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LE

COMTE DE MONTGOMERY

DU MÊME AUTEUR

Le Cardinal de Châtillon (1517-1571). Paris, Menu, 1884, bro- chure in-8°, avec portrait.

Correspondance du Cardinal de Châtillon, première partie.

Paris, Picard, 1885, in-8°. Deuxième partie (en préparation).

Les Conciliabules de Châtillon-sur-Loing et de Vallery en 1567 (Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, 1887).

Correspondance de Louise de Coligny, princesse d'Orange,

(en collaboration avec P. Marchegay). Paris, Picard, 1887, in-8°, avec portrait.

Bussy d'Amboise. Paris, Picard, 1888, brochure in-8°.

Florimond Robertet (sous presse).

Les Autographes de Serrant, recueil de documents des XVe et XVIe siècles (en collaboration avec P. Marchegay (sous presse).

LE

CONTE DE MONTGOMERY

PAR

LÉON MARLET

Ancien élève de l'École des Chartes, Attaché à la Bibliothèque du Sénat.

« ...Celui) qui tua à jouster le Roy Henry second. » (Brulart).

PARIS PICARD, LIBRAIRE-ÉDITEUR

82, RUE BONAPARTE, 82 1890

Univers/^*

HCCA

En livrant à la publicité ce travail, qui n'est autre que ma thèse de sortie de l'École des Chartes, soutenue en janvier 1886, qu'il me soit permis d'acquitter une dette de reconnaissance, de mettre mon livre sous le patronage des deux maîtres, des deux amis dévoués, aux lumières desquels il doit tant, M. Anatole de Montaiglon, professeur à l'Ecole des Chartes, et M. le comte Hector de La Ferrière. -

L. M.

De

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LE COMTE DE MONTGOMERY

1530-1574)

A l'aurore du onzième siècle, heure de rénovation universelle qui vit notre France se donner une dynastie nationale, la maison de Montgomery tenait la tête de l'aristocratie nor- mande.

Conseiller et favori de ses suzerains, auxquels l'unissaient les liens d'une proche consanguinité par sa mère, issue du sang royal de Danemark, s'honorant de compter deux saints parmi ses ancêtres, Godecranc, évêque de Séez, et Opportune, sa sœur, contemporains de Charlemagne, Roger, vicomte d'Ex- mes, chef de cette antique famille, accrut encore sa puissance féodale en épousant Mabille, fille unique et héritière de Guil- laume Talvas, comte d'Alençon et sire de Bellême. L'an 1066, Guillaume-le- Conquérant récompensa ses loyaux services par le don des comtés de Salisbury et d'Arundel, dépouilles des Anglo-Saxons.

Roger de Montgomery mourut dans ses nouveaux domaines. Mais, de ses cinq fils, ce fut l'ainé, Robert, qui hérita des fiefs du continent, auxquels son union avec l'héritière du Ponthieu lui permit de joindre la meilleure part de la Picardie. Robert termina sa carrière en 1114. Soixante ans plus tard, à la mort de son fils Guillaume, la branche aînée, la branche française, des Montgomery se scinda en deux rameaux. Ce partage fut comme

l

2

Je présage de la disparition de cette race vigoureuse de notre sol. Le premier quart du treizième siècle vit s'éteindre, à quel- ques années de distance, ses deux derniers rejetons et la sei- gneurie patronymique passer aux mains d'un collatéral...

Pendant ce temps, les puînés de Roger de Montgomery, éta- blis de l'autre côté du détroit, y acquéraient crédit et honneurs et fondaient plusieurs branches, dont une émigra par la suite en Ecosse et contracta différentes alliances avec la dynastie ré- gnante des Stuarts. L'un des petits-fils d'Alexandre, lord d'Ar- drossan et d'Eglinton, son représentant au commencement du quinzième siècle, résolut de regagner le berceau primitif de sa famille, afin d'y chercher fortune. On était au :nomcnt nos rois formaient pour leur garde particulière une compagnie de cent archers exclusivement choisis parmi les gentilshommes (jue les rigueurs du droit d'aînesse chassait des highlands. Robert de Montgomery s'engagea dans ce corps d'élite. De sa femme, Lyonne de Lodes, qui lui avait apporté la seigneurie de Lorges- en-Beauce (l),il eut trois fils. Au puîné, Jacques, il était réservé de continuer la lignée des nouveaux Montgomery de France (2).

De la jeunesse de Jacques de Montgomery nous ne citerons qu'un épisode, dont il fut le héros malencontreux, et qui eut alors un grand retentissement.

C'était le "5 janvier lo21. La Cour se trouvait û Romorantin et célébrait joyeusement les fêtes de l'Epiphanie. Apprenant que le comte de Saint-Pol avait coupé la galette traditionnelle en nombreuse société et, suivant la coutume, salué roi celui des convives qui avait trouvé la fève dans sa portion, François Ier

(1) Lorges, auj. c. du cant. de Murchenoir, urr. de Blois (Loir-et-Cher ,

(2) Surcette esquisse généalogique, voy. les arbres conservés à la Hild. Nationale, ISss., Cab. des titres, Montgomery; la préface du Dénombre- ment du comté de Montgomery Ibid., l'onds français, vol. 5480). Cf. La Cites- naye Des Bois, Dictiorm. de ta Noblesse, art. Ifontgonu

L'aîné des fils de Robert de Montgomery, dont on ignore le nom, périt sous Trévise en mai 1509. (\.c loyal serviteur, Hist. du gentil seigneur de Ikvjiiri, éd. Roman, p. I50>et 249; Brantôme, Œuvres a I. La-

lanne, t. v, p. 312). Le cadet s'appelait Louis et mourut jeune laissant un fila du même nom, qui prit part a l'expédition de Jacques de Montgo- e (15. .Y, Cab. des titres, i ' Montgomery, 54; cl', in/ïa).

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« se délibéra d'envoyer défier le roy de M. de Saint-Pol. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Suivi d'un grand nombre de gentils- hommes, de pages, il s'élance vers le logis de son cousin et l'attaque vigoureusement. Les munitions ne lui manquaient pas; un épais tapis de neige couvrait le sol. A défaut d'autres projec- tiles, le parti opposé riposte avec les reliefs du festin. Soudain un cri terrible retentit : le Roi venait de recevoir sur la tète un tison ardent, lancé d'une des fenêtres de la maison assiégée. On l'emporta sans connaissance. Pendant plusieurs jours les méde- cins n'osèrent répondre de sa vie: Par bonheur les craintes avaient été exagérées et l'esprit de la Renaissance conserva son plus fervent adepte. En cette circonstance, se manifesta la déli- catesse native du Roi-chevalier : il défendit de rechercher l'auteur de l'imprudence qui avait failli lui être fatale. Ses ordres furent religieusement obéis. Ni Louise de Savoie, sa mère (1), ni Mar- tin du Bellay, l'annaliste attitré de son règne (2), ne nous ont ré- vélé le nom qui courait sur toutes les lèvres. Si nous savons que le « maladvisé » s'appelait Jacques de Montgomery, nous le devons à un auteur qu'aucune attache officielle ne liait aux scrupules de la Cour (3).

Jeux bizarres de la destinée ! A trente-huit ans de là, un au- tre Montgomery frappera un autre roi de France, lui aussi en plein front....

Six mois après l'événement que nous venons de raconter et qui aurait pu avoir une déplorable influence sur la carrière de M. de Lorges, la guerre éclata brusquement entre la France et l'Espagne. Dès lors l'histoire de Jacques de Montgomery fut celle de la rivalité parfois assoupie, toujours renaissante, des deux couronnes.

Des premiers il se jette dans Mézières investi et contribue puissamment à la levée du siège par l'emploi d'une ruse de guerre dont Du Bellay nous a transmis les détails (4).

(1) Journal, éd. Michaud, à cette date.

(2) Mémoires, éd. Michaud, p. 132.

(3) L'auteur du Journal dit d'un bourgeois de Paris (éd. Lalanne. p. 88 et 89).

(4) Mémoires, p. 142. —Cf. Beaucaire, Historia Gallica aban.no 1461 adan- num 1580, p. 487.

L'année suivante, nous le voyons, à la tète de 6,000 hommes de pied, combattre dans le Boulonnais, de concert avec les comtes de Saint-Pol et de Guise, les forces anglaises alliées des Hispano-Allemands. La prise du château de Contes (1), son œuvre propre, ouvre une série de petites victoires qui épuisent l'ennemi et le contraignent de se rembarquer (2).

Il va ensuite partager en Italie les épreuves de Vandenesse, le petit lion, et de Bayart, le chevalier sans peur et sa?is rep roch. Il est de tous les combats. A la journée de Biagrasso, il sauve nos troupes imprudemment engagées. Resté, par la mort de ses deux illustres compagnons d'armes, seul chef des débris de l'ar- mée française, il parvient aies ramener sans désastre derrière la Sesia (3).

Le 24 février 152o, jour de deuil, il est pris aux côtés de François Ier (4). Deux ans plus tard, il a la bonne fortune de venger nos armes. Il plante de sa main l'étendard "fleurdelisé sur ces mêmes murs de Pavie, qui ont été les témoins de la dé- route des siens et de sa propre captivité (5).

Jacques de Montgomery approchait alors de la cinquantaine. 11 atteignait l'âge les cheveux blancs viennent encadrer les rides, l'on aspire au repos. Le traité de Cambrai, signé le 7 août 1529, lui permit enfin de déposer le harnois de bataille et de goûter les paisibles joies du foyer domestique, après les- quelles il soupirait tout bas depuis longtemps. Marié au prin- temps de 1524, peu de semaines avantle début des hostilités (6), il s'était bientôt vu arraché des bras de sa femme. Depuis, il ne l'avait revue qu'à de rares intervalles, entre deux campagnes. Sa rentrée définitive, on pouvait du moins l'espérer au château de Ducey, qu'elle lui avait apporté en dot, fut suivie à bref délai d'un grand événement intime. 11 avait le bonheur de voir une tête blonde

(1) Contes, auj. c. du c. d'Hcsdiii,arr. de Montreuil-sur-uier( Pas-de-Calais).

(2) Du Bellay, p. 166-10*.

(3) Ibbl., p. 170-183. Le loyal serviteur, p. 407-409.

(4) Voy. Chaqapollion-Figeac, I" captivité de François l,r, p. 8.')-86.

[a ')u Bellay, p. 221. Paradin, Hist. de nostre tenu (Lyon, 1580. in I ' , 6 Voy. la généalogie précitée des Montgonu n .

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... rire et bruire à son chevet (1).

Mystérieux décrets de la Providence ! A l'heure Fran- çois Ier ouvrait l'ère des persécutions contre les hérétiques, cha- que jour plus nombreux depuis que Martin Luther s'était séparé de l'Eglise romaine, naissait l'un des futurs défenseurs de la cause de la Réforme (2) ; et à ce nouveau-né souriaient deux autres nouveau-nés, de sang royal, qui devaient avoir sur son existence une influence considérable : Jeanne d'Albret, reine de Navarre, et Louis de Bourbon-Vendôme, prince de Coudé.

Des premières années de Gabriel de Montgomery nous ne savons rien. Tout au plus, de la nuit qui se fait pendant douze ans sur M. de Lorges, de ce fait qu'il ne prit nulle part à la troi- sième guerre entre François Ier et Charles-Quint, peut-on inférer que celui-ci se donna tout entier à l'éducation de son fils. Il ne reparut aux armées qu'en 1542, lorsqu'une odieuse violation du droit des gens par le marquis del Vasto, lieutenant-général de l'Empereur dans le Milanais, amena la reprise de la guerre. Cette fois, il était investi d'une charge importante et digne de sa vieille renommée. Des sept légions, comptant chacune 6.000 hommes de pied, créées par le Roi « à l'exemple des Romains » (3), afin de se soustraire aux exigences des auxiliaires allemands et suisses, deux celles de Normandie et de Picardie étaient réunies sous son commandement.

(1) Victor Hugo, Les Orientales, Fantômes.

(2) L'abbé Desroches, à la p. 371 de ses Annales de V Avranchin (Caen, 1857), cite un acte daté de 1550 (alors conservé au chartrier du château de Ducey et qui en a disparu depuis, ainsi que nous avons pu nous en assurer, grâce à une bienveillante autorisation de son propriétnire, M. de Boishue), par lequel Jacques de Montgomery, seigneur de Lorges. opère la remise à son fils aîné, Gabriel, des biens provenant de la succession de Claude dp La Boissière, sa mère. Donc, en 1550, le jeune homme était majeur, et sans doute depuis peu de temps. Or, en vertu de l'art. XLIII du Grand Coutumier de Normandie (impr. au t. IV du Nouveau Coutumier général de Bourdot de Richebourg ; 1724), reslé en vigueur dans la province jusqu'aux lettres patentes «pour la réforma tio-i des coutumes d'icelles, » rendues le 22 mars ï 577 par Henri 111 (citées ibid., p. 59 ', « ceulx sont en non-aage (mino- rité), qui n'ont accomplis vingt ans » ; ce qui place la naissance de Gabriel de Montgomery vers 1530.

(3) Du Bellay, p. 284.

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Il ne joua qu'un rôle effacé durant les deux premières cam- pagnes (1). Mais le souvenir de ses anciens exploits ne s'était pas effacé de la mémoire de François Ier, qui lui décerna le collier de Saint-Michel (2) et le nomma capitaine-général du ban et de l'arrière-ban (3). Peu après, l'acquisition du comté de Montgomery, sorti depuis trois siècles de sa famille, satisfit un de ses plus chers désirs. Il reçut encore à cette occasion une précieuse marque de sympathie : Marguerite d'Angoulême, sœur du roi, lui fit remise des redevances féodales, auxquelles elle avait droit en qualité de duchesse d'Àlençon (4).

Avec l'année 1544, recommence pour le seigneur de Lorges une période de grande activité.

Les Impériaux ont pris Saint-Dizier. Ils ont occupé sans coup férir Chalons, Épernay, Château-Thierry. Déjà leurs éclaireurs remontent la vallée de la Marne et menacent les abords de Paris. Bientôt cependant tout danger est conjuré. 7 ou 8.000 hommes de pied et 4.000 gens d'armes sont confiés à Jacques de Montgomery. Il les concentre à Lagny, occupe Meaux solide- ment et pousse jusqu'à La Ferté-sous-Jouarre. Cet auda- cieux retour offensif inquiète Charles-Quint qui se décide à traiter (5).

Mais son allié le roi d'Angleterre refuse d'accéder aux clauses de la convention de Crespy. De Calais ses gens de guerre portent le fer et la flamme dans l'Artois et la Picardie. François I'r a recours à une diversion. Ordre est donné à M. do Lorges d'aller secourir la régente d'Ecosse, alliée de la France, qui luttait péniblement contre les forces de Henri VIII. A la place

(\) Du Bellay, p. 505. Moulue, Commentaires, ••<!. de Ruble, I. 1, p. 137.

(2) En i 543, dil le li<:rticil historique des chevaliers de Saint-Michel, par

|, -F. d'Hoàer; [Revue nobiliaire et héraldique, 1879-82); et avant le :; août,

il en prend le titre (Juitlance de cette date B. Y. Cab. des litres.

v Montgomery, '■ !

:i Voir le commandement d'avoir a s'acquitter de sa charge, 20 janvier 1544 [Isambert, Bec. des une lois françaises, t. XÏI, p. 852-854).

| I irait du livre de dépenses de Marguerite, impr. parle enmte II. de La F errière dans le Journal de l<> comtesse de Sanzay 1859), p. -M, note. Depuis 1862), M. de La Ferrière a tiré du môme registre une charmante ('lude : Marguerite d'Angouléme et son livre de dépenses, Du Bellay, p. B48.

qu'occupe dans la correspondance de ce prince avec ses lieute- nants le nom du vieux capitaine, on peut mesurer l'habile parti qu'il sut tirer de sa petite armée, durant un séjour de près d'une année dans la patrie de son père (1). Son intervention hâta la conclusion de la paix.

De retour en France, il reçut coup sur coup (2) l'office de gen- tilhomme ordinaire de la chambre du Roi, le commandement de soixante lances fournies des ordonnances, enfin celui de la célè- bre compagnie des archers écossais, qui, dans la hiérarchie mili- taire, venait première après les 200 gentilshommes de la Maison du Roi (3).

A dater de ce jour, il ne quitta plus la Cour. Il fut ainsi asso- cié aux douleurs qui accablèrent (4) François Ier dans la dernière année de son règne. Quand, le 31 mars 1547, son maître rendit le dernier soupir, il fut de ceux qui reçurent la pénible mission de conduire sa dépouille mortelle au monastère, elle devait reposer jusqu'à l'heure des funérailles solennelles (S). Cet évé- nement décida de sa retraite. Il résigna successivement entre les mains de son fils aîné (6) le comté patrimonial et l'office de gen- tilhomme de la chambre. Il obtint en outre, au profit de Gabriel, la survivance de sa charge de capitaine de la garde écossaise, mais au prix du sacrifice de sa compagnie d'ordonnance, dont on avait besoin pour gratifier quelque favori (7). Du reste, Henri II

(1) King's Henry VIII state impers (Londres, 1831-52, H vol. in-40,), t.v.— Cf. du Bellay, p. 551 ; et Buchanan, Rerum Scotioarum historix (éd. de 1582, 176. 11 quitta TEcosse entre le 20 février et le 4 mai 1546 (Quittan- ces de ces dates, B. N., Cab. des titres, Montgomery, nos 47 et 48).

(2) Tous ces titres lui sont donnés simultanément pour la première fois dans sa quittance précitée du 4 mai 1546

(3) Fleuranges, Hist. des choses advenues sous Louis XII et François Ier, ch. V.

(4) Cf. la scène racontée par V. Carloix (Mém. delà vie iu maréchal de Vieil- leville, liv. I, chap. XXV), scène qu'il place en 1538, et à laquelle Michelet (Hist. de France, Réforme, ch. XXI) a restitué sa vraie daie, 15i7 : « Le Roy... prit le capitaine de ses gardes et trente ou quarante archers... »

(5) Cequiaétéfaict àlapompe funèbre deFraneoisIer (B.N., Mss, f., frç., 4341).

(6) D'un second mariage, contracté en 1540 avec Suzanne de Sully, il avait eu un autre fils, Jacques, qui fut célèbre dans la suite sous le titre de seigneur de Courbnuzon (Cénéalogie précitée des Montgomery).

7 Tout ce qui précède est déduit de la comparaison des intitulés des différentes quittances de Jacques de Montgomery (B. N., Cab. des Titres, Montgomery, nos 4S-50).

sut remplir envers lui les volontés suprêmes de son père expi- rant à l'égard de ses anciens serviteurs : il lui confia le gouver- nement de la Bastille I .

La carrière du jeune comte Gabriel de Montgomery s'ouvrait sous de brillants auspices ; et pourtant la haute position qu'il occupait fut, on n'en saurait douter, la fatalité de sa vie. Rivé à la personne du Roi par ses devoirs de chef effectif d'une partie de sa garde, il dut rester à peu près étranger aux grandes luttes qui, en 1551, se rallumèrent entre Charles-Quint et le successeur de François Ier.

Deux fois seulement pendant cette période, car on ne peut compter comme campagne sérieuse la promenade militaire de nos troupes à travers les pays Rhénans et le Luxembourg, il accompagnait Henri II (2) deux fois seulement, il lui fut donné de revêtir le harnois de bataille.

Lors au siège de Metz, le duc de Guise se couvrit de gloire, il put prendre rang comme volontaire parmi les défenseurs de la place (3).

De même, après le désastre de Saint-Quentin, lorsque le Roi envoya le vieux seigneur de Lorges à Noyon « pour y assembler les gentilshommes de sa Maison et les archers de ses gardes, et pourvoir en ces quartiers à ce qu'il estimeroit devoir être exé- cuté selon les affaires de la guerre » , nul doute que Gabriel de Montgomery n'ait été placé sous les ordres de son père (4).

se borna le rôle militaire du comte . Contraint d'étouffer les impérieux besoins d'activité qu'il sentait sourdre au-dedans de lui-même, rien d'étonnant à ce qu'il apportât dans l'exercice monotone de ses fonctions certaines façons qui lui ont attiré le

(1) Lord Cobham au lord-protecteur d'Angleterre. 18 avril [Oalendan of slate papcrs, foreign séries, l.*>47-.'>3, 117).

(2) Fin février-fin juillet 1552. « Le Roy partit... avec les 200 gentil s- hommes de sa Maison, les 400 archers de sa garde, François et Kscossois... » (Rabutin, Commentaires desguerres arrivées en Gaule Belgique, liv. 11*.

(3) Roolle '1rs princs, seigneurs -capitaines et gens de guerres qui estoientdans Metz, donné in extenso par l». de Salignac, -rigueur de La Molte-Fénelon, à hi suite 'li' -;i relation du siège éd. Michaud . Paradin, Continuation </<■ l'histoire de nostre tenu Lyon, 1556, in-f° , i'" 199.

(4) Habulin, '</>. cit., liv. Il .

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blâme voilé d'un contemporain (1). Du moins trouva-t-il au foyer domestique un dédommagement à l'énervante vie de Cour, à laquelle le condamnait son rang. Sa femme, Isabelle de la Touche (2), nous apparaît comme l'émule des Charlotte de Laval, des Eléonore de Roye, des Jacqueline d'Entremonts, comme une de ces nobles créatures, l'ornement d'un siècle, qui par leurs vertus en rachètent les vices.

Le 3 avril 1559, le traité de Câteau-Cambrésis terminait la longue rivalité des maisons de France et d'Autriche. « Paix glo- rieuse aux Espagnols, désavantageuse aux Français, redouta- bles aux Réformés! » s'écrie Agrippa d'Aubigné (3). Et en effet trois mois ne s'étaient pas écoulés que le Roi faisait arrêter en pleine séance, au mépris de leur inviolabilité, cinq membres du Parlement, convaincus d'attachement aux nouvelles doctrines. Par une étrange coïncidence, que les protestants s'empressèrent de transformer en intervention providentielle, l'homme qui avait exécuté cette mesure inique était celui-là même qui, à deux semaines de là, allait inconsciemment venger les victimes (4).

Dans Paris, tout n'était déjà que préparatifs des fêtes ordon- nées par Henri II pour solenniser le double mariage l'une des conditions du récent traité de sa fille Elisabeth avec le roi Philippe II d'Espagne et de sa sœur Marguerite avec le duc Emmanuel-Philibert de Savoie. Le 20 juin, bals, mascarades, festins d'apparat commencèrent. Mais la partie la plus intéres-

(1) Brantôme, t. IV, p. 359.

(2) 11 l'avait épousée le 12 janvier 1551 (1550 vieux style). Par le même contrat son père s'unit à Charlotte de Maillé, mère de la fiancée ; de ces troi- sièmes noces sortit Louis de Montgoniery, futur abbé de Saint-Jean-lès- Falaise (Généologie ms. précitée des Montgomery).

Six mois après son mariage, Gabriel fit partie de la suite du maréchal de Saint-André, portant le collier de Saint-Michel à Edouard VI d'Angleterre, (V. Carloix, Mém. de Vieillevilte, liv. III, eh. XXVII-XXIX.— Cf une lettre de sir John Mason au Conseil privé d'Angleterre; Calendars, 1547-53, 380).

.'3) Histoire universelle, lre partie, liv. I, ch. XVIII.

(4) Pierre de la Place, Commentaires de l'estut de In n Union et de la répu- blique en France, édit. Buchon, p. 14. Recueil des choses mémorables faites pour le fait (le la religion depuis la mort de Henri II jusqu'aux troubles (imp. dans les Mémoires de Condé; éd. de 1743; t. 1, p. 215.) La Pupelinière, His- toire de France de 1550 à ce* temps (La Rochelle, I5N1. t. I, liv. V, 134). Beaucaire, Hisinria Qallica..., p. 921.

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santé des cérémonies, celle qui tenait le plus au cœur de leur royal organisateur, c'étaient les joutes et pas d'armes marqués pour les trois derniers jours du mois (1).

Nulle de nos fêtes modernes, si brillante soit-elle, ne saurait nous donner l'idée de ce qu'était un tournoi. Au temps de la féo- dalité, quand l'existence des seigneurs se traînait, languissante et maussade, derrière les sombres murs de leurs donjons, l'an- nonce d'un tel « esbattement » faisait renaître la vie dans le cas- tel. Et le chevalier préparait sa meilleure armure. Et la dame sortait de ses coffres ses plus riches ajustements, ses plus pré- cieux joyaux. Puis, le grand jour venu, durant de longues et pourtant trop courtes heures, les coups de lance s'échangeaient dans l'arène sous l'œil des juges du camp qui, à la fin, procla- maient le vainqueur aux applaudissements de la foule.

Les pas d'armes survécurent à la ruine du régime féodal. La voix puissante de Froissait cessait à peine de célébrer les prouesses des chevaliers joutantpour l'amour des dames qu'Oli- vier de ia Marche le remplaçait comme chantre de ces magnifi- ques assemblées, mais aussi prolixp, aussi froid que son prédé- cesseur s'y était montré coloré et facile (2).

Le vieux moyen âge en légua la tradition à la Renaissance. Prospères sous François Ier, ces jeux acquirent l'apogée de leur éclat avec l'avènement de Henri II. Et pourtant quels dangers n'oflraient-ils pas? Sans sortir du seizième siècle et butinant et dans la chronique des pas d'armes, ne voyons-nous pas le comte d'Angouléme atteint « entre les deux premières jointes du petit doigt », tandis qu'il joutait au cours des réjouissances don- nées par Louis XII en l'honneur de son remariage (3) ? Contu- sion légère, objectera-t-on, partant indigne de provoquer la sup- pression de ces passionnants exercices. Soit ; mais la blessure du «ointe de Saint-Pol (4), mais la blessure de M. de Tavan-

t P.Malthieu, Histoire </. France, de 1518 à 1689, éd. de 1631 ; t. Ifp. 203. \ >y. -i biographie par unir,' sxcellenl ami II. II. Stfein Paria, Picart, 1888, in-4»; notamment p. 18).

3 Journal de Louise de Savoie, a la date du -i'. vembre 1514.

I Du Bellay, p. 128.

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nés (1), mais la blessure du jeune Saint-Jean (2), tous trois frappés « dedans la vue » ; ne contenaient-elles pas un redou- table enseignement?

Pour l'ordonnancement du tournoi qui nous occupe, Henri II avait déployé une magnificence sans égale. Dès le 22 mai, il avait fait crier à son de trompe que lui le Roi Très Chrétien, le prince de Ferrare, les ducs de Guise et de Nemours combat- traient en champ clos, contre tout venant, prince ou simple gen- tilhomme, chevalier ou écuyer, « pour inciter les jeunes à vertu et ajoutait la patente du défi (3), pour recommander la prouesse des expérimentés. » La lice partait du palais des Tournelles, résidence de la Cour, traversait la rue Saint-Antoine, dépavée pour la circonstance et aboutissait aux écuries royales qui occu- paient les dépendances de l'ancien hôtel Saint-Pol. D'un bout à l'autre ses flancs étaient garnis d'échafaudages réservés aux spectateurs, coupés d'espace en espace par des arcs de triom- phe. Toutes les charpentes étaient masquées par de riches ten- tures, relevées d'écussons aux couleurs de France, de Savoie et d'Espagne. Des colonnades, des frises ouvragées, des groupes de sculpture, symbolisant la guerre qui venait de finir et la paix l'on venait d'entrer, complétaient cette décoration, dans laquelle l'art de la Renaissance avait déployé, ses trésors d'élégance, sévère et raffinée à la fois (4). Et maintenant qu'on peuple par la pensée ces galeries de femmes et de courtisans aux somptueux costumes, cette arène de cavaliers couverts d'acier poli, réfléchissant les rayons du soleil; et l'on se représentera l'indescriptible tableau qu'offrirent à Paris les 28, 29 et 30 juin 15S9.

(1 ) Jean de Tavannes, Mém. du mar. Gaspardde Tavanncs, éd. Michaud, p. 1 00.

(2) Brantôme, t. III, p. 71.

(3) Elle nous a été conservée par Matthieu (Il ist. de Franre, t. I, p. 20:5-205).

(4) Sources : Cérémonial de l'Hôtel île Ville, à cette date (Copie du XVIIe s. B. N., f. fr., 18528, 14 v0); Ce qu'il fault faire à Paris à l'occasion... (B. N., f. fr., 15872, 88); Claude Raton, Mémoires de 1553 à 1582, éd. Bour- quelot, p. 99; J.-A. de Thon, Histoire de son temps, trad. franc, de 1734, t. III, p. 106 ;— Chronique anonyme de J 555 « 1623 (B. N., f. fr., 12795, f°462 ; plus, et surtout, une estampe représentant ce tournoi dans les Grandes scènes historiques du seizième siècle', reproduction du recueil de Tortorel et Perrissin, publ. sous la direction de M. A. Franklin (1883, in-f11).

_ 12 Des deux premières journées de cette fête au dénouement si tragique, l'histoire n'a gardé qu'un vague souvenir. A plus d'une reprise, les fanfares, les acclamations saluèrent la dextérité, la grâce de Gabriel de Montgomery (1). Eloigné du tumulte des batailles, il aimait ces jeux chevaleresques qui en étaient le reflet elïacé et s'y était acquis une réputation précoce.

Adroit de corps et membre, Bien jouer je savois De lance et de long bois, Piques et hallebardes, Aux joutes et tournois :

lui fait dire son panégyriste (2). Si Olivier de la Marche, cet énu- mérateur infatigable des « tournoyans », de leurs devises et de leurs passes dont nous évoquions tout à l'heure la mémoire, eût vécu alors, le nom de notre héros se serait souvent trouvé sous sa plume.

Le matin du troisième jour qui devait clore les joutes, Henri II le fit appeler. Il lui commanda de partir « incontinent le tournoi fini » pour le pays de Gaux, on lui signalait les progrès de la Réforme. C'était la seconde mission de ce genre que rece- vait le comte : une fois déjà, en avril 1558, il avait été envoyé dans le même but à Saint-Lô (3). Elles étaient rigoureuses, les mesures par lesquelles Sa Majesté prescrivait d'extirper Y hé- résie : « Mettre au fil de l'épée tous ceux qui feroient résistance ; ceux qui seroient convaincus ou confessans, leur faire donner la question extraordinaire, couper la langue et brûler à petit feu ; à ceux qui seroient soupçonnés faire crever les yeux ! (4) ».

Cet ordre donné, le Roi ne songea plus qu'à ses plaisirs. Après avoir dîné, il demanda ses armes (§). Il pouvait être deux

(t) Haton, loc. cit.

(2) Chanson de Montgomery, 3e couplet. .Nous reviendrons avec quelque détail sur ce curieux document à la fin de la présente étude.

Le ministre Macar à Calvin, Ier mai t.'i.'iH Opéra Catvini,èd. Baum, Reuss et Cunilz, l8>3-87, t. XVII. p. 54 ,

(4) Recueil des ohoses mémorables . .. loc. cit. Il convient de remarquer que le faible Henri II était 1res poussé dans la voie des rigueurs contre les calvinistes par Diane de Poitiers, qui espérait taire oublier le scandale de sa liaison publique avec lui, en affectanl une grande orthodoxie.

(a) V. Carloix, Mém. de Vieilleville, liv. VII. ch. WVll el XXVIII.

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heures quand les quatre tenants: France, portant pour « livrée » blanc et noir, couleurs de Diane de Poitiers; Ferrare, portant jaune et rouge ; Guise, blanc et incarnat ; Nemours, jaune et noir, comparurent en lice. « C'étoient, dit Brantôme, quatre princes des meilleurs hommes d'armes qu'on eut su trouver non pas seulement en France, mais en autres contrées. »

« Tous ce jour firent merveille ». Les heures fuyaient rapi- dement sans qu'on put dire à qui appartiendrait l'honneur du tournoi (1). Henri II, enfiévré, envoie un de ses gentilshommes remercier le duc de Savoie du destrier qu'il lui a prêté :

« C'est ce bon cheval qui me fait donner ces beaux coups de lance, lui crie-t -il joyeusement.

Je suis aise que ma monture (2) vous fasse si bon service, Sire, » répond le duc de sa tribune. Et il se joint à la Reine, aux dames pour le prier de « ne plus se travailler » par cette température écrasante. D'ailleurs, les courses annoncées étaient terminées. Il se faisait tard (3). Les moment était venu de se séparer.

, Le Roi n'en jugea pas ainsi. Les louanges des courtisans avaient surexcité son amour-propre. Il déclara qu'il ne quitte- rait pas l'arène avant d'avoir subi de nouveau le triple assaut que l'étiquette des pas d'armes réservait à chaque tenant. Entré le premier dans la lice, il voulait en sortir le dernier.

Il fallut fléchir devant cette volonté souveraine. Le duc de Nemours, après lui le duc de Guise font la partie du Roi, qui a l'avantage. Le troisième qui se présente, et dont l'écu étincelle de fleurs de lis (4), symbole d'une ancienne alliance de sa famille avec le sang de nos rois (S), est le comte Gabriel de

(1) Brantôme, t. III, p. 272.

(2) On remarqua depuis que ce cheval s'appelait Malheureux, et on en tira après coup un fatal présage (Brantôme, t. IX, p. 349).

(3) « Quatre ou cinq heures du soir » (Rec. des eh. mémorables. . .) Cf. une lettre de Caraccioli, évoque de Troyes, (témoin oculaire), à l'évêque de Bitonto, du 14 juillet 1559, impr. aux f03 395-39(5 des Epitres de-, princes re- cueillies par H. Ruscelll et mises en français par Belle f'orest (Paris, 1574, in-8°).

(4) Les Montgomery portaient : écartelé, au 1 et 4 de gueules à trois coquil- les d'argent; au 2 et 3 de même à trois fleurs de lis d'argent.

(5) Guillaume de Montgomery, comte de Ponthieu, avait épousé Alix de France, dont il avait eu un fils, qui périt à Bouvines.

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Montgomery. Cette fois la victoire reste indécise. Déjà dans les amphithéâtres tous se levaient pour partir, lorsque le Roi réclame une seconde passe de son dernier antagoniste. On lui objecte que ce serait violer les lois établies.

« Je veux ma revanche, s'écrie-t-il d'un ton qui n'admet pas de réplique. Il m'a fait branler sur ma selle et quasi quitter les étriers. »

Cependant on sentait dans l'air comme un mystérieux effroi.

Le lion jeune le vieux surmontera

En champ bellique en singulier duel ;

Dans cage d'or les yeux lui crèvera ;

Deux plaies une, puis mourir, mort cruelle ;

portaient les centuries de Nostradamus (1) ; présage redoutable, qui fortifiait l'orgueil national, froissé par les clauses déshono- rantes (2) de la paix de Càteau-Cambrésis, dans la conviction que le Ciel ne manquerait pas de punir celui qui avait si mal profité de ses bienfaits. « La nuit propre que lendemain fut le tournoy, raconte Biaise de Monluc (3), je songeai que je voyois le roi assis sur une chaire, ayant le visage couvert de sang. . . ' A mon réveil, je me trouvai la face en larmes. »

Consterné de son demi-triomphe, craignant de s'attirer bien des inimitiés s'il profite de la dangereuse faveur qui lui est impo- sée, Gabriel de Montgomery affirme au royal jouteur que la vic- toire est sienne et qu' « il n'y avoit moyen de faire mieux » . « Tant plus on le prie, tant plus il s'obstine ». En vain Catherine de Médicis l'envoie-t-elle conjurer de ne plus courir pour l'amour d'elle.

« Pour l'amour de la Reine, réplique Henri avec irritation, foi de gentilhomme, je courrai cette lance sans plus. » Et il ordonne à M. de Vieilleville de lui poser son casque en tète.

I Nostradamus, Prophéties, quatrain XXXV de la lr0 centurie; il occupe le du i" 10 dans l'édition de IG68 (Lyon, in-8°). On en tr nvera une explication dans (iuynaud, la Concordance des prophéties de Nostradamut l'Histoire Paris, 1693, in-8°), p. 86-88.

(2) Telle était, du moins, L'opinion alors. Depuis, et tout récemment, M. le baron de Ruble s'esl inscrit en Faux contre ce jugement traditionnel [Le traité de Câieau~CQiTnbrési$, Paris, Labitte, 1889, in-8°).

(3) Commentaires, éd. de Ruble, t. I, p.

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Cela seul indiquait une sorte d'égarement : car l'honneur d'armer le Roi appartenait au grand-écuyer, M. de Boisy. Pour- tant Vieilleville obéit, répétant d'une voix pleine de soupirs :

« Hélas ! je ne fis de ma vie chose plus à contre-cœur que celle-là. »

Sur le point d'abaisser la visière sur la face de son maître, il tente un suprême effort :

« Sire, lui murmure-t-il à l'oreille, je jure le Dieu vivant qu'il y a plus de trois nuits que je ne fais que songer qu'il vous doit arriver malheur aujourd'hui et que ce dernier juin vous sera fatal. »

Sourd à toutes les instances, le Roi prend du champ et fond bride abattue sur son adversaire. La stupeur était générale. Les trompettes, qui, d'ordinaire, faisaient entendre leurs fanfares étourdissantes , voix joyeuse du tournoi , se taisaient elles- mêmes, accroissant par ce silence inusité les terreurs instinc- tives des spectateurs. Soudain, les deux piques se brisent avec fracas, les chevaux des jouteurs sont renversés sur la croupe. Prompt comme l'éclair, le comte de Montgomery saisit l'arçon de la selle et reprend l'aplomb. Quant à Henri II, lui, si rompu à tous les exercices du corps, il se cramponne en chancelant à l'encolure de son dextrier.

Le connétable de Montmorency et le maréchal de Tavannes, juges du camp., le reçoivent, défaillant, dans leurs bras.

Un éclat de lance sortait de la visière entr'ouverte (1).

(1) « Un des esclats lève la visière... L'un accuse l'armurier; l'autre, l'im- patience du Roy, qui n'attendit que l'on mit le crochet à la visière. » (Ta- vannes, p. 22o). Cf.: Aubignc, lrc p",e, 1. il, ch.ii ; Haton, Carloix, Caraccioli.

17

II

Il nous faut renoncer à décrire l'effarement qui suivit cette nouvelle : « Le Roi est blessé » ; volant de proche en proche jusqu'à l'extrémité des galeries avec l'instantanéité de l'éclair.

La lice est envahie. On s'empresse autour de Henri II ; on s'ef- force de le ranimer en lui jetant à la face de l'eau fraîche, du vinaigre, de l'essence de rose. Il recouvre enfin le sentiment.

En ce moment, égaré, « aussi atteint en son âme que le Roy en son corps », l'auteur de l'accident perce la foule. Il se préci- pite aux pieds de son maître. 11 le supplie de lui faire couper la main, de lui faire trancher la tête.

« Ne vous souciez, répondit Henri d'une voix faible. Vous n'avez besoin de pardon, ayant obéi à votre roy et fait acte de bon chevalier et vaillant homme d'armes (1). »

Que devint-il, ce régicide involontaire, après qu'on eût trans- porté le souverain en sa chambre desTournelles? On se le figure s'enfuyant, comme frappé de vertige, à travers le flot tumultueux qui l'enveloppe, le poursuit des mille dards d'une curiosité farouche, mais n'ose l'inquiéter par respect pour les paroles tombées des lèvres du monarque expirant. On se peint l'anxiété fiévreuse qui lui serre le cœur pendant que la vie s'échappe

(1) Lettre précitée de Caraccioli. Brantôme, t. ni, p. 275.

« Le. Roy, par testament, Prononça à voix haute Que n'avois nullement Vers luy commis la faute. »

(Chanson de Montgomery, 4e couplet.)

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goutte à goutte par la plaie béante et puis son désespoir quand, dans l'après-midi du 10 juillet, les cloches des cent églises de Paris sonnèrent le glas funèbre du malheureux prince.

Le voilà stigmatisé pour toujours : cblut qui tua a joister

LE KO Y HENRY (1).

Le début du nouveau règne lui porta le coup de grâce. Le Roi est mort! Vive le Roi! Après Henri II, François II. Après l'in- lluence maîtresse du connétable de Montmorency, l'omnipotence des Guises. Ceux-ci comprirent quel danger courait leur faveur naissante s'ils ne désarmaient la déception qu'éprouvait Cathe- rine de Médicis de se voir refuser la direction des affaires publiques. Ils firent la part du feu. Dès la première séance du Conseil privé, qui se tint le lendemain de l'avènement, Gabriel de Montgomery fut cassé de son grade de lieutenant de la garde écossaise et banni de la cour (2).

Et ce n'était que le prélude des mesures iniques qui allaient accabler cette victime de la fatalité, sur laquelle on prétendait venger le mort déjà oublié, dont les derniers mots avaient été : « Vous n'avez besoin de 'pardon... »

Le 12 août suivant, le cercueil royal pénétrait sous les voûtes de Saint-Denis. Au moment le corps allait être descendu dans le caveau, le roi d'armes Valois appela les officiers de la couronne pour la remise de leurs insignes. Tour à tour retentirent les noms du duc de Bouillon, colonel des Suisses, de MM. de Brézé, de Chavigny, de la Ferté, capitaines des trois compagnies fran- çaises. Puis Valois commanda :

« M. de Lorges, apportez l'enseigne des cent archers de la garde écossaise dont vous avez la charge (3). »

Combien dut sembler lugubre l'apparition de ce vieillard, l'un

(1) Cette qualification sinistre lui est donnée par Brûlart Journal de 1559 </ 1569, au 1. i des Mém. de Condé . Elle se retrouve dans un grand nombre d'autres sources catholiques, notamment dans les dépêches diplomatiques vénitiennes, florentines et espagnoles, qui Beront citées ci-aprèSi

2 Trockmorton à la reine d'Angleterre, 13 juillet (dans Forbes, A Full view of the public transactions oftfu queen Elisabeth, 1740-41, t. i, p. 158 .

Signac, L'ordrt jues du roy Henry deuxiesmt Paris, 1559,

in-4°). C'est lui qui, en qualité- de « roy d'armes de Dauphiné », recul de ces officiers les insignes de leurs fonctions à l'appel de sou collègue Valois.

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des rares survivants des grandes luttes presque effacées de la mémoire de la génération présente, courbé moins par l'âge que par les cruelles épreuves qui s'abattaient sur sa tête blanche : son fils disgracié, lui-même près de perdre son bâton de com- mandement, noble héritage qu'il avait cru pouvoir léguer à son premier-né ! Les convoitises des courtisans nommaient déjà son successeur (1) ; bruit prématuré, il est vrai, mais qui se réalisera sous peu de jours (2). L'injustice acheva l'œuvre des années. Le vieux seigneur de Lorges ne tarda point à mourir de douleur (3).

Tant d'angoisses brisèrent l'âme du comte Gabriel de Mont- gomery. Il demanda aux distractions d'un lointain voyage l'ou- bli de ses maux. Brantôme lui reproche avec quelqu'aigreur d'avoir adopté l'Italie du Nord pour but de son expatriation. Selon l'historien des Dames Galantes, « il devoit percer et tra- verser dix ou douze fois le pays barbare, ruraut et rude des Grisons ou autre pour y faire pénitence, plustôt que vivre si dé- licieusement à Venise et terre des Vénitiens, douces et plaisantes habitations (4). » Les attraits de la cité des doges détermi- nèrent-ils vraiment son choix ? De la part de cet homme, pour l'action, non pour la vie de plaisir que promettait la reine de l'Adriatique, cela paraît au moins douteux. Mieux vaut croire qu'il eut la pensée de se retremper sur le théâtre des premiers exploits de son père. Après une courte absence, il revint mener dans ses domaines de Basse-Normandie la morne existence, à laquelle il semblait à jamais condamné.

Il en fut de Gabriel de Montgomery comme de deux illustres guerriers, dont il allait bientôt partager les périls: l'amiral Gas- pard de Goligny et son frère François, seigneur d'Andelot. Comme eux réduit à l'inaction pendant de longs mois (5), il puisa comme eux dans la lecture de livres de piété un vif penchant

(1) Trockmorton à Cecil, 2 août (Forbes, t. i, p. 180).

(2) Le même à Elisabeth, 25 août (Ibid., p. 207).

(3) Brantôme, t. m, p. 204, et t. v, p. 322.

(4) Brantôme, t. III, p. 293.

(5) Ils avaient été captifs, celui-ci au château de Milan, de juillet 1551 à juillet 1550, celui-là en Flandre, d'août 1557 à lévrier 1559.

2()

vers les doctrines réformées, (i) Cette évolution des idées du comte demeura son secret et il serait téméraire d'essayer d'en esquisser les phases. Peut-être prit-elle son point de départ dans l'horreur qu'inspirèrent à toutes les Ames vraiment chrétiennes les abominables scènes de répression qui suivirent le tumulte cTAmboise mars L560).

Cependant l'horizon politique s'obscurcissait de jour en jour. L'histoire a confirmé l'éloquent verdict de Régnier de la Plan- che (2) : « Durant le règne de François deuxième, la France servit de théâtre furent jouées plusieurs tragédies, que la pos- térité à juste occasion admirera et détestera tout ensemble. » Ca- therine de Médicis, reconnue régente jusqu'à la majorité de Char- les IX, pratiqua sans succès le système de bascule qui conve- nait à son tempérament d'Italienne. Ses efforts pour tenir la balance égale entre les différents partis qui menaçaient à cha- que instant de s'entre-déchirer ne purent que retarder l'heure de la guerre civile. Elle éclata comme un coup de foudre au son du tocsin de Vassy 1 r mars 1562).

La nouvelle de ce massacre lève les dernières hésitations de Montgomery. Il participe résolument à la cène solennelle qui réunit nombre de néophytes à Saint-Lô et installe un prêche en son château de Ducev.

La conversion éclatante du plus puissant seigneur de la con- trée fut saluée par les protestants d'un long cri d'enthousiasme. Celui qui avait le premier porté les armes contre leur église naissante (3) était devenu son défenseur. Que pouvaient-ils dé- sormais redouter des catholiques ? A eux cette épée, que leur exaltation mystique proclamait avoir été guidée par Dieu même pour abattre leur persécuteur : « Entr'autres victoires et triom- » plies de Christ qui se font ici, Monseigneur le comte de Mont- » gomery s'est dernièrement mis des nôtres » ; tels sont les termes dans lesquels l'avis en fut transmis à Calvin (i).

l Ses dernières paroles en font loi ; voy. infrà, notre chap. \. •j) Histoire de l'estat <i< Frarux sous François II, dernier paragraphe. i Voj . ci-dessus, chap I. (i) Lettre du ministre Delavigoe,du l.'i mai Opéra Calvini, t. MX, col. 47.)

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L'allégresse des huguenots, recevant parmi eux cette pré- cieuse recrue, ne se peut comparer qu'à la rage de leurs enne- mis : « Ce parricide, s'écrie un pamphlétaire, qui n'a pas eu le courage de signer ses injures, ce parricide, parce qu'il s'est mis des vôtres, vous en faites un nouveau Saint-Paul ! » (1) L'ambas- sadeur d'Espagne en entretint son gouvernement comme d'une calamité publique : « Le fils de M. de Lorges, qui blessa le roy » Henry, disait-il, tient en un sien château un prédicant qu'il a » intitulé évèque duquel j'ai vu les mandements citatoires con- » tre tous ceux qui empêchent les prédicans et ceux qui y veu- » lent aller, excommuniant iceux et recommandant que de force » ou de gré ils soient amenés devant lui (2). »

Par suite de la sinistre renommée, qui s'attachait à son nom depuis le tournoi de la rue Saint-Antoine, le bruit que Montgo- mery avait abjuré la foi de ses pères se répandit rapidement. Le comte reçut bientôt un message de Louis de Bourbon, prince de Gondé, l'invitant à le rejoindre dans Orléans qu'un coup de main venait de lui livrer et qui était à cette heure la capitale du Protestantisme, armé en vue de conquérir la liberté de cons- cience, dont trente ans de supplices n'avaient pu lui acquérir les bienfaits.

Montgomery est prêt à combattre pour la cause à laquelle il s'est donné librement. Une foule de gentilshommes des environs se joint à lui, et c'est suivi d'une petite armée qu'il traverse le Maine et la Beauce, se dirigeant vers les bords de la Loire (3).

De Paris pleuvent alors sur lui les attaques les plus fantai- sistes.

« L'autre jour, s'écrie l'un, tombant en ses mains un paquet qui venoit pour le Roy Très Chrétien, il retint les lettres et laissa

(1) Religionis et régis adversus exitiosas Calvini, liezœ et Qtttmuni conjura- torum fdetiones defenxio prima, rarissime pamphlet dont le privilège est daté du 6 juin 1562 (réimpr. ibid.) : « petit livre tien fait, lequel découvre beaucoup de petites choses pouvant servir à l'histoire », dit un Journal (anonyme) de l'un 1562, impr. dans la Revue rétrospective, t. V (1834).

(2) Comte Hector de La Ferrière.La Normandie à l'étranger, 1873, p. 2, note.

(3) Lettres de Pasquier (au t. II de l*éd. de 1723 de ses CEnvres complètes), IV, 15. Chanson de Montgomery, 6e couplet. Th. de Bèze, Hist. des Eglises réformées, éd. Cuuilz et Reuss, 1883, t. II, p. 744 et 832.

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passer la couverte [enveloppe], remplie par dérision de terre et d etoupes.

Il se ante que le coup de lance dont il tua le roy Henry fut la plus digne œuvre qui se soit faite en France, ajoute l'autre (1).

En mémoire de son forfait, surenchérit un troisième, il porte dans ses armes un heaume percé d'une lance (2). »

Malgré leur fanatisme, les bourgeois ne pouvaient s'empê- cher de trouver de telles allégations « fort dures à avaler » (3). La Cour, au contraire, s'en repaissait avidement et M. de Chan- tonay, représentant de Philippe II, s'empressa de les commu- niquer à son maître. « Je m'ébahis, confesse-t-il avec sa can- deur ordinaire comme la Royne peut les dissimuler (4). »

Avec le coup d'œil qui le distinguait et dont héritera son arrière-petit-fils, le vainqueur de Rocroy, le prince de Condé apprécia tout de suite à sa valeur l'auxiliaire qui lui arrivait, de Normandie. Impatient de le mettre à l'épreuve, il le chargea d'assurer Bourges à « la cause ».

Le lendemain 27 mai, à cinq heures du matin, Montgomery atteignait les murailles de la place. Il ne rencontra aucune ré- sistance. A la première sommation, la porte Saint-Ambrois s'ouvrit toute grande et l'escadron s'engouffra dans la rue, en- tonnant d'une voix vibrante :

Or peut bien dire Israël en ce jour Que, si le Ciel pour nous n'eût pas été, Si l'Éternel n'eût son peuple assisté, C'en étoit i.iit sans espoir de retour (5).

Trois mille religionnaires sans armes se mettent à la file des cavaliers et l'immense procession débouche, ivre d'enthousiasme, sur la grande place.

Il ne falla't pas pour agir laisser à l'exaltation des uns. au

(4) Dépêches de Chantonay des 2 mai (Original espagnol, Archives Na

lion. île-, i\ . 1497, h" 27) et 6 mal [Mém. de Condé, t. II. p, .17.) (2) Itnïlart, Journal... [Mém. de Condé, l. I. p. "7.)

Ibid. i Dépêche précitée du 6 mai. 5 Psaume cxxiv, traduction de Théodore de Bèïe.

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découragement des autres le temps de s'affaiblir. Le comte se fait livrer les armes que renferme la maison commune et les clefs de la ville. Il fait occuper le cloître de la cathédrale, qui, « bien clos et partie des entrées d'icellui muraillées », pouvait, le cas échéant, servir de forteresse dans une guerre de rues et y établit son quartier général. Il distribue des sentinelles sur les remparts et fait publier par ses trompettes « qu'aucun n'eût à s'émouvoir sous peine de la vie ».

La prise de possession s'était opérée sans désordre. « 11 n'y fut seulement donné un soufflet », dit un de ses narrateurs. Elle fut malheureusement suivie de scènes qui ne se reproduisirent que trop dans l'histoire des guerres civiles du seizième siècle. Dès le soir, « le portail du grand temple Saint-Estienne, revêtu d'une infinité d'images, fut salué de plus de mille coups d'arque- buses». Le jour d'après, nouvelles profanations des merveilles artistiques qui décoraient les différentes églises. On en martela les bas-reliefs. On renversa les statues qui en garnissaient les niches, et ce ne fut pas sans danger ; car quelques-unes semblè- rent s'animer pour se venger des outrages reçus, en écrasant dans leur chute les mutilateurs.

Montgomery fut le témoin passif de cette orgie de destruction, dont chaque phase coûtait à l'art un chef-d'œuvre. De nos jours, quand une armée, même après la victoire la plus chèrement achetée, se livre aux pires excès du triomphe brutal, pillage, massacre, viol , on peut, on doit en rendre responsable le gé- néral qui les a tolérés. Alors, au contraire, chaque soldat était un peu son propre chef. L'eût-il tenté d'ailleurs, le comte eût été impuissant à réprimer le zèle iconoclaste de gens grossiers, fanatisés par des excitations malsaines, et son intervention n'eût réussi au'à lui aliéner les ministres, dont les sermons exhortaient comme à œuvre pie au bris des « idoles ». Du moins lui doit-on savoir gré d'avoir, au milieu de l'effervescence, prévenu tout conflit entre catholiques et protestants.

La Grosse-Tour, si célèbre dans les annales du quinzième siècle, était demeurée aux mains des royaux. s'étaient en- fermés, à l'approche des calvinistes, la garnison de la ville, son

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gouverneur M. de Diors, son archevêque « homme fort an- cien, qui n'avoit cheminé depuis quatre ans, et qui néanmoins, observe malicieusement Théodore de Bèze, trouva si bien ses jambes qu'il s'en alla à pied, faisant transporter avec soi son argenterie. » Depuis quarante -huit heures rien n'y avait bougé. Montgomery la fit sommer. Ses occupants refusèrent de se rendre.

Il n'y avait nulle apparence de les pouvoir réduire de long- temps de vive force, tant ses commandants successifs avaient fortifié l'orgueilleux donjon, tant il était largement approvi- sionné de blé, vin, lard, etc.. Cependant, persévérant dans la pensée que les assiégés n'attendaient pour capituler qu'un pré- texte honorable, il improvisa à ses abords de menaçants prépa- ratifs d'attaque. Mise en batterie de grosses pièces d'artillerie trouvées çà et sur les remparts, disposition d'une escouade d'arquebusiers aux lucarnes d'un clocher qui en dominait la « basse cour », rien ne manqua à la démonstration. L'effet prévu se réalisa. M. de Diors, effrayé, ouvrit des pourparlers et s'esti- ma heureux de sortir, lui et les siens, a vie, bagues et armes sauves » de son refuge (31 mai).

La chute de Bourges répandit la terreur daus les environs. Les habitants d'Issoudun, de Yierzon, de Mehun-sur-Yèvre se hâtèrent d'informer Montgomery qu'ils étaient prêts à recevoir telles garnisons qu'il lui plairait de leur envoyer, ainsi qu'à abattre les « images » et à proscrire la messe dans leurs cités. Peut-être eùt-il mettre à profit ces offres qui livraient pacifi- quement au parti protestant une série de positions excellentes, commandant la vallée du Cher autour de sa conquête. Mais son effectif était peu considérable et il ne se sentait pas assez sur de la population de Bourges, pour l'oser quitter avant d'y avoir affermi son pouvoir.

« Vous savez que l'argent est le principal nerf de la guerre », écrira-t-il dans quelques mois (4). Or aux ressources immenses dont disposait lelloi, que pouvaient opposer les huguenots7 Pour

(4) Montgomery à Leicester, 27 janvier 1563 (l-;t Ferrière. La Norman- die..., p. 68j.

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s'en créer, ils durent s'emparer des objets d'or, d'argent, de vermeil que renfermaient les trésors des églises et des monastères. La fonte des calices, des croix, des ostensoirs accumulés par la piété de plusieurs siècles sur les autels catholiques permit seule aux calvinistes d'alimenter la lutte. Le spectacle de ces inap- préciables reliques des âges disparus transformées en lingots, Bourges l'offrit comme Orléans. On mit également la main sur les différentes caisses de recette du gouvernement dont le produit dépassa 71,000 livres.

Le 3 juin, le comte se présenta à l'hôtel-de-ville, accom- pagné de Jean de Hangest, seigneur d'Ivoy, que le prince de Condé venait de nommer son lieutenant en Berry. Le corps municipal mit aux voix devant eux les articles d'une convention relative à la conservation de la ville, convention que Montgomery leur avait fait remettre la veille et sur laquelle on n'avait pu s'entendre d'abord. La discussion occupa encore deux séances. Enfin le 6, les éclievins déclarèrent adhérer aux propositions du comte: fermeture de toutes les églises, sauf deux réservées à l'exercice du culte réformé; défense au peuple de se réunir, hor- mis pour les prières, le consistoire et les assemblées commu- nales; affectation des revenus des fabriques et des confréries à l'entretien des ministres; dépôt de toutes les armes à l'hôtel-de- ville ; de plus les poternes seraient murées, l'enceinte des cloîtres Saint-Etienne et Notre-Dame-de-Sales abattue, les constructions susceptibles d'entraver la circulation des rondes, éventrées, de façon à laisser libre, nuit et jour, le passage à pied, à cheval ou en charrette (1).

Ces détails réglés, Montgomery revint à Orléans (2). 11 y trouva la situation bien changée. A la joie, à la confiance avait

(I) J. Glaumeau, Journal de l'hist. du Berry de 1541 à l.'i62, éd. Hyver, p. 126-128. Bèze, t. II, p. 578-383. Catherinot, Le siège de Bourges in 1562 (écrit en 1684 d'après plusieurs mémoires authentiques). J.-A. de Thou, Hisl. de son temps, trad. franc de 1;34, t. IV, p. 247.— Raynal, Hist. du Btrry, t. IV, p. 18 et suiv.

('2) il quitta vraisemblablement Bourges en môme temps qu'fvoy. Or celui-ci, qui n'est pas nommé parmi les gentilshommes ayant assisté au « parlement » de Toury (9 juin), figura le 19 dans les préliminaires de celui de Talcy (Bèze). Le retour de Montgomery se place donc entre ces deux dates.

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succédé l'inquiétude. Si les religionnaires, au lieu de consumer stérilement les jours en composition d'innombrables faclum, des- tinés à légitimer leur prise d'armes aux yeux de l'Europe, avaient profité de la stupeur dont elle avait frappé leurs adver- saires, peut-être la guerre civile aurait-elle été évitée. Mainte- nant, renforcés des bandes Allemandes et Suisses qu'ils avaient eu le temps d'appeler, les catholiques se croyaient sûrs de vaincre et leur langage montrait assez la ferme volonté de refuser toute concession. On connaît les résultats négatifs des entrevues de Tourv et de Talcy. La rupture de la seconde fut le signal des hostilités.

Les royaux marchent de succès en succès. Blois enlevé, Angers repris, Tours menacé, tel est le bilan de leurs opérations de la première semaine. Impuissant à contenir ce torrent d'hommes, devenu maître du bas cours de la Loire avant qu'il n'eût pu rétablir l'ordre dans ses bataillons débandés à la suite du pillage de Beaugency, Monsieur le Prince se replia sur Orléans. D'accord avec son conseil, il prit alors le meilleur parti que commandât le triste état des affaires huguenotes : « Envoyer quelques seigneurs de crédit et d'autorité dans les provinces tant pour distraire les forces des ennemis que pour lui amener de nouveaux secours si la nécessité le roquéroit ». Cette mission de conliance, Montgomery la reçut pour son pays natal (1).

La condition religieuse de la Basse-Normandie était singu- lière et, pour en retrouver l'analogue ailleurs, il faut franchir bien des années pleines, de pari et d'autre, des plus détestables excès. Entre les catholiques ardents et les protestants exaltés se plaçaient bon nombre de gens paisibles, partisans avoués de la Réforme, mais non moins soucieux d'éviter une guerre fra- tricide. Saluons dans son humble début le parti national, ami des transactions, ennemi du sang versé, qui triomphera trente ans plus tard avec Henri IV. Ces politiques de la preinirre heure avaient pour chef le gouverneur de La province, Bobert de La Marck, duc de Bouillon, « huguenot, mais prudent et ne voulant

(1) Bèze, t. Il, p. 133.

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rien entreprendre contre le service du Roy. » (1) A cet honnête homme, également suspect aux deux factions rivales (2) tel a été de tout temps le salaire de la modération ! les gouvernants, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, Guise, Montmorency et Saint-André, dits les triumvirs, ligués avec Philippe II d'Espagne pour l'éradication de la « Religion prétendue Réformée », oppo- saient un gentilhomme du pays, hahile capitaine et fin courtisan, Jacques de Goyon, seigneur de Matignon, son bras droit lisez: son surveillant en l'investissant de lalieutenance-générale de la Basse-Normandie. Ce choix était inquiétant pour les calvi- nistes. Pris entre la demi-indifférence de leur gouverneur et l'activité fanatique de son suppléant, ils se préparaient à une lutte sans espoir quand ils virent accourir à eux le comte de Mont- gomery.

Matignon, Montgomery, ces deux noms allaient être dans la région les étendards des deux factions rivales durant tout un règne.

La mi-juillet était venue (3) quand le comte revit son château de Ducey (4). Situé à égale distance de Pontorson et d'Avranches, à cheval sur la Normandie et la Bretagne, ce manoir avait une grande importance stratégique. Le comte y passa quelques jours, armant ses vassaux, appelant sous sa bannière les reli- gïonnaires des alentours, recueillant les 150 chevaux des capi- taines Avaines, Deschamps et La Motte-Tibergeau, échappés

(t) Nous traçons ce tableau d'après Florimond de Rœmond, Histoire des progrès et de la décadence de V hérésie en France (Rouen, 1664, in-4°), liv. III, ch. vi. J.-A. de Thou, t. IV, p. 239.

(2) Pour les soupçons des protestants à son égard, voy. Bèze, t. II, p. 841 ; pour ceux des catholiques, voy. une dépèche de Chantonay du 16 septem- bre {Mèm. de Condé, t. II, p. 84).

(3) Bèze (t. II, p. 841) ; rectifiant lui-même l'erreur qu'il a précédemment commise (p. 744) en montrant Montgomery en Basse-Normandie dès la fin de juin, date il était encore à Orléans (voy. suprà).

(4) Une description 1res sommaire, datant de 1593 et reproduite par Des- roches {Ann. du pays d'Avranches, p. 61), prouve que Gabriel de Montgo- mery avait fait des restaurations assez importantes au manoir féodal qu'il avait hérité de sa mère et qui avait été mis en ruine partiellement « par les Navarrois lors des guerres [anglaises] ». Cf. une liasse de pièces doma- niales à ce relatives, dans le dossier A. 118 des archives DE la manche.

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du Mans, dont les catholiques s'étaient naguère emparés (1). Il entra bientôt en campagne, occupa Vire, désarma les cordeliers qui faisaient mine de vouloir défendre leur couvent, l'arquebuse au poing, et, chargé des dépouilles des églises, alla reprendre ses cantonnements le long de la Sélune.

Il avait eu un double but : protéger les protestants de Vire, molestés par leurs concitoyens catholiques, et se procurer les sommes nécessaires au paiement de ses troupes (2). Conséquence plus heureuse pour son parti, il devint l'épouvante du Cotentin. Le Grand-Prieur de France, frère du duc de Guise, se trouvait alors au château de Bricquebec (3), résidence de la belle Marie de Bourbon, veuve du duc de Nevers, « pensant plutôt, dit Théodore de Bèze, à faire l'amour quà manier les armes » ; on prétendait même que, aveuglé par la passion, il pensait à rompre ses vœux et à épouser sa maîtresse. Sur le faux bruit que Montgomery se dirigeait vers Bricquebec, la peur le prit et il se réfugia à Cher- bourg 4). Matignon vint l'y rejoindre afin de se concerter sur les mesures propres à arrêter le chef huguenot.

Indigné de n'être pas même consulté, le duc de Bouillon se lance avec cinq cornettes à la poursuite de son lieutenant. Devant lui, les herses se baissent, les ponts se lèvent. Il somme les sentinelles de livrer passage au gouverneur. Elles en réfèrent à Matignon, qui refuse d'obéir. Exaspéré, Bouillon se mettait en devoir de forcer l'entrée, lorsqu'une dépêche très pressante le rappelle à Caen : profitant de son absence. Montgomery avait tenté de s'en emparer, et son audacieux coup de main n'avait échoué que par miracle (5).

(1) Le duc d'Ktampes au roi de Navarre, 17 août (<>rig., M. X., f. lï., . I 436 . Bèze, t. Il, p. 843. - .l.-A. de Thou, t. IV, p. 228.

(2) « Descharge des reliques de Vire » (Orig., H. .Y, f. l'r., 3190, fui. i \- 17). Bèze, t. II, p . J.-A. de Thou, t. IV, p. 240.

Remarquons, on passant, qu'un hist rien rirois considère le fait de « ne vouloir prendre Lesdits joyaux >;ms en donner acquit comme une marque de la droiture du comte. Leeoq, Mém. pourservirà Vhistoin d Vire; M~. on-, fin wnr b., B. .Y, f. IV., JJiT'f. p. '».;.

■i A \h kilomètres (le Valognes (Manche).

(4) Trockmorton a Elisabeth Forbes, i. Il, p. ix . Bèze, i. Il, p. 842.

.i) Bèze, t. II. [.. sil-s^t. De Thou, t. IV, p. 239.

Le faux bruit se répandil alors que Bouillon, sVtant mis aux trousses de

2t>

Si Montgomery fût demeuré libre de ses mouvements, nul doute que, aidé par les dissensions de ses adversaires, il ne se fût vite rendu maître d'un vaste territoire. Mais, comme, au retour de sa camisade infructueuse, il guettait une occasion d'entamer sérieusement les hostilités, il reçut du prince de Condé l'ordre d'aller combattre entre Rouen et le Havre (1) les troupes commandées par le duc d'Aumale.

Cependant, Matignon a informé la Reine-mère des récents événements. Il l'a suppliée d'ordonner au duc d'Etampes, gou- verneur de Bretagne, de réunir ses forces aux siennes, afin de cerner Montgomery (2). De son côté, le duc écrivait à Cathe- rine (3) : « Le comte de Montgomery fait son assemblée à Saint- » James-de-Beuvron qui n'est qu'à deux lieues de notre fron- » tière. Ce que je crains le plus est qu'il se saisisse de Pontor- » son, qui est si près de notre pays qu'il nous feroit de » infinis maux. Pour être hors de mon gouvernement, je n'y ose » aller sans votre exprès commandement, et, s'il vous plaisoit » n'avoir point respect à cela et advertir ceux qui ont charge en » Basse-Normandie et Bas-Maine, nous aurions moyen de faire » bon devoir. » La Reine-mère s'empressa d'expédier au duc le plein-pouvoir demandé, à Matignon l'ordre de se joindre à lui. « La prise de Montgomery, ajoutait-elle, me seroit autant » agréable que pouvez penser (4). »

Ce dernier n'était pas resté inactif. Le plus grand nombre s'imaginait qu'il amassait des troupes dans le seul but de les mener au prince de Condé (5). Quelques-uns lui attribuaient la

Montgomery, avait été tué dans une rencontre entre Caen et Falaise (Kille- grew à Cecil, 10 août; Calendars. . ., 1562, 459).

(1) Coligny à d'Andelot, 3 août (dans Kervyn de Lettenhove, Les Hugue- nots et les Gueux; 1883-85 ; t. I, appendice).

(2) Le duc d'Etampes au roi de Navarre, 7 août(0rig., B. N., f. f., 15876, fol. 386). Cf. Gastelnau, Mémoires, liv. III, ch. XII.

(3) Lettre du 10 août [Ibid., f°. 389).

(4) Lettre du 14 août (Lettres de Catherine de Médicis, publ. par le comte H. de La Ferrière, t. I, p. 375). Cf. : Charles IX au duc d'Etampes, 14 août Ereuves de Vhisloire de Bretagne, p. p. don Morice, 1742-46, t. III, col. 1318); et la Reine-mère, .s. '/. (fin d'août), au même (Lettres de Catherine, t. I, p. 385-387). Castelnau, loe. cit.

(5) Lettre du duc d'Etampes du 10 août, précitée.

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pensée de les employer à piller la Bretagne. La vérité, c'est qu'il ne voulait pas quitter la Basse-Normandie avant d'y avoir assuré quelques places à ses coreligionnaires. Pontorson, il est vrai, lui ferme ses portes (1). Mais, dès le surlendemain, cet échec est réparé : son plus habile lieutenant, le baron de Colombières, a occupé Coutances sans coup férir (2).

Avranches était restée neutre. Montgomery partait pour la garnir, quand il fut informé que l'avant garde bretonne, sous la conduite du vicomte de Martigues, neveu du duc d'Etampes, marchait à grandes journées contre lui. Il n'en prit pas moins la route d'Avranches, chargeant les capitaines Deschamps et Avanies de faire sauter les ponts de la Sélune.

A mi-route, Avaines et Deschamps sont avertis que les passe- relles qu'ils ont mission de détruire sont déjà coupées. Ils re- broussent chemin sans plus se soucier de leur mission. Or on les avait trompés et, tandis qu'ils ralliaient paisiblement le camp protestant, l'ennemi traversait la rivière sans obstacle.

EncemomentMontgomeryreparaitaDucey.il est très in- quiet. Son opération a avorté ; les catholiques l'avaient devancé à Avranches. par un pressentiment, il ordonne une recon- naissance sur la route de Pontorson. Ses vedettes reviennent presqu'aussitôt, effarées ; les grand'gardes catholiques sont en vue.

Le temps n'est pas aux récriminations. Montgomery détache une estafette vers Colombières, lui prescrit d'évacuer Coutances et de se replier sur Saint-Lo qu'il gagne lui-même avec son monde (3).

Sa position devenait très dangereuse. En face, .Matignon et le Grand- Prieur ; sur le liane droit, Bouillon; sur le gauche. Mar- tigues. Circonstance plus grave, la désertion se mettait dans ses rangs, juste à l'instant les royaux découvraient ce qu'il était

I ) Supplique des habitante de Pontorson ;iu due d'Aumale, 12 août(Orig., I!. V, 3190, Col. 18 cl 19 .

(2 Ibid. Le duc d'Etampes au roi de Navarre, 17 aoûl ^Orig., B. V. I'. l'r.. 15876, loi. 156). - Bèze, I. Il, p. 844. De Thon, i IV, p. fe40.

(3) Lettre précitée du duc d'Etampes, du 17 août. Bèze, t. H, p. 543 el 844 De Thou, t. IV, p. 240.

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parvenu à leur cacher : son objectif. Et les vaisseaux sur lesquels il comptait pour le conduire en Haute-Normandie ne paraissaient pas (1).

Mais il n'était pas homme à s'effrayer des difficultés. Sa femme, cette admirable Isabelle de la Touche, l'encourageait de sa pré- sence ; accouchée de ciuq jours, elle s'était traînée à sa suite (2).

« S'il demeure à Saint-Lô, écrivait de Fougères le duc d'Etam- » pes (3), s'il demeure à Saint-Lô, j'espère l'y aller prendre. » Le comte ne l'attendit pas.

Par son ordre, cinq cornettes prennent position entre Saint-Lô et la côte sud du Cotentin. Les capitaines Deschamps, Avaines, La Motte-Tibergeau et La Poupelière avec les leurs occuperont Vire. Pour lui, il reste à Saint-Lô, il forme d'autres colonnes, celles dont nous venons de parler étant loin d'absorber les 3000 gens de pied et les 7 à 800 chevaux qui composaient son armée.

Le surlendemain, 3 septembre, lui arriva un message alarmant de M. de La Poupelière. Ou s'était bien assuré de Vire sans effusion de sang ; mais la place était indéfendable, la population franchement hostile, les gens de guerre aussi mal armés qu'in- disciplinés. D'autre part, on assurait que le duc d'Etampes, con- tinuant sa marche en avant, avait livré Ducey au pillage.

« Retournez vers celui qui vous envoie, dit le comte au courrier, et annoncez-lui que je vais à son secours. »

Dans l'après-midi du même jour, il a fait le tiers du trajet à parcourir. Il est àTorigny dont un détachement huguenot s'était emparé la veille. il apprend de quelques fuyards appartenant à la compagnie Avaines la chute de Vire au milieu d'un affreux carnage (4).

Sa riposte fut prompte. La nuit suivante, Bayeux tombe en son

(1) Sources précédentes.— Cf. deux dépêches de Chantonay du 3 septembre (l'une, en français, impr. dans Mém. de Condé, t. II, p. 76, l'autre existant en original espagnol aux Archives Nationales, K. 1498, 32).

(2) Ibid. Bèze et de Thou, loc. cit.

(3) Lettre précitée du 17 aoûl.

(4) Bèze, t. Il, p. 846, 848 et 8bo.

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pouvoir (1). L'affaire de Vire n'avait pas été du reste le désastre qu'on croyait d'abord. Beaucoup de ses défenseurs avaient pu se sauver et se rallièrent rapidement (2). La semaine d'après, l'inquié- tude avait passé du camp de Montgomery à celui du duc d'Ktam- pes. « Le capitaine du château de Domfront m'est venu trouver, » écrivait celui-ci à la Reine-mère le 11 septembre (3). Il m'are- » montré que ledit château n'étoit pas fermé; par quoi je crai- » gnois que M. de Montgomery, le sachant, y allât ou y envoyât, » pour prendre l'artillerie qui y est; j'y passerai et la prendrai pour » nous en servir. » Paroles fatidiques qui font rêver, quand on se remémore l'incroyable siège que soutint en ce même lieu douze ans plus tard le héros protestant !

Le soir de ce jour-là, à l'extrême surprise du duc d'Etampes, à sa grande joie, Matignon et Bouillon opéraient leur jonction avec lui (4). Une seconde fois, l'espoir revint au cœur des confé- dérés. Une seconde fois le chef huguenot les gagna de vitesse. De source sûre, il savait maintenant que les transports si longtemps attendus n'attendaient plus que Tinstant d'atterrir à l'embouchure de l'Orne. Quand les royaux l'atteignirent, ce fut à la pointe d'Ouistreham, dans une position si solide que tous leurs efforts pour l'en déloger échouèrent (5).

(1) Gouberville, Journal, p. p. l'abbé Tollemer, p. 757 et 758.

(2) Bèze, loc. cil.

(3) Impr. par le comte de La Ferrière dans La Norman' lie..., p. 7.

(4) Post-scriptum de la lettre précédente.

(o) Bèze, t. II, p. 8o.ï. Ch. de Bourgueville de Bras, Recherches et anti- quités de la Neustrie et de la ville de Caen, réimpress. en 1833 de 1 éd. origi- nale de 1588, 2n partie. De Thou, t. IV, p. 2 14.

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III

Pendant que Montgomery échappait ainsi à l'étreinte des trois corps d'armée réunis contre lui, de grands événements s'accom- plissaient dans le centre de la France, et il est nécessaire d'y jeter un rapide coup d'oeil. Chaque jour le parti calviniste perdait du terrain. Le 31 août, Bourges, assiégé depuis moins d'une semaine, Bourges dont on espérait une longue résistance, ou- vrait ses portes et les royaux marchaient sur Bouen. Ils se promettaient d'avoir facilement raison de cette place, la sachant sans chef : son gouverneur M. de Morvilliers venait en effet de se retirer dans ses terres, jugeant et à juste titre « la cause » déshonorée par certaines pratiques auxquelles on s'é- tait laissé aller avec la reine d'Angleterre (1).

Depuis le commencement des troubles, la Cour suivait l'armée. En arrivant à Gaillon on apprit, non sans étonnement, que Mor- villiers avait un successeur, et que ce successeur était le comte de Montgomery.

« Je donnerois 100.000 écus, s'écria Catherine de Médicis, pour que cet homme soit hors de Bouen. Car je prévois que son obstination en causera la ruine (2). »

Montgomery y était arrivé le 18 septembre, appelé par une lettre pressante des habitants, lettre qui l'attendait au Havre

(1) V. Mgr le duc d'Àumale, Hisl. des pr. de Condé, liv. I, chap. II.

(2) Kiilegrew à Cecil, 1er octobre (Forbes, l. II, p. 82).

3

34 -

il n'avait fait que passer (1). Il organisa la défense avec l'acti- vité que nous lui connaissons (2). Sous sa direction, la hauteur, dite le mont Sainte-Catherine, qui domine la ville vers l'est, se couvrit de redoutes. On mura les portes, sauf deux donnant sur la campagne, que vinrent protéger de puissants remblais. On brûla les faubourgs. La chaussée de Martainville sur laquelle passe la route de Paris fut coupée de fossés et de barricades. Ces travaux terminés, Rouen défiait une attaque de vive force.

Il était temps.

Le 29 (3), les sentinelles signalèrent l'avant-garde catholique.

Presqu'aussitôt un héraut d'armes parut et demanda à parler au chef des rebelles. Mené au comte, il promit de par le Roi pleine et entière rémission de leurs fautes et crimes passés à tous ceux qui déposeraient les armes.

« INous savons que penser de telles propositions, répliqua froidement Montgomery. Elles n'émanent pas de Sa Majesté, mais des fauteurs de troubles qui La détiennent en servitude. L'avenir démontrera bien qui, d'eux ou de nous, a besoin de pardon. Je garde au Roi celte ville de Rouen, par le commandement de Monseigneur le prince de Condé, qui a entrepris la conservation de l'Etat Sur votre vie, héraut, ni vous ni vos semblables, ne vous approchez désormais plus près qu'une portée de canon (4) !

Et se tournant vers son entourage :

Celui qui parlera de se rendre, je le ferai tailler en pièces (5).»

(1) Bèze, t. II, p. 142. Cf. Gastelnau, lm\ cil.

(2) Dépèche de Chantonay, 2 octobre (Mém. <te Covlr. p. 92). Bèze, t. II, p. 733, 739, 742 et 745. Cf. deux ordonnances de Montgomery des 20 et 23 septembre [Mém. de Condé, t. III, p. 688 et 706).

(3) La date esl laissée dans le vague par les différentes sources citées ci- dessous, sauf dans la lettre de Charles l.\ à Sainl-Sulpice qui la fixe exprès- si' ment.

(4) Charles IX à Saint-Sulpice, ambassadeur de France en Espagne (dans LaFerrière, La Normandie..., p. 24). Dépêche précitée de Chantonay. - - Dépêche de M. A. Barbaro au doge de Venise, 4 octobre l>. Y. l>isi>arci

degl' ambaseiatori Veneziani (copies ms. modernes), fil/.;, -i, f" 534, 535 et 537 . - Bèze, t. II, p. 745.

(:; Paroles rapportées au procès du conseiller Soquence, après la prise de Roui h (Bèze, t. II, p. 776).

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L'effectif des assiégeants comprenait 6,000 gens de pied, 2.000 chevau-légers, les onze cornettes allemandes du Rhin- grave Jean-Philippe de Salm ; 60 bouches à feu de gros cali- bre (1). Pour leur tenir tête, Montgomery ne disposait que de 2.000 hommes (2).

Malgré cette supériorité numérique, les royaux allaient passer par bien des vicissitudes. De violentes escarmouches, qui s'en- gagèrent dès le lendemain de l'investissement, leur apprirent qu'ils n'auraient pas l'avantage dans un assaut improvisé. Ils recoururent alors au bombardement. Toutefois , n'étant pas maîtres des approches de la ville, ils durent installer leurs bat- teries à distance ; aussi, fort peu de projectiles atteignaient-ils les remparts. Ils essayèrent du moins de fermer aux assiégés la route de la Seine par laquelle ils pouvaient recevoir des secours du dehors. Ils établirent une ligne de pilotis en travers du ileuve à la hauteur de Caudebec. Mais, le 3 octobre, un convoi de bateaux, venant du Havre, arrivait sur ce barrage, le démolissait aux trois quarts et forçait la passe. Il amenait Mmc de Montgomery et plusieurs canons, 160 quintaux de poudre, un large approvisionnement de boulets, des morions, des corse- lets, des arquebuses destinés à armer la population. Dans l'après- midi du même jour, 60 Ecossais à cheval parvenaient égale- ment à traverser les lignes catholiques et entraient à Rouen sans avoir perdu un seul homme (3).

La clef de la position, tous le sentaient bien, c'était le mont Sainte-Catherine. Durant les vingt-quatre heures qui suivirent, le vicomte de Martigues, commandant en chef de l'infanterie assiégeante, lança à plusieurs reprises des colonnes d'attaque sur ses pentes abruptes. Chaque fois elles furent repoussées avec de grandes pertes. Qu'on ajoute à cela une pluie persistante,

(1) Dépêche précitée de Barbare « Extraict d'une lettre escripte au camp devant Rouen du d'octobre. » (Mém. de Condé, t. IV, p. 40). Bèze, t. II, p. 746.

(2) Lettre précitée de Killegrew.

(3) Lettres précitées de Killegrew et de Barbaro. Poynings et Vaughan à la reine Elisabeth, 4 octobre (Forbes, t. II. p. 88). « Extrait de lettre du 59 d'octobre » précité. Bèze, t. II, p. 746 et 747.

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dont ne souffraient point les protestants, à l'abri de leurs case- mates, et qui, au contraire, éprouvait rudement les royaux cam- pés en plein air et l'on se fera une idée des difficultés contre lesquelles ceux-ci se débattaient, lorsque la trahison vint changer la face des choses.

Le 6 octobre, sur les dix heures du matin, Jean d'Hémery, sieur de Villers, vaillant soldat qui se fit plus tard un nom honoré dans les troubles de la Ligue, étant de tranchée avec son régiment, remarqua que les ravelins ennemis étaient moins garnis de sentinelles que de coutume. Surpris, il questionne un certain capitaine Louis, pris la veille, dont la compagnie faisait partie de la garnison du fort. Celui-ci voit dans une réponse nette et précise le moyen d'éviter la potence :

Ils font si peu de compte de vos efforts, réplique-t-il, que, chaque jour, à cette heure-ci, ils s'en vont en ville, afin de se divertir et de se pourvoir des choses nécessaires.

M. de Villers prévient le connétable qui, de concert avec le roi de Navarre et le duc de Guise, décide de profiter de l'avis. On distribue ainsi les rôles : Villers attaquera de front, tandis que Sainte-Colombe, autre colonel d'infanterie, opérera une diversion en se portant sur la porte Saint- Hilaire comme pour un assaut général. Au signal convenu, un coup de canon, Villers enlève ses bandes et pénètre sans coup férir dans l'ou- vrage principal. Les quelques huguenots qui le gardent, atta- qués pendant leur sommeil, se rallient néanmoins et soutiennent- intrépidement le choc. Dans la chaleur de l'action, le misérable, auquel est due la surprise, est tué par un de ses anciens soldats. Cependant il faut céder au nombre, se réfugier dans les redoutes formant couronne au dessous du fort.

D'en bas, Martigues a suivi les péripéties de la lutte. Il amène deux enseignes de renfort, prend le commandement, que le brave Villers, blessé au liane et au visage, ne peut garder, et à leur tête, chasse les protestants de tranchée en tranchée.

Au même instant, 300 bourgeois armés sortaient de Rouen, envoyés par Montgomery au secours des siens dont il a vu le jnii!. Us se beurtent aux soldats de Martigues, échauffés par

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l'ardeur du combat, sont rompus et presque tous tués ou pris (1).

Jl serait difficile de peindre l'orgueil des royaux après cette victoire inespérée. Catherine de Médicis, le jeune Roi et toute leur suite se transportèrent sur la plate-forme encombrée de ca- davres. C'est de laque la Reine-mère écrivit au Grand-Ecuyer Boisy (2) : « Dieu a tellement favorisé noire entreprise du mont » Sainte-Catherine que , encore que les rebelles le tinssent » pour imprenable tant pour son site que pour les fortifica- » tions, qu'ils y avoient faictes nos soldats l'ont ceste » après -disnée emporté de furie d'assaut. Cette prise a » donné tel estonnement àceux delà ville que je pense qu'ils ne » rechercheront plus que la miséricorde du Roy et que dès de- » main ils seront prêts à se remettre en ses mains. »

Le jour d'après, en effet, un parlementaire arrivait au camp, porteur des propositions suivantes : Rouen serait racheté du pillage à prix d'or ; quant aux habitants, ils pourraient s'éloi- gner, la vie sauve, sans armes ni bagages. Ces conditions si modérées, les généraux catholiques les rejetèrent avec hauteur.

« Point de traité entre nous et des rebelles, dirent-ils ; qu'ils se rendent à la merci du Roy.

Eh bien ! ripostèrent les Rouennais, nous nous défen- drons jusqu'au bout; et puis nous mettrons le feu en la ville et regarderons de vendre nos vies le mieux que nous pourrons (3). »

La fureur a remplacé l'abattement, et Montgomery ne tardera point à infliger de sanglants démentis à ceux qui le disent prisonnier (4) ou en fuite (S).

(1) Sir Thomas Kemys à Cecil, 6 octobre (Calendars..., 1562, 783, Dépêche de Barbaro du S (Disp. degl'amb. Venez, filza 4, fos 539 et 540. Lettre précitée de Charles IX à Saint-Sulpice. Bèze, t. Il, p. 750, et 751. Davila, Hist. des guerres civiles de France, trad. franc, de 1666,

II, p. 250 et 251. J. -A. de Thou, t. IV, p. 428. Aubigné, Hist. univers, i™ partie, liv. I, ch. X.

(2) Le 6 octobre. (Lettres de Catherine, 1. 1, p. 414).

(3) Dépêches de Chantonay, 8 octobre [Mém. de Condé, t. III, p. 93), de Barbaro, 9 et 13 octobre (B. N., DispaccidegVamb. Venez, filza 4, p. 545 549).

(4) Dépèche de l'ambassadeur tlorenlin Tornabuoni, 9 octobre. (Négocia- tions diplomatiques entre la France et la Toscane), publ. par A. Desjardins, 1859-75, t. III, p. 496.

(5) Dépêche précitée do Barbaro du 9 octobre.

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Cinq batteries foudroyaient à présent la place du côté oues. <( le plus battable »(1). « Rouen est vu de tête, de cul et par » courtine, écrivait un témoin oculaire, de façon qu'il est ma- » laisé de se tenir sur le rempart, je ne dirai pas pour combattre, » mais, sur le ventre, pour se cacher » (2). Le faubourg Saint- Hilaire, mitraillé de toutes parts, n'était plus qu'un monceau de décombres (3). Le 8, Montgomery dirigea sur ce point une sor- tie. Une colonne balaya les assiégeants, sous une grêle de bou- lets, jusqu'aux batteries de la colline. Une autre s'engagea sur la route de Darnétal et fit un affreux massacre des reîtres qui l'occupaient (4).

Le lendemain soir, trois bâtiments pénétrèrent dans le port. Ils étaient partis six du Havre, portant un millier de gens de guerre. Mais, sous le feu d'une batterie tirant de Quillebœuf, deux avaient été forcés de relâcher à Tancarville. Un autre avait sombré en cherchant à franchir le barrage de Caudebec, refait sur de nouveaux plans depuis la semaine précédente. En dépit de ces pertes, le renfort que recevaient les Rouennais compre- nait encore S à 600 hommes (o).

Il arrivait à propos : car l'artillerie ennemie venait d'éventrer l'une des tours de l'enceinte et tout présageait une attaque pour le lendemain (6). La nuit se passa du côté des assiégés à réparer la brèche.

L'assaut prévu eut lieu. Il fut terrible. Malgré leurs efforts, les royaux eurent encore le dessous.

Le surlendemain, 12, seconde tentative, second insuccès. La lutte avait duré de 10 heures du matin à 6 heures du soir. Montgomery communiquait son ardeur à la population (7) : on

(1) Dépêche précitée de Cbantonay. Davila, t.], p. 2:>4. Bèze, 1. 1, p. i:>l.

(2) Roberlct au duc de Nemours, 12 octobre (Autog., B., N., f. fr., 3200, fol. 128). Castelnau, toc. cit.

(3) Davila. Bèze, toc. cit.

(4) Bèze, t. II, p. 732.

Dépêches de Chantonay, 13 octobre Mém. de (''■mit'-, t. Il, p. 9B), il'' Barb.iro, 14 octobre (B. N., Ditpacci..., Qlza J, fol. 549^554 ). Smith a Throckmorton, 17 octobre (Catonetorj..., 1562, u" 870). Davila. t. 1, p.

- Bèze, /'»■. cit.

(6) Lettre précitée de Robertet du 10 octobre.

(7) Ibid.

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vit des femmes tuées, pendant qu'elles portaient, sous les balles, des munitions aux combattants (1).

Le 14, un héraut d'armes vint sommer la ville. Mais il ne put fléchir ce que les assiégeants appelaient « l'opiniâtreté des rebelles ». Montgomery promit cependant de transmettre ses propositions aux échevins et de donner leur réponse à 4 heures de l'après-midi. Les royaux n'attendirent, pas le terme fixé. Outrés de tant d'audace, ils se ruèrent contre la brèche ouverte le 10. Les assiégés y avaient accumulé des sacs de terre et des madriers, qui la bouchaient tant bien que mal. Le combat se prolongea six grandes heures. Les assaillants prirent, perdirent, reprirent la porte Saint-Hilaire, qui finit par leur rester. Leurs tués ou leurs blessés atteignaient le nombre de 800. Les assiégés avaient aussi été très éprouvés : 400 ou 500 des leurs, dont beaucoup de femmes, demeurèrent sur la place (2).

La canonnade recommença avec le jour. Vers midi, le roi de Navarre, aussi brave soldat que triste politique, s'étant avancé au pied du rempart pour diriger le travail des sapeurs, qui se préparaient à l'attaquer à coups de mines, s'affaissa tout à coup. Une balle lui avait fracassé l'épaule. En le voyant tomber, les catholiques, exaspérés, s'élancèrent à l'escalade, sourds aux cris des chefs qui s'efforçaient de les retenir. « Assaut ! Assaut criaient-ils ; et, culbutés, décimés, ils revenaient à la charge, chaque fois plus furieux. Ce fut ainsi pendant trois heures. Du mont Sainte-Catherine, la Cour contemplait l'émouvant spectacle. Les défenseurs de Rouen ne reculaient pas. Au mi- lieu d'eux, se multipliant, apparaissant à tous les points mena- cés, Gabriel de Montgomery faisait des prodiges de valeur. Tout ce qui se présentait à portée de sa longue épée de combat rou- lait dans le fossé, demi-comblé de cadavres. Et, quand enfin François de Guise parvint à faire écouter sa voix, quand il put ramener en arrière ses bataillons éclaircis, le comte, sublime d'exaltation guerrière, lança son cheval sur le terre-plein, qui

(1) Dépêche précitée de Chantonay. Bèze, loc. cit.

(2) Lettre précitée de Charles IX à Saint-Sulpice. Davila, t. I, p. 257. Bèze, t. II, p. 7.:>4.

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obstruait intérieurement la porte Saint-IIilaire, et là, à la vue de tous, amis et ennemis, fit cabrer l'animal et brandit à plusieurs reprises sa rapière sanglante, comme invulnérable dans un ouragan de mitraille. Cette terrible journée coûtait aux protes- tants 300 ou 400 hommes. Les pertes des royaux dépassaient, le chiffre de 1.500 morts. Deux drapeaux étaient les trophées de la victoire des Rouennais (1).

« Mauvaise conquête que de conquérir sur soi-même », disait souvent le Chancelier de L'Hospital, au grand courroux du duc de Guise, qui, de son côté, allait répétant : « Que l'on me donne carte blanche et dans vingt-quatre heures Rouen sera au Roi » (2). Catherine de Médicis avait une extrême déférence pour le Chancelier. Pour hésiter à accepter les propositions du duc de Guise, elle avait une autre raison , la plus sérieuse peut- être à ses yeux : « De la ruine d'icellc ville, nous dit l'ambassa- » deur d'Espagne, la France entière recevroit un grand dom- » mage » (3).*

Aussi, le même jour, lo octobre, à peine le grondement du ca- non , le crépitement des arquebusades eurent- ils cessé qu'un héraut se présentait aux portes pour la troisième fois et exhortait les habitants à se soumettre. Montgomery assembla ses officiers et les notables de la ville II fut décidé qu'une suprême tentative d'accord serait faite. Deux bourgeois, Nicolas Lesire et Guil- laume Boquet, allèrent trouver Catherine de Médicis. Charles IX était auprès de sa mère. Les envoyés exposèrent à Leurs Majes- tés qu'ils avaient pris les armes, non contre leur souverain, mais contre les princes de Lorraine, usurpateurs de l'autorité royale, et dont tous les bons Français réclamaient l'éloignement. Le jeune Roi répondit quelques mots de pure courtoisie; puis,

(1) Dépêches de Chantonay, 16 octobre {Mém. de Condé, I. II, p. '.»: . Barbaro, 18 ; de Montfort, ambassadeur de Savoie, à son maître (B. Y. Ditpacci..., filza 4 bis, liiO. (La Ferrière, La Normandie..., p. 27). Smith à Cecil, 18 octobre ! Kemys au même, 20 Forbes, l. II. p. 121-127). Ormesby à Wadde. 21 Calendars..., 1562, aot 885). Lettre précitée de Charles IX à Saint-Sulpice.

(2) Castelnau, toc. cit.

(3) Dépêche de Chanlonnay, 17 octobre (Mém. de Condfi, t. Il, p. 98). Castelnau, lo cit.

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Catherine, entrant dans le vif de la question, déclara qu'elle ne souscrirait jamais à de semblables conditions. Une sauvegarde pour eux et leurs biens, le libre exercice du culte réformé, voilà tout ce qu'elle entendait leur accorder; encore y introduisait-elle cette réserve que les ministres seraient provisoirement éloignés. Et, comme ils se récriaient :

« Nous savons assez comme il faut vivre et vous viendriez bien tard pour nous l'apprendre, répliqua-t-elle sèchement. Il vous doit suffire d'obéir au Roy et vivre comme lui. Si par amour ne le voulez , nous avons les moyens d'en demeurer maîtres. »

Les négociateurs congédiés sur cette brutale apostrophe , retournèrent à Rouen. On les entoura. Leur récit fut accueilli par des cris d'indignation. « Plutôt mourir que de se soumet- tre à la tyrannie de ceux de Guise ! » (1)

Les pourparlers n'en continuèrent pas moins (2). « L'on se bat, » l'on parlemente , l'on se courrouce , l'on se rapaise et pour » conclusion on perd beaucoup de temps, » écrivait M. de Ghan- tonay, le représentant Espagnol (3). En réalité il était dupe, comme les assiégés . d'un stratagème de la cour. Les royaux profitèrent de l'armistice pour détourner le cours de deux petites rivières, le Robec et l'Aubette, qui traversent Rouen et faisaient alors mouvoir ses moulins. Le 19 au matin, ce travail était terminé (4), et les chefs catholiques jugèrent le moment venu de couper court aux négociations. A une adresse , les Rouennais affirmaient respectueusement, mais fermement leur résolution de « maintenir les ministres, pour continuer le service de Dieu, sous l'obéissance du Roy » (5), ils répondirent en faisant sonner

(1) ArticlesproposésàRoueniC"/r/»^((/-.s..., 1562, 883). Dépêche de Bar- baro, 19 octobre (B.N., Uispacci, filza4, fos552et553).— Bèze, t. II, p. 756-758.

(2) Dépêches de Chantonay, 17 [Mém. de Coudé, t. II, p. 08) et de Bar- baro, 20 (B.N.. Dispacci.. , tilza 555). Ormesby à Cecil, 20; à Wade, 22; à Cecil, 23 [Calendars. . ., 1562, nos 881, 890, 90lV Bèze, t. II, p. 759 et 760.

(3) Dépêche du 22 (Mém. de Condê, t. II, p. 99).

(4) Bèze, t. II, p. 760.

(5; Bèze t. II, p. 761) analyse cette pièce dont le texte complet se Irouve dans les Mém. de Condé (t. IV, p. 45 et 46).

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l'assaut. Toutefois m fut en vain qu'ils essayèrent d'établir deux pièces de campagne sur la plate-forme du bastion Saint- llilaire (1). « Ceste canaille nous a longuement amusez et le » désir qu'on a eu de les sauvera fait perdre bien du temps, » mandait le secrétaire d'État Robertct au duc de Nemours (2). » .Nous avons beaucoup de capitaines et grande quantité de » gens blessés et je crois qu'il faudra encore combattre avant » <{ue d'y entrer. »

Le lendemain, Montgomery prit l'offensive. Il dirigea sur la chaussée Martainville 300 chevaux qui comblèrent les tran- chées, dont elle était coupée, et, à la faveur de cette diversion, il fit réparer le liane ouest de l'enceinte, ébranlé par plus de 2,000 boulets.

Les royaux recommencèrent à saper les courtines, qui joignaient la porte Saint-Hilaire. Le 25, ils mirent le feu à trois mines creusées pendant les dernières quarante-huit heures et ten- tèrent ensuite l'escalade par la faible brèche ouverte. Ils essuyè- rent là leur septième échec (3).

Le moment était venu cependant tant de vaillance allait devenir inutile. L'héroïque garnison était harassée, affamée, réduite de près de moitié. Pourtant, quand, le 26, au lever du soleil, le duc de Guise, animant ses hommes de la voix et du geste, les lança contre le boulevard Saint-Hilaire, ils furent reçus par une telle bordée d'arquebusades qu'ils reculèrent en désor- dre. Ramenés au combat, ils furent de nouveau repoussés. Les femmes, les enfants, les blessés des combats antérieurs concou- raient à la résistance. Ceux qui n'avaient pas de mousquet roulaient des pierres sur la tête des assaillants. Ceux que leurs plaies retenaient sur le sol rechargeaient les armes des défen- seurs actifs. Chacun s'utilisait dans la mesure de ses forces.

François de Cuise ordonne la retraite de la première colonne

(1) Bèze, /"'■. cit.

Lettre du 21 octobre (Autog.. B.N., f. fr., 3200, 125 . I Non- ne comprenons pas dans ce nombre ceux qui avîienl eu le monl Sainte-Catherine pour .objectif. Dépêches <]■■' Chantonay, 22 orig. espa- gnol, Arvii. Yii., K. 1500, ii 10J el 28 Mim. deCondé, t. Il, p. 99 ei 100), Davilu, t. I. p. 2.:Js. - Bèze, t. II. p. 761.

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d'attaque, composée de vétérans des vieilles bandes d'Italie et fait avancer les troupes du Rhingrave. Mais avait échoué l'élan des Français, que pouvaient des Allemands ? La seconde colonne fut culbutée comme la précédente, comme elledemi-détruite.

Soudain une formidable explosion retentit. Une nouvelle mine vient d'élargir la brèche, et la première colonne catholique reformée, renforcée, furieuse d'avoir été repoussée, s'élance à l'assaut. Elle n'a plus devant elle qu'un amas de morts, de mourants, qu'un troupeau de fuyards. Les lions sont devenus des gazelles. Pris de panique, ils se sauvent dans toutes les di- rections. Montgomery cherche en vain à les rallier. Il ne parvient à réunir qu'une poignée d'hommes avec lesquels il bat lentement en retraite à travers la ville emplie de hurlements de rage et de cris de désespoir.

Dans la fournaise était restée la famille du comte. Jusqu'ici le chef a tué le père, l'époux. A présent il ne lui est plus donné de veiller au salut des siens. Il ne peut songer qu'à les venger (1). Mais, les venger... comment ? Il faut s'échapper d'abord et l'infanterie royale débouche de chaque rue, de chaque carrefour. . A la tête de quelque braves, il fond sur les compagnies qui le cernent, bouleverse leurs rangs et recule, toujours redoutable. Il atteint enfin la Seine. Trois heures sonnent : il combattait depuis le matin.

Il saute, entouré de ses compagnons, dans une galère amar- rée au quai, garnie encore de sa chiourme enchaînée aux bancs des rameurs. D'autres fugitifs envahissent les grosses hourques de transport qui ont amené les derniers renforts. Hourques et galère se lancent dans le courant et dérivent rapidement au fil de l'eau (2).

(1) En justifiant le comte de son apparent égoïsme, nous ne faisons qu'expliquer suivant la vraisemblance la conduite dont s'étonnait un Anglais, s'écriant: « Un homme de ce courage fuir, laissant derrière lui sa femme et ses enfants ! » (Vaughan à Cecil, voy. ci-dessous).— On (Mail si loin de lui en faire un reproche que Davila, toujours prêt à attaquer les protestants sous n'importe quel prétexte, croit que Montgomery << lit premièrement embar- quer sa femme et ses enfants ».

(2) Source de ce dernier épisode de la défense de Rouen : Dépêche de

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Les deux bords du tleuve fourmillent de détachements catho- liques. La flottille devient une cible mouvante, sur laquelle con- verge le feu des couleuvrines et des arquebuses. Elle arrive pour- tant sans trop de peine en vue de Caudebec. En cet endroit, on le sait, la Seine est coupée par une solide estacade. Mais le comte ne Ta pas oublié, et ses instructions sont données. Son équipage de forçats est intéressé au salut commun : la liberté lui est pro- mise, si l'on atteint le Havre... On va toucher la barre. Brus- quement passagers et matelots refluent vers la poupe. Le léger navire se dresse, comme pour prendre son élan. Au même instant tous, d'un bond, se portent à l'avant, qui plonge dans l'onde écumante... La galère a sauté l'obstacle.

Et les royaux embusqués sur les rives ont à peine eu le temps de voir que les hourques arrivent à leur tour sur le barrage, le rompent et... passent. Des cris de rage, des décharges de mous- queterie saluent cette hardie manœuvre, tandis que la flottille, triomphante, disparaît à un tournant du fleuve (1).

Chantonay, 26 octobre (Mém. de Condé, t. Il, p. 100). Vaughan à Cecil, 28 (Forbes, t. II, p. 143-145).— Throckmorton à Elisabeth, 30 (Calendars..., 1562, 932). Warwick à la même, 30; le conseil de défense du Havre au conseil privé d'Angleterre, 30 Forbes, t. II, p. 159, 162). Dépêche de Barbaro, 28 (B. >'.. Di&pacci..., filza 4, fos 561 et 562 ; fllza 4 bis, fos 154 et 155). Charles IX au duc de Savoie, 30 (La Ferriére, La Normandie..., p. 32). Récit officiel de la prise de Rouen au parlement de Paris Mém. île Coudé, t. II, p. 50 et 51). La Noue, Discours politiques et militaires, éd. de 1587, p. 588. Davila, t. 1. p. 258 et 259. Castelnau, loc. cit. Bèze, t. II, p. 762-763.

I Castelnau, loc. rit. Aubigné, Ilitt. unir., Irc partie, liv. 1IF, ch. X. Krantùme, éd. Lalanne, t. IV, p. 359.

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IV

Le surlendemain de la prise de Rouen, la cour y fit son entrée triomphale. Informé des premiers que Mme de Montgomery était du nombre des prisonniers, le connétable de Montmorency se la fit amener.

« Madame, lui dit-il d'un ton bienveillant, votre époux est bien coupable envers le Roi et tous les fidèles sujets de Sa Ma- jesté sont profondément attristés de sa conduite. Quant à vous, vous n'avez rien à craindre et je tenais à vous le dire. Demain on vous portera en votre logis les volontés de la Reine. Veuillez les y attendre avec confiance (1). »

Qu'allait décider Catherine? Allait-elle reporter sur la femme innocente l'implacable haine, qu'elle avait vouée au meurtrier de Henri II ? Livrée à elle-même, elle n'eût certes pas hésité. Mais un irrésistible courant d'opinion s'était déclaré en faveur de la noble femme : on a pu en juger par l'accueil de Mont- morency, « ce rude rabroueur ». La Reine-mère dut ordonner la mise en liberté de la comtesse. Le soir même, elle partait pour le Havre, que les protestants avaient livré aux Anglais, le 20 du mois précédent, pour prix de leur alliance.

Montgomery y était arrivé le 27 octobre. Le lendemain, Bric- quemaut lui amenait d'Angleterre quelques centaines de gens de pied. C'était bien peu pour enrayer la marche des royaux qui, profitant de la terreur répandue au loin par leur victoire,

(1) Sir John Young à Cecil, 2 novembre (Calendars . .., 1562, 969).

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faisaient des progrès menaçants (1). Peut-être, resté libre de ses mouvements, y fût-il parvenu cependant. Mais à présent il lui fallait compter avec les indécisions du conseil de défense du Havre, avec les susceptibilités locales. En huit jours, Dieppe, Montivilliers, Ilonfleur furent occupés par les royaux sans la moindre résistance (2).

Alors le comte n'eut plus qu'une pensée: rejoindre le prince de Condé, qu'on disait sur le point de quitter Orléans et de venir tenir la campagne dans le sud de la province (3). Il pria le comte de Warwick, gouverne ar du Havre pour la reine d'Angleterre, de faire agréer à sa souveraine l'hommage de la galère sur laquelle il s'était échappé de Rouen, « comme venant, disait-il, de quelqu'un qui donnerait volontiers sa vie pour le service de Sa Majesté. » (4) « C'est un beau présent, écrivait Warwick en » s'acquittant du message, et digne d'un grand remerciement» (5). Le donateur en jugeait bien ainsi. Il espérait que ce sacrifice lui vaudrait des secours sérieux, résolu d'ailleurs, le moment venu, à les aller solliciter en personne.

Ce qu'il ignorait, c'est que ses projets cadraient avec les vues du gouvernement britannique. Le conseil privé d'Angleterre voyait d'un très mauvais œil l'affluence des calvinistes au Havre. Le lor novembre, il manifestait son intention d'appeler à Londres les principaux réfugiés sous couleur d'avoir à conférer avec eux sur des questions l'importance capitale pour « la cause > (6). Warwick, prévenu, déclara à Montgomery qu'il ne pouvait, sous sa responsabilité, lui fournir des troupes. De à •'inviter à passer la mer, pour se faire son propre avocat, il n'y

(4) Dépêches de Barbara, 14 octobre (B. Y, Dispaeci..., filza 4, ('" ;>;>'.»).— Smith à Throckmorton, 17 octobre (Calendars..., 1562, 870).

Dépêches de Chantonay, 23 novembre (Mém. de Condé, t.H, p. 16 Warwick à Cccil, 2 novembre Calendars..., 1562, 968 el à Throckmor- ton, 18 Forbes, I. Il, p. 193). Bayward, Annals of the Queen Elizabeth (Londres, 1840, in-8 . p. 104. - Bèze, t. II. p. 820.

iili, 17 novembre, dans Wright, Queen Elizabeth and hen Urnes Londres, 1838, î vol. U>8 , t. I, p. 104. I Lettre du i novembre Forbes, t. II, p. !

5 Voy. l'analyse de cotte Lettre dans Calendars..., 1562, 961.

6 Ceci! aSin'iili, 13 novembre (Wright, t. l, p. 103).

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avait qu'un pas. Le comte comprit à demi-mot et partit sur l'heure. Le 13, il débarquait à Londres.

Mais la cour de White-Hall était le terrain classique des ater- moiements. A Paris, on croyait Montgomery depuis quelque temps déjà en Basse-Normandie, à la tète de forces imposantes (1 ), qu'il était toujours par delà le détroit, s'égarantdans les sentiers de cette tortueuse diplomatie dont les détours ne lui étaient pas encore familiers (2). Il revint enfin au Havre vers le 16 décem- bre (3), plein d'espoir : on l'avait comblé... de marques de sym- pathie et de belles promesses, dont il devait longtemps attendre la réalisation.

Un événement imprévu allait modifier ses projets.

On a parfois appelé Dieppe : la petite Rochelle. Une situation semblable sur le bord de la mer, un égal penchant de la popula- tion vers les doctrines réformées ont autorisé ce rapprochement. On aurait pu tenir compte d'un troisième rapport entre les deux cités, savoir dans l'une et dans l'autre une égale soif d'autono- mie communale. La Rochelle recevait avec des acclamations les princes protestants, quand ils se présentaient fugitifs et dépouillés, et leur fermait ses portes, dès qu'ils avaient acquis un commencement de puissance (4). De même les Dieppois, qui s'étaient repentis, à l'entrée des royaux, de n'avoir pas invoqué l'appui de Montgomery, n'eurent rien de plus pressé, quand des pratiques, ourdies à leur insu par le comte, les en eurent délivrés que de chercher à obtenir à prix d'argent l'éloignement de leurs libérateurs.

(1) Smith à Throckmorton, 2 décembre (Calendars..., 1562, 1176).

(2) Cecil écrivait dès le 17 novembre, qu'il avait exposé le but de son voyage (lettre à Smith dans Wright, t. I, p. 104).

(3) Sir Hugh Poulet à Cecil, 1C> décembre, annonçant qu'il va partir pour Portsmouth avec le comte (Calendars..., 1562, 1290). Cf. ce passage de la Chanson de Montgomery, 2e couplet :

Sans faire long séjour, Sur la mer pris mou erre. Me donna du secours La roiue d'Angleterre.

(4) Nous restituons cette observation à son illustre auteur : Mgr le duc d'Aumale (Hist. des prince* de Condé, t. II, p. 119). ,

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Montgomery craignit que ces tiraillements n'entrainâssent la perte d'une place inespérément revenue aux protestants. Quoique contrarié de quitter le Havre au moment sa présence y était le plus nécessaire pour vaincre l'apathie de Warwick, il courut occuper Dieppe avectroisou quatre cents réfugiésFrançais.

A peine dansla ville, il reçut de l'amiral une terrible nouvelle (1), les troupes huguenotes avaient été complètement battues dans les plaines de Dreux ; Condé avait été pris, chargeant à la tête de sa cavalerie avec la bravoure héréditaire de sa race ! Montgomery convoqua sur-le-champ les notables à l'hôtel-de- ville. Il leur communiqua la dépêche de Coligny dont les termes étaient soigneusement calculés pour ne pas les laisser aller au découragement. Il leur remontra que l'échec subi était aisément réparable, que la captivité de Monsieur le Prince était compen- sée dans les rangs opposés par celle du connétable et par la mort du maréchal Saint-André qui détruisaient sans retour l'ancien triumvirat, cause des troubles présents. Les Dieppois l'écoutaient impassibles; et, quand le comte, d'un ton ému, fit appel à leur confiance, ils répondirent froidement qu'ils en délibéreraient.

En présence d'une pareille attitude, Montgomery comprit que l'heure des ménagements était passée. Il mit d'autorité Dieppe en état de siège et décréta la levée de 15.000 livres sur l'habitant pour l'entretien des troupes et des fortifications (2).

Mais désormais il ne pouvait plus songer à rejoindre l'amiral.

(1) Lettre datée du 28 décembre et imprimée par le comte de La Ferriere dan- Le XVIe siècle et les Valois, iu-8°, 1878, p. !»3. Montgomery dut plu- tôt connaître les détails de la bataille de Dreux parle porteur delà dépèche, auquel L'amiral déclarait s'en remettre « pour ce rapport », comme cela arrivait 1res fréquemment alors, qui- par la dépêche elle-même où, suivant la tradition constante des belligérants de toutes les époques, les pertes des catholiques étaient tre> exagérées, celles des protestants diminuées à pro- portion. — Le bref aperçu que nous donnons de la journée du 19 décem- bre est résumé d'après ce long et magistral récit qu'en a fait Mgr le duc d'Aumale [But. des princes de Çondé, t. 1, p. 189-210).

(2) Bèze, t. II, p. 82:t. - 11 place cette scène le 29 décembre; mais les explications qu'il met dans la bouche de Montgomery concordent trop bien avec les instructions de l'amiral (contenues dans sa lettre précitée du 28} pour que nous ne croyions pas devoir la reculer de quelques jours.

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Tout au plus pourrait-il se maintenir dans Dieppe avec sa faible troupe. Et, celle-ci, encore faudrait-il la payer. Or, avec le produit de l'impôt frappé sur la ville, joint aux sommes trouvées dans la caisse des collecteurs royaux (1), il ne pourrait même pas acquitter l'arriéré de sa solde (2).

Dans cette détresse, il écrivait à Warwick le 5 janvier : « Je » vous supplie d'envoyer ici cinq de vos enseignes pour ce que » ce lieu est de grand garde et dépense et que nous n'au- » rions que inconvénients d'une place de si grande importance, » vous promettant sur mon honneur que je vivrai et mourrai » avec eux ; encore un coup, je vous supplie les faire partir en » toute diligence » (3).

Cependant l'occupation de Dieppe a rappelé sur lui l'attention des royaux (4). Ne pouvant rien contre lui par la force, ils eurent recours à la trahison. Le vicomte de Martigues fit promettre le collier Saint-Michel et une compagnie des ordonnances à M. de La Motte-Tibergeau, l'un des anciens lieutenants du comte s'il le lui livrait. En ce triste temps, de si hautes récompenses payaient souvent des services de cette nature (S) ! Mais, à cette proposition déshonorante, Tibergeau s'indigna.

« Dieu ne m'a pas assez oublié pour me croire capable d'un tel crime ! » répliqua-t-il (6).

Déçus dans leur attente, les royaux ne renoncèrent pas à leurs perfides manœuvres. Instruit des dispositions hostiles des Dieppois à l'égard de leur gouverneur, le Rhingrave leur soumit et leur fit adopter la combinaison suivante : il obtiendrait de Montgomery une entrevue en dehors de l'enceinte, et, quand ce

(1) Bèze, loc. cit.

(2) MontgomeryàWarwick,2janv.l563 (LaFerrière, La Normandie..., p. 46).

(3) Ibid, p. 47.

(4) Dépêche de Chantonay, 9 janvier {Mém. de Condé, t. II, p. 122).

(5) Pour n'en citer qu'un exemple, Maurevert, le futur assassin de Cojigny, reçut ainsi le collier de Saint-Michel pour avoir tué son bienfaiteur, le brave deMouy. Le brevet de ce misérable, daté du 10 octobre 1569 et signé de la main de Charles IX, a été impr. par M. le comte Jules Delaborde dans Gaspard de Coligny, amiral de France, 3 vol. 1879-82, in-8°. t. m, p. 161.

(6) Lettre de La Motte-Tibergeau du 6 janvier san-, indication de destinataire (Calendars. . ., 1!>63, 42).

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dernier serait sorti de la ville pour se rendre au lieu désigné, des cavaliers cachés l'envelopperaient et le feraient prison- nier.

Il tomba dans son propre piège. Il y avait trop de protestations d'amitié dans la lettre qu'il écrivit à Montgomery (1). Celui-ci se tint sur ses gardes et une enquête lui fit découvrir la vérité. Furieux de leur déconvenue, les habitants essayèrent d'une émeute. Elle fut aisément réprimée (2). Mais le gouverneur en prit prétexte pour reprendre ses démarches auprès de Warwick. Lui racontant ce qui venait de se passer: a Envoyez-moi les cinq enseignes » que je vous ai demandées, poursuivait-il. Je sais cejourd'hui » que nos ennemis s'attendent à vous couper les vivres, tenant » cette ville de Dieppe, et armer grand nombre de galères et de » vaisseaux pour garder le chef de Caux, sans compter ce » qu'ils mettent sur la Seine. Ils sont le plus fâchés qu'il est » possible d'avoir perdu cette place, qui est le moyen de tenir » tout le pays de Caux et beaucoup de Picardie en sujétion (3).»

Le conseil de défense du Havre était si intéressé au maintien de Dieppe entre les mains des protestants qu'il se décida enfin à envoyer à Montgomery cent cinquante gens de pied et cinq cents écus, « beaucoup moins qu'il ne demande » (lui-même le constate), « mais on ne pourroit faire plus sans inconvé- nient » (4).

De fait, la situation des Anglais au Havre était mauvaise. Leur despotisme, leurs exactions avaient exaspéré la population. Au commencement de janvier, y éclata une conspiration ayant pour but de rendre la ville à la France. Mal conduite, elle fut découverte, et, des quatre courageux citoyens qui l'avaient orga- nisée, un fut condamné à mort, un autre à la torture. Montgo- mery protesta contre cette sentence ; il dénia aux Anglais le droit de statuer dans un cas aussi grave sans en référer au prince

(1) Lettre du 3 janvier ([.a Perrière, La Normandie. . ., p. 47).

(2) Montgomery à Warwick, 4 janvier [Ibid., p. 48). Dépêche de Chan- tonay, \i(Mèm. deCondé, p. 124).

(:j) Lettre précitée du i. i Le conseil de défense du Havre au conseil prive d'Angleterre 6 janvier (Forbes,t. II, p. 261et266).r-Ceeil u Smith, 14 (Wright, t.L p.

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de Gondé ou à son représentant, l'amiral (1). Il est juste de rendre hommage en passant à cette intervention patriotique.

Le moment, on le voit, était mal choisi pour demander des renforts. Cependant il ne cesse d'en réclamer tant pour lui que pour l'amiral. Il aurait voulu qu'Elisabeth ordonnât à Warwick d'attaquer Honileur dont la possession devait favoriser la jonc- tion de ses troupes avec celles de Coligny, jonction qu'il ne perdait pas de vue (2).

Efforts inutiles !

En vain invoque-t-il derechef le danger que court le Havre, si Dieppe n'est mis à l'abri d'un coup de main. En vain La Haye, Bricquemaut et le vidame de Chartres, qui jouissent d'un grand crédit auprès d'Elisabeth, prêtent-ils leur appui à ses requêtes réitérées (3). Rien ne peut secouer son inertie, rien, pas même les avis de son ambassadeur en France, sir Thomas Smith, qui lui marque la nécessité de procurer de l'argent et de confier deux mille hommes à son utile auxiliaire de Dieppe (4). Le comte est à bout de patience. « Pour la réputation de vostre na- » tion, écrit-il à lord Burghley, son premier ministre (S), mieux » voudrait n'avoir jamais envoyé gens par deçà, si vous ne » faites autre chose que garderune ville. »

Il leur donnait pourtant le bon exemple. Le 23 janvier, il attaque Arques et taille en pièces une partie de sa garnison qui s'est portée en avant ; par malheur, le défaut d'artillerie l'empê- cbe de poursuivre son avantage. Il s'empare ensuite du château de Mondiaux (6), appartenant au duc de Nevers, après un san- glant combat. En revenant sur Dieppe, il rencontre une enseigne catholique, la culbute et lui prend son étendard (7). Et comme,

(1) Lettre du 8 (La Ferrière, La Normandie. . ., p. 50).

(2) Lettres à Elisabeth et à Cecil, 9 janvier ; à Leicester et à Cecil, 13 ; à Elisabeth et à Cecil, 16 (Ibicl, p. 5S-GI).

(3) Leltre collective de ces trois personnages, 11 janvier(Forbes,l.II,p.274). (i) Mémoire par lui adressé à Elisabeth, 23 janvier (Ibicl., p. 310).

(o) Letlre précitée du 16.

(6) Monchaux-Soreng, auj. commune du canton de Blangy, arr. de Neuf- châtel-en-Braye (Seine-Inférieure).

(7) Montgomery à Leicester, 24 janvier; à Warwick, 23; à Leicester, 2'J (La Ferrière, La Normandie.. ., p. 69).

rentré dans la ville, on lui apprend que la reine Elisabeth a prescrit de placer un détachement à mi-distance du Havre pour protéger sa fuite en cas de besoin : « Remerciez Sa Majesté » pour moi, écrit-il à lord Burghley ; mais je ne prendrai pas ce » chemin et mourrai plutôt que de laisser les ennemis s'intro- » duire je suis (J).

Ce n'était qu'un répit à ses tribulations. Dès le lendemain ses troupes (les deux bataillons venus du Havre avec lui, les deux bandes anglaises du capitaine Horsey, si péniblement obtenues naguère et deux autres composées de vagabonds ramassés çà) et réclamaient à grands cris leur solde. Sa caisse était vide ! Le voilà de nouveau contraint à mendier, la rougeur au front : « Si j'avois quelque moyen de moi ou de mon bien, je le » voudrois volontairement employer en cette cause. Mais, en » étant du tout dénué, je vous supplie d'y avoir égard et persua- » der tellement Sa Majesté de nous secourir que, faute d'ypour- » voir, il n'en puisse advenir mal (2). » Dans cette extrémité, il écrivit aussi à la reine d'Angleterre (3). Il ne s'en tint pas : le surlendemain, il faisait partir pour Londres le capitaine Horsey. Ce dernier avait été le témoin constant de ses préoccu- pations. Xul ne saurait mieux en rendre compte à la souve- raine (4).

Il lui fallait maintenant attendre la réponse d' Elisabeth. Pour faire prendre patience aux siens, il organisa une seconde expé- dition, qui ne fut pas moins heureuse que la première (5). Son retour à Dieppe fut suivi de près par l'arrivée d'une lettre de l'amiral, lui donnant rendez-vous à Caen qu'il venait d'attein-

(1) Lettre du 26 {Ibid., p. 67).

(2) Lettre à Leicester, 30 janvier [Ibid., p. 70). Les Anglais ayant cs- sayé d'augmenter sournoisement du tiers le montant de leurs débours au profit du comte, celui-ci se vit obligé de protester et rétablit le chiffre réel de deux mille écus (Lettre précitée . L'erreur était si flagrante et si considé- rable à la fois que Wanvick n'osa pas même discuter la rectification (W'ar- wick à Cécile! Leicester \ Calendars..., 1563, 317).

(3) Cette lettre est du 3 février; autre à Oeil, même sens et même date (La Ferriére, op. cit., p. 7:t .

(4) Montgomery à Warwick, 31 janvier, et à Elisabeth lettre de créance remise à Horsey] . •'> février [Ibi !.. p. 71 et 78 .

(ri) « Au comté d'Eu ».— Bèze, loc. cit.

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dre (]). Désormais, la mission d'Horsey le retenait seul dan* ce poste malencontreux, il n'avait recueilli que déboires pour prix de ses peines. Horsey le rejoignit enfin. Il était porteur d'une missive amicale d'Elisabeth. Elle lui exprimait ses regrets de ne pouvoir lui envoyer qu'une fraction des 10 a 12.000 écus qu'il demandait (2) : « Ayez égard, c'étaient ses propres » expressions à la grandeur de la somme qu'il nous faut dépar- » tir à l'amiral (3). »

Aucune excuse ne pouvait être plus agréable au comte, qui ne pensa plus qu'aux apprêts du départ. Afin de ménager l'a- mour-propre anglais, il remit ses pouvoirs à Horsey, lui nomma pour lieutenant M. de Presles, auquel il confiait ses bataillons français, moins quatre cents arquebusiers d'élite, et s'embar- qua (4).

S'il prenait la route de mer, c'est qu'il redoutait par terre une embuscade qui aurait retardé sa marche. C'était tomber de Cha- rybde en Scylla. Par le travers de Fécamp, demeuré aux catho- liques, trois chaloupes lui appuyèrent la chasse. Une escarmouche très vive s'engagea. Deux des barques rentrèrent dans leurs eaux fort maltraitées. Quant à la troisième, la capitane, elle fut cap- turée par l'équipage de Montgomery (5).

Celui-ci ne s'arrêta au Havre que quelques heures. Il aurait désiré conserver le commandement d'une cornette écossaise ré- cemment venue à Dieppe (6) ; mais les commissaires anglais s'y opposèrent et il dut se contenter d'amener au camp de l'amiral

(1) L'avant-garde protestante y était entrée sans coup férir le 14, le gros de l'armée le 15 (Bourgueville de Bras, Antiq.de la Neustrie, 2e partie, p. 272).

Cf. : Middlemore à Cecil, 20 février : « On pense que M. de Montgomery sera bientôt ici » (Calendars. . ., 1503, 333).

(2) Lettre du 14 février (La Ferrière, La Normandie. . ., p. 75).

(3) Note remise à Horsey par la reine pour Montgomery (Ibid., p. 74).

(4) Horsey à Cecil, 2 mars (Calendars..., 1563, 387).

(5) Le conseil de défense du Havre au conseil privé d'Angleterre (Forbes, t. II, p. 338). Trockmorton et Vaughan à Cecil, 26 (Calendars..., 1563, i. 359 et 360).

(6) Sainte-Marie à Elisabeth, sans date et fautivement datée d'octobre 1562, {Calendars), 1562, 726).

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les quatre cents hommes qui l'avaient accompagné dans sa tra- versée (1).

L'arrivée de Gaspard de Coligny en Basse-Normandie y avait rétabli les affaires du parti huguenot. Au bruit de son approche, Matignon s'était replié sur Cherbourg (2). En même temps, Louis de Mouy reprenait Honfleur (3). Le château de Caca résis- tait encore, mais ne pouvait tarder à succomber à son tour. En effet, le 15 février, démoralisé à la nouvelle que le duc de Guise son frère vient de tomber sous la balle d'un meurtrier, le mar- quis d'Elbeuf, chef des assiégés, capitule entre les mains de l'amiral (4).

La chute de cette forteresse fut le signal d'une série de succès pour les réformés. Le S mars, Colombières enlève Bayeux. Sai- sie d'épouvante, la garnison de Saint-Lô se réfugie à Cherbourg. Aussitôt averti, Coligny appelle Montgomery et lui commande d'aller occuper la ville abandonnée, et de reconquérir ensuite l'Avranchin et le Bocage (.v>).

Cette mission était le juste dédommagement des calomnies dont il était l'objet. Persévérant dans leur haine aveugle, les Dieppois n'avaient pas plus tôt vu s'éloigner leur protecteur forcé, qu'il s'étaient mis à dresser contre lui un véritable réquisitoire (6) : Non content de les écraser d'impôts, il s'était complu, disaient-ils, favoriser les «pilleries, extorsions et meurtres » de ses soldats. Puis, n'avait-il pas, pour comble d'impudence, empli ses coffres personnels de quarante mille livres d'espèces sonnantes, fait fabriquer un buffet d'argent massif et une magnifique chaîne d'orfèvrerie de douze cents ducats ; tout cela du produit de ses rapines, « ce qu'il appelait sa guerre ! »

Telle est la puissance de la calomnie, que Théodore de Bèze

(I) Middlemoro à. Occil, I" mars (Calanlai •*.,„ 1563, 580). Sur la confiance qu'inspire son arrivée, voy, : Mc/.c aux minislres de Zurich, 12 mai [Opéra Calvini, t. XX, col. 2).

(1) Bèze, t. II, p 117.

istelnau, Mémoires, liv. IV, chap. vm.

(4) Middlemore à Cecil, 3 mars Calendars..., 1563, 397).

(;i) Bèze, loo, rit.

(6) Impr. in extenso dans Bèze, t. II, p. 825.

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semble croire à la culpabilité du Montgomery (1). Eh bien ! la jus- tification de l'accusé, nous la chercherons dans la seule conduite de l'amiral à son égard. Coligny était de ces natures droites, loyales, qui ne savent pas feindre, quoi qu'il pût résulter de leur franchise. Dans quelques jours, lorsqu'il aura à se défendre de sa prétendue complicité dans l'assassinat du duc de Guise :

« Ne pensez que ce que je dis soit pour regret de la mort dudit seigneur, s'écriera-t-il; car j'estime que c'est le plus grand bien qui pouvoit advenir à ce royaume, à" l'église de Dieu, particulièrement à moi et à ma maison (2). »

Paroles qu'on recueillera comme un aveu, quand elles étaient le cri de l'innocence. Un peu plus tard, il ne craindra pas de cen- surer durement le prince de Condé, qu'il s'agisse d'un scandale de l'homme privé (3) ou d'une faiblesse du chef de parti (4). Or, peut-on admettre que celui qui montrait une si fière attitude en face d'une reine, en face du premier prince du sang, se serait abaissé à ménager un simple gentilhomme, un simple capitaine, au point de lui confier un nouveau mandat, alors qu'il était sous le coup d'imputations entachant l'honneur, s'il eût cru celles-ci fondées?

Ainsi réhabilité, Montgomery, à la tête de six cents chevaux que suivent à distance plusieurs enseignes françaises et un déta- chement de pionniers anglais, part pour Saint-Lô. Il y laisse le sieur de Sainte-Marie des Agneaux, court à Avranches, qui ouvre sesportes, « combien que les habitants jusques alors eussent ienu pour la religion romaine », en confie la garde à la compagnie du capitaine Vieilcourches et fond sur Vire. « Là, peu de temps auparavant, raconte Théodore de Bèze, avoit été envoyé le sieur de la Neufville, lequel, ayant fait vuider de la ville tous les sus- pects de la religion, se résolut à tenir bon contre Montgomery.

(1) Loc. cit.

(2) Coligny à la Reine-mère, mars 1563 (dans Delaborde, Coligny, t. II, p. 232-534).

(3) Voyez l'art, consacré à Isabelle de Limeuil dans Trois Amoureuses au XYl siècle, du comte H. de La Ferrière, 1883, in-8°.

(4) A propos de la signature des paix d'Amboise et de Longjumeau (Duc d'Aumale, Hisl. despr. de Cowlc, t. I, p. 227 et 332).

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L'escalade étant donnée avec une grande furie, tandis que les défendants s'amusoient au côté qu'on sapoit, la ville fut empor- tée, sans trouver grande résistance, sur les onze heures du soir, heure propice à couvrir toutes les cruautés. Mais Montgomery fit sur l'heure défenses expresses de tuer homme ni femme (1) ».

Le surlendemain, dans la matinée, une estafette apporta au comte un message de l'amiral, lui prescrivant de revenir à Gaen sans retard. En conséquence, laissant à Vire cent hommes, il reprit au galop le chemin du chef-lieu de la province (2).

Coligny l'attendait avec impatience. La veille au soir, une dépêche de Condé lui avait annoncé la signature d'une trêve entre les protestants et les catholiques. De longue date, il avait choisi le comte de Montgomery pour lui succéder comme défen- seur de « la cause » quand il quitterait la Basse-Normandie (3). Il lui donna ses instructions et avec sa cavalerie retourna vers Orléans (4).

(i) Bèze, loc. cit. Cf. pour la prise de Vire un « extrait du petit livre ma- nuscrit de chez nous », qui figure parmi les pièces justificatives des Origines et antiquités de Vire (Ms. original, sans nom d'auteur avec le permis d'impri- mer de 1704; B. N., fr. franc., 2o246), et qui corrobore et complète celle de Bèze. Cf. encore le 9e couplet de la Chanson <k Montgomery.

(2) Bèze, loc. cit.

(3) Lettre précitée de Middlemore, 3 mars.

(4) Castelnau, loc. cit.

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Au début de la guerre civile, les réformés avaient trop éprou- vé la mauvaise foi de leurs adversaires pour consentir à poser les armes, avant qu'une sanction officielle confirmât les prélimi- naires du 8 mars. La lutte continua donc dans toutes les pro- vinces. En Basse-Normandie, Montgomery la menait avec ardeur, quoiqu'avec assez peu de succès. Deux tentatives sur Pontorson et le Mont Saint Michel échouèrent. Il ne réussit qu'à ravitailler Avranches, retombé récemment au pouvoir des réformés. Aussi bien, dans sa pensée, cette expédition n'était-elle qu'une diver- sion. A peine de retour à Caen, il se prépara à attaquer Cher- bourg, refuge de Matignon. Sur ces entrefaites « survint le paquet de la paix qui rompit tout » (1).

Il se montra tout d'abord peu soucieux de remettre l'épée au fourreau (2). Le comte de Warwick s'efforça perfidement de l'entretenir dans ces dispositions (3) ; elles promettaient en effet à l'Angleterre un allié utile au moment Catherine de Médicis laissait pressentir de prochaines revendications au sujet du Havre (4). Bientôt pourtant le comte abandonna toute idée de

(1) Bourgucville de Bras, op. cit., p. 275.

(2) L'ordre lui en vint de l'amiral et du prince de Condé le 11 avril, jour de Pùques, non le lendemain comme le prétend (loc. cit.) Bourgueville de Bras (Horsey à Cecil, 12 avril; Calendars... 1563, 615). Sur son hésitation à obéir : (n° 617, Cf. Ibid.) : Middlemore à Cecil, 14 avril.

(3) Warwick à Leicester et Cecil, 14 et 21 avril ( Forbes, t. II, p. 388 et 395).

(4) Note du temps, accompagnant la lettre de Condé à Elisabeth, lui annon- çant la signature de la paix (impr. dans La Kerrière, L> xvf siècle,.., p. 109).

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résistance. « Ainsi que j'achevois de signer la présente, mandait » la Reine-mère le 19 avril (1), j'ai eu nouvelles de Caen que » ceux de dedans la ville, et Montgomery qui est dedans le » chasteau, ont accordé de remettre ville et chasteau es mains » de cellui qui a esté député pour les recevoir ».

-Néanmoins un doute était resté dans l'esprit de Catherine : (( Je serois bien aise, écrit-elle à Matignon au mois de mai sui- » vant(2),de savoir le déportement dudit comte depuis qu'il s'est » retiré en sa maison ».

Si Montgomery avait désarmé, il n'en était pas de même de ses lieutenants, Sainte-Marie-des-Agneaux et Colombières (3). Aussitôt avertie de leurs menées, Catherine envoya au bailli d'Alençon l'ordre d'arrêter l'innocent et les coupables (4). Mais de grands événements allaient empêcher cet ordre d'être suivi d'exécution, événements qui nous obligent à retourner de quel- ques semaines en arrière.

Le 30 avril, Catherine de Médicis, en faisant part à Elisabeth de la signature de la paix, lui rappelait la récente proclamation dans laquelle elle avait formellement déclaré n'envoyer des troupes en Normandie que pour sauvegarder les intérêts du Roi mineur, compromis par les violences de la maison de Guise, et l'invitait, maintenant que lestroubles étaient apaisés, à restituer le Havre. La rusée Florentine ne s'abusait nullement sur la valeur de ces protestations hypocrites. Mais, pour ravoir par la force ce qu'on n'aurait pas accordé à ses justes réclamations, il fallait un refus, et il ne se lit pas attendre. Elisabeth répondit qu'elle ne se dessaisirait du Havre qu'en échange de Calais. Dix semaines plus tard, la reprise du Havre, à laquelle calho-

(1) Lettre à M. de Gonnort (Lettre de Catherine, i. II, p. 17).

(2) Le 13 [Ibid., p. 35).

(3 Lettre du maréchal de Brlssac i\ la Raine-mère, ■. d, mail citée et précitée dans une autre du même à la môme du 27 mai, impr. dam La Perrière, Lu Worman lit ..., p. 150 .

(4) Il eel daté du 26 mai e1 analysé au 29 \" du ms. [7833 du f. fran- çais à la Bibliothèque Nationale, intitulé : Instruction des ambassadeurs ël autres d'étal 1863-1578), Cf.: Rabodangei, bailli d'Alençon, a La Reine- mère, accusant réception de cet ordre, 9 juin (dans Caillère, Eist. du mares-' thaï de Matignon ; Paria, 1661, in-l'0; p. G'J).

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liques et protestants s'associèrent aux cris de « Vive France », arrachait à jamais de notre sol le drapeau Britannique (1).

Par ses habiles temporisations, par son adresse à faire vibrer chez tous la fibre patriotique, la Reine-mère pouvait reven- diquer la meilleure part de la victoire nationale qui venait de redorer les fleurs de lis. A cette heure de sa vie, elle avait bien mérité de la France ! Malheureusement pour sa gloire, nous la voyons vite oublier au profit de mesquines rancunes de femme ses nobles préoccupations de politique consommée.

Le 17 août, la majorité de Charles IX est proclamée en grande pompe dans la grande salle du Palais-de-Justice de Rouen (2). La semaine suivante, nous retrouvons la cour en Basse-Nor- mandie. — « J'ai bien peur que le comte de Montgoniery ne » soit inquiété; car la Reine le hait mortellement», écrivait, à la veille de son départ, un diplomate étranger (3). Ses craintes n'étaient que trop fondées. Matignon étant venu saluer son maître- à Argentan, le jeune Roi, docile instrument de sa mère, lui enjoignit « d'appréhender Montgomery au corps, employant la force au besoin, et icelui constituer prisonnier en lieu si sûr qu'il lui en pût rendre bon compte (4) ».

Un hasard le sauva. Lorsque Matignon se présenta à Ducey, le comte était absent par hasard (5).

L'occasion manquée ne devait pas se retrouver. A une lettre de Matignon, lui contant sa mésaventure, Catherine répondit : « Je continue en mon intention. Toutefois je vous prie de sur- » seoir jusqu'à ce que vous ayez d'autres nouvelles de moi (6). »

Ces instructions ne vinrent pas. Depuis le mois de septembre, la famille du feu duc de Guise était en instance pour obtenir l'autorisation de poursuivre en Parlement l'amiral de Coligny,

(•)) Pour tout cela, voy. les pièces publ. par M. de La Ferrièrc aux chap. iv et v de La Normandie à l'étranger,

(2) Floquet, Hist. du parlement de Normandie] 1840-42; t. II, p. 5IJ4-o96.

(3) Throckmorton à Ccil, 18 août {CalenJars..., 1563, lloo).

(4) « Ordonnance du Roy pour arrêter le comte de Montgomery », 30 août (Caillère, p. 79).

(5) Lettre de Matignon, citée par Caillère, p. 80 ; cf. sa préface.

(6) La Reine-mère à Matignon, 30 septembre (Lettrée de Catherine, t. II, p. 97); cf. autre au môme, 30 novembre (Ibid.), p. 116.

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comme complice de son assassin. L'effervescence allait croissant des deux côtés. Afin de laisser aux esprits le loisir de se calmer, le Roi, sur l'avis de son conseil privé, qui avait évoqué l'affaire à sa barre, ajourna sa décision à trois ans (1). Cette demi-mesure ne satisfit personne. Catherine, qui l'avait inspirée, vit les pro- testants si irrités de ce que l'innocence de l'amiral n'eût pas été reconnue sans délai, qu'elle craignit, par l'arrestation arbitraire d'un de leurs chefs, de porter l'exaspération à son comble. D'ailleurs elle était près de quitter Paris pour longtemps. Elle remit définitivement au retour le soin de sa vengeance.

Tous les yeux sont fixés sur Montgomery.

Nous touchons au moment les huguenots commencent à faire cause commune avec les gueux 2) de Flandre soulevés con- tre la tyrannie espagnole. Le nom du comte sera cité désormais aussi bien à l'occasion des troubles des Pays-Bas que de ceux de la France.

Lorsque l'officier commandant au Quesnoy pour Philippe II lui annonce la concentration à Crespy-en-Laonnois de 1.200 hommes prêts à attaquer Cambrai ou Avesnes, à côté de Louis de Bourbon, prince de Coudé, chef désigné de l'entreprise, figure le comte de Montgomery (3).

Lorsque les membres les plus en vue de la Réforme se réu- nissent à Chàtillon-sur-Loing pour fêter le mariage de d'Andelot <( afin, disait-on, de machiner quelque chose contre Dieu et le Roy sous couleur desdites noces (4) », on ne manque pas de constater la présence, parmi eux, de « l'Ecossais qui a tué le roi Henri (5). »

Lorsque Monsieur le Prince veut exactement « cognoistre quelle puissance tant de gens que d'argent les églises de Flandre

({) Delaborde, Cotigny, t. H, p. 310 et 311. (■j Kervyn de Lettenhove, Les huguenots et les gueux, t. I, p. 170. (3) « Nouvelles transmises du Quesnoy, le 26 mai 1564 <> (Copie française du temps, envoyée à Philippe II parle garde des sceaux Tisnacg ; Axch. \ il.. K. 1501, n.

Nouvelles France du VI en novembre 1564 dans Papiers d'état du cardinal de Granvelle; 18H-52; i. \ III. p.

avis anonyme (''<'/< ndars. . .. 1564-65, n. 7*3

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peuvent avoir », qui choisit-il comme émissaire.. ? Montgo- mery (1).

Les défiances contre lui en augmentent (2).

Lorsque, à la suite d'une échauffourée qui a ranimé les pas- sions assoupies des deux factions dont la rivalité avait déjà coûté tant de sang, Charles IX juge à propos de fermer la capitale à leurs plus hardis représentants, dans cette interdiction il n'a garde d'oublier de comprendre Gabriel de Montgomery (3).

L'année suivante, au retour, des néfastes conférences de Bayonne qui ont si fort alarmé les protestants, le comte étant venu à Blois comme beaucoup d'autres gentilshommes des deux religions pour saluer Leurs Majestés au passage, il les trouve parties de F avant-veille ; la seule annonce de son arrivée a suffi pour les mettre en fuite (4).

(1) Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, au gouverneur de Lille, 3 février lo65-1564 vieux style (Correspondance de Philippe IL publ. par Gachard, t. II, p. 521).

(2) « Le troisiesme jour d'août 156o, a esté mandé au siéur de Matignon qu'il a fort bien fait de séparer l'assemblée qui estoit en termes de se former entre le cappitaine Deffans et le comte Montgomery et, survenans sembla- bles occurences, qu'il se saisisse des chefs de telles assemblées, pour en estre faite telle punition que le requièrent les repos du royaume et les ordon- nances du Roy. » (Instructions et pièces d' Estât, 96, ; Ms déjà cité dans ce chapitre).

(3) Sur cet épisode, lire le François de Montmorency, de M. le baron A. de Ruble (au t. VI, 1879, des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France).

(4) Si singulière que puisse sembler la chose, elle est indiscutable. La Reine-mère avait manifesté plusieurs fois à l'ambassadeur de Venise Finten- tion de passer à Blois, elle était arrivée dans les premiers jours de décem- bre, les fêtes de Noël, peut-être même le carnaval. Or, le 12, inopinément, elle lui annonça que le lendemain on partirait pour Moulins. Elle avait allégué la disette, qui commençait à se faire sentir, comme motif de sa détermina- tion." Quoique le fait soit vrai, telle n'en est pas la vraie cause, affirmait le di- plomate vénitien ; » de fait, à peine à Moulins, un de ceux qui l'accompa- pagnaient écrira : « On n'est pas en assurance d'un long séjour ici à cause » de la famine qui suit de près la Gourdequelque part qu'elle aille. » Mais il faisait fausse route en l'attribuant aux craintes qu'avaient éveillées en son esprit les nouvelles reçues de différents gouverneurs de province, que par- toutles gentillioinmes montaient à cheval, s'en allant en cour, et la présence officiellement constatée de 2.000 étrangers à Blois. Parmi ces derniers, n'y avait-il donc que des huguenots ? Puis, à supposer, ce qui restait à l'état d'hypothèse, qu'une attaque fût à craindre de la part de ceux-ci, n'avait-elle pas pour la protéger la même puissante escorte, à laquelle naguère elle ne craignait pas de se confier pour entrer à Angoulème, l'on disait les

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Trois mois plus tard, il ne sera pas plus heureux à Paris (1).

En dépit de cette mauvaise volonté évidente, des dangers qu'elle lui crée, il ne reste pas moins dans cette ville, activement mêlé aux intrigues de jour en jour plus accentuées des huguenots français avec les gueux flamands. Le 1er juin, il assiste à un banquet olFert par le connétable au baron de Montigny, membre d'une branche de sa famille, établie en Flandre au quinzième siècle. Montigny était en route pour l'Espagne avec une mission de la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche (2). « Qu'il le veuille ou non, il sera bientôt huguenot », disait-on de lui (3) ; et sa liaison avec le' prince d'Orange le rendait sus- pect à Philippe II. La présence de Montgomery à son côté dans la réunion d'Ecouen fut la goutte d'eau qui fait déborder le vase. L'ambassadeur castillan, don Francès de Alava, jeta un cri d'alarme (4), qui fut son arrêt de mort (5).

Montgomery se trouve donc tout à coup l'épouvantail de la formidable puissance Espagnole. Le bruit court qu'il a aux envi- rons du Mont-Saint-Michel G. 000 hommes prêts à s'embarquer avec lui pour la Flandre (6). « Il ne bouge pas encore, écrit de » son côté un agentanglais. Mais ilm'aditque ses coreligionnaires

protestants de la contrée assemblés avec de mauvais desseins? La précipita- tion avec laquelle est décidé le départ et le rapprochement de la date de ce départ (le 13) avec celle de l'arrivée de son ennemi personnel (le 15), établissent nettement qu'il n'y a pas en tr'elles simple coïncidence (Smith à Lei- cester et Cecil, 8-18 août et 13-29 décembre; Calendars... 1 563-65, n°* 1369 et 1729. Dépêche de Suriano, 13 décembre; B. N., Dispacci degt arnb. Venez., ftlze 5 l 314 ej B bis partie en chiffres de l'original (p. 102et 103). Truchon à M. de Gordes, gouverneur de Dauphinc, 2o décembre, dans VHist. des princes de Condé, de Mgr le duc d'Aumale, t. I, p. (1) Hoby a Cecil, 'il mai 1566 {Calendars.;., 15G0-08, n. 406). K. de Lettenhove, Leshug. ci les gueux, t. 1, p. 315.

(3) Ibid., p. 171.

(4) Dépêche de don Francès de Alava à Philippe II, o juin 15G0 (Orig., Arch. Nat., K. 1506, n. 5).

(:; Resté eo Hspagne, il fut emprisonné le 20 septembre l.'iOTdansla tour jovie, sur la nouvelle que les comtes de Horne(son frère) et d'Egmont avaient été arrêtés à Gand. tic ne l'ut que trois ans après, le i- septembre ['570, que I'- Conseil des troubles se décida à le condamner à mort. Le I»'» octobre suivant, il fut exécuté secrètemenl au château de Simancas, il avait été transféré (K. de Lettenhove, t. II, p. 01, -224 et 248-254).

(6) Lettres de Catherine, t. III, p. 1.

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» se disposaient à aller secourir le s Flamands, au moyen de quoi » les tempêtes recommenceront (1). »

Pour donner satisfaction à ces terreurs, la Reine-mère lui fait signifier Tordre d'avoir à quitter Paris sur-le-champ (2). Mais, à peine parti, il devient un plus grand sujet d'inquiétude. « Encores que je m'assure, n'ayant point de nouvelles, qu'il n'y » a rien de votre côté qui n'aille bien, mandait Catherine à Mati- » gnon, le 7 janvier suivant (3), le Roy mon fils veut en estre » adverti par vos lettres et savoir est le comte de Montgomery, » en quoi je vous prie le satisfaire le plus tôt que vous pourrez. »

D'heure en heure, l'horizon s'assombrissait. Tout à coup, les protestants apprennent que 6.000 fantassins d'élite, levés en Suisse, s'avancent à marches forcées vers Paris. Pour eux, plus de doute : c'est l'exécution des mystérieux desseins de Bayonne qui commence. Par trois fois les principaux réformés, Condé, les trois Ghâtillon, La Rochefoucauld, Briquemaut, Montgomery, s'assemblent. Aux deux premiers conciliabules, on ne résout rien ; mais, le danger devenant plus pressant, au troisième, on décide une prise d'armes (4). Dès lors les événe- ments se précipitent. A l'heure même Norris, l'ambassadeur d'Angleterre, annonçait que Montgomery était revenu à Du- cey (5), Matignon prévenait le Roi que le comte levait des gens de guerre (6), des bandes huguenotes cernaient Monceaux- en-Brie était la cour, et Charles IX ne leur échappait que par miracle (7).

C'était cette fois au cœur du royaume, dans l'Ile-de-France, qu'allait s'engager la partie suprême.

Montgomery accourt à Orléans, assiégé par La Noue, et

(1) Lettre de la duchesse de Parme, citée ibid., p. 333.

(2) Cook à Cecil, 18 août [Calendars..., 1566-68, 661).

(3) Fitz- William à Cecil, 21 août {Ibid., 667).

(4) Nous demandons la permission de renvoyer pour cela le lecteur à notre article : Les conciliabules protestants de Chûtillon-sur-Loing et de Vallery en 1567, paru en 1887 dans les Annales de la Société historique et archéolo- gique du Gâtinais.

(5) Voy. sa lettre du 16 septembre dans Calendars..., 1566-68, 169.

(6) Cailliere, p. 90.

(7) Duc d'Aumale, Hist. des pr. de Condé, t. 1, p. 294.

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l'aide à s'en emparer (1). De là, il va à Toury faire sa jonction avec le vidame de Chartres, qui amène les réformés de la Beauce et du Perche (2).

Le 17 octobre au matin, l'armée ainsi formée se met en mar- che. Montgomery conduit l'avant-garde. Sous sa bannière marchent ses deux frères, Jacques, seigneur de Courbouzon, et Louis, abbé commandataire de Saint- Jean-lez- Falaise, qui ont tous deux abjuré le catholicisme et vont faire aux côtés de leur aîné l'apprentissage des armes (3). Etampes, Dourdan se rendent sans coup férir (4). On remonte ensuite la vallée de Chevreuse et l'on atteint Saint-Cloud. Là, un bataillon catholique tient les deux bords de la Seine. Une attaque simulée de Montgomery sur le pont permet à Courbouzon et à Saint-Jean de s'assurer du bourg et des nombreux bateaux amarrés au rivage. Le soir, on parvient à Saint-Ouen qu'occupaient les grand-gardes de l'amiral (25 oc- tobre) (S).

Avec Montgomery et le vidame de Chartres, venaient 3.000 fantassins et un millier de cavaliers (6). Précieux renforts ! car en ce moment même, le duc d'Albe envoyait aux royaux l.oOO chevaux et 2.000 gens de pied sous la conduite du comte d'A- remberg. Menacé d'être pris entre deux feux, Gondé charge Montgomery de leur barrer le passage (7). Il revient presque

(1) Dépêche de Petrucci au duc de Toscane (Négoc. dipl. entre la France et la Toscane, t. 111, p. 533). La Popelinière, Hist. de France de 1550 à ces temps (La Rochelle, 1581, 2 vol in-f"), t. I, liv. XII, 25 v°.

(2) Discours de la mort et exécution de Gabriel, comte de Montgommery Paris, 1574, in-8°). La Popelinière, ibid., 24. \ .

(3) Le second devait avoir de 15 à 16 ans ; le premier, 7 ou 8 ans de plus ; voy. noire chap. I.

i .Norris à I.eicester, 22 octobre {Calendars . . . , 1566-68, 1777). Dépêche de don Francès de Alavaà Philippell, 25. (DéchiUreincnt original en espagnol, Arch. Nat., K. 1.508, 21). Brûlart, Journal de 1559 ù 1560. [M( m. deCondé, 1. 1, p. 180). Davila. Hist. des guerres civiles, trad. de 1566, t. I, p. 393. La Popelinière, loc. cit. Auhigné, lrc partie, liv. IV, ch. vu.

(5) Dépêche précitée d'Alava. Disc, de la mort et exêc. de Montgomery. La Popelinière, loc. cit.

(6) Lettre de Norris du 22 précitée. La Popelinière, loc. cit.

(7) Dépêche d'Alava, 5 novembre iDéchifl'r. orig. en espagnol, Arch. Nat., k. 1508, 88).

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aussitôt sans avoir vu l'ennemi, mais apportant une grande nouvelle : Strozzi et ses vieilles bandes ont quitté leurs canton- nements et marchent sur Paris.

A tout pris il faut les arrêter. Le prince dépêche Montgomery et d'Andelot à la rencontre de ces nouveaux adversaires. Mal- gré leur diligence, ils furent devancés. Le comte, trouvant Pontoise solidement gardé, se replie sur Poissy d'Andelot avait rencontré le même obstacle (1). Ils retournent auprès du prince et rallient ses quartiers le 10 au soir (2), trop tard pour prendre part à la lutte acharnée qui s'était déchaînée tout le jour dans la plaine de Saint-Denis (3).

Le lendemain de cette sanglante bataille restée indécise, Montgomery et d'Andelot, à la tète de la cavalerie qu'ils avaient ramenée, s'allèrent présenter devant le faubourg Saint-Denis, « brûlant les moulins et un village, pour acertener la ville, dit La Noue, que tous les huguenots n'étoient pas morts. » On les laissa faire : la mort du vieux connétable de Montmorency, frappé la veille dans la mêlée, avait jeté Paris dans la stupeur. Constater le découragement de l'ennemi, c'était tout ce que vou- lait Condé. Profitant de l'inaction des royaux, il décampa le 13, allant au-devant des 10.000 hommes que lui avait promis l'élec- teur de Bavière. (4)

Il ne les rejoignit que le 1er janvier 1568, au-delà de Pont-à- Mousson. Les leçons de l'expérience l'avaient édifié sur la va- leur du concours qu'il devait en espérer. Avant de reprendre l'offensive, il préféra se renforcer des Dauphinois de Mouvans et des Gascons des « sept vicomtes » qui opéraient en Touraine ; il leur envoya l'ordre de se concentrer autour d'Orléans (S).

Ces longues marches monotones à travers la Champagne, la Bourgogne, le Gàtinais n'offraient guère de ressources au génie aventureux du comte de Montgomery, chargé depuis Saint-

(1) Gastelnau, liv. IV, chap. et vu.

(2) « Vers minuit » (La Noue, Disc, polit..., p. 621).

(3) Voir la description complète par Mgr le duc d'Aumale (t. I, p. 303-312 de Yllist. des pr. de Condé).

(4) La Noue, loc. cit.

(5) Duc d'Aumale, 1. 1, p. 324-328.

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Denis, do concert avec de Mouy, du commandement de l'avant- garde (1). Il n'eut qu'une fois l'aubaine d'un combat. Au-dessus de Chàtillon-sur-Seine, le duc de Nevers fît mine de s'opposer à son passage ; il le chargea avec tant d'impétuosité que le duc fût forcé de reculer, laissant bon nombre des siens sur le car- reau. (2)

Ce fut son unique fait d'armes durant la seconde guerre ci- vile. L'investissement de Chartres par Condé provoqua la re- prise des négociations. Elles aboutirent, le 23 mars, à la signa- ture du traité de Longjumeau.

Cette paix était-elle bien sincère ?

Voici ce qu'écrivait alors un témoin désintéressé, l'illustre président Pasquier (3) :

« Le temps n'est encore disposé pour une paix bien fermée. Car combien que les huguenots se soient dépouillés de leurs forces ei retirés chacun en leur chacune, le Roy depuis la pu- blication de la paix n'a pas encore licencié ses gens de guerre et, qui plus est, a fait mettre garnison es ponts et passages. Je ne sais à quelle fin cela se fait ; mais les plus clairvoyants se per- suadent que c'est pour empêcher les huguenots de se réunir. S'il y a en ceci quelque embûche, certainement ils seront au- dessous de toutes affaires et sans espérance de ressources, parce que je vois aujourd'hui le prince de Condé en Bourgogne dans sa maison de Noyers, M. d'Andelot en Bretagne, M. de Laro- chefoucault en Angoumois, M. d'Acier en Languedoc, les vi- comtes de Monglar et Bourniquet en Gascogne, MM. de Genlis et de Mouy en Picardie, le comte de Montgomery en Norman- die. Ce n'est pas un petit conseil de les avoir en cette façon écartés les uns des autres ! »

(1; Voir, aux dates des 13 et 14 décembre, le curieux Journal des occurren- ces principales et résultats du conseil du duc d'Anjou sur icelles, resté, croyons-nous, inédit et dont les feuillets sont disséminés dans les volumes 15543, 15544 et 15545 du f. français à la Bibliothèque Nationale; Cf.: le duc d'Anjou à la Heine-Mère, 30 janvier. (Orig., ibid., 15J»44, 48).

(2; La Valette au duc d'Anjou (Orig., ibid., 163), et Norris à Cecil, 1er février (Calcndars..., 1566-68, 1981).

(3) Lettres, liv. v. n" '■> iau t. u de ses Œuvres complètes, éd. de 1723).

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Ce n'était que trop vrai et les parlements, les gouverneurs de provinces ajoutaient à cette défiance en n'affichant que du mépris pour l'édit. M. de Beaufort, auquel Montgomery avait marié l'aînée de ses filles, ayant fait établir un prêche dans sa rési- dence ordinaire, voisine de Saint-Malo, (ce qui était son droit strict de haut-justicier), M. de Bouille, représentant du Roi en Bretagne, trouva moyen de s'en plaindre, « vu que les jeunes » habitants et tous les Anglois et autres étrangers qui y abordent » et nombre de la noblesse de autour s'y laissent attirer. » Il est vrai que, non content de pratiquer Y hérésie, le châtelain donnait fréquemment l'hospitalité à son beau-père, circonstance que Bouille relevait d'un air indigné, heureux de faire ainsi sa cour à Catherine de Médicis (1).

Cette violente sortie pourrait faire supposer que Gabriel de Montgomery affectait une attitude dénotant des velléités de ral- lumer les troubles. Il n'en était rien. Rentré à Ducey aussitôt la paix signée, il ne s'occupait que « de gouverner toutes choses fort tranquillement dans l'intérêt de la religion. » (2)

Sur ces entrefaites, Condé, Coligny et le prince d'Orange conclurent un traité d'alliance « contre la tyrannie du duc d'Albe », qui venait d'abattre les plus illustres tètes de la no- blesse des Flandres (3). Aussitôt la correspondance de l'ambassa- deur d'Espagne en France se reprend à respirer l'inquiétude. Le 21 juin, il dénonce un complot ourdi par les gueux et les huguenots coalisés pour s'emparer de Cambrai (4). Le 27, il redoute une entreprise de M. de Mouy (o) et de Montgomery sur Saint-Quentin ou^Saint-Omer. Défait les protestants français se portaient en masse sur les confins de la Picardie (6). Mais

(1) Bouille au duc d'Anjou, 25 juin 1568 (Orig., B. V., f. fr., 15346 271).

(2) Thomas Jenye à Cecil, 27 mai (Calendars..., 1566-68, 2231).

(3) K. de Lettenhove, t. II, p. 114-126, 137 et 138,

(4) Lettre citée ibid., p. 137 note.

(5) « Mos de Fonsala », c'est-à-dire Louis de Vaudray, seigneur de Mouy^ Cadet de la maison des marquis de Saint-Phale et pour cela très fréquem- ment nommé : Mouy-Saint-Phale.

(6) Alava au duc d'Albe, 27 juin. (Déchiflr. orig., Arch. Nat., K. 151 1> 58).

en

l'échec de Louis de Nassau, frère du prince d'Orange, à Gem- mingen (21 juillet), la défaite simultanée aux environs de Saint- Valery des 2000 fantassins et 3 cornettes que lui amenait Co- queville, les temporisations maladroites de Guillaume d'O- range (1) les découragèrent.

« Montgomery est parti pour la Normandie, mandait don » Francès de Alava, le 3 septembre (2). Quant au cardinal de » Châtillon, à Mouy-Saint-Phal, àGenlis, à Glermont d'Amboise, » ils sont toujours en Picardie, mais retirés en leurs maisons. » Néanmoins ils ont près d'eux plus de cavalerie et d'infanterie » que de coutume et ce ne doit pas être sans raison. »

Si les capitaines réformés s'entouraient ainsi de gens de guerre, c'était pour leur sécurité personnelle, non plus pour se- conder leurs alliés Flamands: ils avaient découvert que la cour méditait de se saisir traîtreusement de leurs personnes. Il con- vient ici de reconnaître à l'honneur des officiers royaux, que leur loyauté se révolta quand la Reine-mère leur dévoila le mé- prisable rôle qu'elle entendait leur imposer. Gaspard de Tavan- nes était chargé de l'arrestation de Condé et de Coligny. « Il fit passer, nous dit son fils, des messagers avec lettres conte- nant : Le cerf est aux toiles; la chasse eut 'préparée. Les porteurs furent arrêtés, comme il désiroit, par le prince, qui, fortifié d'autres avis, partit soudain en alarme avec sa famille et passa Loire à Sancerre (3). » De même pour le cardinal de Châtillon : « Ayant eu plusieurs advertissements des entreprises dressées » contre moi par ceux-là même qui étoient de la partie, j'ai été » contraint de quitter ce royaume », écrivait-il au moment de s'embarquer pour l'Angleterre (4). De même encore pour Mont- gomery : le sieur de Breuil, capitaine de Granville, le prévint adroitement de sa mission et se retira en Bretagne, lui laissant le champ libre (5).

(1) K. de Lcttenhove, t. Il, p. 139-141 .

(2) Au duc d'Albe (Déehiffr. orig., Arch. Nat., K. 1511, 86).

(3) J. de Tavannes, Mémoires 'lu maréchal 'le Tavanms, éd. Michaud, p. 203 et 204.

(4) Au Roi el à la Reine-mère, '■> septembre (dans noire publication : Correspondance du cardinal de Châtillon, première partie, 1885, p. 81) et 90.)

., Matignon au Koi, 4 septembre (urig., B. N., P. IV., 15548, 12 et 13).

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Miraculeusement échappé au péril qui le menaçait, Mont- gomery gagne Yire avec vingt chevaux. Les habitants l'ayant accueilli à coups de couleuvrines (1), il s'en vengea en faisant impitoyablement saccager la ville (2). On ne saurait après tout l'en blâmer. Le temps n'était plus aux ménagements. Pendant cette exécution (3), des messagers parcouraient le Bocage, semant l'alarme. En vingt-quatre heures, le comte eut réuni trois cornettes et quatre enseignes, chacune forte de cent hommes. Cet « amas » troublait fort Matignon. Il prescrivit d'évacuer Falaise, position selon lui indéfendable, et pourvut de fortes garnisons Séez, Argentan et Alencon (4). Préparatifs inutiles ! "Le but de Montgomery était de rallier d'Andelot, qui l'invitait, ainsi que le vidame de Chartres, La Noue, Lavardin, aie rejoindre à Beaufort-en- Vallée, entre Angers etSaumur(5), et, quand il leva le camp, ce ne fut pas vers l'est de la province qu'il se dirigea, ceci à l'extrême déception des réformés normands, qui mettaient en lui leur espoir (6), mais vers les bords de la Loire.

Les différents contingents, réunis le 14 septembre à Beaufort par d'Andelot, comprenaient 2.000 fantassins et 800 cava- liers (7). Leur faire traverser le fleuve était chose malaisée. Les Ponts-de-Cé étant occupés par les royaux, il fallait un gué et on n'en trouvait pas. Attaqués bientôt sur le flanc droit par le vicomte de Martigues, sur la gauche par le duc de Montpensier, ils couraient un extrême danger, quand, par bonheur, Mont-

(1) Son lieutenant avait été tué à ses côtés.

(2) Du Bourg d'Isigny, Recherches historiques sur le château de Vire ; extr. du Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1837 ; p. 87.

(3) L'historien de Tordre des Cordeliers, qui perdit un de ses couvents, l'a embellie de détails fantastiques (Lucas Wadding, Annales minorum ; Lyon, 1635-48, 8 vol. in-fo ; t. VIII, p. 273).

(4) Lettre de Matignon précitée.

(5) J. de Serres, Mémoires de la troisième guerre civile, éd. de 1571, p. 190 et 191 . Disc, de la mort et exéc. du comte de Montgommery .

(6) Sir Hugh Paulet à Gécil, '1 octobre (Calendars . . . , domestic séries, Addenda 1547-65, p. 59). Le même jour, lord Cobham mandait au même la fausse nouvelle que Montgomery était en Picardie avec 1.500 cava- liers (Ibid., 1547-65, p. 318).

tf ) Castelnau, 1. VU. ch. I.

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gomery, ayant entrepris d'explorer à nouveau le cours de la Loire, annonça que ses recherches avaient fini par aboutir. Ce fut le salut de l'armée huguenote, qui présentait déjà des symp- tômes d'épuisement. Le passage s'effectua en quelques heures, et l'on tira vers La Rochelle, assignée aux protestants comme rendez-vous général (1).

Le prince de Condé prit hardiment l'offensive. En trois semaines il soumit le Poitou, l'Angoumois, la Saintonge, et le 26 octobre, son armée, grossie des Provençaux du sieur d'Acier, marchait à la rencontre des royaux commandés par Monsieur, duc d'Anjou, frère de Charles IX qui s'avançaient en Touraine. Les deux armées ainsi rapprochées, un engagement était iné- vitable. Ici nous laisserons la parole à un officier anglais, sir Georges North, autorisé à suivre l'avant-garde, confiée tout entière à Gabriel de Montgomery (2).

« Le 1er novembre, nous apprîmes que MM. de Guise, de Brissac et de Martigues étaient venus à six lieues de nous avec 1.000 fantassins et 3.000 cavaliers. Le prince alla au-devant de l'ennemi qui, se comportant en lièvre, tourna bride. Nous le poursuivîmes quatre jours, et de si près que M. de Montgomery les délogea plusieurs fois, trouvant leur souper préparé ; mais nous étions des hôtes inattendus et ils manquaient de courage pour demeurer, et nous souhaiter la bienvenue. Ils ne regar- dèrent jamais en arrière jusqu'à Chauvigny 7 lieues do Châ- tellerault, à 8 de Poitiers), le comte, avec 10 cornettes seule- ment, leur offrit la bataille, le 4 novembre. Ils la refusèrent et se retirèrent derrière un pont, à bien cent pas au-delà. Le soir, nous l'emportâmes et forçâmes l'ennemi à abandonner la ville, lais- sant cinq enseignes d'infanterie dans le château.

» Le S, au point du jour, nous dépassâmes notre avant-garde, laissant le château pour le prince qui arrivait; il fut rendu à composition. Le 6, nous arrivâmes à un mille de Châtelle- rault, le frère du Roi était avec 3.000 chevaux et 8.000 gens

[i) Aubigné, lr0 partie, liv. V, eh. iv.

(2) North ii Cécil, Il janvier 1569, avec post-scriplum du 30, impr. par Mgr le duc d'Aumale, ep. r/U., t. II, p. 371 et 377.

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de pied. Le 7, nous leur présentâmes le combat au nombre de 6.000 fantassins et 2.500 cavaliers ; mais ils firent semblant de ne pas nous voir. Le 8, nous tînmes la campagne toute la journée jusqu'à ce que nous apprîmes par quelques prisonniers qu'ils avaient fortifié le passage de Châtellerault, retranché leurs lignes, et qu'ils voulaient tenir dans cette position. »

Bien que son caractère et sa situation dussent le presser de livrer bataille, Gondé ne pouvait ni aller chercher le duc d'Anjou dans sa forte position près de Châtellerault , ni rester en pré- sence pour attendre une attaque, puisqu'en cas de revers il aurait eu à traverser la Vienne et à passer sous le canon de Poi- tiers. Il prit le parti de revenir par Chauvigny sur la rive gauche de la Vienne, afin de ne pas être tourné par Poitiers, il recula jusqu'à Chenay sur les bords de la Sèvre. Il ne tarda pas à savoir que Monsieur avait quitté Châtellerault et dépassé Poitiers sans s'y arrêter. Aussitôt, dans l'espoir d'avoir promptement un enga- gement en rase campagne, le prince marcha en avant et gagna Lusignan sur le chemin de Poitiers.

Reprenons l'intéressante relation de North.

« Le 15, l'ennemi avait fixé son rendez-vous àSanxai, et notre avant-garde au même endroit, de sorte que les maréchaux des deux camps y arrivèrent en même temps. L'ennemi prit la plaine, adossé à un grand bois, et présentale combat, ce que nous désirions beaucoup. Les deux armées s'approchèrent à portée d'arquebuse. Notre avant-garde s'avança. Ils reculèrent bientôt avec des pertes sensibles ; M. de Martigues fut blessé au bras d'un coup de feu.

» Le 16, au petit jour, nous étions en bataille. L'ennemi ne se montrait point. Le comte de Montgomery fouilla le bois. Nous trouvâmes l'ennemi disparu, et, par des prisonniers que nous fîmes, nous apprîmes sa fuite en alarme. Nous le suivîmes à toute bride. Vers midi, nous enlevions la plupart de ses chariots, au nombre de 160, estimés valoir 100.000 écus, outre des prison- niers de toute condition, et les forcions à se retirer derrière un grand bois devant Lusignan, à trois lieues de Poitiers, ils avaient pour déplus sûreté placé leur artillerie. Nos gens de pied

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entrèrent dans le bois avec une volée de 8.000 coups. Le comte les appuya en face des canons qui tirèrent environ 360 coups, mais ne tuèrent que six hommes et en blessèrent trois. Nous perdîmes en tout 6o hommes; eux, 12 capitaines et 700 soldats. Cette escarmouche, ou plutôt cette charge, dura jusqu'à la nuit ; si nous avions eu l'avantage delà lumière du jour, nous aurions à coup sûr pris leur canon. »

A la suite de ces combats, le prince de Condé ne crut pas devoir courir les chances d'une bataille rangée. Laissant donc le duc d'Anjou reformer derrière les murs de Poitiers ses troupes écrasées de fatigue et encombrées de malades, il piqua droit sur la Loire. Une violente escarmouche, le comte de Brissac, attaquant les quartiers de Montgomery, fut culbuté 24 novem- bre) (1), marqua le début de ce mouvement, dont la gravité tira Monsieur de sa torpeur.

« Le 2 janvier 1569, MM. d'Andelot et de Montgomery rempor- tèrent un avantage près de Saumur ; voici comment : ils offrirent de parlementer avec l'ennemi ; leurs soldats s'étant rapprochés pour entendre ce qui se disait, les nôtres en firent autant ; puis tout à coup brisèrent des barreaux de fenêtres, entrèrent dans l'intérieur et passèrent tout au fil de l'épée; récompense du Ciel, conclut le narrateur de la scène, pour la violation de parole et la cruauté dont les Philistins donnèrent le premier exemple à Milloy (2). »

Ce petit succès, qui témoignait de l'animosité croissante des deux factions, ouvrait aux protestants la route du fleuve. Mais là-dessus l'avis arriva que Loudun, dont la possession assurait leurs communications, était serré de près par les catholiques. Il fallut rebrousser chemin Bientôt, d'ailleurs, les intempéries de la saison rendirent toute opération impossible. Un engage- ment très vif où, le 6 janvier, Montgomery tailla en pièces une

(t) Relation de North. Cf., Noms à Cecil, 8 décembre [Calendars..., foreign. séries, 1566-68, 2667). Ce dernier fixe seul l'emplacement de ce combat : « Auprès de Lusignan », dit-il ; nous croyons qu'il a confondu avec Auzance, lieu il y eut précisément, le 24 novembre, un engagement entre Brissac et l'amiral (Duc d'Aumale, t. II, p. 40).

(2) Relation de North.

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reconnaissance des royaux, conduite par Brissac et le jeune duc Henri de Guise (1), termina la campagne.

Cette trêve tacite devait être de courte durée, et, de même qu'un avantage de Montgomery en avait été la préface, de même un échec du comte en fut le terme.

« Pendant que séjournent le prince dans Thouars,

Étendant largement çà ses étendards.

Dedans le Bas-Poitou, pays bon et fertile,

Il avint que Brissac, vigilant et utile,

Ayant toujours aux champs quantité d'espions

Qui l'acertioroient de plusieurs actions

Du camp des ennemis, entendit la nouvelle

Qu'auprès de Saint-Messant, en un lieu qu'on appelle

La Motte-Saint-Éloy (2), loge oit Montgomery.

Croyez que sans retard il fut de lui chéry,

Mais de telle façon et par telle surprise

Conduisant dextrement sa gentille entreprise

Que, s'il n'eût promptement gagné dans le château

Château bien entouré d'un bon fossé plein d'eau —,

Et qu'il eût à garant failli soudain le prendre,

Il étoit en danger de mourir ou se rendre (3). »

C'était le 12 février. Le comte avait perdu cinquante des siens; son frère Saint-Jean était resté aux mains des vainqueurs, qui l'enfermèrent au donjon de Lusignan. Montgomery, doublement atteint, et dans son amour-propre de chef de corps et dans ses affections, organisa une expédition pour délivrer le captif; mais elle échoua, et il dut se résoudre à l'expédient qui coûtait le plus à son orgueil : traiter de la rançon du jeune gentil- homme (4).

Les chefs protestants, Condé, l'amiral, d'Andelot étaient alors

(1) Noms à Cecil, 15 janvier 1569 (Calendars, 15(30-71, 50).

(2) La Motte-Saint-Héraye, ch.-l. de cant. del'arr. de Melle (Deux-Sèvres).

(3) Lis sept livres des honnestes loisirs de M. de La Mothe-Messemé, chevalier de Tordre du Roy et capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordon- nances (Paris, 1587, in-42), 135 v°. Cf. : les dépèches de G. Correr au Doge, '20 février (B.N., Dispacci degV amb. Venez., fi tza 6, f°326) et de Norris à la reine Elisabeth, 5 mars (l'alendars. ., 1509-71, 151); Castelnau, liv. VII, chap. in ; I-a Popelintère, t. I, liv. XV, SO; Aubigné, lre partie, liv. V, ch. vu.

4) Castelnau, Aubigné, loc. cit.

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réunis à Niort. En même temps qu'ils connurent la défaite de leur lieutenant, ils reçurent avis que le duc d'Anjou avait quitté ses quartiers de Chinon et descendait la rive droite de la Vienne. Ces circonstances les déterminèrent à aller donner la main aux s vicomtes », afin de se frayer un chemin vers la haute Loire ils attendaient les renforts promis par les princes pro- testants d'Allemagne. Mais l'armée royale, bien dirigée par le maréchal de ïavannes, les prévint (1). Dans la nuit du 12 au 13 mars, elle s'empara des ponts mal gardés de la Charente: à l'aube, elle se déployait en face de l'avant-garde calviniste qui s'étendait le long de la rivière, de Bassac à Triac, tandis que le centre, ou, comme on disait alors, la bataille, logeait à Jarnac, et qu'à Cognac se trouvait l'arrière-garde.

Montgomery se rend compte le premier de cette situation cri- tique. Déjà sur sa gauche le feu est violent. La Noue, Soubise et Puyvault veulent à tout prix racheter leur déplorable négli- gence, l'empêcher d'amener une catastrophe. Ils font des efforts désespérés pour contenir les colonnes ennemies qui s'avancent en bon ordre à l'attaque de la Guerlande, ruisseau tributaire de la Charente, auquel est adossé Bassac, la clé de la position. Le comte court leur prêter main-forte. François de La Noue arrive aussi et, à la tête de quatre cornettes, dégage les troupes com- promises. Mais, après une charge heureuse, ses cavaliers sont rompus à leur tour, lui-même pris, le passage de la Guerlande et Bassac emportés. Sur l'ordre de l'amiral, d'Andelot vole à la rencontre des royaux, rallie les enseignes débandées, les ramène au combat, reprend, puis reperd Bassac. Alors, Coligny, déses- pérant du succès de la lutte, ordonne la retraite.

En cet instant sur le plateau de Bassac apparaît le prince de

(1) Aubigné (loc. cit.), copiant Davila (t. I, p. 476), attribue cette négli- gence à Montgomery, Soubise et La Loue, ajoutant, d'ailleurs, au chapitre suivant que le dernier fut le plus coupable. Il fut même le seul coupable à en croire des témoins oculaires, La Noue p. 666 et La Mothe-Messemé (f" 1 iO . En tout cas, l'autorité de d' Aubigné ne peut prévaloir contre celles île La Noue et de La Mothe-Messemé, qui déchargent implicitement Montgo- mery et d'une faction indigne de sa liante réputation et d'une négligence dont sa vie ne présenterait pas d'autres exemples.

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Gondé, dont il a inconsidérément réclamé l'assistance au moment d'Andelot tentait, sans y réussir, d'entraver les progrès des catholiques. Une poignée de cavaliers accompagne Louis de Bourbon. Mais ce sont tous des hommes éprouvés , gens d'armes des compagnies d'ordonnance ou gentilhommes volon- taires. Dès qu'il aperçoit cet escadron d'élite s'avançant au grand trot dans la plaine, Montgomery court se ranger aux côtés de son intrépide général. Contre la faible escorte de Condé venait toute la cavalerie royale, de front les 2.000 chevaux-légers du duc de Montpensier, sur la gauche les 800 lances de Monsieur, sur la droite les 2.000 reîtres du Rhingrave... Et pourtant ce ne fut pas trop des 6.000 catholiques pour avoir raison de leurs 300 adversaires (1).

(]) Castelnau, p. 668. Davila, t. I, p. 481. Aubigné, \TC partie, liv. V, ch. vin. Inutile d'ajouter que nous avons eu constamment sous les yeux le tableau à la fois si dramatique et si exact qu'en a donné Mgr le duc d'Au- male (Hist. des princes de Condé, t. II, p. 35).

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VI

La journée de Jarnac n'avait pas été très meurtrière. Mais elle coûtait plus cher aux réformés que les sanglantes batailles de Dreux et de Saint-Denis. Leur chef « au cœur de lion », le prince de Gondé, avait signé de son sang l'apostrophe superbe qu'il adressait, en 1562, lors des premiers troubles, au peuple français :

Or, si je dois mourir en si haute entreprise, Fais que sur mon tombeau cette lettre soit mise : Pour l'Église de Bien, son Roy et son pays Remettre en liberté mourut ici Loys (1).

Il était allé à la charge une jambe brisée, un bras démis. Dé- monté presqu'aussitôt, hors d'état de se défendre, il s'était à peine rendu à deux gentilshommes catholiques que le capitaine des gardes de Monsieur, Montesquiou, lui fracassait la tête d'un coup de pistolet tiré à bout portant. Les royaux souillèrent leur victoire par d'autres assassinats : Robert Stuart et Chastellier - Portault furent, comme Louis de Bourbon, tués de sang-froid après l'action par des ennemis personnels (2).

Au milieu des monceaux de cadavres qui, çà et là, mar-

(i) Epître du prince de Condé « au peuple françois »; le quatrain précé- dent en est la péroraison ; il y en a une autre dans le manuscrit, dédié « à la Royne mère du Roy. » (Copie française du temps, Arch. Nat., K. 1500, 3.)

(2) Aubigné, loc. cit.

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quaient l'emplacement les héroïques compagnons de Condé avaient succombé sous le nombre, les fourrageurs du duc d'An- jou remarquèrent un cheval mort dont la selle était brodée aux armes bien connues de Montgomery (1); ils allèrent, triom- phants, rapporter au prince que le comte avait péri. Aussi, dans la relation officielle de la défaite des rebelles qui fut communiquée aux cours étrangères (2), le nom de Montgomery est-il accolé à celui de Monsieur le Prince.

Quel triomphe pour Catherine, comme mère, comme souve- raine ! Des lauriers pour le front juvénile de son fils préféré! Ce- lui qui a osé convoiter le trône de Charles IX, « bouté sur une ânesse » et exposé en cet état aux quolibets des soldats. Jusqu'à ses haines de femme qui sont du même coup assouvies, puisque « celui qui tualeroyHenuy » a vécu. Par une étrange coïncidence, elle apprenait la mort de son ennemi à l'heure précise le maréchal de Cossé le disait sur le point de s'embarquer à La Rochelle « avec quelque nombre d'harquebusiers », à destina- tion de la Basse-Normandie (3).

La disparition du comte ne pouvait non plus déplaire au roi d'Espagne; car en lui les gueux flamands perdaient un de leurs plus ardents partisans. Le cardinal Granvelle s'empressa en conséquence de la mander au gouverneur de Landrecies, place voisine de celles sur lesquelles on avait, de 1564 à 1568, prêté au défunt maints projets de « camisade » (4).

(1) Dans le «Roollc des morts, blessés et prisonniers dressé » le 19 mars 1569 (Orig., B. N., f. fr., 3213, f°R39 et 40, on lit :

Le cheval de Montgomery recongneu mort.

Ce fut évidemment sur la foi de cette découverte que se répandit le bruit de la mort de son propriétaire.

(2) !)e ce texte il y a des copies au Record d'Office d'Angleterre, aux Ai chives de Simancas (partie transportée en I8<0, à nos Archives Nationale!, elle est cotée K. i o 14, 55), dans le ms.31b9 (f° 184) du fonds français, à la Bibl. Nationale.

11 a été impr. au t. VII, pp. 3-10 de la Correspondance diplomatique de La Mothi -l'inclon, publ. par Ch. Purton-Cooper, 1838-40, 7 vol. in-N°.

(3) Au Roi, 14 mars. (Orig., B.N., i fr., 15549, 80.)

(4) Letlre du 29 mars {Correspondance de Granvelle publ. par Poulet et Piot t. III, p. 529).

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Seule, la reine Elisabeth se refusait à croire à la lin obscure du vaillant soldat qu'elle avait été si à même d'apprécier, en 1562-63. Quand, le 6 avril, elle donna audience à La Mothe- Fénelon, notre ambassadeur :

« La mort de M. de Montgomery est-elle bien certaine? » fut sa première question (1).

Elle avait raison de douter des informations du roi de France, et Catherine se réjouissait prématurément. Bientôt vint le jour le commandeur Petrucci qui, le 23 mars, écrivait au duc de Toscane : «Montgomery è morto, che ammazzo en giostra ilre Enrigo, » dut se démentir lui-même en ces termes qui fri- sent le comique : « Dicesi che Montgomery non è piu morto. On dit que Montgomery n'est plus mort (2). » C'est que dans l'inter- valle de ces deux dépèches il en avait donné d'irrécusables preuves.

Le soir du 13 mars, le comte de Montgomery arrivait à Cognac, s'étaient ralliés les débris de l'armée vaincue. Refoulé par la cavalerie de Montpensier au-delà de Triac, sa position du matin, il s'était retranché derrière l'étang séparant le bourg de la Cha- rente, et y avait résisté jusque bien après le coucher du soleil. Il ramenait plusieurs escadrons, élaircis, mais solides encore (3).

Un conseil de guerre fut tenu dans la nuit. On savait que Monsieur avait établi son quartier général àJarnac, dont Cognac n'est distant que de huit heures. Dans l'état de désordre se trouvait l'armée huguenote, une attaque des troupes victorieuses aurait été un désastre. D'un commun accord, Coligny, d'Andelot, La Rochefoucauld, Montgomery reconnurent la nécessité de se replier sur Saintes (4). Là, nouvelles délibérations. Les plus timides proposaient de se concentrer autour de La Rochelle.

(1) Dépêche de La Mothe-Fénelon, 12 avril ; dans sa. Correspondance di- plomatique, 1. 1, p 304.

(2) Dépêches de Petrucci, 23 mars et 9 juin [Négoc. avec la Toscane, t. III, p. 586). Cf. celle de G. Correr, 8 juin. (B. N., Dispacci degïamb Venez., fdza 7, 39.)

(3) Davila, t. I, p. 48. La Popelinière, t. I, liv. XV, 84. Aubigné, loc.cit.

(4) La Popelinière, loc. cit.

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Adopter un plan purement défensif, fut-il répondu, ne serait-ce pas avouer la ruine morale du parti? «Mieux valoit garder l'honneur de la campagne par la faveur des ponts de la Charente, vu qu'ils avoient de quoi combattre les catholiques séparés (1).»

Celui que son rang et ses mérites appelaient désormais à la direction des affaires de « la cause >, nominalement confiée à « Messieurs les Princes » (le fils de Jeanne d'Albret et le fils du héros de Jarnac), Gaspard de Coligny s'arrêta à cette dernière résolution. Le 15, le duc d'Anjou, encore enflé de son triomphe de la surveille, s'était fait piteusement repousser devant Cognac (2), et ce léger succès n'avait pas médiocrement contri- bué à relever le moral des calvinistes. « Tels chats ne se pren- nent pas sans mitaines », répétaient-ils railleusement (3). Au commencement d'avril, Monsieur, ayant rétabli ses cadres, éprouvés par la désertion, résolut de prendre sa revanche. Il jeta àcet effet son dévolu sur Angoulôme. Mais l'amiral eut vent de son projet : Montgomery reçut mission de rafraîchir la ville avec 900 chevau-légers (4).

La célérité était la qualité maîtresse du comte . En vingt-quatre heures il s'était rendu à son poste et l'avait déjà rendu impre- nable (5).

Un échec, s'il persévérait dans ses desseins, était à présent si certain que le duc d'Anjou, furieux d'avoir «failli l'occasion», alla de dépit saccager Mussidan qui eut l'audace de lui tenir tète (6). Puis, pour mieux venger sa déconvenue, il eut recours à une hâblerie. Dans la marche rapide de Montgomery sur Angoulème, quatre des cornettes désignées pour le suivre avaient été inexactes au rendez-vous par lui fixé ; [tressé par le temps, il s'était éloigné snns les attendre. En voulant le rejoindre, les

(1) Aubigné, loc. cit.

Discours envoyé le 2 août au Roy, par le mareschal de Tavannes » inséré dans sa biographie, déjà citée, parson fils; éd. Mictaaud, p. 3-27.— La Noue, p. 070.

(3) La .Noue, loc. rit .

(4) Norris à Cecil, 18 avril [Calendars 1569-71, --»3.i).

:. Voy. les 'Ictails donnés là-dessus par Jean de Serres (flfém. de /</ '■'< ;/.

I. lie 1571, p. ^28). (6) Ibid., p. 333.

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retardataires donnèrent droit, près de Châteauneuf-sur Cha- rente, dans un gros de cavalerie qui les mit en déroute et les obligea à se réfugier dans Cognac, perdant leurs étendards (1). Monsieur dépêcha incontinent un exprès porter ces trophées à la Cour (2), et annoncer que Montgomery, surpris dans un village, avait été contraint de fuir après de grandes pertes. Seulement, le prince, pour rehausser l'éclat ue son succès, avait déplacé le lieu de Faction : le comte, prétendait-il, s'acheminait vers Mon- tauhan pour rallier les vicomtes, et sa défaite par suite serait très dommageable aux réformés (3).

Sans s'en douter, par simple jactance, Monsieur semblait avoir deviné le plan des chefs protestants, nullement compromis d'ailleurs, comme il lui plaisait de l'imaginer, par l'escarmouche en question. Cependant, le 7 mai, les religionnaires subirent une rude épreuve : le noble et loyal d'Andelot fut subitement enlevé par une maladie mystérieuse. « Avant-hier, écrivait » d'Angleterre La Mothe-Fénelon le 3 juin (4), il vint lettres à » cette royne {Elisabeth) de son ambassadeur M. Norrys par » lesquelles il lui en confirme la mort et lui mande qu'il y a » gens à la cour de France qui poursuivent leur récompense » pour avoir empoisonné MM. l'Amiral, d'Andelot, de La Ro- » chefoucault et de Montgomery, jouxte la certitude qui aparoît » déjà de ce qui est advenu audit sieur d'Andelot, lequel, ayant » été ouvert, a été trouvé empoisonné et que sur leur vie il » s'ensuivra bientôt le semblable des autres. »

Cette perte ralentit les opérations des réformés. Quatre se- maines se consumèrent en honneurs funèbres rendus au défunt, et c'est seulement dans les premiers jours de juin que nous les voyons en marche vers le Limousin. Le 7, ils s'emparèrent de Nontronoù Montgomery les rejoignit. Le lendemain, tandis que le gros de l'armée poursuivait sa route le long des sinuosités

(1) Lettre d'Alava, 14 avril, citée ci-après.— « Discours. . . . deTavannes ». La Popelinicre, 385. Aubigné, loc. cit.

(2) Il y arriva le 13. Alava au duc d'Albe, 14 avril (Arch. Nat., K. 1314 87).

(3) Lettres précitées de IS'orris et d'Alava.

(4) Corr. dipi, t. II, p. 8 et 9.

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des collines du Périgord, allant au-devant des mercenaires Alle- mands du duc de Deux-Ponts, le comte se détacha sur la droite avec 200 chevaux, tirant vers le Quercy (1).

A son approche, Monluc, le lieutenant-général de Guyenne, prend l'alarme. Le gouverneur du Languedoc, Montmorency- Dam ville, qui était allé conférer avec Monsieur, était sur son retour. « Le chemin de Rodez à Toulouse du côté d'Alby, lui » écrivait-il le 21, est mal sur à cause que les troupes des enne- » mys sont de ce côté-là et /votre plus sur serait de passer par » Villefranche, Gahors et Villeneuve d'Agen(2)». Ces «ennemys » qu'il redoutait, c'étaient les bandes des vicomtes (3), répandues dans le vaste triangle compris entre l'Aveyron et son afiluent l'Agout, qui coule à Castres, leur quartier-général. L'arrivée de Montgomery en Albigeois accrut ses inquiétudes : il ne douta point que sa pensée ne fût de combiner ses mouvements avec ceux des vicomtes pour cerner Damville qui, inconscient du danger, parlait de se diriger vers Lavaur sous le canon de Cas- tres. « Advisez, lui mande-t-il peu de jours après, que ainsi vous » passez à deux lieues des ennemys, peut-être avancés en ces » quartiers pour vous faire une escorne »; et comme il fermait sa lettre, des nouveaux avis qu'il reçut lui dictèrent ce post- scriptum : « Montgomery partit lundi au soir (20 juin) de Mon- ). tauban, s'en allant vers Castres. Les uns disent que c'est pour » aller quérir de l'argent. Il est à craindre que ce soit plutôt » pour vous aller au devant. Je vous supplie d'y penser » (4).

Les desseins du comte étaient plus alarmants encore que Monluc ne le supposait. Mais il savait si bien tenir ses vues secrètes qu'il était àpeuprèsimpossibledeles deviner. Le 21 (5),

(1) Disc, de lu mort. . . de Montgomery. J. de Serres, p. 34ÎJ. Davila, t. I, p. 498 La Popelinière, 97. Castelnau, liv. Vil, cli. VI. Au- bigne, liv. V. ch. M.

Ilonluc a Damville; ii juin (Commentaires et lettres de Monluc; éd. de Ruble, 1864-72, t. V, p. 165.)

(3) Chefs de partisans gascons, toujours ainsi nommés dans les pièces du temps à cause de leur communauté de vues non moins que de titre.

(4) Le même au même, 24 [Ibid. p. 1GG-1G8).

(5) Gâches, Mémoires sur 1rs guerres '/< religion à <-<isin •$ et ru Languedoc, éd. Pradel, p. 90. Faurin, Journal sur les guerres de Castre%, éd. Pradel, a cette date.

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il entrait à Castres aux acclamations de la foule et se voyait aussitôt entouré des religionnaires les plus marquants de la lo- calité. Les visiteurs se déclarèrent prêts à lui obéir aveuglément. Ils espéraient que le comte, flatté par ces démonstrations sym- pathiques, dévoilerait le motif de son arrivée inattendue en Languedoc. La curiosité publique fut déçue.

« Je vous prie, s'écria- t-il, ne vous mettez en peine pourquoi je suis venu. Si ma chemise savait ce que j'ai dans le cœur, je la brûlerais. »

Vis-à-vis des vicomtes il se départit pourtant un peu de sa réserve. Il annonça qu'il avaitordre de prendre le commande- ment en chef de leurs forces respectives (1). Les divisions intes- tines des vicomtes «pour la jalousie du commandement (2) étaient si notoires que l'envoi d'un capitaine renommé, exclusivement chargé de donner de la cohésion à leurs efforts, était un prétexte plausible. Cependant, afin d'éviter de froisser les amours-propres par une affectation de défiance^U'op sensible, il leur dit sous le sceau du secret :

« De par Messieurs les Princes, je veux faire certaines expé- ditions pour élargir le pays » .

Il convoqua ensuite les consuls de Castres et leur enjoignit d'apprêter sans retard canons et munitions « pour assiéger quel- ques villes du contraire parti ».

Et un coup de main heureux sur la vallée voisine de Mazamet, restée aux catholiques, acheva d'inspirer en lui toute confiance (3).

Nuls documents ne témoignent mieux de l'habileté du comte de Montgomery à cacher son jeu que la correspondance de Moulue. Les conjectures varient à chaque dépêche. Il n'en était plus à le croire simplement soucieux de barrer le passage à Damville. Le 27 juin, il écrivait à Monsieur : « J'ai reçu avertis- » sèment que le comte de Montgomery est dans Castres avec

(1) La commission officielle, signée des princes de Navarre et de Condé et datée de Saint-Yrieix-la-Perche, le 10 juin 1569 (Orig., Arch, Nat.) T. 1536), dut le rejoindre à Castres.

(2) Castelnau, loi. cit.

(3) Gâches, loc. cit.

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» vingt enseignes de gens de pieds et six ou sept cents chevaux »; et d'en conclure : « Lorsqu'il entendra que le camp de M. 1 a- » mirai s'approchera de la Dordogne, il prendra son chemin » en ce pays d'Agenois pour s'aller joindre avec les autres » (1). Le 7 juillet, c'est tout autre chose : « Il prend son chemin par » Auvergne... » (2) La malechance le poursuivait décidément: à peine voyait-il le comte au nord-est et déjà loin que, celui-ci était signalé à Montauban, à deux petites journées de marche de Lectoure, il avait ses quartiers (3).

Cette dernière nouvelle était seule exacte. Montgomery était parti de Castres le 27 juin, y fixant au 27 juillet le rendez-vous général des troupes éparses dans le Haut-Languedoc ; fidèle à sa tactique, il avait eu soin d'insinuer que ce serait pour tenir la campagne aux environs de la ville (4). Son plan était de rejoin- dre vers la mi-aoùt la grande armée calviniste, qui avait repoussé les royaux à la Roche-Abeille et allait assiéger Poitiers. Ces pro- jets allaient être déjoués par les événements qui se passaient dans une contrée voisine et sur lesquels nous sommes obligés de nous arrêter.

De longue date, nos Rois convoitaient les possessions des roi- telets de Navarre, dont l'indépendance était le seul obstacle à l'unité française aux abords des Pyrénées. En loo6, Henri II avait inutilement tenté de les acquérir (5). En lo69, Catherine de Médicis jugea le moment venu de s'en emparer par la force : ordre fut donné au vicomte de Terride de les réunir à la cou- ronne de France (6).

Les succès de Terride furent rapides. En moins d'un mois, il emporta Pontac, Morlaas, Orthez, Lescar. Nay, seule, l'arrêta, et les horribles exécutions dont fut punie sa résistance terrifièrent

(1) Dans Comment, et lettres de Monlw, t. V., p. 173-175.

(2) Monluc à Damvillc, 7 juillet. (Ibicl, p. 185).

(3) Le môme au même, 14 (Ibid., p. 191).

(4) Gâches. Faurin.

>ur cette négociation, voy.: 1" Mgr le duc d'Aumale, op. cit., t. I, p. i:!; M. le baron deRublc, Antoine 'le Bourbon et Jeanne d'Albret; 1881-86; t. I, p. 110-115.

(6 La commission, en date du i murs 1569, BSl impr. dans Olhagaray, Uiiloire des comtés de Foix, Béarnei Navarre] Paris, 1629, in-l'";p. 385-388.

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Pau qui ouvrit ses portes dès la seconde sommation. Pour être maîtres de tout le patrimoine de Jeanne d'Albret, il ne restait plus aux Français qua prendre Navarrenx (I ).

Mais à Navarrenx s'était enfermé le baron d'Arros, auquel la reine de Navarre, partant pour La Rocbelle au lendemain de la paix de Longjumeau, avait confié la régence. Attaquée le 1er mai, la ville tenait encore à la fin de juin (2). Après plusieurs tenta- tives infructueuses, les assiégés parvinrent à faire passer à La Rochelle un billet ils peignaient leur détresse (3). Sur-le- champ Jeanne d'Albret expédia ses pleins pouvoirs pour secou- rir Navarrenx et reconquérir ensuite les provinces perdues au comte de Alontgomery (4).

Le message de la princesse bouleversait les plans du comte. Néanmoins il ne changea rien à ses dispositions premières; il n'avança pas même d'une heure la date de l'assemblée des troupes des vicomtes. Aussi Moulue ne conçut-il aucun soup- çon (o). Bien des années plus tard, en avouant dans ses Com- mentaires (6) ses hésitations, son peu de créance dans des avis qui auraient l'éclairer, il terminera ainsi son récit : « Finale- ment, je reçus une lettre de M. de Noë, un de mes lieutenants, qui contenoit : Monsieur, je vous ad vise que le comte de Mont- gomery a passe' l'Ariège. En tout ce pays ne se montre per- sonne pour lui empêcher le passage de la Garonne... Je ne fus

OXCQUES DE MA VIE SI ÉBAHI ! »

Il y avait bien, en effet, pour Monluc de quoi « s'ébahir » dans ce qui venait de se passer, à son insu, presque sous ses yeux.

(1) Navarrenx, ch.-l. du canton de l'arr. d'Orthez, Basses-Pyrénées.

(2) Bordenave, Hist. de Bêarn et Navarre; éd. Raymond, 1873; p. 205, 225, 2*3.

(3) Arros, Hassillon (gouverneur de Navarrenx) et Salles (lieutenant de Bassillon), conjointement, à Jeanne d'Albret, 2 juillet (dans les Huguenots en Béarn it Basse-Navarre, rec. de pièces publ. par M. A. Communay, 1885; p. 85-87).

(4) Commission signée de Jeanne d'Albret et datée de La Rochelle le II) juillet (Orig., Arch. Nat., T. 1536 .

(5) Voy. ses lettres à Damville des 17 et 24 juillet et 2 août {Comment, et lettres, t. V, p. 193, 194 et 203).

(6) Ibid., f. III, p. 259-267.

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Le 27 juillet, à midi, les trompettes sonnaient de toutes parts dans les rues de Castres, et chaque bande d'infanterie ou de cavalerie se groupait sous son drapeau. En selle le premier, Ga- briel de Montgomery fixe ainsi l'ordre de marche : 400 arquebu- siers a pied constitueront la « bataille », à la suite de laquelle prendra place le bagage, convoyé des deux compagnies d'arque- busiers montés des capitaines Bisquerre et Saint- Victor ; sept cornettes légères formeront l'avant-garde. Enfin, il compose l'arrière-garde de sa propre escorte et en prend en personne le commandement : dans l'expédition qui s'ouvrait, le danger serait, en effet, plutôt en arrière, du côté de Monluc et do Dam- ville, qu'en avant, il savait les forces de Terride décimées par la désertion et l'indiscipline. Quant à l'artillerie et aux four- gons de munition qui attendaient, alignés, son bon plaisir, il ordonne de les réintégrer dans leurs magasins, « n'ayant servi qu'à couvrir son dessein ». Il enjoint ensuite au prévôt delà ville « de ne laisser rebrousser personne à peine de la vie »; et, afin qu'on sache à quoi s'en tenir sur le cas qu'on devrait faire de ses ordres, il fait pendre devant le front des troupes un soldat convaincu de viol. Puis il donne le sigual du départ (1).

Avant la nuit le premier sang avait coulé. Au-dessus de Puy- Laurens (2), les éclaireurs du comte rencontrèrent un détache- ment catholique et le sabrèrent (3). On marcha toute la nuit. Au point du jour on défilait en vue de Revel (4), « qui eut belle peur, croyant être assiégée » ; mais on passa outre ; on ne s'arrêta que le soir à Mazères (5), au-delà du Lers, affluent de l'Ariège.

La journée du 3 août (6) fut l'une des plus cruelles de la lon- gue carrière de Monluc. Il s'accusait amèrement d'imprévoyance

(1) Gâches, p. 93. Bordcnave, p. 2.ïG.

(2) Puy-Laufênt, auj. ch.-I. de canton de l'arr. de Lavaur, Tarn.

; l.a Popellnière, t. i, liv. xvm, f,J 114. Aubigné, Impartie, liv. v, ch. xiv.

(4) Revel, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Villefranchc-de-Lauraguais, Haute-Garonne.

(5) M(Uêre$i auj. commune du canton dfl Saverdun, arr. de l'amiers, Ariège.

(6) Gâches, p. 94.

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et cherchait en vain le moyen d'arrêter son audacieux adver- saire. II dépêche sur-le-champ un courrier à Terride, lui con- seillant de lever le siège de Navarrenx, de se replier sur Or- thez (1) etSaint-Sever (2j, indique la route d'Eauze (3) à Aire (4) par Nogaro (3), en Condômois, comme point de concentration à ses compagnies disséminées dans le Bazadais et l'Agenais ; de sa personne il gagne Lectoure, d'où il invite Damville à le venir joindre : il se flattait que les cinq enseignes déjà réunies sous son étendard, augmentées de celles qu'il allait rallier dans les quarante-huit heures et des renforts amenés du Languedoc parle maréchal, suffiraient pour opposer aux protestants une in- franchissable barrière avant qu'ils eussent atteint Navarrenx. Il avait même un instant espéré pouvoir, par une marche rapide sur Mauvesin (6), L'Isle- Jourdain (7) et Lombez, arriver à temps pour leur disputer le passage soit de la Save, soit, qui sait? de la Garonne. Mais un de ses officiers qui le rejoignit à Lectoure, « venant du pays haut », lui certifia u que les ennemis étoient déjà si avancés qu'ils pouvoient être déjà en Béarn » . Il prit donc le chemin de Mont-de-Marsan. Le surlendemain il était à Nogaro, lui parvint la réponse de Damville : celui-ci refusait de sortir de son gouvernement « puisque Montgomery avoit passé la Garonne » (8).

Réduit à ses seules forces, le lieutenant-général de Guyenne dut encore perdre deux jours à Aire ; les bandes qu'il avait con- voquées ne paraissaient point. Lorsque les douze enseignes qui, avec quelques compagnies d'ordonnance, composaient sa petite armée, se trouvèrent enfin au complet, on était au 8 août. Mon- luc se jugea trop faible pour prendre l'offensive. D'ailleurs,

(i) Orthez, auj. ch.-l. d'arr., Basses-Pyrénées.

(2) Saint-Sever, auj. ch.-l. d'arr., Landes.

(3) Eauze, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Condom, Gers.

(4) Airc-sur-l'Adour, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Saint-Sever, Landes. (.:i) Nogaro, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Condom, Gers.

(G) Mauvesin, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Lectoure, Gers.

(7) L'Islc-.Jourdain, auj. ch.-l. de carton de l'arr. de Lombez, C.er>.

(8) Pour tout ce paragraphe, comparez le récit de Moulue dans ses Com- mentaires et une lettre de lui à Damville du août (Comm. et lettres, t. m, p. 2G7-270 et t. v, p. 205).

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depuis deux grandes semaines que Montgomery avait quitté le Languedoc, il était très imparfaitement renseigné sur son itiné- raire. D'accord avec la prudence, il résolut de descendre l'A- dour, d'attendre à Saint-Sever des nouvelles de l'ennemi et les troupes de Terride (1).

Montgomery brûlait les étapes. De Mazères, il franchit !c Lers, à Miramont (2), il franchit la Garonne, après avoir anéanti un poste catholique qui essayait d'en défendre la rive droite, le comté de Foix et le Gomminges n'ont conservé aucune trace de sa course vertigineuse (3). De l'autre côté de la Ga- ronne commençait à proprement parler le pays ennemi. Il fond sur la Bigorre qui tremble (4). Mais présentement il n'a qu'un but : sauver Navarrenx. Tout au plus prend-il le temps de faire un crochet vers le sud pour fortifier dans la soumission les ha- bitants de la vallée d'Ossau, qui ne se sont pas déclarés pour la « protection » (5). Sacrifiant tout à la rapidité, il atteint le 6 août les frontières du Béarn (6).

Un messager entré à Navarrenx, le 2o juillet, et signalant son approche avait ranimé le courage de ses défenseurs (7). D'autre. part, lorsque, peu de jours après, Damville manda à Terride « de prendre garde, que Montgomery l'alloit attaquer », le gé- néral de Gharles IX répondit :

« Je suis assez fort pour le combattre et je n'abandonnerai pas le siège » (8).

(1) .Monluc à DamvillC; 8 août ; Commentaires de Monluc, liv. vu (Ibid., t. m, p. 260 et t. v, p. 209).

(2) Miramont, auj. ch.-l. de canton de l'air, de Saint-Gaudens, Haute- Garonne.

(3) Bordenave, p. 258.

(4) Voir différentes pièces impr. dans les Huguenots en Bigorre, roc. de pièces publ. par MM. Durier el Carsalade du Pont, 1885, p. 19-21.

(5) Bordenave, p. 272.

(6) Ibid., p. 259.

(7) Ibid., p. 255.

(8) Monluc, Commentaires, t. m, p. -270. Terride répondit de même a des exhortations semblables do Monluc vers le 2 août Ihhl., p. 20C). Le 22 juin, cependant, il avait été sur le point de lever le siège Moulue au duc d'Anjou, 27 juin. Comment, et lettres, t. v, p. 171 ; Bordenave, p. 259 . Ce projet n'eut pas de suite et mal lui eu print » (Bordenave, loc. cit. ; ainsi tombe la prétendue reciidcation du savant éditeur de Moulue [loc. cit. .

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Il ne s'émut pas davantage quand Je capitaine Horgues, qu'il avait envoyé en reconnaissance, lui dit avoir vu de Tarbes les forces protestantes défiler en colonnes serrées dans la plaine ; ce dernier ne les évaluait, il est vrai, qu'à 2.000 hommes « fort mal armés et pirement montés » (1). Toutefois, lorsque M. de Bonasse lui donna avis de Nay (2), il tenait garnison, que l'armée huguenote comptait 6.000 combattants et qu'elle était précédée de « 400 bons chevaux marchant en ordonnance de guerre », la présomption de Terride se changea en affolement. Il décampa précipitamment, abandonnant deux pièces d'artille- rie, qui restèrent embourbées devant Navarrenx. Et, le 9 août, Montgomery faisait, au milieu d'un enthousiasme tout méridio- nal, son entrée dans l'héroïque cité (3).

Le soir même, le comte, victorieux sans combat, écrivait à la reine de Navarre (4) : « Madame, suivant ce qu'il vous a plu me » commander, je me suis diligemment acheminé en ce lieu » d'où vos ennemis se sont retirés un jour, devant que j'y sois » arrivé, ayant pris le chemin d'Orthez, est une partie de leur » artillerie (l'autre est à Oloron) (S), et encore que l'armée fût » merveilleusement lasse pour la longueur du chemin qu'elle a » fait, si est-ce que dès aujourd'hui je l'ai fait marcher pour les » aller trouver et faire mon devoir en ce qui sera possible. »

Navarrenx délivré, en effet, il lui restait à exécuter la seconde, la plus importante partie de son programme. La prise d'Orthez allait être le début de cette nouvelle campagne. Le H du mois, un peu avant midi, les éclaireurs calvinistes attaquaient le fau- bourg du Départ, qu*1 les eaux vives du Gave séparent de la ville. Un détachement se porte à leur rencontre ; mais, pres- qu'immédiatement débordé, il recule en désordre : peu s'en

(1) Bordenave, loc. cit.

(2) Nay, auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Pau, Basses-Pyrénées.

(3) Lettre de Montgomery, citée dans la note suivante. Dépêche d'A- lava,2 s plenibre Déchiffr. orig., Arçh. Nat., K. 1512, 14).— Bordenave, p. 260.

(4) Dans les Huguenots en Bruni, p. 45.

(o) Oloron, auj. ch.-l. d'arr., Basses-Pyrénées.

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fallut que poursuivis et poursuivants n'entrassent pêle-mêle dans la place.

Montgomery ordonne à sa cavalerie et à mille arquebusiers de passer le torrent. «Légué étoit si mauvais, dit un contem- porain, que jamais auparavant nul n'osa s'y risquer. Toutefois, il ne s'y noya qu'un capitaine et un gendarme. »

Terride observe ce mouvement : sa réussite, c'est la chute iné- vitable d'Orthez ; il porte sur le Gave toute sa cavalerie et une partie de ses gens de pied. Ils arrivent trop tard. Les réformés ont déjà effectué leur périlleuse traversée et occupent solidement la rive droite. Les catholiques, accueillis par une violente dé- charge demousqueterie, se débandent. L'infanterie se jette sous une pluie de balles dans le faubourg et l'évacué après en avoir incendié les maisons et avoir rompu les ponts qui le relient à Orthez ; quant aux cavaliers, ils gagnent la plaine et se sauvent ventre à terre. Ce qui reste dans la place se hâte de l'évacuer, de chercher un refuge dans le château.

Orthez était pris.

Les habitants expièrent cruellement leur ingratitude envers la souveraine qui les avait comblés de ses bienfaits ! «Ils chan- gèrent lors de musique, dit Bordenave. Ils avoient reçu Terride avecprocessions et danses. A l'arrivée de Montgomery, ils pleu- roient. gémissoient et imploroient merci. Les cris et hurlements étoient si grands que les plus assurés en avoient horreur et que ceux qui épouvantoient les au'res n'étoient guères moins épou- vantés. »

Vers le soir, Montgomery, parvenu à grand'peine à calmer la fureur du soldat, fit sommer le château. Terride refusa de se îvndre. Il espérait être secouru par Monluc, qu'il savait peu éloigné et dont il regrettait luit à présent de n'avoir pas écouté lesjudieieux conseils. Le comte était dépourvu d'équipages de siège. Il fut obligé d'eu faire quérir à Navarrenx et cela retarda le dénouement de vingt-quatre heures. Le I '(-, il s'apprêtait à ouvrir le feu lorsque trois officiers catholiques, MM.d'Amou. de Bazillac et de Samt-Salvy vinrent négocier la capitulation. Kl le fut ainsi arrêtée : la garnison d'Orthez serait libre de so retirer

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bon lui semblerait après dépôt de ses armes et de son artil- lerie entre les mains des commissaires qui seraient désignés pour en opérer la remise au prince de Navarre ; quant aux gen- tilshommes, ils demeureraient prisonniers jusqu'à leur échange contre des religionnaires de même qualité retenus dans le parti opposé, ou le paiement de la rançon à laquelle ceux-ci seraient taxés (1),

La lettre de Montgomery, annonçant ses éclatants succès à Jeanne d'Albret (2), nous a été conservée. Dans cette relation, écrite à l'heure est si excusable l'enivrement du triomphe, nulle emphase. Des onze canons ou couleuvrines capturés, des deux cornettes-colonnelles, des seize drapeaux d'infanterie conquis, de l'anéantissement du principal corps des envahis- seurs il ne parle pas : « Madame, je vous ai dernièrement » écrit que les ennemis avoient dernièrement levé le siège de » votre ville de Navarrenx et que je les venois trouver en ce » lieu: ce que j'ai fait... Dieu nous en a donné la victoire ! » Vous assurant, Madame, que je ne perdrai de temps pour vous » faire bervice très humble et très agréable. »

La chute rapide d'Orthez entraîna celle de tout le Béarn. Avant même que Montgomery eût quitté les murs avait échoué la fortune du roi de France (3), Mauléon(i), Lescar (5), Nay, Pau, Oloron étaient successivement évacuées par les gou- verneurs que Terride y avait mis. « Toutes les places donc ré- duites en l'obéissance de la reine, le comte s'en alla à Pau le 22 août furent rendues grâces solennelles à Dieu de la délivrance du pays ». L'exécution de « quelques-uns des plus cruels enne- mis de ceux de la Religion vengea les pendaisons multiples, auxquelles avait présidé le farouche Henri de Navailles, qui

(1) Bordenave,p. 266-271. Le texte complet de la capitulation se trouve, avec la liste des principaux prisonniers, dans les Huguenots en Béarn..., p. 49-53.

(2) Du 16 août (Ibid., p. 48). Autre, semblable, du môme jour au prince de Navarre, dans H. de La Ferrière, La Normandie..., p. 109.

(3) Lettres de Montamat, 21 août, du même et de Montgomery (séparé- ment), 23 (Les hug. en Béarn, p. 55-60). Bordenave, p. 277-2KO.

(4) Maulëon, auj. ch.-l. d'arr., Basses-Pyrénées.

(5) Lescar, ch.-l. de canton de l'arr. de Pau, Basses-Pyrénées.

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s'était, lui, dérobé par la fuite au juste châtiment de sa tyran- nie. Son lieutenant, Bertrand de Miossens, seigneur de Samsons, était resté à Pau ; il allait payer pour son chef, lorsque les pro- testants, auxquels il avait témoigné de la pitié, intercédèrent en sa faveur et le sauvèrent du supplice, « étant entre les mains du bourreau ». se bornèrent les rigueurs du comte de Mont- gomery, qui publia ensuite une amnistie pleine et entière (1).

Rien ne retenait plus Montgomery en Béarn. Bayonne réparait à la hâte ses remparts, s'attendant à une prochaine attaque (2). Mais ce fut la Bigorre qui, au sortir de Pau, reçut sa visite. En cinq jours il y eut restauré l'autorité de Jeanne d'Albret (3).

Monluc n'avait pas essayé d'enrayer la promenade victorieuse de Montgomerv. Il s'était contenté de prendre au rebours la route que. marchant au secours de Terride sans pouvoir le sau- ver, il venait de parcourir, harcelant Damville de demandes de renforts i . auxquelles le maréchal demeurait obstinément sourd. Sur la nouvelle prématurée que l'ennemi, en quittant le Béarn, tournerait vers le Condômois, il rebroussa chemin de rechef après avoir poussé une pointe sur la route de Tarbes (5). Le 31 août, il écrivait à Damville (6) : « Monsieur, j'ai reçu la » lettre que m'avez écrite par ce courrier et vois bien que vous » êtes résolu de ne bouger de vers Muret (7 1, qui est le contraire » de ce que j'espérois de vous. Car le capitaine La Vallette » m'avoit dit que vous désiriez combattre, ce que vous ne pou- » vez faire, ainsi faisant, et vous en vais bailler la riguie. En » premier, il n'y a rien plus certain qu'ils sont à trois petites » lieues de Saint-Sever et à cinq de Mont-de-Marsan, ils

I lïordenave, p. 222, 263, 280, 281 et 284.

(2) Sa municipalité rappelle ses craintes d'août 1569 dans une lettre du Roi du 13 avril suivant (Orig.. B. N., f. fr., 15551, I"

N entra a Tarbes le Ie* septembre Pièces publ. dans Les hug. en Tii- p. 12.U et 162 . Peu après, le capitaine Bénac prit Lourdes à la tôte d'un détachement qu'il lui avait confié (Bordenave, p. 286 .

(4) Lettres des 12, 15, 21, 22, 23 i t [Comm. et lettres, i. V, p. 210-222 .

(5) Du même au même, 26, 27, 29 août r&ttf., p. 223-231).

(6) Ibid., p. 234-230.

(7) Muret, ch.-l. d'arr., Haute-Garonne.

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» iront en un seul jour. De jusques à Thonenx et au Mas (1), » ils prétendent passer la Garonne, il n'y a que dix lieues, » lesquelles ils feront en deux jours à leur aise. De ils sont » jusques à moi, il y a douze lieues, et d'ici jusques à vous, » quatorze, qui sont vingt-six. Avant que je sois adverti de » leur partement, ils seront à Mont-de-Marsan, et, plutôt que » celui par lequel je vous advertirai soit à vous, ils seront sur » le bord de la rivière. Or regardez, s'il vous plait, si, pour » bonne diligence que vous puissiez après faire, vous les sauriez » garder de passer, ayant à cheminer vingt-huit ou trente » lieues ! Si vous voulez advancer ençà, nous secourerions Saint- » JSever qu'ils emporteront et peut-être Dacqs (2). »

De guerre lasse, Monluc se replie sur Agen (3). L'entêtement de son collègue réalise de point en point ses prévisions. Mont-de- Marsan accepte la garnison que lui envoie Montgomery. A Saint- Sever, il y avait deux enseignes catholiques, elles font leur sou- mission sans coup férir; mais M. de Bassillon, qui la reçut, commit la faute de leur permettre de se retirer à Dax (4), que le comte pensait trouver « dépourvue ». Grâce à la négligence, peut-être intentionnelle (S) de Bassillon, il dut renoncer à s'en emparer (6).

Revenu en Condômois, il écrivit à Jeanne d'Albret(7). « Ma- » dame, vous entendrez, s'il vous plaît, que tout votre pays » de Béarn et celui de Bigorre sont en votre obiéssance et » aussitôt après me suis acheminé par deçà, se sont rendus » les châteaux et villes de Marsiac, Saint-Sever et Mont-de- » Marsan. Et il y auroit moyen de faire beaucoup en ce pays, si

(1) Tonneins, Le Mas d'Agenais, auj. ch.-l. de cantons de larr. de Mar- mande, Lot-et-Garonne.

(2) Dax, auj. ch.-l. d'air. (Landes).

(3) Monluc à Dam ville, 4 septembre (Comm. et lettres, t. V, p. -238).

(4) Bordenave, p. 286.

(5) Voir ci-après.

(6) Dans une lettre à la Reine-mère du 21 avril 1573 (Orig., B. N., t. tr. Ib557, 153), la municipalité de Dax rappelle « la fidélité que les pauvres habitants ont gardé pendant les précédents troubles, ayant eu Monbjomery repoussé contre escalades et délibérations. »

(7) Lettre du 11 septembre. (Les Huguenots en Béarn, p. 6i).

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» j'avois ce que je vous ai demandé ! Soit pour faire ici séjour, » soit pour ma retraite, il est besoin que j'en aie. »

Ses plaintes étaient fondées : car, dès le 9 août, il mandait à la reine : « J'ai par ci-devant remontré à Mgrs les Princes et » M. l'amiral que, s'il leur plaisait m'envoyer douze ou quinze a cent chevaux, ils vous apporteraient avec ce que j'ai un grand »> contentement et à la cause, et mettroit-on le tout en repos et » sécurité ». Depuis, il n'avait cessé de revenir à la charge, et cet inexplicable silence lui arrachait le 5 septembre une triste exclamation: « Je crois que je suis mis au rang des péchés » oubliés. » (1)

Cependant, le 10, M. de Marchastel, trompant la vigilance .de Monluc, lui amena 300 chevaux. Mais ce renfort était insuffisant, et son « conducteur » le constatait lui-même, le 19, en ces ter> mes (2) : « Madame, parce que M. le comte de Montgomery vous » écrit le besoing qu'il a que Votre Majesté lui envoie quelques » forces, je ne vous en dirai autre chose, fors qu'il y va pour » vous de grand gain à la cause ou de votre grandissime perte a,

Le même soir, les éclaireurs de Monluc occupaient Grenade (3), que sa garnison protestante, prévenue de l'approche de l'avant- garde ennemie, avait évacuer peu d'heures auparavant. Mont-de-Marsan fut repris, malgré la vive résistance de la poi- gnée de calvinistes qui le défendaient : ils furent tous passés au fil de l'épée, et l'auteur de la Bible du soldat (4) a le triste cou- rage de se vanter que ce fut par ses ordres exprès : cetie odieuse tuerie, il ose l'appeler la revanche d'Orthez (5). En même temps les Bigourdans, qui s'étaient montrés les plus acharnés partisans de la « protection », s'agitèrent. Grâce à la connivence des habitants et du lieutenant du gouverneur qu'y avait établi

(1) Lettre de Monlgomen des n, 16, 23 août, 15 septembre, précitées.

(2) ïbid, p. 65.

(3) Grenade-sur-Adour, auj. ch.-l. de canton del'arr. de Monl-de-Marsan, Landes.

(4) On sait qu'un grand homme appelait ainsi les ( 07»men<«im de Monluc. (6) ûam ville au Roi. 24 septembre. [Copie moderne, H. N.. Collection des

autographe de Saini-Pélersbourg, vol. 53, f 57. -- Monluc, Commentaires, t. m, p. 320 et 328. Bordenave, p. 287.

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Montgomery, Lourdes (i) retomba au pouvoir du capitaine Bonasse, retiré depuis sa fuite de Nay dans la vallée d'Aspe (2). Le 29 septembre, retentit à Bagnères « crie pour reprendre les armes de par le Roy » (3).

Montgomery avait reculé derrière le Gave (4). Il riposta en poursuivant la mise sous séquestre de tous les bénéfices ecclé- siastiques relevant de la reine de Navarre (S), et en convoquant à Lescar un synode où, sous son inspiration, le culte catholique fut interdit jusqu'à nouvel ordre dans les états de Jeanne d'Albret(6).

Le vent de la discorde soufflait aussi sur le Béarn et la Basse- Navarre. Toutefois, trouvant peu d'appui dans la population, ces mouvements furent aisément réprimés, Mauléon, attaqué par le baron de Luxe, put être secouru à temps (7), et M. de Bassillon, gouverneur de Navarrenx, fut tué en pleine rue par deux de ses officiers, comme il s'apprêtait à livrer en trahison la place aux émissaires de Monluc (8). Bordenave blâme sévèrement le comte de Montgomery d'avoir été l'instigateur du meurtre : « C'est un pernicieux exemple, dit-il, et de la pire conséquence de faire mourir les hommes sans les ouïr, convaincre ni condamner, et ne doit être pratiqué qu'en un danger très éminent, et qu'on n'ait moyen d'y procéder par la voie de justice. » Certes, on doit applaudir aux sentiments qui ont dicté ce rigoureux verdict. Mais le « danger très éminent », qui, selon le ministre de Nay, aurait seul excusé l'acte de justice sommaire qu'il flétrit, n'exis- tait-il donc pas quand le bruit courait que quatre mille Espagnols

(1) Lourdes, auj. ch.-l. de canton de l'air. d'Argelès, Hautes-Pyrénées.

(2) Damville au Roi, 24 septembre. (Copie, B. N., autog. de Saint-Péters- bourg, vol. 103, f' 52.) Sponde à Jeanne d'Albret, 29 ( Les hug. en Béarn, p. 73). Bordenave, p. 288.

(3) Documents impr. dans Les hug. en Bigarre, p. 3'J-42.

(4) Son quartier-général était à Salies-de-Béarn (auj. ch.-l. de canton de l'arr. dOrthez, Basses-Pyrénées). Il avait annoncé cette retraite à Jeanne d'Albret par lettre du 28 septembre {Les hug. enBëarn, p. 68).

i .Mandement daté de Salies le 2 octobre (Copie du XVIIe siècle, Bibl. de la Soc. de. l'hist. du Protestantisme français, Collection Hotman do Villiers).

(6) Lettre précitée de Sponde.

(7) Bori'enave, p. 288.

(8) Lettre précitée de Sponde. Bordenave, p. 214. La Popelinière, t. 1, liv. vin, 114.

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étaient à la veille de franchir la frontière et de faire cause com- mune avec Moulue pour restaurer la « protection » [■[) ou, qui sait? établir l'autorité de Philippe II sur le versant nord des Pyrénées (2)?...

Si les dispositions du Béarn et de la Basse-Navarre favori- saient les efforts de Montgomery. la Bigorre, au contraire, avons-nous dit, lui était franchement hostile. Il avait d'autant plus de raisons d'en être courroucé que, cédant aux instances du baron de Lons, il n'avait levé sur elle qu'une contribution insignifiante 3). Le 5 octobre, il écrivit à ce dernier : « Adver- .) tissez ceux de Bagnères que je m'achemine par de là, que, » si vous n'avez leur argent, je les ferai brûler et démolir leur » ville du raz de terre » (4). Les insolents Bagnérais ne firent cas de la menace (5) ; ils se croyaient garantis par les bandes du colo- nel d'Arné, auquel Damville avait conféré le titre prétentieux de lieutenant du Roy en Bigorre, Rivière et Pardiac. Mais, le 13, ils reçurent simultanément la nouvelle de la défaite du brave Arné au bourg d'Estampures (6) et ce terrifiant billet du vainqueur 7 .

(1) Lettre précitée de Sponde.

(2) Philippe II avait fait offrir ce renfort à Charles IX par l'intermédiaire de Monsieur, en recevant la nouvelle de la victoire de Jarnac, manifestant toutefois le désir « qu'il fust plustost employé dans les terres de la royne de .Navarre qu'ailleurs ». (Le due d'Anjou au Roi, !3 mai; copie moderne, I!. .Y, autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 22, 20.) Cette insistance, rapprochée des convoitises bien connues de leur auteur sur lesdites « terres », nous induit à soupçonner que Sa Majesté Catholique aurait été enebantée d'y jouer, en la circonstance, le rôle du troisième larron de la Fable.— Quoi qu'il en soit, Charles IX accepta les quatre mille hommes en question. Mais ceux-ci abu- sèrent de la proverbiale lenteur castillane. Le 17 juillet suivant, Damville écrivit à Monsieur n'avoir rien appris encore de la venue par lui annoncée dixjours auparavant comme imminente même collection, vol. 103, 56), et, le 1er septembre, Moulue, en L'avertissantdeleurapproc/ie, ne fixait nullement la date approximative de leur ami *'c en Gascogne \ Comm.et lettres, t. Y, p. 235).

(3) Documents des b et 6 septembre [Hug. en Bigorre, p. 33-38).

(4) Impr. ibid., p. o>.

S Voy. leiu> délibérations des G, 9 et 12 octobre (Ibid., p. 48-51 et 55).

(6) Déposition de Raymond de Pujo dans L'« Enquête sur les ravages des Huguenots en Bigorre (Ibid., p. 216). Cf. Bordenave, p. 289. Eslam- pures, aujourd'hui cb.-l. du tant, de Trie, arr. de Tarbes, Hautes-Pyrénées.

(7; Ou, pour mieux dire, deux billet-, écrits coup sur coup et absolument identiques quant à la forme. Nous ne reproduisons que le premier, le plus remarquable par la forme et la concision. L'un et l'autre sont imprimés dans Les Huguenots en Bigorre, p. 58 et 59.

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« Consuls de Bagnères, ne faites faute à peine de la vie » d'être samedi matin (le 15) à Lahitolle, je fais servir. Là, » continuait il avec une sanglante ironie, vous trouverez le sieur » d'Arné et sa compagnie qui parachèveront de tenir vos Etats. » Adieu. »

Pour ne pas l'irriter davantage, ils décidèrent de se transpor- ter sur-le-champ au rendez-vous fixé et de lui remettre les 2.000 écus auxquels ils étaient taxés (1). On jugera de leur frayeur, à eux naguère si arrogants, par la curieuse délibération du 13 oc- tobre (2). C'est à qui invoquera la meilleure excuse pour ne pas faire partie de la délégation envoyée au comte.

Gabriel d^ Montgomery était définitivement maître de la ré- volte. Damville, qui un moment avait secoué son apathie et con- tribué à le chasser du Marsan et de la Bigorre, ne goûta pas la proposition de Monluc « de se mettre en queue du comte retiré en Bearn » et était retourné dans son Languedoc (3). Monluc dut assister, impassible, à la reprise de Lourdes par le baron de Lons. Bonasse, chassé une seconde fois et traqué de vallée en vallée par Bernard d'Arros, fut obligé de chercher un refuge dans les gorges inaccessibles de sa frontière d'Aragon (4).

C'en est fait des rêves de domination de nos Rois sur ces pro- vinces jusqu'au jour Henri IV les réunira par droit d'héritage au patrimoine de la Couronne et complétera ainsi au sud-ouest la France des Valois !

(1) Délibération du 13 octobre (Ibid., p. 57).

(2) Ibid., p. 68.

(3) Monluc, Commentaires, t. m, p. 331.

(4) Lettre précitée de Sponde. Bordenave, p. 289.

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VII

Au moment la Bigorre, frémissante, courbait la tête sous la main de fer qui l'étreignait, Montgomery, longtemps privé de nouvelles directes des mouvements de la grande armée protes- tante, reçut la dépêche suivante (1), signée « HENRY, HENRY DE BOURBON (2) » :

« Monsieur le comte, pour ce que nous sommes certains que » nos ennemis publieront et exagéreront les résultats de la ba- » taille qui s'est livrée hier entre Moncontour et Mirebeau, nous » avons voulu vous les mander sommairement et vous dire que, » quoiqu'il n'ait pas plu à Dieu de nous donner la victoire, les » pertes du moins se sont équilibrées de telle sorte entre les deux » partis que, si nous avons perdu une grande partie de notre in- » fanterie, nos ennemis ont en échange perdu une grande partie » de leur cavalerie.

» Dieu a protégé les principaux gentilshommes et capitaines » de cette armée. Tous sont sains et saufs, à la réserve de M. l'a- » mirai qui a été blessé ; mais sa blessure n'est point mortelle, » grâce à Dieu, ni même grave. Nous assemblons des forces de

(1) Nous ne la connaissons que par une traduction en espagnol (Arch. Nat., K. 1512, 96), que nous retransportons dans sa langue originaire.

(2) Cette double signature figure sur tous les actes officiels du parti réformé depuis la bataille de Jarnac et la mort du prince Louis 1er de Condé.

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100

» toutes parts, aiin de reconstituer notre armée. Toutefois, la » plupart des gens de guerre réunis n'étant pas équipés, il est » impossible que nous reprenions l'offensive sans les troupes que » vous et messieurs les vicomtes tenez par delà, lesquelles nous » ont fait bien grande faute en deux batailles qui ont eu lieu » depuis le commencement de la présente guerre et nous sont » aujourd'hui plus nécessaires que jamais: sans elles, l'état gé- » néral de la religion en ce royaume et le salut des particuliers » par suite seront compromis. A ces causes, nous vous avons fait » la présente, pour que, si vous désirez éviter un extrême péril » aux églises de France, vous vous hâtiez de vous rapprocher de » nous avec toutes les forces que vous avez et pourrez réunir, » et nous fassiez connaître la route que vous suivrez, afin de » nous pouvoir joindre ensemble.

» La nécessité qui nous presse actuellement est de telle » importance que nousvous prions de nouveau de l'exposer aux » capitaines de votre armée. Nous vous aviserons aussi que » nous avons recruté en Allemagne 6.000 reirres, qui viennent » à notre secours de la part des princes protestants, lesquels ont » fait cette levée au premier signe. Si donc il plaît à Dieu que » nous réunissions nos forces, il y aura, ce semble, moyen de » résister à nos ennemis. Et, pour ce que nous nous assurons, » qu'il ne se produira de votre chef ni difficulté, ni retard en ce » que nous vous demandons, nous ne nous étendons pas en » recommandations plus longues, sinon pour supplier Dieu qu'il » vous ait en sa garde.

■> Niort, le 4 octobre 156'». >

Le ton pressant de ce message ne permettait pas l'hésitation. « J'ai eu aujourd'hui avis certain, écrivait Monluc au roi, le » 18 octobre (1), que Montgomery est sorti du Béarn, laissant » audit pays bonnes garnisons et l'artillerie et qu'il est à cinq » lieues d'Aux, pour s'en venir passer la Garonne, et on a opi- » nion que ce sera bien facile à faire, d'autant que M. le maré- » chai Damville, avec toutes ses forces, est allé assiéger Mazères,

l Dans Comment, et lettres de Monluc, l. V, p. J12.

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» et moi je n'ai que trois compagnies de gens d'armes et six » d'infanterie, bien peu pour les empêcher. »

Il n'en fut pas ainsi. Le comte, se bornant à tenir en respect la Chalosse par une lettre énergique (1), adressée aux bourgeois de Marciac, qui faisaient difficulté de payer les sommes par eux promises bon gré mal gré « pour la cause », tourna vers le Condômois. Eauze, Condom ouvrirent leurs portes sans combat (2).

11 était bien résolu à ne pas attendre dans l'inaction l'arrivée des princes qui s'avançaient par l'Angoumois et le Limousin (3). Les manœuvres etles projets contradictoires, que lui attribuaient les rapports envoyés de divers côtés à Damville et dont celui-ci ne parvenait pas à démêler l'apparente incohértnce (4), tantôt «un recul de trois lieues », tantôt « des desseins sur la Ga- ronne », de compte à demi avec les partis huguenots formant la garnison de Montauban , étaient tous également exacts et concouraient à l'un de ces coups d'audace qu'il affectionnait.

L'occupation d'Auch, le 1er novembre, par le vicomte de Sérignac, qui conduit son avant- garde (5), sa propre course à travers l'Armagnac jusqu'à la Save (6), portent l'effroi au cœur du Languedoc. Le parlement de Toulouse le croit à ses portes, et expédie à Charles IX une dépèche affolée (7). La semaine d'après, il est rentré dans ses cantonnements du Connômois aussi vite qu'il s'en était éloigné. C'est au tour du Bordelais de

(1) Du 27 octobre (Les Hug. en Bigarre, p. 59, note I).

(2) 11 entra à Éauze le 19, à Condom le 22 (Monluc au Roi, 22 octobre; Comm. et lettres, t. V, p. 244). Cf. Monluc, Commentaires, t. III, p. 344 et 345, et Dupleix, Hist. générale do France, 1621-43, t. III, p. 712.

(3) Coligny à Jeanne d'Albret, 22 octobre {Les Hug. en Bigorre, p. 96-1)8), lui annonçant son dessein daller passer la Dordogne à Argentac (auj. ch.-l. de canton de l'arr. de Tulle, Corrèze).

(4) Damville dans une lettre au Roi, du Ier novembre, en parle longue- ment, mais avec une extrême confusion, qui indique bien qu'il n'y com- prenait rien. (Orig., B. N., f. fr., 15.550, 93).

(5) Montgomery aux consuls d'Auch, Condom, 3 novembre (Les Hug. en Bigarre, p. 7b, nute 2). Lalforgue, Hist. d'Auch, 1851, t. I, p. 181 ; d'après les registres municipaux.

(6) Les Hug. en Bigorre, p. 75, note 2.

(7) « Escript à Toulouse en Parlement, le cinquième jour de novembre 1569. » (Orig., B. N., f. fr. 15550, 105).

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trembler. Bazas(l), Casteljaloux (2) repoussent, il est vrai, les détachements qu'il y envoie. Toutefois de semblables bicoques n'étaient pas pour arrêter longtemps le vainqueur d'Orlhez. A la veille de les attaquer, un nouveau message des princes le décida à abandonner ce dessein (3), et il s'achemina vers le con- lluent de la Garonne et du Lot (4).

Les royaux ne pénétraient guère le but des mouvements des deux corps d'armée qui étaient près de se réunir. Ils savaient bien que celui de Montgomery était « deçà la rivière », celui de l'amiral «delà». Mais serait-ce l'amiral qui passerait d'Agenais en Gascogne, ou, au contraire, Montgomery qui passerait de Gas- cogne en Agenais? Le 1er décembre encore, le bailli de Bordeaux mandait au Roi : « Sire, fermant la présente, est venu un homme » qui partit hier d'Éguillon (S), et m'a dit que le bruit est qu'au - » cunes troupes de Montgomery, qui avaient fait quelques cour- » ses pour le sommer, s'en étaient retournés sans rien faire ; mais » il est vrai qu'on dit pour certain que M. de La Caze et La Loue » avecques quelque partie de l'armée des Princes étaient venus à » Clérac (6), qui n'est qu'à deux lieues dudit Éguillon. J'espère, » ajoutait l'écrivain, que dans deux jours nous verrons ce qu'ils » peuvent faire (7). » Ces nouvelles avaient, en effet, besoin d'être éclaircies !

(l)Lel2. Sansac au Roi, Bordeaux, lîj novembre. (Archives histori- ques de la Gironde, t. XVII (1877), p. 315; la date 1563 est évidemment une erreur de lecture).

Bazas, auj. ch.-l. d'arr. de la Gironde.

(2) Dupleix, t. 111, p. 711 et 731. (C'était son père qui défendait Castel- jaloux.)

Casteljaloux, auj. ch.-l. de canton del'arr. deNérao (Lot-et-Garonne).

(3) Uuplcix, loc. rit.

(4) Pendant son séjour à Condom, il écrivit encore aux habitants de Bagnères-de-Bigorro, qui n'avaient soldé qu'une fraction de leur contri- bution de 2.000 écus, les meimrant de son courroux, alla n'achevaient de se libérer sous trois jours. (Lettre du 18 novembre dans les Hug. < n Bigarre, p. 76). Les Baguerais se hâtèrent d'obéir. (Délibération du 20 ; lbid.,p, 73).

(a) Aiguillon, auj. commune rlu canton de Pont-Sainte-Marie, arr. d'Agen (Lot-et-Garonne).

(6) Clairac, auj. commune du canton de Tonneins, arr. de Marmande (Lot- et-Garonne).

(7) Lansac au Roj, 1er décembre (Arch. hist. de la Gironde, t. X (1870), p. 348 et 340).

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Quel était en réalité îe plan mystérieux de Coligny? Nous le demanderons à un homme que ses talents de diplomate et de militaire rendaient capables d'embrasser les détails de cette vaste conception. « Ce qui porta l'admirai à entreprendre ce long voyage, comme il mel'a dit depuis, raconte Castelnau(l), ce ne fat tant pour se rafraîchir, comme quelques uns disoient, que pour se fortifier des troupes du comte de Montgomery et autres de Gas- cogne et Béarn, qui étoient à sa dévotion, qu'aussi pour prendre celles que Montbrun, MirabeL, Saint-Germain et autres chefs promettaient en Languedoc et Dauphiné, attendant les secours qu'on lui faisait espérer d'Allemagne, afin que, toutes ces forces étant réunies, ils pussent être en état de venir aux portes de Paris pour tenter encore le hasard d'une bataille. »

C'était donc Montgomery qui devait franchir le fleuve. Le Port-Sainte-Marie dont il avait fait choix est en amont d'Aiguil- lon. Il avait à craindre que Monluc, qui était revenu à Agen, n'essayât de lui barrer la route. Or son intérêt n'était pas d'en- gager une lutte il aurait peut-être l'avantage, mais qui en tout cas l'affaiblirait et pourrait nuire aux projets de l'amiral. En conséquence il imagine une diversion. Il quitte àl'improvisteles bords de la Garonne, se porte à toute vitesse en Lomagne et donne une chaude alerte au bourg fortifié de Moirax (2). Mon- luc, prévenu, accourt aussitôt; mais, quand il atteint le village, le comte a déjà abandonné son entreprise simulée et garni si soli- dement la rive gauche du fleuve au-dessus et au-dessous qu'il fallut renoncer à l'inquiéter (3).

La fin de l'année vit s'opérer sans obstacle la jonction des deux armées (4).

« Point ne faut demander, s'écrie La Noue (o), si le comte de

(i) Mémoirrs, liv. VIT, ch. xn .

[1) Moirax, auj. commune du canton delà Plume, arr. d'Agen, Lot-et-Ga- ronne

(3) Monluc, Comment., t. III, p. 37).

(4) M. de LaVauguyon à la Reine mère, U décembre (Orig., B. N., f. fr., diiooO, 198).— Coligny à Jeanne d'Albret, 24 [Les Hug. en Béarn,)j). 103.— 105).— Monluc, Comment., t. III, p. 376.

(o) Disc. pol. etmilit., p. 698.

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Montgomery fut bien caressé à son retour ! » Bordenave (1), de son côté, ne trouve pas de paroles assez louangeuses pour exalter cette merveilleuse campagne, « si prompte, a-t-il écrit, que le comte pouvait dire ce que disoit César après la défaite de Phar- nace : Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu, ou ce que disoit le pape Alexandre II du rov de France Charles VIII : Il est venu à Naples, avec des éperons de bois et la craie en la main de ses fourriers , » En regard des éloges de l'ami, des éloges du coreligionnaire plaçons ceux de l'adversaire : « Il faut confesser, dit Monluc (2), que de nos guerres il ne s'est fait plus beau trait. Capitaines, mes compagnons, qui a acquis cette belle gloire au comte de Mont- gomery ? Certes, la diligence dont il usa ».

Ce dernier eut désormais sa place au conseil supérieur de l'armée protestante. Il y venait immédiatement après l'amiral (3) auquel l'associaient du reste, avant qu'on lui conférât cet hon- neur, les injustices et les perfidies de la cour.

Lorsque le transfuge Domiuicod'Alba avait été convaincu d'a- voir reçu la mission de « tuer ou empoisonner Gaspard de Coli- gny, n'avait-il pas avoué à la question que la mort de l'amiral devait êfre à bref intervalle suivie de celles de plusieurs autres chefs, Montgomery en tête (4) ?

Lorsque, déçue par la découverte et le supplice de ce digne collègue de Maurevert comme « tueur du Roy » (5), la Reine-mère lit prononcer par le parlement de Paris la condamnation capiiale et l'exécution en effigie des principaux calvinistes, elle n'eut garde d'oublier notre héros sur sa liste de proscription (6), et

(1) H ht de Béarn et Navarre, p. 285.

(2) Comment., t. III, p. 285.

(3) Dans un acte du 20 août 1570 (impr. dans le Musée des Archm s /' partementales, 1878, p. 3*7), rendu au nom des 19 chefs les plus en vue, quatre de ceux-ci ont signé, et dans cet ordre : HENRY ; HENRY de BOURBON : Chasiillo.n ; G. de .Mox.ovmeky.

(4) J. de Serres, Mem de lu g. civile, éd. de 1571, p. 401 et suiv. Au- bigné, 1M partie, liv. V.,ch. XVI.

(5) Maurevert, dit Brantôme (t. IV, p. 251), « touchoit pension comme si ce fût été le tueur du Roy, non p;is pour tuer le Roy, mais gagé par Sa .Ma- jesté pour tuer les autres. » Il eût été plus équitable d'appeler ce brigand : le tueur île la Reine-mère. S»um nuque!

(ô) Son arrêt, date du -!i novembre 1569, existe encore en copie du XVIIe siècle aux Archhes .Nationales dans le registre U. 815, t08 17 et 18.

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deux mannequins, l'un à sa ressemblance, l'autre « suivant la portraiture » de Coligny furent accrochés côte à côte aux four- ches patibulaires de Montfaucon (1).

Le témoignage d'estime que lui donnaient ses ennemis en le rangeant dans leur haine à côté de l'amiral, l'enthousiasme qui l'accueillit au Port-Sainte-Marie, les titres glorieux de « libéra- teur du Béarn » (2), de « dompteur de la Gascogne » (3), dont il fut salué, payaient amplement le comte de tant de fatigues, de tant de dangers. C'est ici, croyons-nous, le lieu de laver sa mé- moire d'odieuses imputations dont les historiens méridionaux se sont efforcés de la ternir.

L'un des griefs les plus graves contre Montgomery, c'est la dévastation des contrées qu'il ramena sous l'obéissance de Jeanne d'Albret (4).

Mais ces ravages provenaient-ils vraiment de ses ordres? Ecoutons ce que dit à sa décharge Bordenave, écrivain protes- tant il est vrai, mais dont personne n'a jamais suspecté l'impar- tialité (5) : « Le comte fit publier à Pau un pardon général. Mais cela ne put empêcher que ses soldats ne fissent prou de désor- dres ; car, encore qu'ils ne rançonnassent pas les personnes, ils fouilloient couvertement dedans les bourses de leurs hôtes, et ceux qui gouvernoient dedans les villes prenoient non des

(1) Arrêt ci-dessus cité. Cf. une dépêche d"Alava du 15 août 1570 (Déchiffr. orig., Arch. Nat., K. 1510, 68) et Cl. Haton, Mém..., p. 565 et 566 ; ce dernier fut le témoin de l'exécution en effigie de l'amiral.

(2) Bordenave, p. 29'.

(3) Brantôme, t. IV, p. 358.

fi) Voy. à ce sujet un long article do M. N. Weiss, dans le Bulletin de la Soc. d<- l'hist. du protestantisme français, du 15 février 1885, à propos delà publication si souvent citée ci-dessu*: Les Huguenot* en Biyorre.

(5) Loin d'avoir été l'admirateur quand même de Montgomery, il accueille volontiers les traits qui lui S' nt défavorables; voy. ci-dessus, chap. VI, in fine, à propos de la tin tragique de Bassillon ; voy. aussi, la suite de cette réfu- tation.

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rançons : des. ..présens des plus craintifs, qui désiroient demeu- rer en asseurance de leurs maisons » (1).

Mais, objectera-t-on, un chef d'armée est responsable des mé- faits de ses troupes ! Nous avons dit ailleurs ce qu'il fallait penser d'une semblable appréciation (2). Contentons -nous cette fois de relever une réflexion amère du secrétaire de la reine de Navarre qui, suivant Montgomery pas à pas, était mieux que qui que ce fût, au courant de ses tristesses cachées (3) : «... Ledit seigneur » n'est pas toujours cru comme il désire, ne pouvant commander » absolument. » C'est qu'en effet le généralissime des forces des vicomtes devait composer avec la volonté de chacun... nous allions dire de ses subordonnés..., de ses alliés plutôt, et d'alliés ombrageux, dont l'étroite susceptibilité avait été l'une des causes de la défaite de Jarnac. Chaque bande était un corps à peu près indépendant dont les membres étaient tous plus ou moins soli- daires, et sévir contre l'un d'eux, c'était s'exposer à provoquer des scissions, qui en peu de temps auraient désagrégé la faible armée du lieutenant de Jeanne d'Albret.

Enfin, il convient de rappeler que la plupart des gens de guerre dont il disposait étaient des Gascons, braves combattants sans doute, mais cousins des intraitables pillards qui, au début des troubles, inaugurèrent par le sac de Beaugency l'ère des violences auxquelles notre pays fut ensuite en proie pendant trente-six ans et contre qui échoua l'inflexible sévérité de l'amiral (4).

Arrivons à l'affaire des prisonniers d'Orthez.

Dès le jour qui suivit la mémorable capitulation du 15 août, les capitaines catholiques avaient été transférés à Navarrenx sous bonne escorte. Or, le 21, plusieurs d'entre eux périssaient de mort violente, et les ténèbres qui environnèrent leur trépas, la renommée sinistre qui accompagnait partout « celui qui tua le

(1) Bordenaye, p. 284,

(2) A propos du pillage il -de Hourges [chap. m).

(3 Lettre précitée de Sponde à Jeanne d'Albret. 29 septembre. (4) La Nom-, p. 573.

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roy Henry» , formèrent rapidement autour de ces gentilshommes une légende le comte remplissait le rôle principal. Il nous a semblé curieux d'en rechercher la genèse.

En 4387;, parut à Anvers an pamphlet dont le titre seul : Théâtre des cruautés des hérétiques de notre temps (1) dit assez l'esprit. On y lisait ceci :

« Le seigneur de Sainte-Golomme, le capitaine Gohas et grand nombre de gentilshommes s'étant rendus par composition au comte de Montgommery qui les tenoit assiégés, demeurèrent neuf mois ses prisonniers. Au bout de ce temps, qu'ils pensoient sortir à condition de leurs rançons, le comte leur fit un souper il les festoya, comme il disoit, en amis, et, au partir de là, fit cacher gens en leurs chambres lesquels de nuit les tuèrent tous contre la foi jurée (2) ».

Ne relevons provisoirement qu'une petite erreur du narrateur : les six jours qui s'écoulèrent du 15 au 21 août se sont miraculeu- sement transformés en neuf mois sous sa plume.

Poursuivons.

Le Théâtre des cruautés jouissait d'une vogue immense, et sa relation accrédita définitivement la tradition de la féroce dupli- cité de Montgomery, tradition née du reste en Gascogne, nous Talions voir, au lendemain de l'événement qui fut son point de départ. Bordenave, qui écrivait dans le dernier quart du seizième siècle (3), l'a accueilli, ne reproduisant toutefois ni le délai de neuf mois ni la particularité du souper. Favin, qui

(1) Theatrum crudelitatum hereticorum nostri temporis (Anvers, 1587, in-8); trad. l'année suivante en français, sous le même titre; c'est à cette traduc- tion que nous empruntons notre citation. Le Discours de la mort et exé- cution de Montgommery (1574), fort peu tendre pour la mémoire du comte, dit simplement, et c'est le thème des broderies fantaisistes du Théâtre des cruautés...: i< Le sieur de Terride se rendit vie sauve avec sa suite..; toutefois, le sieur de Sainte-Colombe, le capitaine Gohas et autres chefs furent contre tout droit massacrés ».

(2) Il est à noter qu'on avait auparavant prêté, exactement la même con- duite à M. de La Trémoille, vainqueur des troupes dAnne de Bretagne à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormicr ; celte tradition a été reconnue depuis dénuée de tout fondement. (A. de la Borderie, Louis de La Trémoille et la guerre de Bretagne en 1488).

(3) Voir la préface de son Histoire deBéarn.

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publia Fan 1812 son Histoire de Navarre, se montra moins scrupuleux. Il conserva celle-ci qui rappelait agréablement le repas libre des chrétiens livrés aux bêtes. En revanche il ré- duisit les neuf mois à trois jours en sus des six que l'on sait. Au prix de cette légère entorse à la vérité, il atteignait le 24 août et en prenait acte pour attribuer à Charles IX la pensée de faire une seconde Saint-Barthélémy en expiation de la première.

Quittons maintenant le domaine de la fiction (1), et voyons ce qu'écrivait Monluc le 30 août 15G9 :

« Le 21" de ce mois, les ennemis ayant fait sortir hors de » Navarre nx MM. deTerride, de Saint-Félix, d'Amou et de Bazil- » lac, dressèrent la nuit quelques échelles à une maison » MM. de Sainte-Colomme, de Pourdéac, de Gerderest et autres » avec eux estoient; et, feignans qu'ils s'étoient voulus sauver -> par lesdites échelles pour avoir quelque occasion de les massa- » crer entraient dans leur logis avec des épées et des dagues, etc.. » (suit le récit du massacre). »

A première vue, on ne s'explique pas le caprice de Montgo- mery d épargner le chef de l'armée protectrice avec quelques uns de ses lieutenants et d'ordonner la mort des autres. On fera, il est vrai, observer que le comte avait un motif particulier pour sauver Terride, appelé à être échangé contre son frère Cour- bonzon pris à Jarnac (2). Mais l'étrangeté du tri opéré entre les simples capitaines subsiste entière. Tout s'explique au con- traire si Ton remarque que MM. de Sainte-Colomme, de Gerderest, de Candau, de Salis et de Pordéac, les victimes de la trahison supposée, étaient Béarnais, donc coupables de rébellion envers Jeanne d'Albret, et comme tels lui devaient un compte sévère de leur conduite, tandis que MM.de Terride, de Saint-Félix, d'Amou et de Bazillac, sujets du roi de France, n'avaient rien à démêler avec les cours judiciaires de la reine de Navarre (3). Orl'opi-

(1) Lettre à Damville Comm. et lettres, t. V., p. 330 .

et échange (Hait stipule'- par l'art. 2 de la capitulation d'Orthez.

(3) Les nationalités distinctes des différents captif- do marque ont été soigneusement déterminées par M. Communay dans les notes des Uni/, en H' 'ira. On ne s'explique guère qu'il n'ait pas songé à en tirer la conséquence naturelle que nous en déduisons.

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nion des fidèles serviteurs de cette princesse était très montée contre les premiers. Le 17 août, son maître des requêtes Ber- trand de Fenario lui écrivait (1) : « Entre les prisonniers il y a » plusieurs Béarnois, à l'endroit desquels je vous supplie que Jus- » tice règne ; car c'est par icelle seule que Dieu vous fera régner. » Le vicomte de Montamat exprimait une pensée identique quand il lui demandait avec insistance ses instructions « sur la procé- dure, disait-il (2), que vous voulez qu'on fasse aux rebelles de Votre Majesté ». Que Sainte-Colomme, Gerderest et consorts, appréhendant une sentence capitale, aient essayé de s'échapper, rien d'étonnant à cela. Mais rien d'étonnant non plus à ce que, surpris dans leur tentative d'évasion nocturne, ils aient été passés par les armes (3).

Des accusations dont Montgomery a été l'objet depuis son départ de la Navarre jusqu'à nos jours, que reste-t-il?... Leur assignerons-nous une cause? Eh! pourquoi hésiter à proclamer que ces mensonges accumulés trois siècles durant sur une tête innocente sont dus à l'indomptable morgue des Gascons, em- pressés à calomnier celui qui les avait fait trembler ! !

La jonction des corps de Montgomery et de l'amiral enfin accomplie, l'armée protestante alla prendre ses quartiers d'hiver en Albigeois, « à la barbe » de Monluc et de Damville, qui ne lirent rien pour l'arrêter (4).

Deux mois durant, on resta de part et d'autre dans l'inaction. Un moment, les pourparlers, engagés au commencement de novembre 1569 entre le roi et la reine de Navarre, parurent près d'aboutir (5).

(1) Ibid., p. 53-55.

(2) Lettre du 21 août (Ibid., p. 55.)

(3) C'est la solution rapportée dans un mémoire du duc d'Anjou (Ibid., p. 09-71), d'api es une lettre à lui écrite par Jeanne d'Albret à ce sujet.

(4) Gâches, Mém. sur les guerres ae relig. à Castres, p. 100.

(5) Castelnau, Mémoires, liv. VII, ch. x.

HO

Mais, pour traiter, les protestants exigeaient cette fois le libre exercice de leur religion sans restriction et leur admission à toutes les charges (1). Chartes IX refusa d'accéder à ces demandes. L'amiral en prit prétexte pour rouvrir les hostilités.

Après s'être emparée de Narbonne, de Montpellier et de Nîmes, l'armée remonta la vallée du Rhône. Peu s'en fallut pendant cette marche en avant que l'imprudente valeur du comte de Montgomery ne causât sa perte. Près de Bourg-Saint- Andéol (2), un convoi d'artillerie protestante va être capturé. Montgomery et son frère Saint-Jean accourent à la tête de 40 cavaliers, mettentles agresseurs en déroute et les poursuivent l'épée dans les reins jusqu'aux portes de la ville. Soudain les fuyards font volte-face et chargent les assaillants. Saint-Jean est renversé par un coup de mousquet. Le comte court au secours du courageux jeune homme, son unique frère depuis qu'une défection honteuse a rendu l'autre, Courbouzon, indigne de ce nom (3) . A son tour, il tombe atteint grièvement. C'était sa première blessure depuis son début dans la carrière des armes (4).

Le bruit de sa mort courut à la cour (5). Mais cette nouvelle, si douce au cœur de Catherine de Médicis, un « advis touchant le camp des Princes (6) » vint promptement la démentir. Les habitants de Roanne avaient assisté, le 13 juin, au défilé des forces huguenotes, qui s'avançaient à grandes journées « sans charrette ni bagage », l'infanterie (1.500 hommes) en croupe de la cavalerie française, celle-ci, formant un solide noyau de

(1) Voir leurs propositions et la réponse de Charles IY dans le Coligny du comte J. Delaborde, t. 111, p. 178-184.

(2) Bourg Saint-Aivléol, auj. ch.-l. de canton de l'air, de Privas, Ardcche.

(3) « ... Fait prisonnier Jarnac), il fut depuis eslargy sur sa foy, mais, fAché qu'on ne le voulut eschaoger contre Sessac, se retira en sa maison » (La Popelinière, t. 1, liv. XV, 84). De même, Aubigné (f partie, liv. V, cli. xxn) : « Il quitta le parti parce qu'on avait employé Sessac à retirer La Noue pluslost que luy. » Cf. Mrantùme, t. VII, p. 248.

Il mourut vers 11)7:2.

(4) Dépêche de Petrucei, :i mai [Nègoc. avec la Toscane, t. III, p. 016). La Popelinière, I. I, liv. XXII, 173. Aubigné, lre partie, liv. V, ch. xxi.

(5) Dépêche de Petrucei, '■'< mai [Négoc. a/oeo la Toscane,!.. III, p. 686).

(6) Pièce sans date ni signature (Qrig., B. N., f. f'r., Ii>:;:;2, 18).

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\ .500 hommes d'élite (Montgomery, guéri et dispos, en com- mandait 300), auquel s'ajoutaient 2.200 reitres. Ainsi que le dit La Noue, « les catholiques avoient laissé rouler sans empêche- ment cette petite pelotte de neige; en peu de temps elle s'étoit faite grosse comme une montagne (1). »

Le maréchal de Cossé, avec 10.000 fantassins suisses ou fran- çais, 5.000 chevaux et 12 canons ou couleuvrines, fut chargé de leur barrer le passage. Les deux armées se heurtèrent non loin d'Autun, au bourg d'Arnay-le-Duc (26 juin).

Montgomery fut le héros de ce combat dont Aubigné (2) a décrit en des pages si charmantes les « charges et recharges ». Si l'issue en resta indécise, du moins il précipita la reprise des négociations qui aboutirent, le 4 juillet, à la signature de la paix.

Un édit, publié à Saint-Germain-en-Laye, le 8 août 1570, pro- clama la parfaite égalité politique, civile et religieuse, des protes- tants et des catholiques, et, pour la première fois, il en garantis- sait l'exécution en livrant aux religionnaires quatre places de sûreté, parmi lesquelles la Rochelle. Les chefs réformés s'y rendirent aussitôt pour fêter le grand succès qu'ils venaient d'obtenir. C'est qu'il fut donné au comte de Montgomery de recevoir les remercîments de Jeanne d'Albret pour « la recon- quête de Navarre ». La princesse ne s'en tint pas à des paroles. Se montrant aussi large que le permettait son maigre budget, elle lui transféra la propriété de la chàtellenie de Genis, en Péri- gord, « considérant, disait-elle, les grands et recommandables services qu'il nous a faits (3). » ne se bornèrent pas ses bons offices. Elle connaissait Catherine de Médicis et s'alarma à la pensée que l'amnistie générale qui, aux termes de l'édit de Saint- Germain, devait couvrir tout le passé, serait peut-être insuffi- sante pour mettre « celui qui tua le roy Henry » y l'abri de la vengeance royale : elle lui remit une sauvegarde spéciale,, réve- il) La Noue, p. 697.

(2) Hist. univers., lre partie, liv. V, ch. xxn.

(3) Expédition devant notaires de cette donation, La Rochelle, 19 octobre 1570 (Arch. nat., T. 1536). Confirmation de la précédente, même lieu, 17 mai 1571 {Ibid.)

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tue de sa signature et de celles de « Messieurs les Princes (1) ».

Sautons maintenant une année entière qu'ont remplie les intrigues de Louis de Nassau, frère cadet du prince d'Orange. De ces intrigues, conduites simultanément avec la reine Elisa- beth et Charles IX, quel sera le résultat? Celui que don Francès de Alava a révélé an duc d'Albe dès la première nouvelle de la paix (2) : « On parle ouvertement d'envahir les Pays-Bas. La France étant réconciliée et les dissensions oubliées, répètent les soldats, il faut rejeter la guerre au dehors et venger les injures faites par Philippe II au Roi et à sa couronne. » L'union d'Elisa- beth et du duc d'Anjou devait cimenter l'alliance anglo -française qui menaçait le souverain espagnol (3). ,

En juin 1571, l'orage sembla près d'éclater. On parlait d'une concentration prochaine à Auchy-lès-Hesdin de bandes hugue- notes destinées à attaquer Saint-Omer. La Normandie était, disait-on. sillonnée de troupes réformées en marche vers la frontière d'Artois ; le prince de Condé, l'amiral, le comte de Montgomery s'y trouvaient et pressaient le recrutement des corps expéditionnaires qu'ils commanderaient (4).

En ce qui concerne ce dernier, les correspondants du duc d'Albe s'abusaient. Il est vrai que la notoriété du comte dans le parti calviniste, les plans de campagne qu'on lui avait prêtés autrefois contre les places des Pays-Bas les plus voisines de l'Artois et delà Picardie, surtout ses relations bien connues avec Louis de Nassau (o), étaient de nature à fixer sur lui l'attention. Mais, si Gabriel de Montgomery était revenu en Avranchin au

lj Adveu de la royne de Navarre et de Messeigneurs les Princes », La Rochelle, 29 octobre 1574 (Orig., Arch. nat., T. 11136).

(2) Lettre du 31 juillet, citée dans K. de Lettenhove, t. II, p. 292.

(3) Pour les menées de Louis de Nassau en France et en Angleterre d'aoùl 1570 à août lb7l, cf. K. de Lettenhove, t. Il, p. -289-324; pour la négocia- tion matrimoniale qui s'y mêlait, lire Les projets de mariage de la reine Elisa- beth par M. le comte de La Ferrière 1882 . chap. ni et iv.

(4) Rapports des 25 et 26 juin envoyés du Hainaut au duc d'Albe, conser- vés aux Archives de Bruxelles et cites dans K. de Lettenhove, t. il, p. 304.

(5) Alava au duc d'Albe, :2s janvier 1574 (O'ig., Arch. Nat, K. 1521, 29). Dépèche du même à Philippe II, 3 février (Déchiffr. orig., Ibid., ir> 10).

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printemps de 1571 ,1a politique n'étaitpour rien dans ce voyage. On peut s'en convaincre en le voyant signer à Ducey, le 19 mai, le contrat de mariage de sa seconde fille, Roberte, avec le fils de son ami sir Arthur Champernown, vice-amiral d'Angle- terre (1). Bientôt d'ailleurs son départ fit évanouir les craintes conçues à son endroit par le gouverneur du Hainaut.

Elisabeth avait bien voulu consentir à ce que le mariage fût célébré dans la chapelle du palais de Greenwich, elle était alors. Il eut lieu le décembre en grande pompe (2). « Cette » royne a fait bonne et favorable réception à M. de Montgo- » mery, mandait au Roi le jour même son ambassadeur, La » Mothe-Fénelon (3). Elle a eu longs et privés entretiens avec » lui et l'a fait caresser de sa cour et veut, à ce que j'entends, » avoir sa fille aveo elle et que le fils de sir Arthur Chambre- » nant (sic), qui l'a épousée, aille quelque temps résider en » France pour apprendre langue et honnêtes mœurs de ce pays. »

Mais, ce crédit naissant, le comte l'avait déjà consacré à son maitre légitime. Avant môme d'aller présenter ses hommages à la reine, il avait couru saluer La Mothe, « faisant, rapporte » celui-ci, ample démonstration de bonne affection au service de » Votre Majesté (4). » Il revint le visiter en quittant Greenwich pour regagner la Fiance (5).

(1) Un des doubles de cet acte, sur parchemin, est aux Archives Natio- nales (T. 1o36j.

Le mariage en question avait sans doute été ménagé par la comtesse de Montgomery, durant le séjour qu'elle fit en Angleterre pendant la troisième guerre civile (La Mothe signalait sa présence à Jersey d'où, disait-elle, elle allait prochainement partir, dans sa dépèche du 15 octobre 1569, et son arrivée à Londres, dans celle du 5 novembre suivant; Correspondance diplo- maiique, t. n, p. 322).

Ce séjour d'Isabelle de la Touche en Angleterre fut très utile aux révoltés flamands, qui reçurent d'elle alors beaucoup de secours ; cf. Altmeyer, Les gueux de muret la prise dr.Briell (Bruxelles, 1864, in-12).

(2) Ratification à Londres, le 5 décembre, du contrat signé le 19 mai à Ducey (au dos de celui-ci; voy. la précédente note).

Montgomery, débarqué à Plymnuth le 20 novembre, était arrivé à Londres le 29 au soir (Dépèches de La Mothe, 25 et 3U novembre ; Corr. dipl., 1. TV", p. 295 et 296).

(3) Ibid., p. 298.

(4) Id.

(5) Id,

114

Le retour de Montgomery dans sa patrie fut l'image de sa vie. Un ouragan furieux se déchaîna sur la Manche, et le navire qui le portait, étreint par la tourmente, faillit sombrer ; il fut forcé de rentrer au port pour réparer de graves avaries et atten- dre l'apaisement des flots (1 ).

Cependant le comte aspirait à être admis à la cour de France, non sans doute par ambition de traîner ses éperons dans les antichambres royales ou de se jeter dans la folle existence de galanterie et de duels, alors à la mode, deux façons d'user stérilement sa vie. qui auraient répugné à son humeur austère, mais pour faire cesser l'ostracisme dont il avait été l'objet et par dessus tout pour acquérir, en baisant la main de Charles IX, le droit de prendre part aux événements qui se préparaient. Resté sous l'impression des dépèches de La Mothe-Fénelon, le jeune Roi accueillit favorablement sa requête. L'unique résistance qu'elle rencontra vint, c'était fatal, de la veuve de Henri IL Pour en triompher, le comte recourut à la médiation de la reine de Navarre, récemment arrivée à Tours, afin de conclure le mariage de son fils avec Marguerite de Yalois (2).

Quatre mois s'écoulèrent.

A la fin de mai, Paris apprit la surprise de Mons par Louis de Nassau (3).

« Dieu soit loué! s'écrie l'amiral. Avant qu'il soit long- temps, nous aurons chassé l'Espagnol des Pays-Bas (4

Il comptait sans la Reine-mère qui entreprend de saper cette influence grandissant aux dépens de la sienne. Mais elle comp- tait à son tour sans un courrier de Louis de Nassau, M. de Genlis, qui vient réclamer des renforts au nom du prince, bloqué dans sa conquête par le duc d'Albe. Alors ni les Guises, vendus à Philippe II, ni Catherine de Médicis ne sont plus capables de

(\) Dépêche de La Mothe, 22 décembre (Ibid., p. 318).

(2) Jeanne d'Albret au prince de Navarre, 21 février 1572 Lettres d'An- toine de Bourbon et de Jehaiine d'Albret, publ. par .M. le marguis de Rdcham- beau, 1X77 ; p. 342).

(3) K. de Lettenhove, t. il, p. i:;:;.

(4) Brantôme, l. i\. p. - si à lui-même que Coligny adressa cette exclamation.

115

détacher Charles IX de l'amiral. Le 4 juillet, les trompettes sonnent à Paris l'appel aux armes, et, le 7, Henri de Navarre et Henri de Gondé y font leur entrée solennelle (1). Gabriel de Montgomery faisait partie de leur cortège. Jeanne d'Albret avait répondu à son attente (2). Hélas! il ne lui était plus permis d'exprimer sa reconnaissance à cette illustre protectrice, morte d'une pleurésie, selon les uns, du poison, disent les autres, le 9 juin précédent.

La réussite des plans de Coligny, c'était la ruine de la maison d'Autriche, entamée un demi-siècle avant l'ouverture de la guerre de Trente ans. Par malheur, pour la conduite du secours envoyé à Mons, Charles IX choisit Genlis que ne désignaient ni son passé ni ses talents : ses troupes (1.500 cavaliers et o.OOO fantassins) furent, à une faible distance de Mons, surprises pen- dant la sieste et totalement détruites (3).

Le désastre deSaint-Ghislain (4) rend à Catherine son ancien ascendant. C'est en vain que Coligny demande au Roi congé de secourir Mons (5), en vain que Montgomery joint ses efforts à ceux de l'amiral (6). Charles IX reste entièrement sous l'in- fluence de sa mère et de ses déplorables conseillers. L'amiral ayant offert au Roi le concours de 10.000 religionnaires, Gas- pard de Tavannes en profite pour exciter ses défiances. Peu après Coligny, auquel on n'a pas laissé ignorer ces propos mal- veillants, rencontrant Tavannes sur le quai du Louvre, lui jette au visage cette sanglante apostrophe :

(1) K. de Lettenhove, t. il, p. 471-490.

(2) Montgomery à la reine Elisabeth, Paris, Il juillet 1372 (Copie du xvme s., B. N., Collect. Bréquigny, vol. 719 (32 des Pièces historiques), fos 48 et 49 ; d'après l'original conservé au British Muséum).

(3) K. de Lettenhove, t. il, p. 490-495.

(4) Entre Quiévrain et Mons (Royaume de Belgique).

(5) Rapport au duc d'Albe, 16 août, conservé aux Arch. de Bruxelles et cité ibid.. p. 306 1.

(6) « El Montgomeri trama grandes cosas, todo para socovrer al Mons » (don Hernando de Àyala à don Diego de Çuniga( le nouvel ambassadeur d'Espagne), s. d.; déchiffr. orig., Arch. Nat , K. 1329, 26).— Cf.:Çunig;i au duc d'Albe, 1er juillet (Déchiff. orig., ibid., 109) et K. de Lettenhove, t. il, p. 536, d'après le rapport précité au même du 16 août.

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« Oui empêche la guerre d'Espagne n'est pas bon Français et a une croix rouge dans le ventre (I). »

Ce fut son arrêt de mort.

Le vendredi 22 août, vers onze heures du matin, il traversait, entouré de 12 ou 15 gentilshommes, le cloître Saint-Germain- l'Auxerrois, retournant à son hôtel au sortir du conseil. Il mar- chait lentement, lisant un placet qu'on venait de lui remettre. Soudain un coup de feu retentit. A. travers le nuage de fumée qui les enveloppe, les compagnons de Coligny le voient chance- ler. Ils s'empressent autour de lui. L'amiral était couvert de sang et ses deux bras pendaient inertes, chacun atteint d'une balle.

La nouvelle de l'attentat se répand comme une traînée de poudre. De toutes parts les réformés accourent auprès du lit de leur chef, et des premiers le roi de Navarre, le prince de Condé, Montgomery, Briquemault. Rassurés par Ambroise Paré qui ré- pond de la vie du blessé, ils se répandent en imprécations contre les Guises que tous tiennent pour les complices de l'assassin. Au milieu de l'effervescence générale, la portière de la chambre se soulève et un page, entrant, annonce :

« Le Roi »

Charles IX est suivi de sa mère, de ses frères les ducs d'Anjou et d'Alençon, de Louis de Bourbon, duc de Montpensier, des maréchaux de Cossé, de Damville et de Tavannes, du duc de Ne- vers et du comte de Retz, ces deux Italiens favoris de Catherine deMédicis, de MM. de Thoré et de Méru, frères de Damville. Il va droit au lit.

« Mon père, s'écrie-t-il, vous avez la plaie, mais c'est moi qui en ressens la douleur. Par la Mort-Dieu ! je tirerai telle puni- tion de cet outrage qu'il en sera mémoire à jamais. »

Coligny sollicite la faveur d'un entretien particulier. Tous s'écartent. Au bout d'un instant, craignant, dit-il, de fatiguer son interlocuteur, le Roi reprend le chemin du Louvre. Cathe- rine, préoccupée du tète-à-tète qu'il a eu avec l'amiral, le presse de questions.

(1j J. de Tavannes, MCm. du maréchal de Tavannes, p. 37;> et 382.

117

« Par la Mort-Dieu ! réplique-t-il sèchement, ce qu'il m'a dit est vrai.

Eh ! quoi donc?

De régner moi-même... et j'y suis décidé. »

Par son ordre, les portes de la ville sont fermées, une compa- gnie d'élite de sa garde envoyée au logis du blessé, et le soin de rechercher les coupables commis au parlementaire calviniste Arnaud de Cavagnes (1).

Le soir de ce jour, entre neuf et dix heures, l'ambassadeur anglais sir Francis Walsingham reçut la visite de Gabriel de Montgomery. Leur entretien roula sur le guet-apens du Cloître- Saint-Germain. Le comte sortait de chez Coligny (2), et il dé- peignit la satisfaction que ressentaient les protestants à travers leurs angoisses « que le Roy prît tant de soin de la guérison de l'amiral et se donnât tant de peine pour découvrir ceux qui avaient fait le coup. »

« Ce n'est pas une preuve peu considérable de la sincérité de Sa Majesté », ajouta-t-il (3).

En dépit de ces augures favorables, le lendemain, la surexci- tation n'en fut pas moins grande. Les réformés se réunissaient en conciliabules, jurant de se faire justice, si on ne la leur ren- dait et promptement. Catherine, avec son infernale habileté, re- cueillant tous ces propos et les présentant sous les couleurs les plus noires à Charles IX, lui fit croire à un complot. Il se débat- tit longtemps. Mais son tempérament nerveux finit par céder.

« Par la Mort-Dieu! rugit-il, puisque l'on trouve bon de tuer l'amiral, je le veux donc. Mais que l'on tue aussi tous les hugue-

(1) Tout cela est résumé d'après la relation mouvementée et étendue donnée par M. K. de Lettenhove (t. il, p. 544-549).

(2) « Le comte de Montgomery, Briquemault et quelques autres gentils- hommes avoient dit à Téligny (gendre de Coligny) que, s'il vouloit, ils veil- leroient. volontiers au logis de l'amiral; mais Téligny leur déclara qu'il n'estoit besoin. » (Eusèbe Philadelphe,I,e Réveil-matin des Franeoiset.de leurs voisins; Edimbourg. 1574, in-8°; p. 55).

(3) Sir Francis Walsingham au conseil privé d'Angleterre, 24 septembre (Lettres et négociations (1570-1573) de Walsingham; Amsterdam, 1700,in-4° ; p. 300).

us

nots de France afin qu'il n'en reste pas un seul pour me repro- cher la mort de ses frères ».

Minuit vient de sonner. Il ne resterait pas assez de temps pour organiser le massacre, si Catherine n'avait d'avance tout or- donné, tout disposé, tout réglé, en prévision d'un revirement dans l'esprit mobile de son fils.

Montgomery, le vidame de Chartres et bon nombre de gen- tilshommes logeaient au faubourg Saint-Germain. A la pointe du jour, le comte est éveillé en sursaut; un inconnu est dans sa chambre, l'air hagard.

« La ville est en rumeur, s'écrie-t-il d'une voix haletante. De toutes parts on court sus aux religionnaires. Moi-même, je n'ai pu leur échapper qu'en me jetant dans la Seine. Alerte ! \lerte ! » Cela dit. il disparaît.

Montgomery fait en hâte prévenir ses compagnons. Tous sautent à cheval, descendent vers la berge. Leurs regards se portent avidement sur la rive opposée.

Paris offrait un aspect sinistre. Le soleil levant dorait au loin les combles aigus de l'Hôtel-de-Ville, la fino aiguille de Saint- Jean-en-Grève, la masse imposante de la tour Saint- Jacques. Contraste saisissant avec le calme matinal ! au-dessus de la capitale planaient un immense voile de fumée et un immense murmure, fait de hurlements, de plaintes, sur lesquels tran- chaient la crépitation sèche d'arquebusades se suivant comme des feux de file et les sourds tintements du tocsin.

Plus de doute, l'émeute gronde! Mais contre qui? contre les religionnaires à l'insu du Roi et malgré ses ordres? ou contre le Roi lui-même pour avoir égaré son affection sur des héré- tiques?— Hypothèses également plausibles avec cette popula- tion éternellement séditieuse.

Sur un signe de Montgomery, trois ou quatre des siens dr ta- chent une barque et font force de rames vers le Louvre, qui en face d'eux dresse confusément dans la brume du matin sa noire « colonnade de tours (Ij ». A peine au milieu du courant ils sont (i Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, liv. III, ch. n.

H 9

accueillis par une pluie de balles. Les arquebusiers de la garde particulière de Charles IX, rangés en bataille au pied de la petite galerie (1) tirent sur eux et ils voient au balcon de la chambre royale Charles IX lui-même,

Ce roi, non juste roi, mais juste arquebusier ; Ciboyant aux passants trop tardifs à noyer (2).

Un cri s'échappe de leurs lèvres, tandis qu'ils virent de bord :

<( Trahison! »

Trahison ! La paix de Saint-Germain, leurre ; le mariage du roi de Navarre et de Marguerite de Valois, appât ; la blessure de l'amiral, sinistre avertissement qu'ils n'ont pas compris, le prologue du massacre en masse des réformés !

En ce moment, un capitaine armé de toutes pièces apparaît à l'extrémité du Pré-aux-Clercs. Il pousse droit aux protestants, qui délibèrent sur le parti à prendre. C'est le baron de Yins, un Provençal de la compagnie de Monsieur :

« Que voulez-vous? Que demandez-vous? » leur crie-t-il. Et il reçoit cette réponse indignée :

« Nous voulions la paix et nous avons été trahis. »

Au même instant, 200 cavaliers débouchent delà porte Bussy, en tète Henri de Guise, le duc d'Aumale, son oncle, et le grand- prieur de France, Henri, duc d'Angoulême, frère bâtard de Charles IX, qui viennent de présider à l'assassinat de l'amiral et d'insulter son cadavre (3).

(1) Au-dessous de celle dite d'Apollon, qui ne fut bâtie que de 1594 à 1896 (Rerty, cité infrà.

(2) Aubigné, Les Tragiques, liv. V (t. IV, p. 220, de ses Œuvres complètes, éd. Heaume et Caussade).

La tradition populaire que constate cet admirable distique a été démon- trée vraie :

a topographiquement par Berty (Topographie historique du vieux Paris : Louvre et Tuileries; 1866-68; t. I, p. 260-262);

b historiquement, par IL Bordier (La Suint-Bar thélemy et la critique moderne, 1879, chap. iv).

Au reste le tempérament nerveux et violent de Charles IX lui donnait à priori un grand air de vraisemblance et ôte à l'acte lui-même un peu de son horreur.

(3) Pour gagner le Pré-aux-Clercs, en partant des abords du Louvre, il fallait remonter la rive droite de la Seine jusqu'au Chàtelet, prendre le

120

Montgromery envisage la situation en un clin d'oeil. Essayer de secourir les religionnaires habitant le centre de la ville, c'est voler au trépas, irrémédiablement, en pure perte. Mieux vaut fuir et conserver à la cause réformée, mutilée, décapitée, mais respirant encore, quelques champions, quelques vengeurs. A son signal, les chevaux bondissent sous l'éperon et filent ventre à terre dans la direction de l'ouest. Les royaux se jettent sur leurs traces. La chasse à l'homme commence.

Poursuivants et poursuivis dévorent l'espace. De temps à autre un coup de pistolet jaillit du groupe catholique. Les pro- testants ne ripostent pas. Ils concentrent tout leur espoir dans les jarrets de leurs montures.

Dix lieues furent ainsi enlevées bride abattue. La distance se maintenait égale entre les deux troupes. Cependant on appro chait de Montfort-l'Amaury. Les taillis succédaient à la plaine nue. Les calvinistes, à la faveur de leur avance, pouvaient s'em- busquer derrière ces défenses naturelles, cerner leurs ennemis emportés par la vitesse acquise et engager une lutte désespérée. Guise comprit le danger. Il commanda : Tourne bride, frémis- sant de rage (1).

Quand Charles IX l'entendit lui confesser son insuccès, sa fureur éclata, terrible. Sur-le-champ il expédia une dépèche à M. de Matignon. Dans sa lettre (2), dictée d'une voix saccadée, signée d'une main tremblante (3), le jeune Roi ne faisait nulle

Pont-aux-Meuniers, traverser la Cite, franchir le pont Saint-Michel et descendre la rive gauche jusqu'à la tour de Nesles.lte ce retard, qui sauva Montgomery et ses compagnons.

(I; Relation dictée par Juan de Olaëgui, secrétaire de l'ambassadeur d'Es- pagne, à don Gabriel île Çayas [Bulletin <l l'Académie royale de Bruxelles, t. VII, (1849), lr' partie). Dépêches de Pétrucci, lettres de l'agent secret Cavriana et d'un anonyme au prince François de Médicis (Négoc. avec lu Tos- cane, t. III, p. 809, 818 et 824). Le nonce Salviati au cardinal de Cùrne, 24 et 27 août (dans Tlieiner, Continuation des Annales ecclesiaslici de Baro- nius, t. I, p. 328 et 329). Relation envoyée de Pari» à Home, le 29 [Ibid. p. 335). E. Philadelphe, Le réveil-matin..., p 62 et 63. Le Tocsain conve les massacreurs et autheurs îles cmfusions en France (Reims, 1579, in-8° , p. 138 el 139.

2 Orig., 15. N., f. i'r., 3254, 24. 3 suri Viai d énervemeni du Roi pendant ces fatales vïngt-quaire heu- res, |voy. 'fis documents cites ci-dessus.

121

mention de l'horrible drame qui s'accomplissait en ce moment : « J'ai entendu, se contentait-il de dire, que le sieur de Montgo- » mery s'est retiré en ses maisons de Normandie il est à crain- » dre qu'il émeuve mes sujets et assemble ceux de sa religion.» Suivait l'ordre de ne rien épargner pour s'emparer du comte, afin que Sa Majesté put « demeurer en repos. »

123

VIII

Le 7 septembre, un courrier de don Diego de Çuniga, parti de Paris le surlendemain du massacre, arrivait à Madrid. Il criait sur son passage :

« Nouvelles ! Nouvelles ! Bonnes nouvelles ! »

Et, admis en présence du roi d'Espagne, il prononça ces paroles , qui eurent le privilège d'arracher au taciturne Phi- lippe II une explosion de joie :

« Tous les principaux de la religion sont morts, c'est chose sûre, trois exceptés : Vendôme (1) et Condé, à qui le Roi a par- donné, l'un à cause de sa femme, l'autre à cause de sa jeunesse ; quant au tiers, Montgomery, par la miséricorde du Diable plutôt que par un miracle de Dieu, il s'est sauvé (2). »

Justement, cette évasion, on peut lui donner ce nom, préoccupait vivement les auteurs des Matines Parisiennes. Les rumeurs les plus opposées circulaient sur le compte du fugitif. Les uns le disaient retiré dans son château de Mesle-sur- Sarthe (3), s'y fortifiant et appelant aux armes les religionnaires de Normandie (4); les autres le prétendaient réfugié en Angle-

(1) C'est-à-dire le duc de Vendôme. « Il appeloit ainsi le roy de Navarre » (Brantôme, t. IV, p. 304).

(2) Brantôme, Joe. cit. Cf. Jean de Vivonne, par le vicomte Guy de Bré- mond d'Ars, 1884; p. 43.

(3) Entre Alençon et Mortagne.

(4) Dépêche précitée de Cabriana, 27 août.

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terre (1). Le 30 août, un messager, venu de Londres, déclarait l'y avoir vu. « même lui avoit parlé » (2); un autre, non moins affirmatif, informait le Roi le lendemain qu'il était en Avran- chin, déterminé à y tenir la campagne (3).

Ce n'était ni dans le Maine, ni dans le Perche, ni dans l'Avran chin, ni sur le sol britannique que le comte de Montgomery avait cherché un refuge, mais dans l'île de Jersey, l'éternel et saint asile de la pensée libre contre la tyrannie. Sa famille ne tarda pas à l'y rejoindre (4), suprême consolation pour cet homme de fer, réduit à contempler, impassible, « l'horrible et cruelle tempête qui couroit la France (o). » Son cœur saignait à la pensée de tant de misères qu'il était également impuissant à empêcher et à sou- lager. On ne peut lire sans émotion ces lignes tombées de son âme brisée : « Ce que je vous puis faire savoir pour le présent, ce » sont toutes choses piteuses et lamentables. En tous endroits » de la France, tant aux villes qu'aux champs, on continue de » massacrer tant vieux que jeunes que femmes et enfants. De » leur cruauté n'en réchappe que ceux qui ont l'heur de s'é- » chapper secrètement (6). »

« Je me suis retiré en ce lieu pour ma sûreté, écrivait-il encore » le 3 septembre, attendant de cognoistre quelle est la volonté » du Roy et comment nous pourrons vivre par cy-après (7). » Sa volonté? A quelques jours de là, Charles IX, fixé sur le lieu

(1) Le Roi à La Mothe-Fénelon (Corr. dipl. de La Mothe, t. VII, p. 330), et a Matignon (Orig., B. N., f. i'r., 3254, 25), 27 août.

(2) Michel Roset (de Morat) à N. de Oiesbach (de Berne), 21 septembre [Bulletin de la Société de l'hist. du protestantisme français, X.\ll\, (1859), p.").

(3) Le Roi à Matignon, 31 août (Orig., B. .N., f. t'r., 3254, 30). Dépêche de Pelrucci, même jour [Négoc. avec la Toscane, t. III, p. 331).

(4) Elle était encore à Ducey le 3 septembre (Lettre du comte au « lieute- nant pour le Roy à Granville , d" cette date; Orig., B. .N., f. fr., 3190, 1 2 i- . D'autre part, une liste non datée, mais faite évidemment d'après un recensement officiel de peu postérieur, des « notables personnages et au- tres -fins qui se sont transportes tant à Jersey qu'à Guernesey à cause de la religion... •. formant le chap. xxxun des Chroniques de Jersey( 1832 el

. in-N°), porte en tête : « M. le comte de Montgomery el Madame la comtesse sa femme.

(5) Mézeray, Hist. de France, éd. de 1830, t. XI. p. 200.

(0) Montgomery au gouverneur de Guernesey, 2'.» septembre (La Ferrière, Lu Normandie..., p. 204). (7) Lettre précitée au gouverneur de Granville.

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de sa retraite, la formula ainsi dans une lettre à M. de La Mothe-Fénelon, son ambassadeur en Angleterre : « J'ai su que » comte de Montgomery est passé es îles de Jersay et de » Guernezay. A ce que j'entends, il a délibéré d'y demeurer » pour avoir la commodité des maisons qu'il a le long de » la côte de Normandie et de Bretagne. Je l'eusse envoyé » prendre, comme il m'étoit fort aisé (pour être lesdites » îles fort près de moi); mais, ne voulant, en façon que ce » soit, donner aucune occasion à la royne ma bonne sœur » de penser que je veuille entreprendre sur ses possessions » sans sa permission , j'ai différé jusques à ce que l'ayez » requis me vouloir laisser y envoyer, sans qu'il soit fait tort » à nul de ses sujets ni que cela altère notre amitié (I). »

La mission était délicate. La Mothe n'ignorait pas que Mont- gomery avait à la cour de Wbite>-Hall de nombreux amis, des protecteurs puissants..., à commencer par la reine Elisabeth. Cependant il se risqua le 29 septembre (2). Il développa longue- ment les motifs qui avaient décidé le roi à faire tuer Coligny pour sa propre sécurité.

« Sa Majesté a en même haine, ajouta-t-il, ceux qui out été exécutés et ceux qui restent en vie. »

Là-dessus il insinua que l'extradition du comte de Montgo- mery serait des plus agréables à Charles IX, des plus propres à resserrer les liens unissant les deux couronnes. Elisabeth fit la sourde oreille et se contenta de discuter l'exactitude dès infor- mations de notre ambassadeui .

La Mothe ne se tint pas pour battu. Le bruit que Montgomery était arrivé nuitamment à Londres et descendu chez le vice- amiral Champernowu lui fournit l'occasion de revenir à la charge.

«. Aussitôt que j'ai été avertie par le capitaine de Jersey que le comte y étoit, répliqua la reine, j'ai mandé audit capitaine

uu'il savoit bien l'ordonnance de n'v recevoir aucun étranger.

i «/ ^

(1) Le Hoi à La Mothe, 7 septembre; cf.: lu Heine-mère au même, 13 [Curr. dipl. de La Mothe, t. VII, p. 338 et 333).

(2) Au reçu de la lettre, il s'était laconiquement engagé à « n'oublier l'instance commandée touchant ledit comte ». (Dépêche du 18; ibid., t. V p. 133).

126

Je m'assure donc que M. de Montgomery n'y est plus. Quant à être en Angleterre, si cela est vrai, je l'ignore. D'ailleurs s'il est vérifié d'avoir conspiré contre le roy mon bon frère et qu'il tombe entre mes mains, eùt-il mille vies, il n'en gardera pas une. »

Et, après une pause :

« Vrai est, reprit-elle, que de le renvoyer en France l'on ne fait autre procès sinon savoir qu'un fût protestant pour incontinent le mettre à mort, ma conscience ne le pourroit permettre (1). »

Que le comte fût ou ne fût pas en Angleterre, La Mothe vit bien qu'il était assuré d'un excellent accueil (Û). Mauvais pré- sage pour les projets de mariage alors en cours !

Sur ces entrefaites la politique de Catherine de Médicis subit une brusque évolution. Un instant elle avait pu croire que la Saint-Barthélémy aurait à jamais détruit le parti calviniste; dès lors rien d'étonnant à ce qu'elle s'efforçât de compléter sa vic- toire en cherchant à se faire livrer l'un des derniers survivants de la résistance, le meurtrier de son mari. Mais elle reconnut vite son erreur. Partout les huguenots relevaient la tête : à Nî- mes, à Montauban, à La Rochelle, à Sancerre, en Picardie. Déconcertée par ces symptômes de vitalité dans ce qu'elle croyait n'être plus qu'un cadavre, elle écrivit à La Mothe :

« Ayant su qu'il désirait avoir permission de vendre les biens » qu'il a en France pour n'y plus revenir, le Roi monsieur mon » fils et moi en sommes bien contents. Par quoi, s'il est par » delà, vous entendrez de lui s'il est en cette volonté pour » nous en donner avis ; on lui baillera ladite permission telle » et si sûre qu'il la voudra, pourvu qu'il jure de ne faire au- » cune menée ni pratique qui soit contre le service du Roy (3).»

(1) Dépêche de La Mothe, 2 octobre (Iôt'd., p. 158).

(2) Elles avaient pour but de marier Elisabeth non plus au duc d'Anjou qui B'était retiré au commencement IS72, mais à son frère cadet le duc â'Àlençon (Comte de La Perrière, tes prqjets'de mariage de la reine Btea- beth p. 126).

(3) La Reine-mère à La Mothe, 13 septembre. (Corr. dipl., t. vu, p.

127

A cette affectation de clémence dont il n'eut pas de peine à pénétrer la perfidie, Gabriel de Montgomery répondit par une affectation d'humilité : il adressa au Roi une lettre de soumis- sion (1).

La reprise des hostilités était imminente. « Les huguenots de » La Rochelle n'ont voulu laisser entrer M. de Strozzi et le ba- » ron de la Garde, mande le 2 octobre don Diego de Çunigà » à Philippe II (2). Je sais de source sûre que dans ladite place » il y a 3.000 arquebusiers et plus, qui sont déterminés à la » défendre. La grande crainte de Leurs Majestés est que » Montgomery ne vienne s'y jeter avec l'agrément de la reine » d'Angleterre et quelques siennes forces. » Le 18, La Mothe- » Fénelon jette un cri d'alarme : « Deux marchands Roche- » lois sont venus à Londres sous couleur de négoce, écrit-il ; » je ne fais doute qu'ils ne recherchent le comte de Montgo- » mery(3). »

Peu de jours après, Walsingham s'étant présenté au Louvre pour féliciter Charles IX de l'heureux accouchement delà Reine sa femme, Catherine de Médicis le prit à part.

« On a intercepté, lui dit-elle, certaines lettres de ceux de La Rochelle, portant que votre maîtresse leur avoit promis de les secourir sous main et que M. de Montgomery les iroit trou- ver avec secours. Pour moi, je sais que ma bonne sœur a trop d'honneur et de prudence pour se mêler de cette affaire et qu'elle laissera le Roy mon fils se débrouiller, comme bon lui semblera, avec ses sujets rebelles. »

Walsingham protesta que jamais sa souveraine ne protégerait ceux qui se révoltaient contre son allié. Mais ses déclarations n'eurent pas le don de convaincre Catherine. Charles IX trans-

(1) Walsingham au conseil privé d'Angleterre, 24 septembre {Lettres e négoc. de Walsingham, p. 300).

(2) Dépèche de Çuniga, 2 octobre (Déchiffr. orig., Arch. Nat., K. 1530 n°79).

(3) Dépêche de LaMothe, 18 octobre ( Corr. dipL, t. v, p. 17ij).

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mit aussitôt cette conversation à son ambassadeur et l'invita à s'en expliquer directement avec la Reine (1).

Elisabeth, à qui il communiqua, le 17 novembre, les griefs de son maître, affirma n'avoir pas vu Montgomery et appuya sur son vif désir de ne pas rompre la ligue conclue à Blois, le 4 avril précédent (2). Le jeune Roi prit acte de cet aveu pour lui faire mettre le marché à la main : si elle ne prenait ses me- sures pour empêcher tout rapport entre La Rochelle et ses sujets, si elle ne s'opposait à « la grande intelligence de Montgomery avec son vice- amiral et ses principaux officiers de marine », il considérerait le traité de Blois comme déchiré ipso facto (3).

Montgomery se trouvait ainsi l'écueil de la politique du cabi- net du Louvre, le point noir de la situation, et « la peine de l'observer » que prenait La Mothe n'avait rien de superflu. Les ministres protestants réfugiés à Londres n'attendaient que lui pour arrêter « la résolution de leurs affaires ». Désarmer ses justes rancunes était, de l'avis de tous, le meilleur moyen de réduire promptement La Rochelle (4). La Mothe trouva donc un vrai soulagement dans les tentatives de rapprochement dont le vidame de Chartres se constitua sur ces entrefaites l'intermé- diaire au nom du comte (5). Il les fit aussitôt connaître au Roi qui, non inoins surpris, non moins satisfait, répondit courrier pour courrier : « Quant à ce que vous me mandez des déli- bérations dudit comte, j'y trouve grande apparence et je ferai pour lui tout ce que je pourrai (6). » La semaine suivante, il

(1) Walsingham à Smith, ltr novembre (Lettres et négoc. de Vfnlsingham, p. 330). Le Roi à La Mothe, 3 novembre [Coït. dipl. de La Mothe, t. VII, p. 382).

(2i Dépêche de La Mothe, 23 novembre (Corr. dipl., t. V, p. 207 et 209).

(3) Le Roi à La Mothe, 9 décembre (Additions aux Mémoires de Castelnuu; Bruxelles, 1731, 3 vol. in-f° t. III, p. -267).

(4, Dépêches de La Mothe, 23 novembre, précitée; de V. Alamanni (suc- cesseur de Petrucci comme ambassadeur de Florence), 29 décembre (Négoc. avec la Toscane..., t. III, p. 865), et de Çuniga, 2 janvier lo73 (Déchiflr. orig., Arch. Nat., K. 15 il. 35).

(5) Mémoire de La Mothe. 15 janvier (Corr. dipl., t. V, p. 240).

(0) Le Roi a La Mollir, 23 janvier (Add. aux Mém. de Castelnuu, t. III, p. 282).

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allait jusqu'à écrire de sa main à Montgomery (1) : « Monsieur le » comte, j'ai été bien aise d'entendre la bonne volonté en » laquelle vous êles de vous contenir doucement par delà et sans » entreprendre ou favoriser aucune chose qui soit contre le bien » de mon service; qui est ce que je désire de vous et me semble » que vous ne sauriez mieux faire pour votre honneur et » avantage ; ayant pour cette cause envoyé le présent porteur » pour vous dire et assurer que, vous comportant de même, je » vous ferai conserver en tout ce qui vous touchera et vous » maintiendrai, ainsi que mes autres loyaux sujets. »

La « bonne volonté » de Montgomery était-elle si réelle qu'on se l'imaginait ? Le Roi semble bien cette fois avoir été sincère, d'autant plus sincère qu'en détournant le comte de secourir les Rochelais, qui, livrés à eux-mêmes, donnaient assez de soucis, il travaillait dans son intérêt. Mais, cette sincérité, Montgo- mery pouvait-il y croire, après les persécutions dont il avait été l'objet eu pleine paix de 1563 à 1567, après les tentatives d'assassinat dirigées contre lui en lo69, après la Saint-Barthé- lémy, enfin! Dès son arrivée à Londres il n'avait pas celé son dessein « d'apporter rafraîchissement de vivresetdemunitions de guerre à La Rochelle » (2). Depuis, il n'avait cessé de s'y em- ployer activement, mais avec cette science de dissimulation que nous lui connaissons, dépistant aujourd'hui Charles IX et La Mothe-Fénélon, comme autrefois il avait dépisté Matignon et Monluc. Et, à l'heure La Mothe, guéri de ses soupçons, écrivait au Roi : « Monsieur le vidame et les sieurs de Pardaillan » et du Plessis sont venus communiquer avecques moi et m'ont » signifié que ledit comte et eux et tous les gentilshommes qui » sont icy ont un singulier désir d'être remis en votre bonne » grâce » (3) ; à l'heure le Roi écrivait à La Mothe : « J'es- » père que par votre première dépêche vous m'envoyerez par

(i) Lettre du 19 février, impr. par M. de La Perrière : t°dans La Norman- die..., p. 214; dunsLr XVI* siècb et Us Valois, p. 38.'».

(2) Montgomery à Cecil, 24 décembre (La Ferrière, La Normandie..., p. '210-212).

i3) Dépêche de La Molhe, 2 lévrier (Corr. dipl., t. V., p. 2o0).

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u écrit les conditions que ledit Montgomery demande » (1); seul, un réfugié flamand était dans le vrai et écrivait au prince d'Orange : « Le comte de Montgomery ne s'épargne point » (2).

Vers la mi-février (1573), la correspondance de notre ambas- sadeur devient moins rassurante. Le 21 (3), il s'écrie, con- sterné : « Je vois bien que aucuns fâcheux et passionnés pour- » suivent plus que jamais de maison en maison et d'oreille en » oreille leurs accoutumées sollicitations. M. de Montgomery » va les chercher et est pareillement cherché d'eux ». Il a appris que le comte opère des levées et a reçu des bourgeois de Londres un subside considérable (4). Quant à déterminer quel serait son objectif, il ne le pouvait avec certitude ; il se bornait, en consé- quence, à répéter les bruits qui couraient à Londres : « Si les » moyens ne lui viennent plus grands que encore ils n'apparais- » sent, il s'ira jeter avec ce qu'il a de soldats dans La Rochelle. » Mais, s'il peut avoir les moyens si gaillards qu'il ait de quoi » mettre les gens à terre sans dégarnir ses vaisseaux, il hazar- » dera de surprendre ou de forcer quelque place le long de la » côte de Normandie, de maîtriser la mer en délibération de » combattre les galères du Roy ».

Transportons-nous devant La Rochelle, cette u seconde Ge- nève », qui, depuis le mois de décembre, brave les efforts de l'armée royale. Nous sommes à la mi-mars et les royaux ne peuvent encore se prévaloir d'un seul succès. Néanmoins, ils ne doutent pas de triomphera la longue, si les assiégés demeurent privés des renforts attendus d'Angleterre (o) et surtout du chef

(1) Lettre <lu i'< Février [Aâd. aux Mém. de Castelnau, t. III, p. 286). J) .Nouvelles anonymes envoyées dans les premiers jours de février 1873 [Archives de la maison d'Orange, publ. par Groën van Prinsterer, 1835-1861; lre série, t. IV, p. 53).

(3) De;. .'.hc de La Mothe [Ootr. dipl., i. V, p. 2.'i!i .

(4) :{U0.0UU écus, suivant une lettre de Jean de Croye, du 10 février, citée dans K. de Lettcnhove. Les hug. et I s gueux, t. III, p. I '».'>.

'■' Le ministre Languillier, 12 novembre, et les Rochelais, l.'î.à Elisabeth (La Perrière, L< S iiècle, p. :;:ti-

•< Sur le bruit d'une expédition contre leur \ [lie, les Rochelais Bn\ oyèrent dépesebes en Angleterre au vidame de Chartres et au comte de Monlgom- incry (Aubigné, Jc partie, liv. I, chap» VI).

131 qu'on leur donne par avance (1). Mais les heures s'écoulent et aucune voile ne se montre à l'horizon. « L'on tient pour » assuré que Montgomery ne bouge, qu'il se contente du bien » que le Roy lui fait de jouir de ses biens hors ce royaume », mande à l'un de ses amis un capitaine catholique (2).

0 bizarrerie du sort ! Ces mots sont écrits le 12 mars, la sur- veille du jour les Rochelais vont recevoir une lettre du comte, partie de Londres le 12 février et contenant ceci en substance : avec les 40.000 livres qu'il est parvenu à réunir sur leur procu- ration, il a équipé 45 vaisseaux de guerre ; il espère les leur amener sous un mois ; une vingtaine de transports, chargés de munitions et de vivres s'y ajouteront, sans parler des 43 na- vires qu'ils ont ci-devant mis à sa disposition (3).

A leur allégresse, dont les royaux ne peuvent saisir le motif, répond l'inquiétude au camp de Monsieur. Charles IX a envoyé les plus récentes dépêches de La Mothe-Fénelon à son frère et. le prince lit ces lignes qui semblent lui présager l'obligation de lever à bref délai le siège de La Rochelle : « M. de Montgomery » se doit embarquer le XIIe de ce mois pour aller à un rendez- » vous se doivent trouver les ivater gueux avec environ » quatre-vingt vaisseaux équipés et environ cinq mille soldats » ou mariniers ». Non, ainsi que l'avouait le Roi, ce n'étaient pas « petites forces »! Et, pour surcroît de préoccupation, toujours même mystère sur les desseins du comte. Débloquer la place investie était assurément son principal souci. Mais, avant, n'opérerait-il pas un débarquement sur un point du littoral ? Et ? Sur les côtes de la mer du Nord ? Sur celles de la Manche ? Sur celles de l'Océan? (4).

Quelques jours après, les pensées de Montgomery semblent arrêtées sur la Normandie. Si la surprise de Belle-Ile est

(1) Le Roi au duc d'Anjou, 7 février (Copie moderne, B. N., autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 212, 107.)

(2) Monestier à M. de Hautefort, 12 mars (Autog., B. N., fr., 15537, 32).

(3) La Popelinière, t. II, liv. XXXIII, f" 110.

(4) Le Roi au duc d'Anjou (Copie mod., B. N., autog. de Saint-Péters- bourg, vol. 212, fo 52) et à Matignon (Orig., B. N., f. fr., 3256, 72), 10 mars; Pinart au môme, même date (Autog., B. N., f. fr., 15557, fc 21).

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presque aussitôt démentie que répandue (I), en revanche, le gouverneur de Chartres prévient le Roi que les religionnaires de la Beauce et du Perche se remuent beaucoup; on lui a même signalé une bande de soixante hommes, formée « de çà, de », en marche vers l'ouest, « et disoit-on qu'ils alloient en Nor- mandie pour assister M. de Montgomery et favoriser sa des- cente » (2). L'échange des estafettes entre la Cour et les lieute- nants-généraux de Picardie, de Haute et Basse Normandie et de Bretagne est incessant (3). Des instructions sont données pour que Belle-Ile, et les îles Marans soient fortiflées (4).

Un incident tout à fait imprévu modifia de nouveau la situation.

Choisie par Catherine de Médicis comme marraine de l'enfant qui était à Charles IX en septembre, la reine d'Angleterre s'était fait représenter par le comte de Worcester. Or, quand il revint de sa mission, l'escadrille qui le ramenait et qui portait de riches présents, destinés par le roi de France à sa bonne sœur Elisabeth, fut attaquée et en partie capturée par des corsaires hollandais. Outrée de colère, Elisabeth lit diriger une flotte contre les audacieux pirates, et, en apprenant que plusieurs d'entre eux, faits prisonniers, avaient été reconnus pour des gueux, sa fureur ne connut plus de bornes (o). Impuissante à se venger directement de l'association coupable, elle déchargea sa colère sur celui qui en était l'allié avéré. Elle envoya quérir Montgomery et, en présence «les membres du conseil privé, l'accabla d'injures. Celui-ci gardait le silence, opposant le plus grand calme à ses emportements. Mais, lorsque, hors d'elle- même, la reine termina sa diatribe en lui interdisant de quitter le sol britannique :

(i) Brùlart seul la mentionne dans une lettre à Matignon, du 13 :Aulog., B. N., ï fr., 3254, I' 20).

(2) Pinart au duc d'Anjou, 21 mars (Orig., B. N., f. fr., 1557, 58).

(3) La Reine-mère à Matignon, 18 mars (Orig., B. N., f. fr., 3254, 58); le Roi au duc d'Anjou, 23 et 27 (Copie mod., B. .V., autog. de Saint-Péters- bourg, vol. 21-, P»' 59 et 61); à La Molhe, 26 [Ad<i. aux Mém. de Castelnau, t. III, p. 316), et à Matignon, 27 (Orig., B. N., f fr., 3256, r 73 .

(4) Lettres précitées du Roi au duc d'Anjou, 27 mars.

(5) K. de Lettenhove, I. III, p. 105 et loi;.

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« De quel droit me retiendriez-vous captif? » riposta-t-il fiè- rement.

Pour toute réponse, elle le congédia brutalement (1).

Cette scène venait à point pour La Mothe-Fénelon, car il se prenait à désespérer du succès de ses pratiques auprès de la reine pour entraver les préparatifs de Montgomery, et il se sen- tait réduit à l'humiliante démarche que lui indiquait le Roi : avoir une entrevue avec le comte et l'adjurer, au nom de la Patrie, de faire la paix avec son souverain (2). La véhémente sortie d'Elisabeth remettait tout en question. La Mothe, n'étant pas au courant le l'affaire des joyaux, s'en attribua le mérite (3). Il dut bientôt en rabattre. L'apparente « bonne volonté » de la reine dura peu. Les évoques anglicans , les pairs les plus influents étaient venus lui adresser des remontrances : outre le tort qu'elle faisait à ses sujets, à sa Couronne, à elle-même en abandonnant la défense de la Religion, elle ne pouvait plus griè- vement offenser Dieu et sa conscience qu'en empêchant Montgo- mery d'aller soutenir les intérêts de celle-ci dans son pays. L'impérieuse fille de Henri VIII se débattit longtemps contre ces graves objurgations. Mais, une fois apaisée, elle comprit com- bien elle s'était montrée peu digne de son rang. Cependant, il en coûtait à sa vanité de revenir sur la décision prise. Elle crut donc concilier ses obligations envers le roi de France et ses devoirs à l'égard de ses coreligionnaires en exigeant de Mont- gomery, avant de lui rendre sa liberté d'action, le serment de « ne faire aucune chose au préjudice de la confédération des deux royaumes » ; promesse vague qui n'engageait guère le comte et lui permettait, à elle, de le désavouer... s'il échouait. Montgomery quitta Londres aussitôt (4). La Mothe était vaincu.

Ce fut le comte de Retz, un des ordonnateurs de la Saint-

(1) Mémoire annexé à la dépêche de La Mothe, du 10 (Corr. dipl., t. V. p. 282).

(2) Le Roi à La Mothe, 4 et 26 mars (Add. aux Mém. de Cuxtelnau, t. III, p. 307 et 312).

(3) Dépêche du 10 mars [Corr. dipt, t. V, p. 280).

(4) Id. Mémoire précité annexé à cette dépêche. Smith à Walsin- gham, 10 mars (Lettres et négoc., p. 302).

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Barthélémy, qui, sans y penser, imagina un moyen d'apporter de nouveaux retards au départ du chef huguenot. La négociation du mariage du duc d'Alençon avec Elisabeth périclitait. Il eut l'idée de la faire appuyer par Montgomery « par la faveur, disait-il, qu'il a avec le vice-admiral de par delà ». Monsieur s'empressa de communiquer la proposition à son frère. « Je sais » bien, lui mandait-il, que sa personne est pour Jes choses » passées à bonne cause désagréable. Mais, en une occasion si » urgente, il faut regarder à l'utilité, non à la passion. Il est » certain que Votre Majesté en tirera double commodité. Car » on peut croire que ledit comte, afin de se remettre en grâce, » employera toute sa dextérité pour Vous y servir à propos. » L'autre, que vous le détourneriez peut-être du secours de La » Rochelle, s'il étoit en volonté et moyen d'y entendre ; qui ne » seroit pas peu d'avantage (1). »

Charles IX goûta l'avis. Mais alors Leicester, l'infatigable candidat à la main d'Elisabeth, fit courir le bruit que Maison- fleur, agent secret du duc d'Alençon, à Londres depuis le 24 août, avait prémédité de se débarrasser par le fer ou le poi- son du collègue que Charles IX voulait lui adjoindre. Gabriel de Montgomery n'entendait point se mêler de ces menées matrimo- niales dont il n'augurait rien que de fâcheux pour son parti. Toutefois, la singularité des offres qui lui furent faites en sous- main et la personnalité suspecte de Maisonlleur ayant éveillé sa défiance, il donna tête baissée dans le piège que lui tendaient, complices inconscients, Retz et Leicester. Il réclama hautement justice des trames criminelles de Maisonlleur. Ce dernier n'eut pas de peine à se disculper (2). La confiance d'Elisabeth dans l'émissaire de son futur époux n'en fut pas moins ébranlée pour toujours par cet incident, qui, circonstance désastreuse pour les Rochelais, avait encore fait perdre trois semaines à leur libéra- teur espéré.

Retournons sous les murs de La Rochelle.

i Le duc d'Anjou au Roi, 29 mars [Orig., I!. V. f. fr., 15557, ni). (2 Dépêche de La Mollir. 6 avril Corr. dipl., i. v. p. 293). Maisonlleur à Creil, '■)■ (La Ferrière.. Le Si \zii me Siècle., p. 353-3j9).

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Pour neutraliser toute pensée de débloquement, l'entrée du port avait été obstruée à l'aide de vieux navires. Aux neuf vais- seaux déjà à l'ancre au large de la pointe de Chef de Bave allaient s'en joindre quatorze autres, tirés de Bretagne et de Guyenne. De jour en jour de fortes colonnes d'infanterie, arri- vant du Languedoc à peu près pacifié, ralliaient le camp de Monsieur (1).

Et pourtant ce n'était pas sans anxiété qu'on attendait l'heure les vigies répandues sur le littoral Saintongeais signaleraient l'escadre du comte de Montgomery. Soldats et capitaines chuchotaient sous la tente ce que les Parisiens disaient tout haut : « S'il peut entrer dans le havre de La Rochelle, Monsieur sera contraint de lever le siège. » (2) « Monseigneur, man- » daitle duc d'Anjou au Roi le 19 avril au matin (3), j'ai vu par » les derniers avis qui Vous sont venus d'Angleterre et de Nor- » mandie des IIIe et VIe de ce mois, la diligence que faisoit » Montgomery pour être prêt à faire voile le Xe ensuivant et » s'acheminer par deçà ; ce qui se trouve du tout conforme à ce » que j'en ai pu découvrir par un espion qui a été pris depuis » deux ou trois jours, voulant entrer à La Piochelle. »

On ne devait plus rester longtemps en suspens. Le même jour, vers midi, une estafette, pénétrant brusquement dans la salle le duc d'Anjou était à dîner avec son état- major, annonça qu'on apercevait au loin les voiles ennemies. Tous se levèrent de table, sautèrent en selle et galopèrent jus- qu'à Chef de Baye.

Poussée par une forte brise de mer, la flotte avançait rapide- ment. Elle gouvernait droit sur La Rochelle. Avant deux heures, elle serait à portée de canon. A ce moment, le maréchal de Cossé

(1) Fizes ii l'amiral de Villars, 1" avril (Orig., B. N., f. fr., 3224, 69). Le duc d'Anjou au Roi, 2, 3 et 19 Minutes, B. N., f. fr., 15537, 101, 114 et 145). - Le Roi au duc d'Anjou, 12 (Copie mod., B. N., autog.de Saint-Pétersbourg, vol. 21-, l's 76-78).

(2) Lettres anonymes précitées à Smith et à Leicester.

(3) Lettre précitée. Cf. une du duc de Montpensier à la Reine-mère du 18 (dans Documenta inédits sur l'hîst. du Languedoc et de La Rochelle nppès la Saint-Barthélémy , publ. par J. Loutchitzky, I87:f,p. 57/.

136 émit l'opinion qu'il serait opportun de prendre des mesures pour le cas où, au lieu de chercher à forcer l'estacade qui barrait la passe, l'ennemi tenterait de débarquer. Avec l'approbation de Monsieur, il fit établir à la hâte deux canons, deux grosses cou- leuvrines et deux bâtardes sur la falaise qui leur servait présen- tement d'observatoire.

Sur les trois heures du soir, les bâtiments ennemis n'étaient plus qu'à trois cents brasses. On distinguait nettement leurs évolutions et leur ordre de marche : les vaisseaux en tête ; les transports en arrière ; les galères sur les flancs ; ensemble une cinquantaine; à la corne de chacun flottait une flamme blanche, écartelée d'une croix rouge droite, les couleurs d'Angleterre.

Ils approchaient toujours. Déjà ils s'apprêtaient à s'engager dans le chenal sans s'inquiéter de l'escadre royale, rangée sur sa gauche. Soudain, la batterie de Chef de Baye tonna de ses six pièces. Les navires s'arrêtèrent court, puis reculèrent. Un seul resta en place, comme indécis. C'était le vaisseau-amiral. Enfin, après avoir tourné plusieurs fois sur lui-même, il vira de bord à son tour, en lâchant une bordée qui passa par dessus l'escorte de Monsieur.

L'escadre de secours (1) qui se déploya le 19 en face des lignes catholiques, entre Chef de Baye et 1 île de Ré, com- prenait 53 voiles, dont 4C seulement étaient des navires de guerre; tous jaugeaient de 50 à 00 tonneaux, deux exceptés, l'un de 3o0, monté par le comte de Montgomery, l'autre de 250, monté par son gendre, sir Goayn Champernown, l'amiral et le vice-amiral improvisés. Matelots et gens de guerre ne dépas- saientpoint le nombre de 1 .800à2. 000 hommes, Anglais, Fiançais, Flamands, avec quelques « verteuils ». mauvaises pièces de fer forgé, pour toute artillerie. Il y avait loin de aux 80 vaisseaux de haut bord, aux « 5.000 soldats et mariniers » attribués au comte par La Mothe dans sa dépêche du 27 février _'

(1) Elle avait pris la merle 16 avril Dépêche de La Mothe, I el 26; Corr. dipL, t. V. p. 310-313 .

•j Ibid., p. 202.— Cf. l.i lettre précitée du Roi au duc d'Anjou, du 10 mars.

Ce premier armement avait été toul entier confisqué par la reine Élisa-

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Gabriel de Montgomery ignorait la guerre maritime. En voyant ses équipages hésiter sous le feu de la batterie de Chef de Baye, il craignit de s'être avancé à l'aveugle. Au reste, le vaisseau qui portait son pavillon, la Prime-Rose, avait été troué « de bande en bande » par un des boulets ennemis et il ne voulut pas aven- turer son meilleur bâtiment sur un résultat problématique. Il alla s'embosser à une demi-lieue au large, comptant bien que les Rochelais ne tarderaient pas à « lui donner avis ou signal de ce qu'il avoit à faire ».

Son attente ne fut pas trompée. Au milieu de la nuit, les pataches catholiques, placées en sentinelles avancées aux abords du barrage, aperçurent confusément dans l'obscurité, louvoyant entre elles, une embarcation marchant sans bruit à la rame. Elles la hélèrent. « Equipage du Prince », répondit-on. Le Prince était le plus grand navire des royaux. Les vedettes laissèrent passer la barque, qui disparut dans l'ombre. Un quart d'heure après, celle-ci accostait la hanche de la Prime-Rose, et son patron était conduit à Montgomery.

C'était un Gascon, nommé Mira n de, simple pêcheur de moules avant le siège, que son courage, son esprit fécond en ressources avaient élevé au grade de capitaine; d'ailleurs, brave entre les plus braves, dévoué entre les plus dévoués. Pour l'opération que nous venons de le voir accomplir, il s'était offert lui-même.

Il remit au comte une lettre du maire et des échevins de La Rochelle. Ceux-ci remerciaient leur vaillant allié de son « affec- tion et travail ». Mais, au nom même de la cause pour laquelle tous le savaient prêt à verser son sang, ils le suppliaient de ne pas risquer sa Hotte à l'encontre de celle du duc d'Anjou, supé- rieure et par le nombre et par l'équipement et par la position. Ils lui seraient reconnaissants de se retirer. L'unique service qu'ils réclamaient de lui était en prenant l'occasion pour son

beth à la suite de la scène que nous avons rapportée, et elle n'avait eu garde de lever cet embargo après sa de:ni-r conciliation avec le comte, malgré les réclamations de celui-ci (Montgomefj à Cecil, 28 mars; dans La Perrière, La Normandie..*, p. 21tJ. Cecil à Walsingham, sans date; dans Lettres et négoc. de Walsingham, p. 407).

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advantage », de leur envoyer « quelqu'un de qualité et d'expé- rience » pour éteindre parmi eux de fâcheux ferments de dis- corde, quelques gens de guerre frais, afin de soulager la garni- son, enfin des munitions et des provisions, « plutôt pour la répu- tation et éclat que pour une urgente nécessité », car leurs maga- sins regorgeaient de vivres, de poudre, de plomb, et ils étaient résolus de combattre jusqu'à la chute de leurs remparts.

Montgomery se résigna au sacrifice que lui demandait l'hé- roïque cité. Durant la journée entière du 20 avril, il demeura en panne, contemplant avec amertume ces préparatifs de lutte prochaine il ne lui serait pas donné de prendre sa part de danger et suivant d'un œil distrait une petite canonnade entre deux de ses galères et quatre galères ennemies. Le lende- main, il leva l'ancre deux heures avant le lever du soleil (1).

Toute la France catholique se persuada on se persuade aisément ce qu'on désire qu'il avait été pris de peur en pré- sence des savantes dispositions et de la ferme attitude de Monsieur. Son échec eut les honneurs d'un compte rendu spécial imprimé à Paris et répandu à profusion en province (2). Le duc d'Anjou partagea naturellement l'illusion commune (3). Dans l'ivresse du triomphe, il décommanda six vaisseaux de renfort qu'il avait demandés à M. de Bouille, lieutenant-général de Bretagne (4). 0 déception! Le 1er mai, il achevait à peine

(1) Le duc de Montpensier à la Heine-mère, 21 avril (Documents..., publ. par Loutchitzky, p. 59), à l'amiral de Yillars, 2i avril Orig., I?. N., f. fr., ;t22i, f" 74). Brie f discours de ce uni s'est passé le MX' jour d'avril sur lu mer entre l'armée du II"!/ et les Anglois venuz pour secourir Lu Rochelle (Paris, 1573, in-8). Discours 'In siège de Lu Rochelle en HDLXXUl iLyon, 1573, in 8). La prinse 'in comte 'le Montgommery dedans /<■ chasteau de Domfront (Lyon, 1574, in-!Su). Discours 'le In mort de Montgommery. H. de La Tour d'Auvergne, vicomte de ïurenne et duc de Houillon, Mémoires, é I. Miehaud, |>. 12. Brantôme, t. IV. ]». 89, 90, L25 ai 147. J. de Tavannes, Mém. lu mareschal de Tavannes, p. 419. Amos Barbot, Eist.de La Rochelle depuis 1169 jusqu'à 1575 (Ms., copie du XVII0 siècle, H. N., f. fr., il'Jl >'\ iT'.iN; t. II. I"- 291-299). Aqbigné, 2 partie, liv. I, ch. ix.

jj l," Brief discours,.,

(3 I e duc d'Anjou au Roi, 24 avril (Copie mod.. R, N., aulog. de Saini- Pélcrsbouig, vol. 21-, I" 88-90 .

(4) Le même au même, Ier niai Minute. II. \.. ['. fr., I5JJ57, f0' 200-203 ,

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d'écrire à Charles IX : « J'ai eu nouvelles depuis quelques jours » que les Anglois, ayant pris la route de Belle-Ile et s'étant » efforcés de faire une descente ont été si vivement repoussés » qu'ils ont été contraints de se retirer après avoir perdu 35 ou » 40 des leurs »; que des informations plus exactes lui arra- chaient ce post-scriptum : «... Ceux de Beile-lle, après avoir » combattu et soutenu l'effort que Montgomery a fait contre » eux avec toute son armée durant cinq jours ont été enfin for- » ces de se rendre (1). » Simultanément l'amiral de Villars, du fond de la Guyenne, et M. de Piennes, de Picardie, prévenaient le Roi qu'ils redoutaient un coup de main du comte, l'un sur Saint- Jean-de-Luzou Cap-Breton, l'autre sur les côtes de la Manche (2), et Charles IX enjoignait àMM. de Piennes, de La Meilleraye, de Matignon, de Bouille d'assembler tous les bâtiments disponibles qu'ils trouveraient dans les ports de Picardie, de Normandie, de Bretagne, afin de reprendre Belle-Ile de concert (3).

Favorisé par le vent qui soufflait cjrand frais du sud-ouest, Montgomery, parti de bon matin avec son escadre de La Ro- chelle, avait eu le lendemain au milieu du jour connaissance des atterrages de Belle-Ile. Aussitôt ses vaisseaux affourchés sur leurs ancres, il dépêchait un de ses plus légers bâtiments vers l'Angleterre. Le ministre Languillier et le capitaine de Berre y prenaient passage. Ils étaient porteurs de deux lettres (4) adres- sées au grand-trésorier Cecil (5) et à lord Sussex (6), le rival fameux dans l'histoire et le roman du beau Leicester. « Si je » fusse parti, il y a deux ou trois mois, ainsi que je l'avois bien

(1) Ibid.

(2) De Piennes au Roi, Ier mai (Orig., B. N., f. fr., 15557, 196). Le Roi au duc d'Anjou, 3 mai, citant la lettre à lui adressée par Villars (Copie

mod., B. -N., autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 21 2, fos 93-95).

(3) Le Roi au duc d'Anjou, 5 (Copie mod., B. N., Autog. de Saint-Péters- bourg, vol. 212, fos 98-100). Cf. la commission envoyée à la Meilleraye, en date du 4 (Minute, B. N., Cinq-Cents de Colbort, vol. 7, p. 495).

(4) Identiquement semblables et ainsi datées : <• En radde de Belle-Isle, le xxii0 d'avril 1573 >»; voy. les deux notes ci-dessous.

(5) Impr. d'après l'original (au Record office) par M. de La Ferrière dans Lu Normandie. . ., p. 217.

(6) Orig. au Britislb Muséum; copie du xvin0 s., B. N., collection Bré- quigny, vol. 95 (32 des Pièces historiques).

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» désiré et supplié, j'en eusse eu hou marché, s'écriait arrière- » ment Montgomery. Que la reine veuille ue plus dilférer le » secours de tant de gens de bien et de bon peuple qui se sont » mis sous sa protection, et que les tyrans ne viennent pas à » bout de les exterminer comme ils ont fait des autres. Car ce » sont autant d'âmes desquelles Dieu peut demander compte à » Sa Majesté. »

Pendant vingt-quatre heures, la mer fut si grosse qu'il fallut renoncer à toute opération. Le château et la flotte se bornèrent à échanger quelques salves de mousqaeterie. Le 22, à la tombée de la nuit, la brise mollit tout à coup et la descente devint praticable. Le lendemain, dès l'aurore, six détachements se portèrent d'en- semble sur six points différents des falaises qui avaient été cou- ronnées de retranchements. Le combat fut vif. Les huguenots, s'avançant à découvert, perdirent deux fois plus de monde que les royaux. Mais finalement, ceux-ci, débordés à leur extrême gauche, pris à revers par une des colonnes d'attaque, lâchèrent pied. Ils se réfugièrent dans le château et contraignirent leur chef, l'Italien Francisco, à capituler « vie et bagues sauves ».

Le même soir, la capture de deux chaloupes, venues de l'île d'Yeu pom- ravitailler Belle-Ile, accrut la joie des vainqueurs et fut pour eux le point de départ d'un nouveau succès. Six navires allèrent s'assurer de File d'Yeu, qui commandait la cote de Poitou. Alors, ne retenant près de lui que le vaisseau vice-amiral et la Prime- Rose, le comte organisa la course avec toutes les voiles réunies sous son pavillon. Les prises affluèrent bientôt à son quartier- général. « Il sem- bloit , dit un historien protestant, qu'on destinât Belle -Ile pour retraite et magasin de toute pratique qui se pourroit faire en cette guerre ». Du raz de Sein à la Bidassoa, les côtes de France tremblaient au bruit des exploits des hardis corsaires de Montgomery (1).

Les exigences du récit nous obligent à quitter Belle-Ile pour voir ce (jue sont devenues Les relations diplomatiques de l'An-

(1) Le Roi à La Molhe, 29 avril [A /./. aux Mém. de Castelnau, t. III. p. 329). La Popelinière, t. II,liv. XXXIIÏ, 1 58. Aubigné, 2S partie, liv. I,ch. wi.

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gleterre et de la France. Dès que Charles IX avait reçu avis de l'apparition de Montgomery devant La Rochelle, il avait chargé La Mothe-Fénelon de se plaindre à la reine qu'elle eût toléré cette expédition qui, entreprise sous pavillon anglais, constituait une rupture tacite du traité de Blois ^1).

« Foi de princesse chrétienne ! répondit Elisabeth à La Mothe, en toute la Hotte du comte, il n'y a un seul homme, un seul navire, qui provienne de moi ou de ma permission. Après mes défenses, je ne pense pas qu'un seul de mes gentilshommes soit avec lui, fors peut-être son gendre sir Goayn Champernown. Depuis un an, la Prime-Rose n'est plus à moi. Sans doute l'aura-t-il acquise de ceux à qui on l'a vendue. Quant à avoir arboré des croix rouges, c'est chose que les navires marchands sont accoutumés de faire en temps suspect. Au demeurant, il a été forcé de ramasser ce qu'il a pu de navires et d'hommes pour exécuter son entreprise, et j'ai vu de ses lettres à quelques-uns de ma Cour il se plaignoit d'avoir été fort mal traité et trompé des Anglois. »

En dépit de ces protestations (2), La Mothe redoubla de vigi- lance.

Le 8, il apprit l'arrivée à Londres, la veille au soir, de MM. de Berre et de Languillier, émissaires de Montgomery. Dès lors il poursuivra un but unique : neutraliser par son influence celle des deux envoyés (3) :

« Nous sommes un peu en alarme de la prise de Belle-Ile », écrivait vers le même temps le secrétaire d'Etat Brùlart (4). L'alarme venait moins encore de l'événement en lui même que de ses conséquences éventuelles. Maître de l'embouchure de la Loire, Montgomery allait-il reprendre ses desseins sur La Ro- chelle ou bien se tourner vers la Bretagne, si directement exposée à ses coups? On craignait même beaucoup pour la Normandie,

(1) Le Roi à Lu Mothe, 23 (Corr. dipl., t. Vil, p. 412), et 24 avril (Add. aux Mrm. de Castelnau, t. 111, p. :J24).

(2) Klles sont contenues dans un mémoire annexé à la dépêche de La Mothe, du lei mai {Corr. dipl., t. V, p. 3 1 7 et 319).

(3) Dépêche de La Mothe, 8 mai {Corr. dipl., t. V, p. 322-326).

(4) Brùlart à Matignon, 14 mai (Autog., B. N., i'. Ir., 3254, lu 20).

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quoique plus éloignée, et Matignon fut prévenu que de son ha- bileté à « contenir le pays » dépendait l'espoir de « sortir de ce bourbier (1). »

Mais les desseins de Montgomery étaient paralysés par le manque de ressources. Sur les nouvelles qui lui vinrent de Nor- mandie, de Bretagne, de Saintonge que les flottes royales s'ar- maient de toute part pour l'attaquer dans sa conquête, il jugea la position intenable. Le 21 mai, après avoir expédié aux Ro- chelais les ravitaillements réclamés et avoir démantelé les forti- fications du château, il mit à la voile. Le 26, il mouillait en vue des côtes d'Angleterre.

Une lettre de Charles IX à La Mothe avait précédé l'arrivée du comte dans les eaux britanniques.

« Monsieur de la Mothe, écrivait-il, à ce que j'ai vu par vos » dépêches, la reine d'Angleterre et ses ministres persévèrent à » faire par paroles seulement démonstration de vouloir entretenir » parfaite amitié avec moi, selon notre dernier traité. En effet » il se voit beaucoup de choses qui me donnent grande occasion » de penser que. si elle voit quelque beau jeu pour son avan - » tage, elle ne le faudroit point, : à quoi j'ai bonne espérance » de si bien pourvoir, qu'elle ni ceux qu'elle assiste sous » main (ainsi qu'il se connoit assez clairement), n'en rapporte- » ront que la honte. Je cuide que de cette heure ce malheureux » Montgomery et ceux de sa suite auront été par les miens » chassés de Belle-Ile... Je désire que vous requériez la reine, » puisque le comte de Montgomery est de retour en son royaume, » et qu'il est notoire qu'il me fait la guerre, que suivant notre » traité, elle le fasse prendre et tous ceux qui ont fait avec lui ce » voyage, pour les remettre en mes mains, afin d'en tirer la » justice qu'ils méritent (2) ».

Les réclamations de notre ambassadeur furent aussi énergi- ques que pouvaient le désirer Charles IX et Catherine de Médicis. Mais, cette fois encore, elles restèrent sans effet, et la reine d'An-

(1) Ihid. Le Roi au môme, 25 mai (Orig., B. Y. f. fr., 3254, I' 63 .

(2) Le Roi à La Mothe, In mai. {Add, mut Mnn. de Castelnau, l. III, p. 331 et 333,

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gleterre motiva son refus avec cette dignité dont elle savait se parer, lorsqu'elle ne se laissait pas dominer par ces « fureurs de lionne « (1) qu'elle tenait de Henri VIII :

« Je vous puis jurer, dit-elle, que je ne sais en aucune façon du monde si le comte de Montgomery est en ce royaume. Mais, quand il y viendra, je répondrai de même que fit le feu roy, père du roy mon bon frère, à ma sœur la feue reyne Marie. Ainsi qu'il disoit : Je ne veux être le bourreau de la royne d'An- gleterre ; de même, je dirai : Je ne veux être le bourreau de ceux de ma religion. Toutefois je promets à Sa Majesté Très Chrétienne de garder ledit comte de ne rien faire contre Elle et de ne retourner plus à ce qu'il a une fois entrepris sans mon su ni mon consentement ».

La Mothe lui objecta qu'elle avait récemment admis en sa présence Mme de Montgomery et sa famille, et que son maître pou- vait à bon droit en prendre ombrage. Elisabeth déclara qu'elle n'avait pas cru devoir fermer sa porte à la femme du plus marquant des réfugiés d'outre-Manche et ajouta :

« La comtesse étoit venue vers moi, accompagnée de pa- rents et amis de son mari, pour me prier de beaucoup de choses. Ainsi lui ai-je répondu : Je n'ai été du premier conseil du comte et ne veux être du second. J'ai été bien ébahie comme il n'avoit voulu accepter les offres du Roy Très Chrétien. A quoi, pour- suivit la Reine, elle m'a répliqué qu'il s'étoit trop légèrement obligé par serment envers ceux de La Rochelle à leur amener secours, non en intention que ce fût contre l'honneur et service de Sa Majesté, mais pour donner quelque répit aux assiégés et autres de leur parti de se pouvoir impétrer aucunes tolérables conditions pour la sûreté de leur vie et de leur religion ».

Elisabeth suivait des yeux l'impression de ses paroles sur La Mothe. Le voyant peu convaincu, elle reprit :

« Depuis vingt-quatre heures néanmoins j'avois entendu que le comte de Montgomery est arrivé dans l'île de Wight et lui ai incontinent envoyé sir Arthur Champernown pour l'avertir que

(I) La Ferrière, Les Projets de mariage d'Elisabeth, p. 6.

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je ne tenois en si peu l'amitié du roy de France que je lui vou- lusse permettre de venir en ma Cour au retour de tels exploits. Vous pouvez asseurer votre maître, Monsieur l'Ambassadeur, que cestuy-là ne tirera aucun moyen de ce royaume (1). »

Ces excuses parurent trop éclatantes à La Mothe pour être sincères. Resté avec ses doutes, il fit parler « par interposées personnes » à Mme de Montgomery « afin de réduire son mari ». Il mandait au Roi le 3 juin : « S'il vous plaît, Sire, qu,e je lui » permette de venir me parler, l'on me donne espérance que je » le pourrai faire retourner en l'obéissance de Votre Majesté (2) ». De son côté, Charles IX n'était nullement rassuré à l'endroit du comte par l'abandon de Belle-Ile et fort éloigné de se lier aux fanfaronnades du duc d'Anjou qui le taxait de timidité lorsqu'il lui communiquait ses appréhensions (3). Cependant les rebuf- fades qu'essuyèrent les amis de Montgomery, « s'étant présentés pour impétrer un nouveau renfort et de nouvelles provi- sions (4) », rassurèrent un moment le cabinet du Louvre et plus encore l'avis qu'il s'apprêtait à rejoindre à Flessingue les troupes du prince d'Orange. Mais ses inquiétudes se réveillèrent presqu'aussitôt sur le bruit que le comte, en gagnant la Hol- lande, méditait d'y organiser une seconde expédition pour secou- rir Lr. Rochelle plutôt que de s'allier aux gueux contre le roi d'Espagne. « Le Roy veut oublier ses dernières folies, écrivit » Catherine séance tenante à La Mothe. Si lui ou sa femme vous » font rechercher, accordez celte négociation (5) ».

Les rapports personnels de Gabriel de Montgomery avec le Taciturne remontaient déjà haut, et la liaison des deux illustres proscrits était devenue assez étroite pour que, au mois d'avril précédent Guillaume se fût cru autorisé à mêler dans ses « prati-

(1) Dépêche de La Mothe, 3 juin {Corr. dipl., t. V. p. 339, 340 et 343).

(2) Ibid., p. 344.

(3) Le duc d'Anjou au Roi, 13 juin (Copie mod., B. N. Autog. de Saint- Pétersbourg, vol. 21'. ('" 501 el à Matignon, 20 juin lUrig.. 15. N., f. l'r., 6604, l'° 70).

(4j Dépêche de La Mothe, 6 juin [Corr. dipl., t. V, p. 347 . 5] Le Roi, 23 el 29, La Reine-mère, 2:!, à La Mothe (Add. aux Mém. de Castelnuu, t. 111, p. 337-341 .

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ques » auprès du gouvernement de Charles IX des demandes d'argent en faveur des Flamands et les instances pressantes pour qu'on accordât au comte le pardon du passé (1). Le premier acte du comte, au retour de sa campagne maritime, avait été d'en- voyer son fils aîné, Jacques, seigneur de Lorges, qui avait reçu le baptême du feu à l'attaque de Belle-Ile (2), déposer aux pieds d'Elisabeth l'hommage de ses respects (3), le second, pour faire promettre son appui au prinee d'Orange (4). La reine d'Angle- terre fit un accueil glacial au jeune seigneur de Lorges. En lui donnant congé, elle commanda au vice-amiral Champernown de l'accompagner partout il porterait ses pas et d'interdire à son beau-frère de reparaître devant elle jusqu'à nouvel ordre (5).

Montgomery était trop fier pour se plaindre d'une disgrâce, justifiable après tout, sinon méritée. Il était aussi trop habile pour ne pas imiter Leicester dont la persistante faveur auprès de sa maîtresse prenait sa source dans une obéissance pas- sive, sûr qu'il était de ramener toujours à ce qu'il voudrait cette nature à la fois violente et variable (6). Dans ce qui lui arrivait le comte sentait d'ailleurs la main de La Mothe. Il se retira en Gornouailles, au château d'Udinton, propriété de Champernown, déterminé à attendre l'heure de la revanche (7).

Il s'appliqua d'abord à endormir les défiances du Louvre et de White-Hall. Pour cela il feignit d'aspirer au repos. A l'extrême étonnement de don Diego de Çuniga (8), ce ne fut pas lui, mais son fils Lorges, qui partit pour la Hollande (9). Comme toujours La Mothe, malgré une perspicacité incontestable, fut sa dupe.

(1) Dépêche d'Alamanni (Négoc. avec la Toscane, t. TU, p. 876).

(2) Voy. les sources précitées.

(3) Montgomery, à Cécil, 26 mai (La Ferrière, La Normandie..., p, 219,-

(4) Dépêche de Çuniga, 19 juin (Déchiffr. orig., Arch. Nat., K. 1532, 22).

(5) Dépêche précitée de La Mothe, 8 juin. La Popelinière, loc. cit.

(6) La Ferrière, Les projets de mariage..., p. 46.

(7) La Popelinière, loc. cit.

(8) Comparer les dépêches des 2 et 8 juillet (Déchiflr., orig., Arch. Nat.,' K. 1532, nos 23 et 29).

(9) Le prince d'Orange à Louis de Nassau, 17 juin; Marnix de Sainte- Aldegunde au même, 2 juillet (Arch. de la Maison d'Orange, lr0 série, t. IV, p. 160). Dépêche de La Mothe, 20 juin(Co/T. dipl., t. V, p. 533-555).

10

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« J'ai déjà si bien imprimé à plusieurs de cette Cour que Votre » Majesté mettroit de bref la paix en son royaume, écrit-il » le 20 juin au Roi, et trouvé le moyen de le faire ainsi entendre » à M. de Montgomery que ni eux ne parlent si fort de lui » bailler nouveau renfort, ni lui n'insiste plus tant de l'avoir. »

Le 3 juillet (1), autre dépêche, plus rassurante encore: sir Arthur Ghampernown l'est venu trouver, après être allé visiter le comte ; il proteste que celui-ci désire plus que sa vie « la réu- nion de ceux de la Religion à Votre obéissance sous la protec- tion et observance du dernier édit de pacification ».

Le 12, il alla annoncer à la reine d'Angleterre la conclusion de la paix, signée le 24 juin avec les Rochelais. La reine s'informa curieusement de ses clauses et, lorsqu'il les lui eût résumées :

« Tous les sujets du roy mon bon frère sont-ils rappelés? demanda-t-elle.

Oui, sans doute, Madame, répondit l'ambassadeur.

Et le comte de Montgomery pourra-t-il retourner en sa bonne grâce comme les autres ?

S'il n'apparaît pas à Sa Majesté qu'il eût machiné quelque chose de plus que les autres contre sa personne, je ne pense pas qu'Elle veuille l'excepter. »

En sortant de l'audience, La Mothe reproduisit soigneusement ce dialogue dans le compte rendu qu'il en adressa au Roi, lui demandant à ce sujet des instructions détaillées (2).

Peu de jours après, sir Edward Orsey, par l'intermédiaire du- quel Elisabeth avait fait offrir à Charles IX sa médiation entre lui et les Rochelais, médiation rendue inutile par le traité du 24 juin revint à Londres. « Le comte de Montgomery, à ce que » j'entends, n'a attendu que le retour du capitaine Orsey pour » envoyer devers moi », mande La Mothe le 20 juillet à son maître (3). Et la semaine suivanto(4): « 11 n'a encore envoyé de- » vers moi, à cause, à mon advis, que le capitaine Orsey lui a

{l)Corr. dipl., t. V, p. 364.

(2) Dépèche du 12 (IWd., p. 372).

(3) Ibid, d. 37...

(4) Dépôche du 31 (Ibid., p. 384).

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» écrit la bonne réponse qu'il en a rapporté de Votre Majesté » touchant son fait particulier. Mais je sais bien qu'il s'est fort » réjoui de la paix et je pense qu'il fera bientôt repasser par » delà sa femme et ses enfants » .

La réponse de Charles IX se ressent des inquiétudes que la conduite de Montgomery avait éveillées en son esprit : « Donnez- » lui toute assurance de ma bonne volonté envers lui, ne lais- » sant toutefois d'observer ce qu'il voudra devenir (1). »

Quatre mois s'écoulèrent, pendant lesquels il ne bougea pas du Cornouailles. La Mothe, qui s'était d'abord formalisé et même alarmé de ce peu d'empressement à faire officiellement sa sou- mission entre les mains du représentant de son souverain (2), découvrit en octobre que la faute n'en était pas à lui : par un ca- price inexplicable la reine d'Angleterre persistait à le maintenir éloigné de sa capitale (3). Et il n'y avait pas à se méprendre sur sa bonne volonté: car le maréchal de Retz, ayant traversé le dé- troit le mois d'avant, afin de notifier à Elisabeth l'élévation du duc d'Anjou au trône de Pologne, avait eu l'occasion de confé- rer avec la comtesse de Montgomery, qui lui avait « amplement témoigné des intentions de son mari (4). »

Enfin, le 17 décembre, La Mothe reçut la visite du comte. Il arrivait tout droit du Cornouailles et n'avait encore vu ni la reine Elisabeth ni sa propre famille. Il affirma n'avoir jamais cessé d'être au fond du cœur le loyal serviteur et sujet de la couronne de France.

« La plus urgente occasion qui m'a ému à prendre les armes en ces derniers troubles, s'écria-t-il avec feu, c'est que je jugeois

(1) Le Roi à La Mothe, 5 août (Add. aux Mém. de Castclnau, t. m, p. 351).

(2) Dépêches des 14 août et 5 septembre (Corr. dipl., t. v, p. 393 et 402).

(3) Dépêche du 23 octobre (lbid., p. 428).

(4) Retz à Mme de Montgomery, 3 octobre 1573 (La Ferrière, La Normandie, p. 212). Cette lettre est fautivement datée 1572 par l'écrivain lui-même; voy. son analyse dans les Calendars . . . , 1572-74, 591, et cf. : la dé- pêche de La Mothe du 4 septembre 1573 (Corr. dipl., t. v, p. 402; la lettre, datée du 20 août 1573, dont le Roi chargeait son envoyé extraordi- naire pour lord Sussex ; Copie du XVIIIe siècle. B. IN'., collection Bréquigny, vol. 95 (32 des pièces historiques).

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bien être estimé le plus méchant homme, le plus lâche et le plus failli de cœur qui fût au monde, si j'eusse abandonné ceux de ma religion lorsqu'ils se trouvoieut les plus affligés et les plus persécutés et avec le moins de secours qu'ils eussent eu oncques. Ce que j'ai fait a été seulement pour garantir eux et moi autant que je pouvois jusqu'à ce qu'il plût à Sa Majesté prendre un plus modéré expédient. Cela étant devenu depuis, je veux rendre en- tièrement au Roy l'obéissance qui lui est due et lui offrir ma vie et celle de mes enfants. »

La Mothe le félicita de ces bons sentiments et l'assura que leur maître à tous deux n'hésiterait pas à le faire profiter de l'amnistie générale proclamée par l'édit de Boulogne, coniir- matif de la paix du 24 juin, puisqu'il n'était pas plus compromis que ses coreligionnaires. Mais Montgomery insinua qu'il désirait une sauvegarde spéciale, ajoutant avec une pointe d'amertume : « J'en ai besoin plus que nul autre ! »

La Mothe trouva la demande légitime. Il lui fit rédiger une requête sous ses yeux et l'expédia le jour même en y joignant la relation de son entretien avec le proscrit (1).

Montgomery ne resta à Londres que quatre jours,, durant les- quels il vit plusieurs fois Elisabeth. La Mothe note avec satis- faction qu'il a consacré ses soins à favoriser de toute son influence (malheureusement très affaiblie) la négociation du mariage de la reine avec le duc d'Alençon. « Il m'est venu dire, » écrivait-il au Roi le 24 décembre, qu'Elle lui avoit semblé avoir » meilleure inclination vers Mgr le Duc qu'il ne cuidoit. Il s'en » est allé avec toute sa famille à Sion, maison de ladite dame à » huit milles d'ici, et y restera jusqu'à ce que je lui fasse savoir la » réponse de Votre Majesté, après laquelle il dit avoir obtenu de » pouvoir habiter es îles de Jersey et Guernesey, lesquelles ne » sont qu'à sept ou huit lieues de sa maison, d'où il pourra tirer » ses commodités (2). »

(I) Corr. dipl., t. v, p. 467 ; cf., (Ibid., p. 462), la dépêche de La Mothe du d2 décembre.

(2, Dépêche de La Mothe, 24 décembre [Ibid., p. 469). Cf.: Maison- fleur au duc d'Alen<;on, 14 décembre iLaFerrière, Le seizième siècle...,}*. 378- 383).

449

Au reçu de la précédente dépèche de l'ambassadeur, Charles IX aurait voulu soumettre sur-le-champ à son con- seil les demandes de Montgomery. En ayant été empêché par une indisposition assez grave du chancelier de Birague, il pria La Mothe de faire part au comte de cet incident et de veiller à ce qu'il ne prît ombrage du retard qui en serait la suite (1). Le 20 janvier 1574, à peine une délibération du conseil privé eût- elle fait droit à sa requête le Roi en envoya copie à La Mothe (2), le chargeant de la transmettre au comte, ainsi que deux passe-ports (3) aux noms de Mme de Montgomery, « afin qu'elle puisse venir en ses maisons et s'en retourner quand elle voudra », et de sa bru, femme du jeune seigneur de Lorges, « à ce qu'elle puisse aller trouver son mari, fils du- dit Montgomery, il sera. » Il terminait ainsi sa lettre à La Mothe : << Vous m'écrivîtes quelquefois qu'il avoit désir, » considéré le malheur qui lui est advenu à l'endroit du feu Roy » mon père, de ne plus revenir en France, si je lui voulois per- » mettre de jouir de ses biens ou lui bailler faculté de les vendre. » S'il est encore en cette disposition, je la lui accorderai volon- » tiers. Mais, en quelque façon que ce soit, je vous prie l'assurer » que je ne manquerai en aucune chose que je lui promets (4).» En même temps, il lançait par le royaume un mandement prescrivant à tous officiers de l'ordre administratif ou judi- ciaire de respecter les « articles du comte de Montgomery (5). »

Pour bien comprendre ces décisions si libérales, il convient de reproduire certain passage d'une dépêche de l'ambassadeur de Toscane en France, écrite moins d'une semaine après : « Li ugonotti vi vanno sempre riforzando ed ogni giorno domandano più. Qualcuno dice che vogliono rickiamare Montgommery nel regno ed farlo lorcapo (6). » Le comte de Montgomery venait en

(1) Le Roi à La Mothe, 29 décembre. (Add. aux Mém. de Castelnau, t. m, p. 369.)

(2) Ibid., p. 377-380.

(3) Ibid., p. 381. (4j \Ibid.t p. 376. (5) Ibid., p. 380.

(G) Dépêche d'Alamanni, 26 janvier (Négoc. avec la Toscane, t. m p. 897).

loO

effet, ne l'oublions pas, premier après Henri de Navarre, le prince de Condé et l'amiral de Coligny, en 1570. L'assassinat de l'un, le quasi-emprisonnement des autres au 24 août avaient donc fait de lui le généralissime des réformés (1). C'est à lui que s'était adressé au mois d'octobre l'agitateur Campet de Saujon (2), qui se faisait fort de rallumer la guerre dans le Dau- phiné, le Languedoc et la Provence, s'il se mettait à la tête des religionnaires de ces contrées. Dans ces conditions, la clémence du cabinet de Louvre s'explique : puisque son séjour à l'étranger et les scrupules d'Elisabeth élevaient une barrière entre lui et la place de Grève, puisqu'on ne pouvait le livrer au supplice, il fallait le gagner à tout prix.

Les pages qui précèdent ont montré avec quelle adresse il réduisit à néant les perfidies de la Cour de France. A la fin de 1573, il était parvenu à endormir complètement les soupçons de La Mothe-Fénelon. Quant à la malveillance calculée d'Eli- sabeth, elle allait servir ses plans secrets. Dans cette cam- pagne diplomatique de six mois, il voyait la défection éclair- cir à chaque instant les rangs de ceux en qui il avait placé sa confiance, il ne recula devant aucune démarche rebutante ; s'abaissant à feindre de soupirer après le pardon de Catherine deMédicis, sa persécutrice de toutes les heures, et de Charles IX, le bourreau de ses frères ; travaillant sans relâche à convaincre La Mothe que son unique ambition était de reconquérir la faveur royale, alors que la Reine-mère et le Roi (la tète et le bras) conspiraient contre sa vie. Il découvrait en effet qu'un gentil- homme perdu de crimes et quatre « soudards » avaient été dépê- chés pour « l'occire par armes ou poison » . Au bout de la réussite de ce lâche attentat, de l'or pour ceux-ci, la rémission pour celui- là. Toujours la tradition de Maurevert. Dans le premier moment, il ne put retenir un cri de rage :

« Voilà la fiance, qu'il y a en eux ! (3) »

(1) La Prinse ducomtedeMontgomerylm reconnaîtcerangtrè? explicitement.

(2) Campet de Saujon & Montgomery, 8 octobre 1573, dans La Ferrière,

La Normandie..., p. 22:<. Sur ce personnage, voy. Brantôme, t. v, p. i:iu.

(3) Montgomerv ;'i Cecil, M octobre 1573 (La Ferrière, La Nomandi*..., p. 221).

loi

Et le lendemain il reprenait sa chaîne de dissimulation, de mensonges.

Lorsque les passeports et l'amnistie particulière, signés le 20 janvier au château de Saint-Germain, arrivèrent à Londres, Gabriel de Montgomery avait quitté le sol britannique qu'il ne devait plus revoir. Il s'était d'abord rendu à Guernesey, qu'une lettre de Walsingham lui conseilla d'abandonner (1), et c'est à Jersey qu'il résida pendant les derniers jours de son exil (2). Là, mieux que partout ailleurs, il put se retremper dans ses impressions de la Saint-Barthélémy.

Mais le Roi a pris l'éveil. Il ordonne à La Mothe-Fénelonde le surveiller de près (3). « Je sais sûrement que M. de Montgo- » mery, il n'y a pas cinq jours, étoit encore à Jerzé, répond-il. » Même lui et son fils s'en reviennent sous peu trouver la com- » tesse à Hamptonne (4). S'il approche jusqu'ici, je nefaudrai de » le confirmer en ce qu'il vous a promis. »

Cette dépêche est du 7 mars (5). Elle se croise avec une lettre de Charles IX (6), ainsi conçue :

«... En voulant clore la présente, j'ai eu advis certain du » sieur de Matignon, que le comte de Montgomery a fait des- » cente en ce royaume le 11 de ce mois. »

(1) « 1 wroat to the count Montgomery, for his retire of Guernsey. » (Walsingham, Journal, inséré, en 1875, dans les Camdem Miscellany , à la

date du 28 janvier).

(2) Le Roi à La Mothe, 4 février (Add. aux Mém. de Castelnau, t. m, p. 385).

(3) Le môme au même, 18 février {Ibid., p. 389).

(4) Hampton-Court.

(5) Corr. dlpl., t. vi, p. 51.

(6) Le Roi à La Mothe, 14 mars (Add. aux Mém. de Castelnau, t. ni, p. 394).

153

IX

Il nous faut revenir en arrière, retourner à la fin de décembre 1573, époque le duc d'Anjou, le roi élu de Pologne, comme on l'appelait maintenant, avait franchi le Rhin, allant prendre possession de sa couronne. « Sa sortie de France et la maladie du roy Charles, qui commença presque en même temps, dit Marguerite de Valois, leur sœur, dans ses Mémoires, éveillèrent les esprits des partis de ce royaume, faisant divers projets sur cet État. » (1).

Par un de ces revirements d'opinion si fréquents dans les temps de troubles, les protestants avait cette fois pour auxi- liaires les catholiques modérés ou politiques, et à leur tète se placeraient le duc d'Alençon et le roi de Navarre.

L'explosion de la mine avait été fixée au mardi-gras, 23 fé- vrier- 1574. Si à Saint-Germain, se trouvaitla Cour, la cons- piration échoua (u2), dans les provinces elle eut plein succès. Eu un même jour, la Saintonge, la Guyenne, le Languedoc, le Dauphiné se déclarent pour les confédérés (3). Mais de ce mou- vemenent quel est l'objectif ? L'un de ses chefs va nous le dire : « Les huguenots et les papistes sont ensemble pour tirer les étrangers de la Cour », écrit Montgomery (4). 11 désigne ainsi les Italiens qui entourent la Reine-mère et soufflent au Roi de perfides conseils, les Retz, les Birague, les Nevers. Encore les

(1) Marguerite de Valois, Mémoires et lettres, éd. Guessard, p. 37.

(2) H. de La Tour, vicomte de Turenne el duc de Bouillon, Mémoires, p. 17.

(3) Montgomery à Cecil, 8 mars (La Ferrière, Le seizième siècle..., p. 385).

(4) lbid.

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conjurés font-ils preuve de modération. Sur la liste de proscrip- tion un nom a été omis à dessein, par respect pour l'autorité royale, le nom de Catherine de Médicis (1). Jamais complot n'eut un but plus patriotique. « Dieu veuille y mettre la main ! » nous écrierons-nous avec notre héros (2).

La Reine-mère se vit débordée. Pour détourner l'orage, comme toujours, elle eut recours aux temporisations. L'avant- garde des rebelles était à Mantes. Elle était commandée par M. de Chaumont-Quitry qui s'était chargé, disait-on, de forcer avec 800 chevaux les portes du château de Vincennesoù le roi de Navarre et le duc d'Àlençon étaient prisonniers depuis le mardi-gras. Le vicomte de ïurenne, l'une des têtes du parti politique, lui fut dépêché avec mission de le ramener pour un « abouchement ».

Quitry s'y montra d'abord peu disposé.

« La méfiance est grande ici, dit-il. L'invalidité de toutes les promesses met ma sécurité en question. Puis, nous sommes sans chefs. Nous n'avons d'avis certain de ce qu'a exécuté M. deCo- lombières et moins encore si le comte de Montgomery a mis pied à terre. »

Cependant, à force d'instances, il finit par céder. 11 eut au- dience du Pioi le 9 mars. Charles IX mit tout ses soins à « pra- tiquer » Quitry, jurant de récompenser magnifiquement ses ser- vices. Quitry affirma que Sa Majesté pouvait user de lui comme du plus respecteux et du plus dévoué de ses sujets. Séance te- nante, Charles lui enjoignit de repartir sur l'heure avec Turen ne pour la Normandie et de s'entremettre auprès des plus mar- quants des révoltés de la province (3). En même temps, MM. de Biron et de Strozzi allaient s'acquitter d'une mission semblable dans le Midi et dans l'Ouest (4).

(i; Dépèche d'Alamanni, 1 1 mars (Négoc. avec la Toscane, t. 111, p. 90).

(2) Lettre précité du 8 mars.

(3) Le Roi à La Mothe, 4, et 14 mars {Add. aux Mém. de Castelnau, t. III, p. 393). Bouillon-Turenne, Mémoires, p. 18 et 19.

(4) Le maître de postes de Bordeaux à don Gabriel de Çayas, secrétaire d'Ktat de Philippe 11, 9 avril (Trad. espagnole, Arch. Nat., K. 1533, 04). Biron au Roi, 24 avril {Archives historiques de la Gironde, t. XIV, 1874, p. 10o).

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Nous suivrons les premiers, dont la tâche était considérée comme la plus laborieuse ; car ils allaient avoir affaire à Mont- gomery ( 1 ). Mais avant tout, voyons ce qu'était devenu le comte entre son départ furtif de Jersey et sa rentrée en France.

Son premier dessein avait été de prendre le commandement desreligïonnaires du Languedoc qui s offraient à lui (2). C'était le parti le plus sage. L'expérience des deux premières guerres civiles avait démontré aux réformésque le nord et le centre de la France était profondément attachés au catholicisme et que leur présence en ces régions, il leur était très difficile de se maintenir, ne leur donnait pas un prosélyte. Dans le sud et le sud-ouest, au contraire, ils comptaient beaucoup d'adhérents. En outre, l'éloignementdu pouvoir central, les rivalités sourdes existant entre les différents gouverneurs deprovincesdumidi, rivalités qui avaient, on s'en souvient, favorisé à un si haut degré l'expédition de Navarre, leur constituaient un appoint sérieux ; et l'on ne peut douterqu'avec son audace, avec sa ra- pidité de mouvements, avec le prestige dont il jouissait en Gas- cogne, il n'eût toutes les chances de succès.

Un événement inattendu dérangea ses plans.

Au commencement de 1373, François de La Noue, se trou- vant à La Rochelle au moment de son investissement par les catholiques, s'était vu quasi contraint par les assiégés de quitter la ville pour leur avoir conseillé dans des vues purement dé- sintéressées d'ailleurs d'accepter « une bonne composition » du duc d'Anjou, plutôt que de « chercher à résister ».

Un vif ressentiment lui était resté au cœur de cet affront, qu'il attribuait à Montgomery, non sans cause, les Rochelais lui ayant déclaré qu' « ils attendoient le comte pour se conduire à sa dis- crétion » et lui ayant en outre donné à entendre que ce dernier, « pour les rapports qu'on lui avoit faits de lui ne lui, vouloit guères de bien. »

Or, à la fin de février 1574, Montgomery s'étant présenté de-

(1) A.lainanni le dit en propres termes dans sa dépèche précitée du 14 mars.

(2) Lettre précitée de Campet de Saujon, 8 octobre lb73.

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vant La Rochelle pour la seconde fois, les Rochelais, à l'ins- tigation de La Noue qui y était revenu, lui refusèrent l'entrée du port. C'est une triste page dans la belle vie de La Noue que cette rancune mesquine. L'histoire et la postérité sont fondées à le rendre en grande partie responsable de la perte de Montgo- mery (1).

Renfermant en lui-même l'amertume d'un pareil traitement, le comte se retourna vers la Normandie (2), l'appelait Colom- bières. « Son destin, dit mélancoliquement l'historien pro- testant La Popelinière, le força d'en prendre le hasard. »

Montgomery connaissait la vigilance de La Mothe-Fénelon. Il avait lieu de redouter qu'il n'eût eu vent de son départ de Jersey et en eût informé le Roi. Dans cette hypothèse, l'en- nemi devait supposer qu'il opérerait sa descente sur la côte la plus rapprochée de l'archipel anglo-normand, c'est-à-dire celle qui lui fait face. Dès lors, un débarquement entre la pointe du Gotentin et la baie du Mont Saint-Michel semblait folie. Mais, d'un autre côté, doubler le cap de la Hague aurait été une perte de temps considérable. Il se décida à tenter l'aventure.

Et voilà comment nous le voyons, le 11 mars (3), prendre terre au petit port de Lingreville (4).

Contre son attente, il ne fut pas inquiété. 11 ne pouvait sa- voir que La Mothe était au plus fort de ses illusions opii- niistes de fraîche date. Ce fut en effet par les lettres du Roi

(1) La Popelinière, t. II, liv. xxxn, 128, liv. xxxm, fn 140 et liv. xxuv, fo 200.

(2) D'après son propre témoignage, sa lettre déjà citée du 8 mars à Ceci], il leva l'ancre de Saint-Martin-de-Ré le 2 mars.

(3) Le 8, il était par le travers de la Rié, petite rivière qui se jette dans l'Océan en face de l'île du même nom, sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire de Rié, canton de Saint-Gilles-sur-Vie, arrond. des Sahles-d'O- lonne, Vendée (Lettre précitée de Montgomery.— Cf. Girault de Saint-Fargeau, Dictionnaire de la F)-ance, art. Rié).

(4) Lingreville, aujourd'hui commune du canton de Montmartin-sur-Mer arr. de Coutances, Manche.

Lettres du Roi à La Mothe, li mars, précitée, et de Montgomery à Cecil, 24, citée ci-dessous. Le siège de Danfronc, s. 1., lo74, in-8°.

157

que le diplomate apprit combien il avait eu tort de s'y aban- donner (1).

Les succès de Montgomery furent foudroyants. Douze jours après son débarquement, il pouvait dire sans forfanterie : « Nous tenons tout le pays en sujétion » (2). La prise du château de Pont-Douve (?>) lui avait livré la route du Perche. Carentan, les îles Tatihou et les importants ouvrages qui les défendaient, vis-à-vis La Hougue, étaient également occupés et annonçaient aux royaux la chute imminente de Valognes et de Cherbourg (4).

De Saint-Lô, Montgomery avait transporté son quartier-gé- néral à Carentan. C'est que vinrent le trouver, le 22 mars, Quitry et Turenne, que nous avons laissés quittant Paris, le 9; ils lui remirent une déclaration de Charles IX, promettant « sauvegarde et protection » à lui et à ses alliés. « Nous » ne désirons qu'une chose, portait le message royal, c'est » que les gentilshommes de la religion puissent vivre avec » les autres en toute liberté. »

« Je suis arrivé en ce pays, répliqua-t-il froidement, tant pour le rétablissement de la justice et piété que pour la défense de l'État. Quant au désir exprimé par Sa Majesté que nous demeurions en paix et repos en nos maisons, il aurait fallu apporter des articles de garantie : car les seigneurs de la qua- lité de ceux qu'Elle nous envoie sont sujets au désaveu. Au reste, nous sommes tous les membres d'un même corps et, avant de répondre, il nous faut communiquer les propositions du Roy à ceux qui sont de notre association, soit au dehors, soit au dedans du Royaume (5) ».

(1) Voir notre chap. VIII. in fine.

(2) Montgomery à Cecil, 24 mars (La Ferrière, La Normandie, p. 225, et Le XV siècle, p. 386).

(3) Pont-Douve, aujourd'hui hameau de la commune de Saint-Come-du- Mont, cant. de Carentan, arr. de Saint-Lù, Manche.

(4) Montgomery à Cecil, 24 mars ; le maître de postes de Bordeaux à Çayas, 0 avril (lettres précitées).

ij,j Commission de Charles IX, Il mars; copies de sa notification à Mont-

158

La rudesse de cette réponse faite par un sujet aux manda- taires de son Roi aurait le droit de nous choquer, si nous ne savions quelle cruelle ("preuve venait de frapper son auteur. Quand Montgomery donnait à Turenne pour motif de sa dé- terminât ion la prospérité des affaires des confédérés et la né- cessité d'en profiter « pour le bien public », il cachait la plaie qui saignait au fond de son cœur et avait surchauffé ses ten- dances d'irréconciliable. 11 était plus franc le surlendemain lorsqu'il écrivait : « La mémoire est si fraîche encore de la » Saint-Barthélémy que nous ne sommes pas délibérés de » nous laisser tromper et abuser comme par le passé I I ."N'a- vait-il pas plus que tout autre à se défier de la Cour, lorsque, après avoir échappé deux fois en cinq mois aux spadassins qu'elle avait armés contre lui (2), il apprenait la mort de son frère Saint-Jean, assassiné « proditoirement » aux environs de Falaise, drame Turenne, qui en fut presque témoin, et Brantôme s'accordent à voir la main de Matignon (3) ?

Le Roi se montra très inquiet de l'hostilité invincible du comte. Il fit part de ses craintes à La Mothe, le priant de s'em- ployer auprès de la reine Elisabeth pour que les rebelles ne pussent tirer de renforts d'Angleterre, soit avec son agrément, soit par sa simple tolérance, et qu'elle lui livrât comme otages la famille de Montgomery. Puis.s'abandonnant à sa fougue natu- relle,il ajoutait : « Vous m'écrivez qu'il dit qu'il yavoit des hom- » mes apostés pour le tuer. (Test une aussi insigne menterie que » celle que j'ai entendu qu'il publie ([iic l'on a fait tuer son » frère. Chacun sait que ledit a été tué à la guerre par un <a-

gomery et de la réponse de celui-ci, 22 mars (analysées dans Calendars, lo72-7t, i:j:;2; irnpr. partiellement dans La Ferrière, La Normandie..., p. 327).

(1) Lettre précitée à Cecil.

(2) En octobre 1573 (voy. notre chap. VIN) et tout récemment encore, en fé- vrier (Dépèche de La Mothe du 17 mars, précitée).

(3) Bouillou-Turenne. p. 20.— Brantôme, 1. 1, p. :;2S.— Cf. une dépèche du Vé- nitien S. Cavalli du 26 mars (B. Y. Dispacci degl'amb. Venez., filza 8. p. 252) et un avis anonyme transmis le l,r mai au gouvernement britannique {Ca- lendars...., 1572-74, 1366).

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» pitaine qui, l'ayant gardé de surprendre Falaise, comme il » vouloit faire, le poursuivit jusques en l'abbaye de Saint-Jean, » dont il portoit le nom, et le tua ainsi » (1). Le caractère de Charles IX était violent, sanguinaire, mais nullement bas. Il assuma parfois la responsabilité d'actes auxquels il était de- meuré étranger ou à peu près : on n'en citerait pas un seul, dont il ait essayé, l'ayant commis, de rejeter l'odieux sur un autre. Dans ses protestations contre les imputations de Mont- gomery, nous le croyons donc sincère. Mais nous inclinons à chercher le coupable bien près de lui. Catherine de Médicis, on le sait, aimait à recourir, pour se débarrasser de gens qui la gênaient, aux procédés elle retrouvait les mœurs de son pays natal.

La Mothe se rendit aux vœux de son maître avec d'autant plus d'empressement qu'il était lui-même alarmé des bruits qui couraient à Londres sur les « désordres et troubles du royaume » et des « pratiques » de beaucoup de bourgeois et de gentilshommes anglais à la cour de White-Hall « pour armer des vaisseaux et se joindre par delà à ceux de leur religion ». A ces incessantes sollicitations la reine ne paraissait pas trop éloignée de céder, si Ton en croyait les on-clit populaires, et la nouvelle de la prise de Carentan par Montgomery' vint leur donner une nouvelle force (2). Il demanda audience à Elisa- beth et à ses ministres et ne chercha pas à leur dissimuler qu'il était « en grande perplexité » de savoir comment le Roy prendroit ce qui se publioit que le comte de Montgomery fût descendu en armes au pays de Normandie, au sortir de l'île de Jersey, qui étolt à Elle, chose contraire à la teneur du dernier traité intervenu entre les deux couronnes ». Tous ju- rèrent qu'ils ne savaient rien des agissements du comte, mais qu'ils ne pouvaient croire à tant de perversité ; ils avaient d'ailleurs ouï parler d'un habitant de Londres, tout récem-

(1) Charles IX à La Mothe, '23 mars {Add. aux Mém. de Castelnau, t. III, p. 397).

(2) Dépèches de La Mothe, 23 et 28 mars et 27 avril {Corr. dipl.,t. II, p. 62, 67 et 74).

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ment revenu de Jersey, et qui, le jour même de son départ de l'île, y avait aperçu M. de Montgomery.

« S'il est descendu en Normandie, poursuivirent 1rs membres du Conseil, il aura si grandement mespris contre notre souveraine qu'où l'en fera amèrement repentir. »

La reine corrobora les dires de ses conseillers.

« En lui permettant d'aller à Jersey, dit-elle, je lui ai dé- fendu, non seulement de faire ennui au roy mon frère, mais de ne lui donner aucun soupçon. Il ne pourroit donc m'a voir fait plus mortelle offense que d'avoir attenté de descendre en armes par delà, et je désavouerais le premier Anglois qui, le rencontrant, ne le tueroit. »

Elisabeth poussa la condescendance envers l'ambassadeur de France jusqu'à s'enquérir auprès de Mme de Montgomery des « portemens » de son mari. Celle-ci répondit qu'il y avait au moins trois semaines qu'elle n'avait reçu de courrier du comte, « à cause des vents contraires », mais que, en lui fai- sant ses adieux pour quelque temps en janvier, il ne lui avait pas touché mot d'un voyage éventuel dans ses domaines, voyage que le Roi avait du reste autorisé (1).

La Mothe feignit d'ajouter foi à ces explications et, nonobs- tant, redoubla de vigilance. 11 fit tant et si bien par ses remon- trances qu'il devint impossible d'envoyer à Montgomery les secours qu'il réclamait (2) et que l'opinion en Angleterre bridait de lui fournir (3).

Le lutte étant devenue inévitable, la Reine-mère déploie la plus virile énergie. Trois armées sont mises sur pied. Tandis que deux d'entr'elles, confiées au duc de Montpensier et à son fils le Prince-Dauphin, opéreront, l'une en Poitou, l'autre en Languedoc, Matignon reçoit le commandement de la troisième, la plus toile, comprenant 5.000 gens de pied, 1.800 chevaux

(1) Dépêches de La Mothe, 2 et 6 avril (Ibid., p. 69-74).

(2) Voy. le posl-scriptum de sa lettre précitée du 24 mars.

(3) Dépêches de La Mothe, 15, 19, 24 ot 30 avril, 10. tu, 23 et 29 mai, et mé- moire annexé à celles des 19 et 24 avril (Corr. dipl., t. VI. p. 77, 80, 86, 90, 92, 96, m:;, lus. 1 12. 120, 12::. 126).

tGl

et 20 pièces de canon, avec mission de combattre Montgomery en Basse-Normandie (1).

Montgomery était occupé an siège de Valognes, lorsqu'il reçut avis du baron de Quitry, chargé de défendre la ligne de la Vire, qu'une partie des royaux, commandée par le sieur de Yilliers, s'avançait à marches forcées vers la mer, dans le des- sein probable de s'assurer de l'embouchure de la rivière, afin de prendre à revers le gros des réformés, retenu sous Va- lognes.

A cette nouvelle, quoiqu'il lui en coûtât, il leva le siège et se replia sur la Vire.

Pendant cette retraite, son arrière-garde fut culbutée par une colonne catholique, détachée par Matignon au secours de Valognes. Néanmoins il atteignit sans désastre l'embouchure de la Vire (2).

En face de lui, de l'autre côté de la rivière, était l'ennemi. Il ne put le décider à l'action. Une semaine se passa ainsi. A la fin, il soupçonna un piège. Laissant ses gens de pied en observation le long de la Vire, il se porta avec toute sa cava- lerie sur Saint-Lô (3), d'où Colombières n'avait pas bougé de- puis la reprise des hostilités (4) et qu'il avait mis en état de défense. Il n'y était que depuis quelques heures, quand les sentinelles crièrent: Aux armes. Cette fois c'était le gros de l'armée catholique, commandé par Matignon.

(1) Dépèche de Çuniga. 16 avril (Déchifïï. orig. en espagnol, Arch. Nat.,K. 1535, n<> 56). Aubigné, partie, liv. II, ch. VI. Caillère, Hist. de Mali- gnon, p. 121-123.

(2) Le Roi à La Mothe, 17 avril (Corr. dipl., t. VII, p. 459), à Fervaques, 20 (dans Recueil de pièces inédiles relatives à la prise d'armes de Montgomery en 1514, publ.par M. le comte R. d'Estaintot, 1872, p. 7; et dans Do?n front et son siège en 1574, publ. par M. H. Sauvage, 1879. [Dans les notes suivantes, collection Estaintot sera désignée par la lettre A, la collection Sauvage par la lettre B].— Dépèche de Cavalli, 19(B. N., Dispacci degl'amb. Venez., filza 8, p. 283). —Le siège de Danfronc. Aubigné, loc. cit. Davila, Hist. des g. civiles, t. I, p. 672.

(3) Le siège de Danfronc.

(4) Bouillon-Turenne, loc. cit.

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On était au 27 «avril (1), date mémorable dans la vie du comte de Montgomery. Celui-ci, contre ses habitudes, laissa les royaux vaquer paisiblemenl aux opérations de l'investisse- ment. Le 1er mai, il assembla en conseil de guerre tous les officiers de la garnison. Des résolutions qui furent prises, rien ne transpira au dehors... Sur les 10 heures du soir, 150 cavaliers débouchaient un à un dans l'ombre de la porte Do- lée, se formant silencieusement en colonne. A un signal don- né, ils s'ébranlèrent au pas de charge et franchirent ventre à terre les lignes catholiques. Les arquebusades, dirigées contre eux de toutes parts, s'étaient égarées dans l'obscurité. Un valet, qui eut la cuisse effleurée par une halle et qui put suivre, sou- tenu par ses compagnons, avait été la seule victime de cette trouée (2).

Montgomery la conduisait en personne. Des renforts lui étaient signalés, venant de Bretagne et d'Anjou et Rassem- blant sur les confins du Maine. Beaucoup de religionnaires étaient encore éparpillés en Basse-Normandie (3). il allait ral- lier les uns et les autres, puis rebrousserait chemin, en mas- quant sa marche, et fondrait sur Matignon, attardé au siège de Saint-Lô. Ce n'était encore que la première partie de son programme. L'armée de Matignon ainsi prise entre deux feux et disloquée, il grossirait son effectif des garnisons de Saint-Lô etde Garentan, abandonnerait le Cotent in, il n'avait jamais espéré longtemps se maintenir, et gagnerait la Loire, au- delà de laquelle La Noue, revenu de ses défiances, lui tendait la main (4); puis, tous deux de concert, ils se mesureraient avec

(1) La date du 17 donnée par Le siège de Danfronc est inadmissible et ne peut s'expliquer que par une faute de typographie.

(2) Le siège de Danfronc. La prinse de Montgommery. Chanson de Montgomery, 14e couplet. Aubigné, loc. cit.

(3) Le siège de Danfronc.

(4) Avis de France du l" mai, précité. Ce projet de se joindre à La Noue, il l'avait dès avant la bvée du siège de

Valognes, d'après une lettre qu'il écrivit le 12 à sa femme et qui semble per- due, mais que La Mothe analyse dans le mémoire (précité) annexé à ses dé- pèches des 10 et 24 avril.

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Montpensier, s'efforceraient de dégager le Poitou, l'Aunis, la Saintonge. Après, on verrait à se tourner contre le Prince-Dau- phin, à le chasser du Languedoc.

Le 2 mai, il est à Addeville (1), dans la plaine marécageuse qui borde la mer aux abords d'Isigny, donne ses ordres aux détachements échelonnés le long du bas cours de la Vire (2), oblique sur Carentan, il laisse sou fils Lorges et 120 hom- mes (3) ; avec le reste il prend à toute vitesse la route de la Passaie, petit pays limitrophe de l'Avranchin et du Perche. Le 6 (4), il loge pour la nuit à Mortain. Le lendemain, sur les 9 heures, il entre àDomfront.

Il est temps de donner une courte description (o) de ce bourg, qui allait être le théâtre d'une des luttes les plus éton- nantes qu'ait enregistrées l'Histoire. Les maisons de Domfront sétagent sur les flanc d'un massif granitique escarpé, au pied duquel coule la Yarenne. Son premier fondateur fut Guillaume ïalvas, sire de Bellême, et le formidable donjon, aujourd'hui presque complètement détruit, qui domine la ville du côté de l'est, avait retenu son nom, encore que les ouvrages primitifs eussent été remaniés de fond en comble par les Montgomery, ses successeurs. Quatre grosses tours flanquaient le donjon, qu'un fossé, creusé dans le roc vif, séparait de la ville. Avant l'invention de l'artillerie, ce géant de pierre passait à bon droit

(1) Addeville, auj. hameau de la commune de Saint-Côme-du-Mont, canton de Carentan, arrondissement de Saint-Lô, Manche.

(2) Le siège de Danfronc.

(3) Le Roi à La Mothe, 2 mai (Corr. dipl., t. VII, p. 466). Le siège de Danfronc. Bois-Pitard, Journal du siège de Domfront, impr. dans Dom- front, ses divers drames de Vannée 1574, par H. Sauvage, 1879.

(4) « Jeudy cinquiesme may », dit la Chanson de Montgomery (14e cou- plet). Il faut lire : mercredi 5 ou jeudi 6) mais la seconde date est plus vrai- semblable à cause des 120 kilomètres qui séparent Mortain de Carentan; d'ail- leurs Bois-Pitard (loc. cit.) la confirme implicitement.

(5) Nous en avons emprunté les éléments à L'Orne archéologique et pittores- que de MM. de La Sicottière et A. Poulet-Malassis, 184,">, in-fol. avec planches. Depuis la publication de cet excellent ouvrage, la destruction progressive des vieux débris de tours et de courtines, qui furent témoins des derniers ex- ploits de Montgomery, a continué comme de plus belle, ainsi que nous avons pu nous en assurer nous-mème au cours d'une visite à Domfront en 1885.

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pour inexpugnable. Mais le temps y avait accompli son œuvre, et ses défenses, maintenant inutiles et laissées à l'abandon, tombaient en mines. Aussi Matignon if avait-il attaché aucune attention au coup de main qui, dans la nuit du ±'i février, en avait rendu maîtres deux partisans huguenots (1).

Telle était la place Montgomery était arrivé le 7 mai. Il ne pensait y demeurer que la fin de la journée « afin de ra- fraîchir les chevaux ». La fatalité voulut que, le lendemain, un différend éclatât entre deux des siens ; « contre l'avis de ceux qui étoient avec lui », il voulut l'apaiser avant de s'éloigner (2). Il perdit ainsi vingt-quatre heures. Le dimanche 9, il mon- tait à cheval, quand des coups de feu retentirent aux barriè- res (3).

La sortie de Montgomery, le 1er mai, était restée ignorée de Matignon. Comme tous, il avait bien vu des cavaliers dis- paraître dans l'obscurité, rayée par les éclairs des décharges d'arquebuses ; mais il ne pouvait savoir que son rival était parmi eux. Chaque jour accroissait ses forces (4), et il en- visageait avec orgueil comme très prochaine l'heure il an- noncerait à Catherine de Médicis que les couleurs royales flot- taient sur Saint-Lô, que « celuy qui tua le roi Henry » était mort ou pris. C'est au plus beau moment de sa sérénité qu'ar- riva au camp un message de M. de Brécey, gentilhomme Avran- chin : il mandait que Montgomery lui avait glissé entre les doigts, à lui, M. de Matignon, et était en route pour Alençon. Comme preuve de ses affirmations, il déclarait que le comte avait logé dans son propre château, se liant aux relations de vieille amitié les unissant, relations qu'il se déclarait heureux de sacrifier au service du Roi (5). Interrogés, plusieurs prison-

(1; llois-Pitard, qui y commandait pour le Roi, en a donné la relation.

(2) Aubigné, loc. cit.

(3) Kntre 7 et 8 heures du matin.— Le s iege de Danfronc. -Chanson de Mont- gomery, i'6c couplet.

i n Voir les lettres que le Roi lui écrivit les 20 avril et 7 mai (B., p. 22 et 26. (.'i) C'est au catholique Bois-Pi tard qui prit part, comme nous l'avons dit, à

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niers ne firent aucune difficulté pour corroborer l'exactitude de ce renseignement.

Matignon tenait plus à la prise de Montgomcry qu'à la ré- duction de Saint-Lô. Il abandonna la suite des travaux du siège à l'un de ses lieutenants et se lança à la poursuite du comte avec 10.000 hommes (1) et toute son artillerie. Chemin faisant, des suppléments d'information guidèrent sa marche, et, le 9 au matin, ses éclaireurs escarmouchaient sous Domfront avec les sentinelles réformées.

Montgomery se sentit perdu. Comment tenir avec une poignée d'hommes contre toute une armée? Cependant il ne s'abandonna point. Au coucher du soleil, il essaya de percer le cercle de fer qui l'enveloppait. C'était du moins une chance de salut. Mais il se heurta contre des abattis d'arbres exécutés dans la journée et derrière lesquels les royaux foudroyaient les siens à couvert. 11 fallut battre en retraite. Une autre tentative semblable, faite le 12 sans espoir , n'eut pas un meilleur résultat. La mort.... et la gloire l'attendaient dans ces ruines hantées par l'ombre d'un de ses ancêtres.

« Comme il advient communément es guerres civiles que ceux d'un parti ont toujours un parent dans l'autre, les catho- liques s'approchoient souvent des murailles, appelant quelque cousin ou autre de leur connoissance,qui étoit dans la ville. Le comte, qui n'avoit faute d'entendement ni d'expérience, ne trouvoit pas bon cela, se doutant bien que ceux qui venoient, sous prétexte de voir leurs amis, étoient envoyés du sieur de Matignon pour tâcher à les attirer et à couper les branches, afin que le corps de l'arbre puis après demeurât nu. Ledit comte fit défense de plus parlementer, en quelque sorte que ce fût. Mais une partie de ses hommes étoit déjà empoisonnée d'une lâche espérance de faire son appointement à part avec les en- nemis et l'autre si résolue à trahison que, étant plusieurs en-

la campagne, doublement sûr par conséquent, que nous devons ce précieux renseignement. (1) Le siège de Danfronc. Laprmse de Montgommenj. Bois-Pitard.

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semble de même conspiration, il ne leur étoit malaisé de par- ler encore secrètement à ceux de dehors ; dont advint bientôt que la plupart abandonnèrent lâchement le comte. »

Le vent de la désertion commence à souffler le 14 sur 1rs compagnons de Montgomery ; ce jour-là, un capitaine et deux soldats, «faisant semblant de vouloir parler au sieur de Fer- vacqnes », passent à Matignon. « Depuis lors il n'y eut jour ni nuit que quelques-uns de ceux <\i' dedans ne se dérobassent par la muraille ou par le ravelin de la ville et se rendîssenl au camp des ennemis, tellement qu'une nuit il en sortit 3, une autre 9 ou 10, une autre fois 15, autre fois 18 (1). »

A mesure que les rangs des défenseurs de Domfront s'éclair- cissaient, ceux des royaux grossissaient. « Nous étions en peine » d'être si longuement sans entendre de vos nouvelles, écrivait » le 12 la Reine-mère à Matignon (2j, quand nous avons reçu » votre dépêche du VIIIe de ce mois. Le Roy a grandement loué » la résolution que, sur l'advis du partement de Montgomery » hors de Saint-Lô, vous avez prise de le suivre de près à la » charge. Nous avons deçà donné ordre à tout ce qui a été pos- » sible en avertissant sur les passages de la Seine et de la » Loire et envoyant le sieur de Sansac avec sept ou huit com- » pagnies de gendarmerie du côté du Perche pour le pour- » suivre. » Trois jours après, Charles IX, informé par Mati- gnon que Montgomery était bloqué dans Domfront, dirigeait aussitôt sur la Passaie les hommes d'armes de Sansac et un ré- giment d'infanterie placé sous les ordres du célèbre Bussy d'Ainboise. En même temps il lui expédiait des lettres d'am- nistie pleine et entière au profit de tous ceux des rebelles qui consentiraient à déposer les armes (3). On a \ u ci-dessus ce qui résulta de cet acte de clémence. Gabriel de Montgomery « ne pouvoit quasi plus faire état d'hommes » Juste à l'instant d'an-

(1) Le siège de Danfronc.

(2) Dans B, p. 27.

(3) Le Hoi à Matignon, i5 et 20 mai (A, p. 9-1 i et la ; B, p. 29-31 et 37).

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goissc les Normands répondaient, « en venant promptement et joyeusement comme pour prendre une bête furieuse, qui a. gâté tout le pays », à une proclamation de Matignon par la- quelle il invitait de par le Roi tous ceux qui portaient dans la poitrineun cœur français à prendre partau siège de Domfront(l).

La joie de Catherine de Médicis débordait au milieu de ces apprêts qui lui présageaient à courte échéance la réalisation de ses vœux. Elisabeth avait député auprès d'elle sir Thomas Leighton, gouverneur de l'archipel de la Manche, avec la dou- ble mission d'intercéder pour le duc d'Alençon, que des bruits de cour disaient exposé à subir le sort de La Môle et de Coco- nas, décapités le .30 avril comme conspirateurs, et de convaincre Leurs Majestés Très Chrétiennes que le gouvernement bri- tannique ne prêterait aucun appui au comte de Montgoniery (2). Ainsi la diplomatie de La Mothe-Fénelon avait vaincu celle des partisans de la cause réformée, même de ceux qui, avec une adresse machiavélique, avaient suggéré aux conseillers de la reine d'Angleterre qu'envoyer des secours au comte serait peut- être pour elle un moyen de recouvrer Boulogne et Calais (3). Sur le premier point du message de Leighton Catherine se montra glacée et ironique. Mais elle reçut avec des marques non équivoques de satisfaction l'assurance formelle que les assiégés de Domfront n'avaient rien à espérer de sa bonne sœur.

« J'espère bien, s'écria-t-elle, que sous peu il sera entre les mains du Roi ! » (4)

L'ambassadeur anglais Valentin Dale ne s'était donc pas trompé en écrivant : « Ici on a plus peur de Montgomery que « de tout autre chose. » (5) De son côté Charles IX ne dissi- mulait point à Matignon que la capture de « ce malheureux »

(i)B., 39.

(2) Instructions de Leighton (Calendars..., 1572-74, 1404).

(3) Jacobo Manucci à Walsingham, 16 mai (Ibid., 1413).

(4) Dale à Walsingham, 45 mars {Ibid., 1344).

(5) Aubigné, Hist. univers. , loc. cit. Sa vie à ses enfants (au t. I de ses Œuvres complètes, éd. Réaume et Caussade, 1873-74).

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n'aurait pas seulement pour effet de « rédimer le pauvre pays de Normandie des continuelles vexations, par lui reçues

à l'occasion d'icelluy » : elle serait de pins le coup mortel porté aux révoltés de tout le royaume. « Adoncques, termi- » liait le jeune Roi. faites en sorte qu'il n'échappe point. »

Si resserré qu'il tut, Montgomery était pourtant maître de s' « échapper ». Le lieutenant de Matignon, Fervacques, un de ces rusés Normands, qui d'un sac tirent volontiers deux moutures, avait deviné <•<> qu'il y avait d'avenir dans le pau- vre petit roitelet de Navarre. A la veille de quitter Yineennes, il partageait la captivité du duc d'Àlcnçon, il l'avait visité et lui avait offert ses bons offices. Celui-ci lui avait alors fait comprendre à demi-mot l'intérêt qu'il portait à Montgomery, en souvenir des services rendus par ce dernier à sa mère Jeanne d'Albret.

« Si je peux faire plaisir à M. de Montgomery, voire aux dépens de Matignon, je le ferai », répondit Fervacques.

Il tint parole. Il avait emmené avec lui un écuyer du Béar- nais, jeune homme inconnu encore et qui devait se faire dans la suite un nom illustre, Agrippa d' Aubigné : il s'en servit pour tenter de sauver le comte. Une nuit, Aubigné se glissa jusqu'au fossé, héla la sentinelle et la pria de demander une entrevue à l'un des officiers de Montgomery, M. de Portai, son ami intime. Portai, appelé, conféra quelques instants avec le jeune homme, et tous deux convinrent d'un rendez-vous pour la nuit suivante.

A l'heure dite, Aubigné, Montgomery, les capitaines Portai et du Breuil se rencontrèrent au pied des murailles. L'écuyer d'Henri de Navarre exposa brièvement son plan d'évasion. Pourvu que le comte se décidât sur le champ, il se faisait fort de lui faire traverser les lignes ennemies et de le conduire en sûreté à Alençon, dont les protestants s'étaient emparés l'avant-veille.

Mais Montgomery refusa d'abandonner ses amis. Vaine- ment Aubigné lui représenta-t-il que « les royaux avoient commandement de quitter tous sièges, il ne scroit point »;

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que, lui parti, l'ennemi, ignorant la direction qu'il aurait prise, lèverait le camp et retournerait devant Saint-Lô ; qu'ainsi il serait en état de servir très utilement la cause ré- formée. Vainement Portai et du Breuil joignirent-ils leurs instances aux siennes. Gabriel de Montgomery demeura iné- branlable. Agrippa d'Aubigné s'éloigna, navré, et, quarante ans plus tard, il dépeindra ainsi son désespoir : « Autrement étoit écrit au Ciel ! »

Jusque-là les calvinistes n'avaient point subi de bombar- dement en règle, les travaux d'approche ayant été boulever- sés, le 19, dans une troisième sortie. Mais, le 23, à 7 heures du matin, 18 canons se mirent à tonner d'ensemble sur Dom- front. Le comte fit sur le champ évacuer la ville, qu'il ne pou- vait songer à défendre, et se retira derrière les murs du châ- teau. A la faveur du désordre qui accompagne toujours une retraite, 30 des défenseurs de la place s'élancent hors des portes, levant la crosse en Tair. 40 hommes restaient en face de 15.000.

Les royaux ont remarqué ce mouvement de recul. Ils font converger les feux de leurs batteries sur la tour de Guillaume de Bcllème. A midi, après 4 heures de canonnade ininter- rompue, la courtine s'écroule avec un fracas épouvantable sur une longueur de 45 pas ; « par icelle un homme à che- val fût entré ». Des vivats d'enthousiasme retentissent parmi les royaux, et, quand le nuage de fumée et de poussière qui enveloppe la vieille citadelle se dissipe, Montgomery les voit se former en épaisses colonnes pour l'assaut.

Le combat dura cinq heures. Ce fut une lutte homérique. 600 arquebusiers, 200 gentilshommes volontaires, 100 gens d'armes et 100 piquiers se présentaient à l'escalade. Ils durent reculer devant les 40 titans qui défendaient la brèche. Gabriel de Montgomery, vêtu, comme pour une fête, d'un pourpoint tout passementé d'argent, s'offrait, la tète nue, une hache d'arme au poing, à la Mort; mais la Mort ne voulait pas de lui. Par dessus la tète des combattants, des couleuvrines, insta!^

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lées sur les collines qui l'ont face au château vers le Nord et l'Ouest, battaient sans relâche la crête des murailles du don- jon et couvraient les huguenots d'une mitraille d'éclats de gra- nit. Un de ces éclats frappa le comte en plein visage et, rico- chant, lui laboura profondément le bras. Malgré le sang dont il est inondé, malgré une arquebusade qui lui contusionne l'é- paule, il continue à commander et à combattre.

Dans les courts intervalles des assauts, il faisait un signe et tous s'inclinaient. Le ministre La Butte entonnait des versets de psaumes. Puis, se relevant sous la bénédiction de leur pas- teur, ces intrépides s'apprêtaient à soutenir un nouveau choc. Les royaux perdirent 200 des leurs, dont 10 capitaines et 4 enseignes (1).

Mais encore un succès semblable, et la Tour de Bcllème va rester sans défenseurs. 1:2 sont morts, 12 blessés plus ou moins grièvement, et le reste tombe de fatigue. Montgomery, aidé des plus valides, passe une partie de la nuit à réparer l'é- norme trouée, ouverte par l'artillerie catholique. Ensuite, avant engagé ses compagnons à prendre un peu de repos, il veille seul, pensif, accoudé sur le parapet, laissant errer ses regards sur les tentes innombrables qui s'étendent au loin dans la plaine, barrière infranchissable entre lui et ses core- ligionnaires.

Le bombardement reprit avec l'aurore et se prolongea jus- qu'au crépuscule. Chaque coup élargissait la brèche de la veille ; « un seul boulet fit à sa gauche une fenêtre de la lar- geur de quatre pieds et de la hauteur d'une pique ».

Les royaux ne tentèrent pas de nouvel assaut ce jour là, non plus que le lendemain, 25, la canonnade redoubla d'intensité. « Ils aimoient mieux continuer leurs premières brisées, à savoir de deviser avec quelques-uns de dedans. dont ils connoissoient l'humeur propre à faire marché, pour

(1) Lettre anonyme sans adresse datée «du camp devant Dompfront le lund matin 2ip ma}' 1574» (A, p. 10-18 : B, p. 47-49).— La prinse de Monlgommery. Le siège de Dan franc. Bois-Pitard, Aubigné, loc. cit,

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les soustraire de ». A la tombée île la nuit, le baron de Vassé, proche parent de Montgomery, se présenta en parlementaire. Le comte refusa de l'entendre. Le même soir, 7 ou 8 de ses soldats et un capitaine se dérobèrent par les casemates à la faveur de l'obscurité. Plusieurs des blessés de la surveille avaient succombé. Il restait avec 15 hommes, dont quelques- uns paraissaient peu résolus, sans eau, sans vivres, sans pou- dre. Alors le désespoir étreignit l'âme de cet homme de fer, Il porta la main à son épée pour se percer la poitrine. En ce moment, Vassé vint pour la seconde fois lui proposer une ca- pitulation honorable au nom de Matignon.

Montgomery se rappela, comme au sortir d'un rêve, la haute idée que l'amiral de Coligny s'était toujours faite de Charles IX. Il se ressouvint que l'illustre vieillard considérait le fils de Catherine de Médicis comme ayant l'étoffe d'un vrai roi, que bien des fois il l'avait entendu tonner contre les mi- sérables conseillers qui semblaient prendre à tâche de le cor- rompre, d'étouffer le bon grain sous l'ivraie. Matignon lui of- frait, ainsi qu'à ses compagnons, la vie sauve; lui seul de- meurerait provisoirement au camp pour attendre les instruc- tion du Roi. 11 ne douta pas de la clémence de Charles IX et arbora le drapeau blanc (1).

(1) tbid. Bois-Pitard, loc. cit. Cf.: Le Roi à la Mothe, 30 mai (Add. aux Mém. de Caslelnau, t. III, p. 403);

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Sur Vincennes planait une morne tristesse. La mort de Charles IX était attendue d'heure en heure.

Depuis bien des mois, la santé du Roi, épuisé par les fati- gues de la chasse, miné par une fièvre persistante, que redou- blaient encore de fréquents accès de colère, inspirait des craintes sérieuses. Les premiers symptômes de la maladie qui allait remporter avaient coïncidé avec le départ du jeune roi de Pologne pour ses lointains États. Puis étaient venus les complots du mardi-gras et du jeudi-saint, et ses souffrances s'étaient tellement accrues que les médecins désespéraient de la guérison. Cependant le retour du printemps eut sur lui, comme sur tant d'autres, une salutaire influence. A la brise tiède et embaumée des premiers jours de mai, il sembla re- naître, mieux trompeur, qui allait brusquement faire place à une effroyable aggravation.

Les dernières semaines de son règne sont comme le reflet des péripéties de la dernière expédition de Montgomery. La surexcitation du malheureux prince était extrême. Triste dé- bris d'une délicate organisation flétrie au souffle de cinq guer- res civiles, un seul sentiment persistait en lui, lucide, terrible : une implacable soif de vengeance (1). L'exécution de La Môle et Coconas l'avait plus réconforté que les drogues de Ma- zille (2) : la dépêche de Matignon, annonçant que Montgomery

(1) Voy. ses différentes lettres à Matignon citées dans le précédent chapitre.

(2) Avis anonyme transmis le 2 mai à la reine Elisabeth, impr. dans La Fer- rière, Le XVI0 siècle, p.

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était parvenu à forcer le cercle d'investissement qui enserrait Saint-Lô, fut accueillie avec de tels transports de rage qu'un instant l'on crut imminent le dénouement fatal (1). C'est que Catherine de Médicis n'avait pas oublié quelle main l'avait rendue veuve. Maîtresse de la pensée de son fils, comme elle ne l'avait jamais été au temps il rimait sous les futaies avec Ronsard et s'enthousiasmait aux rêves de guerre dont le berçait l'amiral de Coligny, elle pesait sur cette volonté expi- rante de tout le poids de sa haine. .

Désormais la vie de Charles IX ne fut plus qu'une longue agonie. Cependant il s'illusionnait encore : « Ma guérison sera » la réduction de Domfront et la prise de Montgomery », écri- vait-il à Matignon le 23 mai, au sortir d'une crise atroce (2).

Les quatre jours qui suivirent achevèrent de l'épuiser.

Le dimanche 30 (3), à la pointe du jour, de ce jour dont il ne devait pas voir la fin, Catherine de Médicis pénétra dans sa chambre, dissimulant sous son masque ordinaire d'impas-

(1) Dépèche de Cavalli (B. N., Dispacci degiamb. Venez., filza 8, p. 300). Avis anonyme transmis le 17 à la reine Elisabeth. (Calendars..., 1572-74, no 1416).

(2)B.,p. 42.

(3) « Triduo ante morlem.Catarina genitrix narrabat ei Mongomerinm cap- tum....»(Papyre Masson, Caroli noni,Francorum régis, vita; Paris, 1574, in-8<>); ce que Brantôme (t. V, p. 272) a traduit à tort oui, traduit, bien qu'il semble dire ceci de son propre chef : « Trois jours avant sa mort, la reyne luy fit part de la prise de Montgomery », tandis qu'il fallait comprendre : « La Reine-mère lui ayant fait part de la prise de Montgomery. qui eut lieu trois jours avant sa mort (le 27 au matin, en effet, un peu avant minuit; Le siège de Danfronc)... »

Voici qui prouve bien le contre-sens que nous reprochons à Brantôme.

Le 29, Cavalli mandait au doge : « L'assedio di Danfron continua et M. de Matignon assicura il Re che Mongomeri non pero scapare »: et. le 30, il repre- nait la plume pour écrire : * Quesla matina, è venuto aviso che Danfron è preso et Mongomeri fatto prigione dalli ministri del Re Christianissimo(B.N., Dispacci degiamb. Venez., filza 8, p. 310 et 313). De môme, Sorbin. le con- fesseur de Charles IX, au 15 de sa Vie du roy Charles ncufviesme (Paris. 1574, in-8°) : « Le jour de la Pentecosle (30 mai), vint la nouvelle de la prise du comte de Montgomery. » Cependant, dès le 28, le bruit de la chute de Domfront s'était répandu, et Çuniga (Lettre à Çayas, 28 mai; déchiflr. orig., Arch. Nat.. K. 1534, 14}, ainsi qu'Alamanni (Dépèche du di) ; Ncgoc. avec la Toscane, t. III. p. 929) tenaient cette nouvelle pour certaine

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sibilité une joie profonde. La nouvelle tant désirée était arri- vée enfin ; elle avait voulu la communiquer elle-même à son fils : Montgomery était prisonnier. Mais en entendant ce mes- sage, qui, peu auparavant, l'aurait transporté, le Roi ne sortit point de son atonie. Alors :

« La prise du meurtrier de votre père ne saurait-elle vous réjouir? s'écria la vindicative Florentine, incapable de se con- tenir davantage, avec une expression de sauvage triomphe.

Charles fixa un regard éteint sur sa mère :

Ni cela, ni rien au monde, répondit-il d'une voix faible. Toutes choses humaines ne me sont plus de rien (1). »

Quelques heures plus tard, se terminait cette déplorable existence, ensevelie par la scélératesse de son entourage dans un fossé de boue et de sang.

De la chambre mortuaire, la Reine-mère écrivit deux lettres, l'une toute d'amour, l'autre toute de haine ; la pre- mière à « son idole » (2) le roi de Pologne, pour presser son retour dans le pays qu'il était appelé, par la fin prématurée de son frère, à gouverner sous le titre de Henri III (3). La se- conde était pour Matignon, qu'elle félicitait de sa « belle prise » (4).

Elle le retrouva devant Saint-Lô. A peine maître de Dom- front, il était venu presser les opérations de ce nouveau siège (5).

A sa suite, il traînait son glorieux captif. 11 le traita en chemin, nous dit son biographe, avec les égards que méritait sa valeur, s'évertuant à lui représenter que le meilleur moyen de gagner la clémence royale était d'obtenir que Colombières se rendît avant d'y être forcé. Aussi bien Colombières ne pourrait-il éviter de se perdre, s'il s'obstinait à résister témé-

(1) Papyre Masson, loc. cit.

(?) C'est par ce terme que Marguerite de Valois, dans ses Mémoires, carac- térise la tendresse aveugle de Catherine pour son troisième fds.

(3) Copie, B. X., fonds Dupu}r, vol. uOO, p. 71.

(4) Citée infrà.

(o) li partit de Uomfront le 28 mai (Le Roi à La Mothe. 30 mai; Add. aux Méru. de Castelnau, t. III, p. 403).

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rairement aux armes du Roi. Il n'avait à espérer aucun se- cours, ni de ses coreligionnaires, partoul battus, ni de la reine d'Angleterre, lanl les côtes étaient à présent surveillées. Quant à lui, il était résolu à ne rien négliger pour triompher de la résistance, et il conclut :

« Un capitaine ne doit avoir pour objet que l'avantage de son parti, et il se perd toujours imprudemment quand il meurt sans espoir de lui rendre service. Entre un homme de cœur et un désespéré il y à cette différence que l'un ex- pose sa vie utilement, l'autre mal à propos. La nécessité de vous soumettre vous mettra, ainsi que Golombières, à couvert de tout reproche de la part du parti huguenol | l). »

Ces observations de Matignon arrivaient à un moment d'af- faissement moral, inévitable après tant de fatigues. En toute autre circonstance, Montgomery les eût repoussées avec hor- reur. Dans l'état d'épuisement il les entendit, elles le trou- vèrent accessible.

Le 9 juin, les deux partis étant convenus d'une trêve, Ga- briel de Montgomery s'avança au pied des murailles de la place assiégée et conseilla à Golombières de se rendre, développant les considérations que lui avait suggérées Matignon. Mais Co- lombières accueillit « animeusement o les propositions de sou ancien chef, devenu si docilement, hélas ! le porte-voix des en- nemis.

(1) Caillère, Hist. de Matignon, p. 130-133.

De ces traditions verbales, transmises à Caillère, ainsi que d'autres, par la famille pour l'élaboration de sa biographie, rapprochons la lettre suivante qu'il ne semble pas avoir connue et dont notre savant maître et ami le comte de La Ferrière a bien voulu nous communiquer,au moment allait s'impri- mer ce chapitre, la copie prise par lui au Hritish Muséum pour son édition des Lettres de Catherine de Médicis : « Monsieur de Matignon, on nous a dit » ici que le comte de Montgomery est en telle liberté qu'il porte épée, joue » et fait beaucoup de choses que l'on ne permet pas volontiers à tels prison- » niers que lui: et, quoique je sois fort bien assurée que vous ne vous y liez » que bien à point et lui faites ce bon traitement pour lui donner occasion » de faire mieux pour la reddition de Saint-Là et de Carentan, toutesfois je » crains tant qu'il s'échappe que, ayant su qu'il avait cette liberté (que je » pense que vous faites observer de bonne sorte), j'ai avisé vous faire cette » lettre tout soudain et vous dire qu'il sera très bon que l'envoyez inconti- » nent en cette ville en bonne et seure garde... »

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« Lâche, lui cria-t-il, tu m'offres ton exemple. Je te mon- trerai,à toi et à mes compagnons, comment il faut mourir(l)».

Le comte rentra sous sa tente, éperdu de douleur. Ces re- proches l'avaient fait rentrer en lui-même. 11 sentit l'odieux de la démarche à laquelle il s'était laissé entraîner.

Matignon le rejoignit presqu'aussitôt. Il lui communiqua une lettre de Catherine de Médicis, annonçant la mort de Char- les IX (2) et enjoignant au lieutenant-général de Basse-Norman- die d'envoyer sur le champ son prisonnier à Paris (3).

La Reine-mère n'avait jamais eu, est-il besoin de le dire, l'intention de faire quartier à son ennemi, et Matignon, qui con- naissait d'autant mieux ses secrets désirs de vengeance que, en lui confirmant le commandement de la province, elle l'avait longuement entretenu en tête-à-tête, lui recommandant de « hazarder toutes choses pour prendre le comte de Montgo- mery » (4) ; Matignon, dont elle rafraîchit la mémoire sur ce point, en lui écrivant, le 9 mai, ces lignes autographes, mes- sage Florentin par la langue aussi bien que par le sentiment qu'il révèle : « Si vous nous envoyé ledit comte, c'est ce que » nous pouvons désirer de meioulx » (5) ; Matignon s'était soi- gneusement gardé d'accorder une capitulation écrite à « celuy qui tua le roi Henry. » Les « paroles captieuses» (6), dont il se servit pour obtenir la reddition de l'ennemi personnel de son auguste confidente, celui-ci croyait lire la promesse de la li- berté sous des conditions purement suspensives, signifiaient bel et bien dans la pensée de celui-là que son rival se livrait à la merci de Charles IX. Or Charles IX était mort et Catherine de

(i) Lestoile, Journal du règne de Henri III, à cette date. La prinse de Salnt-Lô (Troyes, 1374, in-S). Aubigné, partie, liv. II, ch. Vil. La Po- pelinière, t. II, liv. XXXVII, f. 217. Cailière, loc. cit.

(2) Matignon la savait déjà par une lettre de la Reine-mère du 31 mai (B., p. 62).

(3). Il s'agit évidemment de la lettre écrite par Catherine à Matignon le 3 juin, citée dans une des précédentes notes.

(i) Cailière, p. 122. Il tenait, dit-il, ces renseignements du propre fils de son héros.

(5) Dans A., p. 8.

(6) Aubigné, loc. cit.

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Médicis, par lui nommée régente jusqu'au retour de Henri III, était toute-puissante en France.

Elle avait d'abord pensé à charger le parlement de Rouen du procès du comte (1). Le lendemain de la mort de Charles IX, une députation de cette compagnie étant venue lui présen- ter ses compliments de condoléance :

« Vous ne sauriez, dit-elle, nous donner une meilleure preuve de fidélité que de procéder contre les rebelles de Dom- front, Saint-Lô et autres villes de Normandie.

Madame, répliqua le président Bauquemare, nous sor- tons d'enregistrer (2) les lettres de pardon du feu Roi en fa- veur de ceux qui mettraient bas les armes » (3).

A cette fière réponse, Catherine trembla pour sa vengeance. Ce qu'il lui fallait, c'étaient, comme l'a écrit Aubigné (4), « des juges mal piteux et exécuteurs de sa volonté ». Plus sûre du parlement de Paris que de celui de Rouen, elle lui évoqua l'affaire (5). L'ambassadeur de Florence ne s'y était pas trompé. Dès le 31 mai, il écrivait : « Pour sûr Montgo- » mery sera conduit à Paris et décapité » (6).

Quant au comte, en apprenant de Matignon la décision qui lui présageait sa perte irrémédiable, il ne marqua aucune sur- prise (7). Fixé désormais sur son sort, il y était résigné.

(1) Lestoile, à la date du 5 juin. Cf. une dépèche de Luniga du 9 juin (Orig., Arch. nat., K. 1535, 87).

(2) Dans la séance du 5 mai (Hoquet, loc. cit., infrà).

(3) Floquet, Histoire du parlement de Normandie, t. 111, p. 153.

(4) Loc. cit.

(■'>) Lestoile, à la date du 16.

L'ordre de transfert avait été donné secrètement « per dubbio che nel camino posse seguir algun discordine » ; à Paris, tous croyaient encore, le 9 juin, et l'ambassadeur de Venise comme les autres, que Je comte serait jugé à Caen (Dépèche de Cavalli, 9 juin ; B. .Y. Dispacci delg. amb. Venez., filza 8, p. 322).

(6) Négoc. avec la Toscane, t. III, p. 931.

(7) Il n'avait pu être préparé à cette seconde violation de la parole qu'on ui avait donnée par celle dont la garnison de Domfront avait déjà été vic- time. La vie sauve lui avait été garantie, on le sait; et dès le 27 mai, à cinq heu- res du matin, elle était presque toute entière massacrée (Lettre précitée du Hoi a La Motlie. 30 mai. Le siège de Don/'ranc).

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Son triste voyage dura huit jours (1). Dans chaque ville il passait, tous voulaient contempler « ce faux déloyal »,ce régicide « à tout mal très expert et prompt ». A Bernay, l'é- moifut tefque les élections municipales furent suspendues (2).

Il arriva le 16 à Paris (3) et fut enfermé au Palais de Jus- tice, dans la tour ronde, qui, épargnée par le célèbre incendie de 1616, porte encore son nom.

Le procès fut rondement mené. Ce n'était d'ailleurs qu'un odieux simulacre, l'accusé étant condamné d'avance. Le 26, le parlement de Paris rendit son arrêt (4). 11 était convaincu du crime de lèse-Majesté et, comme tel, serait décapité en Grève, son cadavre écartelé, ses membres exposés aux principales en- trées de Paris, sa tête fichée à un poteau dressé sur le lieu du supplice, ses biens confisqués, ses enfants dégradés de no- blesse. Par un raffinement de cruauté, on lui appliqua la tor- ture « pour dire ce qu'il savoit de la conspiration dont on avait chargé l'amiral, de l'entreprise du duc d'Alençon, de ses por- tements en Angleterre et de la fin de son dessein, quand il mena les Anglois au secours de La Piochelle sous la bannière de la reine d'Angleterre » (o). L'art des tortionnaires s'épuisa en vain sur lui. Aucune révélation, aucune plainte ne s'échap- pèrent de sa poitrine. Seulement,quand on le délia du cheva- let, il dit d'une voix dont les tourments n'avaient pu altérer la fermeté :

« On me garde mal les promesses qu'on m'a faites ! »

(l}Pour parer à toute éventualité, on lui avait assigné comme escorte deux enseignes d'infanterie et quatre compagnies de gens d'armes.

(2) Ces renseignements nous sont fournis par une poésie, d'ailleurs médio- cre, insérée par Blay dans sa Notice historique et archéologique de Notre- Dame de la Couture de Bernay (Évreux, 1852, in-8).

(3) La Reine-mère à La Mothe-Fénelon, 18 juin (Add. aux Mém. de Castel- nau, t. III, p. 413). Dépêche de Çuniga, même jour (Orig., Arch. nat., K. 1535, 94). Lestoile, à cette date.

(4) La Reine-mère à La Mothe, 30 juin (Add. aux Mém. de Castelnau, t. III, p. 417).

(2) Dale à Smith et Walsingham, 7 juillet (Wright, Queen Elisabeth and hère Unies, t. I, p. 502). Lestoile. à cette date. La Popelinière, t. Il, liv. XXXVIII. 227.

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[1 demeura inébranlable dans sa foi religieuse. Conduit en chapelle, il refusa d'écouter les admonestations de l'archevê- que de Narbonne,qui essayait de le ramener au catholicisme. Sur la charrette fatale, il repoussa de mémo un cordelier, qui l'adjurait de renoncer aux erreurs dont on l'avait abusé :

« Comment, abusé ? s'écria-t-il, si je l'ay esté, c'est, par un de vostre ordre, qui le premier me bailla une Bible, et là- dedans j'ay appris la vraie religion, en laquelle j'ai depuis vécu, et en laquelle je veux, par la grâce de Dieu, mourir aujour- d'hui (1). »

La place était noire de monde. Cette foule était houleuse ; « car, dit le biographe de Matignon (2), les bourgeois de Paris avoient souventes fois ouï parler de Montgomery comme du plus grand persécuteur qu'eût alors la religion catholique ». Soudain on vit qu'il se disposait à parler, et le silence se fit aussitôt.

« Il n'est pas possible, dit-il, qu'en une si grande multi- tude il n'y ait pas quelques gens de bien. Je prie ceux-là de se souvenir que les causes que l'on vient de prononcer en mon dicton ne sont pas celles pour lesquelles je meurs. 11 n'y en a guères de vous qui ne sache le malheur sans péché qui

m'arriva en la personne du roy Henry. A ces causes. voyant

exilé de France, j'ai pris à deux mains les occasions qui se sont présentées pour me faire respirer l'air je suis né, prin- cipalement quand elles ont été convenables à ma conscience et à ma profession : mais ça a été sans infidélité à mon prince. En cet endroit, je me sens obligé de décharger messieurs les maréchaux prisonniers (3). J'atteste comme étant en la voie de la vérité que, pour les armes que nous avons prises, ils n ont eu avec nous aucune communication. Sur la révérence que l'on doit aux paroles d'un mourant, je requiers de vous deux choses: l'une de faire savoir à mes enfants, qui ont esté

(1) Lettre précitée de Date. Lestoile, loc. cit.

(2) Caillère, p. 134.

(3) Les maréchaux de Cossé et de Montmorenc}', enfermés à la Bastille comme complices du complot du jeudi-saint.

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déclarés roturiers, que, s'ils n'ont la vertu de noblesse pour les en relever, je consens à l'arrêt. L'autre point plus important dont je vous conjure, c'est que quand, on vous demandera pour- quoi ou a tranché la tète à Montgomery, vous n'alléguiez ni ses guerres ni ses armées, ni tant d'enseignes arborées men- tionnées en mon arrest, qui seraient louanges frivoles aux hom- mes de vanité ; mais faites-moi compagnon en causes et en mort de tant de simples personnes selon le monde, vieux, jeu- nes et pauvres femmelettes, qui, en cette mesme place, ont en- duré les feux et les couteaux (1) ».

Gela dit, il récita à haute voix le symbole de la confession de Genève et, ajoute un témoin oculaire (2), « d'une longue et diserte prière, changea les cœurs de plusieurs qui avaient couru à sa mort pour y prendre plaisir. » Puis, il promena un long regard autour de lui. Dans un angle de la place, il re- connut Fervacques à cheval, ayant en croupe le jeune Aubi- gné. Il les salua cFun suprême sourire, et, « priant le bourreau de ne le bander point », il s'agenouilla pour recevoir le coup mortel (3)

D'une fenêtre de l'Hôtel-de-Ville, Catherine de Médicis as- sistait à l'exécution (4).

L'impression produite par le supplice du comte de Montgo- mery fut profonde. Tous comprirent que quelqu'un de grand venait de disparaître (5). Telle était sa renommée que beau- coup crurent que la nouvelle de sa mort n'était qu'une inven-

(4) Aubigné, loc. cit. Le résumé de cette harangue est consigné par l'ambas- sadeur Florentin Alamanni dans la dépêche du 2 juillet (Négoc. avec la Tos~ cane, t. IV, p. 14). Cf.le Discours de la mort et exécution du comte de Mont- gommery.

(21 Aubigné, loc. cit.

(3) Lestoile, Aubigné, loc. cit.

(4) Lestoile, loc. cit.

(5) Voy. à ce sujet la dépêche de La Mothe-Fénelon, du 3 juillet {Ç,on\dipl., t. VI, p. 107).

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tion de la Reine-mère destinée à porterie découragementdans l'âme des compagnons d'armes du héros.

Le bruit vague se répandit même sur le littoral de la Man- che qu'il était parvenu à déjouer la surveillance de ses gar- diens et qu'il se trouvait à Caen, libre et plus puissant que jamais ( 1). Cette auréole légendaire, qui, depuis sa presti- gieuse fuite de Paris dans la nuit de la Saint-Barthèlemy, en- tourait son front (2), qu'avait rehaussée l'héroïque défense de Domfront, n'a subi, après trois siècles écoulés, aucune al- tération. Son souvenir est resté vivant en Normandie, et en- core aujourd'hui Avranches, Domfront, Vire se disputent l'honneur déposséder ses armes (3).

Le monde protestant ne pardonna pas à Elisabeth d'Angle- terre de n'avoir rien tenté pour disputer sa tète à Péchafaud : « Nous n'avons éprouvé qu'un seul malheur, écrivait de Ge- » nève le 17 juin François Hotman (4): c'est la prise du brave » comte de Montgomery. Mais on espère que la reine d'An- » gleterre,qui a de l'affection pour lui, intercédera pour lui ». Cette médiation ne vint pas. Qui pouvait pourtant mieux que la fille de Henri VIII faire hésiter une fois déplus laRégente? Catherine, il est vrai, lui avait refusé la grâce de La Môle. Mais quelle fin de non-recevoir avait-elle alléguée ? Que La Môle avait toujours été traité en camarade plutôt qu'en sujet par Charles IX ; que sa rébellion se compliquait ainsi d'ingrati- tude ; qu'il ne pouvait pas même objecter, lui catholique, le devoir d'épouser la querelle de révoltés huguenots. Il est im-

(1) Killegrew à Walsinghani, Edimbourg, 23 juin {Calendars..., lo72-74, 1474).

(2) « Sur ma belle jument, Chevauchay vistement Trente lieues tout d'un erre. »

(Chanson de Montgomery , 12«' couplet).

(3) Desroches, Ann. du pays d Avranches, p. 375. La Sicottière et Pou- let-Malassis, L'Orne pittoresque, loc. cit.

d) Cette lettre a été impr. par Dareste dans son étude sur Prançois Hotmon, publ. au t. 11(1876) de la Bévue historique.

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possible d'admettre que,en présence d'une intervention d'Eli- sabeth en faveur de Montgomery, Catherine de Médicis se fût

retranchée derrière les mêmes exceptions. Elle aurait donc été forcée de confesser qu'elle poursuivait uniquement le soin de son implacable rancune conjugale, et c'est de quoi elle se serait à coup sur peu souciée.

Enfin, Elisabeth, si elle eut réellement porté au comte l'in- térèt.dont elle avait fait montre en plusieurs circonstances, avait un moyen infaillible de le sauver. Du vivant de Charles IX, après s'être vue refusée en mariage par le duc d'Anjou, piquée au vif de ce dédain, elle, habituée à se jouer de ses prétendants, elle avait dit en propres termes à Montgomery : « Tant que le Roy vivra.je continuerai de vivre en parfaite ami- tié avec luy ; mais, si d'aventure il oient à décéder, dût-il m'en coûter ma couronne, femployerai toutes choses pour faire la plus forte guerre que je pourrai au duc d'Anjou qui lui aura succédé » (2).

Ne pouvait-elle se souvenir de ses paroles d'autrefois, mettre le marché à la main de la Régente? Qui sait? La Reine-mère aurait peut-être redouté de compromettre la couronne de son fils bien-aimé. Ce n'aurait pas été la première fois que l'ange triomphe du démon, l'amour de la haine. Elle se contenta d'envoyer quelques lignes de banale consolation à la comtesse de Montgomery, rengageant à mettre son espoir en Dieu, dont la justice infinie n'abandonnerait pas celui qui s'était armé pour lui (3). Un jour, elle s'enfoncera plus avant clans l'égoisme en laissant presque mourir de misère l'héroïque veuve (4) de cet homme qu'elle avait un moment comblé de marques de faveur et qui était regardé par tous comme l'un des meil-

(1) La Reine-inère à La Mothe-Fénelon, 25 avril 1574 {Corr. dipl., t. VU, p, 461).

(2) La Même au même, 20 juin 1574 {Add.aux Mém. de Caslelnau, t. II, p. 414).

(3) A cette lettre en était jointe une autre, semblable quant au fond, de Walsingham ; toutes deux sont datées du 6 mai (erreur évidente pour juin) et ont été impr. par M. de La Ferrière dans La Normandie..., p, 231-233.

(4) Charlotte de Maillé, mère de Mme de Montgomery, à Walsingham, 5 avril 1575 {Ibid., p. 233).

184 leurs défenseurs de la causeront elle s'était constituée la pro- tectrice.

Au reste, de cette indifférence, il n'eut pas, comme tant d'autres, à attendre de la postérité une réparation tardive : ses contemporains ne la lui ont pas marchandée, et tous, amis et ennemis, chose rare, sont unanimes dans leur respect pour sa mémoire. Prise en masse, l'opinion accueillit avec une sorte de regret son exécution. Ce sentiment se reflète d'une façon surprenante dans les écrits que virent éclore les mois qui la suivirent immédiatement. Et il y en eut beaucoup! A La prime du comte de Montgommery,où un catholique résume ses actions depuis le 24 août 1572 jusqu'au 27 mai 1574, date de sa capitulation, répond Le siège de Dahfronc, œuvre d'un protestant, témoin oculaire. A celui-ci répliquent deux factums, imbus de l'esprit de l'Inquisition, l'un en prose, Le discours de la mort et exécution du comte de Montgommery,—en réalité, biographie passionnée, souvent inexacte, du chef calvi- niste ; l'autre en vers, d'un certain Claude Demorennc, qui sera un jour évêque de Sées, Les regrets et tristes lamentations du comte de Montgomery snr les troubles qu'il a émus en France (1).

Enfin, ce tournoi littéraire se clôt par une chanson le comte est censé raconter tous ses malheurs et dont l'auteur se trahit politique à toutes les lignes (2). Eh ! bien, dans tous ces écrits d'origines si diverses, on ne saurait relever nulle note malsonnante.

« La plupart pensoit qu'il ne devoit finir ainsi avec justice, dit à son tour Arnauld Sorbin, confesseur du feu Roi, connu par sa haine farouche contre 1' « hérésie » et les « héréti- ques (3) ».

(i) Paris, 1574, in-8». Déclamation sans valeur historique.

(2) C'est le document que, faute d'appellation plus convenable, nous avons fréquemment citée sous le nom de Chanson de Montgomery. E'ie a été impri- mée plusieurs fois, notamment par Leroux de Lincy au t. II, p. 214-220, de ses Chants historiques français.

(3) Vie de Charles neufviesme, 22, v<>.

18o

Le baron de Vassé, qui, dans les conférences préliminaires de la capitulation de Domfront, avait servi d'intermédiaire en- tre Matignon et Montgomery, -comme lieutenant de l'un et cou- sin de l'autre, Yassé fut accusé d'avoir faussé sa foi.

« Les indignes calomniateurs qui prétendent que j'ai fait des promesses au malheureux Montgomery n'oseroient venir me le dire à moi-même, s'écria-t-il indigné. Si je lui avois donné quelque parole et que la Cour ne l'eût pas tenue, je me serois coupé la main qui a reçu son épée et je l'aurois portée et fait attacher vis-à-vis du trône. »

Cette superbe apostrophe, que son auteur fit rédiger par écrit et afficher à la porte du Louvre (1), réduisit au silence les détracteurs, qui retournèrent leurs blâmes contre les véri- tablescoupables,CatherinedeMédicis, l'instigatrice, etMatignon, l'exécuteur du parjure par eux perpétré de concert. La première chercha vainement à se disculper, tantôt disant à Brantôme : « S'il eût eu contrition de son coup malheureux, je ne lui eusse jamais fait mal ni bien, puisque le Roy mon mari lui avoit pardonné ; mais, faisant tels débordements insolents et hostiles et bandés contre mes enfants, il se montrait aise de son coup et pour ce digne de mort (2) ; tantôt écrivant à La Mothe-Fénelon (3) : « J'eusse volontiers différé son jugement et exécution jusques » à l'arrivée du Roy mon fils ; mais l'on n'a pu retarder, » craignant qu'il n'advînt quelqu'émotion, tant le peuple es- » toit monté contre lui, pour les grands maux dont il a esté » cause et encore maintenant pour les grandes ruynes qui sont » advenues en Normandie par luy et à son occasion » . Sur sa mémoire, la mort de Montgomery, c'est l'ineffaçable tache de sang de Lady Macbeth.

Il faut le dire, d'ailleurs, dans le sang du comte ce n'était pas seulement sa rancune d'Artémise inconsolable qui s'assou- vissait. Elle faisait coup double : elle frappait le Protestan- tisme à la tête.

(1) Sainte-Foix, Histoire de V ordre du Saint-Esprit (Paris, 1774-75, 2 vol. in-8°), t. Il, p. 59.

(2) Brantôme, t. III, p. 293. (4) Lettre du 30 juin, précitée.

186

Le comte de Montgomery eut beaucoup des qualités maî- tresses qui font les grands capitaines, et sa carrière est d'au- tant plus remarquable qu'elle nous présente une succession d'étapes nettement tranchées dont chacune correspond à de nouveaux services rendus à son parti.

Au commencement des troubles, qu'est-il ? « Geluy qui tua le roy Henry, » le doigt de Dieu, la victime d'une injustice de la Cour. A la tête de 120 chevaux, que lui confie le prince de Condé sur cette recommandation assez maigre en somme pour un soldat, il occupe Bourges sans coup férir et neutralise les influences catholiques sans secousses.

Il part de pour la Basse-Normandie, ayant cette fois des pouvoirs étendus équivalant à ceux de lieutenant-général pour le Roi, et parvient à échappera l'étreinte de cinq colonnes en- nemies.

Il va ensuite occuper le poste de gouverneur d'une place de premier ordre près d'être assiégée et tient pendant quatre semaines contre des forces décuples.

La seconde guerre civile le voit commandant d'une fraction de Tavant-garde ; la première phase de la troisième,comman- dant de l'avant-garde tout entière. Dans la deuxième partie de celle-ci, il est général d'un corps indépendant, efface en trois semaines les traces de trois mois de défaites et sait ac- complir ce prodige de dissimuler si parfaitement ses projets que deux plans successifs, complètement différents, se fondent en un seul aux yeux des historiens, soit contemporains, soit modernes, Monluc, son rival, des premiers (1).

Le Saint-Barthélémy lui transmet la lourde succession de généralissime des huguenots, ouverte par l'assassinat de l'ami- ral. Mais il n'est le premier ni par le sang, comme le prince de Condé, ni comme Goligny par une charge de la couronne. Son pouvoir est contesté, jalousé, et il succombe, il succombe en- seveli dans sa gloire.

1) Nous croyons même être le premier aies distinguer l'un de l'autre, sa- voir la concentration en un seul des forces éparses des « vicomtes » pour opérer dans le Centre, puis l'expédition de Navarre.

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Le style, c'est l'homme, a-t-on dit. Cet aphorisme se réalise pleinement pour Montgomery dans les nombreuses lettres sor- ties de sa plume. Partout la pensée va droit au but. La phrase est courte, incisive. On croirait, en lisant ces missives em- preintes de la fougue de l'écrivain, sauter une trentaine d'an- nées et être transporté sous Henri IV-

On retrouve semblable indication dans un portrait de la ga- lerie de Beauregard (1), peinture assez médiocre, mais pour nous d'une réelle valeur ; car il est l'unique représentation iconographique de notre personnage. Il y est figuré en buste, de trois-quarts, revêtu de l'uniforme de la garde écossaise, ce qui nous reporte aux années sans trouble de sa jeunesse. Le nez est long, droit et fin, le menton volontaire, l'œil ferme, mais sans dureté ; un air de laisser-aller indolent et de mélancolie est épandu sur toute la physionomie (2). Rapprochez ce que dit Vincent Carloix, le secrétaire du maréchal de Vieilleville, de son extrême vigueur, cachée sous les apparences d'un grand corps mince et élancé (3). Rapprochez-en surtout, ces lignes de Brantôme, si au courant des hommes et des choses de son temps : « J'ai ouï conter qu'il étoit le plus nonchalant en sa charge et aussi peu soucieux qu'il étoit possible, car il aimoit fort ses aises et le jeu. Mais, quand il avoit une fois le cul sur la selle, c'étoit le plus vigilant et soigneux qu'on eût pu voir ; au reste, si brave et si vaillant qu'il assailloit tout, faible et fort, qui se présentoit devant lui (4). » Voilà bien l'élasticité vigoureuse, inapparente, qui caractérise les grands fauves, à la- quelle on reconnaît aussi l'homme vraiment fort, et dont notre étude aura, croyons-nous, permis de suivre les différentes ma- nifestations, pendant une carrière si agitée.

Il est temps de conclure.

Si nous jetons un coup d'œil sur le groupe des hommes cé-

(1) Sur l'histoire de celle-ci voy. H. Bouchot, Les portraits au crayon des XVI» et XVII* siècles, p. 120 et suiv. et 355.

(2) Une copie de ce portrait existe au musée de Versailles.

(3) V. Carloix, Mém. de Vieilleville, liv. Vil, chap. XXVII.

(4) Brantôme, t. IV, p. 359.

188 -

lèbres du XVIe siècle, c'est au milieu des plus illustres, à côté de l'amiral de Coligny,que nous devons chercher Gabriel de Montgomery. S'il n'eut pas les vastes conceptions politiques de ce dernier, il possédait en revanche au plus haut degré la qualité qui lui manqua toujours comme chef d'armée, la promptitude de la décision. Comme courage, comme ténacité, tous deux se valaient. Le défenseur de Rouen et de Domfront peut être opposé au défenseur de Saint-Quentin, le «dompteur de la Gascogne» à celui qui sut mener à bonne fin le « Voyage des Princes. »

Le comte Gabriel de Montgomery aurait pu sans forfante- rie arborer la fière devise qu'un prince du XVIIe siècle écrivit sur ses étendards : « Je n'ai pas besoin d'espérer pour entre- prendre, ni de réussir pour persévérer. »

Léon Marlet.

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