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BIBLIOTHECA

SAINT-GEORGES DE BOUHELIER

LA TRAGÉDIE

DU

\0HI1I CHRIST

PARIS BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11

1001

J

LA TRAGEDIE

Dl

NOUVEAU CHRIST

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

La Route noire (roman) 1 volume.

Eglé ou les Concerts champêtres (poème) . . Les Éléments d'une Renaissance française. .

L'Hiver en méditation

Discours sur la Mort de Narcisse

La Vie héroïque des aventuriers, des poètes,

des rois et des artisans 2

La Résurrection des Dieux 4

DIVERS

La Révolution en marche 4 broch.

L'Annonciation 5

EN PRÉPARATION

Les Esclaves (drame).

Le Livre des Lois (poème).

Les Métamorphoses de la terre et du soleil (poème).

La Fête de Belleville (roman).

L'Ouragan dans les hauteurs (roman).

Le Printemps des Héros (études).

Charpentier et lavenir de la musique (étude).

Essai sur le théâtre, le drame et l'acteur (étude).

SAINT-GEORGES DE BOUHELIER

LA TRAGEDIE

DU

NOUVEAU CHRIST

Songez que si un père de fami; vait à quelle heure doit venir le voleur, il ne manquerait pas de veiller: de même tenez-vous donc prêts, car à l'heure que vous ne pensez pas le Fils <le l'Homme viendra. »

ÉVANGILE SELON BA1H i MATHIEU.

PARIS BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

EU3ÈNE FASQUELLE. ÉOITEUR I 1 , RUE DE GRENELLE, 1 I

1901

"^wersifas"

A CAMILLE LEMONNIER

a l'écrivain

et au noble ami du naturisme

ce livre est dédié

De B.

r //as r?^

PRÉFACE

Il se peut que certains lecteurs trouvent trop accentuée et trop forte celte Tragédie du Nou- veau Christ, qu'ils monlrent de la répugnance à en accepter l'intrigue, qu'ils se Froissent de l'hypothèse sur laquelle elle est fondée, qu'ils témoignent de quelque surprise à voir un Chris! en haillons, se plaisant dans une société de prolétaires, qu'ils nient la légitimité d'une semblable imagination, qu'ils n'en aimenl d'ailleurs pas l'esprit el qu'ils en repoussent jusqu'au sentiment. Toutefois, il <i>t un reproche auquel je dois échapper : c'esl celui d'excès dans les ternit'-, de prédisposition à la surabop-

6 PREFACE

dance, de complaisance pour les scènes spécia- lement vulgaires, de recherche d'effets et d'é- clats voulus. Si mon drame pèche par quelque chose, il faut admettre que c'est seulement par l'exagération de ses parties lyriques, par la ferveur de la pensée et par le développement trop grand de l'idéal.

On conviendra en effet qu'étant donné le sujet auquel je m'étais arrêté, il m'aurait été difficile de le traiter moins violemment que je n'ai fait. J'aurais pu introduire mon Christ dans des endroits abominables, lui attribuer des aventures extrêmement viles et lui prêter même au besoin, avec des sentiments odieux, toutes sortes d'expressions dégoûtantes qui auraient rendu saisissant mon personnage. Mais je ne l'ai pas voulu.

Ayant conçu le projet de montrer le Christ revenant parmi nous, au milieu de notre monde moderne, à notre époque, je ne me suis pas laissé entraîner à toutes les extrémités aux- quelles mes prémices pouvaient me conduire.

PRÉFACE T

Infiniment moins hasardeux, plus timide et plus circonspect que mon sujet, je me sais abstenu d'un certain nombre de choses qui auraient excite sûrement toutes les passions. Il m'aurait été fort loisible de mener par exemple mon Christ en quelques vulgaires mauvais lieux sa présence eût fait scandale sans d'ailleurs qu'il y eût de raison pour cela. J'ai châtié expiés la langue de mon Christ. Il m'eût été pourtant permis de lui taire pronon- cer des phrases qui eussent sans doute paru d'un goût populacier, mais que la vraisemblance aurail légitimées. Enfin, sur tous les points possibles, je me suis retenu, réduit, atténué, autant toutefois que mon sujet me permettait de le faire. Et ce qu'il était susceptible de com- porter d'inutile, de vain et de superflu, je l'ai écarté aussitôt, jugeant qu'il élait préférable de laisser mes idées elles-mêmes dans l'éclat scabreux de leur nudité.

Il est néanmoins certain que j'aurais pu agir d'une façon différente, et sans m'arrèler un

S: PREFACE

instant à la pensée d'un Christ qui irait dans les bouges ou bien qui exposerait ses diverses paraboles en paroles pleines d'argot, il m'au- rait été très commode de provoquer le même scandale par des moyens plus licites. Quelle aurait été, en effet, la stupéfaction du public si j'avais seulement transporté dans l'histoire contemporaine l'existence du Christ ancien ! Avec quelle tranquillité j'aurais pu concevoir et écrire les actes les plus extravagants, les plus cyniques, les plus étranges, les plus imprévus et les plus baroques ! Car qui donc ignore que le Christ a vécu, autrefois, comme un pauvre homme des routes, dont la destinée est errante, triste et confuse ? Est-ce une circonstance in- connue que le Christ était secouru par des femmes d'une basse extraction et qui elles- mêmes menaient une existence galante? Les évangiles de Luc, de Mathieu ou de Marc tien- nent-ils le moins du monde secrète la manière dont il obtenait sa subsistance ? N'était-ce pas du produit de vols qu'il alimentait constam-

PRÉFACE 9

ment sa compagnie? Enfin sa société elle-même de quelles créatures méprisables, tout au moins par leur condition, était-elle faite?

Ces façons de vivre qui maintenant jette- raient le discrédit sur la personne du Christ, je n'aurais pas eu la hardiesse de les attribuer aujourd'hui à ce héros. Transposées dans le temps moderne, elles auraient paru inju- rieuses et elles auraient fait jeter les hauts cris. Aussi me suis-je abstenu de les reproduire dans ma tragédie; j'avoue avoir manqué d'au- dace. Le scandale que je prévoyais m'a effrayé. De peur de surprendre, d'émouvoir et de paraître excessif, j'ai laissé de côté les évangiles antiques, je me suis écarté du Christ qui y est peint, j'ai créer de toutes pièces un drame, avec son commencement, ses péripéties et sa fin. Il ma fallu sortir de moi mon Christ nou- veau, tout entier.

Il est incontestable toutefois que si jamais le Christ revenait sur la terre, par une In pothèse incroyable et saisissante, il retrouverait les

10 PREFACE

mêmes outrages, les mêmes incompréhensions, les mêmes sottises, les mêmes horreurs, la même vie et la même mort que lorsqu'il y passa, il y a deux mille ans. Car l'état de guerre qui existe entre tout héros véritable et l'en- semble des sociétés est toujours aussi doulou- reux, aussi aigu, aussi flagrant et aussi fort.

Dans tout héros brûle le désir de vaincre le monde. Voilà pourquoi, quant au Chrisl, il serait amené aujourd'hui comme autrefois à recommencer son action d'hostilité, à opposer sa vérité à nos erreurs, à contrecarrer l'univers, à le combattre, à anéantir tout l'amas des ini- quités effroyables de notre temps, à se jeter de toute sa force contre les dures nécessités de notre logique, à persuader et à lutter, à vou- loir rendre toute chose sublime, à en arracher les parties de corruption, à découvrir son espé- rance de tous les jours et à se montrer brut, terrible, actif, violent, car ce sont les senti- ments qu'éprouve tout héros absolu dans sa nature. Le Christ ancien était complètement

PRÉFACE 11

opposé aux hiérarchies. Il avait L'esprit com- muniste. Il apportait un évangile de destruc- tion. N'était-il pas un vrai héros? El quel pou- vait élre son but? Vaincre d'une manière irré- sistible tout ce qui nuisait à son développement. Mais d'autre part comment un sage parvient-il à accroître sa puissance sur la terre? C'est en perfectionnant autrui, en s'emparanl de sa pensée, en l'élargissant (Tune manière extrême. Le Christ avait donc le désir de détruire les fausses connaissances, de dissiper une fois pour toutes les fallacieuses nolions morales qui étaient alors en honneur, qui aujourd'hui prospèrent toujours. parce que l'humanité est lourde, parce que la petite terre latin parce qu'elle ne réussit jamais à s'élever liaul. parce qu'elle est éprise des plus viles réalil parce qu'elle a en elle un esprit dont la pesan- teur la ramène sans cesse en basl C'efsl pour- quoi ce qu'a l'ail le Christ, il aurai! enco aujourd'hui à l'accomplir. Il aurait à recom- mencer son entreprise. Il serait excité eu vain k

12 PRÉFACE

répéter comme autrefois son dur labeur. Il rencontrerait sur sa route autant d'ignorance et de haine qu'au temps passé. Son travail serait également triste et en partie tout au moins sans résultat. Il provoquerait d'affreux malheurs, il animerait d'une âme guerrière les hommes inertes, il les contraindrait à gémir et à frémir, il les exciterait à la haine et à l'amour, il enfle- rait la terre de larmes et de soupirs. Et en somme, ce serait encore pour peu de chose. C'est pourtant pour ce peu de chose que nous luttons! Car nous aussi nous travaillons dans la mesure de nos moyens, en vue d'un but qui nous attire autant d'outrages.

Quoi qu'il en soit, j'ai donc écrit celte tra- gédie en suivant de fort loin l'histoire et sans même l'imiter jamais, [car j'ai construit ma pièce, mon héros et sa vie. Mais les événements, sous d'autres formes, sont à peu près sem- blables aux épisodes passés. Avec une rigueur inflexible, sobrement mais rationnellement, il m'a fallu créer mon Christ, le montrer en oppo-

PREFACE 13

sition avec le monde, heurté par sa toute-puis- sante masse et l'ébranlant à son tour, s'en allant d'ailleurs à la mort à travers des chocs de tem- pête, parmi du sang, de la fumée cl des té- nèbres, au milieu d'une nuit convulsive et dans l'horreur d'une infortune épouvantable.

Quant à la méthode employée pour composer cet ouvrage, elle est empruntée au théâtre. Va- riée, fertile en antithèses, susceptible d'expri- mer la vie dans ses états essentiels qui sont ceux du sentiment, la forme du théâtre me semble préférable à toutes les autres formes de l'art. J'en aime, pour ma part, la rapidité, les élans, les contrastes tragiques et impétueux. [es appareils qu'elle autorise, les surabondances de coloration auxquelles elle peut donner lieu. A l;i fois morale et divertissante, agissant sur ['esprit el la sensualité, prêtant son cadre dé- coralif aux passe-temps de la dialectique <it aux faits les plus raie- ei le- plus spirituels,

14 PREFACE

énorme par sa capacité à représenter des mou- vements de foules bougeantes, intime parce qu'en réalité son intérêt provient toujours d'un combat intérieur et tout psychologique, décou- vrant l'immense univers avec ses globes, sa foudre, son ombre, ses feux, ses nuées autour des personnages, la forme du théâtre est la plus parfaite, la plus pathétique et la plus sociale. Elle attribue aux héros une vitalité excessive qui les précipite sans cesser d'un acte à l'autre. Elle crée des rencontres de pensées à tout mo- ment. De plus, elle fournit plus qu'aucun autre art des prétextes de réjouissance, de déploie- ment de faste et de magnificence. C'est par que le théâtre me semble destiné à devenir une sorte de temple retentissant et satirique dans lequel seront célébrées les fêtes de l'Homme. En tout cas, c'est pour cette raison que j'en ai emprunté la forme pour constituer la Tragédie du Nouveau Christ.

Avec ses allures d'opéra, dont ce drame pro- cède d'ailleurs par instants, avec ses représen-

PRÉFACE

talions de multitude, avec ses intervalle- de danse, avec ses accès de violence décorative, cette Tragédie du Nouveau Christ étonnera peut-être tout d'abord les esprits habitués à ne voir au théâtre que la description d'un conflit psychologique.

Mais que l'on comprenne à quelle tache le théâtre doit être destin»', que l'on admette que sa mission devient de plus en plus sociale et religieuse, que l'on conçoive qu'il tend sans avec une ardeur plus précise à remplacer et à supplanter les offices des cathédrales, et alors on reconnaîtra la nécessité absolue, pour lui, de s'adjoindre tous les cléments de la nature, Ée se mêler de groupes chantants, de se con- fondre avec les rites dune religion, d'orga- niser des harmonies, de choisir pour les expri- mer les <lals de l'homme les plus graves el les plus forts, de célébrer et de parer, d'offrir un sacre et une couronne, d'imiter l'ode et le poème, de faire alterner dans les temps de son dialogue tantôt l'exaltation des noces, tantôt

16 PRÉFACE

les effusions funèbres, de tomber parfois dans la farce populacière, de s'élever souvent dans l'extase la plus auguste, d'être enfin plein d'ac- cents orgiaques, liturgiques, délicats, polé- miques et divins. Convaincu, quant à moi, de cette nécessité, c'est dans cet esprit et selon mon goût que j'ai écrit la Tragédie du Nouveau Christ.

Si le théâtre, comme je le crois, doit prendre de plus en plus des proportions de temple, il faut tout d'abord que le drame acquière un caractère religieux. Il est bon qu'il soit constitué dans un esprit d'exaltation univer- selle. Il a pour but de remplacer les offices maintenant périmés des cathédrales. Conforme à la nouvelle piété de notre époque, revêtant les pratiques du culte de la beauté, créé afin de provoquer toutes les impulsions instinctives du sentiment, susceptible d'agir sur les sens par le spectacle plastique des plus purs groupes humains, le drame aspire dès à présent, et sans que l'on s'en rende encore un compte exact, à

PRÉFACE 17

représenter l'univers dans son intarissable élan , dans la mobilité divine de ses aspects, dans la perfection renouvelée de ses cadences. Et voilà comment il me semble appelé, en ^'élargissant et en s'augmentant, à constituer les mythes nouveaux, à être une parade erotique et reli- gieuse, à modifier les lois anciennes de la morale, à instituer des services propres à satis- faire l'immense besoin de nos esprits. Pour le peuple et pour les hommes, le théâtre va devenir bientôt un lieu de communion et de célébration.

Ayant conçu un drame, formé dans cetle pensée un chant mythique le livre du héros de ce temps il m'a fallu l'exécuter à la manière d'une œuvre de sainte cérémonie, Ten- combrer de danses mugissante-, y introduire le chœur terrible des voix tragiques, l'em- barrasser d'un tourbillon de nuées obscures ! Une tragédie à forme rituelle, c'est nulle- ment ce que j'ai écrit. Et Ton prétendra néanmoins qu'un tel ouvrage est sacril

18 PREFACE

Mais peu importe ! En vérité, dans cette fa- rouche, forte et tumultueuse Tragédie du Nou- veau Christ, j'ai mis moi aussi mes prières, mes réclamations, mes cantiques, mes chants d'amour. Les héros que j'y ai placés, je les ai chargés des soupirs du monde entier. En longs cortèges de rogations j'ai poussé toute ma troupe hagarde, âpre, en haillons, de misé- rables qui vont sans cesse, parmi la nuit, le long des routes, à travers l'ombre, errant sans autre guides que la faim et la douleur, recevant du vent dans leurs sacs en guise de pain, enflés de haine et de souffrance à toute minute ! Ce sont les personnages saints qui composent mes nouveaux cortèges de rogations. Et ceux-là, ils ont froid et se lamentent. Et ils crient, et ils ont de l'ombre tout autour d'eux. Ils n'espèrent plus que dans leur force, car ils en ont. Ils n'attendent rien d'en haut, ils attendent tout d'en bas. Tels sont dans la réalité les chantres de mon théâtre sacré, et de mon drame. Et ainsi j'ai construit mon temple de l'Homme,

PREFACE i''

avec ses offices célébrés par les acteurs pontifi- caux et véhéments, avec sa règle et sa mé- thode, avec son faste et son éclat, avec ses sanglantes messes d'amour, ses rites ter- restres !

Ce n'est pas, il faut bien le dire, afin d'appli- quer un système que j'ai composé ce drame. C'est excité par la passion que m'inspirent les hommes misérables et douloureux, c'est exalté par le désir <l»k répondre à ma propre envie el à la leur, à notre volonté de beauté dans l'uni- vers. — Dieu me garde d'obéir jamais à un système dont je n'aie tiré de moi-même tous les principes! Kn vérité, pour constituer, orga- niser, écrire ce drame, il m'a moins été né« saire de posséder une méthode d'art que de ressentir cruellement, profondément toute la lamentable inquiétude de mon esprit et la mé- lancolie affreuse des autres homm

Convaincu que c'esl notre devoir d'explorer

20 PRÉFA

et de révéler les souffrances perpétuelles de l'homme, sa tristesse, son découragement, ses menaces, ses vicissitudes, sa condition, j'ai donc écrit cette Tragédie du Nouveau Christ, je lui ai attribué la forme d'un drame, comme je l'ai déjà dit plus haut, parce que son carac- tère mythique correspondait au cadre sacré du vrai théâtre. Je lui ai donné un aspect de spec- tacle, en même temps lyrique et populaire. Avec cette œuvre, j'ai voulu faire mon drame dévot, j'ai entrepris d'exécuter une espèce d'évangile amer et réjouissant, enfin je me suis mis en tête, en quelque sorte, de composer un chant de haine et de ferveur, un poème de sen- sualité et de pensée, une ode de destruction et de célébration.

Maintenant, que mon Christ, ses disciples, mes groupes de mendiants et de femmes soient décriés et critiqués, dans leur esprit, leurs expressions et leur aspect, je n'en serai pas surpris, car ils le seraient davantage encore s'ils étaient réellement vivants et parmi nous.

PREFACE 21

Ils s'attireraient bien d'autres outrages s'ils avaient une forme positive et incarnée. Us seraient autrement haïs, attaqués, poursuivi-, chassés, vilipendés s'ils exposaient eux-mêmes, et en réalité, leur doctrine en opposition avec la nôtre. Et le sort qui attend mon Christ ima- ginaire, ses compagnons fictifs et ses aides inventés, ce n'est rien auprès de celui que construiraient à ce héros, dans le cas il re- viendrait au milieu d'elles, la plèbe, la popu- lace et toute la masse des hommes !

Saint-Georges de Bouieijer.

Décembre 1900.

PERSONNAGES

LE CHRIST.

ÉLIE LE FOSSOYEUR )

ZACHARIAN LE CARRIER C™P*8™»

\ du Christ. MARTIAL LE MAÇON

EUSÈBE. THOMAS. LE CABARETIER.

BARNABE.

LE MANCHOT ,

L'AVEUGLE

LE BOULANGER.

LE BOUCHER.

LE PHARMACIEN.

L'ARCHEVÊQUE.

UN IVROGNE.

DES JEUNES GENS.

UN TRAITEUR.

PREMIER VILLAGEOIS.

DEUXIÈME VILLAGEOIS.

TROISIÈME VILLAGEOIS

PERSONNAGES

LE PRÉFET DE POLICE.

UN BOI TIQI 1ER.

UN OUVRIER.

UN BOURGEOIS.

UN CITADIN.

LE DOYEN.

II. NOTAIRE.

LE GREFFIER.

LE BOURREAU.

MARCHANDS EN PLEIN VENT

CRIE! RS DE JOURNAUX.

C IMELOTS.

CHANTRES RELIGIEUX.

PREMIER GAMIN.

DEUXIÈME GAMIN.

TROISIÈME GAMIN.

SOLDATS.

LES GENS DU VILLAGE.

MARIE LA POUILLE.

ARMANDE.

FLORA.

DOROTHÉE.

LÉONIE.

LA MÈRE.

LA JEUNE FILLE MALADE.

NATHALIE.

I A FEMME ESTROPIÉE, mendiante

L'APPRENTIE.

DES OUVRIÈRES DE MODE.

NOÈMIE.

LISE.

DES BOURGEOIS.

24 PERSONNAGES

DES FILLES GALANTES.

DES PAYSANNES.

DES COMMÈRES.

DES FEMMES DU PEUPLE.

Foule, Poètes, Bohèmes, Paysans,

Boutiquières, Enfants, Artisans,^ Musiciens,

Carabins, Procession de Dévots

ET DE DÉVOTES, CORTÈGE DE MAGISTRATS,

Hommes et Femmes du peuple, etc.

La scène se passe de nos jours. Le décor varie avec le pays dans lequel la pièce est jouée. Il en représente quel- ques-uns des sites, un hameau, l'intérieur d'une maison, un carrefour sur un plateau, une ville, une rue de vdlage, la place du tribunal dans une cité. Les costumes, la figura- tion sont également empruntés à la contrée a lieu le spectacle. Les titres mêmes des personnages peuvent être aussi différents, celui d'archevêque par exemple, de prêtre, etc..

LA TRAGÉDIE

DU NOUVEAU CRRIST

PREMIÈRE PARTIE CEUX QUE CHRIST VEUT RESSUSCITER

La nuit vient de tomber. On découvre un»' place de vil- lage. Au premier plan, à droite, un cabaret. Assis devant les tables «jui sont dressées dehors, «les hommes boivent largement, rudement. Vêtus d'une façon paysanne, ils ont l'air d'artisans qui, leur tâche accomplie, essayent d'oublier les tracas du jour en rigolant de n'importe quoi, quand il leur plaît. Les uns jouent aux caries, avi i j, Les

autres semblent s'entretenir de choses plaisante-. Ils ont tous le même aspect brut, calme et rugueux. Ils font «les gestes d'une grandeur forte. Il- «'datent parfois d'un rire gras et rauque.

Dans le milieu d»' la place, -ous des arbres épais, des femmes dansenf gravement, d'un pas sûr, au son d'un violon et d'une flûte qui grincent. Elles ?ont parmi le boulingrin. Elles ont ane manière étrange d'é?o Hier, Elles ne Be préoccupent de rien, paraissent ravies, _ irdenl ni les hommes, ni la tune, ni la nuit.

Au fond, on distingue des maisons, de vagues bâtisses

26 LA. TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

aux toits plats, qui forment la ligne d'horizon. Quelques-unes sont encore brillantes au moment se lève la toile. Mais elles ne tardent pas à s'éteindre. Bientôt on fermera les fenêtres et on mettra les persiennes. C'est la fin d'un soir au village, dans la campagne.

(Musique précipitée et tendre. A la ma- nière dont les femmes mènent leur danse, il semble qu'elles accomplissent quelque rite âpre et grave. Elles circulent lentement sur la place. Par instant, Tune ou l'autre d'entre elles prend la parole et chante une sorte de mélopée. Puis, lorsqu'elle cesse, une autre reprend, et à son tour récite une strophe d'un ton très simple et très solennel à la fois.

De temps à autre un des buveurs leur adresse un quolibet auquel aucune d'elles ne répond.)

ARM AN DE elle chante.

0 danse! ô démarche par laquelle s'allège tout l'être! ô rythme qui crée la perfection dans le mouvement!... ô transport de la ronde rebondis- sante!...

(Toutes les femmes tournent d'un élan en même temps vif et désolé, tandis que la mé- lodie chante et les excite. Parfois elles se tordent tout à coup dans les convulsions d'une cadence forte et orgiaque.

Un des hommes attablés regarde, il les considère d'une façon goguenarde, il les montre en grommelant du doigt aux autres buveurs. Alors ils se mettent tous à rire. Mais les femmes, comme sans rien en- tendre, continuent de danser parmi la place.)

PREMIÈRE PARTIE

l'LOli.V elle chante.

Ébranlant la terre de nos rythmes, comme

si les tempes ornées d'un pampre épais el ver! nous honorions de nos évolutions la nuit ter- rible voici que nous tourbillonnons avec 1»'

cercle du large éther...

(— <• Hcl nielle- vont tout le

temps nous embêter?... » crie un des hom- mes. Les autre» font des geste- comme pour dire qu'eux aussi il- en ont as qu'ils voudraient bien être tranquilles, etc. Le- femme- ne - en soutient pas.

DOROTHÉE elle chante.

Les molles et froides lueurs de la Lune palis- sent le site dont la surface se découpe tout à coup comme un glacier... Kl parmi les mousses délicates de l'étendue blanchit L'atmo- sphère du soir, des violettes répandent leur par- fum rempli de grâce el Les romarins scin- tillent...

(On entend de- voix irrité*

parmi le groupe dei homme- : Ta vous, les femmes : Silène, vont

peut->"'tre répliquer, mai- quelqu'un prend leur parti . On voit un homme -e lever.

Interpeller ses compagnons, on Burprend «le- fragments de phrases . Bile n'esl pas -i gaie leur vie habituelle! Pourquoi d

vouirz-vou- qu'elles n\nent pa- de plaisir] L'bomme qui parle e-t mu orbe.

28 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

C'est le fossoyeur du pays, on lui donne le nom d'Élie. Il engage une discussion que l'on ne peut pas entendre, et pendant la- quelle la ronde recommence et se poursuit de plus belle.)

LEONIE elle chante.

Au lieu de pleurer, ah! dansons!... tandis que nous pouvons encore mouvoir nos pieds selon les règles de l'harmonie !... Et plutôt que de geindre sans cesse, réjouissons-nous...

(Ici entre Marie la Pouille, sorte de rô- deuse de campagne, à l'aspect violent et triste. Elle va vers le cabaret. On l'accueille par des plaisanteries. On devine qu'elle y répond. Alors les hommes, comme s'ils étaient harassés de la présence de Léonie, de Dorothée, de Flora et des autres, se retournent brusquement vers celle-ci en criant : « Assez! à la fin!... Assez! assez!... » sur un ton rythmique, et en battant la mesure à coup de poings sur les tables. A ce moment le cercle de la ronde se brise, et les femmes soudain s'arrêtent de danser. La sourde irritation qui les animait se développe, s'accroît et éclate.)

A RM AN DE apostrophant les buveurs.

Eh! bien, quoi? Voyons?

FLORA

, Qu'est-ce qui vous rend si hargneux?...

PREMIERE PARTIE M

(D'un air de défi impétueux, elles se por- tent toutes ensemble ver- le groupe villageois qui. eo remaillant et en ricanant.

les regardent venir, violentes et arde:.

THOMAS aux femmes d'un air de mauvaise humeur. Il y a temps pour tout, dites donc ! . . .

eus i: b E Il fait nuit !...

THOMAS

La Que menace !...

BDSÈBE

Ce n est plus l'instant des farces ni des jeux !...

DOROTHÉE se campant devant eux.

Oui, oui, pour nous !

A II M AN DE de même.

Car quant à vous, qu'est-ce que vous faites

maintenant ?...

LÉONIE de même.

Vous êtes à godailler!...

FLORA de m A boire, des choppes et des verres!... Vous

30 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

trouvez que c'est encore l'heure, n'est-ce pas, vous autres?...

(— « C'est tapé ! hein, qu'en dites-vous?...» s'exclame Élie le fossoyeur. Et il se tord, plein de joie, se moquant de ses compa- gnons. Mais de ceux-ci la colère s'empare brusquement.)

EUSÈBE aux femmes. Sacrées bougresses!...

THOMAS

Que les flammes de l'enfer vous engloutis- sent ! . . .

LÉON IE saisie de fureur.

Examinez-moi ces hommes-là î... Ils n'ont pas honte!... C'est de cette façon qu'ils nous trai- tent!...

A RM AN DE montrant Marie la Pouille. Oui, tandis qu'avec cette traînée!...

(La Ponille, qui assistait à la querelle, ne s'en était pas mêlée encore. Sous l'outrage elle se lève soudain, et d'un mouvement contracté elle se tourne du côté de Flora et d'Armande.)

LA POUILLE elle s'avance l'air dédaigneux.

Qu'est-ce qu'elles racontent?...

PREMIERE PARTIE 31

A H .M ANDE. a ver véhémence.

Que nous ne sommes pas comme des bêles...

DOROTHÉE

A qui l'on fait seulement porter les fardeaux lourd

LÉON1 1 :

Ou»' nous en avons assez d'être rançonne'es et battues...

FLoKA

Que noua te valons, espèce de pouffiasse!...

LA PODILLE d'un ton de déG. Vous? Vraiment non! par exemple !..

ARMANDE Elle prend tous nos sous...

LÊOfl M. Elle bous vole!

FLORA

Elle nous embête à la lin I...

32 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA POUILLE

Et vous! gueulerez-vous tout le temps?... Et tout cela parce qu'on les laisse, parce qu'on ne leur fait pas l'amour!...

DOROTHÉE

Avec ça que ça nous plairait d'avoir tes res- tes!...

FLORA

Et puis attraper tes saletés, ah! non, alors!...

LA POUILLE transportée de rage. Putains de femmes ! . . .

(Elle est exaspérée. Les autres aussi. Elles semblent toutes disposées également à s'affronter. Elles se tiennent sur la défen- sive, avec des aspects arrogants et inju- rieux.)

LE FOSSOYEUR inquiet et stupéfait.

Bon ! en voilà une affaire ! . . .

(Ils font mine, lui et les hommes, de vou- loir s'interposer. Mais la Pouille les repousse d'une manière rude.)

LA POUILLE impétueusement.

Eh bien! vous autres! laissez-nous faire!... Je

PREMIÈRE PARTIE 33

saurai me défendre toute seule!... Qu'elles me touchent donc!...

A RM A N I) E aux liomm

Ils n'ont pas honte de laisser outrager leurs femmes par cette pourrie!

FLORA

Ils regardent sans rien oser dire...

DOROTHÉE Ils ne bougent pas...

EUSÈBE se désintéressant, aux femme?.

Pourquoi avoz-vous commencé?... Qu'est-ce qu'elle faisait?... Vous êtes tombées sur elle comme des chiennes aboyantes!... A présent elle se défend... Vous n'avez pas peur, je suppose... il ricane.) Vous et»'- en nombre!...

LA POUILLE

Ha! ha!... Elles <»ut la frousse, regardez-lei Tas de salopes!... àEusèbe. I lui, oui, dites-leur doue ce qu'elles sont!... a Amande, Flora, etc. Croyez- vous que c'était à moi qu'ils auraient flanqué une volée!... Vous êtes donc folles!...

34 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LÉONIE

Nous te la ficherons bien nous-mêmes. Tu vas voir ça!...

LA POUILLE

Ils couchent toutes les nuits avec moi!... Ils m'aiment, pardi!.. . Ils me disentque je suis jolie... Eh bien! eh bien!... Vous ne paraissez pas con- tentes... Et puis après...

AR MANDE exaspérée.

Peut-on dire des choses comme celles-là!...

TOUTES LES FEMMES de même.

Gueuse! Cochonnerie! Espèce de rien du tout! Horreur de fille!

(Gomme des furies, elles se jettent sur la Pouille, lui crêpent le chignon, la griffent. On entend des voix éparse», des cris confus. Un tumulte se produit parmi la place. Les hommes regardent la scène en se tordant de rire.)

VOIX DE LA POUILLE dans le pêle-mêle de la cohue. Ho! ho! malheur!...

FLORA battant la Pouille.

Ah! tu vas voir qui nous sommes...

PREMIERE PARTIE 35

DOROTHÉE

En as-tu assez? on as-tu assez?

EUSÈBE riant et excitant.

Pour faire ce que veut la colère, elles n'ont pas besoin d'être frappées et houspillées... Elles vont toutes seules...

THOMAS

Elles en ont une vivacité!... Et elles lui en flanquent des coups à la Fouille!...

LE FOSSOYEUR qui a pitié.

Au lieu de les exciter, il sérail bien mieux de les rendre plus calmes... Elles sont insensi Voyons donc, empêchez-les...

ifondues ensemble, s'agiippaut les

une» les autre-, la Pouille et les autres femmes forment comme une agglomération indivisible. On les voit bouger constam- ment sans néanmoins >e séparer. El! transportent d'un endroit à un autre comme une seule masse. Le fossoyeur s'avance c le désir d'intervenir, «le lies contenir. M i- la Pouille, haletante et violacée, par- \ irnt justement à t.

LA POUILLE brutale.

Je ne vous redoute pas, Baies lâches!... Vous

36 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

êtes des traînées, toutes, tant que vous êtes... Je vous connais bien, allez!... Ils m'en ont trop dit- sur votre compte... Oh! oui, alors!...

(Elle éclate d'un rire sauvage, mais au même moment, les femmes la bousculent, lui tombent dessus. On distingue des : « Aïe!... aïe!... J'ai mal... » Le fossoyeur et les autres veulent s'interposer, ils sont frappés, entourés, et en se disputant et hurlant, tous sont entraînés dans le fond de la scène, du côté de la rue et des mai- sons.)

VOIX MÊLÉES DE LA POUILLE, DES HOMMES, DES FEMMES

Crapules! Brutes! Bon, bon! Bouchons- là! Approche donc un peu que je voie! Ils vont nous battre, à présent! Séparons-les! séparons-les ! Ho ! c'est épouvantable ! Tiens! tiens! Attrape!...

(Devant le tohu-bohu produit par ces vo- ciférations, ces piétinements de la foule, les habitants de la place sortent de leur sommeil. Des lumières passent derrière les vitres. On voit des gens tout effarés tirer leur persiennes, ouvrir leur croisées, des bourgeois, des femmes en bonnet de nuit, etc. Tous se penchent par les feuêtres pour dé- couvrir la raison du tumulte, qui a lieu en bas au pied des maisons, confusément dans la nuit.)

PREMIERE PARTIE BOURGEOIS ET BOURGEOISES, aux fenêtres.

Quel tintamarre ils font par ! —Quoi! qu'esl-

cc qui se passe? An secours! Ce doit être un assassinat! Non! une querelle de gens saouls! Ile là! allez-vous vous taire? Us nous empêchent de dormir! Ce sont des ivro- gnes. — Donnons-leur à boire. En voilà un charivari! Et à cette heure, quel scandale !

(<>n jette des pot» d'urine sur la foule. Des gen» crient : Cochons: vous allez voir ça! » On ferme vivement les croisée- groupe de3 gens se battant est entraîné encore plus avant dans la rue. On entend ilr- exclamations, des rameurs vagues :

Nom de Diou ! lin', haï! Hélas!... Le bruit se perd dans la ruelle du f

C'est pendant cette scène que le Christ entre avec Martial et Zachariao, -es compa- gnons. Ils viennent par la gauche en cau- sant. Il- -ont vêtus comme les cnemineaux des grandes route-. Il- parai— ont las. II- aperçoivent la foule qui se bat; il» -arrê- tent surpris d'abord <'t un peu inquiets, puis poursuivent leur chemin sans inter- rompre leur entretien el vont vers l'endroit de la place se trouvent les tables d tées.

Personne ne les voil arriver, sauf le e a- baretier. qui I.-- inspecte, - in- en avoir l'air, «l'un œil soupçonneux.

LE CHRIST en savançant doucement.

Oui. Zacharian, lu as raison, n. »u» sommes

38 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

leurs ennemis à eux tous, comme la logique est contraire à la fausse pensée... Et tendus contre eux par la force de la raison, ils nous sentent dis- posés à les détruire, c'est-à dire à les réformer, et ils nous craignent... Ils nous haïssent d'instinct, sans doute... Ne leur sommes-nous pas opposés comme la sagesse?... Ne considèrent-ils pas en nous la justice posée devant eux avec l'impla- cable évidence d'une chose réelle? Hélas! ce sont eux qu'il faut plaindre, les malheureux!...

ZACHAR1AN

Seigneur, quelle misère est la nôtre, à nous qui ne sommes rassemblés que par l'amour, et qui ne rencontrons partout que de la haine!...

LE CHRIST l'air souriant.

Sans doute, sans doute, mais cependant soyez tranquilles... car le monde ne peut vivre long- temps dans le désordre... Les hommes viendront à nous un'jour... Certes, maintenant, ils forment le poids lourd, mais je les remuerai malgré leur masse... Il y a quelque chose en eux qui aspire aux saintes harmonies de la passion... Et, après tout, sont-ils plus énormes que l'éther qui roule sur moi, que je porte sans difficulté, et qu'à chacun de mes mouvements, je fais bouger d'un bout à

PREMIERE PARTIE

l'autre de l'univers?... Eh bien, je les ébranlerai tous sans plus d'effort...

(Tout en causant, ils se sont dirig< l'une des tables du cabaret. A peini sont-ils assis que l'on voit revenir la Pouille. luisante de joie et toute déchirée, avec un groupe d'hommes chantant, lmi-, héris II- -e tiennent par les bras et s'avancent d'un pa> joyeux, ivre et lourd.

LA POUILLE secouée d'un gros rire.

Ah! ali! elles m'ont cogné dessus, mais ce n'est rien. . . Elles en ont reçu une trempée ! Elles n'iront pas s'en vanter...

EU S Kl! i;

Oui, c'est bien sûr!...

LA POUILLE avec gaieté.

Et maintenant, il est temps de rire!... Amu- sons-nous!

T II O M A -

( >h ! pour une fois!... En vérité, on le peut bien !...

LA POUILLE d'un air mystérieux

Je vais vous chanter une petite chanson :

D'une v<>ix éraillée et copieuse, met en effet à chanter très baut.

Qu'il fienne l'aman! Qui fait mon tourment !

40 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

Dans la nuil, C'est lui Que toujours j'attends!...

Hein! est-ce joli ce que je vous récite? Conve- nez-en!... (Apercevant le Christ et ses compagnons, elle change tout à coup de ton.) Tiens! qu'est-ce que c'est que ces gens-là?...

(Elle s'arrête surprise, étonnée, se tourne vers Eusèbe et les autres, leur montre les nouveaux venus.)

LE FOSSOYEUR bas.

En effet, les connaissez-vous? Ils ne doivent pas être du pays, à mon avis...

THOMAS de même.

Ils viennent d'arriver très probablement...

LA POUILLE de même.

' Nom de nom! quelle mine ils ont! Oh là! regardez-les!...

LE FOSSOYEUR riant.

Ne te moque pas d'eux, Marie... Peut-être est-il devant toi (il la parodie) « cet amant que tu at- tends... »

PREMIÈRE PARTIE il

LA POUILLE déclamant par dérision.

Il est là, je ris;

Je n'ai plus d'ennui.

Et toute pâmée...

Ali! bien non, alors! Ils paraissent trop tristes. Et puis, vrai, ils n'ont pas l'air riclx-. les mal- heureux...

Elle éclate de rire. Ils vont s'attabler tous ensemble en faisant de- geste* gros- siers entre eux. Il y a un moment de silence. Les compagnons et le Christ paraissent méditatifs. Le cabaretier - ap- proche de la Pouille, d'Élie et de- autres, qui commencent à examiner plu- attenti- vement les nouveaux venus.)

LE FOSSOYEUR d'un ton gouailleur et désiguant les étrangers.

Il est indubitable qu'ils paraissent plutôt pau- vres, et de plus sans gaité aucune... El ils sont certainement (railleurs. Car, moi, je ae les con- nais pas, et cependant, il n'en est guère, vous comprenez... Ayant l'habitude d'inspecter Ions ceux d'ici pour voir s'ils sont en maladie ou bien portants...

EUSÈBE ET LES Al II; ES vivement. Sans doute, sans doute...

I. \ POUILLE, elle regarde à SOD tour.

Oui, oui, tu as raison, le fossoyeur!... Ils on peuvent Être ni du pays, ni des environs, c'csl

42 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

bien sûr, ... je les aurais vus un jour ou un autre ! Tandis que j'ignore complètement...

EUSÈBE rigolant.

Oh! oh! alors!... si c'est toi-même qui nous l'affirmes... Nous sommes tranquilles... Mais d'où diable peuvent-ils venir?... Il y a quelque chose d'étrange dans ces gens-là!...

LE CABARETIER

Oui, il me semble à moi aussi, comme vous le dites, qu'il y a quelque chose d'étrange dans ces gens-là. Ils doivent venir de loin, puisque leurs bâtons sont usés, et ils portent de vieux sacs de toile qui paraissent vides... Quoi qu'il en soit, ils n'ont pas des mines bienveillantes et agréables...

EUSÈBE soudain inquiet.

En effet, est-ce qu'on sait jamais!...

THOMAS

Que font-ils maintenant par ici,... à cette épo- que de la saison, par une telle nuit?...

LE FOSSOYEUR

Bah! ils font comme vous et moi-même... Ils

PJŒHJÈRE PAIiTIE

vivent le mieux qu'ils peuvent, sans doute... Ils essaient de jouir de leur force en attendant . . I la ! ha!... lia: haï...

Il rit.

EUSÈBE ET LES AUTRES

-t qu'ils ont l'air Lien fatigués, bien misé- rable-...

Li: CAlîAHKTI Kl! avec violence. 1

Eh bien, en ce ca^, qu'ils aillent donc pins loin! Qu'ai -je besoin d'abriter des vagabond» comme eux! Kst-ce mon métier d'accueillir des mendiants de cette espèce?... Par cette soirée sinistre et noire, court le vent, pourquoi rù- dent-ils de celle manière sur les chemins?... Ah! certes, ce n'est pas ma coutume de refuser des aliments, un domicile el de l'alcool aux gens quj passent, mais ceux-là onl de telles figures!... Bien des fois, j'ai ouvert ma porte à toutes sortes de pauvres colporteurs, de marchands, d'ouvriers nomade-, et jamais, je puis bien le dire, je ne me Buis snquifi soit de leur nom. soii de la latitude

BOUS laquelle il< vivaient, suit île quelle emiliee

ils venaient, soit d'autre chose. ~ Cependant, a.i leur» airs mornjes, ceux-ci m'inquiètent...

44 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST LE FOSSOYEUR

Ce que vous dites est bien juste, mais avec nous tous qui vous entourons, il ne peut exister pour vous aucun danger...

LA POUILLE

Que voulez-vous qu'il vous arrive? Voyons! voyons!... Ah! j'en ai vu bien d'autres, je vous l'affirme . Et est-ce que j'ai jamais eu peur? Et vous, alors?... Je vais leur poser des questions, vous allez voir... Et puis, s'ils nous cachent quel- que chose, je le saurai, parce qu'à moi, vous com- prenez bien, personne ne ment!...

LE FOSSOYEUR, EUSÈBE, etc.

C'est ça, va leur parler, Marie... On rigolera.

(Marie se lève. Attente et curiosité des buveurs, qui suivent le manège de Marie, Marie se dirige vers le Christ d'un air jovial et assuré. Elle les salue et leur sou- rit en s'avançant près d'eux.)

LA POUILLE

Bonne nuit, vous autres, je vous donne le salut! Vous n'êtes pas honnêtes, camarades! Hé! hé! dites donc, voulez-vous me permettre de m'asseoir près de vous?...

PREMIÈRE A UTIL:

MA KTIAL

Parbleu! parbleu!... D'ailleurs, tu en as grand»' envie, n'est-il pas vrai?...

LA POUILLE en B'asseyant.

haine! je voudrais faire connaissance... Vous comprenez, ce n'est pas tous les jours que passent dans ces parages des personnages comme vous.

MARTIAL souriant. En vérité, paraissons-nous si singuliers?

LA POUILLE

Qu'est-ce que vous faites dans ce pays? Est-ce que vous le trouvez joli? Il n'est pas beau!... Il doit vous paraître bien horrible et bien Lugubre.

ZAGHAR1 W

Les autres parties de L'univers sont-elles moins tristes? Et celle-ci est-elle doue l'objet d'un.' désolation plus extrême et plus constante?... Vraiment, nous ne supposions pas...

I. \ Pp! M. M.

Obi mon Dieu, on ne s'y plali guère à L'ordi-

4.

46 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

naire!... Vous ne voulez pas me faire du chagrin. Mais quoi que vous puissiez me dire, et bien que j'aie peu voyagé, pourtant, allez, je sais bien qu'il doit exister, dans l'un des hémisphères du monde, peut-être très loin, mais quelque part assurément, un endroit de bonheur et de repos... Car ce ne serait pas la peine de vivre comme on le fait chez nous si aucun être ne pouvait con- naître de la joie un peu au moins, et ici nous n'en avons pas... ça, c'est certain...

ZACHARIAN

Vous n'êtes donc pas si gaie qu'on aurait pu le croire, à vous voir tout à l'heure, chantant, dansant...

LA POUILLE

Il faut bien rire de temps à autre... et puis, qu'est-ce que nous ferions donc si nous pensions continuellement à tous les malheurs qui nous sui- vent, qui constamment sont à nos trousses, qui nous harcèlent?... Vous-mêmes, ne les chassez- vous pas de votre esprit? Car, vous aussi, à votre aspect, on devine que vous n'êtes pas gais, hein, camarades?... Ce doit être une chose lamentable que votre vie. Et, d'ailleurs, personne n'est heu- reux. C'est mon avis... Oui, au milieu de nos

PREMIÈRE PAKTIE i:

Réserves, dans nos greniers, il y a un vu-.' plein de larmes dont il nous faut vider la coup»' et le contenu... N'est-ce pas vrai, ce que j<- dis ta, les compagnons?

ZACHARIAN

Oui, oui, vous exprimez des choses profondes, et la vérité est visible dans vos paroles... Nous aussi, comme vous l'avez dit, nous sommes démunis de bonheur et misérables. Mais ce n'est pas d'être pauvres qui nous afflige si fort...

Ils tombent tous dan< une méditatioû profonde. Au début de cette conversation, les gens du village n'avaient cessé de ricauer. Petit à petit, le fossoyeur s'est détaché de leur groupe et a écouté un intérêt grandissant A la lin. il se trouve debout près des compagnons et il inter- vient. La Fouille est. «die aussi, devenue

ieuse et presque triste.

L E POSSOY E I R avec une dureté ^rave.

Non-, ce qui nous rend malheureux, c*esl (Tertre

réduis à vivre ici sm> jamais voir autre chose

que cet horizon vert, cette terré humide et la

rivière pleine de p £6601*6. . . VOUS, -ans iloiite, VOUS

désolés parce oue vous ne parvenez pas à vottfi établir nulle part... Car vous êtes contraints

à aller d'ici à là, toujours ailleurs, à ce qu'il

48 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

semble, puisque vous passez par ici personne ne connaît même votre nom... Quelle diable de profession exercez-vous?

(Silence. Les compagnons vont répondre, mais le Christ, à son tour, sort de sa rêverie.)

LE CHRIST d'un ton enjoué.

Un singulier métier, je vous le dis, et qui n'est pas semblable au vôtre et qui lui est même con- traire, parce que nous défaisons ce que vous faites...

LE FOSSOYEUR riant.

C'est une énigme que vous me proposez? Elle est obscure... Pour une fois que vous nous parlez, eh bien, vraiment, c'est réussi, oui, tout à fait!... Yous voulez vous moquer de moi. Car, quelle connaissance avez-vous à mon sujet?... Savez- vousquel est mon emploi?... Alors, dites-donc?... Qu'est que tout cela signifie, en vérité?

LE CHRIST

En vérité, cela signifie réellement une chose sérieuse... Mais vous ne me comprenez pas. Et dans quel but chercherais-je à vous découvrir ce que je pense?... Faites votre travail comme na-

PREMIÈRE PARTIE

guère, et. pour nous, laissez-nous dans le repos. Que vous importe que nous soyons ceci ou bien cela?... Vous êtes un malheureux et moi aussi... Si je cherchais à vous révéler tout entière- les choses réelles, et votre ennui, et vos mélancolies, et les désirs dont vous ne vous rendez pas compte, vous me haïriez trop bientôt, ou bien vous fré- miriez, et tout à coup, vous ne voudriez plus m'abandonner!... Mais restons chacun dans la p;iix et continuons à nous ignorer complètement comme autrefois. Tout à l'heure nous repartirons, et vous, avec des cris violents, vous me poursui- vrez de ce lieu sur le chemin... Oui, pourquoi vous dirais- je ce que nous sommes? Si je vous donnais sur nous-mêmes quelques notions, quelle sorte d'usage en feriez-vous? Comment vous en serviriez-vous? A quel emploi les destiner h-/. - vous? Je vous le demande?... Nous sommes des gens qui allons d'un bout de la terre à l'autre bout... Et afin de vous renseigner, que pourrais-je ajouter de plus? Rien, rien du tout...

LA POUILLE déjà émue.

Oh! je comprends maintenant ce qu'il veul dire... Vous êtes probablement des chemineaux?

El vuiis vous louez pour une semaine OU DOUT un

mois, à des fermiers qui ont du travail dans les

50 LA TRAGÉDIE BU NOUVEAU CHRIST

champs ou bien à dos entrepreneurs, ou bien à d'autres... Vous menez une vie de hasard, selon les temps... Tantôt au nord, tantôt au sud, vous changez de pays avec les jours... N'est-ce pas votre occupation, avouez-le moi?...

LE CHRIST

Elle dit vrai. Oui, c'est bien celte chose que nous faisons... Nous sommes les ouvriers bons à toutes les tâches, et non pas seulement à celles-ci, mais à beaucoup d'autres encore... Et en effet, au hasard de la vie et de l'époque, nous cheminons vers telle ou telle latitude. . . Nous ne nous apparte- nons pas, entendez-vous !... Il n'est personne qui ne puisse nous utiliser pour quelque ouvrage... Et ainsi nous aidons les hommes dans les pays...

LA POUILLE avec une pitié attendrie.

Est-ce depuis une longue période d'ans que vous menez cette existence humble et errante?... et que vous n'avez pas de domicile? même pas une grange avec une botte de paille aiguë?... et que vous avez tout quitté et tout laissé?... et que vous êtes des étrangers et ailleurs?... et que vous n'êtes nulle part chez vous, allant d'une partie de la terre à celle qui en est le plus éloi- gnée?... et que vous n'avez plus d'amis, plus de

PRKMIKUi: PARTIE Si

patrie, plus de parenla, plus rien au monde?...

F : 1 1 e B'arrêtfl dans un état d'émotion in- tense. Elle considère le <;hiist el SM com- pagnons avec une tri>te--e pleine de com- passion. Tous wml émas, Bauf les buveur- du fond, qui ricanent.

LE CHIUST

En effet, voilà l)icn longtemps que nous allons... Et nous en avons vu des terres dans lesquelles, malgré toute leur étendue, nous n'avons pas trouvé un gîte pour nous... E1 il en est passé beaucoup d'hommes près de nous, dont pas un seul ne nous a secourus, parmi lesquels il ne s'en esl pas tevé un avec un air de bienveillance et d'amitié... El voilà des temps et des temps que nous marchons...

POUILLB

Oh! comme je vous plains, malheureux!... El moi qui me croyais si misérable !... Mais vous, que vous êtes dans la peine el la douleur!... D'ail Feurs, rien qu'à voir votre aspect, il faul bien toui de

suite comprendre voire affliction... Voiei. qu'à

ni. je me trouve comblée de joies !... Quoi !

vous êtes démunis de tout au monde?...

LE CHRIST dan- HO grand élan fraternel.

Je vais te dire, Marie, écoute-moi bien : non-

o2 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

ne sommes pas si pauvres que nous le paraissons. Car, en somme, nous avons assez pour subsister, et, puisque cela peut suffire, soyons contents... Mais, en outre, nous sommes possesseurs de biens précieux...

LA POUILLE étonnée.

Je vous écoute,... mais je ne comprends pas ce vous dites...

LE CHRIST souriant.

N'est-ce pas une possession d'un prix inesti- mable que celle d'une sagesse suffisante pour vivre en paix?.,. Beaucoup qui ont acquis des terres d'un vaste espace ne régnent pourtant pas sur leur corps dont l'étendue est néanmoins^ si limitée !... Et dans ce cas combien ils sont moins riches que nous!... Yoilà ce qui fait notre joie, entendez- VOUS?... (Il se tourne ici vers Marie, avec une passion subite.) 0 Marie ! ô chère et sainte femme ! ô mon amie ! Je me découvre à vous sans restric- tion ; et je me laisse aller à vous parler; et vous êtes savante à présent parce que je me suis révélé en votre présence!...

EUSÈBE aux autres buveurs.

Eh bien, voyons ! est-ce que vous saisissez, vous autres?...

PREMIÈRE PARTIE H

I Il u MA S -e tordant de rire.

Bel... fié:... allons!... il veut se moquer do la Pouille, c'estbien certain !...

(Ils s'esclaffent d un air énorme. La l'auille semble interdite et regarde le Christ. Le Christ se lève brusquement et avec tris- tesse.]

1.1. c. Il lilsï d'un ton sévère.

Pourquoi voulez-vous que je fasse de cette femme ma dérision? ... Pensez-vous que je la suppose inférieure à vous ou à moi, ou à quoique autre?... .le ne sais quelle idée vous vous faites d'elle, mais moi, je la trouve tristement e( douce- ment bel!<\.. Cette malheureuse, avec sa face blanche d'amertume, ses traits que creusent des tannes salées, son pauvre corps, elle m'inspire une vénération extrêmement pure... Kt je l'appelle du nom de sœur, et je lui dis : « Vous m'êtes précieuse, ma douce .Marie », et je me sens ému au fond de rame quand je conçois, ne fût-ce que pendant une minute, huiles ses actions... Ohl lorsqu'elle court sous l'averse fumeuse et mobile, parmi les routes, à la recherche de ce maître inconnu qu'elle ne voit point, mais que tout de même elle attend à son insu... et lorsqu'elle se lamente après l'amour... et lorsque, pour vous

54 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

rendre heureux, elle souffre et geint, étant pleine de douleur et de colère dans l'instant vous, au contraire, êtes jubilants... alors je la trouve admi- rable, je vous le dis...

(La Pouille, pendant ce discours, d'abord surprise, puis touchée, et enfin au comble de l'exaltation, s'est jetée aux pieds du Christ dans une attitude de reconnaissance excessive. Le fossoyeur paraît rêver. Les compagnons écoutent d'un air passionné. Les gens du village font des gestes de mo- querie à l'adresse du Christ et de Marie.)

THOMAS d'un air entendu.

Bon! bon... je vous comprends maintenant... C'est votre façon à vous de vous payer une femme. . . (il rit largement.) Avec des mots vous faites le géné- reux...

(Les compagnons se dressent, le poing tendu, comme pour se jeter sur Thomas.)

MARTIAL, ZACHARIAN furieux. Chiens que vous êtes ! Charognes!...

THOMAS, EUSÈBE, etc., gouailleurs.

Venez-y donc, vagabonds infectés de poux ! Avons-nous besoin de vous par ici? Qu'est- ce que vous êtes ? Des hommes que la misère rend enragés !.*...

P-R&MIÈRE l'AHTIE

(Ils sont prêts à bondir. Ils menacent les compagnons, dont le Christ arrête la colère par un geste.;

I.K CHRIST immobile et rude.

Vous proférez des paroles outrageantes, niai- peu importent vos affronts!... Vous voudriez vous jeter contre nous avec violence comme des piques aux extrémités d'airain aigu... Vous ries des ma- chines capables, au moindre choc, de nous heurter... Et vous oies des formes de la guerre aux traits perçants... Réservez donc tout»'- ces tempétueuses véhémences pour d'autres que nou>.'...

L B FOSSO X E L R avec gravité aux gens du village.

Oui... oui, c'est la vérité ! Qu'avez-vous donc?... Ne croyez -v«»u> pas que ces hommes sont avec nous?... Ho! ne comprenez-vous rien à ce qu'il- di-eul ?..,

1.1 ski: E haussant les épaules.

Qs oe parlent tous que par périodes obscures Ils prononcent des paroles épaisses...

Thomas et les antres font des m ment- d'approbation et Us laissent enten- dre <in«' le c.tiri-t et Bas cou sont Ses hommes insensée, stnpides.

56 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST animé dune tristesse violente.

Vous vous hérissez contre nous avec des aspects opposés et implacables, comme si la même fatalité ne nous accablait pas d'ailleurs tous également !... Ne sommes-nous pas semblables par l'infortune pourtant?... Vous et nous, ne souffrons -no us pas des mêmes douleurs ?... Ahî certes, si vous ne posiez pas sur vous un masque épais, comme on le fait pendant l'époque du carnaval, ne serait- ce pas une chose visible que nous avons tous à subir des maux égaux?... Lorsque vous vous mo- quez d'un homme parce qu'il est triste, ou misé- rable, ou mal vêtu, dites-vous bien qu'il peut, s'il le veut, vous prendre à partie au sujet d'une chose semblable?... Car, chacun, nous avons notre lot, croyez-le bien... Et vous qui outragez le monde d'injures amères, vous êtes tous, dans le fond de l'âme, aussi épouvantablement lugubres que tous les autres?... Et vous traînez une existence obs- cure et morne avec la fatigue des années que vous portez... Vous vivez sur un coin de terre, qui semble du haut de l'infini d'une étendue encore moins grande qu'un grain de sable, comme des insectes qui sautent sous l'herbe, et qui n'ont jamais découvert la lueur du jour... Ainsi dans la monotonie la plus aride,, à refaire chaque jour les mêmes pas et les mêmes œuvres, avec un esprit

PREMIÈRE PARTIE

comparable et accablé, voua passez lamenlable- menl votre existence... Les uns qui bàtissenl des maisons avec des pierres, les autres qui équarris-

sent du bois et taillent des planches, et les autres quipèchenl des poissons d.-m- la rivière, tous agis- sent [d'une manière constante pour tuer le temps, pour oublier leur vie intime, pour obscurcir le plus possible leur conscience vaine... Et voilà com- ment vous vivez, ô malheureux ! Faibles êtres sans aucun esprit ! dénués de toul ! inhabitués à la lu- mière de r univers ! incapahles de soutenir la vue globes pendant- et inerte-! ayant, sou- Les yeux, l'effroi stupide de tout ce qui passe devant vous, à toute minute, avec un bruit de roue énorme brovant Tel lier !...

Uo ! ho! qu'est-ce qu'il dii cel homme?... Qu'est-ce qu'il dit là?...

LE CHRIST dont L'exaltation augmente.

Au lieu de vouloir vous soutenir les uns les au- tres, pourquoi au contraire cherchez-vous à em- piéter sur la durée, sur la puissance et sur l'es- pril de vos voisins?... Comme des hommes qui. ayant à eux un lopin «le terre Limoneuse, parent par tous les moyens des bouts de sol I i mi

o8 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

trophes, vous vous dérobez mutuellement vos biens, vous ne demeurez pas dans vos domaines... Vous ne les connaissez pas et vous n'avez pas conscience de vous-mêmes... Cependant ne de- vriez-vous pas faire tous vos efforts afin de rendre belle et fertile votre vie propre? N'êtes- vous pas assez occupés à vous accroître par ]a na- turelle expansion de votre esprit sans encore em- ployer votre temps à nuire aux autres?... Ne serait-il pas suffisant de vous maintenir en har- monie dans l'univers?... Etn'a-t-on pas assez de mal à résister continuellement à la seule attrac- tion du vide qui voudrait bien nous attirer hors de ce monde?... ou bien au désir qu'a la terre de nous faire perdre notre équilibre et de nous ré- duire à tomber dans les ténèbres?... Ah! n'est-il donc pas difficile, avant toute chose, de demeurer debout et droit au milieu des métamorphoses de la nature, au centre des temps, et parmi la marée horrible des phénomènes?... N'est-ce pas un travail assez énorme et qui peut déjà nous coûter beaucoup de peine?...

LE FOSSOYEUR avec une sorte d'épouvante sacrée. Oui, oui, sans doute... c'est une chose dure et difficile que d'exister!...

(Il a quelque chose de terrible. Il consi- dère tour à tour le Christ, les comragnons

PREMIÈRE PARI II:

et Marie. A--is devant «Je- tabler, l.uvant et écoutant, Eusèbe et les autres hommes du village paraissent dans la stupéfaction,

et de temps à autre on le- voit faire des gestes d'impatience, et île mo<pa comme de hocher la tête, de montrer Marie accablée aux pied- du Christ, et le fos- <ur... A la fin ils interrompent d'un accent moitié convaincu, moitié ironique.

Il -ÈBE

Bon ! bon ! il ne faut pas nous nuire les uns aux autres... Mais quoi? nous le savons bien!... El puis, qu'il nous laisse tranquilles, cet homme-là, avec ses paroles qui agitent sa barbe aident.'...

LE CHRIST surexcité par la fureur de -a peni

Quoi! vous esl-il possible de dire que vous vous contentez de vivre comme vous le lait et que vous n'êtes préoccupés par rien au monde?... et (|ue vous «Mes très satisfaits lorsque vous avez mis une pierre sur une autre pierre, élabii que de deux auxquels on ajoute deux... Non! non! jamais !...

i: i M.r.i:

Qu'on bous mute la paix avec imite- choses!. ~. Nous sommes là. Nous désirons fchre

dan- le rep«>-... N'est-ce pas vota avis à «dus autres?...

60 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

THOMAS violemment.

Oui, oui, parbleu!... Inutile de nous harceler avec des idées d'un autre monde!... Allons! al- lons !

(Ils font mine de vouloir boire sans en écouter davantage et ils parlent entre eux en riant fortement.)

LE CHRIST de plus en plus exalté.

A votre insu peut-être, mais d'une manière as- surée, sachez-le, vous êtes attirés par une force obscure vers les choses qui pour vous sont in- visibles... Je vous le dis afin que vous preniez conscience de votre vie... Comme la lune pompe les eaux, et dans le ciel en nuages épais et amers arrête leur masse, l'esprit mystérieux de l'espace élève constamment vos pensées à sa hauteur... Oui, ainsi au delà du monde des apparences se haussent les cercles légers de vos méditations, et vous demandez à connaître la vérité !... Vous êtes pesants mais seulement par la force de la physi- que. . . Car pour votre âme elle est gracieuse et déli- cate!... Quelles raisons vous excitent sans cesse* à nier ces choses? Pourquoi ne les avouez-vous pas? En ressentez-vous de la honte? Est-ce donc possi- ble!... Quoi ! n'êtes-vous qu'un bloc fait de boue, et animé, capable de se tenir debout tout en se balançant et en bougeant, mais en aucune sorte

PREMIERE PARTIE 6J

susceptible «le perfectionner son action ei sa figure ' . Vous êtes lendus par une aspiration Inexprimable... Gomme une plante perce la croûte

du sol pour voir le jour, vous sortez hors des sphères grossières de l'existence afin de recon- naître enfin l'astre idéal!... Vous ne supportez qu'avec peine l'imposition retentissante des élé- ments, et de toutes les choses mystérieuses qui roulent là-haut, et dont l'incessant tourbillon donne le vertige !... C'est pourquoi, je vous le de- mande en ce moment : pourquoi, quand je vous parle ainsi, exhalez-vous des outrages toujours renouvelés et belliqueux?... Quelle sorte «le mal vous ai -je la il 2 En quelle façon puis-je VOUS pa- raître trouhle et obscur? Et comment vous y 'pre- nez-vous alin de me considérer comme votre en-

nemi

Silence. Marie, agenouillée, montre un Usage dont la passion secoue les traits avec violence. Elle ^'approche du Christ et semble en adoratii-n d vaut lui. Les com- pagnons regardent alternativement le Chri-t puis les gêna du village, qui font sem- blant d<- jouer aux cartes Bans se préoccu- per de rien d'autre. Le fossoyeur tend le> bras vers le Christ avec une exaltation effarée. Le Christ est bou été d'amour. On voit sa poitrine s'enfler brusquement.)

LE FOSSOI El R d'un air d'amour.

<) maître '.... car de quel aom maintenant vous

62 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

appellerai-je... salut!... Salut désormais sur la terre du haut en bas!... Yous vous êtes montré tout entier devant nous tous!... Qu'ils ricanent ceux qui n'entendent pas ! qui ont les oreilles pleines de foin ! qui sont inertes !...

(Il regarde seulement du côté d'Eusèbe, de Thomas et du groupe des buveurs.)

LA POUILLE avec les accents dune joie délirante.

0 nuit! ô terre!... ô roches à pic croulant des astres ! ô nuages alourdis de pluie froide et aiguë!... ô vents que tant de fois déjà j'ai sup- portés pendant mes longues et dures attentes!... Je vous salue, ô fumantes ombres ! ô courbe du ciel ! ô parfum de la mer et des montagnes !... Car ce n'est pas en vain que j'ai gémi !... Et voilà que j'ai rencontré mon bien-aimé !... J'expirais, et il m'a rendu à la vraie vie. A présent me voici res- suscitée !... O héros ! qu'une triple couronne enve- loppe tes tempes ! Et je te la forgerai moi-même dans un bronze sombre, j'y mettrai des herbes odo- rantes et des fleurs rouges!... O prince, toi qui règnes sur la terre, combien je t'aime!... 11 est donc vrai que je te contemple à présent, ô noble Roi !... Tu es venu sans ornement, mais tu éblouis!... Ah! que je suis heureuse de t'ado- rer!... Tu es debout en ma présence, toi dont je

BREM1ÈLBE l'A UTIL

n'avais pas cèvé de voir l'image !... Dieu, que Le monde as! magnifique avec ses tourbillons de rose-, ses vents flexibles, ses harmonies de i abon- nements et de ténèbres!... Tu es venu tout éclairer

dans la nuit noire !..

Le Christ vu à elle, lui pose en -ouriant la main »ur l'épaule. Elle tressaille de> pieds à la t'te et se tait. Il a près de lu compagnons, et le fossoyeur. Tous le con- sidèrent ten lreinent.

Il pousse alors un long cri aigu de bon- heur.

LE CHIUST calme et souriant.

Il» ! ho ! mes bien-aimés, que vous fttes doux !... Y<>> mouvements d'amour rendent les sphères plus harmonieuses, comme si vous leur commu- niquiez vos saintes cadences!... Pourtant voilà qu'il faut que je vous parle encore une l'ois!... Regardez-moi, considérez votre miroir, c'est que vous apercevrez tout votre avenir... Ainsi vous ;i\«'/ donc compris que je ae suis pas un homme simple qui passe ici. comme beaucoup d'autre», dont toutes les richesses sont contenues dan- une besace, el qu'environnent quelques amis

pour le voyage... 0 Marie, Indu»! tn as dit la

vérité, quand tu m'as donné toufl à L'heure le titre de Prince!... J<i suis venu pour reprendre mon royaume qu'on m'a volé. Car à présent moi, qui étais ricin* autrefois, je n'ai plus d'autre trésor que

64 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

vous, mes bien-aimés!... Et voilà que tout mon empire se borne à vous!... Car, quant au reste, il m'a été entièrement pris, et j'ai été dépossédé, si bien que je suis pauvre et nu, ayant perdu l'une après l'autre toutes mes richesses... Et c'est pour les reconquérir que nous marchons. . . Aimez- vous dans les uns et dans les autres, c'est-à-dire en moi-même et en ceux-ci. . . Ainsi, qu'ils viennent donc avec moi les êtres qui veulent suivre dans sa vie le prince proscrit... Ils partageront sa pau- vreté, ils mendieront le pain et les choses néces- saires, ils gagneront mal leur subsistance, ils seront tristes, chassés, repoussés de partout!... Allons ! il s'agit de marcher dans les ténèbres !

(Il est debout au milieu de l'exaltation de Marie, d'Élie el de ses compagnons. Ils forment à eux tous un groupe étrange, et terriblement passionoé. Le Christ prend son bâton et se met en marche vers la route de la campagne, avec Marie qui ne le quitte pas et qui lui tient la main. Zacharian et Martial les suivent. Élie hésite un instant, puis les imite et s'engage avec eux dans la nuit. Un instant stupéfaits, Eusèbe, le ca- baretier et les autres se taisent. Ils se lèvent de la table en tumulte, vont regarder le chemin du côté la troupe est partie, ne voient plus rien et reviennent secoués d'un rire énorme et effaré tout de même.)

EUSÈBE, THOMAS, etc., s'esclaffant.

Ha! ha! ha! ha!

PREMIÈRE PARTIE 65

LE CABARETIEB

Eh bien. Dieu merci, vraiment!... Nous ne sommes pas fous comme ces gaillards-là !

Ils emplirent la scène dune tempête; de rires.)

DEUXIÈME PARTIE

CHRIST REPOUSSÉ PAR LES SIENS EST SANS PITIÉ

DEUXIÈME PARTIE

CHRIST REPOUSSÉ PAR LES SIENS EST SANS PITIÉ

Une pièce pauvrement éclairée, dans laquelle deux vieilles femmes paraissent faire la veillée. Ce sont les deux sœurs. L'une coud sans rien dire sous la lampe. L'autre a posé son ouvrage sur la table, et elle tourne ses regards vers le fond de la salle, dans une chambre adjacente dont la porte est ouverte. on distingue un lit blanc de jeune tille et Ton comprend qu'il y a quelqu'un de malade.

Les fenêtres de la pièce donnent sur une route ; elles sont fermées, mais pourtant à travers les vitres il n'est pas dif- cile de voir dehors.

La campagne s'étend alentour dans un silence désolé. Le ciel semble plus obscur qu'à l'ordinaire. De temps à autre passent sur le chemin solitaire les grandes ombres d'une troupe de rôdeurs.

A. l'intérieur de la pièce on distingue un fusil pendu au mur.

Quand les vieilles femme- reU-vent la

tète, on devine qu'elles sont Fatiguées

aux gestes qu'elle- ébauchent vaguement. elles découvrent l'inquiétude qu'elles ont en elles.)

5.

70 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA MÈRE regardant du côté de la chambre à côté.

Veux-tu, lève-toi un peu, ma sœur, va dans la chambre... Moi je commence à être si lasse main- tenant.

NATHALIE avec inquiétude, d'une voix basse.

Non ! je n'ai pas confiance comme loi, tu le sais bien... Va plutôt regarder toi-même, moi je n'ose point.

LA MÈRE

Gomment peux-tu dire sans pâlir une chose semblable? Quelle crainte éprouves-tu dans Ion cœur quand tu sais que ma pauvre petite ne peut. . . Ho! ho ! t'imagines-tu encore qu'il est possible...

NATHALIE

Il faut bien dire la vérité comme elle doit être... Dieu ! pourtant que cela est dur de voir s'affaiblir peu à peu un être si cher!... Oui, va toute seule de l'autre côté, moi j'ai peur de ne découvrir qu'une pauvre chose...

(La mère fait un geste comme pour dire : tu es folle avec tes idées ! Moi je suis plus brave que toi, et j'ai une confiance plus grande... Elle se lève, se dirige du côté de la chambre, jette un regard à l'intérieur, et s'arrête aussitôt toute pâle.)

Di: rXIKME PARTIE 71

LA M ERE elle fait entendre un cri perçant.

Ha !... Dieu du ciel !

NATHALIE se levant à demi en sursaut

Eh bien! qu'est-ce que tu as? qu'est-oe que

tu as ?

La mère vient doucement vera 9 1 Et d "une vuix inquiète et voilée elle lui dit ce qu'elle a vu.)

LA MÈRE avec émotion.

Rien! rien encore!... Mais elle es! toute pale. étendue, elle ne bouge pas !... Elle a la face creuse et aiiK-rc... Elle est de la couleur du s<il que L'on vient d'extraire des carrières marécageuses. Elle respire mal...

NATHALIE

Je le l'avais bien dit... Quespère-tu donc'?... Tu sais bien que la maladie lui brûle les os... Il convient de se faire à oe qui doit venir. Il Tant être docile et se préparer».. Tu te souviens de ce que Le médecin a annoncé... Voilà la dernière nuit qu'elle passe La dernière nuit!

LA Ml.LI.

parle pas de celle manière-là comme si lu

72 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

étais sûre des événements!... Qui t'a appris à t'exprimer comme tu le fais?... N'as-tu donc plus confiance en Dieu? Crois-tu que Dieu nous aban- donne? Ne nous fera-t-il pas miséricorde?... Ou faudra- t-il que je voie se gonfler le corps de ma pauvre, de ma malheureuse petite enfant?...

(Elle s'asseoit en gémissant à côté de sa sœur, près de la table.)

NATHALIE cherchant à la calmer.

Nous verrons bien ce qui aura lieu tout à l'heure... En attendant, asseyons-nous un peu, veux-tu?... Il est douloureux de veiller pendant la nuit... Et nos lamentations sont inutiles, et toutes nos plaintes ne produisent que du vent dans l'étendue, et certes, il ne nous sert à rien de geindre sans cesse... Aie donc plus de calme à présent parce que cène sont pas nos cris qui arrê- teront la marche réelle des destinées...

LA MÈRE

Tu es bien sage, mais moi je n'ai point de raison, oui, je l'avoue... D'ailleurs, ce n'est pas ton enfant qui est malade... Hélas! hélas! tu ne peux connaître ma souffrance, c'est bien certain... Toi, tu t'apprêtes à l'affliction comme si tu allais rece- voir une étrangère, mais moi je ne puis pas m'y

DEUXIÈME PARTIE

1 imposer de môme... Il m'est beaucoup trop dur d'admettre que c'est cette nuit... Non ! Je ne peux pas dire la chose, parce que, pour l'instant, elle n'a point de vérité, parce qu'elle répond à une angoisse sans nul fondement, et parce qu'en La définissant je lui donnerais, peut-être la vie, <>h ! Dieu ! oh ! Dieu!...

Ici entre llarnabé, le père; il e>t vieux et cassé par l'âge. Il a l'air triste et cepen- dant tranquille. Il revient du jardin. Il porte un trousseau de clés à la main.

BARNABE dun ton ba>.

Eh hirn.... Dites-moi? Y a-t-il du mieux?...

La mère ne répond que par l'expression de son visage accablé et se met à rrver sans paraitre entendre la suit»? de la conver- sation qui se poursuit d'ailleurs à mi-voix.

NATHALIE

Non !... non du tout!...

H \ K N A Bans révolte et douloureux pourtant.

Allons!... oui, c'esl bien pour cette nuit... Il n'y a donc rien à y faire. Il tant attendre... J'ai fermé la porte de la grange, <it j<i <ni< allé sur la route pour voir un peu... De grands nuages cou- rent dans le ciel, pesant do pluie, enflé de tempête

74 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

et de vent, plein de tonnerre!... Je crois que la nuit qui commence sera terrible...

NATHALIE

As- tu mis les verrous partout?... En cette saison Il y a souvent des rôdeurs qui viennent de Join, suivant les chemins solitaires, à travers les plaines des campagnes, ici ou !...

BARNABE

J'en ai aperçu justement qui s'en venaient par la grande route de la commune... Ils semblaient fatigués par le voyage... Ils n'ont sans doute pas de demeure, et ils ne savent pas coucher pen- dant cette nuit... Et avec cela que l'orage s'apprête là-haut ! . . . (Subitement il fait un geste vers la fenêtre comme pour montrer quelque chose.) Regarde ! les voilà qui

s'avancent sur le chemin !...

(Nathalie se tourne vers la fenêtre et regarde avec une attention inquiète. Sur la route obscure on voit distinctement des om- bres passer, trois ou quatre hommes dans lesquels on reconnaît le Christ, ses com- pagnons, puis Marie la Pouille.)

NATHALIE avec étonnement.

! ne vois-tu pas qu'avec eux se trouve urje femme!... Ah! bien! ça doivent être d'étranges

*

DEUXIÈME l'A UTIi: 71

gens, de ces vagabond- misérables qui ae craignenl

rien!... \l< vont faire quelque mauvais coup dans

le p;i\

(Sous le coup de la surprise qu'elle éprouve, elle a parlé assez haut pour être entendue de la mère, qui relève la tète, brusque- ment saisie.)

LA M EUE

Taisez- voua!... Pourquoi parlez-vous de celte

façon?... Il ne faut pas faire tant de bruit près des

malades...

E le considère Nathalie et Barnabe d "un air de reproche et désigne là-bas la chambre dans laquebe dort la malade. Tou> se tai- sent Nathalie reprend s<-n ouvrage com- mencé. Barnabe vient s'asseoir près d'elle, et la mère poursuit «le nouveau sa rêverie inquiète, entrecoupée de prières, et à demi éclairée par le cercle un peu court de la lueur de la lampe. On entend par insl mt> le vent souffler dehors avec une violence contraire. Tout respire alors la mélancolie d'une attente qui De parait pas devoir finir. Au boni de quelques minutes c.pendant N.itha'ie se tourne vers le vieux Barnabe et recommence encore à causer s roi»

ba

NAïll \u E désignant La mère qui ne l'entend pas.

La pauvre femme!... Je n'ose pas lui panier de sa douleur. Il me semble qu'elle ne pourrait pas être apais iree n'e-i pas ma Bile qui meurt,

mais c'est la sienne, celle qu'elle a composée elle-

76 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

même, dans laquelle elle s'est vue longtemps vivre et grandir, et qui aurait perpétuer son èireà elle!... Ah! que pourrions-nous donc lui

dire en ce moment?... (Elle fait un geste aecable.,

Est-ce que toutes nos consolatious ne sont pas vaines et inutiles, pour sa pauvre âme?

BARNABE

Le mieux est de rester ainsi sans rien lui dire 11 est bien préférable de ne pas lui parier, sinon afin de l'exhorter à se préparer à 1 inévitable, comme une servante qui lorsque la pluie doi tom- ber dispose des grands vases vides afin de la re- tenir... Qu'elle accueille la douleur prochaine sans amertume!...

NATHALIE

Elle se révolte contre ce qui l'attend... Elle ne veut rien admettre de la réalité... Elle croit qn un prodige aura lieu comme si c'était encore possible . . . Elle a toujours été ainsi, elle a toujours mis sa confiance ailleurs que dans la vie eUe-mème... Elle refuse d'accepter les choses... Elle les r - pousse, mais sans pouvoir et sans espoir. Elle prétend que Christ la sauvera. Mais ou est-il?... Hélas! pour quelle raison faut-il que nous ne voulions pas comprendre que la mort, lorsqu elle entre, ne s'en va jamais seule?...

DEUXIEME PARTIE

BARNABE

Les mères conçoivent difficilement que ce soient leurs petits enfants qui partent d'abord... Oui,

oui. toi tu ignores cela, niais apprends-le... Vois comme elle souffre, elle ne prononce plus un»' pa- role, elle se lient toute seule dans un coin comme une bote tapie qui a peur dans les ténèbres.'.. Elle est Lien malheureuse, bien lamentable!... Et nous aussi nous sommés des âmes pleines d'affliction parce que rien n'est plus effroyable <iue voir pleurer !...

NATHALIE

Elle a beau se plaindre et prier, et elle peut demander sans cesse quelque aide du ciel! Elle devrait être plussage et se montrer moins dupe... Oui, elle croit pourtant moins que nous à son malheur, mais elle en souffre encore tout de même davantage, car, lorsqu'il sera arrivé, sa désolation l'emportera sur toute- les autre-, comme les ombres qui emplissent L'espace avec la nuit n'en Laissent plus apercevoir d'autres en aucun lieu... Ne penses-tu pas qu'elle a tort d'espérer comme elle h> fait?...

BAR V\ Il y a tant et tant de JOUXS que Ton attend!...

Oui est-ce qui s'imagine encore que l Ihrist viendra

7

78 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

chasser la mort dans les ténèbres? Et puis est il possible de croire que quelqu'un s'intéresse à nous hors de nous-mêmes?... Nous autres, nous avons reconnu que nous sommes seuls, et que nous n'avons à attendre d'aide que de nous... Nous sommes des êtres dans l'univers prédestinés à vivre sans joie et sans bonheur, contraints à su- bir la tempête des nuées humides, réduits à amasser du vent dans nos greniers et qui ne re- cueillons des biens qu'afin de les rendre à la mort avec le reste...

(Il fait le geste ironique de l'homme qui sait que tout est vain. Ici, on entend mar- cher dehors et on voit de nouveau passer Christ et ses compagnons sur la route de- vant la maison.)

NATHALIE avec vivacité.

Écoute!... des pas résonnent sur le chemin... Ha! Qui est-ce qui passe à cette heure... tan- dis que s'apprête l'ouragan gonflé de foudre?...

BARNABE allant voir à la fenêtre.

Ce sont encore les mêmes rôdeurs!... Oui, oui, regarde!... Je les reconnais bien... qu'est-ce qu'ils font là?. . . Ils ont l'air de guetter on ne sait quoi. . . Tiens, ils s'arrêtent... Ils inspectent maintenant le chemin comme s'ils désiraient le sonder avec un

DE1 \ii:mi: partie

but... II»»: Us se tournent vers notre maison, ils voient la lampe... il- ne se (Imitent pasqim dous somnn's à tes épierï...

NATHALIE allant voir au--i & la. fenêtre.

Ali Lien:... Bst-ce qu'ils voudraient entrer?... IN marchent vers la porte du jardin... San< dout< ils ont cherché un pîte pour s'abriter. Ils n'en ont pas troové probablement parce que les maisons

«lu village sont toute- fermé

I! A 11 N A B I. d'un air de mon

Qu'ils De cherchent pas à entrer là?... Il ne faut pas les accueillir... Non ce n'est pas le jour, ni

maintenanl ni jamais!... Des gens comme eux sont capables de piller et de voler. ..

11 y a un instant d'inquiétude pendant lequel Barnabe et Nathalie 8€ tai-ent. tout en suivant du regard le- mouvements du Chri-t et do compagnons qui se sonl rap- procfaés de la pnrt»> du jardin, de sorte quoi no les vert plus, ou devine ce qu'île peuvent l'aii-- aux démonstrations l'expression !.• Barnabe et do Nathalie. l'en tant ce temps, la mère s'est levée et est allée doucement du côté do la chambre du fond. Elle se tient sur Le seniJ et entrer. Elle surveille simplement l'état do la m ii.ule. Cependant, au boutde quelques minute- de ce silence attentif et anxieux il- paraissent ton rer, -an- doute

80 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

que Christ et les compagnons s'écartent et s'en vont, et Nathalie se retourne vers sa sœur comme pour lui annoncer qu'elle peut être en repos).

NATHALIE avec une expression de joie sur la figure.

Voilà qu'ils semblent se concerter... et qu'ils s'en vont!... Ils nous ont peut-être aperçus der- rière la vitre... Ils ont eu peur... Pourvu qu'ils ne reviennent jamais!... Ils heurtent maintenant la route pierreuse et ils font de grands gestes de désespoir...

BARNABE montrant son fusil pendu au mur. Ils ont bien fait de s'en aller, car sans cela!...

NATHALIE tandis qu'elle quitte peu à peu la fenêtre.

Que l'ombre paraît épaisse ce soir!... Mais que la nature est tranquille! Sous ces ténèbres, d'où la pluie écumante va sourdre, d'où pendent des globes, d'où se détachent les masses des ondes agglomérées, que nous devons sembler petits, et en effet que nous som mes peu de chose en vérité ! . . .

(Elle revient vers la table autour de laquelle ils étaient tous réunis tout à l'heure, et qui les rassemble de nouveau. La Mère, Barnabe et Nathalie se retrouvent tous les trois à leur place, mais sous le coup de l'émotion qu'ils ont eue, ils se sen-

DEI M! .Mi: PARTIE 81

teDt le dé-ir de -entretenir. Le- paroles de Nathalie les rendent attentif- a ta même pensée. Il- -ardent quelque- instant -ilen^e comme s'il- -uivaient chacun dan- le fond de leur cœur les directions diffé- rente- que Nathalie y a ouvertes, par -es paroles, pais il- relèvent lafteet se eonsi- dèrent un moment avec une expression de tristesse qui semble, sur chacun d'eux, pir- ticulière.

B A R N N A I'» É d'un ton de profonde émotion.

Oui. c'est ainsi il ^' passe des choses tu- multueuses dans une maison... Et qui est-ce qui -'•'n doute, mon Dieu! mon Dieu!... C'est que nous sommes des Êtres aussi infiniment- petit-

que les atomes et considérées d'une certaine

élévation toutes les tragédies intérieures qui nous ébranlent ne sont pas beaucoup plus visibles que les drames, peut-être effrayants, dont l'esprit d'un animalcule es! le théâtre... Voilà ce qu'il faudrait se dire dans les moments comme celui-ci, quand nous nous croyons accablés de maux énormes, et lorsque nous sommes prêts à croire que les astres couverts de glaciers, les m < »mlf< épars dans l'étendue, les éléments doivenl être attentifs à nos larmes et à nos cii^ !.. .

La Mère avee la violence d'une âme en révolte.

T'imagines-tu que tous le- raisonnements du

82 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

monde fassent de l'effet, dans la minute la pensée est affligée? les entrailles se serrent pénible- ment? où le cœur est lourd d'amertume et de douleur?... Pour toi, qui n'éprouves à présent qu'une peine sans force, il n'est pas difficile de penser que sur terre nous sommes des espèces d'êtres formés d'un grain de sable, et que par conséquent nos tristesses sont minimes, et qu'ainsi il est inutile de tant gémir, et qu'enfin les étoiles ni la lune de l'éther ne peuvent s'inté- resser aux maux qui nous passionnent... Mais à moi que me font toutes ces démonstrations? Quel effet produisent-elles sur mon esprit? Vraiment, qu'est-ce que cela me fait que mon être ne soit pas visible dans l'infini?... Si mon affliction peut l'emplir, vais-je me dire que mon corps n'en occupe rien qu'un point?... Et si peu de chose que je sois, j'ai la faculté d'éprouver un nombre considérable de sentiments réels... Et parmi le petit espace je me meus, je puis ressentir des passions pour ]es créatures que mon œil y aper- çoit, m'attacher à leur existence, souffrir de leur séparation... Hélas! hélas!... 0 mon Dieu! je vous en conjure, soutenez-moi !

Elle se met à trembler de tout son être, et cache son visage agité de convulsions entre ses mains. Tous restent pendant un moment sans rien dire et n'osant pas

Ui:i XIEME PARTIE

83

parler. Tout à coup on entend dan- la chambre d'à cot»'- la malade pous-er un long cri dangoisse.)

LA MA LA 1)1.

Ma mère!... oh! que je souffre! oh! que je souffre!...

LA HÈB E en sursaut.

Qu'ya-t-il?... Ha!...

(Elle sélance ver- la chambre du fond. On l'aperçoit qui -e penche ver- sa fille qui geint. Elle l'entend lui parler d'une voix douce et brisée. La jeune fille lui répond de temps ;i autre. Barnabe et Nathalie se sont levé-, un in-tant il- se rasseoient et tendent leur- visages douloureux comme poux écouter ce quî disent à coté la malade et sa mère.

LA If ÈRE précipitamment et tendrement.

Quoi donc! Qu'est-ce que tu as. ma bien- aimée?... Regarde-moi, vois, je suis ta mère, ne gémis plus... Est-ce <[ue tu as beaucoup de mal.' souffres-tu?... Voyons, tu vas guérir bientôt... Tu ne crois pas .'. . . < > ma chère tête, penses-tu que je te sourirais comme je te lais si je n'avais pas dans le ciel une grande confiance?... Q toi <| u^ j'ai nourrie avec mou lait, ô ma douce petite créature, considère-moi!... Veux-tu, nous allons apaiser cette grande douleur? Jeté reverrai de nouveau

84 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

comme autrefois, allant d'une belle démarche dansante parmi les roses, avec ton air d'enfant joyeux qui aime la vie!...

LA MALADE d'une voix navrée, lamentable.

0 ma mère! ô ma mère! je suis malade!... je ne me sens pas bien, pas bien du tout!... Ne crois-tu pas que c'est fini ! ... je suis si faible ! ... Ne penses-tu pas que je ne me relèverai plus?...

LA MÈRE

Qu'est-ce que tu dis?... Oh! oh! ne parle plus comme cela!... Tais-toi, mon Dieu!... D'où te viennent des idées semblables? Toi!... ô mon âme!... 11 n'y a rien au monde que j'aime autant que toi!... Tu as la fièvre, oui, c'est cela, tu ne comprends plus bien ce que tu dis... Tu recom- mences à être toute sèche... C'est l'excitation de la nuit qui trouble ta tête... Tu devrais dormir, si tu peux... Essaie, veux-tu?... Je resterai là, je te considérerai avec amour. Je te bercerai si tu as des songes douloureux, ô toi, mon cœur!... Calme-toi un peu, la nuit est grande autour de nous... Oublie les choses... (La jeune fille s'endort petit à petit, elle, ne bouge plus. La mère se tait un instant et la con- sidère. Puis on l'entend se lamenter à voix presque basse.)

O mon tendre et charmant visage, ô corps dans

DEUXIÈME PARTIE

lequel je respire avec faiblesse, 6 membres que n'agite plus qu'a peine ma pauvre vie, ô lignes Légères, <"> Iront habitent constamment toutes mes pensées, je souffre en vous et avec vous, ô monde ! ô terre !.. . Elle ge lèye, Ta sans doute à la fenêtre dans la chambre, et ensuite elle reprend avec plus de fo^ce. 0 atmosphère que le globe circulaire met en mouvement! ô pluvieuses brumes de l'horizon! ô étoiles vertes! ô vous, toute ma vitalité! Mon Dieu! mon Dieu !...

Klle retombe accablée en sanglotant dou- aient près <lu lit de -a tille. Il y a un moment de silence. La malade dort. Le vent -ouffle avec force dans l'espace som- bre, au dehor-.

BARNABE avec un geste pour désigner la mère.

Sein! comme c'est lamentable, cette chose!... El celle tempête! Est-ce que cela ne suffit pas pour nous rendre tristes?... Oh! qu'il est doulou- reux d'être là, inerte

\ AT 11 ILIE

El le vent !... Et les gens qui passent '.... Pourvu que l'orage ne tombe pas!... J'ai peur l J'ai peut-!...

Iïai;\ \ Malheureusement, il n'y a pas à en douter. Les

86 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

courants qui traversent l'espace portent la tem- pête... La foudre menace. Tout à l'heure je l'ai vue tomber. Tout était noir, et puis tout est devenu blanc sur l'horizon... Ah! mon Dieu! quelle nuit d'agonie ! . . . Miséricorde ! . . .

LA MÈRE revenant un doigt sur la bouche.

Il ne faut pas parler... Elle dort... Je reviens m'asseoir près de vous, parce que je crains que ma respiration ne fasse du bruit. . . Si vous pouviez la voir sur son grand lit!... Elle y semble plus petite encore qu'à l'ordinaire .. Elle a le visage fixe et blanc, mais c'est à cause de sa grosse fièvre de tout à l'heure. En dehors de cela elle paraît mieux...

(Elle s'asseoit. Elle a une figure singu- lièrement triste et calme à la fois. Nathalie se rapproche d'elle avec un air de tendresse effrayée.)

NATHALIE

Restons là... Serrons-nous toutes les deux l'une contre l'autre... Ne bougeons plus de peur que le silence se soit troublé... Oui, tenons-nous ainsi tout près, en attendant!...

LA MÈRE

Oui, ma sœur, ainsi demeurons!... Il faut

DEl MEME PARI II-:

espérer 1»' Seigneur qui doit venir... Vous - bien qu'il répondra à mes prières... Il exaucera tons mes désirs... Ayons la cM-rlitu.li' de sa bonté...

Barnabe, Nathalie, ni la ruére ne di>ent plus rien. Il- -mit assis. Le- deux fem- me- recommencent A condre. Barnabe j « 1 1 +- de temps à autre un regard vit- la fenê- tre. Tout à coup le tonnerre qui éclate fait trembler la maison du haut en ba-. Une vitre se brise. Le vent entre dans la pièce et souffle la lampe. Ténèbres. Tous se lèvent terrifiés, en jetant un Ba! d'épou- vante. Tout ce bruit réveille la malade en

- LUt.

LA MALADE appelant.

Mère !... Mère!... je ^uis toute seule ! qu'est-ce

qu'il y a?

TOUS

Mon Dieu : Mon Dieu I

LA M ldtE qui s'élance vers le fond.

N'ai.' pas peur! Ne crains rien !... Je miï^ ici ! Je m'étais éloignée an peu, ma douce chérie!... Tu Bais liieu. j'étais à côté, dans la salle, avec Barnabe et Nathalie... Calme-loi! calme«toi !... Gomme elle est chaude !...

in deuxième coup de tonnerre retentit.

(AYoi -empan- de Nathalie et de Har-

LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

nabé qui seuls dans la pièce sombre se ser- rent l'un contre l'autre. On entend la ma- lade se plaindre et la mère lui répondre d'un accent bouleversé.)

LA MALADE avec une sorte d'horreur. Ha! ha!... tiens-toi ici !... ne me quitte pas !...

la mer;e

Je te regarde. J'ai tes mains dans les miennes... N'aie aucune crainte... C'est un vilain coup de tonnerre qui heurte l'espace !...

LA MALADE

Je suis dans une grande épouvante... Petite maman!... Je me sens si débile, si faible! Je ne puis plus remuer qu'à peine... Il me semble qu'un noir déluge d'eau tombe sur le toit !...

LA MÈRE

Mon enfant, ne tremble pas ainsi, de cette fa- çon... Oh ! qu'est-ce que tu as donc? Tu deviens de plus en plus pâle, tu palpites fort et l'on dirait que tu te fonds... Ne t'agite pas comme tu le fais, tâche d'être tranquille !... H y a un grand mouve- ment d'onde dans les ténèbres... Est-ce que tu pourrais sommeiller? Essaie encore?...

DEUXIÈME PARTIE 80

LA MALADE

Je ne puis plus !... Oh! à présent je me sens réellement sans aucune force... Je suis chaude

comme une flamme, et sèche! et vive!... Ah! mon Dieu, ne me laisse pas là, parle-moi un peu!... Dis-moi... dis-moi, veux-tu?... ah! ah!

LA MÈRE

Je t'en prie! Ne te donne donc pas tant de mou- vement !... Dieu ! que cela est dur, pour moi, de te voir ainsi agitée et convulsive !... Cesse de bouger de celte manière... Que lu es blanche!... oh ! que tu es terrible à voir... ah ! douce petit»'. . . Quoi! vas-tu t'exténuer ainsi? Non ! Non! n'est-ce pas ?...

LA MALADE

Mère ! oh! reste avec moi! Il pleut, ô nuit !... A présent je ne sens que trop qu'il va me falloir te quitter, partir au loin !...

LA MÈRE Qu'est-ce que tu dis?..,

I. \ M VI.ADE

Il me, semble que je vais mourir, oui. c'esl

cela... Maman, maman, vois comme je me

suis épuisée ! Hélas ! Hélas !... ?sTe pleure donc

s

90 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

point, ne crie pas en poussant une plainte qui me fait peur... Car je vais, tu me retrouveras quelque jour... Dieu ! que je souffre!...

LA MÈRE avec un grand cri.

Elle est retombée sur son lit!... Est-ce que vraiment... Au secours ! Au secours! Dieu! Dieu ! Seigneur ?...

(Nathalie et Barnabe, qui, pendant toute cette scène, sont restés avec des airs transis non loin de la porte du fond, se précipi- tent pour voir en entendant l'appel de la mère. Ils entrent dans la pièce, et on les entend tous parler avec des voix singuliè- rement douloureuses quoique rassurées.)

NATHALIE dans la chambre de la malade.

Non, non !... elle s'agite, elle remue ! Elle n'est pas morte !...

LA MÈRE avec exaltation.

Ah! ne prononce jamais ce mot terrible!... Garde le silence !... Quoi ! est-il donc possible que... Ah ! non! jamais!... Moi ! je serais donc déchargée de tous mes biens, et, comme un vase versé par terre répand ses joyaux hors de lui, je verrais s'échapper mes trésors rares !... Je ne veux pas!... Ha! ha! quelle misère dans ma vie brillaient tout à l'heure encore de telles

DEUXIEME PARTIE "1

richesses!... Oh! présente, elle disparaîtrait!... physique je la verrais san< Ame !... ayant toutes les {'orme- de la vie elle sérail néanmoins froide et inerte!... Et je me trouverais dépouillée de ma fortune !... O Dieu ! <> Chris! ! faites-moi miséri- corde, à moi <jui souffre!...

Elle toml >ui près du lit de la

jeune fille qui semble insensible et qui commence à râler. Les autres sont à côté dans l'attitude de la douleur et de l'an Delmr- i n entend toujours souffler la tem- pête du vent. Il fait sombre partout, sauf dans la petite chambre se tien- nent maintenant le vieillard et ses deux compagnes. La première -die est obscure. Tout à coup, ûi - coups frappés 'branlent la porte et des voix résonnent dan- [< lence terrible de cette désolation et de cette nuit.

Uni;. ! Ilola

VOIX I) Kilo 11 S

(Nathalie se jette dan- la -aile noire en poussant un cri, Barnabe cour! pour dé- crocher son fusil, la mère se montre tout ml éclairé do la chambre

oie. Ils font tous de vagues

pleins d'eflan ment.

TOUS à 1 intérieur

Qu'est-ce qu'il y .1?...

92 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

(On frappe de nouveau avec force, et on entend un mouvement d'hommes piétinant sur le pavé de l'escalier à la porte de la salle noire.)

VOIX DEHORS

! donc ! les gens ! ouvrez-nous?...

(Nathalie ne répond pas. Barnabe a pris son fusil et se met près de la porte comme aux arrêts. Il écoute. La mère se tient tou- jours sur le seuil clair, dans le fond, et tourne ses regards tantôt vers la route, tantôt vers la jeune fille qui râle sans cesse et commence à délirer. Elle paraît prise à la fois entre la peur que lui inspirent les menaces du dehors et l'humble amour qu'elle éprouve pour l'agonisante.)

BARNABE sourdement et rudement.

Allez-vous-en !...

MALADE avec une voix pleine d'effroi.

Petite mère !... petite mère !...

VOTXDEHORS plus brutales.

Voyons, vous autres?... vous ne sentez pas qu'il fait froid !... Il pleut dehors !...

BARNABE

Tant pis pour vous !...

DEUXIEME PARTIE 93

LA MALADE d'un on de supplication.

Maman ! maman !...

LA If ÈRE

Ma pauvre petite ! ...

voix dehors

Nous demandons un gîte... Ktes-vous sans cœur?...

BARNABE

Foutez le camp... Nous n'avons pas besoin de vous !... Nous sommes à veiller quelqu'un qui va...

LA MERE

lia : ii;. :... Ho! iio :...

VOIX DEHORS

C'est justement parer que vus êtes dans la douleur que vous devriez partager aussi la no- tre !... Nous sommes glacés !...

BARNABE

Vous ne m'inspirez pas de compassion... Ko ?urs des rou oue voua êtes !

deurs des routes!... Vauriens!... Sacrés gueux

94 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LA MALADE comme si elle délirait.

0 mère chérie, c'est le Seigneur... Tu ne sais pas...

LAMÈRE

Ho! qu'est-ce qu'elle dit?... Dieu! le pauvre petit être !... Hélas !... hélas !

(Elle se met à pleurer silencieusement. Elle se couvre la figure avec ses mains.)

VOIX DEHORS d'un accent de colère croissante.

Allez-vous nous laisser pourrir sur place comme des plantes dans une cuve d'eau?... Nous sommes des malheureux!... La tempête souffle! Il passe sans cesse des trombes de pluie qui ébranlent l'air... Nous nous mouvons au-dessus de la terre comme dans de l'eau...

BARNABE furieux et terrible.

Que l'ouragan vous engloutisse dans ses re- plis!... Est-ce que vous entendez ce que je dis?... Si vous étiez des honnêtes gens, vous ne resteriez pas ainsi à faire du bruit!... Il faut partir, com- prenez-vous, et tout de suite, parce que j'en ai assez de vos menaces ! ... Je n'ai pas peur de vous ! . . . Je ne tremble pas!... Si vous croyez m'intimider

DEUXIEME PARTIE

avec vos cris et vos mouvements, détrompez- vous!...

L \ MALADE avec un grand désespoir. Oh! ils n'ont pas pitié!.,. Sec, un -/-moi 1. .

BARNABE au comble de L'exaspération.

Est-ce que vous allez continuer h rester lit?... Dieu! le vais vous montrer ce que vous êtes!... Si vous nr partez pas d'ici, je tire sur vous...

Personne ne répond. Il y a une grande attente anxieu-e. On entend «les voix sour- dement irritées qui se mélangent confusé- ment. Des pas sïdoignent. Barnabe et Na- thalie poussent tous deux un grand -oupir de soulagement. Ils se rapprochent de la fenêtre pour voir ce que deviennent les -. IN le- voient s'en aller sur le chemin >U8 la pluie. Ce sont le- comp.i. Marie et le Christ.

LA MALADE les Lia- tendus.

H ne nie lai--«'/ pas mourir ! ... .V me.. Ha! ha!...

Bile pousse un grand cri comme si tout brisait an elle, et elle retombe sui lit. La tri. re se jette sui la pauvre toute creuse de bs fille et sanglote con- vulsivement. Barnabe et Nathalie se préci- pitent dans la chambre, et au bout de quelque- instants on les roil appai sur le seuil, bouleversa

96 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST BARNABE ET NATHALIE

Miséricorde!

LA MÈRE avec un regard extatique. Christ!... C'était!... Ah!...

(Elle se jette à genoux. Les autres limi- tent. Tous les trois récitent des prières. Le tonnerre éclate. Le vent court à travers la pièce en secouant partout les ténèbres glacées.)

TROISIÈME PARTIE

LA COLÈRE DES PAUVRES COMMENCEMENT DE L'ANGOISSE DU CHRIST

TROISIÈME PARTIE

LA COLÈRE DES PAUVRES COMMENCEMENT DE L'ANGOISSE DU CHRIST

In plateau dominant la Ville. L'endroit est inculte et rude, traversé de routes, creusé de fossés. La Ville que l'on découvre de semble être énorme. Elle occupe toute l'étendue dans le fond.

On voit des mendiants en haillons; l'un est manchot et joue de l'orgue, l'autre, aveugle, a les yeux Baignants, H il y a encore une pauvre et lourde femme qui se traîne en sautant péniblement à l'aide de béquilles de bois.

Ces trois créatures exposent leurs plaies et leur misère lamentable, échelonnées le long du rocailleux carrefour que forment les chemins en se rencontrant dans l«' milieu du plateau.

Au loin, en bas, des usines d'où s'élèvent de ragu< mées, des fabriques dent 1rs hauts tuyaux exhalent des flammes, des églises qui se profilent sur Le ciel terne du matin, une cathédrale formidable dont la massivité fait une tache éclatante, découpent ça el leurs bizarres as parmi les groupes innombrables des maisons de la Ville immense.

Ur temps à autre, on entend au lointain des musiques

rs»ti$

BIBLIOTHECA

100 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

de carillons, des fragments de fanfare allègre et fausse, des bribes de morceaux d'orgue pesants qui arrivent jusqu'à ces hauteurs, d'ailleurs peu élevées.

On devine qu'une fête se prépare dans la Ville. Il fait grand jour.

(Au début, il ne passe encore personne sur la route, et les mendiants sont seuls dans l'attente, avec un air trisle et hargneux. La femme estropiée se tient un peu à l'écart, au bout de la route; elle fait le guet, elle cherche à distinguer si des gens vont venir. Le manchot se trouve au milieu du carre- four. Et il parle à l'aveugle qui l'écoute en hochant la tête en signe d'approbation.)

LE MANCHOT d'un ton d'irritation sourde.

...Depuis ce matin, avant l'aube, quand les coqs de ferme en ferme ne s'étaient pas encore répon- dus, nous sommes là, et dans quel but, je vous le demande?... Car enfin, qu'avons-nous gagné jus- qu'à cet instant?... Certes, des processions de vil- lageois se sont déroulées devant nous, soulevant la dure poudre de la route, et se dirigeant vers la Ville avec des richesses dans des sacs; mais que nous a-t-on donné?... A implorer la pitié, nous n'avons obtenu que des outrages, et de-ci de-là, quelques liards de cuivre... Allons, à notre tour cependant, il serait bien temps de vivre!... Car le ciel, de violet est devenu gris, et les campagnes froides à l'aurore se sont peu à peu échauiïées, et dans l'air s'agglomèrent sans cesse des aro-

TROISIEME PARTIE 101

mat»'-... Et ainsi un jour succède à un jour... EX un malheur remplace «lo même an autre mal-

L'AVEUG LE

Ha! certainement, cela es! véritable... Il en passe des gens, el puis d'autres qui veulent bien donner tous leurs sous pour aider à bâtir des ca- thédrales (Il fait un geste impétueux), mais quant à en offrir un seul afin de taire vivre des êtres comme nous sommes, non. ils n<i le désirent pas

LE MANCHOT dont la colère se fait jour.

I>ien volontiers ils nous laisseraient pourrir sur terre i... De quelle manière les intéressons-nous?.., Que sommes-nous pour eux véritablement? Us pen- sent que nous somme- peu de chose et il- ne nous considèrent pas comme des hommes dont Ils puis- sent tirer profit!... Nous ne leur donnons aucune joie!... Alors pourquoi?... Ba! ils vont s'en payer maintenant ! Us sont beureux! Ils ont des aspects d'allégresse qui me font peur!... Car il- sont partis des villages, de tous côtés, et ils se dirigent vers la Ville; et est-ce parce que l'on inaugure la cathédrale, non cela n'esl qu'un prétexte, et ils ont le désir de jubiler, ils ne se soucient guère du reste. . Ah ! chienne de terre !...

I

102 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Depuis quelques instants, la femme estro- piée a quitté son observatoire. Elle a écouté le manchot. Elle a, elle aussi, un aspect véhément, sombre et bourru.)

LA FEMME ESTROPIÉE avec impétuosité.

Bon! bon!... qu'est-ce que cela nous fait?... Plutôt que de nous lamenter, mieux vaut prendre le plus de plaisir que nous pouvons!... Vous êtes à geindre tout le temps! Et puis après?... Allons! allons! il faut rire à la fin!... C'est bien

permis !.

(En proie à une joie parodiée et brutale elle s'empare tout à coup de l'aveugle et elle l'emporte dans une ronde boiteuse étrangement tragique. L'aveugle se défend, pousse des cris, et rit. La femme estropiée se tord en tournant. Le manchot s'esclaffe et tire de l'orgue de Barbarie un air sur- aigu et grinçant.)

L'AVEUGLE se débattant.

Ho! ho!... Eh bien, qu'est-ce qui te prend?... Assez ! assez ! . . .

LA FEMME ESTROPIÉE riant d'une manière brusque.

A la Ville, n'est-ce pas? ils sont tous en joie!... Veux-tu gémir devant eux afin qu'ils se moquent de ton affliction?... Oui, oui, ils nous croient la- mentables et misérables! Eh bien, qu'ils passent

TROISIEME l».\ i; I 11:

donc a présent et qu'il- non- voient '.... 11- n'ont jamais vu la misère danser, ii- seront peut-être effrayés de -ou aspect !...

L'A Y E UG I. E parvenant _er.

Ouf!... ouf!... Ah ! bon Dieu !... Je n'en pouvais plus !...

Il va - i tre le talu>, d'un air

effaré; la femme aui béquilles s'écroule par terre, 'I»' j » i e fausse »'t -onore: le man-

t fait t * » 1 1 j . . vi r- t< »iirii«r la roue de l'ar- gue.

Entrent uue troupe «le vill g femmes en costumes de dimanche, rouges comme des briques, de- nommes rustiques et ép

LA PB M MI ESTROPIÉE

Ali! dommage, vraiment!... ils arrivent trop lard.

Toutefois le- mendiant- changent sans tarder de maintien. 11- contrefont aussitôt 1- - mouvements de la plu- grande désola- tion. D'un accent Lugubre et monotone il- nietfent à implorer la générosité des rills Li charité, mes bons n

sieurs ' i Dn petit sou, s'il tous pleut ! \\t i de la compassion! s'écrient il- du plu- loin qu'Us aperçoivent les villa, le long du carrefour. Kt 1 orgue se d mugir. Mais les autre- font d'aboi l le lourde oreille. Pui-, harcelés, il- s'irrit

104 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES VILLAGEOIS avec des gestes de refus.

Encore de ces sales mendiants ! Ah ! çà mais ! en verrons-nous encore beaucoup? Ils encom- brent la route, ces vagabonds-là !...

LES MENDIANTS d'un ton toujours plus morne.

Mes bons messieurs ! mes saintes dames î cela vous portera bonheur ! Nous vous béni- rons dans toutes nos prières

LES VILLAGEOIS les repoussant.

Ya-t-en de là, toi ! Tu nous barres la voie ! ! ils nous percent de leurs cris ! Vous savez vous ! vous n'aurez rien ! Pas un liard î Ils continuent! Ah! nom de nom! est-ce que tu crois que c'est pour vous que nous avons accu- mulé petit à petit les quelques monnaies dont maintenant nous disposons?...

(Ils s'en vont par la route qui descend vers la ville; les mendiants les regardent partir, et, à mesure qu'ils s'éloignent, leurs corps se redressent, leurs visages reprennent l'expression de haine qu'ils avaient tout à l'heure. L'orgue se tait.)

LE MANCHOT le poing tendu vers les villageois qu'on ne voit plus.

Non! ce n'est pas pour nous, nous le savons,

TROISIÈME PARTIE 103

qu'ils ont épargne leurs deniers et leur- écusl... ( l'est pour Loire tout le long de leur voyag pour faire les farauds avec leurs femni< pour godailler à leur aise de L'aube au soir... pour rouler leurs fronts pesants dans la saou- lerie !...

Il Fait un t:e-te de menace dans la direc- tion delà Ville. L'aveugle, qui écoute, semble approuver de la tête. Tout à coup la femme estropiée signale de nouveaux arriva

LA FEMME ESTROPIÉE

Ah ! Ixui Dieu <!<> l>on Dieu ! en voici d'autres Eh bien, ils tombent Lien véritablement!...

Le manchot -erre les poings sans rien

dire. L'aveugle ricane d'un air sinistre. Entrent le Christ, Marie et les compagnons. Il- s'arrêtent à rentrée du carrefour, loin des mendiant- qni sont de l'autre côté, et qui le- épient connue prêts à bondir sur eux.}

LE CHRIST d un ton de lassistude, continuant une conversation.

Non. je ne me rendrai pas avec vous à la fête, car qu'irais-je y faire à présent?... Parcette journée d'été aride el rouge, je préfère rester sur ce ter- tre d'où l'on aperçoit la Ville tout entière... Je désire méditer seul... Et vous, pendant ce temps, allez, je vous envoie ô mes chers compagnons...

106 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

Que la justice réglemente vos actions, comme un maître donne des ordres, toujours compris, à des serviteurs capables de les suivre... Je vous atten- drai sans angoisse, n'est-ce pas?... Je vous de- mande de me rendre compte seulement de l'état des esprits qui sont là-bas... J'ai confiance en vous, mes petits. . . Vous êtes la spirale que j'ai engendrée en me mouvant sur moi-même, et dont le point de départ ne peut être ailleurs qu'en moi...

LA FOUILLE

0 Seigneur, ne doutez jamais de notre amour... Tout ce que nous faisons, c'est d'après vous..,

MARTIAL

Nous nous sommes associés à vous comme des matières que réunissent des affinités sem- blables...

ZACHARIAN

Oui, oui, cela est bien vrai... que sommes-nous en dehors de toi? Est-ce que nous ne sommes pas dociles à tes désirs?....

LE FOSSOYEUR

Tu es notre premier mouvement, et son motif, et l'origine de sa raison... Aussi, sois donc tran- quille, ô mon bon maître...

TIIOIS I CM K PARTIE 103

LE CHRIST

Vous m'êtes attachés, je le sais, mes bien- aimés... Souvenez-vous que c'est on mon être invisible que vous avez j>ri» aaissance... Car il

fan! revenir souvent à la cause avant d'établir les effets et de déterminer l«i- résultats. Faites donc ain^i... Et dans ce cas, je n'aurai qu'à vous approuver quoi qu'il arrive... Méfiez- vous de vous- même, j<i vous le dis... El aujourd'hui plus en- core qu'eu n'importe quel temps, car je sens qu'il va se passer des choses 1res grandes... Use tourne vers la ville., 0 ville, je ne vais pas v.ts toi. mai* je t'envoie des hommes armés pour te combattre... car nous ne nous convenons pa-, et il faut que l'un (!<• uous deux soit diminué... Qui -era-ce, toi ou moi? Lequel de l'un ou bien de l'autre sera vaincu?... Tu agiras par la violence, et moi j'aurai raison de t<»i par la justice '....

Les mendiants, qui. trop loin pour en- tendre cette conversation, en ont suivi le< périodes ivec une impatience furien précipitant a la fin ver- les compagnons L'aveugle tai-méme traîné par la femme e>tropiée et. avec des mines écumantes, le- interpellent

LA FEMME ESTROPIÉE avec une grande riolence.

Holà! les hommes.,, donnez-nous «le l'argent...

108 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES COMPAGNONS, ils se retournent, stupéfaits. bien ! . .. bien ! . . .

LE MANCHOT

Bougre de nom de Dieu ! c'en est assez!...

L'AVEUGLE

Oui, n'ayant attendri personne, jusqu'à pré- sent...

LA FEMME ESTROPIÉE

Dénués de tout comme nous sommes, infirmes, et traînant le poids corrompu d'une portion de notre corps, néanmoins nous n'avons pas peur... et ni d'autres, ni de vous, nous ne redoutons rien... quoique vous paraissiez de solides hommes, aidés encore par surcroît de vos bâtons au bout épineux et aigu ! . . .

(En présence de celte avalanche de cris, d'injonctions et d'apostrophes, la troupe des compagnons semble d'abord excitée à la colère, mais, la placidité du Christ réfrène ce premier mouvement. Bientôt, tandis qu'augmente la violence des mendiants, l'ir- ritation de Marie, de Zacharian et des autres s'atténue et se change en une sorte de pitié bourrue.)

MARTIAL

Eh là! qu'est-ce qui vous prend, dites donc?...

TROISIEME PARI II

LE FOSSOYEUB

Pourquoi nous parlez-vous <1 s cette façon?... Oui, oui, vous êtes bien à plaindre, mais esl une raison, parce que vous souffrez, pour...

LA FEMME ESTROPIÉE en rigolant.

IJo ! ho!... comme ils sont doux ceux-là!... Hein! dès qu'on leur montre de la force, ils ont la frousse !...

LE M \ NGHOT, d'un air sombre.

Quand notas avons crié : pitié ! ils se sont tordus de rire, il- nous ont répondu par des injures... \ présent c'est nous qui les menaçons, et voilà qu'ils

modèrent leur ton et qu'ils contiennent leur colère !...

/. \<:ii.\i!i AN

Vous pouvez vous lever avec violence... el contre nous qui ne vous avons rien l'ait et donl vous ignorez les sentiments, von- précipiter tragi- quement connue si vous étiez des machines de

LA POUILLE

Nous n'en répéterons pas moins que vous êtes des hommes malheureux <it lamentables !...

HO LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST LE MANCHOT avec véhémence.

Oui, nous sommes tels!... Mais qu'est-ce donc que vous comptez faire pour nous rendre la vie moins triste !... Ho! cela est facile de s'attendrir sur nous, et de se répandre en paroles de charité, et d'imiter nos gémissements plus ou moins bien!... Et pendant ce temps nous tremblons d'angoisse, et repoussés de partout comme si nous portions la peste avec nous, avec dégoût chassés des lieux nous entrons, nous sommes réduits à nous traîner sur les chaussées..., dans le limon, et le long des talus sans herbe !... Eh bien ! vrai- ment, est-ce qu'il y a une justice?...

LE FOSSOYEUR d'an air à la fois sombre et joyeux

Ça me plaît ce que vous dites-là !... Non ! non ! ô terre, ô vents, ô univers! il ne peut pas être nécessaire que tant d'hommes passent leur exis- tence dans le malheur!... Et au contraire tant d'autres possèdent de belles maisons, des enclos, des campagnes fertiles, des motifs de félicité inta- rissables ! et ils, renferment tous leurs trésors dans leurs greniers!... et entassant toutes leurs récoltes petit à petit, ils finissent par rouler leurs biens dans des barriques!... et dans la vue de leur puissance, ils puisent toutes leurs satisfac- tions les plus profondes!... Ha! ceux-là, il se croient des droits sur l'un ou l'autre, comme si

TROISIEME PARTIE III

nous n'étions pas nous tous des débiteurs natu- rels!... Malheur à <'u\. car ils accumulenl leurs richesses en de trop grandes quantités!... El ce- pendant ils n'en distraient pas une parcelle, afin de subvenir aux besoins des hommes pauvres. El leur en soustraire une parti-', même toute petite, une chose aussi difficile que d'extraire une perle de la mer, ou que de tirer un diamant d'une mine de houille!... Oui, un tel étal de la vie se trouve opposé à toute règle de l'équité!... Il serait juste de mettre au pill réserves

agglomérées, de les répandre en part- égales parmi les hommes, et de détruire ces réservoirs de l'avarice!... Oui, oui. voilà en vérité ce qu'il faut faire !... Et autrement qui peul se flatter du nom d'homme, el se croire du courage dans la poitrine?...

LES MENDIANTS en battant des mains déplaisir.

Bravo! bravo! Oui, ce sont des choses vraies

qu'il dit !... lia raison ! ..

LE FOSSOTEUH

Est-ce que nous supporterons longtemj s vivre -au- rien, comme de- graines jetées sur la roche qui ne peuvent tirer d'alentour leur nourri- ture?...

112! LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LE MANCHOT d'un ton décidé.

Et nous aussi, nous en avons assez !... Car ce n'est pas une vie que nous menons!... Misère de terre!... Eh quoi! devrons-nous implorer, sans fin, toujours, afin d'obtenir des subsides qui nous sont dus?... Sera-ce donc notre existence à nous?...

LE FOSSOYEUR

Tolérerons-nous que les riches conservent leurs fortunes à nos dépens, et les agglutinent dans les sacs, et environnent leurs champs de haies d'épines, et posent des pavés sur le seuil de leurs demeures, et se retirent de notre présence quand nous passons, et lancent sur nous leurs meutes de chiens parmi les routes?...

LES COMPAGNONS violemmeot. Non! Certainement!...

LE MANCHOT.

Ah! jamais plus, à présent, nous ne consenti- rons à exposer nos plaies pour gagner ce qu'on nous doit !...

LA FEMME ESTROPIÉE

Trop longtemps nous avons souffert!...

I RQ1SIÉME PARTIE 11:;

1/ \ VEUGLE

Assez nous nous sommes humiliés devant les hommes !...

LE FOSSOYEUR avec exaltation.

Oui, oui, assez !... Car ce -ont eux qui devraient lillir de honte en nous voyant... non- misé- rables! et vous malades el Infestés!... Car il esi infâme pour les hommes pourvus de bien que d'autres ne possèdent rien du tout, et soient ré- duits a la misère la plus abjecte, et aient besoin ibaisser afin d'obtenir les secours indispen- sables!... Ah! maintenant nous voulons être riches, vivre à notre aise, et dussions-nous tout bouleverser, nous agirons!... Mais nous obtien- drons ce <|ue nous voulons !...

LE CHRIST il pousse une longue plainte.

0 malheureux !... n se tait un instant et les considère tons.) Bien plus à plaindre encore que vous ne le /. avec quelle compassion profonde je vous envisage maintenant!... Bêlas! voua n'avez donc aucune intelligence, comme si, en vérité, vous étiez simplement des blocs de terre muni- d'une faculté d'action 1... Car enfin, vous êtes ou aveugl estropiés, ou Infirmes à un poini extrême, el au lieu de faire de votre âme le centre de vos salis-

ti

114 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

factions dans l'univers, c'est encore à ce corps inerte que vous attachez le plus d'importance!... N'est-ce pas une chose extraordinaire qu'étant de lamentables formes, mal construites, sans force et sans cohésion, vous préfériez à tous les autres les plaisirs qui vous viennent de votre être infé- rieur?... Oui, vous aussi, je vous le dis, vous mettez votre trésor ailleurs que dans son lieu véritable!... Et comme si, possédant une terre aride, vous vous acharniez à la cultiver pour en tirer des fruits qu'elle ne peut pas donner, vous vous occupez sans espoir de la partie impure et stérile de votre être... Et vous ne cherchez en aucune façon à obtenir de celle qui pourrait être féconde des richesses bien moins difficiles à ac- quérir!... Et vous dites, comme si, en effet, cette masse mal sculptée et sanguine que vous portez au prix d'un effort continuel était jamais capable de vous rendre en bonheur ce qu'elle vous prend en peines : donnez-nous des choses substantielles, afin de remplir ce ventre et ces flancs, voilà ce qui nous intéresse, et sauf cela rien ne nous satis- fait... Et ainsi vous enviez les biens d'autrui... Et les espaces couverts de blés sollicitent les désirs de votre vie... Et vous ambitionnez des joies terrestres ! . . . (Il regarde sévèrement ses compagnons.) Et vous aussi, vous aimez d'une trop grande pas- sion les choses du monde!... Mais pourquoi tour-

TROISIÈME PARI IE 115

nez-vous dehors spérances?... Devenez donc

vous-même votre propre Lien!... Que cela seul vous paraisse désirable qui vous est connu el qui vous semble stable!... Car sachez-le, l'unique propriété au monde que chacun doit vouloir accroître el rendre meilleure, c'est soi-même el rien de plus, c'esl la portion éternelle de uotre existence, et aucune autre chose,, en réalité... Et, quant au reste, peu importe! car les territoires qui non- environnent, dous ne les connaiss pas!... El ils ne Boni rien que de vagues matiè- res! .. Et ils ne peuvent jamais être | par nnihl... El je vous l'ai dit bien des fois, qu'est-ce que s'enrichir .l'un espace physique?

c'est s'adjoindre un grain de sable, s'augmenter

d'un peu de poussière, s'étendre «l'une chose sans consistance et sans durée!... Il est aussi insensé de vouloir gagner et garder ce qui nous vient de l'univers que d'avoir le désir de l'occuper... Il faut comprendre qu'il n'y ;i rien qui nous appar- tienne en propre, même pas nous, si ce n'esl pour un temps assez court, et alors le reste esl à tout le monde!... Car l'existence noua esl prêt» et les facultés qui forment la conscience, et la force de mouvoir nos membres de telle ou telle autre façon, el la puissance d'appliquer le- résolutions conçues par L'esprit... el les bien- possédés dans l'univers, et Les domaines limite- par un droit

116 LA TRAGÉDIE DU JXOUVEAU CHRIST

momentané, et les maisons avec leurs murs contradictoirement opposés les uns aux autres, et les trésors de grains, de vin ou de farine, et enfin toutes les choses du monde, quelles qu'elles puis- sent être!... Et rien n'est un don éternel, mais simplement le prêt d'un jour ou de plusieurs... Ainsi, cherchez donc avant tout à vous connaître, à vous perfectionner sans cesse, à tirer de vous- mêmes le plus de joies possibles...

(Pendant la fin de ce discours, sont arrivés des paysans qui se dirigent vers la ville. Ils aperçoivent les mendiants, les compa- gnons et Marie, les uns debout, les autres couchés sur le talus autour du Christ, ils s'arrêtent d'un air goguenard, se montrent par des gestes de moquerie ce groupe, sans en être d'ailleurs aperçus, et d'assez loin finalement l'apostrophent.)

LES PAYSANS avec force.

Ohé ! ohé !.. . Dites donc, vous autres ! . . . Vous avez du temps à perdre, si vous écoutez ce qu'il vous raconte!... On le connaît celui-là? il se fait appeler le Christ... Ha! grand vau- rien !...

(Les compagnons se tournent vers les paysans qui ont éclaté d'un rire brutal et rude. Les mendiants les regardent aussi d'un air irrité et surpris. Marie tend le poing en signe de menace. Le Christ de- meure impassible. Une violente dispute s'engage cependant.)

TROISIEME PAIiTIE HT

LE FOSSOYEUR

Foulez-nous donc la paix. 1rs hommes ! ou sans cela

LES PAYSANS

Bien quoi ! nous n'avons pas peur!... Ces! < vous (jue nous montrerons ce que vous êtes!...

LES .MENDIANTS ET LES COMPAGNONS

Putréfactions douées de mouvement! Saletés mises sur pattes pour répandre la peste...

L E S PAYSANS ramassant «les pierres pour les jeter. Ho! ho ' on va voir, sacrés bougres!...

LES MENDIANTS ET LES COMPAGNONS

Incarnations de la sottisej [Stupidités ayant forme d'homme !..

LES PAYSANS Lançant [des pierres*

Aboyeurs de route ! vagabonds! < )n sait ce

que VOUS valez !...

LES MENhi an PS ET LES COMPAGNONS

Veulent-ils que nous les éborgnions?... Le

10.

118 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

vil troupeau ! Ah ! qu'il se dérobe en fuyant de toutes ses forces ! Sinon on va casser leurs têtes comme des terrines pleines de sang !

(Ils prennent des pierres et les jettent contre les paysans qui se sauvent en tu- multe par la route en pente vers la ville. Ils les poursuivent à coups de bâtons et en les outrageant. On entend une rumeur vague dans le chemin. Le Christ reste un moment seul avec Marie. Il lui montre la troupe qui se bat et vocifère.)

LE CHRIST il désigne les compagnons à Marie.

Eux aussi, ils sont impétueux!... Considère- les !... Ils ne sont bons qu'un instant! Ils retom- bent plus vite qu'ils ne croient vers les réalités les plus obscures!... L'amour ne les possède pas, la haine constamment s'empare d'eux et les fait mouvoir à son gré, ainsi qu'une roue...

(Marie sourit tristement. Des pierres tra- versent l'air, jetées par les paysans et par les autres. Des voix s'interpellent. Tout à coup les paysans s'échappent. Et, de loin on entend l'un d'eux crier vers le Christ: «Allons, le Chribt, descends donc de ton Gol- gotha pour voir un peu!...» tandis quun grand éclat de rire„ résonne au loin. Puis les compagnons et les mendiants revien- nent les uns d'un pas solide, les autres clopinant, en tâtonnant ou avec difficulté. Le Christ les accueille avec un air d'indul- gent reproche.)

TROISIÈME PARTIE 118

LE CHRIST faisant allusion aux paysan».

Oui. sans doute! ils m'ont injurié, et vous nous!... Ils vont néanmoins à la Ville avec Le dé- sir d'honorer ce qu'ils outragent î... Hélas ! com- prenez-les, mes bien-aimés... [Is nous repoussent parce qu'ils ignorent la vérité, ils ne demandent qu'à la connaître, ils ne cherchent qu'à la décou- vrirai ils l'accepteront toujours avec joie!... Ils ne nous sont hostiles que parce qu'ils n<i savent pas!... C'est leur ignorance bourrée de chardons qui braille après dous et qui court sur nous !...

et une p rase, b te, la relève, se tourne du côté île

la Ville afin de la considérer et regarde en-uite fixemenl ses

compagnons.) Allons, voici l'heure à présent, et il va vous falloir quitter ce lieu... Le soleil se tient au centre de l'espace, et de la jette ses feux ter- ribles sur la partie de l'univers non- nous trouvons maintenant... Lorsqu'il fera nuit, re- venez, vous me rencontrerez à la même place... Va, toi, Marie, accompagne-les, car je préfère rester seul... Tu veilleras un peu sur eux, <le peur qu'ils n'agissent pas comme il faudrait...

ix devient grave, Bilieuse.) Adieu, et à ee soir, mes

bien-aim

LES COMP IGNOR - - - d .liant. A. lieu, ayez confiance en nous

120 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LA POUILLE prend la main du Christ et la baise.

0 mon bon bon maître !

(Ils s'en vont et font un geste aux men- diants qui se sont écartés pendant le dia- logue et sont allés reprendre leur place le long de la route. On voit disparaître Marie et ses compagnons dont la démarche et l'ex- pression grave sont presque tragiques et semblent composées et déterminées par le pressentiment d'une catastrophe. Le Christ les considère d'un regard triste, il se tait, puis il s'achemine vers le fond du plateau, de manière à voir la Ville de plus près, et comme face à face.)

LE CHRIST contemplant la Ville et dans un mouvement tragique.

0 désolation mystérieuse ! . . . ô sainte douleur ! . . . Oui, de m'offrir à vous, ô vous que j'ignore, ô ensemble infini des choses que l'éclat de l'esprit rend seul visibles, je conçois aujourd'hui toute l'amertume !... Quelle responsabilité ai-je dans l'univers! combien j'en éprouve le poids, et jus- qu'à quel point elle me pèse maintenant !... Oh ! j'ai présenté bien des fois ma lourde poitrine, tour à tour, à la pierre écarlate du midi et au trait perçant de la lune qui brille là-haut, mais jamais encore avec cette violence je n'ai senti d'une telle manière et aussi formidablement la force du nonde m'environner et me frapper !... vais-je

TROISIEME PARTIE 121

sur terre ? à quoi rôle suis-je prédestiné? Au mi- lieu de ce peuple qui se retire Je moi, à qui puis- je m adresser, mon Dieu ! ... Ha! ha! malheu- reux ! qu'ai-je à faire ici ou là, en cet endroit plu- tùl qu'ailleurs, à côté ou beaucoup plus loin? Quoi est mon but ?... Ne suis-je pas partout soli- taire et toujours seul, quoique je fasse tous mes efforts pour rompre cette inégalité épouvanta- ble?... N'ai-je pas à supporter sans cesse les outrages tempétueux de l'univers?... Que je de- meure debout et stable, ou que je m'avance au contraire, il importe peu!... Combien il m'est indiffèrent de faire une chose ou bien une autre, car de toutes celles que j'accomplis il ne résulte jamais pour moi que des souffrances... Et la vie me présente toujours la même tristesse... Et la terre n'est jamais pour moi qu'un lieu d'exil!...

Il voile -a tête île ses mains et semble entrer dan- une méditation terrible. Les mendiant- paraissent songer parmi le car- refour. Au loin, on entend des bribe- morceau* de musique Foraine qui montent de la Ville en fête.

QUATRIEME PARTIE

CE QUE FONT LES COMPAGNONS LORSQU'ILS SONT DANS LA VILLE

QUATRIÈME PARTIE

CE QUE FONT LES COMPAGNONS LORSQU'ILS SONT DANS LA VILLE

Dans la Ville, une grande place carrée environnée de maisons. Un découvre, à droite, un marchand de vins, et à gauche une boutique de boulanger. Au second plan une rue débouche des deux côtés. Dans le fond s'alignent des maisons avec des devantures peintes, une boucherie, une pharmacie; à un premier éta^e un atelier de modes. Tous ces bâtiments sont épais, coloriés de haut en bas, et décorés de bannières, posés à pic sur la place. Us semblent pen- dre de tout leur poids. Par-dessus les toits, au loin, geot les masses vives d'une cathédrale neuve que Ton <>it d'une manière distincte.

Sur le seuil de leurs portes se tiennent le boulanger, 1<* boucher, le pharmacien, énormes, en habit de fête. Le boulai debout, appuyé contre sa porte. Le bou-

cher «-si sur une 'luise et semble vaguement somnoler. pharmacien lit le journal.

Derrière les vitres de l'atelier de modes, on distingue quelques ouvrières, qui cousent, fonl dos chapeaux, tra- vaillent.

Le marchand de vins place destables, dispose des '

H

126 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

le long du mur de sa boutique, va et vient, court très affairé, comme en prévision de nombreux clients.

Enveloppant cette place qui n'est animée que par ces mouvements intimes, un tintamarre formidable roule d'un bout de la ville à l'autre, de-ci, de-là : des harmonies de fanfare de temps à autre, les cris longs, aigus et inter- mittents des marchands de rue dispersés, les bruits de chansons quelquefois, éparses, mais le plus souvent ren- forcées par l'effort d'un groupe de voix, telles sont les musiques qu'on entend, qui tantôt se rapprochent, tantôt s'éloignent, mais dont l'énorme charivari annonce une fête éclatante et crée un décor de joie invisible.

(Au moment la toile se lève, un son de fanfare retentit au loin. On distingue des cris fugaces : Les frais bouquets!... les belles cerises!... que doivent pousser des marchands errant dans les alentours. Puis entre une petite apprentie qui se dirige vers la droite, la mine gaie et le pas leste. Elle est arrêtée au passage par le bou- langer qui l'a vue venir, qui lui prend le bras d'une manière galante, tandis qu'elle tente de résister et que les deux autres bourgeois, intéressés par la scène, la suivent d'un air de gouaillerie.)

LE BOULANGER à l'apprentie en souriant.

Eh ! la jolie fille, dites-moi donc, courez- vous de ce pas?... Est-ce à un rendez-vous d'amour, ou bien ailleurs?...

L'APPRENTIE en se débattant.

Oh! Voyons, assez!...

QUATRIÈME PARTIE 12:

Elle parvient à se dégager el devant le boucher qui la sais ur.

LE BOUCH ER qui veut la bais

Quelle légèreté, mademoiselle!... A voir votre bâte, nul doute n'est possible:... <!e qui vous presse de cette façon ce n«v peut être que le désir

<Ic rejoindre le plus vite possible...

I/A PPRENT1 1: arec un salât

Quelqu'un qui ne soit pas vous!... Oui, vrai- ment... bien le bonjour!...

Elle lui fait une révérence et sa met à

sauver quand le pharmacien la rattrape.

tandis que le- autre- se tordent de plaisir.

LE l'HAIi.MAt :IEN la baisant.

Comme vous venez vite à moi!... Mille gi

ma charmante, je vous remercie!...

LA PPRENT1 1: exaspérée.

lia! le voyez-vous, le vilain!... Me Lâcherez- vous?...

11. PHARMAG11 N feigoant la surprise. Quoi! la belle, vous et'-- faroucbi

12S LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST L'APPRENTIE ironique.

Qui ne le serait avec vous?...

LE PHARMACIEN

Ne l'êtes-vous pas pour tout le monde?...

L'APPRENTIE

Si tous les hommes vous ressemblaient, je le deviendrais bien vite...

LE PHARMACIEN

Voyez-vous cette impertinente!... Vous oubliez que je vous tiens et que je ne vous laisserai pas vous en aller...

L'APPRENTIE énervée et railleuse.

Est-ce donc un si grand plaisir que d'être traité comme vous l'êtes!...

LE PHARMACIEN il lui baise le cou.

Certes non... mais vous prendre des baisers est agréable!...

L'APPRENTIE furieuse, trépignant.

Allons! cessez d'agir ainsi, ou bien je crie!...

QUATRIÈME PARTIE 120

LE PHARMACIEN qui continue de l'embrasser.

Que vous le désiriez ou non, je vous en don- Derai encore!... Un baiser! N'est-ce pas toujours bon? Encore!... Kncore...

L'APPRENTIE qui pousse de- cri- perçants.

Au secours!... Ali! vous me faites mal!... Oh! le grossier!...

vociférations emplissent la place. Brusquement, les Fenêtres de l'atelier de modes -ont ouvertes, et un groupe d'ou- vrières >e montre, étonné, amusé, inquiet, licrchant à voir ce qui se passe. Elles aperçoivent le boulanger et le boucher qui rient violemment autour de la petite ;q>prentie, que baise, malgré ses cris, le pharmacien vieux et lourd. Elles font aus- sitôt une inûnité de gestes pour se prendre mutuellement à témoin de l'indignation qu'elle- re--entent, et elles se mettent à interpeller les bourgeoi- qui >e retour- nent tout à coup, eflarést

LES OUVR1 i.i; ES toute- ensemble.

Hé! regardez !<■- donc, ceux-là! Comme ils Boni galants, ma chère! - - Oui .>st-<v qui croi- rait qu'à Leur âge?... Quelle touche pour des

Roméo! Ils n'ont pas Ai- honte! Au 1061

Oui! au lui;:...

itent tonte- de rire devant la mine déeontite des trois bourgeois, qui ne

11.

130 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

savent que dire. Le pharmacien a lâché l'apprentie; celle-ci se sauve aussitôt en faisant un joli pied de nez à l'adresse du pharmacien, du boucher et du boulanger, d'abord piteux, puis irrités à cause des huées continues dont ils sont l'objet. Ils s'avancent sous les fenêtres de l'atelier de chapeaux, et, avec des airs de colère bouffonne, ils essaient de répondre aux ouvrières.)

LE PHARMACIEN

Vont-elles crier longtemps comme ça?...

LE BOUCHER

De quoi se mêlent-elles?

LE BOULANGER

Qu'est-ce qui leur prend donc!... Qu'elles s'occupent de leurs affaires!...

UNE OUVRIÈRE les montrant de la main à ses compagnes.

Yoyez-vous ces beaux amoureux!...

TOUTES LES AUTRES avec des rires.

Oh! la la!... Oh! oh! la la!...

LE BOUCHER

Vous n'en diriez peut-être pas tant si nous vous troussions seulement les jupons!...

QUATRIÈME PARTIE 131

UNE OUVRIÈRE à ses compagnes d'un ton moqueur.

Ils ne se sont donc jamais vus!...

TOUTES LES AUTRES en s'esctaffant

Ah! non par exemple!... Ah! non par exemple!...

LE BOULANGER

Etes-vous seulement dépucelées?... Examinez- moi ces mûmes !.. Elles ignorent encore comment on s'y prend!...

I M! OUYRIÈRE avec violence

El vous!... Vous ne savez plus!... Pensez! il y a si longtemps qu'ils n'exercent pins!...

TOU T E S I. E s A U T R E S pouffant de joie.

IN ae sauraient plus!... Ils m1 sauraient plus!...

I. E P II \ li M A <: 1 EN furibond, le poing ten.lu.

Auriez- vous autant de hardiesse si vous n'étiez pas perchées toni en haut?...

TOUTES LES OUVRIÈRES I int.

elle- font dM -iirnes comme pour le^ prier Je venir chez elle-.

Psitt) Psitt!— Allons! montez donc! - Chéri, par ici. veux-tu? Décidez-vou- vite! Est-ce

132 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

que tu m'aimes, dis, mon gros? Ah ! que vous êtes long, vous nous faites languir! Vivent le plaisir et l'amour! Vive Fa... (Ici, Tune d'elles aper- çoit, venant d'entrer sur la place, trois grosses commères écar- lates qui sont les femmes des boutiquiers.) ...Zut, alors ! les bourgeoises qui viennent!... Pigez-moi çà!...

(Immédiatement, toutes les ouvrières se retirent des fenêtres avec des mouvements terrifiés, et elles se rasseoient vite à leurs tables de couture d'une manière aussitôt pleine d'attention. Un instant, le silence se fait. Les trois bourgeois, cramoisis et anxieux, les bras pendants regardent venir avec stupeur leurs épouses, qui paraissent saisies d'une grande colère et qui s'avancent violemment.)

LES BOURGEOISES avec une élocution véhémente.

Oh ! que font-ils encore là-bas ! Les grands vauriens! Les vieux pendards! N'aurez-vous jamais fini de vous dissiper avec de telles filles?

LE PHARMACIEN

Allons! Allons! ne nous harcelez pas de vos discours!...

LES BOURGEOISES secouant chacune leur mari par le bras.

Espèces de vilains débauchés!...

QUATRIÈME PARTIE

m

LE PHARMACIEN, LE HOU CHER ET LE BOULANGES

Nous no vous demandons rion!...

LES BOURGEOISES vociférant et poussant leur- maris dans le- boutiques.

Vous n'êtes que des luxurieux!...

LE PHARMACIEN ET LES AUTRES

Sommes-nous des hommes que mènent les tommes à coups de bâton comme des betes de somme?...

LES BOURGEOISES bousculaut toujours leurs maris.

Est-ce que vous n'êtes pas honteux? Faire Linsi les galants un jour de dévotion! Rentrez ;hez vous, affreux paillards! Misérables! Yaîtres! Voleurs! Ivrognes

ainsi chassés, injuriés et maltraités par leurs femmes, le pharmacien, le boucher et le boulanger rentrent chacun dan- leur boutique, tandis que les ouvrières qui sui- vent la -cène du coin de l'œil, se lèvent tout à coup en sursaut, et avec des éclats de rire vont -•• pencher par les renétres pour mieux regarder et mieux écouter.

LES OUVB il KL s aux renétres. Ali ! ce que l'on s'amuse!... Ce qu'en se tord!

434 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Elles pouffent véritablement, et c'est pendant qu'elles rient ainsi qu'entrent Marie la Pouille et les compagnons. Les compagnons et Marie s'avancent d'une manière tranquille en se dirigeant du côté du marchand de vins. Ils ne voient de la querelle que la fin et poursuivent leur chemin. Les petites ouvrières se remettent au travail. On entend toujours, plus près, mais obscures, les voix perçantes des mar- chands, mêlées aux rumeurs des musiques.)

ZACHARIAN désignant le cabaret.

Il me semble que, de cet endroit, nous serons bien placés pour voir la procession?...

MARTIAL

Puisqu'elle doit passer par cette place, atten- dons là...

ZACHARIAN au fossoyeur. N'est-ce pas ton avis?...

LE FOSSOYEUR

Si, si...

ZACHARIAN

Et toi, Marie, qu'en penses-tu?...

LA POUILLE

vous voudrez!...

QUATRIEME PARTIE 135

lia vont tous - i--eoir à une table du cabaret, dehors, sur la place. Le traiteur, qui lei guette depuis une minute, prêt à offrir ses services, -e précipite au-devant d'eux aussitôt.

ZAGH AR1AN au traiteur, d'un ton ironique.

Il n'y a pas encore grand monde, hein, cama- rade?...

LE TRAITEUB

Oh! la foule ae tardera pas, croyez-le Lien...

En ce moment, elle est ailleurs, parmi les rues des alentours... partout passe la procession... Mais bientôt, c'est la place qui regorgera!...

Z A CHAH 1 AN

Et vous ne vous en plaindrez pas, n'est-il pas vrai?...

LE TRAITEUB

Parbleu! vous comprenez que des fêtes

comme celle-ci!... L'inauguration d'une cathé- drale neuve!... 11 se passera beaucoup de temps avant qu'une pareille chose n'ait encore lieu!...

, LE i OSSOYEUR d'un ton de décision sauvi

Oui, certainement, il se passera beaucoup de temps

136 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST LE TRAITEUR

C'est que, voyez-vous, il faut de l'argent pour bâtir un tel édifice!... Ce n'est pas une petite affaire que de réunir des sommes formidables, comme il nous en a fallu afin de venir à bout d'un projet de cette taille-là!... Mais enfin tous s'y sont mis... les plus pauvres comme les plus riches... le denier des moins fortunés a été accroître la masse des millions formée par les dons généreux des autres!... Rien n'a été épar- gné!... Aucune aide n'a été mise de côté... On a vu un mouvement de foi bien admirable!...

MARTIAL ironique.

Certes, je le crois!...

LE TRAITEUR

Et voilà plus d'un quart de siècle que la cons- truction a été projetée, mise en train, subissant sans cesse des temps d'arrêt, mais toujours reprise avec plus de force, d'activité...

Z A CH A RI AN avec une sourde irritation. Oui, oui, je sais...

LE TRAITEUR

Vous comprenez quel enthousiasme s'estemparc

QUATRIÈME PARTIE 1:1:

de tout le peuple lorsque l'on a enfin appris que la cathédrale était terminée, qu'elle allait être inau- gurée, en grande pompe, solennellement, par M. le Doyen, l'archevêque, le chapitre... On n'en reve- nait pas de joie!... Et pourtant voilà que le jour est arrivé!... De tous les environs, des vill _ des campagnes, des bourgs, de la banlieue, des villes môme les plus éloignées, les gens qui ont donné, ne fut-ce qu'un seul centime, sont venus parmi l'allégresse, heureux du succès de leur entre- prise... et fiers comme si la cathédrale était à <'ux'.... Ah! oui, il y <in a en marche, et des mil- liers!... Les arrivées ont lieu partout... Par les gares, les bateaux, les routes, de tous côtés, des multitudes ne cessent d'affluer dans la ville... C'est un bien beau jour, croyez-moi, et vous allez en voir des foules de toutes couleurs!... Montrant

des commères, des artisans, des hommes du peuple qui entrent

peu à peu sur la place.) Tenez, voilà que l'on commence déjà à arriver!... En s'en aiimt.) Excusez-moi!.., Mais mon métier, vous comprenez,..

La place - remplit d'ouvriers, de filles

en cheveux, de curieux de toute- BOrtes. plupart l'asseoient devant les tables, commencent à boire. Le traiteur va de l'un à l'autre, allai 1

LE FOSSOl II R il se tourne vers la fou!- 1ère.

Oui, oui... ils sont nombreux les hommes qui

138 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

veulent bien glorifier les héros morts. Mais les vivants, ils ne les honorent pas. Ils les mécon- naissent constamment, ils les repoussent !...

(Il se tait soudain pour ne pas se laisser aller à la violence. Il attache ses regards sur les gens qui entrent petit à petit et sans cesser. La place présente maintenant un aspect de figuration coloriée et scintil- lante.

Différents marchands s'avancent eux aussi par les rues de droite et de gauche, tandis que le peuple les entoure et les appelle.)

PREMIER MARCHAND entrant sur la place.

Qui désire se rafraîchir?... j'ai des limonades, des boissons glacées !...

DEUXIÈME MARCHAND de même. Des bouquets verts!... de la lavande !...

TROISIÈME MARCHAND de même.

Achetez des galettes toutes chaudes !... galettes toutes chaudes!...

VOIX DE LA FOULE appelant les marchands.

Moi ! Par ici ! Laissez-moi voir ! . . . Ne prenez donc pas toute la place!... là! marchand !...

QUATRIÈME PARTIE

Bariolée, bruyante, en rumeur, la foole rit, remue, braille, regarde, se presse autour des marchands, dont les cris haletants, l<'ni.r<= et obsédants -< mblent être des appel- à la vie la plu- sen-uelle. A partir d< moment une joie terrestre et emportée en- vahit la multitude. Les compagnon- Mari-1 >ont a - ml entrr eux qu'on les entende. Les petites ouvrière- ?e mettent à leurs fenêtres.

DNE FEMME DANS la POULE d'un ton irrité.

En voilà un vieux libertin!... Est-ce qu'on tri- pote ainsi les femmes?...

LA FOULE _;iie et l'air scanda!

Oh ! oh ! se trouve l'homme? Montrez-nous le!...

LA FEMME -oufiletant un homme.

C'esl cet ivrogne-là !... Il me pince !

la FOU LE amas ! [... Il ne s'ennuie pas !...

I. \ IL. M M L

Parbleu! je ne dis pas non!... Mais moi!...

rcp.ai--.int 1 ivrogne qui wut ['embias* : BaS les pattes !

voyons!

140 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST L'IVROGNE se jetant sur la femme.

Tu ne veux pas?...

LA FEMME indignée.

Gomment! il ose me tutoyer !...

L'IVROGNE à la foule, il pérore en titubant.

Eh quoi ! . . . C'est ma femme celle-là ! . . . Elle dit le contraire, mais elle ment !... Toutes les femmes sont fausses, d'ailleurs, croyez-moi !.'.. Elles chan- gent comme la glace au feu !... Malheureux ceux qui s'y fient !... (Il perd son équilibre, manque de tomber).

LA FOULE goguenarde. Ha ! ha ! très bien !...

L'IVROGNE se reprenant d'une voix grasse, éraillèe.

On est ici pour rire, pas vrai?... Eh bien alors?... Est-ce que je n'ai pas le droit de dire aux femmes qu'elles sont belles!... Il y en a des maris cocus !... Un de plus ou bien un de moins !... Ce ne serait pas la peine qu'il y en ait tant sur terre si on n'en profitait pas!... G'est-il pas vrai?... Nom de Dieu!...

LA FOULE éclatant de rire. Parbl eu !.. . il a raison ! . . . Bravo ! . . .

<jl ÀTR1ÉME PARTIE 141

L'IYROGNE continuant avec emphase.

Moi! je vais vous dire la chose... oui, vrai- ment!... On trime assez, on peut bien rire... Eeinl convenez-en, les amis!... Moi je suis pour

la gaîlé !... Si c'est votre avis, tant mieux, et puis n'est pas le votre, je m'en bats l'œil !... Il se met à rire, pâteux, brusquement

LA POULE en joie. Il est admirable !... Magnifique!... Portons le en triomphe !... Vive notre Seigneur tonneau !

Des homme- haussent, sur leurs épaules, Iivrogne qui soufile et halète, et là, hilare, énorme, écarlate. redondant, il trône au milieu de la foule dont les cris éclatent de toutes part< en -on honneur.

IN i) L'Y II 1ER faisant à l'ivrogne de> salutations grotesques.

Salut! Majesté la barrique !

i \ BOURGEOIS de même > inclinant. Gloire à toi Altesse la tonne !

I N A It I [SAN de mémo, d'un air de respect.

Si nous possédions des pampres rougissants

nous le couronnerions. Bis de Bacchus!..,

LES 01 VRIÈRES i leurs renôtres.

Vival '. Bourrah !...

12.

142 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA FOULE en chœur. Hourrah ! Hourrah ! . . .

(On transporte l'ivrogne, parmi ces accla- mations, à travers la place. L'ivrogne, réjoui et bouffon, considère le peuple avec dignité. Brusquement arrive en courant tout un cortège de jeunes gens, bohèmes, étudiants, artistes, carabins, grisettes, etc. Formant une sorte de monôme, cette troupe rapide débouche par la rue de droite, avec des cris, des chansons, des instruments qui grincent, des flûtes qui sonnent. Cette arrivée éclatante, impé- tueuse, folle, vive et alerte, produit diffé- rentes impressions sur la foule, qui lâche l'ivrogne aussitôt et s'écarte avec un effroi mêlé pourtant de gaieté, pour livrer pas- sage aux nouveaux venus.)

LES JEUNES GENS DU MONOME arrivant en courant.

Ohé! ohé!... Ohé! ohé!

LA FOULL inquiète, se range devant

Ho! ho!... Prenez garde!... Attention

eux.

!

LES JEUNES GENS DU MONOME entrant toujours en plus grand nombre.

Place!... Place!... Allons!...

LA FOULE de plus en plus effrayée.

Ils sont fous!... Arrière!... Qu'est-ce qu'ils font?..

QUATRIEME PARTIE 143

D'autres jeunes gen- après dautres pénétrent sur la place en chantant et en criant. Ils bousculent le- hommes, bl les femmes renversent le- table- et les chaises, créent un tumulte inattendu et bariolé. Il- trayersent la place deux fui- d'un angle à un autre, de manière à for- mer un mouvement de danse qui serpente. Il- s'accompagnent d'instruments de mu- -i<|iie rauque> et aigu-.

L L S .1 E E N E S SENS Dl MON 0 M E chantant.

Voilà' c'est nous qui sçmmes

Les hommes Les plus joyeux du monde!

La ronde Bondit quand nou< pas-un-'

LA FoULE les repoussant.

Allez -vous -en!... Dehors, le cortège <!»'>

bohèmes!...

L E S ■! E T N ES GENS 1) U .M I > N 0 M E

En dansant et chantant.

Le temps Passe comme l'éclair! Et Lair [ironie autour de noua

LA Lot LE

àsseï ' Assez!... A la porte '....

144 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES JEUNES GENS DU MONOME

Ébranlant l'air entier,

Nos pieds Font un bruit de tempête,

Et jettent La foudre et l'ouragan !

(La foule bouge, roule, lève les bras au ciel; mais les jeunes gens, loin de la laisser en paix, se précipitent vers les femmes, ouvrières, bourgeoises ou autres, les en- traînent de force dans leur sarabande, et les font tourbillonner malgré leur résis- tance, leurs cris d'indignation. On assiste alors à une scène bouffonne, ardente, cir- culante, sonore, colorée, tandis que l'on entend vaguement de temps à autre, soit des bribes de conversation, soit des accents de romance, soit des bouts de dialogues coupés d'exclamations.)

UNE BOURGEOISE que l'on entraîûe. Haïe! haïe!... Je suffoque!... Laissez-moi!

UNE VOIX DANS LA FOULE

La! la! la!... Ah! quelle affaire!

UN BOHÈME baisant une jeune femme.

Je vous vole un haiser, la helle!

LA JEUNE FEMME

Eh bien le vilain! l'insolent!...

QUATRIÈME PARTIE 145

LE BOHÊME riant.

J'aurais pu vous prendre bien autre cl. pourtant!...

L\i: COMMÈRE Je n'en puis plus!... je vais tomber !...

IN BOUTIQUIER à un étudiant.

Eh I>i<'n ! Je vous y prends, vous !...

L'ÉTUDIANT

A quoi? à vous faire cocu... C'est votre belle découverte !

LE BOUTIQUIER

Hein!...

L'ÉTUDIANT

Croyez-vous que ce soit la première fois?...

LA POULE

A [a chienlit '. A la chienlit !

UNE VOJX

Je t'aime !

U6 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

PLUSIEURS VOIX Qu'ils nous fichent la paix à la fin !...

UNE JEUNE OUVRIÈRE à un homme.

Àh ! monsieur, laissez-moi tranquille !...

L'HOMME il l'embrasse. Moi ! mais pas du tout, mademoiselle !...

DES ROURGEOIS à des jeunes gens. Débauchés !

LES JEUNES GENS leur répondant.

Bégueules !

LES ROURGEOIS

Sales marmots !

LES JEUNES GENS

Vieillards !

LES ROURGEOIS

Vieux bohèmes !

LES JEUNES GENS

Bourgeois !

QUATRIÈME PARTIE LES BOI RGEOI8

: I Liseurs publi

LES JEUNES GENS

Eh '. Allez donc î honnêtes gens

(La joie populaire s'est accrue, par m ado incessant, jusqu cet état de délire se trouve en ce moment la mul- titude qui je imuse, se mêle, court, tournoie, semble ivre, fait cent farc* femme- ne résistant plus aux homm» ■- qui les embrassent, parmi on tumulte, un tohu- bohu, un charivari de fanfare, des cris -le marchands toujours 1-'- mêmes : limo- nade, etc., et des bruils d'instruments fo- rains. L'ail' i comble. La vie triomphe, avec une expansion -urabon- dante. L'exaltation de l'amour emporte et fait tout mouvoir. .Mai- voici qu'on distin- gue des -un- d'orgue et des chant- au loin, le- accent- religieux d'une procession. L'n instant le- rumeurs des chantres se heur- tent avec le- cris viv ice- . t épar- du peu- ple. Pois arrivent de- troupe- de gamini effarés, rouge-, rapides, essoufflés, gamba- dant.

GAMINS annonçant d'une voil prolongée,

Voici la procession !... la procession...

I. \ POT] LE av. ,■ stupeur.

IL» : lia : lia : la procession !...

148 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Les jeunes gens du monôme lâchent les femmes dans un mouvement vif et incohé- rent. Et, reformés en une longue file, ils se hâlent de disparaître au milieu du tumulte de la foule en rumeur.)

VOIX MÊLÉES DE LA FOULE ET DES JEUNES GENS

avec des gestes, de salut exagérés.

Au revoir ! Ohé ! A bientôt ! On se reverra I Oui ! Bonjour ! Bonjour ! Bonjour!...

LES GAMINS grimpant dans les arbres, se plaçant.

Perchons-nous haut ! Salut, citoyens! Hé! les belles dames, faites attention! on vous regarde ! Oh ! ces nichons ! découvre-moi ça ! quel spectacle ! est-ce assez beau !...

LES OUVRIÈRES aux fenêtres, souriant, jacassant.

Ce qu'on s'amuse ! Ah ! ma chère !... là! là! que c'est rigolo !...

LA FOULE énervée d'un ton impérieux.

Silence ! Silence !...

(Les sons de l'orgue et les voix des chantres se rapprochent. Les marchands qui étaient sur la place se taisent ou s'éloi- gnent, tandis que décroissent leurs cris: « Orangeade ! Boissons glacées! » La foule prend un aspect de dévotion singulière après

\tiu i:\ii: PARTIE

les excès b ichiqtu 9 et l'heure. Le calme anxieux de L'attente suc- cède à la furie et au désordre de la j<ùe populacière. Tout le monde est attentif. On se prépare à l'arrivée de la procession en prenant des mines confites, qu'anime seule pourtant la curios - nce <ians

la foule. On entend dans le lointain la ru- ini ur d'un Fragment chanté du Te deum : « Pleni sunt cœli el tel 1 tua -ardent Le peu-

ple avec un air de t tournent

Leurs visages impétueux vers le côté droit de li h -ne par lequel vu entrer le cortège religieux.

M A UT l A L sourdement

Qu'est-ce qu'ils veulent Faire parmi nous avec leurs bannières de couleurs, leurs chants de mort?...

LE POSSOYEU R arec irritation.

Pourquoi viennent-ils troublernos saintes jubi- lations?... Plus beaux <it plu- pursque leurs lents mouvements étaient le- impétueux élans de noire danse!... Quand tout a L'heure dous circulions, I niant dos poitrines tour à tour à l<>u- les côtés de l'horizon, comme afin «le manifester notre ultime joie, dous rendions vraiment grâce alors a l'harmonie <■! à la perfection de l'univers!... Oh! quel témoignage autre que celui-là serions-nous capables d'apporter spontanément .'... <>ui. par nos

ioO LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

jeux, nos impulsions, nos chants de joie nous attestions avec ardeur la sincérité religieuse de notre amour!... Mais eux, qui louent-ils dans leurs hymnes d'où l'adoration est absente en vérité? Et, dans leurs subrogations, qui enve- loppent-ils de leurs transports retentissants?... Rien de vraiment réel, rien d'existant!...

VOIX DANS LA FOULE autour des compagnons. Paix donc! l'orateur! Assez! Assez!...

(Les compagnons se taisent. La foule se range avec un air de respect tandis que se rapproche la procession dont on entend le chant plus voisin : Te gloriosus : aposto- lorurh chorus, te Prophetarum laudatibus numerum; temartyrum candi tatus ; laudat exercitus. Les derniers marchands publics quittent la place en s'en allant par la rue de gauche).

UN MARCHAND vociférant d'une voix perçante. Lavande afin de purifier!... Parfum! senteur!...

UN AUTRE MARCHAND de même.

Bouquets de roses ! . . . Deux sous ! . . . Qui veut se fleurir!...

(Ils s'éloignent sans que personne les interpelle. Et au même moment on dis- tingue la tête de la procession).

ni ATlil i:\li: tWRT.'E

ZAGHARIAN montrant les marchands.

Voilà l;i vie <jui s'en va... 5< tournant vers la pro- ssion. El voici la mort qui entre...

Entrent les chantres, le chapitre qui pré- cédent la procession en récitant d< d'un ton rythmique et aigu. Cramoisis, poi tant - avancent ma-

jestueusement par la droite et emplis la place de leur- strophes latines. La inul- titude se pousse, remue, caqueté \ -

ment, I 0 «le les I

ser. Au loin, comme un dernier appel de la vie, le cri d'an marchand qui annonce des : | belles primeurs, ré-

sonne et vibre avec douceur, à peine perceptible sur la place

LES CHANTR ES débouchant par la rue (W droite.

Teper orbem terrarum : sonda confite tur Et Patrem, immensœ majestalis... Venerandum tuum verum, et unicum filium... Sanctus quoque P clitus spiriluum...

La procession qui arrive petit à petit

-m- ii place et i w î i si c posée d en

de Femmes de la ville, de religteusi s, de bou . •■'■tr derriér les chanta -

Les mêmes phrases •!»• l'hyn per orbem terrarum Htetur

etc., etc., Sous un dais

marche l'archevêque, vieillard énorme, ventru, débordant,

152 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

sage la foule se prosterne dévotement; il fait à droite et à gauche un geste onctueux de la main répandant sfins cesse des béné- dictions. Le chapitre suit, le doyen égale- ment gros et court, et les prêtres de l'ar- chevêché. Etonnée, ravie, en tumulte, la multitude, cause, crie, admire, toute réjouie peu à peu, tandis que chantent les chantres et comme reprise soudain par une curiosité mondaine et par le plaisir de voir un spec- tacle).

VOIX MÊLÉES DANS LA FOULE sourdes, rapides, acérées, épaisses, grasses, de timbres différents.

Oh ! c'est vraiment admirable ! Jamais on n'a vu un spectacle pareil ! Étes-vous bien placé pour voir ? Tout de même on peut être content ! C'est réussi! Et ce cher M. le Doyen, quelle joie ce doit être pour lui ! Ses vœux sont com- blés ! Attention, voyons ! Vous me poussez trop ! Vous allez m'écrabouiller! Regardez donc cette bannière. Qui est-ce qui me chatouille par là? C'est vous ! bon ! Voilà' une claque ! Et Mon- seigneur va-t-il passer? Est-ce que vous l'aper- cevez? — Oui, sous le dais d'argent et d'or. Ah! quel noble aspect! Quel maintien su- perbe !...

LE FOSSOYEUR bas aux compagnons, il montre l'archevêque par moquerie.

Avec quelle majesté il porte ses excréments!...

QUATRIÈME PARTIE 153

Ne dirait-un pas qu'il en esl lout fier !... Il devrait faire rouler son ventre comme une tonne pleine d'immondices... Qu'il est respectable! oui, en vérité!... Regardez ce peuple bourré <l<> chardon, cette tourbe infecte el stupide !... Ils se ruent tous de son cùh'...

LA POUILLE vivement, lui prenant le bra-.

Tais-toi !... tais-toi...

LES Cil A NT H ES maintenant au milieu de la place. Ils l'ébranlent d'une voil tonnante.

Tu rex glorim Christi : tu Patris sempitern /ilius... Tu ad liberandum suscepturus hominem, n un horruisti virginis uterum... Tu, devicto mor- uleo : uperuisli credentibus régna cœlorum...

(La procession reprend les verset- mo- notones : Tu rex gloria tu Patrts et filiut... etc.. El a ces j>a- roles rythmiques se mêlent les exclama- tions, le- rumeurs varices de la foule, et aussi, toujours plus lointaine-, mais b lantei et avides, également, les voh marchands qui rôdent dan- la rille : l

etc.

Brouhaha et tohu-bohu sur la place, dé- bordante maintenant et b 11 i I B.

i N IVROGNE entendant la lin du cantique.

Qui est-ce qui parle <1<> rhum, nom de Dieu?... Ça me donne une rude en\ ie

13.

154 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA FOULE amusée.

Ha! lia !... C'est noire ivrogne!... 11 ne tient plus debout !...

LES GAMINS à l'ivrogne.

Dis donc, mon vieux ! ... ça ne va pas ! . . . Prends mon bâton!...

L'IVROGNE s'adressant à la foule.

Eh bien! eh bien!... En voilà des lascars !... Ils n'ont point de sentiment!... Ils ne donneraient même pas à boire à cette pauvre vieille (il montre la terre.) Elle crève de soif aussi celle-là... (Il se met à pisser devant la foule.)

LA FOULE en chœur, scandalisée.

Ho ! ho ! ... A la porte ! à la porte ! . . . C'est dé- goûtant !...

(On pousse l'ivrogne dehors, on le bous- cule, on lexpulse. Agitation sur la place.)

LES CHANTRES continuant à vociférer pompeusement.

Tu ad dexteram Dei sedes : in gloria P a fris, ju- dex crederis esse venturus... Tu ercjo quœsumus, famulis luis subveni : quos pretioso sanguine rede- misli... Mterna fac cum sanctistuis, in gloria nu- merari...

(Tu ad dexteram Del sedes, etc., etc..)

QUATRIÈME PARTIE

reprend la procession qui est à pr pre>«|ue entièrement >ur la place. I. - bourgeois, énorm< s, gueulent formid ible- ment; le faus des enfante perce

retendue; la vois vive et aigre des com- mères se fait entendre. Cependant l'arche- vêque, précédé du chapitre i t des chantres, est arrive presque au bout de la place, au milieu de lernpre intnt respectueux du peuple qui s'agenouille sur son passage. Il s'arrête un instant: on le v..it écarlate et lourd sous son dais orné. Il fait le _ de bénir et s'apprête à parler. Toute la procession stationne. La foule anxieus garde et parait dans l'attente.)

\'<>I\ mêlées dan- la foule.

Oh ! voilà Monseigneur <jui l'ail signe au cor- tège! — Il esi splendide! Bein, ma cher 11 a une belle mitre. Et quelle bague!— Sapristi, tout de même, c'csf beau des hommes comme ca ! Est-ce qu'il va parler ? Sans doute. Et

au grand orateur?- - oh : oui, il eu a un goulot! Quelle horreur'. Employer des termes semblables! Ecoutez! écoutez! il s'ap- prête, il demande que l'ou se taise! Oh! quel plaisir <1<- L'entendre! - Attention! attention! Silence par là...

chantres cessent leur m< lop e. La procession demeure bouche bée. Le peuple

Se tait peu a |>. u. Marlial. /. i-han IL

el le fossoyeur tournent la tête du i L'archevêque avec une d de haine

156 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

et de dédain. L'archevêque lève le bras et commence à parler.)

L'ARCHE VÊQUE d'un ton solennel et onctueux.

La bénédiction du Seigneur soit avec vous, mes chers frères et mes très chères sœurs!...

QUELQUES PERSONNES DANS LA FOULE voulant obtenir le silence.

Chut! chut... On fait du bruit là-bas!...

L'ARCHEVÊQUE poursuivant avec emphase.

C'est par vos soins, c'est par votre attentive sollicitude, c'est par votre ardente générosité que notre œuvre a pu être menée à bien... Et nous vous en louons sincèrement... Cette admirable et précieuse cathédrale, pour la construction de laquelle nous avons faire tant de fois des appels nécessaires à votre dévouement...

LE FOSSOYEUR en ricanant, bas et vite. A votre bourse!...

L'ARCHEVÊQUE sans s'arrêter.

Voilà que nous l'inaugurons au milieu d'une pompe magnifique, parmi les cortèges d'un peuple rayonnant, et dans l'exaltation de la piété... Et

QUATRIÈME PARTIE 157

ainsi, vous ave/, consolidé L'Etat, attesté om de plus votre attachement au Seigneur... Cette cathédrale je |>ui> dune la considérer comme un témoignage nouveau...

LE PO&SOYEUR avec une cok'-re contenue.

De votre inertie, race d'esclaves!... troupeau abject !...

I. ARCHEVÊQUE loin et sans entendre.

De votre fidélité à notre -ai nie religion... Aussi, je vous le dis, mes très chers frères, e( vous, mes sœurs bien-aimées, c'esl une grande date que celle-ci, et qui comptera dans les annales de notre Église... Il faut donc célébrer votre foi effi- .. Car à qui sommes-nous redevables de cette construction admirable, sinon à vous?... Oui, celle majestueuse cathédrale...

LE FOSSOYEUR ti"un ton violent, presque liant.

Qu'elle tombe en poudre !...

I. \ POUl L 1. 1; bas, ai but.

Prend- garde... Prends garde...

L'ARCHE VÊQI E toujours paisible et pompeux.

Elle esl votre œuvre, elle esl la preuve de votre

138 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

amour inaltérable, elle exprime par la forme de ses voûtes éclatantes la sainte impulsion de vos âmes vers le Seigneur!...

LE FOSSOYEUR sourdement et en proie à une fureur croissante.

Ah! ah! comme il les flatte bien afin de les conduire mieux...

ZACHARIAN cherchant à l'entraîner.

Tu vas tous nous faire écharper, allons- nous-en...

LE FOSSOYEUR il se dégage et bondit brusquement en proie à une exaltation insurmontable.

Non. Non! bon Dieu! Je veux leur dire ce que j'en pense!... (La foule regarde avec stupeur cet homme hagard et en haillons qui s'apprête à la haranguer tandis que l'archevêque et les prêtres, distinguant vaguement cette scène, essaient d'en comprendre le sens et d'écouter les paroles

que profère le fossoyeur.) Les héros une fois morts, ils les honorent, parce qu'ils modifient leur pensée, et parce qu'ils ne les craignent plus... Mais dans le temps de leur vie, ils les repoussent loin d'eux- mêmes, ils ne leurs bâtissent point d'asile, ils les livrent sans cesse aux outrages des popu- laces...

QUATRIÈME PARTIE

VOIX DANS LA POU LE in it

Oh! oh! Qu'est-ce qu'il «lit celui-là?... C'est lusensé!...

LE FOSSOYEUR d'un ton encore plu> impétueux.

Oui, il- les chassent «lan- les ténèbres, ils se gardent bien «le leur venir jamais en aide, car alors ils redoutent leur expansion; la force de Leur réalité les épouvante.. . Il- n'osent pas lutter avec eux. II- en ont peur... Ils les savent consti- tués avec de la violence, pourvu- de membres pour se défendre el attaquer... et ayant un esprit eapable d'enfermer et d'anéantir dans un axiome, comme avec une machine puissante, tout ce qui fait opposition à leur pensée!...

VOIX DAN- I. v POULE plu> ardentes, plus pressantes.

Il porte la colère à la bouche comme une écume '. C'esl un ennemi «le la nation! La haine s'est emparée «l«i lui, et, regardez-le, il es! enrag

LE FOSSOYEUR le poing tendu ver- la roule «l'un ail méprisant,

Et eux] ces hommes indignes de vivre, que

^ont-il- dune'... Il- m'injurient, el il- ne me comprennent même point!... Craignant tout,

160 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

lâches, serviles, rançonnés par les uns et battus par les autres, ils n'ont que de la peur dans leurs poitrines... Ha! oui! pourquoi les redou- terais-je?... Quoi! moi! je tremblerais de crainte en leur présence!... 0 stupides masses de chair!... Obscures créatures sans animation!... Misérables!... Hommes seulement sensibles à mes outrages!... Etes- vous capables de m'ins- pirer de l'épouvante?... Non! non! nullement!.. Vous que j'ai vu tourbillonner, vous êtes inertes!... Vous étiez comme du vent, vous voilà pétrifiés!... Vous viviez et je vous vois morts!... Ah! malheureux!... Incapables de logique et de raison, tiraillés à droite et à gauche par cent pen- sées, avançant un pied dans l'avenir et pourtant retenus en arrière par le passé...

VOIX DANS LA FOULE qui d'abord stupéfaite devient furieuse.

Va-t-il nous harceler longtemps ! . . . l'anar- chiste!... — On va lui casser la figure s'il con- tinue ! . . .

LE FOSSOYEUR arrogant et farouche il continue.

Apathiques et sans émotion... et dans l'impos- sibilité de vous bouger... mis en mouvement par la formidable impulsion de l'inconscient. .. mais de

QUATRIÈME PARTIE 16!

vous-mêmes immobiles, ef en contradiction la vie... quoi, vais-je reculer devant vous? i;i pour quelle cause?... Commenl pourrais-je vous re- douter, vous qui n'êtes rien?... Serait-il possible que je fuie de devant vous, que je force mon âme à se taire!... ou que je revienne en arrière en ce moment?... Non. je ne resterai pas inerte quand la baine s'empare de mou corps avec la puissance invincible d'un.' mécanique!..,

i. ARCHEVÊQUE dédaigneux, de loin, prêt à partir. Le Seigneur, l'a dit, mes chers Frères ei mes chères sœurs... Que celui par <[ui arrive le -cau- dale en devienne à son tour l'objet... Que l'ivraie mauvaise soil coupée et l'épi stérile détourné de

la bonne gerbe... Il fait an geste, et les chantres se remet- tent en marche, le cortège -'«-branle et cherche à sortir de la place. L'archevêque, d'une dernière parole, absout le peuple. Soyez bénis!...

L V FOULE se ruant tout à coup.

A mort les compagnons!... A mort! A mort!... LES COMPAGNONS but Le défensh

Venez-y donc!... Tas de coquins!... plèbe im- bécile!...

LE POSSOYEB R a l'archevêque qui sort en I de le procession.

Oui, tu as raison, vieille charogne! arrière!

i .

162 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

arrière!... Cadavre qui déjà ne marches plus que parce que les vers poussent sans cesse ta pourri- ture!... Je jette sur toi toute ma colère comme de la terre sur un corps mort... Puisse-tu dispa- raître tout entier, être englouti!... (En ce moment il est frappé, chassé, bousculé par la foule.) Ho ! Ho ! les lâches!... vile populace!... Peste odieuse attachée au flanc du monde!... Ah! malheur à vous tous! malheur à vous!...

(Les compagnons sont acculés sur la droite, ils se battent, la foule les meurtrit à coups de canne et de poing, ils fuient vers la rue adjacente entourés par le peuple bru- tal, furieux. Pendant ce temps la procession s'est ébranlée et le long cortège conduit par les chantres commence à quitter la place. Les gamins rient et crient : à mort! plus fort que les autres. C'est un charivari incroyable. On entend au loin quelques voix de marchands : « Lilas! lilas!... fruits!... fruits!... artichauts!... » Les chantres, qui s'en vont, s'apprêtent à chanter.)

LA FOULE

A mort ! à mort !...

LES CHANTRES sortant par la rue de gauche.

Salvum fac populum tnum, Domine : et benedic hœreditati tuœ... Et rege eos, et extolle illos iisque in œternum... Per singiàos dies benedicimus te...

QUAI Il IL" ML PARI IE

/:/ laudamus nomen Utum in seculum : et in sa ><- lui n seculi...

[.■ 3 différentes roia d-- la procession répètent : salvum fac ]><>j>>i/i/,h tuu . Do- mine, etc., perdent petit à petit à mesure <|ue le cortège s'éloigne da: - rues avoisinantes. La fonle acharnée à la poursuit-- des compagn à rentrée de la rue du fond, vers la droite. Elle bouge. On voit des bra- tendus, des

;res écumantes, des bouches vocif' trice ent à pu

comme s'ils étaient près de la place; appels à la vie se font plu mts:

plus répétés : / 0 . Va-

lences fines

LES OUVRIÈRES aux Fenêtres, criant, Tegardanl li querelle.

Ah! sont-ils farces! sont-ils drôles!...

Elles se tordent de rire, et manifestent par des gestes les impressions que leur font les diver-es péripéties de la rixe dont on ne v.dt pas les détails. Cependant le peuple revient, afflue en grande partie sur la place. Des h' .ur^r ■■ i- épais nt le

front, des femmi - - es dallent joyeusement, montrent leurs habits d

. un s.d.iat B'enorgueillif d'i voir reçu un coup de batoa sur la face, et on prêtre d «'ii avoir d ,mie. Kt dm- c nouie on voit aller et \enir. effaré, le caba relier.

\<»t\ DANS i A FOULE rerenant sur la scène.

lia ! Ha! c'esl fait!

464 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

UN BOURGEOIS triomphant. Hein ! ça n'a pas beaucoup traîné !...

UNE COMMÈRE

Ils en ont reçu une volée !...

UN SOLDAT moDtrant qu'il a un œil poché. C'est qu'ils cognaient dur aussi les vauriens...

UN PRÊTRE faisant allusion à la Pouille.

Cette femme qui était avec eux, elle se sou- viendra de l'odeur de mon bâton !,.,

UN BOUTIQUIER

Des anarchistes!...

LE BOUCHER

Des malfaiteurs !

LE TRAITEUR avec des gestes incohérents.

Ah oui! messieurs, des malfaiteurs!... Vous avez dit le mot juste!... Figurez-vous qu'ils sont partis...

LA FOULE intéressée.

Eh bien? Eh bien?...

QUATRIÈME PARTIE 165

LE TRAITEUR pleurnichant.

Ils sont partis sans me payer, mes bons mes-

LA FOULE éclatant de rire.

Ali! ah!... Il va pleurer cet homme! Amis! poussons des gémissements! 0 musi- que joue un air funèbre ! Ha ! ha ! holà !...

LES G A M I NS entourant le marchand de vins en dansant.

De L'argeni ! de l'argent ! On n'en a jamais assez!...

LES OUVRIÈRES aux fenêtres reprennent en chœur.

Des galante ! des galants!

On en a toujours de trop !...

DES HOMMES DANS LA FO U LE se tournant ver- les ouvrière? et les saluant.

les belles! Comment dites-vous ça?... Elles

sont jolies !...

PREMIEB JEUNE HOMME à un autre d'un air moqueur.

Elles vous fonl des signes, mon cher!

DEUXIÈME Ji i m: HOMME emphatique.

Lucie un Rose, qui que tu sois, je te l«i déclare, je t'adore... Je t'offre...

466 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES OUVRIÈRES imitant le jeune homme toutes ensemble. Mon cœur! oui ! oui ! on sait ! . . . mais on refuse !

(Éclats de rire. La foule est reprise par la joie libre et vivace qui l'avait déjà pos- sédée avant l'arrivée de la procession. Elle s'anime, se mêle, se heurte, brille et braille. Les chants religieux sont maintenant moins perceptibles. Le cortège est déjà loin. Les marchands publics reviennent peu à peu sur la place d'où les avait chassés la proces- sion. Ils font de nouveau triompher la vie au milieu du peuple exubérant, jovial» bouffon, alerte, allègre.)

UN MARCHAND d'un accent vociférateur.

Qui veut de la noix de coco!... Noix de coco!...

UN AUTRE MARCHAND de même.

Des marguerites pour les bouquets!... Deux sous! Pas cher!...

VOIX MÊLÉES DANS LA FOULE

Par ici! Par les marchands ! Salut! Au revoir! Avez-vous vu la procession? C'était féerique...

UNE FEMME montrant un gamin qui s'enfuit.

Regardez-moi ce morveux!... Il est sale que

QUATRIÈME PARTIE

c'est à le prendre et à lui torcher le vis . Et il fait des farces comme un homme !...

VOIX MÊLÉES DANS LA FOULE

Oh! oh! Quand vous reverrai-je? Le vi- lain ! A bas les pattes!...

UN OUVRIER à un autre.

On s'en paie une pinte de bon sang, hein ! mon salaud !..

L'AUTRE OUVR] BB Ah ! oui, alors!... Ça c'est vrai !. ..

T.mJi- que la vie a repris aussi vive anse >ière, aus-i abondante, aussi

forte ([u'avant. un entend le chanl bobémesen monôme, etoo les voit revenir par la gauche, d'un pas I vif,

bousculant tout parmi le peuple épouvanté et amusi

LES JEUNES SENS K\ MONOME débouchant sur la gauche.

Ohé! ohé!... ohé! ohé!...

LES OU VB 1 ÈB ES b ut mt dea main-.

Oh! ma chère! les voilà encore! Bonjour! Bonjour!...

168 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA FOULE se dispersant devant le monôme. Ah! Attention!...

LES JEUNES GENS DU MONOME chantant et courant.

Parmi les horizons

Des sons Pendent de tout leur poids.

La joie Fait tonner nos poitrines...

LA FOULE contente et craintive,

Bon! bon!. Dehors! Allez-vous-en! Amour! amour! Ils n'ont que cela à la bouche! A la porte, les bohèmes! Ils nous ennuient!...

(Mais les étudiants, les artistes qui for- ment le monôme baisent les femmes, les saisissent par la taille, les font tourbillon- ner. Les actes de la jubilation ont lieu sur la place, de plus en plus gaie, animée et débordante.)

L'IVROGNE rentrant sur la place se met à rire.

Eh bien!... Il paraît que maintenant, c'est per-

mis de rigoler!...

(11 danse un pas tout seul, en titubant, fait des gestes grotesques, désordonnés. Une partie de la foule l'entoure en tumulte et lui fait la révérence. Le monôme circule toujours en se livrant à mille fantaisies.)

QUATRIEME PARTIE

LES BOHÈMES en farandole.

Dansant une -arabande folle autour de l'ivrogne.)

0 jours, saisons, années,

Fumé Amis, tuons le temps

Avant Que le temps ne nous tu<!...

LA FOULE en chœur reprenant.

... Avant Que le temps ne nous tue!...

UNE DES OUVRIÈRES aux fenêtres battant de- m un-.

Ali ! bien vrai ! ce que l'on se tord!... C'est épas- trouillant mes enfants : . . .

Cris, dan-e, chant-, jarasseries et ijuo- libets. On entend au loin des bruit- de fan- fare de temps à autre. Le- jeunes boh< du cortège font -onner leurs instruments. Une vieille guitare et une flûte percent L'es- pace de leurs sods faux. Des embl ment- -ont salués par la multitude, sous le <-ii'l chaud de l'été. Apothéose d allé- gresse.)

CINQUIÈME PARTIE

LA FIN DE L'ANGOISSE DU CHRIST LA SATISFACTION DES PAUVRES

CINQUIÈME PARTIE

LA FIN DE L'ANGOISSE DU CHRIST LA SATISFACTION DES PAUVRES

Même décor qu'au troisième tableau. Seulement il fait nuit. On distingue mal le plateau, le carrefour, les routes. La Ville brille dans le fond, éclairée d'un grand nombre de feux. Une rumeur de fanfare monte vaguement dana l'espace, mêlée à des bruits de pétards qui éclatent de temps à autre.

Les mendiants sont assis en rond, au second plan, vers la droite. Il- paraissent s'entretenir entre eux d'un ah* de . qui contraste avec leur situation. Us ne fonl pas 3. Ils semblent tout à fait tranquille ne voit pas leurs s bscurcis par l^s ténèbres.

I < Ihrist se trouve à la pointe extrême du plateau, dans Lion on l'a laissé à la tin du troisième tableau. Il semble o'avoû pas bougé. 11 médite en ranl la

Ville luisante.

!-• soir, vus neuf beui I m pi. -in. El

il tait Mrs noir.

pu reviennent de la Ville traversent par 1ns- ite m. entrant par le chemin qui monte, r

13

174 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

la plupart un peu ivres, titubent, rient fort. Puis leurs pas se perdent parmi la campagne.

(Le Christ, au commencement de l'acte, est assis dans une attitude de réflexion. Il se parle comme à lui-même d'un accent grave et tragique. Il considère l'étendue, tour à tour, les étoiles, le ciel, la Ville.)

LE CHRIST

comme s'il sortait d'une profonde rêverie intérieure.

Obscurci par une ombre horrible, le cercle des cieux commence à tourner dans Féther, empor- tant dans sa rotation toutes les pesantes constel- lations de l'infini... 0 nuit, qui rends visibles les mondes, tu me découvres mieux que le jour encore les raisons de ma destinée dans l'univers ! . . . Et cependant, ô globes dont la rotondité ébranle l'espace, ô masses de glaciers en mouvement, ô pointes brillantes, ô blocs sphériques qui circulez avec violence !... combien je sens ma petitesse en votre présence!... Mais également je pressens les nécessités de l'harmonie... Je conçois les désirs de ma planète... Je comprends les aspirations des choses obscures... des étoiles et des éléments de l'infini... Et je me dis que, parmi le système cos- mique, je fais ma tâche ! . . . Hélas ! qui me donnera la force de la remplir!... Et pour parvenir jus- qu'au bout de ma fortune, réussirai-je à me main- tenir dans l'existence?... (Il se lève, tend les bras dans

CINQUIEME PARTIE 1*75

l'ombra < ) atmosphère, pénètre en moi !... A massez vos ténèbres, vents <l<i la nuit!... astres aigus, tourbillonnez dans l'étendue!... Et que ma puis- sance soil accrue, ô terre! ô hi<-u!... n fait quelques

pas, revien! «lu côté du carrefour en méditant.) Car Voici

que J< is événements vont s'accomplir... que la péripétie esl prête... el que le dénouement devient plus proche!... Oh! il me faudra toute ma force pour garder ma stabilité au milieu «le ces varia- tions épouvantables... J'aurai besoin de toute mon âme, <>ui. je le sens...

Il s'arrête, comme plongé dai réflexions. Il y i on moment de silence. Un pétard éclate. Puis entrent des .. par la route de la ville montante. On les t'utcn.l fredonner: Laï ton!... Lai tou la la!... » II- sont vaguement ivres, lourd, le pas copieux >■[ instable. En passant, il- se heurtent au Christ, qui, bousculé de cette sorte, demeure calme et silencû

l'N DES VILLAGEOIS on peu effrayé, au Christ impassible. ! donc ! l'homme !...

L'N a i rii r. VI i.i. \«. EOIS d'un ton soupçonneux. Qui ôtes-vous?... Qu'est-ce que vous faites là?

i r « il i; I8T Indifférent, détaché, l'esprit aille Rien... rien vraiment..

170 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST TROISIÈME VILLAGEOIS le regardant.

Celui-là, je le reconnais!... C'est le vagabond que l'on appelle Christ!...

PREMIER VILLAGEOIS avec un rire brusque.

Ah! oui!... Et il attend sans doute ses compa- gnons!... (Suivant les autres qui s'en vont.) Eh bien! mon vieux, sois patient, parce qu'ils ne revien- dront peut-être pas de sitôt... On a leur casser...

LE CHRIST en sursaut, comme sortant d'un rêve. Hein!... que dites-vous?...

(Il s'écarte précipitamment, le visage effaré et sombre. Il va du côté de la route qui mène à la Ville et reste peu près à l'entrée, épiant, anxieux. Pendant ce temps- là, les villageois ont traversé le carrefour; ils se trouvent près des mendiants; ils les reconnaissent, ils les interpellent.)

LES VILLAGEOIS apercevant les mendiants.

Hé! voici encore des amis!...

(Les mendiants, saDS se lever, retournent la tête vers les villageois, les voient va- ciller, indécis, s'amusent de leurs mines cramoisies et stupides, de leur aspect.)

CINQUIEME PARTIE

171

PREMIER VILLAGEOIS

Salut, camarades !...

DEUXIÈME VILLAGEOIS

Ça va-l-il toujours ?...

LE .M ANC H OT

; connue vous prenez soin de nou- !...

P R i: M 1 1; R VILLAGEOIS cherchant à prendre la taille de la bniteu-e.

On s'aime bien, pas?...

LA FEMME ESTROP1 ÉE

Vous êtes gentil !... Donnez-nous quelque chose...

PREMIER VILLAGEOIS

Oh : pas un liai'd !...

DEUXIÈME VILLAGEOIS

D'ailleurs nous n'avons plus rien !...

TROISIÈME VILLAGEOIS

La Ville m pompé tous nos sous, les drainant lomme une mécanique, ne noua en laissant pas un >eul... Voilà le \ rai !..

178 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA FEMME ESTROPIÉE ricanant

Bon! bon!... on comprend vos façons!... Vous êtes adroits!... Quoi! il ne vous reste à présent plus rien du tout?. . . Elles se sont dispersées toutes vos richesses!... Pourtant vous n'êtes pas mal- heureux, je vous assure!... Elles se sont fondues vos monnaies!... Elles se sont transformées en une joie invisible, qui vous anime, qui alimente maintenant votre être. . . C'est pourquoi vous n'êtes pas à plaindre, tandis que nous...

PREMIER VILLAGEOIS

Oui , oui ! on connaît vos misères ! . . . Mais quoi ! est-ce le jour de geindre?

DEUXIÈME VILLAGEOIS

Ah ! parbleu non ! . . . A la Ville , il y a des bals . . . et des fanfares qui soulèvent l'air et qui font se mouvoir les rondes comme de grandes roues... et des cortèges de filles de joie ! enrubannées!... et des feux d'artifice qui brillent dans l'ombre!... Ha! ha! on ne s'y embête pas... je vous le dis...

L'AVEUGLE avec amertume.

Ici, ce n'est pas la même chose...

LE MANCHOTj-enchérissant. Bien sûr que oui, tout est bien différent, dans

CINQUIÈME PARTIE

cet endroit1.... On ne connaît pas le plaisir, on reste inerte, on ne peut pas bouger, on souffre... on a froid et on se lamente, transi, par lerre... On ne mange que des fruits pourris, du pain amer.., On a le fossé pour s'étendre lorsqu'on est las

PREMIER VILLAGEOIS tandis que les antre- -en vont.

Veux4u que je te dise la vérité?.. Eh bien! tu nou^ fatigues l'esprit avec tes plaintes...

LA PEMME ESTROPIÉE bondissant rers eozi

Ah! c'est comme ça!... La Ville vous a pris votre argent, mais votre impitoyable stupidité,

votre ;i\;irice, toute- vos tares, elle ne VOUS le- a pas ôtées... Mlle a opéré sur vous comme une drague qui filtre le flot des bas fonds, qui laisse la hune ri retient au passage ce qui est lourd...

LES VILLAGEOIS reviennent snr leur- pas et la battent.

Comment! (le sont tes manières! Ap- prends à vivre !...

LA I- i.MM i: ESTR0P1 ! I mt, meurtrie.

oh!... Haï!... lié là! retirez-vous!... Unîtes

<pie vous êtes !...

la l&chenl : la femme

pu ; - en feignant : les villa-

180 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

geois la regardent, puis en riant ils s'en vont. Les mendiants, d'abord interdits, fout mine, lorsque les autres sont déjà loin, de les poursuivre. Ils se dirigent tous en courant, en glapissant, vers la route de droite ; on les distingue à l'entrée, ils agitent les bras, et vocifèrent.)

LES MENDIANTS tous ensemble, sur le chemin.

Que la peste épuise et dévore vos membres ! Malotrus ! Hâtez-vous de disparaître ! Que l'ombre engloutisse vos formes sans esprit ! Marauds ! Misérables ! Vieux coquins ! Fi- chus voleurs !...

(A mesure que s'éloignent les villageois, eux s'enfoncent sans cesse plus avant sur la route, si bien qu'on ne les voit bientôt plus et que leurs voix diminuent petit à petit.

Par le côté opposé entrent pendant ce temps, terribles, hagards, inquiets, à tâtons hérissés, Martial, Élie le fossoyeur, Zacha- rian et Marie la Pouille. Ils semblent fuir et craindre qu'on les suive. Ils regardent de temps à autre vers la route, comme anxieux. Ils cherchent le Christ.

Le Christ, qui guette leur arrivée, les aperçoit et s'élance aussitôt à leur ren- contre en poussant un cri prolongé.)

LE CHRIST les saisissant l'un après l'autre avec émotion.

Ah! Zacharian!... Élie!... Et toi Marie!... Mar- tial ! . . . Que vous paraissez singuliers ! ... Et lamen-

CINQUIÈME PARTIE 181

tables, suintants «l'une rouge bumidité, âci pleins de boue ! Quelles choses avez-vous accom- plies pour avoir un aspect aussi étrange?... Comme je regrette de vous avoir Laissés partir! Qu'ètes- vous allé faire à la Ville?... Maintenant, me voici comme un maître qui. avant délaissé des servi- teurs fidèles, les retrouve après son absence dans son champ nu '....

LA POUILLE «l'un ton de supplication.

Mon bon seigneur !...

LE FOSSOYEUR sourdement et terriblement

Ce que nous avons fait ne sera pas stérile!... Oui, nous avons souffert, et dan- quel but?... Nous nous sommes heurtés à la Ville comme des hommes passionnés d'amour à des contradictions d'antipathie... Kl nous avons eu à subir des coups terribles... Non- revenons enduits de croule- de sable, sanglants, le manteau déchiré, la lace salie... En tumulte, nous aussi, nous avons com- battu... Oui, à la haine la violence correspond... et les déclarations de guerre ne provoquent pas les serments de l'amour. El non- nous sommes levés contre une chose qui voulait nous écraser... \.\ dous aurons nous aussi notre tour de sain! triomphe... Car de même que la vérité esi toujours beaucoup plus puissante que mille erreurs sur les-

182 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

quelles elle l'emporte par sa seule évidence et qu'elle broie sans effort dans les termes de sa force, ainsi nous aurons eu raison d'hommes innombra- bles... 0 maître, je voudrais te rendre compte de mes aciions. Mais ce n'est pas le moment... (il rit en désignant la ville et d'un accent sinistre avec un geste de menace qui fait blêmir le Christ.) Plus tard, on dira dans la Ville que nous avons été vers elle comme une famine. Nous l'aurons en effet décimée comme un crime. Et nous aurons agi sur elle ainsi qu'une peste... Et notre apothéose est prête, ô Ville, ô nuit !...

(Les compagnons sont silencieux. Marie semble accablée et palpitante. Quelque chose de terrible anime le regard du fos- soyeur. Pendant qu'il parle, le Christ l'écoute et attache sur lui ses yeux fixes, violents. Il paraît découvrir petit à petit une vérité tragique, il pressent une catas- trophe, il devient extrêmement pâle et sombre. Puis, tantôt il se tourne vers Mar- tial, qu'il interroge avec angoisse, tantôt vers Zacharian dont le visage déchiré et sanglant resplendit d'une joie affreuse, tan- tôt vers Marie, qui baisse la tête- Et, saisi d'un tressaillement dont ses compagnons ne devinent pas la raison et le sens, il se tait, les cheveux dressés de terreur et reste ainsi un moment silencieux en considérant la Ville sur laquelle planent les menaces de la destinée, et toujours en fêle cepen- dant. Marie s'approche d'un air humble et lui prend la main. 11 y a une minute de terrible anxiété. Les mendiants précisément reviennent par la droite et s'arrêtent, sur-

CINQUIEME PARTIE

pri< h la vue du groope singulier formé par le Chrisl 'i ri- 1

aloi douloureux et

un mouvement de d

LE CHRIST empli dun effarement tragique.

0 maintenant, je comprends!... n 3 com-

pagnons avec violence vers les plaint ibries.

Suivez-moi! suivez-moi! Venez, venez!...

Os se mettent tous eu marche et traver- sent le carrefour. 11- s à travers champs. I ibles. On 1»'- v,.jt disparaître dans

mendiants qui les regardent curieu- îrnent alors le- un- vers les autres <l'un ;iir étonné.

LE MANCHOT guognenard. Eh bien! Quoi? Sans nous dire bonsoir?...

LA FEMME ESTROPIÉE

II- ne sont pas honnêtes, les camarades!...

L'AVEUGLE

Us doivent faire sans doute une grande atten- tion... Ils courent parmi Les hautes ténèbres sans que l'on entende leurs pas étouffés!... Ils sont déjà loin dans les champs <m l'orge esl noire »it toisante, el dans lesquels Le trèfle <|ui embaume semble obscur...

184 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Ici éclate un feu terrible; un bruit d'ex- plosion ébranle l'air, une grande clarté se répand jusque sur le platean. Epouvante des mendiants qui d'abord veulent fuir et qui ensuite se tournent vers la Ville. On voit une flamme formidable.)

LE MANCHOT après le premier mouvement d'effroi.

Ha! ha!... En voilà une chose!... Est-ce que tu

vois?...

LA FEMME ESTROPIÉE ardemment. Oui!... oui!...

L'AVEUGLE curieux.

Eh bien?...

LE MANCHOT s'esclaffant.

Oh! mes amis! La Bourse qui brûle!... Les Banques qui flambent!...

L'AVEUGLE s'esclaffant également.

Rien que ça!.... Ce qu'il va faire chaud! Tant mieux, dites donc! Nous commencions à grelotter sur le talus... C'est qu'il ne fait pas toujours bon parmi cette craie humide et cette herbe toute glaciale...

CINQUIÈME PARTIE

LE MANCHOT regardant toujours vers la Ville.

Parbleu! nous autres, nous allons bien nous amuser... Car qu'est-ce que ça nous fait que la Bourse ><»it détruite!... Et les Banques!... Nous

nuus en moquons, n'est-il pas vrai?...

LA Y Ho LE sombre et dur.

Belle fin de fête! Il fallait que chacun en eût sa part... Ceux de la Ville ont eu la leur, voilà la nôtre... Ils nous onl assez maltraités pour L'être maintenant... Il y en aura parmi eux qui bouge- ront comme des pailles au veut, oui, c'esf cer- tain... Ils aumut peur parce que leur- biens vont disparaître... Et nous, nous sommes tran- quilles et en repos... Us ont fait de notre humble état Je sujet répété de leurs railleries. A eux de nous fournir des occasions de rire!... A eux de pousser des lamentations en se traînant sur les chemins, dans les terrains creux et arides, parmi le sable Acre et inconsistant, à travers les argiles glissantes et cramoisies!... Il- vont souffrir à leur tour et non- les entendrons geindre comme de petits chiens qui appellent leur mère... El ils tour- neront ver- non- leur- yeux salés de larmes et ils se tiendront dan- des poses de misérables el Ils crieront d'une vois acérée et plaintive!... El c'esl non- qui seion- paisibles parce que n'ayant rien nous ne perdrons rien !...

L6

186 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST LE MANCHOT

C'est vrai que c'est notre tour de nous réjouir maintenant... Et avec nous tous les pauvres de la terre... Ceux qui rôdent sous la nuée pluvieuse... qui vont de pays en pays... qui n'ont pas d'abri pour se reposer... qui implorent la pitié des gens comme une divinité absente en laquelle on espère toujours un peu.. . qui, réfugiés dans les carrières, y réparentleurs forces pour les luttes du jour... qui vivent du produit de leurs vols ou bien des béné- fices de leur mendicité comme la rouille âpre et parasite dont les aliments sont fournis par la disso- lution des métaux corrompus. . . qui souffrent d'être à moitié usés par la tristesse, tirant après eux sur la terre les portions pourries de leur pauvre corps... Ah ! ceux-là trouveraient bon pour eux de voir cette chose... (Brusquement, ii pense aux compagnons et montrant les flammes.) Dommage qu'ils soient partis sitôt le camarades!...

LA FEMME ESTROPIÉE avec une sombre animation.

Non ! Surtout ne répète jamais une telle pa- role !... Ce n'est pas pour rien, j'imagine, qu'ils ont fui sans rien dire, à travers les plaines noires... Non, ce n'est pas par fantaisie... Est-ce que tu comprends ce que je veux dire ?

CINQUIÈME PARTIE

LE .Manchot stupéfait et -ubitement cal]

Oui, oui, sans doute...

L'AVEUG LE d'un ton de rêverie profonde.

C'est Lien possible en vérité, comme lu le dis...

-■-tent alors U>u- Les trois silencieux.

Il- regardent vers la Ville, brûle la Bourse, et d'où montent maintenant des i .mat ion- de terreur, une rumeur con- fu-r de cris en tumulte. [Is oe Be parlent pas, mais i rent de temps à autre comme pour véri- fier leurs impressions et pour s'apurer de leur véracité réciproque. 11- sool sembla- bief mine- à qui on a confit* un même secret. 11- sentent qu'il- <r<'icnt ton- le- trois la même ils n'osent pa- aller plus avant dans leur confe-^-n mutuelle.

1 pendant le tempe de ces u-tlexions que de- vociférations commentent à em- plir l'espace do côté du chemin qui vient de la Ville, et bientôt de tumultu-

lesquelles d'épouvante, se ruent i refour. De tous , a ai-

unations •! effroi au mil ;i. On entend

: Ah :... Ah :... ô douleur : quelle

catastrophe abominabl< aen li ints

:if dans les Fossés. Bntrenl des

feu,

l'i M M i tenant un enfant qui pl<

H" '. lin !... Au secours ! au secours !

188 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

UN HOMME anéanti. 0 nuit terrible !...

UN POÈTE exalté.

Le vide enflammé du ciel présente un aspect de fumée, de soufre et d'or... Les chevaux galopent sur le pavé dur; les maisons sont défoncées... Des groupes d'hommes en furie ébranlent toute l'étendue... Et ils se lamentent dans la nuit comme si on leur arrachait des quartiers de viande vive...

UN BOURGEOIS véhément et furieux.

Il n'y a pas de soldats. . . Et personne n'est pour nous préserver !... On laisse s'achever le désastre comme s'il ne s'agissait pas de la fortune natio- nale !... étaient-ils les gardes publics? Que fai- saient-ils pendant cet attentat ? N'auraient-ils pas le prévenir... et l'empêcher?...

(Continuellement c'est un bruit d'alar- mes, le tocsin résonne lugubrement, la foule envahit le carrefour de toutes parts et reste là, abattue ou violente, dans la dé- solation. Arrivent, précédés d'une rumeur d'armes et de voix, des soldats entourant le préfet de police. La multitude se tait, re- garde, curieuse et accablée.)

CINQUIÈME PARTIE

1. 1 PB ÉFET entrant en parlant d'un accent rude et bref, à ses soldais.

C'est évidemment un crime de ces brutes... Il faut découvrir leur piste... Ils ont passé une partie du malin avec un aveugle, un manchot, une femme... Od les a vus tous ensemble... IN

étaient ici... Il interpelle d'autre- soldats et leur montre

le- route- à droite et à gauche. Ed attendant, inspectez déjà l«'s chemins... Allez! allez!

I. - soldats se précipitent dans le- di- rection- indiquées: D'autres fouillent le carrefour et ch-rchent les mendiants. Tout à coup, explosion de lumière vers un nou- veau point de la Ville. C'e-f un incendie qui éclate. Mouvement divers de terreur dan- la foule.

LA I I . M M I : ESTROP1 É E découvrant l'horizon, d'une voix tonnante.

Toutes les casernes viennent de sauter...

I. \ PCM LE répète en un chirur hurlant.

Ha ! Les casernes '....

LE PRÉFET il se retourne et aperçoit l'estropiée, et aussitôt

la désigne a des --Mat-.

Aile/, chercher cette femme là-bas !... Ne voyez-vous rien?... Plusieurs soldats vont en tumulte

100 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

du côté indiqué ; on les voit se saisir de la femme, la bous- culer.) Peut-être tirerai-je d'elle quelques rensei- gnements !... Elle doit connaître quelque chose... Il faudrait aussi retrouver les autres mendiants... {Des soldats surviennent poussant devant eux l'estropiée et l'aveugle qu'ils ont rejoints non loin de là.) Ah ! les voilà ! . ..

LA FOULE sur le passage des mendiants. Qu'est-ce que c'est ? Gouapes ! Assassins !

LES SOLDATS amenant les deux mendiants.

Ils rechignent ! Nom de Dieu ! Son compte est bon ! N'essaie donc pas de fuir ou gare à toi!...

LE PRÉFET montrant le peuple.

Ce peuple, avec ses hurlements!... Il empêche- rait la vérité de faire entendre ses paroles s'il lui prenait la fantaisie d'en proférer... (Aux soldats.) Chassez cette foule!... N'est-ce pas assez que nous devions la supporter sans être encombré par surcroît de ses clameurs?... Ecartez cette vile multitude ! Qu'elle ne bouge plus ! (Aux mendiants.) Et vous! parlez maintenant !... On a besoin de vous... Prenez une voix afin de répondre aux questions que je vous pose...

LES MENDIANTS d'un accent humble. Oh! monsieur le préfet peut être certain...

CINQUIÈME PÀRTIB

LE PRÉFET avec rudesse.

Que vous me mentirez effrontément !... Mais prenez garde, je vous le dis... Pas de traîti Sinon je vous livre à cette meute qui vont clame!... L'heure n'esl pas «les mois Inutiles faut faire vite...

LA FEMME ESTROPIÉE

Nous sommes tous deux aux ordres de mon- le préfet...

LE PRÉFET

Vous avez passé la journée sur ce plateau?...

LES MENDIANTS

Oui, monsieur le Préfet, cela es! véritable...

LE PRÉFET avec un geste iTimpatience.

Bon! bon! je sais... Ce matin des homme- s, venant de loin, des espèce- de -aie- bonds... des chemineaux...Uu individu maig jaune semblait leur chef... Ils lui donnent le sur- nom de Christ, comme s'il L'était...

L'ESTROPIÉE virement.

11 lui ressemble un peu, ouï, monsieur le

préfet...

192 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE PRÉFET brusque et impétueux.

Il a en effet une barbe rouge... Mais vous y êtes... Ses compagnons sont des coquins... Lui est un gueux... Il y a avec eux une femme, une sorte de fille... Ils vous ont parlé un moment... Qu'est-ce qu'ils ont dit?...

LA FEMME ESTROPIÉE avec une irritation feinte.

Oui alors, ils nous ont causé!... Ils nous ont même bien embêtés... Ils nous ont empêchés d'exercer notre métier... Ils nous ont exhortés à être bons pour chacun...

LE PRÉFtET en sursaut.

Parbleu!... parbleu!...

LA FEMME ESTROPIÉE sans paraître voir l'indignation du préfet.

Ils nous ont dit qu'il ne fallait pas convoiter le bien dautrni, se montrer charitables, ne pas tenir aux choses... que les personnes qui possédaient de grands trésors seraient tôt ou tard accablées de maux immenses...

LE PRÉFET ricanant.

Nous y venons.... Et puis qu'est-ce qu'ils ont dit

encore?...

I [NQUIEME PARTIE 193

LA FEMME ESTROPIÉE après une pause

comme si elle cherchait.

Et puis?... c'est tout! I<* ne me souviens pas de

phrases notables... Ils revenaient toujours sur les mêmes idées... Ils avaient la manie de pérorer... Ils prétendaient nous persuader... mais sans succès!... Monsieur le préfei comprendra... nous sommes pauvres... nous manquons de tout... Il nous est difficile de croire qu'il est inutile d'être pourvu de quelque bien.

LE PRÉFET l'interrompant a?ec impatience.

Assez! Cette femme, cette vieille sorcière, elle vous incommoderait ^ans cesse de ses haran- gues i... Est-ce que tu sais quelque chose d'autre? Sois moins prolixe!... Ces hommes sont partis vers la Ville, à part leur chef... Quand sont-ils revenus?... Qu'ont-.ils fait?... Quelle allure avaient-ils? Réponds!... <il vite '....

LA FEMME ESTROPIÉE

Monsieur le préfei m'excusera... Je n'ai rien

V 1 1 . . .

LE PB il l'.T empli d'une fureui subite.

Infâme menteuse!... EJle se cache dans son ignorance comme dans un trou... .!<• t'en ferai

104 LA TRAGÉDIE BU NOUVEAU CHRIST

sortir à coup de triques!... étais-tu?... Elle persiste à dissimuler... Il t'en cuira!... Ah! ah! Il ne faut pas te foutre de moi!... (il se tourne vers l'aveugle, qui cherche à se faire le plus humble possible.) Et celui-là ! Pourquoi demeure-t-il silencieux?... (il le secoue de ses mains brutales, les soldats le poussent, le frap- pent même.) Holà ! Eh bien!... Je vais te réveiller comme un chien que son maître appelle et qui se terre ! . . .

LES SOLDATS frappant l'aveugle. Rosse que tu es!...

L'AVEUGLE

Ah!... ah!... Ho!... ho!...

LA FEMME ESTROPIÉE montrant l'aveugle.

Monsieur le préfet ne sait pas. . . il est aveugle ! . . .

LE PRÉFET au. comble de la colère.

Ah!... lui aussi!... Au moins il ne ment pas comme toi !... (Aux soldats. ) Emmenez- les !. . Faites-les vociférer sous le bâton!... Lorsqu'on les prend par la douceur ils ne disent rien!... Avoir affaire à de telles gens ! . . . Allons ! dehors ! . . . Que peut-on tirer d'eux? Des plaintes! Des lar- mes!... Eh bien! n'y manquez pas!... Tas de co- quins !...

CINQUIÈME PARTIE

l.e- soldats emmènent rers le rond du ; refour, ils vont s'asseoir, I et l'aveugle qu t, meartris coups

de poing: «Oh!... oh! roua mail

Pitié I pitié 1... - La foulé sur leur passage ri- cane et pousse <le- clameurs de mort. ! vent sans cesse de nouvelles troupes d'hom- mes, de femmes, d'enfants au milieu de la fureur et de la consternation de la multi- tude.)

LA FOULE exaspérée, en une puissante cohue.

Ne les laissez pas passer! Bandits! I oailli

i SE FEMME brandissant son parapluie,

Espèces de gueux !...

DES BOURGEOIS arrivant essoufflés, hagards.

A-l-on trouvé Les criminels? Oh! il est temps! C'est de la faute de la police! Elle aurait prévenir La chose! Le préfet esl le grand cou- pable!...

D'AUTRES BOI RG BOIS bas, craintifs.

Taiiez-vonsl Il est là! Faites attention...

i. \ I ■"« >i L E les e a les mi ndiants.

A mort ! à mort I...

190 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Dans ce tumulte de vociférations, de faces écumantes, de mouvements de colère tra- gique, on distingue depuis quelques ins- tants une sorte de rumeur dans une partie éloignée du carrefour. Des gens s'agitent, lèvent les bras, se rangent pour laisser passer un individu en haillons qui parle à la foule d'un air autoritaire. C'est le man- chot. Des soldats se précipitent vers lui pour s'emparer de sa personne. Le préfet tourne son attention de ce côté, en allant et venant avec impatience.)

LE MANCHOT aux soldats.

Laissez-moi! Ne me touchez pas!... Je veux parler à M. le préfet!...

LES SOLDATS l'entourant et le bousculant.

On la connaît celle-là ! Pas besoin de faire le malin! Allons, avance!...

LE PRÉFET de loin à la foule.

Livrez-lui place!... (A des soldats.) Et quant à vous, faites taire cette populace!... (il montre la foule.) Elle nous harcèle de ses cris tumultueux!... Arrière, là-bas! Que cette canaille agitée par la haine contieune ses gestes !... Que toutes ces con- vulsions soient apaisées!... Que ces mouvements aigus se calment!... J'en ai assez!... (Les soldats repoussent la foule en rumeur.) Il est temps de poser un

terme à cette furie ! . . .

CINQUIÈME PARTIE LES SOLDATS . la foule.

Rangez-vous !.*. rangez-vous !...

LE PRÉFET considérant la foule.

Plèbe infecte opposant à tout son in Masse informe que met en mouvement le moindre vent !... Que fait-elle cette fouir s tu pi de? Pour- quoi pousse-t-elle ces hurlements?... A quel objet en veut-elle? El pour quelle raison?... Fll<i va, vient, s'attaque à cette chose, défend celle-ci, et elle ignore le motif qui la fait agir... Arracher cetle race d<i la terre, ce serait nous débarrasser

d'une croûte <le lèpre!... (Toujours traîné, poussé par les Bol lats, le manchot parvient enfin jusqu'au préfet, qui le consi- dère avec une curiosité brutale et Impérieuse. ^ oyons-le à présent cet homme... C'est encore un des men- diants... Qu'a-t-il à dire?...

LE MANCHOT avec un air décidé.

Monsieur le préfet, je vomirais... Il cherche r de rétreinte dure des soldats. Mais, d'abord, qu'ils me lâchent '. 11- me font mal !...

1. 1. PRÉ I ET m lifférent à sea plaint

Pourquoi t'es-tu caché?... Qu'est-ce que lu as fait? Ne sais-tu pas qu'on l<i cherche depuis 1res longtemps?. .

198 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE MANCHOT avec violence, indigné. Moi, monsieur le préfet, je me suis en allé?... N'est-ce pas librement, au contraire, que j'ai offert mes services?... Dès que j'ai su que vous vou- liez m'interroger, je me suis présenté... Même que ces sacrés bougres!... (il montre les soldats.) Ils me serrent comme dans un étau!... (Les soldats lui tordent le bras avec encore plus de force. Le manchot se met à gémir.) Aïe ! aïe ! Brutes que vous êtes ! . .

LES SOLDATS ils le frappent. Brutes! Tiens, voilà pour toi!...

LA FOULE rangée à distance. Oui ! oui! A mort!...

LE PRÉFET aux soldats.

Laissez cet homme!... Le moyen de le faire parler, ce n'est pas de le battre, sans cesse, dans l'instant il vient d'une manière favorable!

(Les soldats s'écartent du manchot, qui gémit). Toi, tu as

goûté du bâton, eh bien! apprends que si tu mens, ta peau entière sera raclée à coups d'épi- nes!... Ainsi, agis donc à ta guise. Tu es pré- venu !...

LE MANCHOT il se redresse avec fierté.

Je ne suis pas venu pour vous tromper...

CINQUIEME l»Alt I LE !'•'•

LE M; ÉFET Radoucissant.

A la bonne heure! Voilà qui plaide en ta fa- veur!...

LE MANCHOT il reprend un air de défi ironique.

Mais, cela m'amuse de penser que '\>- suis seul à connaître un secrel dont vous voudriez tous être enrichis:... El de vous voir ranges autour «le moi, dans L'attitude de L'anxiété la plus cupide!... Et de mo dire que >i je gardais le silence...

LE PRÉFET terriblement impétueux.

Tu parles Lrop... Pour dire des choses vaines, dénuées de sens!..'. Mais pas assez autrement!... Nous prends-tu pour <1«'< oies auxquelles on jette crains mauvais, tandis qu'elles en attendent d'autres!... Tu traînes trop en Longueur, je h* le dis... Pendanl cria, les compagnons s'enfuient. Lis ne passent pas Leur temps à bavarder comme nous!... Lis ont des pieds capables de Les porter au loin, à travers la durée et la distance. Il- en disposent pour mettre entre eux et nous un large espace!... T'imagines-tu que tous l«i- êtres sont faibles comme toi, incapables de courir e( de marcher

LE M INCHOT ri.inmt.

Bien sûr que je oe suis pas fort, étant perclus de

200 LA TRAGÉDIE NOUVEAU CHRIST

maladies, et ayant les membres corrompus par la douleur! Je manque d'adresse et je me traîne pé- niblement... Mais néanmoins, il me serait encore possible de parvenir plus vite que vous au but cherché!... Car je sais ils sont les compa- gnons, et cette chose tout le monde l'ignore en vérité!...

LE PRÉFET

Je te promets une récompense...

LE MANCHOT feignant une grande joie.

Oh! monsieur le préfet est bien trop bon!...

(Il s'arrête un moment, baisse la tête comme s'il cherchait à rappeler ses souvenirs, puis la relève, l'air narquois.) Voyons,

je ne veux pas vous faire longtemps languir. Vous avez bien envie n'est-ce pas, d'être renseigné sur ces bandits de vagabonds?... (Le préfet fait un signe d'assentiment.) Il est certain qu'ils ont tous été à la Ville dans la journée!... Sauf l'un d'eux cepen- dant, le Christ comme ils l'appellent, un individu singulier qui est resté... Dans quel but, d'ailleurs, je vous le demande?...

LE PRÉFET contenant mal son irritation.

Abrège! abrège!... Lorsqu'ils sont revenus ce soir...

LE MANCHOT avec vivacité. Je les ai vus!... Ils sont entrés par le chemin

CINQUIÈME PARTIE

qui monte Ils avaient l'air de bêtes chassées, in- quiètes, meurtries... Ils n'ont pas fait de bruit... Je Les guettais... M»1- camarades, la femme estro- piée et L'aveugle n'étaient pas là... Us étaient all<'< sur la route, an peu... Donc, tous ces gueux étaient tranquilles, car ils ne savaient pas que je les re- gardais... et le carrefour ne présentait qu'une solitude...

LE PRÉFET

0 Dieu! achève ra-t- il? violemment. Apre-', après! te dis-je!.., Ils sont parti-! I)«' quel côté?Parquel chemin?...

LE MANCHOT

Ne voulez-vous rien savoir d'autre? Cela sans plus?...

LE PRÉFET

Oui, cette chose-là seulement!... \ part <> vil coquin! Que j'aimerais à te faire fouetter dans L'instant même!... Comme il ruse avec moi! Quel est son but?... Embusqués derrière son vis je vois désir de mentir et la terreur! Ces deux sentiments luttent entre eux, se disputant d'une force égale la possession complète de son indi- vidu... Voilà pourquoi il prend son temps! Il ne sait pas encore ce <|u*il va taire, -'il veut me

17.

202 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

mettre dedans ou être loyal! Effrayons-le, c'est le seul moyen d'en tirer la vérité!... (Il s'adresse au manchot.) Vas-tu parler ou bien prends-garde!... Malheur à toi !.. .

LE MANCHOT qui semblait chercher dans ses souvenirs, fait un geste de protestation et d'inquiétude.

Quel chemin ont-ils pris?... s'en sont-ils allés? Ici OU là?... (Il se met à fredonner.)

Ce n'est ni vers le nord ni vers le sud,

Car le sage se tourne vers lui-même,

Et l'insensé au contraire prend une direction

Opposée à son âme et au bonheur...

LE PRÉFET il essaie de la bonté. Voyons, l'ami...

LE MANCHOT comme près de gémir.

De quelle façon vous me traitez!... Vous voilà irrité soudain, mal disposé à mon égard, et pour quelle raison vraiment? Parce que je fais attention à ne pas vous dire des choses fausses?... Je ne veux point vous induire en erreur... Mais elle ne ment guère, l'autre chanson qui dit :

Bien circonspect doit être l'homme qui donne un conseil, Car si son conseil est bon personne ne lui en sait gré, Et s'il ne Test pas il en est châtié...

CINQUIÈME PARTIE 203

ainsi qu'il serait toujours Lien préférable de

se taire en toute circonstance...

LE PRÉFET avec l'air de rire.

Tua- un esprit facétieux... A,part. Il t'en cuira

de faire des bons mots avec moi: Espèce d'idiot! Me contraindre à languir de cette façon! Mais tu vas voir!... Bant)Je l'en prie, hâte- toi de répondre

à ma question...

Alors le manchot se décide. Il y a une grande attente dans le peuple. Le pu I- - soldats -uivent le- mouvement- du man- chot. Le manchot s'avance un peu vers la droite en fai-ant signe au préfet que par que Boni partis Les compagnon- Il montre une route absolument opposée à la direction prir-e par Zacharian et par lès autres. Le visage du préfel s'éclaire «le joie. La foule regarde d tation.)

LE MANCHOT montrant la route.

Regardez bien) C'esl par là!

LE PRÉFET partagé, entre on deruiei soupçon et une grande esp< :

Tu en es sûr?...

LE M tNCHOT solennel

Je le jure, monsieur le préfet, en vérité..

204 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE PRÉFET aux soldats avec un geste éclatant.

Allez, VOUS autres ! . . . (Les soldats se mettent en marche. Le préfet se tourne vers le manchot.) Toi, maraud, tu t'es joué de moi pendant longtemps! Que je ne te re- trouve jamais!... Il m'a trop fallu me contenir, user d'astuce et me servir de stratagènes afin de te soustraire la vérité... et j'ai étouffer ma juste irritation dans la crainte j'étais sans cesse!... (Il le bouscule avec brutalité en s'en allant.) Arrière main- tenant! Heureux pour toi que je n'ai pas de temps à perdre!... Allons! en marche!...

(Enorme flamme du côté de la Ville. Pa- nique, mouvements d'effroi, bruits d'explo- sion formidable. C'est la cathédrale qui éclate. La foule va et vient, court, affolée, horrible, éparse dans tous les sens. Des rumeurs d'épouvante remplissent l'espace tandis que les soldats et le préfet s'en vont suivis du peuple en tumulte.)

VOIX DANS LA FOULE, se dispersant dans les ténèbres rougies par l'incendie

La cathédrale!... la cathédrale!... la cathé- drale!...

LE PRÉFET dans le lointain.

En avant maintenant! mes amis! Nous allons bientôt retrouver les auteurs de tous ces forfaits épouvantables!...

CINQUIÈME PARTIE

Toute la multitude -e précipite dans do pêle-mêle de cris, de plaintes, de me- nai- missementa et de lamenta- tions à travers la route obscure et lugubre.

I - mendiants délivré- se retrouvent -nr la place dan- l'ombre pourpre, héri de colère, battus, affreux. Il- regardent tantôt du côté de la Ville «juc lincendie illumine, et tantôt .lu côt'; du chemin dans lequel s'esl engo'ufl cohue enjarmes

et furieuse du peuple et des soldats, dont on entend décroître le- pas, -atténuer la rumeur, diminuer le- éclata de voix petil à petit. Au bout de quelque temps, lea trois mendiant- restent seuls sur le plateau vide. Il- semblent saisia alors «l'une joie ge qu'expriment tout à coup leur- \i- jges ardents, leurs gestes désordonnés, leurs mouvements impromptus. Il- se tour- nent U - un- v.i - lea autre-, en éclatant soudain d'un rire sinistre.)

LE M INCHOT avec un.- expression de haine.

Et à présent, c'est à nous de prendre du plaisir dans le spectacle de leur stupidité errante!... Les Imbéciles! il- onl cru se ser\ ir de nous comme de serviteurs fidèles, nous dont il- ne prennent pas soin cl qu'ils u»' nourrissent même pas avec «lu foin comme leurs bêtes!... [ls auraient bien voulu nous mettre à leur attelage pour que nous les portions au but avec une vitesse plus grande et plus -rue:... [la sont sans perspicacité et sans esprit!... Ne savent-ils pas que ce qui les afflige nous rend joyeux, parce que la ruine de l'homme

206 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

puissant est une cause de jubilations pour l'hum- ble être sans fortune et sans bonheur?...

LA FEMME ESTROPIEE

Oui, oui, ils espéraient que nous leur viendrions en aide!... Mais que n'a-t-il été plutôt en notre pouvoir de les égarer davantage encore, de les précipiter sur la route de l'abîme, d'accroître et de hâter leur destruction ! . . .

L'AVEUGLE d'un ton exalté.

Croule! Ville immense! Disperse-toi! Et toi, brille, Ô foudre!... (Il s'approche de l'orgue et frénétique- ment joue un air sonore tandis que le manchot et la femme estropiée se mettent à danser sur le plateau rouge).

Allons, que la danse vous secoue et vous fasse circuler avec fureur!... Voilà le moment pour nous d'être heureux!... (Et ici, tout à coup, s'accompa-

gnant avec l'orgue, il entame un chant terrible.)

Le bon Dieu dans la m... Les proprios aussi : Voilà qui nous fait perdre Aujourd'hui tout souci!...

(Puis, d'un accent qui se contracte, il reprend sa harangue avec une force crois- sante.)

Oui, si tous les pauvres de ce monde pouvaient

CINQUIÈME PARTIE

être réunis ici devant cette Ville, en présence de >a destruction, ils se féliciteraient de ce spec- tacle. Il- formeraient une ronde formidable... Ils feraient retentir L'espace de leur- clameurs!... Car dan- toute chose il existe des causes de plai- sirs et de souffrances... Ce qui est pour certains une catastrophe est pour beaucoup une circons- tance heureuse... Et ainsi le même événement apporte aux uns de la tristesse et aux autres une raison de jouir de l'existence... Provoquant la haine et L'amour, le destin heurte ensemble par- foi», tels des courants de lave avec des torrents d'eau, les passions les plus éloignées en vérité... Ainsi, tandis que nous sommes là, à tirer de ce rouge désastre dès motifs de satisfaction el de gaîté, nous les pauvre-, nous les va-nu-pieds, nous les sans le sou, nous les gueux, les auti Lamentent dans la nuit devant ces ruines... Mais, ceux-là, ils ont eu leur fête avec des prétextes de plaisirs à L'infini, ht quanl à non-, il nous en a manqué... Ils ont eu Leur temps de bonheur. Et voilà que Le nôtre est arrivé aussi... Ils ont connu un jour de grande béatitude... El il- maintenant dan- Les Larmes, dans l'horreur, dans le sang, dan- L'ombre el dan- la mort!... Qs est juste que L'heure de la fête commence pour nous!...

(L'orgue <lr barbarie exhale toujou chant de danse, liais l'aYeugle lai-même

>08 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

se met à danser. Onle voit soudain, sinistre, ébaucher un pas de ballet. L'estropiée et le manchot se livrent sur le carrefour à des mouvements bouffons. L'allégresse des mendiants emprunte au paysage quelque chose de lugubre et de farouche. Le ciel est embrasé du côté de la Ville, et l'obscu- rité vers les plaines se teint des grandes et profondes lueurs de l'incendie.

Au loin on entend, cependant, toujours de vagues rumeurs d'épouvante qui conti- nuent à monter de la Ville.)

SIXIÈME PARTIE

CHRIST EST TRAHI DANS SON ESPRIT ET IL SE SENT RESPONSABLE

SIXIÈME PARTIE

CHRIST EST TRAHI DANS SON ESPRIT ET IL SE SENT RESPONSABLE

Le décor représente l'entrée d'une rue de village, la nuit. Au premier plan, à gauche, une fontaine de pierre entourée d'arbr* un banc. Puis on distingue une pe

tir* de maisons, basses et noires, qui s'enfonce et se perd dans les ténèbres. L'ombre esl épaisse. Toul semble éteint depuis longtemps.

On voit déboucher toul à coup en une troupe h i{ et traînante, Zacharian Elie, Martial el Marie, qui - mit péniblement, tandis que le Christ marche non loin de la, un peu ;i l'écart, l'air sombre •( pensif.

Le silence, la paix familiale, la tranquillité «lu lieu iU entrent, tout contraste avec l'aspecl âpre d< gnons. On devine qu'ils sent toujours en tint»', qu'ils ont peur, qu'ils se méfient et que l'angoisse lutte ••!) eux a?ec la fatigue.

!.-• Chiot semble en proie à des réflexions qui ne lui permettent pas de rien sentir de ces choses.

Il .'>t environ trois heures 'lu matin.

i.i Pouille, I-'- compagnons, le Christ font quelques pas Jusqu'à l'endroit de la

212 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

fontaine. Là, ils s'arrêtent. Martial et Zaclia- rian vont s'asseoir sur le banc. Elie reste debout à côté. Le Christ s'accoude au fût de pierre de la fontaine et ne prend pas garde aux autres. La Pouille au contraire s'en rapproche, et avec une voix gémissante et irritée elle commence à se plaindre comme pour les menacer.)

LA POUILLE elle s'adresse aux compagnons seulement.

N'aura- t-elle pas de terme enfin celte course lamentable parmi les ténèbres?... (Elle désigne le Christ avec pitié.) 0 mon pauvre et bon maître, qu'il doit être las ! . . . (Elle se tourne de nouveau vers les com- pagnons.) Quoi ! être contraints de se cacher au creux des fossés remplis d'herbe, et dans les champs marécageux, derrière les haies aux pointes aiguës et agitées!... Et courir, s'en aller sans fin, à perdre haleine!... Et pendant des temps et des temps, comme si l'épouvante s'était mise à nous pousser par les épaules hors de ce monde, se ruer aussi contre le vent et l'atmo- sphère!... Ah! là-bas il y a des hommes qui fuient d'horreur! Mais notre situation n'est pas plus favorable ! . . .

(Les compagnons font un geste comme pour dire : à quoi bon récriminer, ce qui est fait est fait!... et regardent seulement du côté du village, pour voir s'il n'y aurait pas un abri pour eux. Brusquement, Elie le fossoyeur fait un pas en avant, et indique

SIXIEME PARTIE 213

de la main la première mai-on qu'on «Ji-- tingue faiblement à leutrée de la rue étroite et silencieu

LE FOSSOÏ EUR 'l'un ton décidé.

Voilà une maison ! Allons voir!... Nous sommes loin maintenant du danger, et les gens qui nous poursuivaient n'auraient point l'idée de nous découvrir en ce! endroit...

LA POUILLE elle montre le Christ tristement.

Il faut lui demander d'abord!... Oh! comme il souffre!...

LE FOSSOYE1 R

Je n'ose pas lui parler ! Interroge-le toi-même ! . . . D'ailleurs, que lui importe qu'on fasse cette Chose!... Il a l'air de ne plus vouloir nous dire un mot...

M IRTIAL

Et puis, quoi! ou en .1 assez!... Il a plu sur nous toul à L'heure... La foudre a blanchi l'air obscur... La uuée épaisse s'esl répandue en nappes humides

LA POl ILLE avec une indifférence brutale.

El bien! agissez comme il vous plaira!... I voir.' affaire après toul '....

18.

214 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

(Martial, Elie et Zacharian se dirigent vers la maison sombre. Une fois arrivés ils paraissent se concerter. Un instant, ils examinent la façade plâtreuse et terne, les volets clos. Et on dirait qu'ils se deman- dent si ce qu'ils veulent faire est bon ou non. La Pouille les regarde avec anxiété. Le Christ reste enfoncé dans sa méditation et ne s'intéresse à aucune des actions des compagnons. A la fin, ceux-ci se décident. Ils s'approchent de la porte et en heurtent le marteau.)

LE FOSSOYEUR

Holà! holà!... Est-ce qu'il y a quelqu'un ici?. , Des hommes misérables se traînent sur la route, confiant leurs maux à l'hôte qui habite cette maison.

(On entend du bruit à l'intérieur de la demeure. Une voix d'homme grommelle : Sacré dié!... Qu'est-ce que c'est que ça.,. Les compagnons frappent toujours de plus en plus fort.)

L'HOMME à l'intérieur.

Qui va là? Voyons!... Qui va là?...

ZACHARIAN

Suppliants, ayant avec nous une pauvre femme, nous vous demandons à coucher dans le grenier, sur la paille, dans la cave, n'importe où, pourvu que ce soit sous une toiture...

SIXIEME PARTIE

L'HOMME à l'intérieur.

Attende/!... je yais roir! Oui êtes-vous donc'...

MARTIAL

(Ju'ii soit béni celui qui se laisse attendrir par des prières, et qui, touché à cause des peines d'hommes étrangers, s'efforce, pour les guérir, de faire un peu de bien !...

L homme apparaît sur le seuil, il tient un fusil d'une main et de l'autre une lampe, il aperçoit le groupe loqueteux, lugubre, tra- gique des compagnons; il fait un _ qui exprime a la fois la cob'-re. le dédain et la crainte.

L ''HOMME refermant brusquement la porte.

Ha! lia!... tles chemineaux! Passez la route!...

I '-compagnons demeurent dehors, stu- péfaits et furieux: on distingue I l'intérieur de la maison un bruit de serrure qu'on boucle et de barre qu'on passe au travers de lapoi

LE POSSOTE1 i; Les dents sen Canaille! Canaille! Salaud de bourgeois 411e tu

(La Pouifle, qui pendant la tin de cette ne -Yt.it rapprochée des compagnons,

! BUS, e! I.lie.

fers Martial, et ren Zachariai qa<

216 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

tourne sa colère. Exaspérée, elle les arrête lorsqu'ils vont revenir vers le banc dans l'intention visible de prendre quelque re- pos; elle les considère tout à coup avec des yeux brûlants d'un courroux amassé.)

LA POUILLE d'une voix désespérée et menaçante.

aller et que faire maintenant?... Quel che- min prendre ?. . Est-il possible que nous ne trou- vions de refuge en aucun lieu?... Chassés de^tous les horizons, même lorsque nous sommes incon- nus, à quelles extrémités terribles allons-nous être contraints et acculés?... Hélas! à travers les distances, il nous faut fuir avec l'anxiété à nos trousses qui nous harcèle!... Pourquoi n'avez- vous pas pris garde à mes conseils?

LE FOSSOYEUR avec colère.]

Ne parle donc pas ainsi, femme lâche !... Plutôt que de répandre des cris comme tu le fais, il se- rait préférable que tu te taises?...

ZAGHARIAN Est-ce à toi de nous faire des réprimandes ?

LA POUILLE s'exaspérant.

Je dis ce que je pense et voilà tout !... (Elle regarde le fossoyeur d'un air de défi.) Yide-moi de mes tripes

SIXIEME PARTIE 211

comme un pot de son contenu}... Mais quanl à garderie silence, jamais je n'y consentirai en ce

moment !...

LE FOSSOYEUR moqueur, gouaillant.

C'est La (erreur qui t'inspire les reproches que tu nous fais?... Car, en vérité, tu as peur... Tues livide comme si on t'avail barbouillée avec du plâtre!... Tu n'es pas bien gaillarde, avoue-le donc?... Gomme, dans un vase, une eau secouée, lu trembles dans l'enveloppe de ton corps de fond en comble...

LA POU IL LE avec dédain.

Nous verrons lequel de uous deux montrera b4 plus de courage lorsque le temps d'en employer

SCra venu... En attendant, je vous le di<, à toi

le fossoyeur et à vous autres, vous avez tous comme d<i> hommes sans raison, qui, portant des torches allumées, lesjettenl sur leur propre per- sonne -ans discerner l'action Insensée qu'ils com- mettent..

/. \cii \ i;i a\

Crois-tu donc être seule à penser?... Quel ton prends-tu !... T'imagines-tu que uous soyons plus

son que loi !...

218 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LE FOSSOYEUR

Oui tu devrais prendre garde à toi!... car tu te laisses aller trop loin et tu ne mets pas de rete- nue dans tes discours !...

LA POUILLE ironique et méprisante.

Avec vos mérites réunis serait-il possible de for- mer l'esprit d'une bête ?... Non, je ne le crois même pas !... Vous êtes des hommes stupides, sans vo- lonté, serviles... prêts à exécuter des crimes contre vous-mêmes... soumis à tout et principa- lement aux décrets de la colère...

MARTIAL

C'est son propre portrait qu'elle peint !...

LE FOSSOYEUR

Sache-le, la Pouille, ce n'est pas à toi de par- ler, c'est à cet homme... (Il montre le Christ toujours indifférent en apparence.) Car quant à toi tu n'es rien qu'une malheureuse femme, égale à nous...

LA POUILLE

Ne voyez-vous pas par vous-mêmes que le héros dont vous parlez va être réduit à l'infortune la plus pénible?... Et cela pourquoi? A cause de

SIXIEME PARTIE 219

vous seuls!... Est-ce que von» n'en avez pas honte? bien ètes-vous dénués de conscience à

ce point ?...

LE FOSSOYEUR avec une dureté sévère.

L'impunité te laisse parler, la Fouille, et ton impudence naturelle excite tes emportements... Et tu vocifères sans arrêi parce qu'on a pour tes excès mêmes de l'indulgence... El lu es si or- gueilleuse que tu crois pouvoir nous l'aire des reproches au nom du maître qui demeure muet à notre égard... Car à quel signe as-tu découvert sa pensée encore obscure?... Quand -'est-il expri- mé... Qui a-t-il défendu ou attaqué?... Est-ce toi qu'il a blâmée ou moi? Ni l'un ni l'autre... I - si pourquoi rentre dans le silence comme dans un rôle lait pour toi et que tu n'aurais jamais quitter...

moment que le Christ -ort de -i méditation, La tragédie intérieure -«•M point culminanl et née d in-

tervention. Il vienl la dénouer. Il relève la tête et voit ses compagnons opposant à Marié des \ i tr la fureur. Il

fait un mouvement de leur côté. Et il pousse un grand ci i dans L'ombre, -'t les autre- se retournent, saisis chacun par une inquiétude <! (Térente. Le Christ atl alors sur eui <i.>- yeux sinistres, il"uk>u- reux, désol

220 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST qui jette une clameur aiguë.

Ah! calamité effroyable!... (il s'avance vers Élie, Zacharian et Martial stupéfaits.) Hélas ! Hélas !

LES COMPAGNONS Oh!...

LE CHRIST

Qu'est-ce que vous avez fait, ô compagnons!... Vous êtes allés trouver le peuple et vous l'avez anéanti!... Yous êtes passés sur lui comme un vent de tempête... Et vous avez dressé partout l'aspect hérissé et sauvage de la panique!...

LES COMPAGNONS

Seigneur!...

LE CHRIST

Comment avez-vous consenti à exécuter les desseins de votre furie?... Quel charme a triom- phé de vos serments?... Yous avez oublié notre ancien pacte... A quelle pensée plus forte que vous, ayant l'inflexibilité de la logique, avez- vous soumis tout votre être comme un esclave?,..

LA POUILLE aux compagnons.

Yous entendez!...

SIXIÈME PARTIE 221

LE CHRIST

Mais surtout, je voua le demande, pour quelle raison m'avez-vOus caché vos projets?... Car vous Les nourrissiez depuis Longtemps... j<i l'ai senti bien des fois et vous n'avez jamais parlé franche- ment!... Sans doute est-ce la haine rencontrée qui vous a fourni le prétexte de vos actions!...

LES COMPAGNONS

Comment !...

LE CIIKIST

A la suite «1»' quelles réflexions vous fetes-vous métamorphosés de cette manière?... Vous ne m'en avez pas fait pari. Pourquoi, enfin?... Ah! au Lieu de me dire la vérité, vous vous èl«>- éloi- gnés de moi comme d'un ennemi!... D'ailleurs, vous avez eu raison d'agir ainsi, car je suis votre ennemi, ô hommes de fer... 6 exécuteurs des pensées de la mort môme... vous en qui d'impla- cables Lois sont incarnées

LE BUR anéanti.

Que nous dis-tu maintenant, ù Maître!...

MARTIAL l'.T ZACHARIAN de même. Hélas! Hélas!...

19

222 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST qui les considère tous avec une tristesse cruelle.

Quel est-il, celui d'entre vous qui, fort de ses propres pensées, n'a pas craint d'exciter la haine dans vos esprits?... Il vous a étreints comme un argument qui semble péremptoire au premier abord.,. Quel langage vous a-t-il parlé pour s'être fait entendre mieux que moi?...

LES COMPAGNONS

ODieu!...

LE CHRIST

se trouve-t-il, le malheureux dont la per- suasion fut plus vive que ma sagesse?... Et les autres, sans même prendre conseil auprès de moi!... Qu'ils se nomment les uns et les autres, qu'ils viennent maintenant, qu'ils découvrent l'étendue de leur stupidité...

LES COMPAGNONS

Eh bien!

LE CHRIST sans s'interrompre.

Qu'ils crient d'un accent lamentable en ma présence; qu'ils disent : « Oui, nous, c'est vrai, Seigneur, nous avons obéi à la colère... La fureur

SIXIEME PARTIE

a saisi noire être e1 elle a fait mouvoir nos mem- bres débiles... Et asservis aux ordres changeants de no< passions, nous en avons exécuté tous les projets... El c'est agités de cette sorte que noua nous sommes rendus coupables...

LE FOSSOTEUB

Coupables, Seigneur?...

LE CHRIST

Malédiction!... A.gir comme des hommes sans raison, sur Lesquels la méditation n'a pas d'em- pire!... Accomplir les actes les plus sombres avec toute la docilité de L'inertie!... Quoi! ne pas même me renseigner sur vos projets... Me Laisser dan- l'incertitude sur vos désirs!..

LE FOSSOTEUB timide, efl

Ne connaissions-nous pas Les tiens

LE CHRIST (jui relève la tête et marche sur te fossoyeur indignation.

Oh! que dis-tu?... LE FOSSOYEUR qui recule (f abord et s'enhardit.

Ne pouvions-nous pas croire?...

224 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST Quoi? malheureux ! . . .

LE FOSSOYEUR dont l'audace augmente.

Combien de fois nous as-tu répété que la haine était susceptible de bons effets?...

LE CHRIST

Oui, comme en ce moment ma haine de vous...

LE FOSSOYEUR rapidement et terriblement.

Nous avons cru exécuter ta volonté...

LE CHRIST avec une violence irrésistible.

YouS avez Cl'U... (Il regarde le fossoyeur, et d'une voix tonnante, il l'interpelle.) 0 homme perfide!... oui, je te nomme ainsi, quoique tu sois un de mes compagnons les plus fidèles!... Car quand tu as commis tes crimes tu as été nuisible à moi, et plus contraire à mon bonheur en vérité que si, hypocrite et oblique, tu m'avais livré tout vivant à mes ennemis!... Nous avons cru!... Comment oses-tu parler un tel langage?... Ne crains-tu pas que je m'élève contre ta prétention à cet égard?... Car présentant les choses réelles sous des traits faux, tu as accompli une action abominable!...

SIXIEME PARTIE

v tressailles-tu pas, plein de hont<'. dénué de force, animé uniquement par un immense re- gret?... Exécuter ta volonté!... Oh! est-ce pos- sible?... Traduire ainsi mes sentiments les plus secret^!... Interpréter de cette façon mes inten- tions?... N'est-ce pas peindre blanc ce qui est noir, remplacer un terme négatif par un contraire, changer le système d'une méthode au point de la rendre discordante et erronée, agir en tout à cont re- sens de parti pris!... Ta volonté!... ta volonté!... 0 infortune!... Se servir d'une telle expression!... Quoi ! Misérable !...

LA POUILLE elle s'approche du Christ comme pour apaiser son exaltation grandissante.

O mon bon maître!... Ne vous emportez pas si

fort!...

LE CHRIST au comble de la colère,

il repous-e Marie brusquement.

Sainte colère, empare-toi de moi !... A.gite tout

mon être de tes bonds!... Utilise toute ma force à ton proiit !... Q se tourne ver- te fossoyeur, qui épii mouTementa avec anxiété. \li ! parler de cette façon-

!... Quelle impudence !...

Il POSS01 II R

Pourtant ifetait-il pas possible do penser que...

19.

226 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST LE CHRIST impétueux, farouche.

De penser quoi?... Que je serais content de vous?... Que j'approuverais vos actions de guerre et de haine?... Que j'applaudirais au spectacle de la catastrophe déchaînée, ardente, par vous?... Que vous me sembleriez plus chers quand, ter- ribles, vous feriez trembler la masse du globe?... Que j'attendais des choses féroces de l'initiative éclatante de votre force?... Que je vous aimerais davantage !... (Il baisse tout à coup la voix, et d un accent désolé il semble se parler à lui-même, tandis que les compa- gnons consternés le considèrent.) 0 lamente-toi, mon pauvre cœur ! . . . Hélas ! hélas ! . . .

(Le Christ se tait et paraît plongé un instant dans une méditation qui l'accable. La Pouille est près de lui et le fixe de ses yeux pleins de pitié. Les compagnons, dans des attitudes différentes, tour à tour examinent le Christ, le ciel, l'ombre et eux-mêmes. Il y a un instant de silence atrocement contraint. Le malentendu qui existait entre les compagnons et le Christ est devenu visible. Néanmoins le fossoyeur, qui tient à se disculper, s'approche du Christ, lui pose la main sur l'épaule, le voit relever sa tête triste et douloureuse, d'un mouvement lent, comme au sortir d'un songe.)

LE FOSSOYEUR avec une inquiétude humble.

- Mon bon Seigneur... dans quelle exaltation

SIXIEME PARTIE W

vous êtes maintenant!... Voulez-vous m'écouter, me prôter un pou d'attention?. .

LE CHJRIST aJftêraneat

Oui, oui, parle donc... tire des le'nebres le- causes obscures... expose-moi des raisons capables de me convaincre... découvre à mon esprit, qui ne les connaît pas. des arguments ayant L'éclat do L'évidence...

LE FOSSOYEUR

Mon pauvre maître...

LE CHRIST .lu nêau ton ironique et sombre.

Kxplique-niui que je suis un insensé!... Je t'avais 6hoisi entre tous les hommes et je te is susceptible do prendre ma place... accuse- moi de témérité et définis mes erreurs... Quêtes paroles soientles prouves de mon ignorance... Outrage ton père... Précipite ton esprit contre le mien. . Benrte-moi avec ton corps d'airain dans le but de me faire tomber en me frappant !... \\\'. ah ! lu veux te disculper? Eh bien ! fais-le !

LE rOSSOl ETTR

Non...

228 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST d'un ton qui redevient épouvantable.

Ah ! que toutes les étoiles se broient, mais parle plutôt! Que le globe, s'il le faut, soit renversé ! Et que l'ordre du monde soit détruit par ta faute seule !...

(Menaçant, le Christ s'est dresssé dans ud grand élan impérieux, et il semble or- donner à Elie de parler. Celui-ci le regarde en tressaillant. Zacharian et Martial sont interdits. Marie paraît être accablée et elle lève vers le Christ une main pleine de douceur. Cette scène dure un moment dans un silence tragique.

Cependant, dominé peu à peu par le Christ, inquiet, agité par f appréhension de l'irréparable malheur qu'il va provo- quer, après l'autre causé déjà par lui, le fossoyeur courbe le visage, réfléchit une minute, puis il prend la parole au milieu de ce cercle d'hommes diversement atten- tifs qui le regardent.)

LE FOSSOYEUR hésitant, saccadé.

Quand nous réfléchissons ou agissons... et dans quelque sens que ce soit, ô mon Seigneur!... n'est-ce pas à cause de toi en vérité?...

LE CHRIST, sarcastique.

En vérité?...

-i x 1 1 : m f: partie 229

LE POSSOYEUB

N'es-tu pas Le maître invisible, présent en nous, à tout instant et sans arrêt?

LE CHRIS!

Qui en douterait?...

LE FOSSOYEUR

La seule puissance dont nous avons toujours conscience, c'est celle de ta pensée irrésistible... Elle nous détermine dans ceci et dans cela, elle provoque chacun de nos actes, et elle inspire nos sentiments les plu- divers...

1.1 CIIIUST

Et ceux-là môme que tu exprimes en ce mo- ment ?...

LE FOSSOYEUR

Tu t'es emparé de notre être, tu règnes Bur

lui...

LE cm; IST

J'ai été pour vous un tyran... Quoi! rien «le plus?

LE POS801 EUB

0 maître, lamente-toi. si tu veux... Jette des

230 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

soupirs, si tu ne sais pas autrement répandre ta peine... Mais il n'est pas bien de ta part de nous blâmer...

LE CHRIST

Non, non! gémissons à présent,, toi et moi- même...

LE FOSSOYEUR

Tu nous accuses par tes paroles... tu nous parles d'un ton de mépris... tu te lèves contre nous avec dédain... Cependant quelles raisons as-tu pour te conduire de cette manière à notre égard? Quelles actions avons-nous commises dans le but de déplaire à tes désirs ?. . . En quoi sommes- nous coupables comme tu le dis? A mon tour je t'interrogerai avec tristesse...

LE CHRIST ne surmontant plus la violence de sa colère.

Malheureux ! ne redoutes-tu pas... Comment? tu oses... Que vais-je répondre à ta demande si inju- rieuse?... Est-il utile que je défende mes posi- tions?... Oui, tu dis vrai, j'occupe ton être de mon esprit... et je t'ai engendré toi et ta volonté... Mais c'est par précisément que tu me parais cou- pable... Tu t'es imaginé posséder ma sagesse parce que je t'avais inspiré quelques pensées... Hélas! es-tu semblable à moi en tous les points pour pré-

SIXIÈME PARTIE

tendre agira ma place sans injustice?... Me repré- sentes-tu tout entier comme si nos doux un g pouvaienl confondre leurs plan-?... Es-tu de la môme race que moi? du même sang? d'un père pareil? Peux-tu le croire?!.. Alors, connu. -ni donc se fait-il que tu aies eu l'audace de vouloir vivre même une minute mon existence? de rem- plir le rôle pour lequel moi je suis fait?... de ré- péter les mots que conçoit particulièrement mon propre esprit/?... démettre ta volonté à accomplir mes vieux?... El tu n'as pas eu un instant L'idée que tu étais capable de te tromper!... <>h: si tu avai- désiré te substituer a moi pour accomplir mes rêves, pourquoi ne m'as-tu pas confié tes sen- timents, et pourquoi n'es-tu point venu auprès de moi afin de me l'aire vérifier leur équité? Il fal- lait ne pas t'écarter de ma présence, retourner sans cesse à elle, y puiser de nouvelles force D'ailleurs ne te l'avais-je pas dit : Ayez soin de venir à moi à tout instant comme d'un terme dérivatif on va à L'étymologie, <»u comme des courbes d'une spirale on re\ ienl au point central...

LE FOSSOYE1 R

< > maître, tes enseignements...

MARTIAL

Tes paroles familier

232 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST

0 viles brutes ,que vous êtes!... Ne craignez donc pas à présent de Jes répéter ces discours dont vous parlez !... Qu'ont-ils de commun avec vos ac- tions?. . . Quelles excuses y trouverez-vous en votre faveur?... Allez- vous mentir devant moi pour m'accabler de preuves dénuées de vérité?. . . N'était- ce pas toujours la justice que je vantais, elle que je souhaitais la maîtresse de vos esprits, elle seule que je vous proposais comme un modèle?...

LE FOSSOYEUR

Tu nous a mis en face du monde comme des machines de guerre chargées de poudre... Tu nous excitais constamment à manifester la puis- sance de nos désirs. Tu provoquais les explosions de notre ardeur... Tu voulais transformer nos gestes en mouvements de guerre frénétiques et impétueux...

MARTIAL

Oui, oui, c'est vrai...

LE CHRIST

0 infâmes traîtres ! qui êtes-vous pour vous exprimer de cette manière!... Ha! je vous re- pousse loin de moi!... Dieu! que devenir!...

SIXIÈME PARUE

Bafoue-moi de ton souffle obscur, vont de la nuit î... ténèbres, amassez-vous en moi pour me rendre invisible à tous les yeux !... 0 infor- tune!... Misérables! Je me traite ainsi !... 0 très à plaindre ! ... Oui, dignes de commisération nous sommes, nous autres !... Vous et moi, nous pouvons gémir sans injustice! 0 monde, pour quelle étrange raison, dont la nécessité est in- connue, ai-je voulu remplir ma mission selon te< lois?... L'aberration qui fut la mienne, je la con- fesse '. ... Qu'est-ce qui me forçait à agir comme je l'ai fait? à descendre sur la terre cruelle, et, avec l'impétuosité d'une vérité, à vouloir ranger toutes les eboses dans la raison?... 0 ciel! ô vide! ô noir espace du firmament !... Moi qui cherchais à aug- menter, non à détruire, moi qui espérais embellir, non rendre ignoble !... lia! ai-je été si peu com- pris?... Il voile sa face dans ses mains avec une sorte d'éga- rement terrible et se parle comme à lui-même, presque en san- glotant ... Ho ! Ho ! folie !...

LE FOSSOT il R

Pourquoi te lamenter ainsi sans rien oppos guments...

M \I1T1 \l.

Dans quel délire affreux nous te voyons main- tenant !

234 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LE FOSSOYEUR

Qu'est-ce que tu as? Tu pousses des cris avec violence ?... Mais d'abord tu devrais répondre... Est-il vrai que...

LE CHRIST qui fait un geste d'horreur comme pour les repousser.

Rien ! Rien du tout ! . . . (Il s'arrête, la poitrine palpi- tante, oppressée.) Il n'y a pas de vérité, entendez- vous ! . . .

0 vous, ô hommes, cessez de me parler main- tenant !... Qu'est-ce que vous dites?... Incon- scients ou non des mensonges que je vous entends débiter sans honte, vous n'en êtes pas moins res- ponsables à mon égard!... Dans l'un ou l'autre de ces deux cas vous m'êtes odieux!... Et peut- être êtes-vous plus coupables si vous agissez et parlez sans vraiment vous rendre compte des erreurs que vous faites, parce qu'alors votre esprit est faux, dans son ensemble, incapable de juger du bien et de nulle chose, inaccessible à la sagesse et dans l'impossibilité de rien concevoir, de découvrir par vos organes la vérité!... Oh! jusqu'où faut-il remonter pour découvrir la cause première de tout cela ?... Ils ont cru que la haine du mal ne pouvait se manifester que par un mal plus grand encore!... Ha! pauvres êtres... O pla- nètes, éthers, éléments ! qui peut se vanter d'aller

SIXIEME PARTIE

contre vous? et n'est-ce pas pourtant L'essayer que d'agir avec le désir de tout détruire?... Voilà ce qu'ils uni fait, ces homme- !...

LE FOSSOYEUR irrité. Maître!...

LE CIIHIST

Pourquoi m'avez-vous écouté? A quel propos vous ai-je parlé ? Qu'est-ce qui m'a attiré vers vous?... Comment n'ai-je pas lui loin de votre présence?... Quel rapport ai-je eu avec vous?... Qu'y ;i-t-il de commun entre un homme et un chien? Rien de plus qu'entre vous et moi, c'est bien certain... Oh ! laissez-moi me lamenter! j'en ai le droit! Vous m'avez livré tout vivant au monde entier, et chacun à présent me liait. C'est sur moi que vont retomber les châtiments!...

Le fossoyeur balbutie quelque chose qu'on n'entend pas et fait mine de parler. ... Non! non! ne m'interrompez pas!... Que j'emplisse L'espace de mes cris épou- vantés !...

u: F08S0YEUB avec c :

El nous ! pouvons-nous oui ou dou gémir aussi !...

I.l CHRIST

Oh!...

236 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE FOSSOYEUR il poursuit, dune voix de haine.

Quelle a été notre existence à ton côté?... Et avant de t'avoir connu, quelle était-elle?... Tu te plains delà destinée, et tu soupires, proférant des lamentations chargées de fiel, et tu dis : « Ma vie à présent sera terrible... et la faute en est à vous tous qui, en mon nom, avez commis un attentat que je réprouve et dont je serai la première vic- time... Et peut-être as-tu raison de nous demander des comptes... Mais, nous, tes compagnons, que tu accuses, resterons-nous sans répondre ? Ne nous est-il pas permis de pousser des cris per- çants ? Est-il insensé de notre part de nous tordre dans les convulsions de la douleur?... Et nous est-il défendu de protester en termes aigus de notre bonne foi?... Et d'ailleurs rentre en toi- même!... Examine-nous... Vois quelle destinée nous avons connue ! et combien de calamités nous ont atteints ! Et comment nous avons vécu depuis que nous suivons tes pas parmi le monde !... Con- sidère l'état dans lequel nous nous trouvons... Ayant autrefois tout abandonné afin de partager tes lamentables jours... excités par toi aux actions les plus tragiques comme celle pour laquelle à présent tu nous nommes des noms les plus bas et les plus vils... conduits à travers la tristesse et l'indigence... nous aussi nous pouvons nous plain-

SIXIEME PARTIE

dre d'un ton violent !... Car, après tout, nous -<>uf- frons et à cause de loi... Et qui sommes-nous? Des misérables vagabonds... rendus criminels par la -eule influence de ta pensée... qui peut-être ne t'ont pas compris, niais dont l'amour a toujours été absolu à ton éganl... Et néanmoins, vilipen- dés, outragés, «liasses dans Thorreur et les ténè- bres!... Et par la volonté de qui? par la tienne propre... Et cela il faut bien que tu le reconnais- ses... Nous allons à | résent subir des maui sans nombre, et nous les aurions ignorés si cependant nous ne t'avions jamais connu . . .

MARTIAL

Il a raison. ..

ZAGHARIAN

Oui. certainement...

LA POUILLE toute haletante et suppliant.' aui compagnons.

oh : ayez houle !... Regrettez vos lamentations et vos reproches !...

(Le Christ, que le discours du f< peu a accablé, s'esl retiré un peu à Pécari è la tin de cette scène et, debout dans la nuit, il demeure silencû uz. il semble en pi des réflexions qui l'agitent comme une

238 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

grosse fièvre. Il ne regarde rien, il lient ses mains contre sa face, il tressaille par instant de haut en bas. Zacharian, Martial et Elie le considèrent avec une espèce de pitié, d'irritation. Marie se tient devant eux d'un air de menace. A la fin, on en- tend un grand cri ; une voix plaintive, sourde et sombre, résonne dans les ombres. C'est le Christ qui commence à geindre avec une sévère expression de majesté. Les autres l'écoutent, terrifiés, surpris, effarés, anéantis par la tristesse, émus, passionnés, tourmentés d'angoisses inti- mes, et ces divers sentiments se succè- dent sur leurs figures à mesure que parle le Christ qui, lui, ne parait plus savoir qu'ils se trouvent là.)

LE CHRIST d'une voix presque basse qui s'accentue peu à peu.

Ils n'ont rien compris, rien !... Hélas !... 11 y a eu un temps naguère j'étais leur rédempteur. Ils me considéraient comme tel. Alors ils se féli- citaient de mon empire... A présent, ils m'accu- sent... Voilà la vie!... Ils n'ont d'ailleurs peut- être pas tort... Oui, après tout !... Pourquoi donc les ai-je détournés de leur passé?... J'ai mis en eux, sans m'occuper des résultats, des idées qui ont engendré ces maux affreux... Comme dans une terre non faite pour eux des germes ne se développent pas bien, les sentiments que je nour- ris n'ont pu que dépérir ailleurs qu'en moi... Ces hommes, ils étaient plutôt bons et plutôt ten-

SIXIEME PARTIE

dres... [(sauraient pu vivre eu repos... ei réali- ser du bonheur tout autour d'eux... Mais pour- quoi ai-je été ;i lenr remontre ?... Comment ai-j<' pu croire une minute que non- étions laits pour agir huis discordance ?... De quelles pensé trop forlcs pour eux, les ai-je chargés?... suis-je jamais préoccupé des différences fonda- mentales qui nous séparent?... Je me suis con- duit avec eux d'une manière véritablement ex- traordinaire... Us disent vrai... J'ai coopéré à leurs travaux... Maintenant il m'en faut prendre ma part .. Leurs revendications sont légitimes... Il es1 certain que je me sens coupable pour eux ai que je devrais prendre leur place dans tous leurs acte-... Ayant voulu les diriger, non pas à mon profit, sans doute, mais pour leur bien, je leur ai imposé une courbe tellement différente de la leur qu'ils n'<>nt pas tardé à reprendre celle-ci après avoir subi celle-là avec souffrance... Non comme un astre mis dans son orbe par la puissance des Lois cosmiques, art maintenu ï cause de leur eil'ri constant, mais comme une pierre précipitée dans les espaces, je leur ai imprimé une subite direction qui, étant contraire à la leur, n'a pas duré... Bêlas! Bêlas! en vérité, il- son! trop lourd- !...Ilsne possèdent point de finesse, de h reté... Il- sont accablés par leur densité... ei leur volume Les rejette toujours vers la terre en peu de

240 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

temps, . . Ils ne peuvent pas s'élever trop haut sans, tout aussitôt, retomber comme s'ils subissaient l'attraction qu'exerce sur tous les corps physiques la sphère terrestre... Ils ne s'élancent hors de leur zone que pour y revenir sans retard avec une violence plus constante et plus pénible... Appel- lerai-je incapacité originelle cet esprit d'inertie obscure, ce manque de légèreté morale, cette impuissance à demeurer dans les hauteurs?... 0 hommes, trop pesante est la masse que vous portez !... Ah ! malheureux !... En vérité, ils sont conduits par la lourdeur qui est leur loi particulière, qui règle et domine leur esprit, qui les fait mouvoir constamment, ici ou là... Et cette fatalité agite leur vie... Et cette nécessité crée leur destin... Et il n'y a rien à y faire... Et c'est ainsi... Ho ! Ho! tout sera donc semblable pour eux et moi ! ... Il y a des temps et des temps, j'ai essayé de leur transmettre une force d'action capable d'amoindrir leur mortelle hérédité, une puissance d'esprit pathétique susceptible de lutter avec leur apathie... mais mon effort a été vain... Et je n'ai pas pu réussir... Et après un premier essai il faut toujours recommencer le même tra- vail... C'est pourquoi, ces hommes misérables, je les plains!... Ils sont destinés à la mort et aux ténèbres!... Ils s'agitent tristement dans un cercle de douleurs... Et ils ne voient jamais le

SIXIEME PAIITIE 241

jour... Ils ne savent ni rire ni se jouer... Il- son! inertes... La noire terre les tire par le^ pieds, à tout instant... Oui, voilà la réalité, le globe appelle

ces pauvres êtres, il influe sut- eux constamment, il les empêche de s'agrandir, il les ramène >un> cesse à des petits spectacles... A ce moment le

Christ devient formidable. Les cheveux hérissés, -anglants, le vi>age terrible, les mains convulsivement agitée- et tendues dans les ténèbre-, il s'avance vers Klie, Martial et Zacharian que l'épouvante cloue surplace et il [es repou— e biu-quement comme pour les cha>«er loin de lui. Que faiteS-VOUS là?

Pourquoi êtes-vous encore ici?... Ah !... mal heu- reux!...Que le désespoir m'englouti^-e dans ses

LA POUILLE -uppliante, égarer.

( I mon bon maître !...

LE cil RIST bu comble de l'exaltation.

Non! non! Un mauvais maître, vous dis-je!... Car qu'ai-je doue fait?... Ne Buis-je pas L'unique responsable de toul ce mal?...

Le Chi isl se précipite dan- la rue dé- Berte et silencieuse, il est agité d'an furieux, il s'élance comme un insensé et va heurter les portes t. ait en rociféranl La Pouille U" -uit d'abord des yeui avec effroi. Pois elle fait un | 1 i

242 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

hagarde, comme dans l'attente; les compa- gnons observent la même attitude, mais on devine à leurs gestes qu'ils sont aussi inquiets pour eux que pour le Christ.)

LE CHRIST allant de maison en maison, d'une voix farouche.

0 hommes! vous êtes dans le repos, tandis que s'accomplissent les catastrophes!... Levez-vous! Ouvrez tous vos portes!... Venez voir le plus lamentable de tous les êtres!... Holà!... holà!...

(Brouhaha. Les gens ouvrent les portes, les fenêtres, jettent des regards curieux et effarés vers la rue. On entend de vagues rumeurs. Des voix disent : « Qu'est-ce qui se passe?... En voilà un tintamarre! Il y a un fou par ici... » En tumulte, des hommes sortent de leurs maisons, armés de fourches, de fusils, et se dirigent vers le Christ.)

LES GENS DU VILLAGE autour du Christ.

Sacré nom de sacré nom! Il gueule fort, ce cochon-là! Ce qu'il se démène! Attention!...

(Ils se jettent sur le Christ, qui, d'ailleurs, ne fait aucune résistance. Ils le saisissent, le bousculent parmi des hurlements épou- vantables. La Pouille bondit hors des té- nèbres dans un dernier sacrifice.

Elie, Zacharian et Martial se sont enfuis.)

SIXIEME PARTIE LA POUILLE elle -e précipite en criant, comme égarée.

Kmparez-vous de moi'.... Seigneur!... Je suis

au>-i coupable que lui... IIu! ho! 1 1 * : h t -

LES GENS Dl VILLAGE ils se mettent & lier les membres de Marie et du Chri-t.

Et celle-là!... qu'est-ce qui lui prend! Elle

écume! Prônez garde, il faut les attacher! Ave/-vous des cordes? Il est probable que ce sont de dangereux coquins. On va les mettre sous le verrou. Xous verrons demain ce qu'il faut en faire C'est égal,, c'est singulier un réveil comme celui-là. Ils sont bien garrottés? Bon, bon. Allons! En marche!...

La troupe des paysans entraine le Chri>t et Marie, qui sont accablés par le grand effort qu'ils viennent de faire. Muets el couverts d'une sueur sombre, on les voit partir, pou---- et conduits dans un tohu- bohu farouche d'arme- et de i

SEPTIÈME PARTIE

LE CHRIST AU MILIEU DE LA FOULE PASSION ET MORT

21

SEPTIÈME PARTIE

LE CHRIST AU MILIEU DE LA FOULE PASSION ET MORT

Dans li Ville, la place du tribunal. A gauche, au pre- mier plan, une rue. Puis, le palais de justice, ('norme édi- fice qui dresse sa façade, décorée de colonnades, avec one solide plate-forme à laquelle conduit un vaste escalier don- nant de plain-pied sur la place. A droite, des maisons profilent leur silhouette. Dans le fond, une rue allant vers la droite par des circuits qui en prolongent la per- spective. Quelques arbres, de-ci, de-là.

On découvre une foule bariolôe et citadine dont la mobi- lité d'aspect reflète les variations de sentiment. Tour à tour elle parait inquiète ou menaçante. Elle se modifie sans a sible a la moindre impression, -

houle, subitement. Cette foule se presse but la pla< garde -ans cessé fers le palais, se 1»' montre du doigt, manifeste à tout instant une impatiente anxiété.

Deux soldats se tiennent, l'arme an poing, au bas de l'escalier monumental.

Aux fenêtres des maisons, on voit quelques curieux.

Dan- les arbres, des gamins s.- sont perchés, el de là, par intervalle, lancent des quolibets à La multitude.

il est manifeste que m monde n*est pas rassemblé la

.248 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

pour une chose futile. Et, en effet, ce que le peuple attend, c'est la fin du procès intenté au Christ et à Marie, que Ton est en train de juger à l'intérieur du palais de justice. De les mouvements d'inquiétude, la tension des physiono- mies, l'air de nervosité fiévreuse qu'ont les bourgeois, les ouvriers, les femmes et toute la populace réunis sur la place du tribunal,

(Au lever du rideau, on voit deux jeunes femmes d'une mise élégante et d'une mine jolie, qui entrent d'un pas rapide par la rue de droite, en causant avec une extrême animation.)

NOÉM1E en entrant, à sa compagne.

Nous sommes arrivées à temps, n'est-ce pas, Lise?...

LISE

Oui... Ah! tu m'as fait courir!...

NOÉMIE

C'est que je veux être le plus près possible

pour la voir, cette femme... (Avec une moue de dégoût.)

Cette Pouille...

LISE

Une bien vile créature, ma Noémie...

NOÉMIE

Penses-tu qu'elle puisse être autrement!... Elle

SEPTIÈME PARTIE 249

couchait avec tous les hommes... Une de gueuses qui rôdent la nuit dans les ruelles lou- ches... El Dieu sait dans quel but, hélas!... Ces! enrayant !...

LISE

D'ailleurs, n'est-ce pas la digne compagne...

NO I.MI E avec vivacité.

Je voudrais pouvoir leur cracher à la figure!... (Elle s'arrête.) Ici, n'est-ce pas, nous nous trouverons assez près d'eux?...

LISI

Oui. Noémie, restons la... Nous aurons -ans doute des heures à attendre avant que la con- damnation Soi! proclamée... (Elle montre un arbre non

loin d'elle., Au besoin, non- nous appuierons...

NOÉMIE

Je ne vois pas nous pourrions être mieui qu'ici...

i N G \MI\ Bnr la lu-anche de L'arbre à côté d'elles. Bé! mesdames "... je <uis;...

Lise et Noémie relevant la t

venl le gamin qui fait danser la branche. Elles se reculent, Baisies île craiot

.1.

250 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LISE ET NOÉMIE avec frayeur.

Oh!... là-haut!

LE GAMIN emphatique.

Près du ciel... avec les oiseaux!... Je suis poète!...

NOÉMIE

Prenez garde au moins... Si la branche cas- sait!...

LE GAMIN galant.

En tombant je vous baiserai...

NOÉMIE

Ah! l'horreur!...

LISE

L'impertinent!...

DEUXIEME GAMIN chantonnant dans un autre arbre. Ohé! Evohé!..>.

TROISIÈME GAMIN comme pour lui répondre.

Laïtou! La la! Tra la la! La la!...

(La foule, amusée, tourne ses regards vers lesgamiûs qui se balancent sur les branches,

.1

SEPTIEME PARTIE

rient, font de- mine- baroques, menacent de s'écrouler >ur les personne- qui -e trou- rent BOUS le- arbre-.

L A I OUL E commençant à <*tre inquiète.

Faites attention, hé, les mûmes!...

PB E M 1 E R G AMI X «1 un air farceur. Pas de danger!...

1> IL l X 1 KM K GAMIN de m-'me.

Qui veut des places?...

TROISIÈME GAMIN de même. Bonnes et j>;i- chères!...

VOIX DANS I. \ POULE

Qu'ils se tiennent tranquille-, les gosses!... IN vont faire cas-^i tes branches...

I \ GAMIN .i ne gnste commère qui -e trouve au-de--ous de lui, au pieil de l'arbre.

Hah!... h je tombe, la grosse mère, ce sera -m un bon matelas!...

I \ COMMÈRE réToltée, rorie

.le le fesserai le cul. vaurien!... I!l tu verras comme i _ ■!...

252 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES GAMINS rigolant.

Ho! vraiment!... Viens donc par ici! Qu'on voie un peu !...

VOIX DANS LA FOULE excitant et en cadence.

Montera! Montera pas!... Montera! Montera pas!... Montera! Mon...

(Agitation. La commère devient écarlate et tend le poing. Les gamins s'amusent dans les arbres, s'agitent, remuent. Tout à coup, l'un d'entre eux tombe. La commère le prend sous le bras et lui administre une fessée.)

LA COMMÈRE tandis que le gamin battu cherche à fuir.

Tiens! voilà pour toi!... Vas-y mettre de

l'huile...

(Le gamin se sauve à travers la place ; la foule éclate de rire' sur son passage et lui adresse des quolibets que l'on devine plutôt qu'on ne les entend. L'hilarité est générale.

Tout à coup on distingue les échos d'une discussion qui vient d'éclater entre deux hommes, et dont les termes ne tardent pas à devenir très vifs.)

UN BOUTIQUIER indigné à un ouvrier.

Quoi!... Vous avez cette audace!... C'est à notre ennemi à tous que vous accordez des excuses semblables!...

SEPTIEME PARTIE

L"Ol' V B I I H héritant, inquiet.

Moi?.., aucunement !...

LE BOUT1QU1 ER haussant le ton. Cependant, n'avez-vous pas dit...

L'OUVRIER le baissant de même. Je prétends...

LE BOUTIQUIER d'autant plus hardi.

Oui. oui, il voudrait rétracter!... Il n'es! plus temps ...

VOIX DANS LA POULE Qu'est-ce qui se passe?...

L'OUVRIER au peuple, timidement.

Simplement...

LE BOUTIQU1 ER emphatique.

Il -•■ passe une chose effroyable à raconter...

Quoi! Ici même!... au milieu de u < - 1 1 ^ accablés par ses forfaits... oser faire le panégyrique de leur auteur !...

VOIX l> INS LA FOULE d inte.

Comment?... Ha : ha !...

254 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE BOUTIQUIER il désigne l'ouvrier au peuple.

Cet homme-là, citoyens... qu'il ne craigne point de répéter les apologies qu'il faisait de crimes odieux?... Qu'il manifeste encore une fois son admiration pour des êtres qui en vérité sont la honte du genre humain!...

LA FOULE irritée, avec violence.

Nous ne supporterons pas cela!... Non! non ! jamais!...

L'OUVRIER il cherche à se défendre.

Je suis un ouvrier...

LE BOUTIQUIER de plus en plus menaçant.

Audace inouïe ! . . . (A l'ouvrier.) 0 misérable ! te tai- ras-tu?... Crains de subir le sort qui attend tes héros!... Si seulement tu disais un mot en sa faveur, le peuple que tu blâmes t'écraserait comme sous une roue!...

L'OUVRIER protestant de son mieux.

Cependant n'est-ce pas un droit?... Nepuis-je pas dire toute ma pensée en liberté?...

LE BOUTIQUIER triomphant, il s'adresse à la foule.

Vous l'entendez ! vous l'entendez !...

SEPTIÈME PARTIE

LA FOULE dont la colère grossit. Oui ! oui ! dehors '.

L'OUVRIEB

Je ne loue pas...

L A F ' » L" L E -e jetant -ur l'ouvrier.

Assez! traître ! A la porte! Qu'il crève '....

Des cannes se lèvent >ur l'ouvrier. Des poing- -i- tendent vers lui. tout

empreints d'une violence trag tour-

nent de - n côté. Une grande rumeur se produit. Haras et fouaillé, le mal-

heureux se débat, cherche à se soustraire aux coups, mais en un in-tant il e-t entraîné. pou>sé par la foule hors de là, dun> la rue avoisinante. ou se porte dans un lourd tu- multe d'hommes en fureur toute une partie de la fouir.

PREMIER '. AMI \ suivant la -cène du haut d'un arl Oh ! la la ! qu'est-ce qu'ils en l'ont !...

DEUXIEME GAMIN de même et se tordant.

Il ifni restera plus qu'une sale marmelad

TROISIÈME GAMIN de même et poussant

Mes .mu- ils l'extermineront !...

256 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST TOUS LES GAMINS ensemble en éclatant de rire.

Quelle bouillie! Oh! quelle bouillie !...

UN CITOYEN solennel, il revient de la rue de droite la bagarre a lieu..

C'est une indignité ! une infamie ! . . . Il n'est pas permis de parler ainsi!... Faire l'éloge de ces coquins !... Ah ! mon Dieu! allons-nous? Dans quelle époque vivons-nous?...

(Sur la scène à moitié désertée par la foule qui continue à gesticuler dans le fond, entrent en galopant et en vociférant des marchands de journaux de l'après-midi. Us annoncent les nouvelles du jour. Ils em- plissent la place de leurs voix perçantes. Leurs déclamations aiguës attirent l'atten- tion du peuple et le ramènent sur la place tout suant, tout échauffé et tout épars.)

UN CAMELOT courant sur la place.

Le Conseiller du Citoijen! Yient de paraître!... vient de paraître!... Le procès des anarchistes! Graves révélations à l'audience!,.. Dernières nou- velles!...

LA FOULE revenant en tumulte avide, criante.

Par ici ! Le Conseiller? Donnez-le-moi? Laissez-moi lire !...

SEPTIÈME PARTIE

I \ A LTR L C \ ML LOT entrant rapidement.

Les Informations du jour .'... Le journal du gouvernement!... La quatorzième édition!...

LA FOULE se disputant les journaux.

A moi! A moi !... Jetez-moi les Informa- tions!— Deux SOUS? —Voilà!...

IN A.UTB E CA KfELOT accourant par la rue de gauche.

Qui veul le lire?... Le Cocardier!.., L«< résul- tats «lu procès!... Lf< accidents sensationnels!...

l..\ POULE entoure le- camelots et leur arrache le- feuilles.

Le Cocardier! Le Cocardier! Là! Ici! Vous me bousculez ! Les Informations , attrapez '.

Haï donc!... Vous me marchez dessus '.... Attention! Hein! Ne m'empêchez pas de passer?

Vous! je vais vous casser la gueule ! Venez-y

Discussion. Brouhaha. Rumeurs Les bour. ;\ riers, les femme- obU< milles a la volée, crient, se bouacu leni. développent brusquement leurs joui naux et s.- mettent à en dévorer toutes U- colonni b. Les c tmelots ayant Ui tout c qu'il- pouvaient vendre, recommencent leur- galopade effrénée à travers la ville,

'•■ut .1.- la place en hurlant et e:i mt.

2:>8 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LES CAMELOTS tout en s'en allant.

Le Conseiller du citoyen! Les Informations! Vingtième édition! Le Cocardier! L'Of- ficiel! — Incidents! Achetez! Les nou- velles! — Vient de paraître!...

(Leurs voix éraillées et rauques décrois- sent petit à petit dans les rues adjacentes et aux alentours. Bientôt on ne les entend plus. Il y a alors un grand silence sur la scène. Tout le monde lit. Les regard tendus et avides parcourent les pages des journaux et sans doute n'y trouvent rien, car à la curiosité exprimée tout à l'heure par tous, succède bientôt un air d'impatience inutile, puis le dépit se manifeste par des gestes vaguement irrités, et enfin c'est une sorte de colère consternée.

Au bout de quelques instants un homme en aborde un autre, chacun tenant à la main un journal froissé, déplié.)

UN HOMME l'air déconcerté. Eh bien! quelles nouvelles?...

L'AUTRE d'un ton furieux.

Rien!... Et vois?..

LE PREMIER avec éclat.

C'est tout à fait la même chose!...

SEPTIÈME PARTIE

l'N CITADIN qui déchiffre -on journal lentement et à voix haute.

A quatre heures, rien de nouveau ne s'était encore passé... Le redoutable compagnon con- serve toujours Je même silence au sujet de complices éventuels... La fille Marie dite la Pouille, refuse de répondre à toutes les questions positives qu'on lui adresse... Ils ne parlent l'un et L'autre que pour faire des déclarations \ - n'intéressant pas !•■ procès, et tout»'- «le théorie pure. Le procès suit donc son cours. » il s'arrête, regarde la foule avec l'air de dire : hein, voilà comment on dous vole! et comme pour l'en prendre à témoin. El voilà tout!...

Rien de plus!... Pas d'autre incident que cela!

I ?BS\ admirable!... Puis tout à coup il >e repn-nd. Ah !

si. pardon! Et il poursuit sa lecture. Aussitôt leur

condamnation, laquelle ne t'ait pas de doute, les accusés seront exécutés... Mais nous l<i -axions déjà...

PLDSIE1 RS PERSONNES DANS LA FOI

jetant, déchirant leur- journaux.

Quels canards] Toujours la même chose!

s\ dégoûtant !...

i \ BOURGEOIS triomphant, retentissant; il brandit

les Informations parmi la fouir.

Ah : Ah :... J'ai une nouvelle considérable!...

00 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST VOIX DANS LA FOULE

Dites ! Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce que c'est?...

LES GAMINS toujours dans les arbres. Ne nous laissez pas languir!...

LE BOURGEOIS qui monte sur un banc et se met à lire les Informations de manière à être entendu de l'assistance.

« ... A la suite d'une décision prise au Conseil des ministres, réunis en séance extraordinaire, il a été résolu que les courageux et bons citoyens qui ont procédé à l'arrestation du redoutable compagnon qui a pris le nom de Christ, et de la terrible Marie la Pouille...

LA FOULE haletante, angoissée.

Plus haut! Plus haut!...

LE BOURGEOIS renforçant sa voix qui devient tonnante et poursuivant avec gravité et fierté.

« ... Qui ont procédé à l'arrestation du redou- table compagnon qui a pris le nom de Christ et de la terrible Marie la Pouille, dans les circon- stances dangereuses que l'on sait, seraient dé- corés à titre exceptionnel, pour services rendus au pays... En conséquence les nommés... »

SEPTIÈME PARTIE 261

LA POULE applaudissant.

Bon ! Bon ! C'est très bien ! ... Ah ! A h !.. .

LE BoURGHolS il cesse de lire, maU toujours redondant et magnifique, il s'adresse à la multitude.

Je vous propose, mes chers concitoyens, puisque nous voilà réunis ici, rie pousser une acclamation en l'honneur des hardis et loyaux patriotes qui, au péril de leur vie, ont accompli L'acte héroïque pour lequel ils sont justement récompensés...

L A P 0 U L E enthousiasmée. Bravo! Bravo!...

LES GAMINS

Uipp ! Hipp! Hurrah!...

Le bourgeois ra descendre de son banc au milieu <le l'acclamation populaire, lors- qu'il aperçoil Monsieur Le Doyen qui entre accompagné de Monsieur le Notaire, et qui

Dtlretiennenl l'un et l'autre de l'air sé- rieux, restrictif el circonspecl qui convient

a leur dignité el B leur goût.

LE BOURGEOIS comme pour avertir la foule. Voici Monsieur le Doyen !...

262 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

SUR TOUS LES RANGS DE LA FOULE avec des tons différents de curiosité «t de respect.

Monsieur le Doyen ! . . . Monsieur le Doyen

(Le silence se fait presque instantané- ment dans la foule qui se tourne vers les deux nouveaux venus, se rangeant sur leur passage, regardant cependant de préférence Monsieur le Doyen avec une pitié empreinte d'une grande vénération. Monsieur le Doyen et Monsieur le Notaire continuent de causer sans paraître s'apercevoir de l'émotion et du mouvement que provoque leur arrivée.)

MONSIEUR LE DOYEN avec onction.

Croyez-moi, afin d'en venir à bout, ce ne sont pas des raisonnements qui peuvent rien faire...

LE NOTAIRE approbatif.

Certainement, Monsieur le Doyen... Et puisque ces hommes sont en guerre avec la société entière, que celle-ci se défende par n'importe quel moyen!...

LE DOYEN

C'est mon avis même que vous exprimez. (Repre- nant sa pensée avec vivacité.) II. serait certes très agréable de discuter, de répondre à des théories par des raisons, d'entrer dans des controverses

SEPTIÈME PARTIE

capables d'éclairer l'opinion publique, mais, en la circonstance présente...

LE NOTAI HE l'interrompant.

Il faut avanl tout agir fort et vite... Couper la plante dans sa racine... Je vous comprends!...

L I . i > < » V E N comme pour s'excu-tr.

Nous avons affaire à des brut.'?, n'est-ce pas?...

LE NOTAIRE

( )U '. sans aucun doute, Monsieur le Doyen '.... Un homme qui ose prendre le saint nom du Christ!... Et une femme comme cette Marie!... Eh bien,

voulez-vous mon opinion franche : c'est peu de ne condamner de telles gens qu'à l'échafaud '....

LE DOYEN comme s'il voulait se disculper.

Vous connaissez mon esprit de modération... Je suis pour l'ordre et voilà tout!... Le notaire fait tinieut. la roule approuva par un murmure.) Alui-, en présence de doctrines qui prêchent la haine de l'État, de la morale établie, des lois tituées, de la religion, que voulez-vous que je pense?... 11 faudrait Frapper fermement, faire un

ilpie !...

264 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LE NOTAIRE d'un air détaché.

Il y avait autrefois des tortures à l'infini...

(Rétractant sa pensée secrète.^ Certes, je n'approuve pas

les moyens violents!...

LE DOYEN avec douceur. Oh!... évidemment!... moi non plus...

LE NOTAIRE d'autant plus affirmatif qu'il vient de l'être moins.

Mais, en de certaines occasions, la force des châtiments est un mal nécessaire...

LE DOYEN sentencieux.

C'est agir pour le bien de tous que d'empêcher un être humain, en lui inspirant une crainte salu- taire, d'exécuter des attentats qui sont pour lui et ses victimes d'affreux malheurs!...

LE NOTAIRE dans un élan.

Je suis fier, Monsieur le Doyen, de vous voir exposer si bien toute ma pensée...

LE DOYEN

Que voulez-vous!... il faut convenir qu'il y a une lacune dans la législation... (La foule qui l'écoute

SEPTIEME PARTIE

montre par -on approbation qu'elle devine ce qu'il va dire.

C'est bien certain... certains crimes devraient être punis d'une façon tout à l'ait particulière...

LE NOTAIRE achevant la pensé* du doyen.

L'hérésie . par exemple , l'attentat politique

lèsent la nation tout entière et les principes qui font la base des sociétés... Est-il juste <[ifils ne soient punis que d'une manière ordinaire!... Au- trefois il y avait les supplices de l'estrapade, de la roue, de L'écartèlement, et combien d'autres!... Croyez-vous, Monsieur le Doyen, qu'aucune per- sonne s'opposerait au rétablissement de ces châ- timents...

QUELQUES BOURGEOIS appuyant, -"enhardissant à parler au Doyen.

Aucun honnête citoyen. Certainement, Mon- sieur Le Doyen ! Ah : sans nul doute!...

LE DOYEN comme touché au cœur par cette manifestation de la Bympathie du peuple.

Oui, mes amis... Evidemment!... je vous mercie... je vous remercie...

LE NOTAIRE qui élève la rois et •'adresse ans assistants.

N'est-ce pas, mes chers concitoyens, que vous

266 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

trouvez beaucoup trop faible... insuffisante pour des forfaits si effroyables... une condamnation à la peine de mort?...

DE NOMBREUSES VOIX DANS LA FOULE

Oui ! Oui ! Ce n'est pas assez ! . . .

LE DOYEN dans une émotion croissante. Mes bons... mes chers amis!... En vérité...

LE NOTAIRE parlant dune voix forte.

Des crimes terrifiants qui nous atteignent tous... l'incendie de la Bourse, des Banques, de la caserne... et, attentat insensé! l'explosion de la cathédrale que vous aviez tous aidé à construire... avec vos deniers... sou par sou, péniblement... tout cela puni comment? comme un meurtre sans plus d'importance que tous les autres!... (il regarde 1 la foule avec force et fait un geste indigné.) Qu'est-ce que vous dites de cela?...

LA FOULE

Il a raison! Ne laissons pas faire une telle chose! Oui, oui, c'est vrai!...

LE DOYEN de plu3 en plus attendri et ému.

Comme ils sont fidèles à la religion!... Ah! ah!

SEPTIÈME PARTIE

combien je les aime!... Comment les remercierai- je? Oh ! vraiment, vraimenl !...

LE NOTAIRE bas au doyen, montrant le peu]

Parlez-leur, Monsieur le Doyen... Us seront tout à i'.iil sensibles à cet honneur...

D'AUTRES BOURGEOIS d'un ton respectueux. Dites-nous quelques mots, Monsieur le Doyen...

Le Doyen, que ravisi dément ces

témoignages, ne présente plus aucune listance; il cède aux objurgations; il ra bisser péniblement sur un banc q trouve li. Une grande attention l'entoure.

VOIX SI R TOUS LES H INGS DE L \ FOU l.i:

Monsieur le Doyen va parler! Silence! Si- lence !...

LE DOYEN -iprèa une pause, commençant d'une voii émue. Mes fidèles... in<'< tendres... mes sincères amis!... .!<• ne -aurai- comment vous dire plaisir que m'inspire la vue de votre attache- ment à nos lois... I ne grande consolation dans une telle catastrophe... la destruction complète de uotre belle cathédrale...

i \ FOI LE enthousiasmée. \ >us la rebâtirons! Non- la rebâtirons!

268 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE DOYEN prêt à pleurer s'essuie les yeux, défaillant.

Les braves créatures!... Ah! vraiment!... je suis trop touché pour parler!... Je vous disais donc, mes fidèles amis... que je suis heureux de penser à tout ce que vos âmes renferment de foi dévote... Et quelle réjouissance c'est pour moi, dans ma misère, que vous soyez prêts à châtier... avec une violence invincible... les misérables qui veulent nous anéantir tous!...

PLUSIEURS BOURGEOIS

Oui! oui! qu'ils soient exterminés!

DES FEMMES

Arrachons-leur les entrailles !

LES GAMINS dans les arbres, avec exaltation.

Vive Monsieur le Doyen! Vive Monsieur le Doyen!...

LA FOULE répétant dans un délire d'enthousiasme.

Vive Monsieur le Doyen! Vive Monsieur le Doyen !...

LE DOYEN toujours debout sur son banc est accablé par l'émotion de la reconnaissance.

Oh! mon Dieu!... Je n'ai plus de force... (il fait

SEP1 1 1 : M I : PARTIE

tes vers la foule comme pour lui montrer sa gratitude. Les bonnes âmes!... Merci !... Merci!...

(A ce moment, fanfare de trompettes » t de tambours. La porte du tribunal -"livre entre les colonnades de la ton Entouré de soldats, de greffiers, da bour- reau et de- huissiers, on voit le Christ apparaître au haut de- marches de 1 lier, sut la plate-forme. La Rouille est A coté de lui. A leur vue, il se fait un grand tumulte. La foule tourne subitement eux l'aspect formidable de sa hain- Doyen, qui se trouve toujours sur le banc, reste là, affale et effaré, tremblant don ne sait quelle émotion, face ;i face avec le groupe formé par Marie, le Christ et le tribunal.

Dans le tohu-bohu produit, ce qui domine au premier abord, c'e-t la stupeur.

Puis le greffier s'avance un peu jusqu'à l'extrémité de la terra--.'; il considère le peuple, tandis qu'un roulement de tambour se fait entendre. Il mont<e le Christ paie et calme, Marie, dont la face demeure lix.' el véhémente, et, d'un geste au peuple, il semble les offrir comme une proie à des bêtes taaves.

LE GREFFIER d'une roix retentissante.

Voilà l'homme!... Voilà la femme !...

(Alors, dm- un élan furieux, toute cette

foule se rue en hurlant contre la bai

de soldats qui gardent l'entrée de l'escalier du tribunal. Pêle-mêle, hérissée, rouge, Banglante, féroce, tenda t dans le ridé

270 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

des poings de menace, la multitude s'amasse et s'ébranle en tumulte parmi la place em- plie de cris et de rumeurs.)

LA FOULE se portant du côté du tribunal.

Au supplice! Pas à l'échafaud! Qu'on nous les livre!...

UNE FEMME qu'on repousse, écumante de rage.

Pourquoi m'empêche-t-on de passer?... Laissez- moi cracher sur ces gueules ignobles...

LA FOULE

A la boucherie !

UN HOMME interpellant le Christ et Marie.

Lâches!... Ils ne nous répondent même pas!...

UN GAMIN apostrophe la Pouille, gouailleur.

La Pouille ! tes poux vont mourir!... Qu'est-ce qu'ils deviendront sans toi !

LA FOULE

A l'eau! les brutes! les crapules!

UNE COMMÈRE les montrant en ricanant.

Regardez-les trembler de peur!... Ils sont agités

SEPTIEME PARTIE

dans leur peau comme de l'eau dans une sine!... Jls n'oseraienl pas descendre tout seuls sans les soldats!

NOÉM1E se précipitant vers l'escalier.

Je veux leur crever la ligure!... raie est repo par les soldats, elle trépigne. J'irai ! j'irai '.

I. \ FOI LE

A l'abattoir! A l'abattoir!.. . qu'oïl lesécharpe!...

Et c'esl une eobue affreuse i d'hommes, de femmes et 'l'enfant- même qui vocifèrent, profèrent des menace- dé- nièrent en masse au pied du palais dan- niir folk «le cri-. «1 bons, daltitn

La PouiUe, a li On, e-t on la

voit tendre soudain le poing dans la direc- tion du peuple dont la hémence redouble

tût.

LA POUI l.l. i: avec impétuosité. Chiens! chiens d'esclaves !...

I. \ l<'l LE

Lapidons-la! Lapidons-la I

il BOl] ni; i:ai forçant la Poui lire.

Allons! femell<

272 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LE CHRIST se tourne avec tristesse vers le bourreau.

Pourquoi touchez-vous à cette femme?... N'est-ce pas assez...

LE BOURREAU le souffletant.

Tiens voilà pour ta face de m... ! En veux-tu d'autres?...

(Le Christ demeure impassible, mais cette intervention du bourreau change en délire de joie la furie âpre de la foule. A la place des cris de mort on entend tout à coup un grand éclat de rire. C'est le peuple qui se réjouit de l'outrage fait au Christ par le bourreau.)

LA FOULE transportée de bonheur et battant des mains.

Hein! ce qu'il est beau! Ha! Ha! Ha! Bravo, le bourreau! Bravo, le bourreau!...

(La détente subite qui vient de se pro- duire fait que le peuple se calme, cesse de hurler, ne se précipite plus avec violence comme pour escalader les marches du tri- bunal. On se montre le Christ suant et tout sanglant, la Pouille dont l'œil fixe est chargé de haine. On s'interpelle avec des mines de joie énorme.

Brusquement, roulement de tambour, bruit de trompette. Et le greffier s'apprête à lire la sentence du tribunal.)

LE GREFFIER à voix très haute lisant. « Citoyens !...

SEPTIÈME PARTIE

VOIX DANS I. \ POULE Chul par ici !

LE GREFFIER poursuirant sa lecture.

Par ordre du tribunal, il voua est l'ait savoir que l'individu dit le Christ et la fille Marie, dite la P ouille, s'étanf reconnus coupables de l'in- cendie de la Bourse...

VOIX DAN- LA FOULE

il.»:...

LE G li EFF1 i:i: - me s'interrompre.

«... Des banques nationales, de la cathé- drale...

VOIX DANS LA FOULE

lia:

\l TRES VOIX DANS l-A POU LE Silence ! Silence !

1. 1. GH 1. 1 r i r. i; qui continue d'une roi* tonnante.

« ... Forfaits Inouïs, qui <n\\[ des attentats i L'ordre, à la religion <'i aux loi-, onl été con- damnés à la pein.' de mort [turc et simple, i

274 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

ment de tambour.) Le présent décret sera exécuté aussitôt la sentence rendue, en présence du peuple et sur l'heure, à la place sise près de celle du tribunal de justice. Telle est la loi. »

LA FOULE sifflant le greffier.

Hou! Hou! Hou! Hou!

UNE VOIX

Nous n'acceptons pas ce jugement!

UNE AUTRE VOIX

Il nous faut. . .

LA FOULE

Dehors le greffier! A bas la justice!...

(Marie et le Christ se mettent en marche et, parmi des soldats, des huissiers, des gardes, descendent l'escalier, allant vers la place les guette, les attend, les épie dans une immense agitation la foule sauvage.)

LES SOLDATS écartant et repoussant le peuple. Place! Allons donc!...

LA FOULE éclatant, se pressant en cohue au pied des marches du palais.

A mort! A mort!

SEPTIÈME PA HUI- LA POUILLE elle considère la multitude, elle tressaille de

tout -on corps, pui- elle lance une plainte lament

Malheureux! Quelles paroles horribles pro- noncez-vous!... Car au lieu de heurter, entre elles, de telles images, -i. bêlas! vous étiea capa- bles de pleurer des êtres, chers à vous, dans 1m douleur... voilà le moment, au contraire, vous répandriez des larmes pleines d'amertume!... Oui. le vi ilé de pleurs chauds comme la mer.

vous vous lamenteriez sans i hurlant et

ébranlant l'espace de chants funèbres... En effet, de tous vos parents, le plus prochain vous allez le perdre tout à L'heure en vérité !... Ei à eau de vous ei pour vous' il va rouler son fronl san- glant dans les ténèbres!... IIo! entiez de sanglots vos dures poitrine-!... Trainez-vous sur la terre, ah! misérables:,.. Faites retentir l'air résonnant! agitez de vos convulsions l'espace terrible !...

DNI BOURGEOISE jetant une pierre contre Marie.

Pose cette pierre sur ta Langue, qui remue trop!...

Marie est blessée lu

E1U- -t> <■>. uvre de ses detn mains «

mi—.int. Le peuple, de n»>u\eui. ••xulte,

(oie, applaudit, tout soudain, <>u plutôt n un

grand élan d'à

276 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST LA FOULE se tordant, heureuse.

Ha! ha! ha!...

LES SOLDAIS ouvrant un passage au cortège. Arrière! arrière!...

(Eclate un son de fanfare. Marche funèbre. Alors, lassées et exaltées, mises d'ail- leurs en joie par la scène précédente, et enfin subissant soudain l'influence de la musique, les femmes forment deux groupes paral- lèles à gauche et à droite, séparés par le cortège qui commence à traverser la place, et c'est à une danse frénétique, lascive, agitée, bondissante, qu'elles se livrent par un mouvement brusque et imprévu.

Gomme pour témoigner du bonheur que leur inspire la mort du Christ et de Marie, et ne trouvant plus que ce moyen-là, elles s'élancent, d'un pas cadencé et pathétique, avec une expression de luxure furieuse et triste dans toutes leurs attitudes.

Le peuple bat des mains et répète son long cri de mort sur le passage du cortège.

Marie et le Christ marchent solennelle- ment, graves et pensifs, mais le visage illuminé.)

UNE FEMME d'une voix rythmée et véhémente.

Ce n'est pas avec des plaintes que nous vous ferons cortège jusqu'à l'endroit de la mort... mais dans les cercles de fer d'une ronde... agitée par la haine, avec violence... nous vous envelopperons

SEPTIÈME PARTIE

l'un et l'autre... en vou< présentant de imites parts... l'aspect tragique pour vous de notre jubi- lation ;...

•idis «lu'ellr» parle, toutes les antres circulent SOT leui - -

On entend des sons de trompettes. I.- - applaudissements u peuple exci-

tent la passion des femmes jusque U Marie se tourne vers le Christ, lui met la main sur l'épaule et le consi 1ère tout en s'avançant. Le Christ, avec une inexpri- mable émotion. mêlée dune ironie tendre, contemple toute cette fuule bougeante et hurlante.

LE CHRIST s'adressent à la foule, qui n'interrompt ni >• - battements de mains, ni sa dai.-

0 fêm s!... ô hommes!... ô vous qui m'êtes

chers, malgré tout... ù malheureux!... Ne croyez hc ;i présent un spectacle d'affliction pour moi... parce que. soulevant cette poussière lerne... par les transports d'une danse furieuse... vous semblez vous réjouir de ma disparition!... Mais, au contraire, je vous considère >an> tristesse... car j'aime à voir toute chose céder à l'impétueuse cadence des sphères... H par l'obéissance ;i la nature, chacun s'alléger du fardeau de sa lour- deur!... ()r, que faites-vous, Binon de bondir avec grâce... bien moins pesants que tout ;i l'heure:., et harmonieux comme vous ne Tries que « l;i 1 1 jeux '.. ..

8 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

UNE VOIX DANS LA FOULE

Ferme donc la gueule !

LE CHRIST

0 lamentables êtres!... ô vous, errants!... et qui ne savez plus ! ... ah ! vous, sur lesquels les lois saintes n'ont plus d'effet!... quand réglerez- vous votre vie comme vos jeux mêmes !... En effet, par votre héroïque et brillante danse, que faites-vous, sinon, à présent, de rendre témoignage en faveur de l'existence, et d'attester la perfection de l'uni- vers?...

UNE VOIX DANS LA FOULE

Faut-il lui poser un cadenas de fer?...

LE CHRIST

N'imitez-vous pas en tournant les transports giratoires des globes?... Quel autre moyen possé- dez-vous de reconnaître leur harmonie et leur beauté?... Femmes, soyez légères sur la terre, comme celle-ci Test elle-même sur l'air!... Et cir- culez à sa surface qui tourne aussi!... De cette manière, du haut en bas de l'infini, tout suivra un mouvement semblable... en gardant l'aspect immobile de l'harmonie!...

SEPTIEME PARTIE UNE VOIX DANS LA POULE

Nous avons assez de Ion éloquence!

UNE AUTRE VOIX

Va-t-il nous embêter longtemps? Allons là-bas!

LE CHRIST

Faites de votre vie une fête... <s> femmes, ô vous autres qui, bêlas!... ne soulevez jamais sans effort la masse épaisse de votre corps... qui, étant boue,

un jour ou l'autre sera poussière!... Elancez-vous, comme si le rythme obscur du monde s'emparait de votre rire entier... et, tout à coup, le douait d'un impétueux mouvement de rotation!...

UNE FEMME

Ah '. de quoi le félici les-tu quand, possédées par la fureur... et provoquées aux danses de guerre l'entourant d'un anneau terrible «pie rien ne rompt... non- t'escortons en bondissant jusqu'à la

mort?...

il CHRIST

Faites de votre vie une fête... même funèbre... même cruelle... même triste... mais empreinte d'un cérémonial resplendissant...

280 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST UNE VOIX DANS LA FOULE

Assez ! . . . qu'on lui casse la bouche ! . . .

UN HOMME

Fourrez-lui du plomb dedans...

UN AUTRE qui veut arriver jusqu'au Christ et est bousculé » I par les soldats.

Ne m'empêchez pas de passer!... que je plonge mes mains dans son ventre fumant!...

UN AUTRE à l'homme que les soldats repoussent.

Pense donc!... tu attraperais la lèpre si tu approchais de cette crapule-là !...

(Cependant les femmes continuent tou- jours leur sarabande. La musique les mène, dirige leurs pas, courbe leurs membres, les pétrit dans une sorte de convulsion or- giaque. Le Christ se tait et semble rêver. La Pouille, qui l'a écouté parler tout à l'heure avec une sorte de ravissement, commence à son tour un discours qui est un chant mélancolique de dévotion et de noce.

Péniblement le cortège avance toujours au milieu de la foule, parmi la place.

Le Christ ne regarde plus que Marie, et celle-ci ne voit plus que celui-là.)

SEPTIÈME PAR Ni: 281

I.A POUILLE au Christ, avec une exaltation d'amour.

Au milieu de ces cris horrible- de malédiction et de mort... je me félicite de pouvoir te glorifier.

ge!... ô rédempteur!... ô noble héros!... El tandis qu'ils t'outragent, ces malheureux !... igno- rant ta beauté impérissable, cachée à eux comme un diamant que recouvre un bloc de houille ii lire... 6 mon maître! moi je te célèbre en gé- missant !..

LE CHRIST avec tendi

Hélas ! je pleure sur toi ! oh infortunée !...

L \ POULE poussant toujours >»>u long cri. A mort!... Tuez-les dans Les lalrin

I.A POUILLE <1 un ton d'humilité passionnée.

Moi, je le dis, étant toute seule à le connaître parmi tout ce peuple qui t'entoure : je t'ai aimé, o mon seigneur!... et cela dès le premier jour que je l'ai vu!... El voilà qu'à présent, sans autre appui au monde... j<> le rends témoignage i<i. attestant la parfaite splendeur de la beauté...

i. E CH R i si troc une émotion pieui 0 cher visage ! ô repos ! ô asile sacré!...

282 LA TRAGEDIE DU NOUVEAU CHRIST

LA POUILLE s'exlatant davantage encore.

0 prince!... qu'est devenu ton vaste empire?... Réduit à mon unique personne, ton royaume est bien diminué et bien petit!... Qu'as-tu fait de tes possessions?... De quelle manière, ô conquérant, as-tu pu être chassé de tes domaines?... En moi seule, ô roi admirable, tu règnes toujours!... Ah! qui te considère encore, ô misérable!... Que je te plains! Et quel respect m'inspire ta peine !.. Mendiant, en exil, sans soutien ni serviteur, n'ayant même plus ton sac de toile, et démuni de ton bâton, ah ! que fais-tu?... Les pierres, qui ne devraient servir qu'à représenter ton visage inal- térable, sont utilisées, ô mon Dieu, pour te frapper ! . . .

LA FOULE haletante et furieuse.

A mort! Arrachons-lui les couilles!... Crevons leur peau ! ...

LA POUILLE de plus en plus délicate et tendre.

Et cependant, ô homme!... ô tête divine!... tu es plus précieux et plus rare que toute la pro- fusion des perles que porte la mer. . . Et un nombre infini de grâces est en toi-même... que ne voient pas les yeux de chair, mais que l'esprit aperçoit...

SEPTIÈM B PAIiTIi:

comme sous l'écorce noire de la terre sonl enfon-

toutes sortes <le belles pierre- délicat 0 mystérieux!... ô inconnu !... ôgloir ke!...

A ton- invisible el pour moi si éclatant!., quelle bénédiction spéciale m'est-il donné di dorer, ù mon béros !...

LE CHRIS1 nt Marie avec douceur.

Voilà que lu fes élancée, ô âme Légère !... et qu'à moi tu t'es découverte.., el tu as connu par l'amour la vie réelle! <> courbes de la pureté... ù perfection !... ô se que crée la passion !...

6 délices d'être à tes côtés, 6 tendre femme!... ù pressentiment de la gloire que me révèlent la seule confiance «le ta pensée el l'espérance unique que lu as mise en moi !... Voilà qu'à cause de toi je me sens plus tranquille.:. <il saris effroi au milieu de la haine tourbillonnante, je ne tremble

\.\ POUILLE dans un traospori irrésistible.

Tu es beau, comme l'est un épom le joui >s !... ù bien-aimé ! ô apparition merveil- leuse!... o toi qu'aimerail à mon insu la portion Inconsciente <le mou être existant, si mon esprit, avec ses facultés précises, avec ses aptitudes les plus élevées, avec sa sensibilité la mieux voj an le.

284 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

ne te rendait sans cesse justice de toutes façons!... 0 prophète cher et vénérable!... ô victorieux!... Qu'est-ce que tu pourrais redouter de l'univers?... N'es-tu pas sûr de ton triomphe, ô mon sauveur?... Car avec moi n'as-tu pas rendu à la vie toutes sortes d'êtres, qui, comme moi, accablés, inertes, étaient dénués d'animation, gisaient sur une terre d'ignorance et de ténèbres?... Et vois, ne te célèbrent-elles pas, sans s'en rendre compte, toutes ces créatures qui t'entourent d'une ronde de joie?...

LA FOULE monotone, exaltée de haine. Etripons-les!... étripons-les!... A mort!...

LE CHRIST souriant et majestueux.

Oui, je le sais... soulevés par une force mysté- rieuse et invisible, que ne dompte aucune volonté. . . tous ces êtres misérables, ils me saluent... Ainsi les sphères, qui, dans l'éther, ne se heurtent point... mais composent l'harmonie céleste que tu entends... bondissantes, environnent sans cesse le soleil saint... Et qu'elles en aient conscience ou non... mues par Dieu même... elles lui rendent grâces d'une manière adorable et continuelle... parce que c'est dans son sein qu'elles puisent la vie!...

SEPTIÈME PARTIE

Arrivée a l'extrémité de la place, parmi l;i con-tante menace de la foule, et ac< pagnée de la danse de- femmes, <|ui devient maintenant plus molle et plus fun> brusquement Marie, connue si elle perce- vait le lieu du supplice, et elle le distu en effet à peu de distance, lève le- bras vers le ciel, jette - -ur

toutes les choses, et ivec un grand tremblement dans tons ses membre-, elle se met a pousser une plainte aiguë, tandis que la foule redouble et que la

musique prend un accent lent et tragique.

LA POULE avec une furie accrue subitement. A mort !... A mort !... A morl !... A mort!...

LA POUILLE elle se met à gémir d'une voix lamentable et jante comme -i. en pré-enre «le la mort, elle regrettait soudain de quitter l'existence.

0 terre!... ô nue!... o Luisante <it accablante foudre!... ô fruits !... ô Lumières que le venl rend convulsives !... Ô globes!... ô toutes les choses de L'univers î...

LA P01 M

\ mort!... A mort!... A mort ! A mort!

LE CHRIST il s'arrête également comme saisi d'un transport terrible.

O mort! voici «loin- le moment!... Considère

286 LA TRAGÉDIE DU NOUVEAU CHRIST

que je suis tranquille et sans terreur !... Nuit ! je ne te crains pas, ô noir espace!... Constellations rocheuses, mises en mouvement par l'irrésistible impulsion de la logique, je vais vous connaître mieux encore et de plus près !... O éléments dont se compose mon existence et qui m'avez fourni, chacun, une de mes forces!... Terre nourricière, mers pleines de sel, et toi, ôfeu! principe moteur, substance qui pénètre en mon être et crée ma vie!... O choses dont mon corps s'est formé et mon esprit!... vous allez maintenant vous répandre de tous côtés... et disséminées par la mort qui désa- grège... revenir à votre origine même dans l'uni- vers!-.. Ainsi je vais vous restituer, ô saintes essences!... O lune, anges ténébreux de l'air, vent et clarté! sans gémir je retourne vers vous, et, impassible, je crie : Je suis prêt à vous rendre ce que je vous dois... parce que j'ai fait ma tâche, comme vous, selon ma force... Et n'ayant aucune inquiétude sur la manière dont j'ai accompli ma mission... je garde ma foi première... fixée en moi et douée de la stabilité de la raison... En effet, je me suis versé dans vos esprits... ô hom- mes! et despote invisible j'y habite, comme dans la matière loge insaisissable et certaine la loi de vie... Et résistant, vous ne m'expulserez pas hors de vous-mêmes... Et lorsque les germes supé- rieurs que j'ai déposés dans votre être auront

SEPTIÈME l'Ali 1 II:

mûri, alors je L'embarrasserai bien <!<■ ma ; sonne. . Et je vous dominerai longtemps, 6 races vivantes, parce qae mystérieuse comme les vœui de la nature, ma pensée orientera la vôtre vers je vais... Kl voilà pourquoi, à présent, j<i suis prêt h abandonner toutes les parcelles de ma puis- sance resplendissante... à les rendre au vaste univers, à l«i- perdre dans ton ombre, ô terre '. dans ton vide enflammé, ô ciel!... et dan- ton tourbillon profond, ô sphère qui circules sans ir... Eternité '....

(Repri-e de la rc. Musique

sourde, religieuse et large. Le c<>rt remet en marche. Le Christ lève la tête et regarde majestueusement devant lui. Il prend Marie par la main el la mène comme une épouse. La danse lente et ardente des femmes recommence, s'accélère, bonditdans le fond de la place empli-- de foule. Le peuple

des cris de mort, auxquels l< s de la trompette <'t des tambours Imposent l'harmonie d'un rythme héroïque. Eosuite rideau.)

- !.. Muu:nu.r\

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Extrait du Catalogne de la BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

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