LES MAITRES DU LIVRE

LATOlït D'AMOUlt

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LA TOUR D'AMOUR

EXEMPLAIRE SUB PAPIER DE RIYES

N 1031

<?.

_ Hachilde est morte dans sa maison lalîe de Condé où, pendant de longues «nies elle lut l'inspiratrice de se Lfred Valene, ^^ ^on^*

d'une grande sédnetion natureUe, eUe se fit^rès Jite remarquer par sa Pe"°£n^e 2 £ri*inalive de son i^ence^ Sa prj-

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que perversité Citons ]

iJniration profonde poux

Se fSSlit quelquefois .poser de. fleurs.

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RACHILDE

LA TOI 'H D'AMOl \\

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I \ I B17I BOIS F AI LOU1

PARIS

GEORGES CRÈS ET C

LES MAITRES Dl U\ RE

1161 i

jn«vers<t«« BIBUOTHECA

OfUv»«n

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g^§

Qi vm> je ni'- menai .m\ autorités pour la troisième fois, on me lii entrer dam le h -.m- m»- laisser tn»|> attendre sur de g banc* cru on m boui inl <1«- ma lête, Je incore cette chambre, peinte en jaune, pleine - mouches à \ iande <jm bourdon h, ii. ni autour .1»-^ i -M. riers. Il s faisail chaud, malgré la fenêtre ourerte d'où qu'on voyait la

dandinant comme

des canes, rapport à un fort vent d'ouest.

Je trouvai deux Messieurs : un petit sec et un gros court.

Le gros court se coiffa dune casquette soli- dement galonnée.

Le petit sec regarda ses ongles.

Ils paperassèrent, avant de causer, et ils me considéraient, en dessous, à la façon dont on considère les tonnes pour savoir si elles per- dent.

J'étais resté debout, bien raide.

J avais peur.

Ça me rappelait le jour de mon premier embarquement. Je ne pouvais pas détacher les yeux de mes souliers, frais cirés, mais qui mon- traient mes orteils. Heureusement que ces mes- sieurs eurent bonne opinion de ma tenue. Je portais le surcot neuf d'ordonnance, tout brun luisant, des pantalons de treillis à jambières de cuir, et je venais d'acheter, dans un bazar de Brest, un beau béret bleu à pompon large comme un chou.

IU paperassaient, 'I- paperassai* ni . j< toui ti.ii- mon béret, y tournais mon béret

pouvait durei l< >r i _: ri 1 1 >- . I<>i>'|ii' |. grofl . ..lut.

le plu- galonné, !»• patron «lu bureau, me «lit :

( l'est \<»!iv. Jean Maleui '

J'en ai ! . que je répondu tri poliment, oai p pensais bien qu'il ne fallait point pai i t<»ut ,\ trac en 1 1 tte - arnbuse.

Noua \<>M- iTonfl choisi, mon garçon, sui le» dix concurrents, et i espèn que non- nau- rons pas à noua repenti] de notre choix. Vous

nommé poui 1 r- Hen, Ah ! c'était pour ir-Men.Ji respirais comme h on ni arail «*.t.; un poids '!»' soixante kil<^ <|, ' 1 * - t j I estomac. .1» ne Bayais pai ce <pii m at- ii . .1 étaii joyeui de l'affaire .'• m'en n I guer deyant eux. Fini des ballottement* et des apprentissages. On était casé, son maître dam une propi iété «l< I Etal . un endi «»ii i esp table on qu on serait tranquille.

Vous u ara pas ^ ote ans, que dit le petit

est jeune.

Il se caressait la barbe, regardait toujours ses ongles. Il avait l'air de se chercher des poux qu il voulait tuer.

On vieillira, que je lui répondis en rigo- lant.

On vieillit même très vite à Ar-Men, fit le patron galonné, qui ne riait pas, peut-être parce quil savait ce quil disait. Seulement, nous vous prenons à cause de Vautre, là-bas, qui décline. Malgré son expérience, il a besoin d'un luron pour le renforcer. On ravitaille a Ar-Men. Est-ce que vous savez cela, mon brave .J

Moi, je ne savais rien, sinon que j étais con- tent.

Oh ! que je dis honnêtement, demeurer planté en mer ou s'y promener, c'est toujours la même salaison. Je ne crains pas les corvées, j en ai vu de plus dures.

Vous avez fait les échelles du Levant, comme chauffeur, avec le capitaine Dartigues ?

Oui, Monsieur.

Et je me mis au port d'armes.

-*- 5 -s-

Il feuilletait mes papiera personnels; je i f. onnus, dans ses doigts, mon certificat d études ci mon livret du dernier bord.

\«»u- aviei une mauvaise tête, paratt-il

I Non- \ étions. . . I histoire de ma chicane avec le second machiniste, le fameux jour <>ù I avait été bj tellement en ribote. Dire que pour un jour de noce on nous le reproche tonte La

\ ir.

( '. esl possible, mon commandant^ quand je inifl un peu pria de boisson. La chose n'a paa été plus loin qu'un coup de cordage. Le cama- rade a reconnu <ju il était aussi saoul <|u<' moi. Noua revenions de loin, et, dame, voua com- prenez, on allait voir dea personnes «lu Sana voua offenser, cela voua met toujours le feu quelque part. I ta m'a flanqué de la cale plua que ça ue le méritait; j'ajoutai, tout de suite, me mordant la langue . on a été juste, quoi.

Bien, bien, fit le petit sec. Voici les papiers. Il- sont enrègli V< tua rejoindra \ otre p mii dès demain. \ pi opos, celui que roua

h .

remplacez, le compagnon du vieux Mathurin Barnabas, est mort... d accident, et on a ouvrir une petite enquête, mais le vieux s'en est tiré à son honneur. C'est un brave homme, je vous le dis pour que vous le sachiez. Pas d al- lusion à... Y accident, hein !

Vous êtes bien aimable, que je répondis, confus.

Je ne comprenais rien de rien en ce temps-là, faut croire. Enfin, qu'est-ce que ça pouvait me fiche leurs manigances avec le vieux ? Je venais de chez les Chinois, et tout ce que je voulais c'était de ne plus caboter. J'en avais assez d éter- nuer dans leur soute à charbon depuis sept ans. Mon temps était venu de m'implanter en mer ferme. Ah ! malheur de Dieu ! Que je ne me sois pas pendu au dernier mât du dernier navire que j'ai chauffé...

Ensuite, on me causa de la paye. Une jolie somme pour peu de travail. Cela aurait m'avertir l'entendement. On me dit de serrer mon ballot d'effets , comme si j 'allais plonger avec

efl de 1 1 1 « tenir prél le lendemain, au leoondconp

des fuit-.

I . petit M ni' glissa, (1 un ton ini< I i t \ inaigre :

Surtout |»;i^ <l<- bordée, |>a> d histoires de I u I »<•- . mon garçon. Noua demandons dei

éprouvés par la vie pour ne pas la regretter^ \mh tenter l»ini toute rotre respon- sabilité, n'est-ce pi

Je n a\;n^ |>;i- réfléchi < 1«-| m i s ma naissi in monde. Il- m embêtaient crânement, lea patrons, et leuri petits soins, t ! était comme le ronron des mouches à \ lande; ils m'endormaient. Je n'avais pas pourtant l'aspect d'une demoi- selle. Il- me firent aussi remarquer <|u<' \ étais un privilégié, que l'on me choisissait sur le las des dix autres, rapport à ms figure, une bonne figure de hibou. .1 étais triste et maigre de corps comme tous les chauffeurs <jn<- l<- rent di di sseche. Je d ttais rien, n'ayant i

quitl dei ni.iit de reste.

I bouquet, ce fut le patron, qui, me mon-

trant la porte, me frappa sur l'épaule et me souffla, de 1 air d'un qui prierait pour un mori- bond :

Courage, mon garçon, et souvenez- vous que vous prenez en mains la destinée de grands navires.

J'eus envie de répondre :

Des petits aussi, mon commandant.

Mais je tenais à prouver que j'avais de l'édu- cation, et je lui ripostai en sortant à reculons, le béret bas :

Bien, quoi, on sera un homme.

Il n'y avait plus à s'en dédire, car on ne plaisante guère dans 'cette partie de la marine. Quand une fois on y est, on y est. Faut pas leur conter plus tard que ça vous tourne sur le cœur.

Jean Maleux. que je m'en allais, c'est ta fortune. Tout mettre de côté en attendant leur congé, voilà le plan. \ ingt-cinq ans de service, c'est pas le diable quand on est dorloté comme ça. Pas de supérieur sur le dos, la liberté com-

■*- 9 : |,|, tr. el le rieui loup ne m'avalera pas, puisque ni -,.n bâton de rîeillesse. Et rogue la galère, mon garçon ! Jean, I es bous la i ban

Je aQ m. <Iuui.it- pas de ma chance, non.

I lendemain, il rantaifl on petil vea\ plu- doux que celui de la veille, et la mer était comme une huile.

On Rembarqua.

h, Brest, on allait donc ravitailler lr- W,n dans un bateau, le SaitU-Christophe, un rapeur -passeur qui remplaçait le Georges- \IJrerf abîmé récemment abîmé, ici, ça ne veut pas ,1,,, qnc la robe «I une dame b reçu des écla- boussures on qu'on lui a fait un i mar-

chent dessu , a signifie que le vapi m pass< m Il ouvei i en deui sur un roch< r el perdn i <-i pe et biens

Dans la unit, je m'étais promené pai les ,l,i port, long int que je ue pouvais pas taire mes adieu an b< au w se, puisque mon d< mi. ftvaif fondu à m acheter un bonnet

propre. Ça me donnait des mélancolies, et je serrais ferme mon ballot d'effets, selon la recom- mandation de mes chefs, tout comme on se serait serré le ventre.

Le patron du Saint- Christophe me fit toiser, mesurer, gratter encore une paperasse ou deux, refeuilleta mes livrets et m'ordonna de des- cendre pour tenir compagnie au chauffeur, parce qu il avait deviné, à ma mine, que je con- naissais les usages de la chauffe.

Oui, mon bonhomme, on y va. . . Mais plus pour longtemps. J en ai assez du charbon. Je vais m* offrir une maison, tout à l'heure, urte vraie, sur le plancher des vaches, d'où qu'on peut voir danser vos sales coquilles de noix.

Toute ma vie j'avais rêvé d'être propriétaire d une de ces belles tours de l'Etat, et l'honneur m'en arrivait dans la main. Quel honneur... ils mont pris au filet, ni plus ni moins qu'un pauvre marsouin... La gloriole... j'étais si bête.

A cette heure, l'esprit et la raison me sont

I I

remis, tellement que |<- Buis fou, ••! ça ne peut l>lu- me mu ii à rien. Il es! trop tard,

Par le bublo! <!<■ la soute je ne voyais que

I « .m. maia je connaissais les endroits de

mémoire. On filai! sur la pointe des Capucins,

ennec, pour gagner Ir-A/en, en passant

devant Sein e! Pont-de-Sein.

Le chauffeur en chef, on bon garçon, me donna un gode! d'eau-de-vie, de L'anglaise, une boisson < ju i me chavira on peu, parce que j'avais oublié de mana

Là-bas, ehez moi, je rattraperais le temps perdu, et (<>ut en buvant j'essayais <lr le faire causer.

G est-y « j 1 1 «• t'es pour une épreuve <»n nomme pour <!<■ vrai, me demanda-t-il, !<• menton sur -.1 pelle .'

Mon épreuve es! terminée, Dien merci, camarade. On esl d'aplomb, <•! je vais poui 1 ester, j espère, ma \ i<- durant

Il lit : ah ! tout pensif.

m entendit plut la couleur de sa \ .»i\ .

Moi, je bavardais tout mon saoul. Je me pavanais avec mon baluchon serré autour de ma ceinture, mes hardes, mes papiers, mes livres, tous mes objets précieux. Je parlais tout seul, répétant que les Chinois avaient de gros ventres, parce qu'ils mangeaient trop de riz. Laide-chauffeur mécoutait, hochant la tête, très attentionné aux commandements d'en haut.

Personne, je m'en souviens, ne riait des plai- santeries que je risquais sur mon ventre plat ou ceux bombés des Chinois.

Je me rappelle même que le maître chauffeur m'arrêta une fois dun geste en se penchant sur ses machines.

Il dit, une autre fois, entre ses dents :

Il a eu de la veine, le Math ur in Barnabas.

Et il échangea un coup dœil avec son aide.

De quel Mathurin s'agissait-il ? Ma cervelle bouillait, décidément.

A dix heures on arriva sur Ar-Men. Je le sentis, car ça roulait beaucoup. Dans ces en- droits, la mer est perpétuellement démontée.

-*- I

imme un courant se brisant sur des pilei <!«• poni| seulement il a \ ;i pas <!<• ponl . et il faut \ eiller au m ûndre choc ci imme si on -m un bateau ck i « 1 1 <

( )n me bêla par le |><>i t.- \ .»i\

.i« _i impai «-t je me kroui ai devan I . . ma ton de retraite,

A pic, |'ii i<' travers du Saint-Christophe, s'élevait l<- phare d \i- \hn. tout entouré des crachati <1<- I Océan . Le : ê\ «»lnti»jii-

iiai.iii ,i -,i bâte an burlanl ri bavanl av< bonne envie de le démolir. Jamais je ne l'aurais » in si grand, si colosse. Je l'avais déjà vu dam [net iln patron de] apprentissage, «mi joujou, baul comme le doigl el tout bistorié de petits échelons d'argent. On le posai! sur les cai t il restait là, I air |>.i- plus lier que ses voisins. On I allumait, semblait il. comme on allume un bout de pipe. Seulement, nature, il était moins drôle. 9 . i «I arrimage el son lil de s .i •■! \ ienl lui roilaîenl la lace pai eille à une imm toile »l uraignée Juché sui une roche on ne

4- 14 £- devait pas pouvoir mettre le pied, jadis, il tenait par miracle, si gros, si long, qu'on se sentait de l'orgueil pour la force de l'homme qui 1 avait conçu. Trente-six ans de travail et une ration de cadavres ! Il en était gras, le monstre, d'avoir dévoré des ouvriers. Sa croupe, hors de l'eau, luisait comme enduite d'une vis- cosité; son esplanade, lisse comme du marbre, présentait l'aspect d'un perron de préfecture, tantelle était blanche et jolie, mais, tout autour, quand la vague se recroquevillait sur elle-même, on découvrait des trous, des vieux trous de dents gâtées, et cela sentait la marée, âprement. avec un surgoût de sang pourri.

On établit les signaux, et la grue d'arrimage s'abaissa. Le monstre daignait nous tendre la patte. On nous jeta des bouées : il fallut près d une heure pour les harponner, la mer y mettait des façons.

Ce que ça doit être gai par la tempête, murmurai-je.

Les lurons qui halaientle câble ronchonnèrent :

I

Faudrait t'j voir.

\ < •■ 1 1 1 « » n i « 1 1 1 - 1 .1 . |«' me bou viens que je pen-

Je -m- quelqu'un. On s'occupe de moi. .1 était monté, absolument, et plein de respect

pour ma position.

I pauTie petit vapeur <!<•- PonU-et-Chaai- ouait but les machines, toujours bat- tantes, I roua an donner le rertige; les \agues Daracolaient le long de ses bords, et quelques- unes, plus furieuses, venaient roua tirer la langue et rous Caire de la salive -ou- le

\n palan on Buspendit le panier à ravitailler, une Lourde cage à poules pleine <1«' bonnes choses «-t bien enveloppée de goudronnerie. On risquait un bain. < >n bissa ferme. Celui qui i ut la manœuvre non- dardait des prunelles terribles. La mer, <lu reste, faisait un (••! i qu'on ;i\;iit besoin de le \<>ii briller, !«• braire homme, sans cela on n'aurait pas -.ii-i lesordrei Toutes les précautions n empêchèrent point que le paquet bel un fameux ooup. On aurai! dit

que quelqu un nous le tirait par en bas pendant que nous le hissions par en haut. Et on se demandait s'il tomberait enfin dans le gosier du phare, sa porte ronde qui béait, de loin, comme l'entonnoir d un serpent.

Cahin-caha le panier s'arrima ; on vit un vieil homme, le Mathurin Barnabas probable- ment, se précipiter dessus, un vieil homme fri- mant l'oiseau de proie, parce qu'il marchait plié en deux, laissant traîner des bras ouverts comme des ailes déplumées.

Après le panier, c était mon tour.

Je demeurais assis sur le pont du Saint- Christophe, regardant stupidement la mer qui me hurlait des choses canailles. Le grand air ne me dégrisait pas. Je me croyais toujours le sei- gneur d'une maison bâtie en forme de tire-bou- chon, et qui allait perforer le ciel à la seule fin d en faire ruisseler des averses d'eau-de-vie anglaise. Et je devais grimper le long, je criais :

Hisse ! hisse en haut !

.1 - » sladaiw l( - nuag< - i I pui -. patatras, je

i - .m plafond du ï>"ii Dieu . ( i i.nt mon toui

! patron du iui yeui bi il

lants, me donna mi< I" mi i ade :

I>i- donc, loi. mon garçon, avec les mains mi -m la balançoire .'. . .

.1 i épondis, la crête dressa

\\r< les mains, bien sûi .

Est-ce <jn h ii gardien de phare fait >«»n métau i assis Pour oui me pn nait-il, celui-li

Mettez-lui la ceintnrede sauvetage, di( le hron d'une i ois brèi

- i un peu Peut-être que je n an- rais |».i- «lu fanfaronner.

- paians d'apprentissage ne sonl pas i r| \ r- Mrn . ( )n me mil la ceinture,

le ne sais pas on marin d'eau douce, irrominelai-je, j en ai i a bien <1 bu bine.

Puis je a maison, lui adressant an

salai protecteui . Elle me paru! plut - vmt .:i moi, brusquement.

Le ciel était bleu derrière une brume rousse, le vent se fit aigre, très cingleur, plein de sel.

Alors, j'allais m'envoler en escarpolette, comme une belle fille ?

J'entendis le hurlement d'une sirène. Cela traversa l'air et 1 eau comme l'appel d une femme qu'on égorge.

On sait bien ce que c est..., pourtant j'eus le frisson à ce moment-là.

Vous n'avez pas déjeuné ? me demanda le patron du bateau.

Moi, je meurs de faim, que je lui répondis en essayant de rire.

-r- Tant mieux !

On me donne le cable : je m'accroche et je tourne en repoussant le pont des deux pieds.

Je tourne plus vite, je m'accroche, ma tète se perd...

La sirène brame plus fort, elle me vrille les oreilles. On dirait qu'elle n'en a qu'après moi. Je suis tout étourdi. Ça ne ressemble pas aux exercices d'épreuve. C'est autrement sérieux, à

-§-> ig -h

d< la |

1 toui m . je toui ne. Mon oœui aussi, In las ' Il me \ ient l'em ie i atraordinaii i d< lâcher e( <| allei boire le dei niei coap à li mnd< tasse. Maisi ss( plus foi I que moi, je me oram poni

] rôle, jr saute el je rouli h m comme paj la poigne -I un géant. .1. ne peu plu- rien distinguer. On je suis plu- saoul que jamais, ou !<■ bateau ef I,- phare tournenl autour <!'• moi; tantôt oelui-la *^\ gros comme une n"i\. t.infMi celui-ci l'allonge comme un ciergi I J

Jean Ifaleux, tu es foutu ' rugi! (s ni ;\ m loin.

le redescendi

m n- un- ,iif, ~ froidei .1- inia an milieu ri.' I eau I la m entre maint manl dans la bouche. Ulons, c'est fini deJean Maleui Pas la peine d< n \ brisé

contre le i

El roilà que je me resere. Je me trouve,

maintenant, à quinze mètres au-dessus des vagues. Je vois une figure de vieille femme qui s'avance vers moi, une horrible figure de vieille femme aux paupières rouges. Qu'est-ce que c'est que cette vieille-là ? Je n'ai connu ni ma grand - mère ni ma mère. Suis-je mort déjà, pour que des revenants réapparaissent ? Je reglisse. Je touche l'eau, j'ai froid jusqu'à la poitrine. Je surnage piteusement suspendu, à la trempette, comme un petit garçon. Je suis ahuri, abruti, désespéré ; je vendrais mon âme au diable pour ne plus me voir dans cette eau qui me fouette cruellement le derrière. Le tapage des flots déchaînés autour du monstre augmente. Il me semble que je meurs avec beaucoup de peuple, comme on crèvera au dernier jour du monde tous les anciens morts feront éclater leur cer- cueil. Je renverse la tête pour apercevoir encore le ciel, mais il n'y a plus de ciel, il y a le monstre, le phare qui grandit, grossit et se dresse presque sur mon ventre. Je crois que je le porte et qu'il m écrase, ce phare formidable tout

nu. >«i croupe \< if luisant bors de* dots blancs d écume. Il oui re la gueule. , . rien qu'une gueule, sans aucun brou d'yeux. Deal aveugle, maia il m'aralera loul de même. Tanl |>i- p< »u r la gloriole. me mêla à crier, car mea mains

■•■iit de me cramponner à cette corde. I pour «!<• bon que je \;ii- lAchei . . ,

La vieille femme sauvage m'apparalf <\r nou- reau. Elle se penche et elle me tend lea bi ailea d oiseau déplumé.

Ho! Hisse ! Hisse en baul '. ll<> ! . .

I h\ dirait (jur celte sirène chante ^<>n chanl d( pei 'litinn dan- I intérieur de la tour.

Mui je tombe droi( au milieu de sa gueule m i

Je "in- arrii 6.

J rail inaii_

dément, j ai |»lu^ ma connais m affale comme un paque( de lii

El : acore cette infernale figure de

\ ieille.

( ! es( la camai d< . nom de I >ieu ' < î'eat la camarde !...

II

Le vieux restait assis devant moi, la tète penchée. Il dit enfin :

Combien qu il y a de marches ? 11 y en a... il y en a... deux cent dix. sans compter les autres.

Après tout, c'était mon chef, ce vieux-là, je devais l'écouter respectueusement, rapport à son expérience, mais cette première phrase qu il avait tant de peine à prononcer me fit un drôle d'effet, soit à cause de l'obscurité nous étions,

-s. a3 •+

MHi à CftllM du ton tju il v mil. Sa \.»i\ chan- tait «ni pleurait, on ne Bayait pas Lequel, el il appuyai! davantage iui les a en trémolant. On semblait lui arracher ça comme avec des pii Je ne pouvais |).i> rire, parce ^ ut- je gardait encore de la salure dans l'estomac. J'avais bien failli me noyer durant l'arrimage, el puis je n en menais plus large, toutes mes réflexion! faites.

Ll nuit montait autour de QOU8.

Sur mer, la nuit ne rient jamais d'en haut. elle moule des vagues, et on dirait que l'eau dei ifut les nuages, un ciel renversé.

J étais donc tout chaviré dans l'amertume, et je me sentais très seul, malgré la présence du

\ I e 1 1 \ .

Nous dînions au milieu de la salle à man du phare d'Ar-Afcn, une petite pièce l».i>-.-. ronde, éclairée, le jour, par -a porte routée donnant sur l'esplanade, el le soir d'une lampe à pétrole pendue au plafond, un lumignon en i bapeau de zinc qui fumait si dru <ju on \ royail

juste ses bouchées. Entre nous il y avait une table de vieux bois dur, la miche était étalée dessus avec du jambon, un pot de cidre et une bouteille de rhum. Point de soupe, puisque point de cuisinière dans la maison. On se nourrissait d'un tas de conserves rancies, dont la marine ne voulait plus, et c'était les sous du vieux qui lui payaient ses boissons de luxe. Nous possé- dions, en fait de vaisselle, deux gros bols détain et deux couteaux à manche de corne. C'était tout du solide. On devinait que le vent n'empor- terait point le couvert. Nos escabeaux se ratta- chaient aux pieds de la table par du filin tordu serré. Aux murs, se collaient le portrait de Napoléon, celui de notre dernier Président, un grand calendrier toutes les dates de marées étaient plusieurs fois soulignées à 1 encre, et, dans un cadre noir, derrière une vitre, le tableau de notre besogne : les heures de gardes, celles de descentes, les tours de veille, de repos, aussi comment on répare la mécanique de la lanterne quand ça vient à se détraquer loin de tous

'•\. ;i\ir des dessins et dea renseignements .1 ii en plus finir, ce que chacun <i<»ii Bavoir par i i m. quoi. I ne horloge bretonne, bien breton- nante, tâtonnait a travers l'heure en faisant l«- bruit il un balai «If l><>i- balayant du gravie] : in.ii- i i •!<■ d'elle, i! j avait l'heure de la [narine dans un double châssis de cristal avec des poids des contre-poids, toute un.- argenterie «le fer- blanc pleine de mystère, 1 on se reconnaît en \ perdant des minutes, si bien que I horloge du paya, quoique toujours en retard, rous rattrape .1 ii détour «lu cercle. L'heure de la marine de Km- rous dit le jour, le moi-. I année, l'époque des marées, toutes les barres d'équinoxe, les grandi tenta, «-t même <ju<' I image d'un petit nai n e en perdition se met ft sauter quand i a comn or 1»' Uni . Seulement . i

saute jja^ toujours aui bons endroits, selon que l en jugeai par la suite.

Le vieux, pendanl que | inspectais !<• taudis,

ut. lui. que I.- plancher, un planchai

de pu >!• ur «li\ piedi de roc, et il ne

disait plus rien, quasiment sourd, mâchant si fort qu'on entendait le bruit de ses mâchoires par-dessus le balai de l'horloge. Je ruminai sa phrase :

Sans compter les autres ?

Ce phare avait deux cent dix marches de ses pieds de rocher à sa tête de verre. allaient donc les autres marches ?

Les autres ? Est-ce qu'il y aurait une cave ici ? Vous ne voulez pas compter les échelons extérieurs, je pense ? Ceux qui vont à la grue d'arrimage ?

Il fit : non, de la grimace de sa bouche de vieille édentée.

A mon calcul, et je calculais pas trop mal, en ce temps-là, je voyais bien les deux cent dix, à vol d'oiseau, pourtant... Je n eus jamais l'expli- cation de ce restant d'escalier.

Le vieux se courbait, plié en bête comme de naissance. En se levant, il avait l'air de demeurer assis. Ses mains épaisses et longues, des battoirs, traînaient presque par terre et y ramassaient des

choses, ti< oleusement II ramassa «I ah h miellés de pain, pais les miennes, furets ions son escabeau pour) pincer les petits morceaux de lard «lu jambon qu'il avait orachës en man- geant. Dès qu il eut tout raclé, il lit un tas an bord de I.i table el '1 un <<>u[> de revers I envoya du ooté de la porte, c'eat-à-dire dehors. En>uifr il m ratai une demi-lasse de ^<»n rhum, 1 avala. bocha le front, lentement, oomme un à qui l'on demande son avis, el ne m'en ofTYit point I i m'offensa.

\ demi nos.'-. .1 peine séché, l'estomac mal remis, j aurais en besoin d'un dessert plus con- fortable. .1 étais habitué aux soupes charades du Loire <!«•- Ponts-et-Chanêtée*, Elles n'étaient pas fort Brasses, mais bouillaient jusque dans I écuelle, et oda n<»u^ chassait l'eau de mer des idées, D'ailleurs, rapport à mon entrée dans cette maison, I;i mienne un peu. je me croyais des droits à une bienTenue pins oordiale. I n homme en raut un autre. Si je me trouvais l'in- férieur, non- n'étione que deui entre le ciel el

le rocher, ça nous créait frères, malgré les diffé- rences d âge.

Je fis tout de même semblant de rien.

La connaissance pouvait ne pas plaire aujour- d'hui.

On verrait demain.

Pour l'instant, fallait s'occuper du service.

Je l'aidai à ranger notre petit ménage, les couteaux et les bols détain dans un tiroir. On fourra sur le pain un torchon qui n était pas blanc, et on mit le jambon au fond d une armoire avec les bidons de pétrole. Le vieux plaça son rhum à 1 intérieur de l'horloge, dans un arrière- coin que le balancier ne pourrait atteindre. C'était son bien, et il n'y avait pas d'observation à risquer sur la fiole.

Pour lui montrer ma bonne volonté, j exa- minai sérieusement les baromètres. Je relevais qu ils marquaient de 1 enflure aux courants, et je pointais sur les cartes tout ce que je savais de mots de science. Il mécoutait, cherchant à entendre. Ses yeux rouges virèrent, et toute sa

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de i ieille morte de l'avoir trop saoul 1111 moqueur. Il alla rera la porte, une porte ovale comme on gosier de baleine, ef m romit, 1 horreur, lor la terrasse claire du phare. Là, il s "' ienla, redi ullle, tendit, en avant, sa

dextre, ouvrant bien la panme, et, lavant laissé mouiller par les embruns passant à pleine brise, i! la lécha consciencieusement.

Je ! i. ahuri.

•'' »ua, depuis, que c était sa mena r< d< anattre l'état «In renl dana les maw pasi

1 feignû d approuver, pour le principe. I rieux, ces! ii malin! El noua fîmes quelques tour- nu reaplanade.

I cette heure du boû naii effrayant

de roii deui pauvres bonshommes devai

' indonné de Dieu I ta lames fui ieusea le saisissaient, en Ira el le coupaient à moitié de m croupe, bavanl leur écume qui retombe en neige sur les dalles du coin nord. 1 ha entendait arond

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canon de la vague donnant ses assauts, ébran- lant tout l'édifice et le faisant vibrer comme une trompe de cuivre. Je comprenais mainte- nant pourquoi on attachait les chaises dans la salle à manger ! L aspiration de l'eau était, en cas de tempête, tellement violente que cela vous attirait dehors tous les objets libres. Les chré- tiens aussi, sans doute...

Les nuits de grands souffles, on ne pouvait pas sortir. On se tenait droit, par habitude, mais on se sentait humer du fond qui s'ouvrait en spirale pour vous aider à mieux glisser jus- qu'au ventre de la mer.

La terrasse était toute blanche, elle luisait savonneuse sous le talon, allant de la couleur du lait à la nuance tendre de 1 eau même, transparente, d un blanc verdâtre de porcelaine très émaillée, finissant par se fondre avec les vagues.

La mer montait, escaladait, et s'arrêtait éter- nellement aux premières dalles, retombant, lasse, pour se redresser cinq secondes après, plus

lui i. «se. Elle faisail ce travail d'ennemie devant vous, «»ii ne |><»u\,iii -,. défendre; ni parapet ion entrée, ni grille <!«' fer pour lui briser le* dents. Elle grimpait, mordait comme chex elle, mail on rempart invisible dominait -.1 colère : l'étalage de MM. Lee ingénieurs; elle n'allait y<^ plus l<>m. et, si <»n lui facilitait l< chemin, c'était pour mieui se moquer d'elle.

I*.!- moins que le phare avait I aspect d'un mât de navire sombrant, et l'on se sentait emporter i toute vitesse dans toutes les direc lions I la fois.

\h ! oui, -<»u architecte uV\.nf être nn & 1 homme, l'appris, plus tard, qu'ils avaient été trois et qu'en trente-six .m- de travaux deux étaient morta à la peine.

I .. rieux, e soir-là, fuma une pipe, car le tempe était an beau, si <»u peut appelei beau une trombe de neige, de sel, de plui< i ontem plrr par des étoiles chassieuses passant par les hou- (l un ciel tout en haillons,

I i pipe fumée, I \ ieux, ne - occupant pas de

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moi, rentra pour allumer une lanterne et s'aller coucher.

Il avait, en bas, une autre chambre ronde, comme un œuf à côté dun autre œuf, se trouvait son lit, deux matelas de varech sur deux X de fer, une armoire remplie de vieilles hardes goudronnées et une étagère ornée de livres poussiéreux. Il ne me montra rien, se roula en paquet, sans ôter son surcot, garda même ses lourdes bottes en peau qui lui don- naient la figuration d un phoque par les jambes, et il se rencogna contre la muraille, grognant je ne sais quoi de sa voix ânonnante.

Je restais sur sa porte, ma lanterne person- nelle à la main, ne sachant trop que devenir. Je connaissais bien la manœuvre qui consistait à veiller, en haut, pendant que lui ronflerait en bas ; seulement je ne le trouvai pas bon compa- gnon de m'assigner la première nuit de garde, alors que j'avais bu plus d'eau salée que de vrai rhum. On met d'ordinaire le novice au courant, et on lui donne quelques tapes dans le dos pour

Ii pousser . <>n lai fait un bi in de conduit koire d<' lui fournir I appétil de sa I

Lui. m bonjour m bonsoir, rien an un i gnement <!<• cochon.

Quelle Im ule1 que je peu mus Et, fei m.ini m poi te, !<• me mu i gi unp< i I- de Is \ i- commençant juste i n fac* d< ht.

I>. u\ 1 1 nf dix, |m- une <!• plus comptai

Il I |\.l!lt.

.1 i tait montë toui d une baleiin . très habitué

aui pirations kralu aliei - de phai s. Si

•n \ ,i doucement . es rous tourne iut !«• coeur.

Maû celui-ci, chose abominable, n avait

aucune prise <l tir ou on les avait aveuglées,

_n;tnf les rhumatismes . car il y

il iiim chaleur étouffant . de sort <jh on

hait comme vei - un in< endie. f ni était

de là-haut, |>.n une I»1 roche de lumièi e, et les

mur-, humides en «I- hors, ient de Is

buée & I intérieur.

lia chambre à moi, I ancienne du

-s— 34 —S-

ayant péri d'accident, c'était le dernier palier, un trou ovale chaud comme un four, à cause de son voisinage avec les lampes, On ne distin- guait rien. Tout était rouge, d'un rouge sombre endeuillé de temps à autre par le passage des disques régulateurs surélevant les mèches.

Là, j'avais mon lit, deux matelas de varech sur deux X de fer, une paire de draps de toile bise, trois couvertures dont une goudronnée, mes hardes encore trempées, quelques pape- rasses et des livres.

Au-dessus de mon lit, par coquetterie de jeune homme qui n'est pas... manchot, je piquai la photographie dune mauresque que j'avais connue au cours de mon temps de cabo- tage, là-bas. Je respirai un peu dans cet enfer, et je me mis à noter mes premières impressions sur mon carnet de bord. On m'avait bien dit que c'était pas nécessaire, mais que, le vieux ayant perdu la notion de récriture, il serait bon de mentionner des choses graves : le nombre des vaisseaux passant au large, leur pavillon et

leur allure, surtout en tcui|t^ de barres. .1 avaû un guéridon pliant, attaché au toi selon I u une i t _ _ soutenant I»-- lunettes

efl t » 1 1 1 un attirail de lampiste. Je <l<>i- ajoutei que ça puait fortement !<■ pétrole ••! que ça man- quait prodigieusement de rhum. I u étroit cor- ridor vitré, corseté de Bolides verge* d'acier, conduisait à La cage de la lampe posée au centre d'un demi-globe de pierre. La cage pouvait tourner moyennant une puissante machinerie devant !•• gardien immobile, ou lui. eu risquer le tour |>ar l<- chemin <!*■ ronde, quand c'était possible. Sur le balcon crénelé, l«- rent faisait

I rOUa m. mi, irait (!«• la Culbute filiale tout

les troia pas.

Yai^ étions en automne, ça se gâterait. \| jré les observations au doigt mouillé du vieux ilathurin, ça ventait assea rudement; pour <lii beau, o était «lu beau variabL . Ui urahande .1 ae pai Le Lendemain il u eût pas fait bon

venir chez nous pour nous apporter des confitures. Ou comprenait facilement l'ordre de la marine

+- 36 -t- exigeant qu'on gardât toujours des vivres pour cinq mois. J'eus ridée imbécile d'enlever un carreau du vitrage : je reçus trente-six gifles salées, et il me fallut toute ma poigne pour repousser le carreau dans son ressort.

11 parait qu'une nuit l'ouragan avait enlevé la cage entière de la lampe.

Le phare, à feux fixes, était construit à trois étages de mèches, et chaque secteur représentait bien toutes les flammes réunies d'un lustre de Noël. Plus tard, les ingénieurs devaient le mettre électrique ; dans l'instant, il était à 1 huile minérale comme toutes les bonnes lampes de cuisine. Il avait trois rangs de réflecteurs super- posés en miroir d'Archimède, et les rayons s'en échappaient en trois écharpes de tons rose jaune se dégradant jusqu à la nuance du soufre pour aller tomber dans la mer lointaine tout diffus, presque blancs, d'un blanc de linceul.

De vrai, ça commençait bien, ça finissait mal.

De nouvelles inventions permettent de sou-

+- 37 -+ tenir la auance «lu rayon jusqu'à I eau, ce qui éVite I.' ta>mpe-d'œil, Paul croire qu'à .\ r- Wen onn était pas riche. LesinTentions sont toujours des droguée coûteuses.

U b ipk ai mature de cristal et d'acier «j u i protège les lampes contre le ren! ne les défend pai quelquefois du plus grand danger connu :

aa-cailkm. ( "est un oiseau gros comme le poing qui arrive en bombe, fonce sur la lumière,

i m tous les vitrages el tombe mort Bur âne ne qu il éteinl ou l'.ni charbonner. Tous les snimaui de mei : pétrels, goélands, poules de rocher, grues de p canards d'hiver ou

martinets tourbillonnent autour de I feu et finissent par \ laisser leurs plumes sur tout en époque de tempête, mais aucun n'a

*w et ne te livre davantage à la véhémence des trombes. I ta ne connaît le vrai nom de I es-

que ohes les savants. ( Ihea oons, c'est Voi- leatt oflilbo, quoi II est lancé par la fronde de Dieu et, gros comme le poing, il devient souvent la perte <l un us i

-*- 38 -+

Je regardais au balcon, sur les créneaux du chemin de ronde, et j'écoutai, un moment, gémir la harpe de cordes que tend le fil de glis- sade avec ses palans. Tout se comportait hono- rablement. Nos lampes flambaient haut et pur ; dans la soute, les provisions de chauffe ne manquaient pas. Certes, je pouvais dormir. Le vieux se relèverait parce qu'on fait son métier sans même le vouloir quand on a vingt ans d'habitude sur le dos.

Je me mis au lit tout vêtu (j étais si fatigué !) après avoir fermé soigneusement la porte du côté du feu. Cependant on y voyait encore comme en plein jour. La réverbération venait avec une chaleur énorme par des fentes du bois. Ça faisait des ficelles de lumière qui dansaient, voltigeaient, me chatouillaient les joues en ailes de mouches à miel. Ça m'embêta tellement que je me tournai vers le mur. je vis la photo- graphie de mon ancienne, la petite mauresque, et je me mis à lui rire tout de même en m'endor- mant un peu. C est-y que je dormais bien ou

qui je i êvaifl tout 1 1 îll< \ oilà <jn« | entendu chantei uni femm<

I > .1 f - 1 - 1 < lui tout doucement, on n >ni on irai renaît du fond !«• la tour, nne donielle qui m i ail mont i n disant un motif de rai m . Puia

nfls i i i i ntendia des paroles. ' ne \ i malade, une \<>i\ si dolente, une roii qui roue fondai! la* entrailles. .1 en eus de la peuu «■h. rehak s me réveille! i<>ut à (ait. .1* ne pou« rais plu i, | étais attaché pai - fia II

de 1 11 n i ■• i e< i .iv. n - chaud, j en maie, montait loujoui i. ( m oui i it m,, poi le, oi II- du 1 1 '»■ d< I i i connus !«• rieui <|ui entrait à pas de loup. Je me décollai les paupières. Il marchait bras (rainants, selon w coutume, la tête mmitouflée dan nne es muette i oi eilles d. laine, deui - hes de cheveui lui

tombaient !<• long des mâohi

II ,i\,iit des cheveui la nuit, ce rieui i il drôle.

Je me mis assis et \<- lui ci iai :

Ben, camarade, le vent s attache ! Nous allons donc veiller tous les deux pour ce pre- mier soir ?

Il ne répondit rien.

La voix de femme le suivait. J'entendis un morceau de chanson à mener Satan au cime- tière, et en me fourrant le petit doigt dans le tympan, histoire de me le déboucher, car sans doute je conservais un cauchemar, au fond, j'ajoutai :

Y a donc du sexe ici? La bonne farce. Si la marine s'en doutait... Présentez-moi à la patronne. Je refuse pas de lui causer un peu, vous savez !

Et je voulus rire.

Il se tourna, dodelinant sa sacrée tête de moribonde.

C était lai qui chantait ! ...

Je fus debout comme sous un coup de poing...

Oui, c'était le vieux Mathurin Barnabas, le gardien-chef du phare à Ar-Men qui chantait

-*- -*- une rois de Femm< h crois qn« doutait pu non plus de odl(

Hein ' que je lai dis.

I ne lai dis qui - s, pan i ou< . moi

n ivaii -ii. - i fi% le de chanta . PeaVê^re en» nu

ferme !»• me tertit tena !»• rentre '1» lade : seulement, dans !<■ banl d'une tour, <.ùt déjà, sifflait le vent comme une antre plainte d< damné, j araii le cœnr aillenrs.. .

II chantait en dedans^ serrant -. >^ lèrres mincec ainsi rjue le font les petiti Jean-Marie, -onneurs '1'' binion, pont mut.'!- le -..n tin, il de lenr ins- trument.

Ou... ou... ou... u. . . n.

Ça s en allait tout doucement, et ça n'avait fichtre pas l'air de sortir de là.

berehaifl tonjonn la femme, la patronne jeane al jolie du riens birbe.

Viens II ne Pétait pu h tellement, vu dam la pleine lumière 'In phare. Maintenant Uourrait I <»'!»[■ le mil chaml i heminait

vers se- lampes du - tramant,

-s— 42 -3-

unpas de monteur de veille, le pas éternellement las et mesuré de ceux qui girent dans la spirale intérieure depuis de longues années. Un coup de hanche, un coup de talon ; ils se rappellent d'anciens ponts de navire, le roulis des premières grosses barques de pêche, et puis ils vont au feu, les yeux déjà rouges, pleurant du sang à force d'avoir vu danser la flamme.

Mathurin ne devait pas marquer cinquante ans. Ce qui le faisait si laid, c'est qu'il n'avait ni barbe, ni pattes de lapin ; il était tout nu de visage, le nez retroussé à en montrer la morve, la bouche vineuse à croire qu'il sortait de boire.

Sacré tonnerre, que je me dis, faut éclaircir cette histoire-là. a-t-il appris à sonner comme ça, l'ancien ?

Je me levai, je me secouai, et je lui emboîtai le pas.

Au lieu de traverser par le vitrage, il s'en gouffra sur le chemin de ronde. Je le suivis, je ne pouvais pas reculer, naturellement, derrière

mon ohef. Seul* m< ni. pour lai, ce n était - malin de se tenu demis, puisqu il marchai! presque à quatre pattes. Il s'accrochait, tan! de jambes que des bras, aui créneaux, cl il filait (•(•mine un crabe, aussi à l 'aise que ces bétes le son! au\ liane- des rochers.

Moi. j'étais suffoqué, d'abord par la chanson, ensuite par le renf <|ni mordait de pin plus.

Il vérifia les nœuds de b grue d'arrimage «f ris tordre on boni de filin d'une fameuse poigne. Non. oe n'était |>a- une donselle, notre patron d'.Ar-Afen / El il en avait connu de plus dur.- que le renf d'équinoxe. Comme es ne tenait pas à son gré, il se mil à cheval sur la galerie et, tète en bas, sur I abîme, il refit un coulant plu- solide. Iprès, il entra dans la des lampes, haussa une mèche à gauche, donna de I huile à un mécanisme de droite, t, fait de son inspection, il - en alla j>ai le chemin de ma chambre comme il <'-tait venu.

h roulus lui poser une question, rappoi t à

-s— 44 -=§- la consigne. Il ne m'écouta même pas. Je crois qu il dormait tout debout, cet homme, il dor- mait comme un sourd !

En senfonçant dans la vis il fredonnait son refrain lamentable ; toujours sa petite chanson de pleureuse à porter le diable en terre, et, sur le mot : amour, il poussa un dernier cri de chouette.

Ou... ou... ou... oui... ur ! qui me fit dresser les poils.

Pour pouvoir me rendormir tranquille, je dus me mettre à jurer tout ce que je savais de jurons.

m

Di i i semaines coulèrent, comme d< ni gouttes d eau pareilles, et <;a défini t<»u! de suite comme si j'étais depuis vingt ans; iii.ii-. pom oea dem semaines, j'eui bien toul l'ennui de vingt ani rainer derrière moi.

Le premier tempe qu'on souffre est celui qui dure l(' pins. J étaû inquiet, mes mouvementé Bemhlaienl m ralentir, je me taisaii vieux. Quand j'écoutaii la mei . battant Le pied du phare en me vomissant dei Bota <1 injuret

-s- 46 -*■

démêlais des choses que, jusque-là, je n'avais pas entendues.

Le jour, tout marchait normalement : on déjeunait, on fumait une pipe, on astiquait le mobilier ou les ustensiles de service, on dînait, on fumait une pipe, et, le soir venu, on allu- mait celles du phare. Alors, dès que les lampes commençaient à envoyer leurs bras roses de tous les côtés, ça changeait de note. Si le vent le tolérait, on faisait son petit tour d'esplanade, on s'asseyait un moment sur une dalle, et on attendait son heure de garde, en guettant la pre- mière étoile ; seulement, les étoiles ne se mon- traient pas, le ciel prenait un ton de cuivre rouge, l'eau devenait noire à penser qu'on s'arrimait sur du goudron, et le vertige, un vertige bien singulier, vous montait à la gorge. On croyait filer à toute vapeur.

Notre existence, là-dedans, était un méca- nisme réglé d'avance ; on ne pouvait pas s'ou- blier d'un cran sans casser l'horloge. On tenait la chandelle aux navires, et on se serait allumé

4- 4: soi-même, j< i rois, plutôt que d*' leur manquer de parole. Cependant, ce qu'on n'avail pas prévu, c était les allures du phare '-n dehors du Ben ioe. ( la non, la marine <!«' Brest ae !<•- pas préi iiee El celles du i ieux, donc '....

! lendemain du concert qu'il m'avait donné Là-haut, je regardai mon flirt" attentivement, «-t je m aperçus qu il o avait plus de cheveux : ou il les axait ramenés bous !<■- oreilles de son bonnet de laine, <>u il... !<•- avait posés. Dame '. Fallait bien, n'est-ce pas, puisqu'il n'en possédail plus un. Cet bomme-là était parfaitement chauve, au moins l«- matin. D'ailleurs, ça ne nu' regardait pas. J'étais une moitié du gardien, domestique de l'autre moitié. Ma position se défiiiissail mal. Le rîeui affectait de m- ju- in adi esser la parole. I il comme un cochon ou chantait comme nne jeune fille,

mai- m- .au-. ni i - i tes pas COmme un homme

naturel. Je lui dépla I ûnement. I >e temps

tu t. -mi»-. |<- me mettais a parler tout seul, pour m- (aire une société. \u\ l'nnt^ et-Chau

-s- 48 -§-

dans les pensions d'Etat, on avait des camarades pas trèsjaseurs; cependant, on riait quelquefois, et le long de mes voyages, dans la soute, j'échan- geais mes impressions avec le voisin de chauffe . Ici, rien... le silence; c'est-à-dire qu'on n'en- tendait plus que le vacarme de la mer.

Je lui racontai mes séjours en escale, des histoires de Chine, et bien des choses qui ne m'étaient jamais arrivées ; il hochait la tête, entre deux bouchées de pain, il poussait un gloussement de poule qui s'étrangle, crachait des petits morceaux de croûte ou des petits bouts de son lard, puis s'absorbait dans la con- templation du sol.

Une fois, il me dit, tout en gros :

Peut-être ben que oui... et il ajouta, entre ses dents :

Peut-être ben que non.

La nuit, c'était le cas de dire : autre chanson. car il montait aux lampes, que je fusse de veille ou non, et faisait le service en double, ne me demandant rien, ne me donnant aucun

+- 49 -* ordre, m 1 in tinant, se promenant, toujou chanson aui lèi pet I n bien gentil refrain de demoiselle qui crèi e piétinéesoui le* sabots d un manTi

Il mettail deui longue* mfa be*

qui pendaienl en oreille* d'épagneul, des poilf blonds, ma t'<»i •-! il sortait -;« plut belle n i biniou

Je pensai* :

C'est nn i ietu qui .1 de* manief . mai ne L'empéehe pa* d'être d'attaque.

Il ut- laissait rien péricliter. Le phare t'-tait. en haut, tenu comme une salle de bal.

Dans le bas, par exemple, ci ne regardai! j>lu- lu marine, el ça 1 « - tu i t d'une saleté* indienne. S il ramassait k ôgneu emenl miettes de pain voire même bats, arec

le* doigts, sans j faii e attention . il ne bal

-n- les dimani b< i, et on trouvait les pu e* ordures dans les coins. Son habitude, I* plu* propre, d aller, pou ins, contre la p

1 ommuniquail 1 on m m.

Le cœur me levait. Je nettoyai la porte, l'eau de mer venue en paquets ne suffisant pas, à mon avis, et un matin j'entortillai un balai dune loque, je fis la toilette de Ventre-pont, je flanquai de la lessive partout. Le vieux sortant de son trou me regarda, louchant. Je lui mon- trai les murs décrassés, la porte dégluée, et le plancher du roc, battu comme Taire fraîche. Il leva une de ses pattes de crabe, traça des signes au plafond, continuant à faire le sourd.

On avait la permission de terre tous les quinze jours ; seulement, on comprendra bien que la manière d'aborder au phare vous ôtait un peu le désir de revoir du pays. Par les gros temps, les voyages étaient dangereux, sinon impossibles. Moi, je voulais m'acclimater le mieux que je pourrais et, malgré mon envie de me dégourdir, je demeurai tranquille au poste plus de cinq semaines. La seule distraction que je m'offris, ce fut une petite cage de serins que je demandai par un billet bien poli au ravi tail- leur, et. moyennant finance, j'eus, dès le retour

lu bateau, deui canaria Bup< 1 1

ni deui mâles; ils commen- cèrent à « bai léplumer fei mi aussitôt installée dani ma cambuse.

I i .ut noua foui nissait 'I ailleurs, tous I- - tenta <1 une bataille en ri J- a n< tua deui u\ Nota I .h i image cassa peu l<

milieu, el il me fallut «i imper aui éch<

\t- 1 1' mi - |> h ficeler Les deui mort eaux.

I m. épissui e mi |>i it toute une joui née pendant que le rieui d du bas des gpo moU

de \ teille femme fui ieu . gu< niai! commi la mouette a travers les tempétea J i laTaii qu'il «IfN.iii cachei plus d expérience <ju« moi; pourtant, j 'aurais roulu l'y v<

h rafale, av<

qui me brisai! les reûn [ui m inondaienl la bou< [uevillé entre deui poni de Fer, lesquels d< renaienl brûlanta lelle- iii' ut |e I- dama ma plante douloui i

un bras tenant le mai el l'autre outillant potu

presser les uns contre les autres les anneaux du filin. Je n'y voyais pas, je n'entendais plus, je me sentais tourner autour du phare comme un oiseau cherchant à se rôtir définitivement aux feux de ses lampes. Quand le mât fut de nouveau solide en ses crochets et que le filin, huilé de goudron, le bagua de deuil aux trois endroits de sa blessure, je redescendis, le cœur tout cha- viré, les jambes moulues. Sans trop me rendre compte de ma soif, je pensais au rhum du vieux. Son rhum de dessert dont il ne m'avait jamais servi même un à coudre ! Le vieux était assis devant la table. Une boite de salaison sur les genoux, il mâchonnait déjà son pain, ne soccu- pant pas plus de ma personne que du morceau de filin que je lui rapportais.

Un sale métier, bougonnai-je. Il hocha le front.

C'est une bonne soupe chaude qu il me faudrait pour me remettre 1 estomac... tandis que vos harengs... des harengs... comme s il en pleuvait, quoi ! je peux plus les sentir !

-s- 5 I

Je m issu i i loi, et je n eus p

courage de rompre mon pain, effroyablement duTj selon In

ht puis jamaii le mol poui i ii i jamais u si "ii es( oontenl «lu travail ' Faut oonvenii .

patron, que voua n'êtes pas un bomme ordinaire. Il restait silencieux, la prunelle dans le ra gnant entre chaque bouchée, peut-être ne passait pas \ ite <>u qu'il avait mal ani dents.

< >n aérait des hommes si on se causait comme tout !<• monde, mais «m est comme des galériens, ici. .!«■ ne sais pas pourquoi roua chanta la nuit, alors que roua restai muet du matin au soir fet encore, muet ! Voui jurez bien tout H<- même quand il faudrait, au contraire, i oui ani oyei de bonne i Si je sui prison, c est la (aute i L'Etat, pas la mienn

Je -m- peut-être pas un assassin '

le i 1- le i ieui se du r tout d'un i! posa ion couteau et la botte aui b n n la sous li« table.

-§— 54 =#-

Autant à nettoyer pour notre valet de chambre, que je murmurai de très mauvaise humeur.

Alors, il écarta les bras, mit ses pattes de crabe au plafond, dessina des tas de signes, les multipliant comme des signes de croix, et il gagna l'esplanade, l'air d'un particulier qui a oublié quelque chose de précieux.

Il n'avait rien oublié du tout, il allait simple- ment pisser dans la mer.

Tiens, voilà qu'il se range î que je me dis. Car, d'habitude, il s'arrêtait contre la porte. Et je m'endormis les coudes sur mon pain. Je rêvai des choses curieuses.

D'abord, je vis revenir de l'esplanade une belle fille qui fredonnait. Elle tenait un couteau, celui du vieux, et elle me le posa tout douce- ment le long de la nuque. Ça me fit un froid, je me retournai, mon pain tomba. Machinale- ment, je le ramassai. J exécutais tous ces mou- vements, dormant ou veillant, ne sachant pas du tout j'étais et pourquoi je me sentais

« empiétement incapable de remuei (lavai La jeune fille avait la tournure de ma petite mau- resque, oelle 'l<»nt la photographie ornail ma chambre de guette. Elle étail maigre, min hanches, 1res amenuisée du bas de u personne, minant <-m fuseau qui tourne. Ses cheveux, coupes courte sur le front, lui formaient une petite casquette de royou : <ll<i étail brun peau jaune el p ise comme celle d'un citron pas mûr, avec des yeui allumés de chai des yi ai de toutes les couleurs, comme ccui des chats. Comme les chats ' ... 1 appelais bien (jii. cett phrase-là

<1 elle. le I ;i\.n- connue ii peu ! Tout <lr suite m pour un nouveau cab s la laissant

V la . [uatre soldats anglais capablei <!•

la U* liais... je savais

bien <ju elle ne i ésisterait à pei sonne, la ss I" tit. .

Et i déi oula plu- loin < | « j < - !«• phare,

trouvai ti insp >i dam on Ilot <1» rerdui i

4- 56 *■*■

C était du côté de Malte. On arrivait en barque à voile, une barque à balancier au bout duquel s'attache le bas-bord de la toile. Quand le vent fait pencher ce joujou, la voile mouille et se trempe coquettement l'extrémité de 1 aile. Zuléma, c était le nom de ma petite mauresque, avait bu du tafia toute la nuit, tout le matin, moi aussi, et la barque buvait de la vague à tous les coups de brise.

. . . Soleil ! Comme nous étions saouls ! Quelle promenade et quel roulis ! Oh ! cela ne ressemblait guère aux rudes assauts de l'océan contre le phare. C'était du bonheur nous ber- çant. On n en pouvait plus d'avoir noce, mais on se mangeait encore des yeux, des mains, des pieds. La mer était si bleue qu'elle en devenait rose aux endroits le gouvernail la tourmen- tait, et cette embarcation avait juste la forme d'un sabot, un sabot possédant son plumet, comme nous. Elle allait si raide, si délibérément de travers, que ça ne pouvait que bien finir... tout au fond. Malte ' Je ne voyais plus bien la

ville et les jardins penchants le long des muraillei blanches. La vieille forteresse fichait le <-,iiii|>. s effondrant but les maisons neuves, les belles maisons anglaises. Pif! Paf! Pouf! Tont tom- bait I un -m- l'antre cl B'abimait dans !<• bleu <!<• la mer ( m dei m. ni (pie personne n en crèverait, qu'on avait trop bu ce jour-là. Ça chauffait partout l<- feu <!•' la joie. Mon navire, l<" cabo- teur, bien pavoisé, bien astiqué, ronronnait <l aise inr ses ancres. Mes patrons, l<' capitaine en tête, se flanquaient de la bombance jusqu'au! oreilles chea les dames <!<• la ville riche, »■». noua les gars, matelots «-t gens de la soute au charbon, nous faisions la fortune de la ville pauvre, en semant noa payes le long '!»•- cabarets lu port.

Il ut* faudrait pas croire que les fêtes des matelots sont toutes de très \ ilaines i il» >t< n i ^t pas \i,i! voye; w >us, car il \ ■< beaucoup »! amour dedans ( m est plus ('■ >rt que le monde quand on <>m n ;i pas la peine de

beaucoup parce qu on est déjà plein jus-

-#- 58 #-

qu aux cheveux. Un verre de plus qui vous vien- drait du dehors, ce serait la tuerie, mais ceux-là qui sont les malins ne boivent que les yeux d une femme.

J avais rencontré Zuléma comme on trouve un bouton de culotte tout brillant dans la boue. On le ramasse sans trop savoir pourquoi... et on le garde, on le fourre dans sa poche... le lendemain on le cherche, pris dune idée, puis on s'aperçoit que la poche est percée... à d'au- tres le soin de ramasser le bouton qui brille, le joli bouton de cuivre.

Soleil ! Zuléma était étendue sur un filet oublié par le propriétaire de notre sabot, elle portait son petit costume de mauresque : une jupe courte, des pantalons bouffants dessous, et une veste brodée sur une chemise de toile aussi grossière que celle de la voile. Elle avait ses cheveux coupés courts en casquette et ses yeux luisaient...

Comme les chats ! disait-elle, battant des paupières.

I i barque aborda doucement toute seule, criant un peu de la quille but le sable

1 I avais enlei ée, cette fille, pour fuir les dis- putes, la croire un moment rien qui moi, »i n de --« maison aui guirlandes fanées de deux ballons turques; elles sonl libres, les petites de uvenfl suii re l'homme toute une journée de bon temps. C'est pour elles qu'il \ a une sainte \ ierge I»- dimanche.

Zuléms parlait un patois anglais incompré- hensible, mais elle savait toutes les ordures rran- s, et elle m'avoua, plus tard, qu'elle : Marseille. Ses parents Pavaient perdue

dan- une rue. un soir. . .

Oui, comme les cfa

L Bot se dressait hors de la mer, bouquet < par une main <!• fleurs d

citronniers et verdure de tamaris tout autour, verdure de myrtes, plus rerts eno s que les fleurs «lu mili<

lait.

Avec les ( h

(iu -=§-

Laisse-moi donc tranquille, bête, ou nous n'aborderons jamais. Zuléma, tu es saoule!

Je n'étais pas colère, seulement, quand je suis gris, j'ai des pudeurs et des pensées sur Dieu.

Elle me passait ses jambes nues autour de la ceinture, sa tête pendant au fond du bateau ; elle sarc-boutait des reins sur la banquette, et de ses pieds de singe, se dégainant de ses babou- ches brodées d'or, elle me paralysait les bras... Quand je vis que le jeu durerait trop longtemps, je lui saisis les chevilles, et, sans m'occuper du reste, je la traînai sur la berge. Sa tête fit un plongeon d'abord sous leau bleue, puis sous l'herbe verte; enfin elle apparut, ses cheveux courts collés en casquette de soie dans du sable jaune couleur de farine de maïs, elle se sécha et éternua, murmurant :

Tiens ! Comme les chats î

Elle demeura là, étendue, les paupières bat- tantes, un peu dégrisée tout de même, très heu- reuse.

61 -+

Je me mis à oontidèrei le flani et je m'attendris :

^ en .1 -t-.l ' r.-iii ça des oran .

I ta secroirail à I égt

l.i petite mauresque de Malte approuvait : Vois tu. que j«- lui diaaû . \ a un Dieu ( est bûi toul autant que tu es une que je luia on pauvre bomme. Qu'on mange du charbon ou qu'on porte les galons com- mandant, c'est [>"iii tout le monde qu on a fait les fleurs, pas rrai ' Nous les sentons, hein, comme ai m » i i - avions trente mille livres <1<- renti

Elle me baragouina toul »1<- suite de I anglais, ,. cause du mol : mille livres.

Je ne compi is |»;i- bien.

nt débattus depuis la veille.

1.11e- aj< .iii.i . i h t'i .1 1 1 < lis de liai seille :

Et. ai tu repasse! par Malte le mon pro i bain, faudra pas m oublier.. .

Je lui i ' du meilleoi de mon cobui .

aimait, quoi

-I— 62 §-

Des oiseaux sortis des arbres rasèrent presque nos épaules. Je m'assis à côté délie, caressant ses petits seins, sans aucune idée de bêtise, jetais heureux parce que jetais comme un enfant près délie... un garçon vraiment coura- geux ne se doit pas tout entier à une femme. Je ne voulais plus mordre, puisque j'étais calmé, aux pommes de son amour... Je regardais les branches d'orangers, si pures qu'on en avait la bouche amère, et je regardais sa bouche à elle, si rouge, si fermée tout à coup que l'eau en venait à la mienne...

J'ai sommeil, dit-elle.

Elle s'étendit en travers de moi, très souple, très nerveuse, peu à peu s'endormit, s'étirant, murmurant de sa voix têtue :

Comme les chats.

Et dans son sommeil elle eut l'air d'emporter un secret.

Pendant ce temps la mer jouait à soulever la barque, la faisant boire en se gonflant jusqu à

- 6

son balancier, et dea Beon pleuraienl soi nous cornu p dai _' mtt - d< orènn ,

Soleil !.. ( I * leil A - pauvrea garces, A soleil dei pauvre* bommes! Villei d'amour échelon-

le long du voyage de notre misai on l'arrêtent nos désirs, porl béni <>ù nos viri- litéa - ancrent ri êperdument qn ellea ramènent A i cadai rea à La surface quand on lea for© i étirer...

Nous ai ion- trop l>n ! Noua n'aviona même ploa la force de boire... el il faudrait noua

quitter demain. . .

Debout! Hisse! gueula le vîeui Bai nabaa d un accent terrible.

I. t.. i eillai en sursaut . Hein ' Le fen serait il an nai ire qu'on demande tout le monde -m le pont !

Mai- non, je n'étaia plua but nn navire. Fini étais .m phare d I I mon

nurdien-chef se tenait devanl moi avec sa lan t, i ne. Il avait mia aea longa ehereui blondi en orefllee de i ni n, le rilain bougn , sa I

-S- 64 -H-

camarde était toute livide de peur, ou de colère, et il roulait des yeux de tigre.

Quoi, patron, bégayai-je, encore tout cour- baturé de mon mauvais sommeil sur la table. Est-ce que le phare serait éteint ?

Car, ici. le contraire du feu devenait grave. Le vieux m'agrippa l'épaule de sa patte de crabe et répondit en hurlant :

Tu ne 1 as pas allumé, canaille !

Je bondis jusqu'à la porte donnant sur l'es- planade.

Nous étions entourés d'un océan aussi noir qu'un drap mortuaire, et, par place, on aper- cevait — comme des traces de neige mouton- nant au sommet des montagnes l'écume des vagues.

En effet, on avait oublié d'allumer le phare.

I\

Di mémoii s est jamais \ u,

I onblier d'allumer un pli..: 41 de

troisième i ntn •. surtotil quand on esl deu i dieni \;ili<l<- et que le temps ne roua fait pas perdre la U itll.it durauloui d I :

saut, maif paa au |><«int de reawenet la cage aur nos \ noua ii ai ait l"i un coup de in>|>.

i îflexions.

.1 ai lia le brouillé pai des \ iaiona d<

-S— 66 «=§-

jupes, et le cri du vieux m avait flanqué l'idée de la consigne au cœur comme une lame pointue.

On est si bête ! Je n'osais pas me demander pourquoi, lui, qui se mêlait toujours de tout et veillait inutilement, n'avait pas allumé lui-même dès Theure venue.

Je grimpai dans la spire, ma lanterne haute, et j'arrivai suant, soufflant, tortillé de terreur, devant la cage.

Le ciel était lourd, vous tombant sur le crâne en capuchon. La nuit, plus épaisse, vous met- tait ses griffes de velours dans les yeux. En bas, la mer se roulait, chantant son chant de mort, étendant, de places noires en places noires, ses linges blancs, tout préparés pour la dernière toi- lette des hommes d'équipages.

Ce singulier vertige, que j'avais déjà éprouvé étant assis sur l'esplanade, me tournait encore la tête. Oui, je me sentais toujours attiré dans le vide, pompé, forcé de m'aplatir le long des parapets du chemin de ronde pour ne pas sauter n'importe où.

+- 67 -4-

I ii était m l.i hauteur du phai ti«'ii bolée tu milieu du Ilot qui m effrayait h mel imaginais mal assis et un peu incliné, peut- tuse «1< la difformité <ln rocher sur lequel on I avait bâti. ( lei kainement le roch

atail de Km 1 1 1, -1 le phare allait <li oit I mi ne sait rien de la fora des ragui s, pai plus qu< celle des marées pi éi ues. H y a toujours la chose qui .11 1 1\<- en dépit de la scienoi oieurs. Trente-six ans de durée, c'est rieui pouj un oui rage de piei 1 e qui reçoit chacjui jour et chaque nuit toutes les claques furi< de l'océan.

Engourdi, j<- me tenait stupidement i la grille de la cage, tâtonnant pour ouvrir lo trou <!<• feu que je connaissaie comme ma poche. J'avaii la sensation d'eu dans mon rare, de

dormir et de roulei selon le bercement des 1, un bord -ni l'autre, me moquant bien de la réalité.

De quoi Pas allumé ... I>n moment qu on rigole, 1 1 ne fiche rien '. ( hi n allume pas

*- 68 ■=§-

les phares de son lit. Le vieux radote. C'est un vieux fou ! Cré nom d'un sort ! . . . voilà mon boute- feu par ici et la première mèche par là... il est vrai que les lampes tournent toutes seules aujourd hui !

Ce n'était pas possible, le phare étant à feu fixe. EJles ne tournaient pas, je tournais, moi. tantôt du côté de la mer, tantôt du côté du vitrage. Mes jambes fléchissaient, j'avais des crampes à restomac. Il me semblait que des ailes de chauve-souris me frôlaientles paupières . . . enfin, la flamme jaillit de mes doigts fiévreux, se communiqua au cercle des mèches, un petit grésillement se répercuta de mécanisme en mécanisme, les disques se mirent à fonctionner, et les bras roses delà lumière victorieuse repous- sèrent 1 ombre jusqu'au fond de l'horizon.

Je respirai.

Pas de gros navire en vue, pas de barque de pèche égarée, une mer déserte et presque tran- quille. Aucun danger ! Nous ne serions pas signalés à la marine de Brest pour ce coup-là.

69 -«- Je me mil ï danser de 1 débordait de ma poitrine I mea lèvres. Je ch.tntai-. la dei taloru rar la

dalle du chemin de ronde, je n'avaia plus ni faim ni aoif. I olevé plus haut que le

phare <1 \r-Men, .1 dana lea fagnea dea

l<»unl- nuagea qui m enivraient, à présent, naienl roses, em rasai, m mettant à rire. Mi '. le vieux loup, ce qu'il m'avait fait peur! .1» ne redescendis pas. je m'installai chez moi. ut entrer la nfe lumière, et je m assit devant ma tablf pour consigner L'oubli, loyalement.

Là, mea perplexités me rep irent. \viiii.T cette faute, qui n'entraînait aucun* tait peut-être bien me remeni pai mea i l ieux,

en bon compagnon-patron, aurail du me taper bui L'épaule. Iprèa mon travail de gai autour <l> ivaia

m m Le b] no pe. Mes denta claquaient

lom enir Pendant ce lempa le \ ieui - I

se promenait le long de l'esplanade, fumant sa pipe. Je pouvais mentionner ça. Je tortillais ma plume. Elle n'allait pas fort, l'écriture, avec moi. Je pensais à des tas de choses inutiles. Une heure de plus, une heure de moins, la belle affaire... Et, cependant, ma chemise collait de songer que les barques comptaient toutes sur nous comme sur le bon Dieu.

On ne voyait pas souvent les gros navires. Ils essayaient de nous brûler la politesse, rap- port à un certain prolongement de récifs à fleur d eau. On apercevait ça par les temps clairs, et ça ressemblait à une ligne plus sombre de la vague, un endroit il y aurait eu un sentier tracé dans la grande prairie, la grande prairie dont les herbes sont les cheveux des noyés.

Nous possédions un canot dit de sauvetage pour y aller voir, mais Feau se brisait sur ce dos de Baleine, de façon à vous ôter sérieusement l'envie de la curiosité.

Faudrait tenter la course vers les midi, par un ciel bien découvert.

-i -*

( >n m Kâterait, <m remit...

.1 entendis fredonner la \<>i\ de femme <lu patron,

Il montait, selon -.1 coutume, rers <li\ beurea lu soir, -.1 lanterne allant el menant au bout de Ba pince de crabe. U ne se souvenait pas de notre aventure. I ne aventure iiiii(|u<\ oui, grâce à lui.

Cette »l ki 11 -<»ii. dédaigneuse de mon malheur, me fil 1 ager. .I<- me mis à écrire <!«■ ma plus raillante écriture de bon chauffeur mécanicien... que l«- gardien n 2, encore peu au courant de won métier, et par suite d'une grave indisposition,

avait Oublié. ..

\ miI.i ' ( ; était . maintenant, comme si le notaire \ ai ait passé.

« it livres d évangiles <|u<- les journaux de I I .

Entrant chei moi, !<• \ leux me regarda de ion 1 égard luis mt, la sale chouette ' Il \ inl der 1 ièi e mon épaule el se mit à ricanej

Des papK rasse qu'il gi ommela. I a a em pas le \ ent de soufflei

Je biffai le mot grave devant indisposition pour crâner un brin.

Il examina le journal, l'œil ébloui, peut-être par l'éclat des lampes qui tiraient ferme, ce soir-là, j'en réponds.

Petit, fit-il, la voix subitement sombrée, je ne sais plus lire.

11 avait parlé à regret, du ton d'un qui se con- fesse .

Gomment diable peut-on s'y prendre pour ne plus savoir lire ?

Je me levai, posant ma plume, assez fier de ma mission, la mission de la marine de Brest : remplacer l'intelligence dun vieux qui décline. Peut-être savait-on des choses à son sujet que j'ignorais. Un roublard pour la manœuvre, ce vieux, mais un sans école, pas capable de tenir ses petits comptes lui-même. De fait, je ne l'avais pas vu écrivant. Je me rappelais seulement un vilain livre de quatre sous qu'il prenait le soir, histoire de s'endormir dessus en attendant

ii veille. Il ii«' lisait <|u<- les Imprimés, proba- blement.

On m'a «li! de consigner les grains, que je répondis me rengorgeant, ça vous épargne toujours une besogne... «'t. <'n échange, voua auriez bien du me réveiller plus lot, patron '.

11 m.' regardait toujours, l'oeil se troublant peu ;i peu it, cherchant des Idées dans

les coins de ma chambre.

Il traça quelques signes en I air, _i i >gna des mots baroques, s'en alla, tirant la jambe et balançant les coude

Oh! c'est sans rancune, monsieur 1 1 i oabas.

Il m tourna, brutal :

Faudra pas i \ échouer souvent, .!,- peui t.- moucharder, moi aussi.

niait pas été un tel i ieux, je me serais mis à le bourrer de >ups de bottes.

Il entama -.1 chanson, et je compris, enfin, quelques paroles de ion refrain diabolique :

C'était la tour, prends-garde, C était la tour... d'amour ! D'amour... our... our... ur !

Mon Dieu, de quelle tour d'amour voulait-il me causer, le pauvre bonhomme ? Si nous habitions tous les deux une tour il fallait prendre garde, elle n' était guère d'amour, car elle manquait vraiment de demoiselles à marier.

La nuit s'écoula tranquillement, et le lende- main je me réveillai durant que mes serins fai- saient leur toilette, s'aspergeant l'un l'autre d'un quart de ma ration d'eau.

Ces affreuses petites bêtes me navraient par leurs disputes. Il y avait Cadic et Cadichet. Cadic, plus vieux, devait commencer la goutte. Il volait lourdement, se repliait toujours une patte sous le ventre ; Cadichet, plus alerte, plus vorace, mangeait perpétuellement et semait sa provision de millet à travers la chambre pour embêter son voisin. L'aîné chantait quelquefois d'un accent si perçant qu'il me saignait le tym-

4- 73 *- pan. Le jeune poussait de faibles ci La de moi- in ,in.

Je voulais une famille, des couvées, faire de l«»h- élèves, bien Bt) lés, croisés de nuan< variés de trilles, ;i\<»ir surtoul un mulel vert poui l>.ii i. lui apprendre de grands mor- ceaux, et, au lieu <!•' i«»ni ça, je devenais l;i \i<- hinr de méchants oiseaux toujours en querelles, salissant ma chambre, dépensant l'eau comme -i chei nous ça ne valait rien, I eau douce.

.1 avais payé ça une pièce de cent sous. Belle acquisition, ma foi '. .!<• ne j » i j \ ; i i - pas les lâcher par la fenêtre à sept milles <!<■ terre ferme. Je ne pouvais pas les laisser mourir de faim, et il serait in»|> difficile d'obtenir «lu ravitailleur qu'il iii|m,i te. .1 hésitais ;i les tuer. I >«-|>iii> -i\ semaines <ju<' je demeurais au phare, ayant

sauter mes tours de i ongé, je n esp pat une permission ■!<• surcroît, histoire d'allei changer un serin mâle pour mu- femelle.

Ensuite, ma faute <!«■ la veille ne donnai! pas lieu a l'indulgence de mes chefs, et le pèi i I

nabas ne me permettrait pas, de sitôt, les... serines de Brest.

J étais plein de mélancolie.

Ma chambre, au soleil levant, n inspirait pas non plus de gaietés folles. Elle était claire, nue comme une coquille dœuf et semblait vide pour toujours. Mon lit de camp, bien propre, bien astiqué des pieds, était sur le modèle des lits d'hospice. Il tenait le moins de place possible, et ma petite horlogerie de gardien scintillait entre les étagères avec l'apparence d outils de chirurgie. Sur ma table, les livres ne me ten- taient pas. J'avais jamais été grand liseur. J'ai- mais mieux perfectionner mes idées à moi tout seul, soit pour mon métier, soit pour ma jugeotte, que de m 'in former de celles des autres.

Ce qu'il me fallait, à présent, pour éclairer mon cerveau, c'était quelques petits animaux sautelant autour demesjambes. Je pensais àun singe ou à un chien :

Pourquoi pas me marier, avoir des

. n fan ta I roui a une bonne petite lil pécheur, née native de Sein, ou les femmes sont belles, dit-on, lui abandonner l<- » j > i ? i de

. i . une \ i'Im . des poules, et I aller sur- prendre «liin- -.« maisonnette Loua les quinze jours. \u l">iii <l un an, j»- serais gardien-chef, c'est |>ln> que certain, avec double paie e( repoa d'une semaine i<»ii- les mois en paya de chré- tiens. Les Bretonnes bretonnantes connaissent le l'attente, les longues nuita soli- i, ne se plaignent jamais du \<-nt qui souffle, Bal un honneur | * « * 1 1 1 - elles <\n<- d être la compagne «I un gardien-chef, sur la côte ou dans les lies.

Mes lerinc induisaient l<»m .i\ ec leurs

disputes de petita mâles qui s'embéteni Voilà crue je pensai* mariag M inrre bougre de déshéi ité 1 out n faisant in,-! toilette à mon l m . mais donc lisais que j étaii ui

lui . bien kendi i hn ç

m ,iu\ boissons, pas querelleur, pas i

gneur et comprenant souvent des choses par- dessus ma condition. Je ne crânais pas beaucoup dans la vie, mais lorsqu'on est au hasard de la fourchette, on ne peut pas se sentir bien fier de soi.

Je n étais pas vilain, physiquement, quoique maigre, j'avais de bons yeux gris, des dents blanches, des cheveux bruns comme tout le monde, quoi, et si jetais porté un peu sur le sexe, c'est que des filles aimables me prenaient moins cher qu'à mes camarades, preuve qu'on savait m'estimer du côté du sentiment.

Oui, décidément, faudrait régler la question du sexe et le plus vite possible, car... hum... ça se gâtait !

Pas d histoire de jupes/ avait déclaré le patron galonné.

Un mariage, c'est de Tordre pour toute la la vie... alors...

Et le vieux? Est-ce qu'il avait perdusa femme, lui, qu'il ne voulait plus sortir de son nid de hiboux ?

-*- 79

Par la lucarne »!<• ma ohambi e d< _ nette, une \ itre ovale, trèfl épais» . gai nie «I on filet d on apercevait la grande mer mouvante qui lait à roua tourner l'estomac. ( m avait I air eu ballon, tous lea points d'appui rous manquaien< à la fois. On était Buspendu but le x ï * I « - qui se (i eusail . - ci eusail comme pour mieux roua engloutir, et [< s montait, nom- m i

rail I ou- chai irait des pieds .'i la

( )u ne marchait pas, on tournait avec la mer, .•i. quand !<■ rent -< »u lo\ ;iii I eau à des hauteurs proeuf i semblait soulever aussi !<• phare :

ou le sentait vibrer «lu haut en bas, M se balan- çait, il saluait, il valsait... jamais navire eu per- dition u ,i\.iit exécuté de danse pareille, i était l,i danse éti i aelle, !«■ Bupplice de ceux qui ont trop \' '\.i-' .1 I"IkI de cale. Maintenant on tait immobile, mais la cervelle s'einbarquait, bondissait . se |" rdail .'■ Irai ers des espaces inconnus. . . la course s la f( >li

.1 1 1 _ .ii «lai- l'immensité, tout d<

ii istesse. Là-bas, rare lea B , un

point, une voile, puis une autre : les bateaux de pêche qui tentent la passe difficile pour aller quérir les marchandises de la criée prochaine. Quatre heures du matin ! Elles luttent, pataugent un bord sur l'autre, se rangent en file, se dédou- blent et les voilà parties, la toile tendue à se rompre, comme des pigeons ayant vu luire du blé sous le vert de l'herbe.

Allons, nous, faut travailler aussi.

Mes lampes sont propres, mes godets à huile se remplissent, le mécanisme fonctionne hon- nêtement. Il fait un temps assez solide, pas de danger que la vitrerie se démonte aujourd'hui. Je devrais être satisfait.

Et je ne sais pas pourquoi, je suis inquiet. Je bâille nerveusement. J'ai faim... il faut des- cendre.

Je rencontrai le vieux loup sur F espla- nade.

Beau temps, l'ancien, que je lui dis de toute ma politesse.

Il bougonna, selon son habitude, levant sa

+- 8i

main droite en pieui i e. Je ti- tour de m »ti e domaine, m acci i tenant aux crampons exléi et me fourranl dans loua [es trous on pou rail | ». 1 1 1 »• il' roi J recevais des soufflets I écume el des gifles d< nuei pen

dant une heure. < la -• ni. ut la marée, !«■ pourri,

ntrailles de poissons el bien dauti enooi e que je n

Je recueillis des mouL que j'en

eus suffisamment d une demi-douzaine nom mon déjeuner. Au moins c était du l'uni nouveau, plu- appétissant que I étei m I bai i ng *aui . mai - comme je remontais poui en offrir à mon chef, désireux <l<- lui prouver ma bonne volont matin-là, il lit un geste bizarre el détourna

!)•' l.i pois i<l.i-i-il durement

Hein du |" tison, des moules ' Quelle blague '

I ; )h dei ait pas être consti ail sur des

charpentes de cuii re3 el dans les trous du n- séjournai! sans doute point de goémons en

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décomposition . car l'eau n'en charriait guère à ces endroits tranquilles ?

Quel caractère, ce vieux'.

Je suçai goulûment la coquille que je venais d ouvrir avec mon couteau de ceinture. Elle était belle et fraîche, ah! seigneur saint Bar- nabe, je me souviens de sa fraîcheur. C'était la prunelle dune vierge, bleu sombre et nageant dans une glaire de nacre, si transparente, si veloutée..., la bonne moule !

Pourtant elle avait un drôle d'arrière-petit goût fade. Ça vous restait au gosier, on aurait dit un goût de vase ou mieux... mais pourquoi ces moules de rochers n'auraient-elles pas été saines ?

Passe encore dans les cales de Brest Ion jette des chats morts de maladie.

Après mon balayage du matin, le récurage des boites à sardines, que le vieux avait la manie d'empiler de chaque côté de la cheminée régu- lièrement, je courus me chercher une autre provision de moules. Les trous de rocs étaient

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presque comblés, rers midi, la marée enflanl ••! tn ranl une pai lie <!»■ la bâtisse inféi ieui e. Seulement on | »» » i j \ ; i ï t longei le |>i««l «lu phare en bateau J bai le canot, prêt à êti e lancé

-don !<• règlement, un rieui canot radoubé, mal fichu, |»;i- capable de tenir sur la boule, et |«- l«- menai à la force du poignet, me serrant contre la muraille en nalanl le long d'une rampe de fer, < Ses précautions n'étaient pas mutiles, car le courant bouleversait toutes les manœu- \ res ofdinan

< courant-là \ enait juste de la Baie de* I I . i'1 se trouyait an milieu d'un remous formé par le raz de Sein et les dernières lies '»u Ilots <l<- la grande I II avait

l'aspect, vu sur les cartes, d'un petit bonhomme debout au fond d'une cm ette, et on sait lorsque I eau tourne autour d'un point, elle j amasse des quantités de ch< *

D il toui ne autour «!«• ces 'l<-u\

énormes piles d< pont «jui sont la queu

i l.i qui -H.- d< I lies. \ chaque

■*- 84 -f

marée, la brutale ruée des flots de 1" Atlantique arrive dans cette échancrure, entre ces deux piles, et y forme un fleuve furieux qui va, pen- dant six heures, se déverser dans la mer du Nord, puis redescend vers l'Océan les six heures suivantes.

Ce joli fleuve là, c'est la Manche.

Aux écoles, quand on nous parlait des fré- quents naufrages, des barques perdues presque quotidiennement le long de Trévennec, de la ] ieille, de Sein, nous regardions cela d'un air philosophique.

On est tous mortels !

Seulement, ce à quoi nous ne pensions guère, c'est ce que peuvent bien devenir tous les noyés que la vague ne rend pas dans les neuf jours traditionnels (Neuf jours! C'est le temps de ses relevailles à cette expulseuse d'hommes).

Ils sont mangés par les poissons.

Hum ! Pas tous ! Il y a des endroits les poissons ne fréquentent pas, le courant rompt leur bande, et ils s'égaillent.

Les monstres <!<• fond n<- sont pas autoui rochers, <•( les carnassiers de surface ne restent pas dans I écume chaude, battue \ ertigin ment par Le fouet dei grandi

I hi ne royait jamais Mathurin Bai n i du haut de - esplanade.

J dénichai un crabe énorme <jui. san près» ndil plus bas dans !<• trou noir,

-<»n domicile, puis des bêtes gluantes, une lam- proie, rampèrenl el zigzaguèrent I. Ions des

I récoltai beaucoup <!»• moules dans ma cas- quette.

I tais ai rimé, un talon sui le b >rd de mon canot el presque toute ma botte dans le trou de

I nte «lu phare s'étendait .

manl un chemin qui

mjstérieu lient,

poui N- moment . ce coin de ti un calme relatif à cet endroit si «I P

berbe, j».»- une .iL ue, pas un ' le lichen,

blanc ou i

-5-86-4- pasde couleur, pas de reflet, tout était noir, d'un noir intense, tellement intense qu'il en parais- sait lumineux; l'eau recelait une flamme inté- rieure, un feu sombre qui la faisait plus pure que le jais. On voyait là, au centre même de ce deuil, un objet singulier, ça ressemblait à un bout de bois, un bout de jonc plus pâle à une extrémité. Une bête? Non. Ça ne remuait en tournant que parce que l'eau tournait autour du roc.

Il venait de loin, ce courant, d'abord furieux, puis plus dissimulé, se resserrant sous la vague jusqu'à pousser devant lui toutes les épaves comme des troupeaux de béliers.

Il avait apporté ça... laissant le reste en route. C'était une épave aussi, une toute petite épave humaine. Gela ressemblait à un petit bout de serpent, un petit bout de serpent rougeâtre dont la tête fuselée serait translucide, en porce- laine . . .

C'était un doigt.

Il se promenait tout seul. Mon Dieu, oui ! On

un beau joui -I i Boni la « 1 - r 1 1 d'un congre on paroi que la main^ i emontant «lu fond, - 1 si p< >ui i u ï le ci ispt r lui la planche du lalut.

Bien souvent, let coupenl i la |>li.i

! anneau. Les < bail - _ mflent, se déchirent, L'anneau, mie alliance mince u (ait l'office de coût peu à peu le petit

m tendre déjà brisé par un dernier effort, el le doigt lihre - en ra, <lr<>it comme flèche, indiquer

_i ande route du néant.

Enfin, je ne sais |».i- pourquoi il se trouvai! là, le malheureux, mak c était bien un doigt

.1 1 1 jetai à la mer le contenu <1«' ma casquette déjà remplie <1<- moules, et je rentrai au phare lent, parce que mon rentre me faisait mal. . .! eus la colique durant dem joui s

Le vieux, penché sur son petit bouquin, ne m entendait pas venir de la spirale, et il continuait sa lecture bien dévotement.

Il disait, des lèvres seules :

A... a... a... ah ! B... b... b... bien!

Et il s'arrêtait, trémolant, les joues gonflées par l'attention. La lampe du plafond Féclairait tout en plein.

Il n'était pas rassurant d'aspect, malgré ses lectures pieuses, ce sacré père Barnabas.

S i casquette enfi >ncé< un les > pendaienl les deux oreilles de chien blond, le rendait plus blafard, |>ln> nu de figui e qu un , ni de -m. S pommettes saillaient. toutes luisantes, d'un jaune de cii e 'I église, el se pru nellea roulaient \ ertes el vitr< ime celles

des poissons cr< vt a. Son vilain costume de bure, jamais ôté, jamais brossé, semblait enduil de jus de chique < 1< * j >i i i ^ ses quelque <h\ ans d Je Bai aïs déjà <|n il couchail ai 1 1 bottes. I h\ ne lui voyait pas <l«' linge, ni sale, m propre, mais il était juste <!«• croire qu il ne « onnaissail | »< » i 1 1 1 I usage des chemises, car il me i dait lai er les miennes en sifflotant. Il était plus que sale, plus que laid, il était comme de la honte faite homme.

\i 1 1\ .'• deri ière lui, je tâchai <!<• me rendi e compte de i e qu'il pouyait lire tous les

tant de | i bibliothi

tenait beaucoup de bouquina, toute la ribambelle qu'ordonne la marine - le distraire les

pris* »nniers «lu large, des lii . des

4- 90 -*-

récits de voyage, et des histoires d'amour pas trop brûlantes : Robinson Crusoé, Paul et Vir- ginie, les Fables de La Fontaine. Mais ce petit bouquin-là vous avait une forme de catéchisme ou mieux d'un...

Je me redressai, le frisson dans le dos.

J'avais bien tu.

C'était... Y Alphabet.

Le père Barnabas, le gardien-chef du phare dCAr-men, ayant fait ses études et obtenu son diplôme depuis longtemps, lisait... l'alphabet, par conséquent ne savait pas lire ! . . .

Pourquoi que cela me donna la chair de poule, au lieu de m' amuser ?

J'en demeurai muet d'horreur.

Ben, quoi, le Maleux. qui me dit, levant son nez de camarde ? C"est-y que tu as la colique ?

A cause de l'histoire des moules, il me rappe- lait que j'avais le ventre sensible.

Je regardais toujours le petit bouquin. Je répliquai, d'un ton très respectueux, ce

4- 91

m était pas souvent qu il daignai! m . pai oie :

Patron, le venl s attache Là-haut pour de bon. .I<" crains de la complication |><»in cette

nuit. Uoi

Faudra veiller ensemble ! <ju il bougonna sans plus se déranger, et il reprit sa lecture, ânon- iiiiul péniblement sur les \ i «\ ell< -

II... a., a... i. . . u... aou... aou!

i\ <|in vivent bien au chaud, dans leur cambuse de la terre ferme, ae se doutent pas de ce que c est <|u une soirée passée en mer, sur un ii.in ire qui ne bouge pas, dans lequel on n .1 donc |»,i- I espoir «I ;il»« >rder quelque part 1 n De 1 esse jamais d'entendre le vent .

kte trait-là, il faisait un tel sabbat, le vent, <|u on avait eni le <!<• mourir. ( Iris de chouettes, ci 1- 'I' femmes, ci 1- de soi cièi es, ci 1- du diable, tout - en mêlait . \ chaque instant ça chan{ de note, et 1 e qui pleurait au loin, \ enait, la minute après, rirt et ci aohei sui aou e 1 La porte, elle, tenait bon, mais, dessous, giclai I

de l'écume. L'esplanade, les dalles et les esca- liers se couvraient de paquets d'eau, à telle enseigne qu'on se sentait pencher. De là-haut, par la spire, s'engouffrait la musique malgré que j'avais fermé l'entrée du chemin de ronde, les trombes de cris et d'injures s'enflaient en par- courant cette grande cheminée d'usine, nous dégringolaient sur les épaules comme la colère même de l'océan.

Ce vieux ànonnait toujours d'un air pai- sible.

Chose bizarre, ce qui m'épouvantait le plus, c'était ça !

Je restai debout près de la table, ne me déci- dant pas à lire de compagnie. Je n'avais aucun goût pour l'alphabet, moi, et je ne voulais pas Laisser la tête.

Pourquoi ? Je n'en sais trop rien. Je me rappelle seulement que je ne le quittais pas de l'œil.

Les lampes vont bien, j'ai ramassé trois gros martinets sur l'armature, mais ils n'ont pas

le riti radra roir que je dit

machinalement.

Faudra \ oir ' i ép ta le \ ieui . i pelani «1 tout son 00 m .

i en aller reillei là-haut. Je n

i ist-ce que !.• séjour au phai i end nt peureui

En loua lea cas, je me sentais -.ni- rolonu* . -.m- force, -..n 3 idée raisonnable

.!•• m'assis iur la table, lais anl pend] i jambes molles comme «lu coton.

1 n<- buée noua entourait, la fumée du pétrole

<f nu Mii.i-. humide sortant de de i s la |

i iimi'. I. h ilayail -<>n beui e <i. son allure

monotone, .m milieu «lu chambai «I. el qu ind i a

isqu au i oc, "M I entendait craqu -..n coté, telle nw<- \ ieille sourde irai i ail un peu sa chais* en l wssanl .

\h ' n< .n un (oh n

moi ' I >n plé sur Le même l> i

-*- 94 -+ attaché à la même chaîne, et on ne se connais- sait pas, on ne se comprenait pas. Les choses qu'on se disait n'avaient pas le sens humain. On mangeait le même pain, on huvait le même cidre et on ne s'offrait pas le rhum de l'amitié : chacun le gardait jalousement pour soi (car j'avais acheté du bon tafia, moi aussi, histoire de guérir mes coliques de moules) .

Je pensais au camarade mort d accident, péri d'ennui, peut-être, par une soirée pareille, au bout de cinq ou six ans... d'exercice. En arran- geant la grue d'arrimage ou en raccommodant l'armature, une nuit de grosse tempête, sans doute qu'il était chu delà-haut, et avait rebondi sur l'esplanade le front fracassé... à moins...

Dites donc, F ancien, que je murmurai du ton d'un qui fait la bête, c'est-y intéressant le livre que vous lisez ?

Le vieux leva les yeux.

C'est un beau livre, qu'il me répondit, mais on a de la peine à s y retrouver une fois qu'on a perdu le fil.

Vous avei perdu le fil de... j'allais <ln<' 1 Alphabétise me mordu la langue de votre bis-

Uni. I«- Maleux,je I ai perdu... |>.n un i >s temps.

Il soupira «*i ajouta :

(i était un brave gars, tout de même ! Je fus abasourdi parce que nous nous rem

trions juste but la pensée du mort, mon prédé eur.

Il ci n 'Voua saviez donc lire... autre chose, à I époque <>ù il \ ivait, ce gai -

Je lisais.., dans son Ame, el maintenant que l«- diable k ma place '

Le \ ieui posa son li\ re, leva la main en fai sanl un signe an plafond.

Ses yeui me semblèrent plu- troubles qu'à I .»i .liii.ni .-. li ne perdait pas le fil de... l'alphabet, l'ancien.

Hon!... on... OUT... m * <liuiiluiinu-t-il

tout à coup.

4- 96 -4-

Et il ajouta :

Je suis natif cTOucssant, voilà vingt années que je suis le gardien de la Tour d... amour, de la tour d'Ar-Mrn.

Il ôta sa casquette comme pour saluer quel- qu'un.

Bon î bon î balbutiai-je, saisi d'effroi. Je ne voulais pas vous offenser, monsieur Barnabas. Ou essaie de causer pour passer la mauvaise heure ensemble. D'ailleurs je ne suis pas curieux, moi, je ne tiens pas à me mêler des affaires du voisin .

J'aurais avoir une fameuse envie de rire, car, en ôtant sa casquette, le vieux s était dépouillé de ses cheveux, mais sa tête, blanche et luisante comme une lune, me produisait un effet extraordinaire.

Il fixait ses yeux de poisson crevé sur les miens, me paralysait.

Quoi que t'as, le Maleux, à me mou- charder ?

Je pris le parti de me moquer de lui.

+- 97 -+

Voyons, père btanabas, je oe moud personne ici, roua avei l<- délire du vent,

La détire du veni es( un mal l»i. n oonnudef diens de phare, surferai quand ils débutent < ta finil |>;n - entendre appeler du baul en bas de l'escalier, !«■ I chelles, pai toûl <>ù peul

siffler quelqu'un.

< > 1 1 1 . fit-il, mélancolique el de n >n ton de vieille femme geignarde, j'ai Le délire. Pourtant j ;ii pas mon pareil dans le métier; je sora jamais, je !)«)i> j».i^. je cause pas ei je ne dora presque plus; j ai pas mon pareil sur toute la ligne de feu des côtes, ça tu pourras leur dire à qoa offi<

.!<• crois qu ils - en doutent, monsieur Bai aabas. Ds m '>nt fait \ i -i\ mois, quand je suis renu cha rous. Non, roua n

pas rotre pareil, el il rôti e faut

peul m .n i i\. i demain x sommes t >ua i la mei ci de celui > j u i soûl fl Il sembla réfléchir, |>m- il ricana, toul en .mi les cheveui blonds « j u i ornaienl les oreill tsquette huileuse.

-s- 98 -*

M'est avis que ça ne t' arrivera pas, le Maleux.

Dieu le sait ! Dieu le veuille !

Dieu... il est mort, répliqua-t-il dure- ment, et il me tourna le dos.

Vous allez monter, F ancien ?

Oui, c'est mon moment... Je sens que ça se gâte, là-haut... J'ai pas besoin de toi.

Je restai figé sur la table, en face de sa cas- quette qu'il avait oublié de remettre.

« C'est la tour prends garde !

« C'est la tour d'amour... ou... our... ur ! »

La voix montait, se mêlait au vent et deve- nait lointaine comme celle d'une fille qu'on étranglerait sur les dunes pendant une nuit d'équinoxe.

Je contemplais la casquette. Je finis par la prendre, du bout des ongles, étonné de la voir si graisseuse : on aurait dit de la peau de phoque.

Des deux côtés des oreillettes en cuir, des

*- 99 -* mèches blondes pendaient, de belles mèches de soie brillantes, des cheveux jeunes pouf bûj el des |)ln> fins.

[oui m tournant la coiffure sens dessus d< - bous, je ris qu'ils tenaient aux oreillettes d< cuii pai une espèce de peau |>lu- souple, plus pâle, el que tous adhéraient à cette peau-là cousue !<• lu cuir avec <l< la ficelle gi

Quelle drôle «I invention '. ( mi diable I an- cien .i-i-il trouvé ces 01 nements-là ?

Je un peu les cheveux, je les i

lai de celle peau presque transparente, imitant le pai chemin, el...

I n Gracia épouvantable retentit. Le phare trembla <1« la base au sommet. .1 entendis le i ieui qui gueulait mon nom, haut.

I - qui se brise, que je m'éci iai, non- sommes foutus !

J env< yai i i quelle rTimpoi te où, el je m <'l, m./, n dans la spirale.

La i agi n étail pas bi isée, mais à moitié ouverte rers le Nord. I ne trombe d'eau, la dei -

BIBLIOTHECA

nière gifle du vent, ou, peut-être, un oiseau- caillou, fendant le cristal, avait démoli un régu- lateur, les lampes s'éteignaient, charbonnant et puant comme des torches, une fumée acre, plus noire encore que la nuit, nous asphyxiait, se rabattant sur le chemin de ronde, nous empê- chant de voir nos propres mains.

Tiens bon ça î dit le patron qui, à lui tout seul, un bras passé dans le vitrage brisé, se tailladant les chairs, supportait le poids de la machinerie.

Je pris sa place pendant qu'il essayait de ral- lumer les mèches en les aspergeant de pétrole enflammé. L'incendie n'était pas à craindre à cette hauteur, et d'ailleurs nous avions Tordre de mettre le feu partout plutôt que de nous laisser éteindre.

Hardi 1 Là... Hisse î Tiens bon le bout! Tiens bon tout ! . . . hurlait le patron dans la grande clameur du vent.

Il fallut trois heures pour arranger ce méca-

Les mèohes s'éteignaient malgré dos jeta de pétrole, el les embruns passaient dessus comme des lambeau d'étoffe mouillée, bouchanl la lumière et nous bouchanl les yeux. Des oiseau il me sembla bien qu< des ailes me frôlaienl tourbillonnaient au milieu <!<• la fumée, ans mentant son épaisseur, nous fouettanl de leurs plumes hérissées. Moi, je ne tenai eque

je l'Miai^. ( h\ me le tirait «lu haut du ciel, et |)lu> je jurai- pour (aire lâcher les démons de I air, plus il <'ii venait au seot >urs de leui i camarades.

Pendant qu on Be battait bien bravement, que la tète du wrux blanchissait dans la tourmente, toute pareille au globe <lr la lune, il \ eut an petit répit. .. oh! juste le temps de prononcer un nous respirâmes un coup, puis nous eûmes froid, <1 un froid mortel : une cloche

Navire ! fit le \

I d nai ire, par chei nous, à poi tée de ion <!<• cl< " lir . c était le naufi âge inéi [table.

-#= 102 s=§-

Tout le jour il avait fait une brume si dense qu'on n'y aurait pas reconnu son bras droit. Des embruns glacés, des avalanches de pluie mêlées de grêle à croire que les nuages croulaient en petits morceaux! La mer se redressait jusqu'au premier étage du phare, le cinglant de ses fouets de sel, même que nous avions mangé un poisson énorme, tombé sur le pas de notre porte. Après cette politesse, la vague se vengeait, et elle nous amenait des chrétiens ! . . .

Ce son de cloche tintant, clair et suret comme vinaigre, dans ce tapage semblable au roule- ment continu du tonnerre, vous faisait l'effet d'une piqûre. On ne voyait rien en se penchant sur le parapet du chemin de ronde, ni feu d'avant ni feu d'arrière, et il était à présumer que les lumières de ce vaisseau ne se rallumeraient jamais.

Faudrait peut-être se préparer pour le canot avec des bouées, que je dis au vieux, les dents claquantes.

Pas la peine, qu'il fit d'un ton calme en

-5— io3 *-

nouant -<>n mouchoir autour de -<>n crâne déplumé, parce qu'il avail radement chaud dans [( ren( froid, il- ronl B'échouer à la | >* » i 1 1 1 < * . . . sont péris d'avance,

.Ah! les pauvre* bougres! Noua ne pou- rons tout de même pas rester ici plantés, tran- quilles. . . c'est des hommes...

Nom aussi !

le dei inaii bien qu il d \ avail plus rien à faire. Le canot d'en bas, c était une trime, bon à pécher dei moules le Long de notre rocher. Qn ne pouvait pas Leur porter du secours Bans : sur le dos de l;i Baleine s'appelait ainsi il i fleur <1 'eau que noua relevions de chez non- . Mors, comme on ne passe pas en barque -m un ••(ii.il -.ni- \ rester corps et biens... f;»l- l.nt souffrir leur perte. Non- avions couru risque d'être emportés par le rent pour main- tenir nos feux, notre devoir - arrêtait là.

L cloche mitait toujours.

Nous i ede* endlmes chercher «lu filin, des tiges <l .h i»t. et nous remontâmes, silencieux le

-§— 104 §-

vieux oubliait sa petite chanson amoureuse . histoire d'achever proprement notre ouvrage.

Le temps de remonter... la cloche ne tintait plus !

Me tournant vers le Nord, durant que la rafale se taisait quelques secondes, j'entendis des voix hurler et ce n'étaient pas celles des démons de 1 air.

Le vieux n'ôta même pas sa casquette qu il avait remise, en bas, par-dessus son mouchoir noué.

Il dit, tordant le filin autour du fer dune poigne vigoureuse :

Ça y est !

J ai pas de dévotion, seulement la nuit était si noire, le vent si lamentable... Je fis le signe de la croix.

Le vieux me regardait, ses yeux virèrent :

Ben quoi, qu'il fit mécontent, puisque Dieu est mort !

\ I

On m .1 paa d'idée de ce que c'est que la pluie, i ii mer, et sur un phare. Ça brouille tout, ça mouille tout, ça \<>u- fond la cervelle, >us dilue les moelles, on coule, on s'égoutte peu à peu, on est moins consistant qu'un nu n'importe quel prétexte roua sérail bon pour aller rejoindre I eau, la - u finale.

Il pleuvait depuis une semaine. Plus de bourrasque, plus <!«■ beuglement : on petit hou hou sempiternel, une plainte <!<• vieille

-*- io6 -4-

geignarde agonisante, et le bruit de la pluie, un bruit de pattes maigres sautillant toujours à la même place.

A trois milles devant soi, c'était comme de la laine grise cardée, de temps en temps, par la crête des lames. Les cieux et la mer s'unissaient pour vous fournir un pareil tableau d'embête- ment.

J'avais fait le projet de m'aller promener à Brest, ou du côté de Sein, courir l'aventure dune fiancée, pour me détendre les nerfs î Mon jour de congé tombant après l'histoire du nau- frage, j osais pas sortir, ni demander le rempla- çant.

Mon projet de noce fondait aussi comme moi, comme les nuages, il glissait dans l'eau, et 1 Océan me buvait avec les grands vaisseaux, les petits serins, tous les hommes...

Pourtant, on tenait une distraction. Le vieux, vers l'heure de la marée forte, s'installait sur le bord de la dernière dalle de l'esplanade, un harpon à la main. La catastrophe signalée au

-*- io7 -*-

ravitailleur, on nous .i\ ai t [•'•pondu, du porte- \<>i\ :

Navire anglais. Dermond-Nestle, retour du ( lap. \ eille aui épa i

Va on ooeillail repaye. \ la vérité, peu de chose encore, des tonnée on des planches, quelques machineries de cuivre. Sur toute fétendue de la côte, an bord de tous les récifs, il y avail des gars, rieui el jeune-, le harpon tendu. El la marine télégraphiait partout <>ù ce que la foudre peut servir <!«• domestique Le Long des câbL

l ne jolie \ ie '

lioi, je faisais mon sen ice Les jambes de plua en plus molles, exaspéré en dedans, et sans aucune énergie pour me surmonter.

I n matin que Lee serins se battaient comme plâtre dans le i a patience m'échappent,

âa pria d an geste ton et je les envoyés an Large roir si la laitue s poussait. Leurs deui petites boules jaunes devinrent i en tombant de cette hauteur dan- le

4* io8 -*■

brouillard, puis tourbillonnèrent un instant, lurent avalés par une lame.

Bonsoir les oiseaux !

J'aurais, maintenant, un singe, un ebien, ou... une femme.

Le vieux, son harpon toujours dressé, ne disait trop rien, selon son habitude, mais ses yeux de poisson pourri s'illuminaient à se fixer sur l'endroit fatal. Il regardait le dos de la Baleine, ce prolongement noirâtre vers le Nord que le flot n'arrivait jamais à recouvrir complè- tement ; c'était de que nous viendraient les cadeaux pour la marine. Il guettait à l'affût dès l'aube.

Un joli métier !

Si on ne pouvait pas sauver le pauvre monde, on devait récolter des planches. Ce n'était d'ail- leurs pas facile. Toutes les épaves filaient en tournant sur elles-mêmes et, quand elles ne heurtaient pas le pied du phare, il n'y avait pas de chance de les revoir. Quelques-unes exécu- taient un plongeon, disparaissaient mystérieu-

-S- 109 H-

Bernent dam Uicoves du rocher, ne remonlaienl l»lu^. nourrissaient n«>v moules.

I n soir, je nui- guetter en compagnie <!<• mon ancien. Non- fumions n<>- pipes bous la pluie, n échangeant |»«>ini mis pensées, car non- n en ère de noui elles. Il ruminait Bon alphabet, probablement : moi, je comptais les jours à tirer avant l;i prochaine sortie <lr ce pur- gatoire. L'eau du ciel nous ruisselait dans le dos, but les bottes, iinlnh.nl n«>- habits comme des éponges; on en avalait <l<"* pintes malgré soi, rien <|n".'i sucer son tuyau de pipe, la fumée bleue se transformait en buée grise, <»n fumait de la pluie, quoi !

La lumière du phare tout Qamblant neuf, remis au point par une grosse provision d'huile, -c changeait en une espèce <!<• vapeur jaune, Bulfureosi tmblable .'1 la lueur <|m se

_-• des locomotives pénétrant, panaches rabattus, -ou- un tunnel. Les lames moutonnant dans cette Lueur diffuse prenaient des i«»n- de bitume, et ce n était pas drôle.

I IO

Moins drôle encore fut l'épave qui nous arriva portée de rouleaux en rouleaux d'encre, toute livide au milieu de ce crépuscule maudit.

Une tête! patron... là, du côté de la Baleine... Un noyé, patron!

Laisse venir ! qu'il répondit tranquille- ment .

Je sentis que l'eau de l'averse me coulait plus fort dans le dos.

C'était un homme ; presque assis sur la mer, une ceinture de sauvetage le maintenait flottant. Il allait en chemise, la poitrine gonflée, gras à crever, le front en arrière, les cheveux collés, ses yeux morts regardant encore très fixement quelque chose au loin, sahouche grande ouverte continuant à pousser le cri qui ne sortait plus... Celui-là était fini depuis huit jours, car il mon- trait des taches de moisi sur sa peau, l'air comme truffé.

Il passa, tourna, valsa, nous salua bien hon- nêtement, et, tout en évitant notre harpon, il fila, ventre à la mer.

III «4- [le sont avancés ! que murmura Barnabas bourrant nue autre |»i|><'.

Oh I patron ! Le* brai m'en tombenl !

J»> tremblais d'horreur . Il<<-;«ii plaisanter, lui. Moi, i(' ne pouTaii |>;i- .1 ;mr i^ voulu faire dire nne messe. \u phare de Tréoennec, ils pos- sédaienl nne chapelle, su moins. I< i on était l»luv seul qu'en aucun li«'n <ln monde.

Puis il \int mie tonne, mais elle se tendit contre la première <l.ill<' et i abtma

Ensuite il vint des cordages, un l»«>ni »!<• mât, des bottes de conserves. Nous en primes ui il \ ;iv;iii des mots anglais.

I était des haricoti verts je savais nn peu cr> moti .

|j on autre noyé; celui-là, nn marin étendu tout habillé sur nne table, le front caché dans les lu .1-. I h\ aurait juré qu il dormait

I rentrai un moment au phare, j><>ui ins- crite... les passante. Quand je me ramenai vers le vieux, i«" poussai nn cri d épouvante. Il <'»» |>;i— v<ni uni bande, des hommes «jm se nouaient les

uns aux autres, un radeau fait de corps morts, des tas de jeunes hommes, une sorte de pen- sionnat de tous habillés pareils, pressés, tourbil- lonnants, une foule de nageurs allant vers la terre, car, vraiment, c'était bien l'heure de ren- trer.

Le dernier traînait sa tète au bout d'un filin rouge qui lui sortait du cou.

Je restais planté, la gorge serrée, le harpon tendu.

Mais qu'est-ce que nous pouvons y faire, nom de Dieu, qu'est-ce que nous y pouvons ! que je répétais, ne sachant plus ce que je disais.

Rien ! A sont tous remontés du fond, excepté celui de la ceinture, répliqua le vieux, philosophiquement.

Ah ! il en avait vu. lui, des naufrages ! Il savait comment ça se pratiquait du fond à la surface, et le pays des macchabées ne contenait point de secret pour lui, le monstre.

Un monstre ! Non. Il faisait tout son devoir, solide au poste quand soufflait la tempête. Il

-§- n3 -*

portait encore la trace des bl< rraves

i << ues en défendanl la lanterne de haut contre les fureurs «lu vent. Il n<' rechignai! |);i- devant les corvées. Il travail peu, ne donnait presque |>lu->. ne demandait jamais (!«• congé. I ii vieux maniaque, mais un luron tout <l<- même.

Pourtant, le coeur me levait <l«' l'entendre m expliquer ces histoires-là, de sa voix de vieille sourde en enfance; il parlait, à présent, jacas sait « » » 1 1 1 1 1 1 « une pie :

Les ceintures ? ( m !... ils en ont tous des ceintures, ça leur sert à mieui se sentir crevi i Quand on coule à pic, c est Bni tout de Buite. \ i _ i ces de ceintures, ils espèrent, ils

gueulent, ils se démènent . . jamais ça ne les sauve. .1 en .h vu un passer vers ta pointe qui remuait encore, un jour <l "I 3 b trois ans. Il a tellement i emué <ju il b chu la tête en bas durant qu< jambes se raidissaient en I air. Les n( si béte ' Quand j - arrêtent le long de la Baleine, ils rerdissenl là, au soleil, jusqu à la prochaine

-§=. n4 -=§- montée des vagues. Le flot les reprend, les roule, et ils redescendent pour chercher les bons courants. Cette fois la fournée s'amène au grand complet. C'est des tas de gens riches, des pas- sagers de première ; les matelots les ont dorlotés jusqu'au moment final; on a pourvu tout le monde de sa belle couronne d'enterrement... et ça leur procure l'agrément du grand voyage. Les matelots sont plus libres dès que la petite classe est à la trempette. A preuve... hein... n'en avons vu qu'un? Et je parie qu'on ne re verra point de marin, au moins ce soir.

Vous pensez donc, l'ancien, que cette pro- cession-là va durer par chez nous, bon sang de Dieu ?

Ouais, mon petit gars, t'es ben dégoûté, ricana le vieux dont les yeux sinistres jetaient des lueurs vertes, ça ne fait que commencer. Je collectionne point les morts, tu peux aller te coucher si les fressures te gargouillent. Je dis pas que je sauverai tous les vivants, car y en a plus de nos côtés, je ramasserai... (il hésita) .. .

de h toujoui - Tiens i justement

duc bouteille

.1 i .1- h. |»,n renais pu à rire, J<

jetai mon barpon sur les dalles :

Patron, «| »i« je lui «li- solennellement, il \ < " i - manque une Ame.. Pren< i garde ' I

déni « brétiens perdus sur ma . i omme m>u- le sommée ici, qui doivent rigolei d'un malheur pareil. Qu on n'ait pu de relij l tdmeti ça, mais qn on - amuse de >. « » 1 1 couler des torrenta de m n te, ca me démonte. Je -ni- capable de roui fausser compagnie, roua

Ben quoi ' Fous le camp! J*ai pas i I chercher. Qu'est-ce que in mouchardes encore i hea moi Est-ce <jnr tu croîs que sais |»;i- «1 on t'i son ... il éleva h ion. furieui tout .'i coup . On t'i Hii de me surveiller, bein Mais je -m- pas tellement aig iud I as fauté aussi, lui. T ;i> laissé éteindre les lampes, la-haut, un -un qm t

oochosM de morts-là, ta pourrais ben les aToir

-î« 116 §- sur la conscience, tu m'entends, le Maleux. Je parle clair, peut-être !

Je reculai comme s'il m'avait frappé en plein visage. 11 disait une chose juste; et si le nau- frage avait eu lieu le jour de mon oubli !... car c'était certain, mon oubli, tellement certain que je l'avais du consigner moi-même sur le journal de notre bord.

Patron, oui, j'ai fauté... cependant... j'ai ma conscience, je ne suis pas un assas- sin.

Tous ces cadavres tourbillonnaient autour de moi, maintenant, à m'en donner le vertige. Ils ne passaient plus, et je les voyais encore, les uns la bouche ouverte pour leur dernier appel, les autres les yeux fixés à jamais sur leur der- nière étoile. Ils allaient, allaient par troupe, par fde, deux à deux, six ensemble, un tout seul, tout petit comme un enfant, et ils ressemblaient à une grande noce qui s'éparpille le long du dernier branle du bal.

Non, que je répétai tout abruti, non, je

ne -m- pas h m ' monsieur Mathurin

ibas.

Ben quoi '. Moi non plus] <pi S me répondit en tournant la i<'i<' rers un baril an ôté sur le coin <ln deuxième escaliei .

El il barponna le baril

Je remontai au phare, les jambes flageolantes, les paupières baissées.

/ de roir ma \ i<' !

Mon dtner lui court. Je brisai un morceau de biscuit, <■! j .1 le chemin de ronde.

I haut, l?air serait plu- pur.

Dans mil chambre, je li- l'inspection d'un petit mécanisme que je devais fourbir. Je donnai de l'huile aui godets pour le l»->u fonctionne- ment des régulateurs, et, mon bravai] fini, je me mis à lire n'importe quoi, essayant de ne plu- penser aux processions macabi

8 olement, une idée ci amponnait ma cei relie.

Pourquoi diable d ai ait on pas i 0 passeï une seule femi

I > abord cette idée me consola un peu . .'<■

*- n8

lisais Paul et Virginie, une histoire très douce la femme est aussi une noyée, vers la fin. Et je me rappelais les longs cheveux blonds (ou bruns, je ne sais plus trop) de la demoiselle étendue sur le sable de la rive quand Paul... Oui, pourquoi pas une femme ? C'est que d'abord on sauve les dames, selon la vraie politesse fran- çaise, ensuite elles voyagent moins que les hommes. Elles restent chez elles bien au chaud, entourées des petits qui sautent après leurs jupes.

Le livre me tomba des mains.

Et toutes celles qui attendent leur homme sur les jetées, là-bas !

J'aurais tout de même bien aimé en consoler une.

Posséder une femme bien douce, bien aimante, vous attendant, son museau rose prêt pour le baiser du retour...

Comme les chats ! . .

Et l'antienne de la petite mauresque me reve- nait.

-S— l 19 «-

le I mil revue I mon second séjour à Malte, mais elle n'était |>a^ libre, el elle m avait seule- ment donné sa photographie. Cette photographie abîmée |>ar les mouch< e di Mai seille, que je [ ,n dais pieusement.

Oh ! les femmes !

le m'endormis, moitié rêvant, moitié soupi- rant, et | eus un drôle «1»- rêve,

.1. révais qu'une morte noyée... qui avait le! cheveui du \ ieux, ses cheveux du -<>ir. . .

L'habitude me réveilla juste au point <!«■ mon tour tl«- -aide. me mis debout, péniblement.

( ! est un -al»- rêve ! que je me dis, honteux de I avenku «•

Enfin ce n était |»;i- de mon plein gré... et franchement dans la lourd ir-Men cane pou- rri arriv( 1 autrement. ..

( !'est la loin (I Amour ! que je 1 icanaû pour me moquer <1« ma propre faibli -

En songeant «j u«- | habitais la 7our <l 1/nour, ça m étonna de ne pas entendre le 1 efraui tumier de mon pan on . Est -ce <ju.- le barp »ni

-§^> 120 f

allait le retenir toute la nuit sur le bord de son escalier ?

Je fis ma tournée des lampes, et je nettoyai le vitrage, toujours empouacré d'une eau visqueuse avec cette éternelle pluie. Du bas de la cave des rocs montaient des mugissements, le flot poussait sa plainte creuse, se convulsait dans une violente rage de se sentir impuissant à nous démolir... la mer est si bonne ! Tout à coup un nouveau chant monta, non pas le long de la spire, venant de l'intérieur, mais du dehors, c'est-à-dire sur la vague. Le vieux chantait sa chanson, du côté de la Baleine, par le travers du phare, et il s'éloignait...

Je restai un moment ahuri, me demandant si je ne perdais pas la tête ! Dame ! avoir vu passer tant de macchabées dans une seule soirée, c'est bien capable de vous troubler un peu l'enten- dement. Le vieux s'en allait, quittait le phare, et il chantait fort paisiblement sa chanson de damné.

Comment s'en va-t-il ? En canot, parbleu !

-*- 121 -*-

Uors, tout t'éclaira d'une belle lumière. Il ;i\;»ii peut-être aperçu un chrétien vivant, et il \ oulait le saui er,

I h chrétien dans ces parages, lorsque !•• nau- frage du Dermond-Nestle datait de neuf jours?

Hum ! je me dérange. Mon bonhomme, faul surveiller ta chaudière. Elle bout décidément trop fort, et tanl de solitude pour commencer ne te \ aul rien.

Km effet, <»n ne Be figure |>;i- la situation d'un naufragé vivant but l«- dos de la Baleine; il n \ resterait |>n- trois heures debout ni assis. Pour s'échouer là. il faut être réduit à l'état de pâte molle, <!«• paquet de linge qui ne lutte plus contre sa destin

.)<- me penchai, seulement la pluie brouillait toute perspective, lea rayons des lampes sechan-

:if en vapeur jaune, et recueil imraei à pi n- de deui cents mètres «l« chei nous.

La n oii de la sor< ièi - éloignait toujours.

II est bon pilote, ce \ ieui I pensai-ji

.1 prendre mon parti de toutes ses extravagances.

Au fond, je lui reprochais de ne pas avoir lancé le canot le soir même de la catastrophe. Ça, c'eût été plus naturel.

Je veillaile reste de cette nuit lugubre, suppo- sant que je ne reverrais jamais Mathurin Bar- nabas .

Le lendemain, au déjeuner, mon patron s'asseyait devant une soupe chaude que j'avais eu T audace de préparer de ma propre auto- rité.

Il était revenu de sa promenade nocturne et point sans peine, à ce qu'on en pouvait croire ! Ah ! le pauvre vieux, quelle triste mine ! Il vous en faisait une lippe ! Sa tête enfoncée dans les épaules, ses yeux chassieux, ses joues couleur de cire, ses mains tremblantes, son air plus sale et plus sournois que de coutume, vous indi- quaient bien qu'il n'avait pas réussi son sauve- tage.

Il mangea ma soupe goulûment, but un verre de son tafia, puis s'alla coucher, muet comme poisson.

-H» 123 -4- I tarant deux jours, il ne dei ei ra pa lei d< ni ni - -m jei \ n ■■ en h< »i l< •_<■ <|in sonne I heui c. <|n elle est remontée, voilà Loul . I - morte ayant fini de nous rendre \ isite, je m organisai pour m offrir un congé au prochain ; lillemi ni. Le remplaçant étanl toujours prôl sur la dunette «lu Saint-Christophe, il débaj quei ail à son tour, pendu par !<• palan, el moi je filerais

•I i mportaia des notes au Bojel de la pei te du nai ire anglais, un long mémoire de boites de i >nsei tes, des numéros de planches el le signa lemenl <l un tas de noyés.

Je me sentis enfler 'I orgueil, ;i cause <!<■ ma mission quasi solennelle. L< malheur voulut <!"<• je me gâtai cette petite fête en jouant avec une lunette marine, -haut, but !<■ chemin de le. ( itail la reille de mon départ. I examii uneusemenl lei parages de la Baleine. Le temps était relativement clair, la houle moins dure et la ploie, balayée par un renl tiède, on renl de

■*- 124 -4-

printemps, s arrêtait pour laisser chauffer un peu les vagues.

Ça recommencerait, bien sur, car le mauvais temps, c est aussi une habitude dont le ciel ne se débarrasse guère, mais on respirait, cette minute-là.

Je mis ma lunette au point.

Quelque chose de blanc tachait le dos noirâtre de recueil.

Ce dos s'allongeait l'espace de plusieurs mètres, assez semblable à la quille d'un bateau retourné sens dessus dessous par l'ouragan, luisant, glis- sant, une vraie peau de phoque.

Pas une touffe d'algues, pas un pouce d'herbe, pas même de sable dans un creux. Le rocher simplement lisse que polissait Teau depuis toute éternité.

En travers, un corps livide.

...Oui. un cadavre roulé là. jambes d'un côté, bras de L'autre, et le flot soulevait autour de sa tète une espèce de draperie brune.

Ce corps était absolument nu.

l m- -ai- pas pourquoi j eus tout <!»• suite la lir\ i I >i il était nu.

H paraissait -i blanc, si pur. -i allongé en forme de fuseau el si joli.

( ! esl une femme '. criai-je.

La drapei ie bi une . . des cheveux. . . de très ls cheveui dénoués. I ne femme Bans cein- ture de sauvetage, celle-là. I ne jeune femme (jiii achevai! de se décomposer au tiède Boleil <!<■ juin.

.1 avais em ie «!«• pleurer et...

I avais em ie de rire, <1 un mauvais rire de n qui se moque de la honte des filles nues.

I ! » endis rapidement la Bpirale pour cher- chef le i ieui

II allai! préparer la gi ne d'arrimage, le rai i- tailleur ne poui an! tardei . Il en fi mçail sa quette sur ses oreilles, se dirigeait, pliéendeux, oiseau de proie don! les ailes déplumées pen- daienl le h .m_ des i l'esplanade, e! son harpon traînai! derrière lui comme une grande queue sans poil.

>- 126 -4-

Je l'arrêtai d un mot :

Patron !

De quoi ? grogna-t-il en tressaillant.

Il y a encore un noyé sur le dos de la Baleine. Cette fois c'est du sexe!

Je ne me rappelle pas quelle intention je glissai dans ma phrase, mais elle suffit à bouleverser le vieux.

Brusquement il se redressa, devint très haut, lui si courbé, ses yeux flambèrent, illuminant toute sa face pale, et il eut un geste de fureur, le harpon pointé sur ma poitrine :

Ben oui, il y a une femme là-bas. Faut l'y laisser, mon garçon.

Le jusant la roulera, père Barnabas, et nous l'amènera ce soir; d'ailleurs, pas d indica- tion à relever pour ce dernier numéro, elle est nue des pieds au front, la pauvre dame.

Le jusant ne roulera rien du tout.

Pourquoi donc ? C'est même bien curieux qu'il l'ait pas déplacée depuis trois jours...

Hein ?

-•— i*7 •+ i \ ,n- mes r ;u -< m- . moi. Je regardais ti es attentivement le rieui « 1 1 1 î me menaçait <lu h. h pon, el !«• ii"ii\ .h- <|u M changeait »!<■ plus en plus de oouleur.

Enfin I arme terrible lui tomba <!«•- mains. Tu m a- \ ii I. . .îi «lu canot, l >\ '

( hii, je \ "M- ai n h. pèi e Barnabas. C'est <l un beau couj - Quand on ne peut plus sauver pers -il

Elle était morte, murmura-t-il d'une voii chavirée. Uors, j ;i |>;i- <!<• mal ;• m rendre compte.

Flic était toute nue aussi c'est bien

»rdinaire qu elle puisse pas démai i ei de

il . . \u lui ci à mesure que je |»<>-(ii^ mes q

mblait que je m expliquais, inté - i.i- de choses louches.

Ben quoi, i Icana-t il. |>i i- .m piège, épou ranté par un hurlement de -mue qui annon- çait I»- rai itailleur. Tu ras peut i tre |»;i- me dénoncei ' Je I aurais ben sauvée m elle avait été

-#-» 128 =§-

vivante, la pauvre garce. Seulement, elle est presque pourrie... alors... Un peu plus, un peu moins... Je l ai fixée avec deux boulets .

Cochon !

Nous demeurions l'un en face de l'autre, plus pâles que tous les morts charriés par la mer.

Nous nous étions enfin compris...

Le Saint-Christophe, renversant sa vapeur, exécuta un demi-tour, présenta son flanc gauche et nous héla du porte-voix, selon l'usage.

Sans ajouter une syllabe, d'un commun mouvement de bras, en peineurs qui font tou- jours la manœuvre ensemble, nous lançâmes la bouée, le fil de va-et-vient fut harponné, accroché au palan, la grue s'abaissa, pendant que le petit vapeur, lâchant des fusées blanches, sifflait à nous déchirer le tympan.

Ho ! Hisse ! Hisse ! Hisse en haut î D'un geste bien d'accord, nous halions sur

le câble.

*- 129 -+

Hisse en baul ! Hisse! Hisse! Ho!

Le paquet «lu n\ itaillement noua arriva, ensuite ce fui le remplaçant, autre paquel de goudronneriequ il fallut sécher, réconfortera un \ ei 1 e <!«' rhum que / offris.

Ki à mon tour, j<- me Buspendia au palan pour m envoler jusqu ;<" Saint-Christophe^ je trouvai dea bougrea pleins de cordialité.

Je pouvais dire que, depuia Bixmois, jen avais pas \ h de personnea humaines.

.1 en pleurais de joie.

1 ijui lii sourire I officiel .

VII

Je faisais la noce. Oui. parlons-en! Lne jolie corvée ! Courant d'un bureau à l'autre, harponné par celui-ci, tiraillé par celui-là... et le troisième qui me demandait tous les détails du naufrage... comme sijesavais quelquechose, moi !

Ce que je savais, j'avais bien résolu de ne pas le leur dire.

Brest ne causait plus que de cette perte du Dermond-Nestle. On se lamentait ferme,

h effet, il - agissait d'une grosse p Quandj eus fini mes rapports, signé les p - <i bien discuté &ur loul ce que je n .i\ au pas \ n. il me restail \ ingt-quatre heures pour m amuser \ Ingt-quatre beures en sis m

Quelle noce! Nous bûmes une bouteille avec un ancien compagnon <l«- route retrouvi basard dans un cabaret «lu bas port, «lu côté de nal, et noua noua atû îstâmes mutuellement du récit <!<• n--- misèi es. I ta I argent sonnait pourtant au fond de mon gousset. Quelques Bolides pièces blanches. Je lui racontais des lu- is .n- <!•• mettre un peu de ma dignité de nouveau gardien <!<• phare.

I ne tour de I Etat, mon vieux, <»ù au on est tranquille, son propi iétaire, « | > i< .1

Il bochail le fronl .

Oui. oui, |«- ne dis |»;i-... mais entendre miauler le rent ... tu n .1- p mine, !<• M us

Ben, -.m- dout4 ,..il j .1 le rent.. me taisai ni toutes mes |>tn 1

-§— l32 -*§-

car j'éprouvais une grande difficulté à causer comme un chacun.

Ces mois d'hivernage m'avaient rouillé la langue. Je me surprenais à traîner les syllabes, imitant presque le trémolo du vieux. Je ne pou- vais plus me dérider. Il me semblait que les pavés de la ville me chaviraient sous les plantes. Je mangeais pas, je buvais mal, moi qui m'étais promis un copieux déjeuner d'omelettes, de viandes saignantes et de salades vertes. Ce qui me tourmentait, c'était l'idée du temps, filant son nœud et me ramenant au pont du Saint- Christophe, le lendemain, dès l'aube.

Voir les filles ? Non ! Plus possible. . . J'y serais resté. Or, le départ manqué, c'est le renvoi immédiat de l'homme, le remplaçant lui prend son tour de faveur. On ne plaisante pas dans cette partie de la marine. Et puis j'aurais bien voulu aussi ne plus entendre les gens me ques- tionner sur la perte du navire anglais. Ce que j'en avais plein le dos du fameux naufrage î

\ ingt- quatre heures 1

4- 133 -*

Quoi donc m\ enter ?

Tu pourrais te balader hors de la \ill<-. que m insinua le camarade.

Il irait bien raison le camarade

l ne course en Liberté, fouler de la terre ferme. \«»n delà verdure, renifler les parfums dea jar- dins, rencontrer des bommes, peut êti i femmes. Nous sortîmes «lu cabarel .

Jean le Maleux, que me dit le compagnon de route, j»- buis content de I occasion .. Je peui pei te suivre rappoii h un dîner de famille, mais je te sei re bien sincèrement et.., bon courage, puisque le roua casé selon tes goûts.

Un se l.i sa i i .1 -h- pas demander elle perchait, sa famille. Si ridée lui étail renue de m mis il- i . | aurais paj é mon écol ai ec des li<»l»- <!«• dessert, une politesse en râlant ane autre, comme de juste, mais il n \ pensa seulement l étais •> pi ésenl un Monsieur pour lui, le charbonnier.

Et

liai, je me mis à flâner, dépa) se c >mp]

*- 1 34 -*■ ment. Puis c'était dimanche, il y avait des enfants plein les rues. Les bras me tombaient le long du corps.

Je croyais tellement faire la fête, oublier cette galère et le vieux, surtout le vieux !

Je m'en allais mains ballantes, hors ville, vers la pointe du Minou. D'instinct je me diri- geais du côté d'un phare...

Je marchais le front bas, les yeux cuisants, regardant avec stupeur mes pieds qui foulaient de la terre. Gela seul me donnait du plaisir. Peu à peu ça devenait la campagne, des ravine- ments de falaises autour des forts couverts d'un gazon salé ; il y eut des arbres maigres, des guin- guettes peintes en feuilles fausses, encore de l'herbe plus épaisse, plus vraie, quelques rochers, des vaches paissant, et par éclair cie, entre des collines s' abaissant, un horizon grisâtre d'un bleu d'acier : encore la mer.

J'arrivai pas loin du phare, devant une petite maison isolée. Il se mit à pleuvoir. A Brest, même en juin, il pleut toujours.

>- i35 «H I i me m;i\ ra huit à fail . .1 en ais mes habil - neufs, mon suroot d ordonnance el ma casquette Retourner en pressant le |>;i- ne me <li-.ni rien. J'eus envie <1 entrer dans cette masure pour \ demander <>n ne < « > r i r 1 ;t i - -;i 1 1 |ki> un jeune chien à rendre. Ajouté aux paquets de ravitail- lement, il ne serai! pas lourd, une fois ficelé par les pattes, et, dussé-je faire tordre tous les matelots <lu Saint-Christophe , non- non- arri- merions bien ensemble jusqu'à latourd'Ar- Ifen. Dame ! j<- ne pensais plus à la noce, maintenant, j'avais comme on sort jeté but moi. Mieux valait oper de choses sérieuses el se meubler Bon quitte à n en plus jamais Bortir. J'entrai donc.

\u\ alentours de Brest, toute maison parti- culière serl I boire el à manger <•! tien! aussi un petit fond d'épicerie. I m rend ce qu'on peul Celle-là, bien pauvre, bien petite, exhibai! quelques bocaux, derrière -.1 fenêtre, une affiche de chocolat Wenier et une bouteille de Pei nod.

-§— i36 §-

A l'intérieur, c'était presque propre, ça sen- tait le lait frais, du sable recouvrait des carreaux rouges. Sur le dressoir luisaient des brocs d'étain, sur le comptoir un bouquet de lilas trempait dans un pot à beurre. Pas de patronne, seulement un tricot abandonné sur une chaise. Je tambourinai. Une vieille arriva, descendant un escalier invisible. Je lui achetai deux tablettes de chocolat, plus une pelote de fil.

Vous n'auriez pas connaissance d'un petit chien, Madame ? Un tout jeune, pour Télever ?

Non! je n'ai pas de chien ici. Ça peut se trouver, des fois, on verra voir. Vous ne prendriez pas une bolée pour attendre l'é- claircie ?

De ce temps ? C'est pas de refus. Je lais- serai couler l'eau.

Je m'assis devant le comptoir, tout près du bouquet de lilas. C'était du vilain lilas presque brun, mal éclos et déjà fané, mais ça me repré- sentait le printemps que je n'avais pas vu

-*- i3; -*-

naître, moi l'exilé. Je le n ~|>n.n^.. . . ami ;i. i .nt Dieu.

La patronne me servit du cidre, trotl ouvrit les poi !• J nus des odeurs <l é table. Il n avail un. rache pas loin •( la \ teille, allant tout .'i fait, puisque je ne lui «m u-.ii- plus, mil .1 traire, me laiaaanl admirer -<>n bou- quet.

Quel jour <!<• no©

.!• m assoupissais tout doucement, -.un d'un m\ incible besoin de me i ep «< r, de ne plu- m parler m boire, 1<-- jambes déjà molles d'avoû marché une ou deux lieues, les bras gourds, [oreille bourdonnante, quand je fus éveillé par nu rire jeune. Quelqu'un qui -<• moquait de moi. Pour ma Im.hu. contenance, je |»ii- le lilaa ♦•I je le respirai de nom

Ben, faut |»;i- roui un brin ' ^ coûte pas cha . à c'te beui e.

Je me retoui nai comme un roleur bonteux . at mes \ eux 1 1 no rouS n ni deux veux 'I'- femme dan- Lesquels il- tombèrent.

-s- i38 «#-

Une fille de quinze ans, assez grande pour son âge, en jupe à plis, au corsage de velours orné d'un fichu blanc.

Elle avait des bandeaux plats très noirs, un nez court, très droit, une bouche méchante ou simplement moqueuse, et toute la figure tachée de taches de son.

Vous êtes bien honnête, Mademoiselle, que je répondis, confus. J'en casserai volon- tiers un petit morceau.

Ça l'amusa d'être appelée mademoiselle, car elle fit le geste des épaules que font tous les enfants, la tête rentrant dans le cou, lorsqu'on se trompe devant eux.

Vous risquez pas de prendre tout, puis- qu'on allait le ficher dehors. Nous en avons un arbre dans la cour.

Je voudrais bien le voir, dis-je avec res- pect.

Elle éclata :

Ma tante, cria-t-elle, notre client qui veut voir le lilas de la cour.

-s- i39 -*- L.i \i.-illc répondit, de son étable elle

tr.i\,ilt :

Ben, tant le mener, Mai ie, un i- la petite.

tut une ooui ados» e au flanc de La falaise. Sii mètres carrés de sable el de graviers entourée de palis de genêts avec un bangai bous lequel - entassaient pêle-mêle <l du

rarech, dea instrumenta de jardinage, un mon- o .m de ohoux. L'arbre, on arbuste tout au plus, l'épanouissait dana le coin aord, ai on penl appeler s'épanouir poussej son feuillage - fleura avortées comme quelqu un pousserail une maladie de boutons.

\ <.ilà. «lit la petite, riant desyeui tout en affectant un air grave, mais il j a l< jeu de

1m. ij!

No ies le jeu de boules. La moitié

du li _ tonnelle

dure aucune possédant m table rustique, déni bancs, et noua noua assl

( )n regardait la muraille de la maison, en

-§— i4o -*■

face, qui se moisissait sous l'averse. La belle nature, quoi !

Vous n'êtes pas dici ? interrogea la petite, clignant ses yeux effrontés de gamine qui se paye la tête du client de sa tante.

Je devais avoir la tournure d'un idiot.

Non... c'est-à-dire... je crois que oui, Mademoiselle.

Et je me mis à sourire un peu.

On causa, de loin en loin, du temps si minable et des bourrasques de l'avenir. Je con- servais la terreur folle des questions sur le grand naufrage. Elle ne me questionna point. Peut- être ignorait-elle cette catastrophe. J'appris que le phare du Minoti était très visité par les gens de la ville et même des étrangers.

Petit à petit, je m'entraînais à la suivre, car elle parlait fort vite, d'une voix brève, contraire- ment aux filles de Brest, qui chantonnent d' ac- cent. Quand elle s'arrêtait, ses doigts feston- naient son fichu, manière timide qui ne cadrait guère avec son ton décidé.

Plu- l\ mon aise, je lim^ par lui demanda ou pourrait me donner à dîner <li«v. elle. Elle <l<-\ iut très sérient

Ça dépend! Si roua êtes difficile. . . nous li\nii> dea pommes .m lard, un reste <l<- bouillie lui.'. On ajoutera la soupe au lait <>u une ome- I. Ue.

Uors, |«- veux bien, il pleut tellement... Oh! n'importe quoi, vouasavez, Mademoiselle.

Elle courul prévenir l;i tante. .le les entendis se réjouir entre elle*, <-i la \ ieiile déclara :

Pais-lui prendre patience, que j aie Le moment «1 égoutter un from

Marie m'apporta un petit rei m- <!«• fine.

Mais, roua ailes me griser, bien iut, Mademoiselle '.

Ma tante reut que roua espériez un ui<>- ment. < ho u<- l<- mettra pas sur la note.

.1 accepte . . & la condition de roua en offrir un pareil. Hein

Elle répondit, brusquement :

-%^> 142 **%■

Merci bien, je liche pas de ça.

C'est du poison? Elle se remit à rire :

Peut-être ben qu'on vous en donnerait pas, même gratis.

Oh ! et avec du sucre... Ses yeux s'allumèrent :

Ben oui, seulement pour le sucre.

En quatre morceaux elle eut sucé tout mon verre. Et elle m'entama des histoires extraordi- naires de gamine, je démêlai que sa tante la grondait souvent parce qu'elle couraillait les rues du bourg.

On ne peut jamais sortir, chez nous. Le dimanche après la messe faut que je reste là, en plan, pour espérer des gens qui viennent point acheter.

Hélas ! Pauvre petite ! H y a des gens qui viennent toujours... Seulement, elle était bien jeunette, mon Dieu ! Et j'entrais en paradis rien qu'à la regarder.

Elle ne pouvait pas savoir que je sortais d'un

enfer; sa petite figure tachée de son, Babouche méchante, Bea yeux de malice me chatouillaienl , ml ,i m.- forçaient au courage. \ la sentir li prèfl de moi, | étaia comme fier, j avaû trouvé enfin «lu bonheur pour longfc mpi Je ne pen- , rien <!<• mal. Je ne pensai] qu a appuyer i eux but aea j eux, ça me rendaii la con- fiant

Ub étaient beaux sea yeux noirs, un peu sour- nois, lorsqu'ils se détournaient pour chercher la vieille femme aux carreaux <!<• vitre, e( si curieux, si pleins d'un vice innocent quand il- Be laissaient faire par les miens.

La pluie tombait, le jour aussi. I ne odeur de lilaa se répandait, mie pauvre petite odeui de pommade sur la tète <l une servante,

Dites donc, Mademoiselle Marie, roua i |».i- il amoureux

Les fillea dana lea aubei gea des alentoui Brest ne sont pas ïam «maître le m<»i <l amour dès leur plua tendre enfance.

Ben '. ma tante en ferait nne

-s- 144 §-

vais encore au catéchisme de persévérance. Monsieur.

L'un n'empêche pas l'autre.

Faudrait se connaître... répondit-elle froi- dement.

Elle saisissait tout de suite, en effet.

Mais non! elle était vraiment trop jeune. Je pouvais pas l'épouser. Je ne pouvais pas... c'était trop hête de se laisser tenter inutilement.

A oyons, Mademoiselle, consultez-vous... ce n'est que pour plaisanter. . . puisque je ne suis pas d'ici...

Elle loucha un instant du côté de la maison, puis elle se pencha :

\ous me donneriez une croix d'or, une vraie croix d'or, comme c'est de mode entre amoureux, hein ?

Très volontiers !

Nous plaisantions toujours, pourtant il fai- sait trop sombre sous ce hangar.

On entendait du beurre grésiller dans la poêle de la tante, qui ne s'occupait pas de nous.

i 1 3 Je baissai la \«»i\ :

I h es du |»i\ - . toi, I 'h étonne l»i nante '

( )ui ! . I \

Moi, je bots <!«' I bospice de Brest, j'ai pas (!«• famille. ( iependant, je suis -«■■ ond gardien ;ui phare <l !/•- Ken, et c'est une jolie position. . faudrait se revoir. . .

H esl loin, cel endroit-là ?

Au diable! Je peux que \ « 1 1 i i- t»>u- les quinze jours, sauf par gros temps, roua com- prend / .

Ben quoi. Vous êtes on marin elle fit la moue . I h polisson, donc !

Qui Non- a «lit du mal des marins tanl que (

Elle pouffa :

.1 ai une .mur. J;i petite Tréguenec, la fille du cordier... Us lui ont fait on enfanl et I <»nt plantée Elle es! en traitement

béni J'étais u le baissai la tète.

4— i46 -*

Vous savez de jolies choses. Quelàge avez- vous ?

J ai pas quinze ans révolus. Si nous nous accordons, je vous dirai un secret.

Accordons-nous,

Le jour de la croix d'or, pas avant. J'aurais bien voulu prendre mes jambes à mon

cou, mais il était déjà trop tard. De la porte, la tante nous cria :

Ce sera pour dans un petit moment. ^ ous impatientez pas. Je trie ma salade.

Et elle disparut, la coiffe très en arrière. Je mis mon front sur ma paume :

Est-ce que vous ne me trouveriez pas un chien, vous, un bon toutou bien affectueux? Je suis si seul au phare, lui dis-je, après un petit moment, la voix toute changée.

Ah î si vous étiez venu plus tôt ! On en a tué un, hier, dans le clos de Jeanne Barruy. un tout jeune, justement, que la mère ne pouvait plus nourrir.

*- «47 "■* .l< pensais bien ' I était if <>|> tai <! . pour le

rhhii î

\ «>u- ai ••/ des |>«iii«v i ,jh elle m<- dit, mt < | « i* je n<- causais plus.

Oui... je rais jamais très g&i... Ma ne n'est |».i- belle... Vous ne pouvez pas savoir... roua... roua êtes une enfant. . .

Je ne suis pas nne enfant puisque roua m appelés : Mademoiselle.

I secouai la tète, essayant <!<• sourire. Elle posa -.i petite patte brune sur mon épaule, fes- tonnant <!«• ses doigta nerveui l'étoffe de mon vêtement comme elle festonnait tantôt son fichu.

Voua reviendrez dimanche! Noua irons nous promener dn côté <!<• la mer, et je roua consolerai, bj \<>u- ares des pein

Oh! non, mécriai-je, pas la mer... plua la ni'i . . j'ai horreur de I eau. . . ça sent la femme n«»\ ée, la mer !

Ben <pi"i ' Qn est-ce «jni \ ont pi end '

c.,\ me rend malade de pen 1er à la met . petit M

-§= i48 -i-

Cette idée! Pensez à moi... je vous don- nerai du lilas pour emporter.

« Vins... et lilas à emporter! » Une bien bonne enseigne sur leur porte .

Je lui saisis brutalement les poignets :

Si tu te doutais du mal d amour, toi, tu serais plus si gaie. L'amour ça conduit à des choses abominables.

Tiens ! On a qu'à pas les faire, vlà tout. Moi je suis têtue.

Marie ?

Hein, quoi encore?

Regarde-moi bien.

Je vous regarde, là...

Nous demeurâmes silencieux, les mains dans les mains. Elle me regardait fixement, d'un regard de garçon effronté, elle était vrai- ment -plus garçon que garce, mais elle accep- tait le premier défi d'amour, parce que, depuis que son amie, la petite Tréguenec, de deux ans plus âgée qu'elle, avait fauté, elle grillait d'envie de résister à quelqu'un. Une drôle

-*- «49 -*• de petite idée d'enfant libre, ou rici I ii es jolie, Marie.

Ça c'est |>.i- nrai, répondit-elle dédaigneu- sement .

1 ii fichait.

Embrasse-moi. Non :

Si!

Je -.h- pas.

\ aux in que je t'apprenne ?

Je te ■•• tnnaia pas.

( )n fera connaissant e, I !*est même l«' meilleur moyen.

Et... l-i croii ' l ne vraie croix <l or, roua sai i /.

Veux lu que je te donne dequoi I acheter il» mi. un à Brest.

Ce sei ait plus sûr. . .

Petite p... Le mot ne sortit pas, b< ni eusement . i i m brilL i u à travers I obscurité,

comme ceux dea gamins qui vonl pleurei

-I- i5o ^~

Et ils devinrent phosphorescents aussi... comme ceux des chats.

Comme les chats! disait la petite mauresque de Malte, qui était de Marseille.

Elle avait peut-être compris. Elle ajouta, coquetterie naissante :

Je vous donnerai du lilas de l'arbre... et j'attendrai quinze jours... pas plus de quinze jours. . . ou je vous oublierai.

Et si je ne reviens jamais ?

Je m'en doute bien, allez !

(Tétait une guerre déjà. Elle avait le système de toutes les femelles : se défendre par tous les moyens possibles et n'accepter que des... arrhes. Ça me piqua au jeu.

Je voulus l'embrasser de force.

Elle me fourra un bon coup de poing dans la poitrine, et d'un saut brusque, oh ! ses jupes ne la retenaient guère, elle m'échappa, courant vers la maison.

Je ne pouvais plus reculer. Je la suivis. Moi

-§— i5i *-

aussi j avais monsystèm< I I lil <!<• me mon- trer |»«'li «oillllir tOUt.

I dîner lui excellent. .!<• un- régalai, I appétit me revenant. Les pommes an lard roui avaient un petit goût il»' roussi, ••! !<• Fromage, très frais, sentait -a crème.

I tante trottait ferme, allait, rirait, pleine d'attention, heureuse, pauvre femme aveugle qui entrevoit l<- -««l'-il luisant »1 une pièce jaune.

La petite pouffait dès que la \ i < î 1 1 « - tournait les talons et me dévisageait, ses yeux <lan> mes yeux, -i effrontément que j'en avais peur. Elle semblait un |><-iii animal exaspéré par quelqu'un lui pinçant la peau, en dessous.

Pour moi, je ne la pinçais pas, bien honnête lie et seulement attentif à lui sen ir à

J lurais n raiment bien aimé coucher dans maison '. La vieilli m expliqua qn on se trouvait i I étroit et que leur vache habitait l'ancienne chambre qu on poui .ni l' m

I >• I .mil» côté du faubourg, roui renoon-

-S— l52 «#-

trerez des tas d auberges, en vous en allant, et il y aura des gars pour vous réveiller à bonne heure, rapport au bateau.

Je réglai ma note : trois francs dix sous, et je demandai timidement à Mlle Marie de me faire un bout de conduite, puisqu'elle aimait tant se promener.

Ben, fit la tante, elle serait dehors toute la sainte journée. Y pleuvait aujourd hui, sans ça... vous l'auriez vu filer...

Marie mit un tablier neuf, en soie tendre, et un fichu de tulle. Elle ne portait pas de coiffe, elle s'ajusta un velours serrant ses petits ban- deaux plats.

Nous suivîmes le chemin d'abord sans rien dire, puis je lui pris son bras que je mis sous le mien. Elle était toute petite et un peu trem- blante. C'est toujours solennel de s'offrir son premier amoureux.

Vous avez peur de moi, maintenant, Marie. Je ne ferai rien pour vous déplaire, je vous le jure.

\ oui œ cherche! i / plu- .'• m embi .<

Non, je me contenterai du brin de lil que vous sves oublié <!<• me donner ce soir !

Mi ! oui, !<• lilasl .I< ne suis |>.i- polie. . j iiuiiii^ dû. .

ÇSa ne compte plus, <lu momenl que nous h. noua acoordonfl |»;i-.

Nous longions le bord «I un fossé que la route pâle, dans 1.» nuit, faisait paraître plus noir,

Diir> donc Bal -ce qu'il y ;i du monde

l.i -h.

Elle se -«m rail pi es <!<• moi. la s<>ix sourde.

Où? Je ne rois personne ;i l'entrée du boni

Moi, je ne \<>u- accompagne |>;i- plus loin. monsieur Jean Milieux, rapport aui lumii

Uors, adieu, mademoiselle Marie.

\ bientôt, hein ?

Pourquoi faire PC'esl tout chaud ou tout froid. Vous êtes bien libre, moi aussi. Vaul mieux .m i, sfe i là... peut-être <ju on sérail mal- heureux.

-*- 1 54 §-

D'un mouvement brusque, tout pareil à celui qui lavait fait se jeter en arrière quand nous étions sous le hangar, elle se jeta dans mes bras, se dressant sur ses pointes pour atteindre mon visage.

_\os lèvres s'épousèrent.

Oh ! cette fille-là savait embrasser de naissance, je vous en réponds! Elle se donnait de toute sa bouche, n'offrant rien d'autre parce quelle ne savait rien de meilleur, mais elle y allait de son morceau de paradis.

Ses yeux brillaient comme deux lampes.

Il me sembla que j'aspirais le vin d un verre plein à déborder, tout doucement, puis, plus vite, afin de n'en pas perdre une goutte. Nous restâmes près dune heure bouche à bouche, ne prononçant plus un mot. C'était le baiser breton, le roi de tous les baisers, celui qui enivre les fiancés chastes. . . ou qui les tue !

\ Il

i:

n débarquant sur I esplanade du phare I j <l Lr-Afcfije m imaginais revenir d un long ; je m étais resté que trou jours absent de ma triste maison.

Je i evenais d an long i j ai ais touché

h Je ne rentrais |».i- seul, |< ram un femme su fond de mes yeux, mes l<

. i raient encoi e l< goût de ion premier bai»

( )ui. je \ oulaii ôti i un homme, je i ouiais

4- i5G -*

être heureux. Je donnai du bonheur à pleines poignées de mains, dès ma rentrée en prison, au jeune gardien qui s'en allait pendu par le palan, au vieux qui m'examinait, lair dune bête défiante.

Les affaires intimes de ce monstre ne me regardaient plus. Je ne l'avais pas dénoncé à nos chefs, et, maintenant, sa folie ne me faisait plus peur, je me sentais sauvé.

Au moins je pensais que la peur de certaines choses doit se raisonner jusqu'à tolérer près de soi un pauvre gâteux.

Le soir tomba.

On alluma les lanternes : en haut, la rayon- nante couronne du phare, en bas, la petite lampe fumeuse du dîner. Et, de nouveau, nous nous assîmes l'un en face de l'autre, nous taisant. La grande plainte de la mer monta, nous entourant de ses sanglots convulsifs (celle-là pleure toujours sans savoir pourquoi) . Et elle m'impressionnait comme la lamentation dune épouse trahie. On n'y peut rien, cependant

ça roua rexe. Elle se plaignait <1<" mon abs<

leuse.. . nu congé de h jours depuis sis mois I Elle me reprochail ma fugue en m< çanfl arec des mots de colère. Ça m'endormait d me mettail de mauvaise humeur. Elle un- it ou me bernait, plutôt, j<- ne lui dei ,u- i [en

Le rieux coupail son pain par gros morceaui qu il avalait rite, en les faisant rouler dan- ses bajoues, imitant les grands Binges <lu jardin de Brest.

.Non- mangions de la moine à l'huile.

Il se \ ersa I huile et ajouta, au beau milieu, un peu de pétrole. Je me mis à rire.

Ben quoi, fit-il, ça relève la sauce. Je ne sens |>lu- le \ Inaig

Vous ailes vous empoisonner, l'ancien, que je lui <li- affectueusement.

I ne foutaise! qu il me répondit, haussant

i Il ne me demandait ni «le- nouvelles de nos

*a. l58 -§-

officiers, ni des nouvelles de la terre. Le naufrage du Dermond-Nestle lui demeurait bien indiffé- rent. Il y avait pêche ce qu'il voulait, et à présent il remplaçait le vinaigre par du pétrole, histoire de se remonter le moral.

On bourra ses pipes. La fumée augmenta. Le silence était, autour de nous, épais comme un nuage rempli de foudre.

L" orage éclaterait-il ce soir, demain soir, dans un mois, dans un an ? Et on ne se disait rien, pensant des choses terribles.

Le vieux enfonça sa casquette pour gravir la spirale, alors je m'aperçus que les ornements en étaient changés. Les deux oreilles de chien épagneul avaient varié de couleur. Il portait des touffes de poils bruns à la place des cheveux blonds.

Je n'y fis guère attention, et j'attribuai à Tair lourd de notre logis le brusque malaise qui me vint.

donc, mon Dieu, que j avais vu déjà ces mèches brunes longues et toutes mouillées,

■*- i 1 1

brillante» el sombres à la fois, « ommi dam une huil<

L limlr de notre morue.

1 ne dormis pas bien cette nuit de renti l,i Tour (T amour.

M il que m importaient !<•- exti s <lu

\ Ku\ et l.i h -

] >nnaissais une femme !

I fut, durant près d'une semaine, mon

- isin de joies. - pas parler de me*

utais les plaisante! u - Je lei tenais cachées an fond de ma poitrine comme on lient dea oiseaux, * ulement o

battaient point dans la cage de mon cœur. Il- demeuraient blottis, préférant ma chaleur naturelle an grand jour «lu soleil, [la roucou- laient, ils répétait ni dejohea phrases el embrouil- laient met leurs coups d ail< s. Si j sur le chemin de ronde, le rent sentait le lilaa, et quand descendais |><»ur déjeuner dans les puanteurs de la salle basse «lu phare, une saveur de crème fraf< he hantait ma bouche.

■>- 160 ■=$-

L'Amour ? J'ignorais son existence avant d'avoir souffert de l'attendre. Elle était trop jeune, oui, mais elle m'attendrait forcément, de son côté, et elle m'aimerait mieux de me con- naître davantage. Encore quinze jours de peines, je la reverrais, elle me conterait ses impatiences, ses petites histoires de gamine, ses grandes envies d'amoureuse. Il n'y avait plus, ma foi, à s'en dédire, ni elle ni moi ; on s'était fiancé, là- bas, sur la route du Minou, à Brest, tout proche d'un fossé noir , tellement noir qu'elle faisait semblant d'en avoir peur, la mignonne garcette!

L'Amour ? Peu à peu cette maigre petite fille grandissait au-dessus de la mer. Elle se dressait devant le phare, elle venait à moi, soulevant le tulle blanc de l'écume pour s'en faire des fichus neufs. Je lui donnerais des croix d'or... et du métal scintillait le long des vagues, se moirant au soleil d'été.

Elle était belle, bien plus belle que les femmes des naufrages qui sont nues, les cheveux étalés en arrière de leur corps.

-*- 161 -*-

Je me surprenais .1 fredonner, moi aussi, des 1 1 h ,im- -.m- queue ni tète.

( '..il le jeune fou qui aime est semblable au \ ieux fon qui se soui lent.

Et ion- les deux nui renl un peu chaque jour (1 avoir trop attendu.

I n -«.ii- de \.'nt il ouest, Mathurin Barnabas, .•n assujettissant La g $ qui mena* ail

de chavirer, eul sa casquette enlevée. Il dégrin- gola les échelons extérieurs comme pris <l<- *er- ourut jusqu'aux dernières marches de l'es- planade, faillit _li--' i. le front en avant, dans furieuse <jui lui disputa sa rilaine coUTure et ne la lui rendit <|'i<- couverte de crachats.

Bon Dieu de sort '. cria-t-il.

I le contemplais <lu baut <!«■ notre échelle de fei . ( - n était bien sûr plus l<- même homrj S u\. aux lueui - \ ei U -. n étaient

plus des yeux de poisson crevé, Ils enveloppaient

isquette mouillée <l une chaude ses mains, ses poignes de pieuvre, l'essuyaient des tremblements passionn

-£_ l62 -$-

II remonta vers la grue en nouant précieu- sement son mouchoir sur ses oreilles de chien brun.

Vous tenez à ce. . . carnaval, père Mathurin ? que je lui demandai, m' efforçant de rigoler, car l'occasion était rare chez nous.

Quel carnaval ?

Daine ! \os oreilles de chien, sauf le res- pect que je vous dois.

On n'en a pas de rechange ici, qu'il me répondit sans me répondre du tout.

La casquette du vieux devenait une obsession. Je la voyais à toutes les heures du jour. Les premiers temps de mon service il ne la mettait que la nuit, quand il possédait la manie des mèches blondes. Maintenant, il ne quittait plus les longues touffes noires, toujours entretenues luisantes, bien calamistrées à l'huile de sardine. Ça lui faisait une tête de poupée de coiffeur, avec cette différence que les coiffeurs ne choi- sissent pas la mort pour F orner de faux cheveux, mais des têtes roses de jeunes femmes...

4— i63 -* Encore une -• 1 1 1 .i 1 r i « coula doucement, lente- ment, sui mon cœur plein à déborde] . Je chan- tais en dedans. Les oiseaui <l<- mon amour aienl leurs ailée, et \<- ne manifestai - pas a h. le pour ne |>-i- ii riter le monstre conti e eux.

La veille de mon fui poui tant |»lu-

fort que m<>i; je dis, en soupant, vera l< des- iei t. à I heure on réfléchi! :

Non, patron Ifathurin, ça manque ii«»|» de sexe, décid< menl . .1» crois que je vais me

er bientôt. Pourrait-on connaître votre a via

|,i|>|m.| I ,)ll 111,11 i;!Lr«' ?

I.. rieui me regardait fixement, mâchonnant pain. Il se mit a glousse! comme une poule.

ï i pas de quoi se moquai du camarade, que je lui i ipostai, offense d< ses manièi

Noua étalions des branches de fromage rai outeaui luisaient durs dam la si aisse molle <in lait pourri.

Le renl geignait aui portes, un rent fore-

+- i64 -*■ teur, pareil à un animal fourrant sa gueule haletante par tous les trous et nous soufflant sa fatigue.

Nous aussi nous étions fatigués de garder nos secrets.

Moi, j'aurais soufflé l'amour dans tous mes mots.

Le vieux soufflait la mort sur la table, et il me semblait que notre fromage verdissait, pour- rissait de plus en plus sous nos couteaux.

Peut-être ben que oui... peut-être ben que non, grogna- t-il entre deux bouchées.

Ça m'encouragea.

Vous comprenez, l'ancien, c'est pas une vie! Je peux pas me faire une raison jusqu'à mon avancement. D'ailleurs, c'est pas l'argent qui manque. Si on n'est pas très riche, on trouve toujours plus pauvre que soi qu'on rend heureux. Justement, je crois que je tiens un bon parti : la petite d'une aubergiste, Bretonne bretonnante de la fine pointe de Brest. C'est jeune, par exemple, c'est maigrelet, c'est enfant.

+- i65 -*- m. ii- ndira x i f « . Non- doua sommes

accoi d< i. I m i '!<• an an. elle aura I âge de nous épouser, et j aurai vu à m habituer aux prome- nades tous les quinie jours. La marine pi ijii <»n mette <!«■ I ordre dans ses affaires de jupes. Vous sentes bien que je n<' peux pas changer loua les mois de chemin... tantôt les filles «lu côté de I \rsrnnl. tantôt les garces du côté des Colonies. Non, c'^eat pas propre... et se faire une maltresse, quand on ne |><-iii pas payer gros!... Tout bien considéré, une vraie femme, c'est plus honnête, plus convenable pour l<- métier de gardien d'une tour <!«• L'Etat. Vous saisisses, monsieur Barnabas ? (Et j'ajoutai d'un ton mélancolique : .!<• n'ai guère crue tous de famille... ;»l<>r-. < est comme si je voua deman- dais \<>irc autorisation.

Il grog nail . mâchait, avalait, enfin il dit :

Tu seras cocu, mon -

Cette idée! Pas plus «jn an autre, je pense.

Tu sei .1- cocu.

i66

Et il rigolait.

Cela me vexa beaucoup.

L'ancien, vous ne savez pas votre métier de père. Je suis jeune, moi, et j'ai besoin de consolation.

Une femme, c'est du malheur dans an ménage .

Il était vraiment fou, ce vieux. Qu'est-ce qu'il voulait qu'on mît dans un ménage, sinon une femme ?

Je n'ai pas le goût des noyées, déclarai- je. me levant, prêt à faire face aux bourrades possibles.

Il ne broncha pas, se contenta de glous- ser :

Oui, oui, les femmes ça vous colle à la peau, grogna-t-il encore, et sur l'esplanade, elles ne montrent point tant leurs mollets. Ça vous embête. J'en ai vu, j'en ai ty vu des belles, des jeunes, des petites, des grandes... tous les gars d'ici m'en ramenaient dans leur chemise en revenant de leur congé... et puis ils allaient

-*- 1G7 -*

laver leur chemise.., comme toi.., c'étaient des délicats... el puis ils posaient leur chemise comme tu feras un jour, histoire <1 être plua I le la peau, car notre peau c es! le meilleur... ri enfin, \ seront, Loi <•! i<»u-. tranquilles, attendant la marée montante.. .

Je regardais le vieux, les poings serrés. .) étais honteux pour lui <l»- sa déraison. ( )n s'in naît qu il demeurai! d'aplomb, et le premier coup de roulis le Qanquail à la mer. I n pur- gatoire inventé spécialement! Et il me fallait rivre <!<• >a rie, I écouter... mêmeque lorsqu il ne causait |>a-. j en a\ sis peur

Monsieur Barnabas, roua n'avei jamais eu <l<- Femme, <!<• légitime '

Peut-être I - 1 1 que oui... peut-être ben que non .

Il j eut un grand silence. Il ne mangeait j)lu-. essuyant son couteau but sa cuisse, la tête bats

^ a si longtemps, ajouta-t-iJ <l une \<n\ presque naturelle.

*- i68 -*■

Je repris courage :

Racontez-moi cette histoire-là... père Mut h u rin.

Pas la peine, tu la sauras bien à ton tour.

Vous devriez donc... m'en garantir, ce serait d'un bon compagnon.

Je m approchai de lui, et je lui posai la main sur l'épaule. J'avais plus de pitié que de respect pour ce drôle de chef que la marine m'ordonnait de suivre de marche en marche le long de l'escalier du phare, et je ne demandais qu'à lui nettoyer un peu le cœur, comme je lui fourbissais, tous les matins, par pure com- plaisance, ses fameuses piles de boites de sar- dines, qu'il collectionnait des deux côtés de notre cheminée.

Il tressaillit, leva ses yeux morts qui s'em- plirent tout à coup d'une lueur phosphores- cente.

La pourriture arrive bien à briller, de temps en temps, et tous les noyés que la mer cache en son ventre bleu lui font quelquefois des

-S— 169 !-

prunelles flambantes quand la brise esl |»ln- <l< >uce ou la 1 .!-• 11e |»ln^ chaude.

T'es un mouchard, Jean Maleui ■_ 1 »i 1 < I 1 [ancien avec un froncement de narines.

Père Barnabas, si voua étiei de mon faudrail sortir avec >i but l'esplanade. Voilà déjà trois fois <jm< \<hi- me traites «1 espion, et je ne l'entendrai |>;i- nnr quatrième, je sui endurant .

Il se l<-\ a, sais il -.1 casquette

Il est I heure <!«• veiller au grain. Marie- toi, i«- min i«- | 1 pas mon affaû J

. .n de la tour. Toi, 1 .1- qu à te garder du mau- vais -"i t. Je monte. \ îens-tu ?

Il Be coiffait soigneusement, rabattanl oreilles <!<• chien noir, ses oreilles de m 1 1 > . sur treilles humaines., il paraissail ainsi |>lu- \i.uv et plu- jeune, mêlant à -.1 figure nue de vieille soularde on au <1<- coquette ijni marche pour un bal, s'encapuchonnant <l une capeline h èa ridicule afin de ne pas gâchei I édifice que lui ,1 bâti le coifieui Ça me 1 i|>|»' I

-#= i7° ■■*■ ment une négresse d'Alger courant les rues malpropres avec un bandeau, parce qu'elle venait de se faire arracher les dents, et, chose étonnante, il me rappelait cette figure à cause de ses cheveux noirs sur ses joues blafardes, tandis quelle c'était un mouchoir bien blanc sur des joues noires. Je devenais maboul rien qu'à le contempler, ce maboul ! Il y avait sans doute quelque sortilège dans l'atmosphère de la salle basse.

Pensez ce qu'il vous plaira, l'ancien, mur- murai-je de très mauvaise humeur, n'empêche que les femmes vous collent à la peau certains jours, même que vous portez... leur deuil.

Je n'osais pas dire : leurs cheveux, et, du reste, je n'en étais pas sûr.

Il me fit luire une paire de chandelles sous ses paupières baissées, mais il ne répliqua rien.

Je le suivais, mordant de rage le croûton que je gardais dans les doigts.

Lui montait, virant un bord sur l'autre, d'un pas égal, très lent et pourtant pas trop

\ !• n\ ii < Lui \ ieui (ju en \ ieille femme, il demeurai! un bomme |><>m I oui cl il De perdait point la télé durant le* heui i de consigne.

Il fredonnai! : par exemple, il ne pouvait |),i- monter ^;m^ -;« petite chanson.

( S< imme il tenait la lanterne, j<- i oyai silhouette danser le long <lr- murailles. Elle me semblait énorme, grimper déjà jusqu aui lampes rayonnantes <l<- là-haut \u\ tournants de la ris, <>n n'apercevait plus que ses jambes, c( il montait toujours, sans sa tête, «1 un mou- vement pesant et souple de grosse bête rampante, coupée en <l<'ii\.

\ mi-côte, il - arrêta, se retourna, la figure subitement rouge, éclaboussée <l«' tout !«• sang du feu.

Il ricana :

I tes femmes . Je I en guérir; \ oulais, comme | en ai g uéri I autre.

.1 eus un frisson malgré moi.

I )n était devant I une des meui trières «In

-S— 172 %■

phare qu'il avait fait boucher rapport, je le croyais, à ses rhumatismes. Cela formait, dans l'épaisse muraille de la tour, une espèce de placard condamné, une porte de bois fermant l'embrasure dune fenêtre, qui se fermait, du côté du dehors, par de solides grilles et un châssis de cristal.

\ a des femmes ici, qu'il dit en frappant brutalement d'un coup de pied la porte du pla- card.

Ça résonna lamentablement dans toute la spirale, le moindre choc faisant vibrer la colos- sale cheminée comme une trompe de cuivre.

Patron, vous n'auriez pas le droit d'en cacher... le règlement est pour l'interdire, vous le savez bien ! Et puis, par diable serait- elle venue?...

Je n'avais pas le cœur à plaisanter, tout refroidi depuis ses dernières insultes.

Ben moi, je connais pas de règlement. Y a une femme ici... Mais je ne lui ouvre plus. C'est fini de rire avec elle.

+- 173 -*- El M fredonna :

\\ U lOUI «I .niii.iii '

'I imoiir. . "in . . . (.m ... m ...

( >n eafl homme au gi "and jour <lu soleil, même de la lune, seulement, l<i soir, après le fromage, quand <>n a bien réfléchi, qu un mil- lard \ ras .1 injuria* <•! qu'on n .1 |>.i- pu se donnes le réconfortant de lui flanqu< 1 des giflée, on n son maître. .'«• répondis, brua-

quemenl :

Faites |».i- le malin, BarnaJbas. Dieu ee1 toujours plus près de la mer que de la h 1 1 e. Pourraif roua entendre. S'il n \ .1 pas de _• n- dai mes cht s noua, le tonnerre peut \ tomber.

Il entrera pas par cette fenêtre-là, mon

je I en réponde, Foi de Ifathurin. , l .r.i 1 1 . . .

Mes mâchoires en claquèrent. Qu'est-ce qu'il |x»u\ ail bien sei rer dans ce plaçai 'I

I pas -n mon indei sui ane rainure du bat- tant de l»«.i-. ( était un» |" n te solidement

jointée, en chêne, avec des cadres dacier. Les fortes serrureries se comprenaient au phare, car les tourmentes vous arrachaient un volet dune muraille aussi facilement qu'un couteau vous écale une noix, et quand la meurtrière était ouverte, ça devait venter à retourner le boyau de F escalier.

Le vieux levait sa lanterne.

Gen est une qui me fera jamais cocu. Et il se mit à ricaner d'un ricanement abo- minable.

Voyons, père Mathurin, suppliai-je, ri essayez pas de vous faire plus méchant que nature.

Ben quoi, je suis un brave homme... je ne contrarie ni les femmes, ni le règlement. Je m'avais marié dans le temps jadis, mainte- nant, personne, mon gars, ne peut plus me tromper. Elles sont meilleures filles que les autres et elles parlent pas... cest tout miel.

Je lui passai devant, Festomac à F envers, ne voulant en aucune manière lui demander

des nouvelles <l< -<»n second mariag< J étouf- fais. Sur la plate-forme, .tu milieu du ful- gurant incendie <lu phare, je repris on peu de

calme.

Il était clair (jn»- ce \ ieux diyaguail .

Non- montâmes nos lampes; un vent furieux nous balayait la figure et fouettai! Le (talion du fouet <!<• soie de ses cheveux. Il ressemblai! à un grand pitre <!<• foire. Sa bouche renu i mince, -i rouge, avait des contorsions singulières i \ eux brillants pleuraient des larmes i garda brûlés rendaient la lumière en goutfc - de Mmg. Si ce n'était un pauvre bougre de fou... il incarnait probablement le diable.

.!• ramassai un oiseau tombé le long du \ îtragi . an martinet tout frissonnant encore de Bon plongeon dans le feu.

En voici un qui m' croira plus au soleil de minuit, murmurai-je [><>m dire n'importe quoi, car les prunelles féroces du vieux m'épou- \ antaient al>-< iumenl .

Toi, quand in aurai chu dans la mer. ta

-§— i;6 <-§- ne croiras plus à F amour, mon petit gars, fit le vieux cFun ton très tranquille.

Patron, vous oubliez de mettre le cran au régulateur.

J'allongeai le bras pour arranger le mécanisme, et je repoussai la vitre qui murait la violence de Fincendie.

C'est bon, grogna-t-il.

C'est bien, déclarai-je.

Il redescendit seul, me laissant chez moi.

...Demain! Demain je la verrais, celle que je ne connaissais que parla saveur de ses lèvres î Je la retrouverais demain, et cette fois, comme il n'y avait plus de paperasses de naufrage à leur fournir, j'aurais mon plein jour de congé. Dès la terre touchée j'irais chez elle. Chez elle! Marie î Elle s'appelait Marie, une chance. Moi, j'aimais ce nom-là. On ferait vite des projets. Depuis quinze jours, je ne la perdais pas de vue. Je la sentais tout près de ma poitrine. Elle savait bien ce que nous dirions demain. Elle le savait d'avance. On était resté dans les bras

-§- i77 -+ 1 un de I .mil . . n i st-ce |».i- ! Ensuite, on se prend comme on se trouve, il n \ b |»;i- besoin detâtonnersi longtemps. ( mi se foulait teloju'on m deyinait. Deui gosses, quoi ! Moi, j'en savais juste usseï pour qu elle puisse, plus tard, m en remercier par dn bonheur. La vieille tante épi- cière allait-elle rigoler d aise quand elle m'en- i. mh.nl lui demander une promise, ei vogue m galère durant on an... .I< serais nommé, à la place de Barnabas, gardien <!<• la Toar d Lmofir... on d'ailleurs... et nous aurions des enfants, tout de suite, aussi grands que leur petite mère. \ i\<- la i<>i<- !

.1 me sentais ai bon, ai tendre, si bonnête.

Et je guignais la mauresque, du coin de mon lit .

Toi, in étais bien gentille, je dis \y<\-. seu- lement tu l»u\;ii- \ raiment ii<»|» «I»1 tafia et tu \ oua | >l u 1 1 i;i î - un matelot comme je plume ce martinet. Jolie Moins que ma promise, parce que tu rousas L'air de l'être davantage, lu rou- lais de drôles de i b< «es. . et tu me faisais presque

-g» inS -«§-

honte. Je suis doux, moi, j'aime les enfants, les simples, les naïfs, ceux qui croient en Dieu et ont envie dune bague bénite. Les fdles à matelots, c'est pas des femmes pour un tran- quille garçon, un garçon rangé des navires... et désormais à l'ancre dans une tour de l'Etat. Oui. elle se montrait bien gentille... la petite mauresque.

Mon oiseau plumé, je le mis sur une étagère en attendant le rôti que j'en fabriquerais le lendemain, avant le départ du Saint-Christophe, et je me rapprochais de la mauresque.

Pauvre photographie de quatre sous, salie des mouches et froissée au fond de mes poches, j'y tenais tout de même, à cause de la belle journée d'ivresse passée à Malte, sur des eaux bleues, comme en un rêve.

La mauresque ressemblait un peu à Marie. Un peu... beaucoup, elle avait son regard noir, sournois, et, à part ses cheveux coupés courts en casquette de voyou, elle se dressait de la même façon provocante, de la liberté dans le sourire.

■*■ "79 ■+

Elles "ni «lu vice. |«- crois, toutes les deux, pensai- je gaiement .

Moi, je n'avais pas de vice. Je voulais l<- meilleur de leur amour. Pour la première, c'était j>a> possible, car !<• verre avait été x 1 « 1 - souvent, I«- verre de ses Lèvres rouges, pimen- tées il un sourire canaille. Mais la seconde ni*' garderai! t»»ul Le vin pur de ses caresses, et je -.1,11-. pour elle, un tendre frère joueur qui ne lui prendrait que le permis... «lu jeu.., lais- sant venir !<• soir de ses noces. Oui, nia petite sale mauresque ressemblait à Marie, nia |>n>- mise, <•! Leurs deux jobs corps de jeunes brunes ardentes, je Les comparais I un à l'autre, n'en connaissant bien qu un.

Leur corps '... Là. ma petite amie »!<• Malte portait un signe rond, une lentille noire. H était tellement rond et tellement noii . dans l<- lait de . qu il paraissait se déta-

cba de la peau comme un petit astre entouré il .m . nu petit -i-ti e entoui é de fluide et nageant . volant, vers Les lèi res amoureui

-#- i8o -4-

Cette poitrine, ce signe... toute cette blan- cheur et cette marque de deuil? avais-je vu encore de la blancheur et du deuil, un long deuil rejeté en arrière comme le voile dune veuve ?

La noyée ! Tonnerre de sort ! C'est la noyée du dos de la Baleine...

En m'endormant, je guignais la photographie de la mauresque de Malte, je pensais à ma jolie petite promise, mais... mais ce fut la noyée qui me suça les moelles du fond d'un cauchemar atroce, ce fut la noyée du vieux qui m'eut tout entier, corps et âme.

Parce que les mystères du rêve sont les avertissements de Dieu.

I\

Ji Lournaûi mon bérel dans mes doigta ds, ne troui ;mi plu- une parole de poli-

I m'étaii issu |>i es de cette \ îeille <jui reprisait des bat, el j'avais baisse !■ \<»i\ pour lui dire bonnêlemenl toute I impatience qui me torturai! .

Vous penses bien, me répondit-elle, que de ce temps ci <>n poui ail pa - l atta< L. Elle esl sortie, ma nii < coureuse de

4- 182 «s-

gamine, lui faut de la route dans les jambes pour qu'elle dorme sa nuitée?

Je m'imaginais pas, ayant ce matin-là, qu'on pût être malheureux aussi simplement.

Je ne me serais pas mis sur la chaise, près de la vieille, que je serais tombé tout de mon haut.

Ça me pinça le cœur à m'en faire jurer.

Je lui apportais une croix d'or achetée chez un vrai bijoutier de Brest, pas de la camelote, une croix solide, puis une galette agrémentée de fruits confits pliée dans du papier d'argent. Les présents de fiançailles.

Elle... ben quoi, elle était sortie... pour courir.. .

Elle ne vous a parlé... de rien ?

La vieille me regardait au-dessus de ses lunettes.

Non, de rien... "Vous lui aviez donné une commission. . . C'est-y que vous vouliez déjeuner ? Dame! je vous attendais point et faudra vous contenter d'un plat.

-s- i83 -«-

Elle ne rentrera pas pour dinei

BOUT ?

Je ne sais \y,\^. Quand elle se promène arec des petites unies, <»u \;i des l'<>i-. loua ensemble, chei le cousin fruitier dans la rue des Bastions. Le cousin garde toute la mar- maille. Ces! l'époque des cerises. Vous savei, un panier <!<• plu-* <>u de moins... liais elle ren- trera, monsieur Maleux. Il lui arrive jamais de mal, .'• cette enfant .

La n ieilk !!<• savait rien, ne comprenait rien,

était sourde, aveugle. Du reste, pourquoi

aurait-elle deviné un amoureux sérieux dans ce

1 1 triste et frappé d une idée fu

Elle ne mijotait pas, ta \ ieille, <l;m- une tour

rte, le \ i ;ii phare sauveur semblait être

le seul ai ir <l une jeune lill»-. Non, elle ne

ait m comprendre ni m approuver. Sa nièce ii .i\ ail pas I âge du mai si elle ardait

rers I amour, c était selon son petit cœur de coureuse de i ne* Elle ne n mgeail plus au misérable matelot échoué sur son seuil, par une

après-midi de pluie, elle n'y mettait aucune malice. On va, on vient dans la vie des gens de terre, et un passant chasse l'autre. Elle m'avait sauté au cou. comme elle sautait main- tenant à la corde chez les cousins. Quand elle rentrerait, elle éclaterait de rire ou festonnerait son fichu entre ses pattes de petit chat rôdeur. Quoi ! Tout cela était bien naturel. J'en aurais pleuré.

De dépit, je ne parlai pas de la croix, et je broyai le gâteau, le mangeant, pour prouver que je ne déjeunerais pas chez cette vieille. Fallait-il s'en aller tout de suite ? Une fois parti, fallait -il revenir ? Je me sentais un étranger à tout et pour tous.

Mon Dieu, que je souffrais !

La petite boutique n'avait pas changé, seule- ment elle me parut affreusement malpropre, basse, noire, empuantie d'odeurs de vaches, de crème aigre et de cuisines pauvres.

11 fallait ficher le camp, ne plus revenir jamais... jamais... Je sortis, l'air crâne, après

-s- i85

un bonjour sec, -.111- m expliquer. Inutile de nu Marie <l<' ma 1 isite.

( )n ne rail | »> > 1 1 1 ( . El comme Lee

femmes ne manquent guère, j en chercherais une plus sérieuse bous le rapport des promi Je marchais, les bras ballants, n<- songeant pas à entrer dana une autre auberge, el |<- ûiu [n'asseoir but !<• bord <!<• la mer.

\(»ii- reviendrei me \<»ir. non- trôna ensemble sur l«- bord de la mer. Si roua avea des peines, je \ ous consolerai.

C'est bien ce qu elle m avait promis.

I ne enfant méchante ? Non, une enfant seu- lement .

J m aplati* dana I herbe <!«• la falaise, une belle falaise toute en velours, travaillée par dea jardiniers. .!<• mia ma i<,'i«' dana mea coudes, et je roulua dormir <-n pi. -in soleil de midi ( bruissait autour de moi du dimanche

ient <lu côté «lu phare «lu \iinou : on lait un peu de loua Lea une demoiselle

<i jup ut dei 1 ière une belle

-I- i86 -5-

maison de campagne... se balançait entre des lilas.

J'essayai de me raisonner.

On ne fonde pas tout un avenir sur la pre- mière venue.

Oui, mais c'est toujours la première venue qu'on aime quand on a besoin d'aimer.

Et puis se marier dans un an... valait mieux se marier aujourd'hui. J'avais ma paye dans mon gousset, le droit, le devoir même de faire la noce.

Eh bien, non, je ne ferai pas la noce. Quelque chose serre mon cœur et mon ventre. Je pleure, je n'en peux plus de pleurer.

Il y a une chance, dans quinze jours, de la revoir, on s'expliquera, et nous nous accor- derons pour de bon. Je vais me promener seul sur le bord de la mer, une autre fois nous serons deux... elle est si jeune !

J'en arrivai à l'excuser. Une tristesse infinie me montait à la gorge, comme toute une marée de larmes depuis très longtemps contenue.

-I- 187 -*-

i ii .iiiii.ii- pas cette petite fille de Bn »t, plus * 1 1 1 « - | avais aimé les petites fillea <!<• Malte. .1 aimais. . . i Unour !

Malh< m à i eus <|ui aimenl I Imoui

ils -<»iii toujours trahis : les aimerait-on immensément, <m ne les aimera jamais a ll> trouvent toutes simples des choses trop com- pliquées, comme, | »;»» exemple, la fidélité, la tendresse, la |>;i--i<m qui se consume à attendre une promise <>m une catin, la |>;i--i<»n qui - mente de sa propre usure, qui veut tout, el souvent ne \ «uf pins ri<-n. craignanl d'en trop demander, <|ui d ose plus aux clartés <!«• la i<>i<-. tellement elle a osé dans l'ombre el le silence du tourment.

I - filles Non, j étais moi i aui filles.

Pour mon repas «lu soir, j achei ai le gâteau

<!'•- fiançailles, <i j.- rentrai dans Brest, décou-

meurtri, sans espoir, sans idée, sans

camarade, n'espérant même plus rencontrer la

petite Marie le long des ruisseaui <!»• la roe des

-s- 188 -s-

Je flânai aux étalages. Ali! il y avait de bien belles choses pour la petite Marie, des robes à traînes, des chapeaux à plumes et des bijoux rutilants! Malgré mon chagrin, tout se rapportait à elle, et rien ne valait sans elle. L'homme de F amour est possédé par un démon qui lui montre un perpétuel visage d'amour. Marie me guettait dans les soieries, sous les dentelles et à travers les plus impossibles dia- mants. C'était elle, toute nue, que mon esprit revêtait de toutes les étoffes charmeuses. Elle me suivait, elle admirait avec moi, et, brusque- ment, elle me quittait au détour d'une maison, s'évanouissant dans une porte qu'ouvrait une autre femme que je ne connaissais pas. Je ne pensais pas à m' acheter la moindre bagatelle pour mon usage particulier. J'allais, comme ivre, n'ayant plus envie de rien... Oh! tenir seulement sa main entre les miennes...

Et si je l'avais revue, je n'étais plus très sûr de crier : la voilà, car je ne me rappelais que son cher petit visage d'un soir de désir,

■*- 189 -+ flambaient -<■- yeux., ses premiers veux de femme.

Si je L'avais rencontrée, j'aurais découvert une nouvelle gamine, une fillette maigre, quel- conque, aux regarda sournois <-i au teinl criblé de taches <l<- rousseur.

.1' -m- passé peut-être à côté d'elle sans m en douter.

Uora. .. j ai bien fait <!«• ne |»a> tourner la

Irtr.

était pas «II»- ! Le Lendemain, après une nui! <lc sommeil Lourd au fond d une auberge remplie de très joyeux marins, <jui buvaient <lu punch, j<- m embarquai sur l<- Saint-Christophe , n'em- portant <1« Brest <|u un peu de terre dan- un mouchoir.

Bfa '. Eh ! lit Le maître <l<- chauffe com- mençant à me tutoyer, <»n s'en a flanqué une

. ma |»au\ i<- \ i 1 1 1 < ! T m BS, des mai khi-.

bous Les quinqueta !

Oui, répliquai-je doucement, j<- suis

-#- 190 Ǥ- tranquille . maintenant, j'ai mon compte.

Je n'aurais pas été plus tranquille, en effet, le lendemain de ma mort.

...Le phare! Mon Dieu, déjà le phare! Voici la tour. . .

La tour, prends-garde,

La tour d amour... our...our...

Les vagues rugissent, le palan grince, il pleut du sel, il vente une brise chaude, une haleine dévoratrice. Je retombe dans l'enfer...

Ho ! Hisse ! Hisse en haut !

Bonjour, père Barnabas. Faudra veiller. Le grain s'amasse, que je crois.

Ben, quoi, il vente... une foutaise! Le phare ne s'envolera pas sans nous.

Il me reluque en dessous, avec ses regards de bète mauvaise et défiante. Il se défie de moi. parce que chaque congé que je prends le rapproche peut-être de sa destitution. Il croit toujours que je viens de le dénoncer à nos autorités.

-f- 191 -«-

Mais ciilin. pourquoi le dénoncerais Outre nue (<• ne Buis nullemenl un mouchard, un espion voulant la perte des camarades, |«- me moque pas mal <l«' ses histoires de ma- boul.

J'ai bien trop <1<' chagrin, à présent, Bans aller m occuper des péchés des autres.

Ensuite, jusqu'à quel point (aire l'amour ,i\ ec des trépassées. . .

I est drôle comme !<• chagrin \ ous donne

-■

enrie <l«- blasphémer el \<>u- mel l<- jugement sens dessus dessous. . .

. Fallait ramer but la galère immobile et m- plus -«»iil'< r aux jupons.

Allons, .Iran lialeux, «lu courage ' On ne meurt |».i- <l amour. . .

I 'il.- la journée, j»- m<- blaguais intérieu- rement comme ça, me flanquant Bouvenl des grande! tapes et m empoignant par mon propre bras :

\ i»\«ui-. le Ifaleu 1 que I es pas fou, toi au 1 I M petite «ju- tu ne connai

4- 192 -4- seulement ni d'Eve ni d'Adam... Une cou- reuse, une gamine, qui joue encore dans les rues? Un joli brin de fiancée! C'est-y ça qui m'aurait tenu un ménage, soigné des enfants, attendu quinze nuitées fidèlement et préparé la soupe chaude pour F heure de mon retour ! Faut convenir, le Maleux, que le délire du veut t'a bouleversé les esprits ! D'ailleurs, on se marie quand on est le gardien-chef, et non pas le domestique d un vieux porc vautré comme ce Mathurin Barnabas, que le diable exter- mine ! . . .

Je faisais mon service le mieux que je pou- vais, soignant tous les détails du métier pour tâcher de m'absorber dans un travail quelconque, mais j'y avais de la peine, ça ne m'intéressait plus, j'étais trop loin du monde, trop loin de la vraie vie marchante, parlante, rigoleuse ou coléreuse. J'étais un ermite et, chose terrible, je ne parvenais pas à être seul, c'est à-dire libre; le vieux glissait sur mes talons, semblable à une bête guettant sa proie, toujours gardant

son i«l<<' que je le mouchardais rapport bonnes amies mortes.

( >u . . rapport à la machination <lu placard, cette meurtrière bouchée au milieu de I escalier, une porte fermée hermétiquement dont il pos- sédait certainement la clef.

Voilà tjii'' la curiosité me tourmentait <I"U- \ rir, . .

Il faut se rendre compte <!<• mon état. I m n existe point très normalement quand on habite une prison toute en longueur telle un ge maudit et <ju <>n est obligé de penser sur place, ne sachant <ju<>i devenir, tantôt trop près des étoiles, tantôt 1 1 » » j > près des abîmes de l.i mer. C'était <!<• penser toujours <jii<- cela me démontait la mécanique de I intelligence. Jamais, non, jamais, |<- n avais tant remué »l idées sau- grenues, 1 n placard fermé dans ma maison ' Quel beau mystère! Du haut en bas delà Bpirale, on i <»ni|)i,iit -i\ placards pareils, tous aussi mys- usemenl clos.

M ûntenanl . si j«- ne 'I les oui rii 'lu

*- '94 -*- côté de l'escalier, rien ne n'empêchait d'aller voir du côté du dehors'. Le phare était tout hérissé de crampons de fer, et pour peu qu'on possède des pieds habitués aux enfléchures, on se promène le long dune muraille, facilement.

Je n'y allais point, ayant trouvé une meilleure occupation.

Je me fabriquai un jardin.

Oh î pas un jardin ordinaire !

Une petite caisse de bois, très étroite, que je remplis de la terre pieusement rapportée de mon dernier voyage, et je semai quelques graines, j'enfouis un oignon de plante des îles qu'on m'avait donné, jadis, et qui pousserait pourvu qu'elle eût de l'eau en quantité suffisante.

J'exposai le jardin sur le hublot de ma chambre.

Tous les matins, je venais contempler mon jardin, l'œil anxieux, me figurant que des pointes vertes . . .

Ah ! bien, oui, les pointes vertes î

C'était l'océan qui dressait des pointes vertes,

-*— icp -4-

1 m lui [eux «i toujours soulei é comme un sein «!<' femme enragée <l amour.

Je laissai passée 1 1 1 < > 1 1 tour <!«• congé, cette quinxaine-là.

I m .i\ .n- même j > 1 1 1 - em Le <1 aller chercher s <!i.in< d( Brest, et cette fille que je croyais ma fiancée la semaine d'ayant me parut, de loin, une farce <!<• mon imagination.

.1 aurais persévérer dans mes bonnes réso- lutions <l<- mai tait ça le salut . . . mais quelque chose «I inexplicable s'emparait <!«' moi, I n vertige, !•• délire du vent, ou I ;i|>|><-(ii <lu cha- grin. Je me sentais si malheureux, si triste, que je souhaitais I être davan

Et puis, tau! bien l'avouer. . . Le i ieux I ;i\;iif- il pas prédit... je ne portais déjà plus de chemise pour être plut près de ma peau. .

(i I I '■- \l> ' 1 1 maison <l amour,

douce maison, effro) able geôl< . bei ceau de toutes les honl d'où monte le vin trou-

blant des ivresses solitaires, douce maison s< rable aux naufragés des mers perfides, vérité de

+- 196 -S-

la lumière humaine mêlée aux mensonges des étoiles, douce tour d'amour... iNotre union arriva comme vient un mal nécessaire : le mal de vivre pour soi-même.

On ne pense plus au péché.

On ne songe plus au plaisir.

La vie vous emporte dans son flot, et elle vous jette, enfin brisé, sur la grève obscure du sommeil.

Qui a brisé l'homme seul, si las d être isolé ?

C est la vie, l'implacable vie.

Qui a bercé l'homme seul pour le consoler un moment dans le repos ?

C'est la mort, l'implacable mort !

Et, quand on se réveille, on va voir pousser l'herbe, quêtant l'espoir...

Mais l'herbe ne pousse pas dans les petits cer- cueils pleins de terre.

Mon jardin n'avait fleuri que de quelques grains de sel, cadeau de l'océan, bouquet de la Sirène.

+- ■!>; -*-

I ne nuit, veillant, à mon hcui e de gai de, près de ma Fenêtre, je fus halluciné par d étranges fantômes.

I..i Inné inondait le* vagues <1 une clarté pure 1 1 Eroide.

I.' phare, lançant des rayons roses autour de lui. s'efforçait d'attraper la lune dans aea l".t-

BUX.

< était un curieui combat entre £Kfe, la grande vierge, et Lui, le monstre issu «I nchi

Elle avançait, la lare pâle, 1res calme, foulant !<■ brouillard <1 or qui essayait de la rejoindre pour lui (aire perdre -a raison

«1,11!

Peu s peu, elle le mangeait^ en formait m m i rare lum

( >n dei m;iit |».n faîtement ce travail <1«' I ou de femme dissolue, à -.i bouche «I ombre fen- dant le bas de son m- lie porte une blessure, une cicatrii e, des lèvres, certainement, qui aspû nt. se i "in rant tous les mois, les

•■

4= i98 -s-

volontés et les lueurs de bon sens des pauvres hommes.

Le phare se dressait, énorme, tendu comme une menace vers les cieux, s'érigeait, colossal, dans la direction de cette gueule d'ombre, de cette noire fêlure de la clarté céleste, car il y était attiré par le suprême devoir d'être aussi grand que Dieu.

Et le brouillard d'or montait, descendait, en reflétant du sang, aspiré ou refoulé par l'astre au masque d'apparence impénétrable.

. . . Comme elle était belle cette lune pure , perle tombée, tête coupée, luisante du plaisir d'un autre, mais n'en disant jamais rien...

Et le phare, sous le vent hurleur sonnant des épousailles diaboliques, sous le vent qui pleurait de joie ou chantait de terreur, le phare semblait se tendre de plus en plus, exaspéré dans l'irra- diation de l'impossible.

S'éteindre ?

Le droit est de briller, de vivre...

Flamber plus haut ?

-*— 199 *" La destinée humaine es! de brûler sur place. Ij la lune, perle tombée, tête coupée, fièi e de l'absence de Bon corps, - en allait . - en allait pudiquement, chaste el lointaine, inaccessible, emportant le mystère d'une bouche muette <|m. peut être, n existe |>;i-. . .

. .( I tour d'amour, éteins-toi ! N oici I aube '

Est-ce Pâques, est-ce Noël ? Les jours coulent, coulent, tous pareils, tombent dans la mer comme des gouttes d'eau, comme des larmes, comme le meilleur de mon sang.

Quand le Saint- Christophe arrive avec ses paniers de provisions, on lui fait signe que le second gardienne sortira pas. Le second gardien aime son métier, il est plein de zèle, je pense qu'on lui devra un bel enterrement s'il meurt à la peine. Or, le second gardien... y s'en fout!

-*— aoi «-

Il ii ii mti . il descend, il ci oise \ ieui <|m monte <>n descend, et le rieui chantonne. Jean Maleui chantonne aussi, pai esprit de ûngi

On mange, <>n boit, le phare s'allume, le phare - éteint.

\l«m Dieu, est-ce Pâques, est-ce Noël j en- tends sonner des clochi

I U - habitudes me t\ rannisent . ( i •* après moi, des espèces de pies qui répètent toujours la même bêtise, me tirent par la manche pour me faire roii toujours le même point de I horizon. Je trouve très simple de taillader la table avec mon couteau pendant que le rieui compte, «« \ni\ haute, les botte! de sardini - empilé - des deui côtés de la cheminée.

II me parait fort naturel d user le bouton de ma \ est i n le polissant sous mon ongle «I' ! heures et des heures, tellement <|n il est, m. un t. nant, fendu en deux, ce bouton, et que mon

est mangé i usqu .1 lu racine. Je fais cela machinalement, sans oublier !«• moindre détail

-§» 202 —£-

de mon métier, et je ne pense pas que je sois malade.

Je suis certain, maintenant, que le vieux a bien toute sa raison, seulement les longues jour- nées passées immobile devant la mer qui danse, muet devant le flot qui hurle, l'ont rendu maniaque. Il a essayé de lire pour s'aller pro- mener dans un autre monde, et il s'est aperçu qu'il ne savait plus lire.

Nous ne causons pas davantage, nous nous comprenons mieux, endurant les mêmes misères sans trop savoir pourquoi.

La misère ? Non ! Nous sommes de bons pro- priétaires dune tour de l'Etat et nos maîtres, absolument. Nous sommes riches.

C'est bien cela le plus terrible. Nous sommes les maîtres, en dehors du service, nous pouvons rêver, dormir, boire, car il y a des alcools, chez nous (et des alcools de choix!, nous pouvons jouer aux cartes et nous raconter des histoires. Nous préférons, généralement, rentrer chacun dans notre trou, lui en bas, près de la soute au

io3 *-

pétrole, moi en haut, près »Iu foyer des lampes

Qu'es! ce qu'on se <ln ail

I m prendfl pas au léi ieui ses idées but les femmes noyé

Kl H m.- méprise parce que j ai eu I em ie, un matin, d'épouser nue vivante que je ne con- naissais |».l~.

Quant .1 ses funèbres plaisanteries Bur Les placards, ça ne m'intimide |><>in(. Il ;i voulu me (aire peur, parce qu'il -;»it que j ai <l«' certaines aces en I Keu.

\]\ puis, c'est nécessaire de brimer le mousse, de terroriser le novice et de lui envoyer chercher |,i\ iv dans l«- placard, ça l«- forme. .!«■ n ai pas voulu chercher, moi, je suis un enfc

\| g nuits -«'ni affreuses, je rois des figures lamentables se coller contre la ritre de mon hublot. Des dames blanches, éplorées bous leurs cheveux noir-, me font signe de les suivre, elles m<- placent de leurs yeux morts, pleins ,1 eau rerte : d me lève pour Les aller

chasser, elles reculent effrayées, à leui toui . de

me voir, s'enfuient éperdues, leur longue che- velure battant leur dos, et je suis assez lâche pour les supplier de rester.

Ce n'est plus aux femmes vivantes que je songe. lime faudrait des créatures plus passives, plus complaisantes, plus au-dessus des pudeurs de ce monde pour m' amuser maintenant, ou, alors, de telles filles dévergondées, possédant de tels secrets d'amour !

Et je voudrais aussi pouvoir les rejeter à F eau, m'en débarrasser la chair pour toujours, ne jamais les rencontrer, de nouveau, sur ma route.

Ma route ?

Je monte, je descends.

Quelquefois, le long de F esplanade je vais jeter des lignes afin d1 essayer de capturer un monstre, un gros poisson mangeur de pourri- ture.

Ça relève le menu. Les salaisons nous ensan- glantent les gencives, et, par les fortes marées, nous manquons souvent de pain.

-*— 200 —4-

.1 .n ose dire, une l«>i-. an \ ini\ :

Vous ne sortez donc jamais «I Ici ' Vous n avez donc plus personne à aller saluer sur terre fenn<

Il m a répondu :

Je ne sortirai <jn>' les pieds en avant, l't je si .h hait.-, le Maleux, que je ne crèi e pas !

Pourquoi, L'ancien '

Parce que si je crevais une fin de quinzaine ça irai! encore, mais un commencement... tu serais obligé de me garder... jusqu'à bouillie complète!... N j aurait qu un moyen : m arroser <1 eau-de-i ie !

Je n'ai jamais envisagé cette perspective. I i m ui se décomposani au fond <!«• son trou

durant <|ii«\ niui. je ferais llamhi-r le phare,

là-haut, de t. ai- les feui de L'enfer, car notre devoir, rivant ou morl . est de brûler pour sauver msumer but place pour bien méi itet de toutes Les pati ies.

1 n joui | ai demandé nos conversations se ti atneni des semair n «I une sj ll.il»- p u

-£=• 206 %-

repas, laissant mûrir nos réflexions) comment le jeune gardien, mon prédécesseur, avait été tiré d'ici, les pieds en avant, bien entendu.

Le vieux a grogné, m'a tourné les talons sous

pr

étexte de se chercher du rhum.

Il n'aime guère causer de... Y accident...

Est-ce Y Ascension, est-ce Y Assomption ? Quelle fête se prépare !

Il fait de pâles brouillards, les lunes sont plus claires, et, de la mer, monte une odeur plus violente, une odeur sauvage que j'ai fini par démêler comme un chien sent l'approche d'un maître. C'est le rut de l'Océan, la grande marée meneuse de tempête. On ne peut pas dire qu'il fait chaud, parce que l'air est toujours cinglant, le vent hurleur, et les vagues bondissent à vous recouvrir d'une pluie salée, à vous transir jusqu'aux os quand on s'égare le long de l'es- planade, mais il fait trouble. L'eau bouillonne comme dans une chaudière, l'écume fuse par grands jets blancs, mousseux. On dirait des bouquets de marguerites.

-*— 207 *•

Le phare tressaille, vibre, semble déraper, (I abord i<>ui doucement, selon que l'on n I esplanade, ou très i île, selon f j l'on re^ la bas le «I"- de la Baleine, Ce récif noirâtre I attire comme un aimanl attire une grande aiguille <!<• fer.

El la valse éternelle s'accélère : plus l< sautent, plus le phare tourne.

( i ne me cause aucun « ertige. ( îependant, je sens, distinctement, que j«' suis le vertige per- sonnifié, et <|n< «I avoir enfin pria I habitude de courir immobile a ma perte m*1 rend !<■ centre même <1<- toutes les catastrophes.

i poi te en moi tous les malheui %,

.1 ,n chaud ii la tête, I estomac me brûle, mes jambes sont toujoui . molles comme du

coton.

I marche en rôi

I .. >i sque | allume les lampes, il n esl pas i ai que | oublie «l»- refei mer la porte à feu,

Je sais très bien que |<- \ ais I oubli x. Je com mence le mouvemenl en me <li-.mi :

-*— 208 §-

Fais attention, le M aïeux.

Car je ne me gène pas pour parler tout seul.

Et j'oublie... plutôt je crois que j'oublie, de fermer le vitrage.

Vers le milieu de la spirale, je remonte en jurant.

Devant la porte de cristal repoussée très exactement dans son cadre de ressort, je suis ahuri.

Je n'ai rien oublié, c'est la précision de mes gestes qui me manque, et je suis obligé de me tenir à l'œil... parce que si le Barnabas ne véri- fiait pas mes actes, je serais fautif tout le temps. L'orage est sur nous, l'orage est en nous. Que Dieu nous protège !

...Ce soir-là nous avions copieusement dîné, l'ancien et moi, nous pensions bien que le grand coup de torchon se préparait. Il ne fallait point ^e trouver la poitrine creuse devant tous les démons de F air. Il y avait eu un beau filet de morue grasse, entouré de pommes frites à l'huile,

-*— 209 f (lii bœuf de conserve, rouge comme du pâté de lièvre, une fameuse conserve d Angleterre Qeuranl It moutarde, et puia du dessea I noix, des raisins -«■< s, des Bgu< i.On avaif m chacun, deux livres de pain.

( )w était des hommes, quoi '.

Le rieui risqua une plaisanterie de Mmréper-

tOU

_ Ça vente ferme... le Maleui ! .!«■ parie ms lette que le konnei re nous unèners des dames.

i i épondis brutalemenl :

On ii s pas besoin de - ' roua embrouille les manomi res.

Suflit ! moi je m'entends! Peut-être bm que non, peut-être ben que oui... J ai vérifié

il d'aï i- de l'amener tout à

fait.

Voue lonc qu on ne dormira paa

I i ttr nuit '

,i - mon fi1-, qui c est un beau jour.

Il parlait tellement son langage, ce vieux loup des tombes î

On sortit sur l'esplanade, tenant un bout du filin passé à L'intérieur de la salle basse dans un solide anneau.

Malgré la précaution, on fut presque culbuté l'un sur l'autre. La mer délirante bavait, cra- chait, se roulait devant le phare, en se montrant toute nue jusqu'aux entrailles.

La gueuse s'enflait d'abord comme un ventre, puis se creusait, s'aplatissait, s'ouvrait, écartant ses cuisses vertes ; et, à la lueur de la lanterne, on apercevait des choses qui donnaient l'envie de détourner les yeux. Mais elle recommençait, s'échevelant, toute en convulsion d'amour ou de folie. Elle savait bien que ceux qui la regardaient lui appartenaient. On demeurait en famille, n'est-ce pas ?

Des clameurs pitoyables s'entendaient du côté de la Baleine, plaintes qu'on aurait dites humaines et qui, pourtant, ne contenaient que du vent. Ce n était pas encore 1 heure de mourir.

4— 21 I *-

L horizon demeurail noir, <l un noir loi <!<■ bitume fondu. Les nuages couraient se déchirer .'i la pointe du phare, el on <l«\ inail (ju il- coifferaient bientôt la lumière de leur satané capuchon <!<• \»-l"iii s.

I sérail le momenl pénible pour noua, cai [< i |..iu\ res n.i\ h es filent <!<• ce temp -là, .m-

u|». i des éclipses prédites.

II nous arrivait dea montagnes d'eau du boul de la Baleine i des u ritant, se cabrant -tu !<■ 1 1 m h- i . | i scaiadaient, prenait ni dea pro- poi ii luronnaieni des flammes

bes <!»• leur écume qui, les nuits «I i semblent éclairer.

I ne jolie clarté, ma foi, celle <lu drap

sur le défunl quand il eal entre ses quatre -

Noua avions toutes les difficultés du monde à nous tenir deboul .

I. - mil à marcher sui

mains pour plus de bûj

II avait I aapecl «1 un crabe énoi i S i doa

-#— 212 §-

bombait, ses jambes raclaient la pierre, et les pinces de ses doigts tàtaient les endroits glis- sants.

Moi, je longeais les crampons, gardant mon filin dans mes mâchoires serrées.

JXous étions des bêtes.

De surnaturelles bêtes, plus que des hommes : nous luttions contre le ciel, et moins que des esprits, car nous ne possédions plus la conscience de notre besogne.

Nous sortions de notre coquille pour flairer la mort et tacher d'en garantir les autres. Mais nous n'avions pas d'orgueil. C'était bien fini de penser quoi que ce soit de noble, nous étions trop abrutis. Et nous rampions devant la mer qui crevait de rire à nos barbes.

On amena la grue d arrimage. On pelota tous les fils, on serra les palans. Le vent s'attachait sur nous comme un aigle sur la laine d un mouton. On recevait des soufflets si naturels qu'on avait envie de les rendre. Des serpents d eau nous glissaient autour des jambes, des

-*- 2l3 -*■

langues visqueuses et froides noua léchaient partout . Quand <»n eut fait !;i dernière toilette du phare, <»n songea un peu à ce <|m se passait l,'i haut .

Dans la spirale, des burlements s'engouf- fraient, toute une poursuite de diables se tirant la queue avei des jurements, des miaulements de chats enragés.

Vers le milieu de! escalier, Mathurin Barnabas contempla la porte du fameux placard à femmes, seulement il ne <Mi rien, et ses prunelles chan- _•• 1 1 ut un Instant <!«• couleur.

Cela me fit |»lu^ d effet que - il avait plaisanté, selon -<>n méchant usage. Du moment qu'il lait de ce côté-là pour lui-même^ c'est qu il \ .i\ ait peut-être bien quelque ch

Il ae me montrait pas I endroit . il se bornait ,i - - n souvenir.

J rètai aussi, affectant de pousser la

porte, histoire de s'assu bonne ferme-

ture.

i m. mut moins exactement.

-§=- 214 «=§-

JNous continuâmes rapidement notre ascension , et nous arrivâmes sur le chemin de ronde juste pour le coup du capuchon.

Un subit brouillard noir, acre, puant le pétrole, recouvrait la vaste lanterne, et aucun rayon n'atteignait plus le flot.

Ben, quoi, fit le vieux embêté, ça com- mence à se gâter. Va me chercher les torches.

Dans les cas extrêmes, on plante des torches tout le tour de la balustrade, et, jusqu'à ce que la dernière soit emportée par le vent, on les allume.

Je redescendis chercher les torches, et je vis à F horloge que ça marquait dix heures.

On en aurait pour toute la nuit de la proces- sion.

Dans ma petite chambre du haut, ordinaire- ment très claire, c'était l'obscurité complète. On tâtonnait de ténèbres en ténèbres, et le vent vous cueillait les lanternes ou les lampes dans les mains pour les envoyer à plusieurs milles de là.

113 $-

I .. \ i.ii\ n .i\ ,ni |i< mil pria -.1 casquette,

Il craignait probablement delà perdre, malgré

i.i _i unie cérémonie du jour.

On alluma les torches ; elles filèrent par-dessus

i .1 -.m- non- demander leur chemin.

I ne minute je me sentie enlever. Le neui abattit sur mon épaule sa pince de crabe et me plia en deux .

amarre-toi l<- pied! <ju il me dit dure- ment.

Je me nouai une solide jarretière de filin et lui proposai la pareille.

II haussa les épaules.

Bon pour les enfants] grogna- 1- il.

t )n resta campé comme des statues ardentes, le phare noua cuisait l<- d<>- et le \<'ut noua gla- çait la poitrine.

Quand une gifle plua terrible \«>u- abattait

d'un côté, l«- c pagnon se relevai! de l'autre,

cherchait un nouveau flambeau.

M, n- le rent se révolta tout .'■ fait, il y eut un .•uiiji de tonnerre effroyable, le rentre de la met

-^ 21G -*-

gonfla jusqu'aux nuages et s'ouvrit sous la pointe aiguë d'un éclair durant que la foudre nous rendait sourd .

Navire ! souffla le vieux accroupi près de moi.

Nous n'avions plus de torche, nous n'avions plus de pétrole, le phare s'était éteint, et la cage de verre fichait le camp par morceaux.

Je ne voyais pas encore le navire, mais les éclairs me le montrèrent une seconde, comme en pleine aurore.

Un grand navire à coque sombre, tout debout, pareil à un cheval dressé sur ses jambes de der- rière .

Il marchait ainsi vers la Baleine.

Son affaire était réglée. Plus la peine de l'avertir. Il y avait belle heure qu'il cherchait sa fin, le malheureux !

On n'entendait ni cloche d'alarme, ni com- mandement de porte-voix, ni cris de désespoir.

Le grand vaisseau, en animal énorme, très têtu, voulait aller là... ça lui faisait plaisir. Il

<i; *-

_li-v.,it toujours deboul avec des dandinements grotesques. Il hésitai! maintenant un peu entre i f el l<- chenal.

\ « » 1 1 venir droit chei nous ! criai-je épou- vanté de la bauteur <!<■ ce monstre. Ds \<>nt nous

M i .

Pas de danger, répondit Barnabas, <l«>ni je voyais flamber les prunelles vertes i"iii à côté de moi, la Baleine barre les dessous.

El il se mil ;i rire.

L immense fantôme noir - abîma tout l\ coup. Parmi les rugissements du "vent, les grondements <lu tonnerre, <>n perçul nn fracas de planches, un abominable fracas de bois très »ec éclatant.

1 i ni le grand cercueil <jui s'oui rai( sur la delà Baleine, Puis ce fui fini, l<»ui disparut, emporté par le courant ou s'abimantaui entrailles de la mer.

La |».u\ -<<ii -m eux, bégayai-je, me mor- (l.i n t les poing

Ki sur leurs femmes, ajouta Bai n il un ton < \ niqui

L'orage s'apaisa seulement vers l'aube, e1 nous allâmes nous coucher, moulus de fatigue.

Heureusement qu'on avait bien dîné la veille.

Le poids des nourritures nous retient au rocher de l'existence, dans les occasions solen- nelles.

\l

Li lendemain, il fallu! réparer noa arai noua n'étioiu pas une de ces immenses p ni pour le transport de« corpi rivants, noua redoutiona i<»nf autant qu elles la tempête e( la foudre. I n morceau <!«• l'armature ,|(. |,t ,,,:, dea lampes, en tombanl le long du phare. aTait descellé des crampons el oureii une brèche dana la muraille.

Paul aller voir, déclara le n ieux.

Il me paru! las, inquiet, plua fatigué de la

cervelle que des jarrets. Il guettait les épaves ! .. .

Ordinairement, il prenait sur lui les corvées difficiles, parce qu il avait plus d'expérience que moi et qu il se défiait toujours de mes mouchardages, selon son mot. Peut-être ne se rappelait-il pas... :il avait bien oublié de savoir lire?] peut-être n'eut-il pas la force, rongé par fattente de ses... épaves, d affronter le vertige après la furieuse nuit qu'on venait de passer.

A ers midi, le soleil s'étant un peu dégagé du brouillard et de la pluie, j'enjambai la balustrade du chemin de ronde, côté sud. Bien arrimé par une corde qui me ceinturait, je descendis d échelon en échelon, sans tourner les yeux, car je n'étais pas fort à mon aise, malgré un bon verre de rhum au fond de l'estomac. Le vieux prétendait que le dommage se trouvait situé entre la cinquième et la sixième meurtrière, le morceau de l'armature devait avoir descellé un crampon au-dessus d'une des fenêtres bouchées à l'intérieur. .. qu'il se refusait à déboucher sous prétexte que ce serait plus long.

->- 221 *■

D i i.ii. fallait m rendre compte du dehors [•«•ni en noter !«• rapporl à la marine. I ne seule pierre arrachée de cette colonne fabuleuse |><>u \ ,m! I.i Livrer toul entière aux assauts de V( taéan, el nous nous effrondrions comme un simple château de cartes.

Pendu au Im.ii! de mon filin, je sautillais seulement, petit polichinelle tournant sa ronde autour <l un clocher. Entre mes pieds uus crispés -m les crampons, j'apercevais une étoffe de soie déployée, ou tout près <»u très loin. iii.ii- -i jolie, si chatoyante à contempler, que I irrésistible désir \<»u- venait <!<• se laisser choir dessus. Le rent ronronnait, m'entrani des cha- touilles dans le cou et dans les oreilles. Mainte- nant « j » j«- la bête hurleuse avait dévoré tout le monde, elle nom caressait, très tendre, nous demandait pardon.

.1 statai qu en effet la cinquième meur-

-I entamé I >in de son cadre de

piei 1 1 m. tenait plus En \ appuyant le genou,

I- fis tombes un moellon el tout un paquet de

gravois. La grille de la croisée n'avait pas trop souffert, mais derrière les barreaux sa loupe de verre s'étoilait de plusieurs fentes. Ma reconnais- sance terminée, je n'avais plus qu'à remonter, tirer sur le palan et écrire mon rapport.

J'ignore quel démon me tenta.

Je descendis à la quatrième croisée du phare. Celle-là se trouvait presque au milieu de l'édi- fice. C était... l'endroit mystérieux.

Pendant que je descendais, tâtonnant, mettant les doigts dans tous les trous suspects, la mer semblait monter, plus bleue, plus verte, plus changeante et attirante que jamais. Elle se rou- lait sous moi, l'air innocent, me lançant des regards de pucelle. Au dernier crampon qui dominait la quatrième meurtrière, je me penchai, tendant les bras pour atteindre le suivant. Ma corde fut trop courte.

J'aurais m'arrêter, la curiosité, une curio- sité malsaine, me donnait des nerfs. Je voulais m'instruire, parce que, ce jour-là, exception- nellement, j'avais le droit de m'instruire. Je

-*- 223 -8-

fai -.11- ni' et, si j \ mettai - du /■■!

ne pourrai! pas m être i epi oché.

I.i \ ieui ronfla il dans la -.ill«' ba

Il n.- m douterait <1<- rien.

h ailleurs, mon amour- propre m- me permet- tait plu- de reculer.

Bravement, '(<• détachai ma ceinture <!<• corde, nioiil.ii autour <l<- mon poigne! pour me \ i i un poinl (I appui en cas <!<• \< i cl je me courbai vers le fenêtre, mon front juste à l«< hauteur de l.i n itre.

\l<>!>. je lâchai la corde <-t je poussai un < i i.

.1 .i\.)i- \ u. oui, | ,w,w- bien ni... den ièi i I étroil miroir de verre, une autre tête que la mienne qui nu regai dai( !

.1 dei m ii nu iiht.ini colle contre la muraille, les cheveux droits d'épouvante, les paumes mouillées, me maintenant par miracle.

.!• devais me m >mpej . i •' pouvait

être !<• |" esible.

-*- 224 -4-

Sous le grillage de fer, le cristal, intact, s em- buait. On eut dit qu'il y avait de l'eau à l'inté- rieur de cette fenêtre-là.

C'était comme les parois d'un aquarium nagerait le monstre rare.

Mais un y voyait assez, tout de même, pour découvrir une longue chevelure éplorée, blonde, décolorée, presque blanche, entourant l'ovale d'un visage horriblement triste, un jeune visage de femme contemplant la mer de ses yeux pleins de larmes.. .

Comme le soleil frappait sur ces yeux, ils brillèrent...

J'eus un étourdissement, et je me laissai aller, lâchant tout.

Je me tirai de l'océan sans trop savoir de quelle façon. Je suis bon nageur. Seulement, dégringoler dans les courants dAr-Men, c'est dégringoler dans la mort. Je filai au fond, je touchai le roc, puis je remontai, ne pensant plus du tout, je vous jure, à la femme de là- haut. Je redevins un brave animal d'homme

qui essaye de se sauver, el je me à

1. 1 iii*- . tantôt dessus, tantôt dessous la i

m efforçant de tourner dans la giration naturelle

(lu courant, n espéranl |>.i- ai and ch< i

.1 atteignis le l».i- de l'esplanade, et |<- fua roulé

sur I.) pente, repris, relance par I eau <jmi jouait

moi comme avec un bouchon.

Si la mi ' ai ail été plus \ Iolente, elle m'eût

mis i n moi •• aux, mais elle n i nail de Faire la

elle semblait fatiguée de tuer <lu

monde.

Je me retrouvai pn sque debout devant 1 esca- li- i ii- -i d .

Uors mes dents claquèrent .1 eus un frisson, etombai sur les dalles \ îsqueus( 5, n ayant plus m. i connaissance.

I \ teui m Qu( Is oins, mon Dieu I

.l< passai buit jours an lit .

II m'avait ramassé au boi <l <lu roc, ne compi i - liant |».t" pourquoi j étais étendu là, tout mouillé, paquet <!•• linge n >\ tant de l-i lessive,

La corde, pendant du chemin de ronde, lui expliqua la moitié de la vérité.

Ben. fit-il, durant que je rouvrais les yeux, ça t'apprendra, mon garçon, à les choisir trop courtes.

Il me donnait des grogs dans lesquels il four- rait du poivre, un remède infernal, et il y aurait ajouté volontiers un peu de pétrole pour les oorser en goût; seulement, moi, malin, je refusai de boire. J'avais peur de lui, une peur folle.

Il était celui qui guérissait des femmes !

Le médecin ne pourrait me visiter que lors du passage du Saint-Christophe. On ne saurait donc rien ni de ma maladie ni de mon probable trépas.

Et je me résolus à vivre coûte que coûte.

Un matin, je me levai, je fis mon service du mieux que je pus.

Le vieux me regardait, Fair moqueur :

Te voici gaillard, eh î eh !.. . faut toujours

4— 227 -4-

sauver -a peau, même quand on n .i j».i- de che- mise. . .

Il plaisantait, tournai! autour de moi el parais- Bail meilleur compagnon. Du grand navire perdu, pas mm moi.

Les épaves demeuraient invisibles à I horizon, el les noyés heureusement pour moi avaient depuis lonj Le \ ieux, tou-

jours à I affût, son harpon dans la main, ne par- lait pas des belles filles recueilli»

Chose étrange, le souvenir de cette tête entrai ne den ière la i itre d'un hublol - efl peu i peu de mon cerveau fatigué par l'éternel bruit du rent. J<- pensais avoir mal vu. des hallucinations, no rêve continué tout éveillé. i eu t.nit de rudes émotions la nuit du naufrage! Pas étonnant sij ébattais l>» camp I n reflet bizarre de soleil, le jeu d'une ombre antre les barreaux, mon propre -

mirant I nne heui lis |>lu- nerveui « j m

de coutume, surtout éreinté par tant de manies i idi< mU -

-§«■ 228 #-

Puisque je voyais des femmes dans tous les coins, le mieux serait den aller chercher à Brest, on les trouvait plus réellement.

Et ce fut, après ma maladie de langueur, une indomptable résurrection de ma virilité.

On héla, du phare au Saint-Christophe, que le second gardien sortirait.

Ma pauvre vieille, répétait le maître de la chauffe, ma pauvre vieille, ça ne va donc pas?

Notre officier ajoutait, d'un ton sévère :

\ous avez mauvaise mine, le Maleux !

A Brest, je ne reconnus pas une rue, que je connaissais pourtant bien, parce qu'on avait achevé ses embellissements, des tas de maisons neuves construites depuis mon dernier voyage.

Il me semblait que je revenais sur terre après ma mort.

Les gens avaient des habits singuliers, les femmes delà belle société portaient des manches énormes, comme des ballons, et je les avais lais- sées ayant encore des bras normaux.

-H» 229 *-

Du côté du Minoii, à li fine pointe de Brest, I auberge-mercerie était louée à deux cabaretien mâles qui paraissaienl plus ivres que leurs clients, de sales rôdeurs mal 1 êtus .

.1 entrai, je déjeunai el je demandai des nou- velles des anciennes propriétaires de ce cabarel I" >i me,

\h ; b mère Bretellec, elle a rentré en \ ille, > a mis fruitiè

El la petite M

La petite liane.. . -.1 serrante

.Non. ia ni

Nous ne connaissons point

I ne fillette brune, insistai-je, l<- coeur dou- loureusement &

Ben! Elle aura peut-être mal tourné. Il- se mirent à rire de mon air confu

C'est |><»iiit -1 rare, que les filles tournent mal,

.)«• me retii ai, n 1 «ant pas en <l< manderdai m-

.1 et omme un chien

.^m 230 —§-

gite. Je possédais de l'argent, assez d'argent pour boire des consommations de choix, et je bas.

Je choisis un grand café du côté de l'Arse- nal, un café très chic venaient des officiers galonnés.

Je me fourrai derrière un pilier, un beau pilier habillé de velours rouge et couronné par des crampons d'or, histoire de suspendre des chapeaux. Bien respectueusement, j'y accrochai mon béret, puis je sortis ma pipe, je fumai longtemps, face à face avec mon absinthe. Je m'entourai de nuages, et la nuance verte du verre me donnait une impression bizarre : j étais devant un aquarium rempli d'eau trouble, un visage mélancolique passait derrière les parois opalisées du cristal.

Pour que la vision demeurât plus longtemps sous mes yeux abrutis, je remplissais le verre très souvent. Puis je changeai la nuance de l'eau, je mis des liqueurs groseilles, des eaux-de-vie brunes, des marcs blonds, aussi de temps à autre,

pour imiter an nuage ou du brouillard sui I en-ciel, un peu <l<' la cendre <l<- ma pipe.

La nuit tomba, Il 3 en( des éclipsas.

1 dm in>u\,n au pied du phare qui était il, \i nu (ont rouge, nn phare sanglant couronné A Brosses pointée d'or qui me menaçaient comme dee doigta en cornes; j'essayai <!<• grimper pour prendre mon béret pendu à I une de ces cornes, non, jamais je ne pourrais I at- teindre '.

II.» ! Hisse I Ili-M' en haut ! .!< peux pas, nom uV nom !

El je faisais le geste de tirer sur !<■ palan de led'arrimag I garçon me poussa dehors, après m'aYoir extirpé une forte somme. .'< m'en allai, chantonnant Le refrain du père Barnabas. Pas beureux, pas malheureux non j>lu-. ne pensant ni ;mv promises, ai aux filles. .'<• m en

allai, ruminant des imbécillités.

Est-ce qu'il fera beau demain? Si je m'ache- tais du Baron ' Ce quelle '/"if s'embêter derrière la ri/rr. la télé ,!,■ in mer!.,. Pas moyen de

grimper... mais quelle noce quand on la des- cendra ! Mazette ! Y se met bien le vieux ! Des demoiselles blondes dans la prison de la marine. . . que le diable en prendrait les armes! J'en aurai le cœur net... faudra voir.. Jean Maleux, marche droit ! Je te le dis, tes sous la chance.

Malgré moi je quittais les quartiers riches pour gagner les petites ruelles derrière Y Arsenal. Je connaissais la route par cœur, pour lavoir faite jadis quand je revenais de caboter avec le capitaine Dartigues.

J'étais donc jeune, alors, que j y mettais plus d'entrain ?

Je restais jeune, seulement la mer m'avait imprégné jusqu'aux moelles de sa mélancolie, surtout depuis le jour j'avais failli sombrer en elle, corps et âme.

J entrai dans une maison dont la porte, grande ouverte, baillait comme une gueule de loup féroce.

A l'intérieur, c'était tendu de rouge. Le rouge

4- 233 -s-

me poursuivait, piquant mon regard di milles aiguilles trempées dans l<- vinaigre. .1 i n avais bu et j <mi rencontrai but les piliei d<

sur lec robes des dames, dans lea lanl des roi tares, maintenanl l<- long des murailles. 1 if doui à toucher, c'était tiède, c'était bon.

.1 entendis des \ oix chuchoteuses. ( m m'ap- pelait : beau brun. J'étais plus habitué à tant de politet

le roulas ôtei mon béret, et je m'aperçus que je l'avais perdu.

I >es tas de grosse - filles se moquèrent de moi, que je cherchais mon béret : elles me boni raient, me pinçaient, me tapaient dans l< dos, me Faisaient monfc r, descendre. ( Se que je I' m fis, je n en Bais rien ' La patronne se fâcha •I me jeta dehors.

.1 entrai comme ça dans plus d< cinq maisons qui, toutes, ouvraient des grandes gueules n pour me happer, et, dans un cabaret, des mate déjà terriblement saouls, m'invitèrent à boire dai antag

-$s- 234 =Hr

II s'agissait du Marceau, un cuirassé prenant la mer, et nous chantâmes des complaintes lugubres en son honneur. CTest-y la mer qui le prendrait ?

Je voyais filer à toute vitesse ce grand cheval noir de navire qui s'était broyé sur la Baleine, par le travers de chez nous, et que les autorités essayaient de repêcher du côté du Fromvheur. Pour son équipage, personne n'en causait plus.

Des idées formidables me tenaillaient le cer- veau : faire la guerre à la mer, étrangler la mer. couper sa tête.

Je serrais mon eustache sous ma ceinture. Je voyais du rouge couler du plafond de la salle nous buvions.

De nouveau, dans la rue, lâchant les cama- rades, je festonnais, battant les murs. Ça tour- nait dune façon vertigineuse. Plus aucun bec de gaz, plus de lanternes de voitures, plus de phares sauveurs. Je n'arriverais jamais nulle part cette nuit-là.

On entendait s'éloigner les chansons, les rires.

4— a35 ■"§■

ris. .' étais dans mu' petite ruelle infecte, marchant dans une boue raseuse, sentant !■« marée, une petite nielle du côté, je pense, des bastions de la \ NI»-.

Je dm la rappellerai toujours cette petite rue- là. . . quand j«' <1<\ rais « i\ re cent ans

Elle se !i"n\;iii tellement étroite, tellement sombre que Ton n'\ aurait point reconnu -<>n . même <mi plein jour. Là-haut, tout là-haut, les toits des maisons semblaient se rejoindre. I n ruisseau clapotait, provenant bien sûr des us I on radoube - - <>n s'en doutait rien qu'à ses odeurs ces trous <>ù l'on jette plus de chats crevés que <!<' pelures <1^ pommes.

aussi des portes s'ouvraient, se fermaient, happant les promeneurs aocturnes, seulement lès maisons étaient moins luxueuses, et, dans quelques-unes, des lill<> exploitaient les pauvres matelots, sans garantie du gouverne- ment .

i lais pas pourquoi, j'eus peur tout d'un

-§— 236 §-

coup, une peur inexplicable. Je serrais mon cou- teau, je serrais mon couteau, en pensant mar- cher à la bataille.

Toutes les caresses des bonnes putains, là- bas, parmi les fleuves rouges des étoffes, ne m'avaient ni apaisé ni dégrisé: tout le tapage des joyeux compagnons, les marins du Marceau, me restait au fond des oreilles comme des bruits de guerre. Contre qui, contre quoi fallait-il s'armer, se battre ?. . . Et très loin, très haut, plus haut que les maisons se rejoignant dans les ténèbres, girait un phare électrique dont les rayons blancs fouettaient le ciel de fouets livides m'éblouissant sans éclairer ma route.

Le plus étonnant, c'est que je me croyais en mer. J'allais au phare à'Ar-Men, je me dirigeais vers la Tour Amour, et je traversais l'océan à pied, n'ayant plus besoin de membarquer sur le Saint-Christophe. J'entendis qu'on marchait derrière moi.

Un trot de souris. Le pas de quelqu'un qui se dissimule.

*- a37 -«-

( ! est le î leui . que je me '

a .i\.nt aucune raison de songei au rit ux, puisque c était uni femme. Elle me posa la main but la manche :

Petii homme, <ju elle me «lit ! .1» rus envahi |>-n une colère folle :

Petit homme \l«>i Jean le lialeui .1 en raux bien troi pour l< .1 je m< suis batte avec la mer, Fau( pa - me traiter de petit homme. . . Je rei îena de trop loin !

I- 1 fille, peul i h [se <\u<- moi, peut

part i que ru. - paroles lui rappelaient un son de roix déjà entend ipita bru qu< -

ment dans m< rrippa telle une

" à mes épaules el me baisa ur la bouche d un long baiseï . suceur, abominable, puanl !<• musc.

Toi, tu n i mbrassenu plusjamaispei k >n I t fini de i u e, al( _ u< a

I je lui plantai mon couteau dans le renti

cille tomba Je » tntinu ii mon chemin, ne

238

me retournant même pas, marchant d'une enjam- bée plus ferme, plus digne, enivré d'un grand orgueil.

Ben, quoi ? J'ai tué la mer !

XII

FIhcom un cauchemar ! que je pem j durant des semaines, Ifaîi la disparition de mon béret me tour- mentait. J'araii perdu mon bérel <lam ma course à braTen lee rues chaudei de la ! villr de Brest, ef puérilement, limant toujours le bouton de m.» resti «l" il me

faudrait en racheté! on sutre ou.,, roir nîr 1 ancien chei doui . rapporté par la poli

Ça, c'était une preuve contre moi.

Je n'avais probablement tué personne. Les filles sont habituées aux coups de couteau des galants de la mer...

Celle-là vous embrassait comme la petite Marie. (Encore un rêve? Comment la petite Marie, ma promise, aurait-elle pu se transformer en fille pour...)

Je ne ressentais ni chagrin, ni remords. Je ne pensais, ni n'agissais plus de mon plein con- sentement.

Puis, jetais pris de boisson, cette nuit-là...

Mon béret ne revint jamais.

J'en fis acheter un autre.

Et des semaines, des semaines coulèrent, des mois. Noël, Pâques, l'Ascension, l'Assomption. Je n'entendais point leurs cloches.

Le Saint-Christophe passait, sifflait son appel à la vie devant la maison de la mort.

Je ne répondais pas, las d essayer de vivre.

.Nous demeurions les deux ours en cage, le vieux et moi, parlant juste pour le besoin du

-H 3<i H- service, doua cachant n<»- manies secrètes, lui. déclinant peu à peu rers sa fin, car il n'étudiai! même |>lu- I alphabet, moi farouchement i eoonquia par d'infei nales habitudes.

( )n mangeait, on buvait, se n montant comme des horloges tous les matins, excellentes n niques de I aurore au crépuscule, et se détra- quant toutes Les nuits, après Les premiers jets de feu du phare.

Un faisait son devoir d'éclairer !<■ monde... eu aveugles.

Le devoir, c'est une manie, La plus terrible des manies, car on .1 confiance <-n elle. On ima- qu elle roua sauvera .

La ►nscience tl<- mon crime n<- me rentra au rentre que Le joui- Le rieui «dut but I espla nade, ken rassé par nn mal Binguliei .

Il l'uni, ni -.1 | » 1 1 » - tout debout, le dos contre la muraille du phare, les p mouillant

dan I écume qui déferlait rageusement jusqu à

lui

m m Le parapet

242 —§-

du côté nord, et je le regardais comme étonné de le voir si grand.

Depuis que je ne lui adressais plus la parole que dans les occasions solennelles et que j 'avais réparé seul notre brèche de la cinquième meur- trière, moyennant le ciment envoyé du Saint- Christophe, il semblait me conserver rancune.

Mais il restait toujours vaillant à la besogne, les temps de bourrasques ; d'ailleurs, il m'avait garé du vent le soir du navire en perdition... et on s'estimait.

. . .Quel navire ? Je ne me souvenais pas bien.

Tous les navires se perdaient par chez nous.

Nous habitions la Tour d Amour !

Mathurin Barnabas était grand, maigre et grand comme le phare, il ne se voûtait que pour flairer les épaves.

Sa figure blafarde, son nez camard, ses yeux sanglants qui pleuraient, maintenant, des espèces de glaires lumineuses, son haut front chauve, lui donnaient l'aspect d'un fantôme de chrétien, un matelot péri au loin qui revenait pour tor-

-*- 243 -f-

tarer les antres, car on I arail faire sombrer trop k6t, un boulet am chei illes, histoire de - en débarras» 1 .

Il fumait, crachotant le long de ses habits tellement sales, tellement déchirés qu'on respi- rait, près de lui, une odeur affreuse.

Il puait l<- cimetière.

Moi, j<' continuais à me tenir propi e. Peut « 1 1 e bien que je m aimai 1 1 ncore un brin. Lui limait plus, n simail plua ses compagnons, n aimait plus les noyées. Il guettait seulement la renne de la nièi e mai ée... celle «jui appoi te le d( i nier mu ire pour le <l«i nier voyage enti e les quatre planches. Je calculais <ju il pouvail bien ,i\ oir la soixantaine.

Peut être ben que <>ui ' Peut être ben que non! m .un, ut-il répondu, ^ il ;i\.iii bu encore

[Mil

Mais* il ne proférait plus que des sons

butai res, I porc saui âge qu'on

mprenail tuait d'un

-*- 244 ^

Il fumait.. .

Tout à coup il s'abattit, le front en avant, sur les dalles de lesplanade toujours glissantes, et il allait gagner le large.

Père Mathurin ! Eh! père Barnabas!... Je le relevai, le prenant à bras le corps. Je

le trouvai lourd comme du plomb.

Ses jambes ne remuaient pas, tendues, tirées par des cordes invisibles, ses bras mous ballot- taient autour de son corps, n essayant pas de chercher un appui. Seule, sa tête vivait, et ses yeux, ses pauvres yeux abominables, lancèrent une lueur verte.

La barque ! dit-il distinctement.

Quelle barque, père Mathurin ?

Moi aussi j avais maintenant envie de parler.

Je tremblais de tous mes membres.

Je l'accotai au parapet, je courus chercher une fiole d'eau-de-vie et je le fis boire.

Ses dents, très serrées, brisèrent le goulot de cette bouteille, il avala autant de verre cassé que de liqueur.

-J— 245 «-

Voyons, père Barnabas, faut |>.i- se lai

: sans les sacrt menl I s \inl-Chris- tophe eal venu bîer... il ne repassera que dans quinte jours. Que diable. . roua m'entendez, bein ?

Il lii signe que «.ni. hocha la tète el eut, cela m étonna. -<»n rire <\ nique des temps à\

.1 usera .m soir j<' m évertuai ;i lui ranimer les jambes. ( ! était pis que des morceaui de bois.

La parai) sie, probablement.

.1 avais encore de l'espoir, rappoi 1 à la tète fjni continuait à \ irer sur son cou, Je lui enfonçai tsquette, le recoui 1 is de -.1 \ ieille couver- taure de lit sentant l'huile <!<• poisson, et je le quittai, une heure, pour allumer les lampes là- haut.

Iji montant la spirale, mon cœur battait foi (. Je me n >ui enais de sa phras

Souhaite, le Maleux, que je De meur< point «lui. mi I été, après le passage du rai itail- lenr. ..

-*- 246 -*-

Et je me rappelais aussi sa drôle de recom- mandation de l'arroser d'alcool.

Enfin, quoi, il n'allait pas pourrir quinze jours à côté de moi. lui qui pourrissait déjà au fond du charnier de son âme depuis tant d'années ?.. .

Ah! bien non. je le jetterais plutôt dans F océan.

Cas de force majeure, n'est-ce pas ?

A la mer comme à la mer !

Lorsque je redescendis, je le retrouvai couché, bien sage, ne remuant ni pieds ni doigts .

Ses yeux se fixèrent sur les miens, affec- tueusement, d une couleur toute tendre, il me dit, d'un accent que je ne lui avais jamais entendu :

Mon pauvre Jean, je suis fini.

Ce fut comme si mon père, mon vrai père, me parlait.

Je me mis à genoux près de lui, pleurant et oubliant mes réflexions égoïstes.

-*- 24: -+

Ben non, o^est pas une raison, I ancien,

pour roua effrayer, vot jambei >► « » f 1 1 roua

-mi . ( )n n 'est paa lini pour une chute, un

-iiiipl.- étourdissement. \ votre âge... on se

frappe, mais... quoi, je Buis | > » 1 1" roua

_ Qer, . . On ue se parle guère. .. mais on se comprend, mon pauTre rieux. Le malheur noua Lient depuis longtemps les m. nu- L'une dans l'autre.

Il essaya de se remuer, retomba, racla la pierre glea et <ln boni de sea bottes.

Paul me mettre aur mon lit, mon gars, dit-il de -.1 N<>i\ <!«• plua '-n |»lii- claire, el m»' frotter aTec «lu pétrole. I n bon remède. Faut (oui essa] er. Je tiens point & te laisser dans l'embarras, !«■ Maleux.

Il songeait à mon embarras, lout près de sa propre moi I .

.1 fus si louché <|u<- mes larmes ruisselèr< ut.

Mon cour i i eyait .i\ ec lui.

Dame, on srait reçu bientôt ail ans en- semble.

■S- 248 -#-

Ennemis ? Non ! Seulement étrangers.

Père Mathurin, dites-moi ce qu'il faut faire. Je vous obéirai.

Je le traînai, ce grand cadavre qui causait, retrouvant la vie de la raison, et je le plaçai sur sa couchette, en face de notre foyer.

11 voulut boire, je lui offris du vin.

Non, fit-il. donne-moi de l'eau... 11 en but deux gorgées.

Elle est amère, l'eau, murmura-t-il. Est-ce quelle est toujours comme ça ici?

Lui n'en buvait jamais.

Elle est douce, père Mathurin... d'ordi- naire. Voulez-vous du sucre?

Non. merci.

Et ses yeux se fermèrent un instant.

Il avait dit : merci! Je ne savais plus quoi inventer pour le remercier à mon tour de se montrer brave homme.

Ce n'était pas sa faute s'il était si sale.

Ce n'était pas sa faute s'il était si méchant.

Quelque chose avait passer sur lui, 1 étei-

niant, el riaçanl la meilleure rigueur de son lang

Le pauvre. . .

Son grand corps, étendu an milieu de notre Balle basse, paraissait s'écraser bous l'énorme colonne «lu phare

< m r.i\;iit muré là, el il portail l«- Lourd flam , de toute la demi» de sa poitrine

(1 bomme.

Maintenant ma poitrine, plus jeune, .ilhiii i. mplaoer la sienne, el je sentais déjà le fardeau m accabler, Bans <l ailleurs aucune idée de me devoir.

Quand <'ii reste longtemps à la m< me place, <»n aime 1'endroil <»ù l'on souffre. C'est |»lu- natal el crue «!<• chercher le l>< mheur.

I pensai <|u il voulait dormir el j<- \ ins .mi ei une pipe lui I esplanade

II faisait une belle Boîrée d'automne, en sup ni qu on | » i j i - - dur que la mer esl belle

quand elle I rouge, toute teintée par le soleil couchant, comme pai la fureur d'un in< endie.

-^- 2 00 ■»§-

Les vagues ondulaient, grosses, opulentes, dans un tel luxe de soieries et de bijoux quelles offensaient notre misère. Ah ! les gueuses, les gueuses! Tous leurs petits ronrons de chatte, leurs cris de lionnes enragées, leurs danses de comédiennes et, pour finir, les torrents de sang et de larmes ruisselant au tour d'elles sans paraître les salir. Belles de toutes les libertés que les hommes prisonniers de leurs volontés sont obligés d'admirer de loin !

On veille sur elles et elles avalent les grands navires ; on leur confie sa destinée, et elles vous noient entre leurs seins mouvants.

Cela jouait, se poursuivait, hurlait des mots obscènes, ou chantait des cantiques, mais cela, par-dessus tout, vivait de la mort des autres.

Une odeur de marée entrait chez nous avec le vent pur, une odeur impure, acre, gerçant les lèvres qui en goûtaient la saveur excitante, fendant la peau de rides précoces, emplissant les regards du sel dont on fabrique les larmes de désespoir.

251-4-

L i mer était belle, la mer dansail au soleil c -H. h, mi. .{ relevail sur Les marchea de I i Lier <lu phare ses frangea «I écume comme une fille exhibe Bon Ling

Bientôt noua aurions besoin »1«- Linge, en effet, el |«- pensais que nous ne possédions poinl <!•• <li;i|> neuf pour mi Linceul décent.

Le Maleux

Je 1 1 1 « - retournai.

Le père Barnabas -t'-t.iii presque dressé sur son lit. Il devenait plus pâle, el ses yeui se creusaient borriblemenl dans sa face li\i<l«-.

Jean, tu es un bon compagnon, quoique ben jeune pour tolérer ça... Jean, faut t<»u( prévoir... .!«• peux sombrer... Je sens plus mes

>ux.., taie \ « »u le cœur. . . Est-ce »|ii«- ça bat touj< m Je lui touchai la poitrine.

Vous êtes fou, l'ancien. On ne meurt poinl <l une attaque. . il en faut trois I > ail- lent - mettre un i\ illon « a L> i n<

un.' Lu qu

-§■- 232 =§-

Il tressaillit douloureusement.

La barque ! La barque ! répéta-t-il.

Quelle barque, père Mathurin ?

Il se pencliait pour regarder la mer. semblant guetter réellement une voile.

La mer dansante ne faisait danser personne.

VTà que ça le reprend! soupirai-je.

Je le veillai, immobile à côté de lui. les bras croisés.

G était l'agonie qui arrivait. Il ne verrait point la troisième attaque, et je resterais en tête à tête avec un cadavre, cette fois, tout à fait mort.

Quinze jours... sans pouvoir l'enterrer !

Mon Dieu, dis-je tout haut, protégez- nous !

Dieu nous protégeait visiblement, car il nous faisait grâce de la tempête. Là-haut, les lampes flambaient tranquillement, durant que le gar- dien-chef coulait sa dernière huile.

Vers minuit, comme je descendais de la lanterne, le vieux me sembla presque bien.

1 53 -*-

mirent à me chercher, el -.1 \<»i\ l'adoucil :

Esl «oc que ce sérail de bonne amitié que tu me rendrai* un sen ice, le Ifaleui

Je in assit rai -«>u Mi. ,-t |t- ,„,}m du Iront.

T'aurai j».j- peur

J ai plus peur de rien, déclarai- je d'un ton An.

Alors.. . \.i m<* l.i cherchai . .

Je fui debout, tout de suite, «•( je m'écriai :

Oui La femme

Oui. la femme, puisque tu l'as rue...

le frissonnais de tout mon corps. Il n'étail pat fou . . je h était pas fou. ..

Nom avions tué chacun nne femme <ju.- nom aimions, étant Ivres, on d'amour <>u d.-

>in. ..

Mon crime, demeuré enseveli an fond «l.* ma conscience . 1 ssuscitail . el je retrouyaia la preui <• «lu mien ^ se la certitude du Bien.

Pèi Barnal ls..« excuses-moi 1 ai 1 1 u

voir sa tête... un jour d'y a longtemps, derrière la vitre dune des meurtrières...

Tu es jeune... tu ne comprendras pas... c'est des appétits de vieux, et puis... autrefois... la vivante... elle m'avait fait cocu... J ai jamais pu aimer que celle-là. par orgueil... Faut aller me la chercher, et tu la jetteras dans la mer quand je serai fini.

Il m'indiqua la poche de cuir de sa cein- ture, qui ne le quittait jamais. J'y puisai une clé toute chaude encore du contact de sa chair.

Il me fit un signe.

Mais j'étais déjà parti. Je savais bien le chemin.

Je montai, m appuyant au mur, suffoquant et tendant ma lampe bien en avant comme pour me défendre.

Vers la moitié de l'escalier, je m'arrêtai contre la porte mystérieuse.

Oh ! pas plus mystérieuse que les cinq portes aux cinq étages de la tour.

Je posai ma lampe et j introduisis la clé.

» 1 1 n nt très doucement.

,..De la poussii n . un peu de table, di sable fin <|in pénètre partout, si blanc, si fluidV Pu de femme I tucun cadavre, aucun qui I seulement, sur l'appui de la fenêtre, juste devant la loupe de ferre, roilée d'une buée rerte, une i trange plante dana un pol de cristal, un lai gi l„,t l'on met des gros fruits à confin ... et les poisons, chea les pharmaciens.

( lette plante s'étalait autour «lu pol en luxu- riants rameaui blonds, était onctueuse au lou- cher, très pareille à des cheveux.

Retournant le bocal, je ria fa léie osciller ment, ci ses yeui ridea s'emplirent de tueurs, s'il isant à travers I alcool.

|( jetai ma reste sur elle, |><"»! ne plus ren- contrer ses \'U\ <'ii I emportant.

...Le rieui caressa, de ses larges pinces w i |,,|M . i ette chevelure fusanl «I une rondelle de . puis M dit, Krès dis- tinctement, durant que je me cachai la ngur< dans ses draps .

-5— 2ob «*5-

Ben quoi, petit ? Fais pas l'enfant !... Elle a été belle. . . je t en réponds, elle ne 1 est plus. . . mais c'est que tu n'as pas connu son corps... Aucune autre créature n a été si bonne pour moi, le pauvre bougre abandonné... elle est venue comme un ange quand je me rongeais les sangs attendant la marée montante. Elle est venue suivant une barque chavirée... morte à peine depuis deux jours, pas enflée, pas verdie, toute jeune la pauvre garce... et vierge... une demoiselle riche. Elle était accrochée par ses cheveux au gouvernail de la barque... des che- veux plus blonds, plus épais... (je lui en ai pris deux touffes près des oreilles, je les aimais tant...) Ils avaient encore un parfum de fleur... des fleurs de la terre... je lai gardée une lune... puis j'ai coupé la tète... pour mon dessert d'amour. Oui, bien bonne, bien douce, bien complaisante ! Cependant, elle m'a fait tuer quelqu'un, celui d'avant toi, un garçon sen- sible qui, rien que de l'avoir aperçue, s'est sui- cidé. Il s'est guéri, quoi! Maintenant... faut la

rendre à l'Oa an ( lai je suis jaloux. \

Je me relevai : tout courant, j'allai précipite] du h.iui des eaoaliei - <!«• l'esplanade I bocal se bi isa, rendant un Bon sinistre de \ itre éclatant sous on poing, el la tête, enfin libre, sombra au |>ln- profond des abîmes.

Quand je rentrai, le vieux riait d'un rire presque paisible, ses puissantes mains p bien à plat sur -il poitrine, et il ne respirait plus.

Lui - j î était guéri !

i récitai la pi 1ère des morts que tous les s de mer, qu ils croient «-n I Heu ou qu'ils se donnent au diable, tarent |>;n- cœur.

i î i Itai la prière des morts dans ma grande solitude peuplée de fantômes. . .

I M bout de trois jours, je I arrosai de pétrole.

. .!>• cinquième jour, je l'entourai de tous ■bits, et je le cousis dans ses drai tiquement.

,..Vera le huitième jour, ne mangeant plus,

-S- 258 -*-

ne buvant plus, je m enfermai chez moi, je bouchai la porte de l'escalier, et je passai le temps au soleil, sur le chemin de ronde.

Mais il fallut descendre pour chercher des pro- visions de torches, en cas de grain.

Le long de la spirale, c'était comme l'haleine de la peste.

Le courage me manqua. J'eus l'idée sacrilège de le lancer à l'eau, bourré de limailles et de plomb.

Non î Je ne devais pas... il avait encore bien besoin de prière. Je ne devais pas...

Je 1 exposai, comme un ballot, dans le coin nord de l'esplanade.

Ce supplice dura les quinze jours prescrits.

Des vers grouillaient, gras de graisse humaine, sur le ballot...

Navire ! . . .

Je hurle, je saute d impatience.

C'est le Saint-Christophe .

On m'envoie un camarade, le remplaçant des jours de sorties.

■*- 259 «■+ El lea autorités débarquent : un officier tout galonné, I air sérieux, le commandant, Leméda in efl I«' prél

I palan lei amène an à un, <1 abord comme des petits pantins ridicules, inanité, les pieds sur les dallée <lu phare, ]>lu- grands, plua solen- nels.

Tontes ces figures de compassion m'émeuvent, efl j 'ôte mon béret, bien honnêtement. Je rais un criminel devant ses juj Je m'explique et je pleure.

\llun< : allons! le Ifaleux, fait L'officier, \<ni- êtes un brave garçon.. , \<>n- avei eu «lu courage... oui... une terrible situation quinze jours an large, sans un aide. .. Vous sera récom-

II parle pendant une benre. Les oreillei

ut. Il non- réunit autour de i e ballot qui pue et nous apprend que ce fut un bomme...

Ti ente am de sei \ ices '. I n Luron, mes amis. Que Dieu .ut son .une. Vous, le llaleux, roui 1 1 'il.'i gai 'li' a-chef

-g— 260 «#■

Le curé s'agenouille.

Nous pleurons tous.

Et ils s'en vont, d'abord solennels, ensuite petits pantins pendus au bout du fil de la pro- vidence.

Ho ! hisse ! hisse en haut !

>»ous halons ferme, mon aide et moi, ragail- lardis un peu par une goutte bue et trinquée avec les patrons.

Je suis nommé gardien-chef.

Marie, ma chère petite Marie...

Devant Dieu, s il m écoute, je jure de ne jamais revoir la terre.

Mil

Alors, comme j*ai peur, moi aussi, d ou- blier I alphabet, je me suis mi mon histoire sur le grand Livre du phare. Je men- tionne Les ii;in ires perdus, les barques de p< i fit Le renti e en I air, et, un à un. ton s mes souvenirs d amoui qui sombrent dans I èU rnelle h ist(

Mais je fais mon devoir malgré moi.

.1, demeui e solide au poste.

-§==> 262 e^T

Lidée fixe du devoir, c'est le commencement de la folie.

...Et je suis fou, car je n espère plus rien, je n'attends plus rien... pas même la belle noyée de la marée montante ! . . .

SIBLIOTHECA

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