p. retrancher ces sortes de siégea et les réunir au bureau de l'eslection. » (B. N., fr. 8761, 55, v°.)

1. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 130 et 158; rapport de l'intendant d'Alençon, 1er septembre 1683, A. N., G" 71.

2. Rapport de l'intendant de Bouville, 1er septembre 1683, A. N., G7 71.

3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 130.

4. Je ne fais que résumer ici le chap. vi de Vieuille, Traité des Elections, en éliminant les règles établies postérieurement à 1683.

5. Les sentences inscrites au plumitif de l'élection de Falaise, en 1677, sont géné- ralement signées par deux élus seulement, rarement par trois, jamais par un plus grand nombre.

132 LA TAILLE EN NORMANDIE.

« instruire tous les procès criminels [et] tenir le sceau de l'eslection ». Un des élus est assesseur du président1.

C'est surtout à la fin de sa vie que Colbert, obligé de con- server les élus, se préoccupa de les soumettre aux règlements pour tirer d'eux quelque utilité. Dans sa circulaire aux inten- dants du 14 mai 1682, il écrit :

« Sa Majesté a à présent une très grande application pour régler si bien l'imposition et la collecte des tailles, que ses sujets en soyent considérablement soulagés;... le principal de cette fonction consiste à observer de près la conduite des élus, pour la réduire autant qu'il sera possible dans l'ordre et dans les règles, et les obliger de rendre la justice sur cette matière conformément aux édits, ordonnances, règlements et arrests de Sa Majesté. Elle veut que vous vous appli- quiez avec un très grand soin à bien examiner la conduite de ces officiers, en examinant mesmes les registres de leurs greffes pour voir si les sentences qu'ils rendent sont conformes à ces édits, ordon- nances et arrests, et au cas que vous trouviez quelque abus considé- rable, soit à l'égard du corps de l'élection, soit à l'égard de quelques- uns des officiers, que vous l'en informiez, afin qu'Elle puisse y apporter le remède convenable, soit en les interdisant, soit en les obligeant de se défaire de leur charge, ou par tel autre peine qu'Elle estimera capable de parvenir à la fin qu'elle se propose 2. »

Quelques jours après, il envoie a l'intendant d'Amiens la collection des arrêts rendus depuis deux ou trois ans contre les élus qui ont été trouvés en faute : faites-les voir aux officiers de votre généralité, dit-il, pour les convaincre « qu'avec un maistre aussy esclairé et aussy appliqué au bien de ses sujets que le nostre, il n'y a point d'autre party a prendre que de bien faire son devoir, chacun dans Testât ou il luy plaist de nous mettre ' ».

L'année suivante, il reçoit de l'intendant de Lyon un mémoire qui lui prouve que les élus de la généralité ont une façon de juger à eux, entièrement étrangère aux ordonnances royales. Appliquez-vous, lui répond-il le 24 février, « a rendre la juris- prudence des élus conforme aux édits, déclarations et règlements donnés sur le fait des tailles, et qui sont enregistrés à la. Cour des aydes de Paris, et a empescher que ces officiers ne conti- nuent dans l'usage de se faire une jurisprudence particulière dont la suite ne peut estre que très pernicieuse aux sujets du roy et avantageuse à ces élus... Le roy m'ordonne donc sur ce point de vous dire que Sa Majesté veut que vous déclariez aux élus que s'ils se départent de 1 exécution des édits, déclarations

1. Voir le tableau des offices de lu généralité de Rouen en 1605 dans le Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 220-223; ceux des autres généralités se trouvent aux ms. Cinq cents Colbert, 259-260.

2. Clém. II, 186.

3. Ibid., 190.

LES CHEVAUCHÉES DES ELUS. 133

et règlements donnés par Sa Majesté. Elle n'hésitera pas à les supprimer tous, pour establir d'autres officiers qui seront plus obeissans a ses ordres et qui scauront mieux exécuter ses volontés portées par ses édits et règlements '. » Mais six mois après, Colbert mourait, et ses successeurs abandonnaient l'œuvre entreprise par Sa Majesté.

III. LES CHEVAUCHEES DES ELUS

Tous les règlements prescrivaient aux élus de faire chaque année des chevauchées dans leur élection, pour « s'informer bien particulièrement des moyens et facultez des habitans, de l'abondance ou stérilité de l'année, du nombre des charues et trafic qui se fait esdites paroisses, ensemble de toutes les autres commoditez et incommoditez qui les peuvent rendre riches ou pauvres, comme aussi des noms des exempts et de la cause de leurs exemptions, pour connoitre si aucun d'eux s'attribue induement ladite qualité;... voir s'il y a de l'inégalité es taxes des particuliers habitans, soit en excès ou diminution 2. » Il leur était interdit de « faire leurs chevauchées deux années consécu- tives en même paroisse, ains seront tenus de changer de dépar- tement par chacun an sans pouvoir choisir les paroisses qu'ils auront une fois eues en département qu'ils n'ayent été en toutes les paroisses de leur élection3 ».

En Normandie, les paroisses sont groupées en sergenteries, chaque élu reçoit une ou plusieurs sergenteries pour sa part; il doit se rendre dans chaque localité « incontinent après la récolte », y interroger les principaux habitants, les collecteurs, les marguilliers et les syndics, s'informer de l'état des récoltes et généralement de tout ce qui peut servir de base à la répar- tition de l'impôt. Son procès-verbal doit être déposé au greffe de l'élection4 avant le mois d'octobre, sous peine de privation de ses gages5; en aucun cas les gages ne peuvent lui être payés sans la présentation du procès-verbal 6.

Ces prescriptions accumulées par une législation de plus de deux siècles montrent l'importance qu'on attachait à ces che- vauchées. Dans une déclaration de juin 1517 le roi disait que par la négligence des élus à les faire, il « est advenu et jour-

1. Clém.'VIf, 280.

2. Edit de mars 1600, Art. 3 et 4. Cf. Lubarre, Formulaire, et Vieuille, p. 84-5.

3. Art. 43. Toutes ces règles seront reprises par l'art. 32 de la déclaration du 16 avril 1643, mais celle-ci ne sera pas appliquée en Normandie; les règlements particuliers aux élections ajoutent quelques détails à cette disposition générale.

4. Cf. les édits d'août 1452, art. 16, juin 1517, art. 4, février 1552, art. 1, jan- vier 1597, art. 20, janvier 1634, art. 43, avril 1643, art. 32, etc.

5. Décl. du 16 avril 1643, art. 32.

6. G. d. T., I, p. 547.

134 LA. TAii.i.r. in \«»iim vm.ii:.

nellement .uhinit qu'en faisant par eux t'aMMtte et département de nosdites tailles ils ne scavent par en prendre et foulent ceux qu'ils devroient soulager et en ostent il en faudrait mettre, tellement qu'égalité n'est gardée esdites assiettes1 ».

M fine après qu'aux élus on eut adjoint l'intendant et les trésoriers de France, ces chevauchées conservèrent leur impor- tance, car personne ne pouvait mieux que les élus prendre une connaissance détaillée des ressources de toutes les paroisses. L'intendant d'Alençon, de Marie l'a expliqué après une tournée dans sa généralité il était récemment arrivé :

« J'ay pris quelques mémoires dans la province dont j'ay faict deux fois le tour, mais je ne me flatte pas assez pour croire qu'en huict mois j'en puisse avoir appris autant que tous les esleux ensemble, dispersez en différentes eslections et dans différentes paroisses, des- quelles leur bien particulier [leur] donne des connoissances et des lumières plus asseurées; je puis tousjours vous dire que la pensée de faire grâce et de déférer à la recommandation n'entrera point dans mon esprit 2. »

La difficulté était la même pour les trésoriers généraux, qui d'ailleurs négligeaient complètement leurs fonctions.

Les intendants auraient voulu trouver dans les élus des auxi- liaires utiles. Maintes fois ils les engagèrent à faire soigneuse- ment leurs chevauchées pour les renseigner sur le détail de tout; Barin de la Galissonnière écrit à Colbert le 5 juin 1664 : « J'ay dict aux esleus de ceste eslection d'aler faire leurs visites, et je leur donneray une ample instruction, afin qu'au premier département on puisse esgaler la taille avec plus de justice3 ». Des circulaires leur furent adressées, des recommandations inscrites dans les commissions et dans les règlements. Mais on ne put guère obtenir d'eux. Beaucoup s'abstinrent complète- ment de faire des chevauchées. Pescheur écrit à Colbert en 1665 que « les esleuz ne font plus de chevauchées parce que le quart aes droitz qui leur reste n'est pas suffisant pour les fraiz de leurs voyages*». En 1685, l'intendant de Bordeaux écrit que dans sa généralité les élus « se dispensent de faire leurs chevauchées et ne veulent marcher et faire de procès-verbaux qu'autant qu'ils sont payés6 ». Souvent leurs gages sont suspendus par les Bureaux des finances parce qu'ils n'ont pas remis de procès- verbaux; lorsqu'ils font leur inspection, ils s'en acquittent comme d'une corvée; ils la considèrent comme une simple for- malité pour être payés.

1. C. d., T. I, 47.

2. L. ù Colbert, Alençon, 30 sept. 1666. M. C. 140, 512. Il était arrivé dans la généralité le 11 janvier précédent.

3. M. C, 121, f> 208.

4. M. C. 33, F 293.

5. De Boislisle, Correspondance, t. I, 203, cf. 561.

LES CHEVAUCHEES DES ELUS. 135

Je n'ai trouvé que quatre procès-verbaux de chevauchées : deux de l'élection de Caen datés de 1661, et deux de Lisieux, datés de 1683 et 1684. Les questions posées aux habitants des paroisses sont à peu près les mêmes partout; voici par exemple celles de l'élu de Lisieux en 1684 :

Qui sont les seigneurs et patrons d'icelles parroisses. Combien il y a de fiefs, de quelle qualité y sont, à qui ils appartiennent et de quelles personnes et fiefs ils relèvent1.

Les noms et surnoms de ceux qui usurpent la qualité de noble et qui autrement s'exemptent des contributions aux tailles.

Sy les gentilshommes ne dérogent point, comme prenant dixme à ferme soubs leurs noms ou soubz noms empruntez ou autres vaccations et arts mécaniques.

Les noms de ceux qui se font imposer à des sommes moindres que celles qu'ils doibvent porter, quels biens ils possèdent et combien ils payent.

S'il ne s'est point levé d'autres deniers que ceux ordonnez.

S'ils ont plainte a faire contre les receveurs et huissiers.

Et généralement quelles personnes sont décédez depuis le 1er octobre de l'année dernière, et combien ils payoient de taille2.

Partout les réponses des habitants à ces questions sont vagues; elles se ramènent en général à déclarer qu'ils n'ont à se plaindre de rien : dans toutes les paroisses de la sergenterie d'Evrecy3, en 1661, les contribuables répondent qu'« il n'y a aucun digne de contribution qui ne soit imposé ny qui usurpe le titre de noble, d'exempt ou privilégié, lesdits taillables ne sont oppressez par aucune personne et ne se plaignent de surassis, de sergeant, ny marchant de namps4 »; cependant nous savons d'autre part que ces paroisses étaient misérables parce que les bourgeois de Caen en possédaient la plupart des terres sans y payer la taille; elles devaient des arriérés d'impôt considérables et venaient d'être rançonnées par le receveur Hallot, dont le procès était en instance au Bureau des Finances. L'optimisme du procès-verbal ne peut donc pas être pris à la lettre. Il est douteux d'ailleurs que les élus dans leurs chevau- chées se fussent transportés réellement dans chaque paroisse : le président de l'élection de Lisieux déclare même dans son procès-verbal qu'il s'est tenu « dans la chambre du conseil de l'élection » ; l'élu qui visite la sergenterie d'Evrecy fait son travail dans une seule journée d'après son procès-verbal, or il lui était matériellement impossible de se transporter en si

1. Cette question est posée parce que les élus prétendent avoir connaissance en première instance des affaires concernant la noblesse, lesquelles sont jugées par appel à la Cour des Aides. (V. ci-dessous, ch. v, la recherche de la noblesse.)

*-i. Procès-verbal de la chevauchée d'Antoine Tynan, premier président en l'Election de Lisieux, du 16 sept. 168'», A. D. Galv., C, Election de Lisieux.

3. Election de Caen.

4. A. D., Calv. Election de Caen. Namps désigne les objets mobiliers.

136 LA TAILLB EN NOll.MAXDIE.

peu de temps dans les 19 paroisses de la circonscription. Non seulement ces rapports étaient peu soignés, mais ils étaient encore partiaux, ainsi que le l'ait observer l'intendant Auber dans son mémoire sur la taille, écrit en 1721 : « Les officiera des élections font annuellement leurs visites dans les villages pour en connoitre la force et la portée. Mais ces offi- ciers, outre l'intérêt particulier qu'ils ont les uns et les autres de favoriser respectivement les paroisses dans lesquelles ils ont des fermiers, des parens ou des amis, afin qu'ils soient aussi respectivement favorisez par les collecteurs de ces paroisses, et

3ue ces officiers se trouvent d'ailleurs par divers motifs engagez 'avoir de la complaisance pour les grands seigneurs et per- sonnes d'autorité ayants des biens et des fermiers dans ces paroisses, les receveurs des tailles ont encore leurs vues parti- culières. Ainsi, tous de concert ils composent des états peu fidèles de la force et portée de chacune paroisse, qu'ils repré- sentent à messieurs les intendans, lorsqu'ils font le département des tailles; et comme il est impossible à ces messieurs d'exa- miner si ces états sont vrays ou faux, ils ne peuvent mieux faire que de s'y conformer; et s'ils y apportent quelque changement, ce n'est souvent qu'à la prière et recommandation des personnes qui ont leur intérêt personnel de ne leur pas dire la vérité. C'est ainsi que l'imposition de la taille est faite annuellement sur les paroisses '. »

IV. LA COMMISSION DE RÉPARTITION

Elus, trésoriers généraux, intendant, doivent se réunir, dès

3ue les attaches sont expédiées aux élections, pour faire le épartement de la taille entre les paroisses; ils s'adjoignent les receveurs, à titre consultatif2. Tous forment une commis- sion,, où chacun apporte les renseignements qu'il a recueillis de son côté.

1. A. N., AD 470, pièce 98, p. 11.

2. C'est par exception que 1 on voit en 1662 un commissaire des guerres, Car- tier, < travailler avec M. Dugué au département des tailles de la généralité de Caen ». L. du 29 novembre 1661, D. G. 170, 326.

Antérieurement à notre époque on trouve l'intervention de personnages autres que les officiers du roi dans les départements : en 1616, les échevins de Rouen sont autorisés A assister au département des tailles de l'élection de Rouen. (De Beaurepaire, Cahiers des états... règne de Louis XIII... t. I, p. 140 et 306.) En 1569, les états de la province demandent « que pour l'avenir les délégués de cha- cun bailliage soyent appelez nu département des tailles de chacune des parroisses desdites eslections, sans que les esluz contraignent lesdits déléguez desamparer le conclave » qu'ils y nient voix délibérative etsignent le département. Le roi le leur accorde. (De Beaurepaire, Cahiers... de Charles IX, t. I, p. 55.) Les États eux-mêmes avaient l'habitude de déléguer un de leurs membres au département; un arrêt du conseil du 27 juillet lftSs le leur interdit. (De Beaurepaire, Cahiers... règne de Louis XIII, t. III, p. 28.) Néanmoins en novembre 16'j3 les États disent dans leur cahier : « il s'est pratiqué de tous temps que le député du tiers état assiste au

LA COMMISSION DE REPARTITION. 137

Les élus font de droit partie de cette commission. L'insuffisance de leurs chevauchées réduit leur rôle à peu de chose : l'inten- dant Lallemant de Lévignen l'explique en 1732 dans ses Obser- vations sur la taille : « Les officiers des élections, peu versez pour la pluspart dans leurs fonctions, ne contribuent pas à prévenir/ les inconvéniens de l'inégalité de la répartition de la taille;/ beaucoup viennent de quitter la campagne ils ont laissé leurs \ biens et leurs familles, ce qui leur fait faire de vives remon- trances lors des départemens sur les parroisses qu'ils affec- tionnent, dans l'idée qu'ils ont de soulager leurs proches, et l'on ne voit ces officiers éloquants qu'à leur occasion, ignorant l'état des autres parroisses, ou bien s'ils sçavent les facultez de quelques-unes, ils les cachent lorsqu'ils les croyent meilleures, étant pour la pluspart juges des seigneurs qui les possèdent. Les intendants, qui connoissent cet abus, doivent se tenir sur leurs gardes, et comme leur voix est prépondérante, et que leur appli- cation doit être à la connoissance des paroisses de leur dépar- tement ils peuvent prévenir les remontrances peu fidelles qui leur sont faites1. »

Les trésoriers n'ont pas régulièrement le droit d'assister au département; aucune ordonnance ne le leur a reconnu2 après 1653, et les commissions des tailles se bornent à leur prescrire « d'expédier sur icelles leurs attaches », en réservant à l'intendant et aux élus le soin de « procéder à l'assiette et au département ». Ils sont convoqués par des lettres de cachet spéciales, renouvelées chaque année, leur enjoignant de seconder l'intendant « en ce qui dépend de leur charge3 ». Le nombre des trésoriers ainsi désignés était normalement, en Normandie, de deux par généralité; par exception, à Rouen, en 1671, 1672, 1676, il n'y en a qu'un; à Caen, en 1664, on en trouve quatre 4.

département de la taille, » et ils demandent que ce délégué soit appelé à donner son avis dans l'opération. (Ibid.t t. III, p. 116.) Le greffier des îjtats note que cet article était « aux fins d'empescher l'autorité des esleus qui taxent quelquefois le contribuable à telle somme qu'il leur plaist ». (Ibid., p. 300.)

1. B N., fr. 7771, 177.

2. Cf. les arrêts du Conseil des 29 janvier 1660 et 28 mai 1661, prescrivant que les mandements aux paroisses pour la levée de la taille seraient « intitulez du nom du commissaire départi en la généralité, et des présidens, lieutenans et élus » ; ils ne faisaient pas mention des trésoriers généraux. L'arrêt du conseil du 25 août 1663 prescrit que les départements des tailles soient faits en 1664 et 65 par les intendants et les élus, il ne parle pas davantnge des trésoriers de France. Le mémoire de l'intendant de Rouen en 1699 sur l'état de la généralité porte encore que la taille « est ordinairement répartie sur chaque paroisse par l'intendant avec les élus, conformément aux commissions de S. M. » (B. N. fr. 4 286, 26).

3. Au début, il arriva que les trésoriers de France suppléaient l'intendant empêché. Voysin de la Noiraye, intendant de Rouen, écrit à Colbert le 7 octobre 1664 : « Je croys que je les pouray achever [les départements] sans estre obligé d'en remettre le soing pour aucune des élections a quelques officiers du Bureau, comme vous aviés eu la bonté de me le permettre. » (M. C, 124, fol. 109.)

4. En 1684, l'intendant d'Alençon ne prend avec lui qu'un trésorier de France, sur l'ordre du contrôleur général (L. du 18 octobre 1684, A. N. G7 71). L'inten-

138 Ci TAII.I.i: Ri MHlMAMUi:.

Jusqu'en 1 ( >( >T>. les lettres de cachet en blanc étaient adressées aux Bureaux des finances1 qui y inscrivaient eux-mêmes les noms de leurs membres qu'ils avaient choisis2. Dans la suite. elles furent adressées aux intendants. Cette innovation ne fut MM sans mécontenter les trésoriers généraux : ceux d'Alençon écrivaient à Colbert, le 12 octobre 1665 : « Le sieur Chouet nostre confrère nous a rapporté... que vous nous avez faict la grâce d'accorder deux lettres de cachet à deux de nous pour assister aux départemens des tailles dans les eslections ainsy qu'il s'est pratiqué par le passé, et comme nous espérions les recevoir, nous avons apris que M. du Boullay a envoyé advertir deux de nos confrères ses particuliers amis de se trouver à Ver- neuil pour assister aux départemens, et qu'il avoit reçu des lettres de cachet du Roy pour ce sujet3 ». Mais ils n'osaient exprimer plus que de la surprise, et leur protestation demeura inutile. Néanmoins le changement leur causait un si grand dommage qu'un historien de leurs fonctions a fait dater de leur « anéantissement » : « Le dernier coup porté au pouvoir des trésoriers généraux, dit-il, a été l'augmentation d'autorité

attribuée aux intendants, qui, gênés par ce reste d'influence

incommode, ne tardèrent pas à se débarrasser [des trésoriers] et finirent par éclipser les uns et les autres en les réduisant à la simple voix consultative. Ils firent plus : ils obtinrent que le choix des trésoriers assistant passivement aux départe- mens fût enlevé aux Bureaux des Finances, de sorte que ce n'est plus en qualité de généraux des finances, mais de simples commissaires du Conseil, désignés même par les intendans, qu'on voit aujourd'hui des trésoriers de France paraître à l'assiette des impositions4 ».

dant de Bourges écrit dans son Mémoire de 1698, que dans sa généralité « il n'est point d'usage qu'un trésorier de France assiste au département de la taille ». Dans celle de Montauban, il en est de même; le Bureau des Finances écrit à Col- bert le 7 mars 16'ï3 qu'il ignore l'imposition des paroisses de la généralité parce que l'intendant n'a fait le département qu'avec les élus. (M. C. 115, f 151.) On ne peut pas conclure à l'absence des trésoriers de France du fait qu'ils ne sont pas mentionnés dans les procès verbaux de département ni dans les mandements aux paroisses, puisqu'ils n'avaient que voix consultative dans l'opération.

1. Voici une de ces lettres, adressée à chacun des sieurs de Banneville et Chasot, trésoriers de France à Caen :

« De par le Roy,

« Nostre amé et féal, désirant que vous travailliez aux départemens des tailles de la généralité de Caen pour 1 année prochaine 1671, avec le sieur de Chamil- lart, conseiller en nostre conseil, maistre des requestes ordinaires de nostre hostel, commissaire par nous departy en ladite généralité, nous vous ordonnons d'assister audit département et faire ce qui dépendra de l'auctorité de vostre charge pour le bien de nostre service, ne faisant rien toutefois que de concert avec ledit sieur de Chamillart. A quoy ne faictes faute, car tel est nostre plaisir. Donné n Saint-Germain-en-Laye le quinzième jour de septembre 1670, Louis, Phelypeaux. » (A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 19 sept. 1670.)

2. Cf. par exemple A. D. Calvados, Plumitif du Bureau des Finances, à la date du 31 oct. I»ifi3.

3. M. C. 132, 389.

i*. Poittevin de Maissemy, Mémoire sur les fonctions des trésoriers généraux

LA COMMISSION DE REPARTITION. 139

Les trésoriers généraux ainsi désignés recevaient une indem- nité spéciale dont le montant n'était pas fixe. En 1664, l'inten- dant de Rouen demande « une bonne gratification » pour les deux trésoriers qui l'ont aidé avec zèle au département1. Dans la généralité d'Alençon, cette indemnité fut ordinairement de 1200 t. ; mais à partir de 1674 elle ne fut plus régulièrement payée; les trésoriers généraux en réclamaient encore le paie- ment en 1684; nous ne savons s'ils l'obtinrent2. Dans cette même généralité il était d'usage que l'indemnité fût partagée entre tous les membres du Bureau, qu'ils eussent ou non travaillé; l'intendant trouvait, du reste, cet usage mauvais : « Il me paroist, écrivait-il en 1684, que le roy seroit servi avec plus d'exactitude et mesme qu'il y auroit plus de justice que ceux qui font le ser- vice profitassent de leur travail que ceux qui demeurent dans leur maison3 ». Dans les deux autres généralités, l'indemnité était attribuée à ceux qui l'avaient gagnée.

Les receveurs généraux et particuliers des tailles n'ont aucun droit à assister au département, et, à la différence des trésoriers, n'y sont pas convoqués par lettre de cachet; un simple billet de l'intendant les invite à venir donner leur avis; ils n'ont pas voix délibérative4. Colbert explique l'utilité de leur avis dans une lettre à l'intendant de Bordeaux du 5 octobre 1674 : c'est

« afin que, ne faisant rien que de concert avec eux, ils puissent faire leurs recouvremens sans non-valeurs et par ce moyen estre en estât de faire leurs payemens au trésor royal, et mesme les avances qu'il est nécessaire de tirer d'eux pour le service du roy s. »

L'intendant d'Aube explique également :

« Ce sont eux qui font le recouvrement et qui, par conséquent, peu- vent saisir divers moyens de discerner si l'exactitude ou le retardement viennent ou de la charge plus ou moins forte des communautés ou de la répartition bien ou mal faite par les collecteurs, ou seulement du plus ou moins de vigilance desdits collecteurs; le compte qu'ils peuvent en rendre peut ou éclairer suffisamment l'intendant ou le mettre en état d'acquérir par la suite des éclaircissements complets 6. »

L'usage est de consulter non seulement les receveurs en exercice l'année à venir, mais aussi ceux qui ont fait la recette les années précédentes. En 1672, l'intendant d'Alençon appelle

(1780) publ. dans Vignon, Études historiques sur les voies publiques, t. I, pièces justificatives, p. 35.

1. L. du 23 décembre 1664, M. C. 12P 577; les deux intéressés en sont du reste encore à la réclamer le 30 décembre 1665. (M. C. 134bl% 840.)

2. L. de l'intendant au contrôleur général,. 8 mai 1684, A. N. G7 71.

3. L. du 18 oct., A. N. G^ 71.

4. La formule des procès verbaux de département porte que ces actes sont dressés par l'intendant « avec » les élus et « en présence » du receveur.

5. Glém. II, 352, cf. let. à l'intendant de Tours, 2 nov. 1674, ibid., p. 357.

6. B. N. fr. 21 812, p. 57-8.

140 LA TAILLE EN NORMANDIE.

avec les receveurs des tailles, les deux receveurs généraux et leurs commis, et en outre, pour l'élection de Mortagne, « un commis à la recepte des tailles, nommé Rouillon, qui peut en avoir cognoissance' ». Les receveurs attachaient un grand prix à cette désignation, parce quelle leur permettait de défendre leurs intérêts. L'intendant de Rouen décrit dans une lettre du 10 septembre 1682 2 comment il procède habituellement avec eux : « J'escrivis, en recevant les commissions des tailles, aux receveurs particuliers de faire leurs projets, et à M. Aubry, receveur général, de se rendre icy; il m'a mandé que dez qu'il auroit receu vos ordres et signé son prest, qu'il partirait3 ».

L'intendant préside la commission \ Il domine tous les autres officiers, par sa qualité éminente, par l'appui que lui donne le Conseil, par les faveurs qu'il dispense. Les élus, qui seuls ont qualité pour délibérer avec lui, lui sont expressément subordonnés par les ordonnances qui lui donnent voix pré-

f>ondérante. C'est lui qui choisit les trésoriers, et fait payer eur gratification; il est libre de consulter ou non les receveurs, et n'est tenu de suivre l'avis de personne. Il est vraiment le maître.

Cependant, il ne peut tout faire par lui-même : il n'a pu, dans ses chevauchées, visiter toutes les paroisses, à beaucoup près; personnage étranger au pays, homme de loi qui, avant son entrée en fonctions, n'a guère vécu qu'à Paris, il ne peut savoir en détail les ressources d'une région. Force lui est de s'en rapporter à ses subordonnés. Mais ceux-ci, mieux en état de tout approfondir, travaillent mal et sont suspects; l'inten- dant ne doit pas les croire sur parole. Richer d'Aube l'explique clairement au jeune homme qu'il veut former : les élus, dit-il, ont trop « de crainte, de haine ou d'affection » et d' « intérêt personnel » pour qu'on s'en rapporte à eux; c'est précisément pour empêcher leurs injustices que les intendants on été chargés de ce travail. Les trésoriers généraux ont pareillement montré leur partialité : « c'est parce qu'on a découvert que, quand les trésoriers de France avoient la principale influence sur les départemens, la taille n'étoit pas assez bien départie, qu'on a mis au-dessus d'eux les intendans, qui, revestus d'une plus grande autorité, et plus à portée d'obtenir du roy tous les secours nécessaires pour parvenir à faire d'assez justes dépar-

1. Lettre du 31 octobre 1672, M. C. 162, 192.

2. En septembre 1672, le receveur général de Rouen prie Colbert de donner ordre à M. de Creil [l'intendant] de ne pus travailler au département qu'il ne soit près de luy . (Clnirnmb. 793, p. 151).

3. L. à Colbert B. N., fr. 8 761, 67, il presse en conséquence Colbert d'envoyer ses ordres au receveur général.

4. On a vu plus haut, p. 45, comment leur pouvoir s'était établi. Il fut con- firmé, en ce qui concerne le département, par l'arrêt du Conseil du 25 août 1663 et le règlement d'août 1664.

LA COMMISSION DE REPARTITION. 141

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temens, sont présumés devoir les faire mieux qu'eux. Les tré- soriers de France n'ont plus aucun moyen d'acquérir la connois- sance de la force des communautés : il n'y auroit pas de justice à ce que leurs suffrages pussent balancer ceux des intendans, faits pour tout approfondir1 ». A l'égard des receveurs, la même méfiance est nécessaire : « Il ne conviendroit ny par raport à leur qualité de comptables, ny en esgard à l'intérest personnel, qui pourroit leur faire désirer aveuglément que les commu- nautés les plus exactes à payer la taille fussent les plus char- gées, qu'ils eussent influence sur le département autrement que par la persuasion résultant des représentations bien appuyées qu'ils peuvent faire2 ». Conclusion : « le projet de distribution de la taille que les officiers assistant à des départemens pré- senteront ne devra estre suivy qu'autant que ce qu'il y sera pro- posé pour chaque communauté se trouvera solidement apuyé 3 ». C'est à la même conclusion qu'un autre intendant, Lallemant de Levignen, aboutit : « Ce qui arrive de la part des seigneurs et des officiers des élections [au département] n'est pas moins commun du côté des receveurs des tailles pour leurs fermiers ou ceux de leurs amis par l'espérance que les collecteurs forment qu'ils leur donneront du tems et les épargneront dans les frais4 ». Colbert recommandait lui-même la méfiance aux inten- dants comme un devoir professionnel : il ne faut pas, dit-il, trop « autoriser » les trésoriers généraux; gardez-vous de tou- jours suivre les avis des élus, afin de faire « connoistre aux peuples qu'ils ne sont pas les maistres de l'imposition5 ». Après lui, le contrôleur général Le Pelletier conseillera à l'intendant d'Auvergne de se faire informer « par quelques personnes sûres et fidèles », sans leur donner une mission publique : des agents d'information secrets et non contrôlés lui paraissent encore préférables aux agents réguliers du gouvernement. Le dépar- tement fait par de tels moyens ne pouvait être que médiocre.

1. B. N. fr. 21 812, p. 60-61. Cf. une lettre de l'évêque de Saintes, du 18 mai 1664 : les élus « n'advertissent pas comme ils devroient MM. les intendans de la force des parroisses » (Depping, III, 67).

2. B. N. fr. 21812, p. 58. Cf. également sur ce point le mémoire rédigé pour l'in- tendant Orsay : « Pour se rendre nécessaires d'année en autre, ils ménagent beaucoup de changemens dans leurs élections en sorte que bien souvent ils deman- dent en une année des diminutions considérables pour des paroisses qu'il sup- pose misérables, et dans l'année suivante il tâche de les faire augmenter disant qu'elles sont très bonnes. » (B. N. fr. 11 096, 33) et Boisguilbert, Détail de la France : « Aux départemens les receveurs sont assez les maîtres sous prétexte qu'ils sont garants du recouvrement » (éd. Daire, p. 177).

3. Ibid., p. 69.

4. B. N. fr. 7 771, 177. L'intendant de Caen écrivait dans le même sens, le 23 novembre 1688, au sujet des taxes d'office qui étaient « très difficiles en ce pais-cy, et particulièrement faute d'avoir des mémoires bien exacts et bien fidelles ». A. N. G1 213. Cf. le mémoire d'Auber, ci-dessus, p. 136.

5. L. du 8 nov. 1681, Clém. II, 171.

lit LA TAILLE EN XOH.MÀN 1)1 1. .

V. LA REUNION DE LA COMMISSION

Il appartenait à l'intendant de convoquer la commission, et de fixer le jour de la réunion; le lieu était désigné par les règlements.

Au temps les élus opéraient seuls, ce lieu était obliga- toirement la salle des séances de l'élection; il était surtout défendu aux officiers de se réunir dans un domicile privé1. L'arrêt du conseil du 22 août 1642 laissait aux intendants la faculté d'assembler la commission soit en leur hôtel, soit au bureau de l'élection 2. Cette liberté leur fut conservée par les règlements postérieurs; toutefois les commissions des tailles conservèrent pendant toute l'époque de Colbert la formule ancienne suivant laquelle le département devait être fait au bureau de l'élection et non ailleurs3, et Colbert recommanda aux intendants de se conformer autant que possible à cette pres- cription : « Vous avez bien fait, écrit-il à celui de Tours le 2 novembre 1674, de faire les départements à Tours parce que vous étiez malade, mais aussitost que vous serez en santé, il n'y a rien qui soit plus nécessaire que de vous transporter vous mesme sur les lieux, de faire le département des tailles dans ceux il n'a pas encore été fait et de bien examiner tous les désordres qui s'y rencontrent; c'est ce que je ne puis assez vous recommander* ». Dans sa circulaire du 1er septembre 1670, il prescrit à ses subordonnés d'aller « dans toutes les élections pour faire les départemens 5 ». Ce fut tout à fait par exception que les intendants de Normandie firent le département à leur domicile; je n'en ai trouvé que deux cas, tous deux dans la généralité de Rouen, en 1670 et en 1683 6.

Les mêmes raisons qui faisaient presser l'expédition des com- missions obligeaient à avancer le plus possible la date du dépar- tement. Les anciens règlements de mars 1600 et octobre 1613 obligeaient les élus à opérer dans la quinzaine qui suivait la réception des commissions7; mais ils étaient tombés en désué-

1. Lnbarre, Formulaire, p. 43.

2. Art. 3, Néron, Recueil, t. II, p. 674; reproduit dans l'art. 4 de la déclaration du 16 avril 1643. (C. d. T., I, 374.)

3. Cf. Vieuille, p. 93.

4. Clcm. II, 357. Cf. Lettre de l'intendant de Champagne à Colbert 21 octobre 166C : étant tombé malade à Sézanne. il lui demande lu permission de faire venir les élus près de lui pour le département « uinsv que cella s'est pratiqué souvent .. (M. C. 141bU, F 5/4.)

5. Clém. II, 72.

6. Lettre de Barin de la Gulissonnière, 10 nov. 1670 : il opère ainsi « pour accélérer le département ». (M. C. 155, P 361.) L. de Méliand des 25 et 27 octobre 1683, A. N. Gi 4<J2 : cas de maladie.

7. Vieuille, p. 86.

LA REUNION DE LA COMMISSION. 143

tude et à l'époque de Mazarin les intendants eux-mêmes retar- daient le plus possible la répartition pour permettre aux trai- tants de mieux recouvrer les impôts arriérés. La première année Colbert s'occupa de la taille, il prescrivit la plus grande diligence possible à ses subordonnés : la lettre de cachet du 12 décembre 1662 faisait observer aux Bureaux des finances que les commissions étaient expédiées plus tôt qu'auparavant pour que l'intendant « puisse avoir le temps de travailler aux départemens des eslections pour connoistre Testât de chacune parroisse et soulager celles qui en auront le plus besoin1 ». Les années suivantes, il fit souvent la même recommandation aux intendants, les blâmant quand ils tardaient, les obligeant à commencer au reçu des commissions, et à terminer dans le plus bref délai possible2. Toutefois les intendants ne pouvaient se mettre au travail avant le mois de septembre, car ils ne pou- vaient connaître plus tôt le résultat des récoltes et les transla- tions de domiciles3.

En Normandie, les départements furent d'abord commencés assez tard dans l'année : malgré la lettre de cachet royale, ils ne furent faits qu'à la fin de novembre dans la généralité de Caen en 1663 4. Mais en 1664, un changement survint : dès le début de septembre, les trois intendants se mettaient au travail; celui de Rouen écrit le 7 qu'il attend avec impatience les attaches du Bureau des finances, et le 12, il commence sa tournée5; celui de Caen commence le 20 septembre, celui d'Alençon écrit le 16 août qu'il va commencer « dans peu de jours », attendant seulement l'impression des mandements aux paroisses pour la levée6. L'année suivante, un nouveau retard se produit : les intendants ne commencent qu'au début d'octobre. Puis, à partir de cette date, l'usage s'établit dans les trois généralités de se mettre en campagne à la fin de septembre ou au début d'octobre; aucun retard ne se rencontre plus, même dans les années de guerre.

1. A, D. Galv. Bureau des Finances, Registre des commissions des tailles 1661- 72, 212.

2. Lettres à l'intendant de Limoges, 11 nov. 1672 (Clém. II, 257), à Leblanc, 2 avril, 1677 (ibid., 376), à Breteuil, 22 août 16S1 (B. Mun. Amiens, ms 508, t. III, pièce 344), 4 sept, et 7 oct. 1682 (ibid., pièces 419, 462), etc.

3. L'intendant de Bourgogne écrit le 20 juillet 1664 qu'il ne pourra procéder au département « avant le moys de septembre. » (M. G. 122, P 672.) Celui d'Orléans estime pareillement, en 1684, que l'on ne peut se mettre en campagne avant le 15 septembre, il ne verrait même aucun inconvénient à ce que les commissions ne fussent pas envoyées avant cette date, pour que l'on pût auparavant accorder des diminutions aux paroisses qui en ont besoin. (L. du 31 juillet 1684, de Boislisle, Correspondance t. I, 97).

4. D'après les départements de l'élection de Mortain, A. D. Calv. Registre d'états au vrai du receveur de l'élection, 1651-69 : en 1660, le département est achevé le 23 novembre,, en 1661 le 30 novembre, en 1662 le 20 novembre, en 1663 le 20 novembre également. Nous n'avons pas de renseignements pour les deux autres généralités.

5. M. G. 123, fos 735 et 880.

6. Ibid., 372.

144 LA TAILLE EN NORMANDIE.

La durée du département ne pouvait pas être plus abrégée que celle des chevauches. Colbert le rappela souvent à ses subor- donnés : « Il est très important, écrit-il en 1670, que vous y employiez un temps suffisant pour bien connoistre la force des élections, et faire l'imposition avec l'égalité que le roy désire1 ». En apprenant que Chamillart, intendant de Caen, n'a mis que 10 ou 12 jours en novembre 1672 pour faire son travail, il lui écrit : « Je suis obligé de vous dire que le roy ne peut et ne veut pas estre servy de cette manière * ».

Dans la généralité de Rouen, qui est grande, le département dure habituellement un mois; c'est par exception qu'il est réduit à trois semaines en 1665 et en 1676 3. Il eût été difficile de par- courir en moins de temps les 13 élections, alors surtout qu'en chacune d'elles, l'intendant avait à expédier quantité d'autres affaires de sa compétence*. Toutes les années, le travail fut terminé au début de novembre, sauf en 1671, Barin de la Galissonnière finit après le 15 novembre6.

Dans les autres généralités, l'intendant mettait d'ordinaire moins de temps; Chamillart à Caen fut toujours expéditif, quoi qu'on lui ait dit : en 1670, 71 et 72, il a terminé le 15 octobre. Son successeur Méliand finit généralement à la fin d'octobre. A Alençon, en 1671, le département est fait du 28 septembre au 19 octobre 6. L'année suivante, Michel Colbert, nouveau-venu dans la généralité, commence en octobre et ne finit que le 1er décembre. En 1679, de Morangis commence vers le 8 octobre, et le 9 novembre il a terminé7.

VI. L'EGALITE DANS LE DEPARTEMENT

Le principal but à atteindre dans le département de la taille était l'égalité. Depuis longtemps, on reconnaissait que l'inéga- lité était la source des mauvais recouvrements et de la ruine des

1. Clém. II, 75.

2. Ibid., 155. Dans sa réponse, Chamillart, le 7 novembre, cherche à se dis- culper en disant « qu'il avoit préparé tous ses mémoires auparavant que de partie de la province, et que d'ailleurs il est plus facile de faire un septiesme dépar- tement que le premier. » (Clairamb. 793, p. 780.)

3. En 1665, Voysin commence le 4 octobre et termine avant la fin du mois (M. C. 132, f 186 et 132b", 686); en 1676, Leblanc commence vers le 1" octobre et termine le 20 (B. N. fr. 8 759, 73.)

4. L'intendant d'Orléans en 1684 estime qu'il faut environ six semaines dans une grande généralité (Lettre du 31 juillet citée plus haut); Foucault considère comme exceptionnel qu'il ait employé tout le mois de novembre à faire le dépar- tement de la généralité de Rouen en 1704. (Mémoires, p. 364.)

5. Lettre à Colbert, 12 novembre 1671 : il espère finir « dans la semaine pro- chaine ». (M. C. 157bU, 746.)

6. Lettres de de Marie, 10 octobre, M. C. 157w\ f 643, et 19 octobre, Clairamb. 793, p. 195.

7. Lettres des 9 octobre et 9 novembre 1679, A. N. G' 71.

LEGALITE DANS LE DEPARTEMENT. 145

contribuables; clans le préambule du règlement du 27 novem- bre 1641, le roi disait :

« La plus grande partie des non-valeurs qui se trouvent sur les deniers des tailles depuis quelques années, ne procèdent pas tant de la surcharge des contribuables que de l'inégalité qui se rencontre dans les assiettes et départemens des impositions faites par les officiers des eslections, esquelles grand nombre de paroisses se trouvent soulagées et déchargées par la faveur et crédit d'aucuns officiers, au préjudice et surcharge des autres paroisses *. »

Les grandes non-valeurs des recouvrements, disait encore le roi en novembre 1640, n'arriveraient pas « si tous les corps de nostre Estât portoient selon leurs forces les charges d'iceluy, les- quelles départies également ne se trouveroient excessives pour la grandeur et puissance de cette monarchie2 ». Le roi n'était pas seul a en souffrir, les contribuables également en étaient accablés : un intendant écrit en 1669 : « La distribution des tailles se faisant avec esgalité et avec connoissance de cause, le peuple en seroit plus soulagé, quand mesme l'imposition seroit plus forte d'un tiers qu'elle n'est présentement, estant très cer- tain que cette inesgalité est cause de la ruyne des parroisses et de tous les frais qui s'y font 3 ». Cette inégalité avait été maintes fois signalée aux élus, trésoriers et receveurs4, avec ordre d'y remédier, mais on n'avait rien obtenu d'eux. Les commissaires envoyés extraordinairement dans les provinces pour faire le régalement des impôts avaient pour mission de corriger les inégalités de répartition qu'ils trouveraient dans les paroisses aussi bien que dans les élections, mais leur intervention passa- gère et trop rapide avait été peu sensible.

Les intendants reçurent de Colbert l'ordre d'établir cette égalité. Il est certain, leur écrit-il en mars 1664, « que par l'iné- galité des charges, c'est-à-dire quand le plus puissant ou le plus riche, par des moyens qu'il tire de Testât il se trouve, se fait décharger ou soulager, le pauvre ou le foible se trouve surchargé, et cette inégalité cause dans les provinces la pauvreté, la misère, la difficulté du recouvrement des deniers du roy, qui attire les vexations des receveurs ou commis aux recettes, des sergens, et généralement toutes sortes de maux5. » Le lei* septembre 1670, il leur écrit encore : Tenez « soigneusement la main à ce que les impositions soyent faites avec justice et égalité. Considérez

1. Néron, II, 663.

2. G. d. T., I, 363.

3. Dorieu à Colbert, Soissons, 30 mars 1669, M. G. 1501"8, 1 006.

4. Voir notamment les ordonnances de janvier 1560, art 123 (cf. dans Néron, le commentaire de Du Chalard à cet article); de nov. 1579, (ordonnance de Blois), art. 341 (Néron, I, p. 650), Janvier 1629, art. 403 ; les édits de mars 1600, art. 2, janvier 1634, art. 42, avril 1643, art. 2, etc.

5. Glém. IV, 35. Sur la date, voir le Mémoire de Voysin, p. x.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

10

IM LA TAILLE EN NORMANDIE.

ce travail comme le plus important de tous ceux qui sont confiés à vos soins, puisqu'il s'agit du recouvrement de la plus forte recette pour soutenir les dépenses de l'Estat, et de rendre la justice aux peuples en la partie qui leur est plus considérable, qui est celle de leurs biens. Prenez donc bien garde... de rendre l'imposition égale dans la juste et véritable proportion de leurs biens, en sorte qu'il n'y ayt pas de non-valeurs1. »

Le 20 août 1680 : « S. M. s'attend qu'après la connaissance exacte que vous avez prise par la visite de votre généralité en exécution de ses ordres, vous ferez cette imposition [des tailles] avec plus d'exactitude et d'égalité que les années passées *. » Le 22 août 1681, l'intendant des finances Desmarestz écrit : « Vous savez combien il importe pour le service de S. M. et le bien des peuples, de faire le régalement des impositions avec une juste proportion à la force des lieux qui les paient, et je ne doute pas que vous n'y ayez toute l'attention possible en tra- vaillant au département3. » Il leur recommande « d'entrer dans le détail des facultés de chaque paroisse », d'examiner « avec la dernière exactitude leur force ou leur faiblesse », de ne pas avoir égard aux recommandations, d'empêcher les fraudes.

Des éléments d'information dont les répartiteurs disposaient, le plus simple et le plus positif était les rôles des années précé- dentes; si une paroisse avait été exactement imposée une pre- mière fois, il était relativement facile de maintenir ensuite la juste proportion de son taux; aussi les règlements les plus anciens prescrivaient-ils aux élus de consulter les rôles antérieurs v.

Le projet de répartir une bonne fois l'impôt entre les paroisses de façon à avoir une base certaine pour les dépar- tements ultérieurs, avait été fait à différentes reprises; en Normandie, la réalisation en semblait plus facile qu'ailleurs, car, avec le système du changement d'octroi, une paroisse con- servait les mêmes contribuables pendant une série d'années; ses ressources étaient donc moins susceptibles de varier. Les commissaires au régalement des tailles avaient été chargés de cette besogne; ceux de 1634, notamment, avaient mission d'exa- miner « s il y avoit moyen pour l'advenir d'arrester un pied certain de ce que pourra porter chacune ville taillable de ce qui sera imposé dans l'estendue de l'eslection, comme d'un quart ou d'un quint, ou autre moindre somme, afin que sur ce qu'ils

1. Clém. II, 72; cf. p. 255.

2. Mémoires de Foucault, appendice, p. 454.

3. B. Mun. Amiens, ms 508, t. II, pièce 345.

4. Par exemple, édit d'avril 1459, art. 3 : « voulons et ordonnons qu'es années ensuivant (les élus) fassent leur assiette ou impost selon ce qui leur sera apparu de la creue ou diminue, ayant regard ausdits roolles précédens, le tout plus justement et également que faire se pourra ». (Guénois, Conférence des Ordon- nances, II, p. 1 45b.)

L EGALITE DANS LE DEPARTEMENT. 147

en rapporteront au roy à leur retour, S. M. y puisse faire un règlement particulier, eu esgard à la diversité des commoditez desdites villes1. » Mais dès 1581, les Etats de Normandie avaient signalé l'insuffisance de ce procédé : on ne peut, disaient-ils, se contenter d'un tel régalement, « estant tout notoire que chacune parroisse, mesme chacun particulier en icelle, ne demeure longtemps en un mesme estât, ains croist et diminue en biens d'an en an2 ». Il était du reste impossible aux com- missaires, à cause de leur petit nombre, de faire ce départe- ment-type en connaissance de cause dans les 4 400 paroisses de la province; après 1634, le projet fut abandonné3.

Pendant toute l'époque de Colbert, les répartiteurs se bor- nèrent à consulter les rôles des années précédentes, quand ils les trouvaient. Pour toutes les paroisses dont les ressources à leur connaissance n'avaient pas varié, ils se contentaient de modifier l'impôt proportionnellement à celui de l'élection 4.

Une autre base de répartition était fournie par l'état des recouvrements : il était à présumer qu'une paroisse qui payait bien n'était pas surchargée, et inversement. Mais l'indice n'était pas sûr : on verra que certaines paroisses, comme certaines élections, payaient bien par habitude, que d'autres s'obstinaient à supporter des contraintes, tout en ayant le moyen de payer. On ne pouvait punir les premières de leur zèle en les augmen- tant, et encourager les secondes à la rébellion en les diminuant5.

Il n'y avait donc pas d'autre moyen d'imposer justement une paroisse que d'estimer exactement ses ressources chaque année. Cette estimation était impossible. La valeur des récoltes, quand bien même on eût pu l'apprécier, n'était pas une donnée suffisante, car ces récoltes n'appartenaient pas toujours toutes aux contribuables de la paroisse : des forains et des exempts en avaient une part, souvent considérable; inversement, les taillables d'une paroisse avaient des biens hors la paroisse, pour lesquels il fallait les imposer au lieu de leur domicile. Il

1. Dans Ducrot, Traité des Aydes, éd. 1636, p. 481. Ville = ici paroisse.

2. Cahier de Novembre 1581, art. 25 dans de Beaurepaire, Cahiers... règne de Charles IX, t. II, p. 150. Malgré cette protestation, le roi décida que le départe- ment fixé par les commissaires serait valable « au moins pour trois années, » quitte à corriger les inégalités constatées.

3. On le reprendra avec quelques modifications au xvin' siècle. Voir Marion, Les impôts directs sous l'ancien régime, p. 159 et suiv. L'auteur d'un mémoire anonyme sur les tailles écrit en 1755 que la répartition entre les paroisses est facile, « car pour (la) faire on suit les rolles de l'année dernière ou à peu près, car si le roy augmente les tailles de quelques millions, on les augmente dans chaque généralité, élection ou paroisse au marc la livre et pour les diminutions, lorsque le roy en ordonne de même ». (Bibl. Sénat, ms 1 213, p. 59.)

4. L'intendant d'Amiens, en 1683, se vante d'avoir adopté ce procédé comme le meilleur et le plus efficace (Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 221). Il est bien vrai qu'ainsi il évite les protections irrégulières, mais aussi il perpétue les inégalités. Cf. Œuvres de Turgot, éd. Daire, I, 477.

5. Cf. Boisguilbert, Détail, éd. 1707, I, p. 2(j : on impose la taille « a proportion que l'on voit qu'on en poura être paie ». Si les paroisses payent bien, dit-il encore, « elles sont assurées d'avoir de la hausse l'année suivante » (p. 29).

148 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

fallait aussi distinguer les récoltes des fermiers et celles des propriétaires. De plus, les produits de la terre n'étaient pas seuls imposables, la taille visant tous les revenus, quels qu'ils fussent.

Les intendants se rendirent compte de cette impossibilité. L'un d'eux, d'Aube, a énuméré tout ce qu'il eût fallu connaître pour faire un département équitable basé « sur des connais- sances acquises et sur des faits bien constatés » ; c'est à savoir : « quelle est l'étendue du terrain circonscrit pour chaque communauté; quelles sont les différentes espèces de cultures qu'on donne à ce terrain; quelle quantité de terrain est cul- tivée de chaque façon différente; quel est le prix commun de telle ou telle mesure de terre, selon la différente espèce de culture qu'elle reçoit; combien de tout ce terrain il en est exploité par des propriétaires exempts de taille; combien il en est exploité par des membres des communautés voisines qui ne payent de taille qu'à la décharge desdites communautés voi- sines; 7° combien réciproquement les membres de la commu- nauté dont on veut régler l'imposition ne payant la taille qu'à sa décharge exploitent de différentes espèces de terrain dépen- dant des autres communautés du voisinage; combien de terrain est exploité par les propriétaires taillables; quelles espèces de commerce étrangères à l'exploitation des fonds se font, à quoi elles s'étendent et combien de membres de cette communauté y sont occupés; 10° combien chaque communauté renferme d'artisans de toutes espèces et de journaliers, et quel est le prix ordinaire de leur journée... 12° quels sont les dom- mages que des accidents ordinaires et imprévus ont fait souffrir à telle ou telle communauté, quelles sont les communautés que le ciel a favorisées de récoltçs plus abondantes, et quels avan- tages doivent en résulter pour elles ».

Sa conclusion est qu'il est « infiniment difficile » de faire une répartition exacte « puisque ce n'est que par la connaissance détaillée des parties qu'on peut connoitre un tout, et que le détail des parties à connoitre pour donner un avis qui mérite d'être suivy sur la distribution des impositions par villes et élections est presque infini1 ». Si l'on ajoute que l'intendant devait per- sonnellement s'informer de tout, ne pouvant avoir confiance en aucun de ses auxiliaires, on conclura qu'un département équi- table était une chimère.

Les intendants ne le recherchaient même pas, ayant con- science de leur impuissance. A Rouen, Marillac, après avoir constaté que souvent les terres d'une paroisse sont cultivées par des taillables étrangers à cette paroisse, ajoute :

« Mais on n'entre point dans ces détails-là en faisant les départe- ments, ils sont trop grands, et on impose une parroisse eu égard à la

1. Godard, Lrs pouvoir» de» intendants, p. 49. Cf. Mémoire de Voysin, p. 86.

L ÉGALITÉ DANS LE DEPARTEMENT. 149

bonté de sa situation et à la grandeur de son territoire, sans entrer presque dans le détail des habitans qui en exploittent les terres pour scavoir s'ils sont de la mesme parroisse ou demeurants dans une autre; en effet on voit que les parroisses portent toujours à peu près certaines impositions ; c'est un fondement trop variable que d'avoir égard au domicile des exploiteurs, il est bien plus à propos de donner lieu de faire le regallement des tailles sur le fondement de la cituation de la parroisse et de la bonté de son territoire, et il est juste que ceux qui tirent le proffit du territoire contribuent aux charges, sans cela les règlements ne seront point exécutez, ce désordrene cessera pas *. »

L'intendant de Gaen, Méliand, fait le même aveu :

« Quelque soin qu'on prenne de pénétrer la force ou la foiblesse des parroisses, il est malaisé d'en avoir une connoissance parfaite pour luy faire porter son juste taux lors des départements. Il s'en faut presque rapporter à ce qu'en disent les receveurs des tailles, les huissiers et les esleus, qui n'en parlent le plus souvent que par faveur, et il se trouve qu'une parroisse sera haute à la taille parce qu'elle paroistra de grande estendue et remplie d'habitans, et cepen- dant tout le territoire sera possédé par les seigneurs et gentilshommes, par des bourgeois de villes franches, et par d'autres exempts qui y font valoir leurs terres, sans que les taillables y possèdent quelque- fois une seul acre en propre 2. »

L'étendue de terre cultivée dans la paroisse, la valeur approximative des récoltes, les apparences de pauvreté ou de richesse formaient les seuls éléments d'appréciation 3 accessibles à un intendant, si consciencieux qu'il fût4. Mais il ne faut pas oublier qu'il ne pouvait chaque année visiter toutes les paroisses de sa généralité, ni même la plus grande partie d'entre elles 5.

Cette insuffisance des répartiteurs n'aurait pas eu de graves inconvénients si les contribuables avaient eu le moyen de faire réduire la cote de leur paroisse trop imposée. Suivant les théo- riciens, ils pouvaient intenter collectivement une action en sur- taux6, comme les particuliers. « L'inégalité, dit Vieuille, peut se rencontrer dans l'imposition d'une élection sur les paroisses

1. Mémoire du 5 octobre 1684, A. N., G7 492.

2. Mémoire du 15 août 1680. A. N., G7 213.

3. Il en fut de même jusqu'à la fin du xvme siècle. Dans les cahiers de 1789, beaucoup de paroisses se plaignent d'être imposées simplement à raison de l'étendue de leur territoire, même si les terres y sont de mauvaise qualité ou sont exploitées par des forains (cf. par ex. Cahiers du bailliage de Cany, publ. par Romain, p. 36). t

4. V. dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 221, une lettre de l'intendant d'Amiens en 1683, il explique sa façon de procéder : il écoute soigneusement les observations des élus et receveurs, discute toutes les objections, ne décharge ou ne surcharge jamais une paroisse sans « des raisons très précises »; ce qui revient à dire que, sauf exceptions, il suit les départements des années précédentes.

5. Le sieur Arnaud, chargé du département de la taille dans la généralité de Poitiers en 1668, écrit que la « visite généralle des parroisses demande plus de trois mois pour la bien faire ». (M. G. 149, 46.)

6. Voir ci-dessous, chap. vi, 2e partie.

UO LA TAILLE EN NORMANDIE.

Îrui la composent; sur quoi les paroisses surchargées peuvent aire leurs représentations, qui doivent être fondées sur la qua- lité et la différence des terroirs, leurs situations pour le débit de leurs denrées, le nombre et les facultez de leurs habitans, et autres moyens ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, « cela n'arrive presque point, parce que lors des départcmens de la taille, messieurs les intendans et les officiers des élections donnent leurs attentions pour que l'égalité soit gardée de paroisse à paroisse, par la considération et la connoissance de leur état, situation, commoditez ou incommoditez ' ». Jamais en effet on ne trouve d'instances de ce genre; aucune procédure régulière n'est fixée, les habitants n'auraient su à qui s'adresser, outre que, l'imposition de l'élection étant immuable, toute décharge accordée à une paroisse aurait entraîné une recharge pour les autres, et par conséquent la réfection du département. Les mandements une fois signés, écrit d'Aube, « il n'y aura plus de remède aux injustices... faites, par ignorance ou autrement, parce que le roy a un interest principal et essentiel à ce que la tota- lité de la taille dont il a ordonné l'imposition et la levée soit payée, ce qui doit empêcher qu'il ne modère les impositions des parroisses mal à propos surchargées, a moins que de rejetter leur surcharge sur les autres parroisses trop soulagées par pro- portion, et que d'un autre côté le roy ne pourroit, sans nuire trop a l'ordre des rccouvremens, d'où dépend l'acquittement des charges de l'Etat, rejetter de paroisses sur d'autres les imposi- tions trop fortes ordonnées par cet intendant2 ».

La seule ressource des contribuables était de solliciter une décharge l'année suivante, par voie de placet aux élus ou à l'in- tendant, mais on ne voit pas qu'ils aient souvent recouru à cet expédient.

Somme toute, le département était à la discrétion des répar- titeurs3. « Il est impossible, dira Boulainvilliers, d'obtenir des intendans aucune règle ni méthode pour l'imposition des paroisses autre que celle qui dépendra de la faveur plus ou moins grande que les intéressés auront auprès d'eux* ». Par son essence même, la taille, impôt sur le revenu global des contribuables, est « arbitraire5 ».

1. Traita de» Elections, p. 474.

2. B. N. fr. 21 812, p. 8-9.

3. Tous les écrits relatifs à la taille, à partir de Vauban. reviennent sur ce point. Leur énumération formerait une liste démesurée. Les cahiers de 1789 contiennent presque tous des doléances sur ce sujet.

4. Mémoires présentes au duc d'Orléans, éd. 1727, t. I, p. 96; cf. p. 106. Bou- lainvilliers est hostile aux intendants.

5. « Cet arbitraire n'a presque point d'inconvénient » dit Turgot, parce que l'intendant redoute l'opinion publique [Œuvres, éd. Daire, I, p. 477). Mais* à notre époque, il n'y avait pas d'opinion publique.

LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 151

VII. LES PROTECTIONS ACCORDÉES AUX PAROISSES

Les contribuables n'étaient pas seuls intéressés au départe- ment. Tout exempt possédant des terres dans une paroisse désirait que celle-ci fût le moins imposée possible : il obtenait ^en échange la protection des collecteurs pour ses fermiers, qui payaient plus cher leur ferme, si bien qu'en fin de compte le dégrèvement était à son profit. Quand un particulier arrive à faire soulager une paroisse, écrit Boisguilbert, il « a pour sa récompense l'exemption de ses fermiers ou receveurs, qui sont taxés à rien ou très peu de chose, mais qui, par une espèce de contre-échange lui payent la taille... et si les autres fermiers ou détenteurs de fonds à louage les tiennent à 8 1, l'arpent,

ceux des seigneurs les prennent à 10 et 11 1 On épargne ou

l'on considère (ce qui est le mot en usage), les fermiers du seigneur de la paroisse à proportion que l'on croit qu'il s'est employé lui-même... pour faire considérer la paroisse1 ». Certains personnages allaient même plus loin : ils se faisaient payer par les paroisses pour les protéger : un mandement de l'intendant de Caen en 1676 dénonce « aucuns gentilshommes et personnes puissantes qui... exigent des corvées et font des levées sous prétexte de récompense de leur protection, soit pour les exempter de logement des gens de guerre, diminuer leurs impôts ou autrement2 ». A Pont-1'Evêque, en 1670, le marquis de Silly assomme le receveur des tailles qui prétend faire payer ses paroisses \

Le résultat de cette pratique était que, la taille imposée sur l'élection devant être payée malgré tout, c'étaient les autres paroisses qui supportaient la diminution accordée aux protégées * ;

1. Détail de la France, éd. 1707, I, p. 22-23. Cf. le mémoire d'Auber, cité plus haut, p. 136. Ces faveurs étaient devenues presque régulières, par exemple le 2 février 1631, un sieur de Monferville adresse une lettre aux Elus de Caen pour obtenir une diminution de taille pour la paroisse de Cabourg qui lui appartient : il leur demande de le faire par « considération » pour lui, et à cause de la misère des habitants : « Je vous puis jurer sur mon honneur qu'à moins d'une diminution très considérable, ce seroit oflencer Dieu de les y forcer payer leur taille] ». (A. D. Calv. Election de Caen, correspondance.) Cf. le Mémoire de Colbert à Mazarin, 1659, Clém. VII, 177.

2. A. D., Calv., Election de Caen.

3. Clém II, 77. Cf. la lettre de Barin de la Galissonnière, du 10 nov. 1670, et son procès-verbal, M. C. 155, f08 358-361.

4. La protection ne s'étendait pas seulement aux impôts, mais à toutes les affaires du ressort des élus et des trésoriers de France. L'accablement venait aux paroisses non protégées de toutes les manières : Barin de la Galissonnière écrit d'Orléans à Colbert le 21 novembre 1665, qu'il a trouvé près de Chàteaudun des paroisses qui étaient ruinées par les saisies et les frais de justice, la raison en est que « les communautez ne se detfendent jamais et perdent toujours leurs procès parce qu'elles n'ont point de protection ». (M. C. 133, 497.)

152 LA TAILLE EN NOHMANDIE.

la décharge des unes entraînait la surcharge des autres, et par conséquent leur ruine; les non-valeurs étaient augmentées d'autant; c'était le Trésor qui, finalement, payait les faveurs ainsi faites.

L'« arbitraire » de la taille donnait cependant aux répartiteurs la liberté de les distribuer à leur gré. Maintes fois avant 1661 le reproche avait été adressé aux élus et aux trésoriers généraux de protéger indûment les paroisses ils avaient des biens, eux, leurs parents et leurs amis. Parmi les motifs de l'établis- sement des intendants figurait le désir de supprimer cet abus. Colbert s'appliqua à réaliser ce programme : dans de nombreuses instructions il ordonna aux intendants d'empêcher toutes pro- tections illicites, et de n'écouter eux-mêmes les recommanda- tions de personne. Travaillez, leur dit-il en 1663, « sans avoir esgard aux recommandations de qui que ce soit, estant certain que la cause des grandes non-valeurs du passé provenoitde l'acca- blement des uns par la descharge que l'on donnoit aux autres qui estoient fortement appuyés1 ». « Il n'est rien, écrit-il encore en 1670, qui soit plus contraire aux intentions du roi, ni à quoy vous deviez donner plus d'application, qu'à empescher qu'aucune paroisse ne soit soulagée à l'oppression des autres2».

Les protections illégitimes des élus, trésoriers généraux et receveurs disparurent le jour l'intendant eut la haute main dans le département; ce fut du reste une des causes de l'hosti- lité de ces officiers contre le commissaire du roi; cette hosti- lité, très vive au début, durait encore en 1683 J.

A cette date, le président de l'élection de Neufchâtel refuse de signer le département en déclarant, dit l'intendant, « qu'il en usoit ainsy parce que nous n'avions pas suivy son advis sur quelques paroisses qu'il vouloit faire augmenter ou diminuer », et l'intendant demande au contrôleur général une punition sévère pour cet officier, dont la conduite serait d'un fâcheux exemple aux autres*. Les intendants soutenus par Colbert étaient de taille à résister à ces puissances locales. Celui d'Alençon écrit au ministre le 16 octobre 1666 : « Je scais que dans les départemens des tailles j'auray peut-estre désobligé plusieurs personnes, mais en faisant mon debvoir je suis asseuré de l'honneur de vostre protection et que vous aurez la bonté de

1. Clém. II, 13.

2. Lettre du 16 octobre 1670 à Hachette, Trésorier de France à Paris, chargé du département dans la généralité à la place de l'intendant; Clém. II, 75; cf. la réponse de Hachette, Clairamb. 792, p. 333.

3. En 1665, les élus de Saint-Jean-a Angely refusent de signer le département parce que, dit l'intendant, « j'ay augmenté de taille leurs paroisses et celles qu'ils protégeoient, qui ne payoient rien presque, à comparaison des autres, ses officiers ■'estant donné plus d'authorité que tous ceux des aultres eslections, et surtout l'ancien président qui n'a pu supporter que i'aye augmenté sa paroisse de 500 1. » Lettre de Barentin à Colbert, 30 nov. 1665, M. C. 133, P 730.

4. L. du 25 oct. 1683, A. N. G'492.

LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 153

faire connoistre au roy aveq quel zèle je me conduis dans toutes les choses qui regardent son service1 ».

Mais les intendants n'étaient pas pour cela à l'abri de toutes les sollicitations : ils étaient dans la dépendance de per- sonnes puissantes, grands seigneurs, courtisans, ministres, auxquels ils étaient obligés d'accorder satisfaction, Celui de Rouen écrit en 1667 à Colbert : « Ordinairement, ceux qui ont moins de raison de se plaindre sont presque toujours en possession de crier plus hault et de chercher par des voyes obliques des protections qui très souvent nous désarment et nous ostent le courage de faire nostre devoir2 ».

En tête de ceux qui font protéger leurs terres et celles de leurs parents, se trouve Colbert lui-même. Il est vrai qu'un jour il blâma l'intendant de Rouen d'avoir exempté quartier d'hiver les terres du jeune Louis Colbert son fils : « Ceux qui ont l'honneur de servir le roy, disait-il, et qui approchent de sa personne aussy près que nous doivent montrer l'exemple à tout le monde... il n'y a rien de si important dans l'État3 ». Mais quatre ans après, il écrivait au même intendant : Je vous adresse « un remerciement particulier pour tout ce que vous voulez bien faire dans tout ce qui peut me regarder et par- ticulièrement dans le soulagement que vous avez donné aux terres de mon fils, auxquelles je vous prie d'ajouter encore celle de Marais-Vernier pour luy accorder sa part de diminution que le Roy a faite à la généralité de Rouen sur les tailles * ». A quoi l'intendant répondait en réduisant de 2050 1. à 950 l'imposition du Marais-Vernier5. En réalité toutes les terres de Colbert, de ses parents, amis et protecteurs furent soigneusement ménagées pour la taille. Ayant acquis la terre de Chateauneuf en Berry, le premier soin qu'il prend est de s'informer auprès de son homme d'affaires « de quelle eslection sont les paroisses qui composent cette terre et à combien elles ont esté imposées à la taille depuis sept ou huit ans6 ». Après avoir acheté sa terre d'Ormoy, près de Seignelay, il la fait visiter par une certaine dame de la Rivière qui lui écrit le 9 octobre 1664 : « J'ay trouvé ses pauvres

1. M. C. 141. 395. Il écrivait le 30 sept, précédent : « Je puis vous dire que la pensée de faire grâce et de déférer à la recommandation n'entrera point dans mon esprit » quand je ferai les départements. (M. G. 140, f 512.)

2. L. du 18 nov. 1667, Depping, t. III, p. ix. Cf. Vauban, Œuvres, éd. de Rochas, 1,623.

3. L. à Leblanc, 29 nov. 1675 ; Glém. II, 371.

4. L. du 19 oct. 1679, Clém. II, 117.

5. Leblanc à Colbert, 1er oct. 1679 : « Le Marais-Vernier estoit imposé en 1679 à 2 050 1.; pour luy donner moyen de se restablir, j'ay creu qu'il estoit à propos de luy donner 1 100 1. de diminution; pour Blainville j'en auray un soin parti- culier; je vous supplie d'estre persuadé que je feray tout ce qui me sera possible pour mériter vos bontez ». (A. N. G7 491). En 1662, le Marais-Vernier payait 3 553 1., et en 1665, 3 513, pour 155 feux. La taille de l'élection était passée de 259 600 1. en 1665 à 281 900 en 1679 et 273 400 en 1680. D'autre part Colbert avait notable- ment enrichi cette terre en y faisant dessécher des marais, sous la direction du receveur général de Rouen, Gousin (Glém. VII, 138 et note).

6. Glém. VII, 91.

154 LA TAILLE BN NOIIMANDIE.

abitans dans la dernière nécessité, qui lest, Monsieur, que je vous suplie d'avoir la bonté de les fere descharger à la taille, ils serons tenus de prier Dieu pour votre conservation, je les et for amonesté de vous randre corne à leur seigneur toute sorte d'obéis- sance1 ». La même année un billet anonyme (dont l'auteur est sans doute l'intendant), apprend à Colbert que ses deux paroisses de Contilly et les Auneaux ont été réduites de 50 1. (550 au lieu de 600) chacune, et l'auteur ajoute : « vous voyés... que je n'ay pas accordé grande diminution aux paroisses qui vous appar- tiennent... Si vous désirés que les vostres reçoivent quelques grâces, il vous plaira me le prescrire au bas de ce billet, et j'exé- cuterav ponctuellement vostre ordre par le moyen des 15 000 1. qu'il m'est permis de diminuer2 ». Dans l'élection de Joigny se trouvent Seignelay et d'autres paroisses appartenant à Colbert, un M. de Bcauchamps est chargé du département de la taille, et se vante de diminuer « considérablement » les paroisses du ministre3. Ces paroisses ne sont pas ménagées seulement au département, mais aussi dans la perception. Le receveur de Joigny écrit à Colbert le 14 avril 1665 : « Le respect que j'ay pour tout ce qui vous regarde m'a empesché de faire aucune poursuitte à l'encontre des collecteurs des paroisses qui vous appartiennent dans l'eslection de Joigny, mais, Mgr, vous trou- verez bon, s. v. p. que je vous die que depuis qu'elles sont à vous, les collecteurs n'ont apporté aucuns deniers à la recepte des tailles... Je vous supplie très humblement, Mgr, d'avoir la bonté de vouloir me faire scavoir vostre volonté, pour l'exécuter avec soubmission* ». Cette protection si ouverte encourageait même les paroisses voisines qui n'appartenaient pas au ministre à solliciter ses faveurs : en 1668, les échevins de La Charité viennent le trouver à Seignelay et obtiennent pour leur ville une diminution de 1 500 1. sur la simple promesse d'établir des manufactures, qui ne furent, du reste, pas établies5. Spécialement en Normandie, Colbert protégea soigneusement les paroisses qui lui appartenaient : en 1672, il achète Hérouville, près de Caen; la paroisse avait, jusque-là. payé au moins 1500 1. de taille; il y introduit des améliorations considérables, il construit des halles, une hôtellerie, des routes d'accès, un pont, y crée une foire, fait redresser par Vauban le cours de l'Orne, ce qui permet de convertir plus de 1500 acres de marais en prés6; cependant la

1. M. G. 124. fo 156.

2. Ibil., V SS.

3. Lettre de M. de Beauchamps à Colbert, M. C. 128w\ £° 869; ce personnage n'était pas intenlant; ou trouve parmi les familiers de Colbert un M. de Beau- champs, gendre de Marin, qui fut chargé d'élever le fils de Mlle de Lavallière. (Clém. VI, 463). peut-être est-ce de lui qu'il s'agit ici.

4. Levasseur à Colbert, 14 avril 16.55, M. C. l28bu, 869.

5. L. de remerciements des échevins à Colbert, 18 nov. 1665, Depping, I, 7 «7.

6. Remarques de Nicolas le Ilot, publ. par G. Vanel, Caen, 1905, art. Hérouville. Sur l'acquisition de cette terre, voir Clém. VIF, 64, 139 et 393 .

LES PROTECTIONS ACCOUDEES AUX PAROISSES. 155

taille de la paroisse s'abaisse à 1 173 1. en 1674, 1000 1., en 1677, et 600 1. en 1679 ', et l'on ne peut encore pas assurer que ces sommes aient jamais été payées, car le régisseur de Colbert pour cette terre est le sieur Cousin, receveur général de Rouen. Les terres voisines de Blainville et Creuilly, que Colbert acheta en 1675 et 1682, furent l'objet de faveurs analogues.

La protection du ministre s'étend tout naturellement aux terres de ses parents. On l'a déjà vu pour le Marais-Vernier, apparte- nant au jeune Louis son fils. Lorsque ce même personnage reçut du roi, à l'âge de quatorze ans, l'abbaye de Bonport, près de Pont-de-1'Arche, l'intendant de Rouen à la première nouvelle fit ses offres de service à Colbert, qui répondit : « Je ne refuse point l'offre que vous me faites d'en prendre quelque soin dans les visites que vous ferez de la généralité2 ». Trois mois après, Colbert apprenant que cinq hameaux dépendant de l'abbaye et composés de 53 feux payaient autant de taille que les 100 feux du reste de la paroisse de Montaure, écrivait à Leblanc : « Je vous prie d'examiner si cela est véritable, et de me faire scavoir s'il y a quelque raison qui ayt pu donner fondement à cette iné- galité, et si la justice qui doit estre observée dans le régalement des tailles désireroit que ces cinq hameaux portassent une moindre partie de la taille, parce qu'en ce cas on y pourroit remédier3 ». Leblanc dut amplement satisfaire son ministre, car quelque temps après il lui adressait une lettre de remercie- ments en ces termes : « Je vous suis si sensiblement obligé de l'honneur de vostre protection et des bontez que vous avez pour moy, que je ne puis assez vous en rendre grâce; j'ay un si pro- fond respect pour les personnes qui vous appartiennent, que je souhaitterois leur pouvoir tesmoigner le zèle et l'attachement que j'ay pour leur service4 ».

Colbert de Maulevrier possédait dans la généralité de Tours la terre de Maulevrier et un groupe de paroisses aux environs; en 1670 il obtint de son frère pour ses domaines une diminution de taille de 8 000 1. « Je vous remercie, écrit ensuite le ministre à l'intendant qui a réparti cette décharge, du soin que vous avez pris des paroisses qui appartiennent à mon frère5 ». L'année suivante encore, Maulevrier demande une nouvelle diminution de 1 500 1. :

« C'est une charité, dit-il, que vous ferés à bien des pauvres, des vefves et des orfelins, car ce n'est que pour ces gens que je vous

1. A. D. Calv., élection de Gaen, rôles de département.

2. L. du 9 sept. 1681, Clém. VII, 128.

3. Clém. VII, 129, n. 1.

4. L. du 21 août 1682, A, N. G? 491.

5. Clém. II, 75, note; cf. 1. de Colbert de Maulevrier 4 sept. 1670, M. C. 155, 190, lettre de l'intendant Voysin, 11 oct. 1670, Clairamb. 792, p. 351 : ces

Êaroisses avaient été déjà dégrevées les années précédentes d'après la lettre de [aulevrier citée plus loin.

156 LA TAII.LK KN NORMANDIE.

demande cette faveur, quoique celles que vous m'avez accordé pendant les années précédentes, bien que très considérables, n'ayent pu ancor obliger personne à se présenter pour afermer ma terre'. »

La fille de Colbert avait épousé le duc de Chevreuse, fils du duc de Luynes : celui-ci obtint que sa terre de Luynes fût parti- culièrement recommandée à l'intendant2, et que celle de Fon- dettes, près de Tours, eût sa taille réduite pendant trois ans à très peu de chose. La duchesse douairière de Chevreuse obtint pareille protection en 1668 pour sa paroisse de Houdan, près de Versailles8.

Les grands seigneurs de la cour sollicitent de Colbert les mêmes laveurs. Mademoiselle de Montpensier lui recommande sa ville d'Eu en 1682; il donne des ordres en conséquence à l'intendant, en ajoutant seulement : « en quoy toutefois vous devez une justice égale à tous les sujets du roy* ». La marquise de Piennes fait favoriser ses terres de Picardie par l'intendant d'Amiens : « Soyez persuadé, écrit Colbert à ce dernier, que je prendrai part à l'obligation qu'elle vous en aura6 ». Le duché de Lavallière est spécialement ménagé6. Le marquis d'Antin, fils de Madame de Montespan, adresse des « sollicitations pressantes » au ministre pour faire soulager « les terres qui lui appartiennent dans les élections d'Astarac et de Rivière-Verdun »; il est vrai qu'il n'obtient satisfaction qu'à demi : Colbert transmettant sa requête à l'intendant ajoute : « Il faut que vous n'y ayez égard qu'autant que vous estimerez que cela pourra s'accommoder avec le service du roy, estant bien difficile de se défendre de donner quelquefois de semblables lettres, quoyque ce soit contre mon sentiment et avec assez de répugnance7 ». Mais Colbert ne tenait pas toujours ce langage. Le 'Il septembre 1663, le comte de Saint-Aignan, dont le fils devait épouser quelques années plus tard la fille du ministre, lui demande « de considérer la misère des pauvres habitans de Loches, et de faire qu'ils soient sou- lagez aux tailles et au sel 8 », et Colbert écrit en marge du billet : « Un mot de recommandation dans la depesche de M. de

1. M. C. 157, fo 398.

2. Clém. Il, 392.

3. Note remise à Colbert par un de ses secrétaires (sans date, mais classée avec les lettres d'oct. 1668) : « S. A. Mme la duchesse douairière de Chevreuse avoit envoyé pour scavoir Testât de la santé de Mgr, et pour luy donner advis que M. Hachette est parti pour taire le département des tailles de l'eslection de Mon- fort, dans laquelle est la paroisse d'Houdnn qui a besoing de sa protection... (M. C. 148, f" 6). Beaucoup de recommandations pareilles durent élre demandées et transmises de vive voix sans qu'il nous en soit resté trace.

4. L. du 17 août 1682, Clém. II, 204, note; cf. la réponse de Leblanc, 18 août : « Je mande à Mademoiselle que vous m'avez bien donné ordre d'avoir soin de leurs intérests [des habitants d'Eu] ». (B. N. fr. 8 761, 63).

5. Clém. VII, 40, n. 2.

6. Clém. II, 254.

7. L. du 13 juillet 1663, Clém. VII, 40. Cf. let. à Colbert de Terron, I, 306.

8. M. C. 117, t&.

LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 157

Fontenay ». Celui-ci répond le 4 octobre qu'il a déchargé la ville de Loches de 10001. « dont j'ay fait connoître aux habitans, ajoute-t-il, qu'il vous avoit plu me donner ordre, sur la recom- mandation de M. le comte de Saint-Àignan1 ».

Ses subordonnés et ses familiers ont recours à lui pour faire « considérer » leurs domaines : Marin lui fait adresser une recommandation à l'intendant de Montauban, qui répond : « Les paroisses de M. Marin sont traittées favorablement dans toutes les- occasions, entr'autres dans l'imposition de l'année pro- chaine, et il a toutes sortes de raisons pour en estre satisfait. L'on continuera tousjours, à quoy je suis tout à fait disposé2 ». Il est probable que Marin, dont la correspondance est perdue, adressa directement bien des recommandations de ce genre aux intendants, ses subordonnés. M. de Hocqueville, président à la Cour des Aides de Rouen, utilise aussi ses relations avec le ministre pour faire soulager le bourg de Cany en 1665 3. En 1683, il se plaint à nouveau que le bourg soit accablé à cause du soulagement accordé à la paroisse de Doudeville *.

Les autres ministres obtiennent des faveurs analogues pour leurs terres et celles de leurs parents et amis; ils semblent même le faire avec moins de gêne, n'ayant pas à se préoccuper des conséquences pour le Trésor. La correspondance de Letellier et de Louvois abonde en recommandations de cette nature; ainsi Louvois écrit à son oncle Dugué, intendant de Caen, le 5 novem- bre 1661 : « Je vous suplie très humblement d'avoir la bonté de voulloir soulager autant qu'il vous sera possible la paroisse de Saint-Jean en Coural5, de l'élection de Mortaing, lorsque vous ferez le département des tailles de la généralité de Caen. C'est une grâce que je recevray comme pour moy-même puisque je vous le demande à la prière d'une personne que j'honore parfaitement et à qui je serois trop aise de pouvoir rendre mes services. Si les miens vous pouvoyent estre un peu utiles je vous les offrirois de tout mon cœur6 ». Une autre fois il lui recom- mande les terres de Mme de Choisy7. A Leblanc il recommande les terres du duc de La Rocheguyon 8, la paroisse de Mer-

1. M. C. 117, 415. Dans la même lettre il s'excuse de n'avoir pu « soulager la ville de Loudun que Mgr. l'archevêque de Paris considère... quoyque selon mon sens elle en ait plus besoin ».

2. L. de l'intendant Pellot, 10 déc. 1664, M. G. 126, 256. Pellot avait épousé une Madeleine Colbert.

3. L. du 14 août 1665, M. G. 131, 371.

4. L. du 28 août 1683. Sa plainte paraît d'ailleurs inexacte : il dit que Doude- ville « a toujours esté imposé à 3 500 1. » tandis que « depuis quelques années il n'est plus qu'à 1 700 1. » ; or nous voyo.is d'après les rôles d'imposition de la paroisse qu'elle payait, 1 860 1. en 1658, 3 249 1. en 1662 et 1665, 3 100 1. en 1679.

5. Aujourd'hui Saint-Jean du Corail.

6. D. G. 170, 131.

7. Ibid., 320. Cf. d'autres exemples dans Depping, III, p. 5, 81, 247, etc.

8. Leblanc à Louvois 3 décembre 1679 : « J'ay eu un soin particulier au der- nier département des terres de M. le duc de La Rocheguyon et leur ay donné

161 LA TAILLE EX NOIIMANDIE.

ville1, les terres dépendant des commanderies de Saint-Lazare*. Il ti.insmet aux intendants des recommandations de la part de son domestique3, ou du frère d'un de ses commis *. Une seule fois dans les lettres que j'ai lues il fait des réserves à sa recommandation, et c'est lorsqu'il transmet à Dugué l'invitation de la reine-mère à favoriser les terres des missionnaires établis à Caen. Bornez-vous, lui dit-il, a « considérer un petit plus les terres qui leur peuvent appartenir que les autres dans l'assiette des tailles », mais il serait injuste de leur donner à eux seuls la diminution de 8 000 1. accordée à toute l'élection : « Je ne vous celleray pas, M. que j'ay esté estrangement surpris de voir

3ue des gens qui ne nous preschent que l'excessif accablement es peuples par les levées que l'on fait sur eux, et la charité envers les pauvres, sollicitent pour leur profit particulier la diminution d'une grâce que le roy a accordée a une eslection ruinée par la mauvaise récolte de deux années consécutives5 ». M. de Saint-Pouange recommande pareillement à Leblanc la mère et le beau-frère d'un de ses domestiques : a La veuve Couturier, qui demeure au village de Laroque, a un fils auprès de moy que j'affectionne, et comme je souhaiterois bien contri- buer au soulagement de sa famille, je vous serois sensiblement obligé, Monsieur, si, lorsque l'on renouvellera la taille, vous vouliez bien la taxer d'office et faire en sorte que le nommé Jean Langlois, son gendre, ait quelque modération. Je me flatte que vous voudrez bien me donner des marques de vostre amitié en ce rencontre". »

Souvent les intendants devancent les ordres ministériels. Foucault raconte comment, discrètement, il exempta presque une paroisse de M. Pussort, oncle de Colbert, dans la généralité de Poitiers : a J'ai cru, écrit-il à son père, qu'il étoit plus à propos de luy laisser donner avis de cette diminution par son homme d'affaires que de le luy donner moi-même7 ». Son père trouve cette discrétion de bonne politique; « il est bon, répond-il, que M. Pussort soit informé de ce bon office, mais il faut que ce soit par tout autre que par vous, et que son fermier lui en donne avis. » Il ajoute : « Il a son secrétaire, M. Hersan, qui est trésorier de France au Bureau de Poitiers; il faudroit voir si

3 800 1. de diminution. Je dois faire dans peu une imposition de 75 000 1. sur la généralité pour rendre une rivière naviguable [La Risle], elles profiteront de vostre protection ». (B. N. fr. 8 761, 17.)

1. Ibid., 26, v* : « La paroisse de Lamerville, qui est dans l'eslection d'Arqués, m'appartenant. je ne puis m'empescher de vous suplier de traiter favorablement les habitans dans l'imposition des tailles que vous allez faire, et d'eslre persuadé que je prendrai sur mon compte le plaisir que vous leur ferez ».

2. IbCd., f 27.

S. D. G. 212, 91.

4. D. G. 170, 291.

5. L. du 17 déc. 1661, ibid., f 413.

6. Lettre du 12 oct. 1680, B. N. fr. 8 761, f 57.

7. L. du 3 nov. 1685 dans ses Mémoires, éd. Baudry, p. 144.

LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 159

vous ne pourriez rien pour lui, cela plairoit fort à son maître 1 ».

Il arrive que des protections soient refusées par les ministres, mais ce n'est pas toujours pour des motifs d'intérêt général. Colbert et Louvois sont en lutte au sujet des terres de Turenne en 1674 : Turenne, ami particulier de Colbert, obtient de lui toutes les protections qu'il désire2; mais il est en rivalité avec Louvois qui ne le ménage pas. Or en décembre 1674, des soldats sont envoyés en quartiers d'hiver dans la généralité de Poitiers. L'intendant Foucault propose à Louvois d'exempter du logement la paroisse de Nègrepelisse appartenant à Turenne. Louvois répond : « L'intention du roi n'est pas qu'aucun village à qui que ce soit qu'il appartienne soit exempt du logement des cavaliers... il eût été bien à propos que vous ne vous fussiez pas dispensé de vous conformer au règlement pour des considéra- tions pareilles à celles dont vous me parlez3 ». Mais en même temps Colbert écrit à Foucault que « le roi trouveroit bon » que l'on exemptât la terre de M. de Turenne, « qu'il avoit bien mérité cette distinction4 ». L'intendant sut heureusement trouver un moyen de satisfaire ses deux maîtres : « j'ai mis, explique- t-il, quelques places de l'état major dans Nègrepelisse, mais c'étaient des places mortes qui ne coûtèrent rien à la paroisse, et cette affaire n'eut pas de suite5 ».

Les ministres, par cette conduite, autorisaient les infractions des intendants; comment ceux-ci eussent-ils hésité à protéger les paroisses ils étaient intéressés? Ils se dégrèvent mutuel- lement les terres qu'ils possèdent : du Boulay-Favier, inten- dant d'Alençon, fait toujours soulager ses paroisses par ses collègues 6. Toutes les personnes qui les touchent de près ou de loin, ou dont ils ont à attendre la protection, reçoivent naturelle- ment leurs faveurs, peut-être même en accordent-ils, comme Saint-Simon et Boisguilbert les en accusent, uniquement pour faire voir qu'ils sont tout-puissants. Les sollicitations leur viennent de partout. Chamillart, intendant de Caen, annonce à Colbert en 1666 comme une chose extraordinaire qu'il n'a reçu « aucune recommandation avant le département7 ». « Lorsque la somme à laquelle une généralité est arêtée est venue du Conseil, dit Boisguilbert, tout le monde fait sa cour à MM. les intendans afin que leurs paroisses soient favorable-

1. Ibid., p. 144. Pussort était un des protecteurs de Foucault.

2. Saint-Simon dit même que ses terres étaient entièrement affranchies d'impôt. (Mémoires, éd. Ghéruel, t. III, p. 363) ; cf. une lettre de Dorieux à Colbert, 15 août 1670 : dans la généralité de Limoges les gardes de M. de Turenne « qui sont fort à leurs aises », sont néanmoins « fort peu taxez » (Clairamb. 792, p. 215).

3. L. du 16 déc. 1674, Mémoires de Foucault, p. 505.

4. Ibid., p. 30.

5. Ibid.

6. L. de Hachette à Colbert 24 octobre 1670 : « les paroisses de la généralité de Paris appartenant à M. du Boulay-Favier ont tousjours esté protégées par MM. les maîtres des requestes ses confrères ». (Clairamb. 792, p. 365).

7. M. C. 141bls, 849.

160 LA TAILLK K.\ NOIt.M ANDIE.

ment traitées, indépendamment du pouvoir elles peuvent être de paier plus ou moins de taille... Aujourd'hui une des plus agréables fonctions de MM. les intendans des provinces est cette répartition ' ». Ce passage de Boisguilbert est confirmé par l'intendant Lallemant de Lévignen en 1732 : « le seigneur sollicite avec vivacité lors des départements la diminution des impositions de sa paroisse; son motif est de faire sentir à ses habitans le prétendu crédit qu'il a auprès de l'homme chargé des ordres du roy, pour s'attirer la considération des gens foibles dont il exige quelquesfois pendant le cours de l'année des servitudes, ainsy que le soulagement de ses fermiers à son gré »; il est vrai que ces sollicitations sont, d'après Lévignen, « sans aucun effet2 ». Cependant l'intendant de Poitou, Mau- peou d'Ableiges, fait son département au gré de l'abbesse de Thouars; son secrétaire s'est fait donner des pots-de-vin pour recommander telle ou telle terre*. Duclos, dans ses mémoires, raconte l'histoire d'un intendant qui fut révolté de ces injus- tices : « Courtin, intendant de Picardie, ménagea tellement les terres du duc de Chaulnes, son ami, qu'il s'aperçut enfin qu'il avoit surchargé de 40000 1. d'autres paroisses; il les paya et demanda son rappel. Sur les instances qu'on lui fit pour le faire rester, il répondit qu'il ne vouloit ni se ruiner ni passer sa vie à faire du mal* ». Mais combien imitèrent son exemple? Ils étaient assurés de l'impunité, n'étant surveillés que de très loin par les ministres, et les contribuables n'avaient aucun recours contre eux. La plupart des gens trouvaient d'ailleurs ces pro- tections naturelles : Mme de Sévigné ne s'étonne nullement que dans la répression de l'émeute de Bretagne les terres de Mme de Rohan et de Mme de Coétquen soient « fort soula- gées » et que la princesse de Tarente recherche pareil soula- gement : « c'est, dit-elle, une grande justice »5.

En somme, avant 1661, les protections étaient pratiquées par les agents locaux : élus, receveurs, trésoriers de France; après 1661 elles le furent par les agents du pouvoir central; ce fut un grand changement parce que les intérêts des premiers n'étaient pas les mêmes que ceux des seconds; mais il est dif- ficile de dire si les contribuables y ont gagné ou perdu. La ruine incontestable du royaume après vingt années de ce nou- veau régime peut néanmoins laisser supposer qu'ils y ont beau- coup perdu.

1. Le détail de la France, éd. 1707, I, p. 22-23. Boisguilbert ajoute que les inten- dants ont au début essayé d'empêcher les seigneurs de faire exempter leurs fer- miers. mais ils n'ont pas abouti « parce que de très grands seigneurs se trouvant dans cette espace, on ne pouvoit pas commencer par eux comme il eût été de nécessité pour montrer l'exemple ».

2. B. N. fr. 7 771, f* 176.

8. Foucault, Mémoires, p. 34».

4. Urmtiirrs, éd. Michaud et Poujoulat, p. 448.

5. Lettre*, él. Monmerqué, t. IV, p. 289.

LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 161

Nous n'avons aucun moyen de reconnaître, aujourd'hui, si une paroisse était bien ou mal imposée, parce que nous man- quons, plus encore que les répartiteurs d'alors, des éléments qui nous feraient estimer ses ressources. Hors les cas de protec- tions certaines, que nous venons de voir, nous ne pouvons être sûrs que telle paroisse soulagée n'avait pas un titre à ce dégrè- vement, que telle autre en apparence surchargée n'était pas capable de payer cette surcharge. Néanmoins nous rencontrons des inégalités si choquantes entre différentes localités, qu'il nous est difficile de ne pas y voir l'effet d'un mauvais dépar- tement. Voici des exemples empruntés au tableau des imposi- tions de la généralité de Rouen en 1665, dressé par Voysin de Noiraye1.

Dans l'élection d'Evreux, les deux paroisses voisines de Bailleul et de Jumelles, ayant toutes deux bon fonds, payent l'une 13 1. et l'autre 23 1. 9 s. par feu; la paroisse de Villers en Desseuvre, sise en mauvais pays, paye 12 1. 11 s., et sa voi- sine Lorey, dont le fonds est semblable, paye 4 1. 5 s.; la pre- mière appartient à un M. de Bréval, et la seconde à M. de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris. Deux paroisses appartenant à M. de Vendôme, La Futelaye et Breil, payent la première 4L, et la seconde 2 1. 4 s. ; cependant leurs terres sont de bonne qualité.

Dans l'élection de Pontoise, Velly, sise dans un bon fonds, bien labouré, paye 13 1. 12 s., et Etrépagny, avec son riche ter- roir, paye 10 1. 7 s. Deux paroisses voisines, Sainte-Marie et Vathimesnil, de fonds également bon, payent l'une 5 1. 19 s. et l'autre 13 1. 9 s. Douxmesnil, appartenant à l'avocat général de la cour des Aides, paye 8 1. 4 s., sa voisine Villers, 11 1. 16 s.

Le tableau suivant donne les impositions de quelques paroisses de l'élection de Rouen à la même date; pour chacune j'indique entre parenthèses le nom du seigneur. Toutes sont situées en bon fonds, labouré et planté de pommiers :

Paroisses. Imp. par feu.

Bosc-Bérenger (Leseigneur, cons. au Pari.) 11 1. 2 s.

Gouville (de Motteville, Prés, à la Gh. des comptes) .... 19 15

Glaville (id.) .... 21 2

Beaumont le Hareng (de Brévedent, lieut. général). .... 8 7

Beuzeville (id.) 7 11

Varneville aux Grées (de Bimorel, très, de France) 25 14

Ai'Seauville (le prés. Bigot) 12 14

Montville (id.) 10 9

Fresnay (de Fresnay, cons. à la Cour des Aides) 15 6

Saint Georges du Val Martin (Dauviraj', cons. au Pari.) . . 1 13

Bosc le Hart (d'Arqués, cons. au Pari.) 15 »

1. Voir ce tableau entier au ms. 274 des Cinq cents Colbert. J'ai donné les noms des paroisses, leur imposition et leur nombre de feux dans mon éd. du Mémoire de Voysin, p. 164 et suiv.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

11

162 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Les sommes attribuées à chaque paroisse par la commission de département étaient inscrites sur un cahier les noms étaient imprimés d'avance. On avait ainsi le rôle de départe- ment : il était paraphé et signé par les membres de la commis- sion et déposé au greiîe de l'élection; il est probable que l'in- tendant en conservait un double dans ses bureaux. Ensuite chaque paroisse était informée de la somme qui lui était imputée, par un acte nommé mandement des élus et de l'intendant; ce mandement, que l'intendant avait préparé, contenait toutes les prescriptions pour la répartition et la levée de l'impôt; on y rappelait les règlements anciens et on ajoutait les nouveaux. Le texte en était imprimé par les soins de l'intendant; on ne laissait en blanc que le nom de la paroisse et la somme qu elle devait porter; les exemplaires, signés de l'intendant ou de son secrétaire et d'un élu, étaient remis au receveur de l'élection qui les faisait porter à destination par les sergents.

CHAPITRE IV

LA NOMINATION DES COLLECTEURS

I. LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION DES COLLECTEURS.

II. L'ASSEMBLÉE PAROISSIALE. III. LES EXEMPTS DE COLLECTE.

IV. LE NOMBRE DES COLLECTEURS. V. LES ÉCHELLES. VI. LBS

FRAUDES ET LES PROCES. VII. LES COLLECTEURS NOMMES D'OFFICE.

La répartition de l'impôt entre les contribuables de chaque paroisse est la fonction des collecteurs. Primitivement, les collecteurs, comme leur nom l'indique, s'occupaient uniquement de la perception, la répartition étant assurée par les « asséeurs », de sorte qu'à tous les degrés les agents de répartition étaient distincts des agents de perception : on avait d'une part les trésoriers généraux, les élus et les asséeurs, d'autre part les receveurs généraux, les receveurs particuliers et les collecteurs. C'est à la même distinction que correspondaient les attributions respectives de la Cour des aides et de la Chambre des comptes. Mais les commissaires envoyés par Henri IV dans les provinces en 1598 avaient constaté qu'une partie des non-valeurs dans les tailles provenaient de ce que les asséeurs n'étaient pas respon- sables du paiement des cotes qu'ils avaient fixées, et l'édit de mars 1600 (art. 10), avait ordonné que les asséeurs seraient collecteurs la même année de leur charge; en d'autres termes, les deux fonctions étaient réunies en une seule : le collecteur était à la fois répartiteur et percepteur1.

Dès l'origine, asséeurs et collecteurs furent élus par les contribuables. Dans l'esprit du législateur, chaque paroisse était une unité fiscale qui devait fournir au roi la somme qui lui était imposée; ses membres devaient s'arranger entre eux à cet effet, le fisc ne les connaissait pas individuellement; l'administration royale s'arrêtait à la collectivité paroissiale,

1. La séparation des deux fonctions persista en Bretagne, l'on distinguait les « égailleurs » (asséeurs) et les collecteurs. Cf. Potier de la Germondaye, Intro- duction au gouvernement des paroisses, Rennes 1777 , p. 301 et suiv.

164 LA TAILLE EN NORMANDIE.

et ne descendait pas jusqu'aux individus; le collecteur était le mandataire des contribuables, qui le nommaient « à leur péril », il n'était pas le représentant du pouvoir1. Différentes tentatives faites avant 1661 pour transformer les collecteurs en officiers du roi n'avaient pas abouti, parce qu'elles étaient de simples expédients fiscaux : le gouvernement n'y avait vu qu'un moyen de se procurer de l'argent par la vente de ces nouveaux offices. Le principe de l'élection des collecteurs devait subsister jusqu'à la Révolution*.

LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION DES COLLECTEURS

Les habitants de la paroisse devaient élire leurs collecteurs dans leur assemblée sans attendre d'ordre; il n'était même pas nécessaire qu'ils eussent reçu le mandement ordonnant la levée de la taille. Toutefois, l'usage était d'adresser chaque année à la paroisse un ordre spécial, nommé aussi mandement, pour convoquer l'assemblée3.

L'autorité chargée d'expédier les mandements fut, jus- qu'en 1664, les élus. La déclaration d'août 1664 (art. 2) donna également cette attribution aux intendants, de sorte que les

1. On ne s'était jamais arrêté à l'idée de laisser les habitants répartir eux-mêmes l'impôt dans l'assemblée de la paroisse. La raison en est donnée par l'inten- dant d'Aube dans son mémoire de 1738 : Il est évident que la dite réparti- tion seroit presque toujours faite ou trop difficilement et trop tard, ou tumul- tuairement et mesme trop injustement si elle se fuisoit dans les assemblées des communautés. Il a été juste d'en conclure qu'il convenoit donc mieux qu'elle fust faite par des membres des communautez choisis par elles-mêmes >. (B. N. ms. fr. 21 812, p 76.)

2. Voir sur les créations de commissaires des tailles, de directeurs des tailles, etc. le Mrmorial alphabétique, au mot Commissaire. Toutes ces créations n'étaient qu'un moyen pour le roi de se procurer de l'argent par la vente des offices. Elles furent particulièrement nombreuses* au temps de Richelieu et de Mazarin : il en restait encore des traces en 16<il. Ainsi, le l'« février 1(161, on met en adjudica- tion, à la Cour des aides de Rouen, les offices de commissaires héréditaires à faire les rôles des tailles dans toutes les paroisses de l'élection de Cnen ; le marché est conclu avec le sieur Pierre Domergue, bourgeois de Paris, moyennant 39 690 livres: cette adjudication était faite en vertu d'un édit de juillet 1659 (A. D. Calvados, élection de Caen, registre des ordonnances de 1656 à 1G63, f" 403 et suiv.) Cf. B. N. fr. 18 511, 72, un mémoire de t*ï60 sur « le restablissement des commissaires des tailles » (papiers de Séguier) : en 1657 le roi avait traité avec le sieur Mollet pour « faire valloir à S. M. la finance qui proviendroit d'un office de commissaire des tailles en chacune paroisse >, moyennant 6 666 666 1. En 1659, il avait em-ore traité pour deux autres offices, moyennant 5 440 000 1.

3. L'obligation pour les contribuables de nommer les collecteurs sans y être invités esi nettement précisée par Gauret (*>tile du conseil du roy, p. 411). Le mandement, dit-il, est un simple usage; et, en effet, l'arrêt de la Cour des aides de Paris du 28 mai 1646 (Mem. Alphab. p. 52) et le règlement de 1643 sont con- formes n cette théorie. Mais en Normandie, l'usage était devenu tout à fait régu- lier et il ne semble pas que jamais les nominations de collecteurs aient été faites sans mandement des élus.

LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION DES COLLECTEURS. 165

paroisses reçurent souvent, à partir de cette date, deux papiers émanés de ces deux autorités. Enfin, l'arrêt du Conseil du 23 septembre 1681 supprima ce dualisme en attribuant l'expé- dition aux intendants seuls.

L'acte, suivant la déclaration d'août 1664, doit enjoindre aux habitants de s'assembler « au son de la cloche, à l'issue de la messe du premier dimanche ou feste du mois d'octobre ensui- vant pour nommer de bons collecteurs de chacune échelle1 ». Il n'y a pas de formule réglementaire. Intendants et élus ont l'habitude d'y insérer toutes les prescriptions qu'ils jugent utiles, soit pour faire connaître un nouveau règlement, soit pour en rappeler d'anciens, soit pour ajouter des prescriptions de détail à la législation en vigueur. Voici un mandement très simple, celui qu'expédièrent les-élus de Caen en 1661 :

De par le Roy,

Les président, lieutenant, eslus, controlleurs esleus, conseillers du roi en l'eslection de Caen,

Paroissiens de , nous vous mandons vous arrester dimanche

prochain, à l'issue de votre messe paroissiale, afin de nommer des collecteurs des trois eschelles, suivant l'ordonnance, pour Tannée pro- chaine 1662, à peine de dix livres d'amende, et d'en raporter aux gens de nostre eslection laditte nomination dans huictaine.

Donné à Caen, le dernier jour d'octobre mil six cent soixante et un*.

En 1664, le mandement des mêmes élus est beaucoup plus développé; il résume le règlement d'août de la même année sur la nomination des collecteurs et la confection des rôles 3. Celui de 1673 contient de longues prescriptions sur la nomination des collecteurs d'office et sur l'action en décharge de collecte*.

Pendant la période de 1664 à 1681, les intendants n'expé- dièrent pas tous les ans des mandements; quand ils en expé- diaient, ils y introduisaient la même variété que les élus 5. Par exemple, dans le mandement de ljintendant de Caen en 1678, on trouve des prescriptions sur le nombre des collecteurs, l'appel de leur nomination, les accords entre collecteurs et receveurs pour les paiements, les translations de domicile6.

1. Règlements de Normandie, p. 130, repris à peu près textuellement par l'arrêt du Conseil du 23 septembre 1681, art. 1 (ibid., p. 210.)

2. Imprimé. Le nom de la paroisse est ajouté à la main. Au bas sont les signa- tures de six élus (A. D. Calvados, élection de Caen, registre des ordonnances de l'élection de 1656-63, 461.)

3. Ibid., registre de 1664 à 1671, à sa date.

4. Ibid.

5. On ne peut pas regarder comme une formule habituellement employée celle que donne Gauret dans son Slile du conseil du roy, p. 412. Le mandement de l'intendant se distingue par sa forme de celui des élus : c'est une ordonnance, tandis que celui des élus est une sentence (ibid., p. 411). Voir des mandements aux Arch. Calv., Election de Caen, et dans les papiers de Leblanc, B. N. fr. 8 761 bls.

6. A. D. Calvados, Bureau des finances.

166 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Il arrivait que le mandement des élus et celui de l'intendant fussent en contradiction. Ainsi, en 1673, tandis que les élus de Caen ordonnent de tenir l'assemblée le premier dimanche d'oc- tobre, l'intendant indique le premier dimanche de septembre; les élus donnent un délai d'un mois aux syndics pour déposer le procès-verbal de l'assemblée, l'intendant ne donne que huit jours, etc!. Mais ces divergences n'avaient pas de grandes con- séquences dans la pratique, les contribuables faisant fort peu de cas des règlements, quels qu'ils fussent.

Les mandements étaient adressés aux paroisses par l'intermé- diaire du receveur particulier2 qui les faisait porter par ses huissiers ou sergents au procureur syndic de chaque paroisse. Ils devaient être publiés par le curé au prone de la grand'messe « par deux dimanches consécutifs3 ».

II. L'ASSEMBLEE PAROISSIALE

Le but principal du mandement était de hâter la réunion de l'assemblée : nommés trop tard, les collecteurs ne pouvaient dresser leurs rôles de façon à faire le premier versement au receveur a la date fixée; toute la perception s'en trouvait com-

Promise, de la même façon quelle l'eût été par un retard dans expédition du brevet ou des commissions*. Avant 1664, il n'y avait aucune date fixée pour cette réunion. L'art. 39 du règlement de janvier 1634 spécifiait seulement ju'elle devait avoir lieu « a jour de dimanche ou feste 5. » La nation d'août 1664 précisa le « premier dimanche ou feste

au'ell éclai

Le roi avait mettait en

1. Ces divergences s'expliquent d'ailleurs dans ce cas particulier. 1 publié un nouveau règlement au mois d'août 1673, et 1 intendant le vigueur. Au contraire, les élus suivaient la législation ancienne, probablement parce que le règlement n'était pas venu à leur connaissance, n'étant pas encore enregistré h la cour des aides de Rouen.

2. Lettres patentes d'août 1664, art, 2; arrêt du conseil du 23 septembre 1681, art. premier.

3. Edit. de janvier 1634, art. 39, et arrêt du conseil du 23 septembre 1681, art. 2.

4. Ce motif est expliqué dans le préambule de l'arrêt du conseil du 5 décem- bre 1657 : « Les longueurs qui arrivent ordinairement procèdent de ce que les habitants des paroisses... retardent la nomination des asséeurs et collecteurs des tailles jusque après la réception des commissions qui leur sont envoyées, ce qui est cause le plus souvent qu'il se fait des frais excessifs et des contraintes rigou- reuses pour la solidité des sommes imposées, et outre que les collecteurs estant pressés après leur nomination sont obligés de faire leurs rolles précipitamment sans observer aucun ordre niesgalité » (A. D., Calv.). Presque tous les règlements sur la levée des tailles contenaient des mesures pour obliger les paroisses à nommer assez tôt leurs asséeurs.

5. Dans son arrêt de vérification, la cour des aides de Rouen avait ordonné la nomination des collecteurs « dans le mois d'octobre ». (Réglementa de Normandie,

S. 111). L'édil d'octobre 1645 prescrivit la tenue de l'assemblée dans les paroisses e Normandie immédiatement après la réception des mandements pour la levée de l'impôt (De Bcaurepaire Cahier» des états, règne de Louis XIII, t. III, p. 347). Mais toutes ces mesures demeuraient vagues et insuffisantes.

L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 167

du mois d'octobre1 ». Cette date fut avancée d'un mois par la déclaration du 20 août 1673 2, mais celle du 23 septembre 1681 revint au premier dimanche d'octobre 3.

Les paroisses ne mettaient aucun empressement à nommer leurs collecteurs. « C'est, écrit Colbert en 1681, un des plus grands défauts que nous trouvons presque partout dans l'impo- sition de la taille 4. » Les intendants sont chargés d'observer « si les collecteurs sont nommés dans les temps prescrits par les règlements 5 ». En leur envoyant le règlement du 23 sep- tembre 1681, le ministre leur écrit : « Sa Majesté m'a ordonné de vous l'envoyer afin que vous teniez la main à ce qu'il soit enregistré dans tous les bureaux des élections, que vous l'expé- diez ponctuellement... et le fassiez observer et exécuter 6. »

Pour punir les paroisses retardataires, une amende de dix livres fut établie par l'édit d'août 1673 (art. 2), mais si elle fut quelquefois prononcée7, on y renonça bientôt : en février 1681, Colbert ayant demandé des renseignements sur l'application de la peine, Leblanc lui répondit : « A l'égard des condamnations d'amendes, il n'y en a presque point eu, elles n'ont point été mesmes exécutées 8 ». Colbert renouvela ses ordres. « Mon sen- timent, écrit-il à l'intendant de Soissons en 1682, est que, pour obliger les habitants à être plus ponctuels à l'avenir... vous fassiez payer cette amende sur un rôle que vous arresterez à 30 ou 40 paroisses dans l'estendue de la généralité qui auront

1. La Cour des aides de Paris avait déjà rendu un arrèl le 27 avril 1660 ordon- nant la nomination « avant le quinziesme octobre de chacune année » (B. N. fr., 21 419, p. 100-101); ledit de mars 1667 renouvela celui d'août 1664, qui était déjà tombé en désuétude. (G. d. T. II, p. 19.)

2. Sur ce règlement, l'intendant de Bouville fait observer le 1er septembre 1683, que la nomination en septembre est peu utile, puisqu'on laisse aux syndics jus- qu'au lor novembre pour faire enregistrer l'acte; il faudrait, dit-il, avancer aussi le délai d'enregistrement au 1er octobre; les intendants pourraient faire les nomi- nations d'office lors du département, et au 8 novembre tout serait terminé (A. N. G', 71).

3. Elle fut confirmée sur ce point par l'art. 2 de la déclaration de 1683, mais une nouvelle déclaration du 23 août 1685 revint encore à la date de septembre. (Mém. alphab., p. 53-54). Ces fluctuations, qui n'étaient motivées par rien, sont un des nombreux exemples du désordre de cette législation.

4. Clém. II, p. 207.

5. Ibid., p. 132.

6. Circulaire du 25 septembre 1631. (Clém. II, p. 187.) Les intendants exécu- tèrent ces ordres en envoyant de bonne heure les mandements pour la nomina- tion et ceux pour la levée : en 1679 celui de Caen enjoint aux paroisses de faire l'assemblée « dans les trois jours de la réception du présent mandement » (A. D. Calv., Elect. de Caen).

7. Le 8 décembre 1673, les habitants Nde Rots délibèrent sur « une vendue faite sur les paroissiens en commun par la prise de dix vaches le sixième jour du mois dernier pour les assujettir a establir des collecteurs du sel et de la taille pour l'année prochaine 1674 ». (A. Mun. Rots, B B 5, 49). Il est probable qu'il s'agissait ici d'une amende prononcée en vertu de l'édit d'août précédent.

8. A. N. G"1 491. Cf. une ordonnance de Leblanc, 30 juin 1677, motivée par ce que « faute de nomination de collecteurs par les habitans et scindics des paroisses,... on les condamne en des sommes considérables, dont les deniers sont divertis, et pour lesquels on leur fait des frais extraordinaires » (B. N. fr., 8 761 bis, 60).

168 LA TAILLE EN NOKMANDIE.

manqué l'année dernière seulement à faire cette nomination1 ». Mais il n'obtint pas meilleur résultat : l'intendant d'Alençon, de Morangis, écrit le 10 juillet 1684 que malgré les menaces, les paroisses s'abstiennent de nommer des collecteurs en temps voulu; quand on leur inflige l'amende, tous les habitants se cotisent pour la payer, ce qui fait une somme infime pour chacun, et on est toujours obligé de procéder d'office à la nomi- nation2.

De cet échec on peut juger par le tableau suivant, qui donne les dates de nomination des collecteurs dans deux paroisses de l'élection de Caen, Rots et Tracy, pour la plupart des années de 1661 à 1683* :

kOT6

1661 26 déc. 1660

1662 N janv. 1662

1663 29 oct. 1662

1664 30 déc. 1663

1665 5 oct. 1664

1666 8 nov. 1665

1667 12 déc. 1666

1668 25 déc. 1667

1669 14 oct. 166S

1670 l"déc. 1669

1671 21 déc. 1670

1672 24 janv. 1672

1673 11 déc. 1672

1674 8 déc. 1673

1675

T676

1677 8 déc. 1676

1678 19 déc. 1677

1679 18 déc. 1678

1680

1681

1682

1683

On voit que, dans les deux paroisses, les collecteurs furent nommés après la date réglementaire toutes les années, à l'exception de deux : à Rots, la déclaration d'août 1664 est appliquée l'année de sa promulgation, mais dès l'année suivante on revient à l'ancienne habitude et on la conserve; c'est à peine si en 1668 on fait un petit effort pour avancer l'assemblée en

1. Clém. II, 207. ,

2. A. N. G', 213. Étant à Caen, de Morangis avait écrit le 9 nov. 1679 qu'à cette date « la plus grande partie des paroisses a nommé des collecteurs » (A. N. C, 71), et le 28 octobre 1682 Colbert le remerciait de lui avoir encore annoncé la même nouvelle (Clém. II, 212). Mais le 1" septembre 1683 il déclarait qu' « un grand nombre de paroisses » de sa généralité étaient en retard pour la nomination (A. N. G\ 71).

3. Ces renseignements sont tirés pour Rots, des registres paroissiaux conservés aux Arch. mun. (B B 4 a 6), et pour Tracy, des « registres de consentement » de la paroisse, Arch. Calv., élection de Caen.

4. A l'assemblée du 5 oct. précédent, les habitants ne purent procéder à l'élec- tion « pour le peu de personnes qu'ils estoient ».

TRACY

29 janv.

1C62

20 janv.

1664

2 nov.

1664

21 déc.

1665

20 janv.

1667

'11 déc.

16H7

26-2 T déc.

1668

22 sept.

1669

10 jnnv. 6 janv.

1671

1672

18 déc.

1672

10 déc.

1673

9 déc.

1674

5 janv.

1676

13 déc.

1676

6 janv.

1678

30 déc.

1678

17 nov.

1680

8 déc.

1681

L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 169

octobre ; mais toutes les autres années, on se réunit en décembre et même en janvier. A Tracy, on fait également un essai d'appli- cation du nouveau règlement en 1664, mais l'essai n'est pas heureux, car l'assemblée ne réunit pas le quorum nécessaire; en 1669, on arrive à tenir l'assemblée en avance : le 22 sep- tembre, mais, comme par compensation, on a, l'année suivante, un retard de trois mois. Nous ne possédons pas pour d'autres paroisses des indications aussi complètes, mais quand on trouve les dates des assemblées, on voit qu'elles sont postérieures au mois d'octobre; l'époque habituelle est le mois de décembre1. L'autorité avait cependant, outre les amendes, un bon procédé de contrainte : la nomination d'office des collecteurs. Mais devant une désobéissance aussi générale, il était très difficile d'appliquer les peines; l'intendant ne pouvait songer chaque année à intervenir dans les milliers de paroisses qui étaient en défaut. Puis, les élus semblent avoir été complices de la déso- béissance, soit par simple négligence, soit par calcul. L'inten- dant de Caen écrit en effet en 1680 que, si les collecteurs ne sont pas élus dans les délais légaux, « c'est plustost par la négligence des procureurs du roi des eslections, et des rece- veurs des tailles, que par affectation de les nommer et faire nommer d'avance ». Son collègue d'Alençon, en 1683, accuse nettement les élus de favoriser les retards pour pouvoir faire, comme le règlement d'août 1673 les y autorise, des nominations de collecteurs d'office, acte qui leur donne « de l'autorité ». Le règlement du 23 septembre 1681 interdit bien aux élus, comme on le verra, de faire ces nominations d'office en l'absence de l'intendant, mais celui-ci avait trop à faire pour intervenir dans tous les cas : « La pluspart des intendans, écrit Bouville en 1683, voyant qu'ils ne pouvoient se rendre dans toutes les eslections de leurs départemens depuis le dernier octobre jusques au hui- tième de novembre, ont mandé aux eslus de faire lesdites nomi- nations, qu'ensuite ils ont signés » de sorte que « ces mesmes abus subsistent aujourd'hui 2 ».

La réunion de l'assemblée devait se faire au son de la cloche ou du tambour, suivant l'usage des lieux, à la sortie de la messe ou des vêpres 3.

1. A Honfleur, qui est une paroisse importante, on trouve une élection faite le 16 août, en 1671 (Bréard. Les arch. de la cille de Honfleur, p. 125), mais voici les dates d'autres années, d'après le même ouvrage : 1665, 25 oct. ; 1667, 6 nov. ; 1668, 18 nov.; 1673, 15 oct.; 1679, 15 décembre.

2. Mémoire de l'intendant de Bouville du 1" septembre 1683. (A. N. G7, 71). L'intendant de Caen, Méliand, proposait le 15 août 1680 de rendre les élus et les receveurs des tailles responsables du retard « à peine d'amandes et d'interdic- tions qui seroient prononcées contre eux par le commissaire départy ». (Ibid.) Son projet ne fut pas pris en considération.

3. De Merville, Maximes des tailles, art. Collecteurs. Cf. Mém. Alphab., p. 10; Vieuille, Nouveau traité des élections, p. 241 : La Poix de Fréminville, Traité... des communautés d'habitants (1760), p. 186 à 196. Prouhet, Contribution à Vétude

170 LA TAILI.l 1 H \ollMANIMi:.

La règle la mieux observée fut celle qui ordonnait de se réunir un dimanche ou jour de fête. C'était le moment il était le plus facile de réunir tous les intéressés, dont certains habitaient des écarts éloignés. Dans les paroisses pour lesquelles on a des renseignements, on ne trouve pour ainsi dire aucune exception à la règle : si à Tracy une réunion est tenue le lundi 27 décembre 1668, c'est parce que la veille l'assemblée n'avait pu terminer ses travaux. De même à Rots, on se réunit le mardi 8 décembre parce que l'élection faite le dimanche précédent a été cassée par les élus. L'intendant de Caen écrit dans son rap- port du 15 août 1680 que dans sa généralité la nomination se fait toujours un dimanche ou jour de fête, à la sortie de la messe paroissiale '.

Le lieu de réunion n'est pas le même partout. Il n'existe pas, en général, de maison commune, les habitants puissent s'abriter; il est défendu par tous les règlements de se réunir dans « une maison ou lieu privé et particulier2 ». On s'assemble donc soit sur la place publique, soit dans l'église ou à la porte. Habi- tuellement, la réunion se tient à la porte de l'église. A Gisors, en 1681, l'intendant Leblanc a prescrit que la réunion « se feroit par les habitans a l'hostel de ville, en présence des eschevins », parce que sans cela les élus en auraient été « les maistres3 ».

La composition de l'assemblée n'est pas réglementée avec rigueur. L'usage était, semble-t-il, que tous les habitants de la paroisse contribuables à l'impôt eussent le droit d'y assister. Mais la question n'avait pas grande importance; on ne faisait jamais de compte rigoureux des voix, et on ne trouve pas, dans les procès-verbaux, de contestations relatives à la présence de telle ou telle personne à la réunion*. Les agents du roi se préoccupaient surtout d'écarter les personnes « d'autorité » qui

des assemblée» générales des communautés d'habitants, dans les Mém. Soc. des anti'/uaires de l'Ouest, 1902, p. 1-*2'J2; Merlet, Des assemblées de communautés d'habitants dans l'ancien comté de Dunois, Chartres, 1894; H. Babeau, Les assem- blées générales des communautés d'ha'iitants, Paris, 189:}.

1. A. N. G"213. Il ne se tient, en règle générale, qu'une assemblée pour toute la

Saroisse. Toutefois, une exception est admise pour les hameaux séparés du centre e la paroisse, qui ont le droit, du moins en Normandie, de nommer leurs collec- teurs à part, afin, dit la Cour des aides dans ses remontrances sur l'art. 9 de Tédit de mars 1600, « que les habitans desdits hameaux ne soient grevez et opressez, et d'ailleurs que. iesdits asséeurs sont mieux informez des biens et facultez des habitans desdits hameanx >. (Règlements de Normandie, p. 63.)

2. Edit de juin 16.VJ. art. 7. Cf. un arrêt de la cour des aides de Paris dn 13 mai 1659 confirmant cet édit, dans Vieuille, p. 243.

3. Lettre du 13 février 1682. B. N. fr. 8 761, fol. 42.

4. Les jurisconsultes ont essayé de préciser la question ; Denisart dit : « Qui- conque a In vie civile est membre de la communauté d'habitants du lieu il a son domicile ». (Collection de décisions, art. Communauté d'habitants); Loysel : « Droit de bourgeoisie s'acquiert par an et jour ». (Institutes, liv. I, tit. I, règle 21). Domat. La Poix de Frémin ville, Guyot, etc. traitent également la question, mais il semble bien que toutes ces règles aient été très peu suivies par les paroisses, qui les ignoraient.

L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 171

auraient pu fausser les décisions. Dans son mandement de septembre 1675, l'intendant de Gaen écrit : et Faisons deffense à toute personne, de quelque qualité et condition qu'elle soit, autre que les taillables, de se trouver ausdites nominations de collecteurs, ny d'user d'aucunes violences et intimidations pour raison d'icelles, à peine d'estre procédé contre eux suivant la rigueur des ordonnances et de demeurer responsables en leurs propres et privez noms des deniers de Sa Majesté1. » Une seule exception était admise, c'était la présence du curé ou d'un scribe pour rédiger le procès-verbal2; encore n'est-il pas certain qu'il ait toujours réellement assisté à la délibération3.

Un quorum était exigé pour la validité de l'élection et, en général, de toutes les décisions prises. « Il faut au moins dix habitants pour composer la communauté des habitants dans une assemblée dûment convoquée, bien entendu si tous les habitants excèdent le nombre de dix, car en matière de ces assemblées, ce n'est pas le cas de dire que très faciunt collegium i ', » Dans les rares actes d'assemblées paroissiales que j'ai rencontrés, j'ai trouvé un cas cette règle fut appliquée : à Tracy, le 5 oc- tobre 1664, les paroissiens « n'ont peu procéder à l'eslection, pour le peu de personnes qu'ils estoient » ; il n'y avait que six présents5. Les habitants n'assistaient pas volontiers aux assem-

1. A. D. Calvados, élection de Gaen. Cette défense élait portée par tous les règlements. Elle fut particulièrement précisée par l'ordonnance des gabelles en 1680 pour la nomination des collecteurs du sel, qui était faite en même temps

Îue celle des collecteurs de la taille : « Nul ne pourra assister à la nomination es collecteurs avec les habitants... excepté le notaire ou sergeant qu'ils voudront choisir pour rédiger par écrit l'acte de nomination » (tit. VIII, art. 8). Il est défendu « à tous seigneurs, gentilshommes, juges, officiers et autres personnes, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'intimider ou contraindre les habi- tants... de faire faire les nominations... en leur château et maison, ni d'en prendre la communication avant que l'acte de nomination ait été remis au greffe du grenier » (art. 10). Ces interventions de personnes « autorisées » devaient exister en Normandie, puisque les intendants songent à les interdire, mais je n'en ai pas trouvé d'exemples.

2. Suivant de Merville {Maximes générales, p. 32), l'acte doit être dressé par « un notaire ou autre personne publique ». Mais l'élu Pescheur affirme, en 1665, que les paroissiens « n'en trouvent point qui s'en veule entremettre, tous ceux qui le peuvent faire estans intimidez par les juges ordinaires des lieux dont ils dépendent », lesquels juges tiennent à dresser eux-mêmes l'acte (M. C. 33, 287).

3. Dans les sentences des élections ou de la Cour des aides ordonnant de tenir l'assemblée de paroisse, il est souvent ordonné que la réunion se fera par-devant le curé ou telle autre personne, comme un notaire ou un greffier nommément désigné. Dans son Mémoire du 15 août 1680, l'intendant de Caen dit que les nomi- nations de collecteurs se font « devant le curé ou vicaire » (A. N. G7, 213). Les mandements en portent également Tordre. Mais dans le registre des délibérations paroissiales de Tracy, le curé qui rédige l'acte emploie généralement la formule : « lesdits paroissiens m'ont dit à leur retour », ce qui laisse supposer que le curé était resté à l'écart de l'assemblée.

4. De Merville, Maximes générales sur les tailles (Paris 1725). Cf. Le Pain, Le praticien françois, éd. 1622, p. 142; La Poix de Fréminville, Traité... des commu- nautés d'habitants, édit. 1760, p. 189; et Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des tailles, t. I, p. 86.

5. A. D. Calvados, élection de Caen. Le Dr Prouhet cite des cas où, en Poitou, les assemblées s'ajournèrent faute de quorum pour la nomination des collecteurs (ouv. cité p. 45).

172 LA TAILLB EN NORMANDIE.

blées : ainsi ii Honfleur, en 1668, le syndic propose une amende contre « les notables bourgeois » qui s'absentent sans excuse de la réunion qui élira les collecteurs; quatre ans après, l'inten- dant de Rouen ordonne que vingt des principaux bourgeois, assignés par les échevins, seront tenus de s'y trouver, à peine de 30 sous d'amende1.

On ne voit jamais de président de l'assemblée; le syndic n'est pas nommé dans les procès-verbaux; aucun vote régulier ne semble être fait : il y a un simple concert des habitants entre eux, et à la suite de leur conversation, des noms sont prononcés et enregistrés au procès-verbal. Les principaux contribuables ont sans doute voix prépondérante; les « coqs de paroisse » peuvent intervenir sans obstacle, et, comme la désignation n'est pas faite en secret, chacun a à craindre les représailles. La Barre, dans son Formulaire, prévoit le cas « personne ne veut dire mot », parce qu' « ils craignent de les nommer, de paour qu'ils les haussent a la taille » : alors, dit-il, l'élu « peut commander aux collecteurs presens de nommer un suc- cesseur, et en cas de décord et refus, les prendre sur le rolle ».

Le procès-verbal est, dans les paroisses qui ont de l'ordre, rédigé sur un registre; il est signé par les membres qui savent écrire, et les illettrés font un « merc », c'est-à-dire une marque à côté de laquelle le secrétaire inscrit leur nom2.

Voici un de ces procès-verbaux :

« Le dimanche vingt-sixiesme jour de décembre mil six cens soixante, issue de messe paroissiale de Rots, par nous Gille du Hamel curé dud. lieu dicte et célébrée, les parroissiens soubssignés dont les noms ensuivent [12 noms], tous assemblés en forme de commun pour desliberer de leurs affaires et spetiallement pour nommer des assiet- teurs de la taille en Tannée prochainne venant pour soixante et un, et après avoir desliberé entre eux ils ont nommé la personne de Guillaume Dessillon fils Pierre, Nicollas Masselin et Jacques du Val fils Jean, lesquelz feront ladite assiette en leurs âme et concience et suivant le mandement à eux envoyé pour ce subjet, présence de Pierre du

1. Bréard, Les Archiva de Honfleur, p. 123 et 125; cf. p. 116. On voit d'après cela qu'on attachait plus d'importance à la présence des notables bourgeois * qu'à celle des autres habitants.

2, Le registre est visé et folioté par un officier de l'élection. Voici le titre de celui de Rots, contenant les procès-verbaux de 1641 à 1665 : « Registre de M' Gilles du Hamel prebtre curé de la paroisse de Rotz contremarque au nombre de cent quatre-vingt-quinze feuillets pour mettre et registrer tous les certificats et décla- rations qui seront faictes et passées devant luy par la communauté de lad. parroisse touchant et qui concerneront les deniers de la taille ou la jurisdiction de l'Election de Caen conformément aux mandements envoyez aux parroisses d'icelle parroisse tant pour la levée du principal de lad. taille taillon que creues y* jointes et tous autres mandements et taxes envoyez pour le Roy par lad. Elec- tion à peine de l'amende portée par les ordonnances nu cas appartenant. Faict par nous juge et officier du Roy de lad. Election soubzsigné auiourdhuy

mil six cent quarante et un » (A. mun. Rots, BB4). La tenue de ce registre ne semble pas avoir jamais été prescrite par une ordonnance royale, aussi devait-il manquer en bien des paroisses.

LES EXEMPTS DE COLLECTE. 173

Hamel, Jacques Rocque. » (Suivent 7 signatures outre celle du curé, et 10 « mercs1 »).

Mais toutes les paroisses n'enregistrent pas leurs nomina- tions ; l'intendant de Caen s'en plaint en 1682 : « Les commu- nautés ne tiennent aucun registre de ce qu'ils font, surtout dans les paroisses de la campagne et petites villes les habitans agissent et se conduisent sur l'occasion présente seulement, et tousjours avec quelque confusion, ainsi qu'ils ont accoustumé de longue main 2. »

L'acte de nomination devait être, dans le délai de huit jours, porté par les syndics à l'Election, qui l'enregistrait3. Le registre était clos le premier novembre ; les greffiers devaient faire l'enregistrement et en délivrer des extraits aux intéressés « sans qu'ils puissent exiger d'eux plus de deux sols, a peine de con- cussion » 4. L'intendant de Rouen faisait aussi remettre une copie de l'acte au receveur de l'élection 5.

III. LES EXEMPTS DE COLLECTE

L'assemblée paroissiale ne pouvait porter son choix sur n'im- porte quel contribuable : il y avait des exempts de collecte. Cette exemption était particulièrement recherchée, parce que la collecte était non seulement onéreuse, mais méprisée. Déjà au début du xvie siècle le président Labarre déplore les charges qui incombent aux collecteurs : « Ils sont, dit-il, écrasés sous le faix, à la mercy des sergeans et coureurs, ruinez de biens, pourrissent es prisons... O bon Dieu, quel désordre de ce malheureux siècle! Faut-il que tant de gens de bien ne voient goutte dans telle affaire 6 ». Un mémoire anonyme adressé au lieutenant de police La Reynie le 19 avril 1684 explique com- ment chaque collecteur est presque certain d'être ruiné par l'exercice de sa charge7. Boisguilbert, dans son langage éner-

1. A. Mun. Rots, B B 4, 163. On observe des variantes infinies mais peu importantes dans les différents procès-verbaux. Voir des actes analogues publiés dans Hu, Le bailliage seigneurial de Pontlevoy (Blois, 1884), t. I, p. 14; Remondière, Les charges du paysan avant la Révolution (Paris 189i), p. 165, n. 1; Prouhet, Contribution à l'étude des assemblées générales des communautés, p. 161.

2. Lettre de Méliand à Golbert, 7 juillet 1632. A. N., G'213.

3. Je n'ai pu me rendre compte si cette règle était respectée; je n'ai trouvé aucun de ces extraits d'acte dans les papiers des élections, ni aucun des registres réglementaires qui devaient contenir ces enregistrements.

4. Mandement aux paroisses de la généralité de Rouen, 1677, B*. N. fr. 8761bl", 52.

5. Ibid.

6. Formulaire des esleuz, p. 100.

7. Publié dans De Boislisle, Mémoire de Vintendant de Paris, p. 766 : « Le nombre (des misérables) augmente toutes les années de quatre dans chaque village, étant certain que les quatre personnes nommées dans chaque paroisse

174 LA TAILLB EN NORMANDIE.

gique, dira un peu plus tard : « Il n'y a qui que ce soit, jus- qu au plus misérable, qui ne vende sa chemise pour estre exempt de cette servitude'. » Vauban reprend, la même idée, et elle sera un thème commun à tous les réformateurs du XVIII* siècle. Des administrateurs, comme d'Aube et Vieuille,

2 ni avaient vu fonctionner l'institution, sont du même avis *. l'est une charge « très basse et très onéreuse », dit Vieuille; un juge seigneurial, explique le jurisconsulte d'Espeisses, ne peut être nommé collecteur, car « ce seroit compromettre la dignité du magistrat : honorent sustinenti munus imponi non potest ». Un des avantages que les habitants de Niort verront à l'établissement de la dime royale dans leur élection, en 1718, c'est la suppression de la collecte'. De nombreux cahiers du tiers état en 1789 demanderont également la suppression de cette charge parce quelle est « odieuse » et « accablante ». Quand un individu exempt de collecte défend son privilège, il sou- tient toujours que l'honneur de sa fonction lui interdit une telle charge*. Aussi, quoique le nombre des contribuables, par les exemptions de taille, soit considérablement réduit, il ne faut pas s'étonner de trouver encore dans ce petit nombre une foule d'exempts de collecte6.

Les avocats sont dans ce cas, non en vertu d'actes royaux, mais en vertu d'arrêts de cours des aides ; la seule condition exigée est qu'ils plaident et consultent réellement auprès d'un tribunal royal*.

pour lever les tailles sont ruinées au bout de Tannée de leur collecte... Voyez combien il y a de villages en France et combien de misérables se font toutes les années par la collecte. >

1. Le détail de la France, éd. 1707, t. I, p. 100.

2. Mémoire de d'Aube (1738) B. M. fr. 21 812, p. 77; Vieuille Nouveau traité des élection* (1739), p. 232.

3. De Saivre, La dîme royale à Niort et à La Rochelle en 1H8, p. 38.

4. Voir par exemple le Plaidoyer d'un avocat à la cour des aides de Paris du 10 février 1634 : « Cette qualité d'avocat est tellement noble et relevée qu'il n'y a aucune apparence de vouloir l'assujettir à une cbnrge sordide d'asséeur et de collecteur des tailles » (dans Bardet et Berroyer, Recueil d'arrêts du parlement de Paris (1690) t. II, p. 220).

5. Voir des listes d'exempts de collecte dans de Merville. Maximes générales, p. 39-40; Vieuille, chap. xiv ; Mém. alp/iab. aux articles des diverses professions; D'Espeisses, Œuvres, éd. 1750, t. III, p. 344 et suiv. ; La Barre, Formulaire, chap. îv, etc.

6. Voir ces actes indiqués dans le Mém. alphab. au mot Advocat 4* et les con- sidérations de Vieuille, Nouveau traité des élections, p. 265-266. On trouve cepen- dant des avocats collecteurs. Ainsi, Gabriel Hainfray, nommé collecteur de la paroisse de Pointel (élection de Falaise), pour l'année 1675, est avocat. Si sa nomination est cassée par les élus, c'est uniquement parce qu'il n'est pas domi- cilié dans la paroisse et non en raison de sa profession (sentence de l'élec- tion de Falaise, 17 novembre 1674, dans le Plumitif de l'élection, A. D. Calva- dos). Mais c'est une exception. Cf. les considérants d'un arrêt de la cour des aides de Paris du 11 juillet 1760, qui déclare les avocats exempts de collecte : Cette jurisprudence, qui n'est fondée sur aucune loi particulière, est dictée aux magistrats et écrite dans tous les coeurs de ceux qui exercent la fonction de la magistrature par reconnaissance pour une profession aussi honorable et aussi utile. Il seroit indécent qu'un avocat se trouvât obligé de faire, de maison en maison, la collecte des deniers royaux » (dans Auger, Mémoires pour servir à

LES EXEMPTS DE COLLECTE. 175

Les médecins sont également exemptés par des arrêts des cours des aides, qui les considèrent comme « personnes publi- ques ' ». Les chirurgiens et les apothicaires prétendent à la même faveur, mais ne l'obtiennent que difficilement2.

Les ministres protestants étaient d'abord simplement exemptés de la collecte par le 45e article particulier de ledit de Nantes, mais ils furent ensuite déclarés entièrement exempts de taille3.

Les commis des fermes, qui ne sont pas, en principe, exempts de taille, sont exempts de collecte4.

La collecte est également incompatible avec toute autre charge publique, en vertu du principe qu'« un habitant ne peut être assu- jetti à deux charges publiques en même temps8 ». Tel est le cas pour les syndics des paroisses pendant l'année de leur charge, les maires, échevins et greffiers des villes taillables, les mar- guilliers, les collecteurs de la gabelle6. Mais quand ils ne sont plus en fonctions, leur dispense cesse sans délai7.

Une autre classe d'exempts est formée par les femmes, les septuagénaires et les malades incurables. Les femmes, en effet, suivant une maxime générale, ne peuvent remplir aucune charge publique8. Les septuagénaires ne peuvent pas être contraints par corps, suivant les ordonnances9, mais ils doivent, pour obtenir l'exemption, faire la preuve de leur âge, ce qui ne va pas sans difficultés : la mauvaise tenue des registres de baptêmes rend la preuve par écrit souvent impossible, et le règlement d'août 1664, à l'art. 5, interdit aux tribunaux de recevoir la preuve par témoins, à cause des fraudes qu'elle permet; toutelois, dans la pratique, la preuve par témoins ne cessa jamais d'être

l'histoire du droit public de la France, p. 123). Un avocat « postulant », c'est-à- dire exerçant la charge de procureur en même temps que celle d'avocat, est déclaré sujet à la collecte par l'arrêt du conseil du 22 mars 1666.

1. Mem. alphab., p. 431-433.

2. Cf. Mem. alphab,, p. 58, et Vieuille, p. 267.

3. Voir ci-dessous, p. 234.

4. Règlement de janvier 1635, art. 14. Ordonnance des fermes de 1681, art. 11. Cf. Mém. alphab. articles Commis et Fermier 4e.

5. Vieuille, p. 268.

6. Règlement d'août 166'é, art. 7; ordonnance des gabelles de mai 1680, tit. VIII, art. 6. Cf. le Mém. alphab. à chacun de ces mots. On songea parfois à ne nommer qu'un seul groupe de collecteurs dans chaque paroisse pour la taille et pour le sel, mais la dualité des deux administrations rendit la réforme impossible. Les collecteurs, écrit de Montluçon le sieur Coquille à Colbert le 23 octobre 1666, ayant affaire à deux receveurs, •■ quelque ordre que l'on pust donner pour la concurrance, les pouvoirs de collecteur seroient tousjours subjects à deux diffé- rentes contraintes ». Mais le même correspondant considère néanmoins que la réforme serait bonne, car « les compensations que les collecteurs de la taille et de l'impost ont accoustumé de faire les uns avec les autres font bien souvent la plus grande partie des restes qui sont de-ibs dans les paroisses » (M. C. 141b'% 624.)

7. Mandement de l'intendant Leblanc en 1677, B. N. fr. 8 761bis, 52.

8. De Merville, Maximes, p. 40.

9. Cf. l'ordonnance civile de 1667, tit. XXXIV, art. 9. Mais si un septuagénaire accepte la collecte, sa nomination sera valable et il pourra être contraint par corps, parce que « le roi ne donne de privilège à personne contre lui-même ». (Mém. alphab., p. 2.)

176 LA TAILLE EX XORMAXDIE.

admise, ainsi que le montrent les plumitifs d'élections l. Les inal;itles qui ne peuvent matériellement pas faire l'assiette et la collecte, les insensés, les personnes atteintes de « mal caduc », sont naturellement exempts : « C'est une maxime triviale dans la cour des aides1 ».

Sont encore exempts les taillables qui ont été déjà collecteurs de la taille ou du sel dans l'une des trois années précédentes. Les charges de la fonction étaient trop considérables pour qu'un même individu pût les supporter deux années de suite. En outre, il était bon que chaque taillable fût collecteur à son tour, pour éviter des injustices dans la répartition, « les collecteurs qui seroient tentés de faire d'injustes impositions devant craindre

3ue ceux qui en souffriroient ne s'en vengeassent sur eux-mêmes, evenus collecteurs à leur tour3 ». La décharge de collecte fut en outre accordée par Colbert comme une faveur à certaines professions ou états qu'il voulait encourager; elle s'ajoutait aux exemptions de taille accordées dans la même intention. Pour favoriser la « peuplade », l'édit de novembre 1666, qui accordait l'exemption totale d'impôt aux

frères de famille de douze enfants, accordait l'exemption de col- ecte à « tout père de famille qui aura dix enfants vivants nés en loyal mariage, non prêtres, religieux ni religieuses * ». Les principaux manufacturiers qui s'installèrent dans les campagnes ou dans les villes taillables de Normandie reçurent l'exemption : tel fut le cas de huit marchands drapiers d'Elbeuf en 1666 5; elle leur fut accordée par simple décision admi- nistrative sans aucun acte législatif. Cette mesure arbitraire

1. Cf. par exemple le plumitif de l'élection de Falaise aux dates des 17 octobre 1674, M octobre 1677, 8 novembre 1679, etc. (A. D. Calvados, élection de Falaise, plumitif).

2. Mem. alphab., p. 431. Cf. Vieuille, p. 264.

3. Mémoire de l'intendant d'Aube (1738) B. N. m», fr. 21 812, p. 78. C'est le règlement d'août 1664 qui déclara nettement exempts de collecte les collecteurs de la taille et du sel pendant les trois année» qui suivaient leur sortie de charge. Antérieurement, la collecte du sel ne jouissait pas du même privilège. L'arrêt du conseil du '.< décembre 16'i3 (C. d. T. 1, p. 301, n.) ne* leur accordait l'exemption de collecte des tailles que pendant un an. Cf. une sentence de l'élection de Falaise du 17 nov. 1674 déchargeunt de la collecte au Mesnil Touffroy le sieur Jean Auger parce qu'il n'y a pas eu trois rooles frangs » depuis sa dernière nomination (A. D. Calv., Plumitif de l'élection).

Lorsqu'un père de famille était collecteur, son fils pouvait l'être également s'il était taillable, et le cas se présentait souvent : on donnait le fils en « aide à son père. Mais dans ce cas As ne comptaient tous deux que pour une personne. Cf. une sentence de l'élection de Bayeux du 2 décembre 1673 : Gilles et Jean Darmilly, père et fils, ont été seuls nommés collecteurs de la paroisse de Saint- Laurent du Rieu ; le tribunal, considérant que « lesdits Darmilly ne sont « censés

u'une seulle personne nomme un autre collecteur à la place du fils (A. D.

alvndos, plumitif de l'élection de Bayeux).

4. Cli- m. 11,68, mais l'édit ne s'appliquait pas & la Normandie :cf. ci-dessous, p. 262. Une nouvelle déclaration du 30 novembre 1715 accorda l'exemption de collecte aux pères de famille de huit enfants. Ces exemptions n'étaient pas une nouveauté : le droit romain exemptait de charges personnelles les pères de cinq enfants. Cf. Lebrel, cinquantième action, Œuvres, p. o58.

5. M. C. 143, f 225 et suiv.

S

LES EXEMPTS DE COLLECTE. 177

souleva des protestations, mais les bénéficiaires défendirent aprement leur privilège. Parmi eux étaient les sieurs Lemon- nier et Lecointe, qui avaient été exemptés par une ordonnance de l'intendant de Rouen, poar tout le temps qu'ils dirigeraient leur manufacture ; l'ordonnance spécifiait en outre que leur cote de taille ne pourrait jamais dépasser le chiffre auquel elle s'élevait en l'année 1665, pour éviter qu'ils ne fussent acca- blés par les collecteurs. Malgré cela, les habitants d'Elbeuf nommèrent Lemonnier et Lecointe collecteurs pour 1667, et firent augmenter leur cote de taille à proportion du déve- loppement de leur manufacture ; ils récidivèrent en 1668, en 1669 et en 1672. Chaque fois, une ordonnance de l'inten- dant cassa la nomination et réduisit l'impôt des intéressés. En décembre 1673, Lemonnier et Lecointe furent encore nommés. Cette fois, l'affaire fut portée devant le roi par les habitants qui, dans un placet, représentaient le préjudice à eux causé par ce privilège, contraire à « l'article 24 de la déclara- tion de Nancy ». Pour leur défense, les manufacturiers répon- dirent qu'ils ne pouvaient vaquer à la collecte sans que leur manufacture en souffrît, et .que la taxe de 900 1. qui leur était imposée les accablait. Le Conseil, par arrêt du 17 *hiars 1674, confirma les privilèges antérieurement accordés. Mais les habi- tants ne se découragèrent pas. En octobre suivant, Lecointe fut, pour la sixième fois, nommé collecteur; l'intendant, pour la sixième fois, le déchargea et le fit remplacer. Mais, comme précédemment, les collecteurs en fonctions surtaxèrent les deux manufacturiers, qui firent réduire leur cote par sentence de l'élection, le 19 novembre. Même manège encore l'année sui- vante. Cette fois, la Cour des aides de Rouen intervint en faveur des habitants : par trois arrêts des 27 février, 8 et 27 mars 1676, elle condamna Lemonnier et Lecointe à faire la collecte. L'affaire revint au Conseil qui, par arrêt du 13 février 1677, renvoya les parties devant l'intendant. Il fallut un nouvel arrêt pour clore la contestation et imposer silence à la Cour des aides. Il est possible qu'après la 'mort de Colbert, les manufacturiers aient été encore plusieurs fois inquiétés1.

1. Le récit de l'affaire se trouve dans une lettre de l'intendant Voysin du 26 février 1666 (M. C. 136, 511) et surtout dans un Mémoire de l'intendant Leblanc de 1677 (B. N. fr. 8761 bis, 34-38) et dans une note du 11 décembre 1673 rédigée par un secrétaire de Colbert (M. C. 166 bis, 583).

Diverses professions avaient reçu à certains moments des exemptions de collecte. Mais le privilège leur avait été retiré ou au moins leur était contesté à l'époque de Colbert. Ainsi, les commissaires aux saisies mobilières invoquaient un arrêt de la cour des aides de Paris pour se dispenser de fair» la collecte, quoi- qu'un autre arrêt du 11 janvier 1676 leur eût retiré la dispense. (B. N. fr. 21 419,

>. 113). Colbert veilla à ce qu'ils fussent nommés comme les autres taillables.

Circulaire aux intendants du 5 mai 1679, Clém. II, p. 98.) Cf. une lettre de Leblanc à Colbert du 12 avril 1679 (A. N. G7 491). Les taverniers et cabaretiers

avaient été exemptés au début du siècle par l'édit d'établissement du droit annuel, mais l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635 révoqua leur privilège à cause du

LA TAILLE EN NORMANDIE. 12

178 Ul.l.i. I.\ MMl.MAXIMK.

Il semble que les illettréfl auraient être déclaréf incapables de collecte, puisque leur principale fonction «Hait de rédiger les rôles et de marquer sur le « cueilloir » les sommes perçues1. Mais si l'on avait suivi cette i«-^le, un trop grand nombre de contribuables eussenl été exemptés, et même, dans certaines paroisses, il eût été impossible de trouver des collecteurs. C'est pourquoi les réglementa exigeaient seulement que, dans chaque paroisse, un collecteur au moins fût instruit, et il était spécifié que la règle ne s'appliquait que « quand, dans la paroisse, il se trouve plusieurs personnes qui sçavent lire et écrire* ». Comme le cas se présentait souvent, il est commun de trouver tous les collecteurs d'une paroisse illettrés3. Un intendant écrit même vers 1090 qu'il « est rare » que, parmi les collecteurs, il y en ait un sachant bien écrire*.

En principe, un insolvable ne pouvait être collecteur, car s'il dilapidait les fonds recueillis, ou si, par négligence, il ne faisait pas rentrer l'impôt, le roi n'avait aucun recours contre lui : nommer des collecteurs insolvables, déclarait la cour des aides de Paris en 1596, c'est « rendre les exécutions et les contraintes illusoires à l'encontre d'eux5 ». L'art. 39 du règlement de jan- vier 1634 rendait la paroisse responsable du recouvrement de l'impôt si elle avait nommé un collecteur sans fortune; la décla- ration d'août 1664, art. 18, fut plus catégorique encore : le roi avait constaté que, très souvent, des paroisses, à l'instigation de seigneurs et d'autres personnes d'autorité, nommaient exprès des collecteurs insolvables, auxquels on promettait même des

préjudice qu'il portait aux autres taillablcs. (A. Mun. Rouen, 183, 3). Les notaires ne sont pas dispensés de la collecte parce que, dit Lebret « la fonction de tabellion eu de notaire a jusqu'aujourd'hui été tenue pour vile, abjecte et sans aucun privilège ». ((JHuvres, p. 558.)

1 . Vieuille, Traité de* élections, p. 250.

2. Du Rousscaud de la Combe, Traité des tailles, dans les (ouvres de d'Es- peisses, t. III, p. 395. Suivant de Merville (Maximes, p. 40), « si tous les collec- teurs nommez ne sçavoient ni lire ni écrire, le dernier des collecteurs seroit en droit de se faire décharger, et de demander qu'en son lieu et place il en fût nommé un autre qui sçût lire et écrire » (référence à un arrêt de la cour des aides de Paris du 14 janvier 1664).

3. C'est pour ce motif que les habitants de Blainville-sur-mer avaient fait choix d'un collecteur « conventionnel > pour la perception : cf. ci-dessous, cliap. vu.

4. Recueil de l'intendant d'Orsay (B. N. fr. 11096, 62, verso). Les règlements prévoyaient d'ailleurs le cas tous les collecteurs seraient illettrés. Par exemple l'édit de 16")4 (C. d. T. I, p. 455) prescrit de faire dresser les rôles ou les quit- tances par le curé de la paroisse ou par un greffier. Mais il pouvait arriver que le secrétaire fit des erreurs dans la rédaction de l'acte, qui néanmoins se trou- vait valable dès qu'il avait été paraphé à l'élection. Le Mémorial alphabétique (p. 654-655) cite un cas singulier de ce genre : les collecteurs de Loudun, étant tous illettrés, avaient fait dresser leur rôle de taille par un scribe qui fit plu- sieurs erreurs, omissions et doubles emplois. Les collecteurs l'apprenant, deman- dèrent la réformation du rôle à l'élection ; mais les élus les déboutèrent et confir- mèrent le rôle. Il fallut uu arrêt du conseil du 16 décembre 1702 pour casser la sentence et faire refaire le rôle. Cet arrêt était d'ailleurs en contradiction for- melle avec les règlements, qui interdisaient en tout cas de changer les rôles après la vérification de l'élection.

5. Œuvres de Lebret, p. 475.

LES EXEMPTS DE COLLECTE. 179

indemnités et la subsistance quand ils seraient emprisonnés, de sorte que c'était pour eux tout bénéfice, et le roi n'avait plus de recours contre personne. C'est pourquoi il fut prescrit que, si un collecteur était resté emprisonné un mois sans rien payer de ce qu'il devait pour la taille, les élus prononceraient un jugement de « solidité » contre les principaux habitants de la paroisse, et ne laisseraient élargir les prisonniers qu'après que le receveur aurait été payé au moins du quart de ce qui était par la communauté1. Ces prescriptions furent encore reprises dans les règlements de mars 1667, septembre 1681 et août 1683. On a quelques exemples de leur application. Ainsi, l'élection de Bayeux, par une sentence du 23 janvier 1674, interdit la col- lecte dans la paroisse de Vienne à Michel Bidot, qui a tout perdu son bien dans un incendie, et elle nomme d'office un autre collecteur a sa place 2. Mais on trouve fréquemment des collecteurs insolvables qui traînent dans les prisons. Le

11 novembre 1678, l'intendant de Rouen écrit qu'à Pont- l'Evêque, une vingtaine de fripons, pour empêcher le recou- vrement, font systématiquement nommer chaque année des insolvables, et que l'impôt de la ville ne peut être recouvré : quand il nomme à leur place des collecteurs d'office, la cour des aides casse son ordonnance; il est obligé de solliciter un arrêt du conseil pour trancher le conflit3.

A côté des exemptions légales, il faudrait ajouter toutes celles que se faisaient octroyer indûment les « coqs de paroisses ». Nous n'en savons pas le nombre, mais il est probable qu'il fut grand. On verra plus loin avec quelle facilité on pouvait se faire exempter totalement d'impôt; l'exemption de collecte était une demi-faveur que bien peu dédaignaient.

L'exemple donné par Colbert d'accorder des exemptions de collecte à certaines personnes pour les encourager, entraîna ses successeurs à vendre cette exemption pour en tirer de L'argent

1. Dans le début de cet article, le roi déclare vouloir « remédier à l'abus qui se commet ordinairement dans les paroisses par les seigneurs, gentilshommes et autres personnes d'autorité, lesquels, pour empêcher les recouvrements de nos deniers, obligent les habitans de nommer des collecteurs insolvables, auxquels ils donnent des indemnités et leur promettent que lorsqu'ils seront prisonniers, ils leur donneront de quoi subsister; et non contents de ce, leur font encore ordonner par les élus des provisions de vivres sur les receveurs des tailles; si bien qu'au lieu de recevoir les sommes à eux dues, ils se trouvent le plus souvent obligés de nourrir lesdits collecteurs dans les prisons et payer leurs gîtes et garde ». La déclaration d'août 1664 reprend en général les termes de celle du

12 février 1663, spéciale pour le ressort de la cour des aides de Paris (G. d. T., I, p. 'i<;5). Mais ce dernier article est beaucoup moins développé dans la déclara- tion de 1663, ce qui nous autoriserait à conclure que le mal était plus grand en Normandie que dans le ressort de Paris.

2. À. D. Calvados, élection de Bayeux, registre de nomination de collecteurs.

3. Lettre de Leblanc à Colbert, Il novembre 1679. (A. N. G? 491.) Cf. une lettre de l'intendant de Châlons du 20 novembre 1665 : le même désordre se trouve dans la ville de Vitry. (M. C. 133, 480.)

180 LA TAILLE EN NORMANDIE.

et on verni tprèl M><S.{ le gouvernement créer des offices dis- pensant de la collecte, et l'aire de ce qui n'était qu'un instru- ment de politique économique un expédient fiscal qui contri- buera à la ruine des sujets à la fin du règne'.

IV. LE NOMBRE DES COLLECTEURS

Les premiers règlements des tailles n'avaient pas limité le nombre des collecteurs dans chaque paroisse2. L'édit de mars 1600 l'avait fixé à quatre pour les paroisses payant au moins 300 livres de taille, et à deux pour les autres. Mais la Cour des aides de Normandie, lors de l'enregistrement, avait fait observer au roi que dans la province il était d'usage de nommer au moins trois asséeurs par paroisse pour éviter l'égal partage des avis lors de la répartition, et dans les grandes paroisses, le nombre variait selon le chiffre d'impôt, pour que les frais de la collecte fussent moins onéreux à chacun ; en outre, il était d'usage de donner des « aides » aux collecteurs 3. La décla- ration de janvier 1634 (art. 38) avait autorisé jusqu'à quatre collecteurs dans les paroisses imposées à moins de 1 500 1. et huit dans les autres. Mais elle n'était pas plus appliquée en Normandie que celle de 1600.

Dans les premières années du gouvernement de Colbert, le nombre des collecteurs est variable suivant les localités, et, dans une même localité, suivant les années, et cela indépendam- ment du chiffre d'impôt. Voici, à titre d'exemple, le nombre des collecteurs dans un groupe de 82 paroisses de l'élection de Bayeux en 1663 .: 67 de ces paroisses imposées à moins de 1 500 livres ont à elles toutes 415 collecteurs, soit en moyenne 7 pour chacune; les 15 autres, qui sont imposées à plus de 1 500 livres, en ont au total 125, soit une moyenne de 8, à peu près le chiffre réglementaire; une paroisse, Saint-Malo de Bayeux, imposée à 3900 1. à 15 collecteurs; une autre, Mon-

1. Sur la multiplicité des exemptions de collecte après 1683, voir Vieuille, p. 270-27'«. Avant Colbert, le nombre des exempts était très considérable. Un arrêt du conseil du 9 décembre 1 « > : î l'avait réduit; d'autres arrêts de 1658 et de 1660 en avaient fait de même ; c'est probablement à l'époque de Colbert que le nombre fut le moins élevé.

2. Cf. par exemple l'ordonnance de 1369, art. 103 : les habitants éliront des asséeurs « tels et tant que bon leur semblera ». (Corbin, Nouveau recueil, p. 965).

3. Remontrances de la cour des aides sur l'art. 12 du règlement de mars 1600 : « Audit pais il se fait élection de trois asséeurs jusqu'aux moindres paroisses, pour pourvoir a ce que lesdits asséeurs ne demeurent partis en opinions, et de plus grand nombre es autres paroisses, selon l'étendue d'icelles ou qu'elles portent plus ou moins du corps de la taille, et ce pour supporter les frais de ladite assiète et collection, et faire les avances qu'il convient faire en recette, sur laquelle considération et de la pauvreté du pais, ladite cour permet et autorise que l'on baille encore quelquefois des aides ausdits collecteurs >. (Règlements de Normandie, p. 54). Le roi, dans sa réponse, accorda satisfaction à la cour.

LE NOMBRE DES COLLECTEURS. 181

freville, imposée à 620 1. en a 8; Saint-Symphorien, imposée à 4520 1. n'en a que 6; Esmanville, imposée à 1 260 1. en a 14; Torteval (1088 1.) en a 14 également1. Dans l'élection de Neufchâtel en 1670, dans un groupe de 81 paroisses, 66 sont imposées à moins de 1500 1. ; elles ont au total 208 collecteurs, soit en moyenne 3; les 15 autres en ont 74, soit en moyenne 5 chacune. On voit qu'ici on se tient au-dessous des chiffres régle- mentaires. Mais il y a encore de singulières anomalies : la paroisse de Sainte-Geneviève-en-Bray, imposée à 4 680 1., n'a que 5 collecteurs, et celle de Mocombe, payant 780 1., en a 6.

D'une année à l'autre, une même paroisse n'a pas le même nombre de collecteurs : par exemple à Tracy, il y a dix collec- teurs y compris les aides en 1663 et 1664; neuf en 1666, qua- torze en 1668 2. La paroisse de Rots nomme trois collecteurs chaque année jusqu'en 1667, puis quatre à partir de cette date3.

Les élections ne semblent pas s'être fort préoccupées de faire respecter l'ordonnance sur ce point. On trouve quelques sen- tences des élus de Falaise pour rayer des collecteurs en sur- nombre, mais elles sont assez rares. L'élection de Bayeux fait de même, mais il lui arrive de laisser deux, quatre ou six collec- teurs, quoiqu'un nombre impair soit de règle. En 1673 l'inten- dant de Rouen écrit que l'on trouve jusqu'à 20 et 24 collecteurs dans certaines paroisses. Colbert, confondu à cette nouvelle, lui répond : « Je vous avoue que je n'entends pas ce que vous dites... vu que le nombre qui doit être pris par chacune année dans cha- cune des trois échelles est porté par les règlements, et qu'il n'y a pas apparence que ces règlements soient si facilement anéantis. Expliquez-moi ce que vous avez voulu dire sur ce sujet, afin que je puisse en rendre compte au roi* ». Dans sa réponse, datée du 6 février, l'intendant déclare « qu'il n'y a aucune règle certaine pour eslire un certain nombre de collecteurs dans chacune paroisse, et c'est, ajoute-t-il, ce qui a causé la nomination d'un si grand nombre de collecteurs d'office et a donné lieu à une infinité de procès5 ». Colbert demanda alors par circulaire à tous les intendants ce que l'on pourrait faire pour y remédier; les mémoires qu'il reçut sont malheureusement perdus; ils lui ser- virent sans doute à introduire dans le règlement d'août 1673 les prescriptions que l'on a vues plus haut sur le nombre des collecteurs. Ce règlement, rappelé dans les mandements aux

1. D'après les rôles des paroisses l'élection de Bayeux pour 1663 aux Arch. mun. de Bayeux.

2. Registres paroissiaux de Tracy, A. D. Calvados, élection de Caen.

3. Registres paroissiaux, A. mun. B B 4 et suiv.

4. Lettre à de Greil, 3 février 1673, dans Clém. II, 270 : la lettre de l'intendant n'existe plus que dans l'analyse de Glairambault, 794, p. 149. Le texte de la lettre de Colbert, publiée par Clément, porte « élections » au lieu d' « échelles » : c'est une faute évidente.

5. B. N. Clairambault, 794, p. 156 (analyse).

1 hj LA TAII.I.F. KN NOKMAM'II

paroisses, lit supprimer le droit de prendre des aides « il peine de punitions corporelles », et les élections lurent invit. l'appliquer soigneusement: mais on ne voit pas qu'il ait changé grand'ehose. En 1685 encore, l'intendant de Rouen écrit que le nombre des collecteurs est trop grand1 et en 1713 le Mémorial alphabétique observe que « les règlements sur la quantité des collecteurs ne sont nullement suivis et les habitants en nomment tel nombre qu'il leur plaît, suivant l'usage des lieux2 ».

V. LES ÉCHELLES

Le mode de nomination des collecteurs n'est pas le même en Normandie que dans le reste du royaume : on use du procédé des « échelles », qui consiste à ranger les habitants sujets à la collecte en trois groupes égaux, suivant leur fortune, les plus riches étant dans le premier'; du dernier groupe sont exclus les insolvables, et même, dans les grosses paroisses, ceux qui paient moins de 5 1. de taille; chaque groupe s'appelle une échelle ou classe. Si la paroisse ne doit avoir que trois collecteurs, on en prend un dans chaque échelle; si elle en a 5, ou 7, ou plus, on en prend généralement un de la première échelle* et deux ou trois de chacune des autres. Le collecteur de la première échelle a le titre de principal collecteur, de « haut-assis », ou de « porte- bourse » (c'est lui qui tiendra la caisse lors de la perception)*. A l'intérieur de chaque échelle est suivi un roulement, de façon qu'un contribuable ne repasse pas à la collecte avant que tous les autres n'y soient passés. Les nouveaux arrivants dans la paroisse prennent rang à la suite de la liste6. On trouve de

1. De Boislisle. Correspondance, t. I, 184.

2. Mém. alphab., p. 109.

3. Les Echelles étaient usitées dans quelques autres régions : v. p. ex. une ordonnance des élus de Nevers du 23 août 1667, A. N., AD1*, 470, pièce 21.

4. La règle est de n'en jamais nommer plus d'un : une sentence de l'élection de Falaise du 0 octobre 1677 casse la nomination faite de deux collecteurs de haute échelle dans la paroisse du Breuil (A. D. Calv., Election de Falaise, plumitif).

5. Le système est longuement décrit dans un mémoire de l'intendant Méliand du 15 août 1680 (A. N. G7 213). Le type général donné ici comporte naturelle- ment des exceptions en nombre infini; par exemple, dans certaines grandes paroisses, ou nomme deux porte-bourse, ou bien on met moins de noms dans la première échelle que dans les autres, pour éviter d'avoir comme porte-bourse des gens trop pauvres. Souvent, il n'existe même pas d'échelles du tout, et les collec- teurs sont nommés suivant l'usage de la cour des aides de Paris. On verra aussi d'autres cas exceptionnels au chapitre de la perception. Dans l'élection de Pon- toise, qui dépend de la cour des aides de Paris, l'usage des échelles et des collec- teurs porte-bourse est inconnu. Le mandement de l'intendant de Rouen pour la levée de la taille porte en général des prescriptions détaillées pour cette élection (A. D. S. Inf. C. 2 215).

6. Très souvent des taillables nouvellement arrivés dans la paroisse sont nommés avant leur tour pour faire la collecte parce qu'ils ne sont pas défendus, mais lorsqu'ils intentent un procès aux paroissiens pour ce fait devant l'élection,

LES ÉCHELLES. 183

nombreuses sentences d'élections pour appliquer cette règle que « l'aîné en imposition » doit marcher avant le cadet. De nombreux procès en résultent, dont les élus font leur profit1. Mais des accords amiables sont possibles entre collecteurs, et on en rencontre beaucoup : le curé ou le notaire en dresse généralement un acte, que l'élection enregistre sans difficulté, parce que les droits du roi n'y sont pas lésés; par exemple en 1677, l'élection de Falaise autorise la substitution de Jacques Salles à Michel Roger pour faire la collecte dans la paroisse de Magny près la Ferté en 167$, Michel Roger étant appelé par l'échelle à faire la collecte en cette année. Le curé a dressé de leur convention un certificat que les élus se bornent à enregistrer 2.

Malgré les procès nombreux qu'il entraînait, le système pré- sentait de grands avantages : il réduisait la liberté des assem- blées de paroisse dans le choix des collecteurs et assurait que l'un de ceux-ci au moins aurait une fortune suffisante pour répondre du recouvrement. C'est pourquoi Colbert projeta de l'étendre à l'ensemble du royaume, sans toutefois vouloir l'imposer de force3. L'art. 3 du règlement de mars 1673, qui concernait uniquement le ressort de la cour des aides de Paris, autorisa les paroisses à « établir si bon leur semble deux classes ou échelles, composées, l'une, des plus riches habitants, et l'autre des médiocres, afin que chacun contribuable vienne à son tour à la dite charge de collecteur4 ». Les paroisses ne semblent d'ailleurs pas avoir eu grand enthousiasme pour cette innovation. Colbert revint à son projet et en recommanda l'appli- cation aux intendants par des circulaires de juin 1680 et novembre 1681 5 :

« Voyez avec un très grand soin, disait-il, si rétablissement des échelles ainsi qu'il se pratique en Normandie ne remédieroit pas à une partie de ces abus, d'autant plus que nous les voyons tous retran- chés en Normandie, afin que si vous estimez que cet establissement

ils obtiennent généralement satisfaction. C'est une des sources de procès que l'on rencontre le plus communément en Normandie.

1. Exemple : le 16 octobre 1677, l'élection de Falaise condamne Jean Marie à faire la collecte de Coupesarte, à la place de Jacques Provost qui est son cadet en imposition. Le 24 novembre 1674, François Salles, nommé collecteur de Cou- terne, se fait décharger de sa fonction sur Julien Durand, en présentant le rôle de taille de 1662, Durand, seul des deux, figure (Plumitif de l'élection de Falaise, A. D. Calvados).

2. A. D. Calvados, Plumitif de l'élection de Falaise.

3. Il semble toutefois s'être trompé sur le mode de désignation des collecteurs dans les échelles. Il dit que l'on nomme les contribuables qui sont compris dans chaque tableau « alternativement... sans nomination » (Clém. II, 134) c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas d'assemblée de paroisse. On a vu plus haut qu'il n'en était rien. L'intendant Méliand lui écrivit en 1682 que la formalité de l'assemblée était régulièrement respectée et qu'elle n'était « pas inutile ».

4. C. D. T. II, p. 104.

5. Il fut adopté définitivement par l'ordonnance de mai 1680 (tit. VIII, art. 4) pour la nomination des collecteurs du sel.

184 LA TAILLE EN NOHMANDIK.

soit bon. Sa Majesté le puisse comprendre dans l'ordonnance pour le règlement des tailles, à laquelle Elle fait travailler '. »

Les intendants, dans leurs réponses, émirent des avis divers sur les avantages et les inconvénients du nouveau système. Celui de Berry déclare qu'à l'essai il a vu que « les plus forts et ceux qui ont de la protection se font mettre les derniers dans la colonne, et ainsi sont pendant douze à quinze ans à couvert de la collecte, et quand leur tour approche, ils quittent la parroisse, souvent mesme de concert avec leur maître, pour revenir quelque temps après avoir éludé leur tour »; en outre, comme par le passé, « les collecteurs s'accommodent pour se soulager et leurs parens » ; enfin « quelques-uns sont assez adroits pour empescher que leur nom ne soit mis sur la colonne * ». Celui d'Alençon, qui avait l'expérience des échelles, dit également qu'elles causent un « grand désordre », parce que les collecteurs porte-bourse étant pris exclusivement parmi les plus fort imposés, « ceux qui ont du crédit ne sont jamais porte-bourse, parce qu'ils ne paient pas ce qu'ils devroient payer, et ainsi les misérables sont les plus chargés et le recouvrement est retardé8 ». Mais la seule modification qu'il propose pour corriger ce défaut est de faire établir les échelles par les intendants. Celui de Châlons voit dans le système un avantage incontestable : il diminuerait beaucoup les nominations d'office de collecteurs; par contre, « il y auroit lieu de craindre que ce nouvel establissement ne causast des procès », et il s'en rapporte à Colbert pour l'adoption ou le rejet définitif4.

Colbert ne dressa pas le règlement général, mais après lui beaucoup penseront qu'il eût été utile. L'établissement des échelles, dit l'auteur du Mémorial alphabétique en 1713, « seroit à souhaiter » car il éviterait « les brigues, monopoles et abus qui se commettent dans la nomination des collecteurs, soit pour exempter les uns de faire la charge, soit pour accabler les autres qui y ont déjà passé; et qui voudroit s'étendre sur cette matière trouveroit cent choses à dire qui ne sont pas de peu d'importance pour le repos et la tranquilité de tout le peuple

1. Circulaire du 6 novembre 1681, dans les Papiers de Breteuil (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, p. 442.) Clément (II, 170) donne cette circulaire, mais avec des lacunes. Ainsi, le membre de phrase « d'autant plus que nous les voyons tous retranchés en Normandie > manque. Il a emprunté son texte à une copie défec- tueuse. Celui qui se trouve dans les papiers de Breteuil doit évidemment être

S référé. Cf. aussi la circulaire du 1er juin 1680 (Clém. II, 133) et les lettres à reteuil des 9 et 24 octobre 1680, B. mun. Amiens, ms. 508, t. I, pièces 2(18 et 303. Il y eut une autre circulaire du 12 avril 1681, qui est mentionnée dans celle du 6 novembre suivant, mais nous ne la possédons pas.

2. Mémoire du 6 août 1682, analyse (A. N. G1 12'.).

3. Lettre de l'intendant de Douville, du 22 août 1684, dans de Boislisle, Corres- pondance, t. I, 103.

4. Lettre du 22 juillet 1680 (A. N. G? 223).

LES FRAUDES ET LES PROCES. 185

taillable1. » Après une nouvelle expérience, les échelles seront rendues obligatoires dans toutes les paroisses par la déclaration du 1er août 1716. La réforme sera définitive et subsistera autant que l'impôt lui-même. L'intendant d'Aube, en 1738, la trouve excellente et s'étonne même qu'elle n'ait pas été adoptée plus tôt2.

VI. LES FRAUDES ET LES PROCES

Les charges qui pesaient sur la fonction de collecteur et la liberté qu'avaient ceux qui étaient nommés de faire les rôles à leur guise, incitaient les fraudes dans les nominations, et l'es- prit processif des Normands, joint au désir qu'avaient les juges de multiplier la « pratique », amenait des procès en très grand nombre.

Pescheur, élu de Saint-Florentin, a longuement insisté sur ces abus dans son mémoire adressé à Colbert en 1665 : d'après lui, aucune nomination de collecteur n'est faite sans calcul; le plus généralement, une cabale est constituée dans la paroisse pour faire nommer ceux désignés d'avance par des accords secrets; dans certaines paroisses, on a l'habitude de donner des pots-de-vin aux collecteurs pour être soulagé : alors la charge y est très recherchée : « Il n'y entre pas qui veut, mais qui peut, à la faveur des beuvettes et argent que ceux qui sont dans le dessein d'y parvenir pour le pillage donnent à des coquins de la paroisse pour aller à l'assemblée les y nommer, et lorsque les monopoleurs se trouvent au nombre de huict ou dix, ils conviennent entre eux de ceux de leurs compagnons qu'ils désirent faire entrer les premiers esdictes charges, auxquelles ils ne manquent pas de les aller eslire à la prochaine occasion, aux conditions de les soulager tous aux tailles et de les nommer l'année suivante pour faire le semblable. Ce qui est de telle conséquence qu'on a veu des gens affairez et nécessiteux mis esdictes charges par cette voye oblique qui en sont sortis dégagez de leur debtes et aucunement accommodez. » Il est impossible de faire la preuve de ces concussions, qui sont faites sans témoins. Dans les autres paroisses, cette pratique n'existe pas, continue Pescheur, c'est en vain que l'on convoque l'assemblée, « chacun fuyant la rencontre, dans l'appréhension que leurs voix ayent effect et qu'ensuitte ceux qu'ils auront esleuz augmentent leurs cottes par vindicte » ; et si on les con- traint de faire la nomination, ils ne choisissent que des insol-

1. Mcm. alphab., p. 107-108.

2. Voir la déclaration du 1" août 1716, dans C. d. T. III, p. 108 et le Mémoire de d'Aube (B. N. fr. 21 812, p. 80).

18« LA TAJ1 i 1 i n NoitM (Mm:.

râbles «m bien font des concurrences telles que, de du <mi vingt

(jui auront esté esleuZ, cliacim n'aura qu'une voix ». Si par hasard

«»ii voii drs volontaires ss présenter aux suffrages de la paroisses

« il de faut point dooter <[ii«- M sont gens louez il prix laict par des meschans pour leurs donner leurs \oix aux fins <i-devant déclarez, ou eslire des malheureux il la sollicitation des riches qui appréhendent le choc ». « Cela se sait, conclut Pescheur, publie et ne se preuve pas, tous ceux qui en peuvent déposer sainement estant du monopole, bien repeuz et payez pour m taire !. »

Il est à peu près certain que dans la majorité des paroisses le choix des habitants n'était pas entièrement libre : les « coqs », qui avaient souvent assez de pouvoir pour se faire exempter d'impôt, trouvaient, à plus forte raison, le moyen de ne pas se faire élire, non seulement eux-mêmes mais aussi leurs parents et leurs fermiers. L'intendant de Berry écrit à Colbert le 6 août 1682 qu'en général les habitants « n'ozent pas nommer ceux qui sont accommodez, à cause de leur autorité dans les paroisses, se faisant mesme descharger [de collecte] quand ils sont nommez2 ». Pareil abus est signalé dans le Recueil de l'in- tendant Orsay : Dans les paroisses, dit-il, « les seigneurs et les curés empêchent par leur crédit que la communauté ne nomme leurs parents, leurs procureurs, receveurs ou fermiers collecteurs dans leurs rangs et degrés, et même les principaux habitans ménagent entre eux par brigues des nominations de manière qu'il se trouve un ou deux de leurs plus proches parents et amis du nombre des collecteurs de chacune année pour conserver leur intérêt, à la charge d'en faire autant à leur tour 3 ». Spécia- lement en Normandie, l'intendant Lallemant de Lévignen signale en 1732 des fraudes commises à la faveur des échelles : non seulement certains contribuables arrivent à se faire effacer des listes ou à faire reculer leur tour de nomination, mais encore des collecteurs exigent des pots-de-vin des contribuables; le porte-bourse fait des brigues pour que l'assemblée lui désigne des compagnons à sa convenance, et si elle s'y refuse, il intente un procès devant l'élection, ce qui est une autre source de ruine *.

Les élus aiment à intervenir dans les nominations de collec- teurs. Parmi les « abus de finances » relevés par Colbert en 1661 figurent « les vexations des élus par la décharge des plus riches pour collecteurs et nomination des plus pauvres moyennant présens6 ». Dans un mémoire sur la réformation de la justice.

1. M. C. 33. f 287.

2. A. N. G" 12'..

3. B. N. fi. 11 096, 35.

k. Observation» sur la taille, B. N. fr. 7 771, 179-180. 5. (Jlém. VII, 196.

LES FRAUDES ET LES PROCES. 18T

le conseiller d'Etat de La Marguerie écrit en septembre 1665 : « Les élus font les souverains au choix des collecteurs, et sou- vent ils y en mettent d'insolvables1 ». L'intendant Leblanc est obligé d'ordonner que la nomination des collecteurs de Gisors, en 1682, soit faite par les habitants à l'hôtel de ville en présence des échevins « afin que les esleus n'en fussent pas les maîtres2 ». Enfin, les cabales d'habitants apparaissent lors des procès intentés devant les élections par les collecteurs irrégulièrement nommés. Mais le nombre de ces procès ne nous découvre pas toute l'étendue de la fraude, car toutes les cabales ne donnaient pas lieu à des actions en justice. Quand les droits du Trésor étaient seuls lésés, personne n'intervenait et l'entente demeurait cachée3.

En dehors des fraudes, les formalités de la nomination étaient une source de procès fréquents. Toutes les fois qu'un collec- teur trouvait un prétexte pour se faire décharger, il ne man- quait pas de le saisir. Régulièrement, il devait intenter son action en première instance devant les élus, et en appel devant la cour des aides4; l'intendant n'étant pas juge ordinaire ne devait pas régulièrement connaître de ces procès.

Les règlements avaient minutieusement fixé les conditions dans lesquelles une instance en « décharge de collecte » pou- vait être introduite. Ils tendaient principalement à abréger les délais, en sorte que les paroisses eussent des collecteurs défi- nitifs dès le début de l'année financière, et qu'il n'y eût aucun retard dans les recouvrements. Le règlement de janvier 1634, art. 39, donnait comme terme aux élus le 1er janvier de chaque année, mais il ne fixait pas de délai à la cour des aides en cas d'appel : cette clause avait paru inutile, parce que le collecteur condamné par les élus devait faire l'assiette et la collecte par provision, sans préjudice de son appel. La cour des aides de Rouen, en enregistrant cet article, y ajouta que les collecteurs auraient pour tout délai huit jours à partir de leur élection pour intenter leur action en décharge de collecte devant les élus*. De plus, elle ajouta que si le procès n'était pas terminé

1. B. N. Clairamb. 613, 304.

2. Lettre du 13 février 1682 (A. N. C 491). C'est dans cette même lettre qu'il dit que le président et le lieutenant de l'élection « sont gens ruinez et capables de tout ».

3. Cf. les plumitifs des élections de Falaise et de Bayeux, aux Archives du Cal- vados; par exemple le 17 octobre 1674, Charles Morin se plaint d'avoir été nommé collecteur de la paroisse de Percy « contre les règlements et par caballe de quel- ques-uns des habitants de ladite paroisse à son préjudice ». L'élection de Falaise reconnaît le bien-fondé de sa plainte, '^asse son élection, et ordonne une nouvelle assemblée d'habitants pour procéder régulièrement à la nomination de collec- teurs pris dans les différentes échelles.

4. Cf. le règlement du 20 août 1673, art. 18, interdisant de se pourvoir en pre- mière instance à la cour des aides.

5. Règlements de Normandie, p. 111. Ce délai ne courra qu à partir du jour la nomination aura été signifiée aux collecteurs s'ils sont absents lors de leur nomination.

188 LA TAILLE EN NORMANDIE.

au moment <»ù la paroisse recevait l<- mandement pour la levée de la taille, on procéderait à l'adjudication de la collecte, suivant 1rs formes que nous verrons au chapitre VII.

Cette réglementation fut reprise par Colbert dans les lettres patentes d août 1664, qui accordaient aux collecteurs un délai de huit jours après leur nomination pour intenter le procès, et en outre ordonnaient aux élus de juger l'affaire « sommaire- ment et sans frais, dans l'audience, en sorte que dans le dernier novembre de chacune année qui précédera l'imposition, il ne reste aucune cause de cette qualité à juger par lesdits élus »; le délai pour interjeter appel de la sentence de l'élection était fixé au 15 janvier suivant1. La déclaration du 20 août 1673, art. 3, abrégea ces délais : les élus devaient avoir jugé avant le 1er décembre, et la cour des aides avant le l" janvier; mais « dans l'exécution » on reconnut que ce changement était fâcheux, et le 22 août de l'année suivante, on rétablit les dates antérieures. Il fut toujours de règle que, pendant l'appel, les collecteurs devaient procéder à la confection des rôles et à la collecte par provision.

Ces dispositions législatives n'empêchèrent pas les procès de traîner devant les élections et devant les cours des aides. L'inten- dant de Bourges écrit le 9 août 1680 que la principale cause de retard dans le paiement des impôts n'est k pas l'impuissance des peuples », puisque dans une année ils arrivent à payer une partie de l'année courante et le reste de l'année précédente, mais bien les contestations des collecteurs « qui pendant trois et quatre mois entiers cherchent les moiens auprès des esleus de se faire décharger de la collecte; dans cette espérance, ils négligent de faire leurs roolles, et, par une suite nécessaire, ne lèvent point la taille2». Quant à faire dresser les rôles par provision aux col- lecteurs qui prétendent être déchargés, il ne faut y songer, dit Leblanc, en raison des abus que cela autorise : « Ils font des rejets considérables et ruinent les particuliers qui sont obligez de soustenir les procès, et ceux contre lesquels on s'est cotté, en attendant l'événement du procès, ne font point la collecte'. » Le même intendant jugeait les délais trop longs : si l'on veut faire payer l'impôt en « treize ou quatorze mois », disait-il, il faut que toutes les contestations soient terminées avant le 15 décembre*. Il entreprit d'appliquer cette règle dans la géné-

1. Art. 4 des lettres patentes d'août 1661; cette disposition avait été déjà adoptée

Sour le ressort de Paris dans la déclaration de février 166/; sur l'usage antérieur ans ce ressort, voir Mém. alphab., p. 55-56.

2. Lettre à Colbert du 9 août 1680, A. N. G' 124.

3. Lettre du 2 janvier 1679, A. N. G7 491. Cependant, Leblanc prescrivait dans ses mandements « pour obliger [les collecteurs] de fuire les rôles avec justice en leur ame et conscience », qu'ils demeureraient « garants et responsables des augmentations par eux données à gens insolvables, encore que par la suite ils fussent déchargez de la collection ». (B. N. fr. 8761 bis, 52).

4. Lettre à Colbert, 22 avril 1 182, B. N, fr. 8761, 4Î6.

LES FRAUDES ET LES PROCES. 189

ralité de Rouen, sans attendre une ordonnance pour l'autoriser : en décembre 1678 il écrit que, dans sa chevauchée, il a « enjoint aux eslus de terminer les procès pour la nomination des col- lecteurs et autres semblables dans vingt-quatre heures1 ».

Une procédure particulière était usitée en Normandie pour obtenir la décharge de collecte, c'était l'action en « préférence de collecte » : le collecteur devait se pourvoir non pas contre la communauté qui l'avait nommé, mais contre un autre habitant qu'il déclarait devoir faire la collecte à sa place : il se « cotait » sur lui, selon l'expression consacrée2. Elle était expéditive et épargnait à la collectivité paroissiale des procès ruineux, mais elle avait aussi des inconvénients, que l'intendant Leblanc expose en 1680 : bien que, dit-il, le règlement d'août 1664 ait, par son art. 4, interdit à un collecteur d'intenter une action en préfé- rence de collecte à plus de deux personnes, il arrive fréquem- ment qu'il se cote successivement sur trois ou quatre,. de sorte que les frais de procès sont très élevés; celui qui succombe « paie des premiers deniers qu'il reçoit les frais du procès qui lui a esté fait; le receveur, faute de paiement, fait des frais qui se prennent sur les deniers les plus clairs et ensuite fait empri- sonner les collecteurs et obtient une contrainte solidaire contre la paroisse3 ». Sa conclusion est qu'il faut « abolir ce mauvais usage » et revenir au système de la cour des aides de Paris, c'est-à-dire au pourvoi du collecteur contre la communauté représentée par son syndic i.

Sur le nombre de tous ces procès, nous avons quelques indi- cations permettant d'affirmer qu'il était très grand. A Tracy, tous les ans ou à peu près, il y a un procès relatif à la collecte5. Les plumitifs d'élections que nous possédons et ceux des cours dès aides en contiennent des quantités considérables. L'inten- dant Leblanc écrit le 1er mai 1682 que, dans l'élection de Pont- de-1'Arche, les deux principales sources de procès sont les affaires des aides « et les particuliers qui se sont cottez pour la décharge de collecte6 ».

Colbert se préoccupa de diminuer ce nombre excessif; il invita les intendants, par sa circulaire du 1er juin 1680, à lui fournir des renseignements et à lui marquer « ce que vous esti- meriez à propos de faire pour en empescher la suite7 ». Mais

1. B. N. fr. 8759, fol. 46.

2. C'était une procédure semblable à celle qui était employée pour obtenir la réduction de l'impôt d'un contribuable et que nous verrons plus bas.

3. Lettre à Colbert du 4 janvier 1680, A. N. G? 491.

4. Cf. l'art. 7 de l'arrêt du conseil du 2;> septembre 1681 : dans tous les procès en décharge de collecte, le procureur-syndic de la paroisse devra être appelé, les élus devront siéger au moins au nombre de trois, et signeront la minute du jugement.

5. A. D. Calv. Election de Falaise. De même à Rots, d'après les registres.

6. B. N. fr. 8 761, 51.

7. Clém. II, 132.

MO IV I VII. 1 I IN NtiKM AMHI ..

rien ne lût l'ait, et il y a lieu de penser que le désordre <on tinua. ici comme ailleurs.

VII. LES COLLECTEURS NOMMES D'OFFICE

Lorsqu'une paroisse ne nommait pas de bons collecteuri dans les formes et les délais voulus, il était nécessaire d'y pourvoir. la perception de la taille devant être assurée à tout prix. C'est pourquoi les règlements ordonnaient en ce cas que les collec- teurs fussent nommés d'office par les agents royaux. Cette mesure n'était pas ancienne. Primitivement, les syndics des paroisses étaient responsables de l'assiette et de la levée; pour la pre- mière fois, semble-t-il, l'arrêt du conseil du 27 novembre 1641 introduisit les nominations d'office : par son art. 11, il ordon- nait aux élus de nommer des collecteurs de leur propre autorité dans toutes les paroisses qui n'auraient pas procédé à l'élection huit jours après le reçu des commissions, et ces collecteurs ne pourraient en aucun cas appeler de leur désignation '. Un autre acte du 22 août 1642 reprit cette innovation en la précisant : la nomination d'office était prescrite en deux circonstances : si le collecteur nommé par les habitants était déchargé de ses fonctions par sentence des élus; s'il était reconnu que les collecteurs fussent « gens de néant et insolvables2 ». Mais la mise en pratique de cette disposition ne put être obtenue des tribunaux : la cour des aides de Paris fit des difficultés pour enregistrer le règlement en ordonnant qu'il n'aurait lieu que pendant la guerre, et celle de Normandie le refusa purement3.

Cependant, en 1660, la cour des aides de Paris autorisa les nominations d'office par un arrêt du 27 avril*, mais celle de Normandie demeura réfractaire. Les nominations d'office ne

1. Dans Néron, Recueil, éd. 1720, t. II, p. 666.

2. Règlement du 22 août 16'i2, art. 9, ibid., p. 675. Repris par la déclaration du 16 avril 1643, art. 10.

3. La cour des aides de Paris rendit même le 28 mai 1646 un arrêt qui remet- tait en vigueur l'ancienne législation pour les nominations de collecteurs; ce sont les procureurs-syndics, les marguilliers, et deux des plus fort imposés de chaque

f «croisse qui devront faire l'assiette et la collecte, si l'on n'a pas nommé de col- ecteurs réguliers en temps convenable (Mcm. alphab., p. 60). Cf. le texte de la déclaration du 16 avril 16'*3 et les remontrances de la cour des aides de Paris dans C. d. T., I, p. 370-406. Le Mém. alphab. dit à tort (p. 59) que cette décla- ration du 16 avril est le premier règlement qui parle des nominations d'office des collecteurs. L'erreur vient sans doute de ce que les arrêts du conseil de 1641 et 16'rJ ne figurent pas au Code des tailles. On voit que le retard dans l'élec- tion des collecteurs n'était pas un cas de nomination d'office d'après ces règlements. k. Il était surtout destiné à remédier au retard dans les nominations. Si les collecteurs n'étaient pas élus au 15 octobre de chaque année, les officiers des élections devaient en nommer d'office, « sommation préalablement faite à l'issue de messe paroissiale aux habitons et paroissiens de satisfaire au présent arrêt » (B. N. fr. 2141<J, p. 101).

LES COLLECTEURS NOMMES D OFFICE. 191

furent véritablement instituées que par l'art. 6 des lettres patentes d'août 1664 : si les collecteurs, y était-il dit, ne sont pas nommés à la date du 30 novembre, il en sera désigné par l'intendant, ou, en son absence, par les élus1. La même dispo- sition fut reprise par l'art. 2 de la déclaration du 20 août 1673, avec cette modification que le délai était ramené au 1er novembre ; en outre, les intendants et les élus n'avaient que huit jours pour faire leurs nominations2.

Le partage du droit de nomination entre les intendants et les élus eut pour résultat de laisser très souvent les élus exercer seuls ce droit3, parce que les intendants n'avaient pas le loisir de s'occuper de ces détails. Or, les élus n'étaient pas désin- téressés dans ces affaires : quand ils ne se faisaient pas donner des pots-de-vin pour la nomination, ils en profitaient du moins pour choisir des hommes qui imposaient à leur gré leurs fer- miers, ou pour décharger de la collecte leurs parents, amis ou serviteurs. L'intendant de Bourges écrit en 1679 : « Quand les nominations d'office sont faites par les élus, elles tombent rarement sur les plus forts, qui sont pour l'ordinaire parens ou amis de ces officiers4. » A diverses reprises, les intendants de Normandie durent interdire aux élus de prendre aucun droit pour ces nominations, ou de les faire avant que les délais régle- mentaires fussent expirés 5. En 1679, à la suite d'une enquête

1. « Pour cet effet, ajoute le règlement, lesdits élus se feront représenter les rôles des trois années précédentes, par les grefiers des élections, ou autres qui les auront en leur possession, et prendront garde qu'il ne soit nommé pour col- lecteurs aucuns de ceux qui l'auront été les trois années précédentes, sinon en cas qu'il ne s'en trouvât point d'autres » (Règlements de Normandie, p. 132). Les élus doivent juger l'affaire « en l'audience, sommairement et sans frais ». Une disposition semblable était prescrite pour le ressort de la cour des aides de Paris par la déclaration du 12 février 1663 (G. d. T., I, 503). La cour, dans son arrêt de vérification, avait ramené au 31 octobre la date d'expiration du délai accordé aux babitants (ibid., p. 509).

2. Dans l'intervalle, l'édit de mars 1667 avait prolongé le délai pour les nomi- nations d'office jusqu'au 15 décembre (G. d. T., II, p. 19).

3. Dans ce cas, « le receveur des tailles donne un mémoire des plus considé- rables habitants pour estre choisis par les esleus qui, pour l'ordinaire nomment les mesmes que le receveur » (Lettre de Morangis; intendant d'Alençon, à Colbert, 9 octobre 1679, A. N. G7 71). Il appartenait en effet au receveur de faire diligence devant les élus pour obtenir la nomination, et c'était pareillement lui qui taisait signifier l'acte, sans frais, aux intéressés (Mandement de l'intendant de Gaen aux paroisses, 1678, A. D. Calv., élection de Gaen).

On trouve un grand nombre de nominations de collecteurs d'office dans les sen- tences des élections. Elles viennent souvent à la suite d'un procès en décharge de collecte intenté par un contribuable. Par exemple, l'élection de Falaise, le 17 novembre 1674, après avoir déchargé de la collecte de la paroisse de Pointel Gabriel Hainfray, l'élection ordonne qu' « au lever de nostre audience il en sera par nous nommé d'office; à laquelle heure et après nous estre fait représenter les roolles des trois dernières années, avons uommé de nostre office la personne de Charles Léchier, auquel il est enjoint de faire ledit service » (A. D. Calv., plu- mitif de l'élection de Falaise).

4. A. N. G7, 124. Il est vrai, ajoute-t-il, que ces « forts » ne sont pas davan- tage choisis par les habitants. Il propose comme solution de confier toutes les nominations d'office aux intendants. En marge, Colbert a écrit : « Bon ».

5. A. D. S. Inf. C, 2 215.

192 LA TAILLE EN NORMANDIE.

auprès des intendants, Colbert dit, dans une circulaire du 6 octobre, qu'en « beaucoup de généralités, les collecte! des tailles se font rarement par les habitants des paroisses confor- mément aux règlemeos, et <jue presque toujours elles sont faites d'office par les élus ». Comme c'est « un désordre fort considé- rable et qui remet presque l'imposition des tailles entre les mains des élus », il ordonne à ses subordonnés d'« approfondir » la question et de recourir au besoin à des arrêts du Conseil pour réprimer les fautes des officiers1. Enfin, un règlement du 23 septembre 1681 enleva aux élus le droit de nommer des collec- teurs d'office en l'absence des intendants. C'est encore un cas de dépouillement des élus au profit des intendants2. Les commis- saires départis s'appliquèrent surtout à réduire les nominations d'office. Pour y parvenir, celui de Rouen, Leblanc, en vint à méconnaître les règlements. Le 15 février 1681 il écrivait en effet : « Les officiers des eslections ne font des nominations d'office que dans les parroisses qui ne veullent point imposer ou qui ne nomment des collecteurs qu'à l'extrémité; l'eslection des habitans prévault toujours, quoyque postérieure8». Ainsi, le principal cas qui était prévu par les règlements, c'est-à-dire le retard mis dans l'élection par les paroisses, n'était plus un motif de nomination d'office.

Sur le nombre de ces nominations en Normandie, nous n'avons de chiffres que pour la fin de notre période. Dans la généralité d'Alençon, au début de novembre 1679, « la plus grande partie des paroisses a nommé des collecteurs »; seules, les élections de Domfront et de Mortagne l'ont négligé et ont des collecteurs d'office; dans celle de Domfront, huit paroisses ont « l'habitude » de laisser désigner ainsi chaque année leurs collecteurs; 5 ou 6 paroisses de l'élection d'Alençon se trouvent dans le même cas4. L'année suivante, l'intendant trouve les mêmes nominations d'office dans l'élection de Domfront; « il y a, dit-il, la sixiesme partie des paroisses qui les laissent nommer d'office5 ».

Dans la généralité de Cacn, l'intendant s'est efforcé, à la suite

1. Clém. II, 118.

2. Les élus cherchèrent cependant à conserver malgré tout leur pouvoir. Vieuille, commentant cet arrêt du conseil de septembre 1681 et une déclaration de 1685 qui en reprenait les termes, soutient que l'interdiction doit s'entendre lorsque Messieurs les intendants sont présents, car en leur absence les élus peuvent nommer suivant le règlement d'avril 16'j3, de février 1663 et de 1667, auxquels il n'a point été dérogé pour ce regard » et il invoque l'intérêt public (Nouveau traité des élections, p. 247).

3. A. N. G" 4 '.il. Sur les précautions que doit prendre un intendant pour ces nominations, voir le mémoire de Richer d'Aube. B. N. fr. 21 812, p. 87 et suiv.

4. Lettres de l'intendant, 9 oct. et 9 nov. 1679, A. N. G7 71. En dehors de ces deux élections, dit-il, il n'a pas eu subjet d'ordonner aucunes peines > contre les paroisses.

5. Lettre du 22 juillet 1680, A. N. G7 71. Il ajoute : J'ai fait plusieurs ordon- nances pour empescher cet abus; je les ferai exécuter rigoureusement aussitost que la taille sera imposée >.

LES COLLECTEURS NOMMES D OFFICE.

193

des circulaires de 1679 et de 1681, de réduire le nombre des collecteurs d'office ; néanmoins il écrit le 23 novembre 1683 qu'il a en nommer « en beaucoup de parroisses de la géné- ralité * », et le 16 juin suivant, il précise que dans la seule élec- tion de Coutances, 16 paroisses en ont eu2. En 1674, l'élection de Bayeux, composée de 228 paroisses, avait des collecteurs d'office dans 46 d'entre elles3.

Dans la généralité de Rouen, la statistique suivante, portant sur les années 1680 et 1681 fut dressée par l'intendant Leblanc :

ÉLECTipNS

NOMBRE DE PAROISSES

Total.

Ayant des collecteurs d'office.

1680

1681

129

274 197 109 177 100

60 157 121 158

76 136 199

1 0 2

10 0 8 8 5 4

26 0 2 0

6

2 3

15 0 7 7

19 1

26 1 3 0

Neufchàtel

Total

1893

66

90

D'après ce tableau, les nominations d'office n'étaient pas nombreuses : elles ne touchaient que 3,5 paroisses sur 100 en 1680 et un peu moins de 5 en 1681. Mais il ne faut pas oublier que depuis trois ans Leblanc s'efforçait de réduire les nominations, même au prix d'illégalités flagrantes ; ces chiffres sont donc probablement un minimum au-dessous duquel on n'était pas descendu auparavant. On peut aussi constater que pour une même élection, les nombres n'ont pas beaucoup varié d'une année à l'autre. C'étaient toujours les mêmes paroisses, en effet, qui avaient des collecteurs d'office. L'intendant de Morangis, qui exerça successivement dans les deux généralités

1. A. N., G? isl3.

2. Ibid. Il est vrai que le 17 novembre 1684, il écrit que ses efforts ont eu des résultats, le nombre des nominations d'office étant « beaucoup moindre » que celui des années précédentes : il a porté sur 40 paroisses des 1 234 qui composent la généralité.

3. Ces 46 nominations se décomposent ainsi : 32 faute d'avoir nommé des collec- teurs à la date prescrite; 11 parce que le nombre des collecteurs dépasse les chiffres réglementaires; 3 à la suite de décharges de collecte accordées. (Arch. mun. Bayeux, rôles de taille.)

LA TAILLE EN NORMANDIE.

13

|§4 LA TAII.I.K F.N NORMANDIE.

d'Alençon et de Caen, nous explique qu'en certaines Localité*, « les habitants craignent de nommer un collecteur qui les peut hausser, et ils aiment mieux s'en.raporter au receveur des tailles » qui désigne aux élus celui qu'il faut nommer1. « Il est difficile, dit-il encore, d'engager les paroisses à en nommer quand une fois elles ont pris l'habitude d'en laisser nommer d'office2. »

1. Lettre du 9 octobre 1679, A. N. G7 71. Sur le rôle du receveur, cf. ci-dessus, p. 141 et la note 2.

2. Lettre du 16 juin 1684 (A. N. C 213). Le 23 novembre 1681, il écrivait déjà la même chose; à son avis d'ailleurs, les nominations d'office faites par les rece- veurs seraient beaucoup moins préjudiciables aux paroisses, parce qu ils sont inté- ressés surtout à bien faire asseoir la taille, tandis que laisser nommer les collec- teurs par les élus, c'est rendre ceux-ci « maistres du détail de l'imposition ».

CHAPITRE V

LES EXEMPTS

I. LES NOBLES. II. LES EXEMPTS PAR LA FONCTION.

III. LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE.

L'idée de faire payer l'impôt à tous les habitants du royaume sans distinction ne se présentait guère à l'esprit des hommes du xvne siècle; tous admettaient que certaines personnes en fussent exemptes; on discutait pour savoir lesquelles, mais le principe lui-même était généralement incontesté. Quelques esprits hardis, à la fin du xvic siècle, l'avaient cependant mis en discussion : « Si la nécessité, disait Bodin, contraint de lever quelque impôt extraordinaire, il est besoin qu'il soit tel que chacun en porte sa part1 », et l'auteur du premier traité sur les tailles, Jean Combes, qualifiait l'exemption d' « odieuse » et « contraire à la dévotion publique » ; il n'est pas licite, disait-il, de « s'exempter de telles charges regardans l'autorité publique2 ». Mais nous ne savons pas quelle importance ces auteurs eux-mêmes attachaient à leur idée, et nous devons bien constater qu'ils ne furent pas suivis. A notre époque, Domat proclame à la vérité « le devoir de tous ceux qui composent un Etat de contribuer aux dépenses que le bien commun y rend nécessaires », mais tout après il fait « la réserve des exemptions et des privilèges » que le sou- verain accorde3. C'est seulement au xvme sècle que l'idée se répandra et se fera accepter par tous.

L'inégalité devant l'impôt était aussi vieille que la société française ; elle trouvait son fondement dans la loi romaine, qui accordait des immunités aux fonctionnaires, aux citoyens romains, aux nobles; dans la tradition ecclésiastique, qui libé-

1. La République, éd. 1580, liv. VI, p. 618.

2. Traité des tailles (1576), 68. « Ces exemptions, dil-il encore, sont aujour- d'huy si fréquentes en France qu'elle n'apporteront à la fin qu'une ruine entière du pauvre commun populaire ». Cf. Loyseau, Des ordres, Œuvres, éd. 1701, p. 29; Coquille, Œuvres, éd. 1646, I, p. 132, etc.

3. Le droit public, dans ses Œuvres, éd. 1746, t. II, p. 25-26.

V

196 LA TAILLE EN NORMANDIE.

rait les prêtres de toutes charges publiques; dans la coutume féodale, qui non seulement dispensait d'impôts l'homme de con- dition supérieure, mais encore l'autorisait à en lever.

Chaque catégorie d'exempts avait ses titres pour justifier son privilège, nous le verrons, mais au-dessus de tous ces titres il faut placer une idée commune, qui autorisait et légitimait à tous les yeux l'exemption, c'est que l'impôt était considéré comme une honte, et l'exemption comme une marque de dignité : rien dans l'ancienne société ne marquait plus nettement la sépa- ration entre les deux classes, supérieure et inférieure, que le paiement ou le non-paiement de l'impôt : chaque année le collec- teur rappelait aux uns qu'ils étaient des privilégiés, aux autres qu'ils étaient gens du commun. Soumettre quelqu'un à la taille n'était pas seulement lui enlever une part de son bien, c'était aussi le dégrader.

Quand les nobles se plaignent de leur privilège fiscal violé, c'est au nom de leur dignité offensée : aux Etats de Normandie en 1616 « la noblesse déplore que, par le moyen de plusieurs levées qui se font indifféremment sur toutes personnes, on la dépouille de ses prérogatives, et la rend-on par telles voyes oblicques honteusement contribuable à des charges indignes de sa condition1 ». Pareillement, l'année suivante, elle déclare

Qu'elle ne veut pas être « flestrie d'aucune imposition extraor- inaire » ; en 1658, elle proteste contre le bail des aides qui autorise les nobles à participer à la ferme sans déroger : « la générosité d'un gentilhomme ne se peut abaisser jusqu'au point de tendre la main à la perception des tributs, de la prestation desquels il se tiendroit deshonoré2 ». En mars 1660, un officier du Bureau des finances de Caen demande à être rayé du rôle de sa paroisse parce que, dit-il, l'y maintenir serait « luy faire une injure et un notable préjudice3 ». De même le clergé déclare aux Etats de Normandie de décembre 1634 (art. 2 du cahier 2), « que plus signalée marque d'honneur que l'Eglise aye en cette province par-dessus le commun du peuple, est l'exemption des tailles qui lui est commune avec la noblesse4; » la même année ses agents généraux protestent contre la mise à la taille de certains ecclésiastiques parce que, disent-ils, cela est « au mépris de leur dignité5 ».

1. De Beaurepaire, Cahiers règne» de Louis XIII et Louis XIV, I, 124. Cf. Ragueau, Glossaire du droit français, art. Taille : « Est capitalis illatio; adscrip- ticii sive tributarii ngricolœ prœstant capitis censum sive capitationem, et quasi servi sunt ».

2. De Beaurepaire, III, p. 152.

3. Requête de Jacques rrénrd. contrôleur au bureau des finances de Caen, à son propre bureau le 23 mars 1660. (A. D. Galv., Plumitif du bureau des finances à sa date).

4. De Beaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 4.

5. Dans Néron, t. II, p. 622. L. du subdélégué de Sainte-Menehould à l'inten- dant de Chalons, 1753 : « H. de Sailly n'a pas fait attention qu'ayant l'honneur

LES EXEMPTS. 197

Les privilégiés ne sont d'ailleurs pas seuls de cet avis : ils ont pour eux des théoriciens comme Lebret, qui traite toujours l'exemption comme un « honneur » accordé à celui qui en jouit, et même cherche à la légitimer : « il est juste et convenable que le prince souverain ait en sa puissance non seulement les peines et les supplices pour punir les médians, mais encore les faveurs et les récompenses pour reconnoitre la vertu et le mérite des hommes vertueux1 », et dans un de ses plaidoyers à la Cour des Aides en 1593, il justifie ainsi l'exemption des membres des cours souveraines : « Eût-ce pas été avilir leur dignité, et quasi capite minuere, que de les assujétir aux tributs, aux charges et aux servitudes populaires? Car encore que les tributs soient utiles, et même nécessaires à un état, si est-ce toutefois que ce sont charges roturières, plébéiennes et indignes des grandes dignitez ». Et il cite Tertullien : « Ut agri tributo onusti viliores sunt, sic hominum capita stipendio census ignobi- liora sunt*. »

Le roi lui-même est de cet avis; un grand nombre d'édits con- tiennent des mentions comme celle-ci : « sous peine d'être- déchus du titre de noblesse et d'être imposés à la taille ». La déclaration de juillet 1702 qui vend des exemptions à certains officiers, donne cette raison que « le bien de la justice exige qu'ils [ces officiers] soient exempts de toutes charges pour être en état de remplir leurs fonctions avec plus de dignité et de désintéressement3 ».

Il faut bien noter aussi que cette marque infamante était attachée spécialement à la taille : Gentil, dans un mémoire de 1747 sur la capitation, écrit : « Un gentilhomme, un officier de justice ou autre privilégié paie tranquillement la capitation, pendant qu'il se croirait déshonoré et confondu avec la popu- lace, si on voulait lui faire payer la taille*. »

Le président La Barre, après avoir expliqué comment les

d'être votre subdélégué, je devais jouir de l'exemption de la taille; .... qu'il était indécent qu'une personne à qui vous voulez bien confier une portion de votre autorité fût imposée à la taille », dans Milhac, Les subdélégués en Champagne... p. 25 (1911).

1. Traité de la souveraineté du roi, livre III, chap. vm, éd. 1689, p. 113.

'2. Jbid., p. 447.

3. C. d. T., t. II, p. 540.

4. Cité par Lardé, La Capitation, p. 27. Cette défaveur de la taille subsistera dans tout le cours du xvin* siècle; encore en 1784 Necker écrira : « L'un des motifs qui font tenir avec tant d'ardeur aux exemptions, c'est la tacbe imprimée sur certaines impositions, telles, par exemple, que la taille, la corvée, le loge- ment des gens de guerre, et d'autres encore; ce seroit une folle entreprise que de prétendre déranger ces idées, et de vouloir assimiler indistinctement à de pareilles charges tous les ordres de citoyens. » De l'Administration des finances, t. III, p. 153. La noblesse du bailliage de Blois, dans son cahier aux Etats Généraux de 1789, déclare qu'elle renonce à ses exemptions et « offre de supporter les contributions publiques dans la même proportion que les autres citoyens, à la condition que les noms de taille et de corvée seront supprimés et que toutes les impositions directes seront réunies en un seul impôt territorial en argent. » {Œuvres de Lavoisier, t. VI, p. 339.)

IM la tailm: IN mikmandie.

privilèges sont « naturels », ajoute : « Or, il y a deux sortes de

f>rivilèges : les uns sont personnels, qui suivent et accompagnent es personnes quelque part qu'ils aillent, et les autres locaux, qui sont attachés es lieux1 ». Il fait ici une distinction fonda- mentale que nous pouvons adopter. Dans la première « sorte », le privilège dépend de la condition de la personne; dans la seconde, il dépend du lieu cette personne habite, quelles que soient ses occupations et sa condition sociale. Les privi- légiés de la première catégorie peuvent être subdivisés en deux groupes : d'une part les nobles, d'autre part ceux qui exercent certaines fonctions publiques plus relevées que les autres.

I. LES NOBLES

À. LA QUALITÉ DE NOBLE

Les motifs de l'exemption des nobles ont été souvent recher- chés par les auteurs anciens désireux de prouver que le privi- lège était fondé en droit; parmi leurs théories, la plus répandue est celle qui, assimilant les nobles aux gens de guerre, les recon- naît exempts parce que la taille est une taxe en remplacement du service militaire, « estant raisonnable, dit Loyseau, que ceux

3ui contribuent leur vie pour la défense de l'Estat soient exempts 'y contribuer de leurs biens2 ». Guy Coquille l'a nettement formulée :

« En France, tous héritages, eu 9ont tenus noblement pour faire service de sa personne en la guerre, ou sont tenus roturièrement pour en payer prestation annuelle au Roy ou aux seigneurs qui tiennent en fief du Roy : car par règle générale, chacun doit contribuer aux guerres et charges publiques, ou de sa personne, ou de ses biens3. »

D'autres ont invoqué purement les textes du droit romain, qui exempte d'impôt les citoyens et ne soumet à la capitation que les peuples conquis; de à assimiler les nobles de France aux premiers, et les roturiers aux seconds, il n'y a qu'un pas.

D'autres encore ont voulu voir dans l'exemption une faveur accordée aux gens de guerre, à cause de l'utilité de leurs ser-

1. Formulaire, p. 178.

2. Traité des ordres, éd. 1701, p. 29.

3. Commentaire sur la coutume de Nivernois, VII, art. I (éd. 1646, t. I, p. 132). Cf. aussi Bodin, République, livre I, ch. vi ; Duret, commentaire sur l'art. 256 de l'ordonnance de mai 1579, dans Néron, Recueil, t. I, p. 624, etc. Souvent cette explication est reprise par les auteurs modernes, ainsi M. de Luçay dit que la taille fnt instituée « pour subvenir à l'entretien des troupes réglées, ce qui explique et justifie l'exemption reconnue aux nobles, alors tenus au service personnel ». {Séances et trac. Acad. se. morales, t. CXLIX, p. IM.)

LES NOBLES. 199

vices. Lebret, par exemple, écrit dans un de ses plaidoyers à la Cour des Aides :

« De toutes les professions qu'il importe le plus au bien public, la militaire semble mériter un des premiers rangs...; c'est pourquoi les hommes de cette profession militaire ont de tout tems mérité d'être honorez entre tous les autres de plusieurs beaux et signalez privi- lèges, signanment de l'exemtion et immunité de tous tributs et autres charges, ainsi qu'il se reconnoit en plusieurs endroits de nos livres; comme à la vérité ils paient a la république un assez grand tribut que de lui consacrer leur sang et leur vie pour son service, étant tous les jours exposez à l'extrémité des hazars et des périls... si bien que de les assujettir avec toutes ces peines et ces incommoditez aux charges et contributions, certes outres que ce seroit deshonorer le mérite de cette vacation, ce seroit encore leur ôter le courage de l'afection de bien servir le public *. »

Nous savons aujourd'hui qu'en dehors de ces motifs, la taille par son origine était un impôt roturier; elle ne pouvait être imposée sur les nobles, puisqu'ils avaient eux-mêmes le droit de la lever, et qu'ils traitaient d'égal à égal avec le roi pour la laisser percevoir sur leurs fiefs; nous n'ignorons pas qu'à côté de cette noblesse « d'origine », il y avait une noblesse concédée par le roi ou acquise avec certaines fonctions, et que l'exemption lui avait été conférée lors de la concession; enfin d'autres avaient usurpé le titre de nobles, eux ou leurs ancêtres, et l'immunité leur avait été reconnue en même temps. En définitive, l'exemp- tion de taille était, dans l'esprit de tous, inhérente à la noblesse : sans discussion ni doctrine on réunissait les deux qualités : un noble payant la taille n'était plus un noble.

Les honneurs et privilèges attachés à la noblesse en avaient fait rechercher le titre en tout temps par ceux qui ne le possé- daient pas. Trois moyens principaux étaient à leur disposition pour l'acquérir : l'acheter du roi ; le prendre à la faveur de certains emplois; l'usurper.

Le roi avait le pouvoir de conférer la noblesse à qui bon lui semblait. Des services rendus étaient ainsi récompensés : tel fut le cas pour les parents de Jeanne d'Arc. Mais depuis long- temps, on en avait fait un procédé pour alimenter le trésor royal toujours vide. Pendant le xvie et le xvne siècles, les ventes de lettres avaient été couramment pratiquées, et leur révocation avait été un autre moyen d'obtenir de l'argent en faisant financer les supprimés pour être maintenus : Louis XIII avait à maintes reprises, et surtout à la fin de son règne, pendant la guerre, multiplié ces ventes et ces révocations 2. En dernier lieu, la

1. Œuvres, éd. de 1689, p. 484.

2. Voir la série des Ordonnances relatives à cette matière dans Ghérin, Abrégé chronologique d'édits, déclarations, règlements, arrêts et lettres patentes des Bois

180 LA TAILLE EN Nui: m \ MU! .

déclaration du 16 avril 1643 avait révoqué tous les anoblis- sements accordés depuis l'année 1600, date à laquelle une autre révocation avait été opérée par Henri IV. Sous le règne de Louis XIV, ces pratiques seront continuées. Dès la première année sont mis en vente deux titres de noblesse par généralité. En octobte 1645, on crée 50 nobles dans chaque ville franche de Normandie; en octobre 1650, on confirme les anoblisse- ments accordés en Normandie depuis 1606, malgré l'édit de 1643. Le 8 janvier 1653, nouvelle confirmation des titres de noblesse révoqués depuis 1606'. En janvier 1660, à l'occasion de la Paix des Pyrénées, nouvelle mise en vente de deux titres de noblesse par généralité. Quiconque avait de l'argent pou- vait faire l'emplette, sans remplir aucune autre condition. Depuis longtemps on l'avait observé : les Etats de Normandie, en février 1658, déclaraient : Le titre « s'est vendu à qui en a voulu, sans enqueste d'autre mérite que du moyen d'en payer la finance, qui souvent s'est vue au-dessous de celle d'une lettre de bulle de quelque métier2. »

Outre les ventes de titres, le roi pratiquait aussi les ventes d'offices conférant la noblesse : charges de sa maison, fonctions militaires, offices supérieurs de la justice et des finances. Cet honneur, ajouté à toutes les autres prérogatives de ces charges les faisait rechercher davantage et augmentait le profit tiré de la vente. On verra plus bas combien ces ventes furent nom- breuses en tous les temps.

Un troisième moyen d'acquérir la noblesse, le plus simple et

f>eut-être le plus employé, était de l'usurper. L'attrait du privi- ège, les avantages matériels et moraux qu'il entraînait, l'absence de contrôle effectif de la part du pouvoir, et même la compli- cité de celui-ci, facilitaient cette fraude. Certains, ayant porté les armes dans les temps de troubles, avaient pris et gardé l'habi- tude d'avoir une épée au côté et de se dire nobles pour ce motif. « La licence et corruption du temps, disait le roi dans l'édit de mars 1600, a été cause que plusieurs, sous prétexte de ce qu'ils ont porté les armes durant les troubles, ont usurpé le nom de gentilhomme, pour s'exempter induement de la contribution aux tailles 3. » La Fronde avait ramené cette pratique : « Dans ce

de France de la 3* race concernant le fait de noblesse, Paris, 1788, in-8°, réim-

Îrimé dans la Nouvelle encyclopédie théologique de M igné, t. XIII, col. 836-1122. e renvoie une fois pour toutes à cet ouvrage, qui donne l'indication des princi- paux actes concernant la noblesse et cite les plus importants.

1. D'après l'arrêt du Conseil du 18 juin 1653 (cité dans Chérin, p. 118-119), le recouvrement des taxes était confié au célèbre traitant Béchameil; chaque main- tenue coûtait 1500 1.

2. Article 42 du cnhier des Etats dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 150. Cf. le récit de Loyseau au sujet d'un mar- chand de boeufs du pays d'Auge qui avait acheté sa noblesse et portait l'épée : Traité des ordres, chap. v.

3. Edit de mars 1600, art. 25. Cf. Loyseau, ibid.

LES NOBLES. 201

temps, dit la Cour des aides de Paris en 1653, la plupart de ceux qui portent les armes prennent hardiment la qualité d'écuyer, quoique eux et leurs prédécesseurs ayent été imposez es rôles des tailles l. »

D'autres usurpaient la noblesse en cessant de payer la taille; par la connivence des collecteurs ou des élus, ils se faisaient attribuer sur les rôles la qualité de nobles, et, avec le temps, le titre leur demeurait incontesté. Des officiers n'avaient pas de peine à se qualifier gentilshommes, et à faire accepter leur titre par tous : « De présent, dit La Barre en 1620, les moindres offi- ciers jusques aux enquesteurs ne font difficulté de prendre le titre d'escuyer. .. ; que si avec le temps on les veut enroller, les collecteurs sont le plus souvent, faute de moyen, contraints tout quitter et acquiescer plutost que de plaider; et alors voila des gentilshommes d'acquiescement et sans cause2 ».

En Normandie, plus peut-être qu'ailleurs, les usurpations étaient fréquentes. Le président La Barre assure que, dans la province,

« sur tous autres endroits de la France se recherchent tous les moyens d'usurpation de noblesse plus que ailleurs, ny autre part que je scache, pour esviter aux charges populaires, tailles et subsides, et affin de s'affranchir des imposts et autres contributions dont ceste contrée et pauvre province est surchargée entre toutes autres. » Les Normands, « pour la plupart sont fort friands de noblesse, ce qui leur procède d'une gentillesse de nature, cerchans tousjours de s'avantager... et s'affranchir des tailles et subsides dont ils sont fort grevez3. »

Le Roi déclarait aussi en 1583 :

« Nous avons connu par le rapport et avertissement qui fait nous a esté par plusieurs nos araez et féaux conseillers et commissaires aiant été sur les lieux en notre Pais de Normandie que le principal désordre et préjudice qui s'y fait provient notamment de ce que depuis quel- ques années les hommes taillables riches et opulens ont prétendu s'exemter de contribuer à nosdites tailles, sous prétexte qu'ils se disent privilégiez, les uns comme bourgeois de nos villes franches, les autres se disant pourvus en charges et places qui les exemtent, et la plupart par usurpation du privilège de noblesse 4. »

Suivant une déclaration de la Cour des aides de Rouen en 1660, si « les moyens d'usurpation de noblesse sont plus recherchés audit païs qu'ailleurs », c'est « à cause des tailles et charges qui y sont grandes 5. »

1. Préambule de l'arrêt du 17 mai 1653 dans Néron, t. II, p. 741; cette pratique est à rapprocher de l'usage qui accordait l'exemption de taille aux vétérans ayant servi dans les armées du roi pendant 25 ans (Edit de janvier 1634, art. 17).

2. Formulaire, p. 70-71.

3. Ibid., p. 60 et 68.

4. Règlements de Normandie, p. 9-10.

5. Ibid., p. 55.

Ml LA TAILLE KN NORMANDIE.

B. LA RECHERCHE DE LA NOBLESSE

La revision des titres de noblesse avait été pratiquée très anciennement par les rois : en 1463, elle avait été opérée par les soins de M. de Montfaut dans toute la Normandie'. Dans le cours du xvi" siècle, on l'avait reprise plusieurs fois; en 1598- 1600, notamment, des commissaires royaux avaient méthodique- ment poursuivi leur enquête non seulement dans la province, mais dans tout le royaume. A la suite du règlement des tailles de janvier 1634, les trésoriers de France et même les élus avaient encore reçu mission de vérifier les lettres de noblesse2; l'opération avait été menée avec tant de rigueur qu'elle avait provoqué la protestation des Etats de Normandie, et avait con- tribué à l'insurrection des Nus-pieds en 1639*.

Le premier objet de ces recherches avait été sans doute de supprimer les faux nobles et de les remettre à la taille; en cela le roi répondait aux désirs des nobles authentiques qui ne vou- laient pas d'intrus parmi eux, et à ceux des contribuables qui souffraient de voir les plus riches soustraits à l'impôt. Mais le roi avait eu aussi et surtout une préoccupation fiscale : l'opéra- tion lui rapportait en effet beaucoup d'argent, soit par les amendes infligées à ceux qui étaient reconnus usurpateurs, soit par les ventes de a maintenues de noblesse ». Il pratiquait ici la même politique qu'à l'égard des offices; c'est d'ailleurs aux époques les créations d'offices sont le plus nombreuses que les recherches de noblesse se multiplient. Le roi avoue du reste son intention dans une déclaration du 15 mars 1655 : après avoir déploré dans le préambule « les grands désordres » qui se commettent dans les impositions et le trop grand nombre d'exempts, en sorte, dit-il, qu' « il ne s'est trouvé dans les paroisses que les plus pauvres pour payer nos tailles ». il ajoute qu'il est disposé à confirmer les anoblissements accordés depuis 1606 moyennant « une honnête finance* ». Par il informe

1. Le procès-verbal de la recherche a été publié par Labbey de Laroque : Recherche de la Noblesse de Normandie sous Louis XI, par H. de M tint faut, Caen, 181M824, 2 vol., voir le ma. de la Recherche, B. N. fr. 2 7*2-3 et 1 1 930-33. Sur les diverses recherches faites en Normandie uvant 1(196, voir le Cabinet historique, t. VI, p. 215 et suiv. Les différentes commissions pour le légalement des tailles, dont il a été parlé au chap. ni, avaient également poursuivi les faux nobles.

2. Un ms. de cette recherche pour la généralité d'Alençon est signalé par le P. Lelong, Bibliothèque Historique, 40 745. Dans la généralité de Caen, 1 in- tendant d'Aligre s était montré particulièrement sévère. Les élus furent dessaisis de la recherche dès le 26 juillet 1634, parce qu'ils voulaient « a leur discrétion conserver [les nobles] dans leurs privilèges ou leur en ôter la jouissance, selon qu'ils seroient plus ou moins reconnus de leurs salaires » (Chérin, p. 100).

3. Cahier des Etats de Normandie en décembre 1634 dans de Beaurepaire, Cahiers, t. III, p. 7 et Bigot de Monville, Mémoires, publiés par d'Estaintot, p. 4.

4. Texte de la déclaration dans de Beaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 388-9.

LES NOBLES. 203

les individus inquiétés par les enquêteurs qu'ils pourront con- server leur titre et même le consolider en payant. Les com- missaires chargés de la recherche sont beaucoup plus des pour- voyeurs d'argent que des censeurs occupés à dresser la liste des nobles authentiques.

En 1661, la recherche se poursuivait en Normandie depuis six ans1. La déclaration du 15 mars 1655, dont on vient de parler, ordonnait à tous les nobles de présenter leurs titres à des commissaires royaux qui les vérifieraient, et remettraient à la taille les usurpateurs2; les lettres-patentes du 15 juillet sui- vant3 désignaient comme commissaires des officiers de la cour des aides de Rouen; deux autres déclarations des 30 décembre 1656 et 14 juin 1659 * fixèrent les détails de la procédure à suivre. Par ces divers actes, il était infligé une amende de 2 200 1. (2 000 1. et 2 s. pour livre) à quiconque aurait usurpé le titre de chevalier ou d'écuyer et se serait ainsi indûment exempté de taille, sans préjudice des dommages-intérêts envers la paroisse qui avait pàti de cette exemption frauduleuse : tous ceux qui possédaient des lettres de noblesse régulières, mais postérieures à 1606, devaient les faire confirmer dans le délai d'un mois, et ce, moyennant 1 650 1. (1 500 1. et 2 s. pour livre). Les commissaires formaient un tribunal extraordinaire, ayant même ressort que la Cour des aides. Ils jugeaient en dernier ressort, sauf recours au Conseil du roi.

Ils n'avaient pas l'initiative des poursuites; elle appartenait à Me Thomas Bousseau « que nous avons chargé, dit le roi, de l'exécution de nostre présente déclaration et du recouvrement des sommes qui nous appartiendront ». Ce personnage, gros financier, avait conclu avec le roi un traité par lequel il s'enga- geait à faire produire à la recherche une somme déterminée qu'il avait versée d'avance dans les coffres du Trésor : en échange, le roi lui donnait le droit de faire toutes poursuites utiles devant la commission de la recherche.

L'opération, qui. par diverses déclarations du même temps, avait été étendue à tout le royaume, engageait de gros intérêts financiers : c'est pourquoi Bousseau avait formé une société sem- blable à celles qui, en même temps, exploitaient les autres affaires extraordinaires. Il était autorisé à remettre ses pouvoirs pour

1. Il ne faut donc pas, comme on le. fait souvent, en attribuer l'initiative à Colbert : celui-ci ne fit que changer le caractère de l'opération.

2. La déclaration est résumée dans Ghérin à cette date; voir le texte entier avec les instructions aux commissaires de la recherche et la liste de ceux-ci dans le ms. Glairambault, 442, p. 387-401.

3. Voir ces lettres-patentes aux A. D. Seine-Inférieure, Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, 27-28; cf. ibid., autres lettres du 16 août 1660 complétant la commission.

4. Publié dans de Beaurepaire, Cahiers, t. III, p. 390-392.

204 LA TAII.LB EN NORMANDIB.

telle ou telle province à des sous-traitants ses associés. Pour la Normandie, le sous-traitant fut Louis Béchameil, gros partisan

3ui avait le titre de secrétaire du conseil, et devint un des hommes 'affaires de Colbert; à côté de lui on trouve un receveur géné- ral des finances, Gilles Jajollet, et un autre financier, Jacques Lecharpentier *.

Le président de la Commission est M. de Hocqueville, pre- mier président de la Cour des aides, qui n'a pas grande répu- tation d'honnêteté : les notes secrètes de 1663 Te qualifient d' « homme capable, interressé, et [de] nulle probité' ». A côté de lui, il a son collègue Jubert de Bouville, « homme de pro- bité, de capacité suffisante', » et quatre autres conseillers; le procureur général de la Cour est le procureur de la Commis- sion. La déclaration du 15 mars 1655 fixait de la façon suivante le but et la portée de la recherche :

« Tous ceux qui, depuis l'année 1606, se trouveront, sans être nobles et sans titre valable, avoir induement pris la qualité de chevalier ou d'écuyer avec armes timbrées, et usurpé le titre de noblesse ou exemption des tailles, soit de leur autorité, force et violence, tant en vertu des sentences et jugements donnés par les commissaires députés pour le régalement des tailles ou des francs-fiefs, que des sentences des élus et autres juges qui se trouveront avoir été donnés par collusion et sous faux donné à entendre, seront imposés aux rôles des tailles des paroisses ils sont demeurants, eu égard aux biens et facultés qu'ils possèdent nonobstant lesdites sentences et jugements, et pour l'indue usurpation par eux faite, seront tenus de payer, conformément au règlement des tailles de 1634, la somme de 2 000 1. et les 2 sous pour livre sur les rôles qui seront arrêtés au conseil. » Us devront « repré- senter leurs titres en originaux aux premiers commandements qui leur seront faits à la requête de son procureur général en la Cour des Aides, pour être jugé souverainement et en dernier ressort de la noblesse ou usurpation de ceux qui seront assignés ».

L'arrivée de Colbert aux affaires, sans changer la procédure de la recherche, y introduisit une innovation importante : un arrêt du conseil du 2 octobre 1661 fit « défense à tous huissiers et sergeans d'exécuter aucune contrainte pour raison des taxes faictes ou à faire sur les usurpateurs de noblesse qu'elles ne soient visées par les sieurs commissaires départys par S. M. dans les provinces, à peine de 3 000 1. d'amende* ». Ainsi les intendants étaient chargés de contrôler la recherche, et par eux le ministre pouvait intervenir dans les opérations. Or le prin- cipal but qu'il poursuivait n'était plus de recouvrer des taxes

1. Mentionnés dans l'arrêt du Conseil du 13 novembre 1663, (B. N., ms. Clai- rambault, 659, p. 22:?).

2. Mémoire de Vovsin, p. 242.

3. Ibid.

4. Plumitif du Bureau des Finances de Caen, 17 octobre 1661.

LES NOBLES. 205

mais de supprimer des faux nobles : « L'une des plus grandes surcharges que les contribuables aux impositions souffrent, disail-il en mars 1664, provient de la quantité de faux nobles qui se trouvent dans les provinces, lesquels ont été faits, partie par lettres du roi, et partie par simples arrêts de la Cour des aides; il est fort important de chercher les remèdes conve- nables à... ces maux1 ».

Un avocat de Rouen, le sieur de Bertheaume, qui semble avoir rempli le rôle de substitut du procureur, suivait les instructions de l'intendant de Rouen, Voysin de la Noiraye, et rendait compte périodiquement à Colbert du travail de la commission : « Comme je ne me vante pas, lui écrit-il en juin 1664, de scavoir exacte- ment tous les désordres de cette grande province, ny de cognoistre précisément tous les usurpateurs et tyranneaux qui s'y rencon- trent, j'ai creu qu'il étoit à propos pour mettre plus au jour les cognoissances qu'un travail de vingt-cinq ans m'a acquis, de faire publier d'avance dans toutes les paroisses l'ordonnance ou mandement dont vous verrez ici s'il vous plaist le modelle2, afin d'y ajouster ou retrancher ce que vous jugerez à propos : j'en ay donné l'idée à mondit sieur de la Norraye, et ce moyen très doux me semble absolument nécessaire pour arriver à bonne fin. Il n'en coustera pas un quart de sou auxtaillables, et les peuples, qui ne sont pas grues, voyant que la curiosité de ces recherches va entièrement à leur descharge, et est un moyen infaillible pour les libérer d'une infinité de fléaux dont ils sont journellement accablés, en donneront volontiers (au moings pour la plupart) des certificats et déclarations véritables3». Bertheaume vint même à Paris prendre les instructions de Colbert et activa les poursuites : Je fais faire présentement, écrit-il dans la même lettre du 10 juin 1664, « deux ou trois cens assignations par- devant MM. les commissaires de la Cour des Aydes, à la plu- part desquels j'ay faict cognoistre à mon retour l'application de S. M. et la justice et sainteté de ses intentions en cette recherche pour les obliger à travailler mieux à l'advenir qu'ils n'ont faict par le passé, afin que S. M. ayt lieu de se satisffaire d'eux4 ». Mais cet agent n'était pas d'une probité incontestable : dénoncé le 28 juin 1664, il demandait à Colbert de ne pas écouter les dires de ceux qu'il avait fait condamner : ne souffrez pas, disait-il, « que, pour avoir bien faict, je sois sacrifie à la collère de gens qui ne pardonnent point » ; cependant en 1666, il reconnaît avoir été lui-même taxé à 10 000 1. d'amende comme faux noble et c'est seulement grâce à la protection de Colbert qu'il est dis-

1. Glém., IV, p. 33.

2. Ce modèle n'est pas annexé à la lettre.

3. M. G., 121, 377.

4. Ibid., 378.

MM LA TAILLE EX NOHMANDIE.

peMé de payer*. H lut dépossédé de ses fonctions vers la fin de l'aimée 1»>(>4.

Mais la commission des membres de la Cour des Aides faisait de grandes injustices; le procureur d'Hébervîlle, dans ses lettres à Colbert, se plaint ouvertement de ses collègues. Parce que, dit-il, « je m'attache aux règles et aux ordres, [ils] cherchent le moyen de me faire insulte en toute occasion », ne jugent pas à l'audience « les procès appointés au conseil le roi a inthérest, lesquels ils jugent entr'eux sans que j'en sache rien » ou bien contre ses conclusions « ne laissent pas... de procéder h l'enre- gistrement de toutes lettres de noblesse ou confirmation de noblesse ». A son habitude Colbert répéta ses instructions, insista : au début de juin 1664, il représentait aux trois inten- dants de Normandie la nécessité de « retrancher un nombre presque infini de nobles que le désordre des temps et des guerres estrangères et intestines ont introduit2 ». Une décla- ration du 22 du même mois précisa les procédures à suivre et les formalités à remplir : les poursuivis devront « produire les grosses originales ou minutes des titres justificatifs de leur noblesse la quinzaine après leur comparution»; toutes les

fnèces déposées après ce délai seront considérées comme nulles; es procès devront être jugés « par absolution ou par condam- nation » ; enfin tous les nobles qui ne voudront pas payer la taxe des nouveaux anoblis devront justifier de la noblesse de leur famille au moins depuis 1550*. Mais Colbert acquit, par les rapports des intendants, la conviction que les membres de la Cour des aides servaient mal les intérêts du roi. Il songea à les remplacer par des agents dont il fût plus sûr. Dès ce mois de juin 1664, les commissaires, menacés de dépossession, font défendre leur cause devant le ministre par leur président : cette « competance, disent-il, nous a tousjours esté attribuée par les ordonnances »; les intéressés « ne se peuvent pas plaindre de nos jugemens », et nous n'avons « faict les choses que dans l'ordre* ». Mais le 22 avril suivant, l'intendant de Rouen adres- sait à Colbert un mémoire circonstancié qui ne pouvait plus laisser aucun doute : malgré, dit-il, « la difficulté qu'il y a d'avoir un esclaircissement certain », je puis vous rapporter quelques « faits précis » : Un certain Marc, sieur de Lespa-

1. Lettre de Colbert du 7 mai 1656 : « La vengeance (si je ne me trompe) do sieur Le Noble commis de M. Ranchin à Rouen, lequel fut condamné en 3 000 1. d'amende et restitution envers le Roy à mon rapport et par jugement que j'ay en main pour délits de forests, m'avoit fait taxer injustement et sans prétexte à 10 000 1. duns le roolle des omis en ceste généralité, et vostre protection, Mgr, m'en a tiré avec justice. » (M. C, 137b'\ 588).

2. D'après la lettre de Du Gué à Colbert, 9 juin 166'», M. C, 121, 349, cf. lettre de Voisin à Colbert, 10 juin 1664, ibid., C 404, et l'arrêt du conseil du 5 juillet 1664.

3. Dans Chérin, Abrège, p. 139-140.

4. De Hocqueville à Colbert. 13 juin 1664, M. C, 121 "*•, F 865.

LES NOBLES. 207

lière, parent du président de Hocqueville, fut assigné par les traitants, mais « son affaire n'a point esté instruitte ny jugée, et... le traittant a donné son désistement en bas de l'exploit, auquel on dit que le procureur général de la commission a aussi signé ». On dit même que, pour cette complaisance, Les- palière aurait payé 200 louis d'or au traitant1. Un conseiller au Parlement de Rouen, adjoint à la commission, M. Sallet, a dit en parlant de trois frères qui venaient d'être déclarés nobles authentiques, « qu'il venoit de faire trois gentilshommes, et qu'il n'avet cousté que 50 pistoles pour leur composition ». L'avocat du traitant a déclaré à l'intendant lui-même « avoir donné un liste de mil ou douze cens personnes a assigner, et qu'il y en a bien la moitié dont il n'a esté fait aucune pour- suitte », et il lui a remis un mémoire « d'un très grand nombre, jugés seulement depuis trois mois, qu'il prétend n'avoir aucun titre valable », et qui sont maintenus nobles. Puis l'intendant ajoute :

« Il n'y a pas grand subject de doubter que le traittant, si les commis- saires n'y tiennent la main, et ne l'erupeschent d'en abuser, ne s'aplique beaucoup plus a tirer de l'argent de quelque façon que ce puisse estre, qu'au retranchement des faux nobles ; mais ce qui est fort considérable en cette affaire, c'est qu'on prêtent que tout l'abus ne vient pas seule- ment de ce costé là, mais qu'il y en a aussi beaucoup de la part des commissaires, et soit par faveur, a cause de la liaison qui est entre les officiers des cours souveraines qui s'intéressent et sollicitent pour les inquiétés en leur noblesse, ou par d'autres raisons d'interest que l'on a peine a croire de personnes de condition, il se donne beaucoup d'arrests qui maintiennent des faux nobles dans les privilèges de noblesse Outre la considération de l'union qui est entre les officiers de la province, qui peut donner lieu de maintenir quelquefois des faux nobles, on prêtent qu'il s'en conserve encore plusieurs a cause qu'ils sont fondés sur des arrests obtenus en la cour des aydes quoyque sans titres suffisans, et que les commissaires ne veulent pas destruire ce qui a esté fait par leur compagnie. »

II conclut que la chose « la plus essentielle » c'est « d'estre fort asseuré de la fermette et du désintéressement parfait de celui qui préside à la commission et de celuy qui y fait les fonc- tions de procureur gênerai2 », ce qui laisse supposer que l'in- tendant, pour sa part, n'est pas très sûr du président et du pro- cureur actuels.

A la suite de ce rapport, Colbert fit expédier l'arrêt du conseil

1. Dans une lettre à Colbert du même jour, De Hocqueville affirme que cette accusation est mal fondée : « 11 est vray que ledit sieur Marc ayant esté des- chargé de la présente commission il y a quatre ou cinq ans, je prié le sieur de Laporte de consentir au bas de l'exploit sa descharge, veu que c'estoit par l'ani- mosité d'un de ses ennemis. Je me réserve a vous en rendre compte dans dix jours, que j'esperes estre a Paris » (M. C, 128 "", f 1019).

2. Ibid., 128 bi% 1006.

208 LA TAILLE IN NORMANDIB.

du l,r juin 1665 qui suspendait la recherche en Normandie1. Dans le préambule, la conduite des commissaires et trai- tants était publiquement condamnée : « Nos ordres ont été si mal exécutés, que souvent les traitants ou leurs commis ont inquiété de véritables genthilshommes, lesquels après avoir justifié de leurs titres, ont été renvoyés avec condamnation contre lesdits traitants. Et à l'égard des usurpateurs il a été fait des compositions avec aucuns moyennant lesquelles les exploits d'assignations ont été supprimés, et d'autres sur des titres faux ou fort faibles, ont été reconnus nobles par la con- nivence desdits traitants. » L'arrêt ordonne en conséquence aux traitants de. cesser immédiatement leurs poursuites, et d'adresser leurs comptes au Conseil, dans le délai d'un mois, pour les faire apurer2. Au reste, le roi se réserve « de faire procéder à ladite recherche par les voies et au temps qu'(il) le jugera a propos3 ».

Un arrêt du conseil du 31 décembre 1665 ordonna la reprise de la recherche en Normandie4, mais avec un personnel nou- veau : les intendants et leurs subdélégués remplaçaient les con- seillers antérieurement en fonctions; seuls les traitants étaient conservés.

Aux intendants sont adjoints des « aides », nommés par le Conseil, soit pour les seconder, soit pour les suppléer. Ainsi une commission est délivrée, le 13 janvier 1667, au sieur du Perron de Béveville, conseiller à la Cour des Aides de Rouen pour « travailler à l'instruction des affaires concernant lesdites recherches », conjointement avec l'intendant de Rouen, Barin de la Galissonnière, lequel n'a pas le loisir de s'occuper person- nellement de l'affaire « avec la diligence que la chose requiert,... à cause des différends employs que nous luy donnons journel- lement6 ». Toutefois, les procès devaient être jugés par les intendants en personne et l'appel de leurs sentences ne pouvait être fait que devant le Conseil, ainsi que l'ordonna le règle- ment du 6 mai 1669 6. Le Conseil remit d'ailleurs ses pou- voirs, le 14 octobre 1666, à une commission spéciale pour juger

1. Le 16 mai 1665, le président de Hocqueville écrit à Colbert pour se plaindre que Ton ait adressé à l'intendant « l'arrêt du conseil dont je m'estois donné 1 honneur de tous parler a Saint-Germain > ; il lui renouvelle ses protestations d'impartialité, et s'offre à lui envoyer chaque mois le compte rendu de leur tra- vail, mais, dit-il, « il me seroit fascheux de voir nostre competance partagée. » (M. C, 129"'*, f 459). Chérin cite une déclaration du 10 mars 1665 qui attribuait déjà la connaissance de l'affaire aux intendants, mais on ne trouve pas trace de son application en Normandie : elle était sans doute spéciale à la Cour des Aides de Paris.

2. La vérification sera faite par une commission composée de MM. d'Aligre, de Sève, Pussort, Breteuil, Marin et Colbert.

3. Dans Chérin, Abrégé chronologique, p. 146.

4. Mentionné dans la lettre de Colbert du 12 janvier 1666, ci-dessous.

5. Mémoriaux de la Cour de» Aides de Rouen, t. XLI, p. 132, v°.

;». Mémoriaux ae la Cour aes Aides de Houen, t. ALI, p, 6. Archives des Affaires étrangères, France, vol. 922, F

10.

LES NOBLES. 209

ces appels; elle fut composée des sieurs Machaut, Boucherat, Hervart, La Reynie, et Dorieu1.

Des instructions détaillées furent adressées par Colbert aux intendants2. Les usurpateurs présumés seront traduits devant eux par les traitants; dès qu'ils seront saisis d'une affaire, ils devront se faire produire les pièces de l'inculpé, en rédiger un inventaire sommaire, recevoir la déclaration de ses armoiries et blasons « qu'on change assez souvent pour les conformer à celles d'autres familles plus illustres, d'un nom équivoque ou syno- nyme », dresser les généalogies, faire comparaître devant eux, sans attendre les poursuites des traitants, tous ceux qui se disent exempts de taille ou qui, dans les villes franches, prennent la qualité de noble dans des actes. Ils verront à ne pas froisser les gentilshommes d'illustres maisons par des poursuites outra- geantes; enfin si, à l'occasion, ils peuvent se faire ouvrir les archives des abbayes et les chartriers privés, ils ne manqueront pas d'y faire copier les cartulaires intéressants pour l'histoire, qu'ils adresseront à la bibliothèque du roi.

Le 12 janvier précédent il leur avait écrit :

« Gomme vous estes assez informés que cette affaire est une des plus importantes qui puissent passer par vos mains, et en laquelle vous avez le plus besoin de vos lumières et d'une soigneuse précau- tion pour descouvrir la faulseté des tiltres qui seront représentez par lesdits usurpateurs et la vexation qui pourroit estre faicte a ceux dont la noblesse a esté bien establie, je ne scaurois trop vous recommander de donner une application sérieuse et continuelle, en sorte que le Roy et le public puissent receuillir le fruict qu'ils s'en sont promis3. »

Les formalités pour reconnaître un véritable gentilhomme étaient longues et compliquées, et le résultat en était souvent incertain*.

Le seul signe distinctif de la noblesse reconnu par les ordon- nances était le titre d'écuyer5 et le port d'armoiries timbrées.

1. Clairamb., 659, p. 272.

2. Circulaire du 30 avril 1666, dans Glém., t. VI, p. 22; cf. la commission qui l'accompagne dans l'édition de la Recherche de la noblesse de la généralité de Caen par Chamillart (publ. par Du Buisson de Gourson), p. 3-4.

3. M. G. 135, 694, minute de Colbert; non publié dans Clément.

4. Voir pour tout ce qui concerne la procédure de la recherche, l'ouvrage de Belleguise, Traité de la Noblesse et de son origine suivant les préjugés rendus par les commissaires députés pour la vérification des titres de noblesse, Paris, J. Morel, 1700. B. N. Lf2 80. Cet ouvrage qui est la réédition d'un autre relatif à la recherche en Provence et publié en 1664 in-8°, est un véritable manuel à l'usage des commissaires à la recherche et donne une foule de renseignements pra- tiques. Voir aussi Lenglet du Fresnoy, Méthode historique, éd. in-4°, t. IV, p. 425 ; Gauret, Stile du conseil du Roy, p. 435-'' 61, et le Mémorial alphab., p. 44V-456; Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Noblesse; Houard, Dictionnaire analy- tique de la coutume de Normandie, même article; H. Beaune, Droit coutumier français (Paris et Lyon, 1882), p. 97 et suiv. Au reste tous les ouvrages relatifs à la noblesse traitent plus ou moins longuement la question.

5. Une opinion communément répandue aujourd'hui est que la particule de placée devant un nom est un signe de noblesse, mais c'est une erreur grossière :

LA TAILLE EN NORMANDIE.

14

210 la taili.k in NOM \m»ii:.

ledit de janvier 1629 (art. 189) à la suite de beaucoup d'autres défendait « ii tous non nobles d'en prendre la qualité ni porter armoiries timbrées1 ». Toutefois, en Normandie la jurispru- dence de la Cour des aides admettait que le titre de « noble homme » fût aussi une marque de noblesse, sauf quand il était pris par un bourgeois de ville franche; on en avait fait état lors des recherches de 1598 et de 16242. Mais un arrêt du Cnoseil du 4 juillet 1668 déclara que ce qualificatif ne pourrait être retenu dans la recherche*. Les intendants devaient donc poursuivre tous ceux qui, dans des actes, avaient pris le titre d'écuyer et les inviter à justifier qu'ils avaient bien le droit de le porter; mais en outre, la recherche étant destinée surtout à supprimer les exemptions de taille indues, on se préoccupa de rechercher tous ceux qui, dans les rôles de taille, s'étaient déclarés exempts comme gentilshommes, même s'ils n'y avaient pas pris le titre d'écuyer; c'était une extension indispensable de la recherche.

Une autre règle était qu'il appartenait au noble poursuivi de faire la preuve de son titre, et cela non par simples témoins, mais à la fois par actes écrits et par témoins *. Les titres étaient naturellement la chose esssentielle; or, suivant la jurisprudence, en aucun cas on ne devait ajouter foi aux copies, même si elles étaient collationnées et certifiées par un officier public; seuls les originaux étaient valables. La dispense de preuve n'était accordée qu'aux familles de très ancienne noblesse : pour elles la poursuite eût été vexatoire, d'autant plus que si, par suite des temps, elles avaient perdu leurs parchemins, il eût été très injuste de prononcer pour cela leur déchéance.

Dans le ressort de Paris, toute famille qui arrivait à établir par actes et par témoins l'authenticité de son titre pendant les trois générations précédentes était réputée noble; mais dans celui de Rouen, il fallait faire preuve de quatre degrés :

a En Normandie, déclare la Cour des Aides, le titre n'a jamais eu lieu qu'au quatrième [degré], aiant été besoin à ceux qui se sont prétendus nohles qu'ils aient justifié par lettres autentiques que leur père, aïeul et bisaïeul aient toujours vécu noblement sans avoir

quantité de roturiers avaient des noms avec la particule, quantité de nobles très authentiques n'avaient pas la particule. L'erreur existait déjà à la tin du xvi* siècle; Loysenu la dénonce en son Traité des ordres (ch. v).

1. La même ordonnance enjoint aux gentilshommes « de signer du nom de leur famille et non de celui de leur seigneurie en tous uctes et contrats qu'ils feront », parce que la seigneurie peut se transmettre et être possédée indifférem- ment par un noble ou par un roturier.

2. Houard, Dictionnaire analytique, art. Noblesse.

3. Belleguise, p. 7U-80.

4. Cf. le plaidoyer de Lebret à la Cour des Aides en 1599, dans ses Œuvres, éd. de 1G8(J, p. 525-27 : « par les règles et maximes de tout tems observées en cette Cour, dit-il, les faits de Généalogie et de Noblesse doivent être vérifiés tant par lettre que par témoins. »

'

LES NOBLES. 211

exercé actes vils et mécaniques ni contribué aux tailles et autres sub- sides ; et ledit usage [a été] confirmé par lettres patentes du 8 mai 1583, et ce pour retrancher les moyens d'usurpation de noblesse ' ».

La vérification des titres était encore singulièrement com- pliquée par le trafic des anoblissements auquel on s'était livré jusque-là; les différentes recherches, les confirmations accor- dées par arrêts du conseil, les ventes et révocations innom- brables avaient accumulé dans les chartriers des quantités d'actes qu'il fallait vérifier avec soin; seuls en étaient capables des hommes au courant non seulement des généalogies et de la loi, mais encore des différentes opérations fiscales antérieures. Les exigences relatives aux preuves, la facilité avec laquelle les fausses pièces et les faux témoins étaient produits, rendaient l'opération extrêmement difficile, et la chicane pouvait s'y donner carrière. « Je serois assez hardy, écrit l'intendant d'Alençon en 1666, pour vous asseurer qu'il n'en passeroit pas un seul injustement, si je n'apprehendois d'estre surpris par des pièces faulses, sur quoy je vous advoue que je n'ay aucune connoissance2. »

La liste des personnes à poursuivre «tait dressée par l'inten- dant de concert avec les traitants. On recourut pour cela aux actes publics et particulièrement aux rôles de taille, l'on releva ceux qui avaient pris la qualité d'écuyer3. Réunir ces actes n'était pas chose facile. Déjà en 1658, le roi constatait dans un édit du mois d'août que « les rolles de nos tailles ne se trouvent point aux greffes des Elections », parce que les élus ou les collecteurs les retiennent par devers eux4. Le

1. Règlements de Normandie, éd. de 1710, p. 55, cf. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 65 et le Mémoire de Voysin sur la Généralité de Rouen en 1665, p. 88 avec la note 3. La déclaration du 8 niai 1583 se trouve dans les Règlements de Normandie, p. 9. Basnage {Commentaires sur la coutume de Normandie, t. I, p. 208-210) discute longuement cette question des quatre degrés de noblesse. Il cite un arrêt du Conseil du 16 nov. 1672 autorisant la preuve par trois degrés seulement; mais cet arrêt n'eut pas de suites (Houard, Dict. analyt., art. Noblesse). Quoique l'on fût plus sévère en Normandie que dans le reste du royaume sur la preuve de noblesse, l'intendant d'Alençon, de Marie, estime pourtant que cette sévérité est encore insuffisante : si l'on observe cette règle écrit-il en 1666 à Colbert, on « anoblira quantité d'usurpateurs » ; des avocats, vicomtes ou baillis ont pu, par l'autorité de leurs charges, prendre la qualité d'écuyer, s'exempter de la taille, et leui'9 descendants seraient considérés comme véritables nobles à la 4* génération; cela est impossible, il faudrait au moins exiger 5 degrés de noblesse pour réduire un peu le nombre de ces usurpateurs (lettres du 24 mai 1666, dans M. G., 137 bl", 918) : mais son avis ne fut pas écouté, et la règle demeura.

-2. De Marie à Colbert, 19 avril 1666, M. C, 137, 347.

3. Un arrêt du conseil du 22 mars 1666, exemptait de poursuites, « ceux qui n'ont pris la qualité d'écuyer qu'une fois dans des actes signés d'eux comme partie contractante » (mentionné dans (A. G., 142 bl', 640) cependant un autre arrêt du 13 janvier 1667, ajoute que si la qualité d'écuyer a été prise même une seule fois en justice ou devant notaire, l'intéressé sera soumis aux poursuites (publié dans Clément, t. II, p. 760). De même, ceux qui sont dans les armées du roi ne seront pas poursuivis tant qu'ils serviront (arrêts du conseil des 10 mai et 13 octobre 1667, mentionnés dans ms. Clairambault, 659, p. 287 et 293).

4. Clairamb., 442, p. 853.

212 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

2 décembre 1660, la Cour des Aides de Normandie avait « enjoint à ses substituts des Eslections de cette province de luy envoyer dans la quinzaine, à peine de 500 1. d'amende, un extrait signé et certifié d'eux, des rolles des tailles de chaque paroisse, des trois années dernières en tant qu'est du chapitre des ecclésiastiques, nobles et exempts avec la cause de leurs exemptions », mais le 19 mai suivant elle constatait que « plu- sieurs de ces substituts ont négligé » d'envoyer les états et que « la plus grande partie » des rôles de taille ne se trouvaient pas dans les greffes1; elle en avait été réduite à s'adresser directe- ment aux paroisses, pour leur faire dresser l'état des nobles dérogeant ou indûment exempts2.

Un arrêt du Conseil du 16 août 1666 constate

« que nonobstant plusieurs règlements et arrests, aucun des officiers des eslections, abusans du pouvoir de leurs charges, retiennent les doubles des rooles des tailles qui leur sont portez lors de la vériûca- tion d'iceux, au lieu de les remettre aux greffes ils devroint estre soigneusement gardez et mis en ordre pour y avoir recours aux occa- sions, comme il seroit nécessaire dans la recherche qui se fait présen- tement des usurpateurs du tiltre de noblesse, lesquels et leurs prédé- cesseurs ont artificieusement supprimé les rooles ou ils ont esté com- pris au nombre des taillables '. »

L'arrêt sera répété le 28 juillet 1667, ce qui prouve son inexé- cution.

Un nouvel arrêt du Conseil, du 20 janvier 1667, donna l'ordre aux greffiers des Elections d'envoyer aux intendants des extraits signés d'eux, contenant les noms, surnoms et qualités de ceux qui sont compris au chapitre des exempts dans les rôles de taille des trois dernières années. De même il fut enjoint aux notaires de relever dans leurs actes et d'indiquer aux intendants tous ceux qui y avaient pris la qualité de chevalier ou d'écuyer. Pour exciter le zèle des uns et des autres, le roi ajoutait : « Et afin que ladite recherche ne soit pas inutile par l'artifice des usurpateurs et la connivence des commis et préposés à icelle, S. M. accorde

1. Arrêt de la Cour du 19 mai 1661, A. D. Calvados, registre d'ordonnances de l'Election de Caen, 1656-63, 395.

2. A. D. Calvados Election de Caen, registre des délibérations de la paroisse de Tracy, 8 janvier 1662. Sur la mauvaise conservation des rôles de tailles, cf. encore le rapport de Charles Colbert sur l'Anjou en 1664 : il a cherché dans les greffes des élections les rôles antérieurs à 1656, < mais... les désordres de partie des greffes est cause que nous n'avons pu avoir cet éclaircissement tout entier » (Archives d'Anjou, t. I, p. 153).

3. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances, 1664-74, f 158. Les registres paroissiaux étaient à peu près inutiles : certaines paroisses n'en avaient pas (Ibid., Election de Lisieux. procès verbal de chevauchées, 16 sept. 1684); le conseiller d'Etat de Villayer écrit en 1665 que beaucoup de faucetez et de procez naissent de l'altération et suppression de ces registres » (M. C. 33, P 49). Un autre mémoire de la même date affirme que, parmi les notaires, < la pluspart, par nécessité ou autrement, ex turpi causa, supriment et recèlent ou bruslent la pluspart de leurs minuties pour de l'argent, a ce requis par plusieurs inté- ressez » (ibid., 540).

LES NOBLES. 213

le tiers des amendes qui pourront être adjugées à ceux qui four- niront auxdits sieurs commissaires [départis] des actes de déro- geance, des preuves et pièces justificatives de la fausseté des titres produits par lesdits usurpateurs et dont lesdits préposés n'auront donné connaissance auxdits sieurs commissaires1. » Mais bien des pièces manquèrent malgré cela. L'intendant d'Alençon se vante comme d'un tour de force d'avoir pu trouver des rôles et des documents : « Je ne suis pas fasché, écrit-il à Colbert le 25 novembre 1666, que plusieurs ayent du chagrin de ce que j'ait faict mes diligences pour trouver plusieurs roolles et plusieurs papiers sans lesquels il estoit inutile de travailler à la recherche des usurpateurs2»; il a fait venir de Paris « plu- sieurs rolles de tailles, partye de la ville de Dompfront, partye des paroisses circonvoisines », qui avaient été produits en 1662 dans un procès aux requêtes de l'Hôtel et y étaient restés 3.

Mais même si l'on avait pu se procurer tous les rôles, on n'aurait pas possédé de documents suffisants pour reconnaître les usurpateurs ; il s'en fallait de beaucoup, en effet, quoique les règlements le prescrivissent, que tous les exempts fussent ins- crits au bas des rôles avec le motif de leur exemption. Le pro- cureur d'Héberville écrivait à Colbert le 21 février 1666 :

« Encore que ce dust estre l'usage d'employer dans les rosles les noms de tous ceux qui se prétendent exempts et privilégiés, néanmoins à cause que ça esté une chose négligée pour le passé, il semble aujour- d'hui que ce soit une nouveauté et beaucoup de collecteurs n'y satis- font. J'ay esté adverti que cela vient de la violence de certains gentils- hommes et puissants dans la campaigne, lesquels intimident lesdits collecteurs et les empeschenl d'employer dans lesdites rosles les noms de ceux qu'ils protègent fin d'obvier à la recherche. » Heureusement, ajoutait-il, j'ai « des personnes qui m'avertissent de tous costés 4 ».

Même difficulté pour réunir des témoins; l'intendant de Caen ayant reçu l'ordre d'informer contre le sieur de Saint-André, capitaine garde-côte, écrit : « C'est un gentilhomme qui a beau- coup d'amis et contre lequel il est presque impossible de trouver de personne qui veuille déposer; ceux qui peuvent parler avec plus de certitude sont tous ses voisins, et la pluspart des pauvres gens, qui n'osent jamais parler que par ouï-dire et n'osent jamais nommer personne. » Puis il ajoute cette phrase qui en dit long sur les mœurs de l'époque : « La noblesse a icy une grande liaison les uns avec les autres, et à la moindre afaire qui survient à un gentilhomme, elle monte à cheval5. »

1. Dans Chérin, Abrégé chronologique, p. 164.

2. M. C. 142, 179.

3. Lettre à Colbert du 9 octobre 1666, M. G., 141, 214.

4. M. G., 136, 396.

5. M. G., 131, 244.

214 LA TAILLK l.\ H oit M V Mil | .

Il <st donc impossible à un intendant, combattu encore par la Cour des aides et par le Parlement, de poursuivre à fond une enquêta de ce genre.

Celui d'Alençon, de Marie, a exposé dans une lettre à Colbert le 19 avril 1(366 la façon dont il procédait :

« J'ay un mémoire de tous les gentilshommes de la généralité, et à l'esgard de ceux qui produisent, je paraphe toutes les pièces, j'en retiens un extrait, et je prétends vous dresser un procès-verbal de toutes les pièces justificatives de leurs généalogies... Ceux qui sont de la Maison du roy et dans le service sont expédiez les premiers, les autres suivent le rang de leur produit... Je leur rend toutes les civilités que vous m'ordonnez, et, appréhendant en les faisant attendre de ne pas suivre vos intentions, je peux vous dire qu'il y a des jour- nées que nous y avons travaillé quinze heures entières1. »

« Tous ceux qui m'approchent, dit-il encore le 30 septembre sui- vant, me connoissent assez pour n'appréhender aucune friponnerye; ayant le nom de tous les gentilshommes que je veriffieray encore sur les procès verbaulx des esleus, il me sera aysé d'empescher que pas un ne s'eschappe. J'avois demandé à M. Marin une liste des anoblis- semens verifflez en la cour des aydes Normandye qui m'est très nécessaire, vous en ordonnerez ce que vous jugerez a propos 2. »

L'intendant de Rouen, Barin de la Galissonnière, ne déploie pas moins de zèle, du moins suivant son dire :

« Je tiendray la main à ce que le traictant des usurpateurs du titre

de noblesse ne donne aucune assignation sans mon ordre Je prens

en faisant les départemens les noms de tous les exempts, affin de con- noitre s'ils ont fait assigné tous ceux qui le doivent estre et empescher les abus dont cette affaire est fort susceptible. J'ay tousjours retenu les inventaires des productions qui ont esté faittes devant moy, tant de ceux que j'ay creu usurpateurs que des autres, auxquels j'ay donné des advis pour leur descharge. J'observeray, Monsieur, ce que vous m'ordonnez, mais je me sens obligé en conscience de vous dire que les traictans n'en usent pas toujours legallement, et fatiguent assés souvent les vrays nobles par leurs longueurs3. »

1. M. C, 137, 347-349. Cette lettre est la réponse à la circulaire de Colbert du 3 avril 1666, publ. dans Clém., VI, 22, avec la date erronée du 30 avril.

2. M. C, 140, f 512.

3. Lettres des 17 octobre et 20 janvier 1667, dans M. C, 141, 429 et vol. 143, 118. C'est sans doute à la suite de ces renseignements que Colbert lit rendre l'arrêt du Conseil du 20 janvier 1667 cité plus haut, et dans le préambule duquel on lit : « Dans la recherche des usurpateurs du titre de noblesse, il se commet plusieurs abus par les commis et préposez pour cet effet qui ne font assigner que ceux qui bon leur semble, supprimant les extraits des contrats, actes de déro- geance et autres pièces servans de conviction aux faussetés de la pluspart des tiltres produits, de sorte que s'il n'y estoit promptement remédié, il se trouver- roit qu'au lieu de retrancher le nombre des usurpateurs, on en feroit beaucoup de nobles, contre l'intention de S. M. et l'intérest du public. (A. D. Calvados Election de Cnen, Registre d'Ordonnances 1664-74, 192). De la Marguerie à Colbert, Paris, 19 déc. 1666 : « 11 y a plusieurs abus qui se commettent par les soustraitans commis a la recherche des nobles; ils peuvent mettre un commis dans chaque eslection pour y travailler, et sous ce prétexte ils en commettent dans toutes les villes et bourgs, et moyennant quelque gratification qu'ils reti-

LES NOBLES. 215

Quant à celui de Caen, Chamillart, il fut surtout expéditif :

« J'ai achevé, écrit-il le 6 septembre 1666, le catalogue de la noblesse des élections de Vire, Mortaing et Avranches mercredy au soir; j'ay chargé le traitant de faire assigner les usurpateurs élection par élec- tion, et quelques-uns d'entre ceux qui avoient produit, que j'ay apris par de nouveaux mémoires et par des recherches que l'on m'a mis en main n'estre point gentilshommes. J'ay engagé les plus qualifiez qui [avoient plus] de créance parmy la noblesse a se [pourvoir] contre les usurpateurs et exciter un chacun à donner des mémoires pour faire cette distinction, qui leur est si avantageuse et si utile pour le soula- gement des peuples *. »

La répugnance des nobles à présenter leurs titres ne fut pas l'un des moindres obstacles à la recherche; ce n'étaient pas seule- ment ceux qui se sentaient sujets à caution qui refusaient de les présenter, mais aussi les nobles les plus authentiques. Le carac- tère inquisitorial de l'opération les inquiétait, et l'obligation d'obéir à l'intendant et à ses commis les humiliait2. Une ordon- nance de l'intendant de Rouen du 18 janvier 1669 nous apprend que les nobles du pays, et particulièrement ceux de la ville de Rouen, prétendent se dispenser de fournir leurs titres « en con- sidération de leurs charges ou autrement », quoique cette pro- duction soit exigée uniquement pour former le grand recueil généalogique de la noblesse destiné à la bibliothèque du roi 3. Le 4 décembre 1670, le même intendant écrit que certaines « personnes de qualité » se sont « fait un point d'honneur de ne point produire leurs titres », et « les plus verreux », par intelligence avec ceux qui ont eu cette direction, « ont empesché qu'on les ayt poursuivis* ».

D'autres recourent à un subterfuge : ils se retirent dans les villes franches ils prennent la qualité de simples bourgeois et, par ce moyen, ils prétendent n'avoir pas à produire; il faut un arrêt du conseil pour ordonner que s'ils ne produisent pas, ils seront imposés d'office par les intendants5, sans préjudice des amendes qu'ils auront pu encourir.

rent d'eux, ils les font exempter d'estre collecteurs des tailles, et nous avons veu un desdits commis des plus riches d'une ville, et en tour d'estre collecteur, se servir de cette prétendue commission pour s'en exempter, ce qui peut tirer a grande con- séquence, et faire préjudicier a la levée des tailles dans tout le royaume. » Il se commet encore d'autres abus dans la recherche qu'il expliquera si Golbert le désire. (M. G., 142 "", 826.)

1. M. C. 140, f°177.

2. De Marie, à Alençon, prenait soin- de « leur faire connoistre que l'intention du roy dans ceste recherche [n'était] que pour les distinguer des usurpateurs et les honorer, eux et leurs enfans, des employs qui se présenteront » (M. G. 137, 347 : lettre du 19 avril l*i66); cf. la lettre de Chamillart du 6 sept., citée plus haut.

3. M. G. 153 b", 949.

4. Glairamb. 792, p. 393-394.

5. Arrêt du conseil du 8 novembre 1666, A. D. Calvados, Election de Caen, Registre d'Ordonnances 1664-74, f0' 161-164.

216 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Mais le plus grand obstacle à la recherche vint du Conseil lui-même. Le président de Hocqueville écrivait à Colbert le 13 mai 1665 : « Les parties, pour éluder une juste condamnation, se pourvoient au Conseil qui leur donne arrest de descharges ou les renvoie à la Cour des Aydcs de Paris. Le traittant m'est venu donner advis qu'il y a 18 instances au Conseil de prétendus nobles, vrais usurpateurs, et qu'ayant voulu faire payer quelques particuliers, lesquels ayant demandé à estre ouys devant moy, ils ont déclaré vouloir mettre au commerce1. » Le 13 octobre 1666, l'intendant de Caen écrit de son côté :

« Je vous dois donner advis que les usurpateurs de noblesse que je condamne tous les jours se promettent beaucoup des habitudes qu'ils ont à Paris, dont j'ay connoissance parles recommandations fréquentes que je reçois en leur faveur, mesmes de la part de quelques-uns qui sont commissaires, ce que je ne dois pas vous dissimuler, et il seroit de la dernière conséquence d'en admettre aucun dans le catalogue de la noblesse sur leurs productions. Un seul exemple autoriseroit une infinité d'usurpateurs, qui n'ont osé paroistre, à produire de faux litres, auxquels on travaille aussy hardiment en cette province que l'on a faict autrefois à la fausse monnoie 2. »

Même, à en croire certaine information, un véritable trafic aurait été organisé à Paris pour vendre les exemptions ou dispenser des poursuites; le sieur Du Carouge, receveur des tailles à Pont-1'Evêque et subdélégué de l'intendant de Rouen pour la recherche, écrit à Colbert le 10 décembre 1666 « qu'il y a présentement à Paris un certain ministre de Normandie, nouvellement converty, lequel abusant du crédit qu'il a auprès de quelques personnes de considération, fait donner pour trois ou quatre mille livres que l'on lui paye des certifficats pour Monsieur de Louvoy auxdits nouveaux anoblis portant que le Roy les confirme dans leur noblesse » ; il cite le cas d'un nommé Brument sieur de Boisflamets, habitant la paroisse de Bautot près de Rouen, qui est « un véritable paysan dont le père estoit chapelier en un village, n'ayant en sa vie sorty de sa maison ny veu que sa charuc et ses granges », et qui cependant a obtenu « des certifficats de service dans les armées du roy »; et beau- coup d'autres sont dans ce cas ' : L'intendant de Caen dénonce à Colbert les mêmes manœuvres, le 22 avril 1667 :

« Comme vous me marquez que le Roy ne recevra pas tout l'advan-

i. M. C, 129, f 387-8.

2. M. C, 141, 295.

S. M. C, 142 bu, {• 508-599. On ne peut cependant pas ajouter une confiance aveugle à de pareilles affirmations : u est possible que nous soyons ici en pré- sence d'une dénonciation simple, il faut ajouter que le sieur du Carouge fut quelque temps après accusé de concussion dans ses fonctions de receveur et pour- suivi (voir ci-dessous, chap. vu), mais le fait n'étant pas isolé, on a le droit d'en tenir quelque compte.

LES NOBLES. 217

tage et le public tout le soulagement que Ton s'estoit promis de la recherche des usurpateurs, je puis vous assurer que ceux qui travaillent auprès de moi ne commettent rien de contraire à mon instruction, mais j'aprens de toutes parts que le traffic est ouvert à Paris, et le prix des compositions pour lesquels les plus signalés usurpateurs obtiennent des décharges est public. »

Il faudrait, ajoute-t-il, laisser les intendants juger en dernier ressort, quitte à les rendre responsables de leurs jugements1. Pareillement, en août 1664, un sieur de la Vallée-Corné informe Colbert que « le sous-traittant de Normandie aiant voulu faire dégrader environ 30 usurpateurs dans la ville de Rouen, il y en a très grand nombre, et qui s'épendent dans toute la pro- vince, ils ont député quelques uns d'entr'eux Paris] dans la créance d'obtenir de Monseigneur une décharge des poursuites que le sous-traittant fait par-devant les commissaires de la Cour des aydes2 ».

Colbert lui-même intervint pour faire accorder des faveurs à certaines personnes auxquelles il s'intéressait; voici un billet qu'il écrit à Marin, intendant des finances, le 2 novembre 1667 :

« Le sieur Geoffroy, maistre particulier des eaux et forests de Com- piègne et lieutenant des chasses, estant un fort bon officier, lequel sert avec affection et exactitude, il est poursuivi pour avoir pris la qualité d'escuyer. Je vous prie de m'informer par qui ces poursuites se font afin de voir après ensemble si Ton les fera cesser3. »

Pareillement il adresse, le 19 juin 1664, une recommandation à l'avocat général à la Cour des aides de Rouen, en faveur d'un sieur de Saint-Germain : J'en ai parlé aux commissaires, lui répond l'avocat, et je les ai trouvés « en ce rencontre comme en tous autres, entièrement disposés à exécuter vos ordres » ; en con- séquence, conclut-il, « je n'ay pas eu grand paine à faire donner au sieur de Saint-Germaîn le temps que vous m'ordonnez pour la production de ses tiltres4». Le grand nombre d'arrêts du conseil que l'on trouve pendant les années 1666-1670 relatifs à des con- firmations de noblesse, montre l'importance de ces recours au conseil, et de l'intervention des ministres; il est bien à penser que tous n'étaient pas inspirés uniquement par la justice.

En définitive, l'opération n'aboutit pas aux résultats cher- chés ; elle était vexatoire pour les gentilshommes et mettait plus d'argent dans la bourse des traitants que dans les coffres du roi; enfin elle aboutissait autant à créer de nouveaux nobles qu'à supprimer des usurpateurs; c'est pour ces motifs que

1. M. C, 143, f°« 490-491.

2. Lettre du 21 août 1664, M. G., 123, F 426.

3. M. C, 146, 31.

4. M. C, 121 b", f 849.

218 LA TAU I I. IN NOIt.M.VNDIi:.

Colberl déoida de l'Arrêter; il en informa les intendants par une circulaire du 1er décembre 1070 :

« Le roy recevant tous les jours des plaintes des vexations et abus qui se commettent dans la recherche des usurpateurs du tiltre de noblesse, S. M. a résolu de les faire cesser; et pour cet effet elle m'a ordonné de vous faire sçavoir que son intention est que vous ne fassiez plus donner aucunes assignations aux particuliers, ny faire de pour- suites par devant vous, pour la raison de ladite recherche et que vous ne rendiez aucun jugemens sans ordre exprès de S. M. si ce n'est pour l'instruction des interlocutoires qui vous ont esté renvoyez par ordonnances de MM. les commissaires généraux, que vous parachè- verez incessament pour les renvoyer aussytost1. »

Aucun acte législatif ne fut publié pour informer le public que la recherche était interrompue; c'est seulement le 6 jan- vier 1674 qu'un arrêt du conseil révoqua la commission et fit défense aux traitants de faire le recouvrement des sommes dues pour les amendes prononcées antérieurement2.

C. LES RESULTATS DE LA RECHERCHE

Il est certain que le principal but de la recherche, la distinc- tion entre vrais et faux nobles, ne fut pas atteint : c'est vers ce temps que Boileau écrivait dans sa satire sur la noblesse :

Mais quand un homme est riche, il vaut toujours son prix, Et 1 eut-on vu porter la mandillc a Paris, N'eûl-il de sou vrai nom ni titre ni mémoire, D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire.

Boursault dans son Mercure galant faisait dire également à un riche bourgeois ' :

1. Clément II, p. 77. La question delà surséance dans la recherche fut certainement discutée au conseil a la fin de novembre 1670 : on avait d'abord projeté de donner un délai de trois mois aux commissaires pour terminer leurs opérations, mais Pussort désapprouvait ces projets : voici le billet qu'un secrétaire de Colbert faisait parvenir à son patron le 28 novembre 1670 : « M. Pussort s'est chargé de vous entretenir sur l'arrest de surséance de l'allaire des usurpateurs de noblesse, esti- mant qu'il faudrait oster le temps de trois mois aussy bien pour ce qui est pen- dant au Conseil qu'aux provinces. Sur quoy il y a à considérer que ce seroit laisser uux Cours des Aydes le jugement des appellations de Mrs. les Commissaires départis; ce qui ne se doict pas soufTrir, outre que fermant la main dez à pré- sent aux traictans en leur ostant le moyen de remplir leurs forfaicts ils vous retomberoient sur les bras, de sorte M., que ces raisons estons pezées je ne fais point de doutte que vous accorderez les trois mois pour juger aux bureaux de Mrs. Daligre et Pussort ce qui est présentement en estât de juger : pendant lequel temps ou pourra recouvrer les amandes jugées comme chose acquise au Roy. C'est bien assez d'empescher qu'il se donne de nouvelles assignations et qu'on juge rien davantage aux provinces. J'ai creu, Mr., vous devoir faire cette retnonstrance. après quoi je n'ay qu'à obéyr. » (B. N., Clairambault, 792, p. 389-390 : lettre non signée).

2. Dans Chérin, Abrégé Chronologique, p. 191.

3. Acte I, se. m. Cf. De Claveret, L'écuyer, ou les faux nobles mis au billon, 1665: cette comédie était d'actualité.

LES NOBLES. 219

.... J'ai fait chercher un généalogiste,

Qui, pour quelques louis que je lui donnerai,

Me fera, sur le champ, venir d'où je voudrai.

Saint-Simon a dit : « On sait comment se font ces recherches de noblesse : ceux qui en sont chargés dépêchent la consigne, leurs secrétaires les défrichent et font force nobles pour de l'argent ».

Même si l'on élimine les anoblissements autorisés par le roi chose dont la légitimité pouvait être soutenue1, puisque le roi avait le droit de faire des nobles comme il voulait il res- tait encore un grand nombre de personnages introduits dans la noblesse par les faveurs des intendants, des traitants et de leurs commis 2, par les faux titres et les faux témoignages produits aux procès. Pour quelques usurpateurs condamnés à l'amende comme ce pauvre Lafontaine3, pour avoir pris, peut-être sans le savoir, le titre d'éeuyer dans quelques actes notariés, combien firent confirmer leurs titres sans rien payer, qui étaient de la plus certaine roture? Au reçu de la circulaire du 1er décem- bre 1670, l'intendant de Rouen écrivait :

« Il y a si longtemps que je suis persuadé des abus et vexations qui se commettent dans la recherche, et qui n'a très souvent servy qu'à tourmenter les véritables gentilshommes et à en faire de nou- veaux par la faveur des traitans et par la protection qu'ils ont trouvée par leur argent et leurs amis, qu'il me semble que S. M. ne pourroit rien faire de plus digne de sa justice et de l'application qu'Elle donne au gouvernement de son royaume que de la faire cesser4. »

Son successeur, de Creil, écrivait également le 21 novem- bre 1673 en envoyant l'état des usurpateurs :

« Par avance je vous diray que la pluspart de ceux qui avoient du bien se sont tirez d'affaires, soit par des accommodements, soit par des lettres de réhabilitation ou confirmation, soit par des arrests du Conseil en commandement que S. M. a bien voulu leur accorder, ou

1. Toutefois l'intendant de Bourges et de Moulins écrivait à Golbert le 7 décembre 1673, en réponse à sa lettre du 1er décembre citée ci-dessous : « Quant à ceux [les nobles] qui ont esté rétablis au conseil, les uns l'ont esté de grâce, et par des arrests signez en commandement, a quoy il n'y a rien à dire : et à l'égard de ceux qui l'ont esté par des arrests de justice, je ne doute point, Mon- sieur, que ce n'ayt esté avec fondement, mais il est à remarquer que l'on a pro- duit au Conseil beaucoup de pièces dont on n'a pu relever l'altération, faute d'avoir les connoissances qu'on trouve sur les lieux, et il ne s'estoit jamais fait tant de faussetés qu'il s'en est commis à l'occasion de cette recherche. » (Clairamb., 795, p. 227.)

2. Colbert écrit le 1er déc. 1673 à l'intendant de Bourges et de Moulins : « Je ne crois pas que... vous trouviez qu'il y ayt beaucoup qui ayant estes deschargés par arrests du conseil sans fondement» (Clém. II, 304).

3. Voir Œuvres de La Fontaine, éd. des Grands Ecrivains, t. I, p. vi.

4. Lettre du 4 décembre 1670, B. N., Clairamb., 792, p. 393.

220 LA TAILLE EN NORMANDIE.

autrement, et qu'ainsy il n'y a eu que les pauvres et malaisez qui sont demeurez à la taille '. »

La recherche alimenta notablement le Trésor; elle est restée surtout célèbre par la sévérité avec laquelle les amendes furent prononcées et exigées. Dans la généralité de Caen. les condam- nations prononcées jusqu'en août 1667 par l'intendant, et por- tant sur 300 usurpateurs seulement, montaient à 180 100 1. 2. La même année Colbert a relevé de sa propre main une phrase d'un mémoire à lui adressé par le cardinal de Vendôme et l'intendant d'Oppède sur le Languedoc : « Epuisement de la province par les taxes de la Chambre de justice et celles des escuyers* ». Même lorsque la recherche fut déclarée close, on ne cessa pas de mettre en vente des lettres de noblesse; Colbert lui-même y eut recours quand il eut besoin d'argent : en sep- tembre 16/3, il annonçait aux intendants un projet de rétablir, moyennant finance, une partie des nobles condamnés, à quoi l'intendant de Rouen répondait le 27 décembre suivant :

« Si S. M. veut restablir une partie desdits usurpateurs dans leur noblesse, il est à propos de n'accorder cette grâce qu'à ceux qui sont riches, et en estât de bien paier, et de la soutenir dans la suitte en vivant noblement eux et leurs enfans, estant certain que si des gens peu accomodés font un effort pour achepter ce tiltre, ils languiront le reste de leur vie, et peupleront la province de nobles fainéans, qui n'ozeront travailler ny faire aucun commerce pour gagner leur vie, de peur de commettre dérogeance, et ne seroit d'aucun secours pour l'Etat. 11 est aussi vray de dire qu'il y a des gens qui donneront plus volontiers et plus aisément jusques à 20 000 1. et plus que d'autres n'en pourroient paier 1 000 ou 2 000 à proportion de leur bien*. »

Les faux nobles se multiplièrent après la recherche comme

1. B. N., Clairambault, 795, p. lf»3-'i. En dehors de la Normandie, le résultat ne fut pas meilleur : Colbert écrivait le t" décembre 1673 ù l'intendant de Bourges et de Moulins : « J'apprends par votre lettre du 25 du mois passé, que la recherche qui a été faite des usurpateurs du titre de noblesse dans l'étendue des deux généralités de Bourges et de Moulins a été presque inutile,... soit par la raison que vous dites, que les plus riches se sont fait décharger par arrêt du Conseil, soit parce que vous n'avez aucune connaissance de ceux qui ont été jugés par M. d'Herbigny, soit que ceux que vous avez jugés vous-même se soient maintenus dans l'exemption qu'ils avaient usurpée par leur fausse qualité, vous ne voyez pas que cette recherche ait produit aucun soulagement aux sujets du Roi. (Clém., Il, 304).

2. Chamillart ù Colbert, 23 août 1067, M. C. 144, 525.

3. M. C. 145, f" 290. Il est remarquable que Colbert, d'ordinaire si dur à l'égard des traitants, n'ait pas usé de rigueur à l'égard de ceux de la recherche; on ne trouve qu'une seule mention de poursuites pour malversation contre deux sous-traitants : Claude Vialet et René Drouet (arrêt du conseil du 11 mai lb73, Clairambault, 459, p. 450). Aucun des autres ne fut, semble-t-il, inquiété.

4. B. N.", Clairambault, 795, p. 283. Ces taxes ne furent peut-être pas, au demeurant, le moindre résultat de la recherche, même au point de vue des gen- tilshommes. Elles ouvrirent la noblesse à ceux qui étaient riches et rejetèrent dans la roture ceux qui étaient pauvres. Ainsi fut hâtée l'assimilation de la noblesse et de la fortune.

LES NOBLES. 221

avant : la preuve en est donnée par un arrêt du conseil du 19 juillet 1672 défendant à ceux qui ont été condamnés de reprendre la qualité d'écuyer, sous peine d'une nouvelle amende *. Le 30 janvier 1681, Colbert écrit à l'intendant de Rouen : - *

« S. M. m'ordonne de vous dire qu'Elle reçoit beaucoup d'avis qu'il y a quantité de particuliers dans toute l'estendue de la province de Normandie qui se déchargent du payement des tailles sous prétexte de noblesse, encore qu'ils ayent esté condamnés dans la recherche qui en a esté faite depuis quelque temps ; qu'il y en a beaucoup d'autres qui se soulagent dans l'imposition par toutes sortes de moyens qu'ils recherchent avec un très grand soin et une très grande application. S. M. m'ordonne de vous dire qu'Elle veut que, dans toutes les visites que vous faites des élections, vous examiniez avec soin tous les rôles des tailles* des paroisses pour voir ceux qui sont mis au nombre des exempts ou ceux qui sont notablement soulagés à la taille, et que vous ^entriez en connoissance des raisons qu'il y a de l'exemption ou du soulagement, pour y apporter, par les taxes d'office, les remèdes que vous estimerez convenables pour le soulagement des peuples2. »

Un autre résultat important de la recherche fut le catalogue de la noblesse dressé par les intendants et déposé à la Biblio- thèque du roi. L'idée de ce catalogue n'apparaît guère avant 1669. Il est probable qu'elle est de Colbert; elle rentre dans son grand projet de statistique sur toutes les branches de l'admi- nistration ; de même qu'il voulait savoir le nombre des paroisses et des feux et même celui des habitants du royaume, il voulait aussi que le roi connût exactement toute sa noblesse. En même temps que l'Académie travaillait à dresser le dictionnaire de la langue française pour distinguer les mots nobles et les mots bas, on dressait la liste des sujets nobles du roi3. Le catalogue devait avoir en outre une utilité pratique ; il empêcherait les usurpa- tions ultérieures. Si l'on prenait soin de le tenir au courant et c'est la besogne dont furent chargés d'Hozier et Clajrambault il rendrait la fraude presque impossible.

Un arrêt du conseil du 15 mars 1669 avait donc ordonné à tous les véritables gentilshommes de représenter leurs titres de noblesse et leurs armoiries aux intendants qui en dresseraient la liste4. Contrairement à ce qui se produisit pour les autres

1. Chérin, Abrégé Chronologique, p. 189. En 1676, on proposait au ministre, pour alimenter le Trésor, de taxer « ceux qui auront repris le mesme titre de noblesse pour lequel ils auront esté condamnez » (Glairamb., 797, p. 73).

2. Glém., II, p. 148.

3. On entrevoit déjà ce projet dans la grande circulaire de mars 1664 : « S. M., dit-il aux intendants, désire estfe particulièrement informée de tout ce qui concerne la noblesse scavoir : les principales maisons de chacune province, leurs alliances, leurs biens... Pour la noblesse ordinaire, il est bon d'en scavoir la quantité et le nom des plus accrédités ». Clém., IV, p. 31.

4. Dans Chérin, Abrégé Chronologique, p, 183, cf. un autre arrêt du 2 juin 1670, ibid., p. 188, et la déclaration du 4 septembre 1696 réordonnant la recherche, ibid., à sa date.

222 LA TAILLI. IN NoIiMANDI!:.

entreprises statistiques du même temps, on aboutit a peu près au rcMiltat cherché. Les manusciits de cette recherche sont parvenus jusqu'à nous, au moins en copies : ils forment les volumes M2 264-32 291 de la Bibliothèque nationale; de nom- breuses copies sont, eh outre, répandues dans la plupart des bibliothèques de Paris et de province1.

En ce qui concerne la Normandie, nous avons les trois listes complètes : une, celle de la généralité de Caen, a été publiée, les deux autres sont restées manuscrites*. Le travail de Chamil- lart est le plus considérable des trois; il donne de nombreux détails sur les familles, les pièces fournies, l'origine de la noblesse et les condamnations prononcées; celui de La Galis- sonnière a été, au dire d'un auteur anonyme du début du xvnie siècle, « le plus estimé pour cstre le plus estendu, et, parce qu'il contient les généalogies de chaque famille, on l'a donné pour modèle dans la recherche qui se fait présentement et qui a commencé en 1696 3 ». Quant à la recherche de la géné^ ralité d'Alençon par de Marie, elle est beaucoup moins considé- rable que les deux autres : on y trouve seulement sur trois colonnes les noms des personnages, leurs paroisses et le juge- ment de l'intendant; « on a regardé son ouvrage, dit le même auteur, comme fait avec beaucoup d'honneur et d'exactitude : cependant on a trouvé qu'il a confondu dans les illustres familles des maisons assez nouvelles, anoblies par les francs-fiefs, et mesme par des lettres de noblesse, soit qu'il ayt été surpris ou qu'il l'ait bien voulu faire par considération* ».

C'est principalement dans le travail de Chamillart que Ton voit comment fut fait le triage entre nobles et faux nobles, c'est-à-dire, en ce qui nous concerne, entre exempts de taille et taillables : d'après un mémoire de 1668 émanant probable-

1. Voir un catalogue de documents relatifs à cette recherche dans le Cabinet Historique 1870, partie catalogue, p. 1 et 38. Le gouvernement projetait de faire imprimer et publier toutes les listes, mais seule celle de Champagne fut publiée; depuis lors, quelques-unes ont été éditées, mais la plupart sont fautives et faites sans critique : la publication intégrale des listes reste encore à faire.

2. La recherche de Chamillart pour la généralité de Caen a été publiée à Caen en 1887 sous le titre : Recherche <ie la Noblesse faite par ordre au Roy en 1661 et années suivantes, publiée intégralement et pour la première fois d'après plusieurs copies manuscrites anciennes, par un membre de la Société des antiquaires de Nor- mandie, 2 vol. in-8«. Elle est à compléter par les Notes et documents pour servir à C histoire de la recherche de Chamillart par un membre du Conseil héraldique de France, Caen, 1890, m-8* : ces deux publications laissent encore à désirer; elles ont utilisé des copies fautives; le manuscrit original (B. N., ms. fr. 11928) a échappé aux éditeurs (ils déclarent, p. 11, n'avoir pu le trouver), ils n'ont rien connu des conditions particulières dans lesquelles fut faite la recherche. Les documents législatifs publiés sont pleins de fautes, la préface de l'ouvrage est composée de fragments de la préface de Chérin, Abrégé Chronologique, quoique rien ne nous en avertisse. L'éditeur prend pour base de sa publication un manus- crit de la bibliothèque de Caen qu'il a collationné, dit-il, avec « plusieurs autres » qu'il n'indique pas autrement.

3. Mémoire sur la recherche en Normandie publié dans Le Cabinet Historique, t. VI, p. 217.

4. Ibid.

LES NOBLES. 223

ment de l'intendant lui-même, voici quel fut le résultat en ce qui concerne les nobles maintenus ' :

FAMILLES PERSONNES

Ancienne noblesse 465 1 241

Anoblis 361 953

Nobles qui ont bien justifié 459 1117

1285 3 311

Quant aux usurpateurs condamnés ou renvoyés devant le con- seil, ils forment 172 familles dont 12 avaient pris la qualité de noble à l'époque même l'on faisait la recherche, entre 1661 et 1667; sur ce nombre, 39 familles ont été maintenues posté- rieurement à la recherche par des arrêts du conseil ou des sen- tences de l'intendant lui-même2.

Parmi ceux qui furent définitivement condamnés, nous en voyons quelques-uns qui étaient de pauvres diables, peut-être nobles authentiques, mais dérogeant, tels : Jacques de Courta- lais, qui est menuisier3, les deux frères Campion, également menuisiers; Jean le_ François, qui est cordier4, les frères Le Forestier qui « sont au service et pauvres 5 » ; Gilles Coquet, qui est « imposé à la taille depuis longtemps, est fermier et déroge6 » ; beaucoup d'autres avaient pris la qualité de noble sans aucun titre : parmi eUx, on trouve des étrangers venus de loin, comme Michel et Jacques de Bichot qui « sont venus de Chartres, leurs pièces sont fausses sur le premier degré, n'ont pu représenter d'actes de partage, ni de traité de mariage 7 » : d'autres ne peuvent présenter aucun titre ; d'autres en très grand nombre fournissent des pièces fausses. Gilles Bertrand, qui avait été déjà déclaré usurpateur en 1614 et n'avait cessé de payer la taille depuis lors, renonce à la qualité d'écuyer qu'il avait prise dans des actes et se voit néanmoins condamné à 50 1. d'amende; parmi les faux anoblis, on trouve beaucoup d'officiers de finance ou des fils d'officiers, comme Gilles Denis, dont le père est « élu à Valognes il est encore de présent vivant, ce qui a favorisé

1. Estât abrégé de la généralité de Gaen, année 166S, B. N., fr. 22 162, 135, (papiers de Dangeau).

2. Tous les faux nobles devaient payer une amende, cependant plusieurs d'entre eux furent simplement déchus de la noblesse sans rien payer, à cause de leur « pauvreté » ou de leurs « services », un petit nombre seulement payèrent l'amende légale de 2 000 1., généralement elle variait de 200 à 4001. ; les amendes de 30 et 40 1., ne sont pas rares. Nous avons l'explication de ce fait dans une lettre de Ghamillart à Golbert du 23 août 1667 : mes condamnations, dit-il, « sont modérées conformément à l'ordre qu'il vous a plu me donner ». (M. C, 144, 535); c'était donc Colbert lui-même qui avait prescrit de réduire les pénalités ; en outre il est probable que la plupart de ces amendes ne furent pas payées. Ghamillart ajoute dans sa même leHre : « je crois leur avoir rendu jus- tice, encore que la pluspart ayent obtenu des descharges ».

3. Recherche, p. 781.

4. Ibid., p. 786.

5. Ibid., p. 786.

6. Ibid., p. 780.

7. Ibid., p. 769.

H| LA TAILLE EN NORMANDIE.

son usurpation1 »; René et Arthur d'Aigrement dont l'oncle « qui «i commencé d'usurper estoit élu et contrôleur des tailles à Valognes* »; un certain Roger le Cauf, qui se dit écuyer, est fils d'un paysan qualifié de batteur en granges sur les rôles de sa paroisse en 1D23*. Parmi les personnages qui furent réta- blis, malgré la condamnation de Chamillart, on en trouve qui n'avaient guère de titre à cette faveur, tels, par exemple, ces frères de Bichot, venus de Chartres, le sieur Baratte qui a fourni des pièces fausses et « n'est pas de la famille de celui qui est dans Montfault, et descendu d'un receveur des amendes à Rouen, qui a été depuis procureur au grenier à sel de Caen, ce qui a donné lieu à son usurpation » ; un arrêt du conseil du 14 mars 1667 le déclare néanmoins noble comme descendant des collatéraux de Jeanne d'Arc4; la famille Gervaise, de Saint- Martin de Cenilly, près Coutances, a été condamnée successi- vement en 1606, 1624, 1627, 1656, Chamillart l'a à nouveau condamnée, et cependant un arrêt du conseil du 16 janvier 1668 lui rend son titre; la famille Bazire est anoblie dans les mêmes conditions, quoiqu'elle ait toujours été condamnée depuis Montfault.

D. CONDITIONS DE L'EXEMPTION DES NOBLES

Les nobles devaient-ils jouir en tout temps et sans condition de leur exemption? C'était une grosse question qui fut très sou- vent débattue. Lebret faisait observer à la Cour des aides que si la taille a été accordée en remplacement du service militaire, quiconque ne la paye pas doit le service, un homme ne pouvant être exempt a la fois de taille et de service : il rappelait une vieille ordonnance de 1395 5 « suivie de plusieurs autres sem- blables », qui « dégrade des privilèges de noblesse » les nobles qui ne porteront pas les armes, et il demande que cette loi soit de nouveau appliquée6. Mais ces raisons avaient perdu leur valeur au xvii* siècle. Depuis longtemps l'habitude était prise de voir les nobles écartés de l'armée, et personne, en

1. Recherche, p. 782. i. lbid., p. 765.

3. Ibid., p. 775.

4. Ibid., p. 767-8.

5. Ordonnance du 28 mars 1395 : l'aide sera payée par tous, « exceptez noble» extrais de noble lignée, non marchandant ne tenans fermes et marchées, mais fréquentons les armes, ou qui les ont fréquentées ou temps passé, et de présent sont en tel estât pour bleceures, maladies ou grant aage, que plus ne les pevent fréquenter ». (Isambert, t. VI, p. 765.)

6. La Cour ordonne par son arrêt du 28 avril 1593 que les Elus dans toutes les Elections du ressort fassent imposer à la taille « tous les nobles de profession d'armes qui n'ont servi et ne servent le roi en ces guerres ». (Œuvres de Lebret, p. 4i0-442.)

LES NOBLES. 225

dehors des théoriciens ou de quelques esprits chagrins, ne songeait à leur contester l'exemption parce qu'ils ne ser- vaient plus.

En revanche, la culture de la terre ou l'exercice d'une pro- fession manuelle entraînait toujours la déchéance1 : toutes les ordonnances la portaient, et l'opinion publique souscrivait à peu près unanimement à cette règle. Il y avait à cela deux raisons : d'abord, la culture de la terre était considérée comme un travail vil réservé aux roturiers, aux descendants des anciens serfs; l'idée persistait très vivace au xvne siècle, pure conven- tion sociale, mais qui avait sa force : un noble obligé de tra- vailler par sa pauvreté était unanimement méprisé2. En outre, les rois avaient leur raison à eux pour interdire rigoureusement aux nobles la culture ou le commerce : tout noble, en effet, qui cultivait lui-même ses terres en soustrayait le revenu à l'impôt : si un noble avait cultivé tout le territoire d'une paroisse à l'aide des habitants comme domestiques, cette paroisse aurait été entièrement soustraite à la taille. « Vivre en gentilhomme, [donc] sans rien faire », comme dit La Fontaine, n'était pas seule- ment le résultat d'un préjugé social, mais aussi la conséquence de l'exemption même. L'obligation s'étendait d'ailleurs à tous les exempts de taille.

« Défendons à tous gentilshommes et officiers de justice, dit l'ordonnance de janvier 1560, le fait et trafic de marchandise et de prendre ou tenir fermes par eux ou personnes interposées, à peine auxdits gentilshommes d'estre privez des privilèges de noblesse et imposez à la taille... 3 ». Le règlement de janvier 1634, article 33, apportait un tempérament à cette règle : Les privi- légiés « pourront faire valoir par leurs mains une de leurs terres et maisons, et celles qui sont adjacentes et contiguës en dépendans. Et pour les autres terres et métairies qu'ils feront valoir par receveurs ou serviteurs, lesdits receveurs ou servi- teurs seront taxez tout ainsi que pourroient être taxez leurs fer- miers desdites terres et métairies4. » L'application de cet article avec quelque rigueur par les commissaires au régalement des

1. Dérogeance. Défin. de l'abbé Fleury : Institution au droit français, t. I, p. 218 (écrit en 1665) : « On appelle acte dérogeant tout exercice d'un métier, excepté la verrerie, tout trafic, toute ferme pour autrui, même les moindres charges de judicature, comme de sergent, de greffier, de procureur. L'acte le plus dérogeant pour une femme noble est le mariage avec un roturier ». Cf. encore la défini- tion donnée par la déclaration du 8 février 1661 (Recherche de la noblesse) dans Chérin, Abrégé chronol., à sa date.

2. Cf. P. de Vayssière, Gentilshommes campagnards de Vancienne France, Paris, 1903, p. 332 : il cite des gentilshommes cultivant, mais à l'aide de métayers. Ils surveillent l'exploitation, mais ne travaillent pas eux-mêmes.

3. Art. 109. Cf. aussi les arrêts de la Cour des Aides de Normandie des 28 jan- vier 1619 et 4 décembre 1627 dans Règlements de Normandie, p. 73-75.

4. Dans l'enregistrement de cet article la Cour des Aides de Normandie avait arrêté « que les nobles chevaliers de Malte et officiers privilégies jouiront de leurs héritages comme ils ont ci-devant fait ». {Règlements de Normandie, p. 110.)

I.A TAILLE EN NORMANDIE. *■"

226 LA TÀILI.I. IN NORMANDIE.

tailles ' et les traitants avait provoqué les doléances des Etats de la province en 1643*. L'expression « une de leurs terres » était trop vague : on pouvait toujours soutenir que tous les biens cultivés par un noble ne formaient qu'une terre. Le règlement d'août 1664, en son article 20, apporta une première précision. Considérant, y est-il dit, que « la permission accordée aux ecclé- siastiques, nobles et officiers privilégiez par le règlement des tailles du mois de janvier 1634, article 33, de faire valoir par leurs mains une de leurs fermes », leur sert « de prétexe pour couvrir les abus qu'ils commettent », le roi permet aux privi- légiés autres que les ecclésiastiques de « tenir une de leurs fermes par leurs mains, et en cas qu'ils en occupent davantage dans une même paroisse, ils les pourront joindre et n'en faire qu'une, et pour les autres fermes hors ladite paroisse, seront tenus dans un an de fournir un fermier qui portera sa part de la taille à proportion du gain qu'il fera en ladite ferme, sinon, et après ledit temps d'un an passé, les fruits des héritages qui n'auront été atermez demeureront afectez au paiement des sommes auxquelles ils seront imposez ». Dans son arrêt d'enre- gistrement la Cour des Aides de Rouen pria le roi de « vouloir modérer » cette clause, mais elle n'obtint pas satisfaction.

D'après cet article, il suffisait, semblait-il, que les bâtiments d'une ferme fussent placés dans la paroisse pour que toutes les terres en dépendant, même si elles étaient situées hors du terri- toire, fussent exemptes. En 1670, le receveur des tailles de Rouen, Aubry, écrit à Colbert que plusieurs gentilshommes « faisant valoir l'une de leurs terres en conséquence du règle- ment de 1664, réunissent plusieurs fermes ou métairies » autour de l'exploitation principale, et prétendent ainsi conserver l'exemption. Il « seroit nécessaire de les réduire ù une ferme de 100 ou 120 acres de terre3 ». L'intendant de Rouen écrit également le 8 octobre 1672 qu'il est arrêté par la difficulté « de scavoir quelle quantité de terre les nobles exempts ou privi- légiez peuvent labourer ou faire valoir par leurs mains, d'autant qu'ils réunissent trois ou quatre fermes ensemble et achètent les maisons des paysans et les abattent* ». Enfin l'intendant d'Alençon, Michel Colbert, en 1673, avoue le même embarras pour appliquer le règlement5.

La solution de la difficulté était indiquée le 19 octobre 1664 par l'intendant d'Orléans, Barin de la Galissonnière : il pensait qu'il était nécessaire de fixer le nombre de charrues qui serait

1. Cf. l'arrêt du Conseil du 20 janvier 1635. A. Mun. Rouen, 183, pièce 3.

2. Art. 38 du Cahier dans de Beaurepaire, Cahiers... sous Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 106 : le roi répondit vaguement que l'on observerait < les édita et règlements sur ce faits ».

3. Analyse de sa lettre du 15 octobre 1670, dans Clairamb., 792, p. 353. k. Ibid., p. 765.

5. Analyse de sa lettre du 6 mars 1673, dans Clairamb., 793, p. 222.

LES NOBLES. 227

permis à chacun. L'idée était ingénieuse; dans les rôles de taille, lorsqu'on voulait indiquer la quantité de terre cultivée par un individu, l'usage était d'indiquer, non pas la superficie de ses terres, mais la quantité de « charrues » qu'il exploitait : sans doute l'expression était encore vague, puisqu'elle dési- gnait simplement la quantité de terre que l'on pouvait labourer avec une charrue et son attelage1, mais elle avait l'avantage de rendre le contrôle très commode, étant facile de savoir combien d'attelages étaient possédés par un cultivateur; ce procédé n'était du reste pas plus rudimentaire que tout le reste du système. Le règlement d'août 1673, en son article 21, fit donc savoir que les exempts de taille pourraient désormais « exploiter par leurs mains et leurs domestiques une seule ferme dans une même paroisse jusqu'à la valeur de trois charrues au plus de terres labourables, prez et bois à pro- portion, sans payer taille et sans que l'on puisse joindre plusieurs fermes en une, nonobstant la faculté apportée par le règlement du mois d'août 1664 2 ». À partir de cette date, les intendants veillèrent avec grand soin à ce que les nobles culti- vant plus de 4 charrues fussent imposés; dans presque tous leurs mandements aux paroisses, ils le prescrivirent aux collec- teurs. « D'autant que plusieurs seigneurs des paroisses, dit celui de Caen en 1679, ont depuis quelques années tenu en appa- rence leurs terres par leurs mains, soutenant que leurs fermiers estoient leurs domestiques, afin de les exempter de la taille, au préjudice des pauvres, S. M., pour éviter aux fraudes, veut et entend que lesdits seigneurs n'en puissent tenir qu'une3... » Mais l'intendant d'Alençon écrivait au sujet d'un noble qui « embouchait » des bestiaux, que « ce commerce, bien loin

1. Le vague de l'expression est relevé dans le mémoire de Thouret à l'assemblée provinciale de Haute-Normandie en 1787 : « Etait-ce l'étendue de terrain que trois charrues peuvent labourer, sans considérer la bonne ou la mauvaise qualité de ce terrain? Etait-ce le revenu de ces trois charrues, et ce revenu était-il appré- ciable en argent? » La question soulevait, encore à la fin du ïviii' siècle, des procès interminables. (Procès-verbal de V assemblée, p. 352.) Suivant Gauret, quatre charrues valent « à peu près 400 arpens de terres labourables, outre les

f>rez, bois, estangs et vignes. » (Stile du Conseil, p. 408). Suivant Y Encyclopédie , a valeur « dépend de l'usage et de la mesure des terres dans chaque généralité » : 120 arpents (grande ou petite mesure, on ne sait) dans celle de Paris, 90 arpents dans celle d'Orléans (Art. Charrue). Leblanc, intendant de Rouen, écrit le 22 mars 1681 que 175 acres ne forment pas trois charrues (A. N. G7 491). Sur le rôle de Londinières en 1670 on trouve un taillable « faisant une chareue de viron 60 acre de terre labourable », et un autre « une chareue de 52 accre de terre labourable » (A. D., S. Inf., G 2682). Cf. Lavoisier, La richesse territoriale de la France, éd. Grimaux, p. 155.

2. Cette disposition avait été prise dès le mois de mars 1667 pour le ressort de la Cour des Aides de Paris, mais la quantité de terre permise était de 4 charrues au lieu de 3. (C. d. T., t. II, p. 18). On voit que seules les terres labourables entraient en ligne de compte; la quantité de prés permise restait incertaine; c'est pourquoi beaucoup de gentilshommes se mirent à faire de l'élevage.

3. A. D. Calv. Election de Caen. Même mandement de l'intendant de Rouen 1673, A. D., S. Inf., C 2215.

228 LA TAILLE EX NOItMAXDIE.

d'estre detlendu, est permis a tous les gentilshommes et fait la richesse de tout ce pays1 ».

L'importance des cultures que les nobles exploitaient rux- mêmes nous est connue pour quelques paroisses grâce aux rôles de taille de l'élection de Neufchâtel pour l'année 1670, lesquels donnent généralement la quantité de terre possédée par chacun de ceux qui y sont inscrits, soit comme taillables, soit comme exempts :

Dans la paroisse de Clais, les 70 taillables cultivent 115 acres et 12 vergées et les 5 exempts comme nobles, propriétaires de 510 acres, en cultivent eux-mêmes 375 2. A Baillolet, Claude Lan- lois, sieur de Duranville, exempt, possède 20 acres de terre, 5 d'herbage, 6 chevaux, 10 vaches et 10 porcs : c'est de beau- coup le plus gros cultivateur du village3. A Baillly en Campagne, Louis de Crevy, écuyer, possède et cultive environ 120 acres de terres labourables avec 2 charrues, tient 8 vaches et une dizaine de cochons*. A Bailleul, Pierre de Masquerel, marquis du Boscfroy, seigneur de la paroisse, et son fils, possèdent 74 acres de terres labourables, 14 acres de prés, tiennent 4 chevaux et 6 vaches B. A Fréauville, qui renferme 61 taillables dont 5 pauvres, il y a 4 nobles exempts, dont l'un, exploite 46 acres et possède 3 vaches et 15 brebis ; le second 30 acres avec une cavale, 2 vaches et 5 brebis; le troisième une acre avec une cavale : seul le quatrième afferme ses terres en ne se réservant que trois acres, soit une demi-charrue6. A Saint-Riquier-en-Rivière, François de Morin, sieur de Pardeillant, occupe « tant par luy que par ses serviteurs, viron 120 acres de terres qu'il fait labourer de deux charues en propre7. » A Mouchy-le-Preux, (aujourd'hui hameau de Campeneuseville), il y a 6 taillables imposés seulement h 25 1. parce que a M. de la Haye seigneur dudict lieu occupe la terre dudict Mouchy 8 ».

Il semble que dans le reste de la généralité une bonne partie de la terre était possédée et cultivée par des nobles; l'intendant de Creil l'écrit à propos de l'élection d'Arqués, le 30 octobre 1672 : « Le malheur de cette eslection dans la campagne est que la plupart des villages sont remplis d'officiers, gentilshommes ou privilégiez qui labourent leurs terres, en sorte qu'il n'y a presque plus que des gens de journée qui payent la taille, ce qui est commun à toute la généralité9 ». On ne voit pas que le règlement d'août 1673 ait changé grand'chose à cette situation.

1. Lettre à Colbert, 14 juillet 1678, A. N. G7 71.

2. A. D. S.-Inf., C 2 676,

3. A. D. S.-Inf., C 2 673.

4. Ibid.

5. Ibid.

K. Ibid. C 2 679.

7. Ibid., G 2 691.

8. Ibid., C 2 682.

9. M. C. 162, f> 188.

LES NOBLES. 229

Une difficulté particulière se produisait quand un noble pre- nait a ferme des dîmes ecclésiastiques. Comme il était permis aux clercs de prendre à ferme les dîmes dépendant de leurs bénéfices, tout en restant exempts1, on pouvait en conclure que prendre des dîmes à ferme ne constituait pas une dérogeance. La question avait été posée par les commissaires au régalement des tailles en 1634; le roi leur avait répondu par l'art. 4 de l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635 :

« Sadite Majesté veult et ordonne que les gentilshommes qui seront trouvez tenir dixmes à ferme en leur nom ou soubs le nom d'autres seront mis à la taille, comme pareillement les ecclésiastiques s'ils tiennent à ferme des dixmes qui ne soyent deppendans de leurs béné- fices, sans néanmoins en ce comprendre les curés et vicaires perpé- tuels, lesquels ne jouissent que d'une partie des dixmes deppendans de leurs cures, tiennent à ferme le surplus desdites dixmes. Veult en outre Sa Majesté que le manoir desdites fermes soit réputé estre au lieu ou est la grange dixmeresse à l'exemple de ceux qui tiennent péages sur les chemins et rivières, dont le principal manoir est réputé estre au bureau ou lesdits droicts sont paiez 2. »

En septembre 1663, un arrêt du Conseil rendu sans doute sur les observations de l'intendant de Rouen ordonne à celui-ci « d'informer contre les gentilshommes et autres personnes d'autorité qui prennent des dîmes à ferme 3 ». Mais son instruc- tion ne semble guère avoir eu d'effet : Leblanc la rappelle en 1676 comme si elle était ignorée, et néanmoins, par sentence du 3 février 1677, l'élection de Falaise exempte de taille Jean Michel, sieur du Val, qui avait été imposé comme « dérogeant et faisant valloir la dixme de la paroisse de Sassy4 ».

Le commerce et l'industrie n'étaient pas moins interdits aux nobles que la culture : le gentilhomme qui fait « estât ordi- naire » de marchandise « ne mérite pas d'avoir le beau et excellent titre de noblesse, qui se doit tenir et garder chère- ment sur toute chose du monde ». Ainsi s'exprime un commen- tateur de l'ordonnance de janvier 1561 5. Le Code Michaud défend pareillement à tous gentilshommes « de s'entremettre, ou par eux ou par autres, d'aucun trafic, marchandise ni banque, à peine de déchéance de noblesse, privation de leurs charges et autres peines des ordonnances 6 ». « En France, dit Belleguise,

1. Voir ci-dessous, p. 236.

2. A. Mun. Rouen, 183. Depuis longtemps cette défense avait été faite aux gen- tilshommes notamment par l'édit du 4 avril 15'i0, l'ordonnance d'Orléans de janvier 1561, art. 17, l'ordonnance de Blois de mai 1579, art. 48, l'édit d'Amboise de janvier 1582, art. 8. L'interdiction était répétée par le règlement de 1643 (art. 28) et par un arrêt du conseil du 18 juillet 1646, mais ni l'un ni l'autre n'étaient appliqués en Normandie.

3. Arrêt du conseil du 10 septembre 1663, mentionné dans Glairambault 659, p. 227.

4. A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif.

5. Sur l'art. 109. Néron, t. I, p. 413; cf. p. 417.

6. Art. 198. Néron, t. I, p. 81/.

230 LA TAILLE EN NOH.MAN M I! .

le commerce ne déroge pas seulement, mais il a quelque chose de bas et de vil '. »

Toutefois deux exceptions furent faites à cette règle générale, pour les verriers, pour le commerce de mer.

Henri IV, voulant encourager la verrerie, avait, par édit de 1603, ordonné que l'entreprise de verrerie pourrait être faite par les nobles sans dérogeance; le privilège fut maintenu par les règlements de juin 1614 (art. 8) et de janvier 1634 (art. 13) 2.

Colbert déplorait cette interdiction faite aux nobles de con- tribuer a la prospérité économique du royaume. Lorsqu'il fonda les deux grandes compagnies des Indes Orientales et des Indes Occidentales, il autorisa toute personne de quelque qualité et condition qu'elle fût à entrer dans les compagnies et à y parti- ciper sans déroger', puis, par un édit d'août {669, il proclama que le commerce de mer, en général, n'entraînerait pas la déro-

f'eance*. Le préambule faisait l'éloge du commerce : « comme e commerce, et particulièrement celui qui se fait par mer, est la source féconde qui apporte l'abondance dans les Etats et la répand sur les sujets à proportion de leur industrie et de leur travail, et qu'il n'y a point de moyen pour acquérir du bien qui soit plus innocent et plus légitime, aussi a-t-il toujours esté en grande considération parmi les nations les mieux policées et universellement bien receu, comme une des plus honnestes occu- pations de la vie civile II importe au bien de nos sujets et à

notre propre satisfaction, d'effacer les restes d'une opinion qui s'est universellement répandue que le commerce maritime est incompatible avec la noblesse et qu'il en détruit les privilèges » ; en conséquence, « désirant ne rien obmettre de ce qui peut davantage exciter nos sujets a s'engager dans ce commerce, et le rendre plus florissant, tous gentilshommes [pourront] par eux, ou par personnes interposées, entrer en société, et prendre part dans les vaisseaux marchands, denrées et marchandises d'iceux, sans que pour raison de ce, ils soient censez ni réputez déroger à noblesse, pourvu toutesfois qu'ils ne vendent point en détail5 ».

1. Traité de la noblesse, p. 85.

2. On avait conclu du privilège accordé aux verriers, que la verrerie entraînait exemption de taille, mais l'art. 13 de Janvier 1634 déclare formellement le con- traire. Voir Lebret, 38" action à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 531, et, sur les verreries de la Normandie, Levaillant de la Fieffé, Les verreries de la Xor- mandie, Rouen, 1873.

3. Edits de mai et août 1664.

4. La prescription se trouve déjà avant Colbert : elle forme un des articles du Code Micbaud. L'édit d'octobre 1(45 qui mettait en vente 50 lettres de noblesse dans les villes de Normandie autorisait les acheteurs à « continuer leur trafic pendant leur vie, sans que le fait de marchandise leur pût estre imputé a déro- geance • , sauf ù répondre à la convocation de l'urrière-ban (Dans (Jhérin, à sa date).

5. Sur cet édit, bien des fois commenté, voir Forbonnais, Recherches et considé- rations, éd. in-4°, t. I, p. 436-38, et Clément, introd. du t. II, p. clxxx.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 231

En général tous les offices inférieurs étaient également interdits aux nobles; ils ne pouvaient être avocats, procureurs, huissiers ' ; une seule exception existait en Normandie, c'était pour les sergenteries : elles ne pouvaient être possédées que par des nobles et n'entraînaient pas la dérogeance; un édit de mars 1664 confirma cette règle2.

Lorsqu'un noble avait dérogé, il ne perdait pas pour autant le droit de revenir à la noblesse : « la noblesse ne se perd pas aisément, dit l'abbé Fleury, car encore qu'un homme ait fait acte dérogeant, il ne laisse pas d'être noble : seulement il perd les privilèges tant que l'acte dure, et s'il prend des lettres de réhabilitation, c'est seulement pour avoir un témoignage public qu'il a cessé de déroger » : il faut que, dans une même famille six générations successives aient dérogé, pour que la noblesse soit perdue complètement et qu'un nouvel anoblisse- ment soit nécessaire3. Le dérogeant n'a besoin que de prendre des lettres de relief; toutefois il semble que, d'après la décla- ration du 8 février 1661 relative à la recherche, une amende ait été encourue par lui de ce fait; en tous cas c'est unique- ment une question de droits à payer qui ne change rien au principe général4.

II. LES EXEMPTS PAR LA FONCTION

Des privilèges sont attachés à un certain nombre de fonctions, soit pour les honorer, soit pour assurer un avantage pécuniaire à ceux qui les exercent. Ainsi le roi exempte de taille les gens qui le servent pour rehausser leur condition ; il vend à qui veut les acheter des exemptions de taille, une telle vente n'étant au fond qu'une sorte d'emprunt dont l'impôt remis représente les arrérages ; il attache le privilège à une profession pour l'encou- rager. C'est pour tous ces motifs que nous trouvons une foule de fonctions conférant l'exemption : on peut les ranger en quatre catégories : ecclésiastiques, commensaux, militaires et officiers; agriculteurs ou manufacturiers.

1. Cependant les commissaires de 1696 admirent que les professions de juge, médecin et avocat n'entraînaient pas la dérogeance (Belleguise, p. 81-83).

2. Cf. Voysin de la Noiraye, Mémoire sur la Généralité de Rouen en 1665, p. 90, Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des tailles au mot Sergent, Houard, Dictionnaire analytique au même mot, Sandret, dans la Revue historique nobiliaire, t. XVI, p. 485, et l'abbé Dumaine dans le Bull, de la soc. hist. et archéol. de VOrne, t. V, p. 13.

3. Institution au droit français , éd. Laboulaye, t. I, p. 218.

4. Un cas particulier est constitué par les enfants nés avant la déchéance de leurs pères ; en ce cas ils ne sont pas considérés eux-mêmes comme dérogeant s'ils n'ont fait aucun acte contraire et ils n'ont pas à obtenir des lettres de réha- bilitation (arrêt du conseil du 10 octobre 1668, mentionné dans La Poix de Fré- minville, Traité des Communautés d'Habitants, p. 243).

232 LA TAILLE EN NOHMANDIE.

A. L'EXEMPTION DU CLERGÉ

Les ecclésiastiques forment « le premier ordre du royaume », et leur droit au privilège est, de tous, le plus incontesté1. Cepen- dant, il n'y a pas accord sur les fondements de ce droit : la thèse des clercs est que, leurs biens ne leur appartenant pas, ils ne peuvent être imposés à cause de ces biens ; la vieille théorie de l'immunité ecclésiastique est toujours invoquée par les cano- nistes. Pour les juristes, le clergé, que la loi romaine et la loi de Moïse exemptaient déjà, mérite cette faveur pour les services éminents qu'il rend à l'Etat2. Seuls quelques « politiques » soutiennent que les ecclésiastiques comme les autres doivent contribuer aux charges publiques à proportion de leur revenu 3. Mais, si même on admettait qu'ils devaient être imposés, il ne s'ensuivait pas qu'ils dussent payer la taille : les y soumettre eût été en effet les dégrader; en 1641 le roi reconnaissait qu' « assujettir» les ecclésiastiques à la taille eût été déroger « notablement à la dignité de l'Eglise, à l'honneur de leur caractère et au rang que tiennent les ecclésiastiques dans ce royaume dont ils composent le premier ordre » ; son devoir de fils aîné de l'Eglise est de « maintenir tous les droits et hon- neurs qui lui appartiennent », et la conserver « en sa splendeur et dignité *. »

On sait d'ailleurs que l'Eglise payait une contribution spé- ciale : par un contrat renouvelé périodiquement depuis 1561, le clergé s'engageait à verser au roi chaque année un « don gra- tuit », en échange duquel le roi s'engageait à n'établir sur lui aucun autre impôt :

1. Louis XIV, pour légitimer sa prétention a imposer les clercs, est amené à invoquer son droit de propriété universelle (Mémoires, éd. Dreyss, t. II, p. 80 et 230). M. Marion énonce une autre théorie dont je n'ai pas trouvé la trace au xvu* siècle : le Clergé aurait été dispensé de la taille, impôt essentiellement mili- taire, parce que sa « fonction sociale » était de ne prendre aucune part à la guerre. (Les impôts directs, p. 2.) La thèse parait au reste difficile à soutenir.

2. Mais Domat proclame nettement que « les revenus des biens temporels des bénéfices doivent contribuer au bien de l'Etat » (Le droit public, dans ses Œuvres, éd. 1757, t. II, p. 26). V. aussi Lebret, Œuvres, éd. 1689, p. 43S>.

3. Sur cette question des exemptions du clergé et des droits de l'Etat, voir la première partie de l'ouvrage de Cans, L'organisation financière du Clergé de France à l'époque de Louis XIV (1910), auquel je renvoie pour tout le détail. Voir aussi Du Rousseaud de la Combe, Recueil de jurisprudence canonique et bénéfi- ciale, art. Privilège, Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, même art. ; Mariéjol, dans l'Histoire de France, t. VI, 2e part., p. 384 et suiv.

Sur la nécessité pour le roi de respecter les immunités de l'Eglise, voici une remarquable lettre de Médavv, évéque de Séez, à Mazarin, du 7 janv. 1658 : « L'on doit remarquer que la monarchie n'a de fondement certain que sur la religion, qui establit le droit divin, et ne se fonde point dessus le droit de nature, qui favorise les estats populaires... La religion chrestienne nous oblige d'obéir aux rois

auand mesmes ils sortiroient hors des règles... c'est cette vérité que les prestres oivent insinuer fortement dans les esprits des peuples pour les entretenir dans une exacte obéissance » (Mélanges publ. par la Soc. de l'Hist. de Norm., t. V, p. 157).

4. Déclaration du 10 avril 1641, dans Néron, t. II, p. 14.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 233

« Sadite Majesté ne prendra décime, ne mettra aucun subside ordi- naire ou extraordinaire ou emprunts particuliers sur ladite Eglise et personnes ecclésiastiques et ne seront contribuables ni compris à aucune imposition faite ou à faire sur le bled, vin et autre denrée quelconque ni pareillement à la taille, soit à cause du domaine de ladite église ou de leur patrimoine, acquêts ou autres biens '. »

Un véritable marché était donc conclu entre le roi et son clergé : tant que le clergé paierait le don gratuit on ne pourrait lui faire payer la taille; il y avait théoriquement équivalence des deux impôts2; mais s'il cessait de payer le don gratuit, c'est- à-dire si le contrat n'était pas renouvelé, la question demeurait entière. C'est ce qui arriva en 1634 : le contrat du clergé expi- rant à la fin de cette année, le roi inséra dans le règlement des tailles de janvier 1634, l'art. 32 dans lequel il est dit que « les ecclésiastiques jouiront des privilèges et exemptions à eux accordés par nos lettres de patente et contrats faits avec eux jusqu'à la présente année selon et ainsi qu'ils en ont bien et duement joui par le passé, dans lequel se retirans par devers nous et rapportans lesdites lettres et contrats leur sera pourvu pour l'année ainsi que de raison ». Le contrat ayant été renou- velé quelques jours après cet édit, les privilèges du clergé furent également renouvelés par l'arrêt du conseil du 26 jan- vier. Les contrats ultérieurs conclus en 1646, 1657, 1666 et 1675 confirmèrent toujours cette exemption3.

La jouissance de l'exemption donnait lieu à quelques diffi- cultés. Il y en avait deux principales : qui devait-on com- prendre sous le nom d'ecclésiastiques? l'exemption de taille devait-elle être concédée sans limites pour tous les biens qu'il plairait aux bénéficiaires d'exploiter, ou au contraire conve- nait-il de la limiter, comme pour les nobtes?

Les clercs à simple tonsure, les bedeaux des églises, les che- valiers de Malte, les religieux mendiants n'étaient pas consi- dérés comme pleinement ecclésiastiques. La question de leur exemption donnait lieu à des règlements spéciaux pour chacune de ces catégories. Les clercs à simple tonsure, qui étaient extrê- mement nombreux, tenaient l'exemption de leur qualité d'étu- diants; ils devaient produire un certificat du recteur et des régents attestant qu'ils avaient étudié à l'université pendant six

1. Art. 15 du contrat de Poissy, Mémoires du Clergé, t. IX, col. 18.

2. Cf. le discours de l'archevêque de Rouen aux Etats de Normandie de 1655, Mélanges de la Soc. de Vllist. de Norm., t. V, p. 149.

3. Voir ces contrats dans les Mémoires du Clergé, t. IX à leur date avec les arrêts du conseil des 31 mars et 23 juillet 1638, 18 septembre 1640, 19 janvier 1641, la déclaration du 10 avril 1646, etc. Dans cette dernière, le roi reconnaît « que pour l'exaction desdites tailles il se commet plusieurs violences contre les bénéficiers et curez, que l'on procède par contraintes de déclarer par eux les biens de leurs paroissiens, saisies de leurs meubles, garnison dans les presby- tères, et autres indues vexations ».

234 LA TAILLI KN NOKMANDIE.

mois consécutifs*. Les bedeaux des églises étaient expressément déclarés taillables par l'art. 25 du règlement de janvier 1634 et la déclaration du 20 mai 1645 2. Les chevaliers de Malte, quoique faisant partie du clergé, étaient souvent mis à part des ecclésiastiques3, mais ils étaient nobles, et leur exemption de taille ne pouvait pas faire contestation : une série d'arrêts du conseil et des cours des aides le reconnaissaient*. Les religieux mendiants étaient reconnus exempts par privilège de clergie et en outre à cause du caractère de leur fonction6.

Aux membres de l'église catholique on peut ajouter les ministres protestants. Ledit de Nantes les exemptait seulement de collecte; mais un arrêt du Conseil du 17 juillet 1624 les avait dispensés de taille « pour leurs meubles, pensions et gages »; puis, « par un usage abusif », ils en étaient venus à ne rien payer non plus pour leurs immeubles. Ils seront, en fait, exempts jusqu'à ledit de Révocation, qui promet même de con- tinuer l'exemption à ceux des ministres qui se convertiront6.

La question des terres cultivées par les ecclésiastiques ne se posait pas de la même façon que pour les nobles : le clergé

f>ayant un impôt en remplacement de la taille, il eût semblé ogique de le laisser jouir de tous les biens qu'il voudrait sans le soumettre à cette dernière : il aurait suffi de régler le chiffre du don gratuit proportionnellement au revenu que les ecclésias- tiques tiraient de leurs biens. Mais un ecclésiastique exploitant des terres dans une paroisse les soustrayait à la taille de cette

f>aroisse; comment les défalquer au département? D'autre part, e contrat était conclu pour dix ans : tous les accroissements de biens survenus au clergé dans ces dix ans échappaient à la taxe, et même au renouvellement du contrat pouvait-on les calculer pour fixer exactement le chiffre du don gratuit? Très certaine- ment la liberté laissée aux ecclésiastiques d'exploiter autant de terres qu'ils voudraient eût entraîné des abus considérables. Depuis longtemps les lois du royaume avaient prévenu cet abus en limitant la quantité de terres qu'il leur était permis de cul- tiver par eux-mêmes.

Le règlement de janvier 1634 fixait pour les ecclésiastiques comme pour les nobles à « une de leurs terres et maisons » la quantité de biens qu'ils pouvaient faire valoir en franchise7.

1. Mémorial alphabétique au mot Clercs.

2. Ibid. au mot Appariteurs.

S. Par exemple l'édit de Janvier 1634, art. 33 dit : < les nobles ecclésiastiques chevaliers de Malte, officiers privilégiés ».

4. Cf. Descluseaux, Recueil des privilèges de Fordre de Saint Jean-de-Jérusalem, 1700, p. 838 et suivantes, et Vieuille, ch. xxm.

5. Lebret, 25« et 26* actions, Œuvres, p. 497-501.

»i. Mr'm. alphab., art. Ministres; arrêt du Conseil du 8 ianv. 1685, et ms. 7463, 111 de la Bibl. de l'Arsenal.

7. La déclaration de mars 1635 spécifia que le roi n'entendait pas comprendre dans cette réglementation les terres dépendant des bénéfices ecclésiastiques.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. . 235

Mais l'assemblée du. clergé réunie en 1641 représenta au roi que si l'on imposait les fermiers des ecclésiastiques, ceux-ci (< se trouvcroient doublement surchargés en ce qu'ils paient les décimes pour les biens qu'ils possèdent et qui sont tenus par leurs fermiers et receveurs, lesquels prétendoient diminution du prix de leurs baux, s'ils estoient encore obligés de payer la taille pour les mesmes biens et à cause du profit qu'ils y font » : la déclaration du 24 juillet 1641 exempta donc les receveurs et fermiers des ecclésiastiques, à la condition que les terres qu'ils cultivaient fussent dépendantes des bénéfices1. Mais le règle- ment d'avril 1643 (art. 28) revint à la législation de 1634; nouvelles plaintes de l'assemblée du clergé en 1646, nouvelle concession par la déclaration du 10 avril 1646 2, qui exempta tout prêtre, curé, religieux et tous autres bénéficiers même s'ils faisaient valoir leurs biens par leurs mains.

Mais le roi constata, en août 1664, que cette déclaration de 1646 avait « introduit un abus manifeste, en conséquence duquel les ecclésiastiques... prétendent que leurs fermiers ne doivent point être imposés aux tailles à cause des fermes qu'ils tiennent d'eux, s'imaginant que c'est leur faire payer indirectement la taille, d'où il s'ensuit un désordre sans exemple, qui cause la ruine et l'oppression des pauvres taillables, et donne lieu auxdits ecclésiastiques. . . d'augmenter extraordinairement le prix de leurs fermes, sous prétexte de cette prétendue exemption ». En con- séquence il fut ordonné que : les fermiers des ecclésiastiques seraient imposés à la taille comme les autres fermiers (art. 27); les ecclésiastiques ne pourraient faire valoir par leurs mains plus d'une de leurs terres, et les baux frauduleux seraient nuls (art. 28); ceux qui prendraient à ferme des terres d'autrui seraient imposés à la taille et leur cote serait égale « au quart de la valeur du revenu » de ces fermes (art. 30) 3.

Mais l'assemblée du clergé renouvela ses remontrances, en 1666, et un arrêt du conseil du 18 mars rendit l'exemption aux fermiers des ecclésiastiques4. Cette faveur exceptionnelle sou- leva encore des protestations et l'année suivante le roi restrei- gnit à nouveau le privilège ; l'édit de mars 1667 par son article 28 non seulement réduisit la quantité de terre laissée en franchise aux ecclésiastiques à une seule ferme comme le faisaient les déclarations de 1634 et 1664, mais encore précisa, comme pour

1. A. N. AD'", 470.

2. Dans Néron, t. II, p. 14.

3. La Cour des Aides de Paris n'avait pas attendu ce règlement pour limiter le privilège des ecclésiastiques : un de ses arrêts du 5 septembre 1662 condamnait un curé à payer la taille pour des biens qu'il possédait et cultivait, l'exemption n'étant valable, dit la Cour, que « pour leurs biens ecclésiastiques, leur patri- moine presbytéral et pour ce qui leur écberroit par succession directe » (cité dans le Mémorial alphabétique, p. 248-241).

4. Mémorial de la Cour des Aides de Rouen, A. D. Seine-Inf. t. XLIII, f 11.

23f. LA TAILI.K KX XOHMAXD1B.

les nobles, que cette ferme ne devrait pas dépasser « quatre char- rues » ni s'étendre sur plus d'une paroisse1. Puis les assemblées du clergé en 1670 et en 1675 reprirent leurs éternelles récla- mations, et des arrêts du conseil rendirent l'exemption aux fer- miers'. Seule demeura invariable la règle que les ecclésias- tiques non nobles ne pouvaient exploiter eux-mêmes leurs biens patrimoniaux ou d'acquêt, ni y employer leurs valets 3.

Les dîmes n'étaient pas considérées comme biens sujets à l'impôt si les ecclésiastiques les percevaient eux-mêmes. La déclaration d'avril 1643 en son article 28 le spécifiait expres- sément, et les assemblées du clergé de 1666, 1670 et 1675 eurent soin de faire reconnaître ce principe par le roi*; mais si les ecclésiastiques les affermaient à des taillables, ceux-ci devaient être imposés pour le profit qu'ils en tiraient; tous les règle- ments cités plus haut le prescrivaient.

Ces variations incessantes et ces incohérences de la législa- tion embarrassaient fort les agents du gouvernement; les ecclé- siastiques s'en prévalaient pour étendre le plus possible leurs privilèges. Le 1er mai 1676, l'intendant de Rouen écrit à Colbert qu'ils s'autorisent de l'arrêt du conseil du 9 septembre 1675 pour faire exempter leurs fermiers de la taille, et que les élec- tions leur font droit5. L'intendant de Caen dans son mandement aux paroisses du 1er octobre 1680 constate « que plusieurs par- ticuliers tenans les dixmes des parroisses s'exemptent indûment de la taille par crédit ou sous prétexte de procurations frau- duleuses », et il prescrit aux collecteurs d'inscrire sur leurs rôles ceux qui afferment les dîmes de leur paroisse pour les imposer s'ils n'ont un cas d'exemption valable6.

L'influence personnelle qu'avaient les ecclésiastiques et le rôle qu'ils jouaient dans les assemblées des paroisses leur donnaient aussi le moyen d'avoir les exemptions qu'ils dési- raient. D'ailleurs, ils savaient trouver des protections en haut lieu. En 1661, les Pères de la Mission établis à Caen se font recommander à l'intendant Dugué par son parent Le Tellier;

1. Il aurait pu se présenter le cas un ecclésiastique, possédant moins de 4 charrues, eût affermé des terres de façon à compléter cette quantité : l'auteur du Mémorial alphabétique pose la question de savoir s'il doit être imposé pour ces dernières. S'appuyant sur un arrêt de la Cour des aides de Paris du 22 mai 1680, il conclut : On ne peut pas disconvenir que la maxime de faire payer la taille aux ecclésiastiques pour les occupations qu'ils font valoir a toujours pré- valu à la maxime contraire introduite par la déclaration de 1646 » (p. 243); mais on n'a aucun renseignement relatif à la jurisprudence de la Cour des Aides de Normandie sur ce point.

2. Arrêts des 30 octobre 1670 et 9 septembre 1675, A. D. S. Inf. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLIII, 11.

3. Décl. d'août 1664, art. 30. Cf. cependant au contraire la protestation de l'évêque de Séez en 1658, Mél. Soc. flist. de Norm. V, p. 154.

4. Arrêts du conseil des 18 mars 1666, 30 octobre et 9 septembre 1675; voir ce dernier dans Néron, t. II, p. 774.

5. B. N. fr. 8 759, 60.

6. A. D. Calvados, Bureau des Finances de Caen.

LES EXEMPTS PAR LA. FONCTION. 237

l'intendant, non seulement les exempte de tout impôt pour leurs biens, mais encore lève sur l'élection une somme de 8000 1. à eux destinée; il faut que Le Tellier le réprimande pour excès de zèle : « Je ne puis, Monsieur, vous cacher, que j'ay esté fort surpris d'aprendre que des gens qui ne nous preschent que l'excessif accablement des peuples par les levées que l'on faict sur eux, et la charité envers les pauvres, sollicitent pour leur proffict particulier la diminution d'une grâce que le Roy a accordée à une eslection ruinée par la mauvaise récolte de deux années consécutives1 ». Après la mort de l'abbé de Conches, en 1669, la veuve Gersant, qui faisait la recette de l'élection, écrivait à Colbert que « les fermiers de l'abaye dudit Conches ont faict leurs déclarations au greffe qu'ils ne prétandent plus tenir leurs fermes au pris qu'ils les ont tenue jusques icy2 », parce qu'ils ne se sentent plus protégés.

En 1669, les fermiers des dîmes dans la paroisse de Rots avaient été taxés par les collecteurs a 50 1., mais les habitants réunis en assemblée le 2 février, décidèrent, nous ne savons sous quelle influence, de modérer cet impôt h 30 1. et de se recharger eux-mêmes de la différence3; en 1671, l'assemblée réduit pareillement leur cote à 40 1.*, et en 1672, elle la fixe à 60 l5. Toutes ces modérations de taux ne peuvent guère être considérées que comme des faveurs accordées aux dimeurs 6.

L'importance du privilège accordé aux ecclésiastiques ne pourrait être mesurée que si l'on connaissait exactement, non seulement le nombre des personnes qui en bénéficiaient, ce qui est très difficile, mais encore la quantité de biens dont chacune jouissait, ce qui est impossible7. Mais il semble bien que les ecclésiastiques étaient très nombreux et très riches en Normandie 8 et la médiocre somme qu'ils payaient au roi pour

1. Arch. des Aff. Etr., Mém. et doc. 915, 4. Les 8 000 1. avaient été remises par le roi à l'élection, et Dugué voulait quand même les percevoir pour les missionnaires.

2. Lettre du 4 juin 1669, M. C. 153, 136.

3. A. Mun. Rots, BB. 4, 165.

4. Ibid. 5, 35.

5. Ibid.

6. On reconnaît la tendance des ecclésiastiques à étendre leurs privilèges dans les prétentions qu'avaient les communautés régulières d'exploiter en franchise autant de fermes que ces communautés avaient de membres. La jurisprudence en matière civile était cependant formelle : une communauté religieuse ne comptait que pour une personne (Gauret, Stiledu Conseil du roy,p. 408). En 1680, les carmélites de Maçon prétendent au privilège pour chacune de leurs religieuses ; la Cour des Aides de Paris les condamne par un arrêt du 22 mai.

7. Vauban estime à 75 millions de livres au moins le revenu annuel du clergé du royaume en 1694; c'est une somme relativement élevée (Corresp. des conlr. généraux, t. I, p. 562). Un M. d'Orgeval, dans un mémoire présenté à Colbert en 1665 affirme que les couvents possèdent « plus du tiers de tout le revenu du royaume » (M. C. 33, 366).

8. Leur nombre apparaît sur les rôles de taille, ils n'avaient pas les mêmes raisons que les nobles de se cacher; le mémoire de Voysin sur la généralité de Rouen en 1665 catalogue un grand nombre de communautés régulières, la plupart riches, et les revenus des cures s'élèvent à une somme considérable.

238 LA TAII.LK EN NO II M A NOM-.

le don gratuit de leur province1 ne compensait pas leur privi- lège : chaque paroisse a son curé, et généralement un vicaire. «n taiiiis, même à la campagne, ont trois et quatre vicaires; une quantité considérable de clercs figurent a la fin des rôles sont portés les exempts; presque toujours le nombre des ecclé- siastiques dans ces listes est plus fort que celui de tous les autres exempts réunis. Par exemple, à Montivilliers en 1661, il y a 15 ecclésiastiques pour 4 nobles; à Saint-Saens (élection de Neufchâtel), 14 ecclésiastiques sur 22 exempts; à Neufchâtel, sur 43 exempts, 31 ecclésiastiques; dans les rôles de l'élection de Bayeux2, le nombre des ecclésiastiques est en moyenne 2 fois plus élevé que celui des nobles; dans l'élection de Neufchâtel3 sur une série de 80 rôles de l'année 1670, on a 171 ecclésias- tiques pour un total de 293 exempts (les communautés reli- gieuses n'étant comptées que pour une unité).

Quant aux possessions exemptées de taille par ce nombreux personnel, même si elles étaient limitées aux 4 charrues régle- mentaires, elles avaient une étendue considérable, et les pro- tections qu'ils se faisaient accorder ou qu'ils demandaient pour leurs fermiers l'accroissaient encore. Les grandes abbayes comme le Bcc-Hélouin, Saint-Etienne de Caen, Jumièges, Saint- Ouen de Rouen, avaient des terres immenses qui n'étaient pas imposées. D'après l'arpentage de la paroisse de Bretteviîle- l'Orgueilleuse fait en 1687, on voit que sur un territoire de 1071 acres les biens ecclésiastiques exempts occupent 190 acres sans compter le terroir de la dîme qui est de 49 acres et pour lequel nous ne savons s'il était ou non imposé*.

De nombreuses plaintes sont adressées de toutes parts au gou- vernement contre le trop grand nombre de clercs. La collection des mémoires envoyés à Colbert en 1665 pour la réformation de la justice en contient beaucoup et presque toujours parmi

1. Ce qui ne signifie pas, du reste, que la part de chacun était toujours faible. Le don gratuit était souvent mal réparti. Cf. les Soupirs de la France esclave, Premier mémoire, p. 10 : « Il faut regarder le triste état et la situation abjecte sont tous les bas ecclésiastiques : le roi lève des tailles sous le nom de Don gratuit sur le clergé, qui l'assèchent et qui le rendent misérable. Il est vrai que les évèques et tous ceux qui tiennent les grands bénéfices trouvent des moyens de se tirer de dessous ce fardeau, mais il n'en devient que plus pesant au bas clergé. Les curés portent le faix.... Ce qui fait que les cures sont pauvres, et misérables, et méprisés. Voir aussi Cans, ouv. cit., p. 179 et suiv. et le « Mémoire de M. de Fougerolle » publié par Boulainvilliers (Mémoires présentés au duc d'Orléans, 1727, t. II, p. 125), sur la « pauvreté extrême » de certains curés.

2. Aux Arch. mun. de Baveux.

3. A. D. Seine-Inf. C 2 673 et suivants.

4. Il y a cependant lieu de conjecturer qu'il ne l'était pas, puisque le rôle de taille de la paroisse pour l'année 1691 qui se trouve dans le fonds de l'élection de Caen et qui donne avec beaucoup de détail les occupations de chaque contri- buable ne porte pas les fermiers de la dime. L'abbaye de Saint-Etienne-de-Caen

{►ossède 102 acres, l'abbaye d'Ardaine, 1 acre, le trésor de Bretteville, 6 acres, e curé de l'abbaye de Bretteville, 21 acres, les obits du même lieu 14 acres, un ancien curé de la paroisse 3 acres, un curé d'une paroisse voisine, 1 acre et un vicaire 4 acres.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 239

les inconvénients de cette multiplication excessive des prêtres et des moines, on signale les exemptions qu'ils font accorder aux terres en leur possession *', A Dieppe, les Carmes déchaussés sont établis par le duc de Longueville malgré la « répugnance » de la population2. Les habitants de Bargemont n'autorisent les Augustins à s'établir dans leur village que sur l'engagement pris par les religieux de payer la taille pour les biens qu'ils feraient valoir3. A Gisors, en 1682, les habitants résolvent d'imposer les communautés religieuses pour acquitter les dettes de la ville, et Colbert, consulté, les y autorise, quoique les autres exempts ne soient pas taxés *•.

Le procureur du roi à Vernon écrit à Colbert le 17 avril 1666 :

« Le devoir de ma charge m'oblige de vous donner advis que contre l'intention du roy et au préjudice de sa desclaration qui deffend tous establissements de maisons religieuses depuis 1640, l'on aye voullu entreprandre d'en faire; vous scaurez, s'il vous plaît, Monseigneur, qu'il y a huict jours que le grand vicaire de Mgr l'Evesque d'Evreux, par son ordre, vint avecque madame l'abbesse de Saint-Jean d'Andely et trois autres religieuses en un petit village distant d'un quart de lieue de Vernon, lesquels plantèrent une croix sur la porte d'une maison appartenante à M. de Brécourt pour y establir trois filles qui estoient avec elle ; et comme j'ay seu que tel establissement estoit contraire aux vollontez du Roy s'ils n'estoit appuyé sur ses lettres patentes, je m'y suis opposé; elles n'ont pas pour cela laissé de se mettre en posses- sion, et c'est ce qui me donne subjet de vous importuner pour vous informer de l'importance d'un tel establissement, en un pauvre petit village de cents feux au plus, chargé de deux mille livres de taille, lesquelles vont présentement en occuper la plus belle et saine partie, sans ce qu'elles feront à l'advenir, c'est un véritable moyen de rendre ce lieu inutille puisqu'il sera entièrement desnué d'habitants et qu'il n'y aura que ceux qui y resteront qui en seront les plus mal- heureux. Ils implorent votre protection par ma bouche 3. »

B. L'EXEMPTION DES COMMENSAUX

Les personnes attachées au service du roi et de la famille royale sont désignées par la qualification de « commensaux »,

1. Voir ces mémoires dans le vol. 33 de Mél. Colb. et au Toi. Clairamb., 463.

2. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 143.

3. De Merville, Maximes générales, p. 88. Du Rousseaud de la Combe dislingue 1' « exemption simple » s'appliquant à la personne seulement, et le « privilège » s'étendant aux terres exploitées par un clerc. {Recueil de jurisprudence, art. Pri- vilège). Cf. Durand de Maillane. Dictionnaire, art. Taille.

4. Leblanc à Colbert, 5 avril 1682 : les- couvents de l'Annonciade, des Carmé- lites et des Ursulines occupent « plus du tiers » de la ville; « ils sont establis au lieu ou estoient scituées les tanneries, qui estoit le seul commerce et ou il y avoit plusieurs tanneurs qui payoient chacun sept a huit cens livres de taille; un de ces couvents a obtenu depuis peu des lettres pour enclore plusieurs maisons et fermer une rue, ce qui fait que le peuple ne les aime pas » (A. N., G7 491; cf. B. N. fr. 8761 75). Voir la réponse de Colbert dans Clém., IV, 154.

5. M. C. 137, 315-316. Publié dans Depping, t. IV, p. 86-87.

240 LA TAILLE EN NOIIMAXDIE.

c'cst-ii-dire f^'ns « qui ont des chargea ayant bouche à la Cour avec g;ii,r<'s oonchez sur l'état de la maison du roi, princes, fils et filles <lr France, serrans actuellement près de leur personne1».

Une partie d'entre eux sont nobles et tiennent leur exemption de cette qualité, mais beaucoup d'autres sont roturiers et ne doivent leur privilège qu'à leur emploi.

Le droit du roi à exempter d'impôts les gens qui le servaient n'était pas contesté; le souverain avait en effet la libre dispo- sition de ses finances, et remettre à un particulier le paiement d'une somme qu'il lui devait était considéré comme son droit strict; du reste l'exemption paraissait une chose naturelle pour tous ceux qui touchaient à la personne du roi et qui, par même, étaient élevés au-dessus du commun.

On rangeait d'ordinaire les commensaux en deux groupes : les gardes du roi, et les sept offices de sa Maison 2. Les gardes du roi, c'est-à-dire sa Maison militaire, étaient tous exempts ; les officiers étaient nobles et ne nous intéressent pas ici. Le règlement de janvier 1634, art. 11, n'accordait l'exemption aux ardes que s'ils servaient actuellement, ne faisaient pas trafic e marchandise et ne tenaient pas de fermes d'autrui. L'édit de novembre 1640, qui révoquait tous les privilèges, n'excepta pas la Maison du roi, mais l'édit de novembre 1643 rapporta cette mesure qui n'était qu'un expédient fiscal; le privilège de la Maison militaire demeura ensuite incontesté*.

Les sept offices de la Maison du roi : Panneterie, Echanson- nerie, Cuisine de la Bouche et du Commun, Fruiterie et Four- rière confèrent également l'exemption de taille à ceux de leurs titulaires qui ne l'ont pas à un autre titre.

En outre de la Maison du Roi, la Maison de la Reine exempte tous ses officiers, et après la mort de cette princesse ils con- servent leur privilège pour leur vie durant4. La Maison de Monsieur avec ses 121 gardes du corps, la Maison de Madame, les Maisons des Enfants de France constituées dès la naissance de chacun d'eux, enfin la Maison du Prince de Condé ont les mêmes faveurs 5.

1. Vieuille, Traité des Elections, p. 409.

2. Sur les commensaux, voir :

Code des privilèges, ou Recueil des Edits, ordonnances... intervenus sur les privilèges des officiers domestiques et commensaux du roi, de la Heine, des enfans de France et autres, depuis l'an 1318 jusqu'en 1646; avec des notes et observa- tions de Louis de Vrevin, président et lieutenant général à Chauny, Paris, Rocolet, 1646; Code des Commensaux de la maison du Roi, Paris, V™ Saugrain, 1720 (12°) J. Pinsson de la Martinière, Privilèges des officiers de la maison du roi Paris 1645. Le même a publié des Etats des officiers domestiques et commensaux des maisons du roi, de la reine régente .. 16VJ, 1650, et 1652. Autres états 1649 à 1660. B. N. LC2S, 92-93, Les diverses éditions de VEiat de la France donnent des états semblables pour la période 1661-83.

3. Voir pour tout ce qui concerne les gardes du roi et le détail de leurs privi- lèges, Vieuille, Traité des Elections, p. 440-449.

4. Déclaration du 3 novembre 1683, citée dans Vieuille, p. 413.

5. Les 121 gardes du corps de Monsieur sont exempts spécialement par la

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 241

Un certain nombre d'offices subalternes de la Cour confèrent également l'exemption : les concierges, les portiers et les jar- diniers des Maisons royales ont eu leur privilège confirmé par l'arrêt du Conseil du 30 janvier 1644 '. Les conseillers-secré- taires du roi ont le titre de noblesse attaché à leurs charges ; leurs fonctions sont d'ailleurs à peu près nulles, n'étant pas tenus de résider à la Cour, et leur titre n'est guère autre chose qu'un moyen d'échapper à la taille2. Enfin les offices de la grande et petite Écurie, y compris les 14 chevaucheurs ordi- naires créés par la déclaration du 7 septembre 1634, jouissent de tous les privilèges des commensaux3.

Au-dessous de ces offices subalternes viennent encore les officiers des Chasses royales; l'édit de janvier 1634 (art. 20), en limitant leur nombre leur accorde seulement une diminution de 5 1. sur leur cote de taille; les archers des Toiles bénéficient d'une réduction de 10 1. 4.

Les commensaux devaient remplir un certain nombre de conditions pour pouvoir jouir de leur privilège. Il fallait que leurs provisions fussent enregistrées à la Cour des aides d'où ressortissait leur domicile5; ils devaient figurer sur les états dressés par le roi et enregistrés chaque année à la Cour des

déclaration du 13 février 1674 (Règlements de Normandie, p. 185, cf. Mém. Alphab. à l'art. Gardes du corps); la maison de la Dauphine, constituée par la déclaration du 20 juillet 1680, comprend 418 officiers (Vieuille, p. 412). Sur l'immunité des gens des maisons des Enfants de France, voir la 21e action de Lebret dans ses Œuvres, éd. 16S9, p. 489-490 : « Il est notoire par les édits et les ordonnances que les Enfants de la Maison de France et notamment les plus propres à succéder au roiaume ont ce privilège que tous leurs officiers et servi- teurs domestiques sont exempts de toutes tailles et contributions comme ceux de la propre Maison du Roi. Cette prérogative est fondée principalement sur l'bonneur et la révérence qui est due au sacré sang de cette famille auguste en laquelle consiste la principale force de l'Etat. »

1. Mém. Alphab, p. 155.

2. Un grand nombre d'ordonnances concernant les secrétaires du roi ont été rendues à toutes les époques, on en trouve l'énumération dans le Code des Commensaux. V. aussi le Recueil de Lemaistre, A. D. S.-Inf. C. 2 388, art. Tailles.

3. Mém. Alphab. art. Ghevaucbeurs et G. d. T. t. I, p. 290.

4. Voir l'énumération des officiers des chasses royales en 1713 dans le Mém. Alphab. p. 497, leur total est de 234; les offices de la Vénerie, de la Louveterie et de la Fauconnerie ne sont pas compris parmi eux, ils font partie de la Maison du roi proprement dite et, à ce titre, confèrent l'exemption complète. Les archers des Toiles furent déclarés pleinement taillables par les commissions des tailles pour 1659, mais un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 22 février 1659 cassa cette disposition et remit en vigueur l'édit de 1634; la déclaration de 1684 leur donnera d'ailleurs l'exemption totale. (Mém. Alphab. art. Archers des Toiles.)

5. Déclaration du 26 janvier 1663 reprise par celle d'août 1673, art. 12; un arrêt du conseil du 19 décembre 1663 cité dans le Mém. Alphab. p. 121 spécifiait que l'enregistrement devait être fait uniquement à la Cour des Aides de Paris, mais un autre arrêt du 21 février suivant ordonna l'enregistrement des provisions à la Cour des Aides de Rouen pour tous les commensaux demeurant dans le ressort de la Cour en fixant le droit d'enregistrement à 20 1. ; il spécifiait en outre que tous les procès relatifs à leur privilège seraient réglés par la Cour de Rouen. (Clairamb. 659, p. 234). La prescription fut reprise par l'art. 34 du règlement d'août 1664.

LA TAILLE EN NORMANDIE. 16

LA TAILLE EN NOHMANDI K .

aides de Paris*. La Cour de Rouen ayant fait des objections sur ce dernier article, parce qu'elle voulait aussi enregistrer l'état*, l'édit de mars 1654 lui donna satisfaction.

Les commensaux sont tenus d'exercer personnellement leur charge. Un grand nombre dédits constatant que certains d'entre eux « ne font aucune fonction de leur charge », leur rappellent cette obligation3; mais si tous ces officiers avaient réellement exercé, on ne sait, tant ils étaient nombreux, à quelle besogne ils auraient été employés4. « Tous les règlements, dit un juriste en 1670, exigent que ces officiers ayent service actuel néan- moins, la Cour des aydes les répute tous exempts de la taille lorsqu'ils sont sur son état6 »; une déclaration du 13 février 1674 exempte même expressément de tout service les gardes du corps de Monsieur.

L'édit d'août 1664 leur avait imposé une série de forma- lités dans le but de les astreindre à exercer leur charge ou à renoncer à leur privilège : d'abord ils devaient faire signifier aux habitants de la paroisse ils demeuraient le quartier pen- dant lequel ils devaient servir, et annoncer leur départ; à leur arrivée à la Cour ils devaient obtenir d'un notaire l'attestation qu'ils étaient venus « exprès pour servir leur quartier », et de même à leur départ; ils y joignaient la quittance de leurs gages et présentaient le tout à leur paroisse; les habitants avaient le droit de contester devant les tribunaux la validité des certificats « sans être tenus de former aucune inscription de faux ». Le seul cas de dispense admis était la maladie (art. 36). Il faut que les gages annuels attribués à leur office montent au moins à 60 1.. sauf s'il s'agit d'un des sept offices de la Maison du roi : en conséquence le commensal doit fournir à sa paroisse un cer- tificat attestant que ses gages sont au moins de 60 l. 6. Ils ne doivent faire aucun acte dérogeant, c'est-à-dire n'exercer aucune fonction « répugnante à la qualité en laquelle ils feront ser- vice7 » comme celles de bailli, sénéchal, conseiller, procureur, avocat, huissier, notaire8. Enfin une condition spéciale est exigée des commensaux qui résident dans le ressort de la Cour des aides de Rouen : il faut qu'ils n'aient pas été imposés au moment ils ont acquis leur charge, sinon ils ne bénéficient que d'une

1. Déclaration de janvier 1634, art. 8.

2. Remontrances sur l'art, précédent dans Règlements de Normandie, p. 109.

3. Edits de janvier 1629, art. 408, et mars 1654.

4. On trouve même un arrêt de la Cour des aides de Paris du 26 janvier 1661 qui maintient dans leur exemption deux maitres des requêtes de la Maison de Mon- sieur et deux secrétaires de la Maison de Mademoiselle, quoiqu'ils ne fassent aucun service actuel. (Cité dans Dufresne, Journal des principales audiences du Parle- ment, t. II, p. 313).

5. Lange, La nouvelle pratique civile, 5" éd., p. 118.

6. Déclaration de janvier 1634, art. 10 et du 20 août 1673 art. 12.

7. Edit de juin 1614, art. 23.

8. Déclaration du 23 octobre 1680, rappelant la législation antérieure.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 243

réduction de 10 1. sur leur cote calculée « sur le plus haut taux des trois années précédant la date de leurs lettres de retenue, sans toutefois qu'ils puissent estre augmentez à l'avenir pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit1. » La décla- ration d'août 1673 leur donne le droit de faire valoir par leurs mains une charrue de terres leur appartenant 2.

On ne peut exactement savoir dans quelle mesure toutes ces prescriptions minutieuses et compliquées étaient obéies; il semble bien d'après les règlements eux-mêmes que beaucoup d'abus étaient commis par les commensaux; en outre les inten- dants ne cessent de rappeler dans leurs mandements aux paroisses les prescriptions réglementaires, et ils se plaignent à Colbert de la difficulté de poursuivre les contrevenants : ceux-ci sont appuyés par les tribunaux, dont les juges sont naturelle- ment portés à soutenir des privilégiés comme eux. En 1672, l'intendant de Rouen écrit que les officiers de feus Monsieur et Madame se font exempter de taille par la Cour des aides malgré la révocation de leur exemption; à Chaumont-en-Vexin un chirurgien est exempt parce qu'il prétend « avoir esté bar- bier des pages de feu Madame 3 » ; le même intendant se plaint que l'on ne peut faire présenter par les commensaux l'extrait de la Cour des aides ils sont employés, et il faut que Colbert lui donne l'ordre de les mettre à la taille4; dans la ville de Pontoise, les irrégularités en matière de taille sont un mal invétéré, il y a 38 « des principaux habitans qui prétendent à l'exemption complète de taille comme officiers de Maison royale quoiqu'ils eussent été taillables avant l'acquisition de leur charge; leur exemple encourage les autres habitants à prendre de pareils offices ou, du moins, ils menacent les collecteurs d'en prendre s'ils ne sont imposés à la somme qu'ils désirent », ce qui cause « la désertion de plusieurs habitans et la ruine entière de ladite ville 5 » ; il faut un arrêt du conseil du

1. Déclaration du 26 janvier 1663 : antérieurement à cette déclaration la règle était en usage dans la province mais n'avait pas été codifiée par un acte royal; il en résultait des procès intentés aux collecteurs par les commensaux devant la Cour des aides de Paris, ce qui créait des conflits de juridiction avec la Cour de Rouen, et les parties se ruinaient souvent en frais. On trouve par exemple un procès intenté par un huissier de la cuisine du duc d'Anjou à la paroisse de Saint-Hilaire de Nogent-le-Rotrou en 1658; ayant été taillable avant l'acquisition de 6on office, il avait été imposé par les paroissiens et l'élection l'avait condamné à payer, mais il avait fait appel devant la Cour de Paris qui lui avait donné gain de cause; aussitôt la Cour de Normandie s'opposait à l'exécution de l'arrêt de Paris le 2 juillet 1661. (A. D. Seine-Inf. Cour des Aides, Registre du Conseil, à sa date). La déclaration de 1663 ajoute que si au moment de la réception en charge les commensaux ont moins de vingt ans ou payent moins de 10 1. de taille, ils seront exempts. Ses dispositions sont reprises par l'art. 33 du règlement général d'août 1664.

2. Déclaration d'août 1673, art. 22.

3. Clairamb. 793, p. 765 et 795.

4. Ibid., p. 107.

5. Lettre de Leblanc à Colbert, 1677, B. N. fr. 8 761b", 40.

Ji'i LA TAIM.i: i:.\ Noll.MANDIE.

12 avril ll>77 pour limiter à 8 le nombre des officiers des mai- sons royales qui pourront avoir l'exemption à PontoÎM. Mais le 23 octobre suivant, un autre arrêt du conseil accorde l'exemp- tion à un huissier de salle de la Maison du roi habitant à Pon- toise, quoiqu'il soit en sus du nombre fixé1.

Un grand nombre d'autres arrêts déchargent de taille des officiers de maisons royales; il est bien à penser qu'une partie au moins d'entre eux, sont dus uniquement à la faveur; en 1682, Colbert recommande à l'intendant de Rouen un valet de chambre de la reine et un officier de la Fauconnerie royale demeurant à Gisors; Leblanc lui répond que le premier étant imposé à 8 1. il lui fera rembourser cette somme par la paroisse et empêchera qu'à l'avenir il ne soit imposé, puis il ajoute : « Je vous supplie de ne lui point donner d'arrest, à cause de la con- séquence »; quant au second, dit-il, il a n'est point gentilhomme et n'a jamais servy ny fait signifier de certificat de service2 ».

Les agents royaux ne savaient pas exactement quels étaient les commensaux exempts de taille dans leurs circonscriptions; les listes des exempts inscrits à la fin des rôles de taille étaient mal tenues et il était facile à un personnage influent dans sa paroisse d'obtenir de n'y pas figurer; et quand bien même ils eussent été inscrits, comment enquêter sur chacun deux? L'intendant de Rouen écrit à Colbert le 31 juillet 1673 que dans sa tournée pour faire le département de la taille il va relever « tous ceux qui se prétendent commensaux affin de voir ceux qui seront employés » sur les états d'exempts, mais on ne voit pas que son enquête ait eu une suite '. Les paroisses seules auraient pu faire des poursuites, mais on n'en trouve que de rares exemples.

Le principal effet des prescriptions minutieuses relatives aux commensaux fut de multiplier les procès; les registres des élections et de la Cour des Aides en sont pleins; entre les nombreuses causes de chicane à propos de l'impôt, celle-ci doit être mise sans doute au premier rang. Comme d'ailleurs les commensaux étaient des personnages puissants et riches, il leur était facile d'intenter des procès les paroisses étaient ruinées en frais. Un huissier de salle du prince de Condé imposé à 8 sous dans sa paroisse intenta un procès à celle-ci pour être reconnu exempt; on plaida d'abord devant l'élection et ensuite devant la Cour des aides qui donna gain de cause à l'huissier et condamna la paroisse aux dépens, lesquels durent s'élever à plusieurs centaines de livres*.

1. Clairarab. 660, p. 118. Sur les désordres de Pontoise voir ci-dessous, chap vi ; le nombre maximum de 8 privilégiés par paroisse avait été déjà fixé par le règle- ment de 1634, art. 13.

2. Lettre du 10 avril 1682, B. N. fr. 8 761, 47.

3. Clairamb. 795, p. 37.

4. A. D. Seine-Inf. Cour des Aides, registre du Conseil, 4 février 1662.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 245

Les offices des Maisons royales étaient en nombre indéfini. Les différents Etats de la France ne donnent que les principaux d'entre eux ; tous les offices subalternes y sont omis. L'état de 1653 énumère entre autres 319 maîtres d'hôtel du roi, 50 médecins et chirurgiens, 50 portiers, 310 peintres et gens de métiers, 77 valets de chambre1... Et à cette date la Cour n'est pas encore à Versailles! La plupart de ces offices avaient été vendus par le roi pour en tirer de l'argent et ne correspondaient à aucune fonction réelle, le roi le reconnaît lui-même dans le préambule de la déclaration d'octobre 1680 : les offices de notre Maison et autres maisons royales, dit-il, ont été pris « non pas tant pour y servir que pour s'acquérir un titre d'exemp- tion 2 ». L'intendant de Caen signale, en 1680, des officiers de judicature qui ont acheté à vil prix des charges chez le roi pour avoir le privilège que leur office ne leur confère pas : ils s'absentent trois mois par an pour exercer la charge et sont ainsi dispensés d'impôt3. Les diverses suppressions et rétablis- sements accordés moyennant finance à différentes époques ne permettaient pas la discussion des titres de chacun. « Si tous ceux, dit Lebret, qui aportent des lettres de provision d'office des maisons des princes estoient rendu francs et exempts, on ne verroit autre chose, vu qu'il n'y a rien qui s'obtient plus aisément, et d'où proviendroit l'entière perte et ruine des tailles et des aides du roy\ » On se demande alors comment on pouvait reconnaître le droit de ces officiers à l'exemption si leurs titres ne prouvaient rien. Enfin le grand développement pris par la Cour à Versailles amena la multiplication des com- mensaux; on s'en rend aisément compte en comparant entre eux les Etats de la France successifs.

Colbert travailla à réduire le nombre de ces officiers ; dans le préambule d'une déclaration du 30 mai 1664, le roi reconnaît que « parmi les abus et les désordres qui se sont glissés pen- dant la guerre et les troubles de cet Etat, l'augmentation des officiers inutils et supernuméraires employez dans nos états et ceux des Maisons royales n'a pas été le moindre pour la sur- charge que cela a causé tant à nos finances qu'à nos sujets con- tribuables aux tailles qui s'en sont trouvés d'autant plus foulez 5 ». En conséquence, il se déclare résolu à réduire leur nombre à ceux qui font un service effectif, « afin que le nombre des contribuables étant par ce moyen augmenté, les pauvres en puissent estre soulagez », mais il se borne à rappeler les pres- criptions anciennes, ce qui prouve simplement qu'elles n'étaient

1. B. N. Lc25, 93.

2. Règlements de Normandie, p. 207.

3. Lettre du 15 août 1680, A. N., G^ 213.

4. 21e action, mai 1596, Œuvres, p. 490.

5. Néron, t. II, p. 76.

Ml LA TAILLE IN \< >1: M VNDIE.

pas respectées. Le seul moyen de réaliser la réduction eût été de rembourser la plus grande partie des offices, et le roi n'en eut jamais le moyen.

En ce qui concerne la Normandie, il est difficile de savoir au juste combien de ces privilégiés y demeuraient; mais ils semblent y avoir été très nombreux. Ils pouvaient sans inconvé- nients habiter loin de la Cour, puisqu'ils n'étaient tenus presque à aucun service. On trouve dans mainte paroisse des gendarmes de la reine, des huissiers de bouche de la Maison de Monsieur, des gentilshommes de la Fauconnerie du roi, des gardes du corps du roi, des cavalcadours de Mademoiselle, de nombreux secrétaires du roi...; dans la plus petite paroisse on rencontre quelqu'un d'entre eux1.

C. EXEMPTIONS A L'ARMÉE ET A CERTAINS OFFICES

La taille étant un impôt d'origine militaire, il semblait naturel que ceux qui servaient le roi dans les troupes et sur la flotte en fussent exempts; en outre, la profession des armes, particulièrement honorable, était considérée comme incompa- tible avec cette charge dégradante :

« De toutes les professions qui importent le plus au bien public, dit Lebret, la militaire semble mériter un des premiers rangs... C'est elle qui défend et maintient le repos et l'état de toutes choses.... Non seulement elle conserve les autres vertus, elle maintient la liberté et les lois du païs, elle défend et garde les citoiens et même les rois; mais encore elle fait que par son moien Ton peut aisément ravir et enlever tout ce que possèdent nos ennemis, c'est pourquoi les hommes de cette profession militaire ont de tout temps mérité d'estre honorez entre tous les autres de plusieurs beaux et signalez privilèges signamment de l'exemption et immunité de tous tributs et autres charges... comme à la vérité ils paient à la république un assez grand tribut, que de lui conserver leur sang et leur vie pour son service *. »

Cette dernière considération l'avait même emporté sur la pre- mière, et on ne concédait l'exemption qu'aux titulaires des grades d'officiers; les soldats et les sous-officiers ne l'avaient pas; si en fait ils ne payaient presque jamais de taille, c'est qu'ils étaient considérés comme n'ayant aucun bien, mais en principe ils demeuraient taillables. Parmi les officiers, la très

1. Les états des commensaux qui devaient être envoyés à la Cour des Aides de Rouen ne nous sont pas parvenus, mais on peut juger approximativement du nombre des commensaux par les indications inscrites sur les rôles de taille.

2. Plaidoyer de février 1596, à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 484.

LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 247

frande majorité étaient nobles et, par conséquent, exemptés e taille par leur titre, c'était uniquement pour les roturiers et dans des cas très spéciaux qu'une exemption était accordée aux officiers des troupes royales.

Les commissaires des guerres, qui avaient une fonction à demi civile, pouvaient être roturiers, mais l'édit de janvier 1634 leur accordait l'exemption « a cause, disait le roi, du service actuel qu'ils sont obligés de nous rendre en nos armées ' » ; leur nombre fut réduit à 40 par l'édit de mars 1667, et leur exemp- tion confirmée2. Il en fut de même des contrôleurs des guerres, réduits aussi à pareil nombre3.

Les officiers de l'artillerie royale qui avaient été exemptés par l'édit de janvier 1634 (art. 9) furent remis à la taille en novembre 1640 4, mais il est probable que leur incorporation dans l'armée régulière leur donna ultérieurement l'exemption. Les officiers des places fortes ne sont pas exempts, non plus que leurs soldats connus sous le nom de « mortes-payes5 ».

Les soldats, ai-je dit, sont considérés comme taillables; tou- tefois, quand ils ont servi vingt-cinq ans, ils peuvent recevoir à leur sortie des « lettres de vétérance » qui leur confèrent l'exemption6.

Les officiers de l'Amirauté et ceux de la Marine du Levant et du Ponant sont exempts s'ils servent actuellement sur les navires du roi.

Une foule d'autres officiers des armées du roi avaient, à cer- taines dates, obtenu des exemptions de taille, mais elles avaient été révoquées par la déclaration de janvier 1634 et par plusieurs autres postérieures, c'étaient notamment : les contrôleurs des montres, les contrôleurs des guerres, les trésoriers des régiments et des compagnies, les trésoriers provinciaux de l'Extraordinaire des guerres, les officiers de la Connétablie.

L'exemption de taille allait de_spj^^ur_les^igmt^ires de la justice et des ^uaTU5Sfj~quant aux offices inférieurs, oriTSvàit jugé à propos d'y attacher l'exemption pour pouvoir les vendre plus cher; l'honneur que conférait cette distinction la faisait

1. Art. 18.

2. Les commissions des tailles pour 1659 déclaraient taillables les commis- saires et contrôleurs des guerres, mais la Cour des Aides de Paris rétablit leur privilège. C'est seulement en 1689 qu'une déclaration du mois d'octobre révo- quera leur privilège. (Mém. Alphab. art. Commissaires des guerres.)

3. Art. 9.

4. C-. d. T., 1. 1, p. 283.

5. Colbert écrit que « l'exemption de taille des officiers servant au chasteau de Saumur » est « un abus » (Clément, t. II, p. 243); les mortes-payes sont décla- rés taillables par l'édit de 1634, art. 13 et suivants, et par l'arrêt du 15 sep- tembre 1662. Les intendants de Normandie prennent soin de le rappeler dans la plupart de leurs mandements, ce qui prouve que des fraudes étaient possibles sur ce point dans la province.

6. Déclaration de janvier 1634, art. 17.

248 LA TAILLE EN NORMANDIE.

rechercher) et le roi en retirait une somme bien supérieure au capital de la rente représenté par la taille ainsi rachetée'. En tête des officiers on plaçait habituellement les membres

y des cours souveraines : Parlements, Cours des aides et Chambres des comptes ; ils étaient exempts « parce que la dignité de leur charge, dont les fonctions sont toutes nobles, les fait participants des privilèges de la noblesse 2». Toute une série d'actes légis- latifs leur conféraient le privilège*.

Les offices inférieurs n'étaient pas mentionnés dans la décla- ration de janvier 1634, mais la Cour des Aides de Paris, natu- rellement portée à favoriser toute la caste, avait, en vérifiant l'édit, arrêté « que les greffiers et maîtres-clercs, substituts des procureurs généraux et autres officiers des Cours souve- raines jouiront de l'exemption ainsi qu'ils en ont ci-devant bien et dûment joui* ». Pareillement la Cour des Aides de Normandie arrêta « que tous les officiers des Cours souveraines et les autres auxquels par ce présent article était attribuée l'exemption, en jouiront suivant les arrêts de la Cour, réservé ceux lesquels n'y ont vérifié leurs privilèges5 »; le roi n'ayant fait aucune objec- tion à ces arrêts, le privilège fut conservé et passa dans la jurisprudence. Un édit d'août 1669, qui réglait les exemptions de taille, révoqua celles « des bas-officiers des compagnies supérieures qui ne résideront actuellement au moins 7 mois de chacune année es ville de leur établissement » et il énumérait ces bas-officiers : « les receveurs, payeurs et contrôleurs des gages, les receveurs des épices, receveurs et contrôleurs des consignations, les officiers des petites chancelleries, les sub- stituts de nos procureurs généraux, les greffiers et huissiers desdites compagnies6 ». Par conséquent, hors ce cas de déchéance pour non résidence, tous étaient exempts. En Nor- mandie du reste, il leur eût suffi d'habiter Rouen; leur domi- cile les eût dispensés de payer la taille7.

Jusqu'en 1674, les juges des tribunaux inférieurs ne furent pas reconnus exempts, mais ils trouvaient néanmoins un moyen

1. Voysin, dans son Mémoire sur la généralité de Rouen, explique que les offices des greniers à sel sont peu recherchés parce qu'ils « ne jouissent d'aucune exemp- tion de taille » (p. 132). Cf. Le Vayer, Mémoire sur la généralité de Moulins, éd. Flament, p. 153.

2. Cahier des Etats de Normandie de 1643, dans de Beaurepaire. t. III, p. 81.

3. Toutefois les officiers des Cours souveraines prétendaient être exempts,

Sarce que leur fonction leur conférait la noblesse, et c'était une grave discussion e savoir s'ils étaient nobles ou non. L'édit d'août 1669 révoqua tous les titres de noblesse conférés depuis 1644 à ces offices. (C. d. T., t. II, p. 35), mais il leur laissa leurs autres exemptions et privilèges : c'est seulement en novembre 1690, que l'on revendra à nouveau des offices de cours souveraines conférant la noblesse.

4. C. d. T., t. I, p. 326.

5. Règlements de Normandie, p. 109-110.

6. C. d. T., t. II, p. 50.

7. Voir ci-dessous, p. 266 et suiv.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 249

de ne rien payer1 : l'intendant de Caen l'explique à Colbert dans une lettre du 31 décembre 1677, il envoie une liste des juges de sa généralité : « Je n'ay point, dit-il, cotté les sommes ausquelles ils sont imposez à la taille, parce que dans cette généralité les villes principalles comme Caen, Vire, Coutances, Saint-Lô, et Avranches payans leur taille par tarif depuis un long temps, il ne s'y fait plus de rolle...; à l'esgard des autres villes, les ayant trouvez ou obmis, ou imposez à des sommes si modiques comme à cinq sols, j'ay cru qu'il estoit inutile d'en faire mention, à l'exeption de quelques-uns que j'ay trouvé imposez considérablement2 ».

En février 1674, le roi consacra l'exemption des juges; voici les raisons qu'il invoquait :

« Gomme l'expérience journalière nous apprend, disait-il, qu'il n'y a rien de plus capable d'imprimer de la crainte dans l'esprit des juges et de les empescher par ce moyen de tenir la balance égale entre toutes les parties dans la distribution de la justice, que la contribution de nos tailles et autres impositions dont ils ne sont pas exempts, les par- ticuliers prenans de souvent occasion de les imposer à des sommes excessives en haine de ce qu'ils n'ont pas jugé en leur faveur, ou de leurs parens et amis, pendant que de l'autre côté ceux qui sont auto- risés par leurs charges se font imposer à des sommes si modiques que le peuple n'en reçoit aucun soulagement, et que d'ailleurs il est raison- nable que ceux qui sont établis au dessus des autres pour être arbitre de leurs vies et de leurs fortunes aient des privilèges au-dessus du commun. »

Mais ces beaux motifs n'étaient que des prétextes, et l'inten- tion véritable apparaît à la fin de l'acte :

« Pour jouir des grâces accordées par le présent édit seront tenus tous lesdits officiers de payer les sommes auxquelles ils seront pour ce modérément taxés en notre conseil sur les quittances du trésorier de nos revenus casuels 3. »

La taxation était d'ailleurs difficile : l'intendant de Caen ne voyait d'autre moyen que de « faire convenir les compagnies de ce que chacune d'elles devra porter » par l'intermédiaire du premier président du Parlement, en « leur faisant connoistre la bonté que S. M. veut bien avoir pour eux en cette occasion en mesnageant les frais d'un recouvrement qui tomberoit sur eux, et ne voulant point mettre cette affaire en traitté ».

1. Cf. Papon, Recueil d'arrests notables, éd. 1621, p. 275 : « Procureurs, prati- ciens es cours tant souveraines qu'autres ne se peuvent ayder de leur noblesse pour la taille qu'ils sont tenus de payer, car tel office est vil ».

2. A. N. G7, 213. La lettre fait allusion aux impositions des juges antérieure- ment à l'édit de 1674, dont il sera parlé plus bas.

3. Cf. d'ailleurs la circulaire de Colbert aux intendants, 22 nov. 1673, pour préparer l'édit : c'est une des « affaires extraordinaires que le Roy examine tous les jours pour pouvoir fournir aux prodigieuses dépenses que S. M, est obligée de faire ». (Glém., II, 301.)

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250 TAILLA BU NOlt.MANDii:.

I. Y-dit visait spécialement « les officiers des sièges présidiaux, bailliages, sénéchaussées, prévôtés, vicomtes, vigueries, eaux et forêts, traittes foraines, élections, greniers à sel et toutes les autres justices et juridictions royales dans toute l'étendue de notre royaume * ». La plupart de ces officiers, qui avaient été déjà tant de fois exploités avant 1661 firent des difficultés pour se soumettre à la clause finale de ledit : comme ils m- Bayaient déjà guère auparavant, l'exemption n'était pas en lait lin" privi- lège nouveau pour eux. Les intendants furent cKârgés de les contraindre; ils reçurent de Colbert l'ordre de les taxer d'office pour l'année 1675; celui de Caen publia en conséquence une ordonnance enjoignant aux procureurs des élections de lui envoyer la liste des juges de leur ressort, S. M. voulant, dit-il, supprimer la surcharge des autres contribuables et imposer davantage « particulièrement les officiers royaux, lesquels par l'autorité de leur charge se font exempter de la contribution u'ils doivent, ou se font employer dans les rolles des tailles à es sommes si modiques que les autres contribuables en souffrent toute la surcharge et oppression2 »; les taxes d'office eurent raison des récalcitrants3.

Les offices de finance conféraient tout naturellement l'exemp- tion : ceux qui maniaient l'argent du roi étant juges des contes- tations en matière d'impôt, n'auraient pu sans inconvénients, pensait-on, être en même temps contribuables.

Les trésoriers de France étaient déclarés exempts par une foule d'ordonnances, et en dernier lieu par la déclaration de jan- vier 1634, art. 14; Loyseau disait qu'ils tenaient leur exemption de leur qualité de commensaux*. Ils n'étaient pourtant pas nobles : en 1675 ils seront dispensés de la taxe de l'arrière- ban 5. L'exemption de certains offices des Bureaux des finances pouvait fournir matière à des contestations; mais l'usage et les règlements s'accordaient pour la conférer à tous indistinctement, même aux avocats, greffiers et huissiers. En 1661, un contrôleur général des finances du Bureau de Caen ayant été mis à la taille par les habitants de la paroisse de Saint-Loup-sur-Bayeux, et

1. C. d. T., II, p. 112-116. L'édit ne se trouve pas dans les Règlement» de Nor- mandie; cependant il est certain qu'il fut appliqué dans la province; on va le voir plus loin.

2. A. N„ G 7 213.

3. Après Colbert, ces offices des justices inférieures seront recherchés unique- ment pour l'exemption de taille qu'ils confèrent; voir Saint-Simon : u Coigny était petit-fils d'un de ces petits juges de Basse-Normandie, qui s'appelait Guillot, et qui, fils d'un manant, avoit pris une de ces petites charges pour se délivrer de la taille, après s'être fort enrichi. » (éd. Chéruel, t. VIII, p. 120).

k. Traité des Offices, livre IV, chap. n, et Vieuille, p. 439. La série des ordonnances conférant le privilège se trouve dans le Répertoire de l'avocat Lemaistre, A. D. Seine Inf. C, 2 388, au mot Tailles, et dans Fournival, Recueil général des Titre* concernant les fonctions, rangs et charges des présidents tré- soriers de France, Paris, 1665, in-f».

5. Arrêt du conseil du 24 avril 1675, A. D. S.-Inf. C, 2372.

LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 251

poursuivi pour non-paiement, il assigna aussitôt la paroisse devant l'Election pour être rayé des rôles « à cause des privi- lèges et exemptions attribuez à son office duquel il faict exer- cice »; il fut déchargé des poursuites, mais maintenu sur les rôles; il reporta alors le procès devant son propre bureau des finances : procédure irrégulière, car l'appel d'une sentence d'Election devait être fait à la Cour des aides; néanmoins le Bureau admit sa requête, le 14 mars 1661, et séance tenante ordonna la surséance des poursuites engagées; huit jours après, le Bureau, considérant que l'imposer était « luy faire une injure et un notable préjudice », le déclara exempt avec défense de l'imposer à l'avenir « à peine de telle amende qu'il nous plaira1 », ce qui était encore une irrégularité, car l'amende en ces matières était fixée par les règlements. Nous avons un exemple de l'appui que se prêtaient mutuellement les officiers pour soutenir leurs privilèges.

Les élus avaient été déclarés exempts de taille dès l'ori- gine; tous les règlements postérieurs leur avaient confirmé ce privilège; le motif donné par le roi était presque toujours le même : « leur donner plus de dignité et de moyens d'exercer leur charge avec honneur et distinction2 ». L'édit de février 1674 mettait les élus au nombre des officiers qui devaient racheter leur exemption de taille, mais un arrêt du Conseil du 16 avril suivant leur rendit le privilège sans rachat3. Pour pouvoir jouir de leur exemption, ils devaient être domiciliés et résider dans la ville leur siège était établi; cette obligation est rappelée très fréquemment dans les mandements des inten- dants, et on a vu combien elle était utile. Mais en fait les habi- tants n'imposaient jamais les élus, dont ils dépendaient entiè- rement; seul l'intendant pouvait le faire par une taxe d'office.

Lorsqu'un élu mourait, sa veuve conservait l'exemption4. Si un élu résignait son office, il ne pouvait conserver le privilège, mais il trouvait le moyen de rendre cette règle inopérante : certains, par exemple, se faisaient accorder des lettres de vété- rance, conférant l'exemption. Colbert signale cet abus dans une circulaire aux intendants du 26 mars 1682, il déclare que le roi veut « révoquer ces exemptions en cas qu'il y en ayt un nombre qui mérite cette révocation générale5 ». Les receveurs

1. A. D. Calvados, Plumitif du Bureau des finances, 14 et 23 mars 1661.

2. Voir ces édits dans Vieuille, Traité des Elections, p. 84 et 146. Les élus avaient été compris dans la révocation des privilèges de novembre 1640, mais ils s'étaient fait ensuite rétablir. Une difficc'té se posait à propos des privilèges des élus particuliers qui furent alternativement exempts et non exempts, mais ils étaient confondus avec les élus en titre à l'époque nous sommes.

3. Mentionné dans Glairamb., 660, p. 489.

4. Vieuille, Traité des Elections p. I'i4 et suivantes.

5. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 86. Il ne semble pas que Colbert ait donné suite à cette idée. Du reste une lettre de l'intendant de Rouen du 5 avril 1682 nous apprend qu'il n'y avait pas de ces vétérans dans sa généralité. (B. N . fr. 8 761, P47.) *

1!

LA TAILLE EN NOItMANIHK.

des tailles sont du corps des élections et ont l'exemption de taille, mais les officiers subalternes : greffiers, maîtres-clercs, huissiers, sont taillables; les receveurs du taillon ont été déclarés exempts « jusqu'à ce que le roi en ait autrement ordonné », par arrêt du conseil du 20 janvier 1635 f.

Les autres officiers des finances sont soumis à la taille; un gTanlî~"hombr&'Tle sunleiiCëB couflflrf1"'"1* ° pay*»* 1'impAfw.nT qui cherchent ;i s'v soustraire : par exemple le recerenï des deniers communs de la ville de Honfleur est mis à la taille par arrêt du conseil du 2 février 1682 2. Les officiers des monnaies, ui ont été à diverses reprises exemptés de taille moyennant înance, sont déclarés taillables par le règlement de 1634 (art. 13) et la déclaration du 20 mai 1645*. Les juges des sièges particuliers des Eaux et Forêts, les huissiers, les receveurs des consignations, les receveurs des décimes du clergé sont égale- ment taillables. Dans les Ponts et Chaussées, seuls les trésoriers et contrôleurs sont exempts. Mais la plupart de ces officiers eurent la faculté d'acheter les exemptions mises en vente en février 1674, de sorte qu'en fait tous les officiers de finance quelque peu aisés se trouvèrent francs de taille.

Tous ces privilégiés au titre de leur fonction eurent, en vertu du règlement d'août 1673, la liberté de cultiver leurs terres jusqu'à concurrence d'une charrue; ils devaient affermer le surplus à des taillables.

Les commis des fermes du roi n'étaient pas des officiers; ils ne recevaient même pas leur salaire du Trésor; c'étaient de simples employés au service de particuliers, pourtant ils prétendaient à des privilèges spéciaux * : ils faisaient valoir que leur fonction les exposait à être surtaxés par vengeance par les habitants des paroisses. L'ordonnance des fermes de juillet 1681 (art. 2) déclara qu'ils ne pourraient être imposés dans leurs paroisses à une somme plus élevée que celle qu'ils avaient au moment de leur entrée en fonctions, sauf s'ils acquéraient de nouveaux

1. A. Mun. Rouen, 183. 3.

2. Les receveurs des deniers communs des villes étaient nommément déclarés taillables par l'art. 14 de la déclaration de janvier 1634, néanmoins ce receveur nommé Valu avait assigné les habitants de Honfleur devant l'élection, puis devant la Cour des Aides en soutenant que sa charge l'exemptait de taille; la Cour des Aides, par arrêt du 8 août 1681, n'avait pas voulu se prononcer et avait renvoyé les parties devant le conseil du roi; l'intendant Leblanc écrit à Desmnretz que si l'affaire continue, la ville sera ruinée par les frais; c'est pourquoi fut rendu sans forme de procès l'arrêt du 2 février 1682 qui condamnait Vola à payer. (B. N. fr. 8 761, f> 39).

3. Mém. Alphab., p. 510. Cependant il semble que les officiers des monnaies de Rouen aient eu le privilège. Cf. les lettres patentes de février 1663 leur confirmant leurs privilèges et exemptions, enregistrées à la Cour des Aides de Rouen le 23 juin 1663 (Mémoriaux, t. XL, 194) et le Plumitif du bureau des finances. A. D. S.-Inf. C. 1 165, f 161.

4. Le règlement de janvier 1634 les exempte de collecte et uniquement pendant la durée de leur emploi, mais non de taille; l'ordonnance des fermes de juil- let 1681 (titre commun, art. 2) répète la même prescription. Leurs privilèges étaient fixés par le bail des fermes.

LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 253

immeubles ou entreprenaient un trafic particulier. Mais on trouve des arrêts du conseil exemptant complètement de taille certains d'entre eux1. Colbert se plaignait « du trop grand nombre d'exempts de taille et de collecte qui se trouvent dans les paroisses de chaque généralité sous prétexte des commis d'aides, papiers timbrés, contrôles des exploits et autres de toute nature2 ». Sa circulaire du 21 novembre 1681 invita les intendants à remettre à la taille ces fraudeurs, et un arrêt du conseil du 14 juillet 1682 défendit aux collecteurs de les dimi- nuer pendant l'année qui précédait leur entrée en fonctions3, ce qui fait connaître un des procédés par lesquels ils se faisaient soulager à l'impôt. Sur aucun des rôles que j'ai rencontrés et les professions sont indiquées, je n'ai trouvé parmi les tail- lables le nom d'un commis des fermes.

La déclaration de janvier 1634 (art. 19) accordait l'exemption de taille aux prévôts des maréchaux, aux chevaliers du guet, à leurs lieutenants, exempts et archers, (c comme estant du corps de la gendarmerie, et perpétuellement dans le service », mais elle la refusait aux lieutenants de robe courte établis depuis moins de vingt-cinq ans dans les petites villes et bailliages, « desquelles charges ils se sont fait pourvoir plutôt pour acquérir l'exemption de taille que pour servir au public4 »; les archers du prévôt de Normandie avaient une diminution de 5 1. sur leur taux, qui ne pouvait être augmenté qu'à proportion de celui de leur paroisse5. Après 1634 de nombreuses créations d'offices avec exemption totale ou partielle de taille avaient été faites dans la maréchaussée, « pour en tirer du secours »; Colbert voulut réduire le nombre de ces officiers qui, dit-il, « se prévallans

1. Par exemple un arrêt du 11 janvier 1663 qui, se référant à l'art. 48 du bail général des aides de 1661, exempte de taille Denis Possot, commis à la recette des aides de l'élection de Sézanne à la condition qu'il ne fera aucun acte déro- geant. (A. N. AD* 47018). Si on les avait imposés comme les autres taillables au lieu ils étaient domiciliés, il eût été presque impossible de le faire en con- naissance de cause, attendu que leurs biens étaient généralement situés au lieu ils résidaient avant d'entrer dans les fermes; mais les intendants avaient rendu des ordonnances dérogeant au règlement général et prescrivant de les imposer au lieu ils résidaient avant leur commission (mandements de l'inten- dant de Rouen, 1672, 1677, etc.; de l'intendant de Gaen; cf. le mandement de l'intendant de Paris en 1683 dans de Boislisle, Mémoire sur la Généralité de Paris, p. 513.)

2. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 460.

3. Ibid., pièce 305, cf. B. N. fr. 8 761 03.

4. Les ordonnances relatives au privilège de la maréchaussée sont réunies dans : La Maréchaussée de France ou Recueil des Ordonnances, édits... concer- nant la création, établissement, droits et privilèges de tous les officiers et archers des maréchaussées, Paris (Saugrain) 1697. (B. N., Lf32, 13.)

5. Mais ce privilège était illusoire; le roi reconnaît, par sa déclaration du 16 mars 1639, que « par la trop grande subtilité ou malice des asséeurs et col- lecteurs de nos tailles, ils ont toujours été imposez à cent sols plus qu'ils ne dévoient porter raisonnablement... et ainsi leur exemtion leur demeure inutile et infructueuse, étant par ce moien contraints de paier leur taxe entière effective- ment » en conséquence il défend « d'augmenter les cottes et impositions desdits archers, depuis qu'ils seront entrés en l'exercice et fonction de leurs charges, pour quelque cause et ocasion que ce soit. » (Règlements de Normandie, p. 112-114).

254 LA TAILLE L'N NOIt.MANDIE.

de leur ministère, intimident si fort les pauvres contribuables que les collecteurs non seulement n'osent les taxer aux sommes qu'ils peuvent légitimement porter et auxquelles ils estoient taxez avant qu'ils fussent pourvus desdites charges, conformé- ment au règlement, mais mesme ont esté obligez à les modérer à des sommes moindres que celles dont ils doivent avoir l'exemption, quoiqu'il soit notoire que lesdits exempts et archers pour la pluspart font trafic, tiennent des fermes et hostelleries, et dérogent entièrement à leurs privilèges »; il fit dresser par les intendants et les prévôts des maréchaux l'état de leurs officiers et archers avec l'indication de la date de création de chaque office1, puis une déclaration du 15 sep- tembre 1662 révoqua toutes les exemptions accordées aux offi- ciers des maréchaussées de Normandie créés en mai 1635, août 1647 et juin 1650; les noms de ceux qui jouissaient de ces exemptions devaient être publiés dans les paroisses. Le 1er février 1666 un arrêt du conseil, dans les mêmes termes, est à nouveau expédié; en le recevant l'intendant de Caen écrit à Colbert : « il ne se peut rien de plus utile pour le service du roy et le soulagement de ses sujetz 2»; mais le 27 février 1669 l'intendant de Rouen écrit qu'il est nécessaire de « réduire le nombre » des archers de la maréchaussée dans sa généralité « car la pluspart ne prennent ces places que pour estre exempts de taille et estre des laboureurs de bonne foy3 ». Son successeur écrira encore le 24 sept. 1681 que les archers du prévôt de Pon- toise « sont des paysans qui n'ont pris ces charges que pour l'exemption de la taille, et quoyque j'en aye taxé la pluspart d'office, ils n'en font pas mieux leur devoir* ».

Dans tous les mandements des intendants, les prescriptions relatives à l'exemption de la maréchaussée sont rappelées avec beaucoup de détails. Par exemple, celui de l'intendant de Caen en 1675 rappelle que les prévôts des maréchaux et leurs lieute- nants ont l'exemption complète de taille, leurs exempts et greffiers n'ont qu'une réduction de 30 1., les archers de 15 1.; tous doivent servir actuellement, ne tenir aucune ferme ni hôtel- lerie et ne faire aucun acte dérogeant; les lieutenants de robe courte et tous les officiers et archers du guet créés depuis le 1er janvier 1635, les officiers et archers du guet créés en mai 1633, les assesseurs, avocats et procureurs du roi des maréchaussées doivent être imposés5. Mais il était difficile d'obtenir des paroisses

1. Arrêt du conseil du 23 février 1662, A. D. Calvados, Election de Caen, Registre d'Ordonnances 1656-63, f 477.

2. Lettre du 3 décembre 16fi6, M. C. 142, P 391. A la suite de cet arrêt les inten- dants devaient à nouveau envoyer l'état des gens de la maréchaussée, Chamillart envoie celui de Caen le 6 décembre 1666. (Ibid., P 474.)

3. M. C. 150bl\ P 648.

4. Lettre à Louvoie, B. N. fr. 8 761, 26.

5. Les archers du guet avaient été déclarés exempts par l'art. 19 du règlement de janvier 1634, mais en enregistrant ce règlement la Cour des Aides de

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 255

l'exécution de ces ordres. Les taxes d'office des intendants ne sont pas toujours maintenues, parce que la Cour des Aides est souvent favorable aux officiers de la maréchaussée; en 1662 elle lève par un arrêt la taxe d'office mise par l'intendant de Rouen sur deux archers du prévôt de Normandie demeurant en la paroisse de Rougemontiers, élection de Pont-Audemer1; la même année elle fait rayer des rôles de la taille d'Evreux un greffier de la prévôté de Normandie2; en 1675 elle confirme l'exemption des archers de la compagnie du grand prévôt de Normandie, même ceux qui ont été créés après 1631, quoique l'éditde 1634 ne leur donne que 5 livres de diminution3 ; en 1682 elle décharge de sa taxe d'office un sieur Lemarié, archer du grand prévôt, qui, avec sa femme, possède plus de 4000 1. de rentes et fait valoir plusieurs fermes : l'intendant de Rouen est obligé d'insister auprès de Colbert pour obtenir un arrêt du conseil cassant celui de la Cour; sans cela, dit-il, la paroisse de Lemarié sera consumée en frais4. Le conseil lui-même ne res- pecte pas toujours le règlement : en 1671, par un arrêt, il annule la taxe d'office mise par l'intendant de Caen sur un archer de la maréchaussée en défendant « de le cotiser à l'avenir tant et si longtemps qu'il possèderoit ladite charge et ne commettroit dérogeance5 ».

Les gouverneurs des provinces avaient auprès d'eux des gardes que l'on peut rattacher à la maréchaussée; ces gardes étaient exempts de taille, mais un arrêt du conseil du 5 février 1663 rendu sur le rapport de Colbert défendit aux gouverneurs de prendre pour gardes des taillables6; mais ce fut apparemment sans résultat, car un autre arrêt du 17 mars 1670 ordonna aux gouverneurs des provinces de fournir les états de leurs gardes « pour estre mis es mains des intendans des provinces avec leurs titres pour justifier leur prétendue exemption de taille et de collecte, pour estre ensuitte ordonné par S. M. ce qu'elle avisera bon estre7 ».

Les villes avaient chacune leur police particulière, mais dont les agents tenaient leurs offices du roi. La déclaration de jan- vier 1634 (art. 33) spécifiait que tous seraient taillables; une

Normandie avait arrêté que « les exempts et archers du guet ne jouiront d'au- cune exemption non plus que les autres exempts et archers mentionnés audit article » ; en revanche elle admettait que les 7 lieutenants de robe courte fussent exempts. L'édit de mars 1667 révoqua l'exemption des officiers et archers du guet. (Mém. Alphab., art. Chevaliers du Guet).

1. Registre du conseil de la Cour des Aides, 24 janvier 1662, 51; il est curieux de voir que la Cour trouve des textes de lois pour autoriser son arrêt, quoique la déclaration citée plus haut soit formelle.

2. Ibid., f" 111, 6 février 1662.

3. Arrêt du 26 février 1675, Règlements de Normandie, p. 191.

4. Leblanc à Colbert, 12 septembre 1682, B. N. fr. 8 761 26.

5. Règlements de Normandie, p. 192.

6. A. D. Calvados, élection de Caen, Registre d'ordonnances.

7. Clairamb., 659, p. 346, à sa date.

256 I.A TAILLE EN NORMANDIE.

seule exception était faite pour la poliee de la ville de Rouen : la compagnie de la Cinquantaine et celle des 104 arquebusiers avaient, de toute ancienneté, non seulement l'exemption de taille avec permission de cultiver leurs terres pendant un an comme tous les bourgeois de la ville, mais en outre celle de faire valoir eux-mêmes tous leurs biens de la campagne sans être imposés1. Lorsque le privilège des bourgeois de Rouen en ce qui concerne la culture de leurs terres fut limité, en août 16/3, ii l'étendue de l'élection de Rouen2, la même limite lut fixée à l'exemption des cinquanteniers et arquebusiers : l'édit ajoutait qu'ils devaient encore être nés dans la ville et justifier de leurs titres et fonctions devant la Cour des Aides de Rouen (art. 23) 3.

D. EXEMPTIONS POUR ENCOURAGER CERTAINS ACTES OU CERTAINES PROFESSIONS

L'opposition de Colbert aux exemptions de taille n'allait pas jusqu'à en désapprouver le principe : il tâcha d'en réduire le nombre, de supprimer celles qui étaient injustes, mais on ne voit nulle part chez lui une intention d'abolir tout privilège fiscal; lui prêter des théories égalitaires serait une erreur. Il usa même régulièrement des exemptions pour favoriser tel mode d'activité auquel il s'intéressait : commerce, industrie, haras, peuplade, conversion des protestants. Cet usage était d'ailleurs bien antérieur à lui : on avait déjà privilégié les maîtres de poste, les salpètriers, les ouvriers en soie, les verriers *.

Les maîtres de poste avaient obtenu, par le règlement de mars 1600 (art. 22) une diminution de taille de 20 1., mais l'édit de janvier 1634 (art. 20) avait supprimé ce privilège, puis, une déclaration du 20 décembre 1635 leur avait accordé l'exemption totale moyennant finance; enfin l'exemption avait été révoquée par un arrêt du conseil de 1646 qui leur permettait seulement de cultiver en franchise 50 arpents de terre.

Colbert voulut favoriser cette profession qui devenait de plus en plus utile à l'administration royale. Par une déclaration du

. 1. Mémoire de Voysin sur la Généralité de Rouen en 1665, p. 141.

2. Voir ci-dessous, p. 272.

3. Cette restriction des privilèges de la police rouennaise amena les protesta- tions du parlement de Rouen : le président Pellol écrit à Colbert le 17 novem- bre 1673 pour plaider la cause de ces personnages qui ne touchent aucun gage et rendent de grands services à la ville; néanmoins Colbert ne revient pas sur sa décision. Il est vrai que les privilèges des cinquanteniers et arquebusiers demeuraient encore considérables. Voir Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 141.

4. Cf. édits de mars 1600, art. 32, janvier 1634, art. 13, etc. L'exemption des salpètriers avait été définitivement révoquée par le règlement de janvier 163i, art. 1 ô. Celle des verriers qui n'étaient pas nobles l'avait été en 1614 (art. 8).

LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 257

15 mai 1668, il leur accorda une réduction de taille de 30 1., puis, par un édit de janvier 1669, il les exempta entièrement d'impôt en leur donnant la qualité de commensaux des Maisons royales, et fixa la quantité de terre qu'ils avaient le droit de cultiver sans perdre leur privilège à 60 arpents *. Mais cet édit fut l'objet de vives remontrances de la part de la Cour des aides de Rouen. Son procureur général, d'Héberville-Toustain, écrit à Colbert le 25 février 1669 que, si le roi persiste dans sa résolution, « les enfans des plus riches taillables se fairont pourvoir de lettres de maîtres des postes, et ainsi il ni aura personne dans les paroisses solvables sur lesquels les recepveurs puissent mettre à exécution leur condamnation solidaire » ; il est à prévoir que le nombre des maîtres de poste va s'accroître, et le nombre des privilégiés, déjà trop grand dans la province, deviendra excessif; enfin les maîtres de poste se trouvent par l'édit plus avantagés que les commensaux, qui ne peuvent cul- tiver en franchise que 2 charrues de terres2. Ces remontrances eurent pour effet de faire rapporter l'édit, qui ne semble pas avoir été enregistré dans la province 3.

Malgré ce retrait de l'édit il ne semble pas que les maîtres de poste aient été imposés; les intendants reçurent des ordres particuliers pour les protéger et leur faire accorder l'exemp- tion. Le principal effet des remontrances de la Cour des aides fut de provoquer des contestations entre les habitants de plu- sieurs paroisses et les postiers. Le 24 avril 1681, Leblanc écrit à Louvois que celui de Bourgthéroulde, « nonobstant les ordon- nances de Messieurs de la Galissonnière et de Creil, a esté si fatigué par les habitans que, voulant quitté et le sieur Pajot qui a îcy la direction de la poste n'en pouvant trouver d'autres dans l'appréantion d'estre maltraitez », il a rendre lui-même plusieurs ordonnances pour lui accorder l'exemption, mais les collecteurs se sont aussitôt pourvus à la Cour des aides qui va condamner les maîtres de postes ; Leblanc demande un arrêt du conseil pour terminer l'affaire en confirmant sa sentence; il l'obtient le 6 mai suivant 4. Une déclaration du 30 juin 1681 leur accorda l'exemption totale en portant à 100 arpents la quantité de terre qu'ils pourraient tenir à ferme en fran- chise 5, en sus de leurs biens propres ; puis une autre déclara-

1. Il est à remarquer que cette quantité est fixée en arpents alors que pour les autres privilégiés elle l'est en charrues.

2. M. G. 150bis, 604.

3. D'après la lettre de d'Héberville, 1er avril 1669, M. G. 151, 79. L'édit ne se trouve pas dans les Règlements de Normandie : le voir dans G. d. T à sa date.

4. B. N. fr. 8 761, f°s 11 et 26.

5. S'ils tenaient une hôtellerie publique, cette quantité était réduite à 50 arpents. Ceux qui demeuraient dans une ville franche eurent, « pour leur tenir heu de l'exemption », une augmentation de gages de 100 1. (let. de Desmaretz, 1er juillet 1681, B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 275).

LA. TAILLE EN NORMANDIE.

17

258 LA TAII.I.E EN NORMANDIE.

tion du 21 novembre 1683 éleva ce chiffre à 150 arpents '.

L'exemption de taille fut un des moyens que Colbert employa pour favoriser l'établissement des manufactures dans les bourgs; il n'avait pas plus de scrupules à l'accorder qu'à modifier les tarifs douaniers en faveur des produits de ces manufactures. Elle figure parmi les privilèges accordés au sieur Hinard et à ses associés pour la manufacture royale de Béarnais 2. De même le sieur Cossart et tous ceux qu'il emploiera. Français ou étran- gers, dans la manufacture de draps qu'il établit à Fecamp, seront « exempts de toutes tailles, subsistances et autres impositions tant ordinaires qu'extraordinaires..., logement de gens de guerre et généralement de toutes autres charges et contributions de quelque qualité qu'elles puissent estre, et ce tant et sy longue- ment qu'ils seront employez au faict de ladite fabrique et manu- facture desdits draps, et qu'ils se trouveront comprins dans le rolle et estât des ouvriers qui sera arresté et signé par le (dit) sieur intendant des bastimens, arts et manufactures, sur le mémoire qui luy en sera annuellement envoyé3 ». Les entrepre- neurs de la manufacture de fer blanc d'Orléans sont exemptés*; lorsqu'on projette de fonder des blanchisseries à Alençon, l'in- tendant demande pour les entrepreneurs la même faveur.

A côté des exemptions totales, Colbert accorda aux manufac- turiers des diminutions de taille. Le procédé était d'une appli- cation difficile, en raison de la mauvaise volonté des collecteurs : il lui fallut recourir aux taxes d'office, quoique les règlements les eussent interdites pour diminuer un contribuable 5. C'est ainsi qu'il invite l'intendant de Rouen à taxer modérément et à exempter de la collecte les nommés Lemonnier, marchands de drap à Elbeuf, « en faveur de leur travail et application aux manufactures 6. » L'intendant de Caen en 1666 réduit l'imposi- tion des marchands qui travaillent aux manufactures de draps et de coton, récemment établies à Bayeux 7. La même année, Col- bert prescrivait de son autorité propre, sans arrêt du conseil ni lettres patentes, que la taille de huit marchands d'Elbeuf, asso- ciés de Lemonnier, serait fixée une fois pour toutes au chiffre Î[u'elle atteignait en 1665 tant qu'ils conserveraient leur manu- acture. Leurs concitoyens, dans un placet, faisaient observer que, outre l'injustice qu'il y avait à fixer à un taux très bas

1. Mém. Alphab., p. 424-427. L'exemption des maîtres de poste suscitera beau- coup de plaintes dans la suite, notamment à l'assemblée provinciale de Haute- Normandie (Procès-verbal de l'assemblée, p. 360).

2. Lettres patentes d'août 1664, Clément, t. II, p. 787.

3. Lettres patentes du 15 septembre 1665, A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLI, f 140.

4. Lettre de Daubray à Colbert, 4 septembre 1666, M. C. 140, 129.

5. Voir ci-dessous, chap. vi, 2* partie.

6. M. C, 136, 511, 26 février 1666. Cf. ci-dessus, p. 177, l'affaire de leur exemption de collecte.

7. Lettre à Colbert du 29 novembre 1666, M. C, 142, 236.

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 239

l'imposition de marchands qui gagnaient plus de 10 000 1. par an, il était à craindre que ceux-ci ne s'autorisent de leur privi- lège pour acquérir beaucoup de biens taillables et les soustraire ainsi à l'impôt; deux d'entre eux, disaient-ils, vont hériter de leur beau-père qui est imposé à 120 I., et ce sera autant de taille qui retombera à la charge des autres habitants l. Colbert main- tint néanmoins cette faveur.

L'agriculture fut également aidée par de semblables modéra- tions de taille. Afin d'indemniser les éleveurs d'étalons « des soins qu'ils prendront pour faire réussir le dessein de Sa Majesté pour le bien de son service et le public, » un arrêt du conseil du 17 octobre 1665 les exempta de tutelle, curatelle, logement de gens de guerre, guet et collecte des tailles, et en outre, il leur accorda sur leur impôt une réduction de 30 1., laquelle serait calculée « sur le pied de leurs taux de la présente année, sans qu'ils puissent estre augmentés, sinon en cas d'augmentation de biens et au sol la livre des impositions qui pourront estre faites et ce, durant le temps qu'ils se trouveront chargés des- dits estalons2 ».

Ici encore, il y eut opposition et réclamations des non-privi- légiés : un propriétaire demeurant à Carentan était imposé à 62 livres lorsqu'il prit un étalon en 1681 : l'année suivante il fut, contrairement au règlement de 1665, imposé par les collecteurs à 96 1., sous prétexte que son cheval « estoit vieux et ne pouvoit plus servir » ; il en acheta un autre au prix de 500 1., et se fit taxer d'office par l'intendant à 80 1., mais les collecteurs l'imposèrent pour 1663 à 610 1. : c'est, écrivit l'intendant, « un taux exhorbitant, non seulement pour ses biens, qui sont médiocres, estant un marchand d'une petite ville, qui assure ne pas avoir plus de six à sept cens livres de rente, mais mesme est au-dessus de tout ce qu'il y a dans la généralité, il s'en trouve très peu qui aille à plus de 300 l.3 ».

Des renseignements analogues lui étant parvenus des autres généralités, Colbert fit rendre l'arrêt du conseil du 28 octobre 1683 : désormais les propriétaires d'étalons auraient leur taille réduite de 1/3 « sur le pied de ce à quoi ils sont taxez et imposez en ladite année 1683 4 ». L'application de cet arrêt sort des limites de notre étude, mais on peut dire que les difficultés continuèrent : il faudra supprimer le privilège, par une déclara- tion du 29 octobre 1689.

Les exemptions furent également employées pour encourager le commerce de mer et l'engagement des matelots sur les

1. Placet du 25 janvier 1667, M. C, 143, 223-27.

2. Clément, t. IV, p. 569-70. Cf. un arrêt analogue du 29 septembre 1668 men- tionné dans le Mém. Alphab., art. Haras.

3. Lettre de l'intendant de Caen, 9 novembre 1682, A. N. G7 213, en réponse à une circulaire de Colbert du 28 octobre.

4. Mém. Alphab., art. Haras.

260 LA TAILLE EN NORMANDIE.

navires du roi. Le 7 décembre 1661, le commandeur de Neu- ohèce avait déjà proposé à Colbert d'exempter de taille tous les gens de mer pendant la durée de leur service, à quoi le ministre répondait : « La proposition est trop étendue : il faut la resserrer parmi les officiers et ceux des matelots qui se signaleront dans les occasions les plus hasardeuses; et cepen- dant l'on prendra soin de faire le département desdites tailles avec tant d'équité que l'imposition ne sera que légère* ». Colbert reprit le projet dès qu'il eut le secrétariat d'Etat de la marine : en novembre 1666 il consultait les intendants de Nor- mandie pour savoir s'il ne conviendrait pas d'accorder l'exemp- tion aux matelots qu'on allait lever dans la province. L'inten- dant de Caen répondit : « Le grand nombre de ceux qui s'engageront dans le matelotage diminuant celuy des taillables pouroit accabler ceux qui resteroient dans les parroisses » ; il conviendrait mieux de réserver l'exemption à ceux qui s'enrô- leront avant l'âge de vingt ans (on n'était taillable qu'à partir de cet âge) en interdisant d'augmenter la taille des autres pen- dant leur service et de saisir leurs biens pour les impôts; on pourrait en outre exempter leurs veuves et ceux qui auraient trente années de service4. Ces objections empêchèrent Colbert de prendre une mesure générale; il chargea les intendants d'exempter par décision particulière ceux qui s'enrôleraient dans la flotte royale, sans qu'aucun droit ne fût reconnu par une ordonnance3. En 166/ l'intendant de Caen exempta 43 matelots de sa généralité; d'après l'état fourni à Colbert, la taille de ces hommes pour l'année 1666 s'élevait au total à 319 1. 3 s.*.

Préoccupé de favoriser la « peuplade », Colbert demanda à ses conseillers quel moyen pratique on pourrait employer pour « faciliter les mariages et rendre plus difficiles les vœux de reli- gion » ; parmi les moyens il citait : mettre à la taille tous les garçons à l'âge de vingt ans, exempter de taille jusqu'à vingt- trois ans tous ceux qui se marieraient à vingt ans et au- dessous, exempter aussi tous les cotisés qui auraient 10 enfants vivants, etc. 5.

1. Publié dans Jal, Abraham Duquesne, t. I, p. 244.

2. Lettre de Chamillnrt à Colbert du 22 novembre 1666, M. C, 142, f 143-4. Cf. la lettre de Colbert à Colbert de Terron pour recruter des matelots en Aunis, Cl. -m. III, 1" partie, p. 87.

3. Cf. une lettre du roi à l'intendant de Guyenne, 9 août 1668, Clém., t. III, 1" part., p. 87, note.

4. M. C. 14."), 266-9, lettre du 10 août 1667; ces matelots étaient exemptés par la simple autorité de l'intendant; toutefois, dans une note placée au dos de l'état ci-dessus indiqué, Marin fait observer que « pour faire passer les reprises (dans les comptes des receveurs), il fault un arrest du conseil » ; d'autres fois le privi- lège fut accordé par un acte législatif, mais particulier à une région ou à une époque déterminée; cf. l'édit de mai 1670 pour la levée des matelots en Provence dans Clément, t. III, 2' part., p. 663-5.

5. Mémoire de Colbert, Clém., t. VI, p. 12-13. Ce mémoire n'était pas adressé seulement à de Gomont, qui était son parent, mais aussi à divers autres juris-

LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 261

Aux intendants, Colbert soumit un projet un peu différent : on exemptera de taille jusqu'à vingt-cinq ans tous ceux qui se marie- ront avant vingt et un ans; tout garçon non marié à vingt ans payera la taille i; tout père de famille ayant 10 enfants légitimes vivants et non religieux sera exempt de collecte; s'il en a 12, il sera exempt de taille. Les réponses à ce questionnaire nous ont été conservées par Clairambault2 : Les intendants de Normandie font observer que dans la province l'usage est que tout homme marié ou non paye la taille à vingt ans, tandis que dans le ressort de la Cour des aides de Paris un garçon non marié ne paye rien et un homme marié est imposé quel que soit son âge; l'effet de la législation projetée ne sera donc pas le même dans les deux régions; il est à prévoir qu'en Normandie le roi perdra beaucoup car, suivant l'intendant d'Alençon, certaines gens trouveront ainsi le moyen de s'exempter toute leur vie :

« En cette province, dès le moment qu'un homme a un peu de bien, il songe à prendre une charge dans les maisons royalles ; mais ce desseing, s'il n'y avoit point d'abus, n'auroit pas souvent son effect par la précotion que l'article 33 du règlement de 1664 y a apporté, estant nécessaire qu'ils prennent des charges avant vingt ans ; autre- ment ayant esté imposés à la taille, ils ne peuvent plus avoir exemp- tion que de 10 1. Et sy ces articles estoient receus en Normandie, acheptans des charges à vingt-quatre ans ils ne seroient plus subjets à la taille, comme n'y ayant jamais esté imposez 3 ; »

quant à l'exemption de collecte aux pères de 10 enfants, si l'on ne veut pas qu'elle soit au détriment de ceux à qui on l'accor- dera, il faut ajouter qu'ils ne pourront être augmentés à la taille que proportionnellement à l'accroissement de leurs biens et de l'imposition de la paroisse; sinon « cette faveur leur deviendra inutile parce que, n'estans plus collecteurs, on les ruineroit d'ailleurs à la taille* ». Le même intendant propose d'imposer les filles non mariées qui auront plus de vingt ans, car, sui- vant l'usage du pays, elles ne sont pas imposables avant leur mariage, même si elles font du commerce. L'intendant de Caen désapprouve nettement l'intention de pousser les jetines gens au mariage : « cela les detourneroit d'aller à la guerre et de s'adonner à la navigation, l'une et l'autre profession aiant pour fondement le libertinage qui convient plustost aux garçons qu'aux hommes mariez » ; en outre, selon lui, il ne faut pas laisser enten- dre qu'on veut favoriser les nombreuses familles « en haine de

consultes. Voir les réponses de ceux-ci dans le vol. Glairamb. 463. Le Camus communique à Colbert le 3 août 1666 un arrêt du conseil « par lequel il paroist que l'usage de la province de Bourgoigne a toujours esté de donner l'exemption de taille à ceux qui auroient 12 enfants. » (M. C. 139, 35).

1. Clém. II, p. 68; ce projet est du mois de novembre 1666.

2. Clairamb. 791.

3. Ibid., p. 92-3.

4. Ibid., p. 94, même lettre.

262 LA TAILLE EN NORMAND! I .

la condition des prestres, religieux et religieuses »; il propose d'exempter de taille tout le monde indistinctement jusqu'à l'âge de vingt-rinq ans, et d'imposer tout le monde au delà1.

Malgré ces objections, Colbert publia la déclaration de novem- bre 1666 : contrairement à ce qu on dit habituellement, elle ne s'appliquait pas à l'ensemble du royaume, mais seulement, semble-t-il, au ressort de Paris8. En Normandie du moins elle ne fut ni enregistrée ni appliquée : un édit spécial à la province fut expédié en juillet 16o7, qui n'accordait aucune exemption de taille ni de collecte, se bornant à promettre des pensions aux habitants des villes franches et aux gentilshommes qui auraient beaucoup d'enfants 3. L'usage de la province tel qu'il est indiqué plus haut fut donc maintenu; d'ailleurs dans le ressort de la Cour des Aides de Paris la déclaration de 1666 fut rapportée en janvier 1683 en raison des abus que l'on avait constatés dans l'application *. L'édit de juillet 166/ ne fut peut-être pas davan- tage appliqué : le 16 septembre 1670 l'intendant de Rouen demandait à Colbert « si l'intention de Sa Majesté est toujours que ceux qui ne sont point gentilshommes jouissent des privi- lèges qui leur sont accordés par ses déclarations, n'en ayant pas fait quand à présent estât pour ne pas diminuer le nombre des taillables, outre qu'il s'en est peu présenté »; et il envoyait une liste de cinq gentilshommes ayant plus de 10 enfants8.

En dehors des cas réglés d'exemptions il arrivait que les ministres fussent amenés à en accorder à des individus par simple faveur, comme ils en accordaient à certaines paroisses. Par exemple Colbert écrit ;> l'intendant de Rouen le 20 juil- let 1674 : « Le sieur de Roberval, l'un des professeurs de l'aca- démie royale des sciences, m'ayant donné le mémoire cy-joint

1. B. N. Clairamb., 791, p. 103 bis; le mémoire n'est pas signé, mais il est de l'écriture de l'intendant Chamillart. La grande majorité des intendants furent

E a reillement hostiles ù la concession de nouvelles exemptions ; ainsi pour celui de anguedoc la réforme « emporterait la moitié des paroisses », car on se marie fort jeune dans le midi et c'est « une chose très commune d'avoir 10 ou 12 enfants ». (Clair., 791, p. 30). Ponr celui d'Auvergne, l'impôt des hommes non mariés, dans le ressort de la Cour des Aides de Clermont, forme < plus du septiesme de la taille. > Il ajoute que si l'on exempte ceux qui se marient de bonne heure, ils ne s'engageront plus dans les armées du roi, et cela fera trop de bras dans les vil- lages; il y a une quantité d'enfants mendiants dans la province, elle est < si peuplée que, quand les maladies populaires emportent beaucoup d'enfans, l'on yeoid les pères s'en consoller aisément. » (Ibid., p. 109-117). Pour celui de Bourges il faut craindre que les parents ne fassent des donations fictives de leurs biens à leurs enfants pour ne pas payer l'impôt (Ibid., p. 105-107), etc. X. Et encore avec quelques restrictions, voir C. d. T., t. II, p. 12-14.

3. A. D. S. Inf. B 84, P8.

4. Clément, t. II, p. 119, n. 2; des 1677, on songeait à suspendre l'application de la réforme et peut-être fut-elle réellement suspendue à cette date. Voir un projet d'arrêt du conseil dans Clair., 797, p. 143, suspendant l'exécution de la déclaration de novembre 1666 jusqu'à la paix; il n'est pas sûr qu'il ait été réelle- ment expédié.

5. Clairamb., 792, p. 301.

LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 263

je vous prie de faire en sorte que ses neveux ne payent point de taille pendant une année ou deux, jusqu'à ce qu'il ayt trouvé des fermiers pour ses biens *. » Mais ces faveurs étaient relati- vement rares.

Le règlement de janvier 1634 disait : « Nul ne poura être exemt des tailles par le simple consentement des habitans des paroisses, ni abonné par eux à certaines sommes pour toutes tailles au préjudice des autres, ains chacun habitant sera taxé selon ses facultez » (art. 35). La même prescription est reprise dans le règlement de 1643 (art. 30) et dans un arrêt du conseil du 19 avril 1663, qui annule tous les abonnements de ce genre et interdit aux maires, syndics et échevins d'y avoir égard, quand même ils seraient homologués par des sentences ou des arrêts2. Mais malgré cette défense les paroisses avaient l'habi- tude d'accorder des exemptions et des réductions de taille; comme d'ailleurs les habitants étaient collectivement respon- sables de l'impôt mis sur leur paroisse, l'exemption accordée à un des leurs ne portait préjudice qu'à eux-mêmes; le gouverne- ment tolérait donc les dérogations à l'édit de 1634.

En 1665 les habitants de Bayeux, par une délibération du 4 février, font venir de Rouen en leur ville un apothicaire « pour la nécessité quis en avoient en icelle ville de Bayeux » en lui promettant « pour luy tenir lieu de gaiges et récompense, qu'il ne seroit travaillé ny surchargé des tailles et impositions de ladite ville », et ils fixent « sa taille et son taux pour autant qu'il y demeure roit... à 10 1. par chacun an pour toutes contributions aux tailles et autres levées de ladite ville ». C'était donc un véri- table abonnement à la taille; il fut confirmé par un arrêt du conseil, et en 1665 un collecteur de Bayeux ayant voulu malgré ce contrat imposer l'apothicaire à plus de 10 1., il en résulta un procès qui alla jusqu'au conseil d'Etat : l'arrêt du 19 jan- vier 1666 confirma le contrat et cassa la cote fixée par les col- lecteurs 3.

Un contrat semblable est conclu en 1678 par les paroissiens de Rots avec le sieur Jean Dessillons, chirurgien de Caen, qui s'engage à venir résider dans la paroisse « pour aider et assister les malades » ; en échange il pourra « faire valoir les héritages

1. Clément, t. V, 486 n. 2.

2. La Poix de Fréminville, Traité général des Communauté» d'habitants, p. 240. Cf. Lebret, 22e action : « Nous ne 'oyons point qu'en ce royaume les méde- cins aient jamais joui de ce privilège d'immunité attribué à leur ordre par l'an- cien droit de Rome, car ils ne jouissent d'aucune exemption sinon de quelques charges personnelles, comme de l'assiette et collecte de taille, étant au reste asservis et sujets au paiement d'icelles ni plus ni moins que tous les autres rotu- riers et taillables, et dont seulement sont exceptés les médecins du roi, non encore

fiour estre médecins, mais comme serviteurs domestiques de la maison royale. » Œuvres, p. 492).

3. A. D. S. Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLI, 45-6.

Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.

qu'il v peut avoir » sans ii l'avenir « estre aucunement inquiété ny pour la taille ny sel, soit dans aucun rosle, ny en ayde, ny autrement1 ». Pareillement, les habitants de Honfleur, le 23 octobre 1680, s'engagent à ne pas imposer à plus de 20 ou 30 sous le médecin Jean Barbel, « en considération de ce que ledit Barbel donne gratuitement ses soins aux pauvres », et cet abonnement est homologué par le Conseil*.

Les contrats de ce genre, assez fréquents3, sont parfaitement admis dans la pratique. Les intendants accordent eux-mêmes des diminutions de taille à des médecins et chirurgiens, par le moyen des taxes d'office : par exemple a Bayeux, en 1683, trois médecins sont taxés respectivement à 1 1., 3 1. et 16 1. 10 s.*. Le jurisconsulte La Poix de Fréminville écrit, après avoir noté les articles de règlements interdisant l'abonnement : « Il y a cependant des cas il convient d'abonner et fixer la cote de

2uelques particuliers tels qu'un horloger ou serrurier habitans une ville... sans lequel abonnement il en coûteroit à la ville une somme qu'il faudroit imposer sur le général des habitants : il en est de même d'un tambour de ville ». La seule condition qu'il réclame pour la validité du contrat est qu'il soit approuvé par l'assemblée des habitants et homologué par l'intendant, « et pour lors, dit-il, les collecteurs et les officiers sont en règle5 ».

III. LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE

Un groupe considérable d'exempts est formé par les habitants de certains lieux privilégiés : c'est leur domicile qui leur confère l'exemption. On peut diviser ces lieux en deux catégories : les pays exempts de taille, et les villes franches.

Il existe en Normandie un pays exempt de taille, c'est la prin- cipauté d'Yvetot. Jamais cette ancienne seigneurie ne paya d'impôts au roi. Ses privilèges avaient été consacrés par les lettres-patentes du 14 juillet 1450, délivrées après l'expulsion des Anglais; tous les souverains, dans la suite, les avaient con- firmées. Une enquête ordonnée par Louis XI en 1462, notam- ment, avait établi que « toutes fois qu'il a pieu au roy nostre

1. Délibération des habitants, 18 janvier 1678, A. Mun. BB. 7.

2. Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 135; Clairamb., 659, p. 260.

3. Nous n'avons pas toujours le texte des contrats, mais on en trouve la trace dans les râles, les chirurgiens, apothicaires, maîtres d'école, etc. sont taxés à de très faibles sommes : ainsi à Saint-Lucien de Barq, élection de Neufchàtel, en 1670, Jacques de Fontaine, chirurgien, est imposé à 1 sou (A. D. S.-Inf., C, 2673).

4. Rôle des taxes d'office de la généralité de Caen, A. N. G? 213.

5. Traite général de* Communautés d'habitants, p. 241. Voir encore un contrat passé par les habitants de Cloyes (Eure-et-Loire) le 21 décembre 1687 avec un horloger pour entretenir l'horloge communale moyennant l'exemption de tout impôt, dans A. Mater, Le socialisme conservateur, p. 280; cf. aussi Viollet, Histoire des Institutions de la France, t. III, p. 58, n. 5.

LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 265

seigneur imposer aucune ayde ou taille en son royaume, sei- gneurie et territoire, ils n'ont eu aucun cours en icelle terre et seigneurie d'Yvetot, mais en a esté tousjours exempte J ». Lorsque le taillon fut institué, en 1557, le roi déclara expressément que la principauté n'y contribuerait pas; les révocations générales de privilèges prononcées en 1600 et 1640 avaient fait exception pour Yvetot; de très nombreux arrêts du Conseil et de la Cour des aides, des sentences du Bureau des finances et de l'Election de Caudebec avaient conservé intactes, jusqu'à l'époque de Colbert, les franchises du pays2; en dernier lieu une sentence du Bureau des finances l'avait déchargé, en 1664, de la Subsis- tance que le roi voulait y imposer3. Mais si la politique royale n'était pas parvenue à supprimer ces franchises, elle avait du moins réussi à réduire l'étendue elles s'exerçaient : de toutes les paroisses relevant du fief primitif, deux seulement, Saint- Clair-sur-les-Monts et Sainte-Marie-des-Champs, avaient conservé l'exemption au xvne siècle, en dehors du bourg d'Yvetot4. Ces privilèges attiraient la population dans le pays s ; toutefois ils étaient en partie compensés par les droits assez élevés que le seigneur y percevait.

Sur les confins de la Normandie existaient deux pays exempts de taille, la Bretagne et le Boulonnais. Ils avaient une influence sur l'impôt de la province, parce qu'ils servaient de refuge à des contribuables qui voulaient échapper au fisc : les taillables des régions limitrophes allaient y demeurer ou y faisaient des translations de domicile fictives tout en conservant et exploi- tant leurs terres en Normandie. Comme la qualité de tail- lable était attachée au domicile c, ces fugitifs devenaient exempts, et les paroisses normandes leurs biens étaient placés s'en trouvaient accablées. Cette situation avait été signalée au roi par les commissaires au régalement des tailles en 1634, et l'arrêt du conseil du 27 novembre 1641, pour y remédier, avait ordonné « que tous ceux qui feroient valoir terres ou fermes assises au dedans des paroisses taillables payeront la taille à proportion des autres taillables d'icelle paroisse, eu égard aux terres et héritages dont ils dépouilleront les fruits; lesquels fruits ils ne pourront enlever desdites paroisses taillables, sinon en payant au préalable les sommes auxquelles ils auront été cottisés esdites

1. Beaucousin, Hist. de la principauté d'Yvetot, ses rois, ses seigneurs, Rouen et Yvetot, 1884, p. 297 et suiv. Voir ibid.rp. 292 les let. pat. de 1450. Cf. Duplessis, Description..., t. I, p. 187; De MasseviUe, Etat géographique de la province de Normandie, Rouen, 1722, t. I, p. 331 ; Voysin de la Noiraye, Mémoire sur la géné- ralité de Rouen, p. 150.

2. En voir l'énumération dans Duplessis, Description..., t. I, p. 187.

3. Arch. S. Inf. C, 1167, fol. 39, Voysin de la Noiraye, Mémoire..., p. 150.

4. De MasseviUe, Etat géographique, t. I, p. 331. Au xviii" siècle, ces deux paroisses perdirent même leurs franchises (Duplessis, Description..., I, p. 187).

5. Duplessis, ouv. cit. p. 189,

6. Voir ci-dessous, chap. vr, lre partie.

■2Ct\ |.A TAII.I.K I.N MMIMAMUL

paroisses, en donnant caution valable1 ». Cette disposition, reprise par le règlement du 16 avril 1643*, était une dérogation grave au principe de la taille personnelle, car elle transformait l'impôt en une taxe sur le revenu foncier, comme dans la taille réelle, mais elle eut l'avantage de supprimer les fuites de contri- buables : du moins on ne trouve aucune plainte à ce sujet au temps de Colbert.

Certaines villes avaient aussi le privilège de ne pas payer la taille. Les juristes le justifiaient en rappelant que la ville de Rome l'avait possédé, et que les grandes villes avaient toujours été jugées dignes de faveurs spéciales3. En réalité, elles devaient leur exemption à des circonstances très diverses. Les unes avaient toujours échappé à l'impôt, à cause de leur importance : Paris, Lyon, Rouen, étaient dans ce cas; d'autres avaient obtenu cette faveur en échange de leur soumission au roi, ou en vertu d'un traité conclu lors de leur annexion au royaume; d'autres la devaient à une protection spéciale : par exemple la ville de Richelieu, lors de sa fondation par le Cardinal4; d'autres encore supportaient des charges ou payaient des droits équivalents à la taille; d'autres enfin avaient acheté leur franchise à prix d'argent. Le roi avait spéculé sur ces privilèges comme sur tous les autres; un édit de novembre 1640 avait révoqué en bloc les exemptions de toutes les villes sauf Paris, Rouen, Le Havre et Quillebeuf, mais il voulait uniquement les forcer à racheter leurs fran- chises, et toutes celles qui l'avaient pu s'étaient exécutées 5. Voici les villes de Normandie qui étaient franches : Rouen avait été exempte de taille dès l'origine. Son privilège avait été reconnu par une ordonnance de mars 1351, et l'éait de janvier 1634, après beaucoup d'autres, l'avait confirmé. La franchise s'étendait non seulement à la ville, mais encore à une vaste banlieue, dont les limites provoquaient des contestations. Dès le xne siècle, la règle était établie que la banlieue s'étendait jusqu'à 1000 perches des murailles de la ville6, mais les chan- gements de l'enceinte et la difficulté de faire des mesures exactes avaient rendu ces limites incertaines. De nombreux procès furent soutenus à la Cour des aides par diverses paroisses pour obtenir

1. Art. 8 (Néron, Recueil, t. II, p. 665).

2. Art. 20 (C. d. T., t. I. p. 388).

3. « Nous apprenons de nos livres, dit Lebret, qae de tons tems les villes les pins célèbres ont été honorées de plusieurs grans privilèges... et, à vrai dire, si entre les personnes privez on répute ceux-là dignes de quelque privilège spécial qui ont une vertu éminente et qui s'emploient au service de la chose publique, pourquoi ne seroit-il plus séant et plus raisonnable d'en honorer les villes capi- tales, vu qu'elles sont les principale» colonnes ou fondemens d'un Etat.... Rome de tout temps, pour la révérence de sa grandeur fut rendue exempte de tous tributs. » ((Miuvret, éd. 1689, p. 486). Cf. Ragueau, Glossaire, au mot Taille.

4. Let. pat. du 11 janvier 1635 (Mém. alphab., p. 363-364).

5. V. la formule d une concession de franchise de taille vers cette époque dans les papiers de Le Tellier, B. N. ms. fr. 4266, fol. 14-16.

6. L. Delisle, Condition de la classe agricole, p. 10.

LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 267

leur annexion à la zone, ce qu'elles considéraient comme un grand privilège1. Au temps de Colbert, la liste de ces paroisses privilégiées fut définitivement arrêtée : elles étaient au nombre de 29 2; d'après le tableau dressé en 1709 par Saugrain, elles comprenaient 4 020 feux, soit de 15 à 20 000 habitants.

Dieppe n'a « jamais contribué au fardeau des tailles 3»; par les lettres patentes du 26 septembre 1463, le roi s'était engagé à ne jamais y lever « tailles, impositions, gabelles, quatriesmes, et autres subsides quelsconques », en considération de la bonne conduite des habitants pendant la guerre, et aussi pour les engager à bien entretenir leurs fortifications *. Louis XIV à son avènement avait confirmé cette exemption, en raison, disait-il, « du bon et fidelle devoir que lesdits habitans et bourgeois ont tousjours fait, comme encore ils continuent, à la conservation de ladite ville sous notre obéissance5 ». Le faubourg du Pollet avait été longtemps distinct de la ville, et encore au xvme siècle il dépendait, pour le spirituel, de la paroisse de Neuville; mais Henri IV, en le faisant fortifier, lui avait accordé tous les privi- lèges de la ville, en 1589; cette concession avait été confirmée malgré l'opposition de l'archevêque de Rouen, seigneur de Dieppe6, et les habitants jouissaient paisiblement de leurs franchises au temps de Louis XIV.

Le Havre avait été déclarée exempte dès sa fondation, pour développer son commerce, et l'édit de novembre 1640 l'avait exceptée de la révocation générale 7.

Granville était privilégiée parce qu'elle était une place forte importante. Charles VII lui avait accordé la franchise, et tous ses successeurs l'avaient confirmée; en dernier lieu l'arrêt du conseil du 18 août 1674 imposait en échange aux bourgeois de

1. Y. P. Duchemin, Histoire de St-Eiienne-du-Rouvray, Rouen, 1892, p. 33 et suiv., comment cette paroisse parvint, en 1571, à se faire annexer. En 1634, les commissaires au régalement des tailles avaient mission de réduire la banlieue à ses limites fixées par la coutume. (Arch. mun., Rouen, liasse 183, pièce 3). En 1635, un arrêt de la Cour des aides déclare comprises dans la zone « les maisons qui sont dans les bornes de l'ancienne mairie, et le reste du bourg de Dernetal » (Règlements de Normandie, p. 108). D'autres arrêts des 14 août 1653 et 28 jan- vier 1662 incorporent également Isneauville et Quièvreville-la-Milon (Mémoriaux de la Cour, à leur date). Cf. De Beaurepaire, Cahiers des Etats... t. I, p. 249-255.

2. V. cette liste dans Saugrain, Nouveau dénombrement du royaume..., éd. 1735, part., p. 2, dans Duplessis, Description..., t. II, p. 769, et la carte de l'élection de Rouen, dressée en 1683 par Lamotte (B. N. cartes, Ge DD 2023). Sur les avan- tages de ces paroisses, v. Vauban, Dixme royale, p. 59-61.

3. Journal de J. Masselin, éd. Bernier, trad. fr., p. 547.

4. Voir ces lettres patentes et les au 1res actes relatifs aux franchises de la ville dans le Recueil général des édits... donnés en faveur des habitants de la ville Dieppe, concernant les privilèges, franchises et exemptions de ladite ville, Dieppe, 1700, in-fol. Cf. Desmarquets, Mémoires chronologiques pour servir à l'histoire de Dieppe, Paris, 1785, 2 vol. in-12.

5. L. pat. d'août 1643, dans le Recueil général... des privilèges, à leur date.

6. Duplessis, Description..., t. I, p. 129.

7. Mémoire de Yoysin de la Noiraye, p. 144. Cf. Bourély, Hist. de la ville du Havre, t. I, p. 480. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, 1" part., p. 290-292.

Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.

se tenir en tout temps armés et « munitionnés »; ils devaient entretenir leurs murailles à leurs irais1.

Chehuourg et le Mont Saint-Michel étaient dans le même cas.

Alençon avait été franche jusqu'en 1640, mais ledit général de révocation des privilèges l'avait remise à la taille : elle n'avait obtenu que l'avantage de lever sa contribution par un « tarif* ». Un arrêt du conseil du 13 mai 1665 réunit ces droits à la ferme des aides, de sorte que, nominalement, la ville se trouva exempte de taille, tout en payant la même imposition au Trésor 3: les contribuables n'étaient pas soulagés d'un sou \

Malgré ces concessions et confirmations solennelles de privi- lèges, les rois n'avaient pas renoncé à tirer de l'argent des villes franches : ils y percevaient d'autres impôts qui équiva- laient largement à la taille. On vient de voir ce qui se passa pour Alençon; il en avait été de même pour toutes les autres villes; elles avaient été soumises à des taxes extraordinaires sous le nom d'« ustensile » ou de « subsistance des gens de

guerre » : ainsi Rouen paya jusqu'à 120 000 1. chaque année, •ieppe jusqu'à 50000 1., le Havre, 12 000 5, etc. Seules, Yvetot, Granville et le Mont Saint-Michel ne payèrent jamais rien. Ces taxes furent levées jusqu'en 1665; à cette date vers le même temps que l'on modifiait le régime d' Alençon on cessa de les percevoir, mais pour lever à la place des droits sur les mar- chandises : on ne faisait que remplacer un impôt direct par un impôt indirect, sans réduire les revenus royaux. L'édit de décembre 1663 avait attribué au roi la moitié de tous les droits d'octroi levés dans les villes6; en outre dans chacune d'elles, les tarifs furent remaniés à l'avantage du Trésor : à Rouen, les droits sur l'entrée des cires et sucres furent enlevés à la ville en 1665 7, le tarif de l'octroi revisé en 1667 8, et les droits d'aides considérablement accrus par l'ordonnance de juin 16809;

1. Arch. S. Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLIII, fol. 146.

2. Etabli par arrêt du Conseil du 1" juin 1658 (Encycl. méthod., t. III. p. 703), Sur les « tarifs », voir ci-dessous, chap. vu. Les droits du tarif d'Alençon se trouvent dans Lefebvre de la Bellande, puv. cit., 1" part., p. 292-.93.

3. A partir de 1666, il est spécifié dans la commission des tailles que la ville est « déenargée de la taille.., au moyen de ce que les droits du tarif establis en ladite ville pour le payement de ladite taille ont esté joints a la ferme générale des aydes ».

4. En plus de cette liste, on a des villes exemptes de taille, mais qui payent tous les ans la subsistance des gens de guerre » ; ce sont : Honfleur, Quiilebeuf, et Argentan. Comme cette somme était imposée avec la taille et levée de la même façon, elle peut être considérée comme une véritable taille.

5. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 137-144. Cf. les plaintes des babitants de Houen en 1643, dans De Beaurepaire, Cahiers..., règne* de Louis XIII et Louis .XIV, t. III, p. 287, et dans Félix, Comptes rendus des échevins de Rouen, t. II, p. 152, 170, 177, 191, etc.

6. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, 1™ part., p. 282.

7. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 137.

8. V. ce tarif, dans les Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLII, f" 118-121.

9. V. cette ordonnance dans le Recueil des ordonnances... sur le fait des aides de

LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 269

en 1672 Pellot estime qu'à Rouen le roi retire de tous ces droits « plus de deux millions de livres » *, A Dieppe, les droits d'aides et d'octroi furent également accrus 2, bien que Colbert voulût favoriser la ville pour développer son commerce 3. Au Havre, les droits sur les boissons atteignent un taux considé- rable. A Alençon, les droits du tarif vont en augmentant avec les années. En définitive, la condition des villes franches est très voisine de celle des villes « tarifées », que nous étudierons plus bas.

Malgré ces aggravations de charges, les villes s'estimèrent heureuses du changement. Sans doute, elles auraient préféré ne rien payer, et elles ne manquaient pas de réclamer des dégrè- vements, mais les taxes sur les marchandises leur paraissaient infiniment moins onéreuses que la taille. Rien n'était plus détesté des contribuables que les « capitations », c'est-à-dire les impôts directs, on le verra plus loin*; aussi, la population affluait-elle dans les villes franches; le chevalier de Glerville l'observe en 1664 : « La charge des tailles qui se payoient cy- devant en Normandie a attiré dans Dieppe et dans les villes franches ou abonnées une si grande quantité du peuple de la campagne, qu'il n'y a que le commerce desdites villes, et principalement des ports, qui le puisse nourrir 5 ». Cette déser- tion des campagnes avait le grave inconvénient de réduire le produit de la taille, aussi Colbert avait-il projeté, avant son arrivée au gouvernement, de « faire une révocation générale de tous les anranchissemens donnés aux villes, avec ordre aux maîtres des requestes, etc., de tenir la main à ce qu'elles soyent imposées selon leurs forces 6 » ; mais il changea d'avis par la suite, en y établissant des impôts sur les consommations : en laissant aux bourgeois l'exemption de taille, il leur épargnait les vexations de la levée, et relevait leur condition sociale. En cela, sa politique fut bienfaisante, quoiqu'elle perpétuât des injustices et entraînât des aggravations de charges pour les contribuables.

Les mêmes difficultés qui se présentaient pour les pays exempts se rencontraient dans les villes franches : elles pou-

Normandie, Rouen, 1717, in-12, p. 11-16. Cf. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, 1" part. p. 136 et 403.

1. Depping, t. III, p. 220.

2. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, p. 287-290.

3. Cf. une lettre du duc de Montausier à Colbert, 7 juin 1665, il rend compte de ses conférences avec les représentant! de la ville sur les moyens d'y déve- lopper le commerce : les habitants se bornent, dit-il, à demander « force descharge d'impositions », et il conclut : « Il n'y a rien à faire avec eux ». (M. G. 130, fol. 114). En 1672, Colbert s'indigne que les habitants sollicitent des diminutions d'impôts au lieu d'armer des vaisseaux, et il les menace du logement des gens de guerre (Clém., II, 428, note).

4. Ci-dessous, chap. Vil ; cf. Mémoire de Voysin, p. 137.

5. Mélanges publics par la Société d'histoire de Normandie, t. I, p. 263.

6. Clém., t. II, p. 198.

LA TAILLB EN NORMANDIE.

vaient servir de refuge à des taillablcs de la campagne qui vou- laient se soustraire à l'impôt. C'est pourquoi le règlement de janvier 1634, à l'art. 60, n'accordait la franchise à ces contri- buables qu'après dix ans de résidence dans la ville : pendant les dix années, ils demeuraient taillables dans leur paroisse d'origine, ils ne pouvaient être taxés à plus forte somme que l'année de leur départ '. Pareillement, lorsque le fils d'un taillable venait résider dans une ville franche avant sa majo- rité, il ne devenait exempt que dix ans après 2. Lorsque la veuve d'un taillable se retirait dans une ville franche dans les quarante jours qui suivaient la mort de son mari, elle devenait exempte sans délai, si elle ne cultivait pas elle-même des terres à la cam- pagne3. Enfin, quand un bourgeois de ville « tarifée » passait dans une ville exempte, l'usage était de lui accorder l'exemption sans délai4.

Les violations de ces règlements étaient fréquentes. Beaucoup de gens acquéraient un domicile en ville, et demeuraient « la plupart de l'année aux champs »; ils n'étaient bourgeois « qu'aux bonnes festes seulement 6 », et la Cour des aides par ses arrêts leur reconnaissait volontiers la qualité de bourgeois. On les désignait communément sous le nom de « bissaquiers 6 ». En 1662, l'intendant de Rouen écrit :

« Les paysans riches envoyent leurs enfants dans ces villes [franches] pour y acquérir leur aage de majorité, lesquels louent une chambre et se rendent a Noël et a Pasques dans lesdites villes pour faire co- gnoistre qu'ils y sont bourgeois, et le reste du temps demeurent à la campagne, et quoyqu'ils afferment leurs terres par intelligence, ils les donnent a des gens de néant ou a des habitants enroolles hors les paroisses ou leurs terres sont scituées, se servant seulement de leurs noms, eux estant les véritables laboureurs. »

Cela, ajoute l'intendant, « ruine beaucoup les taillables de la

1. Ceci pour éviter les vexations des collecteurs contre des absents qui ne pou- vaient ni se défendre ni devenir collecteurs à leur tour. Un habitant de Vatteville ayant quitté sa paroisse pour aller demeurer au Havre avait vu sa cote passer de 19 1. 2 s. à 64 1. : un arrêt de la Cour des aides réduisit son impôt à 19 1. 2 s. le 18 janvier 1662 (A. D. S.-Inf., Registres du Conseil de la Cour, à sa date).

2. Let. pat. d'août 1664, art. 25.

3. Même règlement, art. 26.

4. De Boislisle, Corresp. des contr. généraux, t. I, n" 369 (au sujet d'Alençon).

5. Parce qu'ils justifiaient de leur qualité de bourgeois par des certificats des curés attestant qu ils avaient communié en ville les jours de grandes fêtes.

6. Moisant de Brieux. Les origines de coutumes anciennes, Caeu, 1672, réédité par de Beaurepaire et Garnier, Caen, 1874, p. 206 : « Pour le mot de bissaquier, nous nous en servons icy a designer les faux bourgeois, autrement, les bourgeois du samedy; ces gens qui, le bissac plein de provisions pour un jour ou deux, se rendent ù la ville le samedy, ou la veille de quelque feste, afin d'assister au sermon, communier, se montrer un peu le nez sur la Bourse, et tâcher par de conserver ou d'acquérir le privilège, dont jouissent les véritables citoyens. Privi- lège si rare et singulier, qu'il fait de tous nos bourgeois autant de gentils-hommes, qui peuvent labourer leurs terres sans payer la taille ; mais autant de gentils- hommes exempts de l'arrière-ban, des équipages et de la dépense à laquelle la noblesse est sujéte.

LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 271

campagne », et il n'y voit d'autre remède que de « restraindre les privilèges aux seuls bourgeois qui seroient nez dans lesdites villes » ; tous les autres « seroient imposés aux tailles à com- mencer l'année prochaine1 ». Colbert, de son côté, détestait ces fraudeurs : « il n'y a point de voye, écrit-il à l'intendant de Bordeaux, dont ne se soyent servis ceux qui se sont faits bour- geois en fraude pour se maintenir... Je ne saurois m'empescher de vous répliquer encore que difficilement trouverez-vous une occasion plus adventageuse dans le cours de vostre emploi pour faire connoistre le zèle que vous avez pour le service du Roy, auquel il faut s'il vous plaist que vous rendiez justice en ce rencontre avec quelque sévérité 2. » Malgré les règlements d'août 1664 (art. 22) et de mars 1671, qui ordonnaient de remettre à la taille ces bourgeois fictifs, les abus continuèrent. Le règlement du 20 août 1673 précisa que, pour être réputé bourgeois de Rouen, Dieppe, ou Le Havre, un contribuable devrait y résider au moins sept mois par an, et y payer la taxe des pauvres et celle des boues3. Mais les fraudes ne devaient jamais cesser. Le 22 juillet 1680, l'intendant écrit que l'élection d'Alençon, quoiqu'ayant un terroir fertile, est ruinée parce que « les villes tirent toute la richesse du plat pays, et les bons habitans de la campagne envoient leurs enfans acquérir leurs ans de majorité dans Alençon ou dans Argentan l'on ne paie point de taille*». La déclaration du 19 mars 1747 relèvera encore les mêmes abus, dans les mêmes termes.

Les villes franches se prêtaient encore à une autre sorte de fraude : elles servaient, on l'a vu, de refuge aux usurpateurs de noblesse qui voulaient échapper à la recherche : celle-ci, en effet, laissait de côté les habitants des villes franches parce qu'ils n'étaient pas taillables. Ils furent signalés à Colbert qui fit rendre au Conseil l'arrêt du 5 novembre 1666, suivant lequel tous ceux qui étaient l'objet de poursuites pour usurpation de noblesse et s'étaient retirés dans les villes franches de Norman- die depuis le mois de février 1661, prétendant ainsi « éluder l'avantage que les contribuables ausdites tailles devroient rece- voir de la réformation des abus que causoient les indues exemp- tions dont jouissoient lesdits usurpateurs », seraient imposés d'office à la taille pendant dix ans à dater de leur translation de domicile 5.

De même que pour les autres exempts, la question se posait de

1. Depping, t. III, p. 10.

2. Ibid., p. 27. (Lettre du 23 sept. 1663).

3. Art. 14 du règlement, se référant à la déclaration d'avril 1643, art. 15 (G. d. T., II, 108).

4. A. N., G1, 71. Argentan n'était pas franche, comme Alençon, mais elle payait sa taille par tarif, ce qui revenait au même à cet égard.

5. A. D., Galv., G, Registre d'ordonnances de l'élection de Gaen, 1664-74, fol. 161-167.

I.A TAU. 1.1. i.N NullMANIHK.

savoir s'il serait ou non permis aux bourgeois des villes fran- ches, de cultiver des terres a la campagne sans payer la taillo. Tous les règlements le leur avaient interdit absolument : ils ne pouvaient faire valoir la moindre quantité de terre, ni par eux- mêmes, ni par leurs domestiques, ni comme propriétaires ni comme fermiers '. Toutefois, l'usage de Normandie admettait une exception : lorsqu'un bourgeois ne trouvait pas de fermier pour ses terres, il pouvait les exploiter directement pendant un an; l'arrêt du 7 juillet 1661 précisa que, passé ce délai, il serait imposé à la taille dans la paroisse ces biens étaient situés, et « a proportion du profit que feroit un fermier 2 ». Ce dernier point soulevait quelques difficultés : les collecteurs des paroisses avaient le défaut, ainsi que le faisaient observer les Etats de Nor- mandie en 1655, « d'estimer la terre des bourgeois a beaucoup plus qu'elle ne vaut..., pour soulager la paroisse3», n'ayant rien ii craindre de ces contribuables qui n'étaient jamais collecteurs; aussi l'usage s'était-il établi dans la province de calculer l'impôt « au quart de la valeur du revenu des héritages » ainsi exploités*. La Cour des aides tendait à accroître ce privilège en exemptant de taille plusieurs années les bourgeois qui justi- fiaient ne pouvoir trouver de fermier8. Au contraire Colbert aurait voulu le réduire : par le règlement d'août 1673 (art. 13), les bourgeois de Rouen, Dieppe et Le Havre se voyaient interdire la culture de leurs terres, même pendant un an, si elles étaient situées hors de leur élection 6. Mais la cour et les élus protes- tèrent en invoquant les usages de la province, et l'arrêt du conseil du 26 février suivant rapporta cet article. La règle demeura donc que tout bourgeois pouvait, faute de fermier, cultiver ses terres pendant un an pourvu qu'elles fussent situées en Normandie 7. Il pouvait ensuite payer la taille pour ces biens pendant cinq ans sans perdre ses privilèges de bourgeois. Les intendants s'efforcèrent d'empêcher les abus, que favorisait la Cour des aides8, mais sans réussir. Méliandécritle 1er août 1682

t. Règl. de janvier 1634, art. 33, juillet 1635 [Mtm. alp/iab. p. 365), juillet 1643 ort. 21; août 1664, art. 23; déclaration du 3 mars 1671, etc. Voir La Poix de Fre- minville, Communautés d'habitants, p. 279, et Gauret, Stile du Conseil, p. 410.

2. Cf. notamment le règlement de janvier 1634, art. 33, et la déclaration d'août 1664, art. 21.

3. De Beaurepaire, Cahiers... rïgnes de Louis Al/I et Louis XIV, t. III, p. 134.

4. Mémoiie de Voysin de la Noiraye, p. 137. Les mandements des intendants aux paroisses rappellent généralement cet usage.

5. Par ex. le 26 janvier 1662 elle exempte de taille pendant trois ans Jacques Pinchel, bourgeois de Rouen, pour 16 acres de terres qu il cultive directement à Illerville sur M ont fort, faute de trouver fermier (Registre du conseil de In Cour, 1662, fol. 68).

6. Dans le ressort de Paris, le privilège des bourgeois, même des Parisiens, était limité à l'étendue de la généralité (Clém., II, p. 322; Lebret, Œuvres, éd. 1689, p. 486-388).

7. A. Nat. G' 213.

8. Cf. par ex. le mandement de l'intendant de Rouen aux paroisses en 1672 : les bourgeois seront imposés dans les paroisses ils cultivent des terres « nonobstant tous arrests de ladite Cour des aides, et sans s'arrester aux certi- ficats des curés...

LES EXEMPTS PAU LE DOMICILE. 273

que l'exemption des bourgeois pour les terres qu'ils cultivent est « une affaire de conséquence » qu'il faudrait réglementer *, et Marillac, le 5 octobre 1684, dit que cet usage entraine des « abus considérables ».

L'usage avait aussi de graves inconvénients économiques, signalés par Desmaretz en 1687 :

« Les bourgeois des villes, propriétaires d'héritages à la campagne, ne pouvant pas les faire valoir par eux-mêmes, sont obligés de se servir de métayers et de laboureurs : or, ces métayers et ces labou- reurs sont si misérables, qu'il faut les nourrir, payer la taille pour eux, leur fournir des bestiaux. Des gens en cet état cultivent mal les terres et font préjudice en une infinité de choses à leurs maîtres par leur négligence ou par leurs friponneries *. »

1. En 1676, parmi les projets présentés à Colbert pour se procurer de l'argent figure la proposition d'autoriser les habitants des villes franches à cultiver leurs terres pendant 12 ans moyennant une redevance de 300 1. (Clairamb., 797, p. 96). Colbert n'y donna pas suite.

2. De Boislisle, Mém. de St-Simon, t. VII, p. 569.

LA TAILLE EN NORMANDIE. |g

CHAPITRE VI PREMIÈRE PARTIE

LES TAILLABLES

I. LA TAILLE PERSONNELLE. II. LES FEUX. CONDITIONS d'aGE ET

DE SEXE. III. LE DOMICILE. IV. LE CHANGEMENT d'oCTROI.

V. LA DATE DES ROLES. VI. L? ASSEMBLEE DES COLLECTEURS.

Tous les sujets du roi qui ne rentrent pas dans les catégories énumérées au chapitre précédent sont astreints à payer la taille : ils doivent être inscrits par les collecteurs sur un rôle dressé chaque année et spécial à la paroisse. Nous avons à examiner deux questions : qui est inscrit sur le rôle; quelle somme est fixée pour l'impôt de chacun.

I. LA TAILLE PERSONNELLE

Les collecteurs avaient pour tâche d'établir l'assiette de l'impôt. Celle-ci variait suivant les pa^s.

On distingue habituellement trois sortes de taille, différant entre elles par la nature des biens imposés : la taille person- nelle, la taille réelle et la taille mixte1. Mais les auteurs ne s'accordent pas sur le sens de ces expressions ni sur les régions chaque sorte est en vigueur. Nous avons un bon exemple de l'incertitude et de l'obscurité des notions relatives à la taille chez ceux qui ont traité le sujet jusqu'ici2.

1. Les trois sortes d'impositions sont assez bien définies par Du Chalard, à propos des contributions féodales : « Il y a beaucoup d'espèces de tributs, collectes, tailles imposts et charges publiques : il y en a de personnelles, qui consistent en service actuel et personnel, comme de faucher les prez ou de scier les bleds du seigneur; les autres sont réelles, qu'on impose sur la chose et qui suivent le possesseur d'icelle : comme sont les héritages, maisons, sur lesquels est imposée rente ou servitude; les autres sont mixtes, c'est-à-dire personnelles et réelles qui consistent es labeurs personnels, et sont attachées et inhérentes aux choses. » (Commentaire de l'ordonnance de 1560, art. 121, dans Néron, t. I, p. 416.)

2. Voir, pour plus de détails, mon article du Bulletin de la Société d'histoire moderne, 11e année, p. 176 (29 déc. 1912).

H8 LA TA1LLK KN XCHi.M AMM I. .

La taille réelle, de l'avis de tous, est un impôt portant uni- quement sur les biens, indépendamment du propriétaire; il tient compte de la nature et de la qualité de ces biens, et n'a pas égard à la condition de leur propriétaire. Mais quand il s'agit de préciser si elle porte uniquement sur les biens immeu- bles ou si elle s'applique à la fois aux meubles et aux immeubles, il n'y a plus d'accord. Tandis que d'Espeisses l'ait un long cha-

fntre pour expliquer comment les meubles doivent être imposés, a majorité des autres auteurs anciens soutiennent que seules les terres sont sujettes à contribution, et la plupart des modernes se rangent à leur avis '. Il est cependant indiscutable, et Moreau de Beaumont l'a bien éclairci, que la taille réelle, comme la per- sonnelle, portait sur toutes les natures de revenus; elle visait aussi bien « l'industrie », les revenus mobiliers, les « cabaux », comme on disait en Languedoc, que les produits du sol2.

Même incertitude sur les régions elle était appliquée : pour La Barre, l'auteur du Guidon des Finances, Lange, les seuls pays de taille réelle sont le Languedoc et la Provence*. Pour de Merville, « il n'y a que dans Te Languedoc la taille est purement réelle*; » pour Vieuille, la taille réelle existe « en Pro- vence, Languedoc et autres pais d'estats5; » pour d'Espeisses, qui fit un traité de la taille réelle, celle-ci se rencontre « en tout le ressort de la Cour des Aides de Montpellier 6 ». II n'y a guère que Lebret, Moreau de Beaumont et Guyot parmi les auteurs anciens qui sachent que la taille était réelle dans les deux élections d'Agen et de Condom 7.

En ce qui concerne le Dauphiné, la grande majorité croient que la taille y est personnelle ou mixte, soit qu'ils l'affirment nettement comme Lebret8, soit qu'ils le laissent entendre comme

1. Cf. Etat de la France de 1657, p. 224 : en Languedoc et Provence... les terres et meubles seulement sont taillables > Clément, t. II, p. 864 : la taille réelle est < assise sur l'immeuble », etc.

2. Voir une bonne définition de Domat, Lois civiles..., éd. 1756, II, p. 26 et Marion, Les impôt* directs sous Yancien régime, p. 18-20.

3. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 98; Le Guidon des Finances (1664), p. 170. Lebret, Œuvres, éd. 1689, p. 537; voir encore le Traite' des Finances de France, (Epoque de Henri III), B. N. fr. 21 442, 163; Lange, La nouvelle pratique civile et criminelle, \0* éd., t. I, p. 117, etc.

4. Maximes générales sur les Tailles, 1725, p. 94.

5. Traités des Elections, 1739, p. 14. L'identité entre pays d'Etats et pays de taille réelle est également admise par de Lu ça y dans Séances et travaux de l'Aca- démie des Sciences morales et politiques, t. 149, p. 494; de même M. Marion admet cette identité avec certaines exceptions (L'Impôt sur le revenu au .XVIII* siècle

E. 4 n. 2 et Les impôts directs sous l'ancien régime, p. 5 et 18, n. 1); il n'est pas esoin de faire longuement remarquer l'erreur de ces auteurs; la Normandie qui fut pays d'Etats jusqu'au xvn* siècle, n'était pas pays de taille réelle pour autant, non plus que la Bourgogne, qui demeura pays d'Etats jusqu'en 1789.

6. Traité des Tailles, dans ses (JE livres complètes, t. III, p. 333.

7. Lebret fit un plaidoyer a la Cour des Aides pour traiter cette question. (39* action, dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 536). Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Taille, section II.

8. Œuvres, p. 536.

LA TAILLE PERSONNELLE. 277

d'Espeisscs '. Seuls Gauret et l'auteur de Y Encyclopédie métho- dique savent qu'elle y est réelle2. Ducrot ouvre une longue dis- cussion sur cette question, mais c'est pour ne se prononcer ni dans un sens ni dans l'autre3. L'embarras des théoriciens est d'ailleurs excusable, car dans ce pays la taille, répartie au moyen d'un cadastre comme en Languedoc, comportait des exemptions personnelles. Mais pour nous, la question est tran- chée par les actes législatifs : le roi déclare en effet, en tête du règlement du 24 octobre 1639 : « En notre province de Dau- phiné, les tailles sont purement réelles et prédiales \ »

Quant à la taille personnelle et à la taille mixte, elles sont l'objet de confusions déconcertantes dans les traités techniques. Y,' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert en donne des défini- tions presque identiques : « Taille personnelle est celle qui s'im- pose sur les personnes à proportion de leurs facultés... Taille mixte est celle qui est due par les personnes à proportion de leurs biens5. » D'autres font des distinctions inintelligibles : par exemple le célèbre Guidon des Finances, édition de 1644 : « Les personnelles s'entendent de la personne roturière et taillable..., les mixtes sont celles que nous payons aujourd'hui, lesquelles sont imposées au lieu du domicile, ayant esgard à tous les biens du taillable en quelque part qu'ils soient situez et assis 6. » Le Dictionnaire des Finances de 1727 (art. Taille) dit : « La mixte est celle qui est imposée au domicile par rapport aux moyens de celui sur qui on l'impose, et la personnelle se lève sur tous les roturiers non exempts pour quelques charges ». L Encyclo- pédie méthodique, dont l'article Taille est « à un ancien rece- veur des tailles qui a joint à une grande instruction théorique de la matière les leçons d'une longue expérience », n'est pas plus claire : « La taille personnelle est celle qui porte capitale- ment sur les personnes à raison de leurs facultés connues, de leur commerce et de leur industrie. La taille mixte... est tout à la fois réelle et personnelle en ce qu'elle a lieu non seulement sur les fonds mais encore sur les facultés, sur le commerce et sur l'industrie7. »

1. « En Dauphiné, l'habitant contribue au lieu de son domicile pour tous les biens qu'il possède, même situés en dehors du territoire de la parroisse. »(Œuvres, t. III, p. 335.)

2. Gauret, Stile du Conseil du Roy, p. 107: Encyclopédie méthodique, Finances, t. III, p. 643.

3. Traité des Tailles, éd. 1636, p. 354-355.

4. Ghérin, Abrégé chronologique..., p. 103. Voir encore les arrêts du Conseil des 31 mai 1634, 9 janvier 1636, 23 mai 163/, et 6 avril 1639, et Guy Pape, Jurispru- dence ou décisions.,., traduites avec des remarques de Ckorier, 2e éd., 1769, Déci- sion 87. Guéiin, Stile de la Cour des Aides et Finances de Dauphiné, Vienne, 1640, in-12. Phillipi, Recueil... des Edits concernant la Généi alité et en partie la province de Dauphiné, 1720. A. Lacroix, Claude de Brosse et les tailles, dans Bull. Soc. Archéot. Drame, 1899, et le Mémoire manuscrit de B. N. fr. 18 511, 93.

5. Ed. in-f, t. XV, p. 844.

6. P. 170. Sur la vogue de cet ouvrage, voir la bibliographie en tête de ce volume.

7. T. III, p. 643.

278 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Un certain nombre identifient taille personnelle et taille mixte ; par exemple dcMerville : « La taille est personnelle, ou du moins mixte, presque dans tout le royaume J ». Moreau de Beaumont : « Il est vrai que dans les pays d'élections, la taille est considérée comme un impôt personnel, mais elle s'impose et se départit sur le pied et à proportion des biens, facultés, et industrie, ce qui la rend mixte, c'est-à-dire partie réelle et partie person- nelle *. » Guénois : « En Languedoc les tailles sont réelles, mais en France elles sont mixtes, ou bien selon l'avis d'aucuns per- sonnelles '. »

La majorité des auteurs qui distinguent la taille personnelle de la taille mixte sont fort embarrassés pour préciser dans quelles régions de la France elles existent. Seul un Traité des matières de la Chambre des Comptes, contemporain de Colbert, est catégorique : Nous distinguons, dit-il, en fait de tailles, « une réelle qui se lève en quelques provinces sur les héritages roturiers, l'autre personnelle qui se lève dans le pais et pro- vinces voisines sur les personnes taillables, et l'autre mixte qui se lève en quelques provinces selon la profession des particu- liers et sur les personnes taillables* ». Mais les autres, moins hardis, s'abstiennent de nommer les pays la taille serait purement personnelle. Aussi se bornent-ils, en général, à ne mentionner que l'une ou l'autre de ces deux espèces, tel Ducange dans son Glossaire (art. Tailles) : « talliarum prœterea alix sunt reaies, alise personales ». Ducrot admet la triple distinc- tion des tailles personnelle, réelle et mixte, mais, ajoute-t-il, « en France elles sont toutes personnelles5 ». Ragueau ne définit que la taille personnelle et la taille réelle6; au contraire La Barre, Gauret, d'Espeisses ne distinguent que la taille réelle et la taille mixte7. L'abbé Fleury n'admet également que la taille personnelle, mais il est gêné par le mot et éprouve le besoin d'en corriger le sens habituel. Il en est de même de Corbin 8. Loisel de Boismare, sans se préoccuper de ce qui

1. Maximes générales sur les tailles, p. 94.

2. Mémoires sur les impositions, t. II, p. 9.

3. Conférence des ordonnances, t. II, p. 1138, n. marginale.

4. Bibl. Sainte Geneviève, ms. 412, f" 124. Le jurisconsulte Duret. au xvi' siècle, dit cependant : « Quand la taille a égard aux personnes elle est départie selon les testes, de les leveurs estoient appeliez perequateurs, parce qu'ils prenoient également d'un chacun, mais cela n'est guère observé en France. Charles IX voulut que la taxe fut faite le fort portant le faible. > (Dans Néron, I, 650.)

5. Nouveau traité des aydes, tailles et Gabelles, éd. 1636, p. 352. Par France il n'entend évidemment que les pays de langue d'oïl.

6. Glossaire, éd. Favre, art. Tailles.

7. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 98, Gauret. Stile du Conseil du Boy, 1700, p. 407, d'Espeisses, Œuvres, t. III, p. 333.

8. Cl. Fleury, Institution au droit français : « La taille communément est per- sonnelle puisque ceux mêmes qui n'ont point d'immeubles y sont imposés et qu'elle suit le principal domicile, et néanmoins a quelque chose de réel en ce qu'on a égard au patrimoine et par conséquent à la valeur des héritages. On n'y impose pas aussi chaque personne, mais seulement les chefs de famille; il y a quelques pays elle est tout à fait réelle. (Ecrit en 1665, édité par Laboulaye

LA TAILLE PERSONNELLE. 279

concerne l'ensemble du royaume, dit qu'en Normandie « la taille est mixte1 ».

En dehors des traités techniques, dans le langage courant, la confusion des deux expressions est perpétuelle : la correspon- dance de Colbert et des intendants en offrent maints exemples2; Necker a écrit : « Dans les généralités la taille est person- nelle, il est peut-être bien difficile de distinguer d'une manière précise dans cette imposition mixte la portion purement per- sonnelle et celle qui, portant sur l'exploitation, a le caractère d'une réalité3. »

La plupart des auteurs modernes se sont bornés à reprendre les définitions des anciens, sans en démêler les obscurités ou les contradictions, ou, quand ils ont voulu y mettre de la clarté, ils nont fait qu'y ajouter des erreurs*. Il s'est même trouvé un historien pour déclarer que la taille réelle, sous l'ancien régine, non seulement n'existait pas, mais ne pouvait pas exister : « La taille, la capitation, les dixièmes ou vingtièmes étaient des impôts personnels..., l'impôt réel était bien impos- sibh alors, à cause de la difficulté d'estimer ce que chacun possédait5. »

Ce chaos de définitions, dont on s'est contenté jusqu'ici, est facile à débrouiller en étudiant les faits eux-mêmes.

Nous trouvons en France des provinces entièrement exemptes taille; d'autres paient un impôt équivalent à la taille, sous un autre nom; d'autres enfin sont purement taillables. Dans

en 1858, t. I, p. 188.) Corbin, Recueil (1623), p. 963 : « Combien que nous tenions noz tailles estre personnelles, d'autant est-ce qu'elles sentent quelque cbose de la réalité parce que lesdites tailles doivent estre imposées sur les personnes eu égard à leurs biens, terres et facultés. »

1. Dictionnaire, t. II, p. 488.

2. Clément, t. II, p. 101, 119, 258, 106, etc. L'expression « taille personnelle » est plus fréquente que celle de « taille mixte ».

3. Publié par M. C. Bloch, dans La révolution française, t. XXXIV, p. 109.

4. Clément, t. II, p. 99, fait la distinction entre les trois espèces de tailles : il définit la taille personnelle « celle qui portait capitalement sur les personnes à raison de leurs facultés connues, de leur commerce et de leur industrie », et la taille mixte celle qui se lève « non seulement sur les fonds mais encore sur les facultés, le commerce et l'industrie »; c'est la définition obscure de Y Encyclopédie méthodique. M. Esmein ne distingue que la taille personnelle et la taille réelle (Cours élémentaire d'histoire du droit français, p. 533), mais pour lui la taille réelle ne porte que sur le revenu foncier; Courcelle-Seneuil, dans le Dictionnaire d'économie politique publié sous la direction de Coquelin et Guillaumin, distingue seulement taille personnelle et taille réelle en ajoutant : « les écrivains ont aussi parlé quelquefois de la taille mixte, mais ce n'était que la réunion sur la tète du même contribuable de la taille réelle et de la taille personnelle », ce qui n'est pas très clair. Caillet (L'administration de la France sous Richelieu, 2e éd., II, p. 399) dit : « La taille personnelle s'entendait de la personne roturière et taillable,

mais était peu usitée la taille mixte était levée dans la plus grande partie de la

France ». Callery semble admettre la co-existence des trois systèmes : après avoir déclaré qu'il n'étudiera que la taille personnelle, il dit : « Les systèmes de taille très peu employés, connus sous le nom de taille réelle ou taille mixte et qui étaient des exceptions en quelque sorte seront ailleurs l'objet d'études distinctes. » (La Taille royale au XVIP et au XVIII' siècles, p. 5, n. 1.)

5. Dimier, Les préjugés ennemis de ^histoire de Franee, t. II, p. 114.

280 LA TAILLE EN NOHMANIMK.

celles-ci les seules qui nous intéressent l'impôt est tou- jours levé sur l'ensemble des revenus du contribuable; nulle part la taille n'est uniquement mise sur les immeubles. Mais quant à l'assiette, il faut distinguer :

Les pays l'impôt est mis sur les biens, sans égard à leur possesseur : ce sont le Languedoc, la Provence, le Daup^iné, et les élections d'Agen et de Condom.

Les pays il est mis sur les personnes en considération de leurs biens; tel est le cas des ressorts des Cours des aides de Paris, Clermont, Dijon et Rouen. Nulle part n'existe une taille levée uniquement sur les personnes.

Dans les premiers, la taille est réelle, dans les secondt elle peut être appelée à volonté personnelle ou mixte : les deux mots désignent la même chose; il n'a jamais existé concurrem- ment une taille personnelle et une taille mixte.

Il est d'ailleurs possible d'expliquer comment on a créé les deux épithètes pour désigner une seule espèce de taille : dais le droit romain, les juristes trouvaient la grande distinction entre personne et res; entre l'imposition sur les personnes : capitdio, census personarum, et l'imposition sur les biens : census agrorim ; par analogie ils créèrent les expressions taille personnelle et talle réelle; mais en étudiant de plus près la taille dite personnelle, Us reconnurent qu'elle n'était pas exactement une imposition sir les personnes, puisqu'elle tenait compte des biens possédés ptr chacun; ils imaginèrent donc l'expression plus exacte de taille mixte, mais pour désigner toujours le même impôt. C'est la dua- lité des expressions qui fut la source de toutes les confusions. En Normandie, la taille est personnelle **. Nous allons voir comment elle est répartie entre les contribuables, et d'abord qui on entend par contribuables.

II. LES FEUX. CONDITIONS D'AGE ET DE SEXE

L'unité imposable en matière de taille est le feu 2. « Les contributions personnelles, dit Domat, s'imposent en chaque ville et en chaque lieu non sur chaque personne singulièrement, mais sur chaque chef de famille3. »

On a souvent dit que ce mot de feu était une expression vague,

1. L'intendant Voysin, dans son Mémoire sur la généralité de Rouen, mentionne

dans l'élection de Lyons, me si le fait était prouvé, on

deux fermes appartenant à l'abbaye de Mortemer, dans l'élection de Lyons, l'on prétend que la taille est réelle (p. 130).

ne pourrait le considérer que comme une anomalie.

2. Cet usage de compter par feux, qui est du reste conforme à la nature des choses, puisqu'on impose le revenu et que l'on compte ensemble tous les indi- vidus qui font bourse commune, se trouve dès l'origine de l'impôt; toujours l'aide du début fut répartie par feux, d'où le nom de fouage.

3. Le» îoix civiles, éd. 1756, II, p. 29, col. 2.

LES FEUX. CONDITIONS D AGE ET DE SEXE. 281

variable suivant les auteurs et les pays : ce fait, s'il était exact, serait grave, car une pareille incertitude non seulement empê- cherait de faire une étude plus approfondie de la répartition de l'impôt, mais encore aurait entaché d'un vice irrémédiable cette répartition elle-même1.

On ne peut soutenir sans doute que le mot feu ait eu dans toute la France, en toutes circonstances, la même signification : suivant les régions il désigne telle ou telle unité d'imposition 2, mais il n'y a pas lieu de s'en étonner; dans tout le régime administratif de l'ancienne France, il existait des variétés locales semblables. Il s'agit seulement de savoir si, pour une région déterminée, le mot a ou non un sens précis.

Pour la Normandie, il est incontestable qu'on trouve, au xvnc siècle, une définition très précise du feu. Il n'en avait toute- fois pas toujours été ainsi. Aux Etats généraux de 1483, une discussion curieuse s'était élevée entre les députés de la pro- vince : ceux du Cotentin se plaignaient que leur pays fût imposé en moyenne à 6 1. par feu tanais que le bailliage de Rouen ne payait que 60 s. tournois; mais les députés de Rouen répon- dirent, en s'adressant aux députés de la noblesse pris pour arbitres du débat :

« Vous savez parfaitement, très vénérables juges, que partout chez eux les familles s'arrangent ainsi : auprès du même foyer et du même lit3 demeurent ensemble le père et la mère, les fils et leurs femmes, les filles et leurs maris avec toute leur progéniture, et ils vivent, du moins en apparence, à une seule table et en communauté de biens; il n'est pas rare de trouver un aïeul ayant quatre fils et brus, autant

1. Voir par exemple Bridrey, Cahiers du Bailliage de Cotentin, t. I, p. 83, n. 1 : « Il est fort délicat de préciser ce qu'il convient d'entendre en 1789 par ce mot de feu...; le terme suivant les régions paraît avoir revêtu des significations très différentes. » D'après lui, en Cotentin, le mot aurait désigné « quelque chose de tout matériel, une maison d'habitation, plus précisément peut-être la maison d'habitation d'une famille », et il cite une phrase du lieutenant-général de Mor- tain qui ne paraît nuUement probante; il serait bien surprenant que les rédac- teurs des procès-verbaux d'assemblées primaires n'eussent pas pris le chiffre des feux sur les rôles de taille, de capitation ou de gabelle. Voir aussi Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des Etats Généraux, t. I, p. 242.

2. En Languedoc et en Provence, la taille est réelle, il désigne une base d'imposition, sans rapport avec l'étendue des terres ou le montant des revenus de la circonscription. En Bourgogne il désigne « une somme numérique com- posée d'une quotité fixe de livres tournois. Ainsi... si chaque feu est évalué à 72 1., un village composé de 100 habitants imposé à 35 feux paiera pour son imposi- tion 2 520 1. La valeur des feux varie dans cette province à raison de la quotité annuelle des impôts à répartir. » (Encyclopédie Méthodique, Finances, au mot : Feu). En Bretagne, « la dénomination de feu n'emporte aucune idée précise, quoique autrefois le mot feu paraisse a/oir signifié une portion de terre d'une valeur et d'une étendue déterminées, puisqu'on voit qu'en 1392, la Bretagne renfermait 98 447 feux assujettis aux tailles, qu'on appelle fouages en cette pro- vince. » (Ibid). En Nivernais enfin, dans les communautés taisibles, plusieurs familles ne forment qu'un seul ménage, la communauté ne compte que pour un feu : « le maistre de communauté... seul est nommé es roolles de tailles el autres subsides. » (Guy Coquille, Questions et réponses sur les articles des cou- tumes, question 58.)

3. Var. toît (lecto-tecto).

IM LA TAILLE EN NOHMÀNDIK.

de filles et de gendres; souvent aussi les belles-mères, les petits enfants, logent ensemble. Et s'il faut parler de moi, étant à Chue, bourg du bailliage de Gaen, j'ai vu une maison tellement remplie, qu'elle renfermait dix couples et soixante et dix âmes. Extrêmement surpris de cet entassement, j'en demandai la raison : ils me répon- dirent qu'ils se logeaient souvent de cette manière, parce qu'ils crai- gnaient les tailles, car si chaque personne mariée tenait, comme on dit communément, un ménage particulier, ils seraient bientôt forcés à payer une plus forte taille.... Le fait que nous alléguons, nous nous engageons du reste à le prouver par une enquête faite de bonne foi1. »

Mais il est clair que nous sommes ici en présence de commu- nautés taisibles, semblables à celles qui subsistèrent en Niver- nais jusqu'au milieu du xixe siècle : c'était un cas très particulier qui ne se rencontre plus au xvne siècle en Normandie, du moins on n'en trouve aucune trace dans les documents connus.

On ne peut douter que le mot feu désignait en Normandie, comme dans le ressort de la Cour des aides de Paris, « une famille composée du père, de la mère, ou de celui qui survit à l'autre, et des enfants vivant avec eux 2», c'est-à-dire l'ensemble des gens vivant sous le même toît, à la même table, autour du même foyer. Le mot du reste a persisté aujourd'hui dans le langage administratif : lorsqu'il s'agit par exemple de partager des biens communaux (bois ou pâturages) on compte par feux, et les juristes en ont donné une définition précise3.

On ne peut identifier les mots feu et maison4; dans une ville, une maison comprend généralement plusieurs feux : c'est ce qu'explique l'intendant de Rouen en 1713 dans un état des feux de sa généralité : « Les feux dans Dieppe, Rouen et Le Havre sont difficiles à prendre autrement que par maisons, quoiqu'une maison soit souvent occupée par plusieurs ménages qui sont autant de feux5. » Inversement, il se peut que plusieurs maisons ne forment qu'un feu : par exemple un couvent, si grand qu'il soit, un château avec ses dépendances et les logements des domestiques6.

Une foule de cas particuliers relatifs à l'âge, au domicile, à la

1. Journal de Jean Masselln, p. 585.

2. Encyclopédie Méthodique, Finances, nu mot (eu. Voir encore les définitions de Guyot, Répertoire de Jurisprudence, Loisel de Boismnre, Dictionnaire du droit des Tailles, Houard, Dictionnaire de droit normand, au même mot.

3. Cf. notre Gode forestier, art. 105, 1°.

4. La définition donnée par Richelet dans son Dictionnaire en 1680, Feu = maison est inexacte. Boisguilbert identifie plus justement les feux avec les cheminées (Détail de la France, éd. de 1697, p. 195). Cf. aussi Dict. de V Académie, 1694 : « Feu signifie aussi un mesnage, une famille logée dans une mesme maison : U y a cent feux dans ce village » ; Borrelli de Serres, Recherches sur divers ser- vices publics, t. III. p. 392 (avec les autres études auxquelles il renvoie).

5. B. N. fr. 11 385, P 1.

6. Voir, par exemple, le Dénombrement par feux de la population de Coutances en 1689 dans Quenault, Recherches archéologiques sur Coutances, 2* éd., p. 45 : les couvents, le palais épiscopal avec ses vingt domestiques ne sont comptés chacun que pour un feu.

LES FEUX. CONDITIONS D AGE ET DE SEXE. 283

qualité et condition des personnes ont été du reste soulevés à propos de la confection des rôles de tailles pour savoir si tel ou tel devait être compté ou non pour un feu : on est ainsi par- venu à régler un certain nombre de points qui vont nous donner une définition encore plus étroite du mot1.

Un feu comprend un ménage, mais le chef du ménage seul est inscrit sur les rôles; sa femme, ses enfants, ses parents, ses serviteurs n'y figurent pas. Dans quelles conditions un individu devrait-il être considéré comme chef de ménage, et d'abord à partir de quel âge?

En général l'âge un individu est considéré comme faisant un feu est celui de sa majorité : mais cet âge varie suivant les pays; tandis que dans le ressort de la Cour des aides de Paris, il est de vingt-cinq ans, en Lyonnais il est de dix-huit ans, et en Normandie de vingt ans. En ce pays, écrit l'intendant d'Alençon le 15 novembre 1666, « les hommes mariez ou non mariez payent la taille à l'aage de vingt ans accomplis et non auparavant, parce que l'on est majeur en Normandie à vingt ans2 ».

La preuve de l'âge est faite par un extrait du baptistère délivré par le curé 3. A défaut de cet extrait, la preuve par témoins est admise, et le cas se présente très souvent*.

Il y a toutefois des cas un mineur peut être considéré comme chef de famille. D'abord, dans le ressort de Paris, lors-

\* Je ne pose pas ici la question si un feu correspondait à un nombre déter- miné d'habitants; c'est ce qui a préoccupé la plupart de ceux qui ont cherché la définition du mot, comme M. Bridrey dans son ouvr. cité plus haut. Mais ce point n'intéresse pas la répartition de l'impôt. Nous avons même la preuve qu'un feu ne désignait pas un nombre fixe d'individus : par exemple, Charles Colbert écrit de Baugé le 15 novembre 1664, qu'à la suite de la famine des années précé- dentes beaucoup de gens sont morts, et, ajoute-t-il, « quoyque le nombre des feux ne soit pas diminué, celuy des personnes l'est beaucoup » (M. C. 125, 406). Cf. le mémoire de l'intendant de Bourges en 1698, Aff. étr., France, Mém. et doc, 1753, 254 : le nombre des personnes par feu varie de 3,8 à 5,1 suivant les élections. On verra ci-dessous au § du Domicile que certains individus sont comptés comme taillables dans une paroisse quoiqu'ils n'y habitent pas, ou inversement. La comparaison des rôles de taille avec les rôles de gabelle, les contribuables sont comptés par tête, fournirait des faits très caractéristiques à cet égard : personne jusqu'ici, à ma connaissance, ne l'a tentée. Voir les dénom- brements d'individus faits en 1725 par les Fermiers des gabelles, B. N. fr. 23 918. Les chiffres de feux donnés dans le Dénombrement du royaume de Saugrain (1709) sont incertains ; l'auteur le déclare lui-même dans son Avertissement.

2. Lettre à Colbert, Clairamb., 791, p. 92. Mém. alphabétique, aux mots Aage et Mineur 6°. Voir aussi Lebret, 41e action dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 541. En Auvergne, il y a des régions « le bien des mineurs paye la taille » (lettre de l'intendant à Colbert en 1666, B. N. Clairamb., 791, p. 109). L'âge de la majo- rité en Lyonnais est fixé par la déclaration du 6 août 1669 (C. D. T., t. II, p. 55). L'âge de la majorité en Normandie est fixé à vingt ans par la coutume. Voir Houard, Dictionnaire du droit normand; Basnage, La coutume réformée du païs et duché de Normandie, éd. 1694, t. II, p. 212; une lettre de Barin de la Galis- sonnière à Colbert, 14 novembre 1666, Clairamb., 791, p. 89.

3. Voir par exemple l'extrait produit par Guillaume le Vavasseur à l'Election de Falaise le 22 mai 1677 (A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif, à cette date.)

4. Cf. ci-dessus, p. 175, Basnage, pass. cité ci-dessus, n. 2.

M) LA TAILLE EN NORMANDIE.

qu'il' se marie : on l'a vu à propos de l'édit sur les mariages*. Ensuite, s'il l'ait valoir des terres pour son compte : Guillaume le Bourgeois est impose sur les rôles de Saint-Omer, élection de Falaise, pour l'année 1675, quoiqu'il n'ait que dix-neuf ans (oui me « faisant valoir des terres qu il tient à ferme dans ladite paroisse »; il intente un procès à la communauté devant l'Elec- tion, mais il est débouté de sa demande en décharge par une sentence du 12 décembre 1674; le tribunal se borne à réduire sa cote à 60 sous (3 1.)*. Mais si le mineur ne fait pas valoir par ses mains les biens qu'il possède en propre, il n'est pas imposable. Tel est le cas de celui qui, ayant perdu ses parents, est en tutelle : le tuteur fait valoir ses biens, qui ne sont pas impo- sables, du moins l'auteur du Mémorial alphabétique déclare que c'est une « maxime certaine' ».

Il n'y a pas d'âge au delà duquel on cesse d'être taillable. « Cette maxime, dit le Mémorial alphabétique, est si certaine et si triviale, qu'il n'y a que ceux qui n'ont aucune teinture de cette matière qui puissent l'ignorer*. »

Un homme marié forme toujours un feu séparé, même s'il habite avec ses parents ou ses beaux-parents 5.

Une femme qui exploite elle-même ses biens n'est pas consi- dérée, en principe, comme imposable : « Les filles, écrit l'in- tendant d'Alençon, ne payent jamais de taille jusque» à ce qu'elles soient mariées, l'infirmité du sexe qui ne se peut défendre des oppressions qu'on leur pourroit faire leur a rendu la loy favorable en cette occasion. » Mais en même temps il désapprouve cette règle, « l'expérience nous faisant connoistre que quelqu'unes par leurs commerces sont en estât de payer la taille, et principallement S. M. souhaittant engager ses subjets au mariage et ordonner que les filles à l'aage de vingt ans payroient la taille à proportion de leurs facultez8 ». Tant que

1. Cf. ci-dessus, p. 261-2. Sur l'usage de Paris avant 16fi6 (et après 1C83), voir Ducrot, Traité des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 406, avec l'indication d'un arrêt de la Cour des aides de Paris du 1" décembre 1602.

2. À. D. Calvados, Plumitif de l'Election de Falaise à cette date.

3. « Un tuteur, dit-il, qui fait valoir le bien de ses mineurs n'est pas imposable parce qu'il doit rendre compte à ses mineurs et dans ce compte porter en recette tous les produits du bien sur quoi la dépense doit être allouée. En sorte que le tuteur ne doit faire aucun profit sur les revenus de ses mineurs et par conséquent on ne le peut imposer par considération de ces biens dont il ne jouit que comme simple mandataire ». L'imposer « seroit faire porter indirectement la taille à des mineurs qui n'en doivent point » ; mais il cite un plaidoyer de l'avocat général Dubois en sens contraire (Mémorial alphabétique, nu mot Tuteur) ; cf. La Poix de Fréminville, Traité des communautés d'habitants, p. 265.

4. Cependant nous voyons Lemnistre plaider devant la Cour des Aides de Paris le 23 février 1635 pour obtenir la décharge de taille de Jacques Notet, vigneron de Saint-Martin-sur-Oreuse. parce qu'il est âgé de soixante-douze ans. Il est vrai qu'à l'appui de sa thèse il n'apporte que des textes du Digeste (Plai- doyers de M. Lemaistre, 2* éd., 1657, p. 699-720).

5. Mem. alphab. p. 317. Caumartin relève en Champagne l'usage contraire, mais il le considère comme irrégulier (Depping, III, p. 171).

6. Lettre à Colbert du 15 novembre 1666, Clairamb., 791, p. 92.

LE DOMICILE. 285

la femme est mariée, elle ne peut être comptée comme un feu séparé; c'est son mari qui est imposé pour elle, même si elle fait valoir des biens personnellement. Quand elle est séparée de corps et de biens d'avec son mari, elle est imposable, du moins en Normandie ; mais l'auteur du Mémorial alphabétique soutient le contraire pour le ressort de Paris : « étant en puis- sance de mari, dit-il, elle n'est point sujette aux charges de la famille, lesquelles doivent être portées par le mari qui en est le chef;... dans le rôle de la taille et du sel on ne doit com- prendre que ceux qui sont sui juris, usans et jouissans de leurs droits sans dépendance d'autrui1».

Quand une femme est veuve, elle est considérée comme chef de famille et par conséquent comme taillable ; mais si elle se marie en secondes noces, elle cesse de l'être.

En aucun cas plusieurs contribuables ne peuvent être inscrits sous une même cote : il doit y avoir autant de « lignes » au rôle que de feux2.

III. LE DOMICILE

En Normandie, le contribuable est imposé à raison de ses biens dans la paroisse il habite; mais lorsqu'il a des terres en différentes paroisses, doit-il être imposé dans chacune de ces paroisses, ou, au contraire, le sera-t-il uniquement dans celle de son domicile pour tous ses biens, en quelque lieu qu'ils soient situés?

Les théoriciens n'hésitaient pas sur le principe : le contri- buable ne devait être imposé que dans la paroisse il demeu- rait3. Les tailles, dit Vieuille, « s'imposent dans les paroisses sur les personnes au lieu du domicile du cottisé, par la raison que le domicile emporte avec soi la qualité de contribuable, et

1. Mémorial alphabétique, art. Femme séparée de corps et de biens. L'auteur cite différents arrêts de la Cour des Aides de 1676 et 1683; il admet toutefois que si la séparation est frauduleuse, destinée à éluder le paiement de la taille du mari, on peut saisir pour le paiement de la taille les biens que la femme s'est appropriés. Mais plus tard la jurisprudence changera (Déclaration du 17 fé- vrier 1728; cf. Lapoix de Fréminvillc, p. 267 et Domat, Œuvres, éd. 1680, II, p. 29).

2. D' Espeisses, Œuvres, éd. 1750, t. III, p. 397, cite les arrêts sur lesquels est fondée cette jurisprudence.

3. Papon écrit : « Tailles sont estimées plus personnelles que réelles, estans les personnes taillables seulement es lieux ils ont domicile » (Recueil, éd. 1637, p. 265). De Merville : « Ce n'est que dans la parroisse du domicile qu'un habi- tant est taillable quoyqu'il fasse valoir du bien en plusieurs et différentes par- roisses, puisque parmy nous les tailles sont personnelles quoyque dues ratione rei. » (Maximes générales sur les Tailles, p. 5'*.) Bacquet écrit pareillement qu' « en France » on n'est « tenu payer la taille qu'en une seule paroisse, encore qu'on ait plusieurs biens et héritages en diverses paroisses, parce que les tailles ne sont pas pures réelles comme au païs de Languedoc, mais sont mixtes et cen- sées plûtost personnelles que réelles ». (Traité des droits de justice, chap. VIII, § 15, dans ses Œuvres, éd. de Ferrière, t. I, p. 30.)

286 LA TAILLE EN NORMANDIE.

■M la taille étant mixte, la |x trfOÎUM comme le plus noble doit remporter sur la situation des biens1 ». La Cour des Aides de Paris a même reconnu ce principe dans plusieurs de ses arrêts* ainsi le 15 juillet 1573, elle disait que l'on ne devait « asseoir plus les biens à cause des personnes, ains les personnes à cause des bif g" » et le 9 juillet 1678 : « La taille a été personnelle dans sun origine, elle n'a point cessé de l'être... c'est de Va que dérive le droit qu'ont toujours eu et qu'ont toujours les contribuables de n'être imposés que dans le lieu de leur domicile' ».

Mais l'application de ce principe était difficile : d'abord les asséeurs ne pouvaient aisément connaître la consistance et la valeur des biens possédés par un contribuable loin de leur paroisse; en outre, une paroisse était taxée, au département, suivant ses ressources apparentes : étendue du territoire, valeur des récoltes, etc. ; si son impôt n'était pas levé sur ces revenus, la répartition devenait profondément injuste, une paroisse dont les terres étaient exploitées par des forains se trouvait écrasée, une autre dont les habitants avaient leurs exploitations au dehors était trop peu imposée. Aussi l'usage s'était-il introduit, dès le xvie siècle, dans les ressorts de Paris et de Clermont, d'imposer un contribuable dans chacune des paroisses il avait des biens*.

En Normandie, on avait pendant longtemps respecté la règle de la contribution en un seul lieu : le président du Parlement de Rouen l'expliquait aux Etats de la province le 17 novembre 1572 :

« S. M. veut que les habitants de la province contribuables à la taille étant cottisez en la paroisse ils font leur demeure, ne pourront

1. Traité des Elections, p. 15. Cf. Domat, Œuvres, éd. 1756, II, p. 30.

2. Dans Guénois, Conférence des ordonnances, t. II, p. 1 455, n.

3. Cité dans Moreau de Beaumont, t. Il, p. 17.

4. Dans le ressort de la Cour des Aides de Paris, on admettait qu'un contri- buable fût imposé au lieu de son domicile uniquement pour les biens qu'il culti- vait dans la paroisse, et en outre dans la paroisse il exploitait des fermes à raison du revenu de ces fermes; il pouvait ainsi se produire qu'un même individu fût cotisé en 2, 3, 4 paroisses et même davantage. Dans le ressort de la Cour des Aides de Clermont, « la maxime est que les cottisables qui demeurent dans un lieu taillable et qui font valoir dans une autre des héritages qui font corps de domaine, payent la taille au lieu de leur domicile et encore au lieu ils font valoir ces héritages ù proportion du profit qu'y pourroit faire un fermier ». (Mémoire de l'intendant de Marie à Colbert, 9 septembre 1676, Clairambault, 797, p. 29). Il ajoute que dans la province on n'avait pas de définition exacte de l'expression « corps de domaine » : « Messieurs de la Cour des Aydes n'y ont jamais voulu establir des reigles certaines, préférans en cela l'autorité de leurs charges au bien et au soulagement des peuples. » Chaque élection s'était fait un usage à elle ; dans celle de Riom on entendait par une maison et 20 séterées de terre, dans celle de Clermont 50 séterées, dans celle de Brioude 10 séterées, dans celle d'Au- rillac une maison et des terres valant, toutes charges déduites, 50 1. de revenu, etc., c'est là, dit-il, une source d'embarras pour les collecteurs qui souvent ne savent s'ils doivent imposer les taillables uniquement « sur le pied des terres qu'ils font valoir dans la parroisse de leur domicile ou s'ils doivent faire réflexion et considération sur les terres qu'ils font valoir dans les paroisses voisines et con- tigties ; enfin les privilégiés en profitaient pour exploiter en franchise plus de terre que ne leur permettait le règlement.

LE DOMICILE. 287

estre cottisez hors lesdites paroisses, quelques fermes qu'ils tiennent ailleurs audit pays, n'ayant S. M. entendu que la commission de Tannée passée ait lieu, sinon pour les horsains prenant fermes à la province et pour les habitants des villes franches et pour les exempts, lesquels seront mis à la taille pour le regard desdites fermes1. »

Mais cet usage avait été troublé par le règlement des tailles de janvier 1634, qui étendait à la Normandie l'usage de Paris; par son art. 37, il prescrivait en effet que « les habitans demeurans es villes et lieux taillables, qui auront pris à ferme quelques terres et métairies hors le détroit de la paroisse de leur résidence,... [fussent] imposés en la paroisse de la situation d'icelle, outre la taille qu'ils doivent au lieu de leur demeure pour le surplus de leurs biens et facultez ». La Cour des aides de la province, en vérifiant l'édit, crut devoir rétablir l'usage local : « Les naturels taillables » ne pourront être « imposez qu'en une seule paroisse, conformément à l'usage de la pro- vince2 », et au mois de décembre suivant les Etats appuyèrent de leurs vœux cette demande3.

Lorsque les commissaires au régalement des tailles institués par l'édit vinrent en Normandie, ils appliquèrent à la lettre l'art. 37, tandis que la Cour des aides continuait de suivre sa jurisprudence; il en résulta un conflit dont les commissaires demandèrent la solution au roi : l'arrêt du conseil du 20 jan- vier 1635 ordonna l'exécution de l'édit « sans s'arrester aux arrests de la Cour des Aides qui seroient contraires à iceluy4 ». Mais en même temps dans sa réponse au cahier des États, le roi disait qu'il entendait maintenir sur ce point l'usage de la province. On se trouvait donc en présence de deux règles contradictoires. Il semble cependant que le règlement de 1634 fut plus généralement suivi, car en novembre 1643 les Etats se plaignent à nouveau de ce que l'on impose les contribuables « en autant de roolles et de lieux comme ils y ont de biens, soit à ferme, ou en propriété, contre l'usage de la province qui ne veut qu'un particulier soit taxé en diverses paroisses, mais seulement au lieu de son domicile, lequel se règle par le chan- gement de l'octroy ». Mais cette fois il leur est répondu que les intendants sont chargés de pourvoir à la difficulté signalée « conformément au dernier règlement des tailles5 ».

1. Dans de Beaurepaire, Cahiers,., règne de Charles IX, t. I, p. 272. Voir aussi Labarre, Formulaire des Esleuz, chap. v*.

2. Règlements de Normandie, p. 111. a.-

3. Cahiers, art. 33 dans de Beaurepaire, t, III, p. 27.

4. Mémoire des Commissaires au régalement et arrêt du conseil du 20 jan- vier 1635, art. 2. (A. mun. Rouen, 183, pièce 3.)

5. De Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 108. Dans le ressort de la Cour de Paris, on relève de pareilles contradictions dans les divers règlements promulgués à cette époque : deux arrêts du conseil des 14 juil- let 1643 et 26 septembre 1644 ordonnent que dans ce ressort les contribuables

LA TAILLE EN XOHMANDIE.

En 1660 dans la déclaration qui ordonnait le changement d'octroi', le roi décida de revenir à l'usage local :

« Kt d'autant que, suivant l'usage de la province, les contribuables aux tailles ont toujours esté imposés en la paroisse ils sont natu- rels taillables, [pour leurs biens] tant de leur propre que d'acquisition, mesme hors leur paroisse, élection ou généralité.... Nous voulons qu'ils ne puissent estre imposés à l'avenir qu'en un seul et même lieu, à raison de tout leur bien, en quelque lieu qu'il soit assis et situé en ladite province2. »

Ce régime fut suivi en Normandie aussi longtemps que per- sista le système du changement d'octroi, avec lequel il s'accor- dait; mais lorsqu'on eut renoncé a l'octroi, on l'ut graduelle- ment amené à introduire l'usage de Paris.

En premier lieu la déclaration du 3 mars 1671 ordonna que « ceux qui après avoir transféré leur domicile d'une paroisse en une autre ne délaisseront de faire valoir, cultiver et exploiter les terres, fermes et héritages qu'ils auront quittez... seront imposez et taxez en chacune desdites paroisses à raison du profit qui se peut faire sur lesdites fermes et héritages, dont les fruits d'iceux seront tenus3 ». Puis la déclaration du 20 août 1673 prescrivit (art. 26) que « ceux qui exploiteront des héritages dans deux élections et généralitez différentes, paieront la taille en l'une et en l'autre s ils sont de condition taillable, à proportion des impositions et de leurs occupations*». Enfin l'arrêt du conseil du 24 février 1674 spécifia que le double domicile serait admis même si les deux élections n'apparte- naient pas à des généralités différentes5. Ainsi, à partir de 1674, la pluralité de domiciles d'imposition fut admise en Normandie lorsqu'il s'agissait de biens possédés dans plusieurs élections, mais à l'intérieur d'une même élection, l'unité de domicile était conservée.

seront imposés uniquement an lien de leur domicile pour tous leurs biens et facultés ( li. N. fr. 21 419, p. 159). C'est un des nombreux exemples de désordre dans le gouvernement d'alors.

1. Voir ci-dessous, p. 294.

2. A. D. Calvados C, Bureau des finances.

3. Règlements de Normandie, p. 175. L'application de cette nouvelle règle sou- leva des difficultés, signalées en 1672 par l'intendant de Rouen (Clairamb., 793, p. 665).

4. Règlement* de Normandie, p. 182.

5. Les taillables ne seront < imposez qu'es lieux de leurs demeures encore qu'ils exploitent des héritages h la campagne, soit de leur propre ou à ferme d'autrui, à la charge que dans les rooles lesdits habituns y seront compris, tant à cause de leur industrie et commerce que du profit qu'ils pourront faire sur les héritages qu'ils exploiteront dans le lieu de leur demeure et autres paroisses, pourvu que ce soit en même eslection ». Cet article est à rapprocher de l'arrêt du conseil du 5 janvier 1665 qui spécifie pour la Cour des Aides de Taris, que « les taillables qui sortiront d'une élection pour aller dans une autre voisine payeront la taille es parroisses d'où ils seront sortis, et dans lesquelles ils continueront d'exploiter les fruits des héritages qu'ils faisoient valoir lors de leur délogement > suivant l'art. 56 du règlement des tailles de 1634. (Clairamb., 659, p. 244.)

LE DOMICILE. 289

Cette réglementation souleva des difficultés graves que l'inten- dant de Rouen, de Marillac, expose au contrôleur général le 5 octobre 1684 * : « Il n'y a rien de si commun dans la géné- ralité de Rouen, dit-il, que de voir des habitans d'une ville ou d'une parroisse prendre des fermes et faire des terres dans une autre parroisse, ou prendre les dixmes d'une parroisse voisine de celle de sa demeure, et ordinairement les bourgeois des villes prennent à ferme des pasturages voisins ou font valoir les héritages qu'ils ont en propre dans la campagne » ; or les ordonnances de 1671 et 1673, qui devraient être appliquées en ce cas, sont contrariées par un arrêt du conseil du 30 août 1674 qui prescrit de mentionner dans les rôles les exploitants forains imposés dans la paroisse; certaines Elections s'en autorisent pour faire imposer chaque taillable dans tous les lieux il cultive des terres, « en sorte que la jurisprudence sur ce point a esté fort incertaine ». En outre, on est fort embarrassé avec la pluralité de domiciles pour fixer le chiffre de .chaque paroisse : il est à peu près impossible à un intendant de tenir compte, au département, des exploitants non domiciliés : « on n'entre point dans ces détails-là,... ils sont trop grands »; il faudrait donc « que chacun [fût] imposé dans la paroisse il exploite », même à l'intérieur d'une seule élection. « On scait bien, ajoute Marillac, que cela est contraire aux règlements, mais aussy il y a ces tempéraments-cy à y apporter » ; sans doute la règle posée par les édits a du bon ; on ne voulait « pas exposer un taillable à estre imposé en deux endroits, parce que les •habitans de la parroisse il exploite et il ne fait pas sa demeure n'estans pas retenus par les considérations qu'ilz ont pour ceux qui passent dans la collecte, chargeroient excessivement ces exploiteurs-là qui seroient réduits à n'oser exploitter de terres hors la parroisse de leur demeure, ce qui seroit de grande conséquence pour la valeur des fonds de terre qui diminuroient si les seuls habitants de la parroisse pouvoient les affermer, et si la crainte d'une taille excessive en détournoit tous les autres laboureurs et habitants du pays » ; mais ces avantages sont compensés et au delà par les abus constatés.

Pour éviter que le contribuable fût surtaxé il ne demeure pas, il faudrait établir un rapport fixe, par exemple 2 s. par livre, entre sa cote de taille et le prix du fermage ou le revenu des terres qu'il possède en propre. Il y a urgence, ajoute l'inten- dant, à prendre des mesures sur ce point, car de grands abus sont commis actuellement :

« Presques dans toutes les parroisses il y a des exploitants ou occu- pans (comme ilz parlent en Normandie), dont le domicile est en d'autres parroisses, et tous ces occupans ont esté cy-devant employez

1. A. N. G? 492.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

19

Hl LA TAILLE EN NOUMAN DI K .

dans les roolles des deux parroisses de leur domicile et de la parroisse ilz occupent : et il est de la connoissance particullière que M. de Marillac a prise, que la pluspart des parroisses ne pouroient payer leur taille si on les empesche de comprendre dans leurs rolles les exploiteurs domiciliiez en d'autres parroisses. II est d'une nécessité absolue de souffrir que les parroisses qui les ont imposez les années dernières en tirent du secours.... Jusques icy on n'a pas taxé en la parroi3se du domicilie les exploitans en d'autres parroisses comme ilz auroient deu l'estre à raison de leurs exploitations; ilz ont esté ménagez parce qu'on les voyoit taxez excessivement dans les par- roisses où ils occupent, et il est certain que ce règlement proposé n'aportera pas une si considérable diminution dans les parroisses du domicilie ils payeront leur taille ordinaire, que la deffense absolue de les imposer dans la parroisse ils exploitent y aporteroit de déchet et de perte. »

On ferait toutefois exception pour les terres « égrenées », c'est-à-dire celles « qui dépendent d'une ferme dont le manoir est clans une autre parroisse, ou bien des terres dépendantes d'un marché sans manoir dont la principale quantité est dans une parroisse » ; celles-là ne payeraient rien dans la paroisse elles sont situées, à condition que leur étendue ne dépassât pas 12 acres. D'ailleurs, dit-il, « il n'y en a pas quantité dans les parroisses1 ».

L'intendant de Caen juge également cette réforme nécessaire, au moins dans un cas particulier qu'il expose au contrôleur général le 8 juin 1685 8 : dans la paroisse de Varaville, sise à trois lieues de Caen, presque toutes les terres sont possédées par des bourgeois de Caen qui, depuis quelques années, les ont affer- mées, non à des habitants de Varaville, mais à des taillables des paroisses voisines, parce que les collecteurs de Varaville avaient « imposé à des sommes excessives les bourgeois de Caen qui faisoient valoir leurs héritages ». Les fermiers ayant obtenu de n'être pas imposés à Varaville, conformément au règlement, il en est résulté que les habitants du lieu ont été accablés par leurs impôts; tandis qu'antérieurement ils payaient aisément 1800 1. de taille, actuellement ils ne sont imposés qu'à 1218 1., et néanmoins comme ils « ne sont qu'au nombre de 45 et pres- que tous pauvres, ils ne peuvent porter cette somme ». La dif- ficulté se complique du fait que les terres affermées étant des herbages, les fermiers changent presque tous les ans, et souvent les baux ne sont pas encore faits au moment le rôle devra être terminé. Il conviendrait donc que l'on renonçât à appliquer le règlement, sinon dans toute la généralité, du moins à Vara- ville. Tous les intéressés d'ailleurs « conviennent de contribuer

1. On voit que de Marillac propose le système du « corps de domaine » usité en Auvergne (cf. ci-dessus, p. 286, n. 4).

2. A. N. G' 213.

LE CHANGEMENT D OCTROI. 291

sur un certain pied à l'imposition de cette parroisse, scavoir les bourgeois de Caen sur le pied de 2 s. pour livre de la valeur de leurs exploitations, et ceux des autres parroisses à raison de 1 s. 6 d. ».

A la mort de Colbert la question n'était donc pas réglée, et elle ne le fut jamais par la suite : il y eut toujours des diffi- cultés sur la question des contribuables exploitant des terres hors de leur paroisse.

IV. LE CHANGEMENT D'OCTROI

Quand un contribuable changeait de domicile, devait-il être imposé dès la première année dans la paroisse il venait s'établir? Il en était ainsi dans le ressort de la Cour de Paris, mais en Normandie il en était tout autrement : on y pratiquait le système du changement d'octroi, qui a été bien défini par la Cour des Aides de Rouen en 1600 :

Dans ce pays, dit-elle, « les personnes sorties d'une paroisse pour demeurer en autre dans ladite province, sont continuez en leur assis es lieux ils ont été premièrement imposez, jusques à ce que par V. M., par ses lettres de commission pour la tenue des Etats, il soit ordonné du changement de contribution à raison du domicile changé : ce que l'on appelle audit pais changement d'octroi, et n'avient quelques fois de 10 ans en 10 ans, combien que lesdits Etats [se] tiennent et assemblent chacun an, car quant à ceux qui sortent de ladite province, ils y demeurent néanmoins contribuables, quelques demeures qu'ils puissent faire hors icelle, et par quelque temps que ce soit, et comme il est porté par lettres patentes du roi François Ier, données à Pigni le 23 décembre 1535 *. »

Ainsi, un contribuable était imposé dans la paroisse il se trouvait à une certaine date ou bien lorsqu'il avait commencé à être taillable; et cela durait, même s'il changeait de domi- cile, jusqu'à ce qu'un autre changement d'octroi fût ordonné par le roi.

D'après le président La Barre, on pouvait faire porter le chan- gement soit sur une seule élection, soit sur une seule généralité, soit sur toute la province; mais en réalité tous les change-

1. Règlements de Normandie, p. 55. Voir une autre définition semblable dans le Mémoire de l'intendant Voysin en 1665, p. 85 et dans le Formulaire des Esleuz, de La Barre, p. 223 et suiv. ; ce dernier donne l'explication de l'expression « changement d'octroi » : Les impôts, dit-il, « sont consentis par les Etats de la province et le roi octroyé de les lever », c'est pourquoi « on les nomme d'oc- troy, du consentement réciproque ». Voysin dit aussi et plus simplement que ce système est appelé ainsi parce que « la taille et autres impositions s'appelloient autrefois l'octroi ». La taille avait encore conservé ce nom d'« octroi » en Languedoc au xvme siècle (Moreau de Beaumont, Mém. sur les impositions, II, p. 121).

LA TAILLE EN xoit.M wun:.

menti ordonnés portèrent, semble-t-il, sur la province entière'.

Comme l'usage était spécial à la Normandie, il était impoi sible d'opérer le changement avec les provinces voisines, de BOrtfl que, comme le dit la Cour des aides, tout contribuable imposé une lois en Normandie, le demeurait toujours. L'ititen- dant Voysin cite l'exemple curieux d'un nommé Le Tellier qui, établi comme capitaine major à l'île Saint-Christophe, ne cessait pas néanmoins d'être imposé dans l'élection de Pont-1'Evèque, « quoique le bien qu'il y possède soit tenu a ferme par sa sœur qui est imposée pour raison de ce aussi de son chef2 ». Cette pratique était particulièrement indispensable dans le voisinage de la Bretagne, où, comme on l'a vu, beaucoup de contribuables étaient tentés d'aller se réfugier pour se soustraire à l'impôt; en ce cas La Barre explique comment la règle était avantageuse à la Normandie, car « à toutes occasions [les taillables] se jettent en Bretagne à l'abry, cuidans par ce moyen évader aux tailles... mais on ne les desrolle jamais, ains les fait-on payer leur taux toute leur vie si on trouve de quoy exécuter3 ». Aussi dès le début, dans les lettres patentes de 1535, avait-il été spécifié que les contribuables qui sortiraient de Normandie y demeure- raient néanmoins toujours imposés*.

Le procédé de laisser un taillable domicilié toute sa vie au même lieu quelle que fût sa résidence effective, aurait eu de grands avantages au point de vue fiscal6; chaque changement d'octroi était en effet l'occasion de fraudes : certains contri- buables transféraient leur domicile dans des villes franches ou abonnées6, d'autres se faisaient dérôler de leur paroisse sans se faire enrôler dans une autre, d'autres encore s'arrangeaient pour obtenir de leurs concitoyens, par la menace d'un délogc- ment, une faible imposition :

« Lorsqu'on s'imagine qu'il doit arriver un changement d'octroy, écrit l'intendant Voysin de la Noiraye, les taillables font des changemens de

1. La Barre dit que le changement à l'intérieur de chaque élection seulement Tut ordonné en 1599 après les troubles; un changement à l'intérieur de chaque généra- lité aurait été fait en 1611 ; enfin, dit-il, des changements importants sur toute la pro- vince ne se font pas « pour le peu de personnes qui vont et passent de généralité en généralité », mais en tout ceci La Barre semble bien commettre des erreurs; tous les changements que nous connaissons portent sur l'ensemble de la province.

2. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 86.

3. Cependant, quelques lignes plus haut, La Barre estime que la franchise des Bretons n'est pas si considérable qu'on pourrait le croire, car, dit-il, « on leur fait boire en récompense le vin de France qui y est conduit bien chèrement >; malgré cela l'abondance des translations de domiciles en Bretagne et les mesures

Î irises pour en éviter les effets prouvent que la Bretagne était réellement privi- égiée (cf. ci-dessus, p. 265).

4. Voir les lettres patentes du 23 décembre 1535, A. N. AD' 18.

5. Les inconvénients apparaissent aussi clairement : les collecteurs ne pouvaient aHer percevoir l'impôt sur des contribuables domiciliés au loin ; ceux-ci ne passaient jamais à la collecte dans la paroisse ils étaient imposés, et par contre ils assis- taient à des assemblées ils n'avaient pas d'intérêt. Enfin, les saisies et exécu- tions, les procès étaient beaucoup plus difficiles et plus coûteux.

6. Voir ci-dessus, p. 270.

LE CHANGEMENT d'oCTROI. 293

demeure et se retirent assez souvent d'une grande parroisse en laquelle ils tiennent des fermes et vont dans une plus petite qui porte moins de taille et qui est protégée pour tascher de se faire soullager ; ils y portent, lorsqu'ils y deviennent taillables, la somme à laquelle ils estoient imposez en la parroisse qu'ils quittent, laquelle on descharge de pareille somme lorsqu'on règle le changement d'octroy; cela faict qu'un particulier qui devient taillable lorsqu'il devient majeur (ce qui arrive en Normandie à l'aage de 20 ans) prend soing et affecte de demeurer lorsqu'il acquiert ses ans de majorité dans une petite par- roisse de laquelle il se rend contribuable, et ensuite prend sa demeure et de grandes fermes dans une autre parroisse on ne peut l'impo- ser. Cet usage faict qu il est beaucoup plus dificile que dans les autres provinces de faire le département des tailles avec toute la jus- tice et l'égalité qu'on peut désirer1. »

En outre, chaque changement fait naître une multitude de procès; les collecteurs ont peine à recouvrer les sommes dues par les contribuables domiciliés loin de leur paroisse; avant le changement, on surcharge les particuliers qui vont être rayés du rôle, pour que la paroisse soit plus fortement diminuée ; des mineurs vont acquérir leur majorité en de petites paroisses pour être moins imposés; enfin la répartition des indemnités en cas de grêle, incendie ou logement de gens de guerre est très difficile 2.

L'intérêt du roi serait donc de ne jamais autoriser le change- ment. Mais l'intérêt des contribuables est tout opposé; c'est pourquoi les demandes de changement étaient toujours faites par les Etats de la province. Ainsi en février 1638, ils représentaient au roi que

« le changement d'octroy est un remède nécessaire aux difficultez que ressentent les collecteurs des tailles à se faire payer de ceulz dont les domiciles sont transferez non seulement de parroisse en autre, mais d'eslection en eslection, et à la ruine des contribuables qui sentent leur faix aggravé par les courses des huissiers et voyages pour le payement de ce qu'ils bailleroient sans frais, s'ils le mettoient en la recepte de la parroisse ils font leur demeure 3 ».

Le roi se faisait beaucoup prier avant de céder à ces demandes ; un changement prononcé par lettres patentes du 30 septem-

1. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 86-87.

2. Voysin signale, en compensation, der.x avantages : la province conserve toujours ses contribuables, et les gentilshommes ont moins de facilités à faire soulager leurs fermiers par les collecteurs; mais ces avantages sont bien maigres, et ils pourraient être obtenus d'autre façon.

3. Dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 69-70, cf. le Cahier de février 1658, art. 14 : <■ Pour délivrer les pauvres col- lecteurs des peines et des frais qu'ils font à courir après leurs taillables en diverses paroisses, et quelques fois fort éloignées, ensemble pour faciliter l'accé- lération des deniers de vos tailles, nous demandons le changement d'octroy... » (ibid., Supplément, p. 8.)

294 LA TAILLE EN NORMANDIE.

bre 1638 avait été ajourné à 1640 *; un autre fut autorisé par déclaration du 10 août 1647 2. Dans le règlement des tailles du 16 avril 1643, le roi avait décidé qu'à l'avenir en Normandie il serait procédé au changement d'octroi « de trois en trois ans* ». mais le règlement n'avait pas été reçu dans la province, et les choses- étaient demeurées en l'état. C'est seulement en 1660 qu'un nouveau changement fut prescrit; il devait être le dernier. La déclaration du 24 février 1660 qui l'ordonna fait connaître les motifs pour lesquels le roi l'autorisait et réglemente en détail la façon dont il devait être effectué4. Le point essentiel est que l'opération enregistrera le domicile réel des contrit buables au 31 décembre 1659, en d'autres termes que tout contribuable sera considéré jusqu'au prochain changement comme domicilié il était le 31 décembre 1659. (Le choix d'une date antérieure à la déclaration était fait pour empêcher les fraudes.) Les habitants de chaque paroisse se réuniront en assemblée et dresseront la liste des contribuables sortis de leur paroisse, avec le chiffre d'impôt payé par chacun en 1660 5. Cette liste sera envoyée aux élus qui résumeront dans un tableau tous les changements survenus dans leur élection 6. Mais, à la différence de ce qui s'était passé pour les changements précé- dents, les élus seront contrôlés par l'intendant, qui revisera leur tableau et s'en servira pour faire le département des tailles. Si

1. Hunger, Histoire de Verton, p. 272;

2. Indiquée dans C. d. T., t. I, p. 319; cf. un arrêt du conseil du 15 décembre 1649 et un arrêt de la Cour des aides de Normandie du 4 février 1630 avec un état des translations de domicile faites dans l'élection de Gaen, dressé le 19 décembre 1650, A. D. Calvados, élection de Caen.

3. Art. i'6 dans C. d. T., I, p. 392. Par le même article le roi déclarait qu'il maintenait le système du changement d'octroi dans la province; il revenait ainsi sur l'art, du règlement de janvier 1634 par lequel l'usage du ressort de Paris était consacré et établi dans tous les pays de taille personnelle, mais les com- missaires au régalement des tailles envoyés en Normandie à la suite de ce règlement avaient demandé au roi s'il entendait bien déroger à l'usage de la province, et par l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635, le roi déclarait « que son intention n'a point esté d'abroger par ledit Ecdict ce qui a esté en nos regards observé de tout temps et jusque» à présent en ladite province de Normandye » (art. I", A. Mun. Rouen 183, pièce 3).

4. A. D. Calv., Election de Caen.

5. Voici, par exemple, le procès-verbal de l'assemblée des habitants de Rots dans l'élection de Caen, du 17 juillet 1661 ; il y est dit que l'assemblée a été con- voquée « pour nommer les occupons et labourans les héritages de la parroisse de Rots, et premièrement les parroissiens de Saint-Manvieu, Bretteville-l'Orguel- lieuze, les parroissiens de Lacour-Royel, Saint-Louet et Authie, Franqueville, lesquels labourent les deux tiers dudit terroir, et les bourgeois qui labourent leurs héritages (suivent 6 noms) et mesme de ceux qui dérogent (2 noms) suivant le mandement à nous envoyé par Messieurs les présidents et lieutenants généraux de lu Cour des Aides du Parlement de Rouen. » (A. Mun. Rots BB 4, 169.) On voit que l'assemblée n'eut lieu qu'un an et demi après la déclaration du chan- gement d'octroi : c'est un exemple de la négligence apportée par l'administration à exécuter les ordres du gouvernement.

6. Je n'ai trouvé aucun des états dressés dans les élections en 1660, mais il en existe un de l'élection de Caen dressé à la suite du changement de 1648; cet état, daté du 19 décembre 1650, porte seulement les contribuables que perd l'élection; il contient au total 186 noms dont l'imposition était de 2 016 1. 19 s. 6 d. (A. D. Calvados, Election de Caen.)

LE CHANGEMENT D OCTROI. 29 5

dans les déclarations faites par les paroisses il y a eu des fraudes délogements fictifs, omissions, falsifications de cotes, etc., les intendants seuls en connaîtront et y remédieront lors du dépar- tement. Les contestations entre particuliers ou entre paroisses seront jugées par les Elections, mais en appel les contribuables ne pourront se pourvoir que devant l'intendant de la généralité, « afin d'estre icelles contestations et differens terminés sommai- rement et en dernier ressort et sans frais ».

La Cour des aides, dépossédée, ne manqua pas de protester contre cette « commission souveraine » donnée aux intendants ; elle envoya au roi une délégation pour demander « que les com- missaires départis dans les généralitez ne pourront entreprendre ni connoître d'aucune matière concernant la juridiction con- tentieuse de ladite cour1 », et elle obtint une demi-satisfac- tion par l'arrêt du Conseil du 28 mai 1661 qui limitait au 31 mars 1662 la durée de la commission des intendants, les parties devant, après cette date, « se pourvoir en première ins- tance par-devant les élus et par apel en ladite Cour des Aides, sans qu'elle puisse ordonner aucune chose contre les jugemens rendus par lesdits sieurs commissaires ». Mais ce délai donné aux intendants était suffisant pour terminer le plus grand nombre des affaires, et ils firent diligence pour y parvenir : celui de Caen, par un mandement du 18 février 1662, ordonna à toutes les paroisses de la généralité d'avoir à se pourvoir par-devant lui avant le 31 mars suivant2.

Ces procès furent très nombreux; ils entraînaient les paroisses à des dépenses considérables. La plupart étaient causés, sui- vant l'intendant de Caen, par les « envois mal faits, changemens de noms, erreurs et obmissions trouvées dans les qualitez et demeures desdits contribuables envoyez d'élection en élection et de parroisse en autre » ; les élus ayant condamné de nombreuses paroisses à restituer à d'autres les impôts des tàillables mal dérôlés, le recouvrement de ces sommes cause « des frais extraordinaires dans lesdites parroisses, tellement éloignées les unes des autres, que les collecteurs d'icelles sont souvent obligez de faire jusques à dix et quinze lieues de leurs demeures, plus ou moins, pour recevoir les impôts desdits contribuables, ce qui les consomme en frais et apporte du retardement au recouvre- ment des deniers de S. M. et mesme la perte d'iceux3... »

1. Règlements de Normandie, p. 122.

2. A. D. Calvados, Election de Caen, Registre d'Ordonnances de 1656-1663, 466, imprimé. Il semble que l'arrêt du 28 mai 1661 n'ait pas été appliqué exac- tement : nous trouvons encore une ordonnance de l'intendant de Caen, datée du 29 décembre 1662, relative aux procès soulevés par le changement d'octroi : il ordonne aux paroisses d'envoyer à ses bureaux la liste des jugements qu'il a antérieurement rendus sur la matière « pour en estre par nous dressé des estats et pourveu sur les charges et décharges desdites paroisses au prochain départe- ment. » (Ibid.)

3. Mandement du 18 février 1662, cité plus haut.

pM LA TAILLE BN NORMANDIE.

Ces procès, comme tous les autres, furent interminables. A la lin de [665, l'intendant de Rouen écrit qu'ils ne sont pas encore réglés « après deux années de procédures devant l'intendant et deux autres en la Cour des aydes ' » ; en 1669, les commissions des tailles de la même généralité portent encore que la paroisse de Morainville, de l'élection de Conches, sera augmentée de 183 1. au profit de celle de Droizy « pour le taux du nommé Léonnard Foucault, envoyé en ladite paroisse de Drouesy par les habitant dudit Morainville lors du dernier changement d'octroy ».

Les intendants de Normandie, après l'expérience de 1660, s'accordèrent à condamner le système. On a déjà vu les raisons données par Voysin de la Noiraye en 1665. Le 27 juin 1669, son collègue de Caen, Chamillart, écrivait à Colbert :

« Dans l'examen que je fais avec les collecteurs de Testât de chacune parroisse, je trouve que le plus grand abus procède du changement d'octroy, et comme vous m'avez faict l'honneur de me demander mon advis sur ce sujet dès l'année dernière, et qu'aprez avoir conféré avec MM. les trésoriers de France et eleus, et avec les receveurs généraux et particulliers, j'ay trouvé que tous d'une voix blâment cet establis- sement et sont d'advis que l'usage de la Cour des Aydes de Paris est beaucoup meilleur, lequel se practique en cette généralité pour l'impo- sition du sel, je vous l'ay envoie suivant vostre ordre. Je crois que vous trouverez à propos de faire reflection sur cet article, comme très important pour le recouvrement des deniers de la taille 2. »

Son collègue d'AIençon partageait cette opinion; mais le système trouva aussi des défenseurs : nous en avons l'indice par la note suivante, écrite par Marin en marge de la lettre de Chamillart : « Monsieur le Contrôleur général est convenu de surceoir cette résolution sur les difTérendz advis; la chose mérite bien d'y penser. » Enfin le changement d'octroi fut con- damné, et la déclaration du 3 mars 1671 étendit l'usage de Paris à la Normandie. Dans le préambule, le roi explique les motifs de cette détermination :

« Aiant fait examiner en nôtre Conseil les diférens réglemens faits pour les tailles de notre province de Normandie en ce qui touche les changemens d'octrois..., étant à craindre que la continuation de cet usage ne les fît augmenter par la multiplication des procès qui s'in- tentent fréquemment, à cause des charges et décharges qu'il faut faire des paroisses lors de l'imposition de nos tailles, selon qu'elles ont perdu ou gagné d'habitans, par les renvois qui se font des taux et cottes de ceux qui sont sortis d'une paroisse pour aller demeurer en

1. M. C. 131, f> 76.

2. M. G., 153"4*, 831. Encore le 15 octobre 1670, il insistait pour faire aup-

{>rimer le changement d'octroi « et establir le mesme ordre pour le payement de a taille que celui qui s'observe dans le ressort de la Cour des Aydes de Paris ». (Clairamb. 792, p. 353, analyse de sa lettre.)

LE CHANGEMENT D OCTROI 297

une autre dans les temps portés par nos lettres patentes de change- ment d'octroi; et d'ailleurs, dans la suite du temps, la plupart des habitants des paroisses ne se trouvant plus imposez au lieu de leur domicile, et s'établissans en différentes paroisses écartées, il est impos- sible aux collecteurs de les suivre pour faire la collecte de nos deniers, sans faire des frais excessifs qui excédent souvent les taux des particu- liers, comme étant obligez pour s'en faire paier de soutenir plusieurs procès en diverses élections qui leur sont faits par la malice des contri- buables aux tailles, espérans par ce moien, comme il arrive ordinai- rement, faire perdre ausdits collecteurs le courage de faire de plus grandes poursuites, et les obliger par ces longueurs et chicanes de paier leurs taux en pure perte et de leurs deniers, dont ordinaire- ment s'ensuit non seulement la ruine entière desdits collecteurs, mais aussi la surcharge de nos pauvres taillables par l'inégalité en la cotte des particuliers éloignez de la demeure des collecteurs pour n'avoir une connoissance entière des biens et facultez des taillables, ni de leur trafic et industrie, lesquels abus retardent non seulement le recouvrement de nos deniers, mais encore causent la ruine entière de nosdits sujets... »

En conséquence, l'usage du changement d'octroi est sup- primé; à l'avenir les taillables payeront leurs impôts « aux lieux, paroisses et élections ils seront domiciliez » ; pour 1672, ils payeront dans les paroisses ils demeuraient à la date du 31 décembre 1670; ceux qui changeront de domicile seront tenus de suivre les prescriptions appliquées dans le ressort de la Cour des aides de Paris : ils devront faire publier leur chan- gement dans la paroisse qu'ils quittent avant le 1er septembre de chaque année, et déclarer à l'élection dans laquelle ils entrent « qu'ils partent d'une telle paroisse; combien ils y paioient de taille; quelle vacation ils y professoient; si laboureurs, à com- bien de charues et à qui elles apartenoient; » ensuite de quoi, ils auront acquis leur domicile dans la nouvelle paroisse au bout d'un an et un jour s'ils sont laboureurs, de deux ans s'ils sont artisans ou manouvriers.

Ces prescriptions furent complétées par les articles 9 et 10 du règlement du 20 août 1673 : les déclarations faites par les con- tribuables dans la paroisse qu'ils auront quittée devront être inscrites le 15 septembre au plus tard sur un registre paraphé, déposé au greffe de l'Election; les procès intentés pour ce motif devront être jugés avant le 31 décembre, sinon les intéressés payeront leur impôt dans les deux paroisses à la fois; même pénalité si la déclaration n'est pas faite avant le 1er septembre (art. 27). Une modification à ce règlement fut faite par l'ordon- nance du 22 août 1674, qui prolongeait jusqu'au 1er octobre le délai de publication du délogement.

Un contribuable nouveau-venu dans une paroisse étant exposé à être surchargé, soit parce que les collecteurs connaissaient mal ses ressources, soit simplement parce qu'il était étranger à

298 LA TAILLE EN NORMANDIE.

la localité, le même règlement du 20 août 1G73 fît défense de l'imposer la première année à une somme plus élevée que celle qu'il payait dans son ancien domicile, « sinon a proportion »t au sol la livre de l'augmentation, sauf aux habitans en cas de fraude de donner leurs mémoires pour [le] faire taxer d'office raisonnablement » (art. 28).

L'introduction de ce nouvel usage dans la province bouleversa le département de la taille '. Les intendants des trois généralités et le procureur général de la Cour des Aides se réunirent en conférence pour arrêter les mesures à prendre dans l'application de la réforme 2. Le règlement des difficultés soulevées par tous les cas particuliers coûta beaucoup de peine; Barin de la Galis- sonnière écrit le 2 septembre 1671 : « En vérité ce travail est extraordinairement long, et particulièrement dans les grandes eslections, ce que je n'aurois pas creu si je n'en avois esté con- vaincu par ce qui se fait dans l'eslection de Rouen et dans celle d'Arqués. » Néanmoins, à cette date, son travail est très avancé :

« Il ne nous manque plus, dit-il, que le Pont-de-1'Arche, dont les officiers n'ont ny sens ny raison ; ils m'ont néanmoins fait espérer que samedy ils me remettroient entre les mains Testât des changemens arrivez dans leur département. Il y a aussy quelque chose qui manque pour Andely, et ce qui est de plus embarrassant, est que le plus intelligent des receveurs des tailles est mort depuis deux jours. J'espère envoyer vers le 8 ou le 9 de ce mois l'état des changements arrivés dans toute la généralité à M. Marin 3. »

Mais le lendemain il écrit que le travail durera plus long- temps qu'il ne pensait : c'est seulement le 27 septembre qu'il envoie l'état annoncé*. Pareillement l'intendant d'Alençon écrit le 18 janvier 1672 que « l'affaire qui lui donne à présent le plus d'occupation dans sa généralité est l'exécution de la déclaration concernant la révocation du changement d'octroi3 ».

Les translations de domicile étaient en effet partout extrème-

1. Cf. le tableau des « entrons et sortons » de la paroisse d'Acquigny (élection de Pont de l'Arche) à la suite de la révocation du changement d'octroi : sur environ 180 feux (185 en 1G65 : Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 166), il y a 15 sortants, imposés ù 174 1., et 19 entrants, imposés à 212 1. : le mouvement porte donc sur le cinquième environ des contribuables (A. D., S.-Inf., C, 2 215).

2. Le 13 avril 1671, l'intendant d'Alençon, de Marie, écrit à Colbert qu'il vient de conférer avec son collègue de Rouen (Clairambault, 792, p. 628), et le 7 sep- tembre suivant il envoie à Colbert « un projet de règlement sur le sujet de la translation de domicile avec les observations de MM. de la Galissonnière, Cha- millart et Le Camus, procureur général » (Ibid., 793, p. 93); dès le 15 juin 1671, l'intendant de Caen avait rendu une ordonnance séparée pour sa généralité (men- tion en est fuite dans le mandement aux paroisses du 4 octobre 1673), l'intendant de Rouen, La Galissonnière, envoie également ù Marin, le 27 septembre 1671, son projet de règlement pour les mutations d'élection à élection (Clairamb., 793, p. 99).

3. M. C. 157, f 410.

4. M. C. 157"*, f 563 et 570. L'état manque.

5. Analyse de sa lettre dans Clairambault, 793, p. 320.

LE CHANGEMENT D OCTROI. 299

ment nombreuses, les contribuables y trouvant un moyen pour frauder le fisc : il faudrait, écrit La Galissonnière le 27 sep- tembre 1671, « oster à ces sortes de gens l'esprit de changer, ce qu'ils font très souvent par une pure ignorance et dans la pensée de se soulager, et ce qui les consomme en frais et en procédure1 ». Les changements, d'ailleurs, intéressaient non seu- lement le département entre les paroisses et les élections, mais aussi celui des généralités, normandes ou non, et il entraînait un remaniement dans les chiffres portés par les commissions des tailles. Pour y remédier, La Galissonnière proposait, le 26 sep- tembre 1671, de rendre un arrêt du Conseil pour dégrever les élections qui perdaient de l'impôt, sinon cette année même, du moins les années suivantes2.

Une autre difficulté résultait de la perpétuelle rivalité entre la Cour des aides et les intendants. Un arrêt du conseil du 22 avril 1671 avait enjoint à ces derniers « de juger sommai- rement en dernier ressort et sans frais pendant l'année présente et la prochaine seulement les contestations et différens qui pouroient naistre au sujet des domiciles des taillables3; » à la suite de cet arrêt, l'intendant de Rouen avait ordonné aux contribuables d'introduire leurs instances devant lui, ou, en son absence, devant le sieur Duchemin, son subdélégué4; ses deux collègues de Normandie en avaient fait de même ; mais la Cour des Aides avait élevé d'énergiques protestations contre cette « usurpation », et une fois passé le délai fixé par l'arrêt du 22 avril 1671, elle ordonna que les procès relatifs aux transla- tions de domicile qui n'avaient « point été jugez par lesdits commissaires départis ou leurs subdéléguez auparavant ledit jour dernier mars an présent », et ceux qui naîtraient à l'avenir devraient être poursuivis en première instance aux Elections et en appel devant elle5. Toutefois, l'intendant de Caen prétendit, malgré les ordonnances, conserver après 1673 le jugement de ces procès. Dans son mandement aux paroisses du 1er août 1678, il écrit :

« Parce que les translations de domicile causent une infinité de procès, qui consomment les communautés en frais, nous avons, pour les éviter, résolu de juger lesdites translations avec les officiers des eslections au temps du département, afin de comprendre au bas des mandements qui vous seront envoyés, ceux qui seront à enroller ou déroller. C'est pourquoy nous vous enjoignons de vous trouver et faire trouver le

1. M. G. 157 bis, 570.

2. Ibid., 563.

3. Mandement de l'intendant de Rouen aux paroisses pour la taille de 1672, préambule; cf. une lettre de Michel Colbert du 1er février 1672, Clairambault, 793, p. 334.

4. A. D. Seine-Inférieure, G 2 215.

5. Arrêt du 19 mai 1673. A. D. Calvados, Élection de Caen, Registre d'Ordon- nances, à sa date.

300 LA TAILLB EN XOHMANDIE.

sieur curé de votre paroisse, lors de la visite et chevauchée que feront le9 officiers de votre eslection, pour rendre raison des entrans et sortans de votre parroisse, afin que lesdits officiers nous en informent lors du département prochain, et qu'il y soit par nous pourvu1. »

Son zèle n'eut d'ailleurs pas grands résultats : quatre ans après, il déplorait encore la multiplicité des procès et le peu de zèle mis par les élus à les terminer :

« Par la déclaration de 1673, art. 9, il est porté qu'à faute par les particuliers qui voudront transférer leur domicile d'avoir exécuté et jugé contradictoirement leur translation dans le temps porté par les précédens réglemens, ils payeront leurs taux es deux parroisses ils se trouveront taxez. Le peu d'aplication que les officiers des eslections et notamment les présidens et procureurs du roy ont eu à faire exécuter cet article a causé une infinité de procez et de confusion dans les translations de domicile, parce que la plus grande partie des particuliers ne font leur déclaration de vouloir changer de domicilie que pour se prévaloir des deffenses portées par la mesme déclaration art. 28 de hausser ceux qui ont fait signiffier leursdites déclarations, en sorte qu'après la confection du roolle lesdits particuliers n'ont tenu compte de faire juger lesdites translations*. »

L'intendant d'Alençon ne fut pas plus heureux. Il écrit le 1er septembre 1683 qu'il y a « une infinité » de procès sur cette matière : comme « depuis la révocation de l'octroy les contri- buables ont cru que cette facilité de changer de domicile leur procureroit quelque soulagement dans leurs impositions, on a veu une sy grande quantité d'actes de translations de domicilies enregistrez aux greffes des eslections, qu'il a esté nécessaire d'obliger les greffiers d'en envoyer des estats dans le mois de juillet, afin de n'avoir pas cet examen à faire lors du départe- ment, qui en auroit esté retardé considérablement »; mais alors les greffiers, « voyans que les estats qu'ils envoyoient estaient crus, et qu'ils n'estoient pas examinez, n'ont pas pris soin tju ilz fussent fort exatz, et peut-estre ne l'ont-ils pas voulu » ; il en est résulté des procès, et les paroisses ont fait faire des transla- tions de domicile « faintes » pour des gens taxés à de gros taux, dont elles se sont fait décharger, « et par conséquent d'autres ont esté accablées1». Plus que jamais les élections furent encombrées de procès relatifs à cette question et les plaintes des intendants sur les abus commis sont continuelles. En juin 1676, Le Blanc constate que les plus riches contribuables de la paroisse de Bonneville la Louvette veulent « s'exempter du payement de la taille et autres contributions, et empescher l'exé- cution des roolles par des publications de translations de domi-

1. A. D. Calvados, C, Élection de Caen.

2. Lettre du 11 mai 1682, A. N., G' 213.

3. A. N., G' 71.

LE CHANGEMENT D OCTROI. 301

cile frauduleuses », tout en continuant à demeurer et à faire valoir leurs biens dans la paroisse. Il doit ordonner, quoique l'affaire semble plutôt ressortir de la Cour des aides, que le rôle des tailles de la paroisse sera exécuté tel qu'il est, sans tenir compte des changements de domicile frauduleux1.

Des précautions avaient cependant été prises par les intendants pour compléter les prescriptions des règlements royaux;, ils les inséraient dans leurs mandements annuels ou les faisaient insérer par le Conseil dans les commissions des tailles.

Par le mandement aux paroisses de la généralité de Caen du 4 octobre 1673, il est prescrit que les procès relatifs aux changements de domicile devront être « sommairement réglez » par les officiers des Elections, avec défense aux intéressés de se pourvoir sous aucun prétexte contre les jugements rendus après le 31 décembre :

« faute de quoy faire dans ledit temps et iceluy passé, lesdits parti- culiers payeront es deux parroisses ils se trouveront cottisez, sans néanmoins que les communautez puissent intenter aucune action en garantie, à cause des charges et décharges faites de parroisse en par- roisse, en conséquence des translations de domiciles, attendu que nous y avons pourveu et fait considération en procédant au départe- ment des tailles de chacune élection, et à cet effet faisons deffènses ausdits eleus de juger aucune recharge, rejet ny décharge pour raison de ce, sur les peines au cas appartenant2. »

En 1679, l'intendant de Caen défend encore aux greffiers des élections « de recevoir ny registrer aucune déclaration de trans- lation de domicile, si le nom, surnom, qualité de laboureur ou autres exploitant terre ou simple manouvrier ou journalier non exploitant terre ne sont précisément employés, ainsi que le véri- table taux, dans l'acte de publication qui en aura esté faite par le curé au prône de la paroisse conformément à ladite trans- lation de domicile, ... à peine d'interdiction contre le greffier3 ».

Dans la généralité de Rouen, l'intendant Le Blanc sévit, le 6 octobre 1677, contre les translations de domicile fictives : les particuliers, dit-il, font souvent des déclarations de changement que la plupart n'exécutent point,

« feignans seulement d'aller demeurer, aux lieux ils déclarent, dans des petites maisons et fours sans aucunes terres de labeur, lesquelles petites maisons et fours ils tiennent à ferme les uns par soixante sols, les autres par six livres et les plus hautes à dix livres, ce qu'ils font pour empescher l'augmentation de leurs impositions qui sont depuis quatre cent livres jusques à la plus basse somme, ce qui est

1. Sentence du 18 juin 1676, B. N. fr. 8 761bls, 10.

2. A. D. Calvados, Bureau des finances. La prescription est répétée dans les mandements des années suivantes.

3. A. D. Calvados, Election de Caen.

LA TAII.I.i: BU NOHMANDIE.

contraire aux réglemens des tailles, et à quoy estant nécessaire de pourvoir, Nous Intendant susdit ordonnons que les particuliers exploitans des héritages depuis cinquante cinq livres jusqu'à soixante livres et au-dessus qui ont faict leurs déclarations auparavant le 1er jour d'octobre 167(3 de sortir et entrer aux paroisses de ladite eslection, seront renvoyez et receus en icelle pour Tannée prochaine, et au regard des autres et des artisans, gens de journée et sans vacation,

3u'ils contribueront encor pour ladite année prochaine aux lieux s sont taillables sauf à les renvoyer aux paroisses ils ont déclaré vouloir contribuer en Tannée 16791. »

Encore le 8 juin 1680, il fait aux paroisses des prescriptions minutieuses rappelant que les déclarations doivent être faites avant le 1er octobre de chaque année, qu'elles doivent contenir les noms des paroisses et des élections, « les noms, surnoms, qualités et vacations des particuliers, ce qu'ils possèdent en propre et tiennent à ferme, de qui et pour quels prix, et géné- ralement toutes les occupations qu'ils font et celles qu'ils vont entreprendre »; si le changement se fait pour aller dans une élection différente, la déclaration sera faite aux deux élections, elle devra être signée « du curé ou vicaire et de quatre des prin- cipaux habitans de la paroisse de laquelle ils sont sortis, con- tenant le jour de leur sprtie effective, et un autre certificat signé du curé ou vicaire de la nouvelle paroisse, contenant le jour qu'ils y ont actuellement étably leur domicile ». Les greffiers ont un droit de 2 s. par extrait du rôle délivré aux parties; ils ne peuvent prendre davantage « quand même il leur seroit offert volontairement », ce qui prouve que cela devait arriver, à peine de 100 1. d'amende, applicable la moitié au dénonciateur, et de dommages-intérêts. L'intendant ne craint même pas de modifier de sa propre autorité les règlements royaux : il pres- crit en effet que les taillables changeant de domicile seront imposés dans leur nouvelle paroisse au bout d'un an s'ils tiennent des fermes de plus de 100 1., et de deux ans dans le cas con- traire. Les curés et vicaires commettent également des abus à propos des actes de translation : « Sur ce que nous avons été averti qu'aucuns curez et vicaires des paroisses exigent quinze et vingt sols pour les publications des actes de translations de domicile, nous leur faisons deffenses de prendre plus de 2 s. 6 d., tant pour la publication que pour la certification de chacun acte de translation de domicile, à peine de restitution et de 10 1. d'amende*. » Malgré cela, Le Blanc reconnaît le 20 novem- bre 1680 que parmi ces translations de domicile « presque toutes, excepté celles des fermiers qui vont prendre des fermes dans d'autres paroisses ou eslections, sont fausses 3».

1. B. N. fr. 8 761bU, 101.

2. Ordonnance du 8 juin 1680, envoyée à Colbert le 20 novembre suivant, A.N.. G7 491, imprimée.

3. A. N.. G' 491.

LE CHANGEMENT D OCTROI. 303

Pour contrôler les translations de domicile, les intendants se firent adresser directement par les collecteurs les états des changements, sans passer par l'intermédiaire des élus : à la fin des mandements aux paroisses pour la levée de la taille, ils laissèrent deux colonnes en blanc dans lesquelles les habitants devaient insérer ceux qui entraient dans leur paroisse et ceux qui en sortaient1.

Enfin, vers 1680, il parut aux intendants que les choses ne pouvaient pas rester en l'état, et qu'une nouvelle réglementation était nécessaire; Méliand envoya de Caen à Colbert un long mémoire il expliquait en détail les défauts du système ; c'est là, disait-il l'abus « le plus considérable » de la généralité :

« Pour s'exempter de la taille; un particulier déclare qu'il s'en va hors généralité ; il sort de la parroisse, et, au lieu d'effectuer sa trans- lation, il s'en va dans une ville franche comme Caen, Granville, ou Cherbourg, ou dans une ville qui paye sa taille par tarif2, et après avoir payé un an ou deux ans la taille en la parroisse qu'il a quitté, suivant les règlements, en estant dérollé, il se trouve exempt de taille pour l'advenir. Pour s'exempter de la collecte, un particulier dont le tour approche d'estre collecteur d'une grosse parroisse la quitte, et transfère son domicile en une petite de 2 ou 300 1. pour y consommer son tour. Une veuve transfère son domicile dans une parroisse elle ne va point, et au lieu de ce elle va dans une ville franche ou abonnée; un fils de famille fait la mesme chose pour acquérir ses ans de majorité, et déclare qu'il transfère en quelque parroisse de la mesme eslection avec un denier de taille sans l'effectuer, et son père venant à décéder, il fait valoir le bien qui luy est escheu dans la parroisse qu'il a quitté, et paye la taille dans celle il a acquis ses ans de majorité par la liberté qui est donnée par les règlements de faire valoir en diverses parroisses de mesme eslection, et fait perdre à la parroisse son père est mort le taux qu'il y portoit. D'autres qui sont sur les extré- mités des eslections ou généralité transfèrent leur domicilie dans des parroisses voisines d'où, par des baux supposés, ils font valoir leurs biens dans les parroisses qu'ils ont quitté sans y payer la taille. La pluspart, prévoyants que les collecteurs qui seront nommés l'année suivante les pourront hausser, déclarent transférer leur domicile, et cela parce que par les règlements il est deffendu de hausser ceux qui ont fait cette déclaration, laquelle ensuitte ils révoquent après que le rolle est fait, d'où il naist des procès. Il y en a qui, dans un greffe d'eslection déclarent qu'ils sont laboureurs pour estre dérollés un an

1. Voir, par exemple, les mandements de la généralité de Caen à partir de 1679 (A. D. Calvados, élection de Caen). La première colonne est intitulée « sortans : noms des particuliers que vous aves à desroUer », et la seconde « entrans : noms des particuliers que vous aves à enroller ». L'état devait être retourné à l'inten- dant par l'intermédiaire du receveur des tailles. Dans la généralité de Rouen, l'intendant Le Blanc en 1676 avait pris une mesure un peu différente; il enjoignait aux collecteurs de faire « un chapitre séparé dans leur rôle des nouveaux entrans dans votre paroisse et qui commenceront d'y estre taillables pour l'année pro- chaine 1677 » (B. N. fr. 8 761b", 27), mais il adopte la même année le système des colonnes ajoutées aux mandements (ibid., 98).

2. Sur les villes « tarifées », voir ci-dessous, chap. vu.

KM LA TAILLE LN XOII M ANDI B .

après dans la parroisse qu'ils quittent aux termes des règlements, e1 dans une autre eslection ils se déclarent journaliers pour n'y estre imposés qu'après deux ans suivant les mesmes règlements : ainsy, ils sont un an exempts de taille. Tous ces procès consomment les taillables et collecteurs en frais. »

Voici maintenant les remèdes qu'il propose : Il ne faudrait faire « aucunne différence de qualité tant de laboureurs que de journaliers, non plus que de changements d'eslection ou de généralité », et pareillement fixer uniformément à un an le délai au bout duquel on deviendrait imposable dans la nouvelle paroisse. Pour s'assurer que la translation est bien effectuée, on ferait produire à l'intéressé un certificat signé du curé de sa nouvelle paroisse ainsi que du collecteur porte-bourse et des trois plus fort imposés ; il faut aussi ordonner aux élus de « vider sommai- rement à l'audience et sans frais » les procès relatifs à la matière; enfin il faut révoquer l'interdiction faite de hausser les contri- buables dans la paroisse qu'ils viennent de quitter et ils sont encore imposés, la première année, en permettant aux collec- teurs « de les imposer en leur âme et conscience comme ils auroient pu faire si ladite déclaration et translation de domicile n'avoit point esté faite, avec deffense néantmoins audit collecteur de les surhausser mal à propos en haine de ladite déclaration1 ».

A la suite de ce mémoire, Méliand alla conférer à Paris avec Berryer qui reconnut également la nécessité d'un nouveau règlement*. C'est à la suite de ces études préliminaires que Colbert rendit l'arrêt du conseil du 23 septembre 1681, qui, tout en maintenant le système général des translations de domicile, apportait, dans ses art. et 20, les modifications souhaitées par les intendants. En premier lieu ce sont les contribuables eux-mêmes qui iront faire leurs déclarations au greffe de l'élec- tion où est située la paroisse qu'ils quittent; ils indiqueront leur chiffre d'imposition, leur profession, « combien de charues [ils cultivent] et à qui elles appartiennent », la paroisse ils vont demeurer, la profession qu'ils y exerceront, la quantité de terre qu'ils y feront valoir; à cette condition seulement ils pourront être déchargés dans la paroisse qu'ils quittent (art. 13); tous les procès relatifs à la matière devront être jugés avant le 1er jan- vier « à peine de nullité et d'estre imposés en deux paroisses » (art. 14). Le temps pendant lequel un contribuable demeurera imposé dans sa paroisse après l'avoir quittée, est fixé unifor- mément à deux ans (art. 16); l'exception introduite par la

1. Mémoire du 15 août 1680, A. N., G" 213. Un mémoire semblable avait été envoyé par l'intendant d'Alençon en 1679 (Lettre à Colbert du 9 novembre 1679, A. N., G7 71). On voit d'après cette lettre que Colbert avait donné ordre aux trois intendants de Normandie de chercher « le meilleur remède qu'on pouvoit apporter » sur la matière; il est probable que l'ordonnance de Le Blanc du 8 juin 1680, citée plus haut, avait été rendue à la suite de ces conférences.

2. Méliand à Colbert, 24 octobre 1680. A. N. G? 213.

LE CHANGEMENT D OCTROI. 305

déclaration du 3 mars 1671 au sujet de ceux qui continueront à faire encore valoir des biens dans la paroisse qu'ils ont quittée est maintenue : ils seront imposés à la fois dans les deux paroisses1.

L'arrêt fut repris sans changement par la déclaration du 16 août 1683.

Cette nouvelle réglementation ne mit pas fin à toutes les difficultés ; l'intendant de Caen écrit au contrôleur général le 23 novembre 1683 que l'arrêt du 23 septembre « n'a presque été connu que dans les greffes des élections 2 » ; il est resté ignoré des contribuables qui n'ont pu se faire décharger à temps, « ce qui a donné lieu à quantité de procès que les eslus ont jugés à la rigueur, et obligé les particuliers à faire de nou- velles déclarations » ; il se propose donc de le faire connaître par la voie des mandements ; en outre les translations de domi- cile fictives ne sont pas supprimées : « comme par le mesme règlement les particuliers qui ont déclaré devoir transférer leur domicile ne sont obligez de faire juger leur translation qu'avec la parroisse d'où ils sortent, il arrive souvent que sans en sortir et d'intelligence avec les habitans ils font déclarer leur transla- tion bonne et dans la suitte cette parroisse se trouve déchargée d'un gros taux et d'un meschant taillable, qu'une autre parroisse est obligée de recevoir sans demeure préalable contre le règle- ment, et souvent sans le connoitre aucunement ». Certains pro- cureurs des élections ayant fait appeler aussi devant eux les habi- tants de la paroisse le domicile était transféré, « on a presque toujours trouvé qu'il y avoit de l'intelligence et de la friponnerie, et que les particuliers n'estoient point délogés3 ».

Dans la généralité d'Alençon, mêmes difficultés : toutefois le 3 août 1682, l'intendant de Morangis se félicite du succès de

1. Le texte imprimé dans les Règlements de Normandie, p. 213, porte ensuite : « encore que les paroisses soient situées dans une même élection, ce qui aura lieu lorsqu'elles seront de différentes élections » ; la phrase est inintelligible, il semble qu'il y a ici une faute d'impression et qu'il faille lire : « ce qui aura lieu également si les paroisses sont situées dans différentes élections ». L'art. 18 du règlement est obscur et semble en contradiction avec l'art. 16 ; il porte en effet : « Ceux qui transféreront leurs domiciles dans une paroisse pour y faire valoir quelques fermes et qui cesseront de travailler à la culture des héritages de la paroisse d'où ils seront sortis, seront imposez une année seulement dans la même paroisse, après laquelle ils seront taxez dans celle de leur nouvel éta- blissement » ; tandis que l'art. 16 dit : « Ceux qui auront satisfait aux formes prescrites par le présent règlement seront taxez pendant deux années en la paroisse qu'ils auront quitée, après laquelle ils seront imposez dans la paroisse ils auront transféré leur domicile au moins à la même somme qu'ils paioient dans la paroisse d'où ils seront sortis. *

2. Il écrivait déjà le 11 mai 1682 qu'il avait fait publier et enregistrer l'arrêt dans les élections, mais presque aucun des intéressés n'avait fait juger son trans- fert; ils prétendaient, qu'ils n'y étaient pas tenus quand leur paroisse n'y faisait pas opposition. Méliand demandait un nouvel arrêt .pour déclarer nulles les translations de domicile qui n'auraient pas été jugées contradictoirement avec les communautés intéressées avant le premier septembre de chaque année. (A. N.. G? 213.)

3. A. N., G^ 213.

LA TAILLE ES NORMANDIE.

20

|06 LA TAILLE KX NOIIMANDIE.

la nouvelle législation : « A l'égard des translations de domi- cile, les règlements du conseil et principalement celuy du 23 septembre dernier y ont apporté beaucoup de remèdes, et la sévérité avec laquelle on punit les translations de domicile frauduleuses les a diminuées considérablement »; dans toutes les élections, dit-il, j'ai usé des taxes d'office contre ceux qui étaient convaincus Je telles fraudes. Le 22 octobre suivant il renouvelle les assurances de sa satisfaction, et Colbert l'en félicite : « j'apprends... que vous avez trouvé beaucoup moins de translations de domicile et fort peu de frauduleuses. Vous pouvez juger facilement par là, qu?en tenant la main soi- gneusement à l'exécution de l'arrest du conseil du mois de septembre de l'année dernière, vous remédierez assurément à ce désordre, qui est très grand et très considérable1. » Mais le 1er septembre 1683, son successeur, de Bouville, signalait dans la généralité les mêmes abus qu'ailleurs : les élus ne savent pas à quoi s'en tenir sur l'arrêt du conseil du 23 septembre, les uns « prétendant qu'il suffit que la translation de domicile soit exécutée avant le 1er janvier, et les autres voulant qu'elle soit aussy jugée dans le mesme temps, afin de se faire autant de proccz assurez qu'il y aura de translations de domicile enre-

fistrées à leur greffe ». Il a consulté sur cette difficulté la Cour es aides qui, par un arrêt, a décidé que les translations devraient être « exécutées et jugées » avant le 1er janvier. De cette jurisprudence il est résulté une foule de procès, et, comme dans la généralité de Caen, des translations frauduleuses; car, dit-il, quand le contribuable a obtenu un jugement de l'Election, il peut revenir dans sa paroisse et être exempt valablement en présentant le jugement de translation qui lui servira de preuve ; ce mal est particulièrement grand dans l'élection de Mortagne, « parce que ayant tousjours esté surchargée et dans le voisinage des généralitez de Tours et d'Orléans, grand nombre de parti- culiers des plus riches habitans des parroisses ont fait des trans- lations de domicile en fraude » ; il en est de même dans l'élec- tion de Verneuil, voisine des généralités d'Orléans, de Paris et de Rouen. Les collecteurs se sont mépris sur l'art. 17 : ils ont cru qu' « il leur estoit permis d'imposer tous les particuliers qui fai- soient valoir quelques héritages dans leurs parroisses, de sorte que, par les descharges qui ont esté obtenues, il a esté ordonné une infinité de rejetz, dont la plus grande partie n'est pas encore acquittée2 ».

Ce rapport circonstancié nous autorise à suspecter l'optimisme témoigné l'année précédente par de Morangis et celui qu'il témoigna l'année suivante à propos de la généralité de Caen,

1. Clém.. II, p. 212.

2. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G' 71.

LA DATE DES ROLES. 307

il était passé au début de 1683 : « Les translations de domicile avoient fait un grand désordre il y a quatre ans, mais les pré- cautions qu'on a prises et le soin que j'ai eu de taxer d'office ceux qui en avoient fait de frauduleuses a diminué considéra- blement les translations qui se faisoient1. » En définitive on peut dire que, à la mort de Colbert, la réglementation des change- ments de domicile n'était pas au point, et était une source importante de fraudes et d'abus; il en sera encore pendant longtemps ainsi*.

V. LA DATE DES ROLES

On a vu à propos de chacun des degrés de la répartition com- bien il importait que tout fût terminé à temps. L'établissement des rôles avant le commencement de l'année financière résul- tait des mêmes nécessités : tout retard dans l'opération eût anéanti les efforts précédemment faits. Le règlement de jan- vier 1634 (art. 45) prescrivait aux élus de convoquer les collec- teurs « à jour certain et préfix », au siège de l'élection, pour y taire leur travail; mais, pour des raisons que l'on verra plus loin, cet article ne fut pas exécuté, et dès l'année suivante, les collecteurs furent laissés. libres de rédiger le rôle dans la paroisse même3; les élus n'avaient plus à les convoquer, ni à fixer la date de leur réunion. Un arrêt du conseil du 28 novembre 1646 donna aux collecteurs un délai de huit jours à partir de la réception du mandement pour dresser leurs rôles, enjoignant aux intendants de <.< faire le procès souverainement à ceux qui y contrevien- dront4 »; mais, en décembre 1654, le roi déclarait dans le préambule d'un édit : « Quelque soin que nous prenions pour la levée de nos deniers, nous ne pouvons faire faire le recou- vrement d'iceux dans le tems et ainsi que nous l'ordonnons, à cause des longueurs qu'apportent les collecteurs des tailles pour la confection de leurs rolles, qu'ils ne peuvent mettre ensuite

1. Lettre au contrôleur général, 10 juillet 1684, A. N. G? 213. Il écrivait déjà dans le même sens le 29 mai précédent.

2. Voir par exemple dans Lallemnnt de Levignen, Observations sur la taille (1732), différentes fraudes commises à la faveur de cette réglementation, notam- ment celle-ci : les habitants d'une paroisse imposent à une somme élevée un particulier sans ressources, qu'ils engagent ensuite à transférer son domicile dans une autre paroisse; « comme, aux termes des réglemens, il doit emporter avec luy la somme à laquelle il étoit imposé lors de sa translation, ces habitans et collecteurs trouvent par cette manœuvre le moyen de diminuer leur parroisse et d'augmenter les impositions d'une antre, sans avoir recours aux intendans », qui sont en effet tenus de transférer automatiquement la cote du contribuable d'une paroisse à l'autre (B. N. fr. 7 771, 184).

3. Déclaration du 16 juin 1635, dans Néron, t. I, p. 867.

4. G. d. T., t. I, p. 203.

308 LA TAILLE EN NORMANDIE.

à exécution, qu'au préalable ils ne soient vérifiez par un de nos officiert de nos élections1. » Lorsqu'en effet on examine les rôles de taille eux-mêmes, on voit qu'avant 1661, ils étaient rédigés avec des retards considérables, souvent de six mois et même d'un an; certaines paroisses s'en autorisaient même pour ne faire aucun rôle et ne pas payer d'impôts.

Colbert se proposa d'y mettre ordre par le règlement d'août 1664. L'article 2, renouvelant l'ordre aux collecteurs de dresser leurs rôles « huit jours après la réception du mandement des tailles », prononça aes pénalités contre les paroisses qui seraient en retard : si les rôles n'étaient pas définitivement rédigés et toutes les contestations réglées au 31 janvier, six des prin- cipaux contribuables, choisis par le receveur des tailles et les élus, seraient pris par contrainte solidaire pour payer sur un simple commandement les impositions de la paroisse (art. 9)2.

Les intendants s'appliquèrent à l'exécution de ce nouveau règlement; dans tous leurs mandements aux paroisses ils le rappelèrent, en y ajoutant même parfois des rigueurs qu'il ne prescrivait pas; ainsi en 1672, l'intendant de Rouen menace les paroisses de leur infliger une amende si elles n'ont pas achevé leurs rôles dans les huit jours qui suivent la nomination des collecteurs3; en 1678, celui de Caen menace les collecteurs eux- mêmes d'une amende de 100 1. et de rigueurs extraordinaires si leurs rôles ne sont pas faits dans la huitaine de leur nomi- nation *. L'intendant Foucault raconte que dans la généralité de Montauban, il avait ordonné aux collecteurs de terminer leurs rôles avant le 15 décembre6.

Mais il était très difficile d'obtenir l'obéissance à ces pres- criptions, parce que les collecteurs avaient intérêt à ces retards. Quand ils sont nommés, dit Pescheur, « il n'y en a guères, ou point du tout, qui n'employent le temps qui s'escoule depuis qu'ils sont arrestez, jusqu'à ce que le roolle de la taille soit faict et veriffié, a concussionner de toute leur industrie, sans désemparer ny jour ny nuict les cabarets, ils sont entretenuz et leurs complices aux despens du tiers et du quart » ; c'est pourquoi ils inventent tous les subterfuges possibles « pour

1. C. d. T., t. I, p. 453. L'édit dont il s'agit portait création d'un directeur des tailles chargé de faire établir les rôles dans chaque paroisse; c'est uniquement un édit bursal comme il y en eut tant à la même époque; les motifs que le roi donne pour la création de ces offices ne sont que des prétextes, mais ils ne sont pas moins à retenir sur le point qui nous occupe : le roi formulait cette plainte parce qu'il pensait qu'elle ne serait pas contestée par les contribuables.

2. Le règlement de février 1663, spécial au ressort de Paris, contenait des dis- positions analogues, mais le délai extrême accordé pour la confection des rôles était le dernier jour de février au lieu du 31 janvier. (G. d. T., t. I, p. 503.)

3. Mandement du 8 novembre, A. D., S. Inf., C 2 215.

4. A. D. Calvados, C. Election de Caen.

5. Lettre à Colbert du 21 août 1680, dans Godard, Les pouvoirs des Intendants, p. 218, n. 2. On voit quelles libertés les intendants prenaient avec les ordon- nances royales.

LA DATE DES ROLES. 309

tirer de long » : convocation des habitants devant les juges du lieu pour leur demander avis sur l'imposition à faire, assigna- tions et requêtes de « particuliers de leur caballe » et « mille autres propositions ridicules qu'ils font de jour en jour...1 ». L'intendant de Caen dit pareillement dans son mandement aux paroisses, en 1678, qu'il est informé que les collecteurs tardent longtemps à faire leurs rôles « pour avoir le moyen pendant ce temps de se faire faire des présents et donner lieu aux brigues et monopoles et autres dépenses de tavernes et de cabarets 2 ».

Dans la réalité, nous observons les mêmes retards pour la confection des rôles que pour la nomination des collecteurs; ainsi dans les rôles de l'élection de Neufchâtel 3 dont la série est à peu près complète pour l'année 1670, le premier en date, celui de Forges-les-Eaux, est du 29 octobre, alors que le man- dement pour la levée de la taille est du 6 octobre, soit un retard de 15 jours; la plupart des- autres sont datés du courant de décembre; au 31 janvier 1670, date extrême qu'admettent les règlements, il en reste encore plus d'un cinquième à dresser; ils le seront en février et en mars; l'un est du 26 mai 1670, un autre même, celui du Candeau, porte la date du 3 décembre 1670*. Dans l'élection de Bayeux, en 1663, année pour laquelle nous avons une collection de rôles également complète5, les retards sont encore plus considérables : les rôles dressés avant le 31 décembre 1662 sont très rares, une partie sont datés de jan- vier et février 1663, la plupart d'entre avril et juillet de la même année; on en trouve du 21 octobre 1663 et même du 9 décem- bre 1664 (Englesqueville). De pareils retards sont visibles dans toutes les collections de rôles que nous possédons. Il faut d'ail- leurs observer que les dates données ici sont celles qui figurent sur les actes, et nous ignorons si elles n'ont pas été corrigées pour masquer des retards plus grands encore, et pour éviter des difficultés à l'élection ou à l'intendance6.

A la fin de sa vie, Colbert voulut réglementer à nouveau cette matière; par l'arrêt du conseil du 23 septembre 1681, il sup- prima (art. 9) le délai du 31 janvier accordé jusque-là aux paroisses et ne leur donna plus que les 15 jours suivant la récep- tion du mandement. En outre, une amende de 20 1. s'appliquait à ceux qui seraient « convaincus d'avoir exigé ou composé pour

1. M. C. 33, £° 288.

2. A. D. Calvados, Election de Caen, mandement de 1678, cf. également les mandements de l'intendant de Rouen en 1672 et 1677, déjà mentionnés.

3. A. D. S. Inf., G. 2 673 et suivants.

4. Pour ce dernier toutefois, il serait possible qu'il y eût une erreur matérielle, 1670 étant pour 1669; mais on trouve dans d'autres paroisses des rôles rédigés avec une année de retard.

5. A. Mun. Bayeux.

6. Dans la plupart des rôles de l'élection de Bayeux, 1663, la date a été ajoutée après la rédaction du texte.

310 LA TAILLE EN NORMANDIE.

diminuer les taux des contribuables1 ». Mais ce règlement eut le sort des précédents : les rôles de l'élection de Lisieux con- servés aux Archives du Calvados pour l'année 1683 sont souvent datés de février et de mars 168,3 ; l'un même, celui de Fonte- nelle, est du 29 février 1684; la plupart sont des mois de no- vembre et décembre, alors que le mandement pour la levée de l'impôt est daté du 13 octobre.

Quant aux « compositions » faites par les collecteurs avec les contribuables à la faveur de ces retards, on les retrouve à la fin du ministère de Colbert comme au début; le 13 juin 1682 l'in- tendant de Rouen écrit :

« Lorsque les collecteurs sont nommez ou qu'on leur a envoyé les mandemens, ils retardent la confection des rolles pour tirer de l'argent des particuliers; ce mal est général dans les eslections, et presqu'im- possible d'y "remédier, ceux qui en pourroient déposer y ayant mterest; j'ay donné ordre à des gens d'en avoir des lumières, et de m'en advertir, les officiers de l'eslection ne s'en donnant pas la peine*. »

Il était d'ailleurs des cas particuliers le retard dans la confection des rôles était avantageux pour le fisc : l'intendant de Rouen en signale un dans un mémoire du 5 octobre 1684; les prés d'embouche qui sont communs dans les élections d'Evreux. Andely, Pont-Audemer et Pont-1'Evêque sont ordinairement loués a tant par bête, à des marchands de bœufs pour quelques mois ou pour un an au plus, mais le bail n'est conclu qu'en jan- vier; ainsi on ne peut imposer les fermiers la première année « car le roolle se trouve fait au mois de janvier, et si on les impose au mois d'octobre suivant, c'est inutilement, car les col- lecteurs ne peuvent se faire payer parce que le maître élude les exécutions en faisant faire une vente de bestiaux au mois de septembre pour l'année du bail qui est privilégiée et il se les fait adjuger, et après cela on ne revoit plus ces fermiers ». Ainsi ces terres qui se louent jusqu'à 40 1. l'acre par an, ce qui est un prix élevé, échappent à l'impôt. Mais autoriser régulièrement les paroisses à faire leurs rôles après le 1er janvier paraît impos- sible h l'intendant ; il prélère proposer pour ces terres une véri- table taille réelle comptée à raison de tant par acre « de mesme que l'on fait en Poitou des marais déseichez que l'on taxe par

1. Repris par la déclaration du 16 août 1G83.

2. B. N. fr. 8761, f* 55 : les irrégularités signalées sur ce point en Normandie semblent avoir été générales dans tout le royaume : on lit dans le Recueil d'Orsay, rédigé en 1690, que « la plus grande partie des collecteurs n'ont pas encore fait leurs rolles au commencement de décembre et que les brigues et com- positions sont tout à fait ordinaires ». (B. N. fr. 11 096, 15.) Ces difficultés contribuèrent beaucoup à faire adopter dans toute la France le système des échelles pour la nomination automatique des collecteurs. Ainsi on espérait que les collecteurs seraient désignés dès le mois de juillet pour faire leurs rôles assez tôt et sans brigues, mais au dire Je Lallemant de Lérignen, cette mesure fut encore insuffisante. (B. N. fr. 7771, f 179.)

L ASSEMBLÉE DES COLLECTEURS. 311

arpen, » quitte il excepter les exploitations des privilégiés; cette solution ne fut du reste pas adoptée *.

VI. L'ASSEMBLEE DES COLLECTEURS

Les collecteurs assemblés pour dresser les rôles forment un « collège », une commission, qui représente l'assemblée de la paroisse. Ils prêtent serment devant le curé de faire leur devoir en conscience, à en croire du moins la formule de certains rôles 2.

La présence de tous les collecteurs à la réunion n'est pas nécessaire, mais nul ne peut faire défaut sans motif3. Les absents sont mentionnés sur le rôle, et quand leur absence est due à leur refus, ce motif est toujours consigné. Ainsi à Bricque- ville (él. de Bayeux) en 1663, 6 seulement des 11 collecteurs étant présents, il est écrit que les six « ont procédé à ladite assiette néantmoins l'absence de André Regnauld, Estienne Convenant, Gabriel Le Nepveu, Pierre Mat, et Gratian de la Lande, autres collecteurs, qui ont reffusé comparoir et procéder à ladite assiette, et dont il ne se pourront prévaloir de leur absence 4 ». Cette dernière mention que les absents « ne se pourront prévaloir de leur absence » est toujours soigneuse- ment ajoutée en pareil cas. Parfois, les absents présentent un certificat pour s'excuser : aussi le curé de Neuilly (él. de Bayeux) atteste, le 11 mai 1663, que deux des collecteurs sont malades, et n'ont pu travailler au rôle, qui a été signé en sa présence 5.

Mais les collecteurs présents peuvent contraindre les absents à se joindre à eux : en ce cas ils leur intentent un procès devant l'élection. Ainsi deux collecteurs de Saint-Jores assignent leur collègue, qui est porte-bourse, devant l'élection de Bayeux, le 22 novembre 1674, pour « parachever avec eux l'assiette de taille dudit lieu, encommansée le jour d'hier pardevant M. Jac- ques Ellie, suivant qu'il y a esté nommé pour ce faire par les- dits paroissiens dudit lieu, et dire la cause de refus 6. »

Les présents délibèrent à la majorité. Souvent les protesta-

1. A. N., G? 492.

2. Rôle de Fauguernon (él. de Lisieux), 1661 : les collecteurs « ayant esté jurez par le curé de ladite parroisse de bien et fidellement procedder a ladite assiette en leur ame et conscience ». (A. D. Calvados, él. de Lisieux, rôles.) Rôle de Saint-Loup-hors (él. de Bayeux), 1663 : «... A laquelle assiette il a esté procédé par lesdits collecteurs, après avoir esté deuement jurez ». (A. mun. Bayeux, liasses de rôles.) Les mentions de ce genre sont exceptionnelles.

3. Les « légitimes empeschemens » sont seuls admis par le règlement de janvier 163i, art. 45 in fine.

4. A. Mun. Bayeux.

5. Certificat joint au rôle de la paroisse, A. mun. Bayeux.

6. A. D. Calvados, Elect. de Bayeux, Plumitif.

312 LA TAILLE EN NORMANDIE.

tions de la minorité sont inscrites à la fin des rôles; en voici quelques exemples pris dans les rôles de l'élection de Bayeux pour l'année 1663.

A Saint-Loup-sur, Jean Larchon, collecteur, proteste contre l'augmentation de taille qui lui est infligée ainsi qu'à son fils (14 1. 2 s.); ses collègues ripostent « que le fils dudit Larchon est marié depuis six mois et retire tous les biens de son père en sa maison, contre lequel ils prétendent l'obliger de repondre pour sondit père, dont lettre a esté accordée ausdits collec- teurs ». A Cardonville, les « collecteurs bas-assis » protestent contre la diminution que s'est octroyée le porte-bourse, et l'en laissent responsable « sy aucun procès en est meu » ; l'un d'eux proteste également « sur la ligne dudit Houllet comme le préten- dant surhaussé; les protestations des autres collecteurs au contraire ». A Deux-Jumeaux, « a ledit Vaultier [collecteur] protesté que la présente assiette ne le pourra prejudicier à sa descharge et delfence ainsy qu'il voudra bien; les autres collec- teurs ont faict semblable protestation, dont lettre ». A Saint- Vigor-le-Petit, deux des collecteurs s'opposent h « la somme de la veuve Guillaume Le Vasnier comme trop surchargée [90 1.], et que la creue qui luy a esté donnée Ta esté contre leur advis ». A Nonnant, Jean Laisné proteste contre la diminution de 14 1., accordée à son collègue Raphaël Leduc (16 1., au lieu de 30 l'année précédente), et contre l'augmentation de plusieurs autres cotes, déclarant qu' « il entend en faire respondre ses- dits consorts en cas de non payement ».

La plupart de ces protestations, comme on peut en juger par ces exemples, sont faites par des collecteurs au sujet de leurs propres cotes.

L'usage ancien voulait que la réunion des collecteurs se tînt dans la paroisse, mais l'art. 45 du règlement de 1634 l'avait modifié : ils devaient se rendre au bureau de l'élection pour dresser leurs rôles en présence de l'élu qui avait fait ses chevauchées dans leur village; pour l'année 1634 tous les col- lecteurs devaient être présents, et les années suivantes la moitié d'entre eux seulement en seraient tenus (art. 46). Cette mesure, destinée à éviter les brigues et les influences étrangères, était fort gênante pour les collecteurs; la Cour des Aides de Rouen, lorsqu'elle enregistra le règlement, demanda qu'elle fût appli- quée « pour cette année seulement, et qu'à l'avenir l'usage de la province, arrests et règlements de la Cour » fussent suivis; la déclaration du 16 juin 1635 * lui donna satisfaction, mais les motifs qui l'inspiraient n'étaient pas, semble-t-il, ceux de la Cour :

Nous avons reconnu, disait le roi, « que plusieurs officiers desdites eslections,... abusans du pouvoir à eux donné par ledit article,

t. Dans Néron, t. I, p. 867.

L ASSEMBLEE DES COLLECTEURS. 313

retiennent les rolles des tailles en leurs maisons, et sans prendre ny suivre les avis des asséeurs collecteurs, déchargent les riches et surchargent les pauvres à leur volonté : ce qui cause des non-va- leurs, dont lesdits asséeurs collecteurs estans obligez d'advancer les deniers, et ne s'en pouvant faire payer, sont pour la plupart ruinez. »

Les collecteurs demeurèrent donc libres dans leur réunion, et aucune autorité n'y fut plus tolérée par les règlements '.

Dans les paroisses il n'y a pas de maison commune, et c'est le cas du plus grand nombre, les collecteurs se réunissent bon leur semble; les règlements leur prescrivent seulement de choisir « un lieu libre », ils seront à l'abri des sollicita- tions et des influences étrangères2. D'après Boisguilbert, qui parle surtout de ce qu'il a vu en Normandie, les assemblées « ne se font d'ordinaire qu'au cabaret3 ». Mais souvent aussi le rôle est dressé chez le scribe chargé de l'écrire : Lallemant de Lévignen, intendant d'Alençon, écrit en 1732 que les collec- teurs se transportent ordinairement « dans la ville est le siège de l'élection et s'adressent à un procureur ou à un clerc entendu auquel tous ensemble ils déclarent leur intention* ». et cet usage existait déjà à notre époque, car certains rôles sont datés de la ville chef-lieu de l'élection; par exemple celui de La Cressonnière a été « faict et arresté par lesdits collecteurs devant nommez, à Lisieux, le 2 décembre 1682 5 ».

Exceptionnellement, on trouve des rôles dressés chez un des collecteurs malades, chez le curé ou chez un particulier. Les règlements interdisaient surtout de les faire chez « les seigneurs, les curez, les officiers ny autres personnes d'autorité ou de crédit6 ». Nous ne savons pas dans quelle mesure cette règle était respectée en Normandie, mais Colbert, dans une circu- laire du 28 mai 1681, écrit que S. M. a reçu l'avis « de toutes les provinces que presque tous ou au moins un nombre consi- dérable de gentilshommes, officiers et personnes puissantes fai- soient faire les rôles des tailles dans leurs chasteaux et maisons, ou par leurs ordres 7 ». Les interventions assez fréquentes de ces personnages dans l'assiette, qui seront signalées plus loin, nous autorisent à supposer que les collecteurs normands n'étaient pas

1. Vieuille déplore ce règlement, auquel il fait remonter tous les vices constatés ensuite dans l'assiette : « De la liberté donnée aux collecteurs par la déclaration de 1635, dit-il, a commencé la mauvaise répartition qui a suivi, et qui fait qu'aujourd'hui les collecteurs n'étans pas assujettis commettent plusieurs abus et des inegalitez étonnantes dans la répartition ». Mais il ne faut pas oublier que c'est un élu qui parle. (Traité des Elections, p. 91-92.)

2. Clém., Il, 154.

3. Détail de la France, éd. Daire, p. 175.

4. B. N. fr. 7 771, 182.

5. A. D. Calvados, G. Election de Lisieux. 11 est certain que ce rôle fut rédigé par un scribe, les trois collecteurs étant illettrés.

6. Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11096, 14.

7. Clém., II, 154.

m; la taille ex nohmandie.

plus libres de choisir leur lieu de réunion que de taxer en conscience les contribuables.

Tous les règlements depuis l'origine interdisaient également à ces « personnes puissantes » d'assister à la réunion des col- lecteurs, où qu'elle se tint. Celui de 1G34 reprenait cette défense : « Nul ne pourra assister à l'assiette avec lesdits asséeurs-collec- teurs, excepté le premier notaire, sergent ou autre personne qu'ils voudront choisir pour écrire lesdites taxes x », que ce soit le greffier de l'Election, le seigneur de la paroisse, ou un « juge, officier et autre personne de quelque qualité ou condition qu'ils soient »; les gentilshommes qui enfreignent cette règle encourent la « privation de leur fief et droit de haute-justice », outre l'obligation de payer « en leurs propres et privez noms les coteparts de ceux qu'ils auront fait décharger ou modérer2». Mais en novembre 1643 les Etats de Normandie se plaignent que les commis des traitants interviennent dans l'assiette des paroisses « pour charger ou décharger plus ou moins ceux que bon leur semble3 », et le roi ne leur donne qu'une réponse éva- sive, promettant d'appliquer la règle.

Dans tous leurs mandement aux paroisses les intendant rap- pellent cette défense, preuve qu'ils la jugent nécessaire, mais les exemples de ces ingérences étrangères sont fréquents. Par- fois même elles sont devenues régulières : à Honfleur, en 1669, les habitants assemblés se plaignent que les collecteurs font l'assiette « de leur chef et en l'absence des eschevins, contre la manière accoustumée », et ils décident que les rôles seront dressés « en la présence desdits eschevins et de quelques bour- geois notables* ».

Un cas curieux de ce genre est exposé par l'intendant d'Alençon à Colbcrt le 7 novembre 1679. Dans la paroisse de Tourouvre, élection de Mortagne, le curé de la paroisse, nommé Griset,

« s'immisse et s'ingère de l'assiette des tailles et prend prétexte contre tous les collecteurs qui ont faict l'assiette des tailles de les refuser à confesse, et les faict refuser par les prêtres habitués en sa parroisse auparavant que lesdits collecteurs aient esté entendus en confession, si bien que depuis cinq années ou environ tous les collec- teurs nommés ont esté refusés et n'ont point esté à confesse sans sçavoir pour quel subjet, sinon que la plus part d'entr'eux ayant esté sollicités par ledit Griset de modérer ses parents et amis et de les descharger de leurs imposts, lesdits collecteurs n'ayant point adhéré à la prière dudit Griset, ne la croyant pas juste ny raisonnable, il a pris ce prétexte de les refuser et de les faire refuser par les prestres

1. La présence de ces secrétaires était officiellement tolérée : les mandements portent souvent, ù propos de la cotisation des taillables, la mention : les collec- teurs et ceux qui feront leur rolle » (par exemple celui de Caen, en 1678, A. D., Calv.).

2. Art. 47.

3. Cahier, art. 51.

'i. Bréard, Let archives de Honfleur, p. 124.

L ASSEMBLEE DES COLLECTEURS. 315

de la paroisse, disant qu'ils n'avoient point faict ladite assiette en leurs âmes et consciences, et le nommé M. Hubert Ygou père dudit constituant, qui de son vivant faisoit la fonction de procureur au bail- liage dudit Tourouvre, ayant esté nommé collecteur avec le nommé Jean Ghastiou et autres, ses consors pour Tannée 1676, le nommé Bouchigny un des particuliers contribuables de ladite paroisse de Tourouvre et amy particulier dudit sieur Griset s'estant trouvé haussé de huict ou neuf francs, ledit sieur Griset obligea ledit deffurit Ygou de lui mettre entre les mains une promesse de pareille somme pour estre rendue audit Bouchigny, et par ce moyen reçut l'absolution dudit sieur Griset. Mais ledit deffunt Ygou ne l'ayant point payée et s'estant trouvé malade, de laquelle il est décédé au mois de febvrier dernier, ledit Griset refusa de l'aller visiter dans sa maladie pour luy admi- nistrer les saints sacrements, disant qu'il fist ce qu'il luy avoit promis, disant qu'il l'avait attrappé une façon mais qu'il ne l'attrapperoit pas l'autre ; et en effet ledit Ygou estant décédé, ledit sieur curé refusa de luy donner la sépulture en terre sainte... et les curés circonvoisins de ladite paroisse de Tourouvre s'estant offerts de le faire enterrer en leurs églises ou dans les cimetières de leurs parroisses, ledit sieur Griset les refusa au vu et scu des frères servans de la Charité de Vil- liers, ce qui causa un très grand scandale au public et fut le consti- tuant obligé de faire enterrer le corps de son deffunt père ailleurs... Toutes lesquelles façons d'agir causent un très grand désordre dans ladite paroisse de Tourouvre et aux environs, et apportent un notable retardement aux deniers du Boy, d'autant que les habitants refusent de faire la fonction de collecteurs, voyant le mauvais traitement qui leur est fait par ledit sieur curé en les refusant de leur administrer les saints sacrements *. »

Pour éviter les fraudes commises dans la rédaction des rôles, certains intendants eurent l'intention d'assister eux-mêmes ou de déléguer un homme sûr à la réunion. Le Blanc écrit en 1680 que « dans les lieux suspects » il l'ait dresser les rôles « en [sa] présence ou d'un officier2 »; son ordonnance du 6 oct. 1676 prescrivait que, dans les paroisses dégrevées à cause de la grêle, les rôles seraient faits « en présence d'un officier de l'élection et du receveur des tailles, sans frais3». Cette intention était louable, mais elle était désapprouvée par Colbert. Il écrit à l'intendant de Tours, le 4 février 1683 : « J'apprends par votre lettre du 30 du passé... que vous avez esté obligé de faire faire [un rôle] en vostre présence, mais comme cette matière est fort délicate et que tous les règlements veulent que ce soyent les collecteurs qui fassent ces rôles..., vous devez tenir la main à ce qu'ils soyent ponctuellement exécutés... Faire faire ces rôles en vostre présence est entièrement contraire à l'esprit des ordon- nances, auxquelles vous devez toujours vous conformer 4. »

1. A. N., G^71.

2. Lettre du 22 juin 1680, A. N., G? 491. Cf. ses ordonnances de 1678, B. N. fr. 8761b,\ 191 et suiv. Il prescrit même que le rôle de Gournay sera dressé devant lui-même.

3. Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 241.

4. Glém., t. II, p. 215; cf. p. 212 et Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 230.

CHAPITRE VII DEUXIÈME PARTIE

L'ASSIETTE

I. L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. II. LA COTE DES

COLLECTEURS. III. LA COMPARAISON DE TAUX. IV. LES TAXES

D'OFFICE. V. LES REJETS. VI. L'INEGALITE DES COTES.

VII. LA RÉDACTION DES ROLES. VIII. LA VERIFICATION. IX. LES

PAROISSES REFUSANT DE FAIRE LEURS RÔLES.

I. L'ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES

Toutes les opérations décrites jusqu'ici n'étaient que le préli- minaire de la répartition entre les contribuables, ou, comme on disait, de 1' «assiette ». Suivant que celle-ci était plus ou moins bien faite, l'impôt était plus ou moins onéreux aux taillables, plus ou moins productif pour le Trésor1.

Chacun doit être taxé « suivant ses biens et facultez » : tel est le principe posé par toutes les ordonnances2. Le sens en est

1. « Le principal de l'assiette des tailles n'est pas que Messieurs les trésoriers de France dient : l'eslection de Paris portera tant, et que les esleuz de Paris dient : La paroisse de Lagny portera tant, mais le principal de l'assiette des tailles est en cette paroisse de Lagny et en toutes les autres esquelles se com- mettent les inégalitez et surtaux, de garder esgallité, de sorte que le pauvre soit soulagé, car en ce faisant on couppe la racine de tout le mal, qui ne se peut éviter autrement. » (Adcis du désordre qui est à présent à l'assiette des tailles, écrit vers 1614, B. N. Rec. Thoisy, 443, 157.)

2. L'idée d'un impôt progressif sur le revenu n'existait pas à cette époque; on admettait la même proportion entre l'impôt et le revenu quelle que fût la gran- deur de ce dernier; la tendance aurait même été de faire l'impôt dégressif, c'est- à-dire qu'un gros revenu aurait proportionnellement moins payé de taille qu'un petit, c'est par exemple ce que proposent les intendants lorsqu'ils demandent de fixer la taille d'après le prix des fermages : tandis qu'ils proposent pour les petits fermages un taux de 2 s. pour 1., ils sont d'avis de ne mettre que 1 s. ou même moins pour les fermages supérieurs à cinq cents ou six cents livres. Ainsi de Marillac écrit le 5 oct. 1684 que, quand on a affaire à des baux élevés, les 2 s. pour livre qu'il propose pour les baux ordinaires « seroient trop forts » ; les offi-

318 LA TAILLE EN NORMANDIE.

clair . l'impôt doit porter sur toutes les « facilitez du contri- buable, quelque part qu'elles soient, meubles ou immeubles, héritages nobles ou roturiers, trafic ou industrie1 ». Mais la difficulté était d'apprécier ce revenu global. Les collecteurs ne disposaient pas d'éléments comparables à ce qu'est aujourd'hui notre cadastre : comment savoir la fortune d'un commerçant, le revenu d'un rentier, le gain d'un artisan ou d'un journalier? Comment en enregistrer les perpétuelles variations? Le pro- blème, très gros aujourd'hui, était insoluble alors. Il existait à la vérité un certain nombre de documents qui auraient pu servir à cet effet : tels les livres de commerce, les actes de vente, les baux des fermes, les inventaires après décès, les» testaments, mais la législation n'autorisait pas les collecteurs à en prendre connaissance; les tribunaux ne pouvaient pas en exiger la pro- duction dans les procès relatifs à la taille, et l'esprit du temps était généralement hostile à la divulgation de ces secrets 2.

En 1570, les commissaires au légalement des tailles envoyés en Normandie ayant entrepris un dénombrement des facultés de certains contribuables, la Cour des aides protesta contre l'opération en ces termes : « prétendre faire une générale des- cription des biens et facultés de tous les habitants d icelluy pays, [est] chose non jamais advenue en ce royaume et qui est au pré- judice du bien public3 ».

En 1664, un procès fut appelé devant la Cour des aides de Paris pour savoir « si les collecteurs estoient recevables à faire compulser chez un notaire la minute d'un inventaire et autres pièces par lesquelles ils prétendoient justifier des facultez d'un particulier qu'ils a voient mis et imposé au rolle des tailles »; l'avocat général soutint et la Cour admit dans son arrêt

ciers des élections pensent comme lui qu'il faudroit que les baux au-dessus de 600 1. ne payassent que 18 d. pour liv. et que ceux au-dessous et jusques a 600 1. payassent les 2 s. pour liv >. (A. N., G7 492.) Ainsi l'on admet même en principe que les riches payent moins que les pauvres.

1. Décl. de mars 1600, art. 20; cf. l'art. 35 de celle de janvier 1634, qui est moins explicite, mais conçu dans le même esprit. Lorsque Colbert et d'autres songeaient à étendre à tout le royaume l'usage du cadastre, on ne sait s'ils voulaient imposer les seuls revenus fonciers, ou taxer en même temps les revenus d'industrie comme dans la taille réelle. Dans le premier cas, la diminution de matière imposable aurait eu sans doute des conséquences fâcheuses pour le Trésor; dans le second, l'encndastrement des revenus mobiliers avec toutes leurs variations eût été un gros problème. Dans son ouvrage, Vetlection ou de la Juris- diclion des esleus, 1618, Lebrun de la Rochette discute la question si les revenus mobiliers peuvent être imposés; il conclut négativement, < parce que bien souvent le marchand au lieu de gaigner perd, que si bien il a quelque fonds de marchan- dise en évidence, l'on ne void pas les debtes dont il est par contre débiteur... (p. 41). Mais cette opinion est exceptionnelle.

2. Cependant Bodin se déclare nettement favorable à l'évaluation des fortunes mobilières : « Il n'y a que les trompeurs, les pipeurs, et ceux qui abusent des autres qui ne veulent pas qu'on descouvre leur jeu, qu'on entende leurs actions, qu'on sçache leur vie; mais les gens de bien, qui ne craignent pas la lumière,

? «rendront toujours plaisir qu'on cognoisse leur estât, leur qualité, leur bien, leur açon de vivre. » (République, liv. VI, ch. i.)

3. De Beaurepaire, Cahiers,... règne de Charles IX, t. I, p. 235.

L ESTIMATION DES FACULTES. 319

« qu'à la vérité les hommes dévoient estre taxez selon leurs biens et facultez, mais qu'on ne peut admettre cette voye extraordinaire pour en avoir connoissances, permettre de pénétrer dans le secret des familles, et de faire de telles perquisitions, que cela estoit contre la liberté publique des François, que l'ordonnance n'ayant point receu d'autre moyen pour juger des facultez des hommes que la commune renommée, le dire d'experts et de ceux qui peuvent avoir quelque connoissance de leurs biens par leur réputation, on ne devoit point autoriser par des exemples qu'un notaire pûst estre tenu de rapporter et représenter des actes qui lui ont esté confiez et déposez dans l'asseu- rance du secret1 ».

Le rédacteur du Code de Commerce en 1673 obéissait au même sentiment lorsqu'il interdisait la production des livres de commerce : « La représentation ou communication des livres- journaux, registres ou inventaires ne pourra estre requise ni ordonnée en justice, sinon pour succession, communauté et par- tage de société en cas de faillite2. »

Les juristes qui ont commenté cet article citent des textes du droit romain3, et invoquent la répugnance commune des parti- culiers à dévoiler leur fortune : « Par ce moyen, dit Bornier, on découvre non seulement le secret et l'état des affaires des marchands et négociants qui ne subsistent que par la bonne ou mauvaise opinion qu'on en a, mais encore celui des autres familles par la liaison que les affaires des marchands ont avec elles4 ».

Cette répugnance à l'inquisition de la fortune privée est éga- lement signalée par l'intendant Basville dans une lettre au con- trôleur général du 2 octobre 1705 il donne son avis sur un projet d'impôt sur le revenu : « L'on ne doit pas croire que l'on n'ait pas une extrême répugnance à déclarer son bien et à révéler le secret de sa famille. C'est la dernière des extrémités, et si con- traire au génie de la nation, qu'il ne peut lui arriver rien de plus insupportable. Ainsi l'on doit s'attendre à des déclarations qui ne seront point sincères. Comment obliger un marchand, un homme d'affaires, un usurier, à déclarer ce qu'il a d'argent? S'il faut faire sur cela une inquisition pour les condamner au quadruple, elle sera d'une longueur infinie ; et vouloir présumer que l'on déclarera de bonne foi et sincèrement ce qu'on possède c'est présumer que les hommes seront justes et raisonnables

1. Arrêt de la Cour des aides de Paris, 22 janvier 1664, dans Dufresne, Journal des principales audiences du parlement, éd. 1678, t. II, p. 584. Cf. De Merville, Maximes, p. 59-60.

2. Ordonnance de mars 1673, tit. III, art. 9; cet article est devenu l'art. 14 de notre Gode de Commerce actuel.

3. Quid enim tam durum tamque inhumanum est quam publicatione pompaque rerum familiarum et paupertatis detegi vilitatem et invidiae exponere divitias?

4. Bornier, Conférence des Ordonnances de Louis XIV, éd. 1755, t. II, p. 462, cf. Jousse Commentaire sur V Ordonnance du Commerce, éd. 1755, in-12, p. 321.

320 TAILLE EX NORMANDIE.

dans leur propre intérêt : ce que l'on ne doit pas attendre de la plupart1. »

A. défaut de tels documents, les lois cherchaient a saisir la fortune d'un contribuable par les signes extérieurs. Le règlement de 1634 prescrivait aux collecteurs, pour faire c reconnoitre par la lecture dudit rolle si la taille aura été bien assise », d'y inscrire « la condition des cottisez, comme de juge, notaire, greffier, sergent, procureur de seigneurie, marchand, artisan, fermier de gentilhomme, des oficiers des élections, ou laboureur, et si le laboureur travaille pour lui ou pour autrui, et à combien de charues » (art. 45).

Mais il n'était pas aisé d'obtenir l'inscription de ces rensei- gnements sur les rôles avec exactitude. Dans certaines paroisses, on respectait le règlement, et nous avons des rôles ces détails sont minutieusement consignés2. Plusieurs avaient même adopté un usage qui complétait fort heureusement l'ordon- nance : c'était la publication des mutations de propriétés3. Mais ce sont-là des exceptions. En général, l'inscription était très mal faite; nulle part elle n'était contrôlée. Elle était d'ailleurs très insuffisante pour déterminer automatiquement la cote d'un contribuable : le terme de « charrue » était vague; il ne tenait pas compte des différences de fertilité des terres, ni des diverses cultures; quant aux revenus mobiliers, ils n'étaient précisés par aucune indication. Pescheur l'a bien expliqué : « L'inégalité, dit-il, ne se peut descouvrir sans scavoir au vray le bien de chaque particulier, et sa juste valeur, pour en faire le sol et marc la livre, ce qui est moralement impossible; et quand il [ne] le seroit, ne suffiroit pas, parce que les tailles estans personnelles

1. De Boislisle, Correspondance, t. H, 891. Il faut cependant observer que l'investigation de la fortune privée était admise dans les pays de taille réelle ; ainsi pour dresser le compois cabaliste, < il est requis que ceux qu'on veut cotiser pour les cabaux, meubles lucratifs, ou deniers à intérêts, à rente ou à pension, soient appelés par exploit devants lesdits prud'hommes et contrôleur de cabaux avec son commis pour jurer sur la vérité et valeur de leurs cabaux et obliga- tions » ; ils font leur déclaration sous la foi du serment, et les prud'hommes peuvent « se transporter es maisons, boutiques et métairies desdits marchands et cabalistcs, et se faire exhiber leurs marchandises, cabaux et livres de raison à quoi ils sont contraints, comme pareillement tous notaires sont contraints à exhiber leurs registres pour être faite vérification des obligations et deniers prêtés, et ainsi se juge tous les jours lesdits chefs en ladite Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier ». (D'Espeisses, Traité des tailles, dans ses Œuvres complètes, éd. de 1750, t. III, p. 341.)

2. Cf. ci-dessous, p. 373 et suiv.

3. A Rots par exemple, on trouve nombre d'actes enregistrant les mutations de terres, achats de bestiaux ou contrats de cheptel ; en voici un à titre d'exemple : « Le dimanche septiesme jour d'août mil six cents soixante et un, audience d'un contract passé devant de Rozière et Caumont thabellions à Cheux le deuxiesme jour de juillet scellé et controllé le dix-huitième jour par lequel Jean Deblé vend à Pierre Droard trois vergées de terre à Rots, délie de Champ Dolent jouste Guil- laume Le Maigre d'une part et butte d'un bout le sieur du Marcalet, par le prix et somme de deux cents cinquante livres de principal et cent soûls de vin payé comptant parce que ledit acquéreur soutrira le bail à Tassin Blouet en pavant le fermage. » (A. Mun. Rots, BB 4, 169.)

L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 321

en ces lieux, elles s'imposent non seulement en égard aux biens, mais encore à l'industrie, qui faict bien souvent un revenu plus considérable que les fonds, de manière que les asseeurs n'estans pas obligez à faire des discussions si difficiles en travaillant à ï'impost des tailles, mais a les distribuer de bonne foy à ceux qu'ilz croyent les devoir porter, et en ayans ainsi usé sincère- ment, il n'y a pas d'apparance de les rendre garandz du plus et du moins 4. »

Bien des tentatives seront faites pour obtenir une désigna- tion plus précise des facultés des contribuables; on n'aboutira jamais. En 1680, l'intendant de Caen demande qu'on oblige les collecteurs à indiquer « combien [chacun] auroit de bien en propre, combien a ferme, pour qui, si dans la paroisse, si dans une autre, ou si c'est pour son industrie », mais pour que leurs indications fussent contrôlables, il faudrait, dit-il, dresser

« un procès verbal fîdel de Testât de chaque paroisse, qui contien- droit de combien d'acres de terre elle est composée, combien il en appartient aux seigneurs, ecclésiastiques et exempts, combien en commune, herbages, labeur, bois, lande, marais et autre nature, et particulièrement combien il en appartient aux taillables ».

C'est l'établissement d'un vrai cadastre qu'il propose; mais il ose à peine en croire la réalisation possible.

« Il est constant, écrit Lallemant de Lévignen en 1732, que si la taille étoit repartie avec égalité, le fardeau en seroit beaucoup plus léger; toutte la difficulté est de trouver les moiens d'y parvenir. Il y a longtemps qu'ils ont été cherchés, et que l'on a fait différentes tenta- tives sans aucun succès, par des raisons bien sensibles que tous les peuples qui composent l'Etat étants sujets a la contribution des deniers royaux, travaillent chacun en particulier a s'en soustraire, sinon pour la totalité, au moins pour une grande partie, que tous les fonds sont d'une différente qualité et valleur, l'industrie de chaques particulliers différente, et le commerce sujet a des vicissitudes conti- nuelles3. »

Et Vieuille, en 1739 :

« Les assujettir [les collecteurs] à faire mention de la quantité des terres que chaque habitant possède en son propre ou à titre de ferme, et les habitans du dehors, en fixer le revenu, approfondir et estimer le produit de l'industrie, c'est les réduire à l'impossible par les

1. M. G. 33, 292. Cf. ci-dessous, p. 382.

2. Mémoire du 15 août 1680, A. N., G7 913. Le projet d'établir un cadastre, que Colbert étudia sérieusement, était ancien : Richelieu l'avait eu (V. le mémoire de Fabert, publ. dans Bourelly, Le maréchal Fabert, II, p. 123). On avait fait un essai en Champagne en 1657 : V. E. de Barthélémy, Statistique des élections de Reims, Rethel et Sainte-Ménehoulde... par le sieur de Terruel, dans les Trav. de VAcad. de Reims, t. 70, et Bourelly, 1. c.

3. Observations sur la taille, B. N. fr. 7 771, 170. Marillac avait déjà exprimé cette idée dans son mémoire du 5 octobre 1684, A. N. G7 492.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

21

323 LA TAILLE EN NOIIMANDIE.

difficullez de distinguer la qualité, la nature et le produit des fonds, si inégaux dans chaque paroisse, d'approfondir une industrie dans la recherche de laquelle il y auroit des écueils et des injustices infinies contre l'intérêt que l'on a de ménager le commerce, de ne blesser ni arrêter les talens naturels des particuliers, qu'il faut regarder comme les serviteurs domestiques de l'Etat. Rendre sur tout cela les collec- teurs les maîtres, c'est toujours la taille arbitraire comme elle est, et on tomberoit dans de plus grands inconvéniens, rien n'étant si trom- peur que le commerce1. »

Il y avait cependant un cas particulier les collecteurs pou- vaient fixer mathématiquement la cote d'un contribuable, c'était quand il s'agissait d'un fermier : le prix de son bail si du moins il n'avait pas d'autres ressources que sa ferme était un indice de ses facultés. Sans doute, il y avait des nuances à observer : Lallemant de Lévignen fait judicieusement remarquer qu'un fermier de bonnes terres, comme celles du pays d'Auge, ne sera relativement pas plus chargé d'impôt au taux de 50 p. 100 du prix de son bail, qu'un fermier de mauvais pays, par exemple dans le Perche, au taux de 25 p. 100 2. Mais en gros, on pouvait proportionner la taille au fermage sans grande chance d'erreur.

La Cour des aides de Rouen, par ses arrêts des 28 janvier 1619 et 4 décembre 1627, avait décidé que les privilégiés prenant des biens à ferme en sus de la quantité qui leur était accordée en franchise seraient imposés sur le pied de 25 pour 100 du prix de leur bail3. Pareillement, le règlement d'août 1664, art. 30, statuait que « les ecclésiastiques dérogeant et prenant des terres à ferme, lesquels font valoir leurs biens de patri- moine et d'acquêts, seront imposez au rôle des tailles au quart de la valeur du revenu des fermes qu'ils tiendront* ». Les inten- dants, en certains cas particuliers, taxent ou font taxer les fer- miers d'après leurs baux : Voysin impose au quart du revenu de leurs fermes les bourgeois de Rouen qui cultivent des biens à la campagne 5. En 1677 son collègue de Caen voulant exactement taxer d'office les officiers royaux non exempts dit qu'il fait lui- même une évaluation de leur revenu foncier, pour les imposer au dixième, mais il reconnaît que si c'est « le pied commun sur lequel la taille peut s'estimer estre imposée en cette pro- vince dans les villes » habitent ces officiers, la proportion est beaucoup plus forte à la campagne s. En 1684, Marillac, embar-

1. Traité des élections, p. 297-298.

2. Obsero. sur la taille, B. N. fr. 7 771, 172.

3. Le premier de ces arrêts est mentionné dans le règlement d'août 166), art. 30. Le second se trouve dans le Recueil d'édité sur la taille, A. N. AD™ 471, p. 17.

4. Il est à noter que le règlement était spécial à la Normandie; dans le ressort de la Cour des Aides de Paris, la déclaration du 12 février 1663 prescrivait sim-

{ dément que les ecclésiastiques dérogeant fussent imposés « en égard a leurs acultez ».

5. Mémoire sur la généralité de Rouen en 1665, p. 137.

6. Lettre à Colbert, 31 décembre 1677, A. N. G7 213.

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L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 323

rassé pour imposer les contribuables exploitant des terres hors de leur paroisse, propose de leur faire payer 10 p. 100 du prix de leurs baux s'ils sont fermiers à moins de 600 1. et 7,5 p. 100 au-dessus de 600 l.1; son avis ne sera du reste pas suivi. Bou- lainvilliers déclare que « communément » en Normandie la taille monte à 3 s. pour livre du fermage : une ferme de 500 1. est imposée 75 1. . M. de Fougerolles assure aussi que, en diverses paroisses du Vexin, on impose la taille « a raison de trois ou quatre sols du fermage3 ». Les différences énormes entre ces tarifs (ils varient de 25 à 7,5 p. 100), montrent l'incertitude des répartiteurs dans l'utilisation de ce procédé.

La nécessité d'une base de taxation apparaissait surtout lors- qu'un contribuable intentait un procès pour être dégrevé. En ce cas les règlements prescrivaient l'enquête par témoins ou par experts4. Les commissaires au régalement des tailles, en 1634, avaient cherché à établir une procédure certaine : les experts, d'après leur Instruction, devaient être choisis au nombre de « quatre ou cinq des plus gens de bien de la parroisse, dont l'un sera le curé ou le vicaire d'icelle », prêter serment et déclarer « les moyens, facultez et vacations » des intéressés5. Peut-être aurait-on pu, en développant ce système, arriver à des résultats heureux; mais après la disparition des commissaires, il fut abandonné. La Cour des aides tendait de plus en plus par sa jurisprudence à éliminer les preuves matérielles pour s'en rapporter à la « commune renommée ». Sa doctrine a été résu- mée en 1778 par l'avocat général dans un plaidoyer relatif a une comparaison de taux 6 :

« Les règles sont que, pour prononcer sur les impositions du deman- deur et du défendeur en cotte, les experts ne doivent prendre d'autres instructions que de la commune renommée : ces instructions

1. Cf. ci-dessus, p. 317, note 2.

2. Mémoires présentés au duc d'Orléans, t. I, p. 100. L'arrêt du Conseil du 15 mars 1720 établissant la taille proportionnelle dans l'élection de Bernay fixe le taux d'imposition à 2 s. pour Ht. du revenu des terres.

3. Ibid., II, p. 149. Mémoire de 1711.

4. Edit de mars 1600, art. 4 et 6. Cette procédure est déjà prescrite par une ordonnance de 1302 : « Len s'enfourmera par loial gent qui plus doivent savoir l'estimation des héritages et des biens de chascun et ainsinc ensuivre resonable- ment la renomme de sa richece ». (Ordonnances des rois de France, t. I, p. 371).

5. Règlement des Commissaires, du 16 mai 1634, art. 10, dans Ducrot, Traité des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 483. Cette procédure est indiquée spécialement pour taxer les faux exempts. Cf. le règlement de 1597, art. 17 : pour supprimer « l'inégalité dont usent lesdits assiéteurs des paroisses au fait de leurs rôles et assiette », il est prescrit aux asséeurs, en cas de contestations, de « dresser procès- verbal des biens meubles qui se trouvent es maisons tant du complaignant que de celui sur lequel on se plaindra, interroger les parties sur leur position et héritages, avec serment de n'en receler aucune, et outre ce prendre pour rétablir les impôts dont sera question l'avis de trois notables paroissiens des paroisses circonvoisines non suspects aux parties qui en leur présence prêteront serment par devant lesdits élus ».

6. Sur la comparaison de taux, voir ci-dessous, p. 332 et suiv.

3J4 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

suffisent parce que les impositions du fait des collecteurs sont censées avoir été faites, et l'ont en effet été, d'après les connaissances que la commune renommée leur a données des biens et des facultés de chacun des taillables qu'ils ont imposé en leur âme et conscience : qu'ainsi lorsqu'il s'agit de confirmer ou réformer leur ouvrage, il est raisonnable de suivre la même marche que celle qu'ils ont prise eux- mêmes. Ce seroit renverser tout l'ordre du droit des tailles que d'introduire l'usage que des parties instruisent leurs experts par des déclarations de biens... Si l'on faisoit, ajoute-t-il, l'estimation d'après un arpentage des biens et une déclaration en règle du revenu mobilier, il en résulteroit les plus grands inconvénients de ces formes de pro- céder, en ce qu'elles seroient et peu propres à faire connoitre sûre- ment les biens et facultés des parties, et qu'elles seroient ruineuses pour les parties, car enfin ces formes de procéder sur des déclarations de biens occasionneroient des productions sans fin et des écrits sans nombre; les justifications deviendroient volumineuses, et on ne s'en contenteroit point encore; on en viendroit à des procès-verbaux d'arpentages, peut-être à des procès-verbaux d'accession de biens et de descente déjuge; un seul procès ruineroit des familles entières. »

Le jurisconsulte Loisel de Boismare, qui rapporte ce plaidoyer, conclut : Les experts ne peuvent « se procurer des connaissances à cet égard autres que celles qu'ils ont de leur chef; il leur est très étroitement défendu de se faire remettre des déclarations de biens, et de se livrer à aucune estimation de fonds; ils doivent agir uniquement d'après leur propre connoissance ou d'après la commune renommée. La Cour des aides de cette pro- vince a consacré ce principe par plusieurs décisions1. »

Une autre forme de preuve usitée dans les Élections est le serment des intéressés; on l'emploie pour savoir d'un débiteur ce qu'il doit à son créancier, et réduire sa taille en conséquence; par exemple, le 20 avril 1661, un collecteur de Lintot ayant assigné Jean Leclerc devant l'Election de Caudebec pour savoir « quels deniers il doib à Guillaume Lucas », Leclerc déclare par serment « tenir pour 27 1. de fermage par an dudit Lucas et de Claude Adam de la Trinité du Mont, payables Pasques et Saint-Michel, et a commencé la jouissance dudit héritage au jour de Saint-Michel dernier, et a payé la première demi-année par advance, ne doibvera rien jusques à la Saint-Michel, déclarant que dudit fermage Isaac Colleville doibt en recevoir la moitié, et de l'autre moitié ledit Guillaume Lucas, Claude Adam, et Jean Gringoire d'Alvimare la reçoivent par tiers comme à eux appar- tenant, et doibt de l'antien bail trois termes sur lesquels il y a arrest par Charles Baudry de Lintot, Michel Adam de Lintot,

1. Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des Tailles, t. I, p. 415 et suivantes ; l'auteur renvoie à deux arrêts de la Cour des Aides des 7 février 1757 et 3 février 1778 : dans l'ensemble du royaume l'usage des pièces justificatives fut prescrit par arrêt du Conseil du 5 juillet 1707, mais cet arrêt ne fut pas appliqué. (Vieuille, Traité det Election», p. 253).

L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 325

Nicolas Gouette de la Trinité du Mont, Jean Guibert de Lintot, Isaac Golleville d'Ivetot1 ».

Mais tous ces procédés ne sont pas normalement à la dispo- sition du collecteur, qui doit se fier à sa propre appréciation, à la notion plus ou moins confuse qu'il a des facultés de ses concitoyens. C'est pourquoi les règlements lui prescrivent toujours d'opérer « en ses âme et conscience », « le plus juste- ment qu'il se pourra », sans plus de précision. Mais les obliger, comme dit Vieuille, « de faire la répartition en leur honneur et conscience, de garder l'égalité entre les taillables, qu'ils doivent imposer chacun à raison de leurs facilitez, quelque part qu'elles soient, meubles et immeubles, héritages nobles et roturiers, trafic et industrie, n'en omettre aucuns, soulager les pauvres et faire tout avec justice2 », est facile à prescrire, mais impossible à contrôler. La seule base matérielle sur laquelle on puisse fonder un jugement est la cote de l'année précédente ; augmenter ou diminuer un contribuable à proportion de ce que la paroisse a été augmentée ou diminuée, est, au demeurant, comme à tous les degrés de la répartition, le plus sûr moyen de ne pas faire d'injustice trop criante. Les ordonnances en font une règle en certains cas spéciaux comme pour empêcher qu'un collecteur décharge trop ses parents et amis, ou qu'il soit lui- même surchargé par vengeance de ses successeurs, ou pour fixer l'impôt d'un contribuable récemment sorti de la paroisse. Mais l'insuffisance du procédé est plus grande encore que pour la taxation d'une élection ou d'une paroisse : il tend à perpétuer les injustices, et il enlève toute souplesse à l'impôt; si le contri- buable augmente sa fortune, il peut maintenir malgré cela sa cote; si au contraire il s'appauvrit, l'impôt précipite sa ruine. Un pareil système appliqué à la rigueur pendant longtemps détrui- rait l'impôt même. Il faut donc laisser aux collecteurs la liberté de modifier les cotes ; mais alors, et on en revient toujours là, l'assiette est livrée à leur arbitraire, l'imposition est faite non d'après les facultés du contribuable, mais d'après l'opinion que le collecteur a de ces facultés.

Le gouvernement, connaissant ce défaut, avait de très bonne heure aperçu la nécessité de surveiller les collecteurs, et les élus en avaient d'abord été chargés. Les règlements leur en faisaient un devoir strict3; mais on avait bientôt constaté que le remède était pire que le mal; voici ce qu'un élu a publié à ce sujet :

1. A. D. Seine-Inf., G 2'483.

2. Traité des Elections, p. 251.

3. L'Advis au roi du désordre qui est a présent a Vassiette des tailles et de Vordre qu'il y faut apporter, rédigé vers 1614, propose comme remède aux inéga- lités constatées dans les cotes des contribuables de faire dresser les rôles par les élus « avec l'advis des asseeurs-collecteurs », et sous le contrôle des tréso - riers de France. La proposition est longuement développée, de façon à en pré- senter les avantages; mais la principale objection, qui est l'improbité des élus et trésoriers de France, n'est pas envisagée. (B. N. Rec. Tboisy, 443, 157).

M LA TAILLE EN NORMANDIE.

« S'il estoit loisible a tous esleuz faisans leurs chevauchées de réduire et modérer tous taillables a leur fantaisie, il ne faudroit plus d'assiet- teurs, n'y remettre les assiettes a leur légalité et conscience : les esleuz gasteroient tout... 11 n'y a celuy entre les riches d'une parroisse

2ui n'ait des parens et des amis, ou qui ne peust faire quelque grati- cation pour estre deschargé : par ainsi ne se trouveroient en fin que les pauvres défavorisez qui demeureroient accablez sous le faix de la taille. C'est le meilleur de laisser la taxe et cottization des contri- buables a la discrétion et conscience des collecteurs K »

Ces mots, écrits en 1622, étaient encore plus vrais en notre temps, après toutes les taxes et vexations infligées aux élus.

Mais leur substituer les intendants pour ce contrôle était impossible. Un commissaire-départi ne pouvait pas examiner chaque année tous les rôles de sa généralité. L'eût-il pu. qu'il n'aurait eu aucun moyen de savoir s'ils étaient bien ou mal dressés. Il ne pouvait même pas recevoir toutes les plaintes des contribuables, ni examiner toutes celles qu'il recevait, ni faire toujours justice. Il était incapable de pénétrer dans ces détails, et il n'avait personne pour le seconder.

Nous avons un très grand nombre d'aveux de cette impuis- sance. Leblanc écrit à Colbert le 22 juin 1680, au sujet des col- lecteurs : « Il est impossible d'empescher qu'ils ne favorisent leurs amis et qu'ils ne se vengent* »; et l'intendant de Paris en 1690 :

« J'avoue que ce seroit un grand bien, si l'on pouvoit fixer dans une uste égalité ce que chacun doit porter; j'y ai souvent fait réflexion, mais l'usage m'apprend que rien n'est plus difficile à exécuter, parce qu'il n'est pas aisé d'avoir une entière connaissance des biens et facultés des particuliers, et qu'il est rare que les cotisables demeurent longtemps avec le même bien ou avec les mêmes terres... Je crois qu'il est bon de ne rien changer à l'usage établi3. »

Auber dira pareillement en 1721 : « Il est très certain qu'il n'y a que les contribuables qui puissent, en travaillant de concert entr'eux, trouver et établir » la juste répartition de l'impôt*. D'autre part le contrôleur général Chamillart écrira en 1/05 : « Il seroit à désirer que l'on pût changer la forme des imposi- tions; le pouvoir absolu que les collecteurs ont de régler les taux de chaque particulier selon leur passion ou leur intérêt fait un désordre inexprimable5 ». Dans l'arrêt du conseil du 5 juillet 1707, le roi reconnaît que jusqu'ici il n'a pu empêcher les abus des collecteurs qui, « sans garder dans la confection de leurs rolles

1. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 47.

2. A. N., G^ 491.

3. Lettre au contrôleur général du 21 ayril 1690, dans de Boialisle, Mémoire de rintendant de Paris, p. 523-524.

4. A. N. AD« 470, pièce 98, p. 13.

5. De Boislisle, Corresp. des Conir. généraux, t. II, p. 563.

L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 327

une juste proportion par rapport aux biens et facultez des contri- buables, surchargent souvent les plus pauvres et diminuent les cottes des plus aisez, les uns par animosité, les autres par intérêt ou par crainte de l'autorité qu'aucuns particuliers se sont acquis dans leur paroisse », et il prescrit de faire redresser les rôles jugés mauvais par des personnes de confiance désignées par l'intendant1. Dans un autre arrêt du 19 décembre 1716, le roi déclare qu'il établit la taille proportionnelle parce qu'en dépit des règlements portant « que la justice et l'égalité seront exactement observées dans la répartition des impositions sur les taillables », « la plupart des collecteurs et asséeurs, au lieu de suivre cette règle et répartir la taille en leur âme et conscience, se sont injustement arrogé la faculté arbitraire qu'ils ont exercée jusqu'à présent de cottiser les taillables selon leur passion, leur caprice ou leurs intérêts2 ». Ainsi, impossibilité de s'en rapporter aux collecteurs, impossibilité de les remplacer : telle est la conclusion à laquelle on aboutit toujours.

Les citations qui précèdent sont empruntées à des admi- nistrateurs et à des actes officiels; j'ai éliminé toutes les cri- tiques de personnages privés qui pourraient être suspectés; mais si l'on veut relire ces critiques, on verra qu'elles n'y ajoutent

1. A. D. Somme, G, 1104.

2. A. N. ADIX 470, pièce 98, p. 69. Dans tout le cours du xvni* siècle, le gouver- nement fera des efforts incessants pour remédier à cette inégalité fondamentale, mais il n'aboutira pas. En 1788, un auteur anonyme bien renseigné écrit : « Les collecteurs qui font seuls, le rôle imposent à leur gré chaque contribuable, et presque toujours sans expliquer les motifs qui ont servir de base à leur taxe : j'ai dit presque toujours, et en effet il est on ne peut plus rare que leurs opéra- tions contiennent les renseignements et les détails prescrits par nos loix ». (Essai sur la répartition de la Taille, A. N. AD1* 470, pièce 170, p. 17), et Moreau de Beau- mont écrit en 1787 : « Les collecteurs, qui font seuls le rôle, n'ont le plus souvent ni les lumières ni la volonté nécessaires pour bien opérer; le taux auquel ils imposent les contribuables n'est fondé sur aucun principe, ni sur aucune pro- portion; leur opération ne renferme aucun détail ni motif; les édits des mois de mars 1600 et janvier 1634... leur enjoignent, à la vérité, d'insérer dans leurs rôles à chaque cote la condition du cotisé, ses biens et exploitations, tant en propre qu'à loyer, et autres facultés, par article séparé, afin qu'on puisse reconnoitre par la lecture du rôle si la cotte aura été bien assise, et si les cottes de chaque rôle sont en proportion les unes avec les autres ; mais cette proportion ne peut être établie que par des évaluations exactes des objets sur lesquels porte le taux; comment y parvenir sans des règles fixes? Gomment éviter l'arbitraire dans la répartition, si le travail n'est point fondé sur une base certaine et invariable ? » (Mémoires concernant les impositions, t. II, p. 59). Necker dira de la taille per- sonnelle dans son Compte rendu de 1781 : « Quelque soin qu'on y apporte, quel- que modification qu'on adopte, la répartition de cette espèce de taille ne pourra jamais avoir pour base qu'une opinion plus ou moins éclairée; et il seroit à désirer que l'on pût renoncer à cette espèce d'imposition ou parvenir à la déna- turer, car il faut regarder comme contraires à l'ordre et au bonheur public, toutes celles dont la mesure et les proportions sont arbitraires ». Enfin, le roi lui-même déclarera devant l'Assemblée des notables de 1787, dans cette sorte de confession il avoue son impuissance à gouverner : « La répartition des impôts n'a aucune base certaine... rien n'a pu jusqu'à présent garantir de l'arbitraire, et l'injustice s'est encore accrue par le crédit, la faveur, la protection qui ont affranchi d'une partie de la contribution les riches propriétaires, tandis que la classe la moins aisée en a supporté toute la rigueur ». (Collection des Mémoires présentés à l'assemblée des notables, premier Mémoire, p. 14.)

3M LA TAILLE EN NORMANDIE.

guère, et qu'on peut adopter sans réserves la conclusion de Vauban :

a Ce qu'on a toujours trouvé à redire dans l'imposition des tailles, et à quoi les ordonnances réitérées de nos rois n'ont pu remédier jusqu'à présent, est qu'on n'a jamais pu bien proportionner l'imposi- tion au revenu, tant parce que cette proportion demande une connois- sance exacte de la valeur des terres en elles-mêmes et par rapport aux voisines, qu'on n'a point pour l'ordinaire, et qu'on ne se met pas en peine d'acquérir, à cause qu'il faudroit employer trop de temps et de peines; que parce que ceux de qui dépendent les impositions ont toujours voulu se conserver la liberté de favoriser qui il leur plairoit dans les pais la taille est personnelle l. »

II. LA COTE DES COLLECTEURS

Les collecteurs n'étaient pas libres de se taxer à leur gré, eux et leurs parents. L'art. 50 de la déclaration de janvier 1634 disait : « Les asséeurs-collecteurs ne se pouront cotiser à moins, ni leurs parens et alliez, en l'année de leurs charges, qu'ils étaient l'année précédente, ou sur le pied de leur cotte, au cas que la taille eût été augmentée ou diminuée 2 » ; c'est-à-dire que leur imposition ne pouvait varier qu'avec celle de la paroisse3. Cependant l'ordonnance ajoute : Lorsque les collecteurs ou leurs parents auront « souffert quelque notable perte en leurs biens, commoditez et profits », ils pourront être dégrevés; mais en ce cas il appartient aux élus, assemblés au nombre de trois au moins, de leur adjuger la diminution. Pour toute contraven- tion, l'amende prononcée sera égale à la somme dont le collec- teur se sera injustement diminué.

Ce règlement fut rappelé chaque année aux contribuables par les mandements des intendants; il était spécifié que, si les collec- teurs suivaient cette règle, ils ne pourraient être ensuite assi- gnés en cote et comparaison de taux par les contribuables, « sauf en cas qu'ils ayent commis des abus dans l'assiette et confection de leurs rôles4 ».

1. Dix me royale, éd. 1707 in-12, p. 40.

2. Un arrêt du Conseil du 4 sept. 1647, analysé dans le C. d. T., I, p. 310, auto- risa les collecteurs à se diminuer de la moitié de leur imposition, s'ils étaient cotisés à moins de 100 1. l'année précédente; si leur taxe était de 100 à 400 1., ils pouvaient se diminuer jusqu'à 100 1. et si elle dépassait 400, ils pouvaient se donner une réduction de 100 1. sur leur taux. Mais la Cour des Aides de Paris rendit, contrairement à cette disposition, un arrêt du 22 février 1659 qui réta- blissait le règlement de 1634 (La Poix de Freminville, p. 242). L'arrêt du conseil de 1H47 était, dit Vieuille, « d'une trop dangereuse conséquence, la liberté des collecteurs trop étendue pour être tolérée » {Traité des Elections, p. 322-3).

3. Sous le nom de parents le législateur englobe tous les membres de la famille, jusqu'aux cousins germains inclusivement. Vieuille, p. 322 et Règlements de Normandie, p. 53-54.

4. Mandement de l'int. de Rouen, pour la taille de 1673, A. D. S.-Inf. C, 2215.

LA COTE DES COLLECTEURS. 329

Cependant rien n'était plus courant que cette pratique de la part des collecteurs ; elle ne leur semblait même pas répréhen- sible. Un manuel de confession, publié en 1680, attire l'atten- tion du prêtre sur les collecteurs des campagnes, « qui eux- mêmes se déchargeront, et croiront que cela leur est licite, puisque c'est à eux à faire l'imposition, et que le rabais de leurs cottes est la moindre récompense de leurs peines à faire la collecte, et ils ne s'en confesseroient pas, bien qu'ils fussent obligez à la restitution envers ceux qu'ils auroient surchargez pour se soulager eux-mêmes ou leurs parents1 ». Les procès mus devant les Elections et la Cour des aides nous révèlent une foule d'abus de ce genre2 :

En 1661, Jean Lesage, collecteur du Lorey (élection de Cou- tances) réduit à 200 1. son imposition qui, l'année précédente, était de 418 1. ; par contre, deux taillables de sa paroisse, Jean et Pierre Ledo, père et fils, ont vu passer leur cote de 46 à 247 1. L'affaire, qui était d'importance, va jusque devant la Cour des aides, qui, par arrêt du 6 février 1662, ordonne « que ledit Lesage se rechargera de la somme de 200 1. au proffit et dimi- nution de l'impost desdits Ledo, dont la ligne demeurera d'au- tant deschargée » ; en outre Lesage est condamné à 100 1. d'amende et aux dépens, et il « tiendra prison fermée jusque au plain et entier payement de ladite somme3 ».

En 1662, Nicolas Leborgne, « principal collecteur » de Valli- querville (élection de Caudebec), a diminué son impôt de 15 1. par rapport à l'année précédente; assigné devant l'Election par un contribuable pour en répondre, il dit « que la diminution par luy prize luy a esté accordée par deslibération de la genera- litté, authorisée par sentence » de l'Election; néanmoins il est condamné à payer les 15 1., et le rôle de la paroisse devra être refait en conséquence4.

En 1670, à Fouilloy (élection de Neufchâtel), un des collec- teurs, Adrien Delamare, imposé l'année précédente à 80 1., a réduit sa cote à 30 1., « par l'advis, dit-il, de Frémis Poessonnier et les autres collecteurs, suivant le pouvoir des habitans et sen- tence de MM. les esleus en date du 3 décembre »; mais un autre contribuable, Noël Delamare, imposé à 257 1. 10 s., l'attaque devant l'Election pour cette diminution, puis un accord inter- vient entre eux, qui est homologué par les élus : Adrien Delà- Cette dernière clause est inspirée par l'art. 37 de la déclaration d'août 1664. Cf. Fareillement les mandements de la généralité de Gaen, A. D. Calvados, fonds de Election de Caen; un mandement de Leblanc, B. N., fr. 8761"", 32, etc.

1. Les peschez cachez de chaque chrétien en l'exercice de sa profession.... par le sieur D. A. E. P. D. S , Paris, 1680, in-12, p. 111.

2. Sur les questions de droit relatives à ces procès : qui a droit de les intenter, à qui est attribuée la somme réimposée, à qui les dépens, etc. Voir Vieuille, p. 322-328.

3. A. D. S.-Inf. Plumitif des audiences de la Cour, à la date du 6 février 1662. . Plumitif de l'Election de Caudebec, du 7 février 1662 : A. D. S.-Inf. C, 2484.

330 LA TAILLE EX NOIt.MAXDIE.

mare s'augmente de 20 I., à la décharge de Noël, et tout le monde se déclare satisfait1.

L'Election de Falaise, en deux audiences seulement, les 2 et I) octobre 1G77, juge sept procès relatifs à des cotes de collec- teurs : ceux de Martigny se sont diminués de 18 1. 9 s., ceux de Vouilly, de 8 1. ; ceux de Saint-Maurice, de 64 1. 15 s. ; à Saint-Pierrc-sur-Dive, les collecteurs, leurs cousins, gendres et fermiers, au total 13 contribuables, se sont dégrevés indûment de 37 1. 16 s. Au Sac (aujourd'hui commune d'Angoville), un seul des collecteurs s'est diminué de 33 1.; a Douville, deux collecteurs se sont diminués de 7 1. 3 s. et se sont abstenus d'inscrire au rôle une de leurs cousines, etc. En général, l'Élec- tion accorde à ceux qui ont intenté le procès la diminution que les collecteurs avaient indûment prise, mais aucune amende n'est prononcée. On trouve d'autre part un assez grand nombre de procès les plaignants, n'apportant pas de preuves suffi- santes, sont déboutés de leur requête; l'attrait d'un dégrèvement possible engageait sans doute beaucoup de taillables à intenter des procès téméraires i.

Les élus avaient tout intérêt à entretenir cet abus, car « le meunier cherche toujours du grain à moudre », comme l'ex- plique l'intendant de Bourges le 3 août 1680 : « Les esleus favo- risent beaucoup cet abus, parce qu'il produit des procès dans leur jurisdiction3 ». On a vu comment ces procès prenaient naissance dès la réunion des collecteurs pour dresser les rôles4. Ils étaient une grande cause de haines et de rivalités sans fin dans les paroisses. L'auteur du mémoire sur les fonctions d'intendant pour M. d'Orsay, en 1690, jugerait bon « de per- mettre aux collecteurs de se diminuer, eux et leurs parens au degré prohibé, de 10 sols plus ou moins », attendu, dit-il,

1. Rôle de la paroisse, A. D. S.-Inf. C, 2679. A en juger par les indications données au rôle, il subsistait encore une grande inégalité entre ces deux contri- buables : Adrien, qui paye 50 1., possède en propre < une maison, masure de 5 acres 1/2 de terre, 2 chevaux, 3 testes a lainne, une vache », et Noël, imposé à 237 1. 10 s., est < propriétaire d'une maison, masure de 10 acres de terre à la solle, faisant une charrue, 4 chevaux, 2 vaches et 20 moutons ». Ses biens sont environ le double de ceux d'Adrien, et il paye 4 fois 1/2 plus d'impôt. Il faut observer que le rôle semble avoir été écrit de la main même d'Adrien Delamare, qui est le seul des quatre collecteurs à savoir signer.

2. A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif. Voici le principal de la sen- tence prononcée contre le collecteur du Sac, qui est dégrevé indûment de 33 1. : le rabais est « adjugé » aux trois contribuables qui l'ont poursuivi, « a laquelle fin lesdits collecteurs leur en feront diminution sur leurs imposts et creues a proportion et au marcq la livre, suivant les billetz qui leur en seront dellivrex par nostre greffier, et en cas qu'ils ayent payé entièrement leurs imposts, con- damnez a leur rendre conformément auxdits billetz, et sera ledit collecteur rechargé dudit rabais par les collecteurs de l'année prochaine ».

3. A. N. G7, 124. Il a rendu une ordonnance pour y remédier, mais il la juge insuffisante, et désirerait voir « deffendre aux esleus de vérifier les rooles dans lesquels les collecteurs se seroient diminués, sur peine d'interdiction ».

4. Ci-dessus, p. 312.

LA COTE DES COLLECTEURS. 331

qu'il est impossible d'empêcher que les collecteurs ne le fassent d'eux-mêmes *'.

Un collecteur qui s'était indûment diminué risquait natu- rellement de se voir surcharger l'année suivante. Même s'il n'avait pas commis d'injustices dans l'assiette, il était exposé aux vengeances de ses successeurs : quiconque croyait avoir été surtaxé pouvait, quand il était collecteur à son tour, rendre la pareille à celui dont il avait eu à se plaindre; et les procès et les haines se perpétuaient2. Plusieurs intendants avaient essayé de remédier à ce mal en étendant la défense d'augmenter un contri- buable a l'année qui suivait sa collecte : Barin de la Galissonnière l'avait fait à Orléans en 1665, et il proposait à Colbert de géné- raliser la mesure : « Par ce moiens, dit-il, vous remédierez aux vengeances qu'on exerce tous les jours contre des pauvres collec- teurs quand ils ont bien fait leur devoir3. » Lorsqu'il fut passé dans la généralité de Rouen, il y introduisit cet usage*, auquel la déclaration du 20 mars 1673, article 6, donna force de loi dans le ressort de Paris, et celle du 20 août suivant, art. 5, en Normandie : « Pour éviter, était-il dit, que les particuliers qui se prétendront surtaxés n'exercent leur vengeance contre les collecteurs, nous ordonnons qu'ils ne pourront estre taxés en l'année suivante qu'à la somme qu'ils portoient l'année avant leur nomination à la collecte, avec l'augmentation au sol la livre, s'il y en a sur les impositions; comme aussi à cause des successions qui leur pourront arriver et des augmentations de leurs exploitations. »

Toutefois, les vengeances n'étaient pas une conséquence nécessaire de l'arbitraire des collecteurs. Les accords fraudu- leux entre collecteurs de différentes années étaient aussi fré- quents : ils portaient en Normandie le nom de « compensations ». L'intendant de Caen les dénonce dans son mandement de 1675, en ordonnant aux élus de les empêcher : ordre dont la ponctuelle exécution n'était pas assurée.

l.B. N., fr. 11096, 55.

2. Cf. un sermon du curé Joseph Lambert, adressé aux gens de la campagne; il stigmatise en ces termes ce désir de vengeance : « Ceux qui payent la taille [doivent] se précautionner contre la vengeance. Ne le pensez-vous pas, ne le dites-vous pas, et ne l'exécutez-vous pas? La pensée est criminelle, vos discours témoignent que votre cœur s'accorde avec vos pensées, l'exécution est la consom- mation du péché. Vous vous proposez donc de vous venger, on vous entend dire que vous aurez votre tour, que le collecteur tombera sous vos mains : et vous vous tomberez sous les mains terribles de Dieu... » (Instructions courtes et fami- lières sur les évangiles... en faveur... des gens de la campagne, Paris, 1721, in-12, p. 503.)

3. Lettre à Colbert, 23 nov. 1665, M. C, 133, 540. Son ordonnance, rendue au moment du département de cette année, portait que les collecteurs « ne pour- roient point estre imposés l'année d'après leur collecte a plus haut taux de taille (et de sel) que celuy qu'ils portoient l'année quy a précédé immédiatement celle de leur collecte, sy ce n'est qu'en connoissance de cause ils ne soient taxées d'office par le commissaire departy ».

4. Mandement aux paroisses pour la taille de 1673, A. D. S.-Inf. C, 2215.

332 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

III. LA COMPARAISON DE TAUX

Lorsqu'un contribuable n'est pas taxé à son juste chiffre, les ordonnances prévoient la procédure à suivre pour réformer sa cote : s'il se juge trop imposé, il introduit une instance devant l'élection, en recourant à la « comparaison de taux1 »; si au contraire il est trop peu imposé, les agents du roi interviennent pour l'augmenter, au moyen d'une « taxe d'office ».

Réduire la cote d'un contribuable serait une mince affaire avec un impôt de quotité, le Trésor supportant seul les consé- quences de la réduction ; mais la taille étant un impôt de répar- tition, il faut que la somme imposée sur la paroisse soit inté- f oralement payée : tout dégrèvement d'un contribuable entraîne e rechargement des autres ; une cote ne peut être diminuée sans qu'une ou plusieurs autres soient augmentées de la même somme. Comment opérer ce déplacement d'impôt?

Dans le ressort de Paris, on use de l'« action en surtaux » : le contribuable intente un procès contre la paroisse entière devant l'Election : les échevins ou syndics, représentant la collec- tivité, défendent l'assiette établie par les collecteurs, qui, censés avoir fait le rôle « en leur âme et conscience », ne sont pas personnellement responsables des cotes inexactes. Si les élus font droit à la requête, la somme dont le contribuable est déchargé est répartie sur tous les autres et levée comme leur taille propre.

En Normandie, une autre procédure est en vigueur : elle porte le nom de « comparaison de taux » ou « action en cote et réduction de taux ». Elle est décrite par l'intendant Voysin dans son Mémoire de 1665 :

« Un particulier taxé par le collecteur ne peut se faire diminuer que par la voie de cotte et réduction contre un ou plusieurs parti- culiers qu'il prétend estre soulagez en leurs imposts, et devoir porter ce dont il est surchargé. Il les faict assigner devant les esleus en réduction, qui font convenir les parties de tesmoings réducteurs, lesquels estiment les facultez des uns et des autres, et sur leur esti- mation les esleus donnent leur jugement 2. »

1. Du Chalard, rem. aur l'art. 123 de l'ordonnance d'Orléans, janvier, 1560, dans Néron, I, p. 416 : « Celui qui se pense surtaxé par les asseeurs il en peut appeller, aussi que les sujets d'un seigneur peuvent recourir au Roy et sa justice, si tel seigneur les oppresse et foule par trop... »

2. Mémoire de Voysin, p. 88. Cf. la définition, très claire, de Domat, Le droit public, dans ses Œuvre», éd. 1/56, II, p. 31.

LA COMPARAISON DE TAUX. 333

La procédure de la comparaison de taux est réglementée par l'article 37 de la déclaration d'août 1664 :

Seuls ont le droit d'intenter une action en comparaison ceux qui sont imposés à 10 1. au moins '; de la sorte on supprime les procès dont les frais seraient supérieurs au montant du litige.

Avant d'intenter l'action, le contribuable doit payer par provision la somme à laquelle il a été imposé; ainsi le recou- vrement des deniers royaux est assuré, et le contribuable est détourné d'engager un procès téméraire2.

L'action ne peut être intentée contre les collecteurs pendant qu'ils sont en fonction, « sauf en cas qu'ils aient commis des abus en l'assiette et confection de leurs rôles, et [sauf à] se pourvoir à l'encontre d'eux l'année suivante, par les voies ordi- naires et accoutumées pour lesdits abus ». L'intendant d'Aligre en 1638 ayant déchargé de poursuites les collecteurs de Caren- tan 3, un arrêt du conseil de juin 1657, enregistré dans la pro- vince, défendit « à tous particuliers contribuables à la taille de se pourvoir en cotte contre les collecteurs pendant l'année de leur collection4 ». Voici comment cette règle est expliquée par le juriconsulte Du Chalard :

« D'autant que lesdits asseeurs sont élus par tous les manans d'une paroisse, ou ceux qui la représentent, c'est-à-dire la plus grande partie, ils sont approuvez gens de bien : et à ce moyen tous les parois- siens sont tenus du fait des asseeurs, autrement il s'en ensuivroit que outre la peine qu'ils ont de faire l'assiette ils auroient encore la charge de soutenir leurs taux, et ladite charge laquelle ils sont contraints) les astraindroit au procès qui en procederoit : et sic duplici onere premerentur, quod fieri non débet5. »

Cette défense de prendre à partie les collecteurs pour leur propre cote ne pouvait, du reste, avoir de conséquences graves, puisque la fixation de cette cote avait été, on l'a vu, spécialement réglementée.

1. Dans le reste du royaume le minimum fixé était de 20 1. (arrêt du conseil du 25 février 1666, art. 9, C. d. T., I, 597). Mais au-dessus de ce chiffre, on pouvait engager le procès, si minime que fût la décharge demandée. En 1719, les Etats de Bourgogne sollicitèrent une limitation sur ce dernier point. Le Parlement de la province, qui faisait fonction de Cour des Aides, était d'un avis contraire : cf. les arguments de part et d'autre dans l'arrêt du Conseil du 12 mai 1720, publ. dans La Poix de Freminville, Traité des communautés cThabitans, p. 309-314. Le roi accorda satisfactions aux Etats.

2. L'arrêt du Conseil du 19 mars 1678 renouvelle la défense aux élus d'accorder aucune décharge sans avoir assuré le paiement par provision : il est fondé sur la désobéissance des élus de Caen, qui « isndent journellement des jugemens par lesquels... ils accordent des décharges ou modérations de taux sans ajuger ladite provision ».

3. Sentence du 2 nov. 1638, Bibl. Sénat, ms. 102, 449.

4. A. D. Calv., élection de Caen, correspondance, à la date du 24 juin 1657.

5. Commentaire à l'art. 123 de l'ordonnance d'Orléans, janvier 1560, dans Néron, 1, p. 416. Du Chalard fait ce commentaire à propos de la procédure du surtaux, mais son argumentation vaut aussi pour la comparaison de taux.

IM LA TAILLE EN NORMANDIE.

La jurisprudence de la Cour des aides de Rouen accordait primitivement un délai de trois mois à partir de la rédaction des rùles pour intenter le procès, mais ce délai avait été accru par l'usage, et les tribunaux recevaient les actions en cote et compa- raison de taux « dans l'échéance des trois premiers quartiers de la taille, après lequel délai il y [avait] une fin de non-recevoir invincible1 ». Néanmoins, la Cour des aides de Rouen, en 1618, constatait « que les plus aisés des cottisables, par la faveur qu'ils ont sur les asseeurs, se font imposer à petites et légères sommes, et pour éviter que les autres ne forment action en cotte et surtaux sur eux obtiennent mandement des élus sous le nom de leurs amis, en vertu duquel ils se font assigner par lesdits élus pour procéder sur lesdites actions; rejettent en ce faisant les autres taillables surtaxés par fin de non-recevoir, et par après, dès le premier règlement qui se donne en la cause, se portent appellans, lequel appel ils délaissent sans poursuite »; en conséquence, la Cour avait arrêté qu'à l'avenir les Elections auraient un délai de six semaines pour rendre leur jugement, et le délai d'appel était fixé à trois mois pour les élections de Valognes, Avranches, Coutances, Carentan, Saint-Lô et Mortain et de deux mois pour les autres, qui étaient plus voisines de Rouen 2. Les élus devaient juger l'affaire « sommairement et sans frais », et cela non seulement pour éviter la dépense aux plaideurs, mais aussi pour empêcher tout retard dans le payement de l'impôt.

Le contribuable qui se pourvoyait en comparaison de taux pouvait agir soit contre un seul, soit contre plusieurs contri- buables figurant au même rôle que lui. Il devait faire la preuve qu'il était trop taxé, et pour cela fournir des témoins connaissant sa fortune; les adversaires pouvaient en fournir également, et même les deux groupes avaient liberté d'en choisir d'autres d'un commun accora, pour les départager. A défaut des parties les élus désignaient eux-mêmes les témoins.

Ces témoins agissaient comme des experts : ils formaient une commission présidée par les élus; on les consultait « non par forme d'enqueste pour les ouïr et examiner séparément, mais par une conférence et commune audition d'iceux ouïs ensem- blement, encore qu'ils ne conviennent en leurs avis et dépo- sitions, à la mesme forme qu'on prend l'avis des experts3 ». Ils devaient être pris non dans la localité, mais dans une paroisse voisine, qu'elle fût ou non de la même élection : par on s'assu- rait des nommes impartiaux, connaissant les « facultés » des

1. Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit de» tailles, t. I, p. 33. Le délai d'après cela prenait fin à la date du 1" avril.

2. Arrêt de règlement de la Cour des Aides, 11 août 1618, cité dans Loisel de Boismare, Dictionnaire, p. 33-34.

3. Néron, t. I, p. 710, n. à l'art. 6 de l'édit de mars 1600. Cf. ci-dessus, p. 323.

LA COMPARAISON DE TAUX. 335

parties. Ils étaient appelés « témoins réducteurs ». Voici par exemple la liste des témoins réducteurs remis à l'élection de Falaise le 6 février 1677 par un taillable du Mesnil Bréouze :

« Billet de cotte que baille Robert Brisson demandeur en cotes allencontre de Robert David.

Tesmoins réducteurs :

De Bellou : Richard Bisson, Philippe Toussaint et Guillaume Le Boucher.

De Signon : Biaise Jardin, Jean Guibout fils Guillaume, Ambroise le Cœur.

De La Coullonche : René Morel, Nicollas Le Comte, Jacques Bernier.

Faict et baillé le 5 février 1677 '. [Signé] R. Bisson. »

Plusieurs procès peuvent se greffer l'un sur l'autre : par exemple dans la même paroisse du Mesnil-Bréouze, en 1677, Pierre Foucandel assigne Pierre Ollivier pour lui faire porter la moitié de sa taille montant à 25 1. ; aussitôt Jean Lecoq inter- vient et « déclare se cotter tant contre ledit Ollivier que contre le dit Foucandel, demandant à convenir de tesmoins réducteurs avec eux », ce qui est accordé par l'Election2.

Lorsque les élus ont prononcé leur sentence, ils se font pré- senter le rôle et corrigent les cotes en marge. Par exemple dans la paroisse de Morville, année 1670, Pierre Gamard, imposé à 33 L, a été déchargé de 4 1. 10 s. aux dépens de Martin Labite, maréchal, imposé à 24 1. 8 s.; sur le rôle, en marge de son article, est écrit : « Martin Labite chargé de 4 1. 10 s. à la descharge du dit Gamard » ; pareillement en face de l'article de Jean Mauger est écrit : « Déchargé de 30 s. qui sont reportés à Martin Labite3 ».

A côté de cette procédure régulière, on en voit fonctionner une autre plus simple, qui consiste a attaquer le collecteur porte-bourse pour lui faire « réformer son rôle » : par exemple le 17 décembre 1661, Jean Legros, taillable à Palluel, assigne devant l'Election de Caudebec le principal collecteur pour se faire adjuger à son profit les diminutions, variant de 2 à 8 livres, qui ont été « indûment » accordées à divers autres contribuables ; en réponse, le collecteur cite ces derniers et leur fait recon- naître qu'ils lui avaient demandé ces diminutions. L'Election donne raison à Legros, et fait redresser le rôle*. On trouve aussi de ces exemples dans les élections de Neufchâtel et de Dieppe.

Le procédé de la comparaison de taux n'était pas sans incon-

1. Arch. Dép. Calvados, Plamitif de l'Election de Falaise.

2. Arch. Dép, Calvados, élect. de Falaise, plumitif, 10 fév. 1677.

3. Arch. Dép. Seine-[nf. C, 2684.

4. A. D. S.-Inf. C, 2484.

336 LA TAILLE EN NORMANDIE.

vénients. Il avait été jadis usité dans le ressort de Paris, mais la Cour des aides l'avait interdit en 1566, pour lui substituer l'action en surtaux, voulant, disait-elle, laisser le soin « aux syndic et procureur des inanans et rjabitans de soustenir la taxe, sans faire appeller ny surcharger celuy contre qui la com- paraison est faite1 ».

La comparaison de taux était également condamnée par l'intendant Le Blanc, qui, dans un mémoire à Colbert du 4 jan- vier 1680, dit se faire 1 interprète des intéressés :

a Les officiers et les paysans conviennent que jusqu'à présent cette action n'a servy qu'à ruiner les uns et les autres par la multitude de procédures, sans aucune utilité. Pour y remédier, il fault abolir ce mauvais usage et rendre la jurisprudence uniforme dans tout le royaume, suivant le règlement de janvier 1634 et arrests du Conseil des 25 février 1666* et 27 octobre 1667, faire deffenses de se plus cotter ny pourvoir en réduction, mais de se pourvoir contre les com- munautés... en surtaux*. »

L'auteur du Recueil de l'intendant Orsay affirme pareillement que la comparaison est un procédé « bien triste, pour ne pas dire impraticable », car « elle engendre des haynes et des ini- mitiés irréconsiliables, et chaque particulier ayme mieux souffrir la surcharge en gémissant, que de se comparer en justice4 ».

D'autres motifs furent donnés contre la comparaison par l'intendant de Bourges, Poncet, sans doute à la demande de Colbert. Voici, de son mémoire du 26 août 1682, le résumé fait dans les bureaux du Contrôle général :

« Les instances en comparaison ne seroient pas plus avantageuses que celles en surtaux :

Parce que les esprits de la province se gouvernant plus par jalousie, ils plaideroicnt continuellement les uns contre les autres sans crainte de l'événement ny des frais, mais par la seule satisfaction de se fatiguer les uns et les autres.

Cela ne remédieroit point à la modicité des taux dont les chefs des parroisses jouiroient tousjours, estant maîtres des autres taillables.

Cela multiplicroit les procès, parce que le condamné ne man-

1. Cité par Papon, Recueil d'arrêts notables... liv. V, tit. 2; cf. autre arrêt de la Cour, 13 doc. 1568, cassant un procès la comparaison de taux avait été admise, analysé dans Guénois, Conférence des ordonnances, II, p. 1443, n. 9; autre arrêt du 3 juillet 1577 mentionné ibid. Cependant Bagereau (Leçons et déci- sions notables sur les ordonnances des tailles et aydes, 1624, p. 37-8) cite un cas la cour admit la comparaison de taux; Néron (Recueil, t. I, p. 519) dit que la comparaison « est une pratique ancienne, laquelle s'observe encore es sièges des Eslections ». D'après Montyon (Particularités et observations... p. 6, n. 2), Sully aurait introduit la comparaison de taux dans la législation. II y a sans doute erreur : le règlement de mars 1600, art. 6, prescrit le surtaux.

2. Cet arrêt, important pour les surtaux, est dans le C. d. T., à sa date.

3. Mémoire du 4 janv. 1680, A. N. G *, 491.

4. Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11 096, 53.

LA COMPARAISON DE TAUX. 337

queroit jamais d'interjetter appel, ainsy il estimeroit plus advantageux de laisser un taillable surtaxé d'une pistolle en comparaison des autres, que de luy permettre de plaider, à cause des grands frais.

Il est plus aysé d'obliger les communautez à faire justice à un particulier surtaxé, les contestations se réduisant ordinairement devant les eleus, ce qui seroit rare si les taillables plaidoient les uns contre les autres, à cause de l'appel1. »

Mais il y avait aussi des avis contraires. Dans un arrêt du 5 janvier 1665, rendu au rapport de MM. Colbert et Marin, et sur l'avis « des commissaires départis... et de plusieurs officiers employez à l'imposition et levée des deniers des tailles », il est dit que le surtaux a « tellement foulé lesparroisses, qu'il s'est trouvé quelquefois qu'une diminution de 30 1. du taux d'un particulier a cousté plus de 2000 1. de dépens et d'interests a certaines com- munautez, lesquelles estans toujours mal défendues sont d'ordi- naire condamnées aux dépens, et de la s'ensuit une ruine inévi- table des parroisses il se trouve des opiniastres plaideurs2 ». Colbert lui-même jugeait la comparaison de taux supérieure à toute autre procédure. Dans sa circulaire du 6 novembre 1681, notamment, il explique son opinion : « En Normandie, les imposés à la taille ne sont pas reçus à se pourvoir en surtaux, parce que cette action estant dirigée contre la communauté, elle succombe toujours pour estre mal défendue3 », tandis qu'avec le système de la comparaison, « deux particuliers se défendent, et le jugement ne tombe jamais sur la communauté4 ».

Il est probable qu'il jugeait en connaissance de cause, et il est difficile de ne pas se ranger à son avis. Nous avons, du reste, pour l'appuyer, un long mémoire de l'intendant d'Alençon, du 1er septembre 1683 :

« Il est certain qu'on voit peu de procez en réduction, et qu'au con- traire il y en a tousjours un grand nombre en surtaux, que la réduction ne donne lieu a aucuns rejets, et que le surtaux en produit une infinité, que les parroisses n'ont aucun interest a la réduction, et par consé- quent point de procez a soustenir, au lieu qu'on ne juge aucun surtaux qu'avec les parroisses ; qu'en réduction ce sont deux parties a peu

1. A. N. G7, 124. Même condamnation est prononcée par Lallemant de Lévignen (B. N. fr. 7771, fol. 179).

2. A. D. Calvados, Election de Gaen, registre d'ordonnances 1664-74, 111, impr. Il est curieux que cet arrêt, visant uniquement les surtaux, ait été enre- gistré eu Normandie.

3. Cf. le mémoire de Pesclieur (1665) : le procureur du roi instruit seul ces

Ïtrocès ; comme il n'est pas « payé pour prendre tous les soins nécessaires pour es deffendre exactement, ny maistre de la bourse des communautez pour en tirer aux occasions de quoy fournir aux fraiz, ne faut pas s'estonner si le poursuivant l'emporte tousjours ». (M. C. 33, 292, cf. f 289). Voir aussi une lettre du sieur de Robertot, ibid. 296-301, et ci-dessus, p. 151, n. 4.

4. Glém. II, 171. Cf. semblables recommandations à Lebret, 28 janv. 1682, {ibid., p. 175), et à Bercy, 15 avril 1683 (p. 218).

LA TAILLE EN NORMANDIE. 22

338 LA TAILLE EN NOIt.MANDIE.

près esgallcs qui solicitent leur affaire, et en surtaux c'est une com- munauté toujours mal défendue contre un particulier, qui par consé- quent gaigne ordinairement son procez, et mesme les juges y font d'autant moins de difficulté que la descharge qu'on donne a ce parti- culier, et qui luy est considérable, n'est que peu de chose estant rejetée sur tous les contribuables d'une parroisse, au lieu que par la réduction on ne peut descharger l'un que l'on ne charge l'autre de pareille somme, ainsy les juges y prennent garde de plus près; enfin on voit si souvent les plus riches des parroisses se pourvoir en surtaux mal a propos, et gaigner leurs procez, parce que bien souvent les parroisses n'osent s'y opposer, qu'on ne peut que conclure qu'il est très nécessaire de maintenir la réduction. »

Mais il faudrait modérer le pouvoir des collecteurs qui souvent « font des taxes hors de raison », « et ainsi, pour l'ordinaire, soit par vengence ou pour la facilité de leur recouvrement, ils ruinent et accablent des particuliers qui, s'ils estoient imposez a des sommes raisonnables, pourroient vivre doucement et payer leur part des impositions de la parroisse » ; pour cela il faudrait ordonner « qu'au lieu que des trois réducteurs le deffendeur en nomme deux, il n'en pourroit nommer qu'un, et le demandeur l'autre, et qu'ils convien- droient du tiers », ou bien on les ferait nommer par les élus.

Il faudrait en outre « empescher, s'il est possible, les vengences outrées des collecteurs, qui, pourveu qu'un particulier ait des meubles ou bestiaux suffisans pour payer 200 1., ne font nulle difficulté de l'imposer à cette somme, quoiqu'il n'en eût jamais payé que 20 1. au plus : on pourroit ce me semble ordonner aux intendans d'examiner avec soin sy dans les taux si disproportionnez d'année a autre il n'en- treroit pas de la vengence des collecteurs, auquel cas après en avoir esté suffisamment informez ils pourroient faire charger lesdits collec- teurs d'une partie de ladite imposition, et sy au contraire il ne parois- soit aucun sujet de vengence, ils renvoyeroient a se pourvoir en réduction '. »

En définitive, suivant cet auteur, le surtaux est avantageux aux particuliers, la réduction l'est plutôt aux paroisses et au Trésor s. Peut-être cette constatation nous permet-elle de conci- lier les opinions opposées des intendants : suivant qu'ils se plaçaient au point de vue du fisc ou à celui des contribuables, ils approuvaient ou condamnaient le procédé. Il est certain d'ailleurs que la véritable solution de la difficulté eût été celle donnée par l'intendant d'Alençon : la suppression de l'arbitraire des collecteurs. Mais on a vu que cet arbitraire était inhérent à la forme même de l'impôt.

1. A. N., G1 71. Sur cette dernière pratique, qui consistait à surimposer un contribuable riche, voir ci-dessous, p. 352.

2. Cf. ce que dit Domat de la comparaison de taux : « cette voye peut bien être ntile au public, mais «lie n «e méchant effet d'être une occasion de querelles et d'inimitiés ». (Le droit public, dans ses Œuvres, éd. 1756, II, p 31.)

LES TAXES D OFFICE. 339

IV. LES TAXES D'OFFICE

Lorsqu'un contribuable n'est pas suffisamment imposé par les collecteurs, il appartient aux agents du fisc d'augmenter sa cote : l'acte porte le nom de « taxe d'office », parce. qu'il est fait « indépendamment de la fonction des asséeurs, et par l'office des juges qui en doivent connoître1 ».

Les taxes d'office n'avaient pas toujours existé : à l'origine, comme le fait remarquer d Aube, les collecteurs « avoient seuls le droit de fixer les impositions particulières des membres de leurs communautés, sauf le pourvoy par devant les tribunaux des Elections 2 » ; mais on avait bientôt reconnu la nécessité de faire intervenir les agents royaux dans l'assiette pour en corriger les imperfections, causes de non-valeurs, et les élus avaient été chargés par le roi de taxer d'office tous ceux que les asséeurs ne pouvaient ou ne voulaient pas imposer à leur taux légitime, parmi lesquels le règlement de janvier 1634, art. 48, désignait particulièrement : « les juges, conseillers, les substituts [des] procureurs généraux, oficiers des greniers à sel, procureurs fis- caux, notaires, avocats, gréfiers, procureurs postulans, fermiers, métaiers des nobles, des eclésiastiques, des élus, grenetiers, contrôleurs, et autres personnes qui peuvent avoir crédit et autorité sur les habitans, [et] que les asséeurs n'osent taxer ce qu'ils peuvent légitimement porter, ni les habitans des paroisses en faire plainte, de crainte d'encourir leur inimitié3 ».

En 1642, lorsqu'on avait réformé la façon de procéder au dépar- tement, les élus avaient partager le pouvoir de faire des taxes avec les intendants et les trésoriers de France '*. A partir d'août 1664, ils le partagèrent avec les intendants seuls. L'art. 11 du règlement était ainsi conçu :

« Pourront, les commissaires par Nous départis en ladite province [de Normandie], et les oficiers des Elections, taxer d'ofice au bureau de l'Election, au pié de leurs mandemens, ceux des taillables lesquels par intimidations ou par l'autorité de personnes puissantes s'exemptent indûement des sommes qu'ils peuvent et doivent raisonnablement porter pour leur part des deniers de nos tailles. »

L'art. 15 ajoutait que, comme pour l'imposition des paroisses, la voix de l'intendant prévaudrait sur celle des

1. Domat, Le droit public, Œuvres, t. II, p. 30, 2e col. Cf. ce qui a été dit sur la nomination d'office des collecteurs, ci-dessus, p. 190 et suiv.

2. B. N. fr. 21 812, p. 70.

3. Un essai avait été fait, en 1603, pour attribuer les taxations d'office aux tré- soriers généraux, mais il avait été bientôt abandonné (B. N. fr. 21 419, fol. 132).

4. Arrêt du Conseil du 22 août 1642, art. 7; voir ci-dessus, p. 45 et 118.

340 LA TAILLE EN NORMANDIE.

élus'. Les collecteurs ne pouvaient en aucun cas réduire une taxe d'office, mais il leur était loisible de l'augmenter, s'ils le trouvaient juste « en leur ame et conscience » (art. 13)*. Le règlement d'août 1673 (art. 11) confia aux receveurs le soin de signifier les taxes aux intéressés, dans le délai de quinze jours après l'envoi des mandements aux paroisses pour la levée : les collecteurs en avaient donc connaissance avant de dresser leur rôle, et même les appels pouvaient être jugés assez tôt pour que l'assiette n'en lût pas troublée 3. Le règlement ajoutait que ces cotes, payables directement au receveur, devaient lui être ver- sées par quartiers *.

La question de l'appel des taxes ainsi faites par les inten- dants et les élus avait une grande importance. D'abord il fallait assurer un recours au contribuable, tout en empêchant les pro- tections de se donner carrière. Ensuite, il fallait régler les rapports de compétence entre les pouvoirs hétérogènes des intendants, des élus, de la Cour des aides, des Bureaux des finances, du Conseil. Dans le ressort de Paris, des solutions diverses furent adoptées à quelques années d'intervalle6; dans

1. En pratique, les intendants laissèrent très rarement agir les élus. Ils tenaient, comme le déclare le recueil d'Orsay, a éviter aux inconvéniens qui en pour- roient arriver en quelques élections; et pour empêcher en quelque façon les officiers d'en faire, M. l'Intendant leur peut dire qu'il n'est réputé absent que lorsqu'il n'est pas dans l'étendue de sa généralité » (B. N. fr. 11096, fol. 10).

2. Cf. la déclaration du 24 février 1660, adressée aux intendants : les taxes d'of- fices qui seront par vous faites [ne pourront] estre modérées » (A. D. Calv., Bureau des finances).

3. Ce délai est calculé, dit le recueil d'Orsay, pour < que ces taxés puissent se

fourvoie devant M. l'Intendant par requêtes.... avant la confection des rolles, et viter par ce moyen les rejets en cas de décharge ou modération (fol. 9).

4. Voici la formule d'un rôle de taxes d'office pour une élection; elle est donnée

ftar le Recueil de l'intendant Orsay; elle n'a évidemment rien d'obligatoire B. N. fr. 11 096, fol. 8-9) :

Rolle des taxes faites d'office par Nous sur les particuliers taillables

de l'élection de , à la décharge des paroisses dont les noms ensuivent :

motifs : Il tient une ferme dans cette paroisse une terre appartenant à , valeur

3 000 1. ; il n'est imposé qu'à 20 1.

Il possède 2 000 1. de rente, il n'est imposé qu'a 20 s. a cause de l'autorité de sa charge.

« Au payement desquelles sommes et des 6 d. pour livre d'icelles les dénommez au présent rolle seront contraints comme pour les propres deniers et affaires de S. M., à la diligence du receveur des tailles en exercice, que nous avons chargé du recouvrement.

Fait et arresté par Nous intendant et commissaire susdit, le . »

Voir aussi un rôle de taxes d'office de la généralité de Paris en 1682, publié partiellement dans De Boislisle, Mém. de l' intendant de Par h, p. 506-510.

5. Le règlement du 16 avril 1643, art. 8, disait que l'appel des taxes d'office faites par les intendants serait porté devant les intendants eux-mêmes; la Cour des^ aides, dans sa vérification,- ordonna que les « oppositions » seraient « ins- truites en la manière accoutumée (C. d. T., I, p. 403), et l'arrêt du Conseil du 2 sept, suivant donna expressément à la Cour la connaissance de cette matière en appel (ibid., p. 409). Mais en mars 1667, le roi, constatant que la Cour usait de

Saint Pierre. Jacques Prudhomme, la somme de

Saint Jean. Louis Dubois, procureur en la vicomte de la somme de

LES TAXES D OFFICE. 341

celui de Rouen, une double règle fut posée par les lettres-patentes d'août 1664 : La Cour des aides ne pouvait « connoître direc- tement ou indirectement, et sous quelque prétexte que ce soit, desdites taxes d'office1 », excepté en cas d'appel des taxes faites par les élus en l'absence du commissaire-départi (article 12). Pour les taxes établies par les intendants, les intéressés pou- vaient demander « leurs décharges ou modérations » aux inten- dants eux-mêmes, et ensuite faire appel devant le Conseil (art. 11). Dans tous les cas, l'appel n'était pas suspensif, et les taxes devaient être payées par provision2.

Au début, la Cour des aides se résigna mal à cette quasi- dépossession : dans ses registres figurent assez souvent des appels pour des( taxes faites par les intendants, quoique le 18 no- vembre 1667, Barin de la Galissonnière écrive qu'à sa connais- sance elle ne se mêle plus de ces affaires3. Le 30 octobre 1683, Méliand demande encore au Conseil de casser un de ces arrêts, parce que, dit-il, « il est d'une très grande conséquence pour les taxes d'office de ne pas souffrir cette entreprise de la Cour des aydes4 ». Néanmoins, l'intervention de la Cour demeura toujours exceptionnelle. Le recours à l'intendant lui-même, par voie de placet, devint bientôt habituel, mais l'appel au Conseil fut toujours rare, en raison des frais qu'il occasionnait. Les cora- missaires-départis furent donc, en pratique, les arbitres des taxes ; comme ils pouvaient d'ailleurs les infliger à qui ils vou- laient, l'impôt des particuliers se trouva, par la législation nou- velle, livré à leur discrétion, comme celui des élections, des villes et des paroisses rurales.

Pour utiliser avec justice cette arme redoutable, il leur eût fallu connaître exactement la fortune de ceux qu'ils visaient. Or ils ne disposaient pour cela d'aucun moyen assuré. Moins encore

son pouvoir pour « ne confirmer aucune » taxe, suspendit l'application de cette règle « pour deux ans seulement », en faisant porter les appels devant le Conseil (ibid., II, p. 19). Des pourparlers eurent lieu à ce sujet entre le président Le Camus et Marin (M. C, 144, fol. 64), et la Cour recouvra son pouvoir par arrêt du Conseil du 17 nov. 1667 (Clairamb. 659, p. 294). Les intendants se plaignirent fréquemment à Colbert qu'elle en abusait (Clém., II, 266 n., 294; Depping, III, 35; Clairamb. 792, p. 417 et 431; B. mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 228, etc.); des arrêts, de la Cour furent cassés par le Conseil (Clém., II, 178); enfin l'appel au

de la Cour au profit du Conseil.

1. Art. 11, rappelant des arrêts du Conseil des 6 août, 28 septembre 1656 et 30 septembre 1660. On a déjà vu que la Cour était « dans le dernier décri », et commettait de perpétuelles injustices; le roi savait qu'il ne pouvait compter sur ses services.

2. Règl. d'août 1673, art. 30. Rappelé par tous les mandements des intendants aux paroisses. Voir des formules (facultatives) de sentence pour la décharge d'une taxe d'office dans le Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11 096, fol. 10-12.

3. M. C. 146, fol. 187. Voir ci-dessus, p. 255, des exemples de taxes cassées par la Cour des aides de Rouen.

4. A. N., GT 492.

LA TAILLK KN NORMANDIE.

qu'un collecteur, ils étaient capables de connaître la situation de chaque contribuable; ils n'avaient même pas la ressource de con- sulter les collecteurs, puisqu'il s'agissait d'empêcher leurs injus- : les élus leur inspiraient de la méfiance, car, comme l'écrit De Marie en 1667, « ce sont bien souvent des personnes qu'ils protègent1 »; quant aux receveurs, ils fournissaient des mémoi- res, écrit Barin de la Galissonnière la même année, « qui ne sont très souvent que les effets de leur ignorance ou de leur passion, ou de celles de leurs sergents2 ». Colbert reprochera avec raison à certains de ses subordonnés, dans une circulaire du 4 février 1683, d'avoir laissé agir les élus et les receveurs, qui sont devenus « les maistres de ces taxes, et les ont faites suivant leurs passions ou leur interest, au lieu de produire l'effet que S. M. désire, en egallant l'imposition de la taille' ». La méfiance générale à l'égard de tous les agents royaux subalternes devait être, ici comme dans tout le reste, la règle de l'intendant. Quant aux plaintes des contribuables eux-mêmes contre les sou- lagements accordés aux personnes puissantes, elles ne man- quaient pas. « Journellement, écrit l'intendant de Rouen, je reçois des requestes des habitans qui se plaignent contre des personnes protégées »; mais quel crédit leur accorder? Elles sont souvent anonymes, ou, quand leurs auteurs se font connaître, ils n'osent les maintenir publiquement; il leur arrive même d'être contraints à se rétracter : « J'ay remarqué, dit le même intendant, que les taxez obtenoient avec trop de facilité des consentemens des habitans, qu'ils corrompoient... et dont on exigeoit les signatures par de mauvaises voies* ».

Il faut donc que les intendants voient tout par eux-mêmes. Vous devez, leur écrit Colbert, « demeurer en chacune eslection autant de jours qu'il sera nécessaire pour vous informer avec soin des facultez de tous ceux que vous taxeres d'office, affin de n'en taxer aucun qu'avec une exacte connaissance de cause5 ». Ils protestent tous de leur zèle et de leur application, mais ils ne disposent d'aucune méthode sûre : « Je suis persuadé, écrit celui de Caen, que les plaintes qu'on vous a faites de quelques généra- lités du royaume de la négligence que l'on a eue aux taxes d'office en les laissant à la discrétion des receveurs des tailles ne regar- dent pas cette généralité6 »; et celui de Rouen : « J'ai toujours

1. Let. du 21 nov. 1667, M. C, 146, fol. 211.

2. Let. du 18 nov. 1667, ibid., fol. 187.

3. B. Mun. Amiens, ma. 508, t. IV, pièce 79. La circulaire fut reçue par les intendants de Normandie, ainsi que le prouvent leurs lettres des 11 février, 7 et 9 juillet 1683 (A. N., G' 71, 213 et 492).

4. Let. du 18 décembre 166G, M. C. 142,,U, fol. 778.

5. Circulaire du 4 février 1683, déjà citée.

6. Let. du 9 juillet 1683, A. N. G* 213. Cependant il écrivait le 23 novembre suivant : Pour faire les taxes « utilement, il seroit a propos d'avoir des mémoires bien exacts et bien fidelles, ce qui est très dificile en ce païs icy particulière- ment • ibid.

LES TAXES D OFFICE. 343

pris le temps de voir les taxes d'office, que je fais moy-mesme, entrant autant qu'il m'est possible dans la connoissance des mémoires qui me sont donnes a cet effet »; jamais, ajoute-t-il, une de mes taxes n'a été infirmée par le Conseil1.

L'intendant d'Alençon a décrit comment il procédait habituel- lement :

« Pendant mes visites, j'oblige les receveurs des tailles et les officiers des eslections de me donner les mémoires de ceux qu'ils veulent faire taxer d'office, dans lesquels ils marquent leurs biens, leurs commerces, et la somme a laquelle ils sont imposés ; après quoy j'ay le loisir jusques au département de m'informer de la vérité de ces mémoires, et comme souvent ces officiers ménagent leurs parens et leurs amis, qu'ils ne comprennent pas dans leurs mémoires, je fais venir pendant mes visites les collecteurs de toutes les paroisses, tant de l'année courante que de la précédente, comme j'ay fait en Bourbonois, et après les avoir interrogés, tant sur la conduite des huissiers que sur celle des officiers et autres gens d'authorité qui ont du bien dans leurs paroisses, je me fais représenter les roolles des tailles, et par ce moien je connois souvent que des gens riches sont très modiquement imposés 2. »

Celui de Rouen a une autre méthode :

J'ai dressé, dit-il, « un mémoire de ceux qui s'exemptoient, et j'ai taché de leur faire connoistre qu'il falloit qu'ils contribuassent aux charges comme les autres; j'ai taxé le sieur de Rouvray 3 à 30 1. pour commencer à l'y accoustumer, comme beaucoup d'autres de la même ville, ce qui leur a semblé rude aux uns et aux autres... J'ay obligé les taxes qui se plaignent de faire lire leurs requestes au prosne de la messe parrochialle af'fin de donner par les habitants a l'yssùe d'icelle leur advis, mêmes Testât des facultez et occupations desdits taxez, affin de pouvoir estre plus éclaircy des surprises '*. »

La diversité même de ces précautions, à supposer qu'elles aient toujours été prises, montre l'embarras dans lequel se trouvaient les agents du roi.

Leur rôle ne se bornait pas, d'ailleurs, à fixer les taxes : il fallait aussi en assurer le paiement, et déjouer les ruses des taxés : une circulaire de Colbert du 10 février 1683 nous apprend que souvent «les esleus ou les collecteurs des tailles, pour éviter les taxes d'office faites par MM. les intendans et commissaires départis, imposent dans leurs rolles plus qu'il n'est porté par les mandemens des esleus, jusqu'à concurrence des taxes d'office qu'ils ne veulent pas faire payer, et par ce moyen deschargent les taxez d'office ». Il faut, ajoute le contrôleur général, « que vous y preniez garde, et en cas que vous trouviez que les

1. Let. du 11 février 1683, A. N. G?, 492.

2. De Bouville à Colbert, 5 juillet 1683, ibid., 71.

3. Il était conseiller au présidial des Andelys.

4. Barin de la Galissonnière à Colbert, 18 décembre 1666, M. C, 142hl% 778.

M LA TAILLE EN NORMANDIE.

officier* des eslections qui auront calculé et vériffié ces rolles ne les ayent pas réduit à la somme contenue aux mandemens, S. M. interdira ces officiers sur les procès-verbaux que vous en ferez »'. Les trois intendants de Normandie assurent en réponse que cette pratique n'existe pas dans leurs circonscriptions 2; cependant elle avait été signalée dans la généralité de Rouen en 1666 : « Quelques-uns des receveurs, écrivait Barin de la Galissonnière, nous ont proposé lors des départemens d'aug- menter plusieurs de leurs paroisses sous prétexte de ces taxes d'office, lesquelles ils ont depuis consenty estre tirées a néant8 ». Au début de son ministère, Colbert n'attacha pas une grande importance aux taxes d'office : il recommanda plusieurs fois aux intendants d'en faire « le moins possible * » ; « vous ne devez jamais en faire que lorsqu'il vous paroist clairement par la modicité des taux precedens, que les collecteurs n'ont pas eu la hardiesse de les faire6 ». Veillez à ne pas troubler l'assiette et la perception de la taille; changez le moins possible l'ordre régulier de l'imposition; laissez faire les taxes par les élus quand vous le pourrez, tel est l'esprit de ses instructions. Mais dans la suite, ses idées changèrent. Souvent les intendants lui avaient vanté l'excellence du procédé, qui, en même temps qu'il donnait de l'extension à leur pouvoir, leur permettait de mieux sur- veiller la répartition. « Il n'y a rien de si avantageux pour le recouvrement que les taxes d'office », lui écrivait celui d'Au- vergne 6. « J'ay trouvé tant de misères parmy les peuples, disait celui de Limousin, que je me suis appliqué à... les soulager sans qu'il en couste rien au roy[par le moyen] des taxes d'office que j'ay faict sur les coqs de paroisses, qui se montent dans les trois élections a plus de 30000 1. '. » D'autre part, Colbert consta- tait les mauvais résultats de la taxation par les élus, auxquels elle servait surtout pour exercer leurs protections ou leurs ven- geances. Il résolut donc, sur la fin de sa vie, de multiplier les taxes, et de les confier aux intendants seuls. « S. M. vous ordonne, écrit-il à ses subordonnés en 1681, de faire beaucoup de taxes d'office..., jugeant qu'il n'y a rien qui soit plus avantageux a ses peuples pour l'égalité de la taille". » L'année suivante il leur

1. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. IY, pièce 93 (non publiée dans Clém.).

2. Lettres de Bouville, 5 juillet 1683, A. N. G? 71 ; de Morangis, 9 juillet, ibid., 213, et de Méliand, 11 février, ibid, 492.

3. Let. du 18 décembre 1666, M. C. 142b", fol. 778.

4. D'après une lettre de Barin de la Galissonnière, 18 novembre 1667 (M. C. 146, fol. 187).

5. Circulaire du 27 janvier 1673, Clém., II, 266.

6. Let. du 3 juillet 1664, M. C. 122, fol. 147.

7. Let. du 23 oct. 1665, ibid, 132w,1 fol. 566; cf. fol. 453.

8. Clém. II, 394 (c'est une circulaire, et non une lettre particulière à Leblanc : elle figure dans la correspondance de Breteuil). Le 11 juin précédent il leur demandait « un estât de toutes les taxes d'office que vous ferez en chacune par- roisse, divisé par eslections... pour en rendre compte à S. M. » (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 235). Cf. fet. à Leblanc, 21 novembre 1681, Clém., II, 395;

LES TAXES D OFFICE. 345

dit encore : « Le principal point que S. M. désire estre observé dans cette imposition, consiste a faire un nombre considérable de taxes d'office ' ». Les taxes « osteront entièrement le trop grand crédit qu'avoient les élus, et feront connoistre aux peuples qu'ils ne sont pas les maistres de l'imposition, et qu'il faut absolu- ment que les collecteurs fassent justice dans les rôles, et que vous y pouvoirez par [ce] moyen2 ».

Les intendants se mirent à examiner les rôles, et à taxer tous les contribuables qui leur paraissaient mal imposés. Celui de Rouen, en 1678, taxa une centaine de personnes 3, et celui de Caen, en 1683, en taxa 496, appartenant à 333 paroisses *. Dans la majorité des cas, les taxes portaient sur des « personnes d'autorité » que les collecteurs n'auraient pas assez imposées : dans la généralité de Caen, en 1683, on trouve dans ce cas 18 sergents, 24 avocats, 25 fermiers de dîmes ecclésiastiques, 2 cabaretiers, 6 bourgeois exploitant leurs terres, une dizaine d'officiers divers, 4 commensaux, 2 nobles dérogeant. En 1677, Leblanc taxe un médecin d'Evreux à 100 1., un « courier du cabinet de M. le duc d'Orléans » à 50 1., un « soldat de la compagnie de M. de Catinat » à 5 s., un contribuable d'Avrilly à 100 1. « attendu la revocation de translation de [son] domicilie qui estoit à Vert en France »; l'année suivante, il porte à 50 1. la cote d'un contribuable de Canville qui avait été imposé a 35 1. par arrêt de la Cour des aides; il augmente quelques offi- ciers et des fermiers d'exempts.

Mais très souvent aussi les taxes furent employées à d'autres fins. On a vu comment Colbert lui-même les ordonna pour forcer les prétendus nobles à se soumettre à la recherche 5, pour « porter plus fortement » les officiers de justice « à payer les taxes qui seront faites au Conseil » pour leur exemption de taille 6, pour empêcher les contribuables de se soustraire à- la collecte. Elles furent un des procédés usités pour forcer les protestants à se convertir. Le 27 juillet 1682, De Morangis signale à Colbert deux protestants de Bellême qui « se disent » l'un fauconnier de Monsieur et l'autre gentilhomme de la Vénerie du roi, et sont riches. « J'en ay pris les noms, écrit-il, pour les taxer d'office au prochain département, estant persuadé que le

let. de Leblanc, 24 octobre 1682, B. N. fr. 8 761, fol. 69; etc. Le 11 décembre 1673, l'intendant d'Alencon envoyait à Colbert le rôle des taxes faites par lui depuis 1667 (Glairamb. 795, p. 244.)

1. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, piùce 419 (circulaire du 4 sept. 1682).

2. Let. à l'intendant de Limoges, 8 nov. 1681, Clém., II, 171.

3. Etat nominatif dressé par Leblanc, B. N. fr. 8761"", f0' 177-270. Voir ibid. f" 104 et suiv. ses taxes de l'année 1677 pour les élections d'Evreux, Gisors et Cbaumont.

4. Etat nominatif envoyé au Contrôleur général le 23 nov. 1683 (A. N. G^ 213). V. l'état de l'année suivante, ibid. à la date du 17 nov. 1684.

5. Ci-dessus, p. 215.

6. Circulaire du 22 nov. 1673, Clém., II, 301 ; cf. ci-dessus, p. 250.

MB LA TAILLE EN NOnMANDIB.

roy ii" souffre plus dans sa Maison ny dans celle de Monsieur aucun! officiers de cette religion '. » L'année suivante, son collègue de Caen écrit au contrôleur général :

« Je n'ay rien oublié de ce qui pouvoit leur marquer [aux Réformés] la protection qu'ils auraient s ils changeoient de religion. J'aurais fait beaucoup plus de taxes d'office sur ceux de cette religion, mais les plus riches demeurent dans les villes de Caen et de Saint-Lô qui paient la taille par octrois et tarifs, et je croi que les conversions y seroient plus fréquentes si on pouvoit faire des taxes d'office sur ceux qui en font profession i. »

De même qu'elles servirent à surcharger certains contribua- bles, les taxes furent utilisées pour en décharger d'autres. Cette pratique était cependant contraire aux ordonnances et au prin- cipe même des taxes d'office, Colbert l'a reconnu expressément dans certaines instructions aux intendants : « Le roy ayant receu, leur écrit-il le 9 octobre 1681, des plaintes de quelques provinces que MM. les intendans et commissaires-départis fai- soient souvent des taxes d'office en diminution, au lieu que l'in- tention de S. M. n'a jamais esté par ses édits et arrests que de leur donner le pouvoir d'en faire en augmentation, pour empes- cher que les principaux des lieux ne se fassent décharger par les collecteurs, S. M. m'a ordonné de vous en écrire pour scavoir de vous si en effet vous en avez fait de cette sorte, et pour vous dire en ce cas qu'Elle ne veut point que vous en fassiez jamais aucune, sous quelque prétexte et pour quelque raison que ce soit3 ». Mais le ministre fut le premier à violer cette règle. Quand il voulait favoriser certaines personnes, il les faisait « modérément taxer » par les commissaires départis. On l'a vu pour les maîtres de postes, pour les éleveurs de chevaux, pour certains manufacturiers *. L'ordonnance d'août 1669 prescrivait que les officiers des forêts royales fussent taxés par les inten- dants5, et Colbert la rappela à celui de Caen, le 30 mars 1672, en ces termes :

« Le Roy ayant reçu plainte que les gardes de ses forests de Testendue de la généralité de Caen sont surchargés de tailles dans les paroisses. ils font leur demeure ordinaire, contre la disposition

1. A. N., Gi 71.

2. Let. du 23 nov. 1683, A. N. G7, 213. Les taxes portaient sur 7 religionnaires, et montaient a 525 1.

3. Clém. II. 394 : la pièce est indiquée comme une lettre à Leblanc, mais on la trouve aussi dans la correspondance de Breteuil, ce qui prouve qu'elle est une circulaire. Voir encore Clém., II, 266 (Lettre à De Creil, dont la réponse, du 31 janvier 1673. est dans Clairamb. 791, p. 149) et VII, 280. Cf. ci-dessus p. 158, Saint Pouange demande à Leblanc un dégrèvement par voie de taxe d'office.

4. Ci-dessus, p. 256-258.

5. Tit. II, art. 13.

LES TAXES D OFFICE. 347

expresse de l'ordonnance de Sa Majesté du mois d'aoust 1669, par laquelle il est ordonné qu'ils seront taxés d'office par les commissaires départis, Sa Majesté m'ordonne de vous faire sçavoir qu'Elle désire que vous preniez une connoissance particulière des cotes desdits gardes, et en cas qu'elles soyent excessives et qu'ils s'en plaignent, que vous les taxiez d'office, conformément à la nouvelle ordonnance ; en quoy vous aurez égard aux soins qu'ils rendent pour la conserva- tion des forests de S. M. 1. »

Sur la fin de notre période, l'usage était bien établi d'em- ployer les taxes d'office pour diminuer certains contribuables. Leblanc allait jusqu'à l'abus dans ce sens : la plupart des taxes faites par lui en 1677 et 1678 étaient « en diminution » ; elles s'appliquaient à des victimes de grêle ou d'incendie^ à des exempts de collecte, à des contribuables absents de la paroisse. Tel est diminué de 10 1. « a cause du logement de fdeux cava- liers pendant trois jours »; tel, nommé collecteur d'office, a son impôt modéré à 70 1. « sans pouvoir estre augmenté », tel aufre est « fixé à 30 1. attendu la somme de 120 1. qu'il a payé pour sa taxe d'office en 1677 »; François Guibert, demeurant à Cla- ville, est « modéré » à 150 1. « pour aucunement l'indemniser de la surtaxe a luy donnée en 1678 »; un soldat est « fixé à 10 sols, attendu qu'il est dans le service », etc. Plusieurs ont leur imposition réduite, sans que le motif en soit donné 2. De Mo- rangis, dans la généralité de Caen, taxe également à bas prix des médecins, des procureurs, des nobles dérogeant. Dans tous ces cas, il était naturellement défendu aux collecteurs et aux élus d'augmenter les taxes, quoique les règlements le leur per- missent.

En définitive, les taxes d'office furent à la disposition des intendants pour imposer qui ils voulaient, comme ils voulaient. Employées avec justice, elles pouvaient corriger les vices de la répartition, et devenir bienfaisantes, mais elles pouvaient être aussi un instrument de tyrannie, la plupart des contribuables étant sans défense contre des personnages aussi puissants. On s'explique dès lors les plaintes qu'elles suscitèrent. Vauban, Boisguilbert, Saint-Simon, les Soupirs de la France esclave commencent la série des protestations qui ne cesseront pas dans tout le cours du xvme siècle. L'assemblée provinciale du Poitou, en 1787, dira que cette pratique « a servi à des vues absolument

1. Clém., IV, 254, n. 1. Dans les taxes d'office faites par l'intendant de Caen en 1683, déjà mentionnées, figurent 22 gardes des bois ou des chasses; la plupart sont imposés à 3 ou 5 liv. ; quatre payent 20 1. et un, 70 1.

Le Conseil lui-même ordonnait des taxes en diminution : un de ses arrêts, du 7 août 1677, réduit à 6501. l'imposition de la terre de Ghampignolles, élection de Chaumont-en-Vexin, appartenant aux Feuillants de Paris; en 1666, cette terre était imposée à 903 1. 15 s. (B. N. fr. 8761"'% 73).

2. Etats dressés par Leblanc en 1677 et 1678, B. N. fr. 8761bl,,f°s 104 et suiv.

HI LA TAILLE EN NORMANDIE.

contraires a l'esprit qui l'avoit dictée, puisque loin de servir onicniemenl ;i remettre dans la proportion ceux qui vouloient s'y soustraire, elle sert souvent de ressource à ceux qui craignent une taxe un peu considérable et proportionnelle, pour solliciter de l'intendant, par le moyen de quelques relations avec lui, d'être taxés d'office, ce qui se fait alors en modération considé- rable ! ». Pour peu qu'ils prissent de précautions contre les récla- mations et les fraudes2, les intendants étaient évidemment libres de protéger ou d'accabler à leur gré par l'impôt, arbitraire lui-même par essence, qui il leur plaisait.

V. LES REJETS

Lorsqu'une somme a été régulièrement imposée, il est néces- saire, on l'a vu, qu'elle rentre dans les coffres du roi, si remise n'en a pas été faite : il est de règle qu' « il ne doit jamais y avoir en lait de taille de non-valeurs au préjudice du roi3 ». Si donc un contribuable est déchargé de tout ou partie de son impôt pour une raison quelconque (par exemple pour exemption reconnue, insolvabilité, erreur des collecteurs, etc.), en dehors du cas de comparaison de taux, il faut recharger d'autant les autres contribuables de la paroisse; cette réimposition est appelée rejet*.

La plupart des rejets sont ordonnés par les Elections ou la Cour des Aides, à la suite de leurs sentences en décharge ou en modération de taux. Les collecteurs ne peuvent, réglementaire- ment, en faire aucun de leur propre autorité; quand ils ont des motifs valables, ils doivent introduire une instance devant l'Election, et obtenir une sentence qui précise les conditions dans lesquelles sera fait le rejet. S'ils sont insolvables ou négli-

fents, le receveur des tailles peut se substituer à eux pour intro- uire l'instance 8. Voici quelques exemples de ces différents

1. Rapport du Bureau des Impositions à l'assemblée, Procès-verbal de t Assem- blée provinciale de Poitou, p. 47.

2. Morangis écrit de Caen, le 23 novembre 1683, qu'il a « remarqué par l'expé- rience des dernières années que les taxes d'office excessives font sortir les bons taillables des paroisses, et qu'il faut pour les y retenir et prévenir les translations de domicile véritables ou frauduleuses les hausser tous les ans de quelque chose » (A. N. G7, 213).

3. Moreau de Beaumont, Mémoires sur les impositions, II, p. 55.

4. Il pourrait y avoir aussi des rejets ordonnés sur toutes les paroisses d'une élection dans le cas une de ces paroisses serait déchargée de tout ou partie de son impôt, mais en pratique le cas se présentait très rarement. Cf. ci-dessus,

5. Le Bureau des finances de Rouen prétendait connaître aussi des rejets : le 31 janvier 1663 il défend aux élus de Caudebec, à propos d'un rejet fait par eux sur^ les paroisses de l'élection, d'en faire à l'avenir sans son autorisation, parce

fu'ils ne doivent ordonner « aucune levée de deniers sans lettres patentes de a Majesté et ordonnance du Bureau sur icelles », (A. D. S. Inf., C, 1165 p. 14- 15.) Mais le cas est exceptionnel.

LES REJETS. 349

cas : l'Election de Caudebec, le 4 juin 1661 ordonne un rejet de 96 1. 6 s. dans la paroisse de Cany sur les instances du principal collecteur de Barville, pour la taille du sieur Adam Ledoux qui a été « renvoyé » de Barville à Cany '. Un arrêt de la Cour des aides du 9 janvier 1662 ordonne de rejeter sur les habitants du Catelon, élection de Pont-Audemer, la somme de 173 1. 14 s., qui n'a pu être payée par la paroisse sur la taille de 1660 « attendu l'insolvabilité notoire, absence du pays, et demeure hors province » de certains contribuables2. Le 2 juillet 1661 la Cour des aides autorise le rejet de 1 000 1. sur les contri- buables de Saint-Grégoire du Vièvre, élection de Pont-Audemer, à la requête des habitants, « pour evitter le procez prest à mouvoir entr'eux et les collecteurs, année 1657, touchant les deniers inutiles de ladite année... mesme empescher l'effect de la solidité que le receveur des tailles avoit faict juger sur cer- tains nombres des supplians après discution qu'il avoit dit avoir faite sur les collecteurs de ladite année, ce qui causeroit la ruyne totalle de ladite communauté par les recours que les par- ticuliers auroient poursuivis et obtenus les uns contre les autres, mesme que le principal collecteur d'icelle année a emporté et dissipé grand nombre de deniers3 ».

Ces rejets étaient une source de fraudes pour les collec- teurs, pour les élus, et pour les contribuables : ils permettaient aux collecteurs de faire traîner la perception pendant plusieurs années, et de molester les contribuables; leur procédé le plus commun pour cela était d'imposer des insolvables à de grosses sommes, lesquelles, n'étant pas payées, devaient être rejetées sur le reste de la paroisse ; les élus, loin de les décourager, les y poussaient, « parce que pour parvenir à ces rejets, il fault faire des contestations, ce qui produit des vacations, des épices et des façons de rolles* ». Les receveurs ne se préoccupaient guère de les empêcher « ne leur important pas, dit un intendant, que

1. A. D. S. Inf. G. 2483. Le rejet sera fait, dit la sentence « pour cette année seullement, au marc la livre des imposts à taille des habitans pour, par lesdits collecteurs de Cany, en faire payement à leur descharge auxdits collecteurs de Barville, saouf le recours de ladite généralité sur ledit Ledoux, et à faire souffrir lesdits collecteurs et particuliers de Barville des imposts des insolvables lesquels ont esté renvoyé en ladite paroisse de Cany. »

2. A. D. S. Inf. registre du Conseil de la Cour des aides, à sa date; cf. autre arrêt de la Cour du 7 février suivant rejetant la somme de 283 1. 4 s. sur la paroisse de Freneuse pour le même motif.

3. A. D. S. Inf., Registre de la Cour des Aides à sa date. Les frais de l'arrêt, soit 15 1. seront imposés en sus de cette somme. Il arrive cependant, même après les règlements de 1664, indiqués plus loin, que des assemblées d'habitants décident des rejets de leur propre initiative. Ainsi le 11 octobre 1665 les contri- buables de Rots assemblés donnent pouvoir à leurs collecteurs de « rejeter sur eux au marc la livre la somme* de 10 1. 5 s. scavoir 100 s. pour l'impost de Gilles Dessillons, procureur-syndic, 72 s. 6 d. pour Jacques Degvon et 32 s. 6 d. pour Robert le Danois, qu'ils auroist paiée pour quelque affaire de ladite parroisse. » (A. Mun. Rots, B B 4).

4. Lettre de l'intendant d'Orléans, 12 juin 1CG4, M. G. 121, 489.

MM LA TAILLE EN NORMANDIE.

le peuple fust ruiné et dans l'impuissance de continuer les charges de l'Estat, pourveu (ju'ils trouvassent dans le courant de quoy se satisfTaire »; enfin les plus puissants des paroisses v trouvaient un avantage : ils ont, ajoute le même auteur, « non seulement dissimulé mais mesme favorisez cet abus parce que ces réimpositions ne retomboient jamais sur ceux qu'ils proté-

f oient, et au contraire ces protections estoient une des causes e ces rejects1 »; ces abus en certaines régions atteignaient des proportions très élevées2.

Golbert se proposa de les empêcher par l'arrêt du conseil du 4 juillet 1664 : il déplorait « qu'au moyen des fréquents rejets qu'ordonnent les élus, le courant de la taille ne peut estre payé, s'étant rencontré en quelques paroisses que les rejets ont monté à plus que la moitié de l'imposition principale, lesdits élus prenant des droits excessifs sous ce prétexte et alouant aux collecteurs des frais de voyage et autres », et il défendait en conséquence aux élus de prononcer à l'avenir des rejets pour quelque motif que ce fût sans les faire approuver par l'intendant de leur généralité qui en référerait lui-même au Conseil 3. Nouvel exemple des empiétements des intendants sur les fonc- tions des élus. Les lettres-patentes d'août 1664 (art. 40), reprirent l'arrêt du 4 juillet pour lui donner plus de force; elles interdirent en outre (art. 41) aux gentilshommes et curés des paroisses de contraindre les habitants à faire faire le rejet des impôts de leurs protégés*. Ces ordonnances étant « diver- sement interprétées » par les élus et les collecteurs, un nouvel arrêt, du 5 janvier 1665, précisa les conditions dans lesquelles

1. M. C, 121, C 490.

2. Ils sont signalés par exemple dans les élections de Chaleaudun et de Chartres en 1664 par l'intendant : ces rejets sont appelés dans le pays des morts-bois : dans l'élection de Chartres il s en fuit tous les ans et quasi dans toutes les

f>aroisses », dans celle de Chateaudun il en est de môme : une seule paroisse de a ville en a pour plus de 5 000 1. en l'année 1663 : le rejet est « passé en usage » ; or partout les inconvénients en sont graves : c'est deux tailles au lieu d'une, et un accablement pour ceux qui, avant payé leur taux du premier roole, se trou- vent obligés à payer une seconde fois, et est une occasion aux collecteurs de faire mille friponneries en mettant au nombre de ces morts-bois, pour parler leur langage, leurs parents ou leurs amis, mesmes les fermiers des gentilshommes ». (M. C. 121 f" 2V«). Il y a des paroisses il se fait de ces rejets jusques à trois pour une année et des sommes considérables, en sorte qu'il y a des habitants qui payent quelquefois en une année double et triple taille ». (Ibid. I" 337); ils retombent toujours sur les plus pauvres : an homme qui est de bonne volonté et sans protection [est entièrement accablé], et il ne fault pas s'étonner si à présent il n'y a plus quasi de bons laboureurs dans toute l'élection de Chartres ». (Ibid. f* 489); mais ) intendant déclare que l'on ne peut songera les supprimer complètement sans nuire au recouvrement.

3. Mim. Alphab., p. 620. Voysin de la Noiraye accuse réception de l'arrêt le 19 juillet : M. C. 122, f 63'«. L'intendant d'Orléans écrit le 29 novembre 1664 : « Il ne faut pas remettre en aucune façon l'exécution [de l'arrêt] aux esleus. » (M. C. 125, PI 74.)

4. Il est interdit aux collecteurs par le même article de faire ces rejets de leur propre autorité, « sur peine de la vie », tel acte devant être considéré comme une exaction. (Cf. ci-dessus p. 93.)

LES REJETS. 351

les rejets pourraient être prononcés, à savoir : Lorsque des officiers privilégiés auraient été déchargés de leur impôt par sen- tence des élus ou de la Cour des aides; Lorsque des particu- liers auraient obtenu une diminution d'impôt dans un procès en surtaux; Lorsque des contribuables seraient régulièrement déclarés insolvables; Lorsque des habitants auraient été taxés en deux paroisses ; Enfin, lorsqu'il s'agirait de rembourser aux contribuables des sommes qu'ils auraient payées pour toute la paroisse en vertu d'une sentence de solidité. Dans tous ces cas, les élus prononceront les rejets sans frais, et si le montant dépasse 500 h, ils devront en aviser le Conseil par l'entremise des intendants pour faire valider leur sentence1.

Il fut bientôt reconnu que la faculté laissée aux élus de pro- noncer a eux seuls les rejets jusqu'à 500 1. leur permettait de commettre des abus ; un nouvel arrêt du Conseil du 14 mars 1676 exigea pour tout rejet l'autorisation de l'intendant et du conseil, et réduisit à 200 1. la somme qu'il était permis de rejeter en une année sur une paroisse. Toutes les commissions des tailles à partir de cette date renouvelèrent la défense de prononcer des rejets sans un arrêt du Conseil, et Colbert veilla soigneuse- ment à l'exécution de ce règlement2.

L'application des intendants semble bien avoir eu, sur ce point, des résultats notables. Leblanc dans la généralité de Rouen avait l'habitude de dresser chaque année, en faisant le département des tailles, la liste des rejets qu'il accordait, et nor- malement il les répartissait sur plusieurs exercices, même pour des sommes inférieures à 200 1. : ainsi le sieur Michel, contri-

1. Mém. Alphab., p. 621. Sur cet arrêt l'intendant de Rouen présenta à Colbert des objections, le 23 janvier suivant : On fait bien, dit-il, d'autoriser les rejets pour les impositions mises à tort sur les officiers exempts, mais encore faudrait-il faire cette réserve que l'exemption est régulière et que les collecteurs n'ont pas fait l'imposition « de leur teste, par malice et par dessein », comme il y en a une infinité d'exemples; en outre on ne devrait pas autoriser les rejets pour les surtaux jugés par les élus, mieux vaudrait en ordonner la réimposition seule- ment l'année suivante, car les élus prononceront trop de ces décharges de sur- taux, ». car comme l'on dit cela fait venir l'eau au moulin, et cela leur donne des procès et par conséquent des présens, estant certains que presque tous les opposants en surtaux gagnent toujours leurs procès... parce que si les esleus n accordoient quelque diminution à ceux qui les leur demandent, ils chasseroient les pigeons du colombier » ; enfin il faudrait apporter des restrictions au rejet des taux de ceux qui sont renvoyés d'une paroisse à une autre, car il y a « des fuyards qui vont d'une paroisse à une autre et qui changent quasy tous les ans de demeure » bref, l'intendant est « persuadé que tout le moins de pouvoir qu'on peut donner [aux élus| c'est le mieux pour le service du roy et le soulagement des peuples ». (M. C. 127, fos 261-26i.)

2. Par exemple lettre à Le Vayer 13 mai 1682, Depping, III, p. 305 : il n'y a « rien qui soit plus important que de restreindre la liberté que les communautés, les esleus et la Cour des aydes ont prise d'ordonner ces impositions..., c'est un crime capital, mesme de lèse-majesté de faire aucune imposition sur les peuples sans commission scellée du grand sceau ». La prescription fut généralement inscrite dans les mandements des intendants aux paroisses : par ex. dans ceux de Leblanc (B. N. fr. 8761"ls 27). Le 12 juillet 1677, Leblanc rend une ordon- nance pour rappeler aux élus de sa généralité qu'ils ne doivent ordonner aucun rejet sans lui faire viser leur sentence (ibid. 63).

LA TAILLE BN NORMANDIE.

buablc à Dives, étant déchargé d'une somme de 140 1., le rejet de cette imposition est réparti sur trois années1.

Mais toutes les fraudes ne disparurent pas : l'intendant d'Alençon écrit le 2 avril 1683 que dans la seule élection de Lisieux il y a « pour plus de 20000 1. de rejets », et dans les autres élections de la généralité, la quantité en est grande éga- lement; la plupart proviennent de dépens de procès pour la taille, les paroisses ont succombé; l'intendant de Morangis, avait antérieurement rendu une ordonnance prescrivant que ces rejets fussent payés « trois mois après l'imposition » ; mais ceux à qui ils sont dûs soutiennent que l'on a entendu par que l'on devait payer trois mois après l'établissement des rôles : interprétation qui, suivant l'intendant, porterait le plus grand préjudice au recouvrement; aussi a-t-il ordonné la surséance du paiement des sommes rejetées « jusques après l'imposition acquittée ». Ces rejets, ajoute-t-il, ruinent les paroisses; ils sont une occasion pour les collecteurs d'imposer des riches à de très fortes sommes, qui doivent être, suivant l'ordonnance, payées par provision, si bien que les collecteurs encaissent ces sommes, avec lesquelles ils s'acquittent à la recette, en laissant à leurs successeurs le soin de percevoir les rejets; les élus « ne font, nulle difficulté » d'accorder ces rejets « quoique les collecteurs en dussent estre tenus en leurs privés noms; ce qui donne lieu auxdits collecteurs d'en user de cette manière par l'impu- nité qu'ils y trouvent2 ».

Même pratique e3t signalée dans la généralité de Caen par de Morangis, le 23 novembre 1683 : ici encore la plupart des rejets proviennent des décharges accordées par les élus et la Cour des aides à certains particuliers qui avaient été surimposés par les collecteurs avec l'autorisation des habitants; autorisa- tion facilement obtenue, car les collecteurs « sont toujours abso- lument les maistres avant l'imposition »; ainsi dans certaines paroisses de l'élection de Valognes « les collecteurs ont mis les 2/3 de la taille sur des personnes qui ont esté déchargées » ; l'argent qui leur a été payé par provision leur a servi à s'acquitter auprès du receveur, et leurs successeurs ont eu à se débrouil- ler pour percevoir les sommes rejetées sur la paroisse; puis « quelques-uns des collecteurs de l'année suivante à l'exemple des précédens ont réimposé pour se tirer d'affaire les mesmes personnes quoique déchargées, ou d'autres contre lesquels ils ont eu également la provision, et ont accablé par ce moyen les

1. B. N. fr. 8761bU, 3, rôle du 9 octobre 1678.

2. Lettre do 2 avril 1683, A. N. G^ 71. Le 9 nov. 1673, «on prédécesseur écri- vait : Les officiers des eslections... font [des rejets] confusément au-dessus et au-dessoubs de 500 1., soubs différents prétextes, a quoy l'avidité du profit pour eux ne les invite pas peu, et... ils surchargent extrêmement les paroisses, ce qui faict et fera dans la suite un préjudice très notable audit recouvrement ». (M. C. 166, F 303.)

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 353

communautez et de procez et de rejets, et laissé aux collec- teurs des années suivantes à réimposer les sommes qu'ils avoîenl mal imposées ». Le remède, à son avis, serait de supprimer les décharges et de rendre les collecteurs responsables des imposi- tions fixées par eux, sans recours contre les habitants; tout rejet autorisé devrait être perçu par les collecteurs en charge quand il a été ordonné, « ainsi que cela se pratiquoit autrefois » ; enfin il faudrait refuser d'accorder le paiement par provision « après la question jugée1 ».

Dans la généralité de Rouen enfin, Leblanc est obligé d'avertir les collecteurs qu'il n'autorisera pas de rejets, s'ils font « de mauvaises impositions pour avoir moyen de soulager qui bon leur semble, et dans la suite d'obtenir des rejets2 ».

VI. L'INEGALITE DANS L'ASSIETTE

L'égale répartition de la taille, tant de fois rêvée par les gouvernants, tant de fois prescrite par les ordonnances, on l'a vu 3, ne pouvait être mieux atteinte dans l'assiette que dans le département entre les élections et les paroisses. Faute de base matérielle pour évaluer la forlmije dp"<i nnptribuables. oja. oe pouvafF compter que ".sur la vertu et la science des collecteurs, lesquelles n'étaient pas communes. Depuis que la taille existait, les plaintes sur sa mauvaise répartition se faisaient entendre, les ordonnances se multipliaient pour y remédier, toujours en vain.

« La distribution des tailles, écrit à Colbert l'intendant de Cham- pagne en 1667, est si mal faitte dans les villes et dans les villages de cette province, et l'injustice en est si perpétuelle et si visible, que je croy, Monsieur, que dans la reformation de tant de desordres, vous trouverez peut-estre celuy-cy digne de vos soins, et qu'un des plus grands biens que l'on pourroit faire aux peuples seroit de travailler a un bon regalement. Je scay bien que le mal est gênerai, et les remèdes assez difficiles, mais encor y a-il quelque chose à faire4 ».

1. A. N. G? 213.

2. Let. à Colbert, 4 janvier 1680, A. N. G'1 491. Il faut, ajoute-t-il, que « ceux qui auront fait le rôle [soient] tenus de faire la levée » ; un rejet fait sur l'année suivante incomberait au contraire à des collecteurs qui ne l'auraient pas causé.

3. Ci-dessus, p. 144 et suiv. Cf. les circulaires de Colbert des 20 août 1680 (Mémoires de Foucault, p. 455), 24 août et 10 sept. 1682 (B. mun. Amiens, ms. 508, III, pièces 397 et 434).

4. Let. du 21 janvier 1667, M. C. 143, 128. Cf. une lettre de l'évèque de Saintes à Colbert, du 18 mai 1664 : les peuples de Saintonge « profiteront peu de la diminution que S. M. leur fera, si les ricbes sont soulagés et les seuls pauvres accablés de taxes, ce qui est trop commun...; les ricbes roturiers se font ayse- ment descharger et craindre aux pauvres collecteurs, soit par leurs menaces, soit par celles de leurs protecteurs ». (Depping, III, p. 67). Voir aussi Ducrot, Traité des aydes..., éd. 1636, p. 358 : « Que si toutes personnes payoient indis-

LA TAILLE EN NORMANDIE. . *«J

M LA TAILLE EN NORMANDIE.

Ce qu'il écrivait pour la Champagne était vrai pour la Nor- mandie, et pour toutes les provinces. L'inégalité venait soit des collecteurs eux-mêmes, soit des personnes puissantes qui inter- venaient dans l'assiette.

En règle générale, les collecteurs, responsables du paiement de l'impôt, estiment que l'assiette est livrée à leur discrétion ; ils surchargent ou soulagent tous ceux qu'ils peuvent : ce sont, comme dit Boisguilbert, des « gens qui croient que la misère autorise tout J » ; ils s'abandonnent à leurs passions ou à leur intérêt, toutes les fois qu'ils n'ont a craindre ni représailles ni châtiment. On a vu les précautions que les règlements avaient prescrites pour les empêcher de diminuer leurs cotes et celles de leurs parents2. Mais aucune prescription n'existait et ne pouvait exister pour les empêcher de décharger leurs amis, de surcharger leurs ennemis, la crainte des procès en cote et compa- raison de taux étant insuffisante pour les retenir.

Les accords secrets entre collecteurs et contribuables pour diminuer le taux de ceux-ci, étaient e'xlHïnemëHt fréquents. Pescheur, élu de Saint-Florentin, assure dans son mémoire qu'ils existent à peu près partout, et il explique comment les choses se passent : dès que les collecteurs sont nommés, ils emploient leur temps, avant d'arrêter leur rôle, « à concussionner de toute leur industrie, sans désemparer ny jour ny nuict les cabarets », et ces concussions sont « si triviales et fréquentes qu'elles passent aujourd'huy en commerce, les asseeurs-collec- teurs ayant des proxénètes qui vont de maison a autre inviter les cottisables à faire leurs offrandes à ceux qui les envoyent, avec des fulminations de peines qui sont de taxer au dernier exceds les réfractaires, menaces qui intimident les plus asseurez, au poinct de se soumettre aussitost à la discrétion de ces brigands publics, dont les pilleries adjoustent à la taille plus d'un cin- quième quartier, levé et empoché auparavant que le roolle de l'impost a faire soit arresté ». C'est pour ce motif qu'ils tardent le plus possible à arrêter leur rôle, « tirant de long », soulevant des procès, provoquant des assemblées d'habitants. L'abus est au point que certains y ont fait fortune : « on a veu des gens affairez et nécessiteux mis esdites charges... qui en sont sortis dégagez de leurs debtes et aucunement soulagez »; par

tinctement les tailles, on ne verroit pas tant de familles ruinées et vagabondes par les champs, ou se traisner mendians par les rues et églises de Paris ; plu- sieurs crocheteurs et faineans seroient, sans l'excez des tailles, fermiers ou bons mestayers, travaillans pour eux et pour le public. Mais, ô malheur de la France, le laboureur ne peut assez faire pour payer les tailles, et faict qu'il abandonne tout; ce qui n'arriveroit pas si les plus riches le soulageoient. » Et encore Se. de Gramont, Le denier royal, p. 288; le mémoire de Pescheur, M. C. 33, 287, etc.

1. Détail de la France, éd. Daire, p. 175.

2. Ci-dessus, p. 328.

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 355

s'explique, selon Pescheur, l'empressement des contribuables à se faire nommer collecteurs en certaines paroisses : partout la collecte est recherchée, dit-il, c'est qu'on y pratique ces concussions l.

L'intendant Leblanc, dans son mandement aux paroisses en 1672, avait inséré la prescription suivante :

« Nous défendons pareillement ausdits collecteurs d'exiger ny prendre aucuns deniers, ny se faire traitter dans les cabarets ou ailleurs, pour diminuer aucuns des contribuables de leurs parroisses à la foule des autres, à peine de punition corporelle; et en cas de contravention, leur sera leur procez fait et parfait par les esleus, à la diligence du procureur du roy en ladite eslection, qui sera tenu de nous en avertir 2. »

Mais l'application en était difficile. D'abord, comment décou- vrir ces conventions secrètes? « Ceux qui ont achepté, dit Pescheur, la modération de leurs cottes a beaux deniers contans, donnez d'homme a homme et de main a autre, se gardent bien de révéler le secret, quelque monitoire qui soit obtenue et publiée à cette fin, crainte de perdre leur crédit pour les années suivantes, et il n'y a que ceux ausquelz les asseeurs n'ont pas tenu parole qui disent ce qui leur en couste et ont déboursé chacun en particulier, sans passer plus avant, de manière qu'estans tous des tesmoins singuliers, qui semblent mesmes estre intéressez en leurs dépositions, il n'y a pas lieu de fonder sur icelles un jugement de condamnation3. » En outre, les élus ne sont pas tous aussi bien intentionnés que Pescheur, ni même les conseillers à la Cour des aides : Barin de la Galissonnière écrit à Colbert le 14 octobre 1664 que sur ces concussions « il y a des procès instruits quasi dans toutes les eslections [de la généralité d'Orléans], au moins ils le doivent estre, car j'en ay donné l'ordre, mais les esleus disent que, quand ils les ont condamnés a quelque peine corporelle, la Cour des aides a tousjours infirmé leurs jugements4 ».

« Comme les collecteurs sont maistres de l'imposition, écrit Leblanc en 1680, il est impossible dempescher qu'ils ne se vengent »; j'ordonne, ajoute-t-il, « mais très rarement, que le

1. M. G., 33, 286-8. Cf. ci-dessus, p. 285. Le 5 juillet 1661, la Cour des aides de Rouen condamne à 150 1. d'amende trois collecteurs pour « menaces, concutions et malversations » (A. D. S.-Inf., Cour des aides, registre du Conseil, juillet 1661, 41). Cf. de Merville, Maximes, p. 76 (arrêt de la Cour des aides de Paris, 4 mars 1681).

2. Mandement aux paroisses, A. D. S. Inf., C 2215. Cf. une lettre de Colbert à l'intendant de Tours, 4 février 1683 : il lui ordonne de sévir contre les collecteurs qui ont « tiré des gratifications pour diminuer la cote des particuliers. » (Clém., II, 215).

3. M. C, 33, 286.

4. M. C, 123, 334. Il demande un arrêt du Conseil pour y remédier.

356 LA TAILLE EN NORMANDIE.

roi le sera fait en présence d'un officier de l'eslection et du receveur1 », il n'y a pas d'autre remède. Dans la plupart des cas on ne peut compter sur les habitants pour réparer l'injus- tice, car les « cabales », telles que Pescheur les signale l, se trouvent fréquemment. En voici des exemples :

A Pontoise, en 1680, une diminution de 3 700 1. ayant été accordée à la ville, les collecteurs n'en ont fait bénéficier que << quelques-unes des personnes plus riches et plus solvables... pour des considérations injustes et des praticques secrettes »; en sorte que la plupart des autres habitants ont vu augmenter leur taux. L'intendant ordonne que le rôle sera dressé « en présence d'une personne non suspecte 3 » ; mais en 1685, son successeur retrouve les mêmes désordres*.

A Pont-1'Evêque, en 1681, deux intrigants, les sieurs Fossé et Bloche, se sont fait nommer collecteurs ;

« ils ont diminué, quelque chose que j'aye pu faire, écrit l'intendant, dix ou douze des principaux qui sont de leur caballe, et ont rejette 800 1. sur les veufves et des misérables qui n'ont pas de pain, ce qui fera autant de non-valleurs.... C'est une addresse que les habitans de cette eslection, qui sont les plus chicaneurs de la généralité, ont trouvée pour diminuer les taux de ceux qui leur donnent le plu9, d'en augmenter ceux des misérables •. »

L'année suivante, les mêmes personnages ont fait un rôle à leur fantaisie, les insolvables portaient presque toute la taille; le collecteur porte-bourse n'en était pas informé.

1. Let. du 20 nov. 1G80, à Colbert A. N, G? 491. Voir de ces ordonnances de Leblanc B. N. fr. 8761"" fol., 104 et suiv., pour la taille de la généralité de Rouen en 1678.

2. Ci-dessus, p. 185.

3. Lettre de Leblanc, 17 juillet 1680, et placet de 19 habitants de Pontoise, 29 octobre, A. N. G7 491. Sur les brigues et cabales ordinaires à Pontoise, voir ci-dessus, p. 243. Parmi les motifs qui ont déterminé le gouvernemeut à faire faire les rôles par des commissaires royaux nu lieu des collecteurs, au début du XVIIIe siècle, figure celui-ci. d'après l'intendant d'Aube : « Quelques intendants ont trouvé des communautés dont les membres divisés entr'eux par des haines violentes et invétérées formoient des partis pour se faire une espèce de guerre intestine, d'où il arrivoit que quand il y avoit plus de collecteurs d'un party que de l'autre tout le party qui avoit pour lui le moindre nombre de collecteurs étoit écrasé de tailles. Il en résultoit une telle multiplicité d'injustices que l'action en comparaison d'imposition et l'action en surtaux n'étoient plus des moyens praticables d'y remédier. > (Mémoire sur les fonctions d'intendant, 1738, B. N. fr. 21812 p. 101), cf. une lettre de l'intendant de la Rochelle, 11 décembre 1684 : dans certaines paroisses « les rcligionnaires y étant les plus forts surchnrgeoient les catholiques pour se soulager eux-mêmes ». (De Boishsle, Corretpondance, t. I, n" 137).

4. Let. de Marillac, 29 janvier, A. N. G? 4'J2.

5. Let. de Leblanc, 23 février 1681, ibid., 491. Voir ci-dessus, p. 179 et 308-310. Sur les cabales d'habitants, voir encore le mémoire de Richer d'Aube : « des communautés dont les membres étaient divisés entr'eux par des haines violentes et invétérées formoient des partis pour se faire une espèce de guerre intestine d'où il arrivoit que, quand if y avoit plus de collecteurs d'un party que de l'autre, tout le party qui avoit pour luy le moindre nombre de collecteurs étoit écrasé

L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 357

« Gomme le maistre collecteur vit que c'estoit autant de non-valleurs dont il demeureroil responsable, il fit un autre rolle et les eleus en connaissance de cause le vérifièrent. Fossé s'est pourveu [contre ce rôle] au Conseil et a la Cour des aydes; il demande 600 1., quoyque ceux qui estoient de sa cabale eussent chacun contribué de 15 et 20 1. pour l'obtention dudit arrest *. »

Si l'on ne décharge pas la ville du paiement de ces 600 L, écrit ensuite Leblanc, elle sera ruinée par les procès qui s'en- suivront, et il n'y aura « point de parroisses a qui les collec- teurs de l'année présente et des précédentes n'en fassent, car sur une prétention mal fondée, on fait en cette province des procez qui ne finissent jamais2 ». Heureusement, Colbert fit expédier un arrêt du conseil qui terminait l'affaire au gré de l'intendant3.

Des collecteurs, fâchés d'avoir été élus, surchargent ceux qui les ont fait désigner, à ce point qu'en certaines paroisses les habitants ne veulent plus venir à l'assemblée 4. Le type du collecteur qui profite de ses fonctions pour molester son sei- gneur, pauvre hobereau sans influence, a été décrit plusieurs fois dans la littérature du temps. Dancourt dans sa comédie, fait dire à un paysan jaloux de son seigneur :

« Il n'est, Morgue, pas plus gentilhomme que nous ; je sis collec- teur, moi, Dieu marci, cette année, palsanguenne! J'aurai le plaisir de mettre notre nouviau seigneur à la taille 5. »

Un des nombreux recueils de Caractères de l'époque dépeint ainsi le paysan :

... Collecteur de paroisse, Vrayement il fait bien d'autres coups : Comme chacun le craint, chacun est dans l'angoisse, Et cherche à le gagner, mais il se rit de tous;

da taille; il en resultoit une telle multiplicité d'injustices, que l'action en com-

Saraison d'imposition et l'action en surtaux n'étoient plus des moyens praticables 'y remédier » ; c'est pourquoi on a créé des commissaires pour dresser les rôles (B. N. fr. 21 812, p. loi). Dans la généralité de La Rochelle, les protestants sur- chargent les catholiques dans les paroisses ils ont la majorité (Corresp. des contr. généraux, t. I, 137); il est à penser que les catholiques ne manquaient pas de prendre leur revanche ils étaient les plus nombreux.

1. Let. du 22 juin 1682, B. N. fr. 8761, 57.

2. Let. du 2 juillet suivant, ibid.

3. Let. du 12 août, ibid., 62, verso.

4. Cf. le mémoire de Pescheur, ci-dessus, p. 185, et un mandement de l'inten- dant d'Orléans, 31 août 1667 : Plusieurs paroisses, y est-il dit, « ont esté refu- santes de nommer des collecteurs, attendu que ceux qui ont esté nommez et choisis pour collecteurs [les années précédentes] surtaxoient par une pure hayne et animosité les scindicqs, juges et habitans qui ont assisté à la nomination et donné leurs suffrages à des sommes excessives, ce qui cause la ruine entière des dits particuliers, et qui donne lieu à des rejets et solidités et un notable retarde- ment aux deniers de S. M. ». Mais l'intendant, pour l'empêcher, ne peut que prononcer une vaine interdiction (M. G. 140, 68).

5. Œuvres de Dancourt, éd. 1760, t. V, p. 160 (Les Vacances, 1696).

3M LA TAILLE EX NORMANDIB.

Et par provision en tire

Autant comme il en peut tirer, Argent, labeur, harnois : l'ordonnance a beau dire,

Il n'est pas pour luy déférer.

Enfin il a l'âme si bonne, Qu'il augmente la taille à qui le plus luy donne.

Le fermier, gêné par la présence de son maître au village, ne craint pas de lui dire :

Monsieur, vous faites trop icy de résidence, ... Vous devez belle chandelle à Dieu De n'avoir point été cette année à la taille ; Monsieur nôtre marquis ne l'a pas échapé

La taille est une rude charge, Et dont malaisément le plus fin se décharge Vous pouvez prévenir un si rude soucy

En venant un peu moins icy '.

Mais ce type n'est pas purement imaginaire : on le trouve à notre époque en Normandie. L'intendant d'Alençon écrit dans un rapport du 1er septembre 1683 :

« Il est juste et on ne peut empescher que les privilégiés ne jouis- sent des exemptions qui leur ont esté accordées quoy qu'elles soient fort à charge aux parroisses, mais il est bon de donner un frein à la liberté que les collecteurs autorisés par les habitans ont de les imposer soubs prétexte de dérogeance ou de défaut de service, parce que cela donne lieu à une infinité de procès et à des rejets considérables2 ».

En 1681, Leblanc raconte les misères faites par un collecteur de Bourneville, nommé Lamarre, à son seigneur, M. de Bro- tonne, qui « est sy timide qu'a peine oze-t-il se montrer » :

« Il l'imposa en 1680 à la somme de 400 1., quoy qu'il ne fist valoir que 175 acres de terre, qui ne sont pas les trois charues que les gentilshommes peuvent faire valoir par leur main ; s'estant 3 pourveu à l'Eslection et à la Cour des aydes par sentence qui fut confirmée par arrest, il fut ordonné qu'il seroit rayé du rolle et la somme reimposée. Au département, je luy fis remettre 150 1. de principal et tous les dépens et n'ordonnay la reimposition que de 300 1. en deux années; depuis ce temps, il n'y a point d'insulte que Delamare ne lui ayt faites ; il a fait tirer sur ses pigeons par son fils qui a esté condamné en dix livres de dommages et intérêts, il a laissé courir ses porcs dans ses bleds ; ayant esté adverty plusieurs fois de les retirer et ne l'ayant

1. Les vérité» plaisantes, ou le monde au naturel, Rouen, Maurry, 1702, in-12, p. 121 et sniv.

2. A. N. G" 71. L'intendant propose, comme remède, de faire taxer d'office par les commissaires départis tous les privilégiés dérogeant.

3. Sous-entendu : le seigneur.

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 359

point fait, un des valets du Sr de Brotonne en tua un qui pouvoit valoir dix livres, qu'il reprit1. »

Le procédé, signalé par Leblanc à Pont-1'Evêque, qui con- sistait à reporter sur des insolvables la taille de ceux que pro- tégeaient les collecteurs, était fréquemment employé. Comme il produisait des non-valeurs aux dépens du Trésor2, de nombreux règlements avaient prétendu l'empêcher. Celui du 27 novem- bre 1641 disait : « Plusieurs habitans invalides et de néant sont compris dans les rolles pour de grosses et importantes sommes dont les riches et puissans sont d'autant deschargez, et à la fin de l'année rendent les taux desdits invalides et gens de néant pour non-valeurs, prétendans avec l'aide et intelligence desdits officiers [des Elections] en être déchargez ou de le faire rejetter sur les autres paroisses » , et il défendait cette pratique aux collecteurs, « a peine de payer en leurs noms [des insolvables] les sommes auxquelles ils les auront taxez3 ». Les mandements des intendants rappelèrent presque toujours cette interdiction, en la complétant. A Rouen, en 1672, il est défendu aux collec- teurs « d'employer dans le chapitre des oboles autres que les vrais pauvres et qui sont actuellement mandians ou invalides et hors d'estat de gagner leur vie a cause de leursdites infirmitez ou de leur grand aage » ; et pour empêcher la fraude, l'inten- dant fait dresser par les habitants, dans leur assemblée, l'état de ces mendiants et invalides avec défense aux collecteurs de le modifier, à peine de 50 1. d'amende par contravention, au profit de la paroisse; tout taillable non compris dans cet état devra être imposé au minimum à 10 sous4. L'intendant prend soin d'avertir aussi les collecteurs « qu'en cas qu'ils imposent des insolvables a des sommes considérables pour avoir des rejets »,

1. A. N. G7 481. Pour comble, Lamarre avait adressé au contrôleur général un placet pour se plaindre de M. de Brotonne, qui l'aurait fait battre, lui aurait enlevé un poulain, aurait sollicité les officiers de l'Élection contre lui. Leblanc a fait enquêter sur place, et a reconnu qu'aucune de ces plaintes n'était fondée.

Ces exemples confirment l'assertion de Boulainvilliers (Mémoires présentés au duc d'Orléans, t. I, p. 79) : « La misère a produit l'injustice dans la répartition des tailles, et celle-ci les baines et les vengeances entre les particuliers : ce qui fait que la taille, imposée d'abord arbitrairement par les intendans et sans connoissance de la force réelle et effective des villages, mais par une routine sans exactitude, et souvent sur la recommandation des intéressés, se trouve ensuite repartie par des paysans animés les uns contre les autres, ou passionnés en faveur de leurs amis; de sorte qu'il n'en saurait résulter que la ruine des villages, les uns après les autres, et une injustice déclarée et indéterminable dans l'imposition particulière ».

2. Les contribuables en souffraient aussi : le 5 mai 1669 les habitants de Honfleur se plaignent que les collecteurs « commettent de grands abus en impo- sant quantité de particuliers non subjects a des sommes qu'ils ne peuvent paier; ... lesdites sommes sont ensuite rejetées sur le général de la communauté, ce qui cause entièrement sa ruine » (Bréard, Les archives de Honfleur, p. 124).

3. Néron, t. II, p. 663. Repris dans la déclaration du 16 avril 1643, art. 11 (C. d. T., I, 379).

4. Mandement de l'intendant aux paroisses, A. D. S.-Inf., G 2215. Cf. celui de 1677, B. N. fr. 8761blï, 52, et Bréard, Les archives de Honfleur, p. 133.

360 LA TAILLE EN NOKMANDIE.

leurs calculs seront déjoués1. Mais ces précautions étaient notoirement insuffisantes; il restait, pour permettre la fraude, des journaliers, qui, sans être totalement insolvables, n'avaient pas de meubles suffisants pour répondre d'une forte imposition : comment empêcher de les surtaxer? Aussi verrons-nous que cette source de non-valeurs ne cessa jamais d'exister2.

L'intendant Leblanc résumera l'opinion commune en écrivant dans son mémoire du 4 janvier 1680 : « Il est presque impos- sible d'empescher les collecteurs de malverser et de s'accom- moder avec les particuliers avant la confection du rolle, dont on ne peut avoir de preuve '.' »

La déclaration du 20 août 1683 menace de pénalités sévères les collecteurs « qui seront convaincus d'avoir exigé ou composé pour diminuer les taux des contribuables » (art. 9). Mais le Recueil d'Orsay parle encore des collecteurs qui « affectent de faire plusieurs voyages de lieu en autre et de s'assembler, a dessein apparent d'y procéder la confection des rôles], afin d'engager par ce moyen les taillables à les solliciter pour obtenir des diminutions, et mesme de leur faire a cette fin des presens considérables * ». D'autres ordonnances interviendront encore, et pourtant en 1732 Lallemant de Lévignen écrira :

Les collecteurs « se font souvent payer des sommes secrètement par des particuliers riches et aisés, ausquels ils ne donnent point les taux qu'ils pourroient porter eu égard à leurs facultez, et les rejettent sur les autres habitans de la paroisse, ou même exigent, lorsque ce sont des gens de journée, un travail d'eux pour estre bien traités, qui tourne au bénéfice des collecteurs, ou dans d'autres occasions font labourer leurs terres gratuitement5 ».

De son côté, un curé dit a ses paroissiens en 1721 6 :

1. Let. à Colbert, 22 juin 1680, A. N. G* 491.

2. Dans ces procédés arbitraires des collecteurs, le porte-bourse avait un rôle

Prépondérant. Lallemant de Lévignen écrit qu'il est « absolument le maître de imposition, sans vouloir consulter ses consorts, sous prétexte qu'étans des malheureux et sans biens, ils n'ont pas de quoy répondre des mauvais deniers qui peuvent se trouver a la fin de la collecte... ce qui donne occasion o ces collec- teurs d'exercer leurs vengeances ou de diminuer sans raison plusieurs particu- liers; en un mot ces collecteurs porte-bourse font peine ou plaisir à qui bon leur semble . (B. N. fr. 7 771, 182).

3. A. N., G7, 491. Il ajoute que le seul remède qu'il y a apporté fut « de ne point ordonner de rejets des mauvaises impositions ».

4. B. N. fr. 11 096, f 37. Cf. la circulaire du Régent aux intendants, 4 oct. 1715 : « Mon intention est... d'empêcher et les vengeances que les collecteurs exercent contre ceux dont ils croient avoir lieu de se plaindre, et les protections injustes qu'ils donnent à leurs parens et à leurs amis > (Encycl. mithod., III, p. 647).

5. Observation* sur la taille, B. N., fr. 7771, f" 181. C'est exactement ce qu'a écrit Boisguilbert : les collecteurs « prennent de l'argent des riches pour leur vendre leurs suffrages, et la moindre corruption est d en recevoir des repas; en sorte que ces collecteurs, ayant peine quelquefois à convenir, ils sont des trois mois de temps a s'assembler tous les jours sans rien déterminer ». (Détail de la France, éd. uaire, p. 175).

6. J. Lambert. Instructions courtes et familière* sur les Évangiles..., Paris, 1721, in-12, p. 497 (sermon sur la taille).

L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 361

« C'est une grande tentation que d'être collecteur. On pouroit faire beaucoup de bien dans cet emploi, mais ordinairement on y fait beau- coup de mal... Les uns se laissent toucher d'un amour déréglé pour leurs parens, et ils les déchargent sans faire attention au préjudice qu'ils causent à ceux sur qui ils rejettent ce que leurs parens devroient porter. Les autres sont effraies de l'autorité d'un homme puissant, qui par menace et par crainte les oblige à suivre ses volontés, quoi- qu'injustes1. D'autres sont esclaves de leur intérêt, et font grâce à proportion des presens qu'ils reçoivent. Enfin on en voit qui se laissent emporter à leur animosité et à leur vengeance, et qui pro- fitent de leur autorité pour accabler un malheureux qui n'est en aucune manière en état de leur résister. »

A côté des inégalités volontairement faites par les collecteurs, il en est d'autres qui leur sont imposées par les personnes dont ils dépendent, et notamment par les élus, trésoriers de France et conseillers à la Cour des aides. Au nombre des « abus de finance » signalés par Colbert> dans sa grande ins- truction de mars 1664, se trouve « l'intelligence des trésoriers de France avec les élus pour soulager... dans une paroisse les officiers, leurs fermiers, métayers ou ceux de leurs amis, et ce pour différents intérêts8 ». Lorsque, dit Pescheur lui-même, les collecteurs sont parvenus k modérer les cotes de ceux de leur cabale, les élus « y donnent les mains... sans contredit,... soubz promesse de pareille gratification : facio ut facias » : « Je n'entends point par là, ajoute-t-il, accuser aucun, mais je suis obligé en conscience de dire que j'ay veu a telz jugemens de très mauvaises suittes 3 ». L'intendant d'Orléans écrit à Colbert en 1664 que les élus de Clamecy « abusent de leur autorité, faisant faire les rooles de quelques paroisses qu'ils protègent a leur fantaisie » ; quand on fait des poursuites devant eux, ils allèguent « qu'ils n'ont aucun fonds pour faire les frais de justice », et sa conclusion est : « Il est tout a fait néces- saire de tenir dans le devoir les officiers de ces eslections esloignées '* ».

La surveillance des élus fut, on l'a vu s, une des charges des intendants. Ils les empêchèrent le plus possible d'intervenir dans la rédaction des rôles, et de rien y changer lors de la vérification. Mais les officiers des Elections conservaient le jugement des surtaux et des rejets, par ils pouvaient exercer

1. 11 dit encore plus loin : « C'est un seigneur qui parle pour ses fermiers, mais qui parle avec autorité, et de manière à faire entendre qu'il ne veut pas être contredit. C'est un autre, d'une puissance égale et de qui on a beaucoup à attendre, et dont les recommandations sont aussi fortes que des commandemens. » (P. 498).

2. Clém. IV, 37. Cf. ibid. VII, 177, le mémoire à Mazarin en 1659.

3. M. C. 33, fol. 287.

4. Let. du début de juin et du 7 oct. 1664, M. C. 121 fol. 337 et 124 fol. 104.

5. Ci-dessus, p. 118 et suiv.

M LA TAILLE EN NOIIMANDIE.

leur influence : Leblanc écrit le 1" mai 1682 que ceux de l'ont de l'Arche refusent de poursuivre les informations faites pour malversation dans les rôles de Louviers1. Son collègue Méliand écrivait quatre ans auparavant :

« Les officiers des eslections de la généralité de Cacn rendent jour- nellement des jugemens par lesquels non seulement ils accordent des décharges ou modérations de taux sans adjuger la provision*, mais mesme, pour favoriser ceux à qui ils veulent donner protection, font des deflences aux collecteurs de les comprendre dans leurs rolles avant qu'ils soient faits, ou les y rayent lorsqu'ils les y trouvent employez, le tout a l'oppression des pauvres collecteurs, lesquels, aux termes des déclarations, ne pouvans demander les rejets de descharges et modérations qui ne sont jugées que l'année suivante, se trouvent obligez d'avancer a la recepte lesdites descharges et modérations dont ils ne peuvent faire le recouvrement que longtemps après, au moyen de quoy ils sont détenus dans les prisons. »

Il propose de renouveler par un arrêt du Conseil la décla- ration d'août 1677, qui n'est pas exécutée, mais, dit-il, « ce f payement par provision ostant et faisant cesser presque toutes es affaires des Elections, les officiers, surtout ceux qui se trouvent éloignez dans le fond de la province, ne s'y réduiront que par authorité et par crainte3. »

Il n'y avait pas davantage à compter sur la justice de la Cour des aides : ses membres, bien connus pour leur partialité, accor- daient ou confirmaient des réductions de taille à leurs amis, parents ou clients, comme ils l'entendaient. En 1682, Leblanc est obligé de solliciter un arrêt du Conseil pour casser un arrêt de la Cour réduisant de 100 à 60 1. la cote d'une dame de Machy « qui a plus de 1 200 1. de rente et qui fait valoir plusieurs occupations* ».

Toutes sortes de gens trouvent le moyen d'obtenir des faveurs dans l'imposition, pour eux ou pour leurs protégés. En tête viennent les seigneurs des paroisses, dont on a vu la puissance 5. Les huissiers et sergents vendent a ce prix leurs bonnes grâces :

1. B. N. fr. 8761 fol. 51, v°.

2. C'est-à-dire sans ordonner que les cotes primitivement fixées seront payées par provision aux collecteurs.

3. Let. du 24 mars 1678, et projet d'arrêt l'accompagnant, A. N. G7, 213. Voir l'arrêt dans Règlements de Normandie, p. 203.

4. Let. du 5 avril 1682, B. N. fr. 8761, fol. 46. Tous les juges en général étaient partiaux en faveur des gentilshommes : voir une lettre de Barin de la Galisson- nière, écrite de Vernon à Colbert le 3 août 1666, il avait ordonné au lieutenant- général de Pont-Audemer d'informer contre un gentilhomme qui avait usurpé des communaux et commis des violences contre des particuliers, mais au lieu d'infor- mer, le lieutenant a inculpé un paysan d'avoir battu sa femme, sur la fausse dénonciation du gentilhomme, et le paysan est mis en prison. « Voilà, conclut l'intendant, le caractère des juges de cette province » (M. G. 139 fol. 42).

5. Ci-dessus, p. 186 et 314. Cf. le commentaire de Duret sur l'art. 341 de l'ordon- nance de mai 1579, dans Néron, I, p. 650.

L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 363

Pescheur est d'avis qu'il ne faut pas les employer deux ans de suite dans une même région, « la continuation les authorisant d'agir en maistres jusqu'à entreprendre des protections de par- ticuliers, dont ilz font modérer leurs [pour : les] cottes par les asseeurs qu'ilz intimident par leurs menaces de ne leur point donner quartier, vexation dont ilz [les collecteurs] n'osent se plaindre, de peur du retour1 ». Les officiers de justice, tabel- lions, gardes particuliers, sont dans le même cas2. Lallemant de.Lévignen signale aussi, après notre époque, des « particuliers plus riches que les autres » qui font des avances d'argent aux collecteurs pour payer leurs échéances, et ce « dans la vue d'être bien traittés par les collecteurs, ce qui ne manque pas d'arriver » ; mais l'intendant se garde de désapprouver cette pratique, qui accélère les recouvrements 3.

Il n'est pas jusqu'aux scribes chargés d'écrire les rôles qui ne trouvent le moyen de soulager leurs amis : à l'insu des collecteurs, souvent illettrés, ils leur attribuent la cote qui leur plait, puis se hâtent de faire vérifier le rôle à l'Election : désormais le rôle est exécutoire, il n'y a plus de recours que par voie de cote et comparaison, et le scribe n'est responsable de rien. La fraude est signalée par Pescheur*, et reprise par Lallemant de Lévignen plus de soixante après : « Les collec- teurs, dit ce dernier, ... ne scachants ny lire, ny écrire, ils se laissent conduire par des scribes prévenus par présents ou autrement en faveur de certains habitans, leur font faire l'im- position à leur gré, quelquefois même les trompent en mettant de plus grandes ou moindres sommes à des particuliers contre l'intention de ces mêmes collecteurs5 ».

D'autres personnes encore, celles-là sans aucune fonction publique ni autorité reconnue, interviennent pour se faire sou- lager, elles et leurs amis, ou pour faire surcharger leurs

1. M. C. 33, fol. 291.

2. « Maistre Gabriel Dufour, sergeant, propriétaire d'une maison », est imposé à 10 sous sur le rôle de St-Saens, pour 1670 (A. D. S. Inf. C 2692); dans la même paroisse, « Maistre Gabriel Romard, controlleur au grenier a sel du Neufchastel » ne paye pas davantage; la même année, au Gandeau, Jean Marquet « garde de Monseigneur de Sainct-Luc » est imposé à 1 sou (ibid. 2676); à Saumont la Poterie, en 1673, Arthur Brunet, « garde aux bois de Son Altesse Longueville », est coté pour 5 sous, mais il apparaît par le rôle cueilloir qu'il ne paye rien de son imposition (ibid.). A Saint-Loup-Hors, en 1663, Thomas de Bauny, noble dérogeant, est même taxé à néant (A. Mun. Bayeux, rôles de 1663).

3. B. N. fr. 7771, 181 : « La paroisse, dit-il, évite des frais qui luy seroient plus préjudiciables que le désavantage de faire porter à ces gens aisés une pistolle de plus, ou peut-être deux, dom ils seroient chargés, d'où il suit que le recouvrement des impositions se fait plus aisément ».

4. « Les scribes employez à la confection des rolles sont sollicitez par beau- coup de cottisables pour estre soulagez en leur taux, ce qui leur est facile de permettre et d'exécuter impunément, attendu que le plus souvent les asseeurs collecteurs ne scavent lire ny escrire. » (M. C. 33, 288). L'intendant de Rouen, en 1676, défend aux greffiers de s'entremettre dans la confection des rôles, pour des motifs analogues (B. N. fr. 8761bis, 27).

5. B. N. fr. 7771, 182.

;,,, LA TAILLE EN NOHM ANUiE.

ennemis. On I<-s désigne d'an terme générique, très fréquent : ce sont les coqs de paroisse*. « Dans chaque parroisse, écrit le conseiller d'Etat De la Marguerie en 1665, il y a tousjours quelque particulier plus riche, plus esclairé ou plus capable d'affaires que les autres ; ccluy-la s'en rend maistre, fait tout ce qui luy plaist dans la communauté, a quelque esleu pour amy, auquel il donne annuellement des marques de sa gratitude afin qu'il l'exempte des tailles et ses amis en vérifiant le rolle et choisissant quelques fois d'office des collecteurs à sa poste 2, faict descharger par son crédit ceux qu'il veut de la collecte des tailles, y en faict mettre comme il luy plaist, d'où vient l'insol- vabilité et la ruine de la parroisse3. »

Colbert connaissait bien ces personnages, et attira plusieurs fois sur eux l'attention de ses subordonnés : Veillez, écrit-il à De Sève en 1672, « que les principaux habitans, que l'on appelle coqs de paroisses, ne soyent point soulagés aux dépens des pauvres* ». Et l'année suivante, à Marillac : « Surtout, l'intention de Sa Majesté est que vous donniez une entière application à empescher que les plus riches et ceux qu'on appelle coqs de paroisses se fassent imposer à peu de chose pour rejeter toute la charge sur les pauvres5 ». Empêchez, dit-il encore dans une circulaire, que la Cour des aides ne casse vos taxes d'office, car ces arrêts « augmentent la hardiesse des coqs de paroisses, qui se déchargent de la taille par toute sorte de moyens, la rejettent sur les pauvres, et chargent toutes les communautés des frais qu'ils font dans la poursuite de ces arrests6 ».

Jusqu'à la fin de son ministère, il se préoccupe de la ques- tion. Parmi les deux points « très importants » qu'il signale aux intendants le 28 mai 1681 se trouve le fait que « dans toutes les paroisses les principaux habitans et les riches trou- voient facilement moyen de se décharger des tailles et d'en surcharger les moyens et les pauvres habitans, et mesme que

1. « Coq, dit le Dictionnaire de Trévoux, signifie figurément un notable bour- geois ou habitant d'une paroisse qui s'y est mis en autorité, qui gouverne tous les autres ». (Dictionnaire universel François et Latin, éd. 1704, art. Coq). L'éd. de 1771 a modifié cette définition : « Coq signifie figurément en style familier un notable bourgeois ou habitant d'une paroisse qui est distingué par son crédit, par ses richesses >. Le mot aurait-il perdu à la fin du xvm* siècle le sens péjoratif qu'il avait au début? En Franche-Comté le mot avait un sens particulier, il dési- gnait les gens de loi qui habitent les villages et se font protéger par les juges locaux. (Girardeau de Noseroy, Histoire de dix ans, Besançon 1/42, cité par Beaulieu, La Gabelle, p. 34, n. 3). L'expression se rencontre même dans des actes officiels; un arrêt du conseil du 27 novembre 1641 vise « les principaux et puis- sans appelles coqs de paroisses ». (Néron t. II, p. 664).

2. C'est-à-dire à son gré.

3. B. N. Clairamb. 613, fol. 304. De la Marguerie avait été intendant de pro- vince.

4. Clém., II, 258.

5. IbU., 300.

6. Ibid., 294-295, circulaire aux intendants, du 6 octobre 1673.

' L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 365

ceux-cy demeuroient d'accord de la décharge de ces plus riches, parce qu'ils les faisoient travailler, et qu'ils trouvoient des secours par leur moyeu dans toutes leurs nécessités1 ». Dans leurs mandements, les intendants rappelaient aux contribuables les ordonnances2 interdisant « aux ecclésiastiques, gentils- hommes, officiers et autres personnes de quelque qualité et condition qu'ils soient, de s'entremettre de l'assiette des tailles, directement ou indirectement, ny troubler et intimider lesdits collecteurs, tant lors de l'assiette que collecte desdits deniers 3 ». Mais l'interdiction était plus facile à prononcer qu'à exécuter. Comment de pauvres paysans, fermiers ou journaliers pour la plupart, auraient-ils pu échapper à la domination de person- nages qui étaient leurs maîtres reconnus, leur rendaient la justice, tenaient leur existence matérielle à leur merci? Quel recours avaient-ils contre des puissants que les juges appuyaient toujours, qui pouvaient les ruiner en frais de procès4, et en face desquels l'intendant lui-même se déclarait parfois désarmé8?

Voici quelques faits, observés en Normandie, qui donnent une idée de ces abus :

A Saint-Germain de la Coudre, élection de Mortagne, le sieur François Desjardins dit Saint-Val « non comptent de s'exempter de la contribution des tailles quoyque de condition roturière, [faisait] en outre touttes les viollences possibles pour empescher qu'il ne soit imposé ». Les habitants s'étant un jour réunis en assemblée, il les soupçonna de vouloir supprimer son privilège :

« Il y seroit survenu accompaigné de plusieurs autres personnes armés de mzils, pistolets et espées, lesquelz s'estans jettez sur lesdits habitans les auroient maltraitez, mesme le sieur curé de ladite parroisse présenta ladite deslibération qu'ilz auroient traisné par la rue, battu et excédé et deschiré ses habits, auquels par desrision ils

1. Glém. II, 154. Le premier point « très important » concerne l'intervention des « gentilshommes et autres personnes puissantes » dans la rédaction des rôles : v. ci-dessus, p. 313. « S. M., ajoute Golbert, m'ordonne de vous écrire fortement que son intention est que vous examiniez avec un très grand soin ces deux points.

2. Notamment la déclaration de janvier 1634, art. 48 et 49. L'art. 48 ordonnait d'inscrire les coqs de paroisse à part sur les rôles, pour qu'ils fussent taxés d'office par les élus, mais on a vu que cet article était tombé en désuétude : cf. Nau, Abrégé des ordonnances, p. 514.

3. Mandement de l'intendant de Rouen, 1672, A. D. S. Inf., G. 2215. (Cf. l'ordon- nance de mai 1579, art. 341, avec le commentaire de Duret, dans Néron, I, 050, l'édit de janvier 1598, ibld., p. 694, etc. Voir aussi la lettre de Colbert à l'inten- dant d'Alençon, du 15 janvier : « Vous devez... tenir la main à ce que [La taille] soit imposée également partout, en sorte que les principaux habitans des paroisses ne se voient point descharger par aucune recommandation sur les faibles » (Glém., II, 246) et sa circulaire du 24 avril 1676 : S. M. veut « que vous empeschiez formellement qu'aucun gentilhomme, officier ou principal habitant ne se déchargent, eux ou leurs fermiers, parens ou amis, pour charger les plus faibles des paroisses » (ibid., p. 374).

4. Cf. La Barre, Formulaire, p. 171 : les collecteurs « pour éviter procez, n'osent asseoir les riches ».

5. Cf. la lettre de Barin de la Galissonnière en 1667, ci-dessus, p. 153.

Ma LA TAILLE BN NORMANDIE.

auroient mis un chapeau gris sur la teste et ensuitte l'auroient mené au chasteau de la Fresnée ils l'auroient détenu prisonnier avec- plusieurs indignités, nonobstant sa quallité de prebtre. »

L'avocat général de la Cour des aides, qui expose ces faits en 1665, obtient que la Cour prescrive une enquête; nous ne savons pas quelle suite fut donnée à l'affaire1.

A Préaux, élection de Mortagne, en 1668, les deux frères Hugo, protégés du marquis d'Avilly, veulent contraindre les habitants à les imposer, malgré leur fortune, l'un à 1 sou, l'autre à 60 s.; les habitants font des difficultés à y consentir, et ajournent leur assemblée au 11 novembre pour en délibérer. Quand l'assemblée est réunie, suivant le procès-verbal adressé par l'intendant à Colbert,

« Lesdits Hugots, accompagnez desdits Launay, La Fontaine et Saint-Martin, serviteurs domestiques dudit sieur marquis et couverts de ses couleurs et casaques, estoient venus... armez de fusils et d'espées; ou estant ils avoient demandé qui estoit ceux desdits parroissiens qui ne vouloient signer ledit consentement; tous lesdits accusez, armez comme il est dit cy-dessus, avoient pris ledit sieur Gilles Brière, luy disant qu'il faloit qu'il signast ledit consentement, et [Brière] leur ayant respondu qu'il ne pouvoit faire cela, estant contre sa conscience et justice, au mesme instant l'avoient frapé et outragé de plusieurs coups de pied et de poing, de sorte qu'il estoit tombé par terre comme mort sur la place, et, non content de l'avoir mis en tel estât, luy avoient mis le pistollet sur la gorge en jurant et blasphémant le saint nom de Dieu que s'il ne signoit ledit consente- ment, qu'ils alloient débander leurs pistollets et fusils en son corps ; pour évitera quoy il signa ledit consentement2. »

L'intendant fut chargé d'informer sur ces faits; nous ignorons également ce qu'il en advint.

A Saint-Denis le Thiboult, près de Darnetal, un nommé Durand qui avait été « avocat à la suite des intendants... sous le nom de porteur de procuration » exploitait une ferme de 7000 1., appartenant au marquis de Macy. Pendant huit années de suite, il avait prétendu ne pas payer la taille, et « tourmen- tait les habitants » à cet effet. Taxé d'office par Leblanc en 1682, il avait fait appel de la taxe au Conseil. Un procès ruineux pour la paroisse allait s'engager, lorsque l'intendant intervint pour interdire l'appel3. La même année, Leblanc évite également des frais de procès à la ville de Quillebeuf, un nommé Dubuc

t. D'après la lettre et l'arrêt envoyés à Colbert par l'avocat général le 4 août 1665, M. C. 131, fol. 155-158. La cour avait été saisie de l'affaire par ordre de Colbert, qui avait reçu une information du substitut de Mortatrne.

2. M. C. 149, 584.

3. Let. de Leblanc à Desmarets, 5 avril 1682, B. N. fr. 8761, 46.

h INEGALITE DANS L ASSIETTE. 367

intimide tous les habitants par les procès dont il les menace1.

A Ver, élection de Coutances, le seigneur du lieu, nommé Gascoing, fait soulager à la taille tous « ceux qui sont dans sa dépendance ». Il en use ainsi pendant vingt-cinq ans, faisant faire les rôles en sa présence. Comme il est de la R. P. R., les élus finissent par informer contre lui, en 1685, et réunissent des témoignages; il est condamné à 100 1. d'amende, et* comme il est prouvé qu'il fait valoir la dîme de sa paroisse sous le couvert d'un de ses domestiques, il est imposé à la taille comme dérogeant2.

Dans la généralité de Rouen, en plusieurs paroisses, d'après un mandement de Leblanc en 1678, les coqs « pretendans estre modérez, déchargez ou rayez,... s'adressent aux collecteurs, leur font des procès en première instance et par appel, a la poursuite desquels ils abandonnent la collecte, consomment les deniers de la taille, et souvent pour une somme modique, il se trouve pour trois ou quatre cens livres de dépens, ce qui cause la discution des collecteurs, la solidité contre les principaux, et la ruine de la parroisse3 ». Il serait plus économique de les exempter d'impôt.

Ces exemples, malgré leur netteté, ne nous donnent pas d'indications sur l'étendue exacte du mal. A en croire l'inten- dant de Morangis elle n'aurait pas été très grande en Norman- die; le 10 juillet 1684 il répondait, de Caen, à une question du contrôleur général : « Je n'ay point trouvé de gentilshommes ni d'ecclésiastiques qui se meslent de l'imposition de la taille, et si cela se fait c'est avec tant de précautions que je n'en ay receu aucune plainte ; il n'y a point de province dans le royaume les seigneurs soient moins autorisés, et les paysans soient plus instruits de leurs droits et les sachent mieux maintenir4 ». A la vérité, on ne trouve pas en Norman- die d'excès en ce genre aussi considérables que dans certaines autres provinces : pas d'exemples de collecteurs tués, de paroisses pillées ou mises dans l'impossibilité de payer l'impôt, comme on en voit en Poitou, en Limousin ou en Champagne5.

1. Lel. de Leblanc, 2 janvier 1682, A. N. G7 491; il demande des arrêts du Con- seil pour « mettre en repos les habitants ». En marge est écrit : « M. Desmaretz a envoyé ses deux arrêts ».

2. Lettre de Morangis, 12 juillet 1685, A. N. G' 213.

3. B. N. fr. 8761b,s, f> 131.

4. De Boislisle, Correspondance, I, 90.

5. Charles Colbert écrit de Mayenne, le 18 oct. 1664, que « la plupart des gen- tilshommes » font faire* les rôles à leur fantaisie, maltraitent les collecteurs ; le sieur de Saint-Contest « est accusé de beaucoup d'assassinats et d'avoir maltraité des collecteurs » (M. C. 124 fol. 364). Pinet dénonce en Poitou, en 1663, le marquis Desroches, « qui s'est moqué de toutes les ordonnances qn'on a peu rendre contre luy et les collecteurs de sa paroisse, où, avec toute la violence imaginable, il a présentement levé la moitié de la taille » (M. C. 115 fol. 551). Le prévôt royal de Bourbonne, en Champagne, agit comme un grand seigneur : « jamais les inten- dants n'avaient peu luy faire payer de taille; il s'étoit mocqué de toutes les

LA TAILI.K BU XOKMAXDIE.

Mais si l'abus v existait ii un moindre degré, on ne peut prendre à la lettre l'affirmation de Morangis et en nier l'existence. Dans la même généralité de Caen, l'intendant, en 1673, constatait « qu'aucuns gentilshommes et personnes puissantes, abusans de leur autorité, battent et excédent les collecteurs des tailles et autres sujets de S. M., exigent des corvées et font des levées sous prétexte de recompense ae leur protection * ». Un intendant avait quelque intérêt à soutenir que sa circonscription était mieux administrée que les autres; il n'était d'ailleurs pas tou- jours exactement informé de tout2.

Tous les cas énumérés jusqu'ici constituaient des abus fla- grants, que tout le monde condamnait sans hésitation. Mais il en était un autre, qui se présentait très souvent, et dont l'illé- gitimité faisait quelque doute : c'était lorsqu'un exempt faisait soulager ses propres fermiers par les collecteurs.

Les privilégiés, on l'a vu, ne pouvaient exploiter eux-mêmes qu'une quantité limitée de terres; tout ce qu'ils possédaient en plus, devait être affermé. Or ils faisaient observer que, si l'on imposait leurs fermiers, leurs terres seraient louées d'autant moins cher; ils payaient donc indirectement la taille par ce moyen, et leur exemption n'était plus qu'un vain mot. La thèse, mainte fois soutenue dans les écrits du temps, fut exposée à plusieurs reprises aux Etats de Normandie. Le président de Bauquemare y disait en 1566 :

« Combien que des tailles et autres crues que le prince demande pour sa subvention soit faicte assiette directement sur ceux du Tiers Estât, neantmoing ceux de l'Eglise et de la Noblesse en payent indi- rectement leur part, ce qui se peult congnoistre par un exemple fami- lier : combien il y«a-t-il de laboureurs tenant à fermes les héritages et possessions des ecclésiastiques et gentilshommes qui payent 60 et 80 1. de taille, lesquels sans lesdites charges ne pairoient 100 sols. Ceste charge ne vient-elle pas en diminution de leurs fermages3? »

En 1617, 1623, 1634, les nobles et les magistrats avaient

cottes d'office, et exemptoit tons ses parents; il s'adjugeoit a luy-mesme la double dixine de sa paroisse soubs noms empruntés; il avoit fait des levées assez considérables depuis quinze ou seize ans, dont il ne rendoit point décompte a la communauté » (Depping, t. III, p. 173); autres exemples A Vendôme, 1665 (M. C. 128"" f 1172); en Berry, 1682 (A. N. G" 124, 26 mai et 13 juillet), en Bourbonnais, 1663 (M. C, 115 '"• 660), etc. L'abus continua après Colbert : v. par ex. le préambule de l'édit d'août 1692, créant des maires perpétuels dans les villes.

1. Mandement du 4 oct. 1673, A. D. Calv., Bureau des finances.

2. On a vu, p. 140, la difficulté pour un intendant de se renseigner exactement sur ce qui se passait dans sa généralité. Il n'était pas toujours facile de connaître ces protections clandestines des puissants; Croissy, en ayant découvert des cas scandaleux en Poitou, ne trouvait pas de témoins pour en déposer (M. C. 115, 364.) _ V l

3. De Beaurepoire, Cahiers des États..., règne de Charles IX, p. 125.

L INEGALITE DANS L ASSIETTE.

369

renouvelé cette déclaration i ; les Mazarinades la reproduisirent plusieurs fois2 , et l'intendant Méliand écrivait de Caen le 15 août 1680 :

« C'est une maxime générale en cette province que c'est faire payer la taille a la noblesse et aux exempts indirectement que d'imposer leurs fermiers, de sorte que les gentilshommes, officiers et autres exempts de taille employent toutes sortes de moyens pour que leurs fermiers ne soient mis qu'à des sommes modiques eu égard au bien qu'ils ont de leur chef; car quand ils ne font que faire valoir, les collecteurs ne les employent qu'a de très petites sommes 3. »

Cette théorie était spécieuse, mais les privilégiés la démen- taient eux-mêmes par leur acharnement à rechercher le privi- lège, fût-ce au prix de l'imposition de leurs fermiers. Le roi ne pouvait du reste l'admettre sans un énorme préjudice : elle aurait fait passer rapidement toute la terre aux mains des exempts, et bientôt on n'eût plus rien trouvé à imposer. Aussi le règlement d'août 1664, art. 27, après ceux de 1600 et 1634, avait-il formellement ordonné que les fermiers des exempts fussent imposés :

« Atendu qu'il s'est introduit un abus manifeste, en conséquence duquel les eclésiastiques, gentilshommes et oficiers privilégiez pré- tendent que leurs fermiers ne doivent point être imposez aux tailles, à cause des fermes qu'ils tiennent d'eux, s'imaginant que c'est leur faire paier indirectement la taille, d'où il s'ensuit un désordre sans exemple, qui cause la ruine et Fopression des pauvres taillables, et donne lieu ausdits eclésiastiques, gentilshommes et oficiers d'aug- menter extraordinairement le prix de leurs fermes, sous prétexte de cette prétendue exemption ; Nous voulons et entendons que les fermiers desdits eclésiastiques, gentilshommes et oficiers, "soient compris aux rôles des tailles, tout ainsi que les autres fermiers, tant à raison de leur bien, trafic et industrie, qu'à cause du profit qu'ils peuvent faire esdites fermes *. »

Le même règlement interdisait en outre une fraude commu-

1. Ibid., règne de Louis XIII, II, p. 52, III, p. 9, etc.

2. Voir notamment : Loppin, Les mines gallicanes, Paris, 1638, in-4°, p. 14; les délibérations de la noblesse aux Etats de 1614, B. N. fr. 11916; la maza- rinade intitulée : Les généreux, conseils d'un gentilhomme français; le discours du marquis de Sourdis à l'assemblée de la noblesse du 22 février 1651 (Journal de l'Assemblée de la Noblesse, p. 43), etc. Après notre époque, le tlième sera très souvent repris : Mémoire de M. de Fougerolle publ. à la suite des Mémoires pré- sentés au duc d'Orléans par Boulainvilliers, 1727, t. II, p. 138 et 150; la Gourdes Aides de Paris l'a repris à son compte: l'auteur de l'art. Taille dans V Encyclo- pédie, Sénac de Meilban, Turgot (Œuvres, t. IV, p. 271), etc. Cf. Marion, L'impôt sur le revenu, p. 12.

3. A. N. G? 213.

4. Règlements de Normandie, p. 139 cf. les édits de mars 1600, art. 18, janvier 1634, art. 33, avril 1643, art. 21 et suiv., etc.

LA T.MLLE EX NORMANDIE.

24

370 LA TAILLE EN NORMANDIE.

nément pratiquée : les exempts, « pour mettre [leurs] fermiers à couvert et les empêcher de contribuer aux tailles, leur passant des procurations en fraude et simulées, pour les faire passer pour leurs domestiques et préposez », ils seront imposés pour toutes les terres qu'ils feront cultiver sous le nom de leurs domestiques en sus de la quantité à eux permise (art. 28).

Colbert fit, en 1663, un exemple retentissant en la personne d'un valet du marquis de La Chastre-Nançay pour avoir mutilé un collecteur qui avait imposé à un écu un fermier du marquis1. Il rappela plusieurs fois le règlement dans ses lettres aux inten- dants : surtout, écrit-il à Saint-Dysan en 1672, « il est néces- saire que vous vous appliquiez à empescher que les gentils- hommes... par le crédit et l'autorité qu'ils ont dans les paroisses... ne fassent décharger leurs fermiers au préjudice et à la foule des autres habitans2 ». Il félicite De Sève d'avoir taxé d'office en 1673 des fermiers de gentilshommes : « Vous ne devez pas douter que ces taxes ne soyent bien soutenues3 ». Il prescrit à Leblanc en 1677 de travailler à « abolir entière- ment » l'abus des seigneurs qui « déchargent extraordinairement leurs fermiers* ».

Les intendants de Normandie inscrivirent les prescriptions réglementaires dans leurs mandements annuels aux paroisses5; mais les privilégiés n'avaient pas scrupule à les transgresser; ils ne pensaient pas mal faire, cette extension de leur privi- lège leur paraissant naturelle6, et les protections accordées

1. Mémoire de l'intendant de Bourges à Colbert, 3 mars 1663, M. C. 115 f 85 : ce valet, avec deux compagnons, avait assailli le collecteur, l'avait roué de coups, puis lui avait coupé le nez et les oreilles, « et en prit les morceaux qu'il mit dans sa poche, disant qu'il avoit de quoy justifier la commission qui luy avoit esté donnée >. Colbert se vante de la punition infligée au valet, qui fut arrêté

jusque dans la chambre de son maistre », et remis à la justice (Mémoire au Roi sur les affaires de finance, Clém., II, 67). Colbert écrira encore à Marillac le 2 février 1674 qu'il n'y a « rien de si important que de purger les provinces de ces petits tyranneaux qui ruinent les peuples > (Ibia. 322).

2. Clém. II, 250. Il signalait déjà l'abus à Mazarin le 1" oct. 1659 (ibid., VII, 177).

3. Ibid. II, 295, n. 1.

k. Ibid. 378. Ces protections frauduleuses sont signalées par Voysin en 1665 : Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 87-88.

5. V. par ex. le mandement de l'intendant de Rouen en 1672 : ordre d'imposer

les fermiers des seigneurs et gentilshommes et autres de vostre paroisse qui ne sont pas compris dans vos rôles, pourveu 'qu'ils ne soient pas imposez ailleurs, ou qu'ils le soient a des sommes très modiques » ; les pseudo-serviteurs qui font valoir les terres des gentilshommes en sus d'une ferme seront taxés d'office pour leurs exploitations (A. D. S.-Inf. C 2215). L'intendant de Caen, en 1675, défend aux collecteurs de « confondre sous un mesme article la taxe du propriétaire et de son fermier, a" peine de 100 1. d'amende » (A. D. Calv. Election de Caen).

6. Cf. un manuel de confession intitulé : Les péchez cachez de chaque chrétien en Yexercice de sa profession, par le sieur D. A. E. P. D. S., Paris, 1680, p. 86 :

Un seigneur qui vivra moralement bien pourroit aussi commettre des crimes dont il ne s'apercevroit pas : par exemple, s'il vouloit exempter de la taille un de ses receveurs, qui seroit cottisé au roole a une plus grande somme qu'il ne désireroit, et qu'il fit publier aux prônes qu'il veut exploiter sa terre par ses mains... Il arriveroit de cette action premièrement que toute la cotte de ce rece-

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 371

par les ministres eux-mêmes, les intendants, les gens de cour, autorisant dans une certaine mesure leurs actions1. Ils avaient du reste les moyens d'éluder facilement la loi : l'un d'eux, en Lyonnais, obligeait « les habitans de sa terre à donner de l'argent à son fermier pour payer sa taxe d'office2 »; d'autres, en Normandie, couvraient leurs receveurs par des procurations en forme : « On est sy habile en cette province, écrit Leblanc, pour s'exempter de la taille, qu'il n'y a plus présentement de receveurs ny de fermiers, mais des gens qui agissent en vertu de procurations... Sy les receveurs, sous prétexte qu'ils ne font rien valloir par leurs mains, estoient exempts de taille, le recou- vrement ne se pourroit faire3. » Les gentilshommes, officiers et bourgeois, dit pareillement de Bouville 1683, « veulent obliger les collecteurs de ne taxer que médiocrement leurs fermiers...; ilz prétendent la preferance sur les fruitz comme propriétaires, et mesme comme ayant preste de quoy ensemancer, et ils justif- fient que les bestiaux leur appartiennent, ainsy les pauvres collecteurs ne trouvent rien sur quoy asseoir une exécution, et par ce moyen ils se voient obligez de ne taxer lesdits fermiers que trez médiocrement4 ».

Les intendants eux-mêmes ne jugeaient d'ailleurs pas tou- jours opportun d'appliquer leurs règlements : « Dans le dépar- tement, écrit Chamillart, de Bayeùx, le 29 novembre 1666, je n'ay voulu taxer aucun fermier; au contraire j'ay tesmoigné que l'intention du roy estoit de les soulager, pour oster tout prétexte aux eclesiastiques et gentilshommes de faire valoir leurs terres, ce qui les destournoit les uns et les autres de s'attacher aux exercices convenables a leur profession, et rendoit les taillables inutils et pauvres;... ce qui produit un si bon effet, que tous les paysans reprennent courage, et les eclesias- tiques et les gentilshommes commencent a leur donner leur bien a ferme5 ».

Si l'on ajoute à ces motifs l'influence personnelle des exempts,

veur se rejetteroit sur le surplus de la paroisse, et principalement sur les pauvres... Néanmoins ce gentilhomme ne croiroit pas faire un péché, et qu'en cette rencontre, sauve qui peut, comme l'on dit. »

1. Ci-dessus, p. 152 et suiv. Voir encore une lettre de Louvois à l'évêque de Mâcon, 2 août 1681, pour le remercier de la protection accordée à un de ses fer- miers, Arch. de la guerre, 657, 32.

2. Let. de Golbert. 24 février 1683, Clein, VII, 280.

3. Let. du 31 janvier 1682, B. N. fr. 8761, 40, v°.

4. Mémoire du 1er sept. 1683, A. N. G' 71,

5. M. G. 142, 235. J'ai voulu, dit-il, « remédier a un mal gênerai que j'ay trouvé presque dans toutes les eslections de cette généralité, dont les fermiers avoient este jusques a présent accablez, ce qui estoit cause qu'il ne s'en trouvoit plus, que les terres estoient mal ménagées, et les paroisses destituées de tailla- bles en la personne desquels les deniers du roy fussent assurez ». Le sieur Pinet signale pareille surcharge en Poitou : « les taux des fermiers et mestayers pas- sent le prix qu'ils payent a leurs maistres » (M. G. 142, 197 : let. du 25 nov. 1666).

372 LA TAILLE EN NORMANDIE.

qui tiennent les paysans dans une dépendance étroite, et qui savent obtenir pour les paroisses des faveurs au département de la taille \ on comprendra comment leurs terres furent tou- jours très peu imposées.

L'aventure qui arriva un jour au receveur de Pont-1'Evêque, pour avoir voulu imposer un fermier du marquis de Silly, don- nait à réfléchir à plus d'un : en 1670, l'intendant de Rouen avait ordonné que le rôle des Authieux-sur-Calonne fût dressé à l'Election de Pont-1'Evêque, en présence d'un élu et du rece- veur; là on découvrit qu'un fermier de M. de Silly, payant plus de 1500 1. de fermage2, ne payait que 32 1. de taille l'année précédente; le collecteur porte-bourse proposant de l'imposer à 150 1., le receveur transigea en fixant sa cote à 50 1. A cette nou- velle, le marquis adresse d'abord une lettre de menaces au rece- veur, puis il vient le trouver chez le président de l'Election, l'insulte, lui arrache sa perruque, et, le saisissant par le nez, lui crie : « Monsieur le receveur des tailles, sy vous estiez autre part que céans, je vous accommoderois comme il fault ». Le receveur ayant crié : « Au secours, A l'aide du roy! » fut délivré à temps 3; il s'en plaignit à Golbert, qui prescrivit une enquête, « estant très important que, dans des occasions pareilles, tout ce qu'il y a de gentilshommes dans la province soyent persuadés que le rpy ne peut souffrir des actions de cette nature* ». L'intendant déclara que M. de Silly lui avait toujours paru un homme « fort sage », et que son geste était surprenant5, et l'affaire en resta là.

Après Colbert comme avant, les seigneurs trouvèrent com- mode d'accroître le produit do leurs baux en assurant une faible imposition à leurs fermiers. Boisguilbert, dans ses lettres au contrôleur général, donne plusieurs exemples empruntés à son pays : les grands seigneurs, dit-il, « afferment avec leurs terres une presque exemption de taille... M. de Villeroy se trouve dans cette généralité à la tête de ceux de ce genre » ; Mme de Rothe- lin a accablé de lettres l'intendant « pour 150 1. de taille que son fermier payoit sur 6000 1. de recette6 ». Hier, au Neuf- bourg, écrit-il le 31 décembre 1701, « par hasard je questionnai un laboureur d'une paroisse voisine, comme je fais toujours : il m'apprit que le fermier de M. de Vieuxpont, sur 2 500 1. de

1. Voir ci-de9sus, p. 150 et suiv.

2. Le procès-verbal porte : « possédant plus de 1500 1. de rentes ». Mais l'inter- prétation ne paraît pus douteuse.

3. M. C. 155 fol. 324 et suiv.

4. Let. du 15 nov. 1670, Clém., II, 77.

5. M. C. 155 fol. 328.

6. Let. du 3 oct. 1700, dans De Boislisle, Correspondance, t, II, p. 526. Au dos de la lettre, le contrôleur général a écrit : « Je voudrais qu'il pût persuader ce qu'il m'écrit à tous les fermiers, mais il y a bien peu d'hommes qui se fassent justice sur leur intérêt ».

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 373

ferme payoit 15 1. de taille, et que cela ne me devoit pas sur- prendre, attendu que c'étoit à peu près de même partout, à l'égard des fermiers des gens de condition1 ». Dans un édit de janvier 1713, le roi constate que, malgré tous les règlements antérieurs, « les seigneurs des paroisses se sont servis de leur autorité pour faire régler et cottiser leurs fermiers à des sommes modiques, et souvent pour faire exploiter leurs terres par d'an- ciens fermiers sous le titre de domestiques, qui sous ce prétexte n'ont point été imposés à la taille 2 » ; et dans sa circulaire aux intendants du 4 octobre 1715, le Régent dira : « Vous porterez toute votre attention à prévenir et borner l'autorité que les officiers des juridictions et les personnes puissantes exercent sur les collecteurs, pour se procurer à eux ou à leurs fermiers des cotes médiocres, et faire rejetter sur les autres habitans la taille qu'ils devroient supporter; c'est de que sont venues les non-valeurs, la difficulté dans les recouvremens, les con- traintes pour les solidités, la ruine enfin de plusieurs tailla- bles 3 ».

Les influences perturbatrices qui intervenaient dans la con- fection des rôles s'ajoutant à celles qui viciaient le département entre les paroisses et entre les élections, on arrivait à de grandes inégalités entre les cotes des contribuables. Pour juger de ces inégalités, nous n'avons pas, on l'a vu, d'indications très précises ni très sûres. Toutefois, les détails portés sur cer- tains rôles nous permettent de nous faire une idée approxima- tive de la fortune des contribuables, et nous devons au moins relever les disproportions qu'ils font apparaître.

Voici le rôle d'une paroisse protégée, Saint-Saens (élection de Neufchâtel), Mme Colbert, sœur du ministre, est abbesse; l'imposition, 3 090 livres, en 1670, est répartie entre 421 feux, soit 7 1. 7 s. par feu, en moyenne4. On y lit :

1. Ibid., p. 527. Cf. Le Détail de la France, éd. 1707, I, p. 22. Vers le même temps, Gauret considère ces protections comme si ordinaires, qu'il donne une formule d'acte pour les réprimer (Stite du Conseil, p. 363).

2. C. d. T., II, 727.

3. Encyclopédie méthodique, partie Finances, t. III, p. 647. Auber écrit dans son Mémoire, vers 1760, que « depuis peu d'années... plusieurs seigneurs de paroisses dans la généralité de Rouen [ont] cessé d'accorder leur protection à leurs fermiers pour faire modérer leurs cottes », (A. N. ADix, 470, pièce 98, p. 2) mais Loisel de Boismare affirme, en 1789, que le désordre subsiste encore de son temps (Dict., I, 39). V. aussi la circulaire d'Orry en 1732, dans Marion, L'impôt sur le revenu, p. 6.

4. A. D. S. Inf., G 2692. Il y a en outre 4 ménages « occupant et non payant taille audit lieu de Saint Saens », et 22 exempts, dont 14 ecclésiastiques, (l'abbaye ne comptant que pour un feu), 3 officiers, un bourgeois de Dieppe et un apotiquaire. Le seigneur du lieu fait valoir 60 acres de terre; le sieur de Belleau, « soy disant noble, [est] propriétaire de la ferme de Bailly, la faisant valloir par ses mains, consistant en masure, bois de haute fustaye, bois taillis et terre en labeur faisant deux charues ». En 1665, la paroisse, comprenant 348 taillables (outre 77 pauvres) est imposée à 2760 1. {Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 176).

374 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Estienne Le Conte, fermier d'une maison et viron 30 acres de terre 30 1.

Jean Morisse, propriétaire de 5 acres de terre .... 27 1.

Estienne Varengues, propriétaire d'une maison et

masure et viron 3 acres de terre 71.

François Grouin, pauvre homme 5 s

François Gonfreville, laboureur, tenant a ferme viron 50 acres de terre par 500 1., ayant trois chevaux, deux vaches, six cochons et quarante bestes à laine. 60 1.

Jean Bourgeois, chappellier, propriétaire d'une maison. 60 s.

Laurent Mallet, chappellier 5 s.

Marin Pinel, cordonnier, propriétaire d'une maison. . 100 s.

René Alexandre, tenant a ferme de M. de Saint Saens pour 500 1. de fermage faisant une charue, a deux vaches et trente moutons 39 1.

Les disproportions, entre ces cotes apparaissent nettement, que l'on compare soit les prix de fermage, soit les propriétés, soit les professions. Des différences beaucoup plus grandes peuvent être constatées entre ces cotes elles-mêmes et celles d'une autre paroisse proportionnellement beaucoup plus imposée, telle Longmesnil ', appartenant à la même élection, et payant 1 450 1. de taille (26 1. par feu) :

François Bourlay [et] sa femme, propriétaire d'unne maison et viron 10 acres de terre, masure que labour, tenant deux chevaux 190 1. 18 s.

Nicollas Lucas, propriétaire d'une maison, de viron 20 acres de terre, masure, erbage et labeur, tenant la recepte de messieurs les chanoines de Rouen avec 20 acres de terre de ladite recepte par 1 000 1. par an et autres fermages viron 4 acres de terre par 420 1. par an et encore 3 acres par 40 1., faisant une charue et tenant 28 vaches 256 1. 10 s.

Marin Langlois, marchand beurier, propriétaire d'une maison et viron 15 acres de terre, erbage que labour, tenant fermage de Nicollas Pinot viron 4 acres de terre par 30 1., tenant 5 chevaux, 8 vaches et 3 génisses 212 1.

François Normand laboureur, propriétaire d'une mai- son et viron 8 acres de terre, masure que labeur, et fermier du sieur de Haucourt viron 8 acres de terre erbage et labour par 200 1. avec 3 acres d'un bour- geoisde Rouen par 501., tenant 2 chevaux et2 vaches. 67 1. 13 s.

Pierre Gauttier le père, fermier du sieur de Frivelle (?) conseiller au Parlement de Rouen, demeurant à Gisors, et viron 20 acres de terre tant masure que labour, par 450 1. par an, tenant 1 cheval et 8 vaches. 38 1. 2 s.

Louis Bourlay, n'ayant qu'une maison masure, tenant 2 vaches 25 1.

1. A. D. S. Inf. C, 2682.

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 375

Hubert Bourlay, propriétaire d'une maison et viron

11 acres déterre, masure que labour, tenant 1 vache. 43 1. 10 s.

Nicollas Moine, propriétaire d'unne maison de viron 6 acres de terre, tant erbage que labeur, et fermier des religieuses du Gler-Ruisel d'un traict de disme par 100 1. par an, tenant 4 vaches 48 1.

Telle encore la paroisse du Val du Roi, toute voisine, où, la même année, 16 contribuables payent 500 1. de taille * (moyenne : 31 1. 5 s. par feu) :

François Dubuc, propriétaire d'une maison, 10 acres

déterre 150 1.

François Belleguize, propriétaire d'une maison et de une acre et demye de taire et une porsion de prerye et une vache 63 1.

Anthoine Doutte ayant une petitte maison en propre et une masure, environ 3 acres de terre, deux chevaux, une vache a louage ; 47 1.

Pierre Follenye, mason, ayant une petite maison en propre, un jardin, e deux acres de terre et une petit porsion de pré 41 1. 10 s.

Robert Fournot, menouvrier, et sa mère, ayant une petite maison et jardin en propre et une acre de terre 16 1. 10 s.

Anthoine Fournot, jeune homme a marier, ayant une petite maison et masure et viron une acre de terre en propre 27 1. 10 s.

La veuve Jacquet Fournot, estant dans la paroisse de Millebot, ayant charge, environ acre et demye de bled 18 1.

François Lefebvre, locataire d'une petite maison ... 16 1.

La veuve Marin Garbonnet, ayant une chambre a louage

dans la paroisse de Villié 10 1.

En regard de ces chiffres on peut mettre les suivants, empruntés au rôle du Bouillon, élection d'Alençon, pour 1673 : la paroisse, comprenant 104 feux taillables, est imposée à 571 1. (5 1. 9 s. par feu)2 :

René Ameslant, journalier, ne possède aucun héri- tage ny bestiaux 20 s.

Benoist Pattier, journalier, possède une acre de terre

et une vache a ferme 11 1. 13 s. 6 d.

Jean Vesmain fils de Georges, journalier, possède

demye acre de terre et une vache a ferme .... 12 1.

La veuve Aubin Guisnet, ne possède aucuns herit-

tages ny bestiaux 10 s.

1. Aujourd'hui commune de Villy-le-Bas, à trois lieues au sud d'Eu. Ibid., 2629.

2. A. D. Orne, Election d'Alençon (série non classée).

37tJ LA TAILLE EN NOllMANDIE.

Paul Tellier, journalier, possède une acre de terre

sans bestiaux 10 1. 11 s. 6 d.

François Tresnel, journalier, ne possède aucuns

héritages 34 s. 6 d.

Nicolas Granger fils de François, laboureur avec une

charrue, deux bœufs, deux jumens et quatre vaches

et vingt brebis, fermier de la terre du Moutier

apartenant au sieur de Giberville Ferraoult au prix

de 550 1. par an; ne cognoissent lesdicts collec- teurs la quantité d'acres de terre en quoy consiste

ladite ferme; possède de son chef une acre et

demye de terre a luy apartenant 14 1.

Pierre Granger, laboureur avec une charue, deux

bœufs, deux jumens, deux vaches et douze brebis,

fermier de la terre de Mommerie apartenant au

sieur de la Houssaye au prix de 230 1. par an; ne

cognoissent la quantité d'acres de terre en quoy

conciste ladite ferme; possède de son chef une acre

et demye de terre 15 1.

Mathias Jajolley, sans vacation, possédant quattre

acres de terre, une vache et une jument 26 1.

La paroisse de La Bellière, imposée à 820 1. en 1670, ne comprend que 25 contribuables (moyenne d'impôt pour chacun : 32 1. 16 s.). L'un d'eux1, à lui seul, porte plus du quart de l'impôt : 215 1.; nous ignorons ses ressources, mais nous savons qu'il n'était pas domicilié dans la paroisse : il est possible qu'il ait été, pour ce motif, surchargé 2. Voici les cotes de quelques autres :

Nicolas Purot, propriétaire d'une maison, masure, viron acre et demie de terre, fermier pour viron 50 1. de fermage, deux chevaux, deux vaches. . . 39 1. 19 s. 6 d.

François De la Mare, propriétaire d'une maison, masure, et une acre de près qu'il baille a ferme a Monsieur Lavandier pour viron 50 1. de fermage et fermier du sieur" pour 500 1. de fer- mage; a dix vaches 25 1. 12 s. 6 d.

Laurens Louvet, propriétaire d'une maison, masure contenant trois acres de terre ou viron, fermier du sieur de Pommereux pour 100 1., qu'il a quitté. . 26 1. 12 s. 6 d.

Anthoine Roussel et François son fils, propriétaires

d'une maison contenant viron demye acre de terre. 26 1. 13 s.

Edouard Maisné, propriétaire dune maison, masure et deux acres de labeur, deux vaches 26 1. 13 s.

1. « Sebastien Houel et Sebastien son fils, demeurant à la Ferté-en-Brnv, 215 1. 16' 6d. . "

2. Rôle de la paroisse, 1670, ibid., 2675. Bellière est situé à une bonne lieue de Forges-les-Eaux.

3. Nom en blanc sur l'original.

L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 377

Nicolas de Bailly, propriétaire d'une maison, masure

contenant trois acres, trois vaches 14 1. 4 s.

La veuve Anthoine Purot, occupe une chambre. . . 5 1. 2 s. 6 d.

Ces exemples, que l'on pourrait multiplier1, ne peuvent assurément pas nous donner une idée complète de la façon dont l'assiette était faite ; les rôles la fortune de chacun est indiquée avec autant de détails sont d'ailleurs en petit nombre. D'autre part, nous n'avons aucune garantie sur l'exactitude de ces mentions : rien n'était plus facile pour un collecteur que de dissimuler les facultés d'un taillable pour le sous-imposer, ou d'amplifier celles d'un ennemi pour le surcharger. Il est fort probable que les inégalités les plus criantes étaient cachées de la sorte, pour éviter l'intervention d'un élu bien intentionné ou de l'intendant.

Du moins on peut se faire une idée approximative de « l'arbi- traire » de l'imposition. La proportionnalité la plus simple, celle qui serait calculée d'après le prix des fermages ou l'étendue des exploitations n'est pas observée dans une même paroisse, ni d'une paroisse a la voisine; la seule constatation générale à peu près certaine que nous puissions faire, c'est que partout les pauvres sont surchargés et les riches soulagés.

1. Des rôles relatifs à l'élection de Neufchâtel ont été publiés par Mali- corne, L'agriculture dans le /mus de Bray, II0 part. p. 114 et suiv., avec l'indica- tion des exploitations. On y voit nettement la disproportion entre la taille et les prix de fermages : deux fermiers de M. de Mailly, à Haucourt, payant l'un 6001. et l'autre 300 1. de fermage, sont imposés tous deux à 20 1.; ua autre habitant de la paroisse paye 13 1. 2 s. pour un fermage de 150 1. ; un autre 10 1. 2 s. pour un fermage de 80 1., etc. A Mesnières, en 1696, on note les rapports suivants entre les fermages et la taille :

FERMAGE TAILLE

Veuve Planchon 1 000 1. 119 1.

Antoine Vanet 500 105

Jean Vanet 500 74

Robert Cartier 300 57

Henri Lecbevalier 300 îHO

Jean Hébert 150 49

Jean Tranchepain 150 47

Michel Decorde . . . . 100 30

Etienne Fournier 100 29

Nicolas Boucher 100 29

On voit que la proportion est beaucoup plus faible pour les gros fermiers que pour les petits; pour tous on dépasse la proportion de 10 p. 100 indiquée par les intendants (ci-dessus, p. 322). Boisguilbert a relevé cette disproportion : « Il n'est point rare, dit-il, de voir dans une même paroisse une recette [= ferme] de trois à quatre mille livres de rentes ne contribuer que pour 10 ou 12 écus à la taille, pendant qu'un autre, qui ne tient que pour trois ou quatre cens livres de fermage, en paiera cent pour sa part » {Détail de la Fiance, éd. 1707, t. I, p. 19).

378 LA TAILLE» EN NORMANDIE.

VII. LA REDACTION DES ROLES

La fréquence des illettrés ' avait, de très bonne heure, fait chercher le moyen d'assurer sans les collecteurs la confection des rôles. Un édit de septembre 1575 avait créé en chaque paroisse un greffier des tailles c pour tenir registre, dresser et écrire sous les asséeurs les rôles de tous les deniers qui se lèvent par forme de taille2 ». Mais le roi, par cette mesure, ne cherchait pas uniquement le bien des contribuables : les nou- veaux emplois étaient érigés en titre d'offices, et mis en vente au profit du Trésor. Une partie furent rachetés par les paroisses3 et en 1597 les autres furent supprimés « à cause des abus que ces greffiers commettaient dans la fonction de leur charge, trompant les asséeurs et collecteurs* ». Mais la déclaration de mars 1600 nous apprend qu'à cette date la suppression n'est

f>as encore achevée, et que les collecteurs se plaignent « que es greffiers des tailles ne suivent ce qu'ils ordonnent, mais augmentent ou diminuent les cottes des habitants comme bon leur semble, en quoi il est aisé de les tromper a cause que la plupart d'entr'eux ne scait lire ni écrire5 ». En novembre 1616, nouvelle création d'officiers pour rédiger les rôles, sous le nom de commissaires des tailles 6, et nouvelle suppression peu de temps après, sur les plaintes des contribuables 7. Au mois d'août 1632 on les ressuscite avec le titre de contrôleurs des tailles, jouissant d'une rétribution de 1 sou par livre (5 pour 100) du montant de l'impôt8. Ils sont à nouveau supprimés, puis rétablis en décembre 1654 avec le nom de directeurs des tailles, ayant charge de « faire conjointement avec les collecteurs des tailles desdites parroisses et de leurs avis les roolles d'icelles, iceux vérifier incontinent après la confection »; ils ont pour gages un droit de 6 d. par 1. (2,5 p. 100) sur l'impôt, et l'exemp-

1. Cf. ci-dcssns, p. 178.

2. Mém. Alphab., p. 343. cf. Encyclopédie méthodique. Finances, art. Greffier des tailles; B. N. fr. 11 04S, f 47, et Hunger, Histoire de Verson, p. 272-73.

3. Edit de mars 1580, cité dans Hunger, Histoire de Verson, p. 273. n.

4. Mém. Alphab., p. 333.

5. Art. 18. Voulons, ajoute le roi, « qu'il soit loisible aux asséeurs de commettre en l'année de leur charge telle personne idoine que bon leur semblera pour faire le dit exercice, moyennant que les dits greffiers soient payez des droits qui leur sont attribuez par ledit de leur création ».

6. Mem. Alphab., p. 343.

/. Nous continuerons incessamment nos plaintes, disent les Etats de Normandie en 1620, contre les commissaires des tailles jusque à ce que ils ayent esté entiè- rement supprimez », et le roi n'a d'autre réponse à leur faire sinon que ces offices ayans esté vendus pour subvenir à la nécessité des affaires du roy, S. M. ne les peult supprimer ». Art. 8 du Cahier dans de Beaurepaire, Cahiers des États, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. II, p. 7-8.

8. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances, imprimé.

LA REDACTION DES ROLES. 379

tion de taille l. En avril 1658, enfin, nouvelle création d'un office héréditaire de commissaire à faire les rôles dans chaque paroisse, lequel est mis en adjudication et attribué « au plus offrant et dernier enchérisseur, à l'extinction de la chandelle » ; l'acquéreur, qui était libre de l'exercer lui-même ou de l'a affer- mer à personne capable2 », fut, pour tout le ressort de la Cour des Aides de Rouen, Me Pierre Domergues bourgeois de Paris3.

On en était de ces perpétuelles créations et suppressions d'offices, toutes onéreuses aux taillables, lorsque Colbert fut appelé au Conseil des finances. Il était résolu à abandonner cette pratique, et dès la fin de 1661 il en signalait l'urgence au roi4. Nous ignorons comment l'opération, entreprise sans retard, fut conduite, mais à partir de 1663 on ne trouve plus trace de ces officiers dans les paroisses normandes, et jusqu'à la fin du ministère les collecteurs demeureront libres de faire écrire leurs rôles par qui bon leur semblera5.

Dans leurs mandements, les intendants rappellent toujours aux collecteurs qu'ils ont cette liberté. Dans quelle mesure les collecteurs ont-ils pu en jouir? Il est difficile de le préciser. Les personnages puissants, coqs de paroisses, officiers et autres qui intervenaient dans l'assiette pouvaient aisément faire choisir des scribes à leur convenance 6. Les rôles qui nous sont parvenus ont été pour la plupart rédigés par des praticiens; on a vu plus haut qu'« ordinairement » les collecteurs se transportaient à cet effet dans la ville chef-lieu de l'élection 7 ; nous avons même un

1. C. d. T., t. I. p. 453-4.

2. A. D. Calvados, élection de Caen, Registre d'ordonnances, affiche imprimée du 11 mars 1660.

3. Arrêt du Conseil du 25 févr. 1661, ibid. L'édit d'août 1661 mentionne aussi les droits dus aux commissaires des tailles (C. d. T., I, p. 496).

4. Clém., t. VII, p. 192.

5. Un édit de janvier 1702 créera à nouveau des commissaires des tailles pour rédiger les rôles. Cette liberté, du reste, est conforme au règlement de janvier 1634, art. 47, qui autorise la présence à l'assemblée du « premier notaire, sergent ou autre personne qu'ils [les collecteurs] voudront choisir pour écrire lesdites taxes » ; le principe de liberté des collecteurs est pareillement proclamé par la Cour des Aides de Paris dans un arrêt du 7 octobre 1678; on a, dit l'arrêt, « toujours laissé les collecteurs dans la liberté de prendre qui bon leur sembleroit pour la confec- tion de leurs rolles, fors des huissiers, receveurs ou autres préposez à la réception des tailles ». C. d. T., t. II, p. 142. L'ordonnance des fermes de 1680, art. 8, auto- rise pareillement les collecteurs du sel à faire rédiger leurs rôles par qui bon leur semblera. Un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 22 février 1687 fera défense à quiconque d'obliger les collecteurs à se servir de tel ou tel scribe contre leur gré. (B. N. fr. 21 419).

6. On a des exemples d'entraves à la liberté des collecteurs hors de Normandie. L'intendant de Bourges écrit à Colbert le 9 août 1680 : « J'ay connu que les offi- ciers de quelques eslections contraignent tous les collecteurs de faire dresser leurs roolles par leur greffier, et ils refusent de les vérifier lorsqu'ils sont dressés par d'autres,... et la taxe que ce greffier prend est plus considérable que dans les autres eslections. » (A. N. G1 124). Dans un mémoire sur la généralité de Paris en 1684, l'intendant signale comme une particularité de l'élection de Dreux que les huissiers n'y obligent pas les collecteurs à « se servir d'eux pour faire leur rôle ». (de Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris, p. 706.)

7. Ci-dessus, p. 313.

fcM LA TAILLE KN NORMANDIE.

rôle le rédacteur se nomme : « ce présent rolle fait par moy, procureur soussigné1 »; mais ce cas est unique. Il est extrême- ment rare qu'un rôle, à en juger du moins par la comparaison de l'écriture et des signatures, soit de la main d'un collecteur. Souvent les rôles de toute une élection sont écrits de la même main, et pendant plusieurs années de suite : il y avait donc des scribes attitrés auxquels les collecteurs s'adressaient habituelle- ment. Etait-ce par nécessité ou par convenance? Il est difficile de le savoir.

Les rôles doivent être dressés, suivant les règlements, en double exemplaire, l'un étant laissé entre les mains des collec- teurs, ce sera le « cueilloir », et l'autre déposé au greffe de l'élec- tion ', Mais en Normandie il est d'usage de rédiger un troisième exemplaire, destiné au receveur des tailles. Les mandements des intendants le rappellent dans les trois généralités, et même, en 1680, l'intendant de Caen exige une quatrième copie pour ses propres bureaux; elle devra lui être adressée dans le délai de huit jours après la vérification, sous peine de 10 1. d'amende; mais l'année suivante il ne renouvelle pas ses exigences*.

Les rôles sont écrits sur du papier ordinaire; l'ordonnance de juin 1680, établissant le papier timbré, n'oblige pas les collecteurs à employer ce papier *.

La forme des rôles est a peu près partout la même. En tète est un préambule indiquant la somme à lever sur la paroisse, l'ordonnance en vertu de laquelle elle est levée et les noms des collecteurs. Voici par exemple le préambule d'un rôle de 1683 :

« Assiette de la somme de 482 1. 15 s. 6 d. sur les contribuables aux tailles de la parroisse de La Cressonnière, eslection de Lisieux, pour leur part de ce que porte ladite eslection année prochaine 1683; en laquelle somme est comprise celle de 11 1. 15 s. 6 d. pour le droit de collecte attribué aux collecteurs, suivant le mandement envoyé ausdits habitans en datte du 13e octobre dernier, ladite estant faite par Henry Delamare, Nicolas Verrier et André Launay asséeurs collecteurs, ainsy qu'il ensuit8... »

1. Rôle de Troismont. pour 1671. Le rôle de l'année suivante porte la même indication. A. D. Calvados, Election de Caen, liasse de rôles.

2. Ordonnance de janvier 1629, art. 345.

S. Mandement aux paroisses du 1" octobre 1680, A. D. Calvados, Election de Caen. Dans le ressort de la Cour des Aides de Paris on n'exigea jamais plus de deux exemplaires : en 1677, les élus de Langres en ayant exigé un troisième pour le commissaire qui vérifierait les rôles, la Cour par son arrêt du 7 octobre 1678 cassa la sentence de l'élection et prescrivit de ne faire que deux copies confor- mément aux ordonnances (C. d. T., t. II, p. 141-153).

4. La tendance des administrateurs était de faire employer le plus possible le

Jupier timbré : De Creil écrit de Uouen le 30 octobre 1672 que dans toutes les lections et notamment dans celle d'Arqués, les collecteurs se plaignent des greffiers qui exigent le parchemin pour les sentences et les antres actes concer- nant les tailles; il a rendu plusieurs ordonnances qui sont inefficaces, il demande un arrêt du conseil pour toutes les provinces. (M. C, 162, 185.) Au temps de Labarre, les rôles devaient être écrits sur parchemin.

5. A. D. Calv., Election de Lisieux.

LA KEDACTION DES HOLES. 381

Ensuite vient la liste des contribuables rangés soit par ordre alphabétique S soit simplement suivant un ordre traditionnel; dans ce dernier cas, on retranche du rôle de l'année précédente les contribuables disparus, et on inscrit les nouveaux à la suite des anciens. Tantôt les « oboles », c'est-à-dire les contribuables pauvres, qui sont imposés pour mémoire à une obole ou à un denier, sont rangés séparément a la fin du rôle, tantôt ils sont confondus avec les autres. Parfois, les contribuables sont rangés suivant l'importance de leurs cotes, en commençant par les plus hautes. Ensuite viennent, séparément, les exempts, puis une formule finale contenant d'ordinaire simplement la date du rôle : « Ladite assiette faite et arestée par lesdits collecteurs devant nomez, à Lisieux, ce 2 décembre 1683 ». Puis viennent les signatures des collecteurs; ceux qui ne savent signer font une marque (en dialecte normand un merc) et un de leurs collègues plus lettré, ou le rédacteur du rôle, indique à côté leur nom : « Merc de N. » A la suite du tout est portée la formule de vérification du rôle par un élu avec la signature de celui-ci.

Chaque feu tailiable doit être inscrit séparément sous le nom du chef de ménage; il est défendu d'inscrire ensemble sous une même cote plusieurs taillables, par exemple un père et son fils faisant valoir des biens chacun pour son compte.

Avant 1662, l'impôt de chaque tailiable était subdivisé en trois articles : un pour le principal de la taille, un pour la seconde partie de la taille et le troisième pour le taillon et la subsistance des gens de guerre. Une des premières réformes de Colbert fut de supprimer cette distinction entre les trois impôts qui allongeait et compliquait inutilement les rôles et permet- tait des fraudes; les collecteurs reçurent l'ordre d'imposer chacun « en une seule ligne », et à partir de 1663 on ne trouve plus de rôles la cote de chaque contribuable soit subdi- visée 2.

Chaque chef de famille doit être inscrit sous ses nom et pré- noms3. On doit en outre ajouter sa qualité ou profession, et, s'il y a lieu, la nature et l'étendue de son exploitation. On a vu plus haut l'importance de ces mentions pour l'assiette de la taille 4. Les intendants firent des efforts pour que cette prescrip- tion réglementaire fût observée par les rédacteurs des rôles.

1. Souvent ils sont rangés suivant l'ordre alphabétique des prénoms, usage assez fréquent au xvii0 et au xvme siècles. Cf. Martin, Etrennes financières, Paris, 17S9, p. 62 : « le paiement des rentes [sur l'Hôtel de ville] se fait suivant l'ordre alphabétique du premier nom de baptême des rentiers ».

2. Dans le préambule de tous les rôles de l'élection de Neufchâtel-en-Bray pour 1670, il est mentionné que la cote du contribuable est « imposée en une seule ligne ». (A. D. S.-Inf. C 2694).

3. La Poix de Fréminville, Traité des Communautés d'Habitants, p. 233 et sui- vantes, indique les différents règlements.

4. Ci-dessus, p. 320.

382 LA TAILLE BN NORMANDIE.

Celui de Rouen en 1672 écrivait dans son mandement aux paroisses :

« Lesdits collecteurs emploieront sommairement les noms, sur- noms et qualitez des taillables, les biens qu'ils occupent soit en pro- priété ou à ferme, le prix des fermages avec le nom et la qualité de ceux auxquels les terres appartiennent... [Nous faisons] deûense aux officiers des Eslections de rendre le rôle exécutoire si le contenu ci-dessus n'y est spécifié, à peine de répondre en leurs propres et privez noms des non-valeurs des paroisses l, »

Lorsqu'on examine les rôles qui nous ont été conservés, on en trouve quelques-uns ces prescriptions sont suivies; tels notamment ceux de l'élection de Neufchâtel en 1670 2.

Certains rôles portent le prix des fermages, distinguent les fer- miers « à prix d'argent » et les métayers, les bestiaux possédés « en propre » de ceux tenus à cheptel, etc Mais il s'en faut de beaucoup que cette pratique soit générale. Le plus fréquem- ment, la profession seule est indiquée d'un mot vague comme : journalier, laboureur, cordonnier, mendiant ou « pauvre homme ». Souvent même, les noms seuls sont inscrits. Les intendants n'arrivèrent pas à faire respecter complètement leurs ordres sur ce point. Celui de Rouen écrit à Colbert le 2 novembre 1670 :

« Depuis deux ou trois ans, affin de pouvoir faire lesdites imposi- tions [des tailles] avec plus d'égalité, j'avois fait insérer un article dans les mandemens que les collecteurs comprendroient dans la ligne de chaque taillable ses occupations, soit en propriété, soit à titre de ferme, le nombre et la qualité de ses bestiaux, mais cela s'observe si mal, que dans la suite je n'en ay pas tiré toutes les lumières que j'en espérois 3. »

Celui de Caen note dans son mémoire du 15 août 1680 que les collecteurs d'ordinaire ne spécifient pas la quantité de terre cultivée par les taillables et n'indiquent que la profession, « en sorte que par l'examen d'un rolle on n'y peut pas connoistre si la taille est bien ou mal régalée », et il n'y voit d'autre remède que l'établissement d'une sorte de cadastre en chaque paroisse*.

Après 1683, différents règlements rappelleront les collecteurs à leur devoir; ce sera pour constater chaque fois l'échec des tentatives antérieures5. Dans le recueil écrit pour l'intendant

1. A. D. S.-Inf. C 221..

2. Voir les citations extraites de ces rôles, ci-dessus, p. 374. Il faut noter que, pour les contribuables qui ne sont pas cultivateurs, on ne trouve jamais d'indi- cations relatives à leur fortune.

3. M. C, 155, 324. >

4. A. N., Gi 213. Voir ci-dessus, p. 321.

5. Cf. notamment l'arrêt du conseil du 28 février 1688, qui, après avoir prescrit aux collecteurs d'indiquer les biens cultivés par chacun, leur ordonne d'envoyer aux intendants des états certifiés et signés des curés des paroisses, contenant

LA REDACTION DES ROLES. 383

Orsay vers 1690, on lit que les collecteurs « ne marquent pas le plus souvent les proffessions, vaccations ny les exploitations des contribuables, ou autrement ils les déguisent, qualifiant un laboureur journalier ou manouvrier, un laboureur qui a deux charrues, ils ne le marquent que pour demie charrue, un offi- cier, un avocat, un procureur qui fait valloir son bien ils luy donnent la qualité de laboureur, et quelques fois ils ne com- prennent pas les exempts et les privilégiez au bas des rolles, comme ils y sont obligés1. » Thouret déclarera dans son rapport à l'Assemblée provinciale de Haute-Normandie, le 20 novem- bre 1787, qu' « il n'y a point de rôle dans la généralité qui soit exactement conforme » aux règles sur l'inscription des qualités et occupations de chacun 2.

En outre des taillables, on doit inscrire tous les exempts demeurant dans la paroisse avec le titre de leur exemption, en sorte qu'il n'y ait dans la localité, suivant l'expression d'un mandement de l'intendant de Caen, « personne, de quelle que qualité et condition qu'ils puissent estre, demeurant ou jouis- sant d'héritages en [la] paroisse, qui ne soit compris dans les rôles3 ». On a vu, au chapitre des Exempts, l'utilité de la mesure, et les difficultés de son application. Les mandements des intendants la rappelaient périodiquement, établissaient même des amendes à l'encontre des collecteurs fautifs *, mais sans grands résultats. Il leur eût fallu, pour aboutir, la colla- boration active et bienveillante des élus, qui leur faisait défaut3.

VIII. LA VERIFICATION DES ROLES

Lorsque le rôle est rédigé, les collecteurs doivent le faire « vérifier » ou « contrôler » par l'Election dans le délai de huit

« les noms de tous les possesseurs des héritages qui composent le terroir de cha- cune paroisse, soit terres, prey, bois, vignes ou herbages et montagnes, la quan- tité que chacun en possède, les différentes qualités des terres, les exempts et privilégiés, et les domicilies en autres paroisses qui en font valoir par leurs mains, combien et de quelle nature et qualité, et les héritages appartenans à chacune communauté, le tout suivant les modèles qui leur seront envoyés par les intendans ». (B. N. fr. 21419, p. 120.)

1. B. N. fr. 11 096, 37.

2. Procès-verbal de l'assemblée, p. 86.

3. Mandement aux paroisses, 1678, A. D. Calv., Election de Caen.

4. Dans leurs mandements annuels les intendants recommandent toujours d'inscrire au rôle dans un chapitre séparé les noms et qualitez des exempts de vostre paroisse soit ecclésiastiques, gentilshommes et autres, avec mention des terres qu'ils font valoir en vostredite paroisse et de la quantité d'acres dont les- dites fermes sont composées, et si elles sont unies ensemble et l'ont toujours esté ». Mandement de l'intendant de Rouen en 1672, A. D. S.-Inf. G, 2215.

5. Toutefois, en Normandie, l'inexécution des règlements sur ce point n'était pas aussi fréquemment déplorée par les intendants que dans le reste de la France. L'intendant de Ghâlons écrit à ColbeK le 20 janvier 1667 : « Généralement parlant je ne vois pas que dans toute la Champagne on soit fort exact à faire mention

384 LA TAILLE KX NOHMAXDIE.

jours. « Cette vérification est nécessaire pour deux raisons : la première parce que les collecteurs peuvent exécuter en vertu du rôle seul; ce doit donc être un acte judiciaire, car dans les saisies ordinaires ce n'est qu'en vertu d'une condamnation judi- ciaire qu'on peut exécuter; le privilège des deniers royaux fait qu'on dispense les collecteurs de cette obligation qui les entraî- nerait dans de grands frais, et la vérification y supplée. Secon- dement, cette vérification se fait pour connoistre si les collec- teurs ne lèvent pas sur les sujets du roy plus grande somme que celle portée sur les mandements1. »

La vérification est faite habituellement par l'élu qui a fait ses chevauchées dans la paroisse 2. Elle est attestée par l'ins- cription au bas du rôle d'un visa dont la formule est variable, et dans le paraphement de chaque feuillet1.

Anciennement les élus avaient le droit de réformer les rôles, c'est-à-dire de faire modifier les cotes qui ne leur paraissaient pas justes. Le règlement de janvier 1634 (art. 44) le leur con- servait encore, mais on reconnut qu'ils en profitaient pour favoriser leurs parents et amis au détriment de leurs ennemis; l'aveu en est fait sans difficultés par un d'entre eux : Si l'on fait vérifier un rôle, dit Labarre, par un élu « qui, pour cause de

à la fin des roolles des nobles et des exempts qui sont dans la paroisse ». (Dep-

Eing, t. III, p. 171). Certainement la Normandie était sur ce point comme sur eaucoup d'autres plus soigneusement administrée que les autres provinces.

1. Mémoire anonyme de 1688, B. N. fr. 21419, f* 185. Cf. les ordonnances de 1459, art. 32 (dans Corbin, avec commentaire, p. 966-7), et de 1504, art. 59 {ibid., p. 968) et J. Combes, Traité de* élection», f 32 : Si les rôles n'étaient signés par un élu. « ils ne ferment point de foy et n'emporteroient aucune exécu- tion, voire m es me s ils seroient nuls, suivant les ordonnances ».

2. Si les élus refusaient de vérifier le rôle, les collecteurs s'adresseraient à l'intendant, mais ils ne doivent le faire que dans ce cas. Le subdélé^ué de l'inten- dant n'a pas qualité pour faire la vérification, qui est < un jugement qui emporte exécution et hypothèque ». (Vieuille, p. 134).

3. Règlement de janvier 1634, art. 38, in fine. Le règlement du 16 avril 1634 dit que les rôles seront vérifiés par les officiers qui auront assisté au départe- ment et non par d'autres. (C. d. T., t. I, p. 307). Cf. l'arrêt du conseil du du 6 novembre 1647 analysé, ibid.

Voici, à titre d'exemple, deux formules de vérification :

« Les ans et jours que dessus, le rolle du présent a esté rendu exécutoire aux périls desdits collecteurs par Nous Jacques Costentin, conseiller du Roy, président en ladite Election de Lisieux, après que iceux collecteurs ont affirmé avoir employé dans le présent tous les exempts privilégiez estans demeurans dans leur dite parroisse, et interpelles suivant l'ordonnance ». (Rôle de la paroisse de Familly, Election de Lisieux, du 18 novembre 1682. A. D. Calvados, Election de Lisieux.)

« Ce présent, contenant quatorze fœillets de papier escripts, cetuy compris, ont esté nombres et paraphez en chacun d'iceux par nous, officier du Roy en 1 c-leclion d'Argentan snubsigne le vingt-troisiesme jour de janvier mil six cent soixante deux (signé) : Le Molinet, (puis au-dessous) : Il est mandé au premier huissier ou sergeant de ladite ellection d'Argentan contraindre par toutes voyes deubes et raisonnables les redevables au présent reffusans de payer leur impost, faire ouverture des maisons, portes, coffres et autres meubles ferraaiis à clef, et la vendue des gros meubles importables sur les lieux pour éviter ù fraits, gar- dant les ordonnances : et en cas de débat assigner les parties par devant nous. Donne à Argentan le tresiesme jour de febvrier mil six cent soixante deux, (signé :) Le Molinet », (rôle de Cuy, Collection de M. Bridrey).

LA VERIFICATION DES ROLES. 385

son particulier, de ses parens fermiers ou autres, leur aura quelque interest », il « voudra ajouster es sommes, ou exigera en sa signature : chose qu'on voit arriver tout les jours ». La déclaration du 16 avril 1643, article 9, leur défendit de rien changer dans les rôles ni d'en faire faire de nouveaux. Cet ordre fut conservé par tous les règlements postérieurs1.

Mais cette défense réitérée ne supprima pas l'abus. En 1661, les collecteurs du Tourneur déclarent au Bureau des finances de Caen que les élus de Vire n'ont pas voulu vérifier leur rôle, voulant « soulager et descharger a leur discrétion les plus riches et aisez », et le Bureau doit rendre une ordonnance pour contraindre ces élus 2. Dans un mémoire sur la réformation de la justice, le conseiller d'Etat de la Marguerie écrit en sep- tembre 1665 :

« Les esleus font leur capital de la vérification des rooles des tailles qu'ils doivent faire suivant les règlemens, les gardent tant qu'il leur plaist, pour, moyennant quelque sordide récompense, les altérer et les changer, ainsy il leur faut ordonner de les rapporter au greffe de l'eslection dans un certain temps, et qu'ils ne pourront vérifier les- dits rooles es parroisses ou eux et leurs parens auront du bien 3. »

Un autre conseiller d'Etat demande à la même date qu'on « interdise absolument aux eleuz la veriffication des roolles des tailles, pour les grands abus qui se commettent4 ».

Un mémoire anonyme sur la taille dit en 1688 que les élus « ne laissent pas dans quelques villes de s'estre maintenus » dans le droit de modifier les rôles à leur guise 5. Mais ces abus, qui étaient faciles à dissimuler, ne nous sont pas connus par d'autres documents.

1. Cf. Règlements du 6 novembre 1647, 20 mars 1673, art. 8, 23 septembre 1681, art. 10, etc., voir Mém. Alphab., p. 652-3, et Vieuille, Traité des élections, p. 133-5.

2. A. D. Calv., Plumitif du Bureau, 11 mai 1661.

3. Glairamb. 613, fol. 305. Le 11 septembre 1663 Bacbelier et Cbertemps écrivent de Châlons à Colbert : « Le plus grand abus que nous aions remarqué dedans cette province est celui de la veriffication desdits rooles dedans lesquels [les élus] comprennent souvent d'autres sommes que celles qui sont ordonnées par la commission du roi, en font même des particuliers et extraordinaires de leur autorité privée, et après qu'ils sont exécutés les suppriment pour en oster la cognoissance, ce qui fait que l'on ne peut jamais cognoistre la force des levées qui se font. » Ils proposent de créer un contrôleur qui conserverait par devers lui une copie du rôle et tiendrait un registre des sommes imposées : il serait choisi parmi les « personnes de probité » et recevrait « quelques appointements qui seroient utilement employés » : toute lé^ée de deniers faite en dehors du rôle ainsi contrôlé serait défendue sous peine de mort. Ainsi, disent-ils, on parvien- drait à « la cognoissance de tout ce qui se leveroit dedans une généralité », ce qui prouve que l'intendant ne savait pas les impôts levés réellement dans sa cir- conscription. (M. G. 117, 63.)

4. Glairamb., 791, p. 64.

5. Encore en 1739, Vieuille réclame pour les élus le droit de faire dresser les rôles en leur présence conformément à l'art. 44 de la déclaration de janvier 1634. {Traité des Elections, p. 91.)

LA TAILLE EN NORMANDIE. -■'

Ml LA TAILLE EN NOHMAMUI..

Pour rendre plus difficile cette inttin— tiqn <I«s élns. il leur était défendu de garder les rôles par devers eux pour les vérifier1 : l'arrêt du Conseil du 16 novembre 1662, après avoir constaté « que plusieurs officiers des élections, pour favoriser leurs parens et amis qui s'exemptent indeuement de la taille ou se font taxer à des sommes fort modiques, retiennent le double des rôles après avoir vérifié ceux des collecteurs », leur défend de garder ces rôles chez eux plus de huit jours avaant de. les déposer aux greffes des Elections2. Cet arrêt fut du reste bientôt méconnu3; Peschcur assure en 1665 qu'« en la pluspart des eslections on ne controlle plus les rolles de taille4 », et l'année suivante un arrêt du Conseil nous apprend que « nonobstant plusieurs règlements et arrestz, aucuns officiers des Elections, abusans du pouvoir de leurs charges, retiennent les doubles des rooles des tailles qui leur sont portez lors de la vérification d'iceux, au lieu de les mettre aux greffes ils devroient estre soigneusement gardez et mis en ordre5 ». Une pénalité est donc prononcée contre ceux qui n'obéiront pas : elle est de 500 livres

1. Il est pareillement interdit aux greffiers des Élections de « s'entremettre directement ou indirectement » dans la confection des rôles lors de la vérifica- tion, sous peine d'interdiction et de 300 1. d'amende. (Mandement de l'intendant Leblanc, 1676, B. N. fr. 8761b,,) f* 27).

-. A. D. Calvados, Election de Caen, liasse d'ordonnances.

3. Dès l'année suivante, Bachelier et Chertemps, dans leur lettre à Colbert du 11 septembre 1663 citée, écrivent que malgré l'arrêt qu'ils ont fait publier et enregistrer dans toute la généralité, « plusieurs desdits officiers tant réservés que supprimés n'y satisfont pus », et ils sont obligés d'interdire le paiement des gages des élus, jusqu'à ce qu'ils aient déposé les rôles aux greffes. M. C, 117, f*63.

4. M. C. 33, f- 293.

5. Les abus dépassaient d'ailleurs quelquefois les bornes : par exemple en février 1666 les collecteurs de la paroisse de Saint-Nicolas des Billanges, près de Saumur, se plaignent que lorsqu ils ont présenté leurs rôles à contrôler à Maître Guérin élu, « il voulut que les roolles fussent réformez et que tous ses parens et amis fussent deschargez et que leur taxe fut jettée sur les plus pauvres de la paroisse >; sur leur refus, il leur dit d'un ton menaçant « qu'ils savoient bien ce qu'il leur avoit dit et qu'ils debvoient passer par ses mains, et leur ayant arraché lesdits rolles il ne les voulut jamais rendre, au contraire il les fit beaucoup maltraiter chez luy, fit prendre le dit Hervé [le plaignant] par le collet, le fist traisner dans son jardin, luy disant : Voicy un coquin qu'il fault mettre prisonnier parce qu'il veut entrer en trop grande cognoissance de cause. Pendant toutte laquelle violance l'un d'eux alla chez Ernuult notaire pour faire sommer ledit Guérin de controller leurs roolles ou de les leur rendre pour lever la taille : Ce que ledit Ernault leur refusa de faire parce que comme ledit Guérin est accoustumé de faire donner beaucoup de taille à ceux qui luy desplaisent, il leur dit que s'il faisoit ladite sommation, il ne manquerait pas de le surcharger de taille et de sel : et ayant requis divers autres notaires et sergens de faire ladite sommation, pas un ne voulust s'en charger par les raisons cy-dessus, dont ledit Guérin s'estant apperceu, il mena luy niesme

après et

avoient

de

Saumur parce que ledit Guérin y est beaucoup craint, et qu'outre ce lesdits col- lecteurs s'estaient plaintz qu'il prenoit de l'argent d'eux quoy qu'il soit detlendu par la commission »..., les collecteurs demandent que l'intendant soit chargé d'ouvrir une information, car ils n'ont pas « moyen de se pourvoir au conseil pour soustenir une affaire de cette qualité contre ledit Guérin lequel estant puis- sant en biens et en crédit leur fera abandonner le pays .. (M. C, 136, f°* 566-7.)

LA VERIFICATION DES ROLES. 387

d'amende *; mais le roi dut répéter sa défense dès l'année sui- vante 2, et il lui donna encore une forme plus solennelle dans la déclaration du 20 août 1673; cette fois, un double délai était donné aux élus : pour la vérification du rôle, et pour le dépôt de la copie au greffe.

« Défendons aux officiers des Elections, disait ce règlement, de retenir les rôles faits par les collecteurs plus d'un jour pour les calculer et les vérifier, à peine de payer leur séjour et de demeurer respon- sables du retardement de nos deniers en leurs noms, sans que lesdits officiers puissent changer aucune chose auxdits rôles, sauf à faire droit sur les opositions des particuliers, ainsi qu'il est accoutumé, sans retardation du paiement qui sera fait par provision. Enjoignons aux- dits officiers des Elections qui auront vérifié lesdits rôles d'en remettre, trois jours après, les minutes au grèfe à peine de radiation de leurs gages et d'interdiction de leurs charges pour trois mois ».

Cette disposition fut légèrement modifiée par la déclaration du 23 septembre 1681 (art. 10 et 11), qui fixait à « deux ou trois jours » le délai de vérification.

La répétition des mêmes ordonnances par quatre fois en vingt ans montre assez le cas qui en était fait4. Il nous est d'ailleurs difficile de connaître, même par l'examen des rôles, l'étendue de cet abus. Ainsi tous les rôles de l'élection de Lisieux en 1682 portent une formule de vérification commençant par ces mots : « les an et jour que dessus le roolle du présent a esté rendu exécuttoire... » ; ce qui ferait croire que le contrôle était fait le même jour que le rôle; mais la formule correspond-elle bien à la réalité? Nous n'en avons pas la preuve. Il était facile soit aux élus soit aux rédacteurs des rôles d'inscrire des dates fausses pour faire disparaître leurs contraventions au règlement, et rien ne nous avertirait de cette fraude. Le 16 décembre 1683, l'intendant de Rouen écrit au contrôleur général que le pré- sident et un élu des Andelys « ont retenu des rooles des tailles

1. Arrêt du 16 août 1666, A. D. Calvados, Élection de Caen, registre d'ordon- nances, 1664-7i, l'SS, imprimé.

2. Arrêt du conseil du 28 juillet 1667 : « Au mépris de plusieurs arrests et règlements, aucuns officiers retiennent les roolles des tailles lorsque les collecteurs des tailles les leur portent pour les vérifier, au lieu de les mettre aux greffes des Elections... » Cette fois il est donné aux élus un délai d'un mois pour faire le dépôt, et la peine prononcée est l'interdiction de leurs charges. Çlbid., 194, imprimé.)

3. A partir de cette date, les intendants rappellent généralement la prescrip- tion dans leurs mandements aux paroisses. Toutefois ils ne suivent pas toujours les règlements, ainsi en 1678, l'intendant de Caen ordonne que les rôles soient vérifiés « et à l'instant mis au greffe de l'élection » (A. D. Calvados, Election de Caen), sans maintenir le délai réglementaire de trois jours.

4. Aux ordonnances il faudrait d'ailleurs ajouter les ordres adressés par Col- bert aux intendants, par exemple à l'intendant de Tours les 7 novembre 1682 et 4 février 1683, Cléni., II, p. 215.

388 LA TAILLE EN NORMANDIE.

plus de huit jours, quoyque l'ordonnance ne leur permette de les retenir que trois jours, ne voulant point les rendre exequtoires que l'on n'en eust osté leurs fermiers, et lorsque je les ay mandés, ajoute-t-il, ils n'ont peu me rendre aucune raison de leur conduitte », mais il s'est contenté de les forcer à vérifier le rôle, sans prendre contre eux aucune mesure disciplinaire1.

L'édit de mars 1600 (art. 8) attribuait aux greffiers des élec- tions un droit de 2 s. 6 d. pour la vérification de chaque rôle, mais le procureur du roi à la Cour des aides de Rouen avait fait observer que, dans le ressort de la Cour, les greffiers n'avaient pas l'usage de prendre un salaire pour ce travail, et le roi avait rapporté l'article, en interdisant aux greffiers de percevoir aucun droit « à peine de concussion 2. » Parmi les expédients fiscaux qui furent imaginés au temps de Mazarin se trouve un droit de 10 s. par vérification de rôle attribué aux élus. Le Trésor en retira quelque argent (le nombre des rôles, c'est-à-dire des paroisses, était de 4447 pour la Normandie), mais les Etats de la province joignirent leurs protestations à celles des élus 3, et le droit fut aboli en 1660. Quoiqu'il n'eût jamais été rétabli, il semble que partout les élus continuèrent à se faire payer la vérification. L'intendant de Rouen écrit à Colbert le 2 juillet 1682 que « dans presque toutes les eslections on prend... 30 s. pour signature de rolle »; il interdit cette exaction, et demande au ministre « d'en mettre un article dans le règlement des tailles* » que l'on prépare, pour donner plus de poids à son ordonnance; mais le règlement du 16 février 1683 ne lui donna pas satisfaction. Le z8 novembre 1683 il écrit encore que le greffier de l'élection de Rouen force les collecteurs à « prendre audit greffe un scellé a chacun de leur dit rolle de taille pour lequel il a exigé de chacun d'eux cinq sols5 ».

Lorsque le rôle est vérifié, il devient exécutoire sans réserves, et les collecteurs ne peuvent y introduire aucune modification pour quelque motif que ce soit. Si des erreurs ou omissions ont été faites, il faut un jugement en forme pour les corriger; les particuliers qui se pourvoient pour obtenir réduction ou décharge de leur impôt doivent payer « par provision » la somme qui leur a été d'abord attribuée ; les élus ni la Cour des aides ne peuvent

1. A. N. G^ 492.

2. Règlement» de Normandie, p. 52.

3. Les états de Normandie de février 1658 protestent contre cette « charge entièrement extraordinaire et qui n'est establic par aucun édict ny porte aucune destination » ; à quoi le roi répond : « L'attribution en ayant esté faite à des officiers des Elections par édits vérifiez, S. M., n'y peut toucher ». (Art. 7 du cahier dans de Beaurepaire, Cahiers, t. III, p. 133). 6n a tu plus haut (chap. n), que les élus protestèrent également contre ce trafic.

4. B. N. fr. 8761, f 68. 6. A. N. G7 492.

LA VÉRIFICATION DES ROLES. 389

défendre d'exécuter les rôles « pour quelque cause que ce soit, à peine de répondre en leurs propres et privez noms des dépens, dommages et interests des collecteurs * ». Tel est l'esprit de tous les règlements sur la matière. Les raisons en sont don- nées par la déclaration du 11 août 1677 :

« Les deniers de nos tailles étant destinés aux principales dépenses de notre Etat, il est nécessaire d'en faire faire l'imposition et la levée le plus promptement que faire se peut, et a cet effet de faire cesser les differens qui retardent les paiemens, par les procès qui arrivent sou- vent, faute d'ajuger la provision aux collecteurs, qui n'ont pas le moyen de faire des avances pour paier aux recettes des tailles les sommes auxquelles les paroisses sont taxées 2 ».

L'application de cette règle n'allait pas sans difficultés. Si, dans la suite, une somme attribuée à un contribuable lui était remise par jugement régulier, il fallait la réimposer sur la paroisse par un nouveau rôle, avec de nouveaux frais, ce qui entraînait des inconvénients graves. En outre, les collecteurs pouvaient s'en autoriser pour exercer leurs vengeances : ils imposaient volontairement à des sommes excessives leurs ennemis, les paroissiens qui les avaient fait élire, ou des pro- priétaires forains, et pouvaient les forcer à payer par provision; on en a vu un cas à Pont-1'Evêque 3. Ce dernier abus était cepen- dant prévu par les règlements : la déclaration du 11 août 1677 portait : « Nous voulons qu'en cas que les juges connoissent que les collecteurs aient commis malversation dans la confection de leur rôle, sans l'aveu des habitans de leur paroisse, ils soient condamnés en leurs propres et privés noms, sans aucun recours contre la paroisse ». Mais comment reconnaître l'intention mal- veillante et trouver des juges pour prononcer une punition équitable?

L'exécution des rôles par provision demeura une source de fraudes. En mai 1676, Leblanc écrit que certains contribuables de la généralité de Rouen, « sous prétexte d'exemptions et arrests d'enregistrement d'icelles, se veullent dispenser de payer la taille » à laquelle ils sont imposés4. L'année suivante, il répète qu* « au préjudice des reglemens des tailles, arrests du Conseil et nos ordonnances, les officiers de quelques eslections de cette généralité donnent des surcéances d'executter les roolles des tailles, ce qui retarde le recouvrement3 ». Dans les dernières années de Colbert, on voulut « tenir la main exacte-

1. Règlement de janvier 1634, art. 52. Cf. la déclaration du 20 août 1673, art. 19.

2. Repris et précisé par l'arrêt du Conseil du 19 mars 1678; les mandements des intendants rappellent généralement ces règles avec grand soin.

3. Ci-dessus, p. 357.

4. B. N. fr. 8 761bla, 5.

5. Ibid., i" 28.

390 LA TAILLE EN NORMAND II:.

ment a ce que les arrests du conseil fussent observez » ; voici quel en fut le résultat, au rapport du successeur de Leblanc, Marillac : « On a trouvé en plusieurs endroits des personnes deschargées par plusieurs jugements rendus consécutivement, d'année en année, confirmez mesme par des arrestz de la Cour des aydes [et néanmoins] encor imposez par les collecteurs »; on a fait rejeter ces sommes sur le reste de la paroisse, mais « le collecteur qui a fait le roolle estant payé par provision est hors d'affaire, ce n'est pas luy qui fait la collecte du rejet, c'est le collecteur de l'année suivante, de sorte qu'ilz imposent hardi- ment et injustement ». L' « infinité de rejets » que cela produit « fait payer une double taille a grand nombre de taillables, qui la pluspart s'en trouvent ruynez », et c'est « une des causes qui a produit le mauvais estât ou se trouve la généralité de Rouen ». Pour y remédier, l'intendant a imaginé des dispositions nou- velles, mais il reconnaît lui-même qu'elles sont éludées par les collecteurs1.

L'immutabilité des rôles, même pour des motifs légitimes, est surtout nécessaire pour enlever aux collecteurs l'intention de frauder. « Par sa vérification, dit Vieuille, le rôle devient un acte public et sacré » ; le falsificateur s'expose donc aux rigueurs de la loi, comme pour la falsification des commissions. La déclaration de mars 1680 porte en ce cas des peines allant jusqu'à la mort, suivant la gravité du crime5. Mais ces menaces n'étaient pas toujours suffisantes pour retenir les collecteurs, « gens de néant qui croient que la misère autorise tout ». comme dit Boisguilbert. Divers procès intentés devant les Elections nous donnent quelques exemples de l'abus en Nor- mandie; l'intendant de Rouen signale, en 1682, un collecteur de Honfleur qui « a changé les feuilles du rolle » après qu'il a été arrêté '.

IX. LES PAROISSES REFUSANT DE FAIRE LEURS ROLES

Avant 1661, il arrivait que des paroisses refusaient de dresser des rôles, dans l'espoir d'échapper à la taille, de même que certaines refusaient de nommer des collecteurs : une ordonnance de janvier 1597, visant particulièrement des paroisses de Nor- mandie qui ne voulaient « prendre et recevoir lesdits mande- ments qui leur sont envoiez ne faire élection de collecteurs ne l'assis des sommes contenues esdits mandements » avait ordonné

1. Rapport de Marillac au Contr. eén., 5 oct. 16S4, A. N., G* 492.

2. Vieuille, p. 330.

3. Let. du 22 juin 1682, A. N. G" 491.

LES PAROISSES REFUSANT DE FAIRE LEURS ROLES. 391

des punitions particulièrement sévères contre les habitants « comme rebelles et criminels de lèze-majesté ', et le délit était assez commun pour que le président Labarre en fit un chapitre particulier de son Formulaire, précisant la procédure à suivre dans chaque cas particulier2. Une commission délivrée aux inten- dants le 31 mars 1637 leur signalait encore des localités dont les habitants « abbusant de la licence que la guerre introduit, n'eslisent aucuns asseeurs ny collecteurs, et ne procèdent a aucuns rôles ny assiettes desdites tailles, dont par ce moien la levée ne peut être faicte, autant par malice que par im- puissance 3 » ; ils avaient ordre d'épuiser tous les moyens de contrainte pour faire payer ces paroisses tombées « en régale ».

Le cas, devenu plus rare après la paix, se rencontre encore à notre époque4. En 1677 dans l'élection de Pont-de-T Arche, les trois paroisses de Saint-Cyr-la-Campagne, Saint-Martin-la-Cor- neille et Saint-Ouen-du-Poncheuil refusent de dresser leurs rôles « soubs prétexte d'espérances qui. leur sont faictes par quelque personne de crédit qu'ils les rendront en non-valleurs et les exempteront de la taille, les retirant mesmcs dans leurs maisons et recelant leurs meubles ». L'intendant Leblanc rend une ordonnance le 22 mars enjoignant à ceux qui ont quitté ces paroisses pour éviter les contraintes d'y revenir, et aux huissiers de saisir tous les meubles qu'ils trouveront, sans autre forme de procès, jusqu'à concurrence du montant de l'impôt 5.

Dans la même généralité en 1679, les habitants de Pont- l'Evêque menacent de ne pas faire de rôle à cause des désordres qui se produisent chaque année dans l'imposition par les intrigues des coqs de paroisse6. La même année, l'intendant signale 7 ou 8 paroisses de l'élection de Pont-Audemer qu'il ne peut obliger à faire des rôles « quelles que diminutions que je leur aye données », dit-il, et bien qu'il les ait autorisées à « payer leur taille des précédentes années des revenans bons des fourages 7 ».

Deux ans après, Leblanc trouve encore dans les prisons de Dieppe deux misérables détenus parce que leurs paroisses

1. Règlements de Normandie, p. 28-29.

2. formulaire des Eslenz, p. 154.

3. Publ. par Barbier, dans les Me'm. de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1902. p. 611.

4. Cf. l'instruction aux intendants du 10 juillet 1643 : les commissaires départis « se transporteront ou envoyeront leurs subdeleguez » dans les paroisses qui refusent de faire les impositions, et les contraindront au besoin par la force à nommer des collecteurs et à dresser leurs rôles (A. N. K 891, pièce 4).

5. B. N. fr. 8761"18, 32.

6. Leblanc à Golbert, 11 novembre 1679, A. N., G? 491.

7. Ibid. Leblanc veut dire qu'il avait autorisé ces paroisses à payer leur taille avec les restes d'une imposition levée pour le fourrage des troupes : c'était une de ces « compensations » entre différents impôts, qui étaient défendues par les ordonnances.

191 LA TAILLE EN NORMANDIE.

« n'ont pas imposé1 ». Dans la généralité de Caen, la paroisse de Saint-Paix, près de Caen, ne fait pas de rôle en 1680 2. Mais ce ne sont plus que des faits isolés; ils n'ont pas grande influence sur le recouvrement de l'impôt. L'autorité adminis- trative est assez forte pour détruire ces tentatives d'insoumis- sion, restes d'un autre âge.

1. Let. du 29 mai 1681, A. N. G^ 491.

2. A. D. Calvados, Bureau des Finances, procès-verbal des chevauchées de M. de Bernières-Gavrus, trésorier général.

CHAPITRE VII

LA PERCEPTION

I. LES VILLES TARIFEES. II. QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES

PAROISSES? III. LA COLLECTE. IV. LES RECEVEURS. V. LES

MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS. VI. LES CON- TRAINTES. VII. LES FRAIS DE CONTRAINTES. VIII. L'EMPRI-

SONNEMENT DES COLLECTEURS. IX. LA SOLIDITE.

[.

LES VILLES TARIFEES

Les opérations de répartition décrites au chapitre précédent n'étaient pas effectuées partout : certaines villes taillables étaient soumises à un régime spécial; la taille y avait la forme d'un impôt indirect, levé sur l'entrée et la sortie des marchandises, à la façon des octrois; on n'y nommait donc pas de collecteurs, on ne dressait pas de rôles, il n'y avait pas d'assiette à établir ; la perception était la principale opération à assurer; c'est pourquoi j'ai différé jusqu'ici d'en parler.

Ces villes étaient appelées villes « tarifées », parce que le droit qu'on y percevait portait le nom de « tarif ».

Le tarif se distingue de l'octroi en ce que les deniers de l'oc- troi sont affectés aux dépenses municipales *, tandis que ceux du tarif sont destinés exclusivement au payement de la taille2.

1. A Evreux, par exemple, l'octroi est destiné « au payement des debtes de la ville, réparation des portes, ponts et murailles, et autres dépences ». (Arrêt du conseil du 24 déc. 1663, A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, 268); de même Garentan (1. pat. 5 mars 1652, ibid., Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, 1), le Tréport (1. pat. 24 oct. 1660, ibid. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, 30, etc.) Toutefois, en vertu de l'arrêt du conseil du 28 juin 1653 et de l'édit de décembre 1663, le roi levait à son profit, avec les droits d'aides, la moitié des droits d'octroi (Lefebvre de la Bellande, Traité... des Aides, I, 282). On a vu plus haut (p. 6) que la taille avait aussi porté le nom d' « octroi ».

2. Les lettres patentes qui concèdent un tarif spécifient toujours que les deniers en provenant « ne seront pas d'octroi, mais bien destinez pour le payement des tailles, taillons, creues, subcistances, ustancilles, quartier d'hyver, exemption de logement de gens de guerre et autres impositions ». L. pat. du 23 mars 1658, établissant le tarif de Vire. (A. D. S.-inf. Mémoriaux de la Chambre des comptes, à la date du 27 mars 1670.)

:$<, LA TAILLE EN NORMANDIE.

Des villes ont un octroi et n'ont pas de tarif, telles le Tréport, Evreux, Carcntan. Honfleur...; celles qui ont à la fois tarif et octroi doivent distinguer les deux impôts dans leurs comptes1, et ne peuvent employer les produits de l'un aux dépenses imputables sur l'autre ".

Voici la liste des villes tarifées de Normandie, avec la date de concession du tarif, quand j'ai pu la connaître :

Généralité de Rouen :

Harfleur. Louviers. Pont-de-l'Arche. Pontaudemer.

Généralité de Caen :

Avranches, 28 juillet 1G67. Bayeux, 1667? Caen, ancien (avant 1649). Condé-sur-Noireau, 31 mars 1661. Cou tances. Saint-Lô, 13 août 1661. Vire, 23 mars 1658.

Généralité d'Alencon :

Alençon. 1er juin 1658 3. Argentan*, 2 août 1656. Falaise, 14 juin 1656 ou 28 juin 1656. Lisieux possède un tarif depuis « deux cens années5 », mais le produit, environ 1 200 1., n'en est pas suffisant pour payer entièrement la taille de la ville : le surplus est levé par « capitation » sur les habitants.

1. A Saint-Lô, le tarif, en 1664, produit 27 069 l_ et l'octroi 87 'i 1. (A. D. Calv. Bureau des finances : liasse d'états au vrai du tarif de Saint-Lô.)

2. A la vérification des comptes du tarif de Saint-Lô, année 1678, le Bureau des finances rejette la dépense portée pour réparations au pont de la ville « attendu que les deniers provenans du tarif sont pour le payment de la taille, et que les eschevins ont des octrois pour les ouvrages et réparations de leur ville » (ibid. état au vrai de 1678). Toutefois, des dépenses pour le même objet, prélevées sur le tarif de 167:) et 1674 n'ont pas été rejetées i états au vrai de ces deux années).

3. Voir ci-dessus, p. 268.

4. Le tarif s'étendait à deux hameaux, assez éloignés de la ville, Manneville et Colandon, qui étaient considères comme faubourgs. L'intendant de Marie écrit à Colbert, le 29 juin 1671, qu'on ne peut admettre sans inconvénients cette incor- poration au tarif de deux localités aussi distantes de la ville, et propose d'en faire deux paroisses parement tnillables. (Clair. 791, p. 14; cf. autre lettre du 21 sept., ibid., p. 88). Il en fut ainsi décidé. Dans la zone soumise au tarif de Saint-Lô était compris le Bourg-Buisson, qui faisait partie de la paroisse d'Agneaux et, par conséquent était imposé à la taille avec cette paroisse. Chaque année, le receveur du tarif prélevait sur sa recette la somme fixée par le dépar- tement entre les paroisses, pour l'impôt du Bourg. La situation de ce hameau devint très singulière après la suppression de l'élection de Saint-Lô, en 1662 : tandis que la ville était rattachée à l'élection de Carcntan, Agneaux et partant le Bourg Buisson était rattaché ù l'élection de Coutances : ainsi, le receveur du tarif versait l'imposition de la ville au receveur des tailles de Carcntan, e* celle du Bourg au receveur de Coutances. La conséquence la plus fâcheuse de cette situation fut l'accroissement démesuré de l'impôt du Bourg : de 340 liv. en 1663 il passa à 585 1. 13 s. en 16S3, soit une augmentation de 72 p. 100, tandis que l'impôt de la ville n'a augmenté que de 40 p. 100, et la recette totale du tarif de 15,7 p. 100. C'est un des inconvénients des circonscriptions mal établies qu'on a étudiées plus haut.

5. Let. de l'intendant, oct. 1668 (M. C, 149. 7.) L'intendant propose que l'on affecte ces 1 200 1., aux dépenses municipales, et que la taille soit levée comme d,ans les paroisses rurales. Il ne fut pas donné suite, semble-t-il, à cette propo- sition.

LES VILLES TA1ÎIFÉES. 395

La concession d'un tarif à une ville était considérée comme une faveur. Les bourgeois avaient en effet de la répugnance pour les « capitations l », c'est-à-dire les impôts directs, qui les assimilaient aux paysans et les exposaient aux vexations de la collecte. Comme on projetait, en 1668, de lever une taxe directe sur les habitants de Rouen, l'archevêque écrivait à Colbert : « Les capitations sont très odieuses. Vous en pénétrez les suites tout d'une veue, et les faire c'est un coup de maistre qui ne s'exécutera pas sans de grandes douleurs; ce que je scay, c'est qu'un particulier n'en oseroit prononcer le nom sans se rendre exécrable au public2 ». Lorsque Colbert proposa aux échevins de Dieppe, en 1664, une capitation temporaire pour payer les dettes de la ville, ils lui répondirent que cela « ne se pourroit faire sans faire déserter la ville et ruiner les particu- liers 3 ». Les habitants de Baveux, sollicitant un tarif en 1667, assuraient qu'ils étaient menacés « d'estre ruinez par les grandes impositions et collecte des tailles par capitation 4». A ces raisons d'ordre sentimental s'en ajoutait une autre plus positive : les plus riches bourgeois, qui étaient les maîtres des municipalités, étaient beaucoup moins grevés par un impôt sur les denrées que par une taxe sur le revenu5.

Quand une ville demande un tarif, elle fait toujours valoir sa misère, et l'impossibilité pour les habitants de continuer à payer la taille par Capitation. Voici par exemple les motifs invo- qués par Argentan, le 23 mai 1655 :

« Les grandes sommes de deniers qui ont esté levées sur eux pour les tailles, subsistances, emprunts, taxes et autres impositions qu'ils ont payées depuis quelques années ont obligé les meilleurs contri- buables de ladite ville de se retirer ailleurs pour y chercher les moyens de subsister avec leurs familles, de sorte que ce qui est resté d'habitans dans ladite ville les plus considérables et plus riches ont jette leurs enfans dans Tordre de prestrise pour mettre leurs biens a

1. Il ne faut donc pas entendre ce mot, comme le font par exemple Domat (Œuvres, II, p. 27) et Clément (II, 351, note 1) dans le sens d' « imposition à tant par tête ». Il ne faut pas voir non plus dans celte forme d'impôt un antécé- dent de la capitation qui, sur la proposition de Vauban, sera établie en 1695 dans tout le royaume; de même le « tarif » n'a rien de commun avec la « taille tarifée » de l'abbé de Saint-Pierre.

2. Let. du 8 octobre 1668, M. G. 149, 103.

3. Depping, I, 703. Cf. le placet des habitants de Dieppe au sujet de l'amende à eux infligée en punition d'une émeute, en 1661 : lever cette amende « par capi- tation, ce seroit réduire les plus forts bourgeois en abandonnant la ville de la rendre déserte ». (A. D. S.-Inf., B 85, 176).

4. Placet de décembre 1667, M. C, 146, 276, cf. Bréard, Les archives de Honfleur, p. 126, 129 et 130 : les habitants sollicitent l'entremise an Mademoiselle pour obtenir un tarif; p. l')9, ils ont l'appui de Seignelay en 16S4.

5. Sur les avantages des tarifs, en comparaison des capitations, voir Fleury, Institution au droit français, I, 191 ; Moreau de Beaumont, Mémoires sur les impo- sitions, II, p. 34; Boisguilbert, Détail de la France, éd. 1707, I, p. 102; Maille, Recherches sur Elbeuf, I, p. 270 et suiv.

M6

LA TAILLE EX NORMANDIE.

couvert soubs leurs noms, les autres ont acquis des charges auprès de S. M. et achepté des tiltres de noblesse, au moyen de quoy lesdits ecclésiastiques et nouveaux annoblis qui avoient coustume de porter plus de la moityé desdites tailles et subsistances s'estant exemptez de payer, le reject de leur cotte- part s'est imposé sur les habitans restans qui sont la pluspart des artisans pauvres et réduits a la dernière nécessité, lesquels ne pouvans, a cause de leur indigence, payer leur part des tailles, le reste des habittans est contrainct de payer le triple de ce qu'ils debvroient contribuer, ce qui va a la ruine tottalle de ladite ville, estant véritable que depuis l'année 1649 jusques a présent il n'y a point eu de collecteurs dans ladite ville qui n'ayent esté ruinez pour la taille et de qui on n'ayt vendu le bien, ce qui augmente tous les ans les non-valleurs de 7 à 8 000 1. qu'il fault remploier' sur le petit nombre restant de contribuables, sy bien qu'es années 1625, 26, et 31 ladite ville qui estoit remplie de grand nombre d'habitans tous riches ne payoit pour lors que 3, 4 et 5 000 1., et a présent qu'elle est réduite a fort petit nombre et presque tous artisans fort pauvres, paye des tailles et subsistances chacune année plus de 30 000 1., ce qui faict que ladite ville est preste de tomber dans une entière desollation... »

Le tarif, déclarent enfin les habitants, sera « une voye plus facille, plus prompte et moins ruineuse que celle qui s'est gardée et observée jusques à présent2 ».

Pareils motifs sont invoqués par les habitants de Vire :

« Les tailles et impositions et autres levées qui se sont annuellement faictes sur les contribuables aux tailles de ladite ville et fauxbourgs ont esté sy extraordinaireraent augmentées depuis quelques années, qu'un quart pour le moins desdits habitans en sont réduits a l'extrémité, un autre quart s'est retiré dans les villes franches, provinces ou parroisses moins chargées, le troisième quart voyant que les ecclesiasticques qui exemptent de subsides et protègent leurs parens sont venus a un sy grand nombre qu'il se trouve quatre-vingts prestres dans ladite ville et fauxbourgs quoyque ce ne soit qu'une seulle parroisse, par lequel moyen le dernier quartier desdits habitans qui n'est composé que des artisans se trouve sy prodigieusement surcharge d'impositions qu'ils se trouvent tous a présent dans une misère universelle et commune, a laquelle il ne se trouve autre remède qu'un abonnement a une somme modicque de leurs impositions tant pour ladite ville que fauxbourgs, compris en iceux la rue du Pont qui en faict une nottable partie,

1. C'est-à-dire réimposer.

2. Ils fournissent des extraits de rôles montrant l'accroissement considérable de leur taille. Si les chiffres sont exacts, ils sont à la vérité impressionnants :

1625 2 7231.

1626 2 548

1631 3481

1653 241671.

1654 27 911

1655 30 047

Ils ajoutent un extrait du registre d'écrou des prisons d'Argentan, du 11 février 1656, établissant que depuis 1649 < tous les collecteurs des tailles de ladite ville ont esté emprisonnez a cause des non valleurs et de l'excès desdites tailles » (texte de l'arrêt du conseil du 2 août 1656, A. D. S.-inf. Mémoriaux de la Chambre de» comptes, 1664, f" 42-49.)

LES VILLES TARIFEES. 397

laquelle sera distraicte de la parroisse de Talvande ou elle est assize pendant ledit abonnement1. »

A la suite de quoi l'arrêt du Conseil du 23 mars 1658 leur accorde le tarif.

Ceux de Coutances représentent au roi, en 1660, que leur ville

« n'est presque composée a présent que d'eclesiasticques et reli- gieux ou religieuses qui y sont au nombre de plus de 300 tant en l'esglise cathedralle, aux deux parroisses de Sainct Pierre et Sainct Nicollas qu'aux couvents de jacobins, capucins et des religieuses hos- pitallieres et bénédictines, le reste de ladite ville, qui est de très petite estendue ne se réduisant après cela qu'a un très petit nombre de peuple, est remplye de personnes qui ont cherché l'exemption des tailles par l'achapt des charges et offices ausquels S. M. a accordé privilèges et exemptions, de manière qu'il ne reste en ladite ville que de simples et pauvres gens de mestier comme artisans et maneuvres qui sont réduits a la dernière misère et qui seuls sont maintenant subjects a la taxe et cottisation desdites tailles et autres impositions et qui se trouvent redebvables des années dernières de sommes sy grandes et sy nottables qu'une bonne partie des collecteurs ont esté contraincts de s'enfuir et de s'absenter faute de n'avoir peu lever recueillir et payer leurs cottes et impositions, voyans les autres collecteurs qui les ont presedez dans lesdites charges périr misérable- ment dans les prisons 2 ».

Ceux de Condé sur Noireau se plaignent d'être surtaxés par la malveillance des élus de Vire, qui « contribuent de tout leur pouvoir a leur faire porter le plus qu'ils peuvent des tailles et autres subsides qui s'imposent annuellement en ladite eslection » ; ainsi « ils sont accablez et réduits à la dernière nécessité, qui les obligera sans doubte d'abandonner le pays s'il ne leur est sur ce... pourveu » 3.

Ceux de Saint-Lô, à ces mêmes doléances sur la multiplication des exempts, la ruine du commerce et la désertion des contri- buables, ajoutent que le rétablissement du privilège des mon- nayeurs met le comble à leurs maux : ces officiers, au nombre de vingt-six, « tous les principaux plus riches et accomodez de ladite ville, estans deschargez et les pauvres taillables demeurans chargez de leurs impositions avec plus de cinq à

1. Texte dans les Mémoriaux de la Chambre des comptes, 27 mars 1670. Cette dernière date est celle de l'enregistrement à la Chambre; mais on n'attendit pas l'enregistrement pour établir le tarif : il fut appliqué dès 1659.

2. Arrêt du Conseil du 21 juillet 1660, et let. pat. du 3 juillet 1662, enregistrées à la Chambre des comptes le 30 janvier 1663. (A. D. S.-Inf. Mémoriaux, 1663, fos 5 à 9.)

3. Plumitif du Bur. des fin. de Caen, 1661. (A. D. Calv.). Il est à noter que si la surcharge due à la malveillance des élus était la seule cause des plaintes des habitants, il aurait suffi, pour les satisfaire, de les taxer directement dans les commissions. D'après la même requête la taille de la ville était passée de 3 356 1. en 1652 à 7 671 1. en 1661.

;j.is la taille en NOItMANDIE.

six mil livres de pertes qu'ils ont soufertes par la mutation de domicilies de grand nombre desdits habitans et changement d'octroy de l'année présente, il n'est pas possible que les deniers des tailles et autres impositions puissent estre levés en la forme et manière accoustumée, puisqu'il ne se peut plus trouver de collecteurs solvables, n'ayant pu jusques a présent en avoir d'asseurez pour l'année présente, le Conseil et la Cour des aides de Normandie estans remplis de procez en préférence d'assiette qui causent un retardement notable aux deniers de S. M. et une misère et perte inévitable a tous les suplians *. »

Peut-être les motifs invoqués dans ces placets sont-ils plus spécieux que réels; on trouve en effet des requêtes qui sont textuellement copiées les unes sur les autres : ainsi celle d'Avranches2 est la reproduction exacte de celle de Saint-Lô; et les ressemblances entre les autres ne sont pas moins inquié- tantes; à la vérité, les habitants songeaient surtout à obtenir la faveur tant désirée 3; comment s'étonner qu'ils aient, pour gagner leur cause, exagéré leur misère? Cependant nous avons parfois des témoignages sérieux qui confirment leurs dires : tel est le cas pour Carentan en 1684 : l'intendant, consulté sur les allégations contenues au placet, affirme que le com- merce de la ville est ruiné : depuis 1650, le canal qui per- mettait aux bâtiments de mer de remonter jusqu'à la ville est ensablé, si bien qu' « il n'y a plus de gros marchands; la ville est pauvre et presque déserte, en sorte qu'elle ne paie présentement que 5 500 1. de taille, quoiqu'elle en ait paie jusques à 18 000 * » ; ces faits sont d'ailleurs confirmés par les tableaux d'impositions do la ville1.

Généralement, les villes payaient la concession d'un tarif. Non seulement elles devaient acheter l'appui d'un personnage influent qui faisait parvenir leur requête au Conseil, mais le roi lui-même mettait des conditions à ses grâces : c'est ainsi que beaucoup de manufactures et de travaux publics furent imposés à des localités. En 1667, on ne promet un tarif à

1. Arrêt du Conseil du 13 août 1661, (A. D. S.-inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, 13 août 1661, t. XL, f 223-22S).

2. Arrêt du conseil du 2S juillet 1667, (ibid., t. XL1I, f 185-191).

3. En 1663, les habitants de Suint-LÔ députent deux de leurs échevins vers les villes de Vire, Condé, Falaise et Gaen, qui ont des tarifs, « pour s'informer aux esche vins des dites villes des moyens dont ilz s'estoient servis pour l'establisse- ment dudit tarif ». (A. D. Calv., Bureau des finances, liasse des états au vrai du tarif de Saint-Lô, 1663.)

■'«. A. N. G^ 213, lettre du 1" juillet 1685.

.). Ea 1661, elle paye 11 'J26 liv. de taille ; en 1663, 8 000 L, en 1683, 4 000 1. Il est vrai qu'une autre cause, non mentionnée par l'intendant, de cette ruine est le grand incendie de 167;) qui détruisit environ 500 maisons de la ville. Cf. une requête des habitants au Bureau des finances de Caen, en 1623, pour demander une diminution de taille. (A. D. Calv. Bur. des fin.)

LES VILLES TAIUFEES. 399

Carentan que si les habitants s'engagent à aménager leur port et à armer des navires : « Je leur ai faict entendre, écrit l'inten- dant à Colbert, que, comme cette grâce estoit fondée sur les assurances qu'ils avoient donné de restablir le commerce dans leur ville, je ne consentirois point à l'exécution [de l'arrêt qui accorde le tarif] jusques a ce que je fusse assuré qu'ils feroient construire quatre vaisseaux marchands, deux de 70 tonneaux et au-dessus, et deux de 30 et au-dessus; j'ay parolle des deux premiers; je m'y rendrai jeudi pour terminer cette affaire et les faire travailler au nettoiement de leur port1 ». Les travaux ne sont pas exécutés complètement, et la concession n'a pas lieu : on vient de voir que, dix-sept ans après, les habitants renou- velaient leurs instances sur de nouveaux frais. La même année, les habitants de Bayeux ayant demandé la même faveur2, l'in- tendant appuie leur placet en faisant valoir d'une part, que « la plus grande partie [de la ville] est composée d'ecclésias- tiques, nobles, et gens de justice, et les habitans qui ont quel- ques facultez pour se mettre a couvert de la taille, au lieu de s'addonner au commerce et eslever leurs enfans dans le trafic, les font instruire pour estre dans la pratique, ce qui faict qu'elle est toute remplie de chicanneurs qui oppriment les pau- vres de la ville et de toute l'estendue de l'élection » ; que d'autre part, « ils ont très heureusement commencé les establissements de manufactures de sarges, ratines, cottons et bas d'Angle- terre3 ». Ces arguments ne furent d'ailleurs pas jugés suffisants par le conseil et le tarif ne fut pas accordé : c'est seulement en juin 1704, par l'intervention de Foucault, qu'il sera établi*.

Ces exemples montrent qu'il n'était pas facile d'obtenir un tarif. Les formalités à remplir étaient nombreuses et coûteuses : quand le placet était rédigé, il fallait le porter au Conseil; un échevin, quelquefois deux, étaient députés à cet effet; leur séjour, qui durait plusieurs semaines, était aux frais de la ville. L'arrêt obtenu, il fallait le faire enregistrer dans les cours et tribunaux intéressés : Cour des Aides, Chambre des comptes, Bureau des finances 5, Election : chaque enregistrement coûtait plusieurs centaines de livres. Le bourg de Condé-sur-Noireau dépensa 1000 1. pour obtenir son tarif6; Coutances 1127 1. 7; Vire,

1. Chamillart à Colbert 12 sept. 1667 (M. C. 145, 109).

2. Le placet, non daté (M. C. 146, f°s 276-77) porte au dos, de la main de Colbert : « Escrire a M. Chamillart sur ce placet ». 11 fut apporté à Paris par un député de la ville.

3. Chamillart à l'intendant des finances M^rin, 8 août 1667. (M. C. 14'», 503). .

4. Mémoires de Foucault, p. par Baudry, p. 357.

5. L'enregistrement de l'arrêt du 3 février 1661 pour le tarif de vin, ou Bureau des finances de Caen coûta 666 1. (Plumitif 1660, 2S2 et 1662 53).

6. Exactement 1 008 1. 3 s. 9 d., d'après l'Etat au vrai du tarif de Condé, année 1662. (A. D. Calv., Bur. des finances).

7. Exactement 1 127 1. 10 s. 10 d. (Etat au vrai du tarif de Coutances, 1668, lbld.)

|Q0 LA TAILLE EN NORMANDIE.

6600 l.1; Saint-Lô, 11173 L*. Parfois, des procès étaient soulevés par l'application du nouveau régime, et accroissaient grandement les frais.

Les villes avaient aussi à vaincre l'opposition systématique des cours et tribunaux. Ainsi, à Saint-Lô, l'Election formule contre le tarif des objections de toutes sortes à la Cour des aides*, qui prescrit une enquête et n'enregistre l'arrêt qu'au bout Je deux ans et demi, le 3 décembre 1663; la Chambre des comptes en fait de même et n'enregistre que le 27 février 1663 *. Pour Falaise, il y eut une véritable lutte entre la Cour des aides et le Conseil : lorsque les habitants présen- tèrent à la Cour pour le faire enregistrer l'arrêt du Conseil du 5 février 1658 qui autorisait la levée sans limite de temps, la Cour, par ses arrêts des 24 juillet 1658 et 24 mars 1659 n'en ordonna l'application que pour trois ans; le Conseil rendit alors, le 24 juin 1660, un nouvel arrêt ordonnant l'exécution intégrale du premier, mais la Cour n'en tint aucun compte, et, le 10 novembre 1661, considérant que les trois années étaient expirées, elle enjoignit aux habitants de cesser la levée ou de faire renouveler leur privilège. Il fallut pour en finir une nou- velle requête de la ville au roi et un nouvel arrêt du conseil, qui, le 3 août 1662, ordonna la levée « jusqu'à ce qu'autrement

ar S. M. en ait esté ordonné », et la Cour des Aides mit encore

ix mois à l'enregistrer5.

S

L'arrêt de concession du tarif spécifiait les marchandises imposables et le montant des droits. La liste ou « pancarte » de ces droits variait avec les villes. Voici, par exemple, le début du tarif de Saint-Lô6 :

Acier, fer en barre, costes ou verguillon entrant audit Saint-Lô

ou fauxbourgs d'icelluy, le cent pesant payera 8 s.

Plus ou moing a proportion.

Airain, cloches, clochettes, mortiers de fonte, poisserie, foiron-

1. A. D. Calv. Plumitif du Bureau des fin. 1662, 17.

2. D'après les états au vrai du tarif de la Tille, années 1662, 1663, 1664 et 1665. (A. D. Calv., Bur. des finances.) Voici le détail de quelques frais : Voyage du procureur-syndic et d'un échevin à Paris, 2 600 1. Autres voyages à Caen, 250 1. Autre voyage ù Rouen, 540 1. Frais de procès au Grand Conseil, 2 382 1. Enquête sur place de la Cour des Aides, 1 120 1. Epices d'arrêts ù la Cour des Aides, 564 1.; id., au Bureau des finances et à l'Election, 367. Démarches faites à Paris en 1675 « pour poursuivre le restablissement dudit tarif, qui avoit esté revocqué par arrest du Conseil du 19 aoust 1665 », 2 580 1.; etc.

3. A. D. S.-Inf. Registres du conseil de la Cour des Aides, à la date du 16 jan- vier 1662.

4. Le Bureau des finances de Caen tracasse également les habitants de Saint-Lô en les sommant à diverses reprises de présenter les pièces en vertu desquelles ils lèvent leur tarif, ce que les échevins ont peine à faire (Plumitif du Bur. des finances de Caen 1662, f 14, 30, et 59.)

5. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, f°* 191-192, enregistré le 30 mai 1663.

6. A. D. S.-Inf. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, 224. Cf. Notices, mémoires et documents de la Société d'asriculture de la Manche, année 1889, p. 1-10. °

LES VILLES TARIFEES. 401

nerie et chaudronnerie establis es foires et marchez de ladite

ville, la charge payera 60 s.

Aisserie et solliveaux de bois de chesne, le cent en nombre payera. 30 s.

Aisserie de hestre, le cent en nombre payera 30 s.

Allun de Rome, d'Angleterre et d'ailleurs, le cent pesant payera 20 s. plus ou moings a proportion.

Avranches, qui a copié le texte de la requête de Saint-Lô, adopte un tarif différent, dont voici également le début1 :

Acier, fer en barre, coste ou verguillon, le cent pesant 10 s.

Cloches et clochettes de fonte..., le cent pesant 30 s.

Bœufs vivans venans aux foires et marchez exposez en vente sur

le pied, chaque bœuf gras ou maigre 3 s.

Beurre (rais et salé au net, la livre 3 d.

Beurre salé en pot, compris le port, le cent pesant 15 s.

Bois à brûler, la charge de cheval, par chaque fagot 1 d.

Cire jaune, le cent pesant 50 s.

Cire blanche, le cent pesant 60 s.

Chapeaux fabriqués en ladite ville et bourgeoisie d' Avranches, la

douzaine 12 s.

Et les marchands ou chappelliers et bourgeois qui apporteront les sortes de chappeaux cy-dessus spéciffiez [il y en a 4 sortes] seront teuuz en faire leur déclaration au bureau du nombre et quantité pour y aposer la marque du tarif, a peyne de confisca- tion, et ne s'en poura faire aucune vente d'iceux qu'ils ne soient marquez dudit tarif a peine de confiscation. Etain ouvré, le cent pesant 50 s.

Les étaimiers du lieu devront faire marquer le leur, parce qu'ils seront exempts de droits; les horsains payeront d'entrée 50 s. à peine de confiscation.

Petun de toutes sortes, le cent pesant 50 s.

Vaches et genissons exposés en vente, par pièce 18 d.

L'aune de toile entrant ou sortant2 6 d.

L'aune de bazin, coutil, serinettes, doubliers, entrés en la ville ou

sortant 6 d.

La charge de mercerie [200 1. pesant] compris toiles de Hollande,

baptiste de Laval, Bretagne et draperie velours satin 12 1. ou

plus ou moins [ad valorem]. La pièce de frize, frocquebare de Vire. La pièce estimée 20 aulnes. 10 s. 1/2 La charge de bas de laine passant en la ville et non débitée . . 2 s.

Il est difficile de démêler si ces droits étaient calculés pour protéger l'industrie urbaine ou simplement pour produire le plus facilement possible des revenus au Trésor. Probablement les deux préoccupations se mêlaient. La taxe de 1 s. par chapeau fabriqué à Avranches ne peut guère être regardée que comme une mesure fiscale; de même les taxes sur le beurre, le bois, le tabac; par contre, l'exemption du droit de 50 s. par 100 liv. pesant sur l'étairi, accordée aux « étaimiers » du lieu a un caractère protectionniste. Il était naturel que Colbert eût la préoccupation de favoriser par ces droits les industries des villes

1. A. D. S.-inf., Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, 5. Cf. le tar'"" f d'Elbeuf, 1708, dans Maille, Recherches sur Elbcuf, I, p. 270 et 514; celui ^e Pontoise, 1707, B. N. Lf8*, 11; celui d'Aumale dans Auger, Traité des taille s..., t. III, p. 2379.

2. Les tisserands « seront tenus... bailler déclaration au bureau qui sera estably pour la recette des droits dudit tarif du nombre et quantité desdites toiles, cou- ils... qu'ils fabriqueront et façonneront. »

LA TAILLE EN NORKAIvDlE. 2\>

hoi LA TAIt.I.K i:N XOHMAXf)IE.

tœuraellei il accordait !«■ airif préôîiément en raison de leur application au oommeroa ou aux manufactures.

Lf perception du tarif était affermée, comme celle des octrois. Chaque année, ou tous les deux ans, quelques jours avant le commencement de l'exercice1, on procédait à l'adjudication « avec les solennités a ce requises », a la maison de ville, en présence des maires et échevins, et d'un ou plusieurs élus2; l'intendant y assistait quand il jugeait à propos, parce qu'il s'agissait des deniers du roi. Chaque article du tarif était mis aux enchères séparément, et adjugé « au plus offrant et dernier enchérisseur » : ainsi il arrivait que les droits d'une seule ville fussent affermés à vingt, trente personnes différentes. Le tarif de Caen pour 1661, comprenant 29 articles, est affermé en 28 baux; celui de Saint-Lô, en 1662, l'est à 30 personnes, en 39 baux; celui de Coutances, en 1661 et 1662, en 59 baux, et les années suivantes en un seul bail. Il n'est pas rare qu'un individu prenne séparément un bail montant à 10 ou 15 1. Mais si, après les adjudications partielles, un particulier offre de mettre une « renchère » sur le total, il devient seul adjudica- taire. On devine quelles difficultés devait entraîner cette multi- plicité de fermiers pour la perception des droits. Sans doute ils s'entendaient entre eux pour nommer des receveurs communs, mais que devait-il résulter de leur désaccord?

Chaque adjudicataire devait fournir caution3; il n'était pas tenu d'être bourgeois de la ville.

Tout le produit du tarif devait être employé au paiement de la taille. Les villes ne pouvaient en prélever la moindre partie pour leurs dépenses municipales; elles n'avaient donc pas intérêt à faire monter le prix de l'adjudication, aussi les pots-de-vin, les accords secrets, les tricheries de toute sorte étaiènt-ils impunément pratiqués. Seuls les intendants inter- venaient pour les empêcher; nous en avons connaissance par leurs rapports. En 1673, Michel Colbert découvre à Falaise « quelque monopole qui s'est practicqué... pour empescher que ledict tarif n'allast... à son prix* ». En 1672, sa présence à

t. La date du commencement de Tannée fiscale variait d'une ville a l'autre : ù Coutances, à Caen c'était le 1" janvier, mais à Condé-sur-Noireau et à Avranches c'était le 1" octobre, à Vire, le 28 janvier; à Saint-Lô ce fut le 1" mars jusqu'en 1669, et, à partir de 1670, le 1" janvier.

2. A Saint-Lô, bien que cette condition ne fût énoncée dans l'arrêt d'institution du tarif, nous voyons qu'en 1662 l'adjudication fut faite devant le lieutenant civil et le lieutenant criminel du bailliage (Etat au vrai du tarif de la ville, 1662.)

3. A Saint-Lô, en 1665, le sieur Bossard, adjudicataire d'une partie des droits moyennant 7501., ne pouvant fournir caution, la ferme lui est retirée, et « rebannie à Gilles Goret », cette fois moyennant 660 1. (A. D. Calv. Bur. des fin., Etat au vrai du tarif de Saint-Lô, 1665.)

'«. Lettre ù Colbert, 9 oct. 1673 (M. C. 166, 68).

LES VILLES TARIFEES. 403

l'adjudication du tarif d'Argentan avait fait monter les enchères à 1000 1. de plus que l'année précédente1 : De Marie avait déjà fait augmenter ce tarif de 8000 liv. en 16682, et de Morangis, en 1678, le fera monter de 2 600 1., jusqu'à 29200 L*. Le 30 juin 1684, le même de Morangis écrira : Le tarif de Vire « n'estoit qu'a 18 000 1. les années précédentes; mais comme j'ai suprimé tous les pots-de-vin que les adjudicataires avoient acoutumé de donner, il a monté par l'adjudication que je fis au mois d'octobre dernier jusques a 22 000 I.* ». A l'adjudication du tarif de Saint-Lô pour les années 1669 et 1670, faite le 26 février 1669, devant les officiers de l'Election, il fut « procède à la réception des enchères et rencheres, mesme a l'adjudica- tion d'icelles en particulier », c'est-à-dire en détail, article par article; le total des enchères montait à 26577 1. 10 s.; mais la ferme générale des Aides de France, représentée par un procureur, ayant offert sur l'ensemble une l'enchère de 2000 1., on recommença l'adjudication le lendemain, et les fermiers des Aides l'obtinrent pour 46000 1. Leur intervention avait donc rapporté 195001. au Trésor3.

Par ces mesures, et peut-être aussi par l'accroissement de la consommation des villes, les prix d'adjudication ne cessèrent de s'accroître, de 1661 à 1683, quoique les pancartes des tarifs n'eussent pour la plupart pas changé. Le tableau suivant donnera une idée de cet accroissement :

Avrancbes en 1669 8175 1. en 16S3 10 780 1.

Saint-Lô 1663 28 532 1. 33 015 1.

Goutances ! i2» UToo i: i - l4239 L lo s-

Condé s. Noireau. . 1662 6 000 1. 1683 6 770 1.

Vire 1663 16 030 1. 1684 22000 1.

Ainsi le fisc trouva, dans les villes tarifées, un supplément de revenu sans aggraver les charges des contribuables. Ce fut un des heureux résultats de l'administration nouvelle.

Dans la réglementation du tarif, c'était une grosse question de savoir si les exempts de taille devaient ou non payer les droits. Le principe ne faisait pas de doute, ainsi que l'explique Foucault au contrôleur général le 15 décembre 1696 : « Il est certain que le tarif n'est qu'une taille commuée, et qu'au lieu de

1. 26 600 1. au lieu de 25 600 : lettre à Golbert, 26 nov. 1673, Clairamb., 793 p. 803.

2. Lettre à Colbert, 12 nov. 1668, M. G. 149, 406.

3. Lettre à Golbert, 22 août 1678 (A. Nat., G7, 71). Il avait fait une adjudication précédente pour 26 700 1. (lettre du 14 août, ibid.)

4. A. Nat., G? 213.

5. D'après l'Etat au vrai du tarif de Saint-Lô, année 1669. (A. D. Calv., Bur. des finances.)

|0| LA TAILLE EN NORMANDIE.

la lever sur les contribuables d'une ville, on la perçoit sur les denrées qui y entrent, en sorte que les privilégiés pour la taille le sont aussy pour le tarif1 ». Mais en pratique, les villes, pour des raisons diverses, n'avaient pas toutes suivi la règle. On peut les ranger à cet égard en trois groupes.

Le premier comprend les villes le principe est rigoureu- sement appliqué. A Coutances, cependant la multiplicité des exempts avait été le grand motif invoqué pour obtenir le tarif, y li s ecclésiastiques, nobles et privilégiés » ne sont pas « tenus du payement dudit tarif, pour la provision de leur maison seu- lement, à la charge qu'ils ne commettront aucun abus2 ». Pour Vire, les let. patentes du 23 mars 1658 portent que les droits seront levés « sur tous lesdits habitans, privillegiez et non privillegiez 3 », la Chambre des comptes, dans son arrêt d'enregistrement, a inscrit cette réserve que les « privillegiez demeurans dans ladite ville et fauxbourgs de Vire... demeu- reront exempts de la contribution dudit tarif suivant et confor- mément à l'usage de la province4 ». Pour Argentan, les lettres patentes ne parlant pas des exempts, la Chambre dans son arrêt d'enregistrement introduit la même exception5. A Avranches, l'arrêt du Conseil du 28 juillet 1667 stipule que « les gen- tilshommes, officiers et esleus6 [les ecclésiastiques sont évidem- ment sous-entendus] seront tous exempts de payer le tarif pour les provisions qu'ils feront apporter des champs et consom- meront eux-mesmes »; ils seront tenus, sous peine de déchéance, d'en faire la déclaration au bureau du tarif « et sans fraude »7. A Alençon, jusqu'en 1665, les privilégiés étaient exonérés des droits pour les marchandises de leur consommation ; mais à cette date, les fermiers se mirent a les faire payer; les tréso- riers de France s'en plaignirent à Colbert, demandant le main- tien des exemptions8; mais à ce moment et peut-être cette requête n'est-elle pas étrangère au changement, le tarif

1. De lioislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. I, n* 1579.

2. Arrêt du Conseil du 21 juillet 1660, (A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, 9.)

3. La Chambre des comptes de Normandie déclare que c'est en effet l'usage de la province ». (Arrêt du 27 mars 1670, dans les Mémoriaux.)

k. Arrêt du 27 mars 1670.

6. Ibid., année 1664, f> 49. Cependant les ecclésiastiques de la ville, réunis en assemblée le 6 janvier 1655, avaient déclaré consentir ù payer les droits, « attendu la grande pauvreté de ladite ville », mais le conseil n'avait pas tenu compte de cet engagement (ibid., f 48).

6. La Chambre des comptes, lors de l'enregistrement, le 19 janvier 1673, dit : « les ecclésiastiques, nobles et officiers des compagnies souveraines et autres ayans tiltres ». (Mémoriaux, à sa date.)

7. A. D. S.-lnf. B 89, F 15.

8. Ceci est an exemple du peu d'attachement des officiers au service du roi : les vf**°"er8 Seneraux.» T" 80nt chargés de défendre les intérêts du trésor, devraient

chercher ù multiplier le nombre des contribuables; ils demandent au contraire [accroissement du nombre des exempts. (Voir leur placet ù Colbert dans M. C. 129, f" 315-16.) r

LES VILLES TARIFÉES. 405

de la ville fut réuni à la ferme des aides1, et la difficulté se trouva résolue : seuls les exempts d'aides furent désormais exempts du tarif.

Une seconde catégorie est formée par les villes personne n'est exempt. Les lettres patentes du tarif de Condé-sur-Noireau stipulent que l'imposition portera « sur tous, privilégiez et non privilégiez 2 » ; à Saint-Lô, les habitants demandaient l'exemp- tion pour les ecclésiastiques, les gentilshommes et les élus, mais le roi rejeta cette exception. Il n'est, toutefois, pas sûr que, dans la pratique, on ait réellement soumis aux droits tous les privi- légiés de ces villes. Ainsi en 1663, une ordonnance de l'inten- dant prescrit le remboursement d'une somme de 47 1. 5 s. perçue par le fermier du tarif de Saint-Lô pour l'entrée de la viande de bœuf, veau et mouton « que Pierre de Maizeray fournit pour la provision du sieur de Matignon3 ». Pareillement, les ecclésiastiques furent sans doute exonérés des droits : dans un placet à Colbert, les fermiers des octrois de Rouen font observer qu' « en toutes les villes il y a des octrois, soit pour l'exemption des tailles ou autres causes, les ecclésiastiques paient comme les autres habitans 4 ».

Enfin il est des villes la situation des privilégiés varia avec les années. A Caen, en 1660, une sentence du Présidial ayant exempté du tarif le sieur Malherbe, conseiller audit Présidial, un arrêt du Conseil intervint non seulement pour casser la sentence, mais pour déclarer que le tarif était appli- cable à « toutes sortes de personnes, ecclésiastiques, nobles et autres, exempts et non exempts, privillegiez et non privillegiez, sans exception5 ». Mais en 1665 un nouvel arrêt intervient pour modifier ce régime; il y est stipulé que tous indistinctement seront dispensés de droits « pour les cidres provenant des fruits qui croistront dans les jardins et enclos de leurs maisons de la ville, sy ce n'est qu'ils les vendent en détail et a pot »; en outre, certaines maisons religieuses sont, à titre individuel, plus ou moins favorisées : les religieux mendiants ne payent rien; les religieux de Sainte-Croix auront l'exemption pour 4 muids de vin et 30 muids de cidre par an6; les Capucins,

1. Cf. ci-dessus, p. 268.

2. Lettres patentes du 31 mars 1661, citées ci-dessus.

3. Etat au vrai du tarif, année 1663.

4. M. G. 165, 2S8. Cf. une lettre d- Colbert à Leblanc, du 9 avril 1682 : « Il n'y a aucun exemple dans le royaume que les ecclésiastiques ayent esté imposés par capitation ». (Clém. IV, 154.), et les Mémoires du Clergé, t. IX, col. 306 : c'était une clause du contrat du don gratuit.

5. Arrêt du Conseil du 24 mars 1660, cassant une sentence du Présidial, du 27 février précédent. (A. D. Calv. Election de Caen : Extraits des archives de Vhôtel-de-ville de Caen.)

6. Arrêt du Conseil du 8 janvier 1665, ibid. Cet arrêt était invoqué par les éche- vins en 1736 pour refuser l'exemption aux ecclésiastiques de la ville, qui se pré- tendaient exempts en vertu des contrats passés entre le roi et le clergé de France.

H| LA TAIM.E EN NORMANDIE.

Cordelicrs, Jacobins et Carmes chacun 20 muids de vin, « ou du cidre à proportion »; mais les religieux de Saint-Etienne, les religieuses de l'Abbaye-aux-Dames payeront comme de simples bourgeois. Il est vrai que, la ville étant abonnée à une faible somme1, les droits y sont peu onéreux.

Ces différences de régime entre les villes sont imputables sur- fout aux tendances opposées du Conseil et des Cours normandes. Le Conseil eherche toujours à supprimer les privilèges; les Cours, au contraire, cherchent à les maintenir, parce que leurs membres sont des privilégiés.

Des fonds versés entre les mains des échevins par le ou les fermiers du tarif, on retranchait une certaine somme pour la « dépense commune », c'est-à-dire la rénumération de l'échevin comptable et du secrétaire qui dressait le compte, et pour les épices de la vérification au Bureau des finances. (A Saint-Lô, cette dépense était en moyenne de 225 1. par an2; à Condé-sur- Noireau, 40 1. jusqu'en 1667, 25 1. les années suivantes; à Coutances, ordinairement 265 1.; a Avranches 125 l.3). On pré- levait en outre, quand la ville n'était pas siège d'élection, les frais de déplacement des élus pour l'adjudication et les frais de port des deniers au receveur des tailles : à Saint-Lô, ces derniers frais montaient à la somme incroyable de 200 1. (pour des sommes variant de 22 à 30000 1.)*; les frais de dépla- cement des élus montent h Saint-Lô également a 220 1. environ. On prenait aussi sur les recettes des premières années de quoi payer les frais faits pour obtenir le tarif. Enfin, on acquittait des rentes constituées (2 000 1. a Saint-Lô en 1662 et 1663, et 1000 1. les années suivantes8, 50 1. à Avranches); et des dépenses accidentelles, autorisées par le Bureau des finances ou par l'intendant6. Tout le reste devait revenir au roi.

Ici. une difficulté se présentait : le chiffre de la taille étant arrêté par les commissions généralement plusieurs mois avant l'adjudication du tarif, on ne savait pas si le produit de la

1. V. ci-dessus, p. 90.

2. D'après les états au frai annuels, vérifiés au Bureau des finances. Elle est de 225 1. chaque année sauf les années suivantes : 1662 el 63 (125 L); 1671 à 1673 (275 1.) et 1680 à 82 (216 1. 13 s. 4 d.)

3. On ne voit pas la raison de ces différences considérables. Elles ne sont pas en rnPPort avec les produits des tarifs.

4. C'est qu'il faut transporter l'argent de ladite ville de Snint-Lô en la recette des tailles des eslections de Gnrentan et Coustance, distante de ladite ville de fsaint-Lo de six lieues du plus mauvais chemin du pays ».

;». Payées à M. de Matignon « pour son désintéressement de la baronnie de baint-Lo ». (Etat au vrai du tarif. 1671).

6. Le Bureau des finances n'autorise pas, en 1678, le prélèvement d'une somme pour réparations ou pont de Saint-Lô; mais il avait accordé l'autorisation anté- rieurement, en 1673 et 1674 (montent de la dépense, de ce fait : 1385 1.). (Etats au VTai du tarif.) * ' v

LES VILLES TARIFEES. 407

ferme, déduction faite des frais imputables à la recette, égalerait ou non la somme demandée par le roi. A l'établissement des comptes, il fallait donc parfois employer un excédent, ou combler un déficit. Dans le premier cas, l'excédent était laissé intact; on le reportait a l'année suivante, et la taille de cette année était augmentée en conséquence. Exceptionnellement, le roi en auto- risait l'emploi à quelques dépenses municipales extraordinaires, après avisde l'intendant1. Dans le second cas, tantôt les comp- tables étaient censés « faire l'avance » de la somme nécessaire (c'est-à-dire qu'en pratique on la prélevait sur un des exercices suivants, le receveur faisant crédit à la ville sans difficultés); tantôt on réimposait la somme manquante par « capitation », ce qui obligeait à nommer des collecteurs, et à dresser un rôle comme dans une paroisse rurale. Nous avons plusieurs exemples de ce dernier cas à Saint-Lô : ainsi en 1675, la taille de la ville et du Bourg-Buisson est fixée à 29 916 1. 2 s.; les dépenses de toute sorte à y ajouter sont de 2 171 1.2 s.; au total, 31 571 1. 2 s. Or l'adjudication du tarif n'a produit que 27 620 1., à quoi s'ajoute un reliquat de 746 1. 16 s. provenant de l'année précé- dente. Il manquera donc 3 204 1. 6 s. Pour les payer, l'assemblée de ville décide, le 15 novembre 1675, la levée « par capitation » sur les habitants d'une somme de 4 500 1. On procède de même les cinq années suivantes, pour des sommes variant de 2189 1. à 6000 1 2. Ainsi pouvaient fonctionner en même temps, dans une même ville, les deux modes de perception de la taille.

Si les contribuables voyaient leur avantage dans le tarif, le roi n'y trouvait pas moins son compte : il était en effet presque complètement à l'abri des non-valeurs, des retards dans le paiement, et de tous les inconvénients de la perception par capitation. Les fermiers, payés comptant par les contribuables, n'avaient pas de peine à verser intégralement le montant de leur bail dans le cours de l'année; on était d'ailleurs prémuni contre leur insolvabilité par les cautions qu'ils devaient fournir 3. Toutefois, le Trésor n'encaissait pas toujours avec

1. Par exemple au sujet du tarif de Falaise, l'intendant de Marie écrit ù Golbert en octobre 1668 : « Ayant augmenté l'année passée le tarif de Falaise de trois mil livres, je puis augmenter la taille de Falaise jusques a cette somme, et des- charger d'autant le plat pays, ou l'on pouroit laisser la ville a son taux ordinaire et employer l'exedent du tarif au paiement d'une partie des debtes de la commu- nauté; ce dernier me paroist plus advantageux pour la ville, et facille a exécuter dans une année ou le Roy a eu la bonsté de donner de la diminution a ses peuples; cella me paroist aussy assez conforme a la pensée generalle que vous avez de donner de la protection aux villes qui ont des manufactures ». (Falaise fabrique des serges et points de France). Mél. Golb. 149, f°* 7-8.

2. En 1682, à Gisors, une imposition supplémentaire de 4 000 1. est aussi levée par capitation. (Let. de Golbert à Leblanc, 9 avril 1682, Glém., IV, 154.)

3. Il est rare de trouver, dans les comptes, des sommes impayées par les fer- miers : deux fois (1815 1. et 10 1.) en vingt-trois ans à Goutances; trois fois en neuf ans (220 1., 530 1. et 132 1.) à Vire; deux fois en vingt-deux ans à Saint-Lô; jamais à Avranches i>i à Gondé.

408 LA TAILLE EN NOHMANDIE.

autant de régularité les deniers perçus, car les fermiers, au lieu cl. i aire leurs versements directement au receveur des tailles, les faisaient aux échevins qui n'étaient pas toujours très empressés à se dessaisir des fonds : ils multipliaient et espa- çaient leurs versements à la recette comme les collecteurs. A Saint-Lô, par exemple, les versements pour l'impôt de 1662, montant à 22 200 1., sont faits en 113 fois. (Il y a 113 quittances.) Pour 1666, ils sont échelonnés sur 26 mois, du 22 mars 1666 au 4 juin 1668 (15 quittances) ; pour 1667, sur 15 mois (5 avril 1667-29 novembre 1668; 20 quittances); pour 1668 sur 35 mois (9 avril 1668-17 mars 1670, 29 quittances '). A Avranches, la taille de 1668 n'est pas entièrement pavée en 1673, celle de 1669 est acquittée en 17 fois., du 5 janvier 1669 au 1er juillet 16732... Toutefois, à partir de 1670 environ, les paie- ments furent moins espacés, et se firent dans l'année, ou à peu près1 : Ce changement coïncide avec les instructions données par Colbert aux intendants pour accélérer la rentrée des impôts en général4. Néanmoins on peut dire qu'en comparaison des paroisses rurales les villes tarifées payaient sensiblement mieux et plus sûrement leur taille. Le système était donc préférable pour le fisc.

Cependant Colbert renonça à concéder des tarifs après 1667, malgré les supplications des municipalités. Il n'a nulle part, à notre connaissance, exposé ses motifs, mais on peut les con- jecturer : d'abord, ces villes, comme les villes franches ou abonnées, servaient de refuge à des contribuables de la cam- pagne qui voulaient échapper à la taille et à la collecte5; ensuite et surtout les taxes sur les marchandises étaient un obstacle

1. Etats au vrai du tarif de Saint-Lô.

2. Ici les retards s'expliquent par l'insuffisance des recettes : tous les comptes du tarif, de la première année (1668) à 1673 se soldent par un déficit de plus de 200 1. (Etats nu vrai du tarif d'Avranches.)

3. Voici les dates extrêmes et le nombre de versements pour Saint-Lô, à partir de 1670 (A. D. Calv., élection de Saint-Lô) :

1670. 31 déc. 1669-9 juin 1672 18 quittances.

1671. 4 fév. 1671- ? 1H7J 13

1672. ? ? ? 9

1673. 7 févr. 1673-9 janv. 1674 10

1674. 11 janv. 11 déc. 1674 14

1675. 8 févr. 1675-6 mars 1676 16

1676. 8 févr. 1676- ? 1679 12

1677. 14 fév. 1677-14 mars 1678 32

1678. 31 déc. 1677-9 janv. 1679 11 _

1679. 7 fév. 22 déc. 1677 11

1680. 3 ionv. 1680-7 janv. 168! 10

1681. 7 mnv. 22 déc. 1681 11 _

1682. 6 janv. 1682-20 janv. 1653 11

1683. 20 janv. 1683-17 janv. 16S4 8

4. Voir ci-dessous, chap. vm.

5. Ci-dessus, p. 209.

LES VILLES TARIFEES. 409

sérieux au commerce et aux manufactures : les droits sur les aliments augmentaient le prix de la vie ouvrière, ceux sur les produits fabriqués gênaient les producteurs. Au moment le ministre travaillait à supprimer les douanes intérieures, il ne pouvait établir, autour de toutes les villes, de nouvelles cein- tures douanières. En 1665, les trésoriers généraux d'Alençon lui exposent que les fermiers du tarif, pour accroître leurs recettes, ayant levé les droits avec rigueur sur toutes les denrées vendues dans la ville, le commerce en souffre considérablement : les fermiers, disent-ils, perçoivent l'impôt « sur les bois des forests du roy, sur les marchandises de toilles et autres qui se font aux marchez de ladite ville d'Alençon pour porter à Paris, sur les bestiaux qui sont vendus ou échangez aux marchez de ladite ville entre les habitans des parroisses et qui en sortent le mesme jour qu'ils y sont entrez, ce qui a beaucoup diminué le com- merce et les marchez de ladite ville sont ruynez, et les marchands et paisans des parroisses voisines aussy entièrement ruisnez et hors d'estat de payer ce qu'ils doivent au roy1 ».

« Il n'y a rien, écrit en 1682 l'intendant de Caen, qui aporte tant de préjudice aux paroisses de la campagne que ces villes tarifées ou il se commet une infinité d'abus... Cette sorte d'éta- blissement ne va qu'à la charge des pauvres artisans qui con- somment les denrées subjettes a ces levées, dont les officiers et les riches se sçavent toujours exempter2. »

Et l'intendant d'Alençon, l'année suivante : « Il seroit bien plus advantageux de suprimer tous ces tarifz, qui sont la ruine des parroisses voisines des villes auxquelles ils ont esté accordez, et qui causent une diminution considérable au commerce qui se faisoit dans lesdites villes, lesquelles d'ailleurs n'en reçoivent autre utilité que de n'avoir point a faire de rolles par capitâtion, qui, a la vérité, donnent lieu a bien des vengeances et des injustices3 ».

1. Placet à Colbert, du 11 mai 1665. M. C, 129, f°8 315-16.

2. Lettre de Méliand à Colbert, 1er août 1682, à propos de démarches faites par des bourgeois de Baveux pour obtenir un tarif, qui ne fut pas accordé. A. N. G' 213.

3. Mémoire de Bouville au contrôleur général, 1er sept. 1683, A. N. G7, 71. La règle de ne pas accorder des tarifs nouveaux survécut à Colbert : en 1687 il est refusé à Evreux, en 1688 à Valognes et à Bayeux encore. (De Boislisle, Corres- pondance des contrôleurs généraux, I, 449.).

c

410 LA TAILLE EX XOHMANDIE.

II. QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES PAROISSES?

Suivant les règlements et l'usage général, la perception de la taille, dans chaque paroisse non tarifée, doit être laite par les collecteurs qui ont dressé les rôles.

Aux termes de la déclaration de jahvier 1634, les collecteurs doivent faire la levée « ensemble, par quartiers ou demie année, ainsi qu'ils demeureront d'accord entre eux, et demeurans toute- fois responsables les uns des autres » (art. 38). Mais les usages locaux prévalent souvent sur l'ordonnance, et l'on trouve en Normandie des modes de recouvrement assez variés. Tantôt la perception est confiée au seul collecteur de la haute échelle; tantôt elle est partagée entre tous ou la plupart des collecteurs, suivant un accord amiable; tantôt enfin elle est confiée à un articulier, collecteur ou non, par un contrat conclu avec lui par a paroisse '.

L'usage de faire recueillir la taille par le collecteur de la haute échelle était le plus fréquent. « Le collecteur de la première eschelle, écrit de Bouville, est seul chargé du rolle et touche les deniers du contribuable, c'est pourquoi on l'appelle porte-bourse2 ». Dans ce cas, les collecteurs des deuxième et troisième échelles ne manient pas d'argent, mais ils doivent assister leur collègue de leur présence, et, s'il y a lieu, lui avancer des fonds, supporter les saisies, les exécutions, la prison avec lui. Le détail des obligations de chacun est souvent réglé par des accords, dont mention est faite au bas des rôles ; ainsi au rôle d'Asnières pour 1663 :

« Sur le règlement de la collection d'entre les dits asseurs, ordonné

que le dit Prieur Troppé, collecteur haut-assis, portera la bourse et le

pappier a l'assistance des autres asseeurs deux jours la sepmaine deux

chacun, pour lesquels contribueront aux advances, fraicts et coustages

a l'égal de leurs sommes ' ».

L'obligation pour les collecteurs de seconde et de troisième échelle d'assister le porte-bourse est soigneusement inscrite sur

1. On ne fit jamais de tentatives sérieuses pour faire percevoir la taille dans les paroisses par des agents royaux au lieu des collecteurs élus. Un édit de décembre 1 «138 créait en chaque paroisse un receveur particulier des tailles, jouissant d'un droit de 12 d. pour livre; mais ce n'était qu'une mesure fiscale, les charges furent rachetées par les paroisses et n'existèrent jamais que sur le papier. (A. D. Calvados, élection de Caen, registre d'ordonnances de l'élection, à s:i d.ite, cf. de Bcaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 269.)

2. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G7 71. Le porte-bourse est aussi appelé principal collecteur » ou « matlre-collecteur ».

I. A. Mun. Baycux, rôles de 1663. Les autres rôles de l'élection portent en grand nombre des mentions de ce genre, qui semblent inscrites par l'élu vérificateur.

QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES PAROISSES? 411

certains rôles : à Coullombières, élection de Bayeux, en 1663, les « petits collecteurs », au nombre de neuf, s'engagent h assister leur collègue « un jour la semaine, deux à la fois »; à Neuilly- l'Evêque, tous devront assister à la recette; les défaillants payeront une amende de 20 sous par absence, « au bénéfice des presens » ; même convention à Saint-Vigor-le-Petit, l'amende est de 10 sous; à Vaubadon elle est de 15 sous, etc. On trouve pareillement inscrit sur certains rôles l'engagement pris par tous de payer leur part des frais de collecte et de parti- ciper aux exécutions de biens : à Neuilly-l'Evêque, en 1663, par exemple, il est dit que tous « assisteront tous les jeudy... de chaque sepmaine pour conduire et porter les biens exécutez aux vendues de namps à Ysigny, comme aussy lesdits collecteurs payeront ensemblement à l'esgal de leurs lignes1 pour la despense qu'il conviendra faire pour porter les deniers de ladite collection en la recepte des tailles2 ». Une sentence de l'Election de Gaude- bec, du 28 janvier 1662, condamne Pierre Forestier, collecteur de Sasseville, à assister son collègue porte-bourse « iesmercredy de chacune semaine pour faire les exécutions, et le jeudy les vendues a Grainville, a laquelle fin se trouveront au presbittere de ladite paroisse, neuf heures du matin3 ».

Si le collecteur de haute échelle fait difficulté pour se charger de la perception, ses collègues « bas-assis » protestent auprès des élus pour lui « faire porter la bourse et le papier * » ; c'est encore une source de procès. Mais on peut aussi charger de la fonction un autre collecteur : dans son mandement aux paroisses d'octobre 1672, l'intendant de Rouen laisse les con- tribuables libres de « choisir pour collecteur porte-bourse celuy [qu'ils estimeront] le plus solvable et pouvoir mieux répondre des deniers de la collecte, soit qu'il soit de la haute, moyenne ou basse eschelle, et sans distinction5. »

Le système avait sur la collecte par tous les collecteurs à tour de rôle des avantages incontestables : il garantissait mieux les recouvrements, les contribuables étaient plus ménagés, et les non-valeurs moins élevées. Voysin de la Noiraye, qui l'avait vu fonctionner à Rouen, en faisait l'éloge alors qu'il était passé en Touraine, et obtenait de Colbert un arrêt du Conseil pour l'établir dans sa nouvelle généralité6.

1. C'est-à-dire au prorata de leur propre imposition.

2. Tous ces détails sont tirés des rôles de l'élection de Bayeux, année 1663, A. Mun. Bayeux.

3. Plumitif de l'Election de Neufcliatel, A. D. S. Inf. C, 2484. Le tribunal ajourne sa sentence en ce qui concerne le partage des frais.

4. Mentions portées au bas de beaucoup de rôles de l'élection de Bayeux, A. Mun. Bayeux.

5. A. D. S. Inf., C 2215.

6. Let. des 16 oct. et 7 nov. 1666, M. G. 141, 380 et 142 190; cf., 133, 539. C'est encore un cas d'extension des usages normands au reste du royaume.

Itl LA TAILLE EX NOIIMANDIE.

Assez fréquemment, la collecte est confiée à plusieurs collecteurs : A Saint-Malo-de-Bayeux, en 1663, on désigne deux porte-bourse; à Saint-Martin-des-Entrées, le collecteur principal s'engage à recueillir les trois premiers quartiers de la taille, un de ses collègues se chargeant du quatrième. A \ aucellcs, l'un des collecteurs demande qu'il luy soit

f>ermis de « faire pappier pour la moitié du dernier quartier », e reste étant confié au porte-bourse, ce qui est accepté1. A Rots, le collecteur haut-assis porte seul la bourse la plupart des années, mais en 1668 il est convenu que les quatre collec- teurs « racueilleront chacun leur quartier l'un apprès l'autre comme ils sont nommez et estabhs »; en 1676 et en 1677, on désigne deux porte-bourse chargés chacun de deux quar- tiers, et il est spécifié que les autres collecteurs n'auront rien à recueillir, attendu qu'ils sont « en quelque façon insol- vables' ».

En certaines paroisses, on pratique le « bannissement » de la collecte*, c'est-à-dire que l'on confie, moyennant une rétri- bution convenue, la perception à un individu, collecteur ou non, et nommé pour cela collecteur « allouant » ou « conven- tionnel ». Généralement, c'est l'assemblée de paroisse qui décide l'opération; on traite soit à l'amiable, soit par adjudi- cation publique, à l'issue de la messe, « au moins disant et dernier enchérisseur ». Le procédé n'a rien d'irrégulier; des ordonnances de 1459, 1517, mars 1600, etc., l'ont autorisé; le jurisconsulte Guénois affirme en 1596 qu'il est « le plus souvent » pratiqué *, et La Barre en parle comme d'un cas normal 6.

Le 3 janvier 1661, les habitants de Tracy, élection de Caen, décident dans leur assemblée de « bannir la collection de la taille de ladicte paroisse jusques a huict ans révolus6... a cause qu'il ne se peut trouver de portant bourse solvables dans

1. Râles de l'élection de Baveux, année 1663, A. Mun. Baveux. A Bradais (élection d'Avranches), en 1658, la taille des trois quartiers de janvier, avril et octobre est levée par trois collecteurs différents, et pour le quartier de juillet, deux autres collecteurs s'en chargent par traité (A. D. Calv., Bureau des finances. Procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, 69).

2. A. Mun. Rots, Registres paroissiaux, aux dates des 14 oct. 166S, 8 déc. 1676 et 19 déc. 1677.

3. L'usage n'est pas particulier à la Normandie; on le trouve aussi en Bour- bonnais (let. de l'intendant, 10 juillet 1670, Clairamb. 792, p. 6 et Procès-verbal de la généralité de Moulins par d'Argouges, cd. Vayssière, p. 36); en Orléanais (Hû, Le bailliage seigneurial de Pontlevoy, I, p. 19), et en Languedoc (De Boislisle, Correspondance, t. I, n°' 637, 769, 1880, etc.).

4. La grande conférence des ordonnances, éd. 1678, t. I, 2* part., p. 140. Cf. aussi J. Combes, Traité des tailles, (1576) 32 verso et Lebrun de la Rochette, Leslection ou traité de la jurit diction des esleus, (1618), p. 25, mais ces auteurs ont en vue le cas l'adjudication serait faite à un prix inférieur à la remise fixée parles règlements; cf. l'art. 11 de l'ordonnance de 1517.

•>. Formulaire, p. 196.

6. C'est-à-dire pour une période de huit ans.

QUI FAIT LA PERCEPTION DAXS LES PAROISSES? 413

ladite paroisse, a raison de la pauvreté desdits habitants ». A cet effet, ils prennent la délibération suivante :

« Pour éviter aux grand frais que les collecteurs souffrent a la recol- lection des deniers de leur taille, lesquels attirent la totale ruine tant des dits collecteurs que du gênerai, pour les exécutions fréquentes qui se font pour le recouvrement des dits deniers, ils consentent et sont d'avis que les personnes de * fassent la recollection desdits

deniers par ce qu'ils pourront prendre sur eux 2 par chaque*

livre, en outre le taux et imposition a quoy ils seront assis et taxés ; laquelle assiette et la taxe sera faitte parles collecteurs, lesquels seront nommés dans leur ordre et rang chasque an, lesquels seront tenus de mettre le roole aux mains de . Lesquels (ou lequel) par ce moyen

seront tenus descharger lesdits collecteurs et gênerai envers les rece- veurs et les garantir de toutes pertes, frais, dommages et despens. Estant entendu neantmoins que la ou 3 cet ordre cesseroit a l'advenir, les col- lecteurs ayant esté nommés pour faire ladite assiette ne demeureroient deschargés de leur rang et ordre, lequel recommenceroit comme s'ils n'avoient esté nommés, cessant quoy le présent certificat n'eust esté ainsi arresté ayant mesme consenty que le présent soit emologué par tous il appartiendra, pour l'exécution d'icelluy, a quoy les susdits tant pour eux que pour le gênerai ont obligé généralement tous leurs biens presens et advenir *. »

Le procédé est également adopté par plusieurs paroisses de l'élection de Vire, parce que leurs collecteurs « ne savent ny lire ni escrire, et ont d'autres occupations ou trafics qui les empes- chent de vaquer » à la fonction 5. A Blainville-sur-Mer, élection de Coutances, on y a recours parce que la majorité des contri- buables, occupés à la pêche et au matelotage, sont absents une partie de l'année; l'adjudicataire, qui est pendant quinze années de suite le même individu, s'engage à « avancer le paiement de toute la taille et indemniser la paroisse de toutes les cottes de matelots qui meurent sur 'mer et demeurent insolvables », si bien que la paroisse, l'intendant lui-même le constate, ne con- naît ni les procès en décharge de collecte, ni les exécutions, ni les non-valeurs, ni les rejets6.

En certains cas, l'adjudication est ordonnée par les élus, qui y président : ainsi un procès étant survenu en 1675 entre deux collecteurs de Croisilles, et l'un d'eux ayant fait défaut, l'iilec- tion de Gaen ordonne qu'il sera procédé à « la banie par rabais

1 . En blanc dans l'original.

2. Id., le chiffré de la remise avait été fixé à 3 s. 6 d. par une délibération antérieure de l'assemblée.

3. C'est-à-dire au cas où.

4. A. D. Calv. Election de Caen, registre de consentements de Tracy. Cf. d'autres contrats analogues, de 1687, 1689, 1695, publ. dans Hû, Le bailliage seigneurial de Pontlevoy, t. I, p. 19-20.

5. Mémoire de l'intendant Méliand, 18 juillet 1682, A. N. G1 213.

6. Ibid.

LA TAII.I.i: ! X NOIl.MAXniK.

du service de la collection pour une basse eschelle de la taille de Crosille année présente ' », mais les autres collecteurs devront faire le recouvrement de leurs quartiers. En 1661, les élus de Mortain ordonnent la bannie de la collecte dans la paroisse de Ger, parce qu'il y a contestation entre les collec- teurs sur la validité de leur nomination, et la sentence est confirmée par arrêt de la Cour des Aides, le 7 février 1662 2. L'Election de Falaise, le 2 octobre 1677, autorise Michel Froger, collecteur de Couterne, à « faire bannir le service de la collecte des tailles, au lieu et place de Jacques Froger son collègue'. » Parfois même, le contrat est conclu à l'amiable par un collec- teur, ou par la veuve d'un collecteur décédé en cours de charge, avec un particulier de son choix : pour que l'acte soit valable, il suffit, suivant La Barre, qu'il soit « du moins signé d'un desdits esleuz », et approuvé par les autres collecteurs *. Ainsi le

13 février 1677 Jean Germain, collecteur de Saint-Ouen-le- Brisou, vient déclarer à l'Election de Falaise « qu'il a alloué de la veuve feu Jullien Dubois, vivant collecteur des tailles de ladite paroisse, année présente, a faire la collection des deniers des tailles et porter la bourse et le papier »; il demande la con- firmation du tribunal, qui la lui accorde, et il vaque régulière- ment à la perception6.

Le prix de l'adjudication était tantôt une somme fixe, résul- tant des enchères mises : ainsi à Ger en 1661 elle est de 150 liv., à Croisilles en 1675, 60 1. ; tantôt et c'est toujours le cas quand l'adjudication est faite pour plusieurs années un tant par livre des sommes imposées : 2 s. 6 d. à Blain- ville, 3 s. 6 d. à Tracy. Toujours le chiffre dépassait les 6 d. réglementaires.

Par son contrat, visé à l'Election, l'adjudicataire était investi de tous les pouvoirs et obligations des collecteurs : il exerçait les contraintes sur les taillables, soutenait les procès, avançait les deniers au besoin, était responsable des paiements envers le receveur, et par conséquent était saisi et emprisonné le cas échéant6.

Quoique l'usage, reconnu avantageux pour les contribuables et pour le fisc, fût autorisé par la coutume et par d'anciens

1. Sentences de l'Election de Caen. des 10 et 17 juin 1675, dans le plumitif de l'Election, Arch. Galv., El. de Cnen.

2. Sentence de In cour, à sa date, dans le Plumitif, Arch. S.-Inf. ■i. Plumitif de l'Election, Arch. Galv., El. de Falaise, à sa date. k. Fomulaire tics etleuz, p. 1%.

5. Plumitif de l'Election, ù sa date.

6. On rencontre un cas singulier dans la paroisse de La Coulonche, élection de Falaise, en 167't : Nicolas Chatel, ayant affermé la collecte de la paroisse, avait revendu son contrat a Thomas Barré et Baptiste Michel, pour le prix de

14 livres. Ces derniers ne purent faire un paiement au receveur à la date fixée, ce fut ChAtel qui fat saisi et emprisonné, malgré la cession de son bail (A. D. Colv., Plumitif de l'El. de Falaise, aux dates des 8 mai et 10 nov. 1674).

QUI FAIT LA PERCEPTION* DANS LES PAROISSES? 415

règlements, l'administration essaya de l'abolir au temps de Colbert. À deux reprises, en 1668 et en 16751 , les intendants de Caen l'interdirent par leurs mandements aux paroisses : mais il ne semble pas que ces défenses aient eu aucun effet. En 1681, Colbert lui-même intervint : dans sa circulaire du 11 septembre, il exposa les inconvénients qu'il trouvait au système : d'abord, disait-il, on exige des contribuables une remise supérieure aux 6 d. réglementaires, et « comme il n'est pas permis de faire aucune imposition sur les peuples sans la commission du roy, cette imposition de deux, trois ou quatre sols pour livre ne peut estre légitime » ; en outre, « quoique cet establissement fut très bon dans son commencement, il a dégénéré en abus, en ce que ce sont pour la pluspart les receveurs des tailles qui prennent, sous des noms supposés, cette collecte, et qui profitent par ce moyen des deux, trois ou quatre sols pour livre2 ».

Sur le premier point, le ministre n'était du reste pas intran- sigeant : « Comme ces collecteurs conventionnels, ajoutait-il, seroient d'une assez grande utilité aux paroisses en ce qu'ils retranchent tous les frais et les voyages d'huissiers3, S. M. en autoriseroit l'establissement s'ils se contentoient de 12 d. pour livre, sçavoir : des 6 d. imposés en vertu des commissions pour la collecte et 6 d. d'augmentation; donnez-moi l'esclair- cissement que S. M. désire sur cet article, afin que je puisse luy en rendre compte » ; mais les intendants, sans doute pour faire du zèle, renouvelèrent, par leurs mandements, l'inter- diction de lever plus de 6 d. par livre, et il en résulta des diffi- cultés dans les paroisses : à Blainville-sur-Mer, deux contri- buables firent un procès au collecteur conventionnel, Le Couvé, pour levée illégale de deniers, et l'affaire vint devant le Conseil; les habitants soutiennent en majorité Le Couvé, déclarant que depuis que la collecte est bannie, ils sont « exempts de toutes courses, execusions, emprisonnemens, frais et despens, en sorte qu'il n'y a que les huissiers des tailles qui puissent dire avec vérité qu'ils perdent en ce rencontre » ; les élus et le rece- veur de Coutances les appuyent et l'intendant ajoute à leur requête : « Pour ce qui est de l'imposition de 2 s. pour livre..., comme les tailles se payent maintenant avec plus de facilité qu'au temps que cet usage s'est introduit, sy le Conseil ne trouve pas a propos d'en permettre la continuation a cause de

1. Arch. Calv., Registre d'ordonnances de l'Election de Caen, 166*1-74, 261, et collection des mandements aux paroisses de la même élection, année 1676.

2. Glém. II, 393 : la circulaire était inspirée par « les mémoires que MM. les commissaires départis et intendans des provinces ont envoyés concernant la visite qu'ils ont faite de leurs généralités ».

3. L'intendant de Caen lui écrit le 18 juillet 1682 que les élus et surtout les receveurs des tailles « trouvent beaucoup d'aventage pour leur recouvrement » dans les collecteurs conventionnels (A. N. G7 213). Cf. une lettre de Colbert à l'in- tendant de Limoges, Clém., II, 893, n. 1.

/,16 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

I. \< rdz, on pouroit la réduire a la moitié... [mais il n'est pas probable] qu'en adjoustant seulement 6 d. comme vous le pro- posez, il se trouvast personne qui voulust s'en charger mm li «il ' » : pourtant les habitants perdirent leur procès. Le 22 juil- let 1682, Colbcrt rappelait à i'intendant de Caen sa circulaire de l'année précédente, et, le 3 août, Méliand l'informait qu'il en assurerait l'exécution à Blainville; nous ne savons s'il put ou non aboutir*.

Quant aux personnes d'autorité, receveurs et autres, allouant la collecte directement ou par des prête-nom, elles n'étaient pas rares dans la province : en 1670, le procureur du roi au

frrenier à sel d'IIarfleur et son père ont alloué la collecte de a taille et du sel dans plusieurs paroisses du voisinage8. A La Fcrté-Macé, en 1673, le « service de collecteur porte-bourse » est alloué à un huissier, Bonaventure Enguerran*. En 1675, l'Election de Caen adjuge elle-même à un huissier, Guil- laume Baron, la collecte de la paroisse de Croisilles5. Il est facile de se représenter à quels excès de tels personnages, autorisés par leur titre, pouvaient se porter. Mais les ordres de Colbert furent impuissants contre eux. Le recueil d'Orsay les dénonce tout particulièrement dans la généralité de Rouen vers 1690 :

« II est de conséquence d'empêcher que ces huissiers ou sergens et autres gens publics comme avocats, procureurs et notaires ne s'ac- comodent avec les collecteurs pour cueillir la taille pour eux, parce que, sous ce prétexte, ils exigent des sommes considérables desdits col- lecteurs, et d'ailleurs ils font l'assiette avec eux, leur persuadent qu'ils en peuvent faire la collecte dans faire l'assiette avec justice, pour éviter aux non-valeurs, et par ce moyen se rendent maîtres des par- roisses et font leur compte lors de ladite assiette; cela se pratique neantmoins en quelques eslections de la généralité de Rouen, et notam- ment vers Lyon-en-Forest et Neufchastel; il faut s'informer exacte- ment de cet article dans la prochaine visitte ou l'on pourra entendre les collecteurs des principaux bourgs et lieux de chaque eslection, tant pour l'année 1688 6 que pour l'année suivante, ou plutost pour l'année 1688, parce qVétans quittes en recette, ils sont plus libres de se plaindre et du receveur et de l'huissier7 ».

Le système des collecteurs « allouants » se maintiendra pen-

1. Lettre de Méliand, 18 juillet 1682, déjà citée. Le factum des habitants y est joint.

2. Arch. Nat. G" 213.

3. Analyse de la lettre de Barin de la Galissonnière, 12 oct. 1670, B. N. Clai- ramb. 792, p. 348.

fc. Plumitif de l'Election de Falaise, lor déc. 167'i, A. D. Calv.

5. Plumitif de l'Election de Caen, 10 juin 1675, ibid. Ci-dessus, p. 413.

6. En marge : « H* : l'année 1683 ne sert que d'exemple •. L'ouvrage est en effet un recueil d'instructions à l'usage d'un intendant débutant.

7. B. N., fr. 11096, 22.

QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES PAROISSES? 417

dant tout le xvme siècle, et à la veille de la Révolution, les opinions seront partagées sur ses avantages et ses inconvé- nients : tandis que la grande majorité des paroisses de la géné- ralité de Caen, consultées en 1784, s'en déclareront satisfaites1, l'Assemblée provinciale de Haute-Normandie, en 1787, condam- nera ces hommes qui « font une espèce d'agiotage de la collecte des impositions de diverses paroisses... [et donnent à leurs] avances prétendues une extension qui devient autant onéreuse au contribuable que funeste dans ses suites2 ».

Lorsqu'un collecteur, porte-bourse ou autre, décédait en cours décharge, il fallait pourvoir à son remplacement. Les règlements distinguaient à cet égard deux cas : si le rôle n'était pas encore fait, ou si, du moins, la collecte n'était pas commencée, on devait procéder à une nouvelle élection 3. Mais si la perception était en cours, on ne pouvait en user de même, car « le rôle est un acte qui engage ceux qui l'ont arrêté i » ; les héritiers devaient donc prendre la place du défunt, étant « tenus de la part et portion de ce collecteur dans les pertes et non-valeurs des taxes et du rôle5 ». C'est pourquoi nous avons vu la veuve d'un collecteur allouer la collecte à un tiers, dans la paroisse de Saint-Ouen-le Brisou. De même, le 13 février 1677, l'Election de Falaise autorise Jean Demay, tuteur des enfants de son frère défunt, à faire la collecte des restes de taille dus à ce dernier en la paroisse de Bretteville-sur-Dive, pour les années 1660, 1670 et 1675, attendu « qu'en sadite qualité [de tuteur] il est obligé de faire la collection des deniers deubs aux héri- tiers de sondit frère6 ». Mais on a des exemples de réélection de collecteurs en ce cas : De Merville, du reste, les juge légi- times 7.

1. Voir le dossier de l'enquête A. D. Galv., G 4391.

2. Procès-verbal de l' assemblée provinciale de Haute-Normandie, p. 359.

3. Vieuille, p. 258. C'est, dit-il, la jurisprudence de la Cour des aides de Paris.

4. Id., ibid.

5. Id., ibid.

6. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à sa date. L'effet de la sen- tence des élus est d'enjoindre « aux laillables de luy obéir en cette qualitté de collecteur ».

7. Maximes, p. 38. A Tracy, un collecteur de l'année 1671 étant mort, les habitants s'assemblent le 20 septembre « pour adviser aux moyens de mettre un autre collecteur au lieu et place de feu Jacques Lelarge, suyvant plusieurs sen- tences de Mrs les eleus de Gaen, pour éviter aux frais et longueur de procès, et advancer de faire sortir les deniers de ladite taille », et ils nomment deux rem- plaçants, qui payeront chacun 35 1. au porte-bourse « par moytié, à deux termes égaux, scavoir la Saint-Michel et Noël prochain ». A. D. Calv. Registre de con- sentements de Tracy.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

27

41» LA TAILLE EN NORMANDIE.

III. LA COLLECTE

Les collecteurs, réguliers ou conventionnels, doivent perce- voir l'impôt de tous les contribuables de la paroisse, excepte les taxes d'office, qui, on l'a vu, sont payables directement au receveur1. L'année financière commençant le 1er octobre, ils doivent commencer leurs diligences dès cette date, ou du moins dès que le rôle est exécutoire.

La taille est une dette quérable ; les collecteurs doivent donc se présenter au domicile de chacun pour encaisser; il est ainsi procédé généralement 2, mais souvent aussi les collecteurs choisissent un lieu et des jours de recette. Le lieu est fréquem- ment le cabaret, quoique les ordonnances l'interdisent; à Neuilly- l'Evêque, à Saint-Vigor-le-Pctit, à Vaubadon, paroisses de l'élection de Bayeux, à Sasseville, de l'élection de Caudebec, c'est le presbytère; les collecteurs y attendent les contribuables un ou deux jours de chaque semaine3. Ailleurs encore, c'est le domicile particulier d'un collecteur.

Les dates auxquelles les collecteurs doivent faire la perception sont déterminées par celles ils doivent faire leurs versements aux receveurs. Ces dernières, suivant les commissions, dont les mandements aux paroisses répètent les termes 4, sont : le 1er décembre, le dernier février, le dernier avril et le 1er oc- tobre. Mais en réalité les choses ne se passent pas ainsi. Les retards dans la confection des rôles, les nombreux procès, la misère et la mauvaise volonté des contribuables, les arriérés, l'obligation d'acquitter les autres impôts, empêchent de perce- voir la taille avec une telle régularité; les receveurs se font payer quand et comme ils peuvent; il y a presque autant de modes d'encaissement que d'élections. D'ailleurs le gouverne- ment, qui a toujours connu les difficultés de cette perception, n'a jamais essayé d'appliquer l'ordonnance, et s'est simplement préoccupé de faire rentrer les fonds le moins mal qu'il était possible.

On a fait cependant, à notre époque, des essais de réglemen- tation. Un arrêt du conseil du 12 novembre 1665 prescrit d'abord

1. Ci-dessus, p. 340.

2. Cf. ci-dessous, les exemples de violences contre des collecteurs se présentant chez les contribuables pour faire leur recette, et Boisgnilbert, Détail, éd. 1707, I, p. 27.

3. Rôles de l'élection de Bayeux, A. Mun. Baveux, et de l'élection deNeufchàtel, A. D. S.-lnf., C. J . J .

4. Ces dates ne sont fixées par ancun autre acte législatif que les commissions. La déclaration de 1643 (art. 6) indiquait le 15 des mois de novembre, janvier, avril, juillet, et octobre, mais on a vu qu'elle n'était pas appliquée en Normandie. On n en tenait pas compte davantage, sur ce point, dans le reste du royaume.

LA COLLECTE. 419

aux receveurs de choisir un jour de recette « pour la commodité des collecteurs », lequel jour fut habituellement celui du marché1. Puis, en 1670, l'intendant de Rouen, ayant écrit à Colbert « que si les receveurs s'abonnoient avec les collecteurs par mois, ce remède empescheroit bien des frais de recouvrement2 », il fut autorisé à tenter l'expérience l'année suivante3 :

« Nous exhortons les collecteurs, écrivît-il dans son mandement, de venir incessamment trouver le receveur des tailles de vostre eslection, afin de convenir des termes des payemens de la somme a laquelle vostre dite paroisse est imposée; lesquels payemens estans faits dans les temps qui seront convenus, ledit receveur ne pourra se faire payer aucuns frais pour les courses de ses huissiers, en cas qu'il en fist faire aucune auparavant l'échéance desdits termes4. »

Les résultats obtenus ayant été satisfaisants, Colbert étend le procédé à la généralité de Caen5, et en 1678 l'intendant déclare « qu'il n'y a point de moyen plus convenable pour empescher [les frais] que les atermoiments6 ». Il a donné aux receveurs particuliers l'ordre de tenir un registre les con- ventions seront inscrites et contresignées par les intéressés ; moyennant quoi il leur est défendu « de délivrer aucunes con- traintes aux huissiers, et a tous huissiers de faire aucunes con- traintes, exécutions, frais ny poursuites, a peine d'interdiction, de 500 1. d'amende et de répétition de toutes pertes, dommages et intérests que les communautés en auroient pu souffrir7 ». Comme les collecteurs pourraient, en « interprétant mal » cet article, « faire difficulté de paier la taille autrement que de mois en mois en quatorze paiements, et que mesme les receveurs des tailles sembleroient n'avoir pas la liberté de décerner leurs contrainctes en la manière accoustumée et dans les temps portez par les reglemens a cause desdites deffenses », une ordonnance du 12 décembre suivant fait savoir que cette mesure « n'est que pour exhorter les collecteurs a faire les dits attermoyemens pour evitter les frais », et qu'en conséquence il reste entendu que les règlements royaux sur les contraintes demeurent en vigueur et pourront être appliqués s'il y échet8.

Mais l'application du nouveau système fut gênée par la hâte

1. A. D. Calv., Election de Caen, procès de Cairon, et let. du receveur de Mor- tain, 21 janvier 1679, A. N. C 213.

2. Let. du 30 septembre 1670, Glairamb. 792, p. 337.

3. Let. du 6 juillet 1671, ibid., p. 751.

4. Mandement pour la taille de 1673, A. D. S. Inf., C 2 215; cf. les mandements postérieurs, B. N. fr. 8 761b", reproduisant à peu près cette prescription.

5. Mandement pour la levée de la taille, A. D. Calv., Election de Caen.

6. Mandement pour la nomination des collecteurs, 1er août 1678, ibid.

7. Ibid.

8. A. D. Calv. Elect. de Caen, registre d'ordonnances, à sa date.

,,J0 LA TAILLE EN NORMANDIE.

du gouvernement à faire rentrer les fonds au Trésor: Le 11 jan- vier 1678, Chamillart explique;! Colbert que, comme le receveur généra] « est obligé de payer dans le mois de febvrier les mois de mars et d'avril, il oblige les receveurs particuliers a faire faire la mesme advance aux colecteurs, ce qui interrompt les atterme- incnts qui leur estoient accordez de mois en mois, et causera beaucoup de frais1 ». D'autre part, le paiement de mois en mois n'était pas toujours le plus commode pour les collecteurs : il y avait des époques de l'année ils ne pouvaient rien encaisser; « pendant les mois de may, juin, juillet et aoust, écrit Colbert, les peuples ne payent rien dans les provinces, parce qu'ils sont occupés aux récoltes2 ». « Les meilleurs mois de l'année, et dans, lesquels les peuples payent le plus, dit-il encore, sont assu- rément ceux d'octobre, novembre et décembre3. » Aussi, cer- tains administrateurs désapprouvaient-ils le système. L'inten- dant de Franche-Comté écrit au contrôleur général le 10 septem- bre 1684 qu' « il y a des mois dans l'année le paysan ne peut faire d'argent, ce qui fait que l'on fait des poursuites et des frais qui ont monté à des sommes excessives »; si l'on rétabli le paiement par quartiers, on soulagera « cette province de la valeur du tiers de l'imposition* ». Néanmoins, la pratique des « abonnements » fut généralement reconnue bonne, et en 1689, le contrôleur général recommandera vivement à l'intendant d'Alençon de l'introduire dans sa généralité, elle ne semble pas avoir été usitée jusque-là 5, et l'auteur du Recueil d'Orsay conseille à tous les intendants de l'adopter6.

Les collecteurs ne sont pas tenus de délivrer un reçu aux taillables pour les sommes payées; le règlement de janvier 1634, art. 38, leur prescrit seulement de « croiser » sur un exemplaire du rôle, qu'ils doivent toujours porter avec eux, et qui est désigné parfois sous le nom de « cueilloir » 7, « les paie-

1. Analyse de sa lettre. Clairamb. 794, p. 81.

2. Mémoire sur les affaires de finances, Clém., II, 36. C'est pour ce motif, dit Colbert, que l'on ajourna l'arrestation de Fouquet.

3. Let. à Mazarin, 31 août 1651», Clém., I, 360. Cf. le mémoire de l'intendant d'Alençon du 22 juillet 1680 : les principaux payements se font « après la récolte » (A. N. G^ 71).

4. De Boislisle, Correspondance, t. I, 111. Il obtient ensuite satisfaction, et se félicite des améliorations obtenues (ibi-l.).

5. Let. du 8 janvier, dans De Boislisle, Correspondance, t. I, 650 : « Le roy avant remarqué que, dans beaucoup de généralités du royaume, les receveurs des tailles véritablement appliqués au soulagement du peuple ont pris le parti d'abonner les paroisses afin d'éviter les frais de recouvrement, S. M. désire que vous portiez les receveur» des tailles de vostre généralité à en user de mesme, particulièrement ceux de Mortagne et de Conches, je remarque que les recou- vrements se font avec beaucoup plus de dureté qu'ailleurs... »

6. B. N. fr. 11 096, f> 16.

7. Les rôles-cueilloirs sont assez rares dans les archives publiques, l'on a généralement les rôles des greffes d'élections ou d'intendances. On en trouve quelques-uns dans les fonds d'élections des Arch. du Calvados; aux Arcb. de la Seine-Inférieure, se trouve celui de Saulmont la Poterie (élection des Andelys),

LA COLLECTE. 421

ments qui seront faits par les cotisez... au même instant que lesdits paiemens seront faits1 ». Un édit de décembre 1654 avait enjoint, à la vérité, aux collecteurs de « fournir des quit- tances aux particuliers taillables des sommes qu'ils recevront d'eux, outre l'emploi qu'ils en feront dans leurs papiers de col- lecte », mais ces quittances, frappées d'Un droit de 4 deniers au profit du Trésor, n'étaient qu'un expédient fiscal, un véri- table impôt ajouté à la taille; les Etats de Normandie, en 1655, faisaient remarquer justement que « s'il failoit lever autant de quittances à 4 d. pour chacun [payement], les frais des dites quittances excéderoient le principal de la taille des misérables qui n'en payent qu'un sol ou deux, et en tous autres augmen- teroit notablement leur imposition ' » ; le roi leur promit d'abord de réglementer la perception du droit « au plus grand soula- gement du peuple qui se pourra », puis, deux ans après, rap- porta l'édit, et l'on revint à l'usage ancien.

Cet, usage permettait des abus très graves. Parmi les motifs donnés en tète de l'édit de décembre 1654, on lit :

« L'un des plus grands désordres qui se commettent en la levée des deniers de nos tailles procède de la malice des collecteurs, qui, abusant de l'ignorance et foiblesse des particuliers tailliables, n'écrivent point sur leurs rolles ou papiers de collecte les sommes entières qu'ils reçoi- vent, et ensuite supposent de faux restes à recouvrer, pour lesquels on contraint souvent les tailliables à payer deux fois une même somme, ou l'on fait des rejets sur les autres contribuables, ou en tous cas ces faux restes tombent en non-valleurs3. »

Lorsque les collecteurs étaient tous illettrés, ils étaient forcés de faire marquer les paiements par d'autres, et c'était encore une source de voleries. « Ces collecteurs ignorans, dit Lallemant de Lévignen, sont obligés de prendre quelqu'un avec eux pour écrire les sommes qu'ils reçoivent, ce qui leur occasionne des frais et d'estre souvent trompés, ou s'ils s'en rapportent aux contribuables mêmes pour écrire ce qu'ils reçoivent sur leur ligne, ils employent des sommes plus considérables que celles

pour 1673 (G 2 213). Je reproduis plus loin une page de celui de Cuy (Election d'Argentan), appartenant à M. Bridrey, professeur à la Faculté de droit de Mont- pellier.

1. Cf. V Abrégé des trois états du Clergé, de la Noblesse et du tiers Etat, par le sieur D. G., Paris, 1682, p. 73 : « Par le droict romain, les collecteurs estoient tenus de donner quittance aux particuliers, mais aujourd'hui il suffit de bastonner les roolles ».

2. De Beaurepaire, Cahiers... règnes de Louis XIII et Louis XIV, Supplém. p. 23.

3. C. d. T., I, p. 454. Cf. par contre le cahier des Etats de Normandie, de décembre 1655, cité plus haut : « L'ordre accoustumé de marquer par les collec- teurs sur leurs rolles les payements qui leur seront faits pourvoit suffisamment à la seureté des taillables de ne pouvoir estre recherchez de ce qu'ils ont payé. » Mais les Etats sont ici sujets à caution : ils désirent faire supprimer le droit de quittance établi par l'édit.

42Î LA TAILLE BN NORMANDIE.

«ju ils payent aux collecteurs, ce qui fait naître des contestations entr'eux ou cause leur ruine1 ».

Souvent aussi, les collecteurs négligeaient d'inscrire ce qu'ils recevaient, ou tenaient des rôles en double, qui ne se corres- pondaient pas. Les contestations, de ce fait, étaient nombreuses, et fournissaient de la « pratique » aux Elections.

Les intendants dénoncèrent les mauvais usages dans leurs mandements aux paroisses. « Ne pourront lesdits collecteurs, disait celui de Caen en 1676, avoir que chacun un papier de collection, sur lequel ils feront leur collecte, et croiseront les taux des contribuables a l'instant des payemens, sans se servir d'autres mémoires, à peine de punition corporelle2. » Ils établi- rent aussi la vérification de la recette par des personnes notables de la paroisse. Celui de Rouen, en 1673, ordonna aux habi- tants « de faire représenter par lesdits collecteurs leurs rôles de mois en mois, en présence du curé de [la] paroisse, du sindic et de deux ou trois des principaux habitans..., pour voir s'ils y ont employé les receus des particuliers contribuables* ». Mais on ne voit pas que de grandes améliorations aient été obtenues. En 1690, l'auteur du Recueil d'Orsay écrit que souvent les collecteurs « n'écrivent point les payemens qui leurs sont faits par les taillables sur les papiers de collection a l'instant qu'ils leur sont faits, et se contentent de l'écrire quelquefois sur des feuilles volantes* ».

Voici la reproduction d'une page du « papier pour faire le recepte » en l'année 1662, dans la paroisse de Cuy (Election d'Argentan). La somme à lever, 447 l. 6 s., est divisée en deux

f>arties5 : le principal de la taille avec les crues (188 1.), et e taillon; elle est répartie entre 51 feux « utiles » (il y a en outre deux feux cotisés à néant) :

Estienne Le Peltier XII1 x*

taillon id xvn1 mi"

Resus le premie jour de fufriei xxx s. plus Resus xx s. plus Resus lx s. plus Resus xxx s. plus Reçus nu 1. | Reçus lx s. plus R. lvi s. R. xv 1. xvn s. mi d.

PlBRRB RoXVOISIN FILS JEAN VII1 X*

taillon id x1 vi» vid

R. ce vingt neuf de jeanvier trante soubz.

1. B. N. fr. 7 771, 182.

2. A. D. Calv ., Election de Caen.

3. A. D. S. Inf. C, 2215. Cf. le mandement de 1677, B. N. fr. 8 76tb1*, 27.

4. B. N. fr. 11096, f 38.

5. Elle» sont imposées séparément, comme il était prescrit. C'est seulement à partir de 1663 que les impositions seront faites en une seule ligne pour chaque contribuable.

LA COLLECTE. 423

plus Resus xl s. plus Reçus xxxv s. plus Reçus xxxv s.

plus Resus xxxv s. plus Resus xxxv s.

plus Resus xl s. plus Reçus x s. | Reçus xxxv s.

R. xxv s. plus Reçus lxxii s.

On voit que seule la date du premier versement est marquée (elle varie, suivant les contribuables, du 21 janvier au 11 mai suivant); les sommes encaissées sont inscrites bout à bout, en chiffres de compte, sans indications d'aucune sorte; des blancs sont laissés, permettant toutes les intercalations possibles. A un certain endroit dans chaque série de reçus est placée une barre verticale, qui marque peut-être la séparation entre les sommes perçues par deux collecteurs différents. Chose singu- lière, lorsqu'on totalise les reçus, on arrive, pour la plupart des contribuables, à un total supérieur à leur cote. Ainsi l'on peut calculer qu'Etienne Le Peltier, imposé à 29 1. 14 s., a payé 31 1. 6 s. 4 d., et Pierre Bonvoisin, imposé à 17 1. 16 s. 6 d., a payé 19 1. 12 s. D'autres, par contre, ne se sont pas acquittés complètement : tel Nicolas David, imposé à 33 s. 3 d., qui n'a payé que 30 s. en deux fois, ou Robert Bonvoisin, imposé à 10 1. 8 s., qui a versé un jour 8 1. 5 s., puis n'a plus rien payé; il en est même deux, imposés au total h 19 1. 2 s. 5 d., qui n'ont lait aucun versement. Il est possible que les sommes levées en excédent aient été destinées à compenser l'impayé, mais en ce cas il y eut du boni pour les collecteurs, car le total des sommes reçues dépasse l'imposition de 42 1. Peut-être aussi l'excédent était-il destiné à payer des dépenses supplémen- taires, frais de procès, de contraintes ou autres; nous en sommes réduits, sur ce point, aux conjectures.

On peut aisément constater, sur le cueilloir de Cuy, les len- teurs et les difficultés de la recette. En dehors de ceux qui n'ont pas acquitté leur dû, et de ceux qui étaient imposés à moins de 15 d. c'est-à-dire à une somme infime , il n'est que deux contribuables qui aient payé en une seule fois ; six ont payé en deux fois, deux en trois fois, les autres en huit, dix et douze fois. Julien Bodé paye 61.4 s. 1 d. en 13 versements, la veuve Mathieu Corneilles, 5 1. 7 s. 1 d. en 14 versements, Pierre Bonvoisin fils Macé, 20 1. 16 s. 1 d. en 16 versements. Les paiements par 2 s., 3 s., 5 s., sont très fréquents1.

Ce qui se passait à Cuy se retrouve dans la grande majorité des paroisses. On verra plus loin la peine que les receveurs

1. Cf. Boisguilbert, Le Détail, éd. 1707, t. I, p. 18 : Les contribuables ont l'ha- bitude « de payer sol a sol, après mille contraintes et mille exécutions, soit pour se venger des collecteurs de les avoir imposez a une somme trop forte, en retar- dant par leur aport en recette, et leur faisant soufrir des courses d'huissiers, ou pour rebuter ceux de l'année suivante de les mettre en une pareille somme par les difficultés des paiemens... Tel les fait venir cent fois en sa maison pour avoir le paiement de sa taille, qui a de l'argent caché ».

,., LA TAILLE EN XOKMANDIE.

avaient de se faire payer des collecteurs : elle montre que les collecteurs eux-mêmes ne faisaient pas facilement leurs recou- vrements. Presque jamais la taille d'une année n'était payée en douze mois, de sorte que les contribuables avaient affaire à plu- sieurs groupes de collecteurs à la fois : on voyait ainsi dans les rues, suivant l'expression deBoisguilbert, « une espèce d'armée » battant le pavé « sans presque rien recevoir que mille injures et mille imprécations ». La cause de cette lenteur est souvent une réelle impuissance des contribuables, mais aussi fréquem- ment ceux-ci veulent simplement « se venger des collecteurs de les avoir imposez à une somme trop forte, en retardant par leur aport en recette, et leur faisant souffrir des courses d'huissiers, ou rebuter ceux de l'année suivante de les mettre en une pareille somme, par les difficultez des paiements l. »

Les collecteurs ne manquent pas de moyens de contrainte envers les récalcitrants. La vérification du rôle, on l'a vu, en fait un acte authentique, emportant créance sur ceux qui y sont inscrits. En conséquence, le collecteur peut « faire saisir les fruits et les effets mobiliaires du cotisé sans autre obligation ni condamna- tion, car ces sortes de biens des cotisés sont engagés par la seule cotisation2 ». Les formalités ordinaires des saisies, fixées par l'ordonnance d'avril 1667, ne sont pas applicables en la matière : un édit de mars 1668, après bien d'autres, en dispense formel- lement les collecteurs. Ils n'ont besoin ni d'huissiers, ni de sergents, ni de recors ou témoins*. L'intendant Leblanc juge cette procédure bonne, parce qu'elle réduit les frais de con- trainte : « Il est nécessaire, dit-il, de permettre aux collecteurs de saisir les levées et de les vendre eux-mesmes a la porte de l'église, après une publication au prosne, ayant trouvé au Pon- teaudemerque pour une vente de 80 1. il y avoit eu 100 1. de frais d'huissiers* ». Les élus de Verneuil, en 1683, ayant imaginé de faire assermenter l'un des collecteurs pour les saisies, l'intendant déclare que ce procédé « est tout a fait incommode aux collec- teurs, car outre qu'il leur en couste de l'argent, ils ne peuvent cuillir les deniers du roy que celuy qui a preste le serment ne soit avec eux, parce que les contribuables, le voyant absent, sçavent que les autres ne peuvent saiziret retardent ainsy jusques a un autre jour qu'il soit avec ses consortz3 ».

Toutefois, l'intervention des huissiers et de la force publique est permise quand les contribuables sont « de difficile discus-

1. Doisguilbert, Détail, éd. 1707, I, p. 18.

2. Domat, U droit public, t. II, p. 33. Cf. le recueil d'Orsay, B. N. fr. 11096, 14. r J

3. Let. du 22 juin 1681, A. N. G^ 491.

4. Cf. aussi l'arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. 9, Règlements de Normandie,

5. Mémoire du V septembre 1683, A. N. C 71.

LA COLLECTE. 425

sion » ; en ce cas, les huissiers et sergents ne peuvent se faire payer de leur course sans formalités : ils doivent se faire taxer en l'Election, « sauf a repéter sur les collecteurs, et par eux sur les particuliers, chacun a proportion de sa part aférente de ladite taxe1 ».

Lorsque les contribuables jugent que la saisie est indue, ils peuvent se pourvoir avant la vente devant l'Election. Il en résulte un très grand nombre de procès, qui vont en appel à la Cour des Aides. Les motifs invoqués dans ces procès sont nombreux et variés. Tel prétend n'être pas propriétaire des meubles qu'on a saisis; tel autre affirme ne rien devoir; tel autre soutient que les biens ne sont pas saisissables. Les collecteurs de Saint-Pierre-de-Canivet ayant, en 1677, saisi les fermages dûs à Charles Dusoir, celui-ci soutient que ces fermages ne lui reviennent pas, attendu « qu'il a baillé les héritages dont pro- viennent lesdits deniers a Messire Abraham Dusoir, prebtre, son fils, pour son tiltre, lequel les [lui] a baillés a ferme2». Pierre Chevalier, sergent, s'oppose à l'exécution de deux vaches que lui ont prises les collecteurs de La Ferté-Macé en 1674, attendu qu'il a « fait plusieurs assignations et dilligences pour lesdits collecteurs jusques a la somme de 7 1. 5 s. 6 d. »; l'exécuter, dit-il, « ne seroit raisonnable ». Mais les élus ne lui donnent pas satisfaction, car « les deniers de la taille ne se compen- sent contre les sallaires d'un sergent3 ». Le 2 août 1662, la Cour des Aides casse la saisie de deux génisses et un pou- lain faite sur la dame Marie de Cussy par les collecteurs de Formigny « en conséquence du droit de forgage à elle donné par Jean Ivel, par acte passé devant tabellions, de retirer lesdits bestiaux4 ». Pierre Dufay veut empêcher les collecteurs de La Forêt, élection de Falaise, de saisir pour sa taille une vache appartenant à un de ses fermiers, soutenant que ce n'est pas en réalité son fermier, mais son domestique5...

Les collecteurs rencontraient des difficultés particulières lorsqu'il fallait faire payer la cote de ces « coqs de paroisses », personnes puissantes, fermiers de privilégiés, dont on a vu l'intervention lors de l'assiette. Il existe, disait La Barre, quan- tité de « gens de main forte dont les collecteurs ne peuvent venir h bout6 ». Les personnes puissantes, dit aussi Pescheur, c'est-à-dire « les officiers des justices ordinaires, maires, esche- vins, gens du barreau et autres », qui « ne portent de taille

fi. Arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. 9. Pour les biens saisissables, voir ci-dessous, p. 460 et suiv.

2. Plumitif de l'Election de Falaise, 8 mai 1677, A. D. Calv.

3. Ibid., à la date du 1er décembre 1674.

4. Plumitif de la Cour des Aides, à la date du 2 août 1662.

5. Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 23 février 1674.

6. Formulaire, p. 48. Cf. le règlement du 27 novembre 1641, dans Néron, II, p. 663, un arrêt du Conseil du 5 novembre 1G53, A. N. AD ix 470, pièce 14, etc.

,v, LA TAILLE EN NOItMANDIE.

que ce qui leur plaisl, » ne payent « jamais les sommes qu'il/. s«»nt demeurez d'accord de porter, les asseeurs n'osant leur en faire demande, parce qu'ilz leur font pièce aussi tost» ». Ces résistances, connues et interdites depuis longtemps, avaient été particulièrement fréquentes pendant la Fronde. Les subdélé- gués de la Chambre de justice en 1661 avaient mission d'en informer*, et Colbert jugeait leur action insuffisante : « Il fau- drait, écrivait-il, establir les chambres des grands-jours dans toutes les provinces, afin de punir les crimes et particulière- ment les empeschemens faits en la levée des deniers du royJ ». En 1664, un arrêt du Conseil dénonça pour les interdire les abus des personnes d'autorité en Normandie : « Aucuns gen- tilshommes et personnes puissantes de la province de Nor- mandie, abusans de leur autorité, bâtent et excédent les collec- teurs des tailles et autres sujets de S. M., et font des levées sous prétexte de recompenses de la protection qu'ils donnent aux habitans de leurs paroisses, tant pour les exempter des logemens de gens de guerre, que pour faire diminuer leurs tailles », et S. M. s'y déclara résolue à « faire connoitre a ses sujets qu'ils n'ont besoin d'autre protection que de la sienne, laquelle Elle veut employer en toutes occasions pour leur seureté et soulagement*».

Ces personnes d'autorité avaient un moyen d'empêcher indirectement la levée, en donnant asile aux biens des con- tribuables menacés de saisie. Le règlement d'août 1664, après beaucoup d'autres, défendait « a tous ecclésiastiques, sei- gneurs, gentilshommes et officiers d'apporter aucun empê- chement a la levée » de la taille, en retirant chez eux les grains, meubles et bestiaux des contribuables, ou en s'en déclarant faussement propriétaires, mais la seule pénalité dont ils étaient menacés était « de paier en leurs propres et privez noms les sommes de deniers qui se trouvent dues5 par les con- tribuables » (art. 32).

Sur l'exécution de cet article nous savons peu de chose, étant réduits a quelques rares informations ou dénonciations; à Aque- ville (élection de Caudebec), Nicolas de la Montagne, écuyer, sieur de la Chapelle, est accusé, en 1661, d'avoir, « par intelli- gence... achepté tous les meubles de Bellelle son fermier, quoi- qu'ils excédassent plus de 8000 I. plus qu'il ne pouvoit pré- tendre », et les habitants « ne peuvent estre payez de l'impost dudit Bellelle, à cause de l'autorité dudit sieur de La Montagne, lequel mesme s'est pourveu devant le juge de Cany, et les a laict

1. M. C. 33, f 90.

2. B. N., Recueil Thoisy 380, 291, verso.

3. Clém., VII, 197.

4. A. D. Calv., Election de Gaen, registre d'ordonnances, 1664-74, 59.

5. Le texte des Règlements de .Xormandie porte : « qui se trouveront devoir ».

LA COLLECTE. 427

condamner a remettre es mains dudit sieur de la Montagne les biens indiquez et exécutez1. » En 1682, à Eu, un collecteur a été si malmené par le procureur fiscal, qu'il a dû, par crainte, quitter le bourg en emportant son rôle; le procureur de l'Elec- tion prie Colbert d'intervenir pour que le receveur des tailles ne délivre pas de contrainte solidaire contre la paroisse, le paiement de l'impôt étant arrêté de ce fait2. En 1679, à La Lacelle, près d'Alençon, un collecteur s'étant présenté pour faire sa recette chez un sieur Dugué, personnage « autorisé » dans la localité, fut rossé à ce point qu'il en mourut peu de jours après. La Cour des aides fit une information, mais Dugué et son fils, qui avaient participé à l'affaire, ne purent être arrêtés : par contumace ils furent condamnés l'un aux galères à perpétuité, l'autre à mort3.

Ces violences n'étaient d'ailleurs pas le monopole des coqs de paroisses. Les insultes et les brutalités étaient la monnaie courante dont on payait les collecteurs : les plumitifs d'élec- tions nous en donnent de nombreux exemples : maltôtier, voleur, « dépouille-pendu », sont des injures qui accueillent commu- nément le porteur du rôle. En juillet 1677, les collecteurs du Sac (élection de Falaise) allèrent en la paroisse de Saint-Aubert pour saisir les biens de Guillaume Briquet « sur la ferme et héritage d'Emon. Briquet son frère »;

Etant arrivés près « d'une pièce de terre en herbage appartenant audit Emon Briquet, ils furent aperçus par ledit Guillaume Briquet, qui s'écria parlant ausdits collecteurs : « Vous estes des larrons, que cherchez-vous? »; neantmoins, sur la demande que fist [= firent] les dits collecteurs au dit Guillaume Briquet de l'impost dudit Emon Bri- quet, son frère, il leur fist offre de 4 francs ou 4 1. 10 s. demandant qu'on luy donnast une partie du dit impost, et qu'il n'en pairoit que celle la, ce qui fut refusé par les dits collecteurs, lesquels collecteurs dirent au dit Guillaume Briquet : « Vous avez desjà faict exploitter un jardin a pasture de vostre frère » ; lequel repondit que ce n'estoit pas grand chose ». Enfin on convint de « s'accommoder sur un pot* ».

Les collecteurs ne sont pas toujours de composition aussi facile. Voici le procès-verbal d'une autre scène, qui se passa le 18 janvier 1694, dans la paroisse d'Hérouvillette, près de Caen5 : Vers neuf heures du matin, comme les trois collecteurs faisaient « le tour de la paroisse pour faire en sorte de se faire

1. Plumitif de l'Election de Gaudebec, 4 oct. 1661, A. D. S. Inf., G 2483. La montagne fait défaut au procès; la vente est annulée et la saisie autorisée.

2. Let. de mai 1682, A. N. G' 492.

3. Let. de l'intendant d'Alençon, 2 mars 1679, A. N. G7 71, et de Leblanc, 23 mars 1682, B. N. fr. 8761, 28.

4. Plumitif de l'Election de Falaise, 2 oct. 1677.

5. Dossier d'un procès intenté devant l'Election de Caen par Anne Boullard contre les collecteurs, A. D. Galv.

LA TAILLE EN NOHMANDI K .

payer des contribuables », ils entrèrent chez une pauvre veuve, nommée Anne Boullard, imposée à (30 sous ; elle leur présenta « quelque somme d'argent parmy lesquelles paroissoient des liards, disant qu'il y avait dix sols; » mais un des collecteurs répondit que « la somme ne suifisoit pas, et que d'ailleurs il ne recevoit pas de cette monnoie,... et qu'il falloit prendre une vache ». Sans autre forme de procès, deux collecteurs entrèrent dans la maison, le troisième restant dehors pour garder une autre vache saisie chez un voisin. La veuve et sa fille les reçurent à coups de quenouille et de pelle, mais elles furent à demi assom- mées et traînées jusqu'à l'ornière du chemin, et la vache saisie. Enfin, on s'arrangea : les femmes offrirent deux sous marqués, et la vache fut relâchée. L'Election de Caen, saisie de l'affaire, prononça simplement une amende de 10 1. contre les collec- teurs, pour payer les « aliments et médicaments » aux deux pauvres femmes.

l'ouï- deux ou trois épisodes qui curent leur dénouement devant les tribunaux et sont ainsi parvenus à noire connais- sance, combien s'en est-il déroulé dont les documents ne nous ont pas conservé de traces?

IV. LES RECEVEURS

Les deniers perçus par les collecteurs doivent être versés à la recette particulière, au chef-lieu de l'élection; de ils sont transportés à la recette générale, au chef-lieu de la généralité, pour être enfin voitures à l'Epargne. Pour assurer ce service, le

f gouvernement avait deux moyens à sa disposition : la ferme et a régie.

L'afïermcmcnt, ou, comme on disait, la « mise en parti » de la taille avait été employé au temps de Mazarin '. Les avantages du système se trouvent énoncés dans le bail des cinq grosses fermes du 21 janvier 1660 : « Les frais de la régie consommoient

1. Forbonnnis t. I, ]>. 250. Pendant presque toute la minorité de Louis XIV, l'affermement fut employé. L'Etat de la France de 1654 dit : « Le Roy met les tailles en party quand bon luy semble », puis il examine les avantages et les inconvé- nients du système : « Cette faço:i de les lever a causé plusieurs fois de grands désordres, mais c'est le moyen de treuver plus promptement de l'argent dans une nécessité présente. En ce cas les e y le us et trésoriers généraux ne font plus leur charge, parce que les partisans qui ont avancé de l'argent au Roy font eux-mesmes la levée et le recouvrement des tailles, se payans ordinairement des avances qu'ils ont fait au Roy à six pour cent de bénéfice de levée, outre la remise que le Roy a accoutumé de leur faire. La pluspart des Tailles du royaume sont présentement en party, et ne se lèvent plus autrement. » (Page 214). Le même

Sassapre est reproduit dans les Etat* de la France qui suivent, même dans celui e 1661 (p. 40/) quoique la ferme fût supprimée à cette date (c'est une des nom- breuses inexactitudes qui se rencontrent dans les premiers volumes de ce Recueil, qui n'avait rien d'officiel), cf. L'Etat de la France comme elle estoit gouvernée en fait i6ftS el lGtiO, réédité dans Cimber et Danjou, 2e série, t. VI, p. 447 ; il ren- seigne plus exactement sur la question.

LES RECEVEURS.

429

la plus grande partye du revenu des dictes [impositions], et les commis n'ayant inthérest à la conservation de nos droicts, n'apportoient pas les soins et dilligences nécessaires pour en empescher le dépérissement », tandis que la ferme promet « un revenu certain et assuré1 ». Mais l'affermement avait de graves inconvénients, dont les contribuables n'avaient jamais cessé de se plaindre : la Chambre des comptes de Paris traduisait leurs sentiments lorsqu'elle déclarait au roi le 14 octobre 1648 :

« On a transmis a des particuliers traittans l'authorité de V. M. pour lever sur le peuple les deniers des tailles par toutes voyes de rigueur sans aucunes excepter, et non permises par les ordonnances, ny jamais usitées dans le royaume, sinon par les ennemis de l'Etat, lorsque pendant la guerre ils ont exigé des contributions sur vos sujets, d'autant que par telles rigueurs extraordinaires, et exercées mesme à contretemps, la plupart des contribuables aux tailles ont esté ruinez et rendus inutils, et sans moyen de payer la taille des années subséquentes, et se vérifiera qu'en plusieurs lieux les frais des levées et du recouvrement des deniers ont surpassé de beaucoup plus ce qui se devoit lever au profit de V. M2. »

Colbert renonça à la ferme et eut recours à la régie.

Dans chaque élection existent deux receveurs particuliers « en titre », c'est-à-dire propriétaires de leurs offices3. L'un est rece- veur ancien, et l'autre, alternatif*. Le prix de leurs charges varie avec l'importance de l'élection : d'après le tableau dressé en 1665, l'office de Caen vaut 41 000 1. ; ceux de Rouen, de

1. A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, 1.

2. Imprimé dans le Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouve- mens derniers de Vannée 1649, in-4° s. 1., 1650, p. 73 : il est à remarquer que pendant toute cette période, les intendants furent toujours accusés, notamment par les cours des aides, les trésoriers généraux et les élus, d'être les complices des traitants pour la levée des impôts ; cf. une mazarinade : « Depuis qu'on a lasché la bride à leurs désirs insatiables [des Partisans] par l'estrange invention de mettre les tailles et tous les subsides en partys, on ne fait point dans les paroisses autre différence de l'arrivée d'un intendant accompagné de ses satellites, de ses donneurs d'avis, à celle d'un ennemy vainqueur. » (Ibid., p. 347). Dans le Contrat de mariage du Parlement avec la Ville de Paris, il est convenu « qu'il ne sera jamais fait ny souffert aucun party des deniers de la taille, taillon et subsis- tance, pour éviter les désordres et les maux qui en sont cy devant arrivez et en arriveront cy après, attendu que toutes les contributions du peuple sont de leur nature et origine une concession volontaire, plustost qu'une dette d'obligation. » (Ibid., p. 430). Les Elus, dans leur mémoire de 1053, affirment que les fermiers gardent pour eux un cinquième des sommes qu'ils lèvent avec tant de férocité (B. N. fr. 18 479, 126). Voir aussi les plaintes des Etats de Normandie en 16'-t3, 1647 et 1658. Les abus des fermiers nous sont révélés par l'un d'eux, Gourville, dans ses Mémoires (éd. Lecestre : v. l'introduction et les pièces annexes). Colbert dénonçait également leurs méfaits à Mazarin (Clém. I, 360-363).

3. Nombre fixé par l'édit d'août 1661, portant réduction des officiers des Elec- tions; voir ci-dessus, p. 116.

4. Les deux offices peuvent, suivant la règle générale, être possédés par un seul individu.

Jusqu'en 1662, les receveurs des tailles percevaient seulement les fonds de la taille et des crues ; ceux du taillon étaient versés au receveur du taillon, ceux de la solde des maréchaussées au trésorier général de la solde, ceux des ponts et

||0 LA TAILLi: K.N NORMANDIE.

CandebdO, «!<• Valognes, de Mortagne, 40000; ceux de Bayeux, d'Alcnçon, de Falaise. .'{<>000, etc. Les moindres valent 12 000 ou 15 000 1. Ils ne reçoivent régulièrement qu'un quartier de leurs gages, soit de 160 à 400 1. environ1. La plupart payent le droit annuel; en juillet 1680, lorsque Colbert voulut faire payer le droit a ceux qui ne le faisaient pas, on n'en trouva que deux dans ce cas à Rouen, et trois à Caen *.

L'office était conféré à un receveur par des lettres-patentes 3, enregistrées à la Chambre des comptes et au Bureau des finances, il prêtait serment de « bien et fidèlement » remplir sa charge*. L'achat n'était guère qu'une affaire d'argent. Malgré les formules des lettres de provision, on n'exigeait aucun titre ni connaissances particulières des postulants. Une veuve hérite de l'office de son mari et l'exerce plusieurs années5; un fils, quoique mineur, succède à son père et le roi met comme seule condition à son admission qu'il ne pourra exercer « qu'après qu'il aura attainct ses ans de majorité6 ». Des rece- veurs sont condamnés a la prison pour divers délits, et ne perdent pas leurs charges pour autant7. Le cumul des offices étant permis, on voit le receveur général de Caen, Cousin, pos-

chaussées au trésorier général des ponts et chaussées, enfin ceux des Etats au trésorier des Etats. L'édit d'août 1661 et la déclaration du 29 décembre 1663 (Clém. II, 753), établirent le principe du receveur unique pour tous les fonds perçus par les collecteurs.

1. Ci-dessus, p. .19. Voir la partie de ce tableau relative a la généralité de Rouen dans le Mémoire de Voysin, p. 205 et suiv.

2. Let. de Leblanc a Colbert, 28 juillet et 22 octobre 1680; dans la dernière il dit : Je leur ay escrit M matin d y entrer l'annuel], suivant ce que vous avez pris la peine de me mander. » (A. N. G7 491). Un arrêt du Conseil du 2 juillet 1680 défendait l'exercice aux receveurs qui n'avaient pas payé l'annuel (Clairamb. 660, p. 695).

3. Voici un exemple de ces lettres : « Louis, par la grâce de Dieu... Scavoir faisons que nous, a plain confians dans la personne de notre cher et bien amé M. Sanson Mollart et de ses sens, suffisance, loyauté, prudhommie, expérience ou faict du maniement de nos finances et bonne dilligence a iceluv... [lui donnons] l'office de notre conseiller receveur des tailles alternatif en l'ellection d'Evreux nouvellement créé par notre edict du mois de décembre 1655 pour par le dit Mollart avoir, tenir ledict office, l'exercer alternativement avec le receveur anlien de ladicte eslection réservé par autre notre edict du mois de mars précédant, et entrer en exercice pour la recette et maniement du quartier d'hiver et autres impositions de la présente année 165C, aux gages de 6l'5 1. et 10 s. pour parroisse

r'.ir chacun ou pour droits de vériffication et signature de rolles... » (A. D. S.- nf. B 80, 2). Il va de soi que les qualités attribuées au personnage ne sont que des formules, répétées d'un acte à l'autre.

4. Le Bureau, lors de sa réception, lui imposait « de tenir bons et fidels regis- tres, de vérifier par estât au vray en ce bureau en fin de chacune année ». (A. D. S.-Inf. C 1165, f6 160 : réception d'Etienne Le Camus comme receveur des tailles de Chaumont et Magny, 7 août 1663).

5. Par exemple la veuve de Bernard Chazot, receveur a Andely. mort en 1663. A Gien (généralité d'Orléans), en 1664, le receveur est « M. de Raucour, qui est une veuve, mais spirituelle..., son frère, sous le nom duquel sont les charges, estant encore jeune » (M. C. 12'4, f 250).

6. Provisions de Nicolas Hullin, receveur de Caudebec, A. D. S.-Inf., C 1166, f 200. v».

7. Ci-dessous, p. 437 et 447 et suiv.

LES RECEVEURS. 431

séder en 1680 la charge de receveur particulier ancien de l'élec- tion de Caen, tandis que celle de receveur alternatif appartient au sieur Heudine, greffier du Bureau des finances ' ; Jean Son- ning, receveur général à Paris, est aussi receveur particulier à Rouen2; Robert Mouchard, receveur particulier à Neufchâtel, est en même temps vicomte du lieu3, etc.

Anciennement, les receveurs devaient déposer un cautionne- ment, mais un édit de juillet 1625, prétextant « les difficultés qu'ils avoient de trouver des gens qui voulussent être cautions et certificateurs de leur maniement, » les en avait dispensés, en même temps qu'il leur conférait le titre de conseillers du roi, moyennant un versement collectif de 2 500 000 1. au Trésor4. C'était un édit bursal comme tant d'autres ; il permit à des rece- veurs de dilapider leurs fonds impunément, au temps de Mazarin. Une déclaration du 29 décembre 1663 nous apprend en effet que les comptables des deniers royaux « divertissent partie de leur maniement, dont il est impossible de faire le remplacement, faute d'avoir esté par eux donné des cautions et certificateurs bons et solvables, en ayant esté dispensés en vertu de déclara- tions et arrests à eux accordés, moyennant des sommes fort, légères, par eux payées pour jouir des taxations héréditaires qui sont à présent casuelles ». Aussi le roi, ou plutôt Colbert, résolut-il de rétablir les cautionnements3. Un arrêt du Conseil du 23 octobre 1664 et une déclaration du mois de décembre suivant6 enjoignirent à tous les receveurs de déposer, dans le délai de trois mois, une somme égale « au tiers du quart de leur maniement », c'est-à-dire au douzième des fonds qu'ils avaient à encaisser. Ils ne s'y soumirent pas sans résistance. Le 26 jan- vier 1665, Marin mandait aux Bureaux des finances « de donner ordonnance » pour appliquer le règlement nouveau, qui était méconnu7; les trésoriers généraUx de Rouen lui obéissaient le 28 janvier, mais quatre mois après, le procureur du roi en l'élection de Pont-de-Larche venait leur remontrer que les

1. Let. de l'intendant de Caen, 30 juillet 1680, A. N. G? 213.

2. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 129. L'intendant de Chûlons écrit le 31 juillet 1680 que, dans sa généralité, « aucunes charges de receveur particulier appartiennent au receveur général, au moins pour une grande partie, suivant des traités particuliers qui ne paroissent point ». (A. N. G7 223). Ici, le receveur général n'est que le bailleur de fonds, il n'est pas en nom.

3. Mémoire de Voysin, p. 104. A la p. 129, Voysin dit que ce personnage se nomme Boullient, mais il commet une erreur : Boullient avait cédé son office à Mouchard le 28 septembre 1665 (A. D. S.-Inf., C 1165 206).

4. Mém. alphab., p. 584.

5. Clém., II, 753.

6. D'après la lettre de Marin, A. D. S.-Inf. C, 1167, 19. Il semble bien que des dispositions analogues avaient été déjà prises antérieurement; j'ai trouvé des actes de cautionnement de 1661 et 1662, mais je n'ai pu connaître les actes légis- latifs qui les prescrivaient.

7. A. D. S.-Inf., G 1167, 19.

LA TAILLE EX NOnMAXIHK.

receveurs de son élection « ne satisfont pas » à l'ordonnance '; dautiis sont dans le même cas; nouvelle ordonnance du Bureau, qui provoque encore des récriminations2, si bien que le Conseil, par un arrêt du 10 juin, accorde « surseanec jusqu'au mois de décembre prochain » pour l'exécution de ses ordres3. De nou- veaux arrêts interviennent encore, jusqu'en décembre 1668, et en mai 1669 Colbert en est encore à faire dresser l'état des receveurs qui ont cautionné*.

Les receveurs généraux, titulaires d'offices dans les mêmes conditions que les receveurs particuliers, sont de gros financiers, qui traitent avec le roi de puissance à puissance5. Il en existe trois charges dans chaque généralité : un ancien, un alternatif et un triennal. Le prix de ces charges est d'environ 100000 l.6; leurs gages annuels sont d'environ 5 000 1., mais ils ne cons- tituent que le moindre de leurs revenus. Les charges furent remplies, à Rouen, par MM. Ranchin, Etienne de Courcelles, Aubry, Dufour7, Cousin8; à Caen par MM. Doublet, Aubry, De Larré; pour Àlençon, je n'ai trouvé qu'un nom, celui du sieur M igné.

La possession d'une charge de receveur général ou particulier n'implique pas le droit de faire effectivement la recette de la généralité ou de l'élection : le roi a la liberté de confier cette fonction à qui lui plaît, dans l'intérêt du bon recouvrement. Au commencement de chaque année il désigne donc ceux qui feront les recettes, et arrête avec eux les conditions dans lesquelles ils exerceront; s'il choisit un receveur en titre, celui-ci entre en

1. A. D. S.-Inf., C 1167, 121.

2. Le 8 juin, Etienne de Gomont, receveur de Montivilliers, demande à ne pas donner de caution, « consentant à avoir un controlleur > (ibid., 128).

3. Ibid., f0' 13:5 et 142.

k. Lel. du 20 mai, mentionnée dans la réponse des trésoriers de Caen, M. C. 153, f" 221; cf. la réponse des trésoriers d'Alencon à cette même lettre, 10 juin lGii'J, ibid., f 2<J0.

5. Colbert a beaucoup de ménagements pour eux. Cf. ses lettres à Douilly, 3 février et 1" décembre 1673, Clém., Ii, 264, note, et à Bnzin, 21 avril 1673, ibid., p. 283. « Toutes les fois que je vous ay demandé quelque assistance pour le roy, écrit-il nu dernier, vous l'avez fait de si bonne grâce, que je ne puis pas m'empeseber de vous dire que si vous envoyez au Trésor royal 100 000 1. sur les impositions de l'année prochaine, vous ferez en cela chose qui sera fort agréa- ble à S. M.. Faites-moy scavoir ce que vous pourrez faire sans trop forcer votre crédit. A partir de la guerre de Hollande, le gouvernement est tombé à la merci de ces gros financiers, dont Samuel Bernard est le type le plus connu. Cf. chap. vin.

6. En 1665, deux offices de Caen valent chacun 110 000 1. et le troisième 100 000; les trois offices de Rouen valent 100 000 1. chacun, et ceux d'Alencon chacun 80 000 1.

7. Jean Dufour possède, en 1665, deux offices : l'alternatif et le triennal (A. D. S.-Inf., C. 1382 175).

8. Le sieur Cousin est intendant de Colbert pour ses terres d'Hérouville et Blainville, « il a quelquefois passé des six mois entiers en aucunes années » (Remarques de Xicolas Le Ilot publ. par Vanel. Caen, 1903, p. 76; cf. p. 59). 11 a son hôtel à Paris, rue du Parc-Royal, et un château à Colombelles, prés de Caen. 11 est ami de Berryer.

LES RECEVEURS. 433

fonctions sans formalités; s'il prend un autre individu, il lui délivre une commission pour exercer, d'où le titre de commis à la recette l.

Chaque année, immédiatement après l'envoi des commissions, le Conseil des finances fait le choix des receveurs généraux 2, et conclut avec chacun un traité contenant les conditions de la perception : somme à encaisser, délais de recouvrement, nombre et terme des versements à l'Epargne, enfin « remise », c'est-à- dire rétribution accordée au receveur3.

Un des premiers actes du Conseil des finances réformé fut la « réduction des remises des trésoriers généraux des finances à 15 et 18 deniers pour livre au lieu de 5 sols4 ». Le tarif fut encore considérablement réduit les années suivantes : la recette générale de Caen en 1663 était concédée îi Nicolas Doublet moyennant 6 d. par livre (2,5 p. 100), ce qui représentait encore une belle rétribution : 45 800 liv. ; le paiement à l'Epargne devait être effectué en 18 versements mensuels, à partir du 1er janvier 1663 5. A partir de 1668, la remise fut réduite à 5 deniers, et les versements mensuels ramenés à 15. En 1682, la remise était de 7 d., avec le même nombre de versements6. Ainsi, jamais l'imposition d'une année ne fut versée entièrement à l'Epargne dans le cours de cette année.

Le receveur général avait, en vertu du même traité, toute latitude pour assurer la perception dans les recettes particu- lières, en sorte que la désignation du receveur de chaque élec- tion était à sa discrétion; il réglait avec lui de gré à gré, et sous sa propre responsabilité, les délais de versement, le montant de la remise et toutes autres conditions ; s'il choisissait un autre que le receveur en titre, il était libre d'exiger ou non une cau- tion, de même qu'il pouvait prendre toutes les mesures de con- trôle qu'il jugeait utiles. La seule formalité qui lui était imposée était de présenter la personne choisie au Bureau des finances pour lui faire délivrer des commissions régulières7.

1. Cf. Guénois, Conférence des Ordonnances, t. II, p. 1441.

2 Golbert eut plusieurs fois l'intention de se passer des receveurs généraux, et de traiter directement avec les receveurs particuliers, qui auraient fait leurs ver- sements à l'Epargne (voir ses lettres à Hotman, 30 sept, et 3 déc. 1663, Clém., II, 16 et 243). Mais il ne réalisa jamais ce projet : cf. sa let. à Desmarets, 8 sept. 1662, ibid., p. 22'J, note.

3. Voir un traité avec le receveur général de Paris, dans De Boislisle, Mém. de Vlntendant de Paris, p. 510.

4. C'est-à-dire 6,25 ou 7,50 p. 100 au lieu de 25 (Clém.. Il, ccxv et 46).

5. Traité enregistré au Bureau des finances de Caen le 13 septembre 1662 (Plu- mitif du Bureau, à cette date).

6. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 4'<3.

7. Cf. l'enregistrement au Bureau des finances de l'arrêt du Conseil du 8 oct. 1664 commettant Etienne de Courcelles à la recette générale de Rouen : « Pour faci- liter et assuier le recouvrement des deniers qui luy doivent revenir, il sera à la nomination du dit de Courcelles commis aux recettes particulières les personnes qui seront par luy présentées au Bureau [des finances], S. M. luy permettant d'establir des controolleurs aux recettes auxquelles il laissera exercer les rece-

LA T AILLE EN NORMANDIE.

28

434 LA TAILLE BN NORMANDIE.

Malgré les clauses des traités, le gouvernement ne pouvait . désintéresser entièrement du choix des receveurs. Colbert constatait, en 1661, que les principaux abus dans le recouvre- ment de la taille venaient de ce qu'on en avait chargé des individus insolvables, concussionnaires et malversateurs; on leur avait accordé des remises excessives, allant jusqu'au quart des sommes à percevoir, si bien qu'il ne rentrait au Trésor qu'une faible partie des sommes levées1. Un arrêt du Conseil du 1er décembre 1663 nous apprend qu'à la suite de la réduction des remises aux rece- veurs généraux*, une partie des receveurs particuliers de la géné- ralité de Caen, « estans accoustumez par le passé d'exiger de f 'rosses remises pour payer les impositions qui ont esté faites dans eurs eslections aux termes portez par les commissions de S. M ,

et voyant que S. M. a réduit lesdites remises, négligent les dili- gences qu'ils sont obligez de faire, et la pluspart des parroisses sont en demeure de payer leurs impositions dans lesquelles les- dits receveurs ont plusieurs parans ou alliez des principaux des- dites parroisses; ce qui cause leur ruisne entière, et qui les réduira infailliblement dans l'impossibilité [de payer] 3». Il était impossible de tolérer ces désordres, et d'abandonner plus long- temps à eux-mêmes ces individus, dépositaires de l'autorité royale, et de la conduite desquels dépendaient les revenus de l'Etat et la fortune des particuliers.

Le principal objet de l'intervention gouvernementale fut d'em- pêcher les receveurs généraux de traiter sans motifs graves avec des commis, au lieu des receveurs en titre. Il était reconnu en effet que les commis ménageaient beaucoup moins les contri- buables, parce qu'ils n'avaient à se préoccuper que de l'année f)our laquelle ils avaient traité; laisser une élection ruinée eur importait peu, pourvu qu'ils fissent leur recette. Les États de Normandie remontraient au roi, en novembre 1643, que ces agents ruinaient « sans espérance de ressource ceux qu'un

f>eu de patience des receveurs ordinaires auroit fait fournir a eur impost, et laissez en estât de subsister encore pour les

veurs particuliers, lesquels exerceront le dit controolle sans prendre autre com- mission que la copie collationnée du dit arrest par le greffier de ce Bureau, sans que le dit de Courcelles ou ses commis aux recettes particuliers ny les controol- leurs soient tenus de donner aucune caution de leur manyement que la submis- sion que fera pour eux le dit de Courcelles » (A. D. S.-Inf., G 1166, 196). Voir aussi l'arrêt du Conseil du 22 sept. 1663 commettant René Aubry à la recette générale de Caen, A. D. Cnlv., Elect. de Caen, registre de commissions 1661-72, P* 335 et 338.

1. Clém. II, ccxv, 22, 46, etc. Le 2'» juillet 1648, le conseiller Pitou déclarait au Parlement de Paris que MM. des Comptes leur avoient fait cognoistre que de cent le roy perdoit en remise 59 et demi sur les tailles, scavoir premièrement 25 pour l'article de remise pour les frais de recouvrement, et 15 sur les trois quarts restons, qui font en trois ans 34 et demi » (Journal du Parlement de Paris, 1648, p. 48). .

2. Ci-dessus, p. 433.

3. A. D. Calv. Election de Caen ; registre de commissions, 1661-72, f°* 341-2.

LES RECEVEURS. 435

années suivantes ' ». Dans un arrêt du 29 décembre 1663, le Con- seil reconnaît lui-même qu'ils « font des vexations extraordi- naires aux contribuables aux tailles pour en profiter, et, n'ayant bien souvent donné aucune caution, ils s'absentent, et, par ce moyen, les condamnations qui interviennent contre eux demeurent inutiles2 ». En 1679, l'intendant d'Alençon écrit à Colbert :

« J'ai trouvé que partout ou les receveurs en titre font leurs charges, les frais sont beaucoup moindres que dans les élections que les rece- veurs généraux font valoir par des commis. Mortagne et Conches sont de cette dernière espèce, et les frais montent au double; je croi que cela vient de la précipitation qu'aportent les commis au recouvrement de la taille : ils mettent en solidité les parroisses qui retardent tant soit peu les paiements, et emplissent les prisons de collecteurs pour faire avec plus de diligence leur recouvrement ; les titulaires ont plus de précautions et de patience, et leurs élections m'ont parut beaucoup plus mesnagées, et le recouvrement plus avancé3. »

Le roi interdit également l'exercice aux receveurs qui ne rendaient pas leurs comptes *, à ceux qui ne versaient pas leur cautionnenement5 ou ne payaient pas le droit annuel6, à ceux qui demandaient des remises trop fortes7, faisaient trop de frais, ou n'offraient pas de garanties suffisantes8.

Lorsque le gouvernement eut entrepris la destruction lu pro- testantisme, on refusa de confier la recette à des hommes de cette religion. Colbert fut aussi rigoureux sur ce point que les autres ministres. Par une circulaire du 18 juillet 1680, il deman- dait aux intendants la liste des receveurs ou commis aux recettes de la R. P. R., « S. M. ne voulant que quelqu'un de cette reli-

1. De Beaurepaire, Cahiers..., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 112. Un arrêt du Conseil du 31 janvier 1643 avait défendu les commis dans la géné- ralité de Caen, mais un autre arrêt, rendu trois semaines plus tard, les avait autorisés dans celle de Rouen. A cette demande de suppression, le roi répond qu'il « ne peut accorder, pour certaines considérations, la demande mentionnée en cet article. » {ibid., p. 113).

2. Clém., II, 753.

3. A. N. G7 71. Il répète son observation le 22 Juillet 1680 {ibid.). .

4. L'arrêt du Conseil du 1er mars 1663, cité plus haut, interdisait l'exercice aux receveurs qui n'auraient pas « compté par estats au vray » jusques et y com- pris 1661.

5. Le Bureau des finances de Rouen commet Mathieu Delangle à la recette d'Evreux en 16G3, attendu que le titulaire, Sanson Molard, n'a pas versé son cau- tionnement, montant à 14 500 1. (A. D. S.-Inf., C 1165, 9).

6. Ci-dessus, p. 430.

7. En 1661, 1663, 1675, dans la généralité de Rouen, les receveurs particuliers « ne peuveut pas se résoudre » à accepter un taux de remise fixé par le roi, mais on parvient à les y contraindre (M. C. 121, 324; A. D. S.-Inf., C 1164, f 21; B. N. fr. 8759, 41). De même ceux de Caen en 1665 (A. D. Calv., Procès de Cairon), et ceux d'Alençon en 1682 (let. du 27 juillet, A. N. G7 71).

8. L'intendant d'Alençon écrit le 15 novembre 1684 qu'on ne peut confier l'exer- cice au receveur de Conches, parce qu'il « n'est pas en estât de faire aucune avance,... feroit des frais immenses et ruineroit l'eslection pour soustenir ses payemens. » (A. N. Gl 71).

Vit. l.A TAILLE EN NOlt.MANDIE.

L'ion ne soit employé au recouvrement de ses deniers1 ». Un arrêt du Conseil du 19 août suivant interdit aux receveurs géné- raux de traiter a avec aucune personne de la R. P. R.8 », et le ministre y joignait des instructions sévères pour ses subor- donnés : il faut, leur disait-il, « entièrement exclure » des recettes ces individus; « il n'est pas question de scavoir si la dépossession des receveurs ou employés de la R. P. R. retardera la recette ou non ; vous devez seulement tenir la main à ce que la volonté de S. M. soit ponctuellement exécutée3 ». En 1681, en 1682, en 1683, il renouvelle les mêmes ordres, impitoyables*.

Mais en Normandie, un seul receveur à notre connaissance appartenait à la religion réformée, c'était celui de Pont-1'Evêque, Pierre Lancement de Pierrefitte. Une lettre anonyme de fé- vrier 1681 le dénonçait à Colbert comme ayant des commis huguenots et faisant l'exercice de sa charge « sous le nom d'un misérable dont il se sert pour faire sa recepte5 »; mais l'inten- dant après enquête reconnaît que cette dénonciation, due « à des fripons du Pont-Levesque », est calomnieuse : « le sieur de Pierrefitte est un très honnête homme6, » ajoute-t-il. Néanmoins il reçoit du ministre l'ordre de ne pas le laisser exercer à moins d'être a persuadé que ce religionnaire voulust bientost se con- vertir7 ».

Sur la fin du ministère, le plus grand soin mis à choisir et surveiller les receveurs en titre fit réduire le nombre des commis. L'intendant d'Alençon, en 1680, proposait même de les « supprimer complètement8 ». Colbert, sans aller aussi loin, invita les receveurs généraux à s'en passer le plus possible. Le 24 octobre 1680, il écrivait i. ses subordonnés :

« S. M. a fait dire aux receveurs généraux des finances de toutes les

1. B. Mun. Amiens, ras. 508, t. I, pièce 201.

2. Publ. dans Edita, déclarations et arresls concernant la R. P. R., 1662-1751, oouv. éd. par Pilatte, Paris, 1885, p. 54. En guise de motifs, le préambule se véfèreau règlement des fermes du il juin 168", portant la même clause. L'arrêt interdit aussi d'employer uu recouvrement aucun commis ou huissier de la R. P. R.

3. Let. a de Marie, 16 sept. 1680, Clém. II, 91, note; cf. la circulaire du 13 septembre 1680, Clém., IV. p. 140 note 2. Une instruction analogue fut envoyée aux intendants de Normandie le 18 octobre, celui de Caen en accuse réception le 24 (A. N. G7 213), et celui de Rouen le 22 (ibid. 491).

4. Circuluire du 30 mai 1631, (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 211); lettre à Breteuil, 1682, ibid., t. III, pièce 330, circulaire du 27 mai 1683, ibid., t. IV, pièce 219; tous ces documents ne figurent pas dans Clément. Voir dans les mêmes papiers de Breteuil, à leur date, les lettres des 18 mai 1681 et 17 sep- tembre 1682 relatives à la conversion de Vun Kobuis.

:.. A. H, G" 491.

6. Let. de 23 février, ibid. Le 2 juillet précédent il avait déjà écrit : « C'est un très lionnes te homme, qui a très bien ménagé cette eslection ».

7. Let. du 18 juin 1631, Clém., IV, p. 181, note 1.

8. Let. du 22 juillet, A. N. G' 71. Le 27 juillet 1682, il écrit encore : Je suis persuadé il y a longtemps que les receveurs en titre mesnagent mieux leurs eslections que les commis » (ibid.).

LES RECEVEURS. 437

généralités du royaume qu'Elle n'entendroit pas qu'ils dépossé- dassent de leurs charges les receveurs des tailles qui auront payé l'annuel, qui d'ailleurs leur donneront des asseurances suffisantes et se contenteront d'une remise pareille à celle qu'ils pourroient donner aux commis, ou mesme un peu plus forte, S. M. voulant que vous teniez la main à ce que cela s'exécute, et en cas qu'aucun receveur des tailles soit dépossédé, vous m'en fassiez scavoir les raisons pour en rendre compte à S. M. l. »

Dès 1678, on ne trouve plus que deux commis sur 13 élec- tions dans la généralité de Rouen2; en 1680, il n'y en a aucun. La même année, l'intendant de Caen adresse à Colbert l'état détaillé qui suit, sur les receveurs et commis de son départe- ment :

« La charge de receveur particulier de [l'élection] de Caen en exer- cice cette année appartient à M. Cousin comme je croy, qui y a fait commettre le nommé Combart; la charge de celuy qui entrera en exercice l'année prochaine appartient au sieur Heudine, greffier du Bureau des finances, sous le nom du sieur Vautier, qui l'exerce depuis longtemps.

« Le sieur Fontaine, receveur de Bayeux, qui devoit estre en exercice cette année, mourut l'année dernière; le nommé Vautier a esté commis a son exercice a la caution de la veuve. Le sieur Aubry est propriétaire de l'autre charge pour l'exercice de l'année prochaine.

« Vire a pour receveur le sieur de Martilly, en exercice cette année, et La Baucherie pour l'année qui vient.

« Le nommé La Croix Bourdon est commis a l'exercice de celle de Coustances depuis la mort de Leveilly, qui estoit titulaire des deux charges.

« A Carentan, le sieur de Saint Quentin est propriétaire des deux charges, et fait les exercices.

« A Valognes, le nommé Laprunerie fait l'exercice cette année sous le sieur de Saint Cir, titulaire, qu'on n'estime pas solvable. Le sieur Fourneyron est titulaire de l'autre charge pour l'exercice de l'année prochaine.

« A Avranches, le sieur Piquet, propriétaire, fait l'exercice cette année, et le sieur de la Maheudière, a présent prisonnier dans les prisons de Caen, est titulaire de l'autre charge pour l'exercice de l'année prochaine. Il fut dépossédé de celuy de 1679 par M. de Larré qui fit commettre à sa place le nommé Colin.

« Et a Mortain le sieur Rouxel, qui est titulaire de la charge, la fait exercer par le nommé Desvaux; l'autre charge pour l'exercice de l'année prochaine appartient au sieur de la Frictière qui fut dépossédé de l'exercice de l'année 1679 par ar^est du Conseil a cause du desordre

1. B. Mun. Amiens, ins. 508, t. I, pièce 303. Cf. sa circulaire du 9 octobre 1681 : le roi veut que les receveurs particuliers « fassent leurs charges, estimant que les peuples en seront mieux mesnagez >• (ibid., t. II, pièce 407), et sa lettre du 22 octobre l'i82 : « Le roy ne veut pas qu'on dépossède les receveurs particuliers, sauf pour raison de mauvaise conduite » (ibid., t. III, pièce 479).

2. D'après l'état au vrai du receveur général, B. N. fr. Nouv. acq. 1346.

,:ts LA TAILLE EN NORMANDIE.

ou estoit la dite eslection1; le sieur Fourneyron, receveur des tailles à Valognes, fut commis a sa place pour l'exercice de Tannée 1679 2. »

Voici encore des notes fournies par l'intendant d'Alençon, M. de Morangis, en juillet 1682, sur les receveurs et commis de sa généralité* :

Albnçon. « Cet eslection est fort ménagée par le sieur Noël, receveur des tailles ; il ne fait presque point de prisonniers, et les peuples s'en louent fort; il a de l'exactitude sans avoir trop de rigueur. »

Falaise. « Le sieur Hélie, receveur des tailles, a les deux charges, et s'en acquitte fort bien. »

Moktagne. La recette est faite par un commis; « la régie a esté mieux faitte cette année, depuis qu'on a osté un huissier fort soup- çonné de friponneries; j'ay receu moins de plaintes et les frais ont esté plus modérés », mais le nombre des prisonniers est encore grand.

Vbrnbuil. « Il seroit a désirer que le receveur fist un peu moins de frais; il m'a promis de retrancher un huissier; les peuples ne se plaignent point de son administration, et il les traitte d'ailleurs fort doucement. »

Lisieux. La recette est faite par un commis; « on ne se plaint pas de luy », il fait peu de frais et peu d'emprisonnements.

Conçues. « Les deux receveurs ont permis de faire moins de frais a l'avenir; cette eslection a toujours paie avec peine, quoiqu'elle soit une des meilleures de la généralité 4. »

Bernav. « Le receveur mesnage fort les peuples, il n'a que deux huissiers, et j'ai toujours trouvé sa conduite fort régulière... »

L'année suivante, son successeur, M. de Bouville, envoie des notes un peu moins optimistes : à Alençon, il y a deux receveurs particuliers qui « paroissent fort honestes gens » ; à Mortagne, les receveurs en titre n'exercent pas leurs fonctions, ils sont remplacés par des commis, qui ne font « pas à beaucoup près autant de frais que par le passé,... [mais] il paroist qu'ils en font trop, sans ceux qu'ils peuvent faire et qui ne sont

Point connus »; à Verneuil, il n'y a qu'un seul receveur, et intendant ne donne pas de détails sur lui; à Conches, les receveurs font beaucoup de frais et emprisonnent souvent les collecteurs; à Bernay, il sont « fort honestes; » à Lisieux, les receveurs « en usent de mesmes que dans les autres eslections il se fait des frais. » A Falaise, le receveur « n'a autre règle que celle qu'il veut bien s'establir car il est le maistre de faire autant de Irais qu'il luy plaît »; à Argentan, des deux receveurs,

1. Cf. ci-dessous, p. 472.

2. Rapport du 30 juillet 1680, A. N. G' 213.

3. Mémoire du 8 juillet 1682, A. N. G' 71.

4. Sur les receveurs de Conches, voir plus bas, p. 479.

LES RECEVEURS. 439

l'un est toujours à Paris, l'autre ne fait pas moins de frais que ses collègues; à Domfront, le receveur se conduit comme ses collègues également.

La rétribution accordée par les receveurs généraux aux rece- veurs particuliers consistait généralement dans une somme fixe, débattue lors du traité, et proportionnelle au montant de la recette1. Quelquefois elle était fixée par le Conseil, mais le plus souvent elle était débattue librement entre les receveurs généraux et particuliers. En ce cas, les contractants n'étaient pas obligés de la déclarer à l'administration, et ils la tenaient volontiers secrète à ce point que Colbert avait peine à s'en faire informer. C'est ainsi qu'il disait à Leblanc le 2 avril 1677 : « Je vous ay écrit dès le mois d'octobre dernier, que le roy vou- loit que vous vous informassiez des sous-traités que le receveur général de la généralité de Rouen en exercice la présente année 1677 feroit avec les receveurs particuliers et commis à la recette des tailles de chacune élection, et que vous sçussiez certainement combien il leur donneroit de remise, le nombre de leurs paye- mens, en quels mois ils commenceroient les avances qu'ils seroient obligés de faire et quels intérests il leur donneroit pour leurs avances2 ». Sur une pareille question posée en 1680, l'intendant de Caen lui répondait le 30 juillet :

« Des l'année dernière, je ne pus sçavoir au vray les remises que M. Delarré fît aux receveurs en tiltre, ny les appointements qu'il donna aux commis 3, et je ne vois pas d'apparence d'estre mieux ins- truit pour l'année présente de l'exercice de M. Doublet, parce que les uns et les autres affectent de cacher lesdites remises et appointements, les receveurs généraux pour ne pas faire voirie peu qu'ils en donnent, et les particuliers par les defl'enses qu'ils en ont, à peine d'estre privés de l'exercice ou commission. On est persuadé en ce pays que tous les receveurs particuliers et commis ont part aux frais des huis- siers ; les plaintes qu'ils font du peu de remise et appointements qu'on leur fait semble les authoriser a cet abus; et c'est pourquoy, soubs vostre bon plaisir, Monsieur, il y auroit quelque règlement a faire

1. Par exception, en 1680, le receveur général de Rouen charge de la recette en six élections les receveurs en titre sans signer de contrat avec eux, préten- dant « qu'ils n'ont pas executté leurs traictés de 1678 », mais il leur a promis « qu'il leur feroist a proportion de leur recouvrement la mesme remise qu a ceux qui ont traitté, s'ils le payent ponctuellement dans les mesmes termes ». Mémoire de Leblanc, 3 août 1680, A. N. G" 491. Les six élections en question sont celles de Pont-de-l'Àrche, Arques, Neufchâtel, Lyons, Magny, Andely et Evreux; la même année, celui de Caen n'assure à ses receveurs qu'une remise « volontaire », à payer « après le recouvrement ». Let. deMéliand, 12 septembre 1680, A. N. G7 213.

2. Glém., II, 297, note 3; cf. ibid. sa lettre à Tubeuf, du 20 octobre 1673; p. 145 sa lettre à l'intendant de Dauphiné, 7 nov. 1680, et, dans les papiers de Breteuil, sa lettre du 18 juin 1681 (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 254).

3. On voit que l'intendant fait une distinction entre les rétributions des rece- veurs en titre (remises) et celles des commis (appointements) ; mais c'est une simple question de mots.

|M LA TAILLE BN NOHMAXDIE.

en ce rencontre, en telle sorte que les receveurs généraux ne fussent pas absolument les maistres de ces remises, ou qu'au moins ils fussent tenus de [les] faire connoistre au Conseil et au commissaire départy... d'où l'on connoistroit si les receveurs particuliers sont suffisamment recompensez de leur exercice pour ne pas donner lieu de prendre des profficts indirects et abusifs sur les frais des buissiers1. »

On trouve une assez grande variété dans le montant des remises, le nombre et les délais des paiements convenus entre les receveurs.

En 1664, le traité pour l'élection de Caen comporte une remise de 6 d. pour livre (2, 50 p. 100) « de la partie de l'Espargne seulement » c'est-à-dire que le chiffre sera calculé uniquement sur les sommes versées à la recette générale, ce qui produira au receveur 2 497 1. 10 s., payables par semestre. Les versements seront mensuels et au nombre de 24. les 18 premiers étant de 6390 1. chacun, les six derniers, de 6200 1. 2. Pour 1666, le traité de la même élection porte une remise fixe de 2 000 1., avec les mêmes délais de versement3. Mais en 1674, le receveur général de Caen accorde uniformément à tous les receveurs des élections 4 d. pour livre (1, 66 p. 100) des sommes perçues par eux, et exige le versement en 16 mois*. En 1677, le receveur général de Rouen traite « sans non-valleurs 5 en seize payemens a commencer au 1er janvier, moyennant 4 d. obole pour livre [1,875 p. 100] pour toute remise, frais de recouvrement, ports et voitures, et a leurs risques, périls et fortunes, excepté des charges des eslections 6, pour lesquelles il ne fait aucune remise7 ». En 1679, dans la même généralité, le montant de la remise varie avec les élections; le délai de versement est de 13 ou 14 mois pour les élections de Rouen, Pont-de-1' Arche, Andely, Montivilliers, et Magny, de 15 mois pour Evreux. Les premiers paiements doivent être faits le 5 décembre 1677, et (tu n'exige de cautionnement que du receveur de Pont- l'Evèque, qui n'est pas très sûr8. En 1680, le receveur général conclut des forfaits avec quatre receveurs particuliers : il donne 3000 1. de remise à celui de Caudebec, 2 500 à celui de Pont-1'Evêque, 2 400 à celui de Montivilliers, et « cinq à six cent livres » seulement à celui de Pont-Audemer. Aux autres,

1. A. N. G' 213.

2. A. D. Calv., Election de Caen, dossier de Cairon.

3. Ibid.

I. Let. de Chamillurt, novembre 1673, Glnirnmb. 795, p. 122. En 1671, la remisa était dans la même généralité de 6 d. pour livre, et les versements s'échelon- naient sur 18 mois (Clairamb. 792, p. 388).

.">. Certains traités abandonnaient d'avance au receveur, à titre de non-valeurs, une partie de l'imposition, considérée comme irrecouvrable.

6. C'est-à-dire que la remise de 4 d. 1/2 pour livre sera calculée sur les sommes versées ù la recette générale.

7. Let. de Leblanc ù Colbert, 8 avril 1677, B. N. fr. 8759, 77.

8. Let. de Leblanc des 13 et 19 août 1678, A. N. G? 491.

LES RECEVEURS.

441

avec qui il n'a pas signé de traité1, il promet 3 d. 1/2 par livre sur leur recette *.

Colbert se proposa en 1681 de réglementer ces remises. Un arrêt du Conseil fixa uniformément à 7 d. pour livre la remise des receveurs généraux, à charge d'en partager le montant avec les receveurs particuliers3; les intendants furent invités à obliger « les receveurs généraux de traiter avec les receveurs des tailles aux conditions portées par cet arrest, en leur donnant les assurances nécessaires pour le recouvrement4 ». Mais l'année suivante, un nouvel arrêt élevait le tarifa 9 d. pour livre5, et les- receveurs se plaignaient encore qu'il fût trop faible; aussi l'arrêt ne semble-t-il pas avoir été généralement appliqué. Le tableau suivant montre la vai'iété des tarifs qui étaient en vigueur dans la généralité de Rouen en 1684 6 :

ÉLECTIONS

IMPOSITION

REMISE AUX Montant.

RECEVEURS P. 100.

-255 710 248 6C8 199 976 316 035 145 970 92 853 144 210 176 534

158 070 124 670

159 120 290 480 193 512

18 010

11 715

5 542

4 964 2 749

2 710

8 010

9 774 7 242

3 250 11633

2 675

5 704

7,33 4,71 2,75 1,57 1,88 2,91 5,55 5,53 4,58 2,60 7,31 0,92 2,94

Pont-1' vêque

2 495 808

93 978

3,70

Lorsqu'un receveur particulier ne fait pas aux dates convenues ses versements au receveur général, celui-ci peut recourir, contre son débiteur, à la saisie de ses biens, y compris son office, et ensuite à l'emprisonnement. À cet effet, il doit se faire délivrer un arrêt par le Bureau des finances, qui reconnaît la dette et l'insolvabilité du receveur. Les exemples de telles exécutions ne sont pas rares. En 1661, le receveur de Pont-1'Evêque est

1. Ci-dessus, p. 439, note 1.

2. Let. de Leblanc, 3 août 1680, A. N. G? 491. D'après ces chiffres, le tarif des remises varie de 1,43 à 1,57 p. 100 de la recette.

3. Circulaire du 6 nov. 1681, B. Mun. Amiens, ms. 503, t. II, pièce 443.

4. Circulaire du 9 octobre 1681. donnée à tort par Clément (II, 39'»), comme une lettre à Leblanc seul : elle se trouve aussi dans la correspondance de llre- teuil.

5. Let. de Breteuil, 22 oct. 16S2, 15. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 479.

6. Etat dressé par l'intendant, 30 mars 1685, A. N. C 492.

ly LA TAILLE EX NORMANDIE.

incarcéré à la requête du receveur général, pour 50000 1. qu'il lui doit sur la taille de 1660, et bien qu'il soit établi que les

E unisses lui redoivent la plus grande partie de cette somme1, a même année, Sanson Molard. ayant fait la recette de l'élec- tion d'Evreux en 1659 à la place de son frère, décédé, est empri- sonne pour un arriéré de 13 716 1. *. En 1664, le Bureau des finances de Rouen délivre un arrêt de prison contre Jérôme Forez, commis à la recette de Caudebec pour l'année 1663, faute d'avoir payé 25333 1., lesquelles il déclare n'avoir pu recouvrer, « attendu qu il y a plus de trois mois que tous les huissiers employez au recouvrement des tailles de la dite ellection sont absents a cause des poursuites faites allencontre d'eux par le sieur de Bondeville, subdelegué de la Chambre de Justice, pour malversations par eux commises, aucuns ayant mesme esté par luy condanez a quelques peines, n'ayant ledit Forez peu trouver aucuns autres huissiers3 ». En 1669, le receveur de l'élection de Caen voit saisir son office et ses terres pour 26946 1. qu'il doit sur son exercice de 1666; la saisie n'ayant pas permis l'acquit de la dette, il est emprisonné*.

A partir de 1670, toutefois, les emprisonnements deviennent moins fréquents, grâce au soin mis à choisir les receveurs et leur faire déposer un cautionnement : on n'en trouve plus qu'un cas en Normandie, à Avranches, en 1680 5.

Les receveurs doivent avoir normalement leur bureau au chef- lieu de l'élection, mais dans les grandes circonscriptions, ils sont tenus d'établir des succursales, gérées par des commis sous leur responsabilité, dans les lieux nxés par le roi6. Quand les collecteurs leur remettent une somme, ils doivent leur en délivrer quittance, moyennant un droit de 10 deniers. Ce droit pouvant devenir une charge très lourde pour les collecteurs, s'ils faisaient un grand nombre de versements, l'ordonnance des Aides, au titre du papier timbré, art. 15, limita à six par an le nombre des quittances soumises au droit7.

Les sommes reçues doivent être en outre inscrites sur un

1. Il arrive que les avances des receveurs soient, de ce fait, considérables. D'après un arrêt du Conseil du 27 février 1669, René Aubry, receveur général de Caen, a

gayé au Trésor sur la taille de 1666,46 902 1. qu'il n'avait pas reçues (A. D. Calv., ureau des finances.)

2. Bureau des finances de Rouen, Plumitif à la date du 19 octobre 1661, A. D. S.-Inf., C 1164, f" 181 et H*.

3. lbid., 1166, 139 (30 juillet 1664).

4. A. D. Calv., Bureau des finances, 27 février 1669. "-. Let. du 30 juillet 1680, A. N. G? 213.

'_•. Bdit d'août 1661, sur la réduction du nombre des élus.

'. « Les collecteurs des tailles seront tenus seulement de payer les droits pour six quittances, du nombre de celles qui leur seront délivrées par an par les rece- veurs des tailles, le surplus demeurant ù la charge des receveurs. » Cf. le com- mentaire de Jacquin, Conférence de COrdonnance du mois de juin 1680, Paris, 1751, in-4% sur cet article.

LES RECEVEURS. 443

« registre de bordereaux », en spécifiant la « qualité et nombre des espèces »; les collecteurs contresignent le registre séance tenante. Il est défendu par les ordonnances d'inscrire la recette « sur des feuilles volantes et journaux particuliers, ains seule- ment sur les registres publics, bien et duement paraphés » par les élus1.

La complication des monnaies et les variations que leur fai- sait subir le roi étaient un des obstacles au bon recouvrement.

La variété des espèces en circulation, même dans les provinces de l'intérieur du royaume, était surprenante. Ainsi lors d'un inventaire dressé par le Bureau des finances de Caen après le décès du receveur général, le 29 mars 1669, on trouve dans la caisse des louis d'argent, des douzains, des pistoles d'Espagne « tant doubles que simples », des écus d'or « tant escus entiers que demy » et de la menue monnaie2. La fausse monnaie était en outre courante : Colbert apprend en 1681 qu' « il y a beau- coup de faux monnayeurs dans la Basse Normandie3 ». Les rogneurs de monnaie, billonneurs et autres falsificateurs sont extrêmement fréquents, et la monnaie fausse n'est pas toujours facile à distinguer de la vraie; les étrangers importent des pièces qui ont souvent cours comme la monnaie française, et dont la falsification est également facile 4.

Les variations dans le cours des monnaies royales n'étaient pas moins gênantes pour les paiements; elles amenaient une différence entre la valeur nominale des espèces et leur cours ordinaire dans le commerce. Quand la valeur courante était supérieure à la valeur nominale, les receveurs ne les acceptaient que pour cette dernière valeur, et dans le cas contraire, ils refusaient de les prendre autrement qu'à leur valeur marchande. Dans les deux cas c'était le payeur qui perdait5.

La plus importante de ces variations fut la refonte des pièces

1. Mandement de l'intendant de Rouen, 1672, A. D. S.-Inf., G 2215.

2. A. D. Calv. Bureau des finances, procès-verbal de différentes affaires 1659-69, 749.

3. Clém. II, 153.

4. Quand un receveur reçoit d'un collecteur des pièces d'or ou d'argent fausses, il doit les rompre en sa présence et lui rendre les morceaux (Mandement de l'in- tendant de Caen pour la levée de la taille de 1676, A. D. Calv., Election de Caen).

5. Les états de Normandie en 1634 disaient dans leur cahier (art. 40) : « Quelle pitié qu'un pauvre laboureur soit contrainct recevoir l'excu d'or a cent sols pour le prix de son bled et que pour acquitter la taille il ne le puisse mettre qu'à 4 1. 6 s. en vos receptes ». (De Beaurepaire, Cahiers, Règne de XIII, III, p. 31.) Les élus de Poitou déclarent en 1633 « que si l'on n'apporte quelque règle- ment sur le fait des monnoyes qui ont à présent cours, il sera du tout impos- sible que le peuple puisse payer ce qu'il est obligé de porter à la récepte des tailles, les receveurs ne veulent recevoir que monnoye de roy, laquelle est si rare et mêlée maintenant que beaucoup sont contraints de changer l'autre à celle-cy et de la suracheter à leur perte. » (Fournival, Recueil des privilèges des Trésoriers de France, p. 1105).

4i', LA TAILLE EN NORMANDIE.

de 4 sous, en 1678 '. La nouvelle monnaie, plus faible que l'an- cienne, n'inspira pas confiance aux receveurs, qui refusèrent d'en prendre pour plus du quart de la somme versée; ainsi, dit l'intendant d'Alençon le 27 mai 1679, « les collecteurs, qui ne reçoivent la taille qu'en cette monnaie, sont souvent rebutez par les receveurs et quelquefois exécutez et emprisonnez avec leur argent; j'en ai reçu beaucoup de plaintes dans tous les lieux ou j'ai passé ». Mais il ne put décider les receveurs à prendre plus de la moitié en pièces de 4 sous et en douzains2. Celui de Caen écrit la même année que les difficultés que l'on fait à recevoir les nouvelles pièces sans les peser « deviennent si grandes qu'on les refuse absolument »; le receveur de Mortain a refusé un jour plus de la moitié de l'argent apporté par les collecteurs parce qu'il était trop léger; les 2/3 de ceux qui étaient venus faire des versements n'ont pu s'acquitter, il règne de ce fait une « grande dissolution » dans l'élection; l'intendant ajoute que si Ton n'y apporte remède, le commerce et le recouvrement des impôts vont se trouver extrêmement gênés dans tout le pays 3. Il est probable que ce remaniement contribua à accroître les difficultés dans la perception, que l'on constate à partir de 1679.

Les sommes encaissées par un receveur ont une triple destina- tion, qui leur est assignée chaque année par un ordre du roi nommé Etat de distribution des finances. Une partie est affectée aux dépenses locales : appointements d'officiers, travaux publics, arrérages de rentes, etc.; une autre est conservée par le rece- veur pour ses appointements, remises, et frais de comptes; le reste est transporté à la caisse dont dépend le receveur : recette générale s'il s'agit d'un receveur particulier, Epargne, s'il s'agit d'un receveur général.

Cette dernière opération ou « voiture » des deniers était par- ticulièrement délicate, car on transportait effectivement des espèces, les procédés de banque étant tout a fait exceptionnels à cette époque 4, et dans ces transports on devait prendre des précautions à la fois contre l'insécurité des chemins et contre la malhonnêteté trop commune des receveurs. Au départ, l'expé- diteur doit faire contrôler son chargement : s'il est receveur particulier, le contrôle est fait par un élu délégué de ses collè- gues ; s'il est receveur général, par un trésorier de France5.

1. Sur cette opération, voir De Boislisle, appendice à l'cd. des Mémoires de Saint-Simon, t. XIV.

2. Lettre du 27 mai 1679, A. N. C' 71, cf. ibid., lettre du 13 février.

3. Lettre du M janvier 1679, A. N. G? 213.

<i. Ainsi, en décembre 1685. l'intendant de Caen se félicite comme d'une mesure extraordinaire d'avoir trouvé le moyen de faire payer le receveur général à l'Epargne par des lettres de change, en sorte que « l'nrgcnt demeure dans le pays » : depuis le mois d'avril, dit-il, le receveur n'a fait faire aucun transport de numé- raire à Paris. Lettre du 3 décembre 1085, A. N. G' 213.

5. Cf. par ex. une délibération du Bureau des finances de Rouen du 13 mars 1665 pour déléguer deux trésoriers « pour faire faire la voiture [des deniers de la recette

LES RECEVEURS. 445

Le contrôleur dresse un bordereau qu'il signe, et il assiste au chargement; le receveur muni du bordereau se met en route ' .

Le convoi est exposé à être attaqué et pillé « à cause des gens de guerre qui sont sur les chemins, et vagabonds qui ne demandent autre chose que d'attraper les deniers du roy2 ». Un arrêt du conseil du 17 mars 1661 doit rappeler aux archers de la prévôté qu'ils sont tenus d'escorter le convoi s'ils en sont requis3. Le voyage doit se faire « entre deux soleils, sur chevaux de charge, chacun portant son poids4 ». Entre autres motifs donnés par le roi à la création d'un Bureau des finances à Alençon, en 1636, figure la grande distance de cette ville à Rouen, « d'où seroit advenu plusieurs vols de deniers de nos tailles et gabelles ». Pendant la Fronde, le Parlement de Rouen avait ordonner aux receveurs particuliers de Rouen et de Caen de renforcer les gardes de leurs convois, et à ceux d' Alençon de garder les fonds par devers eux « jusques à ce qu'autrement en ait esté ordonné », à cause « des courses et pilleries qui se font en divers lieux de cette province5 ».

Même après la Fronde et jusqu'en 1670 on trouve en Nor- mandie des exemples de pillages de convois : le 6 août 1660, le receveur de Coutances a un chargement de 28000 1. volé « dans le grand chemin de Caen » ; sa veuve ayant avancé les frais d'enquête pour découvrir les coupables, deux de ceux-ci

généraio à l'Epargne], estre présents au compte desdits deniers et en dresser le bordereau des espèces. » (A. D. S.-Inf., G 1167, £° 56).

1. Cf. un certificat des élus de Mortain du 25 avril 1671 attestant que lorsque le receveur de leur élection a fait voiturer les deniers de sa recette à la recette générale « l'un desdits officiers de ladite élection a esté présent lorsque ladite voitture a esté contée et mise dans les panniers des voitturiers et signé une attes- tation de la dite voitture et nombre d'argent ». (A. D. Calv, Elect. de Caen, dos- sier du procès de Cairon); cf. ibid., un bordereau délivré par les mêmes élus au receveur le 28 mars 1666; au début sont énumérées les espèces : pistoles d'Es- pagne, quarts, douzains, quarts d'écus, et lys d'or, au total 1712 1. 16 s. (5d.; le bordereau se termine par : « laquelle somme de 1712 1. 16 s. 6 d. a esté comptée et nombrée aux espèces cy-dessus par Jean Lair commis dudit sieur Roussel [le receveur], et mise en plusieurs saaz, lesquelz ont esté enfermé dans des paniers et iceux chargés sur un cheval faict partir de cette ville de Mortain pour porter dans la recepte générale des finances ù Caen, à laquelle fin ont monté à cheval avec ledit Lair M" Pierre Durocher, Jacques Larcher et autres pour escorter ladite voiture ».

2. Le Guidon des finances, 1644, p. 177, cf. ibid. toutes les précautions indiquées pour assurer la sécurité du convoi et pour obtenir la remise des deniers lors- qu'ils sont volés en route. Voici aussi Gl. de Beaune, Traité de la Chambre des comptes de Paris (1647), liv. I, p. 343 et suiv.

3. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 1661, 195 v°.

4. Gl. de Beaune, Traité de la Chambre des comptes, 1647, liv. II, p. 36. Cf. Traité des fonctions des Trésoriers généraux, Clairamb., 500, p. 595. Les vols sont normalement prévus ; ainsi dans le bail conclu à Pierre Armand pour l'exploita- tion des forête de Normandie en 1655 figure une clause qui dispense Armand de payer une seconde fois au roi les sommes qui lui auront été volées dans le trans- port à la recette sans qu'il y ait de sa faute (M. Prévost, Etude sur la forêt de Roumare, p. 231-325).

5. Arrêt de 1er février 1649, publié dans le Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouvements demie/s de Vannée 16b9, s. 1., 1650, p. 696.

LA TAILLE EN NOItMANDIE.

sont arrêtés et pendus à Paris en 1G68, les autres sont con- damnés par contumace à la roue1. En 1667, l'intendant de Rouen écrit que les voleurs « infestent les grands chemins de cette province », notamment dans la plaine du Neufbourg, et les archers de la maréchaussée « ne sont pas en estât de les prendre »; par deux fois il demande à Louvois de lui envoyer des renforts de troupes pour en purger la campagne2. En avril de la même année, le courrier de la poste est dévalisé à deux lieues de Paris'; en août 1670, il faut un arrêt du Conseil pour ordonner aux prévôts de Normandie de marcher contre les voleurs qui infestent la banlieue de Rouen*; en 1669 pendant le transport de 6 200 1. fait par le receveur de Carentan, le convoi est pillé dans une embuscade organisée par un gentil- homme « dune des plus considérables maisons » de la généra- lité qui faisait son métier de pareils coups de mains5, il est découvert, mais, comme il consent à restituer la somme volée, il n'est pas davantage inquiété6.

A son arrivée, le receveur présente son bordereau aux tré- soriers de France (ou au garde de l'Epargne), qui vérifient les espèces, assistent au versement et écrivent au bas du borde- reau leur attestation, qui sert de décharge au receveur en même temps que la quittance qui lui est délivrée d'autre part7.

1. Procès- verbal d'un Trésorier général de Caen, 23 octobre 1668, A. D. Calv., Bureau des finances, procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, 735.

2. M. C. 143, f 422.

3. Ibid., 450.

4. M. C. 155, f 154.

5. Il « a jusques à présent mené une vie assez conforme à cette dernière action », écrit l'intendant.

6. Tous ces exemples sont antérieurs ù 1671. Si le hasard n'a pas fait dispa- raître les documents qui nous en auraient informés, il faut supposer que la

Police fut mieux faite désormais, soit par la maréchaussée réorganisée, soit par intervention des troupes logées dans les provinces, et qui permettaient d'escorter plus fortement les convois. Cf. les lettres de Chamillard à Colbert, 23 février et 4 avril 1669, M. C. 150>" 573, et 151, P 177.

7. Voici par exemple l'attestation mise par deux trésoriers de France à Caen au bas du bordereau de versement fait par le receveur de Baveux à la recette générale, montant à 25258 1. 8 s. 6 d. : « Les pièces d'or et d'argent contenues au présent bordereau ont esté par nous, conseillers du roy, trésoriers de France au bureau des finances de Caen, comptez, nombrez et vérifiez, et se sont trouvez conformes audit bordereau et monter ù la dite somme de 25258 1. 8 s. 6 d. les- quelles espèces ont esté mis présentement aux coffres de la dite recette générale entre les mains de M* André Delaunay. commis de M. René Aubry, aujourd'huy, 2* jour d'avril 1666, (signé) Clément, Morel ». (A. D. Calv., Bureau des finances.)

LES MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS. 447

V. LES MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS

Un proverbe courant au XVIIe siècle assure que « l'argent du roy est sujet à la pince1 ». « Il est raisonnable, disait Loyseau, que, comme celui qui manie la poix en retienne quelque chose en ses doigts, aussi ceux qui manient les finances, en prennent par leurs mains leur part : à quoi volontiers ils ne s'oublient guères2 ». Aux Etats de 1614 le roi répondait aux députés de Normandie qui se plaignaient d'une augmentation de trois deniers par livre accordée sur la taille aux receveurs : « Ladite attribution a été faicte aux receveurs sur ce que l'on a esté adverty que d'eulx-mesme ils la levoient par abuz 3 ». Pendant le ministère du cardinal Mazarin, les concussions et malversa- tions des receveurs étaient particulièrement nombreuses ; c'était une des causes pour lesquelles les impôts ne rentraient pas au Trésor, quoique les peuples payassent des sommes considé- rables. En Normandie particulièrement, on en rencontre de scandaleux exemples.

Dans l'élection de Caen, un commis à la recette du taillon, nommé Hallot, avait en 1658 perçu presque le double de ce qui lui était : ainsi la paroisse de dieux imposée à 1942 1. lui avait payé du 26 mai au 31 décembre 1658, 2 526 1. 15 s. et Hallot ne la tenait encore pas pour quitte. Le Bureau des finances de Caen, saisi de plusieurs plaintes, attendit quatre ans pour lui faire son procès ; on trouvera plus loin le récit de ses méfaits comme huissier4.

Dans la généralité de Rouen, le receveur de l'élection de Caudebec pour l'année 1660 avait dissipé les deniers de sa recette et avait ensuite pris la fuite5. Le receveur de Gisors, nommé Lempereur, avait véritablement mis au pillage son élection, depuis l'année 1637 qu'il exerçait, soit en personne, soit à l'aide de son fils qu'il prenait pour commis. La sœur du chancelier Séguier, prieure des Carmélites de Pontoise, raconte en ces termes ses exploits en 1643 :

« Il fait le petit tyran depuis qu'il sait que M. de Montaigu n'est plus ici pour protéger les pauvres; notre prison de Pontoise est

1. Il est placé en épigraphe sur le livre de Bourgoin, La Chasse aux larrons, Paris, 1618.

2. Traité des ordres, ch. VIII, p. 34, cf. sur les lettres-patenles du roi d'avril 1596, relatives à la punition des receveurs, Lebret, XXIIIe action, Œuvres p. 495-97.

3. Précis anali/tique des Travaux de V Académie de Rouen, 1877, p. 179.

4. A. D. Galv. Bureau des finances (Dossier du procès Hallot). Cf. ci-dessous, p. 455.

5. A. D. S.-Inf. C 1164, 45.

449 LA TAILLE EN NOIIMANDIK.

pleine de gens pour les tailles; il les consomme en frais et misères, et je ne sais si le roi en est mieux servi. C'est un enGleux de beaux mot! que ce Lempereur. Il est devenu extrêmement riche au métier qu'il fait et Ton s'en plaint fort dans le pays; nos collecteurs des tailles n'osent sortir d'ici et ils ont payé plus que la ville ne payait l'année passée. Il faut patience et miséricorde car il est impossible que les pauvres gens qui font leur argent denier à denier l'aient si fort fourni '. »

La fortune amassée par ce malfaiteur était évaluée à 8000001. La Chambre de Justice eut connaissance de son cas, et fit instruire son procès. Le dossier, qui a été en partie conservé1, nous détaille ses crimes. Tous ses comptes étaient falsifiés; il avait détruit ses registres de 1637 à 1644, vraisemblablement pour cacher ses irrégularités; pour les années suivantes, il avait deux comptabilités différentes, présentant, pour une seule année, un écart de chiffres de 21 000 1. Un seul de ses livres était paraphé, et il l'était par le sieur Aubery, « son ancien serviteur domestique et son sergent », devenu président en l'Élection. Il avait pu ainsi commettre toutes les exactions sans

3u'il en parût rien sur ses comptes : une paroisse redevable e 44 I. est portée comme redevable de 144; une autre marquée pour 400 1. ne doit que 4 1., une autre, « en reste de 17 sols seulement » est portée en reprise pour 2 300 1. 10 s. 11 réclame 56116 1. aux paroisses de son élection pour leurs restes de taille de 1637 à 1646, alors que, d'un autre de ses comptes, il ressort qu'elles redoivent seulement 1985 1., lesquelles il a données à ses huissiers en paiement de leurs gages, à charge de les percevoir comme ils l'entendraient. Il a fait emprisonner les collecteurs d'Hérouville faute de paiement de sommes remises par le roi; le Bureau des finances, saisi d'une plainte, a fait élargir les prisonniers et ordonné la restitution du trop- perçu, mais Hallot n'a jamais rien rendu. Maintes fois il a exigé des contribuables plus que leur : « ce desordre estant si ordinaire dans sa conduite, il seroit... ennuyeux d'en vouloir rapporter tous les exemples », dit l'accusation; en 1640, après avoir exigé de la paroisse d'Ecos 1 140 1. en sus de son impôt, « il ne laissa pas encore d'employer la mesme paroisse en reprise dans son compte pour la somme de 678 1. 14 s. ». Il a inventé des droits pour les percevoir à son profit, prélevé pour lui les 6 deniers par livre attribués aux collecteurs, omis d'ins- crire maintes recettes sur ses livres ; enfin « il paroist par ses

1. Publ. dons Bonuemère, La France sous fouis XIV, p. 318.

2. Sommaire du procès criminel pendant en la Chambre de Justice contre Fran- çois Lempereur et son fil», B. N. Recueil Thoisy. vol. 397, fol. 566-590, Imprimé, 52 p. in-4°. Cf. les factums pour la défense de Lempereur, imprimés, ibid., fol. 505-565.

LES MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS.

449

registres qu'en quelques années de ses exercices il a fait payer aux collecteurs jusques a dix et douze mille livres de frais ».

Les mêmes charges sont relevées contre son fils : registres en double, ratures, fausses quittances, fausses reprises n'étaient qu'un jeu pour lui. En 1657 il a fait vendre les meubles de la veuve d'un collecteur pour un prétendu arriéré de 15 1. 6 s., et il appert par ses propres quittances que le collecteur lui avait payé 91 1. en plus de son dû. En 1659, il a pareillement exécuté 48 moutons de Louis Féret, collecteur à Chavanson, pour un prétendu arriéré de 100 1., et Féret s'étant pourvu devant l'intendant a prouvé qu'au contraire Lempereur lui était redevable de 34 1.; M. de Champigny a donc condamné le receveur à restituer les 34 1., mais Lempereur s'est fait donner une quittance de la somme sans rien rembourser. À un autre collecteur qui ne lui devait rien, il a fait souscrire une obli- gation de 54 1. 15 s. et il en a exigé le paiement. Bref, il reconnaît lui-même avoir commis des « surexactions » de ce genre « sur la pluspart de toutes les paroisses de l'eslection ». Jamais il n'a soldé ses huissiers autrement qu'en rescriptions sur les restes de la taille, les laissant libres de se faire payer comme ils l'entendraient...

Pour comble. François Lempereur ayant été arrêté par ordre du subdélégué de la Chambre de justice, ses domestiques étaient venus le délivrer des prisons de Gisors; il avait été condamné à mort, avec confiscation de ses biens, mais il ne craignait pas de faire appel de la sentence devant la Chambre de Paris, en arguant que bien d'autres en avaient fait autant que lui. Il ne fut condamné qu'à une simple amende, par arrêt du 18 juin 1665 '.

Ces condamnations furent un salutaire avertissement pour les receveurs; mais la Chambre de justice fut très loin d'atteindre tous les coupables ; dans beaucoup de pays on ne pouvait trouver de témoins contre eux parce qu'on craignait les représailles. Le substitut de la Chambre à Gap termine un de ses rapports par ces mots : « Ce n'est pas sans crainte que je prans la liberté de vous faire porter les plaintes des pauvres subjets de S. M. ». L'intendant Saron-Champigny écrivait le 4 mars 1663 : « On crie bien contre les vexations et les exactions des receveurs en général, mais quand on entre au particulier et qu'il faut former des plaintes par escrit, chacun recule2». Le 12 août 1682 l'intendant de Rouen, Leblanc, écrira encore en envoyant un rap- port sur les abus des receveurs et huissiers des tailles : « Comme le paysan craint le receveur et l'huissier, et que le receveur et

1. B. N. fr. 18 423, 448.

2. M. G. 115, 115.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

LA TAILL1 KN NOKMAXDIE.

l'huissier sont d'intelligence, il est difficile d'en avoir la preuve ' ».

Colbert rétablit assez prompte ment l'ordre dans ce personnel en excluant des recettes les individus de probité douteuse, et en faisant surveiller les autres par les intendants. Ainsi, en 1669, deux receveurs, Legendre et Pinets, ayant été poursuivis et condamnés pour malversation, Colbert fait publier partout les deux jugements, afin, dit-il, « que les receveurs généraux et particuliers puissent connoistre par ce moyen la conduite qu ils doivent tenir dans le maniement et la levée des impôts. Je ne doubte pas... que cet exemple ne contribue beaucoup a retran- cher les abus qui se pourroient glisser dans toutes Iesdites receptes' ». Il ordonne à l'intendant de Bordeaux, le 2 fé- vrier 1674, de faire le procès au receveur Robey, car, dit-il, il est « important de temps en temps de donner des exemples de sévérité dans les provinces pour empescher les exactions et les concussions sur les peuples * ».

Le receveur général d'Alençon est emprisonné pour con- cussions en 166o8. Le receveur particulier de Lisieux, en 1668, voit sa charge confisquée pour avoir diverti les deniers destinés au remboursement des officiers supprimés de l'élection6. En 1669 est fait le procès de Legendre, receveur d'Arqués. Suivant un rapport de l'intendant de Rouen, Legendre avait prémédité d'encaisser une forte somme et de disparaître ensuite en l'empor- tant. Le receveur général, M. de Courcelles, en ayant eu soupçon, avait voulu vérifier la caisse; mais Legendre s'était enfui, le jour de Pâques, dans le propre carrosse de M. d'Intraville, con- seiller au parlement, auquel il avait fait un transport frauduleux de tous ses biens. On trouva ses livres falsifiés, les collecteurs déposèrent qu'il leur donnait de fausses quittances ou leur faisait déchirer celles qui étaient justes; enfin on parvint tant bien que mal à le déclarer débiteur, sur sa recette de 1668, de 33 000 1. et sur celle de 1669, de 38000 1. 7. Jamais les élus d'Arqués, à qui incombait le contrôle, n'avaient vérifié sa caisse ni signalé sa mauvaise conduite, « bien qu'il fut de leur connaissance

1. B. N. fr. 8701, 63.

2. Mémoires de Foucault, p. 155.

5. Depping, III, p. 34.

4. Le 23 août 1879 il écrit à l'intendant de Moulins : « Je tous ay fait assez con- noistre combien il est important de réprimer toutes les friponneries de ceux qui manient les deniers du roy, pour croire que vous y apporterez toute l'application nécessaire. Je vous dis la mesine chose pour ce qui concerne les receveurs des tailles de Nevers » (Clém. II, 115), et encore le 4 teptembre 1682 en ordonnant au même intendant de faire le procès à deux receveurs : il est très important * de donner des exemples nux peuples qui leur fussent connoistre que le Roy veut qu ils payent bien ponctuellement leurs impositions, mais que S. M. ne veut pas souffrir qu'il se fasse aucune exaction. » (Clém. II, 206).

'». M. 0. 132, 390.

6. A. I). S.-Iiif. C 1463, n" 32. T. M. C. i:»r ', 870 et 931.

LES CONTRAINTES. 451

que depuis 1660 ou 61 il faisoit sa recepte sur des feuilles volantes1 ». Finalement il fut arrêté à Avignon et condamné à la prison2.

Le receveur de l'élection de Caen, Louis de Grond, a éga- lement dissipé l'argent de sa recette en 1672; il est arrêté aussitôt et emprisonné au For-1'Evêque; mais on se borne à saisir ses biens et son office, il ne semble pas avoir été autrement inquiété 3. A partir de ce moment, on ne trouve plus, en Nor- mandie, de semblables méfaits. Colbert est donc, sur ce point, arrivé à ses fins. L'épuration du personnel des receveurs est un des résultats heureux de son activité vigilante.

VI. LES CONTRAINTES

Lorsque les collecteurs ne se sont pas acquittés à la recette dans les délais fixés par les règlements ou les conventions par- ticulières, le receveur a recours à des moyens de contrainte gradués, qui sont par ordre : la saisie des biens, l'emprisonne- ment, et la « solidité ».

Les saisies, faites par l'intermédiaire des huissiers et ser- gents, étaient une source d'abus maintes fois condamnés depuis l'origine de l'impôt4. Les trois exemples suivants feront connaître les pratiques en usage au temps de Mazarin et de Foucquet.

I. Pierre de Nainville, huissier-commissaire des tailles à Gisors, au service du receveur Lempereur, dont on a vu les exploits, fut poursuivi avec son patron par la Chambre de justice ; voici les charges qui étaient relevées contre lui : sui- vant les dépositions de plus de vingt témoins, il avait « receu des collecteurs des sommes par eux deues a la recepte, pro- mettoit de faire les payements et de leur apporter quittance, prenant souvent d'eux des muids de vin et d'autres marchan- dises pour la moitié de leur juste valeur, dont il les assuroit de payer le prix a la recepte, et dont il n'a depuis donné ny

1. M. C. 153, f 340.

2. Le 25 juin 1669 il écrivait lui-même à Colbert pour justifier ses opérations et demander grâce; il s'offrait à payer en moins de 18 mois ce qu'il redevait au roi. (M. C. 15abl,f f 774).

3. Arrêt du Conseil du 20 septembre 1672.

4. Let. pat. du 16 juillet 1648 portant établissement d'une Chambre de Jus- tice. Cf. l'ordonnance de 1388, art. 200 (Guénois, Conférence, t. II, p. 1442); un mémoire du temps de François Ier (B. N. Cinq-cents Colbert, 491, 1), les remarques de Guy Coquille sur l'ordonnance de Blois (Néron, I, 541), le préam- bule de l'édit de mars 1600, la déclaration du 16 mars 1595 (Néron, I, 675), l'arrêt du Conseil du 27 novembre 16'tl {ibid., II, 663), les remontrances de la Chambre des Comptes de Paris du octobre 16Ï3 (Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouvemens derniers de l'année IG'iO, s. 1., 1650, p. 73), les nombreuses doléances des Etats de Normandie dans leurs cahiers, etc.

452 LA TAILLE EN NOll.MAXIM i: .

quittances ny recepiséz, en sorte que, n'y ayant quelques fois s.aislait que pour une partie, lescfits collecteurs ont souffert et payé des courses qui souvent ont excédé la somme dont il s'estoit chargé de faire le payement. » Il traitait avec les collec- teurs pour percevoir la taille à leur place, et a néantmoins ces collecteurs ont esté emprisonnez et exécutez en leurs meubles pour restes desdites tailles, faute par l'accusé de les avoir payez à la recepte, quoyqu'il soit demeuré d'accord de les avoir receus ».

« Plus de soixante tesmoins déposent que l'accusé a appliqué a son profit les meubles et bestiaux exécutez sur les collecteurs, ausquels il ne laissoit point d'exploits, ou ne comprenoit en iceux qu'une partie des dits meubles et bestiaux.... 11 a transporté dans des lieux esloignez des bestiaux exécutez sur les collecteurs, lesquels, durant des mois entiers, il donnoit en garde a des hosteliers et cabareliers avec les- quels il a partagé le gain qu'ils ont fait pour la garde des dits bestiaux, dont la despense souvent a excédé leur valeur, en sorte qu'il est arrivé que les collecteurs ont esté obligez de les abandonner pour le paye- ment de la garde Il est convaincu d'avoir fait et fabriqué de faux

exploits et de faux procez-verbaux de rébellion, de vente et d'exé- cution. Il a raesme esté trouvé saisi de cinq faux procez-verbaux de ventes de bestiaux qui sont signez par ses recors, dont les dattes des

jours, des mois, des années, et les sommes sont en blanc 11 est

encore chargé d'avoir exécuté nuictamment les collecteurs et en leur absence les jours de dimanches et de festes solennelles, de les avoir cruellement excédez de coups, dont la mort d'aucuns s'en est ensuivie. »

Ses exploits ont duré pendant « plus de vingt années », impunément. Il est condamné aux galères par la Chambre de justice1.

II. Le sieur Mochon était sergent des tailles dans l'élection d'Avranches en 1658. Les habitants de Braffais ayant déposé une plainte contre lui entre les mains de l'intendant d'Aligre, celui-ci commit un élu pour enquêter : les collecteurs de Bradais, de 1658 à 1660, vinrent faire leurs dépositions « en la maison presbyteralle de la paroisse ». du 29 décembre 1660 au 25 janvier 1661 2.

Le premier, Pierre Belin, chargé de percevoir le premier quartier de 1658, déclare avoir subi 19 exécutions, pour les- quelles il a payé 22 1. 10 s. de frais, outre 5 sous aux recors à chaque exécution ; en plus, il a à plusieurs reprises donner à boire au sergent et à ses hommes, quand ils passaient, pour qu'ils n'emmènent pas ses bestiaux. Un jour un des records,

1. Sommaire du procès criminel intenté à François Lempereur, B. N. Recueil Thoisy 397, f 566-597. Cf. d'antres renseignements* B. N. fr. 18423, f449.

2. Dossier de l'enquête, A. D. Calv., Bureau des finances, Registre de procès- verbaux de différentes affaires, 1659-69, f°* 69 à 92. Braffais étnit une paroisse de grandeur moyenne; elle est imposée à 1370 1. en 1662.

LES CONTRAINTES. 453

Gamax, surnommé Crapado, « venant pour l'exécuter et trou- vant la porte fermée, rompit icelle a coups de hache et blessa son petit enfant, bien que les bestiaux dudit déposant estoient pour lors dans le jardin ». Après toutes de ces contraintes, il lui reste à verser 30 1. au receveur.

Le collecteur du second quartier, Guillaume Haliais, labou- reur, a subi quatre exécutions et payé 13 1. de frais; mais on ne lui a remis de quittances que pour 6 1. ; un jour, les recors avaient pris ses bestiaux et l'emmenaient en prison, « pourquoi éviter, il leur auroit payé plusieurs fois a boire » ; une autre fois, il fut emprisonné pendant dix jours, « pour quoi il paya audit Mochon 35 sous ». Pour payer le receveur, il a vendre ses terres ; néanmoins il redoit encore quelque chose, mais « ne peut dire combien ». Son frère Thomas, quoique n'étant pas collecteur, a subi 15 courses du sergent; un jour notamment Mochon et ses recors l'emmenèrent à l'auberge du village et lui firent payer leur dépense, montant à « plus de 150 1. » ; une autre fois, il fut arrêté au milieu de la nuit « et incarcéré prisonnier par un nommé Pierre Amiot et Guillaume Poret, lesquels en le menant le battirent et excé- dèrent, bien qu'il leur déclarast plusieurs fois qu'il n'estoit asseeur ni obligé pour ladite année »; il paya 10 s. pour être relâché le même soir.

Le troisième collecteur, Fleury Sanson, charpentier, a subi 22 exécutions, et payé en frais 18 1. plus, aux records, 11 sous par course; ses « namps » sont actuellement saisis; un des recors lui a offert de les lui rendre « s'il luy vouloit donner quelque chose et payer à boire » ; à un de leur passage, les recors voulurent l'arrêter : les ayant vu venir, il ferma sa porte, mais les recors l'enfoncèrent, Crapado « ayant l'épée nue en main » et menaçant de la lui passer au travers du corps. Heureusement Sanson put se barricader dans une autre pièce : les recors se retirèrent, en lui emportant un de ses outils, qui ne lui a pas été rendu. Etant allé verser 40 1. au receveur, il fut arrêté tout après et emprisonné, « pour laquelle incarcé- ration le receveur exigea dudit parlant la somme de 35 s., qu'il n'auroit employée dans les acquits par luy baillez ». Enfin il a, à diverses reprises, payé les dépenses d'auberge des recors. Il lui reste 12 1. à payer.

Le quatrième, Toussaint Menard, laboureur, « compagnon de collecte » de Sanson pour le troisième quartier, fut exécuté cinq fois ; à deux reprises son cheval lui fut saisi sur la route d'Avranches, comme il transportait des fagots; on lui a saisi également une poêle en cuivre et une écuelle d'étain, que le ser- gent détient encore, mais qu'il veut bien lui rendre moyennant « quelque chose » : les frais du tout se sont montés à 4 1. 10 s. et 25 fagots.

V* LA TAILLE EN NORMANDIE.

Le dernier collecteur, Thomas Gauguelin, charpentier, jus- tifie de 13 exécutions, échelonnées du 30 avril 1659 au 18 mars 1660, pour lesquelles il a payé 19 1. 10 s., plus 5 sous par exécution aux recors quoique ceux-ci ne se lussent déplacés que trois fois. On lui a saisi une vache, une pacie et un chaudron.

Après les collecteurs vient déposer « l'hoste », l'aubergiste du village. Il déclare avoir servi à boire et à manger à Mochon et à ses hommes « tant de fois qu'il n'en peut dire le nombre, réservé plus de cent fois, tant de nuict que de jour » ; chaque fois ils amenaient avec eux les collecteurs, et « tous ensemble ayans faits des dépenses, les unes fois 20 solz, les autres 30 et

Quelquefois plus, les dits asseeurs auroient payé icelles ». irdinairement, dit-il, le sergent exécutait les quatre collecteurs le même jour. Il a vu Gille Hallais payer à Mochon cent sous une fois pour n'être pas emmené en prison, 35 sous une autre fois pour se faire rendre son cheval. C'est l'hôte qui avait la garde des objets saisis par le sergent.

L'enquêteur entend aussi les collecteurs des paroisses voi- sines : Jacques Baudry, de la Trinité, a subi trente exécu- tions et « vendues » ; Guillaume Poitevin, du Liot, a eu un nombre incalculable d'exécutions, « au moins cent » ; il a été « mandé par les dits sergens par plus de trente fois aux hos- telleries pour leur payer a boire ». Julien Maincent, de Tirpied, a eu 14 exécutions, Gilles Benoist, de La Chèze, 21, en outre desquelles il a « payé telle quantité de courses qu'il ne les peut nombrer, réservé qu'il a dit estre certain en avoir payé une par chacune septmainne » ; son collègue Guillaume Morin a

Fayé six courses; un jour Mochon « estant allé chez luy et ne ayant trouvé, mais seulement son fils, il prit son dit fils qu'il mena prisonnier, encore qu'il eust promis a quelques per- sonnes de ne le mettre point prisonnier; a raison de quoy il cousta cent solz que la femme dudit exposant porta a Avranches pour délivrer ledit son fils ». Enfin, Jacques Debesne, de Saint-Nicolas-des-Bois, justifie de 58 exécutions, toutes pour la taille de 1658 ; il a payé des frais aux recors « presque chaque septmaine », donné du beurre et des chapons au sergent, les a tous traités dans les tavernes d'Avranches.

Ce sergent avait cependant un chef, le receveur de l'élection, qui n'a pu ignorer toutes ces concussions; mais il n'a rien fait pour les empêcher; bien plus, il est convaincu d'avoir contre- signé la plupart des exploits des huissiers, et d'avoir refusé des quittances aux collecteurs; pourtant il ne semble pas avoir été inquiété : en tous cas nous le trouvons à nouveau chargé de la recette à Avranches en 1665. Quant à Mochon, on ne sait quelle sanction fut prise contre lui ; mais il ne fut pas destitué : on le retrouve également en fonctions en 1664.

LES CONTRAINTES. 455

III. Dans l'élection de Caen, en 1658, Jean Hallot était à la fois commis à la recette du taillon et sergent des tailles. Dénoncé au Bureau des finances par divers collecteurs, une enquête fut ouverte contre lui le 27 janvier 1659. Quatre-vingt- sept témoins déposèrent au procès. Voici le résumé de leurs déclarations :

Philippe Lefebvre, collecteur de la paroisse de Basly, en 1658, dépose que Jean Hallot « a pris de luy depuis le commencement du mois de may dernier de quinzaine en quinzaine jusques à présent la somme de 12 s. 6 d. sans faire exécution ny vendue, à la réserve du mois d'aoust, et d'une fois ou deux qu'il passoit sans rien prendre ».

Jean Vaultier, qui fut collecteur de Bléville en 1651 et 1657, dépose que Hallot, qui avait fait la recette en 1651,

« a exigé pour le moing de luy la somme de 30 1. en vingt fois sans faire aucune exécution ny vendue ny ostage, et que un appelé Jacques de la Mare sergeant ayant eu aussy quelque temps la charge dudit receveur des tailles de ladite année 1651, a exigé de luy en plusieurs fois la somme de 25 1. et outre, ledit de la Mare obligea encore ledit déposant de luy faire une promesse de cinq boisseaux de froment, laquelle il cassa pour vente dudit bled quoyque ce fust effectivement pour promesse de luy donner du temps, et ledit déposant lui ayant apporté en sa maison à Caen lesdits cinq boisseaux de bled, il les refusa soubz prétexte que ce n'estoit pas bon bled, pour lui en faire paier la pretie au prix de 40 sols quoyqu'il ne vallust en ce temps la que 25 ou 30 sols. A dit pareillement ledit déposant que touttes les fois qu'il portoit de l'argent en la recepte de ladite année 1G51, le sieur de la Londe le Boucher, commis à ladite recepte, prenoit de luy un sol pour chaque quittance soubz prétexte d'un certain droit de bordereau. »

En 1657, un sergent nommé Bertot, « ayant mené une fois deux vaches et un veau appartenant audit déposant chez un appelé Jean Deblez marchand de nainps, demeurant à Lyons, il les y Iessa huit jours sans vendre, et ayant fait rencontre dudit Bertot en ce temps ledit dépo- sant estant monté sur son cheval, ledit Bertot le fist descendre pour le prendre et executter, ensuite de quoy il exigea de luy déposant la somme de 60 sols et 30 sols qu'il luy cousta pour lui donner à desjeuner pour en avoir dellivrance. Et a exigé en outre de luy ledit Bertot la somme de 15 1. en douze fois sans faire aucune ostage, exécution ny vendue. » Un autre jour, « ayant porté une fois sa casaque chez Robert Quehaignes marchand de namps ordinaire demeurant à Mathieu, iceluy Quehaignes exigea de luy la somme de 30 sols sans lui en voul- loir bailler aucune lettre, et de plus que le fils dudit Quehaignes s'en servit pour le moins quinze jours ».

Pierre de Caen, collecteur d'Ouistreham pour 1657, dépose que Hallot

« a pris et exigé de luy 40 s. en une fois et 30 s. eu une autre, et une autre fois l'ayant executté par la prise de deux platz, il les apporta en

III LA TAILLE EN NORMANDIE.

cette ville au Bourg l'Abey chez un tavernier dont il ne scait le nom, qui exigea de luy la somme de 45 s. pour les rendre, et outre, le records dudit Hallot que on appelle Jacques luy fist despencer unze sols en ladite taverne pour en consentir la dellivrance. » Un autre sergent, Bertot, « a exigé de luy déposant environ 10 1. en dix ou douze fois et l'a mené quatre ou cinq fois en la taverne ils faisoient despence de 15 ou 20 s. chaque fois ». Un troisième sergent, Favel, « a faict sur luy depuis le premier jour d'octobre trois vendues », pris 5 sous à chaque fois pour les recors, plus 30 sous pour lui, et lui a fait dépenser 10 s. à la taverne du port. A chaque quittance, le sieur Leboucher, commis à la recette, lui faisait payer un sou.

Gilles Guéroult, collecteur de Langrune en 1655, dépose que Rolland Rousée, sergent ordinaire de la sergenterie de Bernières, lui a fait plusieurs vendues en prélevant chaque fois 45 s. de frais : de plus il l'abonnait à 20 s. par quinzaine pour ne pas lui faire d'exécution. Hallot, qui le remplaça, lui a fait plu- sieurs vendues, « dont il ne scayt le nombre, »

« mais scayt bien que ledit Hallot pendant huit ou neuf mois de temps a prins et exigé de luy de quinzaine en quinzaine la somme de 25 s. sans faire aucune exécution... que outre, ledit Hallot prenoit de trois autres collecteurs la somme de 25 s. chacun le mesme jour sans faire aucune exécution, hostage ny vendue, mesme le plus souvent ledit Hallot n'alloit pas en personne prendre sa course, mais seullement envoyoit un appelé Jacques Cantrel, son records ordinaire, lequel

exigeoit dudit déposant et autres ladite somme de 25 s A de plus

cognoissance qu'il y eut vendredy ou samedy dernier huit jours que ledit Jacques Cantrel et un autre record ordinaire dudit Hallot dont il ne scayt le nom vindrent en ladite paroisse de Langrune menasser les collecteurs des années 1656 et 1658 que ledit Hallot et le commis de la recepte des tailles estoient à la Dellivrande, et qu'ils alloient les venir lever s'ils ne portoient promptement de l'argent, ce qui avoit obligé lesdits collecteurs pour fuir et esviter à cet inconvénient de bailler chacun la somme de 25 s. ausdits records. »

Gilles Labbey, collecteur de 1658 au Mesnil-Patry, déclare que Jean Hallot envoya chez lui ses recors pour « prendre par exécution des besteaux, »

« mais n'ayant eu la patience ny donné le temps à la mère du déposant d'ouvrir la porte de l'estable ou ils estoient, lesdits records enfon- cèrent la porte et rompirent la serrure de ladite estable dans laquelle ils prindrent une vache qu'ils menèrent devant la porte d'un nommé La Vigne, lequel sortant de sa maison les pria qu'ils n'eussent à déplacer ladite vache et qu'il leur donneroit le salaire de leur cource, pour lequel ils receurent du sieur Lavigne 16 s. 6 d. »

Un certain Robert Benoist, huissier, lui a réclamé 5 1. 13 s. pour un prétendu droit de 4 d. par quittance : il les alla demander à

LES CONTRAINTES. 457

son fils, qui répondit que son père était à ce moment même au Mesnil-Patry pour obéir à la contrainte, et ne voulut rece- voir l'argent, « qui estoit tout compté sur la table ».

Louis Adelin, collecteur du Fresney en 1658, dépose que Robert Benoist, chargé de recevoir le droit de 4 d. par quit- tance,

« voyant le déposant en la recepte dudit droit ou il comptoit son argent, partit à raesrae temps pour s'en aller en la paroisse du Fresné en la maison d'iceluy déposant, il fist exécution de deux plats d'estain qu'il emporta en la parroisse de Secqueville ou la femme dudit déposant estant allée pour le prier de lui rendre ses biens, luy disant que son mary estoit en recepte pour payer ledit droit, sur quoy yceluy Benoist luy fist response que il le scavoit bien, mais qu'il falloit que il ce fist payé de sa course, luy disant en ces termes : « Seroit-il raisonnable que je n'eusse rien, moy? » ce qui a obligé ladite femme d'emprunter à la servante du sieur de Camilly 30 s. que ledit Benoist exigea d'elle pour luy rendre ses biens ».

Jean Paisant, collecteur de Boeuville en 1658, dépose que Hallot a pris

« par exécution sur luy un petit costillon de toile et un petit plat d'estain au mois de novembre dernier, qu'il porta chez un appelé Jacques Legrand, tavernier, demeurant en la paroisse de Benouville, lequel exigea dudit déposant la somme de 25 s. qu'il dist estre pour le sallaire dudit Hallot pour luy rendre lesdits biens exécutez ».

Voici maintenant les témoignages invoqués par les sergents à leur décharge : Pierre Agnel l'aîné, collecteur de Tracy en 1657, dit que Laurent le Coq, sergent des tailles, « ne lui a faict depuis ladite année 1657 que six vendues, pour lesquelles l'on luy a desduict des paiemens qu'il a faict en recette par chacune desdites vendues 45 s., et a entendu dire que le nommé La Fon- taine Rousselin, sergent à faire vuider lesdits deniers avec ledit Le Cocq, du nombre desdites six vendues en a fait quatre pour sa part ». Mais voici la cause pour laquelle il fut tant ménagé : « il estoit suporté d'une personne d'authorité ».

Jean-François Bertaut, collecteur de la même paroisse en 1656, dépose que Laurent Le Coq, huissier, l'a visité plusieurs fois « sans pouvoir spécifier la quantité de fois pour ne s'en souvenir, mais qu'il ne s'en plainct aucunement, d'autant que lorsqu'il faisoit des vendues, il let, a tousjours paiées en recepte et que le plus souvent ledit Le Cocq ne prenoit de son argent, » mais il reconnaît qu'il a ce traitement privilégié à ce qu'il « regalloit [Le Coq] à la taverne ».

Enfin Etienne Coltée, collecteur de Mathieu en 1655, « a dict n'avoir receu que deux courses d'huissier, pour s'estre atermoie avec le receveur, dont l'une luy fut faite par un nommé Lacorne,

LA TAILLK KN NOIIMAXDIE.

huissier, qui fist une vendue de ses biens, pourquoy il paia en receptc 45 s., et l'autre course luy fut faicte par un nommé La Granderie qui le vouloit arrester prisonnier, à qui il paia 22 s. pour son sallaire ».

Hallot, pour sa défense, se borne à déclarer, en ce qui concerne le droit de 12 s. 6 d., qu'il le demandait aux collecteurs uniquement « par la compassion qu'il en avoit pour ne déplasser leurs besteaux qu'ils auroient perdus dans la misère l'on a esté et qui continue encore »; son droit strict aurait été selon lui de faire annuellement dans chaque paroisse quatre exécu- tions par quartier, c'est-à-dire seize par an « sans les relèvemens et vendues réitérées qu'il pouvoit faire en pareil nombre, faulte par les adjudicataires d'avoir paie en recette le prix de leur adjudication »; il aurait pu prélever en conséquence 30 s. par vendue et 15 s. par exécution, soit 45 s. ; il ne prenait que 12 s. et demi, ne devrait-on pas lui en savoir gré?

Le tribunal se montra pour lui d'une indulgence extrême : il ne prononça qu'une amende de 100 1. au profit du roi, avec la défense d'exercer à l'avenir aucun office (13 juillet 1660); le châtiment était presque ridicule, d'autant plus qu'il n'est pas certain que l'interdiction d'office ait été maintenue !.

Ces trois exemples, mis au jour par des enquêtes judiciaires, n'étaient pas isolés. En 1664, l'intendant Barin de la Galisson- nière écrit : « Il est constant qu'il y a fripponnerie de la part de tous les sergens »; mais, ajoute-t-il, il est malaisé d'en avoir connaissance : « ou les paisans parlent avec passion, ou demeurent dans le silence par la crainte du retour » ; l'in- tervention personnelle du commissaire royal est utile; il est bon de « battre les chiens devant le lion », mais elle est insuffi- sante, car « le mal est général et très grand2 ».

L'administration de Colbert déploya une grande activité pour arrêter ces méfaits en épurant ce personnel et en réglementant la profession.

L'édit d'août 1661 avait autorisé les receveurs des tailles à « emploier tels huissiers et sergens que bon leur semblera pour l'exécution de leurs contraintes, à la charge qu'ils en demeure- ront civilement responsables, et qu'ils tiendront la main à ce que les reglemens faits pour raison de leurs salaires soient observez3 ». Mais les receveurs avaient tendance à prendre un

1. A. D. Calv., Bureau des fin., dossier Hallot. Voir d'autres documents sur les sergents, B. N. fr. 18V23, 320 et suiv.. M. C, 121, f-* 60, 90, 550, etc.

2. Lettres de juin 1CC4, M. G., 121, f 60, 337, 550, et 121 "" 884. L'archevêque de Toulouse écrit pareillement en 1665 : « Nous ne voyons pas qu'ils [les peu- ples] se plaignent beaucoup de l'excez des irnposts. mais bien des abus qui se commettent en la perception ». Depping. I. p. 176. Cf. t. III, p. 62 et le mémoire de Colbert à Mnzorin en 1659, Clém., VII, p. 177.

3. On n'emploie donc pas nécessairement les huissiers en titre, qui sont charges habituellement d'exécuter les sentences de justice. On n'emploie pas davantage

LES CONTRAINTES. 459

trop grand nombre de ces auxiliaires, pour multiplier la « pratique » au détriment des contribuables1. Un arrêt de la Chambre de justice du 11 août 1662 leur défendit d'employer plus de deux sergents dans les élections de moins de 100 paroisses, et plus de trois dans les autres2. Une déclaration du 12 février 1663 chargea ensuite les intendants et les élus « de régler avec les receveurs des tailles, et sur leurs avis, le nombre [de sergents] nécessaire3 » ; enfin l'arrêt du conseil du 4 juillet 1664 enleva ce pouvoir aux élus pour le remettre aux seuls intendants. Habi- tuellement, chaque receveur n'eut désormais pas plus de deux huissiers ou sergents, même dans les grandes élections. En 1670, Chamillart écrit qu'il a interdit absolument aux receveurs de la généralité de Caen d'employer plus de deux huissiers 4. Toutefois, il subsista des exceptions. Trois ans après la lettre de Chamillart, on trouve 5 huissiers en exercice dans l'élection de Vire5. En septembre 1683, dans la généralité d'Alençon, on trouve 4 huissiers à Verneuil, autant à Conches, et 3 à Alençon6. En 1685, l'intendant de la même circonscription fait un mérite au receveur de Bayeux de n'employer que deux huissiers7. En revanche on ne trouve aucune élection dans la province qui en ait eu moins de deux8.

La qualité des huissiers n'importait pas moins que leur nombre. Mais la profession, maigrement rétribuée et fort méprisée, ne pouvait jamais attirer que des gens de condition très inférieure, et de moralité douteuse. Les ordonnances n'exigeaient

les sergents nobles héréditaires, qui sont particuliers à la Normandie, et dont les circonscriptions étaient suivies dans les rôles de département des tailles; l'édit d'octobre 1553 leur avait interdit de faire des exploits pour la taille (B. N. fr. 11048, 45, v°), et La Barre le trouvait juste, car, disait-il, « ces ser- gens... ne veulent aller qu'à cheval, et a grand fraiz », tandis que les « cou- reurs » sont « de moindre estoffe », et contribuent au « soulagement du pauvre peuple » (Formulaire, p. 49).

1. Cf. déjà l'instruction aux généraux des finances, du 11 mars 1388, dans Fournival, Recueil, p. 00. Divers édits avaient successivement créé et supprimé des offices d'huissiers des tailles (G. d. T. I, 126, 173, etc.) Les créations avaient été nombreuses surtout après 1635. Voir aussi le règlement de janvier 1634,

2. B. N. Recueil Thoisy, 397, 361.

3. C. d. T., 1, 507.

4. Analyse de sa lettre du 15 octobre 1670, Clairamb. 792, p. 353.

5. A. D. Galv. Election de Vire. L'un est huissier royal à Vire, deux autres n'ont que le titre de sergents et commissaires des tailles de l'élection, un qua- trième est huissier au baillage, le dernier est huissier audiencier en la vicomte de Vassy.

6. Mémoire du 1" septembre, A. N. G7 71.

7. Lettre du *7 juillet 1685, ibid., G' 213.

8. Golbert invita plusieurs fois les intendants à réduire le plus possible le nombre des porteurs de contraintes, mais il ajoutait, avec le souci d'assurer les recouvrements : « surtout prenez bien garde, s'il vous plaist, que ce retran- chement ne rende pas le recouvrement des deniers du roy ni plus lent, ni plus difficile. » (Let. à Bidé de la Grandville, 24 févr. 1673, 'Clém., II, 275, note.) Cf. ses lettres à Feydeau de Brou, et à De Sève, ibid., p. 274 et 321, sur l'échec de son projet de supprimer entièrement les porteurs de contraintes.

Mg LA TAILLE EN NORMANDIE.

des candidats à l'emploi que de « savoir écrire et signer1 », et plus cl un n';ivait pas d'autre mérite. « Encore... qu'il importe de n'en commettre les fonctions qu'à des personnes d'une probité et d'une capacité connues, dit un règlement d'août 1669, néan- moins la facilité d'y admettre toutes sortes de sujets, mesmes les moins capables », a « causé de grands abus ». La surveil- lance des intendants améliora quelque peu ce personnel, mais le recrutement n'en fut guère changé.

La réglementation des biens que les huissiers pouvaient saisir pour la taille était ancienne; Colbert la remit en vigueur et introduisit quelques dispositions nouvelles. Voici les règles qui furent appliquées de son temps.

D'abord, défense de saisir aucun immeuble, car, comme le fait observer Domat, la taille étant une charge annuelle, on ne peut prendre pour son paiement que des revenus annuels, comme les récoltes le produit de l'industrie, ou des biens remplaçables 2. On ne doit pas notamment « découvrir les maisons ni arracher les portes et fenêtres », comme cela se pra- tiquait au temps de Richelieu, et se pratiquera encore au temps écrit Vauban3.

Parmi les meubles, il en est qui ne peuvent être saisis en aucun cas : ce sont ceux qui sont indispensables à l'existence ou au travail, à savoir les lits, les habits, le pain, les outils et les chevaux ou bœufs servant au labourage4.

La saisie des lits, du pain, des vêtements, était déjà défendue par le droit romain ; les ordonnances du xvi* siècle l'avaient également interdite, et les arrêts du Conseil des 17 septembre 1843, 5 octobre 1664, 4 juillet 1665 l'avaient rappelée5. Lors des conférences pour la rédaction de l'Ordonnance civile, en 1667, le Premier Président Lamoignon disait qu'il était « absolu- ment inutile » de reprendre cette défense, « parce que l'on ne dépouille pas un homme, et l'on feroit le procez a un huissier qui auroit exercé cette rigueur » ; mais Pussort ayant répondu

1. Ordonnance d'avril 1667, tit. II, art. 14. Mêmes exigences pour les recors; mais le procureur du roi au bailliage de Cotentin écrit le 23 novembre 1667 que, contrairement à l'ordonnance, les juges du siège admettent des exploits faits avec le concours de recors illettrés (M. C. 146, f* 236).

2. Le droit public, dans ses Œuvres, t. II, p. 33. Sur ce qu'on entend précisé- ment par meubles et immeubles, voir Domat, ouv. cité, p. 25 et Lange, La nou- velle pratique, 10* éd., p. 602 et suiv. Nous n'avons pas d'exemple d'immeubles saisis pour la taille en Normandie pendant tout le ministère de Colbert.

3. Règlement de janvier 1634, art. 55, et Vauban, Dix me roiale, éd. 1707, in-12, p. 29. On n'a aucun exemple du fait en Normandie à notre époque. Cf. p. 486.

4. Arrêt du 4 juillet 1664, art. 6. Cf. La Poix de Freminville, Traite' des com- munautés, p. 251. L'intendant do Caen, en interprétation de cet article, défend dans son mandement de 1675 la saisie des couvertures de lits, filets à pêcher et tous outils des artisans. (A. D. Calv. Election de Caen.)

5. La Poix de Freminville, Traité des Communautés d'habitants, p. 251.

LES CONTRAINTES. 461

qu'il s'étoit vu des sergents qui avoient ôté le manteau », l'ar- ticle avait été maintenu1. Quant à la saisie des bestiaux, elle fut l'objet de règlements nombreux et compliqués, dont l'interprétation n'a pas toujours été exactement faite.

D'abord, quoiqu'on en ait dit souvent2, l'idée d'interdire la saisie n'est pas une innovation de Colbert. Elle figure dans les plus anciens règlements, et Lebret en trouve l'origine dans les institutions grecques et la loi romaine; ou plutôt, dit-il, « elle est puisée de la loi propre de la nature, d'autant que ces choses- [les bestiaux et les outils] sont les vrais instruments de la vie commune des hommes3 ». La déclaration de janvier 1634, art. 55, la reprenait, et différents arrêts du Conseil, dans les années suivantes, en avaient rappelé les termes *.

Mais Colbert, en remettant en vigueur les anciennes ordon- nances méconnues 5, avait des vues plus systématiques que ses prédécesseurs. Maintes fois il a écrit que la conservation et la multiplication des bestiaux étaient indispensables à la prospé- rité du royaume : par les paysans s'enrichiraient, seraient plus heureux, payeraient mieux leurs impôts, les manufactures de draps et de cuirs trouveraient en France leur matière pre- mière, la population se multiplierait, la puissance du roi serait accrue : « Il n'y a rien qui soit si avantageux aux peuples et aux provinces que d'avoir un grand nombre de bestiaux6 ». « De la conservation des bestiaux dépend le principal soulagement des peuples, qui, par ce moyen, se trouvent en estât de satis- faire à leurs impositions 7. » « C'est un grand avantage que les bestiaux augmentent dans la généralité de Caen, et surtout

1. Procès-verbal des conférences... de l'ordonnance civile, éd. de Lille, 1697, p. 193-194. L'article est devenu l'art. 14 du titre XXXIII de l'Ordonnance.

2. Cf. par exemple Necker, Eloge de Colbert, p. 24. Clément, préface du t. Il p. Xlviii et suiv.; Baudry, introd. aux Mémoires de Foucault, p. lxxii, etc.

3. XVe Action à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 474. La loi romaine défend en effet la saisie des animaux de labour en termes exprès (Cod. Justin., VIII, tit. XVII, 1. 7.) Cf. Bornier, Conférence des Ordonnances, éd. 1755, t. I, p. 298, les Ordonnances de 1543, 1571, 1595; Basnage, Coutume de Normandie, t. I, p. 110, etc.

4. L'arrêt du 2 novembre 1645 ajoutait qu'on devrait laisser une vache à tout contribuable imposé à moins de 30 sous (C. d. T. I, 316). Celui du 11 octobre 1661 ne visait que les bœufs et chevaux servant au labourage (A. D. Calv. Plumitif du Bureau des finances à la date du 17 octobre 1661.)

5. Sur cette inexécution, voir notamment l'édit de janvier 1597, art. 23 et 24 (Règlements de Normandie, p. 29) : « A l'instant que les collecteurs sont élus, les plus solvables habitans se retirent hors- de leurs paroisses et n'y laissent que leurs femmes, serviteurs, chevaux et jumens pour faire leur labeur, de sorte que lesdits collecteurs ne les peuvent contraindre », et le roi est obligé de permettre la saisie. Un arrêt de la Cour des Aides de Rouen l'avait également autorisée en 1596 (Ibid., p. 34). Le 31 août 1663, l'intendant de Rouen écrit que, pour de menues amendes relatives à des délits de pâturage dans les forêts royales, on saisit « tous les jours » des chevaux de labour dans sa généralité.

6. Let. à l'intendant de Caen, 11 août 1673, Clém., IV, 263, n. 1.

7. Let. à l'int. de Limoges, 19 févr. 1672, ibid., p. 239, n. 1.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

les bestcs à laine, parce que les manufactures se fortifieront par M moyen '. » Il faut « conserver, autant que faire se pourra, les bestiaux pour serrir au commerce et à engraisser les terres2» et « donner moyen aux pauvres d'entretenir leurs familles par la nourriture des bestiaux3 ». Telles étaient ses idées générales, qui tendaient à supprimer entièrement les saisies. Mais il ne put les faire passer complètement dans la législation.

Il distingua les bestiaux servant au labourage et ceux qui étaient destinés a l'élevage. Pour les premiers, la saisie fut, par l'Ordonnance civile d'avril 16G7 (tit. xxxm, art. 16), inter- dite absolument, en toutes circonstances, même pour le recou-

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vrement des impôts; seuls le privilège du vendeur et celui du 'égard de son fermier lurent reconnus*. Pour les seconds, la saisie fut autorisée, mais pour les deniers

propriétaire à l'égard de son

royaux seulement; quand il s'agissait de dettes privées, elle fut défendue. Toutefois, sur ce dernier point, Colbert n'inscrivit aucun principe dans la législation; il se borna à prononcer la défense pour un temps limité : l'édit d'avril 1667 la prononça pour quatre années5, et il fut renouvelé en 1671 et en 1678 pour six ans chaque fois6, malgré les difficultés faites il l'enre- gistrement par le Parlement de Rouen 7.

1. Let. ù Tint, de Cnen, 6 nov. 1670, Cléra., IV, p. 239.

2. Arrêt du Conseil du 5 jimv. 1665. .t. Let. pat. d'août 1664, urt. 19.

4. C'est-à-dire que la saisie pour dettes privées fut autorisée : pour recou- vrer le prix de vente desdits bestiaux; pour avoir paiement du fermage des biens a l'exploitation desquels ils sont employés. Cf. la déclaration du 22 août 1665 sur les saisies, Néron, II, p. 78.

5. Il est probable que l'idée d cette interdiction temporaire de la saisie a été suggérée a Colbert par son frère Croissy qui avait expérimenté le système en 1666 dans la généralité de Tours (Lettre de Voysin de la Noiraye à Colbert, 4 août 1666, M. C. 139, 53, avec la mention des résultats beureux produits par cette mesure dans le puys.)

6. Déclarations des 25 janvier 1671 et 31 janvier 1678, dans Clém., IV, 578. Cf. l'arrêt du Conseil du 30 janvier 1671 dans Clairamb. 659, p. 367. L'interdiction

1>ermaneiite de lu saisie sera prononcée par déclarations de décembre 1680 dans e ressort de Paris et du 6 novembre 1683 dans le ressort de Kouen (Néron, t. II, p. 187). Cf. la déclaration du 10 janvier 1690, B. N. fr. 21819, p. 283.

7. Le Parlement, dont les membres étaient de gros propriétaires fonciers, exposait au roi en 1671 que la prorogation allait nuire au commerce « et que d'ailleurs la campagne n'est que trop ebargée de bestiaux » (Lettre de l'intendant h Colbert, 20 février 1671, Clair. 792, p. 577); en outre « elle empescheroit l'effet des condamnations de provisions et a'intérests civils, et de prester de l'argent aux paysans * (ibid., p. 585) ou encore « que cela oste le crédit aux paysans, et que lu contrainte par corps ayant esté ostée à la noblesse, les marchands de la Guibrny n'ont rien vendu » ; enfin que le recouvrement de la taille s'en trouve- rait gêné; mais, en réalité, dit l'intendant qui rapporte ces observations, le Parlement était directement intéressé dans l'affaire, car son greffier chargé du recouvrement des épices refusait d'exécuter son traité s'il était défendu de saisir les bestiaux pour les amendes de « fol appel » (ibid., p. 595). Toutefois la Cour se borna à demander la réduction du délai accordé. (Lettre de Pellot à Colbert, 8 mars 1671. ibil.) Puis à la fin elle se décida à l'enregistrement pur et simple, (Pellot à Colbert, 14 juin 1671, ibid., p. 843.)

Colbert donna fréquemment des instructions aux intendants pour faire appli- quer cette prohibition : il leur adressait de nouveaux exemplaires des déclara- tions pour les leur rappeler et expédiait au besoin des arrêts du Conseil. (Voir

LES CONTRAINTES. 463

Une difficulté particulière était soulevée par les cheptels : il eût été équitable d'en interdire la saisie pour l'impôt des chepteliers, mais il était si facile de faire des baux à cheptel simulés, que tous les propriétaires auraient pu soustraire par ce moyen leurs bestiaux aux exécutions des receveurs. Aussi les ordonnances avaient-elles autorisé la saisie d'une partie des cheptels. Cette partie, fixée à un quart de la valeur des bestiaux jusqu'en 1663 ', fut réduite à un cinquième par la déclaration du 12 février de cette année2. Un essai d'interdiction complète tenté en Normandie en 1664 n'eut pas de suite : dès janvier 1665, on dut revenir à l'usage antérieur3. En beaucoup de paroisses normandes, à Rots par exemple, les contrats de cheptel étaient publiés et inscrits sur les registres paroissiaux, comme les mutations de propriétés4 : cette mesure rendait plus difficiles les baux frauduleux.

Dans l'application des ordonnances, Colbert s'appliqua à réduire le plus possible les saisies de bestiaux pour la taille. Il en fit l'objet de multiples lettres et circulaires aux intendants et aux receveurs : « A présent que S. M. a accordé une dimi- nution aussy considérable sur les tailles que celle de six mil- lions, écrit-il le 6 janvier 1679, Elle est persuadée que les rece-

ses lettres à Breteuil et ses circulaires, B. Mun., Amiens, 508, t. I, pièce 281 ; t. II, pièce 242; t. III. pièce 540; Glém., II, 168, note, et Depping, t. III, p. 43.)

1. Cf. l'arrêt de la Cour des Aides de Paris du 17 mai 1596 dans les Œuvres de Lebret, p. 475, les arrêts du Conseil des 9 juillet et 5 novembre 1653, A. N. AD1" 470, pièce 14, et la déclaration du 12 février 1063, dans C. d. T. I, 506. La saisie n'était permise que pour deniers royaux; pour les dettes privées, on ne pouvait exécuter que le « croît » des animaux avant 1667, exécution qui fut elle-même interdite à partir de cette date. Sur les inconvénients de la réglementation de 1663, voir le mémoire de Pescheur : « Les mercenaires journaliers, qui n'ont d'autre revenu que celuy que produit le travail de leurs bras, ne trouvent plus personne qui leur vueille donner aucun bétail à cheptel, pour estre mauvais garandz dudict recours, et ainsy demeurent privez du secours qu'ils tiroient du laitage pour la nourriture de leurs petitz enfans, qui languissent et meurent de nécessité à ce défaut; misère qui implore la compassion de S. M. * (M. C. 33, 293.)

2. C. d. T., I, p. 506.

3. Let. pat. d'août 1664, art. 19 : « Aiant été informé des desordres et abus qui se commettent dans la passation des brevets ou baux de vaches et bestiaux à louage dans notre dite province, aucuns gentilshommes et autres personnes ne font point de difficulté de prêter leurs noms pour la passation desdits baux, afin de frauder et empêcher le paiement de nos deniers, Nous ordonnons que tous baux et brevets de vaches et bestiaux à louage demeurent nuls... Et néan- moins... pour donner moien aux pauvres d'entretenir leurs familles par la nourriture des bestiaux, permettons aux taillables de notre dite province, autres toutesfois que les collecteurs, qui sont imposez à 25 1. et au-dessous de toutes tailles, de pouvoir prendre à louage une ou deux vaches au plus par brevet... [qui ne pourront] èlre exécutées et vendues en paiant par lesdits particuliers la somme de 3 1. pour chacune desdites vaches par chacun an, sur et en déduction de leurs impôts «^Abrogé par l'arrêt du Conseil du 5 janvier 1665. (A. D. Calv. Ordonnances de l'Élection de Caen, 1664-74, 109.)

4. Voici un exemple de ces actes d'enregistrement : « Le dimanche cinquiesme jour de febrier mil six centz soixante et deux, audience d'un brevet passé à Caen le deuxième jour do janvier dernier par lequel Jean Rivière prend à louage pour trois ans de Isabeau de la Verge une vache à poiel noier par quatre livres par an et une livre de lanfaix ». (A. Mun. Piots, BB 4, 173.)

Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.

veurs ne seront pas obligés d'avoir recours à la nécessité de faire saisir les bestiaux; aussy Elle veut que vous teniez la main tout autant qu'il sera possible à ce que les bestiaux ne soyent saisis, mesme pour les deniers de S. M. ' ». Mais il n'admettait pas la possibilité de prononcer cette interdiction par une ordon- nance, car, disait-il, une telle défense pourrait « les rendre plus difficiles au payement de la taille2 ».

L'intendant d'Orléans lui ayant demandé si un collecteur pouvait « saisir la vache d'un cotisable aux tailles », s'attira une verte réponse :

a Je suis étonné que vous me fassiez la question..., et je vous ai bien dit, par ma précédente, qu'un certain désir 3 d'approbation publique vous emporte souvent au delà des termes dans lesquels vous vous devez contenir... La petite maxime que vous establissez ne tend à autre chose qu'à supprimer et anéantir toutes les impositions de l'Kstat. Cela n'empêche pas que vous ne puissiez exciter doucement les receveurs des tailles de prendre garde que l'on n'en vienne à ces contraintes qu'à l'extrémité4. »

Il ne faut pas, écrit-il encore à l'intendant de Rouen, « que les peuples sçachent ce que je viens de vous dire, pour ne pas les endurcir à ne point payer, mais il faut qu'une ou deux sai- sies en chacune eslection les obligent à payer, par l'appréhension de tomber dans le mal, sans la peine mesme5 ».

L'application des intendants à suivre ces instructions fut très grande 6, et d'autant plus méritoire qu'ils avaient à lutter contre les receveurs, préoccupés avant tout de se faire payer7, contre les huissiers et sergents qui tiraient revenu des saisies, contre les élus, les officiers du Parlement, de la Cour des Aides, qui

1. Clém., II, 88; Cf. le mémoire an roi, 1670. ibid. p. 242; les lettres à l'inten- dant de Rouen, 12 sept, et 2 oct. 1670, ibid. p. 73 et 264 note; les circulaires des 28 juin 1679 et 1" juin 1680, ibid., p. 89, n. 1 et 133, etc.

2. Let. à l'intendant de Montauban, 18 août 1673, Clém., II 263; cf. la let. à l'intendant de Clermont, 14 nov. 1670, dans Depping, t. III, p. ix.

3. Clément a lu « air » au lieu de désir ».

4. Clém. II, 120. Cf. la let. à l'intendant de Rouen, 18 juin 1680 : « Vous savez bien que le roy n'a jamais exclu la vente des bestiaux pour les impositions des tailles et les droits de ses fermes... » (ibid., p. 390); la let. de Barin de la Galis- sonnière, 29 janvier 1669 : « Si je rendois une ordonnance générale, cela feroit assurément préjudice au recouvrement, et il est plus ù propos pour le bien des receptes et des fermes que cela se mesnage par la prudence des commis ». (M. C. 150, f" 234), et celle de Leblunc, 16 juin 1679 : « Sy on ne la soufTroit[la saisie], il seroit impossible de les faire payer ». (A. N. G" 491.)

">. Let. du 2 octobre 1670, Clém., IV, 264, note.

6. Par exemple Barin de la Gnlissonnière écrit ù son arrivée à Rouen : [Pen- dant que j'étais à Orléans], « il ne s'estoit fait que très peu de saisies et de ventes de vaches et de moutons; ainsy, Monsieur, vous pouvez asseurer S. M. que je n'duray pas moins de zèle en Normandie pour l'exécution de ses volontez sur cet article, si pleines de justice et si nécessaires pour conserver l'abondance dans lajcampagne ». (M. C. 139, 41.)

7. Cf. par ex. la let. du receveur général de Rouen à Colbert, septembre 1672. Clairamb. 793, p. 751.

LES CONTRAINTES. 465

voyaient lésés leurs intérêts de propriétaires ou de juges1. Ils eurent recours à des expédients, comme d'autoriser la saisie « pour esveiller les collecteurs », mais en interdisant la vente2; ou de faire conclure des accords amiables entre les collecteurs et les receveurs3. Autant qu'on en peut juger par les rensei- gnements fragmentaires qui nous sont parvenus, ils ont abouti à des résultats appréciables, au moins dans la première moitié de notre période.

En 1661, le nombre des bestiaux était très faible, en raison des nombreuses exécutions pratiquées antérieurement. Dès 1663, les intendants de Normandie signalent un accroissement. En 1665, celui de Caen ayant interdit complètement la saisie des moutons pour les impôts, voit, dès l'année suivante, sa mesure « produire un effect si admirable que la campagne paroist de toutes partz couverte d'un très grand nombre de bestiaux, qui augmente tous les jours * », et, chose remarquable, le fisc n'en souffre pas : le 27 octobre 1670 l'intendant écrit que l'inter- diction ne porte aucun préjudice au recouvrement5. Une enquête faite auprès des collecteurs l'année suivante lui apprend que « le nombre de bestes à laine est augmenté de moitié depuis cinq ou six ans6 ». Dans la généralité de Rouen, « par- tout les bestiaux augmentent » en 1670 et 1671 7. Dans celle d'Alençon, l'intendant constate le 2 novembre 1673 que la cam- pagne est « bien peuplée de bestiaux », grâce à l'interdiction des saisies pour dettes privées8. Mais à partir de 1674, le pro- grès n'est plus signalé 9. Le tableau dressé par l'intendant de

1. Chamillart écrit à Golbert le 21 juillet 1669 que les huissiers de la Chambre des comptes « saisissent les bestiaux au préjudice des ordres du roy, ne laissent point d'exploits et exercent plusieurs vexations » (M. C. 154, f°206), et Leblanc, le 21 juin 1679 : « Les huissiers... saisissent dans l'estandue de la généralité les bes- tiaux servant au labour et autres..., ne laissent aucuns exploicts et pi'ocèdent à la vente en des lieux inconnus », dans le seul but d'accroître leurs appointe- ments (A. N. G7 491), et l'intendant d'Alençon, le 2 novembre 1673 : Dans l'exé- cution des ordonnances sur la saisie, « on se relasche tant soit peu dans les juri- dictions ordinaires » (M. G. 166, 252). Voir aussi une lettre de l'intendant de Glermont, 15 février 1669 : « Les officiers des Eslections... sont les premiers à empescher sous main l'exécution du dessin si salutaire aux peuples, et tout cela fondé sur le retranchement des espices et des procès ». (Ibid., 150, 460.)

2. Let. de Barin de la Galissonnière, 24 sept. 1670, Clairamb. 792, p. 327 et 348. Le 29 janvier 1669, il écrivait : On pratique « des ventes imaginaires, qui sont plutost des compulsoires pour obliger les collecteurs à faire leurs diligences que de véritables exécutions ». (M. G. 150, 234.)

3. Cf. ci-dessus, p. 4 1 '.* . Voysin de la Noiraye, dans une lettre du 24 octobre 166G, parle de ces accords et juge heureux les résultats obtenus. (M. G. 141b", 652.)

4. Let. du 17 novembre 1666. M. C. 142, ro 102. Cette interdiction était prononcée surtout pour alimenter les manufactures de drap. (Ibid., 235.)

5. Clairamb. 792, p. 333.

6. Ibid., 793, p. 25.

7. Let. de l'intendant, 20 oct. 1670 (Clairamb. 792, p. 353) et 6 juillet 1671 (M. C. 157, 37).

8. M. C. 166, 252.

9. Dans une lettre du 23 janvier 1679, l'intendant d'Alençon écrit que l'interdic- tion de la saisie, récemment prononcée pour une nouvelle période de six ans, va

LA TAILLE EN NORMANDIE. à\)

,..., LA TAILLE EN NOHMANDIE.

Rouen en 1680 fait apparaître une diminution très nette clans sa généralité : clans l'élection de Pont-Audemer, les troupeaux ont été « vendus pour le payement des Termes ou de la taille ». les vaches que l'on rencontre encore sont tenues pour « la plupart à loyer », bien que l'intendant ait prescrit aux receveurs de ne les saisir « qu'à l'extrémité1 »; dans l'élection de Dieppe, le nombre des bestiaux mis à l'engrais dans les herbages pour la vente reste « considérable », mais la plupart appartiennent aux gentilshommes; ceux qui servent à la « subsistance du peuple » ont diminué sensiblement2. Deux ans après, Leblanc écrira : « Si le nombre des bestiaux estoit aussi grand que jadis dans les eslections, elles deviendroient aussi bonnes qu'elles sont misérables* ». Et l'une des causes de cette décadence semble bien avoir été le relâchement dans l'exécution des ordonnances prohibitives des saisies. Leblanc découvre le 8 juillet 1680 que, dans l'élection de Caudebec, les fermiers des aides, des gabelles et des cinq grosses fermes, s'autorisant d'un arrêt du Conseil du 7 décembre 1667, font vendre « les chevaux de labour et toutes sortes de bestiaux pour les droits qu'ils prétendent leur estre deubs, ce qu'ils font avec la dernière rigueur4 ». Mais ce motif n'était pas le seul : « Quoyque je fasse exécuter à la lettre, écrit-il le 2 juillet 1682, le règlement portant deffenses de saisir les bestiaux, et qu'il ne s'en saisisse que pour le payement de la taille, il y en a très peu a proportion de ce qu'il y en devroit avoir5 », et le même jour son collègue d'Alençon assure que, quoique les ordonnances relatives aux saisies pour dettes pri- vées soient « ponctuellement exécutées », et les saisies pour la taille « rares », la diminution ne cesse pas6. Il faut sans doute rattacher cette décadence à l'accroissement général de la misère, que nous avons constaté à partir de la guerre de Hollande.

Aucun exploit ne peut être adressé à un collecteur avant le terme fixé pour le payement au receveur, et sans commande- ment préalable7. Pour faire la saisie, l'huissier doit se faire

« restublir cetle province » et « y faire revenir l'argent ». (À. N. G7 71.) Il sem- blerait d'après cela que, dons les années antérieures, on avait laissé pratiquer les saisies.

1. Let. du 22 juin 1680, A. N. G7 401.

2. Let. du 4 juillet 1680, ibid.

3. Let. du 1" mai 1682. B. N. fr. 8761, 51.

4. A. N. G7 491.

5. B. N. fr. 8761. f 57.

fi. A. N, G7 4'.'1. Cf. le rapport du même intendant, 22 juillet 16S0 : dans l'élection de Mortagne on n'exécute pas les bestiaux pour dettes; dans celle d'Ar- gentan, qui a été ménagée par le receveur, on ne saisit aucuns bestiaux pour dettes et très peu pour la taille ; il y en n beaucoup plus que l'année dernière » (ibid.). Mais son successeur écrira le 1er septembre 16S3 que, dans la même élec- tion, un autre receveur fait beaucoup de frais « par les enlèvements de bestiaux » (ibid.). r '

7. Arrêt du 4 juillet 1C64, art. 5.

LES CONTRAINTES. 467

accompagner de recors ou de témoins, dont un au moins signera le procès-verbal, ainsi que les collecteurs intéressés; il ne peut forcer une porte fermée sans ordonnance d'un officier de l'Election1. « Les meubles et bestiaux saisis sur les collec- teurs seront mis en garde chez les plus proches voisins non suspects, qui seront tenus de s'en charger à peine de 30 1. d'amende, pour les garder durant huit jours, en leur payant leurs frais de garde et nourriture, si mieux n'aiment lesdits collecteurs fournir ladite nourriture » ; pendant ce délai, les intéressés peuvent faire « une collecte de deniers » pour obtenir main-levée de la saisie, laquelle ne peut être accordée que par le receveur2; les officiers des Elections ou de la Cour des Aides ne peuvent faire surseoir aux contraintes3.

Nul ne peut être reçu opposant à l'exécution s'il n'a « paie par provision ce qu'il devra desdites tailles ou la valeur des choses saisies4 ». Comme « il arrive assez souvent » que les proprié- taires dont les collecteurs sont fermiers font des saisies fictives sur les biens de ceux-ci, « encore que bien souvent il ne leur soit rien », et ce, « pour empêcher qu'ils ne soient vendus pour le paiement » de la taille, il est spécifié que la vente des biens saisis doit être faite dans la quinzaine, sous peine de nullité, et le privilège du propriétaire n'est accordé que pour une année de fermage5. Quand la vente est faite, le collecteur con- serve « la faculté de rachat dans huitaine, en rendant le prin- cipal et les frais ; » ce qu'on appelle en Normandie « droit de fort-gages ° ».

Si les huissiers craignent la rébellion, ils pourront « se faire assister de plus grand nombre de gens pour faire obéir les habi- tans desdites paroisses », avec l'autorisation de l'Election, et si malgré ce renfort ils ne peuvent opérer, ils dresseront un procès-verbal « qu'ils présenteront aux Elus pour en informer, et seront les décrets mis entre les mains des vice-baillifs, leurs lieutenans et archers, pour les mettre a exécution, faire obéir et paier les rebelles 7».

1. Edit de mars 1668: l'édit d'août 1G69 remplacera les témoins par le contrôle des exploits.

2. Arrêt de janvier 1664, art. 7 et 8.

3. Let. pat. d'août 1664, art. 16. Cf. l'arr. du Conseil du 30 avril 1661, prescrivant aux intendants de « tenir la main à ce que les contraintes des receveurs des tailles soient exécutées ». (Clairamb. 659, p. 203.)

4. Ibid. art. 38.

5. Ibid., art. 39.

6. Arrêt du 4 juillet 1664, art 7 ; et recueil d'Orsay, B. Nat. fr. 11096, 18. Cf Houard, Dictionnaire de droit normand, à ce mot.

7. Arrêt du 4 juillet 1664, art. 11 et let. pat. d'août 16G4, art. 31. Cf. p. 391.

.',.;«, LA TAILLE KN MM'.MAXDIE.

VII. LES FRAIS DE CONTRAINTES

De nombreux règlements, avant 1661, avaient été publiés pour tarifer et contrôler les frais des huissiers. Mais, comme on l'a vu par les exemples de Mochon, de Hallot et deNainville, ils étaient tombés en désuétude, si bien, dit Colbert en 1661, « qu'en beaucoup de provinces les frais ont égalé et mesme surpassé le principal de la taille1 ». Un arrêt du Conseil du 23 novembre 1662 prescrivit aux intendants « de s'informer soigneusement de ce qui se pratiquoit... pour les taxes des salaires des huissiers et sergens des tailles, des abus qui s'y commettoient, et de donner sur ce leurs avis pour le soulage- ment des contribuables », et les élus de leur côté eurent ordre de taxer soigneusement les frais*. A la suite des rapports reçus, Colbert expédia la déclaration du 12 février 1663, qui interdisait aux huissiers de se faire payer eux-mêmes, sans avoir fait taxer leur travail par l'intendant ou les élus, ajoutant que les taxes devraient être « raisonnables ... en sorte qu'ils [les huissiers] puissent subsister et les contribuables être soulagez3 »; puis, sur les remontrances de la Cour des Aides de Paris *, il fut décidé par un nouvel arrêt du conseil du 4 juillet 1664 que les salaires des huissiers seraient « réglez au bureau de l'Election, le pro- cureur du roi présent, selon le travail utile desdits huissiers5 ». Les intendants n'eurent donc plus à connaître, régulièrement, de ces taxes6. Mais ils s'autorisèrent néanmoins de leur pouvoir général de surveillance sur toute l'administration pour inter- venir en toutes circonstances7.

Le même arrêt du Conseil du 4 juillet 1664 enjoignait aux receveurs de tenir un registre « coté et paraphé parle président [de l'Election] et le procureur du roi », pour y inscrire « les

1. Clém. VII, 198.

2. D'après le préambule de l'arrêt du 4 juillet 166'j, C. d., T. I, p. 549.

3. Ibid., p. 507.

4. Ibid., p. 513.

5. Art. 13. La même clause fut reprise dans la déclaration du 20 août 1673, spé- ciale à la Normandie, Art. 8 : « Les frais et salaires des huissiers et sergens des tailles seront taxez au bureau de l'Election, sans frais, en présence du receveur en exercice, pour connoitre si les deniers qui ont provenir des diligences desdits huissiers auront été portez en recette. >

6. Pour le ressort de Paris, le règlement du 20 mars 1673 disait que les frais seraient taxés par les Elections suivant un tarif établi par les intendants et « affiché à la porte du bureau de l'Election ». Antérieurement ù cette date, le tarif était dressé par la Cour des Aides : un de ses arrêts, dn 5 octobre 1665, avait fixé à 18 sous le prix d'une exécution, 30 sous celui d'une vente ou d'un emprisonne- ment. (B. N. fr. 11096, f 20.)

7. Le règlement du 4 juillet 1664 remettait du reste aux intendants, en même temps qu'aux élus, le soin « de tenir la main à l'exécution du présent règlement » et d aviser le roi des contraventions, « pour sur ce y pourvoir selon les occur- rences, par des arrêts et réglcmens particuliers, selon l'usage de chacune pro- vince » (Art. 20.)

LES FRAIS DE CONTRAINTES. 469

procès-verbaux faits contre chacune paroisse en particulier, les paiemens faits ausdits huissiers pour leurs salaires, et les rem- boursemens que les collecteurs en auront faits ausdits rece- veurs1 ». D'autre part, les huissiers et sergents devaient « déclarer au grèfe des Elections le jour de leur départ et celuy du retour, et y donner un état certifié d'eux des exploits par eux faits durant leur voiage, dont ledit gréfier sera tenu de tenir registre et de le représenter chacune semaine au bureau de l'Election, pour être paraphé par le président ou le plus ancien oficier qui se trouvera audit bureau, et par le procureur du roi2 ». Les taxes étaient faites d'après ces états; aucune somme ne pouvait être payée si elle n'y était inscrite.

Voici, à titre d'exemple, le début d'un état remis par un ser- gent de l'Election de Vire en 1673 3 :

« Ensuit par cy-apprais les escros que faict et met en recepte Anthoine Turgis sergent royal et commissaire des tailles en élection a Vire comme il ensuit.

Premièrement : Bellon. Le 26e juillet 1673, executtion faite des biens des

asseeurs de ladite paroisse. Submission à* 80 1.

Le 7e jour de septembre 1673, emprisonnement de Guillaume

Lasles. Le 4e jour de novembre audit an, emprisonnement de Nicolas

Dolley. Le 26e janvier 1674, emprisonnement de Guillaume Richard.

Pont-Farcy. Le 10e jour d'avril 1673, executtion faitte des

biens des asseeurs; submission de 50 1.

Le 1er d'àoust audit an, executtion faitte des biens des asse- eurs, submission 80 1.

Le 5 septembre audit an, executtion faitte des biens des

asseeurs, submission 100 1.

Le 3e novembre audit an, emprisonnement de André Lefebvre s.

L'arrêt du Conseil du 4 juillet 1664 interdit encore aux huis- siers de surseoir à la vente des biens saisis, passé les délais fixés, leurs salaires ne doivent être taxés par les élus « qu'en justifiant de ladite vente ou de la main-levée des receveurs, ou que lesdits receveurs aient reçu la valeur desdites choses sai-

1. Art. 15.

2. Art. 4.

3. A. D. Calv. Election de Vire. Voir, ibld., huit états semblables, remis à l'Election par les autres huissiers.

4. C'est-à-dire qu'il s'est trouvé une caution pour s'engager à payer 80 1. au rece- veur, ou à représenter les biens saisis.

5. L'état compte au total 55 exploits, échelonnés du 10 avril 1673 au 24 février 1674, et portant sur 13 paroisses. Au bas est la taxe des frais : 122 1. 17 s. (Arch. Calv., Election de Vire).

470 LA TAILLE EN NCMIM ANIME.

sies » (art. 8). Ils ne peuvent « forcer les collecteurs direc- tement ou indirectement à se servir d'eux pour la collecte sur les particuliers contribuables, sinon contre ceux de difficile discussion », (art. 9)1, ni « se faire défraier aux cabarets », (art. 10) ni « recevoir aucuns deniers des collecteurs sous prétexte de les porter en recette » (art. 12) '.

Dans leurs mandements, les intendants rappellent souvent les règlements et en ajoutent de nouveaux. Celui de Rouen, en 1672, prescrit aux huissiers de « jurer » leurs états « véritables », leur défend de se pourvoir ailleurs qu'aux Elections pour se faire taxer, « et en cas de fausse date à l'effet de multiplier leurs salaires, seront punis comme faussaires' ». Voici les formalités prescrites par celui de Caen pour les registres des greffes des Elections : « sur chaque feuille on y porte une paroisse comme sur le registre sommier de la recette, et après que le receveur a donné sa contrainte à l'huissier, cet huissier vient registrer les diligences qu'il a faites au feuillet de sa paroisse... et le rece- veur examine les contraintes par luy décernées avec les dilligences faites par les huissiers, et les payemens que leurs dilligences ont fait procurer; s'il trouve par l'examen exact qu'il en fait que les dilligences de l'huissier n'ayent pas produit leur effet, il raye sur ledit registre les dilligences qui se trouvent n'estre pas utilles* ».

Il est peu de matières sur lesquelles Colbert ait fait plus de recommandations aux intendants que sur les frais de contraintes.

« Vous savez, écrit-il à Marillac en 1674, qu'il n'y a rien de si grande conséquence que d'empescher que les peuples ne payent rien que ce qui vient directement au roy, et de retran- cher par toutes sortes de moyens tout ce qui tourne au profit des particuliers; c'est a quoy vous devez, s'il vous plaist, donner une application tout entière5. » Examinez avec soin, dit une circulaire de 1680, « les frais qui sont faits tant a l'esgard du receveur envers les collecteurs, qu'a l'esgard de ceux-cy envers les taillables. Comme c'est une matière dans laquelle il s'est toujours glissé une infinité de friponneries,

1. L'intendant de Rouen, dans son mandement de 1672, interprète cet article en défendant aux huissiers et sergents « de s'abonner avec les collecteurs pour la levée des deniers de la collecte des paroisses, sauf ausdits collecteurs de se faire assister d'un desdits huissiers s'il est jugé nécessaire par les élus, le procureur du roy et le receveur des tailles appelez, et le requérant ». (A. D. S.-Inf., C 2215.) _2. Sur le détail de ces procédures de saisie, voir Lange, La nouvelle pratique civile et criminelle, éd. 1706, liv. IV, chap. xxxVm.et La Poix de Freminville.CoTM/na- nautét d'habitants, p. 247 et suiv. ; Vieuille, p. 312 et suiv.; La Barre, Formulaire, liv. I, ch. v, etc.

3. A. D. S.-lnf.. C. 2215. CI", ibid., C. 2098, le mandement de 1062; B. N. fr. 876P1' f 27, celui de 1676, et ceux de la généralité de Caen. A. D. Calv., Election de Caen.

4. Mémoire sans date (postérieur à 1680), A. N. G7 213.

5. Clém., II, 322.

LES FRAIS DE CONTRAINTES. 471

vous ne scauriez donner trop d'application pour les pénétrer1 ». « Il est nécessaire, écrit-il à Breteuil, que vous ayez tousjours une esgalle application pour diminuer ces frais, et travailler tousjours par tous moyens possibles au soulagement des peuples2. » Le 10 octobre 1670, il écrit à Chamillart :

« Ce qui m'a surpris a esté de voir les frais se monter à 12000 et tant de livres en huit élections, vous pouvant assurer qu'il y a à présent plus des deux tiers des généralités dans lesquelles les frais ne montent pas à 3, 4 ou 500 livres au plus dans chaque élection : c'est à quoy il faut que vous preniez bien garde, parce que assurément les frais que vous voyez monter à 12 000 livres en produisent une et deux fois autant à la charge des peuples. Je ne doute pas qu'à l'avenir vostre application ne remédie à ce mal, qui est très considérable 3. »

En vain les intendants invoquent la nécessité primordiale de faire rentrer les impôts : le ministre n'admet pas cette excuse à des frais excessifs. Celui de Rouen lui ayant écrit le 18 sep- tembre 1670 que les receveurs, exhortés à ne pas se servir des contraintes, s'excusaient « presque tous sur l'impuissance et mauvaise volonté des peuples* », s'attira cette réponse :

« L'excuse... n'est pas bonne, vu que les trois généralités de Normandie ont esté autant et plus soulagées qu'aucune autre, et qu'il me semble que les peuples y travaillent davantage et sont fort ponc- tuels à payer. Je vois que dans toutes les autres généralités, lesdits receveurs se servent fort peu de contraintes, en sorte que pour peu qu'ils ayent d'industrie et d'application, et que l'imposition soit bien faite, il y a beaucoup d'apparence qu'ils n'auront pas besoin d'avoir recours a ces rigueurs, en quoy consiste particulièrement le plus grand soulagement que l'on puisse donner aux peuples. Comme le roy n'a rien tant a cœur que de leur en procurer, l'intention de S. M. est que vous donniez toute l'application nécessaire pour faire cesser ces contraintes 5. »

Finalement, l'intendant dut reconnaître « que la cessation des contrainctes dépend plus de la conduite des receveurs que de tous les soins que l'on en peut prendre, et qu'il seroit néces- saire que tous ceux qui le sont en tiltre résidassent sur les lieux, et que les receveurs généraux commissent des personnes de probité ailleurs6 », et l'année suivante, il se rangea tout à

1. Cléui., H, p. 133.

2. Lct. à Breteuil, 23 octobre 1681, B. mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 422. Cf. les lettres et circulaires de Colbert des t> août, 16 octobre et 18 novembre 1682, ibùl., t. III, pièces 355, 468 et 529 : « travailler continuellement à diminuer ces frais »; « délivrer les peuples de toutes les oppressions qu'ils souffrent » sont les expressions qu'il emploie le plus souvent. Voir aussi Depping, III, p. 289.

3. Clém., II, 74.

4. Analyse de sa lettre, Glairamb., 792, p. 319.

5. Clém., II, 74, lettre du 26 septembre 1670.

6. C'est-à-dire dans les élections il n'y a pas de receveur en titre. (Analyse de sa lettre du 29 septembre, Clairamb., 792, p. 337).

,-j LA TAILLE EN NORMANDIE.

lait ii l'avis du ministre : « Il est certain, Monsieur, que la diminution des frais et des emprisonnemens des collecteurs dépend de la bonne conduite des receveurs1 ».

Sur la fin de sa vie, comme les recouvrements devenaient de plus en plus difficiles, Colbert imagina un expédient ingé- nieux pour amener les receveurs à réduire le plus possible Tes frais : c'était de refuser de confier la recette à ceux qui en auraient trop fait, et de distribuer des gratifications à ceux qui en auraient fait le moins. Le 1er septembre 1680, il écrivit aux intendants :

« L'un des moyens les plus seurs dont S. M. voudroit se servir pour retrancher ces abus seroit d'oster l'exercice au receveur des tailles qui se trouveroit le plus coupable de vostre généralité, et commettre à son exercice pour l'année prochaine. Cette punition pro- duiroit asseurément le retranchement de la plus grande partie de ces friponneries. S. M. pourroit bien y ajouter une gratification au rece- veur des tailles qui mesnageroit le mieux son eslection et qui feroit le moins de frais •. »

Les trois années suivantes, le même ordre fut renouvelé3. Les intendants devaient envoyer l'état des frais annuels de chaque receveur au contrôleur général, qui distribuait les punitions et les récompenses. « Rien ne peut estre d'une plus grande utilité pour le soula-

f rement des communautés, écrit l'intendant de Caen au reçu de a circulaire de 1680, que d'empescher ces abus, et cet expé- dient est asseurément le meilleur comme le plus présent, et a cause de l'extrême longueur des procès de cette nature quand on y veut entrer », et il signalait le receveur de Mortain, nommé Caillot de la Frictière, qui avait été dépossédé de son exercice en 1678 « pour les grands abus et désordres qui se sont trouvés dans cette eslection » ; une douzaine d'huissiers employés par lui étaient sous le coup de poursuites judiciaires ; « comme il pourra arriver, ajoute l'intendant, que vous serés extrêmement sollicité cette année pour son restablissement a cause de son année d'exercice qui est en 1681, j'ay cru vous devoir envoyer coppie de l'arrest rendu lors au Conseil, affin que vous puissiés connoistre de quelle conséquence il seroit de le remettre en exercice4 ». Colbert n'hésita pas à faire un exemple sur la per- sonne de ce receveur, en même temps qu'il accordait une grati-

1. M. C. 157, f 37.

-• Clém., H, 133. Publié aussi, mais avec quelques variantes, dans Depping, III, p. 39. Cf. les lettres dans le même sens à Tubeuf, Ie' et 15 août 1680, Clém., II, 137 et 140 note.

3. Circulaires des 25 sept. 1681 (Clém., II, 167), 16 octobre 1682 (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 468) et 11 juin 1683, Clém., VII, 2t8.

4. Let. du 11 juin 1680, A. N. G? 213. Cf; sa lettre du 15 août suivant, ibid.

LES FRAIS DE CONTRAINTES. 473

fication à son voisin, de l'élection de Vire. Une circulaire du 25 septembre 1681 donna la publicité nécessaire à ces sanc- tions :

« S. M. ayant reconnu dans la généralité de Caen que le receveur de Mortain avoit fait plus de frais qu'aucun autre receveur de cette généralité, et que le sieur de Martilly, receveur de l'élection de Vire, en avoit fait très peu, Elle a fait destituer le premier et donner 400 1. de gratification au second. S. M. veut que vous vous serviez de cet exemple pour faire, s'il est possible, la mesme chose dans vostre généralité, et exciter, par ce moyen, les receveurs des tailles à faire à l'envy le moins de frais qu'il se pourra '. »

Dans la généralité de Rouen, on ne trouve aucun receveur destitué ni gratifié. Leblanc écrivait le 9 septembre 1681 que la mesure lui paraissait inutile, parce que « les receveurs en usoient assez bien » ; la menace de punition était suffisante pour les retenir2. Dans celle d'Alençon, en juillet 1682, De Bouville proposa pour une gratification le receveur de Bernay, qui avait déjà perçu à cette date, chose extraordinaire, « presque la moitié de la taille », en ne faisant que 406 1. de frais. « Il est certain, disait-il, qu'il ménage fort les peuples; il n'a que deux huissiers, et j'ay tousjours trouvé sa conduite fort régulière. » Mais Colbert, ayant examiné l'état des frais dressé par le même intendant, crut remarquer qu'un autre receveur, celui d'Ar- gentan, avait fait encore moins de frais : « Vous jugerez facilement, répond-il à de Bouville, qu'il seroit d'une perni- cieuse conséquence de faire une gratification a un autre qu'à celuy qui en a fait le moins ; c'est a quoy il est bien nécessaire que vous fassiez reflexion, et, de plus, que vous observiez avec soin s'il n'y a point d'autres frais que ceux qui sont taxés par les officiers de l'Election3 ».

1. Glém., II, 168. Cf. la réponse de l'intendant de Bourges à cette circulaire, le 6 octobre 1681 : « Je ne manqueray pas, Monsieur, de faire connoistre aux rece- veurs des tailles de cette généralité la justice que le roy a fait dans la généralité de Caen... pour les exciter par cet exemple à faire moins de frais qu'il se pourra. » (A. N. G'' 124.)

2. A. N. G? 491. Cf. une autre lettre de Leblanc, du 24 octobre 1682, B. N. fr. 8761, 69, v°.

3. Glém., II, 212. Colbert faisait erreur : d'après son compte, le receveur de Bernay « sur 60 000 1. qu'il a reçues sur 80 000 a fait pour 406 1. de frais, et celuy d'Argentan pour 203 996 1. n'en a fait que pour 253 1. » Quand on se reporte à l'état dressé par M. de Bouville, on voit que le receveur d'Argentan, sur une imposition de 165 230 1. n'avait reçu que 61 234 1.; la différence, 103 996 1. res- tait à percevoir. Colbert avait donc pris la somme restant due pour la somme perçue. (A. N. G7 71.) On ne trouve pas de rectification de la part de l'intendant.

Après Colbert, le système des récompenses et punitions aux receveurs subsis- tera quelques années. Le receveur de Bayeux est privé de son exercice en 1686 pour l'excès des frais qu'il a faits ; « c'est, écrit l'intendant, le plus grand soula- gement qu'on puisse procurer aux peuples après celuy qu'ils tiennent de la bonté du roy ». On abandonnera ensuite le système, mais le Régent le reprendra en 1715 : « Je me propose, écrit-il aux intendants, d'accorder une récompense cbaque année à un ou deux receveurs en cbaque généralité qui se trouveront avoir

LA TAILLE EN NOItM ANDIE.

Il n'était pas facile en effet de connaître le montant des frais réellement faits. D'abord il n'y avait pas de tarif uniforme et tiv. du moins en .Normandie. Le 19 septembre 1681, Colbert rr« oinmandait aux intendants d'examiner avec soin « les moyens dont on peut se servir pour faire en sorte que les frais se taxent tous les mois par les officiers des Elections [et] qu'ils ayent des règles certaines pour cela1 ». L'intendant de Rouen lui répondait que dans son département « les receveurs des tailles mesnagent assez bien leurs eslections et ne font point de frais extraordinaires2 ». Par contre, son collègue d'Alençon note, le 1er septembre 1683, que le receveur d'Argentan, « lequel prêtant ne faire que pour 2000 1. de frais », opère sans aucun ordre : « il ne fait viser que sa première con- trainte, il ne fait taxer les frais que de six en six mois, il ne rend point les originaux des diligences aux collecteurs, et il employé cinq huissiers titulaires, qui n'en usent pas mieux que ceux des autres eslections3 »; celui de Bernay, noté comme très bon, néglige de a donner aux collecteurs les originaux des dili- gences taxées par les eslusv », de sorte que les pauvres collec- teurs ignorent s'ils doivent ou non ce qu'on leur demande pour frais de contraintes; il en est de même à Conches, à Dom- front et a Lisieux.

Aux frais d'huissiers proprement dits s'ajoutaient d'ailleurs, depuis l'édit d'août 1669, ceux de contrôle des exploits5, mon- tant à 5 s. par acte6, ceux de papier timbré, et les frais arbi- traires de garde et nourriture des bestiaux saisis 7. Il était dif- ficile de faire rendre compte du tout8.

apporté plus de ménagement dans les poursuites » ; en même temps il punira les élus et les receveurs qui abuseront de leurs fonctions. (A. N. AD'* 470, pièce 98, p. 06.)

1. Clém., VII, 269.

2. Let. du 29 octobre 1681, A. N. G" 492. Le 1" mai suivant il note que les receveurs de Pont de Lirche « sont d'assez honuestes gens et ne font que peu de frais ».(B. N. fr. 8761, 52.) Déjà le 6 juin 1671 L:i Galissonnière « asseure que les frais et les emprisonnemens sont en moindre nombre que par le passé * (Clairamb. 793, p. 13), et le 13 juin 1634 Marillac écrira : « On se plaint partout des frais et des exercices des commis des aydes, ceux delà taille ne me paroissent pas grands •. (A. N. G7 492). La généralité de Rouen était donc relativement bien réglée pour la perception de la taille.

3. A. N. G7 71.

4. Ibid.

5. Sur ce droit, voir Encyclo». mèlhofi., Finance», t. I, p. 376.

6. Cf. un mémoire de l'intendant de Gaen, 15 août 1680: les huissiers de Caen, pour épargner les frais, avaient l'habitude de ne faire qu'un exploit pour la saisie et la vente, et de ne pas faire de frais de garde ; mais les commis de la

erme du contrôle ne laissaient pas de percevoir les droits pour deux exploits. (A^ N. G' 213.)

7. L'intendant de Caen, en 1683, estime que les frais de papier timbré et de contrôle montent à environ un cinquième des frais totaux. (Mémoire du 23 novembre, A. N. G7 213.) Voir une ordonnance de Leblanc punissant de 300 1. d'amende un collecteur qui a écrit une exécution sur du papier non timbré. (B. N. fr. 8760, f 39.) Ces amendes étaient encore de lourdes charges pour les col- lecteurs.

8. L'intendant d'Alençon, en 1666, avait imaginé de donner aux huissiers 2 liards

LES FRAIS DE CONTRAINTES.

475

Les états de frais que nous possédons ne' doivent donc pas être acceptés sans réserves. Même si l'on suppose que les rece- veurs et huissiers n'y ont rien dissimulé, il faut observer que ces états ont été tous, sauf exceptions, arrêtés à une date l'imposition n'était pas entièrement recouvrée, et ce qui restait à percevoir nécessitait de nouvelles contraintes, plus sévères encore que les précédentes.

Pour ces motifs, nous devons considérer nos chiffres comme trop faibles en général. On va voir qu'ils atteignent cependant un taux énorme.

Voici d'abord un tableau résumant l'état des frais réguliè- rement taxés aux cinq huissiers ou sergents de l'élection de Vire pour la taille de 1673, entre le 5 décembre 1672 et le 13 avril 1674 :

Frais de l'élection de Vire, pour 1673.

NOMBRE

MONTANT

HUISSIERS

DATES DES EXPLOITS

DES

DES

EXPLOITS

FKAIS

Gilles Dupont ....

5 déc. 1672-21 mars 1673.

54

106 1.

Jacques Leconte

5-30 déc. 1672.

52

91

4 janv.-28 févr. 1673.

38

74 5 s.

7 mars-28 juin 1673.

53

99 15

5 juillet-26 oct. 1673.

70

127 15

Antoine Larozie

5 déc. 1672-8 mars 1673.

81

145 5

Jean Lenepveu.

5 déc. 1672-28 févr. 1673.

66

119

27 févr.-13 avril 1674.

11

11

3 mars-30 juin 1673.

60

110 15

1er juillet-17 oct. 1673.

39

70 10

Antoine Turgis

10 avril 1673-24 févr. 1674.

55

122 17

Toi

"AUX

579

1078 1. 2 s.

On voit par la liste détaillée de ces exploits qu'une même paroisse est exécutée cinq et six fois dans l'année; à la fin, les collecteurs sont emprisonnés (sur les 579 exécutions, on compte 55 emprisonnements). Il n'est aucune des 126 paroisses de l'élection qui n'ait vu au moins une fois l'huissier1. Et ce régime n'est pas extraordinaire : les règlements autorisent jusqu'à une exécution par collecteur et par mois2; en certaines régions les

pour livre, soit 2,50 p. 100, des sommes qu'ils feraient « sortir » (M. C. 138, ï° 212), mais Golbert désapprouvait ce procédé, à en juger du moins par une de ses lettres à l'intendant d'Amiens en 1682 : « c'est asseurement, disait-il, un abus qui ne peut estre souffert ». (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 555.)

1. On peut calculer que la moyenne des exploits par paroisse est de plus de 4.

2. Mandement de l'intendant de Rouen, en 1672: « Défendons aussi très expres- sément ausdits receveurs et commis d'envoyer lesdits huissiers plus d'une fois le mois chez un mesme collecteur, ny de fatiguer lesdits collecteurs et contri- buables par des courses extraordinaires, sy ce n'est pour cause raisonnable, et de l'ordonnance des esleus. » (A. D. S.-Inf., G 2 215.)

'.:»,

LA TAILLK KX Xolt.MAXDIE.

peuples se trouveraient heureux si le nombre réglementaire n'était pas dépassé1.

Les biens saisis, quand ils sont indiqués sur l'état, sont géné- ralement des vaches ou des chevaux : on prend une vache pour 20 ou 25 livres d'impôt arriéré, en moyenne : à Saint-Sauveur de Chaulieu, le 30 août 1G73, l'huissier saisit deux vaches pour 30 livres; à Pontécoulant, le lendemain, deux vaches pour 20 1.; à Rouvron, par deux fois, les 20 et 26 octobre 1673, on saisit deux vaches pour un arriéré de 15 1. Des troupeaux de 8, 10 et 12 bêtes sont parfois saisis d'un coup, sans opposition ni protestation de personne2.

D'autre part, nous avons des états de frais dressés sur la fin de notre période par les intendants. Voici le résumé de ceux que nous possédons pour les deux généralités de Rouen et Alençon :

Généralité de Rouen.

ÉLECTIONS

1678 3

1679*

IMPOSITION

SOMME PERÇUS

FRAIS

IMPOSITION

FRAIS

Caudebec. . . . Chaumont . . .

MontÏTilliers . . Neufchàtel . . . Pont-Audemer. . Pon t-de- Larche. Pont-L'Evêque .

Totaux. . .

160 000 1. 321 700

275 000

153 000 178 000

190 300 98 000

222 000

154 000 339 500 141 000

191 500

276 000

150 3831. 284 031, 9 s. 243 942, 6 s.

(6)

95 878, 3 s. 216 265 127139,18s. 290 000 116 807, 5 s. 162 664,19 s. 245 852

3 2001. 5 476

4 810 3 514 3 600 3 882

890, 10 s. 3 546 3 202

3 825

2135, 5s. 1710, 15s.

4 560

140 300 1. 282100 225 800

133 200 152 300 168 500

84 000 182 700

134 300 281 900 115 700 171 700 230 833

1 250 1. 1475

2 033

1157, 17s. 1350 1159

560 1532 1132 1360

590, 5 s. 1011 1691, 18 s.

2 700 000 1.

44 3511.108.

2 303 333

16 3021.

1. Let. de Barin de la Galissonnière à Colbert, 15 déc. 1664, M. C. 126, f" 351.

2. A. D. Calv. Election de Vire, États des exécutions et écrous faits pour M. Gilles Turgis, receveur particulier. Sur la passivité des contribuables voir une lettre du lieutenant général de Basse-Normandie, du l*r février 1695 : En ce pays, la soumission des peuples « est telle, qu'un seul homme se disant officier ou sergent prend tout ce qu'il veut dans les villages, sans qu'ils osent s'y opposer et viennent à moi aux plaintes. » (De Boislisle, Mcm. de C intendant de Paris, p. 457.)

3. Etat arrêté au 30 juin 1679 (A. N. G7 491). Dans les frais sont compris les droits de contrôle d'exploits et de papier timbré.

4. Etat arrêté le 23 juillet 1679 (ibtd.). La somme reçue à cette date n'est pas indiquée.

5. Les trois receveurs de Chaumont, Evreux et Gisors faisant leurs versements à Paris, l'intendant n'a pu savoir combien ils avaient reçu.

LES FRAIS DE CONTRAINTES.

477

Généralité d'Alençon *.

ELECTIONS

Alençon Argentan

Bernay .

Conches

Domfront Falaise .

Lisieux. Mortagne

Verneuil ,

IMPOSITION

1678 1681

140 233 1

118 400

16T8 1679 1681 1682

186 400

164 400 161 600

165 230

1678 1679 1681 1682

161 300 136 300 132 800 135 312

1678 1679 1681 1682

188 900 158 900 153 133 158 568

1678 1679

112 200 94 200

1678 1679 1681 1682

226 100 195 100 190 600 194 955

1678 1679

156 100 136 100

1678 1681 1682

396 800 312 400 314 390

1678 1681 1682

135 300 107 300 109 676

SOMME PERÇUE

131 233 1.

113 600

166 400 .

46 375 142 057

61 234

150 300 44 500

127 230 58 743

180 947

56 700 150 483

76 000

101 588 37 980

203 500

54 450 177 800

64 000

148 479

47 099

288 650 285 047 139 768

124 221

101 000

39 000

3 038 1. 2-000

1 902

332 1 580

253

1424 853

1 946 520

4Q77 789

2 875 1 500

1497 298

1688 387

1 607 558

2 906 595

3 179 2 969

664

2 049

2 242

637

Si l'on calcule, d'après ces tableaux, le rapport entre les frais et les sommes perçues, on arrive aux résultats suivants :

Dans la généralité de Rouen en 1678 (non compris les trois élections d'Evreux, Chaumont et Gisors), la plus faible pro- portion se trouve à Lyons (9,28 p. 1000), et la plus forte à Neufchàtel (25,18). L'écart entre ces deux chiffres est d'autant plus remarquable que la somme recouvrée, à Lyons, égale 97,8 p. 100 de l'imposition2, tandis qu'à Neufchàtel elle ne monte qu'à 82,5 p. 100.

1. Etats envoyés par l'intendant de Moran^is, A. N. G7 71. '■lies états pour les deux années 1678 et 167'J sont arrêtés au 24 juin 1679, ceux des années 1681 et 1682 le sont à des dates variant, suivant les élections, entre le 8 juillet et le 3 août 1682.

2. Noter qu'en cette élection sévissaient des huissiers qui violentaient extrême- ment les contribuables (ci-dessous, p. 482).

/,78 LA TAILLE EN NOHMANDIB.

A Aliiirun. la même année, les proportions sont à peu près les mêmes : 8,3 p. 1000 pour le plus bas chiffre Falsisi 2.Ï.1 pour le plus haut Alençon), mais la somme recouvrée s'élève à 90 p. 100 de l'imposition dans la première élection, «■t ii 5)3,5 dans la seconde. Pour l'année 1681, dans les 7 élec- tions dont nous avons les chiffres, c'est encore Falaise qui a la plus faible proportion : 9 p. 1000 (93,2 p. 100 perçu); la plus forte est à Verneuil : 22,2 (94, 1 p. 100 perçu).

La proportion moyenne, dans l'ensemble de chaque généra- lité, est la suivante : Rouen en 1678 : 17,25 p. 1000. Alençon, 1678, 15,13; Alençon, 1681, 14,95.

Lorsqu'on considère les années pour lesquelles une faible partie de l'impôt seulement est perçue, comme 1679 et 1682 à Alençon, on a des frais proportionnellement moins élevés : 19,7 pour 1000 à Conches en 1682, quoique moins de la moitié de la taille soit payée, 16,3 à Verneuil la même année, pour percevoir le tiers environ de l'impôt, tandis qu'à Mortagne on a 4,7 p. 1000, avec une recette de 44,5 p. 100 de l'impôt, et 4,1 à Argentan pour 37 p. 100 de l'impôt.

Tous ces chiffres sont très élevés : aujourd'hui, avec des non-valeurs presque insignifiantes, on recouvre tout l'impôt foncier avec moins de 2 p. 1000 de frais : au temps de Colbert, on jugeait excellente une perception les frais étaient de 9 p. 1000, avec des non-valeurs montant à 10 et 15 p. 100 de la la taille.

En général, le taux des frais ne varie guère d'une année à l'autre dans une même élection. Dans la généralité d' Alençon, Falaise et Argentan ont habituellement les chiffres les plus faibles, Verneuil et Conches les plus forts. A ce résultat ne sont pas étrangers les soins plus ou moins grands apportés par les receveurs au recouvrement. Ainsi l'élection de Falaise a pour unique receveur le sieur Hélie, sur lequel un intendant fait le rapport suivant en 1680 : « Quoiqu'il ait 235 paroisses, dont la moitié est en très meschant pays, il n'y a aucun receveur des tailles qui fasse moins de frais... Il ne fait aucun prison- nier, si ce n'est des collecteurs retentionnaires des deniers de la taille * », et un autre intendant, en 1683 :

« Il n'a d'autre règle que celle qu'il veut bien s'establir, car il est le maistre de faire autant de frais qu'il luy plaist, de mesme que dans les autres eslections, mais il prêtent qu'il n'en fait par chacun an que pour douze a quinze cens livres, et effectivement cela paroist par ses registres, et sy cela est, les quatre huissiers qu'il employé, dont trois sont titulaires, ne gaignent pas de quoy subsister, néantmoins il y a apparence qu'il dit vray, car les collecteurs ne se plaignent point, et tout le monde se loue fort de luy 2 ».

1. Rapport du 22 juillet 1680, A. N. G? 71.

2. Rapport du 1" septembre 1683, ibid.

LF.S FItAIS DE CONTRAINTES. 479

D'après les mêmes rapports, on voit que la modicité des frais à Bernay est due aux deux receveurs qui sont « fort honnestes ». et particulièrement le sieur Dalzac, qui « ne fait point de prison- niers, et ménage fort son élection ». Au contraire les receveurs de Conches « paroissent médiocrement instruitz à la manière de faire des recouvremens, et d'ailleurs comme ils n'ont pas la force de faire quelques avances, ils pressent les collecteurs un peu rigoureusement, de sorte qu'ils font beaucoup de frais, et qu'ils emprisonnent souvent les collecteurs, lesquelz ne faignent pas de s'en plaindre, et surtout de ce qu'ilz payent pour les frais telle somme qu'il plaist aux receveurs, sans scavoir s'ils la doivent1 ».

Mais les frais ne sont pas toujours en rapport avec le zèle des receveurs : à Alençon, le taux est de 23,1 pour 1000 en 1678 et de 17,6 en 1681, les deux receveurs « paroissent fort hon- nestes gens2»; à Verneuil, « eslection fort ménagée par le rece- veur3 », le taux est de 16,5, 22,2, et 16,3 pour les années 1678, 1681 et 1682; à Mortagne, les frais pour 1678 ne montent qu'à 11,1 les commis à la recette sont accusés de mettre leur élection au pillage4. Golbert, frappé de ces anomalies, craignait qu'elles ne fussent imputables à des états de frais mensongers. C'est pourquoi il attira l'attention des intendants sur ce point.

Veillez, leur écrit-il, à ce « qu'il ne se fasse aucuns frais que ceux qui seront taxez »; faites « un exemple » des receveurs et huissiers fautifs; dites-moi si vous avez, pour établir vos chiffres, « seulement examiné les frais taxés par les officiers des Elections, ou si vous estes entré plus avant et si vous avez examiné les frais qui se font au delà de ces taxes, par friponneries, con- cussions et autres mauvaises voyes, parce que si vous n'avez examiné que les frais taxés par les officiers des Elections, il est assez difficile de croire que les receveurs et les huissiers se soyent contentés de ces frais, dans lesquels il y a toujours quelque règle5 ». Deux intendants, qui ont suivi cette instruc- tion, ayant trouvé « une infinité de ces abus et concussions », Colbert écrit encore dans une circulaire :

« S. M. m'a ordonné de vous écrire qu'Elle désire que vous donniez une entière application à les découvrir [ces abus] dans l'étendue de vostre généralité, voulant que l'application que vous y donnerez soit telle qu'Elle ayt la satisfaction de délivrer ses peuples de toutes les oppressions qu'ils souffrent. Ne manquez donc pas de vous y appliquer, soit dans le reste de la visite que vous faites, soit lorsque vous ferez

1. Rapport de 1633, A. N. G' 71. Cf. ibid. la lettre du 25 mai 1683, et ci-dessus, p. 438.

2. Ibid.

3. Rapport de 1CS0.

4. Ibid.

5. Glém., VII, 269. Circulaire du 19 septembre 1681.

480 LA TAILLE EX NOKMAXDIE.

le département des tailles, et par tous les moyens que vous estimerez convenables pour découvrir ces désordres '. »

Mais comment faire ce contrôle? Leblanc, à Rouen, assure qu'il prend lui-même « des mémoires » lors de sa visite dans les élections2; il compare ses états avec ceux des huissiers et des greffiers3, pourvoir s'ils sont tous concordants; il intervient personnellement auprès des receveurs pour empêcher les Irais « extraordinaires* ». En 1681, « ayant appréhendé que quelques estats ne l'eussent pas assez justes », il les a « renvoyez sur les lieux a des personnes seures, pour [s'en] esclaircir5 ». Ce ne sont pas des procédés administratifs bien sûrs. En 1682, de Morangis, intendant d'Alençon, affirme qu'il a pris toutes les mesures possibles pour assurer l'exactitude des états qu'il envoie6 ; cependant son successeur écrit l'année suivante : « M. de Mo- rangis a pris un fort grand soin d'empescher les frais des rece- veurs des tailles, et je croy qu'il s'en est peu fait les années der- nières, mais néantmoins, comme il a suivi la mesme méthode que M. Colbert avoit introduite, dans laquelle il pouvoit y avoir quelques abus si les receveurs n'estoient pas honestes gens et qu'ils voulussent s'accommoder avec les huissiers, parce qu'il seroit difficile de s'en appercevoir, il me semble qu'il seroit bien à propos que je pusse scavoir précisément la quantité des frais par autres que par eux-mesmes7. » Mais de Bouville reconnaît lui-même que ce contrôle parfait est irréalisable. Un mois plus tard il écrit en effet qu' « il est impossible de scavoir la vérité sur les frais qui ont esté faits, et il faut en croire les receveurs; mais il m'a paru qu'il s'en fait beaucoup, si on en croit les collecteurs, que j'ay tous entendus8 ».

Plus tard, Lallemant de Lévignen assurera que, « faute d'avoir infligé quelques peines pécuniaires a ces receveurs qui n'accuse-

1. Circulaire du 6 août 16*2, Clém., II, 203. Cf. les lettres de Colbert à Levayer, ibid., p. 210 et à Breteuil, Bibl. Amiens, dis. 508, t. III, pièce ô'J'J.

2. Let. du 13 juillet 1676, B. N. fr. 8759, f 68.

3. Let. des 28 août et 13 septembre 1676, ibid., f 71 et 72.

4. Let. du 19 juillet 1678, A. N. G? 491.

5. Let. du 9 septembre 1681. ibid.

6. Mém. du 3 août 1682, A. N. G^ 71.

7. Let. du 2 avril 1683. ibid.

8. Let. du 3 juin 1683, A. N. G' 71. Le 16 septembre 1686 il écrira : « Les frais pour le recouvrement des tailles paroissent diminuer considérablement, et je puis vous assurer que cette année ils n'excéderont pas 14 0001., sans que les huissiers ni les receveurs m'en puissent cacher aucuns; il n'en estoit pas de mesme avant 1 ordonnance que j'ay rendue pour cela, car quoyqu'en 1683 que le roy ne fit l'hon- neur de m'envoyer dans cette généralité, les irais paraissent avoir monté a près de 22 000 1., comme on ne le savoit que sur les registres des receveurs des tailles, il est difficile d'assurer qu'ils n'ayent pas monté plus haut, mais doresnavant, je le scauray avec certitude ».(lbid.) De Menais, intendant de Paris, écrit le 30 no- vembre 1682 que dans sa généralité « les frais sont diminués du tiers depuis deux ans.. (Mcm de l'intendant de Paris, p. 506.) Cf. Depping, III, 160-161, pour l'Anjou.

LES FRAIS DE CONTRAINTES. 481

roient pas juste, on ne peut compter sur ces états » de frais qu'ils remettent l.

En outre des receveurs, il fallait surveiller directement les huissiers. Pescheur, en 1665, assure qu' « ils reçoivent des collecteurs des gratifications qu'on ne peut empescher2 ». L'in- tendant de Chalons écrit en 1673 : « Les huissiers des tailles font autant de faussetés que d'exploits3 ». Le principal abus que De Marie observe dans la généralité d'Alençon en 1671, ce sont « les friponneries des huissiers4 ». En 1673, Colbert écrit à l'intendant de Rouen :

« Dans toutes les affaires qui nous reviennent des généralités, il n'y a point a présent d'abus qui ayt paru plus considérable au Conseil que celuydes sergens domestiques des receveurs des tailles, sous les noms desquels ils font taxer par les élus, qui sont de leur intelligence, les frais de courses et exécutions qu'ils appliquent a leur profit. Comme il a esté donné arrest au Conseil du 4 juillet 1664, portant règlement sur ce désordre, je vous prie de me faire sçavoir s'il est connu et s'il s'exécute dans la généralité de Rouen 5 ».

Mais les huissiers et sergents n'ayant d'autre salaire que celui de leurs exécutions, tendaient naturellement à multiplier leurs courses pour gagner davantage; les élus et receveurs les surveillaient sans zèle et sans intérêt0; les receveurs, pris entre la crainte de la punition et la nécessité de faire leurs verse- ments à temps étaient amenés à utiliser tous les subterfuges pour éviter tout dommage7. Enfin, et ceci est le motif le plus grave, les peuples étaient à ce point accoutumés aux contraintes, qu'ils les considéraient comme un procédé normal de perception; ils les attendaient tranquillement pour payer leur dû, y trouvant même l'avantage d'éviter une surcharge les années suivantes. « La pluspart des collecteurs, écrit l'intendant de Rouen en 1670, ne pensent à payer qu'à la vue du sergent8 »; « La crainte des frais, dit son collègue d'Alençon en 1679, est l'unique moyen pour obliger les collecteurs à faire les dilli-

1. B. N. fr. 7771, P 188, v°.

2. M. C. 33, f°291.

3. Glairamb., 794, p. 189.

4. Ibid., 793, p. 12.

5. Glém., II, 370.

6. La Cour des Aides, même, contrevenait aux règlements sur les frais. Barin de la Galissonnière écrit en septembre 1670 qu' « il seroit nécessaire de remédier aux taxe*s que la Cour des Aydes fait » des exploits d'huissiers pour la taille. (Glai- ramb., 792, p. 319.)

7. Cf. Lallemant de Lévignen : « La pluspart [des receveurs], pour avoir la recompense qu'ils n'avoient point dessein de mériter, ont toujours forcé leurs recouvremens dans les parroisses, et ces receveurs ont été récompensés des peines qu'elles ont souffert ». (B. N. fr. 7771, 188, v°.)

8. Clairamb., 792., p. 348. Cf. La Bruyère, Caractères, chap. De l'Homme : « Il faut des saisies de terre et des enlèvements de meubles, des prisons et des sup- plices, je l'avoue, mais justice, lois et besoins à part, ce m'est une ebose toujours nouvelle de contempler avec quelle férocité les hommes traitent d'autres hommes ».

LA TAILLE EN NORMANDIE. Ol

482 LA TAILLE KN NOItMANDIE.

gences nécessaires pour serrer les deniers1 » ; l'auteur d'un mémoire sur la Dîme royale de Yauban, écrira vers 1710 : Les collecteurs « essuient... les frais d'exécution des huissiers qu'ils pourroient éviter s'ils vouloient, parce qu'ils s'imaginent qu'a quelque chose que ces frais puissent aller, ils ne peuvent jamais égaler l'augmentation qu'on pourroit faire a la cottité de leur taille s'ils payoient sans estre contraints et exécutés2 ». Et l'intendant Basville déclarera au président du Conseil des finances le 26 décembre 1715 : « Que les peuples payent sans contrainte, c'est une idée a laquelle on ne parviendra jamais* ».

Aussi les méfaits des huissiers et sergents ont-ils continué pendant toute notre période.

En 1668, l'intendant de Rouen ayant fait emprisonner un huissier, le receveur de Rouen le fait évader, et continue de l'employer comme avant, « bien qu'il m'eust luy-meme reconnu, dit La Galissonnière, que c'estoit un fripon* ». Deux ans après il découvre que, dans la même élection, les huissiers pren- nent « leurs salaires sans taxe » ; et le receveur est de conni- vence, car le receveur général « ne luy donne ny gages ny appointemens », de sorte que sa rémunération provient unique- mentdes sommes qu'il se fait donner par ses huissiers 5. En 1680, Leblanc arriva un jour à Lvons la Forêt comme un huissier exé- cutait une contrainte solidaire délivrée contre la paroisse par la Chambre des Comptes, pour un arriéré de 14 1. J'ai trouvé, rapporte-t-il. « la vile plus en désordre que s'il y estoit passé deux bataillons »; l'huissier avait « touché 40 !.. et enlevé plu- sieurs bestiaux et meubles, et maltraité' quelques particuliers » ; il se hâta d'ailleurs de déguerpir à l'approche de l'intendant6; la Chambre des Comptes, avisée des faits, se borna à suspendre l'huissier pour un an7. Dans cette élection, ajoute Leblanc,

« tout le monde se plaint des huissiers de l'ordinaire, qui y font beaucoup de désordre; comme ce sont des misérables, ils ne se sont pas souciez des condamnations d'amande et des interdictions que j'ay prononcées contre eux; j'ay donné ordre d'en arrester pour déli- vrer le pays et pour faire exemple en les condamnant aux galères ». Mais le vice-bailli n'a « jamais eu l'esprit ny ozé les arrester... Ils alloient dans les maisons pour choses non deubes ou acquittées, enlevoient meubles, bestiaux, et tout ce qu'ils pouvoient trouver,

1. Mémoire de 1679, A. N. G" 71. De Bonville écrit le 18 octobre 1684 : « Je suis persuadé que si les peuples croioint que les receveurs eussent ordre de les moins- presser, ils se relascheroint, et le recouvrement se trouveroit fort reculé. » (A. N. G" 71).

2. Bibl. Arsenal, ms. 4067, 28. Cf. le Recueil d'Orsay, 61.

3. Publ. par de Boi*lisle, Mém. de l'intendant de Paru, p. 487.

4. Let. à Colbert, 24 octobre 1668, M. G. 149, t" 156-7.

5. Clairnmb., 792, p. 833 et M. C. 155, f 359.

6. Let. du 21 juillet 1680, A. N. G" 491.

". Let. du 31 juillet, avec l'arrêt de la Chambre, ib'id.

LES FRAIS DE CONTRAINTES. 483

sans laisser de procez-verbaux d'exécution, et pilloient impunément, estans protégez par quelques officiers de leurs parens, et ces exac- tions alloient a un tel excès, qu'un de ces huissiers, nommé Dufour, qui a du bien, ayant veu qu'il y avoit un décret de prise de corps contre luy, a rendu 800 1. en argent et quatre chartées de meubles; il y a encore beaucoup de gens qui en demandent autant. Les autres huissiers, pour intimider ceux qui se plaignoient, assassinèrent le 5 juin a minuit un médecin qui alloit voir un malade, et une heure après un meusnier, croyans que c'estoit des gens qui me venoient faire des plaintes. » Le procureur général du Parlement s'était offert pour et faire un exemple » contre un de ces huissiers; « luy ayant remis l'information entre les mains, trois semaines après on l'a eslargy sans aucune instruction ny jugement, et il recommençoit a fatiguer le peuple *. »

Dans l'ensemble de la généralité, les commissaires aux saisies se font payer, pour la garde et la nourriture d'une vache, 10 s. par jour, alors que la taxe réglementaire est de 8 d., et « les huissiers, qui sont d'intelligence avec lesdits commissaires, ne trouvent jamais de gardiens solvables, conduisent toujours les bestiaux et portent les meubles chez le commissaire, lequel ne laisse jamais sortir lesdits meubles et bestiaux qu'après com- mandement, sentences et exécutions; ce qui fait que, quelque nombre de bestiaux qu'il y ayt, il se trouve consumé par les frais de gardes et procédures, les propriétaires les perdent, et les créanciers n'en touchent rien2 ».

Quelques semaines auparavant, Leblanc écrivait à Colbert : « Ce n'est pas que, depuis que j'ay l'honneur d'exécuter icy vos ordres, je n'y aye pourvu ces abus], et que je n'en aye arresté le cours, mais il est nécessaire que vous y mettiez la dernière main, et que vous délivriez le peuple des vexations, qui luy sont plus a charge que la taille 3 ». Mais un an après, Colbert mourait, et la dernière main n'était pas mise à la réforme.

Dans la généralité de Caen, les choses se passent de même. En 1679 l'intendant instruit un procès contre les huissiers de Mortain pour leurs « désordres et pilleries » ; il découvre « la connivence et le peu de vigueur du feu procureur du roy de ladite Election, apellé Bourdon,... qui n'a jamais, voullu agir

1. Let. des 25 juillet 1630 (A. N. G" 491) et 13 juillet 1682 (B. N. fr. 8761, f 55). Cf. son autre lettre du 23 novembre 1676 : « Ayant receu plusieurs plaintes que Lecanteur, huissier, faisoit des concussions et enlevoit les bestiaux des paysans, sous prétexte qu'ils appartenoient a des particuliers compris au rolle du tiers et danger, et ensuitte se faisoit donner de l'argent pour le restituer, j'ay donné ordre de lui faire son procez. Il a exposé qu'un juge des lieux en haine l'avoit fait arre3ter; il a obtenu un arrest le 27 octobre qui ordonne qu'il sera mis hors des prisons », Leblanc demande à Colbert de pousser l'affaire, « estant de la der- nière conséquence, et d'autant que sous prétexte de recouvremens, il n'y a point de pilleries que cet huissier n'ayt faites ». (B. N. fr. 8759, 74.)

2. Let. du 15 novembre 1682, A. N. G^ 491.

3. Let. du 30 juillet 1682, B. N. fr. 8761, 62.

,s, LA TAILLE EN NOIIMANDIB.

contre cet pârticulieri : on prétend qu'estant beau-frère du receveur des tailles, appelé Caillot sieur de la Frictière, et cousin de Germain Josset, l'autre receveur des tailles, il ne vouloit pas embarrasser les huissiers et recors, crainte d'engager ses parens » ; un huissier et trois recors sont arrêtés, mais ce sont « les moins chargés » ; les autres prennent la fuite. Il n'y a du reste pas de fonds pour continuer le procès, et le rece- veur général a déclaré « qu'il ne vouloit point se rendre partie ». Il est extraordinaire, remarque à ce propos l'intendant, « que MM. les receveurs généraux évitent de fournir aux frais, lorsque l'on veut empescher le desordre et la ruine d'une élection ' ». Toujours est-il que le roi dut intervenir pour faire continuer les poursuites contre ces huissiers de Mortain; nous ne savons pas quelle en fut l'issue.

Dans la généralité d'Alençon, en 1679, l'intendant trouve, à Lisieux, un huissier « qui exigeoitde l'argent pour ne point faire de saisies ni de vendues, et qui, contre touttes les ordonnances, recevoit Iuy-mesme les frais » ; il le fait arrêter et juger, dans l'espoir que « cet exemple retiendra un peu l'avidité des huis- siers ». Mais un autre rapport, du 1er septembre 1683, nous fait connaître dans la même région une infinité de malversations, de faux et de voleries, de la part de ces personnages malfai- sants :

Les trois huissiers de l'élection d'Alençon « ne se transportent que rarement dans les parroisses, mais seulement dans les marchez, ou les collecteurs de toutes les parroisses voisines, mandez par un recors, ne manquent pas de se trouver, et la ilz font des saizies et ventes de bestiaux simulées, comprenans dans leurs procez-verbaux tout ce qui leur est marqué par les collecteurs, qui fournissent un adjudicataire, lequel se charge de payer dans la huitaine la somme que le collecteur a crû pouvoir payer, et a laquelle on a estimé les choses vendues. Ils ne laissent aucunes copies de ces procez-verbaux, dont mesme sur-le-champ ilz ne font pas les originaux lorsque les adjudi- cataires ne sçavent pas signer, mais en quelque temps qu'ilz les fassent, ilz les escrivent seulement sur leur registre, duquel de six en six mois ils font un extrait sur lequel les eslus font les taxes a raison de 57 s. pour exécution et vente de meubles, lesquelles taxes les rece- veurs payent et les gardent sans avoir de registre paraphé ainsy qu'il est prescrit 2 ». Impossible donc de savoir le montant des frais, « et cela est si vray, qu'ayant parlé aux collecteurs de toutes les parroisses

1. Mémoire de Méliand, 26 janvier 1679, A. N. G7 213.

2. Même pratique est signalée dans le Recueil d'Orsay. Habituellement les huissiers « n'ont qu'un records qui leur sert ordinairement pour aller advertir les dits collecteurs des parroisses de venir trouver l'huissier au lieu marqué, qui bien souvent est dans un cabaret ou maison de quelque coq de parroisse qui sert de gardien ordinairement des biens simulez saisis, auquel lieu les dits collecteurs le vont trouver pour faire de concert la saisie de leurs biens et même la vente, dont ils laissent les dattes en blanc, pour les ajuster ainsi qu'ils jugeront à pro- pos, en sorte qu'il y en ait pour chacun jour ». (B. N. fr. 11096, 20.)

LES FRAIS DE CONTRAINTES.

485

de l'eslection, ilz m'on assuré qu'ils ne pouvoient me dire ce qu'il leur en cousteroit, parce que la plus grande partie des diligences n'estoient pas encore taxées, a ce qu'on leur avoit dit, quoyque quelques-unes des dites parroisses eussent entièrement acquité l'imposition, et mesme ilz m'ont adjousté qu'ils payoient ce qu'on leur demandoit, sans sçavoir seulement si les diligences avoient esté faites ». La véri- fication par les élus est inutile, car « comme les huissiers ne laissent aucune coppie, et que les receveurs ne rendent point aux collecteurs les originaux des procez-verbaux taxez, ils sont maistres de leur faire payer ce qu'il leur plaist ».

Dans l'élection de Mortagne,

« il n'y a pas plus d'ordre pour les frais que... dans celle d'Alençon, a l'exception que les commis a la recepte ont des registres de frais paraphez, mais j'ay connu par la visite que j'ay faite dans le greffe que, comme les frais ne sont taxez que rarement, il en est deu par beaucoup de collecteurs qui ont acquitté l'imposition, et que par les suites les commis les ont donnez en payement aux quatre huissiers qu'ils employent, de mesme que quelques restes deubz par les parroisses, ce qui a donné lieu a bien des vexations, et mesme a des procez qui m'en ont fait avoir la connoissance. Enfin les collecteurs, que j'ay quazy tous entendus, se plaignent fort des grands frais qu'on leur fait, dont ilz ne peuvent justiffier. »

Dans l'élection de Verneuil,

« Les frais sont taxez... comme dans les autres [eslections], c'est- à-dire fort loin à loin, par un seul officier, et les collecteurs m'ont de mesme assuré qu'ilz payent ce qu'on leur demande, sans sçavoir s'ils doivent ou non. »

Dans, celle de Conches,

« les huissiers exécutent sur la mesme contrainte pendant tout le recouvrement et ne font taxer les frais que rarement par un des offi- ciers, et au surplus ils suivent le mauvais usage des huissiers des autres eslections1. »

Après Colbert, on trouve les mêmes pratiques. On lit dans le Recueil d'Orsay :

« Il se fait beaucoup de friponneries et exactions par les huissiers et porteurs de contraintes contre les collecteurs... Quel est le procureur du roy ou receveur d'une élection qui fera faire le procès à tant de gens et qui les suivra a la Cour des aydes? Pour une preuve que ce n'est pas facile, c'est que jusqu'à présent on n'en a pas veu d'exemple... Gomme les taxes des dits frais se font differement, et que même les huissiers ou sergens employez au recouvrement des tailles font leurs diligences chacun a leur fantaisie, ou plutôt a celle des receveurs, ne

1. Rapport du 1" septembre 1683, A. N. G? 71.

486 I-A TAU. M! IN NOIIMANDIB.

s'attachant presque pas aux règlemens, il seroit a propos de rendre le tout uniforme1. »

Le même auteur nous apprend que les huissiers ne font « presque jamais » leurs déclarations au greffe, « et mesme la plupart d'entre eux n'ont point de registre, et font leurs exploits sur des feuilles volantes, afin d'ajouter [après coup] le jour et la datte de leurs exploits a raison de tant par jour, et de faire régler par ce moyen leurs frais a leur fantaisie2 ».

La Cour des Aides de Paris, dans un arrêt du 17 novem- bre 1712, rendu à la requête du procureur général, défendra aux huissiers de saisir « sur les contribuables aux tailles les lits, linceuls, couvertures, habits, pain, portes et fenêtres de leurs maisons, chevaux, mulets et bœufs servans au labour et culture des terres », choses qui se pratiquaient jusqu'aux portes de Paris 3; et le Régent écrira, dans sa circulaire aux intendants du 4 octobre 1715 :

« Je suis informé que la liaison qui est souvent entre les officiers des Elections et les receveurs donne lieu a la multiplicité des frais, qu'ils regardent comme des revenans-bons de leurs charges... et que les frais, que l'on fait toujours payer par préférence a la taille, en empêchent ou en retardent le recouvrement... C'est à cet abus que je veux remédier*. »

Ces documents officiels ne font que répéter et confirmer les pages bien connues de Vauban et de Boisguilbert sur la rigueur des exécutions : ces deux auteurs n'ont rien exagéré5.

1. B. N. fr. 11096, f"' 19 et 56. L'auteur demande que l'on interdise particuliè- rement les « emprisonnements simulés » des collecteurs, nommés aussi arrêts de prison avec soumission », invention < trouvée par les huissiers pour multiplier les frais et faire ces sortes de diligences autant de fois qu'ils rencontrent par hazard les collecteurs, soit dans le chemin, à la ville, au marché ou ailleurs ».

2. Ibid., f 20.

3. Cité dans La Poix de Freminville, Communautés d'habitants, p. 2.", 1-252. Cf. Vieuille, p. 313-:<14.

4. Encyclop. méthodique, t. III, p. 648.

5. Boisguilbert, Détail de la France, éd. 1707, t. I, p. 21 et suiv. Vauban. Dixme roiale, éd. 1707, in-12, p. 29 et suiv. Voir aussi le Projet de capitation de Vauban, publ. dont De Boislisle, Corresp. des contrôleurs généraux, t. I, p. 565, sur les deux cents mille fripons » qui ruinent les contribuables.

LES EMPRISONNEMENTS. 487

VIII. LES EMPRISONNEMENTS

Quand la saisie et la vente des biens mobiliers n'avaient pas produit d'effet, le receveur avait recours à l'emprisonnement du collecteur, de la même façon qu'un créancier faisait empri- sonner son débiteur insolvable. A cet effet, il devait présenter une requête à l'Election, il justifiait des diligences déjà faites et de leur insuccès ; les élus lui délivraient une ordonnance, dite « arrêt de prison », que les huissiers et sergents étaient chargés d'exécuter. Quoique les collecteurs d'une même paroisse fussent solidaires et par conséquent tous également passibles de la prison, on n'arrêtait qu'un ou deux d'entre eux, de façon à laisser les autres vaquer à la recette1. L'usage normand était de laisser de préférence le porte-bourse en liberté, et de ne s'en prendre qu'à ses collègues 2.

Les règlements ne précisaient pas dans quelle prison devaient être conduits les collecteurs : les receveurs s'en autorisaient pour les emmener loin de leur demeure, ce qui était une occasion d'en « tirer des gratifications », et rendait « assez difficile » le con- trôle des élus et des intendants3. Dans son mandement aux paroisses en 1672, l'intendant de Rouen interdit aux huissiers de conduire les collecteurs ailleurs que dans les prisons du siège de l'élection ; exception était faite pour l'élection d' Andely, « ou lesdits collecteurs pourront estre mis dans les prisons d'Andely, Gournay, et Vernon si elles sont les plus proches de leurs domi- ciles, et a la charge que lesdits receveurs auront en chacune des dites villes un procureur pour consentir ou empescher l'élargis- sement desdits collecteurs » ; ceux de la chàtellenie de Pontoise devaient être conduits à Pontoise, et non à Gisors, ceux de l'élection de Chaumont et Magny pouvaient être incarcérés dans l'une ou l'autre de ces deux villes*. Leblanc reprit ce règlement en 1682 5, mais il découvrait aussitôt après que « monobstant les deffenses », les huissiers ne cessaient de mettre les collecteurs dans les prisons qu'ils voulaient6.

Les prisonniers n'étaient pas nourris « au pain du roi 7 » ; les

1. De Merville, Maximes, p. 39.

2. Mémoire de l'intendant d'Alencon, 1" septembre 1683, A. N. G7 71.

3. Let. de Leblanc, 8 juillet 1682 (B. N. fr. 8761, 62) et de Bouville, l«r sep- tembre 1683 (A. N. G? 71).

4. A. D. S.-Inf. G, 2215. Si les huissiers ne pouvaient conduire leurs prison- niers en ces lieux dans un seul jour, il leur était permis de les mettre pour vingt- quatre heures dans les prisons les plus voisines.

5. Let. du 8 juillet 1682, B. N. fr. 8761, 60.

6. Ibid , Il y avait, du moins hors de Normandie, des sièges d'élections qui n'avaient pas de prison, tel Ghâteau-du-Loir. (Clém., II, 76.)

7. En 1633, les Etats de Normaudie avaient demandé pour les collecteurs le pain du roi, mais ils n'avaient pas obtenu satisfaction. (De Beaurepaire, Cahiers..., règne de Louis XIII, t. III, p. 171.)

488 LA TAIL1.K l'.N NOIt.M AXDIK.

frais de leur « gîte et geôlage » incombaient aux paroisses qui devaient s'imposer extraordinairement pour les payer; mais le receveur en (levait faire l'avance, sous peine de voir libérer les prisonniers ; il pouvait ensuite prendre ses dispositions pour se Faire rembourser par les contribuables. (Habituellement, il ajou- tait la somme à la taille de la paroisse, et la percevait avec les mêmes rigueurs1.) L'arrêt du 4 juillet 1664 interdit aux geô- liers de « retenir les collecteurs pour les gîtes et geôlages, a peine de punition corporelle, saut a eux a se pourveoir par les voies ordinaires et accoutumées » (art. 19), ce qui laisse à penser qu'ils le faisaient quelquefois.

Les frais de gîte et geôlage n'étaient pas réglementés avec

f>récision, du moins en Normandie*. A Pont-Audemer, en 1678, e geôlier prend 3 s. 4 d. par jour « pour le pain et les frais », tandis que dans le reste de la généralité, on prend 3 s. 6 d. J. Dans la généralité d'Alençon, en 1683, les geôliers se font payer pour « un meschant lit, ou il n'y a qu'une paillasse et un drap, et sur lequel couchent deux ou trois prisonniers, 4 ou 5 solz pour chacun d'eux » ; l'intendant, qui trouve ce prix excessif, demande qu'on le réduise à 2 s. par prisonnier couchant seul, et 1 s. 6 d. s'il partage le lit avec un autre*. Mais il ne semble pas avoir rien obtenu.

Tous les règlements, et en dernier lieu celui du 4 juillet 1664, défendaient aux geôliers « de laisser divaguer les collecteurs emprisonnés pour la taille, sans le consentement des receveurs, ou eux duement appelés5 ». Mais on avait grand'peine à faire respecter cette loi . L'intendant d'Alençon écrit le 15 sep- tembre 1670 que, moyennant finance, « dans la pluspart des prisons de la généralité, les geôliers donnent la liberté aux prisonniers de vacquer a leurs affaires6 », et treize ans plus tard

1. C'est ce que font particulièrement ceux de Pont-Audemer. (Let. de Leblanc, 8 janvier 1678, A. N. G1 491.) Le 30 septembre 1661, le receveur de Caen présente une requête au Bureau des finances pour obtenir remboursement de 324 1. 4 s. 10 d., à lui dues pour gite et geôlage de collecteurs; le Bureau ordonne que cette somme sera levée en sus de la taille, avec les restes (A. D. Galv., Plumitif du Bureau, année 1661, 256; cf. 288 une autre ordonnance du Bureau du 19 décembre.)

2. Cf. un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 30 avril 1650, pour le ressort de cette Cour, dans Néron, II, p. 723 : Pour le gîte : 3 s. par jour si le prisonnier couche seul, 1 s. 6 d. s'il couche à deux, 1 s. s'il couche à trois dans le même lit, en changeant les draps toutes les trois semaines; 2 s. s'il couche sur la paille, renouvelable tous les huit jours. Les collecteurs peuvent faire venir leur nourri- ture du dehors ; s'ils la prennent chez le geôlier, le prix en sera fixé par les élus en chaque ville. Le geôlier ne peut se faire payer aucun droit d'entrée ni de sortie.

3. Let. de Leblanc, 8 janvier 1678 et 2 janvier 1679, A. N. G? 491.

4. Mémoire du 1«« septembre 1683, A. N. G" 71.

5. Arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. -19. Cf. les arrêts de la Cour des Aides de Paris des 30 avril 1650 (Néron, II, 723), et 5 octobre 1665, art. 10 (C. d. T., 1, 593).

6. Clairamb., 792, p. 307 (analyse).

LES EMPRISONNEMENTS. 489

son successeur fait la même constatation1. En 1664, le lieute- nant au bailliage de Caux rapporte que le geôlier de Cany est « tout a fait incapable de garder ladite geolle, commettant jour- nellement des abus, ayant consenti l'évasion de plus de douze prisonniers depuis peu de temps, se laissant emporter par argent par les personnes détenues2 ». Les élus ne peuvent pas davan- tage avoir l'initiative de l'élargissement, laquelle n appartient qu'au receveur. Il est d'usage que celui-ci fasse libérer les collecteurs quand ils ont payé « au moins le quart de la somme pour laquelle ils sont emprisonnez3. » Toutefois, si ce quart n'est pas payé après un mois d'incarcération, les prisonniers sont mis en liberté à la requête du receveur ou, à son défaut, des élus, et on procède aux contraintes solidaires contre les habi- tants, comme on le verra plus loin. Telle est du moins la règle, mais l'intendant de Caen signale, en 1680, des receveurs qui retiennent leurs prisonniers « des trois et six mois » sans rien faire pour être payés4.

Le collecteur emprisonné avait un droit de recours contre ses consorts laissés en liberté, qui devaient l'indemniser pour sa détention. L'indemnité n'était pas tarifée et variait de localité à autre. Dans la généralité d'Alençon, en 1683, elle montait par- fois jusqu'à « 20 s. par jour, y compris les droits de giste et geolage », mais l'intendant proposait de la réduire uniformément à 10 sous5. Dans celle de Rouen, une ordonnance de Leblanc, du 11 octobre 1678, avait fixé l'indemnité à 5 sous par jour pour les manouvriers et gens de journée, et à 10 s. pour les marchands et laboureurs, outre le pain6. Comme le porte-bourse n'était pas incarcéré, le paiement de ces frais lui incombait pour la plus grande partie; « et ainsy, dit l'intendant d'Alençon, il en est accablé, au lieu que les autres collecteurs estans sujetz a estre emprisonnez n'en souffrent pas, parce que pendant le temps de leur prison ils ne dépensent pas, a beaucoup près, ce qu'on leur adjuge pour leurs dommages et interestz »; si bien que l'emprisonnement est souvent un avantage recherché : « les collecteurs des dernières eschelles, continue le même inten- dant, ne demandent pas mieux que d'estre emprisonnez ; et cela

1. Mémoire du 1er septembre 1683 : « Il arrive souvent que [les collecteurs pri- sonniers] s'accommodent avec les geôliers qui, moyennant quelque gratification, les laissent vaguer, ce qui rend les emprisonnements tout à fait inutiles. » (A. N. G' 71.)

2. Requête du Bureau des finances de Rouen, 18 juillet 1664, A.-D. S. Inf.. C 1166, f°s 114 et 131. Le Bureau, après enquête, prononce la destitution du geôlier.

3. De Merville, Maximes, p. 39. Mém. Alphab., p. 116, cf. p. 252-253. L'intendant de Caen, écrit le 15 août 1680, que souvent les receveurs « laissent des taillables des trois et six mois en prison, contre les ordonnances », (A. N. G7 213.)

4. A. N. G7 213. Il demande un règlement pour interdire cet abus.

5. A. N. G7 71.

6. B. N. fr. 8761'"% 189. Cf. sa lettre du 2 janvier 1679, A. N. G7 491.

490 LA TAILLE EN NORMANDIE.

est 8v m. iv. qu'il m'a esté présenté diverses requestes par les pm-tf-hourses pour les obliger de vacquer avec eux a la col-^ fecte1 ».

Le prisonnier, q^ui n'est pas toujours heureux de son sort, quoiqu'en dise M. de Bouville, peut avoir recours contre son ou ses collègues pour se faire délivrer: il doit pour cela obtenir une sentence de l'Election. On a conservé de nombreux dossiers de ces procès, qui montrent les irrégularités et difficultés de la perception. A Saint-Aubert, élection de Falaise, deux collecteurs assignent le porte-bourse en règlement de comptes pour se faire délivrer : les deux prisonniers établissent qu'ils ont avancé l'un 28 1., et l'autre 10 1. en sus de leur impôt, tandis que le porte- bourse, ayant encaissé 896 1., n'en a versé que 864 au receveur2. Pareillement à Bellon, dans la même élection, un collecteur est emprisonné quoiqu'il ait payé tout son impôt et avancé 100 1., tandis que ses collègues, demeurés en liberté, détiennent entre leurs mains 114 1. qu'ils ont reçues et non versées*. Voilà un

fjrave inconvénient de la responsabilité collective des col- ecteurs.

Ces emprisonnements avaient été une calamité pour la Nor- mandie, avant 1661. En 1643, les Etats disaient : « Les prisons regorgent en tous lieux de gens que la seule misère, et non aucun défaut de bonne volonté, ont empesché de payer au roy, non point leurs tailles, mais celles de leurs voisins, que leur chétive condition a mis en estât de ne craindre aucune exécution. Il en est mort plus de cinquante dans la seule prison de Pontaude- mer4. «Lorsqu'on octobre 1648, Maignart de Bernières avait fait une chevauchée dans la province, il avait trouvé quantité de collecteurs dans les prisons, la plupart pour des motifs illé- gitimes; il avait appris que les collecteurs n'osaient se rendre aux marchés des Andelys, de Vernonetde Gournay, par crainte d'y être arrêtés sur l'ordre des receveurs, et ils envoyaient à leur place leurs femmes et leurs enfants porter l'argent à la recette5. Ces rigueurs étaient du reste générales dans tout le royaume. « On s'est servi, dit une Mazarinade, de cruautés et de tortures capables de tirer de la mouèlle des os des malheureux François, qui eussent esté bien aises d'en estre quittes pour abandonner tous leurs biens et paistre l'herbe comme de pauvres bestes, s'estant veu tout a la fois 23000 prisonniers dans les provinces du royaume pour les taxes des tailles et autres imposts, dont il

1. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G7 71.

2. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 26 février 1677.

3. lbid., à la date du 10 février 1677.

4. De Beaurepaire, Cahier»,., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 115 (art. 48). Les Etats demandent la remise des restes de taille de 1635 à 1642, mais le Roy ne peut accorder cette demande ».

5. Chevauchée de Maignnrd de Bernières, publ. par Félix, dans le Précis ana- lytique des travaux de C Académie de Rouen, 1877, p. 177 et suiv.

LES EMPRISONNEMENTS. 491

en est mort 5 000 hommes dans cette langueur, l'an 1646, ainsi qu'il se vérifie par escroùes et registres des geôliers1. »

Colbert se proposa de réduire au minimum ces emprisonne- ments. Il n'y a rien, disait-il, « qui soit si préjudiciable a l'Estat que l'emprisonnement des sujets du roy,.. rien de plus précieux que le travail des hommes » ; « c'est assurément ce qui est le plus préjudiciable aux sujets du roy, vu que pendant qu'ils sont en prison, leur travail est entièrement interrompu » 2. Les intendants eurent donc pour mission d' « empêcher l'em- prisonnement des collecteurs autant qu'il sera possible3 », et le ministre était convaincu qu'on pouvait considérablement réduire le nombre des prisonniers sans nuire au recouvrement. « Un si grand désordre, écrit-il en 1670 à l'intendant de Tours, qui lui signalait la fréquence de ces emprisonnements, sans doute ne vient que de l'inégalité dans l'imposition des tailles et des frais qui se font pour les recouvrer4 »; « il y a peu d'apparence, dit- il encore, que ce désordre vienne des peuples, vu les grandes diminutions que le Roy a accordées pour les tailles, ce qui me donne beaucoup de sujet de croire que cela vient des rece- veurs5 ». Il faut donc que les intendants s'informent de tous les cas particuliers, et lui en adressent des mémoires détaillés pour qu'il en parle « fortement » aux receveurs généraux6; on privera, s'il le faut, quelques receveurs de leur exercice pendant un an « pour servir d'exemple7 ». Il félicite celui de ses subor- donnés qui a le moins d'emprisonnements dans son départe- ment8; il blâme ceux qui en ont beaucoup, écrivant par exemple à deux d'entre eux, à une semaine de distance : « Il n'y a point de généralité il y en ayt tant que dans la vostre9. » Il exerce un contrôle permanent en se faisant adresser régulièrement les états des prisonniers : dans les premières années, il en demandait un par an; en 1670, il en demande à l'intendant

1. La requesle des trois estats, présentée à Messieurs du Parlement, Moreau, Bibliographie des Mazarinades , 236. V amende honorable de Jules Mazarin, donne 25 000 prisonniers et 6 000 morts. 11 n'est pas besoin de faire remarquer longuement l'incertitude de ces chiffres.

2. Lettres à Vovsin de la Noiraye. 1er août 1670, Clém., II, 71; à Tubeuf, 1679, ibid., 105; à' de Menars, 16 juillet 1681, Depping, t. III. p. 289. Il écrit encore à Tubeuf le 1er août 1680 : « l'emprisonnement d'un homme luy oste le moyen de travailler et de nourrir sa famille, qui tombe indubitablement dans la mendicité; je vous prie de vous appliquer tout de bon a ce point, qui est assu- rément le plus important de tous ». (Clém. II, 137.)

3. Clém., II, 220; cf. p. 70-73, 131-137, 231, etc.

4. Ibid., p. 71. (Lettre du 1er septembre 1670.)

5. Ibid., p. 137. (Lettre du 1" août 1680.)

6. Lettre à l'intendant de Rouen, 6 avril 1674, ibid., p. 231.

7. Lettre à l'intendant de Tours, 1er août 1680, ibid., p. 137.

8. Lettre à Le Camus, intendant d'Auvergne, 18 juillet 1670., ibid, p. 70-71.

9. Lettres à l'intendant d'Orléans, 25 juillet, et à celui de Tours, 1er août 1670. Clém., Il, 71 et 72 n. Ces lettres étaient motivées par les états, envoyés dans le courant de juillet par tous les intendants, à la demande de Colbert; ils semblent perdus; voir l'analyse des lettres qui les accompagnaient, dans le vol. Clairamb., 792.

,'J LA TAILLE KN NORMANDIE.

d'Orléans un tous les six mois ' : puis, en 1680, par circulaire il invite tous les commissaires à lui rendre dorénavant « compte tous les trois mois sans y manquer du nombre des prisonniers qui sontarrestés soit pour le fait de la taille, soit pour les droits [des] fermes* ».

Quelques intendants lui soumirent leurs craintes de voir tarir les recettes par ces mesures : « Il est pourtant certain, lui disait Tubeuf en 1670, que la contrainte par corps est nécessaire pour la facilité du recouvrement des deniers de Sa Majesté, non seulement parce que les paysans qui doivent la taille et le sel n'ont point de meubles exploitables dans leurs maisons, mais encore par la négligence des peuples, qui ne payent que le plus tard qu ils peuvent' ». Mais la majorité reconnut la justesse des vues du ministre. « Il est certain, écrivit celui d'Alençon, que si les receveurs vouloient, ils pourroient fort bien faire le recouvrement sans emprisonner, cela paroist par une infinité d'eslections qui ne sont pas meilleures les unes que les autres, dans lesquelles les receveurs ne se servent point de cette voye*. » « J'ay fait convenir tous les receveurs, déclara celui de Rouen, qu'il est presqu'inutil d'emprisonner les collecteurs, que cela ne produit que des frais, et ne fait point venir d'argent a la recepte 5. » La seule précaution que prit Colbert, pour éviter l'inconvénient signalé par Tubeuf, fut de ne pas publier la réso- lution prise : « L'intention de Sa Majesté, écrivit-il, n'est pas que vous rendiez cet ordre public, parce qu'Elle sçait bien que cela pourroit faire un mauvais effet6 »; il faut « bien empescher que la malice ne s'augmente par l'indulgence7 ».

Nous n'avons guère d'indications sur le nombre des collec- teurs prisonniers avant 1669 8; mais pour les années suivantes, un certain nombre de statistiques nous fournissent des rensei- gnements utiles.

En juillet 1670, sur six élections de la généralité de Rouen,

1. Clém., II, 72 n.

2. Circulaire du 1" juin 1680, Clém., II, 133, et Depping, Correspondance, III, p. 30.

3. Tubeuf à Colbert, 21 février 1669. M. C. 150,>'^ f 537, v°.

4. Mémoire du 1" sept. 1683, A. N., G1 71.

5. Lettre de Leblanc, 18 juil. 1679, A. Nat. G7 491 ; autre du même, 27 juin 1680, ibid. Son prédécesseur, Barin de la Galissonnière, écrivait le 29 juin 16i59 : « Il est à craindre que, n'y ayant point de cidres sur lesquels on puisse asseoir des exécutions, et les bleds estans a non-prix, lesdits receveurs et commis ne rendent les emprisonnemens plus frequens, ce qui est encores plus ruineux que tout le reste, car outre les frais des huissiers et des geolliers, ce sont gens dont le tra- vail, qui est bien souvent toutes leurs richesses, est inutille ». M. C. 150, 235.

6. Lettre a l'intendant d'Orléans, 25 juillet 1670, Clém., II, 72, note.

7. Lettre du 7 juin 1679, Clém., II, lO'i-103.

8. Cf. cependant un procès-verbal de visite des prisons d'Alençon, du 6 mars 1666 : sur 26 détenus, il y en a 8 pour la taille, 9 pour amendes de bois ou faux- saunage, un pour la chambre de justice; les motifs des 8 autres ne sont pas indi- qués. (B. N. fr. llttSt, f" 21-25.) D'après ces chiffres, la taille aurait fourni à elle seule environ le tiers de la population des prisons.

LES EMPRISONNEMENTS. 493

trois, les Andelys, Gournay, et Vernon, n'ont pas de prison- niers1; celle de Rouen en a deux, mais tous deux pour avoir dissipé les deniers de la taille2; celle d'Evreux, trois3; dans celle de Gisors, les emprisonnements sont « fréquens, les receveurs s'excusant sur ce que les collecteurs n'ont pas de meubles4 ». Dans la généralité de Gaen, à la même date, il n'y a pas de pri- sonniers « présentement », car on les a tous mis en liberté pour faire les travaux de la moisson ; mais nous ne savons combien ont été ainsi libérés5. En mars 1671, le receveur général de Rouen déclare que, les recouvrements étant « de plus en plus difficiles », il a « esté obligé depuis deux mois de faire empri- sonner plus de cinquante collecteurs6 ». Dans la même généra- lité, le 1er avril 1674, l'intendant écrit qu'il a trouvé « un grand nombre de collecteurs dans les prisons d'Evreux7 »; en juil- let 1676, « il y a très peu de collecteurs dans les prisons, et on prend des mesures pour les mettre en liberté8; » en janvier 1678, « il y a très peu de prisonniers, sy ce n'est au Ponteaudemer, ou le commis a la recepte de 1676 en a fait arrester 13, et celuy de 1677, 14 », soit au total 27 9. L'année suivante, les receveurs s'engagent a n'emprisonner que très peu de collecteurs10, et l'in- tendant, ayant trouvé à Chaumont « beaucoup de collecteurs dans les prisons », les libère conditionnellement11. En 1680, Leblanc obtient pareillement des trois receveurs d'Evreux, Vernon et Les Andelys, qu'ils ne fassent plus emprisonner de collecteurs ; à Eu, il y a deux prisonniers, et deux également à Pont-Audemer12. En 1681, dans les prisons de Montivilliers, « il n'y a qu'un collecteur, qui, au lieu de payer en recepte, consom- moit les deniers a plaider13 »; à Dieppe, « il n'y a que quatre

1. Lettre de Barin de la Galissonnière à Colbert, 4 août 1670, B. N. Clairamb. 792, p. 153.

2. Lettre du 19 juillet 1670, ibid., p. 84.

3. Lettre du 16 sept. 1670, ibid., p. 300.

4. Lettre du 6 sept. 1670, ibid., p. 263. Le 1er oct. l'intendant envoie la liste concernant les huit autres élections (ibid., p. 337), mais elle est perdue.

5. Chamillart à Colbert, 28 juillet 1670. La liste des prisonniers libérés accom- pagnait cette lettre; elle est perdue aujourd'hui. (Clairamb., 792, p. 117.). Nous n'avons pas d'états pour la généralité d'Alençon. L'intendant De Marie, ayant été malade, n'envoya sa liste que le 15 sept. 1670 (Ibid., p. 85 et 307); elle est aussi perdue.

6. Barin de la Galissonnière à Colbert, 2 mars 1671 (analyse). B. N. Clairamb., 792, p. 595. Le 22 mars, Barin envoie la liste complète (ibid., p. 613), qui est aussi perdue. Le 6 juillet suivant il assure que les emprisonnements sont « moins excessifs » que par le passé. (M. C. 157, 37.)

7. D'après la lettre de Colbert à De CreiL, 6 avril 1674, Clém., II, 231. Colbert en fait des reproches à l'intendant.

8. Leblanc à Colbert, 13 juillet 1676, B. N. fr. 8759, 68.

9. Id., 8 janvier 1678, A. N. G" 491. Cf. ibid., la lettre du 19 juillet.

10. Lettre de Leblanc du 18 juillet 1679, A. N. G? 491.

11. Lettre du 16 juin 1679, A. N. G? 491.

12. Lettres des 29 juin et 4 juillet 1680, A. N. G7 491. Des deux prisonniers de Pont-Audemer, l'un a « mangé les deniers de la taille », et l'autre « doit 600 1. de reste de 1679, [et] ne veut pas seulement payer son taux ».

13. Leblanc à Colbert, 29 mai 1681, A. N. G^ 491.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

prisonniers pour la taille, dont deux en ont mangé les deniers, et les autres en vertu de contrainte solidaire, faute d'avoir imposé' ». Enfin, en juillet 1682, sur 10 élections pour lesquelles nous avons des chiffres, deux : Pont-1'Evêque et Pont de Larche, n'ont pas de prisonniers; à Arques, Montivilliers, Neufchâtel et Caudebec, il n'y a « que cinq ou six collecteurs, retentionnaires des deniers »; à Evreux et aux Andelys, il y en a deux; à Hon- fleur, un, et ù Pont-Audemer, cinq2.

Pour la généralité d'Alençon, nous avons des chiffres pour les deux années 1078 et 1682. Au 27 janvier 1678, il y a au total 139 collecteurs prisonniers, dont 74 pour la seule élection de Bernay; seules de toutes, Falaise n'en a aucun9. En 1682, les chiffres sont moins élevés : l'élection qui en a le plus est Mortagne, avec 42, ce qui est « plus... que dans toutes les autres eslections ensemble ». A Conches, il y en a 3; dans les autres élections, il n'y en a que très peu, ou aucun *.

A prendre ces chiffres tels quels, on serait en droit de con- clure que, sauf dans la généralité d'Alençon en 1678, le nombre des emprisonnements en Normandie n'était pas très élevé. Mais un certain nombre de réserves s'imposent. De Morangis écrivait à Colbert, en 1678 : « Je suis obligé de vous faire remarquer que le nombre des prisonniers change tous les jours, et qu'on n'en peut jamais avoir un mémoire assuré5 ». Il est donc pro- bable que nos statistiques ne sont pas exactes, et il y a tout lieu de croire qu'elles sont plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité : geôliers et receveurs avaient intérêt à la dissimuler à l'intendant, qui lui-même tenait à faire valoir son administra- tion auprès du ministre. En outre il faut remarquer que nos états sont tous sauf précisément celui d'Alençon en 1678, du mois de juillet, époque on libérait des prisonniers pour la moisson. Ils donnent ainsi les chiffres les plus favorables, mais ne nous renseignent nullement sur le total des emprison- nements dans chaque élection, pendant l'année entière, et c'est ce total qu'il importerait de connaître : peut-être faudrait-il, pour l'obtenir, multiplier nos chiffres par 10 ou 15, et alors il deviendrait énorme; mais nous sommes, sur ce point, réduits aux hypothèses.

On peut cependant tirer de nos états deux conclusions utiles.

1. Même lettre, A. N. G? 491.

2. Lettre» de Leblanc à Colbert, 22 juin, 2 et 8 juillet 1682, B. N. fr. 8761, P* 58-60.

3. Voici le détail par élection» : Alençon, 8. Argentan, 1. Bernay, 74. Conches, 9. Domfront, 5. Falaise, Ô. Lisieux, 8. Mortagne, 26. Yer- neuil, 8. (A. Nat. G7 71, à la date du 27 janvier 1678 : état envoyé par l'intendant de Morangis.)

<*._ Série de lettres de de Morangis à Colbert, 8 juillet-3 août 1682, A. N. G* 7 1. 5. Lettre du 27 janvier 1678, ibld.

LA SOLIDITE. 493

D'abord, on voit, comme pour les frais d'huissiers, qu'en cer- taines élections les emprisonnements étaient plus nombreux qu'en d'autres, soit par la faute des receveurs, soit par «■ l'en- durcissement » des contribuables. Telles sont Pont-Audemer et Bernay : « Les receveurs des tailles, écrit encore de Morangis, en usent fort diversement et il y en a qui savent faire payer sans user des rigueurs de la prison ; l'élection de Bernay est accoustumée a ne payer qu'après de grandes contraintes par corps1. » En outre, à comparer les chiffres des années 1670, 1678 et 1682, il ne semble pas que Goibert soit arrivé, dans l'intervalle, à réduire les emprisonnements autant qu'il l'aurait voulu. Son grand effort aboutissait, encore sur ce point, à un demi-échec.

En définive, les emprisonnements de collecteurs furent une des plus tristes conséquences du régime de la taille. Dans la majorité des paroisses, les collecteurs de basse échelle étaient à peu près sûrs d'aller faire pendant l'année de leur charge un séjour en prison, à côté des faux-sauniers et des malfaiteurs; s'achevait leur ruine, commencée par les saisies et les procès; se fortifiait leur haine pour un impôt qui les réduisait à la misère et les avilissait.

IX. LA SOLIDITE

Quand les collecteurs sont restés un certain temps en prison sans rien payer de leur dû, on a recours à un dernier procédé de contrainte, le plus rigoureux de tous : la solidité. Elle consiste à saisir les biens d'autres contribuables de la paroisse, considérés comme solidaires des collecteurs, puisqu'ils les ont nommés 2.

Dans la perception normale, le receveur ne peut pas faire payer directement les contribuables : l'intermédiaire des collecteurs est nécessaire, parce que la paroisse est considérée comme une unité fiscale. « La taille, dit Lebret, est une déte de chaque paroisse, et non des particuliers habitans d'icelle : quod autem débet universitas , singuli non debent3 ». Mais le receveur peut se substituer aux collecteurs, quand ceux-ci sont reconnus inca- pables de faire la levée, en vertu de cet autre principe, non moins impérieux, que les sommes imposées doivent être payées, sauf incapacité notoire ou remise faite par le roi4. De plus, le

1. A. N. G7 71. Let. du 22 juillet 1630. Il signale les receveurs d'Argentan et Falaise comme faisant le moins d'emprisonnements.

2. Une définition vicieuse est donnée par Cl. Fleury (Institution au droit fran- çais, t. I, p. 190) : « Les collecteurs sont obligés de payer la taille entière de leur paroisse, soit qu ils aient été payés des particuliers ou non, sauf leur recours, c'est ce qui s'appelle la solidité des tailles ». La solidité s'entend des habitants à l'égard des collecteurs, et non des collecteurs à l'égard des habitants.

3. Quinzième action à la Cour des Aides, Œuvres, p. 473.

4. Les règlements de mars 1600, art. 34, janvier 1634, art. 55, août 1664, art. 43,

496 LA TAILLE EN N<U!MANDIE.

receveur est en droit de rendre les habitants responsables de

la gestion des collecteurs qu'ils ont librement élus, les règle- ments leur imposant de les choisir parmi les plus solvables.

Les receveurs, non plus que les huissiers ni les sergents, ne peuvent ordonner de leur chef la solidité dans une paroisse; des formalités leur sont imposées, de crainte qu'ils ne retombent trop facilement sur les plus riches contribuables, ne vexent leurs ennemis et -ne multiplient les frais à leur profit1. Ils doivent solliciter une sentence régulière de l'Election, en établis- sant qu'ils ont épuisé les autres moyens de contrainte; les élus font alors procéder à la « discussion sommaire 2 » des biens de tous les collecteurs, pour s'assurer qu'il ne reste plus de biens c exploitables », puis ils délivrent la sentence de solidité3.

Le nombre des personnes à contraindre avait été, par le règlement de janvier 1634, laissé à l'arbitraire des élus, qui étaient seulement obligés de les « dénommer par noms, sur- noms et qualités », mais celui d'août 1664 précisa qu'il serait de six contribuables choisis sur une liste de douze noms pré- sentée par le receveur *.

La contrainte pour solidité ne pouvait être exercée que par saisie des biens meubles, dans les mêmes conditions que pour les collecteurs; il n'était pas permis de recourir à l'empri- sonnement : « De fait, dit Lebret, il n'y a que les collecteurs qui puissent par les edits être contraints par corps,... et combien même que les collecteurs soient élus par les habitans, et a leurs périls et fortunes, si est-ce qu'un particulier qui auroit élu le

admettent deux autres cas de solidité, savoir : le refus de nommer des collecteurs, et la rébellion collective des contribuables. L'établissement de la nomination d'of- fice des collecteurs supprima le premier cas; quant aux rébellions, elles étaient, comme on le verra, châtiées par des opérations militaires, qui différaient sensi- blement de la solidité. L'intendant d'Alençon, dans son mémoire du 1" septem- bre 1683, distingue un quatrième cas : « le divertissement fait par les collecteurs des deniers du roy » ; on va voir qu'il rentrait dans le cas général d'insolvabilité qui nous occupe.

1. Cf. le Recueil d'Orsay : les huissiers demandent souvent des sentences de soli- dité « afin d'avoir occasion de faire plus de frais sur dix ou douze habitans sol- vables, qui sont ordinairement nommez pour faire l'avance de ce qui est deu, qu'ils ne pourroient faire sur deux ou trois collecteurs ». (B. N. fr. 11096, 17.)

2. La discussion était, en droit civil, la forme employée pour attaquer la cau- tion à la place du débiteur : c'est proprement « la recherche que l'on fait d'un débiteur avant de s'adresser à un autre ".{Nouveau dictionnaire civil et canonique de droit et de pratique, éd. 1707, in-4°, art. Discussion.) Dans la pratique, le rece- veur ne faisait pas lui-même la discussion, il sommait les habitants de lui pré- senter des biens exploitables appartenant aux collecteurs; s'ils n'en présentaient pas, la sentence était rendue. (Voir par exemple le plumitif de l'Election de Cau- debec, 1" janvier 1662, A. D. Calv.)

3. Règlement d'août 1664, art. 18.

4. Art. 43. L'art. 18 n'était pas exactement d'accord avec celui-ci, quand il disait que, en cas de collecteur prisonnier ne payant pas, la solidité serait prononcée par les élus « contre tel nombre des principaux et plus solvables habitans des paroisses qu'ils jugeront à propos, selon la force des paroisses ils seront demeurons ». Antérieurement, un arrêt du Conseil du 2 avril 1661 n'ordonnait la contrainte que « contre les maires et eschevins, et non contre les particuliers habitans ». (A. D. Somme, C 1104, p. 2.)

LA SOLIDITE. 497

collecteur ne pouroit estre contraint par corps a païer ce que le collecteur devroit1 ».

On avait abusé des solidités, particulièrement avant 1661. A toutes leurs réunions, les Etats de Normandie s'en plaignaient, les déclarant injustes et tyranniques, parce qu'elles forçaient des contribuables à payer pour les autres, après avoir acquitté leur propre impôt, ruinaient des communautés entières d'un seul coup 2, et mettaient les peuples a la discrétion des receveurs ou des traitants3. La Cour des Aides appuyait ces doléances, et, par des arrêts de 1639 et 1651, avait interdit les solidités dans son ressort*. Une des revendications des Nus-pieds révoltés était précisément la suppression de cet abus 5.

Pescheur a expliqué en détail, dans son mémoire de 1665, comment le procédé servait les intérêts des receveurs :

« Les receveurs des tailles... [ne] prennent pas un si grand interest qu'on croid a ce que les tailles soient départies et imposées égale- ment, ny que les asseeurs soient des plus accommodez habitans de la parroisse, parce que, quoy qu'il arrive, ils y trouvent tousjours leur conte, en ce que si ceux qui ont esté mis en charge sont en demeure de payer, après une légère discussion de meubles, on leur donne des contraintes solidaires contre telz particuliers qu'ilz veulent choisir, lesquelz, pour se redimer de la prison ou ilz sont reduitz aussitost6, vendent leurs meilleurs héritages pour satisfaire a la recepte, et sou- vent aux receveurs mesmes, ou leur font des obligations stimulées pour argent preste en eschange de quittances qu'ilz leur donnent de ce qui leur estoit deub sur leurs contraintes ; que s'ilz ne le peuvent appréhender après une perquisition de meubles, ilz demandent et on leur donne encore de nouveaux solidaires jusqu'au dernier habitant; façon d'agir capable de ruiner les parroisses jusqu'à la dernière con- sommation 7. »

1. Quinzième action, Œuvres, p. 474. C'est en ce sens qu'il faut interpréter la règle posée par Domat : « on ne peut pour aucune [contribution] contraindre les redevables par emprisonnement de leur personne, s'il n'y a quelque délit ». (Le Droit public, dans ses Œuvres, II, p. 35.)

2. Cf. une lettre du premier président de la Cour des Aides de Rouen, 26 février 1666 : « les babitans de la pluspart des parroisses de ce royaume [ont été forcés de] vendre leurs usages et communes a fort vil prix pour payer les tailles et autres grandes sommes de deniers qui se levoient sur eux durant les troubles ». (M. G. 136, 502.)

3. De Beaurepaire, Cahiers..., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 26,109, et supplément, p. 7. Cf. le plaidoyer de Lebrel, cité plus haut. Les Etats géné- raux de 1483 avaient déjà protesté contre la solidité. (Journal de J. Masselin, p. 675.)

4. Floquet, Hist. du Parlement, IV, p. 559.

5. De Beaurepaire, Cahiers..., III, p. 270, et Bréard, Les archives de Honfleur, p. 109.

6. Cependant on vient de voir que la prison pour solidité était interdite.

7. M. C. 33, 294. Pescbeur demande qu' « on arreste les concussions des asseeurs-collecteurs, on oste les protections et on taxe sans distinction ny reserve suivant leurs facultez et moyens ceux qui n'ont point de cause légitime de s'exempter ».

LA TAILLE EN NORMANDIE.

32

498 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Dans les pi (inities années de Colbert, les sentences de soli- dité sont nombreuses. Le 2 juillet 1661, la Cour des Aides condamne douze des principaux habitants de Vasteville ii payer au receveur des tailles l'arriéré d'impôt de la paroisse pour 1659, montant à 2826 1.; l'arrêt est fondé sur ce que le rece- veur ne trouve plus chez aucun des collecteurs « aucuns biens exploitables,... quelque recherche qu'il en aye pu faire1 ». Le 2 mars 1662, la même Cour autorise le commis à la recette de Chaumont à « prendre douze des plus hauts imposés aux rolles de Magny en l'année 1659 pour le payement des sommes par luy demandées pour l'insolvabilité des collecteurs dudit Magny 2 ». En 1674, elle condamne douze des principaux bourgeois de Honfleur à payer 23 0001. de taille dues par la ville3.

En octobre 1665, Brévedent, lieutenant général de Rouen, chargé de démarches auprès des paysans pour développer l'éle- vage des bestiaux, écrit à Colbert :

« Sur ce que je leur ay faict veoir qu'a présent les choses estoient gouvernées d'une autre façon et avec ung ordre bien mieux réglé, ils m'ont dit que, tant que Tarrest de solidité pour les tailles auroit lieu, on ne verroit point faire beaucoup de nourritures, parce que personne ne vouloit point estre pris pour ung autre ny payer pour son compa- gnon. Je croy que cette solidité estant levée, et faisant cognoistre que ce seroit pour faciliter telles nourritures, beaucoup de personnes s'y appliqueraient *. »

On a lu plus haut le mot de l'intendant de Rouen en 1674 : « Faire discuter les paroisses » c'est-à-dire les mettre en soli- dité — « est encore un plus grand mal que l'emprisonnement » des collecteurs6. Enfin l'intendant de Bouville écrit dans son mémoire du 1er septembre 1683 6 :

« Les solidités... sont aussy faciles a empescher qu'elles sont fas- cheuses et désagréables aux contribuables, par la peine qu'ils ont a payer une chose dont ils se sont crus quittes, et que d'ailleurs les frais de la solidité auxquels ils n'ont pas donné lieu, joints aux sommes diverties [par les collecteurs] causent un rejet considérable qui les accable... A quoy bon nommer six solidaires pour lever ce qui reste deub par les contribuables, si ce n'est pour la facilité des receveurs qui se font payer promptement par lesdits particuliers solidaires; ne vaudroit-il pas mieux que les eslus nommassent seulement deux col- lecteurs, l'un de la première et l'autre de la seconde eschelle pour,

1. A. D. S.-Inf., Registre du Conseil de la Cour, année 1661, 14.

2. Ibid., h sa date.

3. Brcard, Les archives de Honfleur, p. 128. En aucun de ces cas, les noms des douze personnes à contraindre ne sont indiqués, contrairement aux ordonnances.

4. M. C. 132, 66.

5. Ci-dessus, p. 75.

6. A. N. G7 7Î. Cf. dans le même sens un mémoire de Bnrin de la Galisson- nière, M. C. 125, 36i.

LA SOLIDITE. 499

avec les collecteurs discutés, faire le recouvrement de ce qui resteroit deu? Par ce moyen les parroisses ne seroient pas si fatiguées.., et cet expédient mesme empescheroit beaucoup de solidités que les receveurs des tailles et principalement les commis font juger sur des procès- verbaux de discution faits un peu légèrement, lorsque des collecteurs ne les payent pas aussy promptement qu'ils souhaitent, parce que, par ce moyen, ils avancent leur recouvrement sans considérer la suite fascheuse pour la parroisse. »

Les intendants, si du moins on les croit sur parole, sont arrivés, sur la fin du ministère, à réduire notablement les solidités. Le 29 juillet 1685, de Morangis écrit que, dans la généralité de Caen, il n'y en a plus d'exemple1. Mais le pro- cédé restera inscrit dans la législation 2, et les successeurs de Colbert le remettront bientôt en honneur3.

Il pouvait arriver que la solidité fût elle-même insuffisante pour amener les contribuables à s'acquitter. En ce cas les paroisses étaient déclarées rebelles, et traitées en ennemies du roi : les troupes venaient les soumettre, et les faisaient payer, en argent ou en nature. Avant Colbert, on avait eu recours assez communément à ce moyen extrême, en Normandie. On lit dans le cahier des Etats de 1643 :

« Il y a cent soldats qui courent la généralité d'Alençon pour lever la taille, et encor de présent, dedans la vicomte d'Orbec, une compa- gnie de 50 hommes d'armes, envoyée par le receveur des tailles de Lisieux, y fait tel ravage que chaque soldat, outre sa nourriture qu'il prend à discrétion chez son hoste, exige encor de luy 10 s. pour chaque jour; ils rompent et brûlent les portes des maisons, desma- çonnent les granges, battent les bleds qu'ils vendent publiquement a vil prix, et les pailles à demy battues et chargées encore de partie de leur grain, brûlent aussi les charrettes et charuës, et, aux massacres prés, ne se pourroit rien faire de plus horrible par l'ennemi 4. »

En 1664 encore, une compagnie de cavalerie opère dans les villages de l'élection de Valognes qui refusent de payer la taille; le receveur lui-même se plaint des violences commises, et Colbert charge l'intendant de surveiller les soldats5. Mais

1. A. N. G^ 213.

2. Il ne sera supprimé que par un édit de janvier 1775.

3. Cf. De Boislisle, Correspondance, t. I, nos 529, 774, 1106, etc. La solidité sera abolie pour les droits des fermes le 10 février 1688 (ibid., n" 529). Cf. Montesquieu, Esprit des lois, liv. XIII, ch. xvm.

4. Art. 44. De Beaurepaire, Cahiers..., t. III, p. 111. Cf. le cahier de 1593, art. 58 : « que l'on n'use plus contre le pcvre peuple des rigueurs de la guerre au payement de ladite taille;... la difficulté du payement ne procède point de mauvaise volonté et refus de payer, mais de l'impuissance du peuple, qui est tel- lement grevé et oppressé des guerres passées qu'il n'a pas la pluspart de quoy se nourrir ». (Ibid., règne de Henri IV, t. I, p. 30.)

5. Let. de Dugué, 25 juillet 1664, M. C. 122, 889. L'intendant écrit en post- scriptum : «Je vous supliedeme mander si l'intention de S. M. est que les cavaliers qui sont envoyés dans les villages qui sont en demeure de payer leur taille y séjour- nent jusqu'à ce qu'ils ayent payé ce qu'ils doivent de toutes les années passées ».

600 LA TAILLE EN KOItMANDIE.

cet exemple est unique à notre époque. L'intendant d'Alençon écrit en 1683 : Dans cette province, « l'authorité est aussy bien cstablie, et les peuples aussy soubsmis qu'ils doivent l'estre1 »; pas n'est besoin de troupes, la crainte de la « garnison » suffit à retenir les Normands dans le devoir2. Mais dans plusieurs autres pays les troupes continuèrent à être régulièrement employées*.

1. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G^ 71.

12. Let. de Leblanc, i juillet 1682, B. N. fr. 8761, f 57, verso.

3. Les recouvrements par logement de troupes étaient d'un usage courant en Dauphiné, en Poitou, en Limousin, en Gascogne. Dans ces provinces, les agents du fisc affirmaient généralement « la nécessité de maintenir l'usage des fusiliers

Eour le recouvrement de la taille ». (Let. de l'intendant de Limoges, 1689, De oislisle, Corresp., I, 706). Sans le secours des gens de guerre, « les affaires n'iroient point » dans la généralité de Bordeaux, écrit Pellot en 1664 (M. C. 113bu f 704); sans gens de guerre, on ne fera jamais rien » dans l'élection de Gannat, dit encore Pomereu en 1663 (M. C. 115, 265, v°); « on a connu par expé- rience que l'on ne pouvoit faire payer les cinq eslections de Gascogne sans loge- ments », dit un mémoire anonyme de 1671 (Clairamb., 793, p. 123), et le receveur général de Daupbiné écrit à Colbert le 8 octobre 1664 : < Le régiment catalan ayant ordre de partir de cette province, je va estre sans troupes, et je vous jure, Monseigneur, qu'elles sont sy nécessaires pour mes recouvremens, que je ne m'en puis passer sans s'exposer à ne recevoir pas un sol. L'apréhension que les com- munautés en ont les oblige à satisfaire, et l'exemple des grosses cottes, officiers, fermiers des nobles et autres, que l'on fait paier par cette voie porte tous les petis a paier, au lieu que lorsqu'ils se verront fortifiés par les cocs de parroisse, et qu'il n'y aura plus de troupes pour les ranger, la recepte tarira tout d'un coup». (M. C. 124, 132; cf. une autre lettre du même dans Depping, III, p. 64, et un mémoire de 1666, M. C. 140, f" 117.) Les mêmes agents pensent que le système est préférable o celui des contraintes par huissiers : le receveur de Dauphiné dit qu'il est « plus doux » et qu'il « couste moins de frais aux contribuables; Pellot est du même avis (M. C. 127, 384); un arrêt du Conseil du 28 sept. 1662, ordonnant des garnisons dans la généralité de Limoges, publie qu'il a été « remarqué par experiance que cette voye fait moins de frais aux contribuables et plus d effet pour le recouvrement que les voyes ordinaires. » (M. C. 115, 149.) Après Colbert, Le Bret vantera le procédé en demandant qu'il soit étendu à tout le royaume (De Boislisle, Correspondance, t. I, 176); D'Aube assurera que c'est « le moyen le plus efficace pour accélérer les recouvremens », car « il s'agit en pareil cas d'intimider autant qu'il est possible sans aggraver, et un homme de guerre en vient a bout plus aisément que les autres hommes » (B. N. fr. 21 812, . 425-6), et l'intendant de Montauban confirme cette observation en 1696 : on sait, it-il, « par expérience que des cavaliers et dragons en font plus en huit jours que des archers et autres employés ne feraient en trois mois ». (De Boislisle, Correspondance, t. I, 1580.) Colbert, qui en 1658 n'avait pas craint d'encou- rager son cousin de Terron à recourir au procédé (Clém.,1, 289-291 et 315), ne l'approuva jamais pendant tout son ministère; à Pellot il écrit le 22 juin 1663 : « si c'est une nécessité absolue, il faudra s'y résoudre, quoyque, a la vérité, dans le temps de calme ou nous sommes, ces moyens soyent fort odieux, et qu'il est bon de ne s'en servir qu'au défaut de tout autre » (Clém., II, 7); à Feydeau de Brou, intendant de Montauban, le 21 oct. 1672 : Il n'y a « rien qui m'ayt fait tant de peine jusqu'à présent dans toute la conduite des finances du royaume que ces contraintes par logement effectif qui se pratiquent dans les généralités de Bor- deaux et Montauban. » (Ibid, p. 254; cf. ses letttes à d'autres intendants, dans le même sens, p. 98, 116, 138, 177, 224, 257, etc.) Plusieurs fois il ordonna à ses subordonnés de « travailler par tous les moyens possibles à retrancher la con- trainte par logement effectif » (ibid., p. 22'»), mais il était retenu par la crainte de « préjudicier à la seureté et facilité du recouvrement » (p. 166) ; il écrivait à Feydeau de Brou le 15 sept. 1673 : « comme il faut, tant pour les recouvremens ordinaires que pour les extraordinaires, que tout ce qui se fait aboutisse à les faire payer et à faire venir de l'argent au roy, si vous trouvez que les contraintes

(>ar huissiers ne produisent pas cet effet, il faut sans balancer mettre en pratique es contraintes par logement » (p. 290; cf. encore p. 315). V. des ordonnances pour envoyer des gens de guerre recouvrer les impôts, M. C. 115, 149; A. N. O 12, l" 146 et 508, B. N. fr. 4180, 200.

I

CHAPITRE VIII

LES RECOUVREMENTS. L'ÉTAT ÉCONOMIQUE

LA LIQUIDATION DU PASSE. II. LA TAILLE DE 1661 A 1672.

III. LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE. IV. LA FIN

DU MINISTÈRE (1679-1683).

I. LA LIQUIDATION DU PASSE

Nous avons étudié jusqu'ici le régime de la taille en Nor- mandie dans toutes ses parties. Il est maintenant possible d'en examiner les résultats généraux à la fois pour les con- tribuables et pour le gouvernement. Combien l'impôt a pro- duit chaque année; quelle répercussion il a eue sur la vie du peuple, telles sont les questions qui se posent au terme de cette étude.

Au temps d'Henri IV, la taille levée dans tout le royaume ne dépassait pas 20 millions1. La guerre entreprise contre la maison d'Autriche avait fait doubler ce chiffre, et pendant le ministère de Mazarin on l'avait encore accru, si bien qu'en 1657 les dix-huit généralités des pays d'élections payaient 53 423000 1. En 1660, à la suite de la paix, ce chiffre avait été ramené à 44 688 000 1. 2, ce qui était encore, par comparaison avec le début du siècle, une somme énorme. Le régime fiscal, quelque peu amélioré dans le détail par des règlements comme celui de 1634, ne s'était pas perfectionné à proportion de cet accroissement, de sorte qu'on s'était procuré ce supplément de ressources surtout en extorquant de l'argent aux contribuables, qui en étaient accablés 3. De multiples signes de misère appa- raissaient dans tout le royaume 4, et le Trésor n'encaissait

/

1. Forbonnais, Recherches, éd. in-4°, I, p. 107. Revue Henri IV, t. I (1905), p. 19.

2. Voir les tableaux placés en tête du vol. 238 des M. G. et B. N. fr. Nouv. acq., 20 207 et 20 208. Les différents Etats de la France donnent également des tableaux d'impositions.

3. Ci-dessus, p. 451 et suiv.

4. Cf. Feillet, La misère au temps de la Fronde, 4e éd.. Paris, 1868, et le discours d'Orner Talon du 15 janvier 1648, dans ses Œuvres, éd. 1732, t. IV, p. 190.

502 LA TAILLE EN NORMANDIE.

presque rien. Il était clair que cet état ne pouvait durer. En décembre 1643, les élus de Caen déclaraient à un trésorier général en chevauchée

« que depuis le long temps qu'ils servent le roy en leurs charges, ils n'avoient jamais veu l'eslection du dit Caen sy abbattue et ruynée comme elle est a présent de tous costez, et qu'il y a sergenterie ou il n'y ayt quantité de paroisses du tout insolvables et incapables de pouvoir secourir le roy d'aucuns deniers, et que s'il n'est prompte- ment pourveu d'une grande diminution des tailles aux paroisses mesme les meilleures de ladite eslection, et a une descharge entière des misérables, lesquelles ont esté abandonnées et sont en regale plus par misère que par mauvaise inclination, il n'y a plus moyen de faire subsister la dite eslection1 ».

Six ans après, les mêmes officiers déclarent que partout « ils ont remarqué une si horrible misère qu'ilz ne se peuvent pas persuader qu'il n'advienne de très grandes non-valeurs des deniers des deux dernières années, et qu'en l'année prochaine une grande partie des paroisses ne pourront payer leurs dites tailles, ou très peu* ». Le 24 juillet 1648, les trésoriers géné- raux de Rouen écrivent à l'assemblée des Bureaux des finances à Paris que les tailles de la généralité montent à « des sommes

3ui l'accablent entièrement et la mettent dans l'impossibilité e payer à l'advenir la taille sy elle n'est souslagée d'une dimi- nution nottable pour la pouvoir remettre. Aussy vous pouvons- nous asseurer qu'il y a tous les ans un quartier desdites sommes en non-valleurs3. » Dans l'élection de Carentan, imposée annu- ellement à moins de 200000 I., les restes au 20 janvier 1659 ftour les quatre années antérieures s'élevaient à plus de 316 000 1. ; es contribuables avaient donc à payer, outre le courant, une année et demie d'arriéré, sans compter les vieux restes, tombés en non-valeurs4. Beaucoup d'autres pays étaient dans une situa- tion pire encore8, due tout à la fois à l'impuissance et au mau-

1. À. D. Calv., Bureau des Finances, Procès-verbaux de chevauchées.

2. Ibiil. La misère était aggravée cette année par le manqne de blé et plusieurs incendies de villages.

3. B. N. fr. 7686, 11 (Correspondance de Fournival).

4. Etat dressé à la mort du receveur de l'élection, A. D. Calv., Bureau des finances, Procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, f* 262-301. Sur l'impôt de 1658, il n'est payé que 39 635 1.; 11 paroisses n'ont encore pas versé un sou.

5. En Guyenne, en 1659, les terres du duc d'Epernon « ne payent rien et n'ont point fait de rôles d'imposition depuis plus de sept ou huit ans, et toutes les per- sonnes de qualité, dans l'estendue de la Guyenne, suivent cet exemple » (Let. de Colbert, 31 août 1659, Clém., I, 360). Dans l'élection d'Orléans, en 1656 « beaucoup de paroisses » ne font point de rôles, ne nomment pas de collecteurs, les rece- veurs ne peuvent rien encaisser (Arrêt du Conseil, 10 mai 1656, A. D. Seine-et- Oise, C, 89). En 1658, on ne peut tirer un sou de l'élection des Sables-d'Olonne (Clém., I, 289). Cette situation se prolongera après 1661 : en 1662, les terres du duc d'Arpajon sont exemptées de taille par l'autorité de leur seigneur (Clém., II, 226); le 16 murs 1663 un receveur de Guyenne écrit qu'il n'a « pas encore reçu un denier des impositions de cette année... les peuples ne paient rien qu'à force de

LA LIQUIDATION DU PASSE. 503

vais vouloir des peuples1. Nulle part on ne pouvait rien recou- vrer sans violences extrêmes, à tel point qu'en 1661, lorsqu'on parla au Conseil d'établir une Chambre de justice, certains con- seillers assurèrent que, par cet établissement, « tous les recou- vremens cesseroient dans les provinces, parce que tous les peu- ples courroient sus aux préposés aux recouvremens et aux gens d'affaires2 ».

La guerre avait, dans une certaine mesure, justifié les grandes impositions et les rigueurs employées à les lever. Après la paix, la nécessité de soulager les contribuables apparut à tous les gens du gouvernement. Le roi disait dans le préambule des commissions des tailles, expédiées le 12 août 1660 :

« Un des principaux fruicts que nous attendons de la paix qu'il a pieu a Dieu de donner a nos Estats.., c'est que nous pourrons désor- mais en liberté travailler a la reformation des abus qui se sont glissez dans nostre royaume sur le sujet de nos impositions pendant le long cours des guerres estrangeres et civilles, en telle sorte que nos pauvres peuples se trouveront égallement soulagez par la manière de lever nos deniers et par les descharges que nous leur accorderons plus grandes d'une année à l'autre a mesure que Testât de nos affaires et les engage- mens ou nous sommes à cause des despenses du passé nous le pour- ront permettre *. »

Neuf jours auparavant, un arrêt du Conseil, inspiré peut-être par Colbert4, avait accordé aux contribuables la remise de tout ce qu'ils devaient pour les années antérieures à 1657, et ordonné la surséance des contraintes pour les années postérieures. « La juste impatience ou [S. M.] est pour le repos de ses sujets, disait le préambule, ne luy [permet] pas de différer davantage à leur donner quelques marques de sa bonté et à leur faire connoistre pour ce commencement ce qu'ils en doivent attendre à l'avenir8. »

contraintes. .., les voies ordinaires sont trop faibles. Il semble avec cela que M. de Saint-Luc prenne plaisir à faire périr mes affaires par ses longueurs et ses diffi- cultés » (M. G. 115, 283). Forbonnais a justement remarqué que, par suite de ces mauvais paiements, « les tailles, montées à 57 400 000 1., ne raportoient pas même autant que lorsqu'elles étoient à 18 et 20 millions, comme avant 1620 » (Recherches, I, p. 273).

1. Cf. ci-dessus, p. 48. Le 14 août 1648, Mazarin écrit à Servien : « Les peuples commencent à gouster les douceurs et les espérances qu'on leur a données mali- cieusement de ne payer presque rien, et le remède à ce mal ne pouvant estre que la violence, quelquefois bien pire que le mal mesme, les bien intentionnez sont en petit nombre et ne servent pas à grand'ebose » (Lettres de Mazarin, III, p. 175). Dans l'élection de Gaen, en décembre 1643, 12 paroisses refusent de payer la taille, quoiqu'elles soient en état de le faire (Procès-verbal de chevauchée, cité plus haut).

2. Mémoire de Colbert, 1663, Clém., II, 42.

3. A. D. Calv., Registre de commissions des tailles, 1661-72, 13. Cf. une lettre de Foucquet au Bureau des finances, 24 août 1660, ibid., 2, cl Forbonnais, Recherches, t. I, p. 269.

4. Cf. son mémoire à Mazarin du 1er oct. 1659, Clém., Vil, 176.

5. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances 1656-63, 322. Cf. les

504 LA TAILLE EN NORMANDIE.

A la vérité, cette opération, qui était une pratique ancienne du gouvernement', ne causait pas grand dommage au Trésor, car personne n'espérait recouvrer ces arriérés; le roi, ne perdant rien qu'une vaine créance, se montrait généreux à bon compte. Mais la mesure avait l'avantage d'enlever un prétexte aux exac- tions des receveurs et huissiers, et elle témoignait de la bien- veillance du souverain pour les contribuables.

Pour réaliser ces promesses, on se heurtait à la nécessité d'approvisionner au jour le jour le Trésor toujours vide, avec une administration désordonnée; aussi dès la fin de 1660, le gouvernement accordait-il des mainlevées de la surséance à des à des traitants, tels Monnerot et Gourville2, pour percevoir les arriérés de 1657 à 1660, et les soldats étaient réapparus dans les villages3. Monsieur étant venu à la Cour des aides de Paris pour faire enregistrer ledit supprimant une partie des élus, le 27 août 1661, le Premier Président le haranguait en ces termes :

« Trouvés bon que nous vous demandions si la paix est faite, comme nous n'en pouvons douter après les publications pompeuses et écla- tantes qui ont retenty de toutes parts dans le royaume; pourquoi n'en ressentons-nous pas les effets? Pourquoy les peuples souffrent-ils les mesmes maux qu'ils souffroient durant la guerre? Pourquoi les mesmes édits, les mesmes charges, la mesme misère?... Nous souffrons beau- coup plus que par le passé, puisque nous souffrons sans gloire et sans espérance. Quels sentiments auront les peuples de tous les feux de joie qu'ils ont fait pour la paix? 4 »

Il était réservé à Colbert de réaliser ces réformes, dont il n'a sans doute pas eu seul l'initiative. On a vu comment il réduisit progressivement les tailles dès 1661 5, et remit un peu d'ordre dans toutes les branches de l'administration, par le moyen des intendants. Parallèlement à cette œuvre, il travailla,

dernières paroles de Maznrin au roi, Clém., I, 535, et le préambule de l'édit d'aoïH 1661 portant réduction du nombre des élus.

1. Henri IV avait fait remise de tout l'arriéré des impôts à son avènement; il l'avait renouvelée en décembre 1598, et en mars 1G00 il remettait tout ce qui était jusqu'en l'année 1590 inclusivement. (C. d. T. I, 185). Cf. sur ces remises un plai- doyer de Lebret en 1600, dans ses Œuvret, p. 546. Richelieu en avait fait de même en 1627 et 1628. En 1647, le roi avait remis 17 millions sur l'arriéré des tailles (Forbonnais, I, 253). Les déclarations des 13 juillet et 23 octobre 1648 avaient remis tout l'arriéré jusqu'en 1647 (Néron, t. II, p. 18 et 20).

2. Clém., II, 8. Cf. les Mémoires de Gourville, publ. par Lecestre, avec l'intro- duction.

3. Cf. la sentence du Bureau des finances de Caen, du 18 novembre 1661 : « Sur l'advis... qu'aucuns particuliers traictans prétendent s'immisser a faire paier es eslections de cette généralité les restes deubs des tailles... contre et au préjudice de l'arrest du Conseil d'Estat du 3e aoust 1660,... [Nous défendons] à touttes per- sonnes, de quelques quallités et conditions qu'elles soient de s'immisser à la recette » de ces restes (A. D. Calv. Plumitif du Bureau).

4. Arch. des Affaires étrangères, Mém. et docum., France, 911, 150.

5. Ci-dessus, p. 22-23.

LA LIQUIDATION DU PASSE. 505

dans les premières années, à la liquidation du passé. Le but à atteindre était double : percevoir les impositions arriérées c'était possible, et faire remise aux contribuables de ce qu'ils ne pouvaient payer, de façon à obtenir chaque année une situation nette. Il a expliqué ses vues à Mazarin dans un mémoire du 1er octobre 1659 :

« Il est vray que... les peuples ne payent que la moitié ou les deux tiers de leur taxe dans le courant de cette année [1658] jusqu'en novembre de la suivante 1659, et n'auront achevé de payer cette impo- sition peut-estre qu'au mois d'avril ou may 1660, et dans le courant de cette seconde année, ils payent moitié de leurs impositions anté- rieures; c'est-à-dire, par exemple, que depuis novembre 1658 jusqu'en novembre 1659, les peuples payent la moitié de leurs impositions de la mesme année 1659, un quart de la précédente qui est en 1658, et un quart de 1657 ; en sorte qu'ils payent toujours une année entière dans le courant de douze mois1 ».

Si donc on parvenait à n'avoir plus d'arriéré à une certaine date, on pourrait continuer à n'en avoir plus jamais, sans exiger davantage des contribuables.

La question de la remise des vieux restes, conformément à l'arrêt du 3 août 1660, fut discutée à la première réunion du nouveau Conseil des finances 2. Une simple remise motivée par 1' « impuissance » des contribuables avait l'inconvénient d'encourager les mauvais payeurs et de compromettre les recou- vrements de l'avenir. Le Conseil, dit Colbert, représenta au roi

« Que rien n'avoit esté trouvé jusqu'alors si préjudiciable au recou- vrement de ses deniers que ces sortes de remises, parce que ses peu- ples qui payoient règlement et soigneusement n'en profitoient point, il n'y avoit que les malintentionnés, et qui ne payoient que par la force, qui, non seulement se confirmoient dans leur opinastreté, mais mesme atliroient les autres par l'avantage qu'ils y recevoient ».

On résolut donc « d'attendre quelque grande occasion, qui fust de telle qualité qu'elle ne pust tirer a conséquence, pour faire cette remise3 », et cette occasion fut la naissance du Dau-

1. Glém., VII, 176.

2. Il appartenait au Conseil, d'après le règlement du 15 septembre 1661, de tra- vailler à « diminuer et ôter, s'il se peut, toutes les causes de diminutions de fermes et des non-valeurs des recettes générales et... tenir soigneusement la main à ce que le recouvrement des dites impositions soit fait dans les temps prescrits par les ordonnances, en sorte que les dépenses que Sa Majesté assignera sur les dites impositions soient ponctuellement payées et acquittées » (Glém., II, 750).

3. Mémoire de Colbert sur les affaires de finances, 1663, Clém., II, 47-48. Cf. les Mémoires de Louis XIV, éd. Dreyss, t. II, p. 398. Dans une lettre du 4 mars 1663, les trésoriers de France à Grenoble signalaient à Colbert les inconvénients de ces remises de restes : « La plus grande partie des habitans des communautés de cette généralité font [difficulté] de payer la taille, et ne la vodront payer a l'advenir que par la force des gens de guerre, disants que S. M. ayant surcis les

506 LA TAILLE EN NORMANDIE.

phin, arrivée le 1er novembre 1661. Le 5 janvier suivant, un arrêt du Conseil ordonna la remise. « Le roy, disait cet arrêt, ayant résolu de donner tous les jours de nouvelles marques de sa bonté paternelle envers ses peuples », et voulant « par- tager avec eux la joie » qu'il avait de la naissance d'un fils, reconnaissant d'autre part qu'il « ne pouvoit faire un bien plus considérable à ses peuples que de leur remettre tous lesdits restes, non seulement par les grandes sommes qui sont deues dans toutes les généralités du royaume, mais mesme par la multiplicité des contraintes qui causent de grands frais à ses peuples », les quittait de tout ce qu'ils n'avaient pas payé des années antérieures à 1657, espérant « les exciter à payer le plus soigneusement qu'il leur sera possible les impositions qui seront faites pour l'advenir ». Les receveurs et collecteurs devaient d'ailleurs vider leurs mains de tous les deniers qu'ils avaient encaissés jusqu'à la date des présentes1.

L'application de cet arrêt fut laborieuse. Les receveurs étant, comme on l'a vu, « en demeure de compte » depuis nombre d'années, on ne pouvait savoir au juste ce qu'ils avaient encaissé et ce qui leur était réellement par les paroissses. Impossible également de vérifier la recette des collecteurs. Les Bureaux des finances mirent quatre ans à apurer ces comptes, leur rivalité avec les Elections contribuant encore â retarder leur travail2.

tailles du pané, qu'EUe sursoira les présentes et celles de l'avenir, n'ayant qu'a se detl'endre des exécutions des collecteurs et receveurs pour quelque temps pour s'exempter de la taille. Pareille sursouyance acoordée en l'année 1648 rendit les peuples rebelles a la taille durant quatre années, pendant lesquelles lesdits rece- veurs ny leurs commis ne pouvoietit aller dans lesdictes communautés sans npré- ention de leur vie... N'estoit lu permission... accordée par S. M. de faire lever la partie de l'Espargne par les gens de guerre qui sont ù présent dans la province, il est certain que la taille courante ne se pourroit lever, parce que les plus gros cottisez, qui ont payez cy-devant leurs cottes desdictes tailles volontairement, voyant que leurs voysins, pour avoir fait quelque résistance, sont a présent déchargés du payement de leurs cottes, sans doute ils feront difficulté de les payer a l'advenir. » (M. C. 115 107). En 1659, dans la région de Joigny, le faux bruit ayant couru que le roi remettait les restes de l'année précédente, les contri- buables s'attroupaient pour résister aux huissiers qui voulaient les contraindre à payer (Arrêt du Conseil du .S mai 16">9, A. D. Seinc-et-Oise, C, 89).

1. A. D. Culv., Election de Cacn, Registre d'ordonnances 1656-63, 465. Con- firmé par la déclaration du 6 mai 106] (A. D. S.-Inf., C. 1463, pièce 9). S. M., disait encore l'arrêt, « auroit esté longtemps empesché de faire celle remise par les fascheuses suites qu'elles ont eues par le pusse, qui ont fait voir que les peuples, persuadez qu'elles leur seroient tousjours fuites de temps en temps, se sont endurcis a payer les impositions courantes ».

2. Le Bureau de Rouen ayant, le 20 juillet 1663, commis un élu, Jacques Leva- vasseur, pour vérifier les quittances des collecteurs et dresser l'état des restes antérieurs à 1657 (Plumitif du Bureau. A. D. S.-Inf., C 1105; 142, v°), celui-ci mit la plus mauvaise volonté possible à son travail : au bout d'un un, interrogé sur l'état de sa vérification il vient déclarer au Bureau qu'il n'a travaillé vertu de l'ordonnance du Bureau, dont il n'a eu connoissance, mois bien vertu d'arrest du Conseil du mois de janvier 1662, avec commission » de l'intendant (Ibid., C 1166, 128, 14 juillet 1664). Quinze jours après, sommé de présenter un état, il répond « que son greffier luy a dit avoir baillé le procès-verbal de la vérification

LA LIQUIDATION DU PASSE. 507

En 1665, pour en finir, la Chambre des Comptes décide de faire présenter par les receveurs directement aux Bureaux des finances leurs états de restes1, de 1638 à 1656 inclusivement. Pendant plus d'une année encore, les trésoriers de France tra- vaillèrent à réunir et à vérifier ces états sans que jamais on ne parvint à savoir « la vérité au vrai ». Suivant un intendant, le seul moyen d'aboutir eût été d'envoyer des hommes habiles ^dans toutes les paroisses pour « vérifier avec les collecteurs de chascune année ce qui est deub », mais c'eût été « un travail de grande discussion2 », qu'on ne pouvait entreprendre3. Les « reprises » des vieux restes furent faites dans les comptes des receveurs sans contrôle détaillé, et l'affaire en resta là.

Assurer la perception des arriérés qui n'étaient pas remis, n'était pas une opération moins délicate que la première. On ne pouvait songer à la faire faire par tous les receveurs, chacun s'occupant de l'année il avait exercé : la même paroisse aurait été en proie à trois ou quatre receveurs, expé- diant chacun leurs contraintes; dans la généralité de Clermont, les restes, engagés à l'Hôtel de ville de Paris, étaient perçus par trois receveurs différents, le pays en était ravagé*. Un traité unique fut donc conclu dans chaque généralité avec un receveur général 8 qui devait lui-même sous-traiter pour la percep- tion dans chaque élection; mais alors s'imposait la nécessité de faire présenter aux receveurs dépossédés des états de restes exacts.

Un arrêt du Conseil du 30 mars 1662 leur ordonna de fournir ces états « incessamment » aux Bureaux des finances6, avec interdiction de rien percevoir, tant qu'ils n'auraient pas obéi.

des restes, en son absence, à M" Henry Piguet, procureur en la Chambre des Comptes, pour M8 Jean Sonning, receveur des tailles » (Ibid., 141, v°, 1er août 1664). Le Bureau ne put jamais en obtenir davantage.

1. Arrêt du 13 mai, mentionné au plumitif du Bureau de Rouen, ibid., C 1167, f 177, v».

2. D'Herbigny à Colbert, 5 juin 1666, M. C. 138, 213.

3. Le 28 septembre 1663, un sieur Lefebvre-Chantereau demande à Colbert qu'on lui paye ses gages, comme on le lui avait promis, avec les « deniers recelés par les collecteurs de l'élection de Crespy pendant les années remises »; c'est lui qui en a fait la recherche, en sorte, dit-il, « qu'il n'en couste rien au roy pour me faire cette justice » (M. C. 117, f 249). Mais c'est un cas isolé.

4. Le t. de l'intendant à Colbert, 21 octobre 1664, M. C. 124, 441. Cf., sur la désolation du pays, la lettre des Trésoriers Généraux, du 8 mai 1663, ibid., 115 blt, 891 : « Il ne reste dans les paroisses que ce que les dernières violences n'ont pu arracher, ce que des compagnies entières de gens de guerre n'ont pu exiger ny emporter, et qui ont laissé une misère et une désolation générale; elle est plus grande que nous ne pouvons l'exprimer ».

5. Il semble que l'on conclut avec chacun un forfait, basé sur les estima- tions des intendants : je n'en ai pas trouvé trace pour la Normandie, mais c'est ainsi qu'on opéra en Auvergne (M. C. 124, 4'il) et en Poitou (ibid., 536).

6. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, année 1662, 31. Une instruc- tion fut adressée par Colbert en janvier 1663 aux Bureaux pour appliquer l'arrêt (ibid., à la date du 26 janvier 1063).

508 LA TAILLE EN NORMANDIE.

La difficulté d'obtenir ces comptes était la même que pour les restes entièrement remis * ; mais l'opération fut conduite avec plus de diligence, grâce ;■ I intervention des receveurs généraux qui y étaient intéressés. Celui de Rouen étant venu se plaindre au Bureau, le 28 février 1663 2, qu'il n'avait pu obtenir jusqu'ici aucun état des receveurs particuliers, il se fait délivrer une ordon- nance pour les contraindre ' ; le 11 septembre suivant, il fait expé- dier un arrêt du Conseil, qui accorde aux receveurs un délai de quinze jours pour s'exécuter*, et comme, cinq mois plus tard, il n'a encore rien obtenu, les receveurs s'étant bornés, dit-il, à « exciper des advances ou ils prétendent estre pour lesdites années », quoiqu'ils aient « des deniers en leurs mains de ceux deubs à ladite recepte générale, ce qui faict voir que leurs allégations touchant lesdites advances prétendues sont illu- soires », il obtient une nouvelle ordonnance du Bureau, portant injonction aux receveurs de fournir leurs états « dans huitaine ». Cinq semaines après, il réitère encore sa plainte, et fait déli- vrer une quatrième ordonnance de mise en demeure, qui semble avoir enfin produit effet. Il ne fallut pas moins de ténacité, dans les autres généralités, pour aboutir.

L'intervention des intendants ne contribua d'ailleurs pas fai- blement à ce succès. Un arrêt du Conseil du 6 septembre 1663 leur avait enjoint de se faire « représenter par les receveurs ou commis aux receptes des tailles les estats certifiez aux peines de l'ordonnance de leurs restes depuis et compris l'année 1657 jusqu'à présent, avec leurs diligences5 ».

A partir de 1666, les états lurent déposés, non sans lenteur, du reste. Celui de l'élection de Bayeux est du 10 mai 1666 6, celui d'Avranches du 5 mars 1666, celui de Caen du 30 jan- vier 1666, celui de Coutancês, du 23 octobre 1668 7.

Le tableau suivant donne le montant des restes que j'ai pu connaître' :

1. Le receveur de Valognes représentait au Bureau de Caen le 26 mai 1662 qu'une partie de ses quittances lui manquaient, et il demandait un délai de six mois pour s'exécuter; et comme il avait à payer les gages de certains officiers, le Bureau l'autorisait à continuer néanmoins sa perception. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, 16U2, 1.2.

2. A. D. S.-Inf., C 1165, 46, v°.

3. Ibid., f 203.

4. Ibid., C 1166, 67. '

5. Publié dans Godard, Les pouvoir» des intendants, p. 501-503.

6. A. D. Calv., Election de Bayeux.

7. Ibid., fonds de ces élections.

8. Renseignements tirés, pour la généralité de Caen, de la série d'états au vrai présentés au Bureau des finances; pour celle de Rouen, du plumitif du Bureau, année 1661 (C, 1164). Je néglige les sous et les deniers. Les blancs dans les colonnes indiquent que nous n'avons pas de chiffres pour l'élection à la date considérée.

LA LIQUIDATION DU PASSE.

509

ÉLECTIONS

DATE DE L'ETAT

1657

1658

1659

1660

1661

Avranches ....

20 juin 1661 4 mars 1666

2 495 1.

néant

10 mai 1666

5761.

857

3 402 1.

5 973 1.

30 janv. 1666

205 1.

108

1413

Carentan ....

20'janv. 1659

105 050

Coutances ....

23 oct. 1668

52

448

706

558

Evreux

26nov. 1661

13 716

Montivilliers. . .

7 déc. 1661

18 000

21 janv. 1666

néant

néant

néant

néant

néant

14 déc. 1661 2 avril 1665

20 595

8 653

26 mai 1662 22 oct. 1663

6 479

4 302

16 mars 1666

375

néant

142

néant

454

Assurer la perception de ces restes dans les paroisses fut également une tâche délicate. Les contribuables, qui se flat- taient de l'espérance de n'en rien payer, n'obéissaient qu'aux plus dures rigueurs, et le gouvernement n'osait pas trop les presser, par crainte de compromettre la perception du courant.

En Normandie, le recouvrement fut particulièrement entravé par certaines fautes, volontaires ou involontaires, de l'adminis- tration. Un monitoire de la Chambre de justice publié dans les paroisses au début de 1662 avait parlé des remises de restes « accordées aux peuples... dès années 1656, 1657 et 1658 »; les contribuables en prirent texte pour ne pas payer les restes de 1657 et 1658; il fallut un arrêt du conseil du 30 mars 1662 pour les détromper et leur rappeler l'arrêt du 5 janvier 1662 *. Vers le même temps, on faisait courir de faux bruits sur « la remise des tailles de l'année courante et des cinq années précé- dentes »; le Conseil dut encore les démentir2. Enfin, quelques mois après, on mit en circulation dans les provinces des imprimés de la déclaration du 6 mai 1662, confirmative de l'arrêt du 5 janvier, avec ce titre : Remises des restes des tailles, taillon, subsistances et autres, indéfiniment; il fallut un troisième arrêt du Conseil pour désabuser les contribuables, qui finissaient par croire tout de bon à la remise3. En août 1664, encore, Colbert écrit aux intendants : Veillez à ce que « les peuples ne se persuadent pas qu'on veut leur remettre ces restes4 ».

1. A. D. Calv., Plumitif de Bureau des finances, année 1662, 31.

2. Arrêt du 5 avril 1662, ibid, 33.

3. Arrêt du 11 janvier 1663, ibid, Election de Caen, registre d'ordonnances 1656-63, à sa date.

4. Circulaire du 8 août 1664, Clém., II, 9 (donnée à tort comme une lettre à de Fortia, et datée par erreur du 8 août 1663). Cette illusion des contribuables fut tenace : encore en 1686, l'intendant de Limoges écrit qu'en certaines paroisses, on fait « toujours courre le bruit que [les tailles] sont remises, et quelques décharges qu'ils ayent tous les ans, ils sont toujours en reste » (inventaire des Archives départementales , Haute-Vienne, série C, p. 274).

%

510 LA TAILLE EN NORMANDIE.

Les intendants eurent mission de surveiller les receveurs pour que l'opération n'entravât pas le paiement du courant : aucune contrainte ne pouvait être exécutée sans leur visa; ils devaient reconnaître « la cause du retardement, et, en cas que ce soit par impuissance, y pourveoir au prochain département, cependant donner les ordres nécessaires auxdits receveurs et commis pour régler de gré à gré des termes avec les collec- teurs pour le payement de ce qu'ils pourront devoir », enfin, le cas échéant, faire exécuter par la maréchaussée les paroisses rebelles '. Cette surveillance était d'ailleurs malaisée. L'intendant de Moulins écrit le 5 mars 1665 : « Jusqu'à présent, il m'a esté impossible de n'avoir aucune lumière » touchant ces contraintes 2. Colbert recommandait les ménagements à ses subordonnés : « Quant aux restes..., il en faut prolonger le payement en sorte que les peuples en puissent recevoir quelque soulagement en leur misère3. » Mais le besoin d'argent commandait, et il fal- lait, malgré tout, assurer le recouvrement. Le 4 mars 1666, le ministre écrivait à Voysin : « Le roy ayant tiré des assignations sur les restes de taille deubs de la généralité de Rouen depuis l'année 1657 jusques a présent, que S. M. désire de s'acquitter, je vous escris ces lignes pour vous dire que son intention est que vous visiez les contraintes décernées contre les paroisses redevables par les receveurs des tailles, en tenant la main qu'il ne s'y fasse pas de vexations \ »

La levée se fit cependant avec rigueur. Dans les provinces les restes étaient élevés, comme 1 Auvergne et la Gascogne, les receveurs ne pouvaient rien tirer que par des solidités et des logements de troupes5. La Normandie fut parmi les moins

1. Arrêt du 6 septembre 1663, dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 502. Cf. l'arrêt du Conseil du 30 mars et la déclaration du 6 mai 1662, A. D. Calv., Election de Caen.

2. M. C. 128, P 176.

3. Let. du 8 août 166%, Clém., H, 7. Cf. la lettre à Lejay, 17 juillet 1662 : vos ennemis vous reprochent de ne pas assez presser les recouvrements, mais j'ay bien compris que vous avez de bonnes raisons pour ne les pas entièrement satis- faire en cela, particulièrement à cause de l'extrême misère que la province a souf- ferte, et qu'il n'estoit pas juste de presser les peuples dans une année si fascheuse > (ibid., 223).

4. M. C. 128, P 176. Minute de Colbert; non publiée par Clément.

5. En Touraine, en Orléanais, en Poitou, les frais « sont presque aussy grands que le principal. » Let. de Ch. Colbert, 7 nov. 1665, M. C. 133, £• 176. Sur les concussions des receveurs en Auvergne, v. les lettres de Joly, 27 nov. 1663, dans Depping, III, 50. de Fortin, 29 août 166», M. C. 123b", P 537, et de Pomereu, 28 sept. 166 \, ibid., 117, P 251. Charles Colbert écrit le 11 août 16<i4 de Touraine : « Je vois bien que pour remettre ces recettes-cy pour l'avenir en Testât qu'elles doivent estre, il faudra de nécessité accorder de grandes descharges pour le passé » (ibid., 123, P 312), et le 15 novembre suivant : « Les collecteurs et autres hnbi- tans pris pour la .solidité ont esté poussés à ce point qu'il y a beaucoup de par- roisscs dont on n'a rien pu tirer, ny par logements de gens de guerre, ny par des emprisonnemens d'une année entière, et dans cet accablement de restes, il est impossible qu'ils ressentent beaucoup de soulagement des diminutions qu'on leur accorde pour le courant, car il n'y a point de bons habitans qui ne soient ou col- lecteurs redevables de la taille ou du sel, ou pris pour la solidité » (ibid., 125, P 406).

LA LIQUIDATION DU PASSE. 511

accablées par cette perception. Néanmoins il fallut employer, on l'a vu, les troupes pour faire payer certaines paroisses1, et l'opération traîna jusqu'aux environs de 1669. Les receveurs particuliers surtout eurent à souffrir des exigences des leurs supérieurs. Maintes fois ils furent poursuivis devant les Bureaux des finances pour avoir à « vider leurs mains » de sommes qu'ils avaient perçues et non versées, ou pour activer leurs diligences. A la fin de 1661, le receveur général de Rouen fait emprisonner les receveurs particuliers d'Evreux, de Rouen et du Pont- l'Evêque pour leurs restes; celui d'Evreux doit 13 716 1. de l'année 1659, mais il affirme que les collecteurs lui redoivent « plus de 20000 l.2 ». Celui de Rouen est en reste de 209 681 1. pour la même année 3. A celui de Pont-1'Evèque, le receveur général réclame 50000 1. pour les restes de 1660; mais le Bureau des finances, après vérification des comptes, réduit le chiffre à 33 133 1. 4, « pour le recouvrement desquelles, déclare- t-il, il a faict toutes les dilligences possibles, n'en pouvant faire de plus pressantes, a joindre que la plupart des commissaires des tailles de ladite ellection sont décédez3 ». Le receveur de Montivilliers est également inquiété pour un arriéré de 18000 1. sur cette année 1659°. Lorsque les receveurs de la généralité de Caen présentèrent leurs comptes au Bureau des finances, au début de 1666, il leur était encore de notables sommes pour les années 1657 à 1661, et il n'est pas sûr qu'ils aient jamais pu les recouvrer entièrement7.

En 1664, Colbert, voulant en finir, projetait d'abandonner tous ces restes à titre de non-valeurs. Il enquêta auprès des intendants sur les conséquences éventuelles de cette mesure; tous furent d'avis qu'elles seraient fâcheuses : « Il ne faut point flatter les peuples d'aucune remise pour le passé, dit celui d'Orléans... Il vault bien mieux diminuer les impositions cou-

L'intendant d'Orléans, en 1669, signale « la misère dont souffrent les peuples, tant à cause de la stérilité des années dernières que par le recouvrement des restes du passé depuis 1657 jusqu'en 1661 » (Glém., II, 9), et vers le même temps le rece- veur d'Auch écrit à Colbert : « Si l'on n'arrête la violence avec laquelle l'on fait lever les restes des vieilles années, assurément cela retardera et peut-estre appor- tera la ruine de nos recouvremens. » (Let. du 23 avril 1663, M. G. 115"'% 657). A Montauban, en 1663, tout est dû, ou presque, depuis 1657: les paroisses du comté de Foix, « accoutumées » à ne pas paver, résistent à toutes les contraintes (Let. de Pellot, 17 sept. 1663, ibid., 107, 105;,

1. Ci-dessus, p. 499.

2. A. D. S.-Inf., C 116'», 206.

3. Ibid., 226. Le Bureau ordonne son élargissement, attendu qu'il a une caution.

4. Ibid., f°« 199 et 203.

5. Ibid., 181.

6. Ibid., 214.

7. On ne peut donner des chiffres exacts, parce qu'il manque les états de plu- sieurs années en diverses élections. Un arrêt du Conseil du 4 octobre 1670 défend à tous receveurs d'exécuter aucune contrainte pour les restes antérieurs à 1662, sans l'autorisation du Conseil {Mém. alphab., p. 168), preuve qu'à cette date l'opération n'était pas terminée partout.

612 LA TAILLE EN NORMANDIE.

notes, alfin que les peuples ne se flattent point d'une des- charge qui les rend ordinairement mauvais payeurs, surtout les parroisses qui ont de l'appuv * ». Celui de Grenoble écrit de son côté : « Il est assurément de la dernière conséquence de faire espérer des remises de restes aux peuples* », et le receveur de la même généralité : « Cette surséance [projetée] est de dan- gereuse conséquence, et n'apportera d'autre soulagement a la province que celle d'authoriser la désobéissance des méchans payeurs, qui ne sont pour la pluspart que la cotte des puissans, car le pauvre païsan paie tousjours la taille des premiers, et ce qui fait nos non-valeurs, ce sont les fermiers de nos gentils- hommes et autres mains-fortes3 », et Charles Colbert, en inspec- tion dans la généralité de Tours :

« Je ne treuve point [de moyen] quy ne tire a conséquence, car de remettre les restes des années les plus elloignées, comme il a pieu au roy de le faire cy-devant, on a veu par expérience que cette grâce n'a produit que de la dureté et de l'opiniastreté parmi les habitans qui en ont conçu de l'espérance d'obtenir a l'avenir de semblables descharges. De reimposer les dits restes, il y a selon mon sens moins d'inconvé- niens;... par vous empeschcriés les abus et friponneries que les receveurs peuvent commettre dans une remise générale, vous scauriés aussy au vray a combien montent les restes sans qu'il soit besoin d'une plus grande veriffication, car les habitans qui croiroient les devoir payer par cette reimposition auroient interest d'empescher que les receveurs ne leur imputassent de plus grands restes qu'ils n'en doivent. Le plus grand inconvénient que j'y treuve est que cette grâce, qui coustera beaucoup au roy, se fera sourdement et sans esclat, en sorte que les peuples ne pourront pas reconnoistre ce nouveau tes- moignage de la bonté de S. M. en leur endroit, et d'ailleurs il seroit bien rude aux habitants quy ont bien payés de grand taux et quy ont fait effort pour se libérer, d'esfre a présent réimposés4. »

Colbert abandonna son projet à la suite de cette consultation; mais aucune diligence ne fut plus faite contre les receveurs, et ce qui n'était pas payé en 1668 ne fut jamais exigé. L'affaire, comme celle des restes antérieurs à 1657, fut abandonnée.

1. Let. des 19 août et 15 décembre 1664, M. C. 123 404, et 126, f* 352.

2. Let. du 25 août 1664. M. C. 123, t 473. Cf. la lettre des trésoriers généraux de Grenoble ù Colbert, 4 mars 1663, citée plus baut, p. 505, note 3.

3. Let. du 16 mars 1664, Depping, III, p. 64.

4. Let. du 13 août 1664, M. C. 123, 404.

LA TAILLE I>E 1661 A 1672. 513

II. LA TAILLE DE 1661 A 1672

En même temps qu'on travaillait à la liquidation du passé, on améliorait la perception du courant. Chaque année de nouvelles réformes étaient accomplies, les contribuables étaient enrichis et l'impôt diminué. Dans le préambule des commissions des tailles pour 1664, le roi disait :

« La paix dont par la grâce de Dieu nous jouissons présentement nous donnant le temps de nous occupper à la réformation des abus que la licence de la guerre avoit causé au préjudice de nos sujets, notre principalle pensée est de travailler à leur soulagement. C'est pourquoy après leur avoir accordé la remise des restes des tailles de dix années et des diminutions considérables sur les trois années dernières, nous voulons encore leur augmenter nos grâces pour la prochaine, en telle sorte que par cela il y aura lieu d'espérer que les contribuables aux dites tailles ressentiront un soulagement sensible, pourvu que le régal- lement en soit fait avec soing en faveur des paroisses qui ont été sans protection. Aussy est-il raisonnable que les dits contribuables satisfas- sent au payement des sommes auxquelles ils seront imposez *. »

Colbert commentait ce texte dans une circulaire aux inten- dants du 20 août 1663 : « La diminution ne vous paroistra peut-être pas fort considérable, [mais] il sera bon de remarquer qu'elle a esté si grande les années dernières, que la taille est presque diminuée d'un tiers, et que la partie employée pour le remboursement des esleus tournera au soulagement des peu- ples... de sorte que, par ces deux raisons, il y a lieu d'espérer que les impositions estans bien faites, les peuples les acquit- teront avec facilité2 ».

L'année suivante, les commissions des tailles vantent encore les réformes entreprises, et les diminutions d'impôt accordées :

« Encore qu'après la paix nous nous soyons trouvé chargé de beau- coup de despences, nous avons néanmoins diminué nos tailles de notables sommes capables de soulager les contribuables, mais à nostre grand regret ils ne s'en sont pas ressentis au point que nous l'aurions souhaité à cause de la disette des bledz et autres fruicts arrivée es années 1660 et 1661 et des maladies qui ont fait mourir quantité des dits contribuables. C'est ce qui nous a fait résoudre d'accorder encore quelques diminucions d'une année à autre selon que Testât de nos affaires le pourra permettre, désirant avec passion (après la refforma- tion des abus de nos finances) de rétablir le commerce et les manufac- tures dans nostre royaume, de telle sorte que les marchands et artisans

1. A. D. Galv., Registre de commissions 1661-72, 213.

2. Deppiriç, III, p. 33. Cf. le mémoire de Colbert sur les finances, 1663 : « Le roy travaille à enrichir les peuples par la diminution des impositions ». (Clém., II, 65.)

IV TAILLE EN NORMANDIE. 33

514 LA TAU. 1.1. I.\ NORMANDIE.

gaignans leurs vies ils payent plus facilement les charges de nostre Estât*. »

En 1665 encore, le roi rappelle les nouveaux règlements qu'il a rendus « afin de faire cesser les abus et les vexations qui se font aux impositiorts et levées de nos deniers ; » il a travaillé à « résoudre plusieurs suppressions d'officiers des Elections et autres, a en retrancher d'inutiles employez dans les estats défi maisons royalles, a revocquer quantité d'ennoblis par lettres obtenues moyennant finance modicque ou soubz de faux prétextes, par le moyen de quoy le nombre des contri- buables se trouvera augmenté au soulagement des pauvres; outre lesquels advantages, ajoute-t-il, nous faisons estât que le commerce et les manufactures que nous restablissons fortement en ce royaume donneront moyen auxdits contribuables de débiter leurs denrées et gaigner leur vie plus commodément qu'ils n'ont fait que par le passé* ». En août 1664, en effet, avait été publié le grand règlement général des tailles, et le 4 juillet précédent, les saisies, courses et exécutions des huissiers avaient été minutieusement réglées; puis l'arrêt du conseil du 5 juillet 1665 avait interdit les abus commis dans les rejets d'impositions.

En 1666, les intendants sont établis à demeure dans les généralités, surveillent les élus, trésoriers de France et rece- veurs; ils commencent à dresser leurs mémoires généraux, dont Colbert s'inspire pour ses réformes3. Cette même année, la prospérité des campagnes commence à réapparaître*, et le roi continue à assurer ses sujets de sa volonté de s' « appliquer avec soin et affection à tout ce qui regarde [leur] bien et soula-

gement... et les faire jouir des fruits de la paix qu'il a plu a ieu [de] donner5 ».

Dans cette période de 1661 à 1666, un grand effort a été fait pour hâter les recouvrements,' mais les résultats n'en apparais- sent pas, à cause de la perception des restes, faite en même temps. La taille de 1661 était payée avec grande lenteur : au 7 novembre de cette année, les contribuables de lélection de Vire n'avaient payé que 40 p. 100 de leur impôt6; au 27 octo- bre 1662, ceux de Mortain n'ont acquitté que 35 p. 100 de l'année

1. A. D. Calv., Registre de commissions de 1661 ù 1672, F 317.

2. Ibid., P 382.

3. Le premier de ces mémoires dont nous ayons connaissance est adressé par Chamillart le 25 février 1666. « J'ay travaillé avec aplication, dit-il en l'annon- çant, a reconnoistre les abus qui se commettent dans l'imposition et le paiement des tailles. J'espère que mon travail ne sera pas inutile ». (M. C. 139, 453.)

4. Ci-dessus, p. 70.

5. A. D. Calv., Registre de commissions, 1661-72, P 440.

6. Imposition de l'élection : 357 269 1. Somme payée : 175 649 1. (A. D. Calv., Bureau des finances, registre d'ordonnances sur différentes affaires.)

LA TAILLE DE 1661 A 1672.

515

courante, et redoivent beaucoup d'arriéré1. Au 30 juillet 1665, ceux de Caudebec redoivent 25333 1. sur l'année précédente2. Au 17 octobre 1665, l'arriéré de Montivilliers s'élève à 1812 1. pour 1660; 7 720 1. pour 1662, 515 1. pour 1663; nous n'avons pas les chiffres de 1662 et 16643. Au 1er avril de la même année, Coutances redoit 28 400 livres sur sa taille de 1663 4. Au début de 1666, lorsqu'on put obtenir enfin des receveurs des comptes en règle, on constata qu'en toutes les élections, ou à peu près, il y avait des arriérés pour toutes les années depuis 1661. Le tableau suivant, relatif à la généralité de Caen, donne le montant de ces restes au début de 1666 5 :

ÉLECTIONS

1661

1662

1663

1664

1665

TOTAUX

Avranches (4 mars). . Bayeux (5 mai) .... Caen (30 janvier) . . . Mortain (21 janvier). . Valognes (14 mars). .

140 1. 5 973

néant 454

280 1. 3 259 3 505

364 1204

1 679 1.

5 706

7 727

2 191 1.

4 219

8 020 15 195 25 261

46 431 1.

77 122 107 394

61 561 1.

98 387 142 040

On voit que l'élection de Bayeux a un arriéré égal à plus du quart de son imposition annuelle; Mortain et Valognes redoi- vent chacune plus d'une demi-année d'imposition, sans compter les restes des années 1657-1660. Mais cet état peut être consi- déré comme heureux si on le compare à celui de 1661.

Dans les quatre années suivantes, le montant de la taille est encore réduit progressivement : il passe, pour les 18 généralités d'élections, de 36 084 610 1. en 1666 à 33 782 210 en 1669 et 33 795 797 1. en 1671 6. Les commissions de 1668 font valoir cette diminution, d'autant plus méritoire que le roi avait eu à mettre sur pied ses armées pour la guerre de Flandre :

« Encore que dans l'occasion des guerres qui surviennent il soit assez ordinaire d'augmenter les impositions pour subvenir aux dépenses nécessaires pour les soutenir, nous avons néantmoins donné tel ordre à nos finances que nous espérons satisfaire non seulement aux charges de nostre Estât, mais aussy à celles de la guerre que nous avons entreprise dans les Pays bas... sans fouler nos subjects, lesquels

1. Imposition de l'élection en 1662 : 211 396. Somme payée : 75 243 1. L'arriéré de 1660 s'élève à 7 220 1. {ibid.).

2. Imposition de l'élection en 1664 : 230 400 1. (A. D. S.-Inf., G 1 164, 139).

3. Ibid. G. 1 167, 226.

4. A. D. Galv., Registre d'ordonnances sur différentes affaires.

5. A. D. Calv., Bureau des finances. Les états de restes avaient été présentés au Bureau à. la suite d'une ordonnance de celui-ci, du 11 janvier 1666. Les états des élections de Garentan, Coutances et Vire sont perdus. Nous n'avons pas d'états afférents aux années laissées en blanc dans le tableau. Les sous et deniers sont négligés dans les sommes ci-dessus.

6. Chiffres des commissions (B. N. fr. 6783).

SIC LA TAILLE EN NOHMAXDIE.

au contraire nous voulons soulager par une diminution que nous leur accordons sur nos tailles de l'année mil six cens soixante huit en faveur des paroisses qui se trouveront en avoir le plus de besoing, faisant estât d'augmenter nos grâces à nos subjects aussitost qu'il aura plu à Dieu de bénir nos armes et nous donner le succez que nous en attendons de «a bonté et de sa justice. Et cependant nous espérons les faire jouir des fruicts de la paix que nous avons faite avec les Anglais par la liberté du commerce, lequel donnant moyen a nos ditz subjects de débiter leurs danrées, ils auront de l'argent plus abondament pour satisfaire au payement de leurs tailles et à leurs alfaires particulières '. »

Aussitôt la paix faite, le roi a « pensé au soulagement de [ses] subjetz », et réduit encore la taille2, la ramenant à un chiffre que l'on n'avait pas vu depuis longtemps. En même temps, Colbert a multiplié ses recommandations aux intendants, en visant surtout à améliorer les recouvrements. Il n'y a, leur dit-il en 1670, « rien de plus important pour le soulagement des peuples que de travailler incessamment à ces trois points : le premier, de diminuer les frais de contrainte; le second, d'em- pescher l'emprisonnement des collecteurs, et le troisième, la saisie des bestiaux3 ». « Je ne doute pas que vous n'em- ployiez tous les expediens possibles pour diminuer [les frais], en déclarant mesme aux receveurs des tailles et aux commis aux recettes que, si ce désordre continue l'année prochaine, S. M. fera commettre à leur place4. » « L'excuse que les receveurs des tailles prennent pour faire des contraintes sur les peuples n'est pas bonne, vu que les trois généralités de Normandie ont esté autant et plus soulagées qu'aucune autre, et qu'il me semble que les peuples y travaillent davantage et sont fort ponctuels à payer... L'intention de S. M. est que vous donniez toute l'appli- cation nécessaire pour faire cesser ces contraintes5. »

Cependant, la misère apparaît a ce moment même dans les provinces. Comme avant 1661, les recouvrements deviennent difficiles et les receveurs, pressés par le gouvernement, multi- plient leurs contraintes. En 1669, aucune élection n'a complè- tement payé sa taille de 1666; pour la généralité de Caen, cet arriéré dépasse 73800 1. 6. En octobre 1670, l'élection de la

1. A. D. Calv., Bureau de9 finances, Registre de Commissions, 1661-72, 555.

2. Commissions pour la taille de 1669, ibid., P 595. Cf. la let. de Colbert du 24 ocl. 1670 : « le soulagement que S. M. leur accorde [aux peuples] tous les ans > (Clém., II, 75).

3. Let. ù l'intendant de Rouen, 12 septembre 1670. Clém., II, 73.

4. Let. a l'intendant de Tours, 17 octobre 1670, ibid., p. 75, note.

5. Lot. à l'intendant de Rouen, '26 septembre 1670, ibid., p. 75. Cf. p. 73, la réponse de Colbert ù Chamillart, 10 octobre 1670; la lettre de ce dernier est dans Clairamb., 792, p. 337. Voir aussi les lettres de Colbert à d'autres intendants, Clém., II, 75 et suiv.

6. Arrêt du Conseil du 27 février 1669 (A. D. Calv., Bureau des finances). Le receveur général de Caen redoit au Trésor pour l'exercice 1666, 27 973 1., mais

LA TAILLE DE 1661 A 1672. 51fl

généralité de Rouen qui est le plus en avance dans ses paie- ments, Caudebec, redoit encore de quinze à seize cents livres sur les années 1668 et 1669 ', Dans l'élection de Valognes, au 14 décembre 1671, les paroisses redoivent 11 784 l. de leur taille de 1670 2. Les arriérés des vieilles années démeurent impayés : en 1674 un collecteur de Tournebu exécute encore des contribuables pour la taille de 1662 3; en 1677, un habitant de Bretteville sur Dive mourra en laissant à ses héritiers des créances pour la taille de 1660 et 1670, années il avait été collecteur porte-bourse4.

Voilà un résultat déconcertant des réformes de Colbert : la taille a été réduite, la répartition et la levée ont été améliorées, et cependant les contribuables sont plus malheureux. Comment l'expliquer? Une première cause n'est pas douteuse : à côté de la taille, il ne faut pas l'oublier, existaient d'autres impôts, qui pesaient de tout leur poids sur les paysans; or, la plupart de ces impôts ont été notablement accrus dans les dernières années : les droits sur les boissons ont été augmentés, le tarif douanier de 1664 a été aggravé en 1667, le contrôle des exploits établi, les droits de Irancs-fiefs perçus avec de nouvelles rigueurs ; si bien que le produit des fermes est passé de 43 mil- lions en 1664 à près de 50 en 1670 3; en outre la plupart des provinces ont eu des troupes à loger, impôt non moins lourd que les précédents.

Mais ce fait ne peut suffire à tout expliquer : l'accroissement des impôts indirects fut supporté surtout par les fermiers qui les percevaient et par les bourgeois des villes, soustraits à la taille; il fut en partie compensé par les améliorations intro- duites dans leur régime. Il faut alors recourir à une autre expli- cation, que Colbert lui-même a donnée. Dans un mémoire de cette même année 1670, il dit au roi 6 :

« L'on connoist clairement par toutes les différentes relations qu'en effet la misère est très grande dans les provinces, et quoyqu'elle puisse estre attribuée au peu de débit des bleds 7, il a paru clairement qu'il falloit quelque autre cause plus puissante qui produisist cette néces- sité... Les impositions ont esté diminuées, mais la grande autorité du roy et le grand respect que les peuples ont pour ses ordres a fait que,

il lui est par les receveurs particuliers 73 875 1. ; il a avancé, par conséquent, 45 902 1. au Trésor. Le receveur particulier de Caen à lui seul redoit 26 946 1., dont on ne peut avoir paiement.

1. Let. de Uarin de la Galissonnière à Colbert, 20 oct. 1670, Clairamb., 792, p. 353 (analyse).

2. A. D, Gaiv., Bureau des finances. Etat de restes.

3. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 11 novembre 1674.

4. Ibid., à la date du 13 février 1677. Cf. ci-dessus, p. 417.

5. Forbonnais, Recherches, éd. in-4°, I, p. 379 et 445.

6. Clém., VII, 233 et suiv.

7. Voir sur ce point, ci-dessus, p. 71-72.

518 LA TAILLE EN NORMANDIE.

nonobstant les grandes diminutions qui ont esté faites, ce qui ne pro- duisoit auparavant que peu de revenus en a produit beaucoup, ce qui se voit clairement par les tailles, qui, sur le pied de 50 millions d'imposition ne produisoient au Trésor public que 10 millions, et a présent, sur le pied de 32 millions S elles en produisent 24... Aussy 1 on a vu les revenus de l'Estat augmenter en mesme temps que les grandes décharges que V. M. accordoit à ses peuples semblaient les avoir fait diminuer. »

Ainsi Colbert a nettement vu que les perfectionnements mêmes du régime de l'impôt avaient rendu cet impôt plus onéreux. Plus on mettait de soin à le percevoir rigoureusement, plus ses vices apparaissaient, et plus les contribuables en souffraient. Et le ministre a tiré de cette constatation toutes les conséquences. H continue à parler au roi en ces termes :

« L on peut et doit certainement dire que cet estât est trop violent et qu'il ne peut durer longtemps, ce qui est bien clairement prouvé par les difficultés que les receveurs généraux ont dans les généralités pour le recouvrement de la taille, les retardemens de leurs payemens ordi- naires et les protestations qu'ils font tous les jours de ne pouvoir faire les prests des généralités sur le mesme pied qu'ils les ont faits les années dernières, et les assurances que les fermiers 2 donnent que leurs fermes commencent a diminuer assez notablement. »

Et sa conclusion est que l'impôt, dans son régime actuel, n'est pas capable de produire autant qu'on lui demande; il faut dimi- nuer la taille de 4 millions, ce qui sera facile en réduisant les dépenses pour les bâtiments, l'armée, les fortifications : si le roi veut ramener ses revenus et dépenses à 60 millions, il « verra la mesme abondance pendant toute sa vie. »

Le roi écouta un instant ces fortes remontrances. Lorsqu'il s'agit d'établir le brevet pour 1671, Colbert lui ayant demandé s'il voulait maintenir le chiffre de l'année précédente, ou au contraire « soulager ses peuples d'un million de livres », Louis XIV répondit : « Il faut... soulager les peuples d'un million3 ». Mais quelques mois plus tard, le roi formait son projet de guerre contre la Hollande, et mettait sur pied les plus grandes armées que fa France eût possédées jusque-là : l'impôt du logement des troupes venait s'ajouter à la taille : dès le 26 septembre 1671, l'intendant' de Rouen écrit que l'abon- dance des garnisons est « très préjudiciable au recouvrement des deniers des tailles ... Je croy, ajoute-t-il, qu'il est bon de

1. Colbert exagère un peu. Pour arriver au chiffre de 56 millions au temps de Mazarin, il faut compter les pays d'états, et d'autre part, le chiffre le plus bas que la taille des pays d'élections ait atteint au temps de Colbert, est de 33 782 210 1., en 166«J.

2. Il s'agit des fermiers chargés du recouvrement des impôts.

3. Clém., II, ccxxvn et ccxxviu.

LA TAILLE PENDANT LA GUEUKE DE HOLLANDE. 519

la ménager [la généralité], et surtout de ne la surcharger point de garnisons * ».

Mais les garnisons vont se multiplier, le trafic cesser2, les exigences du fisc s'accroître, et les conséquences clairement pré- dites par Colbert vont apparaître aux yeux de tous.

III. LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE

A partir de 1673, en effet, la situation devient critique. Au début de l'année, Colbert est obligé de faire rentrer des fonds au Trésor, et par conséquent d'être plus rigoureux pour les contraintes. Il écrit à Chamillart le 20 janvier :

« Il est vray que j'ay pressé les receveurs généraux de 1673 de doubler leurs payemensdans les mois de janvier, février et mars; c'est pourquoy vous devez apporter quelque facilité et les laisser presser a proportion les receveurs particuliers des tailles, et ceux-cy les collec- teurs, et néanmoins chercher les expédients que cela se puisse faire sans trop de frais; c'est à vous à trouver ce tempérament par vos soins et par vostre application 3. »

Le souci de trouver de l'argent apparaît dans toutes ses let- tres. « Je vous recommande toujours, écrit-il à l'intendant de Rouen le 24 février, de presser le recouvrement des affaires extraordinaires. Comme la campagne approche, et que le roy aura besoin de sommes immenses pour pouvoir mettre ses armées en campagne, je vous conjure de contribuer par la dili- gence aux secours qui sont si nécessaires à Sa Majesté4. »

A celui de Montauban, le 15 septembre :

1. M. G., 157 bl% 562.

2. Cf. le préambule des commissions pour 1672 : « Les grandes levées de troupes que nous sommes obligez de faire pour la sûreté de notre estât, voyant tous nos voisins puisamment armez, nous auroient pu obliger par nécessité d'aug- menter les impositions de nos tailles ; néanmoins nous avons beaucoup mieux aimé travailler avec la même application que nous faisons depuis dix années à retrancher toutes les autres dépenses, lesquelles quoique nécessaires a la gloire et grandeur de nostre royaume, peuvent toutesfois recevoir quelque retardement, que d'avoir recours à un remède qui auroit peut-estre diminué en quelque façon le bon estât auquel nous avons mis nos peuples par les grands soulagemens que nous leur avons accordez » (A. D. Galv., Bureau des finances, registre des com- missions 1661-1072, 707).

3. Clém., II, 264. Cf. la lettre de Colbert à Bazin, receveur général, du 21 avril 1673 déjà citée : il lui demande une avance de 100 000 1., le plus tôt pos- sible, pour la guerre : « Toutes les fois que je vous ay demandé quelque assis- tance pour le Roy, vous l'avez fait de si bonne grâce, que je ne puis m'empescher de vous dire que, si vous envoyez au Trésor royal 100 000 h, sur les impositions de l'année prochaine, vous ferez en cela chose qui sera fort agréable à Sa Majesté ». (ibid., p. 283). Voir aussi les lettres à Douilly, receveur général, des 3 février et 1" décembre 1673, ibid., p. 264, note. Le gouvernement, à partir de cette date, retombe à la discrétion des financiers.

4. Ibid., p. 277. Cf. les lettres à d'autres intendants, sur le même sujet, p. 278, 280, 284, 288, 289, 291, 300.

5Î0 LA TAILLE EN NORMANDIE.

« Les avantages et la satisfaction du roy, et le salut de l'Estat, pour ainsy dire, dépendant particulièrement de [V] application que vous donnerez au détail de toutes les affaires qui doivent produire de l'argent..., vous devez considérer que la conduite doit changer suivant les besoins de l'Estat; et d'autant plus que, pendant la paix, on a trop travaillé par tous les moyens possibles au soulagement des peuples, d'autant plus ils doivent estre pressés pendant la guerre de fournir aux besoins de l'Estat, et vous devez aussy vous régler sur ce pied-là1. »

À Michel Colbcrt, intendant d'Alençon, le 10 octobre : « Il est nécessaire que vous examiniez toujours, et sans attendre que vous soyez sollicité par ceux qui sont chargés des recouvre- mens, ce qui se peut faire pour les accélérer, et, au lieux d'estre pressé par eux, il faut que vous les pressiez* ». A l'intendant de Tours le 20 octobre : « Il est nécessaire à présent de permettre aux receveurs généraux de presser un peu les peuples, parce que le roy estant chargé d'une grande guerre, et Sa Majesté n'ayant point augmenté les impositions, il faut faire en sorte que les receveurs généraux puissent donner des assistances au roy 3 » .

Et pendant six années consécutives, Golbert reviendra sur le môme sujet : Nous avons la guerre, il faut à tout prix trouver des fonds : « Il sera difficile en lestât présent des affaires de l'Europe, que le roy puisse prendre la résolution de diminuer les impositions des tailles, vu les prodigieuses dépenses que Sa Majesté est obligée de faire, et nous courons mesme assez de risque que le roy voudra les augmenter*. » « Vous savez assez combien il importe au service du roy de trouver les moyens, dans la conjoncture présente, de soutenir les dépenses immenses de la guerre5. » « Il est bien important que vous fassiez en sorte, par vostre application et par les visites fréquentes que vous devez faire dans les principaux lieux de vostre départe- ment, que les recouvremens se fassent sans aucune interruption, et mesme, s'il est possible, avec plus de diligence que les années passées afin que Sa Majesté puisse tirer les secours que dési- rent les prodigieuses dépenses qu'Elle est obligée de faire*. » Vérifiez les registres de tous les receveurs « pour connoistre véritablement si les receveurs généraux des finances ont payé au Trésor royal les mesmes sommes qu'ils ont reçues des rece- veurs des tailles, et si les receveurs des tailles ont payé aux

1. Clém., H, p. 289-290.

2. Ibid., p. 296.

3. Ibid., p. 300, note 1.

4. Let. à l'intendant *de Rouen, 6 nvril 1074, Clém., Il, 331. Cf. ci-dessus, p. 76. Même lettre à Mnrilluc, intendant de Poitiers, le 31 août, ibid., p. 359-300.

I. Circulaire du 12 février 1674, ibid., p. 324.

6. Let. à Leblanc, intendant de Rouen, 2'J novembre 1675, ibid., p. 371.

LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE. 521

receveurs généraux des finances les mesmes sommes qu'ils ont reçues des peuples1 ».

C'est à ce moment qu'il multiplie les recommandations aux intendants pour la visite de leurs généralités : « D'autant plus ce temps-cy paroist fascheux par les appréhensions de la guerre, d'autant plus il est nécessaire que vous redoubliez vostre appli- cation pour connoistre et pénétrer toutes les parties de la géné- ralité en laquelle vous servez, et soutenir les affaires du roy au point elles sont à présent et il est nécessaire de les maintenir pour le service de Sa Majesté2 ». « N'y ayant rien de plus important pour le bien du service [de S. M.] et dans Testât présent de ses affaires que de maintenir, autant qu'il sera possible, les peuples en estât de fournir aux grandes charges que la guerre ordonne de leur faire supporter, S. M. veut que vous commenciez cette visite aussy tost que vous aurez reçu. cette lettre » : Vous examinerez tout « le plus en détail qu'il vous sera possible » : la répartition dans les paroisses, les exemptions et protections frauduleuses, les frais de con- trainte et les emprisonnements ; vous favoriserez les manufac- tures et l'accroissement des bestiaux, « pour attirer l'argent dans les provinces et les mettre en estât de secourir le roy en payant bien leurs impositions ». Alors il est prêt à aban- donner ses réformes les plus chères : examinez « secrètement... si les défenses qui ont esté faites de la contrainte par corps et de la saisie des bestiaux sont préjudiciables au recouvrement de la taille, et s'il seroit plus avantageux de les lever3... » Il faut avant tout appuyer les receveurs dans leurs recouvrements : « Comme l'augmentation que [S. M.] a esté obligée de faire rendra sans doute les recouvremens difficiles, vous devez avoir encore plus d'égards que par le passé aux avis et aux mémoires qui vous seront donnés par les receveurs généraux des finances et receveurs particuliers des tailles ou commis aux recettes en chacune élection, afin que, ne faisant rien que de concert avec eux, ils puissent faire leurs recouvremens sans non- valeurs, et par ce moyen estre en estât de faire régulièrement leurs payemens au Trésor royal, et mesmes les avances qu'il est nécessaire de tirer d'eux pour le service du roy4. » « Surtout vous devez toujours avoir dans l'esprit de faciliter les recouvremens et de ne pas croire facilement ce qui vous est dit contre ceux qui en sont chargés 5. » L'intendant de Caen ayant fait arrêter le receveur de Do m front pour malversations, se

1. Lel. au même, 23 février 1676, Clém.. p. 373.

2. Let. à Foucault, 1" juin 1674, ibid.. II, 3'tl.

3. Circulaire du 24 avril 1G76, ibid., 374.

4. Let. à De Sèvo, 5 octobre 1674. ibid., 352.

5. Let. à son frère Croissy, 18 octobre 1674, ibid., p. 353.

BU LA TAILLE EN NOIt.MANDIE.

voit blâmé pour avoir agi trop précipitamment4; maintenant les financiers sont soutenus, même contre les intendants.

Dans les commutions des tailles, le roi s'efforçait de justifier ses armements et de promettre chaque année la paix prochaine. Il se vantait de n'avoir pas augmenté les impôts, et d'avoir recouru aux « affaires extraordinaires » pour se procurer des fonds :

« Quoyque les grandes et prodigieuses despences que nous sommes obligez de soustenir pour la conservation des places que nous avons conquizes et pour l'entretenement de toutes les armées que nous sommes obligez de tenir sur pied nous deussent obliger d'augmenter considérablement les impositions sur nos peuples, neanmoingt nous avons mieux aymé nous servir des propositions qui nous ont esté faictes de quelques moiens extraordinaires pour n'imposer que les sommes contenues en la présente2».

II prônait les règlements faits pour soulager les contri- buables :

Nous espérons « qu'après les prises de Dinan, Huys et Limbourg, Dieu bénira nos armes et nous donnera d'autres avantages dans le reste de cette campaigne pour le soulagement de nos peuples, travail- lant présentement a faire des reglemens capables de faire subsister nos trouppes sans opprimer leurs hostes, a l'observation desquels nous tiendrons la main3 ».

Cependant la taille était montée de 33 795 797 1. en 1671 à 40 512 666 1. en 1678. Les affaires extraordinaires, comme l'impôt du tabac (1674) et du papier timbré (1675) s'étaient ajoutées aux autres contributions, et les logements de troupes avaient été une charge écrasante pour toutes les généralités du nord, de l'est et du centre. Aussi partout, on l'a déjà vu*, les recouvrements étaient devenus très difficiles. Les intendants de Normandie, dans toutes leurs lettres, écrivent que toutes leurs diligences sont impuissantes contre la misère : « ceux qui sont chargez du recouvrement des deniers y trouvent la mesme facilité que s'il n'y avait point de trouppes, et ils ne se peuvent plaindre que de la misère du peuple » : telle est la réponse la

1. Clém., II, 347, Le bon ordre veut, dit-il, que, lorsque les intendants trouvent quelque désordre de cette qualité dans la généralité dans laquelle ils servent, ils m'en donnent avis pour en rendre compte au roy; ensuite, si S. M. estime qu'il y ayt lieu de taire un exemple, Elle leur envoyé l'orure de faire arres- ter celuy qui est accusé, d'informer et de luy faire son procès ». Cf. aussi sa let. du 24 juillet, p. 348, note.

2. Commissions pour la taille de 1G74, montant à 36 667 404 1. (A. D. Calv., Election de Caen). Cf. la lettre de Colbert à De Sève, 2G avril 1674, Clém., II, 335.

3. Commissions pour 1676, A. D. Calv., Election de Caen. La taille monte à 40 230 350 1.

4. Ci-dessus, p. 74-77. En 1675, dans l'élection de Caen, l'imposition de l'usten- sile, levée en argent, s'élève à 31 875 1. (A. D. Calv., Election de Caen, ordonnance du 20 novembre 1075).

LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE.

523

plus optimiste que puisse faire Leblanc aux lettres le ministre met en doute les difficultés qu'il lui signale1.

Des états des recouvrements dressés par les intendants en juin 1679 pour les généralités de Rouen et Alençon nous ren- seignent sur la situation. En voici le résumé2 :

Imposition . . . . Somme recouvrée. Frais taxés. . . .

1678

2 700 000 1. 2 520 484 44 351

1679

2 303 333 1. 913 872

ALENÇON 3

1678 1679

1 703 333 1. 1495 318 21 760

1 124 533 1 366 944

La généralité de Rouen redoit donc 179 500 liv. sur sa taille de 1678, six mois après la fin de l'année, et celle d'Alençon 208 000 1., soit respectivement 6,6 et 12,2 p. 100 de leur impo- sition. L'élection la plus en arrière est celle de Mortagne, qui redoit 108000 1. sur 396800, soit un peu plus du quart, et qui n'a payé qu'un tiers de son jmpôt de 1679; elle a eu cependant « beaucoup de frais d'huissiers, et quelque soin que j'aie pris pour les empescher, dit l'intendant, il est impossible de faire sortir les deniers sans cela4 ». Les élections les moins mau- vaises redoivent encore 2 et demi, 3 et 4 p. 100 de leur taille. Les frais taxés pour 1678 sont en moyenne de 16,4 p. 1000 à Rouen et 12,8 p. 1000 à Alençon.

Un symptôme grave qui apparaît alors pour la première fois dans notre période est la désertion des habitants dans les paroisses les plus chargées d'impôts; en mai 1673, l'intendant de Rouen doit se transporter dans le pays de Bray, « pour empes- cher que les taillables n'abandonnent la province5 ». L'année suivante, les fuites continuent6, et en 1676, Leblanc écrit :

« Il y a peu de villes en cette généralité ou il y ayt eu des troupes en quartiers d'hiver ; ce sont les grands et fréquents passages qui for-

1. Let. de Leblanc, 8 mars 1676, B. NM fr. 8759, 53. Cf. ses autres lettres de la même année, fos 50, 57 et 59. Voir aussi les lettres de Golbert des 6 avril et 31 août 1674, dans Clcm., II, 331 et 349 : « Je vous avoue qu'il est difficile de se persuader d'aussy grandes difficultés [de recouvrement] que celles que vous me dites... »

2. A. N. G7 71 et 491, à la date de juin 1679. Nous avons ici l'état des sommes encaissées par les receveurs particuliers, mais non celles payées par les contri- buables aux collecteurs.

3. Dans les chiffres de cette colonne n'est pas comprise l'élection de Mortagne, l'intendant n'ayant pu voir les livres du receveur.

4. Let. de Morangis, 15 juin 1679, A. N. G7 71.

5. Let. du 19 mai, Glairamb., 793, p. 342 (analyse).

6. Ci-dessus, p. 74-75.

LA TAILLE BU XOIIMANDIE.

cent les bourgeois de les abandonner, j'ay esté obligé cet hyver de donner des ordonnances portant deffences aux habitans de déserter, a peine d'amande et de remboursement de nourritures a ceux qui avoient soulfert les logements pour eux. Quelque soin que j'aye prins d'em- pescher les désordres pendant le passage des trouppes, dont je crois que vous n'avez receu aucune plainte, je ne puis guérir de l'appréhen- sion ceux de Chaumont et du Pont de Larche, lesquels ont presque tous déserté; j'ay fait scavoir aux villages ils se veullent retirer que s'ils les recevoient, on soulageroit les villes a leur despens '... »

La perception de l'ustensile, la même année, provoque de nouvelles fuites : malgré toutes les instances de l'intendant de Rouen, les receveurs des tailles n'ont pas voulu s'en charger; les soldats la font eux-mêmes, allant dans les paroisses ils dépensent des sommes « considérables, soubs prétexte qu'on les met dans des cabarets, ou ils font pîiyer leur despense, oultre les 20 s. qui leur sont accordez par le règlement du roya». Les contraintes solidaires sont une autre cause de déser- tion : le 20 mars 1677, Leblanc rend une nouvelle ordonnance pour obliger à rentrer chez eux des contribuables de l'élection du Pont de Larche, qui ont lui pour ce motif3. Les terres sont abandonnées, et le gouvernement, crainte de voir tomber ses recettes, en vient a prescrire la culture par voie législative. Voici une ordonnance de Leblanc, du 20 octobre 1677 :

« Sur les plaintes qui nous ont esté faites en procédant au dépar- tement des tailles des eslections de cette généralité par les receveurs d'icelles, que plusieurs particuliers ne font pas labourer et ensemencer leurs terres et héritages, et les laissent en frische, ce qui prejudicie au recouvrement et ruine les autres habitans contribuables, lesquels sont chargez de la taille que devroient payer les propriétaires ou fermiers desdits héritages. A quoy estant nécessaire de pourvoir, Nous, intendant susdit, ordonnons que dans le jour et feste S. Martin pro- chain, les propriétaires et possesseurs desdites terres et héritages délaissez en frische les feront labourer et ensemencer, autrement et a faute de ce faire, permettons aux habitans desdites paroisses de les faire valoir, a la charge de payer sur les deniers de la récolte les taxes auxquels lesdits propriétaires ou fermiers seroient imposez4. »

Malgré tout, la taille rentre mal, et des dégrèvements sont nécessaires; au milieu de l'année 1678, Leblanc est obligé de remettre 7742 1. d'impôt à 29 paroisses de sa généralité, qui, dit-il, « n'ont point assis la taille par impuissance aux années 1677 et 1678, » ou qui « estoient hors d'estat de satiffaire » à cause des pertes qu'elles avaient subies; en cinq d'entre elles,

1. Let. du 13 septembre 1676, B. N. fr. 87."j9, 72.

2. Lot. de Leblunc, 21 janvier 1676, ibid., VJ.

3. B. N. fr. 8 761b\ f" ai. k. Ibid., r 110.

LA FIX DU MINISTÈRE (1679-1683). 52

les habitants désertaient pour ne plus payer l'impôt1. Son avis sur le brevet, la même année, n'est qu'un long tableau de misères et de ruines 2.

IV. LA FIN DU MINISTERE (1679-1683).

Enfin la guerre cesse. Tout aussitôt, sans attendre les com- missions, le roi fait savoir, par un arrêt du Conseil du 7 juin 1678, qu'il réduit la taille de 6 millions, la ramenant au chiffre elle était avant la guerre, et il vante très haut cette mesure dans le préambule des commissions, assurant qu'il a tout sacrifié au désir de la paix :

« Le. désir continuel que nous avons eu de procurer la paix a nos peuples nous a fait rechercher tous les moiens de parvenir a une sy bonne fin; s'est la raison qui nous a porté a nous relascher d'une partye des grands advantages dont il a pieu a Dieu de favoriser la justice de nos armes et a proposer des conditions advantageuses a nos ennemis dans le temps que leur foiblesse nous laissoit en estât d'estendre nos conquestes et de faire de nouveaux progrès dans leur pays. Et comme les avances que nous avons bien voullu faire pour ce grand ouvrage ont commencé de produire reflet que nous nous en estions promis par la conclusion du traicté avec les estats de Hollande, et que nous espérons que Dieu achèvera de bénir nos bonnes intentions par une paix generalle, nous avons résolu de faire gouster les prémices de la paix a nos peuples, et pour cet effet de réduire les impositions pour Tannée prochaine 1679 conformément a l'arrest de nostre Conseil du 7 juin dernier pour leur faire connoistre la satisfaction que nous avons des efforts qu'ils ont fait pour le paiement des sommes dont nous avons eu besoin pendant le cours de cette guerre, et l'envie que nous avons de leur procurer de nouveaux soulagemens lorsque la paix sera solidement establie3. »

Le recouvrement, dans la pensée de Colbert, devait être aussi facilité par la suppression des affaires extraordinaires : droits de francs-fiefs, de tiers et danger, taxes sur les procureurs, notaires et huissiers, sur les arts et métiers..., et par la réduction des droits sur le sel et les boissons. Une remise de 2 millions sur la taille ayant encore été faite en août 1679 4, le ministre espérait voir à nouveau les écus affluer dans les caisses des

1. Let. du 5 juillet 1671, A. N. G7 71. Cette remise, ajoute Leblanc, « a fait un très bon effecl, leur ayant donné courage et einpesché les contraintes solidaires ».

2. Voir cet avis à l'appendice II, ci-dessous, p. 536-539. Cf. plus haut, p. 77.

3. A. D. Calv., Election de Caen, registre de commissions. Celles-ci sont datées du 30 août 1678. Cf. au sujet de cette diminution, la dépêche de l'ambassadeur vénitien du 28 mai 1680 : « Ma è vero altresi che la maggior parte di questa fu trovata inesigibile dall' indigenza de' sudditi, e percio fu giudicato meglio donarla » (Relazioni..., Francia, III, p. 321).

4. Ci-dessus, p. 79.

LA TAILLE EN NORMANDIE.

r<< .veurs, et la richesse dans 1rs maisons paysanes : « La taille estant a présent sur un pied fort bas, le recouvrement ne doit presque donner aucune peine, par conséquent ne produire aucuns Irais ou fort peu1 ». « N'y ayant plus dans toutes les provinces du royaume que le recouvrement des impositions ordinaires, [il faut que les peuples] puissent d'autant plus jouir des fruits de la paix et des diminutions considérables que S. M. leur a accordées2. »

Il n'omet aucune précaution pour supprimer tout désordre; il écrit aux intendants en avril 1679 :

« Sa Majesté m'a ordonné de vous faire sçavoir qu'Elle veut que vous fassiez cette année une visite plus exacte de toutes les élections et paroisses de ladite généralité que vous n'avez encore fait jusqu'à présent, et que vous commenciez incessamment, et sans aucun retar- dement ».

Et il leur rappelle les principaux points à examiner : confec- tion des rôles, perception par les collecteurs et les receveurs, frais de contraintes, toutes choses « il se passe encore beaucoup de désordre qui ne vient pas à vostre connoissance »; l'état du commerce, des manufactures, le nombre des bestiaux, « sources fécondes d'où les peuples tirent de l'argent, non seule- ment pour leur subsistance, mais mesme pour payer toutes leurs impositions ». L'inspection des registres des receveurs fera savoir en sont les recouvrements et à combien montent les frais ; « apportez une application particulière a retrancher tous les frais que les peuples payent et qui ne tournent pas au profit du roy » ; et surtout prenez « bien garde que les imposi- tions soyent si justement distribuées que S. M. ne puisse entendre aucune plainte que les habitants d'une paroisse soient déchargés d'une partie de leur taille pour en surcharger les autres3 ».

Le 5 mai suivant, il revient sur les frais de contraintes et en réclame encore l'état*. Le 20 juillet, il dresse son projet de réforme des élections et greniers à sel5. Le 1er juin 1680, nouvelle instruction générale, réitérant « pressamment » les ordres antérieurement donnés pour la visite des élections; S. M. « désire que vous apportiez encore plus d'application à cette visite que vous n'avez fait les années dernières, parce qu'Elle veut que l'égalité et la justice dans les impositions et le retranchement de toutes sortes d'abus et de frais servent d'un second soulagement à ses peuples, outre celuy qu'Elle leur

1. Let. de Colbert à l'intendant de Montauban, 17 août 1679, Clém., II, 112.

2. Circulaire du 1" juin 1680, Ibid., 134.

3. Circulaire du 28 avril 1679, ibid., 96-98. k. Ibid., p. 98.

5. Ibid., p. 110.

LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683). 527

donne par la diminution des impositions »; Elle désire « que vous vous informiez avec soin de tout ce qui se passe, dans la réception des commissions, la nomination des collecteurs, l'imposition et la recette de la taille, que vous en pénétriez tous les abus, que vous travailliez à y remédier par vous-mesmes », et toutes les recommandations antérieures sur les procès, les frais de contraintes, la saisie des bestiaux reviennent1. Et de même en 1681, 1682, 1683.

Il explique aux intendants que le soulagement des peuples dépend de la prospérité économique, plus que de la diminution des impôts : « La misère des peuples, des villes et des provinces ne consiste pas aux impositions qu'ils payent au roi, mais seulement dans la différence qu'il y a du travail des peuples d'une province à l'autre, parce qu'ils sont à leur aise dès lors qu'ils veulent travailler2 ». « Pour ce qui concerne l'imposi- tion des tailles,... vous ne pouvez rien faire qui leur soit plus utile [aux peuples] que d'apporter un très grand soin pour maintenir et augmenter les manufactures de Fécamp et de Louviers, et faire en sorte que les peuples trouvent de quoy subsister par ce moyen3 ».

Quand un intendant lui signale la misère persistante, il l'invite à en chercher les causes ; celui d'Alençon lui ayant écrit que, dans les élections de Mortagne, Verneuil et Conches, il avait trouvé « beaucoup de pauvreté », il lui répond :

« Vous devez examiner avec soin d'où peut provenir cette pauvreté, pour chercher ensuite les moyens de la diminuer, soit par le soula- gement des tailles, en rejetant sur les autres élections plus accom- modées ce que vous retrancheriez sur les pauvres, soit en procurant aux peuples les moyens de gagner leur vie, soit en examinant si cette pauvreté provient d'une fainéantise naturelle, parce que dans ce dernier cas ils ne méritent pas beaucoup de soulagement4 ».

Ou bien il les reprend vertement, de se laisser toucher par des plaintes intéressées :

« Vous m'écrivez que vous ne pouvez me donner vostre avis si le roy n'accorde une diminution considérable à la généralité [de Riom]. Vous vous laissez un peu trop facilement persuader, et si vous vouliez bien considérer Testât des impositions des tailles depuis 30 et 40 ans dans vostre généralité, vous trouveriez qu'elles n'ont jamais esté aussy basses, et par conséquent, que vous pourriez facilement faire con-

1. Glém., II, 131-135. Cf. let. à Leblanc, 21 nov. 1681 : « Appliquez-vous toujours à retrancher tout ce qui peut estre contraire au soulagement que le roy désire donner à ses peuples par toutes sortes de moyens » (ibid. p. 395).

2. Let. à Marillac, 28 nov. 1680, ibid., p. 714.

3. Let. à Leblanc, 21 nov. 1681, ibid., p. 395. Cf. la lettre à de Marie, 4 juillet 1681, p. 163.

4. Let. du 16 oct. 1682, ibid, p. 208.

LA TAILLE EN NORMAND! K.

noisire aux pettplefl comblai) ils sont obliges aux bontés du roy, au «•ndre aux misera affectées qui ne sont que trop com- munes dam ta province*. Kn cela vous voudrez bien que je vous dise dislaites pas à votre devoir, parce qu'il est très impor- tant au bien de TKstat de ne pas souffrir que les peuples prennent des impressions de cette nature, quand il y a un si grand nombre de raisons qui les doivent obliger à en prendre de contraires '. »

De toute cette vigilance administrative, le résultat matériel lut d'accélérer notablement le recouvrement de la taille, et de diminuer les non-valeurs, du moins en Normandie. On peut s'en rendre compte par les états que, chaque année, vers la fin de juin ou le début de juillet, les intendants lui adressaient*.

Dans la généralité de Caen, au 15 août 1680. la taille de 1679 est toute payée à la réserve de 17 220 1., et sur la taille de l'année courante les contribuables ont déjà versé 720 293 liv., soit 47 pour 100 de l'imposition; l'élection la plus en retard, Mor- tain, a payé 41 p. 100. Dans celle de Rouen, à la fin de juillet 1680, le reste de 1679 s'élève à 176336 1. soit 7,6 p. 100, et sur le courant il a été perçu 876911 1., soit 40,15 p. 100 de l'imposition. Pour celle d'Alençon, voici le tableau résumé de quatre états correspondant aux années 1680-1683 :

années

date de l'état

IMPOSITION

PAYÉ

FRAI8

1681

1682

1683

22 juillet 1680

8-31 juillet 1682

id.

30 juin 1083

1 3'i3 333 1. 1 403 333 1 429 500 1569 6'i 7

345 202 1. 1317 061 723 424 607 424

env. 7 210 1. 17 684 5 338

On voit que le paiement du courant, au milieu de l'année, est égal à 40,6 p. 100 de l'imposition en 1680 et 50,6 en 1682; quant à l'année 1683, si la proportion n'est que de 38,6 p. 100, c'est parce que l'état est arrêté un mois plus tôt que les années précédentes. A cela il faut ajouter que les receveurs particuliers, mieux choisis, effectuaient ponctuellement leurs versements à la recette générale, et faisaient même des avances : ainsi à la fin de juillet 1682, quatre receveurs particuliers de la généralité d'Alençon avaient payé toute la taille de 1681 au receveur général, quoiqu'il leur fût 47651 1. par les contribuables3.

1. Let. ù de Marie, 7 août 16S0, Clém., II, p. 138. Cf. les lettres toutes semblables à de Ménars, 21 juin 1679, p. 106 ; à d'Herbigny, 13 nov. 1680, p. 146 ; à de Bezons, 21 nov. 1681, p. 172; à Nointel, 23 mai 1683, p. 110; à Breteuil, 14 juin 1680, lî. Mun. Amiens, ms. 508, I, p. 157.

2. Voir ces états à leurs dates aux A. N. G7 71 (pour Alencon), 213 (pour Caen), 491 et 492 (pour Rouen).

3. Cet état satisfaisant ne semble, du reste, pas avoir duré. L'intendant de la même généralité a dressé un tableau comparatif des sommes payées par les trois

LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683). 529

On peut saisir d'une manière très frappante les améliorations introduites dans les recouvrements entre 1666 et 1683 dans les comptes des receveurs de Bayeux, qui sont en grande partie conservés l. Cette élection n'avait pas été mieux en point que les autres au temps de Mazarin : lorsqu'on dressa les états de restes, en mai 1666, on reconnut qu'elle avait de l'arriéré sur toutes les années depuis 1658; le total s'élevait à 66396 1., soit près du tiers de l'imposition d'une année2. Quant à la taille de l'année courante, elle était également très en retard : 48163 1. seulement étaient payées sur 237 200 environ (soit le cinquième). Un an plus tard, en juin 1667, les restes des années 1658-61 sont au même chiffre : on ne les recouvrera du reste jamais; sur l'année 1666, il est 36 826 1., c'est-à-dire environ 15,5 p. 100 de l'imposition.

Mais au bout de quelques années, la situation s'améliore : la taille de 1671 est entièrement payée en mai 1673; sur celle de 1672, montant à 235 000 1., il n'est que 2 705 1. le 4 dé- cembre 1673. Puis, de 1673 à 1678, les difficultés réapparaissent; au 10 août 1675, les contribuables redoivent encore 7 350 1. de 1673; au 20 décembre suivant, ils redoivent 3 492 1. sur 1674. Le receveur en exercice pour l'année 1675 n'achève ses paie- ments à la recette générale que le 29 septembre 1678. A partir de 1679, le recouvrement s'accélère de nouveau : pour 1679 il n'est que 7 000 1. au 15 août 1680, et 3 408 1. au 22 no- vembre suivant. Les années d'après, tous les recouvrements sont effectués lorsque les receveurs rendent leurs comptes, environ un an après leur exercice 3. La taille est donc tout entière payée en quinze ou dix-huit mois, comme le désirait Colbert.

Mais tous ces perfectionnements ont eu leur répercussion funeste sur la fortune des contribuables. Les mendiants se multiplient, les désertions d'habitants continuent. En 1681, la ville de Gisors est à demi-déserte, ayant été abandonnée par les tanneurs*. A Bernay, en 1679, il y a une multitude de pauvres, et l'intendant assure que si l'on mettait, pour les secourir, une taxe sur les aisés, « cela pourroit aporter du retardement aux deniers du roy5 ».

élections de Verneuil, Gonches et Bernay à la date du 27 mars de chacune des années 1683, 1684, 1685 : en 1683, Verneuil a payé 25,8 p. 100 de son imposition, en 1684, 23,6 et en 1685, 13,6 seulement; et Bernay en 1683, 29,5 et en 1685, 23,4 p. 100, et les frais pour cette dernière sont montés de 655 1. en 1683 à 808 1. en 1685. (A. N. G7 71). Dans la généralité de Rouen, au 28 février 1680, il reste à recouvrer 17 p. 100 de l'année 1684 et les collecteurs n'ont versé aux recettes particulières que 13 p. 100 du courant [ihld. 492).

1. A. D. Galv., Election de Bayeux, états au vrai du receveur.

2. Sur cette somme, le reste de 1665 comptait pour 46 431 1.

3. Voici les dates des derniers versements des receveurs à la recette générale : 1680 : 9 avril 1681; 1681 : juin 1682. 1682 : 26 avril 1683. 1683 : 17 no- vembre 1684.

4. Leblanc à Colbert, 5 mai 1681, A. N. G7 491.

5. Let. de Morangis, 27 mai 1679, A. N. G7 71. Leblanc écrit le 4 juillet 1680 qu'à Blangy, « le fermier des aydes a fait payer aux brasseurs les droits sy

L\ TAILLE EN NORMANDIE.

34

',3 i LA TAILLE EN NORMANDIE.

On a déji vu. d'après les avis des intendants sur les brevets, .1rs détails sur cette misère '.

Colbert, d'ailleurs, quoiqu'il en ait écrit aux intendants, savait Mrs bien que cette misère était profonde et difficile à guérir. Sa correspondance avec le roi en ces dernières années en fait foi. En 1680 il lui écrit :

« Si quelque occasion glorieuse au roy se présentoit pour faire la guerre, les suites en deviendroient très fascheuses. Les fonds dimi- nuant et les emprunts augmentant, le crédit s'anéantiroit, et il est à craindre qu'il ne fallust en revenir au 15 p. 100. Mais ce qu'il y a de plus important et sur quoy il y a plus de réflexion à faire, c'est la misère très grande des peuples. Toutes les lettres qui viennent des provinces en parlent, soit des intendans, soit des receveurs généraux ou autres personnes, mesme des evesques 2. »

Et le 8 juin 1683, trois mois avant sa mort :

« Les intendants visitent les généralités, et en rendent compte par toutes leurs lettres, qui sont pleines de beaucoup de misère des peuples ».

A quoi le roi répond :

« La misère me fait grand peine. Il faudra faire tout ce que l'on pourra pour soulager les peuples; je souhaite le pouvoir bientost3 ».

Mais si Colbert lui propose de réduire ses dépenses, à quoi, lui dit-il, « l'application de ceux auxquels V. M. veut bien acquiescer dans la conduite, régie et administration de ses finances, ne peut rien *, » il reçoit cette réponse : « La grande des- pence me fait beaucoup de peine, mais il y en a de nécessaires s ».

Le meilleur document qui puisse nous faire saisir l'étendue de la misère dont parlait Colbert est le résumé, fait dans les bureaux du Contrôle général, des rapports des commissaires extraordi- naires envoyés par le roi dans les provinces, et notamment en Normandie en 1687 6. En voici l'essentiel :

exactement, qu'ils ont esté obligez de quitter; il n'y a n présent que luy qui brasse, ce qui a fait perdre 500 1. de taille à ce bourg. » (ibid. 491).

1. Ci-dessus, p. 78-81.

2. Clcm., Il, 141. •i. Ibid., p. 292. h. Ibid., p. 125.

5. Mémoire du 8 juin 1683, ibid., p. 321.

6. Mémoire sur les finances », B. N. fr. 11 149. La commission, constituée en mai 1687, se composait de 5 conseillers d'Etat (Pomereu, d'Aguesseau, de Ribeyre, \oysin et Pelletier) doublés chacun d'un maitre des requêtes (Pomereu le fils, u'Ormesson, Chamillart, Voysin de la Noiraye et d'Argouges). Ils visitèrent les

généralités d'Amiens, Soissons, Chalons, Bourges, Moulins, Poitiers, La Rochelle, rlcatis, Tours, Rouen, Caen et Alencon. Le roi leur donna une longue audience à leur retour, le 28 octobre 1687 (Arcb. Aff. Etr., France, Mém. et doc, vol. 991, l" 153 et 164). Le mémoire des commissaires de l'Orléanais est publié dans De Boislisle, Mém. de l'intendant de Paris, p. 781-786.

LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683).

531

« On voit partout des maisons en ruine, des mazures abandonnées dans les villages, des boutiques fermées dans les villes, presque point de bâtimens neufs ; depuis soixante ans qu'il y a que la puissance des huguenots est abbatue, on n'a pu encore relever les églises qu'ils ont ruinées; on ne voit ni jeux ni divertissemens, le nombre des cabarets diminue tous les jours, il y a beaucoup moins de manufactures qu'au- trefois ; en plusieurs villes elles ont cessez entièrement, et les ouvriers sont réduits à la mendicité... Il n'y a presque plus de laboureurs aisés, et mesme il reste peu de païsans qui ayent des terres en propre, ce qui les rends moins en estât de faire valoir celles d'autruy, ils ne

peuvent plus se fournir de chevaux et de bestiaux , les maîtres

sont obligés de leur fournir tout, leur avancer de quoy se nourrir, payer leur taille et prendre en payement une partie de la récolte ; ils sortent des maitairies aussy pauvres qu'ils y sont entrés, les terres mal cultivées rapportent moins et dépérissent, les bâtimens tombent; la pluspart des terres de France semblent estre en criée, il n'y en a que trop qui y sont réellement. Ceux qui avoient deux ou trois mai- tairies en laissent ruiner une ou deux pour conserver l'autre, et y réunissent toutes les terres. Dans les pays les tailles sont réelles, il y a quantité de terres que les propriétaires abandonnent pour la taille, et les communautés ne trouvent pas qui veuille s'en charger. Les bestiaux et les laines ont fort diminués de prix, souvent on ramène les bestes du marché faute d'acheteurs ; on tue peu de bœufs et de moutons dans les petites villes; a la campagne les plus aisés mangent rarement de la viande, les pauvres manquent souvent de pain, mesme du plus noir, et ont esté réduit en divers lieux depuis peu a vivre de racines ou de glands. La pluspart n'ont plus de meubles sur quoy l'on puisse asseoir des exécutions; on les trouve couchés sur la paille sans autres habits que ceux qu'ils portent, et a demy nuds, hâves, maigres et languissans, n'ayant ni provisions pour vivre ni rien de réserve. Tout est plein de mandians, quoique dans la pluspart des bonnes villes on ait depuis trente ans estably des hôpitaux généraux.

« L'effet le plus fâcheux de la pauvreté est la diminution des familles et des hommes, que les commissaires ont trouvée considé- rable en comparant les rolles de tailles depuis trente ans, sans compter ceux qui sont sortis depuis trois ans sous prétexte de religion... La misère extrême des parens fait qu'il vient moins d'enfans et qu'il en meurt plus; les mères se font nourrices ou travaillent excessivement; quantité de jeunesse de l'un et de l'autre sexe vient servir dans les villes et ne se marie point; quantité portent les armes, des familles entières s'en vont mendier et périssent dans les hôpitaux...

« L'état présent de la France est donc un état violent qui ne peut se soutenir. Il ne suffit pas d'épargner les peuples et ne les pas charger de nouveau, il faut les soutenir et les rétablir. L'épuisement des pro- vinces vient de ce que l'on en tire de grandes sommes d'argent et qu'il y en retourne peu... Le revenu de toutes les terres diminue de jour en jour, et le bled est a plus bas prix qu'il n'a esté de mémoire d'homme...

« On laisse a la piété du Roy d'examiner sérieusement devant Dieu, a qui il en rendra compte un jour, quelles sont les dépenses abso- lument nécessaires pour la conservation de son Estât, et sans lesquelles sa couronne seroit en péril; ceux qui ne jugent que par l'extérieur ont

MB LA TAILLE EN NOHMANDIE.

peine a croire que l'état du royaume soit tellement changé depuis cinquante ans que l'on doive a présent dépenser en pleine paix trois fois autant que Ton dépensoit alors au fort de la guerre. Le roy s'est acquis trop de gloire solide pour mettre sa gloire dans le vain éclat d'une magnificence extérieure et dans l'attachement a ne vouloir jamais abandonner aucune entreprise : la vraye gloire d'un prince est la prospérité de ses peuples ; ceux qui ont fait les plus grands édifices ne sont pas ceux dont la mémoire est la plus glorieuse, principalement quand ces travaux ont eu pour but leur plaisir particulier plutôt que 1 utilité publique. »

Tel est le navrant tableau de l'état des peuples qui se pré- sente à nous peu après la mort de Colbert. Il renferme la plus sévère condamnation possible du régime de la taille, qui a été sinon la seule, du moins la principale cause d'une semblable misère.

APPENDICE

I. LE MOT TAILLE

Il y a quelque incertitude parmi les philologues sur l'origine du nom de la taille. La majorité le font dériver du nom de la règle en bois nommée taille qui servait et sert encore à certains com- merçants pour tenir leurs comptes : chaque entaille faite dans la règle correspond à une certaine somme due ou reçue. Ducrot le dit tout au long en 1627 :

« Et dautant que les leveurs et collecteurs marquoient en ce temps sur des tailles de bois ce que les particuliers habitans payoient sur et tant moins de leur taxe (comme font encores aujourd'huy les bou- langers le pain qu'ils débitent), par succession de temps elles ont été appelées tailles \ »

Cette explication est également celle de Du Cange, qui cite des exemples du mot taillia dans les deux sens 2, de Desmaisons 3, de Couchot 4, de Y Encyclopédie 5, et de la plupart des juristes et lexicolo- gues du xviie et du xvme siècles 6. Elle a été reprise par les modernes : Littré, Thomas, Léopold Delisle "', etc.

Des objections à cette explication ont été présentées notamment par un auteur du xvm° siècle, peu érudit il est vrai, Gaultier de Biauzat. C'est, dit-il, « insinuer que la taille n'a jamais été payée que par le bas peuple illetré au point de ne pouvoir écrire ni les rôles ni les acquits » ; or on sait que les rôles d'imposition romains étaient écrits, et que Saint-Louis, en 1270, ordonna que la répartition de la taille dans les villes du Roi fût faite « par escriptures » ; il faut donc plutôt chercher l'origine de ce mot dans la « forme » que dans « l'effet » de la répartition 8. C'est pourquoi il adopte une étymologie qui avait

1. Traitté des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 340. L'expression « en ce temps » se rapporte au règne de Charles VII.

2. Glossaire, au mot Tallia, 8°.

3. Nouveau traité des Aydes, Tailles et Gabelles (1666), p. 3.

4. Le Praticien universel, éd. (1738), t. I, p. 416.

5. Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, art. Taille, début.

6. Cf. Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Taille. Loisel de Boismare, Dic- tionnaire du droit des tailles, t. II, p. 486. Moreau de Beaumont (Mémoires sur les impositions, t. II, p. 1), est moins affirmatif. ..

7. Des revenus publics en Normandie... p. 144.

8. Doléances sur les surcharges que les gens du peuple supportent en toute espèce d'impôt, s. 1., 1788, in-8°, p. 50-54.

534 LA TAILLE EN NOItMANDIE.

été déjà donnée au wi siècle par Pasquier : les deniers levés par rigneurs sur leurs peuples, dit celui-ci, furent appelés Taille « parce qu'ils estoient levés par capitation et département, car le mot de tailler signifie entre nous diviser ' » ; et il cite à l'appui de cette affirmation un mot latin, taleari, qui signifierait couper et, par exten- sion, diviser, répartir. Lebret s'est rangé à cet avis 2; d'Espeisses 3 et quelques autres également4. On pourrait incliner en faveur de cette étymologie, si elle ne reposait sur une erreur de fait : le mot taleari en effet, ne se trouve que dans de mauvaises éditions de Pline, et semble bien être une fausse lecture; les latinistes n'en reconnaissent pas l'existence.

Un autre érudit, Championnière, a cherché une autre explication : on trouve souvent, dit-il, dans les textes latins à la suite d énuméra- tions, l'expression : « vcl caetera his talia » ; l'expression talia seule aurait fini par prévaloir, « puis on la rencontre seule pour désigner les mêmes objets; enfin les traducteurs praticiens en ont fait le mot taille 6. » Il y a trop de fantaisie dans cette hypothèse pour qu'on puisse s'y arrêter : elle n'a, du reste, été adoptée par personne à ma connaissance.

Il faut reconnaître que l'explication commune, donnée plus haut, ne force pas l'assentiment par son évidence : on ne voit pas bien com- ment l'usage des règles Ae bois aurait pu suppléer à l'écriture à la fois pour la répartition et pour la levée de l'impôt seigneurial, et on ne peut guère supposer que l'écriture ait été, dans les seigneuries, telle- ment ignorée que l'emploi des « tailles » eût été général. Cependant, on peut citer quelques exemples précis, même au xvne et au xvme siè- cles, de l'emploi de ces règles pour la levée de l'impôt. A Cirey (en Champagne), en 1658, le collecteur marque par des encoches sur un bâton les paiements qui lui sont faits parles contribuables, parce qu'il est illettré 6. Suivant le jurisconsulte Borel, qui écrit au milieu du xviie siècle, « il y a encore des villages en Languedoc l'on garde de grosses pièces de bois qu'on appelle des souqs, c'est-à-dire des souches, qui servent de cadastres, c'est-à-dire de règle ou de pied pour faire l'assiette de la taille, et même on en rapporte souvent dans des charettes à la Chambre des Comptes de Montpellier pour régler quelques différends sur les cadastres ou assiètes des tailles 7 ». Enfin 1 intendant de Bordeaux, dans un mémoire du 30 mars 1717, dit qu'en plusieurs paroisses des Landes « on n'a pu faire avoir [aux collec- teurs] d'autres rôles que des bâtons sur lesquels ils font des mar- ques 8 ». Sans doute ces faits, qui sont exceptionnels à la fin de l'Ancien Régime, on pu être fréquents aux siècles antérieurs, et peu- vent autoriser à admettre comme vraisemblable, faute d'autre expli- cation plus certaine, l'étymologie communément donnée. Mais il ne

1. Recherches, ch. vu, p. 86.

2. Quinzième action, dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 473.

3. Traité des tailles (1657), dans ses Œuvres compl., éd. 1750, t. III, p. 290, col. 2.

4. Notamment Pastorel, dans Ord. des rois de France, t. XVI, introd., p. xv.

5. De la propriété des eaux courantes, (1846), p. 4%. .' ' '>i,'et' La misère au temps de la Fronde, p. 298.

7. Trésor des recherches et antiquités gauloises, 1655-67, nouv. éd. par Fnvre. Niort, 1882, art. Cadastre.

8. Cité dans Marion, L'impôt sur le revenu au XVIW siècle... p. 3.

APPENDICE. 535

semble pas qu'on doive considérer pour autant la question comme définitivement tranchée.

L'orthographe même du mot soulève aussi quelques difficultés. Dans les textes les plus corrects, on trouve côte à côte la forme du sin- gulier et celle du pluriel pour désigner notre impôt. Dès le xve siècle, les deux formes sont employées indifféremment; c'est à peine si une subtile distinction est faite par les députés de Normandie aux Etats de 1483, dans leurs doléances aux gens du Roi : « L'immensité de la taille, ou pour mieux dire des tailles... excède de beaucoup la cote ordinaire1 »; mais dans son Journal des mêmes Etats, Masselin dit sans différence apparente tantôt tailla, tantôt tallise. Au xvne siècle, on trouve les deux formes dans la même phrase : ainsi, dans une cir- culaire du roi aux intendants : « Outre la descharge que je luy faicts [au peuple] de dix millions sur les tailles, j'ay encore résolu de diminuer sur la taille la somme à laquelle montera » (etc.)2. Dans la Déclaration du 6 août 1669 : ceux qui ont acquis « les privilèges d'exemption de tailles pourront (etc.)... sans être tenus de payer la taille 3 ». L'inten- dant de Limoges écrit dans un mémoire de 1686 : « Le peuple y est [dans la paroisse d'Escoyeuxj extrêmement dur à payer la taille, faisant toujours courre des bruits qu'elles sont remises 4. » Pareillement La Barre, dans son Formulaire des Esleus : « Tous les aisez taillables taschent a se descharger de la taille, lesquelles néanmoins croissent de jour en jour5 ». On pourrait multiplier ces exemples 6.

Pareil phénomène peut, du reste, être constaté pour le nom d'autres impôts : on dit également l'aide des aides ; la gabelle et les gabelles, le domaine et les domaines. L'explication de cette bizarrerie ne peut faire de doute : si la taille, au temps de Louis XIV, est un impôt unique, il n'en était pas de même, on l'a vu, à l'époque antérieure; elle se com- posait alors d'une série d'impôts additionnés, qui formaient chacun une taille particulière, et étaient répartis sur les rôles « par lignes sépa- rées », de sorte que l'on pouvait considérer la taille comme la réunion de plusieurs impôts, d'où l'emploi du pluriel. C'est ce qu'explique en 1726 un Mémoire sur la taille : « Sous le mot taille, on entend aujour- d'hui plusieurs impositions réunies, aussi dit-on ordinairement : tailles et crues y jointes7». Guy Coquille distingue pareillement « la grande taille » des autres tailles qui y sont proportionnelles 8. Ainsi l'usage du pluriel pouvait se justifier.

1. Journal de J. Masselin, publ. par Raudry. p. 483.

2. Circulaire du 30 août 1643, citée dans André, Michel Le Tellier, p. 4*24, note.

3. G. d. T. II, 54.

4. Cité dans l'Inventaire des Arch. départ, de la Vienne, -série G (publ. par Leroux), p. 274.

5. Formulaire des Esleuz (1622), p. 172. La phrase fut maintenue ainsi dans toutes les éditions de l'ouvrage.

6. Cf. notamment le Dictionnaire de Trévoux (1771), art. Taille : « Les tailles furent mises sur le peuple du temps du roi saint Louis qui a le premier levé la taille par forme de subsides pendant la guerre; mais les tailles n'estoient d'abord que des levées extraordinaires... »

7. Dans de Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris, p. 487. Noter aussi qu'au XIV0 et au XVe siècle, on disait : une taille pour une levée d'impôt.

8. « La grande taille, ou le principal de la taille, sur le fur et pied de laquelle les autres tailles estoient imposées. » (Questions et réponses sur les articles des coutumes, § V.) Un édit de 1537 avait déclaré que le montant de la grande taille serait immuablement fixé à 4 millions de liv.

;,3,; LA TAILLK IN NORMANDIE.

Toutefois, l'emploi du singulier ou du pluriel n'était pas toujours absolument arbitraire au xvn° siècle. Pour certaines expressions, l'usage voulait que l'on employât exclusivement l'une des deux formes. A'm^i on ne disait jamais receveur de la taille, mais receveur des tailles; on disait toujours le brevet de la taille, et par contre les com- missions des tailles. On levait la taille, et non les tailles, tandis qu'on payait la taille. Richelet, le Dictionnaire de V Académie, le Dictionnaire des Finances de 1727, le Dictionnaire de Trévoux citent plusieurs de ces expressions toujours est employé soit le singulier, soit le plu- riel. J ai, dans ce travail, usé de ces expressions telles quelles, en conservant la liberté d'employer ad libitum le singulier ou le pluriel dans les autres cas.

II. AVIS D'UN INTENDANT SUR LE BREVET

« Advis pour l'imposition de la taille de l'année 1G79 sur les 13 eslec- tions de la généralité de Rouen, montant a 2 300 000 1. suivant le brevet envoyé par Sa Majesté, et de la somme de 3 333 1. ordonnée estre imposée par arrest du conseil du 13 avril 1678 nonobstant les deffences portées par les commissions des tailles, pour estre employée aux réparations et entreneraent du pont de la ville de Rouen, fontaines, édiffices, chaussées et pavages des environs.

Rouen. Cette eslection a esté imposée les années précédentes a des sommes très considérables, et en 1678 a 276 000 1. ; quoyque la ville de Rouen luy deubst estre advantageuse, neantmoins la franchise dont jouissent les contribuables qui se retirent dans la bonne lieue fait que les plus riches s'y establissent, dont les taux surchargent les autres, c'est pourquoy je crois qu'il y a lieu de luy donner, pour sa part de la diminution accordée par Sa Majesté 45 500 1. et de la réduire a 230 500 1.

Et des 3 333 1. portées par led. arrest 3501.

Pont de l'Arche. Les habitants de plusieurs villages de cette eslection s'appliquoient a cultiver le tabac, qui se vendoit 28 et 30 1. le cent; comme le profict estoit très considérable, on avoit augmenté la taille a proportion, mais depuis qu'il leur a esté deffendu d'en planter et de le vendre a qui bon leur sembloit, et que les chardons ne se sont presque plus transportez dans les pays estrangers, il est néces- saire de la diminuer de 25 500 1. sur 141000 1. qu'elle portoit en 1678 et de la réduire a 115 5001.

Et des 3 333 1 150 1.

Les villes du Pont de l'Arche et Louviers ont beaucoup souffert par les passages et garnisons, aussy il y auroit lieu de diminuer celle du Pont de Larche de 100 1. et le réduire a 1 400 1.

Et celle de Louviers de 5001. et ne l'imposer qu'a. . . . 12 500 1.

Ponteaudemer. Cette eslection estoit une des plus considérables de Normandie; il se vendoit toutes les semaines aux marchez pour plus de 30 000 1. de toille, le commerce est sy diminué qu'il ne s'en débite pas présentement pour 6 000 1., joint qu'elle a esté peu ménagée par les commis a la recepte des tailles, ce qui a obligé un grand nombre

APPENDICE. 537

des principaux tailliables a faire signifier des translations de domi- cilie ; je crois que pour luy donner moyen de se rétablir, elle doit estre diminuée de 58 000 1. sur 339 500 1. qu'elle portoit en 1678, et réduitte a ; 281 500 1.

Et des 3 333 1 350 1.

La ville du Ponteaudemer est beaucoup diminuée, il est de nécessité de la réduire de 31 000 1. a 28 000 1.

Le bourg de Quillebeuf a beaucoup souffert, les matelots et les pilotes n'ayant point esté en mer depuis quelques années et n'ayant conduit que très peu de vaisseaux le long de la rivière de Seine, le diminuer de la somme de 600 1. et le réduire a 4 000, cy . . 4 000 1.

Pont Levesque. Plusieurs contribuables dont les taux montent a 6 250 1. ont fait signiffier des translations de domicilie dans les gene- ralitez de Caen et Allençon, joint qu'il y a très peu de fruits cette année, ce qui fait qu'il y a lieu de la diminuer de la somme de 20000 1. sur celle de 191 500 1. qu'elle portoit en 1978, et de la réduire a 1715001.

Et des 3 333 1 200 1.

Le bourg de Pontlevesque a eu trois quartiers d'hiver les années der- nières et quelques passages, et comme il y a très peu de commerce, plusieurs habitants ont déserté, le diminuer de 1 900 1. et le réduire a 8 0001,

La ville d'Honfleur a souffert par la perte de plusieurs vaisseaux, la diminuer de 2 000 1. a 26 000 1.

Caudebec. En 1676 il y eut 80 parroisses de cette eslection greslées, dont la plupart le furent entièrement, et les autres moytié, le bourg de Bollebec qui faisoit subsister plus de 30 parroisses par son commerce, et qui portoit 11 800 1. furent entièrement bruslé, dont la taille a esté réduitte par arrest du Conseil a 3 000 1. qui est une augmentation de 8 800 1. sur cette eslection ; en 1677 la niesle ou melie, suivant le terme du pays, a gasté presque tous les grains, et plusieurs parroisses sont demeurées en reste de la taille et de Pustancille, ainsy il y a lieu de la diminuer de 49 500 1. de celle de 275 000 1. a laquelle elle estoit imposée en 1678 et de la réduire a . 225 500 1.

Et des 3 3331 350 1.

La ville de Caudebec a souffert des garnisons en 1676 et en 1678, ce qui a fait que plusieurs artisans en sont sortis, et le commerce y estant beaucoup diminué, il y a lieu de la diminuer de la somme de 500 1. et la réduire a 5 000 1.

Montivilliers. Les bleds ont esté presque tous gastez en .1677 et en 1678, les lins dont le commerce est très considérable et les fruits ont manqué, une partie des terres est demeurée en friche; les fré- quentes gardes que les habitans out esté obligez de faire, et les armes qu'ils ont achetez, avec l'imposition du sel auxquels ils sont sujets, ont mis les paroisses en très mauvais estât, ainsy il y a lieu de la dimi- nuer de 39 500 1. de celle de 222 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la réduire a 182 500 1.

Et des 33331 200 1.

Les villes de Montiviliers et d'Harfleur sont très misérables et ont

538 LA TAILLK U NORMANDIE.

besoin d'estre diminuées, scavoir Montivilliors de la somme de 1 000 1.

et reduitte a 4 500 1.

Et Harfleur de 600 1. et reduitte a 3 000 1.

Arques. Cette eslection a beaucoup souffert, les bleds aiant esté greslez de [= en] 1677, ainsy je crois qu'il y a lieu de la diminuer de 40 000 1. sur celle de 321 700 1. a laquelle elle estoit imposée en 1678 et la réduire a 281700 1.

Et des 3 333 1 400 1.

Le bourg d'Arqués est presque désert, les habitans s'estans retirez a Dieppe; pour obliger les autres d'y rester, il y a lieu de le diminuer de 800 1. et de le réduire a 1 800 1.

La ville d'Eu de 1000 1. et reduitte a 12 000 1.

Neucbastel. Plusieurs parroisses de cette eslection ont esté greslées en 1677, beaucoup de tailliables ont fait signiffier des trans- lations pour aller demeurer en Picardie, et les fruits ont presque manqué, ainsy je crois qu'il y a lieu de le diminuer de la somme de 20 0001. sur celle de 154 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la réduire a 134 000 1.

Et des 3 333 1 300 1.

La ville de Neuchastel a eu une compagnie de cavalerie trois mois et demy en quartier d'hiver en 1678; il y a lieu en cette considération de la diminuer de 5001. et la réduire a 4 000 1.

Et celle d'Aumalle de 500 1. et la réduire a 5 700 1.

Gizors et Pontoise. Cette eslection a esté fort augmentée les années précédentes, et les villes de Gizors et Pontoise ont souffert une quantité extraordinaire de passages et de garnisons qui ont fait déser- ter la pluspart des habitans, ainsi il y a lieu de la diminuer de la somme de 22 000 1. sur celle de 190300 à laquelle elle estoit imposée en 1678 et la réduire a 168 300 1.

Et des 33331 250 1.

Diminuer Gizors de 400 1. et le réduire a 6 600 1.

Pontoise de 4 000 1. et le réduire a 20 000 1.

Et le faubourg de l'Aumosne de 800 et le réduire a . 3 200 1.

Lyons. ; Les terres de cette eslection sont légères, la pluspart desquelles ont esté défrichées, il y a lieu de la diminuer de 14 000 1. sur celle de 98 000 qu'elle portoit en 1678 et la réduire a 84 000 1.

Et des 3 333 1 33 1.

La ville de Lyons a souffert un sy grand nombre de passages, que plusieurs habitans l'ont abandonné, il y a lieu de la diminuer de 400 1. et le réduire a 2400 l.

Chaumont et Magny. Cette eslection a esté imposée a des sommes considérables les années précédentes, et les fruits y ont man- qué presque partout, ainsy il y a lieu de la diminuer de la somme de de 20 000 1. de celle de 153 000 a laquelle elle estoit imposée en 1678 et la réduire a 133 000 1.

Et des 3 333 1 250 1.

La ville de Magny a beaucoup souffert les années dernières par les

APPENDICE. 539

grandes eaues, et plusieurs tailliables sont décédez depuis peu, ainsy il y a lieu de la diminuer de la somme de 600 1. et la réduire a 5 600 1. Chaumont est le lieu de toute la généralité ou il passe le plus de de trouppes qui y séjournent toutes, ce qui fait que presque toutes les maisons sont ruinées ; pour lui donner moyen de se restablir, la dimi- nuer de la somme de 200 1. et la réduire a 1 100 1.

Andely. La plus grande partie de cette eslection consiste en vignes, le vin n'ayant point eu de cours, et ne se vendant que 8 ou 10 1. le muid, les principalles paroisses ont beaucoup perdu, joint que le Grand et le Petit Andely ont eu des quartiers d'hiver les années précédentes, et les gensdarmes d'Orléans cette année, la ville de Ver- non le logement d'une brigade de gardes du corps, et plusieurs pas- sages, et celle de Gournay pareillement, ainsy il y a lieu de diminuer cette eslection de 20000 1. de 160000 1. a laquelle elle estoit imposée en 1678 et la réduire a 140 000 1.

Et des 3333 1. . . . 250 1.

Le grand Andely de 1 300 1. et le réduire a 4 000 1.

Le petit Andely de 500 1. et le réduire a 2 500 1.

Vernon de 2 800 1. et le réduire a 16000 1.

Gournay de 500 1. et le réduire a 6 500 1.

Evreux. Une partie de cette eslection fut grêlée en 1677 et 1678, les vins ne se vendent que 8 et 10 1. le muid. Lapluspartdes parroisses sont en très mauvais estât, ainsy il y a lieu de la diminuer de 26 000 1. sur celle de 178 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la réduire a 152 000 1.

Et des 3 333 1 250 1.

Il n'y a point de commerce dans la ville d'Evreux et elle a beaucoup diminué par les translations de domicilie et les garnisons des années précédentes; il y a lieu de la diminuer de la somme de 2000 1. et la

réduire a. 19000 1.

Faict le juillet 1678 ». »

III. COMMISSIONS DES TAILLES DE LA GÉNÉRALITÉ DE GAEN POUR L'ANNÉE 1678.

« Lettres patentes en forme de commission données à Versailles le 8e aoust 1677, signées Louis, et plus bas par le Roy, Phelypeaux, addressées au sr Meliand conseiller de Sa Majesté en ses conseils, maistre des requestes ordinaire de son hostel, commissaire departy pour l'exécution de ses ordres en la généralité de Caen, et aux prési- dents, lieutenans, assesseurs et Eleus sur le fait des aydes et tailles des élections de ladite généralité, chacun en droict soy.

Auxquelz Sa Majesté faict entendre que les grands succès dont il a pieu a Dieu de bénir la justice de ses armes n'ayant peu encores per- suader ses ennemis de consentir a une bonne et solide paix, Elle est

1. B. N. fr. 8 761bis, f 132-135. Au bas de la dernière page est écrit, à l'envers : « 9 juillet 1678. Advis pour la taille de 1679 ».

MO LA TAILLE EX XOIt.MANIM i: .

obligée de mettre en usage les moyens que Dieu a mis en ses mains

maintenir ses armées et pour les fortifier et augmenter, afin que,

leur faisant tousjours connoistre la difficulté et mesme limpossibité de

faire aucune conqueste sur ses estats ny d'arrester le cours de la pros-

f>erité de ses armes, Elle puisse enfin les forcer a donner les mains a a paix qu'Elle désire donner a ses peuples et a toutte la chrestienté, mais comme il est nécessaire de faire de très grandes despenses pour parvenir a une si bonne fin, Elle est obligée de continuer les imposi- tions sur ses peuples, sans toutesfois les augmenter, espérant que par ses soins et 1 application qu'Elle donne au bon ordre et a rœconomie de ses finances, Elle ne laissera pas de maintenir et mesmes d'augmenter ses armées avec les mesmes impositions qu'Elle a faites les années dernières sans avoir recours a des moyens extraordinaires qui sont tousjours a charge a ses peuples.

A ces causes, de l'advis de son Conseil, et de sa pleine puissance et authorité royalle, Elle leur mande et ordonne par lesdites lettres signées de sa main, qu'ils ayent a imposer et faire lever pour l'année 1678 sur les contribuables aux tailles des Elections de la généralité de Caen la somme de dix huict cents quarante mil livres pour le principal, creues y jointes, et solde des maréchaussées, scavoir : sur les contri- buables aux tailles de l'élection de Caen pour le principal de la taille et creues y jointes CLXIIm IIII" IX 1. et pour la solde des maréchaussées VIIm VII0 XI I., revenant lesdites deux dernières sommes a celle de CLXIXm VIII6 1., dont la ville de Caen portera XXVIII,a 1. suivant son abonnement. Sur ceux de l'élection de Bayeux pour le principal de la taille et creues y jointes IIe LlXm I IIIe 1. dont la ville et fauxbourgs de Bayeux porteront XXVIIm VIIe IIII" 1., Nostre-Dame de Thorigny IIIIm CXX 1. et le bourg d'Issigny IXe L 1. Sur ceux de l'élection de, Vire et Condé pour le principal de la taille et creues y jointes IIIe XVIIm VIe 1. dont la ville et fauxbourgs de Vire porteront ^XIII™ IX° LX 1. et le bourg de Condé VlIIm VIII6 LX 1. Sur ceux de l'élection de Coustances, pour le principal de la taille et creues y jointes IIe IIII" Im VII6 IIII" XIIII 1., et pour la solde des maréchaussées IIIIm 1111° VI 1., revenans lesdites deux dernières sommes a celle de IIe IIII" V™ II6 1., dont la ville et fauxbourgs de Coustances porteront XIIII111 1. Sur ceux de l'élection de Carentan pour le principal de la taille et creues y jointes, CI1II" m IXe 1. dont la ville et fauxbourgs de Carentan y compris Beaumont, Bougeval, Pontmenanque et Pont- doure porteront Xm 1. et celle de St-Lo XXXIm 1., Sur ceux de l'élec- tion de Vallongne pour le principal de la taille et creues y jointes IIe LXVIm Ve 1. dont la ville et fauxbourgs de Vallongnes porteront IXm VIe 1., le bourg d'AUeaume Ilm VII6 1. et le bourg de St-Sau- veur le Vicomte Vm Ve 1. Sur ceux de l'élection d'Avranches, pour le principal de la taille et creues y jointes. CLXIm VIIIe 1., dont la ville et fauxbourgs d'Avranches porteront Xm IXe L 1. et Pontorson IIIm CXXVI 1. Et sur ceux de l'élection de Mortaing pour le principal de la taille et creues y jointes CIIII" XVIIIm VIII6 1. dont la ville de Mor- taing portera IIm IIII" V 1.

Plus ils imposeront et feront lever sur les contribuables desdites élections non compris les susdites villes la somme de quatre vingt dix mil libres, pour partie du fonds nécessaire pour la despense des estapes de ses trouppes, scavoir : sur l'élection de Caen VIIIm IIe 1.,

APPENDICE. 541

sur celle de Bayeux XIIm VI0 1., sur celle de Vire et Condé, XVm IIIIC 1., sur celle de Coustances XIIIl™ G 1., sur celle de Carentan VIIIm IX0 1., sur celle de Valongnes XHm VIII0 1., sur celle d'Avran- ches VIIlml., et sur celle de MortaingX™ 1., revenans lesdites sommes aladitedeIIII"Xml.

Plus ils imposeront et feront lever sur les contribuables desdiles élections la somme de trois mil trois cents trente trois livres pour partie de Xm 1. ordonnez par arrest de son conseil du 19e octobre 1675 estre imposés sur la présente généralité et sur celles de Rouen et Allençon egallement pendant trois années dont la prochaine 1678 sera la troisiesme et la dernière pour les réparations du pont de la ville de Rouen, de laquelle somme de IIIm IIIe XXXIII 1. l'élection de Gaen portera III0 1., celle de Bayeux 1., celle de Vire et Condé VI0 1., celle de Coustances 1., celle de Carentan III0 1., celle de Vallongnes Ve I., celle d'Avranches III0 1., et celle de Mortain IIIe XXXIII 1.

Au département desquelles sommes ils procéderont incessamment en leurs consciences sur les villes, bourgs et paroisses des élections de ladite généralité, ensemble sur ceux dont les privilèges et exemp- tions ont esté révoqués et non restablis, lesquels seront par eux taxés d'office selon leurs facultés, en procédant au département avec les officiers de ladite élection, dont sera fait mention au pied des mande- ments qui seront envoyés dans les parroisses suivant les règlements de Sadite Majesté registres en ladicte cour des Aydes, lesquelles cottes d'office seront payables directement ez mains du receveur ou commis a la recepte des tailles de l'élection, et celles des autres contribuables des parroisses aux collecteurs d'icelles, pour estre le tout payé dans les termes cy-dessus ez mains du receveur ou commis a la recepte des tailles de ladite élection, a peine d'y estre lesdits collecteurs con- traincts comme pour les propres derniers et affaire de Sad. Majesté, et lesdits cottisés d'office par les voyes ordinaires ainsy que les autres contribuables.

Deffend aux officiers de ladite élection sous prétexte de leurs gages et droicts de s'entremettre a la recepte d'aucuns deniers dans lesdites parroisses en quelque sorte et manière que ce soit, a peine d'estre contraincts solidairement et par corps à la restitution de ce qu'ils auront receu, desquels gages et droicts Sad. Majesté veut qu'ils soient payés par ledit receveur ou commis a la recepte des tailles, suivant le fonds qui en sera laissé dans Testât de distribution des finances de ladicte généralité, qui sera arresté par Sa Majesté pour ladite année prochaine 1678.

Plus ils feront encores imposer et lever sur lesdits contribuables VI d. pour livre de touttes les sommes qui seront receues par les collecteurs des tailles des parroisses de ladite élection, lesquels ils retiendront par leurs mains pour leur droict de collecte, dont ne sera cy après fait aucun retranchement, pour quelque cause que ce soit, moyennant quoy ils ne pourront prétendre aucune diminution de leurs cottes.

Et pour parvenir a l'imposition et recouvrement des sommes con- tenues auxdites lettres, ordonne auxdits trésoriers de France d'expé- dier sur icelles leurs attaches et les mettre trois jours après ez mains dudit sieur Meliand auquel Sadite Majesté ordonne de se transporter a l'instant au bureau de ladite élection pour avec les officiers d'icelle

|U LA TAILLE EN NOll.MANDIE.

(sur lesquels sa voix prévaudra) procéder a l'assiette et département des susdites sommes sur les villes, bourgs et parroisses qui en dépen- dent le plus justement et egallement que faire se pourra, sans avoir égard aux abonnements qu'elles pourroient avoir obtenus, lesquels Elle a révoqués et révoque par lesdites lettres, ainsy qu'elle a cy- devant faict.

N'entend estre compris aux rolles des tailles les officiers des cours supérieures, ses conseillers secrétaires, les officiers de sa maison et ceux des autres maisons royalles qui servent actuellement, reçoivent gages au moins de LX 1., et qui se trouveront employés dans les estats registres en la cour des aydes de Paris depuis sa déclaration du 30e may 1G64. Comme aussy ne seront compris auxdits rolles des tailles les officiers de ladite élection réservés, pourveu qu'ils ne déro- gent a leurs privilèges. Leur deffendant de faire jouir d'aucuns privi- lèges ny exemptions les particuliers pourveus d'offices desdictes mai- sons royalles en vertu des certificats de dispense de service, si ce n'est pour cause de maladie deuement attestée par les médecins des lieux et par les procureurs de Sa Majesté. N'entend aussy qu'ils fassent jouir desdits privilèges et exemptions ceux desdits officiers qui sont sans fonction et qui ne servent actuellement par chacun an. Veut que les commis des adjudicataires de ses fermes soient cottisés aux rolles des parroisses ou ils sont résidents s'ils y estoient domiciliés avant leurs commissions, ou s'ils y sont depuis mariés et y ont acquis des biens dans lesdites parroisses ou en l'estendue de ladite élection.

Seront cottisés d'office les officiers les presidiaux et principaux habitans des villes et paroisses, ensemble les fermiers des seigneurs, gentishommes et autres qui ne sont cottisés auxdits rolles a cause de leur authorité et pouvoir, ou qui n'y sont compris que pour des sommes modiques.

Ordonne que les prevosts des maréchaux de France et leurs lieu- tenants créés et establis avant le premier janvier 1635 jouissent de l'exemption entière des tailles, les greffiers et exempts chacun de XXX 1. et les archers de C s. pourveu qu'ils servent actuellement et ne fassent aucun trafic.

Et afin qu'il ne soit apporté aucun retardement a la levée des deniers de Sa Majesté, Elle veut que les procès concernant les nominations et décharges de collecteurs soient réglés dans les temps réglés par lesdites déclarations des 12e febvrier 1663, jussion expédiée en consé- quence et déclarations des mois de mars 1667 et mars 1673. Deffend auxdits eleus de faire aucuns rejets pour affaires soit de particuliers soit de communautés sans sa permission, et celle dudit sieur Meliand aux termes de l'arrest du conseil du 14e mars 1676; a peine d'inter- diction.

Et sur l'advis donné a Sa Majesté que plusieurs seigneurs de parroisses ont depuis quelques années tenu en apparence leurs terres par leurs mains, soustenants que leurs fermiers estoient leurs domes- tiques, afin de les exempter de la taille au préjudice des pauvres, sadite Majesté ordonne, pour éviter a telles fraudes, que lesdits seigneurs ne puissent tenir qu'une de leurs fermes par leurs mains, et s'ils en tien- nent davantage, qu'ils fournissent un fermier qui porte sa part de ladite taille a proportion du gain qu'il pourra faire en sa ferme, sinon seront les fruicts des héritages qui n'auront esté affermés saisis et

APPENDICE. 543

affectés au payement des sommes auxquelles les collecteurs les auront taxées, le tout suivant les règlements registres en la Cour des Aydes, mesme celuy du mois de mars 1667 et autres suivant, et de tout ce que dessus sera fait mention dans les commissions qu'ils envoyeront dans lesdites parroisses.

Pour estre tous les deniers des tailles, solde et autres natures de deniers excepté les droicts des collecteurs, receus par ledit receveur ou commis a la recepte des tailles et par luy payés suivant Testât de distribution qui en sera par sadite Majesté arresté et envoyé audit bureau des finances de Caen. Veut au surplus que ceux qui seront taxés d'office et compris aux rolles des parroisses de ladite élection au défaut de payement dans les termes expirés y soient contraincts par les voyes ordinaires et accoutumées, et si de partie a partie il survient quelque différent ou opposition (les deniers de Sa Majesté payés préal- ablement par provision, nonobstant oppositions ou appellations quel- conques), lesdits eleus fassent aux parties bonne et brieve justice, a l'exception toutesfois des cottes d'office qui auront esté faites par ledit sieur Meliand, lesquelles seront aussy exécutées par provision, sauf l'appel qui ne pourra estre receu qu'après la justification du payement, leur defiendant et a tous autres de quelque qualité et condition qu'ils soient d'imposer ny souffrir qu'il soit imposé et levé sur les contri- buables de ladite élection autre ny plus grandes sommes que celles contenues auxdites lettres durant ladite année prochaine 1678, a peine contre lesdits eleus d'encourir la rigueur des ordonnances, et ce nonobstant quelconques lettres patentes et arrests intervenus ou qui pourroient intervenir portant dérogation auxdites lettres, a quoy ils n'auront aucun esgard, et en cas qu'au préjudice desdites deffenses il soit imposé autres sommes que celles contenues en cesdites lettres, veut que le fonds en soit porté en son Trésor royal, sans avoir esgard aux destinations particulières qui pourroient en avoir esté faites1. »

IV. TRAITÉ POUR UNE RECETTE PARTICULIÈRE, 1680.

« Nous soussigné, Pierre Cousin, escuyer, seigneur du Val, Con- seiller secrétaire du Roy, maison et couronne de France, Receveur général des Finances à Rouen en exercice année 1680, d'une part, et Adam Estièvre, conseiller du Roy, receveur des tailles en l'élection de Pont l'Evesque, sommes convenus et sommes demeurés d'accord de ce qui ensuit; c'est assavoir que moi dit Estièvre me suis chargé à forfaict à mes risques, périls et fortunes du recouvrement des tailles et autres impositions faictes en ladite eslection du Pont l'Evesque pour ladite année 1680 montent à la somme de 164700 1. sur laquelle sera déduit par estimation celle de 60351. sy tant il convient pour le payement des charges de ladite élection que moi dit Estièvre retiendrai par mes mains pour en faire le payement suivant Testât du Roy qui sera expédié pour ladite année; et le surplus montant 158665 1. je

1. M. G. 238, 234-236. Le préambule et la dernière partie (dispositions géné- rales) sont empruntés à la première commission du registre, 9-15 (généralité de Moulins).

III LA TAILLE EN NORMANDIE.

promets et m'oblige comme pour deniers royaux les payer au sieur Cousin en son bureau à Rouen ou en celuy de Paris en 13 payemens égaux et consécutifs de mois en mois, chacun de la somme de 12 450 1. et ainsy continuer de mois en mois jusques en fin de payement, au dernier desquels il sera déduit audit Ëstièvre la somme de 2500 1. qui lui a esté accordée de remise en considération des avances de deniers, risques, ports, voitures et frais de recouvrement généralement quel- conques, de laquelle remise ledit Ëstièvre demeurera deschu faute par luy de satisfaire ponctuellement à l'eschéance de chacun des payemens cy-dessus esnoncés, après une simple sommation à personne ou domi- cile, sans laquelle clause ledit traité n'aurait esté faict, et sans qu'elle puisse passer pour peyne comminatoire; et qu'il sera pris argent à change et rechange aux risques et frais dudit Ëstièvre, et sans que ladite clause puisse empescher l'exécution dudit traité contre ledit sieur Ëstièvre, et m'y suis obligé comme pour deniers royaux, pro- mettant en outre fournir audit sieur Cousin des estats des restes toutes fois et quantes qu'il le désirera, et s'il se trouve que j'aye plus reçu que le montant dudit payement, l'excédant en sera par moi porté et payé audit sieur Cousin en son dit bureau en déduction des payements qui resteront à eschoir, et pour l'exécution du présent traite lesdits sieurs Cousin et Ëstièvre ont esleu leur domicile sçavoir moi dit Cousin à Rouen au bureau de la recepte générale, et ledit Ëstièvre en la maison et personne de Me Anlhoine Cousture, procureur en la Chambre des Comptes, ou tous exploits vaudront comme si faits estoient à nos propres personnes. Faict double au Pont TEvesque le 8e octobre 1679 », signé : Cousin1.

1. A. N. G7 213. Cf. ibid., le traité conclu par Cousin le 14 décembre de la même année avec Bonté, receveur en titre de l'élection de Gisors : la somme à verser à la recette générale est de 144282 1. 10 s. Bonté la payera en quinze ver- sements mensuels, moyennant un<> remise de 2100 1. soit 1,45 p. 100 (1.58 dans le traité Ëstièvre). Les clauses relatives aux états de restes et aux trop perçus n'y figurent pas ; les deux parties élisent domicile à Paris.

APPENDICE.

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548 LA TAILLB EN NORMANDIE.

VI. NOMINATION D'UN COMMIS A LA RECETTE DES TAILLES

Sentence du Bureau des finances de Caen, du 14 novembre 1661.

« Veu la requeste à nouscejourd'huy présentée par Nicolas Doublet, conseiller du roy, receveur général des finances en ladite généralité contenant que par arrest du conseil du 30e juillet dernier registre en ce bureau il aesté commis à faire l'exercice de la charge de receveur général alternatif des finances en cette généralité pour l'année pro- chaine 1662, avec faculté de nous présenter des commis pour faire l'exercice de la recepte des tailles des eslections de ladite généralité. En exécution duquel ledit Doublet nous a nommé et présenté à l'exer- cice de la charge de receveur des tailles en l'élection de Vallongne pour ladite année prochaine M. Pierre Fournayeron, par nous desja commis à faire l'exercice de ladite recepte es année dernière et précé- dente à la charge d'en demeurer civilement responsable conformément audit arrest. A cause de quoy requeroit qu'ils nous pleust l'admettre et recevoir a faire l'exercice de ladite recepte pour ladite année prochaine 1662 et luy faire et déllivrer toutes les expéditions nécessaires. Veu ladite requeste, ledit arrest du conseil et l'ordonnance de ce bureau d'enregistrement d'icelluy de ce jourd'huy, scavoir faisons que nous avons pour l'accélération et avancement des deniers de Sa Majesté faict entrer en notre séance ledit Fournayeron ou il a faict et preste le serment en tel cas requis et accoustumé, icelluy commis et commet- tons par provision à l'exercice de la charge de receveur desdites tailles de ladite ellection de Vallongnes pour ladite année prochaine 1662 au lieu et place de M. Pierre Morel titulaire et propriétaire des offices de receveur desdites tailles d'icelle eslection à la nomination et cauction dudit Doublet, saoufet sans préjudice à l'opposition faicte par ledit Morel et de son pourvoy au conseil ainsy qu'il advisera bien. A la charge par ledit Fournayeron de se comporter bien et deuement audit exercice, tenir bons et fidelz registres des deniers de ladite recepte, de payer et faire voicturer iceux deniers de mois en mois ou autre temps convenable à la recepte générale des finances de cette généralité sans aucun divertissement sur les quittances comptables dudit Doublet et non sur ces billetz ou recepissez et de payer les charges assignées sur ladite recepte des tailles suivant l'ordre de Testât du roy d'icelle année, nos ordonnances et non autrement, sur les peynes au cas appartenant. Et de laquelle recepte et despence ledit Fournayeron veriffiera en ce bureau par estats en abrégez d'icelles toutes fois et quantes que besoin sera, et en fin d'année par estât au vray pour en compter en la Chambre des Comptes de cette province ainsy qu'il est accoustumé, pourveu toutefois qu'il soit maintenu et continué à faire ledit exercice, et arrivant au contraire, et que ledit Morel rentre et soit restably en la fonction et exercice de sa charge ledit Fournayeron luy comptera compte de clerc à maître de la recette et despense qu'il aura faicte des deniers des tailles de ladite année prochaine pour l'exercice que dessus. Mandons et ordonnons aux officiers de ladite eslection de mettre incontinent et sans délay es mains dudit Four-

APPENDICE. 549

nayeron les assiettes et déppartements des impositions de ladite année pour en vertu d'iceluy estre par luy faict ledit recouvrement. Leur enjoignant aussy et a tous autres de le souffrir et laisser jouir de l'effect de la présente commission sans luy apporter aucun trouble ny empeschement en l'exercice d'icelle en leurs propres et privez noms, ains luy donner toutte ayde et assistance en ce qui les requiera aux choses qui concerneront icelle, et a tous huissiers et sergents royaux requis faire pour l'exécution de ce que dessus toutte signification, sommation, contraincte, exécution et autre acte que besoing sera. Faict... ' »

1. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, à sa date.

TABLE DES MATIÈRES

Pages.

Préface - . . v

Bibliographie XIII

Liste des abréviations XXXI

Chapitre PREMIER. LE BREVET DE LA TAILLE.

1. Le droit d'imposer 1

2. L'administration centrale 14

3. L'établissement du brevet 22

Chapitre II. LES COMMISSIONS DES TAILLES.

/ 1. Les trésoriers généraux 38

2. Les intendants 43

3. Les élections 60

4. Les avis sur le brevet 66

5. Les impositions des villes 88

6. La forme des commissions 98

Chapitre III. LE DÉPARTEMENT ENTRE LES PAROISSES.

1. Les paroisses 103

2. Les élus 107

3. Les chevauchées des élus 133

4. La commission de répartition 136

5. La réunion de la commission 142

6. L'égalité dans le département 14i

7. Les protections accordées aux paroisses 151

Chapitre IV. LA NOMINATION DES COLLECTEURS.

1. Les mandementf- pour la nomination 164

2. L'assemblée paroissiale 166

3. Les exempts de collecte , 173

4. Le nombre des collecteurs 180

5. Les échelles 182

6. Les fraudes et les procès 185

7. Les collecteurs nommés d'office 190

Chapitre V. LES EXEMPTS.

1. Les nobles 198

A. La qualité de noble . . . 198

B. La recherche de la noblesse 202

C Les résultats de la recherche 218

D. Conditions de l'exemption des nobles 224

2. Les exempts par la fonction 231

Ml TABLE DES MATIERES.

A. L'exemption du clergé. ... * 232

H. L'exemption des commensaux 239

C. Exemptions à l'armée et a certains offices . . 246

D. Exemptions pour encourager certains actes

ou certaines professions 256

3. Les exempts par le domicile Ml

Chapitre VI. Première partie : LES TAILLABLES.

1. La taille personnelle 275

2. Les feux. Conditions d'âge et de sexe 280

3. Le domicile 285

4. Le changement d'octroi 291

5. La date des rôles 307

6. L'assemblée des collecteurs 311

Chapitre VI. Deuxième partie : LA COTE DES TAILLABLES*

1. L'estimation des facultés des taillables 317

2. La cote des collecteurs 328

3. La comparaison de taux 332

4. Les taxes d'office 339

5. Les rejets 348

6. L'inégalité dans l'assiette 353

7. La rédaction des rôles 378

8. La vérification des rôles 383

9. Les paroisses refusant de faire leurs rôles 390

Chapitre VII. LA PERCEPTION.

1. Les villes tarifées 393

2. Qui fait la perception dans les paroisses? .... 410

3. La collecte 418

4. Les receveurs 428

5. Les malversations et concussions des receveurs. . 447

6. Les contraintes 451

7. Les frais de contraintes 468

8. Les emprisonnements 487

9. La solidité 495

Chapitre VIII. LES RECOUVREMENTS. L'ÉTAT ÉCONOMIQUE.

1. La liquidation du passé 501

2. La taille de 1661 à 1672 513

3. La taille pendant la guerre de Hollande 519

4. La fin du ministère (1679-1683) 525

APPENDICE :

1. Le mot taille 533

2. Avis d'un intendant sur le brevet 536

3. Commissions des tailles de la généralité de Caen pour l'an-

née 1678 539

4. Traité pour une recette particulière, 1680 543

5. Tableaux de répartition de la taille entre les élections, 1661-83. 545

6. Nomination d'un commis à la recette des tailles 548

1263-12. Coulommiers. lmp. Paul BRODARD. 10-13.

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