mm il U dVof OTTAWA 39003001891266 <î^ ,1-^1 Digitized by the Internet Archive in 2011 witli funding from Universityof Toronto littp://www.arcliive.org/details/lebonbergeroulevOObrie LE BON BERGER LE Bon Berger I Le vray régime et gouver- nement des Bergers et Bergères : composé par le rustique JEHAN DE BRIE Le bon Berger Réimprimé sur l'édition de Paris (i54i) Avec une Notice Par PAUL LACROIX (Bibliophile Jacob] PARIS Isidore LISEUX, Éditeur Rue Bonaparte, n-' 2 ( BIBLiOTHECA Notice sur Jehan de Brie ET SUR SON- TRAITÉ DE L'ART DE BERGERIE E petit Traité qu'on réimprime aujourd'hui pour la première fois, deux cent quatre-vingt- cinq ans après la dernière édi- tion qui en a été faite à Lou- vain en i5g4, n'est malheureusement pas l'original, que Jehan de Brie, dit le Bon Ber- ger, avait compilé, « pour obéir révéremment à la volonté et commandement de très-excel- lent prince en haultesse, en noblesse, puis- sance et amour de sapience, de prudence et de science, Caries le quint, roy de France, nostre sire, régnant très-glorieusement et de rrand félicité. » C'est en iSyg, suivant la note préliminaire du Vray régime et gou- vernement des Bergers et Bergères, que Jehan de Brie acheva le Traicté de l'estat, science et pratique de l'art de Bergerie, et de garder oeilles et brebis à laine, et le présenta, environ la feste de Pentecouste, audit roi Charles V. On n'a pas encore re- trouvé cet ouvrage, qui a dû certainement faire partie de la bibliothèque des rois Charles V et Charles VI, et qui fut peut- être acheté par le duc de Bedford avec les principaux manuscrits de cette célèbre bi- bliothèque; mais nous ne désespérons de le voir découvrir, un jour, dans une des bibliothèques publiques ou particulières de l'Angleterre. A défaut du texte même de l'ouvrage de Jehan de Brie, il faut bien se contenter de l'abrégé qui en a été fait, au commence- iiient du XVI» siècle, avec beaucoup de bon- homie et de simplicité, et qui fut sans doute reproduit dans un assez grand nombre d'éditions devenues introuvables, car les livres destinés à l'usage du peuple se sont détruits rapidement par le fait seul de cet usage journalier et continu. L'ouvrage de Jehan de Brie était, plus que tout autre, exposé à ce sort inévitable, puisque c'est le seul livre qui traite de VA rt de Bergerie, Qi SUR JEHAN DE BRIE VII que les Bergers n'ont pas eu d'autre guide pour apprendre théoriquement leur profes- sion. Toujours est-il que Ton connaît à peine trois ou quatre éditions de ce petit livre, et que de chacune de ces éditions il n'a survécu qu'un ou deux exemplaires, qui ne sont pas même tous complets et bien conservés. Voici, d'après lés recherches du savant Jacques-Charles Brunet, la nomenclature et la description des éditions connues : 1° Jehan de Brie le bon Bcrgier. — Cy finist la vie du bon bergier Jehan de Brie nouvellement imprimée à Paris pour la veufve de feu Jehan Trepperel et Jehannot (sans date). Pet. in-S" Goth. de 52 ff. Jehan Trepperel, libraire et imprimeur à Paris, qui avait sa boutique rue Notre- Dame, à l'enseigne de l'Écu-de-France, étant mort en i5o2, sa veuve continua son commerce pendant quelques années. On peut supposer qu'elle s'était associée avec Denys Jehannot, qui fut libraire et impri- meur de 1484 à i536, et qui céda alors sa maison à son fils. 20 Le vray régime et gouvernement des Bergers et Bergères : composé par le ru- stique Jehan de Brie, le bon Berger, m.d.xlii. VIII NbTICE A Paris, en l'imprimerie de Denys Jonot (sic), in-i6 Goth. de 72 ff., fig. grav. en bois. C'est l'édition sur laquelle a été faite celle qu'on vient de réimprimer, avec de légères modifications d'orthographe, en donnant le fac-similé de toutes les figures sur bois (i) qui se trouvent dans cette édition de 1542. La plupart de ces gravures, naïvement et grossièrement exécutées, nous paraissent être d'une époque antérieure à la date de l'édition : il est donc permis de supposer qu'elles proviennent d'une autre édition in- connue, imprimée antérieurement, vers 1 620 à i525; mais trois de ces gravures seule- ment (voy. p. 3o, 48 et 63 de la présente réim- pression) sont incontestablement contempo- raines de l'édition de 1542, puisqu'elles ont une grande analogie avec les figures de Ber- nard Salomon, dit le Petit Bernard, et qu'elles peuvent avoir servi à quelque édi- tion primitive, encore non citée, des Qiia- drins historiques de la Bible, sinon à une petite édition du Vieux Testament, qui contiendrait des figures dessinées par Hol- bein ou par Jean Cousin. L'une de ces gra- l'i; Ces ligures ont ctc gravées à nouveau par M. Alfred Prunaire. SUR JEHAN DE BRIE IX vures représente, en effet, la création de l'homme au milieu des animaux déjà créés; l'autre, l'assemblée des oiseaux, après leur création, et la troisième, un grand oiseau qui fait son nid, peut-être le phénix, sous l'influence d'un vent favorable, suivant la seule explication que nous puissions donner à cette gravure. Il ne faut donc pas tenir compte d'une supposition bibliographique de La Monnoye, qui, dans une de ses notes sur la Bibliothèque Françoise de la Croix du Maine, avance que le titre de l'édition de 1542 aurait été refait par Denys Janot, fils de Denys Jehannot, pour rajeunir les exemplaires restant d'une ancienne édition publiée sans date par son père. Dans ce titre, il est viai, le nom du libraire-imprimeur est étrangement travesti {Jonot pour Janot), et l'on a peine à croire que cet imprimeur ait laissé subsister une pareille faute d'impression sur les exem- plaires mis en vente dans sa boutique. Nous aimons mieux croire que ce titre fautif a été fait, après la mort de Denis Janot ou Jehannot, en i545, par l'acquéreur des exemplaires qui se trouvaient en magasin chez le défunt. Si l'on admettait cette hy- pothèse, l'on devrait donc considérer, comme appartenant au premier tirage de cette édi- tion, les exemplaires du Vray régime et gouvernement des Bergers pour les dou:^e mois de Van, « imprimé à Paris, in-i6, par Denys Janot, sans date », que Du Verdier signale, en ces termes, dans sa Bibliothèque Françoise. 3° Traité de Testât, science et pratique de l'art de Bergerie et de garder ouailles et bestes à laine, par Jehan de Brie, dit le bon Berger. Paris, Simon Vostre , sans date, pet. in-8° Goth. Cette édition, que possède la Bibliothèque Nationale (série S., n° 880), serait donc une des plus anciennes éditions de l'ouvrage, puisqu'elle doit être antérieure à i522, Simon Vostre étant mort cette année-là. De plus, le titre de ladite édition est justement celui que Jehan de Brie avait donné à son livre, tel qu'il fut présenté à Charles V en 1379. 4° Le vray régime et gouvernement des bergers et bergères. Louvain, Jehan Bo- gart, 1594, pet. in-S", ff. non chiffrés. « Édition en caractères Gothiques, » dit Brunet, « ce qui est remarquable pour l'épo- que de la publication. » Nous avons inutilement cherché, dans les historiens de Charles V, une mention quel- SLR JEHAN DE BRIE XI conque de notre Jehan de Brie, que ce grand roi avait chargé de recueillir tous les secrets de l'art de bergerie, que les bergers gardaient entre eux mystérieusement, sans les révéler à qui que ce fût, en dehors de leur profession, comme l'a constaté le ré- dacteur anonyme du Vray régime et gou- vernement des bergers et bergères, en disant : '. Nul ne soit si presumptueux que il tiengneceste doctrine pour fable, car elle est moult noble et digne de grand louenge pour la haultesse du grand entendement de l'Acteur, et doit-on entendre grant amour et vraye obéissance en ce que ledict de Brie l'a voulu bailler, manifester et declairer au Roy nostre sire, et à nul autre ne l'eust-il baillée. Et peult-on vrayement considerei; que les anciens sages hommes, desquels nous avons moult de biens » (suit une longue nomenclature depuis Platon jusqu'à Hely- nant, moine de Froitmont) « n'osèrent onc- ques traicter de ceste matière présente, ou par aventure ne le vouldrent pas dire ne révéler à leurs chers compaignons et amys, pour la gloire de ceste grande science. » Christine de Pisan, dans la Vie du roi Charles V, rapporte seulement qu'il fit tra- duire de Latin en Français nombre d'ou- vrages anciens, entre autres les 19 livres des Propriétés des choses. La préface dédicatoire de cette traduction anonyme offre des dé- tails intéressants sur la protection que Charles V accordait aux lettres et aux sciences : elle mérite, à ce titre, d'être citée en entier, parce qu'elle explique comment Jehan de Brie reçut du roi lui-même l'ordre de mettre par écrit les préceptes secrets de l'art de bergerie : « Ce désir de sapience, Prince très-debon- naire, a Dieu planté et enraciné en vostre cueur très-fermement, si comme il appert manifestement en la grant et copieuse mul- titude des livres de diverses sciences que vous avez assemblé et assemblez chascun jour par vostre fervente diligence, ésquelz livres vous puisiez la profonde eaue de sa- pience de vostre vif entendement, pour le espandre es conseilz et es jugemens au prouffit du peuple que Dieu vous a commis à gouverner : et pource que la vie d'un homme ne suffiroit mye pour lire les livres que vostre noble désir a assemblez, et par especial, ou temps présent, vous ne les povez pas veoir ne visiter, pour cause de voz guerres et de l'administration de vostre royaulme et de plusieurs aultres grandes et inévitables occupations que chascun jour sourdent et viennent à vostre grant magni- SUR JEHAN DE BRIE XIII ticence; pourtant est venu à vostre noble cueur ung désir de avoir le livre des Pro- prietez des choses, lequel est ainsi comme une somme générale contenant toute ma- tière, car il traicte de Dieu et de ses créa- tures tant visibles comme invisibles, tant corporelles comme espirituelles, du ciel, de la terre, de la mer, de l'air et du feu, et de toutes choses qui en eulx sont, et au désir que vostre royal cueur a de avoir ce livre, peult on veoir et cognoistre evidamment que vous estes habitué et revestu de l'habit de sapience, car, selon le philosophe Ari- stote, il affiert au sage de sçavoir toutes choses : en ce donc que vous desirez de avoir ce livre, qui traicte de bon désir acomplir, il a pieu à vostre roiale majesté de commander à moy, qui suys le plus petit de vos chapellains et vostre créature et la faicture de vos mains, que je translate le livre devantdit, de Latin en Francoys, le plus clerement que pourray. Je, donc, qui suis tenu de droict divin et humain et naturel de obéir à vos commandemens, comme à mon droit seigneur naturel et comme à celluy qui m'a fait tel comme je suis, recoy liement et accepte ceste obédience, en suppliant humblement à vostre habundante pitié que elle vueille et daigne prendre en gré le povoir de ma petitesse, et se deffault y a qu'il soit imputé à ma très-grande igno- rance, et se bien y a que il soit attribué à vostre bon désir et à Celluy de qui tout bien vient, lequel par sa grâce vous doint sçavoir, povoir et voloir de régner en ce monde paisiblement et en l'autre monde, avec îuy, sans fin glorieusement. Amen. » L'auteur de cette traduction, exécutée par le commandement de Charles V, était Jehan Corbichon, son petit et humble chapelain, qui, après avoir translaté de Latin en Fran- çais la vaste encyclopédie de frère Bartholomé de Glanville, cordelier Anglais {de Proprie- tatibus rerum), traduisit aussi sans doute un ouvrage du même genre, non moins estimé à cette époque, Ruraliiim commodorum libri XII, composé par Pietro Crescentio, de Bologne, non-seulement sur l'agricul- ture, mais encore sur toutes les matières qu'Olivier de Serres a comprises depuis dans sa Maison rustique. Voici, d'après une édition de i533 (Paris, Nicolas Cousteau, in-fol.), quelles sont ces matières : « Au » présent volume des Prouffitz ruraux et » champestres est traicté du labour des » champs, vignes, jardins, arbres de tous 9 espèces : de leur nature et bonté : de la 1 nature et vertu des herbes : de la manière SUR JEHAN DE BRIE XV » de nourrir toutes bestes, volailles et » oyseaux de prix. Pareillement la manière ) de prendre toutes bestes saulvages, pois- ') sons et oyseaux. » On voit que le petit traité de Jehan de Brie pouvait servir de complément à la traduction française du grand ouvrage de Glanville, traduction qui rut imprimée pour la première fois, en i486, a Paris, par Jehan Bonhomme, gr. in-fol. à j. col,, mais dont l'auteur n'est pas nommé dans le sommaire du Prologue, ainsi conçu : K Cy commence le livre des ruraulx prouf- niz du labour des champs, lequel fut com- pilé en Latin par Pierre des Grescens, bour- geois de Boulongne la grasse. Et depuis a esté translaté en Françoys, à la requeste du roy Charles de France le quint de ce nom. » Ce livre fameux ne parlant que très-briève- ment de Vart de bergerie, on comprend que Charles V ait voulu le compléter à ce point de vue, en ordonnant à Jehan de Brie d'écrire son livre, dont nous n'avons qu'un extrait analytique. Henri Martin a donc eu raison de dire, dans son excellente Histoire de France, que ce petit traité, « écrit, par ordre du roi, pour l'usage du peuple, est une des pensées qui font le plus d'honneur à Charles V; c'est déjà l'esprit de Sully et d'Olivier de Serres. » N'est -il pas surprenant que Jehan de Brie n'ait point été cité avec éloge dans l'histoire littéraire pendant plus de trois siècles, si ce n'est dans les Bibliothèques Françaises de la Croix du Maine et du Ver- dier, où il est fait mention de son livre? Et pourtant, au xvii» siècle, on avait sous les yeux la plus grande partie de cet ouvrage, sans en connaître l'auteur, dans les éditions du Grand Calendrier et compost des Bergers, composé par le Berger de la Grande-Mon- tagne, que Pierre Garnier, imprimeur-li- braire à Troyes, réimprimait sans cesse dans le format in-4°. C'était Pierre Garnier qui avait imaginé de faire cette heureuse addition au Grand Calendrier et compost des Bergers, que l'imprimerie Troyenne publia pour la première fois en 1602. Les éditions de Pierre Garnier ont déguisé leur emprunt, sous ce titre : « Comment le Ber- ger se doit gouverner, tant pour sa santé que pour le regard de ses bêtes; aussi, le remède pour guérir et empêcher qu'au- cuns sorciers ne fassent mourir leurs troupeaux, ensemble toutes choses pour régler le Berger selon son art. s On a quel- que peine à reconnaître, dans cet inti- tulé, l'ouvrage de Jehan de Brie, qui n'est nommé nulle part : Pierre Garnier, en SUR .lEHAN DE BRIE XVII ^appropriant les deux tiers de cet ouvrage, a soigneusement retranché tout ce qui concernait la vie et la personnalité de Jehan de Brie. Jehan de Brie n'est pas nomnné davantage dans les Comptes de Thôtel du roi, sous le régne de Charles V. Notre savant collègue, M. L. Douet d'Arcq, a seulement rencontré, dans le Trésor des Chartes, un acte de l'an iScp, où il est parlé d'un Jean de Brie, prince de Galilée, « mais comme cet acte, » dit-il, « se trouve dans la layette Chypre, il est vrai que sa principauté se trouvait en Palestine, et non dans le royaume de So- sie. •) où les premiers acteurs de la Con- frérie de la Passion fondèrent un empire de Galilée. Nous ne saurions donc pas ajouter le moindre fait à ceux que le réda- cteur du Vray régime et gouvernement des Bergers et Bergères a enregistrés relative- ment à la vie de Jehan de Brie. Il est pos- sible que Christine de Pisan ait fait allu- sion à ce bon Berger, en racontant que Charles V, mécontent de ce que son frère le duc d'Anjou méprisait les fils de culti- vateurs, dit, au contraire, « que le pauvre et sage est plus digne d'estime que le riche Jéréglé. » Jehan de Brie se voyait ainsi au- : risé, en traitant ^ de l'honneur du ber- ger, » à démontrer « comment Testât de Bergerie est grand et honorable. » Voici, d'après le Vrai régime et gouver- i nement des Bergers et Bergères, les prin- 1 cipaux traits de la vie de Jehan de Brie, le ? bon Berger, qui pouvait avoir trente ans, , lorsqu'il écrivit, en iSyg, par ordre de j| Charles V, le traité de l'Art de la Ber- l gerie. Jehan de Brie naquit, vers i 849, à Vil- liers-sur-Rongnon, «en la chastellenie de Coulommiers en Brie, j II se nommait sim- plement Jehan, auquel nom on ajouta depuis la désignation de son origine, de Brie, qui n'est autre que la province où il avait pris naissance. Ses parents furent proba- blement, comme lui, des rustiques, des paysans. A l'âge de huit ans, il fut « insti- tué et député à garder les oues » (oies) « et les oysons, audit lieu de Villiers. » Après avoir fait le métier de gardeur d'oies pen- dant six mois seulement, on le mena « en la ville de Nolongne » (peut-être Bologne-sur- Marne?) où on lui donna « la cure de gar- der les pourceaux. » Cette cure étant « moult dure, gréveuse et intolérable» au pauvre Jehan, il aspirait à « estre promu aux hon- neurs sérieux » ; il fut donc chargé, audit I SUR JEHAN DE BRIE XIX lieu de Nolongne, de « mener les chevaux à la charrue, au devant du bouvier ou charretier, pour haster et exciter les che- vaux. » C'était un métier pénible et dange- reux, qu'il n'exerça pas plus de trois mois, ayant eu le pied écrasé par un cheval. Au bout d'un mois d'incapacité de travail, on lui con&a la garde de dix vaches laitières, au même lieu de Nolongne ; il les garda C' intinuellement, durant deux ans. Il fut grièvement blessé par une de ces vaches, devenue folle et furieuse. Il dut encore changer d'état et accepta la garde de quatre- vingts agneaux. Le métier lui plut, et au bout de quelques mois (il avait alors onze ans), il se vit en état de gouverner quatre- vingts moutons; il employa trois ans à s'instruire dans l'art de bergerie, si bien que « par ses faits louables et bonnes œu- vres, la bonne renommée de sa science, sens, discrétion en ceste doctrine, accrois- soit de jour en jour, au pays de Brie et es lieux environ.» A l'âge de quatorze ans, il garda deux cents brebis portières, à Messy, près de Gloye. Après deux ans d'exercice, il devint intendant de Vhostel de Messy, qui appartenait à Matthieu de Ponmolain, sei- gneur de Tueil, et conserva plus de trois ans cet office de clavier. Il continuait à se perfectionner dans l'art de bergerie : « Comme bon et vray estudiant, fut ensei- gné, instruit et imbut en la droite fontaine de ceste science et doctrine du faict de la bergerie, n Le seigneur du Tueil était con- seiller en la Chambre des requêtes au Par- lement de Paris : ce fut lui, sans doute, qui prit intérêt aux études de son intendant et qui lui fournit les moyens de les continuer, en l'amenant à Paris, où Jehan de Brie suivit certainement les cours de TUniver- sité. Jehan de Brie, « licencié et maistre en ceste science de bergerie, » s'était rendu « digne de lire en la rue au Feurre » ( rue du Fouare, où étaient les grandes écoles de l'Université), quand il vint demeurer v au Palais royal, en l'hostel de Messire Arnoul de Grand-Pont, trésorier de la Sainte-Cha- pelle. » Là, c comme pasteur, voulant don- ner bon exemple aux aultres, par bonne et vraye humilité, lava les escuelles, par plu- sieurs foys,» quoiqu'il eût acquis dès lors « toutes les facultez en sa science. » Après la mort du trésorier, qui avait eu l'occa- sion de montrer et de faire apprécier ce qu'il valait, il alla demeurer dans l'hôtel de maî- tre Jehan de Hetomesnil, conseiller du roi, maître des requêtes de Sa Majesté et cha- noine de la Sainte-Chapelle. C'est Jehan de SUR JEHAN DE BRIE XXI Hetomesnil qui recommanda au roi le bon berger Jehan de Brie, et Charles V, qui se connaissait en hommes, et qui savait tirer parti des intelligences et des capacités en tous genres, qu'il faisait concourir à l'inté- rêt général de son royaume, commanda au bon Berger d'écrire un Traicté de l'estat, science et pratique de l'art de la Bergerie. Pour bien se rendre compte de l'impor- tance que Charles V devait attacher à ce traité, le premier et le seul qui fût écrit en France à cette époque, il faudrait, à l'aide de nombreux documents qui existent, mais qui n'ont pas encore été rassemblés et in- terprétés, prouver que les bêtes à laine, agneaux et moutons, furent alors la véri- table richesse de l'agriculture en France : les troupeaux étaient vingt fois plus nombreux et mieux entretenus qu'ils ne le sont aujour- d'hui ; la production de la laine était quarante fois plus considérable qu'elle ne l'est mainte- nant, et le grand centre de cette production se trouvait en pleine prospérité dans les immenses plaines de la Brie, où l'élève du bétail donnait des résultats beaucoup plus avantageux que la culture des céréales. Le petit traité de Jehan de Brie fut considéré avec raison comme le manuel et le guide XXir NOTICE SUR JEHAN DE BRIE professionnel de cette population de ber- gers, qui vivaient entre eux au milieu de leurs bêtes, et qui avaient gardé, comme un dépôt patrimonial, les mœurs simples et douces de leurs ancêtres. C'est en lisant ce traité à la fois sérieux et naïf, que nous aimons à retrouver au travail les bons ber- gers de la Brie, que nous avions vus en fête dans le Banquet du bois, cette délicieuse bucolique du xv« siècle, qui n'est pas infé- rieure à tout ce que Théocrite et Virgile nous racontent, en vers admirables, sur les bergers de l'antiquité Grecque et Romaine. Paul L. JACOB, bibliophile. Paris, Mai 1879. Krratum : Chap. XXXI, page 1^5, ligne 5, au lieu de poucet, lise^ poucel {herbe qu'il ne faut pas confondre avec la maladie dite poucetj. LE BON BERGER Le vray régi me & gouuernement des Bergers & Bergères : compose par le rustique Jehan de Brie le bon Berger. 9- S- |S3i. A Paris : en l'imprimerie de De- nys Jonot imprimeur & libraire. la gloire, louenge et à l'hon- neur du très-bon et souve- rain pasteur le créateur de toutes choses : lequel voulut souffrir jusques à la mort, pour la rédemption et délivrance des oeilles de l'umain lignaige. Et pour obéir révéremment à la volunté et com- mandement de très-excellent prince en haultesse, en noblesse, puissance et amour de sapience, de prudence et de science. Caries le quint, Roy de France, nostre sire régnant très-glorieusement et en grand félicité : Jehan de Brie, natif de Villiers sur Rongnon, en la chastellenie de Coulommiers en Brie, a dict, nommé, faict, compilé et escript ce traicté de restât, science et pratique de l'art de bergerie : et de garder oeilles et bestes 4 à laine : qui fut fait en l'an de grâce mil CGC. soixante-dix-neuf, et le sipesme du règne dudict seigneur, environ la feste de Pentecouste. Suppliant humble- ment à la clémence et bénignité de la royalle majesté, que cest traicté vueille recevoir en gré. Sauve la correction du- dict seigneur : et de sa très-grande et sage discrétion, dont la bonne renommée queurt par le monde. LE PROLOGUE **^3^* ELON l'usage et commune ob- servance des anciens, aulcuns qui fai soient escris ou trai- ctez souloient mettre et assi- gner les causes de leurs pro- cès : c'est assavoir la cause matérielle : la formele : la cause afficiente, et la finale : quel titre le livre aura : et à quelle partie de philosophie on le doit supposer, et quel prouffit il en peult ensuyvir. Mais Jehan de Brie ne fait force de toutes les causes que on y vouldroit assigner : fors que seule- ment de obéir de toute sa vigueur et de tout son pouvoir à l'accomplissement du plaisir de celuy qui ceste œuvre a comman- dée et voulu estre ainsi traictée : lequel t) LE PROLOGIE Dieu par sa grâce tienne longuement en très-saine vie et bonne prospérité. Et tou- tesfois pour ensuyr aucunement le propos des anciens, qui se travaillèrent pour nous monstrer et enseigner doctrine, nous met- trons tiltre à ce livret ou petit traicté. Et sera appelle nouvelleté : pource que de nouveau et naguères il a receu nouvelle forme de la matière dequoy il est, comme l'œuvre présente le monstrera. Et se aulcun demandoit à quelle partie de philosophie il sera supposé, on peult respondre que il sera attribué et supposé à la philosotie, ou philosophie de bergerie. Et en vérité on le pourroit et devroit par raison appliquer à toute philosophie raisonnable, moralle et naturelle. Le prouffit de cest ouvraige est moult grand et bon à la chose publique, comme cy-après sera plainement déclairé : dont pour l'utilité il devra estre chèrement gardé. Si soit le nom de nostre seigneur Jésus Christ appelle à ce commencement : et le sainct Esprit vueille illuminer et en- seigner tellement le faiseur, que ceste œu- vre prcngne bon moyen et bonne fin. '^' 2)^' i^ AUTRE PROLOGUE On doit entrer en la bergerie par l'huys, et qui y entre par ailleurs, il est larron, comme sainct Jehan le nous dist au diziesme chapitre : Nous entrerons par Vhiiys à l'ayde de Dieu; et procéderons briefvement pour oster l'ennuy qui (par prolixité) pourroit venir aux lisans ou aux escoutans. Et sera cest ouvraige mis et divisé par chapitres, et les chapitres par parties et par pièces, pour 8 AUTRE PROLOGUE le mieulx déclairer et donner à entendre, à fonder l'intention du docteur, et procéder par ordre. Et qui n'y saura retourner, si y mette une pierre ou aultre enseigne pour trouver le chapitre. TABLE Pages Chapitre I. — Le premier chapitre de ceste doctrine sera de Testât et de la vie de Jehan de Brie dessus nommé i3 Chap. II. — De l'utilité et prouffit de ce pré- sent traicté 3o Chap. III. — De l'honneur du berger, et com- ment Testât de bergerie est grand et honno- rable 38 Chap. IV. — Des reigles généraulx que le berger doit tenir et garder en cest art 43 Chap. V. — De la manière de cognoistre le temps par les oyseaulx. pour savoir du beau temps ou de la pluye 49 Chap. VI. — De cognoistre le temps par au- gurement de bestes, et par certains signes . . 56 Chap. VII. — De la considération des vens, et lesquelz sont proufBtables, ou non 63 lO TABLE Pages Chap. VIII. — De la vie, meurs et estât du berger, et des choses qui luy afBèrent et ap- partiennent pour son mestier 68 Chap. IX. — De la garde des moutons, des chastris, des brebis portières et aultres, des aigneaulx et des bestes antenoises par toutes les saisons de lan : et premier du moys de Janvier . 82 Chap. X. — Du moys de Febvrier 85 Chap. XI. — Du moys de Mars ..... 92 Chap. XII. — Du moys d'Abvril 98 Chap. XIII — Du moys de May loi Chap. XIV. — Du moys de Juing 107 Chap. XV. — Du moys de Juillet m Chap. XVI. — Du moys d'Aoust 11 3 Chap. XVII. — Du moys de Septembre ... iiij Chap. XVIII — Du moys de Octobre 119 Chap. XIX. — Du moys de Novembre. . . 121 Chap. XX. — Du moys de Décembre .... i23 Chap. XXI. — De la maladie que l'on appelle l'afRlée i25 Chap. XXII. — D'une aultre que l'on dict le poucct 126 Chap. XXIII. — Du bouchct 127 I TABLE I I Pages Chap. XXIV. — Du clavel 128 Chap. XXV. — De la rongne 129 Chap. XXVI. — Du poacre i3o Chap. XXVII. — De la bouveraude i3i Chap. XXVIII. — De la dauve i32 Chap. XXIX. — De l'avertin i33 Chap. XXX. — De l'entieure i34 Chap. XXXI. — De la maladie du runge perdu par herbe que on dict poucel ■ • i35 Chap. XXXII. — De la maladie que l'on ap- pelle yrengnier i36 Chap. XXXIII. — Des cures de cl:a>cune des maladies dessus dictes et des remèdes. Re- mède de l'affilée i37 Chap. XXXIV. — Remède du poucet. .... i38 Chap. XXXV. - Remède du bouchet i3q Chap. XXXVI. — Remède du clavel MO Chap. XXXVII. — Remède de la rongne. Des oignemens et de la manière de la confection. 141 Chap. XXXVIII. — Remède du poacre. . . 143 Chap. XXXIX. — Remède de la bouveraude. 14^ Chap. XL. — Remède de la dauve 14Ô Chap. XLI. — Remède de l'avertin I47 12 TABLE Pages Chap. XLII. — Remède de l'entleure 148 Chap. XLIII. — Remède du runge perdu. . . i5o Chap. XLIV. — Remède de l'yrengnier. ... i5i Chap. XLV. — De la seigniée i53 Chap. XLVI. — De la manière de chastrer et amender les aigniaux i 54 Chap. XLVII. — Du chien du berger i 56 FIN DE LA TABLE LE BON BERGER CHAPITRE PREMIER LE PROLOGUE DE LA VIE ET ESTAT DE JEHAN DE BRIE LusiEURS gens, par importu- nité et jactance, se effor- cent de acquérir gloire mondaine et faire exaulser et valoir leur nom des prouesses et des biensfaictz d'aultruy. Aulcuns autres en y a qui acquièrent nom de maistre sans cause et sans ce qu'ilz en soyent dignes, ne qu'ilz ayent aucun degré de science. Et soubz cou- leur exquise, comme de faire office de notaire ou de procureur, sont ap- 14 LE BON BERGER peliez, Tung maistre Pierre, l'aultre maistre Robert. Si les peult-on figu- rer et comparer à ung savetier qui fait soulliers vieulx, et est appelle maistre Laurens ou maistre Guillaume, combien qu'il ne sache faire denre'e de bon ou- vraige. Aulcuns autres sont parez et aornez plus de peaulx et des œuvres aux peletiers que des escritures ne de la science des livres. Et voluntiers et com- munément font fourrer leurs habis de pennes de escuireux ou d'aultres bestes, que Ton appelle rampaille, et n'ont cure de fourrures des aigniaux ne des brebis ; et peult estre que ce font pour mieulx ravir et pillier : car les rampailles ont les dens et les ongles plus trenchans et plus agus que n'ont les oeilles qui sont débonnaires. Telles gens ainsi fourrez et emplumez, pour monstrer leur renardie, peult-on figurer au corbeau qui em- prunta estranges plumes pour aller à une assemblée, et pour ce n'en fut-il oncques meilleur ne plus saige. Et quand il eut rendu ses plumes, comme dit Ovide, il demoura noir et sale, selon sa CHAPITRE PREMIER première nature. Toutes telles manières de gens prendront nom de maistre, par abus et usurpation. Et contre eulx pro- prement est dite la parabole dessus pro- posée : Qui n'entre par l'huys en la ber- gerie, il n'est pas loyal berger. Mais IDieu mercy, il n'est pas ainsi au cas pré- sent, ne Jehan de Brie ne se veult louer ne vanter, ne il ne quiert avoir gloire du bien fait ne de la prouesse d'aultruy. Et toutesfois est-il bien digne d'avoir nom de maistre par ses mérites et par le com- ble de sa grand science, en considération et regard à Testât de sa personne par ce qu'il s'ensuyt. Il est vray, et soit chose notoire et sceue à tous, que ledit Jehan de Brie, demourant à Villiers sur Rongnon, le VIII. an de son aage, au temps que les peux reviennent es chefz des enfans qui ont esté teigneux, et qu'ilz commencent à muer leurs premiers dens et qu'ilz ont encores leur folle plume, et ne sont pre- nables d'aucune loy : fut lors institué et député à garder les oues et les oysons l6 LE BON BERGER audit lieu de Villiers, lesquelz il garda bien et loyaument en son povoir par l'espace de demy an au plus, en defFen- dant iceulx oues et oysons des escoufles, des huas, des pies, des corneilles, et d'aultres choses à eulx contraires ou nuysibles. Et tellement se porta audit office de la garde à luy commise, que pour le bon rapport de sa personne il fut en aultre estât et fut mené en la ville de Nolongne hors dudit Villiers, et illec luy fut baillée la cure de garder les pourceaux : lesquelz il garda au mieulx qu'il peust par l'espace d'ung an ou en- viron : et convenoit qu'il les menast aux champs tous batans et à force : car ce sont rudes bestes et de maulvaise disci- pline. Et au vespre , au retour des champs et de leur pasture, s'en repai- roient si forment et radement, que le- dict Jehan, qui lors estoit jeune, ne les pouvoit aruner, retenir ne acconsuyr; et souvent ne sçavoit se il en avoit perdu aulcuns, ou se il avoit son droit compte. Et celle cure estoit et fut moult dure, greveuse et intolérable audict Jehan, CHAPITRE PREMIER I7 assez plus que n'estoit la garde des oues et des oysons. Sur ce pourroit-on assi- gner et dire plusieurs bonnes raisons prouvables es escriptures en philosophie naturelle, et es livres des Propriété^ des choses et des testes, desquelles ledit Jehan se passe pour continuer ceste ma- tière. Après Testât ou office de garder les pourceaulx, ledit de Brie, en accrois- sant son estât de estre promeu aux hon- neurs terriens, fut estably et ordonné audit lieu de Nolongne pour mener les chevaulx à la charrue, au devant du bouvier ou charretier, pour haster et exciter les chevaulx, comme Virgile l'en- seigne en son livre des Bucoliques, où il traicte de cultiver et labourer les terres. Auquel office à la charrue ledit de Brie ne demoura que par trois mois seule- ment, pource que l'ung des chevaulx luy passa dessus le pied dextre, et le bleça tellement qu'il en fut malade par Tespace d'ung mois ou plus. Et ne peut continuer ne exercer iceluv office, eau- lï: bon berger sant son essoine de maladie. Et quand ledit Jehan fut tourné à garison de son pied, attendu qu'il s'estoit bien porté et qu'il estoit bien digne d'avoir aulcun estât convenable à sa personne, Ton luy bailla la garde de dix vaches à lait de la maison de Nolongne, lesquelles il garda bien par l'espace de deux ans continuel- lement. Et plus les eust gardées de sa bonne volunté si inconvénient n'y fust entrevenu : mais fortune qui nully ne veult ne laisse demeurer en cest estât, en eut envie, et par importunité d'une des vaches qui estoit desrée et deman- doit les toreaulx, ou elle estoit enyvrée de maulvaise herbe ou bruvaige, le heurta de ses cornes moult orguilleuse- ment et impétueusement, et abatit ledit Jehan à terre soudain et le bleça for- ment, tellement qu'il ne peut plus gar- der les vaches. Et quand il fut relevé et en convalescence, il vint audit hostel de Nolongne dire que jamais il ne garderoit les vaches. Et nonobstant son empes- chement il fut receu honorablement, et lors luy fut baillée la garde de iiii. x. x. I CHAPITRE PREMIER IQ aigniaulx débonnaires et innocens qui ne heurtoient ne bleçoient. Lequel Jehan, qui dès lors avoit esprouvé, comme dit est, aulcunes des fortunes et tribulations de ce monde auxquelles il avoit re'sisté par sa patience, receut vo- luntiers la garde desditz aigniaulx, et fut aussi comme leur tuteur et curateur : car ilz estoient soubz aage et mineurs d'ans. Et pource que ledit Jehan n'estoit pas noble et que il ne luy appartenoit pas de lignage, il n'en peut avoir le bail : mais il en eut la garde, gouverne- ment et administration quant à la nour- riture. Et iceulx aigniaulx ledit Jehan traicta et garda moult amyablement et charitablement par l'espace d'ung an et plus. Et soubz son gouvernement, selon la coustume du pays, furent nour- ris, tondus, empouldrez, oings et sai- gniez par bonne industrie : et gardoit ledit Jehan son droit compte chascun jour, et les deffendoit des loups et des aultres maies bestes. Et après la garde d'iceux aigniaux, considéré que ledit Jehan croissoit en aage d'adolescence et LE BON BERGER en science de bonne doctrine pour gar- der bestes, et avoit jà unze ans : lors luy fut baillée la garde de vi. xx. moutons, aultrement ditz chastris : lesquelz estoient chastes par de'fault de membres géni- taulx et n'avoient aulcune coinquination à femelle. Et les garda continuellement par trois ans ou environ, si bien et deuement qu'il n'en fut aulcune com- plaincte, et que par ses fais louables et bonnes œuvres la bonne renomme'e de sa science, sens, discre'tion en ceste do- ctrine, accroissoit de jour en jour au pays de Brie et es lieux environ. Et ne faisoit pas comme mercenaire : car il aymoit le prouffit de son maistre, et ne les chan- geoit pas comme l'on dit que font aul- cuns pasteurs, qui en donnent une oeille grasse pour deux maigres et en prendent le prouffit pour eulx : et ne leur chault que ilz en rendent leur nombre ; et aul- cuns autres en y a qui fendent les grasses oeilles par le ventre et en ostent le suif et la gresse, et appliquent à leur prouffit furtivement, et laissent les bestes mai- gres et langoureuses, et par leur coupe. CHAPITRE PREMIER Certes, soit en espirituel ou en tempo- rel, il n'est pas bon pasteur ne vray, qui n'ayme le salut et le bien de ses oeilles. Et aussi que Sainct Jehan blasme en ses évangiles les pasteurs qui n'entrent pas es bergeries par l'huys : tout aussi Sainct Matthieu en ses évangiles blasme les pasteurs qui font dommaige à leur fouc, et les appelle faulx prophètes et loups ravissables qui prennent la substance de leurs oeilles et eulx-mesmes les dévo- rent. Au temps que Jehan de Brie estoit de l'aage de quatorze ans, il garda deux cens brebis portières à Messy emprès Cloye, par l'espace de deux ans ou plus. Duquel par expérience, qui est la sou- veraine maistresse des choses, il aprint par grant cure la théorique et la prati- que : la science et manière de nourrir, garder et gouverner bestes à laine. Et le droit naturel que nature a aprins et en- seigné à toutes bestes, non pas seule- ment aux raisonnables, mais à toutes aultres bestes qui naissent et sont en LE BON BERGER l'air, en la terre et en la mer, et qui font ge'ne'ration : l'a enseigné et monstre au- dict Jehan, avec l'usage et continuation qui moult y ont aydé et valu. Et après tout, ainsi que l'en doit monter aux hon- neurs de degré en degré, et aussi comme l'en sceust pourveoir de estât à ceulx qui en sont dignes selon leur science, meurs et discrétion : tout ainsi ledit Jehan de Brie sans symonie fut estably et institué à porter les clefz des vivres, garnisons et choses de Thostel de Messy, appertenans à messire Matthieu de Ponmolain, sei- gneur lors du Tueil et Tung des conseil- liers du roy nostre dict seigneur es en- questes de son parlement à Paris. Lequel office de clavier ledict de Brie fist et exerça par troys ans ou environ conti- nuellement. Item ledict Jehan, en augmentant son estât selon ce que raison et nature le duisoit et qu'il venoit à ans de discré- tion, fut nourricier par ses ans conti- nuelz, en ladicte ville de Messy, des oeilles, bestes à laine, moutons chastrez, CHAPITRE PREMIER 2.1 portières, aigneaux, et antenoises, qui sont bestes d'anten, c'est à dire de plus d'ung an d'aage. Et leur appareilloit li- tières es estables, fourrage, et râteliers, et prouvende es mengoires, et aultres vivres et choses nécessaires moult cu- rieusement. Si doit-on avoir vraye présumption que, en faisant et continuant les offices et fais dessus déclairez et aultres qui sont des de'pendances et appartenances dont cy après sera dit plus plainement : ledit de Brie, comme bon et vray estu- diant, fut enseigné, instruit et imbut en la droicte fontaine de ceste science et doctrine du faict de la bergerie. De la- quelle fontaine les ruisseaux seront di- rivez et déclairez en cest traicté, si plai- nement et proprement, que ung asne, qui est foie beste et rude, y pourroit mordre et en avoir vraye connoissance. Mais qu'il sceust aussi bien lire et en- tendre que feroit ung homme. 24 LE BON BERGER De ce mesmes Nul ne soit si présumptueux que il tiengne ceste doctrine pour fable. Car elle est moult noble et digne de grand louenge pour la haultesse du grand en- tendement de l'acteur. Et doit-on enten- dre grant amour et vraye obéissance en ce que ledict de Brie l'a voulu bailler, manifester et déclairer au roy nostre sire, et à nul aultre ne l'eust-il baille'e. Et peult-on vrayement conside'rer que les anciens sages hommes, desquelz nous avons moult de biens, si comme furent Hermès, Platon, Xenocrates, Aristoteles, Pytagoras, Salomon, Possedemus, Ascle- piades, Yppocras, Zenon, Eraclitus, Dyogenes, Chritolaus, Auximenes, Hy- pater, Hermogenes, Cricias, Empedo- cles, Permenides, Boetos, Xenophantes, Epycurus, Socrates, Clyo, Théophra- stus, Epymenon, Byaspenis, Jules César, Boece, Virgile, Omere, Ovide, Caton, Cyceron Tulle, Macrobe, Seneque, Xe- nophon, Euclides, Peryander, Mellissus, CHAPITRE PREMIER 20 Secons, Buridant, et plusieurs aultres philosophes sages et de grand renom- mée de science. Et Jupiter, qui fut si subtil homme en l'isle de Crète, que il trouva et enseigna la manière de prendre les oyseaulx volans en l'air, les poissons nouans en la mer et es eaues doulces, et les bestes saulvages des boys et des fo- restz, et duquel plusieurs folles gens cuydoient qu'il fust dieu. Le roy Detes qui par science fist faire le mouton à la toison d'or. Ceulx qui firent faire le Dieu Hamon en Lybie en forme de mouton, ne aultres qui ayent traicté au temps passé des hystoires, si comme iMoyses qui fist le Penthateuque; Esdras l'escrivain, Neemias, Solinus, Pier. le iMengeur, ne aulcuns des hystoriographes du temps passé; Neys le chétif; Hely- nant, moyne de Froitmont, qui n'avoit dont il peust acheter seulement du par- chemin pour escrire les faitz de ses cro- niques, ne vouldrent ou n'osèrent onc- ques traicter de cette matière présente, ou par aventure ne le vouldrent pas dire ne révéler à leurs chers compaignons et 3 ■iG LE BON BERGER amys pour la gloire de caste grande science. Si la doit-on bien nommer nou- vellete'. Et ne soit merveille à aulcun de ce que dict est cy dessus, ne murmure n'en soit faicte contre ledict de Brie. Car il ne procède pas par vanterie, par ja- ctance, ou par orgueil pour acquérir vaine gloire, ne pour cuyder que il sache plus que les aultres : mais seulement pour conforter et soustenir ses opinions en raison et en vérité. Et jaçoit ce que Marcus Terentius Varro à leur temps escrivirent aux La- tins plusieurs livres sans nombre : et Calaterius fut moult exaulsé de la multitude de ses livres qu'il escrit aux Grejoys. Et que Origènes en labour de ses escritures surmontast tant les Gre- joys comme les Latins ou grand nom- bre de ses œuvres. Et que Sainct Hie- rosme, comme l'on dict, fist des livres jusques au nombre de six milliers. Et que Sainct Augustin, avec Pamphile le CHAPITRE PREMIER 27 martyr, duquel Sainct Euzebe de Cezarie escrit la vie, fîst xxx milliers de volumes de livres et vainquit tous les dessus nom- mez en labour de faire livres ; car il en escrit tant de jour et de nuict que à peine le pourroit-on croire qui ne l'auroit veu. Et que Ptholomes, roy de Egypte, qui fut surnommé Filadelphus et qui tout passa, en fist faire en son temps lxx mil- liers de volumes, et tint par long temps les LXX interprètes qui lors estoient : néantmoins l'on ne treuve pas ne pour- roit trouver cest présent traicté en aul- cun de leurs livres. Si semblera bien que ce soit nouvelle chose. Et pour le bien publique ledict Jehan de Brie, du com- mandement du souverain seigneur et prince des Chrestiens, a entrepris en soy le fais et la hardiesse de ce faire; car audict seigneur, à sa haultesse et no- blesse, tous secretz de sciences doivent estre interprétez et manifestez, référez et révélez. Et en oultre, quand ledict de Brie eut esté ainsi licencié et maistre en ceste 28 LE BON BERGER science de bergerie et qu'il estoit digne de lire en la rue au feurre, auprès la cresche aux veaulx, ou soubz l'ombre d'ung ourmel ou tilleul derrière les bre- bis, lors vint demourer au Palais royal, en rhostel de Messire Arnoul de Grant- Pont, trésorier de la Saincte Chapelle royalle à Paris. Et en l'hostel dudict trésorier ledict de Brie comme pasteur voulant donner bon exemple aux aul- tres, par bonne et vraye humilité, lava les escuelles par plusieurs foys. Jaçoit ce que dès lors il eust acquis, commue dict est, toutes les facultez en sa science. Et continua depuis au service dudict tréso- rier tout le résidu du temps que ledict trésorier vesquit. C'est assavoir par qua- torze ans ou environ. Et après la mort du trésorier, Jehan de Brie, joyeux de Tabitation des hostelz du Palais à Paris, ne se transporta pas loing. Et alla de- mourer en l'hostel de maistre Jehan de Hetomesnil, conseiller du roy nostre- dit seigneur, maistre des requestes de son hostel, et chanoine de ladicte Saincte Chapelle royalle. Avecqucs lequel il a CHAPITRE PREMIER 20 depuis demouré et encore demouroit, au temps de la confection de cest traicté. Si souffise ce que dict est de Testât dudict de Brie : car, par ce, peult-on en- tendre qu'il est expert et ydoine pour monstrer ce qu'il s'ensuyt. 1 CHAPITRE II i DE L UTILITE ET PROUFFIT DE CE TRAICTÉ ous lisons que Dieu le tout puissant fist et créa les pè- res de ce monde, des cieulx et des élémens, et qu'il forma l'homme sur la terre et que, entre les aultres grans dons qu'il fist à l'homme par sa grâce, il luy donna bestes nommées oeilles portans laine, et les soubmist et abandonna à l'homme pour ses alimens et nourriture, et pour aultres ses nécessitez à son proufîit. Et de ce parle le royal prophète David, en son psaultier, ou septiesme vers du huic- tiesme pseaulme. Dieu (ce dit-il), tu as toutes choses soubmises soubz les piedz de l'homme, oeilles, boeufz et vaches et tous les bestiaulx des champs. Assez est bon à croire et devons entendre que la vie qui fait remuer et végéter l'esprit et le corps, par iceluy nous est donnée des cieulx de lassus et par eulx est gouver- née. Et la nourriture et pasture nous est donnée des élémens, comme nous le voyons : car nous usons des oyseaulx et volatilles de l'air et des bestes animalles, oeilles, et des fruictz, semences, plantes, herbes et racines de la terre, des pois- sons de la mer et des rivières et eaues doulces. Le feu aussi y est convenable et nécessaire pour chaleur, pour mou- vement et conservation de la généra- tion, pour recouvrer la corruption, pour cuire les viandes, pour ayder à la dige- 32 LE BON BERGER stion et pour aultres choses qui sont de sa proprie'té. Or doit l'homme rendre grâces à Dieu son créateur de tous ses bénéfices. Et mesmement des oeilles qu'il a soubmis (comme dit est) à l'usage et prouffit de l'homme, dont tant pour le don de Dieu qui fait les gens et per- sonnes de si grand honneur et de telle dignité que ilz sont comme pour le prouffit et utilité des oeilles. Chascun pasteur de quelconque dignité, authorilé ou prééminence que soit, est tenu de garder et deffendre ses oeilles et bestes, qui sont soubz sa cure et en sa subje- ction, de tous ennemys visibles et invi- sibles, et leur doit donner santé et faire secours contre tout ce qu'il leur pourroit nuyre. La raison et la cause mouvans de l'utilité et prouffit est très-clère et très-démonstrative et prouvable. Premièrement, de la laine et tonsure de l'oeille sont faits les draps desquelz les princes, les roys et grans seigneurs et toutes les personnes de l'humain genre sont vestuz, et de quoy nostre humanité est couverte communément. CHAPITRE II 33 Et en peult l'en ouvrer en plusieurs et diverses guises et manières et luy don- ner diverses couleurs et tainctures, pour draps de graine que l'on nomme escar- late, pour faire les ouvraiges et pour- traictures de bestes, de poissons, d'oy- seaulx, de fleurs, de fueilles et aultres belles et merveilleuses choses et plai- santes à veoir. Et pourroit-on porter des draps de laine en telles parties de ce monde, que on les vendroit plus chère- ment que draps de soye. Et aussi est et doit estre une brebis plus honorée et chère tenue pour le bien de sa laine, que ung ver ou vermine dont vient la soye. Les peaulx des oeilles, moutons, brebis et bestes à laine, dont nous trai- ctons, sont proufïitables à faire parche- mins pour faire livres et notes et plusieurs escritures. Et pour tanner et mégissieret courrayer en plusieurs et di- verses manières, à faire grandes lanières et aultres choses nécessaires et prouffita- bles à plusieurs bons usaiges. dont les particularitez seroient trop longues à mettre en escrit. 1 34 LE BON BERGER La chair du mouton et de l'oeille est bonne pour nourrir créature humaine, pour menger avec la porée et pour faire plusieurs viandes en temps convenable. Les escoliers à Paris, à Orléans et ail- leurs, et plusieurs aultres le sçavent bien, et en fait l'on service à table plus com- munément que de chairs d'aultres bestes. Les entrailles que l'on appelle trippes et la teste du mouton ou de brebis que les gens de Picardie nomment rebbardeure ou demie rebbardeure, lespiedz, le foye, le poulmon, quant il n'est point blecé ne corrompu des dauves ou d'aultres maies herbes, et les aultres choses de par de- dans sont bonnes et prouffitables aux pauvres gens, car plusieurs en prennent nourriture et recréation à grand suffi- sance. Le suif et la gresse est bon et prouffitable à faire chandelle et oin- ctures, et aucune fois en met l'on es oi- gnemens des cyrurgiens, pour la bonté et saincteté de la beste. Les boyaux sont bons et prouffitables à faire plu- sieurs cordes grosses et menues, les grosses pour mettre en ars , en espringa- CHAPITRE II JD les et aultres engins à jecter, ou au moins pour mettre es insirumens de quoy l'on bat la laine pour faire menue , pour la draperie, que l'on appelle archonner. Les menues cordes des boyaux bien la- vez, séchez, tors, rez, essuez et filez, sont pour la me'lodie des instrumens de musique, de vielles, de harpes, de rothes, deluthz, de quiternes, de rebecs, de cho- ros, de almaduries, de symphonies, de cytholes et de aultres instrumens que l'on fait sonner par dois et par cordes. Dont pour la différence des choses et pour la variation des courages et de la manière de vivre qui a esté et est entre les brebis et les loups, bon seroit à es- prouver cordes de boyaulx desdictz loups pour mettre en aulcuns bas instru- mens, avec cordes de boyaulx de brebis ou de chèvres, pour sçavoir se ils se pour- roient accorder ensemble. Et crois, le- cteur, que non. Le fient des oeilles est moult prouffi- table à fumer et amender les terres ara- bles, et pour ce, les sages laboureurs, depuis le printemps jusques en la fin 36 LE BON BERGER d'autompne , que il ne fait pas trop froit , de nuict font tenir et gésir leurs oeilles aux champs, pour engresser les terres. Et sont en giron, aussi comme en manière de parc, et les maine et remue le pasteur successivement de lieu en aul- tre petit à petit. Et au lieu où elles sont emparchées, et pour la garde, une lo- gette de fust sur quatre roelles en ma- nière de borde portable. Et en celle mai- sonnette gist le pastour de nuict : et se y peult retraire pour la pluye, et y a des chiens qui font le guet pour les oeilles contre leurs adversaires. Et aussi comme il est dict au livre Ézechiel : Quelque part que les testes alloient, les roues al- laient après elles. Tout ainsi est-il que, quand les oeilles se remuent, et que le parc va ou est mené avant ou arrière, de costé la petite maison sur les roelles les suyt et est menée après les bestes. Et ainsi sont les terres engressées et amen- dées du fient des oeilles, qui est moult prouffitable chose. D'autre part, la crote des brebis vault moult en médicine , et est maintes fois donnée aux malades et CHAPITRE II .-^-J patiens en bruvaiges, ou en aultre ma- nière, pour leur santé recouvrer. Le suin de la laine vault à laver et nettoyer draps et autres choses souil- lées. Et aussi vault-il à mettre aucunes- fois sur playes, empostumes et ulcères, qui bien en sçait ouvrer. Par ces raisons et autres assez meil- leurs, que Jehan de Brie ne fait pas mettre en escript, conclut-il, et est assez soufhsamment monstre, que les oeilles sont moult prouffitables. Et par consé- quent, le traicté et la doctrine en est bonne et prouffitable. Et le pasteur ou bergier est digne de grant honneur, comme il apparoistra cy après. CHAPITRE III DE L HONNEUR ET ESTAT DU BERGIER E mestier de la garde des oeilles est moult honno- rable et de grant auctorite'. Ce peult-on prouver ap- pertement par nature et par la saincte escripture. Par nature, on voit communément que toute humaine créature est inclinée naturellement à suyvir, aymer et honorer ce dont bien luy vient et proffit, et spécialement ce dont elle prent son vivre, ses alimens et sa soustenance corporelle ; et plusieurs personnes sans nombre prennent leur vivre, nourriture et sustentacion, pour la plus grant partie, du prouffit et émolu- ment des oeilles. Item, par la saincte escripture et par CHAPITRE III .-^9 les figures des anciens, est assez tesmoi- gne' : que l'en doit moult honorer Testât des pasteurs et de la bergerie. Car, comme on list en Genèse : Abel fut le premier bergier et pasteur des oeilles et offrit à Dieu don acceptable. Et quant les gens commencèrent à croistre et multiplier sur terre, leur première chevance et leur premier gouvernement dont ilz mon- toient à honneur, puissance et en estât de vivre, fut de la nourriture des bestes. Les patriarches et aulcuns roys an- ciennement furent bergers et pasteurs, et gardèrent les oeilles et bestes à laine en leurs propres personnes. Des patriar- ches il n'est point de doubte qu'ilz ne fussent bergers, comme Abraham, Ysaac et Jacob. Et principalement Jacob, du- quel yssirent les douze lignées d'Ys- rael, fut berger par long temps et moult expert en la doctrine et science de gar- der oeilles. Celuy Jacob servit Laban son oncle et garda ses oeilles par sept ans, en espérance d'avoir à femme Ra- chel, la fille dudict Laban. Et quand il faillit à son intention et que l'aultre fille 40 LE BON BERGER nommée Lya luy fut donnée en lieu de Rachel, il fut berger audit Laban par aultres sept années, pour avoir ladicte Rachel. Et pour son loyer lui fut oc- troyé par ledict Laban qu'il auroit toutes les oeilles et brebis qui seroient tachées, vairolées ou grivelées. Si ap- plica ledict Jacob sa malice à ce que au moys de Septembre que les moutons saillent et luysent les brebis portières, selon la condition de leur nature, Jacob leur mettoit au devant choses de diver- ses couleurs opposites, comme blanc et noir, pers et jaulne , rouge et vert, ou semblables choses ; et mesmement il pe- loit d'ung lez les verges et bastons des saulx ou aultres arbres, et, à Taultre lez, laissoit l'escorce, pour donner ymagina- cion auxdictes brebis, moutons, en lui- sant et saillant, affin que les portières, en regardant la diversité, conceussent faons et aigneaulx tachez, vairolez , ou grivelez de diverses couleurs, et que, par ce, il demourassent au prouffit du- dict Jacob : dont par sa cautelle il fut moult enrichi. 4 i CHAPITRE III 41 Juda, le filz dudict Jacob, duquel is- sirent les roys d'Ysrael, fut bergier. Et est vray que, quant il alloit faire tondre ses brebis, en la saison , sa femme Tha- mar estoit reposée, ou chemin, en une logette, et se estoit déguisée et descon- ::neue. Juda ne savoit pas que ce fust Thamar sa femme ; toutesfois engendra- il lors en elle deux enfans Phares et Za- ran. Et depuis qu'il sceut qu'il avoit esté déceu, et qu'il avoit péché par manière de fornication, il se repentit et ne vou- lut oncques puis retourner à ladicte Thamar. Ce faict est bien à noter pour les pa- steurs, affin que ilz se gardent de forni- cation. Moyses fust bergier et garda les bre- bis. Et après ce qu'il eut occis ung Egyptien et l'eut caché ou sablon, il s'en fouit en l'isle de Elcopoleos, et trouva lors Sephora , fille de Jetro le prestre de la loy, laquelle avoit besoing d'ayde à abruver ses oeilles pour le chault et pour la presse des pasteurs qui estoient environ le pays, et Moyses luy LE BON BERGER ayda à abruver ses bestes, et, depuis, la prit à femme. Moyses gardoit les oeilles quant il vit la flamme du buisson ardent, duquel il n'eut rien ars ne brusié. David gardoit les brebis quand il fut esleu pour aller combatre à Golias de Jeth, le fort ge'ant, lequel il déconfist par la pierre qu'il jecta de la fonde, et, depuis, fut David roy d'Ysraël après Saul. Saiil mesmes avoit garde' les bestes. et les asnes et les asnesses de son père, ainçois qu'il fust roy. Cyrus fut berger et garda les brebis; les pastoureaux en firent leur roy et venoient à luy aux ju- gemens. Et depuis fut-il roy de Perse et de Mède et destruit Babilone la grand : et fist moult de grandes proesses. Assez y pourroit - on mettre et assigner des exemples. Et par les dessusdictz est as- sez prouvé, attendu que tant de vaillans hommes furent bergers, que l'on doit bien faire et porter honneur aux loyaulx pasteurs et bergers entrans par le droit huys en la bergerie. CHAPITRE IV DES REIGLES GENERAULX uicoNQUEs se veult entre- mettre de l'art de bergerie, il doit , sans enfraindre , tenir, garder et maintenir solennellement les reigles qui cy après seront récitées généralle- ment : car elles sont convenables, né- cessaires et prouffitables. Premièrement, les aigniaux qui sont jeunes et tendres doivent estre traictez amyablement et sans violence : et ne les doit-on pas férir ne chastier de verges, de basions, de corgies, ne d'autres manières de ba- stures qui les puissent blecer ou froisser : car ilz en descroistroient et seroient mai- gres et chétives. Mais, par introduction et chastiement, les doit-on mener doul- 44 LE BON BERGER cernent et amyablement. Item, quand les aigniaux sont creuz et nourris, que ilz peuvent souffrir discipline, ilz doivent estre menez et corrigez par la houlette de terre légière, ne on ne leur doit faire moleste jusques à tant qu'il ont esté tonduz la première fois. Et les doit-on laisser faire et démener à leur volunté. Et ainsi prennent-ilz amendement et acroissement : car, par la légière corre- ction, se tournent à obéissance et à aller partout où le bergier les veult mener et conduire. Les bestes antenoises, portières, brebis, moutons, chastrez et toutes autres, doit-on chastier et corriger des corgies de cuir ou de cordelles menues, pource que au- cunes en y a si paresseuses que, de leur gré, ne veulent yssir hors de l'estable. Si advient souvent qu'il en convient tirer.i aucunes hors par violence au crochet du bout de la houlette, pour yssir et aller devant. Et l'en fiert et bat les autres des corgies, pour les esmouvoir et haster à suyvir les autres, affin que tout le fouc se parte de l'estable et isse hors ensem-*^ CHAPITRE IV 4? ble, pour aller en pasturage, là où le bergier les veult mener. Et ainsi par corgies et autres molestes, convient corriger et contraindre aucuns qui ne veulent recevoir discipline, ne eulx mettre à obéissance. Item, quand les oeilles repairent de leurs pastis, mesmement ou temps d'esté, depuis May jusques en Septembre, le bergier ne les doit pas mettre es estables incontinent. Mais les doit conduire tout le pas à grant loysir et les doit umbrager et refroidir soubz ung ourmel, ou til- leul, ou autre arbre spacieux, se aucuns en a près des estables et bergeries. Et sinon il y doit pourvoir par autre voye et manière convenable, pour l'aysement des bestes, pour remédier à leur chaleur. Le bon remède contre la chaleur des bestes, est de curer et nettoyer les esta- bles et oster le fiens, pour refroidir les bestes et les tenir freschement. Et se c'estoit à la venue de prangiere vers midy ou heure de nonne, et le soleil jet- toit ses rais par Thuys de la bergerie, le pasteur doit clorre l'huys et doit pour- F 46 LE BON BERGER veoir d'eaue fresche et froide pour espan- dre et jetter à l'entrée de l'huys et ail- leurs par Testable, pour le lieu refraischir et refroidir, pour donner tempérence contre la chaleur aux bestes et oeilles, qui de leur nature sont chauldes et sè- ches en complexion; par quoy la chaleur est nuysant et contraire. Et, toutesfois, soit tenu pour règle que, ou mois de May, l'on ne doit pas curer les estables des bergeries, pource que les humeurs, qui lors yssent de la terre plus habon- damment que en aultre saison, se mon- tent aux parois et maisières des bergeries et estables et engendrent corruption au berçai, par maulvaise feteur et odeur, plus que en aultre temps : car, en temps d'hyver, la gele'e et froidure dégaste telles humeurs et feteurs, et ne peuvent tant nuyre comme en May. Et la raison est que la terre oeuvre lors ses conduictz et jette les superfluitez de ses entrailles plus habondamment. Si est le meilleur et plus expédient de laisser le fiens es estables aux oeilles audict mois de May, que de l'ester. Car l'humeur de la terre CHAPITRE IV 4J qui engendre maulvais air et punaisie es estables, n'a pas si grand vertu quand elle est couverte de fiens. Et la punaisie engendre plusieurs maladies et grans in- convéniens aux bestes audict mois. Si y fait bon obvier par laisser ledit fiens : car la frescheur d'iceluy fiens n'est pas si maie ne périlieuse comme l'humeur corrumpu de la terre des estables, par les vapeurs qui lors yssent d'icelle terre, comme dit est. Et. en tous aultres mois, excepté ledict mois de May, l'on peult et doit curer les estables, et en oster le fiens en chascun mois, par deux fois ou plus. Et qui plus le fait, mieux vault. pource que plus sont les bestes tenues et gouvernées nettement, et plus fructi- fient. Item, le pasteur doit eschever et obvier de tout son povoir que ces bestes et oeilles ne soyent mouillées en nul temps : pource que la pluye est contraire et nuysible aux oeilles et les fait descroistre et empirer. Si s'en doit garder songneu- sement que elles ne voysent à la pluye et que elles ne soient mouillées, excepté au 48 LE BON BERGER mois de May : car en May est bon que les oeilles ayent de la pluye par avant que elles soient tondues : pource que la laine en est plus nette et meilleure à tondre, et mieux vendable. Et aussi la pluye qui chiet sur la laine avant la ton- sure engendre aux oeilles le bon suin qui leur garde le corps, et leur est moult prouffitable pour lors. Mais autant que ladicte pluye vault et proufïite aux oeilles par avant la tonsure : de tant plus assez leur est-elle nuysant et dom- mageable après la tonsure et en toutes aultres saisons. En tous temps doit le berger conduire et raconduire son bestial et oeilles à leur aisément et prouffit, et les doit garder songneusement, choyer et défendre de toutes les choses qui leur pourroient porter dommage. Toutes ces reigles doit garder chascun berger, et aulcunes aultres qui sont bien ne'cessaires, con- venables à ceste doctrine, et lesquelles seront baillées cy ensuyvant en espécial. CHAPITRE V DE LA MANIÈRE DE COGNOISTRE LE TEMPS PAR LES OYSEAULX, ET DE SAVOIR DU BEAU TEMPS OU DE LA PLUYE ÉCEssAiREMENT appartient et convient que le berger ayt cognoissance du temps : et pour avoir de ce aulcuns enseignemens, il doit avoir considération à plusieurs choses. 30 LE BON BERGER Des Estourneaulx En temps d'hyver advient souvent que les estourneaulx se assemblent à grans tourbes et volent ensemble, et aulcunes fois se assient sur ung ourmel ou aultre grand arbre. Si doit le berger avoir re- gard comment les estourneaulx se par- tent de dessus l'ourmel : car quand ilz se partent tous ensemble à une volée, ce signifie grand froidure. Et se ilz partent par petites volées Tung après l'aultre, ce est signe de pluye. Du Héron Quand le héron se liève de sa pasture et il se escrie hault au lever, ce est signe de fort et dur temps. Se il vole contre le vent de bise, ce signifie grand froidure. Se il vole contre le vent d'aval que les bergers appellent plungel, ce signifie pluye. Se le héron à son retour de son vol se rassiet près du lieu dont il est party, ce est signifiance que le temps des- CHAPITRE V susdit est à advenir prochainement. Se il vole et se rassiet loing de là où il se leva, la mutation dudict temps sera dif- fe're'e et ne adviendra pas si tost. De VAronde Quand l'aronde vole bien hault et par loisir à longs traictz, ce signifie pluye. Et quand elle vole bas et hastivement près de terre, ce est signe foison de pluye. Et quand elle est en l'air, soy esbatant, querant les mouchettes, ce signifie beau temps. Du Huas Le huas, que l'on appelle escoufle, est ung oyseau qui a manière et coustume de siffler et crier en l'air, et ce peult estre pour deux causes. L'une est quand il a faim : et lors crie-il et siffle plus aigrement. L'autre cause est à quoy le berger doit avoir considération, qui fait au significat du temps. Car quand il crie plus bassement et molement, en disant : huy, huy, huy, il annonce la pluye. DZ LE BON BERGER De VEspec De l'oyseau que l'on nomme l'espec ou pvvart, peult-on faire semblable juge- ment, comme il est dict de l'escoufle ou huas : car il crie et hannist forment quand il doit plouvoir. De la Verdière Toutesfois que la verdière met à point ses plumes et les applanoye de son bec, ce est vray signe de pluye. Geste signi- fication est souvent esprouvée par les bergers qui ont regard audict oyseau. Et est appele'e verdière, pour la couleur de ses plumes, dont plusieurs sont de verte couleur. Du Butor Ung aultre oyseau y a que l'on nomme butor : aulcuns l'appellent bruitor. Il a long bec et agu, et habite es mares et té prez : sur les rivières, ainsi que fait le CHAPITRE V 53 héron, et ne chante fors que en temps d'esté, et est sa voix oye de bien loing. Quand il doit faire beau temps il chante haultement et donne si grand son et tel bondissement de sa voix, que, par nuyt, on le pourroit oyr de plus de demye lieue loing. Et quand il doit plouvoir, il chante plus bas et plus lentement et ne rentpas >i grand son. De la Pye La pye, que aulcuns nomment agache, est moult malicieuse, et en pronostica- tions est une droicte sebille ; mais chascun berger n'entend pas son langaige ; aulcu- nesfois par sa criée annonce-elle le beau temps et aulcunes fois la pluye. Et com- bien que elle soit assez tricheresse, tou- tesfois principallement quand elle brait et agache et crie souvent et continuelle- ment et se tient près des hayes ou buis- sons, en démenant sa noise, ce signifie qu'il y a loup, ou regnart, ou aulcune maie beste, assez près. D4 LE BON BERGER De la Corneille La corneille annonce souvent la pluyc par son cry, auquel cry le subtil berger doit avoir regard, car il se diffère en aulcunsmotz. Et aulcunesfois, au matin, quand il doit plouvoir, elle prononce une manière de cry et semble que elle die : glaras, glaras : et ce signifie pluye; mes- mement quand il est prononce' par la cor- neille bise que l'on nomme faissie; et vient tousjours contre l'hyver temps, quand les arondes se partent de ceste région. Et aussi s'en de'part et s'en va mucier et respondre, quand les arondes viennent, en la nouvelle saison, qui commence h l'entrée d'Avril. Ces oyseaulx et plusieurs aultres qui volent en l'air, savent du temps par la divine pourveance. Et aussi voit-on que les coulons s'en retournent moult roidement à leur coulombier. Et quand il viennent ainsi volant en grand haste, ce signifie tempeste ou grosse pluye advenir prochainement. Si doit le berger considérer diligemment les choses CHAPITRE V dessusdictes et assez d'aultres qu'il peult apprendre pour savoir de Testât du temps, pour le gouvernement de son be- stial. CHAPITRE VI DE COGNOISTRE LE TEMPS PAR LES BESTES NCORE pour cognoistre le temps avec ce que dict est des oyseaulx, convient-il que le berger sache de l'augur des bestes par cer- tains signes. Premièrement du mouton. Chascun CHAPITRE VI 5~ berger ou pastoureau gardant fouc d'oeilles, doit avoir ung mouton débo- naire et assoté, auquel il donne de son pain : lequel mouton, par mignotise et pour estre mieux cogneu entre les aul- tres, porte une sonnette ou petite clo- chette de laton à son col : pourquoy en Brie il est appelé le sonnaillier, et en aulcuns aultres pays est nommé clocle- man. Celuy mouton de sa nature co- gnoist partie de prenostique ou de augur du beau temps ou de la pluye : car, quand il doit faire beau temps, il se liève premier et vient premier à Thuys de l'estable pour yssir hors et aler en pas- turaige. Quand il doit plouvoir et faire laid temps, il se tient par derrière les aultres, et monstre, à sa contenance, qu'il n'ayt pas volunté d'yssir. Et, au soir, quand il vient en l'estable et il doit faire froidure, il hérice sa laine et se esqueult, tellement que on l'entend bien au son de la petite clochette. Aulcuns dient que quand le chat liève son visage et lesche ses piedzde sa langue, se il met son pied par dessus l'oreille, ce signifie pluye. 58 LE BON BERGER Mais de si orde beste ne doit-on pas parler en ceste partie, car par moult d'aultres peult-on avoir enseignement. Les chevaulx, les jumens, les asnes et asnesses qui portent le charbon, le fruict et aultres petites denrées aux pauvres gens, trepent et regibent quand les mou- ches ou les guêpes les poingnent et pi- quent, et ceulx qui les meinent souloient dire que ce sont signes de pluye et de mutation de temps. Par meilleures et plus subtilles raisons peult le berger cognoistre du temps, par ce que il convient que chascun jour, en temps convenable, il voyse sur les champs mener ses oeilles en pasture. Et quand Phebus qui, par sa clarté, enlumine tout le monde, se démonstre au matin es par- ties d'Orient, le berger le voit tournier et aler tout le jour par son sercle, en faisant son mouvement, en soy eslevant vers midy, que aulcuns appellent auster, et puis descendre petit h petit jusques en Occident. Et, en faisant tel chemin en nostre emyspère, est mené en moult CHAPITRE VI ?g noble et moult riche char, attelé de quatre grans et puissans destriers, de si très-grand valeur que nulz hommes mor- telz ne les pourroient extimer. L'ung de ces nobles chevaulx qui mainent le soleil est nommé Eoiis et vient devant droit à l'aube du jour, jusques environ heure de tierce. Et pource que ces beaulx che- vaulx se monstrent de plusieurs couleurs, le berger doit considérer que se Eoiis appert vermeil et ardant au matin, ce si- gnifie pluye et mutation de temps. Et quand il se monstre plus blanc, ce est signe de beau jour. Et les pèlerins qui cheminent en font feste, quand ilz le voient. Après, vient l'aultre cheval qui est nommé Ethous : lequel fait son ser- vice au soleil environ heure de midy. Et quand il se monstre de pale couleur, ce est bon signe de beau jour. Et, après midy, sort le tiers cheval attelé au noble char du soleil, lequel cheval est appelé Pyrous. Et, en son venir, voit-on flam- boyer et estinceller les gros yeulx re- luysans de celuy Pyrous : tellement que veue de créature humaine ne le pourroit 6o LE BON BERGER longuement regarder. Lors ne volent pas les chauves souris : car elles ne pourroient soustenir ne endurer si très-grand et noble lumière, qui si espant à l'advène- mentdes rais du soleil, qui ainsi suit son cours. Et quand ces deux chevaulx sont trop chaux et ardans : c'est-à-dire : EthoUs et Pyroûs, par leur puissance et chaleur, il attraient les vapeurs de la terre et de l'eaue et les font monter en l'air. Et se ces vapeurs ainsi eslevées ne sont dégastées par aulcunes fumées : elles se assemblent et tournent en nue'es qui se forment des parcelles d'icelles vapeurs. Lesquelles nue'es de leur nature tendent à descendre et retourner ou centre. Et aulcunesfois lesdictes nue'es sont muées en pluye, et aulcunesfois en vens, aul- cunesfois en neige, et aulcunesfois en grésil, selon la disposition des temps. Et ainsi peut voir le berger que par trop grand ferveur et chaleur des chevaulx dessusdictz, vient la mutation du temps. Or disons du quatriesme cheval que l'on appelle Phylogeûs : lequel fait son office en descendant ledict char du Soleil. CHAPITRE VI 6l Ccluy Phylogeus tent voluntiers vers les eaues, car il sort contre le vespre. A luy et à celuy du matin doit le berger pren- dre son augurement, cognoistre du temps. Et la raison est que quand le soleil au matin est vermeil ou trop ardant, ce si- gnifie pluye et lait temps. S'il est blanc, ce signifie beau temps, comme dict est. Au vespre, quand Phylogeus se va ab- bruver et mène le noble char du soleil en l'eaue, ou quand il est trop blanc ou pale au coucher et est environné de nuées noires ou perses, tout ce signifie pluye par nuyt ou au lendemain. Et lors ce Phylogeus en Occident est assez ver- meil et l'air purgié de nuées, ce signifie beau temps. Et le proverbe commun que l'on souloie dire vulgairement et est tel : Ronge vespre et blanc matin font esjouyr le pèlerin, se concorde assez à l'exemple que le berger doit prendre es chevaulx dessusdictz. Et ceste doctrine est plus brave et plus notable assez que celle des oyseaulx ne des bestes. Et se le berger cognoissoit les corps du ciel et la cause des influences des signes et des planètes, 02 LE BON BERGER ce luy seroit grand avantage pour avoir cognoissance de ces choses; car, par les corps du ciel est causée et faicte toute la mutation des temps qui est faicte es élé- mens. Si s'en taira Jehan de Brie : et toutesfois est-il si sage que pour certain il cognoist bien le four des estoilles. CHAPITRE VII DE - LA CONSIDÉRATION DES VENS ET -LES- QUELS SONT PROUFFITABLES ES vens doit savoir le berger pour deux causes. L'une est pour la cognoissance du temps dont dessus est parlé, pource que aulcuns vens sont plus enclins à la pluye que les aul- tres. L'aultre raison est pource que aul- 64 LE BON BERGER cuns vens sont nuysans et dommageables aux oeilles, et les aultres non. Les vens, selon les charnières et les quatre climas du monde, sont divisez en quatre parties : en Orient, en Occident, en Midy et en Septemtrion. Et pource que le soleil ne fait pas tousjours son Orient en ung mesme lieu, ne aussi ne fait-il son Occident. Car en temps équi- noctial : comme en Mars que le soleil est ou signe de mouton, et en Septembre que il est ou signe de la livre, que aul- cuns nomment balance, le Orient et l'Oc- cident du soleil sont directement oppo- sites en regard et à droicte ligne. Et lors pourroit-on faire les quatre parties égalles l'une à Taultre et justement proporcion- ne'es durant le temps de l'équinoce. Aultre fois, en temps d'esté, quand le so- leil est ou signe de l'éscrevice, il fait son Orient plus vers Septentrion. Et aussi fait-il son Occident et tournoyé et gire plus grand partie de nostre emyspère, et est lors appelé Orient solsticial. Aultre fois, en temps d'hyver, fait son Orient au signe de Capricorne, et se trait plus CHAPITRE MI 65 vers midy, et lors tourne moins : car il ne gire, ne va pas si hault, ne prent tant de la partie dudict emyspère ou semy- spère, et adonc est appelé Orient yver- nage. Le vent qui vient vers nous du droict Orient équinoctial, est appelé sub- solain : les Gréjois l'appellent Aphelotes. De rOrient solsticial yst ung vent que les Latins ne savent nommer. Les Gré- joys l'appellent Eurus. De l'Orient d'hy- ver yst un vent que les Latins appellent Viiltur. De devers l'Occident équinoctial yst ung vent nommé Favonius , que aultres appellent Zephirus. De l'Occi- dent solsticial vient ung vent qui est appelé Chorus. De l'Occident d'hyver yst un vent nommé Affriciis, qui en son temps est moult forsené et puissant, et les Gréjoys l'appellent Lybs. De devers l'aixeul de midy vient ung vent nommé Euronochtis. Après^ de la partie devers Midy, vient Euroauster. Et puis ung aultre qui a nom Aiister. Du costé de Septentrion vient Aquilo. que aulcuns appellent G^/^rne.-etde là vient Nothus. Et de là en tirant vers Orient solsticial, 66 LE BON BERGER vient Boreas, ung vent plein de froidure. Avec ces vens en y a aulcuns aultres nommez en la mapemonde. Aultrement , pour mieulx entendre , les peult diviser en quatre parties : et, en chascune partie, troys vens en équi- pollant les Oriens et les Occidens, tant de réquinoce, comme de esté, d'hyver, et des aultres saisons. Entre Orient et Midy naissent trois vens : Eurus, Sub- solanus . et Vulturus. Entre Midy et Occident, naissent trois aultres ; Eiiro- auster , Auster et Eiironochus. Entre Occident et Septentrion naissent trois aultres vens : Affricus , Favonius et Chorus. Entre Septentrion et Orient naissent trois aultres : Notus, Aquillo et Boreas. Les marinières et aulcuns aultres devers le coste' de Normandie, en nom- ment quatre vens principaulx : c'est assavoir : Nort, Ouest, Eth et Sut. Les bergers les appellent : vent d'amont, vent d'aval, vent de bise, vent de escorche vel, vent de France, vent de galerne, et ainsi qu'il leur plaist. Et pource que ques- tion de langaiges est réputée de petit pris I CHAPITRE VU et de petite valeur, et que, par incidens, on pourroit yssir hors de matière de la ber- gerie, on lerra chascun nommer les ungs par tel langaige qu'il vouldra. Et Jehan de Brie retournera à son droit et prin- cipal propos, et en procédant dira des proprie'tez d'aulcuns vens ce qui en afhert à ce présent traicté, et lesquelz ^ont prouffitables ou dommageables aux brebis. CHAPITRE VIII DE LA VIE DU BERGER ET DES CHOSES QUI LUI AFFIÈRENT ÏÏÊy^^^JUJ^ '^.^PI^^M ^S ^® &4^^pl ^^^^^^ ^^^^^ Ê^^^a < ceste partie commence le droit art et manière de garder les brebis. Et pour- ce que le berger est plus digne que les brebis, et on doit commencer au plus digne, selon raison, et le droit ordre de procéder, CHAPITRE Vin 69 dirons de l'estat du berger et de ses choses. Le berger doit estre de bonnes meurs et doit eschever la taverne et le bordeau, et tous lieux déshonnestes, et doit aussi eschever tous jeux, excepté le jeu des merelles et du baston, et ne doit point jouer aux dez : mais doit mener son jeu des merelles à traire subtilement contre son compaignon. Item, le berger doit estre de bonne vie, sobre, chaste et débonnaire, tout aussi comme Sainct Paul escrit à Tite en ses épistres. Et doit estre loyal et diligent sur la cure des oeilles et brebis à luy commises, affin qu'il en puist faire bonne garde et prouf- fitable. Le berger doit avoir chausses de blan- chet gros , ou de camelin, et soulliers bobelinez et taconnez de fort cuyr et, en yver temps, par dessus ses chausses, doit avoir vuagues de cuyr des buhos d'ung vieulx houseaulx pour la pluye. Il doit estre garny de tacons et de semeles de fort cuyr, bien pourpointez de gros fil de chanvre bien cyré de cire LE BON BERGER blanche, poix rasine, et de suif, pour plus durer. Et doit savoir asseoir ses tacons ou semeles en ses bobelins par dessoubz le buisson, quant besoing en est. La che- mise et les brayes du berger doivent estre de grosse toille et forte, que Ton appelle canevas. Et la brayette doit estre de fil tissu de deux dois de large à deux bou- cles rondes de fer. La façon de la che- mise doit estre fendue par devant à deux poinctes, et les deux pans de devant doivent estre amples et longs en la manière d'ung pennoncel agu, affin qu'il y puist mettre et enveloper son argent et nouer le pan au droit neu. Et sur la chemise doit avoir ung coteron de blan- chet ou de gris camelin sans manches : lequel coteron doit estre double par devant depuis les espaulles jusques à la ceinture, pour garder sa fourcelle et son estomach des vens et tempestes, et pour champaier plus seurement après ses bre- bis, car elles sont de telle nature, que voluntiers vont contre vent. Et pour ce doit estre ledit coteron double par devant. Et sur le coteron doit avoir une I CHAPITRE Vril cote de blanchet ou de camelin gris à deux poinctes, l'une par devant, Taultre par derrière et à manches, et si large et ample qu'il y puist entrer aysément sans boutons : car il ne lui affiert pas à avoir boutonneures lâches ou aultres empeschemens qui le puissent nuyre au vestir : mais y doit entrer de plain comme en ung sac, ou en la tunique Aaron. Et par dessus la cote doit avoir ung surplis de fort treslis à manches à quatre noyaux ou boutons, de la façon mesme de la coste. Ce surplis garde le berger de la pluye, et aulcunesfois convient-il que il le despouille pour enveloper l'aigneau, quand il est faonné aux champs. Par dessus son surplis doit avoir une grosse ceinture de corde menue et forte, faicte par manière de tresce en trois cordons à une boulle de fer ronde. Et à celle ceinture doit pendre et avoir plusieurs choses. . Premièrement, et pour honneur, y doit prendre la boiste à Tongnement en ung estuy de cuyr. Et est bien à noter que le bon berger ne doit non plus estre LE BON BERGER trouvé sans la boiste à l'ongnement. que le notaire doit estre sans escriptoire : car ce est le plus notable et ne'cessaire de ses instrumens et oultilz. Avec ce doit-il avoir ung canivet ou coutel agu, pour picoter et ester la rongne des bre- bis , affin que l'ongnement y puisse mieulx entrer et que la brebis soit plus tost guarie. Aussi convient-il que il porte ung cyseaux pour couper et aonnier la laine de la brçbis par dessus la rongne. Le berger doit porter alesne à coudre soulliers, bobelins, semelles et tacons : laquelle alesne doit estre en ung instru- ment de fust pour bouter le fer de l'alesne jusques au meilleu du manche, et par dessoubz le doit attacher d'ung noyau ou d'ung anneau de cuyr pour mieulx fermer. Item, à celle ceinture doit porter un aguillier à mettre ses aguilles quarrées et rondes. Lequel aguillier est de l'oz de la cuysse d'une oue, menu et longuet, ou de l'oz d'ung pied d'aignelet, et estre mis et attaché avecques le pen- dant de Talesne. Encore doit le berger avoir boisset ou coutel à forte alemele à CHAPITRE VIII 7:) trencher son pain, à manche de deux pièces plates de tylleul ou d'aultre tendre bois, et le manche doit estre lyé tout au long d'une menue cordelete de fil bien curée, pour le mieulx tenir et pour estre plus fort. Et la gaine du coutel doit estre d'une vieille savate de l'empigne d'ung souUier vieulx, de vache, bien couseue et faicte par le berger à la mesure ou quan- tité dudit coutel. Celle gayne doit estre pendue à la ceinture d'une cordelle de gros fil de chanvre ou d'une vieille lanière renouée. Après doit pendre à la ceinture ung guyteau ou fourreau, de vieulx cuyr mesgissié ou du cuyr de la peau d'une anguille, pour mettre les flaiaux du ber- ger, lequel fourreau doit estre de la quantité des flaiaux. Et, par dessus toutes ces choses devant dictes, le berger doit porter et ceindre sa panetière pour mettre le pain pour luy et son chien. La pane- tière doit estre de cordelle trelliée et nouée au droit neu, en manière de la harace au potier de terre. Et celle pane- tière doit estre attachée au senestre costé LE BON BERGER du berger, car il ne doit point empescher son dextre costé, affin que plus preste- ment il puisse tondre, recoper, oindre, seigner ou besongner sur les brebis, se mestier est. A la panetière doit estre attachée une cordelle de une toyse et demye de long, que l'on appelle la laisse du chien, et doit estre redoublée jusques au point de la panetière, et au meilleu doit avoir un cuyret avec un petit bignet de bois pour attacher le chien et pour le destacher et envoyer tost et délivre- ment contre les loups ou aultres maies bestes qui vouldroient meffaire aux brebis. Le chien du berger doit estre ung grand mastin fort et quarré, à grosse teste, et doit avoir entour du col ung collier armé de crampons de fer aguz, ou de clous longs et aguz, boutez parmy le fort collier de cuyr à plates testes, et aulcuns en y a qui ont colliers de pla- taines de fer ferma ns à charniers pour résister aux loups sur les champs, ou aux larrons, se aulcuns en venoient par nuict aux herbergeries, là où les brebis CHAPITRE Vin -D sont emparchées. Et aussi, pour l'armeure du collier, le mastin est plus hardy et plus animé , et ne seroit pas si tost estrangle' des loups, car il en a plus grand defFense contre eulx. Ce mastin suyt le berger et luy tient bonne compaignie quant il menge son pain, quoy qu'il soit de la deffense : car tel est amy à la des- pense qui ne l'est pas à la defFense. Quand le berger a un bon mastin loyal et hardy, il est très-prouffitable à la garde des brebis. Le berger est aussi noblement paré de sa houlette selon son estât de berger, comme seroit ung évesque ou ung abbé de sa croce, ou comme ung bon homme d'armes est bien acésiné et asseuré quand il a ung bon glaive pour la guerre. Com- bien que l'on ne doit pas faire compa- raison de telles choses : car elles ne sont pas pareilles de trop loing. Et jaçoit que la croce du prélat soit de plus grant dignité et de plus grant honneur que le glaive, ne que la houlette, et que il ayt différence, considérées les choses à con- sidérer selon Testât des personnes : 76 LE BON BERGER néantmoins il y a bonne et ydoine con- vénience, car, selon Dieu, qui est le plus grant, il se doit humilier et soy faire comme le plus petit quant est à humi- lité, et selon la doctrine de l'Évangile, non pas par tout. Et ces troys choses, la croce, le glaive et la houlette représen- tent troys estatz en ce monde. La croce est tenue de nous enseigner et corriger espirituellement sans lance et sans espée, et de prier et supplier hum- blement à Dieu pour nous, c'est-à-dire pour le glaive et pour la houlette. Le glaive doit défendre, par sa puis- sance temporelle et corporelle, la croce et la houlette, de tous les adversaires qui contre raison les vouldroient inquiéter et molester indeuement. La houlette, qui en ceste partie peult et doit estre comparée à la bêche dont l'en fent et laboure la terre, doit curer au prouffit de la croce et du glaive, à ce qu'il leur puist livrer et administrer ali- mens et nourriture, du prouffit de son labeur et de sa garde. Ainsi peult apparoir qu'il y a convé- CHAPITRE VIII 77 nience et qu'ils conviennent l'ung avec l'autre, pour soustenir le bien publique chascun en son degré. Pour ce est la houlette convenable au berger, aussi comme la croce au prélat, et le glaive ou i'espée à l'homme d'armes, c'est-à-dire à la seigneurie temporelle qui est en puis- sance de espée. Et se les troys veullent faire chascun son devoir, tout est bon et en tous estatz : car, aux champs, à la ville, au moustier, se entreaydent de leur me- stier. La houlette est ferrée d'ung long fer concave en aguisant, et la bouterole où l'en met et fiche le manche long et ront, doit estre bien clère et burnie de terre légière : ou elle est souvent bou- tée pour chastier les brebis et ai- gneaux. La hante de la houlette doit estre de nefflier, ou d'aultre bois dur et ferme. Au premier bout de la hante ou baston doit estre le fer dessusdict concave et un peu courbe pour coperet houler la terre légère sur les brebis : car de houler est-elle dicte houlette, A Tau- yS LE BON BERGER tre bout de dessoubz doit estre ung cro- chet de fust, de la nature et essence du bois du manche mesmes, qui tel lepeult trouver, et si non, si soit faict le crochet par adicion d'ung trou ou d'une che- ville de estrange bois. Par ce crochet du bout de la houlette sont prises, tenues et acrochées les brebis et les aigneaux, pour visiter s'il y a rongne pour oing- dre, pour seigner et mettre à obéissance, et pour y pourveoir de remède. Avec la houlette convient-il que le bergier ait baston et que il ait corgées de trois lanières de cuyr ou de trois cor- deles menues, pour corriger et chastier les brebis en temps deu : car 'grans biens et grans proffitz viennent de la bonne correction. Il affiert au bergier que il soit affublé d'ung grant chappeau de feutre rond et bien large. Et par devant, sur le chef, doit estre redoublé de plaine paume ou plus. Le redoublement est nécessaire pour deux choses. L'une pour défendre le berger de la pluye et mal temps, quand il va contre vent après ses bre- CHAPITRE VIII 79 bis. L'aultre pour le proffit de son maître de qui sont les bestes. Car toutes- fois qu'il convient que le berger fasse oincture sur ses brebis, quant aulcunes en y a de rongneuses aux champs, et il faict tonsure de ses cyseaux pour descou- vrir la laine, pour attaindre la rongne, il met les recoupes de la laine et les tonsures au ploy et redouble de son chappeau, et les doit porter et rendre h son maître à l'hostel : car il est tenu de faire et garder le proffit de son maistre, en faisant son office de bergier. D'aultre part, ledict chappeau est moult proffi- table et ydoine au berger, tant pour obvier à la pluye, vens et tempestes des temps, comme pour la garde de son chef. Et est droit estât de pasteur, de porter grant chappeau et rond. Mais il y a différence entre les chap- peaux des prélatz et les chappeaux des bergers. En ce que les chappeaux des prélatz sont de plus chère chose que n'est le feutre, et, aussi, ne sont-ilz point reploiez ne redoublez par devant. Et peult estre que ce est pource que ilz 80 LE BON BERGER ne veullent pas reporter aulcun prouffit à leur maistre qui les a commis au gou- vernement où ilz sont : car les prélatz tondent et prennent voluntiers et re- tiennent tout le prouffit pour eulx- mesmes, comme l'on dit. En yver temps, affiert au berger, que il ayt moufles pour garder ses mains de la froidure. Lesquelles moufles il ne doit pas acheter, mais les doit faire de sa science ou à l'aiguille en lasqhant de fil de laine filé de main de bergerette, ainsi comme l'on faict les aumuces, ou il les doit faire de plusieurs pièces de draps et de plusieurs couleurs que le berger quiert à son avantage. Et quant elles sont eschequetées, elles en sont assez plus jolies. Et quant il ne faict pas trop froit, ou quand il convient que le berger face besongne de ses mains, il doit pendre ses moufles à une billette à sa ceinture dessus devisée. Des instrumens doit avoir le berger, avec ses flaiaux, pour soy esbatre en mélodie. C'est assavoir, fretel, estyve, CHAPITRE VIII 8l douçaine, musette d'Alemaigne, ou autre musette que l'en nomme che- vrette, chascun selon son engin et subti- lité. Et puis que le berger est ainsi armé de toutes les pièces dessusdictes, afférans à son mestier, il peult cham- payer seurement, la houlette en la main, en gardant ses brebis. CHAPITRE IX DE LA GARDE DES MOUTONS POUR TOUTES LES SAISONS DE l'an ! ET PREMIER, DU MOYS DE JANVIER R dirons proprement de la garde des brebis et par ordre en chascune saison, en com- mençant au moys de Jan- J vier, pource que Janvier est le premier moys et Fentrée de l'an, selon le kalendier. I CHAPITRE IX ?S^ Du moys de Janvier sont les brebis portières moult griefves et pesantes des aigneaux et faons qui sont en leurs ven- tres. Et aulcunes aignelent et faonnent oudict moys, quand elles ont esté luites et saillies en Aoust : car, aussi comme des fruictz, les unes sont plus hastives que les aultres. Et encontre ce, la pourveance divine y a mis bon et convenable remède : car, audit moys, les loups suyvent les lou- ves et vont après elles pour faire leur cohit, et, par ce, se oublient en ce moys, et ainsi ne font point de dommage aux brebis. Car se ne fust l'empeschement qu'ilz ont lors de poursuir leur chaleur et de continuer avec les louves, ils effon- dreroient les ventres des brebis pour avoir les aigneaux. Mais Dieu ne le veult pas, qui ainsi y a pourveu par sa grâce. Au moys de Janvier se doit le berger lever moult matin et, si tost qu'il voit le jour, se doit desjeuner et menger du pain et du potage qui est demouré et gardé du soir du jour de devant. Et bien 84 LE BON BERGER matin, doit mener les bestes aux champs se il n'y a empeschement de pluye ou de blanche gelée. Dudit moys de Janvier, les brebis por- tières qui ont esté saillies du Septem- bre précédent, approchent le temps de faonner sur le Febvrier. Et pour ce, doit-on eschever de les mener aux champs, à la blanche gelée, pour le péril et inconvénient qui en ensuit. Pource que la blanche gelée faict mourir les aigneaux es ventres des mères, et faict les brebis abortir, et les petitz aigneletz ainsi mors sont nommez avortons. Et se le berger est jeune et ne soit pas encore instruict suffisamment en ceste science, il se doit adviser que il face à l'exemple et à la semblance des aultres bergers de la ville où il de- meure, ou des aultres villes voysines, avec lesquelz il doit converser et de eulx apprendre l'art et usage, car en apprenant devient-on maistre. CHAPITRE X DU MOYS DE FEBVRIER ^^S ^^^^^^>H^ ^^s ^^^^^^3 ^^Ê ^^^^^&i ^S ^^^^Ê u moys de Febvrier doit le berger lever bien matin devant le jour, pour affou- rager ses bestes portières de feurre de bled pour les ré- conforter. Et pource que en Febvrier faict communément noire gelée, le pa- steur doit mettre ses bestes aux champs 86 LE BON BERGER bien matin. Car la noire gelée essuyé l'herbe, et adoncques les bestes paissent voluntiers, et l'herbe ainsi essuée leur est moult proffitable : et s'il advenoit que par jour survinst rousée, ou pluye, ou dégel, dont les herbes fussent mouil- lées, le berger doit donner à ses brebis, au soir, du fourrage de favatz de fèves et non pas de celuy de pois : car le four- rage de fèves est sec, et celuy des pois est moiste. Audict moys de Febvrier, le berger ne doit point porter de houlette, car il n'en est besoing, pource que les brebis portières sont griefves et prestes à faon- ner. Si ne doit pas jetter terre sur les brebis ne les batre de corgées, qu'il ne les froisse ou blesse, et de son povoir doit garder qu'il ne nuyse aux bestes ne aux faons. En lieu de houlette doit avoir et porter ung crochet de couldre, pour prendre ses bestes par le pied, s'il en y a aulcunes qu'il vueille oingdre ou luy faire quelque chose nécessaire au me- stier. Et, pour chasser ses brebis, doit porter une vergette «de saulx déliée, à i CHAPITRE X ^7 troys cyons, dont il les fiert, en lieu de corgées, pour moins blecer les brebis. Audict moys le berger ne se doit point seoir, ne point esloigner de ses bestes, mais doit estre curieux de ses bestes et avoir l'œil sur elles moult en- tentivement : affin que se aulcune faon- noit, ou aigneloit aux champs, qu'il y puist secourir et ayder incontinent, comme il affiert. Car, par la coulpe et de'fault des mauvais et nices bergers, plusieurs aigneletz faonnez aux champs ont esté mengez des corbeaux, des huas, et des corneilles, ou dommage du mais- tre. Au soir, quant le berger revient du pasturage, il doit ramener ses bestes le petit pas, tout doulcement, sans travail- ler, et les doit establer spacieusement : car, audict mois de Febvrier, est moult proffitable chose quant celuy bestial est au large. Et quand le berger veult aller coucher, il doit visiter ses brebis, et les faire lever : car le trop gésir en ce temps leur pourroit nuyre pour les faons qui sont en leurs ventres. Et doit estre si très-curieux que il ne doit dormir seu- ©8 LE BON BERGER rement, se il ne sent son fouc en bon estât et convenable. Et en ce temps doit laisser les huis et fenestres des esiables ouvertes, quand le vent de bise vente, pour y recevoir ledict vent de bise : car il vault et proffite aux brebis en ce temps. Et se autres vens ventoient, le berger doit estouper les fenestres et clore les huys des bergeries : pourcc que lors nul aultre vent ny proffite que celuy de bise. Si tost comme la brebis aignèle ou faonne, le berger doit estre tout prest pour pre'senter i'aigneau devant sa mère, affin que par elle soit nettoyé et conréé, selon l'introduction de nature. Et quant I'aigneau est nettoyé, on doit prendre la brebis et la coucher sur le dextre costé emprès I'aigneau, si que il puist prendre le pis qui est la mamelle de sa mère et succer du laict pour sa nourriture. Et lors le berger doit plu- mer et oster de la laine du pis de la mère au lez par devers le ventre. Et ne doit pas plumer par derrière, pour ce que la gelée et la froidure dudict moys CHAPITRE X 89 de Febvrier feroit grant mal à la brebis. Et, avec ce, le berger doit prendre le pis de la brebis et espraindre par ses doigs deux ou trois goûtes du premier laict de chascune broce de la mamelle, et laisser couler sur terre, ainçois que l'aignelet en gouste. Car ces premières goûtes de laict sont nomme'es bet et ne sont pas saines. Car si l'aignelet le gou- stoit, il pourroit encourir une maladie que l'en appelle l'affilée, de laquelle les aigneaux meurent et périssent souventes- fois. Et de celle maladie et d'aultres sera dict es chapitres des maladies et des cures et remèdes. Et pendant ce que on veult guarir l'aignel du mal de l'affilée, l'en ne doit pas tirer ne traire le laict du pis à la mère de l'aigneau, mais s'en doit garder par deux jours du moins, affin que le laict de la brebis décroisse. Car, par la grand habondance du laict en la nouvelleté, après ce que la brebis a faonné, vient le bet en la mamelle de la beste, lequel bet est de grosse nature et de grosses humeurs : et pour ce, est périlleux à l'aignelet et à sa nourriture. go LE BON BERGER Et quand le laict de la brebis est ainsi purgé par deux jours et est plus valable, l'en doit prendre l'aignelet et remettre à sa propre mère. Et lors doit-il dcmourer et gésir avec la mère par quinze jours et quinze nuictz continuellement et non plus, sans oster ne séparer d'avec la mère. Et est a noter que, se l'aigneau demou- roit avec sa mère plus de quinze jours sans Poster, et il mouroit en celle demeure : ce seroit la coulpe dudict ber- ger, et seroit tenu au rendre et restituer à son maistre. Car chascun berger doit savoir que la longue demeure de plus de quinze jours avec la mère souloie en- gendrer communément aux aigneaux une maladie que l'on appelle le pousset : dont les aigneaux meurent souvent. Et n'y a que peu ou néant de remède contre celle maladie du pousset. Et, pour y obvier, le berger doit oster les aigneaux d'avec les mères quant ilz y ont esté par quinze jours, comme dict est, et les doit establer et mettre en ung toict ou estable tout par eulx. Et chas- cun matin les doit laisser alaicter leurs CHAPITRE X qi mères, ainçoys qu'ilz voisent aux champs. Et quand les brebis reviennent des champs au soir, le berger les doit laisser reposer, ainçois qu'il leur baille leurs aigneaux pour alaicter. Pource que, quant les brebis sont travaillées, leur laict est chault et bâtant : et n'est pas bien attrempé pour les aigneaux. Car aucunesfois, pour alaicter les mères las- sées, vient aux aigneaux une maladie que l'en appelle le bouchet, de laquelle yceulx aigneaux meurent souvent. Et après que les aigneaux sont séparez et ostez d'avec leurs mères, quant ilz y ont esté la première quinzaine, et qu'ilz sont mis et establez tout par eulx : en aultre quinzaine ensuyvant, ilz ne doivent menger aultre chose que du laict de leurs mères seulement. Et, ainsi que dict est, doivent estre gouvernez et gardez par ung moys entier, sans ce que il mengent que pur laict. Du surplus de la garde et de nourriture des aigneaux sera dict es moys ensuyvantz. CHAPITRE XI nu M O Y s DE MARS u mois de Mars, le berger doit avoir grand conside'- ration, aviser en quelz pa- stis il maine ses brebis. Pource que lors la terre jette ses vapeurs, et les grosses herbes commencent à croistre et yssir de terre, mesmement une maie herbe que l'on CHAPITRE XI 9:. nomme bouveraude : et est de maulvaise digestion, et moult nuysant aux brebis, ou guoitron de leur gorge : car, si tost comme les brebis ont goûté de la bou- veraude, il convient que le berger soit tout prest pour les ayder et secourir, et incontinent leur fault du sel en la bouche, pour donner occasion de boire, pour digérer et avaler l'amertume de la bouveraude. Le bon pasteur se doit garder souve- rainement de conduire ses bestes en pa- sture, audict moys de Mars, en lieux marescageux, bas et moistes. Car lors naist et croist es palus une herbe très- périlleuse, à une petite fueillette ronde et bien verte, que l'on appelle dauve, laquelle les brebis convoitent moult à menger, mais elle leur est trop nuysant et dommageuse : car, si tost que les bre- bis en ont gousté et l'ont avalé en leurs entrailles, la dauve est de telle nature, qu'elle demeure et se adhert au foye de la brebis ou aultre oeille. Et celle maie herbe ne remonte plus, ne revient à runge à la gorge de la beste, comme font 94 LE BON BERGER aultres herbes. Mais, de celle dauve par sa corruption sur le foye sont engendrez une manière de vers qui par pourriture ont vie et mengent et corrompent tout le foye de la beste : dont elle est mise à mort par l'infection de ladicte maie herbe nommée dauve. Et après ce que la brebis l'a reçeu et mengé, on s'en peult appercevoir à ce que elle boit plus souvent et plus habondamment que quand elle est saine. Et se peult celle maladie des dauves tapir et latiter es brebis ung an ou plus : mais, en la fin, convient-il que elles en meurent. Car la dauve destruict le foye, et le foye est ung des trois membres principaulx où la vie gist, après le cueur et le cerveau : et par ce, la brebis endauvée ne peult vivre. Si doit bien doncques le berger eschever que il ne conduise ses brebis près des lieux et marescages, esquelz croist et règne ladicte dauve, par tout le temps d'esté'. Et quant au gouvernement et garde des aigniaulx audit mois de Mars : quand les aigniaulx ont ung mois passe', qu'ilz CHAPITRE XI f)D commencent à croistre, et leurs mem- bres se forment, le berger leur doit don- ner du fourrage pour leur nourriture : c'est assavoir du foing et de l'avaine : et aulcunes fois de la vesche déliée : non pas de la plus grosse, et ung pou après, de l'aultre. Et doit-on bien adviser que on ne leur donne trop de vesche : car elle est trop forte. Et au commencement, leur doit-on donner de l'avaine, meslée avecques bran que aulcuns nomment gruis ou tierceul. Et doit le berger eschever que il ne donne aux aigniaulx trop à boire en leur estable : car planté boire leur nuyroit. Et qui leur veult donner à boire, pour en avoir esbatement, mette de l'eaue clère en ung bacin ou chaul- deron, ou aultre beau vaisseau bien cler et bien escuré : car les aigniaulx se mirent voluntiers au vaisseau cler, et y prennent grand plaisance. En tous ces points doit le berger estre curieux. Et quant à la garde et gouvernement des aigniaulx et antenois, doit garder bien et diligemment la doctrine dessus- dicte : espécialement que bouveraude ne g6 LE BON BERGER dauves ne leur puissent nuyre. Et, en oultre, audict mois de Mars, le berger doit eschever curieusement que ses aigniaulx il ne mette soubz la répercus- sion du soleil : car, en ce mois de Mars, le soleil est au signe du mouton, qui est fort et vertueux. Et lors le soleil, par sa grand vertu, pénètre et perse de ses rais jusques au cerveau des aigniaulx et leur engendre une merveilleuse maladie que l'on appelle avertin : qui les fait tour- noier, dont ilz sont tous escervelez, et en affolent et meurent par maintes fois. Item, audict mois de Mars, le berger ne doit donner à boire à ses brebis ou aigniaulx, se ce n'est en cas de grand nécessité : comme contre l'herbe bouve- raude, ou pour trop grand chaleur de soleil, et, se besoing en est, leur doit faire boire eaue courant, s'il estoit en lieu où il en peust recouvrer. La cause pourquoy on doit faire abstenir les bre- bis de boire, au moys de Mars, est pour- ce que lors les eaues ne sont pas bien saines, pour les mutations de l'air et du temps : qui est tourné en ver que l'on CHAPITRE XI 97 dit printemps, et pour ce que la terre est lors eslargie et poureuse et jecte lors ses vapeurs et superfluitez : comme dict est. Et par ce, en celuy mois, le boire n'est pas prouffitable au bestial : mais est bon de mener en pasture par les gaschières aux herbes tendres et nouvelles, pour séder et appaiser leur soif, et pour obvier aux bruvages des flotz, des mares et des eaues, qui lors sont plus pe'rilleuses qu'en aultres saisons. CHAPITRE XII DU MOYS D AVRIL =jl u moys d'Avril, le berger se doit lever fort matin pour visiter ses brebis, et pour ouvrir les huys et fenestres des estables pour leur don- ner l'air du matin. Car il leur fait grand bien. Et doit le berger voir aux champs, pour savoir de la qualité du temps. Et CHAPITRE XII 00 se il fait bon pasturer, ildoit incontinent mettre hors ses brebis et les mener champaier. Et qui fréquente les champs, il doit bien adviser selon les vens et les nuées : car il y a aulcuns vens, lesquelz chassent les nuées et les bruynes devant la face du soleil : parquoy Tair devient pur et serain et fait beau temps. Et aul- cuns autres acueuvrent l'air de nuées et amainent la pluye, et mesmement ung des vens que l'on appelle plongel^ qui vient de devers Occident : car il fait le temps pluyieux, de son soufflement. Si voit-on tout communément que, audict moys d'April, souloie venter et souffler ung vent que l'on nomme galerne, qui vient de devers Septentrion, entre Occi- dent et Bise, plus souvent que nul des aultres, lequel vent de galerne les ber- gers le mauldissent , et le pays dont il vient. Le berger, par généralle doctrine, doit avoir considération aux temps et aux vents, tant au moys d'Avril comme es aultres moys de l'an. Et doit eschever le berger, que il ne maine ne conduise ses brebis en pasture contre le vent de LE BON BERGER solerre que aulcuns appellent Nort : qui vient de devers Midy : lequel est nuysant et dommageable aux brebis : car il les fait enfler de son esperit et de son soufflement. Si le doit le berger eschever en tant que il peult : car il advient souvent que, quand les bestes en sont enflées, il y convient mettre remède par seignée ou aultrement. Comme cy après en sera dit plus à plein des cures et des seignées. CHAPITRE XIII DU MOYS DE MAY u mois de May, est le temps doulx et serain, et ne fait pas encore trop chault : et est tout flory sur terre : car elle a lors vestu sa belle robbe qui est aorne'e de plusieurs belles florettes de diverses couleurs es bois et es prez : et sont lors les pasturages tous LE BON BERGER pleins de belles herbes et tendres. Au mois de May, a-l'on coustume de tondre la laine des moutons, des brebis por- tières, des antenoises, et des aigniaulx : car lors est la laine meure. Et aussi plus convenable et trop plus prouffitable chose est de dépouiller lors et tondre les brebis, que en nul aultre temps : tant pour la chaleur attrempée du temps, comme pour l'aisement de la pasture. De la manière de tondre les bestes dessusdictes, et comment on les doit prendre souef : et lyer les pieds d'une lanière ou d'une cordelle de laine molle, pour moins blecer : et du surplus de faire la tonsure, que l'on doit faire le plus prouffitablement que l'on peult, ne sera peu ou ne'ant parle' en cest traicté : pource que la tonsure n'est pas de la propre essence du droit art du mestier de la bergerie. Car, combien que ce soit des dépendances, toutesfois les bergers n'ont pas coustume de tondre leurs brebis. Et pour ce, s'en passe ledict Jehan de Brie. Au dit mois de May, doit le berger mener ses bestes lart aux champs : et CHAPITRE XIII I03 aussi doit-il revenir tost à l'ostel. Tart, pource que les rose'es de May nuysent au bestial à laine ; car avec la rosée se mesle aulcunes fois brouillas ou miellaz, qui moult empirent les herbes et les fueilles. Et sur les fueilles des ronses, le peult-on cognoistre et appercevoir plus tost que ailleurs. Et les brebis de leur nature mengent voluntiers les fueilles des ronses, quand elles y peuvent advenir. Et aulcunes fois, pour celle convoitise, y laissent de leur laine, et de leur des- pouille, en allant trop près des ronses poignans. Cestuy meffait doit-on par- donner aux brebis, par l'exemple des hommes : conside're' que les hommes sont discretz et raisonnables, laissant bien leurs despouilles en la taverne, ou en aultres lieux, pour leur foie volunté accomplir, ce n'est pas grand merveille des brebis, qui sont brutes et non raison- nables, se elles perdent de leur laine pour accomplir leur désir et leur appétit : et, pour y obvier, doit aler le berger tart, que les rousées ne nuysent aux bestes à laine : et d aultre part, le tost repérer 104 ^^ ^OX BERGER leur est bon : pour eschever la force de l'ardeur du soleil, quand il est en sa fer- veur et chaleur vers heure de midy. Et audit mois de May le berger doit clorre et fermer les huys et fenestres de ses estables, par jour : et, par nuyt, les doit laisser ouvertes pour recevoir l'air de la nuit : et, le temps serain es estables, pour le bien, attrempance, et aisément des brebis. Et ne doit-on point nettoyer les estables pour les causes et raisons dessus- dictes. Encore doit-on bien noter que qui veult faire tondre les jeunes aigniaulx de la première tonsure, on ne les doit point laver, posé qu'ils fussent crotez : car qui les laveroit pour nettoyer leur laine, quand on les vouldroit laver, il feroit son grand dommaige : et est bien esprouve', pource que, quand on les lave et nettoyé en l'eaue, ilz s'esbahissent et tressaillent, et aulcunes fois l'eau leur entre es oreilles et en deviennent lours et estahieux, tellement qu'il en sont tous affolez. Et ont les veues torves, et ne sont pas proffitables à garder. Et pour ce, est-il bon et expédient de tondre les I CHAPITRE XIII lOD aigniaulx sans laver. Des moutons et des brebis n'est-il pas à faire pareillement : car on ne les doit pas tondre sans laver. Quant les aigniaulx sont tondus et despouillez de leur première toison, le berger doit estre curieux de mener son troupeau d'aigniaulx, incontinent après leur tonsure, parmi ung chemin sec et pouldreux, affin que la pouldre que ilz esmouvent de leurs piedz se prengne sur eulx, et qu'il en soyent empouldrez, par deux jours ou trois. Et la raison est pource que la pouldre leur fait cotelle sur leur chair et les garantist et defFent de rongne ou de clavel, qui est une moult maulvaise maladie et nuysant aux brebis et aigniaulx, comme cy après sera dit. Et s'il avenoit que, sans moyen, après la tonsure, fist temps pluvyeux; parquoy les aigniaulx ne peussent eulx empouldrer ou chemin, pour Tempes- chement de la pluye, comme il eschet aulcunes fois, lors doit- on tenir lesditz aigniaulx es estables : mais le berger contre l'empeschement y doit pourveoir, et doit prendre de la cendre, et aultre I06 LE BON BERGER pouidre sachée bien déliéement. Et icelle pouidre doit jecter sur ses aigniaulx, pour les empouidrer et pour iceulx gar- der et garantir, comme dit est : car celle pouidre leur fait une manière de cotelle sur leur petite laine, laquelle leur est moult prouffitable, et les defïent et garde de rongne et de clavel, et si les garan- tist de la pluye. Et n'est pas doubte que à mesure que la laine leur croist et re- vient, elle déboute celle pouidre et em- porte avec soy amont, et la chair des aigniaulx demeure nette et pure soubz la laine, et en la fin se purge la laine par son suyn, et chasse la pouidre hors. Ainsi les aigniaulx demeurent sains et netz, moyennant ladicte pouidre. Pareil- lement est la pouidre convenable, né- cessaire et prouffitable, aux moutons, - aux brebis et aux bestes antenoises. Et les doit-on semblablement empouidrer, après leur tonsure incontinent, et sans moyen, pour icelle garantir et deffendre des maladies dessusdictes, et pour gar- der la chair soubz la laine. \p c^ CHAPITRE XIV DU MOYS DE JUING ^1 u mois de Juing, doit le ber- ger aviser curieusement en quelles parties il maine ses brebis en pasture, pour- ce que, en ce mois de Juing, croist une herbe aux champs que Ton appelle poucel. Cette herbe est de deux manières. L'une a la fueille crête- I08 LE BON BERGER lée et la tige verte, et est bonne. L'aultre a la fueille ronde et la tige vermeille et pelue, et est si maulvaise, que quand la brebis en menge, elle pert son runge et devient malade. En ce mois de Juing, se doit le ber- ger lever, au point du jour, pour faire traire le lait de ses bestes, et puis les doit mener aux champs bien matin, car lors y fait-il bon. Et, au retourner des champs, les doit garder de trop grand chaleur : car la chaleur du soleil nuyst à la chair d'icelle brebis, pour la pau- vreté de leur laine. Et la chaleur des bestes peult le berger assez appercevoir à son mouton sonnailler. Car, combien que par raison il soit le plus gras, dont il n'est pas sitôt féru ne surpris du soleil : toutesfois le sonnailler se arreste tout coy, quant il a grand chauld, et trippe des pieds et remue sa queue, et ce sont les signes de la chaleur, et aussi est-il environné des mouches, quand il est arresté. Si y doit pourveoir le berger et faire umbrager ses bestes, et mener paisiblement es estables. Et n'est force CHAPITRE XI^• rOg que les brebis menge beaucoup, au mois de Juing : car la gresse de ce mois ne leur est prouffitable. En ce mois doit le berger mener ses bestes hors des friches et des chemins herbeux, et les doit tenir es gaschières et es haultz lieux en planté de chardons : car la pasture des chardons leur est bonne. Et quand elles mengent volun- tiers les tendres chardons, ce est vray signe que elles sont saines. Et se elles n'en veulent menger, ce est signe que elles sont usées, mal saines, et ne sont pas dignes de nourrir. Si doit considé- rer le berger et en adviser son maistre, pour son prouffit. Et à heure de pran- gière, audit mois, ne doit pas le berger mener ses brebis après disner contre soleil : mais doit tourner le dos au soleil et les conduire es valées où les herbes sont plus moistes, et n'est pas doubte que les brebis voyent mieulx l'herbe verdoier, quand elles ont les doz tournez au soleil, que se le ray du soleil luy- soit parmi les yeulx. Et est assavoir que lors une herbe, nommée chailiie, leur I 10 LE BON BERGER est moult prouffitable et nourrissant, et leur fait avoir bon ventre : car, se les brebis estoient enflées ou mal mises d'aucune maie herbe, la chaillée les gué- rist et leur est vraye médecine. Et soit adoncques le berger saige et discret, en ramenant ses brebis. CHAPITRE XV DU MOYS DE JUILLET S^S- ^s^y^^ ^^^^^^^m ^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^3 ^^m u mois de Juillet, doit le berger lever matin aussi, comme au mois de Juing. Et jaçoit que audit mois de Juing soit dit et con- seillé que le berger doit mener ses bre- bis es gaschières et es haultz lieux : tou- tesfois, en ce mois de Juillet, se doit gar- LE BON BERGER der d'une herbe que l'on appelle sauvres, à une petite fueillete jaulne, laquelle herbe de sauvres est tant nuysant au bestial, que se les brebis la mengent ain- çois que la fleur y soit, elles en sont enflées, et de la malice de Therbe sont en péril de mort. Quant les brebis ont trop chauld, assez est dit, au chapitre des reigles généraulx, en quelle manière on les doit refroidir et umbrager. CHAPITRE XVF DU MOYS D AOUST N Aoust, doitle berger lever matin comme dessus, et soy desjuner dune soupe en eaue, ou du lait cler, et ne doit porter pain en sa panetière, fors pour son chien. Et ne doit point porter de houlette ne d'aul- tre baston, fors que une verge de coul- 114 LE BON BERGER dre en sa main, par manière d'esbate- ment. En Aoust, le berger ne doit pas me- ner ses bestes en friches, en gaschières, ne en pasturaiges où il ayt verdure : mais les doit mener et tenir es chaumes et esteules où les blez et avoines ont esté soyez. Et illec doivent prendre les brebis leur pasture et non ailleurs, au moins selon la coustume de France, et de Brie, laquelle est telle que chascune berger peult mettre ses brebis es chau- mes aux champs tout aussi tost que les gerbes en sont ostées. Et, devant disner, les doit ramener assez tost es estables et les laisser reposer, et atten- dre jusques à haulte prangière, et après disner doit aller tart aux champs et y doit tenir ses brebis jusques à une lieue de nuyct. Au mois d'Aoust, et aux moys ensuy- vant, peult-on faire et laisser ge'sir les brebis hors des estables et emmy la court ou ailleurs : mais que ce soit en lieux seurs. En Aoust, le berger doit garder ses CHAPITRE XVI brebis qu'elles ne soyent enflées de menger trop d'espis : car mort s'en pour- roit ensuyr, qui n'y pourvoiroit de re- mède. CHAPITRE XVII DU MOYS DE SEPTEMBRE u mois de Septembre, dok le berger mener ses bre- bis matin aux champs, et, pour pasturage, les doit conduire, devant disner, es terres et chaumes où il y a eu blez. Et après disner, es lieux où il y a eu avoines, pour asouplir contre le vespre, et doit CHAPITRE XVn eschever terres maigres et pierreuses : car lors y croist une herbe que Ton nomme muguet sauvaige^ que les brebis mengent voluntiers : mais elle leur est nuysant et mal prouffitable. Et est ainsi comme semblable à la trefBe, en fueille et verdeur : mais elle est plus haulte et a une fleur plus jaulne par rinsiaux. Et sur celle herbe et ses rin- siaux descent une manière de bylos : lesquelz descendent de l'air, semblables à fil de coton qui se adhèrent à celle herbe de muguet, et y demeurent, et en eulx se nourrissent areignes, vermines et ordures envenymées. Et pour convoi- tise de l'herbe, les brebis la. mengent avec l'ordure et en enquièrent une grand maladie, que l'on appelle yren- gnier, qui tient en la teste, et dont la brebis est enflée et envenimée en péril de mort. Et mourroit de celle maladie, se l'on n'y mettoit remède. En celuy mois de Septembre, par commune ordonnance de nature, les brebis portières sont luitées et saillies des moutons masles, pour propaginer et I l8 LE BON BERGER continuer l'espèce des bestes à laine par génération, selon la bonne disposition du souverain pasteur, créateur et condi- teur de toutes choses immorteles, mor- teles, raisonnables, brutes, animées et sans ame. Si advient, à la fois, que aul- cunes brebis portières sont luitées et saillies en Aoust. Et aussi sont-elles plus hastives à faonner, devant Febvrier. Audit mois de Septembre, le berger doit estre diligent de la garde de ses moutons saillans, qui luysent les por- tières femeles. Et ce mois durant, doit faire gésir les moutons et portières emmy la court ou en autres lieux seurs, hors des estables, et les visiter souvent. 5^f^ CHAPITRE XVIII DU MOYS DE OCTOBRE N Octobre, mette le berger ses brebis matin aux champs pour pasture, et eu regard à la qualité du temps, comme dit est des- sus. Et, au matin, les doit tenir et con- duire es nouvelles gaschières : car les nouvelles herbettes et chardons qui crois- LE BON BERGER sent es nouvelles gaschières leur sont moult prouffitables. Et, après disner, les doit mener es chaumes et es esteules comme en Aoust, et les tenir es chau- mes jusques à une lieue de nuyct ou environ. Et pource qu'en ce temps les bestes ne sont pas encore refroidies et tiennent encore grand partie de leur chaleur pour le cohit naturel : et que les chars des bestes portières ou mou- tons ne sont pas lors bien convenables à menger : la seigne'e audit mois est def- fendue, et toute médecine à faire à tout bergin, tant aux moutons comme chas- tris, portières, brebis, antenoises et ai- gniaulx. Excepté que se aulcune en estoit découragée de menger ou malade par aulcun accident, l'on luy doit don- ner à menger des fueilles de choulx, pour son appétit recouvrer. CHAPITRE XIX DU MO Y S DE NOVEMBRE ^'^T^î^^l^lîil) ;i ^^^/^ ^^S ^^^^^^<^j^^m ^^^^^^ ■ ^^^^M ^!i^^^^ N Novembre, le berger doit mener et conduire ses bre- bis es chaumes et esteules, comme dessus, pour pastu- rer le regain des herbes qui sont regaynées : car la doulceur d'icelles leur sont moult nourrissant et prouffitable. En ce mois de Novembre. 122 LE BON BERGER est deffendue la seignée et médecine, tout ainsi comme en Octobre. Et, se les moutons sont descouragez en ce mois, le berger leur doit donner à men- ger du sel ung peu. Et pource que, en l'yver, pleut plus souvent qu'en aultre temps : quand il a pieu et que le berger meine ses brebis en pasturage près des bois, il doit estouper et emplir les son- nettes de ses bestes, tellement qu'elles ne puissent sonner ne faire noise. Car les loups ne peuvent bonnement endu- rer la pluye, pour les de'goustz des ruis- seaulx et des fueilles du bois, qui leur chet es oreilles et leur fait mal. Et pour ce, yssent hors des bois après pluye et se tapessent pour agayter les brebis, quand il les sentent au vent, ou quand ilz oyent les sonnettes. Si les doit le berger estouper pour oster la noise, et doit lors champaier loing des bois et contre vent, et estre curieux sur son bestail, pour obvier aux périls et dommaiges. 1 CHAPITRE XX DU MOYS DE DECEMBRE N Décembre, doit-on aller tart aux champs en pastu- rage. Et lors les brebis mengent voluntiers une herbe qu'on appelle hye- bles, mesmement celles qui sont grosses et empraintes et veulent avoir nouvelles pastures, et sont jà saoulées des regains 124 ^E BON BERGER des herbes et des chaumes. Et quand elles ont gousté des hyebles, il n'a guiè- res de danger en la garde. En celuy mois de Décembre, ne viennent point les bestes au disner à méridienne, et les doit-on tenir et garder aux champs jus- ques à soleil couchant : et est moult à noter que, tout ainsi que pour reigle générale est defFendu à nettoyer et curer les estables des brebis au mois de May, tout ainsi est commandé qu'au mois de Décembre les estables soient curées et nettoyées. Et n'y doit-on laisser nul fiens : mais est bon de les curer sou- vent, pource que les fiens en Décembre sont moult nuysans au bestial. CHAPITRE XXI DES MALADIES QUI VIENNENT AUX BREBIS, AIGNIAULX ET AULTRES BESTES A LAINE. — DE LA MALADIE Qu'ON DIT l'aFFILÉE Affilée est une maladie qui vient commune'ment aux aigniaulx, et la pren- nent quand ilz goustent du lait de brebis, laquelle a de nouveau faonné, lequel lait Ton appelle bet et est le premier lait de la mamelle ou du pis de la brebis, après ce que elle a faonné de nouveau, comme de ce est faite mention cy dessus au chapitre du mois de Febvrier : celle maladie affile'e est moult pe'rilleuse. *^3^* CHAPITRE XXII DU POUCET NE aultre maladie y a que les aigniaulx preignent, quand ilz sont plus de quinze jours continuez avec les mères depuis qu'ilz sont nez : laquelle maladie est appellée poucet. De celle maladie et dont elle est causée, est dit assez suffisamment, au chapitre du mois de Febvrier, et ceste maladie du poucet est moult pe'rilleuse : car contre elle a bien peu de remède. fô.^ CHAPITRE XXIII DU BOUCHET A maladie du bouchet est semblablement contenue, audit chapitre de Febvrier : et dit le Maistre que ceste maladie du bouchet est engendrée aux aigniaulx, quand ilz alaictent leurs mères quand elles viennent des champs, ainçois qu'elles soient bien dispose'es et refroidies. Et de celle mala- die meurent les aigniaulx souvent , se l'on n'y mettoit remède. CHAPITRE XXIV '(ni 1 v| m 1 DU CLAVEL NE maladie que l'on appelle le clavel , laquelle vient aux brebis, aigniaulx et aultres bestes portant laine, par trop boire et aultres excès de maulvaise garde. CHAPITRE XXV DE LA RONGNE A rongne est une aultre maladie, qui leur vient es dos par pluye, par morfon- tures ou aultres, à l'ayde de froidure. CHAPITRE XXVI DU POACRE A maladie du poacre vient aux brebis et bestial de accident de pasturer es rousées, es terres sablon- neuses. Et est le poacre une maladie et manière de rongne. qui prent et tient es museaux des brebis. Et est assez pire et plus nuysant que la rongne du dos. CHAPITRE XXVII DE LA BOUVERAUDE ]E la maladie qui vient aux brebis d'une herbe qui est appelée bouveraude, est assez touché, au chapitre du moys de Mars : comment la maulvaise herbe de bouveraude prent les brebis par le guoitron de la gorge : et comment les bestes en sont en grant péril. CHAPITRE XXVIII DE LA DAUVE NE maladie que l'on appelle dauve vient aux brebis de menger une herbe, qui semblablement est nom- me'e dauve. De laquelle herbe de dauve, et aussi de la maladie qui en est engendrée, est dict plus en plain cy dessus, au chapitre dudict moys de Mars. I CHAPITRE XXIX DE L AVERTIN E maladie vient aux ai- gniaulx, laquelle est nom- mée avertin et leur est engendrée de la force et répercusion du soleil qui les iiert es testes. Et leur faict par la chaleur esmouvoir leur cerveau, dont ilz affolent et meurent et tournoient sou- ventesfois : comme dict est audict moys Je xMars. '-S'^< CHAPITRE XXX DE L ENFLEURE E l'enfleure y a deux causes ou plusieurs , dont Tune est engendrée au moys de Juillet, quand les brebis mengent une herbe que l'on appelle fevrel, à la petite fleur jaune : ainçois que ladicte herbe soit fleurie. L'aultre cause est, quant elles mengent trop espiz, au mois d'Aoust, en sont enflées. iD CHAPITRE XXXI LE RUNGE ^^ixE aultre maladie que l'on ^ appelle le runge perdu. Et leur vient, quand elles mengent d'une herbe qui est appellée poucet , et cette herbe oste aux bestes le goût de menger. I CHAPITRE XXXII DE L YRENGNIER A maladie que l'on dict l'yrengnier est engendrée aux brebis, au moys de Septembre , quand elles mengent l'herbe que Ton appelle muguet saulvage : sur laquelle herbe descend yraignes et vermines, que moult les empire. CHAPITRE XXXHI AUTRE CHAPITRE. DES REMEDES m ES remèdes et cures de ces maladies : prendrons du remède contre Taftllée . qui est tel : quand l'aigniau est malade de l'affilée, on luy doit faire alaicter une aultre mère que la sienne, pour deux ou trois jours, et il guarira. CHAPITRE XXXIV REMEDE DU POUCET ONTRE le poucet il y a peu de remède, fors que de oster les aigneaux d'avec leurs mères, quant ilz y ont esté quinze jours, si comme il est dict, au chapitre de Febvrier. CHAPITRE XXXV REMEDE DU BOUGHET ONTRE la maladie du bou- chet a tel remède : on doit prendre ung baston de sceur vert, de demy pied de long, et le fendre au bout en croix : et mettre icelluy en la gueulle de l'aigneau, et quand le baston a touché la maladie en la gueulle de l'aigneau, on le doit mettre en lieu où il puisse bien tost seicher, et lors qu'il seiche l'aigneau treuve bien tost garison. CHAPITRE XXXVl REMEDE DU CLAVEI. E remède contre le clavel. tant pour aigneaux que pour aultres bestes à laine, est tel. Le berger doit cueillir, la veille de la nati- vité' sainct Jehan Baptiste une herbe, laquelle est appele'e tume, aultrement juscarime ou henvebonne, et est assez commune : on la trouve en plusieurs lieux ou en plusieurs places. Icelle herbe est de telle nature que elle est mise et reposée secrettement aux estables , affin qu'on ne la voye, et en révérence et honneur de monseigneur sainct Jehan- Baptiste : et ne doit pas chascun veoir ne savoir le secret et les grans biens que sont en Testât de bergerie. CHAPITRE XXXVII REMEDE DE LA RONGNE ONTRE la rongne au dos des moutons, ou aultres bestes à laine, on doit faire oi- gnemens de vieil oingt de porc : de vif argent et d'alun de glace, et de coupperose, de vert de gris : et mesler tout ensemble avec ung peu de farine de semence de nesle ou de cendre commune : et confire avec le vieil oingt. Et de cest oignement doit-on oingdre la rongne; si guariront les bestes. Et aux aigneaux convient ouvrer plus doulce- ment, pource qu'ilz sont plus tendres : prenez vieil oingt, vert de gris et cendres de serment de vignes. Et qu'il n'a ser- ment, preigne des genefvres : et soit tout broyé ensemble pour oingdre les 142 LE BON BERGER aigneaux : si gariront. Et n'y convient mettre vif argent : ne alun de glace : ne coupperose : car ilz sont trop fors cor- rosifz, et pourroient faire mourir les aigneaux. Et se aulcun pauvre mesnager ne pouvoit finer des choses dessusdictes : doit prendre des genefvres verds et coup- pés mesmement par tronçons, et les faire bouillir en lessive cendre de dauves, et puis broyer les tronçons ; et les faire boullir de rechef: tant qu'ilz soient bien amolis, et qu'ilz ayent attraict la sub- stance et la force de la cendre : et vault à faire oingture à garir et curer ladicte rongne, tant à bestes surannées que aigneaux. ^§> CHAPITRE XXXVIII REMEDE DU POACRE I ouR garir le poacre, prenez coupperose : alun de glace et souffre vif : et broyez tout ensemble, et faictes boullir en huylle de che neveys, et le mettez tout chault sur la beste poacreuse, au soir, quand elle reviendra des champs : car, qu'il le met- troit au matin, ne proffiteroit ne'ant, pource que Fongnement se dégasteroit et chariroit en paissant. Et qui ne pourroit avoir les choses dessusdictes contre le poacre, preigne ung vieil essieul de charrier oingt de vieil oingt, et le face ardoir par le bout : de la poudre mettez sur la rongne et sur les museaux. Et n'est pas seullement que pour tappir ladicte 144 LE BON BERGER maladie à certain temps : car la pouldre de Fessieul ne faict pas plaine ne par- faicte cure, mais le faict tappir ainsi comme l'on pourroit faire de gouterose, ou d'aultre maladie contagieuse, à certain temps, sans curer à plain. Si est le plus expédient de oingdre ses bestes poa- creuses, quant la maladie est tarie, ainçois que leur poacre renouvelle. Et est ceste maladie es brebis ainsi que la pierre seroit aux hommes, et ainsi incurable. Et toutes fois les bestes à laine en sont aulcunes fois curées et garies par l'on- l'nement dessus dict. CHAPITRE XXXIX REMEDE DE LA BOUVERAUDE lONTRE bouveraude, si comme est dict au moys de Mars, et tout comme les brebis ont gousté de la bouve- raude, il convient que le berger y secoure incontinent et leur mette du sel en la gueulle pour faire boire et avaler l'amertume de la maie herbe. Aussi est bon remède de jetter à la beste de la terre et de la tampière par dessus le dos ou de l'eaue pour la faire escourre et mouvoir : car quant elle se escoust, après le goust de celle maie herbe, il s'ensuyt santé. CHAPITRE XL REMEDE DE LA DAUVE ^|ONTRE la maladie de la dauve, combien que la bre- bis endauvée puisse vivre par aulcun temps, est mal saine , toutesfois il n'y a peu ou néant de remède. Et ce qu'il en peult estre, querez-le au chapitre en Feb- vrier. CHAPITRE XLI REMEDE DE L AVERTIN ONTRE la maladie d'avertin qui vient aux aigneaux de force de soleil, le remède est tel : l'en doit prendre la fueille de lorvalle la- quelle est nommée toutebonne : et faire jus de la fueille et jetter dedans l'oreille de l'aigneau pacient. Et qu'il ne peult avoir de la fueille, si preigne de la graine d'icelle herbe broyée et destrampée en vin aigre, et soit jette en l'oreille de l'aigneau : si garira. CHAPITRE XLII REMEDE DE LENFLEURE ^ ONTRE l'enfleure qui vient de ?y?p^< fevrel quand la brebis la menge : ainçois que l'en- fleure y soit, le remède i si est tel, qu'il convient de seigner la beste, du chef de la veine, sur l'œil. Et quand le premier sang est cheut sur terre, on doit pren- dre de l'aultre sang de la beste, à l'oreille du cousteau : et en donner par trois fois à la beste. Et si tost qu'elle lesche son sang, elle tourne à garison : et si par adventure elle seignoit trop, on luy doit mettre de la cendre sur la teste, pour soy escourre. Car, à se escourre, le sang cesse et prent aultre chemin. Et quand l'enfleure vient de CHAPITRE Xl.n 149 menger trop d'espis en Aoust ; quand on apperçoit que les bestes sont enfle'es. on ne les doit pas mettre en l'eaue jusques au ventre, afïin qu'elles se attrempent, et que le lait se puisse nourrir au ventre de la beste, pour le faire mouvoir et escourre : en ce faisant, elle fait tourner sa viande en son ventre : et, pour la faire plus tost escourre, on luy doit jec- ter de l'eaue sur le dos. Et quand elle se escoust, c'est signe de garison : et ce fait, doit le berger eschever que la beste ne boive jusques à jour et demy après ensuyvant. Mais luy soit donné d'une feuille de blette ou d'aultre chose. pour perdre la soif : jusques à ce que la beste soit remise à santé et à son goust de menger. CHAPITRE XLIII REMEDE DU RUNGE PERDU CONTRE le runge perdu qui vient aux brebis quand elles mengent d'une herbe, laquelle on appelle poucel, le remède est tel : que le berger, si tost qu'il apperçoit que la brebis a perdu son runge, et le scet parce qu'elle rent eaue verte par la gueulle : lors si la loeste est malade, il doit ouvrir, de la pointe d'ung coustel, la gueulle soubz la langue : et d'une aultre beste femelle en la gueulle de la loeste sur la langue : et luy doit mener les mâchoires tant qu'il la voye menger et ronger. Et si la beste qui a perdu son runge est femelle, on lui doit donner du runge d'ung mouton chastris ou masle. Faire comme dessus, si trouvera garison. CHAPITRE XLIV REMEDE DE L YRENGNIER ONTRE la maladie que Ton appelle yrengnier, laquelle les bestes preignent en mengeant le muguet sau- vage. le remède est tel que le berger doit visiter ses brebis curieusement, et, quand aulcune est enflée de ceste maladie, il luy doit pre- mièrement fendre les oreilles, et se par les oreilles sault le venin jaulne ou aultre, il doit savoir que la beste est en péril de mort, et luy doit fendre et tren- cher le cuir du museau et du visaige au plein, mesmement d'ung canivet : et hors des vaines en plusieurs lieux : car, par les jarsures, sault hors le venin de ladicte couleur jaulne. Et pour garison, le pa- LE BON BERGER steur doit prendre d'une herbe appelée roynette, qui croist es gaschières, et a une petite fleurette ronde. Et doit froter rherbe entre ses mains, et après froter le museau de la beste. Et s'il ne peult promptement finer de l'herbe de ladicte roynette : preigne de la fueille de po- reaulx et en face jus, et ce jus soit mis sur le museau de la beste es lieux bles- sez : si trouvera garison. Et quand les bestes sont ainsi malades et desgoutées, le berger leur doit donner à menger des miettes de pain meslées avec sel. Et ainsi doit faire, et les garder par l'espace de trois jours, pour leur donner goust de menger, et, pour donner goust, boute une herbe dicte vervaine, qui donne planté de laict aux femelles : mais, pour ce qu'il est froit, il n'est pas expédient que les moutons en mengent ne usent, au moys de Septembre, quand ilz sont en estât ou saison de saillir et luyter les brebis portières. CHAPITRE XLV DE LA SEIGNEE plusieurs manières se fait la seignée des brebis : on les seigne du chef de la veine sur l'œil, d'ung ca- nivet : et doit-l'on oster ung peu de la laine, pour voir la veine. Aulcuns apprentis et non expers en l'art de seigner, les seignent en la queue et leur couppent les oreilles pour faire sei- gner. Mais ceste œuvre est deffendue : car les brebis sans oreilles sont diffa- mées, et ceux qui en sont maistres ne leur couppent point. Des aultres enseignemens pour en- fleures, et du museau, est dict cy-dessus : et souffit pour briefveté, sans en faire difficulté. CHAPITRE XLVI LA MANIÈRE DE CHASTRER ET AMENDER LES AIGNIAULX E les aigniaulx sont nez en Janvier, on les doit amen- der en Mars ensuyvant. Et y a deux jours environ la feste de la nativité Nostre Dame de Mars, soit au mardy ou au jeudy, ou au samedy, en toutes sai- sons. Et aux femelles est expédient de rongner les queues de trois dois de long, et non plus ne moins. De la manière de amender les moutons : l'on leur couppe plein doy de la boursette aux génitoires: et doit lors le berger estre sans péché, et est bon de soy confesser, et ne doit ce jour mcnger des aux pour avoir meil- leure aleine. Et en la playe de l'aigniau CHAPITRE ILVI doit mettre de la cendre déliée, et garde le berger ses aigniaulx de boire, et les doit visiter parmy la fenestre, qu'il ne les face lever ou efforcer, et au soir les doit faire alaicter en lieu estroit, qu'ilz ne fuyant, et que les playes ne se euvrent. Et regarder aux piedz de ceulx qui sont chastrez, pour moult voir se ilz ont gros piedz et courts : c'est bon signe. Et est à noter que mieulx est qu'ilz soient cha- strez par temps pluyeux que temps sec. CHAPITRE XLVII DU CHIEN DU BERGER chien du berger convient à l'introduction le duire de aler arrester les brebis, et que le berger entame l'oreille d'une brebis, en face saillir le sang, et le face sentir à son chien par deux fois ou trois ; et jamais ne prendra la brebis que par l'oreille. Et CHAPITRE XLVir 137 affin que le chien suyve voluntiers le berger, il luy doit oingdre et froter les joues de la croûte de lart, et les deux piedz de devant : et le mener souvent : jusques à ce qu'il soit bien duyt. Et quand le chien se couche aux champs, le berger luy doit croiser les piedz. Et se il ne se duyt quand il luy aura fait par deux ou trois fois, si luy donne congé' : car il n'est pas digne d'estre avec les bergers et brebis. Et priez Dieu pour le bon berger Jehan de Brie. Le simple Berger Jehan de Brie Ne parle que à la bonne foy : A tous subtil:^ pastoureaulx prie Qu'il^ reçoyvent en gré sa loy : Vivant sans soucy, sans esmoy, A esté en ville et villaige : Où il composa soub^ ung may L'Art des bergers en son usaige. Du premier eut beaucoup de peine, Et en après eut de grans biens : Nonobstant, la vie mondaine Il desprisoit sur toutes riens : Monstrant les inconvénicns Qui peult venir aux pastoureaulx : Et comme par plusieurs moyens Doivent supporter leurs aigniaulx. Les pasteurs portans crosse et mitre Voulans à cecy regarder, Pourront apprendre maint chapitre, Pour leurs oeilles bien garder : Faulses pastoures évader, En chassant les ravissans loups : Pour ce, pastoureaulx, sans tarder A cecy deve^ penser tous. — i6o — Son sens naturel fut exquis Pour monstrer l'art de pastourie : Il eut bien peu de sens acquis, A ins que hanter la seigneurie : Et toutesfois par industrie Son cas rédigea par mémoire, Selon l'estat de bergerie, Et sans appeter vaine gloire. Subtil:^ entetidemens font rage De distinguer d'aulcunes choses : Le fol peut enseigner le saige : Sur ung texte font plusieurs gloses : Tost se gasie chapeau de roses : Peu de vin souvent l'homme enyvre : Parquoy Jehan de Brie en ses proses Requiert qu'on excuse son livre. FIN DE JEHAN DE BRIE LE BON BERGER 337 4 SIC Paris— Imp. Motteroz. M, rue du Dragon. Lo Bibliothèque niversité d'Ottawa ÉcHéonce UO 4PI^